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LA JUSTICE DU CARNAVAL

Le carnaval est un monde où toutes les valeurs sont renversées. Il


possède un caractère ludique qui permet de renouveler les statuts et les
conventions grâce à un mécanisme d'inversion et de régénération qui se
révèle dès la plus haute Antiquité.

Le calendrier babylonien aménage une période de 5 jours où l'ordre social


est renversé (rapport maître-domestique). Pendant cette période, le roi
est soustrait au regard de tous et remplacé par un roi fictif qui est battu à
la fin de la journée après avoir profité de toutes les prérogatives royales.

Au 4ème siècle après JC, sous l'empire romain, Mac Rob, dans ses
Saturnales, fait l'apologie d'un savoir-vivre oublié : les fêtes d'hiver. Elles
célèbrent le dieu Janus à deux visages qui symbolise l'année qui termine
et celle qui commence. Un roi de fantaisie élu par le sort reçoit une liberté
de parole et de commandement.

Au VIIIe siècle, l'Eglise tente d'intégrer le carnaval à sa liturgie, elle veut


en fixer les bornes.
Pâques est précédé des 40 jours du carême qui lui-même est précédé du
carnaval (le mercredi des cendres suit le Mardi gras).

Le carnaval est conçu comme un négatif du temps ordinaire, il contredit et


renverse. C'est l'antithèse des contraintes quotidiennes. Il bouleverse
toutes les valeurs de la société et la justice trouve aussi dans cette
manifestation une forme originale et inattendue

I.LE CARNAVAL MASQUE PAR LA JUSTICE

Le port du masque est une constante dans le carnaval. C'est un acte


sacrilège car il cache l'image donnée par Dieu le créateur à l'homme : le
don divin est refusé et le travestissement est un postiche profanateur.
Cette liberté s'explique par le côté éphémère de la fête pendant laquelle
les autorités ferment les yeux sur toutes formes d'interdit.

A. Aveuglement temporaire

Les dérèglements correspondent aux règlements quotidiens de la vie


ordinaire. Le mot "carnaval" illustre cela : il vient de carne, chair grasse
que l'on mange sans mesure pendant cette période et que l'on ne mange
pas en tant normal. On trouve d'autres dérèglements comme l'affirmation
de l'autorité de la femme qui prend le pouvoir dans les maisons et dans la
rue. En Macédoine, le carnaval a lieu le 8 janvier et les femmes se
travestissent en homme et attaquent tous ceux qu'elles rencontrent. Le
carnaval est l'autorisation licite de toutes les revanches.
Le jeu du pouvoir social s'inscrit aussi dans le carnaval. Les corporations
de métiers apparaissent sous des noms de fantaisie : les hideux de
Cambrai, les sots d'Amiens, la mère folle de Dijon.
Souvent un roi est élu parmi les membres de la confrérie pour rendre la
justice. Son pouvoir n'est effectif que pendant les quelques jours du
carnaval. Il a plusieurs titres comme, par exemple celui d'"Abbé des
connards". Il dénonce les travers de la vraie justice les plus essentiels. Il
ne tient pas la Main de justice mais une marotte pleine de grelots. Les
représentants officiels reconnaissent son pouvoir temporel.
Avec une sage folie, il doit décider de la destinée de son royaume mais à
l'envers : il siège sur un banc, il prononce des jugements de mauvais
sens, il installe le règne du mal gouvernement.
À Dijon, la confrérie de la mère folle se réunit là où la justice est
réellement rendue. En Allemagne, siège le très honorable "tribunal des
fous".

Le carnaval évacue les mauvaises humeurs de la société. Le


divertissement permet de se détacher de la vie réelle, mais il peut aussi
devenir le rival de la réalité. Par sa dynamique conflictuelle, il peut
présenter des risques pour les autorités (dire la vérité, dénoncer les fautes
et les faiblesses de la collectivité dans des jugements burlesques peut
avoir un effet subversif).

En France, le roi du carnaval a pris les traits de Mazarin, de Luther, de


Napoléon, de Marie-Antoinette, …
A Romans en 1579 et 1580 le carnaval dégénère en affrontements
violents. En 1797, quand la république de Venise tombe, un des premiers
gestes politiques de Bonaparte est la suppression du carnaval.

Les autorités ecclésiastiques souffrent aussi du carnaval. Le pape Innocent


III le dénonce. Cette fête se déroule pourtant sur des principes que
l'Eglise aurait du mal à renier : révélation de la vérité, les derniers seront
les premiers, dogme de l'inversion. Le carnaval est pourtant condamné
par le concile de Bâle en 1465.

Vers la fin de la période dédiée au carnaval, les masques révèlent leur


fonction sociale : ils rendent la justice.

B. La justice inversée

Le masque remplit une fonction judiciaire expéditive. Il y a des usages


propres à chaque région : en pays de Sault les avares et les moralisateurs
voient leur maison saccagée et ils doivent payer à boire à la jeunesse.

Le carnaval est plus répressif qu'on ne le croit. Il s'acharne sur les


coupables qui contreviennent à une certaine morale. Des expéditions
punitives sont lancées contre des femmes qui ne trouvent pas de mari,
sont jugés les époux querelleurs, les veufs remariés trop tôt, … La justice
inversée du carnaval n'inquiète pas l'épouse, mais le mari peu vigilant est
traîné dans la ville sur un âne. Le carnaval censure la vie morale et ses
fous veillent sur les alliances de la communauté.

Le mannequin qui incarne le carnaval fait son entrée dans le village le jour
du Mardi gras. Il peut prendre les traits d'un saint protecteur local, un
héros populaire (tous souvent assortis d'une épouse). En Espagne, le
cortège est accompagné d'un discours prononcé par un faux prêtre qui
parle des vérités cachées, des avanies. La grande liberté de parole à ce
moment de la fête est plus ou moins bien reçue. En 1561, le roi de France
(Louis XII) prend plaisir à entendre ce qui se passe dans son royaume
alors que François Ier met en prison les fous du carnaval. En Italie,
certains princes composent pour le carnaval des chansons qui traduisent
l'importance qu'ils donnent à cette manifestation : le prince des peuples
est aussi le prince des fous.
Savonarole, à Florence, entame une contre-offensive en 1497 en
condamnant tous les excès de son époque et l'année suivante, il est brûlé
sur le bûcher. La tradition italienne mêle souvent pouvoir et carnaval. Les
autorités religieuses s'impliquent dans la fête.
Dans la province de Caceres (Espagne), un tribunal est élu le jour du
Mardi gras. Cette élection est présidée par le maire et un conseiller
municipal. Est alors demandée une peine de mort contre le roi du carnaval
qui est condamné. On débite à son encontre de nombreuses accusations :
luxure, gourmandise, impiété, débauche. À Durro, en Espagne, la défense
demande l'absolution du condamné au vu des bienfaits qui lui sont dus. Le
juge finit par prononcer la peine de mort en riant et un coup de feu est
tiré. À l'issu de son jugement, le roi du carnaval est pendu ou brûlé (alors
que le feu est réservé aux hérétiques). Dans le carnaval, le feu peut être
compris comme la limite que la fête s'impose à elle-même, les masques
sont alors jetés dans le bûcher.

II.LA JUSTICE MASQUEE PAR LE CARNAVAL

La justice du carnaval est publique (la communauté se retrouve dans la


rue, tout est montré) et rapide, expéditive. Enfin, elle fait participer la
communauté.
Dans cette inversion, comment s'opère le rétablissement de la justice ?

A. La justice rétablie

Selon la logique de l'inversion, la vraie justice est perçue comme une


chose privée où rien n'est montré ni vu. La rapidité et l'expédition montre
que la justice ordinaire est perçue comme lente et lourde. La justice
populaire du carnaval dénonce une justice ordinaire qui s'incarne dans un
roi solitaire dont l'autorité paraît éloignée de la Nation (toutes ces
objections se retrouvent plus ou moins dans les cahiers de doléances de
1789).
La justice rétablie ne ressemble pas à celle du carnaval, mais elle
conserve un symbole du carnaval.
Le point de départ c'est le livre de Sébastien Brant intitulé la Nef des Fous
(1494 = première édition allemande et la traduction dans toute l'Europe
diffuse le texte et les illustrations). C'est une satire de tous les travers de
la société, toutes les catégories de fous sont envisagées avec un petit
chapitre et son illustration. Au chapitre 71 se trouve évoquée la folie des
plaideurs qui les pousse à dépenser leurs biens pour se quereller avec une
illustration qui figure un fou entrain de bander les yeux d'une femme qui
tient un glaive sans fourreau et une large balance. Cette figure de la
justice est aveuglée par la folie. Le regard aveuglé de la justice est donc
lié au carnaval.
L'apparition du bandeau coïncide avec le moment où le glaive devient un
attribut permanent. C'est donc quand la justice s'avance en souveraine
avec son glaive que son regard se trouve voilé par un fou. Comment est-il
devenu un attribut de la justice ?
L'explication reste mystérieuse car les autres choses représentées par
l'élément du bandeau sont assez négatives. La cécité est souvent prise en
mauvaise part. Pourtant l'aveuglement de la justice a résisté.

B. Un aveuglement durable

Le XVe siècle (moment où les yeux de la justice commencent à êtres


aveuglés), les justiciables mécontents peuvent s'adresser au roi en son
conseil. C'est le moment où le conseil du roi, sans avoir à juger l'affaire au
fond, renvoie ou casse. La cassation montre l'aveuglement des faits. La
justice aveugle est une représentation si incommode que le gouvernement
de Prusse en janvier 1907 interdit toute représentation de la justice aux
yeux voilés dans le palais de justice en construction.

Pourtant, dans l'explication du bandeau un rapprochement peut être fait


avec celui qui couvre les yeux de la synagogue (iconographie médiévale)
alors que l'Eglise a les yeux ouverts. L'aveuglement de la Synagogue n'est
pas un signe néfaste, c'est une attitude à l'égard des images. Le judaïsme
est très lié par le second des 10 commandements ("tu ne feras pas
d'image, tu ne te prosterneras pas devant ces images"). L'image de Dieu
est interdite aux juifs alors qu'elle est permise aux Chrétiens (incarnation
du christ, image du père).
Dès lors le bandeau n'est plus synonyme de cécité, il est le signe de la
libération par rapport aux images, aux apparences trompeuses. La justice
se libère ainsi de l'image des choses et du regard d'autrui. Dans cet
affranchissement, la justice est impénétrable, insondable.
Le juriste Alciat, dans son traité des emblèmes, reproduit l'allégorie aux
yeux bandés, il trouve au bandeau le signe de l'impartialité. C'est ainsi
qu'il faut recevoir ce symbole hérité du Carnaval. La justice rejète la
séduction des images et de la corruption.

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