MAURICE BLANCHOT
an LE DERNIER
hema HOMME
THOMAS L’OBSCUR.
AMINADAB.
Le TRES-HAUT.
récit
Récits
Tuomas L’osscur (nouvelle version).
L’arrft DE MORT.
AU MOMENT VOULU.
‘CELUI QUI NE M’ACCOMPAGNAIT PAS.
Essais critiques
Fao Pas, ny
‘La PART DU FEU.
ESPACE LITTERAIRE.
*
Chez d'autres éditeurs
LaurriaMont ET SADE (Editions de Minuit),
LE RESSASSEMENT ETERNEL (Editions de Minuit).
GALLIMARD
5, rue Sébastien-Mottin, Paris VII"
Quatridme éditionIl a été tiré de Pédition originale de cet oworage
trente exemplaires sur vélin pur fil Lafuma Navarre,
savoir vingt-cing exemplaires marqués de 1 @ 25, et
cing, hors commerce, marqués de A a B.
Tous droits de traductc
réservés pour tous
adaptation
Russie.
Dés qu’il me fut donné d’user de ce mot,
j’exprimai ce que j’avais dd toujours pen-
ser de lui : qu'il était le dernier homme.
A la vérité, presque rien ne le distinguait
des autres. Il était plus effacé, mais non
pas modeste, impérieux quand il ne par-
lait pas ; il fallait alors lui préter silencieu-
sement des pensées qu'il rejetait douce-
ment ; cela se lisait dans ses yeux qui nous
interrogeaient avec surprise, avec détresse :
Pourquoi ne pensez-vous que cela? pour-
quoi ne pouvez-vous pas m’aider? Ses yeux
étaient clairs, d’une clarté d’argent, et fai-
saient songer a des yeux d’enfant. Il y avait,
du reste, sur son visage quelque chose8 LE DERNIER HOMME
d’enfantin, expression qui nous invitait 4
des égards, mais aussi 4 un vague senti-
ment de protection.
Certainement il parlait peu, mais son
silence passait souvent inapergu. Je croyais
a une sorte de discrétion, parfois 4 un peu
de mépris, parfois 4 un trop grand recul en
lui-méme ou hors de nous. Je pense aujour-
Whui que peut-étre il n’existait pas tou-
jours ou bien qu'il n’existait pas encore.
Mais je songe 4 quelque chose de plus
extraordinaire : qu'il avait une simplicité
dont nous n’étions pas surpris.
Il génait pourtant. Il m’a géné plus que
d@autres. Peut-€tre a-t-il changé la condi-
tion de tous, peut-€tre seulement la mienne.
Peut-€tre fut-il le plus inutile, le plus super-
flu de tous les étres.
Et s'il ne m’avait dit un jour : « Je ne
puis penser a moi : il y a 14 quelque chose
de terrible, une difficulté qui échappe, un
obstacle qui ne se rencontre pas. » ? Et tout
de suite aprés : « Il dit qu'il ne peut penser
lui-méme : aux autres encore, a tel autre,
mais c’est comme une fiéche, partie de trop
loin, qui n’atteindrait pas son but, et pour-
tant quand elle s’arréte et tombe, le but,
LE DERNIER HOMME 9
dans le lointain, frémit et vient 4 sa ren-
contre. » A ces instants, il parle trés vite
et comme A voix basse ; de grandes phrases
qui paraissent infinies, qui roulent avec un
bruit de vagues, un murmure universel, un
imperceptible chant planétaire. Cela dure,
cela s’impose terriblement par la douceur
et Péloignement. Comment répondre ? Qui
n’aurait, écoutant cela, le sentiment etre
ce but?
Tl ne s’adressait 4 personne. Je ne veux
pas dire qwil ne m’ait pas parlé a moi-
méme, mais l’écoutait un autre que moi, un
&tre peut-€tre plus riche, plus vaste et ce-
pendant plus singulier, presque trop géné-
ral, comme si, en face de lui, ce qui avait
été moi se ft étrangement éveillé en
« nous », présence et force unie de Pesprit
commun. J’étais un peu plus, un peu moins
que moi : plus, en tout cas, que tous les
hommes. Dans ce « nous », il y a la terre,
la puissance des éléments, un ciel qui n’est
pas ce ciel, il y a un sentiment de hauteur
et de calme, il y a aussi ’amertume d’une
obscure contrainte. Tout cela est moi
devant lui, et lui ne parait presque rien.
Pai eu des raisons de le craindre, de