Il s'agit de commenter un arrêt de l'assemblée plénière de la Cour
de Cassation, datant du 29 juin 2007. L'assemblée plénière ne se
réunit que dans le cas d'une affaire présentant la nécessité d'une prise de position générale par la Cour de Cassation. Au sein de cette affaire, la responsabilité délictuelle est en cause : le fait d'une personne a causé un dommage à autrui, qui tente de faire indemniser. Plus précisément, il s'agit d'une responsabilité pour autrui, précisée à l'article 1384 alinéa premier du Code civil. En l'espèce, un particulier, participant à un match de rugby, a été blessé lors d'un match, à l'occasion d'une mêlée. Afin d'obtenir réparation du préjudice subi à la suite de l'effondrement de la mêlée, il assigne les comités et leu assureur commun. Un arrêt est rendu en appel, qui est cassé par la cour de cassation. Après renvoi, la Cour d'Appel de renvoi résiste à la position de la Cour de Cassation. Les motifs de l'arrêt de la Cour d'Appel énoncent que seul un lien de causalité entre un fait et un préjudice sont nécessaires pour que le préjudice soit réparé. Un nouveau pourvoi en cassation est alors formé, et l'Assemblée plénière se réunit. D'après le moyen unique, la Cour d'Appel de renvoi aurait violé l'article 1384 alinéa 1 er du Code Civil en déclarant que seule la preuve du lien entre le fait dommageable et le préjudice était nécessaire, indépendamment de toute circonstance particulière et de toute violation des règles du jeu, pour permettre à la victime du dommage d'obtenir réparation. Au moyen de ce pourvoi, la question qui semble être posée à la Haute Juridiction est de savoir si la preuve d'un simple fait dommageable est suffisante pour ouvrir la possibilité à l'indemnisation d'un préjudice. L'assemblée de la Cour de Cassation répond par la négative à cette interrogation. En effet, elle casse l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de renvoi, au motif qu'elle était tenue de relever une faute caractérisée par une violation des règles du jeu, même si ceux-cis n'étaient pas identifiés.
I La confirmation de la nécessité d'une faute caractérisée pour
réparation.
A Une attestation de l'acceptation des risques en matière sportive.
En matière de pratique sportive, les joueurs acceptent les risques
inhérents à la pratique du sport. Ainsi, ils acceptent d'être potentiellement blessés lors de la pratique du sport, dans la mesure où c'est une des risques potentiels lors de la pratique du sport. Cette acceptation advient de manière tacite: le seul fait d'adhérer à une association sportive afin d'y pratiquer un sport constitue une acceptation des risques. En l'espèce, tous les joueurs de Rugby ayant participé à la mêlée avaient accepté le risque d'être blessés; a fortiori, dans un sport de contact tel que le Rugby, qui est basé sur des actions relativement violentes pour le corps, comme les mêlées ou les différents placages nécessaires afin de gagner le jeu. Bien qu'une acceptation des risques ait lieu lors de la pratique d'un sport en club (A), cette acceptation ne saurait porté sur tous les risques (B).
B L'attestation de la sanction des faits anormaux.
Cependant, acceptation des risques ne sous tend pas acceptation
de tous les risques. Les joueurs acceptent les risques inhérents à la pratique du sport, ce qui équivaut à dire que seuls les risques liés à de potentiels dommages, dans les limites des règles du sport en question sont acceptés.On ne peut engager la responsabilité délictuelle de l'autre joueur qu'en démontrant une violation caractérisée des règles du jeu ( 2 ème chambre civile, 15 décembre 1990). Cette position, conforme à l'arrêt de 1990, est compréhensible dans la mesure où, autrement, il y aurait une immunité quasi totale des joueurs, qui pourraient passer sous couvert de pratique toutes les exactions commises lors d'une rencontre. En l'espèce, la mêlée s'est effondrée et a causé un préjudice à l'un des pratiquants. D'après le moyen du pourvoi, la preuve n'est pas rapportée de ce que cet effondrement était en contravention avec les règles du jeu. C'est à ce niveau qu'intervient l'opposition entre les juges du fond et les juges de la Cour de Cassation. Les juges du fond, de la Cour d'Appel d'Agen et celle de renvoi (Bordeaux), avaient estimé que l''effondrement d'une mêlée fermée ne pouvait être que la conséquence d'un mauvais positionnement d'un ou plusieurs joueurs ou d'une poussée anormale, soit latérale, soit vers le bas ; que cet effondrement est nécessairement le résultat d'une faute, certes courante, mais volontaire et de nature technique ; qu'il s'agit d'une violation des règles de positionnement de mise en mêlée ou d'une poussée irrégulière, d'une faute non dans le jeu mais contre le jeu ; que cette faute a joué un rôle causal dans les blessures subies par la victime à la suite de l'effondrement de la mêlée ordonnée. Les juges de la Cour de Cassation, dans le premier arrêt puis dans celui d'assemblée plénière ont retenu que ces motifs ne caractérisaient pas une faute en violation des règles du jeu commise par un ou plusieurs joueurs, même non identifiés, qui est la seule à être de nature à engager la responsabilité d'une association sportive. Cette opposition dénote de la difficulté de caractériser une faute en contravention aux règles du jeu. En l'espèce, les juges du fond s'étaient basés sur des suppositions pour admettre que l'effondrement de la mêlée était dû à une faute des règles du jeu ("l'effondrement d'une mêlée fermée ne peut être que la conséquence d'un mauvais positionnement d'un ou plusieurs joueurs ou d'une poussée anormale, soit latérale, soit vers le bas ; que cet effondrement est nécessairement le résultat d'une faute").
Par le truchement de cet arrêt, la Cour de cassation rappelle non
seulement la possibilité de l'indemnisation des joueurs ayant subi une préjudice sous certaines conditions (I), mais reconnaît aussi la responsabilité des associations sportives organisatrices, en matière de dommages corporels de joueurs en cour d'un match (II).
II La précision de la responsabilité civile des clubs sportifs.
A La consécration d'une double responsabilité pour autrui.
Déjà dans un arrêt de la deuxième chambre civile du 22 mai 1995,
la Cour de cassation reconnaissait la responsabilité d'une association pour le fait d'une de ses joueurs, encore une fois lors d'un match de Rugby. Cependant, à cette époque, un coup de pied avait été asséné par un des joueurs à un autre joueur; ni les moyens du pourvoi, ni les motifs de la Cour de cassation pour rejeter le pourvoi n'énonçaient que ce coup de pied constituait une faute par rapport au règles du jeu. A la lecture de l'arrêt de 1995, il semble que la cour de cassation voulait conférer une responsabilité pour autrui, en tout état de cause, aux associations sportives pour le fait de leurs joueurs. La situation évolua quelques peu dans un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation du 12 décembre 2002, prévoyait une responsabilité de plein droit des associations de loisir des actions de ses membres dans le cadre des activités prévues dans le statut. La position de la cour de Cassation fut encore précisée: la responsabilité de l'association était à bon droit écartée dans un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 20 novembre 2003, lorsque aucune faute caractérisée n'était imputable à un joueur, même non identifié, membre de l'association. L'arrêt de 2007 est confirmatif de l'arrêt de 2003, en ce qu'il retient qu'une faute caractérisée est nécessaire, même d'un joueur non identifiable, pour que le droit à réparation civile soit ouvert. Au moyen de cet arrêt, la Cour de cassation reconnaît explicitement la responsabilité des associations pour les faits dommageables contraires au règles du jeu commis par leurs joueurs. Ainsi, la cour de Cassation retient qu'il y a une responsabilité pour autrui, au sens de l'article 1384 alinéa premier du Code Civil. Mais implicitement, la haute juridiction reconnaît aussi la responsabilité des autres joueurs pour le fait contraire aux règles du jeu commis par l'un de leurs équipiers. En effet, dans la mesure où les associations sont essentiellement financées par les adhérents, c'est l'ensemble des adhérents qui est reconnu responsable du fait dommageable commis par l'un d'entre eux. Ce paradoxe nous amène à nous questionner sur l'opportunité de la position de l'assemblée plénière dans l'arrêt du 29 Juin 2007 (B).
B Une jurisprudence opportune?
Cette position se justifie dans l'optique de la cour de Cassation,
qui est de garantir au mieux la réparation subie par les personnes, qu'elles soient physiques ou morales. En effet, les associations, fédérations et clubs étant a priori plus solvables que les particuliers, il est logique de leur confier la responsabilité pour les faits commis par les joueurs dont ils sont responsables. Cependant, dans une optique d'éthique, ne serait il pas que chacun soit responsable de ses propres actes? Il serait peut être louable d'adopter une telle position. La réparation des préjudices subis serait sans doute plus complexe à accomplir, mais les principes de la responsabilisation seraient peut être mieux servis. En effet, il est surprenant que l'on puisse concevoir que les associations sportives soient responsables des faits contraires aux règles du jeu commis par leurs préposés: en effet, les associations disposent d'un pouvoir d'organisation, de direction et de contrôle des activités prévues dans leurs statuts, mais l'être humain demeure faible et donc sujet à l'erreur et à la tentation de nuire à autrui. On peut concevoir que reconnaître une responsabilité pour autrui aux associations concernant leurs membres soit une forme de "dé- responsabilisation" des membres. En effet, si l'association est responsable de leurs actes, pourquoi s'inquiéteraient-ils de respecter les règles du jeu? Par ailleurs, le critère de la faute caractérisée est tendancieux, dans la mesure où les juges ne sont pas tenus de suivre les prises de position des arbitres. en l'espèce, l'arbitre n'avait pas sifflé pour indiquer une faute, et les juges du fond ont quand même retenu l'existence d'une faute. Cela montre à quel point la casuistique intervient dans la responsabilité civile, dans l'optique, toujours plus forte, de la réparation des préjudices subis.