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Par CEAPT Symbole copyright, lundi 12 mars 2007 à 18:20 - René Guénon - #63 -
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par Luc Benoist
(…) Qu'apportent (…) les ouvrages de René Guénon pour avoir suscité tant de multiples et
ferventes admirations à côté d'hostilités si tenaces ? Chacun de nous comprend que la crise
actuelle, d'allure apocalyptique, ébranle les fondements mêmes de notre civilisation. Pour la
conjurer, les remèdes empiriques se montrent ridiculement illusoires. Les idées que nous ont
léguées la Renaissance, la Réforme et la Révolution, idées sur lesquelles bon gré mal gré nous
avons vécu, ont abouti à une faillite d'autant plus grave que nous étions moins préparés à la
chute. Toutes les civilisations passées ont duré des millénaires. La nôtre est essoufflée au bout
de cinq siècles.
Cette tragédie et cette angoisse se manifestent clairement dans ce qu'on a pu appeler «le grand
silence de l'intelligence».
Un esprit contemporain est accablé par une masse tellement énorme de notions, d'hypothèses
et d'expériences contradictoires, que le rôle véritable l'intelligence, c'est-à-dire l'organisation
harmonieuse et la digestion utile du savoir s'avèrent de plus en plus difficiles.
Or le point de vue central et synthétique, celui qui comprend tout sans rien supprimer, qui
permet l'économie de la mémoire et de l'effort, qui aide l'invention et la découverte, qui
facilite la liaison entre les disciplines les plus étrangères, enfin le point de vue des principes
qui unissent les idées et les hommes, nul plus que René Guénon n'en a fait le thème de ses
écrits. À cette idée de centre est intimement liée l'idée de germe. Le germe est le centre
efficace par excellence, celui qui contient déjà dans sa mystérieuse complexité tous ses
développements ultérieurs. L'idée de germe emporte avec elle l'idée de liaison avec son
origine, donc celle de tradition. De même que le maintien de la santé se base sur la
connaissance de la physiologie et que la physiologie s'explique par l'hérédité, l'homme
moderne doit comprendre qu'il incarne son propre passé et qu'il ne peut durer en contradiction
avec lui. Il ne guérira qu'en revenant à ses origines, à l'élément profond qui seul peut lui
permettre d'échapper aux incertitudes qui l'oppressent et aux catastrophes qu'il subit.
La connaissance traditionnelle des principes est un bien commun de l'humanité, dépôt bien
antérieur à l'histoire et qui s'est ensuite épanoui dans les formes les plus hautes et les plus
parfaites de la période historique. En l'ignorant, on commence par ignorer le vrai visage de
ces civilisations anciennes et l'on s interdit pour soi-même le retour à cet état primordial d'où
tout découle et qui réserve à celui qui peut y parvenir l'inépuisable richesse de ses possibilités.
On comprend pourquoi René Guénon s'est trouvé obligatoirement orienté vers la pensée
asiatique traditionnelle, même si, en certaines de ses parties, elle semble s'être occidentalisée
en surface, beaucoup plus pour nous répondre et nous combattre que pour nous imiter. Dans
cette «orientation», il n'y a pas une querelle de points cardinaux ou une question de longitude.
La vérité ne commence pas d'exister au moment où elle passe à tel ou tel méridien. Mais de
même que pour éclairer un fait historique, on recueille le témoignage de ceux qui l'ont vu ou
qui transmettent intact le récit de ceux qui l'ont vu, on doit s'initier à la connaissance auprès de
ceux qui l'ont conservée comme le plus précieux des héritages.
Cette connaissance des principes, l'Occident l’a possédée jadis. Elle s'appelait la
métaphysique, d'un mot qui signifie «au-delà de la physique», c'est-à-dire, comme nous
l'écririons aujourd'hui, «au-delà de la nature». Cette connaissance est en effet le domaine du
surnaturel et on ne peut l'atteindre que par l'intuition immédiate de l'intellect transcendant, qui
n'est pas une faculté individuelle mais universelle comme l'objet même qu'elle prétend saisir.
Si l'on doute de la réalité d'une telle prétention, il suffit d'essayer soi-même de l'atteindre pour
s'en convaincre, puisqu'il existe dans toute certitude, même «mathématique», quelque chose
d'incommunicable. L'idée de tradition, nous dira-t-on, est une vieille lune. Sans doute et le
souci de nouveauté est le dernier qui aurait pu effleurer l'esprit de René Guénon. Il ne se
soucie que de vérité. Il ne faudrait d'ailleurs pas confondre la tradition vraie avec ses
caricatures humaines qui servent tellement bien à camoufler les ignorances et les convoitises.
Il s'agit exclusivement ici de la tradition intégrale et primordiale que tous les hommes à leur
apparition sur cette terre ont reçue en dépôt avec la vie et qui chez nous, en Occident, a été
refoulée jusqu'à être totalement méconnue.
Le caractère capital qui distingue René Guénon des autres «prophètes du passé», c'est sa
méthode, «Chez lui, nous dit Léopold Ziegler, c'est une conviction inébranlable que la
tradition intégrale ne sera jamais saisie par les instruments habituels de la science. Il n'y a
aucun résultat décisif à attendre ni de la bêche de l'archéologue, ni des documents de
l'historien, ni des symboles du mythographe, ni des manuscrits du philologue, ni des enquêtes
de l'ethnographe, ni de la « réminiscence ancestrale» du philosophe. Sans doute on ne peut se
passer tout à fait d'un appareil scientifique de ce genre ou de tout autre analogue. Mais celui-
là seul avancera avec sûreté qui aura pu obtenir un rattachement direct à la tradition intégrale
là où elle est encore vivante. Il ne s'agit pas en effet d'une connaissance théorique et abstraite,
qui est toujours indirecte et symbolique, mais d'une réalisation, d'une prise de contact réelle,
d'une identification par la connaissance, attitude qui est aujourd'hui, en Occident, totalement
ignorée. Ceux qui savent un peu de quoi il s'agit ne doivent pas s'étonner que les moyens mis
en œuvre pour cette réalisation — mots, rites ou symboles — n'aient pas de mesure commune
avec la fin visée. Ces moyens ne constituent que des supports pour l'obtention d'un résultat qui
les dépasse infiniment et qui n'est nullement leur conséquence. Ils ne sont d'ailleurs pas
obligatoires. Ils ne font que faciliter un travail qui peut être obtenu d'autres façons. En
exposant dans ses ouvrages la nature et la portée de la connaissance ainsi déterminée, René
Guénon a illuminé comme on ne l'avait pas fait auparavant, les problèmes capitaux qui se
posent à notre époque et il permet de les résoudre de la façon la plus claire. Les plus difficiles
de ses lecteurs ont l'agréable et reposante certitude de «survoler» les différents antagonismes
qui déchirent les esprits d'aujourd'hui. Pour beaucoup d'hommes, ses livres furent les
messagers du bonheur, du moins pour ceux dont le bonheur commence au moment où ils ont
pu comprendre. Ils purent connaître l'accord des idées avec la vie, le calme exaltant, la
sérénité libératrice qui dilate, si l'on peut dire, le moi à la mesure du Soi-même, efface toute
inquiétude et fait atteindre à l'esprit un degré supérieur, d'où il ne peut plus redescendre.
Ni un «prophète», ni un «génie»
II nous faut, maintenant exposer ce qui nous parait le caractère urgent de son apport. S'il ne
s'agissait que de «tradition primordiale» et de rattachement effectif à cette tradition, la
doctrine catholique aurait tous les titres pour proclamer sa légitimité réelle et sa possession de
fait, dans un Occident où les autres formes traditionnelles non religieuses ne possèdent plus
qu'une existence virtuelle. Certes, René Guénon reconnaît parfaitement la vérité du
Christianisme. Il met seulement en doute la compréhension complète des chrétiens actuels à
l'égard de leur propre doctrine et relève discrètement, comme conséquence, leur prétention à
la possession exclusive de la vérité. La différence qui existe entre les deux positions est
d'ailleurs fatale et légitime. Le dogme religieux se place du côté exotérique et Guénon du côté
de l'ésotérisme. Historiquement, il ne dépasse pas l'ontologie, ni la «personnalité» de l'être
divin, comme le fait Guénon d'accord avec l'Inde. Donc le but principal, essentiel de toute
réalisation métaphysique, la «délivrance», est ignoré du Catholique qui ne connaît qu'un
«salut» de l'âme ne dépassant pas la zone du psychique. Tout se tient et le point de vue
exotérique implique les deux autres limitations. Pour être accessible à tous, on ne doit pas
dépasser le point de vue de la personne et par cela même on ne peut atteindre la délivrance.
«Dans les civilisations où, nous dit Guénon, une sorte de coupure s'est établie entre deux
ordres d'enseignement se superposant sans jamais s'opposer, l' «exotérisme» appelle l'
«ésotérisme» comme son complément nécessaire. Lorsque cet «ésotérisme» est méconnu, la
civilisation, n'étant plus rattachée directement aux principes supérieurs par aucun lien effectif,
ne tarde pas à perdre tout caractère traditionnel, car les éléments de cet ordre qui y subsistent
encore sont comparables à un corps que l'esprit aurait abandonné, et par suite, impuissants
désormais à constituer quelque chose de plus qu'une sorte de formalisme vide ; c'est là, très
exactement, ce qui est arrivé au monde occidental moderne». René Guénon nous invite à une
compréhension plus profonde d'une vérité qui est nôtre. Quelques-uns l'ont éprouvé. Nous
avons connu des religieux et des prêtres pour qui ses livres ont été une révélation, des laïques
indifférents que sa pensée a convertis. Cette aventure est d'autant plus possible qu'il ne s'agit,
au fond, dans ses ouvrages, ni de religion, ni de philosophie, ni de mystique. Il s'agit, dans
leur partie centrale et originale, de quelque chose qui unit la certitude de la présence réelle et
celle de la vérité mathématique ; il s'agit de la connaissance pure, accessible à toute
intelligence apte à la concevoir, et qui se présente au lecteur avec mesure, logique et
simplicité, aussi irrésistible que l'évidence.
J'ignore certes quel sera le destin historique de René Guénon. Ce que je sais, c'est qu'il a
rétabli l'universalité de la connaissance. Il a effacé cinq siècles de séparatisme. Son œuvre est,
au point de vue de la pensée œcuménique, le fait le plus important qui se soit produit depuis le
XVIe siècle.