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Analyse:
Les niveaux de responsabilité : Quand les organisateurs décident de faire participer les
téléspectateurs en leur offrant la possibilité d'élire les condamnés du jour, le niveau de
responsabilité des téléspectateurs change. Un vote sanctionne donc les prisonniers
désignés. C'est l'interactivité qui permet de faire remonter l'audience. Le spectateur
n'est alors plus seulement complice mais acteur de l'horreur. La participation anonyme
minimise la conscience qu'il a d'y être pour quelque chose ; pourtant le rôle des
téléspectateurs est désormais indéniable.
Les médias sont pour une bonne part complices de ce phénomène. Ils relayent
l'information et estiment de cette manière exercer leur rôle : informer. La surenchère
des titres sur une même information montre la logique concurrentielle qui les domine.
C'est une même recherche du scoop qui favorise l'audience de l'émission. Même quand
les médias décident de ne plus se rendre complices de celle-ci, quand ils décrètent de
faire silence, ils font malgré eux le jeu de l'audimat, parce qu'affirmer qu'il ne faut plus
en parler, c'est toujours en parler.
Les noms disons ... "peu courants" de beaucoup de personnages des romans d'Amélie
Nothomb sont un peu une marque de fabrique.
Le nom Pannonique lui avait été inspiré par Thelonious Monk, un pianiste de Jazz
américain, dont un des morceaux s'appelle "Pannonica". C'était son égérie. Il s'agissait
de Katleen Annie Pannonica de Rothschild, une Anglaise qui vivait à New York et qui a
soutenu un grand nombre de musiciens de Jazz.
Le nom Zdena provient d'un roman (Le Livre du rire et de l'oubli, 1979) de Milan
Kundera, écrivain de langues tchèque et française. Il y décrit une femme très laide qui
s'appelle Zdena.
Pannonique ou CKZ 114 : Elle a 20 ans et est très belle (pp. 22, 23: "Pannonique avait le
visage le plus sublime que se pût concevoir"). Elle est délicate et intelligente (p. 23 : "
Son intelligence rendait sa splendeur encore plus terrifiante"). Son visage fait penser à
ceux que les peintres d'une autre époque (Moyen Âge ou ultérieur) ont reproduits dans
leurs tableaux. Elle est étudiante en paléontologie (la science qui étudie les fossiles) ;
elle a une passion pour les diplodocus (reptiles dinosauriens). Pannonique est une
femme fière et ne montre ni son angoisse ni la douleur ; elle affiche "un masque de
hauteur" (p. 22) ce qui la rend très digne. Elle devient très vite l'égérie des
organisateurs et des téléspectateurs ; les journaux consacrent même des articles à
cette jeune fille (p. 29). De plus, elle est "l'unique obsession de Zdena" (p. 43).
Pannonique est également admirée par les autres détenus (p. 51: " Ils éprouvaient tous
la plus grande admiration pour CKZ 144. Elle était leur héroïne, celle dont la noblesse
donnait le courage de redresser la tête").
Zdena: Comme Pannonique, elle a 20 ans. Elle provient d'un milieu ouvrier défavorisé
(le lumpenproletariat, p. 20). Contrairement à Pannonique, elle est laide (p. 17 : "Ils
furent particulièrement révulsés par une jeune femme au visage mal équarri"). Elle est
considérée comme étant une "tête de brute" et la "plus bête des kapos" (p. 27). En
effet, elle n'a jamais réussi aucun examen de sa vie et depuis toujours, son entourage
s'est moqué d'elle (p. 11). Le terme militaire "kapo" lui plaît, car ainsi elle peut "marquer
la dure" (p. 12). Elle n'a pas de scrupules et affiche un sang-froid effroyable (p. 12 : "Elle
prouva qu'elle était capable de frapper des inconnus, de hurler des insultes gratuites,
d'imposer son autorité, de ne pas se laisser émouvoir par des plaintes"). Elle est
également très orgueilleuse (p. 12 : Elle ne remarquait déjà plus qu'elle était filmée"; p.
14 : "La caméra n'aurait d'yeux que pour elle pendant plus de cinq cents secondes"; p.
18 : "Ce que je constate, c'est que moi, qui ne suis pas une chochotte, je suis du côté
des forts"). Elle a une haute opinion d'elle et se trouve même sympathique (p. 14 : "Mais
elle songea qu'elle n'aurait aucun mal à inspirer de la sympathie"). Zdena est dès la
première rencontre obsédée par Pannonique.
EPJ 327 ou Pietro Livi : Un homme d'une trentaine d'années, professeur d'histoire et
amoureux de Pannonique. Il plaît également à cette dernière (p. 114).
MDA 802: Elle a un petit visage pointu (p. 65). Elle est dans la même unité de
Pannonique et devient rapidement son amie. Zdena est très jalouse de l'amitié entre ces
deux femmes et c'est pourquoi, un beau matin, elle la place dans la file des condamnés
à mort. C'est Pannonique qui la sauve en révélant son nom à Zdena.
ZHF 911 : Une vieille folle ignoble (p. 83: "C'était une fée Carabosse au visage sillonné
des mille rides de la perversité. La bouche exprimait le mal tant par sa forme plissée - le
pli caractéristique des lèvres mauvaises - que par les mots qui en sortaient : elle
trouvait toujours en chaque personne la faille qui lui permettait de la blesser. Ses
nuisances n'étaient que verbales : elle était une preuve des puissances maléfiques du
langage"), une vraie langue de vipère donc (p. 86). Son rôle consiste à miner le moral
des détenus, ce qui est divertissant pour les téléspectateurs (p. 84). Son simple plaisir
est de faire souffrir (p. 85). En plus, presque chaque nuit, vers minuit, elle hurle à la
lune pendant cinq minutes (p. 87), mais apparemment, elle n'en est pas consciente.
PFX 150: C'est une fille de douze ans, mignonne sans être jolie (p. 89). Elle est discrète,
gentille et parle peu. Pannonique veut l'aider à se défendre contre les propos maléfiques
de ZHF 911, mais elle empire la situation en ce faisant. En menant ses recherches,
Pannonique découvre que la petite est violée tous les soirs par les organisateurs de
l'émission et menace de dénoncer cette abjection aux téléspectacteurs le lendemain.
Par son intervention, elle provoque la mort de la jeune fille ainsi que de ZHF 911 (pp. 98-
103).
2. "Vint le moment où la souffrance des autres ne leur suffit plus; il leur en fallut le
spectacle": Chaque jour, les médias nous communiquent des images du monde entier.
Elles nous montrent la souffrance des gens causée par des catastrophes naturelles, de
guerres civiles, de tueurs fous, de conflits familiaux, etc. Il ne faut cependant pas aller
très loin pour s'apercevoir que des personnes autour de nous souffrent également à la
suite d'une maladie, du décès d'un proche, ou encore du chômage. Cette souffrance que
nous voyons tous les jours d'une manière ou d'une autre, est bien réelle, mais elle ne
nous touche pas outre mesure : nous mangeons devant notre téléviseur en visionnant
des images montrant les blessés d'un attentat par exemple. Cette réalité ne nous
affecte pas autant que si elle est mise en scène par des producteurs de télévision.
Paradoxalement, les téléspectateurs sont davantage choqués en voyant des images
d'une émission de téléréalité que quand ils voient celles des rues de Kaboul parsemées
de cadavres. En effet, il leur en faut le spectacle de l'horreur.
8. La fin du roman : Afin de faire réagir Zdena, Pannonique exige des téléspectateurs de
voter pour sa condamnation. Le lendemain, son amie, MDA 802 et elle devraient donc
être exécutées. Pannonique craint un instant que Zdena ne l'ait abandonnée. L'audience
est absolue : cent pour cent de la population est assise devant le téléviseur, donc tout le
monde. Zdena apparaît et tient dans ses mains des bocaux de verre. Elle affirme qu'il
s'agit de cocktails Molotov et menace de tout faire exploser si les prisonniers ne sont
pas immédiatement relâchés. Elle fait appel aux politiciens et à l'armée pour l'aider. À
l'arrivée de celle-ci et du ministre de la Défense, Zdena exige qu'un traité soit mis en
place stipulant l'intervention immédiate du gouvernement si jamais des producteurs de
télévision voulaient relancer une émission de ce genre. Une fois hors du camp, Zdena
avoue à Pannonique que les bocaux ne contiennent pas de l'acide sulfurique, mais
uniquement de l'essence et du vin roug, ce qui ne provoque pas d'explosion.
Pannonique la considère à présent comme une héroïne, mais refuse toujours de céder à
ses avances. ("C'est ça, l'héroïsme : c'est pour rien", p. 205).
9. Les particularités de cette émission : Il est tout de même stupéfiant que des
organisateurs d'une émission de télévision aient le pouvoir de faire enlever des
personnes dans la rue sans aucune raison, en faire des prisonniers dont l'identité se
résume à un matricule, de les faire torturer par des kapos engagés expressément à
cette fin, et finalement de les faire exécuter en direct, sans que personne ne s'y oppose,
même pas les hommes d'État. Il est tout aussi étrange que tout le monde soit complice
de cette horreur : les kapos, les téléspectateurs, le gouvernement et les politiciens.
10. Le succès de cette émission peut s'expliquer en partie par l'infinie curiosité des
gens. En effet, les êtres humains sont par nature curieux : "Il se passe quelque chose"
(p. 13) et tout un chacun a en lui un petit côté voyeuriste. Le public adore voir l'horreur
en direct, c'est son côté sadique caché ; le malheur des uns fait le bonheur des autres.
"Plus vous êtes indignés, plus vous regardez" (p. 139), c'est le côté pervers de
l'humanité qui fait surface lorsque les gens regardent ce genre d'émission.
11. La déshumanisation est le fait de priver une personne de toute caractéristique qui le
qualifie d'être humain, c'est le réduire à l'état animal. Tous les droits et devoirs lui sont
déniés. Son nom est remplacé par un matricule tatoué dans la peau, tout comme chez
des animaux (p. 29). Les prisonniers dans le camp sont continuellement humiliés (p. 48),
frappés comme des bêtes sauvages et doivent subir la violence gratuite et absolue (pp.
38, 39) pour être finalement conduit à "l'abattoir", c'est-à-dire exécutés. Ils n'ont droit
qu'à une maigre nourriture (p. 52) et doivent effectuer un travail inutile (p. 22) ce qui les
rend insignifiants. Enfin, ils sont considérés comme des animaux dans un zoo (un zoo
humain), le téléspectateur étant le visiteur virtuel.