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Hubaut et la post-modernité ?

Le premier exergue de la monographie1 sur Hubaut


donne immédiatement un indice. Pierre Restany, posant
la tension de la position de Hubaut – tout à la fois cri-
tique de la société, des idéologies politiques et morales,
et animée d’une profonde générosité pour les autres –,
écrit qu’il aurait « été prophétique, ou, en tout cas, il a été un
élément préfigurateur du chaos post-moderne dans lequel nous vi-
vons ». Or cet indice d’une post-modernité liée à l’es-
thétique de Hubaut s’affirme dès l’ouverture du livre :
dans la présentation de Sylvie Froux (« ‘sa peste post-
moderne’, une langue non confinée répand ses signes épidémiques »)
ainsi que dans l’introduction de Michel Giroud, qui l’as-
socie, selon l’angle théorique, à la post-modernité lyotar-
dienne.
L’indice est certes visible et ce depuis l’article de Patricia
Brignone en 1996 Tout le fatras du monde portant sur le pro-
jet C.L.O.M. Mais comment analyser ici la liaison entre
Hubaut et la post-modernité ? Aucun des trois textes ne
semble vraiment l’expliquer. Il est même possible d’y dé-
celer un paradoxe à les réunir.
En effet, la citation de Restany tendrait à marquer né-
gativement la notion de post-modernité. Hubaut serait
préfigurateur du chaos post-moderne, préfigurateur en un
sens critique, marquant ses abus, ses dérives parfois, ses
béances liées à certaines pratiques (le consumérisme, la
neutralisation de toute valeur). Préfigurateur, au sens de
l’annonciateur d’un chaos qui adviendrait, Hubaut serait
en extériorité, posant à distance la post-modernité et la
1
Joël Hubaut Re-mix épidémik / Esthétique de la dispersion, Les presses du
réel, Dijon, 2006.

7
révélant comme « chaos ». A l’inverse, Michel Giroud et
Sylvie Froux positionnent, semble-t-il, Hubaut en relation
avec la post-modernité. Pour le premier, d’une manière
elliptique, à Jean-François Lyotard. Pour la seconde, selon
sa pratique du langage : la peste post-moderne qui lui est
propre par son langage épidémik. Contradiction dès lors.
Aussi, pour sortir de ce brouillage indiciel, il m’a sem-
blé qu’il fallait comprendre ce qu’indiquait la notion de
post-modernité, que j’interroge d’abord en un sens éthi-
que, pour ensuite la confronter (ou pas) à l’esthétique de
Joël Hubaut.
UNE éTHIQUE POST-MODERNE ?
Brèves notes sur la post-modernité

30 ans après : constat de négativité


Le terme de post-modernité, né avec les années 1970
(même si sa genèse date de 1870 en tant qu’il sert à dé-
signer la peinture impressionniste anglaise2), et qui a une
certaine consécration en France avec Lyotard à partir des
années 80, renvoie indéniablement aujourd’hui à une cer-
taine négativité critique. En effet, ce qui est entendu par
ce terme semble dépréciatif. Le contexte mondial et na-
tional est pour une certaine part cause de cette critique :
société en crise de repères, en crise de normes morales,
perte du politique par l’individu narcissique, zombifica-
tion des hommes liée à la consommation et au système
de la mode, etc... On reconnaît ici la langue-liste des griefs
qui se donnent comme leitmotivs dans les discours de rap-
pels à l’ordre. L’époque post-moderne – définie comme
l’effondrement des méta-récits au sens de Lyotard dans
La condition postmoderne – implique l’effacement de toute
forme d’unité intentionnelle permettant un monde com-
mun. Un effacement au profit de la dispersion des intérêts
privés, qui recherchent avant tout à s’accomplir, à obtenir
des plaisirs. Cette époque caractériserait ainsi une dérive
vers une certaine forme d’hédonisme, conduisant les in-
dividus à perdre de vue l’urgence des questions politiques
ou à en rester très superficiels aussi bien au niveau de leur
conscience sociale qu’au niveau de leur création artisti-
que ou littéraire, comme à plusieurs reprises Prigent peut

2
Pour un bref récapitulatif sur l’histoire de la notion de post-moder-
nité, cf. Jean-François Petit, Penser après les post-modernes, Buchet-Chastel,
Paris, 2005, pp.17-18.

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le dénoncer dans ses essais3. La post-modernité – en tant
que dissolution des unités méta-historiques, politiques, de
classe, etc... – serait déterminée par la liaison entre l’hyper-
accélération de la production et de la diffusion symboli-
que d’une part, et la mise en relation, dans la seule volonté
du temps présent et de ce qui peut advenir, du processus
d’individuation et de la consommation, d’autre part. La
vérité ne serait plus éparpillée dans chaque discours. Elle
ne serait plus qu’un essaim de contradictions.
Cette déperdition de la conscience est caractérisée, de-
puis la première partie du XXème siècle, par le processus de
transformation technologique du monde, qui peut mener
à la pensée d’une esthétique de la disparition. Paul Virilio,
en marque les traits dans son essai éponyme : « Le monde
perçu cesse d’être jugé digne d’intérêt à force d’être théâtralement exhu-
mé, analysé, épuré par les pilleurs de tombe. (...) La pensée collective
imposée par divers médias vise à annihiler l’originalité des sensations,
à disposer de la présence au monde des personnes en leur fournissant

3
Cf. entre autres Ceux qui merdRent : « Le ‘moderne’ ou même ‘l’avant-
gardisme’, ce n’est pas la table rase, c’est au contraire le lien maintenu
(le lien amoureux : passionné et conflictuel) avec la culture, avec la bi-
bliothèque : c’est l’idée du moderne qui véhicule et refonde la tradition.
(...) L’oubli du moderne est aussi oubli de cela et l’art post-moderniste
a souvent transformé la profondeur substantielle de ce dialogue en un
académisme de la citation et du collage ». Il est évident que pour une
part Prigent a ici raison dans sa critique des nouveaux académismes
(cut-up, collage, ready-made), mais là où réside un impensé pour lui, c’est
dans les principes de la hiérarchisation historique de ce qui importe du
point de vue du passé. En effet, Prigent, ouvrant une histoire parallèle
de la littérature (la réouvrant, au sens où ce geste d’ouverture est une
constante chez les avant-gardes, cherchant sans cesse leur généalogie,
comme cela se perçoit dès Raoul Haussmann), subordonne aux prin-
cipes fondateurs de cette histoire (la question du réel, de l’authenticité
d’être de l’animal parlant à travers l’invention idiolectale de la littéra-
ture) le reste de l’histoire de la littérature. Résolument moderne, Prigent
semble rester assujetti à une vérité qui ordonne un méta-récit, et en
cela ne peut que juger négativement l’horizontalisation des principes
existentiels et référentiels des hommes.

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un stock d’informations destiné à programmer leur mémoire » (p.55).
Par la médiation technologique et sa vitesse, il y a une pro-
duction exponentielle d’informations et de données, dans
laquelle peu à peu se distille toute forme réelle d’intérêt.
La pensée unique qui apparaît alors tient à la production
et la consommation des productions et symboles éphémè-
res de la société. Or cette pensée unique se définit, me
semble-t-il, comme une structure comportementale dans
un rapport au monde pragmatique et consumériste et non
comme une forme idéologique.
Constat paradoxal : le monde post-moderne semble être
caractérisé par sa fragmentation infinie, non pas selon des
traits singuliers, mais selon une seule et unique logique,
pragmatiquement déterminée, de la capitalisation et de la
consommation.

Dialectique de l’imitation et processus d’individuation


En effet, par les processus d’uniformisation, de répéti-
tions médiatiques de l’information, de constructions de
simulacres, il y a bien une surdétermination qui [im]pose
la conscience dans le rapport à des institutions symboli-
ques. Ces processus prédéterminent non pas seulement
ses choix mais aussi les conditions de réception des don-
nées à choisir en enfermant chaque chose dans l’unité de
significations symboliques.
Toutefois, comme le note Gilles Lipovetsky, dans une
certaine opposition à la conception de l’époque post-
moderne (sous-jacente à Virilio entre autres), ces proces-
sus de contrôle de la volonté et de la perception des indivi-
dus se font eux-mêmes déborder par un processus d’indi-
viduation en œuvre dans l’activité même de l’imitation. Il
nomme cela procès de personnalisation.
Il est évident que l’individu pour se constituer – sym-
boliquement, linguistiquement, identitairement – absorbe
et répète l’ensemble des déterminations qui lui sont ratta-

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chées par la diversité des pouvoirs instituants. Toutefois,
ce processus de construction de soi par la reconnaissance
des autres – qui s’adressent à l’individu, le nomment, lui
répondent, qui impliquent de sa part la répétition –, est
lui-même dialectiquement suivi par celui de la différencia-
tion, voire de l’individuation. Si ce trait est surtout carac-
téristique de l’habitus bourgeois, comme le note Bourdieu4,
il n’est qu’à lire le fourmillement des classes prolétaires
dans la littérature du XIXème siècle pour s’apercevoir que
cette différenciation n’est pas déterminée selon les seules
conditions de classe. Elle est une constante anthropologi-
que liée à la question du désir, de sa satisfaction et de la
démarcation au désir5 lui-même.
On reproche aux individus de répéter, d’imiter. Toutefois
la dynamique de leur processus d’individuation les amène
aussi à se différencier, à s’opposer, à mettre en critique
les modèles qui leur seraient proposés tout aussi bien ex-
plicitement qu’implicitement6. Lipovetsky note que la re-
4
« Pour rendre raison complètement de la prétention petite-bourgeoi-
se à l’opinion personnelle, il faudrait prendre en compte non seulement
le renforcement exercé par le système scolaire ou les institutions de dif-
fusion mais aussi les caractéristiques spécifiques des conditions sociales
de production de l’habitus dont cette prétention est une dimension ».
Bourdieu, La distinction, Minuit, Paris. L’opinion personnelle, p.487.
5
Il est bien évident que cette constante anthropologique, nous la trou-
vons visée et dénoncée dès la philosophie antique, au sens où elle est
décrite constamment, et encore maintenant par de nombreux philoso-
phes, en tant que négativité anthropo-politico-sociologique. C’est cette
constante de la différenciation qui pousse aux honneurs comme déjà
l’énonçait Platon ou Aristote. Il faudra attendre véritablement la phi-
losophie anglaise pragmatique (Hobbes, Hume) ou la philosophie de
Machiavel et Spinoza, pour voir la constante de différenciation non plus
rejetée mais pensée en tant que moteur relationnel et de progrès pour
le monde humain. Et c’est bien là, ce à quoi aboutissait Kant, dans son
Idée d’une histoire universelle d’un point de vue pragmatique, au §.4 (cette fameuse
« insociable-sociabilité »).
6
La reproduction d’une valeur ou d’une idéologie devrait être in-
terrogée pragmatiquement quant à sa possibilité. En ce sens, parler
de post-modernité n’évacue aucunement la question de l’imitation et

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production à l’identique de normes symboliques sociales,
liées à la consommation, ne correspond qu’au début de la
société démocratique. Le narcissisme actuel, fondé sur la
consommation, « représente ce dégagement de l’emprise
de l’Autre, cette rupture avec l’ordre de la standardisation
des premiers temps de la société de consommation »7. Il y a
bien des imitations, mais elles se micro-localisent, se mi-
cro-particularisent. Elles ne concernent plus que des mi-
cro-angularités et, ceci, toujours dans la dynamique d’une
intensification pensée par l’individu8.

L’impossible sujet
Contrairement à la modernité qui est hantée par l’unité
authentique du sujet9, même si elle la pense comme l’im-
possible même du langage, (pure négativité ou aporie), la
pensée post-moderne tente de saisir non pas un sujet, mais
une dynamique d’individuation. S’il y a une condamnation de
la post-modernité, elle se fait à l’aune de cette préconcep-
tion – héritée de la métaphysique occidentale – du sujet
en tant qu’unité d’être enveloppant la vérité d’un sens de
l’existence, ou, encore, la vérité d’une relation au monde.
de la reproduction, au sens où certains événements réintroduisent la
sur-détermination des méta-récits qui initient des processus d’imitation
sociale. En bref, on pourrait penser que c’est l’impact affectuel de l’évé-
nement qui induit une situation de répétition et d’adhésion pour l’indi-
vidu, lui permettant de se repositionner face à un impact affectuel qui
l’a ébranlé. L’engagement de la population américaine lors de l’attentat
du WTC et son appui à la décision d’attaquer l’Irak témoignent parfai-
tement de cette réification du méta-récit, toutefois eux-mêmes traduits
– comme les nombreux reportages sur des hommes particuliers en ont
témoigné.
7
Gilles Lipovetsky, L’ère du vide, Gallimard, Paris, 1983.
8
Gilles Lipovetsky explique cela dans la partie Conflit social de L’empire
de l’éphémère, Gallimard, Paris, 1987.
9
Cette authenticité d’emblée signée par Nietzsche dans la figure du
corps, comme cela apparaît dans la préface de Ainsi parlait Zarathous-
tra. Corps, aura, que l’on retrouvera de Dada à Artaud jusqu’à Marina
Abramovic.

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