Você está na página 1de 32

e e

La
3F
Ulnzalne
littéraire Numéro 83 Du 16 au 30 novembre 1969


LaS ISO du

EDueûen: ,Pierre
c ae er
et le pot de miel
SOMMAIRE

3 LE LIVRE Flannery O'Connor Mon mal vient de plus loin par Geneviève Serreau
DE LA QUINZAINE

5 ROMAN Martin Walser La licorne par Rémi Laureillard


ÉTRANGER

8 ROMANS PRANÇAIS Un thème privilégié: l'enfance par Claude Bonnefoy


8 Georges.Emmanuel Clancier L'éternité plus un jour par Maurice Chavardès
9 Monique Wittig Les guérillères par André Dalmas
Jean Sulivan Miroir brisé par Gilles Lapouge
10 Jeanne Champion X par Alain Clerval
11 Claire Gallois Une fille cousue de fil blanc par Anne Fabre-Luce

12 POÉSIE Michel Deguy Figurations par Pierre Chappuis


Poèmes - propositions - études

14 ENTRETIEN Pierre Schaeffer et le pot de miel propos recueillis par Marc Pierret

18 ARTS La Revue de l'Art par Françoise Choay

17 EXPOSITION Giacometti par Jean Selz

19 PHILOSOPHIE Leszek Kolakowski Chrétiens sans église par Constantin Jelenski

21 ESSAI Michel Zeraffa Personne et personnage par Catherine Backès

22 POLITIQUE Brian Crozier Franco par Herbert Southworth

24 LETTRE D'ITALIE Un scandale littéraire par Guido Davico Bonino

28 THÉATRE Grotowski à Londres et à New York par Raymonde Temkine


27 Bertolt Brecht Tambours et trompettes par Gilles Sandier

28 FEUILLETON w par Georges Perec

François Erval, Maurice Nadeau. Publicité littéraire : Crédits photographiques


22, rue de Grenelle, Paris-7·.
Téléphone : 222·94-03.
Conseiller : Joseph Breithach. p. 3Gallimard éd.
Publicité générale : au journal. p. 5Gallimard éd.
Comité de rédaction : p. 6 Vasco
Georges Balandier, Bemard Cazes, Prix du n· au Canada: 75 cenl~. Vasco
François Châtelet, p. 7 Vasco
Françoise Choay, Abonnements : Vasco
Dominique Fernandez, Marc Ferro. Un an : 58 F, vingt-trois numéros. p. 8 Laffont éd.
Gilles ~, Bernard Pingaud. Six mois : 34 F,. douze numéros. p. 9 Magnum
La Quinzaine Gilbert Walusinski. Etranger: p. 10 Gallimard éd.
U~ Un an : 70 F. Six mois : 40 F. p. I l Buchet·Chastel
Pour tout changement d'adresse : p. 12 D.R.
Secrétariat de la rédaction : envoyer 3 timbres à 0,30 F. p. 14 Fititjian-Belfond
Anne Sarraute. Règlement par mandat, chèque p. 16 Flammarion
bancaire, chèque postal : p. 17 Galerie Mae~ht
C.C.P. Paris 15.551.53. p. 18 Galerie Maeght
Courrier littéraire : p. 19 Copyright New York
Adelaïde Blasquez. Directeur de la publication Review et Opera Mundi
François Emanuel. p.23 Copyright New York
Review et Opera Mundi
Rédaction, administration : Imprimerie: Graphiques Gambon P·25 Le Seuil
43, rue duTemple, Paris-4·. p.26 D.R.
Téléphone: 887·48·58. Printed in France p.27 Bemand

2
LB LIV.B DB

Des soleils-poignards
LA QUINZAIIJB

discerné la mort sur son vuage. on n'est guère sauvé par ses œu-
Ainsi, à soixante ans, eUe allait vres ou ses mérites dans l'univers
prendre contact avec le réel. de la catholique O'Connor ! Mais
L'une est atterrée, l'autre ravi, l'est-on davantage par la foi ? Et
ces deux-là ne s'entendront ja- faut-il appeler « grâce ~ ce don
mais La cassure est nette, tracée étrange de connaissance qui tom-
au diamant. Elle ne fera plus que be sur le premier venu (et de
s'approfondir. Plus le fils est préférence sur le pire) et fait de
odieux - et il sait l'être - plus lui un ricanant messager de l'au-
la mère multiplie soins et atten- delà? Tous ces illuminés ressem-
lions et mobilise l'optimisme des blent peu ou prou au monstreux
amis autour du moribond, et plus évangéliste de la ~agesse dans le
s'aggrave entre eux l'abîme, car sang dont le grand-père portait
jusqu'au bout la mère refuse la Jésus dans la cervelle comme un
vérité de la mort, et on a presque aiguillon et qui finit par se brû-
le sentiment que le fils meurt de ler les yeux avec de la chaux vive
ne pouvoir la transmettre, meurt afin d'y voir plus clair dans ses
non tant pour lui que contre sa propres ténèbres.
mère, contre son imbécile aveu- Lorsque Sheppard. lentement,
glement. Il sera obligé d'entrer faisant un prodigieux et méritoire
seul en agonie, d'affronter seul retour sur lui-même, comprend
cette terreur de la mort qu'il enfin l'énormité de son erreur
n'avait pas prévue et qui l'assaille (la ruée de l'angoisse et de
au dernier instant. Qui a tort? l'amour déferla sur lui comme
Qui raison? Qui est bon? Qui une transfusion de vie), rien ne
méchant? Ce n'est pas entre ces vient l'en récompenser sinon le
termes-là que passe la coupure : petit cadavre de son fils pendu à
simplement il y a d'un côté ceux une poutre - suicidé par sa
qui savent (ce qui ne les rend ni faute.
meilleurs ni plus pitoyables ni Dans la nouvelle suivante - elle
plus perspicaces) et de l'autre, s'intitule «la Révélation ~ mais
les sourds. Pour se faire entendre, presque toutes pourraient porter
les premiers utiliseront n'importe le mot en sous-titre - la grosse et
quel moyen violent, et le plus fou pieuse Mrs Turpin, consciente de
en apparence sera aussi le plus sa valeur et de ses mérites (ordre,
efficace. bon-sens et respect de soi) et en
remerciant Jésus à toute heure,
Même cassure, fondamentale. sera brutalement arrachée à son
"'lannery O'Connor
irréparable, entre les personna- confort spirituel dans le salon d'at-
ges de «les Boiteux entreront les tente d'un médecin par une fille
Flannery O'Connor que faille profonde apparaît premiers », l'une des plus belles inconnue, « une grosse laidasse >~
Mon mal vient de plus loin entre les personnages mis en de ces neuf nouvelles et sans dou- qui n'a cessé de la fixer avec har-

1 Nouvelles trad. de l'anglais présence. En dehors même te des plus insupportahles. Shep. gne, et finit par se jeter sur elle
par Henri Morisset des différences immédiate- pard, tout comme la mère d'Asbu- toutes griffes dehors dans un ac-
Gallimard éd., 280 p.
ment visibles, sur le plan ry, est animé des sentiments les cèft de rage qui ressemble à de la
racial (les Noirs et les plus altruistes et totalement im- folie pure. Et quelque chose alon
Blancs), ou social (les maî- perméable à la véritable connais- franchit obscurément l'épaisse
Nous voici projetés en plein tres et les domestiques), ou sance des êtres : il ne voit ni bonne conscience de Mrs Turpin :
royaume des ténèbres. L'en- sur le plan des générations son propre fils (qu'a traumatisé elle était sûre, maintenant que
fer c'est ici-bas, et la grâce (les mères et les fils). Cette la mort de sa mère) ni le petit la fille la connaissait, personnel-
de Dieu, qui tombe çà et là faille est bien pire, qui n'est boiteux abandonné qu'il recueille lement, profondément, par-delà
sur les plus déshérités, res- pas incompréhension mo- et comble de ses bienfaits. L'or- le temps, les lieux et les circons-
semble à l'éclair de l'épée mentanée, malentendu ou phelin, après avoir fait subir à tances. Elle ne se trompait pas et
qui tue. Dans les nouvelles de erreur réparables, mais bien son protecteur les pires avanies, le message est clair : « Retourne
ce dernier recueil de Flannery l'absolu de la surdité, l'enfer lui déclare en pleine face, qu'il en enfer d'où tu viens, vieux pour-
O'Connor (1) toujours quel- de la non-communication. n'est qu'un « gros lard, un Jésus- ceau à verrues », articule la fille,
Christ en peau de toutou, qui se et dès lors c'est en vain que Mrs
La tragédie est ainsi posée dès bien portant que dans la noire prend pour le bon Dieu ». « J'ai· Turpin tordra son esprit en tous
le départ, et qui dit tragédie dit machinerie de la fatalité. me cent fois mieux, ajoute-t-il, sens pour échapper à la justesse
l'impossibilité de toute solution Ecoutons l'attaque de la pre· la maison de redressement que la fulgurante de ce jugement: oui,
autre que la mort. Cela vient dou- mière nouvelle (celle qui donne sienne... Le démon le tient en son elle n'est qu'un « pourceau ~ et
cement, par touches irrémédiables son titre au recueil) : c'est la ren- pouvoir ~. Par la bouche infâme ses vertus seront «la proie du
mais légères. On admire l'éton- contre de la mère et du fils, l'étu- de l'horrible Rufus, nourri du feu ».
nante sécurité, la maîtrise, l'allé- diant Asbury qui relourne pour langage primitif des prêcheurs du C'est avec la même furie meur-
gresse qu'une telle certitude de y mourir dans la maison mater- Sud, c'est tout de même la vérité trière que Mary (dans « Vue sur
la tragédie en cours donne à nelle : Elle avait poussé un petit qui passe, une certaine connais- les hois »), l'étrange et rébarba-
l'auteur. Rien de plus propice à cri et semblait atterrée. Il était sance terrible à laquelle l'honnê- tive petite fille du vieux Fortune
l'humour - qui n'est jamais si ravi qu'elle eût, du premier coup te Sheppard est étranger. Ah, se jettera sur son grand-père qui

~
La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969 3
INFORMATIONS

l'adore, parce qu'il est demeuré une sorte de violence radicale et Adieu à Robert Laffont, un recueil de nouvel-
fermé à ce qui e8t pour elle l'axe tourmentée, avec la même hor- Lop Masson les de l'écrivain disparu : des Bouteil-
les d8ns les yeux.
même de la vie. Il mourra de ne reur organique du mensonge et
pu l'avoir saisi à temps, non de l'hypocrisie. Poète, dramaturge, romancier, jour-
sans avoir tué auparavant l'in- Mais peut-être est-il vain de naliste (il fut rédacteur en chef des Ezposition
compréhensible messagère d'une souligner ces ressemblances: • Lettres françaises - au lendemain
vérité qui le dépasBe. pour notre délectation. Flannery de la seconde guerre mondiale), Loys
Masson est mort le 24 octobre 1969 Du 1'" au 15 décembre aura lieu
De la même façon, un coup de O'Connor laisse quatre admira- à l'âge de clnquante-quatre ans. Il à la Librairie Saint-Germain-des-Prés,
poing en apparence absurde fait bles recueils où chacun puisera avait débuté dans les lettres, en 1942. 184, Boulevard Saint-Germain à Paris,
chavirer dans la nuit toutes les ce qu'il lui plaira de trouver dans avec un recueil de poèmes intitulé une· exposition des livres - presque
cet univers étroit de la surdité, Déllvrez.nous du mal (Seghers) et tous des recueils de poèmes - pu
certitudes de la mère de Julien nous avait donné depuis, outre des bilés par les éditions • Les Ecrivains
(dans Tout ce qui monte con- de la violence, de la révélation. pièces de théâtre et de nombreux Réunis -, (Armand Henneuse). On y
verge), cette grosse dame tou- La mort - si proche alors - en recueils de poèmes, neuf romans verra, entre autres, des éditions ori-
chante et ridicule, innénarable accentue encore, dans ce dernier (Laffont). En 1962, il avait obtenu le ginales de Louis Aragon, Henri Bar-
recueil, l'ombre et la lumière, Prix des Deux-Magots pour son roman busse, Blaise Cendrars, André Salmon,
mélange de racisme, de gentilles- intitulé le Notaire des noirs et le Prix Eluard, Francis Ponge etc., dont cer-
se et de vanité désarmante. Julien rend plus aigu le regard, plus per- de la Fondation Del Duca pour l'en- taines sont devenues très rares, et
lui, comme bien d'autres dans ce cutant l'humour, plus forcenée la semble de son œuvre. Charles Mou- même un petit volume de poèmes
recueil - et comme Flannery violence. C'est toujours le Sud, lin lui a consacré une étude publiée de Seghers...
dans la collection • Poètes d'aujour- A cette occasion Armand Henneuse
O'Connor elle-même - a fait des paysage ingrat, jamais décrit pour d'hui -. En mars 1970 paraîtra, chez présentera ses livres les plus récents.
études à l'Université, s'est frotté lui-même d'ailleurs, qui est com-
à des gens, à des idées, inconnus me la forme visible des âmes en
aux campagnes arriérées du Sud. présence : pauvre et foudroyé
Il est revenu vivre - comme l'au- par des soleils obsessionnels. Pe-
teur, là encore - auprès de sa tite bourgeoisie sudiste repue de
bonnes œuvres, intellectuels aux
A paraître déterminants, par A. Culioli, C. Fuchs
et M. Pecheux. La diffusion de tous
mère et il la voit telle qu'elle est,
ces ouvrages est assurée par les édi·
et il la hait et la raille ouverte- principes généreux, aux actions Chez Julliard, on annonce un nou- tlons Dunod.
ment, détestant sa propre com· piteuses, Noirs hâbleurs, fai- veau roman de Michel Boulgakov : Le Centre de Linguistique Ouanti·
plicité de fait avec la vieille fem- néants, rusés, tels que leurs maî· Un cœur de chien. L'auteur du Roman tatlve de la Faculté des Sciences de
théâtral et du Maitre et Marguerite, Paris s'efforce, depuis dix ans, de
me mais incapable d'une révolte tres les ont faits, petits Blancs publiés récemment chez Laffont (voir dispenser un enseignement Interdis-
efficace, voué d'avance à la mé- abrutis, à la Caldwell, méprisés le numéro 54 de la Quinzaine) nous ciplinaire, au carrefour de la mathé-
diocrité et le sachant. Tels sont par les possédants et qui se ven- donne Ici un récit burlesque, absurde, matique et de la linguistique. L'assi·
la plupart des intellectuels chez gent en haïssant le Nègre... Flan- grinçant qui a pour cadre la Russie mllatlon de cet enseignement, préci·
des années 20, c'est·à-dlre une Russie sons-le, ne présuppose chez les audi-
O'Connor : des monstres de luci- nery O'Connor les saisit où ils où, entre la mort de Léhlne 'et l'avè- teurll aUCI,JOe connaissance préalable.
dité et d'impuissance. Une énor- sont, les cloue devant nous pour nement de Staline, la terreur reste (Pour tous renseignements, s'adres-
me négresse, qu'exaspèrent à la toujours grâce à un art incompa- encore sous-jacente et où la liberté ser au secrétariat du Centre : Centre
folie les bontés de la dame blan- rable, et cruel, du détail concret : des mœurs n'a pas encore fait place de Linguistique Ouantltatlve, Saint-
au puritanisme d'un retour à l'ordre Sulpice de Favières-91).
che, sera cette fois l'instrument, geste, regard, pauvres mots échan- établi.
à la fois purificateur et destruc- gés - même les silhouettes de Chez le même éditeur, signalons
teur, de la c révélation ~. passage sont travaillées, comme également trois ouvrages sur l'Alle- Larousse
Simone Weil écrivait : Seuls le sont les personnages de second magne qui ne manqueront pas de
retenir l'attention : un document sur La Librairie Larousse met en sous·
des êtres tombés au dernier degré plan chez Bosch. Qui oubliera le N.P.D. par R. Kuhn et dont le titre crlptlon au prix de 89 F un ouvrage
de fhumiliation, bien au-deuow jamais, après les avoir rencontrés n'a pas encore été fixé; une étude encyclopédique consacré à l'archéo·
de la mendicité... ont en fait la une fois dans ces pages, l'affreux historique sur la Gauche allemMde logle. Sous la direction de Gilbert
depuis sa naissance jusqu'au nazis- Charles-Picard, l'Arch60logle. cNcou-
pOlJlJibilité de dire la vérité. Et Rufus, la laidasBe au visage bleui
me, par Gérard Sandoz; les MémoI- verte des civilisations dl....... se
aussi : Peut-être que Dieu se par l'acné, Parker le tatoué qui res d'un Allemand. par Ernst Erich propose de mieux faire comprendre
plait il utilUer les déchets, les se fait graver dans le dos l'image Noth. Auteur trilingue, E.E. Noth, qui et connaître les buts, les méthodes
de Dieu, la mère de Thomas et a publié plusieurs ouvrages en fran- et les résultats de cette science mal
pièces loupées, les objets de re· Interprétée par le grand public. L'ou-
çais et, notamment la Tragédie de
but. Et ailleurs : L'acte méchant BeS bigoudis en caoutchouc rOBe... la jeunesse allemande (Grasset), vrage comprendra 500 illustrations et
est un tramfert sur autrui de la Et l'on re8te obsédé par ces yeux, réside aux Etats-Unis où Il s'est cartes en noir et seize hors-texte en
dégradation qu'on contient en soi. bleu pâle, délavés, transparents exilé en 1933. Les Mémoires de ce couleurs.
e est pourquoi on y incline - et comme ouverts par derrière résistant de la première heure, dont
les livres furent mis au pilon par les Editions uDÏversitaires
comme ven une délivrance. On sur un autre monde - des fous nazis, comprendront plusieurs volu-
pourrait multiplier les citations et des illuminés au moment de mes. Les deux premiers à paraître Aux Editions Universitaires paraît
de ce genre. A regarder simple- la c révélation ~, par ces soleils- auront pour sous-titre les Années de un livre où, sous le titre de Blbllo-
ment leurs deux photos, celle de poignards, ces soleils-coups de guerre et les Années américaines. thique Idéale de poche, se trouvent
répertoriés et commentés par Jean
Weil et celle d'O'Connor, la res- poing qui brusquement ensan· Huguet et Georges Belle les prlncl.
semblance frappe : même visage glantent le ciel et la mémoire - Linguistique paux romans et les principales piè-
sans grâce, la bouche généreuse, signes vraiment ébloui88ants de ces de théâtre publiés ou annoncés
et ces yeux cerclés des mêmes lu- la mort. L'association Jean Favard, qui a dans les différentes collections de
pour but le développement des re- poche.
nettes à monture de fer, large ~neviève Serreau.
cherches dans les domaines de la
ouverts sur le monde avec quelque linguistique formelle, quantitative.
chose d'impérieux qui semble
Pierre Belfond
mathématique, etc., annonce parmi ses
vouloir forcer les apparences. (1) Morte à 3S ans en 1964, Flannery prochaines publications : Traduction Aux éditions Pierre Belfond. Marcel
O'Connor a publié deux romans: la humaine et m6canlque, par A. Ljuds- Béalu publie son premier roman, où
Catholiques toutes deux (et la Sageue dan.s le IIQIIg et Ce .ont ka t1Îoo kanov; Leçons de linguistique mathé- le fantastique cède quelque peu le
chose paraît aussi incongrue lent. qui femport4!1II, et deux reeuew matique, par A. Gladkli; lexis et me- pas à l'érotisme : le Puage de la
chez l'une que chez l'autre), mor- de nouvelles: la Braves geJl$ lie cou- talexls : application IIU problème des Bite.
tes toutes deux avant quarante rent pœ les rues et Mon mal VÙlnt de
phu loin.. Tous quatre ont paru en
ans, possédées toutes deux par français aux éditioDs Gallimard.

4
Le rom.an allelDand
se porte bien

Martin Walser l'attention se déplace vers le « je » xité s'explique par le double aspect
La licorne du récit. L'homme-individu n'est de ses romans : ce sont des œuvres

1
traduit de l'allemand plus un tout indivisible face aux au- à la fois construites et abandonnées
par Magda Michel tres, un atome insécable, mais bien à elles-mêmes. L'auteur fixe un ca-
Gallimard éd., 389 p. un « holon », pour reprendre le ter- dre, puis laisse sa plume inventer
me de Koestler, à la fois tout et par- des événements, noter des observa·
tie. C'est un maillon qui lui-même tions microscopiques et appaJ;.em-
En Allemagne, plus nettement se décompose en chaînes nombreu- ment sans rapport. Ces enchaîne-
qu'ailleurs, le roman suit ses. L'individu devient dividu, et le ments flexibles et incongrus répon-
aujourd'hui deux voies diffé- roman explore toutes ses possibilités, dent aux sollicitations de la mémoi-
rentes, mais non divergentes: ses potentialités, ses diverses moti- re.
la voie sociale et la voie sub· vations et impulsions. Le « moi » Le narrateur est au lit, vacant et
jective ou expérimentale Il multiplié autorise les singulières in- absent aux autres, non sans quelques jourd'hui de l'être, ils ne se cares-
parvient souvent à faire la terférences, les jeux de la mémoire difficultés familiales. Son étrange sent pas. Cette négation est encore
synthèse, et c'est sa et de la fantaisie, et nous en arri- recollection le mène vers un passé trop, puisqu'elle laisse en place une
grande réussite et son inté· vons, non sans une heureuse confu- récent, animé de plusieurs aventu- potentialité affirmative, une sorte
rêt. Martin Walser témoigne sion des valeurs, à un art baroque, res amoureuses où Mnémosyne joue d'énoncé tentateur.
de cette réussite. Déjà intro- présent chez Grass, Hildesheimer, un rôle de création non négligeable. Or, notre mémoire est faite de ces
duit en France par deux tra- Arno Schmidt, Martin Walser, pour Dès lors le narrateur Anselm, dou- tentations. Dans notre crâne s'agi-
ductions, Quadrille à Philippe- ne citer que ceux-là. ble de l'auteur, s'interroge longue- tent des faits qui « entretiennent des
ville (Plon) et Le cygne noir S'il y a divorce apparent entre le ment sur la nature du temps et de la relations à notre insu ». Il faut veil-
(Gallimard) , et surtout par sa roman « social» traditionnel et le mémoire. Certains de ses sophis- ler à ces manifestations d'indépen-
pièce Chêne et lapins ango· roman expérimental, et même au mes sont saisissants : constatant que dance exhorbitantes. « Avec les fai-
ras (jouée au T.N.P.), il mérite sein de chaque romancier, cela ne le journal parle un jour des derniers bles forces dont je dispose, je dois
d'être largement connu du pu- doit pas nous étonner. Plus qu'un actes de Lumumba et le lendemain donc me jeter à l'assaut de ces reve-
blic francais. autre, l'écrivain allemand est déchi- annonce qu'il est mort, Anselm nants..., les poursuivre de corréla-
ré entre un passé littéralement inas- conclut que Lumumba ne meurt tion en corrélation, les démasquer,
Le roman « social» est ferme- similable et un présent peu convain- pas, ne meurt jamais; le fait n'est rompre les contacts, détruire les
cant. Devenu imperméable aux pas mentionné dans le journal. Puis connexions qui ont déjà eu le temps
ment appuyé, outre-Rhin, sur la tra-
idées reçues, aux idéologies, démo- il met en doute la notion de simul- de s'établir, isoler les foyers d'agita-
dition. Depuis Wilhelm Meister,
cratiques ou socialistes, incrédule de- tanéité : est-il possible que les évé- tion, les assécher, les pulvériser...
c'est à la fois une enquête et un
vant le bulletin de vote (pour un nements effroyables qui ont entouré Les mots se prêtent à cette œuvre
constat sur l'état de la société. Le
Walser ou un Enzensberger CDU et la mort du héros africain aient eu d'hygiène mentale dans la mesure
héros est un individu, très neuf et
SPD sont blanc bonnet et bonnet lieu au moment où lui-même s'adon- où, pareils aux fonctions mnémoni-
très solitaire, qui gagne son diplô-
blanc (1) ) il est sensible au dérègle- nait aux actes les plus futiles ? La ques, ils égalisent fourmis et gratte-
me d'homme en explorant toutes les
ments du monde, aux phénomènes mémoire joue aussi un rôle ambigu. ciel, réduisent les fourmis comme
couches de cette société, en subis-
hippies ou contestataires. C'est en Que conserve-t-elle? N'est-elle pas les gratte-ciel à une qualité dans la-
sant ses rebuffades et en conqué-
fin de compte, dans le scepticisme avant tout négation puisque l'ins- quelle grandeur et petitesse ne comp-
rant une solidité intérieure. Il doit
que s'unissent sa Weltanschauung tant mémoré n'est plus, donc n'est tent plus, dans la mesure où elles ne
refouler et anéantir ses « labyrinthes
et son moi subjectif. Mais comme le pas dans le temps présent ? Le récit sont toutes deux que des mots...
de poitrine » (le mot est de Gœthe
tempérament allemand s'accommode né de la mémoire, n'est-il pas dénué /'admets « grosso modo » que de
et non de Joyce) pour atteindre une toute chose il reste des mots ».
mal du désenchantement et de la de toute authenticité ? Que procla-
salutaire sérénité.
retenue, roman social et expérimen- me·t-il sinon une absence, une Voilà donc l'écrivain addition-
La société était.elle, au temps de
tation subjective se retrouvent dans inexistence ? Si je dis par exemple nant les mots par hygiène mentale,
Weimar, une meilleure école de sa-
une même ironie débordante, rebel- qu'Orli et Anselm se sont caressés, pour dompter tous les « moi » mul-
gesse que la nôtre ? Il est sûr que le à la discipline. Le fait est assez c'est donc qu'ils ne se caressent plus tiples et proliférants de son dividu,
les héros de Fontane, de Thomas
neuf pour mériter d'être souligné. et que même, absolument, pour l'au- parmi lesquels la licorne. Quelle est
Mann, de Rilke, de Musil ont à af-
Il permet un recul salubre, un « dé-
fronter un monde plus redoutable -
sengagement » à la manière d'un
fêlé, émietté, où nulle « société de
Joyce chez qui, d'ailleurs, l'humour
la Tour» ne vient sauver l'individu
du désenchantement. Avec Gün-
est un élément constitutif. L'ironie
autorise aussi une satire très effica-
Edouard Mattei
ter Grass, Uwe Johnson et d'autres,

l'amateur
ce, de soi-même et des autres. L'écri-
la société a été une bonne fois jetée
vain allemand ne prétend plus nous
bas, et ce qui en subsiste, habité de
apporter un message achevé, les rè-
revenants et de transfuges, n'offre
gles d'un bon apprentissage de la

deeafé
plus de prise qu""a la démesure. vie, il nous communique les rires ou
Cependant l'allure du roman n'a les hennissements des faunes et des
guère subi de modification fonda-
licornes qui s'ébrouent. Si elle évite
mentale. Le héros reste une sorte de
tout schéma didactique, cette métho-
picaro allemand qui appelle sans roman
de ne nous met pas moins à l'épreu-
cesse par son action de nouvelles
ve.
aventures sans lien évident. L'arti- "une œuvre d'art... où les prestiges du langage concilient
Parmi ces maîtres d'un nouvel perfection et frémissement ".
fice de cet « apprentissage» a été COMBAT
humour, Martin WaIser est, aux di-
assez sensible à nombre de jeunes
res d'Enzensberger, « le plus ba- "son livre... est l'un de ceux qui s'imposent d'emblée ".
écrivains, nourris de Joyce, de Faul. QUINZAINE LITTERAIRE
kner et de Freud, pour qu'ils tentent vard ». Prélude à La licorne, son pré-
une autre approche de la réalité. cédent roman Halbzeit (non traduit) _ _ _ _ _ _ CALMANN-LÉVy 1IIIIIIIi
C'est le roman expérimental où n'était pas moins épais. Cette proli-

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969


ROMANS

Un thème
FRANÇAIS

cette licorne ? L'auteur Dote eD épi- Les romanciers, cette sai- qu'une réponse insnffisante et
graphe cette incaDtatioD du Psaume son, retomberalent·lls en en- provisoire.
22 : « Arrache-moi à la gueule du fance? Voici qu'une dizaine Aussi bien, il est évident ici que
lion Et à la corne de la licorne. » d'entre eux, non point avec le thème ne commaDde pas l'écri·
Quel piège DOUS teDd Walser eD dé- ensemble, mals dans ce ture. Autant d'auteurs, autant de
formant le texte biblique qui dit, beau désordre qui caractérl· manières de parler de l'enfaDce.
seloD les versions, « à la corne du se les cours de récréation, Le réalisme poétique de Sabatier
buffle » ou « du taureau » ? Sym- font des clins d'œil à J'enfant n'est pas la quête quasi.prous-
bole phallique et dyoDisiaque, cette qu'ils furent ou se retour· tienne visant à la récupératioD
licorne est saDS doute l'élémeDt le nent carrément vers les para· totale d'un monde perdu et à son
plus iDcoDtrôlé de SOD « moi» di- dis aux verts tendres ou aci- intégration dans le présent de
vers, le plus folâtre, le plus fou. Sa des de leurs jeunes années. Georges Guérin. Le lyrisme cara·
capture De va pas sans mal, d'autaDt colant de Polac et celui, vengeur,
que toute la société pousse à cette de Pilhes sont aux aDtipodes des
dispersioD du Darrateur, à cette analyses sensibles et rigoureuses
aDarchie des sens, étant elle·même Qu'elle soit le thème principal de Françoise de Gruson, comme
désordre, leurre et basse séductioD. ou le lieu à partir duquel s'éclai·
Ici Walser se fait cinglant. La reDt, autour duquel s'ordonnent
satire des mœurs est cruelle. L'écri· la démarche du récit, la structure
vain, « eDtreteDu », fait figure de du drame, les relatioDs des per-
marioDDette pour auditoire coDteDt soDDages, l'enfance est au cœur
de soi et de peu. C'est UD représeD' de leurs livres, en constitue le
taDt, un placier eD idées reçues, en Doyau éclatant ou secret. Ressus-
truismes bêtas, eD circonlocutions citée ou réinventée, au premier
verbeuses. L'auteur eD vogue est un plan· ou eD coulisses, elle est pré.
êtTeboursoufié d'orgueil, odieux, et sente dans les romans d'HélèDe
devaDt certains portraits précis le Cîxous, Jeanne' CressaDges, FraD'
lecteur se preDd à essayer quelques çoise de Gruson, Marie Nigay,
clefs pour deviDer quels cODtempo- Yolande Paris, Louis Calaferte,
rains Walser a aiDsi mis sur la Serge Doubrovsky, Georges Gué·
sellette. La dérisioD de tout rejoint rin, Pierre Mertens, René·Victor
le dépassemeDt du réel, par la fan- Pilhes, Michel Polac, Robert Sa·
taisie, l'iroDie, l'onirisme. La boucle batier... Serge Doubrovsky R.-V. Pilhes
est bieD bouclée. Par UDe sorte
Coïncidence, sans doute, mais
de fuite circulaire l'auteur échappe de la concision brûlante de Cala· où l'on comprend le langage des
qui ne laisse pas d'être curieuse.
sans cesse à ses haDtises. Le roman ferte, de la reconstitution d'un fleurs et des bêtes, et une autre,
Aucun de ces auteurs n'a l'âge
eDtier est une roDde où l'OD vire langage enfantin, aussi n~ïf que difficile, pénible, génératrice de
auquel les écrivains fODt volon-
à bonDe allure. roué, par-Yolande Paris, ou des souffrance ou de révolte, où l'on
tiers retour sur leur passé, écri·
La licorne est UDe œuvre savou- recherches formelles de Serge se heurte aux parents, aux con-
vent - ou déguiseDt - leurs
reuse, qui donDe à penser, où l'on Doubrovsky. De même, il est cere ventions sociales, voire dans le
souveDirs d'enfance. A part Saba·
D'a pas fini de puiser et de rêver. tain que tous les enfants, sauvages cas de Doubrovsky, victime du
tier et Calaferte, qui, du reste,
Minutieuse, inlassable, acharnée, ou timides qui courent, paradent r a c i s m e, à l'incompréhensible
n'oDt pas ou à peine dépassé qua-
elle met au jour des strates ignorées ou souffrent dans ces livres ne cruauté du monde. D'un côté
rante-cinq ans, presque tous en
de la conscieDce humaiDe. Persi- feraient pas partie d'une même Rousseau et Chateaubriand nous
SODt à leur premier ou à leur
fleuse, elle D'est pas directemeut bande, ne joueraient pas aux mê· font sigue, de l'autre le petit Val·
second romaD. Or, les débutants,
aux prises avec le système politique mes jeux sous le préau d'une lès, et plus encore Poil de Ca·
d'ordinaire, s'iDspirent de leurs
allemaDd ou occideDtal. SoD projet école, qu'il n'y a pas deux enfan- rotte.
propres aventures, évoquent ou
est plus vaste: c'est une remise eD ces pareilles et que parler de
transposeDt des événemtmts ré-
cause de la consommatioD culturelle l'enfance n'est pas, loin de là,
cents. Le plus souveDt ils mettent
dans UD pays replet, daDS UDe nager dans l'eau de rose des bons Déeouverte de la nature
en scène des héros jeunes ou ado-
hémisphère gavée des produits et sentiments.
lescents tâtonnant sur les chemiDs
sous-produits d'uDe éthique sociale La découverte de la nature,
de l'amour ou de la liberté, s'ef·
à boD marché et graDde diffusion. des champs, des villages et du
forçant de quitter tout ce qui
C'est aussi UDe quête au sein de Certaines images monde, est présente chez Marie
ressemble à l'enfance pour s'affir-
l'homme, DuaDCée de chaleur et de Nigay, chez Jeanne Cressanges,
mer comme des hommes. On
tendresse. Car l'auteur De tranche L'enfance, toutefois, impose cer- chez Georges Guérin, chez Cala·
notera alors que la plupart des
pas dans le vif, il a même UDe pré- taines images. A la lecture de ferte, chez Yolande Paris, dans
débutants de cette année, qui
dilection amusée pour une certaine ces livres, on pourrait imaginer certaines pages de Mertens ou
nous entretieDnent de l'eDfance,
faiblesse humaine, à conditiOD qu'il y a deux enfances, ou, à' même de Polae (tandis que ehez
n'en SODt plus au stade des brouil-
qu'elle De veuille pas donDer le l'intérieur d'une même enfance, Pilhes elle n'a de rôle que sym·
lons d'écolier ou de l'inspiration
change. En vérité le romaD aIle· deux aspects, deux expériences bolique). Paradoxalement, on la
juvénile. Doubrovsky, Polac,
maDd se porte bien. qui seraient comme l'envers et rencontre aussi dans le! Allumet-
Pilhes, Guérin, Françoise de Gru·
son, Pierre Mertens, par exemple, l'endroit de l'apprentissage de la tes suédoiSe! de Robert Sabatier
Rémi Laureitlard. ont déjà comme critique, journa- vie. Il y a une enfance relative· dont «la Quinzaine ~ a déjà
liste, essayiste, nouvelliste, auteur ment libre, heureuse, naturelle, parlé, Olivier étant moins un pe-
1. Le cas de G. Grass, thuriféraire de
Willy Brandt, doit faire grincer bien des radiOPhOnique, professeur, une généralement campagnarde où tit Parisien qu'un enfant de ce
dents parmi ses pairs. expérience de l'écriture et de la l'on s'enivre de longues courses, village nommé Montmartre où se
La traduction de Magda Michel est
d'une remarquable qualité. \ réflexion. Mais ce ne peut être là où l'on se barbouille de mûres, conjuguaient encore dans les an·
ROBERT
privilégié •
• l'enfance LAFFONT
présente
nées trente les nostalgies provin- l'annonce de sa passion des voya· la nostalgie de la mère-enfant,
ciales et les lumières de la ville. ges qui l'entraînera professeur, en trop tôt perdue, de Robert Saba·
La vie provinciale, l'enfance Inde, au Pérou. Tout l'équilibre tier, voilà qui est totalement ses auteurs
s'écoulant entre les boutiques d'ar-
tisans, l'odem de la bourrellerie
d'une vie, toute la richesse d'une
culture qui se glisse dans les in·
étranger à Pilhes ou à Polac. Pour
eux, comme pour d'autres, le mot
de la rentrée
et les feux de la forge sont évo· terstices du récit trouvent leur de Gide: «Famille, je vous hais :t,
qués avec une sensibilité pudique source, leur raison d'être dans cet ne serait cependant pas juste. La
dans le récit tout classique de univers d'enfance. Et sans doute famille est peut.être ce qu'on n'a Gilbert Cesbron
Marie Nigay, la Vie comme un est-ce cet enracinement qui fait pas eu, ce qu'on aimerait avoir,
cadeau. Mais ce sont surtout échapper Guérin au pessimisme et le theme de la bâtardise (que je suis mal
Georges Guérin et Yolande Paris de la plupart des romanciers Françoise de Gruson traite avec
qui, de manières fort différentes, actuels. pudeur et lucidité, Pilhes avec une dans
ouvrent les portes des verts para· Le sens de la famille, du ri- fureur vengeresse) est surtout
dis. tuel implicite et complexe qui douloureux parce qu'il signifie ta peau
Dans Julienne et Lucie, Yo· préside aux relations de cousi· l'absence d'une vraie famille. roman
lande Paris nous conte la vie de nage, tel que peut l'avoir Guérin, Ce qui fait problème, pour les
deux petites filles à la campagne, romanciers actuels, c'est la rela·
pendant la guerre, une guerre qui tion difficile, voire la communi-
les frôle à peine et qui leur ap· cation impossible avec l'un des
paraît comme un grand jeu, mys· parents ou - c'est essentielle·
l'éternité
térieux et parfois meurtrier, de
gendarmes et de voleurs ou de
ment le cas pour Doubrovsky - plus
avec la société. Cette mauvaise re·
cache·cache, auquel se livrent les
adultes. Bien plutôt, Yolande Pa-
lation est le venin qui empri. un jour
sonne l'existence, qui rend impos·
ris laisse parler les deux gamines, sible une insertion normale, dé- roman
les regarde agir, dialoguer avec les nuée d'arrières.pensées ou de mé·
plantes, let' bêtes, les choses qui fiance, dans la société. C'est elle
bougent ou qui font mal, réin- qui est responsable de l'échec et
venter à leur usage une sorte de la déchéance du personnage
d'animisme primitif. Bien que lié dans le roman de Polac, elle qui
au monde des adultes, celui des pousse le narrateur du Loum, de sauvagine
enfants apparaît comme indépen- R.V. Pilhes, à entreprendre l'ir·
dant, avec ses règles et son lan·
gage, comme entretenant une se· Hélène Cixous roman
crète complicité avec la nature.

De. racines
brancula
Georges Guérin, lui, dans Virgo
et Argo, roman large et foison·
roman
nant, l'un des plus singuliers de
cette année, emprisonne dans de
longues phrases aux images net-
tes et savoureuses, les paysages,
les rêves, les élans de son enfance.
Non seulement il restitue ce qu'il la béatitude
fut et ce qu'il sentit, son goût des ....
jeux de construction, son émotion :' érotique
devant la mer relativement pro·
che de son village, son émoi de roman
sentir contre sa main, lors d'un
bal de mariage, le sein rond d'une
jolie dame, mais il cherche ses Syl
racines, il se replace dans l'arbre
- généalogique, sentimental, cul-
turel - qui est le sien. Du pré à
kobor
Nadeau jusqu'à la ferme du p'tit
Borde, il dresse le cadastre, la tigan't
géographie des lieux ou se dé-
roula l'histoire de sa famille, où roman
parmi le réseau des tantes, des
oncles, des cousins, des voisins,
des camarades de classe se forma
sa sensibilité. Son oncle marin,
les maquettes de bateau, les livres
qui le faisaient rêver sont comme Georges Guérin

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969


roman
~ L'emanGe
Trois en un

1
résistible ascension qui marquera tions et de l'éducation, où les Georges-Emmanuel Clancier
l'écrasement de la mère. Mieux, réactions spontanées sont encore L'Eternité plus un jour
les parents ne sont pas seulement les meilleures, où les seules règles Laffont éd., 704 p.
coupables de ne pas comprendre qu'on respecte vraiment sont cel·
leurs enfants, mais hien de les les du jeu. Dans le menu romanesque de
avoir faits. La faute de la mère la saison, f Eternité plus un jour
remonte au moment de la nais- Sans doute est·ce là une des rai· fait figure de plat de résistance :
sance: c Maman, pourquoi m'as· sons du retour des romanciers à avec ses sept cents pages, ce
tu laissé tomber de ton ventre ? ~ l'enfance. Il est possible que la roman est certainement un des
interroge le héros de Polac qui, psychanalyse, ici, ait joué un rôle. plus longs, le plus long sans doute,
toute sa vie, gardera la nostalgie Mais ce serait surtout un rôle sou· paru ce trimestre. Georges.Emma.
de l'état foetal. Plus radicalement, terrain, en rappelant l'importance nuel Clancier, qui nous avait habi·
c'est le moment de la conception, de l'enfance dans la formation de tué à des livres copieux - notam·
et le narrateur du Loum poursuit l'individu. Car, à part R.·V. PiI· ment ceux du cycle intitulé le
de sa haine la c dame charnue, hes, et par instant Mertens, aucun Pain noir - bat aujourd'hui son
noire et poudrée» qui, un jour, de ces auteurs ne nous présente propre record. Si l'on y regarde
s'est allongée sur une table et a de situations appelant directe· de près, cependant, l'ouvrage en
ouvert les cuisses pour le plaisir ment l'interprétation psychanaly. question n'a cette épaisseur que
d'un mâle et son malheur à lui. tique. parce qu'il groupe en un unique
En fait, ce dont souffrent ces en· Plus sûrement, ce retour à l'en· volume trois romans dont rien
fants, c'est de n'avoir pas de mo· fance, et, à travers elle, à la na· n'empêchait qu'ils fussent publiés G.E. Clancier
dèle. personne ou aucune lumière ture, est un recours contre le séparément, sinon, peut-être, l'am-
pour les guider sur le chemin de monde modeme, la civilisation ple houle qui, du début à la fin, la tour - G.·E. Clancier inscrit
la vie. technique, les contraintes de la entrelace les thèmes, les enchevê- dans le décor de son roman un
société. Iuvel'llement, ceux qui tre de telle sorte qu'il y aurait donjon carré sur la plateforme
maudissent leur enfance, et plus baisse de tension à perturber ce duquel erre, la nuit, une jeune
La relation à l'eztérieur encore les parents qui la leur ont courant en en suspendant les alter· folle. Vision shakespearienne qui,
gâchée, sont aussi ceux qui ont nances... tout de suite, incline l'ouvrage
Amour de la nature ou vio· connu le plus tôt cette civilisation C'est dire que le livre est fait vers le drame et le sublime. Le
lence des conflits familiaux ne ré· et ces contraintes sans y être au· de «moments» ingénieusement drame s'y affirmera dans un con·
sument pas toutes les enfances. Il cunement préparés. Bref, si le structurés : la jeunesse s'y trouve texte d'émeutes (février 1934), de
serait hâtif d'afficher dans les monde va mal ou si l'on n'est pas concomitante avec la mort, la guerre (1939-40), de résistance
vitrines des librairies, au·dessus bien au monde, l'enfance est un guerre avec l'amour, l'innocence (1940-45), cependant que le subli·
des romans de la saison, une pan- refuge. Ou au contraire elle est avec la folie, la tendresse avec le me s'y perd peu à peu dans la
carte conçue à la manière des en- l'annonce de ces maux, l'origine crime et, par une sorte d'unani- dégradation d'une passion dont
seignes d'autrefois: cAux enfants de cette inadaptation. Et c'est par misme poétique, le quotidien avec pourtant Henri Verrier souhaitait
de Combourg et de Jules Renard rapport au présent qu'elle prend l'Histoire comme la terre natale qu'elle durât - selon la formule
réunis ». Nature et conflits paren- son sens. avec l'univers. d'Orlando dans Comme il vous
taux supposent une relation à l'ex· Dans le goût des romanciers Autour du héros qui narre plaira - «l'éternité plus un
térieur. Quand Calaferte écrit pour l'enfance, surtout s'ils ne - Henri Verrier - de multiples jour ».
Portrait de fEn/ant, quand Mer· croient plus aux vertus de l'intri· personnages, les uns présents de Revenant sur son passé dont,
tens dans rInde ou f Amérique gue, il y a encore ceci : plus que bout en bout, les autres apparais. suivant les conseils d'une psychia.
peint un petit garçon rêveur et d'autres thèmes, elle permet les sant et s'évanouissant comme des tre juive, il a entrepris le récit,
secrètement dur, soucieux d'être cheminements sinueux, les ruptu· marionnettes, peuplent un espace le narrateur avoue: «Ma vie,
différent des autres, quand Y 0- res brusques, la liberté de l'ima· d'abord circonscrit à la petite famour, notre vie n'aura été
lande Paris nous montre Julienne ginaire, elle offre la possibilité de ville de province où débute l'ac· qu'un seul jour sans féternité,
choisissant sa tombe au cimetière conter quelque chose, une et mille tion, ensuite élargi à la France sans cette éternité de tendresse,
ou chevauchant un bras de fau- histoires ensemble, sans tomber (celle des années de guerre jus· de juste joie, qui nous était pro·
teuil dans l'elpoir de «lui faire dans les poncifs du romanesque. qu'à la Libération), puis au mon· mise et nous a été volée. » L'insa·
un enfant », ils cherchent à tra·· Claude Bonne/oy de, que parcourra, en reporter, tisfaction est Ïe commun d-énomi.
duire les imaginations, à retrou·· Verrier. nateur de personnages qui tous
ver les secrets de l'enfance. Georges Guérin: Virgo et Argo En face du narrateur, Elisabeth. pourraient souscrire à ce que dit
Si l'enfance fascine les roman· (Seuil). Elisabeth découverte, cherchée, Elisabeth: «Le théâtre, ce qui
ciers, c'est parce qu'elle est le Pierre Mertens: L'Inde ou l'Amérique emprisonnée, chérie, perdue et m'attire dans le théâtre, c'est la
(Seuil) .
temps de l'indistinction entre le Marie Nigay: La vie comme un ca·
retrouvée. Comme au théâtre, ils possibilité d'avoir dix, vingt, cent
réel et l'imaginaire, le visible et deau (Calmann·Lévy). se donnent l'un à l'autre la répli. vies, toutes les vies sauf la mien·
l'invisible. Le temp-s où la ten· y olande Paris: Julienne et LuciE que. On a le sentiment qu'effec. ne, que je n'aime pas. ~
dresse et ]a cruauté font bon mé· (Mercure de France). tivement, dans la première partie Echappant par là aux contin·
Serge Doubrovsky: La Di5persioll
nage, où l'on peut tuer un chat (Mercure de France).
de l'ouvrage: «L'Observatoire », gences d'une époque à l'évocation
ou un oiseau pour voir ce qu'est Françoise de Gruson: La clôturE ils sont c en représentation ». Co· de laquelle l'auteur a peut·être
]a mort et pleurer franchement (Gallimard) . médiens amateurs, c'est au travers donné trop de place, ce roman
parce qu'on les a tués. Le temps Hélène Cixous: Dedmu (Grasset). de dialogues de théâtre, par.delà fervent et désabusé apparaît com·
Louis Calaferte: Portrait de fEn·
où le langage suffit pour créer fant (DenoëI).
les attitudes de la mise en scène me la chronique d'un apprentis.
l'insolite, pour métamorphoser René· Victor Pilhes: Le Lou"," qu'ils s'avouent un amour réci· sage de l'amour en même temps
réellement une planche en bateau (Seuil). proque. qu'un bilan des difficultés d'être
et une brouette en voiture. Le Michel PoIac: Pourquoi m'QJJ' tu Se souvenant d'un de ses pre· dans le monde d'hier et d'aujour·
laiué tomber_. (Flammarion).
temps enfin où l'on n'est pas en· Jeanne Cre88llllfles: La c1aambre miers livres - un récit bref et d'hui.
core pris au moule des conven· interdite (Julliard) . poétique intitulé le QUGdrille sur Maurice Chavardès

8
Un langage nouveau
1
Monique Wittig la terre. Elles disent que le soleil va
Les Guérillères se lever ». Assiégées par l'homme,
Minuit, éd., 212 p. elles ne se rendent pas : « Elles S8
tiennent au dessus des remparts, le
visage couvert d'une poudre briUan-
Nous n'avons pas souvent, nous te. On les voit sur tout le tour de la
n'avons même que rarement l'occa· ville, ensemble, chanûJnt une espè-
sion de nous réjouir de l'accomplis- ce de chant de deuil. Les assiégeants
sement d'une œuvre littéraire en sont près des murs, indécis. Elles,
tant que telle, c'est-à·dire d'une œu· alors, sur un signal, en poussant un
vre à l'intérieur de laquelle l'élabo- cri terrible déchirent tout d'un coup
ration d'un langage neuf se fait dans le haut de leurs vêtements, décou-
un domaine précis, celui du récit, vrant leur seins nus, brillants. Les
exactement limité par le pouvoir et assaillants se mettent à délibérer sur
la portée de ce langage. ce qu'unanimement ils appellent un
Si de telles œuvres sont rares, geste de soumission. Ils dépêchent
l'impression qu'elles font est tou· des ambassadeurs pour traiter de
jours très forte. Ce fut le cas du pre- l'ouverture des portes. Ceux-ci, au
mier livre de Monique Wittig, nombre de trois, s'écroulent frappés
l'Opoponax. A première vue, on par des pierres dès qu'ils sont à por·
pouvait croire à une nouvelle évoca- tée de jet ». Mais il ne s'agira que
tion, cette fois, il est vrai, particuliè- d'une légende par quoi l'on vainc
rement réussie, de l'enfance, de ses plus vite et plus sûrement que par
jeux, de ses surprises. Ce qui expli. l'emploi de l'arme vive.
quait mal et surtout imparfaitement, Poème et discours, l'univers des
l'attrait du livre, le sentiment que guérillères se construit mot par mot,
son lecteur avait de se trouver en phrase par phrase, jusqu'à la vic-
présence d'une œuvre singulière. toire finale quand de jeunes hom-
ment neuve jusque dans ses fonde· mes, séduits mais non humiliés,
deux fois présents dans le texte : Il t'a dérobé ton savoir, il a fermé ta troublés mais non pas confondus par
ments. mémoire à ce que tu as été, il a fait
On y sentait en même temps une d'abord comme les mots et les phra. la force du langage nouveau, s'ap-
ses de l'usage traditionnel, ensuite de toi celle qui n'est pas celle qui ne prochent en bataillons serrés pour
effervescence inhabituelle, comme
comme éléments actifs de l'auto- parle pas celle qui ne possède pas rejoindre le rang des guérillères :
une jubilation profonde qui aurait
destruction. La métamorphose est celle qui n'écrit pas, il a fait de toi c( De jeunes hommes revêtus de com-
accompagné l'écriture. l'Opoponax une créature vile et déchue, il t'a
devenait ce lieu privilégié, où, dans très frappante dans ce nouveau li- binaisons blanches collant à leur
vre. Convaincante aussi, tant est bâillonnée abusée trompée. Usant corps accourent en foule au devant
la turbulence des sensibilités nais-
sensihle le renouveau des images, et de stratagèmes, il a fermé ton enten· d'elles. Ils sont porteurs de drapeaux
santes, « On », c'est-à-dire l'opopo-
leur force. dement ». Leur première tâche sera rouges aux épaules et aux talons. Ils
nax, l'écrivain et sans doute son lec-
de cultiver le désordre sous toutes se déplacent avec rapidité un peu
teur, découvraient ensemble le be- Notons, pour commencer, que les ses formes. Confusion, incohérence, au-dessus du sol, jambes jointes.
soin de voir et de sentir, et bientôt Guérillères (ce curieux féminin de discorde, agitation, chaos, anarchie, Elles, immobiles, les regardent venir.
celui de dire cette nécessité. Un lan· « guérilleros ») ne sont ni les cousi-
deviennent alors les attributs quoti. S'arrêtant à distance et saluant, ils
gage nouveau se formait qui, dans le nes, ni les lointaines descendantes diens de l'existence des combattan· disent, pour toi la victorieuse je me
cercle de l'enfance, révélait la vie des Amazones auxquelles Hérodote tes. Elles se rassemblent, elles's'exal- défais de mon épithète favorite qui
par l'abondance des signes, et la prêta le nom scythe d'Oiorpata, ou tent, elles vont parler, elles parlent. a été comme une parure ».
mort, par l'abandon des mots. Cet tueuses d'hommes. La destruction de
univers était si vigoureux qu'il te· l'homme n'est pas l'enjeu du com- Car le récit est fait sous la forme A la main, les femmes tiennent
nait loin de lui le monde des adul· bat que les guérillères ont décidé de indirecte. Le narrateur, à la façon un livre, leur livre, qu'elles nom-
tes, celui des usages, des règles et mener jusqu'à son terme. Ce qu'el. d'un récitant, ne décrit ni l'histoire, ment féminaire. Quelques pages por·
des lois du langage que ceux·ci utili· les combattent, c'est l'oppression, ou ni les mœurs, ni les plaisirs et les tent gravées, en lettres capitales, le
sent. Un instinct très sûr, plutôt plutôt sa cause, le langage, celui distractions des guérillères. Il se prénom des combattantes, de Pom-
qu'une volonté délibérée, ajoutait la qu'elles ont reçu des hommes, les- contente de rapporter ce qu'elles en peia à Phèdre, de Radegonde à Mi·
séduction du détail à l'effet assez quels les ont, par ce moyen, d'a- disent. L'arme de ces combattantes chèle, de Whilhelmine à Cosima.
remarquable de l'élimination d'un bord nommées, puis soumises et ré- est unique, l'arme absolue, la parole, Entre ces feuillets, des pages blan-
langage par un autre. duites à la merci des mots. Ce qu'el. qui devient la trame de l'action, sai· ches, à présent, pleines du livre
Publié cinq ans plus tard, les les veulent promouvoir, c'est un sissant enchevêtrement du dire et du qu'elles viennent d'écrire.
Guérnlères, second livre de Monique monde nouveau où elles retrouve· faire. Si bien que la vertu de ce lan· Il ne faut pas dissimuler le très
Wittig, vient à son heure pour sou- ront l'expression de l'indépendance gage renouvelé devient la vérité des grand attrait de ce récit, son ambi-
ligner et fortifier notre conviction. originelle (rappelant en cela le vœu guérillères, et leur combat, le livre guïté savante, et ce souci de don·
Le talent de cet écrivain le porte, secret des enfants de l'Opoponax). lui·même. ner au spectacle de la révolte la sé-
j'allais écrire, pour notre plaisir et Elles disent : « Malédiction, c'est duction d'un langage renouvelé. Et
notre profonde satisfaction, à faire par la ruse qu'il t'a chassée du para- Et quel livre! Tout à tour, le si l'on pense que l'entreprise des
du récit le lieu naturel de la contes- dis de la terre, en rampant il s'est blasphème, la séduction, l'insulte, le Guérillères ne pouvait être menée
tation du langage, non pas contes- insinué auprès de toi, il t'a dérobé rêve, la légende, interviennent pour à son terme que par une femme, ré·
tation abrupte et maladroite, mais la passion de connaître dont il est détruire l'édifice du langage reçu: jouissons.nous. Bien des auteurs
contestation habile par le biais d'une écrit qu'elle a les ailes de l'aigle les Elles disent que toutes ces formes masculins souhaiteraient connaître
opération beaucoup plus subtile et yeux de la chouette les pieds du dra- désignent un langage suranné. Elles une réussite aussi complètement af·
tou jours séduisante. Il semble, en gon. Il t'a faite esclave par la ruse, disent qu'il faut tout recommencer. firmée.
effet, que mots et phrases soient toi qui a été grande, forte, vaillante. Elles disent qu'un grand vent balaie André Dalmas

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969 9


Un
# • •
eCrIVaIn acharné

1
Jean Sulivan mes où se pétrifient ce qui fut l'attend mais illumine par sur·
Miroir brisé jadis vivant - église et littéra- prise ce qui en est le plus loin·
Gallimard éd., 296 p. ture, belles âmes et âmes nanties, tain. On devine le bel usage lit·
hypocrites et puissants, institu- téraire que ces détours de la
Jean Sulivan est un écrivain tions. Sa tendresse l'appelle vers grâce, sa malice et ses bizarreries,
acharné..En douze ans, il a édifié les marges, les zones d'ombre où peuvent favoriser. Sulivan avoue
une sorte d'œuvre - des romans passent les parias, les a~archistes, lui·même - et redoute - que
(Mais il y a la mer, Car je t'aime, les humbles ou les filles. Chré· certains de ces récits procèdent
0, Eternité, Le5 mot5 dam la tien, il n'en a jamais fini de de Bernanos.
gorge), des méditations (Le retour détester les ors de Rome, les Bernanos ne fut jamais un
à Delphes), des confidences (De- «malabar5 et œ5 techniciem du homme de lettres. Sulivan se
vance tout adieu). Et cet écrivain 5alut~. Ce qui ne le rejette pas défend de l'être, mais allez faire
est d'un modèle insolite. Si la du côté des chrétiens contestatai· un fleuve remonter vers sa source.
mode ne s'est pas emparée de lui, res. Il sent bien qu'un groupe Tout son livre est encombré de
il appartient pourtant à ceux qui n'est que l'envers de l'autre: ils ce combat entre celui qui vou·
nouent avec leurs lecteurs un dia· tirent ensemble le même attelage drait nier tout apprêt et l'œil
logue singulier. Sulivan a des et Dieu, s'il doit dévaster, che· impérieux d'un écrivain qui
amis fanatiques, un cortège d'in- mine par d'autres solitudes. Suli- observe, vérifie et ordonne jus.
connus qui guettent chacun de van parle beaucoup de Dieu - il qu'à ses désordres. Ce combat,
ses ouvrages. Que cette voix' tou- Jean Sulivan balbutie plutôt à son sujet, dans Sulivan est loin de le gagner. Il
che de la sorte, et dans la nuit, portraits d'amis, réfleXions sur le sillage de ces mystiques qui peut faire le rude ou le familier,
commande déjà qu'on lui prête l'Eglise, rencontres. Ce fourre- Le cherchent moins dans sa pré- le vulgaire ou le béotien, il ne se
attention. tout n'est pourtant pas organisé sence qu'à travers l'expérience délivre guère des rets de l'esthé-
Cette confrérie de lecteurs pèse par le hasard. Sulivan est un du néant, du rien, de l'absence - tisme. Il peut bien écorcher les
sur son œuvre. Elle ordonne son écrivain jusqu'au bout des ongles Dieu, le 5ur-étant-non-être, dit « scribes », les académiciens et
travail. C'est probablement pour et ce désordre est gouverné. Suli- Maître Eckart. les fonctionnaires de la littéra-
ces inconnus que Sulivan publie van est un écrivain chrétien et La même foi traverse les brefs ture, il fait partie de la corpora-
aujourd'hui Miroir bri5é. Les bri- pas une de ses phrases, pas une romans qui jalonnent le livre. Il tion. Mais la bataille elle-même
sures de ce miroir sont de toutes impertinence ne l'ignore. faut l'y chercher à la trace. un est pathétique parce qu'elle est
tailles et de toutes couleurs Il est vrai que ce chrétien ne peu comme le sang, dans les fo- livrée sans tricherie. La précio-
- fragments de romans, nouvel- goûte pas le confort. Son idée est rêts, dit qu'une bête a été bles- sité elle-même peut avoir du sens.
les éclatées, insolences et colères, de dynamiter sans cesse les for- sée. Elle n'apparaît jamais où on Gilles Lapouge

Miroir pulvérisé
1 tanne Champion du surnaturel. Parallèlement à la au tahleau de mœurs ou à l'anticipa- la manifestation sauvage de la faim
confession d'un patient chez un ana- tion, la gerbe torrentielle des symbo- ou les prophéties de la bouche d'om-
Bourgois éd., 336 p, lyste, se défait l'écheveau de la vie les à l'ironie qui décape. Les séquen- bre. Le gitan introduit la médiation
du médecin et de son entourage fa- ces alternent qui nous font passer tragique du sens de la :vie, de l'a-
Dans sa préface à Sanctuaire, An· milial. Psychiatre réputé, Pierre du monologue décousu, parfois su- mour fou et de la mort dans un mon-
dré Malraux donnait une définition Berthier tient de sa formation didac- perbe de X, charriant les images à de sophistiqué baignant dans l'acide
lapidaire de l'œuvre de Faulkner : tique la vertu de tenir le monde à la peinture du milieu parisien de de l'intelligence et de l'érc;.tisme.
l'intrusion de la tragédie grecque la distance respectueuse de l'autori· Berthier. Depuis sa naissance, X est Une enfance malheureuse oppose
dans le roman policier. On pourrait, té et de l'indifférence. Mais il voit un homme errant, pélerin qui re- le prolongement nocturne de la pré-
paraphrasant la formule, dire du li- sa vie d'équilibre morose et de docte monte le cours de ses rêves, explore histoire à la connaissance diurne et
vre de Jeanne Champion: c'est l'in· pesanteur remise en question par le souterrain à la recherche d'une desséchante du médecin. Très signi-
trusion du surrealisme dans le ro- l'irruption dans son cabinet d'un in· vérité perdue, victime qui veut dé- ficatives sont les images de la mère
man bourgeois. L'introduction de connu, X, qui lui impose le récit de sormais persécuter son bourreau. immergée par les vagues de l'agonie
Maurice.Edgar Coindreau confirme ses fantasmes, et la tentation du sou- C'est pourquoi le phénomène du ou les belles scènes à la frontière
la filiation faulknérienne du roman terrain. Il s'agit d'un gitan qui vé- transfert, au lieu de s'accomplir se· d'une Espagne encore fumante des
de Jeanne Champion. Il est, en effet, cut une enfance terrible entre sa Ion la dialectique freudienne, du gi- ruines de la guerre civile.
impossible de ne pas faire le rappro· mère, Violette, rongée par le cancer, sant au médecin, se renverse, et
L'épigraphe et les textes de Lau·
chement entre le ressassement haché cet œillet de chair protubérant, et Pierre Berthier subit l'envoûtement
tréamont, que Jeanne Champion a
de l'idiot dans le Bruit et la Fureur ses deux tantes aux noms de fleur, de son malade. Des remous violents
choisis, nous donnent l'une des clés
et la voix délirante du gitan dans X. Iris et Anémone. Orphelin inconso- se produisent au cœur de la famille
de cette œuvre singulière, où les cor·
En forme de miroir pulvérisé - lable, il parcourt le monde, avec du médecin, soudain inquiète de le respondances oniriques s'amplifient
emblême important dans le cours du dans une main l'urne qui contient voir répondre aux échos du démon jusqu'à l'apocalypse finale. L'entre-
livre - dont la lecture doit faire l'ef- les cendres de sa femme et, dans tentateur et plonger de l'autre côté mêlement de la satire, de la révolte
fort de rassembler les éclats disper- l'autre, la Bête de la Jungle, de du miroir. Cette petite société pari- et d'un imaginaire flamboyant, qui
sés, X s'élabore comme une rosace James. sienne, microcosme de notre univers
n'est pas exempt de complaisance,
dont les pétales s'ouvrent peu à peu Comment ne pas être surpris par de consommation, séparée des raci- fait l'originalité, souvent savoureuse,
devant le symbole qui les féconde. la violence et le lyrisme échevelé de nes de la vie et des valeurs primiti- de ce livre.
D'où l'importance des tarots et des cet épanchement où la démence est ves de la terre, du sang et du sexe,
signes dans un univers qui cherche visionnaire et la dérision emphati- accueille X avec le trouble d'une
une compensation ludique à la fuite que? L'allégorie poétique se mêle femme qui se voile le visage devant Alain Clerval

10
Chagrin d'enfant

1
Claire Gallois nier sa mort, la narratrice entre-
Une fille cousue de fil blanc
Buchet-Chastel éd. 199 p.
prend de se l'approprier menta-
lement et même de se substituer
à elle dans une aventure qu'elle
imagine en partie et qu'elle vit
peter laslett
UN MONDE
Comment vivre et survivre dans contre les autres; tout le reste
le scandale que constitue la mort devient nécessairement caricature
d'une sœur aimée? Cette ques- comparé à ce rêve merveilleux,
tion - celle que Caligula se po- protégé du réel et qui n'est autre

QUE
sait à propos de la perte de Dru- que l'accomplissement et l'assou-
silla - la jeune narratrice de une vissement secrets du deuil.
Fille COlUue de fil blanc la résout, La découverte d'une Claire
elle aussi, mais dans le sens de fiancée et morte après un. rendez-
sa propre libération et non dans vous secret avec un amant cris-
celui de son auto-destruction. tallise chez l'enfant l'appétit de
Dans la vision de l'enfance bru-
talement confrontée au néant qu'a
voulu représenter Claire Gallois,
liberté et la volonté de s'affran-
chir, comme elle, par la trans-
gression de la morale convention- NOUS AVONS
PERDU
nelle. La trahison de Claire par
rapport au monde des adultes
sera l'encouragement décisif et la
confirmation de la valeur du mo-
dèle choisi pour se libérer:
« C'était cela la vie que je vou-
lais, hors des limites du métro-
nome, écrit la narratrice, bondis- Les structures sociales de l'Angleterre
sant dans fins tant du Pérou à
la maison trop bien rangée en
pré-industrielle
Bretagne, sans peur de la terre
qui enfouit puisque la terre est "De Lucien Fèbvre à Braudel, puis à Goubert, trois
si grande~. générations d'historiens ont entrepris l'inventaire de
Ce qui est « cousu de fil blanc»
dans cette histoire peut être le
la France perdue. C'est une semblable exploration
drap dont on enveloppe la jeune que Laslett inaugure pour l'Angleterre ".
morte, mais c'est surtout la vision GILLES LAPOUGE - Le Monde
faussée de la réalité que les adul-
tes tentent d'imposer à la cons-

Claire Gallois
cience des adolescents. NOUVELLE BIBLIOTHEQUE SCIENTIFIQUE
Le récit, ironique, acéré, a par-
fois un peu de la belle cruauté DIRIGEE PAR FERNAND BRAUDEL
la peur de la mort, le mystère des romans de Marie-Claire Blais ;
« joué ~ dont elle fait l'objet de
la part des proches, suscite- un
double scandale dans la conscien-
il demeure pourtant, nous sem-
ble-t-il, une sorte de revendica- EP
ce de la narratrice: celui de la
disparition absurde d'un être qui
tion violente et tendre à la fois
du droit au rêve et au romantis-
me. On y découvre un côté «Sa-
flammarion
était le modèle du bonheur à gan» dans les aventures du père
conquérir, et celui de la triche- avec Lulu Diamant ou celle de
rie ambiguë et généralisée qui Claire avec son bel amant, à la
caractérise les conduites des fois Péruvien et «impossible»
adultes. L'auteur y dépeint aussi avec un
Ce récit n'est pas seulement
celui d'un chagrin d'enfant et du
cynisme parfois trop complaisant
des scènes macabres que viennent Pierre Frédérix
coup fatal porté à son univers ponctuer les «énormités» com-
intérieur, c'est également l'his- mises par les adultes.
toire des réactions cruelles, can- Mais il n'en reste pas moins que
dides et ironiques d'une adoles- l'auteur a rendu très sensible
cente devant la découverte d'un l'aspect d'attente qui enveloppe
monde devenu absurde. Avec une de toutes parts le monde de l'en-
grande justesse psychologique, fance; elle a 8U également faire
l'auteur nous montre une cons- un tableau saisissant et réaliste
cience déchirée entre deux uni- du choc de la mort dans une âme HISTOIRE DE LA VILLE ÉTERNELLE
vers: celui de la candeur et de enfantine et des conséquences Une fresque vivante, imagée, captivante de Rome
l'amour blessé qui refusent la ambiguës et désordonnées de cel-
mort par le fantasme, le retour à travers 30 siécles d'Histoire.
le-ci sur un être indigné, meurtri
à l'enfance, et celui du cynisme, dans ses rapports avec lui-même
de la colère destinés à déjouer
les mythes du monde adulte.
et avec le monde qui l'attend.
ALBIN MICHEL
Pour faire exister Claire et Anne Fabre-Lucs

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novempre 1969 11


POÉSIB
e
Notre vraie
Michel Deguy dustrielle qui (j'abrège trop) a ment le recouvrent, le fondenL plaie à jamai8 béante, échancrure

1
Figuratiom besoin de la c per50nne:t com- Les métaphores de la profon. de l'Etre (en elle toute profon-
poèm~-propo5itiom-études me terme - au moins au niveou deur, de l'abîme (plongée et re· deur) parce que l'immédiateté
Gallimard éd. 272 p. de la c vente:t (p. 125). montée verticale) - rejoignent cel- est perdue, parce que tout notre
p'une manière plus générale, les de l'aveuglement (tâches aveu- malheur est d'avoir perdu le Souf·
Moins que jamais, s'agis- Figuration5 entreprend de défen- gles, colin-maillard, etc.), de l'en- fle, parce que, pour nous qui vi-
sant d'un livre où la pensée, dre la poésie contre tout ce qui ciellement ou dè l'enli8ement, de vons sur la terre, non dans le
prête à tout embrasser, se la menace, la science aussi bien l'homme muet devant la source, monde (dans une totalité, cf.
traque sans cesse elie-mê- que la vie bourgeoise, la philo- du voyage, de la traversée vers le p. 155), condamnês à la diversité,
me, change sa visée, recon- sophie, le progrès de l'industrie, lieu possible et impossible de la l'abolition de la dista~ce, le re·
sidère nouvellement son ob- l'éthique, l'idéologie politique, r e n con t r e, rond-point. -table couvrement de l'unité, de la plé.
jet, se projette au-devant les moyens de diffusion ou d'in· ~ échange et de correspondance. nitude sont de l'ordre du rêve
d'elle-même, de sorte qu'elle formation, les malentendm de Ici, entre. le noir et le blanc, (c rousseatriste ., p. 155). Seul
est toujours à suivre, moins notre temps qui est celui de la l'Un et l'Autre, ou n'importe nous échoit de jeter un pont -
que jamais Il ne saurait être mauvaÎ5e identité des contraires ; quels termes opposés, le mot et celui de la parole - pour répon.
question de vouloir faire le dre à un appel, à une aspiration
tour du propriétaire; tout au par le Vide. On comprend, vu le
plus de fixer quelques repè- non·lieu de toute explication, que
res, de quoi seulement met- Michel . Deguy songe aux mysti-
tre le lecteur en état d'alerte. ques (p. 35, p. 266) pour rendre
compte d'une pareille expérience
de c l'altérité. (3) où ne doit rien
Commençon8 donc par ce qui
attendre celui qui n'accepterait
d'abord 8'empare de nOU8,' par
pas d'être égaré, tributaire, abso-
l'extraordinaire pou88ée de la
lument, d'une heureu8e décou-
phra8e (par poésie, j'y perue. il
verte, mais où, sans recourir c fi
faut entendre cette liberté de ,ui·
fins tance ~un pouvoir 5urnatu-
vre les fab~ où s'esquive fhi5-
rel, c'est la révélation de lui-mê-
toire, 14 ventriloquie du rythme.
me que f homme se fait à lui-
p. 48), éruption de vocable8, bou8'
même •.
culade, vertige, ivre88e et cri, ga·
lop, chevauchée - et le8 mots C'est par la négative seulement
volent comme de8 motte8 de ter· que les choses (comme être, non
re - gésine de fwiom, le sens comme étant) peuvent être res·
toujours tiré au-delà par une for· saisies. Du même coup, elles de·
ce qui lui e8t comme étrangère meurent à l'écart d'elles-mêmes,
(proprement, la vis poetica). Sur le langage étant passage du même
ce point, pas de distinction à au même par le nom (p. 146).
faire entre le8 poèmes, le8 propo- En d'autres termes, la terre est
sition8, le8 étude8 si ce n~e8t que, ce qui s'atteint seulement dans
dan8 les dernières (8ur Baude- cette lé"gère et implacable dÎ5tance
laire, Lautréamont), la pen8ée se que m~ure le comme, à dis·
fait- plus serrée et qu'il est bon, tance de 50i ~une «figure »,
après les avoir lues, de revenir (p. 157) . Ou encore( je para-
aux poèmes, de s'immerger une phrase une autre page, qu'on ne
nouvelle fois, de se laisser repren· Michel Depy m'en veuille pas d'un tel entasse·
dre, hanter. ment sur un point si grave).
qu'on s'en tienne à l'exemple du la chose, le sens et le son, etc., la l'Etre ne peut être rejoint que
Par le renouvellement de la racisme opposant le blanc et .le distance n'est plus ignorée mais s'il est di(, et dit symboliquement.
syntaxe - et tout autant du lexie noir, refus exacerbé de la diffé- en quelque sorte mesurée (et la Le lieu de la rencontre, la table
que (1) - apparaît le souci de rence par quoi est rendu impOSe violence le cède aux égards, la de change et de correspondance
se délivrer du langage usuel. par· sible le rapprochement des sem- poésie elle-même n'étant que vio· devient clairière figurative, 5cène
tant des réalités qu'il recouvre. blables (cf. p. 103, 188). A ce lence contenue), elle est rendue de fécriture. L'Etre, donné com·
Non par un grand refus, celui, en propos, je constaterai seulement, habitahle, franchie ou en tous cas me vrai, s'efface derrière son re·
particulier qui ferait rejeter en cela est essentiel, que Michel De· résolue - et par poésie, j'y pen- flet, l'originel, derrière le figuré,
bloc la culture, abusivement ap- guy ne refuse pas son intérêt aux se, il faut entendre la dame, la tout n'est que représentation.
pelée bourgeoise: c'est l'ordre mathématiques, ou à la linguisti- symétrie, deux et fintervalle, Dira-t-on artifice, et qu'à été lâ-
bourgeois, ce sont les habitudes que, ou à la conquête de l'espace, (p. 48). Toute rencontre, snr le chée la proie pour l'ombre? Im-
de pensée de la bourgeoisie sco· etc., la poésie, par sa lutte avec modèle de la métaphore, impli- p088ible de nous défaire d'un tel
larisée qu'il faut combattre pied ces adversaires, s'enrichissant de que donc un écart, disons cet exil, soupçon (4): miroir introduit
à pied, par exemple en réinter· l'échange; mais elle les com- cet espace neutre, cette absence, dans le monde, au cœur de cha-
rogeant sans relâche les œuvres, prend en les dépassant, elle est centre vacant et marge blanche que être, (le langage) introduit le
les auteurs qui demeurent nos d'un autre ordre, elle n'apporte du vivre qui domine, surtout de· problème supplémentaire de sa
sources ou, non moins profondé. pas de preuves, elle n'est rien si puil> Mallarmé et Reverdy, la facticité, de son propre reflet en
ment, en hâtant la fin de l'Au- elle ne se place pas à côté, si elle poésie. lui-même (5). _
teur, au profit, entendons-nous, ne submerge pas par en dessous, Anéantissement qui n a n t i t, S'il est tout ce dont je dispo!le,
d'une mise en commun de la poé- comme les éléments p-aralogi- (p. 183), puisqu'il est la condi· le figuré lui·même est origine,
sie (2) de manière à nier l'éthi- ques du langage, nous l'avons vu, tion d'un retour, d'une ressem- mais comtitutif, la vraie nature
que attachée à notre société in- submergent le sens et véritable- blance, d'une réunion. Mais aussi étant perdue. Premier, le langage,

12
INFORMATIONS

nature
parlant des choses, renvoyant aux l'immanence, que notre reconnais- DEFENSE DES l'IDAYINB
choses, 'ramène en réalité à lui- sance est à effectuer, ce n'est pas Jacques Vergès, l'avocat bien connu
même, ,tautor~goriquement (page au-delà du fini, mais en lui, que pour ses prises de position en faveur
169) plutôt qu'allégoriquement. l'infini est à chercher : du F.L.N. et de Djamila Bouhlred du-
Voilà 'pourquoi te poème c mythi. Aucun désir n'est exaucé rant la guerre d'Algérie, publie, aux
Editions de Minuit, Pour les , idayine.
que ~ dit la figure de sa naissance Les choses d'ici font figure pour C'est la plaidoirie qu'il aurait pronon-
comme naissance de la figure, [ici cée en faveur des commandos pales-
anamnèse du secret, c discour,~ tiniens qui attaquèrent fin 68 et début

THOMAS MORE
du secret» (p. 181). Le titre du Pierre Ch.appuis, 69 deux avions de la compagnie israé-
lienne El AI à Athènes et à Zurich, si
livre s'éclaire ainsi suffisamment. les autorités ne lui avalent contesté
le droit de plaider.
En confondant figure et ori· Cet ouvrage est précédé d'une pré- et la
face de Jérôme Lindon qui prend
gine. Michel Deguy ne s'esquive 1. Mais comment sans arbitraire dé·
tacher ces deux aspects d'une forme vigoureusement parti pour les Pales- crise de la pensée
pas par une pirouette: «Dieu
ne nous parle plus, il s'est in-
elle.même indissociable du fond? tiniens, • ces hommes aux mains
nues (qui) n'ont pour armes que
européenne
«Ce dont le poème est l'expérience,
terrompu: il faut prendre les et que nous pouvooa appeler le poé. celles qu'ils nous ont dérobées, et
tique, et le langage de œtle expé· d'abord les Instruments de rupture
mots sur soi (6) ». C'est comme
rience (la poétique), ne 80~ pas deu. d'où sont nées nos libertés démocra- André Prévost
principe qu'il nous faut accueil- Telle est la difficulté;) (p. 145). tiques.. Il les volt • acculés à Docleur es Lellres
lir le poème, comme le lieu, et 2. L'expérience, on le sait, s'en l'espoir '.
le seul, d'une naissance, comme, poursuit autour de 1. Rcwue de poé-
véritablement, notre seule res· sie; cf. le fra@:ment intitulé F/lÙcequ LB GBNlAL 8TRAT*GE MAME
(p. 169) et la conclusion du livre, Plotr Grigorenko, le général sovié·
source, notre source de vie, de comme, antérieurement, 1. dernière tique mis à la retraite et récemment
recommencement (d'où le retour page de Actes (1966), placé dans un asile psychiatrique
de termes comme inaugural, an· 3. L'expression et l'explication qui pour avoir pris la défense des Tatars
nonce, épiphanie), de reposses- la suit sont d'Octavio paz (L'Are el ,. de Crimée, avait mis en doute, on le
lyre, Gall. 1965, p, 180, et, plus géné. salt, la • génialité • de Staline en ce
sion par la justice rendue «aux ralement, toute 1. aection de Le révé.

ESPRIT
qui concerne les débuts de la guerre
relations simples où DOUS avons lation poétique), germano-russe. Sous le titre Staline
été mis (7) ~. 4. Et Michel Deguy s'anaclle à Lau· et ,. deuxième guerre mondiale, les
tréamont comme acharné, plI.r la pa. édItions de l'Herne publient l'étude
rodie, à rendre indiff~renclable Je retelltlssante de Piotr Grigorenko.
J'en demande pardon à ceux vrai du faux.
qui crieront à de délirantes élu- 5. Grille, dans Poèmes deltJ pres· DISTINCTIONS
qu'île (1961, p. 13&).
cubrations à propos de ce livre et 6. Jàcqûes Derrida: L'écriture et la Notre ami et • conseiller", Joseph
des graves questions qu'il soulève différence (Seuil, 1967, p, 104), et un Breitbach, dont le dernier ouvrage,
en effet, mais, je les presse de
répondre, y a·t-il pages plus bel·
peu plus loin: c: Laisser l'écriture.
c'est n'être là que pOUl' lui laisser le
Rapport sur Bruno (GalilmaFd), est
présent à toutes les mémoires, vient LA CONTESTATION
les, plus émouvantes, plus dé- passage, pour être l'élément diaphane
de sa procession: tout et rien (,..)
de recevoir l'une des plus hautes dis-
tinctions allemandes : la Grand-Croix
EN U.R.S.S.
pouillées en somme pour dire, seul l'écrit me fait exister en me nom· de l'Ordre du Mérite. Nous nous ré-
mieux qu'ici, non les transports mant ». jouissons qu'elle vienne récompenser, L'interrogatoire de
de la pa8sion, mais l'accord du 7. Actes, p. 172. en même temps que l'écrivain, un des
merveilleux et du quotidien, la
8. Gestes, par exemple, du repas pris meilleurs artisans du rapprochement P.-M. Litvinov
ensemble, de la jeune fille promenant intellectuel entre la France et l'Alle-
patience de vivre, le doux effort les enfimts à bout de bras, du collier magne.
de paix, de sympathie, d'amour que l'on passe, ou, parmi les signes, Maurice Nadeau vient de recevoir le V. Boukovski
(voyez notamment p, 79, la con- «ce simple tas de neuf pierres érigé Grand Prix de la Critique, décerné par devant ses juges
au début du voyage, sur un bas·côté le Syndicat des Critiques littéraires.
clusion de la pièce intitulée Le de piste neigeuse... (p. 194) ». pour son Gustave Flaubert, écrivain.
principe)? Aveugle, volontaire- Le général Grigorenko
ment, celui qui ne vei'rait pas,
même, que dans l'évocation des Les écrivains
signes de reconnaissance, des ges· clandestins
M.
tes les plus élémentaires (8), pel"
ce la nostalgie, rousseauiste enco- A.u-
Le « Samizdat :t
re, d'une communication imme- Ville
diate au·delà ou plus exactement
en deçà des mots, avant eux et
Date •
les rendant inutiles. Mais ce n'est !lOuscrit un abonnement Les ~tats-Unis
dans le livre qu'un point de fuite o d'un an 58 F 1 Etranger 70 F sous Nixon
par lequel juger mieux de notre o de six mois 34 F 1 Etranger 40 F
misère et de notre chance : par
et dans la poésie (figure primor.
règlement joint par •
diale de l'amitié, de l'amour?). o mandat postal 0 chèque postal Deux Allemagnes
tout est possible, tout est vain, o chèque bancaire socialistes
tout est accueil, différence, tout Renvoye! celle carte à
se rejoint, tout est vérité, illu- •
sion, manque, pari, évidence ob!;· La Quinzaine Novembre 1969, 7 F
cure. Aussi, n'avais-je pas tort de littéraire

me référer à Pascâl ? Notre vraie 43 rue du Temple, Paru 4.


nature n'est pas tant perdue
qu'elle est à inventer et ce n'est
pas hors de ce monde, mais dans
C.C.P. 15.:;~1.53 Paris
ESPRIT 19, rue Jacob, Paris 68
C.C.P. Paris 1154-51

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969 13


ENTRETIEN

P. Schaeffer et le
propre destruction. Je m'interro- s'efforce de rentrer en lui-même
ID geais, chaque jour davantage, sur et de faire silence, il produit son
volcan, qui se réfère à une le questionnement même, mais miel... A un certain moment, il
Pierre Schaeffer, qui dirige le
conférence internationale te- je ne m'intéressais plus telle- faut s'arrêter de parler si l'on
Service de la Recherche à
l'O.R.T.F. et qui est plus géné- nue à Mexico en 1948 • sur ment aux banales questions que veut se rassembler soi-même. Il
le partage des longueurs d'on- j'étais venu poser, dont la sot- faut apprendre à taire tout ce
ralement connu comme compo-
de entre les 90 pays de la tise, la vanité ou la naïveté qui est de l'ordre de l'indicible.
siteor et théoricien de la mu-
planète" et d'où ne sont point s'étaient d'eUes-mêmes révé- L'indicible, ce n'est pas « plus.
sique concrète (on se souvient
absentes maintes allusions à lées... Ainsi je suis resté long- ou « mieux. que le dicible : c'est
de son Traité des objets mu-
temps muet, assidu et comblé. son envers. Certains états de
sicaux, publié en 1966), est l'un des • éveilleurs " de
Gurdjieff m'a toujours rendu mon ferveur, de densité ou de souf-
également l'auteur d'un récit Pierre Schaeffer : l'énigmati-
que Gurdjieff. respect, sans paroles. france réclament expressément
comme Clotaire Nicole, d'un
essai comme Amérique, nous Dans le recueil des Entretiens M. P. Lorsque nous avons le silence... Bien entendu, par-
t'ignorons (1945), du roman avec Pierre Schaeffer que parlé de Clotaire Nicole, vous Ier n'est pas écrire. Ecrire, au
avez évoqué l'exercice du lan- moins d'une certaine façon, est
les Enfants de cœur (où il Marc Pierret publie chez Pier-
re Belfond dans quelques jours gage, ses trahisons, mais en aussi faire son miel. Plus exac-
relatait son expérience des
même temps ce noyau irréduc- tement, la cire.
mouvements de jeunesse ca- nous avons choisi un extrait
tholique). JI vient de publier, du dialqgue sur le Gardien de tible de vérité qu'il y a dans le M. P. Mais on peut aussi se
aux Editions du Seuil, un se- volcan, JI y est précisément langage; à présent, vous dites- mentir à sol-même.
cond roman. le Gardien de question de Gurdjieff. qu'avec Gurdjieff vous avez abou- P. S. A quoi bon?
ttr_ jE" ti au silence. Qu'est-ce que vous
!mi &&5 Ipr ,';1 M. P. Le mensonge consola-
mettez dans ce silence? Est-ce
Marc Pierret. Lorsque Gurd- questions personnelles, peu a teur, n'est-ce pas un thème fon-
encore du langage ou bien autre
jieff répondait aux questions, peu les gens prenaient de la chose? Quelque chose dont on damental de l'enseignement de
comment le faisait-il? distance : plutôt que d'eux-mê- ne peut parler? Quelque chose Gurdjieff ?
Pierre Schaeffer. Il Y avait mes, ils commençaient à parler comme ce silence vers quoi tend P. S. Gurdjieff disait que
beaucoup de monde : des gens de ce dont il est inutile qu'on toute musique, selon une inter- 1'homme est une créature si dé-
serrés, assis autour de lui, qui parle Ici, du « travail. justement. prétation célèbre? sespérante, dont le destin est si
le regardaient fumer tranquille- M. P. Comment entrait-on P. S. L'histoire du pot de funeste, qu'on se demande com-
ment des cigarettes. Sa seule chez Gurdjieff ? miel, que raconte Luc Dietrich, ment il a le courage de vivre...
présence faisait que le moindre P. S. Les gens étaient d'abord répond à votre question. Comme Gurdjieff disait avoir hérité des
geste, la moindre question, la préparés par des groupes - tous Jes écrivains, je m'offre et enseignements thibétains ou au-
plus imperceptible réaction du comme ceux de Madame de je me mange. Aussi, lorsque je tres de très anciens et trè.s im-
groupe prenaient un sens inatten- Salzmann, qui avait reçu l'ensei- me suis approché de Gurdjieff, portants témoignages sur ce
du, se déployaient au travers de gnement de Gurdjieff et l'avait je compris que parler, voire se point. Mais c'est une histoire
conscience extrêmement ducti- accompagné dans ses voyages. confier sous la houppelande de trop longue et trop compliquée
les, ouvertes à d'autres dimen- Personnellement, ce groupe me l'amitié, c'était donner à manger pour que je l'entreprenne.
sions, à de multiples significa- suffisait. Je n'avais pas très en- son miel aux mouches. Au con- M. P. Sur votre dernier ro-
tions... Gurdjieff prévenait : cc Je vie de voir Gurdjieff. Mais un traire, chaque fois qu'un homme man, le Gardien de volcan, plane
répondrai aux questions qu'on jour, Madame de Salzmann me
me posera ». Et le processus de fit rejoindre une quarantaine de
désintégration commençait : ces cc idiots D, entassés dans le
coup de balai sur les habitudes fameux appartement de la rue
mentales, sur le cloisonnement des Colonels Renard.
du moi... C'était cruel, exaspé- M. P. Comment prenait-on la
rant, ça n'en finissait pas. Au parole dans ces réunions?
début, lorsque le silence deve- P. S. Je me rappelle ce si-
nait trop gênant, des questions lence, terriblement pesant!...
fusaient, idiotes vraiment : la Une fois passés les balbutie-
veuve inconsolable, la concierge ments du début, lorsque quel-
qui avait ses phobies, les amou- qu'un osait prendre la parole,
reux en mal d'amour, les scru- c'était avec crainte... Mais lors-
puleux qui s'appliquaient. Les que Gurdjieff maltraitait l'un de
questions tombaient dans le si- nous: « Vous, stupide merdité ! »
lence. Alors, Gurdjieff répondait, ce n'était pas une insulte adres-
c'était selon, avec humour ou sée spécialement à tel ou à tel,
gentillesse, parfois durement. mais un rappel à l'ordre général.
Tout le monde écoutait. Chacun mesurait alors sa propre
inattention, sa propre légèreté.
M. P. Quelle était votre atti- M. P. N'est-ce pas le déses-
tude personnelle?
poir qui vous a mené là ?
P. S. Je jubilais; je me gor- P. S. JI disait qu'il ne pouvait
geais de cette noce de campa- quelque chose que pour les dé-
gne... Je sentais chez Gurdjieff, sespérés.
contrairement à ce qu'on a sou- M. P. Finalement, que vous
vent dit, une grande délicatesse. a-t-il apporté, votre Gurdjieff?
Mais il ne s'arrêtait pas à la P. S. JI m'a presque délivré
bonté:.. Puis, après le temps des de mon anxiété, sauvé de ma

14
pot de miel AUBIER-MONTAIGNE 13,quaiConti Paris

Professeur au Collège de France


2 ouvrages de François PERROUX Directeur de l ' , S E,A

collection RES (O;r;gée par Henri Chambre et A Jeann;ére)

l'ombre de Gurdjieff... tite Mexicaine exquise et brune, n Indépendance de la nation"


P. S. Gurdjieff est mort, mais une Lady Butterfly, berlinoise et 18,00 F
je me souviens. baroque, aux week-ends capita- collection Développement
M. P. Il Y est présent mais listes et adultérins, la sérieuse
insaisissable... Thérèse... François PERROUX interroge
. P. S. Justement. Le Gardien M. P. Si nous parlions de
de volcan n'est pas un témoigna- Thérèse ... Herbert MARCUSE 9,90F

ge, c'est un roman! Pour une P. S. Thérèse, l'éternel f~mi­ avec une réponse de Marcuse en postface

fois, j'ai consciemment, volontai- nin qui me surveille, l'ange gar-


rement, décidé d'écrire ul'!e œu- dien qui me houspille tout au
vre qui possédait ses nécessités long de mon œuvre... Thérèse est
propres. Mais comme je suis un véridique, rigoureuse, sérieuse,
peu compliqué, j'ai écrit un ro- elle... La Thérèse du Gardien de
man à plusieurs entrées, portant volcan est semblable à cette CAHIERS DENIS LANGLOIS
le défi d'une triple expérience. jeune femme qui, un jour, me
M. p'. Pourquoi, en quoi, « tri- mena chez Gurdjieff... LIBRES Panagoulis, le sang de la Grèce
ple lt? M. P. Vous m'aviez annoncé .. L'affaire Panagoulis ". c'est celle de la lutte du peu pic grec contrc
P. S. En langage musical, trois entrées dans ce roman. la dictature. Par la voix dc Panagoulis torturé, bravant ses juges,
cela s'appellerait une fugue à trois thèmes. Quel est le troi- la Résistance gn:cque exprimc son espoir.
sième ? S'agit-il des femmes?
trois voix : tout le monde se fuit Nil 161, 124 pages 6,15 F
P. S. Attendez... quand je dis
et parfois se rattrape...
. M. P. Tout le monde. c'est-à- cc les autres n, j'y comprends les TEXTES BARRINGTON MOORE Jr.
femmes... (je les comprends
dire qui?
même assez bien, si vous me
A L'APPUI Les origines sociales de la dictature
P. S. Il y a d'abord l'auteur
qui écrit, comme vous savez,
permettez!) ... Non, le troisième et de la démocratie
thème est tout 'bonnement éso- Traduit de l'anglais par Pierre Clinquart
pour s'élucider. lui-même. Nous térique.
n'en parlerons pas. Cette voix-là L'auteur tente de dégager les conditions historiques qui ont présidé
M. P. Comment l'entendez- à l'éclosion des démocraties de type parlementaire, occidental, ou
est celle qui m'agace le plus, des dictatures de droite ou de gauche.
vous?
mais elle persiste et je n'y peux 432 pages 27,80 F
P. S. Il faut lire entre les li-
rien.
gnes : l'auteur, selon une tradi- MAURICE DOBB
M. P. Ensuite?
tion millénaire, dépose ici et là
P: S. Ensuite, il yale thème, d'imperceptibles signes d'intelli- Etudes sur le développement
et le thème c'est les autres. Et gence ; il en dit le moins possi- du capitalisme
les autres, ce sont les délégués ble ; au lecteur de se débrouiller
Traduit de l'anglais par Liane Mazère
de tous les pays du monde, réu- avec ces marques... Que celui
nis au Mexique pour cette gran- qui a des yeux... Le concept de féodalité, les origines de la bourgeoisie, l'émergence
du capital industriel, la croissance du prolétariat, etc. L'auteur
de conférence internationale de M. P. Aidez-moL .. interroge l'évolution économique, tant au passé qu'au présent.
volcano-séismologie. Ces autres P. S. J'aurai la bonté de vous 424 pages 27,80 F
qui actionnent de façon si déri- dire qu'il y a, dans le premier
soire, si rasoir, le mécanisme chapitre, puis dans le dernier, JEAN-YVES POUILLOUX
aride, stérile, de ces grandes deux petites phrases, phrases Lire les Essais de Montaigne
conférences internationales. Le qui chatouillent le bon goût d'une
Par cet essai sur les Essais, le lecteur est invité à sa propre relecture.
milieu est gourmé, les péripéties autre de mes Thérèse, nommée
124 pages 6,15 F
pratiquement nûlles, la procédu- Lia Lacombe... La première, c'est
re Irritante de bêtise et d'ineffi- Tli causes donc je suis (sans vir- PETITE PIERRE JALEE
cacité... J'ai vécu cette expé- gule, à la ligne) ; même chose
rience vipère au poing, et je pour la deuxième, qui en est la COLLECTION L'Impérialisme en 1970
crois bien avoir rendu, dans son réplique : Tu causes donc je MASPERO Par l'auteur du Pillage du tiers monde, un examen des contradic-
tions du systéme impérialiste, aboutissant à certaines perspectives
filigrane le plus perfide et le dors ... Vous ai-je suffisamment politiques.
plus vrai, ra sottise de l'homme aidé? n° 49, 234 pages 6,15 F
collectif - surtout quand cet M. P.
homme-là est délégué par son P. S. Non? PAUL LAFARGUE
gouvernement. M. P. C'est cela l'ésotéris-
M. P. Intéressant, mais la fa- me?
Le droit à la paresse
çon dont vous en parlez présente Présentation nouvelle de Maurice Dommanget
P. S. Le contraire de l'ensei-
,ces choses de façon bien aus- gnement habituel. Le Maître n'a Avant tous, Paul Lafargue opposait l'essentiel au droit au travàil:
le droit à la paresse. La réédition, avec une préface nouvelle de
tère! ·rien à dire, mais il promet de Dommanget, de cet ouvrage - figurant auparavant dans la Biblio-
P. S. Austère? Oui et non. Je répondre à la question quand thèque socialiste - lui rend la place qui lui était due.
vous recommande l'histoire des elle est bonne. nO 50,192 pages 6,15 F
Barnk Houllouj, des trois petits M. P. A Gurdjieff, vous lui
Mongols extérieurs... Et l'énig- avez posé. la bonne question? PARTISANS N° 49
matique Seminovitch, délégué de P. S. Il est mort avant. Mais FRANÇOIS Le mouvement des Lycées
l'U.R.S.S., disparu de manière de toutes façons, je n'en aurais
bien étrange chez les Indiens pas été capable... MASPERO Les auteurs de ce numéro ont été parmi les artisans de la préhis-
1, Place toire, de l'histoire et le seront, ils l'espérent, de l'avenir du mouve-
Otomis insoumis... ment lycéen. C'est à ce titre que Partisans leur a donné la parole.
M. P. Pas de femmes? Paul-Painlevé
Paris VC 8,70 F
P. S. Quelques-unes. Une pe- C by Pierre Belfond, 1969~

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969 15


ARTS

La Revue de l'Art
Jusqu'au début de l'année consacrés soit à la publication XII· siècle, assise en majesté téresse pas plus le Français que
1969, les revues d'art en France de documents inédits ou de dé- dans une déposition de croix - l'architecture (contemporaine)
pouvaient être classées en deux couvertes, soit à des mises au et d'évoquer à partir de ces dif- et ne suscite pas davantage le
catégories : celles consacrées à point de problèmes généraux. ficultés herméneutiques, l'en· mécénat. Mais outre cette moti-
l'actualité, à tendance souvent D'autre part, une sorte d'appareil semble de la problématique de vation générale. le parti neutre
polémique et tonalité fréquem- critique composé par une biblio- l'art roman. Bella Bessard et Syl- adopté par la Revue de l'Art cor-
ment littéraire - et les autres, graphie internationale (savante, vie Bégin (n° 1) reconstituent, respond sans doute au désir.
qui, accordant une part plus ou mais encore trop mince), une re- grâce à des documents d'archi- naïf, de combattre une certaine
moins large au passé, dans des vue des expositions internatio- ves, l'étonnant hôtel de Tarpan- image clinquante de la France
articles généralement de se- nales (encore trop limitée et dé- ne, sis rue des Bernardins, dé· par l'understatement graphique,
conde main, d'humeur ou d'op- calée dans le temps) et un bilan moli en 1830 et dont seul sub- en même temps qu'à une éthique
portunité, participent de cette de l'activité des musées fran· siste aujourd'hui un portique à de l'ascèse intellectuelle : ne
l'Ecole des Beaux-Arts. C'est au livrer le savoir qu'à ceux qui
contraire comme le bilan des re· l'ont mérité et ne se sont laissé
cherches et découvertes de arrêter ni par l'aridité ni par
l'érudition depuis 1945 que se l'ennui.
situe l'article de Carol Heitz sur Plus profondément, la neutra-
l'art carolingien, tandis que lité de la mise en page adoptée
Mayer Shapiro élucide avec sub- par la Revue de l'Art semble cor·
tilité le rôle de la nature morte respondre à une volonté de se
dans l'œuvre de Cézanne (n° 1). cantonner dans l' • objectivité -.
Après un tel sommaire, le lec- Le refus d'une organisation con-
teur ne sera pas peu surpris de temporaine de l'espace graphi-
sa présentation matérielle. L'il- que exprime bien le refus ou la
lustration est abondante, certes, défiance d'une certaine approche
pertinente et qui accompagne la et de certaines méthodes : la
progression des textes. Mais la Revue a pris le parti de l'érudi·
typographie est banale, les ca- tion contre celui de la structura-
ractères trop petits, la mise en tion. L'analyse des sommaires
page monotone, sans surprise et en apporte la preuve. Au dernier
sans âge. Pourquoi cette routine numéro: Serlio est·i1I'archltecte
de l'expression, ce mépris de la d'Ancy·le·Franc? A propos d'un
lettre? dessin inédit de la Bibliothèque
Le problème mérite d'autant nationale, par Jean Guillaume.
plus d'être posé qu'il n'est pas, Quelques œuvres oubliées ou
en France, propre à la Revue de inédites des peintres de la fa·
l'Art. Il vaudrait qu'un de nos sé- mille de Beaubrun, par Jacques
miologues se penchât une fois Wilhem, Antoine Coypel: la ga·
sur la signification de la mise en lerie d'Enée au Palais Royal, re-
page, sur les rapports qui lient présentent les Etudes, tandis
le contenu des articles et leur que les Notes et documents sont
disposition dans l'espace : rap- consacrés à une tête de satyre
port ambigu et complexe, de ren- de Cellini, un album de croquis
forcement mutuel, de subordina- inédits de Jacques-Louis David,
tion ou encore d'antagonisme, etc. De même, l'art actuel - ar-
opposant alors contenu mani- chitecture ou peinture, exigeant
Jean Mignon: Combat d'hommes nus. Vienne
feste et contenu latent. Pareille par leur nature même une problé-
littérature du délassement que çais. Enfin, fait digne de remar· étude nécessiterait une confron· matique et une approche nou-
les Anglo-saxons nom, men t que dans notre tradition chau· tation et une comparaison de la velles - est pratiquement ab-
coHee table books. vine, la Revue compte parmi ses mise en page dans les différents sent. (Le dernier numéro s'ar-
De revue d'art scientifique, et collaborateurs d'illustres histo· pays. On s'apercevrait par exem- rête à une interview de 1921 de
qui fît sa part à l'érudition, sans riens étrangers, tels Mayer Sha· ple que l'Italie et la France re- Kandinsky.)
pour autant se muer en bulletin piro et Anthony Blunt. présentent des attitudes anti- La naissance de la Revue de
confidentiel - point, C'est cette Les cinq premiers numéros thétiques. Dans les revues ita- l'Art doit donc être saluée avec
lacune que vint combler en jan- parus ont concrétisé ce program- liennes la charge sémantique de respect. Mais si cette publica-
vier dernier la Revue de l'Art. me par des textes à la hauteur la mise en page est si forte tion veut conquérir le public
Publication trimestrielle consa- de son ambition. Quelques qu'elle en arrive parfois à pren- qu'elle mérite et pas seulement
crée aux arts du Moyen Age et exemples. Jean Taralon, dans le dre le pas sur celle des articles. celui des spécialistes, il faut
des temps modernes (mettant numéro 4, consacre un long arti- Les publications françaises, au qu'elle opte pour une écriture ac-
donc délibérément de côté pré- cle aux peintures romanes du contraire, tendent à réduire l'ap- tuelle et que, par le texte et la
histoire et antiquité), elle s'est XII· siècle récemment décou- port signifiant de l'organisation mise en page conjugués, elle
assignée le champ total de la pro- vertes au cours de travaux, dans graphique. (Comparez Metro à satisfasse non plus seulement la
duction plastique, avec la volon- l'église de La Varenne-Bourreau Connaissance des Arts ou Ediliz· curiosité - héritage du XIX· siè-
té explicite d'accorder son im- (Mayenne) : une description mi- zia Maderna à l'Architecture cle - mais aussi le besoin con-
portance légitime à l'architec- nutieuse permet à l'auteur de po- d'aujourd'hui.) temporain d'organiser et de pro-
ture. Elle comporte deux parties. ser des problèmes d'interpréta· En fait, et pour les mêmes rai- blématiser le savoir.
D'une part, des articles de fond tion - tel le mystère de la sons qu'il faudrait développer. le
écrits par des spécialistes et vierge, unique en son genre au graphisme (contemporain) n'in- Françoise Choay

16
.XPOSITION

Giacometti
Peu d'expositions ont été
aussi éclairantes pour l'œuvre marque l'apparition d'une tech-
d'un artiste que la rétrospec- nique au doigté nerveux de la-
tive Alberto Giacometti. Ceux quelle il ne s'écartera que fur-
qui suivaient depuis longtemps tivement pour y revenir et y
ses travaux, les expositions rester fidèle jusqu'à sa mort.
que lui a consacré depuis dix- L'intelligence, le pouvoir ex-
huit ans la Galerie Maeght, et, pressif d'un tel modelé, s'affir-
plus encore, ceux qui se sou- ment dans un premier bronze,
viennent de ses envois aux an- la Tête d'enfant, de 1917. Mais
ciennes expositions surréalis- cet enfant qu'il était encore
tes, pouvaient croire qu'ils con- lui-même au début de son ap-
naissaient bien l'œuvre de Gia- prentissage se désoriente bien-
cometti. Pourtant, de nombreu- tôt devant les difficultés que
ses pièces demeurées dans lui apporte l'étude même de
l'ombre de son atelier apparais- son art. Lorsqu'il aura sur-
sent aujourd'hui à beaucoup monté ses premières incerti-
comme une révélation, en parti- tudes, voyagé en Italie, vu à
culier celles des années 1925 Rome "art égyptien, et décou-
à 1935, d'un intérêt fondamen- vert à Paris le Cubisme, c'est
tal pour la compréhension du dans une nouvelle direction,
parcours singulier suivi par le très éloignée de ses premiers
sculpteur pendant plus de cin- travaux, que se déroulera
quante années avec une énergie d'abord son évolution.
constamment en lutte contre
"insatisfaction et l'inquiétude. L'influence cubiste, nous la
trouvons dans un Torse de 1925
et dans le Petit homme ac-
L'étendue de l'œuvre sculpté,
croupi dont la géométrisation
et l'importance parallèle des rappelle le Brancusi du Baiser.
peintures et des dessins, cette La synthèse est encore plus
triple activité dont chaque éta- poussée dans la Femme-cuI/-
pe est ici représentée, faisant 1ère. de 1926, où le sculpteur a
surgir le sens profond d'un tra- trouvé dans une esthétique
vail qu'il nous est donné de d'origine africaine (un tel ob-
contempler pour la première jet est l'attribut de l'épouse
fois dans son ensemble, c'est d'un chef en Côte-d'Ivoire) la
cela d'abord qui frappe dans forme exactement mitoyenne
une exposition où le choix des entre celle d'une femme et
œuvres et leur présentation celle d'une cuillère. La réduc-
(groupement, séries, juxtaposi- tion des figures à une géomé-
tions) sont l'effet d'une ré- trie schématique s'accentue au
flexion judicieuse. Le grand coUrs de la même année au
mérite en revient à Jean Ley- point d'approcher de très près
marie et à Hélène Adhémar, l'abstraction avec le Couple, et
ses organisateurs. même, semble-t-il, d'y parvenir
Ce que nous savions déjà, et avec les Personnages dont,
ce qui nous est confirmé par seul, le titre exprime encore
les trois cents œuvres rassem- une intention figurative. (Plus
blées à l'Orangerie des Tuile- tard, en 1934, une œuvre pure-
ries, c'est que la figure humai- ment abstraite comme le Cube
ne - le corps humain et sur- - qui n'est pas un cube - an-
tout le visage, le corps n'étant noncera l'art d'un Gilioli mais
pour ainsi dire qu'une torche au demeurera exceptionnelle dans
bout de laquelle brûle la flam- le travail du sculpteur.) Il est
me d'un visage - a toujours enfin remarquable que Giaco-
été, du début jusqu'à la fin, metti, qui ne s'attarda guère au
l'unique thème et le grand tour- Cubisme (il n'y vint, il est vrai,
ment de Giacometti, l'insonda- que tardivement), ait réalisé
ble miroir où s'est heurtée con- l'œuvre la plus typique de
tinuellement la lancée de ses cette école, sa Composition
interrogations. Il est ainsi cubiste, plus complètement re-
émouvant et significatif que son présentative de ce mode d'ex-
premier buste, un portrait en pression qu'aucune œuvre de
plâtre de son frère Diego, mo- Zadkine ou de Laurens qui en
delé en 1914, à l'âge de treize furent les premiers maîtres.
ans, soit une Image si manifes- Et voici que, soudain, en
tement Interrogatrice. En outre, 1927, Giacometti revient au
son exécution, encore timide, Giacometti: L'Obier illVi$ible portrait et à ce modelé où l'on ~
La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969 17
~ Giacometti

sent le mouvement des doigts 80n tourment créateur, sinon


sur la pâte, modelé qu'il avait son apaisement, et ce que,
appris dans ses années de dans un beau texte (publié
travail auprès de Bourdelle dans le n° 1 de l'Ephémèrel.
et qu'il avait abandonné au Yves Bonnefoy a appelé • l'ex-
profit de surfaces plus lisses. pression tragique par excellen-
le portrait de son père et ce -. Obstiné à recommencer
celui de sa mère semblent ce- sans fin, et avec une puissance
pend"ant iiaierter sur ie pro- chaque Jour accrue, les mêmes
blème du visage auquel, provi- figures, Giacometti obéissait à
soirement, il apporte une solu- l'irrésistible tentation de me-
tion avec un nouveau bronze ner toujours plus loin le peu-
où, cette fois, le visage du plement de ce pays désolé où
père, inscrit dans un triangle, la Femme debout est là spec-
est devenu tout à fait plat: les tatrice muette et angoissée de
lèvres, le nez, les yeux, n'y ap- l'Homme qui marche. Etrange
paraissent que gravés d'un couple que le destin sépare,
trait sans aucun relief. Il ~st elle, enracinée dans le sol par
probable que c'est là le point cet énorme et unique pied qui
de départ des recherches futu- la condamne à une immobilité
res qui lui feront bouleverser rassurante, lui, toujours en
la frontalité de la sculpture et marche, en fuite, occupé, pré-
donner souvent à ses portraits occupé, traversant des places
(notamment aux Bustes de vides, • sous la pluie -, dit un
Diego de 1953-54) un visage en titre, ou • par un matin enso-
lame de couteau. leillé -, dit un autre, toujours
ailleurs, quels que soi e nt
En attendant, les idées de l'heure et le temps. la femme
synthèse réapparaissent. les de la terre devant l'homme du
visages deviennent mystérieux, vent.
les traits presque indéchiffra- l'exposition, pour la sculp-
bles; le modelé est simplifié à ture, s'achève par la série ma-
l'extrême sur des surfaces gistrale des bustes. Bustes
d'une géométrie épurée (Tête d'Annette qu'un léger mouve-
qui regarde, Femme). Enfin, les ment des épaules en avant si-
corps se métamorphosent en tue dans l'instant précédant la
objets à peine anthropomor- parole; bustes de Diego, au
phes, selon une technique pro- bronze parfois peint en tons
che du fer forgé (Homme, ocrés qui les rapprochent des
Femme couchée qui rêve, etc.). portraits à l'huile d'Aicha Sa-
Puis, tout change de nouveau, pane ou de Caroline, portraits
et c'est la grande période sur- où le modèle est toujours re-
réaliste entre 1930 et 1935. présenté de face, l'artiste ayant
Et, là encore, le Surréalisme besoin de comprendre ce qui
trouve en Giacometti son sculp- se passe au fond des yeux;
teur le plus insigne. la Boule bustes d'Elle Lotar, dont le der-
suspendue, parfaite mécanique nier, sculpté quelques mois
érotique, l'Objet désagréable à avant sa mort, offre aux regards
jeter, la Cage, dont le thème un visage à la fols scrutateur
sera repris d'une autre façon et secret, avec des yeux que
en 1950, la Table, et l'Objet in- la curiosité dévore et une
visible, statue qu'André Breton bouche qui se tait dans une
désignait dans l'Amour fou contraction des lèvres appa-
comme· l'émanation même du remment douloureuse. Ultime
désir d'aimer et d'être aimé-, et tragique réplique du Buste
sont des œuvres dont le con- de Diego modelé à treize ans.
tenu poétique semble Inépui- Image utile à orienter toute ré-
sable. flexion sur la sculpture de Gia-
Giacometti : Annette IV cometti. Dernière image que
nous emportons de son fasci-
Tant de travaux, tant d'idées, Hommes qui marchent, et les 3 mètres, qu'on a pu voir dres- nant univers sur lequel plane,
tant de recherches, toutes ces Bustes. sées sur le ciel de Provence, à dans notre souvenir, avec nos-
années d'invention et de con· C'est dans ces minces figures a Fondation Maeght, à Saint- talgie, le sourire de son visage
tinuel renouvellement, n'étaient et figurines apparues en 1945, Paul, c'est dans ces personna- aux gros traits boursouflés,
cependant que le prélude à d'abord minuscules, de la taille ges dont l'élongation et l'immo- sourire qui semblait toujours
l'œuvre capitale que Giaco- d'un insecte (35 mHlimètres avec bile. garde à vous - font son- vouloir atténuer, modestement,
metti allait accomplir et que le socle), et qui deviendront ger aux divinités hellénistiques l'intelligence de ses paroles.
se partageront trois thèmes quinze ans plus tard ces gran- figées dans leur secret, que le
principaux: les Nus debout, les des statues, hautes de plus de sculpteur a trouvé le sens de Jean Selz
18
PHILOSOPHIE

La grâce et la loi
Leszek Kolakowski Quelque deux ans après avoir profondément, Kolakowski y et ensuite le principe de prédes-
Chrétie1l$ sans Eglise écrit cette phrase, le 21 octobre éclaircit des structures correspon- tination et de grâce irréductible.
Trad. du polonais 1966 - dixième anniversaire de dant au dialogue entre une pen- Le fidèle devenaii assuré du salut
par Anna Posner l' c Octobre » polonais - au sée vivante et sa forme réifiée. à condition (suffisante) qu'il soit
c BibL de Philosophie » cours d'une manifestation organi- un membre orthodoxe de sa com-
A travers le foisonnement de
Gallimard éd. 823 p. sée par les étudiants à la Faculté munauté confessionnelle. Or,. Ka-
l'histoire religieuse du XVII" siècle,
d'Histoire de l'Université de Var- lakowski caractérise la ~ deuxiè-
où paraissent tour à tour anabap-
sovie, Leszek Kolakowski pro- tistes révolutionnaires allemands, me vague ~ des réformateurs du
Le grand livre de Kolakowski nonça un discours. fi établissait XVII" siècle par son opposition si·
antitrinitariens polonais, menno-
pose implicitement deux un bilan des conquêtes d' c Octo- nites hollandais, quakers, Jacob multanée aux deux théories -
questions qui hantent l'his- bre » où il opposait les espoirs Boehme et Angelus Silesius, Bé- catholique et protestante. Vis-à-
toire contemporaine le suscités alors à l'involution qui vis de l'Eglise catholique, ce sera
rulle et Surin, Antoinette Bouri-
marxisme Institutionalisé est- suivit. fi dénonça les restrictions la négation de la nécessité du cul-
gnon et Labadie, Kolakowski pro-
i! toujours condamné au sort à la liberté de la parole, l'étau de te extérieur en vue du salut. A
pose un c modèle idéal » pour
d • une Eglise établie, les la censure, l'ingérence politique l'égard des Eglises réformées
comprendre le mouvement ~e
révisionnistes au sort des condamnant toute recherche ori- la négation de la nécessité de
cette deuxième Réforme qui· im-
hérétiques? ginale dans lei! sciences humaines
et sociales, l'abîme croissant en-
Si la réponse est exemplaire, tre le Parti et l'opinion, l'applica.
c'est que le destin personnel de tion arbitraire de la loi. Le len-
l'auteur a confirmé son analyse demain, il était expulsé du Parti
intellectuelle. Le8zek Kolakowski Ouvrier Unifié Polonais. Moins
a en effet joué un rôle de pre· de deux ans plus tard, le 25 mars
mier plan dans le mouvement ré- 1968, à la suite des manifestations
visionniste polonais des années 50. des étudiants qui suivirent l'in-
Or, contrairement à la plupart de terdiction des représentations du
ses amis, il n'a jamais vou1u quit- drame les Aïeux du poète national
ter le parti et il renonça aux polonais Adam Mickiewicz, il
polémiques politiques lonque était, avec cinq autres professeurs,
Gomulka condamna le mouve- suspendu de sa chaire à l'Univer-
ment révisionniste qui l'avait sité de Varsovie. Le communiqué
pourtant porté au pouvoir en officiel annonçant 4lette mesure
1956. Intéressé par la philosophie affirmait que c les plus hauts in-
médiévale et la pensée catholique térêts de f Etat et de la nation
contemporaine dès &es premiers demandent qu'il soit mis dans
travaux, Kolakowski se retran- fimpossibilité d'influencer la jeu-
cha dans une recherche apparem- nesse ».
ment plus abstraite, sur les mou- Leszek Kolakowski, par
La raison pour laquelle. son ex- David Levine
vements hérétiques du XVII" siècle. pulsion était en effet c inélucta·
Pourtant, s'il se plia ainsi à la ble », on la trouve dans un texte pllquait un antagonisme irréduc- l'orthodoxie. «Cette double oppo.
discipline du parti, sa conception datant de 1957, « Responsabilité tible entre les valeurs fondamen- sition, é cri t Kolakowski, est
même du travail de l'histoire re· et Histoire ». Dans une conversa- tales du christianisme et les Egli. f équivalent, dans la pratique, de
pose sur la conviction que « des tion imaginaire entre un Clerc et ses établies, et qui s'opposait aus- rexigence de la suppression des
phénomènes observés actuelle· un anti-Clerc, Kolakowski y pra- si bien à l'Eglise catholique Eglises en tant qu'i1l$titutions vi·
ment permettent de découvrir fessait une foi dont il ne devait qu'aux Eglises réformées issues sibles, si f on remarque que
da1l$ le passé certaines qualités plus jamais se départir : de Luther ou de Calvin. fEglise en tant qu'i1l$titution so-
du monde humain qui, sans ciale est définie par f existence de
« - Je ne croirai jamais que la L'Eglise romaine avait élaboré
cela, demeureraient inaperçues ». la caste sacerdotale qui, dans les
vie morale et intellectuelle de la théorie ex opere operato. selon
L'idéal, nous dit.il, est « une si- deux cas, est ai1l$i privée de sa
fhumanité suit les lois des inves· laquelle les actes liturgiques sont
tuation dans laquelle la descrip- raison d'être ».
tissements économiques, c'est-à- valables et accordent les grâces
tion générolisante et la raison du Bien entendu, il s'agit là d'un
dire fattente d'un lendemain nécessaires indépendamment des
choix se rapportant au domaine modèle idéal, abstrait. En fait,
meilleur à travers f épargne d'au- qualités morales du prêtre (et
étudié sont un seul et même ins- Kolakowski étudie dans son livre
jourd'hui, qu'il faille mentir afin même, jusqu'à un certain point,
trument ». La raison de ce choix, que la vérité puisse triompher, toutes les formes du christia·
il nous la dit clairement dans sa du fidèle) , s?ils sont accomplis
acquiescer au crime afin de SQ,lV selon les prescriptions du· droit nisme du xVIr' siècle, des plus
préface : « Ce qui m'intéresse radicales jusqu'aux plus portées
vegarder le bien... En dernière canonique. Cette théorie place à
essentiellement, ce n'est pas que à des solutions de compromis,
i1l$tance, je resterai fidèle à cette l'abri de toute critique la callte
(ces hérétiques) soient effective- ainsi que la façon dont elles ont
opinion. sacerdotale, celle·ci étant fondée
ment des hérétiques mais plutôt pénétré les Eglises elles·mêmes,
qu'ils doivent l'être. En d'autres - Quoi qu'il arrive? sur des critères. juridiques et non
pas moraux, tout en garantissant et les tentatives de leur assimila·
termes, je ne co1l$idère pas ceux - Quoi qu'il arrive. »
aux fidèles d'accéder aux grâces tion institutionnelle. Du point de
des éléments de leur pensée qui Bien entendu, Chrétiens sa1l$ vue historique, il fait apparaître
les ont placés occasionnellement Eglise n'est pas, sous l'apparence à travers des opérations purement
les tentatives du christianisme
en dehors de f Eglise, mais plu. d'une œuvre d'histoire, un apo· extérieures, à seule condition
non confessionnel sous l'aspect de
tôt ceux qui les y situent obliga- logue où les hérétiques corres· d'obéissance.
phénomènes purement négatifs,
toirement (puisqu'ils comportent pondraient aux révisionnistes, et La Réforme a substitué à la leur existence ne pouvant être
la négation fondamentale de les Eglises établies au marxisme théorie ex opere operato le prin· saisie que par référence à la reli·
fidée même d'Eglise) ». institutionalisé. Beaucoup plus cipe de justification par la foi, giosité organisée contre laquelle

La Qu1nzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969 19


elles se constituent. « Par princi. tique8 contemporaines. Mais l'ana· giewe de futopie exiltentielle de la théolosie et du christian;"·
pe - écrit·il - elle, ne peuvent lyse 8tructurelle de Kolakow8ki qui .e renouvelle à mainte. re- me.. Cette attitude c anti-réduc-
pas trtJIUformer les forme. collec- dépa88e ce8 analogie8. Le côté prÎ!Je' au cour. de f hiltoire, en tionni8te ., Kolakowski y e8t arri.
tive. et hiérarchique. de vie relie le plu8 pa88ionnant de son tant que. tentative, toujoun auui vé aprè8 la longné nuit 8tali-
giewe à leur fQt;on, puilque cela étude concerne le conflit entre dé.e.pérée pour extirper de la nienne, lor8qu'i1 écrivait, en 1957:
.isnifierait oblisatoirement (et la c religion de la grâce • et la vie les lieRl réifié! et le. rempla- « Les valeur. morale. permanen-
sisnifie effectivement daru de. « religion de la loi >. Il voit dans cer par le. lieRI penonneù •. te., en évolution continuelle, sont
Cal particulien) qu'elle• • e .ont ce co~flit un c fond > anthropo- Marxi8te8, Le8zek Kolakow8ki notre .upport le plUl .ûr lorsque
appropriée. jUitement une .true- logique permanent. Le8 fidèle8 de tient pourtant le8 phénomène8 la réalité noUl demande de faire
ture matérielle rationnelle, en la religion de la grâce c propo- religieux pour irréductible8. Il 8e un choix, lequel elt, après tout,
contradiction avec le. principel sent un modèle de vie dan8 lequel refuse de trancher 8'il faut le8 aU!J.i de nature morale >.
de leur prote.tation; le. chré- la communication revêt un ca- expliquer par une genè8e ou le8
tieRl non conjeuionneù .ont ractère « exi8tentiel .; ceci ai- rattacher à l'hi8toire, c s'il con- Dan8 8a conclu8ion à son der·
tout au plu,. capable. de créer, gnifie qu'elle est une ouverture vient de traiter les thème, de la nier livre, Kolakow8ki affirme que
b i 1 a t é raI e non médiati8ée, phénoménolosie exiltentielle con- «noUl avoRl be'soin d'unè acti.
à fintérieur ou à côté de. collee.
exempte de calcul, et par là même temporaine comme un effort en vité qui noUi permette non seu·
tivité,' ecclé.ialtique, de, « Brou-
débarra88ée de la crainte, du ju- vue de laïciler en quelque .orte lement d'établir les lieRl existant
pel de prel.ion • qui contraignent entre les moyeRl et la fin, ~.
f adver.aire li une aI.imilation gement, de l'envie, de l'attente, fhéritase théolosique; ou .'il ne
de8 8crupule8, de la contrainte, vaut pal mieux chercher dans auui d'établir de fQt;on intelli-
nerttrali.ante de lertn idéel et à Sible la fin de notre comporte-
modifier dan. une certaine me- de8 commandements et de8 ordre8. Cel contrOtJer!Je!J lointaine. la mo~
Cette ver.îon du chriltiani.me, dification historique apportée pu ment elle-même •.. De cette activi·
sure la relisio.ité orsani.ée :t. té, ChrétieRl .aRl -ESIÎ!Je e8t un
On voit les analogie8 avec les celle de Paul et du jeune Luther le chriltîani!Jme -à dei que.tioRl
'conflits de la con8cience et de l'or- - et plus tard celle de Kierke- qui, dan. leur. contenUi le. plUl beau témoignage.
gani8ation dan8 le8 société poli- saard - e.t f articulation reli- authentiquel, sont indépendantel CORltantin JeleRlki.

LE COLL~GE DE YERRES INT~GRE, EN UN M~ME ENSEMBLE ARCHITECTURAL, LES DIVERS ~QUIPEMENTS


SPORTIFS, SOCIAUX ET CULTURELS DE LA COMMUNE.
L'ENSEMBLE DE CES ~QUIPEMENTS EST AU SERVICE DE L'ENSEMBLE DE LA POPULATIQN. LEUR UTILISATION:
TOUT AU LONG DE LA JOURNH, DE LA SEMAINE ET D.E L'ANN~E, PAR LES JEUNtS COMME PAR LES ADULTES,
ASSURE LEUR PLEIN EMPLOI. '

réalisation gllP L·Abbaye. Verres - 91. Essonne - 925.39.80


B88AI

Une théorie
du romanesque
ment d'une espérance humaniste embarras théorique. C'est pourquoi
qu'ü faut précisément restaurer. » on peut être tenté de confronter le
Le prod.ueteur d.e romans me (p. 186). livre de Zeraft'a avec la méthode de
.oit une culture. soit une naHté Cependant, même s'il est menacé, Mikael Riffaterre, chacune des deux
sur ce concept de personne s'accro· recherches étant exemplaire dans la
chent les questions théoriques que radicalité de ses options. Riffaterre
Michel Zeraft'a directement, dérive du réel, repré- Zeraffa ne peut éluder, et dans les· définit (1) le -phénom~ -littéraire
Personne sente l'élément médiateur entre le quelles il nous paraît pris, comme comme l'ensemble du livre et de ses
et personnage style et les contraintes du monde enserré dans le foisonnement extra· lecteurs, la totalité des lecteurs étant
Le romanesque extérieur : produit de la création, ordinaire des exemples qu'il donne, représentée par le « lecteur moyen »
des années 1920 et en aucun cas modèle. Aussi bien, -comme ahsorbé dans le roman, com· ou « surlecteur ». Ce lecteur topi-
aux années 1950. les différences réglées entre la pero me « enromancé ». La dernière que est déterminé d'après dès _lec-
Klincksieck. éd. 496 p. sonne, - traduction de la Weltans- phrase de son essai... « le héros de teurs réels qui, réagi,ssant à la lec-
chauung de l'écrivain et rapport à roman est une personne dans la me· ture de l'œuvre dans un processus
L'objet de Zeraft'a, c'est de déli· l'intériorité - , et les personnages sure même où ü est le signe d'une expérimental, l' « exécutent » com·
miter le champ précis du roman. - produits en signes et rapports à certaine vision de la personne » pour me un musicien fait d'une partition.
Le découpage chronologique et l'as- l'extériorité - sont-elles la règle de simple qu'elle paraisse, fait problè. La réalité, l'auteur, a pu dire Rifla·
pect historique de l'étude ne res- toute la recherche de Zeraft'a. Rien me : cette Cl: vision de la personne », terre à la décade de Cerisy.La Salle
treignent nullement la portée de n'est plus éclairant à cet égard que quelle en est la causalité, quel en est sur l'enseignement de la littérature,
l'entreprise : car en fait, dans le le schéma en couple d'oppositions, le fonctionnement ? La personne se ne sont que des succédanés du texte.
cadre exhaustif et massif d'une thèse régi par les titres de Culture et de définit comme la projection de la Ce qui compte dans la réaction du
de doctorat, c'est de l'essence du Réalité. Le producteur de romans Weltanschauung de l'auteur et ce lecteur n'est pas ce qu!il pense ou
romanesque en soi qu'il ne cesse crée soit une culture, soit une réalité mécanisme détermine les formes lit· ce qu'il ressent, mais le point du
d'être question. selon deux ordres distincts. C'est téraires dont Zeraffa fait ailleurs texte où il réagit : non le contenu
Les butées historiques de l'étude sur eette distinction, symptomatique l'analyse: on voudrait sur ce point mais sa place dans la chaîne signi-
définissent peut-être ce qu'on peut d'une évolution historique, que re- poursuivre à la fois les réflexions de fiante. Pour Riffaterre, la probléma.
appeler l'agonie du roman. En 1920, pose l'hypothèse de la création dans Freud, critique littéraire dans les tique critique exclut l'auteur; pour
on passe de la description de l'in· le roman. Dans l'ordre de la culture, Essais de Psychanalyse Appliquée et Zeraft'a au contraire l'impact sur le
sertion individuelle dans un ordre la conscience détermine ses catégo- les constructions de Macherey sur lecteur dépend de la façon dont l'au·
social extérieur, à la restitution de ries spécifiques selon plusieurs la production littéraire, de façon teur conçoit la personne, et cette
l'intériorité aux « mille humeurs axes : l'axe du « stream », courant moins négative toutefois que ne le vision délimite il son tour les pero
diverses » (Mauriac); en 1950 de oonscience, engendre l'authenti. fait ce dernier. Car, dans la pro- sonnages. Deux façons de lire, un
apparaissent les premières formes cité, la diversité des désirs et des jection de la personne, si l'auteur choix à f~: dans la théorie de la
du Nouveau Roman, et le champ impressions; le temps, axe de la s'identüie, d'où lui viennent ses littérature. Nul doute, cepe~dant,
romanesque qui se rétrécit jusqu'à subjectivité, supporte la mémoire et modèles d'identification? Quelles que ce choix ne soit provisoire et
s'évanouir. Du même coup se trouve la durée; et, à la croisée des che· sont les figures pour cette mise en que plus tard il apparaisse comme
situé l'effort du romancier: proje. mins, la personne, faite de diversité images? Il peut s'agir d'un rapport périmé, aussi vain que peut nous
ter sur le monde et dans des formes et de temps, s'effectue et se produit entre l'objet littéraire et le sujet paraître maintenant la querelle Bàr·
verbales sa vision de la personne; d'une façon, pourrait-on dire, « bio- individuel, ou bien du reflet de thes-Picard, et comme le seront bien·
et se trouve aussi défini le projet graphique ». Le personnage, tel structures sociales dont l'auteur est tôt d'autres querelles; les polémi.
de Zeraft'a : décrire ces formes ver· qu'il existe par exemple chez Balzac, le support, représentatif de l'ins- ques ne sont jamais vaines. Pour
bales, les classer, en déduire une qui joue le rôle de parangon et de tance collective ? Qui projette, qui l'heure, tel semble être un choix pos·
évolution du genre littéraire en dé· butée critique, relève, à l'inverse, sert d'écran? Le mécanisme de pro- sihle : la théorie de la littérature
générescence. C'est donc le contenu de la réalité définie par la société, le duction de l'idéologie de la personne passe par une théQrie de la création
même du roman qu'il s'agit de récit, l'histoire, en bref par l'orga. reste à définir dans ces questionne. ou une théorie de la lecture des
mettre en ordre. S'il faut lui trouver nisation extérieure au sujet et ments. Or les lignes en -sont tracées œuvres.
une place dans une taxinomie des contraignante pour lui. Ce type dans le livre de Zeraffa. Lorsqu'il En .fait, _c'est ce qu'indique Ze·
genres critiques, celle de critique littéraiie se retrouve dans le nou· évoque Balzac, il met en lumière raffa. Car son livre, par la richesse
thématique doit lui être assignée. veau: type de récit qui s'inaugure les phénomènes de groupement, de et la multiplicité des exemples, par
Zeraffa se livre à un travail descrip- après 1950, et invalide la personne mise en ordre, de construction d'une I~ justesse de ses analyses, témoigne
tif des signifiés, et, même s'il se dans sa « profondeur ». Ainsi Ze· totalité à partir d'un détail, qui d une parfaite lecture et surtout
sert des formes littéraires pour les raft'a peut, avec justesse, mettre en construisent le personnage, alors donnè à lire. Sans doute en cela
diversifier, et pour procéder à évidence la situation historique de que la production de la personne se atteint·il parfaitement son objectif
l'ordonnancement de cette multi· la notion de personne, qui relève fait par recomposition d'une unité, nI S'agit, comme Je Tâi senti, <le
tude, il cherche le projet, le sens, d'une mythologie humaniste inquiè. souvent à travers la plus grande faire relire les _romans qu'il décrit.
l'unité de la création. « Comme tous te de sa propre disparition : « Le fragmentation, le plus entier mor· Si l'on avait pu oubliet la fascina-
les autres arts, le roman rend romanesque dont nous schématisons cellement : Proust et son isomorphe tion du romanesque, Zeraffa la rend
compte des changements, des va· les traits dans ce tableau (p. 185), anglo-saxon, Dorothy Richardson, en sensihle et prégnante, et permet par
riations de la personne humaine. » témoigne d'une situation historique. sont le meilleur exemple. La disso- là·même de lire mieux ceux qUi
La personne humaine, contenu ment réeUe de l'individu. La disso· ciation exprime la personner la .com· n'écrivent plus de romans. L'impli.
référentiel intermédiaire entre le lution de la personne, qui paraît à position produit le personnage. Ce- cation romanesque, quant à elle,
modèle littéraire et le concept phi. première vue caractériser le roman pendant les causes de ces différen· concerne et le lecteur et l'auteUl'
losophique, permet d'engendrer, par moderne (après James, et jusqu'à ces ne sont pas données et l'analyse sous la forme de cette seule ques-
oppositions et distorsions, la notion nos jours) est un phénomène socio· historique, en liaison avec une théo- tion commune à Zeraft'a et à Riffa·
de personnage. Objet de littérature logique et politique interprété du rie des idéologies dont la littérature terre : comment ~voir être affect~- ?
par excellence, être verbal, sujet de « Temps perdu» à l' « Homme fait partie, demeure en filigrane. Catherine Backès.
roman, le personnage, à la diffé· sans qualités» par un groupe d'écri- Mais la problématique des auteurs (1) Cf. l'article d'Eliane Jacques- daris-,
rence de la personne qui, presque Critique, n° 266 : Pour un non-lieu :- cti-
vains cultivés, comme l'anéantisse· et de la création rend inévitahle cet tique 8cleptlflque ou évaluation littéraire:

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969 21


POLITIQUE

Une défense
Brian Crozier l'auteur de cette bIogra- tian que j'obtienne la colla- ment, n'est pas vrai. Crozler
Franco phie de Franco écrit, dans sa boration des autorités espa- a vu quelques documents es-

1 Trad. de l'anglais
par Jean-René Major
Mercure de France éd. 612 p.
préface: «J'al une formation
de journaliste, non d'histo-
rien, mals pour ce livre, j'ai
usé de méthodes d'historien
et de journaliste.. Il ajoute
gnoles et l'accès à leurs ar-
chives sur les points liti-
gieux •. le lecteur peut pen-
ser en conséquence que cet
ouvrage est le résultat de ri-
pagnols, mais s'il a consulté
des documents touchant « les
points litigieux »', Il a bien
gardé secret leur contenu.
Sa recherche est celle d'un
qu'il a étudié «en profon- goureuses investigations et amateur, l'interprétation de
deur, la question espagnole. que l'auteur a eu libre accès cette recherche Incomplète
et que son livre n'avait pu aux archives du Gouverne- est superficielle, et le résul-
être entrepris qu'« à condi- ment espagnol. Cela, simple- tat est décevant.

A cause de quelque raison ses que c'était là la pierre de de Londres, Berlin reçut des inter- de demander à ses amis espagnols
psychologique non divulguée, Cro- touche de ses recherches concer- pellations urgentes des ambassa- de consulter leurs archives. Mais
zier a senti la nécessité de débu- nant la guerre civile d'Espagne. des allemandes de Londres et il existe des preuves suffisantes
ter par une mise. en garde politi- Il assure ses lecteurs c: qu'il n'est d'ailleurs, et que Berlin, en re- pour établir que Guernica fut dé-
que. Il était, nous affirme-t-il, nullement certain que les Alle- tour, télégraphia des messages à truite par des bombes incendiai-
« un ardent supporter de la Répu- mands:t aient bombardé Guer- Salamanque et à la Légion Con- res jetées par avions, et les seuls
blique durant la guerre civile:t, nica. « On pourrait presque, dor en Espagne; il est évident avions disponibles étaient ceux
et ce ne fut que plus tard qu'il lfailleurs, écrit-il, dans son ou- que ces télégrammes ont reçu des de la Légion Condor. Les récits
commença à «remettre en ques- vrage, en arriver li cette conclu- réponses à leur tour. Si nous les de cette période de nombreux
tion:t ses convictions pro-républi- sion en lisant les télégrammes possédions - Crozier n'a même témoins oculaires et de nombreux
caines. Si Crozier avait jamailil été conservés dans les archives alle· pas remarqué leur absence- journalistes sont, à eux seuls,
un partisan bien informé de la mandes. » nous pourrions commencer à tirer convaincants. Assez curieusement,
République espagnole (ce que le quelques conclusions des archives la preuve de la destruction de
lecteur peut réellement mettre en allemandes. Malheureusement ces Guernica par bombes incendiaires
doute) avant de vivre à Madrid
Les arohives espagnoles dépêches n'ont jamais été trou· se peut trouver dans un document
pour écrire son livre, son cerveau vées. Elles ne sont pas à Bonn, nationaliste intitulé Guernica:
fut effectivement lavé dans la Peu de temps après l'édition et toute la documentation de The Official Report, publié à
capitale de Franco et aujourd'hui de son livre, il y a deux ans en l'Ambassade allemande en Espa- Londres en 1938 par les éditeurs
il pourrait posséder l'une des cer- Angleterre, il déclara publique- gne nationaliste fut brûlée par anglais de Crozier qui étaient,
velles les plus propres de Londres. ment qu'il possédait une «nou- l'Ambasl3ade à la fin de la guerre durant la guerre civile, les édi·
Il admet que ses conclusions sont velle évidence importante:t qui civile. Il n'y a rien non plus dans teurs les plus prolifiques de pro-
«dans l'ensemble favorables à démontrait que les Allemands les documents de la Légion Con- pagande pro-Franco en Angle-
Franco », mais il affirme que ces n'étaient pas responsables de la dor en ce qui concerne Guernica terre.
conclusions favorables sont fon- destruction de la ville. Il n'a ja- et le 26 avril 1937.
dées sur des faits et des recher- mais publié cette évidence, mais Il est impossible de ne pas
ches, et non sur quelque sympa· il y a deux mois, dans une lettre suspecter Crozier de rechercher
thie pour le Caudillo, avec qui au Times, il déclara que l'accu- Un massaore la documentation la plus favora·
il n'a que deux points communs: sation contre les Allemands était qui n'a pas eu lieu ble à son protagoniste, comme il
« de haïr le communisme et lfoc- «un mythe:t, et «incompatible l'a fait dans ses pages sur Guer-
cuper nos loisirs li peindre :t. Mais avec r évidence des archives du Il reste un endroit où la preuve
nica, et la plus défavorable aux
Ministère des Affaires Etrangères concr~te de la destruction de
haine idéologique et art du Di- opposants de son protagoniste,
manche ne sont pas suffisants allemand et avec quelque autre Guernica existe encore sans aucun comme il l'a fait pour un autre
pour des recherches historiques. évidence aujourlfhui accessible. :t doute, aujourd'hui. C'est dans les événement qui avait lieu la même
Pour juger de la véracité des archives espagnoles. Mais en dépit semaine que l'incendie de Guer-
faits et de la qualité des recher- Il est difficile de prouver soit de la vantardise de Crozier qui nica.
ches de Crozier, étudions l'atten- la responsabilité allemande, soit affirme que ces archives lui ont
tion qu'il accorde à deux événe· l'innocence allemande en partant été ouvertes, il n'y a pas d'indica-
«d'évidence des archives du Mi- tion qu'il ait même demandé quoi Crozier écrit à propos de la
ments de la carrière de Franco :
nistère des Affaires Etrangères que ce soit concernant Guernica. reddition du couvent de Santa
1) la destruction de la ville bas-
allemand ». Guernica fut détruite Il est en vérité étrange que, sur Maria de la Cabeza, occupé par
que de Guernica le 26 avril 1937,
le 26 avril 1937. Le premier télé- ce point tellement controversé, un groupe de gardes civils pro-na-
et 2) les pourparlers diplomati-
gramme concernant Gue r n i c a les Allemands n'aient pas gardé tionalistes - avec quelques fem-
ques de Franco avec Hitler en
trouvé dans les archives alleman- les documents qui auraient prou- mes et quelques enfants - sous
juin 1940, à l'époque de la chute
des actuellement, est daté du 4 vé leur innocence, soit dans les le commandement du capitaine
de la France.
mai, c'est-à·dire huit jours après archives de la Wilhelmstrasse, Cortès: c: Le siège fut levé le
l'événement. Il est clair pour qui- soit dans celles de la Luftwaffe 1er mai 1937, sur la blessure mor·
Guerniea conque étudiant ce problème, ou encore dans celles de l'Ambas- telle de Cortès, rinvestissement
que, .aux environs de midi, le 27 sade à Madrid; il est également par les Républicains de la forte-
J'ai choisi l'événement de Guer. avril, quand les premières nou- étrange que Crozier ait préféré resse improvisée et le massacre
nica parce que Crozier lui-même velles sur Guernica commencèrent spéculer sur des fragments de de ses défenseurs.:t Ce massacre
laisse à penser à plusieurs repri- à paraître dans toute la presse documents allemands plutôt que n'eut, en fait, pas lieu, ainsi qu'en

22
de Franco Je

SUIS
témoigne le compte rendu officiel Hitler en été 1940, illu8tre une des environs du 10 juin 1940,

mal
nationali8te. De telle8 fau88C8 foi8 de plu8 les méthodes peu quand MU880lini entra en guerre,
affirmation8 80nt, malheureu8C- sérieuses de recherche adoptées que «Franco ne chercha pas au
ment, nombreu8C8 dan8 ce livre. par l'auteur. dernier moment la gloire d'une
Le récit de Crozier racontant Pour la défense de Franco, il victoire acquise par un autre. ~
le8 pourparler8 de Franco avec écrit, se référant à la tlituation La première allu8ion faite par
l'écrivain à une offre de Franco
à Hitler pour prendre part à la
guerre, concerne celle du 15 août.
Crozier cache délibérément à 8e8
dans
lecteur8 le fait que Franco écrivit
à Hitler le 3 juin; le 10 juin le
Caudillo dépêcha cette lettre à
Hitler par un me88ager 8péci al:
le général Vigon. Vigon rencon-
ta
tra Hitler et Von Ribbentrop .le
16 juin; troi8 jour8 plu8 tard
l'Ambas8adeur d'E~pagne à Berlin
présenta le8 revendication8 de
Franco 8ur une part du butin de
peau
la victoire d'Hitler 8ur la France.
Franco n'a pa8 déclaré la guer-
re, contrairement à ce que fit
MU880lini: il formula 8e8 récla-
mation8, prétextant qu'il avait


déjà combattu contre la France
durant la guerre civile, quand lui
et Hitler avaient combattu en-

nouvelU
semble contre le8 même8 ennemi8,
l'Angleterre 'et la France. En con-
séquence, lui Franco, méritait une
part de8 pri8e8 de guerre 8ur la
France.

~rnffiID~~
Il informa le8 Allemand8, le
19 juin, qu'il entrerait en guerre,
à condition de recevoir, aprè8 la


victoire, le Maroc, l'Oranie et de8
territoire8 pour agrandir le Rio
deI Oro et la Guinée e8pagnole.

oo~~~œlMl
Il fit aU88i un autre ge8te héroï-
que. Quoique n'ayant pa8 parti-
cipé à la lutte contre la France
en 1940, il 8uggéra néanmoin8

cesbron
que, pour 8e préparer à la lutte,
au ca8 où l'Angleterre ne 8e ren-
drait pa8, il lui 80it donné «du
ravitaillement, des munitions, du
carburant et des équipements qui
se trouveraient certainement dans
les stocks de guerre français. »
Crozier félicite Franco pour 80n
habileté dan8 8es marchandages
avec Hitler. Mai8 pui8qu'il n'ap-
porte au lecteur que le8 faits favo-
rable8 à 8e8 thè8e8, le lecteur e8t
amené à douter de la valeur de
se8 conclu8ion8. Elle8 80nt fondée8
sur la moitié de8 fait8 qui llont
en faveur de 80n protagoniste.
"~-=======-=----.:.:.ij~~ ....,.w.'
Herbert Southworth
Fr.neu, ]IlIT Da.virl Levirœ.

Un mot Bur la traduction: par mo-


ment elle Bouffre d'un mauque de
Franco est-U vraiment persuad' que les connaiB88nce de la 8cène eBpagnole;
et l'auteur qui, danB le texte anglais eBt
né en AuBtralie, devient natif de l'Au· ROBERT"'LAFFONT
Allem.ands n'ont pas bombardé Guernica? triche dans la venion française.

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969 23


Un scandale littéraire
Dans ces premières semaines Dans une récente Interview,
d'octobre la presse Italienne a Strada s'est déclaré • communis-
fait une large place à une nou- te de gauche mals non .chlnols •.
velle affaIre politique qui a écla- Sion ajoute que Strada constl·
té dans la vie littéraire sovié- tue un cas unique d'Intellectuel
tique à propos de la parution du communiste qui, dans la presse
roman-pamphlet de Vsevolod de son propre parti, critique en
Kochetov 0 u e voulez· vous? connaissance de cause la vie cul-
dans la revue moscovite Oktlabr turelle et politique soviétiques,
(Octobre) dont Kochetov est se jetant au cœur de ·saproblé-
précisément directeur. matique de développement et
prenant parti pour les tendances
Ce nouveau. scandale. Inté- novatrices, on comprendra pour-
resse directement l'Italie car. quoi il représente un os, et dur,
dans son roman, Kochetov lance pour les bureaucrates soviéti-
une violente attaque contre la ques, et on comprendra aussi la
politique du parti communiste raison des attaques furieuses de
italien et en particulier contre un Kochetov.
intellectuel communiste, Vittorio
Strada, tenu pour un des meil- Déjà, il y a deux ans, un per-
leurs connaisseurs de la littéra- sonnage du groupe Kochetov, le
ture russe d'hier et d'aujourd'hui. professeur Alexis Metchenko, un
Dans le roman, Vittorio Strada fi- des gardiens de l'orthodoxie lit·
gure sous la forme d'un person- téralre soviétique, avait eu avec
nage caricatural nommé, pe- Strada une violente polémique à
. sante allusion, Benito Spada. Ko- propos de Gorki, de Maïakovski
chetov fait exposer par ce Spada et du • réalisme socialiste. :
les thèses soutenues par le Strada soutenait la ligne d'avant·
P.C.!. sur l'autonomie des partis garde maïakovsklenne contre la
communistes, sur le sens de la Piazza dei Popoto, à Rome ligne du • réalisme socialiste.
participation è la lutte parlemen- de marque gorklenne. Aujour-
taire, sur la néçesslté d'une atti· et se consacrant à une étude extrême suffisance littéraire de d'hui entre en lice le nommé Ko-
tude cri t 1que vis-à-vis de sur la littérature et la culture décadent. chetov, le leader ultra des écri-
l'U.R.S.S., sur l'indépendance de russes modernes. Son étude ne Cette année, Strada, qui entre- vains conservateurs soviétiques,
l'art et de la culture par rapport plut pas aux autorités sovié· temps a fait traduire et publier ennemi acharné de Soljénitsyne
aux comités centraux et aux or- tiques qui l'accusèrent de • révi- des écrivains comme Boulgakov et de • Novy Mir ., la revue de
ganismes bureaucratiques. En sionnisme •. Togliatti lui-même et Platonov et des théoriciens Tvardovsky. Kochetov qui, même
même temps, pour discréditer intervint en faveur de Strada. comme Propp et Bakhtin, a ras- en URSS, n'est guère considéré
ces idées aux yeux des lecteurs Strada refusa de faire son. auto- semblé en un volume d'autres comme un écrivain, a écrit une
soviétiques~ il fait prononcer à critique • et retourna avec sa essais. Ce livre, publié chez Ei- série de pamphlets romancés où
son personnage des tirades plei- femme, russe, en Italie où Il eut naudi, s'intitule Tradition et révo- il dénonce au Pouvoir et à l'opi-
nes de sympathie pour Trotsky une activité de critique littéraire lution dans la littérature russe. nion publique les dangers que fe-
et pour Mussolini. A un moment dans la presse communiste et La gamme des sujets est large et raient courir au pays les intellec-
donné un ouvrier déclare : • Qui ies r e vue s culturelles. Ces variée, allant de Tourgueniev, tuels·anticonformistes.
aujourd'hui critique l'Union so- essais datant de cette première Dostoïevski et Tchekov, au pre-
période sont recueillis dans un mier Congrès des écrivains so- Et, naturellement, dans ses ro-
viétique n'est pas un vrai com- mans-délations. les individus
muniste. et Kochetov, à plu- volume Littérature soviétique viétiques (1934) et au débat qui
53-63 publié en 1964 par les Edi- s'ouvrit dans le parti bolchevik réels sont caricaturés et déni-
sieurs reprises, affirme que les grés. Ce personnage n'a pas d'é-
communistes comme Spada ne teurs Réunis. Dans ce livre l'es- durant les tractations de paix de
sai le plus important (et le meil- Brest-Litowsk. Dans sa préfa- quivalent en Occident. Il n'en a
sont communistes que pour la que dans le passé le plus som-
forme. Ce sont des. po.rcs • qui leur) est consacré à Pasternak ce, l'auteur précise ses propres
dont le Docteur Jivago est quali- positions politiques et esthéti- bre de la Russie, dans un Fadeev
piétinent et m 0 rd e n t leur Bouigarine par exemple, qui,
• mère ., c'est·à·dire l'U.R.S.S. fié d' • œuvre profondément so- ques. S'appuyant sur les. forma-
viétique • et qualifié, ainsi que listes • russes il respecte l'œu- sous le règne du tsar Nicolas 1",
Avant de regarder de plus près les livres de Soljenitsyne, com- vre d'art dans son autonomie et se rendit tristement célèbre par
Je roman, son auteur et les réac- me l'expression la plus vraie des ce, comme condition préliminai- sa collaboration littéraire avec la
tions suscitées par lui en Italie, dificultés de développement de re d'une lecture marxiste du tex- Troisième section, c'est-à-dire la
il convient de présenter la vic- la société soviétique. Le roman te. police politique. Les écrivains so-
time, c'est-à-dire Strada. Strada, de Doudintsev, On ne vit pas viétiques progressistes nom-
Sur le plan politique, Strada
qui a quarante ans, est inscrit au seulement de pain, est analysé ment d'ailleurs Kochetov le
déclare rejeter « l'hérédité stali·
P.C.!. depuis une vingtaine d'an- avec une vive sympathie comme • Boulgarine soviétique •.
nienne partagée à égalité entre
nées. Il a fait des études de phi- la dénonciation de • l'aliénation soviétiques et chinois - et se Dans Oue voulez·vous ? Ko-
losophie et a passé son doctorat bureaucratique • soviétique, dé- prononce pour un socialisme chetov se livre à un véritable
à Milan avec Antonio Banfl, le nonciation qui, selon Strada, est compris comme « libération strip-tease idéologique. Il atta-
patron des' jeunes philosophes encore trop douce. Quant à Ko- concrète de l'homme dans la ten- que non seulement les commu-
italiens de tendance marxiste. chetov, dont il examine un ro- sion formatrice de l'individuel et nistes italiens coupables d'avoir
En 1957, il partit pour Moscou où man, Strada y voit un dogma- du social, dans la dialectique 0b- condamné l'occupation militaire
il demeurera jusqu'en 1961, fré- tisme excessif, réactionnaire et jective du singulier et du collec· en Tchécoslovaquie, mals aussi
quentant l'Université Lomonosov antisocialiste, sans compter une tif -. des personnalités soviétiques
à BOille
comme Roumiantsev, vice-prési- geants du PCI, l'a démontré. Na- n'a pas été sollicité) et surtout amères. Pendant qu'un authenti-
dent de l'Académie des Scien- turellement Kochetov (qui, soit s'il s'agit d'un ennemi ouverte- que écrivain comme Soljenitsyne
ces, reconnaissable sous la figu- dit en passant est l'écrivain so- ment déclaré ». est persécuté et réduit au silen-
re falote d'un caricatural « mar- viétique le plus populaire en Chi- Avec une impudence quasi ce dans sa patrie, pendant que
xiste antidogmatique •. Mais le ne) exprime des positions qui ne professionnelle Kochetov enten- Daniel et Siniav:ski sont jetés
clou de l'œuvre de Kochetov est sont pas seulement les siennes. dait simplement « recueillir des dans les nouveaux camps de
un angélique « personnage posi- Il porte à l'extrême, disons-le, matériaux. pour son roman. Et concentration, pendant que l'at-
tif. qui réhabilite les tragiques grosso modo, des thèses parta- c'est ainsi que Kochetov a pu mosphère de la vie littéraire et
massacres de Staline et qualifie gées par une partie du groupe di- dans Que voulez-vous? trans- politique soviétiques se fait tou-
de «calomnie délibérée. la rigeant soviétique et agit pour le former la femme de Strada en jours plus lourde, un Kochetov
thèse répandue en URSS par le compte d'un «groupe de pres- une néo-stalinienne qui, indignée peut se permettre n'importe
vingtième Congrès du PCUS se- sion. outrancier auquel l'actuel- par le • révisionnisme· de son quelle attaque sous la bienveil-
lon laquelle Staline fut frappé de le politique soviétique, surtout à mari, l'abandonne finalement lante protection des autorités. A
stupeur par l'attaque allemande. l'intérieur, semble trop libérale. pour retourner en Russie (un au- la fin d'un récent article dans
Parmi les arguments pour prou- Les allusions à la « S" colonne • tre leit-motiv kochetovien, c'est « Rinascita., Strada écrit que,
ver le contraire Kochetov décla- et à 1937 ont une trop évidente le chauvinisme grand-russien au- en URSS comme dans les autres
re qu'en URSS: « il n'y avait pas signification. quel il confère des formes aber- pays de structure identique, les
de cinquième colonne parce rantes : dans son roman un ex- intérêts des intellectuels coïn-
qu'avaient été liquidés les Kou- Le roman de Kochetov révèle SS d'origine russe entend l'appel cident avec ceux de la classe ou·
laks et détruites toutes les for- également le caractère de son de la terre natale et, uniquement vrière et des masses du pays.
ces d'opposition dans le parti ». auteur. Dans l'été 1966, Koche- de ce fait, se sent régénéré) . Qui attaque les intellectuels au
tov vint en Italie et, par l'inter- nom des ouvriers ne sert pas le
Encore. plus que contre les in- médiaire d'un fonctionnaire de Mme Strada, qui est d'origine peuple, mais l'asservit. » Le mal-
tellectuels, Kochetov se déchaî- l'Union des écrivains, fit pres- sibérienne, a dû faire des décla- heur, ajouterai-je, est que les Ka-
ne contre le PCI et, en général, sion sur Strada pour être reçu rations à la presse et l'assùrer chetov ne sont ni des ouvriers ni
contre les PC occidentaux qui ne chez lui. Strada, comme il l'a dit de son « parfait accord • avec des intellectuels : ce sont des
sont pas de stricte obédience. dans une interview, céda et reçut son mari. bureaucrates, et ils sont encore
Dans « "Unita • du 2-10 Giancar- Kochetov avec la courtoisie que Les conclusions qu'on peut ti- très puissants.
lo Pajetta un des actuels diri- l'on a pour un hôte (même s'il rer du cas Kochetov sont plutôt Guido Davico Bonino.

La revue "Annales"
Depuis sa création, en 1929, la re- • recherches quantitatives". On eût
vue Annales occupe une place privi- dit que les historiens, longtemps dé·
légiée dans la recherche historique. solés de manier un discours non
Elle est demeurée fidèle aux scientifique, étaient éberlués que l'or-
enseignements de ses fondateurs, dinateur, soudain, se soumît à leur
Lucien Febvre et Marc Bloch, discipline. Il semble aujourd'hUI qu'un
qui ont renouvelé l'histoire en nouveau palier soit atteint. Il ne
p 0 r tan t attention aux phéno- s'agit pas, certes, de démanteler cet
mènes sociaux, aux mentalités, aux appareil scientifique mais plutôt de
techniques, aux sensibilités, à la vie l'asservir mieux à la recherche his-
quotidienne - bref, à toutes ces for- torique. Annales crée une rubrique,
ces humbles, lentes et souterraines • Outllla.ge", avec le propos de dire
qui modèlent les sociétés plus impé· je dernier état des méthodas et tech·
rieusementque ne le font les grands niques modernes. L'avantage est dou-
événements. ble: un riche travail méthodologique
Pourtant, demeurer fidèle à Lucien et épistémologique est engagé en
FeQvre, . c'ast aussi ne jamais s'en- même temps que les autres articles
sÇlmmeiller. La recherche, depuis qua- peuvent être délestés d'une partie de
ra'Qte aris a donc obéi à Febvre en le leur armature chiffrée.
dépassant. Elle a étendu à la démo- l:Ine autre rubrique, • Frontière nou-
graphie, plus récemment à la psycha- velle", annonce que la revue n'est
nalyse ou à l'ethnologie, le souci ini- pas disposée à camper sur les terri-
tiai d'ouvrir le champ historique aux toires déjà conquis. On y cherche à
conquêtes des autres sciences. Au- patrouiller sur les frontières du sa·
jourd'huI, c'est au tour de la revue voir, quitte à affronter quelques pé-
Annales de rajeunir. Elle le fait moins rils. Que de tels articles soient grou-
en modifiant son contenu qu'en dé· pés dans une même rubrique opère
coupant selon de nouvelles catégo- à la fols comme signe et comme
ries ce contenu. Le seul Inventaire des garde-fou.
rubriques qui ordonnent la nouvelle Autre novation: une rubrique au
formule indique ainsi le sens dans titre un peu provocant, • L'histoire
lequel entendent travailler avec Fer- moins l'Europe". Son propos est de
nand Braudel, Charles Morazé et • mondialiser" l'histoire. Comme il
Georges Friedmann ses nouveaux di- fallut naguère briser le cadre des his-
recteurs, Le Goff, Le Roy ladurie et toires nationalistes ou nationales,
Marc Ferro. Annales voudrait aujourd'hui lutter
Depuis quelques années, les tech· contre • l'européo-centrisme ".
niques scientifiques envahissent le Enfin, Annales respecte une de s·es
champ de "histoire. Celle-cI a même vocations - l'information sur les au-
pu parattre à certains, encombrée par tres ·sclences sociales.
les chiffres et les statistiques, par les G.L

La Quinzaine Uttéraire, du 16 au 30 novembre 1969 25


THEATRE

Grotowski
à Londres et à New York
C'est Londres qui aura eu la tateurs (ils ne sont que qua- Ciemny, en polonais, a des pathétiquement opaque et re-
primeur, à l'étranger, de l'Apo- rante) prennent place sur un sens multiples : le sombre, fermé d'abord sur la lumière
calypsls cum flgurls de Jerzy banc de plain pied, le long des l'aveugle, l'innocent, le de- qui l'habite sans qu'il en soit
murs. meuré, l'idiot au sens dostoïev- conscient, et puis s'ouvrant
Grotowski (1). Jouée réguliè-
Ils ont été introduits furtive- skien. Ici tête de Turc et souf· comme un fruit éclaté sous une
rement à Wroclaw depuis le
ment dans une «party., au fre-douleur. Ciemny ne com- pression irrésistible, et irra-
début de l'année, l'œuvre sera
moment où l'excitation - de prend pas le jeu, reste en de- diant alors. Un très grand
présentée en novembre et dé·
l'alcool et du sexe - mettant hors, ou échoue quand il tente acteur.
cembre (à New-York, puis à
San Francisco et Los Angeles) 0
le feu aux joues, l'un des par- maladroitem.ent de participer. Acteur-créateur comme ses
ainsi qu'Akropolis et le Prince ticipants, le maître de maison, C'est pourtant en fonction de camarades (en particulier An~.
Constant, ce dernier faisant au- peut entraîner ses compagnons lui que le rituel s'organise. On toni Jaholkowski, Grand Inqui-
paravant l'objet de quelques dans un psychodrame sacrilège. le provoque, on le bafoue. Il est siteur, l'autre pôle), car c'est
représentations à Manchester, Ceux-ci acceptent allègrement le ciment de la connivence en- ensemble qu'ils ont, par des
Liverpool et Lancaster. d'être qui Lazare, qui Judas. La tre ses persécuteurs qui font esquisses, des propositions de
femme est Marie-Madeleine, et de lui un Christ aux outrages. jeu, élaboré sous la direction
Apocalypsis cum flguris n'est cet autre, Jean. Le meneur de de Grotowski un spectacle qui,
Est-ce encore, est-ce bien un
certes pas une œuvre facile. pour la première fois au
jeu qui a allure de berger jeu? Ils sont et ne sont pas
Elle ne se livre pas à la pre- Théâtre - Laboratoire, n'est pas
- bottes noires et longue cape leurs personnages, et Ciemny
mière, ni même aux premières de tissu bourru - se désigne « d'après. une œuvre drama-
particulièrement. Et r a n g e r
représentations. Tout y sur- comme Simon-Pierre. Il ne leur tique. On dirait qu'il s'agit d'un
d'abord à ce qui se passe, il
prend et tout y retient. Et déjà manque qu'un Christ. Dans les montage et d'une improvisation
assume son rôle douloureux
de trouver allongés sur le par- rires et les sarcasmes, Simon- collective, si ces termes - qui
dans la deuxième partie, quand
quet ces hommes, cette femme, Pierre attribue le rôle à Ciemny, rendent compte des tentations
aux projecteurs se substituent
vêtus de costumes sans âge malingre, dérisoire, lui seul du jeune théâtre de par le
des bougies plantées en fais-
d'un blanc crémeux, quand on monde - ne risquaient de prê-
vêtu de noir - une blouse mal ceau ou brandies au poing.
pénètre dans la salle nue dont ajustée tombant sur ses jam- ter à malentendus. Sans doute,
Richard Cieslak (le prince
l'éclairage est réduit à deux bes nues - et qui tient en ses le texte est emprunté à la Bible,
constant) s'est dépassé dans
projecteurs aux faisceaux pa- mains une ca n n e blanche Dostoïevski, T.S. Eliot et, plus
ce spectacle, intériorisant, ap-
rallèles posés au sol. Les spec- d'aveugle. accessoirement, à Simone Weil,
profondissant son personnage.
mais il n'a rien d'une mosaïque;
il est toujours utilisé en contre-
pQint et avec une valeur méta-
phorique. On n'a recouru aux
mots de la tribu que toutes les
scènes retenues et mises en
place : à la fin était le Verbe.
Enfin, si "on a procédé, au long
d'un travail étendu sur plus de
500 répétitions, à des improvi-
sations de toute nature (corps,
voix, paroles), le spectacle est
définitivement arrêté' mainte-
ment qu'il est produit; les
écrous sont serrés, bien serrés.
Il ne peut plus « bouger. que
sous la poussée intérieure d'un
mûrissement lent et secret se
situant au niveau du jeu.
Aucune œuvre de Grotowski
ne se fonde sur de tels contras-
tes : elle est d'ombres et de
lumières, de noirs et de blancs,
de cris d'angoisse et d'éclats
de joie. Les silences y pren-
nent un relief étonnant, et ce
qui a lieu pendant les noirs est
ce qui va le plus au cœur : un
martellement de pas, une la·
mentation qui se prolonge
quand la lueur de la dernière
bougie a été écrasée au sol. Le
" théâtre pauvre. atteint ici un
seuil qu'il semble difficile d'ou-
trepasser.
Raymonde Temkine.
1. Quelques r.epr.ésentations dans la
crypte de l'église anglicane de St
Grotowski, ApocnLypsis cum figuris George-in-the-East.

26
Brecht au Théâtre de la Ville
l
B. Brecht comme des bêtes de battue, et
Tambours et trompettes qui commencent à comprendre
Théâtre de la Ville que la Couronne -d'Angleterre a
ses raisons que la raison du peu-
ple ne connaît pas : cette pègre
Nos compatriotes raffolent du de toujours dont les Ministres de
comique troupier; même lors· la Guerre débarrassent réguliè-
quil est un peu élaboré: Fabbri rement les Ministres de l'Inté·
avec Les Hussards avait trouvé rieur en l'envoyant vers les chan-
le pactole; on aime s'amuser de tiers. Cette dernière image est
ce qu'on aime, et la chose mili· saisissante.
taire entre dans la catégorie des
amours. Ils ont même accepté,
la mode aidant, et sur fond d'hu· Certes, Farquhar n'est pas
Shakespeare, ni Sophocle, et
manisme chrétien, des pièces
quand Brecht « refait - L'Officier
« contre la guerre - : nos « hon·
recruteur, c'est moins fort que
nêtes gens - se veulent belles
lorsqu'il refait Antigone ou Co-
âmes. Mais voilà que devant une
pièce comme Tambours et Trom- riolan. La pièce a des longueurs,
pettes, - un spectacle pourtant des temps morts, l'intrigue sen-
timentale, avec travestisse-
qui, depuis que le Théâtre de la
Ville est ouvert, est le premier à ments selon Molière et Beaumar-
chais, traîne souvent. Aussi bien
faire réellement honneur à ce
théâtre - , voilà que là-devant on le travail de Vincent et Jour-
Tambours et trompettes au Théâtre de la Ville
ne joue plus, et que les grenouil- dheuil n'a pas la précision, la
les de la critique bourgeoise, densité qu'il avait dans une piè-
fenseurs de leur pays », comme des négociants et des banquiers ce plus ramassée, plus forte, la
tout fiel caché, toute hargne de-
le dit un adaptateur français du de l'Angleterre éternelle. L'arri- Noce chez les petits-bourgeois,
hors, perdent toute mesure: leur
rage devant Brecht, comme cha-
XIX· siècle, qui ne devait pas vée des officiers recruteurs dans dont ils avaient donné une pré-
être marxiste. Quand Brecht une petite ville anglaise bien sentation magistrale. Certains
que fols, fait plaisir à voir : on
s'empare de cette même pièce, tranquille, jouant le rôle de révé· des acteurs de la troupe régu-
dirait qu'on les déshabille, et les
le traitement qu'il lui fait subir la lateur, va faire apparaître sou- liète du Théâtre de la Ville, sont
voilà qui détalent en retenant
rend, en effet, Insupportable aux dain les contradictions sociales, visiblement assez étrangers au
leurs bretelles et leurs jarretiè-
res. Et c'est précisément cela: gens de bien (s). Il l'adapte en les conflits d'Intérêts, habituelle- jeu brechtien et, à la ruse qu'il
1955, un an avant sa mort, et elle ment masqués par la routine et exige. Les architectures miniatu-
en montrant le dessous des car·
tes, Brecht dévoile, il casse le fut jouée au Berliner Ensemble la respectabilité. Tous masques re de Christine Laurent ont un
dans une mise en scène de Ben- tombés, les fantoches de la bour- peu la banalité des stéréotypes.
jeu, Il met à nu, il «les - met
nus : forcément, on rit. no Besson, qui collabore à l'adap- geoisie se houspillent et criail· Reste que cette mise en scène
tation. Dans un texte français de lent : le fabricant de chaussures a fort intelligemment compris
Quand Voltaire nous décrit Geneviève Serreau, percutant et (qui dit recrues, dit godillots), le qu'il ne fallait pas sacrifier l'ana-
Candide tombé entre les griffes d'une grande liberté d'allure, J.-P. banquier Smuggler, saisi par la lyse au soi-disant mouvement
des sergents recruteurs, il se Vincent et son «dramaturge- débauche et la crainte de voir, comique : elle équilibre juste-
contente de railler, dans un es- Jean Jourdheuil nous la présen- après Boston, les actions tom- ment les deux. Tous les fanto-
prit vaguement antimilitariste, tent aujourd'hui, et sur un mode ber elles aussi, Madame Prude, ches sont cernés d'un trait pré-
les pratiques dont usaient les juste : intelligent, sec, et agres- gorgone et pasionaria de l'Ordre tis, incisif, agressif; les princi-
rois pour se procurer le matériau sif - celui précisément qu'on ne Moral, qui indique aux flics les paux acteurs ont trouvé le jeu
de leurs « boucheries héroï- supporte pas. fornicateurs qu'assagira le recru- qui convient à Brecht, un jeu où
ques -. Quand George Farquhar, Comme l'écrivent avec perti- tement forcé, et, au milieu de chaque geste a la fois signifie,
en 1706, écrit, avec L'officier r. nence les responsables de ce cette enfance, le juge Balance commente, critique, et se -criti-
cruteur une pièce anglaise dans spectacle, .Ie comique de Tarn· (admirablement joué par Jac- que : notamment Jean Vernier,
le goat de la Restauration, il n'é- bours et Trompettes est tout en- ques Debary), hobereau patriote qui joue le capitaine Plume, Jac-
crit rien d'autre (quoique orfèvre tier dans la représentation des qui adore les officiers comme dé· ques Debary et surtout Hélène
en la matière, puisqu'il fut un tergiversations dfune classe do- fenseurs de l'ordre et de la pa- Vincent qui découvre un talent
moment officier de recrutement) minante qui éprouve des difficul- trie, mais qui n'en veut pas pour assez éblouissant dans l'aigre,
qu'une comédie villageoise avec tés il assouvir ses intérêts _. époux de sa fille, propriétaire l'acide, et le grinçant.
Intrigue romanesque, où l'on volt terrien coincé entre tes Intérêts
les gens d'un bourg accepter fi- On est en pleine révolte des co- de classe et les intérêts privés.
nalement avec bonhomie .Ies ru- lonies d'Amérique; J'armée du Tout ce beau monde, réconcilié Bref, il Y a dans ce spectacle
ses et les fourberies qu'on met- roi George se fait étriller; catas- par le recrutement forcé (le juge une Insolence dans l'humour, un
tait en usage po... r forcer les trophe nationale : Boston est Balance a déniché l'article de 101 pouvoir d'analyse dans l'ironie,
paysans anglais il devenir les dé- tombée, comme Dien·Bien-Phu J'autorisant), va sabler le cham· une pratique de la ruse sournoi-
(Brecht 8 choisi avec sagacité pagne pendant qu'un matamore se qui jamais ne trahissent l'es-
de situer en 1716 une action qui empanaché (abominablement sentiel de Brecht. et qui rendent,
chez Farquhar se situait en 1705, joué par Maurice Teynac), em· en effet, ce spectacle Insupporta-
les 6dltlons le Seuil ont publié La mène, au pas, vers l'Amérique, ble à ceux qui se gobergent
Tempête d'Almé Césaire peu aprils la
pendant la guerre des Flandres).
et en chantant l'Angleterre et d'Anouilh et d'Offenbach, et qui
pr6sentatlon de la pièce dont noua Il faut trouver des troupes fraî-
ches pour mater ces rebelles qui son roi, tous ces bons Il rien : couinent fort, Ici, parce qu'on les
avons parlé dans notre cfernler numé- dépiaute.
ro. se mêlent de vouloir être indé- mineur, forgeron, chômeur, gar-
pendants au mépris des Intérêts çon d'auberge, qu'on a raflés Gilles Sandler
La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969 1:1
Livres de poche

poi.l. Emmanuel Berl


Europe et A.1e
Gallimard/Idées
Jacques Rueff
De. science. phy.lques
aux sciences morale.
(Voir le n° 82
de la Quinzaine) . INEDITS
J. Kahn
Pour COIIlpIelldre
1.. crIHa monétaire.
Petite Bibliothèque Christian Liger Editions sociales
Jean Follàln Sigmund Freud Payot. Chronique cie la vie Jacques Chaurand
ExIster, suivi de Le mot d'esprit et de la mort d'Hitler Histoire de la langue
et se. rapporta Seuil/Théâtre française Pierre Lefort
Territoires Pierre-Henri Simon
Préface de H. Thomas avec l'Inconscient Que sais-je? Le. turbomechlnu
L'e.prlt et l'hl.tolre Que sais-je?
Gallimard/Poésie Trad. de l'allemand Petite Bibliothèque Eduardo Manet
par M. Bonaparte Payot. Les nonnu François Clouzot
et M. Nathan Gallimard/Le manteau
Les po6.lea. suivi de L'exploration André Ricci
Gallimard/Idées. d'Arlequin La .tatlque
Portrait de Jule. et de Alan W. Watts sou......,lne
R6clt de l'an z6ro Le texte de la pièce Que sais-je? Que sais-je?
Hegel Le bouddhl.me Zen créée en mal dernier
Préface de Gaêtan Plcon Petlte Bibliothèque
Gallimard/Poésie Morceaux choI.l. au théAtre
Tome. 1 et Il Payot. de Poche-Montparnasse Gandhi V. Romanovaky
Trad. de l'allemand Tou. le. homme. Le.ocUns
par H. Lefebvre Boris Pasternak sont fritre. Que sais-je?
et N. Guterman La belle aveugle Vie et pensée
••8AI8 Gallimard/Idées. TB.AT•• Trad. du russe du Mahatma Gandhi
par Hélène ChAtelain d'après ses œuvres. Michel Stewart
Adolph~ Lods GalIImard/ThéAtre Trad. de l'anglais Keynu
Karl Abraham I.rail Almé Césaire du monde entier par G. Vogelweith Trad. de l'anglais
Psychanalyse et culture A. Michel/Evolution Une templte Le dernier texte Préface d'O. Lacombe par Annie Vallée
Petite Bibliothèque Payot de l'Humanité Seuil/ThéAtre de Pasternak Gallimard/Idées Seuil/Société

FEUILLETON Il était six heures juste lorsque je passai la porte-tambour de


J'Hôtel Berghof. Le grand hall était à peu près désert; négll~em­
ment appuyés contre un pilier, trois jeunes grooms vêtus de gilets
rouges' à boutons dorés bavardaient à volx basse, les bras crol~és.
Le portier, reconnaissable à sa vaste 'houppelande vert bouteille et
à son chapeau de cocher à plumet, traversait le hall en diagonale,
portant peux grosses, valises et précédant une cliente qui tenait un
petit chl'en entre ses bras.
Le bar était au fond du hall, à peine séparé de lui par une cloison
à claire-voie garnie de hautes plantes vertes. A ma grande surprise
il n'y avait aucun consommateur; la fumée des cigares ne flottait
pas en l'air, rendant l'atmosphère presque opaque, un peu étouf-
fante ; là où j'attendais un désordre feutré, le bruit de vingt conver-
sations sur· un fond de musique fade, il n'y avait que des tables
nettes, des napperons bien el) place, des cendriers de cuivre étin-
celants. L'air conditionné rendait l'endroit presque frais. Assis der-
rière un comptoir de bois sombre et d'acier, un barman à la veste
un peu fripée lisait la Frankfurter Zeitung.
J'allaiS m'asseoir dans le fond de la salle. Levant un instant les
yeux de son journal, le barman me regarda d'un air interrogateur;
je .Iui commandai une bière. Il me l'apporta, traînant les pieds: je
m'aperçus que c'était un très vieil homme, sa main considérable-
ment ridée tremblàit un peu.
- Il n'y a pas grand monde, dis-je, moitié pour dire quelque
chose, moitié parce que cela me semblait tout de même étonnant.
Il hocha la tête, sans répondre, puis soudain il me demanda:
- Voulez-vous des bretzels?
- Pardon? fis-je sans comprendre.
- Des bretzels. Des bretzels pour boire avec votre bière.
par Georges Perec - Non merci. Je ne mange jamais de bretzels; donnez-moi plutôt
un journal. .
Il tourna les talons, mais sans doute m'étais-je mal exprimé ou
n'avait-il pas fait attention à ce que je lui avais demandé, car, au
lieu de se diriger vers les porte-journaux accrochés au mur, il
retourna à son comptoir, posa son plateau et sortit par une petite
porte qui devait donner sur les offices.
Résumé des chapitres précédents : Je regardai ma montre. Elle ne marquait que six heures cinq. Je
Le narrateur se prépare à aller à un rendez-vous que lui a fixé un me levai, j'allai chercher un journal. C'était un supplément écono-
certain Otto Apfelstahl, non sans se demander' ce qu'il peut bien mique hebdomadaire d'un quotidien luxembourgeois, le • Luxem·
lui vouloir. burger Wort -, qui datait de plus de deux mois. Je le parcourus

28
COLLECTIONS

" EntretleD8 "

La collection • Entretiens -, qui a 'vingt volumes qui sont actu~"ement ceux qui, tels Raymond Abellio, ne tiens - dépend en grande partie de
su Intéresser les principaux éditeurs en chantier, une première remarque sont connus que par un petit cercle la manière dont Ils sont envisagés au
étrangers et dont la plupart des ti- s'Impose: • Entretiens - est une col- de fidèles, ou dont la réputation, départ et, notamment, des affinités
tres ont été traduits dans une dizaine lection ouverte à toutes les manifes- comme c'est le cas pour le sculpteur qui peuvent exister entre le person-
de langues, ne semble pas encore tations de l'esprit créateur, de la lit- Kowalsky, ne dépasse guère le cadre nage interrogé et celui qui recueille
avoir atteint en France, l'audience térature au cinéma, en passant par la de leur milieu professionnel, ou en- ses propos, non moins que du minu-
qu'elle pourrait légitimement escomp- peinture, la musique, la sculpture, core dont l'œuvre, célèbre dans le tieux travail de montage et de révi-
ter. Ce sont là des paradoxes cou- l'architecture, le théâtre, voire la po- moride entier, est méconnue fin sion auquel tous deux procèdent en
rants dans le monde de l'édition. Voi- litique. En contrepartie, elle s'adjuge France, telle celle du peintre Koko- étroite collaboration à partir de la
ci une collection aussi éloignée qu'il le droit de n'accorder la parole qu'à schka. version dactylographiée qui leur est
se peut d'une entreprise de vulgari- ceux-là seuls qu'elle croit pouvoir te- fournie de leurs conservations, enre-
sation et qui ne bénéficie d'aucune nir pour des créateurs véritables, ce Ces • Entretiens -, d'autre part, se gistrées plusieurs jours durant au ma-
publicité tapageuse. Serait-elle bou- qui exclut, à priori, bon nombre de situent à l'opposé de ce que la presse gnétophone.
dée parce que mal connue par le pu- célébrités de la mode ou de l'événe- quotidienne 'ou périodique nous pro-
blic dit • cultivé - auquel elle sem- ment dont le nom suffirait, cependant, pose ordinairement sous cette déno- • Entretiens - comprend d'ores et
blerait de prime abord destinée? En à attirer l'attention du public sur tout mination. • Notre ambition, dit encore déjà dans son catalogue, des docu-
revanche, l'exigence qui préside à sa ouvrage qui leur serait consacré. SI, Pierre Belfond, est de constituer avec ments d'autant plus émouvants qu'Ils
politique ou, pour reprendre l'expres- parmi les personnalités Interrogées, ces ouvrages non pas des documents constituent le dernier message direct
sion de son éditeur et fondateur, certains, tels Ionesco ou Jouhandeau d'actualité, mals des témoignages que nous aient laissé Gombrowicz,
Pierre Belfond, qui n'en est pas à dans le domaine de la littérature, Dall susceptibles de défier le temps; des Wieland Wagner et Emmanuel d'Astier.
une boutade près, les • partis pris- dans celui de la peinture ou Emma- livres qui, par leur qualité, puissent
sur lesquels elle se fonde éloigne- nuel d'Astier dans celUI de l'Idéologie, venir tout naturèllement s'intégrer Ouvrages à peraitre:
raient-lis ce qu'II est convenu d'appe- jouissent d'une notoriété indiscutable à l'œuvre de l'artiste concerné et Pasolini, par Jean Duflot.
ler le grand public? ' (ce qui n'a pas manqué d'avoir une que l'artiste lui-même soit amené Foucault, par Claude Bonnefoy.
Incidence heureuse sur le tirage des après coup, à considérer comme par- Stockheussen, par Maurice Fleuret.
De fait, si l'on en juge p,ilr les titres qui les concernent: entre 4.000 tie Intégrante de son œuvre -. Bien Boulez, par Sylvie de Nussac et Mi-
treize titres publiés et les q\Jelaue et 8.000 exemplaires), nombreux sont entendu. la réussite de ces • Entre- chel Fano.

pendant une bonne aizaine de minutes, buvant ma bière, absolument - Euh... Oui... répondis-je, stupidement et en même temps je
seul dans le bar. me levai, mais il me retint d'un geste:
On ne pouvait pas dire qu'Otto Apfelstahl était en retard; on ne - Non, non" restez assis, asseyons-nous, nous serons beaucoup
pouvait pas non plus' dire qu'il était à l'heure. Tout ce que l'on mieux pour bavarder.
pouvait dire (tout ce que l'on pouvait se dire, tout ce que je pou- Il s'assit. Il considéra un instant mon verre vide.
vais me dire) c'est que, dans n'importe quel rendez-vous, 'il faut - Vous aimez la bière, à ce que je vols.
toujours prévoir un quart d'heure de 'battement. Je n'aurais pas dû - Cela m'arrive, dis-je sans trop savoir que répondre.
avoir besoin de me rassurer, je n'avais aucune raison d'être inquiet, - Je préfère le thé.
mals néanmoins l'absence d'Otto Apfelstahl me mettait mal à l'aise. Il se tourna légèrement vers le comptoir, levant à demi deux
Il était plus de six heures, j'étais au bar, je l'attendais, alors qu'il ,doigts.
aurait dû être lui au bar, en train de m'attendre moi. Le garçon survint aussitôt.
Vers six heures vingt - j'avais abandonné le journal et depuis - Un thé pour moi. Voulez-vous une autre bière, me demanda-
t-il ?
longtemps fini ma bière - je me décidais à partir. Peut-être yavait-
J'acquiesçai.
/1 un message d'Otto Apfelstahl pour moi au bureau de l'hôtel, peut-
être m'attendait-il dans l'un des salons de lecture, ou dans le hall, - Et une bière pour Monsieur.
ou dans sa chambre, peut-être s'excusait-il et nie proposait-il de ,J'étais de plus en plus mal à l'aise. Dev~is-je lui demander s'il
remettre cet entretien à plus tard? Tout à coup, il se fit comme un s'appelait Otto Apfelstahl ? Devais-je lui demander, tout à trac, à
grand remue-ménage dans le hall : cinq à six personnes firent brûle-pourpoint, ce qu'il me voulait? Je sortis mon paquet de ciga·
irruption dans le bar, s'attablèrent bruyamment. Presque au même rettes et lui en offrit une, mais il la refusa.
Instant, deux barmen surgirent de derrière le comptoir. Ils étaient - Je ne fume que le cigare, et encore, seulement après mon
repas du soir.
Jeunes et je ne pus m'empêcher de remarquer qu'à eux deux, ils
devaient tout juste atteindre l'âge de celui qui m'avait servi. - Etes-vous médecin?
Ma question (contrairement à ce que j'avais, naïvement, pensé)
C'est au moment où j'appelai l'un des garçons pour lui régler ne parut pas le surprendre. C'est à peine s'il sourit.
ma consommation - mais il semblait trop occupé à prendre les - En 'quoi le fait que je ne fume mon cigare qu'après lei dîner
commandes des clients récemment attablés pour faire attention à vous conduit-il à penser que je puisse être médecin? '
moi - qu'apparut Otto Apfelstahl : un homme qui, à peine entré - Parce que c'est ,une des questions que je me pose à votre
dans un endroit public, s'arrête et regarde taü't autour de lui avec sujet depuis que j'ai reçu votre lettre.
un soin particulier, avec un sentiment d'attention curieuse, et re- - Vous en posez-vous beaucoup d'autres?
prend sa marche dès que son regard a rencontré le vôtre, ne peut - Quelques autres, oui.
être que votre interlocuteur. - Lesquelles?
C'était un homme d'une quarantaine d'années, plutôt petit, très - ' Eh bien, par exemple, que me voulez-vous?
maigre, avec un visage en lame de couteau, des cheveux très courts, - Voilà, en effet,une question' qui s'impose. Désirez-vous que
déjà grisonnants, taillés en brosse. Il portait un costume croisé, gris j'y réponde tout de suite?
sombre. Si tant est qu'un homme puisse porter sa profession sur - Je vous en serais très reconnaissant.
sa figure, il ne donnait pas l'impression d'être médecin, mais plu- - Puis-je, auparavant, vous poser une question?
tôt homme d'affaires, fondé de pouvoir d'une grande banque, ou - Je vous en prie.
avocat. - Vous êtes-vous déjà demandé ce qu'il était advenu de l'indi-
Il s'arrêta à quelques centimètres de moi. vidu qui vous a donné votre nom ?
- Vous êtes Gaspard Winckler? me demanda-t-il, mais en fait Pardon? dis-je, sans comprendre.
la phrase était à peine interrogative, c'était plutôt une constatation. (à suivre)

La Quinzaine littéraire, du 16 au 3D novembre 1969 29


TOUS LES LIVRES

Livres publiés

dans la lignée il y a vingt-cinq ans Louls-Paul AuJoulat le Symbolique


.OMANS de Kafka, par les nazis. Action HeIaIe Coll. • Connaissance
. . .ANÇAI. de Borges .Anaïs Nin et développement de -rlnconsclent-
et de Michaux. Journal 1 1931·1934 A. Colin, 400 p,. 22 F Gallimard, 368 p., 33 F
David B(,)'er Trad. de l'anglais Les divers aspects Les trois aspects
• Michel Bernard et les problèmes du
La nue Regarda en coulisse par M.oC. van der Elst majeurs
L'Or du Temps éd., d'un tueur de pigeons Stock, 384 p., 34 F. développement social du symbolique : la
224 p., 24 F. Trad. de l'amércain Un document dans les pays du tiers relation entre la loi,
Par l'auteur par Pierre Alien passionnant monde. l'interdit et le désir;
de • La négresse Cal mann-Lévy, • Luis Cernuda sur le Montparnasse Maurice Capul le symbolique dans
La l'MIlté et le d6s1r l'œuvre d'art; le
muette ~ et des 232 p., 18,70 F. Poèmes choisis des années 30, Les groupes Néducatlfs
• Courtisanes - Un premier roman par celle qui fut l'amie P.U.F., 248 p., 14 F concept de mort et
et présentés la -fonction du
Prix d'Honneur 1968 plein de verve par J. Goytisolo de Miller, d'Artaud Problèmes et
(voir le n° 35 et d'humour noir. et de Otto Rank. réalisations en matière fantasme.
Traduits de l'espagnol
de la Quinzaine). par R. Marrast de psychopédagogie H. Saivat
• Carlo Cassola
Morelia, suivi de et A. Schulman dans la France L'Intelligence,
Michel Bernard d'aujourd'huI. mythes et réalités
Le chevalier blanc Jours mémorables Gallimard, 184 p., 25 F.
Trad. de l'Italien Editions sociales,
Ch. Bourgols, • Jean Duvlgnaud 372 p., 19 F
par Ph. Jacottet • r.S. Elliot Georges Gurvitch
352 p., 25 F. P06sles Seghers. 192 p., 9,50 F La notion
le portrait féroce Seuil, 192 p., 18 F. d'Intelligence
Deux brefs romans Trad. de l'anglais L'œuvre et la pensée
d'un • héros - par P. Leyrls D.S. Mirsky d'un des grands étudiée à travers
de la société de Cassola une approcha marxiste
où se trouvent Seuil, 240 p., 29 F. Histoire théoriciens de la
de consommation. Edition bilingue de la littérature rune sociologie moderne. des faits de
opposées psychologie.
deux Toscanes : René LacOte Fayard, 615 p., 50 F. André Halm
Jacques Besse Le texte des cours
La grande Pique, celle, riche et délicate Anne H6bert Las suicides
de la côte, celle, Seghers. 192 p., 9,50 F. et séminaires d'adolescents
suivi de
pauvre et rude que l'auteur, PHILOSOPBI.
Légendes folles Une grande • Bibliothèque LINGUISTIQUI:
de la montagne poétesse né en Russie en 1890, scientifique.
P. Belfond, 220 p., 14 F a faits à l'Université
Dans la collection J. Kenneth Galbraith canadienne Payot, 304 p., 28,85 F
d'aujourd'huI. de Londres. Une étude à la fols • Emile Benveniste
• Délire., La triomphe
un recueil de nouvelles Trad. de l'anglais .. Pierre Pascal statistique, sociologique La vocabulaire
L. Sédar Senghor Dostoievsld et psychanalytique des Institutiona
et de poèmes par J. Collln-Lemercier Anthologie
oniriques, Gallimard, 288 p., 20 F. Desclée de Brouwer par un spécialiste Indo-européennes
de la nouvelle pœsle 144 p., 6,90 F. des problèmes Tome Il : Pouvoir,
hallucinants, Le premier roman, n6gre et malgache
déchirants. très attendu, Coll. • Ecrivains de l'adolescence. droit, religion
de langue françal.. devant Dieu -. Editions de Minuit,
du célèbre économiste pr6c6d6e d'OrphH • Georges Heuyar
Nicolas Meilcour américain. 336 p., 27 F
noir Bernard Poli La d6l1nquance Par "auteur de
Ro.. et Carma • Henry James par Jean-Paul Sartre André Le Vot juvénile
Ch. Bourgols, • Problèmes de
Un portrait de femme P.U.f., 272 p., 25 F. G. et M. Fabre P.U.F., 312 p., 15 F linguistique
304 p., 25 F. Trad. de l'anglais Francis Scott Une étude psychiatrique
Deux longues Marguerite Yourcenar globale qui fait g'nérale -
par Ph. Neel Fitzgerald (voir le numéro 5
nouvelles qui tentent Présentation Coll. • U 2- le point sur la question
Stock, 704 p., 23 F. critique de La Quinzaine).
de décrire le lent Un des classiques 4 Illustrations et s'efforce de
processus d'Horten.. Flexner A. Colin, 368 p., 12,30 F proposer des remèdes Jean-Paul Dumont
de la littérature Trad. de l'américain Les sophistes
de destruction américaine, L'univers de Fitzgerald propres il assurer
qu'engendre par à travers l'étude- la réadaptation fragmenta et
qui n'avait pas été • Marguerite Yourcenar témoignages
une fascination réédité depuis 1933. de deux de du délinquant à
d'ordre Edition bilingue ses œuvres: une vie normale. P.U.F., 256 p., 15 F
purement érotique. Ercole Patti Gallimard, 124 p., 20 F. • Gatsby Les thèmes et
Ce merveilleux Un grand poète Abel Jeannlère les concepts
le magnifique- Anthropoolgle
• Jean-Claude Montel automne suivi de américain et • Tendre est principaux de la pensée
Le carnaval La cousine d'aujourd'hui sexuelle sophistique à travers
la nuit-. Aubier-Montaigne
Coll. • Change. Trad. de l'Italien présenté à travers un ensemble de textes
Seuil, 128 p., 15 F. par M. Causse 36 de ses poèmes. Zola 224 p., 18 F traduits pour
Une amère et violente et H. Pasquier Ouvrage collectif Réédition, revue et la première fols
mise à nu Stock, 224 p., 22 F. Coll. • Génies et augmentée, d'un en français.
de la société réalités. ouvrage des plus
Deux récits qui ont • Roman Jakobson
tout entière 200 ili. en noir et actuels.
pour cadre la Sicile BIOG.APHIES Langage enfantin
à travers la description et pour thème l'amour MI:MOIRI:S en couleurs Ronald D. Laing
d'une ville Hachette, 298 p., 45 F La politique et aphasie
dans son sens Traduit par
et d'une femme. le plus païen. Zola, écrivain engagé de l'expérience
Daniel Anet avant la lettre vu Trad. de l'anglais J.-P. Baons
James Purdy Pierre Cérésole par C. Eisen et R. Zygouris
• Pierre Schaeffer par A. Lanoux,
Le gardien du volcan Les œuvres d'Eustace La passion de la paix M. Thomas, C. Roy, Stock, 128 p., 18 F Coll. • Arguments.
Seuil, 256 p., 19,50 F. Trad. de l'anglais Ed. de La Baconnière, A. Wurmser, etc. Une mise en question Ed. de Minuit,
Un premier roman par S. Mayoux 360 p., 28,85 F. du monde moderne 184 p., 16,50 F
où souvenirs Gallimard, 256 p., 19 F. L'œuvre et la pensée et des données Réunis pour
personnels et allégories Par l'auteur de cet objecteur admises de la première fols, cinq
de • Satyre. de conscience, SOCIOLOGII: écrits qui ont pour
sont étroitement mêlés, PSYCHOLOGIB la psychologie, de
par le célèbre (voir le n° 29 fondateur la sociologie et de sujet commun l'étude
de la Quinzaine). du Service Civil ETHNOGRAPHIE la psychiatrie. de l'acquisition
msicologue,
Directeur Un roman qui a pour International du langage chez
de la Recherche cadre le Chicago • François Perroux l'enfant et celle
E. Bethge Michel Ambacher des syndromes
à l'O.R.T.F. des années 30. Herbert Marcuse
Dietrich BonhoeHer Marcuse et la critique aphasiques.
Romulus Vulpescu Vie - pensée - François Perroux
de la clvlll..tion
• Elie Wiesel Récitai extraordinaire témoignage américaine interroge Herbert • M. Merleau-Ponty
La nuit, l'aube, le jour adapté du roumain par Traduction Marcu..... qui répond La pro.. du monde
Aubier-Montaigne.
Seuil, 304 p., 29 F. lIeana Vulpescu de E. de Peyer 136 p., 12,90 F Aubier-Montaigne Texte établi et
Réédition en un seul Illustrations Centurion, 900 p., 208 p., 9,90 F présenté par
Une étude critique Marcuse par lui-même
volume relié des trois de Benedict Ganesco 22,50 F. de la pensée C. Lefort
célèbres récits Seghers, 112 p., 13,50 F. L'itinéraire de l'un (voir les n 52 et 67
Of
Gallimard, 232 p., 18 F
marcusienne et -:le La Quinzaine).
d'E. Wiesel Un grand écrivain des grands témoins de son Interprétation Un texte dont la moitié
(voir les n° 9, 50 et 62 roumain de notre temps, par les champions • Guy Rosolato avait été écrite
de la Quinzaine). contemporain exécuté de la • contestation -. Essais sur avant 1952 et qui se

3D
du 20 octobre au 5 noveDlbre 1969

présente comme M. Marnat de textes et de ~~~I!I~~• • • • François Quesnay Trad. de l'allemand


l'esquisse Ch. Bourgols rapports diplomatiques., BCONOMIB Tableau économique par Michel Bataillon
d'une théorie 304 p., 22 F POLITIQUE des physiocrates Coll. • Combats.
de l'expression Un recueil d'essais Pierre Chaunu Préface de Seuil, 1786 p., 15 F
et de l'histoire. sur la création Conquête Michel Lutfalla Pour comprendre
'et exploitation des Jean Bassan
artistique et Les nouveaux patrons Coll. • Perspectives le • miracle. de
Alain Michel ses soubassements nouveaux mondes
(Comment l'Imagination économiques. la résistance
La philosophie profonds, par l'auteur (XVI· siècle)
et l'audace Calmann·Lévy vietnamienne.
politique à Rome de • L'amant de P.U.F., 448 p., 30 F
supplantent 272 p., 12 F Sylvain Wickham
d'Auguste à Lady Chatterley •. Une analyse des
le capital) Le premier • modèle. L'espace industriel
Marc-Aurèle conditions
Fayard, 265 p., 18 F de raisonnement européen
A. Colin, 384 p., 15 F géographiques
Présentation suivie Le portrait de dix économique. Coll. • Perspectives
lointaines qui furent
d'une anthologie de BCIENCE8 à l'origine de l'essor
grands industriels peu J.F.H. Roper économiques.
textes traduits connus du grand public L'enseignement Cal mann-Lévy
économique de
du latin et du grec. Jean Coulomb l'Europe. et la leçon de leur économique au 288 p., 24,70 F
L'expansion des fonds réussite. niveau universitaire La réalité et
• G. Politzer Histoire générale René-Jean Dupuy A. Colin, 288 p., 30 F les perspectives,
Ecrits 1 océaniques et
la dérive des continents de la presse française Mario Bettati Rapport dans le cadre les obstacles et
Présentés par Tome Il : de 1815 à 1871 Le Pacte de Varsovie de l'enquête organisée les possibilités
P.U.F., 224 p., 32 F
Jacques Debouzy publiée sous la 37 documents sur les programmes en matière de
Editions Sociales, Une étude qui fait
le point direction Coll . • U 2. d'études universitaires communauté
392 p., 15 F de C. Bellanger, A. Colin, 96 p., 6 F par le Conseil de Industrielle européenne.
La contribution de des connaissances
actuelles en la matière. J. Godechot, Les objectifs, la Coopération
Georges Politzer P. Guiral et F. Terrou la structure et Culturelle
à la pensée marxiste. • Jean-Claude Pecker 24 pl. hors-texte le fonctionnement du Conseil de l'Europe.
Jean Pucelle Les observatoires P.U.F., 472 p., 55 F du Pacte de Varsovie. R.-G. Schwartzenberg
David Hume spatiaux Le deuxième tome La guerre de
P.U.F., 180 p., 25 F d'une étude fort • Jacques Ellul • Athènes-Presse
Seghers, 192p., 9,50F Autopsie de succession libre.
Les perspectives ambitieuse mais
Une étude, complétée la révolution P.U.F., 292 p., 18 F
de l'astronomie qui paraît Le livre noir de
par un choix Important Cal mann-Lévy, Les élections la dictature en Grèce
spatiale. remarquablement
de textes, sur l'un 360 p., 22,50 F présidentielles Coll. • Combats.
des philosophes les réussie. de 1969 ou
Andrew Tomas Par l'auteur Constitué par l'équipe
plus controversés du La barrière du temps Jean Imbert de • Exégèse des du régicide référendaire du bulletin
• siècle des Trad. de l'anglais Henri Morel nouveaux lieux à l'avènement du d'information
lumières •. par Gauthier Laurent René-Jean Dupuy communs. et dauphin. • Athènes-Presse libre.
Julliard, 326 p., 22 F La pensée politique de • La métamorphose Si la gauche voulait un dossier précis
• Paul Ricœur La notion du Temps des origines du bourgeois.
Le conflit Ouvrage collectif sur la répression et
des interprétations à la lumière de la à nos jours (voir le numéro 5 Editions et la torture depuis
Essai d'herméneutique théorie de P.U.F., 608 p., 30 F de La Quinzaine). Publications le putsch d'avril 1967.
Seuil, 512 p., 36 F la relativité. L'évolution des idées Gaston Fessard Premières, 284 p.,
Une méditation qui se politiques, à travers Autorité et 19,80 F Rosa Bailly
situe au carrefour de ies grandes synthèses bien commun Ce, livre est le fruit Victoire
la structure et du sens, HI8TOIRB doctrinales, de Aubier-Montaigne du travail accompli sur le cancer
de la psychanalyse l'Antiquité grecque 160 p., 12,90 F Préface de M. Choisy
par six cents
et du sujet, de la Robert Aron à nos jours. Réédition d'un Ed. du Mont-Blanc,
spécialistes du
science et de classique de mouvement 160 p., 16,50 F
L'histoire de l'épuration • A. Pelletier Un livre qui ne
la réflexion, de Tome Il : Des prisons J.-J. Goblot la philosophie • Technique
la religion (ou de politique. et démocratie. et se donne pas pour
clandestines aux Matérialisme un document appuyé
l'athéisme) et de tribunaux d'exception historique et histoire François Garelli propose un programme
la foi. sur une expérience
septembre 1944 des civilisations Pour une monnaie précis d'action
gouvernemontale très large et
juin 1949 Editions Sociales européenne très précise.
Fayard, 648 p., 32 F 200 p., 10 F Seuil, 160 p., 15 F pour la gauche dans
Une étude appuyée La fécondité de Un banquier tous les domaines. Edouard Galie
E88AI8
sur des documents la conception marxiste nous explique Louis Vallon Hitler sans ma~ue
de première main de l'histoire une fois pourquoi l'établissement L'anti de Gaulle Trad. de l'allemand
Michel Barba et qui éclaire en décapée de ses d'une monnaie Coll . • Histoire par M. Goro\litch
Les buffles particulier l'attitude dégénérescences européenne Immédiate. Stock, 208 p., 19 F
Julliard, 224 p., 15 F du général de Gaulle dogmatiques. ne doit pas être Seuil. 1286 p.. 10 F Hitler révélé
Une satire lors des grands procès . considérée Où l'auteur du célèbre 'à travers les entretiens,
goguenarde des mœurs de l'après-guerre. Jean. Ro~ge. comme une utopie. amendement l,ur inédits jusqu'à ce jour,
du • cadre. de Les institutions qu'il eut en 1931.
Maurice Baumont romaines de la Rome Robert Lattes l'intéressement
l'industrie moderne. des travailleurs,
Les origines de royale à la Rome Mille milliards Alain Guérin
• Emmanuel Berl la Deuxième Guerre chrétienne de dollars dénonce sans ambages
la politique Les commandos
A contretemps mondiale Coll .• U 2. • Edition Spéciale. de la guerre froide
Gallimard, 224 p., 15 F Payot, 368 p., 24,70 F A. Colin, 320 p., 12,30 F Publications de Pompidou.
Julliard, 4~6 p., 25 F
L'itinéraire spirituel Une analyse complète L'évolution de Premières, • Jacques Vergès Les coulisses de la
d'un écrivain qui, tout des événements ces institutions à 222 p., 22,90 F Pour les flttayltlé guerre secrète entre
au long de sa vie, politiques, la lumière de quelques L'Europe face à Ed. de Minuit, l'Est et l'Ouest.
a refusé avec diplomatiques et moments remarquables la concentration 192 p., 9 F
acharnement les économiques qui de leur histoire et de du pouvoir économique Le conflit palestino- Jean-Pierre Hoss
poncifs de notre temps. entraînèrent 78 textes traduits et à l'hégémonie sioniste analysé à Communes en banlieue
l'Europe dans la guerre. du latin. américaine. travers une affaire Argenteuil et Bezons
• Ernst Jünger 12 photos hors-texte
Chasses subtiles François Perroux qui a récemment
Eiiahu Ben Elissar François Toussaint défrayé la chronique: A. Colin, 136 p., 25 F
Ch. Bourgois, Histoire du Japon cc Indépendance"
La diplomatie le double attentat Les aspects humains.
464 p., 27 F Fayard, 411 p., 30 F de la nation
du III' Reich et les Juifs contre deux avions de politiques, sociaux
Les • anti-mémoires • Géographie, politique, Aubier-Montaigne
Julliard, 512 p., 27 F la compagnie El AI. et administratifs.
d'un des plus grands arts, vie sociale, 304 p., 18 F
Thèse pour l'Institut
écrivains allemands religieuse, pensée Une étude approfondie Peter Weiss Journal de l'année
des Hautes Etudes
d'aujourd'hui. philosophique: une et appuyée sur Notes sur la vie Tome III:
Internationales de
.D.H. Lawrence Genève, un ouvrage étude très complète et des données culturelle en du 1- jullleL 1968
Eros et les chiens qui se présente avant augmentée d'une statistiques précises, République au 30 juin 1969
Textes choisis et tout comme une importante de la crise Démocratique Nombr. illustrations
présentés par analyse politique bibliographie. économique française. du Vietnam 'Larousse, 416 p., 58 F

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 novembre 1969 31


AUX ÉDITIONS RENCONTRE

ANTHOLOGIE
DELA On peut, à de rares exceptions près, considérer la litté-

CORRESPONDANCE rature épistolaire comme un genre disparu. Elle n'a


pas survécu à la généralisation de l'usage du télé-
phone. Depuis« Le Trésor épistolaire de la France»
FRANÇAISE d'Eugène Crépet paru en 1865, il n'existait aucune
anthologie importante de la correspondance française.
Chaque volume renferme Le moment est donc venu de dresser un bilan de ce
• des notices biographiques sur chacun des auteurs genre littéraire tenant compte des admirables décou-
vertes faites par de nombreux chercheurs et amateurs
• des informations sur la genèse de la correspondance depuis le début du siècle. Ce choix des plus belles et
la présentation suit l'ordre chronologique de la date de intéressantes lettres en langue française vous le
naissance des auteurs. trouverez dans les sept magnifiques volumes parus
7 volumes de près de 500 pages en moyenne, au format de aux Editions Rencontre sous la direction d'André
12,5 x 18,5 cm, reliés plein Skivertex vert foncé ombré, do~
et plat supérieur gaufrés or, faux nerfs, coins arrondis,
signet de soie or.
Dans les bonnes librairies
MAISON. Il constitue une riche et passionnante

.m.
documentation historique, sociale et humaine, de la
vie de la France du XVIe au XXe siècle.

Você também pode gostar