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LE DESTIN SPIRITUEL DU MOUVEMENT OUVRIER: ANARCHIE ET PERSONNALISME par Emmanuel MOUNIER LE MOUVEMENT OUVRIER AU TOURNANT. « Cequenous avons dit de la majorité sociale de la classe ouvritre, éerivions-nous récemment }, nous méne & conclure qu'une action qui ne passerait pas par elle, n'intégrerait pas sa maturité politique, son expérience {raternelle, son audace de vues, sa capacité de sacrifice, est aujourd'hui vouke & I'échec, voire & la stérilisation, Est-ce a dire que le personnalisme doive se poser le pro- blame global de le conquéte de la classe ouvriére ? Non = il ne ge propose ni une action de classe, ni une action de masse. Mais, allant rejoindre dans le mouvement ouvrier, et sp ement dans le mouvement ouvrier francais, de vieilles tra, ditions personnalistes, qui ont pris d'autres noms et d'autres, visages, il a pour mission propre de réussir la jonction entre les valeurs spirituelles déconsidérées & ses yeux par Utilisation ‘qu‘en a fait le monde de Uargent, et les authentiques richesses, spirituelles elles aussi, qui sont conseroées dans I'dme populaire plus authentiques que partout ailleurs. Une double colonne doit s‘avancer ainsi contre la ci sation défaillante ». 1. Manifest au service du personnsisme,p. 242 no UVRES Cette position du problame est plus difficile qu'il n'appa- rait au premier abord. «tre avec le peuple », cette exigence d'un don sans avarice dans une confiance totale, souffre impatiemment de parate Iésiner avee la misére quand notre critique doit porter au eaxur méme des croyances populaires les plus endurcies, sinon les plus profondes. En refusant Vappel de tel poiticien, V'orthodoxie de telle doctrine, nous blessons directement des hommes simples et seins, qui croient jauger notre sineérité & assentiment ou au refus que recevront ces appels et ces orthodoxies : comment leur faire comprendre que nous le faisons par respect de leur avenir et per défionce de nous-mémes, téchant de trouver & titons, avec leur expérience plus qu’avec leurs formules, leur vrai destin, qui déborde et peut-détre contredit cette orthodoxie dangereuse dans laquelle ils pensent l'exprimer, ou ces hommes qui parasitent leur révolte. Le meilleur moyen de les en convainere, et de nous assu- rer, & travers ces séparations provisoires, une authenti communion avec la volonté profonde du peuple, est de sortir ala fois du plan polémique et du plan politique, je veux dire, au bas sens des mots, du plan oit les doctrines chicanent et du plan oit les principes composent, Précisons encore. Il est une manigre de présenter le per- sonnalisme comme une machine armée frisant feu de toutes pices, méthode utile pour démanteler les syst2mes et dis- perser les ruses des intllectuels, mais qui ne touchera jamais ceux que nous voulons aider & se libérer. Il est une seconde tactique, non exclusive de la pret tant sur d'autres points et sur dautres hommes, — tactique d'immanence, ‘auraient dit nos pares, — que nous voudrions ici inaugurer, en ce qui regarde les problémes ouvriers. Ces hommes obs- curs qui, depuis les premiéres Unions de métier, des Trois sloricuses la Commune, de larue Transnonain au Mur des Fiédérés, de la forteresse Pierre-et-Paul aux faubourgs de Vienne et de Madrid, pensent inséparablement de la mort un long destin hommes abandonnés, méprisés, traqués, nous m'avons pas le droit, enfermés dans je ne sais quelle sérénité bourgeoise ou pédante, de les identifier & des sys- tames. Les systémes mémes qu'ils ont adoptés, comme la ANARCHIE ET PERSONNALISME wt premiére perche tendue, Ia seule nourriture intellectuelle qu'on leur offrait et qui fit écho a leur vie quotidienne, la seule qui se présentat ainsi d'emblée avec la séduction d'une culture globale et pour eux vivante, on pense bien qu’ils ne les ont pas adoptés comme un jintellectuel adopte des idées, pour de purs motifs rationnels, D'abord ces systémes sortent un peu, et certains beaucoup, de leur vie et de leur sang : les intellectuels qui les ont formés vivaient leurs lut- tes, coudoyaient leurs destins. Il ne manque au peuple, iseit Proudhon, que la parole. Ceux qui ont parlé pour lui ont ajouté beaucoup de prétentions scolaires ou politiques {Ia pensée inexprimée quills avaient tiche de traduire : le peuple ne se fit point reconnu cependant dans leurs dis- cours s'il n'avaient capté quelques-unes de ses aspirations profondes sous un fatras de philosophie bourgeoise. A peine nées, et nées partiellement de lui, ces doctrines ont fait, retour au peuple suivant les voies les moins rationnelles qui soient. Elles se sont de nouveau, aprés une courte ar~ ridre dans la pensée discursive, mélées 4 la chair de ses souffrances, de ses instincts, de ses espoirs. Si nous pou- vions pénétrer, sous la foi marxiste, au ccur méme des consciences de es millions d'hommes obseurs qu'elle anime, nous trouverions sans doute beaucoup de foi, beaucoup plus que chez les plus virulents des polémistes bourgeois, et trés peu de marxisme, au sens de ces eertitudes et de ces erreurs proprement dessinges, rigoureusement enchainges qu‘ont pour métier d'y voir penseurs, polémistes ou théologiens. Cest & dégager ces intentions profondes et cette subs- tructure humaine des doctrines que nous voudrions iei nous attacher sur ‘exemple des doctrines anarchistes. Nous persons bien montrer par le fait que rien ne répugne plus 4 une conciliation, & un certain manque de tenue intellee- tuel que ce désir de poursaivre la vérité et sa rigueur non seulement dans les rapports des idées entre elles, mais dans les rapports des idées aux hommes. Nous ne chercherons pas a démontrer au mouvement ouvrier quill est personna- liste malgré lui: polémique retournés, refus mué en confu- sion, tout cela serait tactique idéalste, jeu dérisoire, avec des courants d'air d'idées et des fantémes dengagements. Non, 12 UVRES Nous chercherons sous l'incertitude des mots la solidité des significations ; parfois nous trouverons les erreurs plus sraves que leurs formules, les hommes plus audacieux, plus ‘effrayants que leurs paroles ; souvent aussi, dens un tout autre langage que le nétre, nous reconnaitrons des pressen- timents prophétiques, des approximations émouvantes de la vérité humaine que nous travaillons & dégager. N’ayons pas alors le triomphe trop immodeste : « Le peuple, en ce quitouchela Justice, disait justement Proudhon, n'est point, & proprement parler, un disciple, encore bien moins un néophyte. Lidée est en lui : la seule initiation qu'il réclame, comme autrefois la plébe romaine, est celle des formules. Qu'll ait foi & lui-méme, c'est tout ce que nous lui deman- dons ; puis, qu'il prenne connaissance des faits et des lois, notre ministére ne va pas au dela. Nous sommes les moni teurs du peuple, non ses initiateurs» *. Qu'il y ait dans ces lignes trop de confiance messianique en Ja pensée spontanée des masses, soit. Mais prenons-en essence. d’humilité Diavoir labouré cette pensée ouvritre, la ndtre n'en changera pas les assises éternelles de toute pensée, mais elle se sera fait un chemin & travers la dure séparation des mots qui cenferment les classes plus solidement que les intéréts, et esprit avec elles, qui n'a rien & faire dans ces prisons. Faute de ce travail, nos plus vivantes réflexions resteront pour des millions d’hommes des visiteurs endimanchés, venus de Mins que toute autre, bien moins en tous cas que la pense marxiste, la pensée anarchiste peut atre détachée des hommes qui ont vécue, des intentions qu'elle a rejoin tes ou réveitlées dans Vinstinct populaire. En regard de la Tittérature anarchiste, la littérature marxiste “moyenne, ‘méme chez Marx, frappe par son caractére implacable, un peu pesamment scientifique, hargneux dans l'attaque, maussade dans la défense, plus fanatique que ferven.. Nés dans la 1. Dela Juste, Euyrescompites, Rive, I, 27. Neus désignerons Atscrais parle gle G. toate vlerence b ceite Gillon de Proudhon. ANARCHIE ET PERSONNALISME, 13 terre réche du pédantisme scientifique et de l'Université sllemande, elle semble étre restée en bloc, étrangére a la sensibilité du XIX® sidcle, qui a si profondément imprégné le mouvement ouvrier occidental et, & Tautre bout de lEu- rope, les cercles de conspirateurs russes. Une odeur de Dibliothque, avec elle, descend sur les masses ouvritres ; elle chasse de leurs livres et de leurs pamphlets le grand air des barricades oti flotaient, parmi Yedeur un peu empha- tique de la poudee, les chansons, la joie des rues, on ne sait uel espoir intact elle en expulse le style sublime, Nimpré cation, le pathétique qu'un Proudhon héritait des grands Conventionnels, ou ces appels directs, de l'fme & I'éme, que nous devons a toute une littérature ouvriére spontanée adresses, de plaidoyers, de pétitions, longue plainte virile qui s'affermit depuis les ouvriers Chartistes jusqu’a Varlin «Lassez-moi maintenant parler de moi-méme, non dans Te dessein d'assurer plus d'attention de votre part, mais afin de vous prouver que je ne parle pas d'aprés les ¢ on dit % mais d'eprés mes propres souffrances. Et c'est pourquoi je dois &tre pardonné pour toute chaleur dexpression qui pourrait paraitre toucher & la violence. Mon beau-pére, Vivait avec moi...» Voila le style d'un tisserand charts en 18391, Chez Proudhon, chez Kropotkine, plus d'une fois fon retrouvera cot accent dépouillé, cette grace profonde ui en Franee s'est fait issue dans les journées révolution- naires les plus sombres du siécle dernier, et dont les gestes, du marxisme sont si dépourvus. II n'est pas un dailleurs, ivaing anarchistes qui ne sort un homme de passion Proudhon, Diderot plus male que l'auteur du Paradoxe, qui donne un son romain &l'éloquence roman- tigue et dispose son désordre comme des armées ; Bakou- nine, qui dans ses déires d'adolescent méle le messianisne ouvrier au messianisme russe, réve de Saint Empire prolé- tarien panslave, court I'Europe une torche & la main, passe hit ans dans les gedles du Tzar, lui adresse cette étrange Confession de mouiik repentant, dont les derniers jours de sa vie seuls peuteétre liveeront le secret, s’évade, vient mettr= 1. Cité par E, Dowisans, Hite da moacement ewer, A. Calin, I, 36 sear 8 m4 EUVRES ‘le diable au corps » aux minutieux horlogers du Jura, méne avec Mare un gigantesque combat singulier et som- bre, blessé & mort, décu, pourchassé dans son agonie par de petites histoires de propriétaire mécontent ; Kropotkine, le prince de haute lignée, qui de l'école des pages et de entourage immédiat de 'Empereur arrive & la Révalution par la Sibérie, les explorations arctiques et la théorie des plissements montagneux. Elisée Reclus, le doux géographe bohéme et évangélique. Enfin dans un tout autre registre, aux timbres apaisés celui-li, un homme comme James Guillaume, dont V'admirable histoire de la premiére Inter- nationale # est un chef-d'euvee de probité, de sérénité familiére : i] faudra aller jusqu’aux crits intimes de Rosa Luxembourg pour retrouver, dans la littérature révolution- naire, pareille fraicheur honnéte, pareille absence de ressen- timent jusque dans la révolte. Si la grande littérature anarchiste est marquée par un coractére aussi directement populaire, c'est sans doute qu'elle est partie d'un certain sens de l'homme que le ‘marxisme a parfois rejoint, mais le plus souvent par des vaies indirectes, et notamment par le détour d'une science bien bourgeoise gui depuis cent ans se construisait en dehors de homme. Ses auteurs, nous le verrons, ont abondamment sorbonnisé pour asseoir leur doctrine. Qu’on ne s'y trompe pas, Intellectuels ou prolétaires, ils ont eédé a Vivrease de Ia science positive, en 1870, comme I'intellectuel et louvrier ‘russe, einquante ans plus tard, se sont grisés & l'ivresse de la machine. Mais leur impulsion est autre et plus profonde, plus eligicuse que scientifique. C'est sur un autre plan que ccelui des idées pures que nous devrons dégager, avant de affronter ala notre, 'intention fondamentale de leur attitude de vie. 1 ANARCHISME ET ANARCHISME Quelques précisions et quelques évocations d'histoire dabord. 1. Jans Guntsvae, Hive de 'nlernatinale, Documents et soureies (18641878), 4 vey Pais 1907, ANARCHIE ET PERSONNALISME 5 Anarchie ne doit pas préter & confusion. Au premier abord, + individualisme, négation totale, désordre. Les polémiques ont pesamment joué de ces asso- iations. Or elles traduisent trée infidélement le visage ‘commun de la pensée anarchisante telle qu'elle anima tous les débuts et une vivace tradition du mouvement ouvrier. Contrairement & I'idée répandue, nous le préciserons plus Join, anarchismeouvriern’est pasuncexaltationde individu, Wl répugne méme a I'individualisme. Il serait tout & fait superflu d'évoquer ici le solipsisme nietzachéen de Stirner, si-ce n'est pour rappeler précisément quill n’a pas mordut un instant sur la tradition ouvrigre. La raison en est simple : Ja misére, Teffacement social donnent & ceux quis main- tiennent mineurs une toute autre psychologie que celle d'un homme « Unique » et puissant, ~ un sentiment déprimant au contraite d'impersonnalité et de déchéance. Quant & un certain anarchisme intellectuel qui communie a la révolu- tion mondiale dans les demis de Montparnasse, le monde ouvrier a dit depuis longtemps son indifférence & ces jeunes bourgeois désaffectés. Depuis linfusion a I'anarchisme européen du nihilisme russe et le réveil, avec Tolstoi, des vieilles utopies champé- tres, on a pu voir foisonner c6te a ete un anarchisme idylt que et un anarchisme frénétique, ceux-ci mains excent ‘ques que 'égoisme stirnerien (qu'on se rappelle la vogue des phalanstéves de tout acabit et celle des attentats) mais cepen- dant bien extérieurs encore, au moins en France, & lime populaire, et qui n'y poussérent pas des racines durables. "Un homme d'esprit, écrit Plekhanov du premier #, a dit que la profession de foi des anarchistes se réduit & ces deux articles d'une loi fantasque : 12 Tn'y aura rien. 2° Nul n'est chargé de I'exécution de l'article précédent. Ce n'est pas exact. Les anarchistes disent : 12 Ty aura tout. 2° Nul n'est chargé de penser & ce qu'il y ait quoi que ce soit. » IIn'y a rien de plus & dire du premier de ces deux 1, Anorehie et eciloe, p52. 116 (EUVRES anarchismes, si ce n'est que Plekhanov y compromettait avee autant d'injustice que de cynisme tout le mouvement ouvrier non marxiste, Le second, monté des fonds de I'ame russe, a fait son bréviaire du Catéchisme d'un révolutionnaire de Netchaiev (aussement attribué & Bakounine) : « Le révolutionnaire, dans la profondeur de son étre, non seulement en paroles, mais de fait, a brisé tout lien avec lordre civil et avec le monde civilisé tout entier, avec les lois, les convenances, avec la moralité et les conventions généralement reconnues dans ce monde. I! en est ennemi implacable, et sil continue a vivre dans ce monde, ce n'est que pour Ie détruire plus sirement... — Rigide envers lui-méme, il doit tre aussi cenvers les autres. Tous les sentiments d'affection, les senti- iments ramollissants de parenté, d'amitié,d'amour, de recon- naissance, doivent étre étouffés en Tui par la passion unique et froide de leuvre révolutionnaire. Il n’existe pour lui auune seule jouissance, une seule consolation, une puis- sance et une satisfaction : le suecés de la révolution. Nuit et jour il doit avoir une seule pensée, un seul but — la des- truction implacable. Poursuivant ce but froidement et sans, reliche, il doit étre prét & périr lui-méme et & faire périr de ses propres mains tous ceux qui 'empéchent datteindre ce but. » Liapre souffle de mort qui traverse ces lignes glaca long- temps les os du bourgeois frangais. Que Diew n'a-til voulu quil en acquit quelque effroi du néant, de son néant, et par la quelque godt de I'Infini. Mais ces proclamations d'pouvante n'ont jamais déclanché que des peurs de bou- tiquiers, et le néant n’a fait finalement la fortune que d'un petit cabaret montmartrois, ‘Nous ne voulons pas dire que cette provocation au néant, cette agressivité passionnée contre Dieu et contre tout ce ui reste en chaque homme d'amour chrétien ne soit pas Te postulat dernier de toute attitude anarchiste conséquente 1 serait bien maladroit, pour des spiritualistes, de chercher Ten défendre. Cet absolu défi, si lamentablement absent d'un certain socialisme scientifique et petit-bourgeois, hhausse lanarchie au sublime, et point uniquement toujours ANARCHIE ET PERSONNALISME, 7 A colui quelle croit viser,'l est vrai qu'une certaine maniére de nier Dieu et le monde peut n’étre qu'une conscience. tragique de leur appel. Tout cela a été dégagé plus haut © Mais ces abimes aux frontiéres de Tanarchie ne sont pas de frequentation quotidienne dans les masses, ni méme chez les penscurs qui ont essayé de dégager un certain esprit anarchisant au sein du mouvement ouvrier *, Ceux-ci insistent au contraire, aprés Proudhon, sur le caractére positif de Vidée anarchiste. Ce n'est pas notre faute, plai- ignent-ils, si nous ne disposons que d'un terme nézatif pour dire ce que nous voulons dire. On sait que Proudhon, pen- dant quelque temps, pour neutraliser leffet déplorable du mot, mit un tiret entre an et archie, jusqu’a ce que devant la. mauvaise foi de ses adversaires il y renongét, "pour ne pas donner de besogne inutile aux correcteurs ni delesondegrec a ses lecteurs».Sessuccesseurs évitérent long temps de lui emprunter la formule dangereuse, et dirent : collectivisme, fédéralisme, puis communisme libext parti antiautoritaire ou antiétatiste, (qu'on remarque l'in- tention bien peu «individualiste * de ces dénominations). Mais la polémique la leur imposa. Pour retrouver, de inspiration anarchiste, ce qui a germé et pris racine dans l'histoire, nous devrons done oublier les mages qui ‘offrent le plus communément &l’epinion quand ‘ce mot est prononeé. Ce n'est pas dans quelques eénacles provocants, ou chez de malheureux hors-la-loi, que nous irons le chercher, encore moins dans ces bas-courants qui, ala suite d’Armand et de Sébastien Faure, n'ont retemu de anarchie qu'une exaspération aussi puérile que morbide de la sexualté. Toutes ces extravagances relévent de le patho logie, et c'est gaspiller bien du sérieux que de Vemployer & les discuter, Epigones de Textréme mintre, Qorganieres délabrés, voire de la décomposition bourgeoise, elles n'ont jamais regula sanction de la sagesse populaire. On est frappé deilleurs,&la lecture des grands classiques de l'anarchisme : 1. Voir les études de M. Chatting, P. L. Landsberg, J. Bergan, 2. + Use eaagittion exiravagunte ie no princes ¥, dit Reopotline du rocvement nillte rene (4utoor fare oe 413). futur dane vies ps 393 118 EUVRES Proudhon, Bakounine, Kropotkine, Guillaume, de leur ton tellement étrangerau pittoresque tragique de ce tumulte déca- dent quia fixe, dans la conscience du grand public les traits de lanarchic. Bien plus importante que ces remous est la tradition fécondée en pleine terre ouvriére par T'idée anar- chiste qui, nous le verrons, dépouillée de ses aberrations, n'est pas sans nouer plus d'une parenté avec l'idée person naliste. Ses théoriciens ont conscience de cette fécondation : Kropotkine eroit que seul le bon sens des horlogers juras- siens lui a épargné les dangers de Mutopie. hie A'Epinal semble bien morte, en 1937. Morte dans l'action, ‘morte dans la doctrine. Cependant un certain courant anar- chisant, qui a mari dans lexpérience ouvritre, reste vivace dans le’ monde ouvrier. Assoupi depuis un certain nombre années, il se cabre dés qu'il se sent provogue. Je n’hésiterai pasa dire que pour nous personnalstes il est e grand espoir sur lequel nous misons pour l'avenir et le développement de cee mouvement. I] a formé et inspiré encore le meilleur de Tresprit syndical, Topposition a Vimpérialisme ouvrier et au fascisme prolétarien, il est le plus apte & recevoir, miewx, Aécouvrir de lui-méme lidée personnaliste : les sympathies ‘que nous rencontrons en milieu syndical, ou dans les zones ouvritres de vieille tradition anticommuniste comme La Chaud-de-Fonds, la Catalogne, sufiaient & nous en assurer. On voit l'intée&t’ primordial qui nous pousse aujourd'hui & prendre notre référence en toute clarté & ses doctrines et, siT'on veut bien entendre ces formules avec un son d'égalité fraternelle, & lui montrer les impasses oit il se perd, les chemins oi il se libérera 1866, La protestation anarchiste de Godwin, sous la Convention, semble tout autant oubliée que la poussée com- ‘uniste de Babeuf, avortée comme elle. Mais Proudhon est bien vivant, tandis que le communalisme de Fourier foit contrepoids au communisme autoritaire de Cabet. Proudhon ct Fourier sont soutenus par une tradition ouvriére d'orga- nisation spontanée qui remonte aux premieres Trade-Unions Tresprit de Robert Owen : organisation ouvridre rent née par foisonnement, non par épure et sys- time, Elle gardera longtemps I'esprit de ses origines, D'une ANARCHIE, ET PERSONNALISME 119 rencontre, & Londres, entre mutuellistes proudhonicns frangais et trade-unionistes anglais vient de naitre Ia pre- mitre Association internationale des travailleurs. Marx ct Engels sont dans les coulisses. Leur réle dans la constitu- tion de cette premiére Internationale, I'énergie qu’ils dépen- sent & en assurer les premiers pas, ne font pas de doute 5 Bakounine leur a rendu un_hommage public. Mais leur dévouement n'est pas pur. Doctrinaires, leur passion ne vva pas directement aux hommes et a leur misére, elle tra- verse leur systéme et souvent s'y attarde *. Tout idéologue (once sens) est un autoritaire.« Nous avons la science absolue de histoire. Nous forcerons done les hommes bon gré ral gré dans lbistoire telle que nous la concevons. » Et ils ont la conscience tranquille, puisque, dans leur systéme, c'est histoire qui force les hommes et non pas leur propre fantaisie. L'absolutisme, enfin, entraine infailliblement l'ap- parel policier. Intrigues, truquages de textes, agents secrets, infiltrations, mouchardages, Marx use deja de toute [a tac- tigue sournoise que Staline un jour érigera en doctrine Etat, Nous ne pouvons nous empécher de eroire a une certaine solidarité du mal : du jour out le ver était introduit dans Ie fruit, cette fragile Association née de la misére des hommes, qui réunisait & grand’peine deux ou trois dizsines de délégués dans ses Congrés Internationaux, portait en germe oppression qui pése aujourd'hui sur toutes les Russies. L’héroique résistance qui fut oppotée & ce mal originel n’en prend gue plus de grandeur historique. Les premitres intrigues de Marx sont pour s'emparer du Conseil Général de I'Internationale, et, par lui, imposer ses directions & T'ensemble du mouvement. La résistance s‘or~ xganise dans cette méme Suisse romande ol se sont tenus les premiers Congrés®, Les « personnalistes » du mouvement 1, Remarque pour les gene presets : Le Manifete commune ext de 48, La pee Imation ee 14a ar , 2) Nils guestions politiques, le mouvement vier, ni ote de la Rialuton, ren ne peste jamais pour Marx quapies le soci dese propre personne » Otto Roms, Kerl Mare, p. 321 SOn vale ec wivan de tout cate hisatie de buts de "nternationale dans les beaux vlumes de Gutueaua, plas hat cites. Le Conseil entra Fretamine de son point de van dane fe crelaiveprives sur Les prledact ‘sinians da Teemaionale,pablzeb Gentve on 1872, et dela main de Mars, tls brochure ur f Alans dele Démaerale ona Londres et labour, 1873. Ce-sont deux monuments de polémique hargneur. 120 EUVRES ‘ouvrier d’alors fondent I'Alliance de la Démocratie Socia- liste, qui demande son adhésion & lInternationale et se la voit refuser. Ils proposent eux-mémesde renoncer leur carac~ tire international tout en maintenant leurs sections avec leut cespritet leur programme propre. Le Conseil général accepte. “Mais vient la guerre de 70, On ne dira jamais assez I'in- fluence qu’eut Ia victoire de I'Allemagne sur les destins du mouvement ouvrier. Georges Sorel voyait la premiére cause de limpérialisme prolétarien dans la longue habitude & la soumission et & lautoritarisme que les guerres de I'Empire incorporérent au peuple frangais La victoire de 71 assura plus fermement sur Europe réelle 'hégémonie du marxieme autoritaire que celle du militarisme prussien sur_|'Europe apparente, Dis le premicr mois de la guerre, en 70, Marx su Comité de Brunswick-Wolfenbiittel :« Cette guerre a transféré le centre du mouvement ouvrier de France en Allemagne». Dans le manifeste (de sa, main) envoyé le 9 septembre & tous les membres de I'Internationale, il retient les ouvriers frangais de « se laisser entrainer par les souvenirs de 92 », de confondre défense nationale et révo- Tution, A la fin du méme mois, ayant assisté en effet &I’échec du soulevement révolutionnaire de Lyon, Bakounine écrit a son ami Palix ces lignes prophétiques : «Je commence & penser maintenant que ’en est fait dela France... Elledevien dra une vice-royauté de l'Allemagne. A la place de son socialisme, vivant et réel, nous aurons le sociaisme doctrinaire des allemands, qui ne diront plus que ee que les bafonnettes prussiennes leur permettront de dire. L'intelligence bureau- ceratique et militaire de la Prusse unie au Knout du Tsar de int-Pétersbourg vont assurer la tranquillité et ordre public, au moins pour cinquante ans, sur tout le continent de Europe. Adieu la liberté, adicu le socialisme, le justice pour le peuple et le triomphe de lhumanité. » Bakounine avait choisi pour titre & son principal ouvrage : « L'Empire Knouto-germanique » : quel autre nom donnerai hui & la consolidation par un marxisme eaporaliste de la bureaucratic russe ? Un an plus tard, Andrée Léo constatera 1, Peiface &Petuoumien, Hier der Bours: di travail ANARCHIE ET PERSONNALISME, 121 que ce sont les Allemands qui, dans I'Internationale, envahis- sent les Conseils, et font dela fausse unité, dela centralisation despotique, tandis que les lating résistent, « Est-ce done M. de Bismarck, s'éerie-t-elle, qui régne au Conseil de Londres > » (Le Conseil général est alors & Londres). Et elle ajoute : « En méme temps que Guillaume I*¥ se fasait empereur, Karl Marx se sacrait pontife de l'Association internationale. » Certes, des forces historiques plus puis- santes que les conspirations des hommes jouaient en tout cela, Guillaume * a trés bien vu qu’en France le centralisme avait fait son temps, tandis que les socialites allemands, dans une Allemagne encore embarrassée de (dodalité, aspi- raient & un Etat fortement centralisé comme & une libération, L’Allemagne révolutionnaire, éerivait-il dans Te, Bulletin de la Fédération, faie sa crise jacobine : « Nos idées sont séparées des leurs par un siécle presque entier » Si lucidité, qui distinguait dans le socialisme allemand naissant Vimpuliion, il faut peut-ttre dire la nécessité historique juante ans plus tard le précipiterait dans I'Etat national-tocieliste comme il I isme prolétarien dallure stali venu peser contre I'Internationale dans la balence de I'his- toire. Immédiatement aprés 70, le combat, qui avait trang jus y .. La Fédération romande se casse en = ceux du Temple-Unique — et les Général, ces der- niers eréent, en novembre 71, la fameuse Fédération Juras- sienne qui va bient6t polariser autour delle — pour un temps — toute 'Internationsle. Ils font appel aupres de tous les Internationaux de la politiqueautoritaire du Conseil général, qui tache d'ajourner les Congrés pour maintenir son pouvoir. Marx dicte au Conseil ses réponses, ses pam- phlets contre Ia Fédération rebelle. Il sent lInternetionale Tui glisser entre les doigts :I'Espagne, Iltalie se solidarisent avec les Suisses. Il reconnait bien que l'an-archie, au sens 1, Dans Fouvrage dug! (U, 8, 98,100, 219,302, 313 I, 76, 279) on trouvera toutes lev serencen id 122 EUVRES de résistance & toute oppression, est l'inspiration centrale du mouvement ouvrier, mais il feint de croire que les Juros- siens refusent toute organisation. Depuis quelque temps Bakounine, parmi ses amis suisses, est entré dans le jew. Le combat devient un combat singulier : Marx n'a plus seulement devant lui des rebelles, mais un concurrent divect, tune téte moins solide sans doute que la sienne, mais une combsttivité & toute épreuve et une puissance prophétique. Dés lors il trépigne contre « la section russe » de Geneve, re craint pas de déshonorer Bakounine en le présentant comme un agent du tzar. La Fédération jurassienne, lasse des intrigues, provoque un combat & découvert en propo- sant au Congrés de I'Internationale @ Le Haye, en 1872, ‘abolition du Conseil Général et la suppression de toute autorité dans I'Internationale. » Marx s‘assure au Congrés tune majorité arcifcielle, accuse les fédéralistes, sans en croire un mot, de constitution de Ligue secréte, fait expulser Bakounine et Guillaume. Heureuse race d'hommes libres: Guillaume, sortant du Congrés, descend dans les rues res- pirer la joie d’étre honnéte, s'arréte a regerder les servantes hollandaises qui lavent les facades & grande eatt avec de petites pompes, goiite «du poisson fumé, avec un verre de la biére plate et fade que boivent let ouvriers du pays » et le soir, dans une de ces salles boisées, opulentes et sombres, colt se réunissent les guildes locales, les vietimes de 'ostra- cisme peuvent avec une caime assurance, une fraternité de petite banlieue, s'émerveiller aux mélopées des camarades russes et s'échauffer aux séguedilles des espagnols, pendant que quelque part les comités majoritaires comptent les points et préparent de nouvelles manauvres. ‘A peine revenus de La Haye, les Jurassiens se réunissent en Congrés a Saint-Imier. Is dénient & la majorité d'un Congrés le droit d'imposer, dans aucun eas, sa volonté & la minorité. Ils décident d'entretenit des rapports permanents avec toutes les Fédérations minoritaires. Le Conseil général envoie un ultimatum de 40 jours aux Congressistes de Saint-Imier pour se soumettre. Mais pendant ce temps la Belgique, Espagne, I'Angleterre gagnent le camp des rebelles. En janvier 73 le Conseil général prononce la sus- ANARCHIE ET PERSONNALISME, 13 pension de la Fédération jurassienne, puis, Marx trouvant Ja mesure insuffisante, expulse toutes les Fédérations rebelles auxquelles se sont jointes plusieurs autres : Hollande, Etats-Unis, Italie. Jules Guesde lui-méme va se dire anti- centraliste ! Les Fédérations antiautoritaires sont devenues si nombreuses qu’a son Congrés ennuel, en 1873, la Féd- ie jenne peut déclarer que le seul congrés valable ynale est désormais celui qui sera convoqué par les Fédérations réunies, et non par le Conseil général. Celui-ci cependant convoque un Congrés & Gentve, en septembre 1873. Les Fédérations autonomes décident de tenir, aur méme.siége, un Congrés séparé sous le nom de «Sixigme Congrés général de Internationale ». Le Congrés fédéraliste reconnait comme seul lien entre les travailleurs leur solidarité économique, chaque Fédération restant libre de suivre la politique de son.choix. Il vate labolition du Conseil général, et de nouveaux statuts Internationale. Le Congrés centraliste ne réunit & grands frais que... neuf délégués, et se voit désavoué par le secrétaire lui-méme de MInternationale. La victoire de la tendance antiautoritaire semble dés lors acquise. Au 7® Congrés, & Bruxelles, en 74, Ia majorité se fait aisément contre Etat ouvrier et centralisateur. Le ‘mouvement ouvrier garde encore, au dela de 71, 'impulsion de ses origines. Mais la victoire allemande commence & jouer. Aux antiautoritaires, depuis que la réaction versail- laise a rayé provisoirement le mouvement ouvrier francais de la carte de Internationale, il manque l'assise d'un grand pays. Tl va bient6t leur manguer un grand animateu! Bakounine, blessé & mort, disparait en 1877. La premiére Internationale est morte entre les mains de Marx. La seconde et la troisitme Iui donneront sa revanche. Sauf en Espogne, ‘itil est resté vivace et constructif, le courant « anarchiste * cst peu & peu refoulé de Ia social-démocratie; de plus en plus parlementaire, celle-ci sclérose le mouvement ouvrier et le conduit & la mort dans le somptueux appareil des grandes masses nationales et étatistes. Le ferment anarchiste se réfugie dans T'effervescence de base et dans le noyau de résistance que le syndicalisme oppose & I'étatisme politique. 124 EUVRES Quatre ans de guerre devaient enlever une nouvelle fois aux peuples le gofit de la liberté. II n'est pas étonnant qu’é- puisés, vidés de tout ressort par une militarisetion des esprits sans précédent, ils ee soient jetés pour la plupart dans le sens oit Ia social-démocratie les poussait depuis de lon- ‘gues années : centralisme, étatisme, nationalisme et dicta- ture, Allemagne, Italie ou U, R. S.S. sur ce point suivent Ta méme ligne d'histoire. Les identifier dans toute leur masse est injuste et sommaire, mais on ne voit pas assez ‘communément combien l'impérialisme fasciste est d'allure, sinon de réalité prolétarienne (ce qui lui a permis d'assi- miler si facilement la social-démocratie), combien le régime ‘qui a triomphé en U. R. S. S. eat plus fasciste que proléta- rien (en quoi tout de méme il différe encore des fascismes). Le probléme qui se pose & nous est déja vivement éclai par ce rayon d'histoire. Hest angoissant. Dans les pays qui résistent encore, les mouvements ouvriers vont-ils conti- ruer & confondre aveuglément le destin du prolétariat avec tun impérialieme qui, méme dirigé par des hommes sort de leurs rangs,ne sera qu'une nouvelle forme d'oppression, Ja plus cruelle sans doute ! Doriot n'est qu'un Staline un peu pressé. Qui nous dit que Thorez n'est pas un Doriot qui a le temps ? Nous n’avons, en éerivant ces mots, que beaucoup de tristesse et nul désir polémique. Mais il est temps que le mouvement ouvrier, spécialement en France co une telle poussée de liberté remonte de son passé, prenne conscience de ses ennemis du dedans. Si nos formules lui apparaissent encore un peu étrangéres, ces pages sont pour Ii rappeler qu'il peut trouver dans sa tradition méme les amorces de ton redressement. Soixante ans aprés les patien- tes démonstrations des Jurassiens pour prévenir la classe ‘ouvridre contre les dangers de son propre impérialisme, les Procés de Moscou apportent & la fois une tragique confirma tion a leurs pronostics, et la possibilité, par le désarroi quills provoquent dans la classe ouvriére, d'un renverse- ment historique et psychologique aux conséquences incal- cculables, Profitera-t-elle de ce moment fragile de histoire pour cimprendre que certains esprits libéraux, certains chrétiens, dont elle se croyait l'adversaire d'instinct, lui ANARCHIE ET PERSONNALISME, 125 apportent une fraternité plus désintéressée que des hommes. dont un certain goiit de la puissance est le ressort principal ? ‘Au moins aurons-nous fait l'impossible, ici, pour que cette prise de conscience perce les préjugés et réveille des tradi- tions assoupies. ‘Voyons quelles prises un personnalisme ouvrier pourrait s'assurer dans ces premiéres traditions 1 Deux textes nous définiront bien ce qu'entendaient par ces mots les théoriciens de l'anarchie positive. L'un, de Bakounine, sur ce qu'elle rejete ¢ En un mot, nous repoussons toute Iégislation, toute autorité et toute influence. privilégiée, patentée, officielle et Iégale, méme sortie du suffrage universel, convaincus qu'elle ne pourrait tourner jamais quau profit d'une minorité dominante et explotant, contre les intéats de immense majortéasser- vie, Voila en quel sens nous sommes anarchis Liautre, de Kropotkine, sur ce qu‘elle désire : « Nous ‘nous représentons une société dans laquelle les relations entre ‘membres sont réglées, non plus par des lois — héritage d'un passé d’oppression et de berbarie, — non plus par des auto- rités queleonques, qu’elles soient élues ou qu’elles tiennent leur pouvoir par droit d'héritage, — mais par des engage- ments mutuels, librement consentis et toujours révocables, ainsi que par des coutumes et usages, aussi librement agréés. Ces coutumes, cependant, ne doivent pas étre pétri- fides et crstalisées par la loi ou par la superstition, elles doivent étre en développement continuel, s‘ajustant aux besoins nouveaux, au progrés du savoir et des inventions, et aux développements d'un idéal social de plus.en plus ration- nel et de plus en plus élevé. Ainsi, — point d'autorité, qui impose aux autres sa volonté. Point de gouvernement de l'homme par homme. Point d'immobilité uelle, té de la vie : une évolution co tantdt plus rapide, tantét ralentie, comme dans la vie de la 1, Diza et MEit, Estes complies, Stock I, 34, Les rférences de Bakow- ine 4 raoportent iter cette ian, 126 EUVRES Nature. Liberté d'action laissée a T'individu pour le déve- loppement detoutes ses cpacités naturelles, de son indioidua- lité, — de ce quill peut avoir d'original, de personnel. Autrement dit, — point d'actions imposées & Vindividu sous menace d'une punition sociale, quelle qu'elle soit, ou d'une peine surnaturelle, mystique : Is société ne demande rien individu qu'il n’ait librement consenti en ce moment méme & accomplir. Avec cela — égalité complete de tous pour tous! Sans diminuer la rigueur et la nouveauté de ces revendi- cations, Proudhon tenait & souligner que ¢ anarchie figure ppour plus des trois-quarts dans la constitution de la société, puisque I'on doit comprendre, sous ce nom, tous les faits qui relevent exclusivement de l'initiative individuelle » * AUTORITE ET POUVOI Le point critique de la pensée anarchiste est done son attaque de lautorité ou du pouvoir. Notons qu'elle identifie les deux notions l'une a l'autre. « L’Autorité est le gouver- rnement dans son principe et le gouvernement est I'Autorité ‘enexercice»*. C'est ce ncrud que toute la critique anarchi- sante est suspendue. REVOLTES. Nous ne nous attarderons pas aux différences psycholo- sgiques, souvent profondes, par oit les tempéraments natio- rnaux diversifient V'attaque. Ce mélange de paroxysme fana- tique et de tendresse qui donne une &me si brflante & Vanar- chisme espagnol est autre chose que la passion massive de puissance et d'isolement qui emporte la révolte allemande, autre encore que l'anarchisme frondeur, un peu bon enfant, 1. La whence moderne et Panarchi, Stach, 55. a Z Le principe fede. Dent, 3® ps she 5. Tie nial de lp Resition, Bete complter, Rive, p. 181. Les lerncee gut seont données cette dion det avres Te neront tous We dine ANARCHIE ET PERSONNALISME ir tun peu bohéme des frangais, ou que la froide détermination du nihilisme russe. L’un est feu, Fautre est force, Vautre grand air, autre néant aux yeux claire. Il faudeait parler, tant que nous serions dans la psychologie, de I'anarchisme, explosion aprés un trop long ou trop visible esclavage, qui se nourrit surtout de ressentiment, de I'anarchisme solennel et métaphysique, de celui qui est fievre de vi, instabilité anxieuse, et de celui qui a sans doute les plus vieilles com, ités de race et de religion dans les pays d’Occident, que je ne saurais mieux définir si ce n'est comme un sens podtique de la libéralité du monde, —celui qui entraine le Quichotte A libérer une troupe de prisonniers parce qu'on les emméne colt ils n‘aiment pas aller, celui qui fermente, généreux, gouailleur, astucieux et débrouillard, dans le bas peuple francais, Ii ot on n’en a pas fait une masse. Mais le pittoresque nous entrainerait bien vite hors de essentiel. Nous nous attacherons bien plutat & saisir, sous ces arabesques de vie, le courant métaphysique central qui les relic finalement &' une méme attitude devant le destin de l'homme. " Métaphysique » peut paraitre un peu gros. Les polé- nistes de Tanarchie sont souvent moine philosophes qu'ils ne s‘erKdonnent I font au surplus de la bien mauvaise philosophic. Et cependant, auprés des marsistes et de leur sérénité pédante, ces diables dhommes sont des inspirés + Les problémes 'moranx et religicux les fascinent, leurs thases les brilent, leurs combats les consument, Pendant que les sociaux-démocrates finissent leur carriéxe parle- rmentaire par un grand enterrement de masses, ils exachent leurs poumons dans les stations suisses ou meurent soli- ites au bord des lacs lombards. Moraistes il sont tou- jours, plus que doctrinaires : c'est ce qui laisse souvent pas- ser dans leurs analyses tant de vérité humaine & travers les Alucubrations idéologiques les plus extravagantes. Mais, ‘méme quand ils font de la critique morale et politique, ils Ia font au déf, et aiment a la zébrer d'éclairs jaillis de leurs combats titanesques avec le ciel. 128 (EUVRES LBS TITANS A L’ASSAUT. Car cest @ Dieu méme quis vont en combat singulier sur les hommes, de toutes les aut potestas a Deo, proclame la tradition chrétienne. C'est bien la source de tous nos malheurs, riposte Bakounine : « Toute aurorité temporelle ou humaine procéde directement de Yautorité spirituelle ou divine. Mais Vautorité cst la néga- tion de la liber:é. Dieu, ou plutét la fiction de Dieu, est donc la consécration et la cause intellectuelle et morale de tout esclavage sur Ia terre, et la liberté des hommes ne sera complete que lorsqu’elle’ aura complétement anéanti I fiction néfaste d'un maftre eéleste » *, Ce n'est pas tant & Diew comme idée, comme mystifcation de Tesprit quills en ont. Leur offensive contre Dieu n'est pas essentiellement, comme celle du marxisme, une démarche scientifique, une négation, elle est une révelte d’hommes, une insubordina- tion. Si Dieu était démontré par l'économie politique, on peut penser qu'un bon marxiste s'y ferait la longue, quitte & derire une thése sur infrastructure de la Trinité. Le duel nen serail que plus féroce pour Bakounine : « Si Diew cexistaitréellement, il faudrait le faire disparattre »*. Le rapport de Dieu & homme, dans le schéma que les anarchistes prétent au christianisme, va nous livrer l'essence mortelle de l'autorité, Feuerbach est tout proche. L'état de subordination, ot ils dénoncent le rapport religieux lé- mentaire ®, Proudhon et Bakounine le raméhent, eux aussi, une © aliénation ». Le fondement de toute religion, dit le premier, est le méme que celui de la tyrannic, c'est «la déchéance de la Personnalité au nom de la société >, L’ar Iyse de Bakounine eat restée le plus fdquemment démar- cquée dans la littérature anarchiste. Quelle est l'essence de 1, Dinwet Eta, C1, 23. 2. Empire Kroato-Germaniae, 1M, 48. 3, Proudhon allt jnu'h popoter de redso ane nouvelle dymsogie lig avon designe par division le, sgiferst Gabor’ incision carpe reveence, cout, eellesionn {Jeste, ET, 56). 4 Jie, 1,2. ANARCHIE ET PERSONNALISME 129 Ja religion > « L'appauvrissement, Vanéantissement et Trasservissement systématiques, absolus, de humanité au profit de le > Quelle est la gentse de cette ustr- pation ? En comprendre le processus sera le seul moyen dy parer. jeu est la condensation abstraite de lidée d’univers spirituel. La question revient done & se demander : com- ‘ment, dons un univers purement matériel (c'est le postulat) 'idée d'un monde purement spirituel a-t-elle pu naitre ? L’homme, animalement, instinctivement, se sent comme individu passager en situation d'absolue dépendance vis-A- vie de léternelle et omnipotente nature : voila I'étofle du sentiment religieux. Il est déjd virtuellement présent dans animal, mais seul homme a conscience de sa religion. Sa premitre réflexion porte sur cette dépendance de sa nature, sa erainte l'ageandit jusqu’a la démesure, sa faculté d’abs- traction, affolée par ce fantasme, Ihypostasie de manitres diverses : Dieu est né, il n'ya plus qu’a l organiser. L'imagi- nation et la raison s'entrainent alors l'une l'autre : comme les enfants, Yadulte développe son réve au deli de toute limite ; dis qu'il se découvre une force ou une qualité, il la Iuj attribue, et en déposséde son humanité ; sa raison en méme temps, abstraction en abstraction le conduit & abstraction supréme : «un seul mot, une seule abstraction : TEtre indélerminé, cest-i-dite Vimmobilité, le vide, le rant absolu — Dieu *, Dicu « Léviathan », Néant absolu et Pouvoir absolu, «abs- tractum absolu » et « spoliteur ebsolu », éerasant un homme dépouillé de toute humanité, abati & force de se nier et de se soumettre, et contraint, puisqu'll nest plus rien par lui- me, d'abdiquer une obéissance, ilimitée et passive entre leg mains des représentants autorisés du Dieu potentat VEglise et I'Etat, Ceux-ci_utilisent pour la domination des ‘masses un mirage auquel ils ne eroient plus : église et caba- ret, les peuples oublient leur servitude dans ces cabinets du fantastique. Si lidée religicuse résiste méme chez des pen- 1, Felton, scale, anithelesiane, 1, 62. sph ili. 97 1 Engi KrteGermanis, 40, Eon 9 130 EUVRES seurs honnétes et indiscutés, il faut en attribuer la vivacité ce sentiment animal de dépendance qui Venracine dans notre chair méme : seule peut nous en délivrer une science pleinement positive, montrant l'existence de Dieu ineompa- tible avec luniverselle immanence des lois dans le mouve- ment sans commencement, sans limites et sans fin de la nature, qu'on ne saurait totaliser ou centraliser dans une volonté. En attendant, l'opposition est irréductible, de par la faute méme des spiritualistes, entre Dieu et l'homme : «En divinisant les choses bumaines, les idéalistes aboutis- sent toujours au triomphe d'un matérialisme brutal. Et cela pour une raison trés simple : le divin s’évapore et monte vers ‘2 patrie, le ciel, et le brutal seul reste réellement sur la terre» "Il ne reste plus alors qu’ opter entre deux posi- tions Dieu est, done 'homme est esclave. Lihomme est intelligent, juste, libre, — done Diew existe pas. Nous défions qui que ce soit de sortir de ce cercle, et maintenant qu'on choisisse » *, — « Un chrétien n'est pas tun homme, dans ce sens qu'il n’a pas la conscic manité, et que, ne respectant pas la di soi-méme, il ne peut la respecter en autrai » ®, Le théologien chrétien discernera peut-étre dans cette révalte un écho du Non seroiam, un refus plus fondamental que les raisons, et qui s‘obscurcit de raisons pour se masquer tune décision radicale de la volonté. Mais ce n'est pas ici notre affaire. Nous avons & nous placer seulement en face d'un appareil rationnel, et des conséquences pratiques qu'on y rattache. Or, & prendre les choses en cet état, il est bien Certain que si telle était la conception que le christianisme se faissit dee rapporte de I'homme 4 Dieu et de lautorité divine sur les personnes, la premiére démarche de tout humanisme devrait &tre en effet de l'sbolir. 1. Ergin. 66, 2, Pedeaimes., C1, 64 3. Dias ef PEt, G1, 280. ANARCHIE ET PERSONNALISME 131 LA DIALECTIQUE MALHEURBUSE DU POUVOIR, Nous en dirions autant de la représentation que l'anar- chisme se donne du pouvoir politique. Proudhon méme, au moment de sa critique anarchiste la plus radicale, reconnalt ‘existence d'un ordre naturel of le pouvoir a sa place, Mais ce pouvoir naturel n'est pas séparé de la société, c'est-a-dire de la collectivité vivante et spontanée des hommes, il fait corps avec elle, il lui reste immanent, subordonné quill se trouve & toutes les forces collectives dont il est la résultante. Vienne une conception qui soutienne « que I'éme humaine, vide et ténébreuse, sans autre moralité que celle de I'égoisme, est incapable par elle- méme de s'élever & la loi qui régit la société » : on requerra, pour I'y incorporer, un pouvoir brutal d’assimilation, Il n'a pas échappé & Proudhon, on le voit, que tout auto- ritarisme est lié & une conception pessimiste de l'homme. I ne fait pas de distinction sur ce point entre le christianisme et le communisme autoritaire, entre IEglise et I'Etat, cons. tituants indivisibles du gouvernement : leurs dogmes si daires sont la perversion originelle de la nature humaine, Vinggalité essentielle des conditions, la perpétuité de I' tagonisme et de la guerre, Ia fatalité de la misére. D'od se déduit, pour Je salut d'une humanité ainsi impuissante, la nécessité du gouvernement, de l'obéissance, de la résigna- tion et de la foi. « Pour dire toute notre dons les institutions politiques et judi forme exotérique et concréte du mythe de la chute, du mystére de la Rédemption et du sacrement de pénitence » + On protestera que l'Eglise catholique (la seule, selon les anarchistes, qui ait avoué sans biaiser le lien du théisme & Tabsolutisine) a toujours condamné une conception de la chute oit la nature humaine serait radicalement souillée et Btn tin, Mane a Yi ee, on ase 2 flee gente encore Jie sénrle, E98, Jac 1 Sih, 317 Batoonise repend ie mame theses Tat Ein a tart thu ott eatactertigue et fndamenta— tnt Et, comme tnt thea lorie, suppose Thomme exsentellement méchant et maaaie © Fdivalioms, 132 (EUVRES Aésarmée ? Hélas, Fhumeur janséniste est tenace + fumant aujourd'hui encore a travers tant de sermons, elle n'avait cessé, au cours duu XIX? sigcle, d'encrasser une importante linérature apologétique. Le romantisme ne faissit que échauffer : plus Tes uns poussaient au Iyrisme, plus les autres sombraient au chagrin *. La réxction contre les mythes individualistes de 89, de son c0té, donnait& la théocratie un renouveau de vigueur : la théologie morale de Tapareli, qui faisait alors modele, en est tout encombrée dans ses envo- Ties, et non de la moins passionnée ! Tout cela donnait aux affirmations chrétiennes sur homme et le pouvoir un accent, sinon un eens, propre & favoriser les contre-sens proudho- Que résulte-til de ces données ? Cette force collective que Phomme déchu ne peut soutenir ou créer, cette cohé- sion du corps social, on la cherchera hors et au-dessus de Thome, dans une aliénation de l'indépendance de chacun et de'la force collective totale de la société au profit d'un pouvoir personnel qui se spare delle, se ramasse sur un individu ou sur une caste, et opprime du dehors le reste des hhommes. Au ¢systtme de la prérogative personnelle ou du Dror se substitue alors le ¢systéme de la déchéance perzonnelle ou du NON-pRott » ®, au régne du droit le réane du pouvoir, &Van-archie, Vautorité. Le pouvoir ne naft plus de la société et pour la socikt il Ie eréey il la tent & son bon plaisir. Et on sait ce que parler veut dire : «le pouvoir est par nature étranger au droit : c'est de la force » ®, Impéri liste & Textérieur, tyrannique a lintérieur par sa pente méme. Le mérite de la littérature anarchiste est de nous avoir Iaiseé,jointes cette vision cosmique de la gentse du pouvoir, de pinétrantes informations sur cette lourdeur fatale qui 1, Proudhon, i et veri, au maine une fois connut de fort pbs Texacte osirin extholigue miele péché gine. lle donne en appendices xm cha fre de fete, sin qu'on ne Te erie pat Senoe ou de mauvate ft conscience ou pansion, i ete de ce corre aucune révision dese conch 2 Fast, 395. 5 Bid, 1, 363. ANARGHIE ET PERSONNALISME. 133 Fentraine & ‘oppression et sur cette vertu corrosive qu'il porte dans le cour méme de ses privilégiés. ‘Coté gouvernés, le pouvoir abétit, dans toute la mesure ot, il établit un clivage entre des éléments actifs et des individus a peu prés passifs, dont l'béissance devient simple cexécution mécanique. Les partis renoncent & juger et s'en apportent aux comités ; bientét les hommes méme renan- cent & leur humanité. Proudhon n‘a cessé, contre les opti- mistes de la révolution, de dénoncer ce danger : les hommes. ui ont le plus besoin de liberté en raison de leur détresse sont ceux-mémes qui, en raison de leur ignorance et de leur lassitude, aspirent aux formes sommaires de l'autorité. Ceest le peuple, quand il est bien avili, qui réclame le tyran, Crest en ce sens qu’Alain a pu dire : la résistance au pouvoir rend bon. Elle est aussi un signe de santé, Mais il est un niveau au-dessous duquel elle ne trouve plus de ressort. Voulant rendre sensible au tzar, dans sa Confession, le déses- poir du paysan russe, Bakounine lui détalle I'échelle d'op- Pressions qui le surplombe : chacun y a ses compensations, opprimé par le supérieur, opprimant Vinférieur ; seul le paysan regoit tout le poids de l'appareil sur les épaules, sans recours, sans dialogue possible avec le dessus, sans échap- patoire vers plus bas que lui. Crest encore Ia condition du simple soldat dans l'appareil de guerre. Chaque fois qu'un pouvoir laisse ainsi se détacher de lui toute une zone dhue manité — et les anarchistes pensent que c'est la fatalité de tout pouvoir — il est condamné par la dignité méme de homme. Il prépare, il justifie une explosion qui reste la seule issue possible & trop de désespoir, & trop de solitude et de dégradation. Cété gouvernants, comme dit Alain, le pouvoir rend fou. Crest un des leit-motiv de anarchie, Vadresse des semi- Tibéraux et de tous les anarchistes-mais, qu'on ne fait pas, dans son eeeur, au pouvoir sa part, que toujours, quelle que soit son origine et quelle que soit sa forme, il tend au des potisme. «Rien n'est plus dangereux pour homme que Vhabitudede commander », d'avoir taison.(Le vrai chef, disait ‘écemment un apprenti-dictateur, est celui qui ne consent jamaisaadmettrequ'ilaittort). Gouvernements, académies, les 134 uVRES plus rouges y perdent « cette énergie incommode et sauvage ® ‘qui fait 'homme libre, ¢ L'instinet du commandement, dans ‘son essence primitive, est un instinct carnivore, tout bestial, tout sauvage..,Sil est un diable dans toute l'histoire humai Cest ce principe du commandement... Lui seul a produit ‘ous les malheurs, tous les crimes et toutes les hontes de histoire.» II s'agite en tout homme: «le meilleur, le plus intelligent, le plus désintéressé, le plus généreux, le plus pur se gitera infailliblement et toujours & ce métier. Deux sentiments inhérents au pouvoir ne manqueront jamais de produire cette démoralisation : le mépris des masses popu- aires et Vexagération de son propre mérite. » Ces meilleurs, ces purs, se duperont sur eux-mémes en pensant travailler pour le bien de ceux qu'ils oppriment ?, D’ot vient la dépra~ vation? Deabsence continue de contréle et d'oppesition : Ta situation la plus propre & tourner la téte du moins per- verti des hommes. Le plus libéral, s'il ne prend garde de souvent se retremper dans I'élément populaire, de provoquer ui-méme la critique et opposition, y change bientat de Tl faut done revenir au * pouvoir naturel », celui qui est antérieur & ce processus d'aliénation et de centralisation. Tl n'est plus méme légitime de 'appeler pouvoir : ' force collective », dira Proudhon & qui Ion doit le meilleur appa- reil intellectuel dans cette définition de l'état dan-archie ¢ ala fin de son ceuvre il précisera : erégne du droit ». Esprit ppuissamment synthétique a travers des tourbillons de désor- Are, Proudhon relisit solidement sa critique du pouvoir & sa Togique générale ®, Depuis Hegel —la maladie nous reprend, aujourd'hui ~ tout penseur se fit cru, déconsidéré s'il ne marchait par thése-antithése-synthése. Proudhon refuse lordre de marche. Quelque temps, il a cherché aux contradictions économiques et aux contradictions pol ques Ia solution d'un « principe supérieur » II y renonce bientét. La réalité est « oscillation et antagonisme suscep- tible d'équilibre », mais d'équilibre tendu et vivant. Toute 1, Baxounme, Fadia Bown Le Jatizey Guv-Gnino a Ta fi, 1,196: Empire. 11,33; Prtetation.. VI 17. sim’; Prine fiat, 30, et Vitroduci de foe la yf 104 ANARCHIE ET PERSONNALISME, 135 synthéso, tout moyen terme (ailleurs, il fonce sur le syllo- sisme) n'est quiartfice, abrégé, confusion ; ils masquent et compriment un antagonisme (écond de forces ou d'idées qui navaneent dans l'tre qu'en continuant de s'opposer dans, leur intégrité et dans leur hostilité. Toute synthése est un intermédiaire géneur. Crest ici que nous rejoignons le politique. Lequel a influencé autre ? Quand il s'agit de Proudhon, on est tenté de penser qu'il a plutét pensé la logique en poiticien que la politique en logicien, mais sait- jamais dans une téte en pareille ébullition ? La synthése, va-t-il done dire, est gouvernementale: elle est cette abstrac- tion sur les libres réalités qui s'arroge le pouvoir de les régenter, de les plier & une unité factice, de gré ou de force. Mis elle est condition de Funiverealité? —Pseudo-uni- versalité. Le régime communal de la belle époquc, au moyen fge, offrait un trop magnifique exemple d'une universalité urement spirituelle eppuyée & un régime de petites collec- tivités spontandes : Kropotkine, entre autres, I'a abondam- ment exploité#. ‘Au droit de Pautorité et de la subordination, & une méta- physique de la totalité, & travers lesquels il voit le chemin tracé & la politique de Etat totalitaire, Proudhcn oppose Te droit de l'égalité et de la coordination, Le fondement en est Tidée de jutice. Lidée de justice (faut-il encore dire # idée » 2) est le principe affectif central dela sensibilité anarchiste, et celle-ci en imprégna la sensi- Dilité ouvriére jusqu’au moment oi les idles beaucoup moins authentiques apprises du marxisme scientifique sont entrées fen concurrence avec elle. Au premier abord, elle présente chez Proudhon aspect séchement mathématique d'un simple équilibre de compensation. En réalité elle est chez Proudhon, comme dans tou le mouvement ouvrier, une passion profonde, un visage de Dieu gue les mots restent aladroits & définie ®, C'est elle qui fait que le probleme 1. Poraes dam root, Flammarion, 105 « 'Enteid, Hachonts, 13 2. Yoon Simo, dan une ae de loca ot Vetere (Frboure,jill-sep, 38, cite co fngmont net 5* cnmet + D'oh me went ete pasion dle osc, ‘gu mention et erie et rrindigne 2.. Je ne puis men rendre compte Gelman Dieu. ro rlsion, on toute x Fenteprenda de le jester pat eoon pllovophique iene le prox pas.® Nien fll pr alleure (Caper 458) Te Parale annonce par sue Chie ? 136 (EUVRES anarchiste ne se pose jamais comme un simple probléme de fait, de forces, d’évolution, mais d'abord comme un pro- bleme de homme. Enracinge au car de Phomme, elle y a, comme l'entendement, sa vie propre, ses notions fonda- mentales, ses formes innées, ses anticipetions *. Sibjective- ment regardée, elle est le sentiment par lequel je sens pour ainsi dire mon’étre et ma dignité dans les. autres, une sorte de sentiment rationnel, impersonnel et eependant fervent dont la parenté avec le «respect » kantien ne font pas de Objectivement prise, elle est, en opposition a la subor- partiale et outrageante du pouvoir, le seul systéme d'équilibration de forces libres * et V'ordre méme de réci- procité qui convient & des hommes d'équivalente dignité humaine + « réciprocité do service » et «réciprocité de res- pect », c'est antique talion, mais retourné, et installé dans les eeuvres de collaboration humaine. (On # rompu beaucoup de lances inutiles contre les absur- dités de I'ézalitarisme. Elles sont moins fréquentées qu'on ne croit. A leur époque déja Proudhon et Bakounine devaient protester non sans impatience de ce qu'ils n'avaient jamais 1ié les différences naturelles des hommes (des anarchi il faudrait voir ea !) et préciser & qui faisait la béte qu demandaient seulement la suppression des condition essentielle pour que les vraies capacités individuelles découvrent leurs possibilit€s ou leur impuis- sance *, Ils avaient méme limpudence de s'appuyer & une exigence morale : « C'est le propre du privilége, et de toute position privilégie, écrivait Bakounine, faisant écho & ses considérations sur le pouvoir, que de tuer T'eprit et le cur des hommes. L’homme privilégig, soit politiquement. soit éeonomiquement, est un homme intellectuellement et rmorelement dépravé. Voild une loi sociale qui n’admet aucune ‘exception et qui s'applique aussi bien & des nations tout centitres qu'aux classes, aux compagnies ot aux individus. Crest la loi de I'égalité, condition supréme de la liberté et de humanité »*, 1, Jee, ., 68, 8 2, Ci pr ex: Protonon, Capac, 120»: Baxoonme, CIV, 149 + Feirlime, 1,58 3 Bmore. 153, ANARCHIE ET PERSONNALISME 137 Une société dott toute subordination est exclue ne com- Porte plus que des rapports de coexistence et de coordina- tion. Ici comme dans l'univers, le centre est partout, la circonférence nulle part * ; comme I'univers s'est débarrassé de Diew et de principes premiers pour se résoudre en rap- ports, la société doit se deberrasser des pouvoirs pour se résoudre en échanges : commerce, mutualité, assoc contrat remplacent les relations de commandement, d'obéis- sance et de législation, un réseau de relations immanentes apparait sous la transcendance » des. gouvernements, Ta société » se délivee de Etat, Désordre ? Ils le nient. Lrerreur de tout principe autoritaire c'est de croire que le gouvernement est la cause de l'ordre alors qu'il n'est qu'une espice de Vordre, et non la meilleure ®. Le mot de contrat pourrait trahir la pensée de Proudhon, en laissant croire & un ordre purement formel et extérieur. Non, le regne du con- trat? découvre un ordre plus profond et plus intime que le régne du pouvoir : dans un régime de gouvernement, Ie gouverné alitne néeessairement une partie de sa liberté et de sa fortune : dans le régne du contrat le citoyen. & chaque opération d'échange, est présent dans un intérét bien per- sonnel et bien réel ; Tordre est a sa mesure, il est & hauteur de 'ordre, lordre collectif n'est que sa volonté répétée & Tinfini : toute hétéronomie est exclue de la société. Si Fautorité n'était autre chose que ce que nous voyons ici dépeint, si le pouvoir n'avait d'autre forme possible que cette pression sur les hommes d’un appereil déshumanisé, il ne faudrait voir dans la critique anarchiste que la réaction violente et saine d'un personnalisme outragé. Et les situa- tions historiques sont telles qu'elle a en effet &té cela, ou du moins qu‘elle a plus ou moins bien tenu cette place dans la pensée ouvridre. En la suivant dans le détail nous verrons 1. Prouonon, Calibration de dimanche, 32 2 He intra. n, E, 202. 5, Rappelone que le content sacial de Rousse a ren de commun avec le rigime contract! de Proudhon. Contat sane contenu eastoreat tat arbitra, dermare invention des gouvernement, anation consent et ‘reams, Proudhon we jamais cae cont le. Voted, 1 138 (EUVRES que si, dans ses formuies de base, elle a lourdement bousculé la vérité historique, la peychologie de homme réel et les cexigences de la pensée, dans ses analyses morales et politi- ques elle se montre d'une sagacité qui la met sans conteste 8 Tavant-garde de la pensée socialiste. Ses ennemis sont des ennemis réels et, somme toute, ses fléches partent dans la bonne diréttion. La question est de savoir si elles n'at- teignent pas plus loin que le but, si, en un mot elle n'a pas confondu l'autorité et le pouvoir avec leur caricature com- ‘mune qui n'est que la dépersonnalisation de l'une et de autre POUR UNE DOCTRINE PERSONNALISTE DE L’AUTORITE Nous n'avons pas la place ici de développer une doctrine personnaliste de lautorité, D'auires ‘ont ébauchée *, elle est encore bien loin d’étre au point, bien loin d’avoir intéaré et décanté toute l'expérience historique, bien oublicuse souvent, devant les fats, de ses exigences premiéres. Nous y reviendrons plus tard. Jetons seulement quelques traits sur le papier, suffisants pour y prendre référence des doc- trines dont nous nous eecupons. I faudrait partir d'un vocabulaire strict. Ilya, sur le mot Aaucorité, une ambiguité que mettent en valeur ces deux phrases : «Il a de 'autorité sur ses camarades », et : «Les autorités sont arrivées sur les lieux ». Dans lo premiére, autorité équivaut & un ascendant personnel, & un empire, dans le rayonnement duguel n’entrent nulle contrainte, peut-8ire méme nulle intimidation ; dans la seconde aufo- 1ilé sidentfie & un pouvoir de contrainte, voire & sa repre 1. Les dacosion autour du moderniame ont amoteé un renouvellement au probleme, en forgat des tees tadonnaiy, um pe raion se price aba renoveee I rete beucoup & fev faudeat conde hommese Seni bien ds hommes comme le P. Labetbonnitr, dant le srt deol ‘eat ce de poser tour le problemes crus de ce temps avec une Par ‘leche que eichirest rulhcurevement den hier, dev prejves der een LGnens et autres cepts au, sve un sen remarquale dele dnt dee fmmexet dele catinitéde la recherche preteen, chague fis quun eflert, gc fcc en perp iain Te elu toe de Frcebler sour eer erreur, ANARCHIE ET PERSONNALISME, 139 sentation matérielle, Entre les deux le mot oscille entre Vindication d'une prééminence spirituelle, et celle d'une pression toujours plus ou moins extérieure au sujet (au sens oi 'on dit par exemple un argument dautorité). Cette hésitation ne viendrait-elle pas d'une incertitude de pensée ? Les uns, parce que tout pouvoir pise et mal- méne des hommes libres, sont tentés de refuser & Pauto- rité spirituelle tout contact avec les moyens lourds qui relé- vent du pouvoir, et forcément, par lui, de quelque manitre de contrainte. Les autres, qui ne voient que I's Cesti-dire des pouvoirs en lutte, rejettent I’ nuées. Angélisme, machiavélisme, l'homme est teahi li, dans des abstractions complémeniaires. Dans le monde coneret, humain, oi l'esprit est étroitement uni a la chair, il n'est pas une autorité qui ne se traduise, pour des hommes tirés em tous sens par des tendances discordante gue espice de contrainte, pas de pouvoir qui puisse se légi- timer, et méme durer, sane une autorité qu'il exerce, mais, ne crée pas, Pour aire clair, il faudrait done distinguer Vautorité, fondement du pouvoir : prééminence d'une existence ou d'une valeur spirituelle du poutoir, instrument visible de 'autorité, tenant d'elle sa valeur et la loi de son exercice, non exclusif d'une cer= taine contrainte quoique tendant, par destination spirituelle, 4 s'en expurger toujours plus complétement ; enfin de la puissance, matériaisation du pouvoir, résidu du pouvoir quand l'autorité s‘en est retirée, simple syno- nyme de la force. Liautorité est transcendante au pouvoir, mais dans son jeu normal n’en est pas séparée. Le pouvoir peut survivre 4 Tautorité qui I's un moment justifié : il est alors déchu aut rang de simple puissance. Le pouvoir n'est jamais entire ment pur de toute puissance. L'autorité est absente de la puissance, incompatible avec elle: la puissance est dela con- trainte pure, sans autorité, ou dela contrainte debordant et bafouant Fautorité qui la met en branle. Toute la com- plexité —et l'ambiguité fréquente —des situations concrétes nait de ces distinctions mélées & ces intrications. 140 (EUVRES Sill n'est de spirituel que personnel, il n'est d'autorité ‘aussi que personnele, Sil est convenable & une personne d’ tre subordonnée, elle ne peut létre & moins qu’elle-méme, & un appareil, & une régle automatique. Elle ne peut méme pas Ttre a la simple totalité des personnes, constituée et déta- chée comme tout : car les personnes ne sont pas totalisa- bles de cette maniére mathématique, et une telle totalité ne se comporte pas autrement qu'un appareil ?. Ce Diew que décrit Bakounine, abstrait des forces cosmiques par la faculté logique la plus impersonnelle de homme, ce pou- voir selon Proudhon, qui n'est qu'une émanation des forces collectives, une vertu sortie de l'homme mais détachée de lui et retombant sur Iui de toute son inertie, ce sont des puissances oppressives, ce ne sont plus des personnes, sin- gulitres ou collectives, capsbles d'autorité, Bakounine ceroyait de Vautorité quelle coincidait avee le minimum d'2tre ou le Néant, Mais non: le néant est le liew de la ince. L/autorité s'attache au maximum d’@tre, qui est Pétre personnel. Elle est alors inéluctable. Enire des vidus dont les rapporte ne sont que des intéréts, il n'y a gue des équilibres horizontaux ; entre des personnes dont Te mouvement de vie est un mouvernent en hauteur, il y a dinévitables différences de niveau, d'inévitables ascendants. Une autorité personnelle et s'exergant sur des personnes ale devoir de ne le faire que selon des rapports qui ne trou- vent nulle part ailleurs leur équivalent. Une autorité n'est pas automatiquement condamnée par ce quelle ferait usage autres méthodes que celles qui sont exigées par un univers de personnes, elle en est incontestablement diminuée, au gence implique ? Comment définir ces rapports ? ‘S'agit-il seulement pour le pouvoir de s'adapter & l'indi- vidualité de ses assujettis et aux caprices de leur libre arbitre > Ce serait une fois de plus confondre la personne avec les vicissitudes empiriques de la « personnalité ». Si le 1, Paouowon, Capt del clase enor, Dent, p. 193 # Ce gut 1. Voir sur ce point ditérasntes marques historiques de René DUPuis ana Ordre need 13 sa 136. 144 UVRES Il convient de rappeler ici en deux mots Ia position du chrétien, notamment du catholique, puisque Bakounine s'en sert comme reasort de toute sa critique. Quand il affirme ue tout pouvoir vient de Dieu, il entend dire que tout pou- voir autorisé, conforme au plan de Dieu, qué comporte la dignité de homme, est une fraction de autorité de Dieu. Cest nnaitre le sens traditionnel de cette formule que de lui faire baptiser tous les pouvoirs de fait (toutes les puissances dirons-nous),et,enceux-mémes qu'elle autoris¢ou tolére,tou- tes leurs initiatives. Non seulement elle ne s'oppose pas & ce ‘que lautorité,divine en son essence (ce qui exclut qu'elle soit exéée ex nihilo par Ia seule volonté des individus qui acceptent), puisse, dans le mode d’ection de ses mandants, tre conférée au corps social tout entier (a la « base ») * ; ‘mais, & cette base faite d'un vivant tissu de personnes, elle donne une muralle infranchissable de garanties, pouvant aller jusqu’a recueillr en elle Vautorité supréme abandonnée pr Ie tyran et s'en revendiquer contre lui, jusqu’a la vio- lence dans les situations extrémes. Une telle charge ne peut suceéder 4 une totale aliénation. Tout le mouvement du christianisme est pour détendre la puissance sous I'escendant de l'amour, pour pénétrer l'autorité de service et le serv d'amitig, pour assurer la réponse personnelle de l'assujetti, pour entretenir sa conversation avec le pouvoir. ¢ Je ne vous appelle plus mes serviteurs, mais mes amis »,¢ Je suis avec vous jusqu’a la consommation des sidcles » : Vautorité spi- rituelle ne se sépare pas, naligne pas, elle ext avec, et éleve. Ces conditions que, pour le chrétien, Diew Iui-méme a respectées, en donnant & un étre « semblable & i> la liberté rméme dele nier, qu'il respecte chaque jour dans le secret de notte vie intérieure, va-t-il en dispenser les seuls pouvoirs temporels ? Crest bien mal connaftre le christianisme que le 1. Apr es longa débats qui ont oppoat les thslogiens eathaliques 2 le fondameat de a mora, irc entre eux, option libre, une fix ‘imi [nation par Drew de toute autor legit, = it que, poot Ie ‘edgnation dex gouvernement, elon ky ercostences historique, Pastarte Dut ttre conlerce immédintement pag Dies nu corps soil tout enti, gut Etranmet su rourernants aot quelle ne conesre ue lee gouvermants ‘uicmbmes I lecion fant ane simple déignation préable bane inttaton Fart ANARCHIE ET PERSONNALISME 145 penser. Bakounine comme bien d'autres, quand il pensait ‘ transcendance », s'est laissé piper & une image toute maté- rielle qui identifietranscendance & extériorité, & hétéronomie pure. Certes il nous reste sur la condition de homme suffisam- ‘ment de pessimisme pour ne pas faire & la contrainte une part inévitable : dans an-archie v de sociétés spontanées, ce nest pas seulement la diversité des personnes qui tire & droite et & gauche, mais linstinct de puissance, danarchie (Gans trait d'union cette fois) et d'oppression qui fermente fen chacun ; pour promouvoir le bien de tous et la liberté de chacun, pour coordonner les moyens d'action quand la divergence des initiatives risque d'en neutraliser V'efcacité, pour protéger chaque personne contre ceux qui seraient tentés d'user d'elle comme d'un moyen, une contrainte est dcessaire: laliberté qui traite la liberté d'autrui comme une chose n'est plus libsrté, ce n'est plus de l'esprit que Ion blesse en faisant pression sur elle ; et méme dans son bon. usage, la liberté doit sacrfier & nos communautés impar- faites qui ne peuvent intégrer toutes les possibilités de tous. La frontitre est toujours incertaine, la mesure toujours difficile, entre la contrainte qui sert la personne et celle qui commence a la brimer, entre la liberté qui Vexprime, et celle qui la compromet : la cité personnaliste est une cité fragile, comme un corps vivant, comme la grace est fragile, ef c'est sa_grandeur. La puissance des monolithes, dont se prévaut Etat totalitaire, ce serait trop dire encore que c'est une grandeur de chair : une stupidité de pierre et de ciment dont on fait gloire & une cité d’hommes ! L'Etat personna- Tiste est un Btat faible, au sens oft 'humanité est faible devent la violence, oit la loyauté est faible devant le eynisme, cit la vérité, parfois, est feible devant le mensonge. Mais eat-ce par hasard que la mort n'apparait sur ce globe qu’ Te régne fragile de la vie, et savait-il jusqu’ol portal paroles, ce biologiste qui définissait la vie «ensemble des forces qui luttent contre la mort >» Le plus génial des penseurs anarchistes, Proudhon, devait pousser sa réflexion jusqu'au point oi il apercevrait soar ry 146 UYRES le nud de toutes ces exigences * Il finit par reconnaitre, dans lautorité et dans la liberté, deux principes indigsolu- blement liés de ordre politique, l'un sans Yautre vides de sens. Tout régime politique lui apparait alors comme une transaction, un balancement entre les deux. Il accordait ‘encore au second plus de valeur spirituelle, et surtout le voyait croftre indéfiniment dang l'avenir au’ détriment du premier, mais sans que celui-ci puisse jamais disparaitre. Pour que le contrat soit synallogmatique entre le citoyen et Ja société, il suffit que le citoyen se réserve individuellement, cen formant le pacte, plus de droits, de liberté, d'autorité, de propriété qu'il n'en abandonne, au fond qu'il garde barre sur la société. Lorsqu'il commenca & parler de fédération, ce n'est plus autre chose que Proudhon entendait par anarchie ® L:HISTOIRE DES ETATS. MARTYROLOGE DU PEUPLE Autant il nous est difficile de suivre dans ses formules idéologiques lo critique anarchiste du pouvoir, autant, dane le détail de ses analyses, qui courent, celles-ci, beaucoup plus proches de l'expérience ouvriére, nous trouverons de Fichesse et de sagacité. La critique de Etat en est la premitre pitee. Vieille tra- dition, Lathe Sylvain Maréchal, dans le Manifeste des Egaux, hurlait déja en 1796 : « Disparaissez enfin, révol- tante distinction de gouvernants et de gouvernés !» L'Ecole saint-simonienne avait repris et placé l'utopie dans la juste atmosphére qui lentretint tout au cours du XIX® et la maintient vivante aujourd'hui encore dans les milieux les moins extrémistes qui soient. Les politiques, depuis des sidcles, accumulaient lee désordres et les ruines, et en étaient encore a discuter de leurs principes. Pendant ce temps tune méthode d'organisation des idées et des choses pour- suivait un succés infallible : ls technique scientifique et 1, Vse aumento penis pes By Prinibe ia 2 Inro., 68. a ANARCHIE ET PERSONNALISME, 17 industrielle. Pourquoi ne pas s'en faire un instrument uni- versel ? Demain les gouvernements des. hommes seraient remplacés par organisation des choses comme la méto- physique le serait par le aystéme des sciences et la force des bras par la machine. On crut le processus fatal, et l'anarchie fit sienne cette eroyance, qui donnait du sérieux a ses as rations. L'autorité, pensait-elle, est la vieille machine q encombre toute T'usine. Elle ne garde encore de raison d'etre que par les défauts de Vordre éconorhique, auxquels clle supplée plus ou moins Jourdement. Un ordre écono- migue parfait la rendrait inutile : «le producteur est la négotion du gouvernant, organisation est incompatible avec! autorité»".«L'unité purement économique et invisible » de la société ® sauve l'homme de l'oppression, comme pour les Réformés 'Eglise invisible et purement spirituelle devait Te délivrer des pouvoirs ecclésastiques Peut-dtre l'anarchisme se fat-il arraché & ses erreurs s'il tat alléjusqu’au bout de sa eritique, au lieu de se reposer dans I'utopie économique. Le gott du pouvoir, auquel il n'a laissé aucun répit, il Ta considéré comme un mal plutdt cextérieur & l'homme, dont il pouvait se débarrasser en retour nant a une sorte d'innocence qui n’était plus l'innocence sauvage et pastorale du bon Rousseau, mais une innocence savante et civilisée, celle d'une nature aux gestes compli- ués, enfin libérée de ses entraves. Sortant des contraintes esantes du viewx corporatisme, T'essor industriel n’éveil- Iait alors, il faut le dire que des images de liberté. Si Ton ait socialite, on attribuait aux hommes ce & quoi les néces- sités des choses avaient leur part. II était réservé & une expé- rience postérieure de révéler la tyrannie que lui aussi I'éco- nomique secrétait infaillilement, et de conférer au politi- gue une finalité nouvelle : protéger l'homme contre ses taquant & ce ressort de la tyrannie jusque dans le jew de l'économie la pensée anarchiste aurait pu renouveler |, Prouonon, Ide général, 198 2 Leapremion ext de PeOUdHON, dans Jes Cone ‘apendant parle de Ta rndve visible par un engne oper oe 148 (EUVRES ses thémes. Si elle ne Ia pas fait, restons-lui reconnaissants d'avoir poussé plus loin que toute autre la critique des fata- lites politiques. Calle-ci est moins désordonnée qu'il ne parait. Dans son opposition atxxpouvoirs,on n'a pas assez discerné la recherche d'une auforité veritable. Quel sens prendrait autrement opposition qu'elle fait, depuis Proudhon, entre I'Etat et la société, Ia société désignant tout ce qui s‘organise spontand- ‘ment dans la conscience commune et dans les forces collec- tives, — étoffe psychologique et étoffe économique de la —I'Etat évoquant une sorte de « sous-fonction »* subordonnée & la société, et tenant au surplus, sil n'usurpe pas, bien peu de place dans les innombrables préoceupa- tions des hommes. La société, avec 'ensemble de ses ini- tiatives, joue bien’ pour les anarchistes le rle d'une auto- i aient pas le mot, parce qu's auto- rité » était grevé pour eux d'un coefficient irréductiblement ‘pégoratif, mais ils pensaient la chose. ‘A tel point que ses lois ont beau étre rigoureuses, ils ne les sentent plus peser = il suffit qu’elles soient des lois « natu- relles», et nous relient, sans lintervention de volontés étran- aires, & la réalité de Punivers. Singulier lapsus de principe, sur lequel nous reviendrons ! Mais si grossier soit le natura- Tisme qui traduit ici leur exigence, il serait injuste de ne pas y voir un effort pour dévaloriser l'apparence, en T'espece le politique, dont Iinflation étouffe en effet les vrais problémes, et de chercher un terrain solide of poser homme et son destin. - Cette « société » n'est pas simple abstraction. [ls ont Iu Kropotkine, ‘que 'homme a véou des milliers années avant les Etats et les Empires. Leur Bible et leur Légende dorée, c'est cette souple et chatoyante histoire dont La science moderne et Canarchie, qui va des libres sociétés primitives aux communes de village, puis aux com- ‘munes urbaines, aux guildes et fraternités jurées. Elle se brise & la fin du moyen age par la conspiration du seigneur, du chef militaire, du juge romain, du prétre, du marchand 1. Le teroe ett de Prouonon, Capote. 200. ANARCHIE ET PERSONNALISME 149 et du roi, et fuse depuis, comme un feu souterrain, dans ces jacqueries sous-jacentes aux révolutions, et qui les secouent de temps & autre dans leur sommeil politique, sans les avoir jamais amenées encore & renoncer leur jeune force pour faire place a la cité perdue. Les vestiges de cette spontanéité méconnue restent le sang et la vie des nations. Le droit, la loi qui croient préten- tieusement leu? donner, en méme temps que la forme, l2tre, ont de réalité que ce qu’ils peuvent garder des coutumes précxistantes, défiguré par tout ce qu'ils y ont superposé pour la protection de la propriété, des castes et de l'appareil gou- vernemental. Vieille entremetteuse, la loi « transporte l'op- pression » de siéele en siécle, la garantit contre ses défail- lances, contre les poussées de la vie. Regardes : offre-t-elle les lignes simples et sereines de la justice ? Non : autant de rides contrariées que d’intéréts divergents. « Formation papyracée » étouffant les terres fertiles de_l'ingéniosité humaine, toile d'araignée tendue par les puissants et les riches, Proudhon, aprés Kropotkine, aprés Godwin, en fait la cible de son ironie * Eux aussi, les anarchistes ont donc leur tradition, Ia plus ancienne de I'humanité : ce n'est qu’a trés courte échelle historique, aprés tout, qu'il est permis de les prendre pour révolutionnaires. Mais il y a eu le mal, et le mal c'est Etat. Un mot résume son essence ; sous sa forme savente ¢ alignation, sous une traduction populaire : paras ‘Méme processus que dans toute forme de pouvoir : une inorité s'empare des affaires de tous, met la majorité sur Venclume, et tape *. Ds que ses organes sont constitués il se produit une sorte de repliement égoiste de I'Etat, Le mécanisme de transcendance » s'en saisit. Il décrite le bien et le mal selon son intérét, qui se détache de celuidela société. II ne peut plus tolérer de relation immédiate dhom- me a homme, devient envahissant, exclusif, bient6t tra- ceassier et inguisiteur. Cher au surplus, ajoute Proudhon, | CL Krorortn, Parle dun ea, 23» Proton, Ie ttle Ms 2, Baxounne, Confrence aux Ores, EV, 31 150 ‘EUVRES chiffres en main, et stérilement cher, sauf pour. ses favoris. Test & noter qu’Etat et capitalisme sont nés en méme temps au XV" sicle,ont évolué de pair, ménent les mémes guerres?, et gue finalement Ia centralisation, les places qu'elle erée, les influences qu'elle met en cuvre, «tout cela est bourgeois cet va au bourgeois »*, AT'extérieur, il ne connait que la li de sa force (les petits ne sont vertueux que par faiblesse) : 8 la fois absolu et illimité par définition, tout dans sa nature ‘est annexioniste, contrairement au régime fédéral qui est sans force pour la conquéte ®, Du patriotisme naturel, senti ‘ment tout local, et dailleurs purement instinctif et animal, ila fait, en le soufflant de politique, d'économie, de religion, tune sorte de passion monstrucuse gui pousse en sens inverse de la civilisation. ‘Tout cela n'est pas trés original, C'est quand ils aventurent cette critique commune jusqu’aux formes de TEtat qui sembleraient devoir y échapper, la démocratie et les gouver- ements révolutionnaires que les anarchistes innovent. Et ce sont ces avertissements qu'il est le plus opportun aujourd'hui de réveller. (On ne fait pas & Etat sa part : c'est leur tarte & la créme contre les démocrates et les socialistes centralisateurs Lui eéder une part de liborté pour assurer le reste, c'est supposer que la liberté est divisible : le reste, c'est de la sécurité, si vous voulez, ce n'est plus dela liberté ®, — Mais nous prenons la place, si nous renversons la vapeur, si nous utilisons en sens inverse de son fonctionnement passé cette merveilleuse machine rodée par cing sitcles d'expé- rience ? — Il ne faut pas renverser I'Etat, il faut briser V'Etat. Il n'y a pas d'abus du pouvoir, il y a le pouvoir, qui ‘sbuse par nature. Exploiter et gouverner,signifient la méme chose. Si vous montez sur la machine, c'est la machine qu Yous emportera. — Mais si en change jusqu'a la forme, si fen fais une démocratie, bien plus, une démocratie popu- 1. Knovornine, La sence madere et anarchic, 253, 2 Proton, La Federation p28. 5 Ino. Prine fed. 86 4 Bixouning, Ltr ae fternatinaus, CE, 1, 24 5 lel, Fedtalime. 14 ANARCHIE ET PERSONNALISME 151 aie? —Ce n'est pas une question de forme, mais de principe. «Gouvernement démocratique et religion naturelle sont deux contradictions, & moins qu’on ne préfére y voir deux mysti- fications » '. Le principe de Etat reste le méme dans toutes les formes de l'Etat. Un républicain bourgeois est blessé par la forme de la royauté oligarchique, il n'est pas blessé par le principe, puisqu'il n'a rien de plus pressé que d' blir sa république oligarchique. Les compagnons de Napo- Ikon ont été sincdrement uleérés dans leur sentiment * démo- cratique » & lui voir épouser une princesse de Habsbours. Comment faive changer aux Etats leur nature, alors que c'est par cette nature qu’ils sont Etats ? Laissons done l'utopie d'un Etat bon, juste, vertueux. Il n'est pas d’exemple dans histoire qu’on ait pu retourner une institution contre son idée. Le politicien qui trahit au pouvoir dit qu'il « état bien forcé » dagic ainsi, parle des «nécessités du pouvoir » : et il a. mille fois caison. Mais quallait-il faire dans cette alére *, Tout cela n'est pas si mal raisonné. On y éprouve tou- jours des hommes un peu systématiques mais qui ne se lais- sent pas piper atx apparences. Ils nous préviennent encore contre une derniére tentation & éviter : celle de croire au ral nécessaire del'Etat, cette sorte de timidité historique qui 2 amené toutes les révolutions 4 reconstituer la tyrannie *. Crest donc la condamnation de tous les régimes ? Voyons, LES Mt ES DE LA DEMOCRATIE MASSIVE. Laiscons les évidences et demi-évidences : autocraties, monarchies héréditaires et constitutionnelles. Restent trois formes possibles de gouvernement, qui semblent, elles, émaner du peuple : le gouvernement représentatil, le gou- vernement direct, les gouvernements révolutionnaires. D'un ‘nom collectif, les démocraties. |. Paovouon, ie sé‘rle, 208. 2 Nese surtout Kaororntni, Lianarcie ot [Eat 27 ., Baxoontn, Dice 1 PBtah 324 Empire 327s Lats den Prana WV, 93 5. Prowonn, le inca, , 183. 152 EUVRES Les critiques de la démocratie sont vite suspectes aujour- d'hui od, d'un peu tous cétés, des partis autoritaires annoncent sa mort. « Pas d'émotion au malade » est le mot d'ordre dans les milieux de gauche. Conservons-le, avec sa maladie bien dissimulée : il en serait trop secoué si on la lui révélait. Et puis, que dirait-on dans le quartier > — Cen’est pas le malade qui est condamné, ce sont les gardes- maladeset leur régime. Des hommes ayant un sens populaire authentique — les fondateurs, aprés tout, de l'idée répu- blicaine et socialiste dans ce qu’elle a de plus virulent, ont porté a la démocratie toutes les critiques que de petits jeunes gens distingués vous tirent aujourd'hui de leur poche avec des airs profonds. Il est temps de réhabiliter cette critique avec, & l'adresse des satisaits de gauche, sa hauteur de ton, et A Tadresse des satisfaits de droite, son vrai sens populaire. Ici nos auteurs sont inépuisables. Proudhon, le philosophe de la bande, va droit aux prin- cipes. Frappé peut-étre par la parenté des idées de volonté ou de pouvoir, ou par la lisison, de Rousseau aux Allemands, entre les conceptions autoritaires de I'Etat et une théorie volontariste du droit, il s‘attaque directement & la théorie de la souveraineté populaire: fondant le droit sur une volont fat-elle générale, elle I'établit d’emblée dans l'arbitraire car enfin, ou il faut obéir toujours & la volonté popu méme quand elle se trompe, et oit est la raison ? ou il peut tre dans certains cas du devoir d'un gouvernement de lui résister, et oli est Ia souveraineté inaliénable du peuple? La raison est la seule ragle digne de l'homme, seule elle gerantit V'autonomie de chacun parce qu'elle est la loi de tous et liberation pour tous. « La loi ne peut avoir sa source dans aucune volonté, ni du peuple, ni de ses représentants, mais bien dans la reconnaissance de la vérité par la raison »?, En fondant sa régle sur la volonté générale, la démocratie cst aveugle de naissance. Elle prétend prophétiser, sinon mettre en raisons, la volonté du peuple. Tous nos anarchistes ont un sens trés 1, Pricipe federal 6 2, Corespondens, 1, 178, 4 Beremans, 9, I, 840 ANARCHIE ET PERSONNALISME, 153 vivant, trés organique du peuple. Mais encore, par amour méme du peuple vivant, distinguent-is le peuple Iégal, celui qui s'exprime, du peuple réel. Que faudrat-il pour que le peuple légal exprimét adéquatement le peuple réel ? IN lui faudrait d'abord la capacité politique, c'est-i-dire : T° Qu'il ait conscience de lui-méme comme classe, de son droit et de sa foree, et les affirme. 2B Quil dégage et affirme son idée, celle qui lui donne un sens, une mission, des buts. 3° Quill sache en déduire les conclusions pratiques de tactique, de réalisations & venir, ete Le peuple a-t-il aujourd'hui ces trois capacités? En 1864, Proudhon, sur le premier point, répondait « ou second : “oui », mais confusément * ; sur le troisitme : «non *.Liintelligence politique des classes ouvriéres a fa des progrés depuis lors :les fascismes auraient-ils &é aussi aisément plébiscités si de ces trois exigences on avait pu, en 1920-30, affrmer la vitalité dans les principaux proléta- riats du monde ? Clest en idéalisant le peuple qu'on I's perdu, Sans se contredire, Proudhon pouvait erire a Madier-Monjan : « Vous avez le culte du peuple, mon cher Madier, il font absolument vous défaire de cette fausse religion... »* Et encore : Ce que nous entendons par Peuple est toujours et nécessairement Ia partie la moins avancée des Societés, partant la plus ignorante, la plus léche, la plus ingrate »?, En idolatrant cette ignorance, au lieu daméliorer le pouvoir, on le déprave : est-ce aimer le peuple que de flatter V'ebjection oit ses oppresseurs ont abaissé les. plus malheureux des siens ? Si démocratie est raison, démocratie doit se prendre d'abord au sens de démopédie, éducation du peuple *. Pour T'instant, humble jusqu'a l'effacement, il baisse les yeux comme une jeune file devant ceux qui le salarient et se dissimule sans dignité derrigre ses tuteurs. Rien n'est moins démocrate que lui: une sorte de gotit morbide de la tyrannie Te conduit par plusieurs voies & s'asservir. D'abord eet idée- sur le 4b Copel’ v1), do LXII652 2 Corponane, V, 112, do 7 3. A'Mare Dufreine, Corap. WV. 4 Ct Sete, I 168; Cores IV, & Ch, Edsnnd, 241, 52 154 EUVRES lisme instinetif oit il se complait «Il s'appelle le Peuple, la Nation, la Masse... Ila horreur des divisions, des scissions, des minorités ;.. i maudit, comme attentatoire & sa Majesté, tout ce qui peut partager sa volonté, couper sa masse, créer cn lui diversi, pluralité, divergence. » Toujours le méme idéal de concentration, de centralisation : une collectivité indivise, un suffrage universel indivis, d’oi surgit une assemblée indivisée qui produit un gouvernement indivis, Tequel gouverne une nation indivise : tout le jacobinisme, tout le sys.tme de centralisation, d'impérialisme, d'abso- Tutisme sort de cet idéalisme populaire. La démocratie, i pensée, tend de sa nature & la centralisation. Et comme toute mythologie suppose des idoles, le peuple « simprovise des dieux, quand on ne prend pas soin de hui en donner. » Ce sont les bourgeois qui ont fait les libertés : les-masses ont fait Robespierre et Napoléon . Les fascismes couronnent ce que M, Maxime Leroy a si heureusement appelé la ‘démocratie régalienne», ils n’en prennent qu’en apparence le contre-pied, Un Proudhon, un Bakounine ont été ici plus clairvoyants que Marx : ils les ont explicitement annoncés, sous leur forme ‘ouvridre comme sous leur forme bour- geoise. Toute démocrati massive est dans le perspective du fascisme, elle le prépare. LA_DEMOCRATIE BOURGEOISE. Quand elles ne vont pas jusqu’a ces extrémes, les masses se font représenter par des députés bourgeois. Ainsi ont-elles fait en 89; résultat : Empire. Ainsi ont-elles fait en 48; résultat : Je 2 décembre. Si nul n'a eu plus de sarcasme que Proudhon pour un certain optimisme fétichiste de le démo- cratie populaire, Bakounine se charge, lui, de déconsidérer la démocratie bourgeoise. La premiére a donné les fascirmes, Ia deuxitme est encore notre lot. Le bourgeois, quand tout va bien, aime les libertés, sagement mesurées. Ses intéréts s'en accommodent dans un régime dont il tient les principales commandes, Ce serait une erreur de lui attribuer un godt spontané des dictatures, |, Copest, 52. Prine fééralif, 98. :\ Bouteill, Coren Wt 57. ANARCHIE ET PERSONNALISME 155 comme en a le peuple inorganisé. Elles menacent son pou- nt que le roi jadis menacait les féodalités. Quant es, n'dtat sur ses filles le prestige du costume, il trouve bien turbulents et inconfortables. Mais il hait le peuple. Pourquoi ? Peut-étre parce qu'il voit dans son_igno- ance, dans sa mistre, dans sa brutalité, sa propre condam- ration. Parce qu'il sent chaque jour la menace de son ressen~ timent: il le hait de Ia sale haine de la peur. Il n'en a pas toujours conscience, se trahit dés que les choses se gatent, Sestil laissé porter vers ni par I'entrainement d'une loquence généreuse, il se ressaisit bient6t : voyez Gam Garibaldi, ces radicaux, tout le radicalisme derrigre eux. Ti s'est fait religieux, sans goat, le jour oit le socialisme & mis sur son drapeau T'athéisme. Se sent-il subitement ‘menacé : on Voit le plus paisible e rejeter brusquement vers le eésarisme ou le militarisme, auxquels il répugne, voire préférer T'invasion étrangére 4 la révolution sociale : c'est lui qui a fait le suects triomphal de Louis-Bonaparte en 48, de Bismarck en Allemagne ; c'est lui qui recherche et pro- {ge de tous cOtés des chefs, aujourd'hui qu'il sent ses privi- leges osciller plus fortement que jamais. Diun régime politique qui place constamment ces hom- ‘mes au pouvoir, parce quils ont la force sociale, le talent, Te temps nécessaires pour s'y consacrer, quest-ce que le peuple peut bien attendre ? —I ne choisira que les bons, dit-on. A quoi les reconnaitra-t-il ? Ils habitent d'autres, ‘quartiers, ont un autre langage. Et puis, les mieux disposés, s'ils ne donnent le gage de rompre brutalement avec leur nilieu, avec leurs habitudes de vie, pourront avoir, dans le calme des penaées abstraites, dans T'ardeur d'un moment de confiance, une réelle passion de justice : ils seront bientét repris par leur vie, & mesure que viendront les, honneurs, les facilités¢ ils fléchivont & la premiére alerte, n‘ayant plus autre lien subitement qu'avee leur classe dans la peur ‘commune, n’étant plus sensibles qu’aux violences ou aux dangers qui atteignent les leurs : car les haines sociales sont les plus tenaces de toutes '. ‘Alors 2 Elire des ouvriers ? Il leur suffira dlentrer dans le 1. Bagouwise, IV, 171s, 300 Enpie, I, 30 2, 368 156 gouvernement pour devenir des bourgeois, peut dédaigneux que les autres, plus durs pour leur ancienne Dailleurs n'est-ce pas un leurre de supposer que le pen- le puisse atteindre a la capacité politique sans posséder ‘galité économique ? Tant qu'il sera économiquement exploité, il ne sera pas soustrait 4 la pression directe ou irect des représentants de la classe privilégiée, son instinct s'égarera, et il continuera de se donner des lections illusoires opposées a ses vrais intéréts Limitation des dlecteurs, duperie des circonscriptions, des marchandages, incompetence patlementaire, dictature des minorités, absence de contr6le réel et contimu des citoyens, toutes ces tares de la démocratie parlementaire furent & Tépoque analysées, dénoneées par Proudhon et ses successeurs bien avant Ie critique maurrassienne, Elles ont été trop souvent rappelées depuis pour que nous nous y attardions plus longtemps. Le peuple a parlé !" Je demande done, comme Rousseau : Si le peuple a parlé, pourquoi tien entendu >...Je n'ai vu qu'une foule tumultueuse sans conscience de le pensée Gui Ia faisat agir, sans aucime intelligence de la révolution dui s opérait par ses mains... Ce que j'ai appelé logique du peuple pourrait bien n’étre autre chose que le raison des, Evénements ». Dans cette inconscience oi il sommeille, il ne sait dlire qu'une *aristocratie dégénérée » de bourgeois, ‘ou un « patriciat de médiocrités » : exploité par les uns out par les autres, il reste exploité. Comme ces monerques de facade, le peuple «régneet ne gouverne pas”, Dans de telles conditions, la démocratie, pour garder le engage de Proudhon, ne soutient plus aucun rapport avec J république, avec la réalité publique, résultante animée et diverse de la réalité vivante du peuple. Elle n'est qu'une cratie, une tyrannie parmi d'autres, celle du nombre, un absolutisme, celui des majorités, la plus exécrable de toutes, car elle ne s'appuie pas méme sur V'autorité spirituelle d'une religion, sur lexpérience d'une caste, ou sur les préroga~ 1, Bape. 311 & : Prousnon, Cop 267» 2 Bhoupion, Solution de prblime socal, 48 = Wd Te pdr, 208 = ANARCHIE ET PERSONNALISME 137 tives du talent. Qui osera soutenir que le nombre offre a esprit quelque chose de plus rationnel, de plus authentique,, de plus moral que la foi ou la force ?qui peut y voir autre chose qu'un plus vaste « jugement de Dieu » ? Et jirai lui livrer ce que ji de plus cher, ma liberté, ma foi, les miens,, LES GOUVERNEMENTS DU PEUPLE Qu'on ne fasse pas appel du gouvernement représentatif ‘au gouvernement direct. Tant que le peuple reste une masse premitrement indivise, secondement inculte, quand bien rméme il ne se choisrait pas d'autres intermédiaires, il reste de toute sa masse un intermédiaire entre lui et lui-méme, ppar cette simplification interne et par cette ignorance. Direct ou indirect, tant qu'il y a fait de gouvernement, toute la déformation gouvernementale entre en jeu, le gou- vernement fat-il étendu a l'ensemble du corps social. On sait ce que Proudhon a dit de la démocratie: cest « Vidée de Etat étendue a I'infini» i edt ajouté aujourd' commentant les plébiscites massifs des Etats totalitaires, gui prétendent se donner une consécration populaire en enouvelant le gouvernement direct : dans une démocratie massive, ce n'est pas le peuple qui plebiscite l'Etat, c'est Etat diffus qui plebiscite Etat central. La mystifcation est la plus habile, et la plus eruelle de toutes. Restent les gowcernements révolutionnaires, Ceux-la, at moins, sont de souche directe. Ils ont suivi le renversement rméme, par le peuple, de ses mandants infidéles, ils ne sont pas nés de sa pensée, plus ou moins mystifide, de ses opéra- tions, plus ou moins truquées, mais de sa colére et de sa volonté tendue. Eh bien, non ! L’Etat révolutionnaire, c'est «la réaction se cachant sous les apparences de la révolution ». Encore une fois, comment T'Etat, eréé pour donner une apparence légale & Toppression des masses, pourrait. instrument de leur libération ? Un gouvernement ne peut pas étre, n'a jamais été révolutionnaire. De fait, étudions Thistgire des révolutions. 89. Ls bourgeoisie des clubs, des Etats-Généraux et de la Convention se distingue par atre 1, Solution du prone sca, 86; Ch de nals, 19 5,214» 158 (EUVRES T'énergie du langage : sans la poussée populaire qui la harcdle ct au besoin passe par-dessus sa téte, seait-lle allée bien foin > Quand ele fat malgré tout un peu de révelution, elle vveut la faire par elle-méme, de sa propre autorité, par sa propre puissance, ce qui n'a jamais manqué d'aboutir & deux résultats + de rétrécir excessivement V'action révolu- tionnaire, car un comité de quelques hommes, si loyal, si intelligent, soit-il, est incapable d'embrasser la largeur et de pénétrer les secrets de la vie populaire ; ensuite, de provo- quer la révolte et bient6t la réaction dans les masses, car toute révolution imposée par un acte de puissance blesse et saliéne ceux qu'elle veut conqueérir. « Lorsque, au.nom de Ie révolution, on fait de Etat, ne fit-ce que de IEtat pro- visoire, on fait done de Ia réection et on travaille pour le dlespatieme, non pour la Tiberté». Cimourdain pousse Marat gui pousse Danton qui pousse Robespierre ‘Thermidor, Empire : Lamartine et Ledru-Roll lit du prince Bonaparte. Ainsi finissent-elles toutes quand elles se fourvoient dane Etat. Bakounine accusajt Mars, non sans rajson, d'étre uni & Bismarck par le « culte quand méme de I'Etat »; nourri dans Yappareil llemand, étatique par excellence, comment V'au- teur du Manifest eit-il échappé & la fierté commune de tout allemand ? Crest avec une inquidtude croissante que les premiers Internationaux voyaient la social-démocratie de plus en plus polarisée vere Vidée du Volkstaat, de IEtat ‘ouvrier. Nentendaient-ils pas Kautsky déclarer avec un ceynisme serein que «‘ouvrier jouit de nos jours de plus de Iiberté quill n'en jouira dans Ia cité socialite » > *, Ils ne cessent de multiplier leurs evertissements aux Congrés de Minternationale. Reconnaissons-leur Timmense mérite voir senti combien le génie poptaire authentique était ‘opposé toute forme dinquisition et d'oppression. C'est 3 eux que nous devons de trouver aujourd'hui encore, mal- sé tant de servitude inculquée par les partis, par les guerres, par les systémes, une Vivace résistance au communisme au sein méme des masses populaires, une humeur plus préte que l'on croit & joindre Vavenir du peuple au sens de la personne qu’ lautoritarisme prolétarien. 1, Cité pat Niewess, Le sce endanger, Stock, p. 22. ANARCHIE ET PERSONNALISME, 9 Proudhon accordait & Mhypothése communiste d'avoir 4é utile pour que V'on démontrat, avant sa réalis (pensait-i), son absurdité, et lui était reconnaissant d'avoir affirmé 'idendité du politique et de I'économique.. Cette concession faite, écoutez lanticipation qu'il donnait de la « démocratie » communiste. > "Une démocratie compacte, fondée en” apparence sur Je dictature des masses, mais oii les masses n‘ont de pouvoir que ce qu'il en faut pour assurer la servitude universele, daprés les formules et maximes suivantes, empruntées 4 absolutisme : ion du pouvoir : tion absorbante ion systématique de toute pensée individuelle, conporative ou locale, réputée scissionnaire ; inguisitoriale ; now au moins restriction de la famille, & plus forte raison de Mhérédité : Le suffrage universel organisé de manitre a servir de sanction perpétuelle & cette tyrannie anonyme, par la pré- pondérance des sujets médiocres ou méme nuls, toujours en ‘majorité, sur les citoyens capables et les caractéres indépen- dants, déclarés suspects et naturellement en petit nombre. » «Exploitation aristocratique et despotique retournée au profit de la plébe 2, VEtat communiste n'a d'autre difference avec IEtat bourgeois que la destruction de la famille, parce quelle est un refuge de la liberté individuelle ; pour le reste, ila retourné contre lui sa propre artllerie. Sa théorie se réduit & cette proposition contradictoire : « Asservir T'in- dividu,afin de rendre la masse libre». Décidément Proudhons comme Péguy, aura tout dit. Quand naguére le marxisme Séclarait & nos yeux comme *un optimisme de homme collectif recouvrant un pessimisme de la personne», nous wvions pas Iu encore ce lucide diagnostic de la Justice sur Tame du systéme : # La société par elle-méme est sainte, impeccable. Toutes les théories communautaires faisant de Tindividualité a cause du désordre social, supposent a priori cette impeceabilité, L'individu en effet, malgré sa destinée 1. Monfate au seroiee da peromatone 160 (EUVRES sociale, naissant égoiste, d'ailleurs libre, tout le péril vient de lui : de lui seul nait le mal. Vis-A-vis de la socidté qui Yenveloppe et lui commande, la position de I'homme est celle d'un étre inférieur, dangereux, nuisible ; et comme il ne peut jamais se dépouiller de son individualité, abdiquer son égoisme, cet esprit de révolte qui anime, comme il ne saurait devenir une expression adéquate de la société, il est, relativement & elle, prévaricateur d'origine, déchu, dégradé » Cenest pas une cité, concluait-il, cest un troupeau conduit par ungrigrarque. Et — nous ne le lui faisons pas dire — ‘la personne humaine destituée de sa prérogative, la société s'y trouve dépourvue de son principe vit ‘A mesure qu'il voyait les théoriciens socialistes s'imbiber de marxisme, Bakounine les voyait avec non moins d’eflroi se chercher une justification complice, en France, dans la tradition jacobine : « Fouillez dans leur conscience, diseit-il is, vous y retrouverez le Jacobin, refoulé dans quelque coin bien obscur et devenu trés modeste, il est vrai, mais non entiérement mort » #. Un pédantisme ambitieux remonté de Saint-Simon et de Comte aussi bien que du scientisine marxiste venait donner & cetie outrance doct naire la solennelle impassibilité d'une bonne conscience scientifique. Un savant ne connait que des objets d'expé- rience, il est incapable, par disposition d'esprit, de saisir T'individualité; prétre de son dogmatisme, si on lui donne le pouvoir, il ne tardera pas & lui immoler les individualités réeles et vivantes des hommes. Quand méme elle se propose la libération des hommes au bout de ses ceuvres, d’ la science * les considére tout au plus comme de la chair & développement intellectuel et social ». Laissez ses hommes approcher du gouvernement, ou sa tournure d'esprit péné- trer les hommes de gouvernement, ils ne tarderont pas & traiter les hommes comme elle traite les lapins, et les écor- cher au nom de leur avenir : # ce sera le régne de lintelli« gence scientifique, le plus aristocratique, le plus despotique, Te plus arrogant et le plus méprisant de tous les régimes »®, 1, Pnovow0n, Jute, (E299 3: Capac, 77s 2. Baxo nim, Latte dan Froneal, Il 228, et IV pasim., Vaoror- IME, Pools dum rool 269 p.t La scene moderne Pana, 135. 3 Bacorsane Empire Keouto-gemangue, Ac, TV, 03, 1V, 47. ANARCHIE ET PERSONNALISME 161 Da FEDERALISME ALA CITE PLURALISTE. Ainsi, dans un sens ou dens T'autre, la pente est fatale = «histoire des gouvernements est le martyrologe du prolé~ tariat » 1. La démocratie, Ie gouvernement révolutionnaire ne sont pas les premiéres formes du régne du droit, de la ité populaire, ils sont les derniers avatars du. pouvoir, son Aéguisement Te plus hypocrite. Nous avons dit notre pensée sur 'utopie premiére qui cencadre cette doctrine. Il faut bien avouer ensuite que les analyses qu‘elle met en ceuvre sont si serrées sur l'histoire, si persuasives, qu'on regrette de voir tant de_perspicacité, tant de vérité humaine compromise par l'esprit de systéme. Le dernier Proudhon est li, comme toujours, pour nous reprendre quand nous tournons le dos, et apporter les tem= péraments de l'intelligence aux excés de sa fougue. Irions- nous jusqu’a dire avec lui que l'Etat ne peut avoir d'idée sans devenir tyrannique, qu'il n'a pas d’@tre, pas de contenu, mais doit se restreindre & la simple forme du droit ? Peut- tre non. Et pourtant c'est bien dans ce sens que nous devons chercher la formule de I'Etat : d'un Etat qui garde sa finalité sans se substituer aux autorités qu'il tend cons- tamment & usurper, quand elles-mémes ne font pas appel & sa puissance. C'est sur cette frontitre qu'il faut aujourd'hui diriger le travail. Peut-étre est-ce beaucoup de se rendre compte qu'il est & faire, La pensée anarchiste, par ses excds mémes, nous aura rendu le service de nous faire prendre plus vivement conscience de certaines faclités de doctrine ou de certains matérialismes, trés florissants parmi ceux qui parlent de spirituel & la maniére que nous dénoncions plus haut. Je ne vois plus guére de différence pratique entre les, formules du Principe fédératif et celles de VEtat dinspiration pluraliste dont nous avons plus d'une fois esquiseé ici 'ins- piration. L'Etat, retrouvé par Proudhon au dela de ses négations premitres, est reconnu comme garant des libertés ; la liberté n'est plus réduite au devoir négatif de ne pas 1. Provpuon, Tide stale, 184, 162 EUVRES empigter ™, elle est, reconnue comme une puissance d’i jative créatrice ; I'Etat retrouve par elle un contenu spi- el; destiné qu'il est envers ses ceuvres & une sorte de fécon~ dation sans gestation, avec par excellence pour attribut d'instituer, de eréer, d'inaugurer, d'installer, et le moins possible, contrairement & la formule ambigué et dangereuse, d'vexécuter?. Nul doute que tout personnalisme doive pousser ses recherches dans ces directions *. On mesurera ici ce que nous pouvons avoir de commun avec ceux qui,usent de nos formules tout en réclamant, & droite, un «Etat fort » & ‘gauche, la dictature « provisoire » de FEtat prolétarien, ‘Que sera Ia forme nouvelle de cet Etat au service de la personne ? Ce que nous savons bien, avec lesanarchistes, c'est quilln'a jamais été encoreréalisé, nous ajouterions qu'il ne le sera jamais, sous un mode utopique, et qu'il devra étre cconstamment reconquis, méme sur de plus souples appro- ximations, & la pente fatale des pouvoirs. Ce que nous savons encore, avec Kropotkine *, c'est qu'il n'est pas dexemple dans l'histoire que de nouvelles couches sociales arrivant & la reléve des classes défaillantes n’aient inventé de nouvelles formes ‘organisation politique marquant de leur génie Pépoque qu'elles inauguraient. On raconte que le gouver- neur du Dauphiné Lesdiguitres, qui désirait s'assurer la position forte de Barraux, s'apercevant que le due de Savoie ¥ construisait une forteresse de premier ordre, Ii laissa achever lee travaux pour s‘emparer de Touvrage fini, au grand avantage de son budget. L’audace ne réussirait pas avec les appareils d'Etst modernisés : combler Etat de ‘monopoles et de services centralisés pour occuper ensuite la machine, c'est armer une puissance qui ne connait, une fois montée, dautre mécanisine que l'oppression, quels qu’en soient les gestionnaires, La tendance au self-gouvernement, qui est l'utopie direc- trice de la pensée anarchiste, est donc une utopie saine, une 1, Cette ide mptnent« 84 curewsement anlyede par un anarchiste smércain, Tucker 2, CF, Prouonon, Prince fer 77. 45. 3, La iene deme et Vanarhi, 316. ANARCHIE ET PERSONNALISME 163, fois dépouillée de fausse métaphysique. Saint ‘Thomas luieméme, qui persuadera mieux certains, diseit que © le gouvernement est d'autant meilleur qu'une perfection plus grande est communiquée par celui qui gouverne & ceux qui sont gouvernés : or c'est une perfection plus grande que dette source d'action » 3 Cest cette forme, ou plut6t ce principe de gouvernement que Proudhon, aprés Godwin, et suivi de toute la pensée anarchiste, appela principe fédératif. » On ne soit plus en France, écrivait-il en 63, ce que signifie le mot de fédéra- tion, qu'on pourrait croire emprunté au vocabulaire sans- crit » #. Que direit-il aujourd'hui ? L'idée parait anachro- nique, un peu farfelue, au surplus résctionnaire : Tidée avee laquelle le peuple francais a fait la commune au moyen age, la révolution en 89, la dernitre Commune en 7 qui déflent au mur des Fédérés la déclarent hérétique parce quill a plu & M. Maurras de puiser quelque jour dans cette Vieille tradition frangaise. Quand il opposait la. république ala démocrati, c'est ce principe fédératil radicalement neuf ‘gue Proudhon affrontait au dernier déguisement du pouvoir, "La république, disait-il sur ses derniers jours, comme pour relier toute sa vie, est une anarchie positive »#. Le principe fédératif est devenu pour lui I'équilibre vivant de Tautorité (qu'il accepte maintenant comme inéluctable) ct dela liberté; il les tient en respect au sein du principe contraciuel et mutualiste. L’autonomie de chacun y est sauvegarde ; il n'a plus devant soi ce Leviathan aux exi- ences indéfinies que lui imposait Tautorité de droit divin ‘ou le contrat social de droit populaire, mais des engagements précis, limités, sous forme de contrats synallagmatiques et commutatifs ; en cas de désaccord, il a toujours droit de 1 um. th, I, CUI, 6. On sarprendeit benucoup les anarchists en Tear avec lee tater de la taditon et der entyigues gue, ourences tidélogics en moins, tute evienilin efecve Ge leur pesés ve dane ke sens de Is doctrine catholique de Eis. Poar To acts de [Egle soci. kjqurment prise, cest une alte queston, qui rleve de Uhiateive, non de Flac comme tl 2. Pour tout ce qui sit, voir surtout Le principe fda et La eopocté covert, 8h = 3. Solution i probime sel, 19. 164 EUVRES sécession. Une organisation, voire une higrarchie s'établit centre ces engagements, mais elle est spontanée, excite et protégée seulement par Etat, elle ne résout pas la complexité des pays, des situations et des hommes en une unité simpli- fiante et opprimante, elle se forme du simple au complexe (processus, soit dit entre parenthéses, qui prend une allure singuligre d'authenticité pour des hommes formés en pleine corthodoxie évolutionniste). La hiérarchie gouvernemental ‘est retrouvde, mais établie carrément sur sa base au liew etre posde sur son sommet. La société est encore centra~ se dans toute sa structure, mais la centralisation s'effectue de bas en haut, ou si l'on veut de Ia cireonférence vers le centre, suivant son mouvement spontané, sans que chaque fonction cesse de se gouverner par elle-méme : groupements, territoriaux ou communes, groupements fonctionnels ou fddérations de métiers, groupements innombrables des affinités personnelles trouvent une harmonie changeante dans les combinaisons multiples de cet ordre pluraliste. En plus de ce droit tocial spontané, Proudhon introduit, dans 'Etat méme qu'il conserve, une sorte de second droit fédératifintérieur & I'état. Ile divise en grands corps fonc- tionnels (Tribunaux, Finances, Postes, etc...) se gouvernant cchacun par hui-méme, s‘arrétant les uns les autres dans Teurs tendances a l'abus, ce que M. Gurvitch appelle trés hheureusement une « fédéralisation fonctionnelle de I'Etat », superposée a Ia fédéralisation locale des territoires. Ces services publics ne sont pas directement dépendants de Fautorité centrale, il suffi que I'Etat les surveille et contréle et soit «le directeur supréme du mouvement * » : Proudhon favait fini par domestiquer ce méme dragon quill avait juré ‘exterminer *. Entre les fédérations les frontiéres sont dévalorisées par ledroit perpétuel d'agrégation et de sécession que possédent les éléments fédérés ; la fédéretion peut ainsi s'agrandir, non par une conquéte pour laquelle sa nature la laisse « sans 1. Gunvrven, [ed dat weil, 02-4, 2, Pour tout ce gui préside, CE Peouowon, Prindpe fédéral, 70s. 196» et pas Capa sire, 783. Jute, Cy Ul, 12585 Canfer> sion, ororkis, Parlr un rs, 129 ANARCHIE ET PERSONNALISME 165 forces % mais par agglomération libre, les attributions de Tautorité centrale, contrairement & ce qui se passe dans les Etats contralisés, diminuant au fur et & mesure que la tédé- ration s'étend. Il est bien entendu que la fédération est impossible entre les Etats actuels, centralisés, bureaucra-. tiques, et par li-méme militaires\: Bakounine dénongait ja au Congrés de T'internatignale a Genéve, en 1867, lité de constituer les Etats-Unis d'Europe sur les srandes nations étatistes. C'est sur des communes revita- lisées que se constitueront les plus vastes fédérations. Qu'on ne dise pas qu'une société granulaire perdra le sens de Tuniversel. Et le moyen age ? La commune moyenigeuse, ccherchait & se circonscrire dans ses murs : mais greffée sur une économie artisanele, de court rayon. Le 19 siécle a étendu Ia solidarité humaine. Les grands centres, qui y sont les plus sensibles, agiront comme des « foyers d'appel © pour élargir les vues des centres secon aires, Le fédéralisme politique doit étre soutenu par un’ fédé- ralisme économique. Le pouvoir n‘ayant pour objet que de protéger.et de promouvoir la Justice au sein de la société, sila sociétéest en état de déséquilibre économique, elle refuse & lui «jusqu’a ce qu'enfin, n’étant plus are-bouté par la société qui se retire, ni parla division de ses fonctions, il perd léquilibre et tombe * ». C'est pourquoi Proudhon voulait organiser, dans la masse du corps social, la f6dé- tation agricole-industrielle % extérieure & Etat fonctionne, constituée, comme la cité politique, sous V'dée de la mutua- Tité, qui devient ié du commerce ou de l'échange compensé, Ce n'est pas le liew d’étudier application quont faite de ces principes les économistes anarchistes. Proudhon en. tire un systéme des loyers, des chemins de fer, de erédit mutuel. Kropotkine, en s'opposant ‘grande usine, demandait la © décentralisation industrielle * » 1, Jeti, EU, 1716 + Capac, 200, 2 Krorornint : Champs, sie, aes, Stock 16, (EUVRES et la liaison de l'usine au village, Vinfériorité actuelle de la petite industrie provenant, pensat-il, d'une organis tieure de la vente, et non pas de la production. Les anar- chistes, en cette matiére, ne sont pas des forts en théme : Marx reprend ici le dessus sur plus d'un point. Retenons seulement cette magnifique formule quills ont donné de ce quion pourrait pout-étre appeler sans jeu de mot un libérolisme collectiviste, et qui est en tous eas une formule trés approximative de l'économie pluraliste: «que la liberté est la premigre des forces économiques, que tout ce qui peut tre accompli par elledoit litre laissé:mais que laoi la liber- té ne peut atteindre, le bon sens, la justice, |'intérét général commandent de faire intervenir la force collective, qui n'est autre que la mutualité méme ; que les fonctions publiques ont été précisément établies pour ces sortes de besoins, cx que leur mission n'est & autre fin ». Car «il serait absurde de sacrifier la richesse, la félcité publique, & une liberté impuissarte 1.» ‘Mais alors, que deviennent ces charges & Varme nue contre la propriété, qui, de toutes les attaques anarchistes, semble bien Ia plus sensible au eur de nos contemporaine ? Dieu, Etat, propriété : la littérature anarchiste radicale toujours indissolublement uni ces trois termes comme trois aspects strictement identifiables de I'absolutisme. Que cette vision simplifiée ait pris chez quelques meur- allure plus brutale encore, e'était prévoir. Mais quand on aura évoqué la bande & Bonnot, peut-8tre un effort d'intel- ligence est-il encore possible. De Proudhon, on a toujours retenu la phrase trop fameuse du Premier Mémoite : « La propriété, c'est le vol *. On a oublié la réponse & Blanqui ‘qui lui sert de préface : « M. Blangui recomnait qu dans la propriété une source d'abus et d'edicux abus : de mon c6té, jappelle exchisivement propriété la somme de ces abs * Parmi dix autres affirmations analogues, on a omis de rappeler que dés 48° il éerivait :« La propriété ‘quant & son principe ou contenu, qui est la personnalité 1. Copect, 104, 208 2. Dans Le doit eu traval ele proprit, p50. ANARCHIE ET PERSONNALISME 67 humaine, ne doit jamais périr : il fauc qu'elle reste au coeur de homme comme stimulant perpétuel du travail, comme Yantagoniame dont Vabsence ferait tomber le travail dans Vinertie et la mort. » On ne comprend un anathéme qu'a condition de le repla- ‘eer dans son contexte historique. L'idée socialiste, au sens Te moins dogmatique du mot, a fait du chemin depuis un demi-siécle. Sous I'influence des situations économiques et d'un réveil, dans beaucoup de milieux, dusens social, on s'est habitué & ses thémes. Maisen ce temps! I faut lire les solen- nelles invectives de M. Thiers et de M. Bastiat, les pauvretés péremptoires de Victor Cousin pour savoir ce que, sous ce mot de propriété, la bourgeoisie louis-philipparde et impé- rinle réfugiait d'absolutisme entété et de dureté sociale. Cette provocation pédante, cet autoritarisme de droit divin injuriant a Ja misére par ses livres, par sa presse et por ses hommes n'appelaient guére la compréhension. Proudhon, finit par justfier une propriété fédéraliste et rmutuelliste comme le meilleur moyen de défendre T'individu contre Etat ?. Mais ceux qui eurent plus d'influence directe sur Tes masses anarchistes — Bakounine, Kropotkine —main- tinrent jusqu'au bout leurs sarcasmes contre la petite pro- priété privée, Crest alors que le mythe de l'expropriation devint un des mythes directeurs de Fanarchie, Brutalement centendu, il satisfaisat & la fois le simplisme et les ressenti- ‘ments plus ou moins justifiés du militant moyen. II n’était cependant question, pour les doctrinaires, que d'exproprier ce que Proudhon appelait l'aubsine, c'est-a-dire 'exploita- tion du travail d'autrui, L’expropriation ne devait pas tou- cher & la propriété individuelle du petit paysan (on pensait surtout propriété foncitre alors :la seule dont parle Proudhon dans le Premier Mémoire) tant qu'il la cultiverait lui-méme avec ses enfants sans recourir au travail salarié ®, La tactique anarchiste, sauf danger social, étant de toujours attendre 1, Cl. Theorie del propri, qu'il et i commode doubler quand on pale de Brovdhon 2. Keororsins, Conutle du pain, Stock, 56 + expropriation doit porter stout eau permet hqu que ost banquir, industrel ucla — destoproprier le tsvail 'anri La formule ext simple et comprthensle> “So, Poaler dum reat, 330, 168 (EUVRES que T'individu se rende compte des avantages qu'on lui propose, Kropotkine pensait que le petit paysan, en voyant de joyeuses bandes ouvriéres faire prospérer les. terres collectives expropriées se rendrait bien vite et sans contrainte a V'évidenee. Accomplie cette opération violente contre l'usure au travail, — et il redoute fort que par timidité on ne débride pas assez la plaie pour porer & tout retour du mal, —T'anar- chisme retrouvait, dans son image de la vie économique, ce sens confus de la’personne dont nous le voyons toujours & quelque degré aniiné. Tl se manifeste dans sa toute premiére orientation. Le but de l'économie n'est pas, chez les anarchistes, comme dans le marxisme, un schéma rationaliste, une organisation scientifique de l'univers. Pourtant Dieu sait s'ils sont pétris de scientisme ! Mais lordre de la science, pour eux, est moins un ordre de homme & fabriquer, qu'un ordre de la nature & retrouver. Non quill y ait chez eux aucun arcadisme cou préjugé anti-industriel, sauf pout-étre, tangent au mou- vement, chez certains disciples de Fourier et de Tolstof. Mis ils pensent plus vaste et plus humain que l'industrie. Lisons ce titre : « Champs, usines, ateliers, ou {'industrie com- binge avec Uagriculture ef le travail cérébral avec le travail manuel ». Crest long A dire, mais cette usine placée en tam- pon entre le champ et l'atelier, cet effort vertueux pour rejoindre les morceau disloqués de l'homme économique, Pierre Kropotkine nous y découvre une volonté touchante de sauver la personne dans ses ceuvres. Quand ils révent, ils ne révent pas de rationalisation, mais de surabondance. Les réves de Marx sont des réves de professeur, leurs réves sont des réves d'enfants : d'un cté l'armée des travailleurs disci- plinge comme un rouage ; de Tautre des hommes libres, turbulents de désirs, la prise au tas ». Ce méme esprit se retrouve dans leur formule de base + «De chacun selon ses moyens a chacun selon ses besoins. » Lebesoin, la consommation, prime la produetion. Ce primat, Kropotkine y voit I'éme de la commune moyen-égeuse. I] reste sa perspective constante : de cet observatoite, le désor- dre dela plus-value le préoccupe moins que celui de la sous~ ANARCHIE ET PERSONNALISME 169 consommation, la conquéte du pouvoir que la « conquéte du pain », la dictature du prolétariat que le droit de vivre. Htient mordicus & gerantir la liberté de cette consommation souveraine +, C'est au nom de cette liberté que les anarchis- tes se sont toujours opposds a la formule communiste : «& chacun selon. ses oeuvres », incarnée dans le systéme des bons de travail. Aussi par le sentiment d'une certaine gra- tuité inhérente au travail humain, de limpossibilité, presque du sacrilége qu'il y aurait & vouloir en donner une mesure. «Si la société bourgeoise dépérit, .. c'est faute d'avoi trop compté, Crest faute de nous étre Iaissé entrainer & ne donner que pour recevor, c'est pour avoir voulu faire de la société une compagnie commerciale basée sur le doit et avoir. »De méme que leur mythe négatf directeur en matitre Economique est expropriation, leur mythe directeur en matitte ‘anticipation est la gratuité plutét que Vorganisa- tion. Petit & petit ils la voient s'étendre : les ponts, la route, Tesjardins, Iécole, tous fondés sur le principe: «Prenez ce u'll vous faut ». Elle pénétre les opérations méme dachat et de vente dans des institutions comme le menu a prix fixe et Ia table d’hote (symbole célébre dans les annales de la propagande anarchiste 1), les abonnements de chemin de fer, le tarif uniforme dans les postes. Elle s'appuie & une psychologic pratique : le travail volontaire est toujours meilleur quele travail commande et tarifé. Vouloir l'évaluer, dansl'enchevétrement inextricable de la production moderne, ereit jeter sur le monde du travail un réseau de tracasse- ries, de paperasse, et finalement d'inguisition. Liidée révele vite dailleurs son ridicule : payera-t-on plus le médecin qui guérit que le médecin qui &choue ? A mesure que homme vieillit n'est-il pas capable de moins d'euvres avec plus de soins ? Et le bibliothécaire me demande-t-il quels services rendus & la société pour savoir combien d'ouvrages il r'accordera ? S'ils avaient eu plus de lettres sacrées, nos anarchistes n'auraient pas mangué dévoquer ici la méta- physique incluse dans la parobole des ouvriers de la onziéme heure. OnoTKINE, Congatte dpa, 8, 231 «:L'Enirade, 195 5 170 (EUVRES Liutopie,siséduisante, est ici cependant caractérisée, Les rmythes sur lerégne de 'abondance, récemment rafraichis par M. Duboin, portent avec évidence contre un régime de ‘malthusianisme économique, et sont peut-étre utiles pour faire contrepoids au mythe grossier de la surproduction. Il n'empéche que la marche & l'abondance subit, par le développement des besoins et le jeu de la production, un tel freinage automatique, qu'il suffiait & rejeter la ¢ prise at tas » dans les régions doi, de temps & autre, le mouvement perpétuel descend dans les espoirs des hommes. La naiveté dominante de cette ulopie n'est d'ailleurs pas dans une erreur de date. Elle est de croire que le probléme de la distribution soit surtout un probléme de quantité, alors quill est plus encore, et de plus en plus & mesure que les hommes seront libérés des soucis primaires, un probléme dlaffectation. Tout serait bien si les désirs des hommes Gtaient des désirs paraléles, s'accroistant indéfiniment en hauteur. Mais les désirs des hommes sont des désirs jaloux, ent. Ce n'est tune vue trop ‘qui se recoupent, se eoncurrencent, se super} pas, contrairement au liew commun, d'a individualiste de Fhomme qu'il faut faire ici grief aux anar- chistes, mais bien au contraire de n'avoir pas assimilé que Thomme est aussi individu, c'est-a-dire exclusivisme ot jalousie. Le peuple est modéré dans ses désirs, dit Kropot- Kine, Oui : tant qu'il est peuple. Mais voyez les hommes s‘enrichir : V'abondance des biens ne fait que surexciter la turbulence du désir. Si bien qu’on peut le dire sans paradoxe, Tabondance dat-elle faire des progrés de géant, une régle sera de plus en plus nécessaire & ce désordre. 1. IL y a ou lnatempe un Httement ete les motede colette et de omar, got ont fn pet dcharga Luts sem. A Forge, les membres Sela I Tnteraonl, Varia, Gullaume, Bakounine ot leurs amit sattn- Dudrent le qulieaaf de ecolleaivates » pour diner leur communisne TE lngtempe i rent sou le nam de ile Uhelren Dane le Trlte de Charon Gide, ler doctrines que nous exporone sleet spc commit te ure elect fat b iperee ants arsine dev deux mat: Kropothine (Cangate dpe 32) Te tn dite dev grande feria anarciren, applique le terme de colette Sansome cl Lesion madene el Ponce BES. Guitiaewop. el, IV, iste ANARCHIE. ET PERSONNALISME im Sils ne réussissent a éliminer la nécessité de cette regle, du moins les anarchistes l'orienteht-ils, par leur utopie, dans une direction heureuse. ‘Ayont plus que d'autres le souci de la liberté, ils auront eu le mérite de tenter une dissociation de l'idée de collec- tivisme et de T'idée de contrainte ou de consommation dirigée. Certaines formes de production collective ne sont rnullement incompatibles avec la liberté du consommateur : sommes-nous moins libres parce que le gaz nous est dist bbué en commun, ou parce que nous faisons nos achats dans des magasins & succursales au lieu de les faire & de petits boutiquiers ? Aujourd’hui oi: plus personne ne nie que les secteurs croissants de la production soient en fait collecti- visés, et ott la collectivisation nous apparait précédée de telles menaces pour l'homme, comment ne sentirions-nous pas une parenté avec les hommes qui les premiers ont cherché, si maladroitement que ce soit, A accorder vie collec tive et liberté 2 Leur seconde indication précieuse est la nécessité de assembler l'homme & nouveau. Ils le voient assez disloqué déji, pour eroire que l'on doive encourager la division du travail et la spécialisation indéfinie, chemins vers le gigan- tisme industriel et la centralisation, et & travers eux vers lExat totalitaire politico-industriel qui fera l'union des deux empires. Ont-ils toujours cherché l'antidote dans la bonne direction ? En réhabilitant latelier, la commune de village olt T'usine est rattachée aux champs ', l'homme complet ouvrier-paysan et intellectuel-manuel, ont-ils, comme les marxistes le leur reprochent, été dupes d'une imagerie ‘ potite-bourgeoise », ou n‘ont“ils pas plut8t pressenti, sous des formes sentant encore un peu leur vieille France, une exigence & laquelle ils ne trouvaient pas a Pheure d'expres- 1 Neo afnde ee sna crane ve elle dpe communes communites qui temigent levt chance). sous Timpulion de rie notamment. Kropothie (La Scene madere 152) en fat un procs sivite elles ront pu vere I parce quel ont reniges de pelts. com Imunes closes dant un motde Granger, aloes quel commune ne peut prendee ton sir cue dant le grand courant federatit 29 pace qu'eller ve took donne tne contin autora. 3® parce qu'lles forsnt uniquement eevee, lorsque la commune do Ee tne atocstionvile-ampegee, m UVRES sion technique, mais 4 qui l'avenir pourrait donner une réalité ? La réponse appartient & la fois & I’évolution de la technique et aux recherches dont I'idée trop délaissée d'une décentralisation non régressive pourra dans V'avenir étre objet. MW DE L’ANARCHIE DES MONDES. ‘A chaque instant, dans ses constructions sociales et éco- nomiques, nous voyons T'inspiration anarchiste fréler la découverte de la personne, et chaque fois quelque invisible obstacle Ten écarte. Peut-étre comprendrons-nous mieux, tout & Vheure, ses bienfaits et ss méfeits dans le mouvement ouvrier si nous nous arrétons auparavant quelque pet Sur ses perspectives philosophiques dernitres. ‘Nous les avons plus d'une fois pressenties sous la critique de lautorité et de Etat. Sont-elles plaquées sur cette ci tique comme un vétement d'époque plus ou moins bien adapté & un systtme d'action ? Aucunement. Kropotkine ‘tule son principal exposé doctrinal : La science moderne etl'anarchie, Le tite veut dire plus qu'il ne parait, L'anar- chic n'est pas seulement tne doctrine politique, « Vanarchie ‘st une conception de l'univers, basée sur une interprétation mécanique des phénoménes, qui embrasse toute la nature, y compris la société», Elle est le résultat inévitable de tout Te mouvement des sciences naturelles qui s'amorea sur le neturalisme du XVIII et ¢"épanouit tout le long du XIX®, Il fat réservé & Kropotkine (il état orfevre) de dessiner le plus nettement cette synthése entre Tanarchie politique et tune philosophie précise de univers, Sa lign Tistes du XVIII, Spencer (sur qui La scence modeme donne un long appendiee-profession de foi), Darwin, dont lEthique pposthume fait le pére de toute morale moderne, et Comte (lepremier Comte }, pour lefnettoyage de la théalogie et de 1. Scie node, 4, 2. Brock 3, Pour Balousine, ef, netamment CE, V, 158 ANARCHIE ET PERSONNALISME, 1B Ia métaphysique. Proudhon et Bakounine se réclament plus exclusivement de Comte. Avec des variantes, leur foi est la rméme & tous : la science positive, connaissance absolue du seul absolu qui existe. Ce n'était pas trés original, ni en 1850, ni en 1880. Ce qui I'est un peu plus, c'est Tinterprétation cosmique que dans ete foi intrépide ils domsient de Suivons-la, et nous reconnaftrons au passage toutes les connaissances quenous avons faites dans le régne politique. Réalité, alignation, pouvoir, nous, y sommes : la métaphy- sique agit selon la méthode des Etats centralisés, aristocra- tiquement et autoritairement. Elle tire de la nature des lois et de prétendus faits qui ne sont pas dans la nature, en forme tun systéme cbiolu, l'accroche A un Absolu, et T'impose a la nature de haut en bas }. Selon Proudhon, la déduction est tune manitre d'oppression de esprit et le moyen terme du syllogisme y apparaft comme une sorte de-bureauerate inutile, ‘encombrant et prétenticux. A edté des théistes, monarchistes, de la pensée, la philosophie aussi a ses démocrates et ses gouvernements révolutionnaires. Ce sont ecux qui, ayant détréné Diew, y ont substitué, mais toujours comme exté- rieure et transcendanie a 'univers, une Nature aux lois de laquelle les choses sont censées obéir. Tant qu'il garde une Vérité devant laquelle il s'incline, éerivait déja Stimner homme reste serf. Ce Pouvoir naturel devant lequel tous les hommes seraient censés égaux se réfugie parfois, comme chez les positivistes eux-mémes, dans le régne inaccessible de lInconnaissable ; il se dissimule plus communément. dans Vidée d'une «nature intime » des choses. Bekounine ne I'a pas dit, mais cet’Inconnaissable vous a un air de lointain gouvernement représentatf, et cette nature intime, ui semble si proche du peuple des objets, empeste la mysti- fication des gouvernements révolutionnaires. Or qu‘est-ce ‘qu'une nature en dehors de ses manifestations ? « Aucune chose ne peut avoir réellement dans son intérieur une nature ‘ui ne soit manifestée en son extérieur 2, Toute chose n'est ‘que ce quelle fait. Iy va de l'essentiel : «Ils'agit ’un inté- 1. Baxouwn, Fédérale. 1,68» 2, L'Unigue ots prope, it. por Elebacer, 131. 174 EUVRES rét supréme, celui de exclusion réelle et compléte, de la destruction finale de Vabsolu, qui, cette fois, ne se contente plus seulement de se promener comme un fantOme lamen- tablesur les confins de notre monde visible, mais qui... veut siintroduire sournoisement au fond de toutes les choses connues, de nous-mémes, et planter son drapeau au sein méme de notre monde terrestre.# I] ne manque plus que de laisser les théologiens s'emparer de cette intimité des choses pour y loger leur Bon Dieu », Crest un dernier reste de langage métaphysique (autoritaire) que de parler méme de la Joi, comme d'une régulation extéricure aux choses. « La loi, laction, la propriété constituent l'étre méme de la chose. La chose elle-méme n'est rien que cette loi. En la suivant, elle manifeste sa_propre nature intime, elle est. Dioi il résulte que toutes les choses réelles dans leur déve- loppement et dans toutes leurs manifestations sont fatale- ‘ment dirigées par leurs lois, mais que ces lois leur sont si peu imposées qu’elles constituent au contraire tout leur atre » 8, Vous vous croyez aux confine désertiques de labstrac- tion, nous sommes dans les jardins fleuris de la Fédération, Eb oui !« Vous nous accusez d'utopie ? Eh bien, l'anarchie est la fendance naturelle de! Univers, la fédération eet Vordre méme des atomes. » Voyons comment. La philosophie posi- tive est démocratique. Depuis Comte, au lieu de dépendre de I’Absolu, elle s‘organise de bas en haut, librement, La naturen’est pas un tout artificiel et séparg, elleest [a evie, lo solidarité et la causalité universelle?, la résultante, et non la cause, de I'infinité des actions et des réactions. Peut-étre a-telle une loi unique : nous ne la connaitrons jamais, et si nous voulions la saisir, gare & abstraction, qui méne au. ‘Néant : 4 Dieu. Non, l'unité et la généralité de la nature se distinguent précisément de Funité et de le généralité méta- physique outhéologique en ce qu'ellene s'établit pas, comme ‘ces deux dernigres, sur l'abstraction des détails, mais au con- 1 Bowne, Coit, plop frie di wl ‘monde réel, ef sur Chomme, C., 111, 370s, 2 Ties Pleline ANARCHIE ET PERSONNALISME 175 traire et uniquement sur la coordination des détails.«La grande Unité scientifiqueest coneréte:c’estl'unité dans infiniediver- L'Unité théologique et métaphysique est abstraite :c'est té dans le vide» 1. Kropotkine serre de plus prés encore Tes analogies : L’anarchie n'est qu'une des branches de la philosophie nouvelle qui s’annonce. La science est passée de Ihéliocentrisme a Vétude de I'infiniment petit, & qui elle demande maintenant d'expliquer le systeme solaire, dont Tharmonie n'est qu'une résultante de ces mouvements innombrables. Le biologiste ne parle plus que d'une fédéra- tion d'organes, le psychologue d'une fédération de tendan- ces. Done «rien de préconcu dans ce que nous appelons Tharmonie de la nature. Le hasard des choses et des rencon- tres a sufi pour l’établir ». Elle ne dure qu’a condition de se ‘modifier continuellement ; si elle est comprimée, la force ‘cosmique fait éruption comme les révolutions *. (On remar- ‘quera que contrairement a I'usage, ce sont les visetres qui son! comparés aux fédérations et les volcens aux révolutions).. Il ne s'agit plus, comme le veulent les sociaux-démocrates, de. thise, antithése, synthése. La méthode dialectique (ici mous retrouvons Proudhon) est gouvernementale, Ia "méthode naturaliste » est la seule méthode scientifique, et ‘enméme temps la seule parfeitement mutuelliste. L’anarchie ure, en matidre métaphysique, se nomme l'immanence pure. ‘Mais encore, quelle est la substance de cet univers fédé- ratif ? La matitre, et la matiére seule. Ce mot avait encore un sens, sans doute, & cette heureuse épogue. On nous avertit, en tout cas, que ce n'est pas la « vile matidre » & qui les spiritualistes ne concédent hypocritement que Ia stupi dité pour la déclarer ensuite incapable, mais une matitre qui peut tout (alerte aux ‘natures intimess!), done produit, tout : la pensée et l'histoire, —Cabanis, Marx, passons. Comment ? Cest simple et correct, cela'« se consoit par- faitement » : C'est un mouvement tout a fait naturel (sic) du simple au composé, de bas en haut ou de I'inférieur au supérieur ; un mouvement conforme & toutes nos expériences 1, Baxounins, Consdéatont., 217, 320, 372 2 Krororaint. Eanaehi, sa pilnophi som id, 6 x 176 UVRES journalitres..». Le sicn'est peut-étre pas trés philosophique, nila coupure d'une citation aussi majestueuse, mais sommes- nous encore dans de la philosophie ? Et cependant le méme Bekounine ajoute des choses bien pertinentes quand il oppose, & cette montée de la matiére vers Ia complexité totale de univers, les absurdités de ccertainspiritualismequinousest aussi unadversaire familier * On y reconnait la doctrine marxiste de Valignation. Pour ne s'appliquer qu’ une caricature de esprit (qui, depuis ongtemps il est vrai le eprésentait dans les places officielles) elle n’en est pas moins pour elle pertinente. Ce sont ces spiritualistes-I qui, «en divinisant les choses humaines » —entendez :en vidant le monde de la présence de Diew consacrent le triomphe sur terre — dans ce monde vidé — cdu matérialieme le plus brutal. Cette transcendance dont on a reni incarnation, cet « esprit » qu'on a voulu séparer du monde, rejeter vers les Tieux hauts pour étre plus tranquille dans les liewx bas, par un cruel retour des choses, voila {qu'il se découvre toutes les absurdités d'un esprit qui devient Tocalsé,au lieu d'atre présent: un esprit qui doit se fragmen- ter en parcelles (les mes), un esprit qui, od il va, expulse occupant (Dieu dont « Ja seule apparition sur terre * pro- voque l'anéantissement de Fhomme). Mystfié par le contre- sens commun a toutes les réactions anti idéalistes de lépo- que, Bakounine ne voyait pas que sa critique de I'« esprit » Giait en fait la critique d'une certaine notion savamment féti- chiste de quelque matitre subtile, la critique d'un matéria- lisme & visage spiritualiste. Inversement, son « matérialisme » est, en intention profonde, un désir de réalisme sprituel ma'adroitement habillé en matérialisme. Dans le « systéme idéaliste », nous dit-il, puisque I'«esprit » refoule Thomme 1.*Leplussomptcuementchamarcé deus commune (et de décoratons) fut Febaguc ees de Vetr Coun,» Qx'on wing, nous en dit Bako ine, uve osirtt hilesaybiqe,compaee ds estes les pls oppose, Agr mnlinge de Pires de Elan, de aolsiqus, de Deserts, de Pata, de Rane de psychulogs Asana Te tout superpos sur les ies dvins et ANARCHIE ET PERSONNALISME 7 au licu de Iélever, Ie developement historique de homme, ‘qui commence par un salto mortale inexplicable de I'Esprit, pur dans une matigre stupide, ne peut étre qu'une chute continue, & mesure qu'il constitue plus fortement son Dieu. Dans le matérialieme au contraire, dont In matiére est vivante, intelligente, homme s'éléve progressive- dessus de I Et comme (voici la dialec- tique qui nous sauve d’un monisme simpliste) tout dévelop- pement est négation du point de départ, cette histoire est tune « négation progressive de l'animalité de l'homme par Te développement de son humanité ». L'homme est une néga- tion, une belle révelte qui avance sur une trame illimitée de vi Si cétait ici la place de jouer serrer sur le plan philoso- plique, nous découvririons vite dans cette « matitre” en effet trés peu stupide une ¢ nature intime » des plus riches, fi riche que peut-étre elle ne suffirsit plus & la porter, et dans cette «négation » dialectique des origines une inter- vention « transcendante » dont il faudrait chercher lorigine. Dans cette étude oit nous cherchons plutét le rapport des idées aux hommes que les relations dialectiques ‘entre les idées, il importe de souligner quelle nostalgie, finalement, traduisait ce « matéralisme », quel besoin de présence, de solidité, quel sens authentique, sinon de la vraie réalité de Tresprit, qui est personne, du moins de la fausse réalité du «spiritualisme » bourgeois. Cela est si vrai que Bakounine ne_se sentait pas & Usise, loin de la, dans le matérialisme qu'il recevait de la science impersonnelle de Marx. Il n'y a pas d'etre choses ? Eh bien, si, tout de méme Et il est par la science. Ce n'est pas «'étre en soi » de Littré, « c'est ‘au contraire le e6té Te moins essentel, le moins intérieur, le plus extérieur & la fois, le plus réel et le plus passager, le plus fugitif des choses et des étres : cest leur matérialité immédiate, leur réelle individualité;telle qu'elle se présente tuniquement & nos sens, et quaucune réflexion de esprit ne saurait retenir, ni aucune parole ne saurait exprimer », 1, Empire, 18-80, eon 2 178 (EUVRES Ici +a science perd son latin et baisse pavillon devant la Vie *. La science positive universelle dat-elle @tre atteinte, elle ne le sera pas avant un siécle ; en bonne logique, dans ‘un monde qui n'est pas totalisable, mais anarchique et sériel, elle ne devrait jamais I'étre. De toutes maniéres, lle restera impersonnelle. Elle est la boussole, elle n'est pas le voyage. Elle est le commentaire, elle n'est pas la création. Quand un savant veut eréer, tout ce quill erée est pauvre, privé de sang ; ses abstractions sont ¢ vraies », avantage sur la méta- physique, —maisrestent des abstractions: elles nous décou- went les causes générales des souffrances individuelles et Ies conditions gérérales de I'émancipation réelle des individus vivant dans la société ; elles laissent passer «la matidre vivante et souffrante de histoire », et pour vielenter 'éman- cipation réelle, iI faut précher en quelque manitre «Ia révolte de la vie contre la science, ou plutdt contre le gouvernement, de la science »¥ Quelle * Confession », renouvelée de la Confession poli- tique au Tear, nous dira les débats intimes que dut livrer dans cette téte passionnée la conception héroique de la vie qui lui était naturelle, et le morne appareil qu'il recevait du scientisme positiviste !*. La synthése est dressée, le ton assuré, mais les contradictions, es repentirs, les disparates, sont plus chargés de sens que les arrangements. Une fois décidée cette premitre démarche confuse qui nous éloignait d'un spiritualisme impersonnel et vain, nous voila rejotés, aussi loin de l'esprit vivant, dans un autre impersonnalisme, Ce n'est pas en faisant chatoyer Ia matidre qu'on Tui donne plus de réalité, qu'on l'approche plus prés de l'homme. La vie elle-méme —nouvel effort pour échapper &'inhumain—, ‘quand elle n'est pasa splendeur de a personne vivifiant dans son acte la matiére, n'est encore qu'une puissance imperson- nelle et oppressive : vitalismes, racismes, visages animés du ‘matérialisme. Par un effort encore, Bakounine s’éléve & l'indi- Vidualité. Mais n'est-elle pas la plus Brillante des appa- rences ? Approximation de Metre réel ? Il brile de le dire, 1, Federalime.. 1, 76.2: Empits E> Ul, 88 2 Voiedanele Conf, 173, ce qui i deson got oir inépresible des vie herve ANARCHIE ET PERSONNALISME, 79 mais il renonce : « Telle est la double nature, la nature contradictoire des choses : d’tre récllement ce qui inces- samment cesse d'étre, et de ne point réellement exister danse qui reste général et constant au milieu de leurs trans- formations perpétuelles » 4, Si l'étre se débat, a fleur du monde de la science, pour s'arracher au pouvoir fantoma- tique de Ia science, pourquoi, Michel Bakounine, ne pas oser une derniére révolte, libératrice celle-la de tout le cosmos, homme et univers réunis, la révolte contre une science qui nie l'homme et l'étre ? Proudhon, Bakounine, Kropotkine, ces héraclitéens du monde moderne, attendent up Platon qui les délivrera de la hantise de Parménide et de Etre impersonnel, un Platon qui s'intéresse aussi bien aux lois des Etats qu‘aux lois de Dieu et relie lee unes aux autres: mais Platon n'était sans doute possible que sur les ruines accumulées par les sophistes, et quand Socrate, cet homme rude qui accoste les gens sur la place publique, eut rendu & la pensée sa verdeur. LA PERSONNE, COURBURE DE L'UNIVERS, Nous pouvons pressentir ce que répondrait aux héracli- tdens de la pensée ouvritre le Platon qu'un jour peut-étre nos difficultés feront naitre. Comme son modele, il procé- derait par maieutique, en partant des pressentiments et des contradictions de l'adversaire. Dans cette immense aspira- rs jusqu’a "homme, dont Ianarchisme sent la connaitrait en effet une acquisition de la moderne. Mais il en chercherait le sens. Il y discernerait Cabord une progression croissante vers plus de conscience, qui est un premier souffle d'esprit, et d'esprit personnel. Ii soulignerait en méme temps une prédisposition élémentaire de Ja matiére, que le dernier mot de la science définit par de I'indéterminisme, a T'insertion de possibilités multiples, puis son organisation croissante vers I'individualité, qui est possibilité plus grande de choix et d'aventure. Il montrerait 1. Coératonts, 394. 180 GUVRES comment la critique de l'idée de loi naturelle, qui semblait aux générations positivistes undogme intangible,a décorsetéla la science de 'univers, a rendu possible cette vision d'une vaste conspiration, d'une sorte de courbure structurelle qui forcerait peu & peu la matiére tout entiére a préparer le Tiew de la personne, puis a s'y soumettre. Délaissant une seience qui n'a étudié que le résidu de univers, et ne pou- vaity faire & homme que la place inhumaine d'une supréme résultante (un peu plus fragile et éphémére que les autres) de ses déterminismes, il inaugurera une science royale de I'univers en travail, recherchant les intentions qui, non comme des vertus abstraites, des doubles inopérants, mais comme une présence au caer méme des ftres,en ouillentla mative. I laiscerait les vains débats entre un esprit » impersonnel séparé et une Matiére stupide. Il montrerait quel'on n'a ainsi ¢aéparéo esprit que parce qu’on ‘eroyait son incorruptibilité lige ala simplicité nue et abstraite, alors quelle est d'abord affirmation et création d’incorrupti- bilit,afirmation d’autorité comme Personne irréversible et immortelle. II distinguerait cette Personne des misires de individualité, il montrerait que le mouvement par lequel «lle prend possession de soi est le méme qui la communique aux autres, et que Ja personalisation de I'Univers peut rebondir dans la formation progressive de masses de plus en plus organiquement vivantes, couronnement, surcroit, cet non oppression de la personne, Peut-étre irait-i plus loin encore, sattaquerait-il au défi méme contre Dieu, mon- trerait comment I'antagonisme disparait de cette perspec- tive nouvelle, se transforme en appel. Et peut-dtre serai éouté car, sans lui demander plus qu’elle n'a & dire, il naurait & aucun moment, partout oi cle ala parcle, refusé ‘ou méconnu les indications d'une science pleinement posi- tive, fidele & ses objets plus qu’a des méthodes précongues. On le voit, il s’en faut a Ia fois de beaucoup et d’assez peu pour que ce tableau ressemble aux schémas anarchistes. Un air de parenté, & impression globale, les évoque plutét que les schémas marxistes, car ces hommes vivants met- tajent dans leurs pensées plus de pressentiments que de systéme, Et pourtant, pous passer de I'un a autre, un ANARCHIE ET PERSONNALISME 18 changement de plan est nécessaire sans lequel, croyons-nous, Vanarchisme n’arrive pes & sauver les vérités morales qu'il avait approchées, les valeurs humaines qu'il a plus d'une fois vaillamment défendues, ‘On s’en persuadera si on regarde de plus prés & l'anthro- pologie qu’ils essayent d'esquisser sur ce fond de toile. ANARCHISME ET PERSONNE. Pas de coupure absolue de la nature & l'animal, de I'animal a homme , «Nous nions d'une maniére absolue le libre- arbitre » 8, La pensée est ambigué : elle mene A la science, ‘mais aussi a des abstractions absurdes, sans que l'on voie Ly aitune différence de nature entre ces deux activités *, intelligence et la volonté sont deux puissances toutes for- melles, sans contenu $, la vie une puissance créatrice, mais vague. Ott trouverons-nous homme ? Dans cette négation de l'animalité qui développe progres- ivementenlui"humanité ? Mais od voyons-nous un principe radical denégation, deliberté ? L’hommene saurait s'arracher au courant dela causalité universelle.« La liberté de l'homme consiste uniquement en ceci, qu'll obéit aux lois naturelles parce qu'il les a reconnues Iui-méme comme telles, et non parce qu’elles lui ont été imposées par une volonté étrangére, divine ou humaine, collective ou individuelle queleonque ®. in dehors d'elles nous ne sommes rien, nous ne sommes as. D'oit nous viendrait le pouvoir et Ia volonté de nous révolter contre elles? » Tout ce que nous pouvons, c'est de nous les approprier en les pensant, et faisant par 12 que, tout en continuant & leur « obtir », nous ne nous mouvons plus que dans nos propres pensées : «c'est vie-A-vis de la nature, pour l'homme, la seule dignité et toute la liborté possible. » Ainsi, Bokounine dans une critique aigué, a dépisté l'as- 1. Banounmne, Comite... EM, 259 2 tp. Paderalme» 1,18, 53 Mh. 238 4 Thad 259. 182 servissement de lesprit, chez homme, sonnel, abstrait de la volonté humai ficite Vanarcl ‘compare au Christ invisible de I'Eglise protestante, mais avec cetitre de gloire que ce dernier est personnel et que son di lui, est impersonnel ! Nous nous heurtons encore, et i avee vidence, au sophisme central de Vanarchisme : que la subordination a une personne est humiliante, que la subor- dination dune loi ou & un univers de choses ne U'est pas !* Comme sila premitre n'était pas seule & pouvoir traiter la personne comme personne ! Ce n'est pas qu’ici encore Bakounine ne se débatte avec le sentiment confus que eette nature Iui reste un maitre plus extérieur peut-étre que les rmaitres humains. « Maitriser la nature » est une idée-force de la tradition socaliste. Bakounine, qui est un lutteur, doit la penser avec un accent particulitrement violent. Mais quel sens Tui donner ? Tl remarque qu’on peut désigner, par ‘nature », l'ensemble des phénoménes de lunivers, ou, en tun sens plus restreint, ensemble des phénoménes “qui centourent homme, qui hui sont extérieurs, Contre cette nature extérieure, il doit lutter, certes (et c'est de ce point de vue que le monde apparait comme une lutte pour Ia vie) dde méme que l'individu doit lutter contre la société dans la mesure oit elle se constitue en force extérieure & lui (et eat decce point de vue que la liberté apparait comme tinct de révolte) : mais en fin de compte humanité et ind vidu ne dominent la nature qu'en lui obéissant. Rien ne nous laisse pressentir que, dans la pensée de Bakounine, de cette obéissance & cette domination il y ait introduction d'une vraie création ; la marge de l'une & autre nest que la marge de la vie a la science, cest-a-dire de_Ia nécess compliquée et inconsciente qui simplifige et consciente que nous régentons *. Un seul sens done a la liberté humaine, et il est négatif : que Thomme se désencombre des fantémes qu'il a eréés : 1. + En ne reconnsieant Fautorit sialue que dela sen abil, nous siengugeons done aucanement ote bend » Empire, Oy ll 98. Cle de Beer 96e, 28 2 Federations 1, 9 2 Conievations CTH, 287 ». ANARCHIE ET PERSONNALISME 183, Dieu, I'Esprit (ceci est le c6té partiellement marxiste), qu’it saffranchisse non de la société, mais des volontés des autres hommes (ici nous sommes en pleine terre anarchiste.) Tout se raménerait-il & une forme banale d'individua- lisme ? Tei opinion courante fait un contre-sens permanent sur Vanarchisme. A la seule exception de Stirner, dont nous avons dit qu'il institue un courant radicalement aberrant de Vanarchie, toute la tradition anarchiste se prononce contre Vindividuali jame est le principe bourgeois ct aristocratique *. D'oit vient qu'on l'assimile communé- ‘ment al'anarchisme ? C'est qu’¢ ona toujours confondu Pindi- iduation —cest-A-dire le développement complet de lindivi- idualisme » ®. Quelques écrivains, quel- {ques jeunes bourgeois révoltés ont peut-étre, aux débuts de Tanarchisme et ici ou 18, en. marge de lui, soutemu cette revendication individuelle « inintelligente et bornée » *, mais dés qu'l s'est implanté dans le monde ouvrier, T'anar- chisme s'est débarrassé de cette maladie infantile. L'homme cestalafois «le plus Qu’on se tourne ver duel et le plus social des animaux > nature: 'instinet de conservation de l'espéce, ou de reproduction, est aussi puissant que I'ins- tinct individuel. Qu’on se tourne vers la société : contraire~ ment & ce qu'a dit Rousseau, I"homme ne la crée pas volon- tairement, ily neit®, Mais qu'on recherche surtout la genése de Vindividualisme, et I'on verra qu'il s'insére exactement ‘au cazur du courant de pensée que combat l'anarchisme, définir Tindividualisme : I"homme qui disait déja de l'indi TAbsolu dans les rapports sociaux, I'homme s'élevant au- dessus de la société aprés y avoir élevé Dieu’. Transposez 1, Baxounince, EV, 342, — Geaves, Indie set 87» 2. Kronorsin, Science moderne, 104 3 lbw L'Entr ade, ch. 4.10% Science mane 9. 5, Btnoonte, Fléalime.. 1,137. 6 GV. 318, Uae lane meme cteine dre une fois, sous Vinflenee he maralme, aust fat opt ener parla soc y compris os prtendes inne ingen (Die et PEt I 28) Tate To See 184 EUVRES sur Vindividu Topération per laguelle "homme a inventé Tabsolutisme divin, et vous aver l'individu de Tidéalisme, Dieu-miniature, Etat-miniature, abstractic aussi isolé, aussi menagant pour les Iibertés que Diew ou Etat réels. Bakounine se faisait de bien curieuses idées du personnalisme chrétien. A Ja bonne école, il faut le dire, des adversaires faciles qu'il se donnait, il oppose en per- manence des asbtractions ; une loi morale intérieure ne ‘peut pas concerner Ie rapport de homme avec les autres hommes, une ame immortelle, douge d'une liberté et d'une infinité inhérentes & cette &me, fait deT'étre qu'elle anime un tre éminemment antisocial. Par la méme il appelle F'op- pression. Ses rapports avec les autres hommes ne sont plus ue des rapports matériels non soutenus par des besoins moraux, ne peuvent fonder qu'un seul systéme : l'exploit tion. Ce qui est hors de la liberté ne peut s‘organiser que contre Ia liberté, L'individualisme appelle Vabsolutisme de VEtat *, Nous en sommes entiérement d'accord. Et il faudrait poursuivre, ou, si l'on veut, retourner cette symbolique : TEtat totalitaire n'est qu'un individu agrandi, le fascisme n'est qu'un individualisme & forte échelle. On ne sort pas du systtme, On n'en sort qu’avee la personne, laquelle ne s'afirmequ‘ens'unissant.Crestalors seulement qu’iln'est plus possible deconfondrela personnalizatin avee Individual tandis qu'il est parfoitement de confondre individualisation et individualisme. ‘Comment I'anarchisme opérerait-il ce changemient de plon, malgré sa volonté de se séparer d'un si facheux voisinage > Cest bien faiblement qui essaie de creuser le fossé entre son individu a lui et celui de lindividualisme. En s'opposant ausysttme ibertaire de 'intért et de 6goisme bien entendu, Proudhon ne nic pas une métaphysique, il déplore une diff cculté : le principe, irréprochable, dit-il, dans hypothise d'une science économique constituée, est inapplicable dans tun état of Vharmonie économique ne sera jamais réalisée 8 1. Baxowwnes, Diss PEt, 264», 299s 2, Jie, E1300. ANARCHIE ET PERSONNALISME, 185 Dans ces conditions empiriques, seul le droit donne une sire mesure aux actes des hommes et cqnsacre par la Justice ce qui sans lui ne serait qu'un code dhygitne. Llanarchisme n’en refuse pas moins — et nous Ten Touons — de poser aucun probléme a partir du postulat de Trindividu isolé, « La liberté des individus n'est point un fait individuel, c'est un fait, un produit collectif » +. Affr- mation qui prend ailleurs cette si belle sonorité humaine : «Je ne suis vraiment libre que lorsque tous les étres humains gui mentourent, hommes et femmes, sont également libres... Je ne deviens libre que par la liberté des autres >? Mais li ob sa sensibilité le pousse, sa métaphysique est impuissante & le porter. Nous restons toujours & la recherche d'un axe résistant de la personne. Trois notions me semblent exprimer ce que T'anar- cchisme a sentide plus profond sur homme : celles de dignité, de révolte, d'émancipation, La dignité humaine est surtout une formule de Proudhon. Elle consiste «en ce que le sujet, s'honorant lui-méme et avant tout autre, affrme, parmi ses pairs, son accord avec lui-méme et sa suprématie sur tout le reste > #, Elle vient bien au-desous de la Charité (que Proudhon prend pour un ‘sentiment » subjectif), car nous ne sommes pas libres d’ai- mer, nous le sommes toujours de respecter. Notion fort kantienne, on le voit. Elle s'identife finalement avec le droit et la justice unilatéralement regardés. Mais quel est son contenu ? Que vaut "homme ? On a reproché aux anarchistes un optimisme intempérant —Peut-étre avons-nous parfois en effet exagéré, répond Keopotkine, mais par simple réaction contre le pessimisme chrétien et gouvernemental § Et le défaut n'est pas si général, puisque Graves doit mettre en garde certains. anarchiste Gi pense aux nibilistes russes) qui ¢ sous prétexte de réagir contre les bonshommes en baudruche de lécole spiritua- liste » et par peur de retomber © dans la fausse charité chré- 4 Bats, ch. XIV: 186 (EUVRES tiene » n'ont voulu voir dans 'homine que la brute incons- cciente et malfaisante, Le mal toujours renaissant du pouvoir nn'implique-t-il pas une sorte de pente fatale en I’homme ?* De fait, dans Vensemble, les anarchistes soutiennent assez communément, avec Graves, que homme n'est «ni bon ni mauvais, mais ce que le font le miliew et les circonstances » Sil était si mauvais que cela, il n'edt pas été si longtemps passif devant un monde tout entier organisé de fagon a le rendre éroce?. Lemeilleur des hommes, éerivait déja Kropor- kine, est rendu essentiellement mauvais s'il exerce ou s'il subit l'autorité, « On dit que quand nous demandons I'abo- Tition de I'Etat et de tous ses organes, nous révons une société composée d’hommes meilleurs qu’ils ne le sont en réalité. Non, mille fois non ! Tout ce que nous demandons, C'est qu'on ne rendre pas les hommes pires qu'ils ne sont, par de pareilles institutions »*. Sit, si par une transcription A laquelle nous voici habitués, nous entendons par autorité ‘quelque formedepuissance. Mais, autoritésupposéedégagée, ‘quereste-t-il ?« Ce que font de hommele milieu et les cir- cconstances », Graves en conclut non sans courage Togique voudrait que l'on conelit & son_irresponsabi Proudhon, plus dégagé des liewx communs positivistes, ‘maintenait au moins la Justice et lautonomie. C'est beau- coup. Est-ce suffisant ? Kant, du moins, établissait l'autonomie sur un affranchis- sement rigoureux du sujet moral a I'égard du plaisir et de Putilite. L'émancipation de Y'anarchiste 'émancipe de tout, ‘auf de lui-méme. De Godwin Kropotkine et & Graves, en mettant Proudhon peut-étre légérement en marge, son critére supréme d'action est le bien-étre*:« La dignit pour maxime ou régle de conduite la félicté... De 1a Vidée de bien et de mal moral, synonymes de celle de bonheur ou de peine » ®, «La plus grande somme de bonheur, et par 1, Bakounine voit ¢ a fond de histoire» une ¢tendance des une. vive cet de ronpiey aun dépene des auttes Lette our Fotemalonan, 1, 255 45 Gentes, Ln Soc fatre 3046 Indo t Sects, 108, 132 5. Denar soplewphic. 38. 4 Bor szemple Gnates, Indic et Sects, MB =, Ksororcn, Seleee ANARCHIE ET PERSONNALISME 137 conséquent la plus grande somme de vitalité », demande Kropotkine. Fallait-il tant d'épre grandeur pour retomber dans un hédonisme plus ou moins remuant ? La réoolle, que Kropotkine met au eceur de sa pensée, — il en fait, immédiatement aprés la conscience, la seconde tape de la liberté, et son étape adulte, — nous méne sans doute infiniment plus profond. Elle est le redressement de homme contre I'Absolu, contre l'obéissance aux pouvoirs : tune sorte d'acte total, inexpliqué, d’affirmation et d'ini- tiative premizre, et un salut, au sens quasi-religieux du mot. Mais du moment qu'elle se résorbe, en fin de compte, dans 'immanence générale de la nature physique, comment serait-elle plus, en fin de compte aussi, qu'un beau geste Par toutes ces voies héroiques, V'anarchisme tente de sortir de la forteresse oft Yenferme sa métaphysique pre- mitre, vers eette plénitude de Thomme total dont il gardait, dans le morne abandon d'une fin de siécle décadente, une farouche nostalgie. Autant d'impasses. Il n'est qu’a seluer la grandeur solitaire de I'eflor RECHERCHE DE LA COMMUNAUTE. adoxe qui oppose malgré tout I'anarchisme a l'indi- isme s"imprime plus profondément que ses historiens ne ont relevé dans les perspectives mémes de ses doctrines. Si pauvre quand il s‘agit de présenter l'homme personnel, capable seulement d'exaspérer V'affrmation agressive de son indépendanee, il nous donne au contraire de remar- uables lumiéres sur la réalité, toute neuve pour "homme moderne, confuse encore, de la masse ; il nous appelle & vivre et & penser des masses qui ne seraient pas oppressives pour les destins singuliers des hommes, mais au contraire toniques et élevantes. Le droit vivant, sous Timpulsion des doctrines de Gurviteh, Morin, Maxime Leroy, ete. défini depuis quelques années, en opposition au droit 1. Science madere, 2. 188 EUVRES Vidualiste qui domine notre histoire, les notions féeondes de personnes collectives complexes», de « totalités morales cextra-dtatiques , synthéses de personnalité et d'universalité, cit les personnes composantes ne sont pas un sous-produit de la collectvité, sans que celle-ci n'offre de son cbté rien de subsidiaire. Un « droit social» est né. Les recherches de la sociologie allemande contemporaine sur la communauté, malheureusement peu connues en France, viennent heu- reusement i sa rencontre * Ces juristes ne cachent pas leur filiation : elle est en droite ligne proudhonienne. Moins novateurs que Proudhon, les autres écrivains anarchistes n'en sont pas moins abondants sur cet : leurdoubleexigence collectiviste et Teurs intuitions dans ce sens. I! ne vient & Vidée de personne de considérer le fonctionnement du corps humain comme désordonné : chacun sait pourtant que le caur a son sys- téme nerveux indépendant, que le systime sympathique et le systéme nerveux central sont deux rois dans un méme royaume, qu'en cas de danger, ici et Ii surgissent par com- ‘mande locale des formations de défense. II faut le concéder au bon Kropotkine : notre corps resemble & une fédération plus qu’a un Etat totalitaie. Nous voiei amenés une fois de plus a briser nos associations habituelles. dissocier l'idée Ganarchie de T'idée de désordre pour la souder i Vidée dlorganisme décentralisé, en l'opposant & celle de mécanisme centralise, et (auf peut-Etre pour un aspect de Proudhon) Vorganisme centrals Nous avons étudié cette recherche en exercice sur la notion de fédération politique et sur celle de mutualité éo- nomique. Il ne nous reste qu’a en dégager rapidement esprit. La masse anarchiste est autonome, vivante, spontanée. Parlant du peuple, Proudhon affirmait déja qu'il n'est pas un "tre de raison », une © personne morale» comme disait Rousseau, « mais bien un étre veritable, qui a sa réslité, son 1. Nous rewoyons ay monument een de cet cecherches, ls tive de Ru Gunvitch sur ade de Dratmcel Site) 2.CE.R. Asox, Le wile allanande contemporaine, leas, ANARCHIE ET PERSONNALISME, 189 individualit, son essence, sa vie, sa raison propre » ¥. Les fondateurs d'Etac n’ont jamais cru en lui, c'est pourquoi ils ont fabriqué des Etats. Les anarchistes y croient, c'est en son nom qu’ils nient I'Etat ®, Comme un homme qui passe de Tenfance & l'age adulte, il reste longtemps sans affirmer tune conscience ow une volonté propres ; il se confie alors ‘aux premitres tutelles qui se présentent ; puis il prend cons- cience de son existence, bientat de son idée, peu aprés il en tire un systéme politique et une tactique, « Ainsi, la notion de personne, l'idée du moi, se trouve étendue et généralisée ily ala personne ou le moi individuel, comme il y ala per- sonne oule moi collecif.. La psychologie des nations et de Thumanité devient, comme la psychologie de homme, une science possible »® Matériellement prise, cette communauté du peuple n'est pas une communauté politique ou raciale, mais une solidarité de revendications économiques, née d'une solidarité de souffrances, d'intéréts, de besoins, d'aspirations ‘, Guillaume Je remarquait dans son Histoire de I'Internationale, est elle qui ressort toujours sous les déchirements politiques, ‘qui unit, alors que la politique divise. Elle n'est pas seule- ‘ment une force, elle est une sorte de « conscience historique», de © science traditionnelle pratique » contre laquelle la pro- pagande use vainement ses forces. De cette expérience mul- tiple et collective, les juristes du droit social ont montré comment sortait en foisonnant la vraie matitre vivante du droit et des sociétés. Kropotkine jetait déja aux contem teurs de la foule V'argument de cette richesse diffuse, semi ‘onsciente en chacun, et gui pourtant dépose les alluvions de Thistoire, bien avant que les constructeurs en fassent leurs matériaux®, De tous e8tés on la voit émerger dans des millers d'associations volontaires, pour des millers de buts, 1, ale stérle 26 2. Prouowon, Une Louis Blane, citée dane Vintrodu vale E66 3. lo, Résdonce dl rcolation, en annexe bE Ide gira, 369; Copae a. 19 4, Batonine, Fragment. CIV, 415s 5: lo, Protaaton, Ce, Vi, 82 IV. 451» 6. Scone moderne, Adee sine. 190 UVRES s‘organiser du simple au composé, par «libre-entente ». ‘Chacun des écrivains anarchistes a analysé sous un angle singulierlacohésion quidonnesoliditéetactivité a cette réal profuse. Proudhon l'appuie ala double colonne de tion comme ¢ force économique » ' et de la Justice comme force morale et affective & la fois. Kropotkine I'analyse ‘comme un instinct d’* entr'aide » * dont il démontre, contre ‘une interprétation unilatérale de Darwin, I'universalité dans la nature. Bakounine, plongé dans J'action, et dans I'action antimarxiste, y voit surtout une fraternité de sort, tel que nul ne voudra s'en affranchir pour lui-méme, mais seule- tment en solidarité avec tous ceux qui subiseent Ia méme ‘exploitation *, ‘Mais nous commencions & parler de masse et voici que ‘nous disons peuple. Une réalité libre et articulée semblait surgir de I'idée d'anarchie, allone-nous la jer en classe ? Bakounine, qui fait le plus grand usage de la notion de classe, était trop pénétré, malgré lui, de marxisme, et surtout connaissait de trop prés les luttes sociales pour ne pas accorder 4 la classe intérieurement uniformisée, agres- sive a I'extérieur, la réalité et le réle dont elles encombrent malheureusement [histoire contemporaine. «On aurait beau condamner la division, elle n’en existe pas moins dans le fait, et, puisqu’elle existe, il serait puéril et méme funeste, au point de vue du salut de ‘rance, d'en ignorer, d’en nier, de ne point en constater I'existence » #. Ce n'est qu’a regret, pourtant, qu'un cur anarchiste peut accepter cette massive et inhumaine réalité. Un des principaux griefs que Bakounine fai Marx, c'est d'avoir consacré, canonisé 1, Quant sux variations de Prouahon sur Tidée deneciaon, voi. le sisal Go 157 te Peteoducion de Bertbod 3,0 199 Ile longtemps ‘Spposd iTasseciation tant gue ce mo! Ii venat des diles de Lis Blone Pauly vor une lision individ Spite, tne négoiaton de servicer, ‘2 ton po un échange de sricsfondérurle Juice imperonnele PET Enaie, Hache, 5. GE, IV. 172 Nowe ne pelos pus de T! taacition dar deuistes» do Sing oe fa tute eee as PGW, 98s. 30s Ler solfrances de tows pur encore que ler outlancesindvidaler de chacin, ériut en 1858 Fourier comporteat Tie ‘Ueon, tae pt rier» (Gt doe Dlr, Hire do ouvert ure, 133) ANARCHIE ET PERSONNALISME 191 cette substitution de la classe & la masse * vivante : « Savez- vous ce que cela signific ? Ni plus ni moins qu'une nouvelle aristocratic, celle des ouvriers des fabriques et des villes... Classe, pouvoir, Etat sont trois termes inséparables, dont chacun suppose nécessairement les deux autres, et qui tous ensemble se résument défmnitivement par ces mots ;l'sssu- jettissement politique et l'exploitation économique des masses ® Ja classe relevait ainsi, par sa structure, de la société maligne, il aimait & y chercher, sous la brutalité de ses ressentiments, la ressource humaine. Ici il analyse cette «mauvaise conscience des bourgeois * * qui a précédé la conscience de classe ouvritre ; 1a, dans le prolétariat, il se plait a souligner que ses éléments les plus intacts, les plus riches en promesses, on doit les chercher souvent non pas dans la « fleur du prolétariat », c'est-a-dire dans la couche embourgeoisée, déspiritualisée déja, qui parle aux tribunes, s'infiltre aux postes de commande, imite la classe enviée, mais dans la « canaille » — il langait le mot au défi —, dans les zones basses, en tout cas, qui sont & peu prés vierges de civilisation bourgeois De la classe populaire, comme un chrétien de I'Eglise hors de laquelle il n'est pas de salut », il veut étendre les frontiéres & tous les « socialistes sans le savoir » *, Et il se complait en fin de compte sur cette vision universaliste de ‘sa mission que nous devons citer intégralement : « Puisque le prolétaire, le travailleur manuel, "homme de peine, est le représentant historique du dernier esclavage sur la terre, son émancipation est l'émancipation de tout le monde, son triomphe est le triomphe final de I"humanité ; quent, l'organisation de la puissance du prolét les pays par I'Internationale et la guerre qu'elle souléve contre toutes les classes exploitantes et dominantes ne peu- vent avoir pour but la constitution d'un nouveau privilége, 1, Nous ne rouvons pas Te motte hearewement cho, parent qui st de mals Masia ne Bisse de dines, ek que peuton conte des os ‘our leequele dee homme ont souffer ? 2 Let la Lert, ., 1, 374, 3. Latre aur Internationa, , 1,216. 4G, 1, too 192 EUVRES d'un nouveau monopole, d'une classe ou d'une domination nouvelles, d'un nouvel Etac, mais I'établissement de la Tiberté, de I'égalité et dela fraternité de tous les étres humains sur les ruines de tous les privilages, de toutes les classes, de toutes les exploitations, de toutes les dominations, en un mot de tous les Btats »#, Vv Nous avons accentué la faiblesse des positions centrales de l'anarchie aussi cruellement qu'il nous semblait néces- saire, Nous devons exiger d'autant plus d’un mouvement comme celui-li, et nous montrer d'autant plus séveres & son égard qu’il approche plus prés que d'autres les réalités ‘que nous eroyons seules aptes a vivifier I'ame populaire qui se cherche. Tout de méme reste-t-il& leur actif de les avoir approchées. Et nous allons voir comment, dans l'action ouvriére, ot leurs intuitions se sont moins déformées que dans leu expression raisonnée, ils ont infusé un esprit, en concurrence & la formation marsiste, dont le moins que nous puissions d re est quill a maintenu, au sein du socia- lisme, les plus belles chances de réponse qu'un personna- sme puisse aujourd'hui trouver. Ce semi-personnalisme ouvrier voyait avec effroi le mou- vvernent ouvrier, d'un mouvement vivant de « masses * orge- niques, oublier de plus en plus vite ses traditions libertaires. « Leselavage, dit Brupbacher en introduction aux Confes- sions de Bakounine, a engendré chez le prolétariat la volonté de puissance, non point seulement la volonté d'exercer le pouvoir aux dépens de la bourgeoisie, mais la volonté de puissance en elle-méme, d'une puissance imposée & tout ce figure humaine. » Ce péril, dont jamais un écrit com- muniste ne souffle mot, la litigrature anarchiste en est hantée, et ce n’est pas la moindre raison que la haine des snce, c6té communiste, Iui ont vouée. ANARCHIE ET PERSONNALISME, 193, Les anarchistes en ont bien vu les deux aspects concur- rents : tourné vers l'extérieur, limpérialisme d'une force ymnmence & se sentir daminante, A se séparer du corps social, & prendre le godt du pouvoir : la eéduction de la société par I'Etat. A T'intérieur, la centralisation, et cette sorte de fissure qui clive les sociétés abandonnées & la volonté de puissance en une minorité impérialiste et une majorité inerte dans laquelle les hommes perdent progt sivement le gout de I'initative et de la liberté. C'est & ‘térieur_méme de son action que le mouvement ouvrier trouve son principal adversaire, c'est a Tintérieur qu'il Jui faut le terrasser, A une époque oit il ne pouvait songer & revendiquer le pouvoir révolutionnaire, lo tentation s'est d'abord manifestée par lattrait du pouvoir bourgeois, qui lui donnait une issue. ‘Ona sans doute ici en mémoire la thése commune aux pre- tiers Internationaux, et aux écrits anarchistes qui les inspi- raieni : le peuple est uni par I'économique bien plus profondé= ‘ment que par le politique. Ce n'est pas, malgré l'apparence, tune thése matérialiste, du moins au sens moral duu mot. Il ne s'agit pas de replier les préoccupations du monde ouvrier, de propos délibéré, sur des problémes de statisti sur une action pour la conquéte du pain exclusive de toute vue générale sur l'homme, de toute participation & lensem- ble des problémes de la cit. Non : une telle amputation serait pour le prolétariat la mort, et lui-méme ne s'y résou- drait point ; sa situation économique méme le met dans une certaine situation politique et lengage & en tirer les consé- quences '. Il s‘agit seulement de constater une situation morale telle que tous les problémes pour le prolétariat se osent sur le plan vital, et non par une réflexion désinté- ressée. II ‘agit de reconnaitre le fait, et méme Ia valeur de cette liaison directe entre I'humanisme prolétarien en ges- tation et les nécessités quotidiennes, et d'affirmer sa pri- mauté, d'urgence et de dignité, sur une vaine émulation & Ja poursuite du pouvoir Les masses sont animées por l'égalité économique, clles 4. Bacourana, Fragment, IV, 433 6 see 6 194 UVRES rne Te sont pas, ott ne le sont que superficiellement, par les uerelles des polticiens *. Il y a la une sorte de suture vitale centre le matériel et le spirituel vrai, par-dessus les vains fan- tasmes des hommes. Crest pourquoi les révolutions sont des coupures moins nettes, des bouleversements moins pro- fonds qu'on ne eroit de Ia réalité sociale. Une révolution redresse la société comme un jeune arbre : « En ce redres- sement doit consister toute l'innovation révolutionnaire : il ne peut étre question de toucher a la société elle-méme, que nous devons considérer comme un étre supérieur dout d'une vie propre et qui per conséquent exclut de notre part toute reconstruction arbitraire » °, Lanarchisme est sur ce point profondément antiutopiste. A Dieu ne plaise, dissit Proudhon, que je prétende jamais avoir inventé une Idée. Ce sentiment puissant, imprimé dans V'instinet populaire Te plus dru, ne va pas sans un scepticisme, voire sans un pessimisme de grande race sur le politique, sur ses pompes et sur ses cures. Il était inévitable que cette disposition 4 son tour poussée & la manie, et nous verrons bientot aque les tactiques des anarchisants ne se trouvérent pas tou- jours au mieux de avoir conduite au systéme. La doctrine méme eut 4 en sauffrir, dans toute la lignée qui, de Saint- Simon et de Proudhan promitre manire au syndicalisme révolutionnaire orthodoxe erut devoir rayer purement et simplement de la société toute institution politique & cété de toute action politique. Mais quand elle reste vivante et critique, la thise a du bon, Et contrairement 2 ce qu’en laisserait penser Ia formule, elle donne aux revendications qu‘elle inspire un ton direct, un accent souvent brutal, ‘mais toujours humain, auquel|'dloquence, les citconlocutions, Tes hargnes feintes de la littérature politicienne sont bien etrangeres. Elle est inscrite en lettres de feu dans leeceur des milliers de travailleurs toujours préts 4 seréciter intérieurement la décla- ration qui ouvrettriomphalement la premitrecharte de IInter- nationale : « L'émancipation des travailleurs doit étre Pceuvre 2. to, , ML 16, 3. Prouowon, [de stale, 156s ANARCHIE ET PERSONNALISME, 195, des travailleurs eux-mémes ; les efforts des travailleurs ne doivent pas tendre & constituer de nouveaux priviléges, mais 4 &ablir pour tous les mémes droits et les mémes devoirs. » Quel accent et qu'on voudrait gu’il se fit maintenu dans tant de textes postérieurs ! Les exigences contrariges y sont ramassées dans une sobriété virile et sans éclat : le désir sutonomie, qui n'est pas désir de séparation, mais de dignité, d'effort personnel, de salut conquis et mérité, et la volonté d’universalité qui met en perspective cette lutte pour le droit de vivre, «Pour cette raison, continuaient les statuts, emancipation économique des travailleurs est le grand but auquel doit étre subordonné tout mouvement polit Le texte anglais ajoutait as a means, comme moyen. Les Jurassiens accusérent les marxistes d'avoir introduit subrep- ticement ces trois mots, afin de les faire rétablir plus tard dans le texte frangais et de faire commenter par les Congrés : comme un moyen nécessaire ». Ce qui arriva en effet Sans du tout rejeter les questions politiques, les anarchi- sants se posaient chaque jour & leur propos cette question qui leur servait de pierre de touche : * quel rapport y -t-il entre ceci et I'émancipation du prolétariat 2 »* Creat ainsi Identifier Iibre-entente & pagaie, © anarchisme et individualisme, oublier qu’ vidus il y a une matidre historique,des tendances orgeni- ques qui se font jour & travers leurs initiatives et relient leurs volontés. L'unité anarchiste n’est pas une unité de hasard, une unité kaleidoscopique comme on lui en jette couramment le sarcasme, elle " exprime I'éme de la société», elle est done « unité spirituell, ordre intelligible ». « Elle se constitue, invisible, impalpable,’perméable en tous sens 4 la Iiberté, comme lair traversé par 'oiseau, et qui le fait vivre et le soutient »?, lei comme partout, dés que l'anarchie systématise ses théses, elle tombe dans le ridicule. Dis quelle consent a les présenter comme des tendances direc- trices, des utopies d'orientation, elle donne aux mouvements 1. Baxouvans, IV, 42 341 5, VI, 65 « 2. Provonon, Capac, 187 202 EUVRES au'elle influence de fécondes inspirations ; elle lutte pour Te moins contre les dangers dominants de I'époque. Dans la premiére attitude, ses dboires ne comptent pas, depuis les années ot M, Andrieux, Préfet de Police,imprimait et diffu- sait lui-méme une feuille anarchiste passée entre les mailles de la sacro-sainte liberté avec un nombre impressionnant dindicateurs, jusqu’a des expériences plus réventes, plus massives et plus douloureuses. La seconde, nous lui devons avoir maintenu Thonneur du mouvement ouvrier. Elle ‘témoigne du méme sens confus et émouvant de la personne, de la méme défiance des apparences que nous avons & chaque moment croisés dans les doctrines. Bakounine accoutumait de dire quil n'y a que deux tactiques légitimes pour un anarchiste : la propagande léologique et l'action directe. Ce n’est pas un des signe: es moins graves de la démission| ‘des hommes que cette sorte de scepticisme impatient et un ppeu narquois avec lequel on accucille aujourd'hui dans tant de milieux ceux qui affirment la nécessité de mener de front avec la réforme des institutions la formation doetrinale et morale des hommes qui auront a y entrer. Les partis ouvriers ont delaissé pendant des années le développement de la capacité ouvriére. La © révolution spirituelle » passe pour fasciate. Or des hommes souvent aussi sommaires dans le dialectiques que les éerivains anarchistes font rougir ici Te moindve des militants d'aujourd' hui. Ne cherchons méme pas chez les plus grands. Ouvrons au hasard un livre de Graves '. Nous y lisons tout de suite que * c'est faire cuvre révolutionnaire que d'apporter, en nos relations présentes, tun peu de ce que devront étre nos relations futures * : car ‘si le milieu transforme homme, homme, & coup sir, transforme le milieu ». C'est done d'abord dans les tétes et dans les caus qu'il faut faire la révolution, seul moyen de Ie réussir. L'infiltration lente des fagons de penser et «agit suivant un esprit nouveau imbibera peu & peu la société jusqu’au jour oit elle aménera une rupture inévitable. « C'est une grande erreur, préparant une grande déception, pour le plus grand nombre des nétres qui croient la révolution 1, ni ot set, 218-254 ANARCHIE ET PERSONNALISME, 203 assez efficace pour opérer, de par sa propre vertu, la trans formation de T'individu, sinon complete, du moins assez, ssrande pour l'amener a assurer la réussite de la révolution ui Vaura régénéré. » Répandre T'idée de In « panacée- révolution », comme dit Graves, c'est entretenir une passi- vité qui explique tous les échecs : la révolution n'est pas tune entité, une personne métaphysique gui agirait « par une force secréte, qu'elle tirerait d'elle-méme ». « C'est un fait qui s'accomplit sous aprés tant de révolutions, les abus ont persisté, ou ont réussi, dans le nouvel état de choses, & se faire jour sous de no velles formes, etait, il faut bien le reconnaitre, que les i tiateurs du mouvement, trop en avance sur la foule, n‘avaient pu réussir &'entrainer dans leur marche en avant, ou — ce ui est plus probable —leur avance sur la masse, plus appa rente qu‘effective, laisseit en réalité leurs conceptions au niveau de la moyenne et tout leur révolutionnarisme se ornait a des changements de noms. » Cette recherche de Is plus profonde réalité historique, qui rejetait déjA les anarchistes de la politique parlementaire vers I'éeonomique, les mane iei jusqu’aux soubassements mémes d'une histoire amaine et raisonnable : «La transformation que nous désirons peut demander I'euvre de plusieurs générations or, tant que T'on ne se fera pas une idée nette de ce que pourra étre cette révolution qui doit transformer toutes nos conceptions, toutes nos relations sociales. on risquera fort clergoter indéfiniment et de ne pas s'entendre sur ce. qui lui sera possible et sur‘ce qui lui sera impossible, » I! ne s agit pas de reculer indéfiniment les révolutions nécessaires,, mais de pénétrer de cette conviction et de cet esprit au moins, a tous les degrés, les minorités agissantes. La misére ne suffit pas & déclancher, encore moins a éclairer une révo- Iution *. La violence ne fait que la parasiter : les ouvriers, anti-autoritaires y ont toujours répugné, et pensent au surplss quielle est ineffcace # ; leur devise est : impitoya- 1, Baxounane, Litre & un Prange, Ex, WV, 2 2. Ch fee Steals de linnce de la democraie coilite (Gdécliste) + Ls earnagr politique ont jamais tad de parte El force dep ‘x moins dana les Hommes que dans los choses. Knoportint, Lin ‘Sn ideal, 53, condamne en termes vif les volones ines, 204 : euv! bles avec les positions, humains avec les hommes révolution, c'est d'abord « 'elucidation méme desi Si la formation de I'initiative et de la pensée personnelle garantit Je militant de la passivité, V'action directe le pro- tage des illusions du discours. Eh ! qu'on ne nous fasse pas dire que nous approuvons ici la bombe et V'attentat ! Mais ‘méne quand ils donnaient ce sens extréme & la mystique de Vaction directe, les anarchistes obéissaient un besoin de se protéger contre Ia parole sans prises, contre l'adhésion sans engagement ; la traduction brutale de ce besoin ne doit pas cacher le vrai désir d'authenticité spirituelle qu'elle manifeste, Cest dans leurs propres rangs que les ouvriers ont vu *T'énergie du langage cacher Ta fablesse et l'incon- séquence des actes * *, Si tout homme a besoin de verifier Ta référence de ses paroles & ses actes, les masses, par for- mation et genre de vie, sont plus aisément dupes que d'au- tres, Elles ne savent penser « qu'avec leurs mains * les idées les grisent vite, et les mystifient sans résistance. Crest sur des choses concrétes, non sur des idées générales ou de Véloguence verbeuse qu'il faut les éduquer ?, réaliser ce {que Bakounine appelle leur « émaneipation parla pratique *. Kropotkine déclare le primat du fait réoolutionnaire, en période pré-révolutionnaire sur le discours révolutionnaire, et en période révolutionnaire sur le décret révolutionnaire. ‘Au milieu des parlotes et des discussions le fait révolution- naire s‘aflirme sans conteste, réstime péremptoirement les aspirations dominantes. Il excite l'audace, dévalorise Vad versaire ©. Un parti qui a la puissance théorique, phus per- faite peut-Etre que chez nul autre, mais qui n'a pas la puis- sance d'action, sera sur Ie plan politique moins suivi, moins cru®,Plus tard quand la révolution est la, le décret ne peut 1, Provonos, Justice. 51 2 Bawounont, Lates dan Franc, , 1, 26 3. Kerororaine, Scene moderne, 128 4, Vie. 5: Inv Prolesdun reel, 282 6, Er'mtine sr fe plan thderigue 6. Nov savons 4 Eypit que tle prise 42 positon aot Hpde-Chine, sur le probe expegna tale palimaee, oat our Fort ot te ave er fre anata # oe ANARCHIE. ET PERSONNALISME, 205 aire que sommaire, irritant pour beaucoup, qu'il rejette & la résistance. Les révolutionnaires ne doivent done pas faire la révolution par décrets, mais la provoquer dans les ‘masses. Ne pas faire de la centralisation, mais de la provo- . mettre le diable au corps des masses », Kropotkine exprime en termes d'action violente ce que d'autres ont appelé, sur le plan des idées et des eroyances, une méthode dimmanence. Ainsi firent les Conventionnels, quand © la France de !'Etat » était perdue : ils envoyérent a ls « France du peuple », pas & ses mandants, mais au village méme, des commissaires chargés de ranimer sa flamme, en la € pous- sant dans Ia direction de ses propres instincts » ¥, Sans cette sorte d'émeute permanente du peuple francais qui gronde de 1788 & 1793, la révolution nei &é que bourgeoise et conservatrice. C'est par ce biais que les anarchistes passérent fla tactique émeutiére, Ici encore ils glissérent au systime. Cété formation des hommes, ils crurent aisément que prépater «dans les flancs de I'Internationale » un embryon de la société future sufi- ait pour que, la société nouvelle ayant grossi, I'ancienne s‘écroule de sa propre faiblesse : la passivité ‘et I'inertie les rattrappaient par un détour. Coté action, ils sont respon- sables d'une certaine mystique de agitation permanente dont il n'est pas dit qu'elle ne profite pas plus au regrou- pement des peurs et des forces de résistance qu'aut maintien ‘en bonne forme du mouvement de revendications popu- laires. Mais dans ces deux idées maitresses, réinsérées dans tune spiritualité personnaliste, ne reconnaissons-nous pas une préfiguration des deux motifs qui ont constamment soutenu cette revue : primauté (et primauté anti- « spiri- tualiste » du spirituel), nécessité de engagement ? . (Ces suggestions tactiques nous raménent & netre point de départ et nous aménent & notre point final. Nous avons étudié 'anarchie & la fois comme un systéme et comme une 1, Baxounne, Lettres dan Fraga, 1, 86 206 EUVRES tendance, Le systiéme s'est révélé sans résistance, nuageux jusqu’a T'utopie. La tendance sous-jacente, nous y avons découvert par contre une remarquable parenté d'accent avec les ndtres, sous les formulations intellectuelles parfois les plus opposées. Dans la mesure oit elle est vivace dans le peuple francais, — et elle V'est plus qu‘on ne croit — c'est elle qu’éveilleront nos ides quand nous ticherons & les com muniquer en dehors de leur appareil doctrinal. Il est bon de savcir l'écho, méme déformé, que renverront certaines idées ; ilest surtout bon de le savoir quand il est déformé, ‘ear on risque alors, ou de n'y plus reconnaitre un écho; ow d'oublies lee paroles que l'on a prononcées. Nous avons es- sayé d'apporter ici les éléments du dialogue, de préciser les références. Notre tiche est faite si elle a établi quelques ponts, dustent ces ponte rester des ponts-frontitres. Emmanuel Mounrer,

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