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a UlnZalne
littéraire du 1er au 15 avril 1970

92 Un inédit
de Marx
en discussion
SOMMAIRE

a LE LIVRE Jacques Rigaut Ecrits par J. M. G. Le Clézio


DE LA QUINZAINE

li ROMANS PRANÇAIS Jean Giono L'Iris de Suse par Anne Fabre-Luce


8 Marcel Brion L'ombre d'un arbre mort par Margaret S. Maurin
Jean·Claude Hémery Â1UJJnorphoses par Jean Gaugeard
8 Georges Piroué Le réduit natio1UJ1 par Maurice Chavardès

8 HISTOIRE André Karatson Le Symbolisme en Hongrie par Georges Kassaï


LITTERAIRE
8 Rétif de la Bretonne La vie de mon père par Samuel S. de Sacy

10 ROMANS Edoardo Sanguinetti Le noble jeu de roye par Gennie Luccioni


ETRANGERS
11 J osé Maria Arguedas TOlU sangs mêlés par Jacques Fressard
11 Leslie Fiedler Le Chinois tr Amérique par Dominique Desanti
Alfred Andersch EJraïm

ta POESIE René de Obaldia 1nnocentines par Raymond Jean

18 ARTS Atlan par Jean Duvignaud


Ervin Panofsky l:Œuwe d'art par Françoise Choay
et ses significations

18 PHILOSOPHIE Jean-Marie Benoist Marx est mort par Annie Kriegel

20 DISCUSSION Sur un inédit par E.J. Hobsbawm


du Marx d'avant « le Capital»:
22 les Grulldrisse par Peter Wiles

24 HISTOIRE Edouard Baratier. Atlas historique: Provence, par G. L.


Georges Duby Comtat, Orange. Nice.
grnest Hilde!'heimer Monaco

25 THEATRE Orden par Gilles Sandier

28 PEUILLETON w par Georges Perec

François Erval, Maurice- Nadeau. Publicité littéraire : Crédits photographiques


22, lue de Grenèlle, Paris·7e •
Conseiller : Joseph Breitbach. Téléphone : 222·94-03. p. l Jean Demelier
Comité de rédaetion : p. 3 Gallimard -éd.
Georges ,_ Balandier, Bernard Cazes, Publicité générale : au journal. p. 5 Vasco
François Châtelet,
Prix du n° au Canada: 75 cent'!. p. 7 Bulloz
Françoise Choay,
Dominique Fernandez, Marc Ferro, p. 9 Roger Viollet
Gilles Lapouge, Abonnements : p. 11 Sergio Larrain, Magnum
Gilbert Walusinski. Un an : 58 F, vingt-trois numéros.
p. 14 Grasset éd.
Six mois : 34 F, douze numéros.
Secrétariat de la rédaction Etudiants : réduction de 20 %. p. 16 D.R.
Anne Sarraute. Etranger : Un an : 70 F. p. 17 Gallimard éd.
La QuinzaineIIttérai.. Six mois : 40 F. p.21 Jean Demelier
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2
LB LIVBB DII

Jusqu'au bout
LA QUINZAIIfIl

1
Jacques Rigaut
Ecrits
Gallimard, éd., 292 p.

D'où vient la légende Rigaut? Comment un tel homme est-il par 3. M. G. Le Cléuo
devenu un héros? Car, après tout, rien de plus irritant que cet
esprit acharné à tout détruire, y compris soi-même, à tout tourner
en dérision. Rien de plus décevant en apparence que ce contemp- tre intérêt que pour ce qui résonne et remue au passage des autres.
teurde toute vie, ce produit du nihilisme petit-bourgeois qui a Il est, ainsi, le seul être vivant sur la terre, la seule réalité. Un tel refus
suivi la crise de la première guerre mondiale. des autres, sans exception, est exemplaire parce qu'il est logique. Il est
l'aboutissement de la conscience qui n'est vraiment capable de travailler
que sur elle-même. C'est. la constatation, l'évidence : nous vivons dans
On est tenté de le rejeter, plutôt, comme une erreur, comme un raté, des corps autonomes, et ne pouvons connaître des autres que ce qu'ils
comme un parasite sans importance. La facilité de son refus continuel, laissent en nous. Pour échapper à cet enfer, nous n'avons qu'un moyen:
et surtout cet espèce d'apitoiement sur soi-même, cet égocentrisme, cette l'induction (l'amour). Mais Rigaut refuse d'induire. Car c'est une rup-
contemplation du nombril : choses ridicules, dirait-on, choses futiles, ture dans le mouvement de la connaissance. Passer de soi aux autres,
exhihitio!lnisme, vanité, stérilité. c'est franchir un abîme, mille fois plus grand et plus effrayant que celui
. Et pourtant, Jacques Rigaut n'a pas fini de troubler notre monde. La qui sépare deux planètes. Pour l'amour de la logique, par orgueil, par
mort, loin de l'arracher au groupe et de le réintégrer à l'anonymat - cet passion pour la vérité, Jacques Rigaut se refuse à ce bond vertigineux.
anonymat qui résout d'ordinaire presque toutes les contradictions de la
Il est évident aussi qu'un tel refus des autres est l'aveu d'une faiblesse.
société - , sa mort l'a sanctifié. Elle lui a donné un rôle, une valeur,
Ce masque d'impassibilité dédaigneuse que revêt Jacques Rigaut doit lui
parmi les autres rôles et les autres valeurs. Jacques Rigaut hante toujours
servir à cacher son incapacité à être heureux comme les autres, sa peur
notre monde; il a pris place à côté des autres noms-symboles de la litté·
devant le monde avide d'argent, de gloire et de plaisir. Révolte poussée,
rature moderne : Rimbaud, Lautréamont, Kafka, Maïakovski.
elle aussi, jusqu'à l'extrémité puisque Jacques Rigaut refuse la révolte.
Incroyable injustice que cette sanctification (1), qui fait rentrer J ac-
Se revolter~ c'ést encore accepter l'ordre du monde, c'est souhaiter en
ques Rigaut dans ce qu'il avait combattu, qui l'assimile à ce qu'il avait
le plus haï : la littérature. Le savait-il ? Se doutait-il que l'entreprise ~
des mots le retrouverait un jour, lui et ses anathèmes, lui et ses malédic-
tions, pour le ranger, dûment étiqueté, au milieu de~. a~tres produi~ ~e
l'esprit, parmi les autres bocaux ? Il est p~obabl~ qu il 1 a ~~'. car c etaIt
selon sa propre manière, l'aboutissement necessaIre de la d~rlSlon. Q~~t
au phénomène de récupération, il n'est pas nouve~u, et ~ ne serVIrait
à rien de le condanrner : on enfonce mal les portes a tourmquet.
Un héros. Un anti-héros. De toute façon, un homme exceptionnel.
Parce qu'il va jusqu'au bout. Un héros est un homme qui accomplit quel-
que chose, jusqu'au bout. Il y a des héros en mal comme en bien. Jacques
Rigaut est un héros de la négation.
Aller jusqu'au bout: de l'aventure, de l'amour, de l'humanisme, de
la bravoure, de l'analyse. La société ne retient finalement que les exem-
ples extrêmes. C'est qu'elle a besoin des extrémistes pour sentir les limi-
tes de l'accessible, pour reconnaître le danger. L'exemple qu'elle retient
est ainsi, presque toujours, un exemple à ne pas suivre. Prométhée, Icare,
<Edipe, voilà donc les frontières du domaine humain. Aventuriers qui
succombent à leur passion, non pas pour inventer quelque liberté, mais
éclaireurs envoyés en reconnaissance dans les lieux interdits.
Jacques Rigaut est allé, lui aussi, jusqu'au bout de quelque chose. Que
peut découvrir un homme qui s'est retranché des autres, qui a voulu, en
vivant sur lui-même, refuser toute compromission avec le monde qui
l'entoure? C'est là qu'on aperçoit le visage du héros. Jacques Rigaut est
l'homme qui est allé jusqu'au bout de la conscience, jusqu'aux limites
de l'individualisme. Cela a l'air simple ; {( conscience », on connaît bien
le mot, on l'entend selon ce que l'on croit connaître des possibilités de
l'intelligence et de l'analyse. Conscient, mais de quoi? Conscient de soi-
même. L'individualisme, on voudrait bien que ce fût une attitude, seule-
ment une attitude. C'est-à-dire, dans un certain milieu (classe, éducation),
un refus de coopérer. Un luxe, vraiment, une apparence et non pas une
manière d'être. C'est ainsi que condamnent Rigaut ceux qui ne veulent
voir en lui qu'un effet mécaniste, un {( cas ». Mais ils feraient aussi bien
alors de condanrner d'autres cas, celui de Lautréamont, par exemple, ou
celui de Freud.
Tout cela n'est pas très convaincant: l'homme est ce qu'il est, malS tJ
n'est pas le seul produit de son milieu; certaines cultures favorisent
certains types d'aventures. Mais les possibilités, elles, sont indéfiniment
présentes.
Jacques Rigaut va jusqu'au bout de la conscience de soi. C'est-à-dire
qu'ayant refusé tout rapport avec le monde extérieur, il ne conçoit plus
d'autre existence que la sienne, plus d'autre vérité que la sienne, plus d'au- Jacques Rigaut en voyage de noces à Paim Beach (U.s.A.) en 1928.

La Quinzaine littéraire, du 1· GU 15 avril 1970 3


~ Jacques Rigaut

en quelque sorte qu'il change, c'est vouloir plier le monde à ses exigences. contradiction apparente qu'il a tellement attendu avant de se résoudre à
Rigaut, lui, ne veut rien, n'accepte rien! cet acte définitif. Mais l'important, n'est·ce pas,
c'était d'avoir pris la décision de mourir, et non que je mourusse.
La révolte est une forme d'optimisme à peine moins répugnante que
Cette décision logique, quand Rigaut l'aura prise, c'est qu'il sera par·
l'optimisme courant. ( ...) La révolte, considérée comme une fin, est elle
venu à dépouiller le suicide de tout son aspect sentimental. Ce sera une
aussi optimiste, c'est considérer le changement, le désordre comme quel.
opération chirurgicale, préméditée jusque dans ses moindres détails. C'est
que chose de satisfaisant. le ne peux pas croire qu'il y ait quelque chose
pour cela que le suicide de Rigaut est admirable, et c'est pour cela que
de satisfaisant.
la Société le refuse, parce qu'elle en connaît tout le danger. La société
Extraordinaire lucidité, qui le force à admettre cette réalité. : ce n'est humaine peut se permettre des accidents, des suicides passionnels, des
pas le monde qui est mauvais et mal fait pour lui, c'est lui qui n'est pail morts par folie ; leur caractère irréfléchi plaide en fait pour les vivants.
fait pour le monde. Il y a complète et irrémédiable incompatibilité entre Mais qu'un homme considère l'éventualité de sa mort avec tant de calme
lui et le monde, entre lui et la vie. et de raison, qu'un homme se tue par logique, parce qu'il a connu qu'il
n'y avait aucun autre. remède, voilà bien le comble du blasphème. Car
D'où ces deux thèmes qui animent la vie de Rigaut: la vérité, et la
cette mort condamne la société toute entière, lui révèle d'un seul coup
mort; c'est à dire, matériellement, le miroir, et le suicide.
sa faillite.
Le miroir, c'est la figuration obsessionnelle de cette conscience de soi Mais Rigaut est un homme vivant. Il y a quelque chose d'autre en lui,
qui est la grande barrière au bonheur. C'est la représentation rituelle de quelque chose de mystérieux, un charme, une grâce, qui font qu'il est
cette intelligence toute entière appliquée à sa propre observation, cette beaucoup plus qu'un mathématicien de la mort. Une telle rigueur pessi-
intelligence froide, lucide, e.ffrayante, qui empêche la perte de conscience miste, un tel refus, poussé jusqu'à la manie, une telle passion pour la
et par conséquent l'amour, la vie: conscience de soi, pour la lucidité, et surtout une telle négation du men-
le n'ai jamais perdu connaissance. songe, de tous les mensonges: littéraires d'abord, mais aussi sentimentaux,
idéalistes, philanthropiques; cela ne peut être le résultat d'un froid calcul.
La pensée ne peut alors avoir d'autre fin que de se penser, la pensée Rigaut, moins qu'aucun homme, n'est une machine à calculer. Qu'y a-t·il
est implosion. réellement derrière cette vie, qui la dirige et l'anime? Un frémissement
ET MAINTENANT caché, peut-être, un frisson contenu, contrarié, quelque chose de trouble,
REFLECHISSEZ de confus, de contradictoire, qui a continuellement opposé Jacques Rigaut
LES MIROIRS. au monde : une PASSION. Ces sarcasmes, ce mépris, cet ennui aux
La réflexion est l'acte suprême, celui dont on ne s'échappe pas : il dimensions presque métaphysiques, ce sont les symptômes de la souffrance
s'agit bien d'un rebondissement du regard sur lui·même, d'un déroule· qui vibre dans cet homme à chaque seconde de la vie, devant chaque
agression, chaque laideur, chaque faux espoir.
ment de la personne. Le jeu de mots n'est ici même plus grimace. Seuls
les miroirs donnent avec exactitude l'image, seuls les miroirs offrent vrai. Une PASSION: une ivresse de la vérité, une ivresse de la beauté de la
ment le spectacle de la pensée. On est très loin du « narcissisme », car il vérité. Il s'agit d'aller jusqu'au bout de cette vie, de savoir comment les
n'y a aucune fascination, aucune soumission à ce spectacle. ·Ce serait choses se passent, sans jamais succomber à aucune complaisance, à aucun
plutôt une malédiction, la constatation définitive de l'impossibilité pour à peu près. Découvrant à chaque instant un nouveau mensonge, un nou·
la pensée d'aboutir à autre chose qu'à elle·même ; l'impossibilité de voya· veau déguisement destiné à masquer le vide, Rigaut descend résolument
ger. Em.prisonnement de l'esprit dans son propre infini, selon le système tous les degrés de l'existence, et tous les degrés du langage. Il parvient
du miroir à trois faces. Cette limite imposée par le miroir, ou par l'ana· exactement au même moment au degré zéro de la vie et au degré zéro du
lyse, Rigaut ne l'accepte jamais vraiment. L'intelligence ne tarde pas à langage.
y rejoindre le vertige de la folie, la clairvoyance y rencontre l'aveuglement. Un oui dans une main, un non dans l'autre...
Pour en sortir, que faire? Briser le miroir, et passer de l'autre côté. Mais C'est cette cohésion totale entre l'être et l'expression qui fait de Rigaut
Rigaut sait tout de suitequ'un tel passage est irréalisable, et qu'il ne peut un héros, et non le fait qu'il se soit vraiment tué. Je veux dire que la
aboutir à autre chose qu'à, malédiction plus grande encore, la littérature. question de savoir si Jacques Rigaut est ou non un écrivain est devenue
tout à coup complètement futile. Arrivé à ce point du voyage, il n'est
Le vrai moyen de traverser le miroir, d'aller au·delà de la conscience,
plus possible de bien ou mal écrire. Quand l'homme s'est pareillement
ce ne peut être que la mort. Démarche fanatiquement logique de cet
rejoint, quand il est arrivé aussi près de lui-même, qu'il s;est désquamé,
homme qui s'aperçoit très vite que, quelque soit la combinaison du jeu,
qu'il a ainsi quitté tous ses oripeaux et toutes ses peaux, ayant renoncé
quels que soient les éléments proposés, la solution est toujours la même,
à tout ce qui l'encombrait, qui le nimbait, quand il s'est pour ainsi dire
inévitable : LA MORT. L'ivrognerie, le coït, la drogue, la religion ou
dévêtu jusqu'au squelette :
l'art restent, comme le sommeil, des moyens d'approcher la perte de
conscience; mais ils ne sont que des approximations. Aucun d'eux ne le serai mon propre savon,
sait déguiser la vérité, la terrible réalité : il n'y a qu'un remède vraiment il ne peut plus y avoir de style, ni de pensée, ni de propriétés quelles
logique. qu'elles soient, ni même de fonctions ou de noms. Il ne reste plus que ceci,
la vérité, pure, insoutenable. Impossible alors de dissocier l'écriture des
La. douleur de la conscience de soi, du miroir réfléchissant sans cesse, autres modes de la vie, de la respiration, par exemple, ou de l'activité des
seule la mort peut l'anéantir.. Cette connaissance de la « solution finale », glandes endocrines. Et si un jour, après beaucoup d'hésitations, après
Jacques Rigaut l'a eue sans doute tout de suite. Le cheminement de l'in· avoir beaucoup lutté, l'on se tue réellement, c'est parce qu'on l'avait écrit.
dividualisme lui a permis ensuite d'approfondir cette réalité, de l'accepter
comme elle est, sans romantisme et sans faiblesse. En effet, si. Jacques Splendeur de ma voix qui s'élève seule, seule, dédaigneuse de toute
Rigaut n'avait pas essayé de s'arracher à cette fatalité intérieure, de rom· oreille, faite pour aucune - faite de ces mots qui sont les liens sûrs que
pre cette fascination, sa mort eût été sans conséquences. Des suicides cependant ils puissent discerner (2). le frémis au sommet du mot seul,
romantiques, on en connaît beaucoup. Mais le romantisme est haïssable, sur une limite aussi pathétique que le tournoiement du derviche hurleur,
il n'a l'Îen à apprendre. Il n'est qu'un geste d'auto.satisfaction, un geste ou du chancellement du boxeur avant qu'il s'écroule, ou de l'avion qui
qu'on fait pour braver les autres, pour leur arracher un petit cri d'admi· pique en flammes.
ration. I.M.G. Le Clézio
C'est vrai que le suicide en tant qu'acte de révolte, manque toujours 1. Injustice reconnue par Martin Kay : 2. Ceux qui veulent comprendre peu.
son but. On ne nie pas le monde en voulant le punir par sa mort. Fuir liRigaut qui professait un si solide mé-. vent lire : li sans que .cependant ils puis-
l'affrontement, c'est cn quelque sorte se soumettre. La négation absolue pris de la littérature et de la critique sent se diseemer », quelque chose de ce
aurait·il été sensihle à l'humour involon. genre.
que Rigaut oppose à la société humaine est incompatible avec une telle taire qui marque notre entreprise?»
soQJnission. Rigau~ a été sensible à tout cela, et c'est à eause de cette (Préface).
ROMANS

Un grand conteur
FRANÇAIS

Rares sont les auteurs dont tant, quelque chose subsiste des
le pouvoir de renouvellement premiers romans dans les person-
se manifeste avec autant de nages: c'est leur aspect fondamen-
vigueur que celui de Jean Gio- talement marginal (qui se mani-
no, qui vient à nouveau nous feste ici par la désinvolture). Ils
en donner la preuve avec son dénoncent obstinément une sorte
dernier roman : l'Iris de Su- d'absence essentielle au monde que
se. Depuis près de cinquante ce soit « sous la caresse des astres »
ans, en effet, cet écrivain en Provence, ou dans la batailleuse
qu'on a pu classer dans « la Italie de 1848.
génération de 1900" semble Cette absence se retrouve dans
soutenir la gageure particuliè- l'Iris de Suse. Elle gît au cœur
re qui est celle des créateurs: du fugitif Tringlot, elle décide de
elle consiste à changer indé- la mort de la Baronne de Quelte et
finiment tout en demeurant de son amant, elle se masque der-
soi-même. rière les jeux d'osselets du natura-
liste Casagrande, et elle culmine
dans le personnage de la jeune
femme qu'on appelle L'Absente.

1
Jean Giono Dans ce roman, il semble que
L'Iris de Suse Giono ait tenté de rassembler tou-
Gallimard éd., 243 p. tes ses « pentes Il : celle de la con-
templation, celle de l'aventure, et
celle des âmes fortes et solitaires
Depuis Colline (1925), Un de - la dernière en date de ces
Baumugnes (1929), Giono occupe (c âmes II était la très originale
une place à part dans la littérature Ennemonde (Ennemonde et autres
en tant que chantre des Hauts de caractères, 1968), qui rappelait à
Provence. Dans des récits d'une la fois la Jambe-de-Laine farouche
magnifique sensualité où s'allient de Bernanos et la romantique, ada-
le ciel et la terre, il s'est fait le mante Mathilde de la Môle. Elle
créateur de mythes issus d'une in· réapparaît ici en châtelaine intrai-
timité transfigurée avec le monde. table, amante coupable et meur-
Ses personnages, sans épaisseur vé- trière, avare de paroles, avec des
ritable sont en réalité des lieux de gestes sans appel. Mais le livre est
résonance pour le dialogue lyri. aussi le récit de la fuite et du refu-
que que poursuivent le ciel avec la ge d'un voleur dans les hauts alpa-
terre, les arbres avec les routes, les ges du Jocond. D'où le contrepoint
fleuves sinueux avec les grands que l'auteur établit, non sans rup-
paysages abandonnés aux étoiles. tures parfois maladroites, entre les
Dans ces admirables cantilènes ly- souvenirs personnels de ce nouveau
riques que sont Que ma joie de- « Papillon», amateur de « ca-
meure (1935) ou Regain (1930), ches » pleines d'or, son retour pro-
les mythes paraissent se répondre gressif aux sources, et l'aventure de
entre eux au sein d'une cosmogonie cette femme qui accueille les in-
où vient basculer l'univers, tel un connus le fouet à la main à la limi- et là, à la faveur d'un orage pani- brigand Tringlot se (et nous) ra-
œil renversé vers son propre au- te de ses terres! L'excès de matière que en montagne, ou de la vision conte les exploits passés de ses com·
delà. romanesque nuit à l'unité du récit d'un paysage. Il se manisfeste sur- pères dans le bas-pays ne parvient
Au sortir des désillusions de la et à sa profondeur. La transparen- tout dans les très sobres et pourtant pas à nous convaincre. En nous ar-
deuxième guerre mondiale, un nou- ce particulière, si attachante dans très amoureuses descriptions des rachant aux séductions d'une vi-
veau Giono apparaît, comme par les autres romans se trouve ici lieux que hantent ses personnages. sion du monde qu'il a su seul maî-
un rebondissement imprévu : le contrariée, brouillée par une trop Le rythme tellurique de la pulsa- triser (avec Ramuz, peut-être),
Hussard sur le Toit (1951), Jean grande richesse thématique. Giono tion du monde s'orchestre alors Giono semble nous refuser l'accès
le Bleu, Angelo inaugurent la pha- est un écrivain qui peut se permet- dans un équilibre rarement atteint au domaine qu'il nous avait ouvert.
se stendhalienne et picaresque à tre le cc monolithisme». Seule, entre la richesse du vocabulaire et Et, sans bien savoir pourquoi, nous
la fois d'une vision du monde que peut-être cc L'Absente », à laquelle l'extrême simplicité des contenus nous prenons à lui demander
l'on croyait vouée à la contempla- le héros finira par associer son des- de la vision. Pourtant le style ne de nous restituer, par la magie de
tion et à la gravitation poétique du tin de fuite hors du monde se fait paraît culminer que lorsque le ré- son verbe, cet univers insolite et
cosmos. l'écho silencieux et vibrant de l'art cit se situe lui-même au niveau familier à la fois, dans lequel se
« L'aventure» pour un individu essentiellement litotique de l'écri- des grands espaces désolés qui do- nouent les alliances secrètes ou les
libre, dans lequel une disponibilité vain. L'appel de cette créature sans minent de loin les vallées. Là, dans orageux accouplements de la terre,
toute gidienne s'arme résolument voix, qui n'est qu'un paysage pour « la tendre indifférence du mon- du corps et du ciel. Là où l'homme
pour combattre toutes les « pestes », l'âme de celui qui l'aime et le lieu de» qui est toujours à dire, une découvre, dans une absence consen-
s'inscrit maintenant dans le cadre d'un désir impossible, nous restitue harmonie secrète se réalise entre tie au monde que nous connaissons,
épique de récits à la fois amers soudain la véritable voix du roman- le silence bruissant de la nature l'accomplissement mystérieux d'où
et violents. Il s'agit du jeu avec la cier. et le « canto hondo» de la prose jaillit la double fulgurance de son
vie; de passion, d'amour et d'hu- A coup sûr, le grand talent du qui l'exprime. être et de son néant.
mour dans une série d'affronte- conteur, ou plutôt du poète en pro- C'est peut-être la raison pour
ments où tout l'être participe. Pour- se, que nous connaissons, éclate ça laquelle l'hum~ur avec lequel le Anne Fabre-Luce

La Quinzain~ littéraire, du 1- au 15 avrn 1970 5



Le reve romantique
A

1
Marcel Brion s'enfonce peu à peu dans le laby- l'auteur - lui-même d'ascendance Jean-Claude Hémery

1
L'Ombre d'un arbre mort rinthe du souvenir, des rêves et de irlandaise - a conféré à son per- Anamorphoses
Albin Michel, éd. 348 p. la mort, où seule peut le guider sonnage le nom de Terence Fingal. Les Lettres Nouvelles
la fidélité du cœur. « Il existe Ne serait-il pas le double de ce Denoël éd., 155 p.
« Partout, je n'ai cessé d'atte~ une infinité de chemins, dans le héros celte, Finn ou Fingal, dont
dre, au plus loin que je regarde monde des morts, » affirme son l'épouse se nommait Griana et
en arrière. Attendre qui? Atten- ami, le marchese Ermete dei Mar- qui, dit-on, repose encore, retenu J'ai lu le nouveau volume de
dre quoi? ». Ces paroles de Te- mi. « Parfois ils se croisent, par- par un charme, dans une grotte Jean-Claude Hémery alors même
rence Fingal, le personnage cen- fois non... Aurez-vous le courage, enchantée? Peut-être celle que que se déroulait la merveilleuse
tral du nouveau roman de Marcel vous aussi, d'aller chercher Geor- Terence Fingal appelle « la cava- exposition Klee dont les amateurs
Brion, traduisent bien le climat giana chez Hadès? ». lière des dunes » est-elle aussi d'art parisiens viennent d'être
poétique de cette œuvre émou- Cette quête prend ainsi la forme sœur de saint Georges, le héros- gratifiés. Ainsi ai-je fait des rap-
vante. Car le sentiment de l'at- d'une descente aux enfers : c'est cavalier vainqueur du monde des prochements entre Klee et Héme-
tente y sera en même temps dire que L'Ombre d'un arbre ténèbres. Car dans le vaste ry. Rapprochements que l'on va
comblé par une grande passion et mort possède la richesse et la contexte mythique auquel le ro- ilans doute trouver bien aventu-
avivé par l'impossibilité de l'assou- complexité Sj mbolique qui carac- man renvoie sans cesse, la mort rés et d'ailleurs inutiles. Ils sont
vir. L'amour de Terence Fingal térisent l'œuvre romanesque de de Georgiana apparaît comme dûs pour une bonne part aux cir-
et Georgiana est celui de deux Marcel Brion. Dans ce douloureux l'expression du « meurs et de- constances et je refuserais de soute-
êtres qui se sentent destinés l'un récit qui est en même temps l'his- viens » goethéen, qui a profon- nir un siège pour les défendre.
à l'autre, et que séparent non seu- toire d'une initiation, l'intrigue dément marqué l'œuvre de Marcel
lement le mariage mais les dépla- se dessine en transparence sur une Brion. Cette mort est en effet la Je constate seulement qu'ils se
cements du mari de Georgiana. vaste toile de fond où mythes et première et nécessaire étape d'une sont produits en moi, avant que
Errant sur des routes lointaines légendes tracent leurs figures mys- ascèse au terme de laquelle Te- d'avoir à les élucider. Si je ne
qui s'entrecroisent brièvement en térieuses. Tandis que les fils du rence Fingal rejoindra Georgiana, veux pas les défendre, je ne veux
divers lieux de la terre, ils vivent rêve et ceux des événements vécus pour franchir avec elle la fron- pas non plus m'attarder longue-
un amour d'autant plus ardent s'entremêlent, de subtiles corres· tière nébuleuse qui sépare le ment à les commenter. Et pour·
que les moments lui sont comp- pondances se manifestent entre les monde visible de l'invisible. tant, les « anamorphoses» de
tés ; leurs rencontres ne se compo- divers plans de l'existence - le Cette œuvre qui s'épanouit sans Jean·Claude Hémery, ses perspec-
sent que d'instants fugitifs, pré- monde de l'art, des songes, des hâte selon le rythme intérieur du tives curieuses et réflexions dépla-
caires oasis dans les sables de rites antiques - et la suite des souvenir, est ainsi le récit d'une cées, comme annonce la bande
l'absence. Ainsi passent quelques événements quotidiens. Pris dans destinée, à la fois pressentie publicitaire de son volume, ont
années, au cours desquelles l'uni- un réseau de plus en plus serré, les comme élection, et éprouvée dans bien cet air de famille avec «l'en-
que préoccupation de Terence amants se rapprochent insensible- sa douloureuse durée. En dehors tremonde» de Paul Klee, sa
Fingal aura été de rejoindre Geor- ment d'un destin dont les aver- des scènes finales, rêves et réso- quête entêtée de ce qui pourrait
giana, jusqu'au moment où la tissements les accompagnent com- nances mythiques sont savamment être et ne sera jamais, sa bizarre-
mort soudaine de celle-ci arrive me l'ombre même de leur amour. équilibrés par l'histoire d'amour, rie corrosive mais exemplaire,
comme une dernière et décisive Auprès d'eux apparaissent des qu'un cadre pittoresque et divers, cette étonnante libération, ce sur-
séparation. êtres qui, par moments, déposent l'ardeur sensuelle et la souffrance gissement à partir d'un gauchis-
Cest la disparition de Georgiana leur masque humain : Hermès, enracinent dans le réel. Il serait sement initial. Enfin, une cer-
qui constitue le point de départ harpie ou sirène, ce sont des mes- temps qu'on accorde à Marcel Brion taine forme d'éloquence, de pero
du toman, car l'aventure se dé- sagers Ile l'au·delà, chargés de la place qui lui revient parmi les suasion, voire de faconde, à plai-
roule retrospectivement. L'attente guider les âmes sur des voies in- héritiers de l'âme et du rêve roman- der le dossier des chimères.
se mue alors en une quête au connues. tique.
cours de laquelle Terence Fingal Ce n'est pas par hasard que Margaret S. Maurin D'autres parallèles, et plus im-
portants, entre le grand peintre
bâlois et le jeune écrivain pari-
sien. Considérons l'exposition
Klee dans son ensemble. Il est
Arthur Adamov son œuvre théâtrale procède de reau le rappelle dans son His- impossible de ne pas être frappé
cette névrose, elle lui est, au toire du Nouveau théâtre (2) : par l'évolution - on pourrait
moins dans une première pério- « Marxiste ou non marxiste, dé- presque dire par le renverse-
«Aujourd'hui, A dam 0 v est de, évidemment accordée. Ce clare Adamov, le seuJ problème ment - de sa peinture. Elle va
peut-être un écrivain maudit -, qui ne l'empêche d'être avec est de savoir comment utiliser du figuratif - fût-il fantastique
écrivait Alain Clerval ici-même, celle de Beckett et d'Ionesco ses névroses -. Et, aurait-il pu ou teinté d'impressionnisme et de
à propos de l'Homme et l'enfant représentative de ce nouveau ajouter, de savoir les dépasser. cubisme ,- à un non - figuratif
qui venait de paraître (1). Peut- théâtre né après la guerre et Les excès de toute sorte, la proche de l'abstraction. Que l'oil
on croire qu'il existe encore à qui n'a pas tardé à prendre le maladie, le délabrement physi- se souvienne, comme exemples,
notre époque des « écrivains nom dans les histoires Httérai- que, la recherche voluptueuse du foisonnant Théâtre végétal et
maudits - ? res, de « théâtre de l'absurde -. de l'échec et de la souffrance des grandes toiles raréfiées à
Admirateur de Kafka et de Adamov avait cependant dé- ont conduit Arthur Adamov à l'extrême des deux dernières sal-
Strindberg, ami de Roger Gil- bordé la singularité de son cas, une mort prématurée. C'est les où quelques brèves et épaisses
bert-Lecomte et d'Antonin Ar- et l'exemple de Brecht, s'il maintenant que. nous allons lignes noires se détachent d'un
taud, Arthur Adamov a décrit les n'obscurcit pas ceux de Strind- prendre la vraie mesure du dra- fond uni. On n'imagine pas un
affres de sa névrose dès l'Aveu, berg ou de Kafka, ouvre à l'au- maturge et de l'écrivain. changement si radical sans rap-
en 1946, tenté d'exorciser dans teur de Ping Pong la voie de port avec une évolution psycho-
l'Homme et l'enfant un irrépres- l'engagement. Ce n'est pas pour (1) La Oulnzalne IItt6ralre. n° 53, logique. Et l'on aperçoit les con-
sible besoin d'auto-humiliation. renier sa conception de la créa· 1er juillet 1968. clusions négatives que pourraient
S'il est abusif de penser que tion littéraire, Geneviève Ser- (2) Idées. Gallimard. 1966. en tirer certains analystes, ceux

6
M - •
. Irolrs m.ouvants
de la tendance Minkowski en de quelque austère agnose infor.
particulier, captivantes sans doute, mulée ou rien n'est plus, ou plus
justes peut-être mais qui, après exactement ne serait, n'aurait été
tout, n'enlèvent rien à la valeur sans la mémoire ou plus exacte-
proprement esthétique des œuvre!! ment le souvenir latent d'oublis
considérées. accumulés ou plus exactement de
mémoires lacunaires ou prémoni-
Or, les happy few, lecteurs de tions de rien ou plus exactement
Curriculum Vitae savent que presque rien. Et son rapport, avec
Jean-Claude Hémery aime agré- son propre langage se trouve bou-
menter ses écrits de petits essais leversé : Je ne lirai jamais le ré-
graphiques, modestes illustrations cit que j'écris, qui s'écrit en moi,
plus ou moins symboliques, mais illisible et jamais lu - et qui
sensibles où l'auteur tente, par f écrirait, sinon moi, lecteur non
cette autre voie, de s'approcher lu, aveugle· et illettré lisant à en
encore. Des dessins de Curriculum mourir ces textes imposés, rabo-
Vitae, j'avais déjà noté que, de teux, épelés à longueur de nuit,
la belle implexité du départ, ils ces cloaques de mots charrian.t
finissaient par s'éclaircir, par des cris rentrés, ce non-sens obsé-
s'évider. Est-ce une tendance irré- dant bredouillé, appris par cœur
versible? Les dessins d'Anamor- Le PaÙlÛ des Doges, par Canaletto. aussitôt qu'oublié, pâteuse pitance
phoses achèvent cette évolution, à grand-peine mâchée ingurgitée
la poussent à l'extrême. Ce ne sont vomie déglutie vomie remâchée
plus que gros traits réduits à pitalier Kénome (ou, en grec, contingente, celle d'un être plei- ruminée revomie.
l'ellipse, à la spirale, à la torsion « Kenoma »), monde du vide et nement assumé et incarné. Au-
d'une plaque de métal, ou au car- du manque, que la Gnose oppose jourd'hui, l'auteur disparaît der- La différence entre nausée et
refour de routes. Il eût été abusif à la plénitude du Plérome. Inhos- rière une attitude, tend à s'absor- néant - entendus comme senti-
de s'étendre de la sorte si les pitalier? Pour qui ? Pour le lec- ber en une situation-limite : l'ap- ments, comme tendances - est
textes d'Anamorphoses - com- teur? L'auteur, quant à lui, en- proche, l'intuition du néant. celle du relatif à l'absolu, de
ment s'en étonner - n'allaient, tonne, en faveur de ce Kenome, l'éloquence au mutisme, de la
explicitement d'ailleurs, dans le . des louanges bien entendu négati- sensibilité à l'indifférence. N'en
Cela ne va d'ailleurs pas sans
même sens. soyons donc pas surpris : Curri-
ves mais ferventes : Loué, loué de furtifs regrets. Dommage, en
culum Vitae offrait un registre-
soit le Sempiternel, loués le un sens, pour la chaleur perdue,
Ce texte, toujours le même, que brouillard qui nous noie, fim- pour fémoi. Pour la saveur. .Au plus varié, un individu plus pré-
j'écris, le seul que j'écrirai ja- mense trou grisonnant, f écho total, il croit y gagner plus qu'il sent, en veine de confidences;
mais... note Jean-Claude Hémery aux pages de désespoir succé-
à la dernière page d'Anamor- daient des pages tendres, émer-
phoses. Voilà qui sonne comme veillées encore ou livrées à l'hu-
un serment de fidélité, une pro- mour. Et pourtant, qu'Anamor-
fession de foi où l'on devine une phoses soit à l'opposé de la séche-
qualité profonde d'écrivain. Et resse, malgré son thème domi-
Ce texte, toujours le même, que nant, voilà le miracle, celui
pourtant je me demande si Jean-
Claude Hémery est conscient d'Hémery, celui de la poésie.
d'une évolution qui, de proche en j'écris, le seul que j'éorirai jamais... Je ne l'ai pas encore souligné,
proche, pourrait s'avérer radicale AnaJl'wrphoses est un recueil de
et, qui sait, lui ménager des sur- neuf textes que rien (justement !)
prises. ne lie mais dont la parenté est
profonde. C'est l'œuvre ouverte
On pourrait déjà prétendre que dont parle Umberto Eco. On y
Curriculum Vitae et Anamor- muet! Loué son air absent, ses n'y perd, ou plutôt, puisqu'il est circule à sa guise, en toute liber-
phoses s'opposent, comme s'oppo- yeux crevés... Loué son pieux ric- censé tout perdre et ne rien ga- té, semble-t-il, et pourtant on y
sent souffrance et remède dans la tus, ses tics, spn silence obstiné, gner, y laisser nn plus grand nom- demeure prisonnier, enserré par
pharmacopée allopathique. En son ap1ulsie, ses bras ballants! bre d'horreurs que de délices. une invisible totalité aux secrè-
bref : Curriculum était la nausée; Loué le Sans-Nom, f éternel dis- Poursuivant l'aventure, cherchant tes articulations. Aux premiers
Anamorphoses, le rien. Face à la paru, fA bsolument - inexistant, à l'étendre, à la pousser dans les textes, un peu beckettiens, fait
difficulte d'être, au mal de vivre, rInagissant, faboulique et l'in- retranchements (ou plutôt dans suite, notamment, l'admirable
à l'incertitude ontologique, aux con sis tan t ( ...). L'Omni-Absent les contradictions), il se met en Venise en feu d'un lyrisme fuli-
pressions, aux agressions sociales, qu'il soit loué! Loué fattardé, quête du non-savoir : Rien en- gineux et qui est un chef·d'œuvre.
le patient s'offre la parade la fimpuissant, f oublié. core, ou plus rien depuis long- Et c'est là encore œuvre ouverte
plus usitée - et qui, elle aussi, temps, au bout de ces retranche- accomplie par un système de nu-
tomberait sous le coup de l'ana- Certes, l'on peut aussi discer- ments. Rien, les embranchements mérotation des paragraphes et
lyse. Autant qu'il le peut, et par ner dans ces propos un étrange négligés, ou plus exactement ina- par le jeu typographique. Ce
tous les moyens, il nie cet être, exercice de théologie négative, perçus, rien, plus exactement les même texte, ce même thème,
il nie ce monde et se réfugie dans la célébration intime - et, qui éparpillements, rien, plus exacte- Jean-Claude Hémery le martèle
les antres d'un néant relatif. Le sait, douloureuse - de la mort de ment l-es gloses, les schémas es- si bien, en fournit un tel jeu opti-
lecteur pourra écrit Jean- Dieu. En tout cas, de Curriculum tompés, les mots privés de sens, que que le rien se transforme en
Claude Hémery, dans un prière à ce texte, l'évolution est patente. rien, les sons imprononçables, un mirage, en vertige de miroirs
d'insérer signé de ses initiales - Dans le précédent volume se ma- rien, plus exactement, presque mouvants.
s'effrayer, à bon droit, de finhos- nifestait une situation encore très ou pas encore inconnu, désinitié Jean Gaugeard

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 avril 1970 7


Le Sym.bolisDte hongrois

1
Georges Piroué André Karatson que certains courants littéraires Le bilan de l'aventure symbolis-
Le réduit national,

1
Le Symbolisme en Hongrie ont reçues dans certains pays. La te est établi dans la conclusion de
Denoël, éd., 184 p. Presses Universitaires de France fortune du symbolisme français en l'ouvrage (p. 435-447) : « le Sym-
éd., 498 p. Hongrie est particulièrement ins· bolisme hongrois cherchait à
La Suisse n'est pas un pays tructive à cet égard. concilier les exigences de l'art au-
comme les autres : sa célèbre neu- tonome et celles de l'art collectif »
Dans son Traité de stylistique
tralité qui, partout ailleurs, serait Fin lettré et chercheur scrupu- (p. 437), « l'influence de la poé-
française Charles Bally postule
une gageure, ne lui a-t-elle pas leux, André Karatson restitue sie symboliste frarn;aise. pour
l'existence d'une « mentalité euro-
permis, durant la dernière guerre avec minutie les péripéties de cet. s'exercer, dut renoncer à l'exclu-
péenne» qui coifferait la diversité
mondiale, d'aider les combattants te rencontre. Dans sa thèse - sivité et laisser combiner son mes·
des langues européennes. Ce di.
des deux bords sans s'attirer les brillamment soutenue en Sorbon· sage avec des messages différents,
sant, il pensait déjà (en 1905 !) à
foudres d'aucun d'eux? Du nord ne - , il suit pas à pas les progrès souvent étrangers à son essence »
l'Europe de l'Atlantique à l'Oural.
au sud des trains sillonnaient le de la pénétration du symbolisme (p. 438). Mais c'est dans la maniè.
« Le finlandais et le hongrois, écrit-
territoire, trains allemands ou ita- en Hongrie et aussi, son exploi- re de composer et de lire les poè.
il, n'ont (sous le rapport de la pa-
liens allant, bourrés de munitions, tation à des fins extra·littéraires. mes que cette influence devait se
renté proprement linguistique)
de l'une à l'autre des deux puis- En effet, dans ce pays polarisé à révéler déterminante. Dans les
rien de commun avec l'anglais et
sances de l'Axe, cependant que le l'extrême, un manichéisme candi. dernières pages de son livre, Ka-
l'italien... pourtant, ils rentrent
ciel était traversé en permanence, de, mais malfaisant, régnait dans ratson dégage avec bonheur le
dans le cercle des langues occiden-
ou . presque, par les bombardiers la deuxième moitié du XIXe principal apport, à cet égard, du
tales, car ils ont, pour les concepts
américains. Au vu et au su de siècle et le tableau historico· Symbolisme français : le langage
de la mentalité européenne, des
l'armée helvétique. poétique brossé par Karatson dans métaphorique et la spontanéité
moyens d'expression sensiblement
Des soldats suisses étaient en les premiers chapitres de son ou- impressionniste. Cet apport trou·
parallèles à ceux des autres idio-
effet mobilisés en 1943, époque à vrage sont indispensables pour faiM va un terrain extrêmement favora.
mes de ce type. »
laquelle Georges Piroué situe l'ac- re comprendre la véritable portée ble dans les données de la langue
tion de son récit. Mobilisés contre Cet optimisme (Bally évoque de l'influence du Symbolisme hongroise, d'où « prolongements
qui ? Contre personne, Pour quoi ? par la suite le triomphe possible français, « décadent et destruc· et métamorphoses » aboutissant à
Pour « l'intégrité d'un territoire » d'une « langue européenne»)) a teur» pour les partisans de la la naissance d'une nouvelle sensi·
livré au trafic de l'Axe et pour été singulièrement démenti par « Hongrie millénaire », « levain bilité qui continue à nourrir la
« la défense d'un espace aérien ( ...) l'évolution ultérieure des recher. du renouveau» pour ceux du pro· poésie hongroise contemporaine.
percé comme une écumoire ». D'où ches linguistiques et, en particu. grès qui, plus tard, devaient se
lier, par les découvertes de l'eth- Et c'est peut-être là - parado.
le sentiment d'inutilité et de super- grouper autour de la revue « Nyu.
nolinguistiqüe. On entrevoit au· xalement - une des raisons du
cherie des hommes maintenus sous gat » (Occident). Au cours de sa
jourd'hui à quel point les proprié. décalage que nous constatons ac·
les armes dans ces conditions... carrière en Hongrie - et malgré
tés de la langue maternelle sont tuellement entre les deux sensibi.
Si l'on ajoute à cela que certains les efforts d'un Dezso Kosztolanyi
déterminantes pour la pensée et lités poétiques. Le langage méta·
d'entre eux, commis à la garde à qui Karatson consacre peut.être
la sensibilité individuelles et col· phorique du Symbolisme n'a ja.
d'un pont dans les Alpes, se trou- les meilleures pages de son livre
lectives. En même temps, la litté· mais fécondé la langue française,
vaient isolés du' reste du monde - le Symbolisme d'inspiration
rature comparée a mis en lumière comme il a enrichi la langue hon-
entre les roulements des convois française ne parviendra pas à rom·
les nombreux décalages observés groise. De plus, cette tendance
ferroviaires et le bourdonnement pre avec cet engagement politique
dans les divers pays au cours de fut assez rapidement abandonnée
de l'aviation alliée, qu'une épidé- et moral. Etait-ce, comme l'expli.
l'évolution de la sensibilité euro· au profit d'un langage « métony-
mie de rougeole entraîna une qua- quait récemment le poète hon·
péenne, les interprétations et les mique », qui était, par exemple,.
rantaine les privant des rares grois Gyula Illyés répondant à une
applications souvent surprenantes celui de Proust. Gérard Genette
contacts avec le bourg voisin, qu'un enquête de la revue « Preuves »,
désigne sous le nom de « métapho-
camarade hypnotiseur donnait, tous parce qu'en Europe centrale et
re diégétique » un certain aspect
les soirs, un petit numéro d'illu- orientale la fonction dn poète
de la sensibilité proustienne, en
sionnisme, toutes les circonstances consistait pendant longtemps à
étroite relation avec le milieu am·
n'étaient-elles pas réunies pour que remédier aux carences d'un pou·
tie extrêmement brève, mais dont biant qui la façonne et la modifie
l'obsession, devenue démence, pro- voir politique défaillant ?
la nécessité n'est pas absolument à son gré, alors que le langage qui
voquât un drame ? Sans raison
évidente - trouve sa sanction dans Un.e pléiade de très grands poè. exprime cette forme de sensibilité
apparente, une sentinelle abattra un
sergent, dans la nuit.
l'hypocrisie de l'appareil de l'ar- tes, virtuoses d'une langue qu'ils fait appel il la contiguïté, aux élé·
mée qui étouffe l'affaire - de peur contribuèrent à assouplir grâce à ments « in praesentia », contraire.
Il paraît que le fait divers est que l'on ne s'aperçoive de la vérité ment à la métaphore pure qui
l'apport du symbolisme français,
vrai. Il nous importe davantage de la guerre, « vérité contenue opère toujours par substitution,
sont présentés par l'auteur : Ady,
qu'il soit vraisemblable au niveau dans tout ce qu'on a amassé pour, avec évocation d'éléments « in
Kosztolanyi, Babits, T6th, Juhasz,
du récit. C'est le cas. Georges Pi- au contraire, s'en protéger, et au absentia ».
Szép. Traduits - et quelquefois
roué, par accumulation de touches tour de quoi l'on errait afin de bien traduits - en français, ils Peut·être cette façon « métony-
d'atmosphère, a construit un uni. vivre avec la mort, avec tant de sont pourtant à peu près inconnus mique » de voir a.t·elle si profon.
vers de l'absurde crédible. Il l'est morts de par le monde en état de en France. C'est dommage. Quant dément imprégné la langue fran.
dans le décor, dans les dialogues familiarité et de profonde égalité. » à leur propre et foisonnante acti- çaise de nos jours que ses usagers,
dont le terre-à-terre et même le sca- Telle peut être la leçon d'un vité de traduction poétique, elle oublieux de l'aventure de la mé·
tologique laissent affleurer l'angois- récit d'autant plus significatif qu'il fait l'objet, de la part de l'auteur, taphore symboliste, poussée ensui·
se, dans les gestes peu à peu déga- est sobre et resserré autour de l'es- d'une série de commentaires du te à son extrême degré par les haro
gés du quotidien et « contaminés » sentiel : ce n'est pas sans risque plus haut intérêt : ces traducteurs diesses des poètes hongrois, jugent
par les séquelles psychologiques de qu'on condamne les humains à ne se comportent en « conquérants », incohérents les rapports quelque.
la claustration. se croire à l'abri de tout que clans il s'agit, pour eux, de « tirer le fois fort lointains que la métapho-
Cet « état de siège » - aucfUel les étroites limites d'un « réduit texte à soi », en « opérant la syn- re établit entre comparants et
l'auteur a tenté de donner un national ». thèse entre le texte étranger et sa comparés.
contrepoint dans une seconde par- Maurice Chavardès propre manière» (p. 404). Georgu Kassai

8
,
Rétif et son pere
Le premier écrit
politique clandestin
A la précieuse Année balza· à l'état naissant la vérité du culte soviétique
cienne, qui compte déjà dix des ancêtres; et c'est l'orientation
ans d'âge, les Editions Gar- particulière que l'individu Rétif
nier ajoutent une nouvelle an-
nuelle, Dix·huitième siècle,
imprime à ce culte. ANDREÏ
publiée par la Société françai-
Dire qu'il mente, non, on ne le
peut pas. Seulement il recompose
AMALRIK
se d'Etude du XVIIIe siècle :
la réalité, ou plutôt ce qu'il a pu
du sérieux, du savant, du so-
lide. Rien d'ailleurs, dans ce
premier numéro de 480 gran-
en connaître, ou plutôt le souvenir
qui lui reste de sa réflexion sur ses
souvenirs, suivant la pente de son
L"'Union.
des pages, sur Rétif de la
Bretonne, que nous voyons
esprit, suivant les formes organi-
ques de son rêve. Il les transpose Soviétique
d'autre part faire son entrée

dans la collection des Classi-
ques Garnier.
dans l'idéal d'une « structure pay-
sanne », comme disait Alain, qui, s.urVlvra-·
chez lui, est à la fois patriarcale et
paternaliste, et qui se recommande
d'une prétendue expérience où en
t-elle
Rétif de la Bretonne
La Vie de mon père
Edition présentée, établie
Ji NEUPUHIJTÈi,
EifiuOfiW~ tA.KU,
~l> v ....
, ~,...,
DVCIlIt.Ç:IIl,I;;..r,., ....
.. T.",pl,.,4<t.()Ooi..
; .
fait l'imaginaire tient infiniment
plus de place que le vécu. Comme
en 1984?
et annotée Rousseau, comme Bernardin de
• 7 1 9·
par Gilbert Rouger Saint.Pierre, comme tant d'autres
Garnier éd., ill., 384 p. du même temps, acculé à une situa-
tion insupportable, il cherche la COLLECTION
sortie : il fuit dans l'utopie. C'est "LE MONDE
Non, ce n'est pas, à mon goût, du sa religion. C'est son maoïsme. SANS FRONTIERES"
meilleur Rétif. Il Y manque la plu- pre à en souligner l'intérêt folklo-
rique et sociologique. Samuel S. de Sacy
part de ces fantasmes, de ces déli·
res, de ces défoulements aberrants
qui font d'un intarissable polygra-
C'est une exploration très exci·
tante. Et troublante. Car Rétif, si
PAYARD )
phe et d'un abominable cacographe prompt souvent à fabuler, sait aussi
un révélateur singulièrement in· se montrer exact. Ainsi il reste
quiétant et attachant de l'élémen- possible (je l'ai fait) de repérer sur
taire. En revanche, le petit ouvrage l'actuelle carte en couleurs au
de 1778 - année où mourut Rous- 1/50000, si séduisante pour les
seau - est un des documents les véritables amateurs, le vallon pré.
plus vivants et les plus rares dont cis où l'enfant, menant paître Ses
nous disposions sur les réalités de bêtes, dut quelquefois les défendre
la vie rurale au XVIII" siècle. contre le loup. Sommes-nous en
droit de parler à la légère de ses
Il faut, à vrai dire, en lisant « mensonges », quand il arrive
la Vie de mon père, relire le mer- chez lui que le faux s'ajuste au

li
veilleux début de Monsieur Nicolas vrai avec une telle précision ?
(dont Jean.Jacques Pauvert nous Nul ne peut se faire l'historien
a apporté en 1959 la première édi- de son propre père. Il y a trop de
tion intégrale, malheureusement choses que vous ne connaîtrez ja-

PllllSIPll1
un peu brute). Rétif ne s'est ja- mais. Les témoins se tairont devant
mais lassé de ruminer le souvenir vous; ou, s'il leur arrivait de par·
de son village natal perdu dans les 1er, vous ne les croiriez pas : leur
solitudes sauvages de la Basse- expérience diffère de la vôtre essen·
Bourgogne et les rêveries que nour- tiellement. Vous gardez au cœur

Ils
rissait ce souvenir élaboré. M. Gil· soit de la haine, soit une vénéra·
bert Rouger, qui a l'art de déployer tion viscérale; pas d'objectivité
dans son édition une érudition possible. La seule historicité de La
profondément renouvelée s • n 8 Vie de mon père est d'ordre géor.

PIIIISSIIIS
néanmoins écraser les significations, gique. Quant au reste, ce qui en
donne à la suite du texte une antho· fait le prix, c'est, pour nous, une
logie d'autres œuvres de Rétif pro· occasion exceptionnelle d'observer

Le mérite de François Châtelet est de situer "enseignement de la


philosophie dans sa fonction sociale, comme idéologie de la classe
dominante devant les menaces réactionnaires.
JEANNETTE COLOMBEL La Quinzaine Littéraire
Dans son oahier 15. à paraitre le 20 avril. la reY1le
Le Nouveau ComnaeNe publiera le Trai~ Tropes .u .88 L'attaque la plus féroce qui ait été écrite contre cette philosophie
qui, progressivement, a fait place à l'idéologie bourgeoise.
JEAN-MICHEL PALMIER Le Nouvel Observateur
grammairien et eneFolopé.is\e DU MARSAIS.

La Quiuzaioe littéraire, du 1" ... 15 fI11ril 1970


ROMANS

Epeler le monde
aTRANGERS

Edoardo Sanguinetti l'a dé· toutefois, pour dire quand même Après quoi on l'enferme dans une torique. Il faut « tenter de vivre»
claré dans une interview pu- quelque chose. Il en est touchant. grande barrique et vogue la ga- pourrait dire l'auteur, mais vivre
bliée dans « Tel Que 1 - Il cogne donc contre les parois de lère. Nous commençons à entrevoir, c'est s'engager politiquement, avec
(n° 29) : inutile d'attendre sa bière, comme un qui ferait par- avec l'auteur, un port. Le voici qui tout le monde. Cette anti-œuvre
de lui une œuvre; un auteur ler les esprits en cognant contre va se mettre peut-être à vivre, donc ne se soutient que de son
d'avant-garde ne peut donner le bois d'une table et certainement après tant d'aventures pénibles ou parti-pris politique. Si elle n'était
qu'une anti-œuvre, parce que sa femme saisit quelque peu ; nous drôles; juste au moment où la pas engagée en effet, comme elle
le langage est une « dislo- aussi... quille allait éclater sans doute, est par ailleurs la plus particulière
cation, c'est-à-dire une façon comme celle du «Bateau Ivre »... et même la plus privée qui soit,
d'interpréter le réel -. Mais alors, précisément, c'est la elle n'aurait aucune audience. Le
fin. La fin ~e l'histoire qui s'a- texte demeurerait ce qu'il est au
La momie pue chève dans un commenceinent. départ : une mosaïque d'images
Edoardo Sanguinetti L'auteur ressuscite; il s'est évadé dépourvues de sens, parce que l'au-
r
Le noble jeu de oye de sa bière de bois et c'est lui teur refuse toute référence com-

1 Trad. de l'italien maintenant qui fait tourner la bar- mune établie. Ce n'est pas une
par Jean Thibaudeau Parfois il se sent transporté lui- rique avec ses pieds, comme un langue que la sienne toutes
Ed. du Seuil 158 p. même sur une scène; il est mo- saltimbanque. En se penchant sur les langues employées en flasches
mie; on lui arrache ses bande· la mer déchaînée, par cette nuit de et l'italien lui-même (comme le
lettes; il saigne, il suppure. On tempête toute noire où il n'aper- français du traducteur) sont, à
le dépouille en vain : la bande çoit plus aucun signe de rien; en ce stade, des langues mortes
est interminable. Il a honte de ce se penchant, donc, il peut tout de tout au plus. Dans son travail
qui reste de lui. Il essaie de se même écrire le nom de cette bar- de lecture du monde, l'auteur
Le monde apparaît dans cacher le visage; mais alors il rique : c'est le titre de l'histoire : s'approprie des fragments de
un oertain ordre qu'il faut
découvre son nombril et le reste. r
«Le délectable jeu de oye~. Il langues mortes et en fait un idio-
me, qui demeure toutefois mort-
Mais qu'est donc devenue cette peut même écrire le mot fin. Il
absolument fraoturer, sans jolie image d'un demi-poids-lourd a gagné la partie. Telle est l'ironie né, sauf à rencontrer d'autres
aux pectoraux gonflés comme des du langage romanesque et de tout idiomes engagés dans la même
savoir oe que l'on trouvera seins ? Lui - la momie - il langage vrai. aventure. Il épèle le monde qu'il
pue. La femme qui est là ne tient voit avec des mots tout faits. TI
au bout de l'aventure. nomme ce qu'il voit. Comme sous
pas le coup. Il doit la soutenir en
même temps qu'il se porte lui, les noms d'emprunt, rien ne vit,
momie et sa bière. Sinon tout se les verbes employés par l'auteur
casse; tout disparaît. D'un bon Une volonté de se réduisent à «il y a »' et au
coup de pied il la réveille, en lui subversion verbe «être ». Il ne peut en dire
Et certes, ce qui apparaît là, disant qu'elle aussi doit continuer plus. En outre pour lui, tout est
tout en vrac, c'est d'abord un tas à «regarder... en haut ». également images : ce que nous
d'images, de fragments « momi- appellerions, nous, images (les af-.
fiés », hiéroglyphes ou inscrip- Quand il disparaît tout à fait au fiches, les photographies etc.), et
tions tronquées. L'auteur, quant à fond de son puits ou ailleur8, il Pour les besoins de la critique, ce que nous n'appellerions pas
lui, se donne pour mort. Il est est bien évident que les trois petits ou notre propre confort, nous images (nous.mêmes par exemple) .
enfermé dans une bière de bois. enfants sont orphelins et la fem- avons essayé de tracer comme un Pour Sanguinetti ce ne sont que
Il voit de là ce qu'il peut, à travers me, veuve. Pauvres petits ! ils sont fil qui ordonnerait tant soit peu « momies exposées ». Le seul traie
une fissure qui peut devenir une sages comme des images; c'est le cette série d'images. Mais c'est tra- tement actif qu'il fasse subir à la
petite fenêtre. Ce qu'il voit res- cas de le dire. Quant à la femme, hir d'autant l'auteur; tenter d'ex- langue momifiée, c'est de la «cas-
semble assez à un studio de ciné- elle souffre énormément de voir pliquer en retrouvant une histoire ser» (le terme est de lui). «Un
ma où l'on tournerait simultané- son mari si lointain. Elle presse sous-jacente, c'est supposer que ange est musicien» dit-il par
ment plusieurs scènes. Tel frag- la bière contre sa poitrine, enfonce l'invention romanesque se réduit exemple, et ce bloc qui jusqu'ici
ment de décor est pharaonique; ses ongles dans le bois ; mais ce ici à un jeu de cubes dont les aurait pu s'écrire «langemusi-
non loin les maisons d'un quartier n'est toujours que du bois qu'elle cubes auraient été mêlés au dé· cien » s'ouvre avec un effet d'une
de Saint-Pétersbourg se reflètent étreint. part, pour permettre une recons- cocasserie irrésistible.
dans les canaux; ailleur8 c'est titution. Il s'agit ici exactement du
un bar; par-ci par-là passent des Un coït pourtant jette l'écri- contraire : le monde apparaît dans Pourquoi donc ces images, ces
j~unes filles nues; une Wonder vain contre une femme et c'est un certain ordre, ou certains or- couleurs, ces bruits dont il emplit
Woman; une Marilyn; une pe- l'extase en trois vagues. Espérons dres qu'il faut absolument frac- son ouvrage, continuent-ils à nous
tite ballerine. Sont-ce des femmes pour sa femme, 'que c'est encore turer, sans savoir ce que l'on hanter, même si nous n'avons pas
ou des images de calendrier, ou elle qui est là ! Les trois vagues trouvera au bout de l'aventure. tout compris (mais que signifie ici
des affiches publicitaires ou des sont ponctuées ainsi : need me, comprendre ?) Parce qu'ils sont
oiseaux ? want me ; love me. Mais ces mots Il ne s'agit pas non plus pour plus vrais que la réalité quotidien-
étrangers se passent d'avoir un l'auteur de se complaire dans le ne et même plus réels. La der-
De couché, forcément, l'auteur- sens. C'est leur pouvoir de défla- spectacle décadent du désordre ou nière chance du réalisme est donc
écrivain voit les choses sens-des- gration qui compte; ce sont les du mal; il ne s'agit pas de dis- peut-être bien, comme l'a dit San-
sus·dessous et s'il bouge, c'est le ondes sonores qu'ils libèrent; poser esthétiquement un désordre. guinetti, dans cette violence des-
monde qui bouge. Dans ces con- c'est leur bruit en somme. Les Sanguinetti témoigne d'une volon- tructive. Il a gagné son pari; il
ditions, c'est difficile de dire ce étudiants aussi se déchaînent dans té de subversion et d'un désir de nous a fait 'enfourcher avec lui la
que l'on voit; mais ce n'est pas un bar et le feu d'amour prend vérité tout entiers engagés .dans barrique. Il se, peut que nous ar·
une raison pour raconter des his- de la même façon. C'est l'auber· un moment historique. Si l'acte de :rivions avec lui quelque part.
toires. Notre écrivain en tout cas giste qui se trouve là en ce mo· l'écrivain porte, c'est la preuve
s'y refuse. Il fait de grands efforts ment, dont le seul hasard décide. qu'il est engagé dans la vérité his- Gennie Luccioni

10
Sous le bulldozer des teDlps Dlodernes
José Maria Arguedas
Tous sanss mêlés
Trad. de l'espagnol
par J .-F. Reille
Coll. « Du monde entier »
Gallimard éd., 494 p.

« La littérature indigénlste ne
peut nous offrir une vision ri·
goureusement vériste de l'In-
dien. Elle est contrainte de
l'idéaliser ou de le styliser.
Elle ne peut pas non plus
nous faire pénétrer dans son
âme propre. Elle demeure en·
core une littérature métisse -.
Cette remarque de José Car-
los Mariategui. en 1928. dans
son livre fondamental Sept
essais d'interprétation de la
réalité péruvienne (1). reste
applicable à bien des égards.
quarante ans après. au roman
de José Maria Arguedas.
comme elle l'était pour le pro-
totype du genre. Race de
bronze. publié dès 1919 par
son prédécesseur et homony·
me bolivien Alcides Arguedas.
Devant cette sorte d'ouvrages, on
ne peut s'empêcher de soupçonner
la littérature et l'ethnologie de se
porter mutuellement tort. Tout
l'effort des nouveaux narrateurs que d'accepter, comme ses frères dans l'action, qu'il ralentit de fa- l'évolution du pays. Don Fermin,
hispano-américains consistera, jus- de race, le servage au bénéfice d'un çon excessive, de même que les lui, plus lucide, dévoré d'ambition,
tement, à éviter cette impasse. Soit grand propriétaire ou, pis encore, multiples chansons et complaintes croit à son propre triomphe et au
en éludant le problème à la façon une prolétarisation impitoyable qui parsèment le texte, et dont la progrès. Il jette les éperons aux
de Borges, qui récuse d'avance tout dans les mines ou les zones indus· saveur ne nous parvient que très orties au profit de la jeep et boit
« exotisme » par une boutade (Il trielles de la côte. altérée après la double traduction de la bière Pilsen glacée au réfri-
n 'y a pas de chameaux dans le Telle était déjà la trame du meil· qui les mène du quéchua à l'espa- gérateur. L'un comme l'autre se-
Coran !); soit, comme Vargas leur livre de Ciro Alegria, Vaste est gnol et de l'espagnol au français. ront finalement vaincus par le
Llosa, en faisant de l'Indien un le monde ( 1941 ) (2), largement consortium international de la
thème parmi d'autres, un simple répandu dans tous les pays d'Amé- Dès qu'il s'abandonne sans autre Wisther.Bozart, qui s'approprie en
matériau de la fiction. rique latine et considéré comme le souci à la narration, au contraire, toute légalité la fabuleuse mine
Pour José Maria Arguedas, au chef·d'œuvre du genre. Né en 1911, Arguedas manifeste une sûreté de d'argent découverte sur leur do-
contraire, le récit est au service, Arguedas appartient en fait à la trait peu commune, et se montre maine.
sinon d'une thèse, au moins d'une même génération, mais il ne s'af· probablement supérieur à tous ceux Ce Pérou-là n'est déjà plus tout
cause. L'Indien des hautes terres firme vraiment qu'à partir de 1958, qui l'ont précédé dans la voie qu'il à fait celui de Ciro Alegria, dominé
andines peut et doit être défendu avec les Fleuves profonds (3), ro- a choisie. Le récit, lisse et naturel, par le conflit agraire ancestral. Un
par la plume du romancier, pour man autobiographique où il porte sans la moindre recherche techni· autre monde, plus dur encore peut.
que lui soient enfin reconnus le à la perfection son style personnel, que, s'impose au lecteur avec une être, même si sa sauvagerie est
droit de vivre et la dignité d'hom- marqué surtout par une subtile puissance digne des grands roman- moins apparente, commence à naî·
me. transposition en espagnol des mé- ciers russes. Le début de Tous tre. Les grands seigneurs de la terre
Les éléments du drame cepen- taphores et des tournures de la lan- sangs mêlés, où l'on voit le vieux cèdent désormais la place aux
dant ne sont pas neufs, ils se pero gue indienne, qui fut d'ailleurs sa maître de la terre maudire publi- trusts yankees. Le paysan indien
pétuent depuis la conquête espa· langue maternelle. quement ses deux fils, don Bruno affranchi, changé en manœuvre,
gnole, à travers tous les régimes et don Fermin, sur la place de logé dans des baraques munies de
politiques et toutes les mutations Recueilli par des Indiens, le l'église, fait songer à Dostoïevsky. juke-boxes, perd jusqu'à ses raci-
soicales. Paysan libre, l'Indien se jeune Ernesto, héros du livre, s'im- Don Bruno, le luxurieux, qui for- nes spirituelles et devient le sym·
voit repoussé d'âge en âge avec sa prègne de leur conception du mon· nique dans une écurie avec une bole de la nation toute entière, en
communauté vers les terres les plus de, et juge d'un regard neuf le serve bossue, va racheter ses fautes une vaste fresque où deux civili-
arides et les plus froides de la sort qui leur est fait et la vie que en abandonnant progressivement sations s'écroulent sous le bulldozer
montagne: parvient.il à les mettre son père lui impose ensuite dans ses privilèges pour se mettre au ser· des temps modernes.
en valeur, à force de patience, que un collège religieux. Cet essai d'in· vice de la cause indienne; mais il Jacques Fressard
déjà elles sont l'objet de nouvelles digénisme intériorisé, que l'on re· se trompe sur le sens de l'avenir 1. Ed. Maspero, 1969.
convoitises et qu'il s'en trouve bien· trouve dans Tous sangs mêlés, et croit encore possible une com· 2. Gallimard, ooll. « La Croix du
Sud », 1960.
.tôt dépossédé. Vient le moment où n'évite pas l'abus du commentaire munion patriarcale de l'homme 3. Gallimard, ooll. « La Croix du
il ne lui reste plus d'autre issue ethonologique introduit de force avec la nature, condamnée par Sud », 1966.

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 .tlN 1970 Il


R'omans de la «différence »
Lus à plusieurs semaines mauvaise conscience, la quête de 1 a ng u e s asiatiques, débarquait ne peuvent s'enfermer dans cette
de distance. ces deux romans son identité, Efraïm commence avec les Marines dans une île de catégorie. Efraïm aussi se sert de
qU'e rien ne relie s'imbriquent un livre autobiographique; en la Chine où vivaient aussi des Ja- ce concept contre les autres Alle-
dans ma mémoire; tout sou- allemand. La langue natale se hé- ponais. Des gamines, à quai, mands, les autres Anglais, sans
venir de l'un fait surgir l'au- risse d'obstacles. « Parmi les ex- criaient. Quoi ? Go home ? Assas- parvenir à faire corps avec lui.
tre. L'histoire, le lieu, les pressions qui, dans les dictionnai- sins? Hiroshima ? Non : « Gary S'il faut un ghetto se dit-il, qu'il
techniques, les auteurs : tout res des synonymes, suivent le mot Cooper, comment va Gary Coo- soit personnel et privé. Il refuse
diffère. Alors, pourquoi? de base, un tiers à peine reste uti- per ? ~. Et lui, le Marine trotskys- le ghetto général pub 1i c
lisable », constate-t-il. (Marcuse te est seul à goûter cet humour. Israël... et cependant, subitement,
Leslie Fiedler dit que jamais, à l'étranger, il Le professeur est obsédé par il se dit que si Israël était attaqué,
Le Chinois d'Amérique n'a entendu « mutiler » ralle" son nom : Baro Schnockelstone. il irait le défendre. Cependant, à
Le Seuil éd., 224 p. mand comme dans l'Allemagne Dès l'école, les gosses chanton- la dernière page, Efraïm affirme
d'aujourd'hui). Voilà donc Efraïm naient I( Schnock le Chinetoque >l, sa foi dans le hasard : « au lieu
Alfred Andersch étranger dans sa langue, étranger et « Schnock duschnock, petit d'être luif Allemand et Anglais,
Efraim dans sa ville. caillou (stone) '>. Mais ces petits j'aurais aussi bien pu être Italien
Lt- Seuil éd., 304 p. Il se répète les mots Allemand.; Lipschitz ou Tannenbaum, ne ou Nègre ou loup ou auto ».
Voyons les prière.. d'insérer; Juif; Allemand juif et Juif alle- pouvaient le vexer. Aucun mino- L'état minoritaire n'est pas lié
ces déclarations d'intentions des mand et décide qu'il en a fini avec ritaire ne le peut, aucun jeune ; aux origines, contrairement à ce
auteurs livrent souvent des clés. eux : plus de résonance. Mais à ne disent-ils pas : « tous nous qu'ils croyaient avoir nié d'abord,
En apparence, rien. Le Chinois chaque pas, il lui semble que les haïssom f Amérique parce qu'elle admis ensuite. Ils heurtent, l'un
cl' Amérique se donne pour un autres, que l'Autre tentent de lui nous hait» ? Georges l'Indien, la et l'autre, le déracinement exis-
« petit traité d'ethnographie sur montrer qu'il « n'est pas dans le fuit dans le suicide, Rodney tentiel, l'état d'individu « minori·
les, diverses peuplades qui habi- coup ». Sa femme, devant son ma- l'épiscopalien beatnik dans la dro- taire » sans recours. Pour tous
tent le nouveau continent:t. nuscrit, s'insurge : après trente gue, Shizu la Japonaise dans la deux, vivre c'est tenter d'amenui-
D'Efraïm, on dit : « fœuvre ne ans d'Angleterre suffit-il donc de nymphomanie. A tous ces minori- ser la différence et, malgré soi,
tente de se dérober. à la littérature quelques jours de Berlin pour lui taires, par origine ou par choix, l'augmenter. S'assumer Juifs sem-
qu'afin de témoigner de quelle faire commencer son premier li- Baro Schnockelstone Se!! sent fra- ble la manière la plus simple de
solitude se paie la liberté :t. Voilà vre... en allemand ? ternellement lié. rendre la différence ostensible,
peut-être un point, dès l'abord : L'ennemi, ce sont les puritains tangible. Mais sitôt confondu avec
« Ah, Georges, je comprends « les » Juifs ou même « un au-
les deux livres refusent ce nom soudain que tu es un étranger ! ». de l'Ouest, pleins de bonne volon-
,de « roman ~ inscrit sur leurs té assurée, de bonne conscience tre ~ Juif, ils se révoltent contre
Elle n'emploie pas « stranger :t les co-minoritaires et continuent
couvertures, nient l'essence du ro- (l'étranger-autre, différent), mais hypocrite. Cette jeune femme qui
man : la littérature, le « fantasme reproche à Georges 1'1 n die n à chercher une altérité plus per-
« foreigner », le hors-venu, le sonnelle ; fondamentale. C'est par
ludique » des psychanalystes. non-Britannique à jamais. d'avoir voulu se faire « passer
pour américain ». C'est alors que là que ces deux romans se rejoi-
Qu'apprennent les biographies
« Le Chinois» d'Amérique est Baro Schnockelstone explose : gnent. Assez curieusement, après
des auteurs? Fils d'immigrants,
professeur d'université dans cet « D'après vous, qu'y a-t-il de plus les arabesques et volutes des re-
Leslie Fiedler, né dans un fau·
Ouest des belles chevauchées, ter- américain qu'un Indien ?' Vous ? cherches formelles, voici qu'en
bourg de New York, est aujour-
re élue de la « majorité silencieu- Moi? John Wayne? Le gouver- Allemagne comme aux Etats-Unis
d'hui professeur à l'université de
se '>. Le citoyen de l'Ouest brandit neur Wallace? ~. A travers les les lecteurs se retrouvent dans ces
I:Etat de New York; né et resté
américain. Minoritaire? Quelle sa qualité d'Américain comme vingt-quatre heures et les deux problèmes restés ouverts depuis
une décoration, s'en gorge com- cent vingt-deux pages du livre, Camus.
« peuplade » du nouveau conti-
nent ne l'est? me d'un tonique. Le professeur Baro Schnockelstone cherche à se Deux intellectu~ls, minoritaires
Alfred Andersch offre une vie- tâtonne dans la maison de son définir, comme Efraïm à travers par leurs origines, mais tous deux
type d'intellectuel allemand de disciple, Georges, l'Indien, qui les trois cents pages d'Andersch. se croyant détachés de ces origi-
l'entre deux guerres: jeunesse!!· vient de mettre fin à ses jours : Dans ce roman de toutes les so- nes - contemplent leur pays.
communistes, camp de Dachau, il rassemble les pots, pilules, fla- phistications : drogue, érotisme, Celui où ils sont nés, celui dont
armée allemande en Italie, camp cons et plants de la drogue. Va-t- subversion politique, éclate, uni- ils ontbalbütié la langue. Pays
de prisonniers américain. Né et on l'arrêter, lui, le maître, pour que, cette naïveté : « Qui était- contraires : un coin d'Europe la-
resté allemand. avoir dévoyé ses étudiants? C'est il? Sa propre identité était pour bouré de guerres, et la vaste Amé-
Minoritaire ? Efraim, son person- eux qui l'ont initié à la drogue. lui une énigme ». Face aux puri rique ouverte à tous vents, à tous
nage-narrateur se rassure : e Je Mais lui, non content d'exposer tains de l'Ouest, qui personnifient courants, à toutes ethnies et en
me sens en fait très à f aise dam Hobbes et Hegel, avait expliqué l'ennemi mais aussi l'air pur des même temps repoussant les en-
ma peau d'Allemand naturalisé « à Georges et à ses camarades ce grandes étendues, il tente de se fants qui « dépassent '> du moule.
anglais et membre d'une minori- qu'ils cherchaient, au fond, dans cerner. L'un contemple la renaissante Al-
té ». Fils d'Allemands israélites, ces drogues. Il avait fourni les lemagne après, l'avoir, légalement
mots pour exprimer leur mépris S'affirmer minoritaire? Etre
dont le nazisme, brutalement, et - croit-il - réellement quittée.
Juif, marxiste, contestataire ne
fait des Juifs, il est envoyé en An- de la conscience bourgeoise ». L'autre ausculte le géant, le dé-
suffit pas à résoudre « l'énigme
gleterre avant que ses parents compose en dizaines de Lilliput
Il est Américain, mari d'une de son identité ». La puritaine de
soient gazés à Auschwitz. Natura- vraie Américaine: une W asp qui grouillent en lui, le composent
l'Ouest le confond avec un autre
lisé anglais dans l'armée, Efraim, (White anglo-saxon protestant). Il et déromposent : un Américain
Juif marxiste, qu'il hait comme
devenu journaliste anglais, épouse peut s'éloigner de l'Amérique; il
fait l'amour avec la femme de un frère : Hilbert Shapiro, le sta-
une Lo~donienne de la eworking- ne la quitte pas. Pour tous deux,
Georges, une Japonaise qui refuse linien.
class nobility :t (l'arilltocratie ou- le souvenir d'Hiroshima et lui la matrice demeure, hostile mais
Ain s i, pour Schnockelstone,
vrière) et voyage en Asie. crie : « Je suis née à Los Ange- ineffaçable et il faut à toute force
comme pour Efraim, s'affirmer
Le métier le ramène à Berlin, inscrire en elle le Moi qui fuit et,
les... Je suis vachement plus amé- Juif permet une première diffé-
ville natale divisée par le Mur. Le devant toute approche, se dérobe.
ricaine que toi! ». Lui, à la fin renciation, une sorte de « mise en
pays natal est déchiqueté par la de la guerre, étant spécialiste de minorité » élémentaire. Mais ils Dominique Desanti
12
DOI1lDQUIIUDIS

Innocentines

1
René de Obaldia
1nnocentines
Grasset éd., 225 p.

On connaît le théâtre d'Obal- poesie dont on· a perdu le La tradition de Cros ou de La-
dia. On connaît ses romans, goût en cette époque de forgue. Le côté ritournelle de l'A-
le Centenaire ou Tamerlan grand respect des «écritures- pollinairedu Bestiaire d'Orphée.
des cœurs. On connaît· toutes et dont la saveur accidulée- Quelque chose de ce qui fit le suc·
les formes de son «humour rafraîchissante s t i m u 1e r a cès de Prévert dans les années 50.
secret -. On fera connaissan-
ce ici avec sa poésie. Une
agréablement plus d'un pa-
lais.
Quelque chose de mirlitonnesque à
la Queneau, aussi. Avec cette dif· LIS
férence - et elle n'est pas mince-
que l'agressivité est totaleJbent ab-
sente du cœur d'Obaldia. Pas de
IIPITA.IOS
~rincements, pas de sarcasmes, pas
d'anarchie, pas de révolte. Simple-
la guerre civile
ment des mots pour rire et pour grecque
dire. Le règne de l'innocence. Ce
fIIIIIMIBS 1970 n'est pas pour rien que ces poèmes de
s'appellent Innocentines : l'inno-
cence, faite comptine ou «enfan.
1943 à 1949
tine», si ce mot peut désigner,
La figure légendaire des Kapetanlos,
P.C. RACAMIBB après Valery Larbaud, une forme
naïve de parler littéraire.
chefs des partisans; incarnation .-e
l'idéal grec de lIberté. L'hist~ire

Le ps,chanal,ste De fait, Obaldia n'a pas peur


d'écrire «.pour les enfants et quel-
.d'line résistance héroïque et de la
terrible répression qui suivit, étouf·
fée depuis par une véritable conspi-

sans divan
ques adultes ». Son propos est par- ration du silence. A la veille du
faitement clair sur ce point. Il com- troisième anniversaire du régime
mence par nous raconter en quatre des colonels, un livre indispensable
La psychanalyse et les Institutions de soins psychia- pages de prose dansante et aérée
pour qui veut comprendre la situa-
tion actuelle en Grèce.
triques, avec B. DlatldDe, s. Lebovicl, Ph. Paumelle. l'histoire de la petite Eudoxie que
42,60 F l'on forçait à manger sa soupe et

LEOIIARD BLOOMFIELD
qui traversa un jour l'écran de té-
lévision. Puis il passe sans transi· FAYABD
Le langage
tion à ce merveilleux Chez moi où
une autre petite fille (le côté Lewis
Carroll d'Obaldia !) se mesure avec
Bnf1n traduit, ce Une est l'une des sources de la Un- un petit garçon dans un chant al~
guistique moderne. terné d'une helle tenue :
49,60 F
Chez moi, dit la petite fille faire rebondir l'écho sur des noms
BIIiRI JEAIiIIAIBI On élève un éléphant.
Le dimanche son œil brille
propres. A cet égard, on atteint des
sommets dans les deux textes inti·
Dion,sos Quand Papa le peint en blanc.

Chez moi, dit le petit garçon


tulés Libertés et Dimanche, paran·
gons du genre. Le premier, varia·
tion géographique :
Histoire du culte de Bacchus. L'orgiasme dans l'anti- On élève une tortue.
quité et les temps modernes. Elle chante des chansons
29,70 F A Pan-Mun-/om
En latin et en laitue. Faut tailler des joncs.
FRAIIÇOIS LE LIOIIIIAIS Chez moi, dit la petite fUle
Notre vaisselle est en or,
A Bitenos-Aires

Les prix de beauté Quund on mange des lentilles


On croit manger un trésor...
Faut un revolver.

A Salonique

aux échecs Et ainsi de suite. On progresse:


doucement, de « nonsense » en coq-
FalLt s'armer de piques.

A Berlin
ADthologie des parties d'échecs ayant obtenu des prix à.l'âne, en poussant les mots devant Faut pas s'tromper d'train.
de beauté, des origines l nos jours. soi sans trop savoir où on les mène
24,80F mais en acceptant d'aller où ils A Moscou
iront. Trois notes, deux rythmes Fala tenir le coup.
Catalogue sur simple demande boîteux, un tour de maniv~lle, ill
A la Librairie Pa,ot· - semee: QL n'en faut pas plus pour mettre 181
1INl, boulevard S&iDt~GermaiD· Paris S" A Belgrade
musique en marche. C'est l'art de' T'en prends pour ton grade.
la comptine à l'état le plus pur.
René de Obaldia g' y montre iné- A Yokohama
galable. Surtout quand il s'agit de Faltt se faire tout plat. ~

La Q11inzaine littéraire, du r au 15 avril 1970 13


~ Obaldia

A MWid par Ba~oDd "ean


On 110US tient en bride.

A Pékin plus d'un exégète de la chose lit- et éclatent les uns après les autres.
Faut être pour Mâ-chin... téraire. Et en même temps nous Cela ne fait pas beaucoup de bruit,
apportera le meilleur exemple de mais produit une très· piquante mu-
le second, fantaisie «prénomi cette agilité « obaldienne » à don- sique. Air de pipeau aigrelet ou
nale J) : ner aux mots les ailes de la déri- refrain de piano mécanique. Avec
sion et l'innocence... de temps en temps quelque chose
ChaTlotte Mots en liberté, mots absurdes, de parfaitement Il sans rime ni
Fait de. la compote. mots sans rides, comme di<;aÏent raison » mais qui reste en mé-
les surréalistes. Ils se rencontrent moire, comme ça, pour le plaisir,
Bertrand et jouent entre eux avec une aima- pour rien:
suce des harengs. ble et féconde désinvolture. Ils
prennent tout seuls et avec la plus ...Et pourtant comme je l'aime
Cunégonde « automatique » aisance l'initia- (A mes pieds tombe le drap)
Se teint en blonde. tive d'une parole qui ne cherche Amandine si hautaine
pas à avoir plus de poids que des Amandine au cœur de bois.
Epamüwndas bulles d'eau gazeuse. Ils montent,
Cire ses godasses... pétillent, foisonnent, se bousculent Raymond lean

On le voit, rien de méchant dans


tout cela. Rien de corrosif. C'est Mais il faut poUS}ler
à peine si de temps en temps, perce Pour bien s'emboîter
la pointe arrondie d'une amicale Et pas avoir peur
irrévérence. Par exemple, quand il De perdre sa pudeur.
est question de l'oncle Onésim~
« diplo~ qu'il est... quasiment On s'ra des amants
Des bouches, des bras
Qui est-ce?
. ambassadeur, avant il était enfant
de chœur : soutane rouge, blan- Des regards flambants
ches dentelles, dans· le dos des Des et caetera...
petites ailes, avec un air de croire
ti vous fendre le cœur », ou de Et dans l'élogue intitulée Les
Vespasien, empereur romain, qui, cuisses de Colette - où il est ques-
chaque fois qu'il voyait un mur, iton d'une demoiselle qui n'était
s'lfrrêtait et « bruissait alors com- pas très jolie mais qui se laissait
me une source », ou du petit Gen- gentiment caresser les genoux à la
gis-Khan « qu'était pas du tout messe - c'est à la plus réchauf- L'entretien qui termine le jeu ima- bra. 1. c.pIwnIüm de 1·.xll où 1·....
sot, qu'était plutôt précoce » et qui fante poésie qu'on prête l'orcille : giné par Pierre Bourgeade avait pour f8nt cultlv. son jardin secret. D'eutres
héros le romancier et critique Jacques références littéraires aussi sont c1ai-
« à son berceau mangeait déjà Borel, auteur de r·Adoration. prix Gon- res: La Comtesse de Ségur. dont il
énormément ».' TI arrive aussi que Dommage que Colette adora Un bon petit diable, Androma-
court 1965.
la drôlerie se nuance d'ombre et Soit pas très belle en haut. que qu'i1 lisait à- voix haute. Baude-
la cocasserie d'inquiétude et cela Mais qu'importe la tête Identité difficile à percer, bien laire. dont les œuvres complètes lui
Quand le bas donne chaud! qu'un certain nombre de repères furent offertes plU' sa mère en même
donne des poèmes où sous des aient été placés par Pierre Bourgeade temps que Proust, Nerval. enfin. dont .
mots légers passent d'étranges fan- le long de l'entretien. Albert Bensous- Il savait par .cœur des fragments de
tasmes comme la chanson de cette Pour caresser ses cuisses san les a remarqués et les signale : Sylvie. et d'Aurélia. Et cette phrase
dame très très morte ou le doux- Je donnerais comme un nen proustienne. nfdme clans cet entre-
Desserts et pain d'épice Je pense que dans l'ultime • entre- tien. indispensable référellce !_.
amer dialogue du Courant d'air.
Et tous les paroissiens. tien secret _ votre interlocuteur est Outre Albert Bensoussan (4' répon-
Que, d'ailleurs, les rassasIes Jacques Borel, dont l'Adoration fut. se juste), ont reconnu l'auteur de
en effet. un ouvrage • très lu durant l'Adoration :
.d'innocenœ se :rassurent! Tout Entre ceS deux poissons une saison au moins -. et dont on at-
n'est pas aussi enfantin qu'il y Mme Maryse Bouvet, à Paris-13";
Dont le sang est humain tend avec Impatience le Retour. Mlle Claire Candau, à Courbevoie;
pUait dans ce livre et le lecteur Je laisserai ma main J.-C. Douroux à Chalon-sur-Saône;
n'aura pas toujours à se faire Jusqu'au dimanche .prochain. Les ombres de cet autre enfant M. Claude Féraud, à Montpellier;
« mut puer » pour s'y ébattre à chargé de chaînes qui défilent au long
des 604 pages de son roman, ce sont :
M. Claude Le Dantec, à Lozère-sur-
Yvette; J.-F. Marquet (5" réponse), à
l'aise. On y entend parfois des re- De toute façon, la plus grande sa gl'8llCHnère - la mère? - c'eût Tours; Isabelle Micha à Bruxelles;
frains d'idylle bucolique des plus hardiesse de ces. 1nnocentines n'est été un indice trop clair - , les amis. Mlle France-Léa Le ralle, à 'Paris-5";
allègres : pas là. Elle est plutôt sans doute cet ami qui l'éblouissait, Horace. qui Bruno Roy à Montpellier.
lui récitait le Narcisse de Valéry (,..
dans un texte qui, nous présentant férence littéraire) et qui. comble de Pour l'ensemble du jeu, aucun de.
Antoinette et moi le plus beau vers de la langue fran- séductiOn. avait quelque air de res- nos lecteurs n'a trouvé douze répon-
On va dans les bois. çaise, nous offre un irremplaçable semblance avec Baudelaire (autre ,.. ses justes. Nous serons cependant
Où n'y a qu'des lapins. exemple de réflexion sur les res- férence littéraire). les f . m mes. heureux d'offrir. la récompense pro-.
• l'inoubliable début d'un amour -. mise à ceux d'entre eux qui ont four-
On connaît un coin sOurces formelles de la langue poé- c'est GeneViève. le médecin Initia- ni le plus de réponses exactes. Nous
tique. Le vers dont il est question teur. cette maison d'enfance c'est publierons leurs noms dans notre
Quand on sera grruul ici est le suivant : Le geai gélati- Mazenne. et ceS nombreuses cham- prochain numéro.
On s'ra des amants neux geignait .dans le jasmin. Le
On s'embrassera commentaire que nous en propose
Comme Elise· et Nicolas. Obaldia fera utilement réfléchir

l~
AUX EDITIONS RENCONTRE

ANTHOLOGIE
DELA On peut, à de rares exceptions près, considérer la litté-
CORRESPONDANCE rature épistolaire comme un genre disparu. Elle n'a
pas survécu à la généralisation de l'usage du télé-

FRANÇAISE phone. Depuis « Le Trésor épistolaire de la France»


d'Eugène- Crépet paru en 1865, il n'existait aucune
anthologie importante de la correspondance française.
Chaque volume renferme Le moment est donc venu de dresser un bilan de ce
• des notices biographiques sur chacun des auteurs genre littéraire tenant compte des admirables décou-
vertes faites par de nombreux chercheurs et amateurs
• des informations sur la genèse de la correspondance depuis le début du siècle. Ce choix des plus belles et
la présentation suit l'ordre chronologique de la date de intéressantes lettres en langue française vous le
naissance des auteurs. trouverez dans les sept magnifiques volumes parus
7 volumes de près de 500 pages en moyenne, au format de aux Editions Rencontre sous la direction d'André

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12,5 x 18,5 cm, reliés plein Skivertex vert foncé ombré, dos MAISON. Il constitue une riche et passionnante
et plat supérieur gaufrés or, faux nerfs, coins arrondis, documentation historique, sociale et humaine, de la
signet de soie or. vie de la France du XVIe au XXe siècle.
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ARTS

Atlan
Voici dix ans qu'est mort linguistique ou idéo-dramatique. peinture ou de la décoration. Ayant reçu la double forma-
Atlan. De son extraordinaire Ou d'une forme close sur elle- Il faudrait citer cette décla- tion de philosophe et d'histo-
personnalité, on a beaucoup même ramassant à l'intérieur ration que le peintre faisait à rien d'art, Erwin Panofsky a
parlé. Trop, peut-être, car ceux de la toile un paquet de signifi- Aimé Patri en 1948 et que Mi- contribué à renouveler notre
qui ne l'ont pas profondément cations. chel Ragon cite dans son livre approche de la Renaissance
connu se sont laissé prendre au Parallèlement à cette orienta- sur Atlan : « Je crois que l'on et a été un des initiateurs de
piège des images multiples et tion, lentement mais n'émer- pourrait dire que, dans le même la méthode structurale en his-
fantaisistes qu'il proposait de geant que plus tard, un autre esprit où Mallarmé recomman· toire de l'art. Ses idées et ses
lui-même ... cheminement conduit Atlan à la dait au poète de céder l'initia· travaux, qui ont marqué deux
Atlan se donnait, selon les libération complète des formes tive aux mots, le peintre non· générations de chercheurs,
jours, quatre-vingt, quatre-vingt- vis-à-vis de notre propre cons- figuratif sera celui qui aura ne furent longtemps accessi-
dix ans de vie. Il aimait à dire cience. Lors d'une rencontre à accepté de céder l'initiative aux bles au grand public français
que les peintres n'atteignent la Royaumont qu'orientait Francis formes, aux couleurs, aux lu, qu'à travers les ouvrages de
plénitude de leur créativité que Ponge, un soir, Nicolas de Staël mières, sans partir d'un sujet Pierre Francastel et André
très tard, comme Rembrandt qui puis Atlan se mirent à parler, préétabli. Cette démarche étant Chastel. C'est seulement en
le fascinait, comme Monet. difficilement. Ils voulaient dire acceptée, il importe assez peu 1967, quarante ans après la
Il est mort à quarante-sept ce qu'ils ne feraient probable- que le résultat ressemble à parution de ses premières
ans. Son œuvre, comme celle ment jamais. Et ce - jamais ., quelque chose ou à rien de œuvres majeures, que paru-
de Juan Gris ou de Nicolas De cet inatteignable pourtant pal- connu ... rent simultanément en fran-
Staël, est apparemment ina- pable, organisait toute la créa- Elément d'une recherche très çais, les Essais d'Iconolo-
chevée, mais cet inachève- tion. moderne et à laquelle la philo- gie (1) et l'Architecture gothi.
ment même donne aujourd'hui Atlan disait qu'il rivalisait sophie, la psychanalyse et par- que et la pensée scolasti·
un sens nouveau à la démar- avec la danse, qu'il prétendait fois la linguistique ont donné que (2).
che d'A t 1 a n quand on que la couleur et la forme fus- une portée scientifique. Non
suit le cheminement qui le sent mouvement et mouvement certes comme une illustration
conduit des -peintures-piège ., détaché de la représentation réciproque, laquelle serait for- Erwin Panofsky
- paysages-piège • de 1945 à physique des danseurs (ce dont cément batârde et idéologique. L'Œuvre d'art
l'épuration rigoureuse des for- Degas ne s'était pas libéré). Mais comme deux vers tons et ses significations
mes puis aux grandes composi- Cela procédait-il, comme il ai- d'un même mouvement plus Trad. de l'anglais
tions des dernières années, on mait à le dire, de ses origines vaste que ne le sont les aspects par M. et B. Teyssèdre
y trouve l'exemple d'un art de berbères et juives de Constan- qu'il revêt. L'engendrement du Gallimard, éd., 328 p.
peindre détaché de l'esthé· tine? Plus vraisemblablement, sens à travers les formes sau-
tisme pictural. C'est-à-dire il faut admettre que l'artiste vages . ou libres se fait chez
d'un effort pour établir un parisien, hautement cultivé, Atlan à travers des structures Cette double traduction fut une
c i r cui t direct entre les cherchait à retrouver dans l'art en expansion qui débordent leur des dernières satisfactions de Pa·
formes et la - logique du sens ". de peindre une sauvagerie com- définition ou leur prétexte et nofsky qui disparut quelques
Sans doute les graphismes me Artaud, qu'il avait connu, et qui, masquées au regard com- mois plus tard. Il avait cependant
fortement dessinés et chargés a i m é, voulait trouver une mun, établissent un lien direct assisté à la mise en chantier de
de quelques traits colorés des - cruauté • dans la représen" entre une nature infinie et une l'Œuvre d'art et ses significations.
années 50 ont-il été une étape tation scénique. Cette sauvage- raison. On dirait que s'efface ici Bernard Teyssèdre, traducteur et
importante. Mais elle n'était pas rie manifeste dans certaines enfin l'orgueilleuse conscience présentateur de ce nouveau volu-
en elle-même (et malgré l'origi- formes ou figures déchirées et de soi gonflée du peintre, com- me a, d'accord avec l'auteur, modi-
nalité du peintre) éloignée de sanglantes prenait l'allure d'une me elle s'efface de la philoso- fié la composition du recueil paru
certaines recherches de Klee, transe dansée, brutalement phie! en 1957 aux Etats-Unis, sous le
de Miro. Précisément, parce immobilisée. Il suggérait ainsi Les grandes compositions titre Meaning in the Visual
qu'il s'agissait de graphisme, la découverte d'un langage non qu'Atlan entreprend dans les Arts (3).
c'est-à-dire d'une image ramas- humain, c'est-à-dire qui ne se cinq ou six dernières années de Les articles qui composent ce
sée dans un signe apparemment réduisît pas à une idée de la sa vie retrouvent le graphisme volume s'échelonnent des années
sévère de la période précéden- 1920 aux années 1950, jalonnant
te, mais ce graphisme est em- la carrière de Panofsky, de l'Insti·
porté par un mouvement, une tut Warburg à Hambourg «l'Ins·
respiration plus forte. La nature titute for Advanced Studies ~ de
s'ouvre comme une région Princeton.
inconnue mais accessible, une
nature inachevée qui trouve à Ouvrons au hasard l'un des es-
travers la représentation du sais qui composent l'Œuvre d'art
peintre un achèvement momen- et ses significations, soit Le feuillet
tané. initial du Libro de Vasari (1930).
Blanchot dit dans son Entre· Pour le profane, le sujet est plu-
tien infini que le livre survivra tôt rebutant : il s'agit d'un feuil-
à la disparition du livre, c'est-à- let d'esquisses conservé à la Bi-
dire que la littérature constitue bliothèque de l'Ecole des Beaux
un secteur de l'expérience indé- Arts de Paris, représentant de
racinable. La peinture. au sens nombreuses petites figures isolées
où la pratiquèrent Staël, Giaco· et groupées, attribuées à Cima-
metti ou Atlan est, elle-aussi, bue. Et pourtant Panofsky va fai·
une expérience indéracinable. re de cette feuille le support d'un
suspense, construisant son exposé
Jean Duvignaud à la manière d'une énigme poli.

16
L'esprit de la Renaissance
cière, l'articulant comme une nQU- l'un des artistes qui contribuèrent
velle, usant d'une langue limpide à faire sortir la peinture du style
et installant les preuves érudites gothique, pour accomplir un pre·
au bas des pages, en notes. mier pas en direction de la per-
Dès les premières lignes, l'énig- fection classique reconquise, il ne
me est posée, puis développée pouvait se servir que d'une archi-
dans son épaisseur : tanalyse sty- tecture ayant franchi cette même
listique révèle que le feuillet at· étape, et devait par conséquent
tribué à Cimabue n'est pas de lui, faire appel à ArnoUo di Cambio.
mais d'un copiste de la fin du Or, précisément, les principaux
Trecento. Alors pourquoi cette at· éléments gothiques de l'encadre·
tribution? A cause du pourtour ment sont empruntés à la cathé·
du dessin : une architecture fein· draIe de Florence et à Santa
te, dans le style ,gothique, et qui Croce, attribués par Vasari à Ar·
porte une inscription attribuant noUo.
l'œuvre à Cimabue. Mais cette arA En filigrane du récit et de la
chitecture est l'œuvre de Vasari démonstration policière, se dé-
à qui appartenait la collection de ploient la définition structurelle et
dessins et qui, dans ses écrits, la démonstration culturelle : comA
n'eut pas de mots assez méprisants ment dans l'Italie du XVIe siècle
pour condamner le gothique dont naît une· approche de l'histoire
il disait : «Puisse Dieu préseT'IJer de l'art qui marque à la fois la
tout pays de telles idées et de tel naissance de la conscience histo-
genre de travail ». Alors pour· rique et l'émergence du concept
quoi Vasari a·t·il composé de sa de sciences de l'homme.
propre main cet encadrement go-
En même temps, ce cas particu-
thique ? La réponse va être dévoi·
lier illustre la méthode et la théo-
lée progressivement, par flash- Le décloillonnement opéré par la Renaissance : «Il n'est pas exagéré d'affirmer
rie de Panofsky et leur liaison que dans l'histoire de la science moderne, l'introduction de la perspective marqua le
backs et feintes digressions pour
« organique:t. Et d'abord le fait début d'une première période" (Léonard de Vinci).
n'être livrée que dans les lignes
- encore souligné par la techni·
finales.
que de l'exposé - que l'histoire
Dans un premier temps, Panofs- de l'art, comme toute science hn·
ky va montrer que la production maine est une herméneutique, témologiques de Bachelard, dans donne la vie; moment qui ne
d'un dessin gothique par un hu- que la recherche du sens en est le nouveau volume, la théorie dcs laisse pas toujours percevoir la
maniste italien était possible et l'exigence première. Ensuite que sciences humaines comme le dé- différence qui sépare la percep'
compatible avec la mentalité de cette élucidation du sens ne peut voilement des cosmos de culture tion d'un souvenir témoin quel.
l'époque : à l'encontre des pays s'accomplir que dans la réminis- qui se succèdent par ruptures suc- conque de celle d'un objet d'art ;
du nord où le détachement ré· cence, par l'exercice de cette mé- cessives appelle aujourd'hui un moment qui appelle une confron·
flexif à l'égard du gothique ne se· moire qui est la condition d'exis- rapprochement avec l'œuvre de tation avec les théories récentes
ra pas concevable avant le XVIIIe tence des créations humaines et Foucault. Il n'est jusqu'à l'émer· du «scriptible» dans l'œuvre lit·
siècle, d'emblée, en Italie, la dé· qu'on peut appeler histoire, mé- gence d'une nouvelle figure du téraire.
couverte de la perspective est moire qui sert à définir des lieux, savoir qui est suggérée· dans Sa· En bonne logique, l'homme qui
contemporaine de la mise en pers- Foucault dirait des configurations, vant, artiste, génie : mais sans portait en son cœur l'idéal du
pective historique. L'hostilité des dont la véracité et la pertinence doute la nouvelle ouverture et le décloisonnement renaissant, qui
Italiens au gothique contribuant ne peuvent être à la fois consti- nouveau «décloisonnement» pres· fit la théorie des niveaux de lec-
d'ailleurs à l'aperception de sa tuées et testées que par recréa- sentis par Panofsky ressortiraient ture et de la multiplicité référen·
différence et à l'émergence de la tion. pour lui d'un nouvel humanisme tielle du sens, s'adresse de la mê-
notion de style, assortie du con·
A l'exception du premier essai plutôt que d'une «mort de l'hom- me plume égale au profane et à
cept de convenienza ou confor-
consacré à la méthode et qui est me». l'érudit, à l'artiste et au savant,
mita. une réflexion épistémologique, En fait, c'est par ce type de et il n'est guère étonnant que son
Dans un second temps, Panofs- l'ensemble des chapitres consti· problématique que l'Œuvre d'art livre puisse être également lu (ou
ky s'attache à prouver que cet en- tuent autant d'applications de la et ses significations apparaîtra au interprété) comme une étude de
cadrement possible était, en fait, méthode et de la théorie panof- public de 1970 peut-être plus ac- l'esprit de la Renaissance, une
nécessaire, lié à l'alibi mental de skiennes. Par rapport aux Essais tuelle que les Essais. Cette médi- théorie de la mémoire dans les
Vasari, c'es~·à-dire triplement im- d'iconowgïe centrés sur l'explica- tation sur le temps qui devrait sciences de l'homme, une épisté-
pliqué par sa conception de l'his- tion de thèmes iconographiques une bonne fois régler son compte mologie de l'esthétique ou même
toire de l'art. Puisqu'aussi bien qu'il s'agit de resituer dans leur au mythe terroriste des commen- une critique de la littérature sur
celle-ci est téléologique et opti- contexte structural. l'œuvre d'art cement absolus, laisse néanmoins l'art, de WoUflin à Worringer.
miste, qu'il réduit pour la pre· apparaît davantage comme une ouverte la question des grandes Françoise Choay
mière fois les arts visuels à un problématique et une investiga- ruptures et de leur genèse. Mais
dénominateur commun et, pour la tion plus générale du sens par ré- le problème crucial reste celui po- 1. Editions Gallimard.
première fois aussi, définit le COD- férence au double système spatio- sé par le rôle de la recréation 2. Editions de Minuit, traduit et pré-
cept moderne, le «locus» stylis- senté remarquablement par P. Bourdieu.
temporel spécifique dans lequel dans le déchiffrement de l'œuvre 3. On peut regretter que ce titre n'ait
tique. s'inscrit toute œuvre humaine en d'art : moment de synthèse entre pas été traduit dans sa littéralité. La qua-
Ainsi, nous sommes conduits à général et toute œuvre d'art en une nécessaire érudition relative lité de la présentation et de la traduction
la conclusion que si Vasari avait particulier. Si la théorie des ni- est la même que celle des EssaU d'Icono-
aux « souvenirs témoins» que logie, également dus à B. Teyssèdre.
voulu exprimer exactement la po- veaux de déchiffrement de 1'1co· sont les créations humaines et une 4. Puisqu'il croyait à cette attribution
sition historique de Cimabue (4), nologie évoquait les niveaux épis- véritable Einfühlung qui leur re- erronée.

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 avril 1970 17


PHILOSOPHIE

Marx
Jean-Marie Benoist peu qu'on se serve des mots de la tionné, jalousé et accaparé pendant le moins que nous sachions !) :

1 !ffarx est mort tribu : soupçon, lézarde, brêche. ces dix années où, de lycéen, puis cc La réponse, encore à demi
Coll. Idées, béance, dénotation, pertinence, dis- de disciple et de condisciple, il a silencieuse, qui vient à la rencontre
Gallimard. éd. cours, prélèvement, production ! fallu apprendre à devenir maître de notre question quid juris qui ose
Jean-Marie Benoist écrit donc com- à son propre bord. inciser de sa pétition diagonale les
me tous ceux de son âge et de sa Et c'est un deuxième sujet de textes de Marx et les textes
On meurt beaucoup ces
formation : l'éditeur a beau nous contentement : en un temps oit l'on cc marxistes » concernerait cette
temps-ci l'Homme, Dieu,
celer sa biographie, on ne peut nous explique chaque jour au pe- ossature métaphysique de tout le
Jésus-Christ, Marx sont tous tit déjeuner comme l'Université discours de Marx, la dette, masquée
guère douter qu'il ait été norma-
« morts • cet hiver. Un vrai
lien, qu'il soit philosophe, et qu'il fran~aise était devenue en 1968 le par une Verneinung subtile, que
carnage. temple de l'impuissance mandari- Marx et ses épigones n'en ont ja-
aille sur la trentaine. Mais Jean-
Pou r Jean-Marie Benoist, nale, il y a du réconfort à réviser
Marie Benoist écrit, et c'est un mciis fini de payer à une métaphy-
c'est Marx, le mort. En vérité, de concert avec notre philosophe sique née avec Platon et Aristote,
premier mérite. Il écrit et il écrit
une belle mort. les auteurs des vieux programmes, Parptéil.ide aussi peut-être, et qui
avec soin, avec goût, pas à la ma-
chine, on peut en jurer, ni au ma· admirant au passage l'étendue des les hante, venant obsessionnelle-
D'abord parce que c'est une gnétophone, il rature, il se relit, il lectures et, pourquoi ne pas em- ment « chanter' dans leurs os »,
mort bien-disante. Sans doute, le s'écoute, il se surprend. ployer ce mot avili, la culture ra- semblable à l'âme du frère aîné
style néo-précieux de la génération C'est un premier livre. Un livre: cée, ordonnée, maîtrisée d'un jeune inju.stement mis à mort par son
qui a fréquenté assidûment Lacan, pas un support vieillot qu'on em- théoricien formé dans nos écoles frère et qui chante sa plainte et
Althusser et Tel Quel risque-t-il ploie en attendant mieux, par et nos Universités. sa revendication dans la flûte-tibia
d'agacer des lecteurs ou de les rebu- exemple le support plus moderne Oui, oui, je le veux bien, il trouvée par le ménestrel de la can-
ter. Mais il faut admettre que le de la radio ou de la télévision; suhsiste ici et là comme un reste tate de Mahler, Das klagende
rococo et le chantourné sont aussi pas U11 produit de série où le sujet de pédantisme khagneux dans cette Lied... ».
des cc signes » tracés dans un est 1raité aux moindres frais pour manière de citer nonchalamment Mais, qu'on me pardonne, j'ai-
cc espace épistémologique ». Bien l'auleur, l'éditeur et le lecteur. Mais ses auteurs ainsi que leurs concepts merais avoir plus souvent l'occa-
sûr. c'est surtout un signe de jeu- ce déversoir baroque où tout y de prédilection (formulés bien en- sion de sourire amicalement de
nesse - croire qu'on ne sera pas passe, de ce qu'on a lu, pensé, tendu dans la langue originelle - cette sorte-là d'exhibitionnisme,
compris par cc les autres » pour admiré. discuté, détesté, cru, ques- latin, grec, anglais, allemand, c'est d'ailleurs pas tout à fait superflue.

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18
est-ll mort?
Surtout quand ce n'est, comme répertorier, classer, organiser l~ ré- A partir de là, le problème de el$pacè vide que la sagacité dIt
c'est le cas ici, que l'expression seau des significations; à pénétrer Benoist est, les intentions d'Althus- meilleur des exégètes de Marx avait
d'une ultime retenue avant que se innocemment dans les impasses ser désormais admises comme réfé- su pratiq.uer ».
déploie une pensée autonome, sub- pour y constater que la voie est sans rence initiale, de vérifier les moda- De cette insertion de Marx dans
tile et courageuse. issue ; à tomber en arrêt sur la ligne lités concrètes de cette résurrection. la tradition métaphysique de la
La démarche est régressive : suspecte qui révèle une suture illé- Autrement dit, Benoist ne se philosophie occidentale, Benoist
« agacé )) au temps de mai 1968, gitime entre deux analyses concep- contente pas d'enregistrer et de glo- fournit des preuves fort troublantes
J.-M. Benoist, comme le pascali- tuelles de champ différent; à dé- ser sur la coupure épistémologique à partir de cette expression marxis-
sant s'arrêtant pour méditer à cha- couvrir, ravi, le saut, le retourne- qu'Althusser souhaite introduire te classique : « Ce sont les masses
cune des stations où le Christ a ment ou la torsion que ce pas assez entre « un jeune Marx idéologique qui font l'histoire »), plus encore
souffert, s'arrête, pour y trouver malin de Marcuse ou cet excentri- et encore hégélien )) et un « Marx à propos de la « notion hautement
« la métaphysique abritée dans les que de Unine avaient cru nous scientifique »), sur « la ligne de métaphysique ) de comcience dans
plis du discours révolutionnaire », dérober... démarcation entre l'idéologique et cette autre expressiQn marxiste
aux successives « configurations De ces analyses partielles, pas le scientifique )) qu'il faut faire pas- classique de la « prise de couscien-
théoriques » que proposent, des une qui soit indifférente, plat rem- ser « à l'intérieur du champ formé ce de classe », et surtout enfin
plus côntemporains aux plus an- plissage ou pur exercice de style par les textes que l'on regroupe quant au rapport du prolétariat à
ciens, les sociologues de l'événe- académique. Chacune d'elles se emembleso~las~naturedeMau la notion de classe soci8le,
ment - entre tous, le groupe de saisit d'un problème-clef, occupe ou Marx-Engels)); Benoist se « rapport dam lequel joue une
Morin, Lefort et Coudray qui, avec une position par rapport à laquelle donne pour tâche d'aller y voir en relation métaphysique analogue à
Mai 1968 : la brèche, ont réussi se dessine un remaniement général scrutllnt cette fameuse coupure de la relation substance/attribut et
à « donner une analyse pertinente fonctionnant de proche en proche. façon à répondre à trois questions : mode chez Spinoza, l'essence de la
et parfois belle )) - , puis Marcuse, Peut-être dirai-je ma préférence «, ce qu'est la coupure et si elle classe sociale se modalisant d'abord
Mao, Lénine et enfin Marx. pour celles de ces analyses partiel- est )); « ce que refoule la cou- en classe bourgeoise, puis en
Avant de retrouver l'idée, déve- les qui traitent plutôt de « textes )) pure »), sur quoi décide la cou- « classe D prolétarienne, et, par la
loppée en conclusion, en fonction que de situations historiques concrè- pure »). révolution, le rapport s'inversant,
de laquelle tout le livre est orga· tes pour lesquelles l'auteur a .un Sur la première question, au la substance sujet-substrat deve-
nisé, il faut dire d'abord l'intérêt outillage mental et des techniques terme d'une analyse serrée où la nant support caché de ce qu'Aris-
considérable des analyses partielles. opératoires moins assurées : plutôt, finalité révolutionnaire est mon, tote nomme ousia kata sumbebêkos,
Intérêt à la fois négatif et posi- si l'on veut, pour l'analyse du type trée comme impliquant une concep- c'est-à-dire substance par accident,
tif. Négatif : la probité de l'expo- d'échec subi par Marcuse dans sa tion totalisante de l'histoire, la- c'est-à-dire propre, sorte de metaxu,
sé refuse tout camouflage qui don- lecture « marxiste » de Freud ou quelle exige à son tour un concept de métastable, d'entre-deux, pris
nerait à croire que Jean-Marie Be- de ce qu'il faut entendre par « Lé- de temps pur, la réponse de Be- entre la catégorie d'essence et celle
noist se meut dans un champ autre nine philosophe ) que pour l'ana- noist est que l'idéologie - la méta- d'accident, mais définie encore
que strictement philosophique. lyse de mai 1968 ou de la révolu- physique - persiste à contaminer métaphysiquement »).
L'auteur, faute d' « expérience tion culturelle chinoise. et envelopper ce qu'il peut y avoir En fin de compte, créditant défi-
vécue D, n'entre donc dans aucune Mais il faut en venir au fond. de scientificité chez Marx : nitivement Althusser d'avoir libéré
discussion « concrète D qui serait J .-M.Benoist n'est pas de sa géné- « Le recours à ce supplément du Marx de tous les marxistes huma.
par exemple de nature à ridiculi- ration seulement par sa langue et sujet tramceT!dantal, les masse.s ou niste, finaliste, subjectiviste, théolo-
ser le thème de la parenté oppres- sa démarche, ou par la configura- le prolétariat, universal scolastique gique, psychologique, Benoist se
sive entre la situation de Siniavski, tion de sa « bibliothèque imagi- travaillant so~ la bannière du prin- propose à son tour, Althusser ayant
fabriquant des caisses dans un camp naire » - outre la lignée des phi. cipe logico-métaphysique de l'iden- reculé devant l'horreur qui consiste
sibérien, et la situation d'un ingé- losophes, Borges, Foucault, Derrida, tité, commarzde une conception uni- à « reconnaître toute l'ossature mé-
nieur d'LB.M. « qui n'a pas le Proust, Barthes, Mallarmé, Bache- taire du t'emps, comme variance taphysique du vieux texte de
dr!Jit de I$ortir en dehors des heu- lard - , il est aussi de sa généra- de la présence en ses deux modes Marx )), de prendre le relàis, et de
res, biologiques, de ses repas ou tion quant au point de départ de de diachronie et de synchronie, dis- ce Marx libéré, dire que, libre, il
de ses repos )). Mais cette probité, son propre itinéraire : ce point de tinction qu'on a voulu mobiliser est aussi «mort» en ce sens que
Benoist la pousse vraiment très loin départ ne saurait se situer qu'après pour sauver la conception marxiste « la révolution épistémologiqUe dont
en tombant dans la rhétorique pure la purge althussérienne, purge qui de l'histoire qui demeure sinon Marx pouvait être dit l'auteur n'af·
et simple, comme en témoigne « a purgé la lecture de Marx-Engels unitaire, du moim unifiable, c'est- fectait qu'un moment révolu de
d'ailleurs le goût qu'~ a pour la de tout le stalinisme cynique ou à-dire toujours logée chez Aristote l'histoire des sciences, que cette
terminologie des figures classiques. honteux, de tout le gauchisme décé- et Platon et à travers eux chez révolution ne produisait pl~ qu'une
Intérêt positif : Benoist a lu ses rébré, de tout le christianisme Parménide ). scientificité archaïque, un monu-
auteurs, non seulement il ne nous teilhardo-marxiste », purge qui, De telle sorte qu'on a beau com- ment commémoratif obsolescent D.
en, parle pas en bel esprit par somme toute, a rendu possible une prendre en quel sens on peut parler Ce n'est pas le lieu de se pronon-
ouï-dire, non seulement il ne nou., « lecture libératrice ») de Marx. du passage d'un Marx idéologique, cer ici sur la validité de cette
en parle pas avec désinvolture à Le problème de Benoist n'est « encore soumis à l'attraction et à conclusion : le renfournement de
l'aide de ces « allusions trompeu- donc plus d'apprécier la légitimi~é la force de la gravitation hégé- Marx dans l'épistemé du XIXe siè-
ses D qui ne trompent personne de l'entreprise althussérienne par lienne et feuerbachienne »), à un cle, pour employer la terminologie
quant au fait qu'il n'y a rien der- rapport aux entreprises antérieures . Marx « à prétention scientifique »), foucaldienne, ne se décrète pas,
rière l'allusion, mais il consent à qui tantôt tiraient Marx du côté il reste que : c'est, ce doit être encore un objet
faire devant nous et pour nous d'un romantisme arbitraire néo- « Telle Eurydice [la coupure] se d'étude, d'une étude pour laquelle
de patientes « leçons d'agrégation D. hégélien, tantôt le tiraient du côté dérobe si l'on tente de porter sur il faut attendre beaucoup de Jean.
Et c'est passionnant : cette atten- d'un scientisme mécaniste. L'ohjec- elle le regard. L'aveu que toute Marie Benoist : sa compétence faite
tion au texte, cette démarche méti- tif althussérien cardinal est en effet l'écriture de Marx est obligée de de savoir, de vigueur et du sens
culeuse qui, appuyée sur un énorme pour Benoist atteint : « Marx est faire malgré qu'elle en ait, de son des zones nodales nous permet de
savoir contre lequel viennent bu- un texte »). Bref, à cette étape, le appartenance à l'espace d'une mé- penser qu'un philosophe nous est
ter, et s'éprouver, lâcher prise ou marxisme est mort et Marx est res- taphysique-ontologie de la pré- né.
triompher les découvertes, vise à suscité. 8ence, rature la coupure, biffe cet Annie Kriegel

r. Quinzaine littéraire, du 1- au 15 avril 1970 l'


DISCUSSION

Un inédit du Marx
La publication d'un texte de gleterre un tour assez aigu Il est vrai qu'il ne concerne le Marx « hégélien ») et le Marx
jeunesse de Marx : Fonde· - de donner à nos lecteurs qu'une partie du plan initial de « marxiste » et sur la prétendue
ments de la critique de l'éco- leur opinion à ce sujet. Peter la grande œuvre de Marx, tel qu'il « coupure épistémologique » et
nomie politique (Anthropos) Wiles est professeur à la Lon- l'expose en 1857. Cependant les autres allégations de ce genre. En
plus connu sous le titre de don School of Economies et Grundrisse contiennent une masse fait, ils font considérablement dou-
son diminutif allemand. Grun· a publié The political Economy de matériaux que Marx y a notés ter de la valeur de telles discus-
drisse, a suscité, comme il of Communisme. E.J. Hobs- au fur et à mesure de sa réflexion sions, car ils démontrent la conti-
fallait s'y attendre, un énor- bawn est également profes- et qui, ainsi que l'avait remarqué nuité substantielle entre la pensée
me intérêt et des prises de seur (à l'Université de Lon- Engels, appartiennent davantage du « jeune ) Marx et du Marx de
position variées. dres) et nous connaissons de aux tomes ultérieurs. D'autre part, la « maturité »). Dans tous les cas,
Nous avons demandé à lui, en français, Les Primitifs il est vrai que le plan du Capital ils ne fournissent aucun argument
deux spécialistes anglais de de la Révolte (Fayard) dont a été substantiellement modifié en- à ceux qui tendent à trouver le dé-
Marx - qui ne sont pas d'ac- nous avons rendu compte ici- tre 1857 et 1867. Marx, dont la clin de l'influence hégélienne sur
cord entre eux, et parce que même (voir la O.L. n° 13, du pensée était continuellement en Marx. Grâce au magnifique travail
la polémique a pris en An- 1er octobre 1966). évolution, était rarement satisfait réalisé par l'Edition Moscou-Berlin,
par des constructions schématiques les nombreuses références et allu·
et a même modifié la partie publiée sions à Hegel et plus particulière-
du Capital d'une édition à l'autre, ment l'interpénétration féconde de
et aurait probablement continué de l'argumentation hégelienne et ricar-
Les Grundrisse sont la der 1968) constitue jusqu'ici l'analyse le faire. Toutefois, cela n'affecte dienne, de la philosophie et de l'éco-
nière œuvre importante de la plus complète des Grundrisse. en rien la situation unique des nomie, peut être clairement identi-
Marx à être publiée et elle a (1) Grundrisse dans l'ensemble de son fiée, tout autant que l'absenec totale
été mise à la disposition de œuvre. C'est la première version de références à Feuerbach.
ceux qui s'intéressent au L'ouvrage a été réédité à Berlin- du Capital, et une version plus Désormais, nous sommes en me-
marxisme environ un siècle Est en 1953, ce qui a constitué en complète que celle de la Contri· sure de saisir plus clairement les
après avoir éCrite. fait la première édition accessible. butwn à la critique de l'économie modifications profondes dans l'ann-
Cependant, même cette édition est politique qui en a été tirée. Elle lyse économique de Marx, telle
La curieuse histoire de la pu-
restée pendant plusieurs années re- porte sur de nombreux domaines qu'elle résulte de ses recherches
blication de cet ouvrage est
lativement inconnue ou du moine qui n'ont été traités spécifiquement dans les années 50 - le transfert
aujourd'hui bien connue.. Rien
n'a pas eu l'écho qu'elle méritait. ni dans le permier tome du Capital du centre de gravité de son analyse
n'en a été publié du vivant
Jusqu'en 1960, les discussions publié du vivant de Marx, ni dans du champ de l'échange capitaliste
de Marx et d'Engels, si l'on en
marxistes n'en tiennent pas comp- ceux qui ont été publiés après sa à celui de la production. Nous
excepte les· premiers chapi-
te, et les traductions dans les au- mort. Il constitue pour nous un n'avons pas à entrer dans le débat
tres qui ont constitué la base
tres langues sont lentes à se faire. guide d'une valeur inestimable pour au sujet de la date à laquelle l'éco-
de la Contribution à la criti· (2)
que de l'économie politique, connaître les intentions de Marx nomie politique marxienne devient
publiée en 1859. Jusqu'en Cette négligence est étrange et et le cheminement de sa pensée. véritablement marxiste, par exem-
1939, les seules parties de difficile à expliquer. Car on ne Par conséquent, les Grundrisse ple lorsque le terme de force de
l'ouvrage qui ont été publiées peut douter de l'importance de ce sont essentielles pour notre com- travail est substitué à celui de tra-
sont les essais sur Bastiat et manuscrit (le titre étant celui des préhension de Marx. En premier vail. Selon Engels, c'était certaine-
Carey et ce qu'on a appelé éditeurs de Marx) dans le dévelop- lieu, ils nous permettent de suivre ment après 1849. Ce qui est clair,
l'Introduction à la critique de pement de la pensée de Marx. Il l'évolution de sa pensée. Ils jet- c'est que les Grundrisse représen-
l'économie politique, tous a été écrit lors d'une période d'in- tent une vive lumière sur la contro- tent la première élaboration com-
deux pub 1 i é s dans le tense travail, entre octobre 1857 verse touchant la prétendue oppo- plète de cette économie politique
Neue Zeit de Kautsky. Cette et mars 1858, à un moment où sition entre le « jeune Marx» et marxiste au stade de maturité.
introduction, qui est en réali- Marx s'attendait à une reprise le Marx de la « maturité », entre Aucune discussion sur les pro-
té . celle des Grundrisse et immédiate de la crise révolution-
non pas celle de la Contribu- naire européenne et qu'il essayait
tion à la critique de l'écono- fiévreusement de rédiger une éla-
mie politique publiée en 1859, boration cohérente et systématiqut" M.
a été depuis longtemps re- de toute sa théorie économique,
~
connue comme un des exem- pendant qu'il avait encore le temps
de le (aire. Cette œuvre représen- VOl.
ples les plus brillants de la
puissance a n al y t i que de tait, comme il l'a écrit à Lassalle, Daw
Marx. « le résultat de 15 ans de recher-
ches, c'est-à-dire les meilleures an- lIOuscrit un abonnemeat
nées de ma vie ». C'est donc à tous D d'un an 58 F / Etranger 70 F
les points de vue l'ouvrage de la o de six mOΠ34 F / Etranger 40 F
L'ensemble du manuscrit a été maturité de Marx, et il a essayé de règlement joint par
publié entre 1939 et 1941 à Moscou le publier, mais seule une partie
en deux volumes, édition qui èst du matériel a vu le jour lors de
o mandat postal 0 chèque postal
presque immédiatement devenue la publication de la Contributwn o chèque bancaire
introuvable à la suite de la guerre. à la critique de l'économie politi- Renvoyez cette carle il
A peine trois ou quatre volumes que. En fait les Grundrisse consti-
ont-ils pu atteindre le monde occi- tuent la première rédaction du Ca- La Quinzaine IItt4rat. .
dental et parvenir aux Etats-Unis pital ou plutôt de ce vaste et com-
à un ou deux chercheurs marxis- plexe ensemble théorique dont 43 rue du Templ~. Paru 4.
tes, comme feu R. Rosdolsky, dont Marx n'a pu achever que ce qui C.C.P. 15.SS1.53 Paris
le Zur Ents~ehungsgeschichte des se trouve dans le premier tome du
Marxschen Ka pit a l (Francfort Capital.

20
d'avant le cc Capital "
le fondement principal de la pro-
duction de la richesse; c'est l'ap-
Un texte essentiel propriation de sa force productive
générale, son intelligence de la na-
ture et sa faculté de la dominer,
par E.J. Bobsbawm dès lors qu'il s'est constitué en un
corps social; en un mot, le dévelop-
pement de l'individu social repré-
sente le fondement essentiel de la
blèmes généraux du développement drisse clarifient et approfondissent production et de la richesse.
- et par conséquent de la nature notre compréhension de la méthode « Le vol du temps de travail
- de la pensée de Marx n'est plus marxienne, le manuscrit contient d'autrui sur lequel repose la riches-
possible si l'on néglige les Grun- aussi certains passages où sont se actuelle apparaît comme une
drisse. Non seulement ils mettent abordés des problèmes dont Marx: base misérable par rapport à la
en lumière un certain nombre d'as- ne traitera nulle part ailleurs, dans base nouvelle, créée et développée
pects spécifiques du marxisme, ses ouvrages de maturité. Il est par la grande industrie elle-
mais certaines parties du livre ré- peut-être heureux que leur publica- même » (3). Marx jeune.
vèlent un Marx contemporain aussi tion ait connu un tel retard, cal' il On peut estimer que c'est seu-
étonnant qu'insoupçonné. bien des égards le type d'économie lement lorsque cette étape est attein- nouvelle façon: il se développe en
Ils éclairent tout particulière- qu'ils éclairent ne s'est réalisé plei- te qùe les contradictions fondamen- même temps par le sport et l'exer-
ment le modèle marxien du déve- nement qu'au cours des dernières tales du capitalisme deviennent in- cice (dans la mesure où il s'agit
loppement historique de la socié- décennies. surmontables et que la société d'activités physiques) et par les ac-
té. Cet aspect nous est maintenant N 0 u s comprenons heaucoup bourgeoise aura fait mûrir en son tivités créatrices et expérimentales,
familier, étant donné que la sec- mieux maintenant lorsqu'il parle sein les conditions matérielles ren- par la réalisation de la science, du
-tion des Grundrisse traitant des du capitalisme comme d'une socié- dant possible une solution globale savoir humain et du contrôle sur la
formations économiques pré-capi- té de consommation, que n'auraient de ces contradictions. On peut esti· nature. La distinction entre travail
talistes a été traduite séparément pu le faire les générations précé- mer que du moment que « l'huma- et loisir se trouve abolie, mais pour
dans diverses langues, et a déjà fait dentes. Les Grundrisse s'ouvrent nité ne se fixe que des tâches Marx cette Aufhebung implique
l'objet de larges discussions depuis sur la remarque que le procès de qu'elle peut résoudre », les condi- une analyse et une exploration du
quelques années. Elles ont porté en production, vu sous l'angle histo- tions pour mettre fin « à la période procès de la créativité humaine,
particulier sur ce qu'on appelle le rique, ne crée pas seulement l'objet préhistorique de la société humai- que les penseurs marxistes auraient
mode de production asiatique, et de consommation, mais aussi le be- ne », commencent seulement main- intérêt à poursuivre.
dont le manuscrit traite de façon soin de consOmmation et le style tenant à se réaliser à l'échelle mon- Il n'est pas possible dans le ca-
plus systématique que tout autre de consommation, y compris, d,lIls diale. Il ne fait pas de doute que dre de ce bref article d'indiquer,
écrit de Marx, mais l'intérêt que le régime capitaliste, la consomma- la discussion de Marx sur la révo- autrement que par quelques réfé-
les Grundrisse présentent pour les tion de masse des ouvriers. Nom- lution technique se rattache direc- rences non-systématiques, l'intérêt
historiens est encore plus considé- breux seront les lecteurs qu'impres- tement à ses observations sur le remarquable que présente ce ma-
rable. En dehors des intuitions sionneront profondément les prévi- travail et le loisir, qui constituent nuscrit. C'est un texte difficile -
éclairantes notées par Marx au sions de Marx (en 1857-8!) sur une de ses rares explorations de écrit par Marx dans la fièvre d'un
fur et à mesure, l'ouvrage contient l'économie automatisée, produit de l'avenir socialiste. intense effort intellectuel, « une
quelques réflexions profondes sur la révolution scientifique et tech- Ces passages (qui incidemment course contre la montre », et dans
la méthodologie historique de Marx. nique que le capitalisme crée lui- critiquent la conception de Fou- lequel il voit parfois une sorte de
Il n'a pas, écrit-il, fait œuvre même: riel', qui voit dans le travail un di- sténographie intellectuelle destinée
d'historien au sens strict du terme, « Le travail ne se présente pas vertissement) sont une fois de plus à la clarification de sa propre pen·
mais il a exploré une méthode tellement comme une partie cons- d'un intérêt considérable. Les Grun- sée. Néanmoins, rares sont ceux
bien plus complexe consistant à titutive du procès de production~ drisse contiennent de nombreuses de ses écrits qui illustrent de façon
combiner les analyses statique ct L'homme se comporte bien plutôt références au problème des besoins plus vivante son mode de pensée,
dynamique des formations sociales comme un surveillant et un régu- humains et de la nature du travail, sa méthode, et son extraordinaire
et permettant de reconstituer les lateur vis-à-vis du procès de pro- bien que Marx éprouvât des diffi· génie. Toute discussion sur le mar-
pré-conditions d'une époque anté- duction. Cela vaut non seulement cultés à' les intégrèr dans son. rai- xisme qui ne tiendrait pas compte
rieure déjà dépassées (aufgehobene, pour la machinerie, mais encore sonnement. Il rejette la dichotomie de ce texte, ne pourrait désormais
pour utiliser un terme hégélien) à pour la combinaison des activités simplè travail-loisir de la théorie être prise sérieusement en consi-
partir du modèle analytique du ca- humaines et le développement de bourgeoise - et de la pratique dération.
pitalisme actuel, et à déduire égale- la circulation entre les individus ». bourgeoise - , mais aussi la naïve E.J. Hobsbawm
ment le système futur à partir de Le travailleur n'insère plu.~, dissolution de cette dichotomie dans
la combinaison analytique du passé comme intermédiaire entre le mu- le. jeu-travail universel de Fourier. 1. Voir également la contribution de
et du présent. La différence entre tériau et lui, l'objet naturel trans- Il voit plutôt la transformation p0- R. Rosdolsky, La signification du Capitul
les écrits de Marx strictement :, his- formé en outil, il insère à présent tentielle de l'homme par la réduc- dans la recherche marxüte contemporaine,
in En portant du Capital, ouvrage collectif
toriques » (par exemple le Dix-huit le procès naturel, qu'il transforme tion du temps consacré aux for- publié à l'occasion du centenaire du Capi-
Brumaire) et les aspects historiques en un .procès industriel, comme mes anciennes de travail, « l'effort tal, aux Editions Anthropos, Paris 1968,
de ses écrits théoriques plus géné- intermédiaire, entre lui et toute la de l'homme en tant que force na- (N.D.L.R.).
raux, ne peuvent pas être pleine- nature, dont il s'est rendu maître. turelle (Naturkraft) s'exerçant 2. La première édition en fl,'llIlÇ8Ïs a
été publiée par les Editions Anthropos en
ment compris sans une connaissance Mais lui-même se trouve place à d'une certaine façon ». Le temps 1967 (en deux volumes) sous le titre :
des Grundrisse. Il en est de même côté du procès de production, au libre, c'est à la fois celui des loi· Fondements de la critique de l'économie
pour certains concepts analytieo- lieu d'en être l'agent principal. sirs et celui consacré à des activi- politique (traduction Roger Dangeville).
historiques importants, tels que ce- « Avec ce bouleversement, ce tés supérieures, ce qui permet à N.D.L.R.
3. Karl Marx, Fondements de la cri-
lui d'« accumulation primitive ». n'est ni le temps de travail utilisé, l'homme transformé de réintégrer tique de l'économie politiqlle, tome Il,
Cependant, en dehors des nom- ni le travail immédiat effectué par le procès de production, - grâce chapitre du capital, p. 221, Edition.~
breux points sur lesquels les Grun- l'homme qui apparaissent comme à ces activités supérieures - d'une Anthropos, Paris.

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 avril 1970 21


les Grundrisse
Qu'y a-t·il ici de nouveau et d'in- une chose indépendante entre les
téressant? Si Engels avait utilisé mains des capitalistes et se trans-
ces textes, la version qu'il nous a former en capital qui l'exploite et
donnée du Capital 1 et II en eût- s'approprie son existence. La sé-

Un serpent de mer? elle été modifiée de façon substan-


tielle ? Les soviétologues, votre ser-
quence féodalité-capitalisme-socia-
lisme est ainsi définie (1,95) :
viteur par exemple, sont par force Les rapports de dépendance per-
des marxologues solitaires. Pour ma
par Peter Wiles part, j'ai abordé cet ouvrage com·
sonnelle (d'abord tout à fait natu-
reIs) sont les premières formes so·
me j'aurais fait du Talmud ou des ciales dans lesquelles la producti-
Apocryphes. Par contre les ortho· vité humaine se développe lente-
doxes avec la piété qui les caracté- ment et d'abord en des points iso·
rise se sont empressés de présenter lés. L'indépendance personnelle
la publication simultanée de deux fondée sur la dépendance à l'égard
Si un éditeur s'avisait demain (1953). Elle n'a rien à envier en ce traductions des Grundrisse com- des choses est la deuxième grande
de publier mes notes de tra- qui concerne la confusion aux to- me un événement culturel des plus étape : il s'y constitue pour la pre-
vail, j'en serais flatté. Mais mes II et III du Capital : les ré- importants. Je me suis donc mis à mière fois un système général de
je n'aimerais pas que l'on prît dites, les obscurités, les errata foi· la recherche des idées nouvelles que métabolisme social, de rapports uni·
tout cela trop au sérieux et sonnent. Ce n'est la faute de per- le livre pouvait m'apporter dans le versels, de besoins diversifiés et de
que l'on accordât à ces ébau- sonne : telle est la version que nous domaine de l'aliénation, de la plus. capacités universelles. La troisième
ches une valeur fondamentale a laissée Marx de ces cahiers qui value, de la théorie des « produk- étape, c'est la libre individualité
et définitive. ont été abondamment pillés et nul tionpreise», de la dialectique, du fondée sur le développement uni·
Le problème avec Marx; n'ignore que les érudits ne tien· despotisme asiatique et de la société versel des hommes et sur la maî-
c'est que nous avons affaire nent guère à ce que leurs sources post-révolutionnaire. trise de leur productivité sociale et
avec lui à quelqu'un de très tombent dans le domaine public. Sans doute est·ce là une liste collective ainsi que de leurs capaci-
important, disons le mot, à un Mais l'appareil critique aurait pu quelque peu tendancieuse et fort tés sociales. La seconde crée les
génie. et qu'il a beaucoup sans aucun doute, être amélioré : arbitraire puisqu'elle se réfère à conditions de la troisième. Les
écrit mais fort peu publié. Au l'édition de l'Institut Marx-Engels des concepts auxquels je m'inté· structures patriarcales et antiques
bout du compte. que savons- est, sur ce point, fort insuffisante resse particulièrement et que j'étais (ainsi que féodales) tombent en dé-
nous de lui si ce n'est ce que et les éditeurs français n'auraient sûr d'avance d' y trouver. Mais .le cadence, lorsque se développent le
nous ont révélé les quelques pas dû s'en contenter. procédé était de bonne guerre : commerce, le luxe, l'argent et la
lettres signées de sa main c'était, d'entrée de jeu, parier sur valeur d'échange, auxquels la so-
Je n'irai pas jusqu'à prétendre le sérieux de l'ouvrage et soumettre
qui ont pu parvenir jusqu'à que j'ai lu l'ouvrage à fond. Je me ciété moderne a emprunté son ry·
nous. ou encore la version ce critère à l'épreuve du feu. thme pour progresser.
suis contenté, et on ne saurait m'en Aliénation et plus-value : rien
quelque peu inexacte parce faire grief, d'en extraire les options Et voilà Marx transformé, com-
que trop respectueuse qu'En- de nouveau et rien en tout cas qui
fondamentales, en quoi j'ai trouvé me tant d'Anglais de gauche avant
gels nous a laissée de ces ne soit mieux exposé dans le Ca·
une aide précieuse dans l'antholo· lui, en socialiste ricardien. Les pro-
manuscrits fort confus aux- pital. On notera cependant, car la
gie de Rubel, condensée et remaniée blèmes du marché perdent de leur
quels nous conférons aujour- chose mérite d'être soulignée, que
sans doute, mais pourvue d'un ap- la notion hégélienne d'aliénation, importance et les problèmes de la
d'hui le titre de Capital Il et pareil critique en tous points su- production passent au premier
III? sur laquelle avaient été fondées
périeur à celui des éditions exis- plan. Familiarisé depuis longtemps
jusqu'ici les analyses économiques
tantes. Cette anthologie contient de Marx, s'efface devant la notion avec les théories de la valeur-tra·
Certes, voilà qui est mieux que de nombreux passages des Grun· ricardienne de plus-value à laquelle vail, il comprend maintenant ses
rien - nous avons parfaitement le drisse que Maximilien Rubel croit l'auteur consacre de longs dévelop-
implications socialistes et découvre
droit de connaître la pensée de avoir mieux compris que l'Institut pements. Sans doute, certaines pa- la plus-value et l'exploitation : le
Marx quand bien même il ne lui soviétique. Et il pourrait avoir rai- ges de l'ouvrage (de la page 22 à
capitaliste paie le travailleur de
son. (1). 231) se rapportent apparemment façon à lui assurer sa subsistance,
aurait jamais donné l'imprimatur.
On pourrait cependant objecter Marx devait bien savoir à quoi mais vend sa productivité. Du res-
aux premières études de l'auteur
s'en tenir sur ces cahiers lorsqu'il te cette théorie est de celles que
qu'il est pour le J;tloins surprenant sur la plus.value. Le lecteur sera
qu'une religion aussi puissante re- rédigeait le premier volume du l'on peut également exposer en ter-
peut.être curieux de savoir, bien
pose sur des bases littérales aussi Capital et en supervisait, avec le mes historiques : plus la technique
que cela soit tout à fait hors de pro-
soin que l'on sait, la première édi· est avancée, plus grande est la pro-
fragiles. Mais si l'on souge à l'An- pos, ce que j'ai pu apprendre moi-
cien Testament, au Coran... Habent tion. Il est fort significatif qu'En- ductivité du travail et, du même
même sur ce sujet complexe en li-
sua fata non-libelli. gels, de son côté, n'ait pas songé coup, plus les biens de consomma-
sant cet ouvrage et les commentai-
Considérons les Grundrisse, en- à en tirer parti, parmi d'autres iné- tion baissent de prix en termes
res qui en ont été faits.
semble de textes écrits entre 1857 dits de Marx, lorsqu'il publia les d'heures de travail, plus augmente
Jusqu'aux Grundrisse, l'écono-
et 1858 et qui recoupent la plupart deuxième et troisième tomes du le sur-travail. Il faut croire qu'il
mie politique de Marx était une
des thèmes traités dans le Capital Capital. En tout état de cause, n'y a pas de place ici pour un troi-
critique hégélienne du capitalisme :
l'édition « officielle» de Capital ne sième terme: la plus-value s'accu·
(publié à partir de 1867). Il Y a là la monnaie, le marché, les moyens
fait aucune illusion aux Grundris- mule continûment en fonction du
Hl21 pages réparties en deux volu· de production, la division du' tra·
se, et il y a là un fait qui minimise progrès de la technique et ce pro-
mes, à quoi il faut ajouter l'appa- vail sont une mauvaise chose. Dam;
singulièrement leur importance si· cès n'introduit aucune différence
reil de notes que nous devons à ce système, le travailleur vend son
non aux yeux d'un petit cercle de entre la croissance capitaliste et la
l'Institut Marx-Engels-Lénine de travail sans en acquérir le produit ;
spé::ialistes (dont on peut s'étonner croissance socialiste.
Moscou, qui fut le premier à édi- étranger au travailleur, non seule·
ter l'ouvrage (entre 1939 et 1941). qu'ils ne les aient pas lus dans le ment sur le plan psychologique On conviendra que cet exposé
Le texte dont nous disposons a été texte). mais aussi sur le plan légal, le pro- d'ensemble de la théorie de la va-
traduit d'après la réédition faite par Mais qu'en reste-t-il de tout cela duit du travail cesse d'être la pro- leur-travail n'est guère suspect de
les éditions Dietz de Berlin-Est pour le commun des mortels? priété du travailleur pour devenir dialectique. Il est vrai que les théo-
ries hégéliennes et ricardiennes Les Grundrisse demeurent ce-
(aliénation par le marché et exploi- pendant, de toutes les œuvres de
tation par la production) n'ont rien Marx, la source la plus importante
d'incompatible, et l'étude du Capi- de la théorie du despotisme asiati·
tal, si on laisse de côté les Grun- que et des modes de production
drisse, montre que Marx n'a ja- pré-capitalistes (1, 435-481). Ce
mais liquidé le passé. passage qui est décisif, a fait l'ob-
Marx analyse longuement les jet de nombreux commentaires et
Produktionspreise dans le troisiè- il n'est pas nécessaire d'y revenir
me volume du Capital au moment ici.
où il découvre que la théorie du Quant à la société pré-révolu-
travail est bel et bien fausse. Jus- tionnaire, je n'ai rien trouvé dans
qu'au premier volume du Capital ce texte qui m'ait appris quoi que
inclusivement, il affirme que la va- ce soit de nouveau. Il ne faut pas
leur-travail détermine le prix nor- oublier que les assertions et con-
mal, concurrentiel de chaque mar- clusions de Marx en la matière in-
chandise, sans prévoir les arguties fluencent la politique des commu-
et échappatoires sans nombre que nistes, spécialement en U.R.S.S.
l'évidente fausseté de cette asser- (2). Aussi ne sera-t-on guère sur·
tion allait un jour imposer à ses pris d'apprendre que les autorités
épigones. Nous accordons peut-être soviétiques, tout de même que la
beaucoup trop d'importance à une plupart d'entre nous, aient négligé
notation qui figure dans le troisiè- les Grundrisse. Les deux spécialis-
me volume du Capital à propos de tes soviétiques que j'ai pu interro-
l'influence qu'exerce également sur ger à ce sujet n'en avaient jamais
les prix le coût de l',argent, puisquc entendu parler.
Marx aussi bien n'a jamais envisagé On comprendra aisément pour-
de publier cet ouvrage. Mais au bout quoi les Français attachent une tel-
du compte on ne saurait négliger le importance à cet ouvrage : il
le fait qu'il a positivement infirmé n'accroîtra guère leur connaissance
l'ensemhle de son œuvre antérieu- du marxisme, si ce n'est en ce qui
re et cela à plusieurs reprises dans concerne le despotisme asiatique et
les manuscrits de Capital III. les modes de production pré-capita-
De tout cela, on ne trouve pas listes, mais il fournira une base
la moindre trace dans les Grun- d'attaque contre M. Althusser.
drisse. Le niveau technique qui Althusser, dit Jorge Semprun dans Marx en 1863.
étaye l'argumentation est encore son article sur les Grundrisse, ne tivisme bourgeois : Bernstein, en ment là le type d'ouvrage qui fait
plus bas ici que dans le Capital : fait aucune « coupure» entre l;i- offre un bel exemple. Ni Marx, ni partie du « bagage de l'honnête
les erreurs arithmétiques abondent déologie du jeune Marx et les théo- Lénine, ni même Staline ne sont homme du XX· siècle ». L'intellec-
(cf. 11-303-4) et sa maladresse en ries scientifiques de sa maturité. jamais allés jusque là. Un marxis- tuel moyen qui s'efforce honnête-
ce domaine est patente (e.g. 11/ Je n'irai pas aussi loin. Althusser me purement scientifique est une ment de comprendre le monde a
200~ , a raison de prétendre que le jeune contradiction dans les termes puis- d;autres sujets de préoccupation
On y trouve cependant une ana· Marx est un pur idéologue : il n'y que le marxisme est en grande par- aujourd'hui.
lyse intéressante au terme de la- a rien de scientifique dans ses tie entaché d'erreur. Certes, la' no-
quelle Marx fait observer que le théories d'alors, pas plus du reste Les Russes racontent qu'à l'en·
tion même de marxisme (ou si l'on
travail cessera d'être la mesure de que dans celles d'aucun jeune hé- trée du cimetière de Highgate se
veut de dupontisme) est en soi non trouve un petit musée où l'on mon·
la valeur lorsque la technique sera gélien, mais en tant que non mar- scientifique. Cependant, avec le
xiste je ne peux en aucun cas accep- tre aux visiteurs deux, crânes pla.
arrivée à un très haut degré de temps, Marx est devenu plus
ter que Marx soit jamais devenu cés côte à côte : celui du vieux
complexité (11/222). Ce moment scientifique ainsi qu'en témoignent
un scientifique. L'idéologie et la Marx et celui du jeune Marx.
coïncide apparemment avec celui Capital III et la théorie des Pro-
science ont ensemble fleuri en lui L'histoire ne parle pas d'un troi·
de la révolution. Malheureusement duktionspreise. Ce n'est pas une
le mot révolution intervient fort comme ensemble elles survivent, sième crâne.
petite affaire que de nier les fon- Peter Wües
rarement dans les Grundrisse. si parva licet comonore magnis, dements logiques de la théorie de
Quant aux concepts de révolution chez Brejnev. Cette co-existence n'a traduit de l'anglais par
la valeur-travail. C'est du révision·
prolétarienne et de lutte de classe jamais été aussi .bien illustrée que Adélaïde Blasquez
nisme caractérisé. Et dans ce ré·
on n'en J:rouve pas la moindre tra- dans les Grundrisse. visionnisme Engels' est allé encore 1. M. Rubel (op. cit.) nous fournit
ce. 1) Notamment celui de E. Hob· plus loin en publiant ce manuscrit. un excellent index nominatif de tous les
On n'y trouve guère non plus de London 1964; et Karl Wittfogel, Il est même allé si loin qu'il a nié la passages sur l'aliéuation dans le Capital
référence à la dialectique (qui res~ shawn dans son édition de Karl nécessité de la révolution violente en y incluant même les pages où le terme
Marx, pré-capitalist formations, n'est pas expressément cité.
te pour moi, philist!D, un mystère et qu'il a reconnu la fausseté de la
le Despotisme oriental, Paris 1964 ; 2. Cf. Politica1 Economy CoJ1uDunism,
entier). La notion de dialectique doctrine de la paupérisation abso- par Peter Wiles, Oxford 1969, ch, 1, et
s'applique seulement, comme c'est cf. Rubel op. cit., 11-1654. ' lue. Karl Marx Theorie von den intemationa-
généralement le cas dans les œu- Les marxistes ont toujours été Il serait peu flatteur pour le ni- len Western, par G. Koh1mey, Berlin
vres économiques de Marx, aux des idéologues (quelle que soit l'ac- veau intellectuel d'un pays que la 1962.
ception que l'on donne à ce ter- publication de la traduction des 3. in «L'Homme et la Société JO, jan-
grands mouvements de l'histoire el vier-mars 1968.
à cette misérable mystification me) en même temps que des scien- Grundrisse y fût considérée comme
4. Cf. Karl Popper, the Open IOciety
qu'est la transformation du capital tifiques. L'idéologie mène en droi- un événement important. En tout and its ennemies, London D/I46-9, 311,
en argent. te ligne au révisionnisme, à l'objec- état de cause, ce n'est pas précisé. 321-6, 175-7.

La Quinzaine littéraire, du r ou 15 avril 1970 23


INFORMATIONS

L'histoire par la géographie


Edouard Baratie" d'hui, à considérer les trois-cent- et ses relevés -celui de la démo- Dans la collection « Présence et
Georges Duhy vingt-six cartes de la Provence, le graphie, de l'ethnologie, de la lin- pensée -, d'Aubler·Montaigne. parais·
sent simultanément deux essais sur
Ernest Hildesheimer sentiment s'impose qu'un travail guistique, de l'économie, de la cul- Nietzsche par Pierre Boudot: Nietzsche
Atlas historique : Provence, décisif est en cours et que l'Atlas ture. De sorte qu'à suivre la suc- et l'au-delà de la liberté, Nietzsche et
Comtat, Orange, Nice, Monaco historique deviendra indispensable cession des planches ou leur che- les écrivains français contemporains
326 cart~s aux chercheurs, aux universitaires, vauchement, à les éclairer les nnes (signalons d'autre part que, dans I~
collection «Médiations·Gonthier - est
Armand Colin éd., 240p. aux bihliothèques mais aussi, pour- par les autres, à en modifier les rééditée une des œuvres les plus lm·
quoi pas, à tout homme culti"é. combinaisons, on ahoutit à sentir. portantes du philosophe : le Crépus-
Raconter l'histoire d'un pays L'histoire traditionnelle avait d'une manière quasi.concrète, cette cule des idoles).
par le moyen de sa géogra- déjà recours aux cartes mais celles- histoire silencieuse qui est celle
phie, voilà la gageure que ci n'avaient d'autre fonction que des longues durées. La Provence
tient l'Atlas historique dont le d'illustrer ou de clarifier l'exposi- s'étend devant nous comme un Chez Maspero, Paul Lldsky analyse.
premier volume (Provence, tion des faits : emplacement des paysage disponihle sur lequel dans les Ecrivains contre la Commune,
Comtat, Orange, Nice, Mona- batailles ou des cités, mouvement l'homme et les sociétés imposent toute une littérature née après 1871,
sur les thèmes de la famille, du travail
co) paraît aujourd'hui. Trente- des frontières, etc. L'Atlas histo- peu à peu leurs marques. et de la patrie.
six volumes suivront p.our ac- rique procède d'un tout autre souci.
Jetons un coup d'œil sur ce pay-
complir· un identique déchif- Bien loin· de rechercher une équi-
sage de Provence, à travers le pre-
frement du passé des autres valence graphique du texte histo-
mier volume qui a été dirigé par Chez Payot, dans la «Bibliothèque
régions françaises. rique, les planches composent elles- scientifique -, nous est proposée la
Edouard Baratier, Jacques Duhy et
mêmes le texte original de la ma- première traduction française de l'ou-
Ernest Hildesheimer. Nous voici vrage éapital de celui qui est. avec
Une telle œuvre faisait défaut tière historique.
témoins du peuplement de l'espace. Sapir, le pionnier de la linguistique
aux historiens qui la réclamaient L'Atlas fait bien entendu leur
Après les cartes géologiques, la pré. structurale américaine : le Langage,
depuis des dizaines d'années, les part aux événements mais cette part par Leonard Bloomfield.
histoire allume ici et là ses feux.
rares ouvrages de cette espèce déjà demeure secondaire. C'est à un
installe, dans le vide de la nature. Psychiatre et psychanalyste. P.-C.
publiés étant démodés, insuffisants niveau plus enfoui et plus diffus
les premiers et rares établissements Racamier présente chez le même édi-
ou limités dans le temps. Auiour- de l'enquête qu'il opère ses coupes
humains. Dès lors, c'est toule teur, avec la collaboration des Ors
l'aventure du peuplement qui se dossier Lebovlci, Diatklne et Paumelle. un
sur le rôle et les possibilités
déroule de carte en carte. Il n'était de la psychanalyse en milieu Institu-
pas suffisant de montrer la mul- tionnel : le Psychanalyste sans divan
tiplication des hommes et des villes. (collection «Science de "homme »).
Par une série de coupes dans le Signalons également, dans la collec-
temps et dans la matière démogra- tion «Connaissance de l'inconscient-,
phique, c'est dans ses profondeurs de Gallimard. un nouvel ouvrage de
L. Binswanger : Psychanalyse freu-
et ses nuances les plus suhtiles que dienne et psychanalyse existentielle,
ce peuplement est présenté : cartes et, aux Presses Universitaires de
de pélerinages, les hôpitaux d'Aix France, Freud et le problème du chan-
en 1300, le tourisme à la fin du gement. par Daniel Widlôcher (<< Biblio-
thèque de psychanalyse») et la Con-
XVIIIe siècle, le tourisme en 1838. naissance de l'enfant par la psychana-
en 1869, les villages disparus, puis lyse, par Serge Lebovici et Michel
ressuscités, l'origine (prégauloise. Soulé.
gallo-romaine) des noms, etc. • •••••••••••••••
Investigation identique et peul-
être plus fouillée dans le champ L'Atlas historique, si son pri."
de l'économie. Une planche recense est assez élevé - 240 F - est pré-
les lieux d'origine de la clientèle senté avec un soin extrême. Les
de Jean Barral, drapier à Riez au cartes visent moins à la joliesse
xV< siècle. Le péage de Valensole, qu'à la lisihilité. Le grand nombre
au XIV< siècle, fait apparaître le de planches, donc la répartition très
mouvement des personnes et des fine des informations, a permis aux
marchandises comme d'autres car- auteurs de ne pas charger chaque
tes enregistrent les circuits des planche. Un commentaire accom·
troupeaux transhumants au XIV< pagne, sous la :forme d'un volume
siècle ou l'itinéraire du sel en 1405, séparé, les relevés cartographiques.
la répartition des foires grandes et Il s'y ajoute le répertoire des lieux,
petites, le réseau de commerce que dans lequel le plus modeste village
commande Marseille aux diffé- est traité avec la même vigilance
rents stades de son expansion. Les que les villes, ainsi que les généa-
relevés de routes, de dr~illes, de logies des :familles princières ou
chemins, de lignes de poste puis royales, la liste des notables, des
des chemins de fer envahissent peu personnalités. On aura compris que
à peu les sols, montrent comment ce travail n'a aucune relation avec
une région s'est inventée, à mesure le folklore, ou même avec une en·
qu'elle Inventait ses communica- quête régionaliste. Il s'agit bien
tions. Ainsi sont explorées toutes d'une entreprise historique traitée
les rubriques de ce que l'on appelle par des moyens originaux : rendre
histoire non événementielle compte du temps par les images
sphère religieuse judiciaire, cultu- de l'espace.
Une carte de l'Atlal hùtoriq~. relle, etc. G.L.

24
TBÉATRB

Orden
Bourgeade, Arrigo cie ne dit pas seulement le dé-

1
.
et Lavelli
Orden
Tréteaux d~ France

Les - commandos du Christ-


roulement historique de l'avé-
nement du franquisme, mais
qu'il donne à rèssentir dans no-
tre chair <;e que signifiel pour
nous autres contemporains, un
Roi -, qui vinrent naguère cha- certain ~ordre- qui tend à s'éta-
huter les représentations du Vi- blir dans l'Europe. Il règne aus-
caire, sous prétexte de défen- si (le texte nous le dit) à Athè-
.dre le Pape - outragé -, auraient nes, à Prague, à Moscou, à lis-
eu plus de' raison encore de bonne, à Budapest, à Paris. Le
s'en prender à Orden. C'est un sens est clair, comme est clair
réquisitoire impitoyable contre le combat auquel nous incite ce
l'Eglise li catholique, phalangis- spectacle militant qui a su trou-
te, apostolique, fasciste et r0- ver leur langage scénique sim-
maine -, et il est dommage' ple, universel et physique.
qu'on n'ait pas songé à organi-
Simple, parce qu'à l'encontre
ser à l'occasion de ce spectacle
une soirée de gala en l'honneur d'une dramaturgie à la mode qui
de M. Lopez Bravo, ministre des se plaît à'manipuler savamment même tenue qu'eux, -le battle- obsessionnel naissant d'un bruit
Affaires étrangères de Franco, le temps, l'espace et les diffé- dress - , sont engagés avec eux de culasses de fusils d'abord
cordialement reçu, l'autre jour, rents modes du récit (voir Gat- dans toutes les actions scéni- désordonné, et demandant au
à Paris, par l'actuel gouverne- ti), ce spectacle se fonde sur ques. Ces comédiens eux-mê- martèlement des bottes fascis~
ment de la république française. une ligne dramatique toute sim· mes, jouant tour à. tour les fas- tes de lui faire contrepoint. pas
Mais la dénonciation du fas- pie qui suit, dans sa 'chronolo- cistes et les républicains - plus qu'on n'oubliera ces fusils
dsme espagnol (et la leçon gie, l'instauration de l'ordre li tragique et anonyme absurdi- distribués comme les hosties à
qu'elle comporte) ne serait pas franquiste. Universel, ,parce que té de la guerre -, commentent la Communion, par une marion-
le texte, réduit à quelques indi- les auteurs - , touchent desins- nette ecclésiastique dont le
aussi forte si le spectacle dans
sa forme, n'était aussi exemplai- cations, slogans, hymnes et can- truments, psillmodient, vocali- geste de plus en plus frénéti-
re. Il fera date, sans nul doute, tiques, et discours du pape et sent, jouant musicalement des que dans son automatisme, tra-
dans l'histoire des formes du des chefs phalangistes avec sons et des bruits qu'ils émet- duit dan.s un crescendo saisis-
théâtre contemporain, aussi leur paraphrase, se dit successi- tent, cependant que le chef d'or- sant son plaisir hystérique à la
vement en français, espagnol, chestre, lui aussi devenu acteur pensée du massacre prochain.
bien dramatique que lyrique,
puisque cette sorte d'opéra italien et.allemand, ce qui, en en battle-dress, conduit une ac- On oubliera encore moins les
rendant ce spectacle lisible par- tion qui est, d'abord, musicale : images finales, presque insoute-
rend soudain anachronique la
distinction entre Jes deux. Ja- tout, impose en même temps «quatuor de trombones tradui- nables, ce pape parcourant le
mais les structures musicales sur la scène une sort~ de lita- sant l'explosion de la guerre cl· charnier, vieil oripeau .atroce,
(orchestrales et vocales) n'au- nie : Illturgie envoûtante jus- vile, mandolinès désaccordées corps racorni, accoutré d'un
qu'à l'obsession. exprimant l'extermination d'un dessus de lit blanc et sale, ma-
ront été à ce point intégrées
aux structures scéniques, pour peuple -. rionnette que promènent et ma·
donner une œuvre d'une prodi- Langage physique surtout, nipulent deux phalangistes en la
car tout est dit, finalement, par Jorge Lavelli, dont on a pu dé· tenant par les fesses, et qui
gieuse unité,' dont les auteurs,
Pierre Bourgeade pour le livret, les actions gestuélles que la plorer les concessions à l'esthé- agonise sur la scène dans des
Girolamo Arrigo pour la musi- musique, en les sublimant, por- tisme parisien, a réglé cette ac- convulsions d'ataxique, cepen·
que, et Jorge Lavelli pour le tra- te à leur degré le plus haut d'in- tion scénique- pluridimenslon- dant que des enfants de chœur
vail scénique, semblent ne faire tensité et de signification. Tous nelle -, avec cette sorte degé- à voix de femmes chantent en
qu'un. les créateurs quj se sont posé nie rigoureux qu'on avait admi- piaillant la gloire de Dieu :ima-
le problème du théâtre lyrique, ré dans les mises en scènes de ge d'une Eglise qui a tué son
Dix lignes de La Rose rose, que ce soit, en leur temps, Wag- Gombrowicz. Admirable de dé· âme, à bénir et glorifier la vic-
de Bourgeade, sont à l'origine ner, Debussy ou Alban Berg, pouillement, refusant tout ce qui toire de l'horreur.
de l'œuvre : ~ Or, l'Espagne ont tenté d'intégrer davantage est maniérisme, accessoire ou
flamba. Des gueules olivâtres la musique à l'action dramati- baroque, ce spectacle tourne le Bref, voilà un spectacle qui
apparurent ~ la. première page que, mais ils restaient prison- dos aux gesticulations complai- indique la voie d'une dramatur·
de Paris-Soir. Franco, Mola, So- niers de la dichotomie inhérente santes et gratuites dans les· gie nouvelle, spectacle d'aglt-
telo. Des évêques surchargés aux structures de l'opéra, avec, quelles on donne volontiers au- prop mobile et sanS luxe et lisi-
d'émeraudes bénirent les mau- sur la scène, messieurs-dames jourd'hui, en invoquant un Ar· ble en tous pays, mais se haus-
sers neufs.;. De lentes proces- cantatrices èt chanteurs faisant taud usurpé. Ici tout mouve- sant au rang d'admirable œuvre
sions sortirent des églises..., semblant d'être des comédiens ment signifie, tout se lit immé- d'art, c'est-à-dire d'une œuvre
hérissées de croix et de fusils. et, dans la fosse, des instrumen- diatement à travers une cons- capable de parler un langage
Les soldats mirent un genou en tistes habillés en pingouins. Ici, truction simple de mouvements Qui s'impose de façon souverai-
terre. Les evêques bénirent les en dehors de la musique sur fortement articulés. ne à l'Esprit et aux sens, et de
fusilleurs. Le Christ-Roi étendit bande, qui constitue le lieu mu- On n'Oubliera jamais la super- nature à mettre en branle notre
les bras vainqueurs d'un douze sical de l'action, la musique sur position visuelle et sonore du univers imaginaire jusqu'à nous
cent mille assassinés. La mort scène est intégrée' physique- défilé phalangiste chantant son donner, en sortant de là, le dé-
régna. Viva la Muerte ! -. ment au jeu. Chanteurs et instru- hymne et d'une procession re· sir d'agir, ce qui est peut-être,
.Ces phrases se sont faites mentistes (trombones, violon- traçant le - Venl Creator - ce- finalement, la raison d'être ta
images scéniques, mais des celles~ contrebasse, percussion, pendant que les' deux cortèges plus haute de l'œuvre d'art.
images si fortes que, d'emblée, mandolines). au coude à coude se fondent lentement l'un dans
nous saisissons que ce specta- avec les comédiens, et dans la l'autre, pas plus que cet unisson Gilles Sandier

. La Quinzaine littéraire, du 1" /lU 15 avrü 197(J" 25


COLLECTIONS

Les Grandes vagues Révolutions de la liberté et de 1'6g. XVI' et XVII' si6cles, la replaçant dans fesseur Pierre Chaunu peut apporter,
révolutionnaires lité, non seulement les causes pro- le contexte des révolutions européen- en revanche, des vues nouvelles sur
fondes et immédiates du phénomène nes de l'époque. la guerre d'indépendance américaine;
Calmann-LéV)' révolutionnaire français, mals aussi qu'une telle entreprise peut à la fols
son impact en Europe et en Amérique Ce refus délibéré et fructueux d'une intéresser tout homme cultivé et ani-
Un petit garçon à qui on demandait et le pouvoir persistant de sa charge histoire à corset et à frontières qui mer la réflexion des spécialistes.
ce que c'était qu'une révolution, ré- explosive en d'autres lieux et à d'au- prétendrait enfermer les vagues dans
pondait: « Une révolution, c'est quand tres époques. les tiroirs, s'accompagne d'une extrê- Notons que les éditions Calmann-
il se passe quelque chose.• La collec- me attention portée aux suites histo- Lévy viennent de signer un contrat
tion des «Grandes vagues révolution- De son côté, l'historien allemand riques des grands mouvements étu- avec l'éditeur américain Harpers and
naires. c'est, au fond, l'histoire des Ernst Nolte ne limite pas son histoire diés. Raconter et analyser comme le Row' .pour l'ensemble des volumes
«temps forts. (et violents) de l'hu- des Mouvements fascistes à celle de fait Paul Akamatu la révolution Meiji qui, 'aux Etats-Unis, seront publiés si-
manité, la crête des flots dominant Mussolini et de Hitler, mals s'attache du Japon, c'est nous amener à voir multanément au format traditionnel et
la bonace de l'histoire «non-événe- à nous faire revivre l'ensemble de vivre le Japon depuis l'ouverture de au format de poche. C'est là une réus-
mentielle •. En quinze volumes, cette contre-révolutions fascistes e n t r e ses frontières, il y a un siècle, jusqu'à site dont on ne peut que féliciter les
collection se propose de condenser le 1919 et 1945 dans toute l'Europe. l'inauguration de l'Exposition d'Osaka promoteurs de la collection car elle
mouvement même de l'histoire, de sai- C'est dans le même esprit et la mê- aujourd'hui; c'est nous faire compren· répond à son principal objectif, prou-
sir les minutes de vérité où les por- me perspective què Jean Sigmann, dre, du même coup, les origines d'un vant qu'il est possible d'en finir' avec
tes du destin des sociétés tournent dans le dernier volume paru de la col- développement économique sans pré- le fossé qui sépare la culture univer-
sur leurs gonds. lection : 1848 - Les Révolutions roman- cédent et les difficultés politiques ac- sitaire de celle de l'homme moyen,
tiques et démocratiques de l'Europe, tuelles d!J Japon contemporain. Lors- l'isolationnisme culturel de la France
On retrouve dans les six premiers souligne l'extrême complexité' des que Ch. P. Fitzgerald décrit révolution des grands courants d'idées interna-
volumes parus les principes qui gou- idéologies auxquelles celles-ci se rat- de la Chine des Mandchous à Mao tionaux.
vernent l'organisation de l'ensemble. tachent et s'efforce d'en expliquer .les Tse-Toung, c'est l'enchaînement né-
Les facilités contestables de la vulga- contradictions. cessaire de toutes les révolutions chi- Ouvrages à paraître :
risation et les prétentions jargonnan- noises du XX' siècle qu'il explique,
tes du pédantisme sont évitées avec Cet «angle de prise de vue. de c'est la spécificité même d'un phéno- Les Soldats du peuple au pouvoir •
soin. Le «découpage. domine tou- la collection se retrouvera dans les mène révolutionnaire marqué par J'al- Les révolutions militaires dans les
jours les frontières étroitement politi- ouvrages en préparation, comme les liance fondamentale des lettrés et pays afro-asiatiques au XX· siècle, par
ques: ainsi, Robert Mousnier embras- Soldats du peuple au pouvoir, où des paysans, ces « deux roues essen- Pierre Rondot.
se dans Fureurs paysannes - Les Pierre Rondot étudie les révolutions tielles de la carriole chinoise'. qu'il
militaires dans 'les .pays afro-asiati- analyse hier et aujourd'hui. Ongles bleus, Jacques et Clompl • Les
paysans dans les révoltes du XVII'
siècle (France, Russie, Chine) l'en- ques d'aujourd'hui, ou dans l'histoire révolutions populaires en Europe aux
des Colons révoltés où Pierre Chaunu XIV' et XV' siècles, par Michel Mollot
semble des révoltes agraires de ce Les auteurs de la collection démon-
ne limite pas artificiellement le phé- et Philippe Wolff.
siècle houleux, des Croquants et Nu- trent que l'on peut être à la fois un
pieds de France aux insurgés de Bo- nomène de sécession de la métro- historien spécialiste et un écrivain Les Fantassins de l'Apocalypse - Les
lotnikov'et de Stenza Razine en Rus- pole aux seuls colons d'Amérique du incisif et vivant; qu'un Américain, révolutions des opprimés au temps de
sie et aux «bandits errants. de la Nord mais dresse une fresque et ap- comme le professeur Palmer, de Prin· la Réforme (XV· et XVI' siècles), par
Chine des Mings (voir le numéro 55 profondit une théorie aux dimensions ceton, peut éclairer d'un jour nouveau Hans J. Hillerbrand.
de la Quinzaine). De même, c'est même d'un continent, ou encore dans la révolution française de 1789 et re-
dans une optique universelle que Ro- l'étude que Brian Manning consacre nouveler l'optique du lecteur français La Révolution puritaine anglaise aux
bert Palmer analyse dans 1789 - les à la Révolution puritaine anglaise aux sur ce point, et qu'un Français, le pro- XVI' et XVII' siècles • Guerres de reli-

tionsdu cou-de-pied, du talon, de la plante) interdisent pratique-


ment à sa victime d'espérer obtenir un classement honorable dans
les compétitions des jours suivants.
Plus les vainqueurs sont fêtés, plus les vaincus sont punis, com-
me si le bonheur des uns était l'exact envers du malheur des
autres. Dans les courses de routine - championnats de classe-
par Georges Perec ment, championnats locaux - les fêtes sont maigres et les châti-
ments presque inoffensifs: quelques lazzi, quelques huées, quel-
Ces titres honorifiques supplémentaires sont bien davantage ques brimades sans importance à la limite des gages imposé,s aux
que de simples marques de respect. La coutume veut en effet que perdants dans les jeux de société. Mais plus les compétitions
divers privilèges soient attachés aux noms. Les Athlètes Classés deviennent importantes, plus l'enjeu prend de poids, pour les uns
(c'est-à-dire ayant au moins un nom) ont le droit de se déplacer comme pour les autres : le triomphe réservé au vainqueur d'une
librement dans le Stade Central. Ceux qui ont deux noms (par Olympiade, et plus particulièrement à celui qui aura gagné la
exemple Amstel-Jojones. 3" aux 100 m de Nord-Ouest W, ex cham- course des courses, c'est-à-dire le 100 m, aura pour conséquence
pion olympique du 100 m) ont droit à des douches supplémentaires. la mort de celui qui sera arrivé le dernier. C'est une conséquence
Ceux qui ont trois noms (par exemple Moreau-Phister-Casanova à la fois imprévisible et inéluctable. Si les Dieux sont pour lui, si
12 cd du 400 m W, 3" du 400 m W-No'rd W, vainqueur nul dans le stade ne tend vers lui son poing au pouce baissé, il
de l'Atlantiade) ont droit à un entraîneur particulier (que l'on aura sans doute la vie sauve et subira seulement les châtiments
appelle l'Obertschrittmacher, c'est-à-dire l'Entraîneur Général, sans réservés aux autres vaincus; comme eux, il devra se mettre nu
doute parce que le premier à avoir occupé ce poste était allemand). et courir entre deux haies de Juges armés de verges et de
Ceux qui ont 4 noms ont droit à un survêtement neuf, etc. -cravaches; comme eux, il sera exposé au pilori. puis promené
Les lois du sport sont des lois dures et la vie W les aggrave dans les villages un lourd carcan de bois clouté au cou. Mais si un
encore. Aux privilèges accordés, dans tous les domaines; aux seul spectateur se lève et le désigne, appelant sur lui la punition
vainqueurs, s'opposent, presque avec excès, les vexations, les réservée aux lâches, alors il sera mis à mort; la foule tout entière
humiliations, les brimades imposées aux vaincus; elles vont par- le lapidera et son cadavre dépecé sera exposé pendant trois jours
fois jusqu'aux sévices, telle cette coutume, en principe interdite, dans les villages. accroché aux crocs de bouchers qui pendent
mais sur laquelle l'Administration ferme les yeux, car le public aux portiques principaux, sous les cinq anneaux entrelacés, sous
des stades y est très attaché, qui consiste à faire accomplir au la fière devise de W - Fortius Altius Citius - avant d'être jeté
dernier d'une série un tour de piste au pas de course avec ses aux chiens.
chaussures mises à l'envers, exercice qui semble bénin au pre- De telles morts sont rares. Leur multiplication en rendrait l'effet
mier abord, rnais qui est en fait extrêmement douloureux et dont presque nul. Elles sont traditionnelles pour le 100 rn des Olympia-
les conséquences (meurtrissures des orteils, ampoyles, exulcéra- des, elles sont exceptionnelles pour toutes les autres disciplines

26
LES REVUES LETTRES
A LA QUINZ AIN E

gion en France - La révolution d'indé- Europe .. monde civilisé» Que le massacre Wyndham Lewis
pendance hollandaise, par Brian Man- s'organise. Comme le dit en substan·
ning. ce M. ·Perdriel. après tout, Qu'est·ce Je regrette de n'avoir pu prendre
(N° 490491). - Alexandre Dumas
qu'un Indien? Moins qu'un bébé pho- connaissance plus tôt du no 91 de la
Les Colons révoltés - Les révolutions est en vedette dans cette livraison:
que. Un lndien, on ne peut pas se le Quinzaine puisque M. Lafourcade a eu
d'indépendance des Amériques aux à côté de témoignages d'intérêts très
mettre sur le dos... D'autre part, les l'amablité d'y discuter mon petit arti-
XVIII' et XIX' siècles, par Pierre Chao.· divers, des études sérieuses comme
révisions du communisme dans divers cle sur Wyndham Lewis. En 1909,
nu. celle de' M. Maurice Bouvier-Ajam
pays sont étudiées d'assez près. Lewis a effectivement publié une nou-
sur les méthodes de travail de Du-
La Révolution mexicaine, par François mas. Texte curieux de Jean Thibau- velle intitulée The Pole dans le nu-
Chevallier. deau sur Les Trois' Mousquetaires, méro de mai de The English Review.
très riche et peut-être du point de La Passerelle mais ces data bibliographiques, bie",
Les Courants révolutionnaires en Eu· vue .. tel quellien - un tout petit peu étudiés dans la revue dont je rendais
rope, de la Commune à 1903, par hérétique. (N° 1). - Nouvelle revue trimes- compte n'étaient pas utiles dans· un
Miklos Molnar. trielle conçue, dirigée, écrite et pu- article d'une colonne et demie. Si
bliée par Pierre Béarn. Kandinsky n'a pas collaboré à Blast,
1940-1944 • Vichy - La dernière contre- je déplore par contre mon erreur;
révolution française, par Stanley Hoff- Les Temps Modernes
je reprenais là une informàtion don-
mann. née dans Agenda, page 90.
(N° 283). - C'est le génocide du Le Point d'être
1917·1921 • Les Soviets • Les révolu- Biafra Qui forme l'ossature de ce nu- Quant aux livres en question, je
tions bolchéviques de l'Europe en méro avec cette phrase cruelle de Ri- (N° 1). - Encore une jeune revue les ai lus, pour le compte du même
guerre, par François-Xavier Coquin. chard Marienstras: • N'empêche qu'il de poésie. Eclectique dans son esthé- éditeur que M. Lafourcade, et nous
ne faut pas prononcer le mot • géno- tique, elle mêle poètes connus et dé- divergeons sur leur sens comme au
cide .. : il s'agit de cas individuels, butants. On remarquera des textes de sujet de l'engouement passager de
c'est un regrettable accident qu'on va Jean Laude, Robert Marteau, Miodrag Lewis pour le fascisme; jé crois,
Les Chemins s'employer à réparer au mieux Coo) et Pavlowitch (traduit· par Marteau), ainsi que l'a rappelé Julian ISymons
puis, n'est-ce pas, personne n'a voulu dans. le !-ondon Magazine, que cela
de l'impossible cela. C'est vrai: on a seulement voulu
Georges Badin, Oleg .Ibrahimoff, Ber·
.. avait commencé avec un livre sur
nard. Noël et Jean-Louis Chrétien.
Albin Miohel réduire les Biafrais à ce qu'ils sont Hitler en 1931 et continué jusqu'en
devenus. On a réussI. .. Pour suivre, un J.W. 1937 avec Count your dead »; les dé·
Une nouvelle collection vient d'être texte du Groupe du 22 mars sur ce négations de The Jews Are They Hu-
inaugurée sous ce titre chez Albin Qu'on a appelé .. le complot anarchiste man et de The Hitler Cult au moment
Michel. Consacrée à des essais et des en Italie -. Enfin, une étude réjouis- Les méfaits de la oensure où éclatait la guerre ne me semblent
études aux frontières du fantastique et sante sur le mensuel .. Lui -. ni recevables ni dénuées d'équivoque,
de l'ésotérisme, elle s'efforcera de re- (Mars 1970). - En matière de gé- Par arrêté du ministre de l'Intérieur, et je donne raison aux collaborateurs
constituer en un tableau d'ensemble nocide, en 1970, on a l'embarras du le 6 mars, le livre de Carlos Mari· d'Agenda de n'avoir pas entrepris de
toutes ces théories et traditions se- choix: après le Biafra (dans ce numé- ghela Pour la libération du Brésil, les discuter. Une controverse serait
crètes qui, en tous temps et en tous ro, le témoignage d'un médecin), l'ex- paru dans la collection .. Combats -, vaine : nous accordant sur le génie
pays, furent combattues et condam- termination des Indiens d'Amérique aux éditions du Seuil, a été interdit à de Lewis, M. Lafourcade a le droit
nées parce Qu'elles rompaient en vi· latine. Un spécialiste des questions la vente. Leader des guérilleros bré· d'être en désaccord avec le fond de
sière avec la science, la philosophie colombiennes, Michel Perdriel. témoi- siliens, Carlos Marighela a été abattu mon article.
et la religion officielles. one: c'est dans l'indifférence du en novembre 1969. Serge Fauchereau

et pour toutes les autres compétitions. Il peut arriver, certes, tous deux risquent autant, attendent avec le même espoir insensé
que le public des stades, ayant mis taus ses espoirs dans un la victoire, ·avec la même terreur indicible la défaite.
Athlète, soit ~articulièrement déçu par la médiocrité de sa perfor- La mise en pratique de cette politique audacieuse a abouti à
mance et e /vienne à l'assaillir, généralement en le bombardant à toute une série de mesures discriminatoires que l'on peut, grossiè·
coup de illoux ou de projectiles divers, fragments de mâchefer, rement, classer en deux groupes principaux: les premières, que
débris acier, culs de bouteilles, dont certains peuvent se révéler l'on pourrait appeler officielles, sont annoncées au début des
ext~emement dangereux. Mais, la ~Iupart du temps, les Organisa- réunions; elles consistent généralement en des handicaps, posi-
.téurs s'opposent à de telles voies de fé!it et interviennent pour tifs ou négatifs, qui sont imposés, soit ~ des Athlètes, soit à des
protéger la vie des Athlètes menacés. équipes, soit même, parfois, à tout un village. Ainsi, par exemple,
Mais l'inégalité des traitements réservés aux vainqueurs et aux lors d'une rencontre W contre Nord-Ouest W (c'est-à-dire une ren-
vaincus n'est pas, loin de là, le seul exemple d'une injÜstice systé- contre de sélection), l'équipe du 400 m W (Hogarth, Moreau et
matique dans la vie W: Ce qui fait toute l'originalité de W, ce qui Perkins) peut avoir à courir 420 m, alors que l'équipe Nord-Ouest W
donne aux compétitions ce piment unique qui fait qu'elles ne res- (Friedrich, Russell, De Souza) n'en aura que 380. Ou bien,. dans
semblent à aucune autre, c'est que, précisément, l'impartialité des les Spartakiades par exemple, tous les concurrents d;Ouest-W
résultats proclamés, dont les Juges, les Arbitres et les Chrono~ seront pénalisés de 5 points. Ou bien encore, le 3" lanceur de poids
métreurs sont, dans l'ordre respec~if de leurs responsabilités, les de Nord-W (Shanzer) aura droit à un essai supplémentaire. .
implacables garants, y est fondée sur une injustice organisée, Les secondes mesures sont imprévis!bles; elles sont laissées
fondamentale, élémentaire, qui, dès le départ, instaure parmi les à la fantaisie des Organisateurs, et particulièrement des Direc-
participants d'une course ou d'un concours une discrimination qui teurs de Courses. Le public peut également, mais dans une bien
sera le plus souvent décisive. moindre mesure, y participer. L'idée générale est d'introduire dans
Cette disçrimination institutionnelle est l'expression d'une poli- une course ou dans un concours, des éléments perturbateurs qui,
tique consciente et rigoureuse. Si l'impression dominante que l'on tantôt, minimiseront les effets des handicaps de départ et, tantôt,
retire du spectacle d'une course est celle d'une totale injustice, les accentueront. C'est dans cet esprit que les haies des courses
c'est que les Officiels ne sont pas opposés à l'injustice. Au contrai- d'obstacles sont parfois légèrement déplacées pour un des concur-
re, ils pensent qu'elle est le fermel1t le plus efficace de la lutte rents, ce qui lui interdit de les franchir dans la foulée et l'oblige
et qu'un Athlète ulcéré, révolté par l'arbitraire des décisions, par à un piétement qui s'avère souvent désastreux pour sa perfor-
l'iniquité des arbitrages, par les abus de pouvoir, les empiètements, mance. Ou bien, au plus fort d'une course, un arbitre fallacieux
le favoritisme presque exagéré ·dont font preuve à tout instant les peut parfois crier STOP: les concurrents doivent alors s'immobi·
juges, sera cent fois plus combattif qU'1J1 Athlète persuadé qu'il - liser, se figer en plein élan dans une posture généralement insup-
a mérité sa défaite. portable et c'est celui qui tiendra le plus longtemps qui sera pro-
Il faut que même le meilleur ne soit pas sûr de gagner; il faut clamé vainqueur.
que même le plus faible ne. soit pas sfr de perdre. Il faut que (à suivre)

La Q';iw:a~ne littéraire, du 1" au 15 avril 1970 27


Livres publies du 20 .L'~
xeVrler

au 5 Dlars
_ _ _1IIIIIIII • Robert Lebel
27 F par L. Sauzay et préfacé Phllllp Knlghtley
aOMAIiS L'olseeu caramel . Une sorte de Stock, 296 p., 26 F par A. Bosquet Colin Simpson
r&AliçAIS Soleil Noir, « roman-feuilleton Par l'auteur Gallimard, 140 p., Les vies secrètes
180 p., 17,90 F 1970 -, dont les de • Sparkenbroke -, 15,75 F.
Quinze nouvelles
de Lawrence d'Arable
personnages sont un roman-document Trad. de l'anglais
François Augléras fantastiques. des • antl-héros - type paru en 1919 et
Un voyage par P. et R. Olcina
de notre temps. interdit alors par 16 p. de photos
au Mont Athos l'Amirauté
Flammarion, 288 p., • Loys Masson Laffont, 416 p., 28 F
Des bouteilles britannique. Une biographie très
18 F dans les yeux
Matho Voltolln
complète, appuyée
Par l'auteur du L'arc-en-clel Guillaume Apollinaire
• Vieillard et l'enfant- Précédé de • Esquisse suivi de Les onze mille sur des d.ocuments
• Vouk Voutcho
(Minuit) et d'un portrait de L'école des Mantes Les voleurs de feu verges inédits, et notamment
d' • Une adolescence Loys Masson -, par Julliard, 320 p., 20 F Traduit du L'Or du Temps, sur les archives
au temps du Claude Roy Un roman qui a pour serbo-croate 226 p., 24,50 F. personnelles de
Maréchal - (Bourgols). Laffont, 368 p., 20 F thème l'absurde de par V. Balvanovlc Lawrence.
Sept nouvelles la vie quotidienne et et J.-L. Faivre d'Arcier
posthumes par la nostalgie. des Seuil, 240 p., 18 F Georges Bernanos
Alain Bosquet La France contre Jules Moch
l'écrivain récemment paradis perdus. Premier roman: la
L'amour à les robots Rencontres avec
disparu. chronique légendaire
deux têtes . Plon, 320 p., 22,50 F. Léon Blum
• F. Xenakis d'un petit village Plon, 384 p., 27,50 F
Grasset, 208 p., 16 F des Balkans au Nouvelle édition
Le roman d'amour de R. Minoret Elle lui dirait augmentée de nombreux A l'occasion du
D. Vezolles dans l'ile XVIe siècle. vlngt-einqulème
deux intellectuels que Inédits.
tout sépare hormis La fuite en Chine Laffont, 104 p., 12 F anniversaire de la mort
une commune quête Ch. Bourgois, 160 p., Un court récit Thomas Wiseman de Léon Blum.
de la fraîcheur. 15,40 F fortement marqué Le mort et le vif Pouchkine
Un roman-cigogne qui par l'actualité et qui Trad. de l'anglais La Dame de Pique
et autres nouvelles Jean de Pange
tient de l'Idéogramme évoque un univers par Jean Autret
Bernard Clavel Traduction et notes Journal, tome III
et du jeu d'échecs. concentrationnaire Stock, 384 p., 28 F.
Le tambour du bief de Jean Savant Grasset, 480 p., 32 F
à la mesure de notre Un roman qui a pour Souvenirs des années
Laffont, 336 p., 18 F temps. cadre Vienne, des Introduction,
Par le Prix Goncourt Philippe Niteroy 1934, 1935 et 1936.
années 25 chronologie,
1968 (voir le n° 62 Naissances vénitiennes bibliographie
Julliard, 272 p., 20,40 F à l'occupation nazie
de la Quinzaine). par Gilbert Sigaux Bertrand Russell
Premier roman: un ROMAIiS. et à la défaite.
• TRAIiGBRS Garnier, 368 p. 9,95 F. Autobiographie III
homme et une femme (1944-1967)
Nablle Farès dans Venise, à la
Vahla, pas de chance Traduit de l'anglais
poursuite de leurs PO*SI.
Seuil, 160 p., 16 F .Ferreira de Castro par M. Berveiller
illusions. BIOGRA.HIES Stock, 296 p., 27 F
Le premier roman Mourir peut-être
d'un jeune Algérien: Trad. du portugais Voir les nO' 32 et 86
M. Planchon par G. Tavarès-Bastos Alain Bosquet de la Quinzaine.
une éducation 100 notes pour
sentimentale à Paris, Acajou Grasset, 312 p., 24 F T. Quinn Curtiss
Laffont, 304 p., 18 F Le récit d'une une solitude Erich von Stroheim
à la fols en marge Gallimard, 112 p., 19 F.
et dans la révolution Un roman qui a pour expédition ethnologique Préface de René Clair
algérienne. cadr la forêt du au cœur de la France-Empire, caITU.U.
Sud-Camerounais. • selva - brésilienne. Jean-Pierre Gaxie 300 p., 19,40 F HISTOIR.
Graffites Une biographie LITT.RAIR.
Annette Ferrière Seuil, 160 p., 16 F. complète,
Le squelette Jacques Robert P.J. Farmer
La dragée haute Vingt-cinq textes par le critique
de Kazan Ose dramatique de Roger Ayrault
Julliard, 288 p., 20 F Trad. de l'américain d'un jeune écrivain
Premier roman: • L'International Herald Genèse
La fascination par P. Versins et sur l'enfance, les
l'entrée dans la vie Tribune -. du romantisme
de l'amour impossible. M, Renaud souvenir, l'énigme
d'une jeune fille allemand
de 20 ans, pendant Laffont, 224 p., 15 F de notre présence
au monde et des mots Àubier-Montaigne,
les années 50. Roger Rudigoz Un nouveau roman L. Gabriel-Robinet 576 p., 49 F
de science-fiction qui tentent de Une vie de journaliste
Armande ou le roman la cerner. L'évolution de
Julliard, 224 p., 15,40 F dans la collection Grasset, 240 p., 22 F ce mouvement
Anne Germain • Ailleurs et demain-. Souvenirs et réflexions
Un amour Pour écrire un roman, littéraire et
un homme réunit des • Miodrag Pavlovitch par l'actuel directeur philosophique sous
fantastique du • Figaro -.
Elisabeth amis dont il veut faire • William Gass La voix sous la pierre l'égide de F. Schlegel,
Marescot éd., ses personnages mais Au cœur du cœur Traduit du serbo-croate de Novalis,
lithographie de ceux-ci se prennent de ce pays et préfacé par • Marcel Jouhandeau de Schleirmacher et
Léonor Fini au jeu ... Trad. de l'américain Robert Marteau Gallimard, 144 p., de Schelling.
340 p., 24 F par Elisabeth Janvier Gallimard, 184 p., La Possession
Un roman Coll. • Pavillons - 14,75 F. Journaliers XIV
Simone Salgas Jacques Bergier
mi-fantastique, La toupie Laffont, 296 p., 20 F 11,75 F. Admirations
mi-policier qui sera Julliard, 256 p., 18,40 F Un recueil de Claude Pélleu Ch. Bourgois, 320 p.,
bier.ltôt adapté Le jeu des forces nouvelles dans Ce que dit la bouche
pour l'écran. la tradition • Alexandre Herzen
20,40 F
de vie et des forces d'ombre dans le Un essai critique sur
de mort. de Faulkner. bronze.étolle Lettres inédites
dix écrivains
d'une tête, à sa fille Olga fantastiques, pour
Alain Guérin Introduction et notes
Compléments William Malliol suivi de Dernière la plupart totalement
Denys Viat minute électrifiée par A. Zviguilsky
au portrait Le cœur en Un tueur en enfer inconnus en France.
Soleil Noir, 172 p., Publié avec le concours
d'Anita G. bandoulière Trad. de l'anglais
14,90 F. du C.N.R.S.
Ch. Bourgols, 136 p., Gallimard, 144 p., par J. G. Chauffeteau
12 pl. et 2 fac-simile • Jacques Brenner
15,40 F 11,75 F Stock, 246 p., 28 F
de lettres hors-texte Les critiques
Par l'auteur du Une premier roman L'épopée dérisoire
Jean Pérol Librairie des dramatiques
• Général Gris - et à travers lequel d'un «Marine -, dans
Ruptures Cinq Continents, 91 p., Flammarion, 264 p.,
de «Un bon départ-. l'enfer de la guerre de
affleure la nostalgie
Corée. Gallimard, 168 p., 19,60 F 20 F
d'une nouvelle forme 21,25 F. Une correspondance La petite histoire
W. Bradford Hule de romantisme. inédite, qui éclaire de la critique
Les hommes du Klan Charles Morgan certains aspects dramatique
Julliard, 480 p., 25,50 F François Vigouroux Le carré • Vasko Popa du révolutionnaire en France, depuis
Un roman-document La nuit, les miroirs des Midships Le ciel secondaire méconnu la querelle du Cid
sur le Klu-Klux-Klan. Ch. Bourgols, 368 p., Trad. de l'anglais Adapté du serbo-croate russe. jusqu'à nos jours.

28
J.-J. Brochier Seuil, 320 p., 25 F • Alfred Willener de la guerre libératrice résistance des Juifs • Alexandre Dubcek
Albert Camus, Un recueil d'essais l'image-actlon de au • règne " de Paoli en France, de 1939 à Du printemps à l'hiver
philosophe pour sémiotiques la société ou et à son intégration 1945. de Prague
classes terminales par un professeur la politisation progressive à la France. Préface de M. Tatu
A. Balland, 180 p., 15 F de "Ecole Pratique culturelle Coll. • En toute
Albert Camus des Hautes Etudes Seuil, 352 p., 25 F Jean Matrat
Claude Dervenn Olivier Cromwell liberté"
en question. dont les travaux Une étude étayée sur Fayard. 236 p., 25 F
l'expérience de mai 68 Secrets et gloires Hachette, 256 p., 24,50 F
en ce domaine 14 discours
et où l'auteur analyse du Morbihan Les grandes luttes
font autorité. France-Empire, sur la réalité
l'impact des nouvelles religieuses tchécoslovaque,
Contes arabes 400 p., 21,95 F et politiques
du Maghreb forces culturelles éclairés par un portrait
sur le corps social Les grandes heures dont Cromwell
Recueillis, traduits et les grands héros de Dubcek
fut l'arbitre. dû à l'erivoyé spécial
et annotés par de cette province
J. Scelles-Mil lie BSSA.IS du • Monde " pendant
- - - - : . . - - - - - - • Nefissa Zerdoumi mystique et aventurière. • L ' S·
Maisonneuve & Larose Enfants d'hier uClen tem berg toute cette période.
éd., 336 p., 24 F Préface de les Juifs contre Hitler
La tradition orale, .Jean-Paul Courthéoux Maxime Rodinson Jean Descola Fayard, 600 p., 35 F
aujourd'hui menacée, les grandes heures Une étude d'ensemble • Roger Garaudy
Attitudes collectives Maspero, 304 p., 18,10 F Toute la vérité
d'une civilisation et croissance Une Algérienne nous de l'Espagne sur la résistance juive
Librairie Académique Grasset 200 p., 12 F
pleine de sagesse économique parle des problèmes dans toute l'Europe
et de psychologie. Perrin, 354 p., 27,50 F Un ouvrage de réflexion
Préface d'André Piatier d'éducation en pays de occupée. sur la situation
Librairie M. Rivière, tradition musulmane. Un pélerlnage à
travers l'histoire du communisme
240 p., 20 F en France
G. Zlnk, M. Gravier, Les réactions du corps de l'Espagne.
POLITIQUB et dans le monde
M. Grappin, H. Piard social face .CONOMIB et sur les perspectives
et C. David aux problèmes
SCIE.NCES
François G. Dreyfus d'un • renouveau
Littérature allemande d'information, Histoires profond " du P.C.
de F. Mossé de planification Atlas de biologie des Allemagnes .Andrei Amalrik
Aubier-Montaigne, et de répartition Ouvrage collectif 15 figures l'Union Soviétique
1180 p., 57 F A. Colin, 496 p., 37 F survivra-t-elle en 1984 .Bernard Granotier
480 pl. et schémas les travailleurs
Réédition entièrement en couleurs Une étude historique Préface d'A. Besançon
remise à jour et très complète, Fayard, 128 p., 15 F immigrés en France
.Fernand Deligny Stock, 588 p., 33 F Maspero, 276 p., 18,10 F
augmentée d'un les vagabonds Sous la forme d'un augmentée de Un pamphlet corrosif,
chapitre sur les grands documents en écrit par un Soviétique Une étude d'ensemble
efficaces et autres index de 8.000 mots, à travers laquelle
courants littéraires un panorama complet allemand. et parvenu en Europe
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voies clandestines. de définir le sens
L'expérience d'un la vie. • Hubert Gerbeau de l'immigration au sein
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• Jean-Charles Payen de la rééducation
Littérature française Konrad Lorenz Coll. • R " Samir Amin française.
des jeunes délinquants. Tous les chiens, Balland, 164 p., 15 F C. Coquery-Yidrovitch
le Moyen Age
tous les chats L'histoire de Histoire économique
Tome 1 l'esclavage, de ses Olivier Guichard
Des origines à 1300 Flammarion, 272 p., 18 F du Congo - 1880-1968
Jean Dutourd révoltes absolues et 3 cartes l'éducation nouvelle
65 photos Par l'auteur de Plon, 124 p., 12,30 F
Arthaud, 380 p., 38 F l'école des jocrisses • L'agression " et de de ses répressions Anthropos, 210 p.,
Flammarion, effroyables. 20,60 F Le point de vue
Un nouveau volume • Il parlait avec du ministre
de la collection 224 p., 16 F les mammifères, Les origines d'un
Un essai très personnel sous-développement de l'Education nationale.
• Nouvelle histoire les oiseaux W. D. Henderson
de la littérature sur ce que l'auteur et les poissons " dû en grande partie
la révolution
française", dirigée appelle • la bêtise (voir le n°. 68 de Industrielle aux déséquilibres • Morvan Lebesque
par Claude Pichois. contemporaine ". la Quinzaine). Coll. • Histoire structurels massifs Comment peut-on être
illustrée de l'Europe" hérités Breton? Essai sur
Flammarion, 215 p., du passé colonial. la démocratie
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l'école ouverte Les origines de Jean Barets Seuil, 240 p., 18.F
Dictionnaire de Trad. de l'anglais Les nationalismes
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Par un jeune déroulement et en révolution provinciaux et,
Nombr; illustrations Grasset, 296 p., 22 F de façon générale,
Larousse, 256 p., 9,70 F professeur, un plan Par l'auteur du ses conséquences. Laffont, 224 p., 15 JE
d'action concret Par le président du l'idée nationale
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éducation réellement Jon Kimche d'aujourd'hui.
l'homme du la Quinzaine). c Technique et
populaire 1939
xx· siècle". et permanente la bataille escamotée Démocratie ".
les Allemands • Ricardo Ramirez
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Structure et Gilbert Caty guatémaltèque
ont gagné la bataille l'Europe technologique
J.-C. Pichon technologie . de France avant de Trad. de l'espagnol
PBILOSOPBIB Nostradamus des ordinateurs A. Colin/U 2 Maspero, 224 p., 9,50 F
LINGUISTIQUB la livrer) Etude des diverses
en clair A. Colin, 512 p., 58 F Fayard, 224 p., 16 F Par un vétéran
tentatives qui ont visé
Laffont, 344 p., 18 F Introduction Les coulisses de de la guérilla,
Coll. • Enigmes de à l'informatique à élaborer une un ensembJe de textes
la politique anglaise politique
• Gérard Granel l'Univers ". et française, fondée sur la pratique
scientifique révolutionnaire
l'équivoque ontologique moins sur l'ignorance européenne.
de la pensée kantienne des forces en présence en Amérique latine.
Gallimard, 192 p., 22 F Dominique Pire BISTOIRB que sur l'irrésolution.
Une nouvelle lecture Vivre nu mourir • Gérard Chaliand A. Teissier du Cros
de la • Critique de ensemble la résistance J..J. Thiébault
la Raison pure", à la Choix réalisé, introduit Paul Arrighi • Anny latour palestlenne le courage
lumière de Heidegger et commenté par la vie quotidienne la résistance Coll. c Combats • de diriger
et des recherches R. Yan der Elst en Corse au juive en France Seuil, 192 p., 15 F Coll. c Usine nouvelle "
de la métaphysique Alsatia, 512 p., 39 F XVIII" siècle 18 illustrations Un document de Laffont, 344 p., 18 F
actuelle. Les écrits Hachette, 288 p., Stick, 320· p., 28 F première main le premier d'une série
et conférences 17,50 F Un document de sur l'enjeu de dossiers qui seront
prononcées par le Prix Un grand moment première main sur et les modalités consacrés
Nobel de la Paix dB l'histoire l'histoire du du combat au management
Julien Greimas français.
Du sens entre 1958 et 1968. dft la Corse : mouvement de des c fedayin ".

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 avril 1970


Livres publiés du 20 février .u 5 mars 1970

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la lignée augustlenne. Le panorama complet 400 ili. en noir et Préface de
Robert Capelle de l'œuvre du peintre. en couleurs Gaëtan Picon
Dix-huIt ans auprès Jacques Duquesne Larousse, 160 p., 32 F Livre de Poche.
Dieu pour l'homme Une encyclopédie
du roi Léopold E. Solms-Laubach
Fayard, 416 p., 40 F d'aujourd'hui ART8 historique, culturelle
Grasset, 312 p., 21 F Le cavalier dans l'art et touristique. Michel Zevaco
Par l'ancien secrétaire 84 pl. en noir Les Pardaillan
du ·roi Léopold Un panorama
des croyances, et en couleurs L'épopée d'amour
un document. qui éclalr9 Denise Aimé-Azan Bibliothèque des Arts, Raymond Oliver La Fausta
bien des aspects des incroyances et
des refus des hommes La passion 222 p., 124 F Cuisine Insolite Fausta vaincue
de la neutralité belge de Géricault L'histoire du cheval III. de Mose Pardaillan et Fausta
et de la capitulation d'aujourd'hui.
16 p. hors-texte et de l'homme depuis Trlnckvel, 80 p., 90 F Les amours de Chlco
de la Belgique Fayard, 384 p.• 40 F Jes temps Un guide culinaire (6 volumes)
en mai 1940. Bernard Fay Une étude de l'homme préhistoriques qui ne manque pas Livre de Poche.
L'église de Judas et aussi de l'œuvre, jusqu'à nos jours, de sel.
Michel dei Castillo Plon, 192 p., 12,30 F replacée dans le climat à travers les plus belles
Les écrous de la haine Un pamphlet violent de son époque œuvres des musées
Julliard, 320 p., 20,40 F contre l'Eglise. et les divers courants et des collections
Réflexion autour de la peinture. européennes.
d'une enquête précise Rene Laurentin
et détaillée Eugène Ionesco
Le Synode permanent Buffet Cyrille Zdanévltch
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Seuil, 256 p., 19,50 F, Lithographies Niko Plrosmanl
Ga~rlelle Russier. Gallimard/Manteau
Le bilan du Synode
extraordinaire
d'octobre 1969.
1952-1966
Préface de G. Simenon
Texte de
Trad. du russe
par L. Delft et V. Varzi
Gallimard, 244 p.,
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Seuil, 192 p., 16 F
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soviétique,
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poche Jean Louvet
Un bilan explosif Seuil, 176 p., 16 F
de l'expérience Faure, Trinckvel, 200 F. autodidacte dont il fut A bientôt,
Les réflexions d'un
à travers une enquête l'ami de 1912 M. Lang
chrétien d'aujourd'hui
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Maillol Une joyeuse
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17,32 F TB*ATBB des compromissions
L'art d'Aristide Maillol CINBMA Akinari
Alexei Leonov Pierre Plerrard . Contes de pluie de l'intellectuel
Piéton de l'espace Juifs et catholiques et sa place de gauche intégré
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Traduit du russe français Préface de à la société
18 illustrations Fayard, 336 p., 30 F contemporaine. Calderon qu'il conteste.
Le magicien prodigieux René Sieffert
Stock, 216 p., 25 F Une étude d'ensemble
Introduction, traduction Livre de Poche
Les souvenirs sur les relations' entre Waldemar George
du cosmonaute Juifs et catholiques et notes par B. Sesé Jean Thévenin
Le monde Imaginaire
soviétique français, de Drumont Edition bilingue A.J. Cronin Octobre à Angoulime
de Marcel Delmotte
qui prit part au vol à nos jours. Aubier-Montaigne, La tombe du Croisé Gallimard/Manteau
166 reproductions
de • Voshod 2 -. 288 p., 18 F. Livre de Poche d'Arlequin
Trinckvel, 264 p., 200 F
Mi-poèrrie dramatique,
Une étude approfondie
Karl Riihner mi-farce politique,
de l'œuvre du grand René Ehni Elisabeth Goudge
• Gabrielle Russier Herbert Vorgrimler une pièce qui a le ton
· Lettres de prison, peintre belge. Théâtre \1 : La nll6e qui chMte
Petit dictionnaire des fabliaux.
précédé de de théologie L'amie Rose' Livre de t'oche.
.Pour Gabrielle, par catholique • Roger Passeron Théâtre III :
Raymond Jean Trad. de l'allemand L'œuvre gravé de Eugénie Kopronlme;
Super-positions Ernest Hemingway
Seuil, 160 p., 13 F par P. Démann et Michel Ciry
Ch. Bourgois, 2 voL, Les vertes collines
36 lettres qui M. Vidal 1955-1963
160 p., 15 F d'Afrique
constituent Seuil, 512 p., 25 F Préface d'A. Dunoyer Livre de Poche.
un document littéraire Deux théologiens de Segonzac Voir le n° 59
de la Oulnzal·ne. Elie Faure
et humain expliquent, analysent 130 gravures Regards sur la terre
bouleversant. et situent les termes Bibliothèque des Arts, J. de La Varende promise
dans lesquels la foi tirage limité, 186 F. L'homme aux gants Laffont/Libertés
Lawrence Schiller chrétienne s'est de toile
exprimée des origines Livre de Poche.
Les assassins de Roger Passeron C. Wright Mills
Sharon Tate jusqu'à nos jours.
La gravure française Les cols blancs
Trad. de l'américain au xx· siècle Henri.lsenbart Henry de Montherlant Essai sur les classes
20 Illustrations Robert Sailley 32 ili. en couleur, E.M. Buhrer Fils de personne, moyennes américaines
Stock, 140 p., 15 F Shrï Aurobindo, 32 ill. en noir Le royaume du cheval suivi de Seuil/POints
La confession philosophe du yoga 40 portraits d'artistes Traduction française Un Incompris Voir le n° 16 de
d'une des protagonistes intégral Bibliothèque des Arts, d'E. Servan·Schreiber Livre de Poche. la Quinzaine.
de cette triste affaire Maisonneuve et 180 p., 124 F 200 iII. en couleur Jeafl-Pierre Richard
qui défraya récemment Larose éd., 212 p., 28 F L'œuvre des grands 750 iII. en noi r et Littérature et
la chronique. Louis Pauwels
Une monographie maîtres contemporains blanc Saint Quelqu'un sensation
claire et très complète de l'estampe, Bibliothèque des Arts, Préface de Veraldl Stendhal • Flaubert
. Andrew Tully de la doctrine de Renoir à Buffet, 304 p., 142 F Livre de Poche. Seuil/Points.
.Les super-espions du célèbre yogi de en passant par Un ouvrage exhaustif
Trad. de l'américain Pondichéry. Lautrec, Roussel, et somptueusement
Picasso, Segonzac, Illustré sur l'art E.M. Remarque
Stock, 256 p., 25 F
Lorjou, etc. équestre. Les camarades INÉDITS
L'hisJoire des services Philippe Sellier Livre de Poche.
secrets américains Pascal et
ainsi qu'une analyse Saint Augustin Denis Rouard La Russie
détaillée A. Colin, 656 p., 95 F Edouard Manet . Union des Républiques M. de Saint-Pierre Viviane Alleton
de leurs structures et Thèse: Pascal 64 pl. en couleurs Socialistes Ce monde ancien L'écriture chJnoIse
de leur .fonctionnement. considéré comme' 500 ili. en noir Soviétiques Livre de Poche. Que sais-je?

·30
Bilan de mars
Jean·Marie Benoist Louis Gernet de théologie
Marx est mort André Boulanger catholique
Gallimard/Idées Le génie grec Seuil/Livre de Vie.
Une nouvelle lecture dans la religion
de Marx, basée sur
une analyse
A. Michel/L'évolution
de l'humanité
René Schérer LES LIBRAIRES ONT VENDU
de sa situation Charles Fourier
De la religion Seghers
dans le champ de l'époque classique Philosophes de tous
du discours à l'épanouissement •
révolutionnaire de la philosophie
les temps.
Une étude biographique
.. '0
E

.JI .:l!
contemporain. à l'époque hellénistique. et critique sur , &: ..

Claude Bruaire P.Grelot


le • père de la
révolution culturelle"
li ." !=
~.
.$chelling Le couple humain E-
Seghers/Philosophes 0"
de tous les temps,
dans l'Ecriture Christian Pons UA. zi
Foi Vivante Richardson et
Un grand philosophe La sexualité humaine' Fielding
allemand (1775-1954), selon la doctrine A. Colin/U 2 1 Françoise Mallet-Jorris La maison de papier (Grasset) 1
précurseur de Hegel de la Bible. Deux romans du
et toujours actuel. 2 Henri Troyat L'éléphant blanc (Flammarion) 1
XVIII' siècle anglais:
• Pamela ", 3 Simone de Beauvoir La vieillesse (Gallimard) 1 2
Alain Guillerm par' Richardson et 4 Robert Sabatier Les allumettes suédoises
J.-N. Chapulut 2 6
J. Prébault Le luxembourgisme .'Joseph Andrews", (Albin Michel)
J. Pellegrin aujourd'hui par Fielding.
Spartacus éd. 5 Graham Greene Voyages avec ma tante (Laffont) 9 2
Le marché
des transports L'opposition entre Rosa -6 René Floriot La vérité tient à un fil (Flammarion) 5 2
Luxemburg et Lénine : L. Pougatch-Zalcman
Seuil/Société Les enfants de Vilna 7 J..J. Servan-Schreiber Ciel et terre (Denoël) 1
Une étude d'ensemble. une étude d'ensemble
qui éclaire Casterman/E 3 8 Roger Garaudy Toute la vérité (Grasset)
par trois jeunes La chronique ct'une
ingénieurs des singulièrement 9 Jean Giono L'iris de Suse (Gallimard)
le conflit actuel expérience pédagogique
Ponts et Chaussées. menée, avant le 10 Georges Ménager Les quatre vérités de Papillon 1
entre gauchistes
nazisme, dans un (La Table ronde)
et communistes.
Jean-Marle Cotteret jardin d'enfants
Claude Emeri pilote polonais. Liste établie d'après les renseignements donnés par les libraires suivants:
Les systèmes Pierre Guiraud
Biarritz, Barberousse. - Brest, la Cité. - Dijon, l'Université. - Issoudun,
électoraux La versification Etienne Souriau Cherrier. - Lille, le Furet du Nord. - Montpellier, Sal.iramps. - Nice,
Que sais-je? Que sais-je? ,Clefs pour Rudin. - Orléans, Jeanne d'Arc. - Paris, les Aliscans, Gallimard, Julien-
l'esthétique Cornic, la Hune, Marceau, Max Ph. Delatte, Présence du Temps, Variétés,
Hélène Deutsch Avram Hayll Seghers/Clefs Weil. - Poitiers, l'Université. - Rennes, les Nourritures terrestres.
Problèmes de Les idées·forces, les Royan, Magellan. - Strasbourg, les Facultés, les, Idées et les :A'rts. .....;,
Newton
l'adolescence Çlrandes tendances Toulon, Bonnaud. - Tournai, Decallonne. - Vichy, Royale.
Seghers/Savants
(La formation de et les problèmes de
du monde entier l'esthétique actuelle.
groupes) Une étude biographique
Petite Bibliothèque et scientifique
Payot Pierre Souyri
Les phénomènes Le marxisme
ç1e groupes, enquête Karl Jaspers après Marx
et réflexion d'une Essais philosophiques Flammarion/
psychanalyste. Petite Bibliothèque Ouestlons d'histoire LA QUINZAINE LITTÉRAIRE
Payot Les différents
Jacques Dournes Le célèbre philosophe courants de
Au plus près face aux problèmes l'idéologie marxiste VOUS RECOMMANDE
essentiels de 'aujourd'hui, et leurs
des plus loin
Foi Vivante notre temps. apports théoriques.
Le chrétien et la
civilisation Bernard Lambert Jean Stelnmann
occidentale. Les paysans dans Job, témoin de Michel Butor La rose des vents Gallimard
la lutte des classes la souffrance humaine Réflexions sur Fourier
René .Dumont Préface de Foi Vivante
Une exégèse de l'un Jean Pierre Faye Les Troyens Seuil
Cuba est·1I Michel Rocard Naissance de l'hexagramme
Seuil/Politique des plus admirables
socialiste? poèmes de toute la Ismail Kadaré Le général de l'armée morte Albin Michel
Seuil/Politique Par le leader litérature, replacé Traduit de l'albànals
Un document de des paysans de l'Ouest dans la pensé,e
première main sur Vera Llnhartova Canon à l'écrevisse Seuil
religieuse
la réalité cubaine; d'Israël. Voir la Quinzaine n° 91
une sévère mais Marc Oraison
Mlodrag Pavlovic Le ciel secondaire Gallimard
fraternelle critique. Une morale pour Vasko Popa La volx sous la pierre Gallimard
notre temps Claude Thirriot Deux des meilleurs jeunes poètes
Seuil/Livre de Vie Didier Bellet yougoslaves
H. Duval, P.V. Leblanc- La magnéto-
Dechoisay et P. Mindu Les fondements de la
morale 'chrétienne, hydrodynamique Andréi Amalrik L'Union Soviétique survlvr.t-elle en Fayard
Référendum et Oue sais-je? 1984 ?
plébisèite à la lumière
de la critique radicale L'un des écrits politiques du Samizdat
A. Colln/U2 Leonard Bloomfield Le langage Payot
Un dossier qui tend qu'ont apporté Vasarely
en ce domaine, Plasticité L'ouvrage capital d'un des grands lin-
à démontrer l'Illusion 'gulstes d'aujourd'hui
du gouvernement depuis Freud, Casterman/
direct. les sciences humaines. Mutations-Orientations M. Chapsal et Les professeurs, pourquoi faire? Seuil
Un choix des écrits M.' Manceaux Onze professeurs parlent
Karl Rahner et des manifestes
Marcel Févre de Vasarely en faveur S. Fanti Contre le mariage Flammarion
La chirurgie Infantile Herbert Vorgrlmler d'un art scientifique Quatre psychanalyses
Oue sais-je? Petit dictionnaire et social. Gabrielle Russier Lettres de prison Seuil

La Quinzaine littéraire, du r au 15 avril 1970 31


Allemagnè Cuba
MARTIN WALSER théâtre' . JOSÉ TRIANA
Chêne et lapins angora 1 La Nuit des as~assins
Le Cygne noir du monde entier'
Espagne
Angleterre f RAMON
DEL VALLE...INCLÂN
BERNARD KOPS . La Marquise Roselinde
Hamlet des faubourgs

~pngrie
David~ la nuit tombe

JOHN OSBORNE t ISTVÂN ORKENY


Témoignage irrecevable 'i, lla Famille Tot
.Un bon patriote' N'

JOHN OSBORNE ologne


ET A.CREIGHTON S: I. WITKIEWICZ
Epitaphe pour théâire La Poule d'eau
George Dillon du monde entier La Mère
HAROLD PINTER, La Métaphysique d'un
L'Anniversaire . .veau à deux têtes
Le Retour" .Les Cordonniers

JAMES SAUNDERS
La prochaine fois, Suisse Alémanique
je vous le- chanterai
Un parfum de fleurs AX FRISCH
Comte Oderland
ARNOLD· WESKER rande Muraille
Je parle de 'Jérusalerh. Juan QU l'amour
Racines' .- a géométrie.
Soupe de poulet à l'orgè: ' ti hsieur Bonhomme -
Les quatre saisons Cà paraître) es incendiaires

Argentine j
ècoslovaquie
ARNALDO CALVEYRA .
Moctezuma 'ACLAV HAVEL
Fête en plein air
HECTOR BIANCIOTI'
Les autres, un soir d'été ILAN KUNDERA
(à paraître) es Propriétaires des clé~ -

Brésil
.R.S.S.
ARIANO SUASSUNA
Le je\). de la niiséricordie ISAAC BABEL.
ou le testament du chien' Entre chien et loup
. (à paraître) suivi de Marie

VERA PANOVA
Chili. Nadia
PABLO NERUDA
Splendeur et mort BORIS PASTERNAK
de Joaquin Murieta La Belle Aveugle
Qi
Cl

8c.
COLL~CTION AU FORMAT DE POCHE 4,80 F LE VOLUME c.
c.

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