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Ilan Pappé
Le contexte politique
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l’OLP sur des questions centrales, par exemple l’avenir des réfugiés de 1948 ou
bien celui de Jérusalem, tant que l’organisation palestinienne restait fidèle à ses
orientations stratégiques. Le mouvement La Paix Maintenant incarnant institu-
tionnellement ces conceptions à partir de 1978. En un premier temps comme
lobby pour les accords avec l’Égypte, puis en tant que moteur contre la guerre
du Liban, en 1982, pendant les massacres de Sabra et Chatila. Le mouvement
allait rester actif tout au long de l’Intifada. Il se relâcha et se tut sous Rabin. Les
réactions à la guerre du Liban et à l’Intifada n’allaient pas non plus constituer
un tournant par rapport aux représentations sionistes. Plus précisément : la
critique portait et porte toujours sur la politique israélienne d’après 1967 et ses
auteurs demeurent pour l’essentiel préoccupés par l’impact de cette politique
sur les mentalités et l’intégrité morale dans leur pays. Nombre d’universitaires
s’y sont associés.
Il fallut que certains de leurs collègues adoptent des positions non-sionistes
ou antisionistes, comme le faisait depuis des années le parti communiste, pour
que les représentations israéliennes de l’« Arabe » ou du « Palestinien », voire
de tout le projet sioniste, évoluent fondamentalement.
L’autre orientation des contestataires d’après 1967 se reflétait dans la protes-
tation sociale contre le sort qu’avait réservé l’État aux communautés juives, en
majeure partie d’Afrique du Nord, démunies 2. De jeunes et bruyants militants
tentèrent d’imiter les voix dissidentes parmi les Afro-Américains et fondèrent le
mouvement des Panthères noires au début des années 1970. On exigeait une
répartition plus équitable des ressources économiques et de pouvoir participer à
la définition de l’identité nationale. Ce mouvement ne parvint pas à se faire
écouter à gauche et ce fut la droite qui exploita et manipula adroitement le
potentiel, le transformant en un mouvement de masse qui allait porter Menahem
Begin au pouvoir en 1977. La gauche israélienne avait perdu son électorat natu-
rel et tout ce qu’elle pouvait encore faire, c’était de s’occuper des causes du
phénomène, théoriquement, à l’université.
Certains, en marge, essayèrent de combiner la cause des Palestiniens, celle
des mizrahim (Juifs orientaux) et des femmes (en tant que groupe minoritaire)
pour l’établissement d’un front commun. Cela allait déboucher sur un échec
total, mais il en subsista une perspective répandue chez les universitaires les
plus optimistes.
2. Cf. Ilan Pappé, « Critique and Agenda : Post-Zionist Scholars in Israel », History and
Memory 7 (1), printemps/été 1995, p. 66-90.
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Le contexte académique
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3. Pour une description détaillée, cf. Ilan Pappé, « La nouvelle histoire de la guerre de 1948 »
(hébreu), Teoria Ubikoret, 3, 1993, p. 95-114.
4. Le meilleur spécialiste du côté palestinien, Yehoshua Porath, s’arrête en 1939 et se
dispense donc de s’attaquer au sujet brûlant du traitement des Palestiniens par les sionistes
en 1948, cf. The Emergence of the Palestinian-Arab National Movement, 1918-1929,
Londres, 1974 et The Palestinian-Arab National Movement, 1929-1939, Londres, 1977.
Anita Shapira allait quelques années plus tard travailler sur les usages de la violence dans le
mouvement sioniste, mais s’arrêter elle aussi juste avant 1948, cf. Anita Shapira, Herev
Hayona, Tel-Aviv, 1993.
5. Cf. le cas exemplaire d’Itamar Rabinowitch, The Road Not Taken : Early Arab Negotia-
tions, New York & Oxford, 1991.
6. Cf. en tant qu’exception notable, Moshé Shemesh, The Palestinian Entity, 1959-1974 :
Arab Politics and the PLO, Londres, 1988.
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Les « nouveaux historiens », après s’être intéressés à 1948, ont reculé dans
le temps et passé en revue le premier sionisme. En majeure partie des socio-
logues, ils utilisaient des théories laissées jusque-là pour compte par leurs pairs
et installaient dans la recherche une approche plus tranchée. Leur perspective,
justement parce que théorique, leur permettait d’aborder le sionisme en tant que
7. Cf. Ilan Pappé, The Making of the Arab-Israeli Conflict 1947-1951, Londres & New York,
1992.
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mouvement colonial sans encourir le blâme de leurs collègues pour avoir adopté
et repris le discours des Palestiniens 8. Ce qui allait leur permettre de mettre en
évidence, même sans recourir au prisme colonial, la nature dictatoriale et arbi-
traire du système développé par les Juifs dans la période du mandat britan-
nique 9. Cette méthodologie objective produisit une terminologie aujourd’hui
adoptée par la plupart des chercheurs israéliens travaillant sur le sionisme, à part
ceux qui sont très étroitement liés à l’établissement. « Rédemption » devint
« occupation », « Oleh » « immigrant », « main-d’œuvre juive » « expulsion »,
etc. 10
Vint ensuite le tour des premières années 1950. Ce furent de nouveau les
sociologues qui brossèrent un tableau en contradiction avec le lieu de mémoire
collective du melting pot où toutes les diasporas se seraient réunies afin de
découvrir un bonheur infini. Il fallait d’abord mettre en pièces la vache la plus
sacrée : le principe de la sécurité avant tout. Les sociologues critiques récusaient
l’argument des autorités selon lesquelles les Juifs d’Afrique du Nord avaient été
repoussés dans les marges géographiques/sociales du pays et les Palestiniens
d’Israël soumis à un régime d’apartheid pour des raisons d’ordre sécuritaire et
national. On exposait une politique qui avait été dans son essence raciste et
nationaliste.
Les politistes devaient aller encore plus loin puisqu’ils établirent un lien
entre le présent et le passé, interprétant Israël en tant que société militariste. Ils
fondèrent massivement leurs analyses, au demeurant, sur les travaux positivistes
d’un historien comme Benny Morris, par exemple, qui avait fouillé les archives
militaires de 1948 et des années 1950 de façon à collecter correctement et
consciencieusement les actes d’agression commis par les Forces israéliennes.
Ceci valant en particulier pour la politique de représailles conduite dans les
années 1950, un mythe avec lequel les Israéliens avaient grandi et selon lequel
Israël n’avait jamais été à l’origine d’hostilités, alors que Morris la décrit
comme un processus d’expansionnisme brutal et agressif 11. Chez les polito-
logues critiques Israël apparaissait comme un facteur actif et non plus comme
réagissant simplement aux enjeux sur la carte régionale. Instabilité et conflits au
Nerfs à vif
La nouvelle critique n’a pas évité non plus le sujet brûlant de la Shoah et elle
s’est penchée sur le comportement des élites locales durant la période. Par
exemple, Le septième million de Tom Segev présente des Juifs de Palestine inté-
ressés à sauver uniquement les immigrants potentiels ou aptes, physiquement et
moralement, à contribuer aux résultats de la communauté. Dans De la catas-
trophe au pouvoir d’Idith Zertal on découvre les manières condescendantes et
dégradantes des sabras à l’égard des survivants et de leur cause. Des attitudes
qui ont laissé des cicatrices dans les âmes de ceux qui ont survécu et réussi le
voyage palestinien 13.
On a également beaucoup avancé sur la minorité palestinienne d’Israël. Il y
avait bien sûr déjà des ouvrages, mais les progrès majeurs ont été de deux
ordres : une évaluation critique plus développée des relations arabo-juives à
l’intérieur de l’État et, plus important encore, un nombre croissant de Palesti-
niens enseignant dans les universités israéliennes désireux de s’occuper de leur
propre passé (on notera que vingt Palestiniens seulement sur neuf cents
personnes font partie des équipes pédagogiques 14).
12. Par exemple : Uri Ben-Eliezer, La montée du militarisme israélien, 1936-1956 (hébreu),
Tel-Aviv, 1995 ; Shulamit Carmi & Henry Rosenfeld, « The emergence of nationalistic mili-
tarism in Israël », International Journal of Politics, Culture and Society 3/1, 1989, p. 5-49 ;
Avishai Ehrlich, « Israël : conflict, war and social change », in C. Creighton & M. Shaw (ed.),
The Sociology of War and Peace, Londres, 1987, p. 121-143.
13. Cf. Tom Segev, The Seventh Million, New York, 1989 et Idith Zertal, From Catastrophe
to Power (en hébreu L’or des Juifs), Tel-Aviv, 1996.
14. Parmi lesquels Azmi Bishara, « La question de la minorité palestinienne en Israël »
(hébreu), Teoria Ubikoret 3, p. 7-20. Cf. aussi Dani Rabinowitz, « Nostalgie d’Orient : la
transformation des Palestiniens en “Arabes israéliens”», Ibid., 1993, p. 141-152.
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que sur le présent. Des chansons populaires interprétées la plupart du temps par
des femmes à la poésie ouvertement politique, on trouve ici décrite l’occupation
israélienne et son cortège de souffrances. De la même manière, la guerre du Liban
a amené certains des poètes les plus importants à produire des textes pacifistes ou
au moins antiguerre. Une tendance qui s’est prolongée avec l’Intifada 15. Même si
la poésie ne jouit pas d’un grand lectorat dans le pays et reste, indépendamment
d’un contenu passionnant, l’affaire de spécialistes et non des politistes.
La majeure partie des chanteurs pop, eux, ne tiennent pas à se brouiller avec
un large public. À l’exception notable d’Aviv Gefen, l’un des chanteurs les plus
populaires d’Israël, qui introduit dans ses chansons une critique tranchante, bien
que simpliste, du militarisme ; lui-même a refusé d’accomplir le service obliga-
toire ; chez cet artiste se produisant dans des shows à la Michael Jackson, c’est
précisément le show qui prime et non le message, mais il reste intéressant que
le public tolère désormais des chansons non-conformistes ; peut-être cela
annonce-t-il une génération de teenagers moins nationalistes ?
Autre angle : la traduction de poésie arabe et palestinienne en hébreu.
Exemple remarquable : le mensuel Iton 77 qui a commencé dans les années
1980. Les contacts personnels avec des poètes palestiniens ont contribué à déve-
lopper une sensibilité plus radicale.
De même pour la musique arabe qui s’est frayé un chemin en Israël. Cet art
régional, d’Oum Kalsum au raï, est probablement l’un des plus populaires en
Israël. Mais il ne s’agit en aucune manière d’un pont entre la société juive et le
monde arabe. Et il n’y a là nulle implication politique ou fondamentalement
culturelle pour le pays. Seulement, pour l’essentiel, l’appropriation par une
force politique dominante de produits culturels qui plaisent aux sépharades ; la
plupart des partis de droite passent ces airs lors de leurs rassemblements.
Il y a peu de fictions palestiniennes, lesquelles véhiculent en particulier un
message politique, ou égyptiennes traduites en hébreu. Même si l’on peut citer
les romans tardifs d’Emile Habibi qui restituent les mauvais jours de l’adminis-
tration militaire à laquelle étaient soumis les Palestiniens jusqu’en 1966. La
contestation vient plutôt de Juifs qui écrivent en hébreu. Parmi eux Shimon
Balas qui a grandi en tant que communiste et fut célèbre en Irak, maintenant
ignoré ou dénigré par les critiques dominants. Lui et Albert Swissa, d’origine
nord-africaine, se considèrent comme des Juifs arabes et ses héros proposent
une critique du sionisme. Tout comme Sami Michael, plus connu, et son anti-
écriture sépharade dont les premiers écrits présentaient l’histoire d’Israël à
travers le regard de Palestiniens du pays.
15. Cf. Yitzhak Laor, Récits sans indigènes : essais sur la littérature israélienne (hébreu),Tel-
Aviv, 1995.
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Théâtre et films
16. Son show Malkat Hambatia (la reine du bain), de 1970, fut immédiatement censuré dans
l’après-guerre de Kippour.
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17. Autre film de Ram Levi, sur la situation des Palestiniens, en 1986, Ani Ahmad.
18. Début novembre 1996, Daniel Bartal de l’institut pédagogique de l’université de Tel-
Aviv montra que les Arabes des manuels étaient tous décrits en tant que scélérats, sangui-
naires et assassins.
19. Le film de ce genre qui a eu le plus grand succès est Meahorei Ha-Soragim d’Uri Bara-
bash, 1984, où un prisonnier politique palestinien se met à la tête d’une révolte.
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raël. Cela ne va pas jusqu’à désintégrer le pays, mais on peut se demander si les
solidarités tiendront devant une crise sérieuse ou une guerre (Israël ayant de par
son arsenal d’armes non-conventionnelles de meilleurs moyens de faire face à
la seconde).
Les cinéastes se mirent à présenter plus facilement que les écrivains ou les
universitaires les groupes ethniques dont ils étaient issus. Les Juifs de culture
arabe en Israël. Les sépharades dont la situation socio-économique s’est amélio-
rée, mais de façon limitée, ce qui produit encore plus de frustration à l’égard des
ashkénazes et de leur aristocratie florissante. Les films illustrant alors la margi-
nalité de ces groupes dans leurs villes de développement et leurs bidonvilles ; et
corrigent leur image à l’intérieur de la légende nationale 20.
Les films qui s’occupaient de sépharades, s’occupèrent ensuite ou parallèle-
ment de Palestiniens à l’intérieur ou à l’extérieur d’Israël. Comme par exemple
Ran Levi qui traitait de 1948 dans Hirbet Hiza et des villes de développement
avec Lehem où était décrit le monde pitoyable d’une famille marocaine au sud.
Mais l’hégémonie ashkénaze reste patente jusque dans cette vague de films
radicaux. C’est à partir des couches moyennes évoluées de Tel-Aviv que les
relations arabo-juives sont présentées dans des productions anti- ou non-
sionistes. Les objectifs de ces films sont de nature politique, non sociale. Ce
sont des films destinés à ceux qui peuvent s’identifier à l’« autre » parce qu’ils
vivent dans un confort relatif. Tout en étant naturellement accueillis avec
chaleur par les Palestiniens en Israël.
Extraordinaire a été l’audience – pendant des semaines – des films qui trai-
tent des relations arabo-juives dans la communauté des spectateurs les plus
démunis. Cela montre qu’ils éveillent assez la curiosité pour produire une sorte
d’empathie ou au moins d’intérêt. Et qu’une partie de leur message radical, dans
tous les cas de figure, est acceptée. Ici, l’Israélien est présenté comme un occu-
pant et un colonialiste, le Palestinien en tant qu’« indigène », « population
locale » et l’« autre 21 ». Comme le pose Jad Ne’eman, lui-même cinéaste anti-
sioniste, ces œuvres, qu’elles véhiculent le message par le biais du texte ou du
contexte, soumettent les évidences du mythe israélien à une critique radicale.
Certains de ces films s’attaquèrent même à la manipulation de la Shoah dans
la politique israélienne. Roveh Huliot (le fusil jouet) d’Ilan Moshenson (1979)
traite du malaise quant à une possible relation entre la volonté nazie d’extermi-
ner les Juifs et le désir, chez les sionistes, de mobiliser l’expulsion hors d’Eu-
rope en faveur de la cause en Palestine.
20. Cf. Jad Ne’eman, « The empty tomb in the postmodern pyramid : Israeli cinema in the
1980s and 1990s », in C. Berlin (ed.), Documenting Israel, Harvard, 1993.
21. Par exemple le film de Nissim Dayan, Gesher Zar Meod, 1985.
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Pourtant, même dans les cas les plus impressionnants de voyages à l’inté-
rieur du passé et de la vérité, ces films et pièces présentent l’inconvénient de
vouloir assimiler les Palestiniens, de leur assigner une image israélienne. Il faut
que ces héros palestiniens agissent comme des Israéliens et souscrivent à une
conception israrélienne de la réalité 22.
Les documentaristes, dont une grande partie travaille à la télévision, ont été
moins hardis. La télé israélienne, plus généralement, a toujours été bourrée de
documentaires historiques, ou de dramatiques réalistes. Un genre particulière-
ment aligné sur les positions officielles et peu enclin à la sympathie, voire la
compréhension pour celles de l’autre camp. Pas la moindre compassion dans la
présentation des réfugiés. Les films évitant d’ailleurs le mot 23.
On citera ici l’exceptionnel travail d’Amos Gitaï et de quelques Palestiniens
d’Israël comme Nizar Hasan avec son film Istiqlal (en arabe et sous-titré en
hébreu) racontant l’histoire d’un village qui veut rester palestinien malgré la
coercition, le déni de soi, la collaboration organisée et l’expropriation.
Les médias
22. Tel le soldat égyptien qui cite Shakespeare dans Avanti Popolo. Les Égyptiens de ce film,
par ailleurs beau et sensible, interprétés par des Palestiniens, parlent le dialecte justement
palestinien, comme s’il n’y avait que des « Arabes » sans distinction.
23. Voir le film de propagande sur 1948 Ohalei Ha-Palmach de Gil Sadan (1988), produit
avec l’aide d’historiens traditionnels ; puis celui de Nissim Dayan sur le même sujet, un an
plus tard, avec des consultants plus révisionnistes et un traitement plus équilibré.
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Pour ce qui est des informations, c’est la version nationale qui prédomine,
ailleurs, entièrement. Que ce soit à la radio, à la télévision ou dans la presse.
Celle des Palestiniens ou des Arabes n’était autrefois pas du tout mentionnée ;
on la mentionne parfois aujourd’hui avec une préférence ostensible pour
« notre » version des faits. Les journaux continuent de distinguer entre les
victimes arabes et juives des accidents de la route, établissant de la sorte une
échelle dans la tragédie. La formule consacrée Bne’i Miutim pour désigner les
membres des minorités néglige l’identité nationale des Arabes. On interviewe
les Palestiniens et les Arabes à la radio et à la télé comme s’ils représentaient
l’opinion du gouvernement ou incarnaient du moins le consensus. Pour une
palette plus large, il faut aller aux pages et sur les chaînes qui donnent la parole
aux lecteurs et aux spectateurs. Et il y a depuis 1982, en particulier à partir de
l’Intifada, de plus en plus de points de vues et d’opinions. Les commentateurs
de presse, en particulier, ont commencé en 1989 à rapporter systématiquement
tout ce que la télé et la radio nationale avaient peur de présenter. Parmi ces
reporters, Gideon Levi, de Ha’aretz, persiste à présenter quotidiennement au
lecteur les drames humains entraînés par l’occupation : un bébé qui dîne près
d’un check-point militaire ; un adolescent de seize ans attaché à l’hôpital
Hadassa sans que les médecins lui prêtent attention ; les docteurs qui soignent
des prisonniers torturés avant qu’on ne recommence. De même Amira Hess,
autre chroniqueur du journal, selon les périodes reporter permanent à Gaza, par
le biais de qui les Israéliens ont pris conscience de ce qu’était la vie sous l’oc-
cupation ; elle a ensuite décrit les effets du bouclage en termes de chômage et
s’est fait l’écho des illusions et de la déception après les accords d’Oslo.
C’est par les suppléments littéraires de la presse écrite et les talk-show qu’un
public plus large a appris l’existence d’un débat universitaire, en Israël, sur le
passé et le présent. Ils ont constitué le canal par lequel les « post-sionistes » et
les « nouveaux historiens » y ont fait leur entrée dans le discours culturel. Ou
bien en termes d’exclusion : qui fait partie du « peuple d’Israël » ou pas. Ou bien
de façon à renvoyer dos à dos les fanatiques (rédacteurs d’articles) de gauche et
(les massacreurs de Palestiniens et d’Arabes) de droite, le juste milieu sioniste
majoritaire devenant alors de manière bien pratique l’option politique et morale
des gens sains d’esprit. Même ces mots indiquent pour certains une position
moins rigide et plus pacifique des Israéliens à l’égard des Palestiniens et du
monde arabe.
Autres tentatives plus institutionnelles de produire un nouveau genre de
journalisme en Israël, par exemple l’hebdomadaire Mezad Sheni, apparu l’année
dernière, qui fournit une fenêtre en hébreu sur les positions palestiniennes offi-
cielles, mais également les groupes d’opposition. Un essai, mais vain, de former
un front entre le Hamas, la gauche palestinienne du refus, les Palestiniens d’Is-
raël, les sépharades des villes de développement et les féministes. Bien que son
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audience soit large, il est expédié aux gens intéressés et devrait ouvrir les yeux
au lecteur de presse conventionnelle.
24. Cf. Ilan Gur Zeev, Hinuch Ba-Idan Ha-Siah Ha-postmoderni, Jérusalem, 1996.
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