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A l’origine, un livre érudit publié par le Seuil, Aristote au Mont Saint-Michel. Les
racines grecques de l’Europe chrétienne, de Sylvain Gouguenheim, dont l’audience
aurait pu rester limitée à quelques spécialistes. Et puis, un article substantiel, dans Le
Monde des Livres (18 avril), du chroniqueur Roger Pol-Droit, au titre évocateur : « Et
si l’Europe ne devait pas ses savoirs à l’islam ? », avec pour sous-titre : « L’historien
Sylvain Gouguenheim récuse l’idée que la science des Grecs ait été transmise à
l’Occident par le monde musulman ». La conclusion de Roger-Pol Droit est sans
appel : » Contrairement à ce qu’on répète crescendo depuis les années 1960, la
culture européenne, dans son histoire et son développement, ne devrait pas grand-
chose à l’islam. En tout cas rien d’essentiel. Précis, argumenté, ce livre qui remet
l’histoire à l’heure est aussi fort courageux. »
Ce qui est étonnant, c’est que Roger-Pol Droit, dont les compétences en matière
d’histoire médiévale nous étaient inconnues, balaie d’un revers de main toute les
connaissances scientifiques pour encenser le livre sans aucune réserve. On s’en
étonne moins quand on connaît les thèses défendues par le journaliste dans son
dernier opuscule, L’Occident expliqué à tout le monde (Seuil, 2008) : la division du
monde entre Occident et Orient remonte à la Grèce antique, et depuis mille ans se
joue un éternel affrontement entre deux conceptions du monde. Cette thèse est loin
d’être nouvelle, on peut même affirmer qu’elle est dominante. Les exemples en sont
multiples, comme un film et un livre récents sur la bataille de Thermopyles en
témoigne.
Cet éloge du livre de Gouguenheim est appuyé le 17 avril par un compte rendu de
Stéphane Boiron dans Le Figaro, « Les tribulations des auteurs grecs dans le monde
chrétien », qui se conclut ainsi :
Mais avant d’y venir, il faut aborder l’aspect idéologique du débat. Ecartons d’abord
l’argument selon lequel des extraits du livre de Gouguenheim ont été repris par des
sites d’extrême droite, ce qui les discréditerait ; à l’heure d’Internet et de la
circulation non contrôlée des textes, cela ne prouve pas grand chose. Il est cependant
dommage que Sylvain Gouguenheim lui-même tente ce type d’amalgame en
affirmant qu’une « amie d’Himmler », le dirigeant nazi, a défendu l’idée d’un islam
civilisateur qui aurait tout transmis à l’Occident, comme si cela à soi seul discréditait
la thèse.
Mais Sylvain Gouguenheim, qui prétend faire œuvre scientifique, a du mal à cacher
ses a priori et sa vision idéologique. Dans une note concernant un rapport du Conseil
de l’Europe de 2002 appelant à donner une vision moins caricaturale de l’islam dans
les manuels scolaires, il écrit : » Bizarrement, après que le monde occidental a été la
cible d’un acte de guerre, il devient urgent d’enseigner que ceux qui l’ont commis
sont les tenants d’une religion pacifique, et de rappeler que l’Occident lui-même
fut (on admirera le verbe au passé) violent. » (p. 261)
(...)
« L’esprit scientifique, la spéculation intellectuelle, la pensée juridique, la création
artistique d’un monde qui a représenté jusqu’à un quart de l’humanité auraient,
depuis toujours, été pétrifiés par la Parole révélée. Le réquisitoire dressé par
Sylvain Gouguenheim sort alors des chemins de l’historien, pour se perdre dans les
ornières d’un propos dicté par la peur et l’esprit de repli. »
Notons aussi que Télérama.fr revient sur le sujet (2 mai) avec un article fort bien
documenté de Thierry Leclère, « Polémique autour d’un essai sur les racines de
l’Europe », et publie deux tribunes. L’une d’Alain de Libera, directeur d’études à
l’Ecole pratique des hautes études, professeur ordinaire à l’université de Genève, vice-
président de la Société internationale pour l’étude de la philosophie médiévale :
« Landernau terre d’islam ».
« Si Ernest Renan a cru bon d’écrire en 1855 que “les sémites n’ont pas d’idées à
eux”, aucun chercheur virtuellement mis au ban du “courage” intellectuel par
l’article paru le 3 avril 2008 dans Le Monde n’a jamais parlé d’une “rupture totale
entre l’héritage grec antique et l’Europe chrétienne du haut Moyen Age”, ni soutenu
que la “culture grecque avait été pleinement accueillie par l’islam”, ni laissé
entendre que “l’accueil fait aux Grecs fut unanime, enthousiaste” ou “capable de
bouleverser culture et société islamiques”. Aucun historien des sciences et des
philosophies arabes et médiévales n’a jamais présenté “le savoir philosophique
européen” comme “tout entier dépendant des intermédiaires arabes” ni professé
qu’un “monde islamique du Moyen Age, ouvert et généreux” soit venu “offrir à
l’Europe languissante et sombre les moyens de son expansion”. La vulgate dénoncée
dans Le Monde n’est qu’un sottisier ad hoc, inventé pour être, à peu de frais,
réfuté. » (...)
« Je “nous” croyais sortis de ce que j’ai appelé il y a quelques années, dans un article
du Monde diplomatique [septembre 1993, disponible sur cédérom] : la “double
amnésie nourrissant le discours xénophobe”. Voilà, d’un trait de plume, la falsafa
redevenue un événement marginal, pour ne pas dire insignifiant, sous prétexte que
“l’Islam ne s’est pas véritablement hellénisé”. Averroès ne représente qu’Ibn Rushd,
Avicenne qu’Ibn Sina, c’est-à-dire “pas grand-chose, en tout cas rien d’essentiel”.
Encore un pas et l’on verra fanatiques religieux et retraités pavillonnaires
s’accorder sur le fait que, après tout, l’Europe chrétienne qui, bientôt, n’aura plus de
pétrole a toujours eu les idées. » (...)
L’autre article publié par Telerama.fr est de Youssef Seddik, « Grecs et Arabes : déjà
d’antiques complicités » :
Mais le débat même sur les origines chrétiennes de l’Europe est souvent posé en
termes idéologiques. Je renvoie à mon envoi « Les racines chrétiennes de l’Europe »
qui reprend des extraits d’un livre de Paul Veyne, Quand le monde est devenu
chrétien.