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L’Art de la souffrance

L’art de la souffrance
Antarès Trib
Antarès Trib

“Toc...toc...toc...” On frappe à la porte. Le silence replonge la pièce dans l’ignorance.


Je demeure assis sur le siège de bois. Cette pièce vide attire mon regard. Les murs sont vides,
le sol est vide, le plafond est vide, la lumière est vide. Moi aussi, je suis vide. Je suis nu. Mes
mains sont attachées à mes genoux par des bandes de plastique blanc translucide. Mes cuisses
sont fixées au siège de bois par des liens identiques. Mes pieds sont attachés au siège. Je ne
sais pas comment. Je ne peux pas bouger. Je pense que le siège est aussi attaché au sol, mais
je ne peux pas le voir. J’ai essayé de me lever. Je n’y suis pas arrivé.
“Toc...toc...toc...” On frappe à la porte. Je ne peux pas parler. Ma bouche est
engourdie, pâteuse. Je n’arrive pas à déglutir. Ma gorge me fait mal. Elle est sèche. Mon nez
me démange. Je ne peux pas le gratter. Je dois supporter cette gêne. J’essaye de ne pas y
penser. Plus j’oublie, plus j’y pense. À chaque fois il revient, une nouvelle envie, un nouveau
besoin, la sensation que si j’arrivais à me frotter l’aile droite de mon nez ce serait comme
sortir d’un cauchemar profond et sombre, où aucune lumière ne semble pouvoir briller.
J’essaye de penser à autre chose. Comme il n’y a rien autour de moi, je regarde en moi.
J’essaye de me souvenir d’un jour où j’étais bien, où le ciel était ma seule limite, où il y avait
des ombres pour se cacher du soleil, de l’herbe sous les pieds. J’essaye de penser à quelque
chose de chaud, quelque chose d’agréable, pour oublier que mon nez me démange.
“Toc...toc...toc...” On frappe à la porte. La porte est la seule chose qui ait vraiment de
l’importance. La porte c’est la sortie. La porte c’est autre chose. La porte, c’est le chaud, le
froid, l’éblouissement, le frisson. La porte c’est autre chose. La porte cache quelque chose,
quelque chose qui se trouve derrière, et qui frappe. Cela frappe mais n’entre pas. C’est
présent, ça existe, mais je ne le vois pas. Ça existe pour moi. Peut-être que je n’existe pas
pour ça. La porte est là. Elle est de l’autre côté. Ça et moi avons cela en commun. Cette porte
est mon seul univers. Cette porte est tout.

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“Toc...toc...toc...” On frappe à la porte. Je veux dire quelque chose. Quelque chose
comme “entrez” ou “ouvrez” ou “venez, pénétrez dans mon monde, faites comme si j’étais
absent mais délivrez moi de ma solitude et de mes chaines blanches et translucides”, quelque
chose comme ça. Je veux dire quelque chose mais je n’arrive pas à parler. C’est comme si ma
voix était juste faite de mots. Ma bouche est si pâteuse que mes mots doivent être devenus
solides et visibles. Quand je parle, mes mots doivent tomber sur le sol, et apparaitre. Moi je ne
les vois pas. Je les entends. Mais ceux qui ne les entendent pas doivent pouvoir les voir. Mais
pour les voir, il faut qu’ils entrent. Et ils ne rentrent pas.

“Toc...toc...toc...” On frappe à la porte. On frappe à la porte. On frappe à la porte !


Arrêtez de frapper à la porte de ma solitude et rentrez pour effacer la solitude. Même si vous
ne me voyez pas, rentrez dans ma solitude et faites là devenir moins seule. Mon nez me
démange. Je n’arrive plus à penser à autre chose que ce bruit qui s’est encore refermé derrière
cette porte. Je parle mais j’ai l’impression qu’aucun son ne sort plus de moi. J’essaye de briser
la solitude en me parlant mais ce que j’entends n’est pas nouveau, ma pensée me le dit aussi.
Quand je pense je parle. Quand je parle je pense. Parler et penser sont pareils ici. Penser à soi-
même, parler à soi-même, c’est pareil.
“Toc...toc...toc...” On frappe à la porte. Je crie. Crier, ce n’est pas des mots. C’est juste
un bruit. Celui là, je l’entends, je sais qu’il existe. Il me revient. Il rebondit. Les murs ne le
laissent pas. La porte ne le laisse pas passer. Celui là, je l’entends, et je sais que je suis le seul.
Mes mains commencent à me faire mal. Elles sont engourdies. J’ai des picotements qui me
courent sur les doigts. Je les bouge, j’essaye de faire passer la douleur. Mais il n’y a rien qui
puisse me faire oublier que j’ai mal aux mains, que mon nez me démange, que je me sens seul
et que personne ne me voit. Si seulement la chose qui frappe pouvait entrer, je suis sûr que
tout s’effacerait, qu’il ne resterait plus rien de cette salle à la lumière vide, au plafond vide, au
sol vide, aux murs vides. Cette pièce n’existerait plus, le siège n’existerait plus, les chaines
translucides et blanches n’existeraient plus. Ça a juste besoin de rentrer et je pourrais me
lever, et tout ce que je pourrais dire sur ce que je vis n’existerait pas, car il n’y en aurait
aucune trace, sauf dans mon esprit, sauf dans mes mots.

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“Toc...toc...toc...” On frappe à la porte. Je voudrais que ça entre. Je voudrais que ça
entre, ou que ça arrête de frapper. J’essaye de bouger, j’essaye de faire bouger le siège sur
lequel je suis, j’agite mon corps de toute la force de mon esprit, mais je ne bouge pas de
l’endroit où je suis. Je reste au milieu de ce lieu vide, où je suis la seule chose présente. Je me
débats, je lutte contre mon corps entravé. Rien qu’un geste, rien qu’un mouvement. Je me
fatigue mais rien ne se passe. S’il vous plait, faites que je réussisse à bouger, juste un petit
geste, rien d’autre que quelque chose de différent. Je veux que quelque chose change, et qu’il
y ait un avant, et un maintenant, et un après. Pourquoi est ce qu’il n’y a pas quelque chose qui
marque le temps ?
“Toc...toc...toc...” Arrêtez, laissez-moi sortir de cet univers sans vie. Laissez-moi vivre
! Laissez-moi grandir par moi-même, que je puisse regarder autre part que devant moi sans
rien voir d’autre que cette porte. Je veux voir ce qui se trouve derrière moi. Qu’est ce qu’il y a
derrière moi? Peut-être qu’il y a une fenêtre, ou une lucarne, ou une vitre, quelque chose de
différent de cette porte. Je ne veux plus voir cette porte, je ne veux plus voir les murs crûs, je
veux voir autre chose ! Juste quelque chose de différent. Je ne veux plus avoir l’impression
d’être mort, je ne veux pas mourir, ou pire, je ne veux pas avoir l’impression de ne pas
exister. Je n’ai pas voulu être ici. Quelqu’un m’a mis ici. Dites lui de me sortir d’ici.
“Toc...toc...toc...” Arrêtez ! Arrêtez tout ça. Si quelqu’un me voit, si quelqu’un arrive à
voir les mots que je crache et qui se durcissent quand ils sortent de ma bouche, venez me
délivrer, qui que vous soyez... Je n’en peux plus. J’ai l’impression d’être ici juste pour que
personne ne me voit, d’être ici pour rien, d’être ici sans être ici. J’ai l’impression d’être mort.
Si ça se trouve je suis mort. Si ça se trouve je suis en train de vivre ma mort et personne ne
m’entend, car je ne fais pas de bruit. Si ça se trouve je suis ici pour vivre ce que je vis. Si ça
se trouve je n’existe pas. Peut-être que je n’arrive pas à bouger parce que celui qui m’a mis ici
ne veut pas que je bouge. Il ne veut pas que je bouge parce qu’il veut me montrer immobile,
me montrer en train de me débattre inutilement contre des chaines qui n’existent pas vraiment,
qui n’existent que parce qu’il a voulu que je les vois et qui n’existent que pour moi. Peut-être
que toute cette pièce est vide parce que celui qui m’a mis là veut qu’on ne voit que moi qui
essaye de vivre, mais qui ne le peux pas.

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“Toc...toc...toc...” Ça peut continuer de frapper. Je m’en moque maintenant. Ça frappe
juste pour me faire croire qu’il y a quelque chose d’autre de l’autre côté de moi. C’est ça.
C’est forcément ça. Il veut que je me débatte, il veut qu’on me voit me débattre dans ce
monde vide. Il veut que je sois un simulateur de vie qui cherche la vie. Non, je ne me
débattrai plus. Je ne veux pas être juste ça. Je veux être autre chose, quelque chose que moi
seul peut décider pour moi. Non... non pitié, faites que mes cheveux ne me démangent pas.
S’il vous plaît. Je dois penser à autre chose. Mais à quoi ? Je ne me souviens de rien d’autre
que cette pièce vide, de ces murs vides, de ce sol vide, de ce plafond vide, et de cette porte
devant moi. Je n’arrive plus à penser à autre chose qu’à mon crâne qui me fait mal, qu’à mon
nez qui me fait mal, qu’à mes mains engourdies. Faites moi penser à autre chose, un petit
souvenir, même s’il n’est pas vraiment de moi. Faites moi penser! Seul, je ne peux pas penser.
Je ne sais pas qui je suis.
“Toc...toc...toc...” Je suis ce corps. Regardez qui je suis. Pour vous, pour moi, je ne
suis que ce corps. Je suis vide à l’intérieur. J’ai été créé comme ça. Je veux remplir ce corps
que l’on m’a permis de posséder. Je suis comme cette pièce... Je suis cette pièce. Cette pièce
est exactement comme moi. Je suis exactement comme cette pièce : Derrière moi il n’y a rien,
devant moi il y a une porte et ça frappe dessus, comme celui qui m’a fait. Il me frappe, il me
torture, il me fait rendre compte du vide que j’ai en moi. Je ne suis là que pour montrer le
vide. Regardez ce que je suis ! Je suis vide, vide, vide, vide de tout. Je suis ce vide, et c’est ce
vide que vous regardez. Vous regardez le vide et la souffrance. C’est par votre faute que je
suis ici, que je suis. Mais moi, je ne suis pas vide, pas pour moi. J’ai envie de vivre. Ça me
remplit. Moi, je ne regarde pas le vide, je cherche à vivre, et à faire vivre. Vous, vous
cherchez juste à...
“Toc...toc...toc...” Allez-y, frappez sur le vide, frappez tant que vous le pouvez. Vous
frappez sans rien entendre, alors que moi je ne frappe pas, et j’entends tout.

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