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3f'
a UlnZalne
littéraire du 1er au 15 avril 1970
92 Un inédit
de Marx
en discussion
SOMMAIRE
2
LB LIVBB DII
Jusqu'au bout
LA QUINZAIIfIl
1
Jacques Rigaut
Ecrits
Gallimard, éd., 292 p.
D'où vient la légende Rigaut? Comment un tel homme est-il par 3. M. G. Le Cléuo
devenu un héros? Car, après tout, rien de plus irritant que cet
esprit acharné à tout détruire, y compris soi-même, à tout tourner
en dérision. Rien de plus décevant en apparence que ce contemp- tre intérêt que pour ce qui résonne et remue au passage des autres.
teurde toute vie, ce produit du nihilisme petit-bourgeois qui a Il est, ainsi, le seul être vivant sur la terre, la seule réalité. Un tel refus
suivi la crise de la première guerre mondiale. des autres, sans exception, est exemplaire parce qu'il est logique. Il est
l'aboutissement de la conscience qui n'est vraiment capable de travailler
que sur elle-même. C'est. la constatation, l'évidence : nous vivons dans
On est tenté de le rejeter, plutôt, comme une erreur, comme un raté, des corps autonomes, et ne pouvons connaître des autres que ce qu'ils
comme un parasite sans importance. La facilité de son refus continuel, laissent en nous. Pour échapper à cet enfer, nous n'avons qu'un moyen:
et surtout cet espèce d'apitoiement sur soi-même, cet égocentrisme, cette l'induction (l'amour). Mais Rigaut refuse d'induire. Car c'est une rup-
contemplation du nombril : choses ridicules, dirait-on, choses futiles, ture dans le mouvement de la connaissance. Passer de soi aux autres,
exhihitio!lnisme, vanité, stérilité. c'est franchir un abîme, mille fois plus grand et plus effrayant que celui
. Et pourtant, Jacques Rigaut n'a pas fini de troubler notre monde. La qui sépare deux planètes. Pour l'amour de la logique, par orgueil, par
mort, loin de l'arracher au groupe et de le réintégrer à l'anonymat - cet passion pour la vérité, Jacques Rigaut se refuse à ce bond vertigineux.
anonymat qui résout d'ordinaire presque toutes les contradictions de la
Il est évident aussi qu'un tel refus des autres est l'aveu d'une faiblesse.
société - , sa mort l'a sanctifié. Elle lui a donné un rôle, une valeur,
Ce masque d'impassibilité dédaigneuse que revêt Jacques Rigaut doit lui
parmi les autres rôles et les autres valeurs. Jacques Rigaut hante toujours
servir à cacher son incapacité à être heureux comme les autres, sa peur
notre monde; il a pris place à côté des autres noms-symboles de la litté·
devant le monde avide d'argent, de gloire et de plaisir. Révolte poussée,
rature moderne : Rimbaud, Lautréamont, Kafka, Maïakovski.
elle aussi, jusqu'à l'extrémité puisque Jacques Rigaut refuse la révolte.
Incroyable injustice que cette sanctification (1), qui fait rentrer J ac-
Se revolter~ c'ést encore accepter l'ordre du monde, c'est souhaiter en
ques Rigaut dans ce qu'il avait combattu, qui l'assimile à ce qu'il avait
le plus haï : la littérature. Le savait-il ? Se doutait-il que l'entreprise ~
des mots le retrouverait un jour, lui et ses anathèmes, lui et ses malédic-
tions, pour le ranger, dûment étiqueté, au milieu de~. a~tres produi~ ~e
l'esprit, parmi les autres bocaux ? Il est p~obabl~ qu il 1 a ~~'. car c etaIt
selon sa propre manière, l'aboutissement necessaIre de la d~rlSlon. Q~~t
au phénomène de récupération, il n'est pas nouve~u, et ~ ne serVIrait
à rien de le condanrner : on enfonce mal les portes a tourmquet.
Un héros. Un anti-héros. De toute façon, un homme exceptionnel.
Parce qu'il va jusqu'au bout. Un héros est un homme qui accomplit quel-
que chose, jusqu'au bout. Il y a des héros en mal comme en bien. Jacques
Rigaut est un héros de la négation.
Aller jusqu'au bout: de l'aventure, de l'amour, de l'humanisme, de
la bravoure, de l'analyse. La société ne retient finalement que les exem-
ples extrêmes. C'est qu'elle a besoin des extrémistes pour sentir les limi-
tes de l'accessible, pour reconnaître le danger. L'exemple qu'elle retient
est ainsi, presque toujours, un exemple à ne pas suivre. Prométhée, Icare,
<Edipe, voilà donc les frontières du domaine humain. Aventuriers qui
succombent à leur passion, non pas pour inventer quelque liberté, mais
éclaireurs envoyés en reconnaissance dans les lieux interdits.
Jacques Rigaut est allé, lui aussi, jusqu'au bout de quelque chose. Que
peut découvrir un homme qui s'est retranché des autres, qui a voulu, en
vivant sur lui-même, refuser toute compromission avec le monde qui
l'entoure? C'est là qu'on aperçoit le visage du héros. Jacques Rigaut est
l'homme qui est allé jusqu'au bout de la conscience, jusqu'aux limites
de l'individualisme. Cela a l'air simple ; {( conscience », on connaît bien
le mot, on l'entend selon ce que l'on croit connaître des possibilités de
l'intelligence et de l'analyse. Conscient, mais de quoi? Conscient de soi-
même. L'individualisme, on voudrait bien que ce fût une attitude, seule-
ment une attitude. C'est-à-dire, dans un certain milieu (classe, éducation),
un refus de coopérer. Un luxe, vraiment, une apparence et non pas une
manière d'être. C'est ainsi que condamnent Rigaut ceux qui ne veulent
voir en lui qu'un effet mécaniste, un {( cas ». Mais ils feraient aussi bien
alors de condanrner d'autres cas, celui de Lautréamont, par exemple, ou
celui de Freud.
Tout cela n'est pas très convaincant: l'homme est ce qu'il est, malS tJ
n'est pas le seul produit de son milieu; certaines cultures favorisent
certains types d'aventures. Mais les possibilités, elles, sont indéfiniment
présentes.
Jacques Rigaut va jusqu'au bout de la conscience de soi. C'est-à-dire
qu'ayant refusé tout rapport avec le monde extérieur, il ne conçoit plus
d'autre existence que la sienne, plus d'autre vérité que la sienne, plus d'au- Jacques Rigaut en voyage de noces à Paim Beach (U.s.A.) en 1928.
en quelque sorte qu'il change, c'est vouloir plier le monde à ses exigences. contradiction apparente qu'il a tellement attendu avant de se résoudre à
Rigaut, lui, ne veut rien, n'accepte rien! cet acte définitif. Mais l'important, n'est·ce pas,
c'était d'avoir pris la décision de mourir, et non que je mourusse.
La révolte est une forme d'optimisme à peine moins répugnante que
Cette décision logique, quand Rigaut l'aura prise, c'est qu'il sera par·
l'optimisme courant. ( ...) La révolte, considérée comme une fin, est elle
venu à dépouiller le suicide de tout son aspect sentimental. Ce sera une
aussi optimiste, c'est considérer le changement, le désordre comme quel.
opération chirurgicale, préméditée jusque dans ses moindres détails. C'est
que chose de satisfaisant. le ne peux pas croire qu'il y ait quelque chose
pour cela que le suicide de Rigaut est admirable, et c'est pour cela que
de satisfaisant.
la Société le refuse, parce qu'elle en connaît tout le danger. La société
Extraordinaire lucidité, qui le force à admettre cette réalité. : ce n'est humaine peut se permettre des accidents, des suicides passionnels, des
pas le monde qui est mauvais et mal fait pour lui, c'est lui qui n'est pail morts par folie ; leur caractère irréfléchi plaide en fait pour les vivants.
fait pour le monde. Il y a complète et irrémédiable incompatibilité entre Mais qu'un homme considère l'éventualité de sa mort avec tant de calme
lui et le monde, entre lui et la vie. et de raison, qu'un homme se tue par logique, parce qu'il a connu qu'il
n'y avait aucun autre. remède, voilà bien le comble du blasphème. Car
D'où ces deux thèmes qui animent la vie de Rigaut: la vérité, et la
cette mort condamne la société toute entière, lui révèle d'un seul coup
mort; c'est à dire, matériellement, le miroir, et le suicide.
sa faillite.
Le miroir, c'est la figuration obsessionnelle de cette conscience de soi Mais Rigaut est un homme vivant. Il y a quelque chose d'autre en lui,
qui est la grande barrière au bonheur. C'est la représentation rituelle de quelque chose de mystérieux, un charme, une grâce, qui font qu'il est
cette intelligence toute entière appliquée à sa propre observation, cette beaucoup plus qu'un mathématicien de la mort. Une telle rigueur pessi-
intelligence froide, lucide, e.ffrayante, qui empêche la perte de conscience miste, un tel refus, poussé jusqu'à la manie, une telle passion pour la
et par conséquent l'amour, la vie: conscience de soi, pour la lucidité, et surtout une telle négation du men-
le n'ai jamais perdu connaissance. songe, de tous les mensonges: littéraires d'abord, mais aussi sentimentaux,
idéalistes, philanthropiques; cela ne peut être le résultat d'un froid calcul.
La pensée ne peut alors avoir d'autre fin que de se penser, la pensée Rigaut, moins qu'aucun homme, n'est une machine à calculer. Qu'y a-t·il
est implosion. réellement derrière cette vie, qui la dirige et l'anime? Un frémissement
ET MAINTENANT caché, peut-être, un frisson contenu, contrarié, quelque chose de trouble,
REFLECHISSEZ de confus, de contradictoire, qui a continuellement opposé Jacques Rigaut
LES MIROIRS. au monde : une PASSION. Ces sarcasmes, ce mépris, cet ennui aux
La réflexion est l'acte suprême, celui dont on ne s'échappe pas : il dimensions presque métaphysiques, ce sont les symptômes de la souffrance
s'agit bien d'un rebondissement du regard sur lui·même, d'un déroule· qui vibre dans cet homme à chaque seconde de la vie, devant chaque
agression, chaque laideur, chaque faux espoir.
ment de la personne. Le jeu de mots n'est ici même plus grimace. Seuls
les miroirs donnent avec exactitude l'image, seuls les miroirs offrent vrai. Une PASSION: une ivresse de la vérité, une ivresse de la beauté de la
ment le spectacle de la pensée. On est très loin du « narcissisme », car il vérité. Il s'agit d'aller jusqu'au bout de cette vie, de savoir comment les
n'y a aucune fascination, aucune soumission à ce spectacle. ·Ce serait choses se passent, sans jamais succomber à aucune complaisance, à aucun
plutôt une malédiction, la constatation définitive de l'impossibilité pour à peu près. Découvrant à chaque instant un nouveau mensonge, un nou·
la pensée d'aboutir à autre chose qu'à elle·même ; l'impossibilité de voya· veau déguisement destiné à masquer le vide, Rigaut descend résolument
ger. Em.prisonnement de l'esprit dans son propre infini, selon le système tous les degrés de l'existence, et tous les degrés du langage. Il parvient
du miroir à trois faces. Cette limite imposée par le miroir, ou par l'ana· exactement au même moment au degré zéro de la vie et au degré zéro du
lyse, Rigaut ne l'accepte jamais vraiment. L'intelligence ne tarde pas à langage.
y rejoindre le vertige de la folie, la clairvoyance y rencontre l'aveuglement. Un oui dans une main, un non dans l'autre...
Pour en sortir, que faire? Briser le miroir, et passer de l'autre côté. Mais C'est cette cohésion totale entre l'être et l'expression qui fait de Rigaut
Rigaut sait tout de suitequ'un tel passage est irréalisable, et qu'il ne peut un héros, et non le fait qu'il se soit vraiment tué. Je veux dire que la
aboutir à autre chose qu'à, malédiction plus grande encore, la littérature. question de savoir si Jacques Rigaut est ou non un écrivain est devenue
tout à coup complètement futile. Arrivé à ce point du voyage, il n'est
Le vrai moyen de traverser le miroir, d'aller au·delà de la conscience,
plus possible de bien ou mal écrire. Quand l'homme s'est pareillement
ce ne peut être que la mort. Démarche fanatiquement logique de cet
rejoint, quand il est arrivé aussi près de lui-même, qu'il s;est désquamé,
homme qui s'aperçoit très vite que, quelque soit la combinaison du jeu,
qu'il a ainsi quitté tous ses oripeaux et toutes ses peaux, ayant renoncé
quels que soient les éléments proposés, la solution est toujours la même,
à tout ce qui l'encombrait, qui le nimbait, quand il s'est pour ainsi dire
inévitable : LA MORT. L'ivrognerie, le coït, la drogue, la religion ou
dévêtu jusqu'au squelette :
l'art restent, comme le sommeil, des moyens d'approcher la perte de
conscience; mais ils ne sont que des approximations. Aucun d'eux ne le serai mon propre savon,
sait déguiser la vérité, la terrible réalité : il n'y a qu'un remède vraiment il ne peut plus y avoir de style, ni de pensée, ni de propriétés quelles
logique. qu'elles soient, ni même de fonctions ou de noms. Il ne reste plus que ceci,
la vérité, pure, insoutenable. Impossible alors de dissocier l'écriture des
La. douleur de la conscience de soi, du miroir réfléchissant sans cesse, autres modes de la vie, de la respiration, par exemple, ou de l'activité des
seule la mort peut l'anéantir.. Cette connaissance de la « solution finale », glandes endocrines. Et si un jour, après beaucoup d'hésitations, après
Jacques Rigaut l'a eue sans doute tout de suite. Le cheminement de l'in· avoir beaucoup lutté, l'on se tue réellement, c'est parce qu'on l'avait écrit.
dividualisme lui a permis ensuite d'approfondir cette réalité, de l'accepter
comme elle est, sans romantisme et sans faiblesse. En effet, si. Jacques Splendeur de ma voix qui s'élève seule, seule, dédaigneuse de toute
Rigaut n'avait pas essayé de s'arracher à cette fatalité intérieure, de rom· oreille, faite pour aucune - faite de ces mots qui sont les liens sûrs que
pre cette fascination, sa mort eût été sans conséquences. Des suicides cependant ils puissent discerner (2). le frémis au sommet du mot seul,
romantiques, on en connaît beaucoup. Mais le romantisme est haïssable, sur une limite aussi pathétique que le tournoiement du derviche hurleur,
il n'a l'Îen à apprendre. Il n'est qu'un geste d'auto.satisfaction, un geste ou du chancellement du boxeur avant qu'il s'écroule, ou de l'avion qui
qu'on fait pour braver les autres, pour leur arracher un petit cri d'admi· pique en flammes.
ration. I.M.G. Le Clézio
C'est vrai que le suicide en tant qu'acte de révolte, manque toujours 1. Injustice reconnue par Martin Kay : 2. Ceux qui veulent comprendre peu.
son but. On ne nie pas le monde en voulant le punir par sa mort. Fuir liRigaut qui professait un si solide mé-. vent lire : li sans que .cependant ils puis-
l'affrontement, c'est cn quelque sorte se soumettre. La négation absolue pris de la littérature et de la critique sent se diseemer », quelque chose de ce
aurait·il été sensihle à l'humour involon. genre.
que Rigaut oppose à la société humaine est incompatible avec une telle taire qui marque notre entreprise?»
soQJnission. Rigau~ a été sensible à tout cela, et c'est à eause de cette (Préface).
ROMANS
Un grand conteur
FRANÇAIS
Rares sont les auteurs dont tant, quelque chose subsiste des
le pouvoir de renouvellement premiers romans dans les person-
se manifeste avec autant de nages: c'est leur aspect fondamen-
vigueur que celui de Jean Gio- talement marginal (qui se mani-
no, qui vient à nouveau nous feste ici par la désinvolture). Ils
en donner la preuve avec son dénoncent obstinément une sorte
dernier roman : l'Iris de Su- d'absence essentielle au monde que
se. Depuis près de cinquante ce soit « sous la caresse des astres »
ans, en effet, cet écrivain en Provence, ou dans la batailleuse
qu'on a pu classer dans « la Italie de 1848.
génération de 1900" semble Cette absence se retrouve dans
soutenir la gageure particuliè- l'Iris de Suse. Elle gît au cœur
re qui est celle des créateurs: du fugitif Tringlot, elle décide de
elle consiste à changer indé- la mort de la Baronne de Quelte et
finiment tout en demeurant de son amant, elle se masque der-
soi-même. rière les jeux d'osselets du natura-
liste Casagrande, et elle culmine
dans le personnage de la jeune
femme qu'on appelle L'Absente.
1
Jean Giono Dans ce roman, il semble que
L'Iris de Suse Giono ait tenté de rassembler tou-
Gallimard éd., 243 p. tes ses « pentes Il : celle de la con-
templation, celle de l'aventure, et
celle des âmes fortes et solitaires
Depuis Colline (1925), Un de - la dernière en date de ces
Baumugnes (1929), Giono occupe (c âmes II était la très originale
une place à part dans la littérature Ennemonde (Ennemonde et autres
en tant que chantre des Hauts de caractères, 1968), qui rappelait à
Provence. Dans des récits d'une la fois la Jambe-de-Laine farouche
magnifique sensualité où s'allient de Bernanos et la romantique, ada-
le ciel et la terre, il s'est fait le mante Mathilde de la Môle. Elle
créateur de mythes issus d'une in· réapparaît ici en châtelaine intrai-
timité transfigurée avec le monde. table, amante coupable et meur-
Ses personnages, sans épaisseur vé- trière, avare de paroles, avec des
ritable sont en réalité des lieux de gestes sans appel. Mais le livre est
résonance pour le dialogue lyri. aussi le récit de la fuite et du refu-
que que poursuivent le ciel avec la ge d'un voleur dans les hauts alpa-
terre, les arbres avec les routes, les ges du Jocond. D'où le contrepoint
fleuves sinueux avec les grands que l'auteur établit, non sans rup-
paysages abandonnés aux étoiles. tures parfois maladroites, entre les
Dans ces admirables cantilènes ly- souvenirs personnels de ce nouveau
riques que sont Que ma joie de- « Papillon», amateur de « ca-
meure (1935) ou Regain (1930), ches » pleines d'or, son retour pro-
les mythes paraissent se répondre gressif aux sources, et l'aventure de
entre eux au sein d'une cosmogonie cette femme qui accueille les in-
où vient basculer l'univers, tel un connus le fouet à la main à la limi- et là, à la faveur d'un orage pani- brigand Tringlot se (et nous) ra-
œil renversé vers son propre au- te de ses terres! L'excès de matière que en montagne, ou de la vision conte les exploits passés de ses com·
delà. romanesque nuit à l'unité du récit d'un paysage. Il se manisfeste sur- pères dans le bas-pays ne parvient
Au sortir des désillusions de la et à sa profondeur. La transparen- tout dans les très sobres et pourtant pas à nous convaincre. En nous ar-
deuxième guerre mondiale, un nou- ce particulière, si attachante dans très amoureuses descriptions des rachant aux séductions d'une vi-
veau Giono apparaît, comme par les autres romans se trouve ici lieux que hantent ses personnages. sion du monde qu'il a su seul maî-
un rebondissement imprévu : le contrariée, brouillée par une trop Le rythme tellurique de la pulsa- triser (avec Ramuz, peut-être),
Hussard sur le Toit (1951), Jean grande richesse thématique. Giono tion du monde s'orchestre alors Giono semble nous refuser l'accès
le Bleu, Angelo inaugurent la pha- est un écrivain qui peut se permet- dans un équilibre rarement atteint au domaine qu'il nous avait ouvert.
se stendhalienne et picaresque à tre le cc monolithisme». Seule, entre la richesse du vocabulaire et Et, sans bien savoir pourquoi, nous
la fois d'une vision du monde que peut-être cc L'Absente », à laquelle l'extrême simplicité des contenus nous prenons à lui demander
l'on croyait vouée à la contempla- le héros finira par associer son des- de la vision. Pourtant le style ne de nous restituer, par la magie de
tion et à la gravitation poétique du tin de fuite hors du monde se fait paraît culminer que lorsque le ré- son verbe, cet univers insolite et
cosmos. l'écho silencieux et vibrant de l'art cit se situe lui-même au niveau familier à la fois, dans lequel se
« L'aventure» pour un individu essentiellement litotique de l'écri- des grands espaces désolés qui do- nouent les alliances secrètes ou les
libre, dans lequel une disponibilité vain. L'appel de cette créature sans minent de loin les vallées. Là, dans orageux accouplements de la terre,
toute gidienne s'arme résolument voix, qui n'est qu'un paysage pour « la tendre indifférence du mon- du corps et du ciel. Là où l'homme
pour combattre toutes les « pestes », l'âme de celui qui l'aime et le lieu de» qui est toujours à dire, une découvre, dans une absence consen-
s'inscrit maintenant dans le cadre d'un désir impossible, nous restitue harmonie secrète se réalise entre tie au monde que nous connaissons,
épique de récits à la fois amers soudain la véritable voix du roman- le silence bruissant de la nature l'accomplissement mystérieux d'où
et violents. Il s'agit du jeu avec la cier. et le « canto hondo» de la prose jaillit la double fulgurance de son
vie; de passion, d'amour et d'hu- A coup sûr, le grand talent du qui l'exprime. être et de son néant.
mour dans une série d'affronte- conteur, ou plutôt du poète en pro- C'est peut-être la raison pour
ments où tout l'être participe. Pour- se, que nous connaissons, éclate ça laquelle l'hum~ur avec lequel le Anne Fabre-Luce
1
Marcel Brion s'enfonce peu à peu dans le laby- l'auteur - lui-même d'ascendance Jean-Claude Hémery
1
L'Ombre d'un arbre mort rinthe du souvenir, des rêves et de irlandaise - a conféré à son per- Anamorphoses
Albin Michel, éd. 348 p. la mort, où seule peut le guider sonnage le nom de Terence Fingal. Les Lettres Nouvelles
la fidélité du cœur. « Il existe Ne serait-il pas le double de ce Denoël éd., 155 p.
« Partout, je n'ai cessé d'atte~ une infinité de chemins, dans le héros celte, Finn ou Fingal, dont
dre, au plus loin que je regarde monde des morts, » affirme son l'épouse se nommait Griana et
en arrière. Attendre qui? Atten- ami, le marchese Ermete dei Mar- qui, dit-on, repose encore, retenu J'ai lu le nouveau volume de
dre quoi? ». Ces paroles de Te- mi. « Parfois ils se croisent, par- par un charme, dans une grotte Jean-Claude Hémery alors même
rence Fingal, le personnage cen- fois non... Aurez-vous le courage, enchantée? Peut-être celle que que se déroulait la merveilleuse
tral du nouveau roman de Marcel vous aussi, d'aller chercher Geor- Terence Fingal appelle « la cava- exposition Klee dont les amateurs
Brion, traduisent bien le climat giana chez Hadès? ». lière des dunes » est-elle aussi d'art parisiens viennent d'être
poétique de cette œuvre émou- Cette quête prend ainsi la forme sœur de saint Georges, le héros- gratifiés. Ainsi ai-je fait des rap-
vante. Car le sentiment de l'at- d'une descente aux enfers : c'est cavalier vainqueur du monde des prochements entre Klee et Héme-
tente y sera en même temps dire que L'Ombre d'un arbre ténèbres. Car dans le vaste ry. Rapprochements que l'on va
comblé par une grande passion et mort possède la richesse et la contexte mythique auquel le ro- ilans doute trouver bien aventu-
avivé par l'impossibilité de l'assou- complexité Sj mbolique qui carac- man renvoie sans cesse, la mort rés et d'ailleurs inutiles. Ils sont
vir. L'amour de Terence Fingal térisent l'œuvre romanesque de de Georgiana apparaît comme dûs pour une bonne part aux cir-
et Georgiana est celui de deux Marcel Brion. Dans ce douloureux l'expression du « meurs et de- constances et je refuserais de soute-
êtres qui se sentent destinés l'un récit qui est en même temps l'his- viens » goethéen, qui a profon- nir un siège pour les défendre.
à l'autre, et que séparent non seu- toire d'une initiation, l'intrigue dément marqué l'œuvre de Marcel
lement le mariage mais les dépla- se dessine en transparence sur une Brion. Cette mort est en effet la Je constate seulement qu'ils se
cements du mari de Georgiana. vaste toile de fond où mythes et première et nécessaire étape d'une sont produits en moi, avant que
Errant sur des routes lointaines légendes tracent leurs figures mys- ascèse au terme de laquelle Te- d'avoir à les élucider. Si je ne
qui s'entrecroisent brièvement en térieuses. Tandis que les fils du rence Fingal rejoindra Georgiana, veux pas les défendre, je ne veux
divers lieux de la terre, ils vivent rêve et ceux des événements vécus pour franchir avec elle la fron- pas non plus m'attarder longue-
un amour d'autant plus ardent s'entremêlent, de subtiles corres· tière nébuleuse qui sépare le ment à les commenter. Et pour·
que les moments lui sont comp- pondances se manifestent entre les monde visible de l'invisible. tant, les « anamorphoses» de
tés ; leurs rencontres ne se compo- divers plans de l'existence - le Cette œuvre qui s'épanouit sans Jean·Claude Hémery, ses perspec-
sent que d'instants fugitifs, pré- monde de l'art, des songes, des hâte selon le rythme intérieur du tives curieuses et réflexions dépla-
caires oasis dans les sables de rites antiques - et la suite des souvenir, est ainsi le récit d'une cées, comme annonce la bande
l'absence. Ainsi passent quelques événements quotidiens. Pris dans destinée, à la fois pressentie publicitaire de son volume, ont
années, au cours desquelles l'uni- un réseau de plus en plus serré, les comme élection, et éprouvée dans bien cet air de famille avec «l'en-
que préoccupation de Terence amants se rapprochent insensible- sa douloureuse durée. En dehors tremonde» de Paul Klee, sa
Fingal aura été de rejoindre Geor- ment d'un destin dont les aver- des scènes finales, rêves et réso- quête entêtée de ce qui pourrait
giana, jusqu'au moment où la tissements les accompagnent com- nances mythiques sont savamment être et ne sera jamais, sa bizarre-
mort soudaine de celle-ci arrive me l'ombre même de leur amour. équilibrés par l'histoire d'amour, rie corrosive mais exemplaire,
comme une dernière et décisive Auprès d'eux apparaissent des qu'un cadre pittoresque et divers, cette étonnante libération, ce sur-
séparation. êtres qui, par moments, déposent l'ardeur sensuelle et la souffrance gissement à partir d'un gauchis-
Cest la disparition de Georgiana leur masque humain : Hermès, enracinent dans le réel. Il serait sement initial. Enfin, une cer-
qui constitue le point de départ harpie ou sirène, ce sont des mes- temps qu'on accorde à Marcel Brion taine forme d'éloquence, de pero
du toman, car l'aventure se dé- sagers Ile l'au·delà, chargés de la place qui lui revient parmi les suasion, voire de faconde, à plai-
roule retrospectivement. L'attente guider les âmes sur des voies in- héritiers de l'âme et du rêve roman- der le dossier des chimères.
se mue alors en une quête au connues. tique.
cours de laquelle Terence Fingal Ce n'est pas par hasard que Margaret S. Maurin D'autres parallèles, et plus im-
portants, entre le grand peintre
bâlois et le jeune écrivain pari-
sien. Considérons l'exposition
Klee dans son ensemble. Il est
Arthur Adamov son œuvre théâtrale procède de reau le rappelle dans son His- impossible de ne pas être frappé
cette névrose, elle lui est, au toire du Nouveau théâtre (2) : par l'évolution - on pourrait
moins dans une première pério- « Marxiste ou non marxiste, dé- presque dire par le renverse-
«Aujourd'hui, A dam 0 v est de, évidemment accordée. Ce clare Adamov, le seuJ problème ment - de sa peinture. Elle va
peut-être un écrivain maudit -, qui ne l'empêche d'être avec est de savoir comment utiliser du figuratif - fût-il fantastique
écrivait Alain Clerval ici-même, celle de Beckett et d'Ionesco ses névroses -. Et, aurait-il pu ou teinté d'impressionnisme et de
à propos de l'Homme et l'enfant représentative de ce nouveau ajouter, de savoir les dépasser. cubisme ,- à un non - figuratif
qui venait de paraître (1). Peut- théâtre né après la guerre et Les excès de toute sorte, la proche de l'abstraction. Que l'oil
on croire qu'il existe encore à qui n'a pas tardé à prendre le maladie, le délabrement physi- se souvienne, comme exemples,
notre époque des « écrivains nom dans les histoires Httérai- que, la recherche voluptueuse du foisonnant Théâtre végétal et
maudits - ? res, de « théâtre de l'absurde -. de l'échec et de la souffrance des grandes toiles raréfiées à
Admirateur de Kafka et de Adamov avait cependant dé- ont conduit Arthur Adamov à l'extrême des deux dernières sal-
Strindberg, ami de Roger Gil- bordé la singularité de son cas, une mort prématurée. C'est les où quelques brèves et épaisses
bert-Lecomte et d'Antonin Ar- et l'exemple de Brecht, s'il maintenant que. nous allons lignes noires se détachent d'un
taud, Arthur Adamov a décrit les n'obscurcit pas ceux de Strind- prendre la vraie mesure du dra- fond uni. On n'imagine pas un
affres de sa névrose dès l'Aveu, berg ou de Kafka, ouvre à l'au- maturge et de l'écrivain. changement si radical sans rap-
en 1946, tenté d'exorciser dans teur de Ping Pong la voie de port avec une évolution psycho-
l'Homme et l'enfant un irrépres- l'engagement. Ce n'est pas pour (1) La Oulnzalne IItt6ralre. n° 53, logique. Et l'on aperçoit les con-
sible besoin d'auto-humiliation. renier sa conception de la créa· 1er juillet 1968. clusions négatives que pourraient
S'il est abusif de penser que tion littéraire, Geneviève Ser- (2) Idées. Gallimard. 1966. en tirer certains analystes, ceux
6
M - •
. Irolrs m.ouvants
de la tendance Minkowski en de quelque austère agnose infor.
particulier, captivantes sans doute, mulée ou rien n'est plus, ou plus
justes peut-être mais qui, après exactement ne serait, n'aurait été
tout, n'enlèvent rien à la valeur sans la mémoire ou plus exacte-
proprement esthétique des œuvre!! ment le souvenir latent d'oublis
considérées. accumulés ou plus exactement de
mémoires lacunaires ou prémoni-
Or, les happy few, lecteurs de tions de rien ou plus exactement
Curriculum Vitae savent que presque rien. Et son rapport, avec
Jean-Claude Hémery aime agré- son propre langage se trouve bou-
menter ses écrits de petits essais leversé : Je ne lirai jamais le ré-
graphiques, modestes illustrations cit que j'écris, qui s'écrit en moi,
plus ou moins symboliques, mais illisible et jamais lu - et qui
sensibles où l'auteur tente, par f écrirait, sinon moi, lecteur non
cette autre voie, de s'approcher lu, aveugle· et illettré lisant à en
encore. Des dessins de Curriculum mourir ces textes imposés, rabo-
Vitae, j'avais déjà noté que, de teux, épelés à longueur de nuit,
la belle implexité du départ, ils ces cloaques de mots charrian.t
finissaient par s'éclaircir, par des cris rentrés, ce non-sens obsé-
s'évider. Est-ce une tendance irré- dant bredouillé, appris par cœur
versible? Les dessins d'Anamor- Le PaÙlÛ des Doges, par Canaletto. aussitôt qu'oublié, pâteuse pitance
phoses achèvent cette évolution, à grand-peine mâchée ingurgitée
la poussent à l'extrême. Ce ne sont vomie déglutie vomie remâchée
plus que gros traits réduits à pitalier Kénome (ou, en grec, contingente, celle d'un être plei- ruminée revomie.
l'ellipse, à la spirale, à la torsion « Kenoma »), monde du vide et nement assumé et incarné. Au-
d'une plaque de métal, ou au car- du manque, que la Gnose oppose jourd'hui, l'auteur disparaît der- La différence entre nausée et
refour de routes. Il eût été abusif à la plénitude du Plérome. Inhos- rière une attitude, tend à s'absor- néant - entendus comme senti-
de s'étendre de la sorte si les pitalier? Pour qui ? Pour le lec- ber en une situation-limite : l'ap- ments, comme tendances - est
textes d'Anamorphoses - com- teur? L'auteur, quant à lui, en- proche, l'intuition du néant. celle du relatif à l'absolu, de
ment s'en étonner - n'allaient, tonne, en faveur de ce Kenome, l'éloquence au mutisme, de la
explicitement d'ailleurs, dans le . des louanges bien entendu négati- sensibilité à l'indifférence. N'en
Cela ne va d'ailleurs pas sans
même sens. soyons donc pas surpris : Curri-
ves mais ferventes : Loué, loué de furtifs regrets. Dommage, en
culum Vitae offrait un registre-
soit le Sempiternel, loués le un sens, pour la chaleur perdue,
Ce texte, toujours le même, que brouillard qui nous noie, fim- pour fémoi. Pour la saveur. .Au plus varié, un individu plus pré-
j'écris, le seul que j'écrirai ja- mense trou grisonnant, f écho total, il croit y gagner plus qu'il sent, en veine de confidences;
mais... note Jean-Claude Hémery aux pages de désespoir succé-
à la dernière page d'Anamor- daient des pages tendres, émer-
phoses. Voilà qui sonne comme veillées encore ou livrées à l'hu-
un serment de fidélité, une pro- mour. Et pourtant, qu'Anamor-
fession de foi où l'on devine une phoses soit à l'opposé de la séche-
qualité profonde d'écrivain. Et resse, malgré son thème domi-
Ce texte, toujours le même, que nant, voilà le miracle, celui
pourtant je me demande si Jean-
Claude Hémery est conscient d'Hémery, celui de la poésie.
d'une évolution qui, de proche en j'écris, le seul que j'éorirai jamais... Je ne l'ai pas encore souligné,
proche, pourrait s'avérer radicale AnaJl'wrphoses est un recueil de
et, qui sait, lui ménager des sur- neuf textes que rien (justement !)
prises. ne lie mais dont la parenté est
profonde. C'est l'œuvre ouverte
On pourrait déjà prétendre que dont parle Umberto Eco. On y
Curriculum Vitae et Anamor- muet! Loué son air absent, ses n'y perd, ou plutôt, puisqu'il est circule à sa guise, en toute liber-
phoses s'opposent, comme s'oppo- yeux crevés... Loué son pieux ric- censé tout perdre et ne rien ga- té, semble-t-il, et pourtant on y
sent souffrance et remède dans la tus, ses tics, spn silence obstiné, gner, y laisser nn plus grand nom- demeure prisonnier, enserré par
pharmacopée allopathique. En son ap1ulsie, ses bras ballants! bre d'horreurs que de délices. une invisible totalité aux secrè-
bref : Curriculum était la nausée; Loué le Sans-Nom, f éternel dis- Poursuivant l'aventure, cherchant tes articulations. Aux premiers
Anamorphoses, le rien. Face à la paru, fA bsolument - inexistant, à l'étendre, à la pousser dans les textes, un peu beckettiens, fait
difficulte d'être, au mal de vivre, rInagissant, faboulique et l'in- retranchements (ou plutôt dans suite, notamment, l'admirable
à l'incertitude ontologique, aux con sis tan t ( ...). L'Omni-Absent les contradictions), il se met en Venise en feu d'un lyrisme fuli-
pressions, aux agressions sociales, qu'il soit loué! Loué fattardé, quête du non-savoir : Rien en- gineux et qui est un chef·d'œuvre.
le patient s'offre la parade la fimpuissant, f oublié. core, ou plus rien depuis long- Et c'est là encore œuvre ouverte
plus usitée - et qui, elle aussi, temps, au bout de ces retranche- accomplie par un système de nu-
tomberait sous le coup de l'ana- Certes, l'on peut aussi discer- ments. Rien, les embranchements mérotation des paragraphes et
lyse. Autant qu'il le peut, et par ner dans ces propos un étrange négligés, ou plus exactement ina- par le jeu typographique. Ce
tous les moyens, il nie cet être, exercice de théologie négative, perçus, rien, plus exactement les même texte, ce même thème,
il nie ce monde et se réfugie dans la célébration intime - et, qui éparpillements, rien, plus exacte- Jean-Claude Hémery le martèle
les antres d'un néant relatif. Le sait, douloureuse - de la mort de ment l-es gloses, les schémas es- si bien, en fournit un tel jeu opti-
lecteur pourra écrit Jean- Dieu. En tout cas, de Curriculum tompés, les mots privés de sens, que que le rien se transforme en
Claude Hémery, dans un prière à ce texte, l'évolution est patente. rien, les sons imprononçables, un mirage, en vertige de miroirs
d'insérer signé de ses initiales - Dans le précédent volume se ma- rien, plus exactement, presque mouvants.
s'effrayer, à bon droit, de finhos- nifestait une situation encore très ou pas encore inconnu, désinitié Jean Gaugeard
1
Georges Piroué André Karatson que certains courants littéraires Le bilan de l'aventure symbolis-
Le réduit national,
1
Le Symbolisme en Hongrie ont reçues dans certains pays. La te est établi dans la conclusion de
Denoël, éd., 184 p. Presses Universitaires de France fortune du symbolisme français en l'ouvrage (p. 435-447) : « le Sym-
éd., 498 p. Hongrie est particulièrement ins· bolisme hongrois cherchait à
La Suisse n'est pas un pays tructive à cet égard. concilier les exigences de l'art au-
comme les autres : sa célèbre neu- tonome et celles de l'art collectif »
Dans son Traité de stylistique
tralité qui, partout ailleurs, serait Fin lettré et chercheur scrupu- (p. 437), « l'influence de la poé-
française Charles Bally postule
une gageure, ne lui a-t-elle pas leux, André Karatson restitue sie symboliste frarn;aise. pour
l'existence d'une « mentalité euro-
permis, durant la dernière guerre avec minutie les péripéties de cet. s'exercer, dut renoncer à l'exclu-
péenne» qui coifferait la diversité
mondiale, d'aider les combattants te rencontre. Dans sa thèse - sivité et laisser combiner son mes·
des langues européennes. Ce di.
des deux bords sans s'attirer les brillamment soutenue en Sorbon· sage avec des messages différents,
sant, il pensait déjà (en 1905 !) à
foudres d'aucun d'eux? Du nord ne - , il suit pas à pas les progrès souvent étrangers à son essence »
l'Europe de l'Atlantique à l'Oural.
au sud des trains sillonnaient le de la pénétration du symbolisme (p. 438). Mais c'est dans la maniè.
« Le finlandais et le hongrois, écrit-
territoire, trains allemands ou ita- en Hongrie et aussi, son exploi- re de composer et de lire les poè.
il, n'ont (sous le rapport de la pa-
liens allant, bourrés de munitions, tation à des fins extra·littéraires. mes que cette influence devait se
renté proprement linguistique)
de l'une à l'autre des deux puis- En effet, dans ce pays polarisé à révéler déterminante. Dans les
rien de commun avec l'anglais et
sances de l'Axe, cependant que le l'extrême, un manichéisme candi. dernières pages de son livre, Ka-
l'italien... pourtant, ils rentrent
ciel était traversé en permanence, de, mais malfaisant, régnait dans ratson dégage avec bonheur le
dans le cercle des langues occiden-
ou . presque, par les bombardiers la deuxième moitié du XIXe principal apport, à cet égard, du
tales, car ils ont, pour les concepts
américains. Au vu et au su de siècle et le tableau historico· Symbolisme français : le langage
de la mentalité européenne, des
l'armée helvétique. poétique brossé par Karatson dans métaphorique et la spontanéité
moyens d'expression sensiblement
Des soldats suisses étaient en les premiers chapitres de son ou- impressionniste. Cet apport trou·
parallèles à ceux des autres idio-
effet mobilisés en 1943, époque à vrage sont indispensables pour faiM va un terrain extrêmement favora.
mes de ce type. »
laquelle Georges Piroué situe l'ac- re comprendre la véritable portée ble dans les données de la langue
tion de son récit. Mobilisés contre Cet optimisme (Bally évoque de l'influence du Symbolisme hongroise, d'où « prolongements
qui ? Contre personne, Pour quoi ? par la suite le triomphe possible français, « décadent et destruc· et métamorphoses » aboutissant à
Pour « l'intégrité d'un territoire » d'une « langue européenne»)) a teur» pour les partisans de la la naissance d'une nouvelle sensi·
livré au trafic de l'Axe et pour été singulièrement démenti par « Hongrie millénaire », « levain bilité qui continue à nourrir la
« la défense d'un espace aérien ( ...) l'évolution ultérieure des recher. du renouveau» pour ceux du pro· poésie hongroise contemporaine.
percé comme une écumoire ». D'où ches linguistiques et, en particu. grès qui, plus tard, devaient se
lier, par les découvertes de l'eth- Et c'est peut-être là - parado.
le sentiment d'inutilité et de super- grouper autour de la revue « Nyu.
nolinguistiqüe. On entrevoit au· xalement - une des raisons du
cherie des hommes maintenus sous gat » (Occident). Au cours de sa
jourd'hui à quel point les proprié. décalage que nous constatons ac·
les armes dans ces conditions... carrière en Hongrie - et malgré
tés de la langue maternelle sont tuellement entre les deux sensibi.
Si l'on ajoute à cela que certains les efforts d'un Dezso Kosztolanyi
déterminantes pour la pensée et lités poétiques. Le langage méta·
d'entre eux, commis à la garde à qui Karatson consacre peut.être
la sensibilité individuelles et col· phorique du Symbolisme n'a ja.
d'un pont dans les Alpes, se trou- les meilleures pages de son livre
lectives. En même temps, la litté· mais fécondé la langue française,
vaient isolés du' reste du monde - le Symbolisme d'inspiration
rature comparée a mis en lumière comme il a enrichi la langue hon-
entre les roulements des convois française ne parviendra pas à rom·
les nombreux décalages observés groise. De plus, cette tendance
ferroviaires et le bourdonnement pre avec cet engagement politique
dans les divers pays au cours de fut assez rapidement abandonnée
de l'aviation alliée, qu'une épidé- et moral. Etait-ce, comme l'expli.
l'évolution de la sensibilité euro· au profit d'un langage « métony-
mie de rougeole entraîna une qua- quait récemment le poète hon·
péenne, les interprétations et les mique », qui était, par exemple,.
rantaine les privant des rares grois Gyula Illyés répondant à une
applications souvent surprenantes celui de Proust. Gérard Genette
contacts avec le bourg voisin, qu'un enquête de la revue « Preuves »,
désigne sous le nom de « métapho-
camarade hypnotiseur donnait, tous parce qu'en Europe centrale et
re diégétique » un certain aspect
les soirs, un petit numéro d'illu- orientale la fonction dn poète
de la sensibilité proustienne, en
sionnisme, toutes les circonstances consistait pendant longtemps à
étroite relation avec le milieu am·
n'étaient-elles pas réunies pour que remédier aux carences d'un pou·
tie extrêmement brève, mais dont biant qui la façonne et la modifie
l'obsession, devenue démence, pro- voir politique défaillant ?
la nécessité n'est pas absolument à son gré, alors que le langage qui
voquât un drame ? Sans raison
évidente - trouve sa sanction dans Un.e pléiade de très grands poè. exprime cette forme de sensibilité
apparente, une sentinelle abattra un
sergent, dans la nuit.
l'hypocrisie de l'appareil de l'ar- tes, virtuoses d'une langue qu'ils fait appel il la contiguïté, aux élé·
mée qui étouffe l'affaire - de peur contribuèrent à assouplir grâce à ments « in praesentia », contraire.
Il paraît que le fait divers est que l'on ne s'aperçoive de la vérité ment à la métaphore pure qui
l'apport du symbolisme français,
vrai. Il nous importe davantage de la guerre, « vérité contenue opère toujours par substitution,
sont présentés par l'auteur : Ady,
qu'il soit vraisemblable au niveau dans tout ce qu'on a amassé pour, avec évocation d'éléments « in
Kosztolanyi, Babits, T6th, Juhasz,
du récit. C'est le cas. Georges Pi- au contraire, s'en protéger, et au absentia ».
Szép. Traduits - et quelquefois
roué, par accumulation de touches tour de quoi l'on errait afin de bien traduits - en français, ils Peut·être cette façon « métony-
d'atmosphère, a construit un uni. vivre avec la mort, avec tant de sont pourtant à peu près inconnus mique » de voir a.t·elle si profon.
vers de l'absurde crédible. Il l'est morts de par le monde en état de en France. C'est dommage. Quant dément imprégné la langue fran.
dans le décor, dans les dialogues familiarité et de profonde égalité. » à leur propre et foisonnante acti- çaise de nos jours que ses usagers,
dont le terre-à-terre et même le sca- Telle peut être la leçon d'un vité de traduction poétique, elle oublieux de l'aventure de la mé·
tologique laissent affleurer l'angois- récit d'autant plus significatif qu'il fait l'objet, de la part de l'auteur, taphore symboliste, poussée ensui·
se, dans les gestes peu à peu déga- est sobre et resserré autour de l'es- d'une série de commentaires du te à son extrême degré par les haro
gés du quotidien et « contaminés » sentiel : ce n'est pas sans risque plus haut intérêt : ces traducteurs diesses des poètes hongrois, jugent
par les séquelles psychologiques de qu'on condamne les humains à ne se comportent en « conquérants », incohérents les rapports quelque.
la claustration. se croire à l'abri de tout que clans il s'agit, pour eux, de « tirer le fois fort lointains que la métapho-
Cet « état de siège » - aucfUel les étroites limites d'un « réduit texte à soi », en « opérant la syn- re établit entre comparants et
l'auteur a tenté de donner un national ». thèse entre le texte étranger et sa comparés.
contrepoint dans une seconde par- Maurice Chavardès propre manière» (p. 404). Georgu Kassai
8
,
Rétif et son pere
Le premier écrit
politique clandestin
A la précieuse Année balza· à l'état naissant la vérité du culte soviétique
cienne, qui compte déjà dix des ancêtres; et c'est l'orientation
ans d'âge, les Editions Gar- particulière que l'individu Rétif
nier ajoutent une nouvelle an-
nuelle, Dix·huitième siècle,
imprime à ce culte. ANDREÏ
publiée par la Société françai-
Dire qu'il mente, non, on ne le
peut pas. Seulement il recompose
AMALRIK
se d'Etude du XVIIIe siècle :
la réalité, ou plutôt ce qu'il a pu
du sérieux, du savant, du so-
lide. Rien d'ailleurs, dans ce
premier numéro de 480 gran-
en connaître, ou plutôt le souvenir
qui lui reste de sa réflexion sur ses
souvenirs, suivant la pente de son
L"'Union.
des pages, sur Rétif de la
Bretonne, que nous voyons
esprit, suivant les formes organi-
ques de son rêve. Il les transpose Soviétique
d'autre part faire son entrée
•
dans la collection des Classi-
ques Garnier.
dans l'idéal d'une « structure pay-
sanne », comme disait Alain, qui, s.urVlvra-·
chez lui, est à la fois patriarcale et
paternaliste, et qui se recommande
d'une prétendue expérience où en
t-elle
Rétif de la Bretonne
La Vie de mon père
Edition présentée, établie
Ji NEUPUHIJTÈi,
EifiuOfiW~ tA.KU,
~l> v ....
, ~,...,
DVCIlIt.Ç:IIl,I;;..r,., ....
.. T.",pl,.,4<t.()Ooi..
; .
fait l'imaginaire tient infiniment
plus de place que le vécu. Comme
en 1984?
et annotée Rousseau, comme Bernardin de
• 7 1 9·
par Gilbert Rouger Saint.Pierre, comme tant d'autres
Garnier éd., ill., 384 p. du même temps, acculé à une situa-
tion insupportable, il cherche la COLLECTION
sortie : il fuit dans l'utopie. C'est "LE MONDE
Non, ce n'est pas, à mon goût, du sa religion. C'est son maoïsme. SANS FRONTIERES"
meilleur Rétif. Il Y manque la plu- pre à en souligner l'intérêt folklo-
rique et sociologique. Samuel S. de Sacy
part de ces fantasmes, de ces déli·
res, de ces défoulements aberrants
qui font d'un intarissable polygra-
C'est une exploration très exci·
tante. Et troublante. Car Rétif, si
PAYARD )
phe et d'un abominable cacographe prompt souvent à fabuler, sait aussi
un révélateur singulièrement in· se montrer exact. Ainsi il reste
quiétant et attachant de l'élémen- possible (je l'ai fait) de repérer sur
taire. En revanche, le petit ouvrage l'actuelle carte en couleurs au
de 1778 - année où mourut Rous- 1/50000, si séduisante pour les
seau - est un des documents les véritables amateurs, le vallon pré.
plus vivants et les plus rares dont cis où l'enfant, menant paître Ses
nous disposions sur les réalités de bêtes, dut quelquefois les défendre
la vie rurale au XVIII" siècle. contre le loup. Sommes-nous en
droit de parler à la légère de ses
Il faut, à vrai dire, en lisant « mensonges », quand il arrive
la Vie de mon père, relire le mer- chez lui que le faux s'ajuste au
li
veilleux début de Monsieur Nicolas vrai avec une telle précision ?
(dont Jean.Jacques Pauvert nous Nul ne peut se faire l'historien
a apporté en 1959 la première édi- de son propre père. Il y a trop de
tion intégrale, malheureusement choses que vous ne connaîtrez ja-
PllllSIPll1
un peu brute). Rétif ne s'est ja- mais. Les témoins se tairont devant
mais lassé de ruminer le souvenir vous; ou, s'il leur arrivait de par·
de son village natal perdu dans les 1er, vous ne les croiriez pas : leur
solitudes sauvages de la Basse- expérience diffère de la vôtre essen·
Bourgogne et les rêveries que nour- tiellement. Vous gardez au cœur
Ils
rissait ce souvenir élaboré. M. Gil· soit de la haine, soit une vénéra·
bert Rouger, qui a l'art de déployer tion viscérale; pas d'objectivité
dans son édition une érudition possible. La seule historicité de La
profondément renouvelée s • n 8 Vie de mon père est d'ordre géor.
PIIIISSIIIS
néanmoins écraser les significations, gique. Quant au reste, ce qui en
donne à la suite du texte une antho· fait le prix, c'est, pour nous, une
logie d'autres œuvres de Rétif pro· occasion exceptionnelle d'observer
Epeler le monde
aTRANGERS
Edoardo Sanguinetti l'a dé· toutefois, pour dire quand même Après quoi on l'enferme dans une torique. Il faut « tenter de vivre»
claré dans une interview pu- quelque chose. Il en est touchant. grande barrique et vogue la ga- pourrait dire l'auteur, mais vivre
bliée dans « Tel Que 1 - Il cogne donc contre les parois de lère. Nous commençons à entrevoir, c'est s'engager politiquement, avec
(n° 29) : inutile d'attendre sa bière, comme un qui ferait par- avec l'auteur, un port. Le voici qui tout le monde. Cette anti-œuvre
de lui une œuvre; un auteur ler les esprits en cognant contre va se mettre peut-être à vivre, donc ne se soutient que de son
d'avant-garde ne peut donner le bois d'une table et certainement après tant d'aventures pénibles ou parti-pris politique. Si elle n'était
qu'une anti-œuvre, parce que sa femme saisit quelque peu ; nous drôles; juste au moment où la pas engagée en effet, comme elle
le langage est une « dislo- aussi... quille allait éclater sans doute, est par ailleurs la plus particulière
cation, c'est-à-dire une façon comme celle du «Bateau Ivre »... et même la plus privée qui soit,
d'interpréter le réel -. Mais alors, précisément, c'est la elle n'aurait aucune audience. Le
fin. La fin ~e l'histoire qui s'a- texte demeurerait ce qu'il est au
La momie pue chève dans un commenceinent. départ : une mosaïque d'images
Edoardo Sanguinetti L'auteur ressuscite; il s'est évadé dépourvues de sens, parce que l'au-
r
Le noble jeu de oye de sa bière de bois et c'est lui teur refuse toute référence com-
1 Trad. de l'italien maintenant qui fait tourner la bar- mune établie. Ce n'est pas une
par Jean Thibaudeau Parfois il se sent transporté lui- rique avec ses pieds, comme un langue que la sienne toutes
Ed. du Seuil 158 p. même sur une scène; il est mo- saltimbanque. En se penchant sur les langues employées en flasches
mie; on lui arrache ses bande· la mer déchaînée, par cette nuit de et l'italien lui-même (comme le
lettes; il saigne, il suppure. On tempête toute noire où il n'aper- français du traducteur) sont, à
le dépouille en vain : la bande çoit plus aucun signe de rien; en ce stade, des langues mortes
est interminable. Il a honte de ce se penchant, donc, il peut tout de tout au plus. Dans son travail
qui reste de lui. Il essaie de se même écrire le nom de cette bar- de lecture du monde, l'auteur
Le monde apparaît dans cacher le visage; mais alors il rique : c'est le titre de l'histoire : s'approprie des fragments de
un oertain ordre qu'il faut
découvre son nombril et le reste. r
«Le délectable jeu de oye~. Il langues mortes et en fait un idio-
me, qui demeure toutefois mort-
Mais qu'est donc devenue cette peut même écrire le mot fin. Il
absolument fraoturer, sans jolie image d'un demi-poids-lourd a gagné la partie. Telle est l'ironie né, sauf à rencontrer d'autres
aux pectoraux gonflés comme des du langage romanesque et de tout idiomes engagés dans la même
savoir oe que l'on trouvera seins ? Lui - la momie - il langage vrai. aventure. Il épèle le monde qu'il
pue. La femme qui est là ne tient voit avec des mots tout faits. TI
au bout de l'aventure. nomme ce qu'il voit. Comme sous
pas le coup. Il doit la soutenir en
même temps qu'il se porte lui, les noms d'emprunt, rien ne vit,
momie et sa bière. Sinon tout se les verbes employés par l'auteur
casse; tout disparaît. D'un bon Une volonté de se réduisent à «il y a »' et au
coup de pied il la réveille, en lui subversion verbe «être ». Il ne peut en dire
Et certes, ce qui apparaît là, disant qu'elle aussi doit continuer plus. En outre pour lui, tout est
tout en vrac, c'est d'abord un tas à «regarder... en haut ». également images : ce que nous
d'images, de fragments « momi- appellerions, nous, images (les af-.
fiés », hiéroglyphes ou inscrip- Quand il disparaît tout à fait au fiches, les photographies etc.), et
tions tronquées. L'auteur, quant à fond de son puits ou ailleur8, il Pour les besoins de la critique, ce que nous n'appellerions pas
lui, se donne pour mort. Il est est bien évident que les trois petits ou notre propre confort, nous images (nous.mêmes par exemple) .
enfermé dans une bière de bois. enfants sont orphelins et la fem- avons essayé de tracer comme un Pour Sanguinetti ce ne sont que
Il voit de là ce qu'il peut, à travers me, veuve. Pauvres petits ! ils sont fil qui ordonnerait tant soit peu « momies exposées ». Le seul traie
une fissure qui peut devenir une sages comme des images; c'est le cette série d'images. Mais c'est tra- tement actif qu'il fasse subir à la
petite fenêtre. Ce qu'il voit res- cas de le dire. Quant à la femme, hir d'autant l'auteur; tenter d'ex- langue momifiée, c'est de la «cas-
semble assez à un studio de ciné- elle souffre énormément de voir pliquer en retrouvant une histoire ser» (le terme est de lui). «Un
ma où l'on tournerait simultané- son mari si lointain. Elle presse sous-jacente, c'est supposer que ange est musicien» dit-il par
ment plusieurs scènes. Tel frag- la bière contre sa poitrine, enfonce l'invention romanesque se réduit exemple, et ce bloc qui jusqu'ici
ment de décor est pharaonique; ses ongles dans le bois ; mais ce ici à un jeu de cubes dont les aurait pu s'écrire «langemusi-
non loin les maisons d'un quartier n'est toujours que du bois qu'elle cubes auraient été mêlés au dé· cien » s'ouvre avec un effet d'une
de Saint-Pétersbourg se reflètent étreint. part, pour permettre une recons- cocasserie irrésistible.
dans les canaux; ailleur8 c'est titution. Il s'agit ici exactement du
un bar; par-ci par-là passent des Un coït pourtant jette l'écri- contraire : le monde apparaît dans Pourquoi donc ces images, ces
j~unes filles nues; une Wonder vain contre une femme et c'est un certain ordre, ou certains or- couleurs, ces bruits dont il emplit
Woman; une Marilyn; une pe- l'extase en trois vagues. Espérons dres qu'il faut absolument frac- son ouvrage, continuent-ils à nous
tite ballerine. Sont-ce des femmes pour sa femme, 'que c'est encore turer, sans savoir ce que l'on hanter, même si nous n'avons pas
ou des images de calendrier, ou elle qui est là ! Les trois vagues trouvera au bout de l'aventure. tout compris (mais que signifie ici
des affiches publicitaires ou des sont ponctuées ainsi : need me, comprendre ?) Parce qu'ils sont
oiseaux ? want me ; love me. Mais ces mots Il ne s'agit pas non plus pour plus vrais que la réalité quotidien-
étrangers se passent d'avoir un l'auteur de se complaire dans le ne et même plus réels. La der-
De couché, forcément, l'auteur- sens. C'est leur pouvoir de défla- spectacle décadent du désordre ou nière chance du réalisme est donc
écrivain voit les choses sens-des- gration qui compte; ce sont les du mal; il ne s'agit pas de dis- peut-être bien, comme l'a dit San-
sus·dessous et s'il bouge, c'est le ondes sonores qu'ils libèrent; poser esthétiquement un désordre. guinetti, dans cette violence des-
monde qui bouge. Dans ces con- c'est leur bruit en somme. Les Sanguinetti témoigne d'une volon- tructive. Il a gagné son pari; il
ditions, c'est difficile de dire ce étudiants aussi se déchaînent dans té de subversion et d'un désir de nous a fait 'enfourcher avec lui la
que l'on voit; mais ce n'est pas un bar et le feu d'amour prend vérité tout entiers engagés .dans barrique. Il se, peut que nous ar·
une raison pour raconter des his- de la même façon. C'est l'auber· un moment historique. Si l'acte de :rivions avec lui quelque part.
toires. Notre écrivain en tout cas giste qui se trouve là en ce mo· l'écrivain porte, c'est la preuve
s'y refuse. Il fait de grands efforts ment, dont le seul hasard décide. qu'il est engagé dans la vérité his- Gennie Luccioni
10
Sous le bulldozer des teDlps Dlodernes
José Maria Arguedas
Tous sanss mêlés
Trad. de l'espagnol
par J .-F. Reille
Coll. « Du monde entier »
Gallimard éd., 494 p.
« La littérature indigénlste ne
peut nous offrir une vision ri·
goureusement vériste de l'In-
dien. Elle est contrainte de
l'idéaliser ou de le styliser.
Elle ne peut pas non plus
nous faire pénétrer dans son
âme propre. Elle demeure en·
core une littérature métisse -.
Cette remarque de José Car-
los Mariategui. en 1928. dans
son livre fondamental Sept
essais d'interprétation de la
réalité péruvienne (1). reste
applicable à bien des égards.
quarante ans après. au roman
de José Maria Arguedas.
comme elle l'était pour le pro-
totype du genre. Race de
bronze. publié dès 1919 par
son prédécesseur et homony·
me bolivien Alcides Arguedas.
Devant cette sorte d'ouvrages, on
ne peut s'empêcher de soupçonner
la littérature et l'ethnologie de se
porter mutuellement tort. Tout
l'effort des nouveaux narrateurs que d'accepter, comme ses frères dans l'action, qu'il ralentit de fa- l'évolution du pays. Don Fermin,
hispano-américains consistera, jus- de race, le servage au bénéfice d'un çon excessive, de même que les lui, plus lucide, dévoré d'ambition,
tement, à éviter cette impasse. Soit grand propriétaire ou, pis encore, multiples chansons et complaintes croit à son propre triomphe et au
en éludant le problème à la façon une prolétarisation impitoyable qui parsèment le texte, et dont la progrès. Il jette les éperons aux
de Borges, qui récuse d'avance tout dans les mines ou les zones indus· saveur ne nous parvient que très orties au profit de la jeep et boit
« exotisme » par une boutade (Il trielles de la côte. altérée après la double traduction de la bière Pilsen glacée au réfri-
n 'y a pas de chameaux dans le Telle était déjà la trame du meil· qui les mène du quéchua à l'espa- gérateur. L'un comme l'autre se-
Coran !); soit, comme Vargas leur livre de Ciro Alegria, Vaste est gnol et de l'espagnol au français. ront finalement vaincus par le
Llosa, en faisant de l'Indien un le monde ( 1941 ) (2), largement consortium international de la
thème parmi d'autres, un simple répandu dans tous les pays d'Amé- Dès qu'il s'abandonne sans autre Wisther.Bozart, qui s'approprie en
matériau de la fiction. rique latine et considéré comme le souci à la narration, au contraire, toute légalité la fabuleuse mine
Pour José Maria Arguedas, au chef·d'œuvre du genre. Né en 1911, Arguedas manifeste une sûreté de d'argent découverte sur leur do-
contraire, le récit est au service, Arguedas appartient en fait à la trait peu commune, et se montre maine.
sinon d'une thèse, au moins d'une même génération, mais il ne s'af· probablement supérieur à tous ceux Ce Pérou-là n'est déjà plus tout
cause. L'Indien des hautes terres firme vraiment qu'à partir de 1958, qui l'ont précédé dans la voie qu'il à fait celui de Ciro Alegria, dominé
andines peut et doit être défendu avec les Fleuves profonds (3), ro- a choisie. Le récit, lisse et naturel, par le conflit agraire ancestral. Un
par la plume du romancier, pour man autobiographique où il porte sans la moindre recherche techni· autre monde, plus dur encore peut.
que lui soient enfin reconnus le à la perfection son style personnel, que, s'impose au lecteur avec une être, même si sa sauvagerie est
droit de vivre et la dignité d'hom- marqué surtout par une subtile puissance digne des grands roman- moins apparente, commence à naî·
me. transposition en espagnol des mé- ciers russes. Le début de Tous tre. Les grands seigneurs de la terre
Les éléments du drame cepen- taphores et des tournures de la lan- sangs mêlés, où l'on voit le vieux cèdent désormais la place aux
dant ne sont pas neufs, ils se pero gue indienne, qui fut d'ailleurs sa maître de la terre maudire publi- trusts yankees. Le paysan indien
pétuent depuis la conquête espa· langue maternelle. quement ses deux fils, don Bruno affranchi, changé en manœuvre,
gnole, à travers tous les régimes et don Fermin, sur la place de logé dans des baraques munies de
politiques et toutes les mutations Recueilli par des Indiens, le l'église, fait songer à Dostoïevsky. juke-boxes, perd jusqu'à ses raci-
soicales. Paysan libre, l'Indien se jeune Ernesto, héros du livre, s'im- Don Bruno, le luxurieux, qui for- nes spirituelles et devient le sym·
voit repoussé d'âge en âge avec sa prègne de leur conception du mon· nique dans une écurie avec une bole de la nation toute entière, en
communauté vers les terres les plus de, et juge d'un regard neuf le serve bossue, va racheter ses fautes une vaste fresque où deux civili-
arides et les plus froides de la sort qui leur est fait et la vie que en abandonnant progressivement sations s'écroulent sous le bulldozer
montagne: parvient.il à les mettre son père lui impose ensuite dans ses privilèges pour se mettre au ser· des temps modernes.
en valeur, à force de patience, que un collège religieux. Cet essai d'in· vice de la cause indienne; mais il Jacques Fressard
déjà elles sont l'objet de nouvelles digénisme intériorisé, que l'on re· se trompe sur le sens de l'avenir 1. Ed. Maspero, 1969.
convoitises et qu'il s'en trouve bien· trouve dans Tous sangs mêlés, et croit encore possible une com· 2. Gallimard, ooll. « La Croix du
Sud », 1960.
.tôt dépossédé. Vient le moment où n'évite pas l'abus du commentaire munion patriarcale de l'homme 3. Gallimard, ooll. « La Croix du
il ne lui reste plus d'autre issue ethonologique introduit de force avec la nature, condamnée par Sud », 1966.
Innocentines
1
René de Obaldia
1nnocentines
Grasset éd., 225 p.
On connaît le théâtre d'Obal- poesie dont on· a perdu le La tradition de Cros ou de La-
dia. On connaît ses romans, goût en cette époque de forgue. Le côté ritournelle de l'A-
le Centenaire ou Tamerlan grand respect des «écritures- pollinairedu Bestiaire d'Orphée.
des cœurs. On connaît· toutes et dont la saveur accidulée- Quelque chose de ce qui fit le suc·
les formes de son «humour rafraîchissante s t i m u 1e r a cès de Prévert dans les années 50.
secret -. On fera connaissan-
ce ici avec sa poésie. Une
agréablement plus d'un pa-
lais.
Quelque chose de mirlitonnesque à
la Queneau, aussi. Avec cette dif· LIS
férence - et elle n'est pas mince-
que l'agressivité est totaleJbent ab-
sente du cœur d'Obaldia. Pas de
IIPITA.IOS
~rincements, pas de sarcasmes, pas
d'anarchie, pas de révolte. Simple-
la guerre civile
ment des mots pour rire et pour grecque
dire. Le règne de l'innocence. Ce
fIIIIIMIBS 1970 n'est pas pour rien que ces poèmes de
s'appellent Innocentines : l'inno-
cence, faite comptine ou «enfan.
1943 à 1949
tine», si ce mot peut désigner,
La figure légendaire des Kapetanlos,
P.C. RACAMIBB après Valery Larbaud, une forme
naïve de parler littéraire.
chefs des partisans; incarnation .-e
l'idéal grec de lIberté. L'hist~ire
sans divan
ques adultes ». Son propos est par- ration du silence. A la veille du
faitement clair sur ce point. Il com- troisième anniversaire du régime
mence par nous raconter en quatre des colonels, un livre indispensable
La psychanalyse et les Institutions de soins psychia- pages de prose dansante et aérée
pour qui veut comprendre la situa-
tion actuelle en Grèce.
triques, avec B. DlatldDe, s. Lebovicl, Ph. Paumelle. l'histoire de la petite Eudoxie que
42,60 F l'on forçait à manger sa soupe et
LEOIIARD BLOOMFIELD
qui traversa un jour l'écran de té-
lévision. Puis il passe sans transi· FAYABD
Le langage
tion à ce merveilleux Chez moi où
une autre petite fille (le côté Lewis
Carroll d'Obaldia !) se mesure avec
Bnf1n traduit, ce Une est l'une des sources de la Un- un petit garçon dans un chant al~
guistique moderne. terné d'une helle tenue :
49,60 F
Chez moi, dit la petite fille faire rebondir l'écho sur des noms
BIIiRI JEAIiIIAIBI On élève un éléphant.
Le dimanche son œil brille
propres. A cet égard, on atteint des
sommets dans les deux textes inti·
Dion,sos Quand Papa le peint en blanc.
A Salonique
A Berlin
ADthologie des parties d'échecs ayant obtenu des prix à.l'âne, en poussant les mots devant Faut pas s'tromper d'train.
de beauté, des origines l nos jours. soi sans trop savoir où on les mène
24,80F mais en acceptant d'aller où ils A Moscou
iront. Trois notes, deux rythmes Fala tenir le coup.
Catalogue sur simple demande boîteux, un tour de maniv~lle, ill
A la Librairie Pa,ot· - semee: QL n'en faut pas plus pour mettre 181
1INl, boulevard S&iDt~GermaiD· Paris S" A Belgrade
musique en marche. C'est l'art de' T'en prends pour ton grade.
la comptine à l'état le plus pur.
René de Obaldia g' y montre iné- A Yokohama
galable. Surtout quand il s'agit de Faltt se faire tout plat. ~
A Pékin plus d'un exégète de la chose lit- et éclatent les uns après les autres.
Faut être pour Mâ-chin... téraire. Et en même temps nous Cela ne fait pas beaucoup de bruit,
apportera le meilleur exemple de mais produit une très· piquante mu-
le second, fantaisie «prénomi cette agilité « obaldienne » à don- sique. Air de pipeau aigrelet ou
nale J) : ner aux mots les ailes de la déri- refrain de piano mécanique. Avec
sion et l'innocence... de temps en temps quelque chose
ChaTlotte Mots en liberté, mots absurdes, de parfaitement Il sans rime ni
Fait de. la compote. mots sans rides, comme di<;aÏent raison » mais qui reste en mé-
les surréalistes. Ils se rencontrent moire, comme ça, pour le plaisir,
Bertrand et jouent entre eux avec une aima- pour rien:
suce des harengs. ble et féconde désinvolture. Ils
prennent tout seuls et avec la plus ...Et pourtant comme je l'aime
Cunégonde « automatique » aisance l'initia- (A mes pieds tombe le drap)
Se teint en blonde. tive d'une parole qui ne cherche Amandine si hautaine
pas à avoir plus de poids que des Amandine au cœur de bois.
Epamüwndas bulles d'eau gazeuse. Ils montent,
Cire ses godasses... pétillent, foisonnent, se bousculent Raymond lean
l~
AUX EDITIONS RENCONTRE
ANTHOLOGIE
DELA On peut, à de rares exceptions près, considérer la litté-
CORRESPONDANCE rature épistolaire comme un genre disparu. Elle n'a
pas survécu à la généralisation de l'usage du télé-
m..
12,5 x 18,5 cm, reliés plein Skivertex vert foncé ombré, dos MAISON. Il constitue une riche et passionnante
et plat supérieur gaufrés or, faux nerfs, coins arrondis, documentation historique, sociale et humaine, de la
signet de soie or. vie de la France du XVIe au XXe siècle.
Dans les bonnes librairies
ARTS
Atlan
Voici dix ans qu'est mort linguistique ou idéo-dramatique. peinture ou de la décoration. Ayant reçu la double forma-
Atlan. De son extraordinaire Ou d'une forme close sur elle- Il faudrait citer cette décla- tion de philosophe et d'histo-
personnalité, on a beaucoup même ramassant à l'intérieur ration que le peintre faisait à rien d'art, Erwin Panofsky a
parlé. Trop, peut-être, car ceux de la toile un paquet de signifi- Aimé Patri en 1948 et que Mi- contribué à renouveler notre
qui ne l'ont pas profondément cations. chel Ragon cite dans son livre approche de la Renaissance
connu se sont laissé prendre au Parallèlement à cette orienta- sur Atlan : « Je crois que l'on et a été un des initiateurs de
piège des images multiples et tion, lentement mais n'émer- pourrait dire que, dans le même la méthode structurale en his-
fantaisistes qu'il proposait de geant que plus tard, un autre esprit où Mallarmé recomman· toire de l'art. Ses idées et ses
lui-même ... cheminement conduit Atlan à la dait au poète de céder l'initia· travaux, qui ont marqué deux
Atlan se donnait, selon les libération complète des formes tive aux mots, le peintre non· générations de chercheurs,
jours, quatre-vingt, quatre-vingt- vis-à-vis de notre propre cons- figuratif sera celui qui aura ne furent longtemps accessi-
dix ans de vie. Il aimait à dire cience. Lors d'une rencontre à accepté de céder l'initiative aux bles au grand public français
que les peintres n'atteignent la Royaumont qu'orientait Francis formes, aux couleurs, aux lu, qu'à travers les ouvrages de
plénitude de leur créativité que Ponge, un soir, Nicolas de Staël mières, sans partir d'un sujet Pierre Francastel et André
très tard, comme Rembrandt qui puis Atlan se mirent à parler, préétabli. Cette démarche étant Chastel. C'est seulement en
le fascinait, comme Monet. difficilement. Ils voulaient dire acceptée, il importe assez peu 1967, quarante ans après la
Il est mort à quarante-sept ce qu'ils ne feraient probable- que le résultat ressemble à parution de ses premières
ans. Son œuvre, comme celle ment jamais. Et ce - jamais ., quelque chose ou à rien de œuvres majeures, que paru-
de Juan Gris ou de Nicolas De cet inatteignable pourtant pal- connu ... rent simultanément en fran-
Staël, est apparemment ina- pable, organisait toute la créa- Elément d'une recherche très çais, les Essais d'Iconolo-
chevée, mais cet inachève- tion. moderne et à laquelle la philo- gie (1) et l'Architecture gothi.
ment même donne aujourd'hui Atlan disait qu'il rivalisait sophie, la psychanalyse et par- que et la pensée scolasti·
un sens nouveau à la démar- avec la danse, qu'il prétendait fois la linguistique ont donné que (2).
che d'A t 1 a n quand on que la couleur et la forme fus- une portée scientifique. Non
suit le cheminement qui le sent mouvement et mouvement certes comme une illustration
conduit des -peintures-piège ., détaché de la représentation réciproque, laquelle serait for- Erwin Panofsky
- paysages-piège • de 1945 à physique des danseurs (ce dont cément batârde et idéologique. L'Œuvre d'art
l'épuration rigoureuse des for- Degas ne s'était pas libéré). Mais comme deux vers tons et ses significations
mes puis aux grandes composi- Cela procédait-il, comme il ai- d'un même mouvement plus Trad. de l'anglais
tions des dernières années, on mait à le dire, de ses origines vaste que ne le sont les aspects par M. et B. Teyssèdre
y trouve l'exemple d'un art de berbères et juives de Constan- qu'il revêt. L'engendrement du Gallimard, éd., 328 p.
peindre détaché de l'esthé· tine? Plus vraisemblablement, sens à travers les formes sau-
tisme pictural. C'est-à-dire il faut admettre que l'artiste vages . ou libres se fait chez
d'un effort pour établir un parisien, hautement cultivé, Atlan à travers des structures Cette double traduction fut une
c i r cui t direct entre les cherchait à retrouver dans l'art en expansion qui débordent leur des dernières satisfactions de Pa·
formes et la - logique du sens ". de peindre une sauvagerie com- définition ou leur prétexte et nofsky qui disparut quelques
Sans doute les graphismes me Artaud, qu'il avait connu, et qui, masquées au regard com- mois plus tard. Il avait cependant
fortement dessinés et chargés a i m é, voulait trouver une mun, établissent un lien direct assisté à la mise en chantier de
de quelques traits colorés des - cruauté • dans la représen" entre une nature infinie et une l'Œuvre d'art et ses significations.
années 50 ont-il été une étape tation scénique. Cette sauvage- raison. On dirait que s'efface ici Bernard Teyssèdre, traducteur et
importante. Mais elle n'était pas rie manifeste dans certaines enfin l'orgueilleuse conscience présentateur de ce nouveau volu-
en elle-même (et malgré l'origi- formes ou figures déchirées et de soi gonflée du peintre, com- me a, d'accord avec l'auteur, modi-
nalité du peintre) éloignée de sanglantes prenait l'allure d'une me elle s'efface de la philoso- fié la composition du recueil paru
certaines recherches de Klee, transe dansée, brutalement phie! en 1957 aux Etats-Unis, sous le
de Miro. Précisément, parce immobilisée. Il suggérait ainsi Les grandes compositions titre Meaning in the Visual
qu'il s'agissait de graphisme, la découverte d'un langage non qu'Atlan entreprend dans les Arts (3).
c'est-à-dire d'une image ramas- humain, c'est-à-dire qui ne se cinq ou six dernières années de Les articles qui composent ce
sée dans un signe apparemment réduisît pas à une idée de la sa vie retrouvent le graphisme volume s'échelonnent des années
sévère de la période précéden- 1920 aux années 1950, jalonnant
te, mais ce graphisme est em- la carrière de Panofsky, de l'Insti·
porté par un mouvement, une tut Warburg à Hambourg «l'Ins·
respiration plus forte. La nature titute for Advanced Studies ~ de
s'ouvre comme une région Princeton.
inconnue mais accessible, une
nature inachevée qui trouve à Ouvrons au hasard l'un des es-
travers la représentation du sais qui composent l'Œuvre d'art
peintre un achèvement momen- et ses significations, soit Le feuillet
tané. initial du Libro de Vasari (1930).
Blanchot dit dans son Entre· Pour le profane, le sujet est plu-
tien infini que le livre survivra tôt rebutant : il s'agit d'un feuil-
à la disparition du livre, c'est-à- let d'esquisses conservé à la Bi-
dire que la littérature constitue bliothèque de l'Ecole des Beaux
un secteur de l'expérience indé- Arts de Paris, représentant de
racinable. La peinture. au sens nombreuses petites figures isolées
où la pratiquèrent Staël, Giaco· et groupées, attribuées à Cima-
metti ou Atlan est, elle-aussi, bue. Et pourtant Panofsky va fai·
une expérience indéracinable. re de cette feuille le support d'un
suspense, construisant son exposé
Jean Duvignaud à la manière d'une énigme poli.
16
L'esprit de la Renaissance
cière, l'articulant comme une nQU- l'un des artistes qui contribuèrent
velle, usant d'une langue limpide à faire sortir la peinture du style
et installant les preuves érudites gothique, pour accomplir un pre·
au bas des pages, en notes. mier pas en direction de la per-
Dès les premières lignes, l'énig- fection classique reconquise, il ne
me est posée, puis développée pouvait se servir que d'une archi-
dans son épaisseur : tanalyse sty- tecture ayant franchi cette même
listique révèle que le feuillet at· étape, et devait par conséquent
tribué à Cimabue n'est pas de lui, faire appel à ArnoUo di Cambio.
mais d'un copiste de la fin du Or, précisément, les principaux
Trecento. Alors pourquoi cette at· éléments gothiques de l'encadre·
tribution? A cause du pourtour ment sont empruntés à la cathé·
du dessin : une architecture fein· draIe de Florence et à Santa
te, dans le style ,gothique, et qui Croce, attribués par Vasari à Ar·
porte une inscription attribuant noUo.
l'œuvre à Cimabue. Mais cette arA En filigrane du récit et de la
chitecture est l'œuvre de Vasari démonstration policière, se dé-
à qui appartenait la collection de ploient la définition structurelle et
dessins et qui, dans ses écrits, la démonstration culturelle : comA
n'eut pas de mots assez méprisants ment dans l'Italie du XVIe siècle
pour condamner le gothique dont naît une· approche de l'histoire
il disait : «Puisse Dieu préseT'IJer de l'art qui marque à la fois la
tout pays de telles idées et de tel naissance de la conscience histo-
genre de travail ». Alors pour· rique et l'émergence du concept
quoi Vasari a·t·il composé de sa de sciences de l'homme.
propre main cet encadrement go-
En même temps, ce cas particu-
thique ? La réponse va être dévoi·
lier illustre la méthode et la théo-
lée progressivement, par flash- Le décloillonnement opéré par la Renaissance : «Il n'est pas exagéré d'affirmer
rie de Panofsky et leur liaison que dans l'histoire de la science moderne, l'introduction de la perspective marqua le
backs et feintes digressions pour
« organique:t. Et d'abord le fait début d'une première période" (Léonard de Vinci).
n'être livrée que dans les lignes
- encore souligné par la techni·
finales.
que de l'exposé - que l'histoire
Dans un premier temps, Panofs- de l'art, comme toute science hn·
ky va montrer que la production maine est une herméneutique, témologiques de Bachelard, dans donne la vie; moment qui ne
d'un dessin gothique par un hu- que la recherche du sens en est le nouveau volume, la théorie dcs laisse pas toujours percevoir la
maniste italien était possible et l'exigence première. Ensuite que sciences humaines comme le dé- différence qui sépare la percep'
compatible avec la mentalité de cette élucidation du sens ne peut voilement des cosmos de culture tion d'un souvenir témoin quel.
l'époque : à l'encontre des pays s'accomplir que dans la réminis- qui se succèdent par ruptures suc- conque de celle d'un objet d'art ;
du nord où le détachement ré· cence, par l'exercice de cette mé- cessives appelle aujourd'hui un moment qui appelle une confron·
flexif à l'égard du gothique ne se· moire qui est la condition d'exis- rapprochement avec l'œuvre de tation avec les théories récentes
ra pas concevable avant le XVIIIe tence des créations humaines et Foucault. Il n'est jusqu'à l'émer· du «scriptible» dans l'œuvre lit·
siècle, d'emblée, en Italie, la dé· qu'on peut appeler histoire, mé- gence d'une nouvelle figure du téraire.
couverte de la perspective est moire qui sert à définir des lieux, savoir qui est suggérée· dans Sa· En bonne logique, l'homme qui
contemporaine de la mise en pers- Foucault dirait des configurations, vant, artiste, génie : mais sans portait en son cœur l'idéal du
pective historique. L'hostilité des dont la véracité et la pertinence doute la nouvelle ouverture et le décloisonnement renaissant, qui
Italiens au gothique contribuant ne peuvent être à la fois consti- nouveau «décloisonnement» pres· fit la théorie des niveaux de lec-
d'ailleurs à l'aperception de sa tuées et testées que par recréa- sentis par Panofsky ressortiraient ture et de la multiplicité référen·
différence et à l'émergence de la tion. pour lui d'un nouvel humanisme tielle du sens, s'adresse de la mê-
notion de style, assortie du con·
A l'exception du premier essai plutôt que d'une «mort de l'hom- me plume égale au profane et à
cept de convenienza ou confor-
consacré à la méthode et qui est me». l'érudit, à l'artiste et au savant,
mita. une réflexion épistémologique, En fait, c'est par ce type de et il n'est guère étonnant que son
Dans un second temps, Panofs- l'ensemble des chapitres consti· problématique que l'Œuvre d'art livre puisse être également lu (ou
ky s'attache à prouver que cet en- tuent autant d'applications de la et ses significations apparaîtra au interprété) comme une étude de
cadrement possible était, en fait, méthode et de la théorie panof- public de 1970 peut-être plus ac- l'esprit de la Renaissance, une
nécessaire, lié à l'alibi mental de skiennes. Par rapport aux Essais tuelle que les Essais. Cette médi- théorie de la mémoire dans les
Vasari, c'es~·à-dire triplement im- d'iconowgïe centrés sur l'explica- tation sur le temps qui devrait sciences de l'homme, une épisté-
pliqué par sa conception de l'his- tion de thèmes iconographiques une bonne fois régler son compte mologie de l'esthétique ou même
toire de l'art. Puisqu'aussi bien qu'il s'agit de resituer dans leur au mythe terroriste des commen- une critique de la littérature sur
celle-ci est téléologique et opti- contexte structural. l'œuvre d'art cement absolus, laisse néanmoins l'art, de WoUflin à Worringer.
miste, qu'il réduit pour la pre· apparaît davantage comme une ouverte la question des grandes Françoise Choay
mière fois les arts visuels à un problématique et une investiga- ruptures et de leur genèse. Mais
dénominateur commun et, pour la tion plus générale du sens par ré- le problème crucial reste celui po- 1. Editions Gallimard.
première fois aussi, définit le COD- férence au double système spatio- sé par le rôle de la recréation 2. Editions de Minuit, traduit et pré-
cept moderne, le «locus» stylis- senté remarquablement par P. Bourdieu.
temporel spécifique dans lequel dans le déchiffrement de l'œuvre 3. On peut regretter que ce titre n'ait
tique. s'inscrit toute œuvre humaine en d'art : moment de synthèse entre pas été traduit dans sa littéralité. La qua-
Ainsi, nous sommes conduits à général et toute œuvre d'art en une nécessaire érudition relative lité de la présentation et de la traduction
la conclusion que si Vasari avait particulier. Si la théorie des ni- est la même que celle des EssaU d'Icono-
aux « souvenirs témoins» que logie, également dus à B. Teyssèdre.
voulu exprimer exactement la po- veaux de déchiffrement de 1'1co· sont les créations humaines et une 4. Puisqu'il croyait à cette attribution
sition historique de Cimabue (4), nologie évoquait les niveaux épis- véritable Einfühlung qui leur re- erronée.
Marx
Jean-Marie Benoist peu qu'on se serve des mots de la tionné, jalousé et accaparé pendant le moins que nous sachions !) :
1 !ffarx est mort tribu : soupçon, lézarde, brêche. ces dix années où, de lycéen, puis cc La réponse, encore à demi
Coll. Idées, béance, dénotation, pertinence, dis- de disciple et de condisciple, il a silencieuse, qui vient à la rencontre
Gallimard. éd. cours, prélèvement, production ! fallu apprendre à devenir maître de notre question quid juris qui ose
Jean-Marie Benoist écrit donc com- à son propre bord. inciser de sa pétition diagonale les
me tous ceux de son âge et de sa Et c'est un deuxième sujet de textes de Marx et les textes
On meurt beaucoup ces
formation : l'éditeur a beau nous contentement : en un temps oit l'on cc marxistes » concernerait cette
temps-ci l'Homme, Dieu,
celer sa biographie, on ne peut nous explique chaque jour au pe- ossature métaphysique de tout le
Jésus-Christ, Marx sont tous tit déjeuner comme l'Université discours de Marx, la dette, masquée
guère douter qu'il ait été norma-
« morts • cet hiver. Un vrai
lien, qu'il soit philosophe, et qu'il fran~aise était devenue en 1968 le par une Verneinung subtile, que
carnage. temple de l'impuissance mandari- Marx et ses épigones n'en ont ja-
aille sur la trentaine. Mais Jean-
Pou r Jean-Marie Benoist, nale, il y a du réconfort à réviser
Marie Benoist écrit, et c'est un mciis fini de payer à une métaphy-
c'est Marx, le mort. En vérité, de concert avec notre philosophe sique née avec Platon et Aristote,
premier mérite. Il écrit et il écrit
une belle mort. les auteurs des vieux programmes, Parptéil.ide aussi peut-être, et qui
avec soin, avec goût, pas à la ma-
chine, on peut en jurer, ni au ma· admirant au passage l'étendue des les hante, venant obsessionnelle-
D'abord parce que c'est une gnétophone, il rature, il se relit, il lectures et, pourquoi ne pas em- ment « chanter' dans leurs os »,
mort bien-disante. Sans doute, le s'écoute, il se surprend. ployer ce mot avili, la culture ra- semblable à l'âme du frère aîné
style néo-précieux de la génération C'est un premier livre. Un livre: cée, ordonnée, maîtrisée d'un jeune inju.stement mis à mort par son
qui a fréquenté assidûment Lacan, pas un support vieillot qu'on em- théoricien formé dans nos écoles frère et qui chante sa plainte et
Althusser et Tel Quel risque-t-il ploie en attendant mieux, par et nos Universités. sa revendication dans la flûte-tibia
d'agacer des lecteurs ou de les rebu- exemple le support plus moderne Oui, oui, je le veux bien, il trouvée par le ménestrel de la can-
ter. Mais il faut admettre que le de la radio ou de la télévision; suhsiste ici et là comme un reste tate de Mahler, Das klagende
rococo et le chantourné sont aussi pas U11 produit de série où le sujet de pédantisme khagneux dans cette Lied... ».
des cc signes » tracés dans un est 1raité aux moindres frais pour manière de citer nonchalamment Mais, qu'on me pardonne, j'ai-
cc espace épistémologique ». Bien l'auleur, l'éditeur et le lecteur. Mais ses auteurs ainsi que leurs concepts merais avoir plus souvent l'occa-
sûr. c'est surtout un signe de jeu- ce déversoir baroque où tout y de prédilection (formulés bien en- sion de sourire amicalement de
nesse - croire qu'on ne sera pas passe, de ce qu'on a lu, pensé, tendu dans la langue originelle - cette sorte-là d'exhibitionnisme,
compris par cc les autres » pour admiré. discuté, détesté, cru, ques- latin, grec, anglais, allemand, c'est d'ailleurs pas tout à fait superflue.
18
est-ll mort?
Surtout quand ce n'est, comme répertorier, classer, organiser l~ ré- A partir de là, le problème de el$pacè vide que la sagacité dIt
c'est le cas ici, que l'expression seau des significations; à pénétrer Benoist est, les intentions d'Althus- meilleur des exégètes de Marx avait
d'une ultime retenue avant que se innocemment dans les impasses ser désormais admises comme réfé- su pratiq.uer ».
déploie une pensée autonome, sub- pour y constater que la voie est sans rence initiale, de vérifier les moda- De cette insertion de Marx dans
tile et courageuse. issue ; à tomber en arrêt sur la ligne lités concrètes de cette résurrection. la tradition métaphysique de la
La démarche est régressive : suspecte qui révèle une suture illé- Autrement dit, Benoist ne se philosophie occidentale, Benoist
« agacé )) au temps de mai 1968, gitime entre deux analyses concep- contente pas d'enregistrer et de glo- fournit des preuves fort troublantes
J.-M. Benoist, comme le pascali- tuelles de champ différent; à dé- ser sur la coupure épistémologique à partir de cette expression marxis-
sant s'arrêtant pour méditer à cha- couvrir, ravi, le saut, le retourne- qu'Althusser souhaite introduire te classique : « Ce sont les masses
cune des stations où le Christ a ment ou la torsion que ce pas assez entre « un jeune Marx idéologique qui font l'histoire »), plus encore
souffert, s'arrête, pour y trouver malin de Marcuse ou cet excentri- et encore hégélien )) et un « Marx à propos de la « notion hautement
« la métaphysique abritée dans les que de Unine avaient cru nous scientifique »), sur « la ligne de métaphysique ) de comcience dans
plis du discours révolutionnaire », dérober... démarcation entre l'idéologique et cette autre expressiQn marxiste
aux successives « configurations De ces analyses partielles, pas le scientifique )) qu'il faut faire pas- classique de la « prise de couscien-
théoriques » que proposent, des une qui soit indifférente, plat rem- ser « à l'intérieur du champ formé ce de classe », et surtout enfin
plus côntemporains aux plus an- plissage ou pur exercice de style par les textes que l'on regroupe quant au rapport du prolétariat à
ciens, les sociologues de l'événe- académique. Chacune d'elles se emembleso~las~naturedeMau la notion de classe soci8le,
ment - entre tous, le groupe de saisit d'un problème-clef, occupe ou Marx-Engels)); Benoist se « rapport dam lequel joue une
Morin, Lefort et Coudray qui, avec une position par rapport à laquelle donne pour tâche d'aller y voir en relation métaphysique analogue à
Mai 1968 : la brèche, ont réussi se dessine un remaniement général scrutllnt cette fameuse coupure de la relation substance/attribut et
à « donner une analyse pertinente fonctionnant de proche en proche. façon à répondre à trois questions : mode chez Spinoza, l'essence de la
et parfois belle )) - , puis Marcuse, Peut-être dirai-je ma préférence «, ce qu'est la coupure et si elle classe sociale se modalisant d'abord
Mao, Lénine et enfin Marx. pour celles de ces analyses partiel- est )); « ce que refoule la cou- en classe bourgeoise, puis en
Avant de retrouver l'idée, déve- les qui traitent plutôt de « textes )) pure »), sur quoi décide la cou- « classe D prolétarienne, et, par la
loppée en conclusion, en fonction que de situations historiques concrè- pure »). révolution, le rapport s'inversant,
de laquelle tout le livre est orga· tes pour lesquelles l'auteur a .un Sur la première question, au la substance sujet-substrat deve-
nisé, il faut dire d'abord l'intérêt outillage mental et des techniques terme d'une analyse serrée où la nant support caché de ce qu'Aris-
considérable des analyses partielles. opératoires moins assurées : plutôt, finalité révolutionnaire est mon, tote nomme ousia kata sumbebêkos,
Intérêt à la fois négatif et posi- si l'on veut, pour l'analyse du type trée comme impliquant une concep- c'est-à-dire substance par accident,
tif. Négatif : la probité de l'expo- d'échec subi par Marcuse dans sa tion totalisante de l'histoire, la- c'est-à-dire propre, sorte de metaxu,
sé refuse tout camouflage qui don- lecture « marxiste » de Freud ou quelle exige à son tour un concept de métastable, d'entre-deux, pris
nerait à croire que Jean-Marie Be- de ce qu'il faut entendre par « Lé- de temps pur, la réponse de Be- entre la catégorie d'essence et celle
noist se meut dans un champ autre nine philosophe ) que pour l'ana- noist est que l'idéologie - la méta- d'accident, mais définie encore
que strictement philosophique. lyse de mai 1968 ou de la révolu- physique - persiste à contaminer métaphysiquement »).
L'auteur, faute d' « expérience tion culturelle chinoise. et envelopper ce qu'il peut y avoir En fin de compte, créditant défi-
vécue D, n'entre donc dans aucune Mais il faut en venir au fond. de scientificité chez Marx : nitivement Althusser d'avoir libéré
discussion « concrète D qui serait J .-M.Benoist n'est pas de sa géné- « Le recours à ce supplément du Marx de tous les marxistes huma.
par exemple de nature à ridiculi- ration seulement par sa langue et sujet tramceT!dantal, les masse.s ou niste, finaliste, subjectiviste, théolo-
ser le thème de la parenté oppres- sa démarche, ou par la configura- le prolétariat, universal scolastique gique, psychologique, Benoist se
sive entre la situation de Siniavski, tion de sa « bibliothèque imagi- travaillant so~ la bannière du prin- propose à son tour, Althusser ayant
fabriquant des caisses dans un camp naire » - outre la lignée des phi. cipe logico-métaphysique de l'iden- reculé devant l'horreur qui consiste
sibérien, et la situation d'un ingé- losophes, Borges, Foucault, Derrida, tité, commarzde une conception uni- à « reconnaître toute l'ossature mé-
nieur d'LB.M. « qui n'a pas le Proust, Barthes, Mallarmé, Bache- taire du t'emps, comme variance taphysique du vieux texte de
dr!Jit de I$ortir en dehors des heu- lard - , il est aussi de sa généra- de la présence en ses deux modes Marx )), de prendre le relàis, et de
res, biologiques, de ses repas ou tion quant au point de départ de de diachronie et de synchronie, dis- ce Marx libéré, dire que, libre, il
de ses repos )). Mais cette probité, son propre itinéraire : ce point de tinction qu'on a voulu mobiliser est aussi «mort» en ce sens que
Benoist la pousse vraiment très loin départ ne saurait se situer qu'après pour sauver la conception marxiste « la révolution épistémologiqUe dont
en tombant dans la rhétorique pure la purge althussérienne, purge qui de l'histoire qui demeure sinon Marx pouvait être dit l'auteur n'af·
et simple, comme en témoigne « a purgé la lecture de Marx-Engels unitaire, du moim unifiable, c'est- fectait qu'un moment révolu de
d'ailleurs le goût qu'~ a pour la de tout le stalinisme cynique ou à-dire toujours logée chez Aristote l'histoire des sciences, que cette
terminologie des figures classiques. honteux, de tout le gauchisme décé- et Platon et à travers eux chez révolution ne produisait pl~ qu'une
Intérêt positif : Benoist a lu ses rébré, de tout le christianisme Parménide ). scientificité archaïque, un monu-
auteurs, non seulement il ne nous teilhardo-marxiste », purge qui, De telle sorte qu'on a beau com- ment commémoratif obsolescent D.
en, parle pas en bel esprit par somme toute, a rendu possible une prendre en quel sens on peut parler Ce n'est pas le lieu de se pronon-
ouï-dire, non seulement il ne nou., « lecture libératrice ») de Marx. du passage d'un Marx idéologique, cer ici sur la validité de cette
en parle pas avec désinvolture à Le problème de Benoist n'est « encore soumis à l'attraction et à conclusion : le renfournement de
l'aide de ces « allusions trompeu- donc plus d'apprécier la légitimi~é la force de la gravitation hégé- Marx dans l'épistemé du XIXe siè-
ses D qui ne trompent personne de l'entreprise althussérienne par lienne et feuerbachienne »), à un cle, pour employer la terminologie
quant au fait qu'il n'y a rien der- rapport aux entreprises antérieures . Marx « à prétention scientifique »), foucaldienne, ne se décrète pas,
rière l'allusion, mais il consent à qui tantôt tiraient Marx du côté il reste que : c'est, ce doit être encore un objet
faire devant nous et pour nous d'un romantisme arbitraire néo- « Telle Eurydice [la coupure] se d'étude, d'une étude pour laquelle
de patientes « leçons d'agrégation D. hégélien, tantôt le tiraient du côté dérobe si l'on tente de porter sur il faut attendre beaucoup de Jean.
Et c'est passionnant : cette atten- d'un scientisme mécaniste. L'ohjec- elle le regard. L'aveu que toute Marie Benoist : sa compétence faite
tion au texte, cette démarche méti- tif althussérien cardinal est en effet l'écriture de Marx est obligée de de savoir, de vigueur et du sens
culeuse qui, appuyée sur un énorme pour Benoist atteint : « Marx est faire malgré qu'elle en ait, de son des zones nodales nous permet de
savoir contre lequel viennent bu- un texte »). Bref, à cette étape, le appartenance à l'espace d'une mé- penser qu'un philosophe nous est
ter, et s'éprouver, lâcher prise ou marxisme est mort et Marx est res- taphysique-ontologie de la pré- né.
triompher les découvertes, vise à suscité. 8ence, rature la coupure, biffe cet Annie Kriegel
Un inédit du Marx
La publication d'un texte de gleterre un tour assez aigu Il est vrai qu'il ne concerne le Marx « hégélien ») et le Marx
jeunesse de Marx : Fonde· - de donner à nos lecteurs qu'une partie du plan initial de « marxiste » et sur la prétendue
ments de la critique de l'éco- leur opinion à ce sujet. Peter la grande œuvre de Marx, tel qu'il « coupure épistémologique » et
nomie politique (Anthropos) Wiles est professeur à la Lon- l'expose en 1857. Cependant les autres allégations de ce genre. En
plus connu sous le titre de don School of Economies et Grundrisse contiennent une masse fait, ils font considérablement dou-
son diminutif allemand. Grun· a publié The political Economy de matériaux que Marx y a notés ter de la valeur de telles discus-
drisse, a suscité, comme il of Communisme. E.J. Hobs- au fur et à mesure de sa réflexion sions, car ils démontrent la conti-
fallait s'y attendre, un énor- bawn est également profes- et qui, ainsi que l'avait remarqué nuité substantielle entre la pensée
me intérêt et des prises de seur (à l'Université de Lon- Engels, appartiennent davantage du « jeune ) Marx et du Marx de
position variées. dres) et nous connaissons de aux tomes ultérieurs. D'autre part, la « maturité »). Dans tous les cas,
Nous avons demandé à lui, en français, Les Primitifs il est vrai que le plan du Capital ils ne fournissent aucun argument
deux spécialistes anglais de de la Révolte (Fayard) dont a été substantiellement modifié en- à ceux qui tendent à trouver le dé-
Marx - qui ne sont pas d'ac- nous avons rendu compte ici- tre 1857 et 1867. Marx, dont la clin de l'influence hégélienne sur
cord entre eux, et parce que même (voir la O.L. n° 13, du pensée était continuellement en Marx. Grâce au magnifique travail
la polémique a pris en An- 1er octobre 1966). évolution, était rarement satisfait réalisé par l'Edition Moscou-Berlin,
par des constructions schématiques les nombreuses références et allu·
et a même modifié la partie publiée sions à Hegel et plus particulière-
du Capital d'une édition à l'autre, ment l'interpénétration féconde de
et aurait probablement continué de l'argumentation hégelienne et ricar-
Les Grundrisse sont la der 1968) constitue jusqu'ici l'analyse le faire. Toutefois, cela n'affecte dienne, de la philosophie et de l'éco-
nière œuvre importante de la plus complète des Grundrisse. en rien la situation unique des nomie, peut être clairement identi-
Marx à être publiée et elle a (1) Grundrisse dans l'ensemble de son fiée, tout autant que l'absenec totale
été mise à la disposition de œuvre. C'est la première version de références à Feuerbach.
ceux qui s'intéressent au L'ouvrage a été réédité à Berlin- du Capital, et une version plus Désormais, nous sommes en me-
marxisme environ un siècle Est en 1953, ce qui a constitué en complète que celle de la Contri· sure de saisir plus clairement les
après avoir éCrite. fait la première édition accessible. butwn à la critique de l'économie modifications profondes dans l'ann-
Cependant, même cette édition est politique qui en a été tirée. Elle lyse économique de Marx, telle
La curieuse histoire de la pu-
restée pendant plusieurs années re- porte sur de nombreux domaines qu'elle résulte de ses recherches
blication de cet ouvrage est
lativement inconnue ou du moine qui n'ont été traités spécifiquement dans les années 50 - le transfert
aujourd'hui bien connue.. Rien
n'a pas eu l'écho qu'elle méritait. ni dans le permier tome du Capital du centre de gravité de son analyse
n'en a été publié du vivant
Jusqu'en 1960, les discussions publié du vivant de Marx, ni dans du champ de l'échange capitaliste
de Marx et d'Engels, si l'on en
marxistes n'en tiennent pas comp- ceux qui ont été publiés après sa à celui de la production. Nous
excepte les· premiers chapi-
te, et les traductions dans les au- mort. Il constitue pour nous un n'avons pas à entrer dans le débat
tres qui ont constitué la base
tres langues sont lentes à se faire. guide d'une valeur inestimable pour au sujet de la date à laquelle l'éco-
de la Contribution à la criti· (2)
que de l'économie politique, connaître les intentions de Marx nomie politique marxienne devient
publiée en 1859. Jusqu'en Cette négligence est étrange et et le cheminement de sa pensée. véritablement marxiste, par exem-
1939, les seules parties de difficile à expliquer. Car on ne Par conséquent, les Grundrisse ple lorsque le terme de force de
l'ouvrage qui ont été publiées peut douter de l'importance de ce sont essentielles pour notre com- travail est substitué à celui de tra-
sont les essais sur Bastiat et manuscrit (le titre étant celui des préhension de Marx. En premier vail. Selon Engels, c'était certaine-
Carey et ce qu'on a appelé éditeurs de Marx) dans le dévelop- lieu, ils nous permettent de suivre ment après 1849. Ce qui est clair,
l'Introduction à la critique de pement de la pensée de Marx. Il l'évolution de sa pensée. Ils jet- c'est que les Grundrisse représen-
l'économie politique, tous a été écrit lors d'une période d'in- tent une vive lumière sur la contro- tent la première élaboration com-
deux pub 1 i é s dans le tense travail, entre octobre 1857 verse touchant la prétendue oppo- plète de cette économie politique
Neue Zeit de Kautsky. Cette et mars 1858, à un moment où sition entre le « jeune Marx» et marxiste au stade de maturité.
introduction, qui est en réali- Marx s'attendait à une reprise le Marx de la « maturité », entre Aucune discussion sur les pro-
té . celle des Grundrisse et immédiate de la crise révolution-
non pas celle de la Contribu- naire européenne et qu'il essayait
tion à la critique de l'écono- fiévreusement de rédiger une éla-
mie politique publiée en 1859, boration cohérente et systématiqut" M.
a été depuis longtemps re- de toute sa théorie économique,
~
connue comme un des exem- pendant qu'il avait encore le temps
de le (aire. Cette œuvre représen- VOl.
ples les plus brillants de la
puissance a n al y t i que de tait, comme il l'a écrit à Lassalle, Daw
Marx. « le résultat de 15 ans de recher-
ches, c'est-à-dire les meilleures an- lIOuscrit un abonnemeat
nées de ma vie ». C'est donc à tous D d'un an 58 F / Etranger 70 F
les points de vue l'ouvrage de la o de six mOŒ 34 F / Etranger 40 F
L'ensemble du manuscrit a été maturité de Marx, et il a essayé de règlement joint par
publié entre 1939 et 1941 à Moscou le publier, mais seule une partie
en deux volumes, édition qui èst du matériel a vu le jour lors de
o mandat postal 0 chèque postal
presque immédiatement devenue la publication de la Contributwn o chèque bancaire
introuvable à la suite de la guerre. à la critique de l'économie politi- Renvoyez cette carle il
A peine trois ou quatre volumes que. En fait les Grundrisse consti-
ont-ils pu atteindre le monde occi- tuent la première rédaction du Ca- La Quinzaine IItt4rat. .
dental et parvenir aux Etats-Unis pital ou plutôt de ce vaste et com-
à un ou deux chercheurs marxis- plexe ensemble théorique dont 43 rue du Templ~. Paru 4.
tes, comme feu R. Rosdolsky, dont Marx n'a pu achever que ce qui C.C.P. 15.SS1.53 Paris
le Zur Ents~ehungsgeschichte des se trouve dans le premier tome du
Marxschen Ka pit a l (Francfort Capital.
20
d'avant le cc Capital "
le fondement principal de la pro-
duction de la richesse; c'est l'ap-
Un texte essentiel propriation de sa force productive
générale, son intelligence de la na-
ture et sa faculté de la dominer,
par E.J. Bobsbawm dès lors qu'il s'est constitué en un
corps social; en un mot, le dévelop-
pement de l'individu social repré-
sente le fondement essentiel de la
blèmes généraux du développement drisse clarifient et approfondissent production et de la richesse.
- et par conséquent de la nature notre compréhension de la méthode « Le vol du temps de travail
- de la pensée de Marx n'est plus marxienne, le manuscrit contient d'autrui sur lequel repose la riches-
possible si l'on néglige les Grun- aussi certains passages où sont se actuelle apparaît comme une
drisse. Non seulement ils mettent abordés des problèmes dont Marx: base misérable par rapport à la
en lumière un certain nombre d'as- ne traitera nulle part ailleurs, dans base nouvelle, créée et développée
pects spécifiques du marxisme, ses ouvrages de maturité. Il est par la grande industrie elle-
mais certaines parties du livre ré- peut-être heureux que leur publica- même » (3). Marx jeune.
vèlent un Marx contemporain aussi tion ait connu un tel retard, cal' il On peut estimer que c'est seu-
étonnant qu'insoupçonné. bien des égards le type d'économie lement lorsque cette étape est attein- nouvelle façon: il se développe en
Ils éclairent tout particulière- qu'ils éclairent ne s'est réalisé plei- te qùe les contradictions fondamen- même temps par le sport et l'exer-
ment le modèle marxien du déve- nement qu'au cours des dernières tales du capitalisme deviennent in- cice (dans la mesure où il s'agit
loppement historique de la socié- décennies. surmontables et que la société d'activités physiques) et par les ac-
té. Cet aspect nous est maintenant N 0 u s comprenons heaucoup bourgeoise aura fait mûrir en son tivités créatrices et expérimentales,
familier, étant donné que la sec- mieux maintenant lorsqu'il parle sein les conditions matérielles ren- par la réalisation de la science, du
-tion des Grundrisse traitant des du capitalisme comme d'une socié- dant possible une solution globale savoir humain et du contrôle sur la
formations économiques pré-capi- té de consommation, que n'auraient de ces contradictions. On peut esti· nature. La distinction entre travail
talistes a été traduite séparément pu le faire les générations précé- mer que du moment que « l'huma- et loisir se trouve abolie, mais pour
dans diverses langues, et a déjà fait dentes. Les Grundrisse s'ouvrent nité ne se fixe que des tâches Marx cette Aufhebung implique
l'objet de larges discussions depuis sur la remarque que le procès de qu'elle peut résoudre », les condi- une analyse et une exploration du
quelques années. Elles ont porté en production, vu sous l'angle histo- tions pour mettre fin « à la période procès de la créativité humaine,
particulier sur ce qu'on appelle le rique, ne crée pas seulement l'objet préhistorique de la société humai- que les penseurs marxistes auraient
mode de production asiatique, et de consommation, mais aussi le be- ne », commencent seulement main- intérêt à poursuivre.
dont le manuscrit traite de façon soin de consOmmation et le style tenant à se réaliser à l'échelle mon- Il n'est pas possible dans le ca-
plus systématique que tout autre de consommation, y compris, d,lIls diale. Il ne fait pas de doute que dre de ce bref article d'indiquer,
écrit de Marx, mais l'intérêt que le régime capitaliste, la consomma- la discussion de Marx sur la révo- autrement que par quelques réfé-
les Grundrisse présentent pour les tion de masse des ouvriers. Nom- lution technique se rattache direc- rences non-systématiques, l'intérêt
historiens est encore plus considé- breux seront les lecteurs qu'impres- tement à ses observations sur le remarquable que présente ce ma-
rable. En dehors des intuitions sionneront profondément les prévi- travail et le loisir, qui constituent nuscrit. C'est un texte difficile -
éclairantes notées par Marx au sions de Marx (en 1857-8!) sur une de ses rares explorations de écrit par Marx dans la fièvre d'un
fur et à mesure, l'ouvrage contient l'économie automatisée, produit de l'avenir socialiste. intense effort intellectuel, « une
quelques réflexions profondes sur la révolution scientifique et tech- Ces passages (qui incidemment course contre la montre », et dans
la méthodologie historique de Marx. nique que le capitalisme crée lui- critiquent la conception de Fou- lequel il voit parfois une sorte de
Il n'a pas, écrit-il, fait œuvre même: riel', qui voit dans le travail un di- sténographie intellectuelle destinée
d'historien au sens strict du terme, « Le travail ne se présente pas vertissement) sont une fois de plus à la clarification de sa propre pen·
mais il a exploré une méthode tellement comme une partie cons- d'un intérêt considérable. Les Grun- sée. Néanmoins, rares sont ceux
bien plus complexe consistant à titutive du procès de production~ drisse contiennent de nombreuses de ses écrits qui illustrent de façon
combiner les analyses statique ct L'homme se comporte bien plutôt références au problème des besoins plus vivante son mode de pensée,
dynamique des formations sociales comme un surveillant et un régu- humains et de la nature du travail, sa méthode, et son extraordinaire
et permettant de reconstituer les lateur vis-à-vis du procès de pro- bien que Marx éprouvât des diffi· génie. Toute discussion sur le mar-
pré-conditions d'une époque anté- duction. Cela vaut non seulement cultés à' les intégrèr dans son. rai- xisme qui ne tiendrait pas compte
rieure déjà dépassées (aufgehobene, pour la machinerie, mais encore sonnement. Il rejette la dichotomie de ce texte, ne pourrait désormais
pour utiliser un terme hégélien) à pour la combinaison des activités simplè travail-loisir de la théorie être prise sérieusement en consi-
partir du modèle analytique du ca- humaines et le développement de bourgeoise - et de la pratique dération.
pitalisme actuel, et à déduire égale- la circulation entre les individus ». bourgeoise - , mais aussi la naïve E.J. Hobsbawm
ment le système futur à partir de Le travailleur n'insère plu.~, dissolution de cette dichotomie dans
la combinaison analytique du passé comme intermédiaire entre le mu- le. jeu-travail universel de Fourier. 1. Voir également la contribution de
et du présent. La différence entre tériau et lui, l'objet naturel trans- Il voit plutôt la transformation p0- R. Rosdolsky, La signification du Capitul
les écrits de Marx strictement :, his- formé en outil, il insère à présent tentielle de l'homme par la réduc- dans la recherche marxüte contemporaine,
in En portant du Capital, ouvrage collectif
toriques » (par exemple le Dix-huit le procès naturel, qu'il transforme tion du temps consacré aux for- publié à l'occasion du centenaire du Capi-
Brumaire) et les aspects historiques en un .procès industriel, comme mes anciennes de travail, « l'effort tal, aux Editions Anthropos, Paris 1968,
de ses écrits théoriques plus géné- intermédiaire, entre lui et toute la de l'homme en tant que force na- (N.D.L.R.).
raux, ne peuvent pas être pleine- nature, dont il s'est rendu maître. turelle (Naturkraft) s'exerçant 2. La première édition en fl,'llIlÇ8Ïs a
été publiée par les Editions Anthropos en
ment compris sans une connaissance Mais lui-même se trouve place à d'une certaine façon ». Le temps 1967 (en deux volumes) sous le titre :
des Grundrisse. Il en est de même côté du procès de production, au libre, c'est à la fois celui des loi· Fondements de la critique de l'économie
pour certains concepts analytieo- lieu d'en être l'agent principal. sirs et celui consacré à des activi- politique (traduction Roger Dangeville).
historiques importants, tels que ce- « Avec ce bouleversement, ce tés supérieures, ce qui permet à N.D.L.R.
3. Karl Marx, Fondements de la cri-
lui d'« accumulation primitive ». n'est ni le temps de travail utilisé, l'homme transformé de réintégrer tique de l'économie politiqlle, tome Il,
Cependant, en dehors des nom- ni le travail immédiat effectué par le procès de production, - grâce chapitre du capital, p. 221, Edition.~
breux points sur lesquels les Grun- l'homme qui apparaissent comme à ces activités supérieures - d'une Anthropos, Paris.
24
TBÉATRB
Orden
Bourgeade, Arrigo cie ne dit pas seulement le dé-
1
.
et Lavelli
Orden
Tréteaux d~ France
Les Grandes vagues Révolutions de la liberté et de 1'6g. XVI' et XVII' si6cles, la replaçant dans fesseur Pierre Chaunu peut apporter,
révolutionnaires lité, non seulement les causes pro- le contexte des révolutions européen- en revanche, des vues nouvelles sur
fondes et immédiates du phénomène nes de l'époque. la guerre d'indépendance américaine;
Calmann-LéV)' révolutionnaire français, mals aussi qu'une telle entreprise peut à la fols
son impact en Europe et en Amérique Ce refus délibéré et fructueux d'une intéresser tout homme cultivé et ani-
Un petit garçon à qui on demandait et le pouvoir persistant de sa charge histoire à corset et à frontières qui mer la réflexion des spécialistes.
ce que c'était qu'une révolution, ré- explosive en d'autres lieux et à d'au- prétendrait enfermer les vagues dans
pondait: « Une révolution, c'est quand tres époques. les tiroirs, s'accompagne d'une extrê- Notons que les éditions Calmann-
il se passe quelque chose.• La collec- me attention portée aux suites histo- Lévy viennent de signer un contrat
tion des «Grandes vagues révolution- De son côté, l'historien allemand riques des grands mouvements étu- avec l'éditeur américain Harpers and
naires. c'est, au fond, l'histoire des Ernst Nolte ne limite pas son histoire diés. Raconter et analyser comme le Row' .pour l'ensemble des volumes
«temps forts. (et violents) de l'hu- des Mouvements fascistes à celle de fait Paul Akamatu la révolution Meiji qui, 'aux Etats-Unis, seront publiés si-
manité, la crête des flots dominant Mussolini et de Hitler, mals s'attache du Japon, c'est nous amener à voir multanément au format traditionnel et
la bonace de l'histoire «non-événe- à nous faire revivre l'ensemble de vivre le Japon depuis l'ouverture de au format de poche. C'est là une réus-
mentielle •. En quinze volumes, cette contre-révolutions fascistes e n t r e ses frontières, il y a un siècle, jusqu'à site dont on ne peut que féliciter les
collection se propose de condenser le 1919 et 1945 dans toute l'Europe. l'inauguration de l'Exposition d'Osaka promoteurs de la collection car elle
mouvement même de l'histoire, de sai- C'est dans le même esprit et la mê- aujourd'hui; c'est nous faire compren· répond à son principal objectif, prou-
sir les minutes de vérité où les por- me perspective què Jean Sigmann, dre, du même coup, les origines d'un vant qu'il est possible d'en finir' avec
tes du destin des sociétés tournent dans le dernier volume paru de la col- développement économique sans pré- le fossé qui sépare la culture univer-
sur leurs gonds. lection : 1848 - Les Révolutions roman- cédent et les difficultés politiques ac- sitaire de celle de l'homme moyen,
tiques et démocratiques de l'Europe, tuelles d!J Japon contemporain. Lors- l'isolationnisme culturel de la France
On retrouve dans les six premiers souligne l'extrême complexité' des que Ch. P. Fitzgerald décrit révolution des grands courants d'idées interna-
volumes parus les principes qui gou- idéologies auxquelles celles-ci se rat- de la Chine des Mandchous à Mao tionaux.
vernent l'organisation de l'ensemble. tachent et s'efforce d'en expliquer .les Tse-Toung, c'est l'enchaînement né-
Les facilités contestables de la vulga- contradictions. cessaire de toutes les révolutions chi- Ouvrages à paraître :
risation et les prétentions jargonnan- noises du XX' siècle qu'il explique,
tes du pédantisme sont évitées avec Cet «angle de prise de vue. de c'est la spécificité même d'un phéno- Les Soldats du peuple au pouvoir •
soin. Le «découpage. domine tou- la collection se retrouvera dans les mène révolutionnaire marqué par J'al- Les révolutions militaires dans les
jours les frontières étroitement politi- ouvrages en préparation, comme les liance fondamentale des lettrés et pays afro-asiatiques au XX· siècle, par
ques: ainsi, Robert Mousnier embras- Soldats du peuple au pouvoir, où des paysans, ces « deux roues essen- Pierre Rondot.
se dans Fureurs paysannes - Les Pierre Rondot étudie les révolutions tielles de la carriole chinoise'. qu'il
militaires dans 'les .pays afro-asiati- analyse hier et aujourd'hui. Ongles bleus, Jacques et Clompl • Les
paysans dans les révoltes du XVII'
siècle (France, Russie, Chine) l'en- ques d'aujourd'hui, ou dans l'histoire révolutions populaires en Europe aux
des Colons révoltés où Pierre Chaunu XIV' et XV' siècles, par Michel Mollot
semble des révoltes agraires de ce Les auteurs de la collection démon-
ne limite pas artificiellement le phé- et Philippe Wolff.
siècle houleux, des Croquants et Nu- trent que l'on peut être à la fois un
pieds de France aux insurgés de Bo- nomène de sécession de la métro- historien spécialiste et un écrivain Les Fantassins de l'Apocalypse - Les
lotnikov'et de Stenza Razine en Rus- pole aux seuls colons d'Amérique du incisif et vivant; qu'un Américain, révolutions des opprimés au temps de
sie et aux «bandits errants. de la Nord mais dresse une fresque et ap- comme le professeur Palmer, de Prin· la Réforme (XV· et XVI' siècles), par
Chine des Mings (voir le numéro 55 profondit une théorie aux dimensions ceton, peut éclairer d'un jour nouveau Hans J. Hillerbrand.
de la Quinzaine). De même, c'est même d'un continent, ou encore dans la révolution française de 1789 et re-
dans une optique universelle que Ro- l'étude que Brian Manning consacre nouveler l'optique du lecteur français La Révolution puritaine anglaise aux
bert Palmer analyse dans 1789 - les à la Révolution puritaine anglaise aux sur ce point, et qu'un Français, le pro- XVI' et XVII' siècles • Guerres de reli-
26
LES REVUES LETTRES
A LA QUINZ AIN E
gion en France - La révolution d'indé- Europe .. monde civilisé» Que le massacre Wyndham Lewis
pendance hollandaise, par Brian Man- s'organise. Comme le dit en substan·
ning. ce M. ·Perdriel. après tout, Qu'est·ce Je regrette de n'avoir pu prendre
(N° 490491). - Alexandre Dumas
qu'un Indien? Moins qu'un bébé pho- connaissance plus tôt du no 91 de la
Les Colons révoltés - Les révolutions est en vedette dans cette livraison:
que. Un lndien, on ne peut pas se le Quinzaine puisque M. Lafourcade a eu
d'indépendance des Amériques aux à côté de témoignages d'intérêts très
mettre sur le dos... D'autre part, les l'amablité d'y discuter mon petit arti-
XVIII' et XIX' siècles, par Pierre Chao.· divers, des études sérieuses comme
révisions du communisme dans divers cle sur Wyndham Lewis. En 1909,
nu. celle de' M. Maurice Bouvier-Ajam
pays sont étudiées d'assez près. Lewis a effectivement publié une nou-
sur les méthodes de travail de Du-
La Révolution mexicaine, par François mas. Texte curieux de Jean Thibau- velle intitulée The Pole dans le nu-
Chevallier. deau sur Les Trois' Mousquetaires, méro de mai de The English Review.
très riche et peut-être du point de La Passerelle mais ces data bibliographiques, bie",
Les Courants révolutionnaires en Eu· vue .. tel quellien - un tout petit peu étudiés dans la revue dont je rendais
rope, de la Commune à 1903, par hérétique. (N° 1). - Nouvelle revue trimes- compte n'étaient pas utiles dans· un
Miklos Molnar. trielle conçue, dirigée, écrite et pu- article d'une colonne et demie. Si
bliée par Pierre Béarn. Kandinsky n'a pas collaboré à Blast,
1940-1944 • Vichy - La dernière contre- je déplore par contre mon erreur;
révolution française, par Stanley Hoff- Les Temps Modernes
je reprenais là une informàtion don-
mann. née dans Agenda, page 90.
(N° 283). - C'est le génocide du Le Point d'être
1917·1921 • Les Soviets • Les révolu- Biafra Qui forme l'ossature de ce nu- Quant aux livres en question, je
tions bolchéviques de l'Europe en méro avec cette phrase cruelle de Ri- (N° 1). - Encore une jeune revue les ai lus, pour le compte du même
guerre, par François-Xavier Coquin. chard Marienstras: • N'empêche qu'il de poésie. Eclectique dans son esthé- éditeur que M. Lafourcade, et nous
ne faut pas prononcer le mot • géno- tique, elle mêle poètes connus et dé- divergeons sur leur sens comme au
cide .. : il s'agit de cas individuels, butants. On remarquera des textes de sujet de l'engouement passager de
c'est un regrettable accident qu'on va Jean Laude, Robert Marteau, Miodrag Lewis pour le fascisme; jé crois,
Les Chemins s'employer à réparer au mieux Coo) et Pavlowitch (traduit· par Marteau), ainsi que l'a rappelé Julian ISymons
puis, n'est-ce pas, personne n'a voulu dans. le !-ondon Magazine, que cela
de l'impossible cela. C'est vrai: on a seulement voulu
Georges Badin, Oleg .Ibrahimoff, Ber·
.. avait commencé avec un livre sur
nard. Noël et Jean-Louis Chrétien.
Albin Miohel réduire les Biafrais à ce qu'ils sont Hitler en 1931 et continué jusqu'en
devenus. On a réussI. .. Pour suivre, un J.W. 1937 avec Count your dead »; les dé·
Une nouvelle collection vient d'être texte du Groupe du 22 mars sur ce négations de The Jews Are They Hu-
inaugurée sous ce titre chez Albin Qu'on a appelé .. le complot anarchiste man et de The Hitler Cult au moment
Michel. Consacrée à des essais et des en Italie -. Enfin, une étude réjouis- Les méfaits de la oensure où éclatait la guerre ne me semblent
études aux frontières du fantastique et sante sur le mensuel .. Lui -. ni recevables ni dénuées d'équivoque,
de l'ésotérisme, elle s'efforcera de re- (Mars 1970). - En matière de gé- Par arrêté du ministre de l'Intérieur, et je donne raison aux collaborateurs
constituer en un tableau d'ensemble nocide, en 1970, on a l'embarras du le 6 mars, le livre de Carlos Mari· d'Agenda de n'avoir pas entrepris de
toutes ces théories et traditions se- choix: après le Biafra (dans ce numé- ghela Pour la libération du Brésil, les discuter. Une controverse serait
crètes qui, en tous temps et en tous ro, le témoignage d'un médecin), l'ex- paru dans la collection .. Combats -, vaine : nous accordant sur le génie
pays, furent combattues et condam- termination des Indiens d'Amérique aux éditions du Seuil, a été interdit à de Lewis, M. Lafourcade a le droit
nées parce Qu'elles rompaient en vi· latine. Un spécialiste des questions la vente. Leader des guérilleros bré· d'être en désaccord avec le fond de
sière avec la science, la philosophie colombiennes, Michel Perdriel. témoi- siliens, Carlos Marighela a été abattu mon article.
et la religion officielles. one: c'est dans l'indifférence du en novembre 1969. Serge Fauchereau
et pour toutes les autres compétitions. Il peut arriver, certes, tous deux risquent autant, attendent avec le même espoir insensé
que le public des stades, ayant mis taus ses espoirs dans un la victoire, ·avec la même terreur indicible la défaite.
Athlète, soit ~articulièrement déçu par la médiocrité de sa perfor- La mise en pratique de cette politique audacieuse a abouti à
mance et e /vienne à l'assaillir, généralement en le bombardant à toute une série de mesures discriminatoires que l'on peut, grossiè·
coup de illoux ou de projectiles divers, fragments de mâchefer, rement, classer en deux groupes principaux: les premières, que
débris acier, culs de bouteilles, dont certains peuvent se révéler l'on pourrait appeler officielles, sont annoncées au début des
ext~emement dangereux. Mais, la ~Iupart du temps, les Organisa- réunions; elles consistent généralement en des handicaps, posi-
.téurs s'opposent à de telles voies de fé!it et interviennent pour tifs ou négatifs, qui sont imposés, soit ~ des Athlètes, soit à des
protéger la vie des Athlètes menacés. équipes, soit même, parfois, à tout un village. Ainsi, par exemple,
Mais l'inégalité des traitements réservés aux vainqueurs et aux lors d'une rencontre W contre Nord-Ouest W (c'est-à-dire une ren-
vaincus n'est pas, loin de là, le seul exemple d'une injÜstice systé- contre de sélection), l'équipe du 400 m W (Hogarth, Moreau et
matique dans la vie W: Ce qui fait toute l'originalité de W, ce qui Perkins) peut avoir à courir 420 m, alors que l'équipe Nord-Ouest W
donne aux compétitions ce piment unique qui fait qu'elles ne res- (Friedrich, Russell, De Souza) n'en aura que 380. Ou bien,. dans
semblent à aucune autre, c'est que, précisément, l'impartialité des les Spartakiades par exemple, tous les concurrents d;Ouest-W
résultats proclamés, dont les Juges, les Arbitres et les Chrono~ seront pénalisés de 5 points. Ou bien encore, le 3" lanceur de poids
métreurs sont, dans l'ordre respec~if de leurs responsabilités, les de Nord-W (Shanzer) aura droit à un essai supplémentaire. .
implacables garants, y est fondée sur une injustice organisée, Les secondes mesures sont imprévis!bles; elles sont laissées
fondamentale, élémentaire, qui, dès le départ, instaure parmi les à la fantaisie des Organisateurs, et particulièrement des Direc-
participants d'une course ou d'un concours une discrimination qui teurs de Courses. Le public peut également, mais dans une bien
sera le plus souvent décisive. moindre mesure, y participer. L'idée générale est d'introduire dans
Cette disçrimination institutionnelle est l'expression d'une poli- une course ou dans un concours, des éléments perturbateurs qui,
tique consciente et rigoureuse. Si l'impression dominante que l'on tantôt, minimiseront les effets des handicaps de départ et, tantôt,
retire du spectacle d'une course est celle d'une totale injustice, les accentueront. C'est dans cet esprit que les haies des courses
c'est que les Officiels ne sont pas opposés à l'injustice. Au contrai- d'obstacles sont parfois légèrement déplacées pour un des concur-
re, ils pensent qu'elle est le fermel1t le plus efficace de la lutte rents, ce qui lui interdit de les franchir dans la foulée et l'oblige
et qu'un Athlète ulcéré, révolté par l'arbitraire des décisions, par à un piétement qui s'avère souvent désastreux pour sa perfor-
l'iniquité des arbitrages, par les abus de pouvoir, les empiètements, mance. Ou bien, au plus fort d'une course, un arbitre fallacieux
le favoritisme presque exagéré ·dont font preuve à tout instant les peut parfois crier STOP: les concurrents doivent alors s'immobi·
juges, sera cent fois plus combattif qU'1J1 Athlète persuadé qu'il - liser, se figer en plein élan dans une posture généralement insup-
a mérité sa défaite. portable et c'est celui qui tiendra le plus longtemps qui sera pro-
Il faut que même le meilleur ne soit pas sûr de gagner; il faut clamé vainqueur.
que même le plus faible ne. soit pas sfr de perdre. Il faut que (à suivre)
28
J.-J. Brochier Seuil, 320 p., 25 F • Alfred Willener de la guerre libératrice résistance des Juifs • Alexandre Dubcek
Albert Camus, Un recueil d'essais l'image-actlon de au • règne " de Paoli en France, de 1939 à Du printemps à l'hiver
philosophe pour sémiotiques la société ou et à son intégration 1945. de Prague
classes terminales par un professeur la politisation progressive à la France. Préface de M. Tatu
A. Balland, 180 p., 15 F de "Ecole Pratique culturelle Coll. • En toute
Albert Camus des Hautes Etudes Seuil, 352 p., 25 F Jean Matrat
Claude Dervenn Olivier Cromwell liberté"
en question. dont les travaux Une étude étayée sur Fayard. 236 p., 25 F
l'expérience de mai 68 Secrets et gloires Hachette, 256 p., 24,50 F
en ce domaine 14 discours
et où l'auteur analyse du Morbihan Les grandes luttes
font autorité. France-Empire, sur la réalité
l'impact des nouvelles religieuses tchécoslovaque,
Contes arabes 400 p., 21,95 F et politiques
du Maghreb forces culturelles éclairés par un portrait
sur le corps social Les grandes heures dont Cromwell
Recueillis, traduits et les grands héros de Dubcek
fut l'arbitre. dû à l'erivoyé spécial
et annotés par de cette province
J. Scelles-Mil lie BSSA.IS du • Monde " pendant
- - - - : . . - - - - - - • Nefissa Zerdoumi mystique et aventurière. • L ' S·
Maisonneuve & Larose Enfants d'hier uClen tem berg toute cette période.
éd., 336 p., 24 F Préface de les Juifs contre Hitler
La tradition orale, .Jean-Paul Courthéoux Maxime Rodinson Jean Descola Fayard, 600 p., 35 F
aujourd'hui menacée, les grandes heures Une étude d'ensemble • Roger Garaudy
Attitudes collectives Maspero, 304 p., 18,10 F Toute la vérité
d'une civilisation et croissance Une Algérienne nous de l'Espagne sur la résistance juive
Librairie Académique Grasset 200 p., 12 F
pleine de sagesse économique parle des problèmes dans toute l'Europe
et de psychologie. Perrin, 354 p., 27,50 F Un ouvrage de réflexion
Préface d'André Piatier d'éducation en pays de occupée. sur la situation
Librairie M. Rivière, tradition musulmane. Un pélerlnage à
travers l'histoire du communisme
240 p., 20 F en France
G. Zlnk, M. Gravier, Les réactions du corps de l'Espagne.
POLITIQUB et dans le monde
M. Grappin, H. Piard social face .CONOMIB et sur les perspectives
et C. David aux problèmes
SCIE.NCES
François G. Dreyfus d'un • renouveau
Littérature allemande d'information, Histoires profond " du P.C.
de F. Mossé de planification Atlas de biologie des Allemagnes .Andrei Amalrik
Aubier-Montaigne, et de répartition Ouvrage collectif 15 figures l'Union Soviétique
1180 p., 57 F A. Colin, 496 p., 37 F survivra-t-elle en 1984 .Bernard Granotier
480 pl. et schémas les travailleurs
Réédition entièrement en couleurs Une étude historique Préface d'A. Besançon
remise à jour et très complète, Fayard, 128 p., 15 F immigrés en France
.Fernand Deligny Stock, 588 p., 33 F Maspero, 276 p., 18,10 F
augmentée d'un les vagabonds Sous la forme d'un augmentée de Un pamphlet corrosif,
chapitre sur les grands documents en écrit par un Soviétique Une étude d'ensemble
efficaces et autres index de 8.000 mots, à travers laquelle
courants littéraires un panorama complet allemand. et parvenu en Europe
récits l'auteur tente
des dernières années. Maspero, 184 p., 14,80 F de l'organisation de occidentale par des
voies clandestines. de définir le sens
L'expérience d'un la vie. • Hubert Gerbeau de l'immigration au sein
éducateur, '3pécialiste les esclaves noirs de la société capitaliste
• Jean-Charles Payen de la rééducation
Littérature française Konrad Lorenz Coll. • R " Samir Amin française.
des jeunes délinquants. Tous les chiens, Balland, 164 p., 15 F C. Coquery-Yidrovitch
le Moyen Age
tous les chats L'histoire de Histoire économique
Tome 1 l'esclavage, de ses Olivier Guichard
Des origines à 1300 Flammarion, 272 p., 18 F du Congo - 1880-1968
Jean Dutourd révoltes absolues et 3 cartes l'éducation nouvelle
65 photos Par l'auteur de Plon, 124 p., 12,30 F
Arthaud, 380 p., 38 F l'école des jocrisses • L'agression " et de de ses répressions Anthropos, 210 p.,
Flammarion, effroyables. 20,60 F Le point de vue
Un nouveau volume • Il parlait avec du ministre
de la collection 224 p., 16 F les mammifères, Les origines d'un
Un essai très personnel sous-développement de l'Education nationale.
• Nouvelle histoire les oiseaux W. D. Henderson
de la littérature sur ce que l'auteur et les poissons " dû en grande partie
la révolution
française", dirigée appelle • la bêtise (voir le n°. 68 de Industrielle aux déséquilibres • Morvan Lebesque
par Claude Pichois. contemporaine ". la Quinzaine). Coll. • Histoire structurels massifs Comment peut-on être
illustrée de l'Europe" hérités Breton? Essai sur
Flammarion, 215 p., du passé colonial. la démocratie
Desmond Morris française
Philippe Yen Tieghem Bernard Eliade le zoo humain 13,47 F
l'école ouverte Les origines de Jean Barets Seuil, 240 p., 18.F
Dictionnaire de Trad. de l'anglais Les nationalismes
Victor Hugo Seuil, 256 p., 18 F par J. Rosenthal cette révolution, son la politique
Par un jeune déroulement et en révolution provinciaux et,
Nombr; illustrations Grasset, 296 p., 22 F de façon générale,
Larousse, 256 p., 9,70 F professeur, un plan Par l'auteur du ses conséquences. Laffont, 224 p., 15 JE
d'action concret Par le président du l'idée nationale
Collection • Singe nu " pour un Français
• Dictionnaires de en faveur d'une (voir le n° 59 de mouvement
éducation réellement Jon Kimche d'aujourd'hui.
l'homme du la Quinzaine). c Technique et
populaire 1939
xx· siècle". et permanente la bataille escamotée Démocratie ".
les Allemands • Ricardo Ramirez
Alain Profit (Comment lettres du front
Structure et Gilbert Caty guatémaltèque
ont gagné la bataille l'Europe technologique
J.-C. Pichon technologie . de France avant de Trad. de l'espagnol
PBILOSOPBIB Nostradamus des ordinateurs A. Colin/U 2 Maspero, 224 p., 9,50 F
LINGUISTIQUB la livrer) Etude des diverses
en clair A. Colin, 512 p., 58 F Fayard, 224 p., 16 F Par un vétéran
tentatives qui ont visé
Laffont, 344 p., 18 F Introduction Les coulisses de de la guérilla,
Coll. • Enigmes de à l'informatique à élaborer une un ensembJe de textes
la politique anglaise politique
• Gérard Granel l'Univers ". et française, fondée sur la pratique
scientifique révolutionnaire
l'équivoque ontologique moins sur l'ignorance européenne.
de la pensée kantienne des forces en présence en Amérique latine.
Gallimard, 192 p., 22 F Dominique Pire BISTOIRB que sur l'irrésolution.
Une nouvelle lecture Vivre nu mourir • Gérard Chaliand A. Teissier du Cros
de la • Critique de ensemble la résistance J..J. Thiébault
la Raison pure", à la Choix réalisé, introduit Paul Arrighi • Anny latour palestlenne le courage
lumière de Heidegger et commenté par la vie quotidienne la résistance Coll. c Combats • de diriger
et des recherches R. Yan der Elst en Corse au juive en France Seuil, 192 p., 15 F Coll. c Usine nouvelle "
de la métaphysique Alsatia, 512 p., 39 F XVIII" siècle 18 illustrations Un document de Laffont, 344 p., 18 F
actuelle. Les écrits Hachette, 288 p., Stick, 320· p., 28 F première main le premier d'une série
et conférences 17,50 F Un document de sur l'enjeu de dossiers qui seront
prononcées par le Prix Un grand moment première main sur et les modalités consacrés
Nobel de la Paix dB l'histoire l'histoire du du combat au management
Julien Greimas français.
Du sens entre 1958 et 1968. dft la Corse : mouvement de des c fedayin ".
·30
Bilan de mars
Jean·Marie Benoist Louis Gernet de théologie
Marx est mort André Boulanger catholique
Gallimard/Idées Le génie grec Seuil/Livre de Vie.
Une nouvelle lecture dans la religion
de Marx, basée sur
une analyse
A. Michel/L'évolution
de l'humanité
René Schérer LES LIBRAIRES ONT VENDU
de sa situation Charles Fourier
De la religion Seghers
dans le champ de l'époque classique Philosophes de tous
du discours à l'épanouissement •
révolutionnaire de la philosophie
les temps.
Une étude biographique
.. '0
E
.JI .:l!
contemporain. à l'époque hellénistique. et critique sur , &: ..
~pngrie
David~ la nuit tombe
JAMES SAUNDERS
La prochaine fois, Suisse Alémanique
je vous le- chanterai
Un parfum de fleurs AX FRISCH
Comte Oderland
ARNOLD· WESKER rande Muraille
Je parle de 'Jérusalerh. Juan QU l'amour
Racines' .- a géométrie.
Soupe de poulet à l'orgè: ' ti hsieur Bonhomme -
Les quatre saisons Cà paraître) es incendiaires
Argentine j
ècoslovaquie
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Moctezuma 'ACLAV HAVEL
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HECTOR BIANCIOTI'
Les autres, un soir d'été ILAN KUNDERA
(à paraître) es Propriétaires des clé~ -
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ou le testament du chien' Entre chien et loup
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