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ANDRE CHASTEL MARSILE FICIN ET L’ART LES: Dy, DROZ ANDRE CHASTEL MARSILE FICIN ET L’ART Préface de Jean Wirth LIBRAIRIE DROZ S.A 11, rue Massot GENEVE 1996 Page de titre - 1 de 1 (. VI www.droz.org, Onvrage numérisé avec le soutien du Centre national du livre Avec le soutien du www.centrenationaldulivre.fr Comment citer ce livre ? Cette publication numérique résulte d'une conversion de 'édition papier. Afin que les lecteurs des différentes formes de louvrage aient des références communes, le numéro de page de la version papier est reporté dans le flux ou dans la marge du texte, sous la forme(p. Al. Ce livre est cité de Ja méme maniére que sa version papier : Auteur (Prénom NOM) ou (NOM, Prénom), Titre de Vouvrage, Lieu d'édition, Editeur commercial, année de publication (Titre de la Collection, no dans la collection). Références numériques BAN : 9782600305051 Copyright 2014 by Librairie Droz S.A., 11, rue Massot, Gendve Références de lédition papier : ISBN : 2-600-00505-6 ISBN 13 : 978-2-600-00505-0 ISSN : 1420-5254 All rights reserved. No part ofthis book may be reproduced or translated in any form, by print, photoprint, microfilm, microfiche or any other means without written permission from the pu- blisher. Page de copyright - 1 de 1 PLANCHE 1 untitled - 1 de 1 (p. )Préface Tlexiste au moins deux mauvaises maniares de faire de histoire de l'art. La premiére consiste & négliger les ceuvres pour aller chercher au-dela d’elles les déterminations matérielles ou spirituelles qui les expliqueraient ou encore les réalités qu’elles refléteraient. La seconde consiste & les croire autonomes, & les prendre pour des objets qui s’engendreraient mutuellement dans Vindifférence au monde extérieur. L’une procéde d'une subordination de la méthode a des idéologies impatientes, comme le progressisme de naguere ou la correction poli- tique aujourd'hui de mise dans les universités américaines, autre d’une paresse esprit érigée en professionnalisme et d'une adaptation de la méthode au cloi- sonnement des disciplines. Toutes deux possédent leurs slogans, définissent des clans et prospérent comme tout ce qui est facile. La démarche d’André Chastel se caractérisait par une égale distance envers ces deux formes de sottise. Elle n'a donc pas toujours été bien comprise. Les études et les débuts de Phistorien de Vart, entre les deux guerres, furent marqués par les impulsions les plus diverses. Son admiration pour Valéry et sa fréquentation du Collage de Sociologie le poussaient certainement vers les idées générales et le style littéraire, une tendance que Penseignement d’Henri Focillon ne risquait pas de contrecarrer. Cest surtout a I’étranger qu'il trouva une vérita- ble formation dans sa discipline et découvrit, entre autres choses, Piconologie naissante, Ses premiers travaux montrent l'ascendant qu’exergait sur lui I'insti- tut Warburg, tant pour la méthode que pour le choix des thémes. On y reconnait Yorientation diachronique, la recherche des sources qui redescend jusqu’aux ori- gines orientales de légendes comme celle de la reine de Saba, la fascination de la magie, de lastrologie, du réve et de la mélancolie. Le danger était alors d’oublier les aspects formels de Pceuvre et les conditions concrates de sa production, en rapportant globalement son contenu a ’esprit ou aux aspirations d'une époque ‘ou en imaginant le travail de l’artiste comme la transposition mécanique de tex- tes préexistants. En se concentrant progressivement sur l'étude de l'art florentin du Quattrocento, Chastel fut confronté au probléme. On décelait de toute évi- dence une parenté entre /humanisme platonicien de ’intelligentsia florentine et Ia production artistique, mais il ne suffisait pas de faire état de paralléles's. 1) ap- proximatifs et de les mettre sur le compte d’un Zeitgeist ou de mentalités, méme si, comme il 'avoua par la suite, il entretenait alors le réve idéaliste de caractéri- Préface - 1 de 5 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... ser une mentalitét!, Par quelles modalités concrétes le travail artistique peut-il bien se trouver 4 'unisson d'une réflexion philosophique ? La question était et reste le plus souvent éludée, lorsqu’elle ne recoit pas des réponses simplistes et généralement fausses, comme celle qui consiste a faire du peintre le porte-paro- Te d’un théologien ou le transformer en rat de bibliothéque. Durant la gestation de la thése sur Art et humanisme @ Florence au temps de Laurent le Magnifique, plusieurs études témoignent d'une attention soutenue & cette difficulté et d’une stratégie caractéristique qui consiste 4 multiplier les dé- tours pour la prendre a revers. II s’agissait d’abord de mesurer impact des con- traintes matérielles qui s‘imposent a Vartiste et déterminent ou transforment les contenus, d’oi la curiosité pour des techniques comme la marqueterie, la mosai- que et le vitrail dont les historiens minimisaient importance A la Renaissance, préférant s'intéresser aux réalisations apparemment plus transparentes de la peinture et de la sculpture. Mettre en avant la marqueterie aurait pu étre une fa- con de privilégier la routine des ateliers sur les formes élevées de l'art, mais les exigences intellectuelles apparurent ld oft on ne les attendait pas. En mettant en rapport ce qu’on en sait par les textes et les ceuvres conservées, Chastel montra que la marqueterie avait été une technique favorite des perspectivistes dés ’épo- que de Brunelleschi parce qu’elle se prétait 4 la décomposition géométrique des formes et réduisait la représentation a articulation des volumes*, Loin donc de n’étre qu'une transposition rudimentaire de la peinture, la marqueterie constitu- ait pour cela une technique privilégiée, capable d’influer sur le travail des pein- tres. En méme temps, elle entrainait des préférences pour certains motifs et con- duisait au développement de genres comme la vue architecture et la nature morte. Dans une direction toute différente, Marsile Ficin et Vart était un détour com- parable pour saisir l'articulation entre les contenus de la pensée et la réalité ma- térielle des ceuvres dart. Ficin étant la personnalité intellectuelle dominante dans le groupe d’humanistes qui se réunissait 4 Careggi, auprés de Laurent le Magnifique, on pouvait espérer trouver dans ses livres et sa correspondance les clés d'une esthétique. Pour cela, Chastel se fit momentanément historien des idées et qui ne connaitrait pas le reste de son ceuvre croirait que c’était sa spécia- lité. L’hypothase de départ allait de soi. Le platonisme trés synerétique de Ficin, englobant & peu prés toute la tradition néoplatonicienne, se présentait comme une sorte d'esthétique. La place de(o. 11): "homme dans le monde était congue comme celle d’un artiste marchant dans les traces du Créateur, de V'artiste pri- mordial. En combinant les auteurs et en prenant ce qui l'arrangeait, Vhumaniste parvenait méme a neutraliser la condamnation platonicienne de I'llusion mimé- tique. Sion ajoute que son idéalisme faisait écho & celui des peintres florentins qui cherchaient, contrairement aux Flamands, 4 dégager des apparences une réalité supra-sensible mathématiquement ordonnée, tout semblait indiquer qu’il était le porte-parole du milieu artistique. C'est probablement a cette conclusion Préface - 2 de 5 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... quaurait abouti une étude imprécise, mais, en y regardant de plus prés, on dis- tinguait plusieurs difficultés qui ébranlaient hypothese de départ. Il apparut tout d’abord que Marsile Ficin ne fréquentait guére les artistes. Certes, toutes les rencontres entre individus ne laissent pas de traces, mais les peintres et les sculpteurs ne semblent pas avoir été souvent recus & Careggi et rien ne laisse supposer que le philosophe ait jamais fréquenté leurs boutiques. Alberti et Manetti ont bien da avoir des rapports avec l'Académie de Careggi, mais il ne faut pas oublier qu’ils étaient aussi des hommes de lettres. En dehors eux, seuls les fréres Pollaiuolo sont répertoriés au nombre des amis de Ficin. Si exaltation de Penthousiasme poétique, du furor divinus, est théoriquement applicable a Vartiste et finira par lui étre appliquée, elle engendre un rabaisse- ment du métier et de l'imitation qui ne lui est pas favorable. Lorsque Ficin fait Véloge de V'ceil, il s'agit de V'ceil intérieur, tandis que l’ceil extérieur, celui qui don- ne accés au monde sensible et done au monde de l'art, est déprécié. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que son ceuvre ne contienne pratiquement pas allusions 4 la peinture ou A la sculpture. II ui arrive bien de décrire une oeuvre art et de la louer comme un modéle réduit de univers, mais il s’agit d'une hor- loge construite en 1475 par un Allemand et il n’a rien écrit de tel sur une peintu- re ou méme sur une architecture. A défaut d’une interaction immédiate entre la pensée de Ficin et les arts, l’étu- de de Chastel fait finalement apparaitre une situation complexe et non moins intéressante. L'influence de cette pensée sur le discours des artistes se manifeste bien, mais avec retard, dés le début du xvr' siécle en tout cas. Lair de famille quelle présente avec 'ambiance artistique contemporaine s'explique finalement par le travail d’autres individus. A Ia génération précédente, Alberti a fait beau- coup pour rapprocher les points de vues, tandis que Manetti et Landino donnent une légitimation écrite a la gloire des artistes. Du point de vue des passerelles iconographiques entre littérature et peinture, le réle essentiel revient 4 Politien ‘fournisseur d'images et d’énigmes’s. Mais le rdle fondamental de Léonard pour imposer une nouvelle conception». 1v) du travail artistique est indissociable d'une polémique déja bien repérée contre le néoplatonisme. Ce qui se précisera par la suite, grace 4 Robert Klein, ce sont les origines aristotéliciennes et méme thomistes de sa valorisation de la vue et du primat de la peinture qu’elle fonde. Dans les décennies qui précédent le régne de Léonard ~ et cela aussi sera dégagé plus tard — les contrats témoignent d'une parfaite stabilité de la situation sociale de artiste, lequel avait hérité du Moyen Age un statut plus enviable qu'il ne pa~ raissait. L’étude sur Ficin parut en 1954. Elle n’a guére vieilli, sauf peut-étre sur un point : 'usage qui est fait de la notion dart et, accessoirement, de celle d'image. Chastel était trop attentif au sens des mots pour appliquer naivement a ce que nous appelons l'art un terme comme ars qui est beaucoup plus général et désig- Préface - 3de 5 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... ne toujours une capacité intellectuelle ou technique, jamais un stock d'objets privilégiés. 1 met souvent en garde contre la tentation de rapporter telle affir- mation de Ficin sur Part a la peinture ou a la sculpture. Et pourtant, il n'aborde jamais de front le décalage entre cette notion et les termes désignant les prati- {ques figuratives comme nous le ferions aujourd'hui. Dans la premiére partie, in~ titulée ‘L’art, il faut bien admettre que la démarche est hésitante. Partant du pa- ralldle fortement exprimé par Ficin entre le Dieu Créateur et Partifex, Chastel utilise le mot ‘artiste’ dans un sens trés large. Les citations montrent qu'il s’agit aussi bien du poete que du technicien, le peintre étant éventuellement mention- né dans cette derniére catégorie. II met de nouveau en garde contre les interpré- tations abusives, Citant une énumération des arts libéraux qui associe grammai- re, poésie, rhétorique, peinture, architecture et musique et ‘suggére une refonte du vieux systéme des sept arts’, il précise aussitt qu’ ‘elle n’a pourtant pas été utilisée plus avant’ et quelle se trouve dans Pun des derniers écrits de Ficin. Il ajoute ensuite que ‘des affirmations aussi vigoureuses sembleraient appeler une interprétation méthodique des propriétés des arts plastiques que l'on ne trouve, en fait, ni chez Ficin, ni chez ses amis. Purs humanistes, ils ne traitent guére dans leurs écrits que des problémes du langage et de la poésie’. La cause semble donc entendue. Et pourtant, en se servant tantét de propos sur l'art au sens le plus général, tantdt de propos sur la peinture ou l'architecture dont il releve scrupuleusement qu’ils ne sont que des comparaisons pour parler d’autre chose, il reconstruit de bout en bout un discours de Ficin sur 1’ ‘ceuvre d’art’ qui reléve~ rait finalement de la magie. On peut se demander si l'utilisation rituelle d” ima- ges’ ou de ‘figures’ plus ou moins hiéroglyphiques qui est prise 4 témoin avait vraiment, dans l'esprit de Ficin, un rapport spécifique avec l'activité des fabri- quants de retables et de tableaux et si les philosophes tendaient vraiment ‘A con- sidérer les multiples travaux de ces maitres, du point de vue de la ‘magie scienti- fique’. En tout cas, rien n’indique que, pour Ficin, l'art de Botticelli ait été plus magique que celui des horlogers. On fréle constamment le contresens, mais Chastel prend la précaution de présenter comme hypothétique sa reconstitution de attitude de Ficin et établit. v) finalement, dans la conclusion de son livre, que le changement des conceptions de l'artiste avait pris d’autres voies. Pour comprendre ces hésitations et cette recherche un peu désespérée d'une esthétique des arts visuels chez le philosophe de Laurent, il faut se replacer mo- mentanément au milieu du xx" siécle. Edgar De Bruyne venait d’écrire ses mo- numentales Etudes d'esthétique médiévale (1948) qui rendent encore bien des services, mais ne s'interrogeait nullement sur la légitimité de préter une esthéti- que constituée et méme un discours sur l'art aux théologiens scolastiques. Le re- marquable article de P. O. Kristeller sur le systéme des arts venait juste un peu trop tard pour provoquer la remise en cause’. Plus généralement, la notion d'art semblait encore aller de soi et il était difficile d'imaginer que les contemporains de Botticelli n’aient pas déja envisagé la peinture et la sculpture dans un cadre Préface - 4 de 5 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... conceptuel qui serait plus ou moins celui de Vasari et le nétre a la fois. ‘Vu dans cette perspective, le travail de Chastel n’apparait pas comme une ten tative dépassée, mais comme un moment important dans ’établissement de la problématique pertinente. En dilatant 4 Vextréme la notion moderne dart, tout en étant conscient de le faire et en signalant le risque d'équivoque, il montre no- lens volens qu'elle n'est pas applicable et oblige a voir que les ceuvres concernées relevaient d'autres catégories. Aussi ne faut-il pas s’étonner que le grand livre Art et humanisme d Florence pour lequel Marsile Ficin et art préparait le ter- rain commence par une remise en cause de la ‘légende médicéenne’, c'est-A-dire de la maniére dont Vasari avait impos¢ par le texte et par Ia fresque une image anachronique du milieu artistique au temps de Laurent. Cette fois, le ‘transfert des notions’ est situé sans hésitations vers 1500 et mis en rapport avec le départ des artistes florentins pour Rome. On reparle de cet age d’or ott Laurent le Mag- nifique discutait avec les humanistes et les peintres dans les jardins de Careggi, mais comme d'un réve fait 4 'époque du grand-duché et qu'il convient désor- mais d'interpréter. Le travail critique engagé avec l'étude sur Ficin a porté ses fruits. Jean WIRTH Juin 1996 1 Art et humanisme 4 Florence au temps de Laurent de Médicis, 3° 6d. Paris, 1982, préface de 1981, p. XVI et s. 2 "Marqueterie et perspective au XV" sidcle”, in : Fables, formes, figures, Paris, 1978, vol. 1, p. 317- 3 Comme Chastel I'a établi par la suite dans un article lumineux : “Le dictum Horatii quidlibet au- dendi potestas et les artistes (XIII XVI’ siécle)’, in : Fables, formes, figures, Vol. 1, p. 363-376. P.O. Kristeller, “The Modem System of the Arts. A Study in the History of Aesthetics”, Journal of History of Ideas, 12 (1951), 496-528 et 13 (1952), 1 Préface - 5de 5 Table des matiéres INTRODUCTION 7 I, ACHADEMIA CHAREGIANA 7 IL LES PERSONNALITES 27 IIL. « PATER PLATONICAE FAMILIAE » 47 PREMIERE PARTIE - L'ART 65, I, DEUS IN TERRIS : L'HOMME ARTISTE UNIVERSEL 65 IL LE PARADOXE PLATONICIEN ET LA PSYCHOLOGIE DE LART 73 II. CONNAISSANCE ORPHIQUE ET MAGIE 81 DEUXIEME PARTIE LE BEAU 91 I, LUNIVERSELLE VOLUPTE ET LA LUMIERE 91 IL, LUCIDA PROPORTIO 97 III. LES DEUX VISAGES DU MONDE LHOMME ET LECIEL 103 IV. LUNIVERS OPTIQUE 109 V. ACTUALITE DE LA DOCTRINE D’ALBERTI A PACIOLI 117 ‘TROISIEME PARTIE - L’ARTISTE 127 1, EROS : L'ENTHOUSIASME 131 1. EROS COSMIQUE 131 2, AMOUR SACRE, AMOUR PROFANE 134 3. FUROR DIVINUS : L'INSPIRATION 142 IL HERMES 149 1, RESTAURATION DE LA MYTHOLOGIE 149, 2. ENIGMES ET ALLEGORIES 154 3. L'HISTOIRE POETIQUE ET SACERDOTALE 170 IIL. SATURNE 177 1. LES ASTRES ET LE DESTIN TRAGIQUE 177 2. GENIE ET SOLITUDE 182 CONCLUSION 187 I, PROMETHEE ET ORPHEE 187 IL L'ACADEMIE ET LES DEBUTS DE L'HISTOIRE DE L’ART A FLORENCE 197 APPENDICES 207 I, - CHRONOLOGIE DE L'ACADEMIE PLATONICIENNE 207 IL ~ ABREGE DE L'HISTOIRE DE L’ART FLORENTIN 213 II]. - ILLUSTRES ARTISTES FLORENTINS 215 INDEX 217 Table des matiéres - 1 de 2 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... I, — AUTEURS ANCIENS, AUTEURS DES XV° ET XVI° SIECLES IL. - ARTISTE 223 SUPPLEMENT BIBLIOGRAPHIQUE 225 Table des matiéres - 2 de 2 «py.7 INTRODUCTION INTRODUCTION - 1 de 1 I. ACHADEMIA CHAREGIANA* Si Académie florentine du Quattrocento est lancétre des Académies moder- nes, il faut se garder de limaginer d'aprés ses descendantes ; telle que ont célé- brée les historiens des XVII" et XVIII’ siécles, elle releve de la Iégende® Das le milieu du XVF siécle, confondant le Studio florentin, vieil institut d’enseigneme- nt od Ficin n’a jamais eu aucune activité suivie, avec le cercle des amis du philo- sophe, on crut & une fondation officielle avec un sidge fixe et des réunions régu- ligres sur le type des sociétés savantes devenues & la mode ; mélant les générati- ons, on voyait Pic, Landino et Ficin se consacrer, sous I'impulsion de Cosme de Médicis, & la traduction méthodique des oeuvres grecques et A leur diffusion. L’age classique qui aimait résumer chaque époque par une figure centrale et un groupe représentatif, admit ainsi Laurent comme précurseur des « despotes éclairés » et la réunion de Careggi comme modéle des Académies modernes. Et ce travestissement fait souvent encore illusion® I] n’a existé, en fait, A Careggi quune réunion libre de beaux esprits, un « cercle » placé par Landino et Ficin sous l'invocation de Platon ; ses quelques manifestations un peu spectaculaires se situent entre 1470 et 1480. L'unité du groupe ne tient nullement a la structure précise d'une institution mais aux liens d’amitié et aux préoccupations commu- nes. Cest Ia sans doute que s’est exprimée la réaction complete de Vhumanisme florentin, aux textes et aux commentaires apportés depuis un demi-siécle par les savants grees et bien faits pour susciter des ambitions nouvelles. Mais de tous les mouvements de restauration platonicienne qui se sont succédé depuis anti- quité, ce fut sans doute le plus infidéle et le plus fantaisiste ; son caractére n’était méme pas exclusivement philosophique et savant sa vocation débordait le ca- dre normal des disciplines. Deux ou trois faits indiquent ses grandes étapes : d'abord le Concile de Flo- rence oi, le 6 juillet 1439, Grees et Latins proclamérent I'union des deux Eglises. Cette date fut inscrite sous la forme symbolique d'un « ciel » astrologique'y.») & Ia coupole de la sacristie de Saint-Laurent (achevée depuis 1429 par Brunelles- chi), Cosme étant gonfaloniers: C'est elle précisément que Ficin indiquera com- me origine tout idéale de l’Académie : Le grand Cosme, pére de la patrie, 4 'époque du Concile réuni a Florence pour les églises grecque et latine, alla écouter les conférences d’un philosophe grec du nom de Gémiste Pléthon, qui semblait un autre Platon, sur les mystéres du Platonisme ; cette voix ardente, inspira aussit6t A son profond esprit ldée de créer A la premiere occasi- on favorable une Académie platonicienne. Ce n’est vraisemblablement la qu’une fiction, destinée A illustrer par une ren- contre symbolique le réle providentiel du protecteur de Ficin. Son noyau de véri- |. ACHADEMIA CHAREGIANA - 1 de 18 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... 16 est dans Vintérét souvent attesté de Cosme pour le renouveau de lhellénisme, et dans le fait que le grand Médicis n’était pas dans les termes les plus amicaux avec de vieux serviteurs de l'humanisme, comme Leonardo Bruni, qui faisaient toujours vers 1430 ou 1440 la gloire de Florence. Ficin ignore délibérément Vimportante réunion d’un Péripatétisme éclectique, qui, trente ans plus tard, se forma, avec 'appui de Cosme, autour de Donato Acciaiuoli et de lArgyropoulos, en adoptant déja (sans référence platonicienne, il est vrai) le titre de Chorus Achademiae florentinae. Cosme faisait traduire Aristote a Argyropoulos au moment ot i! commandait au jeune Ficin le méme travail pour Platon. Le premi- er qui peut avoir songé a former un « clan » platonicien a Florence, serait plutét Landino ; dés 1456, il poussait le jeune Marsile rédiger les Institutiones Plato- nicae, qui devaient précisément intéresser Cosme® L'enseignement de I'Argyropoulos et de ses amis lai semble-t- il, le chef de la maison Médicis insatisfait ; en 1459, il attire définitivement au- prés de lui le fils de son médecin pour en faire un « médecin des Ames » et Tinstalle & Careggi avec le volume de Platon a traduire. On a une lettre charman- te de 1462 of il appelle son philosophe auprés de lui, en le priant d'apporter sa version en latin du Philébe mais sans oublier « la lyre d’Orphée » ; et Ficin an- nonce sa venue avec tous ses textes, Achademiam quam nobis in agro Charegio parasti, veluti quoddam contemplationis sacellum?. Cosme réalisait ainsi un vi- eux réve, qui n’était pas de fonder une nouvelle école, mais de s'assurer, loin des affaires, une retraite « philosophique », oi il méditerait les grands textes anti- ques redécouverts. L’approche de la mort 'inclina de plus en plus vers les mys- teria platonica. que lui commentait Ficin. Celui-ci devait tout a son protecteur et c'est en ce sens qu'il put le considérer comme le fondateur de la nouvelle Aca- démie. Né en 1433, le jeune philosophe était encore loin la mort de Cosme en 1464 @avoir Fautorité d'un humaniste comme Landino, d’un grand esprit comme Al- berti. Entre le tournant décisif de 1459 et les premiéres manifestations de V’école de Careggi, il lui fallut dix ans pour s'affirmer. Ses traductions des grands textes de ’ésotérisme, puis du De Monarchia de Dante, et les discussions qui eurent lieu autour de ces ouvrages, donnérent une certaine cohésion au mouvement’, et il se serait finalement constitué, selon le biographe de Ficin, G. Corsi, avec le commentaire donné en public du Philébe de Platon en 1468°. Cette manifestation coincidait avec une crise décisive pour l'avenir de '’Acadé- mie. Précepteur et ami du jeune Laurent qui devenait en 1469 le maitre de Flo- rence, Ficin n’avait aucun titre de professeur"? ; le Studio(».»} florentin apparte- nait au courant péripatéticien brillamment représenté par ’Argyropoulos et ses amis. Mais, A ’avénement de Laurent, une querelle sans précédent partageait le monde des humanistes italiens entre les partisans de Platon conduits par le Car- dinal Bessarion, et ses adversaires aristotéliciens qu’avait stimulés un libelle fu- |. ACHADEMIA CHAREGIANA - 2 de 18 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... rieux de Georges de Trébizonde. Jusque IA les deux groupes s'accordaient fort bien a Florence, comme le prouvent les Entretiens des Camaldules de Landino qui situent encore en 1468 une discussion paisible entre leurs principaux repré- sentants" ; mais le conflit allumé par les réfugiés byzantins aboutit au départ de TArgyropoulos qui, en 1471, laissa Florence aux mains des Platoniciens toscans. Cest ainsi que Ficin obtint la royauté intellectuelle A Florence et ses amis, les postes d’enseignement au Studio. II l'a exposé dans son style solennel en félici- tant le Cardinal Bessarion de son grand pamphlet consacré A la défense de la seete platonicienne et de son maitre : (Platon) avait prédit au roi Denys qu'il viendrait un temps ot les mystéres théolo- giques seraient purifiés par une discussion trés pre, comme ‘or par le feu ; cet age est venu, il est venu, Bessarion ; le génie de Platon peut s‘en réjouir et nous, les mem- bres de sa famille, nous en louer immensément!. Cette « famille platonicienne » s'incarnait déja de temps A autre dans des réu- nions qui se tenaient 4 Careggi, dans une petite propriété voisine de la villa res- taurée par Michelozzo' ; Ficin avait donné A son domaine le nom d’Academia, non pas, comme les précédents humanistes, en souvenir de Cieéron et de sa villa de Tusculum, mais pour se placer expressément sous 'invocation de Platon, quil s‘employait a traduire en latin. L’Académie ne désigne d’abord qu'un séjour, Les entretiens de Patriciens et d’Humanistes sur les questions religieuses et sociales et en particulier sur les taches de la vie civile, n/avaient jamais manqué A Florence!+vis ; & Careggi on hérite de ces préoccupations, on les élargit jusqu’au probléme général de la réforme intellectuelle et morale de 'humanité, qui simposera surtout 4 Ficin dans les années sombres qui suivront l'affaire des Pazzi (1478) et aprés 1490, A la veille des malheurs de Florence et des catas- trophes de I'Italie'5, La prédication de Savonarole paraitra, au moins pendant quelque temps, aux membres de l'Académie préparer la rénovation souhaitée du monde chrétien, mais la révolution de 1494, coincidant avec la mort de Pic et de Politien, avec l'isolement de Ficin, marquera, en fait, la rupture et l’échec final du mouvement platonicien. Pendant les années heureuses qui marquent le dé- but du principat de Laurent, dans son climat de faste et d’élégance, Ficin et ses amis s’étaient complus dans une sorte de réve qui était de ranimer les moeurs ex- quises de la Gréce ; Florence ressuscitait Athénes, et dans un jardin ésotérique et charmant, dans une Academia platonica rediviva, quelques sages se retrou- vaient pour communier dans une dignité et une perfection morale supérieures. Le secret de Careggi, c’est la fascination du jardin d’Académos, avec tous les prestiges dont le pare l'imagination des Humanistes maintenant dépositaires des textes grecs et contemporains d’une civilisation qui se croit au niveau de Yantique et dont ils entendent étre les interprétes!®. |. ACHADEMIA CHAREGIANA - 3 de 18 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... La mode néo-platonicienne s'épanouit sur un fond de pittoresque et de léger exotisme dont l'art florentin n’avait jamais été aussi épris qu'au temps de Gozzo- i et des débuts de Botticelli. Elle restaure un hellénisme relevé de prestiges « magiques » qui rend @ la culture occidentale sous linvocation‘y. 10) de Platon, sa part d’Orient. C'est le propagateur averti de la science gréco-musulmane, que Yon admirera en Cosme : le « prophéte » qui l'aurait converti au Platonisme, Gé- miste Pléthon, était un personnage, étrange et impressionnant : au cours d'un séjour chez le sultan Bajazet, il avait pris contact avec I'Islam et emprunté aux Musulmans une vénération pour Zoroastre qu'il transmettra a Ficin!”. Celui-ci s'adressera pendant toute sa carriére a des sources helléniques tardives et impu- res, il célébrera sans mesure la science d’Hermés Trismégiste et se plaira a as- sembler dans une réunion assez équivoque les noms magnifiques de Egypte et de la Perse, avec ceux de la Grace et de la Chrétienté. L'Académie a sa place dans ce qu'on a pu appeler la « féte orientale » de la Renaissance florentine“. A Yarrigre-plan de ces spéculations, se retrouve une sorte de paradis du savoir dont le jardin de Careggi pouvait apparaitre dans la beauté de la nature toscane, comme la réalisation sur terre : laetus in praesens. L'ame y concoit son aptitude A jouir du bonheur que lui assurent das ici-bas sa pureté originelle et ses exigen- ces idéales ; on dirait parfois que, dans un esprit déja goethéen, les nouveaux sa- ges ne révent que d’accomplir consciemment et religieusement leurs progras et leur métamorphose. L’appareil des sciences et des doctrines se résout en symbo- les, et la musique excite & la contemplation qui conduit & une humanité supéri- eure. Sans étre proprement une société ésotérique, Académie a dfi A son caractére fermé une bonne part de son prestige®®. Le groupe était limité aux amis person- nels de Ficin, qui tenait aux qualités morales autant qu’aux lettres : « il faut as- socier Jupiter et Mercure » ; Initiation philosophique devenue une sorte de jeu érudit s‘accordait au besoin de singularité et de distinction si puissant chez les Florentins. Les murs eux-mémes couverts d'inscriptions, invitaient & la joie su- périeure Tu m’as demandé hier — écrit Ficin 4 un correspondant ~ de te rapporter la maxi- me inscrite autour des murs de l Académie, la voici : A bono in bonum omnia diri- guntur. Laetus in praesens neque censum existimes, neque appetas dignitatem, fuge excessum, fuge negotia, laetus in praesens*. Avec le mépris des biens de la terre, une sorte d'indifférence aux préoccupati- ons banales, une sérénité, une allégresse totales, définissent esprit de lAcadé- mie, ou, du moins, lidéal de sa période heureuse. Sur Pun des murs du gymna- sium. une fresque montrait Héraclite et Démocrite, 'un pleurant, Vautre riant, de part et d/autre du globe terrestre®. On voyait encore un buste de Platon, ré- plique de celui que Laurent avait regu d’Athénes, et devant lequel une légende |. ACHADEMIA CHAREGIANA - 4 de 18 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... malveillante probablement, créée par les « piagnoni », voulut que Ficin ait tenu allumée une lampe de sanctuaire®3. Sans doute y avait-il d'autres inscriptions, autres effigies répandues dans le jardin, d’autres images dans la demeure ; on n'a malheureusement pas assez d'indications sur le décor de la petite villa et sur les collections des humanistes florentins" Le groupé avait ses fétes et ses rites qui ont frappé limagination du temps Vimitation des Platoniciens d’Alexandrie, les Florentins célébraient scrupuleuse- ment les anniversaires. Ficin expose figrement la plus fameuse de ces « restaura- tions » platoniciennes en téte de son Banquet : Platon, pére des philosophes, mourut a quatre-vingt-un ans, le 7 novembre, jour de son anniversaire, 4 la fin d'un Banquet. Ce banquet commémoratif de sa naissance et de sa. ») mort, était renouvelé chaque année par les Platoniciens d’autrefois, Jusqu’a Vépoque de Plotin et de Porphyre, mais aprés eux, pendant douze cents ans, on ne I'a plus célébré. C'est seulement a notre époque que Illustre Laurent de Médicis, pour restaurer la pratique du banquet platonicien, a désigné Francesco Bandini comme Ré- gent de la Table (Architriclinius) ; le 7 novembre, quand celui-ci décida de féter Panniversaire, il traita royalement 4 Careggi neuf convives platoniciens. Antonio Agli, évéque de Fiesole, Ficin le médecin, Cristoforo Landino le poéte, Bernardo Nu Yorateur, Tomaso Benci, notre cher Giovanni Cavalcanti, que Yon prit comme héros de la féte pour sa valeur et sa distinction, les fréres Marsuppini, Cristoforo et Carlo, fils du poate, et enfin Bandini m’invita aussi afin qu’avec le nom de Ficin fat atteint le chiffre des Muses. Aprés le repas, Bernardo Nuzzi lut le Banquet de Platon et six des convives, tirés au sort, commentérent les discours ; ce fut Vorigine du célébre ouvrage de Ficin, qui fondit leurs exposés avec le texte déji prét de son Commentaire du Banquet, de manigre 4 composer une sorte de manifeste collectif de la nouvelle doctrine, Cela se passait en 1475%°. Un autre banquet eut lieu, l'année suivante chez Bandini, cette fois 4 Florence. On ne sait si la coutume se prolongea long- temps”®. Nous sommes également renseignés sur une autre de ces réunions cérémoni- euses, ott se font jour des préoccupations politiques, et que l'on signale moins souvent. Dans lintroduction A ses Declamationes dédiées A Julien de Médicis, Benedetto Coluccio raconte que le jour de Noél 1472, une grande réunion se tint chez le princeps Achademiae ; cing jeunes gens, Giovanni Cavalcanti, Bindaccio Ricasoli, Paolo Antonio Soderini, Francesco Berlin-ghieri, et Carlo Marsuppini prononedrent des discours préparés l'avance ; le theme en était 'exhortation aux cing grandes puissances de Italie A la lutte contre les Barbares, cest-A-dire les Infidéles, théme évidemment en rapport avec la visite de Bernardo Bembo, le pare de Villustre poate, qui préchait alors au nom de Venise la croisiére anti-ot- tomane, et qui, ambassadeur & Florence en 1474-1475, deviendra un fidéle de T’Académie. Assistaient au tournoi d’éloquence les amis de Ficin, Politien, Naldo |. ACHADEMIA CHAREGIANA - 5 de 18 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... Naldi, Braceesi et quelques autres®, On devine les évocations antiques qui de- vaient nourrir ces morceaux d’éloquence. Mais la réunion était triste et sans res- sort ; Ficin la ranima par ses chants. Les monodies, les hymnes chantés en choeur, peut-étre les concerts instru- mentaux, semblent avoir tenu une place de choix dans Ia vie du cercle ; un grand nombre de ses membres, Ficin dont la cythare était timbrée d'un médaillon @Orphée, Laurent de Médicis, Jean Pic, Benivieni chantaient volontiers en s'accompagnant de la lyre, tous les récits, toutes les lettres en font foi. Déjd Cos- me écrivait a Ficin, de ne pas oublier d’apporter avec son Philébe la lyre @Orphée, non absque orphica lyra*® Ainsi, toutes les formes de Pactivité, les débats philosophiques, les banquets, la musique, se réglaient sur les exemples antiques et recevaient des figures de la fable une signification supérieure. Limitatio Platonis allait plus loin : on cherchait autant que possible a retrou- ver en toutes choses un esprit platonicien. D’aprés son biographe, Ficin se mon- trait toujours festivus ac confabulator egregius, parce qu’il convenait d’entrete- nir la conversation dans la vivacité et dans la gaieté, comme le maitre en a don- né Vexemple ; les plaisanteries sont les bienvenues, comme platonica proemia aux discussions austéres, car Platon l'entend ainsi et Apulée I'a répété apres Iui®®. L'Académie plagait ainsi la partie joyeuse de son activité sous le signe de Vénus, recue comme divinité allégre et tonique de ! Humanitas. »») bien com- prise. La vie des Sages, pareille @ une fete savamment réglée, doit étre tour @ tour dominée par Vénus et par Saturne®®. Celui-ci est en effet le dieu protecteur par excellence de l Académie. L’éperon de Careggi oit slave la villa, est évoqué sous le nom de Mons Saturnius en tra- duction du « Montevecchio » toscan, la demeure de Ficin comme Phoebea Sa- turnii montis academiola et les membres du groupe ont droit au titre de « Sa- turniens », Laurent leur prince, étant inter Saturnios praestantissimus. Ficin est le plus caractérisé d’entre eux, car on ne peut se consacrer A la recherche in- tellectuelle intégrale, sans prédisposition saturnienne : la présence du dieu som- bre dans Vhoroscope et le tempérament mélancolique qu'il gouverne, sont le seul indice décisif d’un destin voué a la contemplation, D'ailleurs, Plato melan- cholicus erat, écrit Marsile dans sa vie de Platon et la méme puissance planétai- re qui avait donné Platon a Athénes, donnait Marsile a Florence, insinuant par une élection dangereuse le don philosophique dans tous les esprits qui fréquen- taient son sanctuaire florentin®, Aussi ne faut-il pas étre, dupe du climat de féli- ité érudite et voluptueuse, qui régnait A Académie : la seule rencontre de ses s tutélaires suggere les tensions et les conflits intérieurs que les réves du nouveau Platonisme allaient peu A peu aggraver. Ces références rituelles, ces travestissements antiques créaient le cadre néces- saire 4 un mode de spéculations assez neuf et intense, qui tendait 4 la méditati- | ACHADEMIA CHAREGIANA - 6 de 18 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... on des mystéres suprémes du monde, sur le modéle des thaumaturges et des sa- ges plus ou moins fabuleux dont Ficin revendique expressément le patronage, @Orphée A Apollonius de Tyane. Cette eélébration philosophique du divin était Yessentiel : avec les néo-platoniciens d’Alexandrie et Denys I’Aréopagite, on la désignait comme incantation : Ficin évoque le discours de Socrate dans le Ban- quet en disant que le sage a « chanté les mystéres divins de amour », divina mysteria cecinerat’, et les spéculations de Careggi sont volontiers exprimées par l'analogie séduisante de la musique. Les attaques de Pulci, le « libertin » de la cour médicéenne, viseront vers 1474 ces ambitions magnifiques et confuses : dans deux sonnets, le poete se moque des prétentions savantes de Ficin, vil traditor vecchio et mauvais plagiaire de Platon ; dans son Morgante il fait ironiser 'enchanteur Malaggi sur les charla- tans philosophes, qui ne savent rien d'utile. Ces moqueries injurieuses que Ficin prit trés mal, cachaient une rivalité auprés de Laurent ; mais elles expriment aussi le scepticisme que ne pouvait manquer d’éveiller chez maint Florentin Vidéalisme extréme et 'hermétisme de TAcadémie%. Cercle humaniste, 'Académie n’avait pas dactivités pieuses, mais on peut rappeler les sermons peu nombreux, il est vrai, prononcés par Ficin a Sainte- Marie-des-Anges en 1487, 4 cause de leur caractére de prédication a la fois chré- tienne et platonicienne™, Plus remarquable encore sont les attaches du mouve- ment avec la Confrérie des Mages, dont le siége se trouvait a la sacristie de Saint-Mare ; des manuscrits ont conservé le texte d’allocutions de Landino in Commemoratione del corpo di Christo, et de Giovanni Nesi de Charitate : ce sont de purs exposés néo-platoniciens sur la métaphysique de la lumiére, les de- grés de l’étre, la transmission des principes de la religion naturelle depuis Panti- que Egypte jusqu’a Moise et Platon®5. On sait enfin qu’un bon nombre des habi- tués de Careggi, A commencer par Politien et Pic, seront aprés 1490 attirés par la fougue réformatrice de Savonarole et le suivront dans la petite Academia chris- tiana du couvent des Dominicains®®- ». 19) Lactivité scientifique des amis de Ficin, ou, du moins leurs curiosités en matiére de sciences naturelles, de cosmographie et de mathématiques, n’ont guére recu jusqu’ici attention qu’elles méritent. Médecin et astrologue, Ficin s'intéresse au premier chef aux problémes de physiologie et de diététique qui ab- sorbent la science du temps%? ; il s’appuie immodérément sur lastrologie, et Cest Pic qui déclenchera, & ce sujet, en grande partie contre Ficin, la grande po- Iémique « scientifique » du xv" siécle*, Il n'est pas douteux non plus que les mathématiques « pythagoriciennes » fondées sur lanalogie du nombre et de la musique, la symbolique des formes géométriques, étude du cosmos et celle du globe terrestre, aient été souvent a ordre du jour des entretiens. Comme Alber- ti, Politien et Ficin ont connu le doyen des savants italiens, Paolo del Pozzo Tos- |. ACHADEMIA CHAREGIANA - 7 de 18 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... canelli, dont ils ont parlé avec le plus grand respect®®. Plus généralement encore, ce que Ficin et Pic défendent avec tant d’ardeur sous le nom de Magie, recouvre Yensemble des spéculations au sujet des influences célestes, de la nature des étres physiques et de la mécanique des forces, qui sont également susceptibles de déductions philosophiques et d’applications pratiques, déja au sens oi ente- ndra un siécle plus tard Campanella ; recherches qui font partie de la rénovation de l'homme et qui sont soutenues, sollicitées souvent, par les formules de Vhermétisme®. A travers le Platonisme, ‘obsession de la « magie naturelle » marquera fortement la Renaissance. Ala différence d’Urbin, de Ferrare, oi, au début du xvr' sidcle, de grandes da- mes entourées de leurs courtisans mettront le Platonisme a la mode, Académie florentine est un cercle od ne pénétre aucune femme. Si l'on y consacre de nom- breux entretiens amour, « maitre des hommes et des dieux », il doit aussi rég- ner en tout, conformément 4 l’enseignement de Platon un souci de dignité spiri- tuelle et de chasteté, qui s’accorde avee la ferveur de l'amour socratique, cette inclination tendre du maitre pour Véleve, dont Ficin donne exemple avec Gio- vanni Cavalcanti. Le « Convito » fait expressément déclarer ce charmant per- sonnage dont la noblesse et l’élégance ralliaient tous les suffrages Cest par l'amour passionné de la double beauté physique et morale des personnes que ’on appartient vraiment a la famille platonicienne®. Mais on pense surtout a 'admiration de Socrate pour Alcibiade. En dehors de cette inclination toute hellénique, la correspondance de Ficin suffirait a montrer que les plaisirs et le sérieux de 'amitié étaient pour beaucoup dans Vattrait de Careggi®. C'est IA le dernier trait général sur lequel il convient dinsister : ce milieu d’humanistes ouvert aux membres des grandes familles flo- rentines, accueillait volontiers les visiteurs cultivés, comme Bernardo Bembo qui y pénétre dés 1475, 'année de la « Giostra » et des publications retentissan- tes de Ficin ; aprds les années difficiles pour les Médicis de 1478 A 1480, le tri- omphe de Laurent, ’admirable impulsion qu’il donne a la culture de la cité, coincident avec la diffusion dans I'Italie entidre du prestige de Académie. Les invités de marque n’oublient pas de s'y rendre, et le jardin de Montevecchio, avec son gymnasium et ses statues antiques, devient vers 1490 un centre de pé- lerinage oii les Humanistes de Paris, d’Oxford et de Cologne, reliés aux Platoni- ciens de Florence, par de multiples échanges épistolaires, viennent se charger ambitions et de responsabilités nouvelles. Ces rapports de Ficin et de ses amis avec la jeunesse intellectuelle de !Occident dessinent vers la fin du xv" siécle une sorte de(p. :) réseau privilégié a Vintérieur de la culture de la Renaissance. Leur histoire n’a malheureusement pas encore été faite sur le plan européen, oi il convient de la situer ; condensée dans l’énorme Epistolarium du Sage de Careg- gi, elle fournirait pour le xV* sigcle un équivalent de ce que fut activité de Pé- trarque au milieu du xiv" et d’Erasme au début du xvr' sidcle. |. ACHADEMIA CHAREGIANA - 8 de 18 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... La lettre souvent citée, si excessive et exaltée, du jeune Egide de Viterbe, le futur cardinal de Léon X, suffirait 4 rappeler que le Piatonisme apparaissait 4 la fin du sicle comme une conjonction décisive de immense antiquité et du mon- de chrétien prét a se purifier : Voici le régne de Saturne, lige d’or célébré si longtemps par la sibylle et les devins, Age annoneé par Platon od la connaissance de son ceuvre serait parfaite"®, L’age d’or ? L’Académie n’aurait sans doute pu se définir dans ce mythe de perfection et de paix ; elle en communiquait le songe a toute I'Italie, a toute Tépoque. Mais déja s’élevait Florence la voix qui dénoncait avec force : « Pla- ton enseigne arrogance et Aristote Vimpiété »“4. L'Académie allait s’évanouir dans les deuils et les révolutions ; mais son message épars était déja devenu le ferment de la Renaissance, comme Burckhardt, avec son sir instinct, I’a autre- fois fort bien reconnu‘#his, Il est difficile de voir dans une institution aussi vague un instrument utile 4 Thégémonie médicéenne : l'nitiative de Cosme, la protection affichée de Lau- rent, qui affirmait selon un texte fameux absque platonica disciplina nec bonum civem nee christianae doctrinae peritum facile quemquam futurum, les efforts des humanistes pour édifier une doctrine du « bon prince », Ia dévotion de Ficin aux Médicis, soulignent les attaches de l’Académie avec le régime*®, mais on ne saurait négliger la part du milieu de Careggi, aprés 1490, dans la préparation de Ia révolution piagnona*, Du point de vue de lhistoire religicuse, on a pu voir dans le mouvement platonicien un épisode de la renovatio chrétienne qui, apres avoir hanté le moyen-Age, vient au premier plan des préoccupations du XV" sié- cle : le souci évident chez Ficin, chez. Pic, d'une religion plus pure, intériorisée, fonds universel de ’'humanité, annonce en effet certains aspects de la Réforme, si 'attachement aux Peres de lEglise, lidéal de la docta pietas font plutot son- ger A ce que sera la Contre-Réforme catholique*”, Le « retour aux sources » en- trepris par 'Humanisme occidental, trouve ici une signification particuliére : TAcadémie a subi la fascination des derniers siécles du Paganisme, qui étaient aussi les premiers du Christianisme. C'est dans les synthases alexandrines et im- périales du 11 et du 1V* sigcle quelle a instinctivement cherché ses problémes et ses solutions : Origéne, ’éléve d’Ammonius Saccas, Lactance, précepteur du Fils de Constantin, Eusébe, son contemporain, sont, avec saint Augustin, les écri- vains que les Florentins ont eu Voriginalité de scruter ; il s'y ajoute 'école d’Ale- xandrie, de Plotin 4 Jamblique et, mélés 4 ces ouvrages, les produits singuliers de la religiosité paienne, le corpus hermétique et les oracles chaldéens. Le fait que ces sources privilégiées se groupent dans une méme période, oi le « paga- nisme mystique » et la pensée chrétienne étaient encore comme emmélés“®, est assez révélateur. C’est a travers cet écran que le Platonisme florentin a vu l’histo- ire, la fable et Yavenir méme du monde chrétien. L'idée de recueillir par cette voie lessentiel du Paganisme est la grande « hypothése » de l'Académie, la mar- |. ACHADEMIA CHAREGIANA - 9 de 18 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... que stire de son influence, la raison de son réle historique. ».s5) Ce point d’appui original, qui pouvait donner une force nouvelle a la spé- culation, aide 4 comprendre l’idéal conciliateur de 'Académie. Ficin et ses amis ont concu l'ambition avouée d’une sorte de totalisation définitive, contraignant tous les penseurs de toutes les écoles, tous les sages et les saints de toutes les re- ligions, & se ranger A Yintérieur de ’édifice complet du Platonisme chrétien. Ils cherchent le point de convergence de toutes les doctrines et de toutes les croyan- ces ; démarche étrange, mais obstinée, qui supposait sans doute la prétention de posséder des moyens de spéculation plus puissants que ceux des Ecoles, et visait méme introduire dans la théologie un mode dinterprétation neuf, capable de mieux dégager dans la Révélation la vérité commune A toute Phumanité®. On veut done préparer « la grande paix » des esprits : la conciliation d’Aristo- te et de Platon, dispute d’actualité, n’en est qu’un aspect. L’hostilité traditionnel- le de 'Humanisme a l'Averroisme positif et athée, trop souvent tenue pour le ressort du Platonisme, change de sens. L’effort des Florentins est d’absorber plutét que de ruiner le Péripatétisme mieux connu ; |’Aristote qu’ont commencé A traduire Leonardo Bruni et Theodore Gaza, que commentent Donato Acciauoli et Politien, ne s’oppose pas a Platon, et Ficin dont on connait maintenant les premiers ouvrages aristotéliciens, a toujours multiplié les formules conciliantes : « les Péripatéticiens donnent les raisons positives, les Platoniciens, les raisons supérieures »5°, en faisant contre le seul Averroés des réserves que Pic ne main tiendra méme pas. Et toutes ces affirmations agiront inversement sur l'Aristoté- lisme de la Renaissance, L’Académie n'est pas davantage hostile 8 la tradition scolastique : le respect de Ficin pour saint Thomas, de Pic pour Duns Scott, les contacts du méme Pie avec Paris, le prouvent assez. 1 est clair que ces ambitions nouvelles, et le déplacement des points de vue qui en résulte, ne pouvaient que laisser ouverts et peut-étre rendre insolubles, trop de problémes. Mais ce bouleversement et ces espérances sont caractéristi- ques du mouvement ; il fut, on I'a justement dit, a la fois plus et moins qu’une philosophie. Son suecés dans les milieux littéraires a été manifeste, et on n'a pas eu de peine A définir son réle dans Vhistoire de la poésie de la Renaissance®® ; sa vogue auprés des esprits cultivés, des esthates et des artistes invite A une enquéte paralléle™ ; mais elle améne A considérer d’abord la nature de cette « philosophie pour gens du monde » que fut, A certains égards, 'ense- ignement de Careggi, et Pesprit de ses principaux représentants. |. ACHADEMIA CHAREGIANA - 10 de 18 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... PLANCHE I Marsile Ficin (1521) Andrea Ferec (Catbedeale de Florence 1A. della TORRE, Storia dell’Accademia platonica di Firenze (Pubbl. dell'Istituto di Studi superio. ri in Firenze, Filosofia e filologia, 3), Florence, 1902. Les travaux de P.O. Kristeller et de E. Garin, cités plus loin, ont complété et corrigé sur certains points cet ouvrage fondamental. 21. del LUNGO, Florentia, Florence, 1893, p. 231, a noté la profonde différence qui sépare les aca~ |. ACHADEMIA CHAREGIANA - 11 de 18 Marsile Ficin et l'art. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... démies du XV* siécle de celles de Vage suivant. ‘Sur les académies du Quattrocento : N. PEVSNER, Academies of Art past and présent, Cambridge, 1940, introduction p. ret s. Bien informé sur les Académies italiennes postérieures, le répertoire de M. MAYLEN-DER, Storia delle accademie d'Ttalia, Bologne, 5 vol., 1926 et s., est trop sommaire sur I’« Accademia platoni- ca.» de Florence, IV, 1929, p. 204 ets. 3A. della TORRE, op. cit, p. 9 et s. : Cette transposition apparait nettement pour la premiére fois dans le récit de Francesco de’ Veri (ou Verino le second) descendant de ami de Ficin, dans son Compiendo publié a Florence en 1577. Avec Gaudenzio Paganini (1638), linstitution savante devi- ent pour la premiere fois « 'Académie platonicienne » ; la Kégende complete est développée par AM. BANDINI, Specimen literature florentinae saeculi XV, 2 vol., Florence, 1747-1751. Quand a ‘commencé la réfutation de ces thises traditionnelles, G. UZIELLI, La vita e i tempi di P. dal Pozzo Toscanelli, Rome, 1894, est allé jusqu’a nier toute existence ! Académie florentine, par une réacti- on hypercritique, qu'ont rectifige & leur tour les historiens postérieurs. 4 Sur la place du néo-platonisme florentin, dans la suite des résurrections de la doctrine de 'Aea- démie, P. SHOREY, Platonisme, ancient and modem, Berkeley, 1938. Sur les rapports du Platonisme de Ficin avee celui du moyen-age arabe, grec et latin, R. KLI- BANSKY, The continuity of platonic tradition during the middle ages, Londres, 1939, @ compléter ar les observations de E. GARIN, Contributi alla storia del platonismo medievale, dans « Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa », XX (1952), p. 1-40, sur l'existence d'une « physique » platonicienne au XII’ sigcle, alimentée par les commentaires du Timée ; Vantithése que l'on établit, xgénéralement entre I'« humanisme » du XIF’s. et le « naturalisme » du XIIF’s. apparait comme foreée. Les recherches « physiques » du moyen-Age préludent a la cosmologic des néo-platoniciens du XV’, dont il sera question plus loin, ch. II, 3, « univers optique » (voir aussi eh. II, 2, note 3). Sur les divers aspects du néo-platonisme au XV* siéele, B. KIESZKOWSKI, Studi sul Platonismo nel Rinascimento, Florence, 1936. 5 A. WARBURG, Eine astronomische Himmelsdarstellung in der altem Sakristei von S. Lorenzo in Florenz, 1911, dans Gesammelte Schriften, Die Emeuerung der heidnischen Antike, 2 vol., Leip- zig, 1932, t. 1, page 169, avait calculé le 9 juillet 1422 pour la date de conséeration de autel. F. SAXL, ibid., note p. 367, donne des arguments en faveur de 1439. 6 Le texte sur Cosme et Pléthon : FICIN, Opera, in-f, Bale, 1576, vol. II, 1537. Cette version reprise par tous les historiens, par ex. S. GUTKIND, Cosimo de’ Medici, Florence, 1944, p. 320, n'a guere &té considérée avec suspicion que par G. UZIELLI, op. cit, p. 78 ets. ‘Sur Académie pré-ficinienne de D. Acciaiuoli : A. della TORRE, op. ci., p. 382 ets. et E. GARIN, La Giovinezza di Donato Acciaiuoli, dans « Rinaseimento », I (1950), p. 47-70. Ficin, malgré son silence, a pu avoir certaines dettes envers VArgyropoulos, qui transcrivait Plotin avant lui : E. GA~ RIN, Testi minori sullanima nella cultura del 400 in Toscana, dans « Archivio di Filosofia », Pa- doue, 1951, p. 13 ets. Surla traduction d’Aristote par 'Argyropoulos : FICIN, Opera, op. cit, II, 1965. initiative de Landino en 1456 est signalée par Ficin dans une lettre a Filippo Valori de novembre 1491 (et non 1490, comme écrit UZIELU,op. cit., p.79), Opera, 920. La lettre de Cosme et la réponse de Ficin, Opera, 608 ; voir A. della TORRE, op. cit., p. 537, 8. GUTKIND, op. cit., p. 322 et. Sur la villa de Ficin, infra, n, 13 ; sur le symbole de la lyre orphique, infra, Introd., III, n. 60 et s. Pour la vie de Ficin, ibid.,n.1. 8B. KIESZKOWSKI, op. cit, p. 47. ‘9G. CORSI, Commentarius de platonicae philosophiae apud Italos instauratione sive Marsili Fi- ini vita (1506), ed. Bandini, Pise, 1772, p. 26 ; également publié par H.J. HAAK, Marsilio Ficino, Amsterdam, 1934, appendice. Le texte dit publice itaque in eo tempore Marsilius magna audito- rrum frequentia Philebum interpretatus est ; la note de Bandini qui eroit Ficin chargé duu munuspu- blice docendi philosophiam est déja une interprétation spécieuse. 10 1. del LUNGO, Florentia, op. cit. p.124. |. ACHADEMIA CHAREGIANA - 12 de 18 Marsile Ficin et l'art. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... 1A. della TORRRE, op. ct., p. 581 ; les Disputationes seront publiées en 1475. 12 FICIN, Opera, Ep. I, I, p. 616-617. Sur le réle du Cardinal Bessarion dans la transplantation du Platonisme en Italie, L. MOLHER, Kardinal Bessarion als Theologe, Humanist und Staatsmann (Quellen und Forschungen hergg. von der Gérres-Gesellschaft, XX), vol. 1, Paderborn, 1923 : Bessarion au Concile de Florence, p. 142 ets. ; 'Académie Bessarion & Rome sous Eugene IV, p. 252 ; sa légation & Bologne en 1453, au mo- ment oi s'y trouve Marsile Ficin, p. 260 et s. (et l'étude du méme auteur : Die Wiederbelebung des Platonstudiums in der Zeit der Renaissance durch Kard. Bessarion, Cologne, 1921, p. 48) ; la que~ relle avec Georges de Trébizonde, p. 370 et s. Peu de temps avant sa mort, au printemps 1471, Bes- sarion pouvait écrire a Ficin qu'il avait révélé Platon & un Occident qui lignorait, ibid, p. 388. 13 G. CAROCCI, La villa medicea di Careggi, Florence, 1888, p. 55 et 64, note 10. 14 En 1462, Ficin remerciait Cosme de son bienfait dans l’épitre déja commentée, oft il écrit : Aca~ ‘demian quam nobis in agro Gharegio parasti ; A. Della TORRE, op. cit., p. 537, 538. Le jardin an- tique était un pare de culture, avee un caractére philosophique et méme religieux (P. GRIMAL, Les Jardins romains & la fin de la République et aux deux premiers siécles. Essai sur le naturalisme romain, Paris, 1943, pp. 337-353), auquel reviennent souvent les jardins de la Renaissance : B. PATZAK, Die Renaissance und Barockvillen in Italien, 11, Palast und Villa in Toscana, vol. 2. Die Zeit des Suchens und des Findens, Leipzig, 1913, p. 74, sur les « paradis » de Careggi Aabis E. GARIN, L'Umanesimo italiano, Filosofia e vita civile nel Rinascimento, Bari, 1952, parti- ‘culigrement ch. IL, La vita civile ; le passage de Humanisme cicéronien soucicux d'une éthique complite a V'idéal de Landino, de Ficin et de Pic, qui vise & hiérarchiser tous les besoins de homme, est marqué 4 travers Peeuvre de Matieo Palmieri : celui-ci, que Ficin saluait amicalement ‘dans une lettre (Opera, p. 640), avait achevé en 1465 un potme en forme de vision, la Citta di vita, ‘oli sont décrites les vicissitudes des ames ; suspect d’hérésie et plus précisément dorigénisme, Youvrage ne fut pas publié : G. BOFFITO, Leresia di M. Palmieri, dans « Giornale storico della Letteratura italiana », XXXVII, 1902. 15 M. HEITZMANN, Btudes sur Académie platonicienne de Florence dans « Bulletin de VAcadé- mie polonaise de Cracovie », 1932, p. 18-22, souligne, mais Vexeés, importance des problémes sociaux et politiques dans Académie de Laurent. E, GARIN, Desideri di riforma nelforatoria del Quattrocento, dans « Quaderno di Belfagor », I, (1948), particuliérement § 4, per una riforma cattolica, p. 8-11, indique la convergence ~ tardive, toutefois — entre certaines aspirations de I'Académie et la prédication de Savonarole. 16 Ch. PICARD, Dans les jardins du héros Academos, « Séance publique annuelle des cing acadé- mies, 25 octobre 1934 », Paris, p. 45-70, a proposé d’expliquer « esprit de Platon parle milieu de TAcadémie ». Certaines particularités : l'antre, les tombeaux, le petit temple de Dionysos & Colone, ‘ont pu inspirer quelques mythes, préciser quelques attitudes du philosophe. A plus forte raison doit-on rapporter Vesprit de Académie de Ficin au milieu original de Careggi, ot le platonisme ‘comme systéme compte moins que « le platonisme comme évocation et reproduction dans la vie pratique des formes et des rites extérieurs de l'antique Académie », selon la formule de A. della TORRE, op. cit, p. 8. 17 F. TAESCHNER, G. Gemistos Plethon, ein Vermittler zwischen Morgenland und Abenland zu Begin der Renaissance, dans « Byzantinische neugriechische Jahrbiicher », VII, 1931, p. 100- 113 ; Milton V. ANASTOS, Pletho’s Calendar and Liturgy, « Dumbarton Oaks Papers >, IV, 1948, Part II, Pletho and Islam, p. 270 et s. 18 G. SOULIER, Les influences orientales dans la peinture toseane, Paris, 1924, p. 304 ets. 19. Le Paradisus composé par un ami de Ficin, Ugolino Verino, vers 1468-1469, illustre bien ces réveries : une vision emporte le poéte dans un jardin oi il rencontre Cosme, puis dans une foret de myrtes et de lauriers ou il rencontre les sages antiques, oft Platon I'interroge et se loue de Florence ; A. LAZZARI, Ugolino e Michele Verino, Turin, 1897, p. 66 et s. et N. ROBB, Neoplatonism of the italian Renaissance, Londres, 1936, chap. V. ‘Sur cette inclination de la culture occidentale pour un Orient de symboles et de « chiffres », E.R. CURTIUS, Europdiische Literatur und lateinisches Mittelalter, Berne, 1948, ch. 16, § 10, West-is- |. ACHADEMIA CHAREGIANA - 13 de 18 Marsile Ficin et l'art. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... tliches ; R. BERTHELOT, Goethe et Shakespeare, Paris, 1932, et H. LICHTENBERGER, introd. au Divan Oriental-Occidental de Goethe, Paris, 1940. 20 Elle a pu servir de modeles aux cercles d'Italie septentrionale : G.F. HARTLAUB, Giorgiones Geheimnis, ein kunstgeschichtlicher Beitrag zur Mystik der Renaissance, Munich, 1925, et Giorgi- ‘one und der Mythos des Akademien, dans « Repertorium fiir Kunstwissenschaft », XLVIII, 1927, p. 233-257, a esquissé une interprétation de la Renaissance en fonction des centres, ot, sous Vinfl- uence directe de Florence, se serait élaborée une gnose hermétique dont il discerne linspiration chez les artistes vénitiens comme Giorgione, Campagnola, Titien. Selon A. FERRIGUTO, Attraver- ‘0 i misteri di Giorgione, Castelfranco, 1933, on doit rechercher avant tout ees thémes dans la eul- ture originale des « philosophi » vénitiens, E. Barbaro, les Contarini. Surla question de I’« académie milanaise », rivale de celle de Florence : infra, Appendice I, note 4. 21 Opera, Ep. I, 1, p. 609 ; le proverbium se retrouve, traduit en vers italiens, dans un recueil de lettres de la Bibliothéque Casanatense : P.O. KRISTELLER, Supplementum ficinianum, Florence, 1937, 1, p. 70. La formule reparait dans les lettres, Opera, p. 632-646 : Vivendum est autem hodie, qui enim cras vivit, numquam vivet. On a reconnu judicieusement dans ce culte du présent la ver- sion philosophique et sereine de Yappel au plaisir de la fameuse « Chanson de Bacchus et d’Ari- Chi vuol esser lieto, sia Didoman non c@ certeza. W. DRESS, Die Mystik des Marsilio Ficino (Arbeiten zur Kirchengeschichte, 14), Berlin et Leipzig, 1929, p. 81 et A. BUCK, Der Platonismus in den Dichtungen Lorenzo de’ Medici, Berlin, 1936, p- ‘95. On peut méme aller plus loin : infra, note 29. 22 Opera, Ep. I, 1, p. 637; A. della TORRE, op. cit., p. 640. 223 Platonicus (P.O. KRISTELLER), Per la biografia di Marsilio Ficino, dans « Civit moderna », X, 1938, p. 277 ets. 224 Le site de la villa est actuellement la propriété du marquis Serlupi. L'aménagement de PAcadé- Iie préciserait, si Yon pouvait le reconstituer, un épisode de histoire du jardin « humaniste », en marge de la fameuse villa médieéenne voisine de Careggi. On en retrouve sans doute quelque chose dans lordonnance des jardins Ruccellai sur les pentes de Fiesole ; avec leurs parterres botaniques, les bustes antiques répartis le long des allées (et récupérés des collections médicéennes. E. MUNTZ, Les collections des Médicis au XV" siécle, Paris, 1888, p. 107), ils furent au début du XV sigcle le rendez-vous des lettrés, des poetes et des politiques dont beaucoup avaient été liés avec Fi cin : P, Crinito évoque la sylva oricellaria dans son De honesta diseiplina, Florence, 1504, Machia- vel dans Vintroduction de son Arte délia guerra (L. PASSERINI, Curiosita storico-artistiche fio- rentine, Florence, 1886 ; F. Gilbert, dans « Journal of the Warburg Institute », XII, 1949, p. 114 note 1). 25 Commentarium in Convivium Platonis de amore, ch. 1, 1; Opera Il, p.1320-1321. 26 A. della TORRE, op. cit. p. 814-815. Une lettre assez amusante adressée a B. Bembo, décrit les regles et le rituel du convivium philosophique : Opera, p. 739-740. 27 Louvrage de Coluccio, que Ficin devait d'ailleurs recommander ~ Opera, 618 -, est connu par ‘un manuserit (Laur., 54,9), dont le passage intéressant 'Académie a été transcrit Sup. Fie., Il, 231- 232, Lauthenticité du récit est tenue pour vraisemblable par BANDINI, Specimen, op. cit., I, 203, n. 14, et confirmée par A. della TORRE, La prima ambasceria di Bernardo Bembo a Firenze, dans « Giornale st. della Letteratura italiana », XXXV, 1900, p. 258-333. 28 FICIN, Opera, I, 608 ; A. della TORRE, op. cit, p. 788 ets 29 A. della TORRE, op. cit, p. 636. La correspondance abonde en lettres gaies et méme humoristi- ‘ques. Le journal de Politien rapporte quelques plaisanteries souvent citées de Ficin qui bravent Thonnéteté ; Angelo Polizianos Tagebuch 1477-1479 , 6d. A. Wesselski, Iéna, 1929, n” 132 et 139. Le philosophe fera partie du club gai de la Mammola, dont il est question en 1490, dans des lettres 44 Paolo et Antonio Soderini et a Jacopo Salviati, le gendre de Laurent. Celui-ci en est le patronus, ‘comme pour ’Académie ; le recteur en est Giovanni Canacei dont le nom préte & des plaisanteries. |. ACHADEMIA CHAREGIANA - 14 de 18 Marsile Ficin et l'art. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... Ficin écrit dans une lettre & la fantaisiste nymphe Mammola : Si Canada quidem labiat, mammola vero canit (Sup. Fic, I, 61). Le « motto » du groupe est de nouveau le Vivat hodie ac laetus in pra- cesens, qui se préte a un sens élargi, et révéle un Ficin moins éloigné qu’on ne le croirait d’abord du Laurent facétieux et burlesque des « Chansons de Carnaval ». 30 Sur Vénus, divinité humaniste, infra, p. 124 ; sur Saturne, p. 168. 1A. CHASTEL, Le mythe de Saturne dans la Renaissance italienne, dans « Phoebus », I, 1946, n° 3-4, p. 125 ets. 32 Convivium, 1, 2 ;la valeur des expressions épveiv et canere a été commenté dans Védition (ave ‘traduction allemande) procurée par K. Hasse, Leipzig, 1914, p. 226, note 3, 133 Pulci s'est moqué tour A tour de la théorie de ’ame (sonnet CXLV), de la doctrine de 'amour Giostra, 84, 88), de Pésotérisme platonicien (Morgante, XXV, 156-157, et XXXVIL, 41), sur un mode nettement voltairien : A. della TORRE, op. cit, pp. 821-822 ; A. MOMIGLIANO, Lindole e il riso di Luigi Pulei, Roeea San Casciano, 1970, p. 44,52 ; C. PELLEGRINI, Luigi Pulei, Pise, 1913, p. ga et s. ; Sup. Fic., I, 283 et s. Une lettre venimeuse adressée par Pulci a Laurent en février 1474 contre Ficin permet de dater cette querelle du philosophe avec son « Thersite », Opera, 661 et 725. Les répliques anonymes adressées Pulei in defensionem Academiae (Sup. Fic., Il, 287 et s.) Yaceusent de nier, en abominable hérétique, Vimmortalité de ame. Sur cette querelle, on peut voir encore N. ROBB, Neoplatonism of the italian Renaissance, op. cit. P. 163 ets. 34 A. della TORRE, op. cit, p. 619-620 ; Tun des sermons de 1487 comprend deux parties : philo- ‘sophia platiniea tamquam sacra legenda est in sacris, et cognitio de divinitate animae ante om- nia necessaria. Les prédications recueillies dans les Opera, p. 672 et s. concernent, avee ces points de doctrine, des miracles comme la multiplication des pains, la vie de saint Paul et naturellement Yépisode des Mages. 35 A. della TORRE, op. cit., p. 694 et surtout B. KIESZKOWSKI, op. cit.,p. 63. Lioratorio de Nesi, ublié en 1485 & Florence est cité par E. Garin, dans son recuel Filosoft italiani del Quattrocento, Florence, 1942, p. 529-530. 36 Ces liens ont été étudiés par E. GARIN, Giovanni Pico della Mirandola, vita e dottrina (Pubbli ‘azioni dell'Universita degli Studi di Firenze, Fac. Lettere e Filologia, III, vol. 5), Florence, 1937, p- 44 et s. Si de nombreux Platoniciens ont incliné vers Savonarole et ont continué, comme Nesi et Orlandini, & associer Ficin et le Frére dans leurs poémes et dans leur souvenir, méme aprés le bit cher de 1498, il nen faut pas moins noter que Ficin est tenu constamment a l'éeart du cercle de Saint-Mare, et qu’aprés un moment d'admiration pour le prophéte, il est entré dans opposition (ef. notre étude L’Apocalypse en 1500, dans « Mélanges Renaudet », Bibl. d’Humanisme et Renais- sance, XIV, 1952). Quelques indications dans V. ZABUGHIN, Il cristianesimo durante il Rinasci- mento, Milan, 1924, p. 268-284. 37.G. UZIELLL, op. cit, p. 84, ne trouvant aucune consistance a YAcadémie, a affirmé, mais a tort, ‘qu'il n'y avait jamais eu le moindre contact entre les « réveurs » de l'humanisme et la science con- temporaine. Le caractére encyclopédique et savant de Académie doit étre mis en évidence, comme Ya indiqué E. GARIN, La cultura fiorentina nelleta di Leonardo, dans « Belfagor », VII (1952). D- 1-19, méme si les thémes proprement scientifiques s'y trouvent enveloppés de préoccupations reli gieuses, poétiques, esthétiques. Avec le De vita qui sera étudié infra, p. 73, Ficin a écrit un petit traité en vulgaire sur la peste et ses remades, traduit en latin sous le titre Epidarium Antidotus (sur Yactualité du fléau : A. CASTIGLIONI, Histoire de la Médecine, Paris, 1931, p. 290 et s., oi Ficin n'est pas mentionné).. Un autre médecin du groupe est Antonio Benivieni (mort en 1502), eélébre pour son ouvrage De abditis morborum causis (A. CASTIGLIONI, op. cit, p. 301), édité & Florence en 1507 par les soins de son frére Girolamo, lami de Pic et de Manetti ; Antonio était en relations avec Ficin qui le cite plusieurs fois comme bonus physicus, Opera, p. 645 et 829 (un billet, p. 801). Sur la science du Quattrocento florentin, L. THORNDIKE, A History of magic and experimental science, vol. IV, New York, 1934, ch. LVI et s., et en particulier : ch. LXV, A Physician of Florence Antonio Benivieni, p. 586 ets |. ACHADEMIA CHAREGIANA - 15 de 18 Marsile Ficin et l'art. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... ‘38 Sur la querelle de Vastrologie, E. GARIN, Giovanni Pico, op. cit., p. 169-193 et surtout son éditi- ‘on des Disputationes adversus astrologiam divinatricem, livres I-V, Florence, 1943, introd. Lorenzo Bonincontri de San Miniato qui publiera Rome, en 1484, la grande édition deManilius, est un ami de Ficin qui le nomme son poeta astronomicus astronomusque poeticus (Opera, p. 655, 750, 760...) et encourage dans ses travaux. Sur Ficin et Vastrologie, infra, ch. II, 3, Saturne. Une lettre oélébre du 13 septembre 1492 sera adressée par Ficin a Paulus Teutonicus physicus et astronomus, ¢est-a-dire Paul de Middelburg, futur évéque de Fossombrone (Opera, p. 964). qui avait publié a Anvers, en 1484, ses Pronostica ad viginti annos duratura, dont importance a été signalée par A. Warburg dans son Heidnisch-antike Weissagung in Wort un Bild zu Luthers Zeiten, 1920, Gesammelte Schriften, Leipzig, 1932, vol. Il, p. 514. Le méme Middelburg est cité vee admiration par Luea Pacioli, comme représentant moderne des mathématiques astrologiques, dans la préface a la Summa de arithmetica... publiée & Venise en 1494, qui contient un précieux ca- talogue des artistes mathématiciens (cette préface a été publige par E. MUENTZ, Les Archives des arts, recueil de documents inédits ou peu connus, 1" série, Paris, 1890, p. 33.4 42). 39 Sur le commentaire du Timée, infra, p. 99. On posséde une lettre adressée dés 14588 un certain Baneius arithmetra contre Pars memoriae pratiquée en France (Sup. Fic. I, p. 39) Une longue épigramme d’Ugolino Verino, ami de Ficin, de Benivieni, est un Eulogium Pauli Thusci Medici ac mathematiei praectarissimi (recueilli dans les libri de illustratione urbis Florentiae, et publié par G. Uzielli dans la revue « Toscanelli », I, 1893, n° 1 en appendice). Politien lui a adressé tune épigramme greeque (XXII) « Thy wy 000} nepa, ved BGvpavov dotepsevra (ed. A. Ardizzoni, coll. Biblioteca di studi superiori, Florence, 1951, p. 15). Ami de Brunelleschi, avec qui il avait mi au point la perspective géométrique, et d’Alberti, Toscanelli était a la fois astrologue, mathématici cen et cosmographe. On sait de ce point de vue le role qu'il a eu a Yorigine de la découverte du Nou- ‘veau Monde : K, KRETSCHMER, Die Entdeckung Amerika’s in ihrer Bedeutung fiir die Geschichte des Welibildes, Berlin, 1892, ch. 4, p. 227-240, et G. FUMAGALLI, Bibliografia di Paolo Toscanelli, dans Vita di Amerigo Vespucci, ed. G. Uzieli, Florence, 1898, pp. 99-104. Un passage oublié de la Disputatio contra Astrologos, que Ficin rédigea en 1477 et laissa manuscri- te, permet de préciser ses relations avec le savant, qu'il nomme Paulus Orticinus Florentinus as- tronomus singularis et medicus ; celui-ci lui avait déclaré qu'il tenait Vastrologie judiciaire pour fallacieuse et impraticable ; en dépit d'un examen serré de son horoscope, il rYavait pu y trouver ni Je signe ni la conjonction exprimant une longue vie et avait pourtant dépassé tous ceux de sa ger ration ; il vécut en effet, ajoute Ficin, quatre-vingt-cing ans dans une parfaite santé physique et mentale (fol. 65 v°, Sup. Fic., I, p. 66). Toscanelli a vécu de 1397 1482. Son scepticisme & l'égard des astrologues est également mentionné par FICIN, Comm. in Plotinum, II, 7, Opera, p. 1626. 40 Sur la théorie ficinienne de la magie, infra, p. 72. A. della TORRE, op. cit., p. 742, 777. Le terme de magie est difficile & interpréter. W.. PEUCKERT, Pansophie, ein Versuch zur Geschichte der weissen und schwarzen Magie, Stuttgart, 1936, et G.F. HARTLAUB, Areana artis, Spuren alche- mistischer Symbolik in der Kunst des XVI. Jahr., dans « Zeitschrift fir Kunstgeschichte », VI, 1937, p. 297, note 7, ont posé en termes généraux la question des rapports de VAcadémie avec le cercle vénitien de Giovanni Aurelio Augurelli; celui-ci accompagna Bembo dans son ambassade de 1475, entretint une correspondance avec Ficin, et son Ode XII, Ad Marsilium Ficinum Florentinum. in fivorem est un témoignage de sympathie qui peut répondre aux attaques de Puli. Les poémes alchimistes d’Augurelli sont bien connus, mais il convient d'observer que le traité de arte chymica cen vingt chapitres attribué a Ficin dans certains recueils du XVI‘ et du XVII siécles, sont apo- ‘ryphes, comme la montré P.O. KRISTELLER, Sup. Fic., 1, CLXVI, tout en notant la persistance de la tradition qui fait de Ficin un « adepte ». II faut entendre par magie, apex et fastigium totius philosophiae, selon Pic (E. GARIN, Giovanni Pico, op. cit, IML, 3, P. 164), les applications merveilleuses du savoir. E. GARIN, Magia ed astrolo- gia nella cultura del Rinascimento, dans « Belfagor », 1950, p. 657-667, donne une idée générale les préoccupations de Campanella : « Tutto quello che si fa delli scienziati imitando la natura € aiutandola con Varte, 2)... opera magica » ; mais V'idée est déja dans le De incertitudine et varieta- te scientiarum et artium, de Cornelius Agrippa, Bale, 1530, ch. 1. |. ACHADEMIA CHAREGIANA - 16 de 18 Marsile Ficin et l'art. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... Ficin passait pour « magicien » au sens courant de la démonologie, c'est-a-dire pour exorciste ; G. CORS! écrit, op. cit, p. 55 : illud vero non omittendum quod in magia habitus est singularis, at- que divinus pluribus ¢ locis matis daemonibus ae maniebus fugatis.. 41 H. PFLAUM, Die Idee der Liebe. Leone Ebreo ; zwei Abhandlungen, zur Geschichte der Phito- sophie der Renaissance, Tubingue, 1926, tout en indiquant judicieusement que le groupe de Ca- reggi aspirait d « einer idealen Lebensform » commandée par « die religidstisthetische Schweir- merei der Zeit » (p. 32), se hate trop de rapprocher le cerele florentin des petites cours de la socié- t6 italienne dominées par les ferames qui mettront le Platonisme a la mode, p. 36. ‘Sur Yamitié et Vamour chaste dans le groupe de Careggi, Ph. MONNIER, Le Quattrocento, Paris, 1901, vol. II, p. 99 et s. Pour d'autres comme Politien, 'amour socratique était moins pur. Quill suf- fise de citer deux de ses épigrammes grecques : XXIII Atrtig Zpwg Avia pe. Bvoiv dxotix. Ona noté dans les derniéres années de Pic, ascétiques et pures, une indifférence Il. LES PERSONNALITES - 6 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... croissante envers les rites de I'Eglise, et déja ses Conelusiones parlaient en ce sens® ; mais il serait erroné de ne voir dans son ceuvre que Pesquisse d’une reli- gion de esprit pur#®. Son entreprise révéle surtout une crise profonde de la « conscience symbolique »4#, et son effort a visé précisément A retrouver, A regrou- per les vrais symboles indispensables a la spéculation : il songe, comme Ficin, & une poetica theologia fondée sur l'exégese des textes anciens*, et la joie qu'il éprouve & pénétrer dans les exégéses hébraiques, vient de ce que Kabbala nos docet legere in libros legis'®. Les replis compliqués de !’ « Heptaplus » sa con- clusion étrange, impulsive, sur la merveille du « bereschit » hébreu, montrent assez que le génie de Pic a été dans la recherche d’une symbolique nouvelle, irré- sistible, qui porterait les propriétés du langage au dela de ce qu’on en a jamais espéré“4, Pour toutes ces raisons, le rayonnement de sa pensée s'exerga en pro- fondeur#5. Pic est le plus pur « philosophe » du groupe de Careggi, le plus ferme dans la spéculation abstraite et aussi le moins ouvert & la beauté poétique, et & Tart. En fait, son ceuvre relie directement Phumanisme a la Scolastique. Pourtant, Aca démie échappe aux cadres d'une histoire de la philosophie et doit étre définie comme le foyer de curiosités complexes allant de Pexégése A la poésie, de la théologie a la vie morale, de la philologie classique ou orientale a des thémes de poésie ou d'art, qu’on doit aussi interroger. C'est ce qui explique la place de Lau- rent de Médicis qui n’est pas seulement, aprés Cosme, linstaurator platonica- rum disciplinarum, mais — au moins dans la premiare décade ~ un membre ac- tif des réunions et, sans aucun doute, un vrai poate*®. Pic louait Laurent en 1484 de savoir donner une saveur nouvelle a l'enseigne- ment des philosophes ; il songeait 4 L’Altercazione qui transpose dans le cadre une bucolique, une longue épitre de Ficin sur le bonheur‘? : ceuvre d’éleve, di- rectement issue de Careggi. Dans la « Sylve » Nutricia (1486), Politien célébre le talent poétique du prince en des termes qui évoquent plutdt la série des Eglo- gues, Ambra. Apotlo e Pan, Corinto : Namque, importunas mulcentem peetine curas, Umbrosae recolo te quondam vallis in antrum Monticolam duxisse deam**. ss) amour de la campagne toscane n’est pas seulement une défense ins- tinetive contre les tracas des affaires, conforme, au demeurant, a la tradition de la poésie courtoise ; les champs, les villas, les pares, voués aux joies de la con- templation, sont les symboles de la vie pure et sage, mais il arrive aussi qu’ils ex- citent dans imagination de Laurent, les images d’une turbulente vitali L’un des principaux objets de la poésie du Magnifique est dans les contradic- tions de 'ame humaine, les alternances de la sensibilité qui sont la conséquence Il. LES PERSONNALITES - 7 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... des réves et de l'impuissance a les réaliser. Les Selve sont remarquables a cet égard : Laurent célébre l'amour avec la chaleur et la défiance de Pétrarque ; il y retrouve les mouvements de la nature qui se détruit elle-méme quand le feu de- vient incendie, quand les fleuves ravagent la campagne. Il s’attarde aux princi- pes dillusion, mélant, comme I’a dit Carducci, A 'ampleur de Dante, Vironie de Pulei ; il dénonce l'nitiative de Prométhée et les méfaits de l'Espérance, et se complait pourtant A l’évocation inerédule de V’Age d’or, dont il joue encore pour nourrir et bercer tour a tour son déchirement intérieur Cosi sono io una rete distesa, La qual il legno van tien sopra Yonda ; Tl grave piombo che da basso pesa La tira nella parte pitt profonda : Alfin ciaseun di lor perde Vimpresa : Bagnasi il legno el piombo non s’affonda ; Né Tun disio né Valtro par si faccia : La rete in tanto si consuma e straccia. Selve. II, Strophe CXXIX“*. Cest cette tension qu’a ajoutée a la mélancolie de Pétrarque la fréquentation de Careggi ; Laurent a subi la fascination de I’ « idéal », mais il aimerait s'en dé- tacher, il annonce : aux besoins de notre vie ne peut satisfaire un principe unique, fait-il objet le plus excellent de l'activité humaine, comme la contemplation qui est sans con- tredit le premier et le plus excellent®®. Dans son curieux Commento sopra alcuni de suoi sonetti, sorte de version moderne de la Vita Nuova, ou il célébre, lui aussi, une belle morte, il écrira, dans une phrase qui trahit & la fois sa dépendance et son éloignement du Plato- nisme : il ne s’agit pas, cette fois, de 'amour qui, selon Platon, pousse toutes créatu- res A atteindre leur perfection et A se reposer dans la beauté supréme qui est Dieu, mais seulement de l'amour des eréatures humaines®. Cet amour n’atteint Iui-méme toute sa profondeur que dans le deuil et le dé- sespoir, et Laurent s’attarde a ce moment sombre et négatif, dont I’élan « plato- nicien » vers union divine, exprimé en hymnes ardents, est comme autre face. Vie active et vie contemplative, intériorité et possession de la nature, amour divin et amour humain, tous ces termes que la sagesse de Careggi devrait per- mettre de hiérarchiser, sans rompre l'unité de effort humain, semblent A Lau- rent frappés d'une incompatibilité, qu'il se complait & aggraver®*. Son ceuvre poétique est le premier témoignage des remous intérieurs provoqués’s. »») par Il. LES PERSONNALITES - 8 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... Vinfluence de Académie et se ressent, jusque dans le détail, du poids de ses for- mules et de ses mythes®3. Le Simposio burlesque des Beoni®, parodie de Dante aussi bien que de Platon, a peut-étre voulu en étre la dérision, mais la premiere de ses Orazioni directement transposée du Pimandre, reste l'un des plus beaux hymnes « orphiques » de la Renaissance : Oda quest’inno tutta la natura... Posate, vent ; udite, cieli, il canto Perché il creato il creator conoschi**. I ne faut donc pas voir dans le Platonisme de Careggi un principe uniforme exaltation, le nouveau memento de la bonne conscience, de la piété et du bo- nheur. L’exemple de Laurent est révélateur : l’éthique, l'esthétique méme, qui se formulaient A Florence, que amateur pouvait peu A peu déduire de Venseigne- ment de Careggi, risquaient de laisser les esprits troublés et déchirés. Plus tard, il en naitra un conformisme, une scolastique mondaine que l'on a un peu trop exclusivement considérés®®. A Florence méme, le mouvement de I'Académie qui remplit exactement l'intervalle entre oeuvre d’Alberti et la prédication de Savo- narole, intéressait d'une maniére plus naive et plus authentique, a travers une puissante transformation de la culture, le monde des sentiments et des attitudes humaines. De la vision centrale de l'univers et de la destinée qu'il devait au Platonisme, Ficin pouvait déduire une organisation nouvelle de la vie de esprit ; il a décrite sous forme allégorique dans son introduction générale & la traduction de Platon, en 1484. Le personnel idéal de I' Académie s'y trouve rassemblé : Quand Philosophia, fille de Jupiter et de la Sagesse, descendit sur terre, Platon le premier et le seul, sut lui rendre le culte supréme. Le premier, il lui ceignit les tempes de la mitre sacerdotale, la revétit du péplos qui convient 3 la fille auguste de Minerve, Ini oignit la téte, les mains et les pieds de parfums suaves et finalement couvrit et orna de mille fleurs le sol méme oi devait poser ses pas la divinité philosophique. Telle se présentait et telle se présente encore la déesse quand elle circule dans lenceinte de Académie, ce sont la ses ornements. Mais quand elle erre en dehors des jardins de Académie, elle ne perd pas seulement ses parfums et ses fleurs, elle tombe souvent hélas aux mains des voleurs, on la dépouille de ses marques sacerdotales, des insigne: de son autorité, elle est nue, elle n’a plus rien de saeré, elle est si laide que ses amis Phoebus et Mercure ne Paiment plus et que son aieul Jupiter, ni Minerve sa mére, ne Ja soutiennent plus. Mais das que sur le conseil de sa mére elle rentre dans Tenceinte des jardins de Académie, elle reprend son ancienne apparence et trouve le repos du pays natal. Aussi faut-il y appeler tous ceux qui aspirent a la saine doctrine : Iciles jeunes gens apprendront gaiement et comme en jouant les régles de la mora- le et art oratoire ; les hommes miirs étudieront l'art de conduire les affaires privées I. LES PERSONNALITES - 9 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... et publiques ; les vieillards acquerront l'espoir de la vie éternelle, au lieu de celle a’ bas ; dans les jardins de Académie, les poétes entendront Apollon chanter sous les lauriers ; dans le vestibule, les orateurs verront Mercure lui-méme déclamer ; sous le portique et dans la cour, les jurisconsultes et les chefs d’état écouteront Jupiter lui- méme sanctionnant les lois, définissant le droit, gouvernant les empires. Dans le sanetuaire méme, les philosophes reconnaitront leur cher Saturne qui contemple les mnysteres du ciel, tandis que les prétres, préposés au sacré, trouveront partout des ar- mes pour défendre avec force la piété contre les impies. ‘Venez. done tous ici, vous qui cultivez les études libérales, vous les accomplirez ici, en trouvant aussi la liberté, Venez aussi ceux quenflamme une ardeur éternelle de parvenir A la vérité et de conquérir la béatitude ; avec le secours du bien vous atten- drez ici la vérité de vos voeux et le bonheurs”, {». a5) Temple de Philosophia, fille de Minerve. Séjour : Fonetions: Principe _supéri- eur: Jardin Poates ‘Apollon Vestibule Orateurs Mercure Portique Juristes Jupiter Sanctuaire Philosophes — Saturne (partout) Prétres (la Religion) Cette allégorie se déploie dans un décor pur et fleuri, avec des détails de cos- tume et de composition, qui ne sont ni antiques, malgré les noms des divinités, ni gothiques, malgré enchevétrement des symboles : ces jardins de lauriers ha~ bités de divinités évoquent plutét avec des silhouettes de Botticelli, la nature candide, dont limage avait fait le succas de lAngelico et de Gozzoli. Mais les ar- tistes sont oubliés, comme si ce temple allégorique ne supposait pas d’architecte, comme si ses murs étaient sans fresques et son pare sans statues. Malgré ce que Ficin en dit ailleurs, les arts n’ont toujours pas rang parmi les disciplines nobles : gens d’étude et de cabinet, les membres de Académie se sentent encore sépa- rés du commun des mortels par la familiarité des langues anciennes et par le cé- rémonial intellectuel qui s’en nourrit%. Le jardin de l Académie sera rempli de podtes, d’orateurs, de juristes, de philosophes et de prétres ; il n'y entrera done nj artistes ni savants. En était-il ainsi A Careggi ? Ficin invite lui-méme 4 ne pas imaginer des barriéres trop sévéres, dans une lettre adressée en 1478 A Bernardo Bembo, l'ami vénitien, auprés de qui il semble toujours avoir eu a coeur de mani- fester certaines préoccupations artistiques. Cette épitre doctrinale, introduit un élément nouveau dans la description de ’Académie idéale : Les philosophes dans leurs débats, les orateurs dans leurs déclamations, les podtes dans leurs chants, s'efforcent souvent d’exhorter les hommes au véritable amour de la vertu. Je les en loue et admire... Mais 4 mon avis si la vertu était jamais portée au mi- Il, LES PERSONNALITES - 10 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... lieu de nous, elle déciderait plus aisément et avec plus de poids que les mots, les hom- mes A la suivre. Il est vain de faire l’éloge d’une jeune fille 4 un adolescent et de la lui décrire, pour Vinciter a l'amour, quand on peut offrir & ses yeux la forme méme de la belle personne. Désigne la beauté et tu n’as plus besoin de paroles. On ne saurait dire en effet combien la vue de la beauté inspire plus aisément et plus violemment ’amour que Vévocation par les mots. Si nous pouvions présenter l'aspect merveilleux de la vertu aux yeux des hommes, nous n’aurions plus besoin de notre rhétorique : elle per- suaderait elle-méme plus vite qu'on ne pourrait le penser. Suit une évocation allégorique de la figure parfaitement belle et vertueuse, une sorte de canon « moralisé », et Fiein conclut : Allons, amis, tenons toujours devant nos yeux image et la beauté divine de la ver- tu: elle nous attirera par sa gracieuse splendeur, nous ravira sans fin par la douceur de son ordonnance et de son harmonie, et nous comblera de ses bienfaits. L’éloquence, chére aux Humanistes de la période pétrarquiste, semble ici dé- savouée au profit de limagination, et la ‘pidce est a verser au dossier du « Para gone » cher A Léonard. Cette lettre, qui est peut-étre ’écho de discussions tenu- es A Careggi,permet déja de réduire la distance morale qui séparait le cercle des humanistes du monde artistique, et on ne saurait trop insister sur le fait que Yon découvre parmi les amis de Ficin et les familiers(»..°) de Careggi, la plu- part des clients attitrés des grands ateliers florentins, les patrons des peintres et des architectes en renom ; des Vespucci aux Strozzi, des Ruccellai a Laurent ou A son cousin, Laurentius minor, il n'est aucun des amateurs de l'art moderne, qui ne soit, de prés ou de loin, en contact avec l’Académie®. Mais n’inscrira-t-on dans le groupe aucun nom dartiste ? I n'y a finalement aucune raison de minimiser, comme on le fait d’ordinaire, le réle joué par Alber- ti parmi les promoteurs de 'Académie et les confabulatores de Ficin ; autant que I'humaniste, le théoricien des arts et de 'architecture « moderne », ne peut pas ne pas avoir influencé un milieu si préoccupé de la beauté et de sa place dans la vie de esprit. C'est ce qui sera examiné plus loin“. Et seule la pauvreté de nos informations empéche de préciser également l'importance d'un person- nage comme Antonio di Tuccio Manetti, architecte et mathématicien en renom, fort lié avec Ficin qui lui dédiera sa traduction du De Monarchia de Dante et son De Amore®. Enfin, il n'est pas sans intérét de voir Ficin lui-méme mentionner amicalement au détour d’une lettre 4 un Vénitien éerite vers 1480, Antonius nos- ter pictor et sculptor insignis ; le philosophe remercie son correspondant du sa- lut que lui a transmis « hier, sur la place, notre grand peintre et sculpteur Anto- nio ». Cest pour Ficin l'occasion d’une phrase brillante et recherchée oii il joue sur la qualité du messager ; « il a si tien peint ton visage au nétre ; si bien sculp- té tes sentiments dans les nétres... que tu nous semblais clairement devant nous »®3, Ce nest pas la seule mention a relever ; un autre document prouve I’attach- ement du philosophe de Careggi aux fréres Pollaiuolo, qui ne semble pas avoir Il, LES PERSONNALITES - 11 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... 66 signalé jusqu’ici. Une note épistolaire trés bréve, de Antonio Ivano de Sarza- ne, chancelier de Pistoia, nous apprend qu'il vient d'accueillir Petrum Pullario- lum alterum Prasitelem, et ajoute qu’il Va fait @autant plus chaleureusement quill le sait extrémement cher a Ficin, vehementissime affectum : il s’agit évi- demment d'une réponse & une lettre de recommandation apportée par Vartiste, au moment oii celui-ci présentait aux Fabriciens de San Jacopo de Pistoia son projet de tombeau du cardinal Forte-guerri (1477), ou quand, un peu aupara- vant, il recevait la commande de l'autel du Corpus Domini pour la cathédrale®. On ne saurait tirer beaucoup de conclusions d’indications si fragmentaires ; elles invitent, du moins, a faire la part du silence accidentel, et A ne pas nier A Yavance des rapports que peuvent toujours établir un document nouveau, un texte mieux compris. D’autres maitres que les Pollaiuolo ont certainement été en contact avec Ficin et ses amis®. Le caractére « littéraire » du milieu ne doit done pas interdire de rechercher dans les thémes familiers de l’Académie et dans la doctrine de Ficin, les éléments intéressant art et la culture artistique. Ils sont peut-€tre, comme on Pa dit, « d'une surprenante insignifiance », si l'on s’en tient A la lettre, mais il se peut aussi que l'inflexion la plus originale du néo-Plato- nisme florentin ait justement été une insistance nouvelle sur l’émotion esthéti- que et sur Pattitude privilégiée de artiste, et qu'll ait introduit jusque dans la théologie certains modes de pensée poétiques qui convenaient 4 sa clientéle de beaux esprits et d’amateurs d'art. Il, LES PERSONNALITES - 12 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... PLANCHE: 11 MEDAILLES EN BRONZE DE NICCOLO FIORENTINO Ange Politien (ca 1494) Jean Pie de la Mirandole (ca 1493) 1A. HULUBEL, Naldo Naldi, étude sur la « Joute » de Julien et sur les « Bucoliques » dédiées a ‘Laurent de Médicis, dans « Humanisme et Renaissance », III (1936). On notera que Naldi est don- né par FICIN, Opera, p. 936, comme son ami de toujours, a terrena statim aetate mihi familiaris. Laltereazione, ch. 1 et 2 ; traduction francaise dans notre volume : Ambra, ete, Paris, 1946 ; sur Vapparition de Ficin — Orphée, infra, p. 48. Quelques mois avant sa mort, Laurent révait encore de se retirer auprés de ses amis philosophes A. della TORRE, op. cit., p. 741. Fiesole, séjour de Pic et de Politien, pouvait alors rivaliser dans son esprit avec Careggi. Ficin, dans une lettre de novembre 1488, Opera, Ep. IX, p. 893-894, raconte Il, LES PERSONNALITES - 13 de 19 Marsile Ficin et l'art. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... ‘une promenade Fiesole avec Pic ; une lettre souvent citée de Politien, qui prend acte de la palino- die de Ficin sur lastrotogie, s‘achéve par lévocation de rusculum hoc Faesulanum et ses délicieux “ombrages dont la « sylva » Rusticus (1483), donnait déja une image toute virgilienne : Opera, Bale, 1553, P- 135 (supra, n. 58). La villa, devemue villa Mozzi, attribuée a Michelozzo par Vasari, ed. Mi- lanesi, IL, p. 443, a été refaite au XVIII’ siecle : G, del BASSO, Guida di Fiesole, Florence, 1846, p- 50. F, Otto MENCKE, Historia vitae Angeli Politiani, Leipzig, 1736, signalait a Académie de Leip- 2g un tableau représentant Ficin, Landino, Politien et Chaleondylas sentretenant dans la villa de Fiesole (0. MORISANI, Michelozzo, architetto, Milan, 1951, p. 43) ; il sagit, en réalité, d'une mau- vaise copie du groupe des Humanistes peints par Ghirlandajo a Santa Maria Novella, sur un fond de paysage allemand : J. HILL, Teonografia di Angelo Poliziano, dans « Rinascimento », 11 (195%), p.271. 27h. Pl VI, I, Opera, p. 156-157. Lallusion a Bembo inviterait a situer les deux entretiens en février 1475, au moment de la visite de « Tillustre chevalier, orateur de Venise » ; la présence de Cronico auprés de lui invite a penser plutét a la seconde ambassade, celle de 1480. Achevé en 1474, Ie texte de la Theologia ne fut publié ‘qu’en 1482 ; l'addition placée en téte du Livre VI voudrait souligner lintérét actuel de Touvrage ; A. della TORRE, art. cit, p. 283 ; A. GASPARY, Geschichte der italienischen Literatur, I, Berlin, 1888, p. 650, repris dans Sup. Fic. I, p. LXXX-LXXX1. 3.J. REUCHLIN, De arte cabalistica libri tres, La Haye, 1516 ; la lettre continue par le récit de la visite de auteur au palais de Laurent. Elle a été reprise dans le recueil de L. GEIGER, Johann Reu- chlins Briefwechsel, Tubingue, 1875, p. 267 ; la portion intéressant Académie, dans Sup. Fic. I, 290. Cet enthousiasme pour les Humanistes florentins, n’était pas commun a tous les visiteurs septen- trionaux. La piété intransigeante du Néerlandais W. Gansfort, qui traversait Florence en 1473- 1474, ne les lui a pas laissé admirer, et il préfere a ces brillants esprits les ignorants de Zwollen ; Scala meditationis, in Opera, Groningue, 1614, p. 212, cité par A. HYMA, The Christian Renais- sance, a history of the Devotio moderna, Grand Rapids, Michigan, 1924, p. 200. 4 Catalogus familiarium atque auditorum, Opera, I, p. 936-937. 5 Lalettre de Ficin « che cosa é fortuna e se lwomo pud riparare a essa » a été publiée par A. WAR- BURG, Francesco Sassetti’s letztwillige Verfiigung, dans « Kunstwissenschaftliche Beitrige Au- gust Schmarsow gewidmet », Leipzig, 1907 ; puis, plus complétement, « Gesammelte Schriften », op. cit, vol. I, p. 147, et finalement dans Sup. Fic., 1169. L’étude de Warburg a le grand intérét de montrer les relations de Ficin avee le riche mécéne que fut Giovanni Ruecellai (1403-1481), Yami c'alberti, et son prestige auprés de la haute bourgeoisie florentine. Iest permis d'attacher une importance particuliére a Yamitié de Bernardo del Nero, a qui, comme il navait pas de lettres, Ficin ne dédia que des traités en vulgaire ; ce grand personage qui assuma les plus hautes fonctions dans l'état et dont Guichardin devait faire 'un des interlocuteurs de sonDialogo del Reggimento di Firenze, fut, en tant que chef du parti médieéen, exécuté solennelle- ment, malgré son grand age et sa notoriété, en 1497, par la Signoria « piagnona >. Ce trait peut ex- pliquer la résistance finale de Ficin a l'entreprise de Savonarole (voir notre essai Apocalypse en 1500 dans « Mélanges Renaudet », déja cité supra ;cest vraisemblablement la demande de del ‘Nero que Ficin a dai traduire au début de sa earriére le De Monarchia de Dante, qu'il lui a dédié, se faisant ainsi Tun des soutiens du principat médicéen. Un manuscrit de cette traduction, daté octobre 1456, a 6té en effet transcrit par Bernardo lui-méme ; Sup. Fie, I, 109. {6 Sur Taction du roi de Pannonie (mort en 1490) : E. HERVATH, Il Rinascimento in Ungheria (Bi- blioteca dell’ Accademia @’'Ungheria di Roma), Rome, 1939. Sur celle du due d’Urbin, il n’existe pas d’ouvrage complet, en dehors des biographies, DENNIS- TOUN, Memoirs of the duke of Urbino, Londres, 1909, t. I, p. 61 et s., RENZETTI, Federigo da- ‘Montefeltro, Urbin, 1928, fondées sur la eélébre « Vie de Frédéric » de Vespasiano de’ Bisticci, ed. Frati, Florence, tL, p. 265. Une base nouvelle est fournie a cette étude par la publication récente de P. ALATRI, Federico da Montefeltro, lettere di stato e darte (1470-1480), Rome, 1949 (4 corriger aprés les observations critiques de A. PEROSA, Testi Umanistici, I, dans « Annali della Se. Nor- male sup. di Pisa », XVIII, 1950, 3-4, p. 1-11). Il, LES PERSONNALITES - 14 de 19 Marsile Ficin et l'art. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... Frédéric possédait un beau manuscrit des Disputationes Camaldulenses (aujourdhui au Vatican Urb. lat. 508) accompagné d'une miniature célébre : portrait du due et d’un personnage, ott D’AN- CONNA La miniatura fiorentina, Florence, 1914, vol. II, p. 425, propose de voir Landino ; il est suivi par A. Perosa, art. cit, p. 9. Pourtant, comme la feuille enluminée a été rapportée aprés coup «dans le volume, on peut supposer que le compagnon de Frédéric est un autre de ses amis, par ex. Varchitecte Francesco di Giorgio, comme le veut AS. WELLER, Francesco di Giorgio, Chicago, 1943, P.192. ‘Indications d’ensemble dans : V. Rossi,Il Quattrocento (Storia letteraria d'Italia, V), Milan, 1935, ch. 7 : Roma e Firenze ai tempi di Lorenzo il Magnitico. Du point de vue littéraire : N. ROBB, op. cit, ch. 4 et 5. Du point de vue philosophique E. GARIN, La filosofia (Storia dei generi letterari italiani), 2 vol. Milan, 1947, vol. I, ch. 5 : La scuola di Marsilio Ficino. G. SAITTA, II pensiero italiano nell’Umanesimo e nel Rinascimento, I, L'Umanesimo, et I, IL Ri- nascimento, Bologne, 1949, offre un apercu copieux du néoplatonisme Florence, puis dans Italie du XVI sidele. 8 Opera, p. 574. Quelques années auparavant, dans la préface & son Platon latin, Ficin a rendu hommage a Vaide apportée par quelques-uns de ses amis : Demetrius Chalcondylas, Giorgio Anto- nio Vespucci, Boninsegni, Politien, Landino et Bartolomeo Scala, qui étaient, avec lui, les meilleurs hellénistes : Sup. Fie, II, 105 ; A. della TORRE, op. cit, p. 606. ‘9 Les données traditionnelles sur la carriére et les dates de Landino, ont été révisées par A. PERO- SA, Una fonte seicentesca dello Specimen del Bandini, dans « La Bibliofilia », XLII, 1941, p. 1 né en 1424, Landino est mort en 1498. 10 A. PEROSA, ed. des Carmina omnia, Florence, 1939. G. BOTTIGLIONI, La lirica latina in Fi- renze, Florence, 1913. P.G. RICCI, Alla ricerca di Cristoforo Landino, dans « Rinascita », 1941, p. 733. 11 Cette question a été mise au point par A. PEROSA, Miscellanea umanistica, dans « Annali della seuola Normale sup, di Pisa », VII, 1938, 1, p. 73 et s. Landino avait épousé une parente d’Alberti 12 La publication en a été faite autour de 1480 ; trad. all. (partielle) et introd. par E. WOLF, léna, 1927, Sur allégorie selon Landino, infra, p. 142. 13 Ficin, Opera, p. 667, lettre & B. Scala : Ciceronis Dialogos imitaturad unguem : Landino a préci- ‘sément écrit une introduction aux Tusculanes (K. MUELLNER, Reden und Briefe italienischer Hu- manisten, Vienne, 1899). 14 E. GARIN, Testi inediti e rari di Cristoforo Landino e Francesco Filelfo, Florence, 1949, avec note bibliographique et extraits du dialogue. 15 A. della TORRE, op. cit., p. 380 ; E. GARIN, Filosofi italiani, op. cit. p. 381 et s. E. Garin dans étude eitée dans la note précédente, p. 9, note 3, signale l'intérét du De anima, dialogue philo- sophique édite et étudié par G. GENTILE, Studi sul Rinascimento, 2° éd., Florence, 1936, puis C. Carbonara, 1943, et G. Saitta, 1948 : das le XV" sidcl, cet ouvrage était traité avee dédain par des humanistes étrangers a Florence comme G. Brancati. 16 Il faut y ajouter une introduction a Pétrarque, publiée par F. CORAZZINI, Miscellanea di cose inedite o rare, Florence, 18: SurT'importanee du proemio a Dante, infra, ch. I, p. 129. 17 Ed. Comedia, Florence, 1481. Proemio, VII v" ; exposé repris dans introd. 4 Vd. d’Horace, Flo- renee, 1482, avec explications de la méthode suivie dans le commentaire de Virgile, de Dante et Horace, Sur cette doctrine et la nouvelle psychologie de Vart, A. BUCK, Dichtung und Dichter bei Cristofo~ ro Landino, dans « Romanische Forschungen », 58-59, 1947, p. 233 ets. et infra, p. XX. 18 Historia naturale di C. Plinio seconda tradocta di lingua latina in fiorentina, Florence, 1476, proemio. 19 V. ROSSI, Il Quattrocento, op. cit., p. 359 ets. ; B. KIESZKOWSKI, op. cit., p. 62-64, en atten dant l'étude d’ensemble annoneée par Mlle I. Maier. Il, LES PERSONNALITES - 15 de 19 Marsile Ficin et l'art. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... 20 I. del LUNGO, Florentia, op. cit., admettait : 1471 ; G.B. PICOTTI, Sulla data del’ Orfeo e delle Stanze di A. Poliziano, dans « Rendiconti della R. Accademia dei Lincei » (cl. scienze morali stori- che e flosofiche) série V. XXII, 1914, p. 319 ets. propose le début de 1480. 21 Selon L. del LUNGO, ibid. p. 404, les Stanze ont été composées entre 1476, date de la mort de Simonetta, et 1478, Vaffaire des Pazzi ; mais on admet encore (E. RHO, La data delle Stanze di A ngelo Poliziano, dans « Archivum Romanicum », XI1, 1928, et G. TROMBADORI, éd. de Le Stan- ze, Orfeo ele Rime, Milan, 1933) que le poéme, commencé des la Giostra de 1475, a pu étre modi- ‘ié a la mort de Simonetta, dans le sens de T'déalisation. 22 Sur cette activité de Politien : I. del LUNGO, Florentia, op. cit., p.128, et surtout : Angelo Polizi- ‘ano, il « greco » dello Studio fiorentino, en appendice a V'édition des Selve, Florence, 1925, p. 231- 24 23 Nutricia, v. 158-162, éd. citée, p. 125. 24 POLITIEN, Opera, vol. I, Epistolarum libri X11, miscellaneorum eenturia I, Lyon, 1536, p. 697. 25 POLITIEN, Opera, Lyon, 1548, II, 306-310 ; A. BONAVENTURA, I! Poliziano e la Musica, dans «La Bibliofilia » XLIV, 1942, p. 114-131. ‘26 Cest dans la Lamia (ou Strega), 6d. cit.,p. 214, que Politien rapporte le mythe de la caverne, en Yattribuant a Jamblique. Sur Vintérét de Politien jeune pour Proclus : I. MAIER, Une page inédite de Politien, dans « Bibl. d'Humanisme et Renaissance », XVI (1954), p. 1-17. Lorientation plus littéraire que philosophique, plus péripatéticienne que platonicienne de Politien, ne doit pourtant pas le faire placer « en marge » de Académie : en 1488 encore, a un moment oil semble fort éloigné des préoccupations de Ficin, Angelo est mentionné en ces termes dans une let- tre de Ph. Callimachus a Ficin : delitias Musarum Zenobium Accarolum et A. Politianum meis ver- bis saluta et ceteros Academicos, Sup. Fic., II, 299. Dans la préface & une traduetion inachevée du « Charmide », od il eompare la philosophie & Vherbe «< moly », antidote contre les maléfices, et se plaint des impudents qui souillent « le sanctuaire méme de 'Académie », Politien évoque Platon, philosophorum omnium sine controversia paren- tem ac deum, totiusque sapientiae quasi quoddam, ut aiunt, oraculum, Opera, op. cit, P- 447. ‘27 Les travaux sur Pic se sont multipliés depuis une quinzaine d’années : G. SEMPRINT, La filoso- fia di Pico della Mirandola, Milan, 1936. E. GARIN, Giovanni Pico della Mirandola, op. cit., 1937 (complété par de nombreux articles : Noterelle wnanistiche dans « La Rinascita », IV, 1941, 19 ; Il carteggio di Giovanni Pico della Mirandola, ibid., V, 1942, 28). A. DULLES, Princeps Concordiae, Cambridge, Mass., 1941, et E. CASSIRER, Giovanni Pico della Mirandola, a study in thé history of Renaissance ideas, dans « Journal of the history of ideas », Ill, 1942, 2, p. 123-144, et 3, p. 319- 346. ‘dition des Opera omnia, Baie, 1572, est précédée de la « Vie » célébre, rédigée par le neveu, Jean-Frangois. Lédition critique avec trad. ital. en cours, comprend vol. I: De hominis dignitate, Heptaplus, De Ente et Uno, Commento alla canzone Camore, éd. par E. GARIN, Florence, 1942, et vol. I: Dispu- tationes adversus astrologiam divinatricem, libri IV, Florence, 1946. 28 C. RE, Girolamo Benivieni fiorentino, Citta di Castello, 1906, I, ch. 3 : la bucoliea : il s'agit des Eglogues 1 (Daphnis) oi Tirsis chante, comme Corydon, son amour pour un berger ingrat, et VIL (Misona) : Opere, Venise, 1522, 78 et 99. 29 Ona la réponse de Ficin, Opera, p. 869 ; une lettre préeédente disait sa joie Pie te jam ad divi- nna Platani nostri mysteria conferas (ibid., 858). 30 Pie, Opera, 349 et s. ‘31 Ces podmes italiens ont été conservés ; ed. F. CERETTI, Sonetti inediti del conte Giovanni Pico della Mirandola, Mirandola, 1894. 132 Cité par E, GARIN, op. cit. p. 15 ets. ;v. infra, L. DOREZ, Lettres inédites de Jean Pie de la Mi- randole (1482-1492), dans « Giomale storico della letteratura italiana », XXV, 1895, p. 357-358. 33 Le fameux éloge de la Cabale dans le De hominis dignitate, éd. cit., p. 154, et dans celle de B. CICOGNANI, Florence, 1942. Il, LES PERSONNALITES - 16 de 19 Marsile Ficin et l'art. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... ‘Sur la place de Pic dans ces études, J.L. BLAU, The Christian interpretation of the Cabala in the Renaissance, New York, 1944, ch. 2, « The phoenix of his age ». 34 La fameuse lettre de 1485 a Ermolao Barbaro De genere dicendi philosophorum, Opera, fol. 352 et s. a été trés souvent commentée, en dernier lieu E. ANAGNINE, G. Pico della Mirandola, Bari, 1937, p. 18 et E. GARIN, op. cit, p.23. 35 Le commentaire a la « canzone » de Benivieni n’était qu'un preludivm commentariorum quae in Platonis symposium meditarem (lettre du 10 novembre 1486, op. cit.) : infra, III, ch. 2. Le De Ente et Uno (1492) est la réplique au commentaire de Ficin sur le « Parménide » ; celui-ci protestera dans sa rédaction finale (Opera, II, 1164) contre mirandus ille juvenis si présomptueux (ef. E. GARIN, op. cit., p.128 et s.). (On sait combien la polémique contre l'astrologie mettra Ficin dans Yembarras : E. GARIN, op. cit. P. 170 et introd. & Fé. cit. (1946) : les Disputationes, préparées depuis 1493, seront publiées en 1496 par Savonarole et ses amis. 36 P. CRINITO, De honesta disciplina, op. cit., II, 2 ; Disputano habita inter Hieronymum Savo- narolam et Picum Mirandulam dephilosophia veterum cum christiana academia. 32 E. GARIN, op. cit., p. 207. Sur 'horreur de Pic pour linertie, une page frappante de P. CRINI- ‘TO, De honesta discipiina, If, 12 : quam graviter et satyrice J. Picus Mirandula contra inertes et otiosos homines verba babuerit. ‘38 Conelusiones, fol. 80, cité par E. GARIN, op. cit., p.162. Sur cet aspect du personage, infra. 39.1.F. PIC, Vita, op. cit., fol. 7: exterioris latria cultus non multum diligens fuit, ef. E. GARIN, op. cit p. 132. 40 I. PUSINO, Ficinos und Picos religids-philosophische Anschauungen, dans « Zeitschrift f. Kit- chengeschichte », XLIV, 1925, p. 526. ALE. CASSIRER, art. ct., p.137, et les exeellentes indications, p. 333. 42 E. GARIN, op. cit. p. 138. 43 Conelusiones, fol. 72, eité,ibid., p. 146. 44 Ce mot hébreu, qui signifie in principio, contient universam de mundi rerumque omnium rati- ‘nem in una ea dictione apertam et explicatam. Heptaplus, VII, 7, €d. cit., p. 376 ; sur ce texte, no tre courte étude : Pie de la Mirandole et !Heptaplus, dans « Cahiers d’Hermes >, II (1947). 45 L’étude de sa correspondance pourrait la préciser ; elle a été amoreée par E. GARIN, Il Carteg- gio di Giovanni Pico della Mirandola (con lettere inedite), dans la « Rinascita », V, 1942, p. 28. 46 A. GARSIA, Il magnifico ¢ la Rinascita, Florence, 1923, ni E. Rho, Lorenzo il magnifico, Bari, 1926, ne sont parfaitement a jour. V. Rossi, I! Quattrocento, op. cit., ch. 7, reste utile. Aprés la vieille édition de G. CARDUCCI, Lorenzo de Medici : Poesie, Florence, 1859, Védition eriti- ‘que de A. SIMIONI, Lorenzo de’ Medici, Opera, 2 vol., Scrittori d'Italia, 54 et 59, Bari, 1912 et 1914 : morceatx ehoisis G. PAPINI, Poem del Magnifico, Lanciano, 1911, E. Bellorini, Turin, 1927, M. BONTEMPELLI dans le recueil : I! Poliziano, I! Magnifico, ré6d., Florence, 1938. Létude de Voouvre de Laurent ~ sur laquelle on attend une étude de P. Rochon -, est rendue diffici- le par absence de chronologie sire, par insertion d’apocryphes (la Nencia, de nombreux Canti carnascialeschi), et sans doute aussi par des collaborations de Pulci, de Politien, qui ne sont pas centitrement tirées au clair. 47 Ficin apparait en vieux pasteur, portant la « lyre d'Orphée » ; on peut se demander dans quelle mesure cette évocation nest pas & Vorigine de Vermite du 3° discours des Asolani éerits par P. Bem- bo en 1496, publiés & Venise en 1506 ; infra, II, 1. 48 POLITIEN, Nutricia, v. 736-738, le Selve, éd. cit, p. 177. Tout 'aeuvre poétique de Laurent est caractérisé ensuite, Opere, éd. cit, I, p. 285, 49 Sur cet aspect de l'inspiration de Laurent, notre étude Melancholia in the sonnets of Lorenzo de’ ‘Medici, dans « Journal of the Warburg and Courtauld Institutes », VIII, 1945, p. 61-67. 50 Opera, éd. cit, I, p. 12. A. LIPARI, The dolee stil nuovo according to Lorenzo dei Medici, Yale romanie studies, XII, Newhaven, 1936, a scruté les pages initiales du Comento, comme « principio », la fois poétique et moral ; malgré M. Barbi qui tend A dater la Raccolta des sonnets en 1476, le Il, LES PERSONNALITES - 17 de 19 Marsile Ficin et l'art. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... méme auteur la croit antérieure & 1473 et a Tamitié de Laurent pour Politien 51 Ibid. p. 14. ‘52 Le jugement de F. de Sancti : « cristiano e platonico in astratto e a scuola, in realtd epicureo e indifferente » (Storia della letteratura italiana, vol. I, p. 373) peut étre nuancé en dépassant l'anti- these facile de paien et de chrétien : ef. notre étude « Art et Religion » art. cit.,p. 36. 53 P. THOMAS, Michel Ange podte, étude sur Vexpression de lamour platonique dans la poésie italienne du Moyen Age et de la Renaissance, Paris, 1802 ; N. SCARANO, Il platonismo nelle poe- sie di Lorenzo de' Medici, dans « Nuova Antologia », 1803 ; E. BOUVY, Laurent de Médicis et Tancienne Académie florentine, dans Cinq siécles de littérature italienne, Paris, 1926 ; A. BUCK, Der Platonismus in den Dichtungen Lorenzo de’ Medici, op. cit., supra, p. 20, n. 21, ont tour & tour abordé le probleme : la derniére étude a le mérite d'indiquer une gradation dans le recours de Lau- rent aux themes ficiniens. ‘54 Sur les Beoni : . MANGINO, Il Simposio o i Beoni di Lorenzo il magnifico, Naples, 1937. 155 Ed. E. BELLORINI, p. 255-256 ; la note de C. Bonardi, Le Orazioni di Lorenzo il magnifico € Tinno finale di G.B. Gelli, dans « Giornale storico della letteratura italiana », XXIII, 1899, p. 77- 83, a sommairement indiqué la dérivation de Pimandre XIII et le prolongement de la méme source «dans Vhymne d’Aglafemo a la fin de la Circé de G.B. Gelli, 1548, Dans une lettre de juin 1491 & Pietro Dovizzi da Bibbiena, Ficin présente Laurent comme type mo- derne de podte platonicien : il a connu les deux premiers degrés «inspiration, poeticum et amato- rium dans sa jeunesse, le vaticinium apollinien dans son age mdr, enfin Vivresse du mysterium de Dionysos : In collihus Ambre et Agnanaeque vallens Laurens ille Phoebeus Dionyso nectare pas- sim ebrius debacchatur, Opera, p. 927; infra, ch. I, Eros, 3, 56 L. OLSCHKI, Geschichte der neusprachlichen wissenschaftlichen Literatur, vol. I, Heidelberg, 1919, p. 252, a.vu dans les conflits intérieurs, dans une « Zwiespaltigkeit » irrémédiable la marque néfaste du nouveau Platonisme. 52 Opera, Il, p. 1129-1130. Liimportance de ce texte a été relevée par A. della TORRE, op. cit., p. 646. ‘58 Sur cette barriére du latin au Quattrocento, L. OLSCHKI, op. Cit., p. 53 et ‘50 Ep. V, Opera, p. 807 : derniare lettre du Livre V qui groupe des lettres de 1477-1478 et a été dé- lige & Bembo (Sup. Fic., 1. P. C1), Cette lettre a attiré Pattention de E, GOMBRICH, on peut la com- pléter par une autre lettre, spirituelle et précieuse, datée de novembre 1480, qui semble concerner Yenvoi del épitre citée & Bembo, et od revient expressément la métaphore de la peinture « Comme je voulais ces jours derniers exhorter mes amis & ardent amour de la véritable vertu, en paroles aussi concises que possible, je me suis efforeé de dépeindre, comme & mon habitude, avec des couleurs platoniciennes, 'image d'une belle pensée par la ressemblance d’un beau corps. Mais dans cet effort pour exprimer 4 la fois l'image d'une belle me et d’un beau corps, & cause de mon inexpérience et de ma faiblesse en peinture, c'est moins image espérée qui est exprimée, qu'une ‘ombre pour tout résultat. » La suite de ’épitre expose que Yombre suivant toujours son objet, celle~ ci est partie a Venise avee Bembo, et celui-ci n'a qu’a se retourner pour se reconnaitre en elle, Ope- ra, p. 833. Le texte de Ficin est fort prés du passage bien connu de Leonard : Qual poeta con parole ti mettera inanzi, 0 amante, la vera effigie della tua idea con tanta verita quanto i pittore (Paragone, a ‘comparison of the arts by Leonardo da Vinci, éd. LA. RICHTER, Londres et New York, 1949, p- 52). ‘60 A. Warburg 'a montré, étude eitée supra, note 5, pour G. Ruccellai et Sassetti ; de méme E.H. GOMBRICH, Botticell’s mythologies, a study in the neoplatonic symbolism of his circle, dans « Journal of the Warburg and Courtauld Institutes », VIII, 1945, p.7 et s., pour Lorenzo di Pierfran- ‘cesco, cousin de Laurent le Magnifique, patron de Botticelli, et Guido Antonio Vespucci. Brillant tour horizon sur le milieu littéraire et artistique & Florence par I. del LUNGO, Florentia, op. cit, . 206-239 : Mecenate e clienti medicei ‘61 Infra, ch. UL, 3. ‘62 A. Manetti (1423-1497) est Yauteur probable d'une « Vie de Brunelleschi », dont il sera question Il, LES PERSONNALITES - 18 de 19 Marsile Ficin et l'art. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... infra. « Tl a participé au concours pour la facade de Ta cathédrale de Florence en 1491 (Vasari, éd. ‘Milanesi, IV, p. 305). On ne le confondra pas avec Antonio Manetti, architecte du Dome de 1451 sa mort, en 1460, qui d'aprés Vasari, id., II, p. 213, serait représenté avec les « fondateurs de Part florentin », Giotto, Brunelleschi, Donatello, Masaccio, sur le panneau fameux du Louvre, que Yon donne a Uccello (comme cette attribution, identification du personnage est tardive et contestée J. Pope-Hennessy, The complete work of Paolo Uccello, Londres, 1950, p. 134). Les liens de Manet tiavec Ficin sont connus : Sup. Fic, I, p. 80, Il, p. 184, Tleut un admirateur fidéle en G. Benivieni, Yami de Pie, qui publia en 1506, le Dialogo circa il sito, forma e misura dello Inferno di Dante, ude scientifique de la Divine Comédie, déja mentionnée par Landino dans sa préface de 1481. {63 Ep. VI, Opera, p. 856 (ce livre contient des lettres écrites entre 1481 et 1484). {64 Lettre tirée du Cod. Vindobonensis lat. 3477, Sup. Fic., Il, p. 350. Au début de 1477, le conseil de San Jacopo a Pistoia demanda a Piero Pollauiolo un modéle pour le monument funéraire, celui qu’avait déja fourni Verrocchio paraissant trop onéreux ; on sait qu’a cette oceasion, Laurent de ‘Médicis fut sollicité d'intervenir et imposa le projet de Verrocchio, en mars 1477 (E. WILDER, The unfinished monument by Andréa del Verrocchio to the Cardinal N. Forteguerri at Pistoia, ‘Northampton, Mass, 1932). La lettre adressée & Laurent indique que Piero se trouvait justement a Pistoia, quand on lui parla du projet : or une commission s'tait réunie en novembre 1476 a la cathédrale pour décider de emplacement du retable du Corpus Domini, dont quelques années plus tard Piero réclamera le paiement. (A. CHITI, Una tavola ignota del Pollaiuolo, dans « Boll, storico pistoiese », Il, 1900, p. 41). La recommandation de Ficin devrait donc remonter a cette pre migre commission. Comme la maquette du tombeau (qu’on a voulu identifier indiment avee un modéle en terre-cuite du Musée Victoria and Albert de Londres), ce tableau a disparu : A. SABATI- NI, Antonio e Piero del Pollaiuolo, Florence, 1944, p. 107. Le billet od Antonio Ivano déclare Pollauiolo opificio suo intentus, fait partie ’une correspondance avec Ficin, fort active autour de 1477 : Sup. Fic., Il, p. 243 ets. ‘On peut noter enfin que le méme Ivano recherchait en 1473 des « anticaglie » pour Laurent de Mé~ dicis dans la région de Luni : E, MUNTZ, Les Précurseurs de la Renaissance, Paris, 1882, p. 136. {65 Entre les fameuses Vertus de la Mereatanzia — commandées & Piero Pollauiolo en 1470 — et le Saint Sébastien (aujourd'hui & Londres, achevé en 1475, VASARI, (Vita di Antonio e Piero Pollaui- olo, éd. des Vite, C.L. Ragghianti, vol. I, Milan, 1945, p. 860), place une galerie de portraits de doc- tes, peinte par les deux fréres au Palais du Proconsul : portraits de messer Poggio et de Giannozzo ‘Manetti 4 Vendroit oi d'autres maitres avaient déja représenté Zanobi da Strada, et Donato Acci- aiuoli. Hy a sans doute un peu de confusion dans le rapport de Vasari, car si Antonio Pollauiolo est né autour de 1435, Manetti et Poggio moururent en 1459 ; les portraits n’ont done pu étre faits « al naturale », mais Vindication est utile pour Phistoire du portrait « humaniste » & Florence, et confir- me les rapports des Pollauiolo avec les cercles cultivé 66 P.O. KRISTELLER, The philosophy of Marsilio Ficino, New York, 1943, p- 350. Il, LES PERSONNALITES - 19 de 19 {p.47} III. « PATER PLATONICAE FAMILIAE » Dans sa carriére unie de parfait intellectuel!, Ficin qui n’embrassa qu’assez tard le sacerdoce et n’eut jamais de charges ecclésiastiques importantes, se con- sacra tout entier 4 son Académie et A des publications méthodiques ; celles-ci révélent fort bien la nature et méme la forme de son enseignement. L’ocuvre subsiste presque en son entier, dans un nombre considérable de manuscrits et @éditions anciennes2 Cette oeuvre a été jusqu’a une date récente 1objet de jugements dénigrants des philosophes, tandis que l Académie, gloire de Page medicéen, était célébrée, de confiance par les historiens de la littérature®, Mais il est devenu possible au- jourd’hui de préciser la place, qui lui revient dans histoire de la Renaissance‘, et on peut mieux mesurer son importance’. II s'agissait, en somme, utiliser la masse du Corpus platonicum comme base dune encyclopédie et d’une apologé- tique nouvelles : lédifice de la Scolastique était d’un seul coup transformé, car, le Platonisme étant davantage une théologie qu’une philosophie naturelle, la conciliation de la pensée antique avec la tradition chrétienne devenait celle de deux attitudes religieuses ; on se trouvait en présence de problémes que ni Tenseignement traditionnel, ni ’humanisme « oratoire » du Trecento n’etaient aptes A accueillir et A résoudre® Les premiers essais de Ficin, révélés depuis peu, sont des recherches scientifi- ques d’esprit aristotélicien, o¥ le jeune humaniste se montre toutefois fort im- pressionné par Luerace ; il se défendra plus tard d’avoir redigé le commentaire sur cette philosophie sans espérance, mais il est vraisemblable qu'il en a nourri, avec le vif sentiment de Punité de la nature, cette angoisse de la condition hu- maine sur laquelle il revient si souvent, et dont il cherchera le reméde, non chez Epicure, mais chez Platon”. Cette orientation s’éclaire un peu par ce qu'on sait de ’homme lui-méme, petit, malingre, un peu bégue, sujet A de brusques dé- pressions, superstitieux, sensible 4 la douceur Iénifiante de la campagne tosca- ne, sans grand caractére dans les moments difficiles, mais travaillant toujours dominer et A approfondir ses incertitudes et ses faiblesses par les moyens de Tintelligence et du livre®, Sa curiosité allait aux études de physique et de physio logie. Dans sa jeunesse, il s’était occupé de problémes d’optique, mais ses traités et opuscules scientifiques, signalés par les biographes, n’ont pas éte recueillis dans les oeuvres completes et sont aujourd'hui perdus. On nous dit @abord qu’d vingt ans, il adressa & Antonio Serafico un petit ouvrage, od, sur la base de l’Ari- stotélisme, il résolvait « certidubbi intorno alla visione e a’ raggi del sole »®. La Vita anonyma quit». ;») confirme cette information, ajoute une précision tout & fait précieuse, qui suffit démontrer l'intérét du jeune Ficin pour les problémes Ill, « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 1 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... optique dont s‘occupait Alberti et dont s’occuperont bient6t Piero della Fran- cesca et Léonard : Diede opera encora alla prospettiva di che io ho veduto in penna alcune sue conside- razioni della visione con aleune altre delli specchi cosi piani come concavil® A trois moments de sa carriére, Ficin a travaillé a des traductions du grec en latin qui ont fait date. Tout jeune encore, comme il I'a écrit lui-méme a l'un de ses correspondants, Ficin avait été attiré par les Argonautiques, les hymnes Orphée, d’'Homére et de Proclus, la Théologie d'Hésiode (c’est-a-dire la ‘Théo- gonie), mais il ne les publia pas : peu aprés, il traduisait 'un des maitres-livres de l’ésotérisme alexandrin, le Pimandre attribué au fabuleux Mereure Trismé- giste, dont le texte complet venait d’étre apporté en Italie, et ce livre, achevé en 1463, aussit6t traduit du latin en vulgaire par ‘Tommaso Benci, obtint un immen- se suceds. Vers le méme temps, Ficin s’occupa de petits traités néoplatoniciens ou pythagoriciens, qui prouvent son intérét primordial pour les ouvrages de la mystique paienne et des sciences occultes mais, ayant recu en 1462 deux manus- crits de Platon, 'un de Cosme et autre d’Amerigo Benci, Ficin se livra tout enti- er ala vaste entreprise d’en donner une traduction intégrale en latin, et il semble y étre parvenu en cing ans. En 1470, au plus tard, le Platon de Ficin était accessi- ble, mais il ne fut imprimé pour la premiere fois qu'en 1484", C’était l'année oft le philosophe commencait 4 se consacrer 4 la traduction des Ennéades de Plotin qui devaient étre publiées en 1491 ; parallélement, il donnait une version moder- ne des traités de démonologie et des opuscules ésotériques de l'age alexandrin, de Jamblique. Porphyre... qui lui restaient a traduire. Ficin n’a done jamais séparé l'étude de Platon des commentaires néo-platoni- ciens et des ouvrages hermétiques pseudo-platoniciens dont il admettait sans hésiter 'authenticité. II faut méme dire que ce n'est pas la découverte de Platon, mais celle de 'hermétisme alexandrin qui a révélé Ficin a lui-méme®®. Platon était pour lui la portion centrale d’un vaste édifice doctrinal et poétique qui, des Hymnes homériques au Pimandre, émergeait comme un bloc du monde anti- que. Cette absence de perspective historique contraste avec le point de vue d'un Laurent Valla, qui envisageait les czuvres classiques avec l'exigence du philolo- gue et l'acuité du critique ; mais il convient de se rappeler que le sang-froid peu commun de Valla venait de la certitude que le monde paien n’était pas concilia~ ble avec l'ordre chrétien’4. Ficin ne tient pas plus compte de la méthode que de la doctrine ; malgré la démonstration de Valla, il continue, en particulier, A adhérer & ce qu’on a justement appelé « le mythe dionysien >, et ajoute sans hésiter au corpus platonicum les pisces de choix que sont les ceuvres apocryphes du soi-disant Aréopagite, le livre de la « Théologie mystique » et celui des « Noms divins » qu’il traduira en 1490, et qui furent lune de ses références fonda- mentales. Ill, « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 2 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... Parallélement a cette nouvelle présentation du legs antique, Fiein composait, a imitation de ses textes familiers, des ouvrages plus personnels. Entre 1469 et 1474, il rédigea la Theologia Platonica en XVIII livres qui exposent la qualité di- vine de 'ime"®, D'un premier commentaire sur le Banquet de Platon, Ficin ti- rait, 4 occasion d’un banquet rituel donné a Careggi, son propre Commenta- rium in Convivium Platonis dédié & Laurent en 1475",(p. 19) et aussit6t traduit en toscan sous le titre Dello amore avec une introduction, de Pauteur : pour que cette manne salutaire envoyée du ciel par Diotime soit commodément acces- sible a plus de personnes, jai traduit du latin en toscan exposé de ces mystéres plato- niciens avec mon commentaire. Aucun autre ouvrage n’a connu, a la Renaissance, un succés comparable a ce- lui du Banquet de Ficin et son influence s’étend sur plus d'un siécle de poésie, de littérature et d’art européens. Moins spectaculaire mais non moins puissante, a été l'action d'un petit traité de médecine astrologique & l'usage des intellectuels et des literati, publié par Fi- cin en 1489, en marge de sa traduction et de ses commentaires de Plotin ; dans ces trois livres De Vita, se trouve, pour la premiére fois, définie la doctrine du génie saturnien qui retiendra l'attention de tant d’écrivains et d’artistes de la Re- naissance, avant de devenir un lieu commun du Romantisme!®. Les autres opus- cules qui résument ou développent, selon le cas, des points précis de la théologie ou de l’encyclopédie nouvelles, peuvent se ranger en deux classes ; ceux qui ont trait lenseignement religieux, comme le De Christiana religione de 1474, com- posé par Ficin au lendemain de son ordination, les Sermons, de date incertaine, ‘ou encore le Commentaire des Epitres de saint Paul entrepris a la fin de sa vie! ; d'autre part, les petits écrits de prédication néo-platonicienne comme le De di- vino furore adressé dés 1457 4 P. Agli, ou les traités jumeaux De sole et lumine publiés en 1493 mais qui, se présentant sous la forme d’épitres doctrinales, ont été inclus dans la correspondance”®. Le copieux Epistolario. réparti en XII livres un classement souvent incertain, montre enfin lactivité extraordinaire de Fi- cin pour la diffusion de ses idées, et le style original d'un philosophe qui a. su ad- ministrer une royauté spirituelle sans rivale en Europe a la fin du Quattrocento™. Ine nous appartient pas de rechercher comment sa doctrine se détermine si- multanément par rapport au thomisme de l'Ecole que Ficin connait bien, Yaugustinisme fort répandu en Italie, et au Platonisme pris comme clef de la philosophie alexandrine”®. Les deux aspirations oti 'on a pu chercher tour & tour Je ressort méme de la Renaissance, la restitutio antiquitatis et le souci de reno- vatio humaine, se trouvent chez Ficin & leur plus haut degré d'intensité, le pre- mier poussé jusqu’aux mises en scéne symboliques de Careggi, le second jusqu’au réve de la religio naturalis communisque ; le Platonisme ficinien est Ill, « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 3 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... dja, en ce sens, « la manifestation philosophique de Vidée maitresse » de la Re- naissance®®. Ficin pratique tous les genres : 'opuscule, le traité, le commentaire, ’épitre. Sa démarche tient de l'exposé pédagogique et de linvention poétique, par un ef- fort constant pour imposer des évidences claires & Vintuition et difficiles a la rai- son discursive. Il semble toujours lutter contre deux obscurités ménacantes, cel- le de la matigre qui éteint la conscience, celle de la beauté supérieure, oi il dé- signe un absolu de lumigre qui, par un tourment étrange, produit comme un aveuglement de la pensée. I] est de ces philosophes qui ont besoin des images et des mythes pour stimuler le travail de Pesprit, tout en admettant que Peffort ulti- me de la conscience consisterait a s’en détacher : dimitte materiam, dimitte sen- sum, dimitte rursus et rationem, intellectualis esto, atque intellectus primo tuus, deinde divinus®. » so) La totalité du monde visible et invisible, matériel et spirituel, lui appa- rait comme une réalité merveilleusement liée et articulée dans toutes ses parts. Dés le debut de la Théotogie platonicienne, Ficin décrit et interpréte cet univers au moyen de deux notions-clefs qui ne lui appartiennent pas, mais dont il fait un usage révélateur, celle des degrés de l’étre, qui se disposent comme une hiérar- chie régulidre, le corps matériel, la qualité, !’ame rationnelle, Vesprit angélique et le soleil divin, et celle de me, essence médiane, puissance centrale et réflexi- ve de la nature tout entiére®5. La doctrine subira des modifications dans les exposés postérieurs et entraine dans le détail de multiples difficultés, mais elle doit une force et une dignité re- marquables, A sa tension panoramique et 4 son ordonnance scalaire, si l'on peut user de ce néologisme pour definir un cosmos constitué en degrés successifs, que la spéculation parcourt sans fin, circulant de la terre aux astres, de la vie obscure des minéraux A la palpitation expressive des étoiles « pour constituer le tissu sans lacune de la nature entiére »®°.L’une des pices maitresses de la cos- mologie de Ficin est en effet le théme alexandrin selon lequel le ciel est un grand vivant, pourvu d'une Ame, avec laquelle communiquent toutes les ames des vi- vants. Le philosophe introduit ce theme paien dans son édifice chrétien, avec un Iyrisme mélé de prudence Puisque le ciel est immatériel, il semble aux Platoniciens étre d'une certalne manigre une sorte d’étre spirituel plutat que corporel. Qu’est-ce done que le ciel ? Une lumigre circulaire, un cercle éclatant et immatériel. Tl lui appartient une forme de vie qui n’est pas cachée comme I’ame, mais en raison de Pétendue, « manifeste aux regards ». Ces affirmations, encore circons- pectes, de la Théologie Platonicienne, seront poussées beaucoup plus loin, au moment oii Ficin se défend contre des attaques au sujet de la magie ; dans la longue Apologia de 1486, il n’hésite pas 4 évoquer, aprés le témoignage d’Ara- Ill, « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 4 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... tus, celui de saint Mare et de saint Paul en faveur de l'idée que le monde posstde une me, et que Dieu, par action du ciel, répand la vie sur toute la création : le ciel, époux de la terre, ne la touche pas, comme on le croit communément, il ne ‘unit pas a elle, mais il lllumine par les seuls rayons de ses astres, qui sont comme ses yeux, et de ce regard la féconde et engendre les vivants2”, Le monde des sens, celui qu'approfondissent les physiciens, est un abime té- nébreux ot homme, prisonnier d'un destin privé de sens, devient la proie de cauchemars absurdes et odieux, ses passions. Le Platonisme est le secret de la magie intérieure qui domine cette tyrannie de la matiére et retoume littérale- ment le théatre des apparences®®, Pour trouver le point d’oit tout se transfigure, il suffit de prendre hardiment appui sur la réalité absolue de l’éme, essence divi- ne, qui est l'intériorité de tout : il en découle toutes sortes de conséquences mag- nifiques. L'univers apparait comme un organisme géant en perpétuelle vibration puisque les astres sont Vorigine des forces actives de la matiére insensible, dans Jes plantes et dans les animaux méme. Sous l'influence directe de la science ale- xandrine, Ficin décrira puissamment dans son De Vita 'unité pneumatique du monde sous le ruissellement des influences planétaires, avec les correspondan- ces et les coincidences harmonieuses qui en résultent partout ».s1) Mais la plus haute merveille est homme, qui est, en tant qu’dme, la puissance centrale, apte a tout posséder : Notre ame tend a devenir toutes choses, comme Dieu est toutes choses. Elle méne la vie de la plante puisqu’elle doit se nourrir pour Ventretien du corps, la vie de l’ani- mal, quand elle s'abandonne aux sens, celle de "homme, quand elle se préoccupe d'ordonner rationnellement les affaires humaines, celle des héros en scrutant le mon- de de la nature, celle des démons en calculant les rapports mathématiques, celle des anges, en sondant les mystéres de Dieu, celle de Dieu en accomplissant tout par la grace de Dieu. Toute ame humaine fait toutes ces expériences a sa maniére : le genre humain veut ainsi devenir toutes choses, en menant la vie de tous les étres®®. L’ime est done lintériorité méme de Vunivers, qui passe tout entire par Thomme, et évolue selon les décisions de sa liberté. Ficin revient perpetuelle- ment sur cette présence réciproque de l'univers a homme et de ’homme a l'uni- vers par Vaetivité de L’ame, mais en méme temps il pose, avec force, comme le veut Platon, lindependance de Pesprit par rapport aux déterminations physi- ques, et refuse la fatalité des conditions imposées a la vie spirituelle par le lieu et Je moment®, C'est 14 une affirmation dont Ficin sait d’autant mieux le prix, que, médecin et astrologue, il connait plus intimement le jeu des forces de la nature et leur pression sur l’étre humain®. L’éme peut rejoindre Dieu par cette pointe extréme de la contemplation dont parlent les mystiques®® ; mais par son activité naturelle qui est d’embrasser, d’épurer et d'exprimer le réel sans résidu, elle coincide intégralement avec lceuvre divine, elle Iexerce dans toute sa profon- Ill, « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 5 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... deur. La deificatio qui fait Yobjet d’un chapitre capital de la Théologie Platonici- enne, est la conversion progressive de I’ame entrée dans Vinfini de la contempla- tion ; elle assiste d’une altitude nouvelle a 'emboitement des formes, A la circu lation intense de univers, qu'elle pénétre comme si elle en était auteur, et quelle voit se transfigurer“, Ficin se plait a retrouver chez Platon et chez Plotin la description de cette ascension intérieure ; tout son effort philosophique vise A établir le bien-fondé des mouvements de l’ame — connaissance et affectivité inti- mement unies -, au terme desquels l'univers sensible n’apparait plus que com- me une étonnante illusion « poétique », un réve, dont les paradoxes et les ima- ges merveilleuses du Platonisme pouvaient seuls nous réveiller®5. L'enseigne- ment de Ficin, qui emprunte tant de formules et tant de thémes au néo-platonis- me alexandrin, a finalement un accent original qu'il faut souligner. Pour avoir congu ces expériences comme incroyablement proches et accessi- bles, Ficin y a vu la solution immédiate de tous les problémes humains : la joie de la contemplation colore toute la spéculation, excite les fonctions supérieures, et répand de proche en proche sur toute lactivité humaine sa volonté de lumiére et de paix. Le second commentaire au Philébe, conserve dans un manuscrit de 1491, donne la version suivante du jugement de Paris : Paris fils d'un roi d’Orient, pait son troupeau dans la forét, c'est & dire que l'ame créée par Dieu jouit des sens dans la confusion matérielle des éléments. Trois déesses Pal- las, Junon, Vénus, se présentent a lui et le prennent pour juge dans leur rivalité pour la plus belle. Paris se tourna vers Venus, et il en sortit les combats de Mars. C’est ainsi que trois genres de vie, contemplative, active et voluptueuse se proposent & nous com- me fin... sous trois formes, sagesse, puissance, plaisir... L’ambitieux actif, sectateur de Junon, est celui qui sen écarte le plus ; car elle consiste dans le repos et rien n’en est plus loin que la puissance, ct si le voluptueux en est plus proche, le contemplatif en est tout a fait pres. Ce que Ficin éclaire plus avant par une exégése rapide de POdyssée et de TEnéide®. ». sa\$a grande préoccupation est donc une sorte de métapsychologie, qui intéresse aux mouvements mystérieux de Vaffectivité, aux signes merveilleux quiattestent la divinité de l'me et son activité inlassable, universelle. Les songes, créations occultes de l’ame, en qui se libére le spiritus phantasti- cus, sont particuliérement dignes d’attention ; 'opuscule que leur avait consacré un néo-platonicien, Synesius de Cyréne, sera traduit et utilisé par le philosophe. Le livre XIII de sa Theologia platonica est un répertoire des pouvoirs de l'imagi- nation, des visions, des réves prémonitoires, de tous les prodiges psychiques, qui sont finalement, pour Ficin, Vexercice normal de la conscience, purifiée par Yascése et la méditation, ou diiment exereée dans ses puissances cachées. L’un des phénomenes qui le retiennent longuement est la vacatio mentis od l’ame se défait de ses attaches corporelles ; il en existe sept espéces : « par sommeil, par Ill, « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 6 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... syncope, par humeur mélancolique, par tempérament equilibré, par solitude, par étonnement, par chasteté ». La premitre s‘illustre, en particulier, par Vhymne au sommeil d’Orphée, la seconde par Hercule, la troisiéme par Socrate, a quatriéme par Plotin, la cinquiéme par Zoroastre, la sixiéme par la Pythie ou les Corybantes, la septiéme encore par Orphée. Et tout ce qui s‘offre ainsi A Yame dans la soumission ou extinction relative du corps, prouve sa puissance invincible : « repliée sur elle-méme, elle participe des arcanes céléstes et de la providence divine »*8, Lunivers de Ficin est celui d’un poste et d’un visionnaire, et c’est ce que con- firme examen de ses qualités d’écrivain. La Théologia Platonica reproduit, par Yordre de ses livres, son jeu de questions et d'articles distribués en chapitres, la démarche des sommes traditionnelles. Mais louvrage est écrit dans un langage riche et composite, rendu nécessaire par un jeu de transpositions perpétuel : Fi- cin prend d’ordinaire pour point de départ une sentence « platonicienne » ; la vérité qu'elle énonce doit trouver son équivalent dans le vocabulaire scolastique et étre enfin illustrée de références 4 l'Ecriture ou de citations poétiques. Ainsi, au début du dernier livre, lit-on cet énoneé caractéristique de la méthode : 11 apparait que Platon ne s‘oppose nullement a la croyance commune des Théologi- es hebraique, chrétienne et arabe, que le monde a eu un commencement, que les an- ges ont été créés a Lorigine et les Ames immortelles des humains sont créées chaque jour. L’autorité divine nous impose, les raisons suivantes nous y conduisent...2°. Et ici interviennent les mentions entremélées des Anciens, de Mercure Tris- mégiste, des Docteurs chrétiens. Conformément a la pratique de I’Ecole, Ficin nonce ses autorités avant toute démonstration, et ce sont, a chaque page, avec les Platonici, les grands noms mystiques de la tradition alexandrine ; on dirait souvent qu’ll les recherche pour leur sonorité, leur mystére, leur couleur orienta- le. Ainsi, pour analyser la physionomie variée de univers, Ficin remonte aux principes, dont les apparences constituent les vestigia, en disant : Tres sunt pra- ecipui, ut magi putant, principes super mundum, Oromasis, Mitris, Arimanis, id est Deus, Mens, Anima. Formule qui devait lui plaire, puisqu’elle reparait, presque textuellement, dans le Convivium*?, A travers toute oeuvre sont ainsi distribuées a foison les sentences énigmati- ques du « Pimandre » et d'Orphée, les vers singuliers de Zoroastre qui envahis- sent la « Théologie Platonicienne » ; Hinc ita exclamavit Zoroaster : 6 ToAuNpotatns ddoEMs EVOpeRe téxvaoHa id est, o homo naturae audentissimae artificium4!. ». ss) Le prestige des Mages et de l'Bgypte s’ajoutant a celui de Platon, inserit Ia spéculation sur un horizon exotique et grandiose, soigneusement entretenu. Mais ce qui n'est pas moins remarquable est la tendance du philosophe de Ca- regi a abandonner la dialectique pour I’« élévation » poétique, chaque fois qu’il Ill, « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 7 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... atteint a des arcana ou des mysteria essentiels : Plein de Dieu, Pesprit est tendu vers lui, illuminé par la clarté divine, il le découvre, et enflammé par sa chaleur divine, il a soif de lui. Ainsi Vesprit devient le temple de Dieu, selon expression de Xystus le Pythagoricien, qui pense que le temple du dieu éternel ne peut jamais s‘abimer. L’esprit humain atteint Dieu tous les jours, par lui brill le coeur, la poitrine le respire, la langue le chante ; téte, mains et genoux ’ado- rent, les créations des hommes le célébrent®. Dans les traités, opuscules et dans les épitres ot il s'exprime avec moins de rigueur scolastique, Ficin céde plus largement A son goat des « preuves » imagi- natives et poétiques ; il reléve invinciblement le vocabulaire philosophique allusions aux dieux de la fable, ou, plus rarement aux figures de l'Ecriture. La mythologie occupe ainsi une place démesurée, comme expression des puissan- ces célestes, et comme clef des allégories morales ; souvent, elle se détache sur un fond mince de pastorale qui peut faire songer a Fénelon. Les exposés de Ficin ont souvent la forme d’apologues qui sont dailleurs l'un des charmes de son oeuvre, comme Ia fable de Lucilia, dans une lettre & Lorenzo di Pierfrancesco (Octobre 1481), et celle de Philosophia dans le jardin de l'Académie*®. Ficin a vi- siblement le goiit de ces inventions souriantes, qui transposent les concepts en figures de ballet dans un décor gréle ; il les reléve souvent de jeux de mots, com- me dans l'histoire d’Apologus, qui est précisément la divinité de la fable. Dans le bosquet d’Apollon, Mercure a voluptueusement connu Vénus : a leur fils, Apol- Jon domne le nom d’Apologus, pour ajouter ses propres vertus A celles de Mercu- re qu’on invoque parfois sous le nom de Logus. L’enfant sera donc aussi bienfai- sant que Cupidon est dangereux. Aprés un séjour aux champs, prés des pasteurs qui Tinitient a la vie rustique, Apologus se rend & la ville, non aux hortos Pythios, jardins de Pythé, mais aux hortos Pinthios, jardins du Borgo Pinti, pour enseigner aux Florentins qu'une race divine ne grandit qu'avec une nourriture divine : divinum genus divina solum alimonia coalescere+. Cette nourriture su- péricure, cet aliment platonicien, cest la fable philosophique avec ses caprices pottiques. Dans les lettres familigres, Ficin s’abandonne encore plus volontiers & ces pe- tites compositions. Pour inviter Giovanni a venir auprés de lui a la campagne, il a recours en vain a la lyre d’Orphée et d’Amphion qui mouvait les rocs. C’est que son ami n’est pas de pierre ou de bois, mais de fer ; Apollon lui conseille de transformer le Montevecchio en aimant pour attirer A coup sur son ami, ferreum ilium*®, Toute la correspondance est semée de trouvailles d’expression, de jeux de mots étymologiques souvent jolis : Careggi est Charitum ager, Pic de la Mi- randole est mirandus ille juvenis ; écrivant 4 Ermolao Barbaro, Ficin ne peut stempécher de le saluer : humanissime barbare, latinissime et attice barbare (46)*®. Tl y a 1A tout un style conduit avee une ingéniosité et une constance @autant plus remarquables quelles s’exercent encore dans les exposés doctri- Ill, « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 8 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... naux. Le petit traité Quinque quaestiones de mente tourne tout entier sur des analogies et des relations suggérées par le mot : téte (caput) dans le mythe de Minerve : Sagesse, sortie du sommet du erdne (capite) de Jupiter, eréateur de l'univers, enseig- ne A ses\p. 53) amants philosophes, sils veulent jamais conquérir Vobjet aimé, de tou- jours tendre a la téte des choses (capita) plutét qu’aux plans inférieurs ; car Pallas, rejeton diuin descendu des hauteurs du ciel fréquente elle-méme les hautes demeures fondées par elle. Elle montre en outre que nous ne pouvons atteindre les sommets des choses (capita), sans nous élever d'abord, en négligeant les parties inférieures de Ame, & la téte (caput) de 'me, qui est Vesprit. Elle promet enfin que, si nous con- centrons nos forces dans le sommet (caput) le plus fécond de ’ame, nous y ferons nai- tre coup stir lesprit par la force méme de la téte (capite), c’est-a-dire de l'esprit*”. Et Ficin propose son opuscule comme enfant d'une nuit de veille sur le mont Cellano. I ajoute ainsi Pimage du sommet du mont qu'il habite, a celle du som- met de la téte de Jupiter qui symbolise & la fois le sommet de l’étre et le sommet de lame : un seul mot, une seule image relient quatre notions en une série artifi- cielle mais obsédante, qui intégre, au surplus, deux vers de Virgile dans le con texte. Cette attention aux effets du style s’étend naturellement a la disposition des mots, a l’équilibre des phrases ; méme dans la Theologia Platonica, on sent Yécrivain dans des constructions symétriques et pleines comme : ab extremo ad extremum omnia per media transeunt, ut ab hieme per ver in aestatem, ab aes- tate in hiemen per autumnum “®. Et il n’y a pas de lettre oi ces recherches n’apparaissent, oi elles ne soient poussées au raffinement, dans le jeu incessant des noms, des images, des analogies. Ficin conviendra lui-méme aimablement de cette inclination poétique dans un passage du liber de sole ou il écrit : ’isque, je ne sais trop comment, sous T'influence d’Apollon, nous nous découvrons poate, plutdt faible, il est vrai, nous pouvons bien nous complaire 4 quelque fable®. Et il sen servira pour excuser certaines hardiesses doctrinales qu’on lui re- proche : dans les tratés De Vita, comme dans ceux De sole et lumine assoclant des éléments poétiques aux données philosophiques, je me suis donné une carriére assez. libre et peut-étre méme parfois un peu trop..." Il ne peut se passer de métaphores, comme s'il y avait plus dans une compa- raison qu'un simple rapport de termes : image a une valeur contraignante, et dans une épitre de 1479, il propose A son correspondant de méditer sur la divini- +6 du soleil, tout en n'ignorant pas qu’un chrétien ne peut en admettre Tidée : Ill, « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 9 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... Ce mystére orphique, si nous ne voulons pas admettre qu'il soit vrai, faisons du moins un peu comme s'il l’était et considérons le soleil du ciel comme un miroir ot ns le soleil supracéleste qui a placé son tabernacle dans le soleil véri- 11 faut, en somme, passer par le stade ot, devant un monde d'images qui ren- voient sans fin les unes aux autres, ’ime déconcertée et ravie se trouve comme rendue a elle-méme. Ficin ne se dissimulait pas ce qu'il y avait ld d’aventureux, mais il se conformait, jusque dans son style, & l'idéal d’une « Théologie poétique » fondée sur la méditation, des mythes, des epopées et des Hymnes obscurs de Yantiquité®!, 1A ott il est d’usage de souligner T'infirmité des comparaisons, Ficin, fidéle aux croyances hermétiques, insiste au contraire sur la valeur singuliére. ;) Méme quand elle na pas cette saveur quasi magique, limage semble toujours pour Ficin plus qu'un ornement, quand il écrit, par exemple : Ame pareille au janus bifrons, (anima) jani bifrontis instar ou encore : notre esprit étincelle d’un esprit supérieur, nostra mens scintilla quaedam mentis su- perioris, ou encore : Seul Phomme pélerin de ces régions terrestres ne peut se reposer en chemin, Solus homo in regionibus his peregrinatur et in ipso itinere non potest quiescere®. Chacune de ces métaphores a une histoire : elle renvoie indirectement A un mythe, une cosmologie, & un traité de morale ou a Evangile. La pensée se fraye ainsi un passage & travers des reflets et des allusions soigneusement dispo- és. Mais il faut encore se demander si certaines images et peut-étre méme le ré- pertoire entier des figures mythologiques et des évocations rustiques n’a pas pour Ficin une valeur plus subtile et si l'on peut dire « opératoire » : les dieux de la fable, divinités planétaires, sont plus qu’un simple nom, ils participent des ta~ lismans dont Ficin a fait lui-méme la théorie, d’aprés Plotin, dans le De Vita® ; et il n'est jamais aisé de séparer dans les replis de ses phrases comme dans les allégories de I'Académie, la part de la mode humaniste ou de l’ésotérisme de chapelle et celle d’une symbolique « gnostique » en exercice™. L’art de mainte- nir, grace & l'image, la pensée dans une certaine ambiguité riche de suggestions, qui est porté & une espéce de perfection par Ficin, répond en effet & une pratique de V’Académie antique. Ciceron rappelait déja dans un passage du De Natura Deorum, qui a frappé Petrarque, le précepte de l’école platonicienne® : ne pas aller jusqu’a Vaffirmation devant les questions ambigués. Ficin I’a pratiqué avec @autant plus de zéle qu'il convenait A son talent littéraire. Llobscurité de Ficin était d’ailleurs célébre : il en parle lui-méme avec esprit dans une lettre od il lll, « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 10 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... avoue qu'il lui arrive de s’y perdre en méme temps qu’il embarrasse les autres®®. Ficin abuse de lantithése verbale et de I'allitération, et Landino lui enverra un jour une parodie amusante de son style®. Défauts et qualités littéraires qui de- vraient attirer davantage lattention sur l'art de Ficin, car son latin est ferme, tendu sous les métaphores, rapide, volontiers elliptique, plus prés de Sénéque et de Saint Augustin que de Cicéron, et d’une saveur originale®. Une belle page du De Vita donne bien la mesure de sa liberté et de ses res- sources, de sa grace, de son pouvoir suggestif. Phoebus et Bacchus, fréres indivisibles, sont presque un seul et méme étre. Le so- leil au printemps est Phoebus. Il excite par son chant les chants des oiseaux, et régit la durée (tempora temperans) par sa lyre ; & l'automne le méme soleil devient Bacchus auteur du vin. Et ce pére Liber, amoureux des collines, Bacchus nous offre trois pré- sents pour conserver la jeunesse : les collines ensoleillées, le vin exquis qui s'y élabo- re, et la sérénité qu’il donne a jamais ; et Phoebus, son frére, nous accorde de méme une triple faveur, la lumifre du jour, Yodeur suave des herbes qu'elle excite, et a Tombre de cette lumiére, la cithare et le chant qui s’éléve a jamais...°°. Cest surtout dans la description des bonheurs subtils, des détresses singulié- res, dans Pévocation des faits, des rapports qui étonnent, bref dans le domaine de Pétrange et du merveilleux, que Ficin déploie ses qualités(». 50) les plus origi- nales d’écrivain, Elles ont éé pour beaucoup dans sa réputation et son succes. Deux de ses amis, un jurisconsulte de Rimini et le potte Naldo Naldi échangé- rent un jour a son sujet ces épigrammes significatives ; le philosophe, décrivant Vunivers céleste, leur semble ravi en extase, comme le fut saint Paul : Raptum Marsilii sanctius esse reor®*. Favorisés par Ficin lui-méme, un ensemble impressionnant d’éloges, d'épigr- ammes, d'allusions contemporaines le désigne comme un autre Orphée. C'est Yembléme qu'il avait choisi pour sa lyre“! mais aussi, si l'on peut dire, pour son propre enseignement. Dés 1462, il avait traduit les Hymnes et les Argonauti- ques du poste légendaire, et en utilisait des fragments dans sa lettre 4 Cosme. Des scrupules le retinrent de publier ces « cantiques » paiens, mais il ne se fit pas faute de les citer, & toute occasion, et d’en garder, en somme, l’exclusivité™. « Je crus Orphée de retour sur la terre », dit Laurent, dans l'Altercazione, quand arrive le pasteur Marsile jouant de la lyre®®. Brodant sur le méme théme, Naldi expose encore dans un court poéme comment par une suite de métamorphoses, Vame d'Orphée est passée successivement dans Homére, Pythagore, Ennius et Ficin®. On comprend mieux ainsi le prix attaché par Ficin au symbole de la lyre et & Timage d’Orphée ; ce n'est pas seulement un trait de preciosité humanist admis avec complaisance par des familiers. Au propre et au figuré, Ficin, armé de sa lyre, était véritablement le nouvel Orphée. Dans un court po’me qui méri- lll, « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 11 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... te d’étre cité, un humaniste a dépeint extraordinaire transformation physique du petit philosophe, saisi de la sainte « fureur », qui se dresse sur ses pieds et improvise®S : ‘Marsilii citharam crispus si tentet Apollo Etdextra et cantu v ictus Apollo cadet. Et furor est cum cantat amans cantante puella. Ad flexum, ad nutum, percutitille lyram. Turn ardent oculi, tunc planta exsurgit utraque Et quos non didicit, comperit ille modos. Ce portrait vivant a naturellement aussi sa valeur symbolique : Ficin est le musicien orphique par excellence et sa doctrine, instrument merveilleux du sa- voir supérieur. Sur le buste exécuté en 1521 pour la tombe de Ficin a Sainte-Ma- rie des Fleurs, Andrea Ferrucci donnera au philosophe le regard inspiré du chanteur Iégendaire ; son petit visage semble frémir, la bouche s’entr’ouvre et Vin-folio platonicien devient entre ses doigts une sorte de lyre, tant cet instru- ment symbolisait l'enthousiasme necessaire a la nouvelle philosophie. On a justement écrit que « Ficin maintient toujours le discours du théologien aux limites de la transfiguration poétique »® ; il n’en va pas autrement de son propre personage. L’un éclaire l'autre, et il n'est guére douteux, quand on ne sépare pas cette figure de sa doctrine, ni celle-ci du milieu de Académie, que Tune des raisons profondes de leur immense suceés fut de réaliser ce que Yon peut considérer comme la préoccupation majeure du néo-platonisme florentin, la tendance « détacher 'homme de la vie et envisager celle-ci avee tout son contenu religieux, moral, politique, selon une certaine distance esthétique ». Une formule dont usait Ficin dans une lettre 4 Bartolomeo Scala peut s‘appliquer & toute son entreprise « sub amena Lauri Medicis umbra splendo- rem Phebi cotemus, sub Apollina Musas, in Musarum choro Platonem®, Les deux dispositions qui peuvent le mieux caractériser attitude « esthétique », Yaptitude a se détacher brusquement des accidents de l'existence, et le besoin diinstaurer, de vivifier toutes les formes de comédie poétique, de cérémonial et de jeu, se retrouvent A tout instant chez Ficin et sont, on I’a vu, au principe méme de son Académie, C’était, un peu, sa regle dor : negligite diligentiam, ne- gligentiam vero diligite, atque hanc etiam negligenter, écrit le philosophe en 1489, Aun moment difficile. Le détachement et la joie intérieure ouvrent A ame ses vrais chemins, qui ménent A la poésie et & Vart®. 1 parait done indispensable de considérer le mouvement tout entier du Néo- Platonisme florentin sub specie aestheticae. On a souvent admis ou suggéré que ses principes n’étaient pas sans rapport avec le développement de l'art & Floren- ce et en Italie. Mais cette enquéte a été retardée par une double réserve. La pre- lll, « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 12 de 19 Marsile Ficin et Vart. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... miére est d’ordre historique : & quoi bon scruter la doctrine de Ficin puisque la métaphysique du beau n’a franchi le cercle des literati qu'un demi-sidcle plus tard, a ’époque du maniérisme ?~2.1I suffit de considérer les formes tardives du mouvement au moment od, allégé, altéré, il se répand dans la culture artistique. La seconde est de méthode : Ficin est un philosophe, un théologien, un apologis- te, il ignore les choses de art ; Landino et les poétes mineurs du groupe sont des intellectuels et de purs gens de lettres ; Politien lui-méme n'a que fort peu en commun avec les artistes ; Académie et les ateliers sont deux mondes qui s'ignorent. Ce qui vient d’étre dit du mouvement de Careggi, du caractére de ses mem- bres, de lesprit de son chef, permet de réduire la portée de ces deux objections : la pensée de Ficin est proprement contemporaine des transformations de Vart au XV° sidcle ; on ne doit pas s'exagérer la distance qui les sépare ; sous le véte- ment de l'humanisme ou de la philosophie, la culture platonicienne dessine les contours d’un nouvel univers artistique. Son originalité nous semble précisé- ment avoir été d’apporter 4 un milieu passionné dart autant que de savoir, les justifications profondes qu'on aurait vainement cherché jusque-la dans la philo- sophie et les Lettres. 1 Pour la vie de Marsile Ficin (1433-1499), la source ancienne et toujours utile & consulter est la bi- ‘ographie écrite en 1506 par le Cardinal Giovanni CORSI, Commentarium de Platonicae philo sophiae post renatas litteras apud Italos instauratione sive Marsilii Ficini vita publiée avee des remarques historiques par A.M. Bandini, a Pise en 1771, et reproduite a la fin de l'étude de H.J. HAAK, Marsilio Ficino, Amsterdam, 1994. La critique de eette source n’a été faite avee précision ‘que dans Varticle de P.O. Kristeller, publié sous le pseudonyme de PLATONICUS, Per la biografia di Marsilio Fieino, dans « Civilta moderna », vol. X, 1938, p. 277 ets. : Ty est fait justice d'un cer- tain nombre de légendes, comme les paroles de Cosme & Marsile et son pére, les conseils de Saint- Antonin, la crise de conversion de 1470. Les sources secondaires sont énumérées par A. della TOR- RE, op. cit, p. 478, note 1, et G. SAITTA, Filosofia di Marsilio Ficino (coll. « Studi filosofici », XV), Messine, 1923, ré6d, 1943, p. 1, note 1 La tendance des historiens modernes est de prendre comme document de base pour la vie et Pacti- vité de Ficin, les douze livres de Epistolario dont V’édition critique est attendue. 2 MarsiliiFiciné florentini, Opera, 2 vol., in-’, Bale, 1576, et nombreuses éditions partilles étude complete des dates de rédaction et de publication des divers traités contenus dans l’édition de Bale, et de ceux qui y sont omis, ainsi que la liste des ouvrages perdus, a été fournie par P.O. KRISTELLER, dans son précieux Supple mentum Ficinianum, opuscula inedita et dispersa, vol. 1, Florence, 1937, intr. III, index operum MF. pl. LXXI-CLXVIL. 3 Létude de la philosophie de la Renaissance ne s'est pas développée pari passu avee celle de Vart, au siécle dernier, le probléme ayant été mal posé par J. Burckhardt, comme nous Tavons indiqué dans Vétude Art et Religion, essai sur la méthode, dans « Humanisme et Renaissance », vol. VII, 1945, p.1ets, Sur les étapes de cette reconquéte : P.O. KRISTELLER et H. RANDALL, The study of the philo- sophy of the Renaissance, dans « Journal of the history of ideas », II, 1941, p. 449-496. Les points de vue ont été renouvelés dans les vingt demiéres années : E. GARIN, Umanesimo eRi- nascimento, dans « Questioni e correnti di storia letteraria » (coll. Problemi, sous la direction de A. Momigliano, III), Milan, 1949, p. 348-404 lll, « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 13 de 19 Marsile Ficin et l'art. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... ‘Vues d'ensemble : P.O. KRISTELLER, Humanism and Scolasticism én the italian Renaissance, dans « Byzantion », XVII (1944-1945), p- 346-374 et Movimenti filosofici del Rinascimento, dans « Giornale critico della filosofia italiana », 1950, p. 275-288. Le panorama de E. GARIN, L'Umanesimo italiano, op. cit. (1952), rectifie p. 7 ets. les erreurs en- core courantes sur le vide philosophique de la Renaissance, et définit vigoureusement, ch. III (la dlignité de 'homme) et ch. IV (philosophie de lamour), l'apport décisif du néo-platonisme 4 Liouvrage de G. Saitta est, & certains égards, dépassé. L’étude de P.O. KRISTELLER, The philo- sophy of Marsitio Ficino, New York, 1943, trad. ital, Florence, 1954, analyse avee autorité les arti- culations abstraites et seolastiques de la pensée du philosophe. La figure originale et la forma men- tis de 'humaniste de Careggi viennent d’étre brillamment mis en relief par E. GARIN, Ritratto di Marsilio Ficino, « Belfagor », 1 289-301 ; cet essai nous parait confirmer T'interprétation avancée ici. Le méme savant avait déja exposé la pensée de Ficin dans 'anthologie : Filosofi italiani del Quattrocento, op. cit., 1942, avee p. 284 et s. un utile apereu baibliographique, et dans Vhistoire générale : La Filosofia, op. cit., 1047, vol. 1, ch. 5, p. 286 ets, 5.0. KRISTELLER, La posizione storica di Marsilio Ficino, dans « Civilt moderna », V, 19 438-445, a montré que le philosophe croyait & sa mission providentielle. E, PANOFSKY, Studies in iconology, New York, 1939, ch. 5, The neo-platonic movement in Floren- ce and north Italy, p. 130-131 : « La tche entreprise par Ficin fut triple : d'abord de rendre accessi- bles en latin par des traductions, des résumés et des commentaires les textes originaux du Platonis- me, non seulement Platon mais encore les Platoniciens (Plotin, les ouvrages tardifs de Proclus, Porphyre, Jamblique, Denys le pseudo-Aréopagite, Hermés Trismégiste, et Orphée) : en second. lieu, coordonner cette énorme masse en un systéme cohérent et vivant, capable de donner une sig- ification nouvelle a tout r’héritage culturel de 'époque, a Virgile et & Cicéron comme a saint Au- austin et & Dante, a la mythologie classique comme a la physique, & astrologie et la médecine ; en fin accorder ce systéme avec la religion chrétienne ». 6 E. GILSON, Humanisme mediéval et Renaissance, dans Heéloise et Abélard, Etudes sur le ‘Moyen Age et UHumanisme, Patis, 1938, p. 195. Cette position, unique, semble-t-il, dans histoire de la pensée occidentale, n’a gueére été accueillie avee ferveur qu’ la fin du XV" siéele, et pour peu de temps : les héritiers de la réforme « piagnona », Gian-Francesco Pico, en particulier, puis les théologiens thomistes, en réduiront sérieusement Vinfluenee, dés le Coneile de Latran (1512) ; certains themes ficiniens reparaitront chez les pen- seurs hétérodoxes : D. CANTIMORI, Eretict italiani, Florence, 1939, p. 3 ets ZE. GARIN, Ritratto, art. cit., p. 201. Ces opuscules d'inspiration péripatéticienne, ont été publiés par P.O. KRISTELLER, DANS « CHURCH HISTORY », VIII, 1939, TRADITIO, Il, 1944, P. 274- 316, ET RINASCIMENTO, I, 1950, N° 1, P. 25 ETS. LE PREMIER MAITRE DE FICIN A ETE LE MEDECIN ET PHILOSOPHE ARISTOTELICIEN NICCOLO TIGNOSO DA FOLIGNO, DONT L. THORNDIKE, Science and Thought in the Fifteenth Century, New York, 1929, ch. X, a signalé activité, et publié deux épitres didactiques, ibid., appen- dices 18 et 19, qui, selon Ini, ne donnent pas une haute idée de ce philosophe aux prétentions pseu- do-platoniciennes. 8 Le portrait tracé par son biographe nest pas flatteur : gracili corpore, aliquantum gibboso, bal- butienti... mais il insiste sur expression douce : facies obducta et quae mitem ac gratum adspec- tum praebent, color sanguineus, capelli flavi ac erispantes, ut qui super frontem in altum promi- nebant, G. CORSI, op. cit, p. 47. ‘9 Diaprés Caponsaechi, cité dans Sup. Fic., I, CLXIL-CLXII ; il s'agit peut-étre des « quaestiones de luce »... que Yon trouve dans un manuscrit (fol. 22-40 v") décrit par P.O. KRISTELLER, Floren- tine Platonism, art. cit. de « Church History », p. 207. 10 Vita Anonyma, citée par L. GALEOTTI, Saggio intomo alta vita ed agli seritti di Marsitio ici- no, « Arch. Stor. ital. », 1X (4859), p. 37, et Sup. Fic., I, CLXIH 1 Cette chronologie d/aprés Sup. Fic., n” XXXII et XL ; sur la publication de Platon latin, ibid, p. IX et s, « Its publication was one of the greatest events in European literary history » écrit a bon 3 P. lll, « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 14 de 19 Marsile Ficin et l'art. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... droit P. SHOREY, op. cit, p.121 32 Sup. Fic., n° XIX a XXII etn? XV. 13 P.O. KRISTELLER, Marsilio Ficino e Ludovico Lazzarelli, dans « Annali della Scuola normale ‘sup. di Pisa », vol. VIII, 1938, p. 237¢t 414 Comme Ya souligné Ch.E. TRINKAUS, introd. a la trad, anglaise du De libero arbitrio, dans le recueil : The Renaissance philosophy of man, Chicago, 1948. 15 M. de GANDILHAC, dans Guvres completes du pseudo Denys 'Aréopagite, Paris, 1943, p.7 et 16 E. GARIN, La Teologia ficiniana, dans « Umanesimo ¢ Machiavellismo », Padoue, 1949, p. 20- 33. 17 opinion de A. della TORRE, op. ci, p. 566 sur la date et le caractére de la pre-midre version, a ‘&é rectifiée par A. HUSZTI, La prima redazione del Convito di Marsilio Ficino, dans « Giornale scorico della filosofia italiana >, vol. VII, 1927, p. 68 et s. et par P.O. KRISTELLER, Sup. Fic., p. CAXIIL, V qui lui attribue la date de 1469 (et non de 1467). La version de 1475 a finalement été insérée a sa place dans les commentaires placés en téte des Dialogues de Platon, en 1484. Editions modernes : avec trad, allem. par P. Hasse, Berlin, 1914, avec traduction angl. par $.R. Jay- ne, Columbia, 1944 (malheureusement peu a jour) 18 Sup. Fic., n° V, p. LXXXIIT et s, (date), et p. LXIV (édition). Le premier livre semble remonter & 1480, et se rattache a l'étude du VII" Livre des Lois, le second, partiellement inspiré par la lecture Amaud de Villeneuve, serait de 1489, le troisiéme, dérivé de Plotin (Ennéades, IV, 3, 11) de la méme année. 19 Sup. Fic,, n° I, p. LXVIL n° IIL, p. LXXXI; n® IV, p. LXXXIL 20 Opera, p. 612 (et Sup. Fic., p. XCIV) (De divino furore) ; d° n° VIIL a, p. CXI (De sole et lumine).. 21 Sup. Fic., n° VII a, p. LXXXVIT : étude de la correspondance. Le ter livre a été traduit en alle mand par P. HASSE, Berlin, 1926 (critiques et corrections dans W. DRESS, Die Mystik des Marsi lio Ficino (Arbeiten zur Kirchengeschichte, 14), Berlin, 1929, p. 23, n. 1) Importants extraits (en allemand) dans K. von MONTERIOLA, Briefe des Medieaerkreises, Berlin, 1926 ; quelques extraits (en francais) des livres I, II et XII dans : Dix lettres sur la connaissance de soi et Vastrologie, trad, et annotées par A. Chastel, dans « La Table Ronde », n° 2, avril 1945. 22M. HEITZMANN, Liagostinismo avicennizante e il punto di partenza delta filosofia di Marsitio Ficino, dans « Giornale critico della filosofia italiana », 1935-1936, E. GARIN, Sant’ Agostino ¢ ‘Marsilio Ficino, dans « Bollettino storico Agostiniano », 1940. P.O. KRIS-TELLER, St Augustin cand the Renaissance, dans « International Sciences », Vol. I, 1941, 7 23 P.O. KRISTELLER, The Philosophy, op. cit., p. 23. 24 expression lux tenebrosa, par ex. Opera, p. 699 : lux invisibilis, p. 710, ete ‘Comm, in Plotinum, Opera, p. 1641 ; cité et etudié par W. WALZEL, Von Plotin, Proklos und Fici- nus, dans « Deutsche Vierteliahrschrift fir Literaturwissenschaft und Geistesgeschichte », XIX, 1941, p. 424. 25 P.O. KRISTELLER, op. cit. Ces deux notions donnent un sens historique la formule eélébre mais abusivement modeme par laquelle Burckhardt définissait la Renaissance : la découverte de homme et duu monde, L'intérét de ces deux thémes majeurs a été indiqué par G. TOFFANIN, op. cit. 26 Th., pl. IX, 7, Opera, p. 215 : unus absque intermissione totius naturae contextus. Cet accent, digne de Claudel, se retrouve souvent dans loeuvre de Ficin. Le schéma de la doctrine a été donné par Ficin Iui-méme dans le plan de son traité homo, tel qu'il le propose a Laurent en octobre 1490, en sept traités (Opera, p. 916) ; le premier sur la santé du corps, cing sur lame en scala platonica, le sixiéme conduit au Dieu fait homme avec les mages, le septiéme avec saint Paul ravi au ciel de la contemplation : B. KIESZKOWSKI, op. cit, p. 71. lll, « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 15 de 19 Marsile Ficin et l'art. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... 2zArt. in pl. Th, dans Ep. Il, Opera, p. 710 ; et Apologia, id. p. 573-574. en résulte le tableau suivant de la structure lumineuse de l'univers (Argumentum, ibid., p. 706) : Lux invisibilis (=qualixé): lumen esprit mens angelica caclum {| motus ie anima rationalis vie luce corporalis (equantité) forme natura materia obscura ‘28 Ainsi dans la fameuse épitre « au genre humain », Ep. I, Opera, p. 659 : quaere te extra mun- urn ; verum ut et quaeras te et reperias extra, extra vola, imo extra respice. Es enim extra dum mundum complecteris... et la belle image de Voiseau qui se « croit sur terre parce quil y voit glisser son ombre ». 29 De vita coelitus comparanda, Opera, p. 531 ; P.O. KRISTELLER, L'unita del mondo nella filo- sofia di Marsitio Ficino dans « Giornale critico della flosofia italiana », 1934, et du méme auteur, The Philosophy, op. cit., ch. 7, « unity of the world ». 30 Th. PI XIV, 3, Opera, p. 309 ; du méme : De christ. Religione, XVI, 21. Ily a comme un souvenir de cette pensée dans une page de Paul Valéry sur homme « fait un peu de tout » et contenant « les tactiques de toute ranimalité » : P. VALERY, Mauvaises pensées et autres, Paris, 1942, p. 118. a1 Th. pl. XVII, 3, Opera, 391 : Si regionum seculorumque diversitas diversitatem maximam effi- Cit in corporum habitu, in ingeniis vero minimam et hane ipsam consilio studtisque corrigimus 32 I1 éerit, par ex., ibid., corporum ampliorum naturae continue lacessant corporis nostri natu- ram 33 Th. PL. XVI, 8, Opera, p. 383 : Aprés la mort lime sera talis qualemferme experiuntur quotidie in summo contemplationis jastigio, W. DRESS, op. Cit., p. 74 ; ANICHINI, Lumanesimo e il pro- blema della salvezza in Marsilio Ficino, Milan, 1937, p. 56, releve ce passage extraordinaire et sou- ligne que, pour Ficin, un degré seulement (ferme) sépare la contempla-tion présente de l'au-dela.. 34 Th. PL. XIV, I, Opera, p. 305 ; quod anima niteatur deus fierie. G. SAITTA, op. cit. p. 113 ; W- DRESS, op. cit, p. 50 ; P.O. KRISTELLER, op. cit.,p. 309. 135 Dans une de ses premigres lettres & Giovanni Cavalcanti, autour de 1470, oi i Tinitie au Plato- nisme Ficin expose que Platon qui semper videtur inter paradoxa et portenta versari, est pour cela méme un guide sir ; il donne seul le choc indispensable, et il faut se fier & lui quanto praestat vigilantibus gubematoribus quam dormientibus se committere : Opera, p. 628. Voir infra, III, 2 (iermés), 2, Enigmes et Allégories, sur ce theme central du réve. 36 P.O. KRISTELLER, op. cit., p. 302, « Fieino's moral theories are based essentially on the experi- fence of contemplation ». 37 Sup. Fic. I, p. 80. ‘38 Sur le traité de Synesius traduit Opera, Il, 1958 et s., infra, IIL ch. 2. Th. Pl. XIIL, 2, septem va~ cationis genera, Opera, p. 292. Ce elimat de prodiges se retrouve dans la biographie de Ficin : histoire d'une apparition de Fiein sur un cheval blane révélant & Michel Mercato les mystéres de l'au-dela (G. CORSI, Vita, op. cit, note 58 par Bandini, Sup. Fie., II, p. 216-217), vision de Ficin lui-méme & Careggi, avant la mort de Laurent annoncée par des ombres géantes et des voix (N. VALORI, Vita, op. cit. p. 67 ; Sup. Fic., 11, 313). On peut rapprocher ces faits extraordinaires et la doctrine qu’en donnait Ficin des théories de J. Cardan dans son De vita écrit en 1575-1576, texte et trad. J. DAYRE (Bibl. Institut francais de Florence, série I, XI, Paris, 1936), 39 Th. PL, XVHI, 1, Opera, p. 399. 40 Th. PL, IV, 1, Opera, p. 130, repris In Conv. Il, 5, id,, p.1325, Cette sentence des mages restera here & Thermétisme de la Renaissance ; elle reparait chez F. Giorgi, Pontus de Tyard... ef. E YA~ TES, The French Academies of the sixteenth century, Londres, 1947, P. 90- 41 Th. PL. XIV, 1, Opera, p. 305. lll, « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 16 de 19 Marsile Ficin et l'art. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... 42 Th. PIXIV, 8, Opera, p. 310. Sur ce passage révélateur, W. DRESS, op. Cit.,p. 87. 43 La fable de Lucilia s'égarant a la cueillette des fleurs dans les jardins de Vénus : Opera, p. 848. Ce texte est traduit par E. GOMBRICH, Botticell’s mythologies, art. ct., p. 39-40. Celle de Philo- sophia, supra. 44 Opera, p. 347. 45 Opera, p. 844. 46 Opera, p. 869. 47 Ep. Il, Opera, p. 675 ; trad. angl. dans le recueil : The Renaissance Philosophy of Man, p. 193- 194, avec notes utiles ; celle de GOMBRICH, art. cité, p. 51 est plus nette, mais traduit par erreur, De re amata du début par « a beloved thing ». Le milieu du développement reprend les vers des Eglogues de Virgile, 1,21 et IV, 7. 48 Th. Pl, I, 4, Opera, p. 85. 49 Opera, p. 974. 50 Ep. XII, Opera, p. 958. 1 Ep. VI, Opera, p. 826 ; dans la Préface de son Plocin, Ficin séleve a la fois contre les Péripatéti- ciens qui croient a la possibilité d'une philosophic a-religieuse, et les poétes qui se divertissent &ourdiment des fables sans soupconner leur profondeur symbolique : Opera, II, p. 1537, cité E. GARIN, L'Umanesimo italiano, op. cit, p. 120. 52 Th. PL XVI, 5, XI, 2et XIV, 7. 53 Surla magie du talisman : infra, ch. I 54 Typique, a cet égard la formule « ésotérique » : Ep. I, Opera, p. 660 : Homo terrena Stella est, Stella vero eoekstis homo. 55 CICERON, De natura deorum, I, 11, eité par PETRARQUE, De sui ipsius ignorantia, Opera, Bale, 1554 p. 1146. 56 Ep. I, Opera, p. 756 : obseuritate quadam nonnumquam quodam modo confundo me ipsum ; certe alios saepe perturbo. 52 A. della TORRE, op. cit.,p. 462 note. ‘58 Dans son étude sur « la prose littéraire au Quattrocento » en téte de V'édition récente des Tre Lihri della famiglia Alberti, Florence, 1946, R. SPONGANO, cité le long passage de la « Théolo- sie Platonicienne » étudié infra, ch. I, comme exemple de latin assoupli, moule sur le vulgaire, moins oratoire que postique. (On trouve dans le De conscrihendis epistolis de Vives reproduit dans L. BRANDOLINI, De ratione serihendi, Bale, 1549, p. 361, un jugement particuligrement sévére sur la pensée et le style de Ficin idmiscuit his philosophaster Marsilius Ficinus ut olorihus gavia atque epistolas composuit ut de platonicis quaestionibus disputaret dictione invenusta et molesta, cité L. THORNDIKE, A His- tory... op. ct., IV, p. 562, 0.1. 59 De vita, Il, ch. 20, Opera, p. 528. 60 Ad Naldum vatem Florentinum. Marsilius Pauli raptum post longa recludit, Secula. Quis sacra huie reseravit opes ? Non Paulus : tenuis dudum cinis lle. Quis ergo ? Marsilius celo raptus et ipse fu Quippe domo superas viditque arcana tonantis Spirituumque choros spirituumaue gradus. Sive agitur Phebo sive hic gerit ore Sibyllam, Coneinit humano non referenda sono, Non bene de Pauli cantat sua pagina raptu : Raptum Marsili sanctius esse reor. Ad Rubertum Ursum Ariminensem. Ill, « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 17 de 19 Marsile Ficin et l'art. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... Urse quod affirmas raptum tibi fure videri Marsilium, Paulus dum canit ut rapitur, Sydera dum seribit, quae mens habitatque tenetque, Splendida celestes quis regat arte domo, Sentio quod sentis, cum sit divinitus illi Ingenium mira de love sorte datum. Sed tamen hoe addo : si raptus in astra sit ile Utcanis, egregium quo meditetur opus, Te quoque Pieridas vatem rapuisse puellas, Dum facis Aonio carmina digna choro. Les deux potmes sont reproduits dans Sup. Fic., Il, 311 et 266, d'aprés les manuscrits. Roberto Orso, jurisconsulte de Rimini, fit un voyage & Florence en 1478 ; ses relations avec Naldi et Ficin, & qui il adresse une épigramme pleine d’amicale impatience (ibid. 311), datent sans doute de cette époque. 61 Ad Marsilium Fieinum de Orpheo in ejus eythara picto. Orpheus hie ego sum, movi qui earmine silvas, Qui rabidis feci mollia corda fer: Hebri quamvis unda fluat velocior Euro, Vieta tamen cantu substiti illa meo. Sup. Fic., I, 262 et Naldus de Naldis, Elegiae, éd. JUHASZ, Leipzig, 1934, t. Il, p.37- Le symbolisme antique de la lyre se rattache aux spéculations développées en particulier par les Pythagoriciens autour de la fable d Apollon et de Marsyas : F. CUMONT, Recherches sur le symbo- lisme funéraire des Romains (Bibliotheque d’Archéologie et d'Histoire, XXXV), Paris, 1942, p. 18- 20, et surtout la note p. 449, qui montre que la lyre d’Orphée était bien le symbole de la « théologie poétique » chére aux néo-platoniciens de la fin du Paganisme comme a ceux du XV" siecle, Une sco- lie de lEnéide, VI, 119 (étudiée par A.NOCK, « The Classical Review », XLI, 1927, p. 169 et XLII, 1929, p. 60) ~ diailleurs difficile a dater ~ s'exprime ainsi : « dicunt quidam liram Orphei cum VIL cordis fuisse et caelum habet VII zonas, unde theologia assignatur. Varro autem dicit librum Orphei de vocanda anima liram nominari et negantur animae sine cithara posse ascendere. » La lyre était communément aussi le symbole de 'harmonie universelle, A. NOCK, Sarcophagi and symbolism, dans « Amer. Journal of Archeolopy », L, 1946, p. 157. Limage de la lyre d'Orphée employee par Politien, Miscellanea, C (cité supra p. 26 et. pour décrire son initiation au Platonisme sous Ficin, rejoint ce vieux symbolisme. Limportance du mythe d’Orphée et des écrits orphiques pour le Platonisme de la Renaissance int d’étre examinée par D-P. WALKER, Orpheus the Theologian and Renaissance platonists, dans « Journal of the Warburg and Courtauld Institutes », XVI (1953), p- 100-120 ; la doctrine de la « prisea theologia » apparait comme une pice essentielle du synerétisme philosophique et reli- sgieux de Ficin et de Pie. Ficin a connu les Argonautiques et les Hymnes dans le recueil d’Eusébe De praeparatione evange- lica et par des manuscrits comme celui de la Bibliothéque Laurentienne (Plut., XXXVI, 35). Limportance de ces textes orphiques pour Ficin a été soulignée par P.O. KRISTELLER, The scho- lastic background... art. cit. in fine, apres KIESZKOWSKI, op. cit., ch. 6, Il platonismo e la teolo- gia antica. La lettre de septembre 1462 (Opéra, p. 608) se trouve dans un manuscrit de la Bibliotheque Lau- rentienne a c6té d’extraits de Bartolomeo Scala : Sup. Fic. I, p.X (sur le ms.) et Il, p. 37 (sur le tex- te). Elle contient un remerciement amphigourique a Cosme comparé au Cosmos divin eélébré par Orphée, pour le don de la villa de Careggi veluti quoddam contemplationis sacellum. {63 Laurent de MEDICIS, Altercazione, H, v. 4.6, trad. A. Chastel, éd. cit., p.13 73 : Ch. de TOL- NAY, The music of the Universe, dans « Journal of the Walters Art Gallery », Baltimore, 1943, p- 104, 5m. 24), lll, « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 18 de 19 Marsile Ficin et l'art. Deuxiéme édition revue et augmentée d’un appendice biblio... 84 Naldus de Naldis, 1, 22 ; Sup. Fic., H, p. 262. ‘65 Dans une lettre de G.-A. Campano adressée d’Allemagne a Gentile dei Becchi ; CAMPANUS, ‘Opéra, Venise, 1502, fol. 48 et Sup. Fic., E, 230. Campano avait suivi le Cardi-nal de Sienne en Germanie en 1471. En 1475, Ficin lui écrit pour lui envoyer un exemplaire de son Symposium (ihid,, 1, 89). L’évocation de Fiein remonte done a la premiere periode de Académie. En envoyant a 'Achademiae restitutor un petit poignard a manche de corne, une blouse de maitre et des bottes en cuir de Russie, Philippe Callimaque, de retour de Pologne, inserit dans sa lettre deux vers : Orphea sed verum faciet te barbara vescis Cum tibi sit cantus ilius atque lyra, of. Sup. Fic., IL, p. 225). 66 E. GARIN, Ritratto, art. cit, p. 301. 67 G. GENTILE, Il carattere del”'Umanesimo ¢ del Rinascimento, dans le recueil : Giordano Bru- no e il pensiero del Rinascimento, Florence, 1930, p. 262. « Poesia, bellezza, amore sono i termini in cui si risolve tutta la teologia ficiniana, se ben si guardi oltre la tenue superficie di una fragile impaleatura concettuale », éerit en der-nier lieu E. GARIN, LUmanesimo italiano, op. cit., p. 130. Nous ne nous proposons iei que de tirer les conséquences de cette interprétation, déja indiquée par E. CASSIER, Individuum und Kosmos in der Philosophie der Renaissance, Leiprig, 1927, p. 67 {68 Lettre du 11 novembre 1490, tres typique du style fieinien, Sup. Fre. 1, 60. {69 Lettre du 16 septembre 1489, Opera, p. 579. On rejoint ici la pénétrante interprétation de J. HUIZINGA, Homo ludens, trad ff., Paris, 1951, p. 291 : « Vesprit de la Renaissance était loin détre frivole... Toute laspiradon spirituelle de la Renaissance est cependant celle d'un jeu ».. 70 Cette thése a été exposée dans Youvrage, déja ancien de E. PANOFSKY, Idea, ein Beitrag zur Begriffsgeschichte der dlteren Kunsttheorie (Studien der Bibliotek Warburg, ID), Leipzig, 1924, trad ital. Rome, 1953 ; elle est reprise, sans discussion, par A. Blunt, Artistic theory in Italy 1450- 1600, Londres, 1940. K. BORINSKI, Die antike Poetik und Kunsttheorie, (vom Ausgang des klassischen Altertums bis auf Goethe und Wilhelm von Humboldt), 2 vol., Leipzig, I, 1914 et II, 1924 (éd R. Newald), a mon- ‘tré par une masse de petites observations et d’hypotheses ~ plus que par un exposé cohérent ~ ‘comment les problémes artistiques se sont formulés a la Renaissance sous la pression du « retour & antique », et comment le néo-platonisme esquissait partout de nouvel-les solutions : particuliére- ment II, 5 « ars nova antiqua » (a propos d’Alberti et Ed, 1 : Herrschaft der Kunsttheorie, 71P.O. KRISTELLER, The Philosophy, op. cit, p. 305. lll « PATER PLATONICAE FAMILIAE » - 19 de 19 {p.65} PREMIERE PARTIE LART PREMIERE PARTIE - L’ART - 1 de 1 I. DEUS IN TERRIS : L'HOMME ARTISTE UNIVERSEL La cosmologie de Ficin procéde d’analyses esthétiques. Héritier de traditions anti- ques et patriotiques qui ont puissamment eélébré la perfection du monde et sa dignité absolue, il s‘emploie A approfondir ce théme oi elles coincident*. Mais ce qu’il ampli: fie surtout, c'est la qualité artistique de lédifice harmonieux dont toutes les parties se composent « comme la lyre qui produit un accord complet avec les dissonances et les consonances »*. Par Yordre admirable du monde, Ficin entend la structure du ciel et la hiérarchie des étres, le réseau intelligible du réel, le déploiement des formes et des espaces, qui désignent leur auteur comme un artifex ou un architectus sublime, selon les termes des commentaires Platon : « par son utilité, son ordonnance, son décor, le monde témoigne d’un artiste divin et nous donne la preuve la plus manifeste que Dieu est TArchitecte du monde »*, La création est organisée comme un étre vivant ott rien n'est inutile, et comme une oeuvre dart, od tout concourt a effet final : Considére les plantes et les animaux : leurs membres sont organisés de telle sorte que cha- cun est place 1A oft il doit servir les autres ; qu’on le supprime et toute la structure s’effo- ndre. Tous les membres sont done groupés en vue de lensemble. Ainsi toutes les parties du monde concourent en quelque sorte a la beauté de univers entier, de telle sorte qu'on ne peut rien enlever ni ajouter*, La spéculation antique et surtout médiévale avait souvent exprimé les rapports métaphysiques par des images empruntées au monde de V’art ; mais Ficin reprend ici exactement la définition du beau dans Vart donnée par Alberti®, pour Vappliquer au Cosmos ; on ne saurait mieux affirmer que son rapport a Dieu est celui d'une oeuvre art A son auteur, et rendre plus manifeste sa qualité esthétique. L'univers doit étre considéré historiquement et logiquement comme la premiere ceuvre dart et le pro- totype de toutes ; son auteur est avant tout un compositeur parfait : Le sens de cette ordonnance, c'est de séparer les choses précieuses des plus basses : elle ré- side dans leur différence et leur rapport, mais prends-y garde : celles qui passent pour lesip so) plus basses, ont toutes été composées avec un art accompli. De méme celles qui parais- sent les plus précieuses, si on les considére a part, offrent souvent moins de beauté, mais dans Fordonnance complete, et dans Vesprit de celui qui l'a eréé, elles sont parfaitement en accord avec leur nature et celle des autres choses*. Tout a été done déterminé selon un principe d'ordo et decentia, et il suffit de bien percevoir lharmonie et lopportunité de ce qui existe pour découvrir Pessence méme du monde et la pensée de Dieu. Un théologien chrétien ne peut sans doute ignorer les autres raisons d’étre de la création, mais c’est sa perfection esthétique qui nous fait le mieux sentir la poignante actualité de Paeuvre divine”, Tout artiste reste présent dans son ouvrage ; ainsi le Créateur « a pu, su et voulu rendre son ceuvre aussi semblable a lui que possible »®, Liunivers, fait de parties visi- |. DEUS IN TERRIS : L'HOMME ARTISTE UNIVERSEL - 1 de 7

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