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FIRENZE
SISMEL . EDIZIONI DELGALLUZZO
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ENTRE HISTOIR-E
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MILLENNIO MEDIEVALE 58
Strumenti e studi
n. s.
11
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ISBN 88-8450-146-6
© 2005 - SISMEL . Edizioni del Galluzzo
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FIRENZE
SISMEL · EDIZIONI DEL GALLUZZO
2005
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IX Introduction
L’EXEMPLUM
701 INDEX
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INTRODUCTION
tence littéraire risque de ne pas les remarquer ou de mal les comprendre. Le spé-
cialiste de la littérature ne peut pas non plus faire l’économie de l’histoire fac-
tuelle, il lui faut replacer l’œuvre dans le cadre interactionnel dont elle est is-
sue, en respecter ce qu’Umberto Eco nomme l’intentio operis. Même si, faute d’in-
formations, la situation herméneutique d’origine demeure obscure, cela n’autori-
se pas pour autant une lecture qui se limiterait à l’analyse des structures formelles
ou qui s’ouvrirait sur tout ce qu’une fantaisie postmoderniste pourrait imagi-
ner. «L’intention de l’œuvre», même partiellement hypothétique, reste à la fois
son stimulus et son garde-fou historique infranchissable.
Le titre de ce recueil: Entre histoire et littérature exprime ma conviction que ce
double engagement entre le vécu et le langage du passé constitue mon mariage
de «Mercure et Philologie», mariage qui n’admet ni séparation disciplinaire ni
priorité épistémologique. C’est pourquoi, dans la petite esquisse autobiogra-
phique qui suit, je voudrais m’expliquer sur ma méfiance vis-à-vis des excès de la
spécialisation. En guise de préliminaire j’aimerais préciser que je n’ai pas la
moindre intention de me présenter comme modèle ou antimodèle de quoi que ce
soit, mais uniquement de décrire, d’expliquer et peut-être parfois de justifier les
aléas d’un chemin de vie.
Je commencerai par un aveu: ce n’est pas d’une qualité qu’est né ce refus de tou-
te spécialisation, mais d’une faiblesse, de l’incapacité à faire un choix. À l’adoles-
cence nous sommes tous forcés de quitter le paradis des possibilités infinies; hor-
mis les cas de vocations irrépressibles, les choix, pour la plupart d’entre nous, se
font heureusement par paliers successifs. À l’âge de vingt ans, devenir professeur
titulaire de latin médiéval ne me serait même pas venu à l’esprit. En rusant un peu
avec le sort l’on peut heureusement parvenir à éliminer les prédilections secon-
daires ou moins urgentes. Au lieu de me diriger vers les Beaux-Arts ou l’Art dra-
matique, j’ai cédé à l’injonction de faire des études supérieures «sérieuses, qui mè-
nent à quelque chose d’utile». Il me fut d’abord facile de réduire les choix à la seu-
le faculté des lettres, puis à l’intérieur de celle-ci, après beaucoup d’hésitations, de
préférer l’histoire aux langues et littératures romanes; le hasard m’a orienté vers le
Moyen Âge. Ce qui me semble aujourd’hui rétrospectivement important, c’est que
toutes ces options abandonnées ont eu une survie clandestine, sont restées pour
ainsi dire en veille, prêtes à être réactivées; je ne me suis jamais vraiment consolé
d’avoir dû opter pour une seule voie. Pour illustrer un peu ce lent processus de ré-
trécissement du champ d’action, je voudrais rapporter quelques anecdotes sur mes
maîtres et sur mes collègues. Dans la Suisse des années cinquante, un étudiant ne
choisissait pas nécessairement l’université la plus proche de son domicile, mais cel-
le dont la renommée était la plus retentissante. Dans mon cas c’était sans le
moindre doute l’Université de Bâle. Cette institution ambitieuse avait, depuis
l’époque de Burckhardt et de Nietzsche, réussi à attirer de nombreuses célébrités
internationales. Grâce aux cours de Karl Jaspers, Karl Barth, Edgar Salin, Harald
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introduction XI
(«déjà votre nombre est scélératesse»). Mais il faut ajouter que son pessimisme
était également le fait de son exil, les lois raciales de son pays ne lui permettant pas
de retour. Le Moyen Âge, comme l’Antiquité pour d’autres disciples du «cercle»,
servait de contraste nostalgique aux malaises du présent. Wolfram von den Steinen
cultivait jusque dans son comportement quotidien un style cérémonieux «à l’an-
cienne», afin d’afficher contre la modernité vulgaire ce que Dante appelle lo sde-
gno, le dédain magnanime. Il aimait répéter la métaphore de George, qu’il faut
vivre en roi invisible («König unter der Tarnkappe»). Il n’était pourtant pas hau-
tain, c’était au contraire le professeur le plus aimable, serviable et convivial, que
l’on puisse imaginer. Une fois par semaine il recevait à dîner les quelques étudiants
de son séminaire, pour discuter avec eux, non pas du Moyen Âge, mais des ques-
tions philosophiques et essentielles de la vie. Par une discrétion que j’admirais, il
évitait tout prosélitisme pour le «Georgekreis». Il aurait peut-être aimé me voir
transmettre à la prochaine génération le flambeau du «cercle», mais il se résigna
avec dignité à ce que je sois «arrivé au seuil du paradis, mais ne le franchissais
pas», ainsi qu’il me l’écrivit vers la fin de mes études. Dans son esthétique géor-
géenne, j’ai toujours apprécié une ouverture d’esprit qui s’accompagnait de la plus
rigoureuse réprobation de tout scientisme et positivisme méthodologique, de tou-
te méthode n’ayant d’autre but que de prouver son propre fonctionnement. Je vis
un jour von den Steinen jeter avec un geste d’indignation un gros livre offert par
un collègue. Il s’agissait d’une minutieuse analyse de toutes les sources littéraires
et réminiscences d’un hymne de l’office. Devant mon étonnement, il déclara qu’il
aurait été immoral de revendre ou d’offrir un tel monstre, qu’il fallait plutôt em-
pêcher qu’il trouve des lecteurs et – absit! – des imitateurs. Son unique souci fut
de trouver, dans la lettre de remerciement, les mots les plus polis et ironiques pour
que l’auteur comprenne combien il détestait ces exercices de gymnastique intel-
lectuelle. Le plus grand bénéfice des années passées sous sa direction me fut ce-
pendant fourni par un hasard institutionnel. Von den Steinen enseignait deux dis-
ciplines universitaires; comme Extraordinarius (professeur non-titulaire) il était
chargé de l’histoire du Moyen Âge, comme Privatdozent (enseignant indépendant)
il avait une venia legendi (droit de faire des cours) pour la littérature médiolatine. Il
enseignait en fait ces deux disciplines comme si elles n’en faisaient qu’une. Il était
fier de ce programme à double visage. La littérature lui était objet historique –
«Les plus belles fleurs de la poésie n’existeraient pas sans l’humus de l’histoi-
re», disait-il – et l’histoire lui était objet esthétique, ce que revendique le titre de
sa synthèse classique: Der Kosmos des Mittelalters. La thèse que je préparais à son ins-
tigation sur l’évèque-poète Hildebert de Lavardin était symbolique à cet égard; elle
m’obligea, par exemple, à interpréter des poèmes d’amour quelque peu pré-trou-
badoresques de cet ami de Marbode de Rennes et de Baudri de Bourgueil et, en
même temps, à commenter des lettres de conseil juridique en matière de sexualité
et de mariage, puisque cet ami d’Ives de Chartres était également réformateur ec-
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introduction XIII
ristes que dirigeait Herbert Grundmann dans le cadre restreint des Monumenta
Germaniae Historica, loin du tohu-bohu de l’université. C’était une atmosphère
chaleureuse, presqu’intime. Grundmann n’enseignait pas à proprement par-
ler, mais présentait les problèmes et dilemmes de sa propre recherche; les étu-
diants se sentaient pris au sérieux et participaient de leur mieux à la discus-
sion. Un an plus tard je revins chez von den Steinen en fils prodigue et terminais
ma thèse le plus rapidement possible et sans grand enthousiasme.
Dès 1964 j’enseignais, comme la plupart des nouveaux docteurs d’une faculté
de lettres suisse, dans un lycée de province et commençais une thèse d’habilita-
tion. Comme je viens de l’expliquer, les chances de faire une carrière avec une thè-
se de doctorat ni purement historique ni purement littéraire étaient évidemment
minces dans un monde de sacro-saintes spécialisations. Je travaillais donc en cher-
cheur indépendant sans grand espoir d’un engagement universitaire, qui me fut ce-
pendant offert comme par miracle en 1967. Le germaniste Hennig Brink-
mann, professeur titulaire de la chaire de latin médiéval de l’université de Müns-
ter, cherchait un assistant qui pût terminer sa thèse d’habilitation assez rapidement
pour lui succéder lors de sa mise à la retraite deux ans plus tard. Quoique déter-
miné à accepter, mon travail sur la Consolation étant presque terminé, je consultai
néanmoins Wolfram von den Steinen. Celui-ci me décrivit avec lucidité les alter-
natives: choisir le latin médiéval plutôt que l’histoire, c’était préférer à l’ouverture
au monde une sinécure permettant des recherches, certes intensives, mais qui ris-
quaient de passer inaperçues; en termes de monachisme, c’était passer du cénobi-
tisme à l’anachorèse. Il me loua beaucoup Münster, qui était déjà à l’époque une
sorte de Mecque du médiévisme allemand, tout en ajoutant une petite remarque
ironique: «c’est un bon pays catholique qui, en la personne de l’évêque et cardinal
Galen, a connu un des rares adversaires absolument univoques de la croix gammée
(ce qu’on ne peut pas prétendre de Brinkmann, mais cela, évidemment, ne vous
touche pas en tant que Suisse)». Je n’avais à vrai dire pas le choix et pensais au pro-
verbe «mieux vaut moineau en cage que poule d’eau qui nage». Je n’envisageais
d’ailleurs pas de m’enfermer à vie dans le latin médiéval, mais de m’en servir de
tremplin pour accéder un jour à une carrière d’historien, supposition naïve qui
sous-estimait l’étanchéité du cloisonnement disciplinaire allemand.
La chair de latin médiéval de Münster était également une construction bidis-
ciplinaire, mais différente de celle que j’avais connue à Bâle. Brinkmann
avait, dans les années vingt, écrit plusieurs travaux sur la littérature latine du
Moyen Âge, en particulier sur la poésie d’amour. C’était d’ailleurs ce qui l’avait
amené à s’intéresser à moi, car, dans la thèse sur Hildebert que je venais de pu-
blier, j’approuvais ses interprétations de l’amour précourtois d’un cercle de poètes
latins du XIIe siecle. Mais Brinkmann s’était compromis par un peu trop de zèle
pour l’idéologie nazie, de sorte qu’après guerre l’enseignement du latin médiéval
lui fut imposé en lieu et place de sa véritable discipline, la germanistique, un peu
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introduction XV
comme une mesure de rétorsion. Il sut néanmoins tirer son épingle du jeu et il en-
seignait les deux disciplines à la fois, en se servant des arts poétiques latins pour
expliquer la poésie d’un Wolfram von Eschenbach ou d’un Hartmann von
Aue. J’arrivais donc en historien médiolatiniste sans formation classiciste ni ger-
maniste dans un séminaire de germanistique médiolatinisée. Grâce à ce croise-
ment de deux bidisciplinarités, Brinkmann, dès le premier jour, me traita en lit-
téraire intégral et ignora (ou pardonna) généreusement mon origine d’historien. Il
n’y avait pas dans toute l’Allemagne d’institut médiolatin mieux fréquenté que le
sien. Brinkmann, qui aimait passionnément l’enseignement, attirait jusqu’à 300
étudiants dans ses cours et entre 50 et 100 dans ses séminaires, parce que cela leur
donnait accès à des diplômes de germanistes. Dans le reste de l’Allemagne, la plu-
part des médiolatinistes étaient orientés vers la paléographie et l’édition critique
de textes, ce qui, pour employer un euphémisme, leur épargnait d’être submergés
par des foules d’étudiants. La constellation du séminaire de Brinkmann eut l’avan-
tage d’élargir mes connaissances en médiévistique générale, discipline institution-
nellement inexistante en Allemagne, et le désavantage sensible de me mettre en
porte à faux entre ces disciplines, puisque je n’étais ni historien, ni germaniste, ni
latiniste, ni romaniste, ni même médiolatiniste conventionnel. Je terminai donc
ma thèse d’habilitation en temps voulu et succédai à Brinkmann en 1969.
C’est alors que les prédictions de von den Steinen se réalisèrent pleinement: le
déferlement des étudiants se tarit subitement. Dès que les études ne débouchèrent
plus que sur un diplôme de latin médiéval, toutes les tentatives pour les rattacher
à l’histoire ou à la romanistique ayant échoué, et qu’il fallut maîtriser le latin et
non plus se contenter d’un peu de moyen allemand, l’institut se transforma du jour
au lendemain en une sinécure de recherche pour son directeur, devenu ainsi rentier
à 33 ans. Je m’en arrangeai plutôt bien que mal, puisque ce calme nouveau me per-
mit de rattraper toutes les lectures et études que je n’avais pas pu mener à bien pen-
dant la préparation acharnée d’une thèse qui, pour impressionner le jury, était de-
venue un vrai monstrum eruditionis positiviste. J’avais alors un urgent besoin de
prendre du recul et de réfléchir sur les raisons et les finalités de la recherche mé-
diévale. N’ayant pas appris à écrire des «confessions» ni à raconter des «conver-
sions», il m’est difficile aujourd’hui de décrire cette phase de réflexion. Néanmoins
ce travail de deuil fut un tournant décisif non seulement pour ma recherche, mais
aussi pour ma vision du monde. Je ne peux ici que constater un résultat. Ceux qui
connaissent mon livre sur les Consolations (1971-1972) et le petit essai critique sur
l’historique de la recherche sur Héloïse (1974) remarqueront eux-mêmes le chan-
gement qui s’est opéré pendant ces deux années. Certains collègues indignés m’ont
d’ailleurs expressément exhorté à revenir dans le droit chemin du médiévisme or-
dinaire. Ce qui s’est passé est pourtant très simple: après avoir été un historiciste
inconscient qui faisait son métier comme Monsieur Jourdain fait de la prose, je suis
devenu un historiciste conscient, c’est-à-dire, radical. J’ai appris que la pensée qui
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se cherche vaut mieux que la pensée toute faite, que la vérité est «fille du
temps», non un point fixe et absolu, mais un devenir, un système de forces et de
tensions, de perspectives et «d’opinions respectables» en perpétuelle évolution, qui
traversent les époques, cultures et religions. Nous-mêmes, nous ne pouvons com-
prendre ces changements que provisoirement, pour la durée de notre propre
«construction de la réalité», notre propre world taken for granted. D’un parménidien
dogmatique je suis devenu un héraclitien tolérant, qui ne juge pas les autres, mais
les questionne et se laisse questionner par eux dans un dialogue continuel, qui ne
serait pas possible si, au-delà des différences, il n’y avait pas entre eux et nous
quelques traits humains communs. L’essentiel, comme dans tout dialogue, c’est
l’écoute, non la parole, la suspension de nos intérêts et besoins en faveur de l’éton-
nement herméneutique. Ce tournant – ce n’était à vrai dire qu’un petit pas de la
socialisation passive à une certaine indépendance personnelle – ne m’était pas ins-
piré par des maîtres, mais exclusivement par des lectures. J’écartai tout travail sur
le Moyen Âge et me plongeai dans la philosophie et la théorie des sciences sociales
contemporaines – Blumenberg, Ricoeur, l’École de Francfort (Adorno en particulier)
–, mais aussi dans les réflexions générales de grands médiévistes (Auerbach, Hui-
zinga, Bloch, Chenu), et même dans les pensées de certains génies du passé, que
mutatis mutandis j’ose appeler des précurseurs de l’historicisme: Vico et Mon-
taigne, bien sûr, mais également, de par leur scepticisme zététique, Jean de Salis-
bury et Abélard. C’est ainsi que, par la lecture, j’effectuais une sorte de retraite, va-
riante profane des «exercices spirituels» de Loyola, et revins au Moyen Âge rétabli
et avide d’apprendre.
Je n’ai jamais regretté cette cure philosophique que je devais en partie au
manque d’étudiants de latin médiéval. En outre, les difficultés de l’enseignement
à Münster furent compensées par la présence de collègues médiévistes particuliè-
rement remarquables qui se réunissaient régulièrement dans un forum inofficiel de
discussions, le «Mittelalterkreis». Je ne voudrais mentionner que trois d’entre
eux, que leurs différentes orientations amenaient à se concentrer également sur le
latin médiéval. Le germaniste Friedrich Ohly avait avec ses collaborateurs mis en
place un vaste programme de sémantique spirituelle des choses, nombres, cou-
leurs, événements, dont il établissait des répertoires et des synthèses. Sa base tex-
tuelle était largement médiolatine. Le romaniste Heinrich Lausberg (ancien élève
d’Ernst Robert Curtius), après avoir quitté l’histoire de la rhétorique s’orientait de
plus en plus vers l’hymnologie latine du Moyen Âge, dont il publia plusieurs ana-
lyses, et l’historien Karl Hauck travaillait sur les poètes et historiographes latins
décrivant la noblesse dans l’empire gemanique; il écrivit même dans une encyclo-
pédie philologique un article de synthèse sur la littérature médiolatine. Je me de-
mande rétrospectivement pourquoi, alors que Münster concentrait un tel potentiel
d’intérêt et de compétence pluridisciplinaire sur l’histoire de la littérature latine
du Moyen Âge, cette discipline, qui aurait pu être le centre d’un riche compara-
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introduction XVII
2. La préface aux actes du troisième colloque de l’atelier Gesellschaft und individuelle Kommunika-
tion in der Vormoderne, «Unverwechselbarkeit», N° 87 de la biliographie, contient une description dé-
taillée de ce programme.
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le centre d’intérêt était toujours très clairement délimité par une série de pro-
blèmes généraux ou théoriques qui pouvaient être traités par une diversité illi-
mitée de spécialisations, englobant des extrêmes comme la sociologie et la sino-
logie, la psychanalyse et la biologie, l’histoire de l’art et l’hébraïstique, etc. Si la
focalisation de cette forme de colloque est garantie, non par les thèmes mais par
une problématique soigneusement prédéfinie, le modèle de Micrologus, à l’inver-
se, est thématiquement restreint à certains aspects du Moyen Âge: «la nature, la
science et la société», alors que les problématiques sont, elles, plus ou moins à la
discrétion des participants. Un des meilleurs exemples de cette concentration thé-
matique fut le colloque “Vue et vision au Moyen Âge”, organisé à Lausanne en
1995, qui réunissait des médiévistes spécialisés dans l’histoire de l’optique et de
l’ophtalmologie ainsi que des connaisseurs de la mystique et des théories de la
connaissance. Bien que l’intérêt central portât sur un aspect de l’histoire des
sciences, les résultats dépassèrent de loin ce point de départ, puisque l’anatomie
de l’œil y côtoyait les idées sur la vision béatifique, la perspective en peinture, la
passion amoureuse naissant du regard, l’onirisme, l’Apocalypse et l’astrologie,
etc. Quand, en 1996, j’ai fondé mon propre centre de colloques Société et commu-
nication individuelle à l’âge prémoderne, j’ai essayé, afin d’éviter le piège de la pseu-
do-interdisciplinarité additive qui domine dans les congrès internationaux, de
combiner les avantages spécifiques de ces deux modèles: la précision d’une pro-
blématique et une relative restriction thématique.
***
3. Gesammelte Studien zum Mittelalter, 3 vols. éd. Gert MELVILLE, à paraître chez LIST, Münster à
partir de 2005.
4. Tous ce textes ont été stylistiquement revus. D’autres changements de forme et de contenu,
en particulier les mises à jour bibliographiques et les adaptations à des éditions critiques parues
après la publication originale, sont signalés dans la première note (*) de chaque article. Les articles
N° 3, 8, 10 et 12 n’ont jamais été publiés en français.
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* Version remaniée d’un article publié la première fois dans Pierre Abélard - Pierre le Vénérable
(Colloque de Cluny, juillet 1972, Colloques internationaux du CNRS 546), Paris 1975, p. 425-
468. Pour une version allemande voir bibliogr. N° 19 [Les références à des publications ultérieures
sont entre crochets].
1. Der Zauberberg, Berlin 1924-1952, p. 81. – Malgré les multiples suggestions qui auraient per-
mis de modifier cette communication, je préfère présenter ici le texte de ma conférence [qui n’a été
que stylistiquement remanié en 2004] à titre de témoignage sur l’état de la recherche avant le 4
juillet 1972. Ce point est particulièrement important étant donné les thèses inattendues de John
BENTON (ci-dessous s.l.) que je ne peux discuter dans le cadre restreint du sujet qui m’est proposé.
La présente contribution, qui se veut purement «textologique», peut être lue dans le sens d’une
«double vérité», de sorte que l’essentiel n’en contredit ni ne confirme l’approche originale de Ben-
ton. – Les textes sont cités d’après les éditions suivantes: Abélard, Historia Calamitatum, éd. J. MON-
FRIN, Paris (1959), 3e éd. 1967 (= Hist. Cal. avec les lignes). Les lettres de la correspondance entre
Abélard et Héloïse sont numérotées d’après l’ancien système (parce que l’Hist. Cal. est effective-
ment la première lettre du dossier) et citées d’après l’éd. de J. T. MUCKLE, Mediaeval Studies 15,
1953, p. 68-94 (= Epp. II-V); ib. 17, 1955, p. 241-281 (= Ep. VI-VII) et T. P. MCLAUGHLIN, ib.,
18, 1956, p. 242-292 (= Ep. VIII); les autres ouvrages d’Abélard d’après Migne (PL. 178); les lettres
de Pierre le Vénérable d’après The Letters of Peter the Venerable, éd. G. CONSTABLE, 2 vols, Cambrid-
ge Mass. 1967. – Abréviations de travaux plusieurs fois cités (*marquera la référence à cette liste):
[AAVV], Pierre Abélard - Pierre le Vénérable (Colloque de Cluny, juillet 1972, Colloques internatio-
naux du CNRS 546), Paris 1975. – J. BENTON, Fraud, fiction and borrowing in the correspondence of
Abelard and Heloise, ibid., p. 425-468. – M. BLOCH, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien (1941),
5e éd. Paris 1964. – Ch. CHARRIER, Héloïse dans l’histoire et la légende, Paris 1933. – E. P. M. DRON-
KE, Héloïse and Marianne: Some Reconsiderations, Romanische Forschungen, 72, 1960, p. 223-256. – G.
DUBY, L’histoire des systèmes de valeurs, History and Theory II, 1972, p. 15-25. – I. A. FESSLER, Abälard
and Heloisa, II, Berlin 1807. – M. DE GANDILLAC (et C. MCLEOD), Abélard et Héloïse, dans Entretiens
sur la Renaissance du XIIe siècle, éd. M. DE GANDILLAC et É. JEAUNEAU, Paris-La Haye 1968. – É. GIL-
SON, Héloïse et Abélard (1938), 3e éd. revue, Paris 1964. – L. GRANE, Peter Abaelard, Göttingen 1969
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(trad. du danois, 1964). – H. R. JAUSS, Literaturgeschichte als Provokation, Francfort (Ed. Suhrkamp
418) 1970. – S. KRACAUER, Geschichte – Vor den letzten Dingen, Schriften, IV, Francfort 1971 (éd. aug-
mentée, en partie traduite de l’anglais The Last Things before the Last, New York 1969). – M.
MCLAUGHLIN, Abelard as Autobiographer, Speculum 42, 1967, p. 463-488. – Ead., Peter Abelard and the
dignity of women: Twelfth century “feminism” in theory and practice, dans Pierre Abélard - Pierre le Véné-
rable, p. 287-334. – G. MISCH, Geschichte der Autobiographie III I, Francfort 1959. – J. MONFRIN, In-
troduction à Abélard, Historia Calamitatum (1959), 3e éd. Paris 1967. – Id., Le problème de l’authentici-
té de la correspondance d’Abélard et Héloïse, dans Pierre Abélard - Pierre le Vénérable, p. 409-424. – P. VON
MOOS, Consolatio, Studien zur mittellateinischen Trostliteratur über den Tod und zum Problem der christli-
chen Trauer, Münstersche Mittelalterschriften III, 4 vol., Munich 1971-1972. (Je citerai les paragraphes
d’après les sigles C = Consolatio, vol. I; A= Anmerkungen, vol. II; T = Testimonien, vol. III; et les
pages pour l’Index, vol. IV). Id., Hildebert von Lavardin, Humanitas an der Schwelle des höfischen Zei-
talters, Pariser Hist. Studien III, Stuttgart 1965. Id., Mittelalterforschung und Ideologiekritik, Der Ge-
lehrtenstreit um Heloise, Munich (Fink) 1974. Id., Palatini quaestio quasi Peregrini, Ein gestriger Streit-
punkt aus der Abälard- Heloise-Kontroverse nochmals überprüft, Mittellateinisches Jahrbuch 9, 1973, p. 124-
158. – R. MORGHEN, Civiltà medioevale al tramonto, Bari 1971. – J. T. MUCKLE, The Personal Letters
between Abelard and Heloise, Introduction, Mediaeval Studies 15, 1953, p. 47-67. – D. DE ROBERTIS,
Il senso della propria storia ritrovata attraverso i classici nella «Historia Calamitatum» di Abelardo, Maia
16,1964, p. 6-54. – D. W. ROBERTSON, Abelard and Heloise, New York 1972. – B. SCHMEIDLER, Abae-
lard und Heloise, Eine geschichtlich-psychologische Studie, Die Welt als Geschichte 6, 1940, p. 93-123. – R.
W. SOUTHERN, The Letters of Abelard and Heloise (travail inédit de 1953 revu), dans Medieval Huma-
nism and Other Studies, Oxford 1970, p. 86-104. – L. SPITZER, Les «Lettres portugaises», dans Romanische
Literaturstudien 1936-1956, Tübingen 1959, p. 210-247. – D. VAN DEN EYNDE, En marge des écrits
d’Abélard, Analecta Praemonstratensia 38, 1962, p. 70-84. Id., Chronologie des écrits d’Abélard à Héloïse,
Antonianum 37, 1962, p. 337-349. Id., Les écrits perdus d’Abélard, ib., p. 467-480. – G. VINAY, Comp-
te rendu: É. Gilson, Eloisa e Abelardo, Traduzione ... Torino 1950, Giornale storico della letteratura ita-
liana, 1950, p. 452-459. – W. VON DEN STEINEN, Der Kosmos des Mittelalters, Bern (1959), 2e éd. Id.,
Die Planctus Abälards ..., Mittellatein. Jahrbuch IV 1967, p. 122-144.
2. Cette inaltérabilité exceptionnelle ressort de l’interprétation du texte, même si les consé-
quences biographiques n’en ont pas toujours été tirées, car elles sont plutôt la pierre d’achoppement
des thèses en faveur de l’authenticité. Pour ne citer que quelques exemples parmi les plus anciens
et les plus récents cf. I. A. FESSLER*, p. 347 ci-dessous dans n. 34. M. CARRIÈRE, Abälard und He-
loise, Ihre Briefe und die Leidengeschichte, Giessen 1844, p. XC s.: « ... so wenig seine Reden (Christi)
Producte fremder schriftstellerischer Reflexion sind, da sie, wenn irgend etwas, den Stempel ge-
nialer Ursprünglichkeit tragen, eben so wenig kann die Meinung einiger Philologen Stich halten,
dass die Briefe von Heloise und Abälard nach dem Tod der Liebenden von einem Dritten verfasst
seien. Ein solcher Einfall erinnert an jenen, dass die ganze Griechische Literatur das Produkt müs-
siger Mönche sei ... Über die trennende Noth der Zeit siegt so gewaltig der Gedanke unzertrenn-
licher ewiger Einheit, dass alle Liebespoesie des Mittelalters hier in den Schatten gestellt wird. Jene
Meinung könnte sich auf Äusserlichkeiten stützen ..., aber man halte nur im Auge, dass die Liebe
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ein andres Zeitmass hat, als die Gleichgiltigkeit der Uhr, so wird jener scheinbare Widerspruch
sich gerade in einen Beweis der Echtheit verwandeln». Sautant le conflit bien connu entre SCHMEID-
LER et GILSON sur ce même problème: si la «logique du sentiment» permet bien qu’Héloïse soit res-
tée entièrement fidèle à sa première flamme pendant plus de 12 ans, on pourrait citer la critique de
W. VON DEN STEINEN* dirigée contre G. MISCH* (p. 123): «Auch die subtile psychologische Son-
dierung von Georg Misch (III 1, 541 ss. und 628 ss.), wonach ein Herausgeber ... frühere und spä-
tere Briefe der Heloise ... kunstvoll verschweißt hätte, ist zu glatt gedacht, um zu überzeugen. Was
Misch als zeitliche Schichten scheidet, das sind in Wahrheit seelische Schichten der blutvollen Frau,
die noch – oder gerade?! – als Dreißigerin die Spannungen zwischen Sinnlichkeit und Askese un-
verkümmert in sich austrug». À partir d’une telle critique il me semble impossible de se pronon-
cer pour ou contre l’historicité du témoignage. Comment savoir au XXe siècle si et pour combien
de temps la passion d’une femme du XIIe a pu durer?
3. Ep. VI, p. 241 s. citée ci-dessous n. 75.
4. Ch. DE RÉMUSAT, Abélard, Paris 1845, I, p. 160. Le passage est surtout célèbre grâce à la ci-
tation de GILSON*, p. 126 s., accompagnée de la remarque: «Pas un mot, dans ce jugement si fer-
me qui n’exprime exactement la vérité telle qu’elle ressort des textes; et pourtant, sans qu’il paraisse
s’en apercevoir, quel redoutable problème de Rémusat ne soulève-t-il pas en formulant ces évi-
dences!» (voir n. 95).
5. Pour ce qui suit, il n’est peut-être pas superflu de noter que ce livre a eu le sort de beaucoup
d’idées géniales, celui d’être dogmatiquement exploité par des vulgarisateurs moins géniaux. GIL-
SON lui-même était d’ailleurs loin d’accepter le rôle d’autorité qui a pu lui être attribué, ce qui res-
sort admirablement de l’appendice III de sa 3e édition (n. 14); voir MONFRIN, Le problème de l’au-
thenticité* ainsi que les remarques de F. CHÂTILLON, Notes abélardiennes, dans Rev. du Moyen Âge lat.,
XX, 1964, p. 277, n. 2: «C’est contredire absolument aux paroles et à la pensée du maître que d’écri-
re, comme le fait M. Monfrin: “Les nombreux problèmes ... ayant été étudiés, et probablement ré-
solus, dans l’Héloïse et Abélard de M. Étienne Gilson, il suffit de renvoyer le lecteur à ce livre” (Abé-
lard, Historia Calamitatum ... 2e éd. 1962, p. 7-8). M. Gilson tout le premier s’est défendu d’une pré-
tention qui serait absurde: “Je n’ai pas l’illusion de n’avoir commis aucune de ces fautes” écrivait-il
... (p. 10), “mais j’ai voulu du moins pousser aussi loin que l’ai pu ...”. Au reste, l’authenticité des
lettres, alors principal souci de M. Gilson, continue à faire l’objet d’une controverse latente».
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cieux espoir. Mais devant l’implacable austérité de son époux, elle se replia
dans une fidélité muette et, le laissant poursuivre une ascension où elle ne
l’accompagnait pas, du moins cessa-t-elle de se plaindre, et se replia sur
son attente. Elle “faisait comme si”, et peut-être Abélard s’y trompa». À
l’occasion d’un Colloque sur l’humanisme du XIIe siècle, Maurice de Gan-
dillac a résumé de façon définitive une tradition érudite bien établie6:
6. P. ZUMTHOR, Héloïse et Abélard, Revue des sciences humaines 91, 1958, p. 331. – Pour GAN-
DILLAC*, p. 369, 364, les sentiments d’Héloïse sont «tout d’un bloc et paraissent immuables». C’est
d’ailleurs le seul point où je me trouve en désaccord avec les appréciations généralement fort judi-
cieuses de l’auteur (cf. ci-dessus n. 57, 64). – Au lieu d’une liste oiseuse de jugements analogues
voir par ex.: L. GRANE*, p. 75, 79: «Halten wir fest, dass Heloises unbedingte Liebe zu Abaelard
ihn zu ihrem Gott macht, dann wird auch deutlich, dass der Konflikt unlösbar ist. Weil der Gott
– Abaelard – ihr es gebietet, will Heloise Gott dienen ... Das aber ist von vornherein unmöglich,
denn da sie das auf Abaelards Geheiß nur will, kann Gott nicht Gott für sie werden. Das setzte
nämlich voraus, dass sie den Gedanken an die totale Liebe aufgibt, dazu aber ist sie ... nicht willens
... Es ist klar, dass sie sich überhaupt nicht verändert hat». «... Ob es ihr je glückte, ihren Schmerz
zu überwinden und in ihrem Kloster den Frieden zu finden, wissen wir nicht. Die Korrespondenz
zeigt uns nur, dass sie noch nach einem etwa 13-jährigen Klosteraufenthalt immer noch die näm-
liche war, wie zu der Zeit, da sie ... mit ihrem Geliebten getraut wurde». (C’est peut-être l’argu-
ment le plus répandu, bien qu’il soit très prudemment exprimé ici. L’immuabilité de ces 13 années
est étendue à toute une vie). MISCH*, p. 679: «Wir meinen, dass man dem schicksalhaften Gang ...
nicht gerecht wird, wenn man denselben in das Schema einer Bekehrungsgeschichte einspannt ...
Über sein (Abälards) Verhältnis zu Heloise ist zu sagen, dass ... sein Versuch, sie zu bekehren ...
nicht den beabsichtigten Erfolg gehabt hat, sofern zum Erfolg eines solchen Bemühens gehört, dass
in dem zu Bekehrenden ein Gesinnungswandel herbeigeführt wird ... Und eben das war bei He-
loise eingestandenermaßen nicht der Fall ...». (Puisque MISCH suit SCHMEIDLER et attribue les
lettres d’Héloïse à Abélard, qui selon lui aurait ainsi fait son propre panégyrique, l’absurdité, que
Peter DRONKE ne manque pas de relever, d’une telle interprétation est manifeste, cf. n. 35). La ten-
tative de E. MCLEOD pour concilier l’indestructible amour-passion avec la vie exemplaire de l’ab-
besse suscite également un malaise (Héloïse, trad. par St. Viollis, Paris 1941, p. 145): «Bien qu’il
soit douteux qu’elle ait jamais triomphé, dans le tréfonds de son cœur, du chagrin de la perte irré-
médiable d’Abélard, cependant, en s’y efforçant, elle se donne si complètement à tous les aspects de
sa tâche ... Peut-être son mobile, en lui écrivant ainsi sur d’autres sujets, était-il en partie le désir
de continuer à tout prix cette correspondance, afin de conserver du moins la consolation de voir de
temps à autre une écriture si chère». Dans les Entretiens sur la Renaissance du XIIe siècle (GANDILLAC*,
p. 361), McLeod parle même malicieusement de la ruse bien féminine qui consiste à implorer des
conseils d’administration pour rester en contact avec l’amant. Maurice de Gandillac taxe (p. 368)
cette exégèse de «quelque peu tendancieuse». Cependant, est-ce pur hasard si plusieurs femmes ont
adouci, d’une façon ou d’une autre, l’idée héroïque peut-être plutôt masculine de «la grande sainte
de l’amour»? Ainsi, dans un ouvrage de vulgarisation d’Yvette JEANDET (Héloïse, Lausanne 1966),
on retrouve l’argument «tendancieux» de MCLEOD (p. 163 s.) suivi d’une phrase sibylline parlant
de «l’évolution d’un sentiment immuable dès le premier jour, mais qui se nuance indéfiniment au
gré, j’allais dire de l’adversaire» (p. 169). JEANDET qui voudrait susciter l’admiration non seulement
pour «la femme continuellement éprise» (p. 163) mais encore pour l’abbesse «aussi entière, aussi
ardente» dans sa tâche religieuse (p. 169; voir aussi n. 118), a quelque peine à réitérer les interpré-
tations de Rémusat et Gilson que je viens de citer (§ 2, n. 4; p. 247 s. après «elle obéit et ne se sou-
mit pas» nous trouvons son «Est-ce bien sûr?»), et à admettre que «cette femme de tête» se soit
«enfermée dans les larmes secrètes pour le tiers de sa vie» (p. 226). Aussi le bon sens s’en tient-il
«au secret de cœur que nous ignorerons toujours» (p. 245). Le livre se termine sur un point d’in-
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terrogation: celle qui «se faisait gloire de demeurer semblable à elle-même» s’est peut-être conver-
tie un jour, «comme Pierre le Vénérable en fut persuadé» (p. 247 s.). De même R. PERNOUD, Hé-
loïse et Abélard, Paris2 1970, p. 216 s.) dans son commentaire sur le début de la 6e lettre laisse la
question ouverte: «Délibérément elle imposera silence aux sentiments qu’elle ne peut refouler, et
parce qu’elle se méfie d’elle-même, elle mettra un soin scrupuleux à se contrôler. … Ils sont désor-
mais unis dans un commun vouloir; Héloïse a obtenu de lui cette sollicitude qu’il lui devait; Abé-
lard a obtenu d’elle que cette sollicitude fût toute pour l’aider au service du Seigneur».
7. G. TRUC, Abélard avec et sans Héloïse, Paris 1956, p. 93 s., 50 s., dont les certitudes caricatu-
rent les prudentes suppositions de Gilson (cf. § 2, n. 95).
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10. D’un point de vue théorique il suffit de citer la discussion ouverte par le livre de GADAMER
(voir n. 110) depuis 1960; J. HABERMAS, Zur Logik der Sozialwissenschaften, Francfort (Suhrkamp)
1970; P. RICŒUR, Le Conflit des interprétations, essais d’herméneutique, Paris 1969; G. Bergfleth, Her-
meneutik: Eine politische Kritik, Stuttgart (Metzler) 1972 ainsi que les anthologies: Hermeneutik und
Ideologiekritik, Francfort (Suhrkamp) 1971; K. LENK, Ideologie, Neuwied-Berlin (Luchterhand) 1971.
Voir aussi ci-dessous §§ 30 ss. et n. 17.
11. J. JOLIVET, La philosophie conduite politique, Toulouse (Privat) 1970, cf. surtout p. 74 s.
12. Ce programme a été le sujet d’un cours d’université et l’occasion de discussions fécondes avec
mes étudiants. Il sera étendu à l’ensemble de la correspondance d’Héloïse et d’Abélard dans un tra-
vail de synthèse [encore inachevé en 2004 bien que les articles N° 12, 34, 57 de la bibliographie
soient les premiers fruits de ce projet]. Après un bilan de la recherche philologique sur le texte et
une interprétation détaillée de tout le recueil (qui remettra les soi-disant «lettres d’amour», si sou-
vent arbitrairement isolées, dans leur vrai contexte), je tâche de retracer les sommets de la postéri-
té d’Héloïse dans la littérature et le médiévisme savant, pour combler, dans un esprit critique, les
lacunes du travail de Charlotte CHARRIER*. J’ai eu le plaisir de retrouver dernièrement ce pro-
gramme en quelque sorte déjà accompli, quant à la structure générale et à quelques idées qui me
tiennent à cœur, dans le travail de D. W. ROBERTSON* (l’éminent spécialiste de Chaucer expose,
non sans courage et peut-être non sans quelques exagérations explicables par la prépondérance des
positions adverses, qu’il est temps de dépasser les considérations psychologistes et sexistes d’un ro-
mantisme périmé qui ont si longtemps bloqué toute discussion véritablement herméneutique).
13. Voir § 20-21.
14. Il faut bien dire que cette neutralité est loin d’être originale depuis que le Père MUCKLE* (p.
66) a conclu d’une façon si décevante pour les successeurs de Schmeidler et Gilson: «I have tried ...
to set forth the evidence for or against the authenticity of these letter From the information furni-
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shed by present day scholarship, I do not consider that one can arrive at certitude on this moot ques-
tion». Un certain scepticisme souvent inavoué (voir n. 5) semble s’emparer des abélardisants d’au-
jourd’hui, si bien que l’ancienne controverse semble se terminer moins par la conclusion d’une paix
définitive que par un armistice dû à la lassitude. GILSON lui-même dans sa réédition de 1964 ajou-
te: «L’imagination même semble avoir renoncé à faire ici (c’est-à-dire sur le nom d’un faussaire éven-
tuel) de ces hypothèses dont elle est prodigue. Mais il reste que le vrai diffère parfois du vraisem-
blable dont se contente souvent l’histoire. La persuasion la plus invincible doit donc se tenir toujours
prête à s’effacer, le cas échéant, devant la vérité» (p. 211). – Dans une étude préliminaire à mon tra-
vail (voir n. 12), Mittelalterforschung und Ideologiekritik, paru chez Fink à Munich en 1974, je tâche
d’analyser l’apport idéologique de la controverse en cours, du début du XIXe siècle à nos jours, pour
nous débarrasser de ce lourd héritage d’arguments subjectifs. (Voir également MONFRIN, Le problème
de l’authenticité*, qui met l’accent sur d’autres fausses routes possibles dans cette recherche).
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6. Tous les dés ne sont pourtant pas pipés. S’il est impossible de prou-
ver avec certitude qui a écrit, retravaillé, composé et publié cette collec-
tion de lettres, dont les premiers manuscrits ne remontent qu’au XIIIe
siècle tardif, ce qui reste incontestablement garanti, c’est le texte lui-
même, en tant que texte, et également en tant que document historique
de la vie littéraire et sociale du XIIIe siècle. Ce n’est pas rien. S’il y a una-
nimité pour le considérer comme un chef-d’œuvre unique de la littérature
mondiale, quels sont les historiens et sociologues de la littérature qui se
sont réellement penchés sur lui15? Ils ont laissé la parole à une légion de
biographes qui ont usurpé le monopole de la recherche sur Héloïse16 et se
15. La question n’est pas entièrement rhétorique, puisqu’il existe des ébauches et des analyses
partielles, du moins dans la direction des études stylistiques. Le premier résultat d’une interpréta-
tion littéraire du texte n’a été qu’un produit accessoire des efforts de B. SCHMEIDLER pour prouver la
construction fictive du dossier par son unité monastique. Abstraction faite de son but biographiste,
les moyens herméneutiques de cette argumentation restent toujours valables (cf. surtout Abaelard
und Heloise ...* 1940, probablement sa contribution la plus suggestive). Malheureusement cette ten-
tative pour apprécier ce «Werk der Weltliteratur, das ... nicht so leicht seines gleichen hat» (ib., p.
114) a été supplantée par les disputes pour et contre l’authenticité, jusqu’à ce que l’éminent médio-
latiniste Gustavo VINAY*, dans son compte rendu si pénétrant et si peu connu, mette l’accent sur ce
que Gilson ne semble pas avoir surestimé: «... non è per caso più un documento artistico che un do-
cumento biografico? lntendiamoci: dicendo artistico non voglio dire artificioso ... Eloisa ... si pro-
pone innanzitutto di comporre un pezzo eloquente ... Di quanto la lettera si stacca dalla concreta
realtà biografica per avvicinarsi alla pura espressione artistica, di tanto si vengono moltiplicando le
probabilità che l’autore abbia ricorso a quella ‘esagerazione’ che è uno dei tanti artifici della retorica
scolastica di tutti i tempi ... Nessuna prima di Eloisa, ... ha mai, nel medio evo latino, narrato le suoi
tormenti a lettore futuro per fare un’opera bella». Une certaine ruse de l’histoire érudite a fait de G.
MISCH* (1959) le promoteur d’un nouvel intérêt pour les questions littéraires, puisque son psycho-
logisme excessif aurait suscité par réaction des travaux comme ceux de DE ROBERTIS* et MCLAUGH-
LIN, Abelard as Autobiographer*. Voir aussi J. ENGELS, Abélard écrivain, dans Peter Abelard, éd. E. M.
BUYTAERT (Mediaevalia Lovaniensia, Series I/Studia II), Louvain 1974, p. 65-84 sur certains aspects
rhétoriques de l’Historia calamitatum. Sur l’interprétation littéraire des lettres voir DRONKE*, SOU-
THERN* et ROBERTSON*. Les premières victoires herméneutiques sur le biographisme naïf ont donc
été remportées en principe, et pourtant tout cela est encore bien peu en comparaison de ce qui reste
à faire, pour que les huit lettres soient interprétées intégralement non seulement du point de vue
d’une «explication de texte» immanente, qui risquerait de tomber dans un formalisme anhistorique,
mais surtout par rapport aux structures sociales dont les plus simples formes du langage peuvent ma-
nifester des traces. Il nous faudrait pour ces lettres ce que L. GOLDMANN par exemple a inauguré mé-
thodologiquement pour Pascal et Racine, quoi qu’on pense de ses résultats pratiques. Voir aussi l’es-
quisse d’une nouvelle «histoire des mentalités» par G. DUBY, Des sociétés médiévales, Paris 1971 (sur-
tout p. 11 ss.) et L’histoire des systèmes de valeurs*; pour la sociologie des valeurs esthétiques médié-
vales voir E. KÖHLER, Esprit und arkadische Freiheit, Aufsätze, Francfort 1966, en particulier p. 83-
103; P. BOURDIEU, Postface à Architecture gothique et pensée scolastique d’E. Panofsky, Paris 1967.
16. Cette prépondérance du positivisme historique s’explique en partie par les difficultés de la
recherche sur l’authenticité qui, selon la logique des spécialistes, aurait dû précéder toute autre re-
cherche. Ce néfaste parti pris (voir n. 18) nous a valu des disputes comme celle qui se rattache à la
contradiction biographique causée par le seul mot conversio. VINAY* qui s’en débarrasse avec un bon
sens convaincant, conclut (p. 455): «Il Gilson ha forse avuto torto di dar troppo peso alle tesi dei
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sont intéressés à «tout ce qui n’était pas le texte», pour reprendre le mot
de Péguy contre les positivistes.
7. Mais n’est-il pas légitime, voire indispensable, d’analyser un texte –
tel que l’Odyssée ou les drames de Shakespeare – sans prétendre absolu-
ment en connaître l’auteur? Est-ce du formalisme à la manière du ‘new cri-
ticism’, ou de l’Histoire au sens plein du mot, si nous prenons ce texte
comme l’effet visible d’une cause malheureusement inconnue, qui a susci-
té la longue chaîne en partie seulement connue de ses lectures successives?
Ne peut-on pas partir d’un fait littéraire, et non pas d’un fait biogra-
phique, réel, mais dont nous avons perdu la trace? Même si nous savions
exactement quel était le rôle original d’Héloïse, d’Abélard ou d’un tiers
dans la composition du recueil, serions-nous dispensés de distinguer le
plan littéraire du plan documentaire? Nous n’aurons de toute façon jamais
une photographie des états d’âme du XIIe siècle. La réalité de l’auteur,
transmise par le truchement de l’écriture, perd son autonomie et prend va-
leur de signe. Elle devient partie intégrale d’une communication et ne
peut plus être comprise en dehors du contexte social inextricablement for-
mé par l’auteur, le lecteur et le livre dans un milieu et un temps précis17.
suoi avversari col risultato di cadere egli stesso in controtesi che in definitiva non persuadono». W.
VON DEN STEINEN s’indigne catégoriquement contre le tour qu’ont pris ces recherches: «Die ganze
Debatte gereicht der modernen Forschung nicht zur Ehre» (Kosmos*, p. 387). Une critique plus dé-
taillée ce cette controverse se trouve dans mon article: Palatini quaestio quasi peregrini*. Bien que je
m’ouvre aux nouveaux arguments de Benton, je ne puis m’empêcher d’y trouver encore une direc-
tion méthodologique trop semblable à celle qui vient d’être critiquée, et je crains surtout que la ré-
action éventuelle ne puisse pas dépasser le plan de la pure facticité et du pointillisme biographique,
dont trop souvent les preuves portent en elles leurs propres réfutations.
17. En France «l’histoire littéraire du lecteur» est une approche relativement bien connue, de-
puis Sartre (1948), Picon (1953), Nisin (1959) et d’autres, jusqu’à R. Barthes, parce que le pays qui
a peut-être poussé le plus loin le culte positiviste de la biographie d’auteur est celui qui a eu le plus
vite besoin de s’en détourner. La France est également en avance sur l’Allemagne dans le domaine
de la théorie de l’histoire générale, depuis peut-être le mémorable défi que Marc Bloch porta à
«l’idole des origines» ou «l’obsession embryogénique» française. En Allemagne cependant, les
orientations nouvelles (couramment appelées «Rezeptionsästhetik» ou «Wirkungsgeschichte» par
opposition à la «Produktionsästhetik» ou «Entstehungsgeschichte») ne viennent que de faire leur
entrée. L’histoire du public, de la transmission et réception des œuvres, propagée chez nous surtout
par les thèses du romaniste Hans Robert JAUSS*, fait actuellement le sujet d’une controverse inter-
ne entre historiens de la littérature assez semblable à celle des philosophes et sociologues autour de
l’herméneutique (voir n. 10). Quoiqu’il s’agisse également d’un problème en fin de compte poli-
tique: faut-il seulement interpréter la tradition interne des textes par l’accueil qu’ils ont reçus, ou
en plus, analyser l’histoire extérieure dont la «réception» fait partie, et même juger ce contexte so-
cial, dans la mesure où il agit toujours sur nous comme une sorte de «préhistoire»? Voir H. R.
JAUSS, Literaturgeschichte* ..., id., Paradigmawechsel in der Literaturwissenschaft, Linguistische Berichte 3,
1969, p. 44 ss.; W. ISER, Die Appellstruktur der Texte, Konstanzer Universitäts-Reden 28, 1970; H.
Weinrich, Literatur für Leser, Stuttgart 1971. Pour des aspects critiques voir H. GUNTHER, Grund-
begriffe der Rezeptions- und Wirkungsanalyse im tschechischen Strukturalismus, Poetica 4, 1971, p. 224-
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Si nos renseignements sur l’auteur sont aussi douteux qu’ils le sont dans
notre cas, il n’est que logique que notre attention se concentre sur les deux
autres données: les destinataires éventuels et la structure globale de la
composition telle que les manuscrits la conservent. Ce point de départ,
l’explication du sens de l’œuvre par son contenu et par la réception dont
elle a pu jouir, ne lève pas, il est vrai, toutes les hypothèses. Celles-ci sont
cependant moins invraisemblables que celles qui sont nécessaires à une foi
objectiviste qui prend biographiquement à la lettre toutes les expressions
et même toutes les omissions d’un texte médiéval18.
8. L’hypothèse fondamentale, très vraisemblable en l’état actuel de la re-
cherche, nous la devons à la découverte de Jacques Monfrin sur la tradition
manuscrite. Le texte servit très probablement de dossier historique et ca-
nonique à la fondation de l’Ordre dans les prieurés du Paraclet. On pour-
rait s’aventurer encore un pas plus loin en supposant qu’Héloïse elle-même
fit la révision du texte après la mort d’Abélard. Mais ce n’est là qu’une idée
de «brain storming» à user avec d’autant plus de prudence qu’elle est, en
effet, tentante19. La provenance monastique du manuscrit de Troyes n’ex-
plicite en rien ni la date ni le degré de vérité autobiographique de la com-
position, mais elle jette une lumière suffisamment claire sur le premier
emploi et les premières lectrices de la correspondance.
243; G. KAISER, ib., p. 267 ss. (compte rendu d’Iser); Plusieurs contributions très importantes se
trouvent dans le N° XI, 1973 de Lili, Zeitschrift für Literaturwissenschaft und Linguistik: «Soziologie
mittelalterlicher Literatur», éd. W. Haubrichs.
18. Sans prôner «l’étude historique d’un texte» proposée par L. SPITZER, je peux néanmoins
souscrire entièrement à sa devise propédeutique: «On dirait que le bon sens lui-même devrait
conseiller aux historiens littéraires de ne pas s’attaquer au problème de l’attribution d’un texte avant
d’en avoir élucidé la signification exacte» (Les «Lettres Portugaises», p. 210).
19. MONFRIN, Introd.*, p. 15 ss. pour la présence du corpus au Paraclet. SCHMEIDLER* (p. 114)
le suppose déjà: «... wenn Abaelard dieses Werk … seiner Gattin und dem … Paraklet übergab (cf.
n. 26), so hatte er zugleich einen sicheren Aufbewahrungs- und Überlieferungsort, in dem es für
die Nachwelt erhalten werden und von dem aus es, wenn seine Gattin es wollte (!), in Abschriften,
z.B. in den Tochterklöstern des Paraklet (!), verbreitet werden konnte». – La supposition concer-
nant la rédaction ou la révision par Héloïse est faite pour la première fois par L. LALANNE, Quelques
doutes sur l’authenticité ..., Correspondance littéraire 1, 1856-1857, p. 32 s., puis par O. GRÉARD, Lettres
complètes ... Paris 1859, p. XV et J. MCCABE, Peter Abelard, Londres 1901, p. 231. Ce n’est qu’avec
l’importante découverte de Monfrin, que cette hypothèse (pourtant timide, Introd.*, p. 30: «Mal-
heureusement toute certitude manque») connaît un certain succès érudit: voir GILSON* (1964), p.
209 s.: «Je suis plus tenté que jamais de croire que la composition du recueil est l’œuvre d’Héloï-
se»; D. SCHALLER, Probleme der Überlieferung und Verfasserschaft lateinischer Liebesbriefe des hohen Mitte-
lalters, Mittellat. Jahrbuch 3, 1966, p. 33; DE GANDILLAC*, p. 372; SOUTHERN*, p. 103: «The let-
ters dominated her life as they did not dominate Abelard’s; indeed they were her life, and the basis
for the life of the monastic foundation that she did her best to make great». W. Von den Steinen,
Abaelard als Lyriker des Subjektivismus, dans Menschen im Mittelalter, Bern 1967 (p. 215-230), p. 217.
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20. Voir également MISCH*, p. 540: «keine bloße Zusammenstellung der verschiedenartigen
Briefe, sondern trotz der Verschiedenartigkeit der Bestandteile ein in sich geschlossenes, wohl-
komponiertes, planmässig für die literarische Offentlichkeit zusammengestelltes Ganzes ... Jeden-
falls setzt die Komposition einen Herausgeber ... voraus».
21. Abaelardi Ep. IV, p. 91: De quibus etiam ut iam supra memini scriptum est: Mulieres se-
dentes ... et Ep. II, p. 77: ... sicut scriptum est: Mulieres sedentes .... Je m’étonne de ce que l’éditeur
ne donne pas la référence interne à côté de celle de l’antiphone Benedictus du Samedi Saint (Brév. ro-
main). Le passage de l’Ep. IV manque seulement dans les mss. CEP, ce qui n’affaiblit guère l’argu-
ment, vu la qualité des mss. T et A. J’ai déjà relevé ce détail dans Consolatio* CA 570. De même,
dans Ep. VIII, p. 258 Abélard renvoie à Ep. VII, p. 278 s. par les mots: ut iam alibi meminimus
(concernant la cura des apôtres vis-à-vis des femmes). Par ailleurs la tournure ut supra memini se ren-
contre aussi dans l’Hist. Cal. I.366, 1492, où elle ne contribue guère à l’élégance du style. D. VAN
DEN EYNDE (Le recueil des sermons de Pierre Abélard, Antonianum 37, 1962, p. 26) note la formule ac-
compagnée d’une référence plus précise: sicut iam supra in alio meminimus (Sermo 2, 455 A ren-
voie à Sermo 7, 435 B-C).
22. Voir D. VAN DEN EYNDE, Les écrits perdus*, pp. 476-480 (concernant le Psalterium) et Chro-
nologie*, p. 377-349. – Où sont les lettres dont Abélard parle dans l’Hist. Cal. I. 296 299, 393,
(pour ne pas parler des carmina amatoria de I.355)? Elles auraient pu trouver leur place dans une col-
lection «d’épîtres amoureuses» qu’on regrette de ne pas posséder. Si les sermons et poésies reli-
gieuses destinées au Paraclet, les lettres IX (de studio litterarum) et XVII (confessio fidei) n’ont pas été
recueillis, on peut penser que ces pièces appartiennent à une période plus tardive ou ne font pas par-
tie du genre épistolaire qui détermine le cadre formel du dossier. Même si le texte est authentique
ou simplement retravaillé après la mort d’Abélard, la lettre de condoléance de Pierre le Vénérable
à Héloïse (cf. §§ 13 ss.) n’y est probablement pas insérée parce qu’elle ne concerne pas les origines
du Paraclet. – Voir aussi ROBERTSON* (p. 120 ss.) sur cette «collection made for special purpose».
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23. Lorsque j’ai écrit cette phrase je croyais à l’authenticité de la Règle, au moins dans le sens
indiqué par D. VAN DEN EYNDE, En marge ...*, p. 70 ss. Je ne m’attendais pas à ce que John BEN-
TON (Fraud..*) fonde toute sa critique sur cette partie centrale du dossier. Quoi qu’il en soit, je vois
la principale difficulté de sa thèse dans le problème que pose la possibilité d’un projet idéal, irréa-
lisable dans la vie concrète du couvent, et pourtant réellement souhaité par l’auteur de la Règle, fût-
il Abélard ou un autre. Les contradictions entre lnstitutiones nostrae et la lettre VIII s’expliqueraient
par l’écart entre les «utopies» du maître et la réalité pratique du Paraclet. Pour l’intérêt littéraire
qui me guide ici, il suffit d’affirmer que la règle telle qu’elle nous est parvenue (observée, projetée
ou construite ex post – peu importe!) est le document le plus «précieux» pour décrire la structure de
tout le dossier. Même sans aller plus loin, on voit facilement qu’avec les deux autres lettres (VI et
VII) qui l’introduisent directement, elle «constitute more than five sixths of the correspondance,
which can only be seen as a whole» (DRONKE*, p. 229).
24. Cette disposition est bien analysée par MISCH*, p. 540-544.
25. Je tiens à souligner que par «construction littéraire» il ne faut pas nécessairement entendre
«fabrication de fausse monnaie». Je garderais ce terme même s’il était prouvé que nous ayons af-
faire aux ipsissima verba d’Abélard et d’Héloïse, puisque toute parole et a fortiori toute écriture
transforme le vécu en structure symbolique (cf. Gœthe, Tag- und Jahreshefte 1811, GA XI, Zürich
1950, p. 846, qui prétend avoir choisi le titre Dichtung und Wahrheit parce qu’il était «innigst
überzeugt, dass der Mensch in der Gegenwart, ja vielmehr noch in der Erinnerung die Außenwelt
nach seinen Eigenheiten bildend modele:» voir le commentaire pénétrant de ce passage par R. PAS-
CAL, Die Autobiographie, Stuttgart 1965, p. 21 ss., trad. de l’anglais Design and Truth in Autobiogra-
phy, Londres 1965). Bien que SCHMEIDLER utilise le même terme, c’est plutôt à l’emploi sociolo-
gique que je pense, tel que le définissent P. L. BERGER et Th. LUCKMANN, The Social Construction of
Reality, Garden City, N.Y. 1966.
26. L’interprétation «monastique» accompagne malheureusement presque toujours automati-
quement la thèse de l’inauthenticité, de sorte que les adversaires de celle-ci ne peuvent percevoir le
bien-fondé de l’analyse littéraire elle-même. En 1807 déjà, FESSLER*, p. 352, parvient à cette double
conclusion: «Wahrscheinlich ist mir, dass diese Briefe, bald nach Abälards Tode, von einem, weder
ungelehrten, noch gefühllosen Mönche erdichtet und an die Historia calamitatum angeschlossen
worden seyn. Sein Zweck mag gewesen seyn, den höchsten Enthusiasmus der weiblichen Liebe im
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fait oublier l’essentiel, le sens de l’œuvre. Nous allons donc exclure tout
«wishful thinking», sans avoir honte de notre ignorance, et nous en tenir
strictement à la conviction que le texte qui nous est parvenu a été rédigé,
on ne sait quand ni par qui, comme une œuvre intégrale et dans une in-
tention monastique, et que des documents autobiographiques authen-
tiques (ce qui est probable pour l’historia) ont pu y être intégrés27. Cette
rédaction finale peut, pour ne pas dire doit, avoir servi de monument his-
torique et édifiant pour le Paraclet, qui comme tout couvent avait besoin
d’une commémoration de sa fondation28. Si ce livre, grâce à la Règle, a eu
Kampfe gegen die kalte, ruhige Kloster-Ascesis darzustellen, und diese über jene siegen zu lassen».
Pour Schmeidler voir n. 16 (les trois autres articles se trouvent dans Archiv für Kulturgesch. 11, 1914,
p. 1-30; Zeitschr. für Kirchengesch. 54, 1935, p. 323-338 et Revue Bénédictine 52, 1940, p. 85-95).
Parmi les témoignages de l’écho érudit, il faut particulièrement louer celui de J. HUIZINGA, qui gar-
derait une certaine actualité si la correspondance se révélait être un «faux»; Zwei prägotische Geister:
Abaelard, Johannes von Salisbury (1933), paru dans Geschichte und Kultur, Stuttgart 1954, (p. 161 ss.)
p. 173: «Das tut meiner Meinung nach nicht viel zur Sache, man mag es sich vorstellen wie man
will. Den Fall selbst hat er (Abaelard) sicher nicht ersonnen; er war ... schon in seinen Lebzeiten be-
kannt ... Das große Faktum bleibt, dass ein Schriftsteller des zwölften Jahrhunderts die Liebe so ...
hat fassen und ausdrücken können, dass noch nach acht Jahrhunderten jeder Mensch Leben und
Wirklichkeit darin spürt». Les thèses de SCHMEIDLER ont été gravement compromises par les exa-
gérations presque fanatiques de sa lointaine «disciple» française (Ch. CHARRIER), qui rendent la cri-
tique facile. Dans la filiation érudite qui remonte à Schmeidler on ne trouve presque pas d’auteurs,
à l’exception de MISCH* peut-être, qui n’aient forcé le sens de la thèse originale, comme si c’était
un résultat définitif (L. SPITZER* qui se réfère indirectement à Schmeidler en citant F. HEER; puis
T. L. POLLMANN, Die Liebe in der hochmittelalterlichen Literatur Frankreichs, Francfort 1966, p. 287,
qui sans citer ces prédécesseurs écrit: «dieser Briefwechsel ... scheint uns, abgesehen von den stilis-
tischen, gedanklichen und topischen Momenten, die ihn mit dem übrigen Werk Abaelards ver-
binden, alle Merkmale eines aus abaelardischer Ideologie gespeisten literarischen Produkts zu ha-
ben, vielleicht ein erstes Beispiel für die Infiltration der provenzalischen Ideologie in Nordfran-
kreich»). Je suis d’ailleurs très étonné que ROBERTSON*, dont j’apprécie l’analyse intégrale du dos-
sier, puisse suivre Schmeidler et (surtout) Charrier en ce qui concerne l’attribution, sans en donner
les raisons. – Il est équitable de noter que, malgré le ton à mon avis désagréablement ironique dont
il s’en prend à la «Gründlichkeit» du professeur Schmeidler, GILSON (p. 92) en accepte pourtant en
partie les conclusions (sans le nommer cette fois) en ce qui concerne ce «Werk von typischer Be-
deutung für ein Nonnenkloster» (SCHMEIDLER, p. 113), quand il détermine l’importance du genre
littéraire qui se rattache au nom de saint Jérôme. – En outre il est normal que les érudits enclins à
attribuer la révision du texte à Héloïse (voir n. 17) soient aussi plus ou moins consciemment inté-
ressés par sa destination monastique.
27. Un certain scepticisme provisoire est toujours recommandable, même envers les preuves les
plus évidentes d’une révision, fiction ou supercherie partielle. Ces preuves ne seraient qu’une étape
supplémentaire vers la seule question importante: Comment distinguer les couches originales des
retouches postérieures? Comment restaurer le tableau, tant qu’on ne sait pas exactement à quels en-
droits il a été refait?
28. Kaspar ELM, fondateur d’un institut de l’«Ordensgeschichte» dans le cadre du centre
d’études historiques à Bielefeld, a fait une conférence fort suggestive sur cet aspect lors du petit col-
loque «Verhaltensformen im Mittelalter» en mai 1972 à Stuttgart: Die Gründerfigur als Norm und
der Wandel des Gründerbildes unter dem Einfluss der Ordensentwicklung im 13. Jahrhundert. [Cette contri-
bution est entrée dans deux publications ultérieures: Franziskus und Dominikus. Wirkungen und An-
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triebskräfte zweier Ordensstifter, Saeculum 23, 1972, p. 127-147; Die Bedeutung historischer Legitimation
für Entstehung und Funktion des mittelalterlichen Ordenswesens, dans Herkunft und Ursprung, éd. P. WUN-
DERLI, Düsseldorf 1994, p. 71-90].
29. Cf. SPITZER*, p. 224, pour les lettres; en général voir BLOCH*, p. 43 ss.; H. FUHRMANN, Die
Fälschungen im Mittelalter, Überlegungen zum mittelalterlichen Wahrheitsbegriff, et K. BOSL, Zu einer So-
ziologie der mittelalterlichen Fälschung, dans Historische Zeitschr. 197, 1963, p. 529-554; id. Einfluss
und Verbreitung der pseudoisidorischen Fälschung, (Schriften der MGH 24. 1), Stuttgart 1972, ch. Ier;
W. SPEYER, Die literarische Fälschung im heidnischen und christlichen Altertum, Handbuch der Altertum-
swissensch. I 2, 1971; U. MÜLLER, «Lügende Dichter?» Ovid, Jaufre Rudel, Oswald von Wolkenstein, dans
Gestaltungsgeschichte und Gesellschaftsgeschichte, éd. H. KREUZER, Stuttgart 1969, p. 32-50; H. BRAC-
KERT, Rudolf von Ems, Heidelberg 1968, p. 234 ss. – En attendant de nouvelles discussions possibles
sur le genre et le degré d’inauthenticité éventuelle des lettres, on ne peut guère assez recommander
une terminologie précise qui sache distinguer entre «révision», «fiction», «faux», pia fraus et «frau-
de» tout court; ce qui exige tout d’abord une étude approfondie du concept médiéval de la «vérité
historique» et de l’épistémologie (voir aussi n. 55). En mettant les choses «au pis», même le grand
inconnu, le «faussaire de génie», s’il a existé au XIIIe siècle, n’a pas inventé ex nihilo le conflit entre
l’amour et la religion (voir HUIZINGA n. 23). Il doit en avoir eu une expérience humaine, même in-
directe, soit qu’il la tirât d’une source écrite (par une femme, par Héloïse elle-même?), soit qu’il sût
exprimer ce que son époque, sensible à de tels problèmes, attendait d’un livre sur la conversion de
cette figure célèbre (voir JAUSS*, Literaturgeschichte, p. 173 ss., thèse VII sur l’«horizon d’attente»).
30. Voir VAN CAENEGEM, loc. cit. (n. 8), p. 797: «Il vaut mieux donner une réponse incomplète
à une question importante, qu’une réponse complète basée sur une documentation abondante, à des
questions futiles que personne ne se pose pas ou plus».
31. Post festum il faut avouer que ces principes sont plus vite formulés que mis en pratique. Après
relecture du présent article je constate que je ne me tiens pas assez strictement à ma propre règle
du jeu, qui aurait dû garantir une neutralité absolue envers la pluralité des hypothèses possibles, re-
latives aux personnes historiques désignées par les noms d’auteurs. Je me suis parfois laissé entraî-
ner à mêler les deux dimensions (littéraire et documentaire) avec une arrière-pensée favorable à l’his-
toricité des lettres.
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32. ROBERTSON* (p. 135) arrive à une conclusion semblable: «What began as a rather unat-
tractive union in lust, ended with a mutual concern for the life of the spirit. How much of this is
‘historically’ true we do not know ... The Letters display a great deal of artifice ... But this fact
would not have detracted from their usefulness insofar as the nuns of the Paraclet were concerned».
Et même pour l’Historia Calamitatum, dont je ne peux pas parler ici, il conclut (p. 118): «Viewed
as a whole, the content of the ‘History’ is singularly appropriate to the use to which it was put.
Abelard unoubtedly wrote it ... to supply the beginning of a basic document for his new order. If
anything more was needed, in addition to the rule, it was an account of the conversion of Heloise
under Abelard’s direction. This defiency is supplied in the subsequent letters ...». De même R.
SOUTHERN* (p. 101 s.) souligne que les deux dernières lettres – «much longer than all the rest put
together – bring the story to the only possible end that is not despair», et que c’est l’instruction
monastique avant toute chose «that insured their survival». «They were the foundation documents
of the monastery». D’une façon plutôt énigmatique, mais qui peut être entendue dans le même
sens, C. BROOKE (The Twelfth Century Renaissance, Norwich 1969, p. 51 s.) écrit: «Abelard tried to
draw her love for him into the world of God’s love, but she at first (!) resisted, pointing out ... the
difficulties in seeing analogies between them. Thus in a way, we are prepared for the analogy of hu-
man and divine love ... in the writings of St. Bernard». MCLAUGHLIN, Abelard as Autobiographer* (p.
484) dans son excellente analyse de l’Historia Calamitatum souligne que le thème de la consolation
et du recouvrement de l’identité personnelle (voir aussi n. 99) sont le lien interne de tout le dossier.
33. Sur ce point, les remarques de L. SPITZER* (p. 225 s.) restent parfaitement valables et dignes
d’être relues.
34. MUCKLE*, p. 60-66, (voir aussi n. 35); FESSLER*, p. 344 ss.: «Heloisa, die gelehrte, kluge,
weise Heloisa wie sie Abälard, wie sie Peter Abt von Clugny, wie sie sich selbst in ihrem Schreiben
an Abälard, worin sie eine Klosterregel von ihm verlangt, darstellt, damals dreyssig, Abälard zwey
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und fünfzig Jahre alt, und in ihren Briefen herrscht eine Raserey der Leidenschaft, ein Streben nach
schlüpfrigen Bildern, eine Frechheit der Zeichnung, wie sie kaum einem ungebildeten, achtzehn-
jährigen, nur nach dem lange entbehrten Genuss lechzenden Mädchen verziehen werden könnte ...
Die Erscheinung macht der hohe Grad der Bildung und Gelehrsamkeit in Heloisa höchst unwahr-
scheinlich». ... «Berington setzt die Briefe in das Jahr 1134; desto schlimmer für ihre Echtheit ...
da müssten die Zeit, die klösterliche Zucht, ... und das Studieren die wollüstigen Rückerinnerun-
gen in ihrer Seele doch so geschwächt haben, dass sie sich ... wenigstens durch das Niederschreiben
derselben nicht verächtlich und lächerlich gemacht hätte» (voir n. 2). La vie et les idées de ce cu-
rieux auteur ont été étudiées par P. F. BARTON, Ignatius Aurelius Fessler, Vom Burockkatholizismus zur
Erweckungsbewegung, Vienne-Cologne-Graz 1969 (surtout p. 395 ss.: Abaelard und Heloisa). – D’autre
part la transition a servi d’argument contre l’authenticité dans un sens plus technique, puisqu’on
pouvait y voir un artifice manqué de la construction fictive. PETRELLA déjà, loc. cit. (n. 39), p. 556
s. objecte contre L. TOSTI (Abelardo, Napoli 1851, p. 187) que le changement de style est trop
abrupt «per lasciare tempo a un passagio d’animo dal più concitato ardore sessuale al più rassegna-
to spirito di contemplazione» et qu’il ne peut s’expliquer par la pieuse raison que la prière d’Abé-
lard ait calmé la tempête du cœur. «Troppo presto!» À mon avis, ceci revient à l’application ana-
chronique d’un critère de réalisme moderne.
35. Cet article garde beaucoup de mérites, comme nous l’avons dit (n. 15). Mais parce que DRON-
KE* traite en premier lieu du début de la 6e lettre, et d’une façon qui pourrait paraître exhaustive,
je ne peux en éviter la critique. Ce texte devient donc en grande partie une réplique à son roman-
tisme sous-jacent, mais ne touche en rien à la finesse de sa méthode descriptive (son analyse des rap-
ports entre les deux parties epp. 2-5 et 6-9 ainsi que sa valorisation des «lettres de direction» me
semblent mériter le plus haut intérêt). Il faut sans doute comprendre son admiration excessive «of
Heloise’s unique perseverance in her unconversion» (p. 229) comme une réaction motivée par
quelques simplifications de SPITZER* (voir § 18), qui, peut-être trop nourri des idées morpholo-
giques applicables à l’histoire littéraire des époques plus récentes, s’est en effet permis certains ana-
chronismes. – Ce qui est particulièrement important c’est que Dronke plaide ainsi en faveur de l’au-
thenticité: 1° Abélard ne peut pas être l’auteur des lettres d’Héloïse parce qu’il serait absurde d’as-
sumer qu’il ait voulu montrer ses qualités de directeur d’âme tout en avouant l’échec final de ses ef-
forts par le silence d’Héloïse (voir aussi n. 6). 2° Un tiers qui aurait voulu construire une «histoire
de conversion» se serait épargné les plus longues parties du dossier (surtout «l’ennuyeuse digression»
sur l’administration du couvent), qui n’ont rien à voir avec le changement intérieur d’une pécheres-
se. Dronke est tellement sûr de sauver ainsi la position de GILSON qu’il ose écrire (p. 223 s.): «As-
suming that Marianne overcome her passion, Dr. Spitzer compares her with Héloise who, (so he
would have us believe) does likewise, brought by Abelard to penitence and change of heart. If this
were true, Abelard might indeed have written the entire correspondence himself, as an edifying
exemplum of conversion ...». La dernière phrase fait bien voir le poids d’un problème que je tâche
de résoudre en sens inverse, sans toutefois accepter le tertium non datur («ou Héloïse ou Abélard»)
proposé par Dronke. – Quant aux Lettres Portugaises cf. l’éd. F. DELOFFRE - J. ROUGEOT (éd. Garnier)
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1962, dont l’introduction a définitivement établi la paternité de Guilleragues (Dronke a publié son
article déjà en 1960!), CHÂTILLON*, p. 279 se demande s’il ne faudrait pas ajouter un chapitre au
livre de CHARRIER* qui prouverait «que les Lettres portugaises dépendent en quelque manière des
lettres d’Héloïse». Rien n’est plus sûr depuis le travail de B. A. BRAY, L’art de la lettre amoureuse, Pa-
ris 1967, p. 17, qui a découvert une première traduction française de notre texte dans le Nouveau re-
cueil de lettres des dames, de F. de Grenaille, Paris 1642, sous la rubrique «Lettres chrétiennes» (non
pas sous «Lettres d’amour»), ce que H. DÖRRIE, qui a le plus récemment traité des rapports en ques-
tion, ne savait pas (Der heroische Brief, Berlin 1968, p. 223 ss. sur Pope, et l’«Abailard-Dichtung in
Frankreich»). Je vais reprendre le sujet dans le travail annoncé en n. 12. J. PONTON, La religieuse dans
la littérature française, Québec 1969, ne s’occupe pas des influences philologiques.
36. Ces documents sont mentionnés par MUCKLE*, p. 60 ss.
37. MUCKLE*, p. 64: «Religious leaders in the Middle Ages were not squeamish, and were qui-
te ready to make due allowance for human weakness, but to say that they would welcome in one of
their convents as a shining light of religious life, a selfconfessed concubine at heart is going a litt-
le too far. It just does not make sense». Voir aussi la critique polie de ces objections «of a pecular-
ly precarious kind» par SOUTHERN* (p. 99 s.): «We are required to assume that the actions and
states of mind of a nun in the twelfth century can be assessed by standards that are applicable (if
they are applicable at all) in the twentieth century. This is a point on which every one must form
his own judgement». – Petri Venerabilis ep. 115 ad Eloysam abbatissam, éd. G. CONSTABLE, I, p. 303-
309 (commentaire et bibliographie: II, p. 177 s.).
38. V. CILENTO, Medioevo monastico e scolastico, Milan 1961, p. 164 s. SCHMEIDLER*, p. 122 s.:
«der vornehmste und großherzigste Kondolenzbrief der Weltgeschichte». Le style hyperbolique ne
manque pas non plus chez R. MORGHEN*, p. 22 s. Presque tous les auteurs qui s’occupent en pas-
sant de cet épisode – à l’exception des spécialistes de Pierre le Vénérable – se plaisent à composer
des panégyriques vagues en se servant de généralités qu’on peut déjà trouver chez Alphonse de La-
martine (Héloïse et Abélard, Paris 1864, p. 105) ou en répétant jusqu’à satiété une image qui est à
l’origine une excellente trouvaille de Gilson (p. 129): «comme le messager de quelque drame an-
tique venant raconter la fin du héros». Ce n’est pas ainsi que nous nous délivrerons de la construc-
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tion du «personnage vitrail» qu’aurait été le puissant abbé de Cluny ni de l’idéologie d’un Moyen
Âge en fin de compte toujours harmonieux (cf. A. CHANDLER, A Dream of Order, The Medieval Ideal
in Nineteenth-Century English Literature, Lincoln 1970; D. H. HOWARD, The three Temptations, Prin-
ceton 1966, p. 27 ss.).
39. J’ai d’abord accepté l’opinion assez répandue que Pierre le Vénérable ait pu se régler sur la
correspondance; voir n. 47, Consolatio* CA 726 s.; GILSON*, p. 142 ss.; MISCH*, p. 717. Ce qui res-
te garanti d’après l’évidence du texte même c’est que l’abbé de Cluny loue la sagesse précoce d’Hé-
loïse et son activité monastique au Paraclet – ceci probablement en connaissance de cause – et qu’il
«n’ignore pas ce que tout le monde sait», comme dit très bien Gilson, sans considérer que cela a pu
être bien moins que ce que nous, qui sommes imprégnés de la correspondance, croyons savoir au-
jourd’hui. Pour ce que «tout le monde» pouvait savoir sans notre source voir les pages bien qu’un
peu chargées de E. D. PETRELLA (Delle lettere d’Abelardo e Eloisa, Reale Istituto Lombardo di scienze e let-
tere, Rendiconti II 44, 1911, p. 561 ss.) sur la naissance d’une légende en plein XIIe siècle.
40. Consolatio* CA 586-681: interprétation de l’Epitaphium matris (Ep. 53); CA 682-728: des
autres condoléances; CA 726 s.: de celle qui nous occupe ici.
41. Petr. Ven. Ep. 115, p. 303-305; voir V. MOOS*, ib. Vol. IV, Index V 2, p. 130, s.l. insinua-
tio; et Hildebert ..., p. 213 ss.
42. Surtout Abaelardi Ep. III, p. 73, 75 s.; Ep. V, p. 83 ss., 87, 93, et toute l’Ep. VII (où p. 269
ss. nous trouvons une série d’exemples héroïques analogue à celle de Pierre le Vénérable); voir V.
MOOS, Consolatio* CA 561, 577. J’ose même penser que le panégyrique dans l’Hist. cal. (lignes
1321-1340) peut avoir un sens exemplaire comparable à l’exhortatio des lettres.
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dalisé de ne pas voir venir les reproches mérités43. C’est que, selon la Règle
pastorale de saint Grégoire bien connue au Moyen Âge, un bon directeur
d’âme, plutôt que d’accabler, doit savoir redonner confiance, car, s’il faut
humilier les forts par le blâme, il faut par contre relever les faibles par l’élo-
ge44. Abélard semble non seulement suivre ce conseil, mais même être
convaincu qu’Héloïse accepte la règle du jeu: «Jamais mes louanges ne
peuvent enfler ton cœur, elles ne cherchent qu’à t’exciter à plus de vertu
encore45». Pierre le Vénérable se justifie de la même façon: non adulando,
sed exhortando dico46. (N’est-ce pas d’ailleurs un avertissement méthodolo-
gique pour ceux qui, à la lecture des panégyriques médiévaux, les pren-
draient à la lettre ou les soupçonneraient d’hypocrisie? Peut-être leurs au-
teurs et leurs lecteurs étaient-ils plus conscients que nous des arts du lan-
gage et des rites de l’interaction). Mais pour quelles raisons pareille insi-
nuatio pastorale sous la plume de l’abbé de Cluny? Un peu probablement
parce que les règles élémentaires de la consolation l’imposent dans une si-
tuation du deuil47, mais avant tout pour recommander exactement les qua-
lités qu’il loue. Lesquelles? À part l’attention spéciale portée sur la conver-
sion de la sagesse séculière en «vraie philosophie du Christ»48, ces quali-
tés, pourtant essentielles à n’importe quelle conversatio d’abbesse, sont si
générales que l’on ne peut pas plus y voir une allusion à la terrible obsti-
nation érotique d’Héloïse qu’en déduire que pour la tolérance de Pierre les
tentations de la chair avaient perdu leur caractère démoniaque49. Car per-
43. MUCKLE*, p. 59: «It is quite evident that Abelard in his two replies tries to raise Heloise
up to a truer love of God. One might expect some word of disapproval of such impassioned and sin-
ful protestations of love». Il n’est pas inimaginable qu’un maître de l’insinuatio sache aussi faire
semblant de ne pas entendre certains détails qu’ ont été dits avec l’art de l’exaggeratio rhétorique
exactement correspondant à l’art de «l’understatement» dans les réponses d’Abélard (cf. n. 64, 66).
44. Voir V. MOOS, Consolatio* CA 156 ss., surtout A 160b sur la Regula pastoralis III 1 ss.
45. Ep. V, p. 87: Numquam te mea laus inflabit, sed ad meliora provocabit, et tanto studiosius quae lau-
davero amplecteris, quanto mihi amplius placere satagis. Non est laus nostra testimonium tibi religionis ut hinc
aliquid extollentiae sumas. Voir aussi Ep. VII, p. 279 s. où Abélard justifie les louanges hyperboliques
de saint Jérôme adressées à des femmes et où il excuse ce qui pourrait y paraître: veritatis tramitem
excedere et non in modicam labi ... adulationem, en concluant: Dulcissimum quippe viro sancto fuerat qua-
cumque arte verborum fragilem naturam ad ardua virtutis studia promovere.
46. Ep. 115, p. 304: ... ut quanto in transacta pugna carne infirmior, tanto in remuneratione sempiter-
na appareat gloriosior. Haec carissima soror vere non adulando, sed exhortando dico, ut magnum in quo ali-
quandiu perstitisti bonum attendens, ad caute illud conservandum animosior reddaris, et sanctas illas quae te-
cum domino serviunt ... ut in eodem sollicite agone contendant, verbis pariter et exemplis accendas.
47. Voir Consolatio* T 28 s., 1101-1179, 1345 ss., 1613 ss.
48. Ep. 115, p. 303 s.
49. Ainsi MORGHEN*, p. 22: «Forse Pietro il Venerabile non viveva più l’attesa escatologica con
l’intensità con la quale l’aveva vissuta Oddone, né forse considerava più l’amor terreno come una
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sonne ne sait si à 45 ans, donc 25 ans après les quelques mois de bonheur
tragiquement brisés à Paris et à Argenteuil, l’abbesse avait encore besoin
d’être admonestée ou excusée sur ce point.
15. Dans la partie nécrologique de la lettre de condoléances, le plus beau
passage, souvent cité, se rapporte directement à la singulière vie commu-
ne d’Héloïse et d’Abélard. Pierre y affirme clairement les valeurs naturelles
et surnaturelles du mariage, sans oublier la copula carnalis sanctifiée par la
charité50. «L’homme qui t’appartient, dit-il (illo tuo), celui avec lequel et
sous lequel tu as servi le Seigneur, c’est le Christ qui le réchauffe aujour-
d’hui dans son sein à ta place comme un autre toi-même: il te le garde pour
qu’au jour de la venue du Seigneur ... par sa grâce, il te soit rendu». Gil-
son voit dans ces mots le témoignage raffiné d’une sagacité qui devine
l’Héloïse des lettres et lui recommande un amour de Dieu indissoluble-
ment lié à son amour humain, le Christ étant le seul garant et protecteur
de celui qu’elle chérissait le plus au monde. Par ce biais cette abbesse «bu-
tée, rebelle et comme murée dans sa douleur» – c’est le beau portrait de
Gilson – pourrait donc être sauvée malgré elle51. Je ne crois pas sous-esti-
mer les dons pédagogiques de Pierre le Vénérable en affirmant qu’il ne dit
rien de plus ni de moins que ce qui fait la substance même de ses autres
lettres de condoléances et – pourquoi le taire? – de toute consolation mé-
manifestazione della schiavitù dell’uomo al Maligno ... Il significato spirituale del ‘corpo mistico’
si traduceva, se mai, in Pietro il Venerabile in un senso d’umanità, sereno e distaccato ...».
50. Ep. 115, p. 307 s.: Hunc ergo venerabilis et carissima in domino soror, cui post carnalem copulam
tanto validiore, quanto meliore divinae caritatis vinculo adhesisti, cum quo et sub quo diu domino deservisti,
hunc inquam loco tui, vel ut te alteram in gremio suo confovet, et ‘in adventu domini’, ‘in voce archangeli, et
in tuba dei descendentis de caelo’, tibi per ipsius gratiam restituenduam reservat. Constable a oublié de no-
ter la référence I Thess. 4, 15-18, qui est une des citations finales des plus usuelles dans les condo-
léances (voir V. MOOS, Consolatio* Index V I, p. 79 8.1). Pour la formule ut te alteram voir ib. T 138,
1492; pour loco tui confovet, ib. T 1539 ss., 1549 ss.
51. GILSON*, p. 145. L’argument a été souvent repris: voir par ex. MCLEOD, Entretiens. (GAN-
DILLAC*), p. 363; CILENTO, loc. cit. (n. 38), p. 167; PERNOUD, loc. cit. (n. 6), p. 273 ss.; JEANDET, loc.
cit. (n. 6), p. 247; R. OURSEL, La dispute et la grâce ..., Paris 1959, p. 85 s. («Sachant à bon escient flat-
ter dans l’innocence sa coquetterie, il rendait hommage ... à sa vaillance»). Voir aussi la curieuse al-
tération du premier sens chez A. D. SCAGLIONE, Nature and Love in the Late Middle Ages, Berkeley-Los
Angeles 1963, p. 29: «Public opinion was against this woman in love, and the time had not yet come
for public sympathy toward great sinners (voir n. 108, 111). The sympathy of some of her contem-
poraries (for example, Peter the Venerable) for Heloise was purely a movement of exquisite hearts and
human understanding, and did not imply recognition of her revolt, rather strove to cover it up offi-
cially. A famous letter ... (vient cité une partie du passage de n. 46) ... a noble piece, indeed, of wi-
shful thinking, ... clearly contradicted by the evidence, since Héloise never appeared to have under-
gone such a conversion to true ‘divine charity’». En voilà une certitude digne d’envie! Faut-il exclu-
re qu’elle soit essentiellement redevable aux semences peut-être involontaires de Gilson?
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56. Jean de Meung: BN fr. 920; voir MONFRIN, Introd.*, p. 29 ss.; DE ROBERTIS*, p. 11.
57. Voir DE GANDILLAC*, p. 367; VON DEN STEINEN, Kosmos*, p. 282 («... recht anders, als der
frühe Minnesang wohl denken ließe»).
58. Voir ci-dessous §§ 19, 26, 28.
59. Il dit (Ep. V, p. 90) que cette transformation s’est déjà accomplie, bien qu’on doive entendre
selon la logique de l’insinuatio (voir § 14) qu’il la souhaite en même temps: Nec esses plus quam femi-
na nunc etiam viros transcendis et quae maledictionem Evae in benedictionem vertisti Mariae.
60. Ib., p. 88 s.: Cogita et recogita ... a quantis nos eruerit dominus et narra semper cum summa gratia-
rum actione quanta fecit dominus animae nostrae; et quoslibet iniquos de bonitate domini desperantes (voir §
19 n. 70) nostro consolare exemplo, ut advertant omnes quid supplicantibus atque petentibus fiat, cum tam pec-
catoribus et invitis tanta praestentur beneficia. De même le passage cité dans n. 54 est suivi de (p. 90
s.): Ipse (deus) nos dignatus est ... ad seipsum vi quadam attrahere, qua percussum voluit Paulum convertere,
et hoc ipso fortassis exemplo nostro alios ... ab hac deterrere praesumptione. On ne peut s’empêcher de pen-
ser aussi à la première phrase de l’Historia calamitatum (Saepe humanos affectus aut provocant aut mitti-
gant amplius exempla quam verba) parce que tout cela montre un aspect éminement didactique de cet-
te «histoire» de péché et de rédemption, qui n’est pas de l’historiographie au sens objectiviste et
autonome du XIXe siècle (voir n. 26).
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ve61. Mais laissons cet autre argumentum e silentio pour poser la question ca-
pitale concernant la structure globale de notre texte: soit la prière d’Abé-
lard n’est pas seulement son dernier mot sur le conflit personnel d’Héloïse
mais la conclusion commune de ce drame et donc la charnière avec la dis-
cussion sur l’observance monastique, soit tout le recueil épistolaire est un
assemblage de morceaux et fragments épars.
17. J’ai tenté ailleurs de déduire l’unité intérieure de tout le recueil du
genre littéraire et de l’idée directrice de la consolation par lettres62, en
comparant la prière d’Abélard, sorte de noyau substantiel du dialogue,
avec la transition problématique d’Héloïse dans sa 6e lettre. L’interpréta-
tion s’est fondée sur certaines règles humaines et pratiques de la rhétorique
médiévale, seule forme de pensée dans le domaine des relations intrasub-
jectives, qui dépasse a priori la distinction moderne entre vécu et écriture.
Je dois me borner à quelques indications sommaires sur ce dernier point.
18. Il nous faut d’abord définir le lien entre ce passage de la 6e lettre et
les deux lettres précédentes d’Héloïse. Dans celles-ci elle ne professe nulle
part ce «défi prométhéen, humainement impossible» au XIIe siècle, dont
parle Spitzer63, mais bien le contraire: elle confesse des péchés dont le sou-
venir lui est toujours voluptueux et s’accuse de ne pas les détester assez.
Elle se sent au bord d’un gouffre et craint de commettre le seul péché im-
pardonnable, celui contre l’Esprit-saint. L’angoisse, l’impossibilité d’un
vrai repentir au-delà des compromis faciles, le besoin impérieux de se li-
bérer de toute cette confusion, la poussent à implorer l’aide d’Abélard et –
on l’oublie souvent – de Dieu lui-même64. Ses lettres sont la confession
61. Ep. V, p. 87 où en même temps un idéal d’humilité extrêmement raffiné est proposé selon
la morale de l’intention.
62. Voir les travaux mentionnés dans n. 1, 12, 14. L’importance de la consolation a été relevée
aussi par É. GILSON, Dix variations sur un thème d’Héloïse, Archives d’hist. litt. et doctr. du M. Â. 14,
1939, p. 387-399 repris dans la 3e éd. de son livre*, p. 129 ss. (surtout p. 202 s.); MCLAUGHLIN,
Abelard as Autobiographer*, DE ROBERTIS*, p. 12 s. et ROBERTSON*, p. 109 ss., 134 s. (bien que je
ne croie pas que Boèce en soit la source principale).
63. SPITZER*, p. 224 (pour prouver l’inauthenticité du document).
64. Ces apories sont très bien relevées par GRÉARD, loc. cit. (n. 19), p. IX s.; DE GANDILLAC*, p.
370 («la rhétorique latine ... dramatise peut-être le conflit»), GRANE*, p. 75 ss. (voir n. 6), VON
DEN STEINEN, Kosmos*, p. 284. («... weil sie selber um den Widerspruch weiß und ihn keineswegs
will. Bei Heloise handelt es sich ganz und gar nicht um trotzige Auflehnung ..., sondern im Ge-
genteil um äußerste Anstrengung zu ihrem Gotte hin, die mit dem ehrlichen Bekenntnis einer Un-
möglichkeit endet»). À la différence des interprétations sur la lettre VI sur le «silence» d’Héloïse,
il faut reconnaître qu’ici, dans celles des lettres II et IV, beaucoup de médiévistes résistent à la ten-
tation d’héroïser Héloïse dans un sens «prométhéen». Voir déjà J. BERINGTON, The History of the Li-
ves of Abeillard and Heloisa, Bâle 1793, vol. II, p. 17: «On no occasion does she pretend to justify
the unbounded strength of passion, she once felt for Abeillard; she rather treats it as a weaknes; at
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all events she only expresses its reality as a fact ... In great diffidence she acknowledges how much
she wants assistance and advice». Les dernières paroles de l’Ep. IV (p. 82) expriment non seulement
le but religieux, mais sous-entendent encore le moyen de l’atteindre, celui de l’humilité féminine,
qu’Abélard va recommander par la suite: Nolo, me ad virtutem exhortans ... dicas: ‘Nam virtus in infir-
mitate perficitur’; et: ‘Non coronabitur ni si qui legitime certaverit’. Non quaero coronam victoriae. Satis est
mi hi periculum vitare ... Quocumque me angulo coeli Deus collocet, satis mihi faciet. Nullus ibi cuiquam in-
videbit cum singulis quod habebunt suffecerit ... beatum audiamus Hieronymum: Fateor imbecillitatem meam:
‘nolo spe victoriae pugnare ne perdam aliquando victoriam’ ... (Adv. Vigilantium 16). Voir SOUTHERN*,
p. 100 (contre Muckle): «Unless the quotation from St. Paul with which the passage ends is to be
reckoned among her hypocrisies, it shows very clearly that she looks on her state of mind as a tor-
ment». – Pour la spiritualité d’Héloïse voir aussi ma discussion de quelques opinions savantes dans
Consolatio CA 562.
65. J. G. HERDER, Eloise, Ihr Charakter, Nenien an ihrem Grabe (1801), éd. Suphan, vol. 28, Ber-
lin 1884 (pp. 283-305), p. 284 s., une critique de l’engouement à la mode pour Pope et ses imita-
teurs: «Das Bekänntniß einer edlen Seele, das sie (um Eloisens Ausdruck zu gebrauchen) in der Bit-
terkeit ihres Herzens demjenigen thut, den sie mehr als Beichtvater achtete, allein zu dem Zweck
thut, daß er sie, alles ihres Ruhms ungeachtet, nicht für stärker und heiliger halten sollte, als sie sei,
mithin sie nicht verlassen, sondern ihr zu Hülfe kommen müsse; ein solches ihre Schuld offenbar
übertreibendes Bekänntniß zu einem Klingklang heuchelnder Buhlereien zu machen, wäre das nicht
Veruntreuung einer mißverstandenen mißdeuteten Herzenssprache? ... Unwürdige Anwendung der
Kunst zur entehrenden Lüge!» Voir aussi p. 292 s. où Herder dit d’Héloïse que sa lettre IV en main,
elle pourrait comparaître devant le trône de «celui qui connaît les cœurs» et que ce serait probable-
ment grâce à cet écrit qu’elle recevrait la plus belle «palme triomphale»; car: «ein Herz, das jede
Bemäntelung wegwirft, das sich selbst unrecht thut, um, trotz aller menschlichen Verehrung, vor
ihrem Geliebten nicht besser zu erscheinen, als der Allwissende sie sehe, ist nicht dies das reinste,
größeste Herz? Ob viele männliche Seelen solcher Bekenntniße fähig seyn, ist zu zweifeln».
66. Cet aspect est largement négligé par les médiévistes. Pour quelques louables exceptions voir
n. 64 (GANDILLAC); n. 15 (VINAY); SOUTHERN*, p. 96 ss., spécialement sur la deprecatio; ROBERT-
SON*, p. 115 s. l’exagération des péchés «in order to make conversion more spectacular» aussi bien
dans l’Historia que dans les lettres d’Héloïse, p. 125 ss. («to show how desperately Heloïse needed
instruction»). Toutefois je trouve que Robertson lui-même exagère dans un sens moins rhétorique
en appliquant son grand «cheval de bataille», bien connu depuis ses travaux sur André le Chape-
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19. Mais loin d’admirer pour elle-même la beauté d’une sensibilité ex-
primée avec tant de pathétique, le Moyen Âge cherche le sens religieux de
ce jeu des formes destiné à émouvoir Abélard. L’époque romane peut être
placée à bien des égards sous le signe de Marie-Madeleine. Nous y voyons
apparaître toute une floraison de récits concernant la conversion des pires
pécheurs après de véritables crises de désespoir67. Bien que l’intérêt porté
à ce sujet n’ait pas été seulement édifiant, et qu’il n’ait pas toujours exclu
les nuances mondaines, voire frivoles68, le cadre idéologique qui seul pou-
vait le justifier était bien celui d’un réconfort de l’âme pécheresse contre le
désespoir. Héloïse ne se complaît pas seulement à évoquer ses voluptés, elle
les critique impitoyablement avec le désarroi d’une âme lucide qui tente
vainement de s’en affranchir69. Qui sait si le lecteur médiéval de ses effu-
sions ne pouvait pas les interpréter à la lumière du célèbre passage de Gré-
goire: «Plus les saints s’approchent de Dieu, dit-il, plus clairement ils
connaissent leur indignité. Car proches de la lumière, ils découvrent sou-
dain toute la noirceur secrète en eux-mêmes». Grégoire fait une distinc-
tion importante entre un désespoir inconscient et un désespoir conscient
qui pourrait être un avant-goût de l’Enfer et préparerait la conversion et
l’ascension au Ciel70. Peut-on donc se resituer dans le climat spirituel du
lain et Chaucer – l’humour médiéval incompris par les modernes – au style de notre correspondan-
ce, qui est, certes, un «jeu», mais dans le sens sérieux que mérite tout art réussi, sans qu’on puisse,
à quelques exceptions près, parler même de «sehr ernsthafte Scherze» (Goethe).
67. Voir E. DORN, Der sündige Heilige in der Legende des Mittelalters, Munich 1967, surtout p. 52-
79; K. KUNZE, Studien zur Legende der heiligen Maria Aegyptiaca im deutschen Sprachgebiet, Berlin 1969,
p. 47 ss. V. SAXER, Le culte de Marie Madeleine en Occident, Paris 1959, p. 59 ss. (p. 117 sur un sanc-
tuaire magdalénien dépendant du Paraclet); W. AUS DER FÜNTEN, Maria Magdalena in der Lyrik des
Mittelalters, Düsseldorf 1966, p. 109 ss. (p. 135 ss. sur l’hymne d’Abélard); VON MOOS, Hildebert*,
p. 215 ss. et Consolatio* CA 653, 655 ss., 679 ss., 700.
68. Voir VON MOOS, Hildebert*, p. 235 s., L. R. LINO, The Vita S. Malchi of Reginald of Canter-
bury, Urbana 1942, p. 18 ss. et F. VON BEZOLD, Über die Anfänge der Selbstbiographie, Aus Mittelalter
und Renaissance, Munich-Berlin 1918, p. 196 ss. sur les rapports entre l’hagiographie en «Ich-
Form» et les romans érotiques de l’antiquité. Concernant l’herméneutique en général voir W. D.
STEMPEL, Mittelalterliche Obszönität als literarästhetisches Problem, dans Die nicht mehr schönen Künste
(Poetik und Hermeneutik III) Munich 1968, p. 187-206.
69. Voir § 23 et n. 66, 70.
70. Gregorius Magnus, Moralia in Iob XXXIII, 1, PL. 76, col. 631D-632D: Sancti viri quo apud
deum altius virtutum dignitate proficiunt eo subtilius indignos se esse deprehendunt, quia dum proximi luci
fiunt, quidquid eos in seipsis latebat inveniunt. Pour l’emploi de ce passage dans un cas analogue voir
mon article Gottschalks Gedicht ‘O mi custos’ – eine ‘confessio’, Frühmittelalterliche Studien, 4, 1970, p.
227. – Pour l’interprétation de la desperatio voir Moralia V, 10,16 et les citations chez S. B. SNYDER,
The Paradox of Despair, New York 1964, p. 1 ss., 69 ss., 74 ss.; V. MOOS, Consolatio* T 1274, 1279,
CA 141, A 179a et Index, p. 159 s.l. «Verzweiflung». – VON DEN STEINEN, Kosmos*, p. 284: «Im-
mer sind es die Heiligen, die das menschliche Versagen vor Gott am meisten empfinden ... weil sie
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XIIe siècle et prétendre, sans accuser d’étroitesse d’esprit un des abbés les
plus tolérants de son temps, que Pierre le Vénérable aurait taxé de sacrilè-
ge les confessions d’Héloïse s’il les avait connues, lui qui, exactement un
an avant la nécrologie d’Abélard, avait célébré la mémoire de Théophile,
docteur Faust avant la lettre, sauvé par la grâce71?
20. En ce qui concerne «l’obstination scandaleuse» d’Héloïse, malgré
les tentatives du maître et nouveau saint Jérôme, ce n’est qu’une conjectu-
re qu’on pourrait facilement retourner puisqu’elle ne proteste pas72. Et
même si elle ne mettait qu’une sourdine à l’ancienne plainte qui culmine
dans la 4e lettre, ce ne serait pas l’impénitence, mais l’appel au secours, la
démonstration d’une urgence, qu’elle refrénerait ainsi. La supplication se-
rait alors atténuée, moins par la résignation que par un espoir nouveau73,
bien que faible encore, un effort de dépassement. Héloïse n’ose peut-être
pas s’exprimer trop clairement sur cette intention par crainte de présumer
trop d’elle-même et de la nature humaine74. L’optatif précédé d’utinam
semble annoncer une volonté dirigée vers l’avenir et faire entendre que le
silence sur le passé est un effet littéraire permettant de tourner la page75:
tiefer wissen, was Vollkommenheit heißt ... Da ist es auch vor und neben Heloise manchem Heili-
gen so gegangen, dass er es gar nicht begreifen konnte, wenn die andern ihn bewunderten ...». Voir
aussi §§ 16, 23 et n. 65.
71. Petri Ven., Ep. 53, 171 ss.; voir V. MOOS, Consolatio* CA 653 ss., 678 ss., 700.
72. Voir SOUTHERN*, p. 101. 73. Voir § 18 et n. 59-61.
74. Voir n. 60 s. et K.-D. NOTHDURFT, Studien zum Einfluss Senecas auf die Philosophie und Theo-
logie des zwölften Jahrhunderts, Leiden-Cologne 1963, p. 134 s.; GILSON*, p. 157 ss.; DRONKE*, p.
239 ss. sur l’aspect de l’ascèse modérée.
75. Depuis que F. CHÂTILLON* (p. 277 ss.) a méticuleusement démontré le principe «traduttore:
traditore» dans les traductions existantes, je me suis permis de traduire ce passage avec des nuances
inaperçues jusqu’ici. Ep. VI (1953), p. 94 = (1955), p. 241 s.: Revocabo itaque manum a scripto in qui-
bus linguam a verbis temperare non valeo. Utinam sic animus dolentis parere promptus sit quemadmodum dex-
tra scribentis. Aliquod tamen dolori remedium vales conferre si non hunc omnino possis auferre. Ut enim inser-
tum clavum alius expellit, sic cogitatio nova priorem excludit cum alias intentus animus priorum memoriam di-
mittere cogitur aut intermittere. Tanto vero amplius cogitatio quaelibet animum occupat et ab aliis deducit,
quanto quod cogitatur honestius aestimatur et quo intendimus animum magis videtur necessarium. – (vales est
plus fort que potes; sur omnino auferre voir VON MOOS, Consolatio* T 419 s., 430 ss.; sur videtur ib. CA
689; A 270, 653, 766). – Je ne vois pas comment Dronke* (p. 237) peut résumer: «Thus the tran-
sition into a detached correspondence on monastic life, to Héloise a small comfort in distracting her
from an ever-present grief», si ce n’est qu’en mettant tout l’accent sur intermittere, qui représente ce-
pendant une alternative ouverte (à côté de dimittere) dont l’importance me semble être légèrement
diminuée par le vero suivant qu’on pourrait aussi traduire par «mais». Même en considérant non pos-
sis auferre, on doit se replacer dans la situation actuelle de cette transition. Ces paroles ne sont pas
prophétiques, mais exprimées dans l’ignorance de l’avenir. Elles ne désignent rien de plus qu’une
possibilité à craindre pour le moment. – Quant au passage qui précède ma citation, il ne se rappor-
te qu’à la théorie bien établie de la ‘metriopathia’ dans un pluriel didactiquement général (voir
Consolatio* T 419 ss., 14 ss., 399). Si tout le monde est sujet aux passions, il me semblerait étrange
qu’on puisse expliquer l’unique fidélité d’Héloïse à sa «passion» extraordinaire par ce qui est décrit
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comme simplement humain. Quant au sens médiéval de «passion», bien éloigné du nôtre, voir E.
AUERBACH, Passio als Leidenschaft, Gesammelte Aufsätze ..., Berne-Munich 1967, p. 161-175.
76. Voir VAN DEN EYNDE, Chronologie*; J. LECLERCQ, «Ad ipsam sophiam Christum», Das monas-
tische Zeugnis Abaelards, dans ‘Sapienter ordinare’, Festg. f. E. Kleineidam, Leipzig 1970, p. 179-198; J.
MIETHKE, Abälards Stellung zur Kirchenreform, Francia 1,1972, p. 158-192; D. E. LUSCOMBE, Pierre
Abélard et le monachisme, dans Pierre Abélard - Pierre le Vénérable*, p. 271-278.; L. WEINRICH, Peter
Abaelard as Musician, The Musical Quarterly 55, 1969, p. 295, 464-486; VON DEN STEINEN, Planc-
tus*; P. DRONKE, Poetic Individuality in the Middle Ages, Oxford 1970, p. 114 ss.
77. Ep. VI, p. 253: Tu quippe post deum huius loci fundator, tu per deum nostrae congregationis es plan-
tator, tu cum deo nostrae sis religionis institutor ... ‘Loquere tu nobis et audiemus’. (= Exod. 20, 19, voir n.
79). Vale. SOUTHERN* (p. 102) souligne l’importance capitale de cette phrase.
78. Voir § 15.
79. Voir aussi BENTON, Fraud...*, p. 473, qui choisit la citation de Milton sur Adam et Ève:
«He for God only, she for God in him». J’aimerais avoir l’occasion de revenir sur le concept d’obéis-
sance dans la correspondance. Car il me semble avoir une valeur centrale quant à la structure du
dossier et aux rapports à la fois conjugaux et monastiques du couple. L’obéissance d’Héloïse semble
moins «masochiste» si on rapproche le début de la sixième lettre de la préface des Problemata (PL.
178, 678B), où l’abbesse déclare qu’elle soumet à son maître ses problèmes d’exégèse «pour lui
montrer que in hoc quoque elle est décidée de lui obéir» (VAN DEN EYNDE, Chronologie*, p. 340 qui
révèle le parallèle textuel). D’autre part le Fiat voluntas tua qui termine l’Hist. Cal. semble trouver
un écho dans le «silence obéissant» d’Héloïse, ainsi que dans la citation Loquere tu nobis ... (n. 77)
qui est éloignée du contexte d’une parole du peuple adressée à Moïse et dont il faut absolument lire
la suite: non loquatur nobis dominus, ne forte moriamur. Et ait Moyses ad populum: Nolite timere. La cita-
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conclusion est déjà préparée par le début de la lettre. C’est Héloïse qui, la
première, fait un timide effort pour se réconforter tout en acceptant la
consolation promise par Abélard. Elle utilise le topos classique de l’avoca-
tio mentis a malo80, auquel elle donne un sens concret et actif. N’est-ce pas
une façon discrète d’avouer la disposition intérieure sans tomber dans la
faute plutôt masculine de la confiance en soi-même, de ce que la théologie
de la grâce appelle une praesumptio ou fausse sécurité81? Ne serait-ce pas
l’illustration stylistique de ce qu’Abélard enseigne tout au long de ses
lettres, que la femme plus faible, indigente et confuse par nature, est (jus-
tement de par ses défauts) plus agréable à Dieu, mieux prédisposée à rece-
voir la grâce et plus propre à la perfection, selon le paradoxe évangélique
des derniers qui seront les premiers82? La réserve d’Héloïse, la façon indi-
recte dont elle suggère à Abélard les idées qu’elle veut qu’il lui dicte (sans
craindre même de le pousser à la contredire) parce qu’elle n’ose se fier à ses
propres lumières, semblerait aller dans ce sens. Ce procédé, qui se ren-
contre dans toutes ses lettres, est d’ailleurs particulièrement transparent
dans la 6e, où les demandes impliquent si bien les réponses qu’Abélard n’a
plus qu’à développer des lignes tracées d’avance83. Car il faut absolument
que ce ne soit pas Héloïse, mais Abélard, qui érige la Règle.
22. Pourtant, nous dit-on, elle ne s’est pas démentie. Mais qu’est-ce
qu’elle ne renie pas? Sa 2e lettre (IV) est déjà une critique du mal dont elle
souffre, des souvenirs impurs et de l’impénitence, et bien qu’elle s’accuse
tout en s’avouant incorrigible, ses apories mêmes, «dramatisées à dessein»,
annoncent le dénouement: «Ne préjuge pas de ma force de peur que je ne
m’effondre avant d’obtenir de toi le soutien84». Peut-on affirmer, qu’après
tion fragmentaire témoigne du timor domini; n’indique-t-elle pas finement la subordination fémini-
ne au grand maître médiateur? En outre, il ne faut pas oublier que la loquacité constitue peut-être
le topos le plus important de l’anti-féminisme médiéval – «car fame ne peut riens celer» (Jean de
Meung, Le Roman de la Rose, éd. Langlois v. 19220) – et qu’une femme qui sait se taire au bon mo-
ment dépasse son sexe.
80. Voir V. MOOS, Consolatio* T 1025 ss., 1073 ss. et Index, p. 113 s.l.
81. Voir ibid. C 565; W. HEMPEL, Übermuot diu alte ... Der Superbia-Gedanke und seine Rolle in der
deutschen Literatur des Mittelalters, Bonn 1969, p. 20, 253 (s.l.).
82. Ep. V, p. 88 ss., 92 s., Ep. VII, p. 254, 273 ss., 280. Voir MCLAUGHLIN, Abelard and the di-
gnity of women*; F. HEER, Aufgang Europas, Zürich 1949, p. 258 ss.; v. MOOS, Hildebert*, p. 214 ss.
et Consolatio* CA 570.
83. BENTON (Fraud...*) relève des parallèles entre Epp. VI et VIII. Est-ce une preuve contre l’au-
thenticité?
84. Ep. IV, p. 81: Noli, obsecro, de me tanta praesumere ne mihi cesses orando subvenire. Noli aestimare
sanam ne medicaminis subtrahas gratiam. Noli non egentem credere ne differas in necessitate subvenire. Noli
valitudinem putare ne prius corruam quam sustentes labentem.
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85. Voir V. MOOS, Consolatio* T 964 ss., 987 ss. – MCLAUGHLIN, Abelard as Autobiographer* (p.
474) a constaté pour l’Historia que le «désespoir» d’Abélard n’a pas porté la religieuse au vice d’ac-
cidia ou tristitia, «loss of faith in God’s mercy». Mutatis mutandis je parviens au même résultat pour
l’ensemble des lettres II à V (voir n. 60: et invitis).
86. Abaelardi Epp. III, p. 76 s. et V, p. 91; voir V. MOOS, Consolatio* CA 561 s., 570.
87. Consolatio* T 282 ss., 1483; 1646-1650; Index, p. 125 s.l. Gebetstrauer, p. 142 s.l. Paradoxie
(von Freundschaft und Gottesliebe, von Liebesverzicht und Liebesgewinn, von Trauer und Trost).
Voir aussi I. HAUSHERR, Penthos, La doctrine de la componction dans l’orient chrétien, Rome 1944, p. 35
ss., 66 ss.; J.-Ch. PAYEN, Le motif du repentir dans la littérature française médiévale, Genève 1967.
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88. BENTON (Fraud...*) soulève ce point. Il est assez difficile de concilier les arguments défa-
vorables à l’art du «collage» et ceux qui supportent «the high degree of literary skill worked into
the fabric of the correspondence». Cependant je ne crois pas qu’on puisse tirer des conséquences ni
pour ni contre l’authenticité en définissant la qualité littéraire du document – ce qui restera tou-
jours une affaire hautement subjective – tant que d’autres considérations d’un genre plus complexe
ne seront pas mises en jeu.
89. On conviendra que l’histoire du dialogue médiéval reste à écrire et que personne ne peut le
faire avant que d’immenses recherches préparatoires ne soient accomplies. Pour le moment voir B.
R. VOSS, Der Dialog in der frühchristlichen Literatur, Munich 1970; M. HOFFMANN, Der Dialog bei den
christlichen Schriftstellern der ersten vier Jahrhunderte, Berlin 1966; E. REISS, Conflict and Its Resolution
in Medieval Dialogues, dans Arts Libéraux et Philosophie au Moyen Âge, Actes du IVe Congrès int. de
phil. méd., Montreal-Paris 1969, p. 863-872; M. PLEZIA, L’histoire dialoguée: procédé d’origine patris-
tique dans l’historiographie médiévale, Studia Patristica IV, 1961; F. TSCHIRCH, Kapitelverzahnung und
Kapitelrahmung durch das Wort im «Ackermann aus Bohmen», Deutsche Vierteljahrsschrift für Literatur-
wiss. u. Geistesgesch. 33, 1959, p. 283-208; V. MOOS, Consolatio* CA 180 ss., 470 ss., 1095 ss., 1150
ss. (avec plus ample bibliogr.) ainsi qu’A. GRABOÏS, Un chapitre de tolérance intellectuelle dans la socié-
té occidentale au XIIe siècle: le Dialogue de Pierre Abélard et le Kuzari d’Yehuda Halevi, dans Pierre Abé-
lard - Pierre le Vénérable*, p. 641-654 [cf. également le ch. 2 dans ce volume, p. 45-88].
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rencontre le plus souvent sous sa forme religieuse, est le silence imposé par
le respect ou la peur de ce qu’on n’ose plus exprimer90.
25. Pouvons-nous déceler, chez Héloïse, la cause de cette interruption
de la parole? Je tâcherai d’y répondre par une digression. Les recherches sur
les structures narratives nous apprennent, qu’à l’analyse minutieuse des
états d’âme et de leurs développements immanents telle que la ferait un ro-
mancier ou un psychiatre moderne, le Moyen Âge préférait le compte ren-
du des faits et des actes correspondants, symboles ou symptômes extérieurs
des replis invisibles, témoignages palpables d’une existence cachée. Ce
procédé, également répandu dans les littératures profanes et religieuses,
peut être considéré comme la marque d’un agnosticisme psychologique
généralisé dont L. J. Friedmann montre les racines théologiques dans ce
qu’il appelle la théorie des occulta cordis91: le cœur humain avec ses inten-
tions et ses valeurs spirituelles reste insondable, Dieu seul peut le pénétrer.
Par contre, les signes extérieurs tels que les actes, œuvres ou miracles,
permettent de deviner ce qui est possible et nécessaire à l’homme de savoir
sur le cœur d’un autre homme, et même de fonder un jugement sur le sa-
lut de son âme92. Une loi analogue régit les récits autobiographiques, rares
90. Voir VON MOOS, Consolatio* CA 138, 1133 (pour les dialogues d’Hildebert et de Laurent de
Durham); Index, p. 112 s.l. «Aposiopese», p. 116 s.l. «Conclusio», p. 156 s.l. «Transitio»; H. LAUS-
BERG, Handbuch der literarischen Rhetorik, Munich 1960, §§ 888, 889 (2a).
91. L. J. FRIEDMAN, Occulta Cordis, Romance Philology CI, 1957, p. 103-119 (p. 119: «... the me-
dieval auther restricted himself to the presentation of homo exterior»); voir V. MOOS, Consolatio*
CA 594, 680 (Pierre le Vénérable et la «douleur cachée») 1072 (Orderic Vital). – Voir aussi les re-
marques de ROBERTSON* (p. 101 ss.) sur le caractère exemplaire et symbolique des narrations mé-
diévales [et le ch. 16 de ce volume, p. 579-610].
92. Voir VON MOOS, Consolatio* T 1273 ss., CA 653 ss. (Pierre le Vénérable), 951 s. (Aelred de
Rievaulx), et pour le modèle patristique le plus important: L. F. PIZZOLATO, Le «Confessioni» di
sant’Agostino, Da biografia a «confessio», Milan 1968, p. 115 ss. (Conf. X 3, 3). – Je n’ai pas besoin
de relever l’importance particulière de ces idées pour Abélard par rapport à sa morale de l’inten-
tion. Il est curieux cependant de noter ici la distinction paradoxale entre le «cœur» et «ce qui ap-
paraît», comme nous la trouvons par exemple à la fin de sa lettre VII (p. 279 s.) relative à la jus-
tification d’un directeur spirituel de femmes exposé aux soupçons de la foule des ignorants et pha-
risiens. Abélard cite saint Jérôme: Et licet me sceleratum quidam putent ... tu tamen bene facis, quod ex
tua mente etiam malos bonos putas. Periculosum quippe est de servo alterius iudicare et non facilis venia pra-
va dixisse de rectis ... Puis il construit une analogie biblique: Legimus et dominum ipsum tantam beatae
meretricis familiaritatem exhibuisse ut ... Phariseus ob hoc iam penitus de ipso diffideret ... Quid ergo mirum
si pro lucro talium animarum ipsa Chisti membra eius incitata exemplo propriae famae detrimentum non ef-
fugiunt?. Il y aurait long à dire sur ce que ce passage signifie à la lumière du mot clé fama dans
l’Historia (p. 102, 104; voir MCLAUGHLIN, Abelard as Autobiographer*, p. 467 ss.), mais ce qui im-
porte dans ce contexte c’est, je crois, la possibilité de comparer beata meretrix à cette abbesse du Pa-
raclet si avide de détruire sa propre bonne renommée en se conformant au paradoxe évangélique
prôné par Abélard. Ce passage contient peut-être un avertissement encore valable pour la recherche
moderne (voir le prochain §).
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au Moyen Âge et généralement plus proches des chroniques que des por-
traits psychologiques93.
26. On devine où je veux en venir: il s’agit d’interpréter la gêne d’Hé-
loïse au moment où elle aurait dû, selon nos conceptions modernes, se pro-
noncer sur un changement intérieur si lourd de conséquences. Gilson est
parfaitement conscient du problème théologique qu’implique ce silence
énigmatique94: «Nul ne peut se flatter, dit-il, de scruter les consciences, et
Héloïse elle-même n’a pas tout su de son propre cas; elle ne s’est du moins
jamais démentie, et si elle-même n’a pas tout su, nous ne saurions, sans ri-
dicule, prétendre en savoir davantage. Que son cas nous semble mystérieux
ou non, nous n’avons rien d’autre à faire que de l’accepter tel qu’il est».
Certes, mais n’est-ce pas l’autorité de Gilson lui-même, qui a projeté sur
le caractère d’Héloïse l’ombre d’un doute «redoutable», qui a inspiré les
excès mélodramatiques que l’on connaît95? Il faut remettre le cas d’Héloï-
se dans le contexte littéraire des XIIe et XIIIe siècles, dont je n’ai indiqué
que très sommairement quelques traits: le dialogue incohérent, l’aposio-
pèse et la narration apsychologique. Le doute évoqué par Gilson, qu’un lec-
teur médiéval a peut-être ressenti en lisant l’exergue de la 6e lettre: Revo-
cabo itaque manum a scripto, ne pouvait que se dissiper quand il lisait la fin:
Tu cum Deo nostrae sis religionis institutor96! Car la vie d’Héloïse, qui laissa
des traces durables dans son couvent même, ne pouvait que paraître d’au-
tant plus sainte qu’elle avait commencé humainement, selon l’idéal de cet-
te beata peccatrix Marie-Madeleine, dont Abélard écrit: Tanta fuit devotior
quanta ante fuerat criminosior97.
100. Chronicon Turonense, ms. Berlin, StBibl., Phill. 1852, fols 204va-205ra cité chez MCLEOD,
Héloïse (n. 6), p. 290 s.; cf. PETRELLA (n. 39); P. DRONKE, Medieval Latin and the Rise of European Love-
Lyric, Oxford 1968) II 469-471. Héloïse est louée dans le même sens dans le poème éd. par Ch.
CUISSARD, Documents inédits sur Abélard, Orléans 1880, p. 183 s. (ms. Orléans, B. m. 284, olim 238).
Il n’est pas sans intérêt de noter ici le curieux titre (de l’Hist. Cal. avec le début de la 2e lettre) dans
un ms. du XVe s. (Douai 797, voir MONFRIN, Introd.*, p. 22): Epistola Abailardi ad amicam suam de
temptacionibus ... et qualiter suam Heloyssam sibi copulavit primitus in amorem et postmodum in uxorem (cf.
Hist. Cal. I. 425 s.). Il se peut que le copiste se soit trompé en lisant amicum suum. Mais ne serait-
ce pas une erreur significative (en faveur de l’argument apporté en n. 32)? Quoi qu’il en soit, le titre
exprime d’une façon bien rudimentaire la conception médiévale des «deux amours».
101. MORGHEN* (p. 153) n’est pas seul à se servir de cette comparaison décorative: «Francesca,
sorella di Eloisa nel rivendicare la fatalità ineluttabile del suo peccato d’amore». Déjà L. A. F. DE
MARCHANGY (La Gaule poétique IV, Paris, 2e éd., 1825, p. 212), en parlant d’Abélard et Héloïse,
évoque «les deux colombes auxquelles Dante compare Françoise et son amant, dont les fantômes lé-
gers sillonnent les ténèbres de l’enfer». – DE ROBERTIS* (p. 8) émet l’hypothèse, qui ne me semble
pas fondée, que Dante ait connu la correspondance et s’en soit inspiré en composant l’épisode de
Francesca (Inf. V). Si jamais il y a un rapport entre les deux textes, ce n’est que dans un détail (le
motif de la lecture dans l’Hist. Cal., I. 332 ss.) qu’on le trouve, et cela ne prouve guère la dépen-
dance littéraire (voir déjà DE RÉMUSAT, I, 52). Ce qui est le plus important c’est que les dernières
études dantesques ont définitivement rompu avec la tradition romantique, pleine de louanges pour
cette autre «victime de l’amour-passion», en mettant l’accent sur son péché, qui – malgré toute la
compassion du poète – mérite la damnation éternelle; voir R. DRAGONETTI, L’épisode de Francesca
dans le cadre de la convention courtoise, dans Aux frontières du langage poétique (Romania Gandensia IX),
Gant 1961, p. 93-116; A. HATCHER, M. MUSA, The Kiss: lnferno V and the old French Prosa Lancelot,
Comparative Literature 20, 1968, p. 93-109; D. H. HIGGINS, The Paolo and Francesca Episode and Ps.
LIV, Forum for Modern Language Studies 6, 1970, p. 273-301.
102. Autre accessoire de la descriptio personae savante; voir DE GANDILLAC* (p. 365), probable-
ment dépendant de Gilson* (p. 110) qui cite H. ADAMS, Mont-Saint-Michel and Chartres, New York,
1933, p. 284: «Héloïse seule, comme Yseult, unit les âges» (c’est-à-dire par sa modernité). Gilson
d’ailleurs semble iréniquement éviter de prendre position en face de tout ce qui est «trop beau pour
être faux», quand il commente: «Pour une femme réelle, devenir aussi réelle qu’un mythe, quel plus
éclatant triomphe!» – Si on cherche à tout prix une comparaison typologique c’est bien plutôt, tou-
te réserve gardée, à Griseldis qu’il faut penser [SCAGLIONE, loc. cit. (n. 51), p. 32].
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107. Voir par exemple L. MARCUSE, Reaktionäre und progressive Romantik, dans Begriffsbestimmung
der Romantik, Wege der Forschung 150, Darmstadt 1968, p. 381: «Mir scheint, dass Novalis’ Idee
von der schönen Harmonie des europäisch-christlichen Mittelalters dieselbe Funktion hatte wie ...
Marx’ Idee von der ursprünglich klassenlosen Gesellschaft. In diesen leuchtenden Gebilden sollte
immer nur ... ein Hintergrund geschaffen werden für die scharfe Kritik an einer Gegenwart ... No-
valis gehört zu jenen ... Aufklärern, die im neunzehnten und zwanzigsten Jahrhundert die ‘Aufklä-
rer’ aufklärten». – Contre l’objectivisme historique voir les pages pénétrantes de S. KRACAUER*, p.
52 ss., 82 ss., 155 ss.
108. On ne peut pas savoir si cette position est bien répandue, parce que généralement on ne
l’affiche pas. Un exemple où elle se dévoile légèrement se trouve dans l’analyse de MISCH* qui s’en
prend à l’Abélard «monastique» de Gilson sans cacher sa propre dépendance philosophique de Dil-
they: «Diese ihre Ideen, wie sie (die Helden des Dramas) selber sie verstanden, die er (G.) als ‘dok-
trinäre’, d.h. lehrhaft festliegende Überzeugungen kennzeichnet, sind durch die christliche Glau-
benstradition einerseits, durch das ... philosophische Lebensideal andrerseits bestimmt. Der für uns,
die wir diese heterogenen Traditionen zu scheiden gewohnt sind, offenbare Gegensatz zwischen ih-
nen erweist sich als die unausgesprochene Grundlage des Konflikts ... Und nun bekommen wir hier
eine Schilderung, ... die umso eindrucksvoller ist, weil der feinsinnige Interpret, der selber fest in-
nerhalb der im Mittelalter ausgebildeten Tradition der katholischen Philosophie und Theologie da-
rinnensteht, von ihr aus die für den Aussenstehenden schwer begreifliche ... pastorale Haltung zu
würdigen weiss ...» (p. 537) ... «Wir vermögen dem sittlich-religiösen Urteil ... nicht zuzustim-
men. Wir finden uns vielmehr ... gedrängt, uns um eine objektive, von der religiös bestimmten
Vormeinung unabhängige Würdigung zu bemühen» (p. 539). «Wir müssen uns bescheiden, dieses
Urteil (Gilsons) mit dem gehörigen Respekt hinzunehmen ...». Celui qui loue comme Gilson la
prière d’Abélard (§ 15): «sieht den Philosophen lediglich als einen ... Repräsentanten des mittelal-
terlichen Katholizismus an, der dabei als das endgültige Lebensmaß gilt. Während wir von den
Aufgaben nicht abzusehen vermögen, die einem Philosophen in zukunftsträchtiger Zeit gestellt
waren, wo noch andere Möglichkeiten als das Priestertum für ihn offen waren, die zu erfüllen ihm
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durch den schicksalshaften Gang seines Lebens verwehrt wurde» (p. 678). Voir aussi G. PEPE, Da
san Nilo all’Umanesimo, Bari 1966, p. 24: «L’epistolario diventa la confessione ... cui risponde
un’anima che ha trovato la pace in Dio ... Lo poterono leggere così gli uomini del Medioevo, non
certo Petrarca, tanto meno lo possiamo noi, che, pur se comprendiamo la nobiltà del nuovo Abe-
lardo religioso, amiamo di più l’umana debolezza di Eloisa. Non l’opera di edificazione, che occu-
pa la parte maggiore dell’epistolario, resta eterna, ma la poesia del dolore di Eloisa ...». Le motif de
la pitié, important déjà dans l‘historiographie médiévale (cf. Consolatio* CA 1062 s.), se retrouve
ainsi sous d’autres aspects dans l’herméneutique du romantisme et n’a guère perdu son actualité de-
puis les objections de J. Burckhardt contre l’histoire traditionnelle du succès (voir KRACAUER*, p.
193 ss. pour les racines chrétiennes de cette méthodologie antipositiviste).
109. Voir KRACAUER* (p. 74) défendant Nietzsche contre Collingwood.
110. Pour l’historique de cette formule de Schleiermacher voir H. G. GADAMER, Wahrheit und
Methode, Tübingen 1965, p. 180 ss. («In der Tat liegt in diesem Satz das eigentliche Problem der
Hermeneutik beschlossen»). Voir aussi Th. W. ADORNO, Noten zur Literatur II, Francfort 1961, p.
44 s. sur un passage de Nietzsche commenté par Valéry: «Der Hass versteht den Gegner besser als
er sich selbst. Er vergisst sich, wir vergessen ihn nicht. Wir nehmen ihn durch die Wunde wahr ...».
111. Frontispice de Julie ou la Nouvelle Héloïse: «Non la connobbe il mondo, mentre l’ebbe:
Connobill’io ch’a pianger qui rimasi».Voir aussi P. VON WINTERFELD, Deutsche Dichter des lateinischen
Mittelalters, Munich 1913, p. 465: «Sie (Heloise) ist so modern, dass ich geradezu sagen muss, erst
heute ist die Zeit gekommen, die sie verstehen kann»; p. 469: «Ein Seelenkampf ..., den erst wir
Menschen von heute wieder voll mitzuleben vermögen». G. MOORE, lettre-préface à C. K. SCOTT
MONCRIEFF, The Letters of Abelard an Heloise, Londres 1925, p. XVII: «(Abelard) ... was hunted to dea-
th ... without exciting the world’s pity ... Eight hundred years have done little or nothing to remove
England’s attitude of stiff reserve toward a man to whom ...». «It was ... her melodramatic tears that
saved the story for eight hundred years from poetry, reserving it for my nineteenth century prose».
112. W. BENJAMIN, Eduard Fuchs ... (1937), dans Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Re-
produzierbarlkeit, Francfort (Suhrkamp) 1963, p.110-112 (= Angelus Novus, ib. 1966, p. 303 s.) dans
ce contexte: « Es ist niemals ein Dokument der Kultur, ohne zugleich ein solches der Barbarei zu
sein. Dem ... ist noch keine Kulturgeschichte gerecht geworden ... Sie vermehrt wohl die Last der
Schätze, die sich auf dem Rücken der Menschheit häufen. Aber sie gibt ihr die Kraft nicht, diese
abzuschütteln, um sie dergestalt in die Hand zu bekommen». (Voir aussi idem, Zur Kritik der Ge-
walt, 1965, p. 83 s.). L’influence directe et indirecte de Benjamin transparaît dans les travaux
d’Adorno, Kracauer et Habermas. Voir par ex. Th. W. ADORNO, Über Tradition dans Ohne Leitbild,
Parva Aesthetica, Francfort (éd. Suhrkamp 201) 1967, p. 29 ss., p. 34 s.: «Wie die in sich verbisse-
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ne Tradition ist das absolut Traditionslose naiv ... Inhuman aber ist das Vergessen, weil das akku-
mulierte Leiden vergessen wird; denn die geschichtliche Spur ... ist immer die vergangenen Leidens
...»; p. 37: «... das wahrhafte Thema der Besinnung auf Tradition, das am Weg liegen Gebliebene,
Vernachlässigte, Besiegte, das unter dem Namen des Veraltens sich zusammenfasst». KRACAUER*
p. 25 sur «l’aventure la plus passionnante de l’histoire: retrouver dans chaque génération les tren-
te-six justes qui, selon la légende juive, empêchent la fin du monde, sans eux inévitable». J. HA-
BERMAS, loc. cit. (n. 10), p. 284: «Gadamers Vorurteil ... bestreitet die Kraft der Reflexion, die sich
doch darin bewährt, dass sie den Anspruch von Traditionen auch abweisen kann ...». Idem, Technik
und Wissenschaft als «Ideologie», Francfort (Suhrkamp) 1968, p. 164: «Erst wenn Philosophie im dia-
lektischen Gang der Geschichte die Spuren der Gewalt entdeckt, die den immer wieder anges-
trengten Dialog verzerrt und aus den Bahnen zwangloser Kommunikation immer wieder hinaus-
gedrängt hat, treibt sie den Prozess ... voran: den Fortgang der Menschengattung zur Mündigkeit».
113. J. BURCKHARDT, Weltgeschichtliche Betrachtungen et Historische Fragmente, Gesamtsaug. Berlin-
Leipzig 1929, VII, p. 73, 264, 225. Voir K. LÖWITH, Jacob Burckhardt, Stuttgart 1966, p. 12 ss., 79
s., 103 ss.; KRACAUER*, p. 40, 185, 192 ss. (qui montre en même temps l’hésitation de B. entre l’in-
térêt antiquaire et l’intérêt actuel, entre l’histoire du succès et celle du malheur). Voir aussi W. VON
DEN STEINEN, Das Vergebliche in der Weltgeschichte (1954), Geschichte als Lebenselement, Bern 1969, p.
24-42 (et mon appréciation dans Zeitschrift für deutsches Altertum und deutsche Literatur 97, 1969, p.
306-321). F. GRAUS, Zur Gegenwartslage der Geschichtswissenschaft, Schriften der Justus-Liebig-Universität
Giessen 8, 1969, p. 12: «Dadurch hat sich aber ... auch das Bild der Vergangenheit gewandelt. Sie
liegt nun nicht mehr hinter uns ...; sie nimmt auf einmal chaotische, drohende Züge an; sie ist un-
geordnet, voll von Siegen des Unrechts und der Gewalt, ein Friedhof versäumter Möglichkeiten».
La plus importante publication récente sur la tâche «destructive» de l’historien envers les deux idéo-
logies de la légitimation des puissants et de la consolation des faibles par un passé hypostasié me
semble I. H. PLUMB, Die Zukunft der Geschichte, Vergangenheit ohne Mythos, (trad. de l’anglais, 1968),
Munich (List) 1971, qui réserve une large place au médiévisme. – Pour l’idée d’une histoire littérai-
re par «négation» voir JAUSS*, p. 231 ss. (contre la catégorie répressive des chefs-d’œuvre classiques
et l’autorité de l’héritage culturel comme «philologische Metaphysik»); J. HERMAND, Synthetisches
Interpretieren, Zur Methodik der Literaturwissenschaft, Munich 1968, p. 240 s. (sur Nietzsche: «Nur wer
die Zukunft baut, hat ein Recht, die Vergangenheit zu richten», et sur Brecht: «Die Ablagerungen
überwundener Epochen (bleiben) in den Seelen der Menschen noch lange liegen»).
114. Voir les réflexions toujours actuelles de Marc BLOCH* (1941), p. 25 s. sur l’histoire «ex-
ploratrice hardie, non éternelle élève des âges révolus», auxquelles fait écho récent chez G. DUBY*
p. 24 s.: «... la vision qu’une société se forme de son destin, le sens qu’elle attribue, à tort ou à rai-
son, à sa propre histoire interviennent comme ... l’un des soutiens parmi les plus décisifs, d’une vo-
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32. Or notre texte n’a pas supprimé toutes les traces des valeurs qui
pourraient nous intéresser. À l’opposé de tant d’épîtres médiévales sur les
tentations de la chair, le contemptus mundi et la chasteté, et plus que la lettre
de Pierre le Vénérable (malgré sa profonde analogie intentionnelle)115, la
correspondance peint avec les couleurs les plus vivantes une sensibilité
pleinement humaine luttant contre l’idéal ascétique. Malgré son intention
édifiante, ou plutôt grâce au paradoxe fondamental de la felix culpa, elle est
un des plus précieux témoignages sur le désir et les aspirations naturelles,
à une époque qui en faisait peu de cas. Puisque cette voix réprimée de la
convoitise (comme l’on disait alors) s’élève contre la volonté édifiante du
texte, celui-ci peut être lu à l’envers, comme on lirait les protocoles de l’In-
quisition pour comprendre les motifs des hérétiques116.
33. Mais quel sens pourrait-il y avoir à faire le procès de contenus idéo-
logiques révolus, et qui dans leur temps furent peut-être un immense
bienfait? La critique de l’Histoire, non seulement de celle des archives,
mais de celle de la mémoire restée vivante jusqu’à nous, est légitime et né-
cessaire. La synthèse d’Héloïse, abbesse et amante, qu’on a comparée à un
sic-et-non existentiel, est une construction extraordinaire, qui contient
pourtant déjà quelques-unes des fissures qui feront plus tard craquer l’uni-
té idéologique du monde médiéval117. Bien longtemps après cette crise,
Paul Claudel ressuscite l’ancienne harmonie des «deux amours» dans la sa-
118. Voir en général CL. FOUCARD, Le mythe du Moyen Âge dans la littérature française à la fin du
dix-neuvième siècle, Thèse, Kiel 1969, qui souligne bien «le caractère de réaction contre le présent,
de fuite hors de la réalité vécue vers un passé idyllique», la défense des idées conservatrices dans les
crises de la Troisième République.
119. GILSON*, p. 22, 124; TRUC* (p. 94) s’exclame: «Comment ne pas demeurer plein d’effroi
dans notre admiration?» Cette schizophrénie de vouloir adorer l’amour-passion à la Stendhal tout
en défendant une certaine morale ecclésiastique (voir aussi n. 6), qui d’ailleurs ne passe ni pour la
plus moderne ni pour la plus évangélique à l’intérieur de l’ecclesia peregrinans d’aujourd’hui, me fait
en effet plutôt penser à Claudel et Mauriac qu’à la réalité historique du Paraclet. Voir aussi MISCH*,
p. 539 qui se moque poliment d’un résultat paradoxal de GILSON (p. 93 s.): «Héloïse ne manque
d’émouvoir davantage», mais c’est Abélard «qui a raison».
02-collationes d'abelard 9-09-2005 10:29 Pagina 45
Un texte peut devenir incompréhensible, non par manque, mais par ex-
cès d’attention de la part des chercheurs, quand le sujet les intéresse plus
que le texte lui-même, et qu’ils négligent son objectif, sa situation histo-
rique et le type de discours auquel il s’apparente. C’est ce qui est arrivé aux
Collationes d’Abélard, œuvre bien connue mais trop souvent étudiée dans
une optique étroite qui l’a réduite à sa valeur de document sur les rapports
entre juifs et chrétiens au Moyen Âge. C’est pourquoi les réponses à la
question primordiale de son sens et de son contexte historique ne peuvent
surgir que d’une relecture attentive et intégrale du texte, et ce d’autant
plus que nous ignorons presque tout des circonstances biographiques dans
lesquelles Abélard l’a composé et du public auquel il s’est adressé1.
Les Collationes nous sont parvenues à travers six manuscrits, dont trois
seulement datent du Moyen Âge. La première édition fut publiée par
Franz Rheinwald en 18312. Cet éditeur a, le premier, imposé des choix qui
ne furent plus remis en question avant la deuxième moitié du XXe siècle,
et en particulier un titre: “Dialogue entre un philosophe, un juif et un
* Cet article a été publié la première fois dans Studi medievali 41.2 (2000), 505-548. Il reprend
une introduction allemande, destinée à un plus large public, parue dans Interpretationen zu Haupt-
werken der Philosophie im Mittelalter, éd. Kurt FLASCH, Stuttgart 1998, 129-150. Je remercie Jean-
Claude SCHMITT de m’avoir donné l’occasion d’en présenter le résultat dans le cadre d’un séminai-
re de l’E.H.E.S.S. sur les débats entre juifs, musulmans et chrétiens au Moyen Âge, ce qui m’a per-
mis de remédier à quelques lacunes et conclusions hâtives de ma première lecture. L’abondante bi-
bliographie relative aux Collationes (en particulier les articles de Maurice DE GANDILLAC) m’a aidé
à percevoir chez Abélard l’ambiguïté d’une conception philosophique du judaïsme, qui ne se ré-
duit pas à une simple alternative entre polémique et tolérance. – Cette nouvelle version de l’article
utilise l’édition critique de J. MARENBON et G. ORLANDI, parue en 2001. La bibliographie a été
mise à jour en 2004.
1. En ce qui concerne le manque d’informations sur la genèse du texte, il est significatif que la
récente biographie de CLANCHY réserve si peu de place aux Collationes.
2. Anecdota ad historiam ecclesiasticam pertinentia I, Berlin 1831, repris par MIGNE, PL 178, 1609-
1684.
02-collationes d'abelard 9-09-2005 10:29 Pagina 46
chrétien”. Dans l’incipit du manuscrit le plus fiable ainsi que dans une ci-
tation de l’œuvre par Abélard lui-même3, il est désigné sous le titre géné-
ral de Collationes, ce qui signifie “entretiens” ou “colloques”, mais égale-
ment “comparaisons” ou “échanges de vues”4. Tant qu’à ajouter un titre
qui rende compte du sens de l’œuvre, celui de l’élégante traduction de
Maurice de Gandillac: “Dialogue d’un philosophe avec un juif et un chré-
tien”5 est préférable à celui de Rheinwald et des éditeurs successifs jusqu’à
Rudolf Thomas6.
Le premier éditeur a également imposé une datation de l’œuvre qui n’a
été contestée que récemment. Le texte aurait été composé dans les der-
nières années d’Abélard; commencé en 1141, date de la condamnation de
l’auteur par le concile de Sens et de son retrait à Cluny, il aurait été inter-
rompu par sa mort en 1142. L’œuvre serait donc un fragment. La longévi-
té de cette hypothèse tient sans doute au besoin de compléter les obscuri-
tés d’une biographie trop peu connue par des traits romanesques (phéno-
mène encore plus éclatant dans les études sur les lettres d’Héloïse et Abé-
lard7). En 1985, Constant Mews a montré avec plus de vraisemblance que
ce texte pourrait avoir été écrit au cours des années les plus actives d’Abé-
lard, quand, après que le concile de Soissons eut condamné sa Theologia
summi boni, il en élabora une version élargie et approfondie, la Theologia
christiana, qu’il termina en 1124. Dans les Collationes, cet ouvrage est cité
deux fois. Le Philosophe le loue, jugeant que l’envie “ne réussit pas à faire
disparaître cette admirable œuvre de théologie, mais au contraire en aug-
menta la gloire”8. Mews a également rejeté l’hypothèse d’une œuvre in-
***
confirmait, permettrait de mieux expliquer les affinités de l’œuvre avec le Scito te ipsum, écrit en
1138 (BUYTAERT, LUSCOMBE, XXVII). Ce qui reste sûr, c’est que les Coll. ne sont pas le testament
d’un moribond.
9. MEWS, 107-109.
10. SMITS (éd.), 172-188.
11. LUSCOMBE (éd.), cf. XXIV-XXXVII.
12. Coll. 1.
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naire, instruit autant dans les arguments philosophiques que dans les deux
religions du Livre: Abélard, célèbre par une œuvre de théologie que la per-
sécution n’a rendue que plus glorieuse18. (La condamnation de Soissons
n’avait donc guère diminué chez l’auteur la certitude de sa valeur19). Le
Philosophe confère quelque ambivalence à l’épithète “chrétien”. Il se dé-
fend d’apparenter Abélard à l’une des “sectes” qu’il vient de dénigrer, cel-
le qui est “folle”: “je ne voulais pas t’offenser, toi que l’on dit chrétien”
(comme si le mot ne désignait pas la chose)20, il s’incline devant le “chré-
tien de renom” et laisse entrevoir que la dernière en date des trois
croyances pourrait bien être la plus apte à juger les autres et à apporter une
sorte de convergence. Nous nous trouvons, ainsi, confrontés d’emblée non
seulement à un conflit entre religions, mais à deux conceptions du chris-
tianisme, l’une sectaire et vulgaire, l’autre ouverte et éclairée. C’est au re-
présentant de la seconde qu’on demande l’arbitrage.
Abélard accueille le compliment avec ironie, le taxant de flatterie. Tout
en refusant de prendre parti et de se prononcer il accepte au moins de pré-
sider, non comme “juge”, mais comme “disciple”, souhaitant uniquement
apprendre en écoutant et examiner les arguments afin de distinguer l’es-
sentiel de l’accessoire. Salomon a dit: “en écoutant, le sage devient plus
sage”. Citant Augustin et anticipant Leibniz, l’ego d’Abélard affirme: “Il
n’est ni si fausse doctrine que ne s’y mêle quelque vérité, et aucun débat
n’est si frivole qu’on ne puisse en tirer quelque enseignement”21. Abélard
18. Coll. 4: Quod vero ingenii tui sit acumen, quantum philosophicis et divinis sententiis memorie tue the-
saurus habundet, preter consueta scholarum tuarum studia, quibus in utraque doctrina pre ceteris omnibus ma-
gistris, etiam tuis, sive ipsis quoque repertarum scientiarum scriptoribus constat te floruisse; certum nobis se pre-
buit experimentum opus illud mirabile theologie quod nec invidia ferre potuit nec auferre prevaluit, sed glorio-
sius persequendo effecit.
19. GANDILLAC (Le ‘Dialogue’, 4; Genèses, 165) trouve cette position arbitrale “scabreuse”. Il ne
me semble pas nécessaire de moraliser ici sur la trop célèbre superbia d’Abélard, reconnue dans l’Hist.
cal. comme l’une des tentations majeures du héros de cette confession. Je soulignerai plutôt l’élé-
gance avec laquelle Abélard sait résoudre le problème de l’impartialité d’un arbitre chrétien face à
un coreligionnaire et à un païen. Selon R. VOSS (cf. n. 149), 45, ce même problème est à l’origine
des contradictions et des maladresses de l’Octavius de Minucius Felix, dialogue du IIe siècle traitant
d’un sujet assez voisin.
20. Coll. 3: comperi Iudeos stultos, Christianos insanos, ut tamen salva pace tua, qui Christianus diceris,
ista loquar.
21. Coll. 5: Quia tamen hoc ex condicto et pari statuistis consensu et de viribus vestris singulos vestrum
confidere video, nequaquam ausibus vestris nostra erubescentia inferet repulsam, presertim cum ex his aliquam
percipere me credam doctrinam. Nulla quippe, ut quidam nostrorum meminit, adeo falsa est doctrina, ut non
aliqua intermisceat vera, et nullam adeo frivolam esse disputationem arbitror, ut non aliquod habeat docu-
mentum [cf. Augustin. Quaest. ev. II 40, CC 44B, 98]. Unde et ille maximus sapientum in ipso statim Pro-
verbiorum [1.5] suorum exordio lectorem sibi attentum preparans ait: Audiens sapiens sapientior erit, intelli-
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gens gubernaculum possidebit. Et Iacobus apostolus [ 1.19]: Sit, inquit, omnis homo velox ad audiendum, tar-
dus autem ad loquendum. L’idée de l’utilité partielle de chaque effort intellectuel est proverbiale de-
puis Pline le Jeune, Ep. III 5.10: Nullus est liber tam malus, ut non aliqua parte prosit.
22. Sur la culture dialogale du XIIe s. cf. MOOS, Schriftlichkeit et Le dialogue latin, 1019-1223.
23. Coll. 72, infra n. 112; JOLIVET, Abélard, 90; Abelardo, 77-79.
24. Coll. 6, 73-77, infra, 72-74.
25. Super Topica glossae, 205-330 (Logica ingredientibus); MOOS, Die angesehene Meinung, ch. I et In-
troduction.
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35. Coll. 706-707 suivant Gen. 117.23-7; cf. infra, 61-62, GANDILLAC, Conférences, Introd., 16,
21-22. Dans Le “Dialogue” (7-8) et Genèses (169), l’auteur évoque le sous-entendu possible à propos
de la castration à laquelle Abélard a plusieurs fois essayé de donner une signification spirituelle. Sur
la seule base de l’allusion à la tribu d’Ismaël, JOLIVET, Abelardo (72-75), maintient, comme il l’a fait
en 1963, que le philosophe serait musulman. Abélard et le philosophe et le chapitre de son Abélard
(90-91) ne cachent pourtant pas le caractère hypothétique d’une identification qui a été présentée
par d’autres comme une certitude (ALLARD, 496-498, R. R. GUERRERO, Algunos aspectos del influjo
de la filosofìa árabe en el mundo latino medieval, SANTIAGO-OTERO, 364-365, ou SCHRECKENBERG,
135). Certains (comme ROQUES, 260-264, EBERHARD, 368, ou TOLAN, 153) en ont fait un com-
promis entre un philosophe ancien et un musulman contemporain. Contre cette théorie v. aussi
CLANCHY, 245-246; ABULAFIA, Christians and Jews, 170 et Intentio recta an erronea? Outre l’inter-
prétation “ismaélite”, cette hypothèse se fonde 1º sur un passage de l’Hist. cal. (l. 1221-5), dans le-
quel Abélard, las d’être persécuté par une certaine orthodoxie, avoue avoir songé à “passer chez les
gentils” (ad gentes transire), afin de vivre en chrétien parmi les infidèles, ce qui est visiblement une
exaggeratio rhétorique, même s’il est vraisemblable qu’il ait cru l’Espagne musulmane plus toléran-
te que la France de saint Bernard, 2º sur la fausse datation des Collationes (cf. plus haut, 46-47), qui
permettait de supposer l’influence de Pierre le Vénérable sur Abélard, si tant est que l’abbé de Clu-
ny ait pu s’intéresser à l’Islam avant l’achèvement de la traduction du Coran en 1146.
36. Sur les problèmes d’une telle distinction voir infra n. 93.
37. Coll. 14-17, infra, 58-59.
38. GANDILLAC, Conférences, Introd., 19; GRABOÏS, Un chapitre de tolérance et The ‘Hebraica veritas’.
Les analogies relevées entre notre dialogue et de celui d’Yehuda Halevi me semblent purement for-
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parable à une disputatio comme celle de Gilbert Crispin, récit d’une conver-
sation réelle de cet abbé de Westminster avec “un Juif ami et voisin”39.
La présentation des dramatis personae à elle seule ne permet guère de
considérer cette fiction littéraire comme un débat entre religions40. Aucu-
ne comparaison n’est possible avec les dialogues que Raymond Lulle et Ni-
colas de Cues ont composés, à la fin du Moyen Âge, avec la volonté de ré-
concilier trois religions dans lesquelles ils voyaient des approches partielles
d’une vérité commune41. Il faut noter qu’Abélard semble ignorer complè-
tement l’Islam, religion pourtant déjà sérieusement étudiée à son époque
(son ami Pierre le Vénérable avait alors commandité la première traduc-
tion latine du Coran)42. Au vrai, notre auteur ne s’attache même pas à la
réalité du judaïsme de son temps, mais à ce qu’il a de plus abstrait, sa va-
leur préfigurative dans l’évolution de la pensée antique et chrétienne. Mais
c’est surtout dans la sagesse grecque qu’il cherche à déceler la préfigura-
tion du christianisme: il était effectivement convaincu que les philosophes
de l’Antiquité étaient plus réceptifs à l’Évangile que les Juifs, que les pen-
seurs païens les plus éminents étaient doués d’une piété naturelle qui leur
conférait la grâce de l’inspiration divine et peut-être même le salut43. Cet-
te idée, qui a scandalisé Bernard de Clairvaux, lui venait pourtant d’Au-
gustin, qui avait attribué à Platon une certaine intuition de la Trinité.
Mais, si Augustin insiste sur la différence entre la philosophie païenne et
la foi, Abélard, pour sa part, met l’accent sur leur convergence44.
tuites; PAYER, 8-10; LIEBESCHÜTZ 12-13. Le seul indice qui permette de supposer qu’Abélard ait eu
des contacts directs avec des rabbins se trouve dans Problemata Heloissae XXXVI, éd. COUSIN, 282,
à propos d’un problème d’exégèse: ita Hebreum quemdam audivi exponentem.
39. FUMAGALLI, introd. à TROVÒ, 25-26. Disputatio Iudei et Christiani, éd. B. BLUMENKRANZ,
Utrecht-Anvers 1956; The Works of Gilbert Crispin, éd. G. R. EVANS - A. S. ABULAFIA (Auctores Bri-
tannici Medii Aevi 8), Londres 1986; DAHAN 636 (s. l.).
40. EBERHARD, 358: “weniger ein ... Gespräch zwischen verschiedenen Religionen, sondern eher
ein inneres Gespräch zwischen den Elementen Abelardschen Denkens”.
41. GANDILLAC, Conférences, Introd. 21-22 et Le “Dialogue”, 6-7. Kurt FLASCH, Nikolaus von Kues,
Geschichte einer Entwicklung, Francfort 1998, 340-382.
42. Cette traduction fut présentée seulement en 1146, quatre ans après la mort d’Abélard. GAN-
DILLAC, Le “Dialogue”, 7; sur l’intérêt général J. GAUSS, Toleranz und Intoleranz zwischen Christen
und Muslimen in der Zeit vor den Kreuzzügen, Saeculum, 19 (1968), 362-389; John V. TOLAN (éd.),
Medieval Christian Perceptions of Islam, New York 1996; supra n. 35.
43. GREGORY, 47-64; LUSCOMBE, Peter Abelard, 298-301; GANDILLAC, Intention et loi, 601; MOOS,
Geschichte, 448-449.
44. GANDILLAC, Le “Dialogue”, 18, réponse à l’intervention de S. VANNI ROVIGHI qui soulignait
le parallélisme entre Augustin et Abélard. Sur cette même différence dans l’analogie voir mon ar-
ticle Die angesehene Meinung, ch. II 3 (Augustin, De vera religione I-2 et Abélard, Theol. Sch. I 110 et
157-159).
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***
45. Sur le lien fondamental entre dialogue et censure cf. MOOS, Gespräch, 251-254; Gérard GE-
NETTE, Introduction à l’architexte, Paris 1979, 14-15. Platon, soucieux de la discipline intellectuelle
de sa République, avait déjà exécré cette mimesis proprement dite qui permet au poète “de nous fai-
re croire que c’est un autre que lui qui parle” (Rép. 392B-396E).
46. Coll. 6.
47. Coll. 10, infra, 56.
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Considérant de longue date cette cécité et superbe du genre humain, c’est à la di-
vine miséricorde que je me suis confié, la suppliant humblement qu’elle daigne me
faire sortir d’un pareil gouffre d’erreurs, et me conduire jusqu’au port du salut.
48. Coll. 8. Cette critique de l’immobilisme intellectuel est reprise dans le Carmen ad Astrala-
bium, v. 363-368: Tot fidei sectis mundus divisus habetur / .ut que sit vite semita vix pateat. / Quod tot ha-
bet fidei contraria docmata mundus, / quisque facit generis traditione sui. / Denique nullus in his rationem
consulere audet, / dum quacumque sibi vivere pace cupit.
49. Coll. 8-9: Quos etiam adeo presumptuosos et elatos facit proprie secte singularitas, ut, quoscumque a se
viderint in fide divisos, a misericordia Dei iudicent alienos et omnibus aliis condempnatis solos se predicent bea-
tos. Diu itaque hanc ego generis humani cecitatem atque superbiam considerans ad divinam me contuli miseri-
cordiam, suppliciter et iugiter eam implorans ut de tanta errorum voragine et tam miserabili Caribdi me di-
gnetur educere atque ad portum salutis de tantis procellis dirigere.
50. Coll. 10.
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C’est attribuer à Dieu la pire cruauté qu’imaginer que reste sans salaire la persé-
vérance de notre zèle après tout ce qu’il supporte. Il n’est, en effet, ni su ni même
croyable qu’aucune race jamais ait pu subir pour Dieu autant que pour Lui nous ne
cessons de souffrir (...). Les princes sous l’autorité desquels nous vivons, et dont nous
achetons cher la protection, souhaitent d’autant plus notre mort qu’elle leur permet
plus licitement de faire main basse sur nos biens. Soumis à tant de contraintes et
d’oppressions, comme si contre nous seuls s’était ligué le monde entier, c’est miracle
déjà qu’il nous soit licite de vivre63.
bilem? Tanto quippe nos contemptu et odio digni censemur ab omnibus, ut quisquis nobis aliquam inferat in-
iuriam, id maximam credat iustitiam et summum Deo sacrificium oblatum. [....] Gentiles quidem antiqua-
rum memores oppressionum quibus eorum primo terram possedimus et diutinis eos postmodum persecutionibus at-
trivimus atque delevimus, quicquid nobis ingerunt, debite imputant ultioni. Christiani vero, quia eorum, ut
aiunt, Deum interfecimus, maiorem in nos persecutionis causam habere videntur. [...] Somnus ipse, [...] tanta
nos inquietat sollicitudine, ut dormientes quoque non nisi iuguli nostri periculo liceat cogitare, [...] Principes
ipsi, qui nobis presunt, et quorum graviter emimus patrocinium, tanto amplius mortem ... nostram desiderant,
quanto licentius ea que possidemus diripiunt. Quibus etiam adeo constrictis et oppressis, quasi in nos solos co-
niurasset mundus, hoc ipsum mirabile est si vivere licet [...] Unde nobi precipue superest lucrum ut alienigenis
fenerantes hinc miseram sustentemus vitam, quod nos quidem maxime ipsis efficit inividiosos, qui se in hoc plu-
rimum arbitrantur gravatos.
64. RÉMUSAT, 536. Ce passage, dans lequel Abélard interprète les souffrances du peuple hébreu
comme un signe de son élection, permet à SCHRECKENBERG, dans son histoire encyclopédique des
traités Contra Judaeos, d’écrire (142) que les Coll., malgré certains préjugés traditionnels, contien-
nent “die seit Augustinus bedeutendste christliche Sicht des Judentums”. L’auteur inclut néan-
moins ce dialogue dans la littérature adversus Iudaeos, car, selon lui, il “n’échappe qu’en partie” aux
clichés du genre (cf. n. 86). En accord avec THOMAS, Erkenntnisweg (50-52), il décèle dans la plain-
te du Juif un accent “larmoyant, qui frôle le comique”. Cet étonnant jugement me semble tradui-
re une analyse anachronique, inspirée de certaines interprétations modernes de Shylock.
65. Scito te ipsum, 67: sic et illos qui persequebantur Christum vel suos [....] tamen gravius per culpam
peccassent si contra conscientiam eis parcerent. Cette position a été condamnée au concile de Sens (Otton
de Freising, Gesta Friderici 49). Abélard s’est partiellement rétracté dans sa Confessio fidei (721): Cru-
cifixores Christi in ipsa crucifixione gravissimum peccatum fateor commisisse. Mais comme le remarque à
juste titre GANDILLAC (Genèses, 17), “il ne contredit en rien aux distinctions du Scito teipsum entre
intentio et operatio”. Abélard reprend alors l’opinion la plus répandue au Moyen Âge (DAHAN, 562-
570), selon laquelle les Juifs auraient péché sans savoir qu’ils tuaient le Messie, opinion qu’il avait
lui-même déjà soutenue dans l’Invectio in Iudeos de sa Theol. Sum. (I, 24). Il voit un péché de “rébel-
lion” dans ce qui traditionnellement passait pour de l’invidia. TOLAN, 83, 217; COHEN, 11-12.
66. Odon LOTTIN, Psychologie et morale aux XIIe et XIIIe siècles, III 2, Louvain-Gembloux 1949,
11-96.
67. Scito te ipsum, 62; GANDILLAC, Le “Dialogue”, 10-11. Petrus Alfonsi (Dialogi contra Iudeos, PL
157, 646) récuse tous ces arguments au nom de la même morale de l’intention: selon lui, les Juifs
ont consciemment voulu ce crime, par haine et envie. TOLAN, 82-84.
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ne va pas encore si loin dans notre dialogue, mais cette interprétation per-
ce déjà dans sa tentative pour assimiler la sanction du “meurtre de Jésus”
aux autres malheurs causés par le zèle excessif du peuple juif à servir son
Dieu. Il est significatif que ce point n’est pas réfuté par ce qui suit.
Le Philosophe pose une question plus importante à ses yeux. Tout en
rendant justice au zèle des Hébreux, il se demande si ce zèle est vraiment
soutenu par la raison, s’il part d’une “intention droite ou erronée”. Toute
secte est persuadée d’obéir à Dieu, mais la “secte” juive, grâce à sa loi, s’ar-
roge le monopole de la vérité. Comment expliquer pareille singularité68?
S’appuyant sur des citations de l’Ancien Testament, le Philosophe en réfu-
te toutes les justifications. Bien des justes, d’Abel à Moïse, ont été
agréables à Dieu sans se soumettre à une loi écrite postérieure, ce qui ré-
duit considérablement la valeur de cette dernière. Ils obéissaient à la loi na-
turelle,69valable partout et toujours, “qui consiste à aimer Dieu et son pro-
chain” . La loi juive, en outre, promet des biens terrestres, l’accès à la Ter-
re Sainte, et non la béatitude de l’âme immortelle, seul objet d’une quête
vraiment philosophique. Le Philosophe conclut sur un dilemme:
Comme, selon votre propre jugement, vous êtes les plus affligés de tous les mor-
tels, il est fort surprenant que cet espoir qui, dans l’obéissance de la Loi, vous fait sup-
porter de telles épreuves, alors que vous fûtes au premier chef frustré de l’avantage,
que, comme dû de la promesse, il vous fallait spécialement attendre, ou bien vous ne
cessez de désobéir à la loi et êtes condamnés par la malédiction de cette même Loi,
ou bien celui qui vous fit cette promesse ne tient pas son engagement70.
tinct naturel, si bien que loin de purifier les cœurs, la Loi elle-même a fait
“abonder le péché” et rendu encore plus coupable un peuple déjà “rétif”72.
Le Juif avoue la confusion dans laquelle le plonge ce réquisitoire: “Tu as
tant multiplié les objections qu’il est malaisé de se les remémorer, pour y
répondre une à une dans l’ordre même”. C’est là une critique métalinguis-
tique du dialogue. Le Socrate platonicien, déjà, préférait aux longs discours
qui surchargent la mémoire l’échange rapide de questions et de répliques.
Le Juif répond donc par une sorte d’association libre: “Je répondrai autant
que les idées me viennent à l’esprit”73. Il commence par justifier l’endoga-
mie par la nécessité d’une protection contre le danger de contamination
des idolâtries étrangères. Par des mesures spéciales, la circoncision et les
rites de pureté alimentaire, Dieu a voulu rassembler son peuple in propriam
civitatem, dans une Cité de Dieu essentiellement “privée”74. Ce qui aux
yeux des autres peuples apparaît comme un stigme répulsif et incompré-
hensible est en vérité le signe éminent de l’élection. Mais cette distinction,
élitiste à l’origine, ne manque pas de valeur universelle. À travers l’histoi-
re du salut, l’Election, sanctification exemplaire, incite les autres peuples
à imiter celui qui seul a inscrit la parfaite dilection de Dieu et du prochain
dans une constitution formelle75. L’extension de l’Alliance à l’humanité
toute entière est, en effet, une idée authentiquement juive76. Enfin, l’ar-
72. Coll. 26: Quod si hec ante legem vel nunc etiam aliquibus ad salutem sufficiant, quid necesse fuit iu-
gum legis addere et multiplicatis preceptis transgressiones augere?Ubi enim non est lex, nec eius prevaricatio po-
test accidere, et tanto quisque ardentius quidlibet concupiscit, quanto se amplius ab eo inhiberi et quasi vi qua-
dam retrahi conspicit, iuxta illud poeticum: “Nitimur in vetitum semper, cupimusque negata”. [Ovide, Am.
3.4.17] Quod quidam etiam vestrum diligenter considerans et ex legis operibus neminem iustificari convincens:
“Lex enim, inquit, iram operatur: ubi enim non est lex, nec prevaricatio” [Rom. 4.15].
73. Coll. 28; Jürgen MITTELSTRASS, Versuch über den sokratischen Dialog, Das Gespräch, (Poe-
tik und Hermeneutik 11), Munich 1984, 11-28; Heinrich NIEHUES-PROEBSTING, Ueberredung zur
Einsicht, Francfort 1987, ch. 1 (Platons Rhetorikkritik).
74. Coll. 28-29, cf. infra, n. 133.
75. Coll. 32-47. C’est dans ce contexte que le Juif appelle le Philosophe un Ismaélite circoncis.
Le double sens de la circoncision (supra, 52), à la fois exclusion et universalité, apparaît aussi dans
le Sermo 3 sur la Circoncision, éd. COUSIN, I, 371 et dans le Commentaire de l’Épître aux Romains,
Comm. Rom. 87-90, 93-96, 135-136. MEWS (112-113) constate une évolution de ce thème: Abélard,
dans la Theol. chr. (n. 78), souligne seulement l’aspect traditionnel, la circoncision d’Isaac comme
signe d’élection du peuple juif; dans le sermon 3, il va jusqu’à le présenter comme une préfigura-
tion du sacrement du baptême, ce qu’il ne fait pas dans les Coll. (cf. en revanche l’audacieuse com-
paraison citée plus loin, 135, infra, 76); dans le Comm. Rom. toutes ces interprétations sont réunies
et le double sens, universalité et exclusion, essentiel dans les Coll., est terminologiquement préci-
sé: la circoncision est appelée signum quand elle désigne la lignée d’Isaac, et signaculum quand elle
se rapporte à la descendance spirituelle des gentils depuis Ismaël.
76. GANDILLAC, Le “Dialogue”, 11; Conférences, Introd. 21-22, avec un intéressant renvoi au De
pace fidei de Nicolas de Cues, qui propose que tous les peuples se rejoignent dans l’usage de la cir-
concision, pratique conservée par les chrétiens d’Éthiopie comme par l’Islam. La double significa-
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tion, particulariste et universaliste, du concept de “peuple élu” m’a d’abord échappé (cf. n. 1), com-
me elle a échappé à ABULAFIA, Christians and Jews, 124-125, qui appuie son analyse uniquement sur
la diatribe du Philosophe contre l’irrationalité des rites “séparateurs”. Le cas est méthodologique-
ment intéressant. Car il serait trop simple de croire qu’Abélard ne parle qu’à travers la bouche du
Philosophe, réservant au Juif les points de vue qu’il récuse. De même que le Sic et non, les Collationes
sont un dosage savant d’opinions qu’Abélard partage plus au moins.
77. Coll. 40-43.
78. Coll. 131-137, infra, 76 sur le contexte. MARENBON, Abelard’s Ethical Theory, 308-309;
MOOS, Lucan und Abaelard, 431-433 sur Ph. II 377-383 dans Coll. 2194-2199. La critique du par-
ticularisme juif se retrouve aussi dans le sermon d’Abélard sur la Circoncision (n. 75), dans les Pro-
blemata Heloissae XIII, (COUSIN, 257-258) et dans la Theol. chr. II, 15-25. ABULAFIA, Christians and
Jews, 125-126.
79. Theol. chr. II 48-49; Comm. Rom., Prol. 56-95; GANDILLAC, Intention et loi, 602-604.
80. Coll. 46.
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rémunération terrestre dans cette vie même81. Les rites compliqués et bi-
zarres des Juifs en sont garants. Ils ne s’appliquent qu’aux souillures du
corps et contiennent beaucoup d’injustices contre nature, comme les in-
terdits concernant la menstruation des femmes et la pollution nocturne des
hommes. L’acte même de la procréation est considéré comme une souillu-
re82. (On sent qu’Abélard s’intéresse moins ici aux mœurs propres aux Hé-
breux qu’il ne les utilise pour fustiger une forme radicale de l’ascétisme
monastique, dont le judaïsme devient l’émissaire symbolique). Le point
central de l’argumentation cependant est que la Loi ne s’applique pas à
l’impureté de l’âme, “que nous appelons le péché”, point qu’Abélard re-
prendra dans son Scito te ipsum. Le péché n’est qu’une faute de l’âme ou de
l’intention; point n’est besoin d’autres remèdes pour le guérir que la
contrition du cœur, la sincère componction du repentir83. La conclusion du
Philosophe est simple: elle reprend l’argument principal de la loi naturel-
le contre les religions du Livre, ce qui touche évidemment tout aussi bien
le christianisme que le judaïsme84:
De par ce colloque je juge acquis que l’autorité de la Loi ne t’autorise pas à m’im-
poser la soumission à son fardeau, comme s’il était requis d’ajouter quoi que cela fût
à cette loi que Job par son exemple nous a prescrite, ou à cette science des mœurs que
nous ont léguée nos philosophes quant aux vertus qui suffisent à la béatitude.
85. Coll. 61: Ego vero cupidus discendi magis quam iudicandi, omnium prius rationes me velle audire re-
spondeo, ut tanto essem discretior in iudicando quanto sapientior fierem audiendo [...] in quo omnes pariter as-
senserunt, eodem accensi desiderio discendi.
86. DAHAN, 421. TOLAN (99) range également les Collationes parmi les “anti-Jewish works” (cf.
n. 64 sur SCHRECKENBERG). PAYER, 8-10, rejette cette classification en arguant que la critique du
judaïsme “is inspired primarily by rational and not by specifically Christian considerations”. La vé-
rité est entre ces deux positions.
87. Coll. 69: Hec quippe sola est naturalis disciplina, quae preceptis intenta moralibus tanto amplius phi-
losophis congruit, quanto magis eos hac lege uti et rationibus constat inherere, sicut ille vester doctor meminit.
“Nam et Iudei, inquit, signa petunt, et Greci sapientiam querunt”. [I Cor 1.22] Iudei quippe tantum, quod
animales sunt et sensuales, nulla imbuti philosophia qua rationes discutere queant, solis exteriorum operum mi-
raculis moventur ad fidem.
88. MOOS, Le dialogue latin, 1012.
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***
89. Hist. cal. 392-689; CLANCHY, 195-201 (Castration and reconciliation); J. CHÂTILLON, Abé-
lard mutilé, Revue du Moyen Âge latin 21 (1965), 98-103; D. K. FRANK, Abelard as Imitator of
Christ, Viator 1 (1970), 107-113; S. TUCHEL, Kastration im Mittelalter, Düsseldorf 1998, voue un
important chapitre à Abélard; cf. aussi plus haut n. 35.
90. MARENBON, Abelard’s Ethical Theory comble cette lacune, fréquente dans les études sur les Coll.
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non plus que dans une théologie mystique de l’amour christique91, mais
dans ce que les théologiens scolastiques appelleront les praeambula fidei: dans
le principe d’une eudémonie perfectionnée et dans l’ébauche d’une théodi-
cée. Puisque son œuvre majeure, la theologia, à laquelle il a toute sa vie tra-
vaillé, traite abondamment de tous les data fidei écartés ici, on peut en
conclure, qu’il les a délibérément mis entre parenthèses92. Dans le dialogue,
il s’exprime en philosophe, non en théologien93. Si le Chrétien ne peut évi-
ter d’évoquer certains dogmes ou préceptes évangéliques, c’est comme
conséquences d’une loi naturelle plus parfaite que celle défendue par le Phi-
losophe. La quête du Bien suprême par la vertu, apogée de toute science, est
dépassée par le vrai salut chrétien. Ce sont deux voies d’accès non essentiel-
lement mais hiérarchiquement différentes94. Ce programme n’a rien, en soi,
d’hétérodoxe. Il s’intègre dans un genre de discours préétabli, rendu célèbre
par Anselme de Canterbury, qui voulait prouver la “raison de la foi” remoto
Christo, en raisonnant comme si le Christ n’avait pas existé95. Mais c’est
Boèce qui passait pour le fondateur lointain de ce genre d’argumentation:
91. Le ms. de Vienne comporte un petit additif d’un maître anonyme du XIIe siècle, Exortacio
ad discipulum de inquisitione summi boni (éd. SYNAN, 188-192), assez polémique contre les Collationes,
et qui prétend suppléer précisément à ces “omissions” (189-190): illic invenis aliquid investigatum,
sed non satis elucidatum. Le Bien suprême est au-dessus de tout ce qu’on peut penser – ut nichil me-
lius cogitari possit, immo, melius est quam ab ulla creatura cogitari possit (selon Augustin, De natura boni,
6.2, De libero arbitrio 6.14 et autres passages qui ont déjà inspiré la célèbre formule du Proslogion
d’Anselme). Il ne faut donc pas le scruter avec la raison humaine. L’unique connaissance que l’hom-
me puisse en atteindre per speculum et in enigmate se trouve dans la canonica scriptura veteris [...], maxi-
me autem novi testamenti. La Bible enseigne qu’il faut travailler dans “la vigne du Seigneur”; les ocio-
si pagani sive negotiantes iudei sive – illis peiores – falsi christiani en sont exclus. Il faut uniquement
écouter le Christ (191) – ipsum audite est répété 22 fois –, non paganum philosophantem et ebreum iu-
daizantem, et ne s’y appliquer que par la foi, non par la “sagesse de ce monde” et les “œuvres de la
Loi”. A quoi bon recourir à la loi naturelle, puisque l’enseignement du Christ, la Sagesse elle-même,
la contient? (192) SYNAN a relevé les accents anti-intellectuels et “antisémites” de ce sermon hau-
tement rhétorique, mais il me semble qu’il faut y voir surtout un supplément fidéiste et christo-
centrique, rédigé par un esprit conservateur voisin des idées de Bernard de Clairvaux ou de Thomas
de Morigny.
92. Cette mise entre parenthèses apparaît le mieux dans Coll. 77, cité plus bas n. 126.
93. Ces termes s’entendent dans leur sens moderne, car dans le langage d’Abélard la différence
est beaucoup moins claire. JOLIVET (Abelardo, 77-79) considère la deuxième Collatio comme l’intro-
duction la plus explicite à la méthode théologique qu’Abélard ait écrite: “La nozione di Bene ne
costituisce il centro, quella di beatitudine è ad essa associata, e la filosofia identificata alla teologia
nel contempo lo è anche alla morale. Le discipline sono poste lungo una via ascendente ...”. GAN-
DILLAC (Genèses, 166), tout en rappelant que “philosophie première et théologie formaient en som-
me une seule science”, souligne (ib. 183) l’omission, dans le dialogue, de tout ce qui relève spécifi-
quement de la Révélation, ce qui me semble le point central.
94. GANDILLAC, Intention et loi, 605-606.
95. Cur Deus homo, Praef., éd. F. S. SCHMITT, Darmastadt 1960, 2.
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96. MOOS, Geschichte, 285, 488-494, 498-502 (“Praeterspirituelles”). Dans les accessus à Boèce,
celui-ci est souvent considéré comme l’instigateur de cette règle du jeu qui dirige le dialogue
d’Abélard: la récusation de l’argument d’autorité en faveur de celui de raison. Thomas d’Aquin at-
tribue même ce rôle précurseur à Boèce théologien; dans le prologue (9) de son commentaire In Boe-
tii de Trinitate (éd. R. SPIAZZI, Rome 1954, 314b) il distingue trois modi tractandi utilisés par les au-
teurs théologiques: per auctoritates, per rationes, per auctoritates et rationes. Certains auteurs, tels Am-
broise et Hilaire, ont recours aux seules autorités; d’autres, tel Augustin, utilisent les deux, l’auto-
rité et la raison. Boetius vero elegit prosequi secundum alium modum, scilicet secundum rationes, praesuppo-
nens hoc quod ab aliis fuerat per auctoritates prosecutum.
97. Coll. 62: Te nunc igitur, Christiane, alloquor, ut et tu inquisitioni mee secundum nostri propositi
condictum respondeas. Cuius quidem lex tanto debet esse perfectior et remuneratione potior, eiusque doctrina ra-
tionabilior, quanto est ipsa posterior. Frustra quippe populo priores leges scriberentur, si quid ad doctrine per-
fectionem non addererent. Quod quidam nostrorum in secundo rhetorice diligenter considerans, cum de contra-
riis legibus causam formaret, attendendum esse precepit, utra lex posterior lata sit: nam postrema queque, in-
quit, gravissima est [Cic. De Inv. 2.49]. Pour l’histoire de la règle juridique lex posterior derogat legibus
prioribus (Baldus), élaborée d’abord dans le droit canon, cf. R. GRAWERT, Gesetz, Geschichtliche
Grundbegriffe, éd. O. BRUNNER et al., II, Stuttgart 1975, 871-873; Dieter WYDUCKEL, Ius publicum,
Berlin 1984, 91-96.
98. MOOS, Geschichte, 103-105, 238-241 et passim.
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prendrait-il de neuf auprès d’un fou? Cette même “folie”, prêchée par des
“apôtres simples et incultes”, avait pourtant persuadé de grands savants et
philosophes de l’Antiquité de se convertir99. Dans ce paradoxe un peu rhé-
torique, l’accent est mis moins sur la simplicité des apôtres que sur la
conversion de la sagesse grecque, car, par la suite, le Chrétien insistera sur-
tout sur l’érudition des Pères de l’Église, raison principale du succès du
christianisme dans le monde antique. Le Philosophe s’excuse de sa bouta-
de polémique sur un ton qui montre bien le climat à la fois ludique et ago-
nal de tout le dialogue100:
Il arrive que plus aisément querelles et invectives provoquent les hommes que ne
les fléchissent supplications et objurgations; et ceux qui de la sorte sont provoqués
montrent plus de zèle au combat que ceux qu’on a priés et qui ne se mettent en
marche que pour obliger leurs adversaires.
99. Coll. 63. Abélard évite toute référence explicite à la “folie de la Croix”.
100. Coll. ibid. (80): Nonnumquam conviciis et improperiis facilius homines provocantur, quam suppli-
cationibus et obsecrationibus flectuntur, et qui sic provocantur, studiosius satagunt de pugna, quam qui oran-
tur, moventur ex gratia.
101. Coll. 63-64; amen et fiat sont probablement des ajouts intelligents du manuscrit de Vienne.
102. Theol. chr. III 36, 423; cf. Theol. Sum. II 5. 46-54; II 14, 337; Theol. Sch. 108-109 (Platon,
Tim. 27BC) etc.; MOOS, Die angesehene Meinung, ch. II 3.
103. GANDILLAC (Conférences 12) fait la même observation à propos des citations de l’Évangile,
plus fréquentes chez le Philosophe que chez le Juif. Dans l’optique ambivalente d’Abélard ce n’est
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pourtant que l’un de deux aspects. Selon l’autre hiérarchie des valeurs, c’est le Juif et non le Philo-
sophe qui appelle le Chrétien son “frère” (supra, 56).
104. Supra, 56-57.
105. Brian TIERNEY, “Only truth has authority” ..., Law, church and society, Mél. S. KUTTNER,
Philadelphia 1977, 84-88; Francesco CALASSO, Medioevo del diritto, Milan 1954, 470-480; Peter VON
MOOS, Die angesehene Meinung IV, Johannes von Salisbury, Mittellateinisches Jahrbuch 34.1 (1999),
ch. VII.
106. Coll. 64-65, Christianus: Quod et supra memoratus rethor vester de contrariis, ut dixisti, legibus
agens consulit dicens: «Si leges due vel plures servari non possunt, quia discrepant inter se, ea maxime conser-
vanda putetur, que ad maximas res pertinere videtur». [ Cicero, De inv. II 49] – Philosophus: Nichil hoc
consilio probabilius, et nichil stultius, quam ab antiquis ad novas recedere leges nisi doctrina potiores. Quas vi-
delicet novas leges, qui composuerunt, tanto eas cautius et perfectius scribere potuerunt, quanto iam priorum le-
gum disciplina et ipsa necessariarum rerum experientia instructi, facile quae deerant ex proprio addere potue-
runt ingenio, sicut et in ceteris contingit philosophie disciplinis. Tunc autem de perfectione posteriorum scripto-
rum maxime est confidendum, si moderni scriptores equare ingeniis antiquos potuerint. Sur les nains et les
géants cf. Jean de Salisbury, Metalogicon, III 4, qui approuve Abélard pour avoir dit que les modernes
pourraient écrire un livre qui nullo [...] antiquorum sit inferior, sed ut auctoritatis favorem sortiretur aut
impossibile aut difficillimum (l’idée vient d’Augustin, Contra Faustum XI 5). Il introduit alors la com-
paraison des nains et des géants pour expliquer le paradoxe d’un génie moderne malheureusement
dépourvu de l’autorité des anciens. Dans les études sur la métaphore, son contexte précis est trop
souvent négligé. Édouard JEAUNEAU, Lectio philosophorum, Amsterdam 1973, 56-57; MOOS, Ges-
chichte, 239-245, 381-383; Walter HAUG, Strukturen zum Schlüssel der Welt, Tubingue 1990, 86-109;
T. LEUKER, “Zwerge auf den Schultern von Riesen”. Zur Entstehung des berühmten Vergleichs,
Mittellateinisches Jahrbuch 32.1 (1997), 71-76.
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111. Coll. 70. ALLARD, 499-500. Sur le problème de la conversion par contrainte cf. par ex. Tho-
mas d’Aquin, STh. II-II qu. 10, art. 8; Benjamin Z. KEDAR, Crusade and Mission, Princeton 1984;
Klaus SCHREINER, “Duldsamkeit” (tolerantia) und “Schrecken” (terror). Religiöse Devianz, éd. D. SI-
MON, Francfort 1990, 159-210.
112. Coll. 72: Atque utinam, ut dicis, sic convincere possis, ut ab ipsa, ut dicitis, suprema sapientia, quam
grece logon, latine verbum Dei vocatis, vos vere logicos et verborum rationibus exhibeatis esse armatos! Nec illud
Gregorii vestri me miserorum commune refugium pretendere presumatis. «Fides», inquit, «non habet meritum,
cui ratio humana prebet experimentum». [Hom. 26 in Ev., PL 76,1197 ...] Si enim fides ratione minime sit
discutienda, ne meritum amittat, nec, quid credi oporteat, animi iudicio sit discutiendum, sed statim his, quae
predicantur, assentiendum, quoscumque errores predicatio seminet, suscipere nihil refert, quia nihil licet ratio-
ne refellere, ubi rationem non licet adhibere. Dicat ydolatra de lapide vel ligno vel qualibet creatura: Hic est
Deus verus, celi creator et terrae; vel quamlibet patentem habominationem predicet, quis eam valebit refellere,
si de fide nichil sit discutiendum ratione?
113. Theol. Sum. II 24, Theol. chr. III 50, Theol. Sch. II 47, 753-754 et 49, 789-786; pour l’in-
terprétation positive de la formule cf. MOOS, Die angesehene Meinung, ch. II 1.
114. Coll. 73.
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fet, le fides quaerens intellectum d’Anselme; la foi est objet de recherche pour
l’un, principe de recherche pour l’autre. Pour Abélard, c’est à la raison d’in-
terroger la foi, non à la foi d’interroger la raison. Or, sans qu’il soit néces-
saire de renchérir sur le rationalisme abélardien, la formule lapidaire du
Philosophe déclarant “la priorité naturelle de la raison” est une occasion de
préciser une différence sémantique: chez les deux penseurs, la “foi” n’a pas
le même sens. Pour Anselme, elle signifie tout d’abord l’acte personnel de
dévouement, la “confiance dans la vertu rédemptrice du Christ”, qui doit
précéder toute recherche; pour Abélard, cet engagement existentiel, qu’il
n’a jamais remis en question, est un préalable implicite, situé en-dehors ou
plutôt au-dessus d’une recherche théologique, qui, elle, présuppose un
tout autre concept de “foi”. Fides a pour lui le sens objectif d’un ensemble
de témoignages transmettant la Révélation, d’un corps de doctrines re-
montant à la Vérité divine, dont le théologien doit éliminer les apports hu-
mains, les fausses interprétations survenues au cours de sa transmission115.
L’engagement, la foi active, comme l’entendent la devise anselmienne au-
tant que la formule grégorienne, n’est qu’un présupposé évident, autori-
sant l’examen dialectique ou philologique d’une “foi” entendue comme
tradition, la critique rationnelle des auctoritates, indispensable à l’intelli-
gence du Verbe116. Si, dans les Collationes, plus que dans toute autre œuvre
d’Abélard, le sens proprement religieux de la foi est écarté au profit de son
sens doctrinal et dogmatique, c’est non seulement parce que la fiction du
dialogue exige de se limiter aux prémisses acceptables par un païen culti-
vé, mais surtout parce que la critique du fidéisme aveugle peut ainsi se fai-
re plus véhémente117. Le Juif avait déjà mis en avant cette foi-tradition,
fondement de son zèle, dans sa tentative avortée pour résoudre le problè-
me de possibles faux témoins, tentative qu’Abélard a pourtant présentée
comme une ébauche prérationnelle de la dialectique118. Le Philosophe va
au cœur du sujet: pour lui, un chrétien n’a pas le droit de sauter l’étape
préliminaire de la raison pour se précipiter sur un mot d’autorité pris au
pied de la lettre. Reprenant son grief initial, il voit surgir derrière ce
“court-circuitage” la même mentalité sectaire qui est la racine de tous les
fanatismes et conflits entre religions119. Pour étayer son attaque contre le
respect servil des “autorités”, le Gentil cite lui-même une auctoritas chré-
tienne, celle d’Antoine, Père du désert: “Puisque c’est la raison humaine
qui inventa les écrits, à qui la possède ne sont aucunement nécessaires les
écrits”120. Ainsi, un apophtègme anti-intellectuel d’origine ascétique,
dont le contexte est délibérément négligé, se transforme, non sans ironie,
en argument pour la raison contre le recours abusif aux mots d’autorité,
pour la discussion orale contre le culte de l’écriture.
Suit une attaque violente de l’argument le plus faible, l’argumentum ab
auctoritate, invalidé par la théorie des topiques de Cicéron et de Boèce. Ce
n’est pas même un argument, mais une simple “opinion d’autrui”, dont se
servent les orateurs en panne d’idées pour impressionner la foule des igno-
rants121. Celui qui ne jure que par les “paroles d’un absent”, d’un témoi-
gnage écrit, au lieu de se servir de sa raison, ne se comporte pas en chré-
tien, mais en juif, car il préfère les signes ou miracles à l’esprit de la sa-
gesse122. (Abélard semble avoir oublié entre temps que le Juif a déjà réfu-
té cet argument). Le Philosophe poursuit dans le registre exégétique en re-
prenant une interprétation qu’Abélard croyait augustinienne, à propos de
Matthieu 7. 8, “demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez,
frappez et l’on vous ouvrira”: par la prière et l’esprit de quête vous obtien-
drez l’intelligence de la vérité, qui est une sorte de révélation divine. “De-
mandez en priant, cherchez en discutant, frappez en sollicitant”. Il y asso-
cie une célèbre (et authentique) parole d’Augustin sur la prééminence de
l’art de la discussion: “C’est la discipline des disciplines qu’on appelle dia-
lectique”, ... parce qu’elle “apprend à apprendre, apprend à enseigner ...
Non seulement elle veut faire des savants, mais elle le peut”123. Ce passa-
120. Coll. ibid.: Nam et ipsi, qui scripserunt non nisi ex ratione, qua eorum habundare videntur senten-
tie, auctoritatem, hoc est credendi statim eis meruerunt dignitatem. Adeo autem vestrorum quoque iudicio auc-
toritati ratio preponitur, ut, sicut vester quoque meminit Antonius: «cum humane rationis sensus inventor fue-
rit litterarum, cui sensus est incolumis ei minime necessarie sint littere» [Athanasius, V. Ant., interp. Eva-
grio, PL 73, 184 CD].
121. Coll. 74 (Boèce, De diff. topicis II, PL 64, 1195 A, 1199 CD); MOOS, Die angesehene Meinung,
ch. I.
122. Coll. 75: Quod vero dixisti in rationibus quoque discernendis sive cognoscendis nonnumquam errari,
verum utique est atque liquidum. Sed hoc eis accidit hominibus qui rationalis peritia philosophie et argumen-
torum carent discretione; quales se Iudei profitentur esse, qui pro argumentis signa requirunt, et quicumque
suum in dictis alterius presidium ponunt; tamquam de auctoritatis vel scripto absentis facilius iudicetur quam
de ratione vel sententia presentis, et sensus illius melius quam istius possit inquiri. Dum vero, quantum vale-
mus, de nostra solliciti salute Deum inquirimus, eius utique supplet gratia, quod nostra non sufficit opera, et
volentes adiuvat, ut possint, qui hoc ipsum etiam inspirat, ut velint [cf. Phil. 2.13].
123. Coll. 75-76: De quo vos ipsa quam dicitis veritas securos Christus efficiens, congrua similitudine
premissa subintulit [Mt. 7,7-8]: Petite, et accipietis, querite, et invenietis, pulsate, et aperietur vobis. Omnis
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enim qui petit accipit, et qui querit invenit, et pulsanti aperietur. Que quidem memini precedentia verba Au-
gustinus exponens quodam suo tractatu de misericordia: «Petite, inquit, orando, querite disputando, pulsate
orando». [Ps.-Augustinus, Tract. de oratione et elemosyna, PL 40, 1227] Unde et artem ipsam disputandi
secundo De ordine libro [ II 13, 38] ceteris preferens disciplinis, et tamquam ipsa sola sciat vel scientes faciat,
eam commendans ait: «Disciplinam disciplinarum, quam dialecticen vocant. Hec docet docere, hec docet disce-
re. In hac se ipsa ratio demonstrat, quid sit, quid velit, scit <scire> sola. Scientesque facere non solum vult, sed
etiam potest».
124. Sic et non, 103-104.
125. Cf. le commentaire de la définition cicéronienne Super topica glossae, 300-301, 306. MOOS,
Die angesehene Meinung, sur les différents sens de fides chez Abélard.
126. Coll. 77-78: Nemo certe nostrum, qui discretus sit, rationibus fidem vestigari ac discuti vetat, nec
rationabiliter his, que dubia fuerint, acquiescitur, nisi cur acquiescendum ratione premissa. [...] In omni quip-
pe disciplina tam de scripto quam de sententia se ingerit controversia, et in quolibet disputationis conflictu fir-
mior est rationis veritas reddita quam auctoritas ostensa. Neque enim ad fidem astruendam refert quid sit in
rei veritate, sed quid in opinonem possit venire, et de ipsius auctoritatis verbis plereque questiones emergunt, ut
de ipsis priusquam per ipsa iudicandum sit. [...] Tecum vero tanto minus ex auctoritate agendum est, quanto
amplius ratione inniteris et Scripture sacre auctoritatem minus agnoscis. Nemo quippe argui nisi ex concessis po-
test, [...] et aliter tecum, aliter nobiscum ad invicem confligendum est. Quid Gregorius aut ceteri doctores nos-
tri, quid etiam ipse Christus vel Moyses astruat, nondum ad te pertinere novimus, ut ex ipsorum dictis ad fi-
dem cogaris.
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138. Coll. 156-158: Si prophetizari magis quam iudaizare in littera nosses et, que de Deo sub specie cor-
porali dicuntur, non corporaliter ad litteram, sed mystice per parabolam [allegoriam B] intelligi scires, non
ita, ut vulgus, que dicuntur, acciperes.
139. Coll. 157-199. Le purgatoire ne semble pas, d’ailleurs, avoir place dans une conception
déjà, elle-même, gradualiste.
140. Coll. 200-206.
141. GANDILLAC, Le ‘Dialogue’, 17: “réponses un peu courtes d’une théodicée à bout de souffle”.
142. Coll. 206.
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143. Coll. 206-222 (Platon, Tim. 28a; Mt. 6.10). GANDILLAC, Le ‘Dialogue’, 15-17.
144. Il se peut qu’Abélard ait été inspiré par la Consolatio de Boèce, qui, après un développe-
ment analogue sur le Summum bonum et la théodicée, se termine également sur une exhortation à la
soumission à la Providence dans la prière (V 6, 45-48). Ceci est d’autant plus remarquable que la
Consolation de Philosophie, elle aussi, a été longtemps considérée comme une œuvre laissée in-
achevée par la mort de son auteur. Cf. le résumé du débat à propos de cette hypothèse par Joachim
GRUBER, Kommentar zu Boethius De consolatione Philosophiae, Berlin-New York 1978, 414-415.
145. Coll. 227: Hec, nisi fallor, in presentiarum satis est me dixisse, ad ostendendum videlicet, qualiter
nomen boni sit intelligendum, quando pro re bona simpliciter sumitur, vel quando etiam rerum eventibus, vel
que a propositionibus dicuntur applicatur. Quod quia ex inquisitione summi boni pendebat, [...] La phrase re-
prend d’ailleurs presque littéralement ce qui a été dit au début de ce dernier paragraphe, Coll. 225:
Hoc autem ad presens ad descriptionem rei bone satis esse arbitror. Abélard multiplie ainsi les indices d’une
fin prochaine.
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men boni. Mais le Chrétien précise: “C’est ce qui est resté en suspens dans
la recherche du souverain bien”. Comme cette inquisitio a été le sujet prin-
cipal de l’œuvre, la phrase précédente pourrait également signifier
qu’après ce dernier point “dépendant” du thème central, du summum bonum,
il ne reste plus rien à résoudre et que le sujet est épuisé. Mais le Chrétien
continue146: “S’il te semble, qu’il reste encore quelque chose à questionner
de ipso, sur ce sujet lui-même, tu peux l’indiquer, sinon ad reliqua festina-
re”. À quoi d’autre le Philosophe peut-il “vite passer”? Soit, dans l’absolu,
à des questions encore ouvertes, susceptibles d’être examinées en-dehors de
ce dialogue, soit à des points envisagés mais pas encore developpés à l’in-
térieur de celui-ci147. Comme tous les aspects essentiels, préalablement an-
noncés, ont été abordés, sinon traités de façon exhaustive, pourquoi envi-
sager une suite et supposer à tout prix que l’œuvre soit inachevée148? Il n’y
a rien d’inhabituel pour un auteur du Moyen Âge à terminer un texte par
“passons à autre chose!”. Une histoire littéraire des fins d’œuvres, qui res-
te à écrire, montrerait que celle des Collationes se rapproche de la tradition
de l’aposiopèse ou praecisio rhétorique, définie comme “fin avant la fin lé-
gitime”149. Elle pourrait indiquer que le texte n’est pas un exposé doctri-
146. Coll. 227: Quod quia ex inquisitione summi boni pendebat, si quid superest, quod de ipso ulterius
queri censeas, licet te subinferre vel ad reliqua festinare.
147. GANDILLAC (204), en traduisant librement par “passer à la suite” et en condensant toute la
phrase, a pris parti pour la deuxième version: “S’il reste quelque chose a examiner concernant notre
recherche du bien suprême, tu le peux indiquer, sinon nous passerons vite à la suite”. Il semble s’ins-
pirer de la traduction de PAYER (169): “If something is left in the investigation concerning the su-
preme good which you think should be questioned further, you are permitted to introduce it or to
hurry on to what remains”. (Même fin de la phrase dans la traduction de MARENBON). La traduc-
tion allemande de KRAUTZ (289) est plus précise sur le début que sur la fin de la phrase: “Weil dies
von der Untersuchung des höchsten Gutes abhing: wenn noch etwas übrig ist, das du über es selbst
darüber hinaus für wert erachtest, daß es untersucht werde, magst du es nach und nach einfügen
oder zu den übrigen Punkten eilen”. La traduction la plus fidèle est celle de TROVÒ (301): “Ques-
to era ciò che era rimasto in sospeso nella ricerca sul summo bene. Se ti sembra che altre questioni
siano rimaste aperte, puoi proporle, oppure passa velocemente ad altro”. Car reliqua a ici le sens très
vague de “tout le reste”, “les autres choses” ou “les et caetera” et festinare semble s’opposer à la ré-
flexion approfondie pratiquée dans le dialogue. Ad reliqua festinare n’est donc pas loin des formules
abruptes de la “Schlusstopik” analysées par Ernst Robert CURTIUS, Europäische Literatur und latei-
nisches Mittelalter, Berne 1948, 95, 99-101, 453, 479-481 (concision fondée sur la crainte de pro-
voquer fastidium; convertor ad alia, cetera pretereo, negotia vocant etc.).
148. MEWS, 107-109. A propos des lacunes doctrinales, on pourrait rappeler le caractère frag-
mentaire de toute l’œuvre théologique d’Abélard; cf. Marcia L. COLISH, Peter Lombard, Leide 1994,
vol. I, 48: “... he left no complete work of systematic theology of his own. He was one of those aca-
demics constitutionally incapable of finishing anything he started”.
149. MOOS, Le silence, supra, 33-36 à propos du début de la sixième lettre d’Héloïse ainsi que
d’autres œuvres médiévales employant ce procédé. Il est particulièrement répandu sous la forme de
l’aposiopèse dite “religieuse”, d’un “silence imposé par le respect ou la peur de ce qu’on n’ose plus
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exprimer”. Quoique j’aie omis de citer les Collationes dans ce contexte, JOLIVET (Abelardo, 79-80) ap-
puie son refus de la thèse de l’œuvre inachevée sur mon article de 1975. Il fait en outre un parallè-
le très convaincant avec le Livre du Gentil et des Trois Sages de Raymond Lulle, qui se termine sans
que l’on apprenne à laquelle des trois religions le Gentil se convertira. Jean de Salisbury utilise ce
procédé à la fin de certains chapitres; il lui permet souvent d’éviter des spéculations théologiques,
cf. MOOS, Geschichte, 496-497.
150. De ordine II 20. 53-54, CC 29: Alypius remercie le maître de son enseignement, quamvis
suspicemur et credamus tibi esse adhuc secretiora, tamen non absque impudentia nos putemus, si amplius quic-
quam flagitandum arbitremur. [....] Hic finis disputationis factus est, [...] cum iam nocturnum lumen fuisset
inlatum. Bernd Reiner VOSS, Der Dialog in der frühchristlichen Literatur, Munich 1970, 197-232.
151. Coll. 3.
152. Voir surtout Coll. 168, supra n. 110; STEIGER, 253, 258-259.
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tuation réelle de la diaspora juive de son temps, avec cette tolérance ex-
ceptionnelle qu’on lui a, à juste titre, si souvent reconnue153.
BIBLIOGRAPHIE
Pierre ABÉLARD
153. Cf. par ex. SCHRECKENBERG, 133-144; EBERHARD, 356-368; GAUSS; LANGMUIR, Faith of
Christians, 86-88, pense que le “rationalisme” d’Abélard l’empêchait d’adopter les arguments irra-
tionnels incitant à la persécution chrétienne des Juifs au Moyen Âge.
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02-collationes d'abelard 9-09-2005 10:29 Pagina 86
I. INTRODUCTION
* Texte inédit. – Dans les années 1970-80, j’ai commencé une recherche sur ce sujet, dont quatre
articles allemands sont issus:«Cornelia und Heloise» (1975), «Lucan und Abaelard»(1976), «Poe-
ta und historicus» (1976) et «Lucans tragedia …»(1979). Un raccourci de «Poeta und historicus»
a été traduit en italien pour Retorica e poetica (Quaderni del circolo filologico linguistico Padovano 10), éd.
D. Goldin - G. Folena, Padova 1979, p. 115-128. La plus importante de ces études est restée in-
édite: un cours français fait pour la 24e session d’été de l’année 1977-78 au Centre d’Études Supé-
rieures de Civilisation Médiévale de Poitiers. La version actuelle qui conserve la structure origina-
le de ce cours constitue une réécriture et parfois même une rétractation en fonction du chemine-
ment de la recherche ultérieure. (Ainsi le 4e chapitre sur Gautier de Châtillon contredit tout ce que
j’ai écrit dans ”Lucans tragedia…“).
1. L’expression est de Burck, p. 31. – Des renvois comme «supra/infra, n. … désigneront, à côté
de la note de bas de page, le passage du texte qui y correspond.
03-lucain 9-09-2005 10:32 Pagina 90
6. Dans les deux éditions de la chronique d’Othon de Freising, et ceci malgré la glose margina-
le exemplum dans le manuscrit de Saint-Emmeram, clm 14505; cf. von Moos, Lucans tragedia, p.
152, n. 73; Krönert, p. 46 et infra, n. 290.
7. Curtius, p. 70, 368. A propos de Lucain et de la pauvreté cf. Waddell. Chez Lucain ce héros
représente en quelque sorte le pendant de Diogène. Par son genre de vie il a osé discréditer un autre
Alexandre.
8. Cf. Hollander-Rossi; Davis, Dante et Prolemy; infra, ch. VI et n. 379, 390.
9. Nisard, vol. II, p. 118; cf. J. Schneider, Désiré Nisards Kritik am dichterischen Manierismus, Frei-
burg i.Br, 1966. Les observations concernant la structure épisodique de la Pharsale et l’influence ca-
pitale de la déclamation sont reprises sans jugement négatif par Schrijvers, p. 17 s.
03-lucain 9-09-2005 10:32 Pagina 92
longue malédiction contre ceux qui arment les pères contre les fils». En ce
qui concerne le portrait de César – héros admiré par Napoléon III – Nisard
résume10: «Tout cela est aussi puéril que dégoûtant». La méthode est
conventionnelle; elle se contente d’une comparaison stylistique entre Vir-
gile et Lucain, oppose la sobriété et la discrétion classique de l’un à l’exu-
bérance et à la démesure de l’autre. C’est avec cette même rigidité d’esprit
que Nisard avait déjà comparé l’indépassable Racine avec le détestable Vic-
tor Hugo, grand admirateur de Lucain11. Les observations de Nisard ne
sont pas toutes fausses, mais elles sont toujours biaisées par des jugements
d’un conservatisme aussi fanatique que primaire. Ses appréciations réac-
tionnaires ont cependant durablement influencé l’enseignement de la lit-
térature française (elles sont bien présentes encore chez Lanson et Brune-
tière) et ont contribué à reléguer Lucain dans l’obscurité. La poésie ro-
mantique, dans l’éducation nationale ultérieure, s’en est mieux remise que
la Pharsale. Cette mise aux oubliettes de Lucain est d’ailleurs un phéno-
mène international12.
Pourquoi ne pas s’arrêter là et se réjouir du grand tournant de 1924,
lorsque Éduard Fraenkel, à la bibliothèque Warburg de Hambourg, publie
sa conférence Lucan als Mittler des antiken Pathos?13 Ce n’était qu’un événe-
ment du monde érudit classiciste, si peu retentissant à l’extérieur que
même les latinistes du Moyen Âge ne le remarquèrent pas, ce que déplore
Curtius en 194814. Il faut donc aujourd’hui encore insister sur ce renver-
sement et sur son influence durable, et ce d’autant plus que cette nouvel-
le orientation de lecture met en lumière les contrastes et problèmes her-
méneutiques de la réception prémoderne. Fraenkel exprime par le titre de
sa conférence sa dette envers Aby Warburg qui, dans sa thèse de 1892, uti-
lise le terme de «Pathosformel» pour désigner certains procédés de l’Anti-
quité repris par les peintres de la Renaissance pour susciter l’émotion par
le mouvement15. La seconde source d’inspiration de Fraenkel est l’histoire
de «la gloire de César» de Friedrich Gundolf, qui met en valeur le style
21. A propos de Fortune qui chez Lucain remplace les dieux et abolit la providence cosmique
cf. Frakes, p. 17 s.; Dick; Friedrich.
22. Aristote, Poet. 13, 1452b-1453a; cf. Ahl, Phars., p. 150 ss.
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23. Fuhrmann, Grausige, p. 51. Sur l’opposition, à mon avis, dénuée de sens entre les lectures
esthétiques et les lectures «idéologiques» que cette interprétation concilie si bien, cf. n. 20, 208,
434.
24. Burck, p. 94; dans le même sens cf. aussi Narducci.
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25. Otloh von St. Emmeram, «Liber visionum», éd. P. G. Schmidt (MGH, Quellen zur Geistesge-
sch. d. MA 13), Weimar 1989, p. 45 s.; Glauche, passim, en part. p. 62 ss.; Bachmann; Curtius, p.
265 s.; Malcovati, Lucano, p. 124. Avant que Gerbert d’Aurillac ne le fasse entrer dans le canon, la
connaissance de Lucain était indirecte, par les manuels scolaires; cf. Gotoff, p. 1 s. – Aimericus, Ars
lectoria (1086), éd. H. F. Reijnders, Vivarium 10.2 (1972), p. 168-170; à propos de la gradation des
lectures pour débutants (auctores octo morales) et pour avancés (auctores authentici, aurei) cf. Bultot, p.
798 ss., 812 ss.
26. von Koppenfels, p. 93.
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27. Slogan mis en vogue dans les années 70 par les romanistes H. R. Jauss et R. Zumthor.
28. D’Angelo, Pharsalia (cf. la bibliogr.). Il y a néanmoins des lacunes, comme l’épopée biblique
de Laurent de Durham Hypognosticon (4684 vers imitant Virgile et Lucain), éd. M. Liguori Misret-
ta, The «Hypognosticon» of Lawrence of Durham, thèse, New York 1941 ou le prosimètre de Guibert
de Nogent, Gesta dei per Francos, PL 156, c. 683 ss., bien que d’autres prosimètres soient analysés;
cf. également infra, ch. III.
29. Ibid., p. 442 s.
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42. H.-I. Marrou, Saint Augustin et la fin de la culture antique, 4e éd., Paris 1958, en part. p. 469
ss.; von Moos, Geschichte, p. 210 ss., 345 ss.
43. Bachmann, p. 85 ss.
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siècle que nous trouvons des réponses à un problème historique plus que
littéraire. Si les témoignages directs nous permettent de connaître le cadre
typique de lecture de Lucain, l’adaptation personnelle nous mènera à
quelques exceptions, qui témoignent d’une rencontre humaine, humanis-
te dans le meilleur sens du mot, entre le poète de la ruine de Rome et cer-
tains médiévaux souffrant des crises et des insécurités de leur temps.
Parmi les témoignages explicites de la valeur littéraire et éducative at-
tribuée à la Pharsale, la source la plus abondante est sans doute ce genre di-
dactique dont nous venons de relever l’esprit souvent un peu étroit et pé-
dant, celui des commentaires. Il ne faut cependant pas oublier que, même
en transmettant de façon automatique des jugements établis depuis l’An-
tiquité tardive, le commentaire pouvait amener de nouveaux lecteurs à la
réflexion, ce qui est surtout vrai des accessus, tradition déjà ancienne d’en-
trée en matière, qui exposent la vie de l’auteur, le contenu et le but de
l’œuvre ainsi que le profit moral que l’on peut en tirer44. À partir du XIe
siècle ces accessus évoluent vers un genre indépendant et sont rassemblés
dans de petits recueils d’introductions à plusieurs auteurs, les accessus ad
auctores. Ils constituent sous cette forme les premières ébauches d’histoire
et de critique littéraire médiévales, même si leur intérêt n’est jamais litté-
raire dans le sens moderne du terme mais pragmatique et éthique. L’étude
des accessus du XIe au XIVe siècle montre une évolution considérable du
genre, ce qui témoigne d’une curiosité de plus en plus vive pour les pro-
blèmes littéraires soulevés par le caractère de l’œuvre. De ces petits traités
introductifs émergent essentiellement deux thèmes qui forment pour ain-
si dire le levain de toute discussion sérieuse sur le sens de la Pharsale, au-
delà de l’utilitarisme encyclopédique, stylistique ou moral. C’est d’abord
un problème de classification: Lucain était-il poète, orateur ou historien?
44. Huygens; Sanford, Manuscripts; Tilliette, Poesia e storia; E. A. Quain, The medieval Ac-
cessus ad Auctores, Traditio 3 (1945), p. 215-264; L. G. Whitebread, Conrad of Hirsau as a Litera-
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03-lucain 9-09-2005 10:32 Pagina 102
47. Cizek, p. 343, 402 ajoute une raison patriotique au choix d’un sujet historique. Lucain veut
rompre avec la tradition homérique de Virgile par un retour aux origines de la poésie romaine, à
l’épopée historique de Naevius et Ennius. Pétrarque prend la Pharsale comme modèle pour des mo-
tifs analogues, cf. Stierle, p. 381 ss., Martellotti, Difesa 272 sur le dialogue d’Ennius et Scipion dans
l’Africa IX 92 ss.
48. Cf. Due, p. 106 ss.; Grimal, p. 53 ss.; Cizek, p. 337 ss. – Ph. VI 48 s., VII 207-214, IX
593-604, 980-987.
49. Marti, Trag., p. 202 s. et WdF, p. 105 ss. sur bella plus quam civilia, comme signe de la vo-
lonté de surpasser le récit d’une guerre civile ordinaire dans le sens d’une «fiction bound on reality».
50. Cf. en part. Fischli, Leidig, Malcovati, Paoletti, Papjevski, Borinski, p. 131 ss. et Juge-
ments, infra, n. 93, 160.
51. Je passe sur la critique de l’ordo naturalis parce que, malgré l’exception de Boccace (infra, n.
135-136, 157), le Moyen Âge semble avoir considéré le récit ab ovo, l’ordre chronologique des évé-
nements, comme une option poétique légitime. Francesco Bruni, plus grand connaisseur de Bocca-
ce que de la vaste recherche allemande sur le sujet, prétend le contraire; mais les exemples d’exer-
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cices scolaires de la commutatio entre les deux ordines qu’il cite (p. 804 ss.), prouvent justement leur
l’interchangeabilité. La différence ne concerne que le choix poétique (!) entre le carmen fabulosum er
le carmen historicum. On transforme la manière de Virgile en manière de Darès/Lucain ou l’inverse.
S’il y a critique de la disposition au Moyen Âge, elle ne concerne pas l’ordo naturalis/artificialis, mais
(quoique rarement) le principium naturalis/artificialis: Lucain aurait, dans son exorde Ph. I 1-66, in-
terverti l’ordre naturel propositio, invocatio, narratio par propositio, narratio, invocatio; cf. Quadlbauer,
Lukan; Cizek, Imitatio, p. 167-177; von Moos, Poeta, p. 94 s.
52. Poet. 9, 1451b; cf. Fuhrmann, p. 24; Sanford, Crit., p. 247.
53. Schrijvers, p. 18.
54. Nisard, vol. II, p. 173.
55. Les premières critiques sont plutôt ludiques. Dans le Satyricon Eumolpe déclame des vers de
son cru sur la guerre civile (118), sans que l’on sache si Pétrone se moque de lui ou de Lucain; cf.
Paoletti, p. 145; Due, p. 76. L’existence d’une querelle est attestée par Martiale (Apophoreta, 194,
Lucanus): sunt quidam qui me dicunt non esse poetam / sed qui me vendit bybliopola putat.
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56. Servius, Aen. I 382. Servius répète une opinion courante dont le succès était assuré par la
place importante de Lucain dans les écoles de rhétorique. Dès le début il s’agit moins d’une critique
que d’une distinction des genres; cf. Marti, Crit., p. 240 ss.; Bonner, Lucan.
57. Etym. VIII 7, 10. Repris dans les Comm. Bern.
58. Div. Inst. I 11, 25; le contexte I 11, 19-24: non ergo res ipsas gestas finxerunt poetae, quod si fa-
cerent, essent vanissimi, sed rebus gestis addiderunt quendam colorem. Non enim obtrectantes illa dicebant, sed
ornare cupientes. Hinc homines decipiuntur … Nesciunt enim quid sit poeticae licentiae modus, quousque pro-
gredi fingendo liceat, cum officium poetae in eo sit, ut ea quae vere gesta sunt (etc.) A propos de Lactance
chez les pré-humanistes du XIVe siècle cf. infra, n. 152.
59. Marti, Crit, p. 236 s., 246 s. à propos de la reprise des jugements de Servius et Isidore par
des auteurs qui considèrent Lucain comme «poète».
60. Libellus scolasticus v. 102 (MGH Poet V, p. 20); Vossen, p. 39, 50, 91. Le contexte (v. 100
ss.) est une liste de différents poètes avec leurs attributs typiques: Sursulus ingenua cantavit prelia voce,
/ Africa presentat secum comedia Davum; / Lucanum veteres non asseruere poetae («ne le reconnurent pas
comme le leur»).
61. Alexandre Neckam recommande Lucain, «fils de Cordoue», autant comme historien que
comme poète. Il le cite avec les deux autres grand poètes épiques. De naturis rerum, cap. 89, ed. T.
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Wright, 1863, repr. 1967, p. 337: A Thebaide jocunde transeat ad divinam Eneida, nec negligat vatem
quem Corduba genuit qui non solum civilia bella describit sed et intestina (référence à l’épitaphe de Lucain:
vates quem Corduba genuit).
62. Hraban Maure, bien qu’il connaisse et cite le lieu commun isidorien sur Lucain (De univer-
so, XV 2 (PL 111, 419C-D), fait une diatribe en vers contre les menteurs que sont Virgile, Ovide,
Horace, Homère et Lucain – protulerant pomposis falsa camenis –, auxquels il oppose la nouvelle poé-
sie chrétienne. Cf. également Bérenger de Tours (MGH Briefe der deutschen Kaiserzeit V, 1950, p.
170. 25) à propos de la réserve dans la citation du «poète»: Meminerit illud, licet poeticum, non tamen
irritum: «facinus quos inquinat aequat» (Ph. V 290).
63. Cf. Rutz 9, p. 294. Le succès de Lucain au Moyen Âge est en grande partie assuré par ce
merveilleux. Crosland, p. 47 s. parle d’un remplacement du «divine marvellous» par le «scientific
marvellous». S. Broccia, L’apparato magico del VI° libro della Farsalia, Annali Fac. Lettere di Ca-
gliari 16 (1948), p. 204-235. Pour le Moyen Âge qui confondait l’appareil divin avec le mer-
veilleux, la Pharsale devint même une source de mythologie; cf. Sanford, Quot. A propos des My-
thographi Vaticani et J. B. Allen, The Sources of Holkot’s Mythographic Learning, dans Arts libéraux,
p. 723; Lewis, p. 39 sur la construction d’une déesse Demogorgona grâce à un malentendu de Ph. VI
744; Paratore, p. 187 ss. sur Antée chez Dante.
64. Guibert de Tournai, Vita Eleutherii I 3 (AASS Febr. III, p. 200); de même Guillaume de Tyre,
Hist rer. Transmar. XII 1 (PL 201, 574D): veterum historiae et belli civilis egregius prosecutor.
65. Schrijvers, p. 19 note que Lucain lui-même met son érudition livresque au service d’un poè-
me à dimension cosmique («Weltgedicht»). Sur cet aspect de la réception cf. Almazan, p. 25 ss.;
Lacroix, p. 17; Sanford, Crit., p. 236 s., 326 s.; Leeker, en part. p. 54 (comme source la Pharsale a
largement supplanté le Bellum Civile de César); T. Haye, Das lateinische Lehrgedicht im Mittelalter,
Leiden 1997, en part. 276 ss. Les premiers témoins de l’utilisation de la Pharsale comme source:
Jordanes, Getica V 43 (MGAA V, p. 65) et Fréchulf de Lisieux, Chronicon I 2,16 (PL 106, 936 B)
soulignent déjà la fiabilité du poète: Lucano plus historico quam poeta testant. Dans son autobiographie,
Guibert de Nogent cite Lucain Ph. I 70 s. (éd. E.R. Labande, 1981, p. 50) par cette périphrase: jux-
ta illud poetae veridici dictum.
66. Thierry de Fleury, Historia illationis S. Benedicti (Mabillon AASS OSB IV 2, p. 363).
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qui n’insiste sur cette notion pour louer la valeur exceptionnelle de Lucain
comme «historien parmi les poètes». Dans son cas, «poète» désigne le gen-
re et «historien» l’espèce67.
La «vérité» de Lucain est-elle seulement historiographique ou est-elle
aussi poétique? La réponse du Moyen Âge est, en gros, celle qui accom-
pagne déjà la fameuse citation d’Isidore. Le devoir du poète est de trans-
former la réalité in alias species, par les moyens esthétiques de figures am-
bivalentes et d’ambages qui l’embellissent: obliquis figurationibus et cum de-
core aliquo. Illustrant cette définition par son contraire, Isidore ajoute que
c’est pour cette raison que Lucain n’est pas considéré comme poète: Unde
in numero poetarum non ponitur, quia videtur historias composuisse non poema.
Cela ne l’empêche d’ailleurs pas, dans ses œuvres, de citer Lucain comme
poète. Mais là où Servius émet un jugement personnel, non meruit, Isidore
emploie ponitur «on le place, (habituellement) il est rangé …». Son cha-
pitre De poetis montre bien qu’il attache plus d’importance à la fonction
morale et religieuse qu’aux procédés littéraires de la poésie. Dans la phra-
se qui précède immédiatement notre citation, il définit ainsi la catégorie
des «poètes théologiens»68: «Quelques poètes sont appelés théologiens
parce qu’ils ont fait des poésies sur les dieux». Dans un autre passage, il
explique que toute poésie est d’origine théologique. Moïse et David ont
chanté le vrai Dieu, mais les poètes païens se sont éloignés de leur tâche
initiale en inventant les fables de la mythologie polythéiste. Ils ont trahi
le devoir fondamental du poète. Au lieu d’attirer les hommes vers la véri-
té au moyen de «quelques petites fictions», ils ont dissimulé la vérité sous
des fictions intégrales, sous des mythes69.
67. Depuis Orose (Hist. Eccl. VI 1, 28 s.: optimus poeta) ce sont souvent les historiographes qui le
considèrent comme poeta et les grammairiens comme historicus. C’est le poète, non l’historien qui
est exalté par Conrad d’Hirsau, qui en contrepartie loue Virgile comme le plus grand maître du
mensonge; éd. Huygens p. 110.1200 et p. 122.1561: De hac igitur historia materiam et intentionem
Virgilius accepit quo nullus in metro vel latinitate auctor maior inventus est, nullus, ubi veritate cedere coac-
tus est, officialius et curialius mentitus est.
68. Isidore, Et. VIII 7.9 s.: Quidam autem poetae theologici dicti sunt, quoniam de diis carmina facie-
bant. Officium autem poetae in eo est ut ea que vere gesta sunt, in alias species obliquis figurationibus cum de-
core aliquo conversa transducant. Unde et Lucanus ideo in numero poetarum non ponitur, quia videtur histo-
rias composuisse non poema. Cf. Curtius, p. 449 s.; Martellotti, Difesa, p. 268 s.; Fontaine, p. 166, 749;
Herrera-Llorente, p. 45 s.
69. Et. I 39, 10, 17 (hymnus); VIII 7, 10; I 44, 5; VII 11, 29; une version plus ample chez Hra-
ban Maure, De universo XV 2 (PL 111, 419A-B); cf. infra, n. 125-129, 134-138; Borst, p. 33 s.;
Fontaine, p. 169 ss.
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70. Et. I 40.6: quod totum utique ad mores fingitur ut ad rem, quae intenditur, ficta quidem narratio-
ne, sed veraci significatione veniatur.
71. Et. VIII 7; I 39 s; II 21, 1 (de figuris). Cf. Borst, p. 33 ss.; Knapp, p. 9-64; les accessus sco-
lastiques du Moyen Âge en feront un schéma très simple concernant la causa materialis, comme on
le trouve encore par ex. chez l’ami de Petrarque, Pietro da Parma, dans son Praeambulum ad Luca-
num, éd. Monti, p. 259: materiarum alia vera, alia falsa, alia non vera neque verisimilis (la fable éso-
pique), alia non vera sed verisimilis (les comédies de Térence et Plaute), verarum alia moralis (Horace
et les poètes satiriques), alia hystorialis (Lucain).
72. Borst, p. 34, Fontaine, p. 170 ss. – Et. I 40.1 et 6; I 41, 42.1. – Dans l’ensemble des cha-
pitres I 39-44 la dernière phrase (I 44. 5) place l’histoire en tête de la hiérarchie: historiae sunt res ve-
rae quae factae sunt; argumenta sunt quae etsi acta non sunt, fieri tamen possunt; fabulae vero sunt quae nec
factae sunt nec fieri possunt quia contra naturam sunt. Fontaine (p. 191 s., cf. également Ehlers) met l’ac-
cent sur une conception spécifiquement chrétienne qui aurait déterminé cette valorisation de l’his-
toire: «La définition se charge pour lui de toute la gravité de l’Histoire Sainte. Sa conception du tra-
vail de l’historien s’inspire ainsi du témoignage des Évangélistes».
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73. Ce formalisme est d’ailleurs plus répandu à partir du XVIe siècle chez les poétologues qui
s’opposent à l’exclusion par Aristote de la forme métrique comme critère définissant le poétique.
Cf. Fuhrmann, p. 5 (Aristote): Papajewski, p. 486 (Scaliger), p. 488 s., (Vossius); Fischli, p. 50 et
infra, n. 160.
74. Supra, n. 25.
75. Gunther, grand admirateur du style sentencieux de Lucain, défend son choix du vers et son
refus de la prose par un argument ascétique. Les historiens, dit-il dans son Ligurinus I v. 120 ss. (PL
212, 335 s.), ont un fâcheux penchant à la prolixité et, pour embellir leurs récits, ils insèrent par-
tout des digressions superflues; lui par contre préfère les vers parce qu’ils le contraignent au strict
nécessaire qui est peut-être moins beau, mais n’ajoute rien de décoratif à la vérité: At nos, si quid erit
pulchrum minus, eximiumque / … / … veri. De même Godefroi de Viterbe dans sa lettre préface à l’em-
pereur Henri VI (1184) justifie la forme métrique du Panthéon (MGH SS 22, p. 132, version B) en
vantant une brièveté qui rend la lecture plus aisée. Cf. Klopsch, p. 21 à propos des vers garants
d’une vérité simple et humble. Cet argument est typique du XIIe siècle. A la fin du Moyen Âge,
par contre, la forme métrique passe pour un signe d’artifice et de mensonge et les sujets antérieu-
rement mis en vers sont traités en prose.
76. «Que maintenant l’antique fable exalte les murs d’Ilion et en fasse honneur aux dieux … de
tels travaux ont été faits en pure perte …».
77. Historia Daretes Frigii, ed. J. Stohlmann, Prol. v. 12, p. 267, commenté p. 140 ss.; cf. Bru-
ni, p. 768-773; Klopsch, p. 21 s. sur d’autres parallèles. Dans la même verve, Joseph d’Exeter, dans
son poème épique sur la chute de Troie, exalte la poésie vraie du vates Darès le Phrygien, dont la
prose est pourtant bien plate; Frigii Daretis Yliados, I 24 ss., éd. L. Gompf, Josephus Iscanus, Werke
und Briefe, Leiden-Köln 1970 (Mittellat. Studien und Texte IV), p. 78; L’Iliade. Epopée du XIIe siècle,
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ed./trad. F. Mora, introd. J.-Y. Tilliette, Turnhout 2003, p. 50: Meoniumve senem mirer Latiumne Ma-
ronem / An vatem Frigium, Martem cui certior index / Explicuit presens oculus, quem fabula nescit? … Mens
conscia veri / Proscripsit longe ludentem ficta poetam. Cf. Tilliette, Poesia e storia, p. 155 ss.; sur l’oppo-
sition vates/poeta cf. n. 83.
78. Curtius, p. 171 ss.; Cizek, p. 28 ss.
79. Guntheri Alemanni … De expugnatione urbis Constantinopolitae … XIX m 1, éd. P. E. D. de
Riant, Exuviae sacrae Constantinopolitanae I, Genève-Paris 1876, p. 107 s.: Desinat incautos vexare poe-
ticus error! / Desinat, et veterum cessent mendacia vatum! / Nec Maro Romanos nec Grecos fallit Homerus, /
Doctus uterque satis miscere poetica veris / nos simplex verum canimus … Si non tam lepide, certe veracius illis
/ scribimus … / Desinat ergo vetus Trojani fabula belli, / et nova narrentur preclare gesta triumphi …; cf.
Pabst, p. 910-919, sur l’alternance régulière de récits en prose narrative et de méditations en vers
sur la théologie de l’Histoire. Les Gesta Dei per Francos de Guibert de Nogent inversent cette alter-
nance (infra, n. 94-96).
80. Sayers, p. 655 ss.; Jacobsen, p. 164 ss.; Gompf, p. 53 ss.
81. Arnoul à Ph. I 1, p. 7: Canimus dicit, quia poete non ore proprio tantum loquuntur, sed de spiritus
revelacione, et bene dicuntur poete canere, quia metrice scribunt et continentiam et concordiam morum persuade-
re intendunt. De même dans le commentaire chez Weber, p. 5 et Anselme à Ph. I 1: Poete non dicun-
tur loqui suo spiritu sed divino. Plus tard Benvenuto da Imola 19, p. 203, refuse cet argument: Hic erit
dubium quia dicit «canimus», pluraliter dicit quia poete non loquuntur solum ore proprio sed divino. Sed ni-
chil ad propositum: quia si est verum quod dixerit «canimus», per istud Virgilius dixisset «arma canimus»,
quia Virgilius magis divinus fuit. Respondetur quod fecit pro libito quia homines scribunt aliquando in plu-
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rali, aliquando in singulari … On attribue souvent au Moyen Âge une conception technique de la
poésie opposée à la théorie préhumaniste de l’ingenium inspiré; paradoxalement, du XIIe au XIVe
siècle, à l’intérieur de la tradition des accessus, nous constastons l’inverse. Cf. Marti, Crit., p. 249 s.;
Tilliette, Poesia e storia, p. 157 s.
82. Elle est souvent justifiée par l’épitaphe vates quem Corduba genuit ou bien par l’autodésigna-
tion dans Ph. I 63-65, cf. infra, n. 148.
83. Isidore, Et. VIII 7,3, repris chez Conrad d’Hirsau, p. 75.140 et Hraban Maure, De universo
II 2 (PL 111, 419 A-B). – Des allusions aux dons «prophétiques» et à sa perspicacité de prévoir le
cours de l’histoire chez Jean de Salisbury, Pol. II 2, Webb I, p. 70: Sed et aves et pisces futurorum cer-
tissima produnt signa, quae Virgilius et Lucanus divino comprehendunt ingenio. Curtius, Musen, p. 172 à
propos des Versus Eporedienses I v. 285 ss.: Sum sum sum vates, Musarum servo penates, / Subpeditante Clio
queque futura scio. Chez Alain, Anticlaudianus, v. 268 s. (p. 131) propheta remplace vates pour expri-
mer la surenchère chrétienne: Maiorem nunc tendo liram totumque poetam / Deponens, usurpo michi nova
verba prophete. Joseph d’Exeter, dans les vers cités plus haut (I 24 ss.), oppose les «poètes trompeurs»
Homère et Virgile à Darès qualifié de vates Frigius. La traductrice F. Mora note (p. 50): «Il est pi-
quant de le voir qualifié de vates (poète inspiré), quand peu d’écrivains latins ont fait le choix d’un
style aussi pédestre et d’une narration aussi terre-à-terre». Voir n. 76-77.
84. Et. VIII 7, 3. Par ex. Ligurinus I v. 34 ss. (PL 212, 333): Certa quidem vatis dementia, carmen
agreste / De tanto cecinisse viro; sed parce furori; / princeps magne pio; nec te praesumptio nostra / Exagitet; so-
lis licet insanire poetis. Ce dernier aspect de la folie poétique est appliqué à Lucain chez Ekkehard de
St-Gall., Cm. pro pace (MGH Poet. V, p. 48 s.), v. 17 s.: Ponat et insanus Pharsalica signa Lucanus; ceci
est glosé: solent dici poete.
85. Infra, n. 143 ss.
86. Quintilien, Inst. Or. X 1, 90. On s’est demandé s’il s’agissait plutôt d’un éloge; mais le clas-
sicisme et l’admiration de Quintilien pour la poésie virgilienne et sa critique du style sentencieux
de Sénèque rendent cette hypothèse peu probable. Pourquoi aurait-il pris ce ton de confidence sub-
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Le Moyen Âge qui lit peu, et tardivement, l’Institution oratoire87, n’avait pas
besoin de cette autorité pour approuver le poeta grandiloquus, qui vit ainsi
se retourner en sa faveur la critique de Servius. Il ne s’agit pas d’une op-
position entre prose et vers, mais de l’unité d’un récit historique raconté
sur le «cothurne qui grandit l’homme» et sous «le masque qui grossit la
voix», pour reprendre l’expression que Victor Hugo applique à Shakespea-
re88. Arnaud de Lübeck (XIIIe siècle) évoque dans sa Chronique Slave le sou-
venir du Rubicon: N’est-ce pas extraordinaire, se dit-il, qu’un ruisselet
aussi insignifiant ait une gloire si universelle, pour la seule raison qu’il
semble avoir empêché, le temps d’une hésitation, la marche de César vers
Rome? Cela ne peut être, ajoute-t-il, que le mérite de Lucain89. «Quand,
d’un œil stupéfait, nous avons vu ce mince filet d’eau nous avons dû ad-
mirer la puissance de ce poète extrêmement éloquent, capable d’enfler par
de si grandes paroles un objet aussi négligeable».
Alors que l’antiquité reprochait à Lucain son réalisme prosaïque, le
Moyen Âge – cette anecdote le montre de façon exemplaire – apprécie,
même si c’est avec une certaine ironie, son talent à transformer le réel. Les
moyens permettant ce dépassement de la réalité ne peuvent être que rhé-
toriques, mais ils sont qualifiés de «poétiques». Ils constituent ce qu’Ar-
naud nomme l’art du poeta disertissimus, qui consiste à donner du relief à de
petites choses, aux dépens même de l’objectivité. Or, cet art est celui de
jective – «pour dire mon opinion» – s’il avait vraiment voulu louer les qualités rhétoriques du poè-
te. C’est plutôt une critique discrète d’un poète un peu trop maniéré. Pour d’autres interprétations
cf. mon Poeta, p. 100 s. Ce n’est certes pas comme poeta historicus que Lucain est critiqué ici, mais
uniquement d’un point de vue stylistique, car Quintilien souligne au contraire le lien entre l’his-
torien et le poète (Inst. Or. X.1.31): Est enim proxima (historia) poetis et quodam modo carmen solutum est
et scribitur ad narrandum, non ad probandum. C’est seulement à la fin de l’Antiquité que l’orateur est
quelque fois placé au-dessus du poète, comme le montre le débat chez Macrobe, Sat. V 1 ss.:Virgi-
lius non minus oratorem quam poetam habendum. Homère lui-même passe alors pour le premier grand
orateur; cf. Cizek, Imitatio, p. 120 s.
87. Au XIIe siècle, Jean de Salisbury est un des rares connaisseurs de ce passage, qu’il interprè-
te comme un éloge de Lucain (infra, n. 130-131); Benvenuto da Imola le cite dans son commen-
taire à Dante en lui attribuant un sens plus ambivalent (éd. J. Ph. Lacaita, Florence 1887) I, p. 152:
Lucanus … fuit magis excellens historicus et orator quam poeta; ibid., IV, p. 309: Sed certe quanto Petrar-
cha fuit maior orator Dante, tanto Dantes fuit maior poeta ipso Petrarcha; cf. Rossi, p. 180 s.
88. Hugo, William Shakespeare (1864), Œuvres complétes, éd. Ollendorff s.d. t. IV 1, p. 41.
89. Arnoldus, Chronica Slavorum, MG SS XXI, p. 193 dans la lettre de Conrad de Querfurt à
Herbord d’Hildesheim, glosant Ph. I 213-214: Cuius parvitatem stupido intuentes obtuitu, disertissimi
illius poete Lucani ammirati sumus facundiam, qui de re tam humili tam grandiloquo intumuit eloquio. L’his-
torien exagère ce don de l’auxesis, puisque Lucain lui-même accentue le contraste de la petitesse du
fleuve et de la grandeur de la catastrophe symbolisée par la prosopopée de Roma; Ph. I 183-186: iam
gelidas Caesar cursu superaverat Alpes / … ut ventum est parvi Rubiconis ad undas, / ingens visa duci pa-
triae trepidantis imago.
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tout écrivain, du poète autant que de l’historien, car, au Moyen Âge, ainsi
que le montre Ernst Robert Curtius, la rhétorique et la poétique ne font
qu’un. Elles ont comme but commun l’amplificatio ou l’auxesis, qui signi-
fie moins la faconde et la prolixité que l’intensification de l’énoncé. Vu
sous cet angle, l’historien respectueux des lois de la rhétorique peut en ti-
rer la «licence poétique» de l’exagération90. On peut s’étonner que le
Moyen Âge n’ait pas craint les dangers de la virtuosité rhétorique, l’inadé-
quation des mots et des choses, qui sont à l’origine du discrédit moderne
d’une rhétorique considérée comme «creuse». Peut-être, depuis Augustin,
le postulat d’une langue entièrement au service des valeurs et exigences
chrétiennes, l’idéal d’une eloquentia pedisequa91, «servante» de la vérité, était-
il devenu tellement naturel qu’on le croyait réalisé même par l’auxesis la
plus extravagante.
Nous trouvons un peu partout la même apologie d’une rhétorique poé-
tique: Guillaume le Breton, auteur d’un poème épique à la gloire de Phi-
lippe Auguste, Philippis, invoque les esprits de Lucain, Virgile et Stace,
afin que ces maîtres de l’éloquence poétique «l’envahissent», lui inspirent
un style semblable au leur et digne de la noblesse de l’argument92: O nunc
Lucani ruat in me sive Maronis / Spiritus aut saltem Thebani vatis ymago. Gui-
bert de Nogent retravaille l’histoire de la première croisade parce que son
style «rampe par terre» et tente de l’embellir par des vers solennels en in-
sistant sur la sainteté d’une guerre sans commune mesure avec les «guerres
sans triomphes» (Ph. I 8-10) chantées par Lucain93. Néanmoins dans la
composition prosimétrique (gemina forma), il «tempère» cet élan poétique
par la simplicité de la prose, car les mystères de la foi interdisent «le ba-
vardage poétique» alors que les hauts faits guerriers, au contraire, deman-
dent à être décorés par «l’élégance des paroles»94. Guibert estime que cet
90. Cf. Paul Kirn, Das Bild des Menschen in der Geschichtsschreibung von Polybios bis Ranke, Göt-
tingen 1955, p. 14-39: Geschichtsschreibung und Rhetorik.
91. Cf. M. Verheijen, Eloquentia pedisequa, Nijmegen 1949.
92. Philippis, lb. IX v 731 ss., MG SS 26, p. 354. Quand, plus loin, Guillaume avertit le lecteur que
cette invocation de l’esprit d’autres poètes ne signifie pas une apologie de la métempsychose (décrite se-
lon Ovide, Metam. XV 160-162 à l’exemple d’Euphorbe et de Pythagore), mais seulement l’intention
d’imiter ces modèles, il semble vouloir afficher son savoir sur la croyance pythagoréenne. Cf. infra, n.
165). D’Angelo, Pharsalia, p. 417 s., 440, montre que cette invocation de Lucain est apparemment to-
pique, puisque dans la pratique littéraire de Guillaume les réminiscences de la Pharsale sont totalement
absentes (voir par contre infra, n. 205 ss. concernant son imitation de Gautier de Châtillon).
93. Gesta Dei per Francos, PL 156, 685 B-C avec la citation de Ph. I 8-10: bella … nullos habitu-
ra triumphos. Ibid., 680B: … humi serpens eloquium praecedentis historiae.
94. Ibid., 680B, 681C: decet enim licetque prorsus operosa historiam verborum elegantia coornari; sacri
autem eloquii mysteria non garrulitate poetica, sed ecclesiastica simplicitate tractari … Pro statu plane casuum
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sermo cooptari debet orantium, ut verborum acrimonia bellica facta ferantur: quae ad divina pertinent, gradu
temperatiore ducuntur. Quae gemina … forma in huius stadio operis excurrisse debueram …; Pabst, 848-653
critique à juste titre l’analyse de L. Boehm, Studien zur Geschichtsschreibung des ersten Kreuzzugs: Gui-
bert von Nogent, München 1954, qui s’étonne de cette dévaluation de la forme poétique. Mais il me
semble que Pabst lui-même ne comprenne pas l’alternance de vers et de prose selon qu’il s’agit
d’une narration ou d’une réflexion théologique. Voir aussi supra, n. 79 à propos du prosimètre de
Gunther de Pairis.
95. Cf. également son autobiographie, Monodiae, éd. E.-R. Labande, Paris 1981, p. 134 s. à pro-
pos de sa poésie de jeunesse.
96. Chronica (RIS VIII, I), p. 5: Scribo quoque prosayce, hac de causa, quia scio que dixero, posse dici a
me per prosam plenius quam per versus, et cum sit his temporibus dictamen prosaicum intelligibilius quam me-
tricum apud omnes. Sed utinam viveret Virgilius vel Lucanus; quoniam imposito michi digne silencio, copiosam
haberent materiam, qua suum possent altum ingenium exercere.
97. C’est ce que prétend Lacroix, p. 148. Sur les fines nuances à observer dans de tels topoi d’hu-
milité, qui peuvent impliquer la profession d’un idéal littéraire, la condescendance à l’égard du pu-
blic et l’excuse de l’auteur pour son incompétence, cf. les éclairantes remarques méthodologiques
de M. Banniard, «Viva voce» … (Coll. des Etudes Augustiniennes, sér. Moyen Âge et Temps mo-
dernes 25), Paris 1992, p. 50-52.
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qu’il serait plus souhaitable qu’ils consacrent leur art à un sujet que lui-
même, faute de mieux, doit traiter maintenant en prose.
Cette confusion entre poésie et éloquence est caractéristique, au Moyen
Âge, de toute une catégorie d’historiens qui renoncent délibérément à la
norme traditionnelle du genre: à la simplicité et brièveté du récit en pro-
se. Ils s’appuient sur les exigences de la rhétorique démonstrative, qu’ils
croient parfaitement incarnées chez Lucain. Ce n’est pas par hasard que
grandiloquus, disertissimus, eloquens et digrediens sont les qualificatifs médié-
vaux les plus répandus du poète et que la plupart des remarques concer-
nant son style dans les commentaires et les traités de l’art poétique se rap-
portent précisément aux techniques de l’amplificatio et de la digressio98. Lu-
cain est considéré comme le modèle même de l’outrance oratoire, non seu-
lement à cause de ses qualités stylistiques, mais à cause d’un vers célèbre
de la Pharsale (VII, 67), dédié à Cicéron, Romani maximus auctor eloquii, que
le Moyen Âge, qui n’en perçoit pas l’ironie, interprète comme un éloge de
la rhétorique: addidit invalide robur facundia causae («son éloquence donna
de la force à une faible cause»). Cette pointe, prise à la lettre, contient la
quintessence d’une esthétique médiévale visant l’effet et l’efficacité. Le vers
de Lucain sur Cicéron est même cité par Robert de Basevorn dans sa For-
ma praedicandi pour défendre la parure rhétorique des sermons: la faconde
(oratio) peut compenser le manque de raison (ratio)99. La question de la
classification de Lucain – poète ou historien? – est noyée dans la fosse com-
mune de la rhétorique.
98. Grandiloquus est l’épithète la plus répandue dans les accessus ad Lucanum. Cf. par ex. Conrad
d’Hirsau, p. 110.1203; Hugue de Trimberg, Registrum multorum auctorum (éd. K. Langosch, 1942),
v. 142 ss.; adaugens: Jean de Garlande, De triumphis ecclesiae (cf. Viscardi, p. 298); au pathos et au
style sententieux se rapportent ardens: Quintilien X 1.90 et Jérôme, In Esaiam XV 66.3 ainsi que
lucens, lucidus: Évrard l’Allemand, éd. Faral, p. 359, v. 635 ss.: LUCANUS clarae civilia bella lucernae /
imponit, metro lucidiore canit / lucet Alexander Lucani luce: meretur / Laudes descriptus hystorialis honor (ce
qui se rapporte à l’Alexandréide de Gautier de Châtillon; cf. infra, ch. IV, p. 139). Sur cette éty-
mologie onomastique répandue cf. Sanford, Manuscripts, p. 286 s. et infra, n. 145; digrediens (par
ex. Evrard, ibid., p. 348, v. 325) se trouve dans des jugements positifs et critiques, cf. Marti, Crit.
253 et Trag., p. 186 ss.; Sanford, Manuscripts, p. 291 s. et infra, n. 118 ss. – L’enseignement par la
récitation a contribué à la gloire du poeta grandiloquus, ce qu’atteste la notation neumatique répan-
due des manuscrits de Lucain dans les passages particulièrement pathétiques; cf. Ziolkowski, en
part. p. 98 s.
99. Ed. par Th.-M. Charland dans son Artes praedicandi, Contribution à l’histoire de la rhétorique au
Moyen Âge, Paris 1936, p. 248: Omnino ideo mihi reprehensibile videtur quod quidam dicunt quod praedi-
catio non debet splendere falsis verborum purpuramentis colorum, cum in pluribus sermonibus Bernardi et fere
semper totum sit coloratum … Qui igitur sapientia fecundi esse non possunt, nitantur esse facundi. «Et ferat
invalide robur facundia causae,» sicut poeta ait, «ut in quo parum potuit ratio, plurimum posse videatur ora-
tio», ut dicit Giraldus Cambrensis (De mirabilibus Hiberniae, Prol., Opera vol. V, p. 6).
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100. Anselme, Accessus (Marti, Crit., p. 247): Notandum etiam quod iste non dicitur proprie poeta,
cum poesis dicatur fictio … Arnoul, ed. Marti, p. 4.4 ss.: Sicut Iuvenalis, purus est satiricus, Terencius pu-
rus comedus, Horacius in odis purus liricus, non est iste poeta, sed poeta et historiographus. Nam historiam
suam prosequitur et nichil fingit, unde poeta non simpliciter dicitur, sed poeta et historiographus. Nam si ali-
quid fictitii inducit, non ex sua parte, sed ex aliorum hoc inducit, apponit enim vel ut perhibent, vel ut dicunt,
vel ut memorant.
101. Ernout-Meillet, p. 361 s.
102. Cf. von Moos, Aestethics.
103. Cf. n. 100.
104. Commentaire inédit du XIIIe siècle à Ph. VIII 197, cité chez Marti, Crit., p. 249: per poe-
ticam phantasiam dat sensum inanimatae rei.
105. Marti, Crit., p. 251 s.
106. Anselme de Laon, qui par ailleurs définit la fiction poétique par des metaphores topony-
miques, insiste également sur la notion du vraisemblable: Omnis scriptor verisimiliter debet scribere (I
213); omnis qui narrat verisimiliter debet narrare (IV 810). Arnoul commente Ph. I 67: Causas assignat
ut quasi verisimilius videatur quicquid de bello sequitur.
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107. Servius, Aen., Prol.: Quod constat ex divinis humanisque personis continens vera cum fictis. Idem,
Aen. III 46: vituperabile enim est poetam aliquid fingere, quod penitus a veritate discedat.
108. Diff. I 2, 21.
109. Huygens, p. 75. 138 ss. selon Isidore, Et. VIII 8, 3 et X 104.
110. Isidore, Et. I 44.5, cité plus haut n. 72; cf. von Moos, Geschichte, p. 60, 406 s., 410 ss.; K.
Barwick, Die Gliederung der Narratio in der rhetorischen Theorie und ihre Bedeutung für die Ges-
chichte des antiken Romans, Hermes 63 (1928), p. 261-286; Fontaine, Isidore … I, p. 174 s.; Laus-
berg, p. 220 s. §§ 411, 414, 416; Knapp, Similitudo …, p. 78 ss.; idem, Historische Wahrheit, p.
607 ss.; Cicéron, Inv. I 19.27: Narratio est rerum gestarum aut ut gestarum expositio […] Fabula est in
qua nec verae nec verisimiles res continentur, […] Historia est gesta res, ab aetatis nostrae memoria remota […]
Argumentum est ficta res, quae tamen fieri potuit. Quintilien (Inst. II 4, 2) tire de cette théorie un clas-
sement des genres littéraires: fabula = tragédie et épopée, argumentum = comédie, historia = histo-
riographie. Ceci a augmenté les difficultés à classer Lucain, qui dans la division des genres est his-
toricus, tandis que selon les degrés du réalisme il passe pour un poète de l’argumentum; cette sorte de
«facticité virtuelle» s’applique traditionellement aux personnifications, prosopopées, discours fic-
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tifs mais conformes à la situation réelle. La Pharsale en abonde. Concernant l’arrière-plan de la mi-
mésis aristotélicienne dans cette «licence poétique» particulière aux historiens cf. Strasburger, p. 80
ss.; cf. également n. 122 ss. sur fabulosa narratio chez Macrobe.
111. Huygens, p. 44.134 s.
112. Quadlbauer, p. 28. Apropos de satyricus cf. n. 172 et ch. VI.
113. Je n’irai pourtant pas jusqu’à expliquer ces contradictions maladroites, comme Jeauneau
(Lectio, p. 139) le fait à juste titre en commentant l’Integumentum de Orpheo de Guillaume de Conches:
si aliquis legens Fulgentium aliter hanc fabulam exponi videat, idcirco hanc nostram non vituperet, quia de
eadem re secundum diversam considerationem diverse inveniuntur expositiones. Sed non est curandum de diver-
sitate expositionum, immo gaudendum, sed de contrarietate si in expositione esset. «Un moderne penserait
qu’en se multipliant les interprétations se détruisent les unes les autres. Pour les hommes du XIIe
siècle elles témoignent, par leur multiplicité même, de la richesse du texte à commenter. Ce der-
nier était à leurs yeux comme une pièce d’or inestimable dont on ne saurait jamais, fût-ce au prix
de nombreux commentaires, finir de rendre la monnaie». Cf. von Moos, Geschichte, p. 366.
114. Cf. n. 63.
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115. Arnoul à Ph. I 186. 34: habitus patriae per cogitationem representatus. Quidam sompnium, qui-
dam deliberationem fuisse dicunt sed Vacca in rei veritate sic fuisse affirmat. Cf. Marti, Vacca, en part. 206,
qui, après une longue liste de jugements pour et contre la rei veritas de Vacca, conclut: «So much
nonsense and so many errors repeated ad nauseam by one generation of plagiarizing scholars after
another […] make the study of glosses and commentaries at time a dreary occupation».
116. Pol. II 15, (I) 91.17 s. à Ph. I 186: Quod si imperii nullam in veritate, quae sic appareret credi-
dit quis fuisse imaginem, historiarum fide certiorabitur.
117. Hildebert, Ep. III 15, PL 171, 292B: In quo satis competenter poetica evagatus licentia, rei ges-
tae non solum figmentis subenisti fabularum, sed et naturae pariter et veri officia succincto sont sermone de-
monstrata.
118. Gesta, p. 120. Cf. la nouvelle analyse de ce passage chez Krönert, p. 63 ss.
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119. Quadlbauer, p. 86 s., § 42: afin de pouvoir l’adapter à l’historiographie Othon réduit le
schéma tripartite à deux niveaux.
120. Cf. Curtius, p. 481 et supra, n. 98 (Lucanus digrediens), la digression est illustrée par des
exemples lucanéens par ex. chez Matthieu de Vendôme, Ars versificatoria (Faral), p. 118, N° 38 s.
sur Ph. II 380 et ibid., p. 182, N° 10 (avec la critique: superfluat). Gervais de Melkley, p. 66 sur Ph.
IV 661 et p. 214 sur Ph. I 412, IV 48 ss., V 50 ss.: comme chez Othon de Freising (n. 119 ss.) la
nécessité de la digression est associée à la notion de philosophia. Sur la justification de la digression,
dans les commentaires à Lucain, par le vraisemblable et le plausible cf. Marti, Crit., p. 253 ss. et
Trag., p. 186 ss. La digression géographique est justifiée par Conrad d’Hirsau, l. 1212 ss. comme
une intensification morale: per hoc valida lectorum ingenia excitare.
121. Supra, n. 69, 92.
122. Infra, ch. V.
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qu’il écrit l’histoire d’une dynastie, il se revendique avant tout comme phi-
losophe ou théologien de l’histoire.
Cette revendication très éloignée de nos conceptions contemporaines de
l’histoire et de la fiction est la raison profonde de ce que Macrobe nomme
fabulosa narratio, procédé justifiant l’anachronisme des Saturnales, qui met-
tent en scène une assemblée de philosophes modernes et anciens. Il se récla-
me des Dialogues de Platon qui, «bien qu’il soit certain qu’ils n’ont pas vécu
au même siècle»123, réunissent Parménide, Timée et Socrate. Dans son com-
mentaire au Songe de Scipion de Cicéron, Macrobe approfondit la différence
entre la fabula poétique et la fabulosa narratio philosophique. Dans le plato-
nisme chartrain cette doctrine est le fondement de la théorie de l’integumen-
tum ou involucrum («enveloppe», «couverture»), ce nouveau paradigme des
épopées allégoriques du XIIe siécle, de Bernard Silvestre à Alain de Lille.
Dans son commentaire sur l’Énéïde, Bernard présente Virgile comme philo-
sophe plus que comme poète124: «Selon Macrobe il a enseigné la vérité phi-
losophique sans négliger l’imaginaire de la poésie». Ce n’est qu’une péri-
phrase de l’integumentum qu’il définit ensuite ainsi125: Integumentum est genus
demonstrationis sub fabulosa narratione veritatis involvens intellectum, unde et in-
volucrum dicitur. Le Moyen Âge étend à Lucain une doctrine provenant de
l’allégorèse morale de la mythologie, initialement appliquée à Virgile et à
son modèle, Homère. Virgile et Lucain constituent une sorte de couple de
Dioscures de l’integumentum, et Jean de Salisbury engage les lecteurs de
toutes disciplines «à extraire les condiments succulents» de ces deux poètes
pour assaisonner leur philosophie126: Excute Virgilium et Lucanum et ibi cuius-
cumque philosophie professor sis, eiusdem invenies condituram. Il loue leur commun
«génie» de visionnaire127 et résume ainsi la théorie de l’integumentum128:
re merit. / For things hidden are pleasing, things grow cheap when known to the common / public,
which thinks that what it can understand is of no value»; cf. von Moos, Geschichte, p. 183.
129. Sur ce mélange des genres cf. Lafferty, p. 36 ss.; Partner, p. 194 ss.
130. Inst. X 1.90, cf. supra, n. 86.
131. Pol. VIII 23 (Webb II), p. 404.4 ss.: periculis … quorum nemo satis declinat eventum, nisi praeca-
veat facultatem. Innuit hoc poeta gravissimus, aut, si iuxta Quintilianum rectius dicere malueris, oratorem, non
repugno, dum constet praecavena esse etam quae possunt evenire pericula … Sur le contexte cf. infra, n. 404.
132. Pol. II 19,(Webb I), p. 109: Poeta doctissimus, si tamen poeta dicendum est, qui vera narratione
rerum ad historicos magis accedit. Cf. Pol. VII 9, II 128.7-24 (citant Horace, Ep. 1, 2): Flaccus … plus
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C’est par une ironie de l’histoire des idées que les érudits médiévaux du
niveau d’un Othon de Freising ou d’un Jean de Salisbury, qui n’avaient ni
soucis poétologiques ni aucune connaissance de la poétique d’Aristote mais
une solide formation dans les arts du langage, reviennent d’eux-mêmes à
des catégories de la poétique aristotélicienne pour réhabiliter Lucain. Car
c’est sa pertinence philosophique plus que son sujet qui leur fournit l’ar-
gument principal pour placer le poète «le plus grave» et «le plus sage» au-
dessus des autres. Cette réponse à la vieille question An Lucanus sit poeta?
anticipe en quelque sorte l’accord établi de nos jours parmi les historiens
de la littérature romaine au sujet de la qualité poétique de Lucain, que
Pierre Grimal résume ainsi133:
La volonté de voir clair, de discerner les facteurs généraux sous les accidents parti-
culiers est la condition même de l’œuvre d’art. Ce qui risque de créer une contradic-
tion. Le vrai historique ne saurait par lui-même être objet de poésie, mais doit, pour
se prêter au poème, être reconstruit, restructuré, repensé ‘en philosophe’. Une seule
possibilité de conciliation: si le poète savait découvrir dans les faits apparemment
contingents une valeur universelle, et, dans leur succession, une ‘structure’ qui les
rendit vraisemblables, conformément à l’exigence aristotélicienne. Lucain fut,
croyons-nous, poète parce qu’il était philosophe, et c’est cette double qualité qui lui
permit d’être, aussi, un historien.
honestatis et utilitatis se apud Meonidem invenisse gratulatur quam plurium Stoicorum sit praeceptis expres-
sum. Dans le prologue de sa Historia Anglorum (ed. Arnold, RBS 179, 1 s.) Henri de Huntingdon
reprend ce mot de Jean pour justifier le métier d’historien comme philosophie par l’exemple. Cf.
von Moos, Geschichte, p. 178 s. contre l’opinion de Heitmann, Dichtung, p. 272 s. qui postdate cet-
te idée à la Renaissance italienne. Pour la même raison, le commentaire à l’Énéide de Bernard Sil-
vestre (p. 2 s.) établit déjà une classification des genres poétiques (selon Horace A. P. 333 s.) qui
assimile le poème épique à l’historiographie: Poetarum quidam scribunt causa utilitatis ut satirici, qui-
dam causa delectationis ut comedi, quidam causa utriusque ut historici.
133. Entretiens, p. 54 s. – M. von Albrecht (ibid., p. 115) approuve la réflexion de Grimal en
citant l’exemple de la destruction du sanctuaire de Massilia, qui visualise si bien la situation et le
caractère de César qu’on peut parler d’une «invention plus vraie que l’histoire».
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139. Bruère.
140. Stierle, p. 375 ss., 715 ss.
141. Martellotti, Difesa, p. 269-274 à propos de Fam. X 4; cf. aussi la citation de Pétrarque par
Pietro da Parma infra, n. 149.
142. Martellotti, Lucano; Crevatin.
143. Commentaires et éditions critiques: Rossi (Benvenuto), Monti (Pietro da Parma); sur les
rapports avec Pétrarque cf. Billanovich-Monti: l’édition du poème de Pétrarque, découvert dans le
fonds de Pietro, contient d’ailleurs des versus cum auctoritate puisés chez Lucain. Sur l’influence de
Pétrarque sur Benvenuto commentateur de Dante cf. également Crevatin, p. 20 ss.
144. Pietro da Parma, p. 261 s.: «Pharsalia» est totum opus sic intitulatum … Pharsalia fuit civitas
in regione greca, ubi fuit commissum bellum inter Cesarem et Pompeium, sicut liber domini Francisci Petrarce
intitulatur «Africa», quia tractat de gestis in illa regione. Benvenuto, p. 198, N° 10: Dicitur enim Far-
salia quia de rebus gestis in Farsalia tractat, sicut liber Petrarche nominatur Affrica quia de bellis gestis in
Affrica tractat.
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commun de Lucain «plus historien que poète» par un curieux distinguo em-
prunté à Pétrarque: si Lucain est bien un poète respecté pour ses fictions,
il n’a cependant pas été consacré laureatus parce que certains crurent à tort
qu’il avait fait meram historiam. La stratégie apologétique des deux accessus
est, comme toujours, de relever les écarts, ambages, obscurités, fictions,
éléments merveilleux de la Pharsale. Benvenuto réfute l’étymologie accré-
ditée du nom: Lucanus145, lucide canens. L’origine véritable serait: luctum ca-
nens, celui qui chante le deuil, «la guerre qui surpassa en atrocité toutes les
guerres romaines». Ceux qui croient que Lucain éclaircit l’histoire se trom-
pent, Tite Live l’écrit bien plus clairement que lui: «J’ose dire: où l’histoi-
re était claire, il l’a décrite de façon obscure et succincte. Mais ceci, je ne
le dis pas pour dénigrer le poète, parce que lui-même voulait voiler le sens
sous un nuage de mots concis, et il l’a bien fait». Un beau témoignage de
l’appréciation d’une des qualités stylistiques majeures de la Pharsale: son
obscurité recherchée146. Benvenuto concède que Lucain écrit la «pure his-
toire», mais qu’il le fait «poétiquement»147. Pietro da Parma, comme tous
les commentateurs médiévaux, insiste sur le fait que Lucain se nomme lui-
même vates dans son panégyrique sur Néron148. «Quelques-uns disent
qu’il n’invente rien et ne reprend que les fictions d’autres poètes. Mais le
maître François Pétrarque dit qu’il invente à plusieurs endroits» (suivent
les exemples cités plus haut)149. Même si le scholiaste doit avouer que les
fictions de Lucain sont moins pures et «sévères» que celles de Virgile, Sta-
145. Ibid., p. 195, N° 3: Omnes tamen expositores dicunt quod dictus est Lucanus quia lucem canens et
quod historiam que latebat in tenebris produxit in lucem, sed hoc est falsum. Imo Titus Livius … clare descripsit
hanc historiam; similiter Iulius Celsus, qui fuit semper comes Iulii Cesaris … dillucide ipsam descripsit et cla-
rius. Ymo audeo dicere quod ubi historia erat clare descripta ipse descripsit obscure et succinte. Hoc tamen non
dico in detractionem poete, quia ipse sub nube verborum succissa voluit velare precisam sententiam et bene. Le
même raisonnement est présenté comme excuse dans le commentaire anonyme chez Weber, p. 564
à Ph. VII 557: Sed nimis obscure pertransivit Lucanus istud bellum relatione aliorum, quae supra posuit; sed
excusatur: nam ante ipsum nullus alius aperte hoc descripsit, … et similiter qui interfuit [sc. Caesar] confuse
hoc bellum narravit. La même interprétation chez Pietro da Parma, p. 261.129 ss.: interpretatum per ali-
quos «lucide canens» quod non bene sonat; sed si vis nomine aliquo interpretari potius dic: Lucanus «luctum ca-
nens» … Sur l’étymologie Lucanus a luce cf. Sanford, Quotations, p. 286 ss., et supra, n. 98.
146. Schrijvers, p. 22 s. sur la manière de paraphraser une sentence obscure pour l’éclaircir. C’est
la technique de la varia tractatio par abbreviatio-dilatatio, très appréciée au Moyen Âge; cf. Cizek,
Imitatio, p. 136 ss., 148 ss.
147. Benvenuto, p. 196, N° 4 cité plus bas n. 156.
148. Pietro da Parma, p. 262, 144 ss.: Unum tamen sciendum est hic, quod quidam dicunt quod Lu-
canus non fuit poeta et ipse tamen se appellat poetam, unde dicet infra loquens ad Neronem yronice: «Nec, si te
pectore vates, / accipiam …» (Ph. I 63-65); à propos de ces vers, la même remarque se trouve chez Ben-
venuto, p. 49, N° 8.
149. Pietro da Parma, p. 262 s. L’idée: recitat fictiones aliorum poetarum se trouve déjà dans le com-
mentaire d’Arnoul d’Orléans, p. 4.4 ss., supra, n. 100.
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150. Ibid., p. 263.165 s. verum est quod non ita bene per illum modum per quem Virgilius, Statius, Ovi-
dius, quia non ita severe et proprie.
151. Ibid., p. 264 s., 174 s.: dulciorem nucleum veritatis inveniant (De planctu nature, ed. N. N. Hä-
ring, Studi Medievali 19 [1978], p. 837).
152. Sur cette confusion entre les deux Lactances cf. Monti, p. 265. Sur l’importance de Lac-
tance pour le cercle de Pétrarque en tant que Père de l’Église «pré-humaniste» cf. Crevantin, p. 14
ss.; G. C. Garfagnini, Da Seneca a Giovanni di Salisbury: «Auctoritates» morali e «Vitae philoso-
phorum» in un manoscritto trecentesco, Rinascimento 20 (1980), p. 201-247.
153. A propos de Div. Inst. I 11. 19-24 cité plus haut n. 58; cf. également Div. Inst., I 11. 36:
multa in hunc modum poetae transferunt non ut in deos mentiantur, quos colunt, sed ut figuris versicoloribus
venustatem ac leporem carminis suis addant.
154. Pietro, p. 265.178 (Dist. Cat. III 18).
155. Bucolicum carmen, ed. Martellotti X 331-333. Pietro cite encore l’Epyst.metr. II II, 16 s.: «Li-
cet ille, negato / calle petens, alia tuerit ratione repulsam»
156. Pietro, p. 265 s., 183-194. De même Benvenuto, p. 196, N° 4: Lucanus semper conatus est ap-
pellari poeta et tamen numquam potuit laureari, quia sibi obiiciebatur quod descripserat meram historiam. Di-
cit ergo tamen quod est poeta, quia licet descripserit meram historiam, tamen poetice in multis locis se habuit.
157. Voir supra, n. 150. Sur la continuité, du XIIe au XIVe siècle, de la réception des classiques
cf. De Angelis, Petrarca.
158. Il est curieux que Boccace, dans sa défense de la poésie, soit indifférent à la forme métrique;
elle peut même nuire au poète qui n’est pas à la hauteur du velamen fabulosum, ce qu’exprime la for-
mule metricus hystoriographus.
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qu’univoque et efficace. Pour certains, tant qu’une matière peut être trai-
tée par l’historiographie et non pas exclusivement par l’imagination poé-
tique, le poète qui s’en sert n’est qu’un versificateur159; d’autres par contre
se rallient à l’opinion de Scaliger160: «Est-ce que Lucain est poète? Certes
il l’est. Les grammairiens divaguent à leur façon qui lui reprochent d’avoir
écrit une histoire. Allez, produisez une pure histoire! Lucain doit différer
de Tite Live, et la différence est dans le vers. Cela fait vraiment le poète …
En outre, il a beaucoup de fictions … À vrai dire, j’estime que Tite Live
mérite plutôt le nom de poète que Lucain ne le perde».
«quelque chose l’est pour nous avertir (dissuadendo), quelque chose pour
nous exhorter» (suadendo). Le premier point s’applique à la littérature
païenne, le second à la littérature chrétienne.
À notre besoin moderne de tout historiciser – les faits, les écrits, les pen-
sées du passé –, l’imaginaire médiéval oppose une sorte d’abolition des
époques, de simultanéité vécue, voire de négation de l’histoire164. Guillau-
me de Malmesbury s’interroge curieusement sur un événement singulier
qui semble se répéter deux fois dans l’histoire165: le roi Guillaume le Roux,
en libérant magnanimement son prisonnier, le duc Hélie du Maine, est-il
inspiré par l’exemple de Jules César? Dans la Pharsale celui-ci libère Do-
mitius afin d’humilier la fierté d’un ennemi qui préférerait la mort au par-
don de César166: «Vis malgré toi, dit César, et par notre générosité vois le
jour! … Je ne stipule rien pour ce pardon, si tu es toi-même vainqueur».
Il n’y a qu’un parallèle textuel minimal entre le discours de César et celui
du roi anglais, mais le chroniqueur perçoit une analogie profonde dans
l’ambiguïté du «beau geste» des deux vainqueurs, car le roi anglo-nor-
mand lui non plus ne libère pas son prisonnier par clémence; il le fait dans
une crise de colère tout en proférant un flot d’insultes contre son ennemi.
Guillaume de Malmesbury se demande si son héros, un analphabète qui ne
peut avoir lu Lucain, n’est pas possédé par l’esprit même de César: «En vé-
rité, si notre religion chrétienne le permettait, on pourrait dire que, com-
nibus, quibus inflatur, multum valere videtur. At dices: quaecumque scripta sunt ad nostram doctrinam scrip-
ta sunt, et ego: dissuadendo quidem quaedam, quaedam vero suadendo. Cf. von Moos, Geschichte, p. 371 s.
164. Cf. Historicization – Historisierung, éd. G. W. Most, Göttingen 2001 (Aporemata 5), surtout
p. 1-44: Historicizing Religion Since Antiquity; Karl Löwith, Sämtliche Schriften, vol. II, Weltgeschichte und
Heilsgeschehen, Stuttgart 1983, p. 346-451; von Moos, Geschichte, p. 503-555. – Kurt Flasch, dans Phi-
losophie hat Geschichte, vol I: Historische Philosophie. Beschreibung einer Denkart, Frankfurt a.M. 2003, dé-
fend l’historicité de la philosophie d’un point de vue aujourd’hui tout à fait acceptable, mais qui est
certes le contraire absolu de la conception de l’histoire médiévale, puisque même l’histoire événemen-
tielle de César et Pompée ne pouvait être pensée autrement que comme partie d’un éternel présent.
165. Gesta regum Anglorum, IV 320, éd. Stubbs II, p. 373 s.: Tunc Willelmus prae furore fere extra
se positus, et obuncans Heliam, Tu, inquit: nebulo! tu quid faceres? Discede, abi, fuge! concedo tibi ut
facias quicquid poteris: et per vultum de Luca! «nihil, si me viceris, pro hac venia tecum paciscar».
Nec inferius factum verbo fuit, sed continuo dimisit evadere miratus potius quam insectatus fugientem. Quis ta-
lia de illiterato homine crederet? Et fortassis erit aliquis qui Lucanum legens, falso opinatur Willelmum haec
exempla de Julio Caesare mutuatum esse: sed non erat ei tantum studii vel otii ut litteras unquam audiret;
immo calor mentis ingenitus et conscia virtus, eum talia exprimere cogebant. Et profecto, si Christianitas nos-
tra pateretur, sicut olim anima Euforbii transisse dicta est in Pythagoram Samium, ita possit dici quod ani-
ma Julii Caesaris transierit in regem Willelmum.
166. Ph. II 511-515: Scit Caesar poenamque peti veniamque timeri: / «Vive, licet nolis, et nostro mune-
re» dixit / «cerne diem. Victis iam spes bona partibus esto / exemplumque mei; vel, si libet, arma retempta / et
nihil hac venia, si viceris ipse, paciscor».
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167. Cf. l’exemple analogue de la Philippide de Guillaume le Breton, supra, n. 92. La comparai-
son avec Phythagore qui se croyait la réincarnation du héros de Troie Euphorbe, selon Ovide, Me-
tam. XV 160-162. Commentant ces mêmes vers, Jean de Salisbury se moque de la métempsychose
(Pol. VII 10, Webb II, p. 134 et VIII 21, ibid., p. 392 sur Julien l’Apostat qui se credebat possidere
animam Alexandri aut quod potius in altero corpore esset alius Alexander).
168. Sénèque, Naturales quaestiones III, praef. 5: satius est sua mala extinguere quam aliena posteris
tradere. Ce qui suit ressemble beaucoup aux diatribes de Lucain contre César: puto potius, deorum ope-
ra celebrare quam Philippi aut Alexandri latrocinia ceterorumque, qui exitio gentium clari non minores fuere
pestes mortalium quam inundatio, qua planum omne perfusum est, quam conflagratio, qua magna pars ani-
mantium exaruit.
169. Marti, p. 484 à IX 888 (casus alieno in pectore vincit): VINCIT CASUS, id est eventum fortune […]
non solum in suo pectore sed in ALIENO, sc. in militibus suis et in posteris per exemplum, quia dedit exemplum
vincendi dolores per patientiam. Chez Hugues de St-Victor on trouve l’idée de l’utilisation du récit his-
torique comme «tropologie» morale exemplaire; cf. De tribus maximis circumstantiis gestorum, éd. W.
M. Green, Speculum 18 (1943), p. 491: Unde etiam recte tropologia, id est sermo conversus sive locutio re-
plicata, nomen accepit, quia nimirum alienae narrationis sermonem ad nostram tunc eruditionem convertimus,
cum facta aliorum legendo ea nobis ad exemplum vivendi conformamus. Sur cette théorie de l’exemple his-
torique au Moyen Âge cf. von Moos, Geschichte, en part. p. 1-21.
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l’exemple aussi dans autrui, in alieno, dans ses soldats et les postérieurs par-
ce qu’il a donné l’exemple de vaincre les douleurs par la patience».
La Pharsale est au Moyen Âge une mine d’exemples négatifs. Les acces-
sus mettent l’accent sur une dialectique de la connaissance du mal et des
moyens de l’éviter170, et tout naturellement sur une représentation de la
guerre qui n’a qu’une utilité morale, quelques héroïques que soient les
combattants. C’est ainsi que les scoliastes expliquent le premier vers plus
quam civilia bella. Si la guerre civile est la pire des guerres, celle que dé-
crit Lucain est «plus que civile», c’est une guerre entre membres d’une
même famille, fratricide et «intestine», qui surpasse encore en atrocité les
autres guerres civiles, parce que les ambitions privées de deux adversaires
orgueilleux entraînent tout un peuple à la ruine. Les hypothèses sur la fin
de l’œuvre, qui préoccupent les philologues modernes, ne présentent au-
cune difficulté pour les auteurs d’accessus, pour qui la logique du poème
est de mettre en scène toute la période de César jusqu’au meurtre et châ-
timent final171, quand le vainqueur de Pharsale devient le vaincu du Ca-
pitole. Le point essentiel est que cette guerre est une démonstration élo-
quente de la vanité de ce monde, une leçon expressive du contemptus mun-
di. Dans la classification médiévale des genres littéraires, la discorde est
plutôt le sujet de la «satire», la chute des grands celui de la «tragédie».
La Pharsale est classée sous ces deux rubriques, mais le plus souvent sous
la seconde. C’est un exitus illustrium virorum qui décrit les crimes et mal-
heurs des grands hommes dans un style élevé et pathétique. D’un point
de vue moral, ethice, c’est une dehortatio a civili bello et une leçon de mépris
du monde172.
170. Cf. par ex. Jean de Salisbury, Pol. III I (I), p. 173: malum nisi cognitum sit utiliter non cavetur.
A propos du genre des accessus cf. supra, n. 44, 91.
171. Cf. Sanford, Manuscripts, p. 290; Arnoul d’Orléans, Accessus, p. 3 s.; Weber, p. 4, 421,
801; Li Fet des Romains, éd. Flutre-Sneyders de Vogel, p. 53 s. et infra, ch. VI; selon une autre tra-
dition Lucain aurait voulu décrire toute la descendance de César jusqu’à Néron; cf. Huygens, p.
43.122 ss. cité plus loin n. 200. Dans sa Chronique Othon de Freising termine le chapitre sur la
guerre civile par la mort de César et ajoute (II 50): cum quidem hystoriam a nobis compendio strictam
pulchro ac luculento versuum ordine Lucanus prosequitur. Selon A. Hofmeister, Studien über Otto von
Freising, Neues Archiv 37 (1912), p. 729, Othon n’aurait pas directement cité la Pharsale puisqu’el-
le ne contient pas l’assassinat de César, ce que conteste Krönert, p. 47: Othon ne récapitulerait que
son propre récit, non celui de Lucain. Il se peut pourtant qu’Othon se réfère à l’hypothèse tradi-
tonnelle du poème complet.
172. Cf. Fischli, p. 42 s., 32 s.; Malcovati, p. 124, 129 ss.; Marti, Criticism, p. 250; Sanford,
Manuscripts, p. 283 s., Quotations, p. 9 ss.; Fraenkel, p. 18; Sandkühler, p. 254. – Sur la constan-
te oscillation de la Pharsale entre la «tragédie» et la «satire» dans le système des genres cf. Kin-
dermann, p. 43, 71, 127, 155, 160, 162, 172.
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173. De civ. Dei, III 13.11 ss.; ibid., XV 5: Nam et illic sicut ipsum quidam poeta commemoravit illo-
rum: «Fraterno primi maduerunt sanguine muri» (Ph. I 95). Cf. F. G. Maier, Augustin und das antike Rom,
Stuttgart 1955, p. 111 ss.; W. Suerbaum, Vom antiken zum mittelalterlichen Staatsbegriff, Münster
1977, p. 179 ss.; Stürner, p. 30 ss., 67 ss.; Blatt, p. 50: «Lucan’s pessimistic mention of the Roman
republic, i.e. the pre-Christian world, must have appealed to Christian authors of the Middle Ages».
174. Contrairement à Augustin, Jérôme ou Eusèbe, Orose fait commencer le dernier âge du
monde et la série des empereurs romains non par César, mais par Auguste; la guerre civile n’entache
donc pas la préhistoire du christianisme. Cf. A. Heuss, Art. Caesar, Reallexikon für Antike und Chris-
tentum, II, 1954, p. 823 ss.; H.-X. Arquillière, L’augustinisme politique. Essai sur la formation des théo-
ries politiques du Moyen Âge, Paris 1955.
175. Rehm, p. 22 ss.; P. E. Schramm, Kaiser, Rom und Renovatio (1929), vol. I, Darmstadt 1957,
p. 45, 150, 242, 356 et passim. A propos de la querelle des investitures cf. infra, n. 371 ss.; C. Leo-
nardi, Agostino e il Medio Evo. Una lettera di Gregorio VII a Ermanno di Metz, dans Il De civita-
te Dei, éd. E. Cavalcanti, Roma 1996, p. 361-366, soutient de façon convainquante la thèse que
l’augustinisme politique (dans le sens d’une instrumentalisation institutionnelle de la polysémie
spirituelle des «Deux Cités») est moins le résultat de l’idéologie de l’Église impériale traditonnel-
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le que l’œuvre toute personnelle de Grégoire VII réalisée par sa séparation radicale de l’Église théo-
cratique et de l’État laïque. Ceci est un argument fort permettant d’antidater cette fameuse «diffé-
renciation» qui pour N. Luhmann signifie l’essentiel même de la modernité occidentale; cf. A.
Hahn, Herrschaft und Religion, Kunst, Macht und Institution. Studien zur Philosophischen Anthropolo-
gie, soziologischen Therorie und Kulturoziologie der Moderne, Festschr. K. S Rehberg, éd. J. Fischer - H.
Joas, Frankfurt a. M.-New York, p. 331-346; P. von Moos, Kirchliche Disziplinierung zwischen
Mittelalter und Moderne. Adriano Prosperis Tribunali della coscienza aus mediävistischer Sicht, Zeit-
schrift für Historische Forschung 27.1 (2000), p. 75-90.
176. Infra, ch. IV.
177. Dialogus de mundi contemptu, éd. R. Bultot (Anaelcta Mediaevalia Namurcensia 19), Louvain-
Lille 1966.
178. Dial., p. 111.1235 ss.: Gemina ratio est, altera quidem quia frater adversus fratrem … dimica-
vit et cognatio diversae partis vulneribus mutuis concidit; alter quod populus romanus ab his duobus principi-
bus excitus ad pugnam cruentissimam periit, per quos ab hostibus extraneis defensandus fuit. Sur la tradition
de l’interprétation de Ph. I 1 cf. Sanford, p. 121 ss.; Ahl, Phars., p. 125, 130, 150 ss.
179. Dial., p. 111.1240-1242: ne simili modo pereas, profectum tuum in pacis custodiam pone.
180. Ibid., p. 105.1058-1066: Sed istum quem habemus in manibus … patet eum confecisse, quia …
melius potuit ostendere miseriae qualitatem … cuiuslibet dolentis et quodammodo de alto cadentis … operi suo,
quod de consolatione et mundi contemptu exorsus est …; p. 109.1169-1173: ad incertos temporalium eventus
demonstrandos ratione … uti voluit …, ut vel sola ratione mundi contemptum persuaderet … Cf. Othon de
Freising, Chronica V 1: Boetius … Papiae in carcere ponitur. Ubi de contemptu mundi philosophicum utile
valde scripsit opus. Cf. Staubach, p. 61; Bultot, p. 793, Pickering II, p. 108 s.; B. Rolling, Der His-
toriker als Apologet der Weltverachtung, Die Historia Anglorum des Heinrich von Huntingdon,
Frühmittelalterliche Studien 33 (1999), p. 125-168, en part. 133 ss.
181. Dial., p. 110, 1198 s.: Digno dignum Boetio Lucanum admitte, ut studentes reficiantur utriusque
lectione.
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182. Cons. IV 6, 32 s.; cf. C. Meller-Goldingen, Die Stellung der Dichtung in Boethius’
«Consolatio Philosophiae», Rheinisches Museum für Philologie 132 (1989), p. 369-395 sur IV 6, 32-
33; Bultot, p. 812 ss.; Pickering et infra, n. 192.
183. Dial., p. 108 s., 1163-1173: (D) Admiratione dignum videtur quod vir iste totus catholicus For-
tunam tociens in hoc opere ponit et testimoniis divinis literam elegantem vacuam ostendit. (M) Huius rei gemi-
na causa est, et prima quidem quod qui inter hostes veritatis versabatur, si testimoniis scripturae cingeret opus
… incredulorum malicia combureret …; secunda causa est, quod vir prudentissimus ad incertos temporalium
eventus demonstrandos ratione magis uti voluit quam Scripturarum auctoritate, ut vel sola ratione mundi
contemptum persuaderet, qui tunc temporis nichil ex auctoritate divina ex perverso interprete vel lectore profice-
ret. Sur l’exclusion de l’autorité scripturaire, cf. von Moos, Geschichte, p. 490 ss. A propos de la dif-
férenciation des discours en fonction des publics cf. Lafferty, p. 61-63, qui montre bien que le re-
gard chrétien de Gautier de Châtillon, jeté sur le passé païen d’un Alexandre le Grand, autorise une
double lecture des événements selon qu’ils sont perçus par des personnages en action, ignorants de
la Providence et se fiant au sort aveugle (comme Lucain), ou par des spectateurs éclairés par la ré-
vélation et recherchant le sens profond de l’histoire (comme Boèce). Cf. également Melville, Nie-
dergang et infra, ch. V 1 sur Othon de Freising.
184. Dial., p. 105.1058 ss.: quia [Boetius] post tantas vitae delicias hausto gustu doloris, melius potuit
ostendere miseriae qualitatem, sibi prius ignotam, cuiuslibet dolentis et qudammodo de alto cadentis … Ibid.,
p. 110.1200 ss.: Lucanus poeta gemina illustris virtute, primo quidem in milicia, deinde in otio studiorum
disciplina ex anteacta probitate curialem et grandiloquum modum in stilo tenuit … strenuitate animi et mi-
liciae iam depositae, pulcra verborum et sententiarum ordinatione. Ibid., p. 110.1212 ss.: Porro Neronis dei
et hominum hostis tempore auctor iste floruit, palliata litera vitam et mores principis adeo confundens, ut, si
cessasset omnium generalis et publica in eum congesta maledictio propriae urbis suae, poetae sufficeret tacita in
eum inflicta confusio. Ibid., p. 111.1227 ss.: In qua etiam materia … cogitur poeta demonstrare bellique cru-
delissimi scelus seculis omnibus inauditum ostendere ac per hoc valida lectorum ingenia excitare. Intentio eius
est civile bellum, immo «plus quam civile bellum» omnibus rei publicae consulentibus pacisque leges amplecti et
concordiae.
185. Cf. Curtius, Antike, p. 229 s.
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186. Cf. par ex. la Chronique de l’abbaye de Liessies du XIIe siècle, Chronicon Laetiense (MGH
SS 14, p. 492): [Lucanus], qui, dum libertatis rei publicae verus zelator et defensor nimius scribendo extitit,
in Julium Caesarem et in ipsum Neronem minus digna loquutus est, unde et ab ipso Nerone dicitur occisus fuis-
se. Pour Konrad, Kaiser Nero …, p. 7, l’assassinat de Lucain par Néron serait une «grossière erreur»
du Moyen Âge; c’est pourtant un fait incontesté par les historiens actuels qu’après la conspiration
de Pison Néron aurait poussé Lucain et Sénèque au suicide, cf. D. T. Vessey, Lucanus, dans Der Neue
Pauly 7 (1999), col. 454-457. Même des médiévistes exagèrent parfois l’ignorance et «les ténèbres
du Moyen Âge».
187. Cf. Modoin d’Autun, Nasonis Egloga (MGH Poet. Lat. 1), p. 387, v. 75 ss.: dux propriis vates
generosus factus in oris / Depositis quondam miles crudelibus armis / Lucanus cecinit famosi Caesaris arma.
Amatus du Mt-Cassin, Liber in honorem beati Petri IV 1 appelle Lucain ense peritus; cf. K. Mantius, Ges-
chichte der lateinischen Literatur des Mittelalters, vol. III, München 1931, p. 452. Pierre le Mangeur (Pe-
trus Comestor) loue Lucain, d’abord riche, puis pauvre, pour avoir chanté la pauvreté et la tempé-
rence; cf. sermon XIV (PL 198, 1763): Dic et tu, poeta, qui prosperitatis incommodum in libro experientiae
legisti «O munera nondum intellecta …» (suivi des citations Ph. I 165 et V 527 ss.). La même allusion
chez Gautier de Châtillon dans une satire contre l’avarice du clergé; cf. cm. 6. str. 15 (éd. K. Strec-
ker Moralisch-satirische Gedichte …, Heidelberg 1929). – En insistant sur la compétence militaire de
Lucain on renforce sa fiabilité d’historien; cf. Beer, Caesar, p. 93 ss.: Lucain est lu comme un autre
Végèce. – Sur la connaissance médiévale de sa parenté avec Sénèque, cf. K.-D. Nothdurft, Studien
zum Einfluß Senecas auf die Philosophie und Theologie des 12. Jahrhunderts, Leiden-Köln 1963, p. 36.
188. Dial., p. 111.1240.
189. La rivalité de César et Pompée (selon Ph. I 123-126) est interprétée comme la «cause prin-
cipale» de cette guerre, par ex. chez Conrad, Dial., p. 111.1242 ss: Maxima vero causa belli huius erat,
quod Cesar nullum habere sibi voluit equalem, Pompeius nullum sibi voluit habere superiorem, alter triumphis
multis … glorians, alter ex offcio romanae dignitatis … caput exaltans. Cf. dans le même sens Beer, Cae-
sar, p. 193: «The downfall of Rome now serves Christian didacticism, demonstrating the results of
‘orgueil’, ‘convoitise’ and ‘luxure’».
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190. Lotario dei Segni, De miseria condicionis humane, II 29, ed. R. E. Lewis, Athens 1978, p. 183.
8 ss. Les vers I 70 s. et 81 s. sont devenus des proverbes, cf. par ex. dans le Moralium dogma philoso-
phorum (ed. J. Holmberg, Uppsala 1929), p. 60, 64; H. Walther, Proveria sententiaeque latinitatis me-
dii aevi,1963-86, N° 30672; J. Stohlmann, Zur Überlieferung und Nachwirkung der Carmina des
Petrus Pictor, Mittellat. Jahrb. 11 (1976), p. 63.
191. Crosland, p. 41 ss.; Sanford, Quotations, p. 4 ss.; von Moos, Lucans tragedia, p. 139 s.
192. Boeth., Cons. IV 6, 32-34: Nam ut pauca, quae ratio valet humana, de divina profunditate pers-
tringam, de hoc quem tu iustissimum et aequi servantissimum putas omni scienti providentiae diversum vide-
tur. Et victricem quidem causam dis, victam vero Catoni placuisse familiaris noster Lucanus ammonuit. Hic
igitur quicquid citra spem videas geri rebus quidem rectus ordo est, opinioni tuae vero perversa confusio. Cf. J.
Gruber, Kommentar zu Boethius «De consolatione philosophiae», Berlin 1978, p. 361; Friedrich, p. 88
s.; Courcelle, p. 24. Le parallèle biographique entre Lucain et Boèce est réactualisé par L. Obertel-
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lo, Severino Boezio, Genova 1974, p. 101 s.: «Lucano afferma victricem quidem causam dis, victam vero
Catoni placuisse, e Boezio, come l’antico Catone, difese la parte perdente, senza eccessive speranze …
fidele … al suo credo di ultimo discendente dei Romani».
193. Saeculi noni auctoris in Boethii consolationem philosophiae, ed. E. T. Silk, Rome 1935, p. 257
s.: ostendit multum falli homines putantes placere Deo quod sibi placet, … victrix causa Iulii Caesaris diis
placuit qui iuxta homines videbatur habere iniustam causam; victa vero causa Pompeii placuit hominibus et
etiam Catoni sapientissimo, qui eius partibus favebet.
194. Weber, p. 27 (Commenta Bernensia): Figura prolepsis; quia prudentia merito diis comparatus
sit, qui, Pompeii partes secutus, causam belli civilis fecerat iustiorem. Causa Caesaris placuit diis quia victo-
rem eum fecerunt. Cf. également Ph. IX 564 où Caton est appelé deo plenus.
195. Marti, p. 26: multi dubitaverunt quis iustiorem haberet causam quia quisque habuit deos ex parte
sua, Cesar plures, Pompeius Catonem qui merito prudencie diis poterat comparari … SCIRE NEFAS id est non
licitum quia Pompeio consensit omne humanum iudicium, Cesari vero divinum quod victoria probavit.
196. Dans l’immense bibliographie sur Fortune chez Boèce je n’extrairai qu’un article récent: J.
Marenbon, Le temps, la préscience et le déterminisme dans la Consolation de Philosophie de Boèce,
Boèce ou la chaîne des savoirs, éd. A. Galonnier, Louvain-Paris 2003, p. 531-546. – On trouve néan-
moins des traces d’une compréhension du scepticisme religieux de Lucain au XIIe siècle. Le dilem-
me exprimé dans les vers II 1-15 sur le déterminisme ou le hasard des «choses mortelles» a inspi-
ré cette glose marginale: Quaestionem proponit poeta utrum secundum Stoicos mundus a deo gubernatur id
est regatur, an secundum Epicureos fortuna id est casibus agitetur. Sed ipse more poetarum medium se inter illos
ponens indiffinitum reliquit. (Annotationes super Lucanum, cité d’après B. Stock, Myth and Science in the
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Twelfth Century, A Study of Bernard Silvester, Princeton 1972, p. 75, dans le ms. Paris BN lat 10315,
f. 11v, omis de l’éd. Endt, p. 40). Le thème du poète agnostique et du philosophe savant revient
chez Arnoul d’Orléans sur Ph. I 412 et 417 ss.: Ponit tres opiniones more philosophi, sed nullam solvit
more poete. Ce sujet mériterait une étude indépendante (cf. n. 113, 433).
197. Cité d’après Rossi, p. 187. Sur maître Zono cf. ibid., p. 185 s.
198. Fam. V 5. 18, éd. U. Dotti,vol 2. Paris 2002, p. 165: ita, cunctis pereuntibus, pessimi omnium
evasere; sive quia «servat multos fortuna nocentes», ut Lucanus, sive quia «Diis aliter visum» est, ut Vergi-
lius ait (Aen. II 428); sive ut intelligi detur, illos inter mortis pericula tutiores, quibus vilior vita est.
199. Cf. supra, n. 111.113.
200. Huygens, p. 43.120 ss.: intentio est laudare Neronem a laudibus parentum [scilicet] Iulii [Cesa-
ris] et Augusti, de quorum genere iste fuit. [Hinc volebat descendere ad singulares duces Neronis, si non fuisset
morte preventus]. Recte autem intelligentibus haec laus est vituperatio. Alii dicunt quod sit intentio sua dehor-
tari a civili bello … J’ai d’abord cru à tort que ce passage ne se réfère qu’au panégyrique de Néron;
cf. maintenant Tilliette, L’Alexandréide, p. 278.
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Âge certains des sarcasmes de Lucain aient malgré tout étés perçus, puis-
qu’un simple texte scolaire invite les élèves à lire la Pharsale «correcte-
ment», donc à rebours. Le genre épique implique en général un héros po-
sitif et nous ne manquons pas de témoignages (en langue vulgaire plus
qu’en latin) pour présenter César comme un modèle militaire et chevale-
resque201. S’il ne faut pas exagérer la portée médiévale d’un Lucain «Anti-
Virgile», elle existe cependant, ne serait-ce que dans l’application des ca-
ractéristiques de César aux despotes, brigands et autres scélérats. Les lec-
teurs cléricaux de Lucain ne pouvaient pas ne pas reconnaître les traits du
César de la Pharsale202 dans certaines descriptions de Satan.
201. Sayers, p. 271 ss.; Beer, Caesar, p. 72 ss. et passim; Fischli, p. 27 ss.; Crosland, p. 33 ss.
202. Sanford, Quotations, p. 15 (Hélinand de Froidemont); Blissett, Satan, et Koppenfels, p.
102-106 (période postmédiévale); par ex. Alain de Lille, Textes inédits, éd. M.-T. d’Alverny, Paris
1965, p. 267: In hos diabolus non desevit quos suos esse prescivit. In victos dedignatur arma ferre, in subdi-
tos bella movere, quia, ut verbis utar poete: «concessa pudet ire via; … nullas sine sanguine fuso / gaudet ha-
bere vias; nichilque credit actum cum aliquid superest agendum» (Ph. II 446, 439 s., 657). Vos igitur tres
incumbunt pugne … Jean de Salisbury, Pol. VIII 23, p. 401 s.: Ph. II 60-36 appliqué au princeps mun-
di qui in passione Christi eiectus est (cf. infra, n. 384). Voir également le prochain chapitre ainsi que la
fin du chapitre V.
203. D’Angelo, Pharsalia, p. 440-443, prétend même que c’est le seul poème épique du Moyen
Âge qui porte une certaine empreinte idéologique de Lucain; cf. par contre n. 206 s.
204. Faral, p. 359, v. 637. Sur cette figura etymologica cf. supra, n. 98, 145.
205. Sur la réception de l’Alexandréide cf. Colker, p. XVIII ss., infra, n. 209, 216 et R. Morris, The
Gesta Regum Britanniae of William of Rennes: an Arthurian Epic?, Arthurian Literature 6 (1986), p.
60-123; Th. Gärtner, Zum Karolinus des Aegidius von Paris, Traditio 55 (2000), p. 171-179; Tilliet-
te, L’Iliade, p. 24-37. Je ne connais pas encore de travaux sur l’impact indirect de Lucain.
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206. Une vue d’ensemble chez Ratkowitsch, Descriptio, p. 129-135, et idem, Troja, p. 97 s. Les
plus anciens travaux sur le sujet semblent faire toujours autorité, ainsi Christensen (1905) et Cary
(1956). Voir plus récemment H. Harich, Alexander epicus. Studien zur Alexandreis Walters von Châtillon,
Graz 1987. Il semble que depuis quelques années, en Amérique du nord notamment, l’excès opposé
fasse rage, le besoin de renverser à tout prix ce qui avait été accepté jusqu’ici; cf. n. 210 sur Kratz. A
propos de la nouvelle monographie de C. Wiener, cf. le compte rendu à la fin de ce chapitre.
207. En part. Knapp, Similitudo, p. 222-267; von Moos, Lucans tragedia, p. 141 ss.; Dionisotti,
p. 82 ss.
208. Von Moos, Lucans tragedia, p. 141 s., 145 s.; Knapp, Similitudo, p. 223, 232 ss., 260 ss.,
415 ss. E. Auerbach a été une autorité importante; cf. Literatursprache und Pulibkum, Bern 1957, p.
149: il qualifie des poèmes comme l’Alexandréide de «technische Spitzenleistungen, die mit den
großen geistigen Bewegungen der Zeit nichts zu tun [haben]». Je regrette d’avoir en 1979 négli-
gé le contenu idéologique de Gautier. La critique de Ratkowitsch, Descriptio, p. 133, et de Wiener,
p. 15 est justifiée. Cf. également Tilliette, p. 286: «l’Alexandréide est tout autre chose qu’un brillant
exercice d’école». La recherche axée sur la pure intertextualité et virtuosité poétique a néanmoins
continué plus tard chez Zwierlein (1987); cf. le compte-rendu de Chr. Ratkowitsch, Wiener Studien
102 [1989], p. 307-310; de même chez H. Wulfram, Explizite Selbstkonstituierung in der Alexan-
dreis Walters von Châtillon, dans Alexanderdichtungen im Mittelalter, ed. J. Cölln et al., Göttingen
2000, p. 222-269, ainsi que dans d’innombrables articles de Th. Gärtner. L’opposition typique dans
les études latines sur Lucain entre les interprètes «formalistes ou positivistes» et «idéologiques ou
théoriciens» (par Schrijvers, p. 16 identifiés à des interprètes «ésotériques et exotériques») semble
se perpétuer dans les études sur son imitateur Gautier; cf. supra, n. 20.
209. Baldwin, Philippe Auguste, p. 458 souligne cet aspect parce qu’en effet l’Alexandréide était
le modèle commun d’un cercle de poètes et intellectuels (Rigord, Gilles de Paris, Guillaume le Bre-
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ton) qui célébrèrent le roi. Sur l’origine macédonienne controversée du nom de Philippe chez les
Capétiens cf. Lafferty, p. 1.
210. Vues d’ensemble dans Ratkowitsch, Troja, p. 98 ss.; D. M. Kratz, compte rendu de Laffer-
ty, dans Speculum 75 (2000), p. 953-956. La première prise de position était la plus excessive: Kratz,
Mocking Epic.(En ce qui conscerne l’Alexandréide, le concept provocateur de «mocking epic» est gé-
néralement rejeté). Par la suite paraissaient les travaux beaucoup plus équilibrées de Ratkowitsch,
Lafferty et Tilliette; cf. également G. Meter, Walter of Châtillon’s «Alexandreis» Book 10 – A Com-
mentary, Frankfurt a.M. 1991 (Studien z. klass. Philologie). Pour Wiener cf. la fin de ce chapitre.
211. Les meilleures analyses me semblent celles de Lafferty et de Ratkowitsch. De cette derniè-
re je signale un important article de synthèse (Troja), publié dans une revue comparatiste peu ex-
ploitée par les bibliographies médiévistes et rarement cité par les spécialistes de l’Alexandréide. Laf-
ferty par ex. ne semble pas le connaître. A propos des rôles apocalyptiques d’Alexandre dans la tra-
dition médiévale (Antichrist, diable) cf. Cary, p. 133-141. L’allusion à Balthazar incapable de dé-
crypter le «Mené, Teqél, Parsîn» (Dan. 5. 25) se trouve dans la description du bouclier de Darius,
Al. 2, 522-526, cf. Lafferty, p. 25 s. et 109 ss.
212. Surtout par les travaux de Ratkowitsch. Cf. aussi Lafferty, p. 5 ss., Tilliette, L’Alexandréi-
de, p. 286 cité n. 224.
213. J’ai lu le récent livre de Claudia Wiener Proles vaesana Philippi après avoir écrit ce qui
suit. En appendice à ce chapitre j’explique pourquoi je ne me suis pas senti obligé de changer
d’optique.
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214. Colker, introd. XX, De scriptoribus ecclesiasticis 20, ed. A. Miraeus, Biblioth. ecclesiastica, I,
Anvers 1639, p. 165; Dionisotti, p. 73 ss. Selon J. Hellegouarc’h, Un poète latin du XIIe siècle:
Gautier de Châtillon, Bulletin de l’Association G. Budé 4 (1967), p. 95-115, en part. p. 112, Gautier
avait lui-même l’intention de composer un nouveau «classique» chrétien pour les écoles afin de
remplacer la poésie païenne. A propos de l’utilisation de l’Alexandréide dans les classes cf. l’appen-
dix de Colker et R. De Cesare, Glosse latine e antico-francesi all’Alexandreis di Gautier de Châtillon, Mi-
lano 1951, qui explique de nombreux vers de Gautier par la référence à Lucain. Sur l’imitation de
Gautier par Henri d’Avranche dans sa Legenda sancti Francisci versificata et par Pétrarque dans son
Africa cf. Lafferty, p. 12 et E. Carrara, Da Rolando a Morgante, Torino 1932, p. 131-133.
215. Ansi dans l’accessus à l’Alexandréide, ed. Colker, p. 349.
216. Baldwin, Philippe Auguste, p. 456-463, 499-501. D’Angelo (plus haut n. 92) note la contra-
diction entre la revendication par Guillaume de Lucain comme modèle et le manque de réminis-
cences lucanéennes dans la Philippide. Ce problème se résout par l’hypothèse d’un pastiche des vers
de Gautier sur sa volonté de surpasser le poète de la Guerre civile. Il faudrait d’ailleurs réexaminer
en détail l’influence indirecte de Lucain à travers l’Alexandréide.
217. Christensen, p. 10.
218. Cf. von Moos, Geschichte, p. 183-188.
219. Cf. n. 129 à propos d’Othon de Freising.
220. Alex. 1, 23; cf. Tilliette, L’Alexandréide, p. 281 s.
221. Lafferty; Tilliette, loc. cit., p. 285 ss.
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227. Ph. X 41 s.: occurrit suprema dies, naturaque solum / hunc potuit finem vaesano ponere regi.
228. J’approuve la traduction de Tilliette, L’Alexandréide, p. 279, pour qui, contrairement à A.
Bourgery, solum est un adverbe et non une épithète de finem.
229. Alexandreis I 267, 489 s. etc.
230. Alex. II 366; cf. X 94. Lafferty, Nature, p. 293 s. et 296 s. relève le mot clé vaesanus com-
me pont entre la Pharsale et l’Alexandréide.
231. Des analyses plus détaillées de cette amplification de Ph. X 41 s. (et Ph. IX 629: Natura
nocens) chez Lafferty, p. 149 ss., et idem, Nature … (en part. p. 293); Tilliette, p. 279 s. qui relève
le rapport conflictuel entre Gautier et Alain de Lille, puisque le 10e livre de l’Alexandréide est une
inversion structurale de la création de l’homo novus de l’Anticlaudianus. Le problème est épineux à
cause des incertitudes sur la chronologie des deux œuvres. Sur la rivalité des deux poètes cf. égale-
ment Lafferty, p. 12 s. Sur le rapport entre la conception de Nature dans l’Alexandréide, le De planc-
tu Naturae d’Alain et la Cosmographia de Bernard Silvestre, ibid., p. 151 ss.
232. Ph. I 5-8: … qui si senio non fractus inermi / Pollice Fatorum nostros vixisset in annos, / Caesa-
reos numquam loqueretur fama tryumphos, / Totaque Romuleae squaleret gloria gentis. Je pense qu’il faut
suivre Colker et accepter la variante nostros à la place de iustos in annos, parce qu’elle insiste sur l’in-
tentionalité de l’anachronisme hypothétique.
233. Alex. X 183-84; cf. Knapp, Schlacht, p. 142 s.; Dionisotti, p. 84 ss. Lafferty, p. 21 ss. re-
lève l’aspect de la translatio imperii de la Perse vers la Grèce. Il faudrait ajouter qu’il y a une secon-
de translatio imperii, elle hypothétique et échouée, de la Grèce vers l’Italie.
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234. Cary, p. 103-105, 217, 264 s., 285 s.; Dante, Monarchia II 9; Convivio IV 11.
235. Cf. Ratkowitsch, Troja, p. 102-112; Lafferty, p. 31 ss.; cf. également Zwierlein, p. 82-86.
La scène fait écho à la visite de César au tombeau d’Alexandre (Ph. X 20-28).
236. Le nom de Babylone, qui occupe la place centrale de l’œuvre (cf. infra, n. 243 ss.), est ex-
pliqué par cette allusion à la tour de Babel (Alex. V 438): Cui dedit eternum labii confusio nomen.
237. Ph. IX 984-986: Quantum Zmyrnaei durabunt vatis honores, / venturi me teque legent; Pharsalia
nostra / vivet, et a nullo tenebris damnabitur aevo. Cf. Zwierlein, Troja; Schrijvers, p. 31 ss. sur le raffi-
nement de Lucain qui transforme un topos virgilien (Aen. 9, 446 s. sur Nisus et Euryalus) en son
contraire: une condamnation éternelle de son héros qui, de plus, utilise des réminiscences de l’É-
néide tout en remplaçant le modèle de Virgile par celui d’Homère. On peut ajouter que Gautier va
encore plus loin dans la surenchère ironique, parce que, pour lui, l’éternité de la gloire est elle-
même une gageure.
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postérité lira mes vers et ton histoire; notre Pharsale vivra et jamais siècle
ne nous condamnera aux ténèbres». L’ironie est évidente, puisque Lucain ne
chante pas les hauts faits mais les crimes et les infamies d’un Caesar in arma
furens (Ph. 439). Le mérite ou la gloire reviendront au poète, la honte et
l’exécration à son héros. Gautier l’a sans doute compris ainsi, puisqu’il re-
prend le motif topique de l’interdépendance du poète et de son personnage
(exprimé ici par le lien zeugmatique me teque) pour surpasser la Pharsale238.
Gautier répète à trois reprises le vers sur la gloire commune du poète et
de son héros: vivet cum vate superstes … Mais ce héros n’est jamais Alexandre;
c’est d’abord Darius le plus célèbre vaincu du Macédonien, puis le meilleur
«le plus sincère» ami du roi perse, Patron, et enfin l’archevêque Guillaume,
auquel le poème est dédié239. C’est comme si le poète se dissociait de son
personnage principal, comme si, malgré sa fierté pour un sujet que, «selon
Servius»240, aucun poète ancien n’avait jamais osé attaquer, il refusait de se
faire le chantre homérique que celui-ci avait désiré. Pour se valoriser Gau-
tier prend de fines précautions qui donnent facilement le change aux lec-
teurs modernes. C’est ce que nous verrons en comparant deux passages dans
lesquels il se pose ouvertement en successeur et rival de Lucain.
Dans un passage du livre VII à la mémoire de Darius, Gautier dresse une
fresque monumentale de la chute du héros, et mêle au pathos sulfureux de
Lucain une émotion proche de la pietas virgilienne. Darius, contrepartie du
Pompée de Lucain, apparaît comme le héros positif du poème. Tous deux
238. Outre les exemples cités ci-dessous, il faut ajouter la réminiscence directe de Ph. IX 985
s. dans Alex. Prol. 14 s.: Diu te, o mea Alexandreis, in mente habui semper supprimere …
239. Pour Darius cf. ci-dessous n. 242 s., pour Patron cf. Alex. VI 490 ss. et 508-510: At Pa-
tron,… Dari non fictus amicus … Si quis / Carmina nostra legat, numquam tacebit / Gallica posteritas. Vi-
vet cum vate superstes / Gloria Patronis nullum moritura per evum. Pour Guillaume cf. X 468 s.: Vivemus
pariter. Vivet cum vate superstes / Gloria Guillermi nullum moritura per evum. La formule avec la clause su-
perstes est évidemment très conventionnelle, mais la répétition semble indiquer que Gautier veut en
faire une sorte de marque d’identité. L’inspiration profonde ne vient pas ici de Ph. IX 980-986 (Cé-
sar devant la tombe d’Achille), mais de la commémoration de Pompée dans Ph. VII 207 ss.: haec est
apud seras gentes populosque nepotum / sive sua tantum venient in saecula fama / sive aliquid magnis nostri
quoque cura laboris / nominibus prodesse potest, cum bella legentur, / spesque metusque simul perituraque vota
movebunt / attonitisque omnes veluti venientia fata, / non transmissa, legent et adhuc tibi, Magne, favebunt.
240. Colker avoue n’avoir pas trouvé la source. Il se peut qu’il y ait une fictio auctoris. Une idée
analogue se trouve chez Apulée, mais appliquée aux sculpteurs et peintres qui n’auraient pas osé re-
présenter Alexandre (Florida VII, ed. Helm, Teubner 1959, p. 8, 3). Je crois plutôt invraisemblable
que Gautier ait connu un texte aussi rare, bien qu’il y en ait eu des manuscrits dès le IXe siècle.
Mais Apulée, comme toujours, se réfère à un on-dit probablement devenu topique par la suite et
dont on trouvera peut-être d’autres témoins. Pourquoi Gautier a-t-il choisi «Servius»? Peut-être
parce qu’il savait que ce grammairien dénigrait son plus grand modèle comme un historien non-
poète (supra, ch. II).
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sont à plaindre pour leur sort apparemment injuste, à louer pour leur ma-
gnanimité et leur détachement des choses extérieures241. Gautier les rap-
proche expressément242: «Mais toi, ô Darius, si un jour on ajoute foi à ce
que nous sommes en train d’écrire, la France à juste titre te considérera
comme l’égal en gloire de Pompée. Avec le poète vivra pour ne jamais
mourir l’honneur du défunt». Cette apostrophe forme le point final d’une
longue réflexion délibérément anachronique qui passe en revue des événe-
ments contemporains – le meurtre de Thomas Becket, le schisme, la si-
monie des papes et autres atrocités – qui n’auraient pas eu lieu, si les
hommes avaient compris la leçon de la mort de Darius sur les justices de
l’au-delà (VII 306-343). Ce n’est pas par hasard que ce memento mori au
conditionnel précède l’hommage à Lucain, célèbre pour ses sarcasmes et ces
anticipations satiriques.
Une autre comparaison entre le poète et son modèle romain est plus dif-
ficile à interpréter parce qu’elle joue sur deux niveaux. Dans le Ve livre
(491-520), après la description de l’entrée triomphale d’Alexandre à Ba-
bylone, Gautier243 semble rivaliser non pas avec les qualités poétiques
mais avec le sujet de la Pharsale, qui est à tous les égards «moins grand»
que le sien. Toute l’histoire de la «Rome vantarde», iactatrix Roma, – à
quoi bon rappeler Leucade, Pharsale, le rocher Tarpéien? –, n’a pas connu
de triomphe de cette envergure244: «Si l’on considère quels hauts faits le
Macédonien a accompli contre les vainqueurs du monde dans la fleur de sa
jeunesse avec si peu de soldats et comment les nations de toute la terre se
sont jetées à ses genoux, alors, comparé à ce prince, tous les ducs qu’a chan-
té le poète espagnol [Lucain] dans son style sublime ou ceux qu’a exalté
Claudius [Claudianus] dans ces vers majestueux, ne seront que de la plèbe;
que Lucain ait honte d’avoir avec tant de splendeur chanté César et la rui-
ne de Rome!» La comparaison porte d’abord sur les protagonistes, puis sur
les faits: un triomphe exceptionnel suivi d’une «ruine». Cette critique ne
241. Voir ch. I; sur Darius modèle de la perfection de clergie et de chevalerie cf. M. Perez,
Alexandre le Grand dans l’Alexandréide, Bien dire et bien aprandre 6 (1988), p. 45-76 et 7 (1989),
p. 19-34.
242. Alex. VII 344-347: Te tamen, o Dari, si que modo scribimus olim / Sunt habitura fidem, Pompeio
Francia iuste / Laudibus equabit, vivet cum vate superstes / Gloria defuncti nullum moritura per evum.
243. Ratkowitsch, Troja, p. 118-124; idem, Descriptio, p. 184-186.
244. Alex.V 500-508: Si fide recolas quam raro milite contra / Victores mundi tenero sub flore iuventae
/ Quanta sit aggressus, quam tempore parvo / Totus Alexandri genibus se fuderit orbis, / Tota ducum series, vel
quos Hyspana poesis / grandiloquo modulata stilo vel Claudius altis / Versibus insignit, respectu principis
huius / Plebs erit, ut pigeat tanto splendore Lucanum / Caesareum cecinisse melos Romaeque ruinam.
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245. Cf. P. Michel, Formosa deformitas, Bonn 1976; Cizek, Imitatio, p. 32 ss. Sur le principe rhé-
torique analogue cf plus haut n. 89. – Knapp, Similitudo, p. 293 s., pense que Gautier ne se sert ici
que d’un prétexte pour élever son poème au-dessus de la Pharsale et se venger de Lucain qui avait
abaissé la grandeur d’Alexandre. Cela reviendrait à un jeu de concurrence un peu puéril. Dans ‘Lu-
cans tragedia’, p. 142, j’ai exposé des idées qui rejoignaient celles de Knapp et qui ne correspondent
plus à ce que je crois aujourd’hui: «Dies alles soll etwaige römische Parallelen in den Schatten stel-
len. Walter legt so großen Wert darauf, nicht weil er den römischen Imperator, sondern weil er den
römischen Dichter, dessen Werk damit als wichtiges Muster deklariert wird, verkleinern und über-
bieten will».
246. Ratkowitsch, Troja, p. 120, à propos de Quinte Curce, Historia Alexandri Magni 5,1, 3, 19-
23. Sur l’influence de la critique des philosophes stoïciens sur l’image négative d’Alexandre chez
Quinte Curce cf. A. Heuss, Alexander der Große und die politische Ideologie des Altertums, Anti-
ke und Abendland 4 (1954), p. 65-104, en part. p. 74 ss. et 87 ss.
247. Alex. V 510-513: Si divina daret clementia talem / Francorum regem, toto radiaret in orbe / Haut
mora vera fides …
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nerait tous les infidèles à la cathédrale de Reims afin d’y recevoir le baptê-
me de la main de l’archevêque Guillaume. Cette utopie eschatologique
renvoie en effet à la fin édifiante du livre X, mais l’important ici est la dif-
férenciation nette entre les qualités militaires louables en elles-mêmes et
leur double fonction morale au service de la vaine gloire ou de la victoire
de «l’étendard de la Croix». Si du premier point de vue «professionnel»,
Alexandre est un héros positif, il ne l’est certes pas du second248.
Gautier de Châtillon est un grand admirateur de Lucain, qui a proba-
blement plus stimulé son imitation et son émulation que Virgile. Il n’a
d’ailleurs pas l’ambition de surpasser ce dernier (Prol. 19 s.): Non enim ar-
bitror me esse / meliorem Mantuano vate249. Dans la poétique ancienne et mé-
diévale l’aemulatio ou la surenchère d’un autre poète est le plus grand
hommage que l’on puisse lui faire, un hommage actif, non seulement ad-
miratif250. En quoi l’Alexandréide pourrait-elle surpasser la Pharsale?
Contrairement à ce qu’il revendique lui-même à la fin du Ve livre avec une
vantardise mêlée d’ironie, ce n’est pas par la plus grande dignité du sujet
choisi, mais par la plus grande hauteur de la chute, la plus rapide auto-
destruction de son héros, de son propre superbus vaesanus comparé à celui
de Lucain. Tandis que ce dernier ne chante pas la ruine de César mais cel-
le de Rome et de la res publica, Gautier, lui, ourdit la trame de son récit
autour du personnage ambivalent d’Alexandre. C’est paradoxalement cet-
te personnalisation, cette mise en scène de l’ascension et de la chute d’un
grand, que le Moyen Âge considère comme la définition même de la «tra-
gédie», qui empêche son poème d’atteindre la dimension tragique de la
Pharsale. La fin d’Alexandre est tragique pour lui-même, non pas pour les
autres, un peu comme la chute de Cléopâtre que Jean de Salisbury bro-
248. Harich, Alexander epicus (n. 207), sousestime ce point. Elle fait de Gautier un thurifère
d’Alexandre et un prédicateur de la croisade, ce qui ne semble pas avoir convaincu beaucoup de spé-
cialistes de l’Alexandréide. L’interpétation inverse de Kratz, Mocking Epic, p. 115-117, qui ne voit
que de l’ironie dans l’éloge d’Alexandre, me semble tout aussi excessive.
249. Concernant le problème des influences effectives des poètes expressément nommés (Virgi-
le, Lucain et Claudien), cf. Zwierlein. Depuis mon article Lucans tragedia (1979) cf. p. 139-141, je
constate une meilleure prise en compte de l’impact idéologique dans l’imitatio auctorum, ce qui as-
sure à Lucain plus qu’à Virgile la place d’auteur guide. Autrefois on se contentait de compter les
parallèles textuels sans respecter la «koinè poétique», ce qui a privilégié Virgile. Sur la méthode de
l’étude des sources cf. Schrijvers, p. 17 ss., et mon étude Die ‘Epistolae duorum amantium’ und die
«säkulare Religion der Liebe», Studi Medievali 44. 1 (2003), p. 1-115, en part. 60 ss.
250. Sur ce sujet immense cf. par ex Cizek, Imitatio; A. Reiff, «interpretatio, imitatio, aemulatio»,
Begriff und Vorstellung literarischer Abhängigkeit bei den Römern, Köln 1959; Curtius, p. 171 ss. et pas-
sim. Pour la théorie cf. G. Genette, Palimpsestes, La littérature au second degré, Paris 1982.
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carde ainsi251: «Celle qui a d’abord commandé à des rois, cette misérable,
mais non digne de pitié (misera non miserabilis), eut par la suite une fin pour
elle-même peut-être tragique, mais pour l’empire romain qu’elle machina
de renverser, comique». Les grandes «tragédies» médiévales qui traitent
des antiqua gesta atque facinora sceleratorum regum et de leur ruine, perdent
en force tragique ce qu’elles gagnent en valeur édifiante252.
Digression sur une nouvelle interprétation: Dans une série d’études clas-
siques, Claudia Wiener vient de publier un petit livre sur l’Alexandréide,
dans lequel elle y prend résolument le contre-pied des dernières recherches
qui (comme la mienne) décèlent dans le poème une certaine dose de cri-
tique morale. Pour elle, Gautier dresse une grande fresque typologique de
l’histoire du salut en établissant des correspondances providentielles entre,
d’une part, l’Alexandre biblique, la quatrième bête du songe de Daniel253
– qui se rapproche par analogie de César tout en le dépassant – et symbo-
lise le dernier âge du monde sub lege avant l’arrivée du Christ, et de l’autre,
un «antitype» sub gratia, «un second et nouvel Alexandre» chrétien, qui
serait le jeune Philippe Auguste, envoyé par Dieu pour lancer une croisa-
de définitivement victorieuse contre les musulmans254. Cette thèse est
251. Pol. III 10, p. 201.6-9: Profecto antea regibus imperaverat, postmodum misera nec miserabilis sibi
forte tragicum, sed Romano imperio, quod subvertere moliebatur, finem comicum fecit. Les lecteurs occiden-
taux dont Gautier se fait le porte-parole auraient pu penser quelque chose d’analogue sur l’arrogance
des Grecs, et ceci quelques années avant la quatrième croisade qui renversa Constantinople. A pro-
pos des concepts du comique et du tragique au Moyen Âge cf. von Moos, Geschichte, p. 484, 510
ss., 598 ss.
252. Etym. XVIII 45; sur Aristote cf. von Moos, Perspektiven der Unabsichtlichkeit, Sinngenera-
toren, Festschrift A. Hahn, ed. C. Bohn - H. Willems, Konstanz 2001, p. 111-138. C’est d’ailleurs la
raison qui, dans «Lucans tragedia …» (1979), m’a fait exclure l’Alexandréide du palmarès des œuvres
les plus ouvertes au pessimisme tragique de Lucain. J’avais tort, car la Pharsale est aussi un modèle
d’ironie froide et de satire cynique. Parmi les poètes latins du Moyen Âge classique, personne ne l’a
probablement mieux compris que Gautier de Châtillon. Sur la classification de la Pharsale entre la
«tragédie» (la misère des personnes sublimes) et la «satire» (la dissuasion de la guerre civile) dans le
système des genres médiéval qui sont l’une et l’autre des genres sérieux, cf. supra, n. 172.
253. Dan. 7, 7: la quatrième bête aux dents de fer et à dix cornes symbolise en effet le royaume
d’Alexandre. Mais pour Wiener, p. 57, c’est la troisième bête, le léopard de Dan. 7.6, qui symboli-
serait Alexandre (Al. VI 299-301): precitpitque legens Darii vestigia cursu / Ne fuga surripiat pleni pars
magna triumphi / Qui solus superest, pardis instantior instat. Je ne sais si l’erreur est du côté de Gautier
ou de Wiener, car traditionnellement la troisième bête se rapporte au royaume des Perses et non à
celui d’Alexandre.
254. Le mérite de cette étude est d’avancer (ch. VI, p. 91 ss.) de nouveaux arguments permet-
tant de dater l’œuvre entre les dernières années de Louis VII et le couronnement du jeune Philippe
II à (1175-1179). En outre je ne connais pas d’étude qui analyse aussi finement les correpondances
textuelles entre la Pharsale et l’Alexandréide (ch. III, p. 45 ss.). Cela complète même le travail de
Zwierlein, déjà très riche en se sens. – Je ne comprends pas pourquoi Wiener, qui accepte sans ré-
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serve le parallèle positif entre Darius et Pompée (et la bonne cause de Caton), refuse l’analogie du
moins en partie incontestablement péjorative entre Alexandre et César. Du VIe livre jusqu’à la fin,
cette comparaison devient de plus en plus noire et angoissante, de sorte que l’interprétation de Rat-
kowitsch ne me semble pas substantiellement réfutée, même si Wiener modère peut-être certaines
exagérations qui surchristianisent le poème.
255. Wiener cite plusieurs travaux de Pfister du début du XXe s. réimprimés dans Kleine Schrif-
ten zum Alexanderroman, Meisenheim a.G. 1976.
256. B. Roy, Une culture de l’équivoque, Montréal-Paris 1992, p. 9 s.
257. L’aspect typologique n’est d’ailleurs pas absent des travaux de Ratkowitsch (cf. par ex. Des-
riptio, p. 186), mais est interprété comme ambivalence morale du héros.
258. Wiener, p. 16. Malheureusement son interprétation exclusiviste ne tient pas compte de
cette observation.
259. Supra, n. 247 ss.
260. Wiener, p. 55 ss.; cf. Jer. 50, 23 dans Al. VII 423 s. A propos de vaesanus cf. supra, n. 230.
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les terreurs qui frappe le monde est dans la main de Dieu un instrument
de punition, de mise à l’épreuve ou de leçon exemplaire; dans cette pers-
pective l’intention subjective, la morale d’Alexandre est sans importance;
le héros est l’outil de la Providence, un peu comme le démon qui, selon
Goethe, «veut toujours le mal et crée toujours le bien»261. Il est difficile
d’aborder le succès des grands héros et scélérats de l’histoire sans effleurer
le problème de la théodicée: l’orgueil et la férocité d’un conquérant n’ex-
cluent pas qu’il ne réalise un plan divin dans l’histoire universelle. Il n’y a
aucune contradiction entre l’un et l’autre. J’ai été attiré par la thèse de
Wiener pour une autre raison: elle confirme curieusement la relation am-
biguë d’Othon de Freising à Lucain que nous allons étudier dans le pro-
chain chapitre. N’est-ce pas une même situation d’instabilité politique qui
amène Gautier et Othon à applaudir un jeune prince (Philippe Auguste,
Frédéric Barberousse) qu’ils aimeraient voir vainqueurs et soutenus par une
fortune dont ils craignent les retournements prévisibles?
V. UN POÈTE TRAGIQUE
261. A propos de cette dialectique d’une Providence qui se sert même des êtres les plus abjectes
ou scélérats pour révéler des vérités et prophécies, il suffit de lire par ex. ce passage d’Abélard dans
sa Theologia scholarium (CC cm 13), I 106, p. 359, qui contient un lieu commun de la théologie mé-
diévale: Cum autem per reprobos deus aut miracula ostendit aut prophetias loquitur aut quelibet magna ope-
ratur, non hoc ad utilitatem isporum agitur, quibus utitur tamquam instrumentis, sed potius aliorum quos ins-
truere intendit … Bene autem per indignos seu infideles maxima deus operatur, qui verbis asini prophetam do-
cuit, ne si per magnos tantum magna operaretur, virtutibus meritisque hominum magis quam divine gratie hec
tribuerentur. Cf. également J. Ehlers, Gut und Böse in der hochmittelalterlichen Historiographie,
Miscellanea Mediaevalia 11, Die Mächte des Guten und des Bösen, éd. A. Zimmermann, Berlin 1977,
p. 27-71, en part. p. 34 ss. sur la même idée à propos de l’échec de la 2e croisade chez Othon de
Freising. Les études classiques ne préparent peut-être pas assez à la compréhension de telles subti-
lités théologiques et littéraires du Moyen Âge, et je pense que, même dans le champ restreint de la
réception de la littérature ancienne, on ne peut pas facilement faire l’économie du métier de mé-
diéviste.
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1. Othon de Freising
Il n’y a guère d’ouvrages historiques plus souvent étudiés que la Chro-
nique des deux Cités et les Gestes de Frédéric d’Othon de Freising, «le plus im-
portant et le plus original des historiens du Moyen Âge européen»263.
Mais l’on s’est rarement interrogé sur les raisons de ses références fré-
quentes à Lucain264. Ce sujet très particulier pourrait pourtant éclairer le
problème controversé des contradictions, discontinuités et tensions de sa
conception du temps et de l’histoire265. Car le pessimisme tragique de Lu-
cain semble incompatible, et avec l’idée augustinienne centrale de la Chro-
nique, ce long acheminement eschatologique vers la béatitude transhisto-
rique de la Cité de Dieu, et avec l’exaltation optimiste de l’empereur Fré-
déric Barberousse. Pourtant ce même pessimisme est en parfait accord avec
l’intention du chroniqueur de peindre les «tragédies» de ce monde et
d’avertir l’empereur de la chute possible. La plupart des études sur Othon
de Freising privilégient les aspects théologiques d’une interprétation sys-
tématique et harmonieuse de l’histoire, pourtant continuellement contre-
dite par le récit même des événements266. C’est pourquoi, il y a plus de
262. Cela est souligné par Krönert, p. 67 s. et K.-F. Werner, Gott, Herrscher und Historiogra-
ph, «Deus qui mutat tempora», Feschrift für A. Becker, ed. E.-D. Hehl et al., Sigmaringen 1987, p. 1-
31, 11, 23 s.
263. S. Stelling-Michaud, Quelques aspects du problème du temps au Moyen Âge, Etudes suisses
d’histoire générale 17 (1959), p. 7-30, 19.
264. von Moos, Lucans tragedia, p. 147-161; Knapp, Tragoedia, p. 158-164; Krönert.
265. De la bibiliographie énorme, je ne citerai que quelques études importantes et récentes:
Morrison; Goetz; Staubach; idem, Compte rendu de Goetz dans Arbitrium, 1987, p. 18-21; Mégier,
Fortuna.
266. En Allemagne ce courant domine depuis Johannes Spörl dans les années 30 et est perpétué
par son élève Gert Melville dans les années 70. Il semble renaître actuellement dans les activités de
Hans-Werner Goetz qui met l’accent sur les analogies et différences entre les théologies de l’histoi-
re d’Augustin et d’Othon, donc sur l’aspect qui nous intéresse le moins dans notre contexte. A côté
du livre de Goetz sur Othon (n. 268) cf. idem, «Empirisch»-«metaphysisch»? Zum Verständnis der
Zweistaatenlehre Ottos von Freising im Hinblick auf Augustin, Augustiniana, 30.1-2, (1980), p. 29-
42 et le volume collectif édité par ses soins: Hochmittelalterliches Geschichtsbewußtsein im Spiegel nicht
historiographischer Quellen, Berlin 1998; cf. également les comptes rendus de Staubach (note précé-
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271. Cf. P. von Moos, Krise und Kritik der Institutionalität. Die mittelalterliche Kirche als
«Anstalt» und «Himmelreich auf Erden», in Institutionalität und Symbolisierung, ed. G. Melville
Köln 2001, p. 293-340; cf. supra, n. 175.
272. Chronica, p. 2.5.
273. Ibid., p. 4.21 ss.: Unde nobilitas vestra cognoscat nos hanc historiam nubilosi temporis, quod ante
vos fuit, turbulentia inductos ex amaritudine animi scripsisse ac ob hoc non tam rerum gestarum seriem quam
earundem miseriam in modum tragediae texuisse et sic unamquamque librorum distinctionem usque ad septi-
mum et octavum, per quos animarum quies resurrectionisque duplex stola significatur, in miseria terminasse.
274. Ibid., Prol., p. 10.7 ss.: Sapientis enim est officium non more volubilis rotae rotari, sed in virtutum
constantia … firmari. Proinde quia temporum mutabilitas stare non potest, ab ea migrare, ut dixi, sapientem
ad stantem et permanentem eternitatis civitatem debere, quis sani capitis negabit? Cf. Mégier, Fortuna.
275. Chronica VI 23, p. 486.19 s. (dans un passage emprunté à Réginon de Prüm). Cf. Stauba-
ch, p. 67. Il s’agit d’un topos de la rhétorique ancienne; cf. Inst. Or. X.1.31: (historia) … scribitur ad
narrandum, non ad probandum.
276. Cf. von Moos, Le secret (n. 270); Staubach, p. 63, 67 s., 73-75; Morrison, p. 212 s., 234.
277. Cité supra, n. 273 (p. 4.21 ss.).
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278. Chronica, Prol., p. 10.17 ss.: Sed quia plerique gentilium … gesta priorum … scripserunt, multa
documenta virtutum, ut ipsi rati sunt, prosecutiones vero miseriarum nostrorum iudicio nobis reliquerunt. Ex-
tant super hoc … monimenta preclara, in quibus non tam historias quam erumpnosas mortalium calamitatum
tragedias prudens lector invenire potest. Congrua sane ac provida dispositione creatoris id factum credimus, ut,
quoniam homines vani terrenis caducisque rebus inherere desiderant, ipsa saltim vicissitudine sui deterreantur,
ut a creatura ad creatorem cognoscendum per transitoriae vitae miseriam mittantur.
279. Koch, p. 374 s.
280. Supra, n. 118 ss.
281. Gesta, Prol., p. 114.20-23: si tamen rebus caducis aliqua fides adhibenda est.
282. Gesta I 4, p. 128.4 s. et I 5, p. 140.24 ss.: Bene ergo a tam mutabilitate[m] nature quam more
considerantibus dictum est: «Melius est ad summum quam in summo» (Hippocrate, Aphorisme I 3), quia,
cum amplius quo crescat non habeat, descrescere necesse est. Sicut autem a medicis precipitur, ut bone habitu-
dines, cum in summo fuerint, solvantur, sic non immerito a probatis animarum medicis suadetur, ut mens que
rerum prosperitate in summo posita elevari assolet, malorum intuito reprimatur. Unde est illud (Eccli. 11, 27):
In die bonorum ne immemor sis malorum. Cf. Koch, p. 325; Morrison, p. 227; Mégier, Fortuna, p. 68 s.
La contradiction qu’on a voulu voir entre l’optimisme des Gesta et le pessimisme de la Chronique
n’est qu’apparente. La philosophie de la mutatio rerum reste identique.
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force de l’âge ou n’importe quel sommet que de s’y trouver, puisque la ma-
ladie ou la chute, dans le deuxième cas, est nécessairement plus proche.
C’est surtout dans la Chronique, à propos du destin de l’empire romain,
que l’on retrouve certaines des idées centrales de la Pharsale. Les deux pre-
mières pages de l’œuvre proposent déjà l’exemple le plus manifeste de la
transitoriae vitae miseria, «le royaume des Romains»283: «Après avoir sub-
jugué tout l’univers par la force des armes, ce royaume, le plus sublime de
tous, est devenu à peu près le dernier, et, selon le poète, il ne subsiste guè-
re plus que comme l’ombre d’un grand nom», ut iuxta poetam vix magni stet
nominis umbra. C’est ainsi que Lucain compare Pompée sur le déclin à un
chêne magnifique mais stérile284. La citation, transposée dans un autre
contexte, reste cependant fidèle à la connotation essentielle de Lucain qui
comparait Rome à la piteuse figure du général vieillissant se reposant sur
les lauriers de ces anciens triomphes285.
Othon utilise le présent pour montrer Rome dans sa double perspective
temporelle: si sa destruction par les Goths la rejette dans le passé, elle exis-
te pourtant toujours, bien que vieillissante et agonisante286. Les deux no-
tions se croisent sans cesse dans la chronique, de sorte qu’il faut définir le
sens dominant de chaque emploi. L’ambiguïté de l’empire romain est cel-
le de la translatio imperii et studii, de la continuité et des ruptures dans cet-
te transmission de valeurs jusqu’à son aboutissement occidental, l’empire
germanique, lui-même voué à la destruction. Ce processus est décrit com-
me un seul «coucher du soleil», un seul déclin287: Et notandum, quod omnis
humana potentia seu scientia ab oriente cepit et in occidente terminatur, ut per hoc
rerum volubilitas ac defectus ostendatur.
Dans le récit de la guerre civile entre César et Pompée à la fin du deuxiè-
me livre (49-51), l’accent est mis sur la dimension historique d’un royau-
me autrefois anéanti. Ce sont ces passages qui contiennent le plus de ré-
miniscences et de citations de Lucain288. Les grandes lignes du récit autant
283. Chronica, Prol. I, p. 12.5 ss.: Ut enim de aliis taceam: regnum Romanorum quod … propter to-
cius orbis bello domiti singularem principatum … ferro comparatur, ex tot alternationibus, maxime diebus nos-
tris, ex nobilissimo factum est pene novissimum …
284. von Moos, Lucan und Abaelard, p. 424 ss.; Worstbrock.
285. Supra, n. 22.
286. Chronica, Prol. V, p. 374.8 ss.: Nos vero non solum credere, sed et videre quae premissa sunt pos-
sumus, mundum, quem pro mutatione sui contempnendum predixerunt, nos iam deficientem et tanquam ultimi
senii extremum spiritum trahentem cernimus.
287. Chronica, Prol. I, p. 14.4-6; à propos des concepts de déclin et décadence cf. infra, n. 299.
288. Elles sont toutes énumérées chez von Moos, Lucans tragedia, p. 152, et Krönert, p. 41 s.,
46 s., 56 ss.
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que les détails sont calqués sur la Pharsale qui semble être, avec Orose, la
principale source historique289 (l’épisode d’Amyclas est présenté comme
un événement réel290). Othon s’excuse d’ailleurs de ne pouvoir suivre cet-
te source plus en détail et de ne présenter qu’un petit aperçu de ce que Lu-
cain a décrit «dans une série de beaux vers splendides»291. Il est particu-
lièrement intéressant qu’il souscrive au caractère de rupture cataclysmique
que Lucain attribue à la bataille de Pharsale, tandis que le livre VI d’Oro-
se continue l’histoire de Rome sans interruption jusqu’à Auguste et la
naissance du Christ292. Le thème de la chute consécutive à la grandeur,
commun aux écrivains de l’époque de Néron293, est repris par Othon qui
cite – iuxta poetam – le célèbre vers I 81 de la Pharsale: in se magna ruunt294.
Cet axiome et plusieurs autres allusions à la Pharsale correspondent exac-
tement à sa «loi historique» du changement continuel, qu’il développe
ainsi295: «Les forces militaires amenées des quatre coins du monde, subju-
guées préalablement par le sang de beaucoup de Romains, puis recrutées
par les Romains, devaient donc se confronter dans une même bataille. Car
289. C’est ce que montre bien la fine analyse intertextuelle de Krönert. Sur l’influence respec-
tive d’Orose et de Lucain cf. von Moos, Lucans tragedia, p. 152 s.
290. Chronica II 49, p. 198.23 s.; cf. supra, n. 5-7.
291. Ibid., II 50, p. 202.4 s.: Quam quidem historiam a nobis compendio strictam pulchro ac luculento
versuum ordine Lucanus prosequitur. L’adjectif luculento correspond à la figure étymologique du nom de
Lucain (cf. supra, n. 98, 145).
292. Néanmoins Orose semble également suivre Augustin qui accentue comme Lucain le ca-
ractère catastrophique de la guerre civile. De Civ. Dei III 30 et XVIII 45 (CC 48), p. 643.61 ss.:
Tunc iam Roma subiugaverat Africam, subiugaverat Graeciam lateque etiam aliis orbis partibus imperans,
tamquam se ipsa non valens ferre, sua se quodam modo magnitudine fregerat.
293. Sur le thème de l’apogée suivi de la décadence cf. E. Dutoit, Le thème de «la force qui se
détruit elle-même» et ses variations chez quelques auteurs latins, Rev. des Etudes latines 14 (1936),
p. 365-373; M. Pohlenz, Causae civilium armorum (1927), dans ses Kleine Schriften II, Hildesheim
1965, p. 139-148, en part. 139 ss. sur Tite Live; S. Mazzarino, The End of the Ancient World, Lon-
don 1966, p. 32 ss., 44 ss., 58 ss.; E. Koestermann, Das Problem der römischen Dekadenz bei Sal-
lust und Tacitus, Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt I 3, Berlin 1973, p. 781-810; D. W.
Vessey, William of Tyre and the Art of Historiography, Medieval Studies 35 (1973), p. 433-355, en
part. 453 ss.; J. M. Dean, The World Grown Old in Later Medieval Literature, (Medieval Academy
Book 101), Cambridge Mass. 1997, et les vols. collectifs éd. par Thomasset/Zink et Baumgart-
ner/Harf-Lancner; dans le premier en part.: J.-M. Fritz, Figures et métaphores du corps dans le dis-
cours de l’histoire: du mundus senescens au monde malade, (p. 69-85); dans le second: D. Boutet, De
la translatio imperii à la finis saeculi: progrès et décadence dans la pensée de l’histoire au Moyen Âge,
(p. 37-48); cf. également infra, n. 299.
294. Chronica II 50, p. 198.28.
295. Chronica II 49, p. 198.26 ss.: Igitur ex omni parte mundi vires contractae multoque Romanorum
sanguine gentes devictae ipsorum modo vocatione congredi coguntur. Iam enim in tantum rei publicae profecerat
status, ut ulterius non posset. Et cum extrinsecus corrumpi non valeret, iuxta poetam, in se ipsum ruere debuit
… Videres lacrimabilem ac miserabilem pugnam, cives tocius orbis dominos in se divisos cum tocius orbis viri-
bus ad invicem dimicare et, ut ita dixerim, unius matris filios propriis manibus se volentes eviscerare.
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296. Chronica II 51, p. 202.1 ss.: Romanae rei publicae status … videmus. Alterna quippe mutatione
ad instar maris, quod nunc succiduis attollitur incrementis, nunc naturali dampno ac defectu subducitur. Ro-
manorum res publica nunc gentes et regna bello premendo, subiciendo ad caelos adtolli videbatur, nunc rursum
ab eis pressa vel pestilentiis ac morbis desolato ad abyssum usque mergi putabatur, quodque his maius est, om-
nibus bene ordinatis ac compositis intestino ac civili malo in se ipsam ruens miserabiliter evisceratur.
297. Ibid., II 51, p. 202.6: Exclamare hic contra mutabilium rerum miserias cogimur.
298. Gundolf, p. 35.
299. Dans un important article de 1980 (Niedergang), G. Melville montre qu’au Moyen Âge la
foi en la Providence empêche de concevoir l’ensemble de l’Histoire comme décadence, mais que la
religion ne protège pas contre le désarroi existentiel devant ses péripéties. Melville propose donc de
remplacer «Niedergang» (décadence) par «Verschlechterung» (dégradation, détériorisation); cf.
également Knapp, Tragoedia, p. 158 ss. – A propos de mon article ‘Lucans tragedia’, Krönert (p. 68
s.) se réfère à Melville pour me reprocher l’anachronisme de termes comme «pessimisme» et «dé-
cadence» appliqués à Othlon. Je les utilise moins souvent ici, parce qu’ils peuvent en effet prêter à
malentendu, comme l’exemple de Krönert même le prouve. Néanmoins, il me semble aller de soi
que le médiéviste sait distinguer la perpective de l’invisible spirituel et celle de la perception du vi-
sible historique. L’historien médiéval croit que l’ordre divin donne un sens aux événements, même
s’il ne le connaît pas. Il peut tout au plus le conjecturer sur la base de rares indices ou de révélations
divines. Confronté à l’accablante apparence d’injustices, absurdités et déchéances de toutes sortes,
son regard n’est pas plus serein que le nôtre. Au contraire, la proportions de péché, de misère et de
chaos, peuvent lui apparaître tellement insupportables qu’il se sent proche de la fin du monde. C’est
dans ce sens que Gilson (La philosophie au Moyen Âge, Paris 1962, p. 329) écrit qu’Othon «ne voit
dans cette histoire qu’une longue et continuelle décadence». Je ne vois pas comment on pourrait
considérer le concept de «vieillissement du monde» (senescens saeculum) d’Othon autrement que com-
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me «profond pessimisme historique» (Stelling-Michaud [n. 263], p. 20). Cf. von Koppenfels, p. 89
s.; A. Hahn, Soziologische Aspekte des Fortschrittsglaubens, Konstruktionen des Selbst, der Welt und
der Geschichte, Frankfurt 2000, p. 315-334, en part. 321 ss.; Jaeger, Pessimism; von Moos, Unab-
sichtlichkeit (n. 252), p. 121 ss. et infra, n. 425.
300. A propos de la datation du début de l’empire de la paix soit avant César, soit avant Au-
guste, voir supra, n. 173-176, 292 s. et Beer, Caesar, p. 27 s.; Fichtenau, p. 410 ss.; Knapp,
Schlacht, p. 137 ss. Le choix d’Othon est un autre signe de sa vision plus spirituelle que politique
de l’histoire et confirme son idée principale que la corruption finale d’un empire est déjà program-
mé à sa naissance même. Développant une idée d’Augustin (De civ. XV 1, 7-9, 17), il voit dans le
fratricide de Romulus l’anticipation des deux catastrophes majeures de Rome: de la guerre civile et
de la chute définitive de l’empire sous Romulus Augustulus. Chronica II 6, p. 116.30 s.: crudeli ortu
regnum tocius orbis futurum caput iniciavit. Sur le fratricide de Romulus chez Augustin cf. Stürner, p.
73 s. La pax Augusta accompagnant l’origine du Christianisme est évoquée comme une faveur divi-
ne exceptionelle et comme une interruption momentanée dans le cours des «tragédies» de l’histoi-
re romaine. Chronica, Prol. III, p. 212.3 ss.: Dominus … Grecis postremum a Romanis humiliatis Romam
quoque humiliandam ad tempus exaltare voluit.
301. Staubach, p. 69, conteste l’opinion commune (opinion à laquelle j’ai adhéré moi-même dans
‘Lucans tragedia’) que cette rupture grégorienne termine la civitas permixta. Il faut s’entendre sur les dif-
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férents sens du terme: chez Augustin la permixtio, le mélange des bons et des méchants, dure évidem-
ment jusqu’à la parousie du Christ; mais Othon n’est pas très clair sur ce qu’il entend par civitas permix-
ta, qui est en même temps civitas una. A côté de la notion spirituelle d’Augustin il introduit une notion
institutionnelle qui se rapporte à la fusion sous Constantin de l’Église avec l’Empire, fusion qui se rompt
définitivement pendant la guerre des investitures. Cf. Goetz, «Empirisch»-«metaphysisch»? (n. 266).
302. Supra, n. 174; cf. von Moos, Tragedia, p. 156 s.; Staubach, p. 70 ss.
303. Chronica, Prol. I, p. 12.2 ss.: Nos autem tanquam in fine temporum constituti, non tam in codici-
bus eorum erumpnas mortalium legimus, quam ex ipsis nostri temporis experimentis eas in nobis invenimus. Cf.
Staubach, Der König als membrum diaboli, p. 122 ss.
304. Chronica, Prol. VI, p. 430.8 ss.: Ubi minores a maioribus, inferiores a potentioribus sorberi ac ad
ultimum se ipsos, cum materiam non invenerint, discerpere conspicimus. Unde illud: «In se magna ruunt» (Ph.
I 81); cf. Krönert, p. 56 s.
305. Chronica VI 32, p. 484.9 ss.: Et sicut in Lucano habes: «victrix …» ita et huic Hiltibrando, qui
semper in ecclesiastico rigore constantissimus fuit, causa ista, in qua sententia principis et episcoporum preva-
luit, semper displicuit.
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306. Supra, n. 181 s., 192; le refus constant d’Othon de lier succès à mérite, échec à faute (par
ex. à la mort d’Henri IV, Chronica VII 11, p. 516s, ou après la deuxième croisade, Gesta I 66) est
souligné par Morrison, p. 221 s.
307. Krönert tente de prouver qu’Othon ne s’est pas servi de florilèges, mais qu’il a connu le
texte de Lucain lui-même. Le résultat est convaincant; néanmoins il ne faut pas imaginer, comme
le fait l’auteur, qu’Othon ait travaillé la Pharsale ouverte devant lui, afin d’y trouver des «lambeaux
de pourpre». C’est sousestimer anachroniquement la capacité mnémonique d’un écrivain aussi cul-
tivé que l’évêque de Freising. Contre les excès d’une certaine philologie de l’écrit il est toujours sti-
mulant de lire H. Grundmann, Dichtete Wolfram von Eschenbach am Schreibtisch?, Archiv für
Kulturgeschcichte 49 (1967), p. 391-405.
308. Chronica II 12, p. 126.26 ss.: Hic [Habacuc] ob hoc quod populum Dei iniuste oppressum perere-
grinari et misere vivere, oppressores vero eius regnare ac prosperari vidit, in tantam etiam contra Dominum pro-
rupit audaciam, ut ipsum aut res humanas negligere aut non equa lance pensare pene dixerit. Cf. Staubach,
p. 62. Je pense même qu’Othon a été induit en tentation par cette «audace» d’Habacuc. Cela ex-
pliquerait certaines tensions et contradictions que Morrison a bien analysées comme une «pensée
qui se cherche» un «work in progress». Cela aussi est plus authentiquement augustinien que la
construction des «deux Cités» fusionnées en une seule Église impériale.
309. Chronica, Prol. VII, p. 494.9 ss.: Proinde non iuxta quosdam Deum negligere mundum, sed …
sapientissima providentia creata gubernare … Si ergo Deus quae fecit diligit, nichilque eorum quae fiunt sine
eius nutu fieri potest, si potestates omnes ordinat, multo magis regna, per quae alia minora disponit, eorumque
mutationes fieri permittit.
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310. Ibid., VI 36, p. 492.13 ss.: Quanta tamen mala, quot bella bellorumque discrimina inde subsecu-
ta sint, quociens misera Roma obsessa, capta vastata, quod papa super papam sicut rex super regem positus fue-
rit, tedet memorare. Denique tot mala … huius tempestatis turbo involvit, ut solus ex persecutionis immanita-
te ac temporis diuternitate ad humanae miseriae infelicitatem sufficeret comprobandam.
311. Les vainqueurs vaincus, les Pyrrhus et les victimes de leur propre succès, sont un autre mo-
tif récurrent d’Othon, qui rappelle les sarcasmes de Lucain; cf. Chronica II 31, p. 160 s. (Pyrrhus);
ibid., I 26, p. 92 (Troie: même misère pour les vainquers et les vaincus).
312. Chronica VI 36, p. 492 ss.: Predictus enim pontifex Gregorius a rege Urbe pellitur … Porro Gre-
gorius Salerni manens appropinquante vocationis suae tempore dixisse fertur: «Dilexi iusticiam et odivi ini-
quitatem, propterea morior in exilio». Quia ergo regnum in principe suo ab ecclesia preciso graviter percussum
fuit, ecclesia quoque tanto pastore, … orbata dolorem non modicum habuit. Tanta mutatione, tanquam a per-
fectione ad defectum vergente tempore, sexto operi finem imponamus, ut ad septenarium requiemque animarum,
quae miseriam presentis vitae subsequitur, Deo ductore properemus.
313. Ps. 44.8 (cité dans Hebr 1.9): Dilexisti iustitam et odisti iniqutatem, propterea unxit te Deus …
oleo laetitae prae consortibus tuis. Cf. P. E. Hübinger, Die letzten Worte Papst Gregors VII.(Rhein.-
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Westfälische Akad. der Wissensch., geisteswiss. Vortr. 185), Opladen 1973; H. E. J. Cowdrey, Pope
Gregory VII, 1073-1085, Oxford-New York 1998.
314. von Moos, Cornelia.
315. L’attribution à l’évêque Erlung de Würzburg, qui serait également l’auteur du Carmen de
bello Saxonico est controversée. En dernière instance elle était soutenue par H. Beumann, Zur Ver-
fasserfrage der Vita Heinrici IV, Festschrift J. Fleckenstein, Sigmaringen 1984, p. 305-319; cf. égale-
ment M. Schluck, Die Vita Heinrici IV Imperatoris. Ihre zeitgenössischen Quellen und ihr besonderes Ve-
rhältnis zum Carmen de bello Saxonico, Sigmaringen 1979.
316. La bibliographie récente est assez maigre: cf. la note précédente et surtout Bornscheuer, p.
149-168; von Moos, Lucans tragedia, p. 161-167, 177-183 (avec une liste exhaustive des réminis-
cences de Lucain); en outre Lotter, Schneider et Stein.
317. Lotter tente de prouver que le texte n’est pas une biographie, mais un epitaphium/encomion
nécrologique. Les trois quarts de son essai décrivent l’évolution de ce genre depuis l’Antiquité
grecque (en particulier depuis Ménandre le rhéteur). On peut reprocher à cet historien (1977) de ne
pas avoir étudié suffisamment les monographies d’histoire littéraire, en part. R. Kassel, Untersu-
chungen zur griechischen und römischen Konsolationsliteratur, München 1958 et P. von Moos, Consolatio,
Studien zur mittellateinischen Trostliteratur über den Tod und zum Problem der christlichen Trauer, 4 vols.,
München 1972, où on peut lire vol. I, p. 200 s., que la Vita Heinrici, dans le prologue et l’épilogue,
montre l’influence de l’épitaphe jérôminien plutôt dans le sens d’un planctus que dans celui d’une
consolation, mais que l’ensemble de l’œuvre est d’avantage une biographie qu’un epitaphium. L’im-
précision de la désignation médiévale des genres est manifeste dans l’Epitaphium Adelheidis d’Odi-
lon de Cluny, qui est bien plus une biographie que la Vita Adalhardi de Paschase Radbert, où la
plainte et la consolation supplantent largement la narratio biographique (ibid., p. 43-44). La Vie
d’Henri IV est, comme d’innombrables textes que j’ai analysés dans Consolatio, à la fois biographie,
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threnos et éloge funèbre. L’un des principaux objectifs méthodologiques de mon livre est d’ailleurs
justement de privilégier, parmi les critères de classification des œuvres, les modèles imités, les
contenus, idées et intentions particulières, par rapport à l’application formaliste de genres littéraires
dont le statut est extrêmement aléatoire au Moyen Âge.
318. Les chapitres 3 à 7 commencent tous par la description des dangers et se terminent par la
victoire d’Henri; cf. Haefele, p. 20 ss. A propos du concept de fortuna, qui n’est positif qu’en appa-
rence, cf. Bornscheuer, p. 154 s., 164 ss. (contre Haefele qui évoque l’idée gemanique du «König-
sheil»).
319. V. Heinrici ch. 4, p. 422.6.
320. Ibid., p. 422.2: Rodolfum ducem super se regem creatum invenit … ante paratus ad fugam quam
ad pugnam, ante pulsus quam victus.
321. Ibid., p. 422.4 s.: Facile est regnum accipere, difficile tueri.
322. Comme le pense Schneider, p. 129.
323. Ph. I 510: O faciles dare summa deos eademque tueri / difficile.
324. Ph. I 521 s.: danda tamen venia est tantorum, danda pavorum: Pompeio fugiente timent.
325. V. Heinrici, ch. 4, p. 422.5 s.: Sed nulli mirum sit virum in rebus bellicis exercitatum et strenuum
nunc fugisse, quia sepe iustior et victrix causa fortes in metum mittit et in fugam.
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rieuse cause met en crainte et fuite des hommes vaillants». Plus qu’une
simple adaptation du vers I 128 à une situation différente326, il s’agit ici
d’une inversion délibérée de toute la pensée du passage Ph. I 124-128327.
Le biographe suggère (nulli mirum) que la juste cause pourrait être la cau-
se victorieuse, mais il atténue sa supposition par un prudent saepe: Henri
possède toujours le charisme d’un roi sacré et d’un Caesar invictus. Cela
concorde avec la mentalité d’une époque qui pratique les ordalies et com-
bats singuliers afin de connaître le «jugement de Dieu». Le sort de Rudolf,
qui perd la main avec laquelle il avait juré fidélité au roi avant de perdre
la vie, est interprété comme une punition divine328. Si la formule iustior et
victrix causa est un des clichés les plus répandus de «l’historiographie du
succès», il ne faut cependant pas exclure une lecture plus subtile. Si l’on
suppose les lecteurs cléricaux familiers de la Pharsale et de plus parfaite-
ment informés de la fin d’Henri IV, cette insistance sur la justesse de la
cause victorieuse pourrait n’être qu’un procédé pour introduire un peu de
suspense par une illusion bientôt cruellement détrompée.
Quoi qu’il en soit, l’auteur continue par un petit portrait moral de Ru-
dolf, savante marqueterie de réminiscences de Salluste et de Lucain. Le pa-
rallèle entre le conflit d’Henri et Rudolf et celui de César et Pompée est là
encore évident. Rudolf s’enfuit devant la «plus juste cause» parce qu’il re-
connaît sa faute329. La convoitise a corrompu cet homme vaillant et droit:
«il s’est laissé vaincre par la cupidité qui vainc tout, et en usurpateur a sa-
crifié la fidélité à un honneur incertain». La perversion de la vertu par la
guerre civile est un motif récurrent de Lucain330, et le vers V 345, presque
proverbial au Moyen Âge, est un clin d’œil à la Pharsale: Iste R. dux eximius
… veri rectique tenax «fortis in armis», deique spectatus in omni genere virtutum,
iste, inquam, avaricia, quae vincit omnia, victus … La formule fortis in armis
est extraite de la harangue de César aux mutins de Placentia, dans laquel-
le il loue et insulte en même temps son ancien officier Labiénus331: «un
brave dans les armées de César, maintenant vil transfuge ayant Pompée
pour chef». Le parallèle se confirme ensuite par une allusion à Pompée: si
Rudolf ne s’était pas enfui et avait été arrêté, il aurait subi le même sort332,
cuius caput si deprehensus esset, vindex gladius digne rotaret. Nous voyons donc,
dans cette première partie de la biographie, les réminiscences de Lucain
servir à assimiler le roi à César et ses ennemis à Pompée; la vanité de leur
rébellion est fustigée avec sarcasme, parfois même jusqu’à la caricature333.
«Ils se ruent sur tout le mal»334. Ils se jettent dans d’autres bella nullos ha-
bitura triumphos (Ph. I 12), car même quand ils réussissent à vaincre335, «la
victoire gagnée avec d’autant plus de crimes, mérite d’autant moins de
gloire». Par ailleurs, la relation entre légitimité et succès, typique de tou-
te historiographie dynastique au Moyen Âge, prouve les vertus d’un roi
qui apparaît comme le possesseur d’une bonne et durable Fortune, quand
ses ennemis doutent de la leur336.
Après la première défaite du roi, les emprunts à Lucain sont d’un autre
ordre. Le biographe est troublé par l’évolution du règne d’Henri IV, et c’est
dans cette aporie qu’il puise les expressions les plus noires dans la Pharsa-
le. La guerre entre le père et le fils, ou plutôt entre les partisans d’Henri IV
et d’Henri (V) – «plus que civile» elle aussi –, est l’œuvre d’une Fortuna
332. Ph. VIII 672 s.: ense rotare se trouve dans une parenthèse sur les exécutions: Tunc nervos ve-
nasque secat nodosaque frangit / ossa diu: nondum artis erat caput ense rotare. «Ce n’était pas encore un art
de couper une tête d’un coup circulaire de l’épée».
333. Par ex. à la fin du ch. 4, p. 424, la mort honteuse de l’antiroi Hermann de Salm, portans
inane nomen regis (cf. Ph. V 389), tué par une femme qui lui jette une meule du haut de la tour; sans
doute une invention de notre auteur calquée sur la mort d’Abimelech (Jud. 9. 50-54) et contenant
une allusion à la roue de Fortune. Cette meule est exaltée ainsi: Felix es et multi semper nominis mola;
cf. Ph. VIII 139: Heu nimium felix aeterno nomine Lesbos. Sur cet épisode cf. Schneider, p. 105 et Born-
scheuer, p. 166.
334. V. Heinrici, ch. 2, p. 416.25: per omne nefas ruebant; cf. Ph. V 312 s.: per omne fasque nefasque
rues; cf. également V. Heinrici ch. 4, p. 424.1 à propos de la mort de transfuges: Heu miserrimi, qui-
bus pretium et scleris causa fuit et necis, quos in uno loco et crimen involvit et vindicta; cf. Ph. VII 747 ss.:
quae fossa, quis agger / sustineat pretium belli scelerumque petentes et ibid., VII 89: Involvat populos una for-
tuna ruina. – V. Heinrici, p. 424.6: solis peditibus miserabile fatum incubuit; cf. Ph. IV 27 s.: in pedites
fatum miserabile belli incubuit.
335. V. Heinrici, ch. 4, p. 424.7 s.: victoria quanto maioris sceleris, tanto minoris tituli fuit; l’idée gé-
nérale et quasi proverbiale de Ph. I 12 se combine ici avec une réminiscence précise d’Ovide, Met.
XIII 334: Victori titulum quam Dictys Helopsque minorem.
336. Le début du ch. 5, p. 426 est parlant: Post hanc regum fortunam in creatione regum diu hesita-
tum est et casus praeteriti metus erat futuri. Vicit tandem cupiditas … Cf. Ph. VII 547: fortuna Caesaris
haesit (cité aussi infra, n. 352); ibid., II 233: praeteritique memor flebat metuensque futuri. – Il n’est pas
sûr que l’auteur ait envisagé une véritable syncrisis entre un nouveau César et de nouveaux Pompées
(les antirois), car il y a trop d’incongruités dans une telle comparaison. Il suffit de penser que chez
Lucain c’est Pompée qui représente la légitimité et César la rébellion et le crime de «convoitise».
Mais les réminiscences relevés sont toutes pertinentes si on y voit des indices renvoyant non pas à
une comparaison conséquente des deux héros, mais séparément soit à César, soit à Pompée. Pour
l’historien de la cause impériale il va de soi que César, du moins dans cette première partie de
l’œuvre, est un héros positif.
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337. Cf. R. Walsh: le vers I 281 est même cité oralement et par écrit dans les échanges diplo-
matiques de Charles le Téméraire et Louis XI. C’est évidemment une preuve de la proverbialité du
vers et non pas, comme Walsh tente péniblement de le prouver, de la culture littéraire de ces deux
princes. Cf. également Beer, Caesar, p. 52, 139 s.; Paratore, Dante, p. 176 ss.; Fraenkel p. 42 s.;
Sanford, Quotations, p. 5 ss.
338. Infra, n. 349.
339. V. Heinrici, ch. 9, p. 444.2 s.: adhuc ibi cassa obsidione laboraret, excepto si sola fames quae cunc-
ta expugnat, illud non expugnaret.
340. Ibid., p. 444.28: sceleri fortunaeque cedendum putavit et… fugit; Schneider relève aussi Sallus-
te, Cat. 34.2: fortunae cedere.
341. Schottes, p. 1115 ss., 144 ss., 169 ss.; Ahl, Phars., p. 293 ss.
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342. V. Heinrici, ch. 9, p. 444.28 s.: … ad similitudinem David ne filius parricida fieret, fugit. Quam
mirabiliter gratia Dei operatur!
343. Ibid., ch. 9, p. 446.9 s.
344. Ibid., ch. 10, p. 446.10 s.: ut faventem sibi fortunam urgueret … invitavit proceres, accersivit mul-
tos, ut cunctis innotesceret quia dominus rerum esse vellet.
345. Ph. I 148 s.: Successibus urguere suos, instari favori / numinis, impellens, quidquid sibi summa pe-
tenti / obstaret. Les soldats à César après sa traversée démoniaque de l’Adriatique (V 696 ss.): sufficit
ad fatum belli favor iste laborque / Fortunae … / … non rector ut orbis / nec dominus rerum, … esses? On
peut également penser au fils incapable de Pompée, qui demande à l’oracle (Ph. VI 592 ss.): liceat
mihi noscere finem / quem belli fortuna paret. Non ultima turbae / pars ego Romanae, Magni clarissima proles
/ vel dominus rerum vel tanti funeris heres.
346. On a supposé que cette invention traduisait la peur de l’auteur de s’attirer la colère du suc-
cesseur sur le trône. Mais, l’auteur étant inconnu et l’ensemble des descriptions du caractère d’Hen-
ri V tellement noir et satirique, une telle hypothèse est invraisemblable.
347. Ibid., ch. 10, p. 450.2 ss.: quod necessitas coegit, respondit se … imperio renunciare, non vi coac-
tum, sed propria voluntate inductum, sibi iam defecisse vires ad moderandi regni habenas, non se iam eius cu-
piditate teneri, quod longo usu didicisset habere plus molestiae quam gloriae.
348. Ph. I 129 ss.: Alter vergentibus annis / in senium longoque togae tranquillior usu / dedicit iam pace
ducem famaeque petitor / multa dare in vulgus.
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349. V. Heinrici, ch. 10, p. 450.8 ss.: Multos et oratio imperatoris et fortuna ad gemitus et lacrimas
commovit, filium autem ad miserationem nec ipsa natura movere potuit. Et cum caderet ad pedes filii, … nec
vultum nec animum ad patrem reflexit, cum ipse potius ad patrios pedes advolvi debuisset, eo quod illi regnum,
cuius heres designatus ab ispo fuerat, impatiens morae praeripuisset. Ph. IX 146 s.: … in gemitus et lacrimas
/ dolorem effudit. Cette tournure répandue est peut-être due au hasard, ce qui n’est pas le cas pour
Ph. VI 424: imaptiens morae. L’impatience de César est l’essence du caractère que Lucain veut lui at-
tribuer; cf. Ph. I 204, 264, 281; V 410, 477; VII 240: aeger quippe morae flagransque …
350. Privatus est un qualicatif fréquent de Pompée, cf. Ph. I 324, II 278 désignant son caractè-
re pacifique, contraire à celui de César: V 539; cf. infra, n. 405.
351. C’est encore un lieu commun sans signification particulière, même si ce cliché se trouve
également dans le De bello Saxonico III 175; cf. supra, n. 315.
352. V. Heinrici, ch. 11, p. 25 ss.: Cum autem intrasset Alsaciam, ibi fortuna eius aliquantulum hae-
sit (cf. supra, n. 336) … Sed quod in se fortuna tantum ausa est ex patris consilio prodisse suspicatus.
353. V. Heinrici, ch. 12, p. 4558.5 = Ph. V 758.
354. V. Heinrici, ch. 10, p. 448.8: Mirum fraudem umquam tam ordinatam fortunam habuisse L’étonne-
ment concernant la constance de fortune est déjà un topos poétique ancien; cf. Ovide, Trist. V 8. 18;
Boèce, Cons. Phil. II 1, 10: Servavit (fortuna) … in ipsa sui mutabilitate constantiam; Hildebert de Lavar-
din, Carmen 22, 15 (éd. Scott): Mirabar sic te, te sic, Fortuna fidelem, / Mirabar stabilem, que levis esse soles.
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de est d’ordinaire victime des lois de Fortune, son succès est normalement
de courte durée. Ici, tout se renverse: Fortune, fidèle au fils, représente la
victoire «régulière» et permanente de l’iniquité. Nous ne sommes pas loin
de Lucain, de son principe ius datum sceleri (I 2) et de sa Fortune négative
qui s’identifie à fatum ou tyché355.
Pourtant, malgré cette analogie rhétorique, la pensée du biographe se
distingue nettement du pessimisme de Lucain et ne quitte pas vraiment le
cadre d’une œuvre édifiante. Plus la fortuna ordinata qui fait souffrir Henri
IV est effroyable, plus le contraste entre les misères de ce monde et la «fé-
licité» de l’au-delà est frappant356. Il est curieux qu’une biographie à ten-
dance apologétique, voire panégyrique, ne puisse éviter ce lieu commun du
contemptus mundi et fasse de son héros un exemple parmi d’autres de la fra-
gilité du monde. Dans cette perspective l’activité politique et militaire de
l’empereur est sans intérêt, ce sont ses qualités chrétiennes qui lui assurent
le salut éternel357. Il est probable que le biographe, faute de pouvoir justi-
fier les échecs de son héros qui aurait dû régner en dux invictus et felix, doit
se contenter de célébrer ses vertus intérieures et sa gloire éternelle, trans-
formant ainsi le genre de l’historiographie ottonienne et salienne en bio-
graphie édifiante sans intérêt politique358. À cette justification surnaturel-
le, sur le modèle de la Vie de saint Martin de Sulpice Sévère359, se superpo-
sent quelques éléments de la morale stoïcienne qui ont inspiré Lucain pour
l’exaltation de la fin de Pompée. Il y a une relation peut-être inconsciente
entre la mort d’Henri IV et celle de son tragique précurseur, que le poète,
par un amer paradoxe, qualifie malgré tout de felix, et dont il décrit l’as-
cension posthume au ciel dans une semi-apothéose360.
Ce n’est pas dans ce dénouement religieux d’une vie manquée que rési-
de l’apport majeur de la Pharsale, mais dans les problèmes apparemment
insolubles de cette existence. Le biographe focalise toute son attention sur
une tragédie qu’il tente d’expliquer par les vérités rassurantes de la foi,
mais l’œuvre s’achève pourtant par une lamentation sur une «fortune
meurtrière». Une tension sensible, qui s’inspire de Salluste et de Lucain,
s’établit entre la part qu’il prend aux événements accablants et ses tenta-
tives pour leur donner un sens supérieur361.
Le biographe emprunte à Lucain les moyens d’exprimer sa perplexité et
sa consternation et de construire une historia sur la base d’un destin per-
sonnel incompréhensible. Ce point le rapproche d’Othon de Freising, qui,
lui aussi, utilise la Pharsale pour exprimer ses propres apories face à son
époque. Le biographe d’Henri se situe bien sûr à un niveau moins général,
moins philosophique. Ce n’est pas l’absurdité apocalyptique de la querelle
des investitures qui le préoccupe, mais seulement une de ses conséquences
désastreuses: la succession d’usurpateurs renversant toute la morale féoda-
le de la loyauté ou fides, et surtout l’énormité du scelus d’Henri (V), la «fu-
reur» d’un fils contre son propre père362. Le biographe indigné ne consi-
dère ces monstruosités que sous l’aspect moral: elles proviennent de l’in-
sondable méchanceté humaine. Il est incapable d’en expliquer la cause
réelle: la dissolution des valeurs féodales au cours de la politique des ana-
thèmes de l’Église et de l’empire. Il évite d’aborder un des problèmes ins-
titutionnels les plus controversés de son époque, la validité des serments
de fidélité envers les souverains excommuniés et l’absolution des péchés en
récompense d’une telle trahison. L’auteur remarque bien le lien entre l’ex-
communication d’Henri et les soulèvements dans l’empire, mais s’abstient
de toute opinion personnelle sur la légitimité du conflit qui oppose Gré-
goire VII à Henri IV. Il laisse expressément en suspens la question du droit
de l’Empereur à déposer un pape suspect de simonie363.
Cette indécision pose le problème essentiel pour les historiens de ce
conflit: la culpabilité de tous les protagonistes. Une interprétation répan-
364. La comparaison avec Abélard n’est pas fortuite, cf. von Moos, Lucan und Abaelard, p. 424 ss.
365. On pourrait comparer l’Historia calamitatum d’Abélard et d’autres histoires décrivant une
conversion ou une dégradation subite de leur héros, comme la Vie d’Adalbert de Brème par Adam.
366. V. Heinrici ch. 6, p. 428.16 ss.: Regis tamen fortuna vicit … Itaque res regis in altiorem et feli-
ciorem statum se cottidie promovebat.
367. Ibid., ch. 6, 430.22: Cf. Ph. I 304 s (dans la harangue de César qui se compare à Hanni-
bal): Non secus ingenti bellorum Roma tumultu / concutitur quam si Poenus transcenderit Alpes / Hannibal.
Cf. Sanford, Quotations …, p. 7 s. à propos de l’emploi de ces vers dans la critique d’autres expé-
ditions de rois allemands au-delà des Alpes.
368. Ibid., ch. 6, p. 430.6 s.: Cessa, obsecro, rex gloriose, cessa ab hoc molimine, ut aecclesiasticum ca-
put de suo culmine deicias et in reddenda iniuria te reum facis!
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369. Ibid., ch. 7, p. 434.19: Denique imperator … novae dignitatis apicem gerens in Teutonicum re-
gnum reversus est. Sed nulla fortuna longa est.
370. Cf. G. Duby, Guerre et société dans l’Europe féodale, dans Concetto, storia, miti ed immagini
del Medio Evvo, ed. V. Branca, Venezia 1973, p. 448-482, en part. 476 ss. Le Waltharius, parodie de
l’idéal guerrier et critique de la discorde, ne contient pas de réminiscences de Lucain, bien que le
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fonction ne lui échoit que dans la seconde moitié du XIe siècle avec la cri-
se décisive «des deux glaives». Encore faut-il préciser que, si le poème
gagne un impact «antimilitariste», c’est uniquement comme condamna-
tion de la guerre idéologique. À ce moment historique précis, quand l’uni-
té politico-religieuse du pouvoir ecclésiastique et du pouvoir séculier, qui
ne posait guère problème dans l’Église impériale, tend à se désintégrer, la
Pharsale devient en peu de temps la source privilégiée des auteurs sati-
riques et didactiques371.
C’est manifeste à travers les citations des pamphlets appelés libelli de lite.
Prenons comme exemple le livre anonyme De unitate ecclesiae conservanda.
Ici, comme chez Othon de Freising, les événements, présentés comme une
immense rerum confusio, pourraient faire le sujet d’une tragedia plus que
d’une historia, car chacun combat contre chacun et toutes les institutions
et valeurs établies dépérissent. Le comble du malheur est que chacun «se
recommande d’un grand arbitre», que chaque parti croit avoir «d’avanta-
ge le droit de prendre les armes»372 et qu’enfin la victoire doit toujours et
nécessairement se trouver du côté du plus grand scélérat373. C’est un dé-
veloppement acerbe des vers 126-127 du premier livre de la Pharsale: quis
iustius induit arma / scire nefas, magno se judice quisque tuetur. La citation a
également été utilisée pour ironiser sur l’abondance de «grands arbitres» à
sujet aurait pu s’y prêter; cf. D’Angelo,Waltharius, Memoria …; Kratz; O. Zwierlein, Das Wal-
tharius-Epos und seine lateinischen Vorbilder, Antike und Abendland 16 (1970), p. 153-184.
371. Sur ce changement cf. Leonardi, Agostino (n. 175); Staubach, p. 49 s.; idem, Der König
als membrum diaboli.
372. Liber de unitate ecclesiae conservanda 19, MG Libelli de lite 2 (1892), p 214.33 ss.: Exinde di-
visa est ecclesia et divisa sunt ecclesiae sacerdotia, atque omnia scandalorum orta sunt genera; exinde crevit gra-
ve et diuturnum bellum, et non solum civile bellum, sed etiam plus quam civile bellum (Ph. I 1) …; exinde
etiam crevit illa iniustitia, ut … postquam «leges bello siluere coactae» (Ph. I 277) impleatur iam domini
sententia … Ibid., p. 222.15 ss.: Sed iam facta divisione imperii simul et sacerdotii surrexit rex adversus re-
gem, gens adversus gentem, episcopus adversus episcopum, populus contra populum. Exinde vero quantae caedes
factae sint hominum … quanta etiam rerum confusio exinde facta sit in omni ecclesia, indigere videtur tra-
goedia magis quam historia. «Magno se iudice quisque tuetur», dum uterque rex «iuste arma se induisse ar-
bitratur» (Ph. I 126 s.).
373. Ibid., p. 251.15 ss. sur les combats autour de Würzburg (également racontés dans la V.
Heinrici, ch. 4) pendant lesquels un évêque sanguinaire inspecte les cadavres à la manière de César:
ac deinde circa occisorum corpora … gloriando dixit: «Ecce modo apparet, ecce modo apparet ubi iustitia sit,
cum apud nos, inquit, victoria sit! Haec est illa dies … fato quae teste probet «quis iustius arma» sumpserit,
haec acies «victum factura nocentem» (Ph. VII 259 s.; cf. Ph. VII 737 s.). Sed «iustitia et pax osculatae
sunt se»(Ps. 84.11), quoniam neutra potest absque altera esse. Studium autem et gloria est eorum, qui perti-
nent ad terrenam civitatem, effundere humanum sanguinem, cum filii pacis hi sint filii dei. At illius sangui-
neae crudelitatis episcopi «nulla loci facies revocat feralibus arvis / haerentes oculos, celsos cumulis aequantia
colles / corpora, sidentesque in tabem spectat acervos» (Ph. VII 788-791 racourci). Certe talis vir sanguineus
alienus est, hostis est, quem sensus doloris non tetigit in prostratis fratribus. Cf. Z. Zafarana, Ricerche sul
«Liber de unitate ecclesiae conervanda», Studi Medievali 7 (1966), p. 617-700.
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l’époque des schismes où chacun «ne se fie qu’à son propre jugement»374.
Ces exemples montrent suffisamment comment Lucain a pu devenir le mo-
dèle du sarcasme sublime.
374. Suger de St-Denis,Vita Ludovici grossi, éd. H. Waquet, Paris 1929, p. 259 (à propos du
schisme d’Anaclet): … sicque schisma perniciosum statuendo Christi domini tunicam inconsutibilem discin-
dendo, partiti sunt ecclesiam dei, et dum «magno se iudice quisque tuetur» (Ph. I 127) alii alios alliciunt,
alii alios anathemate innodant, iudicium praeter suum non attendunt. Sur l’emploi de Ph. I 126 s. par Jean
de Salisbury, cf. P. von Moos, Die angesehende Meinung. Studien zum endoxon im Mittelalter IV:
Johann von Salisbury, Mittellat. Jahrb. 34.2 (1999), p. 1-55, en part. 36 s.; idem, Geschichte, p. 328
ss. sur Pol. VII 12, p. 142.5 ss., VII 19, p. 175-178.
375. Pol. VIII 23, vol. II, p. 399-411 (je ne citerai que les pages et lignes). L’analyse de toute
les références à Lucain dans le Policraticus serait un travail de longue haleine. L’édition de Webb
donne une liste presqu’exhaustive des citations, mais est beaucoup moins complète en ce qui
concerne les réminiscences et allusions.
376. Pol. VIII 23: Consilio Bruti utendum esse adversus eos qui pro summo pontificatu non modo certant,
sed schismatice dimicant; et quod tirannis nichil quietum.
377. Cf. Bonner, Education, p. 2 ss. (le cas se trouve chez Cicéron, Top. 21, 82; De orat. III 29,
112; Quintilien, Inst. III 5, 6 et Sénèque, Ep. 14, 13); à propos de la prédilection de Jean pour ces
débats rhétoriques, cf. von Moos, Geschichte, p. 286 ss.
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des vers qui rappellent le second argument de Brutus383: «Faut-il une tel-
le abondance de crimes inouïs pour chercher lequel des deux commandera
Rome? À peine eût-il fallu susciter la guerre civile pour que ce ne fût ni
l’un ni l’autre». Plutôt que d’accuser le destin ou des «dieux cruels», Jean
met cette discorde absurde sous le signe apocalyptique de Satan384: «Un
nouveau jugement de ce monde est célébré, et son Prince qui a été éjecté
dans la passion du Christ, revient semer les scandales. Bienheureux soit qui
n’est pas entortillé par ses pièges!» Suivent d’autres allusions à Lucain ha-
bilement mêlées à des réminiscences bibliques385: ces tyrans ecclésias-
tiques «rejettent toute l’humilité du ministère et aspirent à dominer
même au-dessus des rois». Tandis que la «charité se refroidit» (Matth. 24,
12), ils posent leurs trônes vers le Nord diabolique (Is. 14, 13) et productos
odere pares (Ph. IV 710)386. Ce demi-vers n’est compréhensible que dans le
contexte auquel Jean fait allusion, une harangue de Curion qui recom-
mande à ses soldats de ne pas comparer les chefs ni peser les causes de la
guerre, mais de se jeter aveuglément dans le combat: «Ce qu’ils haïssent
ce sont des partenaires». Jean s’exclame387: «qu’ils eussent donc suivi le
conseil de Brutus, duquel l’a détourné l’autorité de Caton sous la menace
de la guerre! Car Brutus avait d’abord décidé de s’abstenir de la guerre ci-
vile, dans laquelle plus que quelqu’un est engagé, plus il est inique et
monstrueux. Voici ce qu’il dit388: Tu as Brutus qui est ennemi, non pas
maintenant de César et de Pompée, mais, après la guerre, du vainqueur».
Jean de Salisbury, le théoricien du tyrannicide, cite ce vers final du discours
de Brutus dont il connaît la fonction prospective et en résume la quintes-
sence: Brutus ne veut pas s’engager dans une guerre après laquelle il lui
faudra se débarrasser du vainqueur, donc de César, d’autant plus que cette
guerre rend coupables tous les adhérents. Jean cite encore un autre vers sur
cette dialectique de la victoire nécessairement délétère, Ph. VII 263 un dis-
cours de Pompée389: «Aucune main n’est pure quand l’arbitre de la guer-
re aura changé».
383. Ph. II 60-63: Tantone novorum / proventu scelerum quaerunt uter imperet orbi? / Vix tanti fuerat
civilia bella movere / ut neuter.
384. Ibid., p. 401.24 ss.
385. Ibid., p. 402.5 ss.
386. Ibid., p. 402.12-14.
387. Ibid., p. 402.14-16; Jean est donc conscient que ce n’est pas Brutus qui a convaincu Ca-
ton, mais l’inverse.
388. Ibid., p. 402.20 s. = Ph. II 283 s.: Nunc neque Pompeii Brutum nec Cesaris hostem post bellum
victoris habes.
389. Ibid., p. 403.16: Nulla manus belli mutato iudice pura est.
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390. Une liste d’exemples (surtout de spécialistes de Dante) chez von Moos, Lucans tragedia, p.
169, n. 133, cf. supra, n. 8, 379. Lucain est également loué en tant que défenseur républicain de la
liberté et adversaire de César autant que de Néron dans la notice citée plus haut n. 187 du Chroni-
con Laetiense. Leeker, p. 53 ss., 189 ss., dresse un tableau exhaustif des jugements sur César dans les
littératures romanes, qui sont majoritairement positifs, et conclut (p. 201 ss.) que la dévalorisation
républicaine commence seulement avec l’humanisme italien. Ce résultat provient de sa spécialisa-
tion sur des textes vernaculaires, qui, comme le Faits des Romains, sont écrits pour des publics laïcs,
le plus souvent courtois. L’étude de la littérature latine et cléricale du Moyen Âge sur le sujet au-
rait considérablement changé la donne. Cf. une observation analogue concernant la matière
d’Alexandre, n. 224.
391. Ce problème est un motif essentiel de mon livre sur le Policraticus et les exempla (Geschichte).
392. Pol. VIII 19 (surtout p. 365.27 s.).
393. Pol. VII 25.
394. Cf. von Moos, Geschichte, p. 533 ss. et infra ch. 4, p. 205 ss.
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bis periculo – l’un des deux duellistes, emporte la victoire ou plutôt celui
que Dieu approuvera ou permettra d’être vainqueur». Le monde dans ce
cas ne serait ni divisé ni inquiété; il aurait au contraire lieu de se réjouir
d’une telle victoire solitaire et «plus encore si tous les deux ou personne ne
vainquaient». Qu’importe399: «le crime du schisme rend égaux ceux qu’il
souille» (Ph. V 290). Dans une verve satirique inspirée de Lucain, Jean se
plaît encore à énumérer les divers supplices que le vainqueur pourrait in-
fliger au vaincu et qui sont ceux qu’ont effectivement subis les antipapes
déposés dans le passé: d’être noyé dans le Tibre, enfermé dans un couvent,
banni sur l’île de Lipari, etc.400
Le véritable danger ne provient pas de quelques individus ambitieux qui
se combattent et s’entre-tuent, mais de leurs partisans; ce sont eux qui
mettent en marche «une guerre du peuple contre le peuple». «Toutes les
guerres civiles cesseront quand il n’y aura plus personne pour soutenir la
prétention téméraire (si praesumptioni desit temeritatis adiutor)401. À l’idée
qu’un peuple puisse être séduit par démagogie Jean objecte402: «personne
ne pourrait inciter les concitoyens à la fureur, si la folie elle-même ne les
charmait un peu». Ce n’est pas seulement le tyran qui séduit le peuple, le
peuple peut inciter un chef à devenir un tyran. Rien ne peut justifier une
guerre civile. «La nécessité de se déchaîner les uns contre les autres n’exis-
te pas, ou est au plus haut point imaginaire»403. C’est ce que le poeta gra-
vissimus Lucain, dont Quintilien exalte les qualités d’orateur, veut dire:
qu’il faut se prémunir contre les dangers et que le public ne peut pas être
contraint au crime par un seul. Cet éloge, déjà cité dans le cadre des juge-
ments sur le poète historien404, accompagné dans ce chapitre de citations
nombreuses et peu connus de la Pharsale, indique surtout que l’idée cen-
trale, la comparaison d’un combat singulier avec la guerre civile, est inspi-
rée par le IVe livre, dont Jean cite immédiatement huit vers essentiels
contenant l’apostrophe du poète aux soldats, lors de la fraternisation des
troupes ennemies à Ilerda (IV 181-188)405: «[Le soldat] quoique pur enco-
399. Pol., p. 403.19 s.: «facinus» enim schismatis «quos inquinat aequat».
400. Ibid., p. 403.10 ss.
401. Pol., p. 404.1 s.
402. Ibid., p. 404.2 s.
403. Ibid., p. 404.4 s.
404. Supra, n. 86.
405. Pol., p. 404.12-20 = Ph. IV 181-188: Hic quamvis nullo maculatus sanguine miles / quae po-
tuit fecisse timet, Quid pectora pulsas? / quid vesane gemis? Quid fletus fundis inanes? / Nec te sponte tua sce-
leri parere fateris? / Usque adeone times quem tu facis esse timendum? / Classica det bello: diros tu neglige
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cantus: / signa ferat; cessa: iam iam civilis Erinis / concidet et Cesar generum privatus amabit. La compa-
raison a été également inspiré par Ph. IV 702-710, cité dans Pol., p. 402.12-14.
406. Ibid., p. 404.21-24.
407. Ph. II 562-564: quo potuit civem populus perducere liber / ascendi supraque nihil nisi regna reli-
qui: / non privata cupis, Romana quisquis in urbe / Pompeium transire paras.
408. Pol. VII 20, p. 346.13-19 (17: Ph. II 562-564): Et quidem non solum reges tirannidem exercent;
privatorum plurimi tiranni sunt … Sur l’emploi de «public et privé» chez Jean cf. P. von Moos, «Öf-
fentlich» und «privat» im Mittelalter. Zu einem Problem historischer Begriffsbildung (Schriften der Philos.-
hist.Klasse der Heidelberger Akademie der Wissenschaften 33), Heidelberg 2004, p. 80-83, sur la défini-
tion de la tyrannie comme un franchissement du Rubicon entre privé et public, entre ambition per-
sonnelle et bien commun, dans Pol. VII 20, p. 346.17 et VIII 17, p. 189.12, chaque fois à la base
de Ph. II 562-564 (supra, n. 407).
409. Pol. VIII 17, p. 189.8-15 (12: Ph. II 562-564): arrogantius privatorum vota transgreditur qui
sub imagine libertatis principibus appetit dominari.
410. Pol. III 15 (le célèbre chapitre sur la légitimité du tyrannicide), vol. I, 233. 1 s.: Tirannis
ergo non modo publicum crimen est sed, si fieri posset, plus quam publicum est.
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411. C’est une combinaison raffinéee de Matth. 26, 52 s. (cf. Jean 18.10 s.): «Alors Jésus lui dit:
‘Rengaine ton glaive … Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon père, qui me fournirait
sur-le-champ plus de douze légions d’anges’» et de Matth. 13, 28-30, 39, la parabole du bon grain
et de l’ivraie semée par le diable, qui ne seront séparés qu’à la fin des temps par les «anges mois-
sonneurs». Sur l’importance de cette parabole dans l’histoire de la tolérance cf. supra, n. 270.
412. Ph. II 259: Accipient alios, facient te bella nocentem.
413. Cf. Adatte, p. 235.
414. Pol., p. 405.9 s.: Schismaticos nocentes accipiunt sed consentientes iustos nocentes faciunt bella sacer-
dotalia. Webb ne signale pas la réminiscence.
415. Ibid., p. 405.13-16 = Ph. III 315-318: Si celicolis furor arma dedisset, / aut si terrigenae temp-
tarent astra gigantes, / non tamen auderet pietas humana vel armis / vel votis prodesse Iovi.
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textes religieux du schisme: «Si la fureur avait donné des armes aux habi-
tants du ciel, ou si les géants nés de la terre essayaient d’aborder les astres,
la piété humaine n’oserait pourtant ni par ses armes ni par ses vœux se-
conder Jupiter». Jean ajoute les vers proverbiaux (I 126 s.)416: «C’est un
sacrilège de vouloir savoir qui des deux a plus le droit de prendre les
armes», pour exprimer que dans une telle aporie une justification même
religieuse est naïve. Certes, serait-il pieux de soutenir un pape catholique
contre un pape schismatique. Mais comment les reconnaître? Les schisma-
tiques sont menteurs et prétendent qu’ils sont eux-mêmes catholiques.
Que faire? Réserver la cause à l’examen de Dieu, qui seul connaît les
cœurs? Mais il faut se décider d’une façon ou d’une autre. C’est encore Lu-
cain qui inspire une solution. C’est l’esprit de discorde ostensible qui tra-
hit le schismatique417. Dans le discours dissuasif de Brutus se trouve un
passage qui confronte la discorde humaine à l’harmonie cosmique des
astres et à la paix intérieure du sage418: «La discorde trouble les plus petits
des êtres, les plus grands conservent la paix». Jean n’ose cependant pas ci-
ter le contexte païen pourtant essentiel à la compréhension de ces vers, qui
sont introduits chez Lucain par (II 271 s.): nubes excedit Olympus. / Lege deum
minimas rerum etc. Cette citation sert de transition à des exemples my-
thiques, Phaéton, Icare, Damocle, des ambitieux punis de leur hybris par
une chute spectaculaire. Ils illustrent, à côté de l’exemple historique
d’Anaclet, le sort lamentable qu’auront tous les antipapes419. Jean conclut
de façon assez personnelle, en s’appuyant sur le souvenir d’une conversa-
tion avec son ami Nicolas Breakspeare, le pape régnant Adrien IV420:
«Bien que tous honorent le sommet du pontificat suprême, moi, je pense,
qu’il vaut mieux, tant que la religion le permet, le fuir que de l’accepter.
… J’invoque le témoignage de notre seigneur Adrien, selon lequel per-
sonne n’est plus misérable que le pape romain, aucune condition plus mal-
heureuse que la sienne. Même s’il n’avait pas d’autres problèmes, il serait
vite écrasé par le seul poids de son travail. Il m’a confié d’avoir trouvé sur
le trône de Pierre tant de misères qu’en comparaison toutes les amertumes
subies précédemment lui semblaient des joies d’une vie heureuse …».
Nous voilà donc, grâce à Lucain, après les miseriae regum de la vie d’Henri
IV, devant les miseriae pontificum de Jean de Salisbury.
Le chapitre contre les schismes est un étonnant document d’imitation
qui, tout en montrant une parfaite connaissance de la Pharsale, en retour-
ne consciemment le sens en prenant parti pour Brutus, contre Caton et Lu-
cain. Dans la tradition ininterrompue du débat ancien entre otium et nego-
tium, ce retournement rappelle plutôt la position de Sénèque que celle de
Cicéron, et anticipe en quelque sorte le retrait de Pétrarque de la vie acti-
ve en faveur d’un otium de sage ou d’intellectuel421. Mais ce sont des appa-
rences trompeuses. L’ensemble du Policraticus se lit plutôt comme un plai-
doyer pour les vertus actives et les responsabilités politiques et comme un
hommage soutenu à Cicéron. Si Jean, dans ce chapitre, donne dans un
«mépris du monde» habituellement associé à Lucain, et le présente à la
manière non moins habituelle un peu quiétiste et humaniste de Boèce,
c’est que ses motifs se réfèrent très concrètement à un problème de poli-
tique ecclésiale qui ne lui permet pas d’autre option. Quand, en automne
1159, il termine son Policraticus, Adrien IV, le seul pape anglais, est mou-
rant alors que le conflit avec Frédéric Barberousse rend un nouveau schis-
me imminent422. Il éclate en effet peu après l’élection d’Alexandre III et
dure 18 ans, pendant lesquels trois antipapes se succèdent. Le chapitre VIII
23, un des derniers de l’ouvrage, est sans doute écrit dans la crainte de ces
événements et a pour but d’avertir ceux qui un jour pourraient devenir les
ma et, quantum ad statum praesentis seculi pertinet, miserrima videtur esse conditio. Ibid., p. 410.11 ss.: Do-
minum Adrianum … huius rei testem invoco, quia Romano pontifice nemo miserabilior est, conditione eius nul-
la miserior. Et, licet nichil aliud ledat, necesse est ut citissime vel solo labore deficiat. Fatetur enim in ea sede
se tantas miserias invenisse ut facta collatione praesentium tota praecedens amaritudo iocunditas et vita felicis-
sima fuerit … Cf. A. Paravcini Bagliani, Il corpo del papa, Torino 1994, p. 13 s.
421. P. von Moos, Les solitudes de Pétrarque, Rassegna Europea di Letteratura Italiana 7 (1996),
p. 23-58, réimprimé dans le présent volume, ch. 17, p. 611 ss.
422. La datation du Policraticus juste avant ou juste après la mort d’Adrien peut rester un sujet
de discussion. J’ai d’abord préféré la seconde hypothèse, mais un argument en faveur de la premiè-
re est fourni par Pol., p. 410.10-411.3, où Jean prend le pape à témoin de la misère de sa charge.
Le passage commence par cuius tempora felicia faciat Deus et se termine par: dum superest, ipsum inter-
roga et crede experto. Il est donc encore vivant, mais la formule «tant qu’il subsiste encore» pourrait
indiquer sa mort imminente. Sur Adrien cf. Adrian IV, the English Pope, éd. B. Bolton - A. J. Dug-
gan, Ashgate 2003.
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VII. CONCLUSIONS
423. Dans le dernier chapitre du Metalogicon (IV 42), achevé peu de temps après le Policraticus,
Jean se lamente sur la mort d’Adrien et sur le schisme. On y trouve des passages analogues bien que
les réminiscences de Lucain y soient moins fréquentes, cf. par ex. Met., p. 183.28 ss.: Omnium vero
mentes magis exulcerat scissura ecclesiae, quae … contigit, tanto patre sublato. Expetivit eam Sathanas ut cri-
braret sicut triticum, et undique alterius Iudae proditoris ministerio amaritudines et scandala spargit (cf. Luc.
22, 31 et Pol., p. 401.24 ss.). Oriuntur bella plus quam civilia (Ph. I 1), sacerdotalia enim sunt et frater-
na (cf. Pol., p. 400.19 ss.). Nunc iudicium est mundi, et timendum ne partem stellarum secum involvat ami-
bitiosi ruina proditoris. Ve autem illi per quem hoc scandalum venit … (Ioh 12. 31. Apoc. 12.4; Matth.
18, 7; 26, 24) «Le traître» c’est l’antipape Victor IV soutenu par Frédéric Barberousse.
424. A propos du goût de Jean pour la satire cf. von Moos, Geschichte, p. 290, 547 ss.
425. A propos de la légitimité du concept de «pessimisme» appliqué au Moyen Âge cf. supra,
n. 299; Jaeger, Pessimism; F. Graus, Goldenes Zeitalter, Zeitschelte und Lob der guten alten Zeit,
dans ses Ausgewählte Aufsätze, Struttgart 2002, p. 93-130; J. Decorte, Geschichte und Eschatolo-
gie. Vom Nutzen und Nachteil der Historie für das mittelalterliche Leben, Miscellanea Mediaevalia
29, Ende und Vollendung, éd. J. A. Aertsen - M. Pickavé, Berlin 2002, p. 150-161.
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ex illa re aliquid loqui, Lucanus autem nihil se scire fateatur … nobisque sufficit cum propheta dicere «quam
magnifica sunt opera tua, Domine»(Ps. 91, 6 etc.).
431. Pol. IV 40, p. 213: Est enim curiositas inutilium superflua inquisitio, in quo … fere totus occu-
patus est mundus. Quod vitium Lucanus notans dum estuantis Oceani incertas causas promeret, curiosos ad cer-
titudinem inscrutabilis secreti invitat: «Querite …»; cf. von Moos, Geschichte, p. 295 s.
432. Sénèque, Ep. 88, 7, est associé à Ph. III 264 par Laurent de Durham pour illustrer deux
«erreurs» inexplicables dans sa Consolatio de morte amici, pr. V 15, m. 5, éd. U. Kindermann, Erlan-
gen 1969, p. 156. D’autres exemples chez von Moos, Geschichte, p. 295 s., 363 s., 543; Rieks, p.
112 s.; G. G. Meersseman, Seneca maestro di spiritualità nei suoi opuscoli apocrifi dal XII al XV
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433. Arnoul d’Orléans sur I 412 et 417 ss.: Ponit tres opiniones more philosophi, sed nullam solvit
more poete. – Modo legite ita: querite, o vos philosophi, «quos agitat mundi labor», id est, qui laboratis de
causis rerum inquirendis … cf. supra, n. 196.
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tique, qui ont constamment réactualisé une épopée glorifiant une cause
perdue d’avance434.
BIBLIOGRAPHIE
TEXTES
434. Schrijvers, p. 14 ss.; en tant qu’érudit classiciste il est opposé à toute actualisation «exoté-
rique» de Lucain qu’il présente plutôt comme un pur déclamateur virtuose recherchant l’effet et
l’originalité du sujet, cf. supra, n. 20.
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L’EXEMPLUM
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In 1165 the deanery of Salisbury was the object of royal jobbery. A long
dispute followed in which John tried to mediate by means of several let-
ters. In one of them he wrote1: ‘If my advice is asked ... I reply that in all
cases of stubborn doubt one should act as follows: first let us enquire and
follow the prescriptions of Divine Law on the matter; if this gives no cer-
tain solution, one should go back to the canons and (then) to the examples
of the saints; if nothing certain is to be found there, one should finally in-
vestigate the mind and counsel of men wise in the fear of the Lord ...’. In
this enumeration of means to enlighten problems of practical life, the ex-
empla sanctorum are placed along with the authorities of the Bible and of
Canon Law, although ranking lower than these precepts. They comple-
ment the abstract rules by concrete comparison, like legal precedents they
were meant to explain special cases or fill gaps in the law.
Another letter from the year 1167 refers to a contemporary event, the
excommunication of the emperor Frederick I. by pope Alexander III. On
account of rumour or wishful thinking John supposed that the ‘teutonic
tyrant’ had also been suspended from imperial power. ‘In this’, he says2,
‘the pope has followed the example of his predecessor Gregory VII, who
condemned the emperor Henry IV for destroying the privileges of the
Church and deposed him with a similar judgment: ... Gregory’s judgment
took effect’. Hinting at Henry’s unfortunate end he hopes for a similar ef-
fect on the tyrannical successor Barbarossa. Except for its religious conno-
* First published in The World of John of Salisbury (Studies in Church History, Subsidia 3), ed.
M. Wilks, Oxford (Blackwell) 1984. This paper was the draft of Geschichte als Topik (bibliography
n. 26) [see now my aricle ‘L’anecdote philosophique chez Jean de Salisbury’, bibliogr. n. 95].
1. Letter 217, to Reginald of Salisbury (1167), ed. W. J. Millor and C. N. L. Brooke, The Let-
ters of John of Salisbury, 2, Oxford 1979, pp. 364-366.
2. Letter 242, 2, p. 474.
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3. Aristotle, Rhetorica II.20, 1393 a-b (cf. I.2, 1355 b-1357 b and I.9, 1368 a). W. L. Benoit,
‘Aristotle’s Example: The Rhetorical Induction’, Quarterly Journal of Speech 66 (1980), pp. 182-192.
4. Historia Pontificalis, ed. M. Chibnall, London-Edinburgh 1956, p. 3; Disticha Catonis III.13.
5. Metalogicon, ed. C. C. I. Webb, Oxford 1929, IV.10, p. 176.7-10 following Chalcidius, Comm.
in Tim. Plat. § 231. Cf. Seneca, Epp. 76, 35; 82, 2; Quintilian, Inst. III, 8. 66 following Aristotle,
Rhetorica, 1394 a 8.
6. R. W. Southern, Aspects of the European Tradition of Historical Writing, III: ‘History as Prophecy’,
Transactions of the Royal Historical Society, 5th series, 22, London 1972, pp. 159-180 at pp. 168-169.
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the present10. Moreover the logic of composition seems disturbed and con-
fused by the motley short stories. ‘One thing he lacked’, Professor Brooke
reproached John, ‘was the capacity to write a book’11. In the face of mod-
ern standards of historical and pragmatic thinking the Policraticus might
disappoint us. I pass over the question whether the reason for this lies more
with us or with the work. I would prefer to know how historical and con-
temporary reality relates to literature as the only relevant medium of the
exemplum. This question is significant not only for John of Salisbury. In
several studies on the Italian Renaissance12, for instance on Salutati, Pe-
trarch and Boccaccio, the claim is made that although the moral principle
historia magistra vitae has goverened the view of history from antiquity to
early modern times, it was only the Renaissance humanists, who, driven
by a genuine thirst for knowledge, followed a consciously empirical, in-
ductive method in studying historical models. It is claimed that they were
the first to use individual exempla for reflection on problems of practical
philosophy, in order to learn concrete modes of behaviour, worthy to be
imitated. In accordance with this opinion the Middle Ages only knew a
pseudo-inductive, illustrative method of using exempla to prove and con-
vince, not to obtain knowledge; medieval exempla are said to convey, eluci-
10. J. Huizinga, Zwei prägotische Geister: Abaelard, Johannes von Salisbury (1933, 1935), Geschichte
und Kultur, Gesammelte Aufsätze, ed. K. Köster, Stuttgart 1954, pp. 161-212: pp. 200-201: ‘Wir
möchten, dass er uns mehr von seiner eigenen Zeit und weniger antike Figuren und Exempel, von
denen der Policraticus voll ist, gegeben hätte’. See also (n. 8) Misch, pp. 1184, 1188; Liebeschütz,
Med. Humanism, pp. 6, 47, 108; id., ‘Chartres und Bologna’, p. 4; Cl. Uhlig, Hofkritik im England
des Mittelalters und der Renaissance, Berlin-New York 1973, pp. 27-54, 109.
11. C. N. L. Brooke, Introduction to The Letters of John of Salisbury, 1, London-Edinburgh 1955,
p. XIV. Cf. C. Schaarschmidt, Johannes Saresberiensis nach Leben und Studien, Schriften und Philosophie,
Leipzig 1862, p. 87 quoting Justus Lipsius as in Fabricius (Bibl. med. et inf. Latinitatis VI.131, also
in PL 199. 13 C-D): ‘Polycraticus ... opus varium jucundumque lectu, et in quo centone multos pan-
nos purpureos et fragmenta melioris aevi agnovit Lipsius ad Taciti XII, 63’. See also Liebeschütz,
Med. Humanism, pp. 1-2, 61 (‘the impression of logical deficiency’), 51, 71-72, 116-117; id.,
‘Chartres und Bologna’, pp. 4, 13; Uhlig, p. 41: ‘ein Werk, dem man ... einheitliche Gedanken-
führung absprechen muss’; D. Knowles, The Evolution of Medieval Thought, London 1963, p. 137.
12. K. Stierle, ‘Geschichte als Exemplum – Exemplum als Geschichte’, Poetik und Hermeneutik,
5: Geschichte, Ereignis und Erzählung, München 1973, pp. 347-375, discussed pp. 450-452; trans-
lated as ‘L’histoire comme exemple, l’exemple comme histoire’, Poétique 10 (1972), pp. 176-198.
Cf. R. Landfester, Historia magistra vitae, Untersuchungen zur humanistischen Geschichtstheorie des 14. bis
16. Jahrhunderts (Travaux d’Humanisme et Renaissance 123), Genève 1972, pp. 10, 20, 59, 134 f.,
147; G. Buck, Article ‘Beispiel’ in Historisches Wörterbuch der Philosophie 1, ed. J. Ritter, Darmstadt
1971, cols. 819-820; E. Kessler, Das Problem des frühen Humanismus, Seine philosophische Bedeutung bei
Coluccio Salutati, München 1968, pp. 189 f.; id., Petrarca und die Geschichte, München 1978, pp. 108-
116; id., ‘Geschichtsdenken und Geschichtsschreibung bei F. Petrarca’, Archiv für Kulturgesch. 51
(1969), pp. 109-136, see pp. 112-113; H.-J. Neuschäfer, Boccaccio und der Beginn der Novelle,
München 1969, pp. 52-89. See also below n. 162.
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13. See Rhétorique et Histoire. L’exemplum et le modèle de comportement dans le discours antique et médié-
val, Mélanges de l’Ecole Française de Rome, Moyen Âge – Temps Modernes, 92.1, 1980, especially J. Berlioz
and J.-M. David, ‘Introduction bibliographique’ (pp. 15-23); N. Zorzetti, ‘Dimostrare e convincere’
(pp. 33-65); J.-M. David, ‘Maiorum exempla sequi: l’exemplum historique dans les discours judiciaires
de Cicéron’ (pp. 67-86). The most important studies in this direction are K. Alewelll, Das rhetorische
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(1942) 3-22; K. Döring, ‘Exemplum Socratis’, Studien zur Sokratesnachwirkung in der kynisch-stoischen
Popularphilosophie der frühen Kaiserzeit und im frühen Christentum, Wiesbaden 1979; J. Ehlers, ‘Gut und
Bose in der hochmittelalterlichen Historiographie’, Miscellanea Mediaevalia 11 (1977), pp. 27-71,
esp. pp. 36-41; M. Fleck, Untersuchungen zu den exempla des Valerius Maximus, Diss. Marburg 1974; J.
Gaillard, ‘Regulus selon Cicéron’, Revue des Etudes Latines 50 (1972), pp. 46-49 and id., ‘Auctoritas
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Exempli’, ibid., 56 (1978), pp. 30-34; K. Gebien, Die Geschichte in Senecas philosophischen Schriften,
Diss. Konstanz 1969; W. Geerlings, ‘Christus Exemplum: Studien zur Christologie und Chris-
tusverkündigung Augustins’, Tübinger Theologische Studien 13, Mainz 1977, pp. 146-234 (Der exem-
plum-Begriff); K. Groß, ‘Auctoritas-maiorum exempla’, Studien und Mitteilungen zur Geschichte des
Benediktinerordens 58 (1940), pp. 59-67; W. Jennings, ‘Lucan’s Medieval Popularity: The Exemplum
Tradition’, Rivista di cultura classica e medioevale 16 (1974), pp. 215-233; F. P. Knapp, ‘Vergleich und
Exempel in der lateinischen Rhetorik und Poetik’, Studi Medievali 14 (1973), pp. 443 f.; and the
same in F. P. Knapp, Similitudo: Stil- und Erzählfunktion von Vergleich und Exempel in der lateinischen,
französischen und deutschen Großepik des Hochmittelalters, I (Philologica Germanica 2), Wien-Stuttgart
1975; H. Kornhardt, Exemplum: Eine bedeutungsgeschichtliche Studie, Diss. Göttingen 1936; U. Kre-
witt, Metapher und tropische Rede in der Auffassung des Mittelalters (Beihefte zum Mittellateinischen
Jahrbuch 7) Ratingen-Kastellaun-Wuppertal 1970, pp. 84-85, 97, 145, 155-156, 435, 451; H.
Lausberg, Handbuch der literarischen Rhetorik, München 1960, §§ 410-426; A. Lumpe, Art. ‘Exem-
plum’ in RAC VI (1966, cols. 1229-1257; P. von Moos, ‘Consolatio’, Studien zur mittellateinischen
Trostliteratur… (Münstersche Mittelalterschriften 3, 1-4), München 1972, vol. 3, §§ 454-505, 1345-
1396 (cf. vol. 4, p. 121); J. J. Murphy, Rhetoric in the Middle Ages, Berkeley-Los Angeles-London
1974, pp. 171-173, 327-342 et passim; A. Nordh, ‘Historical exempla in Martial’, Eranos 52 (1954),
pp. 224-238; H. Pétré, L’exemplum chez Tertullien, Diss. Paris, Dijon 1940; ead., Art. ‘Exemple’, Dic-
tionnaire de la spiritualité… 4 (1961) I, cols. 1878-1892; V. Pöschl, ‘Augustinus und die römische
Geschichtsauffassung’, in Augustinus Magister (Congrès int. Augustinien 1954), Paris 1955, vol. 1,
pp. 957-963; J. Price, Paradigma and exemplum in Ancient Rhetorical Theory, Diss. Berkeley 1975; H.
Reinitzer, ‘Über Beispielfiguren im Erec’, Deutsche Vierteljahrsschrift für Literaturwissenschaft und Geis-
tesgeschichte, 50 (1976), pp. 597-639; T. Verweyen, Art. ‘Apophthegma’ in Enzyklopädie des Märchens
1 (1977), pp. 674-678; J. Ziese, Historische Beweisführung in den Streitschriften des lnvestitutstreits
(Münchener Beiträge zur Mediävistik und Renaissance-Forschung 8), München 1972.
14. It would not be possible within the scope of this paper to provide a full bibliography, let
alone a survey, of the exceptionally large number of works that have been published. in this area
(which is itself only of secondary interest) since the standard works of Welter, Howie, Mosher,
Frenken and Crane. A selection of the more recent and comprehensive contributions to the subject
follows here: Rhétorique et Histoire (see above n. 13) with the following contributions: J. Berlioz, J.
M. David, ‘Introduction bibliographique’ (pp. 23-31); A. Vitale-Brovarone ‘Persuasione e nar-
razione: l’exemplum tra due retoriche, VI-XII secolo’ (pp. 81-112); J. Berlioz, ‘Le récit efficace: l’ex-
emplum au service de la prédication, XIIIe-XVe siècles’ (pp. 113-146); B. Geremek, ‘L’exemplum et la
circulation de la culture au Moyen Âge’ (153-179). Also H. Bausinger, ‘Zum Beispiel’, Festschrift
K. Ranke: Volksüberlieferung, Göttingen 1968, pp. 9-18; id., ‘Exemplum und Beispiel’, Hessische Blät-
ter für Volkskunde 59 (1968), pp. 31-43; C. Delcorno, L ‘exemplum nella predicazione volgare di Gior-
dano da Pisa, Venezia 1972; M. L. Doglio, L‘exemplum nella novella latina del ‘400, Torino 1975; M.
Dardano, Lingua e tecnica narrativa nel Duecento, Roma 1969, pp. 17-37 ‘L’exemplum mediolatino’;
J. Klapper, Art. ‘Exempel’ in Reallexikon der deutschen Literaturgeschichte, 3 (1977), pp. 413-418; J.
Leclercq, ‘The Image of St. Bernard in the Late Medieval Exempla Literature’, Thought 54 (1979)
291-302; J. Le Goff, ‘Vita et pre-exemplum dans le deuxième livre des Dialogues de Grégoire le Grand,
Hagiographie, cultures et sociétés, IVe-XIIe siècles (Colloques C.N.R.S.), Paris 1981, pp. 105-120; Idem
et al., L’exemplum: Typologie des Sources du Moyen Âge Occidental, Turnhout 1982; S. Lo Nigro, ‘L’exem-
plum e la narrativa popolare del secolo XIII°, in La letteratura popolare (Atti del 3o Convegno di Studi
sul folklore padano), Firenze 1972, pp. 319-328; J. M. Mehl, ‘L’exemplum chez Jacques de Cessoles’,
Moyen Âge 84 (178), pp. 227-246; H. D. Oppel, ‘Exempel und Mirakel’, Archiv für Kulturgesch. 58
(1976), pp. 96-114; id., ‘Zur neueren Exempla-Forschung’, Deutsches Archiv… 28 (1972), pp. 240-
243; R. H. and M. A. Rouse, Preachers, Florilegia and Sermons: Studies on the Manipulus florum of
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Thomas of Ireland (Studies and Texts 47), Leiden 1979; J.-C. Schmitt, ‘Recueils franciscains d’exempla
et perfectionnement des techniques intellectuelles du XIIIe au XVe siècle’, Bibl. de l’Ecole des Chartes
135 (1977), pp. 5-21; F. C. Tubach, Index Exemplorum (FF Communications 204) Helsinki 1969;
id., ‘Exempla in the Decline’, Traditio 18 (1962), pp. 407-417; id., ‘Strukturanalytische Probleme:
Das mittelalterliche Exemplum’, Hessische Blätter für Volkskunde 59 (1968), pp. 25-43.
15. R. Schenda, ‘Stand und Aufgaben der Exemplaforschung’, Fabula 10 (1969), pp. 9-85; see
also id., ‘Die protestantisch-katholische Legendenpolemik im 16. Jh.’, Archiv für Kulturgesch. 52
(1970), pp. 28-48. For other efforts to mediate between the two positions see e.g. S. Battaglia, La
coscienza letteraria del medioevo, Napoli 1965, pp. 447-486 (L’esempio medievale), 487-548 (Dall’e-
sempio alla novella); A-D. von den Brincken, Geschichtsbetrachtung bei Vincenz von Beauvais, ‘Die
Apologia Actoris zum Speculum Maius’, Deutsches Archiv… 34 (1978), pp. 410-499; H. G. Coenen,
‘Argumentieren mit Fabeln’, Grazer Linguistische Studien 10 (1979), pp. 7-18; C. Daxelmüller, ‘Ex-
emplum’, Enzyklopädie des Märchens, vol. 3, Berlin-New York 1983, cols. 627-659; H. Friedrich, Die
Rechtsmetaphysik der Göttlichen Komödie, Francesca da Rimini, Frankfurt a.M. 1942; M. Fuhrmann, Das
Exemplum in der antiken Rhetorik’, Poetik und Hermeneutik, 5: Geschichte-Ereignis und Erzählung,
München 1973, pp. 449-452; Gebien (n. 13), pp. 78-100 (Das Exempel im Mittelalter); H. R.
Jauss, ‘Negativität und Identifikation ...: Das Exemplarische als Übergang von ästhetischer zu
moralischer Identifikation’, Poetik und Hermeneutik, 6: Positionen der Negativität, München 1975, pp.
311-314; id., Alterität und Modernität der mittelalterlichen Literatur, München 1977, pp. 42-49; E.
Kleinschmidt, Herrscherdarstel1ung: Zur Disposition mittelalterlichen Aussageverhaltens, untersucht an Tex-
ten über Rudolf von Habsburg, Bern-München 1974, pp. 77-90; A. Lhotsky, ‘Über das Anekdotische
in spätmittelalterlichen Geschichtswerken Österreichs’, Bausteine zur Geschichte Österreichs: Festschrift
für H. Benedikt = Archiv für Österreichische Geschichte 125 (1966), pp. 76-95; B. Smalley, ‘Moralists and
philosophers in the Thirteenth and Fourteenth Century’, Miscellanea Mediaevalia 2 (1963), pp. 60-
67; id., English Friars and Antiquity in the Early Fourteenth Century, Oxford 1960, pp. 9-65. For gen-
eral (anthropological, philosophical and linguistic) aspects of a theory of the exemplum see above n.
12, and especially H. Bausinger, Formen der Volkspoesie, Berlin 1968-1980, pp. 210-225; A. von Blu-
menthal, ‘Typos und Paradeigma’, Hermes 63 (1928), pp. 391-414; J. Bollack, ‘Vom System der
Geschichte zur Geschichte der Systeme’, Poetik und Hermeneutik, 5: Geschichte- Ereignis und Erzahlung,
München 1973, pp. 11-28 (discussed ibid., pp. 443-446); G. Buck, Uber die Identifizierung von
Beispielen, Bemerkungen zur Theorie der Praxis, Poetik und Hermeneutik, 8: Identität, München 1979,
pp. 61-81; id., Art. ‘Beispiel’ (n. 12), cols. 816-823; F. Dornseiff, ‘Literarische Verwendungen des
Beispiels’, Vorträge der Bibliothek Warburg 4 (1924-1925), pp. 206-228; A. Demandt, Geschichte als
Argument, Universitüts-Reden 46, Konstanz 1972; B. Guenée, Histoire et Culture historique dans l’Occi-
dent médiéval, Paris 1980), pp. 346-349 (Exemples et precedents); H. Lipps, ‘Beispiel, Exempel, Fall
und das Verhältnis des Rechtsfalles zum Gesetz’, Die Verbindlichkeit der Sprache, Frankfurt a.M. 1944-
1977, pp. 39-65; B. Snell, ‘Gleichnis, Vergleich, Metapher, Analogie. Der Weg vom mythischen
zum logischen Denken’, Die Entdeckung des Geistes, Göttingen 1975, pp. 178-204; S. Suleiman, ‘Le
récit exemplaire’, Poétique 32 (1977), pp. 468-489; G. Trompf, The Idea of Historical Recurrence in
Western Thought, Berkeley 1979; N. Zorzetti, “L’esemplarità come problema di ‘psicologia storica’:
un bilancio provvisorio”, Rhétorique et Histoire (op. cit. above n. 13), pp. 147-152.
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16. See A. Linder, ‘John of Salisbury’s Policraticus in Thirteenth-Century England’, Journal of the
Warburg and Courtauld Inst. 40 (1977), pp. 276-282; id., ‘The Knowledge of John of Salisbury in
the Late Middle Ages’, Studi Medievali 18.2 (1977), pp. 315-366; W. Ullmann, ‘John of Salisbury’s
Policraticus in the Later Middle Ages’, Festschr. für H. Löwe: Geschichtsschreibung und geistiges Leben im
Mittelalter, Köln-Wien 1978, pp. 519-545; Smalley, Friars (n. 15), pp. 45, 54-55, 61, 69-71, 85-
88, 102, 128, 151, 155, 215, 230, 241, 260, 270, 277, 318. The most important channel for the
wide but usually anonymous diffusion of the exempla contained in the Policraticus was the extensive
plagiarism of Helinand of Froidmont in his De bono regimine principis, the Chronicon, and De magis-
tratuum moderatione. These were then incorporated by Vincent of Beauvais into his Speculum maius
without mentioning (or probably even realising) that John was their author. See M. Paulmier-Fou-
cart, ‘L’Atelier de Vincent de Beauvais: Recherches sur l’état des connaissances au Moyen Âge’, Le
Moyen Âge 85 (1979), pp. 87-99 at p. 95: ‘Hélinand ... n’est pas une source comme les autres, mais
la chair même de l’œuvre de Vincent de Beauvais’; H. Hublocher, Helinand von Froidmont und sein
Verhältnis zu Johannes von Salisbury: Ein Beitrag zur Geschichte des Plagiates in der mittelalterlichen Lit-
eratur, Regensburg 1913; Ullmann, pp. 522-525; Linder, ‘The Knowledge’, pp. 324-326. For John
of Wales, a conscious imitator of the Policraticus, see Smalley, Friars, pp. 51-55 and passim; Ullman,
pp. 524-525; Linder, ‘The Knowledge’, p. 327. For Chaucer see Linder ibid., pp. 345-346; Ull-
mann, p. 523; and D. W. Robertson, A Preface to Chaucer, Princeton 1962, p. 513 (Index s. l.). Un-
like A. Pézard, ‘Du Policraticus à la Divine Comédie’, Romania 70 (1948-1949), pp. 1-36, 163-191;
M. Barchiesi, Un tema classico e medievale: Gnatone e Taide, Padova 1963, pp. 52-64 and passim; and
G. Zanoletti, Il bello come vero alla scuola di Chartres: Giovanni di Salisbury, Roma 1979, pp. 113-117
(Le derivazioni dantesche dal Policraticus); Linder, ‘The Knowledge’, pp. 324-325, 345 does not
seem to indicate a direct influence of the Policraticus on Dante, who on the contrary depended on
the Helinand-tradition.
17. See e.g. Policraticus ed. C. C. I. Webb, London 1909 - Frankfurt a.M. 1965, II.25, 1, p. 136
lines 5 f., ‘... michi multorum auctoritate et ratione persuasum est. Quod si tibi persuadere non pos-
sum ... michique repugnantibus exemplis quae de variis affers historiis ...’; VI.6, 2, p. 18.3, ‘Anti-
quas et modernas revolve historias, et plane invenies quia ... Ne longe petantur exempla ...!’; VI.17,
2, p. 44.21, ‘Neque enim a Romanis et Grecis tantum nobis sunt exempla virtutis, nam et domes-
ticis abundamus. Tradunt historiae Brennum ducem ...’; VIII.18, 2, pp. 363-364, ‘Haec quidem
possunt et apud alios historicos inveniri diffusius ... Quae si quis diligentius recenseri voluerit, legat
ea quae Trogus Pompeius, Iosephus ... et alii historici, quos enumerare longum est, suis compre-
henderunt historiis ... Praeter rem tamen non videtur, si haec ... aliquibus astruamus exemplis’;
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IV.11, 1, p. 27.21, ‘... quod et historiarum liquet exemplis’; II.27, I, p. 145.20 (after the exempla
of Croesus and, pyrrus), ‘Ad notiores transeatur historias: Apius ...’. Other references for historiae =
story, anecdote, exemplum are Policraticus IV.4, I, p. 71.6; II.14, I, p. 87.10; II.15, I, p. 91.18; IV.12,
1, p. 276.15; V.7, 1, p. 314.33; V.8, 1, p. 314.30; VI.14, 2, p. 39.26; VIII.19, 2, p. 371.14;
VIII.17, 2, p. 346.10; VIII.20, 2, pp. 376.2, 377.31-378.1; VII.21, 2, p. 393.30. This is a com-
mon medieval use: see Oppel, ‘Exempel’ (n. 14), pp. 101-102; E. R. Curtius, ‘Mittelalter-Studien
VI: Die Musen im Mittelalter’, Zeilschrift für romanische Philologie 59 (1939), pp. 129-188 at p. 178
referring to Isidor, Etym. I.43; K. Keuck, Historia’ Geschichte des Wortes und seiner Bedeutungen in der
Antike und in den romanischen Sprachen, Diss. Münster-W. 1934, pp. 25-28, 119-120; B. Guenée,
‘Histoire, annales, chroniques. Essai sur les genres historiques au Moyen Âge’, Annales E.S.C.
(1973), pp. 997-1016 at p. 1003; Histoire (n. 15), pp. 18-19; Kleinschmidt (n. 15), pp. 87-90.
18. Policraticus, Prol., , 1, p. 12.1, ‘jocundissimus cum in multis, tum in eo maxime est litter-
arum fructus, quod omnium interstitiorum loci et temporis exclusa molestia, amicorum sibi in-
vicem praesentiam exhibent, et res scitu dignas situ aboleri non patiuntur ... Exempla maiorum,
quae sunt incitamenta et fomenta virtutis, nullum omnino erigerent aut servarent, nisi pia sollici-
tudo scriptorum et triumphatrix inertiae diligentia eadem ad posteros transmisisset. Siquidem vita
brevis, sensus hebes, negligentiae torpor, inutilis occupatio, nos paucula scire permittunt, et eadem
iugiter excutit et avellit ab animo fraudatrix scientiae, inimica et infida semper memoriae noverca,
oblivio’. Historia Pontificalis, Prol., (n. 4), p. 3, ‘Horum (cronicorum scriptorum) vero omnium uni-
formis intentio est, scitu digna referre, ut per ea que facta sunt conspiciantur invisibilia Dei (Rom
1.20) et quasi propositis exemplis premii vel pene, reddant homines in timore Domini et cultu
iustitie cautiores.’For these famous prologues see J. W. H. Atkins, English Literary Criticism: The
Medieval Phase, Cambridge 1943, pp. 76-78; J. Spörl, Grundformen hochmittelalterlicher Geschichtsan-
schauung (1935), Darmstadt 1968, pp. 81-82; Misch (n. 8), pp. 1208-1210; B. Lacroix, L’historien
au MOYEN ÂGE, Montréal-Paris 1966, pp. 170-171; Guenée (n. 15), pp. 26-27. See below n. 26.
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his knowledge to the reader19. This is a clear lesson on the relation between
histoire réalité and histoire connaissance. John explicitly asserts that exempla are
not extra-literary real facts, but testimonies to events transmitted by texts;
they are a literary interpretation of reality open to further interpretations20.
Another observation concerns rulers and philosophers, two categories
which are basic to the content of the Policraticus. Princes are mentioned for
what they have done; philosophers for what they have said or thought.
Thus, in accordance with the title of Valerius Maximus, the exempla are
doubly defined as facta and dicta21 and we can observe in the Policraticus
that they actually also include quotations. In John’s view the apophthegms
of the doxographical Metalogicon as well as many a philosophical doctrine
adorned with only scanty biographical allusions may be termed exempla.
The combination of dicta and facta leads to his central theme of practical
philosophy: the rightness and the exemplary nature of a theory are con-
firmed in life by the deed, in literature by the exemplum22! Consequently
John often turns his quotations into definite, historically situated state-
ments from figures of authority (for instance a line from the psalms into a
personal dictum of David) or he allows persons occurring in literary works,
dramatis personae, to speak as if they were the authors themselves (for ex-
ample Cato and Brutus detached from the Pharsalia)23. All this shows his
19. Policraticus, Prol., 1, p. 12.17, ‘Quis enim Alexandros sciret aut Cesares, quis Stoicos aut Peri-
pateticos miraretur, nisi eos insignirent monumenta scriptorum ... Nullus enim umquam constanti
gloria claruit, nisi ex suo vel scripto alieno. Eadem est asini et cuiusvis imperatoris post modicum
tempus gloria, nisi quatenus memoria alter utrius scriptorum beneficio prorogatur ...’; ibid., p. 16.13:
‘Neque enim Alexandrum vidi vel Cesarem: nec Socratem Zenonemve, Platonem aut Aristotilem dis-
putantes audivi; de his tamen et aliis aeque ignotis ad utilitatem legentium retuli plurima’.
20. See L. M. De Rijk, ‘Facts and Events: The Historian’s Task’, Vivarium 17 (1979), pp. 1-41;
P. Rousset, ‘Un problème de méthodologie, l’événement et sa perception’, Mélanges R. Crozet,
Poitiers 1966, 1, pp. 315-321.
21. Policraticus, Prol., 1, p. 16.9, ‘Omnes ergo qui michi in verbo aut opere philosophantes oc-
currunt, meos clientes esse arbitror et quod maius est, michi vendico in servitutem; adeo quidem
ut in traditionibus suis seipsos pro me linguis obiciant detractorum. Nam et illos laudo auctores’.
Thus, not only philosophical writers but also opere philosophantes are called auctores. For other impli-
cations of this passage see below nn. 114-116. For the definition of exempla in the rhetorical tradi-
tion see Auctor ad Herennium IV. 62, ‘Exemplum est alicuius facti aut dicti praeteriti cum certi auc-
toris nomine proposito’ (cf. Gebien, pp. 56-58) adapted by John of Garland in his Parisiana Poet-
ria, ed. T. Lawler, New Haven-London 1974, p. 10, line 147 = Poetria ed. G. Mari, Roman. Forsch.
13 (1902), p. 888, ‘Quid inveniatur in exemplis consideremus: exemplum est dictum vel factum
alicuis autentice persone imitatione dignum’. For this tradition see Knapp, Similitudo (n. 13), pp.
85-87, Jennings (n. 13), p. 217; Mehl (n. 14), p. 241.
22. See (n. 8) Dal Prà, pp. 35-63: La filosofia come interpretazione pratica del conoscere; Kern-
er, pp. 37-42; Liebeschütz, Med. Humanism, pp. 63-94 etc; below n. 162 (Metal, Prol, p. 4).
23. Policraticus, III.14, 1, pp. 231-232, Ps 140.5 presented as an exemplum Davidis; IV.6, 1, p.
256.23: the famous Platonic sentence about the most fortunate res publicae ‘si eas philosophi
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interest in connecting exempla auctorum and exempla virtutis, the lives and
acts of the authors he cites.
The purpose of the exempla mentioned in the Prologue and frequently
applied in the text of the Policraticus is obvious: they present positive mod-
els of moral identification. Yet there are at least as many other exempla
which cannot be so easily defined. Most revealing is a comment in Book 8
on the correct application of morally dubious poetry, which can be trans-
ferred to all literature containing exempla24. Poets, John says, display philo-
sophical subjects by demonstrating vices, not by teaching them (notant non
docent). They pass through evil customs in order to reach virtue, just as
Ulysses returned home with-standing dangers of all kinds. For him the
friends he lost on his wanderings were true exempla, teaching him cautela,
caution. This image of a warning given by the catastrophe of other men
represents a metaphorical development of the widely spread and even
regerent aut recto res earum studere sapientiae contigisset’ attributed to Socrates and combined
with Prov.15.21 in this way: ‘et (si tibi Socratis videtur contempnenda auctoritas), “Per me, inquit
Sapientia, reges regnant ...”; III. 7, 1, p. 187.26, Prov. 1.10 as a dictum of Solomon; p. 189.24 the
sapiens understood biographically as Ovid (Pont. II.3.19-20); p. 189.29: Laelius is teaching instead
of Cicero (De Amic. IV. 15) and arbiter noster for Petronius (Sat 80) ‘etsi alterius videatur induisse
personam’. In Policraticus I.5, 1, p. 37 and I.6, 1, p. 40 dicta Catonis or Platonis as exempla, not as
quotations from Disticha Catonis or Macrobius. In Policraticus VIII.6, 2, p. 254 f. and VIII. 7, 2, p.
270.20 Postumianus (Portunianus) a person of the Saturnalia, is quoted like a special author (cf.
Schaarschmidt, p. 91): ‘Si quis ea nosse desiderat ... percurrat Portuniani civilia instituta!’ In the
same way Brutus and Cato are presented as exempla and auctores, not as figures from the Pharsalia in
Policraticus, VIII.23; see ch. 3 of this volume, ‘Lucain au Moyen Âge’ (VI). See also H. Brinkmann,
‘Die Einbettung von Figurensprache in Autorensprache’, Melanges J. Fourquet, München-Paris
1969, pp. 21-41; and ‘Zeichen erster und zweiter Ordnung in der Sprache’, Integrale Linguistik:
Festschrift für H. Gipper, Amsterdam 1979, pp. 1-11, p. 5 concerning the rhetorical argumentum.
24. Policraticus, VII.9, 2, pp. 127.16-128.6, ‘Cicero dicens. Poetas et varios scriptores artium aut
rerum gestarum solus ille contemptibiles facit qui non veretur contempni. Nam et virtutis habent
usum et philosophandi materiam praebent; notant enim, non docent vitia, et aut utilitatis causa
grata sunt aut voluptatis. Sic autem per morum discrimina transeunt ut virtuti faciant locum. Nam
per tela, per ignes, per maris varias procellas, per ... pertransiit ... ut ad patriam suam saltem in
senectute Ulixes repedaret. Socios variis exilii amisit casibus, sed eos aut fortunae violentia aut nat-
urae infirmitas aut animi voluptas absumpsit. Horum tamen omnium iocunda relatio est. Nam vel
amici praevisus casus, etsi amarus sit, proficit ad cautelam; et quo familiarior fuit cum labente so-
cietas, eo casus quemque magis absterret; siquidem exemplis saepe magis proficitur quam praecep-
tis. Mala enim vitantur facilius quo fidelius praecognita fuerint. Vix et quodammodo solus evasit
Ulixes, sed ad philosophiae iocunditatem et quasi patrias voluptates pauciores evadunt’. See also a
similar statement in Policraticus II. 4, 1, p. 21 concerning the myth of Ganymed, and, for the op-
position between utilitas and poetry in a moral sense, ch. 3 (III) ‘Lucain au Moyen Âge’ in this vol-
ume; F. P. Knapp, ‘Historische Wahrheit und poetische Lüge. Die Gattungen weltlicher Epik und
ihre theoretische Rechtfertigung im Hochmittelalter’, Deutsche Vierteljahrsschrift für Literaturwis-
senschaft und Geistesgeschichte 54 (1980), pp. 581-635 at pp. 587-588, 592-595; for the concept of
cautela see M. Schulz, Die Lehre von der historischen Methode bei den Geschichtsschreibern des Mittelalters,
Berlin-Leipzig 1909, pp. 68-69, 75.
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25. See above n. 23, and a similar comparison of praecepta and exempla, ars and usus in Policrati-
cus VI.18, 2, pp. 56-57. For the general tradition of this opposition see (n. 13) Alewell, p. 91; Ge-
bien, pp. 52-53; Döring, p. 19; Pétré, pp. 17-18; Kornhardt, pp. 3-5, 21, 59; von Moos, Consola-
tio, 3 §§ 1346-1347; C. S. Jaeger, ‘The Prologue to the Historia calamitatum and the “ Authentici-
ty Question”’, Euphorion 47 (1980), pp. 1-15 at pp. 3-4; Landfester (n. 12), pp. 58-59.
26. Policraticus, VII.9, 2, p. 128.7 (immediately following the quotation in n. 24), ‘Consonat ei,
si liricum conticente lira dignaris audire, Flaccus ... qui plus honestatis et utilitatis se apud Me-
onidem invenisse gratulatur quam plurium Stoicorum sit praeceptis expressum. Ait enim ...’ (Hor.
Ep. I.2 passim). Cf. the similar testimony in Henry of Huntingdon’s Historia Anglorum, ed. T.
Arnold, Rer. Brit. Medii Aevi Scriptores 179 (1872), pp. 1-2; see B. Smalley, ‘Sallust in the Middle
Ages’, Classical 1nfluences on European Culture A.D. 500-1500, Cambridge 1971, pp. 165-176 at pp.
166-167; N. F. Partner, Serious entertainments: The Writing of History in Twelfth Century England,
Chicago-London 1977, pp. 19-20.
27. Policraticus VII.9, 2, p. 126.13, ‘Hi (sc. poetae) stupra adulteriaque conciliant, varias doli
reparant artes, furta rapinas incendia docent, quae sum aut fuerunt, immo quae fingi possunt, mal-
orum exempla proponunt oculis multitudinis imperitae ... strages quantas isti faciunt morum?’
And after an allusion to the seduction by a lascivious picture, as described in Terence’s Eunuchus (III.
V. 37 f.). ‘Similes in singulis picturas videt miratur et laudat multitudo. Nam quae virtutis inci-
tamenta sunt, rarus spectator adtendit’.
28. Policraticus, Prol., I, p. 14.25-28, ‘Nugas pro parte continet curiales, et his magis insistit
quibus urgetur magis. Pro parte autem versatur in vestigiis Philosophorum; quid in singulis
fugiendum sit aut sequendum relinquens arbitrio sapientis. ‘See a similar passage in n. 18 (Histo-
ria Pontificalis, Prol.).
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who may thus exercise their powers of discrimination and deepen their
philosophical reflection.
Far more frequent and more interesting than the moral exempla dis-
cussed so far, are the argumentative exempla. In the Policraticus they are
used as testimonies, proofs, authorities or precedents. Within his treat-
ment of dialectical conflict in the Metalogicon, John describes this kind of
exemplum in accordance with the eighth Book of Aristotle’s Topica as an ab-
breviation of the inductive proof, that is, as an analogy to the enthymeme,
which is the abridged form of the deductive syllogism29:
29. Metalogicon, III.10, pp. 156.24-157.11, ‘Inductio vero lenior est, sive maturiori incessu a
pluribus progrediatur ad unum universale aut particulare, sive acriori impetu ab uno, ad exempli
formam, inducto, ad unum inferendo prosiliat (cf. Arist. Anal. Priora II.24). Hic autem modus
magis oratoribus congruit; interdum tamen ornatus aut explicationis causa conducit et dialectico;
magis enim persuasorius est quam urgens. Unde, sicut Marcus Tullius in Rhetoricis testis est,
Socrates hoc argumentandi genere sepissime utebatur (Cic. De inv. 1.31.53; cf. Arist. Rhet. II.20,
1393 b; Quint. Inst. V.11.3). Ceterum cum exempla ad probandum quid aut plura feruntur aut sin-
gula, convenientia esse debent et ex quibus scimus; qualia Homerus, non qualia Cherillus (cf. Hor.
A.P. 357). Si autem ab auctoribus transumantur, Homero quidem Grecus, Latinus autem Vergilio
utatur et Lucano; domestica namque exempla magis movent, et ignota dubiorum non faciunt fidem’.
For the definitions of Aristotle see Benoit (n. 3) and Anal. Priora II 24, 68b–69a, III 1–4, 134 f.;
Rhet 1357 a 14-5, b 27-30; 1356 b 22-23. For example and enthymeme see H. Schepers in Hist.
Wörterbuch d. Philos. 2 (1972) cols. 528-538 and J. Sprute, ‘Topos und Enthymem in der aristotelis-
chen Rhetorik’, Hermes 103 (1975), pp. 68-90, esp. pp. 74-76. For the importance of the Aristotelian
theory of induction in the works of John of Salisbury see Liebeschütz (n. 8), ‘Chartres’, p. 5; Med.
Humanism, pp. 67-68; ‘Das zwölfe Jahrhundert’, pp. 266-267; Odoj (n. 8), pp. 46-54; D. D. Mc-
Garry, ‘Educational Theory in the Metalogicon of John of Salisbury; Speculum 23 (1948), pp. 659-676
at pp. 666-667; A. Schneider, ‘Die Erkenntnispsychologie des Johannes von Salisbury’, Festschrift G.
von Hertling, Freiburg 1913), pp. 324-330; V. L. Dowdell, Aristotle’s Influence on John of Salisbury,
Diss. Abstr. Cornell Univ. Ithaca 1930; Kerner, pp. 38-39; Hendley (n. 8), pp. 192-194.
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30. See e.g. Lausberg (n. 13) § 271, p. 154; § 257, p. 143; Friedrich (n. 15), pp. 30-31; Gebi-
en (n. 13), pp. 50-53, 89; Geerlings (n. 13), p. 150; Smalley, Friars (n. 15), p. 42. See Policraticus,
VI.19, 2, p. 56-57, ‘praecepta ... ad scientiam instruantur, illis (sc. exemplis) accendantur et ani-
mentur ad virtutem’. For incitamenta virtutis in this sense see Policraticus, I Prol. 1, p. 13.7; III.9, 1,
p. 19; VII.9, 2, p. 126.24.
31. See Lausberg (n. 13) §§ 845, 412 and Battaglia (n. 15), p. 451; Quint. Inst VIII. 3.73, ‘...
debet enim quod inlustrandae alterius rei gratia adsumitur, ipsum esse clarius eo quod inluminat’.
Rhet ad Herenn. IV. 1.2, ‘Non ergo oportet hoc nisi a probatissimo sumi, ne, quod aliud confirmare
debeat; egeat id ipsum confirmationis.’For the logical function in Aristotle see Benoit (n. 3), pp.
184-186.
32. See Kerner (n. 8), pp. 38-39.
33. See C. N. L. Brooke, The Twelfth Century Renaissance, London 1969, p. 61 and idem Intro-
duction (n. 11), p. XLVIII; J. Martin, ‘Uses of tradition: Gellius, Petronius and John of Salisbury’,
Viator 10 (1979), pp. 58-76 at pp. 62-68. John expresses his educational intention in the prologue
to Policraticus, I, p. 15.20, ‘Quae vero ad rem pertinentia a diversis auctoribus se animo ingerebant,
dum conferrent aut iuvarent, curavi inserere, tacitis interdum nominibus auctorum; tum quia tibi
utpote exercitato in litteris pleraque plenissime nota esse noveram, tum ut ad lectionem assiduam
magis accenderetur ignarus’.
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34. Policraticus, VI.28, 2, p. 82.85; cf. also Policraticus, VII.15, 2, p. 155.21, ‘Si michi non cre-
dis, liber de Consolatione Philosophiae revolvatur ...’ III.12, I, p. 213.18, ‘Si michi non credis, vel
Aquinati nostro aures accommoda!’ II.22, I, p. 129.22, ‘et ne me solius opinionis lubrico fluctuare
putes auctorem quo me tueor magnum profero Augustinum’; VI.27, 2, pp. 80-81, ‘... non tamen
ego, sed Spiritus sapientiae ... non ego, sed Altissimus dicit et facit haec omnia’ (for biblical quo-
tations). For the military image see below n. 114 (Policraticus, Prol., p. 16.7) and Metalogicon, III.
Prol., p. 118; ‘Et quia propriis non habundo, amicorum omnium iaculis indifferenter uto ...’.
35. Policraticus, VII.19, 2, p. 168.30; II.17, I, p. 99.24, he apologizes for his memory. ‘...
quidam, nomen etenim a memoria excidit, etsi narrationis auctorem magnum teneam Augustinum
...’ See below n. 97.
36. Policraticus, V. 12, I, p. 338.14, ‘Nec multum refert ad propositum Pitagoras an Protagoras,
sicut Quintiliano placet et Agellio, litigaverit; neque enim vis est in nomine, dum constet rem am-
biguam sine temeritate diffiniri non posse’. – This indifference towards historical details is a gen-
eral characteristic of the exempla tradition, as Kornhardt (n. 13) stresses p. 25.
37. Policraticus, VII.5, 2, p. 111.11; cf. C. A. Brucker, ‘A propos de quelques hellenismes de Jean
de Salisbury et de leur traduction au XIVe siècle’, Archivum Latinitatis Medii Aevi 39 (1974), pp.
85-94, esp. pp. 89-90 for the words pentanomius and polinomius coming from Jerome.
38. Policraticus, V.10, 1, p. 328.9, ‘Tale aliquid in veterum Romanorum scriptis invenies. Cum
Publius Cineus Grecinus (aut si alio potius dicitur nomine) argueretur ab amicis ... respondit’. In
the source, Hieron., Adv. Iovinianum I.48 (PL 23, 292 B) however we find: ‘Legimus quemdam
apud Romanos nobilem, cum eum amici arguerent ... dixisse ...’. Even in the indirect source,
Plutarch, De nuptialibus praeceptis 22, Strobaeus Serm 72 there is no Grecinus. See Martin, ‘Uses of
tradition’ (n. 33), p. 67.
39. Policraticus, VI.14, 1, p. 225.2 following Augustinus De civ. Dei IV.4. See J. Martin, John of
Salisbury’s Manuscripts of Frontinus and Gellius’, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 40
(1977), pp. 1-26 at p. 19 refuting the hypothesis of any lost classical source. For the tradition of this
exemplum up to Villon, who probably knew it from the translation of the Policraticus by Denis
Foulechat, see R. Guiette, ‘Alexandre et Diomedes’, Forme et sénéfiance, Genève 1978, pp. 135-245.
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might assume that he could have been content with the anonymous aliqui
and quidam so popular in the homiletic tradition of the exemplum40. On the
contrary: he is frequently occupied with weighing up the pros and cons of
varied historical opinions about small details as if indulging in meticulous
study of the sources. Following the common practice of commentators
since late Antiquity he enumerates all possible readings of the deserter’s
name in the tale of Fabricius, only to conclude: non multum curo – the Ro-
man hero despised treason: that’s all that matters41! He quotes two versions
of the burning of the Capitol library, according to which either Gregory the
Great or alternatively the emperor Commodus could have been the fire-
raiser and concludes by claiming that the one version does not contradict
the other since it is possible that the library was burned down twice at dif-
ferent times42. For the same person in the Bible he provides several names,
and reports that according to Jerome these all refer to the same man – again
a polinomius. Otherwise the auctoritas of the biblical historians would be
shaken by contradiction43. This example illustrates most clearly why John
is so indifferent towards historical facts and why at the same time he so
scrupulously compares divergent reports44. The apparent paradox points to
his prime rhetorical and moral interest in authoritative validity, in docu-
mentary evidence for what has been alleged. Conversely, the same purpose
is served by comments on the historicity of obviously fictitious stories. The
40. See Friedrich (n. 15), pp. 55-56; Kleinschmidt (n. 15), p. 86; v. Moos, Consolatio (n. 13), I-
II § 1030.
41. Policraticus, V.7, 1, p. 310.26; see Martin, Manuscripts (n. 39), p. 22 and the parallel state-
ment in Policraticus, VII.1, 2, p. 92.27, ‘Nec moveat, si qua eorum, quae hic scribuntur, aliter in-
veniantur alibi, cum et historiae in diversis gestorum casibus sibi invicem reperiantur contrariae,
sed ad unum utilitatis et honestatis proficiunt fructum’.
42. Policraticus, VIII.19, 2, p. 370.1, ‘Sed haec sibi nequaquam obviunt, cum diversis tempo-
ribus potuerint accidisse’. For the tradition of this exemplum in the Later Middle Ages see Linder,
Knowledge (n. 16), p. 328.
43. Policraticus, VIII.21, 2, p. 380.26, ‘Nec moveat si alio et alio nomine censeatur in diversis
historiis, quia pro traditione Hebreorum, sicut Ieronimus auctor est, idem pentanomius extitit.
Dictus est enim Salmanasar et Sennacherib et Phul et Teglad Phalasar et Sargon. Nisi enim poli-
nomius habeatur, historicorum quadam contrarietate dissidentium quandoque vacillabit auctori-
tas’. This follows Jerome, Comm. in Isaiam 36.l (PL 24.381) and 20.l ibid. (188) concerning IV Reg
18.9 f. : see Brucker (above n. 37), p. 89.
44. Other examples are Policraticus, VII.5, 2, p. 111 ‘de morte Platonis’; ibid., VIII. 14, 2, p.
331.14 (Aristides or Aristoteles?); IV.5, 1 249.15 concerning an anecdote of Petronius: ‘An vera sit
relatio et fidelis incertum est, et de facto Caesaris diversi diversa sentiunt’; VIII.21, 2, p. 393.5 (the
death of Julianus Apostata); II. 11, 1, p. 84 concerning the signs during Christ’s Passion: ‘Scio
plures aliter hinc locutos, sed Dionisium (sc. Areopagitam) praefero, quia quod vidit scripsit; alii
proprias sequuntur opiniones’.
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45. See Policraticus, VIII.13, 2, p. 327.23, ‘Haec quidem aut vera fuerunt aut verisimilia. Nichil
enim hiis neque credibilius fingi neque manifestius ostendi potuit’. For the underlying general his-
torical consciousness see Kleinschmidt (n. 15), pp. 79, 87; Friedrich (n. 15), pp. 25, 39; Knapp,
Similitudo (n. 13), pp. 72-73, 178; Mehl (n. 14), p. 244; G. Melville, ‘System und Diachronie. Un-
tersuchungen zur theoretischen Grundlegung geschichtsschreiberischer Praxis im Mittelalter’,
Hist. Jahrbuch 95 (1975), pp. 33-67, 308-341 at pp. 63-64; E. M. Sanford, ‘The Study of Ancient
History in the Middle Ages’, Journal of the History of Ideas 5 (1944), pp. 21-43 at p. 42; R. D. Ray,
‘Medieval Historiography through the Twelfth Century’, Viator 5 (1974), pp. 33-59 at p. 47. For
the practice of conferring historical dignity on fictitious stories see in general: H. Kech, Hagiogra-
phie als christliche Unterhaltungsliteratur, Studien zum Phänomen des Erbaulichen anhand der Mönchsviten
des hl. Hieronymus (Göppinger Arbeiten zur Germanistik 225), Göppingen 1977, pp. 30-35; V. I.
Flint, ‘The Historia regum Britanniae of Geoffrey of Monmouth: Parody and its Purpose, A sugges-
tion’, Speculum 54 (1979), pp. 447-468; Curtius, Europ. Literatur (n. 13), p. 70; Knapp, ‘Wahrheit
... und Lüge’ (n. 24), pp. 588-596; below n. 116.
46. Policraticus, VIII. 11, 2, p. 301.14, ‘In muliebrem levitatem ab auctoribus passim multa
scribuntur. Fortasse falso interdum finguntur plurima nichil tamen impedit ridentem dicere verum
(Hor. Sat I.1.24) et fabulosis narrationibus, quas philosophia non reicit, exprimere quid obesse pos-
sit in moribus ...’ After this cautious introduction John writes at the end of the story, p. 304.17,
‘Tu historiam aut fabulam quod iis verbis refert Petronius pro libitu appellabis, ita tamen ex facto
accidisse Effesi et Flavianus auctor est, mulieremque tradit impietatis suae et sceleris parricidalis et
adulterii luisse penas’. For this passage and its sources see Martin, ‘Uses’ (n. 33), p. 73; Kerner (n.
8), pp. 105-107.
47. Policraticus, II.15, I, p. 91.17 (cf. Phars. I.186: ‘ingens visa duci patriae trepidantis imago’),
‘Quod si imperii nullam in veritate, quae sic appareret, credidit quis fuisse imaginem, historiarum
fide certiorabitur’. This is an old problem treated in the commentaries on Lucan. See e.g. Amulfus
of Orleans, Glosulae super Lucanum ed. B. Marti, Rome 1958, ad Phars. I.186, p. 34, ‘habitus patri-
ae per cogitationem representatus. Quidam sompnium, quidam deliberationem fuisse dicunt, sed
Vacca in rei veritate sic fuisse affirmat’; B. Marti, ‘Vacca in Lucanum’, Speculum 25 (1950), pp. 198-
214 at p. 206.
48. Policraticus, VI.24, I, pp. 67-71 at p. 71.16: ‘Et cum plurima nunc pro se, nunc contra se
respondisset, apologum huiusmodi proposuit. Ait ergo: “ Accidit ut adversus stomachum membra
... conspirarent ...”, John is following an excerpt of Livius in Florus I.17 (23). See W. Nestle, ‘Die
Fabel des Menenius Agrippa’ Griechische Studien, Aalen 1968, pp. 502-576. It is noteworthy that
the story is presented by Quintilian (Inst. V.11.19) as a lower sort of the exemplum, called fabella,
apologatio: ‘ducere animos solent praecipue rusticorum et imperitorum qui et simplicius quae ficta
sunt audiunt, et capti voluptate facile iis quibus delectantur, consentiunt’. See (n. 13) Lausberg §
416, p. 229; Knapp, Similitudo, pp. 78-80. This is not the only substitution of a famous dictum to
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certain reliable witness, who has heard the story with his own ears. This
witness is none other than our John of Salisbury49!
Similar passages stressing the prestige of would-be historical tales could
easily be found. They show that John does not wish to relate to facts as an
extra-textual reality, even if he claims to do so, but rather follows literary
traditions and competent authorities, sufficiently vouching for historical
truth. At the same time he hopes for a more impressive effect by explicit-
ly referring to a source or testimony – even if this were his own experi-
ence50. In quoting exempla, as in all other quotations, he is chiefly con-
cerned with the great names of the auctores, of whom he says in the Meta-
logicon referring to disputatio51: ‘We should reverence the words of the great
authors, whose expressions we should not only hold in high esteem, but
should also employ with assiduity. Not only do these words possess a cer-
tain majesty or prestige from the great names of antiquity with whom they
are associated, but also anyone who is ignorant of them is handicapped
since they are very effective when used for proof or refutation. Like a whirl-
wind, they snatch up those ignorant of them and violently lash such per-
sons about or dash them to the ground, stunning them with fear. The
tremendous words of the philosophers are veritable thunderbolts’. In the
context of the Metalogicon this dramatic imagery specifically illustrates the
dialectical debate, the ars congrediendi, considered by John to be the climax
of Aristotle’s Topica and the fount of all eloquence52.
pope Adrian; in Policraticus, III. 7, I, p. 187.13 John pretends. ‘Memini me audisse Romanum pon-
tificem solitum deridere Lumbardos, dicentem eos pilleum in omnibus colloquentibus facere’,
which is a quotation from Paulus Diaconus (MGH SS 27, p. 45).
49. See Linder, ‘The Knowledge’ (n. 16), pp. 344-345: ‘one of the more popular anecdotes asso-
ciated with John’. Petrarca, De remediis utriusque fortunae, I.107; Rerum memorandarum III.95; Famil.
IX.5, ‘quod inter philosophicas nugas legi ... ab illo scripta sunt qui ex ore loquentis audierat’.
50. In Policraticus, VII. Prol., 2, p. 93.8 John justifies the use of his personal experience:
‘Quaedam vero, quae in libris auctorum non repperi, ex usu quotidiano et rerum experientia quasi
de quadam morum historia excerpsi’. See also above n. 34.
51. Metalogicon, III.4, p. 136.2, ‘Preterea reverentia exhibenda est verbis auctorum, cum cultu
et assiduitate utendi; tum quia quandam a magnis nominibus antiquitatis preferunt maiestatem,
tum quia dispendiosius ignorantur, cum ad urgendum aut resistendum potentissima sint. Siquidem
ignaros in modum turbinis rapiunt, et metu perculsos exagitant aut prosternunt; inaudita enim
philosophorum verba tonitrua sunt. Licet itaque modernorum et veterum sit sensus idem, venera-
bilior est vetustas’.
52. Metalogicon, III.10, p. 154 f.; III.5, p. 140; see J. J. Murphy, ‘Two Medieval Textbooks in
Debate’, Journal of the American Forensic Assoc. 1 (1964), pp. 1-6; ‘Rhetoric’ (n. 13), pp. 104-105;
Kerner (n. 8), pp. 51-53; G. C. Garfagnini, ‘Giovanni di Salisbury, Ottone di Frisingia e Giacomo
da Venezia’, Rivista critica di storia della filosofia 27 (1972), pp. 19-34 at pp. 24-25; M. Grabmann,
‘Aristoteles im zwölften Jahrhundert’, Medieval Studies 12 (1950), pp. 123-162 at pp. 155-157.
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53. Metalogicon, III.10, p. 154.24, ‘sua docet (dialectica) arma tractare et sermones potius con-
serere quam dexteras’; p. 161.19, ‘Proinde rationum undecumque ad statuendum vel destituendum
positionem conquirenda est copia, ut urgendi instandique facultas comparetur. Et, si adversarius
deest, secum quisque experiatur que, quot et quanta proposite questionis articulum muniant aut
impugnent; sic enim facile erit quique idoneus ad cogendum et reluctandum seu philosophandum
fuerit, urgentias instantiasque habens aut superabit aut evadet cum gloria aut decenter sibi et sine
ignominia superabitur’.
54. Policraticus, VII.2, 2, pp. 98-99; Metalogicon, I. Prol., p. 4; Policraticus, II.22, 1, p. 122; VII.8,
2, p. 122; see above all Dal Prà (n. 8), pp. 46-53, 64-93, 159-160; and also Odoj (n. 8), pp. 10-33,
44, 62-63; Liebeschütz, Med. Humanism (n. 8), pp. 75-76; Misch, pp. 1264-1269; Garfagnini, ‘Ra-
tio disserendi’ (n. 8), pp. 925-926.
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edged swords, which may fight for a thought or, as the occasion presents
it, against the same thought. It was not by mere chance that John bor-
rowed the unusual terms strategemma and strategemmaticum from the treatise
on military science by Frontinus and often employed them in a more gen-
eral sense as true synonyms for exemplum55: strategemmatica are not only
those exempla referring to real warfare, as in the sixth book, but also gen-
erally applicable ‘stratagems’ on argumentative battle-fields. Strategem-
maticum denotes any kind of report of prudent, cunning, witty behaviour
(calliditas) and can also indicate a quick-witted reply to a catch-question.
What actually makes the exempla into arguments for debate is the princi-
ple of ‘rational’ decision commonly used in theology and canon law, which
Augustine formulated as follows56: ‘We do not merely ask if something
has been done, but if it had to be done. (Non ... utrum sit factum, sed utrum
fuerit faciendum). For even the greatest number of examples cannot outdo
reason’. This is a special version of the older patristic rule which affirms
that Divine Law and Reason are in every respect superior to ancient and
even most venerable customs, be they Jewish or Roman, and consequent-
ly that bad precedents and frequently committed errors are no justification
for following their example57. Tertullian’s famous formulation states58: Je-
55. Policraticus, V. 7, 1, p. 307 argumentum: ‘Quae mala vel bona subiectis proveniant de
moribus principum; quod et aliquorum strategemmaticis roboratur exemplis’; p. 314, ‘Constantia
quoque cum ex pluribus strategemmatibus pateat, in virtute Romanorum maxime claret. Eorum
siquidem magnificentia et virtute, si omnium gentium historiae revolvantur, nichil clarius lucet’;
VIII.14, 2, p. 334.13, ‘Occurrent multa huiusmodi quae laudis verae poterunt praestare materiam,
si quis antiquorum vafre dicta vel facta strategemmata et strategemmatica quoque recenseat.
Ceterum (quia saepe strategemmatum mentio facta est et res nominis non usquequaque cunctis in-
notuit) Valerius Maximus strategemmata sic diffinit ut dicat (VII.4) quia eius pars calliditatis egre-
gia et ab omni reprehensione procul remota, cuius opera, quia appellatione vix apte exprimi pos-
sunt, Greca pronunciatione strategemmata appellantur. Proprie tamen strategemmata sunt quae ad
rem pertinent militarem; nam ab eo dicuntur stratilates. Quae vero contra propriae appellationis
notam ad res alias pertinent (Julio Frontino teste) strategemmatica appellantur; distat enim
strategemmaticum a strategemmate quomodo genus a specie differt’ (cf. Frontinus, Strategematica I.
praef, ed. G. Bendz, Frontinus, Kriegslisten, Berlin 1963. See Martin, Manuscripts (n. 39), pp. 1-4;
Kerner (n. 8), pp. 32-33, 39; Liebeschütz, Med. Humanism (n. 8), pp. 68-70; for a parallel in a let-
ter of Coluccio Salutati: Kessler, Das Problem der frühen Renaissance (n. 12), p. 182.
56. De civ. Dei I.22 (CC 47, 1955), p. 24.26: ‘Non modo querimus utrum sit factum, sed utrum
fuerit faciendum. Sane quippe ratio etiam exemplis anteponenda est, cui quidem et exempla con-
cordant, sed illa, quae tanto digniora sunt imitatione quanto excellentiora pietate’. See (n. 43) Buis-
son, Potestas, p. 27; Geerlings (n. 13), pp. 150, 177, 184-185; von Moos, Consolatio (n. 13), 1-2 §
1127; 3 § 1346.
57. G. Ladner, Art. ‘Erneuerung’ in Realenzyklopädie für Antike und Christentum 6 (1966) co1 265;
see (n. 13): Geerlings, pp. 151, 155-157; Pétré, Art. ‘Exemple’, col. 1887; Lumpe, cols. 1229-1230.
58. Tert. De virg. vel. I.1 (CC 50.2), p. 1209: ‘sed Dominus noster Christus veritatem se, non
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sus did not say ‘I am custom’ but ‘I am Truth’. Exempla therefore attain va-
lidity from a higher moral or religious conviction. Actually they are only
historical and literal subjects to be interpreted and applied correctly, that
is, in the sense of one’s own biased opinion, which claims to be the truth.
The argumentative battle against an opponent thus becomes a conflict be-
tween exempla, or rather a conflit des interprétations related to them. John il-
lustrates this throughout his work.
In the first book he recalls a crowd of viri illustres, which a keen hunts-
man could cite to justify his own pleasure. He devalues these examples as
misinterpretations, the great men being hunters not because of voluptas but
rather because of publica utilitas. Moreover he deprecates them with a rhetor-
ical counter-question concerning the hunting of saints and martyrs59. In the
second book he displays his knowledge by introducing numerous exempla to
illustrate the success of divination by means of various occult portents and
this, for the unique purpose of refuting them all with the argument that ex-
empla are only weak evidence when confronted with ratio60. For him exempla
frequently are an incentive to differentiate between various aspects, either
valid or worthless, deducible from the same phenomenon. Praiseworthy for-
titude and reprehensible suicide appear side by side in the same antique he-
roes Cato or Lucretia61. In the history of the exemplum we find a general ten-
dency to recall extreme cases of heroism and superhuman virtue, intended
as a moral stimulus. At the same time they are often casuistically discussed
and softened to more human dimensions by counter-arguments to make
them imitable by ordinary people62. These alterations of moral overstate-
consuetudinem cognominavit’. For the influence of this dictum see P. von Moos, Hildebert von
Lavardin, Stuttgart 1965, pp. 259-260, 310 (nn. 11-12), 314 (n. 40).
59. Policraticus, I.4, 1, pp. 21-28 (exempla cantraria), pp. 29-30, exempla refutanda); see Kerner
(n. 8), p. 166.
60. Policraticus, II.25, 1, p. 136.3, ‘Ceterum artem esse quo quis de futuris ad omnia interroga-
ta verum respondeat, aut omnino non esse, aut nondum innotuisse hominibus, michi multorum auc-
toritate et ratione persuasum est. Quod si tibi persuadere non possum, obstantibus his quae michi
de providentia et fato indesinenter opponis, michique repugnantibus exemplis quae de variis affers
historiis, persuasi tamen michi huic non adquiescere vanitati’. See B. Helbling-Gloor, Natur und
Aberglaube im Policraticus des Johannes van Salisbury, Diss. Zurich, Einsiedeln 1956, pp. 54-55.
61. Policraticus, II.27, 1, pp. 157-158 (Cato, Vulteius, Cleopatra, Lucretia); cf. ibid., V. 17, 1,
pp. 360-361 and III.9, 1, p. 197 (Cato); see G. Miczka, Das Bild der Kirche bei Johannes von Salis-
bury, Bonn 1970, p. 37, and for the tradition of this problem (n. 13): Buisson, Potestas, p. 27 (Au-
gustine, De Civ. Dei, I.18, 23); Gebien, pp. 145-148. Another problematical example is the tyran-
nicide of Judith in Policraticus, VIII, 20, 2, pp. 376 f.
62. For this principle see Buck, Art. ‘Beispiel’ (n. 15) cols. 821-822; Döring (n. 13), pp. 14-15,
18-19; Bausinger, Volkspoesie (n. 15), p. 218; Kessler, Geschichtsdenken (n. 12), p. 12; von Moos,
Consolatio (n. 13) 1-2 § 197, 3 §§ 454-505, 1119-1121.
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68. Policraticus, VII.19, 2, pp. 175-178; see Webb (n. 8), p. 56, Miczka (n. 61), p. 39. As a con-
clusion see also the sentence p. 180.21: ‘Neque enim quod a multis peccatur peccatum non est; sed
ideo gravius quia multum’.
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69. See below n. 119 and Lausberg (n. 13) §§ 410-426 for the functional, not generic character
of the exemplum in the rhetorical sense.
70. See Spörl (n. 18), p. 81; Miczka (n. 61), pp. 36-38.
71. For similar methods in John’s literary model see I. Opelt, Hieronymus’ Streitschriften, Heidel-
berg 1973), pp. 43-53, 191.
72. See e.g. (n. 13) Alewell, p. 95; Nordh, pp. 225, 229, 231-232; Kornhardt, pp. 10, 20-23,
65-68, 86; Dornseiff (n. 15), p. 218; Gebien (n. 13), pp. 44-45, 66-67, 112-115, 144, 160-170;
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Fuhrmann (n. 15), pp. 451-452; H. von Campenhausen, ‘Die Entstehung der Heilsgeschichte ... in
der Theologie des 1. und 2. Jahrhunderts’, Saeculum 21 (1970), pp. 189-212 at p. 191; H. I. Mar-
rou, Saint Augustin et la fin de la culture antique, Paris 1938-1958, pp. 132, 146-147; Buisson (n.
13), ‘Exempla’, pp. 458-459; idem, ‘Kirchenrecht’, pp. 103-105; Geerlings (n. 13), pp. 148-150;
Kleinschmidt (n. 15), pp. 82-86, 178.
73. See (n. 13) Kornhardt, pp. 10, 20; Nordh, pp. 231-232, 229; Lausberg § 581; Rhétorique et
Histoire; David, p. 85.
74. See (n. 13) Kornhardt, pp. 65-68, 86; Gebien, pp. 66-67; Marrou, Augustin (n. 72), pp. 115-
116, 132, 146-147; Geerlings (n. 13), pp. 148-149; Nordh (n. 13), p. 227; Dornseiff (n. 15), p. 221.
75. H. Caplan, ‘Rhetorical Invention in Some Medieval Tractates of Preaching’, Speculum 2
(1927), pp. 284-295 at pp. 291, 294.
76. These problems were stressed by Liebeschütz in his Mediaeval Humanism (n. 8), pp. 67-73,
94; see also Brooke (n. 11), pp. XLII-XLIII; R. R. Bolgar, The Classical Heritage and its Beneficiaries,
Cambridge 1954-1973, p. 199, ‘The classical anecdotes torn from their context have a purely
rhetorical character. They exist in John’s consciousness as a collection of examples to back his moral
judgements, which spring ready-made out of his own experience’.
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John is not actually interested in these two rulers, who do not even deserve
to become his subject matter. He proposes only to develop the positive or
negative qualities they stand for77. In his dealings with the ‘topos’ De mort-
ibus persecutorum, praise of rulers would be ridiculously out of place78, just
as a criticism of ‘imperialism’ would be inappropriate for his glorification
of military virtue79. Or to quote one more example: there would be little
sense in questioning John’s high esteem of heathen Antiquity just because
he quotes the famous dream of Jerome in which the church-father is
flogged because of his Ciceronian predilections. This prime example of
medieval antihumanism is not cited in a discussion on classical authors but
in connection with the categories of dream-interpretation80.
John makes conscious allowance for such semantic divergences depend-
ing on context and perspective. This is attested by his aforementioned char-
acteristic manner of offering the reader several versions of the same story
one after the other, or listing several interpretations of one and the same ex-
emplum81. We find a good illustration of this method in the eleventh chap-
ter of the fourth book, where he admonishes the prince and the court that
family interest should submit to public interest. He calls to mind the case
of Brutus the Elder who had his sons executed for republican reasons82, ‘be-
cause they were concerned in a plot to bring back the kings into the City
and he wanted ... to show that he was the father of the people and had
adopted the people in place of his own children’83. However, while quot-
ing this heroic example of patriotism, he realizes that the factum has its
77. See Liebeschütz, Med. Humanism (n. 8), pp. 55, 72-73; in this vol. ch. 3 ‘Lucain au Moyen
Âge’ (I, VI). For Alexander and Caesar as symbols see F. Graus, Lebendige Vergangenheit: Überlieferung
im Mitterlalter und in den Vorstellungen vom Mittelalter, Köln-Wien 1975, pp. 31-34; A. Heuss, Art.
‘Caesar’ in Realenzyklopädie für Antike und Christentum 2, col. 822.
78. Policraticus, VIII.18-19, 2, pp. 358-372.
79. Policraticus, VI.15, 2, pp. 40-41.
80. Policraticus, II.18, I, p. 100.6; cf. Hieron. Ep. XXII.30. Misch (n. 8), pp. 1171-1173: “...
Skrupel, die der mittelalterliche Humanist ähnlich wie der hochgelehrte Heilige wegen seiner Vor-
liebe für die ‘heidnischen’ Autoren hatte oder haben zu müssen glaubte”. For the correct interpre-
tation see Liebeschütz, Med. Humanism (n. 8), p. 66.
81. See above nn. 34-43. Other examples are Policraticus, I.4 and 5.1, pp. 24 and 36 (Ulysses
and hunting); IV.5, 1, p. 249.15 (the invention of an indestructible glass), VIII.5, 2, p. 110 (au-
thenticity of an authority); VIII.13, 2, pp. 320, 327 (Quintilian’s criticism of Seneca); VIII.14, 2,
p. 331 (Aristides or Aristoteles); II.27, 1, pp. 159-160 (Cato).
82. Policraticus, IV.11, 1, pp. 272-274; see (n. 8) the thorough interpretations of Kerner, pp.
200-202 and Liebeschütz, pp. 249-250. It is noteworthy that Quintilian (Inst V.11.6-7) uses this
example to illustrate the exemplum dissimile.
83. Policraticus, IV.11, 1, p. 272.5.
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morally doubtful side and goes on without stressing his main point84: ‘al-
though of course I look upon parricide with the utmost horror, still I can-
not refrain from approving the loyalty and faithfulness of this consul’. The
method of presenting various opinions and confronting the reader with an
open problem has its origin in the literature of scholias and commentaries.
John was particularly fond of it, as we shall see. With the agnostic turn
of phrase which often serves him as aposiopesis or ellipsis he could have
dropped this subject. But obviously he wants to draw attention to diver-
gent opinions as problems to be discussed: he recalls the controversiae and
suasoriae instructed in the antique schools of rhetoric to demonstrate his
own topical method85:
I know that the question has been a battleground of oratorical commonplace and that
declaimers have often enough toiled and sweated over it on both sides laboring either to
excuse the parricide on the ground of fidelity to public duty, or on the other hand to
prove that the merit of fidelity to the public was effaced by the infamy of the crime.
Then he repeats, but this time indirectly, that he does not wish to give
his own opinion, and for this he quotes another example86:
A certain woman of Smyrna was brought before Dolabella. She confessed that she
had murdered her husband and son ... because they had treacherously slain a son of
hers by another marriage ... When Dolabella referred the matter to his council there
was none who in such a doubtful case was willing either to absolve the manifest par-
ricide or on the other hand to condemn the just vengeance. The matter was accord-
ingly referred to the council of the Areopagus of Athens as being more experienced
judges. But after they had heard the case they ordered the prosecutors and the accused
woman to appear before them a hundred years from that day.
Strictly speaking the story only serves as a commentary to the deed of Bru-
tus. Thus one exemplum explains another. Their interrelation to one anoth-
er is reinforced by allusion to a third exemplum88: Sulla’s vengeance on the
followers of Marius, as shown by a sententious verse from the Pharsalia: ‘I
agree that both Brutus and the woman transgress because the remedy ex-
ceeded the measure of the disease (excesserit medicina modum)’. However the
treatment of parallel moral conflicts touching on the topos summum ius
summa iniuria digresses slightly from the actual purpose of proving that
salus publica should be placed above all family interests. By means of a
fourth example John leads back to the point89: in the parade of heroes in
the sixth book of the Aeneid Vergil not only praises Brutus’s deed but crit-
icises it too, as ‘vanity of vainglory’. The concluding remark states that
nowadays the Brutus exemplum can nevertheless be quoted without hesita-
tion, since ‘generally a man prefers even the vices of his children to the
safety of commonwealth, although it is certain that the safety of the peo-
ple ought to be placed before all children’90. A fifth and a sixth exemplum
complete the tortuous chain of arguments, bringing us back finally to the
connotation of the first subject and example. They are unambiguous and
rhetorically more powerful, because they directly deter from evil: the Bible
blames Saul and Eli for their mistaken leniency toward their sons91.
This structure, so characteristic of the Policraticus, was referred to by the
late Hans Liebeschütz in his excellent book as follows92: ‘John is more in-
terested in the stories drawn from his library than in the straight-forward
exposition of ideas’. But the same composition inspired Vincenzo Cilento
to this rather enthusiastic evaluation93: ‘The fascination of the Policraticus
ical delay concerns Pythagoras in Policraticus, V.12, I, pp. 338-390. This is contrasted with the im-
patient temeritas of Alexander (ibid., p. 335).
88. Policraticus, IV. 11, 1, p. 273.7, “Ceterum Brutum et mulierem deliquisse consentiam facile
eo quod ‘excesserit medicina modum, nimiumque secuta est, / qua morbi duxere, manum’ et, licet
magna fuerint crimina, praestantius fuerat eadem sine punientis crimine vendicari”. See Phars., II
142-143 in the version of Augustin, De civ. Dei III.27, (CC 47), p. 93; for John’s knowledge of Lu-
can see ch. 3 (VI) of this volume.
89. Policraticus, IV.11, 1, p. 273.14, by a personal interpretation of Aen. VI.20-23.
90. Ibid., p. 273.21.
91. Ibid., p. 273.24 following 1 Reg. 14 (Saul), 2.29, 3.13, 4.18 (Eli).
92. Mediaeval Humanism, pp. 116-117; see also ‘Chartres’ (n. 8), p. 13 and similar statements in
Schaarschmidt (n. 11), pp. 87, 191-192; Ullmann, (n. 16), p. 520; Atkins (n. 18), pp. 66-67; E. K.
Tolan, ‘John of Salisbury and the Problem of Medieval Humanism’, Etudes d’hist. litt. et doctr. 19,
Montreal 1968, pp. 189-199 at p. 190; C. Uhlig (n. 10), pp. 41, 61-62; Knowles (n. 11), p. 137;
see Kerner (n. 8), pp. 129, 189-190.
93. V. Cilento, Medioevo monastico e scolastico, Milano-Napoli 1961, pp. 122-123, ‘Il fascino del Pol-
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stems just from its disorder’. As we know, John worked like most other
medieval authors according to an associative, unsystematic principle of
composition. However this is perhaps particularly striking in his works,
thanks to his extraordinary wide literary knowledge94. In this respect his
use of exempla follows venerable generic traditions: on the one hand the his-
toriographical miscellany of anecdotes, which began with Herodotus and
led to the kaleidoscopic corrections of popular hellenistic story-tellers; on
the other hand the diatribe of popular stoic and cynic philosophers, trans-
mitted especially by the controversialist Jerome imitating them95. Partic-
ularly commendable in both was the entertaining diversity imposing at-
tention by the effect of surprise. To this aim the authors applied a technique
of excursus and encapsulation: a paratactical juxtaposition of isolated units
of composition determined by the particular subject or topos, not by any
dominating central idea96. If we falsely presuppose such an idea we cannot
help creating contradictions. It seems a commonplace matter that medieval
authors might use exempla and quotations with several independent signi-
fications in varying contexts. However thanks to our unconscious anticipa-
tion of consistency, we are often inclined to overlook this obvious fact when
interpreting particular passages of the Policraticus. It seems to me a decisive
point that John was guided not by a system of ideas, not by narrative log-
ic comprising a whole, but rather by chance literary recollections, which
happened to crop up in his memory. He himself says in the Prologue about
his topics: quae ... a diversis auctoribus se animo ingerebant97. Moreover, the di-
mensions of statement and commentary change all the time in an am-
icraticus deriva altresì dal suo disordine. È un disordine apparente, beninteso. Il disordine di una con-
versazione, di un dialogo, di una diatriba classica. Il disordine di Petronio, di Apuleio, di Plutarco’.
94. See Kerner (n. 8), pp. 37-40, 119, 189-191; B. Smalley, The Becket Conflict and the Schools,
Oxford 1973, p. 99; Misch (n. 8), pp. 1256, 1267.
95. For John see (n. 8) Liebeschütz, Med. Humanism, pp. 67-70; Kerner, pp. 37-40;
Schaarschmidt (n. 11), pp. 131-132. For the traditions in general see E. Howald, Vom Geist antiker
Geschichtsschreibung, München-Berlin 1944, pp. 14-17, 41; Kleinschmidt (n. 15), pp. 82-85, 178;
H. L. F. Drijepont, Die antike Theorie des ‘varietas’ (Spudasmata 37), Hildesheim 1980, pp. 92-107;
A. Oltramare, Les origines de la diatribe romaine, Lausanne 1926, p. 13, ‘... la seule unité qu-on y
puisse trouver est une variété constante et forcée’; E. Rohde, Der griechische Roman und seine Vorläufer,
Wiesbaden 1914 - Hildesheim 1974, pp. 290-294, 606-607.
96. For the technique see H. Kech (n. 45), pp. 21, 61-62, 30-34, 189; Partner (n. 26), pp. 195-
197.
97. Policraticus, Prol., 1, p. 15.20; see also II. 17, 1, p. 99.24 above n. 35; IV.6, 1, p. 255.23,
‘... legisse me memini quod ...’; VIII.20, 2, p. 378.4; VII.12, 2, p. 141.1: ‘Ut enim quidam ait (ver-
bis namque manentibus nomen excidit) ...’
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98. A review of the divergent positions is to be found in Kerner (n. 8), pp. 194-199: see also G.
C. Garfagnini, ‘Legittima potestas e tirannide nel Policraticus; Riflessioni sulla sensibilità politica di
un clericus per i problemi storici-politici’, Critica storica 14 (1977), pp. 575-609; R. H. and M. A.
Rouse, John of Salisbury and the Doctrine of Tyrannicide’, Speculum 42 (1967), pp. 693-709; J. C.
P. Van Laarhoven, ‘Thou shalt not slay a tyrant! The so-called theory of John of Salisbury’, The World
of John (n. *), pp. 319-341; see below n. 132.
99. See e.g. H. Dörrie, ‘Zum Problem der Ambivalenz in der antiken Literatur’, Antike und
Abendland 16 (1970), pp. 85-92; Buisson, Potestas (n. 13), pp. 31-34; Exempla (n. 13), pp. 460-463;
E. Auerbach, Typologische Motive in der mittelalterlichen Literatur, Krefeld 1964, pp. 24-25; D. W.
Robertson, ’Some Literary Terminology with Special Reference to Chrétien de Troyes’, Studies in
Philology 48 (1951), pp. 669-692 at pp. 670-671; H. Brinkmann, Mittelalterliche Hermeneutik,
Tübingen 1980, pp. 27-29, 180-181, 267; E. Jeauneau, ‘L’usage de la notion d’integumentum à tra-
vers les gloses de Guillaume de Conches’, Archives d’histoire doctrinale et litteraire du MA 24 (1957),
pp. 35-100 = E. J., Lectio philosophorum, Recherches sur l’Ecole de Chartres, Amsterdam 1973, pp. 127-
192 at p. 133-142.
100. See Jeauneau (n. 99), p. 139 quoting a MS of the glosses to Boethius and commenting: ‘Un
moderne penserait qu’en se multipliant les interpétations se detruisent les unes les autres. Pour les
hommes du XIIe siècle elles temoignaient, par leur multiplicité même, de la richesse du texte à
commenter. Ce dernier était une pièce d’or d’un prix inestimable dont on ne saurait jamais, fût-ce
au prix de nombreux commentaires, finir de rendre la monnaie’.
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spired’, because under the literal surface meanings may be hidden which
the author was not aware of and which the reader has to discover. Neither
is it of relevance if they contradict each other, as long as they do not con-
tradict faith. Whether the smiths forge necklaces, rings or bracelets, the
gold they use is the same101. Both testimonies serve to elucidate an opti-
mistic ideal of learning which was widespread in the period of early
Scholasticism, that is to say, the realm of letters, either sacred or profane,
is placed at the disposal of mankind to be used as raw material for inter-
pretation. Within human limitation literature helps to recognise the most
manifold aspects of the one and only Divine Truth, which in its entirety
remains inaccessible.
The availability and applicability of all literature was also one of John’s
favourite themes102. He liked to describe it by a double analogy with the
101. Abaelard, Theologia Christiana I 117, CC cont. med. 12 (1969), p. 121 (=Introductio ad the-
ologiam I 20, PL 178. 1028 A-B), “Si quis autem me quasi importunum ac violentum expositorem
causetur, eo quod nimis improba expositione ad fidem nostram verba philosophorum detorqueam,
et hoc eis imponam quod nequaquam ipso senserint, attendat illam Caiphae prophetiam quam Spir-
itus sanctus per eum protulit, longe ad alium sensum eam accomodans quam prolator ipse senser-
it. Nam et sancti prophetae cum aliqua Spiritus sanctus per eos loquatur, non omnes sentientias ad
quas se habent verba sua intelligunt; sed saepe unam tantum in eis habent, cum Spiritus ipse qui
per eos loquitur, multas ibi provideat, quarum postmodum alias aliis expositoribus et alias aliis in-
spirat. Unde Gregorius in Registro ad Ianuarium episcopum Caralitanum scribens loquitur (cf. Reg
3 Ep. 67, PL 77, 668 A-B), ‘... Sicut enim ex uno auro alii murenulas, alii anulos, alii dextralia ad
ornamentum faciunt, ita ex una Scripturae sacrae sententia expositores quique per innumeros in-
tellectus quasi varia ornamenta componunt, quae tamen omnia ad decorem caelestis sponsae profi-
ciunt’”. (Caiphae prophetia, see John 11.50-1 , 18.14, ‘Expedit unum hominem mori pro populo’).
For this passage see Jeauneau loc. cit. and P. Dronke, Fabula. Explorations into the Uses of Myth in Me-
dieval Platonism (Mittellateinische Studien und Texte 9), Leiden-Köln 1974, pp. 63-67; for the con-
cept of integumentum see the review of C. Meier, ‘Überlegungen zum gegenwartigen Stand der Al-
legorie-Forschung’, Frühmittelalterliche Studien 10 (1976), pp. 1-69 at pp. 9-14.
102. Metalogicon, Prol., p. 3, ‘Metalogicon inscriptus est liber, quem quatuor voluminibus ad
recreationem lectoris distinguere curavi. More scribentium res varias complexus sum, quas quisque
suo probabit aut reprobabit arbitrio’. Like Abaelard, John neglects the voluntas auctoris in favour of
the real, i.e. spiritual sense, e.g. when he makes Seneca write about the Holy Spirit in Metalogicon,
IV.16, p. 182, ‘ratio Hebreorum consentit Senece diffinitio, etsi ille aliud senserit; ait enim: Ratio
est quaedam pars divini Spiritus humanis immersa corporibus’. The littera is more than the volun-
tas auctoris, because it contains the objective sensus, which has to be excutiendus in a thoroughly
methodological way without precipitate distortions; see Metalogicon, III.1, p. 121, ‘Littera enim
suaviter excutienda est et non more captivorum acerbe torquenda, donec restituat quod non accepit.
Porro austerus nimis et durus magister est, tollens quod positum non est et metens quod non est
seminatum ...’ But also I. 24, 54, ‘Auctores excutiat et sine intuentium risu eos plumis spoliet ...!
(cf. Horace, Ep. I. 3. 18-20), and concerning the Bible Policraticus, VII. 12, 2, p. 144, ‘Divinae pag-
inae libros ... eo quod thesaurus Spiritus sancti, cuius digito scripti sunt, omnino nequeat exhau-
riri. Licet enim ad unum tantummodo sensum accomodata sit superficies litterae, multiplicitas
misteriorum intrinsecus latet et ab eadem re saepe allegoria fidem, tropologia mores variis modis
edificet; anagoge quoque multipliciter sursum ducit ut litteram non modo verbis sed rebus ipsis
instituat. At in liberalibus disciplinis, ubi non res, sed dumtaxat verba significant, quisquis primo
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nature of created things, which not only may be profitably subjugated and
exploited by man but also contemplated like a book103 containing visible
signs from God’s hand, references to the invisible. ‘Not only all things
written’, he says104, ‘but all things done and created (facta) are believed to
have been instituted to be used by man, even though they are sometimes
abused’. In this statement we can easily discover Augustine’s distinction
between ‘use’ and ‘abuse’ of worldly things, here ingeniously amalgamat-
ed with an echo of Romans XV.4: ‘Whatsoever things were written afore-
time, were written for our learning’, a passage actually intended for the
reading of the Old Testament, but applied by John to all writings105.
sensu litterae contentus non est, aberrare videtur michi ... ego siquidem illum sequar qui litteram
aperit et quasi superficie patefacta sensum, ut ita dicam, historicum docet’. For these and similar
passages of John see Schaarschmidt (n. 11), pp. 83-84; McGarry (n. 29), p. 665; Robertson, ‘Ter-
minology’ (n. 99), pp. 691, 676-678, Chaucer (n. 16), p. 342; Helbling-Gloot (n. 60), pp. 86-87;
H. H. Glunz, Die Literarästhetik des europäischen Mittelalters, (1937) Frankfurt 1963, pp. 59-60, 181-
182; H. de Lubac, Exégèse Médiévale: Les quatre sens de l’Ecriture, Paris 1959, 1, pp. 462-463.
103. For the metaphor of the ‘book of nature’ see Curtius, Europ. Lit. (n. 13), pp. 323-329; E.
Rothacker, Das ‘Buch der Natur’, Bonn 1979, p. 31 (John) and passim; A. Demandt, Metaphern für
Geschichte, München 1978, pp. 382-383; H. Blumentberg, Die Lesbarkeit de Welt, Frankfurt 1981,
pp. 48-57 and passim. An exhaustive study is being prepared by F. Ohly of Münster [see now his
Ausgewählte und neue Schriften, ed. U. Ruberg and D. Peil, Stuttgart-Leipzig 1995, pp. 555-888].
104. Policraticus, VII.10, 2, pp. 130-134, ‘Omnes scripturas esse legendas ..’; p. 130.1: ‘Omnes
tamen scripturas legendas esse probabile est, nisi sint reprobatae lectionis, cum omnia non modo
quae scripta sed etiam quae facta sunt ad utilitatem hominis, licet eis abutatur interdum, institu-
ta credantur’; p. 130.10, “Ab initio benedixit Deus homini dicens: ‘Crescite et multiplicamini et
replete terram et subicite eam et dominamini piscibus maris et volatilibus celi et universis ani-
mantibus quae moventur super terram’ (Gen. 1.28-29). Et adiciens omnem herbam afferentem se-
men et universa ligna in usu suo ... concessit eis in cibum”; p. 130.28, ‘... dominium terrae et bes-
tiarum terror privilegium potestatis, victualium universitas est indicium libertatis: omnia siqui-
dem munda mundis’ (Tit 1.15, cf. Rom 14.20); p. 131.30, ‘... consentio ut ... per gratiam adiciatur
subiectio terrae quam cum in se ipse homo subiecerit, dominium sui aliorumque consequitur, ut,
cunctis animantibus praelatus, timorem et tremorem incutiat omnibus quae moventur in terra.
Sunt ei ergo cuncta in cibum quia in omnibus creaturis ei verba salutis suae loquitur Dominus ...
Omnis enim instructio salutis quodammodo verbum Dei est, et a quocumque veritas doctrinae pro-
feratur, acceptanda est eo quod veritas incorrupta semper et incorruptibilis est’. For the whole pas-
sage the principal source is Augustine, Conf. XIII; see especially XIII.20 for the interpretation of
Gen. 1.22; and 13.24; 36-37: ‘Novi enim multipliciter significari per corpus, quod uno modo
mente intelligitur et multipliciter mente intelligi quod uno modo per corpus significatur ... In his
omnibus nanciscimur multitudines et ubertates et incrementa; sed quod ita crescat et multiplice-
tur, ut una res multis modis enuntietur et una enuntiatio multis modis intelligatur, non invenimus
nisi in signis corporaliter editis et rebus intellegibiliter excogitatis.’; XIII.26, 39 for the symbol-
ism of food; XIII.32, 47 for the privilege of power; XIII.34, 49, ‘Inspeximus etiam, propter quo-
rum figurationem ista vel tali ordine fieri vel tali ordine scribi voluisti, et vidimus quia bona sunt
singula et omnia bona valde ...’ See also Glunz (n. 102), pp. 55-60; and Robertson, Chaucer (n. 16),
p. 342 with reference to Augustine, De doctrina. Christiana, II. 18.28; The Literature of Medieval Eng-
land, New York 1970, pp. 264-266.
105. Policraticus, XVII.10, 2, p. 130.5 (Rom 15.4), ‘Quaecumque enim scripta sunt ad nostram
doctrinam scripta sunt, ut per patientiam et consolationem scripturarum spem habeamus’. The
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Moreover the double sense of facta (done or created) recalls again the dou-
ble concept of dicta et facta, synonymous to exempla and shows that history,
too, forms part of the usable and interpretable universe106.
From these presuppositions John develops two very important chapters
ofbook 7 about the approach to literature in an analogy with the command
given to Adam and Eve in Genesis I.28. The order ... ‘replenish the earth
and subdue it!’ is related allegorically to the license of Titus I.15: ‘Unto the
pure all things are pure’. He concludes that a man who has subjugated
himself can subjugate the whole world. He can subdue all moving things
on earth and similarly dominate literature and all it contains. He finds
nourishment everywhere, because God’s voice speaks from all creatures, in
omnibus creaturis ei verba salutis suae loquitur Dominus. All living beings and
all books present moral doctrine, so to speak nourishment, and so they
have to be accepted as gifts of God107.
Even the unclean meat of the reptiles – or, by analogy, pagan literature
– may be consumed, ‘because truth is unspoilt and unspoilable’. ‘Avoid
vices and read whatever you wish!’ John says with an Augustinian
touch108.
quotation appears with the same meaning in Policraticus, III. 8, 1, p. 193.29, ‘... ea quae a
philosophis gentium publicae utilitatis gratia scripta sunt audire quid prohibet? Quaecumque
enim, inquit, scripta sunt ad nostram doctrinam scripta sunt ...’ There is no cautious distinction as
in the Commentum in Theodulum of Bemard of Utrecht I.183-185, ed. R. B. C. Huygens, Spoleto
1977, p. 27, … ad quod respondendum gentilis et sacrae scripturae signari diversitatem. […] nec
gentilis scriptura remotis auctorum cavillationibus, quibus inflatur, multum valere videtur. “At
dices: ‘quaecumque scripta sunt, ad nostram doctrinam scripta sunt’, et ego: dissuadendo quidem
quaedam vero suadendo”. For Rom XV.4 often quoted to justify the principle of historia magistra vi-
tae see Lacroix (n. 18), pp. 169-170; R. M. Thompson, ‘The Reading of William of Malmesbury’,
Revue Bénédictine 85 (1975), pp. 362-402 at p. 374 (together with 1 Thess 5.21).
106. See above n. 28, below n. 156; Dal Prà (n. 8), pp. 117-118 for a neo-platonic touch of
John’s conception of history. For ‘history as a continuation of creation’ see Augustine, De doctrina
christiana II. 28.44, ‘Narratione autem historica cum praeterita etiam hominum instituta narran-
tur, non inter humana instituta ipsa historia numeranda est; quia iam quae transierunt, nec infecta
fieri possunt, in ordine temporum habenda sunt, quorum est conditor et administrator Deus’. See
L. Boehm, ‘Der wissenschaftstheoretische Ort der historia im früheren Mittelalter’, Speculum Histo-
riale; Festschr. für J. Spörl, München 1965, pp. 663-693 at p. 668; C. Meier, ‘Grundzüge der mitte-
lalterlichen Enzyklopädik, Zu Inhalten, Formen und Funktionen einer problematischen Gattung’,
Literatur und Laienbildung im Spätmittlalter und in der Reformationszeit, ed. L. Grenzmann - K. Stack-
mann, Stuttgart 1982, pp. 467-503;von den Brincken (n. 15), pp. 437-440; J. Le Goff, ‘Au Moyen
Âge: Temps de l’église et Temps du marchand’, Pour un autre Moyen Âge, Paris 1977, pp. 46-79 at
pp. 46-50; J. Plagnieux - F. J. Thonnard, ‘Faire et créer chez S. Augustin’, Bibliothèque Augustinienne
22 (3e sér., 2, La crise Pélagienne) Paris 1975, pp. 767-774.
107. See n. 104 (Policraticus, VII.10, 2, p. 132).
108. See ibid., p. 132.20, ‘Dummodo vitia fugias, quod volueris lege’. Cf. Aug., In Epp. Ioan.,
V.4 (PL 35. 2014); V.12 (2018), ‘Dilige et quod vis fac’; Hier. Ep. 125.11 (quoted by John at the
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end of the same chapter p. 134.26), ‘Ama scientiam scripturarum et carnis vitia non amabis’; see
Schaarschmidt (n. 11), p. 84.
109. Besides VII.9-10 as a whole we may note John’s appreciation of compilers, abbreviators
and encyclopedists as his predecessors: see Policraticus, I. 11, 1, p. 50.14 (Varro); VIII.18, 2, p.
363.28 (Orosius); VIII.10, 2, p. 284 (Macrobius); V.7, 1, p. 314; VIII.14, 2, p. 334 (Frontinus).
John’s encyclopedic inclinations have been criticized by Liebeschütz, Med. Humanism (n. 8), pp. 1-
2; Brooke, Introduction (n. 11), pp. XLIII-XLIV, ‘... a memory more richly stored than any but the
largest medieval libraries’, ... ‘a man who knew too much to be a philosopher, with a memory too
facile for sound digestion’, ‘... his interests were encyclopedic rather than analytical’; pp. XLIV-XLV,
‘The Policraticus and the Metalogicon seem to be two fragments of a vast encyclopedia of the liberal
arts of philosophy and politics. the conception ultimately derives from Martianus Capella and St.
Isidore, but its closest parallel is Hugh of St. Victor’s Didascalion’. For a more positive understand-
ing of the same qualities see Atkins (n. 18), pp. 66-67; B. Munk-Olsen, ‘L’humanisme de Jean de
Salisbury, un cicéronien au XIIe siècle’, Entretiens sur la Renaissance du 12e siècle, ed. M de Gandillac
et E. Jeauneau, Paris 1968, pp. 53-83 at p. 59 (John as an enemy of all specialists); Smalley, Beck-
et (n. 94), pp. 97-80; Robertson, Chaucer (n. 16), p. 342; Kerner, pp. 1-2, 123-125. For an unprej-
udiced view of the encyclopedic ideal in the Middle Ages see Meier ‘Enzyklopädik’ (n. 106) and
Rouse, Preachers, Florilegia and Sermons (n. 14), pp. 3-5.
110. Concerning the method of ‘de omni re in utramque partem probabiliter disputari’ John
writes in Metalogicon, III.10, pp. 163-164. ‘Ipsam vero, sicuti est, deprehendere veritatem, divine
vel angelice perfectionis est, ad quam tanto quisque familiarius accedit, quanto verum querit avid-
ius, amat ardentius, examinat fidelius et in contemplatione eius iocundius delectatur’. See also En-
theticus, ed. E. Pépin, Traditio 31 (1975), pp. 127-194 at p. 148, v. 386 f, ‘Lux accensa nimis et non
accensa caducis, Ut videant homines, se minuendo facit. / Nullus enim totam caperet; se temperat
ergo, / Ut queat infirmus illius esse capax’. See McGarry (n. 29), pp. 665-666 and W. Wetherbee,
Platonism and Poetry in the Twelfth Century, Princeton 1972, pp. 91-92 for Metalogicon, IV. 36-40.
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111. Policraticus, VII.8, 2, p. 122.5, concerning the different ways of the ancient schools of phi-
losophy to reach the same goal of summum bonum: ... ‘de quibus dubitare et quaerere liberum est,
donec ex collatione propositorum quasi ex quadam rationum collisione veritas illucescat’. Policrati-
cus, VII.2, 2, pp. 98-99 and Metalogicon, III. 10, p. 164 for the principle in utramque partem. See p.
227. Metalogicon, III.1, p. 122.3, ‘Quicquid autem littere facies indicat, lector fidelis et prudens in-
terim veneretur ut sacrosanctum, donec ei alia docente aut Domino revelante veritas plenius et fa-
miliarius innotescat. Quod enim unus fideliter et utiliter docet, alter eque fideliter et utiliter dedo-
cet’; p. 123.12, ‘Si quid autem ... in quavis scripturarum intellectu difficilius occurrit, non statim
deterreat legentem et audientem, sed procedat; quia se invicem interpretantur auctores et singule
scripture vicissim sunt indices aliarum, unde legentem plurima aut nulla aut paucissima latent’.
112. See pp. 250-251 Policraticus, Prol., I, p. 12.9, ‘Exempla maiorum ... nullum erigerent aut
servarent, nisi pia sollicitudo scriptorum et triumphatrix inertiae diligentia eadem ad posteros
transmisisset’; ibid., p. 13.18: ‘Ad haec in dolore solatium, recreatio in labore, in paupertate iocun-
ditas ... a litteris mutuatur ... Nullam in rebus humanis iocundiorem aut utiliorem occupationem
invenies ... Experto crede, quia omnia mundi dulcia his collata exercitiis amarescunt’. For the jus-
tification of pleasant stories see Policraticus, VIII.12, 2, p. 315.20; VIII.9, p. 282; VIII.9, p. 301.16,
‘... nihil impedit ridentem dicere verum (Hor. Sat. l.I.24) et fabulosis narrationibus, quas
philosophia non reicit, exprimere quid obesse possit in moribus’; I.10, p. 48.24; and J. Suchomsky,
‘Delectatio’ und ‘utilitas’, Ein Beitrag zum Verständnis mittelalterlicher komischer Literatur, Bern-
München 1975, pp. 46-52. A rhetorical authority for collecting exempla was Quint, Inst XII.4.l, ‘In
primis vero abundare debet orator exemplorum copia cum veterum tum etiam novorum’. For the
popularity of exempla-collections in twelfth century England see Smalley, Friars (n. 15), pp. 49.53;
Southern, Aspects (n. 6) 11, 1971, pp. 173-174; Flint (n. 45), pp. 450-454; R. M. Thompson,
‘William of Malmesbury as Historian and Man of Letters, Journal of Ecclesiastical History 29 (1978),
pp. 387-413; ‘The Reading of William’ (n. 105), pp. 362-402.
113. For this paradox see M. de Gandillac, ‘Encyclopédies pré-médievales et médievales’, La pen-
sée encyclopédique au Moyen Âge, ed. M. de Gandillac et al., Neuchâtel 1966, pp. 1-42 at pp. 18-19:
‘le double thème d’un désintérêt pour le ‘monde’ – entendu comme synonyme de péché – et d’une
admiration pour le ‘monde’ – considéré comme œuvre divine’ as a christian analogy to the stoic
problem of conquest and admiration of the world. For the latter see R. A. Gauthier, L’idéal de la
grandeur de l’âme dans la philosophie païenne et dans la théologie chrétienne, Paris 1951, pp. 169-172,
267-270 and passim; R. Rieks, Homo, humanus, humanitas, München 1967, pp. 112-113. For John’s
view of this important problem see Liebeschütz, ‘Chartres ...’ (n. 8), pp. 11-12.
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What I most often use, is other people’s property. Nevertheless I take whatever has
been well said elsewhere and make it mine ... As I am just letting out my secrets, I
shall show my arrogance still more plainly (arrogantiam meam plenius denudabo): call
genuine philosophers I encounter in word and deed, I consider to be my clients. more
than that, I claim their tributary service or vassalage (meos clientes ..., michi vendico in
servitutem), and I compel them to fight in my place against my opponents by their
texts handed down to me (in traditionibus suis).
114. Policraticus, Prol., I, p. 16.4: ‘Haec quoque ipsa, quibus plerumque utor, aliena sunt, nisi
quia quicquid ubique bene dictum est facio meum, et illud nunc meis ad compendium, nunc ad fi-
dem et auctoritatem alienis exprimo verbis. Et quia semel coepi revelare mentis archana, arrogan-
tiam meam plenius denudabo. Omnes ergo qui michi in verbo aut opere philosophantes occurrunt,
meos clientes esse arbitror, et quod maius est, michi vendico in servitutem; adeo quidem ut in tra-
ditionibus suis seipsos pro me linguis obiciunt detractorum’. For this passage see Dal Prà (n. 8), p.
42 (influence of Seneca); Liebeschütz, Med. Humanism (n. 8), pp. 62-63 (method of appropriation);
Glunz (n. 102), pp. 52-56 (liberty and self-assurance of medieval humanism); Smalley, Becket (n.
94), ‘John treated the pagans as his clients and servants. He wanted to show that the Bible and pa-
gan philosophy ... reinforced each other’ (see below n. 123); Misch (n. 8), p. 1211, ‘So unbeküm-
mert verwendete er seine antiken Reminiszenzen, seiner Ankündigung getreu, dass er die alten Au-
toren wie Hörige in seinen Dienst nehmen werde’; D. Harth, Philologie und praktische Philosophie.
Untersuchungen zum Sprach- und Traditionsverständnis des Erasmus von Rotterdam (Humanistische Bib-
liothek 1.11) München 1970, pp. 16-23, 29 (contrasts this approach to ‘Vasallen’ and ‘Sklaven’
with the true humanistic veneration of classical authors). The most important points of reference
are Seneca, Ep. 80.1, ‘... non ergo sequar priores? facio, sed permitto mihi et invenire aliquid et mu-
tare et relinquere. Non servio illis, sed adsentior’. Cf. Ep, 33.8-9; 84.5; Hor. Ep. I. 19; II. 3, 119-
120 and other classical statements concerning the relation between originality and tradition, as
analysed by A. Reiff, Interpretatio, imitatio, aemulatio, , Diss. Würzburg 1959, pp. 59-60, 72, 107-
109; I. Hadot, Seneca, Berlin 1969, pp. 179-182. Nevertheless John declares quite the opposite po-
sition, when speaking of the Bible in Policraticus, VII.13, 2, pp. 147-148, ‘Ineptus est qui Scrip-
turis a quibus instruendus est, appetit dominari et captivato sensu earum ad intellectum suum eas
nititur trahere repugnantes. Nam in eis quaerere quod non habent, proprium sensum obstruere est,
non addiscere alienum ... Serviendum est ergo Scripturis, non dominandum, nisi forte quis se ip-
sum dignum credat ut angelis debeat dominari’. It seems to be an intended irony that John uses
the same metaphors of service and ‘clients’, but inverts their meaning when he characterizes his re-
lation to the spurious or even fictitious source of the lnstitutio Traiani in Policraticus, VI Prol., 2, p.
10, ‘Dum Plutarchi vestigia in Traiani lnstitutione familiarius sequor, meipsum hac imagine arbi-
tror compellari eroque ludibrio omnium nisi persequar quod incepi. Me in praesenti clientem esse
professus sum’. Subintende: John is himself the author, as all his authors are his clients! For the prob-
lem of the lnstitutio Traiani the thesis of Liebeschütz seems irrefutable after the new arguments of
J. Martin, ‘John of Salisbury as c lassical scholar’, The Wolrd of John of S. (n. *), pp. 179-201, in spite
of the attempt of Kerner to prove its ancient origin; see M. Kerner, ‘Zur Entstehungsgeschichte der
lnstitutio Traiani’, Deusches Archiv für Gesch. 23 (1976), pp. 558-571 (see p. 564 for the discussed
parallel between Prol. I and VI and below n. 131).
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them into battle, puts them into strategic positions and bends them into
shape to obtain the persuasive effects his arguments require. Here again he
justifies the domination of literature, which may not seem very ‘humanis-
tic’, by eadem incommutabilis veritas115. It is the incorruptible and unchang-
ing truth behind all the miscellaneous literary testimonies, which is the
real goal of reading and learning. We may ask which binding rule, which
standard of control can eliminate arbitrary treatment of interpretable
texts. But in the Policraticus we can hardly find an answer more precise
than the stereotype reference to moral utilitas or divine truth. Our problem
– another quid est veritas? – is even more irritating as John, in the same
context of the Prologue, openly professes his liberty to change written doc-
uments as required, or even to invent new testimonies, if this is of use to
publica utilitas116.
What he theoretically asserts here confirms the results of recent philo-
logical analysis concerning his antique borrowings, which might have
thrown some shadow on the well established image of the unmatched clas-
sical scholar. It convincingly proves that he had a casual attitude to his au-
thors, that he freely constructed pseudoepigraphs, that he quoted mainly
from second-hand sources – historiographical epitomies and literary flori-
legia etc – even when he named first-hand authors, that he took classical
texts he understood perfectly, and reversed their meaning in a refined, of-
ten witty manner and so on. Today there remains hardly any doubt that he
did not study or wish to study his dicta and facta as a classical scholar
would, and, to tell the truth, we should be less astonished at this result
than at the previous, curiously classicist presuppositions it rules out117.
115. Policraticus, Prol., 1, p. 17.17: ‘scripturarum quoque testimoniis ... quandoque usus sum;
ita tamen ut nichil fidei aut bonis moribus inveniatur adversum, ac si sententias tam modernas
quam veteres eadem incommutabilis veritas genuisset’. See pp. 241-242, 249.
116. Policraticus, Prol., I, p. 15.20, 25, ‘... non omnia quae hic scribuntur, vera esse promitto,
sed sive vera seu falsa sint, legentium usibus inservire’; ‘.. quia haec figmenta nostrae famulentur
instructioni, non ambigo’; p. 16.18, ‘... et me officiosis fateor usum esse mendaciis ... et me men-
dacii reum esse consentio, qui scriptum novi, quia omnis homo mendax’ (Ps 115.11); p. 17.30, ‘Si
quis ignotos auctores ... calumpniatur aut fictos, redivivum Platonis, Affricanum Ciceroni sompni-
antem, et philosophos Saturnalia exercentes accuset, aut auctorum nostrisque figmentis indulgeat,
si publicae serviunt utilitati’. See Liebseschütz, Med. Humanism (n. 8), p. 25; for the leading con-
cept of argumentum (concerning the ‘probable’ images of Socrates, Er, Scipio and the discussing ‘Pos-
tumianus’, ‘Praetextatus’ and ‘Evangelus’ in the works of Plato, Apuleius, Cicero and Macrobius)
see Brinkman (n. 23), Zeichen’, p. 5 and ‘Figurensprache’ passim; Knapp, ‘Wahrheit und Lüge’ (n.
24), pp. 588-596, 607-609; above n. 45.
117. Some classicist exaggerations are quoted by Misch (n. 8), pp. 1167-1169. For criticism see
the several publications of J. Martin (nn. 9, 33, 39, 114) and her dissertation, John of Salisbury and
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Yet there still remains the question of how to relate John’s quotation-
method to his declared intellectual intentions.
Although, as we have seen118, he is negligent of exact historical facts
and names, he strives for trustworthy authorities handing down his exem-
pla. Nevertheless he quotes these very authorities rather carelessly, so that
we ask ourselves again whether he is more interested, after all, in subject
matter or in wording. Although he claims to interpret given texts of mul-
tiple meaning in order to find their true core, he arranges his material –
using subtle, ingenious forms of pia fraus – so that it adapts to the required
‘truth’ and evokes the necessary rhetorical effect. It is difficult to under-
stand all these paradoxical features. If we are not satisfied with the simple
reason of medieval naiveté, we have to reckon with his important, most
complex method of ‘probable logic’ explained in the Metalogicon, of which
the use of topoi for rhetorical inventio forms an essential part119. Within the
range of this theory his exempla have no intrinsic substance, perhaps not
even that of philological authenticity. They function as guides to argu-
mentative discovery and stimuli to arouse attention; they are signposts,
points of reference, starting points, incentives, suggestive lines of inquiry
leading to useful thoughts to be instilled in the reader’s mind by all kinds
of correlation, direct or indirect, by allegorical interpretation or literal
comparison, by similarity, dissimilarity or contrast120.
the Classics, Cambridge, Mass. 1968. The convincing results of these studies do not deny John’s ca-
pacity for creative appropriation or assimilation of his most distinguished sources; see A. Mol1ard,
‘La diffusion de l’Institution Oratoire au XIIe siècle’, Le Moyen Âge 44 (1934), pp. 161-175; 45
(1935), pp. 1-8; and O. Seel, Quintilian oder die Kunst des Redens und Schweigens, Stuttgart 1977, pp.
240-245 for Quintilian and Seneca; K.-D. Nothdurft, Studien zum Einfluss Senecas auf die Philosophie
und Theologie des 12.Jahrhunderts, Leiden-Köln 1963, pp. 114-115 for Macrobius and Seneca; ch. 3
(VI) in this volume for Lucan.
118. See above nn. 34-41.
119. See above n. 29 and Metalogicon, III.9-10. See Hendley (n. 8), pp. 184-191. For the con-
nection between exemplum and topos by the central concept of inventio see above n. 21 (John of Gar-
land); Knapp, Similitudo (n. 13), pp. 87-88; B. Riposati, Studi sui topica di Cicerone, Milano 1947,
pp. 101-103 (Cic. Top. 41-45); H. M. McCall, Ancient Rhetorical Theories of Simile and Comparison,
Cambridge, Mass. 1969, pp. 114-116; Price (n. 13), pp. 106-110; David, ‘Maiorum exempla sequi’,
Rhétorique et Histoire (n. 13), pp. 68-69; Caplan (n. 75), pp. 287 (Arist., Rhet. II.26, I and Rhet. ad
Her. II.30-47), 292; Nordh (n. 13), p. 226; Lumpe (n. 13) cols. 1231, 1237-1238; Geerlings (n.
13), pp. 149-152 (Augustin and Quintilian); Lausberg (n. 13) § 227 (Quint., Inst V. 11.36-41); L.
Bornscheuer, ‘Topik’, Reallexikon der deutschen Literaturgeschichte 4 (1981), pp. 454-475 at p. 469;
idem, Topik, Zur Struktur der gesellschaftlichen Einbildungskraft, Frankfurt 1976, pp. 35-36, 41, 43,
48; ‘Topik’, Beitrage zur interdisziplinären Diskussion, ed. D. Breuer et al (München 1981), in the con-
tributions of A. Cizek (pp. 35-36), O. Pöggeler (pp. 109-112), B. Spillner (p. 256), H. F. Plett (pp.
307-310); Melville (n. 45), pp. 329-330.
120. See (n. 13) Lausberg § 420 and Gebien, pp. 64-65 for the degrees of relation between causa
and exemplum.
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Finally the notion that everything written is exploitable leads to the fre-
quently posed question of John’s relation to pagan Antiquity. An answer
however makes sense only if considered in connection with John’s attitude
to past literature in general. In my opinion, John’s humanism is not char-
acterized by a specialization in classical authors, but by the peculiar way
he applies historically and ideologically divergent testimonies and exempla
without differentiating between their origins. In principle he does not
deny the hierarchy between pagan, Jewish and Christian texts. Neither
does he make any secret of his conviction that for eternal salvation Chris-
tian doctrine alone is necessary and that, in this respect, classical knowl-
edge may have at best a supplementary or facultative value121. But on
quite another level of thinking he does not hesitate to distinguish pagan
literature within universal literature as absolutely necessary for moral and
intellectual education; and this area, after all, was the chief object of his
preoccupation. However unique and incommensurable Christian faith
might have been for him from a purely spiritual point of view, he took his
greatest interest not in the rather narrow field in which it stood unrivalled,
but in a lower and more general region: Omnium temporum una est fides, ‘all
ages have one and the same belief; and no wise man has ever doubted that
it is the same God who is both just and good’. ‘There are’, he says some-
where else, ‘certain precepts of the Law which have a perpetual necessity,
having the force of law among all nations and which absolutely cannot be
broken. Before the Law and under the Law and still under the New
Covenant of Grace, there is one universal law which is binding upon all
men122. John aimed at the reinstatement of this natural law of morals valid
121. See Policraticus, IV.6, I, pp. 251-253, IV.3, p. 242; VII Prol., 2, p. 93; VIII.20, 2, p. 373;
VIII.25, p. 421; 1127, I, p. 145; III.9, I, p. 197; VIII.8, 2, pp. 278-279; VII.9, 2, p. 128.25, ‘Ego
autem in illorum sententiam facillime cedo qui non credunt sine lectione auctorum posse fieri
hominem litteratum.’ But p. 129.28; ‘... constet, ... sapientiam sine virtute esse non posse, quis ex
sola lectione, nisi adsit gratia illustratrix vivificatrixque, credat fieri hominem sapientem?’ See
Miczka (n. 61), pp. 38-45; Kerner (n. 8), p. 27; Ph. Delhaye, ‘Le bien suprême d’après le Policrati-
cus de Jean de Salisbury’, Recherches de théol. ancienne et médiévale 20 (1953), pp. 203-221 at p. 219;
Liebeschütz, Med. Humanism (n. 8), pp. 49-50.
122. Policraticus, II.27, I, p. 154.2, ‘omnium temporum una est fides, deum esse eundemque
iustum et bonum et remuneratorem sperantium in se, omne plene meritis respondentem. Ante leg-
em, sub lege, sub gratia, nemini rectum sapienti venit istud in dubium’; IV.7, I, p. 259.3, ‘Sunt
autem praecepta quaedam perpetuam habentia necessitatem, apud omnes gentes legitima et quae
omnino impune solvi non possunt. Ante legem, sub lege, sub gratia, omnes lex una constringit:
Quod tibi non vis fieri, alii ne feceris; et: Quod tibi vis fieri faciendum, hoc facies alii’. For these passages
see G. Miczka (n. 61), pp. 46-47 and idem, ‘Zur Benützung der Summa Codicis Trecensis bei Johannes
von Salisbury’, The World of John of S. (n. *), pp. 381-399; Kerner (n. 8), pp. 178-179; Liebeschütz,
Med. Humanism (n. 8), p. 23 (naturam sequi).
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123. Smalley, Becket (n. 94), p. 91; see n. 114, and Delhaye, ‘Le bien suprême’ (n. 121), pp. 218-
219: ‘Jean de Salisbury ... vise des lecteurs qui tous admettent la vérité de l’Evangile ... Il n’y a plus
de païens, l’ennemi est vaincu, il n’est plus dangereux. On peut accepter sa philosophie sans lui
donner des armes contre l’Evangile. Jean de S. va même jusqu’à lui donner la prééminence. Non
seulement il lui laisse la part du lion, mais il raisonne comme si, pour lui, un argument repris aux
classiques portait mieux qu’un recours à l’autorité de l’Evangile’. See also ‘Le Dossier’ (n. 66), p. 79;
Misch (n. 8), p. 1244; Garfagnini, Ratio disserendi (n. 8), p. 922. Policraticus, VIII.25, 2, p. 423.2,
‘Neque enim istud ambiguum est, cum et infidelium dogmata nichil utilitatis habent nisi aliquid
conferant beatitudini. Sed his omissis aut potius praemissis, dico quia haec sola sunt quae sola pos-
sunt facere et servare beatum (Hor. Ep. I. 6.2) cum ab altero iustitiae ramo proveniat, ne cui no-
ceatur ab altero ut sibi quisque et aliis prosit’; III.9, I, p. 197.25; 198.3, ‘Quis etiam umbras vir-
tutum induit quibus videmus floruisse gentiles, licet eis subtracto Christo verae beatitudinis non
apprehenderint fructum?’ (see n. 128) ‘... Quis non cum admiratione veneratur? Porro praedicti et
consimiles magni quidem et laudabiles viri quasi quaedam saeculorum suorum sidera splenderunt,
illustrantes tempora sua, praeambuli coetanorum suorum in id iustitiae et veritatis quod disposi-
tione divina illuxerat eis’; Metalogicon, III. I, p. 123, ‘... se invicem interpretantur auctores et sin-
gule scripture vicissim sunt indices aliarum, unde legentem plurima aut nulla aut paucissima la-
tent’. Such auctores invicem se interpretantes are e.g. Plato and Jeremiah in Policraticus, VII.5, I, p. 108;
Plato and John the Evangelist, ibid., p. 110; Socrates and Salomo IV.6, I, p. 256; Seneca and Paul,
Seneca and Jerome VIII.13, 2, pp. 318-319.
124. Policraticus, Prol., I, p. 17.18, ‘... ac si sententias tam modernas quam veteres eadem in-
corruptibilis veritas genuisset’; Metalogicon, III.4, p. 136, ‘Licet itaque modernorum et veterum sit
sensus idem, venerabilior est vetustas’; IV.32, p. 200, ‘Ex hoc autem veritatis rationisque consortio
quibusdam philosophantibus visum est semper esse verum quod semel est verum; quibus videtur
suffragari ratio, quam Augustinus inducit, ut doceat nostram et precedentium patrum eandem esse
fidem; etsi nos parte gaudeamus impletum quod illi prestolabantur implendum. Ait enim (Tract.
in Iohann. 45. 10. 9; Enarr. Ps 1. 17): Non est mutata fides, etsi variata sint tempora. Et nos et illi
eandem amplectimur veritatem, sed aliis et aliis sermonibus predicamus! For this passage see M.-
D. Chenu, La théologie au XIIe siècle, Paris 1975, pp. 99, 114-115; see below n. 156.
125. Metalogicon, Prol., p. 18.23, ‘Rerum enim veritas permanet incorrupta nec umquam, quod
in se verum est, attestatione novi auctoris evanescit’. See W. Hartmann, ‘Modernus und antiquus vom
9.-12.Jahrhundert’, Miscellanea Mediaevalia 9, Köln 1974, pp. 21-57 at pp. 32-33; E. Gössmann,
‘Antiqui und moderni im 12. Jahrhundert’ ibid., pp. 40-57; Antiqui und moderni im Mittelalter,
München-Paderborn-Wien 1974, pp. 68-75; H. G. Rötzer, Traditionalität und Modernität in der eu-
ropäischen Literatur, Darmstadt 1979, pp. 53-58, 119-121; H. R. Jauss, ‘Antiqui/Moderni’, His-
torisches Wörterbuch der Philosophie, 1, ed. J. Ritter (1971) col. 412.
126. See n. 122 (Metalogicon, IV.32, p. 200).
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127. See Buisson, ‘Kirchenrecht’ (n. 13), pp. 102-106; Potestas, pp. 27-30; Pétré (n. 13), pp. 23-
25. For John especially Delhaye, ‘Le bien suprême’ (n. 121), pp. 219-220, ‘Jean de S. va donc
chercher chez les païens ces applications pratiques qu’il ne trouvait pas chez les auteurs chrétiens.’;
Miczka (n. 61), p. 36; E. R. Curtius, Gesammelte Aufsätze zur Romanischen Philologie, Bern-München
1960, p. 370.
128. See (nn. 13, 15) Carlson, pp. 96-101; Lumpe, co1. 1245; Pétré, pp. 29-30, 67-69, 82-83;
Geerlings, pp. 162-165; Smalley, Friars, pp. 52-53; von Moos, Consolatio (n. 13), 3 § 1347; Laus-
berg (n. 13) §§ 419-420. E.g. Policraticus VIII.13, 2, p. 326.16; V.11, 1, p. 333.24; III.9, 1, pp.
197-198, p. 197.20, ‘Sit ergo venerabilis imago virtutis, dum sine fide et dilectione substantia vir-
tutis esse non possit. Et utinam inveniatur in nobis qui vel virtutis imaginem teneat! ... Quis eti-
am umbras virtutum induit, quibus videmus floruisse gentiles, licet eis subtracto Christo verae
beatitudinis non apprehenderint fructum? Quis Temistoclis diligentiam, Frontonis gravitatem,
continentiam Socratis, Fabricii fidem, innocentiam Numae, pudicitiam Scipionis, longanimitatem
Ulixis, Catonis parcitatem, Titi pietatem imitatur? Quis non cum admiratione veneratur? Probitas
siquidem laudatur et alget’ (see n. 123); VIII.11. 2, p. 296.5, ‘... ut si qui Christianae religionis ab-
horrent rigorem, discant vel ab ethnicis castitatem’; VIII.8, 2, pp. 274-275 (the exemplary frugal-
ity of Epicurus).
129. Delhaye, ‘Le dossier’ (n. 66), p. 79; also p. 78, ‘(in John) sagesse païenne et christianisme,
philosophie et cléricature sont intimement mêlées. On ne passe pas de l’une à l’autre par un a for-
tiori comme chez saint Jerôme; l’opposition plus ou moins consciente de l’Historia calamitatum
abélardienne est ignorée’; p. 79, ‘... il croit qu’ici l’enseignement des philosophes est tout à fait sem-
blable à celui de la Révélation ...’; ‘Le bien suprême’ (n. 121), p. 218.
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novelty and the ridentem dicere verum, which are explicitly acknowledged as
his maxims130. In this context the most famous example is John’s chief
witness Plutarch who is quoted in a masterly fiction accompanied by an
even more subtle interpretatio christiana. The invented ancient authority
refers to an explosive current topic: the relation between church and state,
and asserts the provocative claim for priestly supremacy over all earthly
power, even over the English kingdom. The main reason for the disguise
of present reality is to prove that this idea is not historically unique or par-
ticular to the twelfth century, but a timeless truth. It can be found every-
where, even where we do not expect it, for instance in the reign of the good
emperor Trajan, who was instructed by Plutarch131.
Alongside this Christian and currently political statement in classical
dress there is a very well-known example to the contrary. This is the ‘the-
ory of tyrannicide’ deriving from Cicero but corroborated by Biblical and
Christian exempla and quotations132. Less well-known but no less revealing
is the detailed presentation of a doctrine of courtesy exemplified by large-
ly Biblical material. There seems to be no topic about which the Gospels
say less than etiquette, polite table manners, decent jokes and a pleasing
demeanour. Yet in his eighth book, dealing with civilitas, John of Salisbury
succeeds in turning biblical passages into a kind of Cortigiano, thus him-
self giving a model for the humour he recommends in this context133. He
calls Christ quovis philosopho civilior and liberalissimus et civilissimus aut
facetissimus paterfamilias134. He deduces rules of etiquette from the Gospels
130. See n. 112. The method of surprising quotations is also recommended in some Artes praed-
icandi: see e.g. Robert of Basevorn, Forma praedicandi, 49, ed. Th.-M. Charland, Paris-Ottawa 1936,
p. 316, ‘... et hoc modo magis acceptatur narratio Augustini, dummodo sit nova et inusitata, quam
Bibliae; et magis Helinandi vel alicuius alterius qui raro habetur, quam Augustini vel Ambrosii.
Cuius ratio non est alia nisi vana curiositas hominum’. See Pétré (n. 13), p. 122; Marrou, Augustin
(n. 72), pp. 154-155; Smalley, Friars (n. 15), p. 42.
131. See above n. 114. The question of a partial authenticity of the lnstitutio Traiani cannot be
discussed in this context. [See now von Moos, ‘Fictio auctoris. Eine theoriegeschichtliche Miniatur
am Rande der Institutio Traiani , dans Fälschungen im Mittelalter, 1988, bibliogr. n. 30]. For the po-
litical purpose see Liebeschütz, Med. Humanism (n. 8), pp. 43-46, 129; ‘Das zwölfte Jahrhundert (n.
8), p. 265; E. H. Kantorowicz, ‘The King’s Two Bodies, Princeton 1957, pp. 94, 198-199, 207-208.
132. See above n. 97 and Delhaye, ‘Le Bien suprême’ (n. 121), p. 220, ‘Ici, Jean de S. depasse
très largement les thèses chrétiennes pour adopter une doctrine païenne. Et par paradoxe, il en ap-
pelle plus explicitement ici à l’autorité des Ecritures ou des auteurs chrétiens’. Policraticus, VIII.20,
2, pp. 372 f; III.15, 1, pp. 232-233; VII.17, 2, pp. 160-162 and VIII. 17-23 passim.
133. Policraticus, VIII.8-10; especially VIII.9 with the title (2, p. 279) ‘Quod etiam in sacra
Scriptura sunt optimae civilitatis regulae ...’. See Huizinga (n. 10), pp. 194, 210-211; Suchomski
(n. 112), pp. 46-53; Liebeschütz, Med. Humanism (n. 8), p. 93.
134. Policraticus, VIII.9, 2, p. 279.22; p. 281.25.
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135. Ibid., p. 280.4, ‘Et licet religionis potius quam civilitatis videatur edictum, ego religionis
formam a civilitate non divido, cum nichil civilius sit quam cultui virtutis insistere ...’; p. 280.23.
‘Haec autem, licet misticum habeant intellectum, nichilominus in ipsa superficie civilitatis prae-
ferunt rudimenta. Nam et illud quidem fideliter sonat ad litteram quod Apostolus praecipit’.
136. Ibid., VIII.9, p. 280.16.
137. Ibid., p. 280.20.
138. Ibid., p. 280.10.
139. Ibid., p. 279.19.
140. Ibid., p. 281.23.
141. See Schaarschmidt (n. 11), pp. 127-128. For phenomena of this kind see R. R. Grimm,
‘Von der explikativen zur poetischen Allegorese’, Text und Applikation. Poetik und Hermeneutik 9,
München 1981, pp. 567-576 at pp. 568-570; R. Herzog, ‘Metapher – Exegese – Mythos’, Terror
und Spiel, Poetik und Hermeneutik 4, München 1971, pp. 157-185 at pp. 175-185 (Jerome), but see
ibid., pp. 605-606 for M. Fuhrmann’s arguments against Herzog’s idea of a secularisation; P.
Zumthor, Essai de poétique médiévale, Paris 1972, pp. 104-106 (parody and ‘contrafacture’).
142. Policraticus IV.11, 1, p. 273.25 after the exempla quoted above n. 82-91: ‘In Libro Regno-
rum (II.14) arguitur Saul quod ... paterno motus affectu contra religionis votum pepercit filio; ...
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Heli quoque ... quia filiorum pepercit vitiis aversa sella fractis cervicibus corruens expiravit (I Kings
2.29; 3.13; 4.18). Ut de ceteris taceam, quantum quaeso publicam hominum dilexit et quaesivit
salutem qui proprio Filio non pepercit, sed pro nobis tradidit illum ...’ (Rom 8.32).
143. Policraticus, VIII.5, 2, p. 247.6, ‘Multorum quoque fuit opinio, et eorum qui in veteri
philosophia prae ceteris floruerunt, Alexandrum [et] Aristotilem a numinibus esse progenitos, eo
quod in omnibus propriam quaerebant gloriam. Platonem quoque propter divinam quodammodo
qua eminuit sapientiam et Augustum propter potentiam fortunamque tranquillam a diis traxisse
orginem tradiderunt. Et quidem in contrarium rectius collegissent eos aut divini non esse generis
aut deorum filios esse degeneres, nisi quia dii gentium demonia sunt ... Nam et verus Dei Filius,
Deus homo, propriam non quaerit gloriam in omnibus quae gloriose fiunt ab eo, sed Patris (cf. John
8.50); eoque illustratur gloria ampliori quod ad eum, ex quo sunt omnia, bonorum operum glori-
am refert. Sic et vere sapiens omnis, vere potens et bonus, ad unicum omnium bonorum fontem sua
omnia laudabilia refert, summam scilicet creatricem et individuam Trinitatem.’ (Cf. Abaelard, The-
ologia christiana IV.159-160, CC 12, pp. 345-346 with patristic parallels). See F. von Bezold, Das
Fortleben der antiken Götter im mittelalterlichen Humanismus, Aalen 1922-1962, pp. 37, 48-50, 56, 75,
82 for John’s interpretation of the gods (but without this passage).
144. Delhaye, ‘Le dossier’ (n. 66, p. 69; see also P. Antin, ‘Touches classiques et chrétiennes jux-
taposées chez S. Jérôme’, Recueil sur saint Jérôme, Bruxelles 1968, pp. 47-57.
145. See Schaarschmidt (n. 11), p. 132 (a list of John’s laudationes Hieronymi) and Delhaye ‘Le
dossier’ (n. 66), pp. 77-80. Policraticus, II.27, 1, p. 157.5; VII.23, 2, p. 208.21.
146. Policraticus, IV.3, 1, pp. 242-243: the anecdotes of Lycurgus and Codrus who both decided to
die for the people, i.e. for its peace and for the inviolability of the laws, following Justinus, Epitoma
II.6.16-21, III.3.7-9, are commented p. 242.32: ‘His quidem exemplis eo libentius utor, quod apos-
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tolum Paulum eisdem usum, dum Atheniensibus praedicaret, invenio. Studuit praedicator egregius
Iesum Christum et hunc crucifixum sic mentibus eorum ingerere, ut per ignominiam crucis libera-
tionem multorum exemplo gentilium provenisse doceret. Sed et ista persuasit fieri non solere nisi in
sanguine iustorum et eorum qui populi gererent magistratum’. For this tradition see M. R. James,
Apocrypha Anecdota, Cambridge 1893, pp. 56-57; AASS act 9 (4, p. 707); Richard of St. Victor, PL
196.1007; Arnobius, Adv. nationes I.40 and the commentary of Gebien (n. 13), p. 75. Generally for the
patristic method of an ascension from mos maiorum to nova exempla of the christian truth see (n. 13)
Lumpe, cols. 1242-1243, 1247; Geerlings, pp. 179-181, 190, 211-213; von Moos, Consolatio, 3 § 488.
147. Policraticus, IV. 3, 1, p. 243.13, ‘Dum ergo sic crucis ignominiam praedicaret, ut gentium
paulatim evacueretur stultitia, sensim ad Dei verbum Deique sapientiam et ipsum etiam divinae
maiestatis solium, verbum fidei et linguam praedicationis evexit et, ne virtus Evangelii sub carnis
infirmitate vilesceret a scandalo Iudeorum gentiumque stultitia, opera Crucifixi ... exposuit’. For the
principle of accomodatio or the locus a qualitate audientium see above n. 27; Gebien (n. 13), p. 83; Su-
chomski (n. 112), pp. 218-220; von Moos, Consolatio (n. 13) 1-2 § 160. See the parallel in the Sum-
ma de arte praedicatoria of Alan of Lille, PL 210.1114, ‘Poterit etiam ex occasione interserere dicta
gentilium, sicut et Paulus apostolus aliquando in Epistolis suis philosophorum auctoritates inter-
serit, quia elegantem habebit locum, si callida verbum iunctura reddiderit novum’ (Hor.A.P. 47-48).
148. See e.g. W. von den Steinen, ‘Humanismus um 1100’ (Archiv für Kulturgesch 46, 1964)
reprinted in his Menschen im Mittelalter, Bern 1967, pp. 196-214 at pp. 199-200; ‘Natur und Geist
im zwölften Jahrhundert’, Die Welt als Geschichte 2 (1954), pp. 71-90 at pp. 83, 86-90; Der Kosmos
des Mittelalters, Bern-München 1959-1967, pp. 234-235, 264-267, 278-279, 385; von Moos,
Hildebert (n. 58), pp. 280-284, 293-294; Consolatio (n. 13) 1-2 §§ 1061-1136; Gössmann, Antiqui
et moderni (n. 125), pp. 68-69; Smalley, Friars (n. 15), pp. 52-53, ‘... to show what pagans could
achieve by the light of natural reason and virtue witout those aids of revelation and grace which
should enable Christians to do better’. Thomson, ‘William of Malmesbury as Historian’ (n. 112),
pp. 403-404, ‘It goes without saying that none of this moral advice has any specific Christian con-
tent ... It is not that the values implicit in William’s examples are anti-Christian, but that they
are not necessarily those which are given high priority within the Christian scheme of things’.
149. For the remoto Christo formula of Anselm of Canterbury see von den Steinen, Kosmos (n.
148), p. 265; John says subtracto Christo in a a similar context, Policraticus, III.9, I, p. 196.26 (quot-
ed above n. 128).
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believer’ who intentionally did not ‘express the Word made Flesh’ in the
Consolatio Philosophiae. For this he is highly esteemed by all rationally
thinking readers. His Consolatio is medicine not to be refused by any sick
man, whether Jew or Greek, ‘on the pretext of religion’. It is a tonic giving
strength to believers and non-believers, which only a fool would dare to
scorn. The content shows Boethius as a philosopher distinguishing false
goods from true happiness, whereas the form renders him an effective ora-
tor and a skilful teacher of universal interest. For both reasons he is a prime
model for John’s Policraticus, as Liebeschütz rightly asserted153; but above
all Boethius teaches a fundamental faith in a basic truth, common to all
men, breaking down all religious and ideological barriers, a faith which
justifies disregard for Christ and the specific truth of salvation. It is this
conviction John especially shares with his supposed Christian predecessor.
Here we could introduce a multitude of interesting reflections on the
history of ideas. However I shall conclude by choosing one problem con-
cerning John’s view of history. We might ask ourselves if John’s liberal re-
laxing of strict semantic distinctions, which are established as absolute and
exclusive by the claims of religion, does not perhaps blot out real histori-
cal differences. Is not history itself in danger of being effaced?
In the Policraticus John deals with historical material historiographical-
ly handed down, in other words, with short tales which by their anecdotal
nature give a concrete, even realistic impression. His other two works, the
Metalogicon and the Historia Pontificalis do not leave the least doubt con-
cerning his aptitude for history154. Nevertheless his prime interest is not
history. History only serves as a means to the philosophical goal of his
works155. For him the historically particular is not a non-recurring unique
fatum / subiecit pedibus strepitumque Acherontis avari (Georg II. 490-492) .Et alius fide et notitia veri-
tatis praestantior: Felix qui potuit boni / Fontem visere lucidum; / Felix qui potuit gravis / Terre solvere vin-
cula! (Cons. phil. III. XII. 12.1-4)’.
153. Liebeschütz, Med. Humanism (n. 8), pp. 28-33; ‘Chartres’ (n. 8), pp. 9-12; ‘Erfahrungswelt’
(n. 150), p. 45; ‘Das zwölfte Jahrh.’ (n. 8), pp. 264-265, with the central idea of a philosophical
(not a political) purpose of the Policraticus, the lesson that philosophy can save from the vicissitudes
and vanities of political life. For me, the arguments of Kerner (n. 8), pp. 130-131, 185-189 against
this result are not convincing. For the deep (not only philological) influence of Boethius see also
Misch (n. 8), pp. 1175-1176, 1259; Delhaye, ‘Le Bien suprême’ (n. 121), pp. 203-204; D. Lus-
combe, ‘The Ethics of Abelard’, in Peter Abelard, Leuven 1974, pp. 66-73 at pp. 69-70; P Courcelle,
La consolation de Philosphie dans la tradition littéraire, Paris 1967, pp. 343-344.
154. See above n. 8.
155. See above n. 18 (especially Hist. Pont., Prol.), pp. 244-245, nn. 114-115; below n. 156.
History might be compared to John’s vision of social life as comedia vel tragedia; see Policraticus, III.9,
1, p. 199.5, ‘Hi (septem milia virorum, quos sibi Dominus reservavit, cf. III Reg 19.18) sunt forte
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qui de alto virtutum culmine theatrum mundi despiciunt ludumque fortunae contempnentes nullis
illecebris impelluntur ad vanitates et insanias falsas ... Speculantur isti comediam mundanam cum
eo qui desuper astat ut homines actusque eorum et voluntates indesinenter, prospiciat. Cum enim
omnes exerceant histrionem, aliquem necesse est spectatorem. Nec queratur aliquis motus suos ab
aliquo non videri, cum in conspectu Dei agat angelorumque eius paucorumque sapientum, qui et
ipsi ludorum istorum circensium spectatores sunt’ (cf. Petron. Sat. 80). See Demandt, Metaphern (n.
103), pp. 347, 379-381, 421-423; Cilento (n. 93), pp. 121-122, 284.
156. M. D. Chenu, Théologie (n. 124), p. 99 concerning Metalogicon IV.32, pp. 200-201 and I.14,
p. 34; see also Chenu, ibid., p. 86, ‘Jean de Salisbury ... est plus philosophe qu’historien’; pp. 114-
115 for the cosmological problem of ‘creatio ab aeterno’ versus ‘creatio a nihilo’ in Metalogicon,
IV.35: ‘C’est à contre fil de cette historicité que Jean de Salisbury donne un chaleureux consente-
ment ... au thème platonicien (et augustinien) que seules son vraies les réalités éternelles, VERE sunt
...’ This is confirmed e.g. by Metalogicon, IV.35, p. 204.15, ‘Omnia vero vana ... velut fantasmata
evanescunt. Unde ob hanc rerum evanescentium disparentiam omnia que sub sole sunt vana esse in
concione universorum qui versantur in mundo, proclamat Ecclesiastes (I.14); ... Plato quoque eorum
que vere sunt et eorum que non sunt sed esse videntur, differentiam docens, intelligibilia vere esse
asseruit, que nec incursionum passionumve molestiam metuunt, non potestatis iniuriam non dis-
pendium temporis, sed semper vigore conditionis sue eadem perseverant’ (cf. Apul. De Plat. et eius
dogm. l.VI.193; Boeth. Inst. Arithm. II.1); Metalogicon, III.4, p. 138, ‘... veritatem rerum, quoniam
eam homo non statuit nec voluntas humana convenit...’. For the most important difference between
real historicity and the idealistic understanding of history, so widespread in the Middle Ages, see
generally M. D. Chenu, ‘Conscience de l’histoire et théologie au XIIe siècle, Archives d’Histoire lit-
téraire et doctrinale du Moyen Âge 29 (1954), pp. 107-133 = Théologie (n. 124), pp. 62-89; ‘l’homme
et la nature, Perspectives sur la Renaissance du XIIe siècle, Archives ... (loc. cit.) 19 (1952), pp. 39-
66 at pp. 63-65; ‘Histoire et allegorie au XIIe siècle’, Festschr. J. Lortz: Glaube und Geschichte, Baden-
Baden 1958, pp. 659-671 at pp. 69-70: ‘Dante tiendra l’allégorie pour l’une des formes les plus na-
turelles et satisfaisantes de la rhétorique; son génie prouvera que ce n’est pas là une chimère. Mais
lire ainsi Virgile, c’est évidemment en evacuer la matière historique, et avec elle l’immédiate sub-
stance poétique. Tout comme pour la Bible!’; ‘La décadence de l’allégorisation, Un temoin: Garnier
de Rochefort’, Mél. H.de Lubac: ‘L’homme devant Dieu’, Paris 1964, vol. 2, pp. 129-135 at pp. 133-
134’, ... on voit que l’idéalisme menace et l’intelligence et la réalité de l’histoire. Rupert de Deutz
ne pouvait prétendre sauvegarder la réalité sous ces similitudes, qu’en professant explicitement,
dans son idéalisme augustinien, l’irréalité foncière du temporel en face de l’étemel’ (cf. De op. Spir-
itus sancti I.7, PL 167.1577); J. le Goff, ‘Temps de l’église’ (n. 106), pp. 51-58; Cilento (n. 93), pp.
121-122, 284; H. I. Marrou, L‘ambivalence du temps de l’histoire chez saint Augustin (Conférence Al-
bert-le-Grand 1950) Montréal-Paris 1950, pp. 42-49. In Augustinus Magister (n. 14) see the contri-
butions of J. Chaix-Ruy, ‘La Cité de Dieu et la structure du temps chez s.Aug’. (1, pp. 923-931);
R. Gillet, ‘Temps et exemplarisme chez s. Aug’. (1, pp. 934-941); H. I. Marrou, ‘La théologie de
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history, which he casually uses for organising his material, fade before his
metaphysical idea of the unity of all history157. To a certain extent one could
call him a structuralist avant la lettre, if faith in anthropological constants
and a sense for uniformity in history are structuralist characteristics. At a
Warburg Institute lecture in 1924, in what surely remains the most pro-
found contribution to exempla-scholarship, Franz Dornseiff made the strik-
ing observation that this sense for uniformity in history is exactly the basic
human need, from which all exempla, literary and non-literary, originate158.
Aristotle had already traced the plausibility of paradigm back to the as-
sumption that the future is nearly always like the past159. John substanti-
ates the same in metaphysical terms by saying that knowledge should come
as close as possible to the inaccessible, one and only divine truth; the latter
however, is particularly distinguished by temporal simplicitas, by the eter-
nal synchronism of present, past and future, being totum simul160. Thus, his
previously established pragmatism, his curiosity about predicting the im-
mediate historical future has a metahistorical foundation: historical knowl-
edge is partial disclosure of the secrets of Providence, gained by analysis of
recurrences, analogies and other similarities within historical time161.
l’histoire’ (3, pp. 193-211). For the historiographical ‘topos’ of per visibilia ad invisibilia resulting
from this conception of time and history see above n. 18 (Hist. Pont., p. 3) and Partner (n. 26), p.
188; Boehm (n. 106), p. 665; Lacroix (n. 18), pp. 169-171; J. Ehlers, Hugo von S.Victor, Studien zum
Geschichtsdenken und zur Geschichtsschreibung des 12.Jahrhunderts, Wiesbaden 1973, pp. 82-83, 164.
157. See Miczka (n. 61), pp. 41, 45-46; Spörl (n. 18), pp. 94-95; Liebeschütz, Med. Humanism
(n. 8), pp. 93-94; Brezzi, (n. 8), p. 959.
158. F. Dornseiff, (n. 15), pp. 206-207, ‘Ebenso wie durch Aussprechen einer allgemeinen Regel
wendet sich durch ein Beispiel der Sprecher an den Sinn des Menschen für Gleichförmigkeit in der
Welt, deren innezuwerden uns Menschen ein starkes Bedürfnis ist ...’; ‘Der Glaube an den Präze-
denzfall und seine Beweiskraft sitzt sehr fest im menschlichen Bewusstsein ...’. Similar statements
are to be found in Lipps (n. 15), pp. 45-46; Gebien (n. 13), p. 95; Kornhardt (n. 13), p. 86; Land-
fester (n. 12), pp. 111-112; Battaglia (n. 15), p. 468; Demandt, Geschichte als Argument (n. 15), pp.
59-62; Schenda (n. 15), p. 75.
159. Rhet. 1368 a 29-33; see above nn. 5-7.
160. Policraticus, II. 21, 1, pp. 115-121, with the title (p. 115.7) ‘... quod rerum mutabilitas ei
(sc.Deo) nequaquam est infligenda; et quod idem est scientia, praescientia, dispositio, providentia,
praedestinatio; et quod vera infinita sunt, ut numerus eorum non queat augeri vel minui’; Poli-
craticus, II.22, 1, p. 123.26, ‘Porro divinae simplicitatis status longe alia conditio est. Ea siquidem
uno simplici et individuo aspectu ... quae fuerunt et quae futura sunt, omnia contemplatur, nul-
loque rerum mutabilium lapsu movetur, sed in seipsa semel et simul contuens universa subsistit in-
variabilis, stabilisque manens dat cuncta moveri (Boeth. Cons. Phil. III, m. IX. 3)’. See for this passage:
Courcelle, Consolation (n. 153), p. 181; Spörl (n. 15), pp. 94-95; Southern Aspects (n. 6), p. 160. For
the importance of the concept of divine simultaneity for medieval views of history see Auerbach (n.
99), pp. 19-20; Zumthor (n. 141), p. 34; Chenu, Théologie (n. 124), pp. 114-115; M. Frickel, ‘Deus
totus ubique simul’, Untersuchungen zur allgemeinen Gottesgegenwart im Rahmen der Gotteslehre Gregors des
Großen (Freiburger Theol. Studien 69), Freiburg 1956.
161. See above n. 6; Le Goff, ‘Temps de l’Eglise’ (n. 106), p. 51; Battaglia (n. 15), p. 451.
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162. See above n. 12. For the difference between John’s metaphor of clientes and the humanistic
ideal of a friendly dialogue with the classical authors see Harth, above n. 114.
163. See Kessler, ‘Geschichtsdenken’ (n. 12), pp. 112-113 for Petrarca, Fam. VI.4 (ed. Rossi,
Firenze 1934) 2, p. 78.29, ‘Inter scribendum cupide cum maioribus nostris versor uno quo possum
modo; atque hos, cum quibus iniquo sidere datum erat ut viverem, libentissime obliviscor; inque
hoc animi vires cunctas exerceo, ut hos fugiam, illos sequar ... ita cum mortuis esse potius quam
viventibus delectarer’(!); see also Kessler, Petrarca (n. 12), pp. 33-34 for the idea of ‘consolation’ by
escape from contemporary reality to the auctores; Kerner (n. 8), pp. 191-192; Brezzi (n. 8), p. 958;
W. Freund, Modernus und andere Zeitbegriffe im Mittelalter, Graz 1957, pp. 68-69 for John’s explicit
interest for his own time; Meum tempus in Policraticus, VII.19, 2, p. 173.19; Metalogicon, IV Prol., p.
165. ‘Iocundum enim fuerat, ut Senece verbis (cf. Controv. I praef 1) utar, in antiqua redire tempora
et ad annos respicere meliores, nisi amaritudo, que partim ex meatu, partim ex alia sollicitudine in-
cumbit, animum pregravaret. Quia tamen visum est tibi meum et Cornificii examinare conflictum,
invitus et quodammodo tractus in huius palestre descendo harenam’. For this anti-escapist self con-
quest see Spörl (n. 18), p. 82. For the more instrumental aspect of John’s interest for the past see Pol-
icraticus, Prol., 1, pp. 14-15: ‘Sic enim cum ineptias suas lector vel auditor agnoscet, illud ethicum
(Hor. Sat. I.2.69-70) reducet ad animum, quia mutato nomine de se fabula narratur ... Novi enim
quia nulli gravis percussus Achilles (Iuv. Sat. I.163) et praesens aetas corrigitur dum praeterita suis
meritis obiurgatur’. The well-known paradox of the humanistic approach to antiquity consists in
gaining a more empirical and concrete knowledge of the past by losing the fresh conscience of the
unbroken continuity of the classical heritage and its direct contemporary applicability: for this para-
dox see e.g. Misch (n. 8), pp. 1166, 1185; A. Mirgeler, ‘Erfahrung in der Geschichte und
Geschichtswissenschaft’, in Experiment und Erfahrung in Wissenschaft und Kunst, ed. W. Strolz,
Freiburg-München 1963, pp. 227-265 at pp. 249-250; J. Leclercq, L’amour des lettres et le désir de
Dieu, Paris 1957-1963, p. 115; von den Steinen, Kosmos (n. 148), p. 117; Battaglia (n. 15), p. 468;
Landfester (n. 12), pp. 10-14, 59, 134-137; H. Dörrie, Der heroische Brief, Berlin 1968, p. 363.
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artificial and ludicrous manner. John does not intend to describe past or
present reality like a historiographer, but like a philosopher he wants to
analyse and at best to influence the moral conditions of his age, an age
which appears to him as a confusing ‘vanity fair’ of superficiality, nonsense,
fraud and hypocrisy. Examples sharpen the observation of the satirist and
help the critic to find his way. They are means of enlightenment and
guidelines in the search for a certum in a world full of uncertainty164.
164. See B. Bischoff, ‘Living with the Satirists’, Classical Influences on European Culture A.D. 500-
1500, ed. R. R. Bolgar, Cambridge 1971, pp. 83-94 at pp. 92-93; Liebeschütz, Med. Humanism (n.
8), pp. 2, 108; U. Kindermann, Satyra: Zur Theorie der Satire im Mittellateinischen, Nürnberg 1978,
p. 41 (for Policraticus, III.9); E. Garin, ‘Policraticus’, Kindlers Literaturlexikon, Zurich 1970-1972, vol.
IX.9, co. 17630. For John’s philosophical rather than historical aims see above nn. 155-156;
Garfagnini, Ratio disserendi (n. 8), p. 921; and Metalogicon, Prol., p. 4: ‘De moribus vero nonnulla
scienter inserui; ratus omnia que leguntur aut scribuntur inutilia esse, nisi quatenus afferunt
aliquod adminiculum vite. Est enim quelibet professio philosophandi inutilis et falsa que se ipsam
in cultu virtutis et vitae exhibitione non aperit’. See Hendley (n. 8), pp. 210-212.
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* Versione originale in Retorica e poetica tra i secoli XIII e XIV, a cura di C. Leonardi - E. Mene-
stò, Firenze 1988, pp. 53-79.
1. J.-Th. Welter, L’exemplum dans la littérature religieuse et didactique du Moyen Âge, Paris-Tou-
louse 1927, repr. Genève 1973. Cfr. Jacques Le Goff, L’exemplum et la rhétorique de la prédication
aux XIII-XIV siècle, Retorica e poetica (*), pp. 3-32; Cl. Brémond - J. Le Goff - J.-Cl. Schmitt,
L’“exemplum” (Typologie des sources du Moyen Âge occidental, ed L. Génicot, 40) Turnhout 1982;
J. Berlioz - J. M. David, Rhétorique et histoire. L’exemplum et le modèle de comportement dans le discours
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antique et médiéval, (Mélanges de l’Ecole française de Rome 92.1), Roma 1980. Per più ampia di-
scussione di questo concetto di exemplum cfr. P. von Moos, Geschichte als Topik, Das rhetorische Exem-
plum von der Antike zur Neuzeit und die historiae im “Policraticus” des Johann von Salisbury, Hildesheim-
New York 1988, §§ 34-37 e pp. 114 ss.
2. Ibid., pp. 47, 132 s., 148 s.
3. G. R. Owst, Literature and Pulpit in Medieval England, A Neglected Chapter in the History of En-
glish Letters and of the English People, Cambridge 1933 - 2a ed. Oxford 1961, p. 152.
4. Cfr. von Moos, Geschichte als Topik (cit. n. 1), pp. 46, 120 s., 152 s.
5. Ibid., cap. II.
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6. Fritz Peter Knapp, ‘Similitudo’. Stil- und Erzählfunktion von Vergleich und Exempel in der lateini-
schen, französischen und deutschen Großepik des Hochmittelalters I, Wien-Stuttgart 1975, pp. 41-108.
7. Op. cit. n. 1. Indichiamo solo alcuni studi della ricca bibliografia: Salvatore Battaglia, L’e-
sempio medievale, in: La coscienza letteraria del medioevo, Napoli 1965, pp. 447-486; id., Dall’esempio
alla novella, ibid., pp. 487-548; Ludwig Buisson, Potestas und Caritas, Die päpstliche Gewalt im Spät-
mittelalter (Forsch.z. Kirchl. Rechtsgeschichte u. zum Kirchenrecht 2), Köln-Graz 1958; id., Die
Entstehung des Kichenrechts, ZRG Kan 52 (1966), pp. 1-175; id., Exempla und Tradition bei Innocenz
III., in “Adel und Kirche” Festschr. G. Tellenbach, Freiburg-Basel-Wien 1968, pp. 458-476; Harry
Caplan, Rhetorical Invention in Some Medieval Tractates of Preaching, Speculum 2 (1927), pp. 284-295;
Jean Michel David, ‘Maiorum exempla sequi’: l’‘exemplum’ historique dans les discours judiciaires de Cicé-
ron, in Berlioz-David (cit. n. 1), pp. 67-86; Christoph Dexelmüller, Exemplum, in “Enzyklopädie des
Märchens” s.v. (1983) col. 627-659; Hugo Friedrich, Die Rechtsmetaphysik der Göttlichen Komödie,
Francesca da Rimini, Frankfurt a.M. 1942; Kurt Gebien, Die Geschichte in Senecas philosophischen Sch-
riften, Diss. Konstanz 1969; Robert Honstetter, Exemplum zwischen Rhetorik und Literatur, Zur gat-
tungstheoretischen Sonderstellung von Valerius Maximus und Augustinus, Diss. Konstanz 1977; M. Jen-
nings, Lucan’s Medieval Popularity: The Exemplum Tradition, Rivista di cultura class. e medioevale 16
(1974), pp. 215-233; Eckhardt Kessler, Petrarca und die Geschichte, München 1978; Joachim Kna-
pe, “Historie” in Mittelalter und früher Neuzeit, Begriffs- und gattungsgeschichtliche Untersuchungen im in-
terdisziplinären Kontext (Saecula spiritualia 10), Baden-Baden 1984; Albert Lang, Rhetorische Einflüs-
se auf die Behandlung des Prozesses in der Kanonistik des 12. Jhs., in Festschrift E. Eichmann, Paderborn
1940, pp. 1-97; A. Lumpe, Exemplum, in Reallexikon für Antike und Christentum VI (1966)
coll. 1229-1257; P. von Moos, ‘Consolatio’, Studien zur mittelateinischen Trostliteratur … (Münstersche
Mittelalterschriften III 1-4), München 1972 (cfr. vol. IV s.v. exemplum); id., The Use of Exempla in
the ‘Policraticus’ of John of Salisbury, supra, pp. 204-256; Rudolf Schenda, Stand und Aufgaben der
Exemplaforschung, in “Fabula” 10 (1969), pp. 69-85; Peter M. Schon, Vorformen des Essays in Antike
und Humanismus, Ein Beitrag zur Entstehungsgeschichte der “Essais” von Montaigne (Mainzer Romanist.
Arb. 1), Wiesbaden 1954; Beryl Smalley, English Friars and Antiquity in the Early Fourteenth Century,
Oxford 1980; Basile Studer, ‘Sacramentum et exemplum’ chez saint Augustin, Rech. Augustiniennes 10
(1957), pp. 87-141; Theodor Verweyen, Apophthegma und Scherzrede, Die Geschichte einer einfachen
Gattungsform und ihre Entfaltung im 17. Jh. (Linguistica et Litteraria 5), Bad Homburg-Berlin-Zü-
rich 1970; Jürgen Ziese, Historische Beweisführung in den Streitschriften des Investiturstreits (Münchener
Beitr. zur Mediävistik u. Renaissanceforschung 8), München 1972.
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8. Quint. V 11. 15-16; cfr. H. Lausberg, Handbuch der literarischen Rhetorik, München 1960,
§§ 414-418; von Moos, Geschichte als Topik (cit. n. 1), pp. 19-20, 62 ss.; David, Maiorum exempla
(cit. n. 7), pp. 72 s.; Gebien (cit. n. 7), pp. 70 s. (exemplum “metaforico”).
9. Cfr. Giovanni di Salisbury, Policraticus, VIII 9 (ed. C. Webb, Oxford 1909, vol. II), pp. 127 s.
(Ulisse); ibid., IV 11 (I), pp. 272-274 (Bruto).
10. Ernst Robert Curtius, Europäische Literatur und Lateinisches Mittelalter, Bern 1948 (ss.), cap. V
1, pp. 90 ss.; von Moos, Consolatio (cit. n. 7) vol. III §§ 552-562 (exempla mortalitatis).
11. Ibid., III §§ 1345-1396.
12. Ibid., III §§ 454-505; I/II §§ 726 ss., 812 ss.; Michel Zink, Joinville ne pleure pas, mais il rêve,
Poétique 33 (1978), pp. 28-45, 33 ss. (Bernardo).
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13. Cfr. supra, n. 7, e per es. Uwe Ruberg, Beredtes Schweigen … (Münstersche Mittelalterschrif-
ten 32) München 1978, pp. 93 ss.; Wolfgang Hempel, “Übermuot diu alte” … Der superbia-Gedanke
und seine Rolle in der deutschen Lit. des Mittelalters, Bonn 1970, pp. 198 ss.; Hans Hubert Anton, Für-
stenspiegel und Herrscherethos in der Karolingerzeit, Bonn 1968, pp. 419 ss.; Otto Eberhardt, Via regia,
Der Fürstenspiegel Smaragds von St. Mihiel und seine literarische Gattung (Münstersche Mittelaltersch-
riften 28), München 1977, pp. 442 s., 472, 604 s., 616, 628.
14. Philippe Delhaye, Le dossier anti-matrimonial de l’Adversus Jovinianum et son influence sur quel-
ques écrits latins du XIIe s., MS 13 (1951), pp. 65-86; cfr. infra, n. 75
15. Von Moos, Geschichte als Topik (cit. n. 1), pp. 172 ss., 336 ss.; Lausberg (cit. n. 8) §§ 572 s., 581.
16. Cfr. Ps.-Roberto Grosseteste, Summa philosophiae, cap. XIV (De historiographis), ed. L. Baur,
(Beitr.z. Geschichte der Philos. des Ma’s 9) Münster 1912, pp. 289.18 s.: Valerius Maximus, qui ac-
cidentia tantum notabilia diversorum temporum conscripsit. Per Valerio Massimo “storiografo” cfr. Ber-
nard Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris 1980, pp. 70, 108, 116 s.,
250, 274, 198, 307, 315 ss.; von Moos, Geschichte als Topik (cit. n. 1), pp. 125 s., 167 s., 351.
17. Op. cit. (n. 10), p. 69, cfr. indice s.v. exemplum; von Moos, Geschichte als Topik (cit. n. 1)
Exkurs I: Imago: pp. 583 ss.
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18. Cfr. ibid., pp. 61 ss.; Lausberg (cit. n. 8) § 416 (antonomasia); §§ 581 ss. (significatio, “Vos-
sianische Antonomasie”).
19. Das Bild des Menschen in der Geschichtsschreibung von Polybius bis Ranke, Göttingen 1955, 1968,
p. 68.
20. Cfr. March Howard McCall, Ancient Rhetorical Theory of Simile and Comparison, Cambridge
Mass. 1970, pp. 187 ss., 257 ss.; von Moos, Geschichte als Topik (cit. n. 1), pp. 48-60.
21. Rhet. II 20, 1393a-b (paradeigma); III 4, 11, 1406b-1407a, 1412b-1413a (eikon); cfr. McCall
(cit. n. 20), pp. 24 ss., 51 s., 192.
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22. Quint. V 11-31 (exemplum); V 11.5: Similitudo adsumitur interim et ad orationis ornatus. Sed illa
cum res exiget; munc ea quae ad probationem pertinent, exsequar. Il rinvio si riferisce a VIII 2.72-81 (si-
militudo). Cfr. McCall (cit. n. 20), pp. 178 ss., 187 ss., 192 ss.; Lausberg (cit. n. 8) § 422.
23. Rhet. Her. IV 45.59-49.62 (i 4 causae dicendi per la similitudo); ibid., II 29.46 (exornatio); IV
49.62 (exemplum); Cic., De orat. 2.169; 3.205-206; Inv. 1.30.49 (tipi di confronto). Cfr. McCall (cit.
n. 20), pp. 57 ss., 76 ss., 87 ss.; von Moos, Geschichte als Topik (cit. n. 1), pp. 57 ss.
24. Ibid., pp. 58 s.; cfr. Louis Holtz, Donat et la tradition de l’enseignement grammatical …, Paris
1981, pp. 201 ss.; id., Grammairiens et rhéteurs romains en concurrence pour l’enseignement des figures de
rhétorique, in “La rhétorique à Rome”, Caesarodunum 14bis (1979), pp. 207-220.
25. Aristot. Rhet. I 2, 1356b-1357a-b; II 20, 1393a; Top. 1.1, 156b-157e soprattutto Anal. pr. II
24, 68b-69a, interprete Boeth., ed. L. Minio-Paluello (Aristoteles latinus III 1-4), pp. 134 s.; cfr. in-
fra, n. 27; William L. Benoit, Aristotle’s Example: The Rhetorical Induction, Quarterly Journal of Spee-
ch 66 (1980), pp. 182-192 s.; von Moos, Geschichte als Topik (cit. n. 1), pp. 188 ss., (Giovanni di
Salisbury, Metalogicon III 10).
26 Cfr. G. C. Garfagnini, Ratio disserendi e rationandi via: il “Metalogicon” di Giovanni di Salisbury,
Studi Medievali 12 (1971), pp. 915-954; M. Brasa Diez, Tres clases de logica en Juan de Salisbury, in
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“Sprache und Erkenntnis im Mittelalter” I (Miscellanea Medievalia 13.1) Berlin 1981, pp. 357-
367; J. J. Murphy, The Arts of discourse 1050-1400, MS 23 (1961), pp. 194-204; id., Rhetoric and
Dialectic in “The Owl and the Nightingale”, in “Medieval Eloquence” ed. J. J. Murphy, Berkeley-Los
Angeles-London 1978, pp. 198-230, specialmente pp. 203 ss.; P. Michaud-Quantin, L’emploi des ter-
mes logica et dialectica au Moyen Âge, in “Arts libéraux et philosophie au Moyen Âge”, Montréal-Pa-
ris 1969, pp. 855-872; J. E. Seigel, Rhetoric and Philosophy in Renaissance Humanism, Princeton 1968,
pp. 183 ss. (per il XII secolo); Gerhard Otte, Dialektik und Jurisprudenz, Frankfurt a.M. 1971,
pp. 92 ss.; von Moos, Geschichte als Topik (cit. n. 1), pp. 246 ss. – Alcuni esempi dalle divisiones scien-
tiae tra XII e XIII sec.: Giovanni di Salisbury (Metal. I 10, II 3 etc.): Philosophia = 1. ethica, 2. phy-
sica, 3. logica (= a) ratio loquendi o grammatica, b) ratio disserendi o dialettica [aa) probabilis, bb) de-
monstrativa, cc) sophistica]). – Ugone di S. Victor (Didasc. VI 14, ed. Buttimer, pp. 130 ss.): philoso-
pia – 1. theorica, 2. practica, 3. mechanica, 4. logica propter eloquentiam ivnenta (= a) grammatica, b) ra-
tio disserendi [= aa) probabilis, bb) necessaria, cc) sophistica]). – Gilbertus Porretanus, Comment. in
Boethii lb. de Trinitate I 2 8 (ed. Häring, p. 80; PL 64, 1265 c): scientiae = 1. theoricae/speculativae (=
a) physicae, b) ethicae, c) logicae), 2. practicae/activae. – Guillelmo di Conches, Glosae supe Platonem (ed.
E. Jeauneau, p. 62): scientia = 1. eloquentia (a) grammtica, b) rhetorica, d) dialectica), 2. sapientia (= a)
practica b) theorica). – Radolfo di Longchamp, In Anticlaudianum Alani commentum (ed. J. Sulowski,
Wroclaw-Gdánsk 1972, pp. 38 ss., tavv. 11-12): scientiae = I. philosophia (= 1. theorica [= a) theolo-
gia, b) physica, c), mathematica], 2. practica); II. eloquentia (= a) grammatica, b) rhetorica, c) logica [= aa)
dialectica temptativa, bb) demonstrativa, cc) sophistica]); III. mechanica, IV. poesis (= a) historia, b) fabu-
la, c) comedia); V. ars magica.
27. Il 24, 68b-69a, interpr. Boethio, ed. L. Minio-Paluello (cit. n. 25), pp. 134 s.: Exemplum au-
tem est quando medio extremum inesse ostenditur per id quod est simile tertio […] Eodem autem modo et si per
plura similia fides fiat medii ad extremum. Manifestum igitur quoniam exemplum est neque ut pars ad totum
neque ut totum ad partem, sed ut pars ad partem, quando ambo quidem insunt sub eodem, evidens autem alte-
rum. Et differt inductione quoniam haec quidem ex omnibus individuis extremum ostendebat inesse medio et ad
extremum non copulabat syllogismum, hoc autem copulat et non ex omnibus ostendit. Aristot. Top. VIII 1-2,
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155a-156b, 157a; Rhet. II 20, 1303a; I 2, 1356a; Boeth., In topica Ciceronis, PL 64, col. 1050 per la
teoria dell’exemplum come induzione abbreviata (e dell’entimema come sillogismo abbreviato). Cfr.
Benoit (cit. n. 25), pp. 184 ss.; von Moos, Geschichte als Topik (cit. n. 1), pp. 188 ss.
28. Anal. pr. loc. cit. Questa definizione dell’exemplum si trova colla stessa illustrazione nel Catho-
licon di Giovanni Balbi (Mainz 1460 - repr. 1971 s.v. exemplum; cfr. Bremond-Le Goff-Schmitt (cit.
n. 1), p. 30 senza indicazione della provenienza aristotelica.
29. Rhet. I 2, 1356b, 1357b; l’esempio del tiranno anche in Julius Victor, Ars rhetorica, (Rhet.
lat. min. ed. Halms Vi 3), p. 399: Si custodes corporis Dionysio dederitis, idem faciet quod Pisistratus, qui
quum a suis civibus custodes corpori postulasset, tyrannidem occupavit. Hoc enim manifestum est de Pisistrato,
dubium autem erat de Dioysio.
30. Rhet. II 20, 1393a-b; Quint. V 11.1; cfr. McCall (cit. n. 20), pp. 24 ss., 187 ss.; Benoit (cit.
n. 25), pp. 189 ss.; Franz Dornseiff, Literarische Verwendungen des Beispiels, Vorträge der Biliothek
Warburg 4 (1924-1925), pp. 206-228.
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nella prassi letteraria dell’antichità la favola non solo non ebbe valore qua-
le esempio, bensì, come sottolinea il Nøjgaard36, fu proprio il contrario ri-
spetto all’exemplum prettamente storico e non inventato. Anche le teorie
dell’exemplum medievali di tutte le arti del trivio si rifanno principalmen-
te ad esempi storici, o quasi storici, il che corrisponde a definizioni famo-
se di autori latini come Quintiliano37: … rei gestae aut ut gestae utilis ad per-
suadendum id quod intenderis commemoratio; oppure quella della Rhetorica ad
Herennium38: … Alicuius facti aut dicti praeteriti cum certi auctoris nomine pro-
positio. Per tradizione questo exemplum definito quale evento trascorso ri-
mase ben distinto dagli altri tipi di paragone, specie dal confronto natura-
le, la rei similitudo39. Una semplice testimonianza del XII secolo illustra
perfettamente quanto rimase radicato il carattere storico dell’exemplum nel
Medioevo: Petrus Comestor notò nella sua Historia scholastica40 che il rac-
conto di Gesù del ricco epulone e del mendico Lazzaro per correttezza non
dovrebbe essere chiamato parabola bensì exemplum, poiché Lazzaro è effetti-
vamente vissuto e la storia è realmente accaduta.
Il problema qui non può essere quello di rendere sicure le tracce stori-
co-teoriche dal punto di vista delle fonti filologiche, in quanto Aristotele
ha formulato gli aspetti antropologico-strutturali preponderanti in una
teoria dell’esempio valida per tutti i tempi, così come presuppone Chaim
Perelman nel suo capitolo sul “cas particulier”, che illustra in modo con-
vincente con testimonianze dei tempi antichi e dell’era moderna41. Qua-
lunque sia la presa di posizione di fronte alla tesi di una “retorica genera-
le” o addirittura di una “linguistica pragmatica” generale, sono evidenti i
parallelismi metodici, ad esempio tra gli esempi prognostici citati dalla
storia bellica greca e il ricorso medievale a casi precedenti e già definiti in
situazioni deliberative, e non hanno da essere illustrati in questa sede. La
36. M. Nøjgaard, La fable antique, København 1964, p. 82; cfr. Karl Alewell, Das rhetorische Pa-
radeigma, Theorie, Beispielsammlungen, Verwendung in der römischen Literatur der Kaiserzeit, (Diss. Kiel)
Leipzig 1913, pp. 18 ss.; Peter L. Schmidt, Politische Argumentation und moralischer Appell: Zur Hi-
storizität der antiken Fabel im frähkaiserzeitlichen Rom, Deutschunterricht 31-36 (1979), pp. 74-89,
pp. 77 s.; von Moos, Geschichte als Topik (cit. n. 1), pp. 55 ss.
37. Quint., V 11.6.
38. Rhet. Her. IV 49.62; per la fortuna di queste definizioni nel Medioevo cfr. von Moos, Ge-
schichte als Topik (cit. n. 1), pp. 48 ss., 157 ss.
39. Cfr. ibid., pp. 48 ss.
40. Petrus Comestor (Manducator), Hist. schol. 103 (PL 198) col. 1589-1590.
41. Ch. Perelman, L’empire rhétorique, Rhétorique et argumentation, Paris 1977, cap. IX, pp. 119-
126 (L’argumentation par l’exemple, l’illustration et le modèle). Per il problema di un’antropolo-
gia dell’exemplum cfr. von Moos, Geschichte als Topik (cit. n. 1), pp. 22-38.
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matico, il certum retorico con cui, una volta eliminato il dubbio, la possi-
bilità di agire o di non agire viene dimostrata. Ambedue i concetti sono
doppiamente definiti secondo la formula tradizionale quali dicta e facta
cioè espressioni citabili e fatti narrabili47. Nella descrizione della causa vie-
ne presa in considerazione l’antica dottrina della chria o del dictum persona-
le. La chria è il giudizio generato da un contesto di eventi storici concreti,
che come ogni hypothesis finita (legata alle circostanze) può venir trasfor-
mata in “sentenza” atemporale, cioè in thesis infinita o generalmente vali-
da48. Questo, in lingua giuridica, significa: il giudice deve trasporre il dic-
tum personale del caso nel suo proprio dictum impersonale, nella regola, nel
giudizio con valore di legge, generalizzabile (detto anche sententia). A que-
sto scopo le due parti in causa gli forniscono “informazioni”; lo “informa-
no” avvalendosi di tre tipi di autorità: in ordine discendente I) con la leg-
ge (lex), II) con il diritto consuetudinario (consuetudo), III) con gli exempla49.
Da queste poche indicazioni emerge che l’exemplum giuridico-retorico
del Medioevo non si basa più solo su realtà storiche (come presso Aristote-
le), ma anche sull’autorità dei testi; su parole, non solo su fatti. Poiché
inoltre gli eventi storici non potevano essere concepiti staccati dal medium
della loro trasmissione, e fungevano anche come una specie di “testo”, si
può persino dire che gli exempla medievali sono decisamente più dicta che
facta. In ogni caso non rientrano nella sfera dell’empiria, bensì dell’erme-
neutica o della semiotica: indipendentemente dal fatto che si tratti di
enunciazioni o azioni, decreti o azioni giuridiche, apoftegmi o aneddoti,
sono in linea di massima leggibili, interpretabili, discutibili nel loro si-
gnificato. Sono soggetti al “conflit des interprétations”.
47. Cfr. von Moos, Geschichte als Topik (cit. n. 1), pp. 381 ss.
48. Cfr. ibid., pp. 161 ss.; Prisciani Praeexerc. (Rhet. lat. min., ed. C. Halm), p. 552; Jul. Rufin.
(ibid.), pp. 44 s.; Quint. I 9.33 ss.; VIII 5.3; Isid. Etym. 2.11.1-2; cfr. Lausberg (cit. n. 8) § 1118.
– Rhet. eccl., p. 3: Causa est origo vel seminarium totius actionis vel ratio, unde sententia nascitur. Est au-
tem sententia, ut dicit Isidorus, dictum impersonale ut: “veritas odium parit, obsequium amicos”. Impersonale
dicitur ad differentiam personalis, qui est crion.
49. Ibid., p. 6 s. Quoniam autem suum est iudicis, lectione et meditatione se instruere, nostrum autem est,
praeceptione eum erudire; tripliciter instruemus eum auctoritatibus, legibus, exemplis, praeterea ratione et con-
suetudine, de quibus postea suo loco dicetur. Quoniam autem inter heac lex dignitor est, de ipsa primitus agen-
do assignemus, quid sit lex … Nonostante l’ambiguità implicita di questa classificazione il testo se-
guente è chiaramente diviso: pp. 7-35 de legibus, pp. 35-38 de consuetudinibus, pp. 39-50 de exemplis.
Tuttavia a p. 32 si trova anche questa divisione: quatuor diximus esse necessaria iudici ad officum suum
peragendum: consuetudines, auctoritates, exempla, rationes. L’equivoco proviene dalla posizione del ter-
mine ratio accanto alle auctoritates, sebbene “la ragione” trascenda e diriga gli altri tre tipi di auto-
rità; cfr. infra, pp. 126.
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50. Rhet. eccl. (cit. n. 44), p. 35; cfr. Graziano D 9. c 7, XII c. 6 secondo Isidoro, Etym. II 10.2.
51. Cod. Just. 7.14.13.
52. Cfr. von Moos, Geschichte als Topik (cit. n. 1) §§ 24 ss., n. 210 ss.
53. Rhet. eccl. (cit. n. 44), pp. 10-36; Graziano D 8 c. 5-9; D 9 c. 6-7.11. Per il complesso del-
l’antitesi exemplum/consuetudo verso ratio/veritas/reformatio in melius cfr. Gerhart B. Landner, Erneue-
rung, in “Reallexikon für Antike und Christentum” 6 (1966) coll. 240-275; 266 s.; id., The Idea of
Reform, Cambridge Mass. 1959, pp. 298 ss., 319 ss., 403 ss.; id., Die mittelalterliche Reform-Idee und
ihr Verhältnis zur Idee der Renaissance, Mitteilungen des Instituts fur Österreichische Geschichtsfor-
sch. 60 (1952), pp. 31-59, 36 ss.; id., Terms and Ideas of Renewal, in “Renaissance and Renewal in
the Twelfth century” ed. R. L. Benson, G. Constable, Oxford 1982, pp. 1-33; L. Buisson, Potestas
(cit. n. 7), pp. 26 ss.; id., Entstehung des Kirchenrechts (cit. n. 7); Ziese (cit. ibid.), pp. 7 ss.; Glenn
Olsen, The Idea of the ‘Ecclesia primitiva’ in the Writings of the Twelfth Century Canonists, in: Traditio
25 (1969), pp. 61-86, 62, 78 ss.; S. Kuttner, The Revival of Jurisprudence, in: “Renaissance and Re-
newal” op. cit., pp. 299-323; B. Smalley, Ecclesiastical Attitude to Novelty c. 1100-c. 1250, in “Chur-
ch, Society, and Politics”, ed. D. Baker, Oxford 1975, pp. 113-131, 104 ss.; J. Gilchrist, The Re-
ception of Pope Gregory VII into Canon Law, Zeitschr. f. Rechtsgesch., Kan. Abt. 90 (1973), pp. 35-
82; 97 (1980), pp. 192-229.
54. Tert., De virginibus velandis I 1 (CC lat. 2), p. 1209: Sed Dominus noster Christus veritatem se, non
consuetudinem cognominavit. Cypr. Ep. 74.9 (CSEL 3), p. 806, Sententiae LXXIC episcoporum (ed. H.v.
Soden, Göttingen 1909), p. 262 s., n. 30 (conc. di Cartago 256): In evangelio Dominus: “Ego sum”, in-
quit, “veritas”, “non dixit”: “Ego sum consuetudo” = Aug., De baptismo III 5-6 (CSEL 51), p. 203 segui-
to da: Itaque veritate manifesta cedat consuetudo veritati. Per gli altri auctoritates del Decretum Gratiani
D 8 c. 5 nella Rhet. eccl. (cit. n. 44), pp. 10, 36 cfr. von Moos, Geschichte als Topik (cit. n. 1) n. 211.
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55. Trost der Christen zu Halle (Weimarer Ausgabe 23), pp. 414 s.: “hat nicht gesagt: ich bin
Gewohnheit und Brauch, sondern: ich bin die Wahrheit … wenn die Wahrheit offenbar wird, soll
Gewohnheit weichen”. Questo è attribuito solamente a Lutero da Gerhard Funke, Gewohnheit, (Ar-
chiv. für Begriffsgeschichte III) Bonn 1958 - Göttingen 1961, pp. 187 s. e id., Gewohnheit, in “Hi-
stor. Wörterbuch der Philosophie” 3 (1974), pp. 597-616, p. 610. – Aug. Civ. I 22 (CC lat. 47),
pp. 24.26 ss.: Non modo quaerimus utrum sit factum, sed utrum fuerit faciendum. Sane quippe ratio exem-
plis anteponenda est, cui quidem et exempla concordant, sed illa, quae tanto digniora sunt imitatione quanto
excellentiora pietate (= Graziano D 9 c. 11). Per la tradizione di questa auctoritas cfr. von Moos, Ge-
schichte als Topik (cit. n. 1) n. 214.
56. Cfr. ibid., n. 215, 765, 856; Lausberg (cit. n. 8) §§ 424, 1153.
57. Rhet. eccl. (cit. n. 44), p. 2: Materia huius lectionis est ecclesiasticae censurae disceptatio. Utilis eius
canonum cognitio, in ecclesiasticis negotiis circumspecta discretio, […] propositis quaestionibus subtilis et acu-
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ta responsio, omnium controversiarum facilis et rationabilis terminatio. Intentio eius est, instruere personas in
iudicio constituendas, partim secundum normam canonum, partim secundum artificiosam doctrinam rhetorum.
58. Ibid., p. 39 (di seguito alla definizione citata supra, p. 124).
59. Peter Weimar, Argumenta brocardica, in “Collectanea S. Kuttner IV” (Studia Gratiana 14,
1967), pp. 89-124, pp. 117 s.; cfr. anche infra, n. 77.
60. Rhet. eccl. (cit. n. 44), p. 40: Amodo superest ostendere, quae et quot sint, quibus in exemplorum obiec-
tione possimus respondere. Sunt autem: tempus, causa, voluntas, personarum diversa qualitas, prophetiae com-
pletio (in examinatione) exemplorum, circumspecta interpretatio privilegiorum […] exemplorum contra exem-
pla inductio. Haec omnia in exemplo introducto debemus attendere et exemplum secundum hoc examinare. Per
la teoria degli status cfr. von Moos, Geschichte als Topik (cit. n. 1), pp. 273 ss., 423 ss.; Lang (cit.
n. 7), pp. 74 ss.; Johannes Gründel, Die Lehre von den Umständen der menschlichen Handlung im Mit-
telalter (Beitr. z. Gesch. der Philos. u. Theol. des Mittelalters 39.5), Münster 1963, pp. 16 ss.
61. Rhet. eccl. (cit. n. 44), pp. 40 s.: obiectio ex tempore.
62. Ibid., p. 41.
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tivi, e cioè solo perché i cristiani – secondo l’allegoria ufficiale della spolia-
tio Aegyptiorum – possano servirsi di opere letterarie profane per scopi reli-
giosi71. Qui si può vedere come il sensus spiritualis (il bottino degli ebrei,
quale permesso di lettura delle opere poetiche) sia divenuto così usuale, es-
sendo stato facile allontanare il significato letterale, “storico”, a noi così evi-
dente. L’evento storico, che giustifica l’exemplum da Aristotele in poi, non è
avvenuto obiettivamente per se stesso, bensì “avvenne” come evento prov-
videnziale, quale auctoritas “per noi”, allo scopo di una particolare interpre-
tazione, la quale peraltro può suscitare una controversia ermeneutica72.
L’argomento della completio prophetiarum viene illustrato da questo esem-
pio73: Gesù non ha imposto a nessuno la fede; quindi missioni forzate non
sono leggittime. Contro questa riflessione (apparentemente eretica agli oc-
chi dell’autore della nostra Rhetorica) si raccomanda la refutatio seguente:
solo dopo l’imperatore Costantino si sarebbero “adempiute” le parole del
salmo 71.11 “e tutti i popoli lo adoreranno”; la fondazione della Chiesa di
stato avrebbe quindi costituito il diritto quasi tipologico della storia della
salvezza.
Un impiego pratico di più regole di confutazione ci è dato nella Rheto-
rica ecclesiastica a proposito dell’“idoneità” o qualifica dei giudici: per la tesi
che un criminale non può essere giudice, troviamo l’esempio di Gesù con
il dictum davanti all’adultera: “chi è senza colpa scagli la prima pietra!”. Sed
obicitur; i seguenti exempla contraria sarebbero da tener presenti: Saul avreb-
be giudicato il popolo nonostante il suo misfatto, Davide nonostante il suo
71. Rhet. eccl. (cit. n. 44), p. 41: Item si probetur rapinam licere exercere exemplo Israelitarum, qui a vi-
cinis Aegyptiis accomodatis sibi preciosis eorum abierunt. Hoc enim ad hoc illis fuit permissum, ut aliud in ec-
clesia significaret agendum, paginas videlicet philosophorum quasi quasdam domo Aegyptiorum spoliandas
exemplis et sententiis ibi quaestis et quodam ornatu verborum illius paginae quasi spoliis quibusdam deo con-
struendum tabernaculum, ut ipse apostolus et Augustinus et Hieronyumus fecerunt. Causa vero alia est signi-
ficationis, alia infirmitatis. – Per la traduzione del motivo degli spolia Aegyptiorum cfr. Chr. Gnilka,
Usus iustus, Ein Grundbegriff der Kirchenväter im Umgang mit der antiken Kultur, Archiv für Begriff-
sgeschichte 24 (1980), pp. 34-76, 71 ss.; H. de Lubac, Exégèse médiévale, Les quatre sens de l’Ecriture,
I, Paris 1959, pp. 300 ss. (sopratutto secondo Aug. Doctr. christ. II 40.60).
72. Cfr. von Moos, Geschichte als Topik (cit. n. 1), p. 539.
73. Rhet. eccl. (cit. n. 44), pp. 43 s.: si contendat hereticus, neminem invitum esse ad fidem trahendum,
[…] quod nec in evangelicis scriptis nec in apostolicis reperiatur exemplum, quo demonstretur aliquem ad fi-
dem coactum esse, possumus respondere, quod nondum impleta erat, quae propheta dicit: adorabunt eum omnes
reges terrae et timebunt gentes nomen tuum et omnes reges terrae gloriam tuam. Qua completa ius maioris pote-
statis ecclesiae permissum est quam prius […] Obicientibus ergo, quod in evangelio nemo invitus legitur ad fi-
dem conversus, expletionem prophetiae obicere possumus. Tempore Christi et evangelistarum paedicta prohetia
nondum erat impleta, sed postquam Constantinus et alii imperatores fidem Christi susceperant […] exinde om-
nes gentes quamvis nolentes ad fidem Christi erant trahendae et cogendae exemplo Christi, qui Paulum […]
potestate prostravit […].
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74. Ibid., p. 4: Ad hoc breviter respondere possumus: talis populus talem meretur prophetam et propter pec-
cata populi permittit deus ypocritam regnare. Vel quod his exemplis non ostenditur, quid fieri licuerit, sed quid
in vindictam excessuum illius populi dominus fieri permiserit.
75. Hieronymus, Lb. adv. Iovinian. I 17 ss. (PL 23) col. 247 ss.; cfr. Ilona Opelt, Hieronymus
Streitschriften, Heidelberg 1973, pp. 43 ss., 191.
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76. Cfr. von Moos, Geschichte als Topik (cit. n. 1), pp. 328 ss. per una refutatio exemplorum molto
virtuosa di Giovanni di Salisbury.
77. Alan., De fide catholica IV (Pl 210) col. 333A; cfr. Wolfgang Kluxen, Der Begriff der Wissen-
schaft, in “Die Renaissance der Wissenschaften im 12. Jh.” ed. P. Weimar, Zurigo 1981, pp. 273-
293.
06-exemplprecheur 9-09-2005 10:33 Pagina 277
* Les exempla médiévaux: Nouvelles perspectives, éd. Jacques Berlioz - Anne Marie Polo de Beau-
lieu (Colloque de Saint-Cloud, 27-28 septembre 1994), Paris, Champion 1998, pp. 67-83.
1. En m’invitant au colloque J. Berlioz m’a demandé de “reprendre en français” la conférence
que j’avais faite en 1985 à Trieste, lors du congrès Retorica e poetica tra i secoli XII e XIV et dans la-
quelle, après le mémorable discours d’inauguration de Jacques Le Goff sur “L’exemplum et la rhéto-
rique de la prédication aux XIIIe et XIVe siècles” (pp. 3-29), j’avais à mon tour parlé “Sulla retori-
ca dell’exemplum nel Medioevo” (cf. supra, p. 257-276). Or, tandis que la recherche spécialisée sur
l’exemplum avançait constamment, et en particulier à Paris, dans l’équipe de l’EHESS, mes propres
recherches m’ont, pendant presque dix ans, dirigé vers de tout autres champs de travail, si bien
qu’en m’occupant à nouveau de ce sujet, j’ai dû reconsidérer mes positions et non pas seulement me
contenter de présenter les thèses soutenues à cette occasion et qui ont servi de base à mon livre sur
les histoires exemplaires chez Jean de Salisbury: Geschichte als Topik (bibliogr. N° 26 = GT).
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même, nous possédons bien plus d’exemples recueillis dans des collections
que d’exempla réellement employés dans des sermons. Est-ce que l’offre dé-
passait la demande? Quels étaient les vrais besoins des prédicateurs, que les
collectionneurs d’exempla imaginaient sans doute en quête permanente
d’historiettes?
Si des prédications comme celles de Jacques de Vitry ou de Bernardin
de Siène abondent en anecdotes, un grand nombre de sermons célèbres,
même postérieurs au XIIIe s., pour ne pas parler des sermons d’évêques de
l’époque précédante, en sont dépourvus, soit parce que leurs auteurs ne s’en
sont effectivement pas servi, soit parce que, dans la reportatio, on a omis de
les transcrire. Jacques de Vitry dit en effet que les exempla ne plaisent que
dans le vif d’un sermon prononcé, mais ennuient dans la forme écrite. S’il
les transcrit néanmoins dans sa collection de sermons, c’est uniquement
pour aider d’autres prédicateurs à trouver la materia2.
Le problème des Artes praedicandi est du même ordre: pourquoi ces ma-
nuels définissant les lois d’une rhétorique autonome et extrêmement raffi-
née du sermon médiéval, prêtent-ils si peu d’attention à l’insertion d’exem-
pla narratifs? Ils traitent abondamment de l’organisation logique des par-
ties du discours et des moyens topiques de la dilatatio materiae, surtout par
des procédés allégoriques. Seuls quelques-uns notent la possibilité de ré-
veiller un public endormi par des histoires plaisantes et inédites, tout en
avertissant contre l’abus de ces disgressions qui doivent rester un simple
condiment3. Y avait-il donc un usage non-officiel ou même sauvage des
exempla dans la pratique de l’évangélisation des masses incultes? Plusieurs
diatribes contemporaines, et la plus célèbre, celle de Dante contre le bavar-
dage divertissant des frères prêcheurs4, pourraient le laisser penser. Quoi
qu’il en soit, l’utilisation réelle de ce moyen de persuasion dans les sermons
est du plus haut intérêt pour les spécialistes de l’exemplum homilétique,
même si cette question doit peut-être rester en grande partie sans réponse.
Par ailleurs, si l’on se penche non plus sur la prédication, mais sur les
exempla eux-mêmes tels qu’ils nous ont étés transmis par les recueils desti-
2. The exempla... éd. Th. F. Crane, London 1890, p. XLIII: Illud insuper in huiusmodi....vulgaribus
exemplis adtendendum est, quod non possunt ita exprimi scripto, sicut gestu et verbo atque pronuntiandi
modo....Aliquando quidem cum audiuntur, placent; cum scripta leguntur, non delectant. Expedit tamen ut scri-
bantur, ut habeant materiam hiis quibus Deus dat gratiam auditores incitandi ex modo pronunciandi.
3. Cf. P. von Moos, Das argumentative Exemplum und die ‘wächserne Nase’ der Autorität, dans Exem-
plum et similitudo, éd. W. J. Aerts - M. Gosman, Groningen 1988, pp. 55-84, surtout pp. 57-58;
GT, pp. 199-201.
4. Cf. GT, pp. 131 sq.
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nés aux prédicateurs, et que l’on analyse leur contenu ou leur structure nar-
rative, abstraction faite de leur utilisation pratique, une autre difficulté ap-
paraît. Grâce à la recherche la plus poussée en ce domaine, celle des folk-
loristes, qui s’intéresse à l’origine et à la migration des motifs dits “popu-
laires”, on sait bien que le sermon n’est pas le seul médium d’exempla et
qu’ils sont répandus dans tous les genres didactiques et narratifs, tels que
les “miroirs de princes” et les “miroirs de dames”, ou des œuvres de pur di-
vertissement, depuis les fabliaux jusqu’aux nugae curialium et otia imperia-
lia. On connaît l’interdépendance multiple de ces genres. De plus, l’in-
fluence du répertoire d’exempla antiques (ceux par ex. réunis dans les Dicta
et facta memorabilia de Valère Maxime) sur les récits des Frères Mendiants
est bien connue, ce qui rapproche ces derniers, nettement plus qu’on ne l’a
pensé autrefois, de la tradition classique et de la méthode rhétorique pré-
valante dans la soi-disant “haute littérature” des clercs5.
Par conséquent, les spécialistes des exempla homilétiques, ayant dépassé
l’engouement ancien pour la seule classification des motifs et le procédé
narratif du conte, admettent tous aujourd’hui, si je ne me trompe, que le
critère décisif pour distinguer divers genres d’exempla est leur fonction rhé-
torique déterminée par un objectif et un contexte précis. C’est le sens pri-
mordial et incontestable de la célèbre définition de l’exemplum des prédica-
teurs, proposée par J. Le Goff6: ... “un récit bref donné comme véridique
et destiné à être inséré dans un discours (en général un sermon) pour
convaincre un auditoire par une leçon salutaire”. On a discuté plusieurs as-
pects de cette formule, trop large pour les uns, trop étroite pour les autres,
mais personne ne peut contester que ce qui différencie l’exemplum homilé-
tique d’une historiette quelconque est sa soumission à un argument de na-
ture religieuse, à “une leçon salutaire”. Il n’est jamais un récit autonome
ayant une vie indépendante du contexte dans lequel il est employé, mais
un récit essentiellement subordonné à sa fonction édifiante, qui exige briè-
veté et concentration sur le minimum nécessaire à la trame7. Il est bref par-
ce qu’il est un élément accessoire à l’intention édifiante du sermon, de
même que la forme narrative est secondaire par rapport à la substance de
l’exemplum: son contenu8. Il est avant tout une pièce justificative d’un ar-
gument ou “d’une vérité”. Il n’est surtout pas un genre littéraire, mais une
méthode argumentative, un procédé de persuasion, même si les recueils
d’exempla constituent un genre littéraire ou plutôt un sous-genre du vaste
registre de la littérature encyclopédique9.
Or, puisque le même contenu narratif d’un exemplum peut réapparaître
dans d’autres genres que le sermon, y servir d’autres arguments que la “le-
çon salutaire” ou être raconté pour le seul plaisir littéraire, il est évident que
la différence spécifique de l’exemplum est son intentionnalité. En élargissant
légèrement la définition citée, nous arrivons à une conception anthropolo-
gique qui englobe les exempla de tous les temps et de toutes les argumenta-
tions possibles, et dont la plupart des théoriciens de la rhétorique, d’Aris-
tote à Chaim Perelman, sont partis: L’exemplum est un événement passé, rap-
pelé ou mentionné dans un discours, pour convaincre de l’objectif à at-
teindre10. C’est ainsi que je fais une sorte de “concordance des autorités dis-
cordantes”, rapprochant la définition de Le Goff, valable pour l’exemplum
homilétique, de celle de Quintilien, valable pour l’exemplum tout court11: rei
gestae aut ut gestae utilis ad persuadendum id quod intenderis commemoratio.
La simplicité abstraite de cette formule pourrait déconcerter l’historien,
habitué plutôt à classifier le réel qu’á définir des “universaux”. Mais l’avan-
tage et le désavantage de toute définition est d’être assez large pour cou-
vrir toutes les possibilités et trop imprécise pour décrire les particularités.
En descendant de la hauteur de l’abstraction, nous allons bientôt examiner
certains détails secondaires de cette définition.
Permettez-moi d’abord de jeter un regard sur quelques définitions que
le Moyen Âge lui-même, qui ignorait celle de Quintilien, a donné de
l’exemplum, ou plutôt, car il y en a peu d’explicites, de les déduire de l’usa-
ge du terme. Je passe à contre-cœur sur la plus célèbre, celle de la Rhetori-
ca ad Herennium, largement répandue et répétée sans cesse dans tous les ma-
nuels de rhétorique, mais considérée par certains médiévistes comme sus-
pecte d’être une pièce de “l’antiquité mal comprise” (pour m’exprimer
comme Curtius), transmise par de pures théoriciens et sans impact pra-
8. Cf. l’article très instructif à cet égard de Th. R. Jackson: Die Kürze des Exemplums. Am Beispiel
der ‘Elsässischen Predigten’, dans Kleinere Erzählformen im Mittelalter, éd. K. Grubmüller et al., Pader-
born 1988, pp. 213-223.
9. Cf. GT, pp. 44-48.
10. Ibid., pp. 39-80.
11. Inst. or. V 11, 6; cf. GT, pp. 48-57.
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tique sur la conception des prédicateurs12: alicuius facti aut dicti praeteriti
cum certi auctoris nomine propositio. Cette définition est pourtant pres-
qu’identique à celle de Quintilien et parfaitement applicable à une grande
partie des exempla homilétiques, pourvu que l’on s’entende sur le sens de
“l’auteur certain” qu’il faut “nommer”, ce qui peut se traduire soit par “ce-
lui qui a fait ou dit quelque chose”, soit par “celui qui en témoigne”. Mais
je ne m’y arrêterai pas, ayant déjà assez, trop peut-être, fait l’exégèse de
cette vénérable formule.
Le mot exemplum se rencontre souvent, bien sûr, dans les recueils d’exem-
pla, ce qui a conduit l’abbé Welter, grand pionnier de ce champ de re-
cherche, à s’en servir le premier, en 1927, en lui conférant le sens d’un gen-
re littéraire particulier de “récit bref”. En intitulant son livre “L’Exem-
plum”, il a légué ce sens à des générations de médiévistes, alors que Lecoy
de la Marche, en 1877, utilisait encore dans le titre de son édition partiel-
le du recueil d’Etienne de Bourbon la formule beaucoup plus prudente
“Anecdotes historiques, légendes et apologues”.
Or, est-il sûr que le mot exemplum ait désigné l’anecdote elle-même et
non la leçon exemplaire incarnée par le héros, le saint ou le pécheur dont
il raconte une histoire? Dans la plupart des cas que je connais, l’emploi
reste équivoque et autorise les deux interprétations. Il ne permet pas de
dissocier la forme du contenu, l’historia de la res gesta. Mais il y des cas li-
mites et même des exceptions: Humbert de Romans13 cite comme exem-
plum la fameuse anecdote de Bède, qui met en scène un évêque cultivé,
échouant, malgré la “subtilité” de sa prédication, à convertir au christia-
nisme les Écossais têtus, tandis qu’un prêcheur moins érudit, plus simple,
y parvient grâce à exemplis et parabolis. Humbert ajoute que St. Augustin
a plus été touché ad exemplum mire conversionis Antonii heremite que par les
brillants sermons publics de St.Ambroise. Il se réfère au fameux épisode
des Confessions, dans lequel Ponticianus, au cours d’une conversation pri-
vée, raconte à Augustin la vie de St. Antoine14. Dans ce passage, les exem-
pla associés aux paraboles sont à la fois des moyens d’expression et des mo-
dèles humains. Ailleurs, Humbert réunit clairement les deux sens en di-
sant qu’un prédicateur avait exemplo Gregorii (en prenant modèle sur Gré-
12. Rhet. Her. IV 49, 62; cf. GT, pp. 57-69, 158-161.
13. Liber de abundantia exemplorum, cité d’après J.-Th. Welter, L’Exemplum...., Paris-Toulouse
1927, p. 72; cf. GT, p. 46.
14. Conf. VIII 6-7; cf. GT, pp. 97-104.
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goire) inséré dans son sermon unum vel duo exempla (donc des récits
d’exemples)15. Dans la préface au recueil d’exempla intitulé Alphabetum
narrationum on peut lire16: Antiquorum patrum exemplo didici nonnullos ad
virtutes fuisse inductos narrationibus aedificatoriis et exemplis, ce qui semble
distinguer les “narrations édifiantes” des exempla au sens propre
d’exemples vivants, de modèles. Il est en général difficile de trouver dans
de telles éloges de l’exemplum autre chose que la comparaison de l’exemple
existentiel, vu de près ou communiqué par un récit dans le style du sermo
humilis, à la pure parole discursive, non métaphorique, et dépourvue
d’images concrètes. Ce n’est d’ailleurs qu’une forme christianisée du topos
ancien prônant la supériorité des exempla sur les verba ou praecepta, c’est à
dire de la pratique sur la théorie17.
Un autre emploi du mot exemplum, particulièrement répandu dans les
artes praedicandi, fait partie de la triade d’origine théologique et juridique:
auctoritas, ratio, exemplum18. Il ne s’applique pas à des récits insérés dans un
sermon, mais au domaine beaucoup plus large de la sémantique spirituel-
le: aux analogies ou similitudines qui servent, à côté des “autorités” (le plus
souvent bibliques) et des “raisons” ou commentaires, à structurer et “am-
plifier” le sermon19. Robert de Basevorn recommande au prédicateur de
développer le sujet de l’orgueil per exemplum20, et ceci à quatre niveaux: 1.
exemplum in natura: une branche trop saillante est arrachée par le vent, 2.
exemplum in arte: une tour construite d’une façon trop élégante tombe du
toit, 3. exemplum in figura: la fable biblique de Jotam, celle des arbres de la
forêt échouant à élire un roi, parce qu’aucun d’entre eux ne voulait s’élever
au-dessus des autres, 4. exemplum in historia: dans le livre de Daniel, le rêve
de Nabuchodonosor annonçant sa chute prochaine. Dans tous ces cas
l’exemplum est la représentation symbolique de l’invisible, procédé séman-
tique, non rhétorique. Toutefois on peut relever la distinction entre les “si-
gnifiants” naturels et historiques.
21. Cité d’après A. Vitale-Brovarone, L’exemplum tra due retoriche, dans Rhétorique et histoire, éd. J.
Berlioz - J. M. David (Mél. de l’Ecole française de Rome 92.1), Rome 1980, p. 97.
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J’ai entendu raconter l’histoire d’un prêtre qui avait été accueilli dans la maison
d’une brave femme et qui avait amené avec lui sa concubine. La nuit approchant,
comme il cherchait où avait été préparé le lit, la maîtresse de maison le conduisit aux
latrines. ‘Voici, dit-elle, la place préparée pour vous et votre concubine. Sachez que
sous mon toit vous ne coucherez pas ailleurs. Un tel lieu est fait pour vous’. Alors
rouges de confusion, ils quittèrent ce logis.
30. Cf. P. Kirn, Das Bild des Menschen in der Geschichtsschreibung von Poybios bis Ranke, Göttingen
1955, p. 68.
31. Cf. GT, pp. XXV sq., 115 sq., 132; J. Berlioz, ‘Héros’ païen et prédication chrétienne. Jules César
dans les recueils d’exempla du dominicain Étienne de Bourbon, dans Exemplum et similitudo (n. 3), pp. 123-
144. – P. von Moos, Die Kunst der Antwort, Exempla und dicta im lateinischen Mittelalter, dans: Exem-
pel und Exempelsammlungen, éd. W. Haug et B.Wachinger, (Fortuna Vitrea 2), Tübingen 1991, pp.
24-58.
06-exemplprecheur 9-09-2005 10:33 Pagina 287
32. Cf. P. von Moos, Fictio auctoris, dans: Fälschungen im Mittelalter, Akten des Int. Kongresses
der MGH 1986, vol I, Hannover 1988, pp. 739-780.
33. Cf. GT, pp. 224-227.
34. Liber quo ordine sermo fieri debeat, PL 156, col. 25 et 30 A; éd. R. B. C. Huygens, CC cm 127,
1993, l. 173-196, 391-400.
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est que le prétexte socratique pour renvoyer celui qui y cherche conseil à
l’utilisation de sa propre raison en face des ambiguités du réel.
Les exemples judicieusement utilisés, les facta et dicta appropriés au cas,
y ont un but plus méthodique que moral. Ils veulent entraîner à la “pru-
dence”, aiguiser la sensibilité aux expériences inattendues. Ces “exemples”
seront très vite considérés comme des “nouvelles”. Des “cas” extrêmes,
comme celui de Griselda, discuté et disputé déjà à l’intérieur du Décamé-
ron puis dans la riche réception ultérieure (même le Ménagier de Paris, ma-
nuel bourgeois profondément didactique, ne peut éviter “le pour et le
contre” de cette histoire extraordinaire42), sont évidemment des
“exemples” opposés aux exempla homilétiques. On devrait plutôt se de-
mander si l’on peut encore les ranger dans la catégorie de l’exemplum tout
court, car ils “ne rendent pas une chose douteuse certaine”, pour reprendre
la définition de la preuve par l’ancienne rhétorique, mais jettent au
contraire le doute sur une chose apparemment certaine, ce qui est plutôt
un procédé philosophique.
J’arrive ainsi ex negativo au même résultat: l’essence de l’exemplum, c’est
sa rhétorique, son intentionnalité, sa manipulation de l’âme ou de l’intelli-
gence par l’analogie historique (le plus souvent fausse), c’est sa profonde
méconnaissance de ce qui, bien avant Kant et déjà même au Moyen Âge, a
valorisé la raison comme le moyen d’être adulte et de savoir se diriger soi-
même. Si j’ose terminer par une opinion personnelle, je dirais que l’exem-
plum homilétique, tel qu’il a été conçu au XIIIe s., marque un progrès dans
l’histoire de la propagande, ou (si l’on veut) de l’endoctrinement, mais qu’il
n’est guère un avancement de l’histoire intellectuelle de l’Europe. Le casus
par contre, tel qu’il réapparaît au XIIe s. pour devenir la nouvelle du XIVe,
m’a attiré parce qu’il est un accomplissement dans l’histoire du penser du
Moyen Âge, et je crois toujours qu’il mérite autant d’intérêt que l’exemplum.
42. Ed. J. Pichon, Paris 1846, vol. I, pp. 99-126; cf. M. Zimmermann, Vom Hausbuch zur Novel-
le, Didaktische und erzählende Prosa im Frankreich des späten Mittelalters. Düsseldorf 1989, pp. 69-78.
06-exemplprecheur 9-09-2005 10:33 Pagina 291
* Les exempla médiévaux: Nouvelles perspectives, éd. Jacques Berlioz - Anne Marie Polo de Beau-
lieu (Colloque de Saint-Cloud, 27-28 septembre 1994), Paris, Champion 1998, pp. 67-83.
1. En m’invitant au colloque J. Berlioz m’a demandé de “reprendre en français” la conférence
que j’avais faite en 1985 à Trieste, lors du congrès Retorica e poetica tra i secoli XII e XIV et dans la-
quelle, après le mémorable discours d’inauguration de Jacques Le Goff sur “L’exemplum et la rhéto-
rique de la prédication aux XIIIe et XIVe siècles” (pp. 3-29), j’avais à mon tour parlé “Sulla retori-
ca dell’exemplum nel Medioevo” (cf. supra, p. 257-276). Or, tandis que la recherche spécialisée sur
l’exemplum avançait constamment, et en particulier à Paris, dans l’équipe de l’EHESS, mes propres
recherches m’ont, pendant presque dix ans, dirigé vers de tout autres champs de travail, si bien
qu’en m’occupant à nouveau de ce sujet, j’ai dû reconsidérer mes positions et non pas seulement me
contenter de présenter les thèses soutenues à cette occasion et qui ont servi de base à mon livre sur
les histoires exemplaires chez Jean de Salisbury: Geschichte als Topik (bibliogr. N° 26 = GT).
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même, nous possédons bien plus d’exemples recueillis dans des collections
que d’exempla réellement employés dans des sermons. Est-ce que l’offre dé-
passait la demande? Quels étaient les vrais besoins des prédicateurs, que les
collectionneurs d’exempla imaginaient sans doute en quête permanente
d’historiettes?
Si des prédications comme celles de Jacques de Vitry ou de Bernardin
de Siène abondent en anecdotes, un grand nombre de sermons célèbres,
même postérieurs au XIIIe s., pour ne pas parler des sermons d’évêques de
l’époque précédante, en sont dépourvus, soit parce que leurs auteurs ne s’en
sont effectivement pas servi, soit parce que, dans la reportatio, on a omis de
les transcrire. Jacques de Vitry dit en effet que les exempla ne plaisent que
dans le vif d’un sermon prononcé, mais ennuient dans la forme écrite. S’il
les transcrit néanmoins dans sa collection de sermons, c’est uniquement
pour aider d’autres prédicateurs à trouver la materia2.
Le problème des Artes praedicandi est du même ordre: pourquoi ces ma-
nuels définissant les lois d’une rhétorique autonome et extrêmement raffi-
née du sermon médiéval, prêtent-ils si peu d’attention à l’insertion d’exem-
pla narratifs? Ils traitent abondamment de l’organisation logique des par-
ties du discours et des moyens topiques de la dilatatio materiae, surtout par
des procédés allégoriques. Seuls quelques-uns notent la possibilité de ré-
veiller un public endormi par des histoires plaisantes et inédites, tout en
avertissant contre l’abus de ces disgressions qui doivent rester un simple
condiment3. Y avait-il donc un usage non-officiel ou même sauvage des
exempla dans la pratique de l’évangélisation des masses incultes? Plusieurs
diatribes contemporaines, et la plus célèbre, celle de Dante contre le bavar-
dage divertissant des frères prêcheurs4, pourraient le laisser penser. Quoi
qu’il en soit, l’utilisation réelle de ce moyen de persuasion dans les sermons
est du plus haut intérêt pour les spécialistes de l’exemplum homilétique,
même si cette question doit peut-être rester en grande partie sans réponse.
Par ailleurs, si l’on se penche non plus sur la prédication, mais sur les
exempla eux-mêmes tels qu’ils nous ont étés transmis par les recueils desti-
2. The exempla... éd. Th. F. Crane, London 1890, p. XLIII: Illud insuper in huiusmodi....vulgaribus
exemplis adtendendum est, quod non possunt ita exprimi scripto, sicut gestu et verbo atque pronuntiandi
modo....Aliquando quidem cum audiuntur, placent; cum scripta leguntur, non delectant. Expedit tamen ut scri-
bantur, ut habeant materiam hiis quibus Deus dat gratiam auditores incitandi ex modo pronunciandi.
3. Cf. P. von Moos, Das argumentative Exemplum und die ‘wächserne Nase’ der Autorität, dans Exem-
plum et similitudo, éd. W. J. Aerts - M. Gosman, Groningen 1988, pp. 55-84, surtout pp. 57-58;
GT, pp. 199-201.
4. Cf. GT, pp. 131 sq.
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nés aux prédicateurs, et que l’on analyse leur contenu ou leur structure nar-
rative, abstraction faite de leur utilisation pratique, une autre difficulté ap-
paraît. Grâce à la recherche la plus poussée en ce domaine, celle des folk-
loristes, qui s’intéresse à l’origine et à la migration des motifs dits “popu-
laires”, on sait bien que le sermon n’est pas le seul médium d’exempla et
qu’ils sont répandus dans tous les genres didactiques et narratifs, tels que
les “miroirs de princes” et les “miroirs de dames”, ou des œuvres de pur di-
vertissement, depuis les fabliaux jusqu’aux nugae curialium et otia imperia-
lia. On connaît l’interdépendance multiple de ces genres. De plus, l’in-
fluence du répertoire d’exempla antiques (ceux par ex. réunis dans les Dicta
et facta memorabilia de Valère Maxime) sur les récits des Frères Mendiants
est bien connue, ce qui rapproche ces derniers, nettement plus qu’on ne l’a
pensé autrefois, de la tradition classique et de la méthode rhétorique pré-
valante dans la soi-disant “haute littérature” des clercs5.
Par conséquent, les spécialistes des exempla homilétiques, ayant dépassé
l’engouement ancien pour la seule classification des motifs et le procédé
narratif du conte, admettent tous aujourd’hui, si je ne me trompe, que le
critère décisif pour distinguer divers genres d’exempla est leur fonction rhé-
torique déterminée par un objectif et un contexte précis. C’est le sens pri-
mordial et incontestable de la célèbre définition de l’exemplum des prédica-
teurs, proposée par J. Le Goff6: ... “un récit bref donné comme véridique
et destiné à être inséré dans un discours (en général un sermon) pour
convaincre un auditoire par une leçon salutaire”. On a discuté plusieurs as-
pects de cette formule, trop large pour les uns, trop étroite pour les autres,
mais personne ne peut contester que ce qui différencie l’exemplum homilé-
tique d’une historiette quelconque est sa soumission à un argument de na-
ture religieuse, à “une leçon salutaire”. Il n’est jamais un récit autonome
ayant une vie indépendante du contexte dans lequel il est employé, mais
un récit essentiellement subordonné à sa fonction édifiante, qui exige briè-
veté et concentration sur le minimum nécessaire à la trame7. Il est bref par-
ce qu’il est un élément accessoire à l’intention édifiante du sermon, de
même que la forme narrative est secondaire par rapport à la substance de
l’exemplum: son contenu8. Il est avant tout une pièce justificative d’un ar-
gument ou “d’une vérité”. Il n’est surtout pas un genre littéraire, mais une
méthode argumentative, un procédé de persuasion, même si les recueils
d’exempla constituent un genre littéraire ou plutôt un sous-genre du vaste
registre de la littérature encyclopédique9.
Or, puisque le même contenu narratif d’un exemplum peut réapparaître
dans d’autres genres que le sermon, y servir d’autres arguments que la “le-
çon salutaire” ou être raconté pour le seul plaisir littéraire, il est évident que
la différence spécifique de l’exemplum est son intentionnalité. En élargissant
légèrement la définition citée, nous arrivons à une conception anthropolo-
gique qui englobe les exempla de tous les temps et de toutes les argumenta-
tions possibles, et dont la plupart des théoriciens de la rhétorique, d’Aris-
tote à Chaim Perelman, sont partis: L’exemplum est un événement passé, rap-
pelé ou mentionné dans un discours, pour convaincre de l’objectif à at-
teindre10. C’est ainsi que je fais une sorte de “concordance des autorités dis-
cordantes”, rapprochant la définition de Le Goff, valable pour l’exemplum
homilétique, de celle de Quintilien, valable pour l’exemplum tout court11: rei
gestae aut ut gestae utilis ad persuadendum id quod intenderis commemoratio.
La simplicité abstraite de cette formule pourrait déconcerter l’historien,
habitué plutôt à classifier le réel qu’á définir des “universaux”. Mais l’avan-
tage et le désavantage de toute définition est d’être assez large pour cou-
vrir toutes les possibilités et trop imprécise pour décrire les particularités.
En descendant de la hauteur de l’abstraction, nous allons bientôt examiner
certains détails secondaires de cette définition.
Permettez-moi d’abord de jeter un regard sur quelques définitions que
le Moyen Âge lui-même, qui ignorait celle de Quintilien, a donné de
l’exemplum, ou plutôt, car il y en a peu d’explicites, de les déduire de l’usa-
ge du terme. Je passe à contre-cœur sur la plus célèbre, celle de la Rhetori-
ca ad Herennium, largement répandue et répétée sans cesse dans tous les ma-
nuels de rhétorique, mais considérée par certains médiévistes comme sus-
pecte d’être une pièce de “l’antiquité mal comprise” (pour m’exprimer
comme Curtius), transmise par de pures théoriciens et sans impact pra-
8. Cf. l’article très instructif à cet égard de Th. R. Jackson: Die Kürze des Exemplums. Am Beispiel
der ‘Elsässischen Predigten’, dans Kleinere Erzählformen im Mittelalter, éd. K. Grubmüller et al., Pader-
born 1988, pp. 213-223.
9. Cf. GT, pp. 44-48.
10. Ibid., pp. 39-80.
11. Inst. or. V 11, 6; cf. GT, pp. 48-57.
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tique sur la conception des prédicateurs12: alicuius facti aut dicti praeteriti
cum certi auctoris nomine propositio. Cette définition est pourtant pres-
qu’identique à celle de Quintilien et parfaitement applicable à une grande
partie des exempla homilétiques, pourvu que l’on s’entende sur le sens de
“l’auteur certain” qu’il faut “nommer”, ce qui peut se traduire soit par “ce-
lui qui a fait ou dit quelque chose”, soit par “celui qui en témoigne”. Mais
je ne m’y arrêterai pas, ayant déjà assez, trop peut-être, fait l’exégèse de
cette vénérable formule.
Le mot exemplum se rencontre souvent, bien sûr, dans les recueils d’exem-
pla, ce qui a conduit l’abbé Welter, grand pionnier de ce champ de re-
cherche, à s’en servir le premier, en 1927, en lui conférant le sens d’un gen-
re littéraire particulier de “récit bref”. En intitulant son livre “L’Exem-
plum”, il a légué ce sens à des générations de médiévistes, alors que Lecoy
de la Marche, en 1877, utilisait encore dans le titre de son édition partiel-
le du recueil d’Etienne de Bourbon la formule beaucoup plus prudente
“Anecdotes historiques, légendes et apologues”.
Or, est-il sûr que le mot exemplum ait désigné l’anecdote elle-même et
non la leçon exemplaire incarnée par le héros, le saint ou le pécheur dont
il raconte une histoire? Dans la plupart des cas que je connais, l’emploi
reste équivoque et autorise les deux interprétations. Il ne permet pas de
dissocier la forme du contenu, l’historia de la res gesta. Mais il y des cas li-
mites et même des exceptions: Humbert de Romans13 cite comme exem-
plum la fameuse anecdote de Bède, qui met en scène un évêque cultivé,
échouant, malgré la “subtilité” de sa prédication, à convertir au christia-
nisme les Écossais têtus, tandis qu’un prêcheur moins érudit, plus simple,
y parvient grâce à exemplis et parabolis. Humbert ajoute que St. Augustin
a plus été touché ad exemplum mire conversionis Antonii heremite que par les
brillants sermons publics de St.Ambroise. Il se réfère au fameux épisode
des Confessions, dans lequel Ponticianus, au cours d’une conversation pri-
vée, raconte à Augustin la vie de St. Antoine14. Dans ce passage, les exem-
pla associés aux paraboles sont à la fois des moyens d’expression et des mo-
dèles humains. Ailleurs, Humbert réunit clairement les deux sens en di-
sant qu’un prédicateur avait exemplo Gregorii (en prenant modèle sur Gré-
12. Rhet. Her. IV 49, 62; cf. GT, pp. 57-69, 158-161.
13. Liber de abundantia exemplorum, cité d’après J.-Th. Welter, L’Exemplum...., Paris-Toulouse
1927, p. 72; cf. GT, p. 46.
14. Conf. VIII 6-7; cf. GT, pp. 97-104.
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goire) inséré dans son sermon unum vel duo exempla (donc des récits
d’exemples)15. Dans la préface au recueil d’exempla intitulé Alphabetum
narrationum on peut lire16: Antiquorum patrum exemplo didici nonnullos ad
virtutes fuisse inductos narrationibus aedificatoriis et exemplis, ce qui semble
distinguer les “narrations édifiantes” des exempla au sens propre
d’exemples vivants, de modèles. Il est en général difficile de trouver dans
de telles éloges de l’exemplum autre chose que la comparaison de l’exemple
existentiel, vu de près ou communiqué par un récit dans le style du sermo
humilis, à la pure parole discursive, non métaphorique, et dépourvue
d’images concrètes. Ce n’est d’ailleurs qu’une forme christianisée du topos
ancien prônant la supériorité des exempla sur les verba ou praecepta, c’est à
dire de la pratique sur la théorie17.
Un autre emploi du mot exemplum, particulièrement répandu dans les
artes praedicandi, fait partie de la triade d’origine théologique et juridique:
auctoritas, ratio, exemplum18. Il ne s’applique pas à des récits insérés dans un
sermon, mais au domaine beaucoup plus large de la sémantique spirituel-
le: aux analogies ou similitudines qui servent, à côté des “autorités” (le plus
souvent bibliques) et des “raisons” ou commentaires, à structurer et “am-
plifier” le sermon19. Robert de Basevorn recommande au prédicateur de
développer le sujet de l’orgueil per exemplum20, et ceci à quatre niveaux: 1.
exemplum in natura: une branche trop saillante est arrachée par le vent, 2.
exemplum in arte: une tour construite d’une façon trop élégante tombe du
toit, 3. exemplum in figura: la fable biblique de Jotam, celle des arbres de la
forêt échouant à élire un roi, parce qu’aucun d’entre eux ne voulait s’élever
au-dessus des autres, 4. exemplum in historia: dans le livre de Daniel, le rêve
de Nabuchodonosor annonçant sa chute prochaine. Dans tous ces cas
l’exemplum est la représentation symbolique de l’invisible, procédé séman-
tique, non rhétorique. Toutefois on peut relever la distinction entre les “si-
gnifiants” naturels et historiques.
21. Cité d’après A. Vitale-Brovarone, L’exemplum tra due retoriche, dans Rhétorique et histoire, éd. J.
Berlioz - J. M. David (Mél. de l’Ecole française de Rome 92.1), Rome 1980, p. 97.
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J’ai entendu raconter l’histoire d’un prêtre qui avait été accueilli dans la maison
d’une brave femme et qui avait amené avec lui sa concubine. La nuit approchant,
comme il cherchait où avait été préparé le lit, la maîtresse de maison le conduisit aux
latrines. ‘Voici, dit-elle, la place préparée pour vous et votre concubine. Sachez que
sous mon toit vous ne coucherez pas ailleurs. Un tel lieu est fait pour vous’. Alors
rouges de confusion, ils quittèrent ce logis.
30. Cf. P. Kirn, Das Bild des Menschen in der Geschichtsschreibung von Poybios bis Ranke, Göttingen
1955, p. 68.
31. Cf. GT, pp. XXV sq., 115 sq., 132; J. Berlioz, ‘Héros’ païen et prédication chrétienne. Jules César
dans les recueils d’exempla du dominicain Étienne de Bourbon, dans Exemplum et similitudo (n. 3), pp. 123-
144. – P. von Moos, Die Kunst der Antwort, Exempla und dicta im lateinischen Mittelalter, dans: Exem-
pel und Exempelsammlungen, éd. W. Haug et B.Wachinger, (Fortuna Vitrea 2), Tübingen 1991, pp.
24-58.
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32. Cf. P. von Moos, Fictio auctoris, dans: Fälschungen im Mittelalter, Akten des Int. Kongresses
der MGH 1986, vol I, Hannover 1988, pp. 739-780.
33. Cf. GT, pp. 224-227.
34. Liber quo ordine sermo fieri debeat, PL 156, col. 25 et 30 A; éd. R. B. C. Huygens, CC cm 127,
1993, l. 173-196, 391-400.
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est que le prétexte socratique pour renvoyer celui qui y cherche conseil à
l’utilisation de sa propre raison en face des ambiguités du réel.
Les exemples judicieusement utilisés, les facta et dicta appropriés au cas,
y ont un but plus méthodique que moral. Ils veulent entraîner à la “pru-
dence”, aiguiser la sensibilité aux expériences inattendues. Ces “exemples”
seront très vite considérés comme des “nouvelles”. Des “cas” extrêmes,
comme celui de Griselda, discuté et disputé déjà à l’intérieur du Décamé-
ron puis dans la riche réception ultérieure (même le Ménagier de Paris, ma-
nuel bourgeois profondément didactique, ne peut éviter “le pour et le
contre” de cette histoire extraordinaire42), sont évidemment des
“exemples” opposés aux exempla homilétiques. On devrait plutôt se de-
mander si l’on peut encore les ranger dans la catégorie de l’exemplum tout
court, car ils “ne rendent pas une chose douteuse certaine”, pour reprendre
la définition de la preuve par l’ancienne rhétorique, mais jettent au
contraire le doute sur une chose apparemment certaine, ce qui est plutôt
un procédé philosophique.
J’arrive ainsi ex negativo au même résultat: l’essence de l’exemplum, c’est
sa rhétorique, son intentionnalité, sa manipulation de l’âme ou de l’intelli-
gence par l’analogie historique (le plus souvent fausse), c’est sa profonde
méconnaissance de ce qui, bien avant Kant et déjà même au Moyen Âge, a
valorisé la raison comme le moyen d’être adulte et de savoir se diriger soi-
même. Si j’ose terminer par une opinion personnelle, je dirais que l’exem-
plum homilétique, tel qu’il a été conçu au XIIIe s., marque un progrès dans
l’histoire de la propagande, ou (si l’on veut) de l’endoctrinement, mais qu’il
n’est guère un avancement de l’histoire intellectuelle de l’Europe. Le casus
par contre, tel qu’il réapparaît au XIIe s. pour devenir la nouvelle du XIVe,
m’a attiré parce qu’il est un accomplissement dans l’histoire du penser du
Moyen Âge, et je crois toujours qu’il mérite autant d’intérêt que l’exemplum.
42. Ed. J. Pichon, Paris 1846, vol. I, pp. 99-126; cf. M. Zimmermann, Vom Hausbuch zur Novel-
le, Didaktische und erzählende Prosa im Frankreich des späten Mittelalters. Düsseldorf 1989, pp. 69-78.
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7. LA RETORICA MEDIEVALE
COME TEORIA DELL’ARGOMENTAZIONE
ED ESTETICA LETTERARIA*
* La retorica, in Lo spazio letterario del Medio Evo, a cura di G. CAVALLO - C. LEONARDI - E. ME-
NESTÒ, vol I, 2: La produzione del testo, Roma (Salerno) 1993, pp. 231-271.
1. Cfr. M. CAMARGO, Rhetoric, in The Seven Liberal Arts in the Middle Ages, a cura di D. L. WA-
GNER, Bloomington, Indiana Univ. Press, 1986, pp. 96-124; ID., Ars dictaminis, Ars dictandi, in ID.,
Typologie des sources du Moyen Âge occidental, Turnhout, Brepols, 1991; R. MCKEON, Rhetoric in the
Middle Ages, in «Speculum», XVII 1942, pp. 1-32; J. J. MURPHY, Rhetoric in the Middle Ages, Berke-
ley-Los Angeles-London, Univ. of California Press, 1974 (trad. it. Napoli, Liguori, 1983); Medieval
Eloquence, a cura di J. J. MURPHY, ibid., 1978; Rhetoric Revalued, a cura di B. VICKERS, Binghamton-
New York, Univ. of California Press, 1982; F. BRUNI, L’ars dictandi e la letteratura scolastica, in Sto-
ria della civiltà letteraria in Italia, a cura di G. BARBERI SQUAROTTI, I, Torino, UTET, 1990, pp. 155-
210; F. GALLETTI, L’eloquenza (dalle origini al XVI sec.), Milano, Vallardi, 1938; vd. inoltre la bi-
bliografia di J. J. MURPHY, Medieval Rhetoric, Toronto, Univ. of Toronto Press, 19892.
2. Cosí si esprime il commento al De inventione di Vittorino in Rhetores Latini minores, a cura di
C. HALM, Leipzig, Teubner, 1863, pp. 170 sg., assai diffuso a partire dal sec. XI; cfr. J. WARD, Ar-
tificiosa eloquentia in the Middle Ages (tesi inedita), Toronto 1972, I, pp. 92-98, 185-187, 229, 302-
306, II, pp. 284-285, 292-296; H. CAPLAN, Of Eloquence. Studies in Ancient and Medieval Rhetoric,
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arte,3 tra la disciplina docens e la disciplina utens,4 sia che, invece, prendendo
posizione, si lamenti la frattura tra la scuola e la vita, la si difenda da un pun-
to di vista elitario, o la si metta in ridicolo quale forma di accademismo.5
Ciononostante in questa sede, per rendere sinteticamente giustizia a
questo rapporto ambivalente, bisognerà concentrarsi sulla considerazione
di cui godette la retorica nel giudizio medievale, quale si lascia cogliere da
significative affermazioni sulla sua essenza, sul suo compito, sul suo valo-
re. Quelle piú importanti non provengono dai docenti della materia, che
spesso avevano interessi diversi, troppo immediatamente intrinseci alla
stessa disciplina di insegnamento per riflettere sul significato del loro me-
stiere. Provengono invece da pensatori e scrittori illustri. Il principale in-
terrogativo, cui danno risposta le loro definizioni e valutazioni, è andato ri-
proponendosi continuamente a partire dal Medioevo via via sino alle mo-
derne discussioni teoriche tra i fautori di una retorica argomentativa (la
scuola di Bruxelles del Perelman) e i sistematici dello stile orientati in sen-
so linguistico (la “retorica generale” della scuola di Liegi):6 la retorica è ri-
volta anzitutto (o esclusivamente) alla convinzione pragmatica in situazio-
ni controverse, alla persuasione, all’assenso di un interlocutore incerto, op-
pure possiede anche (o addirittura prevalentemente) il valore di un’esteti-
Ithaca-London, Cornell Univ. Press, 1970, pp. 252-253; N. M. HARING, S. A. C., Thierry of Char-
tres and Dominicus Gundissalinus, in «Medieval Studies», XXVI 1964, pp. 271-286; K. M. FREDBORG,
The Commentary of Thierry of Chartres on Cicero’s De inventione, in «Cahiers de l’Institut du Moyen Âge
grec e latin», VII 1971, pp. 231-237.
3. Cosí si esprime CICERONE, De inventione, I 6 8, spesso collegato allo schema extrinsecus/intrin-
secus; cfr. R. W. HUNT, The Introduction to the ‘Artes’ in the Twelfth Century, in Studia Mediaevalia, in
onore di R. J. MARTIN, Bruges 1948, pp. 98-102; WARD, Artificiosa eloquentia, cit., I, pp. 302-306.
4. È questa la variante piú dialettica della coppia di concetti: cfr. E. GARIN, La dialettica dal se-
colo XI ai principi dell’età moderna, in «Rivista di filosofia», 1958, pp. 237-240; K. M. FREDBORG,
Buridan’s Quaestiones super Rhetoricam Aristotelis, in The Logic of John Buridan. Acts of the 3rd Euro-
pean Symposium on Medieval Logic and Semantics, a cura di J. PINBORG, Copenhagen 1976,
pp. 49-53; J. ISAAC, La notion de dialectique chez Saint Thomas, in «Revue des Sciences philos. et
théol.», XXXIV 1950, pp. 490-495.
5. Cfr. P. VON MOOS, Geschichte als Topik. Das rhetorische Exemplum von der Antike zur Neuzeit und
die historiae im ‘Policraticus’ Johanns von Salisbury, Hildesheim, Olms, 1988, pp. 291-294 (vd. ars
vs. usus nell’indice); ID., L’Ars arengandi italienne ..., in questo vol. infra N° 10, pp. 389-418. Per
il proseguimento umanistico cfr. L. G. JANIK, Lorenzo Valla: the primacy of rhetoric and the de-mora-
lization of history, in «History and Theory», XII 1973, pp. 389-404; GARIN, La dialettica, cit.,
pp. 244-249.
6. Sulla discussione tra le due scuole cfr. Figures et conflicts rhétoriques, a cura di M. MEYER e A.
LEMPEREUR, Bruxelles, Université de Bruxelles, 1990. Sulla dicotomia medievale cfr. l’eccellente
riassunto presentato da K. M. FREDBORG, The Scholastic Teaching of Rhetoric in Middle Age, in
«Cahiers de l’Institut du Moyen Âge grec et latin», X 1987, pp. 85-105.
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7. Cfr. M. DICKEY, The Commentaries on the De inventione and Ad Herennium of the Eleventh and
Twelfth Century (tesi inedita), St. Hilda’s, Oxford 1953 (Bodleian Library, ms. B. litt. d. 150); solo
la prima parte è stata pubblicata con il titolo Some Commentaries on the De inventione and Rhetorica ad
Herennium of the 11th and 12th Centuries, in «Medieval and Renaissance Studies», VI 1968, pp. 1-41;
cfr. anche WARD, Artificiosa eloquentia, cit., e The Commentator’s Rhetoric: From Antiquity to the Re-
naissance: Glosses and Commentaries on Cicero’s Rhetorica, in Medieval Eloquence, cit., pp. 25-67.
8. Cfr. CAMARGO, Ars dictaminis, cit., pp. 17 sgg. Come secondo capitolo fondamentale del cor-
so veniva insegnata la dispositio. Sul significato di imitatio cfr. R. R. BOLGAR, The Teaching of Rheto-
ric in the Middle Age, in Rhetoric Revalued, cit., pp. 79-86.
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9. Cfr. P. BAGNI, L’inventio nell’Ars poetica latino-medievale, in Rhetoric Revalued, cit., p. 99.
10. Cfr. MCKEON, Rhetoric, cit., p. 2; WARD, Artificiosa eloquentia, cit., I, p. 27; P. O. KRISTEL-
LER, Rhetorik in Medieval and Renaissance Culture, in Renaissance Eloquence, a cura di J. J. MURPHY,
Berkeley-Los Angeles-London, Univ. of California Press, 1974, pp. 1-19.
11. Cfr. Rhetorik, a cura di J. KOPPERSCHMIDT, 2 voll., Darmstadt, Wissenschaftliche Buchge-
sellschaft, 1990-1991.
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1. RETORICA E ARGOMENTAZIONE
losophiae medii aevi, II, a cura di B. MOJSISCH e O. PLUTA, Amsterdam, Grüner, 1991, pp. 711-744;
Introduction à une histoire de l’endoxon , in Lieux communs, topoi, stéréotypes, clichés, a cura di Chr. PLAN-
TIN, Paris, Kimé, 1994, pp. 3-17; L’Ars arengandi italienne, cit.
17. Cfr. CH. PERELMAN - L. OLBRECHTS TYTECA, Traité de l’argumentation. La nouvelle rhétorique,
Bruxelles, Université de Bruxelles, 19885, pp. 17-40.
18. Cfr. L. BORNSCHEUER, Topik. Zur Struktur der gesellschaftlichen Einbildungskraft, Frankfurt am
Main, Suhrkamp, 1976; VON MOOS, Geschichte als Topik, cit., pp. 246-309.
19. BOETHIUS, De differentiis topicis, IV, P.L. LXIV, coll. 1205C-1206C, 1208, 1215A; sull’impor-
tanza di Boezio per la filologia aristotelica cfr. H. THROM, Die Thesis, ein Beitrag zu ihrer Entstehung
und Geschichte, Paderborn, Schöningh, 1932, pp. 55-62; cfr. anche la traduzione commentata di E.
STUMP, Boethius’s De differentiis topicis, Ithaca-London, Cornell Univ. Press, 1978, pp. 159-178, 1-
25, 79 sg., 82 sg., 93 sg., 179-204.
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pio: se il mondo sia eterno); l’oggetto della retorica è una questione deter-
minabile in base alle sette circostanze quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur,
quomodo, quando, ed è l’ipotesi o causa (ad esempio, un concreto caso di omi-
cidio in tribunale);
b) l’usus della dialettica consiste nella discussione attraverso un’intercisa
oratio per domande e risposte, mentre quello della retorica nella persuasio-
ne ottenuta con un discorso continuo (oratio perpetua ovvero continua): a
questo fa riferimento l’allegoria del pugno chiuso e del palmo aperto;
c) il finis consiste nell’uno come nell’altro caso nel condurre l’interlocu-
tore dove si voglia. Che questo riesca dipende, per quanto riguarda la dia-
lettica, unicamente dall’avversario, poiché qui l’uno è giudice dell’altro;
nella retorica, invece, che, come si vede, risulta limitata al genere giudi-
ziario, il successo non dipende soltanto dall’avversario, cioè dal pubblico,
ma anche da un terzo, cioè dal giudice.
Quest’ultima distinzione, forse alquanto esteriore, appariva cosí ovvia
nel Medioevo che poteva rientrare, per esempio, anche in una singolare de-
finizione del dictamen epistolare: quando infatti, nel XIII secolo, avvenne
che l’ars dictaminis si trasformò da dottrina letteraria tradizionale in un’ar-
te del discorso argomentativo, la ripartizione dei dictamina in epistolari e
non epistolari (oratorii), in analogia con la differenza tra dialettica e reto-
rica, fu definita da Brunetto Latini in modo tale che per dictamen epistola-
re si intendesse un discorso tra due persone assenti, dette rispettivamente
respondens e opponens, mentre per quello non epistolare si intendesse un di-
scorso a tre, in cui due abili oratori si rivolgono a un giudice, a sua volta
presente davanti a loro.20
La definizione delle affinità e delle differenze tra le due materie, che è
stata or ora brevemente riassunta, fu sviluppata da Boezio soprattutto nel
De differentiis topicis, un’opera di cui i primi tre libri sono dedicati alla dia-
lettica, il quarto alla retorica. Già questa ripartizione mostra la maggiore
importanza riconosciuta alla dialettica, che peraltro viene anche formal-
mente motivata in base al fatto che, secondo Boezio, i topoi dialettici uni-
versali (come il genere, la specie, l’opposizione) sono utilizzabili anche in
campo retorico, mentre i topoi retorici, cioè gli status o constitutiones, fina-
lizzati alla determinazione di un singolo caso, si addicono soltanto alle ipo-
20. Cfr. SGRILLI, Retorica e società, cit., pp. 387 sg., a proposito di B. LATINI, La Rettorica, ed. cit.,
pp. 100-103.
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21. De diff. top., col. 1215C; cfr. M. C. LEFF, The Topics of Argumentative Invention in Latin Rheto-
rical Theory from Cicero to Boethius, in «Rhetorica», I 1983, pp. 23-44, e in partic. pp. 39-41; ID.,
Boethius’ ‘De differentiis topicis’, Book IV, in Medieval Eloquence, cit., pp. 9-12.
22. Cfr. VON MOOS, Was allen, cit.
23. Vittorino è, accanto a Boezio, l’autorità piú importante nei commenti a Cicerone: cfr. WARD,
The Commentator’s Rhetoric, cit., p. 43; K. M. FREDBORG, Twelfth-Century Ciceronian Rhetoric: Its Doctri-
nal Development and Influences, in Rhetoric Revalued, cit., pp. 87-97, e Petrus Helias on Rhetoric, in «Cahiers
de l’Institut du Moyen Âge grec et latin», XIII 1974, pp. 35 sg.; DICKEY, Some Commentaries, cit., p. 20.
24. F. L. VICTORINI Explanationum in Rhetoricam M. Tullii Ciceronis l. II, I 4 5-5, in Rhetores lati-
ni minores, cit., pp. 171-173, p. 173, 110-112: Ergo officium oratoris est dicere, sed adposite ad persua-
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Questa teoria era stata recepita già nel XII e nel XIII secolo in un pre-
ciso filone della tradizione esegetica medievale (per lo piú inedita) relativa
al De inventione di Cicerone e all’Auctor ad Herennium, che, a parte autori
minori, comincia con Guglielmo di Champeaux, Manegoldo di Lautenba-
ch e alcune opere anonime della scuola di Laon e di Parigi, per continuare
con l’importante commentario al De inventione proveniente dall’Italia set-
tentrionale con incipit Ars rethorice, e con il commentario all’Auctor ad He-
rennium, forse di origine inglese, di un Alano (non di Lilla), e arrivare infi-
ne a Brunetto Latini.25 È stato soprattutto quest’ultimo che con la sua pa-
rafrasi in volgare le ha conferito anche un preciso significato pratico al di
là del ristretto ambiente scolastico. In questa tradizione si ritrovano le ri-
flessioni medievali piú importanti – attente anche alla realtà contempora-
nea – sul significato socio-politico del trivio, che è possibile riassumere si-
notticamente piú o meno cosí: la civilis scientia si occupa in minima parte
dei facta relativi alla conduzione dello stato e della guerra e di altre simili
“arti”, ma per lo piú dei dicta o azioni verbali di ogni tipo;26 dal canto loro
i dicta di cui si occupa il trivio possono essere o sine lite (non conflittuali) o
cum lite (conflittuali): non sono conflittuali le parole degli storici e dei poe-
ti utili allo stato, mentre sono conflittuali tutte le scienze che procedono
in base ad una strategia verbale, e particolarmente la dialettica e la retori-
ca, ma anche la medicina.27 Sotto l’aspetto della teoria letteraria è notevo-
le la rigorosa definizione della retorica, che di per sé, in quanto epidittica,
è soggetta a una situazione di conflitto (la sconfitta dei candidati rivali at-
sionem […]. Nam solum dicere non bene officium definit oratoris; […] nam et poetae et philosophi dicunt
(«Perciò compito dell’oratore è parlare, ma allo scopo di persuadere […]. Infatti il solo parlare non
definisce bene il compito dell’oratore; […] perché anche i poeti e i filosofi parlano»).
25. Su Guglielmo di Champeaux cfr. K. M. FREDBORG, The Commentaries on Cicero’s de inventione
and rhetorica ad Herennium by William of Champeaux, in «Cahiers de l’Institut du Moyen Âge grec et
latin», XVII 1976, pp. 1-39, e Twelfth-Century Ciceronian Rhetoric, cit., pp. 90-92; sull’Ars rethorice
cfr. i compendi del WARD, Artificiosa eloquentia, cit., II, pp. 121-132 (par. 16) e i passi paralleli alla
Rettorica di Brunetto Latini (che da essa per lo piú dipende) offerti da G. C. ALESSIO, Brunetto Lati-
ni e Cicerone (e i dettatori), in «Italia medioevale ed umanistica», XXII 1979, pp. 123-169, in partic.
pp. 132 sgg. Su Alano cfr. la sintesi di WARD, Artificiosa eloquentia, cit., II, pp. 284-309 (par. 28),
e CAPLAN, Of eloquence, cit., pp. 247-270. Per l’intera tradizione e per ulteriori opere cfr. i lavori del-
la DICKEY menzionati sopra, alla n. 7, nonché WARD, Artificiosa eloquentia, cit., I, pp. 41 sgg.; FRED-
BORG, Twelfth-Century Ciceronian Rhetoric, cit., pp. 87 sgg., e Petrus Helias, cit., pp. 31 sgg. Per gli
effetti sulla società cfr. E. ARTIFONI, I podestà professionali e la fondazione retorica della politica comuna-
le, in «Quaderni storici», LXIII 1986, pp. 687-719; ID., Sull’eloquenza politica nel Duecento italiano, in
«Quaderni medievali», XXXV 1993, pp. 57-78.
26. VICTORINUS, ed. HALM cit., pp. 171, 24-29; 175, 5; ALESSIO, Ars rethorice, cit., pp. 148 sg.;
ALANUS, Artificiosa eloquentia, ed. WARD cit., II, pp. 287 sg.
27. VICTORINUS, ed. HALM cit., p. 171, 22-23; ALESSIO, Ars rethorice, cit., p. 149.
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28. WARD, Artificiosa eloquentia, cit., II, pp. 287 sg., a proposito di Alano. Secondo l’Ars rethori-
ce (p. 149) la legislazione è di competenza della scientia civilis cum lite, ma non è artificiosa, poiché, a
detta di Boezio, si fonda solo sull’autorità, cioè sul locus inartificialis ab auctoritate (De diff. top., III,
P.L. LXIV, col. 1199).
29. Ars rethorice, ed. ALESSIO cit., p. 150: ut ostenderet differentiam inter officium oratoris et officium
poetarum quia et si poete ornate loquantur in fabulis suis tamen non per suum ornatum reddunt credibilia ea
que volunt («per mostrare la differenza fra il compito dell’oratore e quello dei poeti, perché anche se
i poeti si esprimono con eleganza nelle loro narrazioni, tuttavia nemmeno con questa eleganza ren-
dono credibile ciò che vogliono»). Sui paralleli a questa teoria offerti dai commentari provenienti
dal nord della Francia (primi fra tutti quelli di Manegoldo e Teodorico) cfr. DICKEY, Commentaries,
cit., pp. 20, 25, 35 sgg.
30. Ibid., p. 156: cum persuasio […] fit de rebus que nondum ad animam pervenerunt cum controversia,
constat exhortationem et dehortationem non esse materiam artis quia exhortatio[nem] fit de rebus que iam ad
animam pervenerunt, veluti si quis haberet voluntatem legendi dialecticam et negligens esset, posset removeri ab
illa neglegentia per hortationem. Dehortatio similiter […] veluti si quis haberet voluntatem concumbendi cum
aliqua meretrice, posset removeri ab illo stupro per dehortationem […] et illa dehortatio fit de rebus illis que
ad animam pervenerant et ideo non erant materia artis. Consolatio […] quia fit sine controversia, ideo non est
materia eius, quia ipse quas vult non inducit rationes contra illum qui eum consolatur («poiché la persua-
sione riguarda cose controverse che non sono ancora arrivate alla coscienza, ne risulta che l’esorta-
zione e la dissuasione non sono oggetto dell’arte [retorica] perché l’esortazione riguarda cose già per-
venute alla coscienza: ad esempio, se uno avesse volontà di leggere la dialettica e fosse negligente,
da quella negligenza potrebbe essere scosso mediante un’esortazione. Analogamente la dissuasione
[…]: ad esempio, se uno avesse la volontà di giacere con una meretrice, potrebbe essere allontana-
to da quella turpitudine mediante dissuasione […] e questa dissuasione riguarda cose che erano
giunte alla coscienza e perciò non erano oggetto dell’arte [retorica]. La consolazione, che si esercita
senza controversia, non ne è oggetto perché chi è consolato non adduce argomenti contro chi lo con-
sola»); cfr. VICTORINUS, ed. HALM cit., p. 177, 16-19.
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31. Ars rethorice, p. 154: Deliberativa causa est illa in qua multe sententie dicuntur ut tandem pocior
eligatur cum disceptatione, id est controversia et cum consultatione civili, id est cum frequenti interrogatione fac-
ta a civibus («la causa deliberativa è quella in cui si esprimono molte opinioni, per scegliere la mi-
gliore attraverso un dibattito, cioè una controversia, e con consultazione civile, cioè con domande
frequenti dei concittadini»).
32. Cfr. A. P. CAMPBELL, The Perfection of Ars dictaminis in Guido Faba, in «Revue de l’Université
d’Ottawa», XXXIX 1969, pp. 315-321; F.-J. SCHMALE, Das Bürgertum in der Literatur des 12. Jhs., in
Probleme des 12. Jhs., Sigmaringen, Thorbeke, 1968, pp. 412 sgg.; J. PURKART, Boncompagno of Si-
gna and the Rhetoric of Love, in Medieval Eloquence, cit., pp. 319-332; BENSON, Protohumanism, cit.,
pp. 31-50, a proposito di Boncompagno e di Guido Faba; SGRILLI, Retorica e società, cit., pp. 390 sg.,
su Brunetto Latini.
33. Ars rethorice, p. 157, discute l’opinione, in contrasto con tutta la retorica antica, che l’epi-
dittica non appartenga alla retorica ma alla poesia: ideo dicebant demonstrationem non esse materiam huius
artis quia videbant demonstrationem pertinere ad poetas quia poetarum est commendare aliqua vel vituperare
(«dicevano che la dimostrazione non è oggetto di quest’arte perché vedevano che riguarda i poeti,
poiché è proprio dei poeti elogiare o biasimare qualcosa»).
34. VICTORINUS, ed. HALM cit., p. 172. Cfr. DICKEY, Some Commentaries, cit., pp. 35-41, e Com-
mentaries, cit., pp. 135 sgg., in merito alla doppia strategia realizzata con gli argumenta e i modi com-
movendi; FREDBORG, Twelfth-Century Ciceronian Rhetoric, cit., pp. 90-92.
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canonisti, non ostentare grandi parole nel perorare una causa in un proces-
so o in una disputa, ma fornire le citazioni giuste.35 Con l’altro e piú anti-
co concetto retorico, quello che includeva anche la giurisprudenza, si spie-
gano, nel XII secolo, manifestazioni cosí particolari come il titolo di Rheto-
rica ecclesiastica per un Ordo iudiciarius di diritto processuale canonico, che
soltanto marginalmente ha a che fare con l’ambito retorico,36 o come i die-
ci discorsi-tipo della Francia del nord, chiamati «plaidoiries» dall’editore, i
quali, a parte piccoli ingredienti retorici quali i topoi dell’esordio (elogio del
giudice, scuse per talune imperfezioni, ecc.), contengono pressoché soltanto
le citazioni dei canoni per impiantare dimostrazione e confutazione.37
In base alle implicazioni giuridiche, nella nostra letteratura teorica era
sentito cosí concretamente il postulato ciceroniano fondamentale dell’u-
nità di sapere ed eloquenza, che quanto nell’arte oratoria aveva a che fare
con la sapientia veniva riferito alla conoscenza del diritto, mentre quanto
aveva a che fare con l’eloquentia veniva riferito alla retorica in senso piú
stretto. Il maestro Alano38 spiegò l’epiteto ‘buono’ nella definizione cice-
roniana dell’oratore – vir bonus dicendi peritus – intendendo non un buon
cristiano, ma un conoscitore della prassi del diritto e dell’amministrazio-
ne. Rientrava in questo, però, anche la conoscenza della metodologia reto-
rica dell’inventio, che ora non serviva piú alla preparazione di un discorso,
ma alla delimitazione giuridico-filologica dei casi controversi, alla distin-
zione di aspetti sostanziali e accidentali nei testi o nelle azioni presi in esa-
me. Abelardo, per esempio, nel Sic et Non ha ulteriormente sviluppato un
procedimento derivato dalla canonistica, mentre ha trasferito una tecnica
argomentativa fondamentalmente retorica all’ermeneutica testuale e ha
classificato auctoritates contrapposte come nei casi giudiziari particolari, se-
condo “peristasi” e “status”.39
35. Vd. sopra, n. 28; VON MOOS, Geschichte als Topik, cit., pp. 254-257, 271-276; A. GIULIANI,
L’elemento ‘giuridico’ nella logica medioevale, in «Jus», XV 1964, pp. 163-190; G. OTTE, Dialektik und
Jurisprudenz. Untersuchungen zur Methode der Glossatoren, Frankfurt am Main, Klostermann, 1971,
pp. 227-230.
36. Edita da L. WAHRMUND, Innsbruck 1905 (rist. Aachen 1962); cfr. E. OTT, Die rhetorica ec-
clesiastica, in «Sitzungsberichte der Akad. der Wissenschaften in Wien», phil.-hist. Cl., VII 1892;
P. VON MOOS, Das argumentative Exemplum und die “wächserne Nase” der Autorität im Mittelalter, in
Exemplum et Similitudo, a cura di W. J. AERTS e M. GOSMAN, Groningen, Forste, 1988, pp. 55-84.
37. H. SILVESTRE, Dix plaidoiries inédites du XIIe s., in «Traditio», X 1954, pp. 373-397.
38. WARD, Artificiosa eloquentia, cit., II, pp. 288 e 293; si veda anche l’inglobamento di leges et
decreta nella retorica operato da RADULPHUS DE LONGO CAMPO, In Anticlaudianum Alani commentum,
a cura di J. SULOWSKI, Wroclaw-Warszawa 1972, pp. 135-171.
39. Cfr. GIULIANI, L’elemento ‘giuridico’, cit., pp. 163 sg., 170 sg.; VON MOOS, Geschichte als To-
pik, cit., pp. 266-271; W. HARTMANN, Manegold von Lautenbach und die Anfänge der Frühscholastik,
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in «Deutsches Archiv», XXVI 1970, pp. 45-149; M. T. BEONIO-BROCCHIERI FUMAGALLI, Note per
un’indagine sul concetto di retorica in Abelardo, in Arts libéraux et philosophie au Moyen Âge, Montréal-
Paris, Vrin, 1969, pp. 829-832; cfr. infra, pp. 311-313.
40. BRUNI, Boncompagno da Signa, cit., pp. 108 sg.; CH. T. DAVIS, Brunetto Latini and Dante, in
«Studi medievali», VIII 1967, pp. 426-428; WARD, The Commentator’s Rhetoric, cit., pp. 45 sg.
41. WIBALDO DI CORVEY, P.L. CLXXXIX, coll. 1254B-1255C; cfr. K. M. FREDBORG, The Scholastic
Teaching of Rhetoric in the Middle Age, in «Cahiers de l’Institut du Moyen Âge grec et latin», X 1987,
pp. 89 sgg.
42. R. D. DI LORENZO, Rational Research in the Rhetoric of Augustine’s ‘Confessio’, in From Cloister
to Classroom, Monastic and Scholastic Approaches to Truth, Kalamazoo 1986, pp. 1-26; W. S. HOWELL,
The Rhetoric of Alcuin and Charlemagne, New York, Russel & Russel, 1965, pp. 67 sg.; GALLETTI, L’e-
loquenza, cit., I, pp. 85 sg., e VON MOOS, L’Ars arengandi italienne, infra, pp. 393 sg., a proposito del
concionator san Francesco; DAVIS, Brunetto Latini, cit., pp. 426-430, sulla figura di Cicerone.
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43. FREDBORG, Petrus Helias, cit., pp. 31-41, e Buridan’s Quaestiones, cit., pp. 149-160; J. J.
MURPHY, Aristotle’s Rhetoric in the Middle Ages, in «Quarterly Journal of Speech», LII 1966, pp. 109-
115; GARIN, La dialettica, cit., pp. 232-240; J. B. KOROLEC, Jean Buridan et Jean de Jandun et la re-
lation entre la rhétorique et la dialectique, Berlin, de Gruyter, 1981, pp. 622-627; G. BRUNI, ‘De dif-
ferentia rhetoricae, ethicae et politicae’ of Aegidius Romanus, in «New Scholasticism», VI 1932, pp. 1-18;
O. LEWRY, Grammar, Logic and Rhetoric 1220-1320, in History of the University of Oxford, I, a cura di
J. I. CATTO - R. EVANS (The Early Oxford Schools), Oxford, Clarendon Press, 1984, pp. 401-433; J.
R. O’DONNEL, Commentary of Giles of Rome on the Rhetoric of Aristotle, in Essays in Medieval History pre-
sented to B. Wilkinson, Toronto 1969, pp. 139-156.
44. Cfr. MCKEON, Rhetoric, cit., pp. 16-17; WARD, Artificiosa eloquentia, cit., I, pp. 273-310 (ol-
tre a Teodorico ricordiamo tra tutti Bernardo Silvestre, Adelardo di Bath e Daniele di Morley); VON
MOOS, Geschichte als Topik, cit., pp. 246-249 (su Giovanni di Salisbury).
45. Cfr. CAMARGO, Ars dictaminis, cit., pp. 39 sgg.; J. R. BANKER, The Ars dictaminis and Rheto-
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La prima ars dictaminis del tardo XI e del XII secolo ha però ancora ben
poco a che fare con tutto questo. All’inizio non si tratta di una vera retori-
ca, ma di una stilistica che include piú o meno un elemento retorico, in
primo luogo per la produzione epistolare nella cancelleria papale e nei co-
muni italiani. Essa è innanzitutto al servizio della ritualizzazione delle for-
me scrittorie e dell’autorappresentazione, conforme alle circostanze, di per-
sone e di gruppi che, attraverso forme linguistiche degnamente ornate, vo-
levano sottolineare il loro potere, la loro maestà o la sovranità che detene-
vano o rivendicavano. Cosí, a cavallo tra XII e XIII secolo, si può osserva-
re per la prima volta nei comuni italiani una nuova autentica retorizzazio-
ne dell’ars dictaminis tradizionale, che è dovuta, in particolare, all’allarga-
mento ad ogni sorta di comunicazione orale della dottrina epistolare fino ad
allora utilizzata. La crescente necessità di sicurezza linguistica da parte di
cittadini insufficientemente istruiti, e specialmente dei piú ragguardevoli,
“consoli” o podestà, in questioni pubbliche o private – nei dibattiti del con-
siglio (consilia), nei discorsi di ambasceria (ambaxiatae), o nelle allocuzioni
davanti alle assemblee del popolo (contiones) – resuscitava nuovamente dal-
l’antichità i principi dell’eloquenza forense.46 Indipendentemente da que-
sto primo vero germoglio dell’ars dictaminis, la cosiddetta ars arengandi o
concionatoria, Boncompagno, allontanandosi intenzionalmente da una tale
arte, che per lui era troppo plebea, fondò la sua Rhetorica novissima per giu-
risti esordienti, che porta a ragione questo titolo allusivo, poiché dimostra
l’esigenza di far uscire dalla scuola la vecchia e la nuova Tulliana Rhetorica
(il De inventione e l’Ad Herennium) e di porre accanto a loro una pratica ora-
le di dictamina adeguata alle necessità dell’epoca.47 Questo rappresentò un
punto di riferimento per i piú tardi dictatores, sebbene difficilmente poté ri-
vestire una reale importanza per la prassi giudiziaria. D’ora in avanti il ca-
none ciceroniano non sarà mai piú commentato in forma meramente acca-
rical Textbooks at the Bolognese University in the 14th Century, in «Mediaevalia et Humanistica», n.s.,
V 1974, pp. 153-168; VON MOOS, L’Ars arengandi italienne, infra, pp. 394 sg.
46. Cfr. GALLETTI, L’eloquenza, cit., II, pp. 440-485; A. GAUDENZI, Sulla cronologia delle opere dei
dettatori bolognesi da Buoncompagno a Bene di Lucca, in «Bollettino dell’istituto storico italiano», XIV
1895, pp. 90-118; ARTIFONI, I podestà professionali, cit.; KRISTELLER, Rhetoric, cit., pp. 8-19; G. VEC-
CHI, Le arenghe di Guido Faba e l’eloquenza d’arte civile e politica duecentesca, in «Quadrivium», IV 1960,
pp. 61-90; E. VINCENTI, Matteo dei Libri e l’oratoria pubblica e privata nel ’200, in «Archivio Glotto-
logico Italiano», LIV 1969, pp. 227-237, e Matteo dei Libri, ‘Arringhe’, Milano-Napoli, Ricciardi,
1975; VON MOOS, L’Ars arengandi italienne, cit.; CAMARGO, Ars dictaminis, cit., pp. 39 sg.
47. Edizione di A. GAUDENZI, Bibliotheca iuridica Medii Aevi, II, Bologna 1892, pp. 251-298; si
vedano i lavori di Tunberg, Benson, Bruni e Witt menzionati sopra, alla n. 15.
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48. Cfr. WITT, Boncompagno, cit.; V. LICITRA, La Summa de arte dictandi di Maestro Goffredo, in «Stu-
di medievali», VIII 1966, pp. 865-913; TUNBERG, What is Boncompagno’s ‘Newest Rhetoric’, cit.,
pp. 311 sg.; M. CAMARGO, The Libellus de arte dictandi rhetorice attributed to Peter of Blois, in «Specu-
lum», LIX 1984, pp. 16-41; E. J. POLAK, A Textual Study of Jacques de Dinant’s ‘Summa dictaminis’,
Genève, Droz, 1975, pp. 26-31; F. J. WORSTBROCK, Die Frühzeit der Ars dictandi in Frankreich, in Prag-
matische Schriftlichkeit im Mittelalter, a cura di H. KELLER e altri, München, Fink, 1992, pp. 131-156.
49. A. WEISHEIPL, Classifications of the Sciences in Medieval Thought, in «Medieval Studies», XXVII
1965, pp. 54-90; R. KÖHN, Schulbildung und Trivium im lateinischen Hochmittelalter und ihr möglicher
praktischer Nutzen, in Schulen und Studium im sozialen Wandel des hohen und späten Mittelalters, a cura
di J. FRIED, Sigmaringen, Thorbecke, 1986, pp. 203-284; VON MOOS, Geschichte als Topik, cit.,
pp. 246-264.
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50. Cfr. W. J. ONG, S.J., Ramus, Method, and the Decay of Dialogue, Cambridge (Mass.)-London,
Harvard Univ. Press, 1983, pp. 53 sgg., 136 sgg.
51. MURPHY, Aristotle’s Rhetoric, cit., pp. 109-115; MCKEON, Rhetoric, cit., pp. 16-20; WARD, Ar-
tificiosa eloquentia, cit., I, pp. 273-310; W. BOGGESS, Hermannus Alemannus’ Rhetorical Translations, in
«Viator», II 1971, pp. 227-250, 249 sg. Gundissalino collega ancora, e certamente non senza con-
traddizioni, lo schema aristotelico con quello ciceroniano. Stranamente egli nomina anche la parte
poetica della civilis scientia; cfr. De divisione philosophiae (ed. L. BAUR, Münster 1903), p. 54: ipsa est
pars civilis sciencie que est pars eloquencie. Tuttavia ibid., p. 71, retorica e poesia vengono presentate, «se-
condo Alfarabi», come partes logicae. Il riassunto offerto a pp. 81 sg. mostra di nuovo la gerarchia sco-
lastica che assumerà particolare rilevanza in futuro, secondo la quale il livello piú basso è occupato
dalla eloquentia (grammatica, poesia, retorica), quello di mezzo dalla logica e quello piú alto dalla sa-
pientia/veritatis cognitio, consistente nella sapientia humana e divina (scienza della natura e teologia).
52. Cfr. FREDBORG, Buridan’s Quaestiones, cit., pp. 50-54.
53. MURPHY, Aristotle’s Rhetoric, cit., pp. 109-115; BRUNI, De differentia rhetoricae, cit., pp. 5-12;
O’DONNEL, Commentary of Giles of Rome, cit., pp. 139-148; BOGGESS, Hermannus Alemannus, cit.,
pp. 227-250.
54. Cfr. J. ISAAC, Le notion de dialectique chez Saint Thomas, in «Revue des Sciences philosophi-
ques et théologiques», XXXIV 1950, pp. 481-495.
55. Cfr. O’DONNELL, Commentary, cit., pp. 139-148.
56. Cfr. KOROLEC, Jean Buridan, cit., pp. 622-627.
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cre stanze della logica. Nel primato del valore della conoscenza essa con-
servò, in fin dei conti, ancora e soltanto una funzione di ripiego, per quel-
l’insignificante residuo di problemi che nessuna scienza può risolvere, per
giudizi sul singolare, sul particolare, sul mutevole, sul relativo. La dottrina
delle passioni di Aristotele, laddove fu conosciuta, diede alimento ulterio-
re alla svalutazione teorico-conoscitiva della retorica. Essa fu applicata prin-
cipalmente ai vantaggi secondari di quest’arte, dovuti all’influenza che ha
sul popolo ignorante e prigioniero dei sensi.57
Proprio ciò che nella filosofia scolastica condusse alla svalutazione della
retorica, la sua “non scientificità”, il suo carattere immaginoso, il suo po-
tenziale di sollecitazione sensuale, la condusse altrove – e non soltanto
presso gli insegnanti professionali di retorica, ma anche all’interno della
disciplina piú alta e piú difficile dell’intero canone delle scienze, cioè nel-
la teologia medievale, e piú tardi nella difesa della poesia che ad essa fece
seguito nel XIV secolo con il nome di “altra teologia” – ad un’inattesa ri-
valutazione, che in un certo qual modo e su basi del tutto nuove, le resti-
tuí l’antica posizione di preminenza, e che, come ha già osservato E. R.
Curtius,58 rese possibile lo sviluppo fondamentale per la teoria letteraria
dell’era moderna, quello dal poeta theologus al theologus poeta.
Al centro della riflessione teologica sull’utilità della retorica per la vita
sta quella sezione della dottrina dei tropi che attiene non all’inventio, ma
all’elocutio, e che, racchiusa sotto il termine generico di transsumptio o di
translatio, ha portato a un confronto innovativo tra discorso metaforico e
discorso non-metaforico. Se ne darà qui un breve esempio illustrativo sul-
la base di alcune osservazioni di Abelardo e di Boccaccio, curiosamente si-
mili. Le affermazioni sparse nelle diverse opere di Pietro Abelardo sulla
poeticità – che è quanto dire sulla retoricità – della Bibbia si possono rie-
pilogare nelle tre tesi seguenti:59
1) la lingua della Bibbia e dei dottori della Chiesa segue il principio re-
torico dell’aptum: si adatta a scopo pedagogico alla situazione concreta e
alla ricettività dei destinatari ed evita perciò la nitidezza e l’evidenza del
discorso denotativo;
2) essa preferisce l’ambiguità connotativa, l’uso delle metafore e l’in-
ventività, poiché in genere il messaggio può essere approssimativamente
espresso soltanto sotto un tale velo;
3) tale oscurità, però, offre lo stimolo intellettuale ed estetico al lavoro sul
tema piú alto e sostanzialmente irraggiungibile, a una decodificazione sem-
pre nuova di una “letteratura aperta”, che fino alla parusia non avrà pace.
a) Il ‘Sic et Non’
Tutte e tre le tesi compaiono insieme subito all’inizio del prologo del Sic
et Non. Di per sé la lingua dello Spirito Santo, sia pure articolata dall’au-
tore sacro, sarebbe superiore all’intelligenza del lettore, che magari non è
neppure illuminato dallo Spirito. Questa lingua è caratterizzata da «tra-
boccante ricchezza delle parole» (ridondanza ottenuta con l’omonimia e la
sinonimia), dall’imprecisione della lingua corrente (usus) e dalla sua plasti-
cità (evidentia) quale supporto alla comprensione per gli “incolti”, e dalla
difficoltà ermetica quale incitamento per i dotti, al fine di sondare per
quanto possibile gli occulta mysteria, ma anche di «rimettere allo Spirito»
ciò che è inconoscibile, quali domande aperte «che Egli faceva scrivere»,
affinché sia poi Lui, all’epoca prestabilita, a dare loro risposta attraverso al-
tri esegeti.60 I tre aspetti della polivalenza semantica, del carattere imma-
ginoso e dell’ambiguità si potrebbero definire come le “qualità letterarie”
della Bibbia e degli altri testi ispirati; tuttavia, il contesto li rappresenta
anzitutto come degli ostacoli alla comprensione e dei limiti per la comu-
nicazione, cioè come se avessero bisogno, se non di essere scusati, almeno
di essere difesi in relazione ad una posizione contraria.
Questa posizione contraria è l’ideale della proprietas nel senso della cor-
rispondenza non problematica tra res e verba. Le autorità citate in proposi-
61. SN, 12-43, con PRISCIANO, Inst., VII 28; CICERONE, De inven., I 41 76 (cfr. T Sum, II
pp. 77 sg.).
62. AGOSTINO, De doctr. chr., IV 9-10 (CICERONE, Or., 23 78).
63. SN, 15-18: oportet in eadem quoque re verba ipsa variare nec omnia vulgaribus et communibus denu-
dare verbis; quae, ut ait beatus Augustinus, ob hoc teguntur ne vilescant, et eo amplius sunt gratiora quo sunt
maiore studio investigata et difficilius conquisita (in base ad AGOSTINO, In psalm., 103, C.C., XL,
p. 1490, 22-24; De doctr. chr., II 6 7-8).
64. Cfr. J. JOLIVET, Arts du langage et théorie du langage chez Abélard, Paris, Champion, 1969,
pp. 85-94, 350-355; A. BORST, Der Turmbau von Babel, 11/2, Stuttgart, Hiersemann, 1959,
pp. 631-636.
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maginosa, “difficile”. Abelardo, che ha sempre dato rilievo alla sua evolu-
zione da filosofo a teologo (cioè da logico della lingua ad interprete della
Bibbia) come a una svolta, anzi come a una sorta di conversio, ha trovato le
basi storico-salvifiche delle sue riflessioni meno nella Genesi che negli Atti
degli Apostoli: il miracolo della Pentecoste rappresenta per lui, fondatore del
monastero del Paraclito ed autore di parecchi inni allo Spirito Santo, la de-
finitiva irruzione di Dio nella storia linguistica umana, il ribaltamento di
tutti i valori nella teoria della lingua.65 Con la Pentecoste – egli dice – i
Cristiani, scavalcando cosí tutta la logica scolastica, sono diventati gli uni-
ci veri logici, nel senso greco originario del termine: i veri «maestri della
sapienza e dell’eloquenza», poiché è stata conferita loro l’abundantia sermo-
nis, cioè non soltanto l’abbondanza linguistica, ma anche la bella varietà di
tutti gli stili e di tutte le forme del discorso, che nel contempo supera e
conduce a perfezione sacra l’arte ciceroniana della variatio retorica.66 Que-
sto evento salvifico della lingua rivela anche il senso riposto nella partico-
lare forma di rappresentazione che è alla base di tutta la Bibbia: «Dio si
rallegra talmente delle sue creature che preferisce essere raffigurato negli
oggetti naturali, da lui stesso creati, piuttosto che essere descritto con le
nostre parole. Egli gioisce piú della somiglianza (similitudo) con le cose che
della proprietà (proprietas) delle nostre parole. Cosí anche la Scrittura per
abbellire il discorso preferisce usare come termini di paragone gli oggetti
della natura, piuttosto che basarsi sulla nitidezza di un linguaggio appro-
priato (proprie locutionis integritas)».67 La Bibbia parla dunque in maniera
immaginosa e bella, cioè in forma retoricamente perfetta, partendo dalla
natura creata da Dio, e in modo non univoco nella lingua di comunicazio-
ne razionale allestita dagli uomini.
65. Cfr. E. R. SMITS, Peter Abelard, Lettres IX-XIV, diss. Groningen 1983, pp. 172-188.
66. Cfr. CH. BURNETT, Peter Abaelard Soliloquium, in «Studi medievali», XXV 1984, pp. 889 sg.,
e l’epistola XIII edita dallo SMITS (vd. n. 65), pp. 275 sg. Abelardo ammette che il senso da lui at-
tribuito alle parole – l’utilizzazione del termine logici per designare i cristiani illuminati dallo Spi-
rito Santo – non è quello abituale. Già a quell’epoca era metaforico.
67. T Sch, II 32, p. 423.
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Questo risulta chiaro dal prologo del commento all’Epistola ai Romani (ed.
Buytaert, pp. 41-44): Abelardo spiega qui innanzitutto il piano generale
della Bibbia secondo lo schema retorico-poetico dei tre scopi di docere, de-
lectare, movere (laddove il delectare poetico, che egli ricorda nel passo poco so-
pra citato a proposito della gioia di Dio, è ora tralasciato, o piuttosto, in
conformità all’orizzonte prevalentemente retorico, risulta senza dubbio su-
bordinato al movere). In modo lapidario sin dalla prima frase dichiara: Om-
nis scriptura divina, more orationis rhetoricae, aut docere intendit aut movere.68 In-
segnare significa indicare quel che si deve fare e quello che si deve evitare.
Commuovere vuol dire da un lato persuadere esortando (persuadere), dal-
l’altro dissuadere ammonendo (dissuadere). Perciò l’Antico e il Nuovo Te-
stamento sono distinti in tre parti: l’Antico Testamento anzitutto «inse-
gna» con la legge del Pentateuco, in secondo luogo «esorta» con i Profeti,
che commuovono l’animo portandolo all’obbedienza, ed infine «ammoni-
sce» insistentemente contro il Maligno, oltre che con alcuni profeti, so-
prattutto con i libri storici, fornendo chiari esempi di comportamenti vi-
ziosi. Il Nuovo Testamento insegna con il Vangelo e commuove attraverso
le esortazioni delle lettere degli Apostoli e dell’Apocalisse, e attraverso i rac-
conti storici degli Atti degli Apostoli (che qui, per amor di simmetria, van-
no considerati di carattere prevalentemente dissuasivo, anche se questo non
è detto esplicitamente).
Questa introduzione generale (pp. 41 sg.) mira a una interpretazione re-
torica assai originale dell’Epistola ai Romani, che viene esposta subito dopo
nella seconda parte, il prologus specialis (pp. 42 sgg.): le lettere di Paolo non
dovrebbero essere lette come doctrina, ma come admonitio, poiché altrimen-
ti il disconoscimento nella diversa intenzione dell’autore sacro porterebbe a
una accettazione testuale delle parole ermeneuticamente ingenua e antisto-
rica. Ciò che è detto ad hoc, in una situazione determinata e per interlocu-
tori determinati – è questo in altre parole il nucleo spinoso dell’argomen-
tazione sulla dottrina della grazia – non deve essere preso come se fosse una
prescrizione assoluta, valida indefettibilmente in tutte le epoche per il
«pubblico universale» (Ch. Perelman). Paolo si è espresso cioè more scriben-
tium epistolas (p. 47) e ha applicato i due procedimenti retorici dell’amplifi-
catio (da intendersi qui come auxesis) e dell’extenuatio (attenuatio), cosí da
«esagerare» per i Romani troppo orgogliosi l’effetto della grazia e da «smi-
68. Comm. Rom., p. 41: «Tutta la Sacra Scrittura vuole insegnare o commuovere alla maniera di
un discorso retorico».
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nuire» il valore delle opere, in modo da esortarli a essere piú modesti e a vi-
vere piú pacificamente gli uni con gli altri. Amplificazione e diminuzione
formano dunque lo specifico modus tractandi dell’Epistola ai Romani (p. 43).
Esso è provato con argomentazioni di carattere estetico: Abelardo fonda
le sue idee sulla legittimazione civile dell’arte oratoria operata da Cicero-
ne (De inventione, II 56), in base alla quale l’oratoria, a differenza della si-
curezza economica, non rientra tra gli elementi irrinunciabili, «necessari»
dello stato, ma è da annoverare tra quelli egregia, per esempio i begli edifi-
ci o le dominationes politiche, cioè tra quei beni che contribuiscono al cre-
dito e alla considerazione dello stato. La differenza tra condizioni suffi-
cienti e necessarie, in riferimento alla Scrittura, significa: senza dubbio
l’insegnamento del Vangelo basterebbe per la salvezza, ma non «per lo
splendore della Chiesa e per l’estensione della sua stessa salvezza» (ad eccle-
siae decorem vel ipsius salutis amplificationem). Perciò gli Apostoli e piú tardi
i Padri avrebbero aggiunto (superaddi) ancora molti instituta, quali sono le
lettere pastorali, i canoni, i decreti, le regole monastiche e altri scritti, che
sarebbero tutti «pieni di esortazioni», perché la Chiesa «sia resa piú bella,
piú grande e piú solida» (pp. 42 sg.). Nei concetti di «splendore» e di
«estensione» non si deve vedere affatto, per restare nell’immagine, un ad-
dobbo sovrapposto o un abbellimento supplementare. È proprio alla do-
manda continuamente risollevata nei precedenti commentari paolini a par-
tire da Pelagio – perché mai ci fosse ancora bisogno delle lettere degli Apo-
stoli, dal momento che tutto l’essenziale era già stato detto nei Vangeli69
–, è proprio a questa domanda che Abelardo vorrebbe fornire una risposta
basata su una comprensione della retorica assolutamente positiva; e questa
risposta non si può ridurre alla differenza tra involucro e sostanza, nello
spirito del moderno disprezzo per la retorica. Amplificatio si riferisce meno
alla dimensione che all’intensità. Poiché secondo il contesto tutte le parti
della Bibbia, anche gli insegnamenti mosaici ed evangelici, sono redatti
more orationis rhetoricae, le sezioni esortative si presentano non come appen-
dici, ma come incrementi psicagogici in quella stessa intenzione linguisti-
ca che, per esprimersi con la terminologia propria alla teoria degli atti del
discorso (speech acts), dapprima trasmette il messaggio in forma constativa,
poi lo sostiene in forma illocutoria.
Questa interpretazione delle lettere di Paolo come capolavori dell’arte
oratoria è senza dubbio un’eccellente testimonianza dell’importanza prati-
69. Cfr. R. PEPPERMÜLLER, Abaelards Auslegung der Römerbriefes, Münster 1972, pp. 16-22.
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ca – nel senso piú elevato del termine, quello cristiano – assunta dalla re-
torica nel Medioevo tanto per l’ermeneutica biblica quanto per l’omileti-
ca. Essa ha anche dato origine a una propria tradizione che prosegue nel
XIII secolo e che è rilevante per la gerarchia delle discipline del trivio.
Nell’Ysagoge della scuola di Abelardo70 si trova un passo importante, che
piú tardi ritorna anche nei manuali di retorica, a proposito del primato del-
la retorica dal punto di vista teologico. L’intero trivio è posto a servizio del-
l’eloquentia. Ciò che la grammatica insegna a capire, cioè l’intellectus delle
parole, la dialettica lo conduce ad una dimostrazione attendibile, che pro-
duce fides (cioè ‘plausibilità’, non ‘fede’); ma alla fine è la retorica che por-
ta a compimento questi due stadi, poiché aiuta a tradurre in azione quello
che è stato capito e ritenuto attendibile; perché essa sola facit velle, essa sola
è in grado di convertire lo spirito in pratica nel senso richiesto dalla fede
attiva e dal primato filosofico dell’etica.
La triade intellectus, fides, velle diviene poi uno schema largamente diffu-
so, recepito anche al di fuori dello sfondo teologico.71 Lo ritroviamo in un
contesto puramente laico presso i dictatores italiani del XIII secolo. Quasi
con le stesse parole dell’Ysagoge, per esempio, Bono di Lucca nel suo Cedrus
Libani scrive a proposito del Trivio, non piú chiamato complessivamente
eloquentia, bensí dictamen:72 «la grammatica illumina lo spirito, la dialetti-
ca conferisce attendibilità, ma è la retorica a determinare la volontà. Di
tutte e tre ha assai bisogno il dictator, il quale riesce a far sí che gli ascol-
tatori capiscano quello che dice, credano a quello che capiscono, e accetti-
no quello che credono». Brunetto Latini, infine, seguendo Vittorino, rias-
sume il trivio nella scientia civilis, perché la grammatica insegna a «dire e
dittare» bene, la dialettica insegna gli argomenti «che danno fede» e la re-
70. Ysagoge in Theologiam, a cura di A. LANDRAF, in ID., Écrits théologiques de l’école d’Abélard, Lou-
vain 1934, pp. 71 sg.; cfr. MCKEON, Rhetoric, cit., p. 22.
71. Il passo dell’Ysagoge è stato ripreso da Bernardo Silvestre nel suo commento all’opera di Mar-
ziano Capella. Esso svolge qui la difesa della preminenza pratica della retorica rispetto alle altre ma-
terie del trivio che producono l’eloquentia, in base alla sua rilevanza «politica»; cfr. Commentum in
Marcianum (a cura di H. J. WESTRA, Toronto-Leiden, Brill, 1986), II 131-134, p. 47; III 942-970,
pp. 79 sg.: Huius [eloquentie] autem tres sunt species: grammatica, dialectica, rhetorica, totidem efficacie sci-
licet intellectus, fides, persuasio […]. Grammatica namque manifestat intellectum, dialectica confert fidem,
rhetorica promovet persuasionem […]. Ecce habes quia eloquentia pellit silencium et facundiam format dum,
quod in principio facit intelligere, provectu facit credere, perfeccione velle. Questo passo si ritrova pressoché
identico anche nel commentario all’Eneide, Commentum supra sex libros Eneidos Vergilii, a cura di J. W.
e E. F. JONES, London-Lincoln, University of Nebraska Press, 1977, p. 31, 2-11.
72. A cura di G. VECCHI, Modena, STEM, 1963, pp. 8 sg.: grammatica illuminat intellectum, dia-
lectica fidem prestat et rhetorica facit velle; que tria multum expediunt dictatori, quod suum est facere, ut ea
que dicit intelligant auditores, intellecta credant, et creditis acquiescant.
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c) La ‘Theologia’
Questa interpretazione omiletica della retorica mostra tuttavia soltanto
l’aspetto dell’intenzionalità pedagogico-pastorale, che è l’unico ad essere
determinante anche per la predica popolare, e dal quale già Abelardo ave-
va preso le mosse nel suo commentario alla Epistola ai Romani allo scopo di
difendere il carattere retorico della Bibbia. Sulle altre funzioni e sul mez-
73. La rettorica, 17, 19-20, ed. MAGGINI cit., pp. 34 sg.; cfr. SGRILLI, Retorica e società, cit.,
pp. 382 sg.
74. WARD, Artificiosa eloquentia, cit., II, p. 299, par. 43.
75. De eruditione Praedicatorum, a cura di M. DE LA BIGNE, Lyon 1677, p. 442; cfr. D. ROTH, Die
mittelalterliche Predigttheorie und das Manuale Curatorum des Johann Ulrich Surgant, Basel, Helbing,
1956, pp. 57-63; TH.-M. CHARLAND, Artes praedicandi, Paris-Ottawa, Vrin, 1936, p. 47.
76. Cfr. CAMARGO, Rhetoric, cit., pp. 111-124.
77. J. R. O’DONNELL, Rhetorica divina of William of Auvergne, in Images of Man in Ancient and Me-
dieval Thought in Honor of Verbeke, Leuven 1976, pp. 323-333.
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79. Ibid., II 32-33, pp. 423 sg.; II 93, p. 453; T Sum, II 75-80 (invectio in dialecticos), pp. 140 sg.;
T chr, III 135, p. 246.
80. T Sum, II 77-78, pp. 140 sg.; T Sch, II 90-91, p. 452; piú brevemente in T chr, 133-134,
pp. 245 sgg.
81. Cfr. sopra, p. 237 e n. 19.
82. T Sum, II 77, p. 140 (= T chr, III 133). Sulla funzione autodistruttiva per la teologia del con-
cetto aristotelico di scienza, cfr. il lavoro fondamentale di T. GREGORY, Forme di coscienza e ideali di
sapere nella cultura medievale, in «Archives internationales d’histoire des sciences», XXXVIII 1988,
121, pp. 187-242.
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83. Per le sfumature ugualmente sottese a questa definizione generale, cfr. E. JEAUNEAU, Lectio
philosophorum, Amsterdam, Hakkert, 1973, pp. 125 sgg. e 379, s.v. Abelardus; P. DRONKE, Fabula,
Leiden-Köln, Brill, 1974, pp. 32-67.
84. T Sch, I 160 sg., p. 384 (= T chr, I 100 sg., p. 113): quasi ergo in latebris dominus quiescere gau-
det, ut, quo magis se occultat, gratior fit illis quibus se manifestat, et quo magis ex difficultate scripture labo-
ratur, meritum lectoris augeatur […]. Quae quidem tanto cariora sunt intellecta quanto in his intelligendis
maior operae facta est impensa («perciò il Signore quasi si compiace di nascondersi, perché, quanto piú
si cela, tanto piú gradito diviene a coloro cui si manifesta, e quanto piú si fatica per la difficoltà del-
la Scrittura, tanto piú aumenta il merito del lettore. Perché quello che si capisce è tanto piú caro
quanto maggiore è lo sforzo fatto nel capirlo»).
85. T Sch, I 141-158, pp. 377-383; I 163, p. 385.
86. T Sch, I 97-114, pp. 356-363.
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87. T Sch, I 157-159, p. 383 («vengono nascoste per non essere svilite […] è detto in modo oscu-
ro perché si possa far luce con la propria fatica e l’intelletto sia tenuto lontano dalla noia»).
88. T Sum, II 21, p. 121 = T chr, III 44 (Timaeus, 28C); cfr. P. VON MOOS, Literatur- und bildung-
sgeschichtliche Aspekte der Dialogform im Mittelalter, in Tradition und Wertung. Festschrift F. Brunhölzl,
Sigmaringen, Thorbecke, 1989, p. 200.
89. Sotto l’influsso del primato della degustatio sensoriale è qui rovesciato l’ordine gerarchico di
sapore intellettualistico della suspicio (sentore) e dell’intellectio (conoscenza), citato sopra.
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Si trova qui ora il decisivo punto di contatto tra i concetti letterari dei
teologi esegeti e quelli degli scrittori e dei poeti creativi. Il summenzionato
modello di legittimazione di una «letteratura per lettori» (H. Weinrich),
cioè di un allestimento dell’enigmatico e dell’ambivalente per l’acume degli
interpreti, si trova in effetti anche in numerose dichiarazioni metalinguisti-
che (per esempio, nei prologhi) della stessa letteratura latina e addirittura di
quella volgare. Si ricorderà soltanto l’autoattribuzione di Maria di Francia
alla tradizione della clergie: «Assez oscurement diseient / Pur ceus ki a venir
estaient […] ki peüssent gloser la lettre / E de lur sen le surplus mettre».99
Questo ideale del lettore esercitato da un punto di vista ermeneutico – un
ideale conosciuto soprattutto attraverso le ricerche su Chrétien, Dante e
Chaucer – non era esclusivamente clericale. Lo scrittore che tendeva ad esso
non dovrebbe neppure essere classificato come elitario, magari semplice-
mente con l’espressione “poeta doctus nel Medioevo”. La divisione della so-
cietà, spesso accentuata nel Medioevo, in simplices e sapientes non ha bisogno
di ricoprirsi necessariamente di una dicotomia sociale. È stata ricordata an-
che retoricamente o addirittura propagandisticamente, proprio allo scopo di
svegliare la multitudo imperita dal suo sonno culturale. Nessuno cui si rivol-
gesse la parola avrebbe voluto appartenere alla «stupida plebe». Cosí l’idea
dei «pochi eletti» rappresentava uno stimolo per passare dalla ruditas all’e-
ruditio. (Per coloro che non fossero interpellati in questa maniera, la mag-
gioranza effettiva della popolazione, erano a disposizione, almeno a partire
dal XIII secolo, anche i semplici mezzi di istruzione dell’aedificatio, che fu-
rono chiamati dai loro maggiori divulgatori, i frati mendicanti, nella chiara
conoscenza dell’alimentazione di base, «latte per bambini»).
Lo storico della letteratura mediolatina, cioè di una letteratura scritta dai
chierici per i chierici e per altri che avessero dovuto ricevere un’educazione
da chierici, non può trovare nessun motivo piú importante per la produzio-
ne letteraria che l’utopia didattica dell’uomo esperto nella lettura, che in-
tende servirsi in senso ampio della parola di Rom., 15 14, la cui applicazio-
99. Lais, a cura di A. EWERT, Oxford 1958, pp. 1 sg. Alcune analogie sono presenti anche nei
prologhi del Parsival di Wolfram o nel Tristano di Gottfried. Per il principio generale cfr. i lavori
di A. J. MINNIS, Medieval Theory of Authorship. Scholastic Literary Attitudes in the Later Middle Ages,
London, Scholar Press, 1984, e A. J. MINNIS - A. B. SCOTT, Medieval Literary Theory and Criticism
c. 1100 - c. 1375, Oxford, Clarendon Press, 1988, pp. 373 sgg.; altre indicazioni sono offerte dalla
bibliografia a p. 304, come anche dall’importante recensione a J. B. ALLEN, The Ethical Poetic of the
Middle Ages, Toronto-London 1982, in «Speculum», LIX 1984, pp. 363-366; cfr. anche F. BRUNI,
Semantica della sottigliezza, in: ID., Testi e chierici, cit. pp. 91-134 e VON MOOS, Geschichte als Topik,
cit., pp. 183 sgg.
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ne passa dalla Bibbia a tutti gli scritti: «Tutto ciò che è scritto, è scritto per
la nostra istruzione». L’«istruzione» era intesa qui sia contenutisticamente
che metodologicamente, non soltanto come morale cristiana, ma anche come
allenamento delle capacità interpretative. Abelardo chiamò questa istruzio-
ne «scienza» e la difese contro i rimproveri riferiti semplicisticamente al
contenuto: ogni scienza è buona, anche la scienza del maligno. Non è catti-
va la conoscenza dell’adulterio e dell’inganno, ma è cattivo commettere
adulterio ed ingannare.100 Il principale mezzo “scientifico” per la produzio-
ne e la comprensione della letteratura, ed in particolare della letteratura
enigmatico-metaforica, era però la translatio retorica nel senso piú ampio.
3. CONCLUSIONI
100. T Sum, II 7 sg., pp. 116 sg.; T Sch, II 29 sg., pp. 421 sg.; T chr, III 6 sg., pp. 196 sg.
101. Trattatello in laude di Dante, IX-X, a cura di P. G. RICCI, in Tutte le opere di Giovanni Boccac-
cio, III, Verona 1965; The Life of Dante, trad. di V. Z. BOLLETTINO, New York-London 1990, pp. 35-
41; Genealogiae Deorum, XIV 9-10, 12-14, ed. a cura di J. REEDY, in Boccaccio in Defense of Poetry, To-
ronto 1978, pp. 40 sgg., 50-54. Diversamente da Abelardo, Boccaccio vede il polo d’opposizione
alla obscuritas poetarum non nella proprietas dialettica, ma nella plana atque lucida oratio retorica (Ge-
neal., XIV 12, pp. 51 sg.). Quest’orientamento specificamente pragmatico dell’ars dictaminis italia-
na dovrebbe essere altrove confrontato con la concezione fortemente poetica della retorica nella tra-
dizione francese. Cfr. M. CAMARGO, A XIIth Century Treatise on ‘Dictamen’ and Methaphor, in «Tradi-
tio», LXVII 1992, pp. 161-213; WORSTBROCK, Die Frühzeit der Ars dictandi, cit.
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102. Cfr. H. G. COENEN, Literarische Rhetorik, in «Rhetorik», VII 1988, 1, pp. 43-62, e l’intro-
duz. di VICKERS a Rhetoric Revalued, cit., pp. 16 sg.
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7. LA RETORICA MEDIEVALE
COME TEORIA DELL’ARGOMENTAZIONE
ED ESTETICA LETTERARIA*
* La retorica, in Lo spazio letterario del Medio Evo, a cura di G. CAVALLO - C. LEONARDI - E. ME-
NESTÒ, vol I, 2: La produzione del testo, Roma (Salerno) 1993, pp. 231-271.
1. Cfr. M. CAMARGO, Rhetoric, in The Seven Liberal Arts in the Middle Ages, a cura di D. L. WA-
GNER, Bloomington, Indiana Univ. Press, 1986, pp. 96-124; ID., Ars dictaminis, Ars dictandi, in ID.,
Typologie des sources du Moyen Âge occidental, Turnhout, Brepols, 1991; R. MCKEON, Rhetoric in the
Middle Ages, in «Speculum», XVII 1942, pp. 1-32; J. J. MURPHY, Rhetoric in the Middle Ages, Berke-
ley-Los Angeles-London, Univ. of California Press, 1974 (trad. it. Napoli, Liguori, 1983); Medieval
Eloquence, a cura di J. J. MURPHY, ibid., 1978; Rhetoric Revalued, a cura di B. VICKERS, Binghamton-
New York, Univ. of California Press, 1982; F. BRUNI, L’ars dictandi e la letteratura scolastica, in Sto-
ria della civiltà letteraria in Italia, a cura di G. BARBERI SQUAROTTI, I, Torino, UTET, 1990, pp. 155-
210; F. GALLETTI, L’eloquenza (dalle origini al XVI sec.), Milano, Vallardi, 1938; vd. inoltre la bi-
bliografia di J. J. MURPHY, Medieval Rhetoric, Toronto, Univ. of Toronto Press, 19892.
2. Cosí si esprime il commento al De inventione di Vittorino in Rhetores Latini minores, a cura di
C. HALM, Leipzig, Teubner, 1863, pp. 170 sg., assai diffuso a partire dal sec. XI; cfr. J. WARD, Ar-
tificiosa eloquentia in the Middle Ages (tesi inedita), Toronto 1972, I, pp. 92-98, 185-187, 229, 302-
306, II, pp. 284-285, 292-296; H. CAPLAN, Of Eloquence. Studies in Ancient and Medieval Rhetoric,
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arte,3 tra la disciplina docens e la disciplina utens,4 sia che, invece, prendendo
posizione, si lamenti la frattura tra la scuola e la vita, la si difenda da un pun-
to di vista elitario, o la si metta in ridicolo quale forma di accademismo.5
Ciononostante in questa sede, per rendere sinteticamente giustizia a
questo rapporto ambivalente, bisognerà concentrarsi sulla considerazione
di cui godette la retorica nel giudizio medievale, quale si lascia cogliere da
significative affermazioni sulla sua essenza, sul suo compito, sul suo valo-
re. Quelle piú importanti non provengono dai docenti della materia, che
spesso avevano interessi diversi, troppo immediatamente intrinseci alla
stessa disciplina di insegnamento per riflettere sul significato del loro me-
stiere. Provengono invece da pensatori e scrittori illustri. Il principale in-
terrogativo, cui danno risposta le loro definizioni e valutazioni, è andato ri-
proponendosi continuamente a partire dal Medioevo via via sino alle mo-
derne discussioni teoriche tra i fautori di una retorica argomentativa (la
scuola di Bruxelles del Perelman) e i sistematici dello stile orientati in sen-
so linguistico (la “retorica generale” della scuola di Liegi):6 la retorica è ri-
volta anzitutto (o esclusivamente) alla convinzione pragmatica in situazio-
ni controverse, alla persuasione, all’assenso di un interlocutore incerto, op-
pure possiede anche (o addirittura prevalentemente) il valore di un’esteti-
Ithaca-London, Cornell Univ. Press, 1970, pp. 252-253; N. M. HARING, S. A. C., Thierry of Char-
tres and Dominicus Gundissalinus, in «Medieval Studies», XXVI 1964, pp. 271-286; K. M. FREDBORG,
The Commentary of Thierry of Chartres on Cicero’s De inventione, in «Cahiers de l’Institut du Moyen Âge
grec e latin», VII 1971, pp. 231-237.
3. Cosí si esprime CICERONE, De inventione, I 6 8, spesso collegato allo schema extrinsecus/intrin-
secus; cfr. R. W. HUNT, The Introduction to the ‘Artes’ in the Twelfth Century, in Studia Mediaevalia, in
onore di R. J. MARTIN, Bruges 1948, pp. 98-102; WARD, Artificiosa eloquentia, cit., I, pp. 302-306.
4. È questa la variante piú dialettica della coppia di concetti: cfr. E. GARIN, La dialettica dal se-
colo XI ai principi dell’età moderna, in «Rivista di filosofia», 1958, pp. 237-240; K. M. FREDBORG,
Buridan’s Quaestiones super Rhetoricam Aristotelis, in The Logic of John Buridan. Acts of the 3rd Euro-
pean Symposium on Medieval Logic and Semantics, a cura di J. PINBORG, Copenhagen 1976,
pp. 49-53; J. ISAAC, La notion de dialectique chez Saint Thomas, in «Revue des Sciences philos. et
théol.», XXXIV 1950, pp. 490-495.
5. Cfr. P. VON MOOS, Geschichte als Topik. Das rhetorische Exemplum von der Antike zur Neuzeit und
die historiae im ‘Policraticus’ Johanns von Salisbury, Hildesheim, Olms, 1988, pp. 291-294 (vd. ars
vs. usus nell’indice); ID., L’Ars arengandi italienne ..., in questo vol. infra N° 10, pp. 389-418. Per
il proseguimento umanistico cfr. L. G. JANIK, Lorenzo Valla: the primacy of rhetoric and the de-mora-
lization of history, in «History and Theory», XII 1973, pp. 389-404; GARIN, La dialettica, cit.,
pp. 244-249.
6. Sulla discussione tra le due scuole cfr. Figures et conflicts rhétoriques, a cura di M. MEYER e A.
LEMPEREUR, Bruxelles, Université de Bruxelles, 1990. Sulla dicotomia medievale cfr. l’eccellente
riassunto presentato da K. M. FREDBORG, The Scholastic Teaching of Rhetoric in Middle Age, in
«Cahiers de l’Institut du Moyen Âge grec et latin», X 1987, pp. 85-105.
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7. Cfr. M. DICKEY, The Commentaries on the De inventione and Ad Herennium of the Eleventh and
Twelfth Century (tesi inedita), St. Hilda’s, Oxford 1953 (Bodleian Library, ms. B. litt. d. 150); solo
la prima parte è stata pubblicata con il titolo Some Commentaries on the De inventione and Rhetorica ad
Herennium of the 11th and 12th Centuries, in «Medieval and Renaissance Studies», VI 1968, pp. 1-41;
cfr. anche WARD, Artificiosa eloquentia, cit., e The Commentator’s Rhetoric: From Antiquity to the Re-
naissance: Glosses and Commentaries on Cicero’s Rhetorica, in Medieval Eloquence, cit., pp. 25-67.
8. Cfr. CAMARGO, Ars dictaminis, cit., pp. 17 sgg. Come secondo capitolo fondamentale del cor-
so veniva insegnata la dispositio. Sul significato di imitatio cfr. R. R. BOLGAR, The Teaching of Rheto-
ric in the Middle Age, in Rhetoric Revalued, cit., pp. 79-86.
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9. Cfr. P. BAGNI, L’inventio nell’Ars poetica latino-medievale, in Rhetoric Revalued, cit., p. 99.
10. Cfr. MCKEON, Rhetoric, cit., p. 2; WARD, Artificiosa eloquentia, cit., I, p. 27; P. O. KRISTEL-
LER, Rhetorik in Medieval and Renaissance Culture, in Renaissance Eloquence, a cura di J. J. MURPHY,
Berkeley-Los Angeles-London, Univ. of California Press, 1974, pp. 1-19.
11. Cfr. Rhetorik, a cura di J. KOPPERSCHMIDT, 2 voll., Darmstadt, Wissenschaftliche Buchge-
sellschaft, 1990-1991.
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1. RETORICA E ARGOMENTAZIONE
losophiae medii aevi, II, a cura di B. MOJSISCH e O. PLUTA, Amsterdam, Grüner, 1991, pp. 711-744;
Introduction à une histoire de l’endoxon , in Lieux communs, topoi, stéréotypes, clichés, a cura di Chr. PLAN-
TIN, Paris, Kimé, 1994, pp. 3-17; L’Ars arengandi italienne, cit.
17. Cfr. CH. PERELMAN - L. OLBRECHTS TYTECA, Traité de l’argumentation. La nouvelle rhétorique,
Bruxelles, Université de Bruxelles, 19885, pp. 17-40.
18. Cfr. L. BORNSCHEUER, Topik. Zur Struktur der gesellschaftlichen Einbildungskraft, Frankfurt am
Main, Suhrkamp, 1976; VON MOOS, Geschichte als Topik, cit., pp. 246-309.
19. BOETHIUS, De differentiis topicis, IV, P.L. LXIV, coll. 1205C-1206C, 1208, 1215A; sull’impor-
tanza di Boezio per la filologia aristotelica cfr. H. THROM, Die Thesis, ein Beitrag zu ihrer Entstehung
und Geschichte, Paderborn, Schöningh, 1932, pp. 55-62; cfr. anche la traduzione commentata di E.
STUMP, Boethius’s De differentiis topicis, Ithaca-London, Cornell Univ. Press, 1978, pp. 159-178, 1-
25, 79 sg., 82 sg., 93 sg., 179-204.
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pio: se il mondo sia eterno); l’oggetto della retorica è una questione deter-
minabile in base alle sette circostanze quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur,
quomodo, quando, ed è l’ipotesi o causa (ad esempio, un concreto caso di omi-
cidio in tribunale);
b) l’usus della dialettica consiste nella discussione attraverso un’intercisa
oratio per domande e risposte, mentre quello della retorica nella persuasio-
ne ottenuta con un discorso continuo (oratio perpetua ovvero continua): a
questo fa riferimento l’allegoria del pugno chiuso e del palmo aperto;
c) il finis consiste nell’uno come nell’altro caso nel condurre l’interlocu-
tore dove si voglia. Che questo riesca dipende, per quanto riguarda la dia-
lettica, unicamente dall’avversario, poiché qui l’uno è giudice dell’altro;
nella retorica, invece, che, come si vede, risulta limitata al genere giudi-
ziario, il successo non dipende soltanto dall’avversario, cioè dal pubblico,
ma anche da un terzo, cioè dal giudice.
Quest’ultima distinzione, forse alquanto esteriore, appariva cosí ovvia
nel Medioevo che poteva rientrare, per esempio, anche in una singolare de-
finizione del dictamen epistolare: quando infatti, nel XIII secolo, avvenne
che l’ars dictaminis si trasformò da dottrina letteraria tradizionale in un’ar-
te del discorso argomentativo, la ripartizione dei dictamina in epistolari e
non epistolari (oratorii), in analogia con la differenza tra dialettica e reto-
rica, fu definita da Brunetto Latini in modo tale che per dictamen epistola-
re si intendesse un discorso tra due persone assenti, dette rispettivamente
respondens e opponens, mentre per quello non epistolare si intendesse un di-
scorso a tre, in cui due abili oratori si rivolgono a un giudice, a sua volta
presente davanti a loro.20
La definizione delle affinità e delle differenze tra le due materie, che è
stata or ora brevemente riassunta, fu sviluppata da Boezio soprattutto nel
De differentiis topicis, un’opera di cui i primi tre libri sono dedicati alla dia-
lettica, il quarto alla retorica. Già questa ripartizione mostra la maggiore
importanza riconosciuta alla dialettica, che peraltro viene anche formal-
mente motivata in base al fatto che, secondo Boezio, i topoi dialettici uni-
versali (come il genere, la specie, l’opposizione) sono utilizzabili anche in
campo retorico, mentre i topoi retorici, cioè gli status o constitutiones, fina-
lizzati alla determinazione di un singolo caso, si addicono soltanto alle ipo-
20. Cfr. SGRILLI, Retorica e società, cit., pp. 387 sg., a proposito di B. LATINI, La Rettorica, ed. cit.,
pp. 100-103.
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21. De diff. top., col. 1215C; cfr. M. C. LEFF, The Topics of Argumentative Invention in Latin Rheto-
rical Theory from Cicero to Boethius, in «Rhetorica», I 1983, pp. 23-44, e in partic. pp. 39-41; ID.,
Boethius’ ‘De differentiis topicis’, Book IV, in Medieval Eloquence, cit., pp. 9-12.
22. Cfr. VON MOOS, Was allen, cit.
23. Vittorino è, accanto a Boezio, l’autorità piú importante nei commenti a Cicerone: cfr. WARD,
The Commentator’s Rhetoric, cit., p. 43; K. M. FREDBORG, Twelfth-Century Ciceronian Rhetoric: Its Doctri-
nal Development and Influences, in Rhetoric Revalued, cit., pp. 87-97, e Petrus Helias on Rhetoric, in «Cahiers
de l’Institut du Moyen Âge grec et latin», XIII 1974, pp. 35 sg.; DICKEY, Some Commentaries, cit., p. 20.
24. F. L. VICTORINI Explanationum in Rhetoricam M. Tullii Ciceronis l. II, I 4 5-5, in Rhetores lati-
ni minores, cit., pp. 171-173, p. 173, 110-112: Ergo officium oratoris est dicere, sed adposite ad persua-
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Questa teoria era stata recepita già nel XII e nel XIII secolo in un pre-
ciso filone della tradizione esegetica medievale (per lo piú inedita) relativa
al De inventione di Cicerone e all’Auctor ad Herennium, che, a parte autori
minori, comincia con Guglielmo di Champeaux, Manegoldo di Lautenba-
ch e alcune opere anonime della scuola di Laon e di Parigi, per continuare
con l’importante commentario al De inventione proveniente dall’Italia set-
tentrionale con incipit Ars rethorice, e con il commentario all’Auctor ad He-
rennium, forse di origine inglese, di un Alano (non di Lilla), e arrivare infi-
ne a Brunetto Latini.25 È stato soprattutto quest’ultimo che con la sua pa-
rafrasi in volgare le ha conferito anche un preciso significato pratico al di
là del ristretto ambiente scolastico. In questa tradizione si ritrovano le ri-
flessioni medievali piú importanti – attente anche alla realtà contempora-
nea – sul significato socio-politico del trivio, che è possibile riassumere si-
notticamente piú o meno cosí: la civilis scientia si occupa in minima parte
dei facta relativi alla conduzione dello stato e della guerra e di altre simili
“arti”, ma per lo piú dei dicta o azioni verbali di ogni tipo;26 dal canto loro
i dicta di cui si occupa il trivio possono essere o sine lite (non conflittuali) o
cum lite (conflittuali): non sono conflittuali le parole degli storici e dei poe-
ti utili allo stato, mentre sono conflittuali tutte le scienze che procedono
in base ad una strategia verbale, e particolarmente la dialettica e la retori-
ca, ma anche la medicina.27 Sotto l’aspetto della teoria letteraria è notevo-
le la rigorosa definizione della retorica, che di per sé, in quanto epidittica,
è soggetta a una situazione di conflitto (la sconfitta dei candidati rivali at-
sionem […]. Nam solum dicere non bene officium definit oratoris; […] nam et poetae et philosophi dicunt
(«Perciò compito dell’oratore è parlare, ma allo scopo di persuadere […]. Infatti il solo parlare non
definisce bene il compito dell’oratore; […] perché anche i poeti e i filosofi parlano»).
25. Su Guglielmo di Champeaux cfr. K. M. FREDBORG, The Commentaries on Cicero’s de inventione
and rhetorica ad Herennium by William of Champeaux, in «Cahiers de l’Institut du Moyen Âge grec et
latin», XVII 1976, pp. 1-39, e Twelfth-Century Ciceronian Rhetoric, cit., pp. 90-92; sull’Ars rethorice
cfr. i compendi del WARD, Artificiosa eloquentia, cit., II, pp. 121-132 (par. 16) e i passi paralleli alla
Rettorica di Brunetto Latini (che da essa per lo piú dipende) offerti da G. C. ALESSIO, Brunetto Lati-
ni e Cicerone (e i dettatori), in «Italia medioevale ed umanistica», XXII 1979, pp. 123-169, in partic.
pp. 132 sgg. Su Alano cfr. la sintesi di WARD, Artificiosa eloquentia, cit., II, pp. 284-309 (par. 28),
e CAPLAN, Of eloquence, cit., pp. 247-270. Per l’intera tradizione e per ulteriori opere cfr. i lavori del-
la DICKEY menzionati sopra, alla n. 7, nonché WARD, Artificiosa eloquentia, cit., I, pp. 41 sgg.; FRED-
BORG, Twelfth-Century Ciceronian Rhetoric, cit., pp. 87 sgg., e Petrus Helias, cit., pp. 31 sgg. Per gli
effetti sulla società cfr. E. ARTIFONI, I podestà professionali e la fondazione retorica della politica comuna-
le, in «Quaderni storici», LXIII 1986, pp. 687-719; ID., Sull’eloquenza politica nel Duecento italiano, in
«Quaderni medievali», XXXV 1993, pp. 57-78.
26. VICTORINUS, ed. HALM cit., pp. 171, 24-29; 175, 5; ALESSIO, Ars rethorice, cit., pp. 148 sg.;
ALANUS, Artificiosa eloquentia, ed. WARD cit., II, pp. 287 sg.
27. VICTORINUS, ed. HALM cit., p. 171, 22-23; ALESSIO, Ars rethorice, cit., p. 149.
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28. WARD, Artificiosa eloquentia, cit., II, pp. 287 sg., a proposito di Alano. Secondo l’Ars rethori-
ce (p. 149) la legislazione è di competenza della scientia civilis cum lite, ma non è artificiosa, poiché, a
detta di Boezio, si fonda solo sull’autorità, cioè sul locus inartificialis ab auctoritate (De diff. top., III,
P.L. LXIV, col. 1199).
29. Ars rethorice, ed. ALESSIO cit., p. 150: ut ostenderet differentiam inter officium oratoris et officium
poetarum quia et si poete ornate loquantur in fabulis suis tamen non per suum ornatum reddunt credibilia ea
que volunt («per mostrare la differenza fra il compito dell’oratore e quello dei poeti, perché anche se
i poeti si esprimono con eleganza nelle loro narrazioni, tuttavia nemmeno con questa eleganza ren-
dono credibile ciò che vogliono»). Sui paralleli a questa teoria offerti dai commentari provenienti
dal nord della Francia (primi fra tutti quelli di Manegoldo e Teodorico) cfr. DICKEY, Commentaries,
cit., pp. 20, 25, 35 sgg.
30. Ibid., p. 156: cum persuasio […] fit de rebus que nondum ad animam pervenerunt cum controversia,
constat exhortationem et dehortationem non esse materiam artis quia exhortatio[nem] fit de rebus que iam ad
animam pervenerunt, veluti si quis haberet voluntatem legendi dialecticam et negligens esset, posset removeri ab
illa neglegentia per hortationem. Dehortatio similiter […] veluti si quis haberet voluntatem concumbendi cum
aliqua meretrice, posset removeri ab illo stupro per dehortationem […] et illa dehortatio fit de rebus illis que
ad animam pervenerant et ideo non erant materia artis. Consolatio […] quia fit sine controversia, ideo non est
materia eius, quia ipse quas vult non inducit rationes contra illum qui eum consolatur («poiché la persua-
sione riguarda cose controverse che non sono ancora arrivate alla coscienza, ne risulta che l’esorta-
zione e la dissuasione non sono oggetto dell’arte [retorica] perché l’esortazione riguarda cose già per-
venute alla coscienza: ad esempio, se uno avesse volontà di leggere la dialettica e fosse negligente,
da quella negligenza potrebbe essere scosso mediante un’esortazione. Analogamente la dissuasione
[…]: ad esempio, se uno avesse la volontà di giacere con una meretrice, potrebbe essere allontana-
to da quella turpitudine mediante dissuasione […] e questa dissuasione riguarda cose che erano
giunte alla coscienza e perciò non erano oggetto dell’arte [retorica]. La consolazione, che si esercita
senza controversia, non ne è oggetto perché chi è consolato non adduce argomenti contro chi lo con-
sola»); cfr. VICTORINUS, ed. HALM cit., p. 177, 16-19.
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31. Ars rethorice, p. 154: Deliberativa causa est illa in qua multe sententie dicuntur ut tandem pocior
eligatur cum disceptatione, id est controversia et cum consultatione civili, id est cum frequenti interrogatione fac-
ta a civibus («la causa deliberativa è quella in cui si esprimono molte opinioni, per scegliere la mi-
gliore attraverso un dibattito, cioè una controversia, e con consultazione civile, cioè con domande
frequenti dei concittadini»).
32. Cfr. A. P. CAMPBELL, The Perfection of Ars dictaminis in Guido Faba, in «Revue de l’Université
d’Ottawa», XXXIX 1969, pp. 315-321; F.-J. SCHMALE, Das Bürgertum in der Literatur des 12. Jhs., in
Probleme des 12. Jhs., Sigmaringen, Thorbeke, 1968, pp. 412 sgg.; J. PURKART, Boncompagno of Si-
gna and the Rhetoric of Love, in Medieval Eloquence, cit., pp. 319-332; BENSON, Protohumanism, cit.,
pp. 31-50, a proposito di Boncompagno e di Guido Faba; SGRILLI, Retorica e società, cit., pp. 390 sg.,
su Brunetto Latini.
33. Ars rethorice, p. 157, discute l’opinione, in contrasto con tutta la retorica antica, che l’epi-
dittica non appartenga alla retorica ma alla poesia: ideo dicebant demonstrationem non esse materiam huius
artis quia videbant demonstrationem pertinere ad poetas quia poetarum est commendare aliqua vel vituperare
(«dicevano che la dimostrazione non è oggetto di quest’arte perché vedevano che riguarda i poeti,
poiché è proprio dei poeti elogiare o biasimare qualcosa»).
34. VICTORINUS, ed. HALM cit., p. 172. Cfr. DICKEY, Some Commentaries, cit., pp. 35-41, e Com-
mentaries, cit., pp. 135 sgg., in merito alla doppia strategia realizzata con gli argumenta e i modi com-
movendi; FREDBORG, Twelfth-Century Ciceronian Rhetoric, cit., pp. 90-92.
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canonisti, non ostentare grandi parole nel perorare una causa in un proces-
so o in una disputa, ma fornire le citazioni giuste.35 Con l’altro e piú anti-
co concetto retorico, quello che includeva anche la giurisprudenza, si spie-
gano, nel XII secolo, manifestazioni cosí particolari come il titolo di Rheto-
rica ecclesiastica per un Ordo iudiciarius di diritto processuale canonico, che
soltanto marginalmente ha a che fare con l’ambito retorico,36 o come i die-
ci discorsi-tipo della Francia del nord, chiamati «plaidoiries» dall’editore, i
quali, a parte piccoli ingredienti retorici quali i topoi dell’esordio (elogio del
giudice, scuse per talune imperfezioni, ecc.), contengono pressoché soltanto
le citazioni dei canoni per impiantare dimostrazione e confutazione.37
In base alle implicazioni giuridiche, nella nostra letteratura teorica era
sentito cosí concretamente il postulato ciceroniano fondamentale dell’u-
nità di sapere ed eloquenza, che quanto nell’arte oratoria aveva a che fare
con la sapientia veniva riferito alla conoscenza del diritto, mentre quanto
aveva a che fare con l’eloquentia veniva riferito alla retorica in senso piú
stretto. Il maestro Alano38 spiegò l’epiteto ‘buono’ nella definizione cice-
roniana dell’oratore – vir bonus dicendi peritus – intendendo non un buon
cristiano, ma un conoscitore della prassi del diritto e dell’amministrazio-
ne. Rientrava in questo, però, anche la conoscenza della metodologia reto-
rica dell’inventio, che ora non serviva piú alla preparazione di un discorso,
ma alla delimitazione giuridico-filologica dei casi controversi, alla distin-
zione di aspetti sostanziali e accidentali nei testi o nelle azioni presi in esa-
me. Abelardo, per esempio, nel Sic et Non ha ulteriormente sviluppato un
procedimento derivato dalla canonistica, mentre ha trasferito una tecnica
argomentativa fondamentalmente retorica all’ermeneutica testuale e ha
classificato auctoritates contrapposte come nei casi giudiziari particolari, se-
condo “peristasi” e “status”.39
35. Vd. sopra, n. 28; VON MOOS, Geschichte als Topik, cit., pp. 254-257, 271-276; A. GIULIANI,
L’elemento ‘giuridico’ nella logica medioevale, in «Jus», XV 1964, pp. 163-190; G. OTTE, Dialektik und
Jurisprudenz. Untersuchungen zur Methode der Glossatoren, Frankfurt am Main, Klostermann, 1971,
pp. 227-230.
36. Edita da L. WAHRMUND, Innsbruck 1905 (rist. Aachen 1962); cfr. E. OTT, Die rhetorica ec-
clesiastica, in «Sitzungsberichte der Akad. der Wissenschaften in Wien», phil.-hist. Cl., VII 1892;
P. VON MOOS, Das argumentative Exemplum und die “wächserne Nase” der Autorität im Mittelalter, in
Exemplum et Similitudo, a cura di W. J. AERTS e M. GOSMAN, Groningen, Forste, 1988, pp. 55-84.
37. H. SILVESTRE, Dix plaidoiries inédites du XIIe s., in «Traditio», X 1954, pp. 373-397.
38. WARD, Artificiosa eloquentia, cit., II, pp. 288 e 293; si veda anche l’inglobamento di leges et
decreta nella retorica operato da RADULPHUS DE LONGO CAMPO, In Anticlaudianum Alani commentum,
a cura di J. SULOWSKI, Wroclaw-Warszawa 1972, pp. 135-171.
39. Cfr. GIULIANI, L’elemento ‘giuridico’, cit., pp. 163 sg., 170 sg.; VON MOOS, Geschichte als To-
pik, cit., pp. 266-271; W. HARTMANN, Manegold von Lautenbach und die Anfänge der Frühscholastik,
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in «Deutsches Archiv», XXVI 1970, pp. 45-149; M. T. BEONIO-BROCCHIERI FUMAGALLI, Note per
un’indagine sul concetto di retorica in Abelardo, in Arts libéraux et philosophie au Moyen Âge, Montréal-
Paris, Vrin, 1969, pp. 829-832; cfr. infra, pp. 311-313.
40. BRUNI, Boncompagno da Signa, cit., pp. 108 sg.; CH. T. DAVIS, Brunetto Latini and Dante, in
«Studi medievali», VIII 1967, pp. 426-428; WARD, The Commentator’s Rhetoric, cit., pp. 45 sg.
41. WIBALDO DI CORVEY, P.L. CLXXXIX, coll. 1254B-1255C; cfr. K. M. FREDBORG, The Scholastic
Teaching of Rhetoric in the Middle Age, in «Cahiers de l’Institut du Moyen Âge grec et latin», X 1987,
pp. 89 sgg.
42. R. D. DI LORENZO, Rational Research in the Rhetoric of Augustine’s ‘Confessio’, in From Cloister
to Classroom, Monastic and Scholastic Approaches to Truth, Kalamazoo 1986, pp. 1-26; W. S. HOWELL,
The Rhetoric of Alcuin and Charlemagne, New York, Russel & Russel, 1965, pp. 67 sg.; GALLETTI, L’e-
loquenza, cit., I, pp. 85 sg., e VON MOOS, L’Ars arengandi italienne, infra, pp. 393 sg., a proposito del
concionator san Francesco; DAVIS, Brunetto Latini, cit., pp. 426-430, sulla figura di Cicerone.
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43. FREDBORG, Petrus Helias, cit., pp. 31-41, e Buridan’s Quaestiones, cit., pp. 149-160; J. J.
MURPHY, Aristotle’s Rhetoric in the Middle Ages, in «Quarterly Journal of Speech», LII 1966, pp. 109-
115; GARIN, La dialettica, cit., pp. 232-240; J. B. KOROLEC, Jean Buridan et Jean de Jandun et la re-
lation entre la rhétorique et la dialectique, Berlin, de Gruyter, 1981, pp. 622-627; G. BRUNI, ‘De dif-
ferentia rhetoricae, ethicae et politicae’ of Aegidius Romanus, in «New Scholasticism», VI 1932, pp. 1-18;
O. LEWRY, Grammar, Logic and Rhetoric 1220-1320, in History of the University of Oxford, I, a cura di
J. I. CATTO - R. EVANS (The Early Oxford Schools), Oxford, Clarendon Press, 1984, pp. 401-433; J.
R. O’DONNEL, Commentary of Giles of Rome on the Rhetoric of Aristotle, in Essays in Medieval History pre-
sented to B. Wilkinson, Toronto 1969, pp. 139-156.
44. Cfr. MCKEON, Rhetoric, cit., pp. 16-17; WARD, Artificiosa eloquentia, cit., I, pp. 273-310 (ol-
tre a Teodorico ricordiamo tra tutti Bernardo Silvestre, Adelardo di Bath e Daniele di Morley); VON
MOOS, Geschichte als Topik, cit., pp. 246-249 (su Giovanni di Salisbury).
45. Cfr. CAMARGO, Ars dictaminis, cit., pp. 39 sgg.; J. R. BANKER, The Ars dictaminis and Rheto-
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La prima ars dictaminis del tardo XI e del XII secolo ha però ancora ben
poco a che fare con tutto questo. All’inizio non si tratta di una vera retori-
ca, ma di una stilistica che include piú o meno un elemento retorico, in
primo luogo per la produzione epistolare nella cancelleria papale e nei co-
muni italiani. Essa è innanzitutto al servizio della ritualizzazione delle for-
me scrittorie e dell’autorappresentazione, conforme alle circostanze, di per-
sone e di gruppi che, attraverso forme linguistiche degnamente ornate, vo-
levano sottolineare il loro potere, la loro maestà o la sovranità che detene-
vano o rivendicavano. Cosí, a cavallo tra XII e XIII secolo, si può osserva-
re per la prima volta nei comuni italiani una nuova autentica retorizzazio-
ne dell’ars dictaminis tradizionale, che è dovuta, in particolare, all’allarga-
mento ad ogni sorta di comunicazione orale della dottrina epistolare fino ad
allora utilizzata. La crescente necessità di sicurezza linguistica da parte di
cittadini insufficientemente istruiti, e specialmente dei piú ragguardevoli,
“consoli” o podestà, in questioni pubbliche o private – nei dibattiti del con-
siglio (consilia), nei discorsi di ambasceria (ambaxiatae), o nelle allocuzioni
davanti alle assemblee del popolo (contiones) – resuscitava nuovamente dal-
l’antichità i principi dell’eloquenza forense.46 Indipendentemente da que-
sto primo vero germoglio dell’ars dictaminis, la cosiddetta ars arengandi o
concionatoria, Boncompagno, allontanandosi intenzionalmente da una tale
arte, che per lui era troppo plebea, fondò la sua Rhetorica novissima per giu-
risti esordienti, che porta a ragione questo titolo allusivo, poiché dimostra
l’esigenza di far uscire dalla scuola la vecchia e la nuova Tulliana Rhetorica
(il De inventione e l’Ad Herennium) e di porre accanto a loro una pratica ora-
le di dictamina adeguata alle necessità dell’epoca.47 Questo rappresentò un
punto di riferimento per i piú tardi dictatores, sebbene difficilmente poté ri-
vestire una reale importanza per la prassi giudiziaria. D’ora in avanti il ca-
none ciceroniano non sarà mai piú commentato in forma meramente acca-
rical Textbooks at the Bolognese University in the 14th Century, in «Mediaevalia et Humanistica», n.s.,
V 1974, pp. 153-168; VON MOOS, L’Ars arengandi italienne, infra, pp. 394 sg.
46. Cfr. GALLETTI, L’eloquenza, cit., II, pp. 440-485; A. GAUDENZI, Sulla cronologia delle opere dei
dettatori bolognesi da Buoncompagno a Bene di Lucca, in «Bollettino dell’istituto storico italiano», XIV
1895, pp. 90-118; ARTIFONI, I podestà professionali, cit.; KRISTELLER, Rhetoric, cit., pp. 8-19; G. VEC-
CHI, Le arenghe di Guido Faba e l’eloquenza d’arte civile e politica duecentesca, in «Quadrivium», IV 1960,
pp. 61-90; E. VINCENTI, Matteo dei Libri e l’oratoria pubblica e privata nel ’200, in «Archivio Glotto-
logico Italiano», LIV 1969, pp. 227-237, e Matteo dei Libri, ‘Arringhe’, Milano-Napoli, Ricciardi,
1975; VON MOOS, L’Ars arengandi italienne, cit.; CAMARGO, Ars dictaminis, cit., pp. 39 sg.
47. Edizione di A. GAUDENZI, Bibliotheca iuridica Medii Aevi, II, Bologna 1892, pp. 251-298; si
vedano i lavori di Tunberg, Benson, Bruni e Witt menzionati sopra, alla n. 15.
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48. Cfr. WITT, Boncompagno, cit.; V. LICITRA, La Summa de arte dictandi di Maestro Goffredo, in «Stu-
di medievali», VIII 1966, pp. 865-913; TUNBERG, What is Boncompagno’s ‘Newest Rhetoric’, cit.,
pp. 311 sg.; M. CAMARGO, The Libellus de arte dictandi rhetorice attributed to Peter of Blois, in «Specu-
lum», LIX 1984, pp. 16-41; E. J. POLAK, A Textual Study of Jacques de Dinant’s ‘Summa dictaminis’,
Genève, Droz, 1975, pp. 26-31; F. J. WORSTBROCK, Die Frühzeit der Ars dictandi in Frankreich, in Prag-
matische Schriftlichkeit im Mittelalter, a cura di H. KELLER e altri, München, Fink, 1992, pp. 131-156.
49. A. WEISHEIPL, Classifications of the Sciences in Medieval Thought, in «Medieval Studies», XXVII
1965, pp. 54-90; R. KÖHN, Schulbildung und Trivium im lateinischen Hochmittelalter und ihr möglicher
praktischer Nutzen, in Schulen und Studium im sozialen Wandel des hohen und späten Mittelalters, a cura
di J. FRIED, Sigmaringen, Thorbecke, 1986, pp. 203-284; VON MOOS, Geschichte als Topik, cit.,
pp. 246-264.
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50. Cfr. W. J. ONG, S.J., Ramus, Method, and the Decay of Dialogue, Cambridge (Mass.)-London,
Harvard Univ. Press, 1983, pp. 53 sgg., 136 sgg.
51. MURPHY, Aristotle’s Rhetoric, cit., pp. 109-115; MCKEON, Rhetoric, cit., pp. 16-20; WARD, Ar-
tificiosa eloquentia, cit., I, pp. 273-310; W. BOGGESS, Hermannus Alemannus’ Rhetorical Translations, in
«Viator», II 1971, pp. 227-250, 249 sg. Gundissalino collega ancora, e certamente non senza con-
traddizioni, lo schema aristotelico con quello ciceroniano. Stranamente egli nomina anche la parte
poetica della civilis scientia; cfr. De divisione philosophiae (ed. L. BAUR, Münster 1903), p. 54: ipsa est
pars civilis sciencie que est pars eloquencie. Tuttavia ibid., p. 71, retorica e poesia vengono presentate, «se-
condo Alfarabi», come partes logicae. Il riassunto offerto a pp. 81 sg. mostra di nuovo la gerarchia sco-
lastica che assumerà particolare rilevanza in futuro, secondo la quale il livello piú basso è occupato
dalla eloquentia (grammatica, poesia, retorica), quello di mezzo dalla logica e quello piú alto dalla sa-
pientia/veritatis cognitio, consistente nella sapientia humana e divina (scienza della natura e teologia).
52. Cfr. FREDBORG, Buridan’s Quaestiones, cit., pp. 50-54.
53. MURPHY, Aristotle’s Rhetoric, cit., pp. 109-115; BRUNI, De differentia rhetoricae, cit., pp. 5-12;
O’DONNEL, Commentary of Giles of Rome, cit., pp. 139-148; BOGGESS, Hermannus Alemannus, cit.,
pp. 227-250.
54. Cfr. J. ISAAC, Le notion de dialectique chez Saint Thomas, in «Revue des Sciences philosophi-
ques et théologiques», XXXIV 1950, pp. 481-495.
55. Cfr. O’DONNELL, Commentary, cit., pp. 139-148.
56. Cfr. KOROLEC, Jean Buridan, cit., pp. 622-627.
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cre stanze della logica. Nel primato del valore della conoscenza essa con-
servò, in fin dei conti, ancora e soltanto una funzione di ripiego, per quel-
l’insignificante residuo di problemi che nessuna scienza può risolvere, per
giudizi sul singolare, sul particolare, sul mutevole, sul relativo. La dottrina
delle passioni di Aristotele, laddove fu conosciuta, diede alimento ulterio-
re alla svalutazione teorico-conoscitiva della retorica. Essa fu applicata prin-
cipalmente ai vantaggi secondari di quest’arte, dovuti all’influenza che ha
sul popolo ignorante e prigioniero dei sensi.57
Proprio ciò che nella filosofia scolastica condusse alla svalutazione della
retorica, la sua “non scientificità”, il suo carattere immaginoso, il suo po-
tenziale di sollecitazione sensuale, la condusse altrove – e non soltanto
presso gli insegnanti professionali di retorica, ma anche all’interno della
disciplina piú alta e piú difficile dell’intero canone delle scienze, cioè nel-
la teologia medievale, e piú tardi nella difesa della poesia che ad essa fece
seguito nel XIV secolo con il nome di “altra teologia” – ad un’inattesa ri-
valutazione, che in un certo qual modo e su basi del tutto nuove, le resti-
tuí l’antica posizione di preminenza, e che, come ha già osservato E. R.
Curtius,58 rese possibile lo sviluppo fondamentale per la teoria letteraria
dell’era moderna, quello dal poeta theologus al theologus poeta.
Al centro della riflessione teologica sull’utilità della retorica per la vita
sta quella sezione della dottrina dei tropi che attiene non all’inventio, ma
all’elocutio, e che, racchiusa sotto il termine generico di transsumptio o di
translatio, ha portato a un confronto innovativo tra discorso metaforico e
discorso non-metaforico. Se ne darà qui un breve esempio illustrativo sul-
la base di alcune osservazioni di Abelardo e di Boccaccio, curiosamente si-
mili. Le affermazioni sparse nelle diverse opere di Pietro Abelardo sulla
poeticità – che è quanto dire sulla retoricità – della Bibbia si possono rie-
pilogare nelle tre tesi seguenti:59
1) la lingua della Bibbia e dei dottori della Chiesa segue il principio re-
torico dell’aptum: si adatta a scopo pedagogico alla situazione concreta e
alla ricettività dei destinatari ed evita perciò la nitidezza e l’evidenza del
discorso denotativo;
2) essa preferisce l’ambiguità connotativa, l’uso delle metafore e l’in-
ventività, poiché in genere il messaggio può essere approssimativamente
espresso soltanto sotto un tale velo;
3) tale oscurità, però, offre lo stimolo intellettuale ed estetico al lavoro sul
tema piú alto e sostanzialmente irraggiungibile, a una decodificazione sem-
pre nuova di una “letteratura aperta”, che fino alla parusia non avrà pace.
a) Il ‘Sic et Non’
Tutte e tre le tesi compaiono insieme subito all’inizio del prologo del Sic
et Non. Di per sé la lingua dello Spirito Santo, sia pure articolata dall’au-
tore sacro, sarebbe superiore all’intelligenza del lettore, che magari non è
neppure illuminato dallo Spirito. Questa lingua è caratterizzata da «tra-
boccante ricchezza delle parole» (ridondanza ottenuta con l’omonimia e la
sinonimia), dall’imprecisione della lingua corrente (usus) e dalla sua plasti-
cità (evidentia) quale supporto alla comprensione per gli “incolti”, e dalla
difficoltà ermetica quale incitamento per i dotti, al fine di sondare per
quanto possibile gli occulta mysteria, ma anche di «rimettere allo Spirito»
ciò che è inconoscibile, quali domande aperte «che Egli faceva scrivere»,
affinché sia poi Lui, all’epoca prestabilita, a dare loro risposta attraverso al-
tri esegeti.60 I tre aspetti della polivalenza semantica, del carattere imma-
ginoso e dell’ambiguità si potrebbero definire come le “qualità letterarie”
della Bibbia e degli altri testi ispirati; tuttavia, il contesto li rappresenta
anzitutto come degli ostacoli alla comprensione e dei limiti per la comu-
nicazione, cioè come se avessero bisogno, se non di essere scusati, almeno
di essere difesi in relazione ad una posizione contraria.
Questa posizione contraria è l’ideale della proprietas nel senso della cor-
rispondenza non problematica tra res e verba. Le autorità citate in proposi-
61. SN, 12-43, con PRISCIANO, Inst., VII 28; CICERONE, De inven., I 41 76 (cfr. T Sum, II
pp. 77 sg.).
62. AGOSTINO, De doctr. chr., IV 9-10 (CICERONE, Or., 23 78).
63. SN, 15-18: oportet in eadem quoque re verba ipsa variare nec omnia vulgaribus et communibus denu-
dare verbis; quae, ut ait beatus Augustinus, ob hoc teguntur ne vilescant, et eo amplius sunt gratiora quo sunt
maiore studio investigata et difficilius conquisita (in base ad AGOSTINO, In psalm., 103, C.C., XL,
p. 1490, 22-24; De doctr. chr., II 6 7-8).
64. Cfr. J. JOLIVET, Arts du langage et théorie du langage chez Abélard, Paris, Champion, 1969,
pp. 85-94, 350-355; A. BORST, Der Turmbau von Babel, 11/2, Stuttgart, Hiersemann, 1959,
pp. 631-636.
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maginosa, “difficile”. Abelardo, che ha sempre dato rilievo alla sua evolu-
zione da filosofo a teologo (cioè da logico della lingua ad interprete della
Bibbia) come a una svolta, anzi come a una sorta di conversio, ha trovato le
basi storico-salvifiche delle sue riflessioni meno nella Genesi che negli Atti
degli Apostoli: il miracolo della Pentecoste rappresenta per lui, fondatore del
monastero del Paraclito ed autore di parecchi inni allo Spirito Santo, la de-
finitiva irruzione di Dio nella storia linguistica umana, il ribaltamento di
tutti i valori nella teoria della lingua.65 Con la Pentecoste – egli dice – i
Cristiani, scavalcando cosí tutta la logica scolastica, sono diventati gli uni-
ci veri logici, nel senso greco originario del termine: i veri «maestri della
sapienza e dell’eloquenza», poiché è stata conferita loro l’abundantia sermo-
nis, cioè non soltanto l’abbondanza linguistica, ma anche la bella varietà di
tutti gli stili e di tutte le forme del discorso, che nel contempo supera e
conduce a perfezione sacra l’arte ciceroniana della variatio retorica.66 Que-
sto evento salvifico della lingua rivela anche il senso riposto nella partico-
lare forma di rappresentazione che è alla base di tutta la Bibbia: «Dio si
rallegra talmente delle sue creature che preferisce essere raffigurato negli
oggetti naturali, da lui stesso creati, piuttosto che essere descritto con le
nostre parole. Egli gioisce piú della somiglianza (similitudo) con le cose che
della proprietà (proprietas) delle nostre parole. Cosí anche la Scrittura per
abbellire il discorso preferisce usare come termini di paragone gli oggetti
della natura, piuttosto che basarsi sulla nitidezza di un linguaggio appro-
priato (proprie locutionis integritas)».67 La Bibbia parla dunque in maniera
immaginosa e bella, cioè in forma retoricamente perfetta, partendo dalla
natura creata da Dio, e in modo non univoco nella lingua di comunicazio-
ne razionale allestita dagli uomini.
65. Cfr. E. R. SMITS, Peter Abelard, Lettres IX-XIV, diss. Groningen 1983, pp. 172-188.
66. Cfr. CH. BURNETT, Peter Abaelard Soliloquium, in «Studi medievali», XXV 1984, pp. 889 sg.,
e l’epistola XIII edita dallo SMITS (vd. n. 65), pp. 275 sg. Abelardo ammette che il senso da lui at-
tribuito alle parole – l’utilizzazione del termine logici per designare i cristiani illuminati dallo Spi-
rito Santo – non è quello abituale. Già a quell’epoca era metaforico.
67. T Sch, II 32, p. 423.
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Questo risulta chiaro dal prologo del commento all’Epistola ai Romani (ed.
Buytaert, pp. 41-44): Abelardo spiega qui innanzitutto il piano generale
della Bibbia secondo lo schema retorico-poetico dei tre scopi di docere, de-
lectare, movere (laddove il delectare poetico, che egli ricorda nel passo poco so-
pra citato a proposito della gioia di Dio, è ora tralasciato, o piuttosto, in
conformità all’orizzonte prevalentemente retorico, risulta senza dubbio su-
bordinato al movere). In modo lapidario sin dalla prima frase dichiara: Om-
nis scriptura divina, more orationis rhetoricae, aut docere intendit aut movere.68 In-
segnare significa indicare quel che si deve fare e quello che si deve evitare.
Commuovere vuol dire da un lato persuadere esortando (persuadere), dal-
l’altro dissuadere ammonendo (dissuadere). Perciò l’Antico e il Nuovo Te-
stamento sono distinti in tre parti: l’Antico Testamento anzitutto «inse-
gna» con la legge del Pentateuco, in secondo luogo «esorta» con i Profeti,
che commuovono l’animo portandolo all’obbedienza, ed infine «ammoni-
sce» insistentemente contro il Maligno, oltre che con alcuni profeti, so-
prattutto con i libri storici, fornendo chiari esempi di comportamenti vi-
ziosi. Il Nuovo Testamento insegna con il Vangelo e commuove attraverso
le esortazioni delle lettere degli Apostoli e dell’Apocalisse, e attraverso i rac-
conti storici degli Atti degli Apostoli (che qui, per amor di simmetria, van-
no considerati di carattere prevalentemente dissuasivo, anche se questo non
è detto esplicitamente).
Questa introduzione generale (pp. 41 sg.) mira a una interpretazione re-
torica assai originale dell’Epistola ai Romani, che viene esposta subito dopo
nella seconda parte, il prologus specialis (pp. 42 sgg.): le lettere di Paolo non
dovrebbero essere lette come doctrina, ma come admonitio, poiché altrimen-
ti il disconoscimento nella diversa intenzione dell’autore sacro porterebbe a
una accettazione testuale delle parole ermeneuticamente ingenua e antisto-
rica. Ciò che è detto ad hoc, in una situazione determinata e per interlocu-
tori determinati – è questo in altre parole il nucleo spinoso dell’argomen-
tazione sulla dottrina della grazia – non deve essere preso come se fosse una
prescrizione assoluta, valida indefettibilmente in tutte le epoche per il
«pubblico universale» (Ch. Perelman). Paolo si è espresso cioè more scriben-
tium epistolas (p. 47) e ha applicato i due procedimenti retorici dell’amplifi-
catio (da intendersi qui come auxesis) e dell’extenuatio (attenuatio), cosí da
«esagerare» per i Romani troppo orgogliosi l’effetto della grazia e da «smi-
68. Comm. Rom., p. 41: «Tutta la Sacra Scrittura vuole insegnare o commuovere alla maniera di
un discorso retorico».
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nuire» il valore delle opere, in modo da esortarli a essere piú modesti e a vi-
vere piú pacificamente gli uni con gli altri. Amplificazione e diminuzione
formano dunque lo specifico modus tractandi dell’Epistola ai Romani (p. 43).
Esso è provato con argomentazioni di carattere estetico: Abelardo fonda
le sue idee sulla legittimazione civile dell’arte oratoria operata da Cicero-
ne (De inventione, II 56), in base alla quale l’oratoria, a differenza della si-
curezza economica, non rientra tra gli elementi irrinunciabili, «necessari»
dello stato, ma è da annoverare tra quelli egregia, per esempio i begli edifi-
ci o le dominationes politiche, cioè tra quei beni che contribuiscono al cre-
dito e alla considerazione dello stato. La differenza tra condizioni suffi-
cienti e necessarie, in riferimento alla Scrittura, significa: senza dubbio
l’insegnamento del Vangelo basterebbe per la salvezza, ma non «per lo
splendore della Chiesa e per l’estensione della sua stessa salvezza» (ad eccle-
siae decorem vel ipsius salutis amplificationem). Perciò gli Apostoli e piú tardi
i Padri avrebbero aggiunto (superaddi) ancora molti instituta, quali sono le
lettere pastorali, i canoni, i decreti, le regole monastiche e altri scritti, che
sarebbero tutti «pieni di esortazioni», perché la Chiesa «sia resa piú bella,
piú grande e piú solida» (pp. 42 sg.). Nei concetti di «splendore» e di
«estensione» non si deve vedere affatto, per restare nell’immagine, un ad-
dobbo sovrapposto o un abbellimento supplementare. È proprio alla do-
manda continuamente risollevata nei precedenti commentari paolini a par-
tire da Pelagio – perché mai ci fosse ancora bisogno delle lettere degli Apo-
stoli, dal momento che tutto l’essenziale era già stato detto nei Vangeli69
–, è proprio a questa domanda che Abelardo vorrebbe fornire una risposta
basata su una comprensione della retorica assolutamente positiva; e questa
risposta non si può ridurre alla differenza tra involucro e sostanza, nello
spirito del moderno disprezzo per la retorica. Amplificatio si riferisce meno
alla dimensione che all’intensità. Poiché secondo il contesto tutte le parti
della Bibbia, anche gli insegnamenti mosaici ed evangelici, sono redatti
more orationis rhetoricae, le sezioni esortative si presentano non come appen-
dici, ma come incrementi psicagogici in quella stessa intenzione linguisti-
ca che, per esprimersi con la terminologia propria alla teoria degli atti del
discorso (speech acts), dapprima trasmette il messaggio in forma constativa,
poi lo sostiene in forma illocutoria.
Questa interpretazione delle lettere di Paolo come capolavori dell’arte
oratoria è senza dubbio un’eccellente testimonianza dell’importanza prati-
69. Cfr. R. PEPPERMÜLLER, Abaelards Auslegung der Römerbriefes, Münster 1972, pp. 16-22.
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ca – nel senso piú elevato del termine, quello cristiano – assunta dalla re-
torica nel Medioevo tanto per l’ermeneutica biblica quanto per l’omileti-
ca. Essa ha anche dato origine a una propria tradizione che prosegue nel
XIII secolo e che è rilevante per la gerarchia delle discipline del trivio.
Nell’Ysagoge della scuola di Abelardo70 si trova un passo importante, che
piú tardi ritorna anche nei manuali di retorica, a proposito del primato del-
la retorica dal punto di vista teologico. L’intero trivio è posto a servizio del-
l’eloquentia. Ciò che la grammatica insegna a capire, cioè l’intellectus delle
parole, la dialettica lo conduce ad una dimostrazione attendibile, che pro-
duce fides (cioè ‘plausibilità’, non ‘fede’); ma alla fine è la retorica che por-
ta a compimento questi due stadi, poiché aiuta a tradurre in azione quello
che è stato capito e ritenuto attendibile; perché essa sola facit velle, essa sola
è in grado di convertire lo spirito in pratica nel senso richiesto dalla fede
attiva e dal primato filosofico dell’etica.
La triade intellectus, fides, velle diviene poi uno schema largamente diffu-
so, recepito anche al di fuori dello sfondo teologico.71 Lo ritroviamo in un
contesto puramente laico presso i dictatores italiani del XIII secolo. Quasi
con le stesse parole dell’Ysagoge, per esempio, Bono di Lucca nel suo Cedrus
Libani scrive a proposito del Trivio, non piú chiamato complessivamente
eloquentia, bensí dictamen:72 «la grammatica illumina lo spirito, la dialetti-
ca conferisce attendibilità, ma è la retorica a determinare la volontà. Di
tutte e tre ha assai bisogno il dictator, il quale riesce a far sí che gli ascol-
tatori capiscano quello che dice, credano a quello che capiscono, e accetti-
no quello che credono». Brunetto Latini, infine, seguendo Vittorino, rias-
sume il trivio nella scientia civilis, perché la grammatica insegna a «dire e
dittare» bene, la dialettica insegna gli argomenti «che danno fede» e la re-
70. Ysagoge in Theologiam, a cura di A. LANDRAF, in ID., Écrits théologiques de l’école d’Abélard, Lou-
vain 1934, pp. 71 sg.; cfr. MCKEON, Rhetoric, cit., p. 22.
71. Il passo dell’Ysagoge è stato ripreso da Bernardo Silvestre nel suo commento all’opera di Mar-
ziano Capella. Esso svolge qui la difesa della preminenza pratica della retorica rispetto alle altre ma-
terie del trivio che producono l’eloquentia, in base alla sua rilevanza «politica»; cfr. Commentum in
Marcianum (a cura di H. J. WESTRA, Toronto-Leiden, Brill, 1986), II 131-134, p. 47; III 942-970,
pp. 79 sg.: Huius [eloquentie] autem tres sunt species: grammatica, dialectica, rhetorica, totidem efficacie sci-
licet intellectus, fides, persuasio […]. Grammatica namque manifestat intellectum, dialectica confert fidem,
rhetorica promovet persuasionem […]. Ecce habes quia eloquentia pellit silencium et facundiam format dum,
quod in principio facit intelligere, provectu facit credere, perfeccione velle. Questo passo si ritrova pressoché
identico anche nel commentario all’Eneide, Commentum supra sex libros Eneidos Vergilii, a cura di J. W.
e E. F. JONES, London-Lincoln, University of Nebraska Press, 1977, p. 31, 2-11.
72. A cura di G. VECCHI, Modena, STEM, 1963, pp. 8 sg.: grammatica illuminat intellectum, dia-
lectica fidem prestat et rhetorica facit velle; que tria multum expediunt dictatori, quod suum est facere, ut ea
que dicit intelligant auditores, intellecta credant, et creditis acquiescant.
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c) La ‘Theologia’
Questa interpretazione omiletica della retorica mostra tuttavia soltanto
l’aspetto dell’intenzionalità pedagogico-pastorale, che è l’unico ad essere
determinante anche per la predica popolare, e dal quale già Abelardo ave-
va preso le mosse nel suo commentario alla Epistola ai Romani allo scopo di
difendere il carattere retorico della Bibbia. Sulle altre funzioni e sul mez-
73. La rettorica, 17, 19-20, ed. MAGGINI cit., pp. 34 sg.; cfr. SGRILLI, Retorica e società, cit.,
pp. 382 sg.
74. WARD, Artificiosa eloquentia, cit., II, p. 299, par. 43.
75. De eruditione Praedicatorum, a cura di M. DE LA BIGNE, Lyon 1677, p. 442; cfr. D. ROTH, Die
mittelalterliche Predigttheorie und das Manuale Curatorum des Johann Ulrich Surgant, Basel, Helbing,
1956, pp. 57-63; TH.-M. CHARLAND, Artes praedicandi, Paris-Ottawa, Vrin, 1936, p. 47.
76. Cfr. CAMARGO, Rhetoric, cit., pp. 111-124.
77. J. R. O’DONNELL, Rhetorica divina of William of Auvergne, in Images of Man in Ancient and Me-
dieval Thought in Honor of Verbeke, Leuven 1976, pp. 323-333.
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79. Ibid., II 32-33, pp. 423 sg.; II 93, p. 453; T Sum, II 75-80 (invectio in dialecticos), pp. 140 sg.;
T chr, III 135, p. 246.
80. T Sum, II 77-78, pp. 140 sg.; T Sch, II 90-91, p. 452; piú brevemente in T chr, 133-134,
pp. 245 sgg.
81. Cfr. sopra, p. 237 e n. 19.
82. T Sum, II 77, p. 140 (= T chr, III 133). Sulla funzione autodistruttiva per la teologia del con-
cetto aristotelico di scienza, cfr. il lavoro fondamentale di T. GREGORY, Forme di coscienza e ideali di
sapere nella cultura medievale, in «Archives internationales d’histoire des sciences», XXXVIII 1988,
121, pp. 187-242.
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83. Per le sfumature ugualmente sottese a questa definizione generale, cfr. E. JEAUNEAU, Lectio
philosophorum, Amsterdam, Hakkert, 1973, pp. 125 sgg. e 379, s.v. Abelardus; P. DRONKE, Fabula,
Leiden-Köln, Brill, 1974, pp. 32-67.
84. T Sch, I 160 sg., p. 384 (= T chr, I 100 sg., p. 113): quasi ergo in latebris dominus quiescere gau-
det, ut, quo magis se occultat, gratior fit illis quibus se manifestat, et quo magis ex difficultate scripture labo-
ratur, meritum lectoris augeatur […]. Quae quidem tanto cariora sunt intellecta quanto in his intelligendis
maior operae facta est impensa («perciò il Signore quasi si compiace di nascondersi, perché, quanto piú
si cela, tanto piú gradito diviene a coloro cui si manifesta, e quanto piú si fatica per la difficoltà del-
la Scrittura, tanto piú aumenta il merito del lettore. Perché quello che si capisce è tanto piú caro
quanto maggiore è lo sforzo fatto nel capirlo»).
85. T Sch, I 141-158, pp. 377-383; I 163, p. 385.
86. T Sch, I 97-114, pp. 356-363.
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87. T Sch, I 157-159, p. 383 («vengono nascoste per non essere svilite […] è detto in modo oscu-
ro perché si possa far luce con la propria fatica e l’intelletto sia tenuto lontano dalla noia»).
88. T Sum, II 21, p. 121 = T chr, III 44 (Timaeus, 28C); cfr. P. VON MOOS, Literatur- und bildung-
sgeschichtliche Aspekte der Dialogform im Mittelalter, in Tradition und Wertung. Festschrift F. Brunhölzl,
Sigmaringen, Thorbecke, 1989, p. 200.
89. Sotto l’influsso del primato della degustatio sensoriale è qui rovesciato l’ordine gerarchico di
sapore intellettualistico della suspicio (sentore) e dell’intellectio (conoscenza), citato sopra.
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Si trova qui ora il decisivo punto di contatto tra i concetti letterari dei
teologi esegeti e quelli degli scrittori e dei poeti creativi. Il summenzionato
modello di legittimazione di una «letteratura per lettori» (H. Weinrich),
cioè di un allestimento dell’enigmatico e dell’ambivalente per l’acume degli
interpreti, si trova in effetti anche in numerose dichiarazioni metalinguisti-
che (per esempio, nei prologhi) della stessa letteratura latina e addirittura di
quella volgare. Si ricorderà soltanto l’autoattribuzione di Maria di Francia
alla tradizione della clergie: «Assez oscurement diseient / Pur ceus ki a venir
estaient […] ki peüssent gloser la lettre / E de lur sen le surplus mettre».99
Questo ideale del lettore esercitato da un punto di vista ermeneutico – un
ideale conosciuto soprattutto attraverso le ricerche su Chrétien, Dante e
Chaucer – non era esclusivamente clericale. Lo scrittore che tendeva ad esso
non dovrebbe neppure essere classificato come elitario, magari semplice-
mente con l’espressione “poeta doctus nel Medioevo”. La divisione della so-
cietà, spesso accentuata nel Medioevo, in simplices e sapientes non ha bisogno
di ricoprirsi necessariamente di una dicotomia sociale. È stata ricordata an-
che retoricamente o addirittura propagandisticamente, proprio allo scopo di
svegliare la multitudo imperita dal suo sonno culturale. Nessuno cui si rivol-
gesse la parola avrebbe voluto appartenere alla «stupida plebe». Cosí l’idea
dei «pochi eletti» rappresentava uno stimolo per passare dalla ruditas all’e-
ruditio. (Per coloro che non fossero interpellati in questa maniera, la mag-
gioranza effettiva della popolazione, erano a disposizione, almeno a partire
dal XIII secolo, anche i semplici mezzi di istruzione dell’aedificatio, che fu-
rono chiamati dai loro maggiori divulgatori, i frati mendicanti, nella chiara
conoscenza dell’alimentazione di base, «latte per bambini»).
Lo storico della letteratura mediolatina, cioè di una letteratura scritta dai
chierici per i chierici e per altri che avessero dovuto ricevere un’educazione
da chierici, non può trovare nessun motivo piú importante per la produzio-
ne letteraria che l’utopia didattica dell’uomo esperto nella lettura, che in-
tende servirsi in senso ampio della parola di Rom., 15 14, la cui applicazio-
99. Lais, a cura di A. EWERT, Oxford 1958, pp. 1 sg. Alcune analogie sono presenti anche nei
prologhi del Parsival di Wolfram o nel Tristano di Gottfried. Per il principio generale cfr. i lavori
di A. J. MINNIS, Medieval Theory of Authorship. Scholastic Literary Attitudes in the Later Middle Ages,
London, Scholar Press, 1984, e A. J. MINNIS - A. B. SCOTT, Medieval Literary Theory and Criticism
c. 1100 - c. 1375, Oxford, Clarendon Press, 1988, pp. 373 sgg.; altre indicazioni sono offerte dalla
bibliografia a p. 304, come anche dall’importante recensione a J. B. ALLEN, The Ethical Poetic of the
Middle Ages, Toronto-London 1982, in «Speculum», LIX 1984, pp. 363-366; cfr. anche F. BRUNI,
Semantica della sottigliezza, in: ID., Testi e chierici, cit. pp. 91-134 e VON MOOS, Geschichte als Topik,
cit., pp. 183 sgg.
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ne passa dalla Bibbia a tutti gli scritti: «Tutto ciò che è scritto, è scritto per
la nostra istruzione». L’«istruzione» era intesa qui sia contenutisticamente
che metodologicamente, non soltanto come morale cristiana, ma anche come
allenamento delle capacità interpretative. Abelardo chiamò questa istruzio-
ne «scienza» e la difese contro i rimproveri riferiti semplicisticamente al
contenuto: ogni scienza è buona, anche la scienza del maligno. Non è catti-
va la conoscenza dell’adulterio e dell’inganno, ma è cattivo commettere
adulterio ed ingannare.100 Il principale mezzo “scientifico” per la produzio-
ne e la comprensione della letteratura, ed in particolare della letteratura
enigmatico-metaforica, era però la translatio retorica nel senso piú ampio.
3. CONCLUSIONI
100. T Sum, II 7 sg., pp. 116 sg.; T Sch, II 29 sg., pp. 421 sg.; T chr, III 6 sg., pp. 196 sg.
101. Trattatello in laude di Dante, IX-X, a cura di P. G. RICCI, in Tutte le opere di Giovanni Boccac-
cio, III, Verona 1965; The Life of Dante, trad. di V. Z. BOLLETTINO, New York-London 1990, pp. 35-
41; Genealogiae Deorum, XIV 9-10, 12-14, ed. a cura di J. REEDY, in Boccaccio in Defense of Poetry, To-
ronto 1978, pp. 40 sgg., 50-54. Diversamente da Abelardo, Boccaccio vede il polo d’opposizione
alla obscuritas poetarum non nella proprietas dialettica, ma nella plana atque lucida oratio retorica (Ge-
neal., XIV 12, pp. 51 sg.). Quest’orientamento specificamente pragmatico dell’ars dictaminis italia-
na dovrebbe essere altrove confrontato con la concezione fortemente poetica della retorica nella tra-
dizione francese. Cfr. M. CAMARGO, A XIIth Century Treatise on ‘Dictamen’ and Methaphor, in «Tradi-
tio», LXVII 1992, pp. 161-213; WORSTBROCK, Die Frühzeit der Ars dictandi, cit.
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102. Cfr. H. G. COENEN, Literarische Rhetorik, in «Rhetorik», VII 1988, 1, pp. 43-62, e l’intro-
duz. di VICKERS a Rhetoric Revalued, cit., pp. 16 sg.
08-dialogetGRAZIEDIESISTE#5D12C 9-09-2005 10:34 Pagina 327
8. DIALOGUE ET MONOLOGUE.
POUR UNE ANTHROPOLOGIE HISTORIQUE
ET PHILOSOPHIQUE DE L’INTERACTION*
* Ce texte inédit est une version abrégée d’un projet présenté au Collège International de Phi-
losophie à Paris le 31 janvier 1992, qui est devenu la ligne directrice de mes travaux ultérieurs sur
l’interaction. La bibliographie sommaire est celle de 1992, mais les notes renvoient à la bibliogra-
phie générale à la fin du volume et signalent les études déjà achevées de ce projet.
08-dialogetGRAZIEDIESISTE#5D12C 9-09-2005 10:34 Pagina 328
toutes sortes qui, à la fin du XXe siècle, instaurent un climat mental qui
tend à «excommunier» l’Autre, à l’exclure de toute communication raison-
nable et humaine. La question se pose alors autrement: l’histoire n’est-elle
qu’un éternel retour, un nihil novum sub sole? L’opposition bakhtinienne, si
elle n’est pas uniquement une chimère née des obsessions d’un intellectuel
ayant vécu sous la terreur soviétique, contredit-elle ou confirme-t-elle la
thèse d’un «processus de la civilisation»?
Cette approche montre l’impact proprement philosophique du problè-
me: la vérité est-elle une donnée à transmettre, à enseigner, à prêcher ou
une inconnue à chercher, à désirer, à élaborer? Le dialogue au sens fort
(idéal) du terme n’a de sens que dans la deuxième option. Depuis Socrate
et Platon, ce dialogue n’est autre que la recherche en commun et sans pré-
suppositions de la vérité, par des êtres égaux et libres qui s’entretiennent
sans avoir recours, ni au pouvoir, ni à la ruse, ni à l’argument d’autorité1.
Même si ce dialogue idéal n’a jamais été pleinement réalisé, il a du moins
servi d’«idée régulatrice» pour certaines civilisations, ce qui nous permet
d’établir un pont entre l’histoire des mentalités et la philosophie. Entre ces
disciplines, un autre «dialogue», celui de l’interscience n’est guère suffi-
samment établi. Il y a quelques années, les historiens du Moyen Âge ont
privilégié le paradigme de «l’oral et de l’écrit» sans faire le lien avec celui
du «dialogue et du monologue». Ils étaient fascinés par l’énorme expan-
sion de l’écriture dans tous les domaines de la vie sociale à partir du XIIIe
siècle. Le dialogue écrit, fiction d’oralité, participe de diverses manières à
ce développement, soit comme préalable de l’oral (dans des textes didac-
tiques destinés à l’enseignement de l’art de la controverse ou de la conver-
sation), soit comme trace de l’oral (dans des procès-verbaux ou dans toutes
sortes de dialogues littéraires). Le Moyen Âge tardif intègre «une culture
orale résiduelle» (Walter Ong) au monde de l’écrit2. En théorie les rap-
ports de l’oral et de l’écrit sont intimement liés à ceux du dialogue et du
monologue. Une culture du livre sacré, fondée sur la parole de Dieu, valo-
rise la méditation silencieuse de la révélation et déprécie les moindres «pa-
roles oiseuses» des hommes, dont ils auront à «rendre compte au Jugement
dernier» (Matth. 12, 36). Une culture de la «voix vive» prône le discours
libre et ouvert, même conversationnel (académicien, tusculanéen ou «de
salon»), pourvu qu’il fasse jaillir l’étincelle de la sagesse, et elle abhorre ce
I. RHÉTORIQUE ET PHILOSOPHIE
V. LE DIALOGUE ET L’IMMÉDIAT
Enfin, pour terminer sans entrer dans le détail, on pourrait dresser une
liste sommaire de pseudo-dialogues (pré-dialogues, dialogues contrefaits
ou fictifs):
L’échange ritualisé et obligatoire, la parole prenant valeur de don (au
sens de M. Mauss).
Le discours phatique (small talk), qui proscrit le silence pour entrete-
nir l’impression d’une communauté («ça parle»).
L’enseignement par catéchisme, qui simule la réciprocité en présu-
mant la curiosité interrogative de l’élève.
Le dialogue purement éristique, qui vise la victoire sur l’adversaire au
lieu de la commune conviction (on peut partir de Platon, mais aus-
si de l’instruction magistrale partiellement parodique de Schopen-
hauer).
11. Cf. ma bibliographie N° 43 (1993), 60, 61 (1998), 76, 78-80 (2001), 95 (à par. 2005).
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* Version remaniée d’un article paru dans Annales E.S.C. 44.4 (1989) = N° spécial: Oral/écrit 2,
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1. «Gespräch und Diskurs», dans Das Gespräch. Poetik und Hermeneutik, 11, K. Stierle, R. War-
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2. Préface à la nouvelle édition des Essais des merveilles de nature et des plus nobles artifices d’Étien-
ne Binet S.J., 1621, Évreux, 1988; cf. M. Fumaroli, L’âge de l’éloquence. Rhétorique et «res literaria»
de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Genève-Paris, Droz, 1980; Claude Hagège, L’homme de
paroles, 2e éd., Paris, 1986, pp. 89-125 et surtout Paul Zumthor, La lettre et la voix. De la «littéra-
ture» médiévale, Paris, Seuil, 1987.
09-Evrarddypres 9-09-2005 10:34 Pagina 344
3. M. Roblens, «Le dialogue philosophique, genre impossible? L’opinion des siècles classiques»,
dans Le dialogue, genre littéraire, Cahiers de l’Association Internationale des Études Françaises, 24,
1972, p. 50.
4. Orality and Literacy, Londres, 1982, chap. IV, qui renvoie en particulier au livre magistral de
M. T. Clanchy, From Memory to Written Record, England 1066-1307, Londres, 1979.
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poète et les personnages parlent à tour de rôle. Il est évident que les deux
derniers de ces trois modes d’expression se distinguent par leur emploi du
dialogue. Cette division se réfère à une pratique scolaire bien réelle, héri-
tée de l’Antiquité tardive et tout à fait fondamentale pour la production
littéraire du Moyen Âge: celle des exercices de transformation ou de varia-
tion d’un même texte ou sujet d’une forme à l’autre, par exemple de prose
en vers, d’une version brève en version amplifiée, de l’énoncé abstrait et
atemporel à l’illustration particulière et historique, ou inversement7. Or,
parmi ces progymnasmata figure également la transformation de la forme
narrative en forme dialoguée.
Un nombre considérable d’œuvres appartenant au genre si particulière-
ment médiéval du «débat poétique» provient de la pratique scolaire qui
consiste à mettre en dialogue des fables apprises au cours de l’enseigne-
ment élémentaire. Le premier théoricien de l’école latine du Moyen Âge,
le grammairien Donat donne lui-même l’exemple pratique de cette varia
tractatio. Thierry de Chartres8 note expressément que dans les deux édi-
tions de sa grammaire, le Donatus minor et le Donatus maior, il emploie
d’abord ce que les Grecs appellent dialecticismus, le traitement par ques-
tions et réponses qui apprend aux novices à interroger leurs maîtres, puis
le soi-disant analecticismus, l’exposé simple et succinct des résultats de la re-
cherche, destiné lui aux élèves avancés. Le dialogue passait pour une forme
particulièrement pédagogique et nécessairement plus prolixe que l’exposi-
tion affirmative. C’est pourquoi, dans les Arts poétiques et rhétoriques du
XIIe siècle, la «prosopopée» et ses dérivés, figures du discours direct et du
dialogue, sont le plus souvent traitées dans le cadre des procédés de l’am-
plification. Parmi les «classiques» de la littérature médiolatine, l’exemple
le plus célèbre d’une transformation élaborée du genus diegematicon en genus
dramaticon est sans doute l’œuvre de Hrotsvitha de Gandersheim, qui trai-
te un même fonds hagiographique, d’abord à la manière des poètes
épiques, puis comme une «imitation» de Térence9. De même, dans la flo-
raison poétique du XIIe siècle, l’aetas Ovidiana, plusieurs imitations, tra-
7. Sur ces exercices cf. Alexandru Cizek, «Imitatio» und «tractatio». Die literarisch-rhetorischen
Grundlagen der Umsetzung epischer und historiographischer Vorlagen in der Anlike und im Mittelalter, Tü-
bingen 1994.
8. In Heptateucon, prologue, cité d’après A. Clerval, Les écoles de Chartres au Moyen Âge, Chartres,
1895, p. 224.
9. G. Brugnoli, «Azione e dialogo in Rosvita», Annali della Facoltà di lett. filos. e magistero d.
Univ. di Cagliari 28, 1960, pp. 501-527: C. Villa, La «lectura Terentii» t. 1, Padoue, 1984, p. 114.
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10. P. Dronke, «Pseudo-Ovid, Facetus, and the Arts of Love», Mittellateinisches Jahrbuch 11,
1976, pp. 126-142; F. Bertini, «La commedia latina del XII secolo», dans L’eredità classica nel me-
dioevo: il linguaggio comico. Atti del III Convegno di Studio sul teatro, Viterbe, 1978, pp. 63-80.
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11. K. F. Wilson, Incomplete Fictions, Washington D. C., 1985. Voir aussi le judicieux tour d’ho-
rizon d’Alain Michel sur la continuité du dialogue cicéronien à travers le Moyen Âge dans Le dia-
logue au temps de la Renaissance, voir note 12, pp. 9-23.
12. Voir la bibliographie de K. F. Wilson; David Marsh, The Quattrocento Dialogue Harvard,
1980; Le dialogue au temps de la Renaissance Centre de Recherche sur la Renaissance, M. T. Jones-Da-
vies éd., Paris, 1984.
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en a pour ainsi dire pas sur le dialogue médiéval, bien que les appels à écri-
re son histoire littéraire n’aient jamais fait défaut, à commencer par ceux
de Ludwig Traube13, fondateur de la philologie latine du Moyen Âge en
Allemagne, et de Martin Grabmann14, pionnier de l’histoire de la métho-
de scolastique, pour qui la disputatio est un sous-genre restreint de la caté-
gorie bien plus vaste du dialogue médiéval. On pourrait méditer ici sur les
causes de cette lacune. Hans Walther est l’un des rares érudits qui ait étu-
dié un domaine particulier du dialogue littéraire latin. Dans sa thèse de
1913 sur le débat poétique15, il dénonce le préjugé humaniste d’une pé-
nurie essentiellement due à la méconnaissance d’une immense littérature
latine inédite, que seule l’édition des textes permettrait d’apprécier plus
équitablement. Aujourd’hui, après plus de soixante-dix ans de recherches
philologiques, il faudrait non pas contester ce jugement, mais le complé-
ter. En effet, bien que de nombreux dialogues ne puissent être étudiés que
dans des manuscrits et de vieilles éditions, c’est pourtant moins la pénurie
que le foisonnement inquiétant de dialogues disponibles et imprimés qui
ont empêché leur étude. En abordant ce qui a l’apparence d’un genre lit-
téraire, l’érudit est aussitôt confronté à un océan de textes de toutes na-
tures, qui pour la plupart ne sont apparentés que très superficiellement par
ce procédé qu’est la forme ératopocritique des questions et réponses.
Le médiolatiniste se trouve dans une situation curieusement opposée à
celle du spécialiste du latin patristique. Peter Lebrecht Schmidt16, qui, à
mon avis, a écrit l’étude la plus approfondie qui existe sur le dialogue chré-
tien de l’Antiquité, reproche au livre de Bernd Rainer Voss sur le même
sujet d’épuiser les dialogues philosophiques d’inspiration platonicienne ou
cicéronienne de Minucius Felix à Augustin, qui dans l’ensemble de la pro-
duction de dialogues apparaissent comme d’éminentes exceptions, et, par
contre, de négliger l’immense majorité des dialogues didactiques et des
controverses doctrinales de l’Église ancienne qui sont le plus souvent des
17. Nikolaus M. Häring éd., «A Latin Dialogue on the Doctrine of Gilbert of Poitiers», Me-
diaeval Studies 15, 1953, pp. 243-289 (= Dial.). Je renvoie aux pages et alinéas.
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trinal entre Gilbert et Bernard de Clairvaux, en a éclipsé tous les autres as-
pects. Un grand historien de la théologie, Nikolaus Häring, qui a le mé-
rite d’avoir édité ce texte en 1953 et d’en avoir identifié l’auteur en
195518, y voit la source la plus riche de ce qu’on pourrait appeler la «doc-
trine non écrite» du théologien Gilbert; il conseille néanmoins aux philo-
logues de s’attacher aux structures littéraires de ce qui, selon lui, est à lire
comme une pièce de théatre19. L’auteur y dramatise en effet les problèmes
théoriques afin de les rendre plus intelligibles et afin de mieux défendre la
position de Gilbert; son œuvre s’apparente au lointain modèle platonicien,
qu’il ne connaissait pourtant pas, car elle combine l’apologie d’un défunt,
l’historiographie philosophique et la mise en scène d’une pensée.
Parmi tous les textes dialogués du Moyen Âge que j’ai recueillis jus-
qu’ici, je n’en connais pas de plus rafraîchissant par son art du ridentem di-
cere verum. Le lecteur moderne est souvent intrigué par l’«altérité» que re-
présente ce balancement continuel entre le sérieux théologique et l’hu-
mour poétique. Le procédé dominant est une dilatatio materiae toute parti-
culière, retardant sans cesse l’exposé du sujet principal par d’interminables
digressions (et même par des digressions sur la nature de la digression) qui
créent une sorte de suspense et, en même temps, transgressent gaiement
les lois des genres officiels de l’exposé théologique. Ce sera la méthode de
Tristram Shandy, de Jacques le Fataliste et même du Nom de la Rose, dont
l’auteur, à mon avis, est un des rares connaisseurs et probablement le seul
imitateur moderne de ce texte.
Il est significatif que, dans l’unique manuscrit subsistant du Dialogus,
après le premier quart de l’ouvrage20, un glossateur ait noté en marge cet
avis au lecteur: «Si tu es pressé d’arriver aux solutions des problèmes, com-
mence ici et saute le reste!». Nous n’allons pas suivre ce conseil, mais plu-
tôt nous concentrer sur ce que les théologiens21 jugent superflu, sur l’as-
pect littéraire de cette «comédie théologique» pleine de saillies scéniques,
de subtiles citations parodiques et de brillants jeux de mots. Si je parle
d’«aspect littéraire», c’est précisément que le texte lui-même n’est pas
18. «The Cistercian Everard of Ypres and His Appraisal of the Conflict between St. Bernard and
Gilbert of Poitiers», Mediaeval Studies 17, 1955, pp. 142-172. J. Leclercq avait déjà publié une édi-
tion partielle dans la même revue, 14, 1952, pp. 116-127.
19. Op. cit. 1955, p. 156. Jean Leclercq, L’amour des lettres et le désir de Dieu Paris, 1957, p. 134,
n. 5: «témoin de cet humour cistercien au sujet duquel il y aurait une belle étude à écrire».
20. Dial. p. 252, n. 59.
21. Pour la bibliographie voir infra, n. 57, 91.
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Everardus natione Yprensis, professione monachus Claravallensis, sed liberalium studio ar-
tium et disciplina scholari aliarum facultatum Parisiensis.
22. S. Kuttner, Repertorium der Kanonistik t. 1, Le Vatican, 1937, p. 187: manuscrit Reims 689
(s. XII) fos 1-74; Häring, op. cit. 1955, p. 143.
23. Dial. p. 258, 10.
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24. Dial. p. 245. 5; cette plaisanterie sur le «profit» personnel de la création poétique se re-
trouve aussi dans le prologue du «Geta» de Vitale de Blois; A. Paeske éd., Der «Geta» des Vitalis von
Blois Cologne, 1976, v. 11-22; infra, n. 60.
25. Ep. 2, infra, n. 29, p. 169, 3.
26. Apologia contra Bernardum, R. M. Thomson éd., Mediaeval Studies, 41, 1980, pp. 89-138.
27. J. Leclercq, L’amour des lettres, supra, n. 19, pp. 185 ss.; Grabmann, op. cit. supra, n. 14, t. II,
pp. 25 ss.
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28. Cambrai, manuscrit 259, fos 220 vo-240 ro, décrit par J. Lecercq, op. cit. n. 18, pp. 111-113.
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sième lettre fait écho comme s’il avait réellement eu lieu, nous permet de
supposer que la composition tripartite dans son ensemble est une fiction
littéraire, peut-être même écrite d’un seul jet29. On peut supposer qu’É-
vrard ait voulu imiter ainsi le célèbre modèle de Sulpice Sévère qui avait
défendu la mémoire de saint Martin par un arrangement de trois genres
différents: l’historiographie, l’épistolographie et le dialogue. Évrard se se-
rait ainsi abrité des critiques éventuelles par trois moyens: prendre le pape
lui-même comme destinataire de la première lettre; mettre les idées les
plus osées dans la bouche d’un tiers interlocuteur; et enfin, supposer un
correspondant inconnu dont on nous apprend seulement qu’il est un
confrère de l’auteur. Quoi qu’il en soit, le dossier comporte trois variations
du même thème: l’ouverture oratoire solennelle en stylus grandiloquus
adressée au pape, la simple conversation familière entre amis dans le stylus
humilis et l’invective de la troisième lettre, ouvertement sarcastique, écrite
dans le stylus medius de la satire et formant en même temps une sorte d’épi-
logue. Dans la forme, ces trois textes montrent une unité de genre, puisque
tous, même le dialogue, commencent par une formule de salutatio épisto-
lographique (début du dialogue: Suo suus). Par ailleurs, les deux dernières
pièces du dossier peuvent être considérées comme une sorte de dialogue
continu, car le frère B. de la lettre finale continue le dialogue d’Évrard à la
manière d’un interlocuteur absent qui commenterait, critiquerait et com-
pléterait ce qu’il a lu et qui, en fin de compte, demanderait à participer à
la poursuite du dialogue entre Ratius et d’Everardus. Il a la fonction d’un
lecteur idéal guidant les lecteurs réels d’Évrard d’Ypres.
Nous allons nous occuper principalement de la partie centrale de la col-
lection tripartite du dialogue vouée à la défense du théologien Gilbert. En
observant certains détails de la mise en scène, nous pouvons déceler les mo-
dèles de l’œuvre. Comme dans la plupart des «dialogues introspectifs» du
Moyen Âge30, le texte s’ouvre par une imitation combinée des Soliloques
d’Augustin et de la Consolation de Boèce. Dans cet exorde typique31, le nar-
rateur introduit tout d’abord son Moi dans le «rôle de l’auteur» avant de
revêtir celui de partenaire du dialogue.
29. 1. Häring, op. cit. 1955, supra, n. 18, pp. 162-168 (Ep. 1); 2. Dial., Häring, op. cit. 1953, su-
pra, n. 17; 3. Häring, op. cit. 1955, pp. 168-172 (Ep. 2). Je renvoie aux pages et à la numérotation
des alinéas de l’éditeur.
30. Schmidt, Zur Typologie ..., op. cit. n. 16, pp. 124 ss.
31. Seth Lerer, Boethius and Dialogue: Literary Method in the Consolation of Philosophy, Princeton,
1985, pp. 46 ss., 95 ss.
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Ratius est l’égal de l’auteur Évrard, son ancien condisciple dans l’école
de Gilbert, un alter ego, à la fois double et ami. Everardus souligne plus
d’une fois qu’il ne fait qu’un avec lui, il l’appelle (p. 252, 5) «mon cher
ami de toujours, mais à cause de ton amour pour ce grand homme (Gil-
bert), devenu encore bien plus cher et inséparable» (praecordialis et indivi-
duus). Ratius de son côté décline un compliment d’Everardus par un vers
de Perse (p. 228, 2): «Au public les décorations! Moi je te connais à fond
et dans ta peau». Ad populum phaleras. Ego te intus et in cute novi (Sat. 3, 30),
ce qui laisse entendre que ces deux personnages, qui se connaissent si bien,
s’identifient à Évrard. En jouant sur les mots le narrateur assimile Ratius
avec sa propre raison introspective (p. 258, 3): Ratius rationabiliter secum ra-
tiocinans. Tout doute sur l’identité de Ratius nous est enlevé par un passa-
ge de la troisième pièce du dossier, la lettre du frère B. adressée à Évrard37:
Ratius tuus, immo ratio tua, signe clair du caractère fictif du dialogue.
On remarquera ici une subtilité dans la formule de salutation épistolai-
re du début du dialogue: Suo suus pulsanti vel leniter licet non leviter aperiri.
Évrard, avec une concision extrême, s’adresse à un ami qui n’est pas nom-
mé par ces mots: «Son ami (Évrard) à son ami qui frappe, en souhaitant
que les choses (on pense à une porte symbolisant un texte difficile) s’ou-
vrent doucement, sinon à la légère», ce qui rappelle la métaphore biblique
«à qui frappe, on ouvrira»38. On peut rapprocher ce vœu d’un passage de
la fin du dialogue (p. 288, 5) où Everardus, enchanté de la réconciliation
finale après tant de divergences d’opinion, se déclare prêt à mettre par écrit
tout ce qu’il a entendu et appris dans cet entretien. Il hésite pourtant un
peu, parce que les profondes réflexions de Ratius pourraient sembler trop
difficiles à un lecteur mal préparé: gravia forte nimis videbuntur quaerenti.
Ratius l’affermit en citant la belle image d’Augustin (prol. 3) dans son De
doctrina christiana: en astronomie il ne faut pas regarder le doigt levé du
professeur, mais les étoiles qu’il montre. Autrement dit: lire n’est pas se
laisser mener par des mots écrits, mais se concentrer sur les choses qu’ils
désignent. L’optatio initiale s’adresse donc à un lecteur actif «qui frappe»,
qui s’approche avec de véritables questions; l’auteur de son côté veut bien
lui venir en aide par une certaine complaisance stylistique qui ne trahit pas
la pensée. Le frère B. dans sa réponse39 reprend la métaphore de la porte en
44. Sur ce sujet voir l’étude comparatiste d’Edward W. Said, Beginnings: Intention and Method,
New York, 1975.
45. W. F. Schmid, «Philosophisches und Medizinisches in der Consolatio des Boethius», 1953,
dans Römische Philosophie, G. Maurach éd., Wege der Forschung 193, Darmstadt, 1976, pp. 341-384;
Joachim Gruber, Kommentar zu Boethius De consolatione Philosophiae, Berlin, 1978, pp. 75 ss.
46. Ars medica, C. G. Kuehn éd., t. 1, Leipzig, 1821, p. 375.
47. O. Weijers éd., Leyde, 1976, pp. 108-109, 113-114.
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studium solitaire et pour le diriger vers les doux plaisirs d’une amitié qu’il
avait lui-même connu dans les écoles d’Athènes.
Le passage du dialogue d’Évrard que nous venons de mentionner renvoie
à la légitimation prophylactique de l’humour par l’humidité qui, du
Moyen Âge tardif jusqu’à Rabelais, a constitué l’argument le plus efficace
à l’encontre des préjugés ascétiques envers le rire et l’amusement48. Cela
permet de déceler un sous-entendu ironique précis. Bernard de Clairvaux
était connu pour avoir fait de tonnants sermons contre la levitas et l’inepta
laetitia (frivolité et gaieté inepte), deuxième et troisième degré de l’orgueil
selon le traité Sur les degrés …49. Évrard renverse ces concepts et prône io-
cus, gaudium et surtout lenitas, à la place de levitas.
Il se moque d’ailleurs plus de l’inepta meditatio que de l’inepta laetitia (p.
245, 1). Il définit le studium maladif dans des termes analogues à la défini-
tion de consideratio donnée par Bernard dans un autre ouvrage célèbre, le De
consideratione, pour distinguer parmi les genres de la méditation «la pensée
intense à la recherche de la vérité»50. Le lecteur de la première page du Dia-
logus Ratii ne peut que remarquer d’emblée le ton de conversation agréable
et détendue et en deviner l’intention tant didactique que thérapeutique. Ce
ton persiste pendant tout le dialogue. Même en face des problèmes les plus
difficiles, Ratius refuse toute crispation: «Apprends, dit-il à son ami, en ci-
tant Perse51, mais que de ton nez tombent d’abord la colère et la grimace
plissée», sed ira cadat naso rugosaque sanna. Une des dernières phrases du dia-
logue oriente l’œuvre entière dans le sens d’un «gai savoir» (p. 286, 6): Mos
est Graecorum … «C’est la façon des Grecs de toujours joindre la plaisante-
rie au sérieux et l’inverse; et hoc causa recreationis». Notons encore que les
premières dispositions thérapeutiques prises par Ratius semblent une fois
de plus transposer la Consolation de Boèce sur le mode inférieur du comique.
Petit à petit, par des questions adroites, tantôt provocantes, tantôt apai-
santes ou simplement dérivatives, Ratius parvient à motiver le «patient»
pour qu’il se décide enfin à exposer logiquement ses problèmes selon l’hy-
pothesis et selon la thesis, c’est-à-dire à révéler sa causa doloris, sa marginalité
dans le couvent, et à articuler sa quaestio principale, une thèse théologique
de Gilbert incriminée par les cisterciens52.
48. Glending Olson, Literature as Recreation in the Later Middle Ages, Ithaca-Londres, 1982, pp. 39 ss.
49. Op. cit. 35, pp. 14, 46.
50. S. Bernardi opera t. 3, 1963, pp. 468-469; supra, n. 35.
51. Dial. p. 257, 2; Perse, Sat. V, 91.
52. Infra.
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Qui sont ces Grecs qui savent si bien mêler iocosa et seria? Pour tout
connaisseur de la plus célèbre comédie du XIIe siècle, le Geta de Vitale de
Blois53, Grecorum studia est la métaphore d’un milieu intellectuel, celui des
grands maîtres scolastiques, de Paris ou d’ailleurs, inspirés par la philoso-
phie de Platon et d’Aristote. De plus, selon une anecdote répandue dans
les accessus Boethii, le fondateur de la logique ou plutôt le plus important
médiateur de la logique grecque en Occident, Boèce, passait pour avoir
étudié pendant presque vingt ans à Athènes54. Pour Gilbert, qui s’est
consacré à commenter ses opuscula sacra, il est sans doute l’autorité la plus
admirée55. Rien n’est donc plus naturel que de recourir à l’imaginaire géo-
graphique d’une Grèce académique pour localiser un entretien sur la doc-
trine porrétaine.
Le portrait fantaisiste de Ratius va nous apprendre d’autres détails (pp.
251-252). Ratius est originaire d’Athènes. Sa mère, s’appelle Ratio Athe-
niensis et sa sœur Sophia. C’est la famille des «sagesses» réunies. Or, Ratio
suit le conseil de Sophia et envoit Ratius étudier en France chez le célèbre
Gilbert. Après la mort du grand homme, Ratius rentre en Grèce plein de
dégoût pour l’ingratitude et l’ignorance des «Français bavards» (garrula
Francia). La patrie de Ratius est aussi celle de la logique. Gilbert, dit-il, s’il
avait vécu en Grèce, serait plus célèbre que Platon même. (Notons en pas-
sant que c’est Platon et non Aristote qui figure ici comme «le Philosophe»,
ce qui peut s’expliquer par le platonisme de l’école de Chartres représentée
par Gilbert, ou plus simplement par la formule consacrée Aristoteles philoso-
phus, Plato theologus, puisque Gilbert était théologien et non pas philo-
sophe). Rentré chez lui, Ratius peut au moins se consoler d’avoir ramené
avec lui les livres de Gilbert, un trésor qui le rend plus riche que Crésus (p.
252, 1). L’écriture, nous l’avons dit, est un succédané de la parole vive.
Comme nous sommes dans le panégyrique, une autre conclusion s’impose
encore: la bibliothèque des œuvres complètes de Gilbert, bien que réduite,
suffit à remplacer les écrits d’innombrables auteurs, car Gilbert avait la ré-
putation de posséder une mémoire littéraire extraordinaire. Plusieurs
sources confirment qu’il passait pour une sorte de «bibliothèque ambulan-
te». Ratius le rappelle en faisant allusion à un prologue de Gilbert56, dans
lequel le maître se défend du soupçon d’hérésie: celui-ci, dit-il, n’a pas écrit
un mot qu’on ne puisse retrouver dans «l’océan des livres authentiques»; il
a «volé aux autorités» ce qu’à première vue l’on pourrait croire de lui. Il va
sans dire que ce qui serait aujourd’hui un reproche de manque d’originali-
té, est, dans cette perspective médiévale, une louange de l’orthodoxie, du
génie mnémonique et de son accomplissement «intertextuel».
Ratius a donc étudié en France et, déçu, s’est réfugié en Grèce, sauvant
le patrimoine littéraire de Gilbert. Ainsi, la géographie symbolique habi-
tuelle est satiriquement retournée, puisque la direction normale de la
translatio studii va de l’est à l’ouest. À ce renversement il y a peut-être une
raison historique précise. Nous savons qu’au cours des dernières tentatives
occidentales d’union avec l’Église byzantine orthodoxe, tentatives réitérées
sous l’empereur Frédéric Ier dans la seconde moitié du XIIe siècle, tout un
corpus de textes théologiques grecs traduits a été transporté à l’ouest pré-
cisément par des défenseurs de la doctrine de Gilbert, par des Porrétains,
qui tentaient de réhabiliter certaines de ses thèses en faisant appel à des pa-
rallèles et analogies avec les textes des pères grecs nouvellement décou-
verts57. Il se pourrait donc que, par ce décor hellénisant, Évrard veuille se
référer à ces tendances, d’autant plus qu’il cite comme autorités préférées
de Gilbert les pères grecs, Basile, Eusèbe et le Pseudo-Denis (p. 252, 1).
Après ces années d’exil volontaire, Ratius revient en France et retrouve
son vieil ami, près du couvent, dans un endroit idyllique décrit en détail se-
lon le topos du locus amoenus (p. 251, 10). Les deux amis commencent leur
entretien en s’allongeant dans l’herbe au pied d’une colline ombragée, au
moment des moissons. Ils se revoient le lendemain (p. 258, 2), iuxta scrip-
torium in pomerio, lieu classique de colloques agrémentés par l’otium des vil-
las romaines58; mais hélas, la lune a changé, il pleut et les amis doivent se
retirer dans une sorte de grange ouverte, ironiquement décrite avec une pré-
cision technique digne d’un dictionnaire (p. 258, 14): tectum omni pariete des-
titutum ideoque non domus sed synedra vel exedra vocandum. Dans ces différentes
scènes champêtres, nos protagonistes disputent des sujets le plus divers, al-
lant de l’éthique à la grammaire et à la logique, mais aussi de la jurispru-
57. Walter Berschin, Griechisch-lateinisches Mittelalter, Berne-Munich, 1980, pp. 251 ss.; Lauge
O. Nielsen, Theology and Philosophy in the Twelfth Century. A Study of Gilbert Porreta’s Thinking, Ley-
de, 1982, pp. 284 ss.; N. M. Häring, «The Porretans and the Greek Fathers», Mediaeval Studies 24,
1962, pp. 181-109.
58. Cicéron disait, Fam. 9, 4, «que rien ne manque à celui qui possède hortum in bibliotheca»;
voîr Michel Ruch, Le préambule dans les œuvres philosophiques de Cicéron Paris, 1958, pp. 80 ss.
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59. Dial. pp. 246, 9; 287, 5: ordini praecepto in paradiso non instituto in Monte Cassino vel in Cis-
tercio; Ep. 2, p. 168, 1.
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rieux, c’est qu’il est marié. Son épouse lointaine lui envoie un messager «à
travers les Alpes» pour le rappeler en Grèce, ce qui met fin au dialogue (p.
282, 4-5). Cette fiction se rapproche par plusieurs allusions de la comédie
du Geta de Vitale de Blois, pièce qui associe Paris et Athènes et se moque,
par l’intermédiaire du personnage ridicule du servus philosophus, de ses
contemporains présomptueux entichés d’une dialectique mal comprise60.
Ce que nous venons d’esquisser montre bien qu’Évrard se propose d’écri-
re un dialogue poétique, quasi dramatique, et non pas une dispute scolas-
tique dans les règles. Sans le savoir il réalise ainsi une idée fondamentale
d’Aristote, qui fait mention du dialogue philosophique employé par Socra-
te, non pas dans la Rhétorique ni dans l’Organon, mais dans la Poétique (1,
1447b), où il le compare à l’imitation du comportement humain par le
mime, mimesis à l’état brut. Évrard sait rendre les différents styles et habi-
tudes de ces dramatis personae: Everardus aime le genre fleuri et allégorique
à la manière des cisterciens alors que Ratius préfère les pointes du moralis-
te et la sécheresse du logicien. Les règles dont s’inspire l’auteur sont celles
de la prosopopée-éthopée (conformatio), règles qui insèrent en pleine rhéto-
rique une théorie de la fiction dramatique: l’art d’imiter l’action humaine61.
Il semble également qu’Évrard tente de combiner l’entretien philoso-
phique avec ce que le chapitre des genera narrationis de la rhétorique appelle
«l’argumentum à la manière des comédies»62. L’argumentum est défini com-
me «la représentation d’événements ni réels, ni fabuleux, mais possibles,
et cela dans un style simple et humble». Gilbert, dans ses commentaires
de Boèce, énumère trois types de conformatio ou de situation de dialogue
fictif servant à illustrer des idées (rationes) dignes de mémoire63: le premier
s’insère dans un discours «sérieux», comme le Pro Sexto Roscio ou le Pro
Marco Marcello de Cicéron; les deux autres se réclament de l’exercice ora-
toire ou du jeu poétique, ce qui est le cas des déclamations de Quintilien
et de Sénèque (sc. Pseudo-Quintilien et Sénèque l’Ancien) et des comédies
de Ménandre. Toutes ces formes sont «des fictions qui auraient pu adve-
nir», ce qui est littéralement de l’argumentum. Pour ce qui est du niveau in-
férieur de style, l’humilitas sermonis, Évrard l’introduit en se référant plu-
sieurs fois à la poésie pastorale de Virgile: «Je te réponds rusticus rustico,
60. Supra, n. 24; Wieland Schmidt, Untersuchungen zum «Geta» des Vitalis Blesensis, Düsseldorf,
1975.
61. H. Lausberg, Handbuch der literarischen Rhetorik, Munich, 1960, §§ 820 ss.
62. Ibid., § 290; Rhet. ad Herennium 1, 8, 13; Cicéron, De invent. 1, 19, 27.
63. Häring, 1966, op. cit. n. 55, Prol. II, 2-3, p. 57.
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64. Voir Voss, P. L. Schmidt, op. cit., supra, n. 16; Kurt Flasch, Augustin, Stuttgart, 1980, pp.
36 ss.
65. D’autres témoignages sont fournis par les «manuels de conversation» (dès le Xe siècle) dans
l’édition de W. H. Stevenson, Early Scholastic Colloquies, Oxford, 1929.
66. De doctrina christ., IV, 9, 23, cf. Cicéron, Orator, 78.
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certaines prescriptions de cette Ars dialogica67 dont le Moyen Âge latin n’a
pas laissé de théorie explicite et qui, probablement, étaient exclusivement
orales. Reconstruisons-en quelques-unes à partir de notre texte: Si l’on te
dit un mot dont tu doutes, s’il est agréable ou malveillant, il faut toujours
le prendre en bien (p. 245, 2), in meliorem interprerandum est partem. Ne
t’embrouille pas inutilement dans des questions d’étiquette comme celle
de savoir s’il est permis d’appeler un moine par son nom ou par son titre
de frater. Ne detineas diem vana loquendo commente Ratius, en citant Ovide,
pour presser Everardus de revenir à son sujet68. Il est grossier de passer sur
les questions du partenaire ou de les détourner en en faisant un point de
départ pour développer ses propres préoccupations (p. 246, 10). Celui qui
a une instantia, un argument irréfutable, qu’il le propose sans hâte, pa-
tiemment, modestement; car le ton fait la musique et le modus loquendi de
celui qui a raison pourrait paraître arrogant et provoquer une résistance ir-
réfléchie (p. 248, 5 ss.). L’impatience est le vice capital du dialogue et,
pour l’éviter, il ne faut craindre ni les longueurs ni les répétitions. Ratius
applique à l’impatient qui coupe la parole à son interlocuteur un locus me-
morialis de Juvénal69: il devance la pensée de l’autre et «comme un troisiè-
me Caton il tombe du ciel» pour interrompre le discours. Mais l’impatient
se nuit à lui-même, puisqu’il ne sait pas attendre le moment de la répon-
se; il s’égare semblable «au chien de chasse trop avide qui croit pourchas-
ser un verrat et ne trouve qu’un lapin» (p. 265, 7).
67. Abstraction faite du De oratore de Cicéron, l’Antiquité classique n’a pas connu un tel art.
C’est probablement une invention de la Renaissance. À des œuvres comme De dialogo liber de Ca-
rolus Sigonius, Venise, 1561, ou Discorso dell’arte del dialogo du Tasse, Venise, 1586, analysées par
Wilson, op. cit. n. 11, pp. 9-15, on ne peut évidemment pas comparer les quelques chapitres de mo-
rale générale sur les modi loquendi et tacendi dans la tradition des instructions monastiques reprise
dans les traités de pédagogie courtoise ou bourgeoise (voir Volker Roloff, Reden und Schweigen, Mu-
nich, 1973; Uwe Ruberg, Beredtes Schweigen in lehrhafter und erzählender deutscher Literatur des Mitte-
lalters, Munich, 1978; Jonathan Nichols, The Matter of Courtesy, Woodbritdge, 1985, pp. 15 ss.; C.
Casagrande, S. Vecchio, I peccati della lingua, Disciplina ed etica della parola nella cultura medievale,
Rome, 1987) ni les «manuels de conversation» dans l’enseignement des langues étrangères (dès le
IXe siècle, mais surtout après le XIVe siècle). Voir Stevenson, Op. cit. n. 65; G. N. Garmonsway,
«The Development of the Colloquy», dans The Anglo Saxons, P. Clemoes éd., Londres, 1959, pp.
248-261; Wilson, «The Continuity», op. cit., n. 14, pp. 26 ss.; Le livre des mestiers de Bruges el ses dé-
rivés, J. Gessler éd., Bruges, 1931; A. M. Kristol, éd., Manières de langage (1396,1399, 1415),
Londres 1995; A. Bömer, Die lateinischen Schülergespräche der Humanisten, Berlin, 1897; Gerhard
Streckenbach; Stiltheorie und Rhetorik der Römer im Spiegel der humanistischen Schülergespräche, Göttin-
gen, 1979; A. Goddard, «The Facetus, or the Art of Courtly Living», Allegorica, 2, 1977, pp. 27-
57 et infra, n. 85. Je reviendrai dans un autre article sur l’initiation à l’art du dialogue au Moyen
Âge [cf. dans la bibliographie N° 39, 43, 60, ainsi que supra le ch. 2 de ce volume].
68. Dial., p. 246, 4-5, Ov., Met., 1, 683.
69. Ibid., pp. 249, 3; 286, 2; Juv., Sat., 2, 40.
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l’exemple même du décalage entre ce qu’on veut dire et ce qui est enten-
du. Ratius se sentant insulté, veut quitter les lieux; Everardus le rappelle
(p. 268, 8): «Maintenant enfin, je vois que tu es en colère. Voilà bien la
manière des professeurs: quand les questions les mettent au pied du mur
et qu’ils n’ont plus de réponses raisonnables, ils coupent court et se don-
nent un air irrité, tandis qu’un chercheur vraiment docte se réjouit de tou-
te occasion de résoudre des problèmes, car c’est dans la contradiction que
s’exerce la sagesse», quia in contradictione exercetur sapientia. On pourrait
multiplier les exemples de petites discussions sur les codes de communi-
cation qui abondent dans la grande disputatio théologique. La comparaison
avec d’autres dialogues du Moyen Âge contenant de semblables remarques
métalinguistiques permettrait peut-être l’ébauche d’une pragmatique de
la communication, un «comportementalisme» avant la lettre.
Pourquoi cette forme de causerie et cet intérêt curieux pour les lois de
la conversation? Évrard indique assez clairement que son sermo, son dis-
cours naturel, ou plutôt sa sermocinatio, donc l’imitation littéraire du lan-
gage familier, avec tout ce qu’il comporte d’imprévu, de désordonné, est
un déguisement délibéré qui doit servir son apologie. Pour faire accepter
la critique contre Bernard de Clairvaux et recommander la doctrine porré-
taine à des moines cisterciens, il fallait s’y prendre avec circonspection.
Évrard dévoile cette intention en citant expressément deux «recettes»
communément enseignées par les Arts du langage: la théorie rhétorique de
Cicéron sur l’exorde et les doctrines d’Aristote sur certains stratagèmes
dialectiques. Cicéron et l’Auctor ad Herennium, que l’on confondait avec lui,
distinguent deux sortes d’exorde selon le genre des «causes»74: le princi-
pium qui vaut pour les sujets insignifiants ou difficiles (causae humiles, cau-
sae obscurae), et qui est un acte de séduction avoué (captatio benevolentiae) par
lequel on attire et conserve l’attention et la bienveillance; puis l’insinuatio,
de rigueur pour les cas paradoxaux, provocants, répugnants, déconcertants
(causae admirabiles et turpes), et qui consiste à dissimuler le sujet déplaisant
par des ellipses et des digressions agréables pour gagner doucement la
confiance d’un public sceptique. Ajoutons encore que, dans le chapitre gé-
néral sur les «vices» de l’exorde75, la Rhétorique à Herennius recommande de
préférer à un discours trop recherché ou travaillé (apparata oratio) un lan-
gage simple et naturel et un vocabulaire familier (lenis sermo et usitata ver-
borum consuetudo). Dans le VIIIe livre des Topiques et dans les Réfutations so-
phistiques76, Aristote conseille plusieurs moyens pour cacher l’intention et
frapper l’adversaire au bon moment par surprise: ce sont des manœuvres de
diversion, le bavardage fatigant, les faux problèmes, les questions dérou-
tantes et peïrastiques, etc., toutes sortes de ruses et même de «trucs».
Or, Évrard fait allusion à ces théories77. Il les met dans la bouche de ses
personnages, qui se reprochent mutuellement de ne pas les observer ou
d’en abuser, parce qu’il veut faire entendre un message applicable au dia-
logue entier. Il veut dévoiler sa méthode littéraire. Comme le sujet princi-
pal aurait pu en effet déconcerter ses lecteurs, il multiplie les digressions,
dans la première partie surtout. De plus, il étend à l’ensemble de l’œuvre
les procédés recommandés pour l’exorde, celui de la simplicité ou de la dis-
simulatio artis et celui de la diversion, particulièrement indiquée pour les
causae admirabiles. Il est toujours divertissant et primesautier pour faire
passer une critique qui pourrait heurter. Il applique les règles stratégiques
d’Aristote en les combinant expressément avec les préceptes de Cicéron et
adapte la formule canonique de la discors concordia à l’union de la rhétorique
et de la dialectique: «Ces auteurs, dit-il (p. 258, 1), divergent dans leurs
disciplines sans s’opposer dans leurs résultats»; diversos auctores in diversis
facultatibus diversa, sed non adversa afferentes.
D’autre part, la théorie du genus causae obscurum s’applique au sujet
même de l’œuvre, sujet abstrait, ardu, rébarbatif, qui exige une longue
préparation pour devenir accessible. C’est pourquoi Évrard refuse plusieurs
fois l’obscura brevitas, l’ellipse inintelligible, et prône, comme une sorte
d’habit de travail stylistique, l’exposé simple et détaillé78. La partie théo-
logique du dialogue semble s’inspirer de la maxime de Virgile: labor im-
Scientia inflat (Cor., 8, 1), qui a tant fait souffrir les dialecticiens depuis Bé-
renger de Tours et Abélard, retombe ici sur les moines qui s’en font l’écho
en une sorte d’argumentum ad hominem collectif, puisque, pour Évrard, l’in-
fatuation pharisienne constitue l’obstacle principal au dialogue véritable et
à la recherche dialectique (p. 247 s.).
Il y a donc deux motivations qui justifient le réalisme particulier de
notre dialogue: le badinage camoufle la polémique par une sorte d’insinua-
tio globale, et le discours scientifique, sobre et sans art, rend intelligible
une pensée extrêmement subtile. Ces deux aspects s’intègrent dans la no-
tion de disputatio, au sens que lui donne Évrard, et que nous traduirions par
«dialogue», car le mot est autant à sa place dans le titre des disputationes
Tusculanae que dans le terme scolastique de disputatio quaestionum83. Évrard
utilise en effet deux niveaux de dialogue. Premier niveau: il imite le dé-
cousu propre à une causerie sur des sujets accidentels tels que: «La patien-
ce vient-elle de ce qu’on réprime la colère ou la vengeance?» (p. 249);
«Une duperie ironique est-elle un mensonge?» (p. 255, 10-11); «Le pos-
sesseur légitime a-t-il le droit de reprendre de force ce qu’on lui a volé?»
(p. 250). Ces quaestiones quodlibetanae ont le caractère préparatoire qu’Aris-
tote, dans le VIIIe livre des Topiques, attribue à certains subterfuges per-
mettant de remplacer le sujet principal par des problèmes et des défini-
tions qui n’y sont reliés qu’en apparence et ainsi de jeter de la poudre aux
yeux de l’adversaire. (C’est d’ailleurs dans ce passage des Topiques qu’É-
vrard puise un des exemples précités: la comparaison de la colère et de la
vengeance84). Ces quaestiones, ou plutôt ces quaestiunculae, le plus souvent
morales, sont traitées dans un style haché qui rappelle l’oratio concisa para-
tactique des comédies de Térence. C’est un style plein d’asyndètes, d’in-
terjections, de calembours, de réparties spirituelles et surtout de fausses ci-
tations, parodies de vers classiques célèbres. Ces loci memoriales se succèdent
comme des balles de ping-pong, rappelant les vers goliardiques cum aucto-
ritate85. Les problèmes ne sont qu’énoncés; l’auteur n’a guère l’intention de
83. John W. Baldwin, Masters, Princes and Merchants. The Social Views of Peter the Chanter and his
Circle, Princeton, 1970, pp. 96-107 (disputatio); Wilson, «The Continuity», op. cit., n. 14, pp. 31-
37; P. Glorieux, «Techniques et méthodes en usage à la Faculté de théologie de Paris, au XIIIe
siècle», Archives d’Hist. Doctr. et Litt. du Moyen Âge, 35, 1968, pp. 65-186, surtout pp. 123 ss.; B.
C. Bazan et al., Les questions disputées et les questions quodlibétiques, Typologie des sources du Moyen
Âge occidental, Turnhout, 1985.
84. Topica. VIII. 156a-157a, 174a; 156a «colère et vengeance» dans Dial., pp. 249 ss.
85. P. G. Schmidt, «Das Zitat in der Vagantendichtung», Antike und Abendland, 20, 1974, pp.
74-87. Si l’on peut reconstituer les pratiques pédagogiques du Moyen Âge à partir des «manuels
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les résoudre et il se plaît à couper ces discussions par des intermèdes scé-
niques, une cloche sonnant vêpres, des pèlerins venant voir le couvent, un
messager fâcheux et autres interruptions.
Le deuxième niveau est celui du sujet principal qui – Évrard le répète86
– est «l’art de parler dignement de Dieu», apogée de tous les arts du lan-
gage selon la vieille définition que donne Anselme de la théologie. Or,
quand Évrard touche la matière théologique elle-même, il donne la parole
le plus souvent à Ratius et ne réserve à Everardus que quelques courts pas-
sages d’objections ou de questions intermédiaires. Dans cette perspective,
le Dialogue n’est sans doute pas un «dialogue philosophique» au sens so-
cratique du mot; il l’est pourtant au moins dans le sens protréptique et
éducatif de Boèce, puisqu’il combine deux styles de dialogue en un pru-
dent dosage et dans un ordre ascendant. Les commentateurs médiévaux ad-
mirent particulièrement dans la Consolation de Philsosophie ce double dis-
cours d’un orateur convaincant et d’un dialecticien contraignant, probabili-
ter suadens et stimulo necessitatis impellens pour citer Jean de Salisbury87.
Évrard lui aussi combine le dialogue de la delectatio poétique avec le dia-
logue de la necessitas scientifique. Par l’intermédiaire de Ratius (p. 257, 2),
il se plaint ironiquement de devoir unir en un seul discours deux exigences
aussi contraires que l’instruction et le débat, l’officium docendi et l’officium
disserendi, de devoir assumer, et le rôle de l’orator qui expose et discourt, et
celui du doctor qui discute et dispute, car l’enseignement doit s’adapter pé-
dagogiquement (et poétiquement) au niveau de l’élève, tandis que la dis-
putation est un combat impitoyable entre égaux.
Comme dans la plupart des dialogues médiévaux, l’exposition monolo-
gique de la théorie, l’oratio continua du maître, vient nécessairement cou-
ronner le dialogue proprement dit. La conversation, avec toute sa fraîcheur,
n’a qu’un caractère de préambule ou de transition. Il ne faut pas s’en éton-
ner. A cette époque les dialogues de Lucien sont complètement oubliés; de
ceux de Platon, tous, sauf le fragment du Timée, qui est son dialogue le
de conversation» du XVe siècle, on y trouve également des exercices sur l’art de la repartie consis-
tant à mémoriser et appliquer, en guise de répliques, des sentences, proverbes et «dits» d’auteurs;
voir Georg Zappert, «Ein für den Jugendunterricht Kaiser Maximilians I. abgefasstes lateinisches
Gesprächsbüchlein», Sitzungsberichte der Österreichischen Akademie der Wissenschaften Phil.-Hist. Clas-
se, 28, 2, Vienne, 1858, pp. 272-274 (avec des parallèles antérieurs).
86. Dial., pp. 272, 2; 247, 1-2. Anselme, Cur Deus homo, I, 1, Schmitt éd., 1960, p. 12.
87. Policraticus, VII, 15, Webb éd., 1909, t. 2, pp. 155-156; P. von Moos, Geschichte als Topik,
Hildesheim-New York, 1988, pp. 498 ss.; E. Rhein, Die Dialogstruktur der «Consolatio Philosophiae»
des Boethius, Francfort, 1963; Lerer, op. cit., n. 31.
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88. P. Grimal, «De Lucilius à Cicéron. Caractères généraux du dialogue romain», L’information
littéraire, 7, 1955, pp. 192-198; Ruch, Op. cit., n. 58, pp. 39-55.
89. Ibid., p. 61.
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libet) et la dispute rigoureuse d’une quaestio. Les tensions, voire les incom-
patibilités, ne manquent pas. Le «vrai sujet», évoqué à plusieurs reprises
par quaestio illa principalis, principale propositum, risque d’être submergé par
les saillies et divagations d’un auteur «poète malgré lui». Mais Évrard
semble conscient de l’antagonisme des forces centrifuges et centripètes,
dont il fait un thème métalinguistique à l’intérieur du dialogue même. Il
s’en moque: c’est l’auteur du dialogue qui est visé quand ses personnages
se reprochent mutuellement certains vices du discours tels qu’une prolixi-
té déroutante ou une brièveté incompréhensible. Quand Ratius risque de
perdre le fil, il reproche à Everardus de le déranger par ses digressions (p.
269, 6): Tot sunt interposita quod vix principale recolere potest memoria. Mais
après une longue tirade sur la manie des professeurs à s’éloigner du sujet
pour faire montre de leur savoir, tirade qui évite à peine elle-même la fau-
te qu’elle critique (pp. 258-259), Everardus remercie ironiquement son
ami: «Que tu m’as bien instruit par ta digression». Celui-ci, non moins
ironique, répond: «Où vais-je trouver le charbon pour marquer en noir90
que tu aimerais entendre autre chose?», et Everardus le soupçonne de vou-
loir contourner le sujet qu’il a proposé: «Combien tu t’approches à contre-
cœur de la question principale!» Tout ce petit débat sur la digression, lui-
même déjà digression, risque de tourner en rond tel un regressus ad infini-
tum; il n’est, à vrai dire, qu’une transition destinée à retarder l’entrée en
matière. Ratius, impatient, se moque de la lenteur d’esprit d’Everardus
ainsi que des redondances du dialogue (p. 280, 1): «Tu es comme le milan
d’Ovide (Met., 2, 721), dit-il, qui contourne infiniment sa proie sans ja-
mais s’en emparer, et easdem circinat auras. Quaesita iterum et iterum quaeris,
tu ne cesses de demander ce que tu as déjà demandé, nec adhuc capis, et tu
ne comprends toujours rien». La lettre du frère B. a elle aussi une fonction
d’auto-accusation ironique (Ep. 2, 3). Le frère se plaint de l’obscura brevitas
des questions théologiques et demande des éclaircissements supplémen-
taires – lucidius atque plenius explanari (ibid., 14) –, tout en plaisantant sur
la longueur d’une œuvre qui endormirait son propre auteur lui-même. Et
effectivement, Évrard, à la fin du dialogue, est pris d’un profond sommeil.
Il est comparé à Homère: «plerumque bonus dormitat Homerus» (Horace, Ars
poet., 359) et à l’épouse-âme du Cantique des Cantiques dans les bras de l’É-
poux mystique (allusion au quiétisme monastique et à Bernard commen-
90. Unde mihi carbo ut notem? cf. Pers., Sat., V, 108: haec carbone notasti? (pour critiquer).
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91. Dial., pp. 254, 256, 259-264; voir Nielsen, op. cit. n. 57, pp. 158-162; N. Häring, «Petrus
Lombardus und die Sprachlogik in der Trinitätslehre der Porretanerschule», Miscellanea Lombardia-
na, Novara, 1957, pp. 113-127; le même, «Die theologische Sprachlogik der Schule von Chartres
im 12. Jh.», Miscellanea Mediaevalia, Cologne, 13, 2, Berlin, 1980, pp. 930-963; H. C. Van Elswi-
jx, Gilbert Porreta, Louvain, 1966, pp. 77-127; Jean Jolivet, Alainde Libera, Gilbert de Poitiers et ses
contemporains, Naples, 1987 (voir surtout les articles de L. M. De Rijk, pp. 147-172, K. Schweiss,
pp. 219-229, M. L. Colish, pp. 229-250); J. Marenbon, «Gilbert of Poitiers» et «A Note on the
Porretani», dans A History of Twelfth-Century Western Philosophy, P. Dronke éd., Cambridge, 1988,
pp. 328-357 (surtout pp. 356 ss.).
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Pour illustrer ces deux langages Ratius cite un exemple bien connu de
la Rhetorica ad Herennium (IV 32, 43): «la prudence de Scipion a détruit
Carthage». C’est une phrase rhétorique qui n’exprime rien d’autre que: «le
prudent Scipion (Scipion par sa prudence) a détruit Carthage». Dans les li-
mites de son art, l’orateur se permet une sorte de «licence rhétorique», le
privilège de pouvoir jouer avec les mots dans ce qu’Évrard appelle locutio
emphatica ou bien rhesis. L’emphase est une figure rhétorique définie com-
me un manque de rigueur remplaçant ce qui est précis par ce qui l’est
moins, et laissant entendre plus que l’énoncé ne dit92. Évrard, fidèle à la
doctrine de Gilbert, confère un sens théorique profond à cette simple pe-
tite figure, qui devient la clé, le code même du langage rhétorique. Rhesis
ou emphasis est la dimension sémantique dans laquelle l’éloquence se pro-
duit et devient reconnaissable. Aux côtés de rhesis figurent deux autres
codes linguistiques, la grammaire, syntaxis, et la dialectique, lexis93. Les
trois disciplines du trivium que les Porrétains rassemblent sous le terme de
logica enseignent avant tout la distinction de ces niveaux sémantiques. Qui
ne l’a pas apprise est vite déconcerté, puisqu’une même phrase peut être
correcte à un niveau et absurde à un autre. La phrase: «une chimère
blanche est assise», est grammaticalement correcte, rhétoriquement plai-
sante, mais dialectiquement, c’est-à-dire logiquement et objectivement,
absurde. Ratius conclut en théologien (p. 271, 1): «Rien n’est plus aber-
rant selon lexis, rien n’est plus vrai selon rhesis» que l’emploi des mots
maiestas et aequalitas dans la préface liturgique de la Trinité telle qu’elle est
chantée dans toutes les églises: in maiestate adoretur aequalitas.
Cette curieuse théorie correspond à une conception d’inspiration néo-
platonicienne et stoïcienne très répandue au XIIe siècle, à l’idée d’un lan-
gage originel naturel et pur, d’inspiration divine, dans lequel les mots dé-
signent exactement les choses, et qui, au fil du temps, se serait peu à peu
dégradé pour aboutir à un langage conventionnel, encombré de péri-
phrases, métaphores et équivoques, à un langage «connotatif» pour em-
ployer un terme contemporain. La «science», dans cette conception, a pour
objectif de restaurer la proprietas verborum d’origine, en établissant un lan-
gage clair et précis, donc «dénotatif».
D’un point de vue humaniste tout cela peut paraître «scolastique» dans
le sens péjoratif du terme. Ce système dévalue la rhétorique et la poétique
94. I. M. Resnick, «Linga Dei, lingua hominis: Sacred Language and Medieval Texts», Viator 21
(1990), pp. 51-74; voir aussi l’article N° 7 dans ce volume.
95. Surtout J. Jolivet, «Rhétorique et théologie dans une page de Gilbert de Poitiers», dans Jo-
livet et Libera, op. cit., n. 91, pp. 183-198; K. M. Fredborg, «The Scholastic Teaching of Rhetoric
in the Middle Ages», Cahiers de l’Institut du Moyen Âge grec et latin, 10, 1987, pp. 85-105.
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théologie «pratique ou morale» (moralis peut être ici entendu dans le sens
de «moral» et d’«allégorique»). Mais ce don est bien restreint: il consiste
en quaedam ornata persuasio ad quosdam (une certaine facilité homélitique de
«faire croire» le grand public); les instruments dialectiques propres à ré-
soudre les problèmes théoriques lui font défaut. C’est un maître de l’elocu-
tio, non de la vera locutio. Son langage imagé et fleuri convient à quaedam
oratio (ce qui peut signifier tant prière que discours), mais non à la disputa-
tio, qui est le seul moyen d’expression rigoureux (pp. 274 ss.). Bref, Bernard
incarne le discours rhétorique «sauvage», comme Gilbert incarne le dis-
cours logique élaboré. Ce partage de travail serait irréprochable si le pre-
mier n’avait pas eu la prétention de «calomnier» le langage du second (p.
274, 1) pour la seule raison qu’il ne le comprenait pas, puisqu’il confondait
lexis et rhesis, proprie dictum et tropice dictum (p. 282, 1).
Cette critique posthume de Bernard reste pourtant modérée. Elle vise
plutôt à démontrer aux moines à quel point une formation approfondie en
«sémiotique» est indispensable. En revanche, Évrard lance ouvertement ses
sarcasmes contre ses confrères fainéants et terre à terre qui, loin d’éprouver
la soif de la connaissance, ne montrent de curiosité que pour des ragots ve-
nus de loin, qui détestent les théologiens savants et «embrassent les rumi-
geruli» des porteurs de rumeurs. Il invente à leur adresse un joli intermède
(p. 255): trois moines s’approchent de Ratius et d’Everardus, risquant d’in-
terrompre une discussion animée. Ratius, pour les éloigner, leur demande
s’ils ont déjà entendu la dernière nouvelle d’outre-mer. Ils s’approchent, cu-
rieux, pour en savoir davantage. Ratius: «Je viens d’arriver moi-même,
mais courez vite vers le portail du couvent avant que les pèlerins que j’y ai
vus n’aient continué leur chemin». Déjà les fâcheux sont partis. Cette scè-
ne, qui en rappelle une semblable dans le Contra Academicos d’Augustin (III
34), est d’ailleurs l’occasion d’un petit débat sur le mensonge.
Le reproche s’élargit aux excès de bouche, dans tous les sens possibles.
Plutôt que de s’entretenir de questions philosophiques, les moines discu-
tent gastronomie. Nouvel intermède: une grande agitation s’élève dans le
couvent à l’arrivée d’un grand prélat (pp. 268 ss.). Il faut le régaler d’un
repas extraordinaire. Les moines vont à la pêche, ramènent toutes sortes de
poissons, «de grands et de petits», et désignent «le poisson authentique
digne du ventre d’une telle autorité», piscis authenticus tantae auctoriatis
ventre dignus. Ils se disputent sur la préparation de ce «vrai poisson», d’une
façon quasi scientifique, tenant compte des divergences d’opinion; diversi
diversa sentiunt. Ratius, témoin amusé de tout ce va-et-vient, de ces «quaes-
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tiones sur un saumon», ajoute une réflexion traditionnelle dans le genre des
symposia philosophiques de Platon à Macrobe96: le poisson, une fois man-
gé, suscite le dégoût, mais le désir de savoir la vérité maintient un appétit
jamais rassasié.
Or, ces moines, considérés comme les pires philistins, ne craignent pour-
tant pas de faire appel au fondateur de leur ordre, Bernard, réformateur as-
cétique et autodidacte inspiré, pour décrier la dispute (p. 247, 1). Ils se jet-
tent sur tout esprit sérieux qui voudrait discuter avec eux des questions de
religion, en criant «quaestionator, disputator!» comme si c’étaient là des in-
jures, des synonymes de «fripon». Par un biais raffiné, par un argumentum
ad hominem étendu à tout l’ordre cistercien, Évrard invoque devant ses
confrères les sermons fulgurants de Bernard un demi-siècle auparavant
contre les péchés de la langue, comme si c’étaient des prophéties97: «Nous
devenons tièdes dans le cours du temps, nous perdons la ferveur, nous
sommes consumés par la chair, nous qui avons commencé par l’esprit. Nous
sommes bavards, curieux, bouffons, nous médisons, nous commérons, nous
nous amusons, nous fuyons le travail et la discipline. Verbosi, curiosi, faceti
etiam detractores et murmuratores, vacantes nugis. Quoi d’étonnant si la grâce
divine nous fait défaut? Dans la bouche d’un laïc les vanités sont vanités,
mais dans la bouche d’un prêtre les vanités sont blasphèmes. In ore laici nu-
gae sunt nugae, sed in ore sacerdotis nugae sunt blasphemiae».
Comme beaucoup d’humanistes du XIIe siècle, Évrard adhère au pro-
gramme culturel d’un autre Bernard, le sage légendaire de Chartres, qui
fut le maître direct de Gilbert. Jean de Salisbury et Hugues de Saint-Vic-
tor, les plus célèbres admirateurs de Bernard de Chartres, se sont réclamés
de lui contre les spécialistes bornés des écoles et les dilettantes qui les sui-
vent partout, les Cornificiani. Un reflet de cette critique se retrouve
d’ailleurs dans un des modèles littéraires d’Évrard, le Geta de Vitale de
Blois, qui raille l’infatuation de ces purs dialecticiens qui, «devenus stu-
pides par leur science», confondent naïvement les disciplines et réduisent
tout, même l’existence physique, à des problèmes de logique98. Évrard di-
rige une critique analogue contre les moines conservateurs. Si les dialecti-
ciens ridicules pèchent par spécialisation, les moines, eux, pèchent par
ignorantisme. Lui aussi aurait pu, comme Hugues, soutenir la maxime
96. Jacques Flamant, Macrobe et le néo-platonisme latin à la fin du IVe siècle, Leyde, 1977, pp. 211 ss.
97. Dial., pp. 246, 6; 287, 2, citant Bernard, Sermo in Cant., 63, 4 et De consideratione, 11,13, 22.
98. Supra n. 24.
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99. Didascalicon, Buttimer éd., 1939, p. 115; cf. Jean de Salisbury, Policr., VII, 9, Webb éd.,
1909, II, p. 125; P. von Moos, op. cit. n. 87, pp. 377 ss.
100. Historia pontificalis, M. Chibnall éd., Londres 1956, p. 27.
101. Dial., p. 258, 5, citant Horace Ars poet., 16; 19 et Ep., II, 1, 116.
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Le Dialogus Ratii est une œuvre extraordinaire. Sans doute en partie par-
ce que son auteur, à la personnalité complexe, était prisonnier d’une situa-
tion personnelle peu commune. Mais la biographie n’explique pas tout. Ce
dialogue devrait nous obliger à réviser certaines catégories établies parmi
les médiévistes, car il se situe au carrefour de plusieurs antagonismes à pre-
mière vue évidents, tels que «la culture monastique et la culture scolas-
tique», «la pensée humaniste et la pensée dialectique», «l’imagination
poétique et la rigueur scientifique», «l’école platonisante de Chartres et
l’aristotélisme parisien». Il se place en outre entre «belles lettres» et litté-
rature didactique, ou, si l’on veut, entre littérature au sens strict et litté-
rature appliquée au sens «d’écriture». (Le latin médiéval ne permet
d’ailleurs pas de faire cette différence; litterae couvre les deux sens).
Ce texte est-il unique, comme le pense Nikolaus Häring102? Sur un
point au moins, il me semble au contraire typique: c’est un remarquable
témoignage de ce que l’on pourrait appeler la nouvelle «culture dialogale»
du XIIe siècle. Dès la seconde moitié du XIe siècle, les outils du travail in-
tellectuel se diversifient. La forme, jusqu’alors dominante, du commentai-
re, consacrée par la lectio divina de la Bible, commence à céder la place à
une disputatio qui est un dialogue véritable et pas seulement didactique.
Pour le Haut Moyen Âge les livres saints et les textes classiques contien-
nent, ou plutôt recèlent, un sens profond tel un noyau. Le travail savant
consiste à conserver et à «énucléer» ces écritures, ce qui peut s’accomplir
tout aussi bien dans une cellule solitaire que dans une salle de classe.
À la fin du XIIe siècle le modèle de recherche et d’enseignement chan-
ge. L’autorité n’est plus la source dans laquelle on puise la vérité, mais un
instrument qu’on utilise pour la trouver soi-même. Selon un mot d’Au-
gustin103 souvent cité au XIIe siècle, l’autorité est un début, une aide pour
les incultes; l’érudit la traverse comme une porte (une fois de plus cette
métaphore), une porte qui le mène au travail de la raison discursive. Ce tra-
vail n’est plus solitaire, il s’accomplit en équipe, dans l’échange oral d’opi-
nions divergentes, dans une dispute amicale qui s’approche peu à peu de la
connaissance, sans nécessairement l’atteindre. En revanche, la simple trans-
104. B. C. Bazan, dans Les questions disputées, op. cit. n. 83, pp. 25 ss., caractérise cette évolution
de la lectio et de la quaestio à la disputatio comme un «détachement progressif à l’égard du texte». Ce
n’est pourtant qu’un aspect qu’il ne faut pas isoler: la disputatio ne mène point à la réduction des
auctoritates qui sont, au contraire, collectionnées dans toute leur ampleur et diversité parce qu’elles
doivent servir d’arguments in utramque partem pour d’innombrables débats. L’héritage écrit gagne
un prestige «stratégique» éminent, parfois même «superstitieux», à être ainsi fonctionnalisé dans
une attitude active et non plus contemplative. Voir aussi R. H. Rouse, «L’évolution des attitudes
envers l’autorité écrite. Le développement des instruments de travail au XIIIe siècle», Culture et tra-
vail intellectuel dans l’Occident médiéval, Paris, CNRS, 1981, pp. 215-244; P. von Moos, «Das argu-
mentative Exemplum und die “wächserne Nase” der Autorität im Mittelalter», Exemplum et simili-
tudo, W. J. Aerts, M. Gosman éds., Groningue, 1989, pp. 55-77.
105. De ordine, II, 13, 8.
106. De dialectica, 5; Jean Pépin, Augustin et la dialectique, Villanova, 1976, pp. 67 ss.
107. Theologia christiana, II, 36-37; III, 4, 9-53, loc. cit. n. 73, pp. 147, 195-196, 199-217.
108. Ibid., II, 35-36, p. 208.
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109. Timaeus 28 C, interpr. Chalcidio, Waszink éd., p. 21 (quam inventum impossibile digne profari).
110. Policr., VII, 8, Webb éd., II, p. 122, 11 ss., citant Cicéron, De offic., 2, 2, 7-8 qui fait al-
lusion à la septième lettre de Platon; Metalogicon, III, 10, Webb éd., pp. 162-163 (collatio meditatio-
ne utilior); cf. von Moos, op. cit., n. 87, pp. 246 ss.; pp. 291 ss.
111. Hermann Throm, Die Thesis, Paderborn, 1932, p. 10.
112. Soliloquia, I, 23, De quant. animae, 12; De ord., 2, 16; voir Voss, op. cit. n. 16, pp. 235-256.
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113. Brian Stock, The Implications of Literacy, Princeton, 1983, pp. 360 ss.
114. Dial., p. 277, 3, I Cor., I, 27: stultos huius mundi elegit deus.
115. Solil., II, 14-15, 1. Pour l’opposition générale entre le dialogue dialectique et le discours
rhétorique, entre communication et persuasion («parler avec» et «s’adresser à»), voir: H. Geissner,
«Gesprächsrhetorik», Lili (Zeitschrift für Literaturwissenschaft), 11, 1981, pp. 66-89.
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116. Il y aurait un grand livre à écrire sur les origines médiévales de ce besoin que Jean Delu-
meau, sous un titre trop général, étudie dans l’Occident postmédiéval: Rassurer et protéger. Le senti-
ment de sécurité dans l’Occident d’autrefois, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1989, p. 667.
117. Detleff Illmer, Formen der Erziehung und Wissensvermittlung im frühen Mittelalter, Munich,
1971, pp. 35 ss.; Hannes Kästner, Mittelalterliche Lehrgespräche, Berlin, 1978, pp. 250 ss.
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118. Metalog. I, 24; P. von Moos, op. cit. n. 87, pp. 241 ss., 257, 474.
119. G. Zanker, «Enargeia in Ancient Criticism of Poetry», Rheinisches Museum, 24, 1981, pp.
297-311, cf. Quintilien, VI, 2, 32; Cicéron, Part., VI, 20; J. Mittelstrass, «Versuch über den so-
kratischen Dialog», dans Das Gespräch, op. cit., n. 1 pp. 11-28.
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* Version française inédite, légèrement complétée, de l’article allemand: Aspekte der Dialogfor-
schung, Die italienische ars arengandi des 13. Jahrhunderts, dans Wissensliteratur im Mittelalter und
in der Frühen Neuzeit, éd. H. Brunner - N. R. Wolf, Wiesbaden 1993, 67-90. Dans les notes la bi-
bliographie a été mise à jour.
1. P. Zumthor, La lettre et la voix, De la «littérature» médiévale, Paris 1987, 37-59.
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3. H. Keller, Die Aufhebung der Hörigkeit und die Idee menschlicher Freiheit in italienischen
Kommunen des 13. Jhs., dans Die abendländische Freiheit vom 10.-14. Jh., éd. J. Fried (Vorträge und
Forschungen 39), Sigmaringen 1991, 389-407.
4. Brunetto Latini, La Rettorica I 3-4, éd. F. Maggini, Firenze 1915, 4; cf. Rubinstein (n. 2), 101
s.; S. Heinimann, Umprägung antiker Begriffe in Brunetto Latinis Rettorica, dans Renatae Litterae,
Festschrift A. Buck, éd. K. Heitmann - E. Schroeder, Frankfurt 1973, 13-22, en part. 16 s.
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donc deux emplois du mot dictamen, l’ancien sens restreint (epistola, litte-
rae), ainsi qu’un sens élargi impliquant, à côté de l’écrit, toute une gamme
d’expressions orales publiques et privées: arenga, contio, parlamentum, dice-
ria, placitum, colloquium, etc., pour lesquelles naissent simultanément de
nouveaux enseignements5.
Les maîtres de cette rhétorique ou ars dictaminis élargie – contenant l’ars
arengandi – sont des professeurs du trivium ou de la jurisprudence, des no-
taires, copistes et chroniqueurs de la ville, cumulant souvent toutes ces
fonctions6. Ce sont des «intellectuels» dans le sens que Jacques Le Goff at-
tribue à ce terme, laïcs ou clercs, un groupe professionnel dont sortiront
ensuite la plupart des humanistes. Leurs manuels aident les rudes à rédiger
leurs textes: lettres, actes, chartes, testaments privés, etc. (Pour les actes
eux-mêmes, se développe à côté de l’ars arengandi une autre branche spé-
cialisée, l’ars notaria, sorte d’excroissance de l’ars dictandi7). Mais ces nou-
veaux dictatores enseignent aussi l’art de la parole, le bene dicere ou le ben par-
lare, pour les délibérations devant le conseil ou le peuple réuni à la contio;
ils sont en même temps les premiers théoriciens de l’art diplomatique dans
les ambaxiatae, et instruisent le podestà dans sa fonction judicative et les
avocats ou oratores pour leurs plaidoyers8.
Cette nouvelle discipline de rhétorique orale naît donc des exigences
pratiques de l’époque, auxquelles elle tente de répondre de la façon la plus
performante, tandis que partout ailleurs en Europe l’on cultive encore
comme un patrimoine culturel les restes d’une rhétorique ancienne que
l’on interprète et imite par écrit dans les exercices scolaires. Ce n’est pas
une coïncidence si, à la même époque et dans le pays même où naissent les
artes arengandi, une deuxième rhétorique orale se développe, qui répond à
de tout autres besoins pratiques, ceux de la prédication. Il serait intéres-
5. Boncompagno, ‘Rhetorica novissima’ (n. 18), 257-259, 294-297, présente une sorte de glossai-
re contenant les définitions de ces termes.
6. Cf. M. Giansante, Retorica e politica nel Duecento: I notai bolognesi e l’ideologia comunale, Roma
1999; M. Zabbia, I Notai e la cronachistica cittadina italiana nel Trecento, Roma 1999; F. Luzzati La-
ganà, Un maestro di scuola toscano del duecento: Mino da Colle di Valdelsa, Bollettino storico Pisa-
no 58 (1989), 53-82; Artifoni, Podestà (n. 2), 698-705; G. Arnaldi, Il notaio-cronista e le cronache
cittadine in Italia, dans La storia del diritto nel quadro delle scienze storiche, Firenze 1966, 293-309; G.
Vecchi, Il magistero delle «Artes» latine a Bologna nel Medioevo, Bologna 1958 (Pubblicaz. della Fac.
di Magistero, Univ. di Bologna 2).
7. G. Van Dievoet, Les coutumiers, les styles, les formulaires et les «Artes notariae», (Typologie des
sources du Moyen Âge occidental, fasc. 48), Turnhout 1986; G. Orlandelli, Genesi dell’ars notaria
nel sec. XIII, Studi Medievali 6.2 (1965), 329-326.
8. Cela vaut surtout pour Boncompagno et Jean de Viterbe, cf. infra, n. 18, 33.
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9. M. G. Briscoe, Artes praedicandi; B. H. Jaye, Artes orandi (Typol. des sources du Moyen Âge
occidental fasc. 61), Turnhout 1992; C. Delcorno, L’«ars praedicandi» di Bernardino da Siena, Let-
tere italiane 32 (1980), 441-475; D. Roth, Die mittelalterliche Predigttheorie und das Manuale Curato-
rum des Johann Ulrich Surgant (Basler Beiträge zur Geschichtswiss. 58), Basel 1956; P. von Moos,
Rhetorik, Dialektik und civilis scientia im Hochmittelalter, dans Dialektik und Rhetorik im früheren
und hohen Mittelalter, éd. J. Fried (Schriften des Historischen Kollegs 27), München 1997, 133-156.
10. Thomae archidiaconi Spalatensis Historia Salonitanorum pontificum atque Spalatensium 26, éd.
F. Racki, Zagreb 1894 (Monumenta spectantia historiam Slavorum meridionalium XXVI, Scriptores 3),
98; cf. Artifoni, Gli uomini (n. 2), 160-164; Galletti (n. 2), vol. I, L’eloquenza sacra in Italia, 85.
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11. F. Bruni, Boncompagno da Signa, Guido delle Colonne, Jean de Meung: metamorfosi dei
classici nel Duecento, Medioevo romanzo 12 (1987), 103-128, en part. 108 s.; C. T. Davis, Brunetto
Latini and Dante, Studi Medievali 8 (1967), 421-450, en part. 426-428; J. O. Ward, The commen-
tator’s rhetoric, From Antiquity to the Renaissance: Glosses and Commentaries on Cicero’s Rheto-
rica, dans J. J. Murphy (éd.), Medieval Eloquence, Berkeley 1978, 25-67, en part. 45 s.; Artifoni, Or-
feo concionatore (n. 2). – Augustin souligne déjà la supériorité de la rhétorique chrétienne sur cel-
le de Cicéron dans De vera religione I 1(CSEL 32), 187.
12. L. J. Paetow, The Arts Course at Medieval Univeristies, with Special Reference to Grammar and
Rhetoric, Champaign 1910, 67.
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13. ‘La Rettorica’ I 1 (n. 4), 3: Rettorica è scienza di due maniere: una la quale insegna dire, e di ques-
ta tratta Tullio nel suo libro; l’altra insegna dittare, e di questa, perciò che esso non ne trattò così del tutto
apertamente, si ne tratterà lo sponitore nel processo del libro ... Cf. P. Sgrilli, Retorica e società: tensioni
anticlassiche nella «Retorica» di Brunetto Latini, Medioevo Romanzo 3 (1976), 380-393, en part.
380-382; Rubinstein (n. 2), 23 s.; von Moos, Rhetorik, Dialektik und civilis scientia (n. 9).
14. G. Vecchi, Il «proverbio» nella pratica letteraria dei dettatori della scuola di Bologna, Stu-
di mediolatini e volgari 2 (1954), 283-302; R. Witt, Boncompagno and the Defence of Rhetoric, The
Journal of Medieval and Renaissance Studies 16 (1986), 1-31, en part. 1-4; J. R. Banker, Giovanni di
Bonandrea and Civic Values in the Context of the Italian Rhetorical Tradition, Manuscripta 18
(1974), 3-20, en part. 8 s.
15. Cf. E. Vincenti (éd.), Matteo dei Libri, ‘Arringhe’, Milano-Napoli 1974, CVIII-CXXV. L’Oculus
pastoralis est un excellent exemple d’un style clérical plus raffiné (infra, n. 17).
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16. C. B. Faulhaber, The Summa dictaminis of Guido Faba, dans Murphy, Medieval Eloquence (n.
11), 87-111, en part. 97 s.; Vecchi, Il «proverbio» (n. 14), 298-301, sur le rapport entre le thema ho-
milétique et l’exordium sententieux des dictamina et arengae. A l’époque de Frédéric II, cette tendan-
ce est encore renforcée par l’influence du stylus curialis de la propagande papale et impériale; cf. Th.
Haye, Oratio, Mittelalterliche Redekunst in lateinischer Sprache, Leiden 1999, 259-277; G. L. Haskins -
E. Kantorowicz, A diplomatic mission of Francis Accursius and his oration before Nicholas II, En-
glish Historical Review 58 (1943), 424-447; H. U. Kantorowicz, The Poetical Sermon of a Medieval
Jurist, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 2 (1938-1939), 26-27; Kristeller (n. 2), 14 s.
17. Oculus pastoralis pascens officia et continens radium dulcibus pomis suis, éd. D. Franceschi, Torino
1966 (Memorie dell’Accademia delle morali, storiche e filologiche ser. 4a, n. 11); cf. la même, L’Oculus pas-
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toralis e la sua fortuna, Atti dell’Accademia delle Scienze II, Cl. di scienze morali, storiche e filologiche 98
(1963-1964), Torino 1964, 205-261; Haye, Oratio (n. 16), 250-258; Artifoni, Podestà (n. 2), 698,
715 s. sur le problème de la datation.
18. Boncompagni Rhetorica novissima, éd. A. Gaudenzi, Bibliotheca iuridica Medii Aevi II, Bologna
1892, 251-298. Cf. Il pensiero e l’opera di Boncompagno da Signa, éd. M. Baldini, Signa 2002; T. O.
Tunberg, What is Boncompagno’s «Newest Rhetoric»?, Traditio 42 (1986), 299-334; D. Goldin,
B come Boncompagno, Tradizione e invenzione in Boncompagno da Signa, Padova 1988; Witt (n. 14); Ben-
son (n. 2); Bruni (n. 11). Sur la personnalité de Boncompagno les travaux de C. Sutter Aus Leben
und Schriften des Magisters Boncompagno, Freiburg i.Br.-Leipzig 1894 et de G. Misch, Boncompagno,
dans sa Geschichte der Autobiographie III 2, Frankfurt 1962, 1099-1123, demeurent importants.
19. Prologue (n. 17), 23: ... ad utilitatem quorum, si qui quandoque ad locorum regimina sint assumpti,
sequentia componuntur, ut ex eis aliqua ... prelibare valeant, quibus rectoriçent in subiectos. Cf. infra, n. 43
(Brunetto Latini).
20. Sur la postérité de Boncompagno cf. G. Saitta, Tra i dettatori bolognesi: Boncompagno da
Signa, dans Prospettive storiche e problemi attuali dell’educazione, Studi in onore di E. Codignola, Firenze
1960, 16-27, en part. 16-17.
21. Oculus (n. 17), 23.
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teratis. Boncompagno, qui écrit pour des litterati, ne cesse de se moquer des
orateurs «naturels» de la contio, qui, faute de savoir s’exprimer, frappent le
sol de leur pied, parlent avec leur bras et se fient plus à la force de leur voix
qu’à leurs arguments. Après avoir ironisé sur l’éloquence sauvage de ces
concionatores, Boncompagno conclut qu’elle n’est pas un art mais une habi-
tude et qu’elle n’atteint pas à la dignité d’une discipline ou «science»: quia
non potest esse scientia naturalis. On a souvent cité son verdict méprisant sur
l’ars concionatoria ou arengandi naissante22: Verum quia contionandi officium
rarissime ad viros pertinet litteratos, idcirco hec plebeia doctrina est laicis Italie re-
linquenda. Tout en proclamant l’inutilité d’un enseignement de ce que cha-
cun sait faire naturellement, il en reconnaît l’existence dans le milieu des
laïcs italiens de l’époque.
L’Oculus et la Rhetorica novissima contribuent à rétablir une rhétorique
authentique destinée à la persuasion stratégique et dépassant le formalis-
me stylistique de l’ars dictandi précédente. Dans les modèles proposés par
l’Oculus se trouve le cas suivant: des naufragés, mécontents d’avoir été spo-
liés de leurs derniers biens par les citadins de la ville, envoient leur porte-
parole devant le podestà. Celui-ci tente avant tout de calmer les esprits. Il
faut d’abord, dit-il, vérifier l’accusation. Pour faire l’enquête nécessaire, le
conseil doit siéger tranquillement et secrètement; et il est préférable que
les naufragés rentrent chez eux, car leur présence comme accompagnement
ou comme support physique de l’accusateur est superflue23. Ainsi, par pro-
cédures et délais, le podestà rétablit l’ordre. Autre exemple: des jeunes gens
débattent pour ou contre la guerre. La question délibérative est de savoir
s’il vaut mieux rester en ville ou bien mettre son courage à l’épreuve en se
battant avec des étrangers. Les discours sont arrangées dialectiquement de
façon à exposer clairement les deux positions, et le dernier discours vient
conclure le débat à la façon d’une determinatio magistrale. À grand renfort
22. Rhetorica novissima (n. 18), 296 s. (De moribus contionatorum): Omnes contionatores habent contio-
nandi scientiam magis per consuetudinem quam naturam: quia non potest esse scientia naturalis. Depuis Gal-
letti (n. 2) II, 452-455 et Vecchi, Il magistero (n. 6), 21-24, on a souvent comparé le mépris éli-
tiste pour le peuple qui se manifesterait dans ce passage, avec l’enseignement populaire de l’élo-
quence en langue vulgaire par Guido Faba. Il ne faut cependant pas négliger les différents contextes
et publics de ces maîtres. La rhetorica novissima latine s’adresse à des juristes. Pour Gaudenzi (n. 2),
112 s., cet ouvrage «académique» n’est pas typique de la production de Boncompagno; il l’a
d’ailleurs écrit dans le but personnel d’obtenir un poste à la chancellerie pontificale. Dans toutes ses
autres œuvres il s’oppose au contraire à l’enseignement traditionnel de la rhétorique cicéronienne
et sert les besoins pragmatiques des citoyens de la commune; cf. Benson (n. 2), 34-40; Ward (n. 2)
I, 313-316, 387-389 et infra, n. 27.
23. Oculus III 6-7 (n. 17), 46-48.
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24. Ibid., IV 1-4, 57-63: De iuvene cupiente guerram, De alio affectante, De tertio recusante, De quar-
to monstrante pericula guerrae. Ces chapitres se lisent comme le dialogue d’une controversia reliée par
quatre discours particuliers. Cf. par contre infra, n. 39, sur l’influence de la disputatio scolastique
dans un débat analogue chez Jean de Viterbe.
25. Sur le paradoxe de sa critique de Cicéron malgré les imitations qu’il en fait cf. Tunberg (n.
18) passim et 332; Bruni (n. 11), 106-109; Benson (n. 2), 40 s.; Witt, Boncompagno (n. 14), 1-4.
26. Rhetorica noviss. (n. 18), 255: Prima persuasionis origo fuit in celis, quia probabile sine dubio esse vi-
detur, quod novem angelorum agmina in partem Luciferi sine aliqua persuasione se non traxissent ... Secunda
persuasionis origo fuit in paradiso deliciarum, videlicet quando serpens vetitum pomum exhibuit protoplastis.
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27. Candelabrum, IV 16, éd. G. C. Alessio, Padova 1983, 137: De natura exordiorum plura dixi-
mus quam in epistolis requiratur ... Preterea sermocinantibus et causidicis, qui frequenter utuntur exordiis, cer-
tam viam exordiendi prestitimus et iuvamen. Ibid., IV 41, 150, sur la différence entre la conclusio de l’ora-
tio rethorica et celle de la lettre; cf. von Moos, Rhetorik (n. 9), 152 ss.; Candelabrum V 10, 161 s. sur
la différence entre punctus scripturalis et punctus vocalis; ibid., VI 1, 181: la définition du dictamen in-
clut une litteralis editio ... sermone prolata. La vox prolata (de la prononciation) fait partie de l’ensei-
gnement de la lettre écrite (infra, n. 70-72); ibid., VIII 52-54, 269 s.: la théorie de l’argumenta-
tion traite des moyens de l’inventio pour les decretiste, legiste et theologi sermocinantes: Huiusmodi ergo ar-
gumentationibus oratores utuntur, ut Boetius in Consolatione et Tullius in Paradoxis (ce qui indique la for-
me du dialogue), mais elle ne traite pas du iudicium établi par des allégations juridiques, parce que
cela fait partie de la dialectique; ibid., VIII 58, 273: pronunciatio igitur in voce, vultu et gestu dignam
moderationem observat, ut concilietur auditor ...; ibid., VIII 59, 274: Haec de inventione, dispositione, elo-
cutione, memoria et pronunciatione breviter dicta sufficiant, quia non de causis civilibus, sed de his que magis
operi nostro expediebant habuimus propositum pertractandi. Bene complète son ars dictandi par un manuel
de rhétorique générale.
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28. Parlamenti ed epistole di Maestro Guido Faba, éd. A. Gaudenzi dans son I suoni, le forme e la pa-
role dell’odierno dialetto della città di Bologna, Torino 1898, 127-160. Cf. Vecchi (n. 2), 3; Faulhaber,
Summa (n. 16); E. H. Kantorowicz, An Autobiography of Guido Faba, Medieval and Ren. Studies 1
(1941), 253-280 et dans ses Selected Studies, Locust Valley, New York 1965, 194-279; A. P. Campbell,
The Perfection of Ars dictaminis in Guido Faba, Revue de l’Université d’Ottawa 39 (1969), 315-321.
29. Parlamenti ...(n. 28) N° 20-23, 133 s., ‘Ad patrem responsivum filii parlamentum’: ... Unde cum
çio sia cosa che la scientia rechera tuto ’omo, e la femina vogla che l’omo segua la sua voluntà, prego voi che de
omine libero no faça servo, e plaçeve k’eo in lu studio debia perseverare, ka muglere senpre poterò avere, ma la
scientia che perdesse mo non potrave mai revocare. – ‘Minor de eadem materia’: ... ut dicenti habeam licentiam,
reputo insipientiam propter mulierculam dimitere scientiam ... Cet argument n’est qu’ébauché dans l’epis-
tola minor et fait totalement défaut dans la minima, où la petitio se réduit à: me continuare studium per-
mitatis, considerantes quod non ab incepto opere desistendum, donec fructus respondeat laboranti.
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30. Ibid., N° 81 s., 157 s.; cf. également la Littera carnisprivii contra quadragesimam adversariam
suam und Invectiva quadragesime contra carnisprivium inimicum suum dans un autre manuel de Guido
Faba, la Rota nova, éd. A. P. Campbell, thèse dact., Fordham University, New York 1959, 214-216.
A propos de cette altercatio en vogue dans l’ars dictaminis, à Florence particulièrement, cf. A.-M.
Turcan-Verkerk, Le formulaire de Tréguier revisité: Les carmina trecorensia et l’ars dictaminis,
A.L.M.A, Bull. Du Cange 52 (1994), 205-252; M. Feo, Due lettere del Medioevo fantastico, dans
Kontinuität und Wandel, Festschr. F. Munari, Hildesheim 1986, 531-539; G. Ciappelli, Carnevale e
Quaresima: rituali e spazio urbano a Firenze (secc. XIII-XVI), dans Riti e rituali nelle società medie-
vali, éd. J. Chiffoleau - L. Martines - A. Paravicini-Bagliani, Spoleto 1994, 159-174. – A propos
des alternances d’oral et d’écrit cf. également N° 33, 137-140: dans un parlamentum on demande à
un homme (la vostra presentia adomando cum prego audientia) si la rumeur qu’il est devenu évêque de
Florence est fondée. Qu’il réponde par écrit (per vestre littere), si cela est vrai! Le spécialiste du dicta-
men semble donc avoir oublié la présence réelle du destinataire (sauf hypothèse que l’arenga écrite
ait été prononcée par un messager).
31. En général cf. E. Artifoni, Retorica e organizzazione del linguaggio politico nel Duecento
italiano, dans Le forme della propaganda politica nel due e nel trecento, éd. P. Cammarosano (Coll. de l’É-
cole Française de Rome 201), Roma 1994, 157-182; idem, Sull’eloquenza politica (n. 2).
32. Iohannis Viterbensis liber de regimine civitatum, éd. C. Salvemini, dans A. Gaudenzi, Bibliotheca
iuridica Medii Aevi III, Bologna 1901, 217-282; cf. Hertter (n. 2) 43-71; C. Salvemini, Il ‘Liber de
regimine civitatum’ di Giovanni da Viterbo (1903), dans son La dignità cavalleresca nel commune di
Firenze e altri scritti, Milano 1972, 358-370; G. Folena, «Parlamenti» podestarili di Giovanni di Vi-
terbo, Lingua Nostra 20 (1959), 97-105; W. Stürner, Natur und Gesellschaft im Denken des Hoch-
und Spätmittelalters, Stuttgart 1975, 140-142.
33. Ars loquendi et tacendi, éd. T. Sundby, Della vita e delle opere di Brunetto Latini, Firenze 1884,
app. III, 475-506; Liber de doctrina dicendi et tacendi, éd. P. Navone, Firenze1998; cf. J. M. Powell,
Albertanus of Brescia, The Pursuit of Happiness in early Thirteenth Century, Philadephia 1992; C. Casa-
grande - S. Vecchio, I peccati della lingua, Disciplina ed etica della parola nella cultura medievale, Roma
1987, 91-102.
34. Orfini Laudensis poema ‘De regimine et sapientia potestatis’, éd. A. Ceruti, dans Miscellanea di sto-
ria Italiana ... della regia deputazione di storia patria VII, Torino 1869, 27-94; cf. Hertter (n. 2), 75-
78; Sorbelli (n. 2), 59-68.
35. La Rettorica (n. 4); Li livres dou Tresor, III, éd. F. J. Carmody, Berkeley-Los Angeles 1948,
317-422; cf. Sundby (n. 33) sur les sources; Davis (n. 11); Sgrilli (n. 13); Heinimann (n. 4); J. R.
East, Brunetto Latini’s Rhetoric of Letter Writing, Quarterly Journal of Speech 54, 1968, 241-246; B.
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ment française des commentaires de Cicéron, que nous avons opposée plus
haut à l’ars arengandi italienne, ce maître de Dante rentre dans le cadre de
notre sujet pour certaines idées directrices communes avec les traités De re-
gimine. Ces traités proviennent d’un même bagage littéraire, constitué par
les florilèges de sentences didactiques depuis les Disticha Catonis, la philo-
sophie morale de Cicéron et de Sénèque, le De officiis d’Ambroise et la Re-
gula pastoralis de Grégoire le Grand, puis par un intermédiaire particuliè-
rement important du VIe siècle: la Formula vitae honestae de Martin de Bra-
ga, attribuée à Sénèque; plus en aval le célèbre Dialogue d’Alcuin avec Char-
lemagne sur la rhétorique (qui est en même temps un «miroir des
princes»); au XIIe siècle, le Moralium dogma philosophorum et toutes sortes de
textes didactiques adressés à des élites particulières, comme les princes, les
clercs, les gens de cour, etc. Cet immense fleuve de directives sociales et po-
litiques qui aboutit aux traités De regimine du XIIIe siècle ne mérite guère
une analyse philologique de l’intertextualité36, puisque les vérités et sen-
tences rapportées ne relèvent que d’une koinè de topoï. Ce qui est plus in-
téressant c’est le nouvel emploi de ces formules sapientiales, qui sont choi-
sies pour leur double intérêt politique et rhétorique, soit pour donner aux
podestà des leçons de prudence, soit pour mettre une «grammaire» à sa por-
tée, un trésor de mots clé et d’évidences indiscutables. Ces discours modèles
ont également une application stratégique.
Si Albertano da Brescia compose, dans son Ars loquendi et tacendi, une
mosaïque de ces sagesses traditionnelles de sententiae ad filium, il écrit avant
tout une monographie sur la décence, l’aptum rhétorique. Il distingue les
situations où le silence est préférable de celles qui requièrent la parole37.
Jean de Viterbe ne cesse de relever la différence entre la discipline du
langage et le parler libre, incontrôlé, entre l’éloquence et le bavardage. Le
podestà, selon lui, doit devenir eloquentissimus, non tamen loquax38. Morale so-
Ceva, Brunetto Latini, L’uomo e l’opera, Milano-Napoli 1965, 151-189; H. Wieruszowski, Brunetto
Latini als Lehrer Dantes und der Florentiner, dans son Politics and culture in medieval Spain and Ita-
ly, Roma 1971, 515-562; R. Crespo, Brunetto Latini als vertaler van Cicero, Leiden 1973; C. Meier,
Cosmos politicus, Der Funktionswandel der Enzyklopädie bei Brunetto Latini, Frühmittelalterliche
Studien 22 (1988), 316-356; G. C. Alessio, Brunetto Latini e Cicerone (e i dettatori), Italia medioe-
vale e umanistica 22 (1979), 123-169; G. Baldassari, Ancora sulle fonti della Rettorica: Brunetto La-
tini e Teodorico di Chartres, Studi e problemi di critica testuale 19 (1979), 41-46.
36. Comme par ex. chez Sundby (n. 33) ou Vincenti (n. 15), CVIII-CLXIII.
37. Cf. n. 77-79.
38. De regimine IX (n. 32), 220 s.: Sit eloquentissimus et bonus orator, car il s’agit de gagner la be-
nevolentia de la foule; le jeune podestà doir néanmoins se soucier d’avantage de la modestiae gravitas
(cf. Cicéron, De off. I 16, 65,68, 96; II 48). Ibid., LXVI, 242 s.: De abstinentia multiloquii.
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39. Ibid., CXXIV-CXXVI, 262-265 (précédé de recommandations pour la deliberatio cum consi-
lio super dubiis): De questione que habetur et tractari solet inter diversas potestates seu rectores civitatum ...;
Contra predicta ...; Solutio supradicte questionis ...
40. Ibid., CCV, CXX, 259, 261; cf. également Petrus a Vinea (?), ed. Vincenti (n. 15) N° 70,
189 s. sur la collaboration du notaire et du podestà dans l’établissement d’un règlement des débats.
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41. J. Chiffoleau, Dire l’indicible, Remarques sur la catégorie du nefandum du XIIe au XVe
siècle, Annales E.S.C 1990 (2), 289-324.
42. ‘De regimine rectoris’, éd. A. Mussafia, Wien-Firenze 1868 (sur les sources cf. 117-138); cf.
Segre (n. 2) I, 99-101; II, 147-151; sur le genre cf. W. Berges, Die Fürstenspiegel des hohen und spä-
ten Mittelalters, Stuttgart 1938.
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rent de celui des miroirs des princes. Il donne des préceptes plus détaillés
que ceux de Jean de Viterbe, destinés à régir même la vie privée du podestà,
son comportement envers les femmes ou bien la discipline à garder dans
les parties de jeux et dans la conversation quotidienne. Comme les miroirs
des princes, il contient une quantité d’anecdotes amusantes, puisées essen-
tiellement dans le Policraticus de Jean de Salisbury, véritable mine du gen-
re, pillé ou plutôt plagié par Hélinand de Froidmond, et que Vincent de
Beauvais exploite à son tour pour en faire la source majeure de tous les au-
teurs en philosophie politique (Paulus Minorita inclus). En somme le frè-
re mineur s’intéresse bien plus à la vie morale du podestà qu’à sa fonction
d’orateur. On ne trouve plus chez lui cette rettorica que ses prédécesseurs
du XIIIe siècle concevaient comme une rectorica, comme le seul et même
art du discours et du gouvernement43.
Il convient enfin de jeter un regard sur un troisième type de manuels
spécialisés dans la forme du discours. À partir de la seconde moitié du
XIIIe siècle apparaissent de plus en plus d’ouvrages traitant de l’ars aren-
gandi comme telle. Ce sont surtout les Arenge attribuées à Pierre de la
Vigne (Petrus a Vinea)44, les Arringhe de Matteo dei Libri45 et les Dicerie de
Filippo Ceffi46, le Flore de parlare de Jean de Vignano47 et plusieurs autres
manuels mineurs peu connus ou non-identifiés48. Leurs auteurs assurent la
continuité de l’ancienne ars dictandi; ils ont simplement changé de sous-
discipline à l’intérieur de cet art. Ils délaissent les lettres pour se vouer uni-
quement aux discours. Comme leurs prédécesseurs, ils donnent quelques
préceptes élémentaires et pragmatiques et surtout une abondance de mo-
dèles stylistiques. Leurs discours modèles se distinguent par un penchant
49. Vincenti (n. 15), CXXI, CXXVII et par ex. la glose dans Arenga 70, 189: Et sciat de predictis
arengis potest quilibet providus multas alias arengas formare, sicut eas viderit ad suum negotium pertinere.
50. G. Melville, Hérauts et héros, dans, European Monarchy, éd. H. Duchhardt et al., Stuttgart
1992, 81-97.
51. Jean de Vignano, ‘Flore de parlare’, 5-6, éd. Vincenti (n. 15), 234-238: ... considerando che’l
bon dicetore di’ essere ben custumato ...; dé andare ben vestito; dé raxonare e dire tra li çentili homigni e tra li
richi e tra li posenti e tra la bona çente ... no dé portare vistimente tropo desguisate, perço ch’ele mostrano l’omo
vano e de pocha substantia, me dé le portare bele e asunçe, ben calçato e ben petenato e ben fornito lo capo, se-
gondo lo so tempo e segondo l’usança del so paese. (cf. ‘Facetus’ Moribus. V. 111-118, éd. A. Morel-Fatio,
Romania 15 [1886], 226 s.) ... No dé usare lo çogo né lo bordelo, né dé esere bevetore, çoè invriago, me dé usa-
re la glesia et in le plaçe principale e dé andare per via honesta. Une remarque révèle la professionalisa-
tion de l’arengator: il n’a pas le droit d’exercer d’autre métier (arte), à l’exception du commerce ou
du notariat (l’arte de la merchandia o nodaro solamente), probablement parce que l’artisanat pourrait
nuire à sa réputation. Ceci est suivi d’un passage sur la pronunciatio et la gestuelle, paraphrase d’un
chapitre d’Albertano da Brescia (n. 33), 499, elle-même paraphrase de la Disputatio de Rhetorica et
virtutibus d’Alcuin (éd. W. S. Howell, New York 1965, 138-142). La première source de toutes ces
imitations sont les ‘Praecepta artis rhetoricae’ de Julius Victor 24 (éd. C. Halm, Rhetores latini minores,
Leipzig 1863, 440-443).
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52. Jean de Vignano, éd. Vincenti (n. 15) 6, 235, ajoute à la paraphrase citée dans la note pré-
cédente sur la pronunciatio cet avertissement contre trop d’expressivité affective: se credono piaçere a la
çente et essere meio intesi. – Augustin, De doctr. chr. IV 9-10.
53. Haskins-Kantorowicz (n. 16), 429 s.
54. Vincenti (n. 15) N° 46, 131 s.: Qualiter potest dicere qui primo arengat in conscilio (sic) ... Et di-
cat illud quod sibi videbitur bene aperte et distincte cum moderatione vocis et spiritus et cum modesto motu cor-
poris. Ceci est suivi par la même paraphrase d’Albertano da Brescia sur la pronunciatio dont se sert
également Jean de Vignano (supra, n. 51).
55. Sur la concurrence des langues, du latin et différents dialectes italiens avant Dante cf. Vec-
chi, Magistero (n. 6), 21-25; G. Nencioni, Dante e la retorica, dans Firenze e Bologna nei tempi di
Dante, Bologna 1967, 91-112.
56. Le manque de contenu concret de ces modèles tient également au partage du travail lors des
ambassades entre l’arengator semi-professionnel qui n’a qu’à préparer la rencontre en prononçant une
salutation cérémonieuse et l’ambassadeur lui-même, porteur du mandat de la commune, qui est
chargé d’expliquer le sens de sa mission de façon plutôt informelle, voire secrète. Dans beaucoup
d’exordia de Matteo (par ex. N° 1, 8-9, 3, 27, 31) l’orateur, avec une formule de modestie («si je
pouvais bien parler»), s’en remet à la prudence de ses mandataires et au compagnon plus compé-
tent qui complétera son discours. Ce motif apparaît parfois aussi dans la conclusio (par ex. N° 8, 10,
13s, 29, 36 s., 46 s., 48 s.) dans ce sens: «Vous êtes intelligents et m’aurez compris malgré mon
mauvais discours. Mon compagnon expliquera tout mieux que moi».
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57. De telles appels à la concorde chez Vincenti (n. 15) N° 4-6, 12-13; sur la réconciliation après
des conflits: N° 10-11, 21-24, 42-45.
58. N° 6, 22 s.; N° 10, 34 s.; N° 12, 43 s.; N° 13, 45 s.; N° 16, 54; N° 21, 66 s.; N° 23, 73
s.; N° 43, 121-123; N° 45, 129 s.
59. E. J. Polak (éd.), A textual study of Jacques de Dinant’s «Summa dictaminis», Genève 1975.
60. Ed. A. Wilmart, Analecta Reginensia (Studi e testi 50), Città del Vaticano 1933, 113-152:
L’ars arengandi de Jacques de Dinant, avec un appendice sur ses ouvrages De dictamine; cf. également
Ward (n. 2) I, 314-316.
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61. C’est avant tout dans la section deliberatio in consilio des traités De regimine que l’on trouve
des indications sur le dialogue; cf. le chapitre 13 de la Rhetorica novissima de Boncompagno (n. 18),
296: De colloquiis, immédiatement avant celui De contionibus. Pour les raisons expliquées plus haut
n. 22, ces deux formes du parler sont «naturelles» et donc exclues de l’art rhétorique.
62. Cf. P. von Moos, Gespräch, Dialogform und Dialog nach älterer Theorie, dans Gattungen mit-
telalterlicher Schriftlichkeit, éd. B. Frank - Th. Haye - D. Tophinke, Tübingen 1997, 235-260.
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sents de communiquer comme s’ils étaient présents». Celui qui possède cet
art suprême possède tous les autres arts de l’expression, parce que ceux-ci
sont plus faciles à apprendre. L’art d’écrire des lettres est donc devenu une
rhétorique par antonomase63.
Le chapitre sur l’ironie de la Rhetorica novissima est très révélateur: Bon-
compagno définit l’ironie comme un procédé qui fait entendre ce qu’on
veut dire en exprimant le contraire. À la lettre font défaut les moyens les
plus simples pour marquer l’intention ironique, l’intonation, le langage du
corps, la mimique, le clin d’œil; il faut donc leur substituer des procédés
purement littéraires, des indices annonçant le sous-entendu, la louange ex-
cessive indiquant la critique, etc. Il faut selon Boncompagno louer l’É-
thiopien pour la blancheur de sa peau64.
Si l’art s’oppose à la nature, le revers de la médaille s’appelle: ars imitatur
naturam. L’art supplante et compense la nature en créant à sa place une
deuxième nature, non pas copie, mais reconstruction de ses structures sous-
jacentes, ce qu’elle-même ne saurait faire. Ce principe revient dans nos
textes d’une manière particulière. Albertano da Brescia65 prétend que la dis-
positio rhétorique suit la base du «langage naturel», ce qu’il démontre en ci-
tant les paroles de l’ange lors de l’annonce faite à Marie, exemple d’un lan-
gage fondateur qui, selon Albertano, contient déjà in nuce les six parties d’un
dictamen bien composé de la salutatio à la conclusio. L’art de la lettre part donc
d’un fondement naturel. Ce n’est pas si loin des conceptions modernes d’une
«rhétorique générale»66 anthropologiquement bâtie sur le parler quotidien.
Mais laissons les anachronismes! Le langage naturel évoqué par nos dictatores
n’est pas celui du every day speech de la conversation, ni celui de l’«associa-
tion libre», moteur de la psychanalyse, mais plutôt la langue éternelle et
idéale des origines, celle des anges et d’Adam avant le péché, usée par la sui-
te jusqu’à devenir commune et vulgaire. L’ange Gabriel chez Albertano par-
le naturellement comme il faut parler et non comme on parle dans la rue.
63. Cf. Bene de Florence (n. 27), 137 et Boncompagno, Palma, éd. Sutter (n. 18), 106 s.; cf. éga-
lement Sutter, ibid., 51; Jacques de Dinant, éd. Polak (n. 59) 85, 98, 126 s.: Ideo si natura docet is-
tud, et ars incipit, ubi natura deficit ...
64. Boncompagno, ‘Boncompagnus’ I, Notula qua doctrina datur quid sit Yronia et eius effectus, éd.
V. Pini, Boncompagno da Signa, Testi riguardanti la vita degli studenti a Bologna nel sec. XIII, Bolo-
gna 1968, 11 et éd. J. F. Benton, Clio and Venus ..., dans F. X. Newman, The Meaning of Courtly
Love, Albany 1973, 19-42, en part. 37 (Appendice); cf. D. Knox, Ironia, Medieval and Renaissance
Ideas of Irony, Leiden 1989, 46 s., 58 s.
65. Ars loquendi ...(n. 33), 504 s.
66. L’homme et la rhétorique, L’École de Bruxelles, éd. A. Lempereur, Paris 1990.
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dictamen mentale doit précéder le dictamen vocale71. Cet art du discours im-
plique même de petites prescriptions formelles, comme d’éviter le hiatus
en latin. Jacques de Dinant remarque à ce sujet que cette faute est plus par-
donnable à l’orateur improvisant librement qu’à l’épistolographe ayant
tout son loisir pour préparer un texte achevé72.
Dans toute cette ars dictaminis, écrite ou orale, l’idéal n’est point la spon-
tanéité mais la ritualisation. Celle-ci concerne aussi des occasions relative-
ment privées comme la condoléance ou la félicitation. Car le cérémonial
linguistique n’établit pas de différence substantielle, mais seulement gra-
duelle, entre les trois publics auquel, selon Brunetto Latini, un dictator doit
s’adresser: civitates, societates, amicitiae, les villes communales, les guildes ou
clubs et les parents ou amis73. Pour Alfredo Galletti, le seul monographe
de l’histoire de l’éloquence italienne du Moyen Âge, cet art se résume à
«dire les choses les plus simples d’une façon compliquée»74. Il s’agit, en
d’autres termes, d’une adaptation orale du style grave et impersonnel en
usage dans les chancelleries. Les habitudes du langage oral sont donc sou-
mises aux normes de l’écrit le plus raide. Si aujourd’hui c’est l’inverse qui
nous semble évident, dans ce milieu du dictamen, le seul principe qui
compte est: «Parles comme tu écris!»
Les rituels du parler ont, outre leur fonction immédiate de décor repré-
sentatif, une mission historique. Ils ont une place certaine dans le «pro-
cessus de la civilisation», si l’on pense à ces conciones tumultueuses, à ces
consilia chaotiques du XIIe siècle que rapportent les chroniqueurs et dont
Boncompagno se moque. D’après ces témoignages, peut-être exagérés, la
situation était telle, que les orateurs les plus brutaux et les voix les plus
fortes avaient le dessus dans les assemblées75. C’est plus tard seulement, si
71. Bene, Candelabrum VI 2 (n. 27), 181: Dictamen est congrua et apposita litteralis editio de aliquo
vel mente concepta, vel sermone vel litteris declarata. Unde sicut est triplex vox, scilicet imaginaria, scripta,
prolata, sic triplex videtur esse dictamen, scilicet mentale, scripturale, vocale. Voir également Jacques de Di-
nant, Summa dictaminis (n. 59), 65: Est autem dictamen mentale quo mens dicit dictum suum interius, et
dictum vocale per vocem que est exterius.
72. Ibid., 79: Sed hodie non tolleratur in dictamine talis hiatus vel vocalium concursus, licet tollerari pos-
sit in oratore, advocato, vel concionatore, et huius ratio est, quia orator, advocatus, et concionator non habent
in dicendo tale premeditacionis beneficium quale dictator, cuius est verba magis limare ut prius veniant verba
ad limam quam ad linguam, que etiam, cum ad linguam venerint, stilo non debent accomodari, nisi prius se-
pius relimentur.
73. Cf. Alessio, Brunetto Latini... (n. 35), 137 sur cette distinction dans la tradition des com-
mentaires sur Cicéron selon Victorinus I 1, éd. Halm (n. 51), 157.
74. L’eloquenza (n. 2), II 477.
75. Ibid., 452 s.
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nos manuels ne contiennent pas que des utopies, que nous voyons s’établir
des règles qui assurent des discussions ordonnées et calmes. La forme pré-
pare donc le terrain à la réflexion, consacrant ainsi la priorité de l’argument
sur la violence. Cela vaut aussi pour l’étiquette: elle contribue à affermir la
concordia civium, but central pour lequel les traités sur les arengae ont été
écrits.
Il nous est difficile d’apprécier cette valeur civilisatrice, nous dont les
goûts et les conceptions s’opposent foncièrement à toute domestication
linguistique. Comparé à notre idéal de discours libre et ouvert, l’idéal mé-
diéval d’un langage contrôlé représente une vraie «altérité» historique.
L’ars arengandi est un témoin parmi d’autres d’une mentalité et d’une hié-
rarchie de valeurs pour lesquelles le naturel doit avant tout être dominé et
dompté. Domestiquer ce qui est sauvage, élaguer l’excroissance, défricher
les zones incultivables, voilà des objectifs qui exigent des techniques, tan-
tôt ascétiques, tantôt civilisatrices. C’est dans ce large contexte structural
(que l’historien Jacques Le Goff et l’historien de la philosophie Tullio Gre-
gory décrivent sous différents angles), que l’on peut situer les efforts des
maîtres d’une rhétorique qui se définit avant tout comme une rectorica, on
pourrait même dire une via recta, ou une ars regendi et corrigendi. Cette rhé-
torique est une technique de maîtrise linguistique et politique76.
Parmi les innombrables textes philosophiques et parénétiques sur les
«péchés de la langue», que Carla Casagrande et Silvana Vecchio ont mi-
nutieusement décrits, figure en bonne place un ouvrage qui appartient
aussi à cette littérature didactique au service des communes: l’ars loquendi
et tacendi d’Albertano da Brescia. Le silence est valorisé aux dépens du lan-
gage. Cette rhétorique du dictamen n’a donc pas le même but que les rhé-
toriques ancienne et humaniste, elles, à la recherche de la richesse, de la co-
pia rerum et verborum. Malgré leur maniérisme, le dictamen et l’arenga pro-
posent une rhétorique pauvre, plus défricheuse et contrôlante qu’exubé-
rante et inventive. Nous avons vu que le dictamen oral est à la remorque du
dictamen écrit. Or, dans la littérature sur les vices de la langue étudiée par
Casagrande et Vecchio, nous trouvons un topos répandu: l’écriture est pro-
posée comme modèle pour la langue parlée dans un sens moral, parce
76. Cf. T. Gregory, La nouvelle idée de nature et de savoir scientifique au XIIe siècle, dans The
Cultural Context of Medieval Learning, éd. J. E. Murdoch - E. D. Sylla, Dodrecht-Boston 1975, 193-
218; J. Le Goff, L’imaginaire médiéval, Paris 1985, ch. II; W. Haug, Der ‘Ruodlieb’, dans son Struk-
turen als Schlüssel zur Welt, Tübingen 1990, 199-235, en part. 229-233.
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77. Cf. P. von Moos, Zwischen Mündlichkeit und Schriftlichkeit: dialogische Interaktion im la-
teinischen Mittelalter, Frühmittelalterliche Studien 25 (1991), 300-314 en particulier sur l’importan-
ce de ‘De officiis’ d’Ambroise pour le Moyen Âge.
78. Vecchio-Casagrande (n. 33), 16, 28, 150-153.
79. Ibid., 28: Incipit du Dictum 54 du De lingua de Robert Grosseteste (ms. Oxford, Lincoln 56,
fol. 38 r).
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* Ce texte est la version française de l’introduction au colloque d’Auxerre (septembre 2002) sur
l’identité personnelle: Unverwechselbarkeit (2004, bibliogr. N° 88-89). Il a été publié en version
abrégée dans une brochure interne du CNRS (non repertoriée par ISSN/ISBN du marché interna-
tional): Etudes et travaux 2001-2002, Centre d’études médiévales (CEM) 6, Auxerre 2002, p. 134-155.
Les passages supprimés du texte allemand sont intégrés dans l’étude: “L’individu et les limites de
l’institution ecclésiale“, dans L’individu au Moyen Âge. Individuation et individualisation avant la mo-
dernité, éd. B. BEDOS-REZAK - D. IOGNA-PRAT, Flammarion, Paris 2005, p. 271-288.
1. Par ex. MARQUARD-STIERLE 1996; FRANK-HAVERKAMP 1988; AERTSEN-SPEER 1996; FETZ et
al. 1998; WILLEMS-HAHN 1999; FISCHER-WEBER 1999; BENOIST 1980; MICHON 1998; COLEMAN
1996; LAFOREST-DE LARA 1998; MOULINIER-BOUCHERON 1998; MCKEE 1999; ZIMMERMANN 2001.
2. “Gesellschaft und individuelle Kommunikation in der Vormoderne – Société et communica-
tion individuelle à l’âge prémoderne”, institution de droit privé rattachée au Séminaire d’Histoire
de l’Université de Lucerne (Suisse).
3. Cf. VON MOOS 1998, p. 3-32.
4. LUHMANN 1993; 1994, p. 346-379 et 1997, chap. 5; TAYLOR 1996 et 1999; cf. aussi les vo-
lumes collectifs: LAFOREST-DE LARA 1998 et TULLY 1994. Les thèses non moins importantes de L.
DUMONT (1983) semblent par contre attirer moins d’attention, en Allemagne du moins.
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5. Cf. la critique de LUHMANN par les médiévistes OEXLE 1991, p. 533-566 et HAUG 1987, p.
543-546; de TAYLOR par BRAGUE 1998, p. 217-229.
6. HAHN 2001, p. 79-81; cf. BOHN-HAHN 1999, p. 33-61; BOHN 2000; BAUMANN 1967, et
MEAD 1992.
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ment. Grâce aux actes que le groupe attribue à un homme, l’assurant ain-
si de la réalité causale de sa propre activité, l’individu devient capable de
se comprendre lui-même comme l’identique et le constant dans les fluc-
tuations de ses différents actes ... Le lien entre l’acte et son auteur n’est ce-
pendant qu’indirect. Lesquelles de mes actions seront imputées à ma res-
ponsabilité ou attribuées à mon intention déclarée, lesquelles ne le seront
pas, cela dépend essentiellement de règles culturelles, variables d’une so-
ciété à l’autre ... De toute façon je ne deviens un moi agissant indépendent
avec une histoire propre, que lorsque le groupe a attribué et fixé le cadre
de ma responsabilité. Parce que le milieu me relie à ma biographie, je suis
moi-même lié par elle. Elle est un bien socialement partagé. Ceci est va-
lable sans exception pour la première phase de la constitution du moi. Mais
une fois constitué, le moi, selon les circonstances, peut s’émanciper par-
tiellement ou parfois même totalement des processus de communication
qui l’ont fait naître. La conscience peut être considérée comme l’instance
intérieure qui transforme un contrôle venant de l’extérieur en contrôle de
soi-même. Nous ne sommes nous-mêmes, qu’au moment où nous avons
intériorisé la perspective de ‘l’Autre généralisé’ au point de la percevoir
comme la nôtre. Devenir soi-même et être socialisé ne sont que deux as-
pects d’un seul et même développement”.
Charles Taylor commente la même idée de Mead, en mettant l’accent sur
la deuxième phase, celle de la constitution déjà accompli du moi7: «The ge-
neral feature of human life ... is its fundamentally dialogical character. We
become full human agents, capable of understanding ourselves, and hence
of defining an identity, through our acquisition of rich human languages of
expression ..., we are inducted in these in exchange with others. No one ac-
quires the languages needed for self-definition on their own ... Moreover,
this is not just a fact about genesis, which can be ignored later on. It’s not
just that we learn the languages in dialogue and then can go on to use them
for our own purposes on our own ... We define [our identity] always in dia-
logue with, sometimes in struggle against, the identities our significant
others want to recognize in us. And even when we outgrow some of the lat-
ter – our parents, for instance – and they disappear from our lives, the
conversation with them continues within us as long as we live».
Un mouvement réciproque entre, d’une part l’institution ou la
construction sociale du moi, et d’autre part la réponse personnelle (le
7. TAYLOR 1999, p. 32 s.
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8. Cf. par ex. MORRIS 1987; GURJEWITSCH 1994; BAYER 1976, et pour la critique de cette ap-
proche: BYNUM 1982: chap. 3 et 1980, p. 1-17; LE GOFF 1996, p. 500-510; GÄBE 1999; SCHMITT
2001, p. 241-262.
9. FEBVRE 1992, p. 211.
10. L’introduction citée dans la n. 1, comprend un long développement sur ce sujet; cf. par ex.
Augustin, De civitate Dei, XXI 8, 1.69-80, CC 48, 2, Turnhout 1955, p. 772; De libero arbitrio II 7,
17 (ed. G. MADEC, Œuvres 6, 1976), p. 330-301; Jacob de Voragine, Legenda Aurea vulgo Historia
Lombardica dicta, ed. Th. GRAESSE, Dresden-Leipzig 1846 (repr. 1965), p. 20 et le prologue de Don
Juan Manuel à son El Conde Lucanor, ed, J. M. BECUA, Madrid 1986. Cf. aussi KARTSCHSCHOKE 1992.
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Ce n’est pas sur cette base d’un idéal de dévouement total à Dieu, que
la question de l’identité personnelle peut se poser, mais sur celle de la réa-
lité du péché. Augustin, certes, est d’abord l’exemple de la dissolution du
moi dans l’ordre divin, mais, s’il est devenu le grand modèle de l’autobio-
graphie occidentale, ce n’est pas grâce à ce dessein dépersonnalisant, mais
parce que, dans les neuf premiers livres des ‘Confessions’, il décrit les dif-
ficultés, obstacles et rechutes de cette lente conversio avec un acuité et une
expressivité telles, que nous le connaissons peut-être mieux dans toute sa
singularité qu’aucun autre homme de l’Antiquité12: Bona mea instituta tua
et dona tua, mala mea delicta mea sunt et iudicia tua. “Le bien est en moi votre
ouvrage, votre don; le mal ne relève que de ma faute, et de votre justice”
(Conf. X 4, 5). Ce qui est propre à l’individu c’est son état de pécheur. À
l’universalité et l’unicité du bien divin s’oppose le particularisme et la
multiplicité du mal humain. La rédemption signifie d’abord la délivrance
du moi peccamineux et “haïssable” (bien que cet adjectif soit postmédié-
val), la libération de la regio dissimilitudinis ou de la faute d’avoir délibéré-
ment choisi le monde de la dissemblance entre Dieu et l’homme.
C’est néanmoins dans ce même moi que s’accomplit la grâce. Le moi
n’est pas seulement l’origine du mal, mais également le champ, la scène où
se joue le drame à la fois le plus universel et le plus individuel du salut de
l’âme. L’individu paraît devant son juge éternel en tant que non aliud
unique et irremplaçable, qui, malgré la dépendance de la grâce, est jugé
sur la responsabilité de ses propres décisions et actes, non sur ses relations
de groupe ou son mérite social. La finalité du Jugement post mortem condi-
tionne ce souci de soi eschatologique, besoin vital que Marc Bloch appelle
“l’égoïsme du salut personnel” de chaque homme en tant que “tout vi-
vant”13. Comme illustration on pourrait citer une phrase particulièrement
radicale du De consideratione de Bernard de Clairvaux, qui exhorte le pape à
ne pas oublier sa propre âme en prenant soin de la cura animarum de l’É-
glise14: “Quant aux fruits de la considération, il faut méditer quatre choses
l’une après l’autre: toi-même, ce qui est en-dessous de toi, ce qui est au-
tour de toi, et ce qui est au-dessus de toi. Par toi-même doit commencer
ta considération, afin de ne pas, en t’oubliant, t’étendre en vain à autre cho-
se. Que te servira-t-il donc de gagner le monde entier, si tu te ruines toi-
même qui es unique, te unum perdens ... Quand tu connaîtrais tous les mys-
tères, la largeur de la terre, la hauteur des cieux et la profondeur de la mer,
si tu t’ignores, tu ressembleras à un homme qui bâtit sans fondement, pré-
parant la ruine, non l’édifice. Tout ce que tu construis en-dehors de toi, ne
sera que tas de poussière exposé au vent. Le sage est sage pour lui-même et
boit lui-même le premier à son puits. Commence donc ta considération par
toi-même! Mais cela ne suffit pas: elle doit aussi se terminer en toi ... Tu
es pour toi-même et le premier et le dernier … Pour acquérir le salut, per-
sonne n’est pour toi plus fraternel que toi-même, fils unique de ta mère.
Tu ne dois rien penser contre ton propre salut. En disant contre, j’affaiblis;
j’aurais dû dire hormis. Quel que soit le sujet qui s’offre à ta considération,
s’il ne touche pas, de quelque manière que ce soit, à ton propre salut, tu
dois le vomir”. Ce passage est bien connu dans les recherches sur le soi-di-
sant socratisme ou le “connais-toi toi-même” chrétien; mais il éclaire éga-
lement cet individualisme sotériologique, fondé sur ce que Simmel nom-
me la valeur éternelle de l’individu15.
Entre le jugement individuel qui suit immédiatement la mort et le Ju-
gement Dernier universel, l’âme gagne ou perd cette vision béatifique qui
inclut tous les bienheureux dans une seule et même perspective centrale,
et qui est à la fois une vision toute personnelle et un face à face avec Dieu.
Ce qu’exprime le mot de Job fréquemment commenté au Moyen Âge16:
quem visurus sum ego ipse ... et non alius, «Je le verrai de mes yeux, moi-même
et non un autre». À la fin des temps, les deux béatitudes, l’individuelle et
la collective, se renforcent mutuellement. L’être récupère ce qu’il a de plus
individuel, son corps, qui lui est rendu dans l’état de perfection, afin qu’il
puisse connaître et aimer Dieu non seulement par l’esprit, mais avec toutes
ses forces; alors que la communauté des Saints de tous les temps se réunit
au complet pour glorifier Dieu dans l’harmonie de voix faites d’unité et de
diversité17. Dans l’imaginaire de la Résurrection on observe donc une
conjonction paradoxale des plus hautes formes de la communauté et de
l’accomplissement personnel. L’histoire de l’évolution de la dimension col-
lective et de la dimension individuelle du dogme ne doit pas faire oublier
22. Cf. BOUCHERON 1998, p. 51-57; BEDOS-REZAC 2000; JONES 1981; FABRE 2001; FRAENKEL
1992; PASTOUREAU 1985 et 1993; BELTING 2001.
23. SIMMEL 1992, p. 602.
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lointaines dans un contrôle non pas social mais spirituel, il est permis de
mettre en doute que “l’état de la grâce” soit aussi “socialement inutili-
sable” que ne le pense Niklas Luhmann. Les antagonismes entre le moi et
le sur-moi chrétien33, entre “l’individu d’inclusion” visible et “l’individu-
enfant de Dieu” invisible, imposent également de relativiser le cliché
d’une société médiévale statique et stratifiée.
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I.
* Traduction inédite de l’article allemand: Die Begriffe «öffentlich» und «privat» in der Ges-
chichte und bei den Historikern, dans Saeculum 49.1 (1998), 161-192, présentée au colloque Au-
tour de la notion de public organisé par B. Bensaude-Vincent et J. Mouchon à l’Université Paris X -
Nanterre le 2 décembre 2002.
1. Hans Müllejans, «Publicus» und «Privatus» im Römischen Recht und im älteren Kanonischen Recht
unter besonderer Berücksichtigung der Unterscheidung von «Ius publicum» und «Ius privatum», (Münchener
theologische Studien 3.2) München 1961, 1964; Dieter Wyduckel, «Ius Publicum». Grundlagen und
Entwicklung des öffentlichen Rechts und der deutschen Staatsrechtswissenschaft, Berlin 1984; Max Kaser,
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1998, 3-83; idem, «Öffentlich» und «privat» im Mittelalter. Zu einem Problem historischer Begriffsbil-
dung, (Schriften der Philosophisch-historischen Klasse der Heidelberger Akademie der Wissen-
schaften 33), Winter, Heidelberg 2004.
2. Dario Castiglione - Lesley Sharpe (éd.), Shifting the Boundaries, Transformation of Languages of
Public and Private in the Eighteenth Century, Exeter 1995, Preface. A propos de la distinction «expe-
12-publicettprive 9-09-2005 10:36 Pagina 438
ces «mots-valises» qui ont concilié les phénomènes les plus divergents de
la vie sociale il existe une multitude de définitions, définitions qui ont tou-
jours été controversées et qui le resteront probablement. Car, pour citer
Nietzsche, on ne peut définir «que ce qui n’a pas d’histoire»: l’univoque3.
Reinhard Koselleck, l’un des fondateurs du dictionnaire Geschichtliche
Grundbegriffe, sépare distinctement l’histoire des mots de celle des
concepts, en définissant le mot comme univoque et le concept comme
équivoque4. Un regard rapide sur ce dictionnaire permet cependant d’ap-
préhender le problème majeur de l’histoire d’une telle polysémie. Si l’on
part de la signification actuelle du terme allemand Öffentlichkeit, on trou-
ve sous cette rubrique une longue dissertation sur «l’espace public» bour-
geois constitué au XVIIIe siècle et sur le développement sémantique de
cette notion5. Les acceptions plus anciennes ne sont traitées qu’en exergue,
de sorte que le spectre entier des significations d’Öffentlichkeit semble
quelque peu tronqué. L’auteur de l’article surexpose les connotations vi-
suelles et médiatiques qui dominent depuis l’époque des Lumières, au dé-
triment des implications politiques et sociales antérieures qui renvoient à
la res publica christiana ou à la societas civilis. Si, par contre, on cherche sous
une rubrique plus voisine de la racine latine, par exemple celle qui concer-
ne la prédication historiquement la plus importante de res, c’est-à-dire res
publica, on tombe sur Republik6. L’article correspondant expose de façon as-
sez complète et équilibrée les métamorphoses du concept depuis l’Anti-
quité et ne cache pas que, dans son sens moderne de démocratie, il n’est
qu’un rétrécissement, une réduction à l’univoque, de ce que res publica a si-
gnifié autrefois dans un ample panorama sémantique englobant tout ce qui
se rapportait à l’État, à la collectivité et à la communauté. Dans les langues
rience-near»/«experience-distant» cf. Heinz Kohut, The Analysis of the Self, New York 1971, Prefa-
ce; Clifford Geertz, The Interpretation of Cultures, New York 1973, ch. VII.
3. Zur Genealogie der Moral, II 13, Werke, éd. K. Schlechta, München 81977, vol. II, 820; cf.
Reinhard Koselleck, Geschichtliche Grundbegriffe. Historisches Lexikon zur politisch-sozialen Sprache in
Deutschland, éd. Otto Brunner - Werner Conze - Reinhart Koselleck, Stuttgart (Klett-Cotta) 1972,
vol. I, Einleitung, XXIII; Karlheinz Stierle, Historische Semantik und Geschichtlichkeit der Be-
deutung, dans Semantik und Begriffsgeschichte, éd. Reinhart Koselleck, Stuttgart 1979, 154-189, en
part. 165 ss.
4. Einleitung (n. 3), XXII.
5. Lucian Hölscher, Öffentlichkeit, ibid., vol. 4 (1978), 413-467; du même auteur v. également
Öffentlichkeit und Geheimnis, Eine begriffsgeschichtliche Untersuchung zur Entstehung der Öffentlichkeit in
der frühen Neuzeit, Stuttgart 1979.
6. Wolfgang Mager, Grundbegriffe (n. 3), vol. V (1984), 549-651; cf. idem, Zur Entstehung des
modernen Staatsbegriffs, (Abh. der Akademie der Wissenschaften u. der Literatur in Mainz, geistes-
u. sozialwiss. Kl. 1968, 9) Wiesbaden 1968.
12-publicettprive 9-09-2005 10:36 Pagina 439
7. Koselleck (n. 3), XIII ss.; Hans Kurt Schulze, Mediävistik und Begriffsgeschichte, dans Festschrift
Helmut Beumann, éd. K.-U. Jäschke - R. Wenskus, Sigmaringen 1977, 388-405, en part. 388 s.
8. John G. A. Pocock, The concept of language and the «métier d’historien»: some considera-
tions on practice, dans The Langages of Political Theory in Early-Modern Europe, éd. Anthony Pagden
(Ideas in Context 4), Cambridge 1987, 19-38, en part. 27 ss.
9. Wolf Lepenies, Melancholie und Gesellschaft, Frankfurt a.M. 1972, 7.
10. Sur ce malaise cf. Martin Bauer, Die «gemain sag» im späteren Mittelalter, Studien zu einem Fak-
tor mittelalterlicher Öffentlichkeit, Erlangen-Nürnberg 1981, 1-15.
12-publicettprive 9-09-2005 10:36 Pagina 440
11. Otto Brunner, Land und Herrschaft, Grundformen der territorialen Verfassungsgeschichte Österreichs
im Mittelalter, Wien 1939, Brünn 1943, réimpr. Darmstadt 1973-1984, 123 s. A propos de son
concept de «public» cf. Rüdiger Brandt, Enklaven – Exklaven. Zur literarischen Darstellung von Öf-
fentlichkeit und Nichtöffentlichkeit im Mittelalter, München (Fink) 1993, 20-24.
12. Cf. les remarques critiques de Valentin Groebner, Außer Haus, Otto Brunner und die «al-
teuropäische Ökonomik», Geschichte in Wissenschaft und Unterricht 46 (1995), 69-80; Gadi Algazi,
Herrengewalt und Gewalt der Herren im späten Mittelalter (Historische Studien 17), Frankfurt-New
York 1996, 97-127 et passim; Robert Jütte, Zwischen Ständestaat und Austrofaschismus. Der Bei-
trag Otto Brunners zur Geschichtsschreibung, Jahrbuch für deutsche Geschichte (Tel Aviv) 13 (1984),
337-362, en part. 258 ss.; Klaus Schreiner, Führertum, Rasse, Reich, Wissenschaft von der Ges-
chichte nach der nationalsozialistischen Machtergreifung, dans Wissenschaft im Dritten Reich, éd. P.
Lundgreen, Frankfurt a.M. 1985, 163-252, en part. 208 ss.; Claudia Opitz, Neue Wege der So-
zialgeschichte? Ein kritischer Blick auf Otto Brunners Konzept des «ganzen Hauses», Geschichte
und Gesellschaft 20 (1994), 88-98; Bauer (n. 10), 165-186.
12-publicettprive 9-09-2005 10:36 Pagina 441
13. Theodor W. Adorno, Jargon der Eigentlichkeit. Zur deutschen Ideologie, Frankfurt a.M. 1970;
Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris (Fayard) 1982, 171-
205; Peter L. Oesterreich, Philosophen als politische Lehrer: Beispiele öffentlichen Vernunftgebrauchs aus der
Antike und dem deutschen Idealismus, Darmstadt 1994, 24-31; Manfred Riedel, Gesellschaft, Ge-
meinschaft, dans Geschichtliche Grundbegriffe (n. 3) 2 (1979), 801-862, en part. 858 ss. sur la syno-
nymie de Man, Öffentlichkeit et Gesellschaft.
14. Algazi (n. 12), 252 s.
15. Cf. Otto Gerhard Oexle, Das Mittelalter und das Unbehagen an der Moderne: Mittelalter-
beschwörungen in der Weimarer Republik und danach, dans Spannungen und Widersprüche. Gedenk-
schrift f. Frantisek Graus, éd. S. Burghartz et al., Sigmaringen 1992, 125-153. Giles Constable re-
marque que les concepts européens du Moyen Âge sont dominés par leur contraste au présent, ce
qui n’est pas le cas chez les médiévistes américains: The Many Middle Ages. Medieval Studies in
Europe as seen from America, dans FIDEM, Textes et études du Moyen Âge 3, Louvain-la-Neuve 1995,
1-22. Tandis que sur le vieux continent et surtout en Allemagne on préfère accentuer la rupture de
la Révolution française et l’altérité radicale d’un Moyen Âge féodal, la recherche anglosaxonne et
12-publicettprive 9-09-2005 10:36 Pagina 442
française s’intéresse d’avantage aux continuités, aux origines médiévales de «l’État moderne», de la
souveraineté du peuple ou du parlementarisme, à «l’époque moderne avant l’époque moderne». Cf.
les introductions respectives à deux traductions allemandes de «classiques» de cette dernière ten-
dance: Josef R. Strayer, Die mittelalterlichen Grundlagen des modernen Staats, Köln 1975 (On the Me-
dieval Origins of the Modern State, Princeton 1970) par Hanna Vollrath, ainsi que Ernst Kantorowicz,
Die zwei Körper des Königs, München 1990, 21994 (The King’s Two Bodies, Princeton 1957) par Josef
Fleckenstein.
16. Jürgen Habermas, Strukturwandel der Öffentlichkeit, Untersuchungen zu einer Kategorie der bür-
gerlichen Gesellschaft, Neuwied 1962, Frankfurt a.M. 1990, 1995 (avec nouvelle préface); trad.: L’Es-
pace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris (Payot)
1978; The Structural Transformation of the Public Sphere, An Inquiry into a Category of Bourgeois Society,
Cambridge Mass. 1989. La discussion sur cet ouvrage a été majoritairement orchestrée par des so-
ciologues et historiens des temps modernes; cf. Craig Calhoun (éd.), Habermas and the Public Sphere,
Cambridge Mass.-London 1992; Anthony J. La Vopa, Conceiving a Public: Ideas and Society in
Eighteenth-Century Europe, Journal of Modern History 64 (1992), 79-116; Dena Goodman, Public
Sphere and Private Life, History and Theory 31 (1992), 1-20; Castiglione-Sharpe 1995 (n. 2).
17. Cf. Brandt (n. 11), 24-28; Bauer (n. 10), 1-5.
12-publicettprive 9-09-2005 10:36 Pagina 443
teurs culturels manipulés par les masse-medias, ces obscures instances mi-
privées du marché des opinions. L’espace public se voit ainsi transformé en
lieu de production de préjugés. Il s’est reprivatisé, et même, pour re-
prendre une expression rappelant les ténèbres du Moyen Âge, il s’est «re-
féodalisé». Ce sombre tableau cadre avec l’esprit pessimiste de l’école de
Francfort des années 50, dont Habermas s’émancipera plus tard, et qui,
dans Strukturwandel, est déjà tempéré par une sorte de credo sous-jacent,
l’espoir que l’idéal démocratique des origines ait assez de puissance libéra-
trice pour renverser l’évolution médiatique de l’espace public.
Vingt sept ans après la parution de Strukturwandel, Habermas, au cours
d’un colloque américain consacré à ce livre, a admis quelques lacunes et
imprécisions historiques tout en continuant à soutenir que le concept d’Öf-
fentlichkeit n’était utilisable qu’à partir de l’époque des Lumières et qu’il
était impossible de l’étendre aux XVIe et XVIIe siècles, «without somehow
changing the very concept to such a degree that it becomes something
else»18. Il faut en conclure a fortiori que ce serait un anachronisme de par-
ler d’une Öffentlichkeit médiévale. Habermas reprend donc l’idée directrice
de Brunner, dont il aurait sans doute récusé les raisons s’il les avait perçues,
lui pour qui la séparation de l’État et de la société est une réussite démo-
cratique capitale et non la perte du sens du grand tout social et de la com-
munauté19.
On a reproché à Habermas d’avoir érigé en norme contemporaine le
concept d’Öffentlichkeit constitué à une époque précise, celle des Lumières,
de l’avoir idéalisé et détaché de son contexte historique pour le fixer à ja-
mais dans une définition quasiment atemporelle. Ce glissement de l’his-
toire à la normativité serait cause d’un anachronisme plus grave qui inci-
terait à négliger l’analyse empirique des réalités essentiellement média-
tiques de la fin du XXe siècle20. Il n’est pas question ici, malgré ma sym-
18. Concluding Remarks, dans Calhoun (n. 16), 465; ceci est dirigé contre la contribution
fouillée de David Zaret, Religion, Science, and Printing in the Public Spheres in Seventeenth-Cen-
tury England, ibid., 212-235. Sur la préhistoire du concept bourgeois de «public» cf. l’important
travail d’Hélène Merlin, Public et littérature en France au XVIIe siècle, Paris (Belles Lettres, Histoire)
1994, qui corrige Habermas a beaucoup d’égards.
19. Habermas ne semble pas avoir été conscient de l’idéologie conservatrice et antilibérale de
Brunner ou de Ferdinand Tönnies (cf. Riedel, n. 13), dont l’ouvrage Kritik der öffentlichen Meinung,
Berlin 1922, anticipe quelques-unes de ses thèses. Sur le concept idéologique de «communauté» cf.
Odo Marquard, «Das Über-Wir. Bemerkungen zur Diskursethik», dans Das Gespräch (Poetik und
Hermeneutik 11), éd. Karlheinz Stierle - Rainer Warning, München 1984, 29-44.
20. Cf. Arthur Imhof, «Öffentlichkeit» als historische Kategorie und als Kategorie der Histo-
rie, Schweizerische Zeitschrift für Geschichte (N° spécial: Öffentlichkeit) 46 (1996), 3-25; Karl-Siegbert
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Rehberg, Die «Öffentlichkeit» der Institutionen, dans Öffentlichkeit der Macht – Macht der Öffentli-
chkeit, éd. Gerhard Göhler, Baden-Baden 1995, 181-211; Rolf Ebbinghausen, Arkanpolitik und
ihre Grenzen unter den Bedingungen von bürgerlichem Verfassungsstaat und Parteiendemokratie,
ibid., 231-239, ainsi que plusieurs remarques critiques contre l’idéalisation excessive des Lumières
par Habermas chez Castiglione-Sharpe (n. 2), 6-19, 131-150, 172-176, 225-237 et Calhoun (n.
16), 73-98, 143-163; Michael Hofmann, Uncommon sense, Zur Kritik von Öffentlichkeit als demokrati-
schem Idol, Mainz 1988.
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c’est bien «public», et non «privé», qui est au centre des débats sur le sens
de ce double concept.
Ces différences sont loin d’être de simples curiosités linguistiques,
puisque la notion allemande, qui est visuelle, et la notion collective des
autres langues ont créé des interférences entre différentes habitudes de
penser, entre des traditions de recherche divergentes, de sorte que le débat
autour d’Habermas, mêle deux discours mal assortis. Dans öffentlich se
cache surtout un autre idéal politique, une autre idée régulatrice que dans
«public», ce qui est d’autant plus subtil à distinguer que le sens profond
de ces deux notions a été redécouvert presqu’en même temps, au XVIIIe
siècle. Ces deux concepts normatifs autorisent deux réponses à l’absolutis-
me, l’une intellectuelle et rationaliste, l’autre institutionnelle et démocra-
tique, qui se soutiennent mutuellement sans se confondre. Ainsi que le
montre le remarquable livre de Koselleck Kritik und Krise, l’absolutisme
trouve sa justification dans la volonté de mettre un terme à la «guerre ci-
vile» des religions en se réclamant de la ratio publicae utilitatis. A l’idée ro-
maine et surtout médiévale du bien commun, synonyme d’utilitas publica,
il substitue celle de «raison d’État». Les théoriciens de l’ordre absolutiste
en déduisent le monopole monarchique du pouvoir et la priorité des arca-
na imperii ou de la politique secrète. Ils dissocient les sphères non seule-
ment réelles, mais conceptuelles du politique (du public) et du privé avec
un tranchant spécifique jamais connu auparavant. C’est une «transforma-
tion structurelle de la sphère publique» peut-être encore plus importante
que celle qu’Habermas décrit. Pour garantir la paix confessionnelle le prin-
ce assume seul la responsabilité de l’État mais laisse à ses sujets la liberté
du forum internum, liberté de conscience et d’opinion sans incidence poli-
tique. C’est une compensation de la perte de leur liberté politique, de leur
obéissance passive, de leur mise sous tutelle. La notion de «public» est sé-
mantiquement rétrécie, réduite au monopole princier d’une politique dont
les citoyens sont désormais exclus26.
Dans les langues dérivées du latin, dans lesquelles l’ambivalence du
concept a toujours permis l’amalgame entre peuple et Etat, cette mystifi-
26. Reinhart Koselleck, Kritik und Krise, Eine Studie zur Pathogenese der bürgerlichen Welt, Frank-
furt a.M. 1959, 7e éd. 1992, 11-40; cf. également Merlin (n. 18), 52-57. Sur le caractère constitu-
tif (sous-estimé par Habermas) de ce changement pour la naissance de la société moderne cf. plu-
sieurs contributions dans Castiglione-Sharpe 1995 (n. 2) par ex. John Brewer (5-19); Edoardo Tor-
tarolo (131-150); Maria Luisa Pesante (172-195); Jonathan Barry (220-237) ainsi que Zaret (n. 18).
A propos du rapport entre «raison d’État» et «bien commun» cf. infra, n. 28.
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27. Cf. Hölscher 1979 (n. 5), 124-135; cf. ibid., 56 ss., la supposition raisonnable qu’au XVIIe
siècle öffentlich aurait supplanté l’anciennne traduction de publicus par gemein, parce que l’évocation
de la communauté et du lien social de gemein aurait trop explicité la perversion de l’ancienne sé-
mantique par l’absolutisme. Ceci va de pair avec l’établissement du nouveau sens péjoratif de gemein
pour «vil» et «roturier» et correspond également au refoulement de Gemeinwesen (chose publique,
commune) par Staat (État).
28. Cf. Ernst H. Kantorowicz, The Kings’s Two Bodies (1957), Princeton 1997, 264-265; Gaines
Post, Ratio publicae utilitatis, ratio status und «Staatsräson» (1961), dans idem, Studies in Medieval Le-
gal Thought, Public Law and the State, 1100-1322, Princeton 1964, 241-309).
29. Dans l’histoire du droit l’ébauche de cette souveraineté se trouve déjà dans la lex regia ro-
maine. A la fin du Moyen Âge, le concept fut réactivé dans le sens communal grâce au principe quod
omnes tangit ab omnibus approbetur; cf. Arthur P. Monahan, Consent, Coercion, and Limit. The Medieval
Origins of Parliamentary Democracy, Leiden 1987; Post, Studies (n. 28); Heinz Rausch (éd.), Die ges-
chichtlichen Grundlagen der modernen Volksvertretung, vol. 1, Darmstadt 1980.
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30. Cf. Imhof (n. 20), 7 s.; Wolfgang Labuhn, «Öffentliche Meinung», Zu ihrer Wort- und Be-
griffsgeschichte im Deutschen, Zeitschrift für deutsche Philologie 98 (1979), 209-217, en part. 213 s.;
Edoardo Tortarolo, Censorship and the Conception of the Public in late Eighteenth-Century Ger-
many: Or, are Censorship and Public Opinion Mutually Exclusive?, dans Castiglione-Sharpe (n. 2),
131-150.
31. Cf. Labuhn (n. 30).
32. L’opinion publique n’existe pas (1972), dans Questions de sociologie, Paris (Minuit) 1984, 224.
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33. Cf. Hölscher 1979 (n. 5), 111-117; Anthony La Vopa, Conceiving a Public: Ideas and So-
ciety in Eighteenth-Century Europe, Journal of Modern History 64 (1992), 79-116, sur la «trans-
cendance universalisante»; Merlin (n. 18), 24, distingue «public de fait» et «public de droit»; ibid.,
59-87, sur la réalité des personnes fictives. A propos des bases médiévales de ce problème cf. Pier-
re Michaud-Quantin, Universitas, Expressions du mouvement communautaire dans le Moyen Âge latin, Pa-
ris (Vrin) 1970, 201-218.
34. Kritische Fragmente (1797), dans ses Kritische Schriften, éd. W. Rasch, München 1964, 9.
Cf. Merlin (n. 18), 24-32, qui fait d’ailleurs de cette citation la devise de son livre.
35. Die Öffentlichkeit und ihr Gegenteil (1973), dans Gesamtausgabe, vol. 7, éd. Karl-Siegbert
Rehberg, Frankfurt a.M. 1978, 346; cf. Rehberg (n. 20), 200 ss.: «Die Öffentlichkeit» als institu-
tionelle Fiktion.
36. Cf. Dominique Reynié, ‘Opinion publique’, dans Dictionnaire de philosophie politique, Philip-
pe Raynaud - Stéphane Rials Paris (PUF) 1996, 441-447. – Une barrière linguistique analogue est
analysée par Riedel (n. 13) à propos de la différence spécifiquement allemande entre Gesellschaft (so-
ciété) und Gemeinschaft (communauté), qui n’a pas véritablement d’équivalent dans d’autres
langues.
37. Zaret (n. 18); Merlin (n. 18), 24-32, 65-87, 386-394; Wyduckel (n. 1), 35-42; W. Schulze
(n. 23) à propos de la constitution théorique du libéralisme.
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38. Plusieurs observations critiques à propos d’Habermas, dans une perspective médiéviste, se
trouvent dans Das Öffentliche und das Private ... (n. 1). Cf. également Horst Wenzel, Repräsentation
und schöner Schein am Hof und in der höfischen Literatur, dans Höfische Repräsentation, Das Zere-
moniell und die Zeichen, éd. Hedda Ragotzky - Horst Wenzel, Tübingen 1990, 171-208; Bernd
Thum, Öffentlichkeit und Kommunikation im Mittelalter. Zur Herstellung von Öffentlichkeit im
Bezugsfeld elementarer Kommunikationsformen im 13. Jh., ibid., 65-87. Concernant la différen-
ce essentielle entre la présence visible du prince dans le sens de la gubernatio rei publicae et la mise
en scène absolutiste (puis totalitaire) de la «raison d’État» cf. Merlin (n. 18), 24-112; Michel Se-
nellart, Les arts de gouverner, Du regimen médiéval au concept de gouvernement, Paris (Seuil) 1995, 279-
284; Bauer (n. 10), 161 ss., 248 ss.; Maurizio Viroli, From politics to reason of state. The acquisition and
transformation of the language of politics 1250-1600 (Ideas in context 22), Cambridge 1992, 252-295;
Andreas Kablitz, Der Fürst als Figur der Selbstinszenierung. Machiavellis «Principe» und der Ver-
fall mittelalterlicher Legitimationen der Macht, dans «Aufführung» und «Schrift» in Mittelalter und
Früher Neuzeit, éd. Jan-Dirk Müller, Stuttgart-Weimar 1996, 530-561; Herfried Münkler, Die Vi-
sibilität der Macht und die Strategien der Machtvisualisierung, dans Göhler (n. 20), 213-230.
39. Hannah Arendt, The Human Condition, New York 1958, ch. II: The public and the private
realm. Cf. Sheila Benhabib, Models of Public Space: Hannah Arendt, the Liberal Tradition, and Jür-
gen Habermas, dans Calhoun (n. 16), 73-98; Arlene W. Saxonhouse, Classical Greek Conceptions
of Public and Private, dans Benn-Gaus (n. 44), 363-384; cf. infra, n. 48 à propos de Swanson.
40. Richard Sennett, The Fall of Public Man, New York 1974; Les tyrannies de l’intimité, Paris
(Seuil) 1979.
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II.
L’histoire des idées et des normes n’est donc pas la meilleure voie dans
la recherche du sens actuel de «public et privé», parce qu’elle se rattache
trop souvent à une époque particulière, admirée ou exécrée (comme celle
du Moyen Âge ou celle des Lumières). Pour dépasser la sémantique idéale,
nécessairement controversée dans une société pluraliste, on pourrait tenter
de trouver des définitions formelles, techniques, logiquement universelles,
dont le caractère transhistorique permettrait paradoxalement de mieux dé-
crire la spécificité historique des phénomènes. Dans cette direction, deux
approches me semblent particulièrement aptes à nous sortir de l’impasse
des imprécisions habermasiennes: la théorie de l’action du pragmatisme
philosophique, la version de John Dewey en particulier, et l’analyse des di-
mensions fondamentales du langage courant d’aujourd’hui, entreprise, il y
quelques années, par un groupe de politologues américains.
Dans son ouvrage de 1927, The Public and its Problems, John Dewey se
concentre sur la distinction entre «public» et «privé», à partir de laquelle
il tente d’échafauder une théorie de l’État ayant une «universalité suffi-
sante» pour s’appliquer aux formations politiques de tous temps et de
toutes cultures41. Son mode de généralisation repose sur un emploi exclu-
sivement «fonctionnel» (non structural) des concepts. Ni les structures va-
riables des états réels ou d’autres institutions politiques dans l’histoire, ni
«l’essence» terriblement controversée du zoon politikon naturel ou idéal, ni
même le critère classique selon lequel le monopole du pouvoir serait la
ligne de démarcation entre les états modernes et prémodernes, ne rentrent
dans ce modèle. Dewey accepte pour seul critère la différence de répercus-
sions possibles des actions sociales: soit les interactions entre humains ont
des conséquences qui ne retombent que sur les agents eux-mêmes, soit
elles se répercutent sur d’autres. Si ces suites touchent exclusivement les
acteurs, elles sont privées et n’ont pas besoin d’être contrôlées par la socié-
té; ce qui est normalement le cas dans les amitiés, les familles, les voisi-
nages et autres formes de face to face communities. Si, par contre, les consé-
quences transcendent les agents eux-mêmes et affectent des collectifs plus
ou moins grands qui les perçoivent comme des nuisances et des atteintes à
leur autonomie, le besoin commun de régularisation et d’endiguement de
ces conséquences crée, d’abord de façon informelle, la première fonction
41. John Dewey, The Public and its Problems, Chicago 1927, en part. ch. II.
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42. Sur cette catégorie qui inclut entre autres L. T. Hobhouse, D. G. Ritchie, J. Rawls cf. Stan-
ley I. Benn - Gerald F. Gauss, The Liberal Conception of the Public and the Private, dans Benn-
Gauss (n. 44), 31-66, en part. 50-66; sur Dewey, ibid., 197-222, 203: «the most socialist of the
new liberals»; sur son pragmatisme philosophique cf. Robert B. Westbrook, John Dewey and the
American Democracy, Ithaca-London (Cornell UP) 1991, 293-230. Plus que d’autres représentants
d’un courant qui s’intéresse surtout aux aspects économiques de la société actuelle, Dewey souligne
l’universalité historique et ethnologique de son modèle, qui n’est ni mimétique ni utopique, mais
correspond plutôt au «type idéal» de Weber.
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43. Une autre faiblesse du modèle est son ambivalence concernant le statut individuel ou col-
lectif de l’action, fondatrice d’institutions. Dewey, en libéral traditionnel, semble privilégier l’in-
dividu entouré de la famille, de la tribu ou d’autres petites communautés comme le primum movens
associatif, bien que son «fonctionnalisme orienté vers la communauté» implique une téléologie col-
lective.
44. Stanley I. Benn - Gerald F. Gaus, The Public and the Private: Concepts and Action, dans
Public and Private in Social Life, éd. Benn-Gaus, London 1983, 3-27.
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ge: elle inclut des espaces, des activités, des informations et des moyens
économiques. La différence si importante en allemand entre «manifeste»
et «secret» y figure seulement comme un cas particulier de la sous-di-
mension access to information.
Ainsi la bipolarité essentielle de l’antonyme de «public» semble esca-
motée dans ce fourre-tout sémantique. Néanmoins la catégorie de l’accès à
l’information peut se défendre en principe par la priorité incontestable
qu’accorde le latin, et par conséquent également l’anglais, à «privé» sur
«secret», priorité qui se rencontre même en allemand dans certains cas
comme Privatbrief.
Ces trois dimensions peuvent se recouper ou diverger, elles créent un en-
semble de gradations sémantiques. Le CNRS est une institution de droit
public, d’accessibilité restreinte, destinée au profit intellectuel privé de
chercheurs qui travaillent en leur propre nom pour le bien public, pour le
progrès des sciences. Le mariage est une institution publique, autorisée par
l’État ou l’Église, utile instrument de contrôle social, bien qu’il soit l’in-
carnation même du privé pour les deux personnes concernées. Ces trois di-
mensions peuvent enfin être définies de façon descriptive ou normative.
C’est surtout dans la dimension de l’intérêt, que «public» et «privé»,
considérés comme notions de valeur ou de non-valeur, peuvent le plus fa-
cilement se transformer en dichotomie et écarter toute gradation descrip-
tive possible. Ces opposés subcontraires deviennent alors de vrais opposés
contraires. Le bien public et l’égoïsme privé s’excluent mutuellement, ce
qui n’est pas nécessairement le cas pour les notions «marché public» et
«marchands privés», «jardin public» et «rendez-vous amoureux». Actuel-
lement une «lettre privée» se définit de façon normative par l’exclusion de
tiers lecteurs. À la question de savoir si une lettre est privée, nous sommes
obligés de répondre par oui ou par non. On ne peut pas dire: «ma lettre
d’aujourd’hui est un peu plus privée que celle d’hier». Cette gradation se-
rait pourtant possible dans une culture qui ignorerait notre concept nor-
matif de secret épistolaire. Les lettres du Moyen Âge, même adressées à des
destinataires individuels, étaient le plus souvent également des «lettres
ouvertes»45.
En termes de valeurs, ce double concept prend naturellement un aspect
asymétrique, qui n’est toutefois pas toujours apparent. Si nous entendons
45. Cf. Giles Constable, Letter and Letter-Collections (Typologie des sources du Moyen Âge occi-
dental, Fasz. 17) Turnhout 1976, 22-25.
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46. Die Antiquiertheit des Menschen, vol. 2: Über die Zerstörung des Lebens im Zeitalter der dritten in-
dustriellen Revolution, München 1980, 210-248; cf. également Carl D. Schneider, Shame, Exposure,
and Privacy, NewYork-London (1977) 1992, 40-55 et Hans Peter Duerr, Intimität, Der Mythos vom
Zivilisationsprozess, Frankfurt 1990, 258.
47. Reinhart Koselleck, Zur historisch-politischen Semantik asymmetrischer Gegenbegriffe, dans
idem, Vergangene Zukunft, Zur Semantik geschichtlicher Zeiten, Frankfurt a.M. 1979, 211-259, en part.
213. Melvin Richter, Reconstructing the History of Political Languages: Pocock, Skinner, and the
Geschichtliche Grundbegriffe, History and Theory, 29 (1990), 38-70, propose d’élargir ce concept (69) sur
les «deligitimizing functions» des antonymes asymétriques. Merlin remarque finement (n. 18), 42-
46, l’asymétrie morale de «public» et «privé» basée sur le cliché de la supériorité du tout sur les par-
ties. Développant une idée de Niklas Luhmann, Cornelia Klinger applique le concept de l’asymétrie
à la différence des sexes, l’attribution du féminin au privé et du masculin au public selon la logique:
omnis determinatio est negatio. La complémentarité montre la disparité et cache l’inégalité: Beredtes
Schweigen und verschwiegenes Sprechen: Genus im Diskurs der Philosophie, dans Genus. Zur Ges-
chlechterdifferenz in den Kulturwissenschaften, éd. H. Bußmann - R. Hof, Stuttgart 1995, 2-33.
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48. Cf. Annapaola Zaccaria Ruggiu, Spazio privato e spazio pubblico nella città romana, Paris 1995
(Coll. de l’Ecole Française de Rome 210), 21-72, 41-49, 181-187, 260-263; Martin Krygier, Pu-
blicness, Privatness and «Primitive Law», dans Benn-Gauss (n. 44), 307-340; Alice Erh-Soon Tay
- Eugene Kamenka, Public Law – Private Law, ibid., 67-92; Beate Wagner -Hasel, «Das Private
wird politisch». Die Perspektive «Geschlecht» in der Altertumswissenschaft, dans Weiblichkeit in
geschichtlicher Perspektive, éd. Ursula A. J. Becher - Jörn Rüsen, Frankfurt a.M. 1988, 11-50. Contrai-
rement à la théorie d’Hannah Arendts (n. 39), Judith A. Swanson relève déjà dans la polis athé-
nienne un certain équilibre des dimensions et fait remonter l’origine du libéralisme moderne à Aris-
tote: The Public and the Private in Aristotle’s Political Theory, Ithaca-London (Cornell UP) 1992.
49. Cf. Barrington Moore, Jr., Privacy, Studies in Social and Cultural History, New York-London
1984; Krygier (n. 48); Pierre Bourdieu, Le sens pratique, Paris (Minuit) 1980, 374-383 («Seuils et
passages») et idem, Esquisse d’une théorie de la pratique, Genève 1972; Jacques Chevalier et al., (éd.),
Public/privé, Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie, Paris
(PUF) 1995, 149-226 (III): Public/privé dans les sociétés extra-occidentales; Schneider (n. 46), 40-
55; Geertz (n. 2), 301-309; Duerr (n. 46), 257-262. Dans toutes ces études anthropologiques la
frontière n’est pas définie à partir de notre concept politico-juridique de «public», mais à partir
d’un privé non résiduel mais sacré, d’un «tabou» vital pour toute société sans État.
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III.
50. Par ex. ius publicum auctoriate et utilitate pour «droit public» opposé à ius publicum auctoritate
tantum pour «droit privé» institué par l’État. D’autres exemples se trouvent dans von Moos, Das
Öffentliche (n. 1), 30-32.
51. Cf. Bernard Guenée, Un meurtre, une société, L’assassinat du duc d’Orléans, 23 novembre 1407,
Paris (Gallimard) 1992; je suis redevable à cette excellente étude de tout ce qui concerne les évé-
nements, mais n’étudie cette «cause célèbre» que sous l’aspect des concepts «public/privé» que
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Guenée ne traite qu’incidemment. Cf. également Joachim Ehlers, Vom Tyrannenmord zur Rache
als Staatsraison, dans Das Attentat in der Geschichte, éd. Alexander Demandt, Köln-Wien 1996, 107-
122; Françoise Autrand, Charles VI, La folie du roi, Paris 1986 et Richard Vaughan, John the Fear-
less, New York 1966. Pour l’histoire des idées concernant la discussion des thèses de Jean Petit cf.
mon étude beaucoup plus détailléee dans Das Öffentliche (n. 1), 46-83.
52. Jean Gerson, Sermon Vivat rex, dans Œuvres complètes, ed. Palémon Glorieux, Paris-Tournai-
Rome 1966, Vol. VII, 2, 1137-1185. Bien que la divisio annonce trois «vies» du roi – corporelle,
politique et spirituelle – tout l’accent est mis sur la «vie publique/politique/civile». Ibid., 1144, la
citation. Ibid., 1147 s.: «... le daulphin, son premier et vray heritier ... est comme une mesme per-
sonne avecquez le roy» ... «quelconque jonesse il ait, il est vray hoir et vit le roy en sa personne».
53. Ibid., 1149. A propos du principe juridique de l’unité du prédessesseur et du successeur cf.
Jacques Krynen, «Le mort saisit le vif», Genèse médiévale du principe d’instantanéité de la succes-
sion royale française, Journal des Savants 1984, 187-221; Kantorowicz (n. 28), 383-450.
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54. Cf. Jacques Krynen, Idéal du prince et pouvoir royal en France à la fin du Moyen Âge, Etude sur
la littérature politique du temps, Paris 1981, 333-337 et passim; idem, L’empire du roi. Idées et croyances
politiques en France XIIIe-XVe siècle, Paris 1993; Jean-Philippe Genet (éd.), Genèse de l’État moderne,
Paris 1990; Kantorowicz (n. 28), 207-231, 336-382; Arie Johan Vanderjagt, «Qui sa vertu anoblist»,
The Concepts of «noblesse» and «chose publicque» in Burgundian Political Thought, Groningen 1981.
55. Cf. Guenée (n. 51), 167-175.
56. Guenée (n. 51), 169 s.; Gerson fustige dans Vivat rex, Œuvres (n. 52), 1154: la «grant foison
de libelles diffamatoires, composeez partie par detraction ... et malebouche, partie par souspecon
melancolieux, partie par bruit de vile renommee qui dit tout a la volee, soit vray soit faulx ...».
57. Guenée (n. 51), 176-179. Une raison principale du conflit était que la politique financière
de Louis coupait à la Bourgogne les anciennes subventions provenant du fisc royal.
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58. Alfred Coville, Jean Petit, La question du tyrannicide au commencement du XVe siècle, Paris (Pi-
card) 1932, 98-150.
59. Sur cette cérémonie solennelle à l’Hôtel St-Paul cf. Coville, ibid., 106 ss.; Guenée (n. 51), 190-
201; une version abrégée de la Justification se trouve dans la Chronique d’Enguerrand de Monstrelet,
éd. L. Douët-d’Arcq, Vol. I, Paris 1908, 175-241. Description des autres versions par Coville.
60. Cf. Post 1961 (n. 28), 241-309; Kantorowicz (n. 28), 284-290; Mario Sbriccoli, Crimen lae-
sae maiestatis, Il problema del reato politico alle soglie della scienza penalistica moderna, Milano 1974, 128-
133, 364 s. Gerson accusa Jean Petit d’une fiction de necessitas; Œuvres (n. 52), VII 1029: «Vray est
que necessité n’a loy; mais on ne doit mie tantost faindre ou jugier necessité». Ibid., V 196, il ap-
pelle le principe de la necessitas le principalis locus refugii partis adversae (le principal échappatoire de
la partie adverse). Ce topos de justification a une longue histoire jusqu’au temps modernes. Carl
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Schmitt s’en sert encore pour justifier le putch des national-socialistes sous Röhm. Cf. Karl-Sieg-
bert Rehberg, «Ausnahmezustand» und «Außeralltäglichkeit» – Prätentionen der Regellosigkeit,
dans Regel und Ausnahme, Festschr. Hans Holländer, éd. H. H. Mann - P. Gerlach, Aachen-Leipzig-
Paris (Thouet) 1995, 11-38, en part. 13 s.
61. Sbriccoli (n. 60), 158, 364 s.; Post (n. 28), 241 ss. A propos de la dimension temporelle cf.
le vote d’un adversaire de Gerson à Constance: necessitas non habet legem, sapiens enim adaptat se tempo-
ri (Gerson, Opera [n. 64], V 730, 844; cf. Guenée [n. 51], 258). Gerson ne put y opposer que l’ar-
gument de la notorietas et de l’ordo iuris; cf. infra, n. 66, 69 et Œuvres (n. 52), X 210 s.: dicamus conse-
quenter quod si posset ostendere iudicialiter talem fuisse casum necessitatis inevitabilis, iudicaretur absolutus,
immo lauderetur. Sed si non vult aut non potest ostendere, tunc iudex publicus debet eum sicut verum homici-
dam reputare et damnare, non laudare.
62. Cf. Guenée (n. 51), 221-231, Coville (n. 58), 95-117; 403 ss.
63. Coville, 136-140; cf. Charity C. Willard, The Manuscipts of Jean Petit’s Justification: Some
Burgundian Propaganda Methods of the Early Fifteenth Century, Studi francesi 38 (1969), 270-280.
64. La documentation sur ce débat de plusieurs mois se trouve dans les Œuvres de Gerson (n.
52), Vol. 5, 7 et 10 (en part. 164-170 la synopsis chronologique de tous les textes 1407-1418) ain-
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si que dans Joannis Gersonii Opera omnia, ed. Louis Ellies Du Pin, Anvers 1706, réimpr. Hildesheim
1987, vol. V. Sur le concept d’hérésie cf. la prochaine note. – Sur la guerre civile cf. Bernard
Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons. La maudite guerre, Paris 1988.
65. Gerson, Œuvres (n. 52), V 202 s., 250, 254, X 258: magis ... consideranda errorum extirpatio
quam errantium correctio, nam primum magis est expediens fidei et rei publicae quam secundum. Ibid., V 199
s.: Concedamus in primis quod homicidium in se consideratum spectat ad causam sanguinis criminalem; sed ho-
micidii iustificatio, praesertim per ius divinum et canonicum, tamquam illud sit licitum, laudabile et merito-
rium, pertinet utique ad iudicium et iudices fidei.
66. Cf. ibid., 246: Ludovicus…frater unicus regis, neque subditus Ioannis ducis Burgundiae neque ius-
ticiabilis eius erat. Ibid., 424: qui inscio principe bellum gerit reus est laesae maiestatis. Ibid., X 191: alio-
quin ... periret omnis politia et dominationis auctoritas; et in regno et in civitate et in domo, et generaliter in
omni societate nemo sibi dicit ius … Talis tyrannus magis est iudicio Dei reservandus quam per privatam auc-
toritatem … occidendus … Ibid., X 194: quod non licet occidere quemcumque maleficum propria auctoritate,
hoc est sine mandato vel publica administratione aut inspiratione divina, quae mandati vicem habet. Ibid.,
213: nullus quantumque criminosus vel adversarius debet interfici privata auctoritate si potest per publicam
auctoritatem fieri iustitia de eo.
67. Ibid.: non fuit ... monitus vel diffidatus a duce Burgundiae super criminibus postmodum impositis nec
a suo iudice condemnatus, immo nec in aliquo monitus; nec iudex etiam, scilicet.
68. Ibid., 178 s.: Hoc est haeresis ... si non aliud allegetur et probetur quod hactenus publice fuit allega-
tum et probatum sicut esset divina revelatio. Sed bullam super hoc nondum vidimus. – Haec impositio est iudi-
cium temerarium ... contra illud dictum Christi recte intellectum: «nolite iudicare» (Matth. 7.1).
69. Ibid., X 189: «... un subjet peut machiner contre son roy tellement et si peu et si occulte-
ment, qu’on ne le pourroit de ce convaincre en jugement ou en public; et en tel cas dit la loy est
idem ad iudicium de his quae non fiunt et quae non apparent. Et tous docteurs ... qui parlent qu’on peut
occire tyrans, appliquent clairement de tyrans publics et nottoires». Ibid., 213: saepius evenit quod
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talia sciri nequeant certitudinaliter ex notorietate, cum machinatio de vi vocabuli, et similiter fraus, notent se-
cretum vel celationem. Ibid., 248: machinari, fraus, dolus, sortilegium, malum ingenium, intentio dominan-
di, quae est actus intrinsecus. Ibid., 424: nemo debet incertis causis aut coniecturis vel ex eis quae secrete ge-
runtur, sicut sunt machinationes et cogitationes cordis, publice puniri praesertim ad mortem, quia cogitationis
poenam nemo meretur quoad forum scilicet praesentis vitae, secus quoad forum conscientiae. Cf. Stephan Kutt-
ner, Ecclesia de occultis non iudicat, dans Acta Congressus iuridici internationalis Romae ... 1931, 5 vols.,
Roma 1935-1937, vol. III, 225-246. Pour le concept occulta cordis cf. dans ce volume infra, N° 16.
70. Œuvres (n. 52), X 246: Cum etiam pararentur insidiae per sicarios vel assassinos pretio conductos,
plurima et varia familiaritatis et amicitiae signa, publice et privatim duci Aurelianensi saepius ostendebat ...
dum dominus Aurelianensis nihil adversi suspicans ... iuxta sanctum Paulum ipse subita et atrocissima mor-
te tamquam esset canis viliter oppressus est
71. Ibid., 242: Ratio autem quare tenetur observare iuramentum est utilitas reipublicae et humanae socia-
litatis, quia si cuilibet liceret frangere iuramentum ... rumperetur ... vinculum unicum societatis humanae
conservativum. Ibid., V 427: Cedit insuper in subversionem graviorem totius reipublicae dum vinculum eius
quod est iuramentum, rumpitur et dissolvitur. Ibid., 435: Nihil autem magis scire convenit in populo christia-
no et in omni republica quam quod servanda sunt pacta seu iuramenta ad Deum et proximum. Cf. B. Guenée,
Non perjurabis. Serment et parjure en France sous Charles VI, Journal des Savants (1989), 241-257.
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ignorants et illettrés qui jugent tout dans leur «rustique simplicité» n’ont
droit qu’à des vérités «claires, évidentes et manifestes». Jean Petit s’est
donc trompé de forum, c’est pourquoi multi simplices horribiliter sunt scan-
dalizati72. Parce que la «fausseté avait été publiquement semée», elle de-
vait donc être dénoncée publiquement, c’est-à-dire en public et par une
instance publique73.
Gerson réussit, en 1413, à faire condamner et brûler ce «libelle infer-
nal» par les théologiens de Paris. Afin de rendre cette condamnation en-
core plus publique, il se rend aussitôt au concile général de la Chrétienté
réuni à Constance, instance suprême de l’église. C’est un échec. Après trois
ans de débats acharnés le jugement de Paris est cassé, le concile estimant
que l’affaire relevait d’un tribunal laïc et non de la théologie74. Bien des
arguments sur le caractère public du sujet se retournent contre Gerson. On
lui reproche de prendre à la lettre le commandement «Tu ne tueras pas»,
dont il faut interpréter subtilement l’esprit, car il est écrit: «la lettre
tue»75. Si la légitime défense peut justifier un homicide privé, elle permet
d’autant plus d’excuser un tyrannicide préventif nécessaire à la sauvegarde
de la chose publique, parce que le meurtrier d’un subversor rei publicae pré-
vient les soulèvements et désordres possibles du peuple, tumultus in populo.
Le scandale provient du seul Gerson, accusateur non-attitré et présomp-
tueux, qui s’est mis en scène non par amour de la vérité mais poussé par
des «affects privés», la haine, la jalousie et l’ergoterie, pour condamner
l’écrit d’un collègue. Si le meurtre avait causé quelque scandale, l’Église,
en le couvrant, en a évité un plus grand. Elle a retenu la «vérité de la foi»
pour sauver la «paix séculière», de la même façon qu’elle tolère les bordels
pour éviter un préjudice social encore plus grave.
72. Cf. Guenée (n. 51), 237 s.; Gerson, Opera (n. 64), V 127, 188, 452, 763 s. u.a., X 262 s.;
Gerson n’emploie pas le terme simplices dans le sens d’une «spiritualité élitiste», mais le lie à son
idée pastorale du bien commun spirituel, qui exige la protection des incultes contre les subtilités
des théologiens qui pourraient les scandaliser. Cf. Klaus Schreiner, Laienfrömmigkeit – Frömmig-
keit von Eliten oder Frömmigkeit des Volkes? dans idem (éd.), Laienfrömmigkeit im späten Mittelal-
ter, Formen, Funktionen politisch-soziale Zusammenhänge (Schriften des hist. Kollegs 20), München
1992, 1-78, en part. 34 s., 43, 46, 50 s.; Christoph Burger, Aedificatio, Fructus, Utilitas. Johannes
Gerson als Professor der Theologie und Kanzler der Universität Paris, Tübingen 1986, 90, 133.
73. Gerson, Œuvres (n. 52), VII 218: «La fausseté est publiquement semée, si faut recourir à la
publication pour deraciner le publique vice ou scandalisation».
74. Cf. Guenée (n. 51), 255 s.; le procès-verbal de ces débats se trouve dans Opera (n. 64), V 52-
342. A Constance, Gerson prononça une longe dissertation sur la question de la compétence du tri-
bunal ecclésiastique, afin de prouver que des cas de morale peuvent être considérés comme des cas
impliquant la foi (Œuvres V 28-39).
75. Cf. Guenée (n. 51), 257; Gerson, Opera (n. 64), V 758.
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76. Guenée, 258-264; cf. également B. Bess, Die Lehre vom Tyrannenmord auf dem Konstan-
zer Konzil, Zeitschrift für Kirchengeschichte 36 (1936), 1-61; Friedrich Schoenstedt, Der Tyrannenmord
im Spätmittelalter, Studien zur Geschichte des Tyrannenbegriffs und der Tyrannenmordtheorie insbesondere in
Frankreich, Berlin 1938, 5-25.
77. Cf. Bernard Guenée, Les campagnes de lettres qui ont suivi le meurtre de Jean sans Peur
Duc de Bourgogne (Septembre 1419 - Février 1420), Annuaire-Bulletin de la Société de l’histoire de
France 509 (1993, paru en 1994), 45-65.
78. Sur cette contradiction cf. Bauer (n. 10), 33-39, 153, 260-265 et passim; Claude Gauvard,
«De grace especial». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, 2 vols., Paris (Publ. de la Sor-
bonne) 1991, vol. I, 135-143, 201-217, ainsi que Rumeur et stéréotype à la fin du Moyen Âge,
dans La circulation des nouvelles au Moyen Âge, (Collection de l’Ecole française de Rome 190), Rom-
Paris 1994, 157-178 (mentionne aussi Gerson et Jean Petit); Jacques Verger, Théorie politique et
propagande politique, dans Le forme della propaganda politica nel due e nel trecento, éd. Paolo Camma-
rosano (Collection de l’Ecole française de Rome 201), Rom 1994, 29-44, en part. 35 ss.; Arlette
Farge, Dire et mal dire. L’opinion publique au XVIIIe siècle, Paris (Seuil) 1992, 16-19.
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consciente, elle est déjà la hantise de l’autorité. Dés le XIVe siècle, des cam-
pagnes de propagande de plus en plus fréquentes s’inscrivent dans toute une
stratégie d’image-management destinée à prévenir des rumeurs possibles, pro-
bables, supposées, et d’autant plus dangereuses qu’elles sont mal connues.
Au lieu de nous préoccuper des précurseurs de nos réalités médiatiques
modernes, il vaut mieux nous concentrer sur le choix des termes qui, lors
du débat sur le meurtre de 1407, se rapprochent de ces deux concepts de
«public», celui de la publicité et celui du politique. II est très significatif
que le mot-clé le plus souvent utilisé pour désigner les phénomènes de la
«sphère publique» soit celui de «scandale». La seule valeur positive de
«public» (en allemand on peut très bien se servir ici de l’hypostase Öffent-
lichkeit), n’est pas médiatique mais politique: c’est «l’ordre du corps mys-
tique de la commune chose publique»79, ainsi que l’exprime Gerson, cet
idéal d’harmonie sociale du royaume dont le plus grand danger est préci-
sément le scandale. Les dimensions de la publicité et du tout politique
s’entrecroisent et glissent sans cesse de l’une à l’autre. Jean Petit, nous
l’avons vu, substitue à la perspective du scandale provoqué par un homici-
de réel, celle du scandale suprême que représenterait un attentat possible
contre le roi. La théorie de Thomas d’Aquin sur la hiérarchie des péchés a
pu l’aider dans ce «quid pro quo». Thomas mesure la gravité d’un péché à
l’aune de la valeur publique de la personne lésée80. «L’offense faite à une
personne publique de grand renom, comme le roi ou un prince, qui repré-
sente toute une multitude en sa personne, est plus grave que celle faite à
une personne privée, parce que ce péché a pour un très grand nombre un
retentissement de scandale et de trouble».
Nous avons vu que, lors de la réhabilitation de Jean Petit à Constance,
les mêmes concepts de «scandale» et «tumulte» réapparaissent dans un
contexte comparable. En substance, ils signifient que le calme ou la paix
sociale seraient plus dangereusement troublés si la famosa persona du duc de
Bourgogne était accusée d’un crime crapuleux et perfide et la version offi-
ciellement reconnue du tyrannicide altruiste et héroïque remise en cause.
Gerson, qui prêche tant la cohésion sociale, a dû voir dans un tel pragma-
81. Gerson, Œuvres (n. 52), V 252: Semota iustitia quid sunt regna, inquid Augustinus, nisi magna
latrocinia? Similiter sine iustitia quid est pax nisi guerra sub vitiis et erroribus involuta? (Enarr. in Ps. 63,
PL 36, 765).
82. Guenée (n. 51), 255 s., 263. Le principe moderne de la séparation des sphères provient d’un
rééel «changement de paradigme» dans la théorie politique; cf. Tilman Struve, Die Bedeutung der
aristotelischen «Politik» für die natürliche Begründung der staatlichen Gemeinschaft, dans Das
Publikum der politischen Theorie im 14. Jahrhundert, éd. Jürgen Miethke (Schriften des hist. Kollegs
21), München 1992, 127-171, en part. 168 ss.
83. Guenée (n. 51), 260, selon Gerson, Opera (n. 64), V 843 (parce que la crucifixion n’avait pas
lieu pendant un jour de fête juif).
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d’Orléans est plus qu’une tempête dans un verre d’eau. Le résultat de ces
interminables débats confirme et fortifie idéologiquement l’idée de la rai-
son d’État et contribue, en France, à la naissance de l’état moderne, abs-
trait et absolu84. Ce résultat est historiquement significatif, peu importe
qu’on le juge un progrès du rationalisme ou de la barbarie. Par la force nor-
mative des faits, le grand Gerson avait fini par comprendre qu’il venait
trop tard et qu’à son époque une vérité mal placée pouvait provoquer un
scandale plus grand qu’un mensonge bien placé. Car le scandale se mesu-
re à l’aune d’une paix générale séculière définie comme absence de «tu-
multes», et garantie par «la personne publique», l’autorité incarnant la
«chose publique».
Les intérêts les plus divergents peuvent stratégiquement «prendre pos-
session» des concepts polyvalents de «public», qui désigne aussi bien la
«chose publique» que le bien commun, l’utilité publique, la majesté roya-
le, la voix du peuple, le consensus des sages etc. ... Son antonyme apparaît
le plus souvent comme son reflet négatif et même diabolique. Le privé
c’est l’égoïsme, la cupidité, l’hérésie, la rébellion, la tyrannie, etc. La règle
du jeu consiste à revendiquer le «public» pour sa propre cause, et à relé-
guer le «privé» dans le camp de l’adversaire.
S’il est possible d’esquisser en trois ou quatre phrases les étapes du pro-
cessus ultérieur, je dirais que cette source de conflit, l’attribution intéres-
sée de «public» et «privé», est bientôt neutralisée. Sous l’absolutisme tous
deviennent «privés». L’expansion sémantique banalise le concept. Le libé-
ralisme y contribue d’une autre façon: l’intérêt privé ne peut plus fonc-
tionner comme contraste démonisé de l’utilité publique parce qu’il de-
vient sa condition nécessaire et bénéfique85. Mais une ambivalence de l’an-
cienne sémantique de «public» garde peut-être encore son potentiel d’an-
tagonismes: l’amalgame entre autorité étatique et volonté collective. Dans
le pays qui, le premier, réalise «l’état rationnel», au sens où l’entend Max
Weber, et qui le perpétue sans remise en cause essentielle après la Révolu-
tion, la France, on assiste depuis quelque temps à un nouveau conflit de
84. Ceci est une pensée directrice du travail de Guenée (n. 51), 189, 191 s., 199 etc. Ehlers (n.
51), 117, la relativise un peu en rappelant à juste titre que l’histoire a été plus profondément dé-
terminée par des décisions personnelles que par des idées politiques. Néanmoins il concède lui-
même (114) que, si la faiblesse du pouvoir central sous Charles VI n’a pas amené la décomposition
du royaume et le chaos, c’est grâce à une cohésion déjà étonnemment affermie par des siècles de cen-
tralisme (j’ajoute: et de «théologie politique»).
85. Cf. Schulze (n. 23).
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management of meaning où le concept de «public» est utilisé par les uns pour
défendre la légitimité du pouvoir des «élus du peuple», par les autres pour
revendiquer «le public de tous les citoyens». Les uns s’appuient sur la tra-
dition séculaire de la «chose publique» (autrefois celle du roi), tradition
enracinée dans les plus vieilles croyances de la France, même s’ils utilisent
le vocabulaire contemporain de Nation, État de droit et République; les
autres se réclament d’un idéal plus récent, d’origine anglo-saxonne mais
qui à vrai dire remonte aux corporations et confédérations du Moyen Âge,
afin de ranimer le sens fondamental d’une institution démocratique. Le dé-
bat ne porte pas sur l’opinion publique (la fameuse Öffentlichkeit de Ha-
bermas), bien qu’on veuille la gagner de part et d’autre, mais sur deux
concepts de «public»: la «sphère publique» où peut s’exercer non seule-
ment la libre discussion mais également la «désobéissance civique», et «le
domaine public» régi par l’autorité étatique. Dans un livre d’anthropolo-
gie politique qui colle de près à cette actualité immédiate, La démocratie
contre l’État, Miguel Abensour incite à combattre un «public» par l’autre86.
On peut y trouver l’ironie d’une réponse tardive, peut-être éphémère, à une
étatisation précoce, durablement établie et mal vieillie, qui constitue une
des multiples «exceptions françaises».
86. Miguel Abensour, La démocratie contre l’État, Marx et le moment machiavélien, Paris (PUF)
1997.
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* Version remaniée de l’article paru dans Studi medievali 41 (2000), pp. 505-548.
1. De ces deux méthodes c’est la première qui prédomine clairement dans le volume collectif
que je viens de publier avec Gert MELVILLE: Das Öffentliche und das Private in der Vormoderne (Norm
und Struktur 10), Cologne etc. 1998.
2. Comme je l’ai déjà fait dans Das Öffentliche und das Private im Mittelalter Für einen kontrollier-
ten Anachronismus ibid., pp. 3-86 et dans Public et privé au cours de l’histoire et chez les historiens, dans
ce vol. supra, N° 12, pp. 437-439 (entre autres à propos des thèses de O. BRUNNER et de J. HA-
BERMAS, sur lesquelles je ne reviendrai plus ici).
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3. E.-B. KÖRBER, Öffentlichkeiten der Frühen Neuzeit, Teilnehmer, Formen, Institutionen und Entschei-
dungen öffentlicher Kommunikation im Herzogtum Preussen von 1525-1618 Berlin 1998, pp. 1-23, 388-
403. Les trois formes de public: “Machtöffentlichkeit”, “Bildungsöffentlichkeit”, “Informationsöf-
fentlichkeit” constituent la structure des chapitres principaux; cf. également A. GESTRICH, Absolu-
tismus und Öffentlichkeit. Politische Kommunikation in Deutschland zu Beginn des 18 Jahrhunderts, Göt-
tingen 1994.
4. Il suffit à cet égard de se rappeler l’étonnante trivialité des récentes discussions à propos du
“Monicagate” et de Lady Diana.
5. R. KOSELLECK, Vergangene Zukunft. Zur Semantik geschichtlicher Zeiten, Francfort 1979, pp. 107-
129 (Begriffsgeschichte und Sozialgeschichte). Les aspects précis de la “Begriffsgeschichte” que je
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mots-clé historiques qui tirent leur force et leur pérennité d’une ambiguïté
abstraite qui facilite leur exploitation par les intérêts les plus divergents6.
Le flottement et l’indétermination de ce réseau sémantique tiennent
surtout à un glissement toujours possible entre le sens descriptif et le sens
normatif. Dans son sens normatif, le double concept “public-privé” prend
un aspect asymétrique, qui n’est toutefois pas toujours évident. Si nous
prenons “public” dans son sens de “chose publique”, de “bien commun”,
le concept “privé” se teinte facilement d’une nuance péjorative. Au Moyen
Âge, “public” est souvent associé à charité, “privé” à tyrannie, discorde, hé-
résie. C’est l’inverse qui se produit si nous partons de la valorisation mo-
derne de “privacy”, qui désigne la protection de la sacro-sainte sphère pri-
vée contre les intrus. “Privé” s’oppose alors au concept pervers de “public”,
dans le langage d’un journalisme à sensation qui prétend détenir le droit
universel à l’information. La parité descriptive des antonymes se transfor-
me ainsi en déséquilibre normatif entre “antonymes asymétriques” au sens
de Koselleck, “destinés à exclure la reconnaissance réciproque de leurs
pôles”7. Ils ont ce que Michael Richter, à propos de la différence des sexes,
qualifie de “deligitimizing function”8. (Dans cet exemple ils mettent en
cause la légitimité du féminin). L’imparité profonde des concepts de valeur
qui se cache derrière la désignation neutre de leurs homonymes descriptifs
constitue un des aspects les plus importants de l’histoire du concept de
“public et privé”.
vais relever ici gardent une valeur pratique évidente. Il n’est donc pas indispensable d’en rediscuter
la position théorique, assez controversée dans les années 70 et 80; cf. par ex. les contributions ré-
unies dans Historische Semantik und Begriffsgeschichte, éd. R. KOSELLECK, Stuttgart 1978, ainsi que P.
VEYNE, L’histoire conceptualisante, dans J. LE GOFF - P. NORA (éd.), Faire l’histoire, vol. I, Paris 1974,
pp. 62-92; I. VEIT-BRAUSE, A note on “Begriffsgeschichte”, dans History and Theory 20 (1981), pp. 61-
67; M. RICHTER, Conceptual History (Begriffsgeschichte) and Political Theory, dans Political Theory 14
(1986), pp. 604-637; J. RAYNER, On Begriffsgeschichte, ibid 16 (1988), pp. 496-501. Cette théorie
est peut-être dépassée aujourd’hui par d’autres paradigmes, tels que celui du discours foucaultien.
J’y reviens dans “Öffentlich” und “privat” im Mittelalter, 2004 (bibliogr. N° 97). D’excellentes appli-
cations des nouvelles méthodes en sémantique historique sont réunies par B. JUSSEN - C. KOSLOF-
SKY (éd.), Kulturelle Reformation Sinnformationen im Umbruch 1400-1600 (Veröffentlichungen des Max-
Planck-Instituts für Geschichte 145), Göttingen 1999.
6. Cf. dans ce vol. supra, N° 12, p. 438.
7. Cf. KOSELLECK, Vergangene Zukunft cit. dans n. 5, pp. 211-225 (Zur historisch-politischen Se-
mantik asymmetrischer Gegenbegriffe).
8. M. RICHTER, Reconstructing the History of Political Languages: Pocock Skinner and the Geschicht-
liche Grundbegriffe, dans History and Theory 29 (1990), pp. 38-70, ici pp. 69-70. Pour l’aspect des
sexes cf. C. KLINGER, Beredtes Schweigen und verschwiegenes Sprechen: Genus im Diskurs der Philosophie,
dans H. BUßMANN - R. HOF (éd.), Genus. Zur Geschlechterdifferenz in den Kulturwissenschaften, Stutt-
gart 1995, pp. 2-33.
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Ceci n’était pas encore le cas chez les Romains, qui, dans leur esprit pré-
chrétien à la fois profondément individualiste et politique, les avaient
équilibré sagement afin d’en sauvegarder autant que possible la symétrie9.
C’était seulement en cas de collision entre les rôles, que l’utilitas publica
prenait la priorité sur les commoda singulorum, priorité d’ailleurs anthropo-
logique, revendiquée dans presque toutes les civilisations. Mais, si des
aphorismes vénérables tels que: utilitas publica praeferenda privatae ou salus
populi suprema lex esto étaient inattaquables, ils n’avaient cependant qu’ex-
ceptionnellement une utilité pratique ou une force contraignante10. En
règle générale, les Romains étaient plutôt “libéraux” que “socialistes”,
quand ils n’étaient pas tout simplement “mafieux”, pour reprendre un mot
d’esprit consciemment anachronique de Paul Veyne11.
Deux maximes socio-politiques de la fin du Moyen Âge illustrent bien
le contraste entre cette conception pragmatique, relativement neutre, de
public et privé, et la tension normative, parfois idéologique, dont ces
mêmes notions ont été chargées au cours des siècles chrétiens12: un pro-
verbe allemand “Gemeinnutz geht vor Eigennutz”, l’intérêt général prime
l’intérêt particulier13 (l’exception des Romains érigée en “règle d’or”), et
son contraire, un principe ecclésiastique extrait du droit canon, dignior est
lex privata quam publica “la loi privée est plus digne que la loi publique”.
Il s’agit du canon Duae sunt leges, introduit dans le droit de l’Église vers
1100 et qui prit une importance croissante du XIIIe au XVe siècle14.
15. Thomas d’Aquin, Summa theologica I-II, q. 90-95 (la loi); II-II, q. 43 (le scandale); ib. q. 47-
50 (la prudence), voir plus loin; cf. P. MICHAUD-QUANTIN, La conscience individuelle et ses droits chez
les moralistes de la fin du Moyen Âge, dans Universalismus und Partikularismus im Mittelalter, (Miscella-
nea Mediaevalia 5), Berlin 1968, pp. 42-56.
16. P. BOURDIEU, Méditations Pascaliennes, Paris (Seuil) 1997, pp. 24-67, 147-151.
17. C. GEERTZ,The Interpretation of Cultures New York (Basic Books) 1973, ch. 7, se basant sur
H. KOHUT, The Analysis of the Self New York 1971.
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nous utilisons “lien affectif” pour amour, “phobie” pour angoisse, “préca-
rité” pour pauvreté, etc., le discours scolastique médiéval substitue “mul-
titude” à peuple, universitas à “corps” ou corporation, “chose publique” à
cité, “bien commun” à patrie. Ces deux dernières formules introduisent
une nuance entre les presque synonymes “commun” et “public”, nuance si
infime comparée à leur fonction commune de distanciation, qu’elle ne mé-
rite ici qu’une petite glose.
Au Moyen Âge, “commun” est toujours plus extensif et plus chrétien
que “public”. L’Église primitive, le monachisme, puis la Réforme, placent
vita communis parmi les concepts les plus sacrés18, tandis que “salut public”
reste lié à l’autorité politique et au droit romain19. Dans le discours des ju-
ristes, utilitas communis désigne généralement le profit de chacun des
membres d’une communauté, utilitas publica celui de l’ensemble du corps
politique20. Cette distinction n’obéit cependant à aucune règle fixe,
puisque l’adjectif “public” qualifie également des phénomènes universels
comme l’air, le soleil ou des événements de l’Histoire du Salut. Pour Pé-
trarque par exemple, Adam est le “père public” de l’humanité21. La préfé-
rence accordée, soit aux concepts de res publica, salus publica, utilitas publi-
ca, soit à bonum commune, reflète des variations de goût et d’options intel-
lectuelles d’ordre linguistique et régional. Si les combinaisons avec publi-
cus dominent dans les textes inspirées du droit romain, bonum commune, tra-
duction de koinonia de la ‘Politique’ d’Aristote, a plus tard la faveur de la
18. Cf. H.-J. DERDA, Vita communis. Studien zur Geschichte einer Lebensform in Mittelalter und Neu-
zeit, Cologne etc. 1992.
19. Le lieu classique de la distinction entre commune, publicum, privatum est Cicéron, De invent I
27.40: Publicum est quod civitas universa aliqua de causa frequentat ut ludi dies festus bellum Commune
quod accidit omnibus eodem fere tempore ut messis vindemia calor frigus Singulare autem est quod aliqua de
causa privatim alicui solet accidere ut nuptiae sacrificium funus convivium somnus. Cf. F. STARK, Res pu-
blica, dans H. OPPERMANN (éd.), Römische Wertbegriffe, Darmstadt 1967, pp. 42-110, ici pp. 80-85;
L. HÖLSCHER, Öffentlichkeit und Geheimnis. Eine begriffsgeschichtliche Untersuchung zur Entstehung der
Öffentlichkeit in der frühen Neuzeit, Stuttgart 1979, pp. 51-57; H. MÜLLEJANS, Publicus und Privatus
im Römischen Recht und im älteren Kanonischen Recht unter besonderer Berücksichtigung der Unterscheidung
von Ius publicum und Ius privatum (Münchener theologische Studien 3.2), Munich 1964, pp. 1-14; GAU-
DEMET, Utilitas publica cit. dans n. 10, pp. 493-499; L. GÉNICOT, Sur la survivance de la notion d’É-
tat dans l’Europe du Nord au haut Moyen Âge. L’emploi de publicus dans les sources belges antérieures à l’an
mil, dans Institutionen Kultur und Gesellschaft im Mittelalter (Festschrift J FLECKENSTEIN), Sigmarin-
gen 1984, pp. 147-164.
20. Cf. G. POST, Ratio publicae utilitatis ratio status und “Staatsräson”, dans Welt als Geschichte 21
(1961), pp. 8-28, 71-99, ici 19-21 (en anglais aussi dans Studies cit. infra, n. 32, pp. 241-309).
21. De viris illustribus dans Petrarca, Prose, éd. G. MARTELLOTTI, Milano-Napoli 1955, p. 228:
Primum in hac acie non quidem merito sed etate locum teneat ille generis nostri publicus pater, Adam, de quo
... quid dicam? Voir les exemples analogues chez HÖLSCHER, Öffentlichkeit cit. dans n. 19, pp. 49-50.
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philosophie, avant que les humanistes ne lui préfèrent à nouveau res publi-
ca pour son aura romaine ou sa coloration républicaine22.
Sans m’attarder sur une question assez complexe qui concerne d’ailleurs
moins l’histoire que la linguistique, j’aborderai d’emblée la plus célèbre
synthèse scolastique des rapports entre l’intérêt général et les droits de l’in-
dividu, celle de Thomas d’Aquin. La préférence fréquemment accordée à
ses écrits proprement politiques sur la ‘Somme théologique’ a pu entraîner
une surévaluation des aspects collectivistes. Certes, la lecture d’Aristote
permet à Thomas de dépasser “l’augustinisme politique” et les idées théo-
cratiques réduisant la fonction du Prince à un pouvoir coercitif, concédé
par Dieu pour contenir les sequelles du péché originel23. Si le politique ac-
quiert chez lui une dignité éthique et une certaine autonomie par rapport
à la tutelle de l’Église, il faut cependant souligner le caractère profondé-
ment hiérarchisé d’une construction de “finalités” qui s’écarte de la ‘Poli-
tique’ aristotélicienne par la place éminente qu’elle accorde à la personne
humaine, créé à l’image de Dieu et rachetée par la grâce dans le baptême24.
Il ne suffit pas de reconnaître que “l’ordre de la nature”, dont fait partie le
bonum commune, est inférieur à “l’ordre de la grâce” qui l’accomplit par les
sacrements de l’Église. Il ne faut pas oublier que le fondement de cet ordre
de la grâce est individuel. Chez Aristote, la polis est “par nature antérieure
22. Sur ce sujet, que je traite ailleurs (n. 5), voir en général par ex. I. Th. ESCHMANN, A Tho-
mistic Glossary on the Principle of the Preeminence of a Common Good, dans Mediaeval Studies 5 (1943),
pp. 142-165; W. MAGER, “Republik”, dans Geschichtliche Grundbegriffe, cit. dans n. 5, vol. 5 (1984),
pp. 549-651, ici pp. 563-587 et Spätmittelalterliche Wandlungen des politischen Denkens im Spiegel des
res publica-Begriffs, dans J. MIETHKE - K. SCHREINER (éd.), Sozialer Wandel im Mittelalter, Sigmarin-
gen 1994, pp. 401-412; P. HIBST, Utilitas Publica – Gemeiner Nutz – Gemeinwohl. Untersuchungen zur
Idee eines politischen Leitbegriffs von der Antike bis zum späten Mittelalter, Francfort 1991, pp. 55-72; à
propos de la préférence accordée, dès le XIIIe siècle, à communis sur publicus cf. W. EBERHARD, “Ge-
meiner Nutzen” als oppositionelle Leitvorstellung im Spätmittelalter, dans Renovatio et Reformatio. Wider das
Bild von “finsteren” Mittelalter, (Festschrift L. HÖDL), éd. M. GERWING - G. RUPPERT, Münster 1985,
pp. 195-214; pour le retour humaniste de res publica cf. A. LÖTHER, Bürger- Stadt- und Verfassungs-
begriff in frühneuzeitlichen Kommentaren der Aristotelischen Politik dans R. KOSELLECK - K. SCHREINER
(éd.), Alteuropäische und moderne Bürgerschaft. Rezeption und Innovation der Begrifflichkeit, Stuttgart
1994, pp. 90-128; M. VIROLI, From politics to reason of state. The acquisition and transformation of the
language of politics 1250-1600, Cambridge 1992, pp. 73-82.
23. Cf. W. ULLMANN, The Individual and Society in the Middle Ages, Baltimore 1966 (Individuum
und Gesellschaft im Mittelalter, Göttingen 1974, pp. 88-93); W. STÜRNER, Peccatum und potestas. Der
Sündenfall und die Entstehung der herrscherlichen Gewalt im mittelalterlichen Staatsdenken, Sigmaringen
1987, pp. 186-191; T. STRUVE, Die Entwicklung der organologischen Staatsauffassung im Mittelalter,
Stuttgart 1978, pp. 151-179; M. SENELLART, Les arts de gouverner. Du regimen médiéval au concept de
gouvernement, Paris 1995, pp. 164-173.
24. Cf. W. BERGES, Die Fürstenspiegel des hohen und späten Mittelalters, Stuttgart 1938 (repr. 1952),
pp. 116-120.
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25. Sent 29, 1, 5; Summa theol I-II 113, 9; II-II 26, 4-5; ibid., I 60, 5 Resp., le sacrifice de l’in-
dividu à la cité sert d’exemple pour illustrer l’amour naturel de Dieu; le principe aristotélicien de
“l’animal naturellement politique” y est délibérément mis au subjonctif: si homo esset naturalis pars
huius civitatis, haec inclinatio esset ei naturalis (voir aussi plus loin la n. 76). Cf. B. GUENÉE, L’Occident
aux XIVe et XVe siècles. Les États, Paris 31993, pp. 105-106; M. S. KEMPSHALL, The Individual Good
in Late Medieval Scholastic Political Thought, dans J. A. AERTSEN (éd.), Individuum und Individualität
im Mittelalter (Miscellanea Mediaevalia 24), Berlin 1996, pp. 494-510 (Je n’ai pas encore lu le livre
récent du même auteur sur ce sujet: The Common Good in Late Medieval Political Thought Oxford
1999); voir aussi A. P. VERPAALEN, Der Begriff des Gemeinwohls bei Thomas von Aquin. Ein Beitrag zum
Problem des Personalismus, Heidelberg 1954, pp. 53-68; EBERHARD, Gemeiner Nutzen cit. dans n. 22,
pp. 196-198. On n’est pas tenu de distinguer les concepts d’individu et de personne, parce que ces
catégories sont en réalité inséparables. Pour certains néo-thomistes, “individu” a le sens de membre
d’une communauté politique et “personne” celui de l’âme en quête du salut éternel. Cette distinc-
tion dualiste ne se retrouve d’ailleurs pas plus dans les textes de Thomas que l’application généra-
le du mot “individuel”, tant dans le domaine politique que religieux. Ces deux conceptions mo-
dernes sont des “anachronismes contrôlés” (cf. n. 2), qui soulignent différents aspects de la pensée
complexe du Stagirite. Cf. par ex. É. GILSON, L’esprit de la philosophie médiévale, Paris 1932, ch. 10;
T. GILBY, Principality and Polity. Aquinas and the Rise of State Theory in the West, London 1938, pp.
190-261; I. T. ESCHMANN, Bonum commune melius est quam bonum unius. Eine Studie über den Wertvor-
rang des Personalen bei Thomas von Aquin, dans Mediaeval Studies 6 (1944), pp. 62-120.
26. Sententia libri ethicorum I 2.32
27. Par ex. Summa theol II-II 21.4 ad 3; Sent 35, 1, 4a; cf. aussi Albert le Grand, Super Ethica V
4.327; V 16.385. Hiérarchie ne signifie pas opposition ou exclusion mutuelle; dans sa forme idéa-
le la valeur supérieure inclut l’inférieure, ce qui est le cas quand toutes deux sont complètement
orientées vers la même “cause finale” spirituelle. C’est pourquoi, dans la terminologie polyvalente
de Thomas, Dieu même peut être qualifié de bonum commune (par ex. dans S Th I-II 90.2), ce qui ne
contredit pas la distinction essentielle entre bien commun politique et Summum bonum.
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28. Cf. G. SIMMEL, Vom Heil der Seele dans Brücke und Tor. Essays, éd. M. LANDMANN, Stuttgart
1957, pp. 122-128.
29. Cf. l’analyse détaillée de KEMPSHALL, cit. dans n. 25, pp. 498, 502-505.
30. Summa theol I-II 92. 1 ad 3; II-II 50. 1 ad 1 et 50. 2 resp.
31. Ibid., I-II 96. 4 resp. (voir plus loin); De regimine princip. I 3, I 5.
32. De regimine princip. I 2, I 15; cf. STRUVE, cit. dans n. 23, pp. 159-162. Sur les conséquences
pratiques de cette théorie voir G. POST, Studies in Medieval Legal Thought, Public Law and the State
1100-1322, Princeton 1964, 380-385; J. LE GOFF, Saint Louis, Paris 1996, pp. 512-515.
33. Cf. STÜRNER, cit. dans n. 23, pp. 30-33, 186-193; KEMPSHALL, cit. dans n. 25, pp. 208-209;
GUENÉE, L’Occident cit. dans n. 25, pp. 105-106; il faut cependant remarquer que cet aspect pessi-
miste est beaucoup moins évident dans la Somme théologique et dans le De regno que dans le De regi-
mine principum antérieur.
34. Cf. STÜRNER, cit. dans n. 23, pp. 193-241 et STRUVE, cit. dans n. 23, pp. 165-288, sur Pto-
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lémée de Lucqes, Gilles de Rome, Jean Quidort d’une part, sur Engelbert d’Admont, Dante, Mar-
sile de Padoue et Guillaume d’Ockham d’autre part; voir plus loin ch. IV.
35. Summa theol II-II 26.8 et 13 (ordo charitatis) et ibid, II-II 90.3; 96.5 plus loin n. 43, 140 (par-
ticipation politique de la conscience); sur l’unité idéale du bien commun et du salut spirituel cf.
EBERHARD, Gemeiner Nutzen cit. dans n. 22, pp. 196-198 et W. ULLMANN, Individuum und Gesell-
schaft im Mittelalter, Göttingen 1974, pp. 14-28; cet aspect identitaire sera poussé à l’extrême par
Savonarole; cf. G. C. GARFAGNINI, La predicazione sopra Aggeo e i Salmi dans Savonarola e la politica,
ed. G. C. GARFAGNINI, Firenze 1998, pp. 3-25, ici pp. 12-14; voir aussi plus loin l’instrumentali-
sation homilétique et politique de Thomas par Remigio de’ Girolami. H. MERLIN, Public et littéra-
ture en France au XVIIe siècle, Paris 1994, pp. 66-70, montre que, sous des formes moins “flam-
boyantes”, l’idée de la “complémentarité harmonieuse du prince et des sujets” (grâce à la participa-
tion intérieure des deux à la chose publique) a une longue postérité jusqu’au début des Lumières.
36. Cf. S. KRÜGER, Zum Verständnis der Oeconomica Konrads von Megenberg. Griechische Ursprünge der
spätmittelalterlichen Lehre vom Hause, dans Deutsches Archiv 20 (1964), pp. 475-461, ici pp. 488-490.
37. Cf. par ex. A. LÖTHER, Unpolitische Bürger. Frauen und Partizipation in der vormodernen prakti-
schen Philosophie, dans KOSELLECK-SCHREINER, cit. dans n. 22, pp. 239-273, ici pp. 248-253; G.
DROSSBACH, Die “Yconomia” des Konrad von Megenberg. Das Haus als Norm für politische und soziale
Strukturen, Cologne 1997, pp. 13-17, 23-29 (sur Aristote et Thomas).
38. Voir l’excellente synthèse de L. HONNEFELDER, Die ethische Rationalität des mittelalterlichen
Naturrechts. Max Webers und Ernst Troeltschs Deutung des mittelalterlichen Naturrechts und die Lehre vom
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natürlichen Gesetz bei Thomas von Aquin, dans W. SCHLUCHTER (éd.), Max Webers Sicht des okzidentalen
Christentums, Francfort 1988, pp. 254-275, ici pp. 260-263, 268-271, qui conteste les deux inter-
prétations, opposées en apparence, mais complémentaires, du néo-thomisme et du libéralisme pro-
testant. Tous deux, en effet, méconnaissent l’apport de Thomas à la philosophie moderne de la li-
berté. Cf. aussi W. KLUXEN, Philosophische Ethik bei Thomas von Aquin, Darmstadt 31998, pp.
65-80, 195-211; A. BLACK, Society and the Individual from the Middle Ages to Rousseau, dans History of
Political Thought 1 (1980), pp. 145-166 et l’introduction à IDEM, Political Thought in Europe 1250-
1450, Cambridge 1992.
39. Summa theol. I-II 90.3, resp. et 96.4.1
40. Ibid., I-II 96.5.2 avec la citation de Gratien Dict. ad C. 19 pr. (cf. infra, n. 114):Praeterea
Urbanus II papa dicit: “Qui lege privata ducitur nulla ratio exigit ut publica constringatur.” Lege autem pri-
vata Spiritus sancti ducuntur omnes viri spirituales qui sunt filii Dei secundum illud ad Romanos [81]: “Qui
spiritu Dei aguntur hi filii Dei sunt”.
41. Ibid., I-II 90.3 ad 1: lex est in aliquo non solum sicut in regulante, sed etiam participative sicut in
regulato. Et hoc modo unusquisque sibi est lex, in quantum participat ordinem alicuius regulantis; unde et ibi-
dem [Rom. 2.14] subditur: “Qui ostendunt opus legis scriptum in cordibus vestris”.
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42. Ibid., I-II 96.4 resp.: leges positae humanae ... vel sunt iustae vel iniustae. Si quidem iustae sint,
habent vim obligandi in foro conscientiae a lege aeterna a qua derivantur.
43. Ibid., I-II 96.5 ad 2: lex Spiritus sancti est superior omni lege humanitus posita ... spirituales non
subduntur legi quantum ad ea quae repugnant ductioni Spiritus sancti; sed tamen hoc ipsum est de ductu Spi-
ritus sancti quod homines spirituales legibus humanis subdantur (selon I Petr. 2.13).
44. Ibid., I-II 96.4 resp. (cf. supra, n. 41 et ibid., II-II 69, 4; 104.5).
45. Ibid.: iniustae autem sunt leges ... vel etiam forma, puta cum inaequaliter onera multitudini dispen-
santur, etiamsi ordinentur ad bonum commune. Une loi juste ex forma répartirait les charges selon la “jus-
tice distributive”. Cf. POST, Ratio publicae utilitatis cit. n. 20.
46. Dans un cadre plus général cf. MICHAUD-QUANTIN, La conscience individuelle cit. dans n. 15,
p. 50: “La réponse unanime des moralistes est que l’homme doit écouter et suivre ce que lui dicte
sa conscience. Qui facit contra conscientiam, aedificat ad gehennam” (Gratien, C. 28 q. 1 d. a.c. 15).
47. Summa Theologiae I-II 96.4, resp.: unde tales leges non obligant in foro conscientiae, nisi fore prop-
ter vitandum scandalum vel turbationem; ibid., ad 3: unde nec in talibus homo obligatur ut obediat legi, si
sine scandalo vel maiori detrimento resistere possit. Cf. MICHAUD-QUANTIN, loc. cit., p. 49 pour la tradi-
tion de cette exception.
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48. Ibid., II-II 42 a.2, ad 3: ... nisi forte quando sic inordinate perturbaretur tyranni regimen, quod
multitudo subiecta maius dampnum pateretur ex perturbatione consequenti, quam ex tyranni regimine.
49. Ibid., II-II 43; surtout 43.7 resp.: Manifestum est autem quod nullus debet mortaliter peccare, ut
alterius peccatum impediat quia plus debet homo suam salutem spiritualem diligere quam alterius. Cf. VON
MOOS, Das Öffentliche, cit. dans n. 2, pp. 41-45.
50. Ibid., I-II 96, 4 resp.: Iniustae autem sunt leges dupliciter. Uno modo per contrarietatem ad bonum
humanum ... Alio modo ... per contrarietatem ad bonum divinum, sicut leges tyrannorum inducentes idola-
triam, vel ad quodcumque aliud quod sit contra legem divinam: et tales leges nullo modo licet observare, quia
sicut dicitur, Act 5 29, “obedire oportet Deo magis quam hominibus”. Sur cette hiérarchie fondamentale
voir les références dans n. 25 et 38.
51. POST, Studies cit. dans n. 32, p. 13. Cf. aussi SIMMEL, cit. dans n. 28, p. 127: “Den ganzen
Individualismus des christlichen Heilsbegriffs hat man verkannt ...; ... je mehr das Heil des Men-
schen nur auf dem beruht, was er ganz allein, vielleicht mit keinem andern vergleichbar, ist, ... des-
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jourd’hui encore, dans le canon final du Corpus Iuris Canonici, qui renverse
explicitement la hiérarchie fondamentale du Corpus Iuris Civilis en substi-
tuant au principe romain salus publica suprema lex esto une “ultime raison”
contraire: salus animarum in Ecclesia suprema semper lex esse debet52.
to gefährlicher ist das Leben, desto ... umfassender seine Verantwortlichkeit für sich selbst. Darum
hat Nietzsche das Christentum völlig mißverstanden, wenn er es für eine Art Volksversicherung
hält”. Je préfère cette citation, qu’on ne peut pas soupçonner de néo-thomisme, à beaucoup de ré-
férences analogues soutenant le personnalisme transcendantal contre les interprétations trop “cor-
poratistes” de certains historiens de la théorie politique; cf. par ex. GILSON, GILBY et ESCHMANN cit.
dans n. 25.
52. CIC (1983), c. 1752 et Cicéron, De legib 3.3.8 (suprema lex) cf. plus haut n. 10. Interpréter
le pluriel animarum dans un sens totalisant pourrait amener à relever l’analogie entre ces deux “su-
prêmes lois” au détriment de leur opposition. Mais on négligerait ainsi le caractère essentiellement
composite d’une communauté formée d’âmes individuelles (la civitas permixta augustinienne). MI-
CHAUD-QUANTIN, La conscience individuelle, cit. dans n. 15, p. 54, remarque donc à juste titre que
c’est seulement en cas d’hérésie que la “suprême loi” chrétienne rejoint la loi païenne, car l’héré-
tique perd tout droit “privé” à la liberté de la conscience à cause du danger spirituel qu’il repré-
sente pour le peuple de Dieu tout entier.
53. La séparation des “discours” est aujourd’hui souvent prôné comme le remède universel
contre l’impressionnisme d’une certaine histoire culturelle globale; cf. par ex. R. SCHNELL, The dis-
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course on marriage in the Middle Ages, dans Speculum 73 (1998), pp. 771-786. Il faut néanmoins re-
connaître que les historiens travaillant avec des méthodes traditionnelles ont toujours su faire la part
des genres, styles, convenances et topoï de leurs sources, sans pour autant renier leur intérêt pour
les “faits” (réels et mentaux) qui relient ces différentes “façons de parler” entre elles. En ce sens, la
grande entreprise de la Typologie des sources du Moyen Âge occidental (éd. L. GÉNICOT) est aussi utile
que par ex. l’effort de Jacques LE GOFF pour retrouver le “saint Louis historique” derrière les diffé-
rents styles hagiographiques et biographiques (n. 32). C’est ce que, pour des raisons légèrement dif-
férentes, G. O. OEXLE appelle “la troisième voie” entre la naïveté objectiviste de la défense des “faits
en tant que faits” et le linguistic turn, la pure histoire des idées, le postmodernisme subjectiviste,
dans Im Archiv der Fiktionen, dans Rechtshistorisches Journal 18 (1999), pp. 511-525, article essentiel
commençant par cette judicieuse épigraphe: “Das Höchste wäre zu begreifen, dass alles Faktische
schon Theorie ist”.
54. E. KANTOROWICZ, “Pro patria mori” in Medieval Political Thought, dans American Historical
Review 56 (1951), pp. 472-492 (sur la base d’une conférence de 1949), repris dans E. K., Selected
Studies, New York 1965, pp. 308-324, et résumé dans The King’s Two Bodies, Princeton (1957),
1997, ch. V; je citerai aussi la traduction de L. MAYALI, dans E. K., Mourir pour la patrie, Paris 1984,
pp. 105-141.
55. Dans sa préface de 1957 à The King’s Two Bodies, l’auteur se défend d’avoir voulu dresser une
généalogie des idéologies les plus néfastes du XXe siècle. Mais ce n’est là qu’une mise en garde mé-
thodologique contre une certaine histoire actualisante. Kantorowicz ne renie point son intérêt pour
la continuité des axiomes de la “théologie politique” médiévale dans “les aberrations ultérieures”.
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Un autre exemple d’une méthode qui consiste à suivre la piste d’un dis-
cours unique, nous vient du grand historien du droit canon, Brian Tierney,
qui analyse de près la genèse médiévale des droits subjectifs en général et
des droits de l’homme en particulier56. Dans ce contexte, il insiste sur
l’importance de la lex privata, du primat de la conscience personnelle sur
l’institution de l’Église. De se limiter au discours des canonistes le dis-
pense de s’interroger sur les raisons pour lesquelles, à l’exception de
quelques théologiens, les théoriciens du politique, glossateurs, légistes ou
philosophes, n’ont guère recours à cette “loi privée” de la liberté chrétien-
ne dont l’impact sur les conceptions d’ordre et de légitimité n’est pourtant
pas négligeable. Son propos n’est pas non plus de rechercher les causes qui
font, qu’avant le XVIIe siècle, ce discours sur les droits subjectifs ne s’im-
pose pas vraiment en dehors du droit canon ou de la théologie. Les plus
grands penseurs, tant politiques qu’ecclésiologiques, tels Guillaume
d’Ockham ou Marsile de Padoue, n’établissent pas le pont que nous au-
rions attendu entre le discours sur le droit “subjectif” de l’homme spirituel
dans l’Église et celui de l’immunité de l’individu face au pourvoir séculier
et aux exigences de l’utilitas publica semper praeferenda privatae. Ils refusent
au contraire cet amalgame57. Tierney a le grand mérite de ne pas faire fu-
sionner artificiellement des discours inconciliables à cette époque.
Ce qu’il refuse c’est le renversement du bon ordre de la recherche. Il affirme n’avoir découvert les
liens profonds entre Moyen Âge et modernité qu’une fois achevé un travail d’historien concentré
sur les origines des symboles de la souveraineté de l’État (p. XVIII). Pour l’historique de ce texte cf.
C. VISMANN, Formeln des Rechts – Befehle des Krieges. Notiz zu Kantorowicz’ Aufsatz “Pro Patria Mori”,
dans Geschichtskörper. Zur Aktualität von Ernst H Kantorowicz, éd. W. ERNST - C. VISMANN, Munich
1998, pp. 129-144. Cet article, qui traite surtout du développement postmédiéval du thème, ex-
plicite ce que K. s’est pudiquement abstenu d’afficher: le chemin qui mène de l’idée du sacrifice hé-
roïque du soldat à l’efficacité des grandes nations modernes, efficacité mesurée à l’aune de la quan-
tité de “chair à canon” disponible. Je ne crois d’ailleurs pas que la réticence de K. à étudier ces pro-
longements modernes, soit dû, comme le suggère VISSMANN, à son admiration nostalgique des ver-
tus militaires d’antan. La raison légèrement “historiciste” qu’il invoque lui-même dans sa préface
me semble suffisante pour expliquer cette discrétion.
56. B. TIERNEY, The Idea of Natural Rights Studies on Natural Rights Natural Law and Church Law,
Emory 1997 et Religion and Rights. A Medieval Perspective, dans Journal of Law and Religion 5 (1987),
pp. 163-175. Pour l’auteur, la valeur de la conscience individuelle comme principe de la liberté
chrétienne n’est pas le seul aspect de cette genèse. Il s’intéresse surtout au cadre plus large des
“droits naturels” applicables à l’humanité toute entière; il les illustre par de nombreux exemples du
droit canon dont nous ne parlerons pas ici, tels que l’autorisation du vol dans l’extrême nécessité,
le droit à l’immunité physique qui autorise un condamné à mort à s’évader, ou le droit pour les
païens à refuser une conversion forcée. Sur la genèse des droits de l’homme cf. également Th. KO-
BUSCH, Die Entdeckung der Person. Metaphysik der Freiheit und modernes Menschenbild, Darmstadt 1997,
pp. 23-54.
57. Pour ne citer que quelques études synthétiques, cf. par ex. H. BIELEFELDT, Von der päpstlichen
Universalherrschaft zur autonomen Bürgerrepublik, dans Zeitschr. der Savigny Stiftung für Rechtsgeschichte,
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kanon. Abt. 73 (1987), pp. 70-130, ici pp. 111-120; H. HOFMANN, Repräsentation. Studien zur Wort-
und Begriffsgeschichte von der Antike bis ins 18 Jahrhundert (Schriften zur Verfassungsgeschichte 22), Ber-
lin 1974, pp. 236-242; J. QUILLET, Un exemple de nominalisme politique de la scolastique tardive: les doc-
trines de Guillaume d’Ockham, dans Aspects de la genèse médiévale dans la philosophie politique moderne, Pa-
ris 1999, pp. 61-66. J’y reviens dans Krise und Kritik der Institutionalität. Die mittelalterliche Kirche
als “Anstalt” und “Himmelreich auf Erden”, dans G. MELVILLE (éd.), Institutionalität und Symbolisierung
(Sonderforschungsbereich 537, Dresde), Cologne etc. 2001, pp. 293-340.
58. Par ex. A. P. MONAHAN, Consent, Coercion, and, Limit. The Medieval Origins of Parliamentary
Democracy, Leyde 1987; G. MENSCHING, Das Allgemeine und das Besondere. Der Ursprung des modernen
Denkens im Mittelalter, Stuttgart 1992. Le court-circuitage moderniste n’est contesté ici qu’en rai-
son de la confusion des discours et des contextes idéologiques; il y a de nombreuses autres raisons
de le critiquer; H. KELLER souligne celles qui concernent une réalité institutionnelle, profondément
hiérarchique, même dans ses formes apparemment les plus proches de nos conceptions démocra-
tiques: “Kommune”: Städtische Selbstregierung und mittelalterliche “Volksherrschaft” im Spiegel italienischer
Wahlverfahren des 12-14 Jhs., dans G. ALTHOFF (éd.), Person und Gemeinschaft. Festschrift K. SCHMID,
Sigmaringen 1988, pp. 573-616.
59. Cf. B. TIERNEY, “Only truth has authority”: The problem of “reception” in the Decretists and in Jo-
hannes de Turrecremata (dans Law, church, and society. Essays in honor of S KUTTNER, Philadelphia 1977),
repr. dans son recueil: Church, Law, and Constitutional Thought in the Middle Ages, Londres 1979, pp.
69-96, ici pp. 69-70 (sur Ockham); K. W. NÖRR, Kirche und Konzil bei Nicolaus de Tudeschis (Panor-
mitanus), Cologne etc. 1964, pp. 130-133; sur le contexte voir plus loin ch. IV.
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60. Cf. VON MOOS, Das Öffentliche cit. dans n. 2, pp. 46-83 et Public et privé, dans le vol. supra
N° 12, ch. III.
61. Gerson, Œuvres complètes éd. P. GLORIEUX, Paris 1960-1973, vol. V, pp. 199-200, vol. VII,
p. 1030; voir plus haut n. 52.
62. B. GUENÉE, Un meurtre une société L’assassinat du duc d’Orléans ... 1407, Paris 1992, pp. 255-
256, 263.
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63. Cf. VON MOOS, Das Öffentliche cit. dans n. 2, pp. 69-74.
64. En général cf. d’un côté A. VAUCHEZ (éd.), La religion civique à l’époque médiévale et moderne
(Chrétienté et Islam), Rome 1955 (Coll. de l’École française de Rome 213), de l’autre VON MOOS, Krise
und Kritik cit. dans n. 57; pour les exemples voir n. 35 (Savonarole) et M. CONETTI, La sfida al cos-
tantinismo di John Wyclif, dans Studi Medievali 38 (1997), pp. 139-201.
65. M. C. DE MATTEIS, La “teologia politica communale” di Remigio de’ Girolami, Bologne 1977 (in-
trod. et éd. du De bono communi, De bono pacis et des Sermons sur la paix). Sur Remigio voir aussi VI-
ROLI, cit. dans n. 22, pp. 46-48; Ch. T. DAVIS, An early Florentine Political Theorist: Fra Remigio de’
Girolami, dans Proceedings of the American Philosophical Society 104 (1960) pp. 662-676 et Ptolemy of
Lucca and the Roman Republic, ibidem, 118 (1974), pp. 30-50, ici pp. 33-34, 45-46; KANTOROWICZ,
The Kings’s Two Bodies cit. dans n. 54, pp. 479-481.
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té absolue du bien commun sur les valeurs individuelles avec une intransi-
geance qu’on n’avait peut-être jamais encore osé afficher au Moyen Âge. À
l’opposé des préoccupations théoriques de Thomas dont il s’inspire pour-
tant en grande partie, loin également du programme de pure édification
morale et de pénitence prôné par son successeur Giordano, ce livre est l’ex-
pression d’un engagement politique concret pour un système communal
déchiré par les luttes de plus en plus désastreuses entre les fractions. C’est
ce qui peut en expliquer le manque de pondération66. Le De bono communi
n’est pourtant pas une œuvre de propagande mais le fruit d’une méditation
théologique profonde. Il concilie curieusement quelques idées politiques
d’Aristote avec la spiritualité d’Augustin, pour aboutir à ce qu’on pourrait
appeler un “intégrisme” à la fois théocratique et communautariste.
Pour Girolami, le tout social engloutit intégralement les parties; “la par-
tie sans le tout n’est même pas une partie”, elle n’est rien. Pars extra totum
existens non est pars67. La distinction subtilement anti-aristotélicienne que
Thomas établit entre l’homme et le citoyen disparaît complètement dans la
formule: si non est civis, non est homo68. En dehors de la cité, ni humanité ni
salut. “L’homme n’est pas né pour lui seul”69. Aristote acceptait la solitude
du sage comme l’exception à sa propre règle du zoon politikon, de l’homme
naturellement politique; Girolami l’en blâme, Bible à l’appui. La condam-
nation de la solitude, le Vae soli, s’applique sans exception à tous les hu-
mains70. Dieu seul se suffit à lui-même. Bonus solitarius non est censendus
homo, sed Deus71. Pour Girolami, c’est une vérité universellement admise
que le bien ne peut être que partagé et qu’il n’y a aucun bien particulier en
soi72. Le moteur de cette idéologie du tout intégral est la charité chrétien-
ne, entendue dans le sens de l’amour désintéressé de Dieu. Le summum bo-
num est l’équivalent du bonum commune, ce qui gomme une autre distinction
73. De bono communi, p. 19: iuxta illud Cor. XV “Ut sit Deus omnia in omnibus” [I Cor. 15.28] ...
itaque manifeste colligitur quod tanto quis plus habet de participatione divinitatis, quanto plus habet de amo-
re communitatis ... p. 43: et dicendum quod commune ... pertinet ad Deum, in quantum scilicet Deus est com-
mune et totale bonum omnium ... Et ideo bene philosophus in I Ethic. [1094b] coniungit communis amorem
cum Deo asserens quod “melius et divin[i]us est amare commune quam unum solum”. Pour divinius cf. n. 91.
74. Cf. par ex. É. GILSON, La théologie mystique de Saint Bernard, Paris 1947, pp. 183-189; P.
ROUSSELOT, Pour l’histoire du problème de l’amour au Moyen Âge (Beitr zur Geschichte der Philosophie des
Mittelalters VI 6), Münster 1908; L. COGNET, Crépuscule des mystiques: le conflit Fénelon-Bosssuet, Tour-
nai 1958; voir aussi la prochaine note.
75. De bono communi, p. 3: “expedit vobis ut unus moriatur homo pro populo et non tota gens pereat”. Item
[I Cor. 13.5] dicitur: “Caritas non querit que sua sunt”; ibid., pp. 7-9, 20-21 (exemples de sacrifices
pour la patrie); ibid., pp. 42-43: Ergo homo tenetur preamare commune sibi ... Et ideo est ibi offensa Dei
quem tenemur preamare toti mundo et propter amorem ipsius gaudere de pena inflicta etiam infernali quando-
cumque communi a Deo propter offensam ipsius Dei, iuxta illius Ps. [57.11] “letabitur iustus cum viderit vin-
dictam”. Si autem quantacumque pena posset esse sine culpa, ex virtute amoris ordinati homo deberet potius ip-
sam velle pati cum immunitate communis, quam quod commune suum ipsam incurreret cum immunitate sui, in
quantum est pars communis; cf. DE MATTEIS, cit. dans n. 65, pp. CXXXII-CXXXIII. Ceci est sans doute le
passage le plus souvent invoqué pour démontrer le radicalisme de Girolami; cf. les références dans
n. 65 et J. K. HYDE, Contemporary Views on Faction and Civil Strife in Thirteenth and Fourteenth Centu-
ry Italy, dans L. MARTINES (éd.), Violence and Disorder in Italien Cities 1200-1500, Berkeley 1972, pp.
273-307, ici p. 303. Si on replace ce passage dans la tradition du “pur amour”, négligée par les
études citées, il faut cependant noter la prudence théologique de notre auteur sur la question du sa-
crifice spirituel de soi, dont des solutions extrêmes, telles celles d’Abélard ou de Fénelon, ont été
condamnées par l’Église. La célèbre “supposition impossible” débattue au XVIIe siècle dans la que-
relle du quiétisme et concernant le sacrifice de la béatitude personnelle au nom de l’amour désinté-
ressé de Dieu, a déjà traversée le Moyen Âge, mais sous une forme bien plus mitigée. Elle y est liée
à la tradition exégétique de deux passages de la Bible: Exode 32, 31: Aut dimitte eis hanc noxam, aut
dele me de libro tuo quem scripsisti et de Rom. 9, 3: Optabam ... ego anathema esse a Christo pro fratribus
meis. Girolami s’est appliqué à commenter ces deux lieux classiques dans la lignée des interprétations
modérées des autorités les plus reconnues. La première citation, la prière de Moïse désireux d’être
puni à la place de son peuple idolâtre, est un impossibile dictum quasi “sicut impossibile est ut me deleas,
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sic oro posse fieri quin dimictas” ... quasi “si non deles me, dimicte eis” selon Petrus Comestor, Hist. scolas-
tica, Liber Exodi (PL 168, col. 1190-1191), cité pp. 11-12, et la seconde, le vœux de sacrifier son
propre salut à la conversion du peuple juif, est qualifié d’un “optatif au passé”: ... attende quod “op-
tabam” ait, non “opto”, quia scit talem, idest tam honestum membrum nullo precedente vitio non posse separa-
ri a Christo, tamen affectionem et dilectionem circa eos ostendit, selon Glossa in Rom. IX 3 (dans Biblia cum
glossis, Venetiis 1603, VI, col. 453) cité p. 13. Il ne faudrait pourtant pas déduire de cet emploi du
subjonctif, que Girolami ait voulu mettre de l’eau dans son vin. Ces passages se trouvent dans l’in-
troduction de l’œuvre, qui réunit plusieurs exemples héroïques d’altruisme et d’amour du bien
commun, et non dans le contexte étudié ici (pp. 42-43), qui refuse toute restriction à la règle de
l’amour commandant le sacrifice des biens spirituels à la “commune”. Je remercie Alois Hahn
d’avoir attiré mon attention sur le problème des formes légitimes et illégitimes du désintéressement
ou de l’amour-propre à travers les siècles.
76. Ibid., p. 44. La question scolastique amplement débattue utrum homo naturalis diligat Deum
plus quam semetipsum, sujet principal du livre de ROUSSELOT, cit. dans n. 74 (particulièrement pp. 1-
11), n’est donc pas résolue en termes thomistes, mais augustiniens. Pour Thomas l’amour de soi est
la mesure de tous les amours: quod quanto aliquid est alicui propinquius magis naturaliter amatur (S. Th.
II-II 24, 4; 26.7, Resp.), mais c’est ce même amour naturel qui amène la créature à préférer le Créa-
teur qui est bonum totius universi et omnium partium eius, ce qui explique que secundum hanc naturalem
inclinationem et secundum politicam virtutem, bonus civis mortis periculo se exponit pro bono communi (Quod-
lib. 1 a. 8, cf. S. Th. I 60, 5, Resp. supra, n. 25). Alors que chez Thomas l’exemple politique sert à
illustrer l’axiome métaphysique, l’inverse se produit chez Girolami: la métaphysique sert d’appui à
un impératif politique.
77. De bono comm, p. 43; cf. supra, n. 73; Thomas valorise au contraire l’amour naturel pour les
propinquiores, cf. n. 76; voir aussi sa solution équilibrée du problème d’un conflit entre l’amour des
parents et le bien commun ibid., 31.3 ad 3: parentes omnibus aliis praeferendi nisi nesessitas ex alia par-
te praeponderaret, vel alia conditio, puta communis utilitas Ecclesiae vel reipublicae
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78. De bono comm., p. 5 selon Aristote, Eth. I 1094a; sur le sens restreint de cette définition chez
Thomas voir plus haut (n. 26). Placées dans un contexte purement théologique, ces pensées, il est
vrai, ne s’éloigneraient guère de la doctrine traditionnelle de la caritas ordinata, essentiellement fon-
dée sur la règle de Matth. 22, 37-40, qui établit la priorité absolue de l’amour de Dieu sur celui du
prochain et de soi-même, parce qu’il les inclut tous deux (cf. la synthèse de la tradition d’Augustin
au XVIIe siècle par F. OHLY, Goethes “Ehrfurchten” – ein “ordo caritatis”, dans IDEM, Ausgewählte und
neue Schriften, Stuttgart 1995, pp. 237-310). Mais, malgré quelques ambivalences, le cadre de
l’œuvre montre clairement que cette hiérarchie, en soi parfaitement orthodoxe, est élaborée par Gi-
rolami dans un but politique et au service d’une rhétorique homilétique contre l’égoïsme et la dis-
corde dans les villes-états italiennes.
79. Vauchez, La religion civique, cit. dans n. 64, Introd., p. 3.
80. POST, Ratio cit. dans n. 20, pp. 23-26; IDEM, Studies cit., n. 32, pp. 442-444; cf. plus haut
(n. 45).
81. J. KRYNEN, L’empire du roi. Idées et croyances politiques en France (XIIIe-XVe s.), Paris 1993, pp.
67-80.
82. Cf. POST, Ratio cit. dans n. 20, pp. 75-78; KANTOROWICZ,The King’s Two Bodies cit. dans n.
54, pp. 246-249 et Mourir pour la patrie cit. ibid., pp. 105-141; POST, Studies cit. dans n. 32, pp.
336-344, 446-447 et R. FEENSTRA, Fata iuris Romani. Études d’histoire du droit Leyde 1974, pp. 298-
320 (sur Jean Blanot et Jacques de Révigny).
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83. POST, Studies cit. dans n. 32, pp. 548-556; VON MOOS, Das Öffentliche cit. dans n. 2, pp. 43-46.
84. POST, Ratio cit. dans n. 20, pp. 25-27 cité d’après un Quodlibet alors inédit. Dans la polémique
entre le clergé séculier et les frères mendiants, dont Gérard fut une figure de proue, ces exemples ex-
trêmes d’utilité publique servirent à défendre la supériorité de la vie active sur la vie contemplative;
cf. P. GLORIEUX, Prélats français contre religieux mendiants. Autour de la bulle ‘Ad fructus uberes’ 1281-
90, dans Revue d’histoire de l’Eglise de France II (1925), pp. 309-331, 471-495; P. DE LAGARDE, La nais-
sance de l’esprit laïque au déclin du Moyen Âge, vol. II, Louvain-Paris 1958, pp. 170-185.
85. Cf. W. MAGER, Spätmittelalterliche Wandlungen des politischen Denkens im Spiegel des res publica-
Begriffs, dans MIETHKE-SCHREINER 1994, cit. dans n. 22, pp. 401-412, ici pp. 401-403; HIBST, cit.
dans n. 22, pp. 71-72; A. J. VANDERJAGT, “Qui sa vertu anoblist”. The Concepts of “noblesse” and “cho-
se publicque” in Burgundian Political Thought, Groningue 1981.
86. Par ex. Nicole Oresme, Le livre de Ethiques d’Aristote, Prologue, éd. A. D. MENUT, New York
1940, p. 99; Ptolémée de Lucques, De regimine prinicipum III 4, éd. J. MATHIS, Torino 1924, p. 41; Dan-
te, De monarchia II V; cf. KANTOROWICZ, Mourir pour la patrie cit. dans n. 54, pp. 123-124, 133-139.
87. IDEM, The King’s Two Bodies cit. dans n. 54, pp. 15 et 268-269.
88. Par ex. Ptolémée de Lucques, Determinatio compendiosa de iurisdictione imperii c. 21, éd. M.
KRAMMER, MGH, Fontes iuris germanici antiqui I, pp. 42-44; Dante, De monarchia II 5, 15; Girola-
mi, De bono communi cit. dans n. 65, p. 11; cf. KANTOROWICZ, cit. dans n. 54, pp. 214, 245); DA-
VIS, Ptolomy cit. dans n. 65, p. 34; IDEM, Roman Patriotism and Republican Propaganda, dans Speculum
50 (1975), pp. 411-433.
89. Determinatio, cit. dans n. 88 et De regimine prinicipum III 4, cit. dans n. 86, p. 50; sur sa cri-
tique implicite d’Augustin, parce que celui-ci assimile le patriotisme romain à de l’égoïsme poli-
tique, et le range dans la catégorie des “vertus des païens – vices splendides” (dans De civ Dei V 18)
cf. DAVIS, Ptolemy cit. dans n. 65, p. 33.
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90. Quodlibeta 15 qu. 16, cf. KANTOROWICZ, cit. dans n. 54, pp. 243-244; cf. POST, Ratio cit.
dans n. 20, pp. 87-89.
91. Consilia 3, 264.1: Qui fervore publicae charitatis pro tutela naturalis patriae accensus cruentissimum
eiusdem patriae hostem occidit, non dicitur fratricida, sed pugnans pro patria nuncupatur opus divinum faciens
plenum laudis, si quidem convenit hostiles belvas mactare, et fit sacrificium creatori cf. KANTOROWICZ, cit.
dans n. 54, pp. 245-247; Commentaria in D. 1.3.2: Quanto bonum est communius tanto divinius, cf. VI-
ROLI, cit. dans n. 22, pp. 59-60; c’est d’ailleurs un topos aristotélicien (NE I, 1084 b 10); cf. par ex.
Thomas d’Aquin, Summa contra Gentiles III 24; II Sent. 11, 1, 2; S. Th. I-II 48, 2 ad 3; 97, 4, 1.
92. De cura rei publicae et sorte principantis éd. P. C. MOLHUYSEN, La Haye 1915, pp. 369, 35, 66-
68; cf. BERGES, cit. dans n. 24, pp. 249-266, surtout p. 260; ibid., p. 270 sur l’idée analogue de
Raoul de Presles: la vie contemplative pour Dieu comme forme d’égoïsme faisant tort à la vraie di-
vinité du bien commun.
93. Cf. W. EBERHARD, Kommunalismus und Gemeinnutz im 13 Jahrhundert, dans F. SEIBT (éd.), Ge-
sellschaftsgeschichte, Festschrift K. BOSL, Munich 1988, pp. 271-294; W. SCHULZE, Vom Gemeinnutz zum
Eigennutz. Über den Normenwandel in der ständischen Gesellschaft der Frühen Neuzeit, (Schriften des hist.
Kollegs, Vorträge 13), Munich 1987; R. SAAGE, Politische Utopien der Neuzeit, Darmstadt 1991, pp.
17-68; HIBST, cit. dans n. 22, pp. 75-79, 102-114 (le “bien commun” et l’absolutisme); DERDA,
cit. dans n. 18, pp. 183-212 (Thomas More). A propos de la continuité souvent méconnue de la mé-
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taphysique médiévale du “bien commun” sous l’Ancien Régime cf. tout le livre d’H. MERLIN, cit.
dans n. 35, en particulier pp. 65-68.
94. Pour Machiavel cf. VIROLI, cit. dans n. 22, pp. 238-280; A. RIKLIN, Gemeinwohl und Volks-
souveränität, dans P. KOSLOWSKI (éd.), Das Gemeinwohl zwischen Universalismus und Partikularismus
(Collegium Philosophicum 3), Stuttgart 1999, pp. 75-100, ici pp. 76-79 sur Discorsi I 3, II 2o, III 4,
Principe XII-XIII, XVIII, Tutte le opere, Florence (Sanzoni), pp. 81-82, 176, 249, 275-280, 282; dans
les Istorie fiorentine ibid., p. 696, Machiavel glorifie des citoyens de Florence ayant sacrifié le salut
de leur âme à la patrie. Dans une lettre à Francesco Vettori (16 avril 1527), écrite deux mois avant
sa mort, ibidem, 1250, il confesse préférer la patrie à son âme. – Pour Montaigne cf. J. STAROBINS-
KI, Montaigne et la dénonciation du mensonge, dans O. MARQUARD - K. STIERLE (éd.), Identität (Poetik
und Hermeneutik 8), Munich (1979) 1996, pp. 463-801 et la pénétrante analyse des Essais III 9-10
par MERLIN, cit. dans n. 35, pp. 89-91.
95. Cf. dans ce sens cf. le livre salutairement polémique de J. HEERS, Le Moyen Âge une impostu-
re, Paris 1992, surtout pp. 45-102.
96. Cf. KANTOROWICZ, cit. dans n. 54, pp. 245-246 et les articles de DAVIS, cit. dans n. 65 et
88, avec une critique fondamentale des thèses de H. BARON, The crisis of the early Italian Renaissan-
ce, Princeton 1955-1966. Une laïcisation plus profonde de cette tradition médiévale n’apparaîtra
que chez Machiavel, Guicciardini ou Palmieri. Le topos de la religion civique qui prescrit “d’aimer
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dividualisme attribuable à l’humanisme est celui que prône une petite éli-
te intellectuelle dans la lignée de Pétrarque, qui, par réaction à la “vulga-
rité” des mythes scolastiques du “grand tout social” et contre la propagan-
de communautariste des frères mendiants, vit consciemment en marge de
la société, dans une “anachorèse savante” mêlant le souci de soi religieux
aux études des belles lettres, l’idéal de la Chartreuse à celui de Tusculum97.
La coïncidence chronologique entre ces deux grands courants d’idées op-
posées doit trouver une explication plus satisfaisante, que je chercherais
dans une toute autre direction. Le débat pour ou contre l’individualisme
touche de près à l’enjeu foncièrement ecclésiologique et spirituel de
l’époque: le conflit entre les partisans du concile et ceux de l’absolutisme
pontifical concernant le rôle des simples croyants dans l’Église.
Pour ne pas tomber dans l’anachronisme, il convient, au préalable, de ci-
ter le sociologue Niklas Luhmann, pour qui, avant le XIXe siècle, il n’y
avait pas “d’individu extra-sociétal”98. On ne peut parler de valeurs indi-
viduelles au Moyen Âge sans prendre en compte les différentes commu-
nautés dans lesquelles elles s’intègrent, car, malgré des ressemblances ter-
minologiques et des emprunts mutuels, l’individuel a un tout autre statut
dans le discours de l’Église et dans celui des systèmes politiques. Si, dans
un cas extrême, l’individu peut être absorbé par la “Cité” (religieuse ou
non), l’Église, elle, ne peut le sacrifier sans se priver d’une dernière instan-
ce de sa légitimité99.
C’est que l’Église ne se définit pas d’abord comme institution, mais com-
me la communauté par excellence, la communio sanctorum invisible, formée
par tous les chrétiens morts, présents et à venir, ou, pour citer Yves
Congar100, “le nous des chrétiens, identifié à la Cité de Dieu d’Augustin”.
la patrie plus que son âme” prend alors une tournure manifestement non religieuse; cf. supra, n. 94
et J.-L. FOURNEL - J.-CL. ZANCARINI, La “civiltà” à Florence au temps des guerres d’Italie dans L. BO-
ROT (éd.), Civisme et citoyenneté une longue histoire Montpellier 1999, pp. 51-92, surtout pp. 62-65.
97. Cf. E. KANTOROWICZ, Die Wiederkehr gelehrter Anachorese im Mittelalter (1937), dans IDEM, Se-
lected Studies cit. dans n. 54, pp. 339-351; P. VON MOOS, Les solitudes de Pétrarque. Liberté intellectuel-
le et activisme urbain dans la crise du XIVe siècle, dans ce vol. infra, N° 17. Un article de Gadi ALGA-
ZI fait partie d’un projet de recherche sur l’histoire de l’habitus intellectuel depuis Pétrarque: Ge-
lehrte Zerstreutheit und erlernte Vergeßlichkeit Bemerkungen zu ihrer Rolle bei der Formierung des Gelehrten-
habitus dans P. VON MOOS (éd.), Der Fehltritt. Vergehen und Versehen in der Vormoderne (Norm und Struk-
tur 15), Cologne 2001, pp. 235-250.
98. N. LUHMANN, Gesellschaftsstruktur und Semantik, vol. 3, Francfort 1989, pp. 259-357; Funk-
tion der Religion, ibid. 1977.
99. Ce qui suit dans ce chapitre est une version abrégée de la deuxième partie de ma contribu-
tion allemande Krise und Kritik der Institutionalität, cit. dans n. 57.
100. Y. CONGAR, L’ecclésiologie du haut Moyen Âge, Paris 1968, pp. 64 et 84; cf. également A. AN-
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Chaque membre distinct, de par son destin éternel, représente ce corps mys-
tique, non pas par délégation, mais par identité. À l’opposé d’une apparte-
nance abstraite à une “personne morale ou fictive” – un état, une corpora-
tion, un collège (ce qu’on appelait universitas à la fin du Moyen Âge101) –, il
est cette communauté, il incarne l’Église parce qu’uni au corps du Christ.
Certes, l’Église est également l’église visible, une institution adminis-
trative sur le modèle de n’importe quelle autre organisation sociale, qui re-
présente ses membres par autorité ou mandat. Entre ces deux Églises, l’une
transcendentale et communautaire, l’autre institutionelle et politique, la
tension a toujours existé, du moins depuis Constantin, parce que personne
ne peut appartenir à la seconde sans l’être à la première. Cette tension, la-
tente d’abord, puis de plus en plus apparente vers la fin du Moyen Âge, n’a
jamais été abolie au profit d’une interprétation unilatéralement hiérocra-
tique. Elle éclate au XIIIe siècle, alors que les prétentions papales à la ple-
nitudo potestatis sont à leur apogée, et que les idées de Joachim de Flore sur
l’avènement d’une Église du Saint Esprit se répandent et se mêlent à l’ap-
pel fransciscain d’un retour à l’Église primitive102. Les deux conceptions
du “pouvoir des clés” et de la communauté charismatique s’affrontent alors
dans une dynamique d’intensification mutuelle qui ne connaîtra plus de
repos avant la Réforme, dont ce conflit est d’ailleurs à l’origine.
Il est particulièrement remarquable que la discipline spécialisée sur les
questions institutionelles de l’Église, le droit canon, ait conservé et même
renforcé quelques principes essentiellement charismatiques et personna-
listes, inattendus à l’époque de l’hégémonie papale. C’est principalement
GENENDT, Geschichte der Religiosität im Mittelalter, Darmstadt 1997, pp. 295-350; M. HEINZELMANN,
‘Adel’ und ‘Societas sanctorum’. Soziale Ordnungen und christliches Weltbild von Augustinus bis zu Gregor
von Tours, dans O. G. OEXLE - W. PARAVICINI (éd.), Nobilitas Funktion und Repräsentation des Adels in
Alteuropa, Göttingen 1997, pp. 216-256, ici pp. 223-230; HOFMANN, Repräsentation cit. dans n. 57,
pp. 237-240 et M. T. FUMAGALLI BEONIO BROCCHIERI (éd.), Le due chiese. Progetti di riforma politica-
religiosa nei secoli XII-XV, Milan 1998.
101. Cf. P. MICHAUD-QUANTIN, Universitas. Expressions du mouvement communautaire dans le Moyen
Âge latin, Paris 1970.
102. Cf. M. REEVES, The Influence of Prophecy in the Later Middle Ages. A Study in Joachimism
(1969), Notre Dame-Londres 1993; H. GRUNDMANN, Studien über Joachim von Fiore (1927), Darm-
stadt 1966; H. FELD, Franziskus von Assisi und seine Bewegung, Darmstadt 1994, pp. 486-495; G. G.
MERLO, Eretici ed eresie medievali, Bologna 1989, pp. 119-126 etc. L’opposition entre l’institution ec-
clésiale et la communauté des fidèles va de pair avec l’antagonisme épistémologique, de plus en plus
aigu depuis le XIIIe siècle, du savoir théologique et de l’acte de la foi, du rationalisme scolastique
et du fidéisme individuel, sujet que j’aborde plus amplement dans Krise und Kritik, cit. dans n. 57,
ch. V-VI; cf. aussi le petit article substantiel d’A. Boureau: Foi, dans J. LE GOFF - J.-CL. SCHMITT
(éd.), Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, Paris 1999, pp. 422-434.
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103. Panormitanus, Commentaria in V Decretalium libros, Venetiis 1617; cf. NÖRR, Kirche und
Konzil, cit. dans n. 59, pp. 14-59; B. TIERNEY, Natural Rights, cit. dans n. 56; Church Law and
Constitutional Thought in the Middle Ages, Londres 1979, ch. XIV, et Foundations of the Conciliar Theo-
ry (1955), Leyde 1997.
104. Cf. TIERNEY, Truth, cit. dans n. 59, pp. 69-71; NÖRR, cit. dans n. 59, pp. 19, 104-106,
126-133, 163 s.; HOFMANN, Repräsentation, cit. dans n. 57, pp. 241-245.
105. Cf. B. TIERNEY, Origins of Papal Infallibility, Leyde 1972 et Freedom and the Modern Church,
dans R. W. DAVIS (éd.), The Origins of Modern Freedom in the West, Stanford 1995, pp. 64-81, ici pp.
72-76.
106. Cf. Y. CONGAR, Incidence ecclésiologique d’un thème de dévotion mariale, dans Mélanges de science
religieuse 7 (1950), pp. 277-291; TIERNEY, Foundations, cit. dans n. 103, pp. 41, 44, 204; IDEM, Tru-
th, cit. dans n. 59, p. 69; HOFMANN, cit. dans n. 57, pp. 241-242; NÖRR, cit. dans n. 59, pp. 19,
104-106, qui cite le commentaire inédit du Panormitain sur c. 4 X, I, 6 n. 3, p. 105: ista est illa ec-
clesia quae errare non potest, ... unde possibile est quod vera fides Christi remaneret in uno solo, ita quod ve-
rum est dicere quod fides non deficit in ecclesia, sicut ius universitatis potest residere in uno solo aliis peccanti-
bus ... Hoc patuit post passionem Christi, nam fides remansit dumtaxat in Beata Virgine; quia omnes alii
scandalizati sunt, et tamen Christus ante passionem oraverat pro Petro, ut non deficeret fides sua ... Et forte
hinc dixit ... quod ubi sunt boni, ibi est ecclesia Romana.
107. Guillaume d’Ockham, Dialogus, I 7, 47, éd. M. H. GOLDAST, Monarchia SRomani Imperii,
II (1604), repr. Graz 1960, p. 704; cf. R. E. LERNER, Ecstatic Dissent, dans Speculum 67 (1992), pp.
33-57, ici p. 52, sur François d’Assise comme “autre Élie”. L’intérêt général de la fin du Moyen Âge
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pour les visionnaires et autres personnes charismatiques est étroitement lié au désir d’identifier les
rares vrais fidèles de l’Eglise invisible; cf. A. VAUCHEZ, Prophétesses visionnaires et mystiques en Occident
aux derniers siècles du Moyen Âge, dans B. CHEVALIER - R. SAUZET (éd.), Les réformes: enracinement socio-
culturel, 25e Colloque international d’études humanistes, Tours 1985, pp. 65-72 et IDEM, Les laïcs au
Moyen Âge pratiques et expériences religieuses Paris 1987, pp. 239-291.
108. Cf. TIERNEY, Natural Rights, cit. dans n. 56, pp. 94-97 sur Ockham et la querelle de la pau-
vreté; NÖRR, cit. dans n. 59, pp. 58-59, 106-122 sur la distinction du Panormitain entre la potes-
tas incontestable dans le domaine du droit positif et administratif, et l’exercitium toujours contes-
table en matière de foi; pp. 126-127 sur la doctrine traditionnelle de la faillibilité du pape; pp. 128-
129 sur la vieille tradition du principe: in eo quod papa est hereticus minor est quolibet catholico; pp. 133-
135 sur l’extension de la notion de “pape hérétique” à celle de pape pécheur et scandaleux. (“L’in-
corrigibilité” et le mépris pour le Concile suffisent pour accuser le pape d’hérésie). Voir aussi STRU-
VE, cit. dans n. 23, pp. 251-273 sur des idées analogues de Jean Quidort à propos du conflit entre
Philippe le Bel et Boniface VIII.
109. Cf. B. SCHIMMELPFENNIG, Das Papsttum im hohen Mittelalter eine Institution?, dans G. MEL-
VILLE (éd.), Institutionen und Geschichte, Cologne etc. 1992, pp. 209-230, ici pp. 216-217; NÖRR, cit.
dans n. 59, pp. 129, 134-136.
110. Sur cette question controversée voir NÖRR, cit. dans n. 59, pp. 104-105, 131; HOFMANN,
cit. dans n. 57, pp. 241-248; B. TIERNEY, Religion Law and the Growth of Constitutional Thought,
1150-1650, Cambridge 1982, pp. 48-50; IDEM, Truth cit. dans n. 59, pp. 72-74, 87-89.
111. Cf. NÖRR, cit. dans n. 59, pp. 132-133; TIERNEY, Truth, cit. dans n. 59, pp. 69-70 (Ock-
ham). La séparation de la personne privée du pape et de sa dignité ou charge publique rentre tradi-
tionnellement dans un discours d’humilité chrétienne, opposé à un discours politique triomphalis-
te qui sacralise les “deux corps du roi”; cf. A. BOUREAU, Le simple corps du roi. L’impossible sacralité des
souverains français, XVe-XVIIe siècle, Paris 1988, pp. 43-48; A. PARAVICINI BAGLIANI, Il corpo del papa,
Turin 1994, pp. 5-81.
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112. Cf. J. MIETHKE, Konziliarismus – die neue Doktrin einer neuen Kirchenverfassung, dans I.
HLAVÁCEK - A. PATSCHOVSKY (éd.), Reform von Kirche und Reich zur Zeit der Konzilien von Konstanz und
Basel, Constance 1996, pp. 29-60; D. IOGNA-PRAT, Ordonner et exclure. Cluny et la société chrétienne face
à l’héresie au judaïsme et à l’Islam, 1000-1150, Paris 1998, pp. 164-169; HOFMANN, cit. dans n. 57,
pp. 247-248, 306-313.
113. NÖRR, cit. dans n. 59, pp. 162-164; TIERNEY, Natural Rights, cit. dans n. 56, pp. 221-223.
HOFMANN, cit. dans n. 57, pp. 272-279.
114. Gratien, Decretum II, causa XIX, qu. 2, éd. FRIEDBERG, I, col. 839-840; j’y reviens de façon
plus détaillée à la fin de mon étude Krise und Kritik cit. dans n. 57; cf. TIERNEY, Natural Rights cit.
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s’agit d’un canon qui concerne à l’origine un cas très particulier, mais
s’étend ensuite à l’évaluation générale des rapports entre l’Église spirituel-
le et l’Église institutionelle. Giles Constable, fin connaisseur de la spiri-
tualité du Moyen Âge, estime impossible d’exagérer l’importance histo-
rique d’un principe pourtant peu connu des médiévistes115. Il l’illustre par
de nombreuses citations d’auteurs monastiques, inspirées principalement
par I Tim. 1, 9: “la loi n’est pas faite pour les justes” et son corrolaire dans
le De ordine d’Augustin: “Où règne le bien, point n’est besoin d’ordre”116.
Cette tradition dévotionnelle nous intéresse ici, non pour elle-même,
mais pour son influence sur les textes de juristes et d’administrateurs de
l’Église. Dans le “Décret”, livre fondamental de tout le droit canon, Gra-
tien pose la question suivante: un prêtre ou un chanoine régulier, a-t-il le
droit de quitter sa charge ou sa communauté pour entrer dans un ordre
monastique, contre l’approbation épiscopale? Gratien cite plusieurs auto-
rités qui justifient ou condamnent cette désobéissance, parmi lesquelles un
texte attribué au pape Urbain II est clairement positif: “Il y a deux lois,
l’une publique, l’autre privée. La loi publique contient tout ce que les
saints Pères ont écrit ou confirmé, dont le droit canon. La loi privée est cel-
le, qui, par l’inspiration du Saint Esprit, est écrite dans le cœur”. Suit alors
la formule lapidaire déjà citée, qui se rapporte à l’Epître aux Romains 2,
14-15, sur la loi inscrite dans le cœur, et 2, 17, sur la liberté de l’Esprit de
Dieu, ainsi que la conclusion: “La loi privée est plus digne que la loi pu-
blique”117. Alors que lex publica semble se rapprocher du “droit public”
dans n. 56, pp. 58-69; IDEM, Freedom cit. dans n. 105, pp. 64-82; P. LANDAU, Officium und Libertas
Christiana, (Bayerische Akademie der Wissensch.), Munich 1991, pp. 55-96 (Die “Duae leges” im
kanonischen Recht des 12 Jhs.); IDEM, Reflexionen über Grundrechte der Person in der Geschichte des kanoni-
schen Rechts, dans Theologia et Jus Canonicum, Festgabe H HEINEMANN 1995, pp. 517-535; IDEM, Die
Anfänge der Unterscheidung von ‘ius publicum’ und ‘ius privatum’ in der Geschichte des kanonischen Rechts,
dans MELVILLE-VON MOOS, cit. dans n. 1, pp. 629-638.
115. G. CONSTABLE, The Reformation of the Twelfth Century, Cambridge 1996, pp. 262-318, ici
pp. 262-263.
116. De ordine 2, 1, 2 (CC 29, 1970), pp. 107, 26-27: Ubi omnia bona sunt, ... ordo non est. Est
enim summa aequalitas quae ordinem nihil desiderat. Sa plus célèbre maxime Dilige et quod vis fac (In
Epist Joan V 4 et V 12) rentre dans le même cadre d’idées; cf. G. CONSTABLE, “Love and do what you
will”. The medieval History of an Augustinian Precept (Morton W Bloomfiled Lectures IV), Kalamazoo
1999; J. GALLAY, “Dilige et quod vis fac”. Notes d’éxégèse augustinienne, dans Recherches de science religieuse
45 (1955), pp. 545-555.
117. Loc. cit. dans n. 114, c. XIX qu. 2, c. 2: Duae sunt, inquit, leges: una publica, altera privata.
Publica lex est, que a sanctis Patribus scriptis est confirmata, ut lex est canonum, que quidem propter trans-
gressiones est tradita ... Lex vero privata est, que instinctu S. Spiritus in corde scribitur, sicut de quibusdam
dicit Apostolus: Qui habent legem Dei scriptam in cordibus suis, et alibi: Cum gentes legem non habeant, si na-
turaliter ea que legis sunt faciunt, ipsi sibi sunt lex. Si quis horum in ecclesia sua sub episcopo ... seculariter
vivit, si afflatus Spiritu sancto in aliquo monasterio vel regulari canonica salvare se voluerit, quia lege priva-
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moderne, car le droit canon du Moyen Âge remplit en effet une fonction
comparable118, lex privata n’a rien à voir avec ce que nous appelons “droit
privé”. Il s’agit de l’opposition entre la liberté du chrétien et le droit posi-
tif de l’Église, entre “l’équité” et la lettre de la loi, entre la responsabilité
personnelle et l’institution119. L’autorisation et l’obligation pour chacun de
suivre sa propre conscience sont ainsi confrontées à toutes les prescriptions
et interdictions du droit canon.
En d’autres termes, à la loi écrite est opposée la Loi Naturelle, traditio-
nellement identifiée à la Loi Divine, nécessairement antérieure à toute lé-
gislation ou raison humaine concernant le bien commun. Seul l’individu,
inspiré par le Saint Esprit, peut revendiquer cette Loi. Elle est, de plus, in-
contrôlable, parce qu’elle fait partie des “secrets du cœur” que Dieu seul
peut voir et qui, selon la célèbre maxime ecclesia de occultis non iudicat, sont
indéchiffrables par le Tribunal de l’Église120. L’importance du terme lex
privata se mesure d’ailleurs à l’aune du vocabulaire traditionnel. D’Isidore
au lexique juridique moderne, ce mot désigne habituellement un “privilè-
ge”, ce qui lui confère la connotation plutôt négative d’exception à la
règle121. Par le canon Duae sunt leges, la tradition ecclésiastique s’enrichit
ta ducitur, nulla ratio exigit, ut a publica lege constringatur. Dignior est enim lex privata quam publica ...
quis est, qui possit sancto Spiritui digne resistere? Quisquis igitur hoc Spiritu ducitur, etiam episcopo contra-
dicente, eat liber nostra auctoritate. Iusto enim lex non est posita, sed ubi Spiritus Dei, ibi libertas, et si Spi-
ritu Dei ducimini, non estis sub lege. Sur la question institutionelle de la conversion monastique des
chanoines cf. G. MELVILLE, Zur Abgrenzung zwischen Vita canonica und Vita monastica. Das Übertritts-
problem in kanonistischer Behandlung von Gratian bis Hostiensis, dans Secundum regulam vivere, Festschrift
N. BACKMUND, Windberg 1978, pp. 205-244.
118. MIETHKE, Konziliarismus cit. dans n. 112, p. 40.
119. Sur le rapport entre lex privata, droit naturel et aequitas (“épicie”) voir R. WEIGAND, Die
Naturrechtslehre der Legisten und Dekretisten ... (Münchener theologische Studien Kanon. Abt. 26), Muni-
ch 1967, pp. 130-131, 175-176, 205-206, 232-233.
120. Cf. St. KUTTNER, Ecclesia de occultis non iudicat, dans Acta Congressus iuridici internationalis
Romae 1931, 5 vols., Rome 1935-1937, vol. III, pp. 225-246; P. VON MOOS, Occulta cordis, dans ce
vol. N° 16, pp. 579-610.
121. Isidore, Etym 5.18.1, également cité dans le Décret de Gratien D 3.3 et sous la forme qua-
si lex dans C 25.1. Dict Gratiani pars 2 post c.16: Privilegia namque dicuntur quasi privata legia, eo
quod privatam legem singulis generent. Cf. MÜLLEJANS, cit. dans n. 19, pp. 70-71, 102-103, 125, 142-
143 sur la continuité dans le droit canon du double emploi de lex privata, qui désigne tantôt le “pri-
vilège”, tantôt la “loi de la conscience”. LANDAU, Officium, cit. dans n. 114, p. 72, ne la relève, dans
les textes antérieurs à 1100, que dans son premier sens de privilège, ce qui démontre l’innovation
sémantique du XIIe siècle. À l’époque moderne lex privata se traduit de préférence par “privilège”.
J. H. ZEDLER, dans son Großes vollständiges Universallexikon aller Wissenschaften und Künste, vol. 29,
Halle-Leipzig 1741, col. 589, explique “privilège” par priva lex: “ein Gesetz oder Verordnung, die
einzelne Personen insonderheit betrifft”. “Das Gesetz [wird] entweder gantz oder auch in gewissen
Stücken aufgehoben”. Sur la disparition du sens de “loi de la conscience” dans le droit canon mo-
derne voir n. 137.
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non seulement de l’idée d’un “droit subjectif” avant la lettre, mais aussi
d’une nouvelle valorisation linguistique du concept de privé122.
Le problème concret d’un profès contre la volonté d’un supérieur conti-
nua, il est vrai, d’être débattu parmi les canonistes post-gratiens, d’autant
plus que ce problème rentrait dans le cadre des rivalités aiguës entre
moines et chanoines réguliers. L’authenticité du fameux texte d’Urbain II
a été, non sans raison, contestée. Il aurait été élaboré précisément pour ren-
forcer la position monastique dans ce conflit123. La plupart des canonistes
hésitèrent d’ailleurs à étendre à l’évêque ou au pape ce droit de renonce-
ment à une charge124. Le canon sur la priorité fondamentale du “privé”
dans la religion resta néanmoins en vigueur et donna lieu à des applica-
tions de plus en plus extensives même en dehors du droit canon.
Il ne pouvait pas être absent des discussions de principe sur l’abdication
du pape Célestin V125, et nous avons vu à quel haut niveau théologique
Thomas d’Aquin l’élève pour circonscrire les limites de la “loi humaine” de
l’État126. On ne peut donc soutenir la thèse de certains historiens du droit,
pour qui la lex privata fut marginalisée par l’orthodoxie comme susceptible
de saper les bases de tout ordre institutionnel par une sorte “d’éthique si-
tuationniste”127. Ce risque fut consciemment assumé par l’Église officielle.
Peter Landau montre que le problème particulier de la conversion, à l’ori-
gine de ce canon, entraîne, dès la fin du XIIe siècle, des restrictions crois-
santes de l’autorité et du droit positif, phénomène encore accentué par la
122. C’est ce que démontrent bien les travaux de P. LANDAU cités plus haut, tandis que K. W.
NÖRR, dans un tout récent article, continue à dénier catégoriquement toute origine médiévale au
concept des “droits subjectifs”: Ehe und Ehescheidung aus der Sicht des Rechtsbegriffs: ein historischer Ex-
kurs, dans KOSLOWSKI, Gemeinwohl cit. dans n. 94, pp. 265-290, ici pp. 267, 275. Contre cette opi-
nion cf. aussi la n. 56 sur TIERNEY. – La revalorisation spécifique du concept de “privé” se conçoit
d’autant mieux sur le fond de la sémantique médiévale dominante de cette notion, que j’ai décrite
dans Das Öffentliche (cit. dans n. 2), car celle-ci est profondément négative.
123. Cf. LANDAU, Officium, cit. dans n.114, pp. 74-75, 83, qui suppose plutôt l’origine orale du
concept, peut-être un sermon d’Urbain II.
124. À propos de l’abdication des hauts prélats cf. LANDAU, Anfänge, cit. dans n. 114, pp. 635-
636; POST, Studies, cit. dans n. 32, p. 13; G. CONSTABLE, Three studies in medieval religious thought,
Cambridge 1995, pp. 86-92.
125. Cf. A. PARAVICINI BAGLIANI, Il trono di Pietro. L’universalità del papato da Alessandro III a Bo-
nifacio VIII, Rome 1996, pp. 41-44; P. GOLINELLI, Il papa contadino. Celestino V e il suo tempo, Firen-
ze 1996, pp. 172-175, 239-250.
126. Voir plus haut ch. II.
127. Par ex. WEIGAND, cit. dans n. 119, pp. 130-131; cf. LANDAU, Officium cit. dans n. 114, pp.
60-61 et Grundrechte cit. dans n. 114, pp. 524-525 (avec d’autres références). Voir aussi les re-
marques faites plus loin n. 137 sur le catholicisme posttridentin et moderne qui pourraient expli-
quer cette réticence des historiens à prendre au sérieux une “loi” si éloignée de l’esprit des lois.
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128. LANDAU, Officium cit. dans n. 114, pp. 88-96; IDEM, Die Durchsetzung neuen Rechts im Zei-
talter des klassischen kanonischen Rechts, dans MELVILLE, Institutionen und Geschichte, cit. dans n. 117,
pp. 137-156.
129. Ep 71, (PL 211), col. 369: Nollem Spiritui sancto resistere, nollem Spiritum extinguere, nollem li-
bertatem spiritus impedire. Cf. LANDAU, Officium cit. dans n. 114, pp. 89-90.
130. Summa Decreti (inédit) d’après LANDAU, ibid., pp. 86-87.
131. Dialogus, éd. GOLDAST, cit. dans n. 107, pp. 777-778; cf. LANDAU, Grundrechte, cit. dans
n. 114, pp. 529-531.
132. NÖRR, cit. dans n. 59, pp. 76-79, 129-133.
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vine, puisqu’un inférieur ne peut abolir la loi d’un supérieur”. Mais celle-
ci, lex divina de iure naturali, n’est autre que l’aspect objectif de ce droit
subjectif qu’est la “loi privée”. L’idée est paradoxale mais parfaitement lo-
gique: le plus haut placé dans la hiérarchie de la “loi publique” est im-
puissant contre la “loi privée” de ses inférieurs, qui est également celle de
son supérieur, de Dieu lui-même.
136. La doctrine de la lex privata n’a qu’une influence indirecte sur Luther (à travers son fonde-
ment paulinien): cf. P. LANDAU, Luther und die Tradition der Demokratie, dans H. BUNGERT (éd.),
Martin Luther. Eine Spiritualität und ihre Folgen, Ratisbonne 1983, pp. 89-105 et IDEM, Grundrechte,
cit. dans n. 114, p. 529.
137. Le travail de MICHAUD-QUANTIN, La conscience individuelle, cit. dans n. 15, souligne surtout
cet aspect négatif (pp. 49-53 sur la conscience erronée) dans un souci légitime d’éviter la confusion
anachronique de cette liberté, catégorie objective de la religion, avec le droit subjectif moderne,
qui, lui, inclut le droit à l’erreur, l’hérésie et l’incroyance. Cf. aussi W. J. HOYE, Die Wahrheit des
Irrtums. Das Gewissen als Individualitätsprinzip in der Ethik des Thomas von Aquin, dans AERTSEN-
SPEER, Individuum cit., dans n. 25, pp. 419-435; B. GUGGENBERGER, Das Menschenrecht auf Irrtum.
Anleitung zur Unvollkommenheit, Munich 1987.
138. À quel moment a-t-elle été abolie? Pour A. PROSPERI, Tribunali della coscienza, Turin 1996
c’est probablement au Concile de Trente (pp. 213-214): “La genealogia del mondo moderno radi-
cata nel principio della libertà di coscienza ha sempre visto il contributo cattolico e tridentino sot-
to l’aspetto del rifiuto e della chiusura difensiva. Nel far questo, accoglieva la stessa immagine che
di se stessa aveva dato ufficialmente la Chiesa tridentina, con la sua sdegnata ripulsa del principio
della libertà di coscienza come massima eresia”. J’ai d’abord cru que le canon sur la “loi privée” avait
été sacrifié à cet esprit tridentin, dont PROSPERI tend à accentuer le côté répressif; cf. ma contribu-
13-biencommun 9-09-2005 10:36 Pagina 508
tion à Discussione su Adriano PROSPERI “Tribunali della coscienza” dans Quaderni storici, 102 (1999), pp.
781-795; une plus ample version à la fin du présent volume (N° 19). Il n’en est rien. Je remercie
M. LANDAU de m’avoir indiqué le vrai tournant décisif du Codex Iuris Canonici: ce canon sur la li-
berté de la conscience n’a pas été éliminé avant la réforme du C.I.C. de 1917 (Can. 542.2). J’ajou-
terais que Can. 632 contient même une règle contraire sur le point précis de l’entrée en religion:
Religiosus nequit ad aliam religionem etiam strictiorem transire sine auctoritate Apostolicae Sedis (voir par
contre n. 128 sur maior et arctior religio). Cependant, en cette fin du XXe siècle, il est intéressant de
noter, sinon le retour, au sein de la doctrine catholique officielle, de ce canon, celui du moins du
principe qui l’a inspiré, et ce dans un contexte hautement politique, celui des minorités chrétiennes
dans le monde. En novembre 1999, en Inde, Jean Paul II a promulgué une exhortation “Église en
Asie”, qui invoque “le droit humain fondamental” à la liberté religieuse, au libre choix de la
conscience, ce qui revient à une reconnaissance d’un droit subjectif, qu’on pourrait croire d’origine
essentiellement laïque si l’on ignorait ses antécédents dans le droit canon médiéval. Il est néanmoins
évident qu’au point de vue rhétorique le pape s’appuie moins sur la lex que instinctu S. Spiritus in cor-
de scribitur que sur la Déclaration des Droits de l’Homme, bien que celle-ci implique également le
droit à l’incroyance. On assiste donc à une confluence assez contradictoire, peut-être même ins-
consciente, de courants d’idées anciennes et modernes, qui mériterait d’être élucidée par les socio-
logues de la religion.
139. Natural Rights, cit. dans n. 56, p. 110; pour la fusion antérieure des rhétoriques cf. P. CAM-
MEROSANO (éd.), Le forme della propaganda politica nel due e nel trecento (Coll. de l’École française de Rome
201), Rome 1994.
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140. Le livre monumental de PROSPERI, cit. dans n. 138, montre bien les divers aspects de cette
“purification” de l’Église post-tridentine, à l’origine inspirée par la volonté d’écarter les dangers de
“l’hérésie protestante”, mais s’attaquant également à tous les “mélanges” du profane et du religieux
hérités du Moyen Âge (rituels populaires, superstitions, coutumes vestimentaires du clergé, etc.).
Dans le volume collectif de JUSSEN-KOSLOFSKY, cit. dans n. 5, pourtant consacré à l’évolution sé-
mantique de “réforme” et “réformation” entre 1400 et 1600, le concept de “différenciation fonc-
tionnelle” semble plus ou moins absent, peut-être parce que les auteurs s’intéressent davantage à la
dissolution de différenciations traditionnelles essentiellement “segmentaires” et hiérarchiques, qu’à
l’émergence de nouveaux types d’identité, basés sur l’autonomie des fonctions, tels que la sociologie
moderne les a conceptualisés. Ce point méthodologique mériterait d’être discuté dans un autre cadre.
141. MICHAUD-QUANTIN, La conscience individuelle, cit. dans n. 15, pp. 54-55, résume bien cet-
te théorie parfaitement “scolastique” dans le sens évoqué plus haut: “... l’obéissance à la loi n’entre
en conflit avec la liberté que chez le méchant ...; l’antagonisme entre la liberté individuelle dans
son exercice et les cadres sociaux auxquels elle a le devoir de se soumettre, est déjà par sa seule exis-
tence une déficience et une déviation”.
142. Cf. par ex. SENELLART, cit. dans n. 23, pp. 211-227; VIROLI, cit. dans n. 22, pp. 126-158;
J. MIETHKE, Marsilius von Padua. Die politische Philosophie eines lateinischen Aristotelikers des 14Jhs.,
dans H. BOOCKMANN et al. (éd.), Lebenslehren und Weltentwürfe im Übergang vom Mittelalter zur Neu-
zeit Göttingen 1989, pp. 52-76; BIELEFELDT, cit. dans n. 57, pp. 115-120; STÜRNER, cit. dans n.
23, pp. 202-207. On pourrait objecter que, dans la réalité de l’Ancien Régime, les mélanges de
fonctions ne faisaient pas défaut, que Louis XIV par ex., en tant que “roi très chrétien”, se sentait
encore personnellement responsable de l’unité confessionnelle de son royaume (cf. aussi plus haut
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la fin du Moyen Âge que cette différenciation systémique, dont les consé-
quences ultérieures sont si bien conceptualisées par Niklas Luhmann143.
Il serait hors de propos, ici, d’esquisser cette évolution postmédiévale.
Je concluerai par une citation d’Henri V de Shakespeare144. La veille de la
bataille d’Azincourt, le roi Henri se déguise en simple officier, en “homme
privé”, afin de mieux connaître le moral de sa troupe. Ce rôle lui fait com-
prendre que le roi, ses charges et “cérémonies” mises à part, “n’est qu’un
homme, un homme nu”, comme il s’en plaint par la suite. Henri entend
ses gens d’arme évoquer sa responsabilité devant Dieu pour la vie de
chaque soldat, pour celle du corps autant que pour celle de l’âme, puisque
tous risquent une mort sans confession. Pour encourager ses soldats le roi
se sert d’un aphorisme qui résume à merveille tout ce que nous avons dit
sur la séparation du politique et du religieux, de la charge publique et de
la conscience privée, ainsi que de l’autonomie rassurante des secteurs et
discours respectifs: “Every subject’s duty is the king’s; but every subject’s
soul is his own”.
n. 35 et 93); mais la recherche fondamentale ne peut éviter quelques simplifications, quand il s’agit
de relever une tendance dominante. Pour plus de précision voir la fine analyse des limites nationales
du concept de la différenciation fonctionnelle par A. HAHN, Identité et nation en Europe, dans Sociétés
61.3 (1998), pp. 39-52.
143. Voir la n. 98 ainsi que le numéro spécial La différenciation de la revue Sociétés cité dans la
note précédente; cf. H. SCHILLING, “Vita religiosa” des Spätmittelalters und frühneuzeitliche Differenzie-
rung der “christianitas”. Beobachtungen zu Wegen und Früchten eines Gesprächs zwischen Spätmittelalter-
und Frühneuzeithistorikern, dans “Vita Religiosa” im Mittelalter. Festschrift für Kaspar ELM, Berlin 1999,
pp. 785-798; A. HAHN, Religion und Welt in der französischen Gegenreformation, dans D. BAECKER et
al. (éd.),Theorie als Passion (Festschrift N. LUHMANN), Francfort 1987, pp. 84-106; IDEM, Religion, Sä-
kularisierung und Kultur; dans H. LEHMANN, Säkularisierung, Dechristianisierung, Rechristianisierung im
neuzeitlichen Europa, Göttingen 1997, pp. 16-31; VON MOOS, “Tribunali” cit. dans n. 118. En insis-
tant sur les prémisses médiévales de la séparation de public et privé, je ne prétends pas nier l’in-
fluence capitale des guerres de religion sur la scission de ces concepts. Celles-ci ont accéléré une dis-
tinction entre raison d’État et conscience religieuse, elle-même à l’origine de celle entre État et so-
ciété civile (cf. MERLIN, cit. dans n. 35, pp. 52-57; KOERBER, cit. dans n. 3, pp. 4-14). Les disputes
de la fin du Moyen Âge sur l’autonomie de l’Église et du Prince anticipent, du moins théorique-
ment, la décomposition du “corps mystique et politique” médiéval (cf. n. 60 sur Gerson).
144. King Henry V, act IV, sc. 1.
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Selon l’un des préceptes les plus élémentaires de la rhétorique, celui qui
veut prendre la parole doit d’abord se justifier; il doit s’identifier à son pu-
blic et s’adapter à son horizon. Il y parvient en proposant une opinion ac-
ceptée et reconnue par tous, de préférence une opinion courante ou “res-
pectable”. C’est ce qu’Aristote nomme endoxon1. J’en prendrai un exemple
actuel qui exprime bel et bien une conviction répandue aujourd’hui, du
moins parmi les intellectuels, les linguistes et les sémiologues, et pourtant
contredit totalement le motif profond qui amène Aristote à valoriser
“l’opinion généralement approuvée”.
* Version remaniée de l’article paru pour la première fois dans Lieux communs, topoï, stéréoptypes,
clichés, (Actes du Colloque intern., Université Lumière Lyon 2, Mai 1992) éd. Ch. PLANTIN, Éd.
Kimé 1994, pp. 3-16.
1. Topiques I 1, 100 a 18; 100b 21-23.
2. La Leçon, Paris, Éd. du Seuil 1978, pp. 14-21.
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les médias. Je dirais même que cette boutade est devenue un poncif bana-
lisant le sens précis des mots. Ce qui ne manque pas d’ironie, puisque
Barthes, pour combattre ce piège topique, recommande deux moyens qui
contournent la langue, qui trichent avec elle, à savoir la littérature et la sé-
miologie. Il le dit très clairement3: “Le Texte contient en lui la force de fuir
infiniment la parole grégaire; ... il repousse toujours plus loin, ... ailleurs,
vers un lieu inclassé, atopique, si l’on peut dire, loin des topoï de la cultu-
re politisée, ‘cette contrainte à former des concepts, des espèces, des
formes, des fins, des lois ... ce monde des cas identiques’ dont parle
Nietzsche, il soulève cette chape de généralité, d’in-différence (séparons
bien le préfixe du radical) qui pèse sur le discours collectif”. Or Barthes
était trop fin connaisseur de la rhétorique ancienne4 pour ne pas avoir vou-
lu faire allusion à l’antagonisme radical qui sépare l’idéal moderne de la
différence individuelle et le présupposé optimiste d’une autre culture, ci-
vique et rhétorique, qui fait confiance au consensus, au “discours collectif”.
Plaçons-nous maintenant sur un tout autre terrain, celui d’un passé mil-
lénaire, de fait dominé par le paradigme de l’endoxon, bien qu’en droit (ou
en théorie) la dignité du “sens commun” soit loin d’être généralement re-
connue. Héritage conceptuel des sophistes grecs, l’endoxon a pourtant tou-
jours été contesté depuis Platon par une forte tradition philosophique11, à
laquelle on pourrait être tenté de relier la réflexion de Barthes sur la Ter-
reur de l’opinion publique, si ce n’était là qu’un anachronisme facile. La ré-
volte actuelle contre le stéréotype, toute subjectiviste, empiriste ou esthé-
8. Jürgen HABERMAS, Die Neue Unübersichtlichkeit, Francfort, Ed. Suhrkamp 1321, 1985, pp.
141-166. – Cf. AMOSSY, op. cit., pp. 25-26 suivant Walter LIPPMANN, Public Opinion, New York,
Penguin Books 1922, réimpr. Pelican Books 1946, p. 62 sur ce filtrage du réel.
9. Cf. Regina PODLEWSKI, Rhetorik als pragmatisches System, Hildesheim, Olms 1982, pp. 112-
115, sur cette fonction communicatrice dans la rhétorique délibérative. À propos de discours sur la
mort, j’analyse quelques exemples de clichés rassurants par leur “banalité” même: Consolatio, Stu-
dien zur mittellatainischen Trostliteratur ..., Münstersche Mittelalterschriften III 1-4, Münich, Fink
1971-1972, vol. I, pp. 33-38.
10. Harvard, Knopf 1974; trad.: Les tyrannies de l’intimité, Paris, Éd. du Seuil 1979; voir aussi
Jürgen HABERMAS, Strukturwandel der Oeffentlichkeit, Neuwied-Berlin, Luchterhand 1962, pp. 172-
216.
11. Cf. Lothar BORNSCHEUER, Topik, Zur Struktur der gesellschaftlichen Einbildungskraft, Francfort,
Suhrkamp 1976; Klaus OEHLER, “Der Consensus omnium als Kriterium der Wahrheit in der anti-
ken Philosophie und in der Patristik”, Antike und Abendland 10 (1961), pp. 103-129; Ruth SCHIAN,
“Untersuchungen über das argumentum e consensu omnium”, Munich (Spudasmata 28) 1973; Helmut
SCHANZE - Josef KOPPERSCHMIDT (éd.), Rhetorik und Philosophie, Munich, Fink 1989.
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12. De ordine II, 19.51 éd. Corpus Christianorum 29, p. 135: ... quid loquamur? Cotidiana verba oc-
currunt et sordidata sunt omnia vilissimis rebus.
13. Cf. G.-H. ALLARD, “Arts libéraux et langage chez saint Augustin”, Arts libéraux et philoso-
phie au Moyen Âge, Actes du IVe congrès intern. de philosophie médiévale, Paris-Montréal, Vrin 1969, pp.
481-492, surtout sur Confessiones IV 2 et 15; VII 2; XI 22; De ordine II 14.39-16.44, 19.51.
14. Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Le Seuil 1975, p. 177.
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des choses. Ce n’est pas une crise d’originalité, c’est une crise de significa-
tion, et, à travers l’échec même, cette crise confirme plutôt qu’elle ne nie
l’aspiration philosophique à une entente commune dans le Logos. Si
Barthes désespère d’exprimer le particulier, l’irremplaçable, le concret, Au-
gustin désespère de dire le général, l’éternel, l’Un.
15. Cf. G. E. L. OWEN (éd.), Aristotle on Dialectic: The Topics, Oxford 1968; L. BORNSCHEUER, op.
cit. (n. 11); IDEM, “Topik” dans Reallexikon der deutschen Literaturgeschichte, vol. 4 (1981), pp. 455-
475; W. A. DE PATER, S.C.J., Les topiques d’Aristote et la dialectique platoniciennne, Fribourg (Études
Thomistiques 10) 1965; Eugene E. Ryan, Aristotle’s Theory of Rhetorical Argumentation, Montréal
1984; L.-M. Régis, L’opinion selon Aristote, Paris-Ottawa (Vrin) 1935; Peter VON MOOS, “Was allen
oder den meisten oder den Sachkundigen richtig scheint”, Über das Fortleben des ‘endoxon ‘ im Mit-
telalter, Historia Philosophiae Medii Aevi, Festschrift für Kurt Flasch, éd. B. MOJSISCH - O. PLUTA, Am-
sterdam, Grüner 1992, vol. II, pp. 711-744.
16. DE PATER, op. cit., p. 67: “... il a dématérialisé, ‘déniaisé’ les lieux”.
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de tous temps, peut-être parce qu’elle semblait aller de soi ou qu’elle gê-
nait à cause de l’estime accordé au “common sense”, antipode de toute phi-
losophie qui se respecte17. En voici la définition, telle qu’elle se trouve au
début des “Topiques”, traité consacré à la dialectique18: “C’est ce qui pa-
raît (on peut compléter: ce qui paraît manifeste, vrai, respectable) soit à
tous, soit à la plupart, soit aux sages; et parmi ceux-ci, soit à tous, soit à la
plupart, soit aux plus célèbres et aux plus respectables”. (Ce dernier adjec-
tif substantivé est la traduction d’endoxoi. Ce qui est à définir revient ainsi
curieusement comme une propriété à l’intérieur de cette définition. Celle-
ci n’est pourtant pas imprécise si l’on considère l’homonymie du mot, qui
fait le lien entre le sens logique et le sens moral: l’opinion des sages est res-
pectable ou plausible, parce qu’ils sont eux-mêmes respectables, c’est-à-
dire “dignes de foi”19).
Les endoxa sont donc des opinions suffisamment acceptables (le contrai-
re positif des adoxa et paradoxa, opinions honteuses ou problématiques) et
ils reposent sur un consensus général ou du moins représentatif. Ils sont le
matériau de la méthode dialectique qui consiste à former des arguments
sur tous les problèmes proposés. (Ajoutons: a fortiori ils le sont aussi de la
rhétorique, qui est une sorte de dialectique appliquée aux trois genres du
discours public). Aristote insiste plusieurs fois sur leur différence avec les
principes vrais et prouvés des sciences spéciales, dont se sert la méthode
analytique ou apodictique. Nous en retenons surtout le parallèle entre les
endoxa “probables” et les principes “nécessaires”: leur “dignité”, comme on
le dira au Moyen Âge; ce sont les derniers fondements valables des deux
seuls chemins de l’argumentation, soit dialectique soit scientifique (si on
laisse de côté le troisième, sophistique ou éristique, qui n’est pas valable).
Dans la formule, le pemier garant de l’endoxon, pasin, “tous” est souvent
traduit par “tous les hommes”, ce qui peut conduire à l’extension à “l’hu-
17. Cf. Francis JACQUES: “Paradoxies sur le sens commun”, dans Gilbert VARFET et al. (éd.), La
communication, Actes du XVe congrès de l’ass. des Sociétés de Philosophie de langue française, Montréal 1971,
pp. 114-117: “Le sens commun, ce fut longtemps l’anti-philosophie”. Voir aussi J. KOPPERSCH-
MIDT, “Philosophie und Rhetorik – das Ende einer Konfliktbeziehung”, dans Philosophie und Rheto-
rik, op. cit. (n. 11), pp. 341-364.
18. Aristoteles latinus, V 1-3, Topica, ed. L. MINIO-PALUELLO, Bruxelles-Paris 1969, 5.18-6.1
(Top. I 1, 100 a 18; 100b 21-23): probabilia autem quae videntur omnibus aut pluribus aut sapientibus,
et his vel omnibus vel pluribus vel maxime notis et probabilibus.
19. Cf. DE PATER, op. cit. (n. 15), pp. 75-80; Th. DEMAN, “Probabilis”, Rev. des sciences philos. et
théologiques 23 (1933), pp. 260-290; A. GARDEIL, La “Certitude probable”, Rev. des sciences philos. et
théologiques 5 (1911), pp. 237-266, 441-757.
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20. Cf. la remarque critique de BORNSCHEUER, op. cit. (n. 11), p. 223, contre l’interprétation de
K. OEHLER, op. cit. (n. 11), pp. 105-106.
21. Rhétorique I, 1383 a 9.
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22. Ibid. II, 1398b 6-10; cf. RYAN, op. cit. (n. 15), p. 101.
23. Ibid., 1398b 21-26; cf. BORNSCHEUER, op. cit. (n. 11), pp. 46-50.
24. De differentiis topicis I, MIGNE PL 64, col. 1180 C-D.
25. Dans la tradition rhétorique latine concernant les genera causarum, le mot grec endoxon est
rendu par honestum: Rhet. ad Herennium I.5; Cicéron, De inventione I.20. Cf. DEMAN, loc. cit. (n. 19),
pp. 260-262.
26. Cf. G. R. EVANS, “Probabilis and Proving”, Archivum Latinitatis Medii Aevi, Bulletin Du Can-
ge 42 (1979, paru en1982), pp. 138-140.
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Mais, si les opinions valables peuvent en effet être vraies, elles ne doivent
pas nécessairement l’être. L’endoxon n’est pas défini par une quelconque qua-
lité noétique mais par sa seule fonction, qui est de créer l’adhésion raison-
nable d’un partenaire au dialogue dialectique, d’un public au discours rhé-
torique, grâce au crédit qui lui est généralement accordé. Il est par défini-
tion au-delà du vrai et du faux, puisqu’il suffit qu’il soit accepté. Il a valeur
sociale. Dans la preuve analytique au contraire, c’est la vérité qui compte et
elle restera éternellement ce qu’elle est, même si par hasard elle ne trouve
pas l’adhésion d’un sujet borné ou incompétent29. À la lumière de l’œuvre
entière du philosophe, en particulier des traités concernant l’éthique et la
politique, il faut pourtant se garder de tirer des conclusions cyniques ou re-
lativistes de cette indifférence foncière de l’endoxon vis-à-vis de la vérité.
Aristote a une vision optimiste du progrès possible de la connaissance hu-
maine; l’homme selon lui “est capable de vérité”. Commentant une idée
d’Hésiode: “Nulle réputation ne meurt toute entière quand nombreux sont
ceux qui l’ont proclamée”, il écrit: “Soutenir ... que l’objet qui excite le dé-
sir de tous les êtres n’est pas un bien, ce n’est rien dire de sérieux, car ce que
tout le monde pense doit selon nous être vrai, et celui qui repousse cette
croyance ne peut rien lui substituer qui soit plus croyable qu’elle”30. En va-
27. GARDEIL, op. cit. (n. 19), pp. 257-258 souligne qu’il n’est qu’approuvable, donc uniquement
appouvé de fait.
28. Op. cit. (n. 15), p. 76. Concernant la fréquence selon Aristote, Rhet. 1357a 24-25 cf. RYAN,
op. cit. (n. 15), pp. 64-65; chez Thomas cf. GARDEIL, op. cit. (n. 19), pp. 240-245 et DEMAN, op. cit.
(n. 19), pp. 271-274; chez les juristes médiévaux cf. Alessandro GIULIANI, Il concetto di prova, contri-
buto alla logica giuridica, Milan, Giuffrè 1961, pp. 153-158, 233-235.
29. Topique 100 b 2; Analytiques pr. 24a 22f.; cf. Hermann THROM, Die Thesis, Paderborn 1932,
pp. 22-23.
30. Eth. Nic. VII 14, 1135 b 27 et X 2, 1172 b 38; cf. RÉGIS, op. cit. (n. 15), pp. 137-139 ain-
si que SCHIAN, op. cit. (n. 11), pp. 95-101 sur Rhét. I 1355 a 15-18; De Pater, op. cit. (n. 15), pp.
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76-77 sur Eth. Nic. VI 12, 1143 b 12-14; OEHLER, op. cit. (n. 11), pp. 106-107 sur Métaphys. 993a
30-b 19.
31. Somme théologique IIa IIae, q. 70, art. 2, resp.; cf. RÉGIS, op. cit. (n.15), pp. 198-200. Deman,
op. cit. (n. 19), pp. 268-271, 282-287, donne plusieurs curieux exemples de problèmes de morale,
de droit et même de théologie, résolus par des rationes satis probabiles.
32. Eth. Nic. I 3, 1094 b 23 ss., rapprochement déjà fait par rapport à la fameuse devise de Karl
POPPER dans l’excellent article de Jozef A. R. KEMPER: “Topik in der antiken rhetorischen Techne”,
dans Topik, éd. D. BREUER - H. SCHANZE, Munich, Fink 1981, pp. 17-32, p. 32; cf. aussi DEMAN,
op. cit. (n. 19), pp. 271-274; GARDEIL, op. cit. (n. 19), pp. 245-251.
33. Cf. RYAN, op. cit. (n. 15), pp. 40-41; RÉGIS, op. cit. (n. 15), pp. 145-147; DE PATER, op. cit.
(n. 15), pp. 118-122.
34. Cf. GARDEIL, op. cit. (n. 19), p. 754.
35. Victorinus, Commentum in Ciceronis Rhetoricam, ed. C. Halm, Rhetores latini minores, Leipzig
1863, 234.33 s.: Probabili itaque solo omnis fides nititur ... Probabile autem per se ipsum non potest defini-
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ri neque in praeceptum quoddam exprimi, sed probabile est argumentum pro moribus patriae, populi, temporis.
Neque enim omnibus unum atque idem probabile est; illud enim iustum Romanis, aliud barbaris videtur.
36. Peter VON MOOS, Geschichte als Topik, Das rhetorische Exemplum von der Antike zur Neuzeit und
die “historiae” im Policraticus Johanns von Salisbury, Hildesheim, Olms 1988 (v. index s.l. “Endoxa”);
et surtout “Was allen ...”, op. cit. (n. 15) [Pour les travaux ultérieurs cf. la bibliogr. N° 65-67, et
dans ce volume, infra, N° 15].
37. Cf. Tullio GREGORY, “Forme di conoscenza e ideali di sapere nella cultura medievale”, Ar-
chives internales d’Histoire des sciences 38 (1988), pp. 189-242.
38. VON MOOS, “Was allen ...”, op. cit. (n. 15), pp. 722-732, 739-744. Cf. Eleonore STUMP, Boe-
thius’s ‘De differentiis topicis’, Ithaca-London 1978, EADEM, “Boethius’ Theory of Topics and its Pla-
ce in Early Scholastic Logic”, dans L. OBERTELLO (éd.), Congresso internazionale di studi Boeziani, Atti,
Rome 1981, pp. 249-262; EADEM, “Topics: their development and absorption into consequences”,
dans N. KRETZMANN et al. (éd.), The Cambridge History of Later Medieval Philosophy 1000-1600,
Cambridge 1982, pp. 273-299; Niels J. GREEN-PEDERSEN, The Tradition of the Topics in the Middle
Ages, The Commentaries on Aristotle’s and Boethius’ Topics, Munich-Vienne, Philosophia Verlag 1984;
O. BIRD, “The Tradition of the Logical Topics: Aristotle to Ockham”, Journal of the History of Ideas
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Cette étude mériterait d’être étendue à la fin du Moyen Âge, où, après
l’échec définitif de la théologie comme “science (du nécessaire et du géné-
ral)”, une nouvelle philosophie du concret acceptant l’expérience du sin-
gulier tourne une page de l’histoire du penser et du sentir45. Pour être bref,
23 (1963) pp. 307-323; O. LEWRY, O.P., “Boethian Logic in the Medieval West”, dans M. GIBSON
(éd.), Boethius, His Life, Thought and Influence, Oxford 1981, pp. 90-134; G. R. EVANS, “Communis
animi conceptio, The Self-evident Statement”, Archivum Latinitatis Medii Aevi, Bulletin Du Cange 41
(1977-1978), pp. 123-126.
39. VON MOOS, “Was allen ...”, op. cit. (n. 15), pp. 736-739; cf. Giulio D’ONOFRIO, “Fons scien-
tiae”, La dialettica nell’Occidente tardo-antico, Naples 1986, pp. 61-68.
40. ‘Logica ingredientibus’, Super topica glossae, dans M. DAL PRÀ, Pietro Abelardo, Scritti di logi-
ca, Florence 1969, pp. 204-330, surtout pp. 306 ss.; cf. M. T. BEONIO-BROCCHIERI FUMAGALLI,
“Note per un indagine sul concetto di retorica in Abelardo”, dans Arts libéraux et Philosophie ..., op.
cit. (n. 13), pp. 829-833.
41. VON MOOS, Geschichte ..., op. cit. (n. 36), pp. 238-308; cf. Hanna-Barbara GERL, Rhetorik und
Philosophie im Mittelalter, dans Rhetorik und Philosophie, op. cit. (n. 15), pp. 99-119.
42. Metalogicon III 10, éd. J. B. HALL, Corpus Christianorum, Cont. med. 93, Turnhout, Brepols
1991, p. 139, l. 270-271.
43. Cf. ibid., II 11, p. 73, l. 5 et VON MOOS, Geschichte ..., op. cit. (n.36), pp. 291-294.
44. Cf. VON MOOS, Geschichte ..., op. cit. (n. 36), pp. 1-5; GIULIANI, Il concetto di prova ..., op. cit.
(n. 28), pp. 116-119, 231-237; IDEM, “L’elemento ‘giuridico’ nella logica medioevale”, Jus 15
(1964), pp. 163-190; Gerhard OTTE, Dialektik und Jurisprudenz, Untersuchungen zur Methode der Glos-
satoren, Francfort, Ius Commune (no spécial 1) 1971, pp.186-188, 223-225; E. M. MEYERS, “Le
conflit entre l’équité et la loi chez les premiers glossateurs”, Rev. d’hist. du Droit, Tijdschrift voor
Rechtsgeschiedenis 17 (1941), pp. 117-135.
45. Cf. GREGORY, op. cit. (n. 37); Kurt FLASCH, “Wozu erforschen wir die Philosophie des Mit-
telalters?”, dans Die Gegenwart Ockhams, éd. W. VOSSENKUHL - R. SCHÖNBERGER, Weinheim, VCH
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Tout cela, il faut le dire, ne concerne que l’histoire des idées, histoire ex-
trêmement minoritaire ou “élitiste”, chose ironique s’agissant d’un
concept fondé sur la raison du plus grand nombre et, en outre, si parfaite-
ment ouvert à l’histoire des mentalités. (Qu’est-ce qu’il y a de plus histo-
riquement conditionné que “ce que tout le monde tient pour vrai”, ce qui
va de soi? Dans le registre culturel du symbolique, l’opinion publique mé-
rite la première place, bien avant les habitudes du quotidien, les goûts, les
modes vestimentaires, etc.). C’est pourquoi je ne voudrais pas terminer ces
prolégomènes sans présenter au moins un exemple concret de ce que l’en-
doxon – entendu non comme idée philosophique, mais comme besoin an-
thropologique – signifie à une époque théoriquement si éloignée du para-
digme consensuel qu’est le Moyen Âge. Dans la Règle de St. Benoît nous
trouvons un curieux écho de la gradation aristotélicienne: “tous, la plupart,
les sages”, provenant probablement du droit romain. Il s’agit du chapitre
64 sur l’élection de l’abbé, dont on a décelé le parallèle (d’un impact poli-
tique considérable) avec toute sorte d’autres élections, celle des évèques,
des rois, des empereurs, et même des papes. Nous y lisons ceci46:
1990, pp. 393-409; Eugenio GARIN, “La dialettica dal scecolo XII ai principi dell’età moderna”,
Rivista di filosofia (1958), pp. 228-253.
46. Benedicti Regula c. 64 , éd. Sources chrétiennes 183, 1972, p. 648: In abbatis ordinatione illa
semper consideretur ratio, ut hic constituatur quem sibi omnis concors congregatio secundum timorem Dei, sive
etiam pars quamvis parva congregationis saniore consilio elegerit. Vitae autem merito et sapientiae doctrina ele-
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Dans l’ordination de l’abbé, on prendra toujours pour règle d’instituer celui que se sera
choisi soit toute la communauté unanime dans la crainte de Dieu, soit encore une partie
de la communauté, si petite soit-elle, en vertu d’un jugement plus sain ... Si même tou-
te la communauté choisissait d’un commun accord une personne complice de ses vices –
a Dieu ne plaise! –, et que ces vices viennent à la connaissance de l’évêque ... et des abbés
ou des chrétiens du voisinage, ils empêcheront l’accord des méchants de l’emporter, et ils
institueront ... un administrateur digne de la maison de Dieu.
gatur, qui ordinandus est, etiam si ultimus fuerit in ordine congregationis. Quod si etiam omnis congregatio vi-
tiis suis – quod quidem absit! – consentientem personam pari consilio elegerit et vitia ipsa aliquatenus in no-
titia episcopi ..., vel ad abbates aut christianos vicinos claruerint, prohibeant pravorum praevalere consensum,
sed domui Dei dignum constituant dispensatorem ...
47. “Pars quamvis parva, Zur Abtwahl nach Benedikts Regel”, dans Festschrift Percy Ernst
Schramm, Wiesbaden, Steiner 1964, pp. 237-251.
48. DE PATER, op. cit. (n. 15), p. 76.
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* Texte retravaillé d’une conférence présentée au congrès “The Medieval Senses” (à Stanford du
30 novembre au 2 décembre 2000), et publié pour la première fois dans Studi medievali, 43, 1
(2002), pp. 1-58.
1. DIHLE, Vom gesunden Menschenverstand. (Voir la bibliographie pour les titres souvent cités).
2. GADAMER, Wahrheit und Methode, pp. 24-47 (Sensus communis); cf. également le numéro spécial
de la Revue de métaphysique et de morale 96.4, 1991: Le sensible – Transformations du sens commun d’Aris-
tote à Reid; DEWENDER et al., Sensus communis.
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le bon sens est l’attention même, orientée dans le sens de la vie»6. Bergson
prend soin d’exclure du terme une ambiguïté souvent critiquée. Ce qu’il
entend par bon sens n’est pas la «voix du peuple» ou «le gros bon sens» du
juste milieu, mais la justesse individuelle de «l’homme juste». Il n’aurait
pas, comme Kant7, traduit gesunder Menschenverstand par «jugement préten-
dument sain de l’homme vulgaire», mais par jugement de l’homme sain ou
sensé. En éclaircissant ainsi la valeur morale du «bon sens», il obscurcit in-
évitablement la dimension collective de «sens commun».
Un troisième exemple, plus proche de nous, transcende cette alternati-
ve. C’est celui qui me semble le plus profondément lier la sémantique du
sensus communis psychologique à celle du «common sense» pratique, et
même à celle du «sens politique»8. Hannah Arendt donne une dimension
ontologique à la définition de Thomas d’Aquin9: sensus communis radix et
principium exteriorum sensuum. Ce sens, source et principe des cinq autres, est
pour elle «le sens du réel», la confiance en la réalité de l’objet, perçu par
d’autres sous des perspectives certes différentes, mais sans contestation de
son identité réelle. À la distinction kantienne entre «sens commun» (Ge-
meinsinn) et «sens privé» (Privatsinn), elle associe une maxime dérivée de
«l’impératif catégorique» qui prescrit de «peser son propre jugement sur
la balance de la raison collective de l’humanité»10. Arendt conclut que les
perceptions des cinq sens sont d’ordre privé, subjectif, et donc incommu-
nicables. Pour les élever vers «le monde commun», tant vers celui de l’en-
semble de nos différents sens que vers celui que nous partageons avec les
autres, nous avons besoin d’un «sens commun» universel et normatif, res-
6. Cf. VON MOOS, Attentio est quaedam sollicitudo, pp. 91-105. Lors de la rédaction de cet article
je ne connaissais pas encore ce passage sur «l’attention au moment présent». Il aurait mérité d’y
trouver sa place, car il correspond parfaitement aux idées de Pierre HADOT sur les «exercices spiri-
tuels», dont je suis parti. Bachelard et Jankélévitch, que je cite, se sont d’ailleurs surtout inspirés
de Bergson.
7. Prolegomena zu einer jeden künftigen Metaphysik, Werke, ed. W. WEISCHEDEL, vol. 5, Francfort
1977, p. 117. Le problème est déjà ancien. Dans son analyse de la notion communis animi conceptio
chez Boèce, notion très répandue au Moyen Âge, TUNINETTI (‘Per se notum’, p. 51) propose la tra-
duction «conception commune [de l’âme]», bien que l’origine stoïcienne de la formule impose plu-
tôt: «conception d’une âme commune».
8. Hannah ARENDT, The Life of the Mind, vol. I, Thinking, New York 1971, ch. I, 7.
9. Summa theol. I 78, 4 ad 1.
10. Cf. Immanuel KANT, Kritik der Urteilskraft, § 39-40, Werke, ed. W. WEISCHEDEL, vol. 10;
Anthropologie in praktischer Hinsicht, ibid., vol. 7, p. 219: «Das einzige allgemeine Merkmal der
Verrücktheit ist der Verlust des Gemeinsinns (sensus communis) und der dagegen eintretende logische
Eigensinn (sensus privatus)». Cf. Onora O’NEILL, Constructions of Reason. Explorations of Kant’s Practi-
cal Philosophy, Cambridge 1989, pp. 44-50.
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11. Cf. par ex. Collected Papers, ed. Ch. HARTSHORNE - P. WEISS, Cambridge Mass. 1960, §§ 5.
311, 356, 402-410; 8. 11-15, 113. Il serait intéressant de chercher les antécédents de cette image,
à la fois moderniste et traditionaliste, dans la conception de la «République des Lettres», sorte
d’église laïque invisible.
12. Cf. Theo KOBUSCH, dans son introduction au volume collectif Philosophen des Mittelalters,
Darmstadt 2000, pp. 1-17 sur l’aspect instituitonnel de cette compartimentation.
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l’on n’exclue pas les textes non-scolastiques et si l’on ne s’en tient pas seu-
lement aux mots, mais aussi aux synonymes et champs sémantiques, on
perçoit vite le sens plus large de sensus communis au Moyen Âge. Son origi-
ne romaine le prédestinait à devenir le terme le plus usuel pour désigner
les opinions, idées, jugements, conceptions, partagés par plusieurs per-
sonnes ou par une communauté, ce qui explique sa synonymie avec sensus
publicus13. Au-delà de ces évidences linguistiques une question plus déli-
cate se pose: est-ce que, dans les textes médiévaux, les doctrines consacrées
à l’un des signifiants de «sens commun» prennent l’autre en considération?
Est-ce que le discours de la perception permet de décrypter également les
résonances du discours communautaire et le discours communautaire
celles de la perception? Je tâcherai d’y répondre en distinguant d’abord ra-
pidement deux théories de l’Antiquité, celle de la connaissance sensorielle
(I) et celle de l’opinion générale (II), et j’aborderai ensuite, séparément, les
différences et transformations de ces notions dans un christianisme qui les
applique à des valeurs spirituelles telles que la certitude de la foi, l’unani-
mité des fidèles (III), la vision béatifique et la résurrection (IV)14.
13. Cf. Tertullien, De anima 2: de publico sensu selon A. BLAISE, Dictionnaire latin-français des au-
teurs chrétiens, Turnhout 1954, col. 752b, dans le sens de communis animi conceptio des stoïciens; cf. in-
fra, n. 67.
14. Cette recherche ne concerne pas la lexicographie du terme sensus communis, mais les différents
champs sémantiques et la fréquence des synonymes pour des concepts tels que «synergie sensoriel-
le», «raison pratique» (sensus combiné avec les adjectifs: communis, bonus, incolumis ou iudicium rec-
tum), «opinion commune», «évidence» (communis combiné avec les substantifs sensus, sermo, senten-
tia, opinio, conceptio, notitia, intellectus, regula; ainsi que probabilitas, consensus, credibilitas, sensus publi-
cus, locus communis, communiter videtur, etc.). Une recherche de «sensus + communis» sur le CD-Rom
du Corpus Christianorum (CETEDOC) montre en effet que la période patristique ne connaît que la
sémantique romaine (sens de la communauté, raison, bon sens, consensus) et que la plupart des
exemples venant de la Continuatio mediaevalis désignent le ‘sens commun’ psychologique dans la tra-
dition aristotélicienne, ce qui ne reflète que l’état actuel encore assez fragmentaire de cette collec-
tion de textes, en cours de parution. Si cette banque de données est un instrument très utile pour
trouver les emplois précis de tel concept, il me semble encore trop incomplet pour permettre de vé-
ritables recherches statistiques. Un groupe de chercheurs du Max-Planck-Institut à Göttingen es-
saie néanmoins de développer une «sémantique historique» sur la base du CETEDOC. Sur les pro-
blèmes méthodologiques cf. B. JUSSEN, Religious Language of the Gift in the Middle Ages. Se-
mantic Observations, dans Negotiating the Gift in the Middle Ages, éd. G. ALGAZI - V. GROEBNER -
B. JUSSEN, Göttingen 2003 (MPIG 188), pp. 173-192; IDEM, Nicht einmal zwischen den Zeilen,
dans VON MOOS (éd.), Der Fehltritt, pp. 97-108.
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15. De anima II 6, 418a7 sqq.; III 1, 425a14 sqq. Bien qu’il y eût déjà, dans la deuxième moi-
tié du XIIe siècle, deux traductions du grec (dont l’une de Jacques de Venise), une connaissance
complète de l’œuvre n’est possible qu’au XIIIe siècle, où elle est discutée à partir des commentaires
arabes d’Avicenne, Averroès et autres. Cf. Lorenzo MINIO-PALUELLO, Opuscula, The Latin Aristotle,
Amsterdam 1972, pp. 570-573.
16. Cf. WELSCH, Aisthesis; MODRAK, Aristotle – The Power of Perception; S. EVERSON, Aristotle on
Perception, Oxford 1999; CESSI, Erkennen und Handeln, pp. 79-95; DEWENDER et al., «Sensus com-
munis»; DE LIBÉRA, Le sens commun au XIIIe s.; J. BRUNSCHWIG, Les multiples chemins aristotéliciens de
la sensation commune; Giorgio SALATIELLO, L’autocoscenza come riflessione originaria del soggetto su di sé in
San Tommaso d’Aquino, Ed. Gregoriana, Rome 1996, pp. 85-120; G. SPINOSA, Neologismi aristote-
lici e neoplatonici nelle teorie medievali della conoscenza, dans J. HAMESSE (éd.): Aux origines du
lexique philosophique européen, L’influence de la latinitas, FIDEM, Textes et études 8, Louvain-la-Neu-
ve 1997, pp. 181-220, 204 sqq.; TELLKAMP, Sinne, Gegenstände und Sensibilia, pp 160-166, 245-252;
THEISS, Wahrnehmungspsychologie; L. LIESER, Vincenz von Beauvais als Kompilator und Philosoph. Eine
Untersuchung seiner Seelenlehre im Speculum maius, Leipzig 1928; M. L. BIANCHI (éd.), Sensus – sensatio,
(Lessico intelletuale Europeo 66), Rome 1996. – Je ne présente ici que la synthèse des théories les
plus courantes, sans m’attarder sur les questions controversées parmi les spécialistes de l’âme, telles
que: le sens commun est-il le premier des sens internes ou le dernier des sens externes? est-il défi-
ni par son objet, les sensibles communs, ou par son activité synergétique? est-il un organe particu-
lier localisé soit dans le cœur soit dans le cerveau? etc.
17. MODRAK, Aristotle, p. 62.
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18. Aristote, De anima 418 a 11-12; 427 b12; 430 b 1-5; Thomas d’Aquin, De anima cit. 3, 6,
n. 664-665: sed magis sunt falsi in absentia sensibilis quam sunt quando sunt procul. Cf. TELLKAMP, Sin-
ne, pp. 178-181; CESSI, Erkennen, pp. 65-68, 79-85. A propos de la «précision» du toucher cf. in-
fra, n. 32-33.
19. Cf. Aristote, Anal. Post A, 18, B 19 (81 a-b9 et 99b 30-100b5); De anima 427 b-428a; 433
a9-10; cf. CESSI, Erkennen, pp. 52-54; 95 sq., 116 sq. Le truisme que l’homme est supérieur à l’ani-
mal par sa raison n’a pas empêché, de l’Antiquité au Moyen Âge, de poser également la question de
la supériorité des sens humains. Les réponses sont fonction de la valeur accordée au corps humain.
Curieusement, ceux qui, comme Aristote, ne le déprécient pas, sont plutôt prêts à concéder l’avan-
ce physique des animaux (cf. infra, n. 33), contrairement aux idéalistes qui, depuis Platon, voient
dans la rationalité un absolu marquant nécessairement toutes autres facultés humaines. Ce problè-
me mériterait à lui seul une étude séparée. Sur la supériorité sensorielle de l’animal: Sénèque, Ep.
76, 8-9; Boèce, Cons. Philos. III pr. 8, 7-11 et V pr. 5, 1-6 repris par Laurentius Dunelmensis, Conso-
latio de morte amici, pr. 11-12; m. 12 (ed. U. KINDERMANN, Nuremberg 1969), pp. 171-175: huic
[homini] aper auditu prior est et aranea tactu, / vultur odoratu, linx visu, simia gustu; cf. VON MOOS, Conso-
latio, vol. II, pp. 244 sq., 268. Sur la supériorité sensorielle des hommes cf. Ovide, Metam. I 85-88;
Isidore de Séville, Etym. XI 1, 4-5, repris par Bernard Silvestre, Cosmographia X 23-33 (ed. P. DRON-
KE, Leiden 1978), p. 141: Cum superis commune bonum rationis habebit: / Distrahet a superis linea parva
hominem. / Bruta patenter habent tardos animalia sensus, / Cernua deiectis vultibus ora ferunt. Au colloque
«Medieval Senses» (cf. n. 1) Max GROSSE a présenté, à propos de ce deuxième aspect, un exposé in-
téressant «L’anthropologie du regard et l’allégorie».
20. Aristote, De anima 424 a 17-24; cf. CESSI, Erkennen, pp. 58 sq.
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21. Cf. Raymond Lulle, Ars generalis ultima (op. 128) 9, 6, l. 73 (CC cm 75): Sensus communis est
medium, sensus autem particulares sunt extremitates; sicut circumferentia centri est extremitas ipsius centri …
Ibid., l. 76: Et in isto passu cognoscit intellectus, quod sensus communis est causa sensatorum, in quantum sen-
sata sunt, ipso sensu communi utente suis particularibus sensibus tamquam instrumentis; sicut pomum, quod est
sensatum per sensum communem, utentem gustu, odoratu, uisu, tactu et affatu. Pour affatus cf. infra, n. 40.
22. La doctrine médiévale du sensus communis la plus élaborée se trouve dans les commentaires
d’Albert le Grand et de Thomas d’Aquin; cf. par ex. Albert, De anima (ed. C. STROICK, Münster
1968), p. 159: Est enim determinatio huius quaestionis totius, quod videmus nos videre et sentimus nos audi-
re et secundum quemlibet sensum operari sensu communi, qui aliquo modo est idem cum particulari et aliquo
modo diversus. Sunt enim omnes sensus unum in forma virtutis sensitivae, quae fons est virtutum particularium
sensuum, et ipsi particulares sensus sunt sicut rivi ex communi fonte derivati, et hoc sensu communi est iudicium
circa particulares actiones quae sunt sensatorum particularium. Et hoc modo reflectitur virtus sensitiva super
se, quando iudicat de seipsa; sensus enim communis, qui formalis est, reflectitur super particularem iudicando
sensibiliter de actione et operatione eius. Et hoc modo nihil prohibet quin idem sit activum et passivum; agere
enim quoddam est iudicare et comparare componendo et dividendo, et hoc est communis sensus, qui est formalis;
recipere autem et habere formas sensibiles est pati, et hoc est sensuum particularium. Thomas, De anima 2, 13
(éd. A. M. PIROTTA, Turin 1959), n. 390: Sensus enim communis est quaedam potentia, ad quam termi-
nantur immutationes omnium sensuum. Summa theol. I 78, 3-5: sensus communis radix et principium exte-
riorum sensuum et ibid., I 1, 3 ad 2 cf. infra, n. 43. Une définition en forme de maxime se trouve
dans les Auctoritates Aristotelis, op. 6 (ed. J. HAMESSE, 1974), sent. 107: Sensus communis est potentia
animae quae discernit sensibilia diversorum sensuum in uno et eodem tempore sicut dulce et album in lacte.
23. Jean de Salisbury, Metalogicon, IV 8, ed. J. B. HALL (CCcm 98), Turnhout 1991, l. 34-48:
Communes itaque conceptiones animi praecedunt, deinde per se nota et ex his demonstrativa exoritur ... Com-
munes enim conceptiones a singulorum inductione fidem sortiuntur ... Fit ergo ex sensu memoria, ex memoria
multorum saepius iterata, experimentum, ab experimentis scientiae aut artis, ratio manat ... Sic itaque sensus
corporis qui prima vis, aut primum exercitium animae est, omnium artium praeiecit fundamenta, et praeexis-
tentem format cognitionem quae primis principiis viam non modo aperit sed parit. – Ibid., IV 12. l. 14-18:
... scientia de sensu trahit originem. Nam ... multi sensus aut etiam usus memoriam unam, multae memoriae
experimentum, multa experimenta regulam, multae regulae reddiderunt unam artem, ars vero facultatem. Cf.
Aristote, An. post. 2, 19, 100 a 3 sqq.; correspondant à Metaph. I 1, 4, 980b, lieu cité presque dans
les mêmes termes par Thomas d’Aquin, Summa contra gentiles II 76, 7. – Dans son traité de psycho-
logie, De intellectibus, Abélard, lui-aussi, utilise d’autres sources aristotéliciennes que le De anima, et
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particulièrement le De interpretatione; cf. Des intellections, 2-3, éd. P. MORIN, Paris 1994, pp. 25 sq.:
cum sensu autem intellectus tum origine tum etiam nomine coniunctus est ... Visum quoque pro intellectu, tam
Aristotiles quam plerique alii frequenter ponunt. (Periermen. 9, 19a7). On peut constater dans d’autres
domaines également que le néoplatonisme ambiant du Haut Moyen Âge est largement surmonté
par l’aristotélisme boécien bien avant l’aristotélisme de la scolastique classique; cf. HEINZMANN,
Unsterblichkeit, pp. 246-248; C. J. NEDERMAN, Knowledge, virtue and the path to wisdom; the
unexamined Aristotelianism of John of Salisbury’s ‘Metalogicon’, dans Medieval Studies 51 (1989),
pp. 268-286; IDEM, Aristotelian Ethics and John of Salisbury’s letters, dans Viator 18 (1987), pp.
161-174; IDEM - J. BRÜCKMANN, Aristotelianism in John of Salibury’s ‘Policraticus’, dans Journ. of
the Hist. of Philos. 21 (1983), pp. 203-229; TUNINETTI, Per se notum, pp. 48 sq.: «So wichtig die aris-
totelischen Werke für die mittelalterliche Scholastik auch waren, sie waren also nicht, wenigstens
nicht unmittelbar, der entscheidende Faktor in der Entwicklung der scholastischen Denkweise im
12. Jahrhundert ... Boethius war der erste und wichtigste Vermittler ...».
24. Cf. infra, n. 56. Abélard, De intellectibus, cit., 12-21, pp. 33 sqq. sur l’imagination, qui rap-
pelle en d’autres termes quelques traits du sensus communis d’Aristote; cf. VON MOOS, Endoxon IV, pp.
21-25, ibid., III, pp. 358-360. Voir également Bruno MAIOLI, Gilberto Porretano, Dalla grammatica
speculativa alla metafisica del concreto, Rome 1979, pp. 108-111 sur Contra Eutycen et Nestorium I 1-9,
dans The Commentaries on Boethius by Gilbert of Poitiers, ed. N. M. H. HÄRING, Toronto 1966, pp.
246 sq.: «la imaginatio gilbertina è uno status della coscienza, dopo la percezione sensoriale della
cosa e prima dell’apprensione e del giudizio intellettivo; una rappresentazione oggettiva, ma anco-
ra confusa che attende la riflessione dell’intelletto».
25. Cf. infra, ch. II. Tertullien, De anima 17: unde opinio si non a sensu? Le texte le plus intéres-
sant sur les rapports de vérité et d’erreur entre sensus et opinio se trouve chez Augustin, De libero ar-
bitrio III 9, 22-23 (éd. MADEC, Œuvres 6, 1976, pp. 424-428); cf. EVANS: Getting it Wrong, pp. 167
sqq.; Jean de Salisbury, Metalogicon, loc. cit. IV 11. 5 sqq.: Primum enim iudicium viget in sensu ... Se-
cundum vero imaginationis est ... Hoc autem alterutrius iudicium opinio appellatur. Cf. Maurice DE GAN-
DILLAC, La philosophie de Nicolas de Cues, Paris 1941, p. 201: pour le Cusain, opinio ou «connaissan-
ce vague» est un intermédiaire entre imagination et raison qui ne ressemble plus du tout à la doxa
platonicienne.
26. Pour la théorie du sens intérieur cf. Augustin, De libero arb. II 3, 8-6, 13, (éd. MADEC, pp.
278-295), en particulier II 3, 8 (p. 280): Magis arbitror nos ratione comprehendere esse interiorem quen-
dam sensum ad quem ab istis quinque cuncta referantur ... quaeque ceteris capiuntur corporis sensibus vel ad-
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le plus souvent par la vue, sens le plus spirituel qu’Augustin appelle sensus
generalis, car c’est par analogie avec lui que les quatre autres sens voient ou
comprennent. C’est pourquoi le mot «voir» s’applique aussi à l’ouïe, com-
me dans la phrase: «Regardes ce que cela sonne bien!»27.
Ces différentes classifications suscitent nécessairement des controverses
sur la hiérarchie des sens, dont il suffit de relever ici celles qui concernent
le caractère universel («commun») du sensus communis ou des autres sens su-
périeurs. Raymond Lulle conteste la supériorité cognitive de la vue. Elle
n’est qu’un instrument du sens commun qui seul peut juger des différences
entre les objets visibles28. Chaque sens propre a le même rapport au sensus
communis que la partie au tout et la perception est impossible sans cette
centrale synesthétique29.
Plus curieux est le cas du toucher, généralement considéré comme le sens
le plus bas parce qu’il n’a pas la tête, partie la plus noble du corps, pour siè-
ge et qu’il est chargé d’opérations sensuelles jugées bestiales30. C’est un
sens «commun» dans le sens le plus péjoratif du terme, parce que commun
aux hommes et aux animaux31. Ce sens est considéré comme inférieur aux
petunt animalia delectata et adsumunt vel offensa devitant et respuunt; ibid., II 5, 12 (p. 290): (A) ... illum
sensum interiorem, quem quidem infra rationem et adhuc nobis communem cum bestiis ... indagauimus, dubi-
tabisne huic sensui praeponere, quo corpus adtingimus et quem ipsi corpori praeponendum esse dixisti? (E) Nul-
lo modo dubitaverim. Sur l’analogie substantielle entre le sensus communis aristotélicien et le sensus in-
terior augustinien, cf. MADEC, pp. 566 sq.; DEWENDER et al., Sensus communis, col. 627. Cf. plus bas
(ch. III 1 et 3) pour les connotations mystiques.
27. In Jo. 121, 5 (CC 36), p. 667 sq.: Non ait: tetigisti me; sed vidisti me; quoniam generalis quo-
dammodo sensus est visus. Nam et per alios quatuor sensus nominari solet, velut cum dicimus: Audi et vide quam
bene sonet ... cf. SCHLEUSENER-EICHHOLZ, Das Auge, pp. 198-214; SPINOSA, Visione sensibile e intellet-
tuale, pp. 119-134. Alexandre d’Aphrodise attribuait déjà à la vue la fonction de la koinê aisthesis: In
Aristot. De sensu comm. (Comm. in Arist. graeca 3.1, 1901), 12, 27 sqq.; Thomas, Summa theol. I 78,
3 resp: visus est maxime spiritualis; perfectior inter omnes sensus et communior. Georg SIMMEL semble se rap-
porter à cette tradition; cf. sa Soziologie der Sinne, p. 287: «man sieht an einem Menschen in viel hö-
herem Maße das, was ihm mit anderen gemein ist, als man dies Allgemeine an ihm hört».
28. Raymond Lulle, Principia philosophiae (op. 86, Translatio) 1.3, l. 723 (CC cm 111): Vtrum ui-
sus sit magis cognoscens? Obiectio: Visus non potest esse magis cognoscens, cum ita sit, quod ipse sit una poten-
tia sensus communis, qui iudicium facit de differentia, quae est inter unum obiectum uisibile et aliud, et po-
tentia uisiua est instrumentum.
29. Idem, De ascensu et descensu intellectus (op. 120) 2, l. 125 (CC cm 35): Et tunc iudicat intellectus,
quod sensibile et sensitiuum et sentire sunt partes coessentiales sensus communis et etiam naturales, ex quibus est
sensus communis constitutus, sicut totum ex suis partibus. – Idem, Liber nouus physicorum et compendiosus (op.
157) 3, l. 586 (CC cm 33): Sensus communis quandoque est in continuo motu cum uno sensu particulari, quan-
doque cum alio, ut puta, quando uides et non gustas aut quando audis et non uides; et sic de aliis.
30. Aristote, Eth. Nic. X 5, 1118 c 26 (dans l’éthique, la valorisation du De anima est renversée).
31. Cf. par ex. Jean de Salisbury, Policraticus VIII 8, éd. WEBB II, p. 276, l. 19: Cum enim de quin-
quepertito sensuum fonte uoluptas oriatur, illam quae est gustus et tactus, id est cibi et uentris, solam homini-
bus communem [Aristotiles] dicit esse cum beluis, et iccirco in pecudum ferorum que animalium numero habetur
quisquis hac uoluptate ferarum occupatur. La citation attribuée à Aristote vient des ‘Saturnales’ de Ma-
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crobe (II 8, 10 sqq.). Abélard, Theologia christiana I 106, l. 1370 (CC cm 12) sur l’âme du monde:
Quis autem ex quinque sensibus mundo inesse poterit nisi forte tactus, qui omnibus est communis animalibus.
32. Cf. TELLKAMP, Sinne, pp. 123 sq., 197 sqq. et Thomas d’Aquin, Summa theol. I 78. 3 resp.
pour la différence entre immutatio naturalis et immutatio spiritualis (infra, n. 177).
33. De anima II 11, 422b-423a; III 11, 434 b 10sqq; cf. RHOMEYER-DHERBEY, Voir et toucher,
pp. 448-454. Cf. TELLKAMP, Sinne, pp. 206-211 pour l’élaboration de cette idée chez Thomas
d’Aquin, qui, plus encore qu’Aristote, insiste sur la «précision» du toucher humain. Tandis que le
Stagirite la croit supérieure chez un grand nombre d’animaux, Thomas, lui, affirme que l’homme,
grâce à la mollesse de sa chair, possède le sens tactil le plus affiné de tous les êtres vivants (cf. éga-
lement supra, n. 19 et infra, n. 45).
34. Comm. in Timaeum II c. 214, ed. J. H. WASZINK, 1975, p. 229.13.
35. Par ex. Bède, De tabernaculo III, l. 924 (CC 119A): Verum quia sensus quinque sunt corporis ui-
sus auditus gustus olfactus et tactus quorum primi quattuor proprie capitis ultimus toto est corpori communis,
tunica haec quam diximus utraque proprie continentiam tactus et iustitiam designat, consequenter uero et alio-
rum quattuor sensuum quam sit uel curanda innocentia uel sanctificatio conquirenda figurato pontificis habi-
tu monstratur cum dicitur: et tiaram byssinam facies; ibid., l. 944: Curandum et de quinto sensu qui toto est
corpori communis ut fiat illud propheticum: recedite recedite exite inde pollutum nolite tangere; et sicut ammo-
net apostolus: mundemus nos ab omni inquinamento carnis et spiritus perficientes sanctificationem in timore dei.
Beatus de Liebana et Eterius Oxon., Aduersus Elipandum 2. 51, l. 1405 (CC cm 59): Et qum sit caput
et corpus una substantia, tamen multum distat inter caput et corpus, cum tantum unum sensum habeat com-
munem et ceteros quattuor solus sibi uindicat caput. Bernard de Clairvaux, Sententiae 3. 70, ed. LECLERCQ-
ROCHAIS, vol. 6.2, p. 105, l. 21: Oculi sunt angeli propter contemplationis subtilitatem; aures, patriarchae
propter oboedientiae virtutem; nares vel odoratus, prophetae, propter rerum absentium notitiam; tactus est vero
communis sensus. Raymond Lulle, Liber de experientia realitatis artis ipsius generalis (op. 138) 5. 677 (CC
cm 37): respondendum est, quod in potentia tactiua, eo quia tactiua est magis communis, quam aliae poten-
tiae sensitiuae.
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36. De doctrina christiana 2. 3. 1 (CC 32): signorum igitur, quibus inter se homines sua sensa commu-
nicant, quaedam pertinent ad oculorum sensum, pleraque ad aurium, paucissima ad ceteros sensus.
37. De libero arbitrio II 14, 38 (éd. G. MADEC, Œuvres 6, 1976), p. 344: species omnis quae oculis
adiacet, quanta videtur ab uno, tanta et ab alio simul. Dans son dialogue de jeunesse Contra Academicos,
Augustin soutient la thèse opposée, l’incommunicabilité du «savoir» subectif venant des sens, afin
de combattre le scepticisme de l’Académie; cf. Therese FUHRER, Skeptizismus und Subjektivität:
Augustins antiskeptische Argumentation und das Konzept der Verinnerlichung, dans Geschichte und
Vorgeschichte morderner Subjektivität, éd. R. L. FETZ - R. HAGENBÜCHLE - P. SCHULZ, Berlin 1998, vol.
1, pp. 319-339.
38. Ibid, II 7, 17 cit. pp. 300 sq.: ... sed prorsus mihi meus sensus sit et tuus tibi, etiam si unus aut
odor aut sapor ab utroque sentiatur: hinc ergo isti sensus inueniuntur habere aliquid tale quale illi duo in uisu
et auditu; sed in eo dispares sunt, quantum ad id quod nunc agimus pertinet, quod, etsi unum aerem naribus
ambo trahimus aut unum cibum gustando capimus, non tamen eam partem aeris duco quam tu nec eandem par-
tem cibi sumo quam tu, sed aliam ego, aliam tu ... Et cibus quamvis unus et totus ab utroque absumatur, non
tamen et a me totus et a te totus absumi potest, quomodo verbum et ego totum audio et tu totum simul, et spe-
ciem quamlibet quantam ego video tantam et tu simul.
39. Aristote, De sensu, 437 b 5-17; Metaphys. I 1, 980 a-b 21. Pour la controverse sur la hiérar-
chie de ces deux sens cf. GADAMER, Hören – Sehen – Lesen; STOCK, Augustine the Reader…, pp. 12-
16, 41 sq.; Guy-H. ALLARD, Arts libéraux et langage chez Saint Augustin, dans Arts libéraux et phi-
losophie au Moyen Âge, Montréal-Paris 1969, pp. 481-492; VON MOOS, Attentio, pp. 91-94; GIAL-
LONGO, L’avventura dello sguardo, pp. 23-41; SCHLEUSENER-EICHHOLZ, Das Auge, pp. 188-237 et in-
fra, n. 91 à propos de Bernard de Clairvaux.
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40. Liber correlatiuorum innatorum (op. 159), 9, l. 711 (CC cm 33): Ab ipso sensu communi descen-
dunt sensus particulares, qui sunt eius potentiae, ut puta potentia uisiua, auditiua, gustatiua, odoratiua, tac-
tiua et affatiua. – Ars generalis ultima (op. 128), 9, l. 76 (CC cm 75): sicut pomum, quod est sensatum
per sensum communem, utentem gustu, odoratu, uisu, tactu et affatu, per quem est nominatum pomum, et au-
ditu, per quem est auditum. – Liber nouus physicorum et compendiosus (op. 157), 3, l. 459 (CC cm 33): ...
oculus est instrumentum potentiae uisiuae et lingua potentiae affatiuae; et sic de aliis. – Raymond Lulle in-
siste plusieurs fois sur la valeur du sixième sens, sur lequel, selon la bibliographie de sa Uita coae-
tanea (op. 189) l. 749, n. 73 (CC cm 33) il aurait écrit un Liber de sexto sensu; cf. aussi Ars breuis…
(op. 127) 5, l. 573 (CC cm 38): Sensus communis continet in se sex potentias particulares, sibi coessentiales,
substantialiter ipso existente indiuiso. – De ascensu et descensu intellectus (op. 120) 8, l. 324 (CC cm 35): ...
sensum communem, qui habet sex particulares sensus sub se.
41. Aristote, De anima 428 b 3 sqq.; cf. TELLKAMP, Sinne, pp. 20 sq.; CESSI, Erkennen, pp. 115-
120 et le commentaire de Thomas d’Aquin, De anima III 5, cit. n. 653, p. 160: contingit aliquando
quod aliqua falsa apparent secundum phantasiam, quae est a sensu: et de illis et de eisdem rebus, homo habet
veram opinionem. Sicut secundum sensum apparet, quod sol non excedit quantitatem unius pedis, quod falsum
est. Sed secundum veram opinionem creditur esse maior ‘habitatione’, idest tota terra, in qua habitamus.
42. Cf. TELLKAMP, Sinne, pp. 19-22, 175-177 sur les «observation sentences» chez QUINE.
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43. Cf. ibid., pp. 281-285 et supra, n. 19 pour l’origine aristotélicienne de vis cogitativa. – On
est néanmoins autorisé à utiliser dans ce sens le terme sensus communis, que Thomas emploie lui-
même par analogie, quand dans Summa theol. I 1, 3 ad 2, il lui compare la théologie, science la plus
haute englobant toutes les autres (quaedam impressio divinae scientiae quae est una simplex omnium), au
sens commun: quod inferiores potentias ... diversificari circa illas materias quae communiter cadunt sub una
potentia ... superiori, quia superior potentia respicit obiectum sub universaliori ratione; sicut obiectum sensus
communis est sensibile, quod comprehendit sub se visibile et audibile. Unde sensus communis cum sit una poten-
tia, extendit se ad omnia obiecta quinque sensuum.
44. Ibid., I 78, 4 c; In De anima II, 13; TELLKAMP, Sinne, pp. 165-174, 273-285; cf. également
Pierre MICHAUD-QUANTIN, La psychologie de l’activité chez Albert le Grand, Paris 1966, pp. 67 sqq.
45. Frances A. YATES, The Art of Memory, Chicago 1966, pp. 70 sqq. remarque à juste titre que,
pour Thomas d’Aquin, l’homme est supérieur aux animaux non seulement par sa raison, mais aus-
si par la partie sensitive de sa connaissance (cf. également n. 33). – Malgré son hostilité à l’idée aver-
roïste de l’unité de l’intellect, Thomas donne comme argument en faveur de l’unité de la percep-
tion, sa communicabilité. Chez son maître Albert le Grand par contre, on trouve une notion ou-
vertement averroïste et néoplatonicienne du «sens commun, numériquement un dans chaque sujet,
mais ... en même temps universel au titre d’une cause précontenant formellement tout ce qui éma-
ne d’elle», comme écrit DE LIBÉRA, Le sens commun, pp. 494-496 sur le De anima d’Albert, II 4, 11;
cf. également Th. DEWENDER, ‘Sensus agens’, dans Historisches Wörterbuch der Philosophie, vol. 9
(1995), pp. 618-622.
46. Cf. Analyt. post. 81 a 8-b 9; 99 b30-100 b5; CESSI, Erkennen, pp. 51-53; DAY, Intuitive cogni-
tion, pp. 3-7, 169 sqq.; TELLKAMP, Sinne, pp. 172 sqq. Pour le Moyen Âge finissant, et pour la cri-
tique moderne du néo-thomisme, le soi-disant «intellectualisme» de Thomas devient l’objet d’exa-
gérations de toutes sortes au détriment d’une lecture précise.
47. Cette sentence est d’un disciple de Gilbert de Poitiers, mais elle résume bien l’aristotélisme
épistémologique menant à Thomas: Évrard d’Ypres, Dialogus Ratii, éd. HÄRING, dans Medieval Stu-
dies 15 (1953), p. 256.
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48. Cf. OEHLER, Consensus, pp. 103 sqq.; VON MOOS, Endoxon I, pp. 734-737.
49. Walter LIPPMANN, Public Opinion, London-New York 1922-1946, pp. 80 sq.: «For the most
part we do not first see, and then define, we define first and then see ... We imagine most things
before we experience them ...». Ruth AMOSSY, Les idées reçues, Sémiologie du stéréotype, Paris 1991, pp.
12 sqq., 35 sqq.
50. Cf. VON MOOS, Introductio à l’endoxon, supra, pp. 212 sq.
51. Abélard, Collationes, ed. Marenbon-Orlandi, cit. (supra, p. 81), § 8, p. 10: ille firmissimus in
fide dicitur, qui communem populi non excedit sensum. Quod profecto inde certum est accidere, quod nemini apud
suos, quid sit credendum, licet inquirere nec de his, quae ab omnibus dicuntur, impune dubitare. Ibid., § 171,
p. 180: non ita, ut vulgus, quae dicuntur, acciperes. Cuius profecto si communem sequaris opinionem nec eo-
rum fidem tua transcendat intelligentia, qui nihil nisi corporeum vel admodum rei corporee mente concipiunt,
in tantum utique dilaberis errorem. Ces diatribes sont dirigées contre les conceptions anthropomorphes
de Dieu et somatomorphes de l’au-delà; cf. infra, ch. III 3 et P. VON MOOS, Les Collationes d’Abé-
lard et la «question juive» au XIIe siècle, supra, pp. 75-78. Pour distinguer opinio ou sensus de son
pendant péjoratif, on se sert souvent de l’adjectif vulgaris; cf. par ex. Pierre Damien, Ep. 159, MGH,
Briefe der deutschen Kaiserzeit IV 4, p. 99, l. 3: quantum ad vulgarem pertinet sensum, quoniam Hierosoli-
mi passus est Dominus, universis aecclesiis non Romana, sed Hierosolimitana potius praeesse deberet aecclesia.
52. Cf. VON MOOS, Introduction et Endoxon I-IV.
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piques53, définit ainsi ce qui pour lui est le fondement de tout raisonne-
ment probable: «Est respectable ce qui est admis par tous ou par la plu-
part ou par les sages, et parmi ceux-ci, soit par tous, soit par la plupart,
soit par les plus illustres et respectables (endoxoi)». Dans cette définition,
la gradation mi-quantitative, mi-qualitative des représentants de l’opinion
probable est sans doute le point principal, mais le verbe auxiliaire assez
pâle dokounta, rendu en latin par videtur, mérite autant d’attention, à cau-
se de l’ambiguïté qu’il induit entre opinion, apparence et évidence senso-
rielle. Dans la pensée médiévale ce verbe – «ce qui paraît ou se voit», mais
aussi «ce qui est reçu et cru» – est le point de départ de distinctions entre
l’être et le paraître, l’opinion et la vérité, et entre la subjectivité et l’objec-
tivité relative des «points de vue» partagés par la majorité ou garantis par
l’autorité. Abélard, par exemple, accentue la dimension visuelle du pro-
bable en l’opposant sans nuances à une réalité indépendante de nous54: Se-
cundum visum égale pour lui secundum quod cuilibet videtur. Multa videntur
quae non sunt et multa sunt quae non videntur. Probabilitas itaque ad visum re-
ferendum est, veritas autem sola ad rei existentiam. Plus tard, Thomas d’Aquin
s’intéresse de près à la valeur épistémologique de ce «voir» dans videtur et,
glosant la psychologie aristotélicienne55, établit une ligne continue et as-
cendante entre sensation, imagination et opinion56: «L’imagination (phan-
tasia) est autre chose que la sensation et l’intellect, et pourtant elle ne se
produit pas sans la sensation…, et, sans l’imagination, il n’y a pas non plus
d’opinion. L’imagination semble donc être à la sensation ce que l’opinion
est à l’intellect. Dans les sensibles, quand nous sentons quelque chose,
nous affirmons que cela est. Si, par contre quelque chose est vu selon l’ima-
gination, nous ne disons pas que cela est, mais qu’il paraît ou nous appa-
raît ainsi…De même, dans les intelligibles, quand nous comprenons
quelque chose, nous affirmons qu’il en est ainsi. Mais quand nous opinons,
53. Top. I 1, 100 a 18; pour le relation entre opinion et perception cf. RÉGIS, L’opinion, pp. 81-
123, 277; CESSI, Erkennen, pp. 113-120.
54. Dialectica, ed. L. M. DE RIJK, Assen 1970, p. 272, l. 2-6; cf. VON MOOS, Endoxon III, pp.
353 sq.
55. De anima III 3, 427 b 16-428 b 4.
56. De anima III 4, cit. n. 632, p. 156: Phantasia aliud est a sensu et ab intellectu, et tamen phanta-
sia non fit sine sensu, ... et sine phantasia non fit opinio. Ita enim videtur se habere phantasia ad sensum, si-
cut opinio ad intellectum. In rebus autem sensibilibus, cum aliquid sentimus, asserimus sic esse. Cum autem se-
cundum phantasiam aliquid videtur, non asserimus sic esse, sed sic videri vel apparere nobis… Et similiter cir-
ca intelligibilia, cum aliquid intelligimus, asserimus sic esse. Cum autem opinamur, dicimus sic videri, vel ap-
parere nobis. Sicut enim intelligere requirit sensum, ita et opinari requirit phantasiam.
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nous disons que cela paraît ou nous apparaît ainsi. Comme l’intellection a
besoin de la sensation, l’opinion a besoin de l’imagination». De l’avis
même des classicistes modernes, ce passage est une excellente interpréta-
tion de la pensée d’Aristote sur la hiérarchie des puissances de l’âme57: la
faculté sensorielle la plus haute, la phantasia, sert de transition avec la fa-
culté intellectuelle la plus basse, l’opinion. Aux deux bouts de l’échelle, il
y a certitude. La perception des «sensibles propres» par les sens externes,
dont «la vue est le sens par excellence», est toujours vraie, comme nous
l’avons vu58, de même que l’intellection parfaite (ou «la science») ne se
trompe pas. Entre ces extrêmes, les deux formes de connaissance – sans
doute les plus répandues –, l’imagination, la libre construction d’images
intéreures, et l’opinion, la croyance ou conviction «qui n’est pas en notre
pouvoir»59, sont seulement probables. Dans sa psychologie, Aristote se
contente de les décrire, dans sa dialectique, il développe une méthode pour
les utiliser raisonnablement.
Le rapprochement entre sensation et opinion est encore plus clair dans la
mise en garde des Topiques contre le manquement au bon sens60: «Il ne
faut pas discuter de n’importe quel problème, mais seulement de ceux qui
exigent une solution raisonnable, et non pas un châtiment ou l’usage des
yeux. Celui qui, par exemple, s’interroge sur la nécessité d’honorer les dieux
et d’aimer ses parents, n’a besoin que d’une bonne correction, et celui qui
se demande si la neige est blanche, n’a qu’à ouvrir les yeux». Aristote prend
pour exemple deux sortes d’adoxoi ou d’insensés, ceux qui s’écartent du bon
sens social (et socialisé) et ceux qui manquent de sens du réel61. Un passa-
ge de l’Éthique à Nicomaque62 associe également évidence et consensus:
«Soutenir ... que l’objet qui excite le désir de tous n’est pas un bien, ce n’est
rien dire de sérieux, car nous disons qu’une chose est ce qu’elle paraît à tout
le monde, et celui qui refuse créance à cette façon de voir, ne peut rien lui
substituer qui soit plus crédible». Tout autant que les «sensibles», les ais-
theta sont le point de départ de toute connaissance, les «crédibles» ou en-
doxa sont le point de départ de toute argumentation plausible. Dans les
deux cas, Aristote s’appuie sur un principe de confiance: la conviction op-
timiste que «chacun a un penchant naturel vers la vérité», parce que la na-
ture ne fait rien par hasard et qu’elle a donné à l’homme – non à l’individu
éphémère, mais à l’espèce, la capacité d’atteindre le vrai63. Au cours des
siècles, l’humanité enrichit son savoir de manière à la fois cumulative et cri-
tique. Dans de nombreux passages Aristote réitère la règle méthodologique
qui exige la prise en compte des opinions de nos prédécesseurs, afin de pro-
fiter de leurs vérités et d’éviter leurs erreurs. Le progrès du savoir résulte
d’une confrontation qui ressemble à celle du juge donnant sa sentence après
avoir délibéré sur tous les partis. Cette méthode permet d’approcher la vé-
rité, ou du moins le probable, «le semblable du vrai»64. Aristote prend soin
de bien distinguer et délimiter les domaines spécifiques du vrai et du vrai-
semblable. Le vrai est le propre de la logique apodictique et des sciences (la
physique et la métaphysique), qui procèdent par démonstration nécessaire
à partir des premiers principes universels; le vraisemblable est l’objet des
disciplines qui s’occupent des phénomènes contingents, en particulier des
actes humains, donc de la rhétorique, de la dialectique, de l’éthique et de
la politique, disciplines qui toutes procèdent par conjecture sur la base du
63. RÉGIS, L’opinion, pp. 138 sqq.; OEHLER, Consensus, pp. 108 sq.
64. Par ex. De an., I 2, 403b-405b; Metaph. a 993a30-b 19; cf. DIHLE, Menschenverstand, pp. 19
sq.; OEHLER, Consensus, pp. 107 sq. Il faut insister sur la différence essentielle entre ce
«probable/vraisemblable» et la probabilité moderne. Leibniz l’a bien remarqué, qui fait grief au
Stagirite de fonder son endoxon sur le poids des opinions et non sur la probabilité des choses et des
faits; cf. G. W. LEIBNIZ, Neue Abhandlungen über den menschlichen Verstand, ed. C. SCHAARSCHMIDT,
Leipzig 1904, pp. 393 sq.: «Der Fehler der ... fahrlässigen Moralisten hat zum großen Teile darin
bestanden, daß sie einen zu beschränkten Begriff des Wahrscheinlichen gehabt haben, welches sie
mit dem endoxon oder dem Angenommenen des Aristoteles verwechselt haben; denn Aristoteles hat in
seiner Topik sich nur den Meinungen anderer, wie Rednern und Sophisten, anbequemen wollen.
“Endoxon” ist ihm das, was von der größten Zahl oder von den besten Autoritäten angenommen
ist: er hat Unrecht, seine Topik darauf beschränkt zu haben, und dieser Gesichtspunkt ist der
Grund, daß er sich nur an angenommene, größtenteils unsichere Grundsätze gehalten hat, als ob
man nur mittels eines Quodlibets oder Sprichwörter Schlüsse ziehn wollte. Das Wahrscheinliche
aber hat einen größeren Umfang; man muß es aus der Natur der Dinge gewinnen, und die Mei-
nung derer, deren Autorität Gewicht hat, ist nur einer der Umstände, welche dazu beitragen kön-
nen, eine Meinung wahrscheinlich zu machen, aber nicht von der Art, die Wahrscheinlichkeit in
ihrer Ganzheit voll zu machen. Während Kopernikus fast allein seiner Meinung war, war sie im-
merhin unvergleichlich wahrscheinlicher, als die der übrigen Menschheit».
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65. Rhet. 1387 a 16; Eth. Nic. 1140 b 20 sqq.; 1141 b 14; 1142 b 23 sqq.; cf. VON MOOS, En-
doxon II, pp. 147-152; DIHLE, Menschenverstand, pp. 19 sq.; Rüdiger BUBNER, Dialektik als Topik,
Francfort 1990, pp. 58 sqq.
66. Eth. Nic. I 3, 1094 b 24; cf. le commentaire de Thomas d’Aquin In I Ethic. III, lect. 11.
67. Cf. VON MOOS, Endoxon I, pp. 721 sqq.; Endoxon II, pp. 148 sqq.; TUNINETTI, Per se notum,
pp. 48-67; J. SCHNEIDER, «Notiones communes», dans Historisches Wörterbuch der Philosophie 6
(1984), col. 938-940. – Je n’ai pas encore étudié la postérité de l’endoxon dans les ouvrages de lo-
gique arabes traduits et commentés par les scolastiques. Selon un passage d’Algazel (Logica IV, ed.
Ch. LOHR 1965, p. 276) sur les différentes sortes de prémisses (primae, sensibiles, experimentales, fa-
mosae, opinabiles, maximae etc.), il semble que la confusion, courante chez les latins depuis Boèce,
entre axiome et endoxon (probabile) y est évitée, car ce dernier correspond à une opinion du bon sens,
dont le contraire n’est pas nécessairement une opinion fausse, mais absurde, inhabituelle ou sim-
plement non-plausible: Et haec [maximae] sunt ea quae saepe audivit homo a pueritia, in quibus conveniunt
plures gentes causa communis utilitatis. Has ergo facile recipit animus, eo quod consuevit in illis ... Contra-
dictoria maximae non est illa quae est falsa, sed quae est absurda. Et multa falsa diliguntur et sunt maxi-
mae. Non est dubium primas et aliquas sensibilium et famosarum et experimentalium esse maximas, in quibus
nihil aliud attendimus nisi probabilitatem. TUNINETTI, Per se notum, p. 70 sq., 84 sq. montre qu’Albert
le Grand a mal compris cette phrase. Thomas d’Aquin, par contre, quand il refuse la thèse que
l’existence de Dieu est per se notum, donc un axiome ou communis animi conceptio au sens de Boèce, ré-
duit cette thèse à une sorte de préjugé dû à la socialisation, ce qui, dans les termes, rappelle un peu
l’endoxon d’Algazel, cf. Summa contra gentiles I 11: Praedicta autem opinio provenit partim quidem ex
consuetudine qua ex principio assueti sunt nomen Dei audire et invocare. Consuetudo autem et praecipue quae
est a puero, vim naturae obtinet, ex quo contingit ut ea quibus a pueritia nimis imbuitur, ita firmiter teneat
ac si essent naturaliter et per se nota. Partim vero contingit ex eo quod non distinguitur quod est notum per se
simpliciter, et quod est quoad nos per se notum ... quia hoc ipsum quod Deus est, mente concipere non possumus,
remanet ignotum quoad nos. Un autre argument contre l’évidence (per se notum) de l’existence de Dieu
est donnée dans In I Sent. 3, 1, 22 resp.: l’évidence vient toujours des sens; Dieu ne peut donc être
connu visis sensibilibus; de plus, son existence a trop souvent été niée, pour qu’il soit per se notum. Cf.
TUNINETTI, cit. pp. 13-26 et passim; VON MOOS, Endoxon II, pp. 148 sq.
68. Cf. VON MOOS: Geschichte als Topik, pp. 238 sqq., 379 sqq.
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69. Thomas d’Aquin, Summa theol. II-II 70, 2 resp.; cf. ibid., 60, 3 1; I II, 94, 4 resp.; I-II 96,
1, 3 et ad 3; cf. Th. DEMAN: Probabilis, dans Revue des Sciences philos. et théol. 22 (1933), pp. 260-
290; A. GARDEIL: La certitude probable, ibid. 5 (1911), pp. 237-266, 441-485, 750-757, surtout
245 sqq.
70. Thomas, Summa theol. I-II 2, 1 ad 1; cf. aussi In Eth., lect. 13, n. 160: Qui (studiosus) cum ha-
beat rectum sensum circa operabilia humana, verum habet iudicium circa ea; sicut ille qui habet gustum sa-
num, verum habet iudicium circa sapores; et Summa theol. I-II 46, 1 resp., 2 resp.; cf. Isidore, Etym. X
240; GARCEAU, ‘Judicium’, pp. 241 sqq.
71. Thomas, Summa theol. II-II 51, 3 resp.: synesis importat iudicium rectum, non quidem circa specu-
labilia, sed circa particularia operabilia, circa qua etiam est prudentia. Unde secundum synesim dicuntur ali-
qui synetoi, i.e. sensati, vel eusynetoi, i.e. homines boni sensus, sicut e contrario qui carent hac virtute di-
cuntur asynetoi, i.e. insensati ... multi enim sunt bene consiliativi, qui tamen non sunt bene sensati, quasi rec-
te iudicantes, sicut enim in speculativis aliqui sunt bene inquirentes, propter hoc quod ratio eorum prompta est
ad discurrendum per diversa; quod videtur provenire ex dispositione imginativae virtutis quae de facili potest
formare diversa phantasmata, et tamen huiusmodi quandoque non sunt boni iudicii, quod est propter defectum
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ici ce qui deviendra chez les modernes le «bon sens» et le «sens commun».
À vrai dire, Thomas dissimule habilement derrière un hellénisme savant
l’emploi le plus courant du mot «sens», celui de raison. Tant en latin que
dans les langues romanes, sensus et ses dérivés s’appliquent, non pas d’abord
aux cinq sens, mais à la raison pratique, à une intelligence éveillée, ca-
pable, dans l’action, d’apercevoir rapidement l’essentiel72. (C’est d’ailleurs
le sens premier de l’ancien grec aisthesis, qui, avant Platon, ne distingue
pas appréhension sensorielle et intellectuelle73). En ancien français, sens,
même dépourvu des adjectifs alors quasiment tautologiques de «bon»,
«commun», «droit», «sain», «naturel», «intègre», désigne avant tout la
disposition naturelle, partagée par tous les hommes sensés, à distinguer les
qualités du réel. C’est «la tête bien faite» opposée aux subtilités de la «tête
bien pleine»74.
intellectus, qui maxime contingit ex mala dispositione communis sensus non bene iudicantis. Et ideo oportet ...
esse aliam virtutem, quae est bene iudicativa, et haec dicitur synesis. Cf. également ibid., II-II 46 2 resp. sur
stultitia ou sensus ineptus.
72. Pour sensus = ratio, il suffit de noter cet emploi prédominant dans la Vulgate (cf. par ex. Sap.
9, 15, infra, n. 114). Augustin, afin d’éviter la confusion de cette sémantique avec celle de la sen-
sation, écrit dans De Trin. XII 13, l. 15 (CC 50): sensus excellit, non ille de quo scriptum est in epistula
quae est ad Hebraeos, ubi legitur perfectorum esse solidum cibum qui per habitum exercitatos habent sensus ad
separandum bonum a malo (illi quippe sensus naturae rationalis sunt ad intellegentiam pertinentes), sed iste
sensus qui est quinquepertitus in corpore per quem non solum a nobis uerum etiam a bestiis corporalis species mo-
tusque sentitur. – Un des meilleurs exemples de sensus-intellectus est l’apophtègme d’un père du dé-
sert, cité dans des contextes ascétiques ou anti-intellectualistes, mais quelquefois également dans
des contextes contraires; Athanasius, Vita Antonii, interp. Evagrio (PL 73), col. 184 CD: cum huma-
ne rationis sensus inventor fuerit litterarum, cui sensus est incolumis, ei minime necessarie sint littere. Pierre
Damien par ex. le cite ainsi dans Ep. 117, MGH, Briefe der deutschen Kaiserzeit IV 3, p. 321, l. 10 et
325, l. 4: Nam cum litterae oriantur ex sensu, non sensus procedat ex litteris, cui sensus incolomis est, litteras
non requirit ... Unde recte vir sapiens ait: Melior est homo qui deficit sapiencia et deficiens sensu in timore
quam qui abundat sensu et transgreditur legem altissimi. Dans les Collationes, par contre, Abélard s’en
sert pour attaquer l’aveugle respect des autorités, ed. cit. § 73, p. 92: Adeo autem ipsorum quoque iu-
dicio auctoritati ratio preponitur, ut, sicut vester meminit Antonius: «cum humane rationis sensus inventor fue-
rit litterarum, cui sensus est incolumis, ei minime necessarie sint littere». Sensus ici équivaut au «jugement
sain» qui s’oppose aux connaissances livresques (cf. VON MOOS, Les Collationes, supra, pp. 72-73, et
supra, n. 23, une autre identification de sensus et intellectus dans le De intellectibus d’Abélard). – Pour
«sens» en ancien français cf. l’amusant exemple tiré d’un fabliau par P. ROMAGNOLI, Amour, argent
et sens à la foire de Champagne: «La bourse pleine de Sens», dans Le Moyen Âge 106 (2000. 2), pp.
323-347.
73. Cf. Thomas SCHIRREN, Aisthesis vor Platon, Eine semantisch-systematische Untersuchung zum Pro-
blem der Wahrnehmung, Stuttgart-Leipzig 1998, pp. 45 sqq. (Thucydide), 144 sqq. (Xénophane);
Bruno SNELL, Die Ausdrücke für den Begriff des Wissens in der vorplatonischen Philosophie, Berlin 1924,
pp. 40-59. Aristote critique expressément cette identification, pour lui désuète, de l’intelligence et
de la sensation dans De anima III 3, 427 a-429a.
74. RAY, Dict. historique, pp. 3458 sq. trouve cette sémantique de ‘sens’ et ‘bon sens’ à partir du
XIIe s.; cf. ci-dessus n. 23 (Abélard). Sur le rôle central du concept de «sens bon», «sens naturel»
chez Commynes cf. mon introduction, ch. III 3, à Der Fehltritt.
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75. Voir la pénétrante synthèse de l’histoire de la pensée médiévale par Tullio GREGORY, Forme
di conocscenza e ideali di sapere nella cultura medievale, dans Archives int. d’histoire des sciences 38
(1988), pp. 189-242, réimpr. dans Mundana sapientia, Rome 1992, pp. 1-59.
76. Cf. tout mon article sur les Collationes d’Abélard, supra ch. 2.
77. Policraticus VII 2 (ed. WEBB, vol. II), p. 98: sunt autem dubitabilia sapienti quae nec fidei nec
sensus aut rationis manifestae persuadet auctoritas.
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torique. Selon une formule du XIIe siècle devenue topique, la foi est «une
certitude volontaire des choses absentes située au-dessus de l’opinion et en
dessous de la science»78. Or, les différentes théories du sens commun que
nous venons d’esquisser sont en effet plus ou moins heureusement appli-
quées à cette problématique. Quelques exemples seront choisis dans trois
secteurs: l’épistémologie (1), l’ecclésiologie (2) et l’eschatologie (IV).
78. Jean de Salisbury, Metalogicon, cit. IV 13, l. 7-23: Potest tamen esse fidelis opinio, ut cum post noc-
tem sol creditur rediturus. Unde quia humana transitoria sunt, certum de eisdem nequit esse iudicium, nisi
raro. Si autem quod non usquequaque certum est, pro certo statuatur, fit accessus ad fidem, quem Aristotiles
definit esse vehementem opinionem [Top. 4.5, 126a18]; fides autem in humanis quam in divinis rebus maxi-
me necessaria est, cum nec contractus sine ea celebrari inter homines possent aut aliqua exerceri commercia. In-
ter Deum quoque et homines meritorum praemiorumque nequit esse commercium, fide subtracta. Haec est ... me-
dia inter opinionem et scientiam, quoniam per vehementiam certum asserit, ad cuius certitudinem per scientiam
non accedit. Unde magister Hugo: Fides est voluntaria certitudo absentium supra opinionem infra scientiam
constituta. Cf. Hugues de St. Victor, Summa sent. I 1 (PL 176), col. 43, et les analogies ibid., col. 35
et 330 ainsi que Jean de Salisbury, Policraticus II 29 (ed. WEBB, vol. I), p. 167, l. 19f.: Ubi vero de-
ficit intellectus, fidei ratione deducta, quae media est, restat sola opinio. Cf. VON MOOS, Endoxon IV, pp.
21-25, 38-45; pour firmitas adhaesionis, opinio vehemens cf. RÉGIS, L’opinion, pp. 190 sqq.
79. La connaissance naturelle et évidente de Dieu grâce à un «sens», une «notion», un
«concept» commun à tous les hommes serait un sujet à traiter à part. Dans l’Antiquité cette idée
est partagée par presque toutes les écoles philosophiques, même par le scepticisme d’un Sextus Em-
pricus (cf. DIHLE, Menschenverstand, pp. 20-24); dès le début, les chrétiens s’en servent d’argument
apologétique afin de convertir les infidèles, ce qui est encore l’arrière-plan pour Anselme de Can-
terbury ou Nicolas d’Amiens (cf. TUNINETTI, pp. 27-123; Ch. BURNETT, Scientific Speculations,
dans P. DRONKE, éd., A History of Twelfth-Century Western Philosophy, Cambridge 1988, pp. 151-
176). La réfutation par Thomas de la thèse deum esse per se notum (cf. plus haut n. 67) n’a pas été sui-
vie par tous les théologiens de la fin du Moyen Âge (cf. Norbert HEROLD, Menschliche Perspektive und
Wahrheit, Zur Deutung der Subjektivität in den philosophischen Schriften des Nikolaus von Kues, Münster
1975, 12 sqq.). La thèse revient en force dans les temps modernes chez Hume, Pascal, Fénelon, Des-
cartes, Buffier, La Mennais et autres (cf. DEWENDER et al., ‘Sensus communis’, col. 639 sqq.; OEH-
LER, Consensus, pp. 124-128; Henri BREMOND, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, vol I,
Paris 1916, pp. 487-496), dont la variante piétiste chez Oetinger me semble la plus intéressante,
parce qu’elle renoue avec la théologie affective du Moyen Âge (cf. GADAMER, Wahrheit und Methode,
pp. 34 sqq.).
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80. De testimonio animae I 6-7 (CC 1), p. 176: Non eam te advoco, quae in scholis formata, bybliothe-
cis exercitata, academiis et porticibus Atticis pasta sapientiam ructas. Te simplicem et rudem et impolitam et
idioticam compello qualem te habent qui te solam habent, illam ipsam de compito, de trivio, de textrino totam
... Ea expostulo quae tecum homini infers, quae ex temetipsa aut ex quocumque auctore tuo sentire didicisti; cf.
Jean-Claude FREDOUILLE, Tertullien et la conversion de la culture antique, Paris 1972, pp. 188-190.
81. Adversus Marcionem I 16 (CSEL 47, 1890, p. 311); cf. Michel SPANNEUT, Le stoïcisme des pères
de l’Église de Clément de Rome à Clément d’Alexandrie, Paris 1957, p. 277.
82. Arnobe, Adv. nationes IV 9 (éd. C. MARCHESI, 1953), p. 211. 19: Non istud nos soli, sed veri-
tas ipsa dicit et ratio et ille communis qui est cunctis in mortalibus sensus. – Hilaire de Poitiers, De Trinit.
IX 59, 1 (CC. 62A): Ac primum antequam dicti ratio et causa memoratur, sensu communis iudicii sentien-
dum est, an credibile esse possit, ut aliquid ex omnibus nesciat, qui omnibus ad id quod sunt adque erunt auc-
tor est. Ibid., XII 18. 1: nos cum semper Filium fuisse dicamus, neque aliquid aliquando fuisse quo non fuit,
sine natiuitate eum per id quod semper fuerit praedicare: quia humani sensus opinione id quod semper fuit non
patiatur ut natum sit, nascendi autem causa sit, ut sit quod non erat, esse uero quod non fuit, nihil aliud sub
communi sensu esse quam nasci. – Tertullien, Ad nationes II 5, p. 48. 3 (CC. 1): Quin ergo ad humanio-
rem aliquanto con<uertim>ur opinionem, quae de communi omnium sensu et simplici con<ie>ctura deducta ui-
deatur? Idem, De resurr. mortuorum 3, l. 5 (CC 2): Vtar ergo et sententia platonis alicuius pronuntiantis:
omnis anima inmortalis; utar et conscientia populi contestantis deum deorum; utar et reliquis communibus sen-
sibus, qui deum iudicem praedicant: deus uidet et deo commendo. – Naturellement cette signification per-
siste pendant tout le Moyen Âge; cf. par ex. Rupert de Deutz, Comm. in ev. Joh. V, p. 269, l. 1152
(CC cm 9): Mentiebantur ergo quia non solum secundum caelestem ueritatem sed et secundum communem ho-
minum sensum uel morem qui non honorificat filium non honorificat patrem qui misit illum. Ibid., IX, p.
530, l. 2220: O malum stultiloquium dicentium daemonium habere et communi sensu carere dei filium.
83. Ep. 143 (CSEL 44. 3), p. 253. 3: haec ideo scripsi, ut, quisquis illarum quattuor de anima sen-
tentiarum aliquam uoluerit adstruere atque defendere, talia proferat uel de scripturis in auctoritatem eccle-
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siasticam receptis, quae non possint aliter accipi, ..., uel ratione tam certa, ut contradictio aut nulla existat aut
insaniae similis merito iudicetur ..., quam sit hoc uerum, scripturarum auctoritas necessaria est ac non sensus
ipse communis ita uerum esse perspicua ratione proclamat, ut, quisquis contradixerit, dementissimus habeatur.
84. Conf. 13, 31: Qui autem per spiritum tuum vident ea, tu vides in eis. Ergo cum vident quia bona sunt,
tu vides quia bona sunt ... (suivi de I Cor. 2, 11); cf. aussi ibid., 10, 6; Sermo 159, 3-4. Cf. Josef LOSSL:
‘Intellectus gratiae’, Die erkenntnistheoretische und hermeneutische Dimension der Gnadenlehre Augustins von
Hippo (Vigiliae Chr. Suppl. 38), Leiden 1997.
85. E. SCHEERER, ‘Sinne’, col. 834-838; M. CANEVET, «Sens spirituel», dans Dict. de spiritualité
14, Paris 1990, col. 598-617; BALTHASAR, La gloire, pp. 309-366; RAHNER, Sens spirituels, pp. 113-
145. – Anselme de Canterbury parle déjà de quinque sensus animae (Proslog. ed. SCHMITT, 1962, 112
sq.) dirigés par le iudicium animae synthétique qui est tota in singulis (ibid., 111; cf. KÜLLING, Wah-
rheit als Richtigkeit, pp. 139-146); Jean de Salisbury reprend la gradation des connaissances citée
plus haut (n. 23) en l’appliquant à la «sagesse venant des sens par la grâce» dans Metalogicon IV 19,
l. 10-25: ... timor ipse qui est initium sapientiae, de sensu vel imaginatione poenae contingit. Qui cum solli-
citetur ne vapulet, punientis habens memoriam, ipsius declinat offensam ... Si vero assuescat experientiae, ex
consuetudine gerendorum provenit fortitudo. Ut autem obsequium rationabile ... praestet, consilium delibera-
tionis super actis vel agendis oboritur. Deliberationem sequitur intellectus ... Versatur enim in divinis quorum
gustus et amore et inhaerentia, vera demum sapientia est. Hos tamen gradus non operatur natura sed gratia,
quae de fonte sensuum pro arbitrio suo elicit varios rivulos scientiarum ... et hominem Deo unit.
86. Cf. Chr. MEIER-STAUBACH, Ruperts von Deutz literarische Sendung. Der Durchbruch eines
neuen Autorbewußtseins im 12. Jahrhundert, dans Wolfram-Studien 16 (2000), pp. 29-52 pour un
bel exemple d’auto-légitimation par l’inspiration divine; Angela GIALLONGO: L’avventura dello
sguardo, Bari 1995, pp. 31 sqq. pour le conflit continuel, au Moyen Âge, entre une théologie scien-
tifique et élitiste et une dévotion, appelée «théologie affective» à la fin du Moyen Âge.
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87. In Philipp., II 2, 5 (éd. MARIETTI, II, p. 91): ... ideo «hoc sentite», id est, experimento tenete quod
fuit «in Christ Iesu». Notandum quod quinque modis debemus hoc sentire, sc. quinque sensibus. Primo videre
eius charitatem, ut ei conformemur illuminati ... Secundo audire eius sapientiam, ut beatificemur ... Tertio odo-
rare gratias suae mansuetudinis, ut ad eum curramus ... BALTHASAR, La gloire, p. 321 compare ce texte
avec un passage analogue d’Augustin, Confessions 10, 6. Quant à l’impossibilité de distinguer sens
métaphorique et sens propre dans ce domaine, cf. Jean Gerson, De oculo, dans Œvres complètes (éd. P.
GLORIEUX, vol VIII, Paris 1971), pp. 149-154, qui énumère toutes sortes d’yeux (l’œil intellectuel,
sensoriel, charnel intérieur, charnel extérieur, divin, angélique, etc.); cf. SPINOSA, Visione, 119-134;
KIENING, Gradus visionis, pp. 251 sqq. sur l’apport de l’optique dans la description de la vision béa-
tifique chez Nicolas de Cues; SCHLEUSENER, Das Auge, p. 105 distingue trois types de vision chez
Roger Bacon, innovateur en optique: une vision incertaine ici-bas, moyenne dans l’interim et par-
faite après la résurrection, parce qu’elle seule sera capable de n’être pas aveuglée par la lumière di-
vine. Où est la métaphore?
88. KÜLLING, Wahrheit, p. 145, sur Anselme, Proslog. (éd. SCHMITT), pp. 111 sq.
89. Pierre d’Ailly, cit. d’après RAHNER, Sens spirituels, p. 293; cf. SCHEERER, Sinne, col. 837.
90. Augustin, De Trin. 9. 1. 1: Certa enim fides utcumque inchoat cognitionem: cognitio vero certa non
perficitur nisi post hanc vitam cum videbimus facie ad faciem.
91. Sermones super Cantica Cant. 28, I 5, S. Bernardi opera (ed. J. LECLERCQ et al., Rome 1957, vol.
I), pp. 195 sq.: Non autem credidit ex eo quod vidit, sed ex eo procul dubio quod audivit, quia ‘fides ex au-
ditu’ [ Rom. 10, 17]. Dignum fuerat per superiorem oculorum fenestras veritatem intrare in animam; sed hoc
nobis, o anima, servatur in posterum, cum videbimus facie ad faciem ... Ergo auditus ad meritum, visus ad
praemium. Unde Propheta: ‘Auditui meo’, inquit, ‘dabis gaudium et laetitiam’ [Ps. 50, 10], quod fidelis re-
tributio auditionis beata visio sit, et beatae meritum visionis fidelis auditio. ‘Beati autem mundi corde, quo-
niam ipsi Deum videbunt’ [ Matth. 5, 8]. Porro fide oportet mundari oculum qui videat Deum. Pour la hié-
rarchie des deux sens supérieurs cf. Horst WENZEL, Hören und Sehen, Schrift und Bild. Kultur und
Gedächtnis im Mittelalter, Munich 1995, pp. 59 sqq. et supra, n. 27-29. Pour l’étymologie cf. Isi-
dore de Séville, Etym. X 196 (oboedire) obaudire, ab aure, «prêter l’oreille»; l’allemand «gehorchen»
en est un calque du XIIIe s. Selon Ambroise (De off. ministr. I 2, 7) le péché originel vient d’un dé-
faut de l’ouïe: Eva lapsa est quia locuta est viro, quod non audierat a domino Deo suo. Prima vox Dei dicit
tibi: ‘Audi!’ Cf. VON MOOS, Attentio, p. 110.
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92. Cf. FARYNO, Die Sinne, pp. 659-661 sur le toucher de Marie Madeleine et de l’apôtre Tho-
mas (Jo. 20, 17 et 20, 25-31); TELLKAMP, Sinne, pp. 205 sq. sur l’excellence du toucher chez Tho-
mas d’Aquin, et supra, n. 33.
93. Voir infra, ch. IV. C’est à partir du concept de l’intuition angélique ou béatifique que Duns
Scot et Guillaume d’Ockham développent leur critique de l’aristotélisme épistémologique: la
connaissance immédiate d’un singulier présent est nécessairement supérieure à toute intellection
abstractive de l’universel; cf. DAY, Intuitive Cognition, pp. 49-70, 76-88, 169-200.
94. Pour l’arrière-plan patristique de ces deux notions de sensus communis cf. OEHLER, Consensus,
pp. 117-120 et Hélène PÉTRÉ, Caritas, Étude sur le vocabulaire latin de la charité chrétienne, Louvain
1948, pp. 320-329, 339-348. C’est de cette forte tradition que provient encore le «Gemeinsinn»
de Kant.
95. Jean de Ford, Sermones s. extremam partem Cant. cant. 55, l. 253 (CC cm 17); cf. I Cor. 12, 26-
13, 4.
96. In I Cor. (PL 191), col. 1654 sqq.
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té»97: Magnopere curandum est ut id teneamus quod ubique, quod semper, quod ab
omnibus creditum est, hoc est enim vere proprieque catholicum. Bernard de Clair-
vaux définit simplement l’Église par «unanimité»98: Ecclesiae nomine non una
anima, sed multorum unitas vel potius unanimitas designatur. Ce consensus si
parfait et total nie la possibilité même, intra ecclesiam, de voix discordantes,
hérétiques par définition, et qui s’excommunieraient d’elles-mêmes. L’ins-
titution chargée de la vérité unique est chargée également de l’imposer à ses
membres, ainsi que le prescrit la première Lettre aux Corinthiens (1, 10):
«qu’il n’y ait point parmi vous de divisions», non sint schismata.
Cette «concordance catholique» reposant sur l’obligation du dogme
semble l’opposé extrême de l’endoxon du Stagirite, qui prône comme mé-
thode de s’en tenir à la majorité qualifiée, dans le libre jeu de la joute dia-
lectique. Cette opposition n’est pourtant que relative. Les définitions
qu’Aristote donne de «l’opinion respectable» se retrouvent déjà en sub-
stance dans la Règle de St. Benoît (chapitre LXIV sur l’élection de l’ab-
bé)99 et sont même entrées dans le droit canon de l’Église (elles sont
presque littéralement citées dans les commentaires du Décret de Gratien
sous la rubrique de sermo communis)100. C’est encore une forme christianisée
de l’endoxon qui s’exprime dans des formules aussi répandues que: «seul le
fou (au sens biblique: insipiens, insanus) ne croit pas voir ce que voient
tous»; «ce que tout le monde dit, ne peut pas être entièrement faux»; «ce
qui est accepté par tous, doit être vrai»; «de nombreux témoins sont plus
97. Vincent de Lerins, Commonitorium pro catholicae fidei antiquitate 2. 5; cf. OEHLER, Consensus,
pp. 122 sqq.
98. Sermo super Cant. 61. 2; cf. Pierre MICHAUD-QUANTIN, Universitas, Paris 1970, pp. 271-274.
99. Cf. VON MOOS, Intorduction, supra, pp. 523-524; IDEM, Das Öffentliche, pp. 32-39.
100. Brian TIERNEY: «Only truth has authority»: the problem of «reception» in the Decretists
and in Johannes de Turrecremata, (1977), dans IDEM, Church Law, pp. 69-96 sur Turrecremata, In
Gratiani Decretorum primam ... commentaria, Venetiis 1578, D 19 c 6, p. 169: quae ab omnibus asse-
runtur non possunt omnino carere veritate ut dicit Philos., primo Rhetorices et 7 Ethicorum ... sermo communis
non est omnino falsus, ut Philosophus dicit primo rhetorices, ... ut dicit Philosophus primo topicorum, probabi-
le verum est, quod a pluribus et sapientibus dicitur. Tout cela s’applique au passage du Décret, 19, 6, CIC
(ed. Friedberg, Graz 1959) vol I, col. 62: Tenebit igitur hunc modum in scripturis canonicis, ut eas, quae
ab omnibus recipiuntur ecclesiis, preponat eis, quas quidam non accipiunt. In eis, vero, que non accipiuntur ab
omnibus, preponat eas, quas plures gravioresque accipiunt, eis, quas pauciores minorisque auctoritatis ecclesiae
tenent. Si autem alias invenerit a pluribus, alias a gravioribus haberi (quamquam hoc inveniri non possit)
equalis tamen auctoritatis eas habendas puto. Pour l’importance de l’endoxon dans un droit médiéval es-
sentiellement anti-positiviste, voir les pages classiques de Fritz KERN, Recht und Verfassung im Mit-
telalter (Hist. Zeitschr. 120, 1919, 1-79), repr., Darmstadt 1992, par ex. p. 63: «Für das naive Emp-
finden, in welchem ein Stück Mittlelalter fortlebt, ist es eine unheimliche Sache, daß alles Recht
in Büchern stehe und nicht dort, wo Gott das Recht hervorwachsen ließ, im Gewissen und der ge-
meinen Meinung, in der Gewohnheit und dem gesunden Menschenverstand».
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proches de la vérité qu’un seul», testis unus testis nullus, règle juridique qui
peut s’appliquer aux témoignages des apôtres sur le Christ. Ces maximes
apparemment triviales se rapportent à un consensus fidelium, constitué, et
par le nombre, et par la sincérité de la foi et de la conscience individuelle.
Ceux qui la possèdent, sont directement instruits par «l’Esprit qui est en
eux» et s’accordent donc nécessairement101. Les divergences d’opinion et
les erreurs sont fruits du mal, du solipsisme. Pour citer Ambroise102: «Le
sot est sot pour lui-même, le sage goûte la sagesse pour lui et pour plu-
sieurs». Le vrai savoir ne peut donc être que partagé.
Il est difficile d’extraire de ces maximes le principe de méthode que
prône Aristote. Malgré son idéal d’unité, les divisions et les désaccords ont
toujours existé dans l’histoire de l’Église, soit dans les controverses entre
contemporains sur l’interprétation de la parole divine, soit dans les diver-
gences doctrinales entre les autorités de la tradition. Comment expliquer
les conflits, patents dès les premiers débats sur la constitution des dogmes,
si, à travers les fidèles, c’est toujours et partout le Paraclet qui enseigne la
même vérité? Grégoire le Grand résout ce problème en transposant sur le
plan spirituel la conception augustinienne de l’objectivité intersubjective
des deux sens supérieurs. Celle-ci est discrètement mise en cause par la
théorie de l’intervention divine dans la perception103: «Vous entendez tous
la voix d’un homme qui parle de la même façon, mais vous ne percevez pas
de la même façon la signification de la voix entendue; pourquoi alors,
puisque la voix n’est pas différente, dans vos cœurs la compréhension est-
elle différente, si ce n’est parce que le maître intérieur instruit quelques-
uns de façon spéciale sur l’intellection de ce que la voix enseigne de façon
commune». Ce passage est plusieurs fois cité par Abélard104, un des fon-
dateurs d’une nouvelle théologie rationnelle. Il ne le fait certes pas pour
101. Pour ces maximes cf. EVANS, Getting it Wrong, pp. 130-152 («The commonness of shared
knowledge»), pp. 153-166 («Wisdom and folly») et TIERNEY, Church law, pp. 72-84; pour l’aspect
du témoignage cf. Alessandro GIULIANI: Il concetto di prova: Contributo alla logica giuridica, Milano
1961, pp. 158-187, et la note précédente.
102. De Noa et arca 6. 18: Stultus sibi soli stultus est, sapiens autem sibi et plurimis sapit (basé sur
Pov. 9, 12). Cf. EVANS, cit., pp. 121 sqq.
103. Voir supra, n. 36-39 (Augustin) et n. 40 (sensus affativus). Grégoire, Hom. in Evang. II 30
(PL 76), col. 1222A: Ecce unam loquentis vocem omnes pariter auditis, nec tamen pariter sensum auditae vo-
cis percipitis. Cum ergo vox dispar non sit, cur in cordibus vestris dispar est vocis intelligentia, nisi quia per
hoc quod vox loquentis communiter admonet, est magister interior qui de vocis intelligentia quosdam speciali-
ter docet.
104. Theologia summi boni (ed. E. BUYTAERT - C. MEWS, CCcm 13, 1987), II 18-20; Theologia
christiana (ed. E. M. BUYTAERT, CCcm 12, 1969), II 30-31, 33, 36.
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105. Cf. VON MOOS, Geschichte als Topik, pp. 238-308; Endoxon I et II; Das Oeffentliche, pp. 32-46.
106. Hasso HOFMANN, Repräsentation. Studien zur Wort- und Begriffsgeschichte von der Antike bis ins
18. Jh., Berlin 1974, pp. 223 sqq.; Brian TIERNEY: Religion, Law, and the Growth of Constitutional
Thought, 1150-1650, Cambridge 1982, pp. 60-73; IDEM, Church law, pp. 72-82.
107. Jean de Salisbury, Metalogicon III 1, l. 122; cf. VON MOOS, Endoxon IV, pp. 25 sqq.
108. De sacramentis I 10, 6 (PL 176), col. 339C; pour d’autres citations cf. VON MOOS, Geschich-
te als Topik, p. 381; TIERNEY, Church law, p. 72: «progressive reception» dans le droit canon. Pour
la confiance («personnelle et systémique») cf. Niklas LUHMANN, Vertrauen. Ein Mechanismus der Re-
duktion sozialer Komplexität, Stuttgart 1989.
109. Metalogicon IV 13, l. 7-23, déjà cité plus haut dans la note 78; cf. VON MOOS, Endoxon IV,
pp. 22-24.
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dispensable «en toutes choses humaines et divines», écrit-il, car, sans foi, il
n’y aurait «ni de contrats entre les hommes, ni d’échange (commercium) entre
Dieu et les hommes». La foi dépasse donc le sens étroit de la contrainte
dogmatique. Inspirée par la grâce du Saint-Esprit, en quelque sorte le sen-
sus communis du corps mystique, la foi devient la certitude eschatologique
qu’en toutes choses, tôt ou tard, d’une façon ou d’une autre, la vérité divi-
ne l’emportera sur les erreurs humaines. Pour des raisons bien différentes,
mais dans un même élan de confiance réaliste très éloignée de nos soucis
modernes, ni Aristote ni ses successeurs chrétiens du Moyen Âge n’auraient
pu imaginer que tout un peuple ou toute une époque, corrompus par
quelque mauvais génie, puissent sombrer dans une névrose collective110.
110. OEHLER, Consensus, pp. 108 sq. L’hypothèse d’un «sens commun» créé par un «être faux et
méchant», afin d’induire les hommes à l’erreur de par leur consensus même, est en effet exprimée
par Pascal dans son résumé légèrement parodique du scepticisme de Montaigne; cf. Entretien avec
M. de Sacy extrait des ‘Mémoires’ de Fontaine, dans Blaise Pascal, Œuvres complètes éd. M. LE GUERN,
Bibl. de la Pléiade, vol. II, Paris 2000, p. 90.
111. Outre les aspects développés ici, il faut noter un problème spécifique de la théorie de l’hy-
lomorphisme et de l’adaequatio intellectus et rei à un objet surnaturel: il aboutit nécessairement au
panthéisme, comme celui des amalriciens et des averroïstes; cf. TROTTMANN, La vision béatifique, pp.
14 sqq., 125-165.
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Les Épîtres aux Corinthiens112 en font un absolu qui ne tolère aucun inflé-
chissement platonisant, gnostique ou transcendantaliste. Si la construction
de deux phases distinctes de la béatitude – l’une immédiatement après la
mort, l’autre après la résurrection – est essentiellement une théorie médié-
vale, elle est néanmoins ébauchée très tôt, dès que la croyance en l’immi-
nence de la fin des temps décline113. Mais ce n’est pas par concession à la
philosophie de l’immortalité de l’âme que les pères, Cyprien en particulier,
désignent par les métaphores poétiques de dormitio, requiem et refrigerium
interim, l’état des âmes séparées de leur corps, mais comme réconfort pour
des fidèles impatients de revoir leurs proches dans la résurrection généra-
le. Jamais cette conception d’un lieu de paix et d’attente n’est dissociée de
sa finalité incomparable, la restitution de l’intégralité de chaque personne,
corps et âme, et de la communauté des élus. Le provisoire et l’insuffisance
de l’état intermédiaire renforce au contraire l’espoir de la perfection finale,
et ceci malgré des images spiritualistes alors conventionnelles – le vol de
l’âme, le poids du corps, la mort frère du sommeil, etc.114 Ces images ne
soulignent généralement que l’aspect transitoire. S’il y a sommeil, c’est
dans l’attente du réveil, s’il y a séparation de partenaires, c’est dans le dé-
sir de la réunion, s’il y dépôt sous terre, c’est dans l’expectative de la resti-
tution. Si l’attente confère à l’au-delà une dimension temporelle, ce n’est
que comme préparation à l’éternel présent, abolition totale du temps115. La
mort et la corruption, conséquences du péché originel, ne sont pas, com-
me celui-ci, abolies par la rédemption. Selon la logique de la felix culpa,
elles sont l’humiliation, la punition et la purgation nécessaires à l’exalta-
112. Cf. Paul HOFFMANN, Die Toten in Christus. Eine religionsgeschichtliche und exegetische Untersu-
chung zur paulinischen Eschatologie, Münster 1966, pp. 337 sq.
113. Cet aspect temporel est bien relevé par Joseph A. FISCHER, Studien zum Todesgedanken in der
alten Kirche, Munich 1954, pp. 226 sqq.
114. Ces images topiques ne sont pas toutes gréco-romaines, cf. par ex. Sap. 9, 15: Corpus quod
corrumpitur adgravat animam, et terrena inhabitatio deprimit sensum multa cogitantem. Elles sont le plus
répandues dans les épitaphes, mais leur arrière-plan néoplatonicien est contrebalancé par l’évocation
de l’attente de la résurrection des corps; cf. Gabriel SANDERS, Licht en diusternis in de christelijke Graf-
schriften, Bruxelles 1965, pp. 725 sqq.; en général cf. VON MOOS, Consolatio, vol. III, pp. 172-218.
Ce chapitre sur la résurrection et le problème des rapports entre corps et âme est assez sommaire et
ne contient que les citations les plus importantes, parce que l’analyse que j’en ai faite aurait large-
ment dépassé le cadre thématique de Consolatio, déjà assez volumineux. Je l’ai donc mise de côté
dans l’intention de la publier séparément, ce qui ne s’est jamais fait. Le présent travail m’a fait re-
découvrir un manuscrit vieux de trente ans que j’espère pouvoir mettre à jour et publier bientôt.
115. Pour ce dernier aspect essentiel, généralement peu connu, cf. HOYE, Actualitas, p. 214 sq.
sur Thomas, Summa theol. I-II 67, 1.
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116. Cf. ibid., pp. 182-184; deux citations médiévales particulièrement concises rendent bien
cette pensée patristique: Bernard de Clairvaux, Sermo I in transitu S. Malachiae 4 (PL 183), col.
483D: victa plane mors, opus diaboli, et peccati poena, victum peccatum, causa mortis; victus et malignus ipse,
et peccati auctor et mortis. Nec modo victa sunt haec sed et iudicata iam et damnata. Definita quidem, sed non-
dum promulgata sententia est. Hildebert de Lavardin, Ep. I 12 (PL 171), col. 174 A: O nunquam puni-
ta satis transgressio! ... In ea concipimur puniendi etiam in sepulcro. Ce sujet semble peu connu parmi les
médiévistes, du moins parmi ceux qui ont contribué à «Il cadavere, The corpse», Micrologus VII,
1999. Pour felix culpa cf. la belle étude de K. SCHREINER, Adams und Evas Griff nach dem Apfel –
Sündenfall oder Glücksfall? dans VON MOOS, Der Fehltritt, pp. 363-376.
117. Cf. plus bas n. 119. Le témoignage le plus émouvant de cette conception est peut-être l’au-
to-épitaphe de l’évèque Bernward de Hildesheim; cf. W. VON DEN STEINEN, Bernward von Hilde-
sheim über sich selbst, dans Menschen im Mittelalter, éd. P. VON MOOS, Berne 1967, pp. 121-149.
118. C’est ce qui ressort par ex. de la célèbre lettre de Pierre le Vénérable à Héloïse, transmise
au Paraclet avec la dépouille d’Abélard, Ep. 115, éd. G. CONSTABLE, Harvard 1967, vol. I, pp. 307
sq.: Hunc ergo venerabilis et carissima in domino soror, cui post carnalem copulam tanto validiore, quanto me-
liore divinae caritatis vinculo adhesisti, cum quo et sub quo diu domino deservisti, hunc inquam loco tui, vel
ut te alteram in gremio confovet, et in adventu domini, in voce archangeli, et in tuba dei descendentis de caelo,
tibi per ipsius gratiam restituendum reseruat. Cette idée que M. T. CLANCHY, comme GILSON avant lui,
trouve «baffling» (Abelard. A Medieval Life, Oxford 1997, pp. 158 sq.), n’a pourtant rien d’extra-
vagant pour l’imaginaire monastique du XIIe siècle; cf. supra ch. 1 et VON MOOS, Consolatio, vol.
III, pp. 199-400 (en général), 224-259 (sur Pierre le Vénérable en particulier).
119. Sur tout cela, il y a un ensemble de beaux textes de Geoffroy d’Auxerre, qui par leurs ci-
tations peuvent presque servir d’anthologie patristique. J’aimerais y revenir ailleurs avec plus de dé-
tails et me borne à indiquer les réferences: Vita pima S. Bernardi, Lb. III, prol. (PL 185), col. 301;
Epistola de obitu S. Bernardi ad Heschilum, ed. A. H. BREDERO, dans Scriptorium 13 (1959), p. 32: Si-
quidem Bernardus amicus vester dormit, sed non totus dormit; vigilat, vigilat cor illius. Caro illius requiescit
in spe, donec veniat qui a somno exitet illam. Nam spiritus quidem nunc maxime vigilans non dormit ali-
quando nec dormitat, ... Idem, Sermo in natale S. Benrardi, ed. J. LECLERCQ, Etudes sur S. Bernard et
le texte de ses écrits, dans Anal. S. ord. Cisterciensium 9 (1953), pp. 161 sq.: Docebat namque non om-
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nimodis animas decedentium a corporibus separari nec personalis vinculum unionis aliquando posse dissolvi. Se-
parari tradebat a carne animam quantum ad sensificationem et vivificationem, semper tamen unionem perso-
nalem manere ... Sic unus et idem Petrus Romae est et in caelo. Et nunc viderint qui detractant credere isti sanc-
to, quo vel quanto tueantur iudice vel patrono ... Ergo ... quoties ad sepulcrum eius accessero, praesentem invo-
co et qui vere est, non qui desiit esse, vel esse coepit anima quae prius ipse non fuit ... Cf. VON MOOS, Conso-
latio, vol. II, pp. 205, 210 sq., 216-233; M. B. PRANGER, Bernard of Clairvaux and the Shape of Mo-
nastic Thought. Broken Dreams, Leiden 1994, pp. 275-313.
120. Ambroise, De obitu Valentiniani 44-45 (CSEL 73, p 350 sq.): Si est, vivit; immo quia est, vita
iam fruitur aeterna. Quomodo enim non habet sensum, cuius anima et vivit et viget et remeabit ad corpus et fa-
ciet illud, cum refusa fuerit, revivescere? Clamat apostolus «Nolumus autem vos ignorare, fratres de dormien-
tibus, ut non tristes sitis sicut ceteri, qui spem non habent. Nam si credimus, quod Iesus mortuus est et resur-
rexit, ita et deus illos, qui dormierunt, per Iesum adducet cum ipso» (I Thess. 4, 13). Manet ergo eos vita,
quos manet resurrectio. Quod si gentes quae spem resurrectionis non habent, hoc uno se consolantur, quo dicant,
quod nullus post mortem sensus sit defunctorum ac per hoc nullus remaneat sensus doloris, quanta magis nos
consolationem recipere debemus, quia mors metuenda non sit, eo quod finis sit peccatorum, vita autem desperan-
da non sit, quae resurrectione reparatur?
121. Dans l’oraison funèbre de son frère, Ambroise exprime la même pensée, mais la termine
ainsi, De escessu fratris I 71 (ibid., pp. 245 sq.): Nos vero, ut erectiores praemio, ita etiam patientiores so-
lacio esse debemus; non enim amitti, sed praemitti videntur, quos non adsumptura mors, sed aeternitas receptu-
ra est.
122. De civitate Dei XXII (CC 48). Un développement analogue se trouve dans le Sermo 362, pro-
bablement pseudo-augustinien (PL 39), col. 1717 sq.
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123. De civitate Dei XXII 4; XXII 11, l. 32-46; cf. XIII 16. Augustin le dit de façon clairement
polémique dans Enarr. in Ps. LXXXVIII, II, 5 (CC 39), p. 1237: In nulla ergo re tam vehementer, tam
pertinaciter, tam obnixe et contentiose contradicitur fidei christianae, sicut de carnis resurrectione. Nam de ani-
mae immortalitate multi etiam philosophi gentium multa disputaverunt ...; cum ventum fuerit ad resurrectio-
nem carnis, non titubant, sed apertissime contradicunt, et contradictio eorum talis est, ut dicant fieri non posse
ut caro ista terrena possit in caelum adscendere. Ideo ... adversus omnes contradictores testis in coelo fidelis. Na-
turellement, dans d’autres contextes, surtout pastoraux, Augustin n’omet pas les considérations ré-
confortantes sur la dormitio et le refrigerium des âmes séparées, dont nous venons de parler; cf. par ex.
Sermo 172, I 1 (PL 38), col. 936: ideo dormientes eos appellat scripturae veracissima consuetudo, ut cum dor-
mientes audivimus, evigilantes minime desperemus… Unde etiam cantatur in psalmo (40, 9): «Numquid qui
dormit non adiciet ut resurgat»? De même Ep. 263, 4 (CSEL 57); Enarr. in Ps. LXV 17-18 (CC 39),
pp. 851 sq.; ibid., LXXXVIII, II 5-16, pp. 1236-1244.
124. De civitate Dei XXII 5.
125. Ibid., l. 38 sq.: si credibilis non est, unde toto terrarum orbe iam credita est [resurrectio].
126. Francis GOYET, Le sublime du lieu commun. L’invention rhétorique dans l’Antiquité et à la Re-
naissance, Paris 1996; cf. VON MOOS, Endoxon II, pp. 157-161.
127. De civitate Dei XXI 5; 7-8; en particulier XXI 8, l. 66-83.
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teint ou non134. Il était d’une beauté rayonnante et sans faille mais mon-
trait ces plaies aux apôtres: nous garderons toutes nos qualités extérieures
sauf nos imperfections et difformités. Les martyrs, par contre, ne perdront
probablement pas les traces de leurs peines, parce que ce sont des signes
d’honneur135. De même que le sculpteur peut refondre une statue pour en
faire une autre plus parfaite, nous garderons notre matière en entier et per-
drons toute défiguration136. «À la résurrection, on ne prend ni femme ni
mari» (Mt 22, 30); nous serons pourtant homme et femme, parce que le
sexe féminin n’est pas un défaut, mais nature137. Qu’en sera-t-il de nos
cheveux tondus, de nos ongles coupés ou des parties du corps dévorées et
assimilées par des animaux ou cannibales? Nous n’aurons plus besoin de
nos déchets, mais ce qui nous est essentiel sera restitué par Dieu138. Si les
médiévistes ont souvent cité ces exemples pour leur bizarrerie, il faut ce-
pendant insister sur l’effort littéraire et rhétorique qui a rassemblé toutes
les images susceptibles de combattre des vues spiritualistes ou gnostiques
diminuant la portée physique et sensible de la promesse.
Ce n’est guère dans ce registre légèrement apologétique qu’intervien-
nent les conceptions de sensus interior (l’équivalent du sensus communis psy-
chologique), de sensus spiritualis ou vision de la foi et du «corps mystique»
ecclésial, dont nous avons parlé. Elles s’annoncent, transposées au niveau
eschatologique, quand Augustin tâche d’expliquer le paradoxe de la trans-
formation du corps naturel en «corps spirituel». La question principale est
la suivante: de quelle qualité seront les yeux qui verront non seulement le
Christ dans son deuxième adventus, mais qui verront «face à face» Dieu lui-
même qui est esprit? Ils seront corporels, mais en quoi se distingueront-ils
des yeux profanes dont nous nous servons maintenant? Après une nouvel-
le réserve apophatique devant la difficulté de la question, Augustin tente
une réponse139: Il faut que ces yeux ne soient pas seulement plus aigus,
comme ceux des aigles, mais d’une tout autre nature, bien que toujours
sensibles. La raison véritable se moque «du raisonnement des philosophes
qui n’attribuent à l’esprit que des objets intelligibles, aux sens corporels
que des objets sensibles, de sorte que ni les intelligibles ne peuvent être
vus par le corps ni les sensibles par l’esprit»140. Dieu lui-même, sans être
corps, connaît les choses corporelles, et l’homme est capable, grâce à son
«sens intérieur», de voir plus qu’il ne voit. Nous voyons que l’animal qui
bouge est vivant, bien que les yeux ne voient pas la vie mais un phénomè-
ne en mouvement. Pourquoi alors l’œil en tant que «face de l’homme in-
térieur» ne pourrait-il pas, par l’intermédiaire du corps, voir le Dieu in-
corporel, de la même façon que, par cet organe, nous voyons maintenant
les choses de la nature?141 Il le pourra d’autant plus que ce sera un autre
œil, semblable à l’esprit, tout en ne l’étant pas, ainsi que l’exprime ce
chiasme d’oxymorons: «Alors la chair spirituelle sera soumise à l’esprit,
mais restera chair, comme l’esprit charnel a été soumis à la chair, tout en
étant esprit et non chair. Et ceci nous le savons d’expérience ...»142. Nous
n’ouvrirons plus ni ne fermerons nos yeux pour voir ou ne pas voir, parce
qu’ils ne seront plus un simple organe, mais «l’œil du cœur», complexe et
affectif, qui verra Dieu. C’est Dieu lui-même qui se révélera à l’intérieur
de chacun, car il sera «tout en tous», et nous le verrons autant l’un dans
l’autre qu’en nous-mêmes143. «Les membres du corps dont le Christ est la
tête» et qui, maintenant, «s’accroissent de jour en jour», seront enfin au
complet, et cette plénitude entraînera d’elle-même l’intégrité de chacun
des membres144. Ils ne seront pas tous semblables, mais différents par leurs
mérites individuels et disposés selon une hiérarchie analogue à celle des
anges, où personne n’enviera le rang de l’autre. Car, de même que dans le
corps, chaque membre se contente de sa fonction propre – «l’œil ne désire
pas être le doigt» –, le même amour des parties pour le tout fera que «per-
sonne ne demandera plus qu’il n’a reçu»145. On peut en conclure que les
140. Ibid., l. 159-164: Ratiocinatio quippe illa philosophorum, qua disputant ita mentis aspectu intel-
ligibilia videri et sensu corporis sensibilia, id est corporalia, ut nec intelligibilia per corpus, nec corporalia per
se ipsam mens valeat intueri, si posset nobis esse certissima, profecto certum esset per oculos corporis etiam spiri-
talis nullo modo posse videri Deum. Sed istam ratiocinationem et vera ratio et prophetica inridet auctoritas.
141. Ibid., l. 164-195.
142. Ibid., XXII 21, l. 10-13: Erit ergo spiritui subdita caro spiritalis, sed tamen caro, sicut carni sub-
ditus fuit spiritus ipse carnalis, sed tamen spiritus, non caro. Cuius rei habemus experimentum. Ep. 118, 3
(PL 33), col. 439, cité par Thomas d’Aquin dans la n. 181. Cf. plus bas n. 159 une application spi-
ritualiste de cette idée par Nicolas de Cues.
143. Ibid., l. 195-212; 46-97. On pourrait rappeler ici ce que SIMMEL, Soziologie der Sinne, p.
277, dit de la réciprocité de la vue. La vue est le sens communicatif par excellence, parce que ca-
pable de prendre et donner en même temps, tandis que l’ouïe est «le sens le plus égoïste» qui ne
peut que prendre.
144. De civitate Dei XXII 18, l. 17-43.
145. Ibid., XXII 30, l. 32-48.
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146. Moralia in Iob XIV 56, 72-56, 77 (CC 143 A), pp. 743-746.
147. Au Moyen Âge, Job 19, 27: quem visurus sum ego ipse et oculi mei conspecturi sunt et non alius
... n’a pas encore été traduit comme dans l’exégèse moderne: «celui que mes yeux regarderont ne
sera pas un étranger»; pour ce problème d’interprétation cf. KIENING, Gradus visionis, pp. 244 sq.
148. Moralia in Iob XIV 56, 77: Si enim, sicut quidam errorum sequaces arbitrantur quia post resur-
rectionem corpus palpabile non erit sed invisibilis corporis subtilitas caro vocabitur, quamvis substantia car-
nis non sit, profecto alius est qui moritur, alius qui surgit. ... Nos autem ... corpus palpabile veraciter cre-
dentes, fatemur carnem nostram post resurrectionem futuram et eamdem et diversam: eamdem per naturam, di-
versam per gloriam. Erit subtilis, quia incorruptibilis. Erit palpabilis qui non amittet essentiam veracis na-
turae. Cf. aussi Julien de Tolède, Prognosticon futuri saeculi III 17 (PL 96), col. 504: Nullo modo au-
diendi sunt qui pro carne nescio quod corpus resurrecturum fabulantur aerium. Sed iuxta sacrae historiae ve-
ritatem, in hoc quod quisque vivit, resurrecturus est corpore. On pourrait citer encore de nombreux pas-
sages analogues soutenant exactement le contraire de ce qui sera la doctrine commune des scolas-
tiques sur «le corps fait d’air».
149. Moralia, ibid., 56, 72, l. 32-53; cf. ibid., 56, 73-74.
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2. Ces passages des Moralia in Iob150 sont, avec ceux d’Augustin déjà ci-
tés, la base de tous les développements ultérieurs de l’eschatologie, que
l’on peut grossièrement diviser en deux genres: les réflexions proprement
théologiques issues des ‘Sentences’ de Pierre Lombard, et les livres didac-
tiques destinés aux laïcs, sur le modèle de l’Elucidarium d’Honorius Au-
gustodunensis151. Dans ces deux types d’écrits, la résurrection n’est plus le
seul ni même nécessairement le plus important sujet eschatologique. Elle
représente l’un des deux volets du diptyque des fins dernières, le jugement
particulier de l’individu après sa mort et le jugement dernier de tous à la
fin des temps; le sort immédiat de l’âme séparée du corps – béatitude,
damnation ou purgatoire – et le destin éternel de l’homme intégral, corps
et âme, dans «un ciel nouveau, une terre nouvelle» (Ap. 21, 1). Vers la fin
du Moyen Âge, malgré une radicalisation du dogme exacerbée par les hé-
résies dualistes du XIIe et XIIIe siècle, hostiles à la résurrection de la chair,
le centre d’intérêt se déplace sensiblement de la résurrection générale au
salut de l’âme individuelle.
Il n’est pas nécessaire de revenir sur un sujet qui concerne plutôt le déclin
que l’essor du sensus communis. Il suffit de relever que ce déplacement d’inté-
rêt ne se fait pas de la même manière dans les deux genres de traités qu’on
vient de distinguer. Le très populaire Elucidarium d’Honorius, rédigé au dé-
but du XIIe siècle, est un curieux mélange d’encyclopédisme et de catéchis-
me. Traduit ou adapté dans toutes les langues vernaculaires, il reste jusqu’à
la fin du Moyen Âge une des sources les plus importantes des croyances re-
ligieuses et le modèle d’une foisonnante littérature didactique152. Le genre
150. Thomas d’Aquin les cite encore contre l’error Eutychii dans Summa theol. III 54, 3 Resp. La
traduction de la Somme théologique chez Du Cerf (1993-1996) traduit Eutychius par «Eutychès»,
confondant ainsi le patriarche du VIe s., qui a d’ailleurs, avant de mourir, révoqué son opinion sur
la résurrection, avec le célèbre hérétique du IVe siècle qui nia les deux natures du Christ.
151. Caroline Walker BYNUM, Fragmentation and Redemption, Essays on gender and the human body
in medieval religion, Cambridge 1991, ch. V; IDEM, The Resurrection of the Body, ch. VII; COLISH, Pe-
ter Lombard, ch. 8; HEINZMANN, Unsterblichkeit; VON MOOS, Consolatio, vol. IV, p. 112, s.l. Aufers-
tehung. Cette division, que je dois à COLISH, part d’une théologie scolastique institutionnalisée de-
puis les Sentences du Lombard; elle ne prend pas en compte un développement préscolastique qui
oscille encore entre les extrêmes d’un néoplatonisme ne reconnaissant le statut de personne intégrale
qu’à l’âme libérée de son corps (Hugues de St-Victor, Robert de Melun) et une conception de l’uni-
té personnelle totale de l’âme et du corps, dont la fragmentation met la résurrection au centre de
l’intérêt théologique (Gilbert de Poitiers, Guillaume d’Auvergne); cf. HEINZMANN, loc. cit., pp.
246-248; H. C. VAN ELSWIJK, Gilbert Porreta, Louvain 1966, pp. 394 sqq.; Commentarius Porretanus
in primam epistolam ad Corinthios, ed. A. M. LANDGRAF, Vatican 1945, pp. 4, 28 sq., 73.
Honorius Aug., Elucidarium 3, 79-121, ed. Yves LEFÈVRE, L’Elucidarium et les lucidaires, Paris
1954, pp. 463-477.
152. LEFÈVRE, loc. cit.; Ernstpeter RUHE (éd.), Elucidarium und Lucidaires, Zur Rezeption des Werks von
Honorius Augustodunensis in der Romania und in England, (Wissensliteratur im MA 7), Wiesbaden 1993.
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159. L’un des textes les plus spiritualistes est bien celui de Nicolas de Cues dans son De docta igno-
rantia, III 10, ed. R. KLIBANSKY - H. G. SENGER, Hambourg 1999, vol. III, pp. 70-72: Intellectualis
natura ... naturali motu ad veritatem movetur abstractissimam, quasi ad finem desideriorum suorum ac ad ul-
timum obiectum delectabilissimum ... ita quod corruptibile in incorruptibile, animale in spirituale resolvitur, ut
totus homo sit suus intellectus, qui est spiritus, et corpus verum sit in spiritu absorptum, ut non sit corpus in se,
…sed translatum in spiritum, quasi contrario modo ad hoc nostrum corpus, ubi non videtur intellectus sed cor-
pus, in quo ipse intellectus quasi incarceratus apparet, – ibi vero corpus est ita in spiritu, sicut hic spiritus in
corpore, et propter hoc ut hic anima aggravatur per corpus, ita ibi corpus alleviatur per spiritum: hinc ut gau-
dia spiritualia vitae intellectualis sunt maxima quae et ipsum corpus glorificatum in spiritu participat ... Cf.
KIENING, Gradus visionis, passim. L’idée de la domination inversée est augustinienne (cf. supra, n.
142); elle permet des interprétations plus ou moins spiritualistes ou somatophiles. Pour l’envelop-
pement du corps par l’esprit cf. BYNUM, Resurrection, pp. 283, 290 sqq. et infra, n. 181.
160. Pour la convergence de l’illuminisme des Bégards et de l’aristotélisme intellectualiste cf.
TROTTMANN, Vision béatifique, pp. 4-6.
161. Voir plus loin le paragraphe 3.
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162. Cf. HOYE, Actualitas, pp. 192-232; cette importante analyse néglige l’influence de l’ais-
thesis aristotélicienne, de même que TELLKAMP (Sinne), de son côté, ne s’intéresse guère à l’impact
eschatologique de la perception. Pour une autre explication du silence de la Somme sur la résur-
rection cf. infra, n. 189.
163. Cf. HOYE, Actualitas, pp. 213-215.
164. III Sent. (ed. Mandonnet 1929) 5, 3, 2, resp, N° 111-215: ideo anima separata non potest dici
persona. De même De potentia 9, 2 ad 14: Anima separata…non est persona.
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165. IV Sent 43, 1, sol. 1: Quidam vero posuerunt totam hominis naturam in anima constare, ita ut ani-
ma corpore uteretur sicut instrumento aut sicut nauta navi; unde secundum hanc opinionem sequitur quod sola
anima beatifica naturali desiderio beatitudinis non frustraretur; et sic non oportet ponere resurrectionem. Sed
hoc fundamentum sufficienter Philosophus in De anima destruit, ostendens animam corpori sicut formam ma-
teriae uniri. Et sic patet quod si in hac vita homo non potest esse beatus, necesse est resurrectionem ponere.
166. De anima, 19 ad 2: Est enim contra naturam animae absque corpore esse. Nihil autem quod est
contra naturam potest esse perpetuum. Non igitur perpetuo erit anima absque corpore. Cum igitur perpetuo ma-
neat, oportet eam corpori iterato coniungi, quod est resurgere. Immortalitas igitur animarum exigere videtur re-
surrectionem corporum futuram.
167. Le purgatoire, dont Jacques LE GOFF situe la «naissance» au XIIe siècle (Paris 1981), n’est
pas, à vrai dire, une invention de cette époque, mais une nouvelle prise de conscience d’une croyan-
ce aussi vieille que l’Ascension; cf. TROTTMANN, La vision béatifique, pp. 802 sq. qui voit dans ce
triomphe de l’idée du purgatoire une confirmation des tendances individualistes et spiritualistes
dans l’eschatologie scolastique. BYNUM, Resurrection, pp. 280 sq.: «Purgatory reinforced rather than
undercut age-old concerns with reward and punishment».
168. IV Sent. 44, 2 sol. 4 ad 3.
169. Summa contra gentiles III 25: Est igitur ultimus finis totius hominis et omnium operationum et de-
sideriorum eius, cognoscere primum verum, quod est Deus.
170. De Genesi ad litt. XII 35 (CSEL 28. 2), 432-433: minime dubitandum est et raptam hominis a
carnis sensibus mentem et post mortem ipsa carne deposita ... non sic videre posse incommutabilem substantiam,
ut sancti angeli vident, ... quia inest ei naturalis quidam adpetitus corpus administrandi: quo appetitu retar-
datur quodammodo, ne tota intentione pergat in illud summum caelum, quamdiu subest corpus, cuius admi-
nistratione appetitus ille conquiescat.
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attention dans ce plus haut ciel ...». Cet appétit comblé, rien n’empêche
plus cette intentio ou attention. Thomas, en revanche, met l’accent sur la
perfection substantielle de la vision béatifique par la présence du corps: ne-
cessitas resurrectionis est ad consequendam ultimam perfectionem171. Avant la ré-
surrection l’âme reste imparfaite parce qu’elle n’a son corps qu’en puissan-
ce, «endormi» sous terre, radicaliter, comme la racine d’une plante dans
l’attente du printemps172.
Ces axiomes, dont le prétendu naturalisme et formalisme logique seront
d’ailleurs mis à mal par différents courants mystiques de la fin du Moyen
Âge173, ne servent, à vrai dire, que de cadre général à des considérations à
la fois plus osées et plus concrètes. De quelle qualité sensitive seront les
perceptions, passions et joies de l’homme ressuscité? Très curieusement
Thomas applique à ce problème les idées mêmes d’Aristote sur la hiérar-
chie des sens. Toutes les puissances psycho-physiologiques, tous les organes
et membres du corps (le sexe lui-même174) contribuent à la complétude de
cet homme enfin parfait, plus accompli encore qu’Adam avant la chute.
Mais, dans cette perfectio corporis, partie consubstantielle de la béatitude,
quelques fonctions restent seulement virtuelles, d’autres actives, et cela se-
lon un critère simple et contraignant: tout ce qui se rapporte à la vie éter-
nelle persiste, tout ce qui n’a servi que de remède contre la contingence et
la corruption de la vie terrestre (medicinae contra defectum) est inutile et
«désactivé», pour utiliser le langage des informaticiens175. Des cinq sens,
seul le toucher (et donc également le goût, ce «toucher lingual») disparaît,
car, toujours selon Aristote, son excellence spécifique consiste à garantir la
subsistance, soit par la sexualité orientée vers la procréation (usus proportio-
natus generationi), soit par la nourriture. Il est donc superflu dans la vie éter-
nelle176. Un autre argument contre sa persistance chez les ressuscités est la
171. IV Sent. 44, 1, 3 sol 4. Pour cette comparaison cf. HOYE, Actualitas, pp. 205 sq.; cf. égale-
ment IV Sent. 44, 2, 1, sol. 3, ad 4: quia Deus apprehenditur a sanctis ut ratio omnium quae ab eis agen-
tur vel cognoscentur, ideo occupatio eorum circa sensiblia sentienda, vel quaecumque alia contemplanda vel agen-
da, in nullo impediet divinam contemplationem, nec e converso.
172. Summa theol. I-II 67, 1, ad 3: ante resurrectionem partes irrationales non erunt actu in anima, sed
solum radicaliter in essentia ipsius. De anima 19, ad 2: hiusmodi potentiae dicuntur in anima separata re-
manere ut in radice, non quia sint actu in ipsa, sed quia anima separata est talis virtutis ut si uniatur cor-
pori iterum potest causare has potentias in corpore, sicut et vitam.
173. Voir Richard CROSS, Duns Scotus, Oxford 1999, pp. 78 sqq.
174. Voir chez HOYE, Actualitas, pp. 221-232, le surprenant chapitre «Sex in heaven».
175. Cf. Summa contra gentiles IV 83; IV Sent 44, 1, 3, sol. 4 ad 4; In VII Eth., 1, 14, N° 1525
sq.; HOYE, pp. 225 sq.
176. Quaest. disp. de malo (ed. Marietti 1949) 15, 2 ad 18; cf. HOYE, pp. 223 sq.
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177. IV Sent. 44, 2 a 1, sol 3: sensus corporum gloriosorum erit per susceptionem a rebus quae sunt extra
animam. Sed sciendum est quod organa sentiendi immutantur a rebus ... dupliciter: immutatione naturali ...
sicut manus fit calida et adusta ex tactu rei calidae… immutatione spirituali: quando recipitur qualitas sen-
siblis ... secundum esse spirituale, idest species sive intentio qualitatis, et non ipsa qualitas, sicut pupilla reci-
pit speciem albedinis et tamen ipsa non efficitur alba ... Unde ista [prima] immutatio non erit in corporibus
gloriosis, sed secunda ... quae per se facit sensum in actu, et non immutat naturam recipientis.
178. Ibid., sol. 4 ad 3: Sed in corporibus gloriosis erit odor in ultima sua perfectione ... et sensus odora-
tus in sanctis ... cognoscet non solum excellentias odorum ... sed etiam minimas odorum differentias.
179. IV Sent. 49, 1, 4 sol 1.
180. Summa theol. I-II 4, 6 obi. 1 et resp.: Unde Augustinus 12 de civit. Dei, cap. 26, in princip. in-
troducit verba Porphyrii dicentis quod ad hoc quod sit beata anima, omne corpus fugiendum est. Sed
hoc est inconveniens. Cum enim naturale sit animae corpori uniri, non potest esse quod perfectio animae natu-
ralem eius perfectionem exludat.
181. Summa contra gentiles IV 86: Spirituale quidem corpus resurgentis erit: non quia sit spiritus, ut qui-
dam male intellexerunt ... sive aer aut ventus, sed quia erit omnino subiectum spiritui; sicut et nunc dicitur co-
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lect a besoin des sens, car nous ne pouvons penser sans images, comme dit
Aristote». (Pour Thomas, les cinq sens spirituels sont indispensables à la
contemplation, et celle-ci anticipe la béatitude182). «Dans la parfaite béati-
tude, qui est attendue après la résurrection, ainsi que l’explique saint Au-
gustin, la béatitude de l’âme refluera pour ainsi dire sur le corps et sur les
sens corporels pour rendre leurs activités plus parfaites ... Mais, dans cet
état, l’activité par laquelle l’esprit de l’homme sera uni à Dieu ne dépendra
pas des sens». Car, ceux-ci sont enveloppés ou absorbés par l’âme dans une
chair tout autre, un corps transfiguré. C’est l’inversion de l’épistémologie
naturelle: sur terre, l’intellect dépend des sens, du «sens commun» et de la
conversio ad phantasmata, et la partie inférieure contribue à parfaire la partie
supérieure; «la béatitude parfaite, par contre, parfera tout l’homme grâce à
une répercussion de la partie supérieure sur la partie inférieure»183.
Thomas ne se contente pas de ce lieu commun scolastique, qui se re-
trouve d’ailleurs uniquement dans la Somme théologique. Il examine éga-
lement la possibilité que les sens corporels, outre leur fonction de parfaire
l’intégralité de la personne, puissent contribuer à la joie de la connaissan-
ce divine. Ses réponses se rapprochent plutôt de la spiritualité patristique
et monastique. Tout comme Grégoire le Grand, il récuse le malentendu de
quidam, qui croient que le «corps spirituel» est un «esprit ou de l’air ou du
vent»; ce vrai corps est spirituel parce que «sujet à l’esprit»184. Si les corps
glorieux sont appelés «impassibles», cela «n’exclut pas la passion dans
l’ordre des sens; car ils se servent des sens pour la jouissance de ce qui ne
pus animale, non quia sit anima, sed quia anmalibus passionibus subiacet, et alimonia indiget. – Summa
theol. I-II 3, 3, 1: Videtur quod beatitudo consistat etiam in operatione sensus. Nulla enim operatio invenitur
in homine nobilior operatione sensitiva, nisi intellectiva. Sed operatio intellectiva dependet in nobis ab opera-
tione sensitiva; quia «non possumus intelligere sine phantasmate» ut dicitur in III de Anima [III 7, 431 a
16] ... Resp. Essentialiter quidem non potest pertinere operatio sensus ad beatitudinem. Nam beatitudo homi-
nis consistit essentialiter in coniunctione ipsius ad bonum increatum, …cui homo coniungi non potest per sensus
operationem ... Possunt autem operationes sensus pertinere ad beatitudinem antecedenter et consequenter… An-
tecedenter quidem secundum beatitudinem imperfectam, qualis in praesenti vita haberi potest, nam operatio in-
tellectus praeexigit operationem sensus. Consequenter autem in illa perfecta beatitudine ..., quia post resurrec-
tionem «ex ipsa beatitudine animae», ut Augustinus dicit in epist. ad Dioscurum [Ep. 118. 3, PL 33, col.
439; cf. supra, n. 142], «fiet quaedam refluentia in corpus et sensus corporeos ut in suis operationibus perfi-
ciantur» ... Non autem tunc operatio qua mens humana Deo coniungitur, a sensu dependebit ...
182. Voir plus haut ch. III 1, et VON MOOS, Attentio, pp. 99-104 sur sa théorie de la prière af-
fective.
183. Summa theol. I-II 3, 3, ad 3: dicendum quod in perfecta beatitudine perficitur totus homo, sed in in-
feriori parte per redundantiam a superiori. In beatitudine autem imperfecta praesentis vitae e converso a perfec-
tione inferioris partis proceditur ad perfectionem superioris.
184. Summa contra gentiles IV 86, cité dans la n. 181.
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3. Il faut le répéter: ces pensées ne sont ni les plus connues ni les plus
représentatives de la théologie scolastique du XIIIe siècle et elles ne sont
pas développées systématiquement dans un traité sur la résurrection, mais
dispersées à travers l’œuvre de l’Aquinate, ce qui explique certaines contra-
dictions189. La tendance générale, au contraire, néglige de plus en plus la
185. Ibid.: Impassibilitas non excludit ab eis passionem quae est de ratione sensus: utentur enim sensibus
ad delectationem secundum illa quae statui incorruptionis non repugnant.
186. Expositio in Job (ed. Vives, vol. 18), XIX lect. 2: «Quem visurus sum ego ipse», quasi dicat: Non
solum anima mea Deum videbit, «sed ego ipse», qui ex anima et corpore subsisto. Et ut ostendat quod illius vi-
sionis etiam suo modo erit particeps corpus, subiungit: «Et oculi mei conspecturi sunt»: non quia oculi corporis
divinam essentiam sint visuri: sed quia oculi corporis videbunt Deum hominem factum, videbunt etiam gloriam
Dei in creatura refulgentem.
187. Cf. HOYE, Actualitas, pp. 217-219 sur De anima 20c; II Sent. 3, 3, 3 ad 1; De veritate 2, 6;
10, 5; Summa theol. I 86, 1. Ces passages montrent bien que toute la psychologie du De anima d’Aris-
tote est utilisée pour expliquer la perception enfin parfaite des sensibles individuels, dans un au-
delà peuplé de créatures renouvelées.
188. Summa theol. I-II 31, 6 c.
189. Sur l’ambivalence de Thomas, oscillant entre le mépris néoplatonicien des sens et l’aristo-
télisme épistémologique, cf. Estanislao ARROYABE, Das reflektierende Subjekt, Zur Erkenntnistheorie des
Thomas von Aquin, Francfort 1988, pp. 1-14; selon HOYE, Actualitas, pp. 1-12, 206 sqq., le problè-
me des contradictions s’explique par les différentes phases biographiques du philosophe-théologien.
Selon TROTTMANN, Deux interprétations contradictoires, pp. 368-371, Thomas aurait changé d’avis
entre son commentaire sur les Sentences du Lombard (1253-1256) et la rédaction de la Somme (à
partir de 1265), ce qui expliquerait la position plus spiritualiste de celle-ci, cf. n. 181 (et peut-être
également le peu d’intérêt, signalé plus haut, pour la résurrection). Bien qu’un plus ample traite-
ment de la question se trouve, en effet, dans des œuvres de jeunesse (Summa contra gentiles, In libros
Sententiarum), cette observation ne me semble pas contraignante. Le travail de HOYE montre bien
que d’importantes réflexions sur la résurrection se retrouvent également dans des œuvres de la
même époque ou plus tardives que la Somme (De anima, De potentia, De malo).
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190. TROTTMANN, Vision béatifique, pp. 417-744; IDEM, Facies et essentia, pp. 3-18.
191. M. DYKMANS, Les sermons de Jean XXII sur la vision béatifique, (Miscellanea Historiae Pontifi-
cae 34), Rome 1973. TROTTMANN ne semble pas avoir remarqué que Thomas d’Aquin, dont il fait
un peu le chef de file de la théorie spiritualiste des Dominicains, distingue lui-même très claire-
ment la vision de l’essence de Dieu et la vision de l’humanité du Christ. Mais, tandis que pour Jean
XXII l’ère du corpus Christi mysticum, dont font partie les âmes séparées et leur vision de Dieu res-
treinte à l’humanité du Christ, s’achève par la béatitude parfaite dans l’ère du Père, Thomas attri-
bue la plus grande perfection finale à la vision corporelle du Dieu incarné et du reflet de Dieu dans
toute créature (cf. supra, n. 186).
192. TROTTMANN, Facies et essentia, p. 17.
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195. TROTTMANN, Vision béatifique, pp. 772 sq., 795, 798-802; IDEM, Facies et essentia, p. 11.
196. IDEM, Vision béatifique, p. 810.
197. Ibid., pp. 750-757, 766-772, 822 sq. avec des extraits du traité inédit de Jacques Fournier
De statu animarum sanctorum ante generale iudicium (ms. Vat. Lat. 4006).
198. Cf. P. VON MOOS, Occulta cordis, infra, pp. 579-610, et bibliogr. N° 93 et 98.
199. La curiosité et le besoin d’un tel savoir universel sont attestés par toute la littérature sur
les apparitions et visions de l’au-delà, qui cherche à dévoiler du moins une partie des destins éter-
nels, malgré la réticence des théologiens, dans la tradition augustinienne en particulier, à accepter
l’objectivité de tels dévoilements; cf. Jean-Claude SCHMITT, Les revenants. Les vivants et les morts dans
la société médiévale, Paris 1994, pp. 31-49. À l’analyse théologique de la doctrine de Jacques Four-
nier sur l’invisibilité de la prédestination avant la parousie, on peut comparer l’ambition poétique
de Dante d’anticiper le Jugement par sa fresque totale de l’au-delà; cf. Jérôme BASCHET, Les justices
de l’au-delà, Rome 1993, pp. 477-479.
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200. Enarr. in ps. 103, s. 2, 11; sur le concept spirituel de «public et privé» voir aussi De Trin. XII
10, 15 et Conf. XII 25, 34; cf. MADEC, pp. 543 sqq., 566 sq. Pour le sens non-technique de sensus com-
munis voir n. 70-74. L’ambivalence qui règne dans tout l’exposé eschatologique d’Augustin sur la fonc-
tion des sens corporels après la résurrection peut permettre (malgré l’avertissement de MADEC) un pru-
dent rapprochement du «sens intérieur» (sc. commun/synesthétique) et du «sens de l’homme inté-
rieur» (sens spirituel), dont l’objet, par définition, ne peut être que commun et partagé.
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I. FORMES DU SILENCE
Les recherches sur le dialogue au Moyen Âge1, tel qu’il est prôné par la
littérature didactique relative aux bonnes manières, montrent à quel point
sa conception est dominée par un scepticisme linguistique singulier. Ce
scepticisme n’est guère comparable à la tendance moderne, toute désabu-
sée et élitiste, qui consiste à refuser le “bavardage universel” pléthorique;
il semble plutôt précéder toute interaction et dénoncer une méfiance fon-
damentale à l’égard de l’herméneutique intersubjective. Puisque ce thème,
que l’on pourrait aussi nommer la supériorité absolue du silence sur le ver-
be, ne constitue que l’arrière-plan de l’étude qui suit, je me bornerai à en
ébaucher rapidement les grandes lignes.
Depuis le début du Moyen Âge, nous pouvons distinguer deux modèles
de silence normatif: celui de l’ascèse monastique, et celui de la prudence
stratégique prisée dans l’aristocratie laïque et cléricale. Ces deux modèles
de comportement s’opposent diamétralement à l’idéal antique de “l’huma-
nité” et de son synonyme “l’urbanité”, à cette culture de convivialité spon-
tanée, gratuite et désintéressée, qui règne par exemple dans les entretiens
cicéroniens de Tusculum, et qui n’est pas encore éteinte dans ceux du jeu-
ne Augustin et de ses amis de Cassiciacum. Elle réapparaîtra après une
longue éclipse chez Pétrarque. Il est curieux de noter que le premier théo-
ricien de cette culture raffinée de la causerie à bâtons rompus en est en
* Version remaniée de l’article paru en deux parties dans Médiévales 29 (1995), pp. 131-140 et
ibid. 30 (1996), pp. 117-137 [Autor. Presses Universitaires de Vincennes].
1. Cf. P. VON MOOS, “Le dialogue latin au Moyen Âge”, dans ce volume, supra, N° 9; ID., “Zwi-
schen Schriftlichkeit und Mündlichkeit: Dialogische Interaktion im lateinischen Hochmittelalter”,
Frühmittelalterliche Studien 25 (1991), pp. 300-314; ID., “L’ars arengandi italienne du XIIe siècle. Une
école de communication”, dans ce volume supra, N° 10.
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6. Cf. R. HAZELTON, “The Christianization of Cato”, Medieval Studies 19, 1957, pp. 157-173.
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7. Cf. C. CASAGRANDE - S. VECCHIO, I peccati della lingua, Disciplina ed etica della parola nella cul-
tura medioevale, Roma, BB, 1987.
8. Cf. N. ELIAS, Der Prozess der Zivilisation, 2 vols., Frankfurt a.M. 1977, pp. 158-159; H. P.
DUERR, Der Mythos vom Zivilisationsprozess, Frankfurt a.M. 1988; P. GLEICHMANN (éd.), Materialien
zu Norbert Elias’ Prozess der Zivilisation, Frankfurt a.M., stw 233, 1977; R. BRANDT, Enklaven – Exk-
laven, Zur literarischen Darstellung von Oeffentlichkeit und Nicht-Oeffentlichkeit im Mittelalter, München,
Fink 1993, pp. 117-126. [Ce problème est repris dans mon article sur le faux pas de 1999, cf. bi-
blio., N° 80].
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9. Cf. M. McLAUGHLIN, “Abelard as Autobiographer”, Speculum 42, 1967, pp. 463-488, surtout
pp. 474 sq.; A. J. GURJEWITSCH, Das Individuum im europäischen Mittelalter, München, Beck 1994,
pp. 171-183.
10. Cf. L. J. FRIEDMAN, Occulta cordis, Romance Philology 11, 1957, pp. 103-119.
11. Sic et non, éd. B. B. BOYER - R. McKEON, Chicago-London 1976, p. 91, l. 45.
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17a. Cf. FRIEDMAN, pp. 104-106. À propos de Vincent de Beauvais, Spec. nat., Douai 1624,
XXVI, 70: “Quod [Diabolus] non videt animae interiora”; Jérôme, Comm in Ev. Matth. XV, PL 26,
c. 113; Cassien, Coll. VII 15; Augustin, Retract. II 3o.
18. Cf. H. LAUSBERG, Handbuch der literarischen Rhetorik, vol. 1, München 1960, §§ 358 sqq.
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par la suite19. Ce principe, qui joue un peu, au Moyen Âge, le rôle de notre
“inconscient” actuel, est à l’origine de longs débats sur la nature de ces sug-
gestiones diaboli, sur la délimitation des différents états affectifs primaires,
comme les “fantaisies et pollutions nocturnes” des moines20, la sexualité ju-
vénile crue irrépressible et donc sans péché, l’apport inévitable du plaisir
dans le mariage21 et les méfaits des somnambules22. La formule juridique
necessitas non habet legem, “necessité fait loi”, s’applique à la morale et devient
ainsi l’objet de débats des plus subtils sur les limites de la responsabilité.
Car s’il paraissait évident, malgré l’opinion stoïcienne, que l’homme ne ré-
sistait pas au premier assaut de la passion, personne en revanche ne doutait
de la force de l’intellectus ou de la volonté d’en pouvoir rationnellement re-
pousser et dominer les mouvements ultérieurs. Michel Foucault, écrit à
propos de l’ascèse monastique23: “Tout le travail du moine sur lui-même
consiste à ne jamais laisser engager sa volonté dans ce mouvement qui va
du corps à l’âme et de l’âme au corps et sur lequel la volonté peut avoir pri-
se, pour le favoriser ou pour l’arrêter, à travers le mouvement de la pensée”.
Il ne faut donc pas s’étonner si certains maîtres plus rigoristes de la disci-
pline de l’âme et du corps sont allés jusqu’à recommander des recettes
contre des réactions physiologiques involontaires, comme certains tics, – le
froncement des sourcils, le tremblement des lèvres, le croisement des
jambes, le balancement des pieds, etc. – et même contre les mouvements
du dormeur. Du beau livre de J.-Cl. Schmitt sur “la raison des gestes”24 on
pourrait, dans notre cadre, tirer la conclusion que rien n’est plus suspect
pour le Moyen Âge que la spontanéité, devenue, bien plus tard, une valeur
éminente et un signe de santé psychique. Le modèle stoïcien de l’ataraxie
est par contre revendiqué pour le domaine corporel.
*
19. Cf. R. SCHNELL, Causa amoris, Liebeskonzeption und Liebesdarstellung in der mittelalterlichen Li-
teratur, Bern-München, Francke 1978, pp. 413-430.
20. Cf. P. BROWE, Beiträge zur Sexualethik des Mittelalters, Breslau 1932, pp. 80-90.
21. Cf. D. JACQUART - C. THOMASSET, Sexualité et savoir médical au Moyen Âge, Paris, PUF 1985,
pp. 208-220; J.-L. FLANDRIN, Le sexe et l’Occident, Paris, Seuil 1981, pp. 279-282; P. LEGENDRE,
L’amour du censeur, Essai sur l’ordre dogmatique, Paris, Seuil 1978, pp. 157-163.
22. G. A BOUREAU, “La redécouverte de l’autonomie du corps: l’émergence du somnambule
(XIIe-XIVe s.)”, Micrologus I: I discorsi dei corpi/Discourses of the Body, Turnhout, Brepols 1993, pp.
27-42; “Pierre de Jean Olivi et le semi-dormeur. Une élaboration médiévale de l’activité incons-
ciente”, Nouvelle Revue de la Psychanalyse 48, 1993, pp. 231-238; “Satan et le dormeur. Une
construction de l’inconscient au Moyen Âge”, Terrains 14, 1991-1993, pp. 41-61.
23. “Le combat de la chasteté”, dans Sexualités occidentales, éd. Ph. ARIES et A. BÉJIN, Communi-
cations 35, Paris, 1982, p. 35.
24. Paris, nrf 1990.
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25. Les résultats en seront prochainement publiés dans un livre sur les formes d’interaction à
travers la littérature didactique du Moyen Âge. [Aujourd’hui ce travail est toujours en préparation;
cf. des études préliminaires selon la bibliographie, N° 39, 43, 80, 96].
26. Pour en finir avec les mentalités, Paris, La Découverte 1993. Ce genre de critique semble être
à la mode surtout en-dehors de la France; cf. aussi L. RAPHAEL, Die Erben von Bloch und Febre. “An-
nales”-Geschichtsschreibung und “nouvelle histoire” in Frankreich 1945-1980, Stuttgart, Klett 1994.
27. Geschichte der Autobiographie, 8 vols., Frankfurt a.M. (1907) 31949-1969; cf. Die Autobiogra-
phie, éd. G. NIGGL, (Wege der Forschung 565), Darmstadt, Wiss. Buchgesellschaft 1989.
28. M.-D. CHENU, L’éveil de la conscience dans la civilisation médiévale, Montreal-Paris 1969.
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29. Je les ai énumérées dans ma thèse sur le deuil et la consolation: Consolatio, 4 vols., München,
Fink 1971-1972.
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voudrais relever que la plus saillante, celle connue sous le nom de la “joie
de cour”.
Cet idéal altruiste d’harmonie et de sérénité communautaire n’est pour-
tant pas réservé à la seule cour. Un des plus beaux exemples de cet idéal se
trouve, au XIe siècle, dans le poème germano-latin du Ruodlieb. Une scène
située justement dans le monde précourtois, plutôt rural et domestique,
montre le départ du jeune héros, pour l’aventure qui le mènera plus tard à
la cour du “grand roi”. Toute la familia, mais surtout la mère de Ruodlieb,
souffre de cette séparation. Prenant congé de son fils, elle reste cependant
d’une contenance proprement virile. Réprimant sa douleur profonde, elle
va, sans une larme, réconforter les domestiques qui accourent pour la
consoler (I 58-59):
32. Cf. par ex. J. DELUMEAU, L’aveu et le pardon, Les difficultés de la confession, XIIIe-XVIIIe siècle,
Paris (Fayard) 1990; idem, Le péché et la peur, La culpabilisation en Occident XIIIe-XVIIIe siècles, Paris
(Fayard) 1983, ch. II 6; P. J. PAYER, Sex and the Penitentials, The Development of a Sexual Code 500-
1150, Toronto-London 1984; P. MICHAUD-QUANTIN, Sommes de casuistique et manuels de confession au
Moyen Âge (XII-XVI siècles), Louvain-Lille-Montreal 1962; C. VOGEL, Pécheur et pénitence dans l’église
ancienne, Paris (Cerf) 1966, Le pécheur et la pénitence au Moyen Âge, Paris (Cerf) 1969.
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33. Jean Cassien, Collationes, CSEL 13, 1886; Institutiones, CSEL 17, 1888; Grégoire le Gr., Re-
gula pastoralis, PL 77; S. FREUD, Die psychoanalytische Technik (dans Abriss der Psychoanalyse, 1940),
Fischer Studienausgabe, Erg.-Bd: Schriften zur Behandlungstechnik, Frankfurt a.M. 1975, pp. 412-
424. – Concernant l’empirisme thérapeutique de Grégoire cf. C. DAGENS, St. Grégoire le Grand, Cul-
ture et expérience chétiennes, Paris 1977. Je mets en lumière l’aspect d’introspection et d’intériorisa-
tion, typique pour l’évolution de la patristique et du XIIe s., pour mieux le distinguer de l’institu-
tionnalisme ultérieur. Dans une autre perspective toute aussi légitime, plusieurs travaux d’A. HAHN
mettent en relief l’impact de toute l’histoire de la confession sur le développement de l’auto-analy-
se en Occident: cf. “Zur Soziologie der Beichte und anderer Formen institutionalisierter Bekennt-
nisse: Selbstthematisierung und Zivilisationsprozess”, Kölner Zeitschrift für Soziologie u. Sozialpsycho-
logie 34, 1982, pp. 408-434; “La sévérité raisonnable. La doctrine de la confession chez Bourdaloue”,
Biblio 17, 1984, pp. 19-43, également dans M. TIETZ - V. KAPP (éd.), La pensée religieuse dans la lit-
térature et la civilisation du XVIIe siècle en France, Paris etc. 1984, pp. 641-662; “Identität und Selbst-
thematisierung”, dans Selbstthematisierung und Selbstzeugnis ..., éd. A. HAHN et V. KAPP, Frankfurt
a.M., stw. 643, 1987, pp. 9-24; “Beichte und Therapie als Formen der Sinngebung”, dans Die See-
le, Ihre Geschichte im Abendland, éd. G. JÜTTEMANN et al., Weinheim 1991, pp. 493-511.
34. De instit. div. lit. 29, PL 70, col.1144A: ... his (vitiis) noxios motus animae ita competenter insi-
nuat, ut excessus suos hominem paene videre faciat et vitare compellat, quos antea confusione caliginis ignorabat.
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35. Cf. M.-D. CHENU, loc. cit. (n. 28) et supra, n. 32.
36. Peter Abelard’s “Ethics”, éd. D. E. LUSCOMBE, Oxford Medieval Texts, Oxford 1971, pp. 98-
112.
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argument pour justifier la rigueur du droit canon par son caractère social:
précisément parce que les hommes ne peuvent juger et punir que les actes
visibles, et qu’ils doivent s’abstenir de scruter les intentions secrètes,
connues de Dieu seul, les sanctions institutionnelles sont nécessaires; elles
doivent “prévenir des dommages publics” en définissant des moyens d’ex-
piation et de dissuasion utiles à la société ou à l’Église. La mère, qui, dans
l’exemple classique de la casuistique des pénitentiels, étouffe son enfant en
voulant le rechauffer, cette mère, selon Abélard37, est innocente et par-
donnée par Dieu, quoique punissable par les hommes “afin que les autres
femmes prennent plus de précautions”.
À la même époque, au XIIe siècle, les péchés sont classés de plus en plus
complètement et systématiquement, puisqu’ils incluent non seulement les
actes, mais également les pensées. Néanmoins, toute cette activité quasi
bureaucratique n’abolit pas encore le principe sous-jacent dont nous
sommes partis: le secret du cœur et les manifestations sociales de l’indivi-
du, invisibilia cordis et hominibus manifesta, demeurent rigoureusement dis-
tincts; le Moi profond, la conscience elle-même, se dérobe toujours au
contrôle humain et reste soumise au seul regard de Dieu. En 1140, il est
vrai, Bernard de Clairvaux fit condamner Abélard pour avoir mis en cause
le “pouvoir des clefs”, le monopole de l’Église pour “lier et délier”. Pour-
tant, ce même Bernard est le digne successeur du psychologue Jean Cas-
sien, lorsqu’il écrit dans son livre Sur les degrés de l’humilité une satire pers-
picace et foudroyante des moines hypocrites qui s’accusent eux-mêmes de
leurs péchés pour se vanter et paraître plus humbles devant les hommes
(les confesseurs), au lieu de se repentir silencieusement devant l’œil de
Dieu. Comme Abélard, il insiste sur la marque (character) indélébile de la
contrition subjective, seule condition d’une pénitence valable, et met au
second rang la “satisfaction” extérieure38.
Cette conception intériorisante est également celle des grands textes sur
le droit canon et la théologie morale du XIIe siècle, de Gratien à Pierre
Lombard, et même, après 1215, de Thomas d’Aquin et d’autres représen-
tants de la haute théologie “scientifique” du XIIIe siècle. Partout, on peut
lire que le pardon vient uniquement de “l’instant des larmes” versées se-
37. Ibid., p. 38; cf. L. MAURO, “Tra publica damna e communis utilitas, L’aspetto sociale della mo-
rale di Abelardo e i libri paenitentiales”, Medioevo 13, 1987, pp. 103-122.
38. De gradibus humilitatis, S. Bernardi opera vol. II, Roma 1963, pp. 51-52; cf. CHENU, loc. cit.
(n. 28), pp. 33-40.
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42. “Les ordalies dans les exempla de la confession (XIIe-XIVe siècles)”, L’aveu. Antiquité et Moyen
Âge, Actes de la table ronde ... 1984, Collection de l’École française de Rome 88, Rome 1986, pp.
315-340.
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tu du principe ex opere operato validant ces deux actes objectifs, et non point
quelque disposition subjective complexe et insaisissable. Un critère simple
et formel – l’aveu complet et véridique du pécheur qui se soumet au juge-
ment du prêtre – vient ainsi remplacer l’ancienne exigence première de la
contrition intérieure. Notre anecdote, par ses connotations juridiques, sou-
ligne la simplicité de cet acte autant que les conséquences incommensu-
rables qu’il engendre. La confession écarte le danger de l’ordalie, de même
qu’elle a le pouvoir d’atténuer la rigueur du Jugement dernier, dont le
prêtre, union personnelle du père et du juge, anticipe et abolit à la fois les
terreurs, car, en tant que représentant du Juge céleste, il est à même d’épar-
gner la condamnation éternelle au coupable qui avoue ses péchés.
En introduisant la confession privée régulière et obligatoire, l’Église,
par le détour de sa fonction médiatrice, se substitue au “scrutateur des
reins”. Ce résultat est dû, en quelque sorte, à une ruse de l’histoire: le
grand modèle de l’intériorisation du XIIe siècle, “l’éveil de la conscience”,
qui se nourrit essentiellement de la “morale de l’intention” d’Abélard, a
produit au XIIIe siècle des effets contraires, nullement prévisibles. L’impé-
ratif de la contrition sincère devant le seul regard de Dieu, qui faisait le
tourment de beaucoup de religieux et de religieuses (à commencer par Hé-
loïse, incapable de se repentir d’un amour qu’elle désirait toujours), cet im-
pératif devient trop subtil et trop vague à la fois pour être transposé de l’É-
glise des élites spirituelles et des “virtuoses religieux” à l’Église du peuple.
Le repentir demeure une condition, mais l’exigence en est atténuée: ce
n’est plus la contrition, mais “l’attrition” ou le repentir imparfait ou mi-
nimal, inspiré par la peur de l’Enfer, qui suffit à valider la confession. Grâ-
ce à l’ancien paradigme de l’introspection et de la contrition, les évangéli-
sateurs des foules savent néanmoins distinguer les péchés cogitatione, verbo et
opere. Or, bons connaisseurs de la logique systématique des anciens “livres
de pénitence”, qui traitent pourtant plutôt d’actions objectives comme
l’homicide et l’adultère que d’intentions subjectives, ils étendent leur lo-
gique taxinomique aux recoins les plus secrets de la conscience et inventent
des classifications de plus en plus raffinées, capables d’englober le spectre
entier des péchés. Il faut rappeler ici “la question disputée” des primi motus
concernant les passions (supra, p. 586 sq.): les “premiers mouvements de
l’âme”, irrésistibles mais suivis de réactions physiques contrôlables par la
volonté. Cette conception multiplie les péchés; puisque la nature humaine
ne parvient pas à s’en tenir à cette distinction abstraite, chacun devient po-
tentiellement un pécheur sexuel. Avant le concile de Latran IV déjà, et plus
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43. Cf. J. CHIFFOLEAU, “Dire l’indicible. Remarques sur la catégorie du nefandum du XIIe au XVe
siècle”, dans: Annales E.S.C. 1990, 2, mars-avril, pp. 289-324 (p. 104: arbres de péchés); idem, La
comptabilité de l’au-delà (...), Collection de l’École française de Rome 47, Rome 1980; idem, “Sur
l’usage obsessionnel de la messe pour les morts à la fin du Moyen Âge”, dans Faire croire, Modalités
de la diffusion et de la réception des messages religieux du XIIe au XVe siècle, Collection de l’École fran-
çaise de Rome 51, Rome 1981, pp. 341-380.
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44. Cf. DELUMEAU, Le péché et la peur, loc. cit. (n. 32), pp. 222-235; J. CHIFFOLEAU, La religion
flamboyante, Histoire de la France religieuse, éd. J. LE GOFF et R. RÉMOND, vol 2, Paris (Seuil) 1988,
pp. 103 sqq.
45. Cf. “Les solitudes de Pétrarque, Liberté intellectuelle et activisme urbain dans la crise du
XIVe s.”, dans ce volume infra, N°17.
46. J.-L. FLANDRIN, Le sexe et l’Occident, Paris, Seuil 1981, pp. 296 sq.
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nitentielle s’explique par le fait que l’onanisme solitaire est le plus secret
des péchés de la chair, ce qui, sous un autre aspect, celui de l’effet social,
aurait pu le faire bénéficier de circonstances atténuantes. Mais c’est préci-
sément son caractère subreptice qui le rend condamnable. On peut en dé-
duire que, depuis le Concile de Latran IV, la hiérarchie des péchés se règle
de plus en plus sur le degré de clandestinité et en raison inverse de l’effi-
cacité du contrôle ecclésiastique. J’oserais même avancer l’hypothèse,
qu’après la mutation de 1215, “le secret du cœur”, ancien fondement de la
pénitence purement contritionniste, devient d’autant plus suspect qu’il se
situe au pôle opposé de la transparence exigée par la prétention à l’omni-
science du nouveau “pouvoir des clés”.
Sous un autre angle, les péchés les plus cachés suscitent parmi les pas-
teurs de curieuses discussions sur cette délicate question: à quel degré de
détail l’interrogatoire du confesseur doit-il atteindre? Faut-il lui imposer
un certain degré d’autocensure? Car toute question peut également, selon
le cas, véhiculer une information. Les manuels appellent donc les confes-
seurs à la prudence, afin d’éviter qu’ils n’interrogent un ingénu sur des pé-
chés dont il n’aurait peut-être jamais eu conscience en dehors de la confes-
sion (les exemples les plus fréquemment cités sont le coït interrompu et la
variation des positions dans l’acte sexuel47). Ce n’est pas par hasard qu’un
motif répandu dans la littérature des exempla est celui du diable adminis-
trant la confession48.
On aurait tort de croire que, dans les temps modernes, le contrôle des
secrets par la confession a trouvé des formes plus douces. D’un certain
point de vue, et c’est essentiel, on peut au contraire constater que les exi-
gences deviennent bien plus sévères après le Concile de Trente. Ce que
nous avons appelé la simplicité de l’opus operatum, l’aveu s’accompagnant
tout au plus du repentir “attritionnel”, change radicalement: l’intention
“contritionnelle” du pénitent reprend tout le poids qu’elle avait encore au
XIIe siècle. Les jansénistes surtout, mais également les jésuites, commen-
cent à insister sur la “sincérité pathétique”, à exiger la dramatisation du re-
pentir afin de convaincre le confesseur de l’authenticité de la contrition. Si
le XIIe siècle prônait le repentir profond et solitaire devant Dieu, et si, du
XIIIe au XVIe siècle, l’intégrité et la régularité de l’aveu devant le prêtre
47. D. JACQUART - C. THOMASSET, Sexualité et savoir médical au Moyen Âge, Paris, PUF 1985, pp.
122 sqq.
48. A. MEICHE, Sagenbuch des Königreichs Sachsen, Leipzig 1903, p. 462.
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49. Cf. HAHN, “La sévérité raisonnable”, loc. cit. (n. 33).
50. Ibidem, pp. 27, 29; Œuvres de Bourdaloue, Besançon-Lille-Paris 1850, vol III, pp. 196, 202.
16-occulta cordis 9-09-2005 10:38 Pagina 606
51. Cf. CHIFFOLEAU, Dire l’indicible, loc. cit. (n. 43); N. COHN, Démonolâtrie et sorcellerie au Moyen
Âge, Paris 1982; P. SEGL (éd.), Die Anfänge der Inquisition im Mittelalter, Mit einem Ausblick auf das
20. Jh. ..., Köln-Weimar-Wien (Böhlau) 1993.
52. Loc. cit. (n. 43), pp. 290-293.
53. Cf. H. Ch. LEA, Die Inquisition, (History of Inquisition, vol. I, New York 1905), Nördlingen
1985, p. 216.
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54. Cf. JACQUART-THOMASSET, loc. cit. (n. 47), pp. 202 sqq.
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58. Cf. B. SCHIMMELPFENNING, “Des Grossen Bruders Grossmutter. Die christliche Inquisition
als Vorläuferin des modernen Totalitarismus”, Die Anfänge der Inquisition ..., loc. cit. (n. 23), pp. 285-
296.
59. Cf. P. VON MOOS, “Introduction à une histoire de l’endoxon”, dans ce volume, supra, N° 14.
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60. Le péché et la peur, loc. cit. (n. 32), pp. 331 sqq.; cf. aussi K. DESCHNER, Das Kreuz mit der
Kirche, Eine Sexualgeschichte des Christentums, Düsseldorf-Wien 1974, p. 383 sur la haine de soi, cul-
tivée dans le christianisme plus que dans toute autre religion.
61. Cf. SCHIMMELPFENNING, loc. cit. (n. 58).
16-occulta cordis 9-09-2005 10:38 Pagina 579
I. FORMES DU SILENCE
Les recherches sur le dialogue au Moyen Âge1, tel qu’il est prôné par la
littérature didactique relative aux bonnes manières, montrent à quel point
sa conception est dominée par un scepticisme linguistique singulier. Ce
scepticisme n’est guère comparable à la tendance moderne, toute désabu-
sée et élitiste, qui consiste à refuser le “bavardage universel” pléthorique;
il semble plutôt précéder toute interaction et dénoncer une méfiance fon-
damentale à l’égard de l’herméneutique intersubjective. Puisque ce thème,
que l’on pourrait aussi nommer la supériorité absolue du silence sur le ver-
be, ne constitue que l’arrière-plan de l’étude qui suit, je me bornerai à en
ébaucher rapidement les grandes lignes.
Depuis le début du Moyen Âge, nous pouvons distinguer deux modèles
de silence normatif: celui de l’ascèse monastique, et celui de la prudence
stratégique prisée dans l’aristocratie laïque et cléricale. Ces deux modèles
de comportement s’opposent diamétralement à l’idéal antique de “l’huma-
nité” et de son synonyme “l’urbanité”, à cette culture de convivialité spon-
tanée, gratuite et désintéressée, qui règne par exemple dans les entretiens
cicéroniens de Tusculum, et qui n’est pas encore éteinte dans ceux du jeu-
ne Augustin et de ses amis de Cassiciacum. Elle réapparaîtra après une
longue éclipse chez Pétrarque. Il est curieux de noter que le premier théo-
ricien de cette culture raffinée de la causerie à bâtons rompus en est en
* Version remaniée de l’article paru en deux parties dans Médiévales 29 (1995), pp. 131-140 et
ibid. 30 (1996), pp. 117-137 [Autor. Presses Universitaires de Vincennes].
1. Cf. P. VON MOOS, “Le dialogue latin au Moyen Âge”, dans ce volume, supra, N° 9; ID., “Zwi-
schen Schriftlichkeit und Mündlichkeit: Dialogische Interaktion im lateinischen Hochmittelalter”,
Frühmittelalterliche Studien 25 (1991), pp. 300-314; ID., “L’ars arengandi italienne du XIIe siècle. Une
école de communication”, dans ce volume supra, N° 10.
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6. Cf. R. HAZELTON, “The Christianization of Cato”, Medieval Studies 19, 1957, pp. 157-173.
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7. Cf. C. CASAGRANDE - S. VECCHIO, I peccati della lingua, Disciplina ed etica della parola nella cul-
tura medioevale, Roma, BB, 1987.
8. Cf. N. ELIAS, Der Prozess der Zivilisation, 2 vols., Frankfurt a.M. 1977, pp. 158-159; H. P.
DUERR, Der Mythos vom Zivilisationsprozess, Frankfurt a.M. 1988; P. GLEICHMANN (éd.), Materialien
zu Norbert Elias’ Prozess der Zivilisation, Frankfurt a.M., stw 233, 1977; R. BRANDT, Enklaven – Exk-
laven, Zur literarischen Darstellung von Oeffentlichkeit und Nicht-Oeffentlichkeit im Mittelalter, München,
Fink 1993, pp. 117-126. [Ce problème est repris dans mon article sur le faux pas de 1999, cf. bi-
blio., N° 80].
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9. Cf. M. McLAUGHLIN, “Abelard as Autobiographer”, Speculum 42, 1967, pp. 463-488, surtout
pp. 474 sq.; A. J. GURJEWITSCH, Das Individuum im europäischen Mittelalter, München, Beck 1994,
pp. 171-183.
10. Cf. L. J. FRIEDMAN, Occulta cordis, Romance Philology 11, 1957, pp. 103-119.
11. Sic et non, éd. B. B. BOYER - R. McKEON, Chicago-London 1976, p. 91, l. 45.
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17a. Cf. FRIEDMAN, pp. 104-106. À propos de Vincent de Beauvais, Spec. nat., Douai 1624,
XXVI, 70: “Quod [Diabolus] non videt animae interiora”; Jérôme, Comm in Ev. Matth. XV, PL 26,
c. 113; Cassien, Coll. VII 15; Augustin, Retract. II 3o.
18. Cf. H. LAUSBERG, Handbuch der literarischen Rhetorik, vol. 1, München 1960, §§ 358 sqq.
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par la suite19. Ce principe, qui joue un peu, au Moyen Âge, le rôle de notre
“inconscient” actuel, est à l’origine de longs débats sur la nature de ces sug-
gestiones diaboli, sur la délimitation des différents états affectifs primaires,
comme les “fantaisies et pollutions nocturnes” des moines20, la sexualité ju-
vénile crue irrépressible et donc sans péché, l’apport inévitable du plaisir
dans le mariage21 et les méfaits des somnambules22. La formule juridique
necessitas non habet legem, “necessité fait loi”, s’applique à la morale et devient
ainsi l’objet de débats des plus subtils sur les limites de la responsabilité.
Car s’il paraissait évident, malgré l’opinion stoïcienne, que l’homme ne ré-
sistait pas au premier assaut de la passion, personne en revanche ne doutait
de la force de l’intellectus ou de la volonté d’en pouvoir rationnellement re-
pousser et dominer les mouvements ultérieurs. Michel Foucault, écrit à
propos de l’ascèse monastique23: “Tout le travail du moine sur lui-même
consiste à ne jamais laisser engager sa volonté dans ce mouvement qui va
du corps à l’âme et de l’âme au corps et sur lequel la volonté peut avoir pri-
se, pour le favoriser ou pour l’arrêter, à travers le mouvement de la pensée”.
Il ne faut donc pas s’étonner si certains maîtres plus rigoristes de la disci-
pline de l’âme et du corps sont allés jusqu’à recommander des recettes
contre des réactions physiologiques involontaires, comme certains tics, – le
froncement des sourcils, le tremblement des lèvres, le croisement des
jambes, le balancement des pieds, etc. – et même contre les mouvements
du dormeur. Du beau livre de J.-Cl. Schmitt sur “la raison des gestes”24 on
pourrait, dans notre cadre, tirer la conclusion que rien n’est plus suspect
pour le Moyen Âge que la spontanéité, devenue, bien plus tard, une valeur
éminente et un signe de santé psychique. Le modèle stoïcien de l’ataraxie
est par contre revendiqué pour le domaine corporel.
*
19. Cf. R. SCHNELL, Causa amoris, Liebeskonzeption und Liebesdarstellung in der mittelalterlichen Li-
teratur, Bern-München, Francke 1978, pp. 413-430.
20. Cf. P. BROWE, Beiträge zur Sexualethik des Mittelalters, Breslau 1932, pp. 80-90.
21. Cf. D. JACQUART - C. THOMASSET, Sexualité et savoir médical au Moyen Âge, Paris, PUF 1985,
pp. 208-220; J.-L. FLANDRIN, Le sexe et l’Occident, Paris, Seuil 1981, pp. 279-282; P. LEGENDRE,
L’amour du censeur, Essai sur l’ordre dogmatique, Paris, Seuil 1978, pp. 157-163.
22. G. A BOUREAU, “La redécouverte de l’autonomie du corps: l’émergence du somnambule
(XIIe-XIVe s.)”, Micrologus I: I discorsi dei corpi/Discourses of the Body, Turnhout, Brepols 1993, pp.
27-42; “Pierre de Jean Olivi et le semi-dormeur. Une élaboration médiévale de l’activité incons-
ciente”, Nouvelle Revue de la Psychanalyse 48, 1993, pp. 231-238; “Satan et le dormeur. Une
construction de l’inconscient au Moyen Âge”, Terrains 14, 1991-1993, pp. 41-61.
23. “Le combat de la chasteté”, dans Sexualités occidentales, éd. Ph. ARIES et A. BÉJIN, Communi-
cations 35, Paris, 1982, p. 35.
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25. Les résultats en seront prochainement publiés dans un livre sur les formes d’interaction à
travers la littérature didactique du Moyen Âge. [Aujourd’hui ce travail est toujours en préparation;
cf. des études préliminaires selon la bibliographie, N° 39, 43, 80, 96].
26. Pour en finir avec les mentalités, Paris, La Découverte 1993. Ce genre de critique semble être
à la mode surtout en-dehors de la France; cf. aussi L. RAPHAEL, Die Erben von Bloch und Febre. “An-
nales”-Geschichtsschreibung und “nouvelle histoire” in Frankreich 1945-1980, Stuttgart, Klett 1994.
27. Geschichte der Autobiographie, 8 vols., Frankfurt a.M. (1907) 31949-1969; cf. Die Autobiogra-
phie, éd. G. NIGGL, (Wege der Forschung 565), Darmstadt, Wiss. Buchgesellschaft 1989.
28. M.-D. CHENU, L’éveil de la conscience dans la civilisation médiévale, Montreal-Paris 1969.
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29. Je les ai énumérées dans ma thèse sur le deuil et la consolation: Consolatio, 4 vols., München,
Fink 1971-1972.
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voudrais relever que la plus saillante, celle connue sous le nom de la “joie
de cour”.
Cet idéal altruiste d’harmonie et de sérénité communautaire n’est pour-
tant pas réservé à la seule cour. Un des plus beaux exemples de cet idéal se
trouve, au XIe siècle, dans le poème germano-latin du Ruodlieb. Une scène
située justement dans le monde précourtois, plutôt rural et domestique,
montre le départ du jeune héros, pour l’aventure qui le mènera plus tard à
la cour du “grand roi”. Toute la familia, mais surtout la mère de Ruodlieb,
souffre de cette séparation. Prenant congé de son fils, elle reste cependant
d’une contenance proprement virile. Réprimant sa douleur profonde, elle
va, sans une larme, réconforter les domestiques qui accourent pour la
consoler (I 58-59):
32. Cf. par ex. J. DELUMEAU, L’aveu et le pardon, Les difficultés de la confession, XIIIe-XVIIIe siècle,
Paris (Fayard) 1990; idem, Le péché et la peur, La culpabilisation en Occident XIIIe-XVIIIe siècles, Paris
(Fayard) 1983, ch. II 6; P. J. PAYER, Sex and the Penitentials, The Development of a Sexual Code 500-
1150, Toronto-London 1984; P. MICHAUD-QUANTIN, Sommes de casuistique et manuels de confession au
Moyen Âge (XII-XVI siècles), Louvain-Lille-Montreal 1962; C. VOGEL, Pécheur et pénitence dans l’église
ancienne, Paris (Cerf) 1966, Le pécheur et la pénitence au Moyen Âge, Paris (Cerf) 1969.
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33. Jean Cassien, Collationes, CSEL 13, 1886; Institutiones, CSEL 17, 1888; Grégoire le Gr., Re-
gula pastoralis, PL 77; S. FREUD, Die psychoanalytische Technik (dans Abriss der Psychoanalyse, 1940),
Fischer Studienausgabe, Erg.-Bd: Schriften zur Behandlungstechnik, Frankfurt a.M. 1975, pp. 412-
424. – Concernant l’empirisme thérapeutique de Grégoire cf. C. DAGENS, St. Grégoire le Grand, Cul-
ture et expérience chétiennes, Paris 1977. Je mets en lumière l’aspect d’introspection et d’intériorisa-
tion, typique pour l’évolution de la patristique et du XIIe s., pour mieux le distinguer de l’institu-
tionnalisme ultérieur. Dans une autre perspective toute aussi légitime, plusieurs travaux d’A. HAHN
mettent en relief l’impact de toute l’histoire de la confession sur le développement de l’auto-analy-
se en Occident: cf. “Zur Soziologie der Beichte und anderer Formen institutionalisierter Bekennt-
nisse: Selbstthematisierung und Zivilisationsprozess”, Kölner Zeitschrift für Soziologie u. Sozialpsycho-
logie 34, 1982, pp. 408-434; “La sévérité raisonnable. La doctrine de la confession chez Bourdaloue”,
Biblio 17, 1984, pp. 19-43, également dans M. TIETZ - V. KAPP (éd.), La pensée religieuse dans la lit-
térature et la civilisation du XVIIe siècle en France, Paris etc. 1984, pp. 641-662; “Identität und Selbst-
thematisierung”, dans Selbstthematisierung und Selbstzeugnis ..., éd. A. HAHN et V. KAPP, Frankfurt
a.M., stw. 643, 1987, pp. 9-24; “Beichte und Therapie als Formen der Sinngebung”, dans Die See-
le, Ihre Geschichte im Abendland, éd. G. JÜTTEMANN et al., Weinheim 1991, pp. 493-511.
34. De instit. div. lit. 29, PL 70, col.1144A: ... his (vitiis) noxios motus animae ita competenter insi-
nuat, ut excessus suos hominem paene videre faciat et vitare compellat, quos antea confusione caliginis ignorabat.
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35. Cf. M.-D. CHENU, loc. cit. (n. 28) et supra, n. 32.
36. Peter Abelard’s “Ethics”, éd. D. E. LUSCOMBE, Oxford Medieval Texts, Oxford 1971, pp. 98-
112.
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argument pour justifier la rigueur du droit canon par son caractère social:
précisément parce que les hommes ne peuvent juger et punir que les actes
visibles, et qu’ils doivent s’abstenir de scruter les intentions secrètes,
connues de Dieu seul, les sanctions institutionnelles sont nécessaires; elles
doivent “prévenir des dommages publics” en définissant des moyens d’ex-
piation et de dissuasion utiles à la société ou à l’Église. La mère, qui, dans
l’exemple classique de la casuistique des pénitentiels, étouffe son enfant en
voulant le rechauffer, cette mère, selon Abélard37, est innocente et par-
donnée par Dieu, quoique punissable par les hommes “afin que les autres
femmes prennent plus de précautions”.
À la même époque, au XIIe siècle, les péchés sont classés de plus en plus
complètement et systématiquement, puisqu’ils incluent non seulement les
actes, mais également les pensées. Néanmoins, toute cette activité quasi
bureaucratique n’abolit pas encore le principe sous-jacent dont nous
sommes partis: le secret du cœur et les manifestations sociales de l’indivi-
du, invisibilia cordis et hominibus manifesta, demeurent rigoureusement dis-
tincts; le Moi profond, la conscience elle-même, se dérobe toujours au
contrôle humain et reste soumise au seul regard de Dieu. En 1140, il est
vrai, Bernard de Clairvaux fit condamner Abélard pour avoir mis en cause
le “pouvoir des clefs”, le monopole de l’Église pour “lier et délier”. Pour-
tant, ce même Bernard est le digne successeur du psychologue Jean Cas-
sien, lorsqu’il écrit dans son livre Sur les degrés de l’humilité une satire pers-
picace et foudroyante des moines hypocrites qui s’accusent eux-mêmes de
leurs péchés pour se vanter et paraître plus humbles devant les hommes
(les confesseurs), au lieu de se repentir silencieusement devant l’œil de
Dieu. Comme Abélard, il insiste sur la marque (character) indélébile de la
contrition subjective, seule condition d’une pénitence valable, et met au
second rang la “satisfaction” extérieure38.
Cette conception intériorisante est également celle des grands textes sur
le droit canon et la théologie morale du XIIe siècle, de Gratien à Pierre
Lombard, et même, après 1215, de Thomas d’Aquin et d’autres représen-
tants de la haute théologie “scientifique” du XIIIe siècle. Partout, on peut
lire que le pardon vient uniquement de “l’instant des larmes” versées se-
37. Ibid., p. 38; cf. L. MAURO, “Tra publica damna e communis utilitas, L’aspetto sociale della mo-
rale di Abelardo e i libri paenitentiales”, Medioevo 13, 1987, pp. 103-122.
38. De gradibus humilitatis, S. Bernardi opera vol. II, Roma 1963, pp. 51-52; cf. CHENU, loc. cit.
(n. 28), pp. 33-40.
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42. “Les ordalies dans les exempla de la confession (XIIe-XIVe siècles)”, L’aveu. Antiquité et Moyen
Âge, Actes de la table ronde ... 1984, Collection de l’École française de Rome 88, Rome 1986, pp.
315-340.
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tu du principe ex opere operato validant ces deux actes objectifs, et non point
quelque disposition subjective complexe et insaisissable. Un critère simple
et formel – l’aveu complet et véridique du pécheur qui se soumet au juge-
ment du prêtre – vient ainsi remplacer l’ancienne exigence première de la
contrition intérieure. Notre anecdote, par ses connotations juridiques, sou-
ligne la simplicité de cet acte autant que les conséquences incommensu-
rables qu’il engendre. La confession écarte le danger de l’ordalie, de même
qu’elle a le pouvoir d’atténuer la rigueur du Jugement dernier, dont le
prêtre, union personnelle du père et du juge, anticipe et abolit à la fois les
terreurs, car, en tant que représentant du Juge céleste, il est à même d’épar-
gner la condamnation éternelle au coupable qui avoue ses péchés.
En introduisant la confession privée régulière et obligatoire, l’Église,
par le détour de sa fonction médiatrice, se substitue au “scrutateur des
reins”. Ce résultat est dû, en quelque sorte, à une ruse de l’histoire: le
grand modèle de l’intériorisation du XIIe siècle, “l’éveil de la conscience”,
qui se nourrit essentiellement de la “morale de l’intention” d’Abélard, a
produit au XIIIe siècle des effets contraires, nullement prévisibles. L’impé-
ratif de la contrition sincère devant le seul regard de Dieu, qui faisait le
tourment de beaucoup de religieux et de religieuses (à commencer par Hé-
loïse, incapable de se repentir d’un amour qu’elle désirait toujours), cet im-
pératif devient trop subtil et trop vague à la fois pour être transposé de l’É-
glise des élites spirituelles et des “virtuoses religieux” à l’Église du peuple.
Le repentir demeure une condition, mais l’exigence en est atténuée: ce
n’est plus la contrition, mais “l’attrition” ou le repentir imparfait ou mi-
nimal, inspiré par la peur de l’Enfer, qui suffit à valider la confession. Grâ-
ce à l’ancien paradigme de l’introspection et de la contrition, les évangéli-
sateurs des foules savent néanmoins distinguer les péchés cogitatione, verbo et
opere. Or, bons connaisseurs de la logique systématique des anciens “livres
de pénitence”, qui traitent pourtant plutôt d’actions objectives comme
l’homicide et l’adultère que d’intentions subjectives, ils étendent leur lo-
gique taxinomique aux recoins les plus secrets de la conscience et inventent
des classifications de plus en plus raffinées, capables d’englober le spectre
entier des péchés. Il faut rappeler ici “la question disputée” des primi motus
concernant les passions (supra, p. 586 sq.): les “premiers mouvements de
l’âme”, irrésistibles mais suivis de réactions physiques contrôlables par la
volonté. Cette conception multiplie les péchés; puisque la nature humaine
ne parvient pas à s’en tenir à cette distinction abstraite, chacun devient po-
tentiellement un pécheur sexuel. Avant le concile de Latran IV déjà, et plus
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43. Cf. J. CHIFFOLEAU, “Dire l’indicible. Remarques sur la catégorie du nefandum du XIIe au XVe
siècle”, dans: Annales E.S.C. 1990, 2, mars-avril, pp. 289-324 (p. 104: arbres de péchés); idem, La
comptabilité de l’au-delà (...), Collection de l’École française de Rome 47, Rome 1980; idem, “Sur
l’usage obsessionnel de la messe pour les morts à la fin du Moyen Âge”, dans Faire croire, Modalités
de la diffusion et de la réception des messages religieux du XIIe au XVe siècle, Collection de l’École fran-
çaise de Rome 51, Rome 1981, pp. 341-380.
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44. Cf. DELUMEAU, Le péché et la peur, loc. cit. (n. 32), pp. 222-235; J. CHIFFOLEAU, La religion
flamboyante, Histoire de la France religieuse, éd. J. LE GOFF et R. RÉMOND, vol 2, Paris (Seuil) 1988,
pp. 103 sqq.
45. Cf. “Les solitudes de Pétrarque, Liberté intellectuelle et activisme urbain dans la crise du
XIVe s.”, dans ce volume infra, N°17.
46. J.-L. FLANDRIN, Le sexe et l’Occident, Paris, Seuil 1981, pp. 296 sq.
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nitentielle s’explique par le fait que l’onanisme solitaire est le plus secret
des péchés de la chair, ce qui, sous un autre aspect, celui de l’effet social,
aurait pu le faire bénéficier de circonstances atténuantes. Mais c’est préci-
sément son caractère subreptice qui le rend condamnable. On peut en dé-
duire que, depuis le Concile de Latran IV, la hiérarchie des péchés se règle
de plus en plus sur le degré de clandestinité et en raison inverse de l’effi-
cacité du contrôle ecclésiastique. J’oserais même avancer l’hypothèse,
qu’après la mutation de 1215, “le secret du cœur”, ancien fondement de la
pénitence purement contritionniste, devient d’autant plus suspect qu’il se
situe au pôle opposé de la transparence exigée par la prétention à l’omni-
science du nouveau “pouvoir des clés”.
Sous un autre angle, les péchés les plus cachés suscitent parmi les pas-
teurs de curieuses discussions sur cette délicate question: à quel degré de
détail l’interrogatoire du confesseur doit-il atteindre? Faut-il lui imposer
un certain degré d’autocensure? Car toute question peut également, selon
le cas, véhiculer une information. Les manuels appellent donc les confes-
seurs à la prudence, afin d’éviter qu’ils n’interrogent un ingénu sur des pé-
chés dont il n’aurait peut-être jamais eu conscience en dehors de la confes-
sion (les exemples les plus fréquemment cités sont le coït interrompu et la
variation des positions dans l’acte sexuel47). Ce n’est pas par hasard qu’un
motif répandu dans la littérature des exempla est celui du diable adminis-
trant la confession48.
On aurait tort de croire que, dans les temps modernes, le contrôle des
secrets par la confession a trouvé des formes plus douces. D’un certain
point de vue, et c’est essentiel, on peut au contraire constater que les exi-
gences deviennent bien plus sévères après le Concile de Trente. Ce que
nous avons appelé la simplicité de l’opus operatum, l’aveu s’accompagnant
tout au plus du repentir “attritionnel”, change radicalement: l’intention
“contritionnelle” du pénitent reprend tout le poids qu’elle avait encore au
XIIe siècle. Les jansénistes surtout, mais également les jésuites, commen-
cent à insister sur la “sincérité pathétique”, à exiger la dramatisation du re-
pentir afin de convaincre le confesseur de l’authenticité de la contrition. Si
le XIIe siècle prônait le repentir profond et solitaire devant Dieu, et si, du
XIIIe au XVIe siècle, l’intégrité et la régularité de l’aveu devant le prêtre
47. D. JACQUART - C. THOMASSET, Sexualité et savoir médical au Moyen Âge, Paris, PUF 1985, pp.
122 sqq.
48. A. MEICHE, Sagenbuch des Königreichs Sachsen, Leipzig 1903, p. 462.
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49. Cf. HAHN, “La sévérité raisonnable”, loc. cit. (n. 33).
50. Ibidem, pp. 27, 29; Œuvres de Bourdaloue, Besançon-Lille-Paris 1850, vol III, pp. 196, 202.
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51. Cf. CHIFFOLEAU, Dire l’indicible, loc. cit. (n. 43); N. COHN, Démonolâtrie et sorcellerie au Moyen
Âge, Paris 1982; P. SEGL (éd.), Die Anfänge der Inquisition im Mittelalter, Mit einem Ausblick auf das
20. Jh. ..., Köln-Weimar-Wien (Böhlau) 1993.
52. Loc. cit. (n. 43), pp. 290-293.
53. Cf. H. Ch. LEA, Die Inquisition, (History of Inquisition, vol. I, New York 1905), Nördlingen
1985, p. 216.
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54. Cf. JACQUART-THOMASSET, loc. cit. (n. 47), pp. 202 sqq.
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58. Cf. B. SCHIMMELPFENNING, “Des Grossen Bruders Grossmutter. Die christliche Inquisition
als Vorläuferin des modernen Totalitarismus”, Die Anfänge der Inquisition ..., loc. cit. (n. 23), pp. 285-
296.
59. Cf. P. VON MOOS, “Introduction à une histoire de l’endoxon”, dans ce volume, supra, N° 14.
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60. Le péché et la peur, loc. cit. (n. 32), pp. 331 sqq.; cf. aussi K. DESCHNER, Das Kreuz mit der
Kirche, Eine Sexualgeschichte des Christentums, Düsseldorf-Wien 1974, p. 383 sur la haine de soi, cul-
tivée dans le christianisme plus que dans toute autre religion.
61. Cf. SCHIMMELPFENNING, loc. cit. (n. 58).
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* Version remaniée de l’article paru dans Rassegna Europea di Letteratura Italiana 7, 1996 (paru
en 1998), pp. 23-58, qui reprend la conférence “Petrarcas Einsamkeiten” du colloque de Bad Hom-
burg 1994: Einsamkeit, Archäologie der literarischen Kommunikation VI, éd. Aleida et Jan ASSMANN,
Munich (Fink) 2000, pp. 213-238.
1. Les actes cités(*) ont inspiré la brève introduction synthétique qui suit.
2. Cf. dans les actes cités (*) J. ASSMANN, “Literatur und Einsamkeit im alten Ægypten”, pp.
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97-112, W. MAGASS, “Weh dem der allein ist!” (Pred. 4,10), pp. 145-152, T. BORSCHE, “Die Ein-
samkeit des Denkens”, pp. 45-58.
3. Cf. K. A. E. ENENKEL, Francesco Petrarca, De vita solitaria, Buch I, Krit. Textausgabe und ideen-
geschichtlicher Kommentar, Leiden, Brill 1990, pp. 490-496. – Concernant Dioclétien cf. Francesco Pe-
trarca, De vita solitaria, livre II, éd. G. MARTELLOTTI, La letteratura italiana vol. 7, Milano, Ricciar-
di 1955, pp. 544-546 (éd. M. NOCE, Milano, Oscar classici 228, 1992, pp. 298-303). Dorénavant
le premier livre du De vita solitaria sera cité d’après ENENKEL et le second d’après MARTELLOTTI.
4. Cf. B. LANG, “Einsamkeit als Charisma. Ehelosigkeit im Urchristentum”, dans les actes du
colloque cité (*), pp. 173-188.
5. Cf. ENENKEL, loc. cit. (n. 3), pp. 168-176.
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19. Cf. DOTTI, loc. cit. (n. 16), pp. 6-8, 48-60. M. REGOLIOSI, “Gerarchie culturali e sociali nel
De commodis litterarum atque incommodis di Leon Battista Alberti”, dans Sapere è potere, vol. I, éd. L.
AVELLINI, Bologna 1990, pp. 151-170.
20. Cf. ENENKEL, loc. cit. (n. 3), pp. 364-365.
21. Cf. DOTTI, loc. cit. (n. 16), pp. 28-42.
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22. Familiares XVI 11,9 (Le Familiari, ed. V. ROSSI - U. BOSCO, Firenze 1933-1942).
23. Hofkünstler, Zur Vorgeschichte des modernen Künstlers, Köln 1985; cf. aussi J. HEERS, Le Moyen
Âge une imposture, Paris (Perrin) 1992, pp. 52-60.
24. Seniles VI 2; ENENKEL, loc. cit. (n. 3), pp. 343-347 souligne à juste titre que, dans De vita so-
litaria, la critique de la cour est manifestement moins sévère que celle des villes et des commer-
çants. L’homme courtois parasitaire y est plutôt pris en pitié à cause de sa “perte de soi”, tandis que
l’occupatus citadin personnifie l’union de tous les vices.
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25. Cf. VON MOOS, compte rendu loc. cit. (n. 13).
26. De vita solitaria II 9.
27. Seniles XIV 1.
28. Cf. HEERS, loc. cit. (n. 23), pp. 46-55.
29. De vita solitaria, II 9, éd. MARTELLOTTI (n. 3), p. 498.
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30. Cf. E. SAVONA, (1979) Intellettuali e pubblico nell’età comunale, Introduzione, Messina-Firenze
1979, pp. 72-98.
31. Cf. STAUBACH, loc. cit. (n. 11).
32. Einsamkeit und Freiheit, Idee und Gestalt der deutschen Universität und ihrer Reformen (rde 17/2),
Reinbek b. Hamburg 1963, pp. 79-90.
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33. Cf. DOTTI, loc. cit. (n. 16), pp. 48-60, 136-175.
34. Cf. ENENKEL, loc. cit. (n. 3), pp. 543-591.
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35. H. ARENDT, Vom Leben des Geistes, vol. I: Das Denken, München-Zürich 1979, p. 87.
36. Cf. ENENKEL, loc. cit. (n. 3), pp. 141-146.
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37. Cf. surtout “Petrarca e il Ventoso”, Italia medioevale e umanistica 9, 1966, pp. 389-401.
38. Vida y obra de Petrarca I: Lectura del “Secretum”, Padova 1974. “Ubi puer, ibi senex, un libro de
Hans Baron y el Secretum de 1353”, Atti del Convegno intern. “Il Petrarca latino e le origini dell’umanesi-
mo”, Firenze 1991, pp. 1-73. “Secretum meum di Francesco Petrarca”, Letteratura italiana (Einaudi). Le
Opere I: Dalle Origini al Cinquecento; Torino 1992, pp. 351-378; cf. aussi ANTONELLI, loc. cit. (n. 14).
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39. Cf. ENENKEL, loc. cit. (n. 3), pp. 191-205 sur De vita solitaria I 6-8.
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40. Cf. ENENKEL, pp. 534-591 sur le ch. I 7; mais cf. aussi ch. II 15 de l’œuvre.
41. Cf. Cicéron, De officiis III 1; De vita solitaria I 2, 14; 6,6; II 4, 432; 13, 552; cf. ENENKEL,
pp. 290 sq., 506-516.
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42. De vita solitaria I, prohem. 7; II 14, p. 568; cf. STAUBACH, loc. cit. (n. 11), pp. 37 sq.
43. Cf. STAUBACH, loc. cit. (n. 11), pp. 32-40; ANTONELLI, loc. cit. (n. 14), pp. 715-725.
44. Cf. ENENKEL, loc. cit. (n. 3), pp. 418-420.
45. Cf. ibid., pp. 584-589.
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52. RICO, Secretum meum, loc. cit. (n. 38), pp. 351-360.
53. Cf. DOTTI, loc. cit. (n. 16), pp. 34-42, 154-175, 194-202.
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impressionné et, peut-être par identification, lui fit croire que cette
conversion était aussi un tournant de sa propre vie.
Le Secretum est un soliloque méditatif sur l’urgence de changer de vie et
sur les heurs et malheurs de cette mutatio vitae. Ce n’est pas un témoigna-
ge rétrospectif comme les “Confessions” de Saint Augustin, mais une pro-
fession prospective, une déclaration de bonne volonté. En l’antidatant fic-
tivement, Pétrarque pourrait avoir voulu lui donner un sens apologétique
caché. En 1353 il a cinquante ans. Depuis dix ans déjà, selon la catégorie
médiévale citée, il est un vieillard, mais sa gloire littéraire de poète et
d’historien couronné, poeta et historicus laureatus, se fonde sur des accom-
plissements, qui, par leur caractère et leur contenu, peuvent passer pour
des œuvres de jeunesse: sa poésie nostalgique glorifiant Laure et sa poésie
historique exaltant la Rome antique. À ses yeux, le monde n’a pas encore
suffisamment pris conscience de ce qu’il est devenu ou plutôt veut deve-
nir: un philosophus christianus. L’échange de dates entre la cinquantième et
la quarantième année pourrait ainsi vouloir montrer que le changement
auquel il aspire a déjà eu lieu, s’est même affirmé par la suite, et qu’il est
en parfait accord avec son âge physique. Dans la tradition médiévale, le
“vieillard amoureux” est une figure ridicule de comédie, et tous les lettrés
connaissent les passages devenus topiques où Sénèque se moque du senex
elementarius, du vieillard qui n’a pas cessé de se passionner pour des pédan-
teries d’école et de vaines questions scientifiques au lieu de penser au sens
de sa vie54. Dans le Secretum Pétrarque évoque en effet ces aspects critiques
fondés sur la dignité de l’âge en se servant de couleurs assez sarcastiques55.
Or, le problème de la conduite adaptée à l’âge touche de près à ses ré-
flexions sur la solitude. Dans le IIe livre du Secretum, le confesseur Augus-
tin rappelle à François qu’il a quitté la route du vulgaire, que la campagne
l’a arraché à la ville. Tout en le louant de ce choix, il lui reproche cepen-
dant deux vices qu’il n’a pas perdus malgré sa retraite: l’orgueil et la tris-
tesse, superbia et accidia. “Rabaisser les autres est un genre d’orgueil beau-
coup plus insupportable que de s’élever soi-même”(p. 60). François se jus-
tifie un peu, comme dans De vita solitaria, en invoquant son pessimisme
face à un siècle corrompu et sa profonde sollicitude pour ses excellents
amis. Mais, au cours de l’interrogatoire confessionel, il finit par avouer
54. Cf. ANTONELLI, loc. cit. (n. 14), pp. 383-390; RICO, Secretum meum, loc. cit. (n. 38), pp. 363-
367.
55. Par ex. I, p. 52; II, pp. 72, 86-88; III, pp. 150-152, 178-179.
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56. Cf. E. Loos, “Die Hauptsünde der acedia in Dantes Commedia und in Petrarcas Secretum. Zum
Problem der italienischen Renaissance”, Petrarca 1304-1374, éd. F. SCHALK, Frankfurt a.M. 1975,
pp. 156-183; M. WAGNER-EGELHAAF, Die Melancholie der Literatur. Diskursgeschichte und Textfigura-
tion, Stuttgart, Metzler 1997.
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57. Cf. DOTTI, loc. cit. (n. 16), pp. 48 sq., 57 sq.
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(ceux qui courent au-delà des mers changent de climat sans changer d’âme).
Il a quitté la ville pour trouver la paix et se retrouve à la campagne avec le
même cœur tumultueux qu’il avait négligé de calmer avant son départ.
Même l’avantage principal de la solitude, tant loué dans De vita solitaria, ce-
lui de pouvoir converser avec des absents comme s’ils étaient présents, perd
ici toute valeur. Augustin appelle amantum infame privilegium, infâme privi-
lège des amants, ce pauvre subterfuge de la passion, ce prétexte permettant
de rester “retenu en prison par des chaînes d’or” (p. 146).
La deuxième problématique, celle de la gloire littéraire, de la réputation
de l’écrivain dans le monde, est, elle aussi, en relation avec le thème de la
solitude. Dans le De vita solitaria Pétrarque affirme désirer vivre à l’écart des
contemporains par mépris de la foule et par besoin de s’entretenir seule-
ment avec les plus grands esprits de tous les temps. Or, cette sublime pen-
sée est réduite à l’absurde par l’Augustin du Secretum (pp. 178 sq.): “Quel-
le contradiction! ... Tu as mis tous tes soins à plaire à ceux qui te répugnent,
cueillant les fleurs de la poésie, de l’histoire, de toute éloquence pour flat-
ter l’oreille de tes auditeurs”. Il lui reproche d’avoir cherché une fausse gloi-
re, celle qui rend dépendant du jugement de la foule, la popularité. La vraie
gloire en revanche “s’obtient plus, moins elle est recherchée”. Nous savons
que, dans la deuxième moitié de sa vie, Pétrarque écrivain suit d’une façon
particulière ce conseil de ne pas loucher vers le public, puisqu’il ne s’écarte
pas seulement du vulgaire, mais également du “volgare”, de la langue ver-
naculaire, dont il va même jusqu’à reprocher l’emploi à Dante. De plus en
plus, il préfère écrire en latin à ses amis. Dans sa dernière œuvre autobio-
graphique, l’Epistola posteritati, il ne s’adresse même plus qu’à la postérité,
montrant ainsi une autre forme de solitude, son éloignement de ses lecteurs
anonymes dont jeune il avait apparemment recherché les applaudissements.
Un bon siècle avant la naissance de la “littérature” au sens moderne de pro-
duction littéraire autonome, indépendante de lieux de représentation pré-
cis, distribuée à un public virtuellement infini grâce aux moyens nouveaux
de reproduction et au marché, nous voyons déjà surgir un des paradoxes fu-
turs de cette littérature, celui de l’insularité de l’écrivain face à un grand
nombre de lecteurs inconnus, eux-mêmes aussi solitaires que lui. Presqu’un
siècle avant l’invention de Gutenberg, un problème moderne s’ébauche, ce-
lui de la solitude soutenue par l’écrit, de la communication littéraire désin-
carnée de ses attaches humaines concrètes58. Pétrarque, conscient de ce pro-
58. Cf. H. U. GUMBRECHT, “Beginn von Literatur –Abschied vom Körper”, Der Ursprung von Li-
teratur, éd. G. SMOLKA-KOERDT et al., München 1988, pp. 15-50. On impute trop souvent ce chan-
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des philosophes comme Sénèque ou Cicéron63. Or, puisque la cura sui (le
souci de soi) concerne aussi les choix de l’écrivain et de l’érudit, le “Secret”
souligne un problème situé bien au-dessus de la simple opposition entre la
religion et les lettres. Augustin constate (p. 186): Teipsum derelinquere ma-
vis quam libellos tuos. “Tu préfères t’abandonner toi-même que d’abandon-
ner tes livres”. Selon le contexte, le reproche n’oppose pas le Moi aux
Lettres, ni à tous les livres, fussent-ils à lire ou à écrire, mais vise une acti-
vité littéraire précise qui empêche l’écrivain de se concentrer sur lui-
même. Le confesseur fait allusion à des distractions, des allotria, comme
l’historiographie, telle l’Africa, poème épique sur Scipion que Pétrarque
est en train d’achever et qui représente l’ambition majeure de ses précé-
dentes années. “Laisse l’Afrique aux Africains!” (p. 186). Son sermon
contre les futilités littéraires contient également un volet positif qui, par
contre, prône une lecture et une écriture utiles à la réflexion sur soi-même
et sur la fugacité du temps. À la fin du dialogue, après avoir remercié son
directeur de conscience, François prend une résolution qui montre qu’il l’a
compris (p. 194): “Je m’aiderai moi-même du mieux que je pourrai. Je re-
cueillerai les fragments épars de mon âme, et je veillerai sur moi”. Nous
savons ce que sont devenus ces “fragments épars de l’âme”. En 1350, an-
née critique de la peste noire, dans l’attente de sa propre mort et préparant
ses valises pour l’au-delà, Pétrarque commence à brûler un grand nombre
d’écrits personnels, puis se ravisant, il décide de les garder, de les retra-
vailler, d’en composer des recueils pour mieux s’orienter vers “une re-
cherche du temps perdu” avant la lettre (Familiares I 1,1-2). C’est avec ces
textes qu’il compose les Familiares, les Epystole et les Rerum vulgarium frag-
menta auxquels fait allusion la phrase du Secretum64. C’est ainsi qu’il suit le
conseil principal du père spirituel (p. 192): “Pourvu que tu ne t’aban-
donnes pas toi-même, tu auras gagné”.
Une dernière petite escarmouche termine le débat selon un procédé ha-
bituel de ce genre littéraire. Le ton final du dialogue est allégé par le re-
63. Cf. Cf. ENENKEL, loc. cit. (n. 3), pp. 502-506; K. FLASCH, Augustin, Einführung in sein Den-
ken, Stuttgart (Reclam)1980, pp. 99-126.
64. Selon M. SANTAGATA (I frammenti dell’anima. Storia e racconto nel “Canzoniere” del Petrarca, Bo-
logna 1992), le Canzoniere fait partie de ce projet d’une autobiographie idéale. ANTONELLI (loc. cit.
n. 14, pp. 385 sqq.) souligne que, dans Rerum vulgarium fragmenta, le thème de l’amour est essen-
tiellement sublimé par analogie à la “Vita nuova” de Dante après la date symbolique de la mort de
Laure, ce qui relativise l’objection prévisible que Pétrarque n’a, en fait, jamais abandonné les sujets
profanes de sa jeunesse.
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65. Cf. K. FLASCH, Augustin, loc. cit. (n. 63), pp. 104-117 et Logik des Schreckens, Augustinus von
Hippo, Die Gnadenlehre von 397, Mainz (DVB) 1990.
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66. Cf. Cf. ENENKEL, loc. cit. (n. 3), pp. 442-463.
67. Cf. ibid., pp. 362-365, 595-599.
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68. “Le temps du travail dans la ‘crise’ du XIVe siècle: du temps médiéval au temps moderne”,
Pour un autre Moyen Âge. Temps, travail et culture en Occident, Paris (NRF) 1977, pp. 66-79; cf. aussi
ibid., pp. 162-180.
69. Cf. Le GOFF, loc. cit. (n. 68); K. SCHREINER, “Diversitas temporum. Zeiterfahrung und Epo-
chengliederung im späten Mittelalter “, Poetik und Hermeneutik vol. IX: Epochenschwelle und Epochen-
bewußtsein, éd. R. HERZOG - R. KOSELLECK, München (Fink) 1987, pp. 381-428; B. VICKERS (éd.),
Arbeit, Musse, Meditation. Betrachtungen zur Vita activa und Vita contemplativa, Zürich 1985; G. HA-
SENOHR - J. LONGÈRE (éd.), Culture et travail intellectuel dans l’Occident médiéval, Paris (CNRS) 1981.
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re une autre, assez amère, peut-être, contre Dante, son rival secret (pp. 478
sq.): “Ceux qui l’ont vu, se moquent de lui [Célestin]. À nous par contre,
qu’il nous soit permis de l’admirer comme un des plus grands humains et
de plaindre notre malheur de ne l’avoir pas vu de nos propres yeux”. Pé-
trarque place l’Église officielle et ses hiérarchies sur le même plan que “ce
monde” qu’il faut absolument fuir pour suivre le Christ. Il n’y a guère de
meilleure explication à son incapacité à valoriser cette vita activa, traditio-
nellement conçue comme travail au service de l’Église. Pour Pétrarque,
l’ancienne comparaison entre la bonne action et la contemplation meilleu-
re n’a plus de sens. Il la remplace par du noir et blanc. La seule valeur po-
sitive s’appelle solitudo ou otium; le concept opposé est radicalement péjo-
ratif, ce n’est ni l’actio ni le negotium, c’est l’occupatio, l’affairisme, la course
absurde au gains, aux honneurs, au pouvoir.
La réserve que Pétrarque montre à l’égard de la distinction traditionelle
entre contemplation et action s’explique parfaitement par son attitude fon-
damentalement individualiste. Il ne s’identifie à aucune institution, classe
ou groupe. S’il en avait été autrement, ce clerc et chanoine aurait dû dé-
fendre la position inverse, celle de la vie active. Mais, comme autodidacte
et “outsider”, il parle consciemment et en son propre nom de son expérien-
ce singulière, tout en prétendant rendre service aux autres comme exemple
à comparer et non pas comme modèle à suivre. Il se perçoit avant tout com-
me un intellectuel extra-professionnel, écarté des cadres de l’activité intel-
lectuelle et surtout de celui des écoles. Un de ses exempla historiques est
éclairant à cet égard. En s’appuyant sur l’Historia calamitatum70, dont il est,
en son temps, un des rares lecteurs, il raconte comment Pierre Abélard, en
1121-1922, choisit la solitude près de Troyes. Pétrarque ne voit pas ou ne
veut pas voir le sens manifeste que sa source donne à cet épisode. Le grand
maître s’y peint lui-même comme traversant un tournant de sa vie. Dans
son ambition de conquérir Paris, nouvelle Athènes dont dépend la gloire
intellectuelle, le maître subit un double échec, la castration et la condam-
nation par le concile de Soissons. Profondément humilié, rempli de honte
et de désespoir, il se cache dans ce lieu sauvage près de Troyes, qu’il bapti-
se plus tard “Paraclet”. Mais, à peine installé dans sa solitude imposée, de
nombreux étudiants viennent l’y rejoindre. Faisant de nécessité vertu, il
fonde avec eux une petite communauté dans laquelle il continue son ensei-
gnement. Le texte veut montrer qu’en dépit de sa déconfiture apparente, le
75. Cf. STAUBACH, loc. cit. (n. 11); K. A. E. ENENKEL, “Der andere Petrarca: Francesco Petrarcas
De vita solitaria und die Devotio moderna”, in: Quaerendo 17, 1987, pp. 137-147.
76. Cf. E. GARIN, Medioevo e Rinascimento, Bari 1954, pp. 75-90; R. STADELMANN, Vom Geist des
ausgehenden Mittelalters (1929), Stuttgart 1966, pp. 74-82; SCHREINER, loc. cit. (n. 69).
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utile, otium non iners nec inutile, mais qui par la solitude profite à beaucoup
d’hommes, qui e solitudine prosit multis”. À la fin du Secretum, Augustin de-
mande à François comment il se comporterait s’il savait qu’il n’a plus
qu’une seule année à vivre, une année assurée (p. 176): “Quel usage en fe-
rais tu?” Celui-ci répond: “J’en serais très parcimonieux, très ménager, et
ne la passerais qu’à des occupations sérieuses”. En dépit de son mépris pour
la comptabilité mercantile du temps, Pétrarque participe, sémantique-
ment au moins, au changement de valeurs d’un siècle qui remplace “le
temps de l’Église par celui du marchand”, le rythme solaire de la cam-
pagne par l’horloge de la ville79. D’une manière subtile, le solitaire oisif est
devenu un homo faber bourgeois, comptable de son temps. La solitude de
Pétrarque est l’expression d’un “souci de soi” profondément avare du
temps.
On pourrait se demander si les idées de Pétrarque sur la solitude sont
médiévales ou modernes, mais il vaut mieux déplacer la question. Si l’on
demandait à Pétrarque où il se situe dans le cours de l’histoire, il répon-
drait peut-être: “dans la solitude qui est en-dehors et au-dessus du temps”.
Il est en effet prophète sans le savoir, anticipant les temps modernes dans
la mesure même où il rejette la modernité de son époque80. Il recherche la
vérité dans le recueillement, dans son temps propre, celui de sa vie, et non
de la société, des modes et des tendances de ses contemporains.
79. Cf. J. Le GOFF, “Au Moyen Âge: Temps de l’Église et temps du marchand”, Pour un autre
Moyen Âge, loc. cit. (n. 68), pp. 66-79; A. J. GOUREVITCH, “Le marchand”, L’homme médiéval, éd. J.
LE GOFF, Paris, Seuil 1989, pp. 267-314; Ph. BRAUNSTEIN, “Approches de l’intimité, XIVe-XVe s.”,
Historie de la vie privée, 2, éd. Ph. ARIÈS ET G. DUBY, Paris, Seuil 1985, pp. 605-619.
80. Je viens de faire une réflexion semblable à propos d’un érudit du XXe s., dans: “Wolfram von
den Steinen, ein Historiker des Überhistorischen”, Mittellateinisches Jahrbuch 28. 1, 1994, pp. 1-14.
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* Version remaniée de l’article paru dans Romania 114 (1996), pp. 203-224, qui reprend la
conférence prononcée lors du colloque organisé par A. BOUREAU et H. BLOCH sur Gaston Paris et
les débuts du médiévisme (Cerisy la Salle, 23 au 30 juillet 1994). L’abondance des références pos-
sibles à l’œuvre de Muratori, ainsi qu’à l’immense littérature de recherche dont elle a été l’objet au
cours des dernières décennies, m’oblige à simplifier les notes de cette contribution de synthèse, en
renvoyant aux études les plus importantes par les abbréviations de la bibliographie finale.
1. Dont plus de 6000 de sa main; éd. M. CAMPORESI, Epistolario di L. A. Muratori, Modena
1898-1922 (= Epistolario).
2. Edition de Milan 1723-1751; nouvelle édition augmentée: Città di Castello 1900-1935 (=
RIS); cf. BERTELLI, pp. 259-361; FASOLI; MOR.
3. Milano 1738-1743 (= Antiquitates); version italienne: Dissertazioni sopra le Antichità italiane,
Napoli 1783 (= Antichità); cf. BERTELLI, pp. 362-419.
4. Cf. NEVEU; RAIMONDI; ANDREOLI (1972), pp. 81-105 (sur Bacchini)
5. Cf. MORGHEN, pp. 292-295; NEVEU, pp. 265 sq., 295; COLLOTTI, pp. 400-404; DUPRONT,
pp. 47-50, 136 sq.
6. Par ex. par TELLENBACH, p. 320; DUPRONT, pp. 3, 52.
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7. Voir surtout la pénétrante analyse de DUPRÉ THESEIDER; cf. GIARRIZZO, pp. 1-42; BERTEL-
LI, pp. 370-395; ANDREOLI (1972), p. 11, voit en Muratori, érudit et chercheur, un médiéviste
éminent, par contre: “come educatore e vagheggiatore di umane idealità è un <antimedievalista>
...”. – Pour l’époque cf. VOSS, pp. 180-246; NOYER-WEIDNER, pp. 34-96; VENTURI (1969), pp.
137-185.
8. Paris (Perrin) 1992; cf. MOOS, passim.
9. Voir note 16.
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gé humaniste qui réduit mille ans de passé national à une transition négli-
geable entre deux “âges d’or”. Il ne connaît qu’une seule Italie10.
S’il isole l’époque comprise entre le VIe et le XVIe siècle, c’est pour des
raisons purement techniques: d’une part, l’antiquité romaine est déjà assez
explorée, connue à satiété, d’autre part, les deux derniers siècles fournissent
une documentation trop abondante pour qu’un seul érudit puisse la maî-
triser11. Ce que nous appelons le Moyen Âge était alors encore une terra in-
cognita, explorable grâce à la modicité des sources manuscrites. Muratori ne
l’exalte pas comme une entitée distincte de l’Antiquité classique et des
temps modernes; il le décrit comme une période de malheur que le peuple
italien a traverséa avant d’arriver à des temps meilleurs, période qui méri-
te notre respect ou plutôt notre compassion. Dans sa célèbre préface aux
RIS, il fait des études sur le Moyen Âge la curieuse apologie que voici12:
Il y a des gens qui n’admirent que les écrivains du temps de la floraison des an-
ciens Grecs et Romains ... Les siècles postérieurs à la chute de l’Empire romain ne
10. DUPRÉ THESEIDER, passim; cf. aussi DUPRONT, pp. 150-152; RAIMONDI I, pp. 462-470;
MOOS, pp. 34-36.
11. DUPRÉ THESEIDER, pp. 423, 432 à propos de la préface aux Antiquitates.
12. Je cite l’édition Ricciardi La letteratura italiana, storia e testi, vol 44. 1: Dal Muratori al Ce-
sarotti, Opere di Ludovico Antonio Muratori, éd. G. FALCO - F. FORTI, Milano-Napoli 1964 (= Opere),
pp. 486-525, 490-492: Sunt enim, quibus ii tantum scriptores in admiratione ac pretio habentur, qui dum
res graeca et romana stetit, floruere ... Subsequuta vero secula, ex quo nempe romanum declinavit imperium, eo-
rum oculis nil nisi barbariem, horrorem, ac vitia sive in literis, sive in moribus spirant. Hinc in historiam,
scriptoresque inferioris aevi praeceps contemtus, ne dicam nausea, et aversus animus ad attingendam, nedum elu-
cidandam infelicium illorum seculorum eruditionem. Et ne quid dissimulem, olim et ego adolescens in ea eram
sententia, quam tamen subinde exui, atque ab ea recessurum puto, quicumque rem serio et acute mentis adhibi-
ta secum tacite versaverit. Nam aut nimium superbientis, aut delicati, dicam etiam ingrati animi est, Italiam
tantummodo victricem et triumphantem velle nosse, victam vero atque ab exteris nationibus subactam aversari.
Eadem est in utroque rerum statu mater nostra, atque illius non minus felicem, quam adversam fortunam co-
gnoscere ad filios potissimum spectat ... Nam quod ab anno quingentesimo occurrat nimis afflicta, et lacerata
Italiae facies atque fortuna, et vitia innumera, et bella perpetua, intestinaeque factiones, ingentium malorum
origo ac fomentum, in oculos incurrant, et praeter haec ignorantia late regnans, et non laicorum solum, sed et
clericorum deformati mores: tanti non sunt haec, ut ab eorum temporum historia avertere mentem nostram pos-
sint, aut debeant. Etenim ea cognoscere, pars non est exigua eruditionis ... Quid? ... ipsorumque monstrorum,
dummodo nocere non possint, aspectus, delectationem secum adferre semper solet. Certe ea ipsa secula, licet fer-
rea, iustam legentium curiositatem mirifice pascunt. ... Postremo, ut alia omittam, legenti rudium ac infeli-
cium seculorum historiam, praestantissimus ille fructus obveniet, nempe comparatione instituta sentire nos pos-
se, et manu, ut ita dicam, tangere, quam felicia sint tempora nostra prae illis ... Nemo dona haec, Dei optimi
maximi benignitate aevo nostro collata, tam bene novit, ac sentit, quam qui diligenter scrutatur, perspectamque
habet calamitatum seriem, quae retroactis seculis ... Italiam ab honoris ac felicitatis culmine in ima deiecerunt.
Les mêmes idées se retrouvent dans la préface aux Antiquitates (Opere, pp. 585-603) et, plus ample-
ment développées, dans la lettre autobiographique adressée au comte Prorcía, Opere, pp. 26-36. (ici
p. 27). L’argument essentiel concernant la comparaison entre passé et présent y est teinté d’une
nuance esthétique: “Anche quel barbaro, anche quel orrido ... ha il suo bello e il suo dilettevole, sic-
come l’ha nelle tragedie e nelle pitture, perche infine quel brutto può solo istruire ed erudire e non
può piu nuocere, oltre di che la verità per se stessa è sempre un gran bello ...”.
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respirent à leurs yeux que la barbarie, l’horreur, les vices, que ce soit dans les lettres
ou dans les mœurs. De là le dédain, pour ne pas dire le dégoût, pour l’histoire et les
écrivains de cet âge inférieur, la répugnance à poursuivre, pour ne pas dire approfon-
dir, la connaissance de ces siècles malheureux. Pour être sincère, j’ai moi-même par-
tagé cette opinion quand j’étais jeune. Je l’ai pourtant bien vite abandonnée, ainsi je
crois, que le ferait quiconque s’étant sérieusement penché sur ce point. Car, c’est la
marque d’une âme trop orgueilleuse et délicate, je dirais même trop ingrate, de ne
vouloir connaître que l’Italie victorieuse et triomphante, et de détourner ses yeux de
l’Italie vaincue et assujettie à d’autres nations. Elle reste notre mère, dans un cas com-
me dans l’autre, et il incombe à ses fils de connaître autant son malheur que son bon-
heur ... En effet, si, après l’an 500, la physionomie et le sort de l’Italie apparaissent
trop affligés et déchirés, si d’innombrables vices, des guerres perpétuelles, des dis-
cordes intérieures sautent aux yeux, si, en outre, l’ignorance est largement répandue,
les mœurs, non seulement des laïques mais, qui plus est, des clercs, sont corrompue,
tout cela ne peut ni ne doit suffire à détourner notre esprit de l’histoire de ces temps.
Cette connaissance est une part non négligeable de l’érudition. ... Quoi donc? La vue
des monstres, quand ils ne peuvent plus nuire, comporte toujours un certain plaisir.
Ces siècles, fussent-ils de fer, nourrissent merveilleusement la curiosité des lecteurs ...
Enfin, pour être bref, celui qui lit l’histoire des siècles malheureux et grossiers ga-
gnera l’avantage extrêmement précieux de pouvoir sentir et pour ainsi dire toucher
de sa main à quel point, en comparaison, notre temps est heureux ... Personne mieux
que celui qui a soigneusement scruté et recherché la chaîne des calamités qui au cours
des siècles antérieurs (...) ont jeté l’Italie de l’apogée de l’honneur et du bonheur dans
le gouffre de la misère, ne connaît ni n’apprécie les dons que l’immense bonté de Dieu
a accordé à notre âge.
19. Della perfetta poesia italiana, Modena 1706; Riflessioni sopra il buon gusto (paru également sous
le pseudonyme de Lamindo Printanio), Venezia 1708; Opere, pp. 59-176, 222-285 (extraits).
20. FORTI (1953), pp. 5-27, 233-236; KRÖMER, pp. 27-37; RUSCHIONI, pp. 114-136; LUGLI, pp.
135-141; ANDREOLI (1972), pp. 28-47; FALCO (1950), pp. 12-15; FALCO (1964), pp. 26-28.
21. TABACCO, pp. 3-6; NEVEU, pp. 241-243; DUPRONT, pp. 52-61; FUMAGALLI, pp. 42-46.
22. Lettre du 12 décembre 1696, Epistolario I, 202: “Studiare per piacere solamente agli altri è
un gusto grande, ma è più considerabile quello del piacere ancora a se stesso”.
23. Epistolario IX, 3863; cf. DUPRONT, pp. 63-65, 135 et ANDREOLI (1972), pp. 14-21 sur l’am-
bition et le désir de “gloire” érudite de Muratori.
24. Préface aux RIS, Opere, p. 514; ANDREOLI (1972), pp. 257-278; FASOLI, pp. 38 sq.; DU-
PRONT, pp. 59-63, 131-135.
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25. Rifl. sopra il buon gusto II, c. XIII; cf. ANDREOLI (1972), pp. 62 sq.
26. ANDREOLI (1972), pp. 100 sq. et RAIMONDI I, pp. 436 sur Bacchini; cf. DUPRONT, pp. 49
sq. sur l’idéal ascétique dans la “République des Lettres”.
27. Vita del proposto Ludovico Antonio Muratori ... par son neveu Gian Francesco Soli Muratori,
Naples 1758, pp. 220 sq.; cf. DUPRONT, pp. 46 sq.
28. Epistolario IX, 3863; cf. DUPRONT, pp. 47 sq., 62 sq.; GIARRIZZO, pp. 24 sq.; NOYER-WEID-
NER, pp. 39-42; MOMIGLIANO, pp. 56 sq.; FALCO (1950), pp. 13 sq.; CESSI, p. 5 sq., 8; MORGHEN,
pp. 293 sq.; ANDREOLI (1972), pp. 33 sq., 102 sq.; BERTELLI, pp. 375-383; COCHRANE, pp. 50-59;
NONIS (1959), pp. 300-309.
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tout du troisième intérêt évoqué dans la préface aux RIS: celui de contri-
buer à ce qu’il appelle tantôt “l’utilité de la République des Lettres”, tan-
tôt “la félicité publique de ces temps illuminés” (il est d’ailleurs un des
premiers à désigner ainsi son siècle)29. Il peut être étonnant que ce prêtre
catholique, un des premiers défenseurs italiens de l’idée de progrès, du ra-
tionalisme et des lumières, se félicite et remercie sans cesse Dieu de vivre
dans un “âge d’or” définitivement éloigné des misères du Moyen Âge30.
Cette conviction peut aller si loin qu’il réfléchit parfois d’une façon uchro-
nique à ce que certains accomplissements indéniables du Moyen Âge au-
raient étés, si leurs auteurs avaient vécu au XVIIIe siècle. Dans cette hy-
pothèse, saint Thomas d’Aquin, par exemple, aurait sans doute écrit des
œuvres beaucoup plus “miraculeuses”, qui dépasseraient l’aride formalis-
me du latin scolastique31. Ce n’est pas par hasard que, de Gibbon à Stend-
hal, beaucoup de lecteurs célèbres se sont précisément émerveillés de la li-
berté d’esprit et de l’absence “des préjugés d’un prêtre catholique” dans
l’œuvre de Muratori32.
Cet optimisme est d’autant plus curieux que l’autre grand penseur de
l’histoire, le laïque Gian Battista Vico, son contemporain à quelques années
près et son correspondant, se sentait vivre dans une époque de décadence
profonde, qu’il qualifiait de “barbarie de la réflexion” par opposition à la
“barbarie des sens” précédente. Il craignait même, conformément à sa théo-
rie des cycles, le prochain “ricorso” d’un nouveau Moyen Âge encore plus
terrible33. Par une coïncidence presque symbolique, cette même année
1708 parurent deux ouvrages programmatiques de l’un et de l’autre, symp-
tomatiques de ce que Paul Hazard nomme la “crise de la conscience euro-
29. Cf. VENTURI (1969), pp. 177-181 à propos de Della pubblica felicità, Venezia 1749.
30. BERTELLI, pp. 369-371 à propos de Riflessioni sopra il buon gusto II, p. 45; pp. 442-449, sur
les Annali d’Italia; DUPRÉ THESEIDER, pp. 425 sq.; GIARRIZZO, pp. 1-42; SOLÉ, pp. 356-359; GOSS-
MANN, pp. 76 sq.
31. NONIS (1959), pp. 295, 302 sur Riflessioni sopra il buon gusto II, c. X, pp. 176 sq.: “dove quel
grand’uomo fosse vivuto ne’ tempi nostri, cioè dopo l’incredibile e glorioso risorgimento delle Let-
tere in Europa, egli può credersi, che avrebbe fatto vederci degli altri miracoli del suo ingegno, e
avrebbe conceputo cose ancora più perfette ...”. Il est curieux de voir U. ECO, dans son “Eloge sur
Thomas d’Aquin” (Dalla periferia dell’impero, Milan 1977), employer, aujourd’hui encore, ce même
argument. Cf. aussi FORTI (1973), pp. 70 sq. sur l’idée de Muratori que les hommes du Moyen Âge
eux-mêmes, s’ils vivaient “al nostro tempo, di gran lunga più fortunato e illuminato per le scienze
e per l’arti che non furono i passati dal 1100 al 1500”, auraient, comme nous modernes, fait des
progrès.
32. Cf. GOSSMAN, p. 77 (Gibbon); CORDIÉ (1950), pp. 606-609 (Stendhal).
33. BURKE, pp. 67-71 sur Principi di una scienza nuova, ed. F. Nicolini, Bari, pp. 191-141, 1106;
cf. GIARRIZZO, pp. 5-16; MORGHEN, pp. 295 sq.; ANDREOLI (1951), pp. 59 sq.; BONOMO, p. 396.
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34. ANDREOLI (1972), pp. 32 sq.; FORTI (1953), pp. 234 sq.
35. Cf. NONIS (1960); NOYER-WEIDNER, pp. 11-15.
36. Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, dans Œuvres complètes, Paris 1785, XIX, 384. Mura-
tori, dans Antiquitates I,col. 104 s’indigne contre “l’âme de la décadence italienne” avec un argu-
ment semblable: dum propria sentit ..., aliena vero, ac praecipue vetera ignorat, in sua facile tempora inve-
hitur, ac “mundum in deteriora ruere ad inane sui solatium clamitat”. A propos de Voltaire admirateur
de Muratori, cf. DUPRONT, pp. 8 sq.
37. SERRA, pp. 575-578; RAIMONDI I, pp. 460 sq.; II, pp. 168-170; FALCO (1964), pp. 24 sq.,
IDEM (1950), pp. 12 sq.; NONIS (1960).
38. Ai lettori, dans Opere, pp. 1024 sq. Cf. aussi BERTELLI, pp. 442-448 sur les Annali d’Italia.
39. Antichità III, p. 537; cf. GIARRIZZO, pp. 40-42.
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lienne53, se terminent par une maxime qui résume bien son pragmatisme
intellectuel fondamental: Scit homo quantum operatur.
Il est significatif que Muratori ait commencé à s’intéresser au Moyen
Âge pour une raison autre que l’érudition, quand, après 1700, devenu bi-
bliothéquaire de la maison d’Este à Modène, il dut défendre les droits du
dûché sur le domaine de Comacchio contre le pouvoir temporel du Saint
Siège. La dispute, qui impliquait la vieille théorie des “deux glaives”, ne
pouvait pas se résoudre par les seules “autorités” canoniques ni par l’invo-
cation d’une légendaire descendance de Charlemagne. Il fallait des docu-
ments authentiques pour prouver si, oui ou non, la dynastie d’Este avait
été investie de la propriété de Comacchio au Xe siècle. Muratori archiviste
se fait ainsi l’avocat du duc et de l’Empire. Après de longues recherches gé-
néalogiques qui le mettent en relations suivies avec Leibniz, qui travaille
alors sur la dynastie de Brunswick, il publie sa Piena esposizione dei diritti
imperiali ed estensi sopra la città di Comacchio. L’échec politique de ce plai-
doyer contre le pouvoir séculier du Pape le rend suspect auprès des milieux
curialistes jusqu’à être décrié comme gibellin, janséniste et même franc-
maçon, mais ne l’empêche pas de continuer ces recherches et d’en réunir
les documents et résultats dans son premier travail d’histoire médiévale,
les Antichità Estensi. L’enquête systématique qu’il fit à travers les biblio-
thèques lombardes et toscanes pour soutenir les prétentions territoriales de
son maître, le conduisit, par la suite, à concevoir l’histoire de l’Italie com-
me une sorte d’appendice à ces études généalogiques. C’est donc un enga-
gement politique concret qui est à l’origine des deux plus grands monu-
ments de l’historiographie italienne du XVIIIe siècle, les Rerum Italicarum
Scriptores et les Antiquitates Italicae Medii Aevi54.
Le caractère pragmatique et engagé du travail historique de Muratori
se manifeste surtout dans ses intérêts pour les “costumi e riti” du peuple,
intérêts que l’on qualifierait aujourd’hui de folkloriques ou d’ethnolo-
giques. C’est, sans doute, l’aspect le plus original et moderne d’un mé-
diévisme qui dépasse les limites de l’historiographie dynastique et ecclé-
siastique en cours pour s’acheminer vers “l’histoire totale” et, en quelque
sorte, vers l’histoire des mentalités et croyances, de l’imaginaire et de la
sensiblité. À sa façon un peu baroque, il énumère ainsi les objets de son
érudition55: “Connaître toutes les choses et tous leurs effets ainsi que les
actions humaines des différents temps et lieux, les temps et les lieux eux-
mêmes, le corps et l’âme des hommes, les rites des peuples et les opinions
des lettrés, ... Décrire les coutumes, les manières de s’habiller, de faire la
conversation, de gouverner, de fabriquer, de naviguer ... et cent autres
choses similaires qui sont arrivées ou qui existent dans le monde”. On a
souvent répété, à la suite de Benedetto Croce, que Muratori est le premier
représentant italien de la “Kulturgeschichte”56.
Mais, pour ne pas le moderniser à l’excès, il faut d’emblée souligner que
cette vision globale de “la vita sociale”, de “la vie des peuples” (il employe
souvent ce pluriel), est avant tout critique, moins encline à la compréhen-
sion de l’autre, de la beauté des comportements pré-rationaux – dont son
contemporain Vico est beaucoup plus proche –, qu’à la destruction de pré-
jugés, de mythes et de superstitions57. Muratori a, à plusieurs reprises, cri-
tiqué les pratiques dévotionnelles ou les coutumes aristocratiques de son
temps. Dans sa correspondance, il attaque constamment, d’une part, les
nouveaux miracles, le culte de reliques suspectes, les canonisations hâtives,
les phantasmes des légendes hagiographiques et les visions de mystiques
exaltés (comme celles de Marguerite Alacoque)58, d’autre part, les duels,
les fidéicommis, le dédain de la noblesse pour le travail productif, les
droits seigneuriaux abusifs, le culte des valeurs guerrières et autres sé-
quelles féodales d’une époque “infatuée de la parole d’honneur”59. Il récla-
me, par exemple, pour des raisons économiques et sociales, la réduction du
nombre des fêtes de saints60; il s’indigne contre le “vœu du sang”, serment
instauré par une congrégation mariale et exigeant de défendre, même jus-
qu’à la mort, l’Immaculée Conception de la Sainte Vierge. Ce vœu lui
semble une “mariolâtrie” pompeuse et bouffonne61. Il prit le parti des Bol-
55. Rifl. sopra il buon gusto II cap. XIII, 41 sq.; v. aussi la lettre autobiogrphique au comte Porcía,
Opere 29; cf. ANDREOLI (1972), pp. 62 sq.; BERTELLI, pp. 371 sq.; FASOLI, pp. 24-27; CATTANEO, pp.
51 sq.
56. B. CROCE, Conversazioni critiche I, Bari 1918, p. 209 concernant les Antiquitates: “una vera e
propria Kulturgeschichte Italiens im Mittelalter”. BERTELLI, p. 364; MORGHEN, p. 294 sq.; TA-
BACCO, p. 5
57. BERTELLI, pp. 394 sq.; FASOLI, p. 28; BONOMO, pp. 392-396; CROCIONI, pp. 411 sq.; GIAR-
RIZZO, pp. 16-20; COLLOTTI, pp. 400-410.
58. CATTANEO, pp. 54-57; FALCO (1950), pp. 13-15; DUPRONT, pp. 75-98; GOSSMANN, pp. 74-76.
59. BERTELLI, pp. 395 sq.; DUPRONT, p. 88; FALCO (1964), pp. 29 sq.; GIARRIZZO, pp. 1-12, 31-
36; TABACCO, pp. 13-20; FORTI (1973), pp. 77-82.
60. CATTANEO, pp. 54-56; DUPRONT, pp. 89-93.
61. NASELLI, pp. 456-470; DUPRONT, pp. 86 sq.; MORGHEN, pp. 296 sq.
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landistes, que les Carmes accusaient auprès du Saint Siège d’avoir détruit
la légende de leur descendance miraculeuse du prophète Élie. Devant tant
“d’aveuglement et de perfidie”, sa première réaction est le rire, la seconde
la colère62. Dans son Del governo della peste, à propos des mesures à prendre
en cas de peste, il s’élève contre la croyance moyenâgeuse, toujours vivan-
te, en de prétendues punitions divines et contre la désignation de boucs
émissaires en lieu et place des pratiques hygiéniques prônées par la méde-
cine avancée63. Il a également publié trois livres de réfutation des
croyances populaires: De ingeniorum moderatione, De superstitione vitanda et
Della regolata devozione dei cristiani, qui résument bien toute son horreur de
l’irrationnel, de ce qu’il aime appeler les “puérilités ridicules” des temps
d’ignorance64.
Il recherche systématiquement les sources médiévales de ces “aberra-
tions”, travail d’une utilité ethnographique encore valable aujourd’hui. Il
ne cache guère son partis-pris de chrétien éclairé et de pasteur zélé contre
ces “fausses croyances se mettant à la place de la vraie religion” dont il dé-
fend avant tout la transcendance divine65. Dans la dissertation 60 de la ver-
sion italienne des Antiquitates66: “Sur la semence des superstitions dans les
temps obscurs d’Italie”, il veut épargner au lecteur un excès de détails:
“Nous nous étonnerions de l’abondance de rites et coutumes curieuses, si
nous connaissions tous les ridicules de nos ancêtres”. C’est la répugnance
qui pousse cet esprit encyclopédique, tourné vers l’exhaustivité, à sélec-
tionner et fragmenter son matériel. Il ne faut pas, dit-il, “raconter toutes
les superstitions. Il suffit d’en citer quelques-unes pour se réjouir de notre
plus grande sagesse”67. Un de ses contemporains remarque déjà, dans un
compte rendu du “Journal de Trévoux”, certaines coupures et corrections
dans l’édition des RIS, et les critique poliment pour des raisons philolo-
giques68: “ M. Muratori que le torrent ou le préjugé public n’entraîna ja-
mais, a examiné la chronique [de Jacques de Voragine] par elle-même.
C’était à la vérité un travail bien degoûtant que d’essuyer les puérilités, les
fables, les digressions qui s’y offrirent souvent sous ses yeux ... Il a cru har-
74. R. FOSSIER, dans Médiévales 7 (“Moyen Âge, mode d’emploi”) 1948, p. 46; cf. MOOS, pp. 59-63.
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BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES COLLECTIFS:
*Prima pubblicato in «Quaderni storici», 102 (1999), pp. 781-795. Le note sono state aggiun-
te per questo volume (cfr. bibliografia n. 74). Traduzione dal tedesco di Michele Sampaolo (testo) e
di Lorenzo Argentieri (note).
1. Adriano Prosperi, Tribunali della coscienza. Inquisitori, confessori, missionari, Torino 1996; cfr.
anche la revisione pubblicata dopo l’apertura dell’archivio dell’Inquisizione: Un’esperienza di ricerca
all’archivio del Sant’Uffizio, «Rendiconti dell’Accademia Nazionale dei Lincei – cl. di scienze mora-
li», serie IV, vol. 9 (1998), pp. 433-468.
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4. Come sottolinea anche D. Solvi, La parola all’accusa. L’inquisitore nei risultati della recente storio-
grafia, «Studi Medievali», 39 (1998), pp. 367-395 (spec. 369-340): «Può darsi che la sensibilità con-
temporanea, così attenta ... al diritto alla libertà d’espressione e ostile al concetto stesso di “reato d’o-
pinione”, si senta a disagio di fronte ad un’istituzione che potrebbe costituirne la cattiva coscienza
storica, che ritenga l’inquisizione un vicolo cieco della storia ... un ramo secco della ricerca, sul qua-
le, eccezione fatta per occasionali puntualizzazioni tecniche, nient’altro più c’è da aggiungere».
5. A questo riguardo l’antitesi repressione-persuasione, giudice-medico (padre) non è abbastan-
za sfumata, in quanto anche la metafora dell’assistenza medica è essenzialmente energica, anzi re-
pressiva, come mostra in modo convincente J. Chiffoleau, Sur la pratique et la conjoncture de l’aveau
judiciaire en France du XIIe au XVe siècle, in L’aveau. Antiquité et Moyen Âge, «Coll. de l’École françai-
se de Rome» 88, Rome 1986, pp. 341-380. L’articolo è fondamentale anche per le origini (non trat-
tate da P.) della confusione delle due «confessioni», quella religiosa e quella giudiziaria. Ne risulta
inoltre ben chiaro che il comportamento disinvolto degli inquisitori verso il segreto confessionale
non è affatto un fenomeno limitato all’età moderna, ma è una «confusion de fors» derivata dalle
condizioni strutturali delle due istituzioni, che a partire dal 1215 vennero spesso regolate insieme.
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10. Si veda una caratteristica molto simile dell’inquisitore medievale in Solvi, op. cit. a n. 4, pp.
382-385.
11. Riprendo l’espressione da Jan Assmann, Politische Theologie zwischen Ägypten und Israel, Mün-
chen 1992, p. 24: «[scil. la teologia politica] viene praticata (betrieben) da quelli che vi assumono
una posizione precisa e descritta (beschrieben) da quelli che si interessano della storia del problema».
12. Prosperi, Un’esperienza (op. cit. a n. 1), pp. 454-459, in un eccellente paragone delle due op-
poste concezioni dell’ufficio dei cardinali Pole e Carafa; per la tradizione del concetto etico, però,
sarebbe stato meglio citare Ambrogio che Cicerone. Inoltre il significato istituzionale di officium era
comune già nel Medioevo: parallelamente a ordo, veniva contrapposto al meritum nella discussione
sulla distribuzione dei sacramenti da parte di sacerdoti indegni; cfr. Grundmann, Ketzergeschichte, op.
cit. a n. 6, pp. 18, 30.
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13. Mi sembra sintomatico che il lavoro di Solvi (n. 4), peraltro eccellente, non citi neanche una
volta in nota il capolavoro degli studi sull’età moderna cui qui si allude.
14. Cfr. i numerosi studi di N. Staubach, tra cui «Christianam sectam arripe: Devotio moderna» und
Humanismus zwischen Zirkelbildung und gesellschaftlicher Integration, in K. Garber - H. Wismann (edd.),
Europäische Sozietätsbewegung und demokratische Tradition, Tübingen 1996, pp. 112-167 oppure Von der
persönlichen Erfahrung zur Gemeinschaftsliteratur, «Ons geestelijk erf», 68 (1994), pp. 200-228.
15. F. Graus, Ketzerbewegungen und soziale Unruhen, «Zeitschrift für historische Forschung», 1
(1974), pp. 3-21; A. Patschovsky, Über die politische Bedeutung von Häresie und Häresieverfolgung im
mittelalterlichen Böhmen, in P. Segl (ed.), Die Anfänge der Inquisition im Mittelalter, Köln 1993, pp.
236-252.
16. Cfr. la panoramica sugli studi in Mario Sanfilippo, Dentro il Medioevo, Firenze 1990, pp.
137-143.
17. J. Chiffoleau, Ce qui fait changer la mort dans la région d’Avignon à la fin du Moyen Âge, in Death
in the Middle Ages, Louvain 1983, pp. 117-133; P. von Moos, Les solitudes de Pétrarque, in questo vo-
lume, supra, n. 17, pp. 611-650.
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lora fino a oggi dipende in ultima analisi dalla grazia di quella elezione per
maggioranza18. Com’è noto, lo spettro del conciliarismo tardomedievale
contribuì in maniera decisiva all’irrigidimento autoritario di Roma, e fece
sì che a Trento si creasse quel clima di rifiuto di dialogo per cui non furo-
no mai pronunciate una sola volta parole concilianti, e per cui la tradizio-
nale mancanza di comprensione della Chiesa ufficiale per le opinioni de-
vianti fu acuita a tal punto che da allora il semplice fatto di discutere su
«quello che Santa Madre Chiesa crede», indipendentemente dai contenu-
ti, cominciò a essere visto come l’eresia principale, come una messa in di-
scussione del primato papale, come un reato di lesa maestà contro il pote-
re delle chiavi.
Mentre il medievista termina il suo lavoro sull’affermazione che gli ere-
tici in senso stretto non possono essere considerati precursori della Rifor-
ma, in quanto in mancanza dell’appoggio statale non hanno mai distrutto
l’unità della Chiesa, lo storico dell’età moderna inizia con la storia di varie
confessioni religiose che egli, contro il tenore delle sue fonti ma in base a
una obbligata neutralità, non può più designare come eresie se non fra vir-
golette. E tuttavia, un leitmotiv di Tribunali della coscienza è proprio che a
innescare tutte le innovazioni cattoliche o «salti di qualità» rispetto alle
forme medievali della disciplina della fede fu appunto la portata del peri-
colo di un’«eresia» a nord delle Alpi che si sarebbe potuta rapidamente
diffondere e installare pienamente a livello istituzionale, e che, grazie alla
stampa, avrebbe potuto dilagare spiritualmente dovunque, diventando un
focolaio di contagio straniero, un’importazione transalpina19. Quello di
eresia è fondamentalmente un concetto dell’autorità ecclesiastica, che mai
nessun eretico si è sognato di attribuirsi. La sua semantica per lo storico
non dipende dai contenuti giusti o sbagliati degli insegnamenti, ma solo
dal mutamento delle istituzioni dominanti e dei rapporti di potere20. Sia-
mo quindi già in ritardo nella necessaria opera di collegare la prospettiva
medievistica con quella degli storici dell’età moderna e di accordare i loro
discorsi. È un’operazione che, naturalmente, non può essere fatta da nessun
18. Brian Tierney, Foundations of the Conciliar Theory, Leiden 19973; I. Hlavacek - A. Patschov-
sky (edd.), Reform von Kirche und Reich zur Zeit der Konzilien von Konstanz und Basel, Konstanz 1996.
19. Questa tesi viene indebolita dall’affermazione (p. 134) per cui probabilmente la causa dello
sviluppo dell’Inquisizione è l’autoriproduzione dell’apparato di potere piuttosto che l’emergenza
del pericolo eretico.
20. L. Paoletti, L’eresia e l’inquisizione, in G. Cavallo et al. (edd.), Lo spazio letterario del Medioevo,
I.2: La circolazione del testo, Roma 1994, pp. 361-405, spec. 361-364.
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21. Praticamente tutte le tematiche di P. vengono toccate nel volume miscellaneo Faire croire.
Modalités de la diffusion et de la réception des messages religieux du XIIe au XVe s., «Coll. de l’École
française de Rome» 51, Rome 1981.
22. Un bell’esempio è il caso di Machiavelli; cfr. Peter Godman, From Poliziano to Machiavelli,
Princeton 1998, pp. 305-333; cfr. id., Weltliteratur auf dem Index. Die geheimen Gutachten des Vatikans,
Berlin-München 2001, pp. 116-122.
23. Sulla desolata situazione dell’editoria italiana all’inizio del XVIII secolo vedi Renato Pasta,
Editoria e cultura nel Settecento, Firenze 1997, cap. 1.
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mità ricorda – benché i suoi metodi di controllo dei costumi siano tecni-
camente incomparabili con quelli dell’età moderna – gli inizi dottrinali
della lotta contro gli eretici dell’XI secolo, quando la Chiesa della riforma
gregoriana definiva la simonia e il nicolaitismo come vere e proprie eresie
e le combatteva con estrema durezza. La prima «eresia» del Medioevo non
fu in senso stretto una dottrina errata, ma un comportamento scandaloso
dei preti secolarizzati24. In età moderna lo scandalo era rappresentato da-
gli abusi nella somministrazione del sacramento della confessione e dalla
condotta di vita non confacente allo status sacerdotale, cui un’autorità at-
tenta alla dignità cercò di porre rimedio con misure tutte materiali. Il con-
fessionale divenne così un nuovo pezzo dell’arredo delle chiese, ma insie-
me un simbolo dei più antichi problemi della disciplina ecclesiastica.
A parte queste e poche altre vere innovazioni, in tutti gli ambiti tema-
tici toccati dal libro sembrano intersecarsi vecchio e nuovo, che si tratti di
abbassamenti o di rivalutazioni, oppure di inasprimenti dell’esistente. E si
discute pertanto solo con le categorie del «più» o del «meno». Nell’insie-
me, dunque, il concilio di Trento appare insieme come la conclusione e il
coronamento del concilio Lateranense del 1215 e come l’apertura dell’età
moderna, non in quanto esso stesso «moderno» ma in quanto foriero della
modernità in senso dialettico (per le reazioni che scatenò).
Anche l’Inquisizione, quanto a procedura, non si può dire sia una vera
innovazione del XVI secolo, nonostante la sua centralizzazione in uno spe-
ciale vertice romano, l’appena creato Sant’Uffizio. Questo istituto si ri-
chiamava già esso stesso esplicitamente ai suoi precursori medievali, per-
ché questo corrispondeva alla sua coscienza storico-giuridica e non solo per
legittimare sotto il mantello della tradizione una vera e propria «rivolu-
zione», come insinua Prosperi (generalizzando la posizione di Peña-Eyme-
ric). Si era detto che il Medioevo aveva conosciuto solo inquisizioni, men-
tre soltanto a partire dal 1542 si può parlare della Inquisizione25. Ma con
questa argomentazione di carattere giuridico formale-organizzativo con-
trasta in maniera eclatante la prassi, sia prima che dopo quella data. Già da
tempo il papato aveva aspirato a una concentrazione burocratica della vi-
gilanza sulla fede, e sotto Innocenzo IV fu anche ufficialmente introdotta.
24. Grundmann, Ketzergeschichte, op. cit. a n. 6, pp. 12-15. E’ d’altronde interessante che all’ini-
zio anche la «inquisizione» fosse una procedura usata non per perseguitare gli eretici ma per disci-
plinare i sacerdoti, come ha spesso sottolineato W. Trusen, ad es. in Von den Anfängen des Inquisi-
tionsprozesses zum Verfahren bei der Inquisitio hereticae pravitatis, in Segl, op. cit. a n. 15, pp. 39-76.
25. P. Segl, Zur Einführung, ibid., pp. 1-38.
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26. P. sottolinea soprattutto l’unificazione linguistica operata dal «toscano ecclesiastico» impo-
stosi nella corrispondenza tra clero inferiore e gerarchia, un contributo che però non si può in alcun
modo paragonare all’enorme importanza della Bibbia di Lutero per il nuovo alto tedesco.
27. Criticando l’eccessiva importanza data da Paolo Grossi alla varietà del diritto consuetudina-
rio e all’autonomia locale, ho sottolineato il ruolo religioso (ma non politico) di centralizzazione del-
la Chiesa accanto a quello anche politico dello Ius commune in Das Öffentliche und das Private im Mit-
telalter. Für einen kontrollierten Anachronismus, in G. Melville - P. von Moos (edd.), Das Öffentliche und
das Private in der Vormoderne, Köln 1998, pp. 3-86, spec. 78-83.
19-prosperi 9-09-2005 10:40 Pagina 682
la Chiesa e i suoi comuni fedeli al papa (in parte già dal XIII secolo), che
collaboravano con l’Inquisizione28. Ma qui la Chiesa divenne una delle tan-
te forze particolari che si opponevano all’unificazione nazionale. Sotto en-
trambi gli aspetti – come effettiva potenza territoriale e come nelle inten-
zioni potenza spirituale mondiale – essa era in fondo più un corpo estraneo
che una forza trainante per l’integrazione nazionale.
Attenendomi qui a quanto esposto dai Tribunali della coscienza, ai miei
occhi il cambiamento più radicale portato dalla Controriforma fu l’aboli-
zione, o quanto meno messa in discussione, della «libertà del cristiano».
Prosperi fa ripetutamente riferimento a questo concetto come un postulato
tipicamente protestante e quindi come l’«eresia più alta» per i cattolici (p.
214), e non è del tutto chiaro se lo dica in senso ironico o ritenga invece
come semplicemente cattolica l’incondizionata obbedienza a prescindere
dalla convinzione personale. Ma al riguardo non fa cenno ad alcun cambia-
mento dottrinale, nonostante che la libertà di coscienza sia sempre stata una
delle fondamentali categorie teologiche della Chiesa, che dal XII secolo era
ancorata come diritto soggettivo nella codificazione canonica e che (soprat-
tutto nei dibattiti sul concilio di Costanza) non poté mai essere sacrificata
dai funzionari dell’amministrazione pontificia sull’altare dell’ordine gerar-
chico ufficiale29. Su questa trasformazione tridentina, se pure ebbe luogo,
bisognerebbe scrivere un altro libro. Esula dalle mie competenze di verifi-
care in chiave teologica l’esposizione di Prosperi su questo punto. Posto che
sia corretta anche solo nelle grandi linee, il richiamo di Lutero alla fede e
allo «Spirito che è in noi» avrebbe provocato nell’avverso campo cattolico
una reazione epocale, che avrebbe radicalmente distrutto il fin allora neces-
sariamente sempre paradossale e teso rapporto fra Chiesa dello Spirito e
Chiesa ufficiale30. I suoi due poli di «carisma e istituzione» (Weber) si sa-
rebbero allora divisi fra le due confessioni in maniera tale che l’originaria
28. Cfr. Thomas Scharff, Häretikerverfolgung und Schriftlichkeit. Die Wirkung der Ketzergesetze auf
die oberitalischen Kommunalstatuten im 13. Jh., Frankfurt a.M. (...) 1996; H. G. Walther, Ziele und
Mittel päpstlicher Ketzerpolitik in der Lombardei und im Kirchenstaat 1884-1252, in Segl, op. cit. a n. 15,
pp. 103-130.
29. Knut W. Nörr, Kirche und Konzil bei Nicolaus de Tudeschis (Panormitanus), Köln-Wien 1964,
pp. 76-80, 104-106, 126-143, 163 sg.; Peter Landau, Reflexionen über Grundrechte der Person in der
Geschichte des kanonischen Rechts, in Festg. H. Heinemann, Theologia et Jus Canonicum, 1995, pp. 517-
532; P. von Moos, Krise und Kritik der Institutionalität. Die Mittelalterliche Kirche als «Anstalt» und als
«Himmelreich auf Erden», in Institutionalität und Symbolisierung, Köln 2001, pp. 293-340.
30. M. T. Fumagalli Beonio Brocchieri (ed.), Le due Chiese. Progetti di Riforma politico-religiosa nei
secoli XII-XV, Milano 1998.
31. Marie-Dominique Chenu, L’éveil de la conscience dans la civilisation médiévale, Montréal-Paris
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definizione della Chiesa come «comunità dei credenti» avrebbe lasciato una
sua interpretazione unilateralmente spirituale e liberale sul versante prote-
stante e un’interpretazione altrettanto unilateralmente istituzionale e disci-
plinare sul versante cattolico. È forse questo ciò che è effettivamente acca-
duto? Nel Medioevo, comunque, non ci fu nessuna riduzione a eresia della
coscienza, la quale almeno dal XII secolo era considerata come una legge di-
vina «scritta nel cuore» di ognuno singolarmente. Ed è significativo che
persino il papa Innocenzo III avesse decretato che, in caso di dubbio, il cri-
stiano dovesse piuttosto accettare la scomunica che scontrarsi con la sua
propria coscienza, ultima istanza davanti a Dio31. Se a Trento questa aper-
tura spirituale fu davvero buttata a mare o no – mi è difficile immaginarlo
– è un’autentica questione storica per storici dell’età moderna imparziali,
che non si lascino contagiare dalla temperie di «disgelo» ecumenico né dal-
la retroguardia neoguelfa ma conservino il distacco scientifico nei confron-
ti di un oggetto attualissimo e «non pacifico».
Fra i temi più difficili da collocare nella logica di continuità e disconti-
nuità vanno annoverati gli sforzi specificamente pastorali, cui nelle sezio-
ni «La confessione» e «La missione» Prosperi dedica le pagine più convin-
centi del suo libro scritte per lo più con molta sensibilità psicologica e so-
ciale. Il primo è quello della valutazione del grande contributo, sotto mol-
ti aspetti innovativo, dei gesuiti, un contributo che tuttavia deve alla tra-
dizione patristica e medievale (anche secondo ciò che gli stessi gesuiti pen-
savano) molto più di quanto Prosperi non dica. Nella lotta per la fede, nel-
la propagatio fidei (e qui Prosperi sottolinea che da questa espressione deri-
va il senso secondario del moderno concetto di propaganda), l’ordine dei
gesuiti assunse subito lo stesso ruolo di avanguardia papale con privilegi
operativi trasversali rispetto alle istituzioni esistenti che trecento anni pri-
ma era stato affidato agli ordini mendicanti (nel frattempo diventati trop-
po indipendenti per la centrale romana). L’ordine gesuitico rappresenta
quindi un nuovo fattore nel gioco di forze delle responsabilità pastorali e
tuttavia ricalca una funzione di élite già collaudata. A differenza dai «pre-
dicatori» domenicani (al tempo attivi mercanti delle indulgenze), i gesui-
ti si concentrarono soprattutto sulla interiorizzazione delle norme cristia-
1969; P. von Moos, Le “bien commun” et la “loi de la conscience”, in questo volume, supra, n. 13; id.,
Occulta cordis, ibid., supra, n. 16; Giles Constable, The Reformation of the Twelfth Century, Cambridge
1996, pp. 262-295; Arnold Angenendt, Geschichte der Religion im Mittelalter, Darmstadt 1997, pp.
192-201.
32. Per la fase anteriore vedi Pierre Hadot, Exercises spirituels et philosophie antique, Paris 1981; P.
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von Moos, Attentio est quaedam sollicitudo. Die religiöse, ethische und politische Dimension der Aufmerk-
samkeit im Mittelalter, in A. Assmann (ed.), Aufmerksamkeit, München 2001, pp. 91-127. Qui l’ac-
cento è posto sulla perfezione metodica, non sull’idea basilare (già interamente medievale) della
«monacizzazione dei laici» (A. von Harnack); cfr. Schreiner, Laienfrömmigkeit ... in id. (ed.), Laien-
frömmigkeit im späten Mittelalter, München 1992, pp. 1-78, spec. 29-33.
33. Ciò è mostrato in modo incisivo da vari studi di Alois Hahn, ad es. Confession et mentalité mo-
derne, «Regards sociologiques» 1992, pp. 1-10; Religion und Welt in der französischen Gegenreforma-
tion, in D. Baecker et al. (edd.), Theorie als Passion. Festschrift N. Luhmann, Frankfurt a.M. 1987, pp.
84-106; La discipline de soi comme base de la personnalité moderne. Différenciation, processus de civilisation,
religion: aspects d’une théorie de la modernité, «Recherches sur la philosophie et le langage» 17 (1995),
pp. 127-566; cfr. anche A. Hahn - V. Kapp (edd.), Selbstthematisierung und Selbstzeugnis: Bekenntnis
und Geständnis, Frankfurt a.M. 1987.
34. Soprattutto nei capitoli su forme di «superstizione» e falsa santità (vedi sotto). Mi chiedo per-
ché non menzioni un’attività della Controriforma tanto importante e dovuta alla critica protestante
come la filologia agiografica dei Maurini e dei Bollandisti, che ha ispirato in modo decisivo Mura-
tori; cfr. P. von Moos, Muratori et les origines du médiévisme italien, in questo volume, supra, n. 18.
35. Cfr. A. Hahn, La discipline de soi ..., op. cit. a n. 34, pp. 139-140.
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36. Minois, op. cit. a n. 8, pp. 98-101 annovera questo ideale di virilità tra i motivi già medie-
vali di indifferenza religiosa.
37. Cfr. A. Hahn, Religion und Welt ..., op. cit. a n. 33, soprattutto su Bourdaloue.
38. Niklas Luhmann, Gesellschaftsstruktur und Semantik, «Studien zur Wissenssoziologie der mo-
dernen Gesellschaft», vol. 3, Frankfurt a.M. 1989, pp. 259-357; Funktion der Religion, Frankfurt
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a.M. 1977.
39. Analogamente si spiega la convivenza pacifica di usanze popolari e chiesa ufficiale prima del
XIV secolo: nel XIII secolo il pericolo eretico teneva ancora molto occupati i giudici della fede. Cfr.
H. Martin, Mentalités médiévales. XIVe-XVe s., Paris 1996, pp. 252-256.
40. Da questo punto di vista il rapporto tra Controriforma e Illuminismo si nota meglio che al-
trove in Muratori; vedi von Moos, Muratori, op. cit. a n. 34.
41. Cfr. i celebri studi di E. De Martino, soprattutto l’appendice a Sud e magia, Milano 1998.
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Solo dopo che avevo finito di stendere il contributo sopra riportato sono
venuto a conoscenza del sostanzioso saggio di Prosperi, Cristianesimo e reli-
gioni primitive nell’opera di Robert Hertz46, che mi costringe ad un’aggiunta:
qui l’autore rivela una sorprendente conoscenza dei dibattiti di fondo fra so-
ciologi, etnologi e storici sul senso delle scienze umane all’inizio del XX se-
colo. Ne deduco che l’assenza di teoria che mi aveva colpito in Tribunali del-
la coscienza potrebbe corrispondere a una precisa scelta dettata proprio da
motivi teorici nell’ottica di una storia di processo, e comunque non era frut-
to di un capriccio corporativo per il Solo-Storico. Al centro del saggio su
Robert Hertz, antropologo ingiustamente trascurato della scuola di
Durkheim e amico di Marcel Mauss, ci sono appunto temi come il male e
il suo superamento o la damnatio memoriae, la colpa e l’espiazione attraverso
fitta», causa principale già della caccia alle streghe nel XIV secolo e che così, per quanto possa suo-
nare strano, contribuisce a quella «de-profanizzazione» essenzialmente moderna della religione vol-
ta a conferirle una sacralità lontana dalla vita e ascetica, e non a caso raggiunge il suo culmine nel
XVII secolo. P. Chaunu, Le défi du siècle, in id. et al. (edd.), Le basculement religieux de Paris au XVIIIe
s., Paris 1998, pp. 385-472, spiega l’Ecrasez l’infame di Voltaire come una conseguenza diretta del-
l’educazione gesuitica sulla spiritualizzazione della religione.
44. Cfr. Minois, op. cit. a n. 8, pp. 339-343.
45. Riprendendo uno spunto essenziale di Karl-Ferdinand Werner, ho sviluppato più ampia-
mente questo punto in Gefahren des Mittelalterbegriffs. Diagnostische und präventive Aspekte, in J.
Heinzle (ed.), Modernes Mittelalter, Frankfurt a.M. 1994, pp. 33-66.
46. Introduzione alla traduzione, da lui curata, di R. Hertz, La preminenza della destra e altri sag-
gi, Torino 1994 (=Sociologie religieuse et folklore, Paris 1928).
47. Ho chiarito questo aspetto in un ritratto del mio maestro, che fu ispirato dalla critica cul-
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turale dell’anteguerra: Wolfram von den Steinen, ein Historiker des Überhistorischen. Zum 100. Geburtstag
W. von den Steinens, «Mlat. Jb.» 28.1 (1993), pp. 1-17; cfr. anche il convincente affresco della si-
tuazione dell’epoca (che forse oggi si sta in un certo senso ripresentando) di O. G. Oexle, Das Mit-
telalter und das Unbehagen an der Moderne: Mittelalterbeschwörungen in der Weimarer Republik und dana-
ch, in S. Burghartz et al. (ed.), Spannungen und Widersprüche. Gedenkschrift für Frantisek Graus, Sig-
maringen 1992, pp. 125-153.
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logia storica» e la «critica della cultura» quale si sviluppò all’inizio del no-
stro secolo, prima di estinguersi repentinamente con le successive catastro-
fi. Il «disagio della cultura» (e della «dialettica dell’illuminismo»), infatti,
non si è nel frattempo attenuato, e «il ritorno alla natura» sembra trovare
sempre più adepti contro la storia e la sua prosecuzione, sicché il postmo-
derno si sta forse già trasformando in antimoderno.