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A la chute de l'Empire romain d'Occident en 476, le contact direct avec les textes grecs est définitivement perdu ; si
l'Empire byzantin continue à y avoir accès et à y travailler, ce n'est plus le cas dans les milieux intellectuels tardo-latins
et médiévaux de l'Occident latin, qui devront attendre 1353 pour reprendre contact avec les originaux grecs : cette année-
là, Pétrarque reçoit un manuscrit de l'Iliade offert par Nicolas Sigerios, un diplomate byzantin. Désolé de son ignorance du
grec, il comprend qu'il va falloir relancer l'étude de cette langue en Occident. Mais avant cette « Renaissance », les récits
homériques n'en ont pas pour autant été oubliés : ils ont simplement été filtrés par quatre oeuvres de langue latine, qui
constituent les sources incontournables des développements ultérieurs.
Le premier texte fondateur n'est pas tardo-latin, mais bien classique : il s'agit de l'Iliade latine de Baebius Italicus
(Ier s. apr.JC). Mais c'est au Moyen Age qu'il va véritablement devenir un texte important, puisqu'il s'agit d'une
traduction latine abrégée de l'Iliade, à laquelle les érudits n'ont plus accès dans son texte grec.
On peut passer rapidement sur les résumés d'Ausone (IVe s), pour signaler sans plus tarder trois oeuvres de la basse
latinité, qui vont jouer un rôle considérable dans la transmission de la légende troyenne à Byzance et au Moyen
Age.
La première est le Journal de la Guerre de Troie (Ephemerides belli Troiani), une traduction latine tardive (début IVe
s.) d'un original grec (fin IIe s. apr.JC) : il s'agit d'un faux attribué à Dictys de Crète, un compagnon du roi Idoménée
qui aurait participé à la guerre de Troie. La deuxième est l'Histoire de la Ruine de Troie (Historia de excidio Troiae),
attribuée à un certain Darès de Phrygie, qui est censée présenter cette fois le point de vue d'un combattant troyen ;
sa datation est controversée (VIe siècle apr.JC ?). L'intérêt de ces deux récits est qu'ils proposent, l'un de manière
très développée et l'autre avec bien plus de brièveté, une narration complète du cycle troyen, depuis les origines de
la guerre jusqu'à sa conclusion, sans oublier le retour mouvementé des héros. La troisième oeuvre, une Ruine de
Troie anonyme du VIe siècle, élargit encore la perspective puisqu'elle se déroule du Jugement de Pâris à la mort de
Romulus.
Dans la première moitié du XIIe siècle, ce sont encore les textes classiques (Virgile, Ovide, et l'Ilias latina) qui
prédominent comme sources d'inspiration pour des clercs qui produisent des pièces relativement courtes, de registre
le plus souvent élégiaque, en distiques. Certaines de ces oeuvres poétiques ont connu un tel succès qu'on les trouve
dans plus de cinquante manuscrits et qu'elles ont été intégrées, un siècle plus tard, dans le recueil des Carmina
Burana en 1230.
Matthieu de Vendôme ? Causa Aiacis et Ulixis I–II Texte latin édité par P. G. Schmidt
in Mittellateinisches Jahrbuch
(1964), vol.1, pp.100-132
Traduction en anglais
Sur Google Livres
C'est globalement au milieu du XIIe siècle que l'on commence à repérer l'influence décisive de Darès dans les
productions poétiques en latin. Progressivement, on s'oriente vers des textes épiques en hexamètres dactyliques, de
plus en plus ambitieux par leur longueur. Cette rivalité avec les épopées antiques, timidement initiée par Simon
Chèvre d'Or (v.1150) mais qui culmine avec l'Iliade de Joseph d'Exeter (v.1183-1190) trouvera encore un
prolongement au milieu du XIIIe siècle avec le Troilus d'Albert de Stade (1249).
● Les récits en langue vulgaire : les Chroniques universelles et Benoît de Sainte-Maure (XIIe-XVe siècles)
A la fin du XIIe siècle, la guerre de Troie n'intéresse plus seulement les clercs qui écrivent leurs poèmes en latin : elle
commence à investir aussi le champ de la langue vulgaire. Une oeuvre en français joue alors un rôle primordial dans
le développement du mythe : Le Roman de Brut, traduction par Wace (1155) de l'Historia Regum Britanniae de
Geoffroy de Monmouth, donne pour ancêtre aux Bretons un certain Brutus, petit-fils d'Enée ; ainsi, comme pour
l'Enéas, c'est l'Enéide plus que l'Iliade qui sert ici d'oeuvre de référence.
A sa suite, l'Histoire ancienne jusqu'à César (1208-1213), qui constitue la première Chronique universelle en français,
commence par un certain Friga, frère d'Enée : l'Occident se dote d'ancêtres prestigieux, fondateurs de telle ou telle
lignée.
L'incendie de Troie - Benoît de Sainte-Maure - Le Roman de Troie
Ms Français 60, fol. 42 - BNF
Mais c'est Le Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure qui à la fin du XIIe siècle (vers 1185) devient LA référence
absolue d'un nombre incalculable d'écrivains qui, à sa suite, vont broder à l'infini sur les divers épisodes de la Guerre
de Troie. Initialement, il s'agit d'un roman de plus de trente mille octosyllabes. Il devient si important qu'il est prosifié à
plusieurs reprises, et même inclus dans la deuxième version de l'Histoire ancienne jusqu'à César : ainsi, une oeuvre
de fiction est-elle intégrée dans un ouvrage d'historiographie. Par la suite, et jusqu'au XVe siècle, on pourra compter
des dizaines de traductions ou des amplifications de tel ou tel épisode dans toutes les langues vulgaires
européennes.
Les Epistres des Dames Texte lui aussi intégré dans Prose 5, dans la
de Grèce seconde rédaction de l'Histoire ancienne jusqu'à
Version en prose César
française des Héroïdes Edition par Luca Barbieri, Champion (2007)
d'Ovide
Anonyme Gest Hystoriale of the Edition de Geo. A. Panton and David Donaldson,
destruction of Troy New York (1969)
L'Histoire de la destruction de Troie (1270-1287) de l'italien Guido delle Colonne est une traduction en latin et en
prose du Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure. Le texte initial est parfois resserré, et surtout, la langue latine
lui donne une diffusion que ne pouvait obtenir le « français » de l'original. Ce texte connut dans l'Europe entière un
succès absolument phénoménal, et donna lieu à son tour à de multiples traductions... en langue vulgaire.
Guido delle Historia destructionis Troiae (1287) Edition de Nathaniel Edward Griffin
Colonne Mediaeval Academy of America,
Cambridge (1936)
Il faut faire une place particulière à Dante, qui dans son poème en langue vulgaire passe en revue un très grand
nombre des personnages de la guerre de Troie, mais sans faire de cette guerre le sujet central de son oeuvre.
● Boccace et Christine de Pisan (la matière de Troie aux XIVe et XVe siècles)
Penthésilée et sa compagnie
Boccace - De claris mulieribus
Ms Français 598, fol.46, BNF
Outre le Filostrato, mentionné plus haut comme le développement en italien d'un épisode du Roman de Troie de
Benoît de Sainte-Maure, Boccace a écrit en latin la compilation De claris mulieribus (1360), contemporaine de
l'époque où il fait ouvrir à Florence la première chaire d'enseignement du grec : sa contribution à la redécouverte des
originaux grecs en occident est absolument considérable.
Enfin Chistine de Pisan, dans une impressionnante série d'oeuvres qui s'enchaînent entre 1400 à 1407 et témoignent
d'une remarquable érudition, tributaire en particulier de Benoît de Sainte-Maure et de Boccace, brasse la matière
troyenne dans deux perspectives complémentaires : l'évocation de l'origine troyenne du peuple français (reprenant en
cela la logique des Chroniques universelles qui tentent de concilier mythe et Histoire) et la réécriture personnelle des
différents épisodes de la guerre de Troie à des fins didactiques, soit dans des développements cohérents plus ou
moins longs, soit dans l'utilisation d'exemples plus éparpillés à l'appui d'un enseignement moral.