Romans, deuxième vague

Frida Kahlo
Pierre
Michon
Vitalie
Rimbaud
Dado
L’Allemagne
Descombes
J. K.
Galbraith
953. Du 16 au 30 Septembre 2007/PRIX : 3,80 t (F. S. : 8,00 - CDN : 7,75) ISSN 0048-6493
 D’UNE QUINZAINE À L’AUTRE
Des nouvelles du Milieu
DU NOUVEAU AU NOUVEL
OBS
Il fallait y penser mais surtout pouvoir
le réaliser, ce lien qui – clic, clic – laisse-
rait au critique amateur, qu’il soit biblio-
thécaire, enseignant, libraire, simple
curieux, le soin de contredire le critique
patenté, d’apporter son point de vue, ses
informations, son calendrier de manifes-
tations, voire ses bonnes feuilles si derriè-
re l’internaute se cache un éditeur.
Jérôme Garcin a décidé de lancer le
site interactif réalisant ce lien qui ouvri-
ra, tous l’espèrent, non pas sur une
collection de blogs mais sur un vrai
dialogue. Cette expérience a pris corps
le 6 septembre, on peut la rejoindre sur
http://www.bibliobs.com.
LES JOURNÉES DU PATRI-
MOINE, C’EST AUSSI DU
LIVRE
Paris à cette occasion donne quelques
visites guidées de ses plus belles biblio-
thèques. Parmi elles, citons la « Biblio-
thèque des Amis de l’Instruction », qui fut
fondée en 1861 par une association
d’ouvriers et d’artisans du Marais en vue
de constituer la première bibliothèque
populaire. Elle a collecté pas moins de 20
000 volumes témoignant de l’éclectisme
et du scientisme de toute une époque : à
chaque savoir correspond sa petite pièce et
ce sur deux étages. La visite guidée gratui-
te du dimanche 16 septembre (10 h-18 h)
ouvre aussi sur ses coulisses : un atelier de
restauration du fonds de la bibliothèque,
atelier qui prend en charge la formation de
néophytes (54 rue de Turenne, 75 003
Paris, tél. : 01 42 71 03 43).
La Bibliothèque Sainte-Geneviève
consacrera aussi une partie de sa visite
guidée du 16 septembre (10 h 30-17 h 45)
à son atelier de restauration entièrement
dédié à ses fonds richissimes hérités de
l’Abbaye de Sainte-Geneviève et à sa
bibliothèque nordique commencée dès
1846 par son Conservateur Xavier
Marmier qui, entre 1836 et 1838, avait
bénéficié d’une mission archéologique
dans les pays scandinaves (10 place du
Panthéon, 75 005 Paris, tél. : 01 44 41 97
97).
Quant à la Bibliothèque Nationale,
outre ses sites bien connus de l’Arsenal,
de Richelieu et, maintenant, de François-
Mitterand, tous exceptionnellement acces-
sibles ce jour, elle profite de l’occasion
pour inaugurer son nouveau site de Bussy-
Saint-Georges. Il s’agit d’un Centre tech-
nique qui regroupe plusieurs métiers de la
conservation du livre et de sa sauvegarde,
ainsi que l’enseignement professionnel à
leur pratique. Ce même 16 septembre
(10 h-17 h), le public sera conduit au cœur
des laboratoires où l’on traite les ouvrages
diversement décomposés (Parc Gustave
Eiffel, 141 avenue Gutemberg, 77600
Bussy-Saint-Georges, tél. : 01 64 76 38
44).
Les plus passionnés pourront courir à
Saint-Denis La Plaine où l’Institut National
du Patrimoine ouvrira en ce jour ses ateliers
de restauration. La section « Arts
graphiques et Livre » de cette école nous
signale par ailleurs que les travaux de fin
d’études de leurs élèves restaurateurs du
patrimoine donneront lieu à des soutenan-
ces publiques le 2 octobre (INP, 2 rue
Vivienne, 75 002 Paris, tél. 01 44 41 16
41).
2
QUAND LE DESSIN SE PAIE
LES GRANDS DE CE MONDE
Le « dessin éditorial » est une expres-
sion que l’on doit à l’organe de presse
qui, dès 1915, en fit l’arme contre-
institutionnelle la plus célèbre des media
hexagonaux : Le canard enchaîné.
Quarante ans plus tard, le dessinateur
vedette de cet hebdomadaire satirique
s’appelait Roland Moisan (1907-1987).
Sa cible pour exercer ses talents de cari-
caturiste fut l’âge d’or du gaullisme.
Vingt ans après la disparition de
Moisan, une rétrospective de son œuvre,
« Les présidents de la Ve, Moisan et les
Archives nationales », ouvre ses portes
le 15 septembre au Musée de l’Histoire
de France et s’y tient jusqu’au 7 janvier
2008.
On y découvre qu’une thématique
commune fait lien dans ses dessins de
presse. Moisan nous a légué une image
du gaullisme reproduisant le schéma de
la dynastie des Bourbons. De Gaulle,
bien sûr, est campé en Louis XIV avec
son « vicomte Malraux » préposé aux
grands travaux de la Culture (ancienne-
ment Versailles). Pompidou fait figure
de régent, Giscard de Louis XV et
Chirac, à la reconquête d’un trône
confisqué par la plèbe socialiste tout en
lui reconnaissant ses droits, tient du bon
Louis XVI.
Musée de l’Histoire de France/Hôtel
de Soubise, 60 rue des Francs-Bourgeois
75 003 Paris, entrée hors réduction :
3 euros (livret de l’exposition compris),
ouverture : 10 h-12 h 30 et 14 h-17 h 30 ;
W-E : seulement l’après midi ; fermé le
mardi.
DES AUTEURS À LA VILLETTE
Inventaire/Invention, pôle (multimé-
dia) de création littéraire qui, depuis
1998, a édité des textes de François Bon,
Dominique Dussidour, Colette Fellous,
Leslie Kaplan, Yves Pagès, Jacques
Roubaud, Jacques Séréna, Bernard
Wallet, etc., ouvre un lieu associatif afin
d’établir un lien autre que virtuel entre
ces auteurs et le public.
À compter du 16 octobre, ces rencon-
tres se tiendront les 3 mes vendredis de
chaque mois à 20 h à la « Folie
Inventaire/Invention », un bâtiment futu-
riste de 300 m2 créé par l’architecte
Tschumi juste en face de la Géode, en
plein cœur du Parc de la Villette.
L’inauguration de ce nouveau lieu
public consacré à la littérature contem-
poraine est prévu le 18 septembre à 20 h
en présence de bien des auteurs plus haut
cités ainsi que Édith Azam, Patrick
Bouvet, Pierre Desjonères, Laurent
Mauvignier ou encore Dominique
Sigaud.
Notez d’ors et déjà les prochains R-
V : le 15 nov., « l’écriture du réel » avec
Leslie Kaplan ; le 22 nov., « l’écriture de
création d’après témoignages » avec
Sonia Chiambretto et, le 29 nov., « la
poésie américaine contemporaine » avec
Omar Berrada.
211 avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris,
M° : Porte de Pantin ou Porte de la
Villette.
LA RENTRÉE LITTÉRAIRE
SUÉDOISE À PARIS
Plus de cinquante ans après sa mort,
la sortie d’une traduction de Stig
Dagerman, fût-ce une réédition, est
encore saluée comme un événement
littéraire. Le recueil Tuer un enfant des
éditions Agone (140 p., 15 e), reprise
partielle des nouvelles que Maurice
Nadeau avait titré Dieu rend visite à
Newton (Denoël, coll. « Lettres nouvel-
les », 1976), constitue le livre vedette du
« Buffet littéraire » que le Centre cultu-
rel suédois offre le 19 septembre à
19 h 30 autour de lectures assurées par
l’actrice Anny Romand.
On retrouvera également d’autres
auteurs comme Kerstin Thorvall, 82 ans
enfin traduite en français par Le Serpent
à plume, ou la légère et cruelle Katarina
Mazetti dont pas moins de deux romans
sortent cet automne chez Gaïa : Les
larmes de Tarzan et Entre Dieu et moi,
c’est fini.
Les amateurs de polar se réjouiront
de la présence entre deux tranches de
saumon d’Eva-Marie Liffner éditée avec
succès par Payot & Rivages.
CCS, Hôtel de Marle, 11 rue de
Payenne, 75 003 Paris M° Saint-Paul ou
Chemin vert, entrée libre, rens. : 01 44
78 80 15.
LES DESSOUS CACHÉS DE
SYLVIA KRISTEL
Nue, tel est le nom qu’aux éditions du
Cherche Midi la plus grande star néerlan-
daise du cinéma vient de donner à ses
Mémoires. Côté livre, elle n’en est pas
non plus à son coup d’essai puisqu’elle
avait cosigné avec Roland Topor en 1992
un French Con-con, tiré il est vrai à 26
exemplaires car délibérément donné
comme un livre pas « fait pour faire avan-
cer l’humanité ». A partir de cette expé-
rience, Sylvia Kristel réalisa en 2004 un
court métrage d’animation, Topor et moi.
Il sera projeté au cinéma La Pagode dans
le cadre du « cinéclub néerlandais » le
mardi 25 septembre à 20 h en première
partie du portrait filmé que le documenta-
riste Michiel van Erp vient de réaliser sur
cette actrice d’exception : Sylvia Kristel,
maintenant (2007). Tous deux seront
présents à la projection.
La Pagode, 57 bis rue de Babylone,
75007 PARIS, M° Sèvres-Babylone.
Prière de réserver sur le répondeur de
l’Institut Néerlandais : 01 53 59 12 47.
LA RENTRÉE À breton : salon al levriou) dit « Celti’Vannes
L’UNIVERSITÉ POPULAIRE DU
QUAI BRANLY
Cette université en est à sa deuxième
année d’existence et a déjà accueilli
10 000 personnes heureuses de revenir
sur les bancs de l’école pour suivre des
cycles d’études sur le dialogue des civi-
lisations.
Pour la rentrée 2007-2008, le premier
trimestre sera articulé autour de la ques-
tion de l’universalité et son actuelle
remise en cause. Le spectre est large :
– « Qu’est-ce que la sûreté de la
personne ? », se demandera le mardi 18
septembre à 18 h 30 la sociologue
Florence Weber accompagnée de Xavier
Emmanuelli, le fondateur du Samu
social. La négation de cette sûreté fera
l’objet du second cours :
– « L’esclavage dans le monde
actuel », un tableau noir dressé le 20
septembre à la même heure par
Souleymane Bachir Diagne (Université
de Columbia).
Accès libre dans la limite des 400
places du Théâtre Claude Lévi-Strauss,
218 rue de l’Université, 75 007 Paris,
rens. : 01 56 61 70 00.
PIERRE MICHON FAIT
L’OBJET DE RENCONTRES
Et pas n’importe quelles rencontres
puisqu’elles réuniront : Maïssa Bey,
Pierre Bergounioux, Pierre Dumayet,
Jean Échenoz, Alain Nadaud, Pascal
Quignard, ainsi que le dessinateur Henri
Cueco, Rokus Hofstede, le traducteur en
néerlandais de Michon (aussi de Barthes
et de Perec), ou encore l’éditeur Antoine
Gallimard et les acteurs Jacques
Bonnafé et Denis Podalydès. Tous
seront réunis à Guéret, non loin de
Limoges, pour s’interroger du 20 au 23
septembre sur la fiction autobiogra-
phique dans l’œuvre de Pierre Michon.
Contact : ALMJAC/ Hugues Bache-
lot 10 rue Joseph Ducouret, 23000
Guéret, 05 55 52 08 07.
PLACE À LA SCIENCE DANS
LES SALONS LITTÉRAIRES
Dès le premier salon national de cette
rentrée littéraire, le salon qui se tient en
hommage aux frères Goncourt dans leur
ville natale de Nancy du 20 au 23 septem-
bre, la science est à l’honneur . Et de la
plus belle manière qui soit, puisque se
plaçant sous la présidence du Professeur
Yves Coppens. Lui aussi a des attaches
familiales qui le lient à cette ville : son
père enseigna la physique nucléaire à
l’École nationale supérieure de géologie
de Nancy. Ce salon en a tiré une leçon,
faire siens les thèmes de la terre et de
l’avenir de la planète.
Yves Coppens tiendra à cœur de sensi-
biliser la jeunesse des écoles à ces thèmes
écologiques. Ainsi, toute la 1 re matinée
du Salon, le vendredi 21 septembre, sera
consacrée aux scolaires avec une projec-
tion, sous le Chapiteau du Salon, d’extraits
de ses films sur l’Odyssée de l’Espèce.
(Renseignements auprès de la
Direction des Affaires Culturelles de
Nancy : 03 83 85 33 17).
Ce même souci pédagogique se
retrouve dans le programme de conféren-
ces animées au Palais des Arts de Vannes à
l’occasion de son Salon du Livre (en
». Le titre de la conférence inaugurale ne
trompe pas : « Quel avenir pour le littoral
? » en présence de deux auteurs régionaux
bien conscients du problème (29 sept., 11 h
30).
Le point d’orgue à 15 h 30 sera,
toujours avec un débat entre deux auteurs,
une tentative de répondre à « Comment
parler de la science aux enfants ». La jour-
née se clôturera par une table ronde sur « la
médecine en Bretagne » (17 h 30) avec,
entre-temps, des conférences
d’astrophysiciens et d’ingénieurs du
CNRS à l’occasion de la sortie de leurs
derniers livres.
Une sélection de documentaires scien-
tifiques, la plupart produits par le CNRS
Images, peut être suivie en parallèle sur les
deux jours du Salon.
(Entrée libre, rens. auprès de
la Médiathèque de Vannes : 02 97 01 62
69).
SUITE P. 4 ET P. 15
 SOMMAIRE DE LA QUINZAINE 953

CORRESPONDANCES FRIDA KAHLO 5 FRIDA KAHLO PAR ALBERT BENSOUSSAN

ROMANS, RÉCITS YANNICK HAENEL 6 CERCLE PAR HUGO PRADELLE

OLIVIA ROSENTHAL 7 ON N’EST PAS LÀ POUR DISPARAÎTRE PAR AGNÈS VAQUIN
LYDIE SALVAYRE 8 PORTRAIT DE L’ÉCRIVAIN PAR NORBERT CZARNY
EN ANIMAL DOMESTIQUE
FRANÇOIS BÉGAUDEAU 10 FIN DE L’HISTOIRE PAR NORBERT CZARNY
OLIVIER ADAM 11 À L’ABRI DE RIEN PAR NORBERT CZARNY
PIERRE SILVAIN 12 JULIEN LETROUVÉ COLPORTEUR PAR MARIE ÉTIENNE
COLUM McCANN 13 ZOLI PAR CLAUDE FIEROBE

HISTOIRE LITTÉRAIRE VITALIE RIMBAUD 14 JOURNAL ET AUTRES RÉCITS PAR MAURICE MOURIER

ARTS CLAUDE LOUIS-COMBET 16 DADO, LES OISEAUX D’IRÈNE PAR GILBERT LASCAULT

PHILOSOPHIE VINCENT DESCOMBES 17 LE RAISONNEMENT DE L’OURS ET AUTRES PAR CHRISTIAN DESCAMPS

ESSAIS DE PHILOSOPHIE PRATIQUE

PSYCHANALYSE PATRICK FAUGERAS 18 L’OMBRE PORTÉE PAR MICHEL PLON

DE FRANÇOIS TOSQUELLES

HISTOIRE sous la dir. d’É. FRANÇOIS 19 MÉMOIRES ALLEMANDES PAR DAGMAR SOLEYMANI
et H. SCHULZE
20 DICTIONNAIRE DU MONDE GERMANIQUE PAR DAGMAR SOLEYMANI

ÉCONOMIE POLITIQUE AMARTYA SEN 21 L’INDE PAR CLAUDE MARKOVITS

IDENTITÉ ET VIOLENCE
J. K. GALBRAITH 22 ÉCONOMIE HÉTÉRODOXE PAR NICK VANSTON

CINÉMA 23 VIVEMENT L’AUTOMNE PAR LUCIEN LOGETTE

ELI LOTAR UNE PARTIE DE CAMPAGNE...

THÉÂTRE 24 LE SOLITAIRE INTEMPESTIF PAR MONIQUE LE ROUX

LA QUINZAINE LITTÉRAIRE 25 PETITS FORMATS PAR EVELYNE PIEILLER

LA QUINZAINE LITTÉRAIRE 26 BIBLIOGRAPHIE PAR ANNE SARRAUTE

JOURNAL EN PUBLIC PIERRE MICHON 27 LE ROI VIENT QUAND IL VEUT PAR MAURICE NADEAU
YVES BONNEFOY CE QUI ALARMA PAUL CELAN
APOLLINAIRE JE PENSE À TOI MON LOU

LA QUINZAINE LITTÉRAIRE 31 UNE FORME PLASTIQUE PAR MAÏTÉ BOUYSSY

Crédits photographiques Direction : Maurice Nadeau.

Photo de couverture : Autoportait aux
cheveux coupés, 1940 (détail),
© Banco de Mexico Diego Rivera
& Frida Kahlo Museums Trust, 2003
P. 5 D. R
P. 7 Catherine Hélie/Gallimard
P. 7 Gallimard
P. 8 Ulf Andersen/Seuil
P. 10 Catherine Hélie/Gallimard
P. 11 D. R./L’Olivier
P. 12 Marina Poole/Verdier
P. 13 Ulf Andersen/Belfond
P. 14 D. R.
P. 16 D. R./La Différence
P. 17 D. R./Seuil
P. 19 D. R.
P. 19 Gallimard
P. 21 D. R.
P. 22 D. R.
P. 31 D. R.
Secrétaire de la rédaction : Anne Sarraute. Réception des articles : (e.mail : asarraute@wanadoo.fr)
Comité de rédaction : André-Marcel d’Ans, Philippe Barrot, Maïté Bouyssy, Nicole Casanova, Bernard Cazes, Norbert Czarny,
Christian Descamps, Marie Étienne, Serge Fauchereau, Lucette Finas, Jacques Fressard, Georges-Arthur Goldschmidt, Dominique
Goy-Blanquet, Jean-Michel Kantor, Jean Lacoste, Gilles Lapouge, Vincent Milliot, Maurice Mourier, Gérard Noiret, Pierre Pachet,
Éric Phalippou, Michel Plon, Hugo Pradelle, Tiphaine Samoyault, Christine Spianti, Agnès Vaquin.
In Memoriam : Louis Arénilla (2003), Julia Tardy-Marcus (2002), Jean Chesneaux (2007), Anne Thébaud (2007)
Arts : Georges Raillard, Gilbert Lascault. Théâtre : Monique Le Roux. Cinéma : Louis Seguin, Lucien Logette.
Musique : Claude Glayman.
Publicité littéraire : Au journal, 01 48 87 48 58.
Rédaction : Tél. : 01 48 87 48 58 - Fax : 01 48 87 13 01.
135, rue Saint-Martin - 75194 Paris Cedex 04.
Site Internet : www.quinzaine-litteraire.net
Informations littéraires : Éric Phalippou 01 48 87 75 41 e.mail : selis@wanadoo.fr
Administration. Abonnements, Petites Annonces : Marguerite Nowak 01 48 87 75 87.
Un an : 65 t vingt-trois numéros — Six mois : 35 t douze numéros.
Étranger : Un an : 86 t par avion : 114 t
Six mois : 50 t par avion : 64 t
Prix du numéro au Canada : $ 7,75.
Pour tout changement d’adresse : envoyer 1 timbre à 0,54 t avec la dernière bande reçue.
Pour l’étranger : envoyer 3 coupons-réponses internationaux.
Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal : CCP Paris 15-551-53. P Paris.
IBAN : FR 74 30041 00001 15551 53 PO 20 68
Éditions Maurice Nadeau. Service manuscrits : Marguerite Nowak 01 48 87 75 87.
Catalogue via le Site Internet : www.quinzaine-litteraire.net
Conception graphique : Hilka Le Carvennec. Maquette PAO : Philippe Barrot; e-mail : philippe.barrot@wanadoo.fr
Publié avec le concours du Centre National du Livre. Imprimé en France

3
 D’UNE QUINZAINE À L’AUTRE
Littérature et cinéma
GEORGE LUCAS A-T-IL LU
GEORGES SIMONDON ?
C’est la question qu’on se pose à la
lecture de la contribution de la philoso-
phe Éliane Martin-Haag au dossier
« science-fiction » de la dernière livrai-
son d’Alliage. On savait qu’elle était une
grande lectrice du sociologue Georges
Simondon mais de là à jeter un pont
entre Du mode d’existence des objets
techniques (1969) et R2D2 et 6PO, il
fallait y penser. Peut-être aviez-vous
oublié le nom de ces deux robots mais
certainement pas leur allure renouvelant
à l’âge du fer high tech le contraste entre
Don Quichotte et Sancho. Il n’y a dans
l’histoire de la science-fiction pas plus
attachants que ces deux robots présents
d’épisode en épisode dans la saga de La
guerre des étoiles. Sûre de ce constat,
Éliane Martin-Haag avance que si
George Lucas a « réussi à éviter le
mythe du robot animé » en ayant
« conservé la distinction du vivant et de
l’objet technique sans tomber ni dans
l’idolâtrie ni dans la haine technolo-
gique », cela tient à son refus du
merveilleux et de l’irréel. Heureu-
sement, non, qu’en cette époque où la
fantasy à la Harry Potter fait jouer avec
succès la même vieille rengaine que
Tolkien (sorcellerie, mystification, etc.),
il y ait encore une voie pour réconcilier
les masses à la robotique. R2D2 et 6PO
ne sont plus des machines à produire du
capital mais des machines en adéquation
avec l’ère de l’information. « Comme
Simondon », rappelle la philosophe,
« l’appelle de ses vœux » : qu’il y ait
enfin « une nouvelle culture qui cesse
d’exclure l’objet technique, qui instaure
un rapport d’association de couplage,
entre l’homme et ses objets ».
(« Du mode d’existence des objets
techniques dans La guerre des étoiles,
ou de l’encyclopédisme de Georges
Lucas », Alliage : culture, science, tech-
niques n°60, 198 p., 18 euros.)
LA MORT DU TORERO,
UN MYTHE LITTÉRAIRE AU
CINÉMA
Dans le dernier numéro de Critique
dévolu à l’« éthique et esthétique de la
corrida », Jean-Loup Bourget, professeur
d’études cinématographique à l’ENS,
part de ce constat : « la très grande majo-
rité des films hollywoodiens sont des
adaptations de romans ou de pièces de
théâtre ». Et de l’illustrer par des produc-
tions sur la corrida. Sur les sept titres qui
de 1922 à 1967 sortent du lot, trois
n’échappent pas à cette règle de
l’adaptation. Il s’agit d’Arènes sanglan-
tes, Le soleil se lève aussi et La corrida
de la peur tirés respectivement de
romans de Vicente Blasco Ibañez, Ernest
Hemingway et Tom Lea. Le premier
d’entre eux avait même fait l’objet «
entre le roman et le film » d’« un passa-
ge intermédiaire par l’adaptation pour la
scène théâtrale », ce qui est « très courant
aux États-Unis » indique Jean-Loup
Bourget. L’une et l’autre de ces deux
adaptations, sur la scène et sur l’écran,
sacrifiaient à la « couleur locale », «
gravure de Goya » à l’appui. Recours
aussi à des acteurs au type latin à la limi-
te du caricatural : ainsi dans la seconde
version filmique (la sonore) d’Arènes
sanglantes, Anthony Quinn incarnait un
matador avant de jouer dans La corrida
4
de la peur l’impressario du matador. Les
deux films ont un autre point commun.
Ils ne reculent pas devant un lieu
commun déjà entériné par la littérature et
d’autres arts : la mort du torero. Dans la
première version (la muette) d’Arènes
sanglantes, nul n’était mieux prédisposé
que Rudolph Valentino pour prêter ses
traits au beau brun ténébreux chargé
d’un destin tragique. La mise en scène de
Mamoulian emprunta pour ce faire beau-
coup au graphisme du Greco dans
L’Enterrement du comte d’Orgaz. Au-
delà des formes d’expression, le même
goût pour la jouissance de la violence
persiste.
(« Les taureaux d’Hollywood », in
Critique, n° 723-724, août-sept 2007, éd.
de Minuit, 159 p. 13 euros).
LA MODE DES PREMIERS
FEUILLETONS
Vicente Blasco Ibanez reviendrait-il
à la mode ? On retrouve en effet son
nom au détour de la communication de
Véronique Elefteriou-Perrin dans un
colloque de Paris VII qui vient d’être
édité. La scène se passe dans Paris sous
les bombes en 1918, tous aux abris. Les
sous-sols sont aménagés tant bien que
mal et dans celui, bondé à craquer, où
Ibanez échoit, il y a même un écran de
ciné. Il s’en étonne et sa voisine lui
répond : « Nous regardons le dernier
épisode d’un feuilleton de Pearl White.
Peu importe ce que nous font les
Boches, nous ne voulons pas rater cet
épisode-là ». Ibanez n’ayant jamais écrit
de roman-feuilleton, pensa-t-il que Pearl
White pouvait être une consoeur à lui
établie à Hollywood ? En fait, elle
n’était qu’une actrice jouissant alors
d’une renommée telle qu’on lui attri-
buait, avant que l’assomption du cinéma
sonore ne sonne son glas, la paternité
des œuvres cinématographiques où elle
jouait. Elefteriou-Perrin l’explique
ainsi : « À suivre, invite l’écran, à
l’image du récit des Mille et une Nuits.
Ce sont, à l’instar de Shéhérazade, les
reines modernes de l’écran muet qui
assurent l’immense succès populaire et
la pérennité de bandes filmiques » dont
l’écriture est par ailleurs confiée à des
romanciers confirmés de feuilletons
originaux. Cela donne une quinzaine de
feuilletons américains en 1915, dont :
The Perils of Pauline, The Exploits of
Elaine, The Hazards of Helen...
(« Film-feuilleton, guerres et propa-
gande aux États-Unis », Aux bonheur du
feuilleton. Naissance et mutations d’un
genre (États-Unis, Grande-Bretagne,
XVIIe-XXe siècles), sous la dir. de Marie
Françoise Cachin et alii, Creaphis éd.,
2007, 320 p. 25 euros.)
L’ÉCOLE BELGE OU « LE
RÉALISME MAGIQUE »
Il n’y a pas que le cinéma de
Hollywood qui clignait de l’œil vers la
littérature. On a parlé ainsi pour le ciné-
ma belge de « réalisme magique » par
allusion directe au courant littéraire
pénétré du fantastique allemand qui
l’habite (sa dimension flamande) à côté
d’une rigueur plus latine (sa dimension
française). Le parfait représentant de ce
métissage que le communautarisme
ethnique voudrait aujourd’hui remettre
en cause fut le cinéaste André Delvaux.
L’écrivain Jean-Luc Outers dresse dans
Traffic son portrait. Il se souvient de
combien son « univers singulier au croi-
sement des cultures germaniques et lati-
nes » trouva son apogée dans Babel
opéra ou la Répétition du Don Juan de
Wolfgang Amadeus Mozart (1985).
Cette mise en peinture d’un opéra n’est
pas un hasard pour Outers. Il nous
rappelle que « La Belgique est née d’un
opéra, La Muette de Portici, qui en 1830
déchaîna les foules à la Monnaie avant
de les précipiter dans la rue ». Depuis, «
on filme donc beaucoup la danse, y
compris François Weyergans, qui
s’illustra naguère en filmant les choré-
graphies de son ami Maurice Béjart ».
Quant aux noces entre cinéma et littéra-
ture, elles sont en Belgique si consom-
mées que leurs destins se croisent. De
Maurice Maeterlinck à Amélie
Nothomb, c’est le Paris des Belles
Lettres dont Bruxelles suit l’arbitrage en
matière de bienséance. Et il en va de
même pour les cinéastes à commencer
par André Delvaux qui s’entoura
d’acteurs français. Un peu à la manière
dont, « durant des décennies, depuis
l’entre-deux-guerres, jusqu’aux années
soixante-dix, les romanciers belges
choisissaient Paris ou une ville française
pour situer leur intrigue ».
(« Lettre de Bruxelles », Trafic.
Revue de cinéma, 62, été 2007, P.O.L.,
144 p., 15 euros).
HOMMAGE À FONS RADE-
MAKERS (1920-2007)
Le décès du doyen des cinéastes néer-
landais a fait l’objet d’une chronique
dans Septentrion, qui a pour vertu de
nous en apprendre un peu plus sur celui
qu’Hollywood récompensa d’un Oscar
en 1986. Rappelons que son film couron-
né, De aanslag (l’Assaut), était une adap-
tation du roman éponyme écrit pas Harry
Mulish en 1927. Les lettres néerlandaises
furent souvent honorées par Rademakers
qui, dix ans auparavant, en 1976, avait
déjà adapté Max Havelaar, roman-phare
du XIXe siècle dû à Multatuli. Vingt ans
auparavant, en 1966, c’étaient De donke-
re kamer van Damocles (La chambre
noire de Damoclès), roman de guerre de
W. F. Hermans (1921-1995) qu’il mettait
en images sous le titre de Als twee drup-
pels water (Comme deux gouttes d’eau),
ainsi qu’un drame existentiel du drama-
turge Hugo Claus devenu à l’écran De
dans van de reiger (La Danse du héron).
Cette prédilection littéraire s’explique
par le fait que Rademakers fut lui-même
un homme de théâtre. Avant de prendre
une caméra, il avait été mander conseil
auprès de Jean Renoir, un Français, preu-
ve que le sectarisme n’était pas alors de
mise.
(Septentrion, revue trimestrielle des
arts, lettres et culture de Flandre et des
Pays-bas, 36/2, 96 p., 10 euros).
DÉPOUSSIÉRAGE DE JEAN
RENOIR
Jean Renoir était tout sauf un impro-
visateur et qu’importe ce que ce vieux
farceur a pu confier à Truffaut, destruc-
teur du cinéma de papa et promoteur
dans le même temps d’un Renoir en père
fondateur de la Nouvelle Vague. La
sortie en 1994 des rushes de Partie de
campagne (1936) mettait un terme à
cette légende au vu du nombre de prises
refaites par Renoir dès que Jacques
Brunius butait sur un mot du dialogue ou
ne suivait pas les intonations dictées en
hors champs par Renoir. Treize ans
après, il faut s’en remettre à cette
évidence : les mythes ont la peau dure...
mais la science ne désarme pas. C’est au
tour à présent d’un littéraire spécialisé
sur les scenarii, Olivier Curchod, de
montrer que c’est pendant le tournage de
La Bête humaine (1938), film directe-
ment adapté de Zola, que Renoir conçut
sa célèbre Règle du jeu (1939). Ce
dernier film, tenu pour son chef-d’œu-
vre d’improvisation, fut en fait conçu
comme « une adaptation moderne des
Caprices de Marianne », démontre
Olivier Curchod dans la livraison de
2007 de Genesis (n° 28) entièrement
consacré au « Cinéma » (Jean Michel
Place éd., 216 p., 30 euros).
DE JACQUES RANCIÈRE À
JEAN ÉCHENOZ
Faut-il voir Renoir en indécrottable
mythomane pour avoir joué à
l’improvisateur, alors que son système
d’écriture filmique était finement rodé ?
Ne considérons pas les artistes plus roués
qu’ils ne le sont ; Renoir était juste en
panne de vocabulaire. De son temps, le
mot « écriture » s’appliquait aux choses
nobles, les littérateurs en avaient le
monopole. La plasticité de l’écriture
filmique n’entrait pas dans son champ de
définition. Il faudra attendre Jacques
Rancière et son essai de « cinéphiloso-
phie » dont il entretint les lecteurs de
Critique (Janv. fév. 2005) en ces termes :
« le cinéma vit beaucoup de
l’intensification de procédure qui lui
viennent du roman qui est, comme lui, un
art “démocratique”, un art capable de
parler de tout, du quotidien comme de
l’extraordinaire. Il en hérite en particulier
la possibilité de lier l’enchaînement
romanesque au suspens de la narration ».
Cette citation est reprise par Pascale
Cassagnau dans son chapitre : « cinéma
comme territoire partagé : cinéma, littéra-
ture ». Les écritures romanesques et
filmiques participent donc de la même
essence : aménager le mieux possible le
suspens. Seules les techniques diffèrent,
si l’écrivain ne recourt qu’aux mots, le
cinéaste les confronte au réel. Ce dernier
ne réécrit pas sa copie, il l’aménage.
Cette souplesse revendiquée par Renoir
n’a rien à voir avec une improvisation
absolue, mais peut se définir ainsi : «
élaborer un récit, sans qu’il soit jamais
défini ». Renoir, faut-il croire, fit des
émules puisque ce mot est celui dont use
Pascale Cassagnou pour définir l’œuvre
de Jean Echenoz. Toujours il se sert de
déclencheurs d’écriture, d’un registre à
l’autre. Qu’il écrive le scénario de Le
tueur assis (1985) et ses deux personna-
ges principaux seront un clin d’œil à
Flaubert : Bolard et Manichet, qui égrè-
nent plus sottement l’un que l’autre leurs
commentaires induisant en retour l’action
du film. Ou qu’il écrive son roman Les
grandes blondes (1995) et une photogra-
phie de plateau de Kim Novak prise sur le
tournage de Vertigo sert de prétexte, d’«
embrayeur », au récit.
(Future amnesia. Enquêtes sur un
troisième cinéma, Sept/isthme éd., 2007,
351 p. + ill + DVD, 33 euros).
ÉRIC PHALIPPOU
 CORRESPONDANCES

Paroles de Frida,
peintre, femme et martyre
La gloire de Frida Kahlo est relativement récente : expositions, film (produit et
interprété par Selma Hayek) et nombreuses biographies, dont celles de Hayden
Herrera : Frida (1996) et de J.M.G. Le Clézio : Diego & Frida (Folio), ont mieux fait
connaître cette artiste mexicaine à l’existence tragique, morte en 1954 à l’âge de 47
ans.

ALBERT BENSOUSSAN

FRIDA KAHLO
FRIDA KAHLO
Éd. établie par Raquel Tibol
trad. de l’espagnol (Mexique)
par Christilla Vasserot
Christian Bourgois, 458 p., 28 euros
Qui dira la beauté des correspondances et des
lettres ? Le style direct et imagé, la spontanéi-
té et la fraîcheur des let-tres de Frida, mais
aussi ses réflexions, ses études, voire ses
portraits par l’écriture – dont une très remar-
quable et pertinente présentation de son mari
–, font le prix de ces textes totalement inédits.
Et cette écriture est riche et belle.
Ce qui frappe tient d’abord à l’état de santé
cette correspondance. Modeste, Frida ne sait
pas qu’elle écrit bien et qu’elle dit beaucoup,
elle s’imagine être une piètre scribouillarde,
aux mots maladroits, à la parole hésitante,
alors qu’elle nous livre un diamant brut. Ainsi
des lettres à Alejandro, son premier amour,
brisé par cet accident commun de 1925, elle
lui écrit, de son lit d’hôpital : « Je donnerais
n’importe quoi pour que ce soit toi qui vien-

O
critique de Frida, auquel s’ajoutent, au long nes un jour, au lieu de voir défiler tout
n savait qu’elle était l’épouse du grand des années et jusqu’à bout, des difficultés Coyoacán et sa ribambelle de vieilleries. Je
« muraliste » Diego Rivera, mais aujour- d’argent : la chirurgie est hors de prix, le crois que le jour où je te verrai, Alex, je vais
d’hui les tableaux de Frida sont, peut-être,
plus célèbres que les fresques de son mari.
Pourtant elle n’en a peint qu’une centaine,
mais qui suffisent à lui assigner une part
éminente dans la peinture moderne. Née en
pleine fièvre surréaliste, c’est une œuvre forte-
ment autobiographique, Frida faisant d’elle le
sujet principal de ses toiles, marquées par son
existence chaotique et maladive, traitées sur
un mode pathétique, caractérisé par la cruauté
dans l’exploration de soi et l’auto-compas-
sion, le tout peint avec une sorte de naïveté
figurative, qui puise, aussi, aux sources de la
peinture populaire du Mexique.
Frida Kahlo, atteinte de poliomyélite en
bas âge, fut victime, à 17 ans, d’un effroyable
accident de la circulation qui lui brisa la
colonne vertébrale et le bassin et dont elle
survécut au prix de terribles souffrances, tren-
te ans durant, après de nombreuses opérations
et, pour finir, l’amputation d’une jambe.
Condamnée à l’immobilité pendant de
longues périodes, parfois même suspendue à
des cordes et étouffée par des corsets, ou de
plâtre ou d’acier, elle découvrit la peinture sur
son lit de douleur, et toute son œuvre est un
bouleversant témoignage sur ce combat
permanent contre la maladie et la mort. Frida
a aussi férocement aimé la vie, épouse de ce
grand géant enfantin Diego Rivera (dont elle
divorça pour se remarier avec lui au bout FRIDA KAHLO, LES DEUX FRIDA, 1939
d’une année), le grand amour de sa vie, ce qui
ne l’empêcha pas d’avoir de nombreuses dentiste aussi, alors elle peint de façon t’embrasser, sois-en sûr ; plus que jamais j’ai
aventures avec des hommes (dont Trotsky, alimentaire, notamment pour quelques gloires compris à quel point je t’aime de tout mon
réfugié à leur domicile mexicain) et des d’Hollywood, un tableau pour Paulette cœur ; comme tu vois, il est toujours utile de
femmes, ni de faire, malgré son handicap, de Godard, un autre pour Dolores del Rio, et souffrir ». Et alors qu’Alex va s’éloigner
nombreux voyages. à chacune elle doit réclamer son dû. De d’elle et partir, elle ne cessera, mariée et tout,
Nous lisons aujourd’hui, plus d’un demi- nombreuses lettres au galeriste qui gère les de lui écrire et de rechercher son amitié, sa
siècle après sa disparition, sa correspondance, œuvres de Diego, mais aussi de Frida, font tendre complicité, comme dans cette lettre
une sélection de lettres savamment présentées penser, toutes proportions gardées, aux inter- consécutive à une visite rapide qu’il lui a faite
et annotées par Raquel Tibol, qui fut la secré- minables jérémiades d’un Valery Larbaud en 1934 : « Ça m’a fait tellement de bien de te
taire de Diego Rivera. Elle nous livre de réclamant à Gaston Gallimard un geste géné- voir, que je n’ai pas pu te le dire. J’ose te
nombreuses clés pour comprendre l’artiste reux (les curieux trouveront une belle liasse l’écrire maintenant que tu n’es pas là, et puis
peintre cherchant à s’expliquer autant qu’à se de ces lettres à la bibliothèque de Vichy). c’est une lettre d’hiver... J’aimerais bien
metttre à nu dans ses portraits, mais consti- C’est l’exploration du sentiment et de
tuant aussi un véritable monument littéraire. l’âme amoureuse qui fait, peut-être, le prix de SUITE

5
 ROMANS, RÉCITS
qu’un jour tu m’écrives, ne serait-ce que trois
mots. J’ignore pourquoi je te demande ça,
mais je sais que j’ai besoin que tu m’écrives.
Tu veux bien ? » En même temps, le lecteur
devine toute l’importance que Frida, dans sa
solitude grabataire, accorde aux lettres et à cet
échange épistolaire – apparemment à sens
unique. Douze ans plus tard, alors qu’elle
vient d’être une fois de plus opérée, elle se
fait pressante : « Alex, ne m’abandonne pas
toute seule à mon triste sort dans ce maudit
hôpital et écris-moi... Parle-moi un peu de
tout le monde et surtout de toi... Je t’envoie un
tas de tendresse et un paquet de baisers... Ne
m’oublie pas. » C’est la dernière lettre pour
Alejandro que nous ayons. En revanche,
toutes les lettres à Diego Rivera débordent
d’affection : « Mon joli petit môme »,
« Diego, mon bel enfant », « Mon enfant
adoré », ainsi le nomme-t-elle, en femme et
mère inaccomplie (toutes ses grossesses
auront avorté), « Je t’aime tant que les mots
ne suffisent pas... » Ce qui est fort touchant,
tout comme le portrait qu’elle fait du muralis-
te, ce colosse candide : « Avec sa tête asia-
tique sur laquelle naît une chevelure sombre,
si maigre et si fine qu’elle semble flotter dans
les airs, Diego est un grand enfant, immense,
au visage aimable et au regard un peu triste...
En le voyant tout nu, on pense immédiatement
à un enfant grenouille, debout sur ses pattes
arrière. Sa peau est d’un blanc verdâtre,
comme celle d’un animal aquatique ». Elle
écrit véritablement en peintre et manie les
ROMANS, RÉCITS
Reprendre vie
Yannick Haenel reprend les thèmes qui lui sont chers et tente d’écrire un roman
sur l’illumination poétique, la liberté, la redécouverte de la vraie vie, de la littérature
et du corps, l’errance d’un homme qui se retrouve.
YANNICK HAENEL
CERCLE
Gallimard éd., 516 p., 21 euros
A
vec Cercle, Yannick Haenel a voulu
donner une autre forme, plus ample, à
cette expérience de l’errance, du détachement
et de l’amour qu’il recherchait déjà dans
Évoluer parmi les avalanches (1), une forme
plus construite, inscrite à la fois dans une
complexité formelle et une imbrication exis-
tentielle profonde.
Dans ce nouveau roman, plus long, qui, on
le sent bien, cherche à se révéler dans cette
ampleur, Haenel écrit la rupture d’un homme
confronté tout à coup à la réalité et à la force
de la poésie et qui se détache de sa vie pour se
lancer, à corps perdu, dans une autre – la vie
nouvelle ou la vie poétique. Pour lui, l’ultime
expérience, celle du recommencement, de la
redécouverte de la passion amoureuse, du
corps et de la littérature.
Un matin d’avril, le narrateur, Jean Deichel
(2) prend conscience de l’absurdité de sa vie,
de l’inutilité de se rendre à son travail par le
6
SUITE KAHLO/BENSOUSSAN
mots comme on gâche ses couleurs. Tout en
jugeant sa langue « passablement fantasque ».
Ailleurs, elle commence ainsi une lettre à un
de ses « amoureux » : « Hier soir j’ai senti
comme des ailes me caresser tout entière,
comme si au bout de tes doigts des bouches
étaient en train d’embrasser ma peau ». Peut-
on rêver meilleur style pictural ?
Frida, qui s’était mise à la peinture parce
qu’elle gisait, égrotante, au fond d’un lit ou
dans son corset, avait beaucoup appris au fil
des ans, au point de devenir sur le tard profes-
seur d’arts plastiques dans une école - ce dont
elle n’était pas peu fière. Ce qui frappe c’est la
sûreté de son jugement esthétique, en même
temps que sa modestie : « J’ai commencé à
peindre... par ennui, car j’étais alitée depuis
un an... Et sans trop m’en rendre compte, je
me suis mise à peindre » ; puis vient
l’appréciation sur elle-même : « Je ne saurais
dire si mes tableaux sont surréalistes ou pas,
mais je sais qu’ils sont la plus franche expres-
sion de moi-même ». On ne saurait être plus
lucide, elle qui avait fait installer un miroir au-
dessus de son lit pour avoir un modèle plausi-
ble. Quant au surréalisme, justement, voici la
définition narquoise qu’elle en donne : « Le
surréalisme est la surprise magique de trouver
un lion dans un placard, là où on était sûr de
trouver des chemises ». Est-il besoin d’ajouter
que Frida Kahlo approcha Marcel Duchamp et
que Picasso acheta, en admirateur, une de ses
toiles ? Quant à André Breton, elle le traite de
« vieux cafard », sans doute affectueusement,
HUGO PRADELLE
train de 8 h 07. « C’est maintenant qu’il faut
reprendre vie. » Ce sera cette injonction qui
portera les aventures du héros. Il abandonne
donc cette vie ; il erre dans la ville, remontant
la Seine, ébloui par une série d’illuminations
poétiques ; les phrases, « s’enroulant » autour
de lui « rouges, oranges et jaunes »,
s’imposent. C’est le début d’un voyage, d’un
trajet – le commencement du cercle. Il durera
un an.
Tout se déroule d’abord à Paris, où il
rencontre une femme vêtue de rouge, Anna
Livia, (cette référence n’étant pas boulever-
sante d’originalité), danseuse de la troupe de
Pina Bausch, avec qui se nouera l’histoire
d’amour et de désir essentielle du roman, où il
disserte avec Lestrange, patron de café,
à propos de l’Odyssée, où il lit dans une cham-
bre d’hôtel Moby Dick et couche avec une
jeune étudiante. Cette longue séquence
s’étiole dans la découverte d’une maladie des
entrailles et sur le départ pour Berlin où il
connaîtra l’enfer, la découverte du Mal, puis
vers l’Est, pour Varsovie et Prague, jusqu’à
revenir à Paris. Pendant tout ce trajet, repris
sans cesse par la figure fluviale, le narrateur, «
Ulysse-Ismaël-Deichel va parler », note sur
car Breton préfaça le catalogue de son exposi-
tion de New York en 1938 ; et, bien sûr, elle
fut sensible aux éloges de Miró, de Picasso, de
Tanguy ou de Kandinsky lors de son exposi-
tion à Paris en 1939, à l’invitation d’André
Breton.
Reste l’engagement politique de Frida : son
âme libertaire lui fait couvrir d’injures ces
Français qui ont trahi, en 1936, l’Espagne
républicaine : « Ce sont des salauds de la pire
espèce... Je suis écœurée par tous ces
Européens pourris, ces putains de “démocra-
ties” ne valent pas un clou » ! Elle hébergera
aussi Trotsky, et connaîtra avec lui une aven-
ture, le couple Diego-Frida sera inquiété au
moment de l’assassinat (Diego ira même en
prison). Un cauchemar qui s’ajoute aussi à ses
ennuis de santé, enfermée qu’elle est dans un
corset de plâtre. « En trois mois, écrit-elle en
1940, j’ai maigri de 15 livres, j’étais au tren-
te-sixième dessous ».
Ce livre s’adresse, bien sûr, à ceux qui
connaissent la peinture de Frida Kahlo et
veulent savoir comment ça « fonctionne »,
comment interpréter ces déroutants tableaux
pleins de clous, de sang et de larmes. Au-delà,
il y a un réel plaisir à lire cette correspondan-
ce d’une femme passionnée, d’une amoureu-
se, d’une révoltée, prisonnière d’un corps
martyr.
Paraît simultanément une biographie de
Frida Kahlo par Bernadette Costa-Prades
(Maren Sell).
des papiers toutes ces phrases qui lui arrivent,
inspirantes, les réunit, allant jusqu’à les
coudre dans son manteau. Le roman est celui
de ce voyage ulysséen, de cette traversée des
cercles dantesques, de ce départ et de ce
retour.
Cercle est un roman ambitieux ; nous
sentons parfaitement la souffrance dont il est
issu, la difficulté de l’écrire. Haenel aspire à
construire un livre-masse dans lequel se crois-
eraient les thèmes et l’histoire qui le hantent,
son expérience qui fait se rencontrer fiction et
autobiographie, mythe et réalité, mais aussi un
livre sur les livres-phares, avec eux, les consti-
tuant comme parts du roman qui s’écrit, dont
l’élaboration, l’écriture même, constitue le
centre de gravité. Haenel veut écrire un grand
roman, un roman qui marque. Le livre-somme
de ce qu’il est, de ce qu’il veut être.
N’est-ce pas un peu trop ? Trop
d’ambitions, trop de références, trop, trop de
tout ? À force de vouloir dire à la fois
l’essentialité de ce que l’on est (c’est la part
intéressante du travail d’Haenel depuis
longtemps) face à la vie et à l’écriture, la
littérature comme tout, l’amour et le désir, la
détresse et le renouveau, le livre ne se perd-il

pas lui-même, s’abîmant dans ce maelström
ou ce nombril ?
Livre-masse aussi dans sa forme, avec
insertions de dessins, d’images, de photogra-
phies, ou encore du chapitre final qui se
constitue d’un feuillet manuscrit, Cercle frôle
de temps en temps le fourre-tout, sonne
parfois clinquant. Ce livre est intéressant dans
sa démarche mais trop souvent bavard, d’un
style agaçant, pauvre parfois, à d’autres
moments naïf ou maladroit, et surtout trop
théorique. Il souffre de trop de pensée, d’une
construction qui apparaît trop évidemment
– d’une réflexion et d’une habile imitation
digressive (théorique et formelle) sur des
textes fondateurs (Moby Dick, Ulysse), sur un
positionnement philosophique trop démons-
tratif. Une approche du nihilisme intéressante,
mais rebattue, qui ne propose rien de plus que
les autres livres d’Haenel et traîne en longueur
(3).
Ce qui demeure intéressant dans ce roman,
c’est la méthode « orphique » qu’Haenel
élabore, cette manière qu’a l’écriture de se
nourrir d’elle-même, de sa propre matière, de
son exhibition : « Je dis une phrase, puis une
Un travail d’exorcisme
Ceci n’est pas un roman. Olivia Rosenthal dit très clairement pourquoi elle a
écrit un texte aussi éprouvant : « Ce livre a pour but de m’accoutumer à l’idée que je
pourrais être un jour ou l’autre atteinte par la maladie de A. ou que, plus terrible encore,
la personne avec qui je vis pourrait en être atteinte. » La maladie de A., lisez Alzheimer,
bien sûr.
OLIVIA ROSENTHAL
ON N’EST PAS LÀ POUR DISPARAÎTRE
Verticales/Phase deux éd., 220 p., 16,50 euros
A
bordant ce travail d’exorcisme, elle n’a
pas ménagé sa peine, et c’est ce que
disent ses « remerciements ». Son malade,
Monsieur T., et sa famille existent quelque
part. Elle dit l’avoir régulièrement visité. Elle
a noué des contacts avec des personnes
attachées à quatre hôpitaux de la région
parisienne ainsi qu’avec plusieurs associa-
tions. Elle n’en affirme pas moins qu’il s’agit
d’un « ouvrage de fiction » et elle revendique
l’entière responsabilité de tout ce que
développe cette méditation exemplaire sur la
maladie en question.
« Un livre, des voix », l’intitulé d’une
émission de radio qui a fait son temps, voici
une formule qui conviendrait particulière-
ment à On n’est pas là pour disparaître. Les
voix sont ici tissées, mêlées, mixées. Elles
organisent ce texte en une sorte de partition.
Des alinéas et des blancs indiquent seuls le
passage de l’une à l’autre. Il arrive qu’une
ligne suffise à investir toute une page. A
l’occasion, s’amorcent des sortes de
dialogues, des sortes de poèmes également.
Des séquences narratives apparaissent qui
racontent par bribes l’histoire de l’infortuné
Docteur Alzheimer dont le nom reste attaché
YANNICK HAENEL
AGNÈS VAQUIN
à la pathologie, tandis que d’autres notations
évoquent l’ambiance des établissements de
soins. L’écriture est à l’emporte-pièce. Est-il
OLIVIA ROSENTHAL
ROMANS, RÉCITS
autre. Je dis les trois phrases, elles en susci-
tent une quatrième, et ainsi de suite. Au bout
de trente, quarante phrases, à force de les
répéter, d’ajuster leur minutie, une substance
se trame ».
Pourtant cela ne suffit pas à contrebalancer
la longueur du livre, sa maladresse répétée, les
scènes érotiques ratées, ou encore l’effet
pénible de certaines références, figures ou
réflexions qui s’affichent comme d’une
nouveauté absolue alors qu’elles sont le plus
souvent galvaudées, voire parfois grotesques.
Haenel écrit : « La fin du monde est contenue
dans chaque instant ; chaque instant contient
aussi le salut. » C’est ainsi que Cercle
constitue une tentative. Néanmoins, tous les
navigateurs ne sont pas à l’instar d’Ulysse,
tous ne rentrent pas au port.
1. Texte publié dans la même collection en
2003.
2. Personnage d’un livre précédent de Y.
Haenel, Introduction à la mort française (2001).
3. Notons les travaux de Y. Haenel & F.
Meyronnis dans la revue Ligne de risque qui abor-
daient déjà ce sujet.
besoin d’ajouter qu’on ne sort pas indemne
de cette lecture ?
Monsieur T. a poignardé sa seconde
femme, ce qui a justifié son hospitalisation.
Son esprit erre désormais dans les grands
fonds. Il est poursuivi par le fantôme de sa
première épouse et hanté par le vieux rêve
d’un voyage en Amérique. L’épouse actuelle
vit un calvaire auprès de cet homme qui a
tenté de la tuer et ne la reconnaît plus. La
voix d’une narratrice vient se mêler aux
leurs. Qu’il s’agisse ou non d’autofiction,
cela a-t-il une importance ? Quoi qu’il en
soit, l’auteur s’implique : « Je m’appelle
Olivia Rosenthal / J’ai trente-neuf ans / Je
suis née à Paris dans le neuvième arrondisse-
ment. » Un redoutable phénomène de conta-
mination s’installe qui, par glissements
progressifs, obscurcit peu à peu les couloirs
de la peur jusqu’à l’insoutenable. Le person-
nage de son père est l’un des premiers
atteints, à supposer que, malade, il manifeste
à l’égard de sa fille des fantasmes incestueux.
Effrayant aussi, le lent dévoilement qui
concerne le suicide d’une jeune sœur, ce sur
quoi le silence familial est longtemps
retombé. Quelles furent les incidences de
l’opération qu’Olivia semble avoir subie à sa
naissance ? Les origines de la famille
Rosenthal permettent de remonter jusqu’au
temps et à la ville allemande où vivait le
fameux Docteur Alzheimer : n’y a-t-il pas là
SUITE
7
 ROMANS, RÉCITS
de quoi s’alarmer ? Et ces enfants, dont la
narratrice rappelle avec insistance l’absence
dans sa vie, donnant à penser qu’il ne s’agit
pas d’un hasard ? Voilà comment, lambeau
par lambeau, le mal dont souffre Monsieur T.
remet en question toute la vie de celle qui le
regarde se défaire et en tombe elle-même
littéralement malade : « Depuis hier, j’ai été
prise d’une douleur lancinante dans l’épaule
droite, une douleur autrement diffuse, qui se
réveille et se précise dès que je me mets à
écrire. »
Olivia Rosenthal n’en reste pas là. Elle va
se montrer impitoyable envers son lecteur et
à cet effet imagine un procédé répétitif tout
simple qui se présente ainsi : « Faites un
Un nouvel Évangile
Comment transformer une « petite troupe de minables et de va-nu-pieds en une
multinationale prospère » ? La question vaut pour le Christ, tel que le perçoit Tobold, le
roi du hamburger. Elle vaut aussi pour ce self-made-man, héros de Portrait de l’écrivain
en animal domestique, dont le triomphe n’aura plus de secret pour le lecteur.
LYDIE SALVAYRE
PORTRAIT DE L’ÉCRIVAIN
EN ANIMAL DOMESTIQUE
Fiction & Cie
Seuil éd., 240 p., 18 euros
L
a narratrice du dernier roman de Lydie
Salvayre est l’écrivain devenue animal
domestique. Tout au départ la distingue de ce
Tobold qui l’a engagée. Elle croit en certaines
valeurs nobles comme la beauté et la gratuité,
s’oppose à tous les pouvoirs, et, ayant sacrifié
toute vie personnelle pour écrire, vivote grâce
à ses petits droits d’auteur. La vision du
monde de Tobold se résume à une formule :
« pouvoir, pépettes et petites pépées ». Il
expose cette morale sans détours, sans se
masquer « derrière des simagrées bien pensan-
tes ».
Tobold a donc engagé la narratrice pour
qu’elle le suive pas à pas, prenne note de ce
qu’il dit, et rédige le nouvel Évangile qu’il
conçoit. L’ouvrage doit à terme remplacer
celui que nous connaissons depuis deux millé-
naires. Elle voyage avec lui, entre Paris et
New York, rencontre les grands qu’il fréquen-
te, comme « Bob » de Niro et Bill Gates, est
présente lorsqu’il reçoit l’émissaire d’Hugo
Chavez ou le très catholique président de la
Pologne. Seuls Cindy, son épouse, et Pierre
Bajonas, son fidèle entre les fidèles, bénéfi-
cient des mêmes faveurs. Tobold a bâti sa
fortune en solitaire, et il l’accroît en éliminant
ses adversaires, au premier rang desquels le «
Judas », Ron Ronald, dont il est prêt à se
défaire par tous les moyens.
Mégalomane complètement imbu de sa
personne, Tobold est l’incarnation d’une idéo-
logie néo-libérale sans scrupules, que la narra-
trice aimerait vilipender, dénoncer. Mais tout
ce qu’elle pense reste informulé. Elle ne sait
8
SUITE ROSENTHAL/VAQUIN
exercice. » Or, ces exercices d’empathie
n’ont rien d’anodin, tant ils s’adaptent à notre
condition d’êtres soumis à la menace très
actuelle de mal vieillir. Par exemple :
« Imaginez-vous dans la situation de celui
dont l’histoire a été engloutie./ Imaginez-
vous à table, dans l’ignorance de ce que vous
mangez, de l’endroit où vous vous trouvez,
des objets qui vous entourent, des gens qui
vous parlent familièrement et qui vous
paraissent des étrangers. »
Dans un premier temps et si les circons-
tances s’y prêtent, on se prend à céder à
l’hypocondrie répandue dans le texte : « Tu te
dis que si tu arrives à bon port ce sera déjà
bien, tu transpires, tu es en retard, tu as peur,
NORBERT CZARNY
LYDIE SALVAYRE
résister au luxe dans lequel elle baigne, et une
faiblesse qui confine à la lâcheté la rend inca-
pable de réagir aux propos souvent provoca-
teurs de Tobold, encore moins à ses actes
brutaux ou cruels. Oscillant entre tyrannie et
ironie, celui-ci empêche sa scribe de dévelop-
per la moindre critique : elle devient son
animal domestique, pas plus dangereuse que
tu penses à tous ces vieux qui sont désorien-
tés, tu penses à eux, tu te dis qu’il n’y a pas
besoin d’être vieux pour ne pas réussir à se
repérer... »
Et quand on en est là, le verrou n’est pas
loin de sauter et, oubliée la maladie, c’est le
vertige plus ou moins secrètement connu de
chacun devant sa vulnérabilité existentielle :
« On peut, pendant des années, continuer à
vivre normalement alors qu’à l’intérieur un
travail méthodique de destruction de l’orga-
nisme s’est engagé. En même temps, quelle
que soit la maladie dont on meure, on peut
dire cela de tous et de chacun. » Un très beau
livre, mais il serait inamical de l’offrir en
cadeau à une personne fragile !
« Dow Jones », le chien qui accompagne
également le patron. Comme tous les vassaux
de Tobold, elle se soumet, jusqu’à ce que la
situation bascule. Mais de ce basculement, et
de l’issue de ce roman, nous ne dirons rien : au
lecteur de s’amuser.
Le verbe ne vient pas au hasard. On
s’amuse beaucoup à lire ce roman de Lydie
Salvayre, comme on ne s’était pas amusé
depuis longtemps. Les belles âmes partait
bien, et puis la narratrice tombait en panne
comme le car des « touristes sociaux », sans
trouver la chute. Passage à l’ennemie et La
méthode Mila sonnaient comme des charges
féroces ; il y manquait l’ambiguïté. Ici, la
charge est énorme, et Tobold est « trop ». Mais
l’excès lui va aussi bien qu’au Père Ubu. A
l’instar du héros imaginé par Jarry, Tobold use
de violence et ne connaît pas de limites à ses
conquêtes. Roi du hamburger, il l’est devenu
en éliminant : aussi bien la nourriture dans sa
diversité que les couverts ou « la vaisselle à
fleurs de Mémé », les sommeliers que les
maîtres d’hôtel. Et, bien sûr, la beauté sans
quoi il n’est pas de nourriture digne de ce
nom. Comme Ubu il a une compagne. Mais
Cindy grâce à qui est née sa fortune puis-
qu’elle œuvrait dans le peep show qu’il avait
créé, est plus mesurée que la mère Ubu. Elle le
tempère et le console, quand plus rien ne va.
Elle fait partie, dans cet univers outrancier,
des personnages nuancés qui enrichissent la
palette.
Ubu est une référence possible, le vrai
modèle est toutefois dans les Evangiles, chez
celui que Tobold nomme « l’Incarné ». Et si
l’on permet le jeu de mots, c’est ainsi que
l’écriture de Lydie Salvayre s’incarne. Tobold
parle et agit comme on le fait dans le
Nouveau Testament. Il s’adresse à douze
disciples réunis en conseil d’administration
comme lors de la Cène. Ses faits et gestes,
SUITE P. 10
9
 ROMANS, RÉCITS
aussi terre-à-terre soient-ils, sont rapportés
dans un style qui rappelle l’écriture biblique,
avec le « Et » marquant tous les enchaîne-
ments, et les passages à la ligne évoquant le
verset. L’assimilation est ravageuse : Tobold
en figure christique, c’est aussi Bush en
prêcheur et les « people » soudain convertis
au charity business ; c’est en mots toute
l’horreur d’un monde dans lequel la prose
sulpicienne et la pitié exhibée sont mis au
service du marketing. C’est un monde sans
politique, simplement rempli de bons senti-
ments.
La verve de Lydie Salvayre est là, à toutes
les pages. Dans les propos de Tobold autant
Une femme défait l’histoire
Est-ce le métier de professeur de lettres qui veut cela, ou une passion plus
ancienne, François Bégaudeau éprouve un intérêt particulier pour la langue dans tous
ses états, pour ses registres divers, pour leur mixage en une matière qui s’appelle le
roman. Après le succès d’Entre les murs, chronique enfermée dans l’enceinte d’un
collège, il raconte, ou plutôt écoute l’histoire d’un autre enfermement.
FRANÇOIS BÉGAUDEAU
FIN DE L’HISTOIRE
Verticales éd., 138 p., 12,50 euros
S
i Florence Aubenas n’est nommée ou ne
se nomme que tardivement dans le récit,
on comprend très vite qu’elle est celle qui
raconte quarante-cinq minutes durant, sa
séquestration en Irak. Le texte se présente
donc comme la transcription de son interven-
tion, devant la presse et les amis, entourée de
« Serge » et d’un autre responsable de
Libération : « [...] elle est venue grignoter la
scène pour se faire une place et jouer son
théâtre sans rideau[...] » indique le narrateur,
pour résumer ce moment singulier.
De même que dans Entre les murs,
Bégaudeau garde la langue orale telle qu’elle
est. Et ces quarante cinq minutes ne sont pas
sans rappeler celles qui restaient à jouer par
l’équipe évoquée dans Jouer juste, tandis que
l’entraîneur haranguait ses footballeurs dans
le vestiaire, avec en arrière-plan quelques
soucis sentimentaux. A ceci près qu’ici, « elle
est venue annoncer la fin de l’Histoire »,
autrement dit, un peu plus loin, « s’exclure
elle-même du parti de l’Histoire ».
Le dispositif de mise à distance revient ici,
puisqu’aux paroles de Florence Aubenas
rendues en italique s’ajoutent les commentai-
res d’un narrateur, à la fois attentif à ce que
dit la journaliste, et prêt à se perdre dans des
digressions ou réflexions. Son attention à
Florence Aubenas est à la fois celle d’un
« admirateur », et celle d’un spécialiste de
langue et de ses figures de style. L’admirateur
est sensible à « l’ironie farceuse » de cette
femme longtemps séquestrée dans des condi-
tions terribles, et dont les propos relativisent
la violence qui lui est faite. Il la regarde aussi
en spectateur et semble près de dire bravo
10
SUITE SALVAYRE/CZARNY
que dans l’autoportrait de la narratrice :
d’abord « coiffée comme Chimène Badi » –
mais encore coincée dans son rôle d’escort
girl, avant de mettre Bill Gates dans tous ses
états, quand elle a appris à « remuer le cul ».
Le souci de la forme porteuse de sens est
une constante chez l’auteur de La puissance
des mouches. Outre son goût prononcé pour
Pascal, affleurant ici aussi, on sent dans ces
pages le plaisir de la scansion, de l’oral.
Portrait de l’écrivain en animal domestique
est fait pour être lu à voix haute. Pour goûter
le contraste entre le registre soutenu et la
langue familière, révélateur des origines
obscures de Tobold, pour entendre les mots
NORBERT CZARNY
l’artiste ! qui pourtant ne joue pas le récit
comme on le croirait : « Ton presque pas
lesté, pic dramatique pas du tout joué, plutôt
noyé dans la continuité du récit, elle n’habite
que le présent et au présent c’est comme ça
que ça se passe, rien ne ressort, rien ne saille,
on ne distingue et trie qu’après coup. Pour se
transformer en Histoire les faits doivent
passer par la raffinerie de la rétrospection,
elle elle fait le parcours inverse [...]. »
FRANÇOIS BÉGAUDEAU
Le spécialiste commente d’un « prononcez
à l’américaine ! », « prononcez à
l’irakienne ! » certains mots de franglais, ou
autre terme appartenant désormais au voca-
qui claquent, le choc des consonnes qui
traduisent la fureur du patron ou son sens de la
formule qui marchera, pour le simple plaisir
de la musique, évident dans tous les textes de
Lydie Salvayre.
Du grand boss de multinationale au va-nu-
pieds, il n’y a au fond, pas si loin. Surtout
quand le premier emprunte les oripeaux du
second pour se faire immortaliser par un
photographe, tandis qu’il serre contre lui un
orphelin morveux, en quelque contrée africai-
ne.
Quant à l’écrivain métamorphosé en animal
domestique, gageons qu’il saura rebondir sur
ses pattes, sans se faire trop mal.
bulaire du « show ». Ou bien il relève des
figures : « pléonasme oralité », pour un «
transféré ailleurs » prononcé par la journalis-
te ou « prétérition moderne » quand elle utili-
se un « j’allais dire », alors qu’elle ne dit pas.
Ces commentaires de rhétoricien ne pèse pas,
et n’ont rien de pédant. Ils créent eux aussi la
distance que la journaliste a voulu elle-
même, refusant le pathos si commun aujour-
d’hui à la télévision, notamment dans de
telles circonstances.
Outre ces commentaires sur la parole de
Florence Aubenas, le narrateur dérive à partir
d’un mot, d’un propos, se rappelant des
souvenirs lointains mettant en scène une
certaine Mylène à propos de mains dans le
cambouis et de propreté en général, ou Jules,
dont la présence se fait insistante jusqu’à la
fin. La digression commence vers la onzième
minute, puisque tous les chapitres ont pour
titre le minutage.
L’écriture du narrateur, écoutant et déri-
vant soudain n’est pas orale, mais elle
emprunte ses traits à l’oral : elle est saccadée
comme un SMS, remplie de jeux de mots et
coq-à-l’âne, syncopée. Le registre familier
voire argotique qu’emploie Bégaudeau rend
le flux d’une conscience qui s’accroche et
fuit. Sans compter que le récit de Florence
Aubenas l’inscrit dans l’Histoire, et qu’à sa
façon, fin de l’histoire (les minuscules ne
sont pas anodines) est aussi une réflexion sur
le Temps, et cet événement lancinant qu’est
la guerre d’Irak.
On peut faire bien des reproches à
Bégaudeau, mais pas celui de se complaire
dans sa petite histoire personnelle. Il écrit
dans, et contre l’Histoire, comparée à un film
d’horreur par son « même mode d’emploi
répétitif et inépuisable ». Sans « traiter de
grands sujets », sans s’intéresser à des
« thèmes », on notera que de Entre les murs
à Une année en France co-écrit avec Oliver
Rohe et Arno Bertina, il observe et analyse ce
 ROMANS, RÉCITS

qui se passe autour de lui. Les auditeurs de
« On refait le monde », sorte de café du
commerce dans lequel la polémique est plus
savante, diffusé sur RTL connaissent
Bégaudeau, ses convictions et son ardeur à
les défendre d’un ton parfois tranchant, voire
péremptoire. Mais l’écrivain n’est pas tout à
fait l’homme public car sa matière est la
langue, et c’est là qu’on l’attend. Et
Bégaudeau, avec la limite qu’il a à être un
écrivain d’aujourd’hui, peut-être à la mode,
écrit le français comme on joue du rock : il
mixte, il reprend certaines paroles comme un
refrain, changeant simplement de pronom ; il
cherche le choc, le heurt, bref, il dérange un
ordre. Comme Florence Aubenas l’a fait, en
ne jouant pas le registre pathétique, en ne
fabriquant pas le récit dramatique, avec
scènes fortes et suspens insoutenable que l’on
attendait peut-être. En cherchant au contraire
par une parole qui nomme au plus juste, à
« détricoter l’écrit qui emprisonne dans les
mailles de l’Histoire ».
Qui plus est, elle est une femme. Or
« l’Histoire, c’est les hommes » selon le
narrateur. Et le récit de Bégaudeau qui se
termine par une énumération de noms de
femmes, souvent connues dans le monde
intellectuel, politique ou artistique, à l’instar
de Marcela Iacub, Dominique Voynet ou
Virginie Despentes, est aussi un éloge des
femmes, une sorte de manifeste féministe. On
doute qu’il reprenne à son compte le propos
d’Aragon sur l’avenir des hommes, encore
que, on ne peut lire ce récit sans y sentir
l’admiration de l’auteur pour l’autre sexe.
Fin de l’histoire est un curieux objet et
c’est tout son intérêt ; c’est d’abord un objet
de langage, un texte théâtral aussi puisque la
mise en scène, les dispositifs qu’il implique,
la distance qu’il crée ne sont pas anodins.
Espérons, et c’est tout ce qu’on souhaite à
son médiatique auteur, qu’il sera lu pour tel,
et qu’il suscitera des réflexions, autant que du
plaisir.

En quête d’un vrai refuge

Rien. C’est le mot qui revient dans les premières lignes du nouveau roman
d’Olivier Adam, le mot qui résume l’existence de Marie, la narratrice et héroïne de
cette histoire simple et terrible, une histoire qui se déroule plusieurs mois durant,
tandis que la pluie tombe sur ce coin du Nord de la France, à quelques encablures des
côtes anglaises.

NORBERT CZARNY

OLIVIER ADAM dans les moments de souffrance, Marie n’y

À L’ABRI DE RIEN est pas. Une fêlure subsiste que la présence
L’Olivier éd., 228 p., 18 euros dans la ville des « Kosovars », ne fait que
réveiller.
Les « Kosovars » sont kurdes, iraniens,
irakiens, ou soudanais. Ils se sont réfugiés

O
n connaît cette formule toute faite, dite
dans tous les cafés, sur les places de
marchés, et ailleurs, « on n’est à l’abri de
rien ». Le bon sens populaire l’entend d’une
façon, sans forcément distinguer les trois
termes. L’histoire de Marie est celle d’une
jeune femme ordinaire, sans emploi, mariée à
un chauffeur de car prénommé Stéphane,
mère de deux enfants qu’elle n’aime pas de la
même manière, préférant, Lucas, l’aîné, à
Lise.
Au début, donc, Marie est à l’abri. Comme
des millions de personnes autour d’elle, et
comme les habitants du lotissement, d’abord,
elle vit de ce rien qu’est le paysage et le
quotidien de celles et ceux qui se débrouillent
avec ce qu’ils ont, qui élèvent les enfants,
tiennent la maison plus ou moins bien (chez
elle, ce serait plutôt sans énergie, ni désir),
passent des soirées à somnoler devant un
écran de télévision qu’on a allumé sans y
penser, comme on fait beaucoup de choses
sans y penser. Des énumérations de lieux,
d’objets, parfois liés sans virgule, comme
pour marquer l’égalité dans la médiocrité,
rappellent le quotidien de tout un peuple,
dans des périphéries de villes aussi imperson-
nelles que les centres commerciaux qui y
poussent sous la grisaille.
Marie se protège derrière ce néant, essaie
de mettre à distance la douleur d’un deuil- la
mort accidentelle de sa sœur Clara encore
adolescente : « un morceau de verre en plein
cœur ». Elle supporte mal le vieillissement de
sa mère,vivant seule depuis la mort du père,
l’ennui surtout, d’une existence sans horizon.
Stéphane a beau être là, solide, proche d’elle
dans cette ville du bord de Mer du Nord
quand les centres d’hébergement ont fermé.
Depuis, ils errent dans la ville, cherchent un
abri, de quoi se nourrir, attendent de pouvoir
passer en Angleterre, la Terre Promise où
certains ont déjà des membres de leur
famille. Un banal incident réveille Marie : un
pneu crevé, que Jallal, un Pakistanais, répare,
et qu’elle cherche à retrouver pour le remer-
cier, et la voilà découvrant ce qui se passe à
sa fenêtre, au-delà du lotissement. Elle
rencontre Isabelle, Leïla, et d’autres habitants
de la ville, engagés dans un combat pour
aider les réfugiés, et donne ce qu’elle a, tout
ce qu’elle a. Nous n’entrerons pas dans le
détail hélas un peu trop donné par une
quatrième de couverture plus que diserte,
même si le suspens n’est pas l’intérêt majeur
de ce roman qui raconte un parcours vers une
forme de sainteté laïque. Rien de religieux en
effet chez Marie, malgré le prénom que lui
donne le narrateur. Et on ne sache pas Olivier
Adam inspiré par quelque source chrétienne.
Pourtant on ne peut s’empêcher de voir dans
le dénuement des êtres, dans les choix radi-
caux de l’héroïne quelque chose d’un trajet
mystique.
Cette lecture tient d’abord à la grande
simplicité de l’écriture d’Olivier Adam.
Falaises, son précédent roman, et tout ce qu’il
OLIVIER ADAM
a écrit, font de cet écrivain quelqu’un que
l’humanité intéresse, l’humanité dans ce
qu’elle a de pur, mais qui refuse tout pathos, mondes, et parfois la confrontation. Marie
toute sentimentalité. Les sentiments sont là, souffre, d’une souffrance indicible, que seuls
mais se suffisent à eux-mêmes. Une phrase rendent des retours en arrière, des instants
en fin de chapitre, une touche ici ou là, au résumés en quelques images. Olivier Adam
détour d’une virgule, et tout est dit.
L’humanité, c’est la rencontre entre deux SUITE

11
 ROMANS,RÉCITS
excelle, en quelques détails, à rappeler une
époque, un lieu. Des couleurs, des airs, et les
années quatre-vingt sont là. Pour Marie et sa
sœur cadette, c’est la musique d’un bonheur
insouciant, désormais perdu. L’écriture décrit
la cicatrice.
Face à Marie, Jallal, Bechir et les autres
réfugiés souffrent d’une autre douleur. Ils
portent d’abord les stigmates d’un voyage
commencé dans des pays où règnent misère,
arbitraire et terreur. Devant la juge qui doit
statuer sur son cas, et le considérer ou pas
comme réfugié politique, Bechir soulève un
T shirt laissant apparaître les marques lais-
sées par la police iranienne. Tous les hommes
résignés, crevant de froid sous la pluie inces-
sante, ont connu pareilles souffrances. Les
blessures sont visibles ; elles ne donnent
Ombre et lumière
Julien est un pauvre homme dont la biographie est fournie dès le titre : c’est un
enfant trouvé qui choisit le métier de libraire ambulant, c’est-à-dire colporteur, à
travers les campagnes de Champagne et d’Ardenne, dans les années qui succédèrent
à la Révolution.
PIERRE SILVAIN
JULIEN LETROUVÉ
COLPORTEUR
Verdier éd., 120 p., 11 euros
O
n n’en saura pas beaucoup plus. En
revanche on apprend comment naît sa
passion pour les livres. Mais d’abord on le
suit, dans la ruelle des Chats, puis dans celle
des Quinze-Vingt, enfin dans celle de la
Monnaie. Il va chez l’imprimeur Garnier
pour se fournir en petits livres bleus. Normal,
il a besoin de s’approvisionner.
Les noms de lieux, comme les événements
d’Histoire, sont livrés au passage sans lour-
deur, avec la précision de l’amoureux des
mots qu’est Pierre Silvain, il ne veut pas tout
dire, il entend conserver à son texte des zones
de silence, l’indétermination propre aux
légendes et aux romans que Julien aime par-
dessus tout : Gracieuse et Tercinet, Till
l’Espiègle, La Princesse de Clérac. Quelques
autres.
Au cours de sa visite qui sera la dernière,
ainsi que le pressent M. Garnier, Julien
souhaite n’emporter que ces derniers, « à
l’exclusion de tout ce qui était calendriers,
prédictions, vies de saints et des rois... »
M. Garnier, qui approuve l’exigence de son
choix, comprend à ce moment que l’homme
discret et misérable qui se tient devant lui est
à même de remplir sa mission, même s’il ne
sait pas la nommer : donner à la population
analphabète, perdue dans les travaux des
champs et les campagnes reculées le goût
étrange des « histoires », autrement dit de la
littérature.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans ce
récit fervent, secret et habité : les livres sont
12
SUITE ADAM/CZARNY
qu’une faible idée de toutes les blessures
cachées. Face à ces hommes démunis, la
population de la ville se partage entre ceux
qui aident, au risque de l’illégalité, et ceux
qui n’acceptent pas qu’on soutienne des
étrangers, qu’on accueille ainsi la « misère du
monde ». Olivier Adam montre comment le
fossé se creuse, à travers la réaction des
voisins, des parents d’élèves qui ne suppor-
tent plus Lucas ou Lise, et surtout leur mère,
traitée comme une moins que rien. Il montre
cette situation en écrivain, laissant à son
héroïne et narratrice le soin de se confronter
à cette tragédie, sans issue. La police, et les
agents de sécurité chargés de débarrasser la
ville des « Kosovars » , profite de leur impu-
nité, du vide créé par la fermeture des centres
d’hébergement, pour exercer contre les réfu-
MARIE ÉTIENNE
précieux, ils fournissent les mots dont ont
besoin nos songes, que de ce fait ils légiti-
ment. Gare aux temps de malheurs de la guer-
re et de la barbarie qui peuvent œuvrer à leur
disparition et transformer leurs défenseurs en
résistants de l’ombre, en maquisards luttant
et mourant pour que vive « l’esprit ».
C’est ce qui nous est raconté dans
l’épisode situé au centre du récit, qui
correspond à la seconde initiation du colpor-
teur, quand les armées prussiennes, autri-
PIERRE SILVAIN
giés une violence de chaque instant, une
violence qui renvoie aux pires époques. Sans
effet réel ; les malheureux s’entassent sur les
plages, dans les baraques vidées par l’hiver,
ils tentent des passages payés à prix d’or ;
rien ne semble pire qu’un retour au pays
natal.
A l’abri de rien est un roman politique, au
meilleur sens du mot : il nous force à regar-
der, à travers les yeux et les sentiments de
Marie ce qui nous est insupportable. Il mon-
tre aussi comment la plus grande générosité,
le désir d’être au plus près de l’humanité qui
souffre, peut conduire à une folie destructri-
ce. Au terme du roman, avec l’héroïne, nous
mesurons la distance parcourue. Un chemin
sans retour vers une nouvelle conscience du
monde.
chiennes, allemandes ont franchi la frontière,
et que Julien tombe nez à nez avec le soldat
Voss, un intellectuel, un déclassé qui a connu
enfant Voltaire et Frédéric le Grand, un
grenadier prussien qui refuse de se battre à
Valmy. La rencontre est fêtée par une baigna-
de dans un bassin, pour laquelle le soldat se
met nu, puis Julien, qui manque de se noyer.
Le soldat le maintient contre lui, un bras
passé autour du cou, afin de le conduire vers
la terre ferme. Une fois là, il enlève « en riant
une algue d’eau douce qui s’était prise dans
les poils roux de sa toison ».
Dans une rencontre précédente, dont nous
n’avons pas fait état, le futur colporteur accè-
de à la littérature (le mot par Pierre Silvain
n’est jamais prononcé) autant qu’à l’érotisme
grâce à une femme qui lit comme on pratique
un rite, comme on sert une messe ou un dieu,
dans un trou d’ombre, une « écreigne »
accueillante à la gent masculine tant qu’elle
est impubère.
Ce passage, qui semble avoir sa source
dans l’enfance de l’auteur, se déploie, magni-
fié par le temps, la mémoire, en un conte
inquiétant où les femmes sont sorcières, devi-
neresses, maîtresses d’un monde dangereux :
celui des mots et des pensées. Pour entrer
dans l’écreigne, « le seul endroit où les livres
ne risquent rien », le tout jeune Julien doit
passer par « l’étroite ouverture en goulot de
tourie » où aboutit l’échelle, et une fois en
bas, dans la caverne, il peut « pisser dans le
giron de l’une ou l’autre qui le tenait, elle
s’en amusait comme d’une mignardise, idem
s’il griffait ou mordait ». Chez Pierre Silvain,
vie de l’esprit et vie du corps ne sont pas
séparées, au contraire, elles s’exaltent l’une
et l’autre, révélées à Julien ébloui, suggérées
et non pas détaillées, délayées.
Faut-il enfin le dire ? Le colporteur ne sait
pas lire. Ce qu’il ose révéler pour la première

fois à son nouvel ami, le grenadier prussien.
C’est le beau de l’histoire : l’enfant trouvé,
presque sauvage, l’habitant des cavernes, qui
regarde le monde comme s’il le découvrait à
chaque instant, est ignorant et innocent mais
il en sait plus que quiconque sur le trésor
caché des livres.
Connaissance instinctive et violence du
désir (des mots et de leur assemblage) le
conduisent à une autre rencontre, la troisième
et dernière, qui prélude peut-être à une vie
Les malheurs des Roms
Colum McCann donne un exemple éclatant de l’ouverture du roman irlandais
contemporain à de nouveaux horizons. Après lui, comme après John Banville et
quelques autres, on ne pourra plus parler de nostalgie et de repli sur le territoire
national.
COLUM McCANN
ZOLI
trad. de l’anglais (Irlande) par Jean-Luc Piningre
Belfond éd., 330 p., 21 euros
C
ertes, McCann est attaché à son pays au
point d’avoir lui-même toujours
l’impression d’écrire « sur un thème irlandais
», mais il est sollicité par d’autres cieux : le
Mexique dans le Chant du Coyote, New York
dans Les Saisons de la Nuit, la Russie, les
États-Unis, la France, l’Australie dans
Danseur, puissante évocation de la vie de
Nouréïev. Il dit avoir « trébuché » il y a qua-
tre ans sur l’histoire de Papusza, dont il ne
peut se défaire et sur laquelle il amasse une
abondante documentation. Papusza – ce qui
veut dire « poupée » en roumain – de son vrai
nom Bronislawa Wajs, appartenait à une
famille de harpistes tsiganes. Malgré les inter-
dits que les Roms font peser sur les femmes,
elle apprend à lire et à écrire. Elle compose, en
romani, des poèmes qui sont traduits en polo-
nais par Jerzy Ficowski et publiés en 1953 :
elle est alors condamnée, exclue de
sa communauté par l’Autorité Tsigane
Polonaise.
McCann est resté fidèle à ce canevas pour
conter l’histoire de Zoli qui s’inscrit dans une
période qui va des années 1930 à l’aube du
XXIe siècle. Ainsi se dessine la fresque
douloureuse consacrée aux malheurs des
Roms pris dans la tourmente du nazisme, du
communisme et, plus généralement de toutes
les haines et de tous les rejets. Zoli trahit son
camp en laissant publier ses poèmes, elle trahit
la culture des Roms et la quasi-sacralité de
l’oral, au profit de l’écrit qui, en figeant le
discours, se prête aux manipulations et aux
interprétations tendancieuses, en un mot asser-
vit la voix, en la privant de son plein exercice.
La trahison se consomme par
l’intermédiaire de Swann un journaliste
anglais amoureux de Zoli, Swann qui enregis-
tre et transcrit ses poèmes avant de les impri-
nouvelle, bien que les livres aient disparu,
qu’ils aient été détruits.
Apprenez-moi à lire, lui demande la
femme qui l’accueille chez elle après un long
voyage. Si Julien lui non plus ne sait pas
déchiffrer les lettres sur les pages, il sait au
moins que c’est possible et que les livres
existent. « Le regard de la femme se char-
geait d’interrogation. Vous arrivez quand
même de quelque part ? D’habitude on sait
d’où on vient. Elle réfléchit. Et qui pourrait
CLAUDE FIEROBE
COLUM McCANN
mer. Swann, qui évoque le personnage de
Proust bien sûr, avec la prééminence de la
mémoire et le rôle des objets dans la convoca-
tion du passé, mais aussi, dans Mefisto, le
Swann de John Banville qui lui aussi, traque la
vérité des êtres dans les méandres de
l’Histoire. Swann ne se sent pas coupable car
il croit sincèrement qu’avec un livre Zoli
pourrait sauver son peuple, « comme si les
livres pouvaient arrêter les massacres.
Comme s’ils pouvaient faire plus que les
harpes ou les violons ». Devenue une icône
pour le régime communiste, « personnage
culte », « poétesse tsigane, la citoyenne idéa-
le, la nouvelle femme soviétique », Zoli est
ROMANS, RÉCITS
vous attendre, là où vous allez, plus loin que
le bout du monde ? Il répondit d’un trait,
ainsi que sous le coup d’une illumination :
Celle qui lit les livres. »
Un récit d’ombre et de lumière, dans la
lignée de Pierre Jean Jouve, semblable à un
sous-bois que traverse par endroits le soleil.
En poète-prosateur, Pierre Silvain sait retenir
ce qu’il détient. Les moments sur lesquels il
s’attarde, même s’ils sont douloureux, n’en
sont que plus resplendissants.
jugée par les siens et condamnée pour trans-
gression majeure, « Polluée à Vie pour
Infamie et Trahison de la Cause Rom au profit
d’Etrangers » : elle n’est plus ni tsigane ni
gadzi, elle n’est plus rien du tout. Pourtant,
elle reste Rom de cœur, recommence à errer
et, comme le groupe qui l’a exclue, rejette
toute forme de récupération : elle détruit les
originaux de ses poèmes et les bandes de
magnétophone, elle fuit l’hôpital, reste défini-
tivement en marge d’un monde qui privilégie
l’ordre et la norme.
McCann a bien compris que seul le jeu des
perspectives permettait d’approcher au plus
près la vérité d’une situation aussi complexe,
où sont mises en danger à la fois la liberté de
l’individu et la culture d’un peuple. Alors,
comme dans Danseur, la distance géogra-
phique et mentale entre l’auteur et son sujet se
trouve réduite par un jeu subtil où se font
entendre tour à tour les voix du narrateur, de
Swann et de Zoli. Alors qu’un autre Irlandais,
Walter Starkie (Raggle Taggle, Adventures
with a fiddle in Hungary and Roumania, 1993
; trad. Les Racleurs de vent, Phébus, 1995),
n’était qu’un observateur avisé et chaleureux
du monde des Tsiganes, une véritable empa-
thie lie McCann à Zoli, lui permettant de suiv-
re les mouvements de sa conscience, et au
bout du compte de traduire pour le lecteur ce
qui peut de prime abord apparaître comme une
altérité irréductible, altérité d’une femme
d’exception et d’un peuple qui nie l’individuel
au profit de l’universel.
A ce titre, McCann occupe une place à part
dans la fiction irlandaise d’aujourd’hui. Il sait
que ce qu’il a à dire ne peut se dire qu’avec le
langage de ses personnages, que de lui et de
lui seul il tirera son autorité et approchera au
plus près de la vérité, et, avec hardiesse, il
s’empare des mots mêmes de la poésie tsigane
pour écrire une complainte d’errance et de
douleur :
Lorsque la mort nous aura transformés en
pluie,
Nous resterons au bord des nuages
SUITE
13
 ROMANS, RÉCITS
Avant de continuer à pleuvoir.
Nous resterons dans l’ombre du chêne
blanc
Où nous avons marché,
Pleuré, marché, au long des chemins.
Pourtant, de ce livre qui porte toutes les
blessures que les hommes infligent à d’autres
hommes parce qu’ils ne pensent pas et ne
vivent pas comme eux, s’élève malgré toute la
HISTOIRE LITTÉRAIRE
« C’est elle, la petite morte,
derrière les rosiers »
VITALIE RIMBAUD
JOURNAL ET AUTRES RÉCITS
Préface par Jean-Luc Steinmetz
Musée Bibliothèque Arthur Rimbaud éd.,
16 reproductions photo., 125 p., 16 euros
L
e 13 Juillet 1875, Vitalie Rimbaud, fille
de Vitalie Cuif dite « la mother » (Arthur)
ou « la daromphe » (Verlaine), note dans son
Mémorial : « Nous partons demain pour
Paris. Quelle joie et quelles émotions ! » Joie
de quitter Charleville et d’ouvrir le pesant
rideau lui barrant le vaste monde, après une
première escapade qui avait joué le rôle
d’initiation à l’ailleurs, l’année précédente en
Angleterre. Émotions bien compréhensibles
car le voyage n’a été décidé par sa mère que
pour des raisons médicales qui la concernent.
Il s’agit de consulter un spécialiste parisien à
propos d’une inquiétante tumeur du genou
sur laquelle la jeune fille trop bien élevée,
dans la haine catholique du corps, ne se
confie jamais dans le même texte, écrit moins
pour elle seule que pour ses chères
« Sépulcrines », les religieuses qui l’ont
élevée et dont elle a la nostalgie.
Le Mémorial s’arrête sur ce départ, ou
presque. Son dernier feuillet, écrit avant (ou
après) la révélation sans appel du cancer dont
Vitalie est atteinte, porte seulement ces deux
lignes énigmatiques : « 111 marronniers sous
les allées / 63 marronniers autour de la
promenade de la gare. »
Des chiffres pour se rassurer ? Un monde
ordonné, dont on peut encore compter les
arbres, est un monde où l’on ne meurt pas
« quand on a dix-sept ans » ? En tout cas, le
lecteur ne peut s’empêcher de songer
sombrement à la dernière numération
d’Arthur, qui dicte à son autre soeur Isabelle
ce curieux compte bleu le 9 Novembre 1891,
veille de sa mort survenue à l’hôpital de la
Conception à Marseille : « UN LOT : UNE
DENT SEULE./ UN LOT : DEUX DENTS./
UN LOT : TROIS DENTS. / UN LOT :
QUATRE DENTS. / UN LOT : DEUX
DENTS. »
On a beau savoir qu’il rêve alors d’une
14
SUITE MCCANN/FIEROBE
misère du monde, un chant dont ni les institu-
tions répressives ni les racismes latents ou
déclarés, ni les violences physiques ou menta-
les, ne pourront tarir la source. Si la musique
est interdite, on enterre les harpes au plus
profond de la forêt et on attend, parce que «
l’espérance est une vieille habitude des Roms
». Zoli est l’incarnation de cette espérance qui
porte en elle la promesse d’un perpétuel
renouveau.
MAURICE MOURIER
nouvelle entreprise commerciale lointaine et
que les dents en question, énumérées par le
« féroce (...) infirme (...) retour des pays
chauds », qui agonise après l’amputation de
sa jambe suite à un cancer du genou, sont des
défenses d’éléphants, on frissonne néan-
moins de ces tristes correspondances.
Désespoirs et destins croisés : en somme, sur
un plan strictement humain, Arthur a aussi
complètement raté sa vie que la petite sœur
dont seize ans auparavant il a signé, le 19
Décembre 1875, la déclaration de décès en
tant que « premier frère (.. ) âgé de vingt et un
ans, professeur ».
Or il se pourrait que Vitalie et Arthur aient
eu en commun, outre cette « bonne part de
malheur », certains traits de tempérament.
Suivie de quelques poèmes classiquement
médiocres, de lettres affectueuses à Isabelle
et du Mémorial précité, rédigé au cours des
ultimes mois pour célébrer diverses céré-
monies du culte marial – en état d’inflation
galopante depuis que la thèse de l’Immaculée
Conception a été érigée en dogme par Pie IX
en 1854, l’année de la naissance d’Arthur – la
publication intégrale de ce Journal permet en
VITALIE RIMBAUD
McCann a écrit un très beau roman, à la fois
savant et libéré de toute entrave, ne s’appuyant
sur le réel et sur l’Histoire que pour mieux
donner son envol à l’imaginaire. Un style
vibrant donne à voir la texture des choses, à
sentir les odeurs du monde, et surtout à entend-
re la musique même de la vie : afin de chanter
l’espoir qui ne meurt jamais, sans hésiter Zoli
se lève encore une fois, semblable à l’aube qui
se lèvera jusqu’à la fin des temps.
effet pour la première fois de jauger la
personnalité de la plus grande des deux
sœurs.
Certes, du point de vue purement littéraire,
Vitalie n’a rien d’un Arthur femelle. Ses
fréquentes effusions lyriques devant la nature
ou les beautés de Londres où sa mère et elle
passent le mois de Juillet 1874 à l’invitation
intéressée et pressante d’Arthur, sont aussi
conventionnelles que les mièvreries
laborieusement rédigées lors du séjour à
Roche (5 Avril-Septembre 1873), où la
diariste débutante découvre les plaisirs sains
de la campagne dans la propriété exploitée
par les fermiers de sa mère.
Certes aussi et surtout ces exercices de
style d’une demoiselle provinciale au coeur
provisoirement ingénu semblent n’avoir, à
l’instar de la plupart des documents du même
type (n’est-ce pas, Philippe Lejeune ?), qu’un
intérêt au mieux socio-historique. Révé-
lateurs de l’effroyable chape de bigoterie qui
pèse alors sur les frêles épaules d’une enfant,
ils ont au moins le mérite de montrer quel
courage de Sisyphe il a fallu à « l’homme aux
semelles de vent » pour s’affranchir, même
partiellement, de sa « ville natale (...)
supérieurement idiote entre les petites villes
de province » (lettre d’Arthur à Georges
Izambard, 25 Août 1870). On voudra bien se
rappeler toutefois que le garçon surdoué de
« la mère Rimb » avait, lui, au moins échap-
pé au carcan des « Sépulcrines » ou de leurs
équivalents virils, comme d’ailleurs son frère
Frédéric, un gentil crétin engagé pour cinq
ans dans l’armée. Sous le second Empire, les
filles de la petite bourgeoisie dévote n’ont
qu’à courber l’échine.
Et pourtant. Pourtant cette pauvre Vitalie
peu géniale et si pitoyablement soumise à sa
mère et aux religieuses, si terriblement
comme il faut, dont la photographie passée
qui orne la couverture du livre montre la
silhouette étriquée de pensionnaire, tout
engoncée dans une robe noire ras du cou, les
mains trop grandes dont elle ne sait que faire
gauchement placées, le visage immobile et
vide d’expression, on la prend à plusieurs
reprises en flagrant délit de révolte.
Oh ! c’est une bien inconsciente pulsion,
qui ne se manifeste que par certaines crises
 ROMANS, RÉCITS

de mélancolie farouche ou d’ennui démesuré

qui font écho d’une manière polie au
sempiternel « et je m’emmerde » de son frère,
immortalisé par Verlaine dans ses « Vieux
Coppées » de 1875-76, quand les deux
anciens amants avaient rompu mais
s’intéressaient encore l’un à l’autre.
Ou plutôt, dans ce Journal apparemment
tissu de platitudes, se distinguent plusieurs
phases. En Août 1873, à Roche, Vitalie, qui
n’a que quinze ans, côtoie quotidiennement
un voleur de feu tout juste réchappé du drame
bruxellois du 10 Juillet, où Verlaine a tiré sur
« le gentil Rimbe » puis a été jugé et incar-
céré. Certainement tenue en dehors de toute
l’affaire (1), elle constate seulement que son
aîné de quatre ans est rétif aux travaux des
champs qui la délivrent, elle, de la couture et
du train-train abrutissant de Charleville. Elle
consigne alors avec une touchante gravité :
« Mon frère Arthur ne partageait point nos
travaux agricoles ; la plume trouvait auprès
de lui une occupation assez sérieuse pour
qu’elle ne lui permît pas de se mêler de
travaux manuels. »
Cette occupation, assez sérieuse en vérité,
c’est la rédaction du « livre païen », du « livre
nègre », Une saison en Enfer, auquel
Rimbaud, à ce moment-là, suspendait toute
sa fortune !
Un an plus tard, après l’échec de cet
unique volume publié, Rimbaud est à
Londres, momentanément aux abois, et fait
appel à la famille. Vitalie, quant à elle, a mûri
et son Journal de voyage devient extrême-
ment révélateur. D’abord l’expatriation
l’épouvante, quitter le cocon stérilisant mais
protecteur de Charleville et du catholicisme
(ces diables d’Anglais ne prient pas comme
nous ) constitue la première (ce sera hélas ! la
seule) véritable aventure de sa vie étroite. Et
puis elle étouffe dans l’appartement retenu
par Arthur, s’ennuie férocement le dimanche,
voudrait fuir.
Mais de « très beaux hommes » du régi-
ment des Life Guards de la reine
l’impressionnent, la rencontre fortuite d’un
couple qui s’aime la fait rêver longuement,
bientôt (c’est le jour même du départ, le 31
Juillet, Arthur vient de les quitter pour aller
prendre un poste dont il n’a rien dit, sa mère
pleure), elle laisse éclater l’expression d’un
désir éperdu auquel elle ne sait pas donner de
nom : « Quel effet cela me fait ! Ma nervosité SUR FRANCE CULTURE, LA L’art n’a pas à servir (non serviam est sa devise, ou
a grandi, c’est de l’angoisse à présent. Se LITTÉRATURE C’EST CHAQUE JOUR devrait l’être, comme elle est celle du diable). L’art ne
peut-il que je regrette Londres à ce point, que sert à rien ni ne sert à personne. Il n’a pas davantage à
je me sois attachée à lui sans le savoir, en me Du lundi au vendredi, la tranche de 15 à 16 h est intéresser. Son authenticité (hypohétique) se reconnaît
figurant y souffrir ? Ah ! je serais bien embar- désormais réservée à la littérature, et qu’importe si en à cela même qu’il passe outre à toute utilité et à tout
termes d’audience radiophonique elle est considérée intérêt – quand il ne les conteste pas de part en part.
rassée s’il me fallait préciser, et, surtout, comme la plus mauvaise à l’heure où l’on peut réécou- Contester ou passer outre à l’utilité et à l’intérêt suffit
préciser ma souffrance d’aujourd’hui. » ter les émissions à sa convenance. à définir tout art comme politique, dans un système qui
Mais nous, à qui rien de ce qui touche à Comme La Quinzaine Littéraire, l’émission propo- tient l’utilité et l’intérêt pour ses valeurs
l’auteur des Illuminations, peut-être en se deux parties : une première tranche (15 h-15 h 30) suréminentes ».
grande partie conçues à Londres au cours de dévolue à la littérature proprement dite sous la houlet- (Portrait de l’intermitent du spectacle en supplétif
cette même saison, ne saurait nous demeurer te de Tewfik Hakem, et une seconde (15 h 30-16 h) aux de la domination, nouvelles éditions lignes, 10 euros).
indifférent, comment ne nommerions-nous sciences humaines coiffées par Jacques Munier. Les
revues ne sont pas oubliées et, le vendredi, la bande
pas spleen cette angoisse qui n’a plus rien dessinée se voit même à l’honneur. Une telle variété LES CENTENAIRES SE SUIVENT...
d’enfantin ? Une angoisse de « la vraie vie », méritait bien d’être intitulée : À plus d’un titre.
qui pour eux deux sera toujours « ailleurs », ...et ne se ressemblent pas. Maurice Blanchot, que
et rapproche singulièrement le « fils du s’apprête à fêter la Maison des Écrivains, n’a pas
soleil » de la chétive créature à qui, cet été-là, MANIFESTE CONTRE grand-chose à voir avec René Char fêté tantôt mais il
il offrait fraternellement des glaces. LES SOI-DISANT ARTS VIVANTS crée pareillement une belle unamimité. Pas moins de
11 écrivains (dont Michel Deguy, Jacques Dupin,
Les nouveaux philistins feraient bien de se pencher Patrick Kéchichian ou encore Alain Veinstein) se
1. Mais en juillet, quelques jours à peine après sur la petite plaquette que Michel Surya, le directeur de réunissent pour lire « leur » Blanchot et éclairer son
la tragi-comédie dont le seul personnage actif, en la revue Lignes ressuscitée de ses cendres, signe pour œuvre à partir de ce qui a compté pour eux. France
dehors des deux protagonistes, est la mère trop cette rentrée dans les éditions portant le même nom que Culture se joint à l’opération.
aimante de Verlaine, Arthur a-t-il mis au courant sa revue. N’en citons que l’axiome 88 : « A quoi sert Entrée gratuite au Petit Palais, avenue Winston
l’autre Vitalie, qu’il est venu surprendre à Roche la littérature ? demandait-on il y a trente ans. Est-ce Churchill, 75008 Paris le samedi 22 septembre de
(agréablement, semble-t-il, d’après le Journal de intéressant, demande-t-on plus platement aujourd’hui. 14 h 30 à 17 h 30.
la sœurette) ? On peut en douter.

15
 ARTS

Les explosions
des volatiles de la terreur
Né en 1933 au Monténégro, Dado travaille en France depuis 1956 ; il dessine,
peint, sculpte ; il invente des êtres monstrueux. Il imagine l’agitation d’un bestiaire
fantastique, le jaillissement des coulures, les éclaboussures colorées, les formes
inquiétantes, les griffes féroces, les serres déplacées.

GILBERT LASCAULT

CLAUDE LOUIS-COMBET
DADO, LES OISEAUX D’IRÈNE
avec des textes de Yanitza Djuric et de Pierre
Nahon
La Différence/Galerie Beaubourg,
128 p., 60 œuvres (coul.), 20 euros
Monténégro, la famine. Dado capturait et
tuait des oiseaux. Dans ses souvenirs, il a vu
simultanément la mort des humains et celle
des oiseaux. Il a connu des volées d’oiseaux
venus d’un ciel tourmenté. Les œufs contien-
nent des menaces ; ils annoncent des avenirs
inquiétants.
en rose, en bleu, le triomphe de la Mort et de
la Terreur (1).
Dado intitule ses nouveaux dessins
(2006) : Les oiseaux d’Irène. Il propose un
hommage à Irène Némirovsky (1903-1942) ;
Elle vécut en Russie, puis en France. Dans les
années trente, elle publia des romans avec un

D ado bouleverse l’histoire naturelle. Il

révèle la vie perturbée. Il représente les
articulations modifiées des vivants, la désar-
ticulation, les montages affolés, les démon-
tages insensés, les jointures interverties.
En 2006, il dépèce un livre : une nomen-
clature des oiseaux, un trésor ornithologique.
Il arrache les feuilles en un vandalisme subtil.
Les grands rehauts de couleur, les gribouillis
agencés, les hachures, les zébrures, les ta-
ches, les touches, la violence méditée du pein-
tre effacent une grande partie de la description
de l’oiseau et transforment l’image.
Le « Hibou » a perdu ses ailes et porte une
chemise de nuit. Le « Rouge-gorge familier »
n’a plus sa gorge rouge. La « Perdrix grise »
se dresse sur un œuf et jongle. Le « Pétrel
Tempête » titube. Le « Lagopède des Alpes »
ressemble au Père Ubu. Tel oiseau est d’un
rose indécent. Le « Chevalier cul-blanc » est
un danseur bondissant. La longue queue de la
Mésange est un nez gigantesque. Le « Pluvier
doré » a une tête de félin. Le « Râle des
genêts » ressemble à une clepsydre bleue. La
« Mésange boréale » est enfermée dans un
sac sanglant. La « Chouette chevêchette »
lève des bras humains et piétine le sol en
cadence. Le « Coucou gris » a des nageoires.
La « Pie noire » sort d’une tombe haute. La
« Chouette de l’Oural » est une farceuse et
son nid est un cube... Dado suggère des
volatiles qui deviennent des fantômes, ou
bien des personnages masqués du carnaval,
des démons, des bêtes de planètes inconnues,
des êtres en partie inachevés.
Ces oiseaux énergumènes de Dado sont à
la fois tragiques et drôles. Souvent, ils
sont ténébreux, emprisonnés, parqués,
enlisés, embourbés. Claude Louis-Combet Dado serait un visionnaire, un constructeur grand succès. En 1942, la police française
les décrit : « A peine peut-on dire qu’ils sont de songes et un anatomiste fiévreux. Il est un l’arrêta. Elle fut déportée à Auschwitz et y
pourvus d’ailes, de ramage et de plumages. tératologue. Sans cesse il relit le Livre de Job mourut du typhus (2).
Ce sont des êtres pesants, statiques, mono- et l’Apocalypse. Il regarde (depuis une vin-
lithiques. » Ils seraient des « êtres en gtaine d’années) les gravures de l’Histoire 1. Les œuvres de Dado seront exposées
douleur, figures de solitude et déchirement, naturelle de Buffon et il propose une Histoire d’octobre à décembre 2007 à Paris dans le Marais
2. En septembre 2007, Olivier Philiponnat et
entités sur identités écartelées entre haine et des catastrophes de la nature, des perturba- Patrick Lienhardt publient La vie d’Irène
compassion » ; ils seraient proches de « leurs tions de la Terre. Il représente la décomposi- Némirovsky (1903-1942), Grasset/Denoël...
frères mazoutés ». tion, la désagrégation, les proliférations, les Denoël a réédité les livres (1929-1933) de la
Claude Louis-Combet rappelle l’enfance excroissances, le chaos baroque, les conta- romancière. L’un de ses inédits s’intitule Suite
de Dado, les années quarante, la détresse du gions, l’expansion hagarde. Parfois il célèbre française (Prix Renaudot, 2004).

16

Érudit et pince-sans-rire
Vincent Descombes est l’un des rares philosophes contemporains à maîtriser
véritablement la philosophie analytique et l’histoire de la philosophie – ce que les
Anglo-saxons et les Corses appellent la philosophie continentale. Fin connaisseur de
Wittgenstein, d’Anscombe, il sait, savamment, croiser Louis Dumont et Castoriadis.
VINCENT DESCOMBES
LE RAISONNEMENT DE L’OURS
ET AUTRES ESSAIS
DE PHILOSOPHIE PRATIQUE
Seuil éd., 458 p., 24 euros
D
ans ce Raisonnement de l’ours – cette
allusion au pavé dont le plantigrade de La
Fontaine se sert pour tuer une mouche posée
sur le visage d’un malheureux – il démêle,
avec jubilation, les erreurs de réflexion, si
répandues parmi les sophistiques philoso-
phiques contemporaines. Toutefois, notre
érudit, pince-sans-rire, ne renonce aucune-
ment aux enjeux pratiques. Au fond, il s’agit
de nous rendre capables d’établir des ordres
de priorité, de hiérarchiser nos choix, nos
conduites, de retrouver le tranchant d’une
sagesse pratique.
Dans cette série d’essais historiques,
moraux, politiques, juridiques, notre auteur
ne se contente pas de reprendre la vieille
opposition wéberienne entre éthique de
conviction et éthique de responsabilité ; méti-
culeux, il construit ses démonstrations, ses
démontages, brique par brique, comme on sait
le faire à Oxford. Mordant, chipoteur diront
ses adversaires, il examine les notions reçues
au laser grammatical. Un exemple. Selon
qu’on définira le capitalisme par
l’exploitation (Marx), par la rationalisation
(Weber) ou par la désimbrication de
l’économie (Polanyi), nos jugements diverge-
ront. Tout bien pesé, il s’agit de s’emparer des
armes du comparatisme, de réfléchir, avec
David Wiggins, aux conséquences « d’un
marché qui s’étendant hors de sa sphère
subvertit, en pratique, l’éducation, la forma-
tion du caractère (ethical formation), l’esprit
public et le souci de l’environnement ».
A cet égard, prendre au sérieux l’œuvre de
Louis Dumont, c’est comprendre comment
l’étude d’autrui, est aussi, et nécessairement,
un examen de soi. Loin du relativisme post-
moderne et de ses paresseux guillemets large-
ment saupoudrés, notre philosophe soupèse
les notions, une à une. En fait, ce sont les
sociétés qui sont individualistes et non pas
simplement les braves subjectivités indivi-
duelles ! Dans cette perspective – celle de
Dumont – se faire comparatiste, c’est penser
avec soin le holisme et son contraire absolu,
l’individualisme. En effet, l’auteur d’Homo
hierarchicus avance que dans les sociétés
traditionnelles – holistes – l’accent est mis sur
la société dans son ensemble (comme homme
collectif), alors que pour nous, individualistes
modernes, l’être humain, représente
l’humanité et se veut la mesure de toute chose.
CHRISTIAN DESCAMPS
Bien comprendre cette distinction, c’est se
rendre capable de concevoir une foule
d’enjeux tout à fait concrets. En d’autres
termes, quand un Breton ou un Berbère récla-
me le droit « individuel » de s’exprimer dans
la langue de son choix, il faut entendre – par
delà la rhétorique des options, des droits de
l’homme qui, on le sait, ne font pas une poli-
tique – la voix de l’homme collectif. Par cont-
re, à l’autre extrême de l’arc politique, le pur
libertaire, l’adepte du particulier absolu, le
stirnerien contemporain, oublie trop, tout à
son abstraction individualiste, que le lien
social ne peut se passer du socle d’une cultu-
re commune.
Descombes nous propose, avec
Wittgenstein, de moins chercher les significa-
tions que les usages des termes (don’t ask for
the meaning, ask for the use). Quand il
conteste Rorty, le philosophe américain
récemment disparu, il note que celui-ci repro-
che à la gauche des campus états-uniens de
dénoncer abstraitement un pouvoir présent
partout, soulignant que lutter contre le
Système ne permet guère de modifier les lois
VINCENT DESCOMBES
PHILOSOPHIE
existantes. Toutefois, il se méfie d’un Rorty
– jeune hégélien à sa manière – héritier de
Whitman, qui conçoit l’Amérique comme le
territoire incarné de la religion civique. Cet
ancrage-là, certes généreux, se condamne à ne
voir que son propre reflet dans les autres
pays...
Décaper Platon, Aristote, réfléchir – à
partir de Castoriadis – sur l’auto-institution
des lois, c’est savoir que pour être équitable,
le juge doit dépasser la lettre de la loi, se mett-
re à la place du législateur. Pour qu’existe une
justice, il est nécessaire de forger un code et
une jurisprudence, ce mètre de plomb souple.
En ce sens, tous doivent pouvoir participer à
l’institution, à l’interprétation des lois.
Néanmoins, demander à l’individu de se
placer lui-même à son propre chevet – comme
le ferait un bon médecin – ce n’est pas, naïve-
ment, ordonner à chacun de se dédoubler,
d’être un autre ; il s’agit, plutôt, de nous invi-
ter à cultiver la vertu de « phronésis », ce
jugement sain, créateur, trop banalisé par
notre traduction, latine, de prudence.
Thérapeutique – dans la lignée d’un Locke
qui entendait s’embaucher comme manœuvre
capable de déblayer les détritus bloquant la
connaissance – cet ouvrage nous convie à
nous détacher des évidences. Dans cette
veine, il ne cesse de ferrailler contre la tiédeur
courante du relativisme mou, soft.
Du reste, si, depuis la Réforme, chaque
individu est appelé à atteindre une perfection
religieuse supérieure, comment ne pas voir
que ce même mouvement conduit à désen-
chanter le religieux lui-même ? Notre temps
aime les pseudo-authenticités. Exprimez-
vous, même si vous n’avez rien à dire ! Soyez
artiste, même si vous ne faites pas d’œuvre !
Mais, par-delà cet individualisme de paco-
tille, qui voudrait visiter un musée dans lequel
chaque citoyen devrait s’exprimer par un
tableau, à peu près aussi ennuyeux qu’un
diaporama rapporté de vacances ? En d’au-
tres termes, l’idéal « expressiviste », pour
parler comme Descombes, ne reflète, bien
souvent, que la stérilité du subjectivisme. En
fait, créer une œuvre, c’est, en un sens, renon-
cer à être un « soi ». Michel-Ange disait : «
Pour atteindre l’art, je dois me déprendre de
moi-même ». Ainsi, chez Proust (1), la diffi-
culté consiste, très précisément, à sortir de la
pure sensation esthétique, pour inventer une
forme, pour « traduire » les magmas dans
lesquels nous sommes plongés. L’esthète
pense, benoîtement, qu’être soi dispense du
travail. A ce stade, l’on sait, trop, qu’être soi-
même n’est que banalité. Devant les chefs-
d’œuvre, je puis, bien entendu, crier
« bravo ! » ou « génial ! », comme disent les
SUITE
17
 PHILOSOPHIE
jeunes gens. En revanche, La Recherche du
temps perdu consiste, elle, à donner un style,
une force et une forme personnelle à
l’admiration du grand art !
Méfiant à l’égard du contrat social
d’Habermas, le Raisonnement de l’ours est
réservé à l’égard de ceux qui réclament des
justifications critiques illimitées. Après tout,
sous prétexte que l’erreur est possible, on en
induit, trop rapidement, des généralisations
abusives. Du : « il arrive que je me trompe »,
on infère bien souvent : « je puis me tromper
toujours ». Bien sûr, certains ordres ne sont
pas exécutés ; néanmoins, il est illégitime
d’en déduire qu’aucun commandement ne
l’est jamais ! Ces paresses – cousines de
l’attitude de l’âne de Buridan – ces fautes
logiques, si répandues chez les partisans de
l’hyper-réalité, des logiques floues (fuzzy)
sont ici traquées avec ironie. Car, notre
monde est inondé de graisse sans graisse, de
mode anti-mode, de consommation anti-
consommation, de marketing vert !
Aujourd’hui, le manque de différence entre
l’information et le commerce (infomercial),
entre la culture et le divertissement (infotain-
ment) entre la participation et la publicité
(interactive advertising) est si fréquent qu’il
PSYCHANALYSE
C’était au temps où...
PATRICK FAUGERAS
L’OMBRE PORTÉE
DE FRANÇOIS TOSQUELLES
Érès éd., 384 p., 28 euros
Jd’Almeida
ean Ayme, Jean-Pierre Boulhol, Maurice
Capul, Hélène Chaigneau, Bràulio
e Sousa, Monique Davie, Pierre
Delion, Maurice Despinoy, Jean-Claude
Forestier, Roger Gentis, Antonio Labad
Alquezar, Josée Manenti, Ginette Michaud,
Michel Minard, Jean Oury, Jacques Pineau,
Jean-Claude Polack, Danielle Roulot,
Enrique Serrano, Huguette et Pierre Souchon,
Mireille Tosquelas, Fernando Vicente.
Pardon ! Pardon pour cette énumération de
noms dont certains ne vous diront peut-être
rien. Mais il fallait impérativement tous les
nommer, leur rendre hommage, les remercier
d’avoir répondu avec passion et émotion aux
questions que leur posait Patrick Faugeras
soucieux de faire revivre avec eux, à travers
leurs témoignages, le profil de celui qui
donna avec d’autres, mais mieux et avant
d’autres, sa fougue, sa rage et son âme à ce
courant de pensée, à cette pratique de la
psychiatrie qui prit le nom de psychothérapie
institutionnelle.
En réalité, c’est en 1952 que le terme appa-
raît pour la première fois mais la pratique
qu’il désigne lui préexiste depuis la seconde
18
SUITE DESCOMBES/DESCAMPS
est décisif de savoir marquer de véritables
distinctions.
Derrière les questions techniquement philo-
sophiques, se profile un projet de clarification
des enjeux effectifs de la morale, de
l’éducation, de la politique. Réduite au mora-
lisme, la morale ne vaut rien ; elle n’est alors
que prêchi-prêcha, « buonisme », comme
aiment dire les Italiens. Par contre, ancrée,
articulée à l’éducation, à la paidéïa grecque –
cette institution du citoyen cultivé capable
d’agir dans la cité – elle reprend des couleurs.
Il en va, ici, d’une justice substantielle ;
d’ailleurs, je ne puis être juste sans me préoc-
cuper du bien d’autrui, en tant qu’il dépend de
moi. En conséquence, nous nous retrouvons
devant des décisions pratiques, politiques.
L’étude de la langue, de la logique, cet art
de raisonner correctement, sont mobilisées
contre le monde comme il va. Pour l’heure, il
s’agit toujours de ne pas confondre les faits et
les jugements de valeur. Dans cette perspecti-
ve, le « que puis-je faire ? » n’est jamais un
mot d’ordre abstrait : il est appliqué, en situa-
tion, à l’homme, à la femme, à l’enfant...
Dans ce livre, vous ne trouverez aucune recet-
te pour mieux réussir votre vie, développer
votre personne ou demeurer serein en toutes
MICHEL PLON
guerre mondiale : les conditions qui furent
alors celles des hôpitaux psychiatriques
français durant cette sinistre période et qui se
soldèrent par la mort de près de quarante
mille malades (Cf. La Quinzaine n° 950)
participèrent d’un premier sursaut de la part
d’un certain nombre de psychiatres et le
mouvement trouva rapidement sa place dans
le frayage ouvert par le souffle réformateur et
progressiste qui, prenant le relai de la
Résistance, se déployât à partir de 1945.
Psychiatre catalan né en 1912, François
Tosquelles prend son premier poste dans
l’hôpital psychiatrique de sa ville natale,
Reus, en 1935, l’année de la création du
POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste)
auquel il adhère pour bientôt participer à la
guerre civile espagnole et être contraint de
quitter l’Espagne en 1939. Il se retrouve alors
interné au camp de Septfonds où il créera un
service psychiatrique avant de gagner
l’hôpital de Saint Alban en Lozère avec... la
thèse de Lacan sous le bras !
Hôpital de Saint Alban ! Sorte de citadelle
au cœur d’un des départements les plus
pauvres de France, qui va devenir d’une part
un lieu d’accueil et de cachette pour nombre
de résistants – Georges Canguilhem y
séjournera mais aussi Paul Eluard – et d’autre
part le berceau, plus ou moins légendaire, de
cette psychothérapie institutionnelle qui
bénéficiera de la présence de Tosquelles, de
son expérience et de son tempérament de
lutteur tout à la fois bourru, voire coléreux
mais aussi porteur d’un humour rare, d’une
circonstances, mais, vous croiserez, là, des
raisonnements caustiques. Ainsi, quand le
généreux programme d’un Bauhaus, mal
compris, se dégrade en une entreprise focali-
sée sur un seul principe (gagner beaucoup
d’argent, produire le maximum de grands
ensembles au moindre coût), cette caricature
devient catastrophique. Pourtant, seul un sujet
susceptible de juger est en mesure de parler
de catastrophe ; sans éducation véritable, un
citoyen ne pourra jamais établir, en connais-
sance de cause, des ordres de priorité. Il
s’avèrera incapable de formuler des liaisons
entre l’architecture, l’urbanisme, les modes
de vie.
Au fil de cette lecture exigeante, nous
rencontrerons moins des grosses notions que
des jeux de langage, incarnés, situés, définis.
Informé, Descombes se souvient du Russell,
féru de métaphysique, amateur de Leibniz,
qui avançait malicieusement : « de nos jours,
l’accusation de faire de la métaphysique est
devenue une accusation du genre de celle que
l’on porte contre un fonctionnaire dangereux
pour la sécurité de son pays ».
1. Descombes lui a consacré un livre : Proust,
philosophie du roman.
rouerie dont il savait user avec talent dans ses
rapports avec les institutions et les autorités
administratives et politiques et aussi d’une
culture qui dépassait de loin les frontières de
la seule psychiatrie.
Le livre construit par Patrick Faugeras ne
se veut pas une biographie de Tosquelles
mais bien une mosaïque de témoignages qui,
de par leurs contrastes, de par les récits et les
anecdotes auxquels ils donnent lieu, nous
font pénétrer dans le quotidien de la pratique
de celui dont Roger Gentis dit qu’il savait
« déconner » avec talent et dont d’autres
soulignent que plus qu’un maître, position
qu’il refusait, il était un révélateur de talents,
quelqu’un qui, en créditant ses interlocuteurs
de capacités égales aux siennes, libérait les
initiatives et apprenait à ses collaborateurs,
quels qu’ils soient, l’art d’oser.
Plus d’un des interlocuteurs de Patrick
Faugeras le souligne, la psychothérapie insti-
tutionnelle, une praxis bien plus qu’une
théorie, une praxis qui mit en avant ces prio-
rités dont on aurait tort de croire qu’elles sont
aujourd’hui un bien définitivement acquis, à
savoir l’écoute des sujets souffrants et la
création de conditions à même de leur donner
la parole et de les insérer dans la vie
de l’établissement où ils vivent, cette
psychothérapie institutionnelle marchait
« sur deux jambes » à l’instar de Tosquelles
lui-même, à savoir le marxisme d’une part, la
psychanalyse de l’autre. Impossible tout au
long de cette lecture d’oublier aussi bien les
luttes politiques et sociales des quelques

trente années qui suivirent la Libération, que
la place tenue, pour Tosquelles et pour tous
ceux qui travaillèrent avec lui, par la psy-
chanalyse et par Lacan, l’homme et l’œuvre
qui s’élaborait alors.
Le parcours de Tosquelles et celui, intrin-
sèquement mêlé, de la psychothérapie institu-
tionnelle, participent désormais de ce que
l’on peut bien appeler le patrimoine des
communautés psychiatrique et psychanaly-
tique contemporaines, ils devraient aujour-
d’hui, alors que l’idée même de sujet est mise
en cause, constituer une référence incon-
tournable. Cela pourtant ne va pas de soi.
Freud et la grille de lecture marxiste plus
encore ne sont pas en odeur de sainteté. Si ce
bel ouvrage peut donner à plus d’un
l’occasion de découvrir aussi bien Tosquelles
que la psychothérapie institutionnelle, il est
aussi l’occasion pour Patrick Faugeras de
répliquer avec justesse à ceux qui tendent à
L’Allemagne tombe la chemise
Une question sur le monde germanique, besoin de clarifier un terme, découvrir
des lieux de mémoire d’outre-Rhin sous un autre jour, voici deux ouvrages qui
devraient vous aider à trouver réponses à vos questions : d’un côté les Mémoires alle-
mandes, de l’autre le Dictionnaire du monde germanique. Destinées au néophyte
comme au spécialiste, les deux sommes sont le fruit de recherches françaises et
allemandes.
DAGMAR SOLEYMANI
MÉMOIRES ALLEMANDES
Sous la dir. d’Étienne François et Hagen Schulze
trad. de l’allemand par Bernard Lortholary et
Jeanne Étoré
coll. Bibliothèque illustrée des histoires
Gallimard éd., 796 p., 65 euros
L es Mémoires allemandes s’inscrivent
dans la lignée des « Lieux de mémoire »
français, dirigés par Pierre Nora et publiés
par Gallimard (coll. « Bibliothèque illustrée
des histoires », 1984-1992). Transposer cette
approche à l’Allemagne était cependant un
pari osé sachant qu’outre-Rhin le concept
d’État-nation est à la fois historiquement
récent et très malmené par la rupture de
civilisation que représente le IIIe Reich. Les
auteurs – historiens, linguistes, journalistes –
européens, israéliens et américains, sous la
direction d’Étienne François et Hagen
Schulze, grands spécialistes de l’histoire
comparative européenne, mettent à profit le
jeu des miroirs en croisant les approches
– pluridisciplinaires – et les regards – compa-
ratifs. Le miroir, subterfuge des contes de
Grimm pour refléter à la fois contenant et
contenu, réalité et interprétation, s’avère être
un excellent outil dans l’analyse des lieux de
mémoire qui revêtent tantôt une valeur
matérielle tantôt une valeur immatérielle aux
FRANÇOIS TOSQUELLES
connotations changeantes selon les époques
et les spectateurs.
L’édition allemande parue en 2001 a été
saluée par la critique, même si le choix des
HANS ET SOPHIE SCHOLL ET CHRISTOPH PROBST
AVANT LEUR EXÉCUTION COMME RÉSISTANTS DE « LA ROSE BLANCHE »
thèmes a pu être critiqué pour être notam-
ment le miroir du monde bourgeois occiden-
tal voire berlinois depuis la création de la
nation allemande (Klaus Grosse Kracht,
IASL, mai 2002) au XIXe siècle. D’autres
PSYCHANALYSE
considérer l’homme Tosquelles et ce courant
de la psychiatrie comme autant de « vieilles
lunes » qui auraient fait leur temps : pour
Faugeras il n’y a pas lieu là de tergiverser ; il
faut souligner sans la moindre hésitation que
de telles positions ne sont rien moins que
« ridicules », ignorantes du fait que l’on ne
peut confondre l’histoire de la pensée et les
accidents de l’histoire, ignorantes plus encore
de ce que l’impasse faite sur le sujet, par trop
facilement remplacé par l’individu quand ce
n’est pas par « l’usager », repose sur une
conception instrumentaliste inéluctablement
porteuse de perspectives intolérantes, de
visées hégémoniques conduisant à des
pratiques d’exclusion. Tosquelles était aux
antipodes de telles conceptions et tous ceux
qui ont contribué à cet exceptionnel
hommage ne mangent pas de ce pain là, ils
continuent le combat, il faut s’en réjouir.
HISTOIRE
dont Jan-Holger Kirsch (Humanities. Sozial-
und Kulturgeschichte, juin 2001) ont
souligné que certains thèmes relèvent plutôt
de l’histoire culturelle que de l’histoire des
identités.
L’édition française présente un choix de 33
articles sur les 121 de l’édition allemande.
Pour le lecteur français, le sommaire relève
d’un subtil mélange entre présentation de
sujets identifiés comme « allemands », de
thèmes populaires allemands inconnus et de
regards extérieurs tout en laissant de côté les
Heinrich Heine, Rhin et autres Bayreuth
estampillés comme allemands dans
l’Hexagone. La découverte des lieux de
mémoire aurait cependant gagné à être
appuyée par une carte de l’Allemagne plus
précise pour le lectorat français.
Le chapitre « L’Allemagne à la recherche
d’elle-même » présente au lecteur une
SUITE
19
 HISTOIRE
analyse de la réception du texte de Tacite «
La Germanie », en passant par la chanson des
Niebelungen jusqu’à la Réformation et la
redécouverte de la Wartburg par Goethe
enjambant ainsi plus de 1 700 ans d’histoire «
allemande ». Fidèle au jeu des miroirs, le
Pars pro toto,
totum pro parte
regard extérieur sur un territoire « La
Germanie » se confond avec la réappropria-
tion d’un château médiéval, haut lieu de la
Réformation, par un auteur allemand.
Au chapitre de « La puissance et de la
gloire », les lieux de mémoire sont définitive-
ment ceux des temps modernes avec comme
« père fondateur » Napoléon qui remodèle
l’échiquier géopolitique des Etats allemands
contribuant à long terme à leur unification.
Pour preuve « la ville de Weimar » qui est le
symbole de la nation culturelle allemande
avec ses écrivains Goethe et Schiller mais
aussi de la première République allemande,
au destin tragique, fondée dans ses murs en
DICTIONNAIRE
DU MONDE GERMANIQUE
Sous la dir. d’Élisabeth Décultot,
Michel Espagne et Jacques Le Rider
Bayard éd., 1308 p., 149 e (en librairie le 27 sept.)
(129 a jusqu’au 31/01/08)
5savoir
00 entrées pour apporter une réponse à
« Tout ce que vous avez toujours voulu
sur le monde germanique sans jamais
oser le demander », pour paraphraser Woody
Allen. Voici le fil conducteur de ce dictionnaire
qui touche à tout : les arts, le droit, l’économie,
la géographie, l’histoire, la littérature, la
philosophie, la politique, la religion, les
sciences et la société. Comme l’expliquent dans
leur préambule Élisabeth Décultot, Michel
Espagne et Jacques Le Rider, le cœur de
l’ouvrage est la culture qui dans le monde
germanique revêt divers aspects sous les termes
désignés de « Kultur » , « Zivilisation » et
« Bildung ». Les directeurs de l’ouvrage notent
que « ces termes,..., possèdent en outre une
histoire franco-allemande ». Cette dernière
constitue par ailleurs la colonne vertébrale du
dictionnaire, en ce sens que chacun des thèmes
bénéficie d’une analyse multiregard, français et
allemand, prenant en compte les besoins
d’informations annexes du lectorat français.
D’un côté la culture comme fil d’Ariane, de
l’autre le « monde germanique » qui comprend
ici l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse
alémanique, un espace linguistique mouvant
qui a reçu et donné à ses voisins. L’exhaustivité
étant impossible pour une telle entreprise,
l’accent a été mis sur une approche ency-
clopédique pour chacune des entrées, abordées
au long cours (souvent sur plus d’une page) et
signées par le contributeur. En intitulant leur
ouvrage dictionnaire, les auteurs font preuve
d’une grande modestie. De la langue gothique
(IVe siècle) à Christa Wolf, du mysticisme
rhénan à Benoît XVI, de Charlemagne à Angela
Merkel, pour ne citer que ces quelques trames,
le dictionnaire analyse la « culture germanique
20
SUITE MÉMOIRES ALLEMANDES/SOLEYMANI
1919. Le monde économique y tient égale-
ment sa place avec les explications sur le
terme « Made in Germany », qualifiant au
départ les marchandises (contenant) alleman-
des importées en Angleterre pour devenir
ensuite un gage de qualité du contenu. Ou
encore de la Volkswagen, symbole de la réus-
site allemande à l’intérieur comme à
l’extérieur de l’Allemagne.
« La petite patrie et les royaumes
intérieurs » découvrent des textes et des lieux
populaires, expliquent les éléments fédéra-
teurs nationaux comme le football et présente
Bach là où l’on s’attendait à Wagner. Le
château « Neuschwanstein » de Louis II tient
ici une place bien particulière car construit
par un roi démuni de ses pouvoirs depuis la
création du Reich en 1871 et véhiculant des
valeurs médiévales chères à la nation alle-
mande, mises en scène par Wagner et depuis
identifiées et réappropriées comme telles par
les touristes du monde entier.
La politique et sa symbolique dominent le
chapitre intitulé « Crime et châtiment » allant
de la perception de la fin de la Première
Guerre mondiale en passant par le troisième
Reich avec le culte du Führer, le génocide, la
résistance allemande et l’exode des
Allemands des régions orientales pour
» à l’aide d’abstracts et de biographies,
complétés par une quarantaine de cartes.
Cependant le dictionnaire sait aussi surprendre
avec (en s’intéressant à des thèmes aussi variés
que) l’influence de la littérature américaine en
Allemagne, Pierre l’ébouriffé (Struwwelpeter),
les Allemands en France, l’être-en-soi de Kant,
le calcul différentiel et intégral, la civilisation
française dans la pensée allemande, les
ébénistes allemands en France, le néerlandais,
le théâtre radiophonique, Hollywood, le jardin,
la spectroscopie.
Trois chercheurs français du « monde
germanique » sont à l’origine de cet ouvrage :
Élisabeth Décultot, spécialiste de l’esthétique
allemande, Michel Espagne, spécialiste des
transferts culturels franco-allemands, et
Jacques Le Rider, spécialiste de la culture vien-
noise. Ils ont dirigé, ensemble avec le comité de
rédaction, plus de 300 auteurs d’ici et d’outre-
Rhin, et ceci pendant dix ans. Plusieurs généra-
tions de spécialistes du monde germanique,
historiens, juristes, linguistes, germanistes, se
sont prêtés au jeu et livrent là une somme
destinée au public français. Il y a la jeune garde
avec Johanna Faerber (géographie), Hervé Joly
(histoire), Anne-Marie Pailhès (littérature),
Frédéric Patras (mathématiques), des historiens
de l’Institut historique allemand à Paris comme
Stephan Martens, Horst Möller, Andreas
Wirsching, des chercheurs aguerris comme
Michel Hau (histoire), Jean-Loup Bourget
(cinéma), Mathias Kaufmann (éthique),
Christine Mengin (histoire de l’art), Günter
Oesterle (germaniste), Philippe Fritsch (socio-
logue), Thomas Würtenberger (juriste), tous
responsables d’une ou plusieurs entrées.
Francophone ou germanophone, leur regard est
systématiquement double pour analyser le
contexte allemand et pour expliciter la percep-
tion française (voire européenne) en terminant
par quelques mots sur l’évolution future et par
un choix de références bibliographiques
majeures, souvent françaises et allemandes.
Cependant ces dernières datent dans leur
majorité des années 1990 ou avant et ne tien-
nent pas compte des productions ultérieures.
Les directeurs du dictionnaire ayant signé
chacun plusieurs contributions, celles représen-
terminer par le premier geste de pardon d’un
chancelier allemand dans le contexte de la
réconciliation entre l’Est et l’Ouest dans les
années 1970.
La partie « Division et unité » détaille le
rôle important de Berlin dans la construction
de l’identité allemande. La porte de
Brandebourg, le Reichstag, architectures de
la monarchie prussienne, côtoient le mur et le
palais de la République, vestiges disparus de
la RDA, ainsi que le mark et l’État social,
symboles de l’empire allemand, mais aussi
de la République de Weimar et de la RFA.
Berlin, comme creuset de l’État social, joue
alors un rôle précurseur au sein des Etats alle-
mands et de l’Europe.
Force est de constater que nommer les
mémoires allemandes – lieux, événements,
objets, textes –, inscrire leur évolution dans le
temps, découvrir leur caractère symbolique
sont quelques-uns des miroirs utilisés pour
faire émerger des lieux de mémoire, inscrits
dans la conscience collective allemande et
interprétés à l’aide de l’histoire comparative.
Et c’est là l’intérêt principal de cet ouvrage
collectif qui évite tout nombrilisme. Au
contraire, il sollicite la complémentarité des
interprétations et analyse systématiquement
contenant et contenu.
tatives du triptyque « Kultur », « Zivilisation »
et « Bildung » éclairent le concept de l’ouvrage.
Pour la « Kultur », citant Michel Espagne et son
abstract sur l’histoire de la Galerie de peintures
de Dresde, depuis sa fondation en 1722. Cette
collection a été « progressivement érigée au
rang d’un mythe », et ceci grâce aux récits de
ses visiteurs dont Goethe, les frères Schlegel,
Stendhal ou Dostoïevski. L’écrit forme un
vecteur faisant de la Galerie, sa collection et
son bâtiment, un lieu de mémoire du monde
germanique. Relatif à la « Zivilisation », même
si elle n’est surtout pas que géographique,
Jacques Le Rider s’interroge sur la notion de
« Mitteleuropa », qui, du Saint Empire romain
germanique à aujourd’hui, forme « une carte
mentale » aux contours mouvants. Force est de
constater que la sémantique est alors révé-
latrice et des évolutions politique, religieuse,
économique et culturelle qui se chevauchent et
de la position géopolitique de l’observateur.
Pour la « Bildung » prenant l’analyse
d’Élisabeth Décultot concernant les études alle-
mandes (« Germanistik ») en Allemagne qui
comprennent les études littéraires et
philologiques et y sont « considérées comme
une pièce maîtresse des sciences humaines ».
Car en l’absence d’État-nation jusqu’en 1871,
la langue allemande était l’élément fédérateur
pour créer une identité nationale. Depuis
quelques années, elle tend vers de nouveaux
objectifs, les sciences des médias et de la
culture. En France, les études allemandes, avec
une première chaire en 1901, sont consacrées à
la littérature et la culture allemandes. Après un
premier âge d’or pendant l’entre-deux-guerres,
les germanistes français jouent à nouveau un
rôle très important dans les relations intel-
lectuelles franco-allemandes depuis 1990.
Le Dictionnaire du monde germanique est
unique en son genre en France. Les regards
croisés qu’il propose incitent à prolonger la
lecture et forcent à une découverte plurielle du
monde germanique.
D. S.
Dagmar Soleymani, spécialiste des relations
économiques franco-allemandes au XIXe siècle,
travaille pour la presse sociale et d’entreprise.

Un intellectuel indien cosmopolite
face à l’Inde et au monde
Amartya Sen est probablement, de tous les intellectuels indiens contemporains,
celui qui est le plus connu à l’étranger. Indien cosmopolite, il a gardé un lien profond
avec son pays d’origine. Prix Nobel d’économie en 1998, ce savant est loin d’avoir
limité ses recherches à la discipline économique.
AMARTYA SEN
L’INDE
Histoire, culture et identité
trad. de l’anglais par Christian Cler
Odile Jacob éd., 418 p., 39 euros
IDENTITÉ ET VIOLENCE
trad. de l’anglais par Sylvie Kleiman-Lafon
Odile Jacob éd., 300 p., 23,90 euros
C
ertains de ces ouvrages avaient déjà fait
l’objet de traductions françaises, mais la
parution presque simultanée chez Odile
Jacob des traductions de deux de ses livres
les plus récents, Identité et Violence, et l’Inde
: Histoire, Culture et Identité, est une bonne
occasion, pour le lecteur français,
d’approfondir sa connaissance d’une pensée
féconde et originale.
Dans le premier de ces livres, Sen nous
livre une réflexion de fond sur l’un des pro-
blèmes majeurs de notre planète « mondia-
lisée », le rapport entre identité et violence.
Prenant le contre-pied de la thèse de Samuel
Huntington sur le « choc des civilisations », il
s’attache à déconstruire la notion d’une iden-
tité unique fondée sur la prééminence exclu-
sive d’une affiliation religieuse, favorisée par
le politologue américain, pour mettre l’accent
sur la diversité des appartenances de tout
individu. Mais, outre Huntington, ses cibles
sont également les tenants du communau-
tarisme, les hérauts d’un certain multicultu-
ralisme, ainsi que les altermondialistes.
On suit avec délectation ses brillantes
démonstrations qui mêlent la rigueur
théorique de l’économiste et l’humour d’un
observateur qui se meut avec aisance dans le
monde divers d’aujourd’hui. Bien qu’il fonde
avant tout son propos sur une puissance de
raisonnement elle-même appuyée sur une
érudition souvent prodigieuse, Sen mobilise
aussi son expérience personnelle de Bengali
hindou marqué par les massacres intercom-
munautaires du temps de la Partition de 1947
entre Inde et Pakistan. On est facilement
convaincu, voire conquis, par l’exercice,
mais reste une question lancinante à laquelle
le prix Nobel n’a pas de véritable réponse à
apporter : pourquoi ces identités exclusives
mortifères (musulman, hindou, Hutu, Tutsi,
etc.) peuvent-elles, dans certains moments
cruciaux, s’imposer à des foules d’hommes
comme des évidences et dicter des actions
dont la violence devient facilement barbare,
débouchant sur des formes de génocide ?
Question qui se posait déjà bien entendu à
propos de la Shoah. On en restera à cette
CLAUDE MARKOVITS
interrogation, qui ne diminue en rien la valeur
du livre d’Amartya Sen, dont je recommande
la lecture à nos dirigeants, tant il met en
pièces les pseudo-évidences dont s’inspire
hélas trop souvent le discours politique quand
il évoque la question de l’identité.
Dans le second ouvrage, intitulé en anglais
The Argumentative Indian (l’Indien raison-
neur), bien platement traduit en français par
l’Inde : Histoire, Culture et Identité, Sen
présente sa vision de l’Inde d’aujourd’hui
confrontée aux défis de la globalisation. Son
grand mérite est de replacer la situation
contemporaine dans le cadre d’une histoire
intellectuelle de l’Inde envisagée sur la
longue durée. En effet, pour Sen, ce qui fait
l’originalité de l’Inde, c’est l’existence d’une
tradition millénaire de débat et de contro-
verse, qui ne le cède en rien à celle de
l’Occident, qu’on crédite trop souvent
d’avoir été le lieu unique de la genèse de la
liberté de pensée. Sen s’élève à juste titre
contre cette vision réductrice, fondée sur une
ignorance souvent profonde de l’histoire
intellectuelle des cultures non-occidentales,
AMARTYA SEN
ÉCONOMIE POLITIQUE
et entend démontrer que l’Occident est loin
d’avoir eu un monopole de la libre discussion
des idées. Dans un raccourci saisissant, il
rappelle qu’à l’heure même où Giordano
Bruno était brûlé à Rome comme hérétique
pour ses idées hétérodoxes, l’empereur
Moghol Akbar organisait à sa cour un grand
débat entre les tenants de toutes les religions
de son Empire, musulmans sunnites et
chiites, hindous, jains, chrétiens (des pères
Jésuites portugais), zoroastriens, juifs, et
même tenants de l’athéisme ! Événement qui
fait écho à celui qui s’était déroulé quelques
vingt siècles plus tôt, quand l’Empereur
Maurya Asoka, converti au bouddhisme,
avait organisé un concile bouddhiste au cours
duquel les tenants de différentes écoles de
pensée avaient pu confronter leurs points de
vue en toute liberté.
Face aux tenants d’un nationalisme hindou
agressif (qui furent au pouvoir en Inde entre
1998 et 2004 avec le parti BJP) et d’un fonda-
mentalisme islamique non moins intran-
sigeant, il défend l’idée d’une Inde
historiquement multiculturelle, riche même
de sa diversité et que la réduction au statut de
« nation hindoue » appauvrit et caricature. Il
décèle une lignée d’esprits libres courant
depuis des figures historiques d’empereurs
comme Asoka et Akbar jusqu’au grand poète
bengali Rabindranath Tagore, qui ont
profondément marqué l’Inde de leur
empreinte.
Bien qu’on sympathise avec cette vision
large du passé de l’Inde, on ne peut cacher
qu’elle pose quelques problèmes à un histo-
rien, car Sen, qui n’est pas historien, ne peut
éviter parfois de tomber dans un certain
anachronisme quand, par exemple, il qualifie
de « laïque » la vision d’Akbar. Or tout
indique que la tolérance pratiquée par ce
souverain remarquable à l’égard de ses sujets
non-musulmans, relevait plus d’un calcul
politique astucieux que d’une vision « laï-
ciste » au sens moderne du terme. Bien qu’on
perçoive l’Inde en Occident, depuis la pério-
de romantique, avant tout comme une source
de haute spiritualité, Sen nous rappelle que la
contribution de l’Inde à la civilisation
universelle, ne se réduit pas à des spécula-
tions religieuses, aussi sublimes fussent-elles,
mais s’étend au domaine « laïc » de la
connaissance scientifique. Rappel utile s’il en
est.
Il est difficile de rendre compte d’un
ouvrage aussi foisonnant, qui aborde de
nombreux aspects de l’histoire et de la
culture indiennes. On apprécie particulière-
ment les articles qui tentent de dresser un
SUITE
21
 ÉCONOMIE POLITIQUE
bilan de l’Inde depuis son indépendance dans
le domaine politique, économique et social.
Car ils fournissent un contrepoint utile aux
contributions journalistiques parfois un peu
hâtives sur « l’Inde qui décolle », qui se
multiplient depuis un ou deux ans dans nos
gazettes. Sen, tout en reconnaissant les
progrès économiques réalisés par l’Inde,
J.K. Galbraith
NICK VANSTON
J.K. GALBRAITH
ÉCONOMIE HÉTÉRODOXE
Seuil éd., 1024 p., 35 euros
T
out au long de sa carrière, des années 30
jusque dans les débuts du XXIe siècle,
J .K. Galbraith a multiplié les activités. Ce
grand (2m05) et élégant Canadien, auteur de
plus de 30 ouvrages, a pris part à plusieurs
Commissions gouvernementales américaines,
représenté l’administration Kennedy comme
ambassadeur en Inde, enseigné les sciences
économiques à Harvard et présidé l’American
Economic Society. Sa connaissance ency-
clopédique de l’histoire de la pensée et des
politiques économiques, son intérêt pour les
questions sociales, son expérience pratique de
l’interface entre la théorie économique et son
application au monde réel et, surtout, son style
attrayant ont fait apprécier ses livres bien au-
delà de la sphère des économistes. Il n’a
jamais hésité à mettre en cause la « sagesse
conventionnelle » (l’expression est de lui)
notamment l’idée que toute politique ou insti-
tution favorables aux riches et aux puissants
serait bonne par nature et que toute tentative
pour les changer mènerait au chaos. Les
modèles de marché des économistes néo-clas-
siques établis lui paraissaient trop axés sur la
mathématique, à cent lieues des préoccupa-
tions économiques et sociales du citoyen
moyen. De leur côté, ses collègues
l’accusaient de mal appréhender le fonction-
nement du secteur privé au sein d’une
économie moderne, et de privilégier dans ses
écrits la forme au détriment du fond. La sélec-
tion d’essais présentée ici illustre bien la
diversité de ses centres d’intérêt et les thèmes
qui lui tenaient à cœur.
Le titre de l’ouvrage, Économie hétéro-
doxe, annonce son positionnement. Les écrits
qu’il rassemble datent des années 80 et 90,
sont probablement moins connus, et ont sans
doute eu moins d’influence, que ses livres
précédents – La crise économique de 1929
(1954), L’ère de l’opulence (The affluent
society, 1958) et Le nouvel État industriel
(1967).
Dans L’anatomie du pouvoir, Galbraith
distingue trois types de pouvoir – celui de
dissuader, celui de rétribuer et celui de
persuader – illustrant sa thèse de nombreux
exemples tirés d’époques et de sociétés très
diverses. Chacun de ces pouvoirs est façonné
par les institutions et les personnalités qui
l’exercent. La taxonomie élaborée par
Galbraith s’avère utile et difficile à remettre
en question. Au bout du compte, toutefois, et
mis à part l’intérêt des exemples cités, le
22
SUITE SEN/MARKOVITS
attire bien l’attention sur les immenses pro-
blèmes qui demeurent et qui risquent de faire
obstacle au progrès de l’Inde dans les
prochaines années.
Au total ces deux livres forment un ensem-
ble passionnant qui permet au lecteur
français, souvent mal informé sur l’Inde, de
combler une lacune et de découvrir aussi
lecteur n’est guère plus avancé qu’au départ
et ne tire de sa lecture aucune indication sur
la façon dont les relations de pouvoir pour-
raient évoluer dans l’avenir.
L’Économie en perspective est un
historique impressionnant des idées et poli-
tiques économiques de l’époque romaine à la
fin du XXe siècle. Moins détaillé que la volu-
mineuse Histoire de l’analyse économique de
Schumpeter, et beaucoup plus facile à lire, il
couvre à peu près le même terrain, mais dans
une perspective idéologique radicalement
différente. Il souligne le rôle de la révolution
industrielle dans l’avènement d’une période
continue de croissance économique, met en
avant l’analyse marginale élaborée par
Marshall pour expliquer la formation des
prix, et explique que la révolution keyné-
sienne est à l’origine de la nouvelle discipline
qu’est la macro-économie. Chose étrange,
bien qu’écrit en 1987, il fait à peine mention
du phénomène déjà émergeant de la « globa-
lisation », et en particulier de l’entrée fracas-
sante sur la scène mondiale des industries en
rapide expansion de la Chine et des autres
« Tigres asiatiques ».
La Brève histoire de l’euphorie financière
est un récit réjouissant de l’histoire de la bulle
à travers les âges, des tulipes néerlandaises du
XVIIe siècle au crash de la bourse de Tokyo
en 1990. A chaque nouvel épisode, les
contemporains étaient persuadés que les lois
J. K. GALBRAITH
l’une des pensées fortes de notre temps,
marquée par un humanisme de bon aloi, et un
optimisme raisonné quant à l’avenir commun
de notre humanité.
Claude Markovits, historien de l’Inde, est
l’auteur de la dernière biographie à ce jour sur
Gandhi.
de l’économie et de la finance, et même du
bon sens, avaient radicalement et définitive-
ment changé. La bulle internet et, tout récem-
ment, la débâcle du marché hypothécaire «
subprime » ont confirmé depuis que « plus ça
change, plus c’est pareil ».
Dans La République des satisfaits,
pamphlet socio-économique d’un style
inusité, Galbraith explique que la plupart des
citoyens des États-Unis (et d’ailleurs) sont
dans l’ensemble satisfaits de l’ordre existant,
où les programmes sociaux s’occupent des
malades et des chômeurs, où des individus
incroyablement riches sont convaincus de
mériter leur bonne fortune, où les moins
fortunés n’aspirent qu’à devenir riches eux
aussi et résistent à toute tentative d’augmenter
les impôts pour aider les plus démunis, tout en
soutenant avec enthousiasme toute nouvelle
dépense consacrée à la défense.
Précis d’histoire économique du XXe
siècle, Voyage dans le temps économique
expose tour à tour la catastrophe politique et
humaine que fut la Première Guerre mondia-
le, la folie des réparations de guerre où
l’Allemagne n’a pu honorer ses obligations
financières qu’en sapant l’économie des
nations victorieuses, la désastreuse dépres-
sion aux États-Unis dans les années 30 (et
avant cela au Royaume-Uni), l’extraordinaire
relance de la production industrielle dans ces
deux pays durant les années 40, et les accords
d’après-guerre, où l’on s’est retenu
d’accabler économiquement les puissances
de l’Axe, ouvrant la voie dans la plupart des
pays du monde à la période de croissance la
plus rapide et la plus longue de l’histoire
documentée - et ce, grâce, au moins en partie,
aux bons conseils d’économistes comme
Galbraith.
Enfin, Pour une société meilleure est un
manifeste personnel sur la façon dont on
pourrait et on devrait changer les politiques
économiques et sociales pour faire naître une
société libérée de la pauvreté, des inégalités
criantes et des crises économiques. Il
s’appuie sur la conviction que la politique
budgétaire et les programmes sociaux
peuvent stabiliser la demande et promouvoir
la croissance, les politiques monétaires ne
jouant à cet égard qu’un rôle secondaire.
Mais la plupart des pays européens s’y sont
essayés, et beaucoup s’en sont mordu les
doigts, se trouvant confrontés à une crois-
sance faible, une inflation galopante et à de
graves crises des paiements, et accumulant
des déficits budgétaires insoutenables. Ces
politiques inspirées par la pensée de Keynes,
mais appliquées naïvement, ont dû être aban-
données, non pour des raisons idéologiques
mais parce qu’elles ne fonctionnaient pas.
Galbraith semble ne pas l’avoir remarqué.
(trad. de l’anglais par Sylvie Vanston)
Économiste anglais, Nick Vanston a enseigné à
l’Université d’Oxford et exercé des focntions de
responsabilité au sein du Département
économique de l’OCDE à Paris.
 CINÉMA

Vivement l’automne Que reste-t-il

de nos amours ?
La rentrée est donc bien là, après cette anti-canicule qui a permis aux ELI LOTAR
Parisiens, loin de « ces pays imbéciles où jamais il ne pleut » qu’agonisait Brassens, UNE PARTIE DE CAMPAGNE
PHOTOGRAPHIES DU TOURNAGE
de compléter leurs manques en assaillant les salles de cinéma, les musées et les cabi- sous la dir. de Guy Cavagnac
L’Œil éd., 128 p., 30 euros
nets de lecture. Excepté les rétrospectives que nous annoncions en juillet dernier
(Mizoguchi, Oshima), la récolte fut maigre : les programmes d’été et leurs films sacri- « Je connais peu de films qui imposent
fiés recèlent d’habitude quelques pépites à destination des orpailleurs patients. Mais avec une évidence aussi déchirante ce sens de la
peu de trouvailles cette année, sinon, secteur français, En souvenir de nous, de Michel beauté de l’univers, de tout ce qui s’ébroue et
frémit à son contact, beauté grossière en
Leviant, variation subtile et fragile autour de la disparition (les mêmes actrices, moins apparence, en réalité subtilement décantée, et
une, filmées à douze ans d’écart), qui a de quoi ravir les admirateurs de feue Helène provoquant chez le spectateur une émotion
exquise : la beauté même de la source vitale
Lapiower – mais sont-ils suffisamment nombreux ? captée dans son plus intime surgissement. »

C’
LUCIEN LOGETTE
est Claude Beylie qui signe ce dithyram-

C
ette programmation molle n’a fait
qu’accentuer le sentiment de perte irrémédi-
able créé par la disparition simultanée de
Bergman et d’Antonioni. Même si, pour l’un et
l’autre, l’essentiel de leur œuvre appartient à
l’avant-1980, leurs ombres portées couvrent
encore une bonne part du cinéma moderne.
L’Avventura, inoubliable coup de cymbale qui
ouvre les années 60, vient d’être réédité en
DVD. Un coffret présentant dix-huit films de
Bergman, de Tourments (1944) à De la vie des
marionnettes (1980) sortira dans quelques jours.
On trouvera là de quoi vitupérer l’époque –
nous avons vu trop de chefs-d’œuvre en leur
temps pour avaler aujourd’hui n’importe quoi
sans broncher.
Ainsi en est-il de quelques récentes produc-
tions nationales. Est-ce le ciel morose, capable
de faire tout accepter, qui a rendu si indulgent
l’accueil critique offert, début août, au dernier
Chabrol ? Ou simplement parce que sa produc-
tion biennale fait désormais partie du paysage
culturel, aussi inévitable que le beaujolais
nouveau, et qu’on la salue sans trop y penser ?
On n’aurait d’ailleurs pas grand-chose à
reprocher à cette Fille coupée en deux, si elle
était venue il y a vingt ans, avant Betty ou La
Cérémonie ; en l’état, c’est du cinéma de
confection made in France, avec des person-
nages caractérisés à la truelle, des dialogues
habiles, des situations émoustillantes, des
acteurs bulldozers, qu’on oubliera sans peine
avant de le retrouver en début de soirée à la
télévision.
Le battage déclenché autour des Amours
d’Astrée et de Céladon, d’Éric Rohmer (encore
un intouchable), n’est guère plus étonnant. Nous
ne nous doutions pas que la profession compre-
nait autant de dix-septièmistes, connaissant leur
Honoré d’Urfé sur le bout des doigts – après
tout, pourquoi pas ? Dans ce chef-d’œuvre salué
par tant de buccins (restons dans la pastorale),
nous n’avons vu, plutôt qu’une vertigineuse
succession de « jeu de miroirs et d’illusions » à
« la grande beauté merveilleuse et cocasse »,
qu’une insupportable enfilade de saynètes
figées, ânonnées par des acteurs méritants, un
film à peu près contemporain de l’écriture de son
modèle. Comme l’admet gentiment le conserva-
teur de la BnF interrogé par Le Monde,
l’adaptation est d’« une fidélité archéologique ».
On ne saurait mieux dire. Par ailleurs, quelques
signatures que l’on respecte (1) ont trouvé là
matière à développements. Laissons aux specta-
teurs la découverte de l’objet, effectivement peu
habituel pour qui n’a pas suivi les travaux sur le
baroque, écrits et filmés, d’Eugène Green. Et
redoutons la sortie proche d’Un baiser, s’il vous
plaît, d’Emmanuel Mouret, dernier en date des
clones exsangues de Rohmer.
La sortie, en parallèle, de 4 mois, 3 semaines
et 2 jours, heureusement sortie de ses tribula-
tions ministérielles (cf. Q. L. 950) – les lycéens
y auront accès, merci pour eux –, peut servir
d’antidote, en forme de gifle du réel, à cette
plongée dans le monde enchanté des bergères.
Depuis sa Palme d’or cannoise, le film de
Cristian Mungiu n’a rien perdu de sa puissance
ni de son intolérable actualité. Si certaines
scènes sont peu soutenables, c’est parce que le
réalisateur ne file pas les métaphores et dit ce
qu’il a à dire – que le monde n’est pas le palais
de dame Tartine, que les rapports amoureux ne
sont pas des œufs de mouche pesés dans des
balances en toiles d’araignée, et qu’un avorte-
ment sauvage est un spectacle à vomir. On
aimerait que le cinéma hexagonal se trempe
ainsi de temps en temps les mains dans le
cambouis, histoire de nous redonner des raisons
d’y croire. Peut-être La Graine et le Mulet,
d’Abdellatif Kechiche, salué au Festival de
Venise, nous offrira-t-il une bouffée d’air moins
raréfié. Affaire à suivre.
Par bonheur, l’actualité patrimoniale des
semaines à venir nous ramène sur des rives plus
excitantes à arpenter. Ainsi, l’Institut Lumière
de Lyon vient d’entamer un substantiel cycle
John Ford, en plusieurs mois et plusieurs
dizaines de titres, presque tous admirables, pour
accompagner la sortie de la traduction française
de l’énorme biographie du vieux maître due à
Joseph McBride. De son côté, la Cinémathèque
française annonce un programme d’automne
fort fréquentable – de vieux pots, certes, mais
quelle soupe ! Avant que l’année ne s’achève
avec les débuts de la rétrospective Howard
Hawks (la première depuis 1965), nous auront
été proposés un panorama du cinéma de
Shangai des années 30 et 40, un hommage à
l’animation française de la première moitié du
siècle dernier, une exposition et une intégrale
Sacha Guitry, une rétrospective Gus Van Sant
et, enfin !, l’intégrale Humphrey Jennings, ce
« génial réalisateur anglais » (Serge Toubiana
scripsit – nous n’en attendions pas tant d’un
ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma,
revue selon laquelle le cinéma n’aurait jamais
traversé la Manche), que nous espérions si
ardemment... Toutes choses dignes de nous
réconcilier avec l’écran et sur lesquelles nous
reviendrons à mesure.
1. Voir le dossier du dernier numéro de
Positif (559, septembre 2007).
be, en 1962, dans la présentation d’Une
partie de campagne dans L’Avant-Scène du
cinéma. Si nous l’avons choisi, parmi la ving-
taine d’extraits tout aussi élogieux reproduits
dans l’ouvrage, c’est parce qu’il cerne en
quelques lignes ce qui fait le caractère quasi
unique du film de Renoir. Celui-ci a été plus
ambitieux, plus brillant, plus accompli ; jamais
il n’a reproduit le miracle, cette capture d’ins-
tants suspendus, comme il n’en existe que peu
d’exemples dans tout ce qui a été tourné depuis
1895. Combien d’épiphanies dans les 41
minutes d’un des plus courts chefs-d’œuvre de
l’histoire, avec Nuit et Brouillard et La Jetée ?
Chacun les garde au plus profond, après
cinquante visions : le sourire de Sylvia Bataille
sur la balançoire, la danse de Brunius dans le
pré, le rire chatouillé de Jane Marken, la pluie
sur la rivière avec la musique de Kosma – la
larme qui coule le long de la joue de Sylvia et
son regard éperdu lorsqu’elle accepte le baiser
de Darnoux, sans doute un des plus beaux gros
plans du monde...
On croyait tout connaître d’un des films de
Renoir les plus explorés : les témoignages sur le
tournage ont été recueillis, les plans de travail
examinés, les différentes versions du scénario
scrutées à la loupe (qui a écrit quoi ?) et parfois
éditées (la version longue demandée à Jacques
Prévert pour donner au film un métrage
commercialisable). On savait à la fois la
légende et le réel – une météo de juillet 36
digne de nos étés modernes, l’équipe restant
bloquée en attendant le soleil, un tournage à
éclipses quasi improvisé, la trahison du maître
d’œuvre abandonnant le film pour aller tourner
Les Bas-Fonds, l’impossibilité de monter le
matériel inachevé, le mythe du chef-d’œuvre
malade. En vrai, Une partie de campagne était
prévu dès l’origine comme un moyen métrage,
le tournage a été, quand le ciel le permettait,
parfaitement maîtrisé et pas du tout improvisé
par Renoir (comme les quatre heures et demie
de précieuses chutes du film, projetées jadis à la
Cinémathèque, certaines utilisées depuis
comme bonus dans le coffret DVD (1) nous
l’ont montré).
Tout était balisé, à défaut d’être accessible
– si le scénario de Prévert est connu, les trois
versions de Brunius indiquées par Guy
Cavagnac demeurent inédites, tout comme les
ajouts dûs à Jacques Becker et Brunius que
nous avions donnés à Claude Beylie il y a 25
ans – et on pouvait penser que les sources
étaient taries. Et voilà que surgissent cent
photographies du tournage, signées Eli Lotar,
SUITE P. 31

23
 THÉÂTRE
Le solitaire intempestif
En juillet s’est ouvert le troisième acte de l’« Année (...) Lagarce », organisée
par la compagnie les Intempestifs et François Berreur pour le cinquantième anniver-
saire de la naissance de Jean-Luc Lagarce mort en 1995. Cette série de manifestations,
sous la direction de Jacques Peigné, célèbre un homme de théâtre méconnu de son
vivant en tant qu’auteur, par comparaison avec la place de premier plan occupée par
son œuvre en ce début de XXIe siècle.
« J
ean-Luc Lagarce aurait eu 50 ans » :
sous ce titre France Culture a consacré
une de ses rencontres magiques du Musée
Calvet, pendant le Festival d’Avignon, à
l’auteur de Juste la fin du monde. Précédé
d’extraits du Journal par Laurent Poitrenaux, le
texte était lu, sous la direction de François
Berreur, par Danièle Lebrun, Elizabeth Mazev,
Clotilde Mollet, Bruno Wolkowitch. Malgré
l’absence d’Hervé Pierre, retenu à la Comédie-
Française par ses rôles d’Amalric dans Partage
de midi et d’Oronte dans Le Misanthrope,
c’était une très belle préfiguration de la mise en
scène programmée en octobre prochain à la MC
2 de Grenoble avant une tournée de plusieurs
mois. Ainsi la pièce achevée à Berlin en 1990,
refusée même par Théâtre ouvert, le plus fidèle
soutien depuis les débuts, au point de détourner
deux ans Jean-Luc Lagarce de l’écriture drama-
tique, créée seulement par Joël Jouanneau en
1999 à Vidy-Lausanne, bénéficie cette saison
d’un traitement privilégié. Reçue à l’unanimité
par le comité de lecture à la Comédie-
Française, elle sera montée salle Richelieu par
Michel Raskine.
Cette entrée au répertoire se double d’une
autre reconnaissance institutionnelle, celle de
l’Université. L’« Année (...) Lagarce » est ryth-
mée par quatre colloques avec publication des
actes par « les Solitaires intempestifs », la
maison d’édition fondée par Jean-Luc Lagarce
et dirigée par François Berreur. Le premier
volume Problématiques d’une œuvre est déjà
paru, qui rend compte de l’ouverture à
Strasbourg. Vont suivre Regards lointains après
le colloque de Paris-Sorbonne consacré, sous la
direction de Denis Guénoun, à la dernière
pièce, Le Pays lointain, puis Traduire Lagarce
et Jean-Luc Lagarce dans le mouvement
dramatique, actes des colloques prévus à
Besançon et au Théâtre de la Colline par
Paris III, sous la direction de Jean-Pierre
Sarrazac (1). L’œuvre de l’écrivain français
contemporain la plus représentée dans les théâ-
tres publics les premières années du siècle justi-
fie pleinement l’ampleur de ces travaux. Elle
acquiert ainsi un statut littéraire refusé du
vivant de son auteur et bénéficie de l’approche
critique complexe permise par les conditions de
la recherche. Mais elle risque parfois d’être
privée de sa singularité par des problématiques
artificiellement plaquées et instrumentalisée
par les besoins de l’actuelle production univer-
sitaire.
Le jeune écrivain méconnu n’en plaisantait
pas moins dans sa correspondance sur « les
futurs chercheurs de l’Université de l’Idaho »
aux prises avec son œuvre. Mais pouvait-il
imaginer un titre tel que Lire un classique du
XXe siècle : Jean-Luc Lagarce ? (2) Cette publi-
cation, destinée aux enseignants du secondaire,
s’explique par l’inscription au programme du
baccalauréat option théâtre de Nous, les héros
et Juste la fin du monde. Une fois surmonté le
24
MONIQUE LE ROUX
passage obligé par une préface convenue et les
exercices imposés, bref par les lois du genre,
elle réserve plutôt de bonnes surprises. Elle ne
se limite pas aux titres étudiés, mais permet
d’inscrire deux des dernières pièces dans un
parcours, ce qui a le plus manqué à la réception
d’une œuvre en évolution. Elle propose de
longs extraits significatifs de l’élaboration
progressive d’une écriture, des portraits, des
articles de presse. A retenir dans le compte-
rendu de L’Humanité (12 février 2001) sur Le
Pays lointain, mis en scène par François
Rancillac, cette phrase de Jean-Pierre
Léonardini : « J’avoue, à ma grande honte,
n’avoir vraiment découvert Lagarce poète
dramatique qu’à titre posthume », aveu parta-
geable par l’ensemble de la critique, à quelques
exceptions près : Raymonde Temkine ou
Dominique Nores.
A tort Jean-Pierre Thibaudat, responsable de
la rubrique « théâtre » à Libération à partir de
1978, semblerait s’exempter de cet aveugle-
ment par son ton volontiers condescendant
envers la confrérie et son adresse familière à
son « héros » dans Le Roman de Jean-Luc
Lagarce (3). Mais il fait état de l’intérêt mani-
festé auprès de François Berreur pour les textes
inédits dès la mort de Jean-Luc Lagarce, preu-
ve d’une clairvoyance certaine. Conscient de la
gageure de toute biographie, plus encore d’une
biographie écrite après une mort prématurée, du
vivant de presque tous les témoins, il a choisi
d’écrire le roman d’une vie : « le premier qui
prétendra démêler le faux du vrai, la vie vécue
et la vie imaginaire, l’ici d’avec l’ailleurs dans
l’écriture et la vie de Jean-Luc aura tout faux ».
Il n’en propose pas moins un travail très docu-
menté à partir de rencontres et d’archives, à
l’exception des vingt-trois carnets du Journal
(1977-1995), à paraître en décembre : les
années de formation dans une famille ouvrière
protestante du Doubs, les études de philoso-
phie et d’art dramatique à Besançon, la fonda-
tion du Théâtre de la Roulotte devenu profes-
sionnel grâce à Jacques Fornier et Guislaine
Lenoir, le rôle toujours décisif de Lucien et
Micheline Attoun dans les étapes parisiennes, la
reconnaissance progressive d’un jeune artiste
indissociable de sa famille d’élection : Mireille
Herbstmeyer, François Berreur, la séropositivi-
té et les années de maladie, le succés grandis-
sant du metteur en scène de répertoire, la mort
le 30 septembre 1995, quinze jours après la fin
d’un autre roman destiné au théâtre : Le Pays
lointain.
Dans sa communication au colloque de
Strasbourg, Jean-Pierre Han rappelle la briève-
té de ce parcours théâtral, relativise la notion de
« rendez-vous raté » avec la profession,
l’explique par le contraste avec « l’engouement
» actuel. Malgré la publication du Théâtre
complet en quatre volumes, celui-ci semble
provenir surtout de trois pièces : Juste la fin du
monde, J’étais dans ma maison et j’attendais
que la pluie vienne, Le Pays lointain. Créées
toutes trois après la disparition de leur auteur,
dans une décennie encore marquée par les rava-
ges du sida, elles ont été reçues – à tort ou à
raison – dans une perspective autobiogra-
phique, malgré l’absence de référence explicite
à la maladie, la présence obsédante de la mort
bien antérieure. Et cette empathie a manifeste-
ment favorisé l’écoute d’une écriture qui
s’affirmait dans toute sa singularité et la décou-
verte rétrospective d’un langage nouveau qui se
manifestait dès les premiers textes. Ainsi, à reli-
re aujourd’hui par exemple Les Orphelins
(1984), se révèlent à la fois des prémices
naguère méconnues et subsiste en mineur
l’impression alors dominante de l’influence
durassienne : imitation d’un style qui parfois se
pastichait lui-même, reconstitution d’une «
histoire avec beaucoup d’argent », jeunes diplo-
mates, domestiques, ventilateur, chaleur étouf-
fante d’ancienne colonie, très éloignée de la
thématique personnelle du transfuge de classe.
Par la richesse et la diversité de sa program-
mation, cette « Année (...) Lagarce » contribue
à un élargissement au-delà du triptyque à réso-
nance autobiographique. Ainsi, après Le pays
lointain à l’automne dernier, Rodolphe Dana
met en scène Derniers remords avant l’oubli.
François Berreur va accompagner la création de
son spectacle à Grenoble de deux reprises : Les
Règles du savoir-vivre dans la société moderne
et Le Voyage à La Haye. François Rancillac
monte Retour à la citadelle, pièce jouée début
2007 par Jean-Charles Mouveaux au Théâtre du
Marais qui présentait aussi les derniers récits.
Josane Rousseau a même pris le beau risque de
revenir à un montage de textes en apparence
indissociable de la participation de son auteur :
Les Solitaires intempestifs, tandis que François
Berreur reconstituait un grand succès de mise
en scène de la compagnie : La Cantatrice chau-
ve d’Eugène Ionesco. Il revenait à Théâtre
ouvert de présenter l’émouvante « ébauche
d’un portrait », Une Vie de théâtre, collage et
mise en espace de François Berreur d’après le
Journal. Mais une mention spéciale doit être
réservée à la Scène nationale de Belfort, le
Granit, qui accueille plusieurs de ces specta-
cles. Son directeur Henri Taquet avait suscité
pour les plaquettes de saison de très beaux
textes de Jean-Luc Lagarce, dont il restait un
indéfectible soutien. Il a continué de confier ces
éditoriaux à des metteurs en scène ou des philo-
sophes, ce qui lui vaut aujourd’hui les remon-
trances politiques d’une ministre de la culture
bien mal inspirée.
1. Problématiques d’une œuvre, colloque de
Strasbourg, Les Solitaires intempestifs, 2007.
2. Lire un classique du XXe siècle : Jean-Luc
Lagarce, CRDP Franche-Comté/Les solitaires
intempestifs, 2007.
3. Jean-Pierre Thibaudat, Le roman de Jean-Luc
Lagarce, Les Solitaires intempestifs, 2007.

PETITS FORMATS
ROBERT
McLIAM WILSON,
DONOVAN WYLIE
LES DÉPOSSÉDÉS
trad. et postface de Brice
Matthieussent
Préface inédite
de Robert McLiam Wilson
trad. par Brice Matthieussent
Points-Seuil, 339 p., 7 euros
Depuis qu’on est rentré dans l’ère
du libéralisme triomphant, ce ne sont
pas les livres sur les « pauvres » qui ont
manqué. « L’indignation vertueuse »,
pour reprendre les termes de l’auteur,
se porte on ne peut mieux, et le regis-
tre « compassionnel » puisqu’il semble
que désormais on s’exprime ainsi, est
aussi politiquement correct que le souci
« environnemental ». C’est dire si on
avait quelque crainte en abordant ce
qui est ici présenté, horribile dictu,
comme un « documentaire littéraire.
Or, merveille, McLiam Wilson,
Irlandais de Belfast, auteur de romans
secouants, Ripley Bogle, Eureka Street,
La Douleur de Manfred (tous aux
éditions C. Bourgois), ne recherche ni
MARX
LE DIX-HUIT BRUMAIRE DE
LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE
trad., prés., notes, chronologie,
bibliographie et index
par Grégoire Chamayou
GF Flammarion, 218 p., 6,80 euros
En 1852, à Londres, Marx écrit
pour un journal new-yorkais une
analyse positivement survoltante de
ce qui s’est passé quasiment la veille,
en France, c’est à dire le coup d’état
du 2 décembre 1851. Or, il s’agit là
d’un épisode capital, puisqu’on passe
alors d’une Révolution au triomphe
de la « réaction », d’une république
au retour de l’empire même si, quand
Marx écrit, l’Empire n’est pas encore
proclamé, il est évident que c’est
inéluctable. Ce que Marx analyse
avec une intelligence remarquable-
ment éclairante et une drôlerie formi-
dable, c’est « comment la lutte des
classes en France créa des circons-
tances et des conditions qui rendirent
possible le fait qu’un personnage
médiocre et grotesque joue le rôle de
héros », comment l’Histoire put
sembler se rembobiner, effacer les
avancées révolutionnaires, pour
régresser et miner pathétiquement ce
qui s’était déjà produit avec le général
Bonaparte, devenant consul, puis
Empereur. Ce qu’il met cruellement
en lumière, c’est comment la révolu-
tion « bourgeoise » de février 48, qui
succède à la monarchie bourgeoise,
est mise en péril par l’insurrection de
juin, où le prolétariat parisien se
soulève pour la république sociale,
comment toutes les armes que la
bourgeoisie s’est forgées contre le
EVELYNE PIEILLER
l’exotisme, ni le larmoiement, ni le
matériau dramatique, c’est sans doute
de Patrick Declerck qu’il est le plus
proche, ce psychiatre-psychanalyste
qui, avec Les Naufragés, à la fois
donnait la parole aux malheureux, une
parole folle et trouée, et rendait compte
de ses propres sentiments, impuissan-
ce, rage, effroi. McLiam Wilson, au
début des années quatre-vingt dix, sous
le règne haineux de Madame Thatcher,
rencontre des gens coincés par les
transformations économiques et insti-
tutionnelles du pays, et ne sait pas trop
quoi faire, sinon raconter leurs condi-
tions de vie, démolir les idées reçues,
et, d’une certaine façon, se taire devant
« un sujet beaucoup trop vaste »,
des « existences beaucoup trop com-
plexes ». Il démonte le système qui
piège et « dépossède » des pauvres
pour en faire des misérables, il salue
leur dignité, leur incroyable force, il se
refuse à tous les aimer, jolie petite
sentimentalité bourgeoise, il rappelle
de façon impitoyable que ce sont là des
êtres humains, non réductibles à la
seule catégorisation sociologique, et
c’est dénué de pathos, et c’est
poignant, et c’est, très exactement,
insupportable: c’est d’ailleurs là la
question qui obsède l’auteur, et qui
obsèdera le lecteur -comment pouvons
nous le supporter ?
féodalisme se retournent contre elle et
sont alors considérées comme autant
de dangers « socialistes », jusques et
y compris le parlementarisme : c’est
ainsi non seulement le prolétariat
révolutionnaire qui devra être mis à
l’écart (il y aura trois mille morts en
juin 48, et quinze mille déportés sans
jugement), mais même les petits-
bourgeois démocrates devront être
réduits au silence, pour que puisse
prospérer la « sécurité publique »,
celle de la « propriété de la famille, de
la religion, de l’ordre ». L’homme
providentiel peut alors jouer le peuple
contre la bourgeoisie, en s’appuyant
sur le « lumpen » et la paysannerie.
Cet ouvrage, riche de surcroît des
précisions et mises en perspective très
stimulantes de Grégoire Chamayou,
est un pur plaisir, et un merveilleux
instrument de compréhension, muta-
tis mutandis, de nos temps maréca-
geux
ÉRIC HOBSBAWN
FRANC-TIREUR
Autobiographie
trad. de l’anglais par Dominique
Peters et Yves Coleman
Hachette Littératures (Pluriel),
515 p., 10,80 euros
A quatre-vingt cinq ans, l’historien
Eric Hobsbawn, auteur notamment de
L’Age des extrêmes: le court XXe siècle
(Complexe éd.), entreprend d’écrire
ce qui n’est ni une confession, ni une
plaidoirie, mais « une introduction au
siècle le plus extraordinaire de
l’histoire du monde à travers
l’itinéraire d’un être humain dont la
LA QUINZAINE LITTÉRAIRE
vie n’aurait pu se dérouler ainsi dans
aucun autre siècle. Hosbawn nait en
1917 en Égypte, d’un père anglais et
d’une mère autrichienne, il grandit à
Vienne, « société multinationale mais
non multiculturelle », et orphelin très
jeune est accueilli par des proches à
Berlin, où il est lycéen dans les années
trente. C’est là qu’il se choisit
« communiste »... pour la vie, et c’est
ce qui fait la singularité de cette auto-
biographie, car toute son existence
sera mue, et émue, par ce choix-là, et
ses amitiés, ses activités, ses travaux,
ses voyages, sa carrière, lui seront liés.
C’est ainsi qu’il invite, pour
l’essentiel, à accompagner l’itinéraire
d’un communiste de moins en moins
orthodoxe, ses débats, ses questions,
le pacte de non-agression, la « scien-
ce » stalinienne, ses déchirements
– en 1956 – c’est là l’histoire d’un
homme, mais aussi celle des marxistes
britanniques, des réflexions sur
l’évolution du Labour et des syndi-
cats, c’est là une traversée des tragé-
dies du siècle, et de ses espérances, et
si parfois on regrette que trop de noms
célèbres soient cités sans grande
nécessité, si parfois on aimerait
davantage de développements, sur les
conséquences de la proclamation de la
déstalinisation, sur les gauchismes...
on est néanmoins fortement intéressé
par l’évocation des grands enjeux,
joutes et conflits, chez les historiens et
philosophes marxistes, on est frappé
par toutes sortes de détails, de la créa-
tion du carnaval de Notting Hill aux
précisions sur le fameux Club des
apôtres de Cambridge, des travaux des
revues d’histoire en Grande-Bretagne
au climat idéologique pendant la guer-
re froide, on est sensible à la dignité
d’un intellectuel qui se refuse à effacer
le souvenir de la révolution d’octobre.
Juste un petit détail, pour que la lectu-
re demeure fluide, il serait bon de
rappeler que « l’intelligence » désigne
les services secrets, ce qui éviterait au
lecteur d’avoir à rectifier de lui-
même...
ROBERT GARNIER
LES JUIVES
Éd. présentée, établlie et annotée par
Michel Jeanneret
Gallimard (Folio-Théâtre)
194 p., 6,60 euros
C’est là une splendeur. En 1583,
Robert Garnier a trente-huit ans, il lui
reste sept ans à vivre. Il est magistrat,
catholique en un temps, celui des
guerres de religion, où la justice
terrestre et céleste semble bien silen-
cieuse. Il a déjà écrit six tragédies qui
lui ont valu l’estime des lettrés. Le
théâtre alors se lit davantage qu’il ne
se joue, et Les juives ne seront,
jusqu’à aujourd’hui inclus, que fort
peu représentées à la notable excep-
tion de la mise en scène, en 2001,
d’E. Génovese. Pourtant, cette pièce
« désolée », toute en larmes et cen-
dres, fait entendre un chant magni-
fique, tout d’ardeur et de transe.
Imprégnée du récit biblique et de la
tragédie selon Sénèque, elle déploie,
en cinq actes où seul le récit fait
action, la douleur du peuple juif en
exil, et la vengeance du roi qui l’a
vaincu, le choeur scande sa déplora-
tion, et elle devient incantation, à
l’alexandrin succèdent l’octosyllabe
ou le vers de quatre pieds, tout
s’entretisse, se fait écho, aucun
suspense, mais la tension du chant,
inoubliable « Pleurons doncques,
pleurons sur ces moiteuses rives, Puis
que nous n’avons plus que nos larmes,
captives : Ne cessons de pleurer, ne
cessons, ne cessons (...) Pleurons
Jérusalem, Jérusalem détruite,
Jérusalem en flammes... » L’édition de
Michel Jeanneret est impeccablement
éclairante qui dissipe les ombres de
l’ignorance, et permet d’accompagner
Garnier et d’« en trembler dans le
cœur ».
VICTOR PASKOV
BALLADE
POUR GEORG HENIG
trad. du bulgare par Marie Vrinat
L’Aube (Regards croisés)
286 p., 16,80 euros
Dans ce qui se présente comme un
récit autobiographique, Victor Paskov
évoque son enfance à la fin des années
cinquante à Sofia, entre un père musi-
cien et une mère obsédée par son
déclassement social, une enfance sans
joie qui va être bouleversée, grandie,
embellie par la rencontre avec un
vieux luthier tchèque, maitre en son
art, simple comme un innocent, igno-
rant tout du monde, sinon la tendresse
et la musique. C’est un récit limpide et
retournant, ouvert aux ombres et aux
miracles ordinaires, une petite histoire
modeste et vaste, qui ne confond
jamais enfance et enfantillage, gran-
deur et grandiloquence, pour, mine de
rien, célébrer, malgré tout, ce qui nous
empêche de renoncer totalement à ce
qui nous a permis d’inventer l’inutile
beauté.
JORN RIEL
LES BALLADES DE HALDUR
ET AUTRES RACONTARS
trad. du danois par Susanne Juul
et Bernard Saint Bonnet
10/18, 182 p., 6,40 euros
Au Groenland, contrairement à ce
qu’on pourrait croire, la vie est trépi-
dante. Il faut dire que les hommes qui
y séjournent, non seulement connais-
sent des aventures épatantes qui leur
permettent de rencontrer le corbeau
qui sera un ami pour la vie, ou d’avoir
des hallucinations très fréquentables,
mais surtout savent raconter leurs
histoires avec une vitalité proprement
roborative. C’est gai, c’est gaillard,
une réjouissance tout gracieuse pour
les amoureux de héros simples et de
hérauts fastueux.
25
 BIBLIOGRAPHIE
ÉCRIVAINS
DE LANGUE FRANÇAISE
Pierre Albert-Birot
Grabinoulor
Les six Livres
Jean-Michel Place,
1004 p., 35 e
Commencée en 1918, cette
oeuvre maîtresse de Pierre
Albert-Birot (une épopée en
prose écrite sans ponctua-
tion dont le héros parcourt
le temps et l’espace) dont
les deux premiers cahiers
furent publiés en 1933 par
Denoël (après avoir été
refusés par de nombreux
éditeurs) ne fut achevée que
quarante ans plus tard et
éditée en un seul volume,
en 1992, par Jean-Michel
Place.
Vassilis Alexakis
Ap. J.-C.
Stock, 398 p., 20,99 e
Une enquête sur les moines
du Mont Athos qui ramène
mille ans en arrière quand
le christianisme succède à
l’Antiquité.
Pierre Assouline
Le portrait
Gallimard, 320 p., 18,90 e
Si le portrait de la baronne
Betty de Rothschild peint
par Ingres en 1848 pouvait
parler, il raconterait tout ce
qu’il a vu pendant un siècle
et demi.
Sophie Avon
Ce que dit Lili
Arléa, 160 p., 15 e
Une jeune enfant vit l’exil
de sa famille pied- noire en
Gironde.
Jacques A. Bertrand
J’aime pas les autres
Julliard, 126 p., 15 e
Roman de formation et récit
autobiographique d’un
poète qui aime les femmes.
Marie Billetdoux
C’est fou, une fille...
Albin Michel, 130 p., 12 e
Variations sur l’amour.
Belinda Cannone
La bêtise s’améliore
Stock, 220 p., 18,50 e
Trois personnages
dialoguent autour de grands
thèmes : l’amour, la poli-
tique, l’économie, l’art, la
morale...
Philippe Claudel
Le rapport de Brodeck
Stock, 420 p., 21,50 e
Brodeck qui écrit des
notices pour son administra-
tion, reçoit la consigne de
s’en tenir à ce qu’il a vu et à
dire la vérité, « même si elle
n’est pas bonne à enten-
dre ». Pourtant il fait le
contraire, cherchant ce qui
n’existe pas ou n’existe
plus.
Jean Clavreul
Cherche mère désespéré-
ment
Rocher, 416 p., 19,50 e
L’auteur poursuit à travers
26
de nombreuses femmes
l’image « idéale et toujours
fuyante » de sa mère.
Catherine Clément
La princesse mendiante
Panama, 320 p., 18 e
Dans l’Inde du XVIe siècle,
l’épopée d’une fille de
l’aristocratie qui se rebella
contre sa condition et devint
une figure de légende.
Maurice G. Dantec
Artefact
Machine à écrire 1.0
Albin Michel, 576 p., 23 e
Trois fictions qui n’en font
qu’une dans les hurluments
des catastrophes et
l’irruption du Diable.
Chloé Delaume
La nuit je suis Buffy
Summers
èRe, 128p., 13 e
Quel rapport entre Buffy
Summers Aka la Tueuse,
héroine d’une série
télévisée et la décapitation
de l’infimière en chef d’un
service d’un hôpital
psychiatrique ?
Chloé Delaume
Transhumances
èRe, 128p., 13 e
Une pièce de théâtre à
quatre personnages.
Ananda Devi
Indian Tango
Gallimard, 210 p., 15,90 e
Un chassé-croisé amoureux
dans l’Inde en campagne
électorale (2004). Par
Ananda Devi, Mauricienne,
auteur de plusieurs romans.
Jacques Durand
Rafael le Chauve
Verdier, 96 p., 10 e
L’Andalousie au début du
XXe siècle et le portrait
d’un torero.
Nicole Fabre
Il est mort celui que j’aime
L’Esprit du temps,
80 p., 7,50 e
Ces textes écrits au fil des
jours ont précédé et suivi le
mort de son compagnon.
Colette Fellous
Plein été
Gallimard, 166 p., 16,90 e
De Carthage à la Toscane
revient à l’auteur « une
mémoire qui ne cherche pas
à réveiller le passé mais à
magnétiser le présent ».
Libar M. Fofana
Le cri des feuilles qui
meurent
Continents noirs
Gallimard, 210 p., 15,90 e
Ce troisième roman se
déroule en Guinée fin 1970,
au coeur « d’une humanité
souffrante ».
Hélène Frappat
L’agent de liaison
Allia, 144 p., 9 e
Née en 1960, Hélène
Frappat publie ce second
roman en forme de courts
récits.
Norbert Gualde
Hitler et Wittgenstein
L’Esprit du temps,
160 p., 18 e
Hitler et Wittgenstein ont
été camarades de classe à
l’école en 1904 et ne se sont
plus rencontrés. L’auteur
imagine pourtant une
rencontre en juillet 1942
dans le nid d’aigle d’Hitler.
Denis Guedj
Villa des hommes
Robert Laffont, 320 p.
Sur le thème de la folie, une
fiction de l’auteur de Le
Thème du perroquet, Les
Cheveux de Bérénice...
Christian Guillet
Pièces à conviction
L’Age d’Homme,
276 p., 20 e
Né en 1934, Christian
Guillet a publié en trois
volumes son autobiographie
écrite sur plus de quarante
ans et tenue pour une
oeuvre singulière par
Jouhandeau. Ceci est une
anthologie des meilleures
pages.
Yannick Haenel
Cercle
L’Infini
Gallimard, 516 p., 21 e
Voir ce numéro.
Hugues Jallon
Zone de combat
Verticales, 144 p., 13,90 e
« Un seul mot nous rassem-
ble : la peur ». Par l’auteur
de La Base. Rapport
d’enquête sur un point de
déséquilibre en haute mer.
Dorothée Janin
La vie sur terre
Denoël, 288 p., 19 e
Un avocat mondain
« cherche à fuir ses
fantômes familiers » dans
les procès d’assises.
Premier roman d’une jour-
naliste.
Frédéric-Yves Jeannet
Recouvrance
Flammarion, 450 p., 23 e
Après Cyclone (1997) et
Charité (2000), Frédéric-
Yves Jeannet poursuit une
« même exploration du
même temps collectif et
familial ».
Pomme Jouffroy
Res nullius
Des Femmes, 256 p., 18 e
« Les bras le long du corps,
les mains molles, un grand
machin désoeuvré, du genre
inutile, la tête à l’envers ».
Pomme Jouffroy est
chirurgienne et l’auteur de
deux romans et d’un essai
sur l’hôpital.
Catherine Klein
Sa fille
Bernard Pascuito,
160 p., 16 e
Un triangle amoureux diffi-
cile.
Patrick Laupin
L’Homme imprononçable
La rumeur libre,
224 p., 18 e
Dans « ces chroniques
d’une âme... celui qui parle,
dans la nécessité, ne
cherche pas à écrire de la
Poésie, mais est devenu
Poème... »
Christophe lléon
Journal d’un étudiant japon-
ais à Paris
Le Serpent à plumes,
126 p., 14 e
Un étudiant qui aime les
femmes et rêve de canniba-
lisme.
Raphaël Meltz
Meltzland
Panama, 256 p., 20 e
« Il sera question d’argent,
de pouvoirs, de secrets et,
surtout, du sens de
la vie. »
Alizé Meurisse
Pâle sang bleu
Allia, 144 p., 9 e
Un premier roman et un
roman d’initiation où les
personnages parlent à la
première personne en une
suite de brefs chapitres.
Philippe Mezescaze
De l’eau glacée contre les
miroirs
Rocher, 224 p., 18 e
Entre le Caire, La Rochelle
et Paris, le lauréat d’une
bourse de voyage séjourne
en Égypte et au lieu d’écrire
sur ce pays se souvient des
gens qu’il a connus.
Alain Mabanckou
Lettre à Jimmy
Fayard, 194 p., 17 e
Dans cette lettre à James
Baldwin et pour les vingt
ans de sa mort, Alain
Mabanckou rend hommage
« à son esprit libre en
littérature comme en poli-
tique ».
Eric Neuhoff
Pension alimentaire
Albin Michel,
146 p., 12,50 e
Les problèmes du divorce
vécus par un couple racon-
tés par Eric Neuhoff,
critique littéraire à Madame
Figaro.
Valère Novarina
L’Acte inconnu
P.O.L., 190 p., 14 e
Une pièce de théâtre où on
retrouve les personnages
qui hantent le théâtre de
Novarina.
Cécile Oumhani
Plus loin que la nuit
L’Aube, 192 p., 14,90 e
Née au Maghreb, une
femme, après son divorce,
va vivre dans une ville
du nord où elle veut
reconstruire sa vie dans le
domaine de l’art.
Pierre d’Ovidio
Les Enfants de Van Gogh
Phébus, 208 p., 14,90 e
Des post soixante-huitards
se retrouvent vingt ans plus
tard pour comprendre les
raisons de l’échec de leur
communauté utopiste.
Frédéric Pagès
L’idiot de la Sorbonne
Libella/Maren Sell,
230 p., 18 e
Un « road movie
philosophique » par un
journaliste du Canard
enchaîné.
Eric Paradisi
Séquelles ordinaires
Gallimard, 160 p., 14,50 e
« A force de se voir on ne
se voit plus. » Par un auteur
de scénarios pour
l’audiovisuel.
Florence Pazzottu
La place du sujet
L’Amourier, 54 p., 19 e
Textes poétiques (vers et
proses) inspirés de la
rencontre d’un lieu avec
l’auteur et le quartier du
Panier à Marseille. Illustrés
de photos de Giney Ayme.
Chantal Pelletier
Paradis andalou
Joëlle Losfeld,
136 p., 13,90 e
Sur la côte est des États-
Unis, un couple dans une
grande maison vit heureux.
Un ouragan va bouleverser
leur vie.
Pierre Pelot
Les Normales saisonnières
Hélène d’Ormesson,
224 p., 19 e
Pierre Pelot est l’auteur
d’une centaine de livres, du
polar à la science fiction.
Grégoire Polet
Leurs vies éclatantes
Gallimard, 474 p., 21 e
Une vingtaine de person-
nages se croisent au cours
d’une semaine caniculaire à
Paris au mois d’août.
Benoît Rayski
Là où vont les cigognes
Ramsay, 232 p., 20 e
Souvenirs d’une vie liée à
l’Histoire « avec des bouts
de France, des morceaux de
Pologne, des tranches
d’Israël ».
Benoît Rayski
Là où vont les cigognes
Ramsay, 240 p., 20 e
Une dénonciation des bour-
reaux, nombreux, dans le
temps et dans l’espace, qui
assassinèrent les enfants au
siècle dernier.
François Rosset
A ma décharge
Michalon, 126 p., 12 e
Se mettant dans la peau du
chef de l’état, l’auteur
montre comment l’écart
se creuse entre le réel
et l’exercice du pouvoir.
Didier da Silva
Hoffmann à Tôkyô
Naïve, 112 p., 12 e
Pour guérir ses névroses un
jeune musicien part à
Tôkyô, ville qui
l’enchantera. Un premier
roman.
Amanda Sthers
Madeleine
Stock, 164 p., 15,50 e
Un premier roman sur un
amour impossible.
Camille de Toledo
Vies et mort
d’un terroriste américain
Verticales/Phase deux,
330 p., 22 e
Fils de l’Amérique
profonde ou enfant
mythomane, le héros
s’invente un destin de
martyr.
Pierre Vinclair
L’armée des chenilles
Gallimard, 160 p., 13,90 e
Une fiction sur la bâtardise.
Catherine Weinzaepflen
Am See
Des Femmes, 96 p., 9 e
Réédition d’un roman
publié en 1985.
Martin Winckler
Le Numéro 7
Le Cherche midi,
348 p., 18 e
Après Touche pas à mes
deux seins, Mort in vitro,
un nouveau thriller
médical.
Laurence Zordan
A l’horizon d’un amour
infini
Des Femmes, 128 p., 10 e
Un seul thème pour ces
trois récits à la première
personne : celui de la
déchéance « ou plutôt du
désir de déchoir ».
ÉCRIVAINS
TRADUITS DE
Mexico, chroniques
littéraires
d’une mégalopole baroque
trad. de l’espagnol
par Sveflana Doubin
Autrement, 280 p., 19 e
Une anthologie de
chroniques de Ruben
Gallon sur les sujets les
plus quotidiens de Mexico.
Textes écrits par des
écrivains mexicains depuis
trente ans.
Bienvenue à Z
et autres nouvelles de l’Est
trad. du polonais, du russe,
du letton, du serbo-craote et
du tchèque
Noir sur Blanc, 250 p., 18 e
De Saint-Pétersbourg à
Belgrade, cette anthologie
regroupe des textes
d’écrivains d’Europe de
l’Est, de Sologoub (symbo-
lisme russe) à Stasiuk
(auteur contemporain).
Henry Adams
L’éducation de Henry
Adams
Ed. de Pierre-Yves Pétillon
trad. révisée
par Régis Michaud et
Franck L. Schoell
Imprimerie nationale,
424 p., 28 e
Une chronique de
l’Amérique « en dégénéren-
sce » à travers une pseudo-
autobiographie. Ce clas-
sique de la littérature
américaine du début du
XXe siècle, aujourd’hui
introuvable en français, a
été publié en français en
1931.
Ahmad Al-Malik
Safa ou la saison des pluies
(Al-Kharif ya’ti ma’a Safâ’)
trad. de l’arabe (soudan)
par Xavier Luffin
Actes Sud, 304 p., 23 e
Une critique des régimes
dictatoriaux successifs et de
la guerre civile qui ont
dominé l’histoire du Soudan
depuis son indépendance.
Sebastia Alzamora
SUITE P. 28 

JOURNAL EN PUBLIC
Jpareseptembre
regrette que dans notre numéro du 1er
ne figure pas le compte rendu
nos collaborateurs de leurs lectures de
vacances, du moins celles qu’ils se promet-
taient publiquement de faire. On aurait eu des
surprises, si j’en juge par moi-même.
J’avais emporté les cinq tomes des Essais
et lettres de George Orwell, que je voulais
relire. En dépit des jours de pluie, je n’en ai
rien fait. Non par paresse, Orwell est un
modèle de lucidité pour le temps qui fut le
sien, de prémonition pour l’avenir, notre
présent. Plutôt : je n’ai pas eu une envie pres-
sante de me replonger dans ces cinq gros
volumes, ayant sous la main, emportées au
dernier moment, les épreuves des Entretiens
de Pierre Michon.
Non que le genre ne fût déguisé. C’était
tout de même comme un de ces recueils
auquels se laissent aller à publier critiques ou
journalistes. Ce genre, je l’ai pratiqué. Peu
importe: j’avais envie de mieux connaître
Pierre Michon, même si je peux me vanter
d’avoir été de ceux qui ont couronné Vies
minuscules. De l’histoire ancienne : 1984, et
depuis, l’eau a coulé sous les ponts. Depuis il
y a eu Vie de Joeph Roulin, Maîtres et servi-
teurs, La Grande Beune, Rimbaud le fils et
j’en passe. Depuis, Pierre Michon est consi-
déré comme un écrivain majeur de notre
temps. A preuve ces entretiens, une trentaine,
choisis ; à preuve ce nouveau colloque à son
propos qui va se tenir dans sa patrie, à Guéret,
les 20, 21, 22, et 23 septembre.
En vacances je n’avais pas tous ses
ouvrages sous la main, mais ces Propos sur la
littérature au titre mystérieux : Le roi vient
quand il veut. Quel roi ? Je ne me posais pas
trop la question ayant retrouvé dans ma
bibliothèque de campagne Corps du roi de
mon auteur, où il est question entre autres, de
deux de ces corps : Samuel Beckett et
William Faulkner. La 4e de couverture de ce
petit livre, publié en 2002, est explicite. Je la
recopie pour la beauté de la chose :
« Le roi, on le sait, a deux corps : un corps
éternel, dynastique, que le texte intronise et
sacre, et qu’on appelle arbitrairement
Shakespeare, Joyce, Beckett, ou Bruno,
Dante, Vico, Joyce, Beckett, mais qui est le
même corps immortel vêtu de défroques pri-
visoires ; et il a un autre corps mortel, fonc-
tionnel, relatif, la défroque, qui va à la
charogne, qui s’appelle et s’appelle seule-
ment Dante et porte un petit bonnet sur un nez
camus, seulement Joyce et alors il a des
bagues et l’œil myope, ahuri, seulement
Shakespeare et c’est un bon gros rentier à
fraise élisabéthaine. »
Il y a Pierre Michon, « que le texte intro-
nise et sacre », et il y a le Pierre Michon que
je rencontre au Café Beaubourg, avant d’avoir
emporté le livre, son air ahuri d’enfant de
choeur surpris à chahuter les burettes et à qui
on dit : « Vous aussi, des entretiens... je les
connais, je les ai tous lus... ici et là » (ce n’est
pas tout à fait vrai), et qui acquiesce, qui
s’excuse presque, qui est prêt à dire qu’il
s’agit d’un coup d’édition. Le Pierre Michon
venu du fin fond de sa campagne, le fils de
l’institutrice.
MAURICE NADEAU
Ces Entretiens, c’est « le corps éternel du
roi », qui les tient. J’en avais lu en effet
quelques-uns et pour cause : deux au moins
ont paru dans La Quinzaine. Parmi les autres,
nombreux, l’un à propos de Flaubert m’avait
bouleversé, je n’en finissais pas de le relire.
Michon disait, de Flaubert : « C’est un roman-
tique qui attend l’éblouissement, qui le trouve
et qui nous le donne ! Je viens de relire Saint-
Julien l’Hospitalier et le début de Madame
Bovary. J’étais pantelant de larmes... » Vous
avez bien lu : « J’étais pantelant de larmes ».
Je pense à Gide, à propos de Madame Bovary
: « Un chef-d’œuvre, hélas ! »
Larmes d’admiration pour Flaubert,
l’écrivain impeccable, l’un des modèles.
Larmes de désespoir pour le fils de
l’institutrice qui, pendant des années, à travers
errances nomades, fainéantises, crises de
rage, j’m’enfoutisme, séjours hospitaliers et
bitures, attendait « l’éblouissement ». En fait
il ne l’a connu, ne le connaît encore, aujour-
d’hui qu’il est glorieux, aujourd’hui qu’à son
tour on l’admire, qu’en de rares occasions.
« Le roi vient quand il veut ».
Le roi, autrement dit la grâce d’écrire. Sous
ses airs nonchalants, Michon l’a passionné-
ment cherchée, la cherche encore, acharné. A
travers des lectures, une érudition qui
surprend : il cite à tout bout de champ Grecs,
Latins, Pères de L’Église. Un temps la Bible
fut son livre de lecture. Il a été le blanc-bec
de 16 ans qui se prend pour Rimbaud. Les
Avant-gardes, Tel Quel et Debord, les
Surréalistes et Bataille, il les a pratiqués, en a
fait son profit. Ce qu’il reconnaît dans ce
premier entretien (Q. L. n° 532, 16 -31 mai
1989) : « Je suis sûr que les avant-gardes ont
tenu pour moi le rôle exigeant et inquiet d’un
surmoi littéraire et que cette autocensure
demeure; elles m’ont formé, dans un sens... Si
je relis aujourd’hui les textes avant-gardistes,
ils ne m’interdisent plus grand-chose, ils
n’exigent plus rien. Mais la leçon de Bataille
subsiste, et elle m’est venue par ce biais. »
Ce qui lui permet de regarder, sans
méchanceté, les romanciers à la centaine, les
« voyez comme je suis beau, intelligent,
passionné, tragique », les « postures publici-
taires, l’ignorance revendiquée, la producti-
vité »... « Le consensus, dit-il, reprend en
main la littérature... il envahit ce champ qui
est sa négation même et y fait des affaires »...
etc.
Tel un « horrible travailleur », il avoue la
tenue d’environ deux cents carnets, voués à
des usages précis et différents, avec notes,
remarques, citations, propos en l’air, où il
puise à l’occasion, sans volonté délibérée,
dans l’instant, le moment, quand vient la
grâce, pour évoquer des « vies », Van Gogh,
Rimbaud, Jojo ou Thomas, l’illettré qu’on
appelle à l’asile le père Foucault, l’abbé
Bandy, Yvonne la patronne du bistrot de La
Grande Beune « grande et blanche comme du
lait », son « visage royal nu comme
un ventre », quand il se met lui-même en
scène, Michon, l’écrivain en panne qui se
ronge les sangs, en proie à ce qu’il n’osera
jamais appeler, ça ferait prétentieux, ses
« démons ».
LA QUINZAINE LITTÉRAIRE
Trente entretiens dont aucun ne ressemble à
l’autre, Michon répond à toutes les questions,
satisfait les curiosités des universitaires
comme des courriéristes, et disant tous, ces
entretiens, la même chose, présentant tous le
même individu littéraire : un enragé d’écri-
ture en attente d’une « apparition » toujours
durement gagnée. Son œuvre n’atteint pas, en
volume, le cinquantième, le centième des
commentaires qui lui sont consacrés.
Y
ves Bonnefoy publie chez Galilée un petit
livre qui me touche de près : Ce qui alar-
ma Paul Celan. Parce que je n’oublierai
jamais Celan devant moi en larmes. Il était
venu me voir chez Julliard dans mon bureau
des Lettres Nouvelles et je ne comprenais pas
ce qu’il voulait dire en m’assurant qu’il
n’était pas un plagiaire. J’avais publié
quelques-uns de ses poèmes, je ne doutais pas
qu’ils fussent de lui.
Il faut reprendre les choses de plus loin. Je
connaissais Yvan Goll. J’avais publié dans
Combat un article sur son dernier recueil avec
des gravures de Picasso. Une amitié était née
qui dura jusqu’à sa mort à l’Hôpital américain
de Neuilly où il m’avait fait promettre de
veiller sur son œuvre. Malheureusement, il
avait une femme, Claire Goll, qui s’introduisit
chez moi et qui atteint une celébrité de
mauvais aloi en publiant des mémoires
cancaniers, notamment sur Rilke, son préten-
du amant ou sur Joyce qu’elle accusait
d’imposture. Paul Celan venait me voir parce
qu’elle répandait le bruit qu’il avait plagié son
mari, Yvan Goll.
Yves Bonnefoy reprend l’histoire quelques
années plus tard, en 1960 alors que Paul Celan
a atteint la notoriété et que Claire Goll est
revenue à la charge. « Non seulement les
meilleurs esprits se mobilisèrent pour démon-
trer l’inanité des accusations portées contre
lui et même leur caractère délibérément
mensonger... mais l’Académie de langue et
littérature allemande lui décerne son prix
Büchner, une des plus hautes distinctions
concevables dans l’Allemagne contempo-
raine. » Celan continue de souffrir. « En
décembre 1962, la hantise tourne au délire.
Paul a maintenant devant lui des années de
trouble psychique, avec des périodes
d’hospitalisation, et toujours l’affaire Goll y
aura un rôle majeur ». On lui en veut en tant
que « poète de langue allemande, et qui est
juif ».
Pour Yves Bonnefoy non seulement Paul
Celan n’a pas plagié Yvan Goll, ce que tout le
monde reconnaît, mais « en poésie, la ques-
tion du plagiat ne se pose pas, cette question
n’y garde même aucun sens... » On lit la
démonstration. Parce que la poésie n’a rien
d’une « formulation conceptuelle » et qu’elle
s’ouvre à « des notations qui montent des
profondeurs de la personne », parce qu’elle
vit l’écriture comme « une poussée du dedans
aussi continuelle qu’irrésistible, et assure au
tour qu’elle prend dans le poème quelque
chose d’irréductiblement singulier ».
Pourquoi alors Celan continue-t-il de se
SUITE 
27
 LA QUINZAINE LITTÉRAIRE SUITE JOURNAL EN PUBLIC/MAURICE NADEAU

désespérer au point de côtoyer la folie ? Parce
que ses défenseurs s’en tiennent aux faits, à
l’inanité de la calomnie, en somme à des argu-
ments raisonnables, parce qu’en fait ils ne
savent pas eux-mêmes ce qu’est la poésie.
« Paul Celan ne fut ainsi, à Paris, en France,
sa vie durant, poète que par ouï-dire ».
Coligny-Chatillon, dite Lou par ses amants et
par l’artilleur-poète qui fut le sien après qu’ils
se sont rencontrés à Nice en septembre 1914.
Encaserné à Nîmes, puis parti pour le front,
Apollinaire envoie à sa maîtresse,– qui ne le
fut pas longtemps, et lui-même rencontre en
1915 au cours d’une permission Madeleine
feuilles sous emballage, avec introduction
d’André Rouveyre. Ce recueil, c’est là que je
voulais en venir, est publié aujourd’hui à Paris
avec fac-similés des lettres et des poèmes qui
les accompagnaient. Une édition de luxe à 50
euros, dont le titre exact est Je pense à toi mon
Lou, « nouvelle édition revue et commentée

M
e vient à l’esprit une autre rencontre à
propos d’un autre poète dont la célébrité
n’attendit pas d’être posthume. Gallimard
venait de publier d’Apollinaire
Poèmes à Lou. Pascal Pia me dit : « Va donc
voir Rouveyre, tâche de l’interroger sur la
comtesse ». La comtesse c’était Louise de
Pagès – des lettres souvent prosaïques mais
parfois très lestes et contenant de nombreux
poèmes. Je vais voir André Rouveyre, rue de
Seine. Il me confirme ce que pensait Pia : ces
Lettres à Lou ont été censurées. Il garde pour
lui les pages omises.
L’édition complète des Lettres à Lou ne
paraîtra qu’en 1956 à Genève sous forme de
par Laurence Campa ».
Pierre Michon, Le roi vient quand il veut,
Propos sur la littérature, Albin Michel
Yves Bonnefoy, Ce qui alarma Paul Celan,
Galilée
Apollinaire, Je pense à toi mon Lou,
Ed.Textuel

BIBLIOGRAPHIE
La Fleur de peau
(La pell i la princesa)
trad. du catalan
par Cathy Ytak
Métailié, 194 p., 17 e
Ce roman fantastique se
déroule à la cour de Prague
pendant la guerre de Trente
ans.
Vassili Axionov
Les Hauts de Moscou
(Moskva kva-kva)
trad. du russe
par Lily Denis
Actes Sud, 320 p., 22,50 e
A travers une fable Vassili
Axionov donne en appli-
quant « le mentir-vrai » un
tableau des années précé-
dant la mort de Staline.
Szusza Bank
L’eté le plus chaud
(Heissester Sommer)
trad. de l’allemand
par Olivier Mannoni
Christian Bourgois,
196 p., 17 e
Les personnages les plus
divers défilent à travers ces
douze récits de l’auteur du
Nageur traduit en France en
2004.
Rick Bass
Le livre de Yaak
(The Book of Yaak)
trad. de l’américain
par Camille Fort-Cantori
Gallmeister, 188 p., 20,90 e
La nature sauvage et
enchantée de la vallée de
Yaak racontée à travers ces
récits par Rick Bass qui
habite dans le Montana.
Piotr Bednarski
Un goût de sel
(Rejsy po drcydzieto)
trad. du polonais
par Jacques Burko
Autrement, 126 p., 13 e
Écrivain et poète polonais,
né en 1934, Piotr Bednarski
après Les Neiges bleues
poursuit son roman autobio-
graphique.
Russell Celyn Jones
Une vie d’emprunt
(Ten Seconds From the
Sun)
trad. de l’anglais, par
Jacques Chabert
Fayard, 396 p., 20,90 e
Un homme à la vie tran-
quille et rangée cache un
terrible secret. Le sixième
roman et le premier traduit
en français d’un professeur
de littérature.
Sarat Chandra Chatterjee
La femme mariée
trad. du bengali
par Armanath Dutta
Les Belles Lettres,
142 p., 14 e
Un roman d’amour à
Calcutta, en 1912, par Sarat
Chandra Chatterjee (1876-
1938), auteur de Desdar
adpaté à l’écran.
Mikhaïl Chichkine
Le cheveu de Vénus
trad. du russe
par Laure Troubetzkoy
Fayard, 456 p., 23 e
Rapports de police où
figurent des kyrielles de
jeunes fugitifs en quête
d’asile, journal intime d’une
cantatrice émigrée, épîtres
envoyées par le narrateur au
roi d’une île imaginaire.
Karen Connelly
La cage aux lézards
(The Lizard Cage)
trad. de l’anglais (Canada)
par Sylviane Lamoine
Buchet Chastel, 600 p., 25 e
La solitude et le combat
d’un jeune chanteur enfer-
mé dans la prison de
Rangoon en Birmanie.
Andrew Cowan
Ce que je sais
(What I Know)
trad. de l’anglais
par Lazare Bitoun
Joëlle Losfeld,
280 p., 22,50 e
Immobilisé, un homme épie
par sa fenêtre sa famille, ses
voisins et comprend bien
des choses sur sa propre
vie.
Alonso Cueto
Avant l’aube
trad. de l’espagnol
(péruvien)
par Isabelle Gugnon
Michalon, 256 p., 20 e
Un homme découvre
longtemps après la mort de
son père que ce dernier était
un tortionnaire pendant la
guerre civile des années 80-
90 au Chili.
Kathryn Davis
A la lisière du monde
(The Thin Place)
trad. de l’anglais
(États-Unis
par Alice Seelow
Stock, 310 p., 19,50 e
Quels sentiments, quelles
angoisses se cachent
derrière ces personnages
somme toute bien
ordinaires ?
Hans Magnus Enzensberger
Joséphine et moi
(Josefine und ich)
trad. de l’allemand
par Daniel Mirsky
Gallimard, 160 p., 15,50 e
Une relation incongrue lie
un jeune homme, chercheur
en sciences économiques et
une vieille dame, ancienne
cantatrice lyrique qui fit
carrière sous le IIIe Reich
et eu nombre de maris et
d’amants.
Paula Fox
Côte ouest
(The Western Coast)
Préf. de Frederick Bush
trad; de l’anglais (Etats-
Unis)
par Marie-Hélène Dumas
Joëlle Losfeld, 454 p., 24 e
La dérive d’une jeune fille,
abandonnée, seule et dému-
nie dans la Californie des
années qui précèdent la
Seconde Guerre mondiale.
Publié en 1972 aux États-
Unis un troisième roman de
l’auteur du Dieu des
cauchemars.
Arnaldo Ginna
Les locomotives avec des
chaussettes
(Le Locomotive con le
calze)
Préf. de Bruno Corra
trad. de l’italien
par Monique Baccelli
Allia, 112 p., 6,10 e
Recueil de compositions
« franchissant tous les
cadres préétablis des genres
littéraires passés ».
Norman Green
L’ange de Montague Street
(The Angel of Montague
Street)
trad. de l’américain
par Patrice Carrer
Série noire
Gallimard, 350 p., 22,50 e
Denise Hamilton
Trafic d’anges
(Last Lullaby)
trad. de l’anglais
(États-Unis)
par Estelle Roudet
Seuil/Policiers,
370 p., 22 e
Peter Hoeg
La Petite Fille silencieuse
(Den Stille Pige)
trad. de l’allemand
par Anne-Charlotte Struve
Actes Sud, 470 p., 23 e
Un roman picaresque
« entre engrenage absurde
kafkaïen et mauvais rêve ».
Peter Stephan Junck
La Traversée de l’Hudson
(Die reise über den Hudson)
trad. de l’allemand
(Autriche)
par Bernard Lortholary
Jacqueline Chambon,
256 p., 21 e
Une hallucination trans-
forme la vie d’un homme et
lui permet de résoudre des
problèmes qui surgissent de
l’enfance.
Ismail Kadaré
Hamlet
le prince impossible
(Hamleti, princi i vështirë)
trad. de l’albanais
par Artan Kotro
Fayard, 180 p., 16 e
Ismail Kadaré se souvient
d’avoir corrigé le Hamlet de
Shakespeare quand il avait
treize ans. Un autre person-
nage apparaît, une autre
histoire.
Richard Kennedy
J’avais peur de Virginia
Woolf
(A Boy at the Hogarth
Press)
trad. de l’anglais
par Béatrice Vierne
Anatolia, 128 p., 16 e
Ecrits cinquante ans plus
tard les souvenirs de
Richard Kennedy alors qu’il
était grouillot, en 1926, à la
Hogarth Press, la maison
d’édition dirigée par
Léonard et Virginia Woolf.
Daniel Keyes
Les mille et une vies de
Billy Milligan
(The Minds od Billy
Milligan)
trad. de l’anglais
par Jean-Pierre Carasso
Calmann-Lévy,
466 p., 19,90 e
Le récit du cas Billy
Milligan en proie à des
troubles de la personnalité,
passionna l’Amérique.
Moustafa Khalifé
La Coquille
(Al-Qawqa’a)
trad. de l’arabe (Syrie)
par Stéphanie Dujols
Actes Sud, 272 p., 21,80 e
Raconté sous forme d’un
journal, le recit par l’auteur
de sa captivité dans les
prisons syriennes.
Mark Kharitonov
Amores novi
trad. du russe
par Régis Gayraud
Fayard, 130 p., 12 e
Trois thèmes composent
Amores novi dans le
prolongement moderne de
la poésie érotique antique.
Par un maître de la prose
russe contemporaine.
Elias Khoury
Comme si elle dormait
(Ka’annahâ nâ ima)
trad. de l’arabe (Liban)
par Rania Samara
Actes Sud, 396 p., 23 e
Né à Beyrouth en 1948,
Elias Khoury est crtitique
littéraire, essayiste,
chroniqueur et romancier.
Stieg Larsson
La reine dans le palais des
courants d’air
(Luftslottett som sprängdes)
trad. du suédois
par Lena Grumbach et Marc
de Gouvenain
Actes Sud, 720 p., 23 e
Dernier volet de la trilogie
Millenium remis à son
éditeur avant sa mort en
2004 par Stig Larsson, jour-
naliste et rédacteur en chef
de la revue Expo, observa-
toire des manifestations sur
le fascisme.
Florin Lazarescu
Notre envoyé spécial
(Trimisul nostru special)
trad. du roumain
par Olimpia Bogdan-Verger
Syrtes, 224 p., 21 e
Dans la Roumanie postcom-
muniste une nouvelle
société cherche des repères.
Jamal Mahjoub
Latitudes à la dérive
(The Drift Latitudes)
trad. de l’anglais (Soudan)
par Charlotte Woillez
Actes Sud, 304 p., 21 e
Confrontée à des difficultés
professionnelles, à Londres
où elle vit, une jeune archi-
tecte métisse n’a jamais
voulu se pencher sur ses
origines. C’est à travers sa
correspondance avec une
demi-sœur retrouvée
qu’elles lui sont révélées.
Pedro Mairal
L’intempérie
(El ano del desierto)
trad. de l’espagnol
(Argentine)
par Denise Laroutis
Rivages, 304 p., 22 e
Des intempéries ravagent
l’Argentine et le monde
dévasté redevient primitif.
Joseph O’Connor
Redemption Falls
trad. de l’anglais (Irlande)
par Carine Chichereau
Phébus, 576 p., 23,50 e
A New York, avant la
guerre de Sécession, James
O’Keefe, Irlandais exilé,
rencontre Julia avec qui il
s’installe à Redemption
Falls, île imaginaire. Nous
assistons à la désagrégation
du couple. Cent person-
nages traversent ce roman
considéré comme le plus
grand de l’auteur.
Carlos de Oliveira
La maison sur la dune
trad. du portugais
par François Laye
José Corti, 176 p., 16 e
Le destin tragique d’une
famille de petits proprié-
taires et de la famille
paysanne. Le premier
roman de Carlos de Oliveira
écrit à 22 ans.
Marisha Pessl
La physique
des catastrophes
(Special Topics in Calamity
Physics)
trad. de l’anglais
(États-Unis)
par Laetitia Devaux
Gallimard, 620 p., 24,50 e

28
Roman d’initiation et
énigme policière, le premier
roman d’une jeune
Américaine de l’âge de
vingt-sept ans.
Aiberto Sanchez Pinol
Pandore au Congo
(Pandora al Congo)
trad. du catalan
par Marianne Million
Actes Sud, 448 p., 23 e
Le premier roman, La Peau
froide, d’Albert Sanchez
Pinol, anthropologue, a été
best seller en Espagne.
Pandore au Congo est
l’histoire d’un gitan accusé
d’avoir assassiné au Congo
les fils du duc qu’il servait.
Sergio Gonzalez Rodriguez
Des os dans le désert
trad. de l’espagnol
(Mexique)
par Isabelle Gugnon
Passage du Nord-Ouest,
384 p., 23 e
Enquête sur un fait divers
(le meurtre de femmes à la
frontière mexicaine) large-
ment connu mais volon-
tairement irrésolu.
Joel Rose
Noir corbeau
trad. de l’anglais
(États-Unis)
par Marie de Prémonville
Anne Carrère, 550 p., 23 e
En 1841, à New York, un
fait divers traumatise la
société new-yorkaise et
inspire à Poe une nouvelle.
Norma Rush
De simples mortels
(Mortals)
trad. de l’anglais
(États-Unis)
par Robert Davreu
Fayard, 880 p., 28 e
Affaires politiques et senti-
mentales au Botswana par
l’auteur de Accouplement,
lauréat du National Book
Award.
Vita Sackville-West
Plus jamais d’invités!
(Easter Party)
trad. de l’anglais
par Micha Venaille
Autrement, 168 p., 17 e
Une réédition.
Mark Slouka
Le monde visible
(The Visible World)
trad. de l’anglais
par Dominique Letellier
Grasset, 342 p., 20,90 e
En Tchécoslovaquie, en
1942, l’un des meurtriers du
« boucher de Prague »
tombe passionnément
amoureux d’une femme.
Edward St Aubyn
Le goût de la mère
(Mother’s Milk)
trad. de l’anglais
par Anne Damour
Christian Bourgois,
308 p., 25 e
Les rapports difficiles entre
les différents membres
d’une famille.
Olga Tokarczuk
Récits ultimes
(Ostatnie Historie)
trad. du polonais
par Grazyna Erhard
Noir sur Blanc, 240 p., 18 e
Trois récits sur la mort et la
solitude qui l’accompagne
par l’auteur de nouvelles et
de romans dont cerains ont
été traduits en France.
Ivan Vazov
Sous le joug
(Pod Igoto)
trad. du bulgare
par Marie Vrinat-Nikolov
Fayard, 490 p., 25 e
Les aventures d’un héros
imaginaire dans la Bulgarie
des années 1875-76
dominée par les Ottomans.
Par Ivan Vazov (1850-
1921), homme politique et
écrivain.
Simona Vinci
Chambre 411
(Stanza 411)
trad. de l’italien
par Vincent Raynaud
Robert Laffont, 144p .
Une femme écrit à un
homme qu’elle n’aime plus
pour lui dire ce que sont
« les variations du cœur,
entre fusion et rejet ».
William T. Vollmann
Central Europe
(Europe Central)
trad. de l’américain
par Claro
Actes Sud, 924 p., 29,80 e
En s’attachant à quelques
destins singuliers et à
travers une trentaine de
récits entremêlés, une
analyse des mécanismes
totalitaires qui ravagèrent
l’Europe.
Stephan Wackwitz
Un pays invisible
(Ein unsichtharer land
Familienroman)
trad. de l’allemand
par Barbara Fontaine
Laurence Teper,
328 p., 18,50 e
A partir d’un appareil photo
miraculeusement retrouvé,
le narrateur raconte une
histoire familiale liée à
l’histoire de l’Allemagne du
XXe siècle.
Alan Warner
Le dernier paradis de
Manolo
(The Worms Can Carry Me
to Heaven)
trad. de l’anglais
par Brice Matthieussent
Christian Bourgois,
518 p., 28 e
Agé de quarante ans un
Espagnol se voit annoncer
sa mort prochaine. Des
souvenirs le submergent et
arrive chez lui un immigré
clandestin qui le métamor-
phosera.
Herbjorg Wassmo
Un verre de lait,
s’il vous plaît
(Et glass melk takk)
trad. du norvégien
par Luce Hinsch
Gaïa, 436 p., 24 e
L’univers de la traite des
Blanches aujourd’hui dans
les pays nordiques.
Edmund White
Hotel de Dream
(Hotel de Dream)
trad. de l’anglais
(États-Unis)
par André Zavriew
Plon, 250 p., 21 e
Roman en abyme et
portrait d’une femme
amoureuse de Stephen
Crane, grand écrivain
américain, qui se meurt
d’une tuberculose en
Angleterre, en 1900, à l’âge
de 28 ans, et lui dicte un
nouveau roman.
Shuichi Yoshida
Park Life
trad. du japonais
par Gérard Siary
Philippe Picquier,
102 p., 12,50 e
Le parc de Hibiya à Tôkyô
est à lui seul un univers clos
et protégé. Prix Akutagawa
(Prix Goncourt) en 2002.
Aldo Zargani
Pour violon seul
Souvenirs dans l’En-Deçà
1938-1945
(Per violino solo)
trad. de l’italien
par Olivier Favier
L’Eclat, 320 p., 18 e
Lorsque le père de l’auteur,
du fait des lois raciales anti-
juives, est renvoyé de
l’Orchestre de la Radio
Diffusion italienne,
l’auteur se souvient de son
enfance dans l’Italie
fasciste.
POÉSIE
Mahmoud Darwich
Comme des fleurs
d’amandier ou plus loin
(Ka-zabr al-lawz aw ab’ad)
trad. de l’arabe (Palestine)
par Elias Sanbar
Actes Sud, 146 p., 18 e
Aux frontières de la poésie
et de la prose, un recueil
publié en Palestine
en 2005.
Raymond Federman
Chair jaune
traduction de Pierre Le
Pillouër
Le Bleu du ciel, 66 p., 10 e
Prenant à la fois littérale-
ment et
(psych)analytiquement les
poèmes de Federman,
Pierre Pillouêr passe à la
fois « dans une même
traduction sens et son ». En
édition bilingue.
Jean Schuster
Une île à trois coups d’aile
Le Cherche-midi,
240 p., 18 e
L’oeuvre poétique de Jean
Schuster (1929-1995),
surréaliste d’après-guerre à
qui André Breton confia,
par testament, la tâche de
gérer l’héritage surréaliste.
Mouvement auquel Jean
Schuster mit fin.
François Zénone
Une phrase
Préf. de Jacques Dupin
Fissile, 122 p., 10 e
ESSAIS LITTÉRAIRES
HISTOIRE LITTÉRAIRE
Eric Benoit
Néant sonore
Mallarmé ou la traversée
des paradoxes
Droz, 224 p.
Vanessa Curtis
Les femmes
de Virginia Woolf
(Virginia Woolf’s Women)
trad. de l’anglais
par Karine Laléchère
Payot, 290 p., 21,50 e
Portraits des femmes qui
influencèrent la vie et la
pensée de Virginia Woolf et
lui servirent d’héroines dans
ses romans.
Ingrid Galster
Beauvoir dans tous ses états
Tallandier, 348 p., 25 e
Essais sur l’itinéraire de
Simone de Beauvoir par
Ingrid Galster, spécialiste
de l’œuvre de Sartre.
Jean de Guardia
Poétique de Molière
Comédie et répétition
Droz, 524 p.
Les techniques de composi-
tion et les grands modes de
fonctionnement des comé-
dies de Molière.
Boutros Hallaq et Heidi
Toelle (sous la dir.)
Histoire de la littérature
arabe moderne
T. I 1800-1945
Sindbad/Actes Sud,
784 p., 38 e
Annick Jauer
L’Allemagne d’Aragon
Presses univ; Provence,
324 p., 35 e
Les présences de la culture
allemande dans l’œuvre
d’Aragon sont le catalyseur
et le révélateur de la posi-
tion d’Aragon face à
l’Allemagne.
Pierre Michon
Le roi quand il vient
Propos sur la littérature
Albin Michel, 398 p., 22 e
Voir ce numéro.
Marie Parmentier
Stendhal stratège
Pour une poétique de la
lecture
Droz, 342 p.
Olivier Penot-Lacassagne
Vies et morts d’Antonin
Artaud
Christian Pirot, 256 p., 20 e
« Recomposition mythi-
que » d’une biographie.
Fernando Pessoa
Dialogues sur la tyrannie
Anatolia/Rocher,
126 p., 17 e
Recueil de trois essais
publié en 1996 : Défense
de la franc-maçonnerie,
L’Opinion publique,
Dialogues sur la tyrannie.
Elénonore Reverzy
La chair de l’idée
Poétique de l’allégorie dans
Les Rougon-Macquart
Droz, 264 p.
PHILOSOPHIE
Nicolas Grimaldi
Préjugés et paradoxes
P.U.F., 354p., 24 e
Carnets intimes écrits au
jour le jour sur la cinéma, la
littérature ou la télévision.
Alain Juranville
L’événement
P.U.F., 768 p., 29 e
BIBLIOGRAPHIE
Une réinterprétation des
analyses de Marx à partir
de l’existence et de
l’inconscient.
Michela Marzano
La mort spectacle
Enquête sur l’« horreur-
réalité ».
Gallimard, 80 p., 5,50 e
La violence et la mort mises
en images anesthésie ceux
qui la regardent.
Ainsi la mort spectacle
provoque une nouvelle
forme de barbarie : la
barbarie de l’indifférence.
Jean-Luc Nancy
A plus d’un titre
Jacques Derrida
Galilée, 110 p., 18 e
A travers un portrait
de Derrida par Valerio
Adami, le philosophe
Jean-Luc Nancy cherche
du mort « cette non-
image qu’est pour nous
la présence des
vivants ».
Michel Onfray
La Pensée de midi
Archéologie d’une gauche
libertaire
Galilée, 130 p., 18 e
Un hommage à Georges
Palante, Jean Grenier et
Albert Camus, « porte-
paroles de la gauche liber-
taire au XXe siècle ».
Alain Renaut
Égalité et discriminations
Un essai de philosophie
appliquée
Seuil, 220 p., 19 e
La dynamique démocra-
tique ne peut plus se
contenter d’exclure les
différences, elle doit les
reconnaître et, à partir de
cette reconnaissance, recon-
figurer les politiques
sociales.
François Wahl
Le perçu
Fayard, 830 p., 32 e
Le grand œuvre de François
Wahl longtemps éditeur au
Seuil de Barthes, Lacan et
des structuralistes.
PSYCHANALYSE
PSYCHIATRIE
MÉDECINE
Daniel Sibony
L’enjeu d’exister
Seuil, 398 p., 22,50 e
Une analyse des
psychothérapies qui toutes
« révèlent une dépendance
à Freud ».
POLITIQUE
Jean-Claude Michéa
L’Empire du moindre mal
Climats, 216 p., 19 e
Essai sur la civilisation
libérale.
Yasmina Reza
L’aube le soir ou la nuit
Flammarion, 192 p., 18 e
Nicolas Sarkozy suivi pas à
pas pendant la campagne
présidentielle.
Pierre Tevanian
La République du mépris
La Découverte, 126 p., 10 e
Les « vertus républicaines »
célébrées dans les discours
républicains cachent un
racisme qui n’ose pas dire
son nom.
HISTOIRE
Félix Baffière
Eros adolescent: la
pédérastie dans la Grèce
antique
Les Belles Lettres,
704 p., 69 e
Réédition d’un essai publié
en 1980.
Jean-Marc Berlière,
Franck Liaigre
Liquider les traîtres
la face cachée du PCF
1941-1943
Robert Laffont, 512 p., 22 e
Des archives inédites des
RG ont révélé l’existence
d’une police politique
chargée d’exécuter, pendant
l’Occupation, les traîtres
ainsi que la chasse menée
par les RG à leur encontre.
Lucian Boia
L’Occident
Une interprétation
historique
Les Belles Lettres,
250 p., 19 e
Pour comprendre comment
l’Occident peu développé
par rapport à Byzance et à
la Chine est devenu aujour-
d’hui l’une des sociétés
technologiques les plus
avancées, Lucian Boia
étudie son évolution depuis
l’antiquité.
Jesse Byock
L’Islande des Vikings
trad. de l’anglais
(États-Unis)
par Béatrice Bonne
Aubier, 498 p., 29 e
La vie quotidienne dans la
société islandaise fondée
par les Vikings à partir du
IXe siècle.
Béatrice Delaurenti
La puissance des mots
« Virtus verborum »
Cerf, 590 p., 59 e
Débats doctrinaux sur le
pouvoir des incantations au
Moyen Age.
Vladimir Fédorowski
Le fantôme de Staline
Rocher, 290 p., 19,90 e
Écrivain et diplomate,
proche de Gorbatchev,
Vladimir Fedorovski natu-
ralisé français en 1998,
donne une nouvelle version
de la vie de Staline.
Yves Gagneux
Reliques et reliquaires à
Paris
(XIXe-XXe siècles)
Cerf, 338 p., 34 e
L’apogée et la désaffection
de l’intérêt pour les reliques
29

BIBLIOGRAPHIE
des saints, dans une grande
ville, depuis le début du
XIXe à la fin du XXe.
Jacques Gernet
Société et pensée chinoises
aux XVIe et XVIIe siècles
Collège de France/Fayard,
204 p., 20 e
Résumés des cours et
séminaires au Collège de
France de 1975 à 1992 par
l’un des grands sinologues
français.
Olivier Guez
L’impossible retour
Flammarion, 244 p., 22 e
Alors que l’Allemagne est
aujourd’hui la première
terre d’émigration juive,
Olivier Guez a enquêté sur
les raisons qui ont poussé
les Juifs à ce retour après
l’Holocauste.
Alexnder Yakovlev
Le cimetière des Innocents
Victimes et bourreaux en
Russie soviétique (1917-
1989)
trad. de l’anglais
par Johan Frédérick Hel
Guedj
Calmann-Lévy, 280 p., 20
e Pour quelles raisons
Inventaire des crimes du
système soviétique, de
Lénine jusqu’à la pere-
stroïka, avec la liste des
victimes.
SOCIÉTÉS
Michel Surya
Portrait de l’intermittent du
spectacle en supplétif de la
domination
Nouvelles Éd. Lignes,
64 p., 10 e
Une critique de la défense
par « les travailleurs de
l’industrie du spectacle et
du divertissement de
masse, de leur statut
d’exception ».
SOCIOLOGIE
Ludivine Bantigny
Le plus bel âge ?
Jeunes et jeunesse en
France
de l’aube des « Trente
Glorieuses » à la guerre
d’Algérie
Fayard, 506 p., 28 e
Alain Bentolila
Urgence école
Odile Jacob,
226 p., 21,90 e
Quelles solutions apporter
à une école qui ne remplit
plus ses objectifs et en
particulier « le fossé
linguistique et culturel »
qui prive certains des
enfants d’espoir de réussite
scolaire.
Michel Crozier
avec Bruno Tilliette
Nouveau regard sur la
société française
Odile Jacob,
30
224 p., 22,50 e
Réflexions d’un sociologue
sur l’époque contempo-
raine, ce qu’il en retient et
sur les grands engagements
qui comptent.
Alain Finkielkraut
(sous la dir.)
La querelle de l’école
Stock, 236 p., 17,50 e
Débats sur l’école diffusés
dans l’émission
« Répliques » animée par
Alain Finkielkraut et
diffusés sur France
Culture.
Francis Lec /
Claude Lelièvre
Histoires vraies des
violences à l’école
Fayard, 324 p., 20 e
Pour aider les victimes des
violences à l’école qui
auraient toujours existé,
c’est vers une prise en
charge collective et prodes-
sionnelle qu’il faut se
diriger.
Michel Leroux
De l’élève à l’apprenant
et autres pamphlets
Fallois, 166 p., 18 e
l’enseignement des
lettres en milieu scolaire
connaît- il une telle dégra-
dation ?
ÉCONOMIE
POLITIQUE
Karl Marx
Critique de l’économie
politique
trad. de l’allemand et
précédé De la critique du
ciel et de la terre
par Kostas Papaioannou
Allia, 256 p., 15 e
Resté inédite du vivant de
Marx et connu également
sous le nom de
« Manuscrits de 1844 »,
cette oeuvre de jeunesse
ne fut publiée en
Allemagne qu’en 1932.
Elle dénonce l’exploitation
economique et l’aliénation
de l’homme générée par la
société capitaliste.
Une réédition.
CORRESPONDANCES
Je pense à toi mon Lou
Textuel, 216 p., 50 e
En fac-similé et dans une
édition de Laurence
Campa, des poèmes et
lettres dont certaines
inédites, d’Apollinaire à
Lou.
Napoléon Bonaparte
Correspondance générale
T. 4 Ruptures et fondation
1803-1804
Fayard, 1190 p., 52 e
Jean Cocteau
Lettres à sa mère; T. II
1919-1938
une édition établie par Jean
Touzot
Gallimard, 720 p., 59 e
560 lettres, cartes postales
ou billets qui jalonnent la
vie de Jean Cocteau dont
la confidente fut sa mère.
FridaKahlo par
Frida Kahlo
trad. de l’espagnol
(Mexique)
par Christilla Vasserot
Christian Bourgois,
462 p., 28 e
Voir ce numéro.
Jean Lorrain
Lettres
à Gustave Coquiot
Ed. de Eric Walbecq
Honoré Champion,
250 p., 50 e
Jean Lorrain et le critique
d’art Gustave Coquiot
(1865-1926) écrivirent en
collaboration quatre pièces
de théâtre. Lettres à ce
propos.
BIOGRAPHIES
AUTOBIOGRAPHIES
André Bleikasten
William Faulkner
Une vie en romans
Aden, 736 p., 38 e
S’il y a « une énigme
Faulkner », André
Bleikasten, l’un des
responsables de la publica-
tion des œuvres roma-
nesques dans la Pléiadede
l’auteur de Le Bruit et la
Fureur, l’a sûrement
résolue.
Carolyn Burke
Lee Miller
dans l’oeil de l’Histoire,
une photographe
trad. de l’anglais
(américain)
par Marie-Claude Rideau
Autrement, 504 p., 25 e
Américaine vivant à Paris,
Lee Miller (1907-1977),
photographe célèbre a été
l’élève et l’amie de Man
Ray. Elle a côtoyé Breton,
Foujita, Chanel, Cocteau,
Picasso... puis est devenue
reporter de guerre, a rejoint
Londres en 1939, s’est
mariée à Roland Penrose,
collectionneur et artiste
surréaliste. Elle laisse à sa
mort 60 000 négatifs.
Hildegard Möller
Thomas Mann
une affaire de famille
trad. de l’allemand
par Denis-Armand Canal
Tallandier, 384 p., 29 e
Une réflexion sur la vie de
Thomas Mann abordée
sous l’angle des femmes.
Slawomir Mrozek
Balthazar,
autobiographie
trad. du polonais
par Maryla Laurent
Noir sur Blanc,
260 p., 18 e
Tombé gravement malade
en 1996, Mrozek sous un
nom d’emprunt
« Balthazar » entreprend
son autobiographie jusqu’à
son exil en 1963.
Olivier Philiponnat &
Patrick Lienhardt
La vie d’Irène Némirovsky
Grasset/Denoël,
502 p., 23,60 e
Une troisième biographie
de l’auteur de Le Bal,
David Golder. Elle eut du
succès avant la guerre mais
devint best seller ces
dernières années avec
Suite française (un roman
sur l’exode retrouvé dans
ses tiroirs).
Catherine Sauvat
Arthur Schnitzler
Fayard, 306 p., 22 e
Catherine Sauvat a publié
des biographies de Robert
Walzer, Stefan Zweig.
SOUVENIRS
Marc Augé
Casablanca
Seuil, 124 p., 12 e
Les souvenirs de jeunesse
de Marc Augé, ethnologue,
sont liés aux images du
film Casablanca.
Kinta Beevor
Une enfance en Toscane
(A Tuscan Childhood)
trad. de l’anglais
par Jean-Noël Liaut
Payot, 304 p., 20 e
Née en Angleterre dans
une famille d’intellectuels,
l’auteur a cinq ans en 1916
lorsqu’elle découvre la
Toscane où elle va vivre
jusqu’à la Seconde Guerre
mondiale.
Michel Cardoze
L’armoire rouge
Ed. Sud-Ouest,
262 p., 15 e
Mémoires d’un journaliste
de l’Humanité également à
la radio et la télé, militant
au PCF...
TÉMOIGNAGES
Wassyla Tamzali
Une éducation algérienne
De la révolution à la
décennie noire
Gallimard, 266 p., 19 e
Issue d’une célèbre famille
de notables algériens qui
tiendra une grande place
dans la guerre de libération
de l’Algérie, l’auteur deve-
nue avocate milite pour
l’égalité des femmes, la
laicité et la démocratie.
SCIENCES
George Szpiro
La conjecture de Poincaré
(Poincaré’s Prize)
trad. de l’anglais
par Bernard Sigaud
J.C. Lattès, 270 p., 20 e
Perelman, mathématicien,
a mis à bas la Conjecture
de Poincaré et éclaire
d’une lumière nouvelle la
géométrie dans les dimen-
sions supérieures.
William T. Vollmann
Décentrer la terre
La Quinzaine
littéraire
40 000 chroniques indexées
depuis 1966 à nos jours
sur www.quinzaine-litteraire.presse.fr
(site en accès libre)
et www.quinzaine-litteraire.net
(archives)
Une semaine
de consultation gratuite
des 16 000 articles disponibles
en ligne offerte
aux étudiants et aux abonnés
de la revue
Achat des articles à l'unité :
3 euros
Abonnement :
– particuliers : 75 euros
– étudiants et abonnés
journal : 40 euros
– abonnement groupé
(archives et journal) : 105 euros
– institutions :
ql@quinzaine-litteraire.net
Copernic et les révolutions
des sphères célestes ESSAIS
(Uncentering the Earth :
Copernicus and The Alain de Botton
Revolutions of the L’architecture
Heavenly Spheres) du bonheur
trad. de l’anglais (The Architecture of
par Bernard Hoepffner Happiness)
Tristram, 320 p., 23 e trad. de l’anglais
Pour rendre accessible par Jean-Pierre Aoustin
l’œuvre de Copernic, Mercure de France,
William T. Vollmann, le 354 p., 22 e
grand romancier américain S’intéressant aux moyens
et essayiste, commente, pour nous rendre
étape par étape, son œuvre. heureux, Alain de Botton
maintenant (après la
lecture de Proust, l’art
de mieux voyager...) se
penche sur notre cadre de
vie: l’architecture des lieux
ESTHÉTIQUE où nous vivons et traval-
lons.
Neil Mc William
Rêves de bonheur Julia Kristeva
L’art social et la gauche Cet incroyable besoin de
française croire
Les Presses du réel, Bayard, 192 p., 18 e
496 p., 28 e Dans ce recueil de textes
Cette première traduction précédé d’un entretien,
française d’une étude sur le Julia Kristeva, psychanalys-
romantisme social analyse te, linguiste et écrivain,
les répercussions de la analyse, d’un point de
philosophe radicale sur vue laïc notre besoin de
l’esthétique et la critique croire.
d’art de l’époque et retrace
les tentatives pour mener Daniel Mendelsohn
l’art au service de la Les Disparus
doctrine. Neil Mc William trad. de l’anglais
est spécialiste de l’art, la (États-Unis)
critique d’art et de la par Pierre Guglielmina
sculpture du XIXe siècle Flammarion,
français. 656 p., 26 e
Enquête sur la disparition
des membres de la famille
de l’auteur restés en
Pologne en 1941.
 LA QUINZAINE LITTÉRAIRE

Une forme
plastique
MAÏTÉ BOUYSSY

Il en est de modestes, locaux, associatifs et vérité finale de trajets nourris d’annonces, de

familiaux. C’est « la foire à tout » dit un
obscur village du Gers le jour même de la
prestigieuse foire aux Antiquités de Samatan.
Ici, on parle et on échange ; on en fait sa reli-
gion à quelques lieues de Toulouse : l’un vide,
l’autre s’engage dans un « effet citation » de
mise en scène de ce qui fut voulu puis rejeté,
relégué et parfois récusé. La philanthropie
prend aussi facilement une allure de toboggan
des horreurs non désirées que de pêche à la
ligne de bonnes volontés à saisir. En d’autres
lieux, même sous la canicule, s’exhalent les
effluves d’une misère noire et sèche qui se
borne à tirer là quelques heures en faisant
mine de garder une apparence de sociabilité.
De ces amoncellements de plastiques et de
débris de vie offerts avec une bonne volonté
déconcertante surgit une statistique du vrai,
car ces panières d’osier et ces fonds de
camions régurgitent une masse de livres
achetés et convoités. C’est l’épreuve de
promotions, de ouï-dire, d’amitié et de lubies.
Livres machines à faire rêver pour vies
étrangères à toute notion d’écriture,
bastringue de tous les soucis si ce n’est de
toutes les curiosités possibles. A preuve, le
livre à 0,50, et pour la dizaine d’Harlequin
douze livres, si vous y arrivez.
En vrac, au plus noble rang, des policiers
et des récits de vies de personnalités people,
puis des manuels en tous genres, curiosités
spiritualistes et scientistes jouxtant le besoin
d’autodidaxie. Ces aveux de bagages inégaux
font se frôler quelque bibliothèque de très
vieil instit’ et les restes d’une préparation
d’agrégation (lettres, années 70). Cet ordi-
naire de la différence implique tous les trop,
le trop plein, la surabondance mal calculée
soumise à l’économie de la dégradation mais
chaque installation confesse parfaitement ce
que de dépit en regret chacun n’a jamais
voulu s’avouer. x

Suite Lucien Logette étudiants en cinéma pour un ouvrage à usage

totalement inédites, somptueusement repro-
duites sur papier couché, format à l’italienne,
évidemment absentes de l’exposition consacrée
en 1993 par le Centre Pompidou à cet intrigant
touche-à-tout. Lotar mériterait plus que le cata-
logue publié à l’époque (et sans doute épuisé) :
à la fois photographe (majeur, digne de Kertesz
et de Germaine Krull), chef-opérateur et réa-
lisateur, il fut un des membres les plus solides
de la bande des Prévert, Jacques et Pierre. Son
travail sur Une partie de campagne est un
travail de plateau exemplaire : quelques plans
du film, mais surtout des plans des techniciens
et des acteurs, au repos ou en récréation. Ainsi,
la photo montrant Visconti (alors jeune assis-
tant), Cartier-Bresson, Renoir, Marguerite
Renoir et Becker posant, ornés d’attributs
sexuels dessinés à la craie sur leurs vêtements,
laisse penser que la météo détestable
n’empêchait pas la rigolade. Ainsi, Georges
Bataille en soutane – on le distingue à peine
dans le film. Ainsi, Becker et Cartier-Bresson,
séminaristes lubriques lutinant Sylvia dans sa
belle robe du dimanche.
Pour tous les amoureux du film, l’émotion
renaît, intacte, accentuée par la beauté des
tirages argentiques, devant cette galerie désor-
mais sans survivants (à l’exception d’Alain, fils
Renoir, 15 ans à l’époque). Profils perdus,
dimanches enfuis, le « cabinet de verdure » et
ses instants inoubliables, tout est là. La présen-
tation de Guy Cavagnac est impeccable, les
propos de Jacques Rozier établissent clairement
sa filiation avec cette période « plus-que-
Renoir », les souvenirs de Sylvia Bataille et de
l’oublié Paul Temps recueillis cinquante ans
après par Jean-Pierre Pagliano, autre expert sur
le sujet, prouvent combien les sept semaines de
tournage avaient marqué ses artisans.
L’édition de cinéma étant ce qu’elle est -
– dix ouvrages à destination exclusive des
des esprits simplement curieux –, publier un
livre aussi peu branché sur l’actualité immédi-
ate est une folie qui mérite qu’on la soutienne.
Les fanatiques du film de Renoir, c’est-à-dire
tous ceux qui l’ont vu (sauf Éric Rohmer qui le
juge « trop fameux et grimaçant »), y retrou-
veront un peu de bonheur. Ce qui, en période de
vaches peu grasses, n’est pas rien.
LUCIEN LOGETTE
1. 2 DVD, Studio Canal, 2005.
Collection « Voyager avec... »
La Quinzaine/Louis Vuitton
268 p. 20 e
La Quinzaine littéraire est de nouveau
en deuil.
Ce 9 septembre, nous apprenons, par sa
sœur, le suicide d’Anne Thébaud. Elle
avait quarante et un ans.
Anne collaborait à La Quinzaine depuis
les années quatre-vingt-dix. Elle fit rapide-
ment partie de notre comité de rédaction.
Nos lecteurs appréciaient ses articles,
lucides et sensibles.
Elle souffrait depuis quelques mois
d’une crise de dépression qui nécessita
plusieurs hospitalisations. Elle assista le 29
août à notre comité, prit deux ouvrages
pour en faire la recension, nous la pensions
guérie.
Elle avait publié en 2001 Reliquaire que
nous avions caractérisé comme « inclas-
sable, insolite, monstrueux » et à propos
duquel nous avions retrouvé dans nos notes
d’édition : « Un vade mecum pour le
lecteur pris du désir insensé de se sentir
vivant. Peu de chances de succès. En aver-
tir l’auteur ». Prévision réalisée : au 31 août
2007, 232 exemplaires vendus depuis la
parution.
Ouvrant au hasard Reliquaire : « “Jetez-
vous dans l’écriture à corps perdu !” lui
ordonne l’ogre bienveillant. Elle obéit,
lâche prise, écrit comme on s’enfonce dans
la mer, lentement, inexorablement, un pied
devant l’autre, le corps plombé ». (p. 59)
Ce 9 septembre Anne s’est jetée dans la
Seine, son sac à dos lesté de trois pavés. Il
est difficile à « l’ogre bienveillant » de ne
pas se sentir coupable.
MAURICE NADEAU

31
 LA QUINZAINE RECOMMANDE
Les Lettres Nouvelles
MAURICE NADEAU
Littérature
Éric Reinhardt Cendrillon QL 952
Jean Hatzfeld La stratégie des antilopes QL 952
Philippe Forest Le nouvel amour QL 952
Éric Chevillard Sans l’orang-outan QL 952
Pierre Michon Le roi vient quand il veut Ce N°
Pierre Bergounioux Carnet de notes 1991-2000 QL 952
Juan Jose Saer Grande fugue QL 952

Biographies, Journaux, Essais

André Bleikasten William Faulkner. Aden
Une vie en romans. Biographie
Jean Lacoste Goethe, la nostalgie de la lumière QL 952
Daniel Mendelsohn Les disparus Flammarion
Michel Cardoze L’armoire rouge Sud-Ouest
William Hazlitt Du goût et du dégoût Circé
Lucian Boia L’Occident, Belles Lettres
une interprétation historique
Catherine Malabou Les nouveaux blessés. Bayard
De Freud à la neurologie...
Fred Deux Entrée de secours Le temps qu’il fait
Fred Deux Traits d’union. L’Atelier des Brisants
Peintures et poèmes

Œuvres rassemblées
Thomas Bernhard Récits 1971-1982 Quarto, Gallimard
Michel Jeanneret La muse lascive Corti
T. Cave/M. Jeanneret La muse sacrée Corti

Rééditions
« Si cette histoire était la mienne, je serais cette fille qui, à
23 ans, avait quitté sa mère, sa province, son pays, pour aller
Thomas Pynchon L’arc-en-ciel de la gravité Seuil vers les îles. Peindre-voyager, voyager-peindre, c’est tout ce
Umberto Eco De la littérature Livre de Poche qui l’intéressait. Gouaches éclatantes, couleurs passées au
René de Obaldia Fugue à Waterloo Grasset peyotl, costumes, plumes et parures, elle en rapporterait
Karl Marx Critique de l’économie politique Allia d’immenses et riches toiles. Gustave Moreau ! Raoul Dufy !
Marc Chagall ! (Déferlement de couleurs, bouffées
d’imaginaire.) »

Albums HARMONIA MUNDI

Apollinaire Je pense à toi mon Lou Ce N° 268 p. 20 e

JE M’ABONNE À LA QUINZAINE
J’ABONNE UN AMI
UN AN 65 euros
ÉTRANGER 86 euros
NOM :
PAR AVION 114 euros
ADRESSE :
6 MOIS 35 euros
ABONNEMENT  RÉABONNEMENT  POUR UN AMI  ÉTRANGER 50 euros
MIEUX ENCORE : SOUSCRIVEZ UN ABONNEMENT DE SOUTIEN PAR AVION 64 euros
UN AN : 152 t
135, RUE SAINT-MARTIN, 75194 PARIS CEDEX 04 RÈGLEMENT PAR :
CCP 15551-53 P. PARIS
IBAN : FR 74 30041 00001 1555 153 PO 20 68 – MANDAT POSTAL
BIC PSSTFR PPPAR – CHÈQUE POSTAL
La Quinzaine littéraire bimensuel paraît le 1er et le 15 de chaque mois – Le numéro : 3,80 t – Commission paritaire : – CHÈQUE BANCAIRE
Certificat n° 1010 K 79994 – Directeur de la publication : Maurice Nadeau. Imprimé par SIEP, « Les Marchais », 77590 Bois-le-Roi
Diffusé par les NMPP – Septembre 2007