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franc CFA dans la crise financière internationale | Xénophobie en Afrique du Sud | Aya de Yopougon
1
N°
Février 2009 n°1 • 2,5 euros • 500 FCFA
F
Afriques 21
est une revue à but non lucratif réalisée
par des bénévoles. Elle a pour objectif de
se faire l’écho d’analyses, d’informations
et d’initiatives d’organisations associati-
ves et syndicales qui luttent afin d’obte-
nir une réelle alternative pour les peuples
africains.
Afriques 21
42 Av. de Fontainebleau
94270 Kremlin-Bicêtre
www.afriques21.org
contact@afriques21.org
maquettistes - illustrations: Confédération Nationale du Travail - Union Départementale des syndicats de l’Essonne (CNT 91)
Toufik Medjamia, Benoît Millescamps, La CNT est un syndicat indépendant des partis, religions, de l’Etat et du patronat. Il prône l’auto-
Sylvain Peirani gestion et la lutte des classes. Il fonctionne sans subventions, sans permanents et pratique la
rotation des mandats. Dans l’Essonne il est présent dans l’éducation (primaire et secondaire), à
logo - affiche: l’université, la poste, dans la métallurgie et chez les sans-emplois.
Vincent Huet 4 rue des Processions 91310 Montlhéry
+33.6.34.10.85.52 / ud91@cnt-f.org / www.cnt91.org
correctrices:
Jeanne El Ayeb, Lila Schouli Union syndicale Solidaires
L’Union syndicale SOLIDAIRES rassemble 90 000 syndiqué-e-s, organisé-e-s dans des fédé-
cartographie: rations professionnelles de syndicats et des unions Solidaires départementales. Les syndicats
Emmanuelle Bournay Solidaires se revendiquent d’un syndicalisme autogestionnaire, anticapitaliste, unitaire, démo-
cratique ... et l’internationalisme est une de nos valeurs fondamentales.
144 Boulevard de la Villette - 75 019 Paris
directeur de publication: +33 1 58 39 30 20 / contact@solidaires.org / www.solidaires.org
Benjamin Preciado
Blog «Afriques en lutte»
contributeurs :
Blog dont l’objectif est de diffuser, à partir d’un point de vue militant, un maximum d’informations
Thomas, Xavier Renou, André Tibiri, Solidarité
pour une alternative sociale (Maroc), Aman- (politiques, économiques, sociales et culturelles) sur le continent africain et de sa diaspora.
afriquesenlutte@yahoo.fr / www.afriquesenlutte.blogspot.com
dla!, Bernard Ferry, Tata Yawo Ametoenyenou,
Michel Jouvin, Pascal Moncey Génocide Made In France
impression: Le collectif Génocide Made in France s’est formé en avril 2007 pour dénoncer la complicité
Le Ravin Bleu, 7 rue Marie Piat de responsables politiques, diplomatiques et militaires français dans le génocide des Tutsi du
91480 Quincy-Sous-Sénart Rwanda en 1994. Il recourt à des modes d’interpellation qui relèvent de l’action directe non
dépot légal: à parution violente.
2 Numéro de commission paritaire en cours www.genocidemadeinfrance.com
Forum Social Africain - Niamey
YA édito : près plus d’un an d’absence, Afrique XX1,
renommé Afriques 21, ressort avec une
nouvelle maquette et une équipe renou-
velée. Il nous est apparu indispensable
de disposer de cette revue, outil d’échan-
ges et d’informations, carrefour pour mutualiser les
expériences alternatives et relayer les luttes sociales
africaines.
v
p 14. L’école populaire de Lomé
dossier nnement : abo
p 15 - 21. France: travailleurs sans-papiers en grève À envoyer à Afriques 21,
42 Av. de Fontainebleau 94270 Kremlin-Bicêtre
actu
Chèque à l’ordre d’Afriques 21
p 22 - 23. La paix est-elle possible au Tchad ?
syndicalisme 4 Numéros : 15 € - 3000 FCFA Soutien : 30 € - 6000
p 24 - 25. Au Maroc aussi les patrons répriment les syndicalistes qui luttent ! FCFA
droits humains
p 26 - 28. Xénophobie ou violence mondialisée ? Nom :
justice
Prénom :
p 29. Batailles judiciaires autour du génocide rwandais
p 30. Norbert Zongo, affaire classée ? Adresse :
p 31. Trafigura: chèque en blanc aux pollueurs
droits humains
p 32 - 33. Du racisme français
histoire Courriel :
p 34 - 35. Charte du Mandé
développement
p 36. Grille informatique mondiale en Afrique Le prix de l’abonnement est supérieur au prix du numéro, car il intègre une moyenne des
culture coûts d’envoi : les abonnés africains payent ainsi le même prix que les abonnés français.
p 37. Tita Nzebi
Anciens abonnés d’Afrique XX1 nous contacter à abonnement@afriques21.org
p 38 - 39. « Aya de Yopougon » : des gos qui se cherchent
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Actu b u r k i n a fa s o
Ouagadougou
un service de s é c u r i t é e t
u n m u r p o u r l’université
Par André Tibiri
L
question de construction de laboratoires et de
salles de cours, d’équipements et d’assouplis-
sement des conditions de formation et d’éva-
e 17 juin 2008, à l’univer- luation, jugées trop sélectives. Les correspon-
sité de Ouagadougou, une dances échangées entre l’administration et
manifestation d’étudiants, les responsables des étudiants indiquent d’un
côté une volonté de répression non voilée et,
conduite par l’Association de l’autre, une détermination à ne pas reculer.
nationale des étudiants bur- De fait, les mesures répressives et punitives
kinabé (Aneb), est sévèrement réprimée, prises contre les étudiants de l’université en
juin dernier resteront sans doute longtemps
avec usage de balles réelles, par les for- gravées dans leur mémoire. L’intensité et
ces de l’ordre. Près de 60 étudiants sont l’ampleur de la répression ont rarement at-
arrêtés puis jugés. Suit une avalanche teint ce niveau. Les affrontements qui ont eu
lieu sur le campus, et au-delà, toute la journée
de mesures les unes plus répressives du mardi 17 juin ont mobilisé gendarmerie,
que les autres : fermeture de l’université, police et… garde présidentielle, occasionnant
des cités universitaires, suspension de de nombreux blessés, dont certains par bal-
les réelles. La fermeture de l’université et des
toutes les œuvres universitaires ainsi œuvres universitaires a jeté plus de 40 000
que des allocations sociales, notamment étudiants dans la rue. Nombre d’entre eux ont
les bourses et les aides. Décidées à en survécu grâce à la solidarité entre camarades
et à celle organisée par leur syndicat, l’Aneb.
finir avec la contestation estudiantine, Le 1er septembre, les étudiants sont revenus
les autorités universitaires ferment et sur le campus, mais ont été quelque peu dé-
détruisent la cité universitaire située à paysés : en plus du mur, un corps dit « de
sécurité » y avait élu domicile.
l’intérieur du campus, la plus grande des
cités, puis clôturent l’université et met-
tent en place un Service de sécurité des
Le SSU et le mur : une histoire
universités (SSU). pas si neuve que ça !
En 1999-2000, après la mobilisation massive
L’insistance des autorités pour rappeler que
des étudiants autour de certaines questions
l’érection d’une clôture autour du campus
prégnantes, notamment les bourses, les
était prévue de longue date n’a pas caché les
autorités avaient réagi en invalidant l’année
visées répressives de ce mur, qualifié de for-
universitaire contre l’avis de la communauté
teresse tant il impressionne par sa taille et la
universitaire, et décidaient de la « refonda-
qualité de son matériau : le béton armé. Il est
tion » de l’université. Cette décision a eu pour
en effet difficile de l’envisager autrement, tant
conséquences le redoublement de tous les
il est vrai qu’il n’est qu’un élément d’un en-
étudiants et la modification de certains textes,
semble de mesures répressives prises contre
notamment celui sur les franchises universi-
les étudiants. En outre, il ne répond en rien
taires, qui prévoyait dès lors la mise en place
aux préoccupations formulées à travers la
d’une police spéciale des universités. Celle-ci
plate-forme revendicative de l’Aneb. Il y était
se laissait voir comme une véritable force de
4
Actu b u r k i n a fa s o
répression sur le campus. Le texte disposait lué à 500 millions de FCFA par les autorités
en effet que la police sera armée, escortée par elles-mêmes (beaucoup plus selon certaines 1. Au Sénégal, en juillet dernier, le recteur de l’université
des chiens de garde, etc. Sa mise en place estimations) est loin d’être une priorité. Pour- Cheikh-Anta-Diop, Abdou Salam Sall, a annoncé la création
s’est heurtée à une farouche opposition des tant, en moins de trois mois, sa construction d’une police universitaire car « les franchises universitaires
ne suffisent plus à elles seules pour garantir un climat de paix
étudiants et enseignants. Toutes les instan- a été achevée. Les citoyens en sont d’ailleurs dans l’enceinte universitaire ».
ces convoquées pour adopter les textes ont toujours à se demander comment : en suivant
été boycottées. Le principal argument avancé les procédures administratives régulières, l’ap-
par les autorités pour la mise en place d’une pel d’offres n’aurait même pas encore pu être
telle police est la question de l’insécurité et dépouillé. Par ailleurs, cette somme n’était
Le ca m p u s transf o r m é en cas e rn e ?
la nécessité du maintien de l’ordre (1). Mais pas intégrée dans le budget prévisionnel. L’ Aneb es t l a s ecti o n nat ionale de
aucun contenu précis n’a jamais pu être ap- On notera que la résistance des étudiants à l’Union générale des étudiants
porté sur ces notions. Face à la résistance l’installation d’une police sur le campus n’a burki nabé (U geb), syndicat ét u-
des étudiants et à leurs arguments, les auto- pas été vaine. Entre les premiers textes sur la diant né en 1960 à l’extérieur du
rités ont dû battre en retraite sur nombre de police et les tout derniers il y a en effet un pro- pay s . L’ U geb s e dit ant icapit alis-
points. Malgré une intense campagne pour fond décalage : tout l’arsenal qui pouvait faire te et anti -i mpéri a list e. Souvent
expliquer aux acteurs universitaires que cette penser à un corps militaire a été officiellement répri mée et contra int e à la clan-
police n’avait rien d’hostile, les autorités n’ont retiré et les autorités insistent pour dire que destinité, elle défend les intérêts
jamais réussi à vaincre le refus des uns et le le service jouera un rôle purement adminis- des étudiants et prend une part
scepticisme des autres. Ainsi, profitant de tratif. CQFD. En effet, cela est un détail : rien acti v e, à trav ers l ’Aneb, aux lut -
cette énième répression, elles ont voulu en n’empêche les autorités, le cas échéant, de tes de la société aux côtés des
finir avec cette résistance. La construction du modifier les textes. Il est à craindre que l’ins- trav ai l l eurs (el l e est alliée à la
mur obéit à la même logique de répression. tabilité que connaît l’université ne s’accentue CGT-B, la plus importante et la
S’il est vrai que depuis quelques années une avec ce mur et cette « police administrative ». pl us combati v e c ent r ale syndi-
rumeur courait sur un projet de mur autour de cal e du pay s ), cont r e l’im punit é
l’université, aucun acteur ne s’attendait à cela André Tibiri, ancien président de l’Ugeb et pour l ’ i ns taurat ion d’un vér i-
pour le court terme, tant l’université a besoin tabl e État de droi t .
de moyens colossaux. Ainsi, elle devait, entre
autres, plus de 300 millions de FCFA aux en-
seignants. Dans ces conditions, un mur éva-
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Actu Maroc
mobilisations
Crise socialeau Maroc
Par Solidarité pour une alternative sociale et
U
Manifestation de chômeurs à Sidi Ifni photo : Nygus
ne crise sociale généralisée – Dans le privé ont lieu des luttes longues,
souvent avec occupations, pour faire face au
L’exemple de Sidi Ifni
se développe au Maroc, ré- despotisme patronal, au non-payement des
sultat de décennies de po- salaires, à l’absence de conventions collecti- Petite ville encastrée dans un environnement
ves et de libertés syndicales, sans pour autant rural, abandonnée du « développement »,
litiques d’ajustement struc- réussir à briser l’isolement et la répression. La elle concentre une paupérisation massive,
turel et d’une intégration syndicalisation se développe dans de nou- une urbanisation sans emploi, infrastructu-
veaux secteurs comme les chauffeurs routiers res ni services publics, et sa principale res-
profonde à la mondialisation capitaliste. ou les ouvriers agricoles. source, la mer, est exploitée à outrance par
Le pillage organisé par les multinationa- certains officiers supérieurs de l’armée ma-
– L’association nationale des diplômés chô-
les se combine aux intérêts d’une classe meurs, qui a dix-sept ans d’existence, a lancé
rocaine et les flottes de pêche étrangères.
La force de la mobilisation a reposé sur des
dominante agissant comme une mafia et un mouvement de radicalisation et d’organi-
ressorts spécifiques : une auto-organisation
qui se livre, en toute impunité, à un racket sation de la jeunesse scolarisée. Elle a initié
des mobilisations collectives indépendantes partielle où les habitants gèrent leurs propres
généralisé sur tout ce qui peut lui assurer malgré son interdiction et la répression. mobilisations, une plate-forme revendicative
claire, une solidarité collective exemplaire,
la richesse. une défiance absolue envers les autorités lo-
– Avec une assise populaire, un mouvement
de lutte contre la hausse des prix a pris corps. cales et les partis institutionnels. Même si la
Apparu spontanément face à la hausse verti- mobilisation a baissé d’un cran, elle continue
Le développement des résistances gineuse des factures d’eau et d’électricité, ce
mouvement a donné lieu à des mobilisations
autour de la satisfaction des revendications
et de la libération des détenus après la ré-
massives et à des actions de désobéissance pression (26 d’entre eux sont concernés !).
– Ces derniers mois ont été marqués par une (refus de payement collectif). Les coordina-
recrudescence forte bien qu’inégale des grè- tions qui en sont issues ont élargi leur thé- À Sefrou, Tata, Bouarfa, Imilchil, Boulman Da-
ves dans le secteur public : chemins de fer, matique à la hausse des prix, à l’accès aux
dés et dans bien d’autres endroits, ce sont des
Éducation nationale, PTT, fonction publique… services publics et à leur défense.
mobilisations similaires qui existent. Ce nouvel
livrés à des processus de privatisation. La prin- état d’esprit peut déboucher sur un nouveau
– De multiples résistances témoignent d’un
cipale faiblesse de ces mobilisations tient à cycle de luttes d’ampleur. La solidarité inter-
élargissement des préoccupations : la lutte
l’éclatement profond du champ syndical, à sa contre la privatisation de la santé, les démo- nationale non seulement face à la répression
bureaucratisation et à la stratégie adoptée « de litions sans relogement de bidonvilles, l’acca- mais aussi en termes de campagnes commu-
dialogue social ». Mais cette réalité ne doit pas parement des terres communales, le contrôle nes, de liens militants et de convergences de
masquer le renforcement, relatif mais réel, de des ressources hydrauliques, l’usage des lutte peut y contribuer largement.
secteurs combatifs et d’équipes d’opposition. fonds publics, la corruption…
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Actu Tunisie
L justice:
e jeudi 11 décembre 2008
s’est tenue une parodie de
procès contre 38 citoyens du Par Alain Baron* pour Afriques 21
bassin minier de la région
de Gafsa. Des peines allant Parodie de
procès de Gafsa
jusqu’à dix ans et un mois de prison
ferme ont été prononcées contre cinq
militants syndicalistes enseignants.
Deux inculpés en fuite ont été également
condamnés à dix ans et un mois ferme.
Les autres condamnés, étudiants, sala-
riés ou chômeurs, ont écopé de deux à six
ans de prison.
Les détenus croupissent en prison depuis l’été
2008 dans des conditions dangereuses pour
leur santé. L’un d’entre eux a perdu 20 kilos
et la moitié de ses dents, un autre était au
moment de son arrestation en convalescence
à la suite du don d’un de ses reins, certains
détenus ont subi des tortures, etc. photo : Toufik Medjamia
sécuritaire pour traiter les problèmes sociaux
Tout cela sous l’accusation de participation de la région du bassin minier de Gafsa, à
à des rassemblements et manifestations pa- commencer par le mal-développement, le
cifiques, détention ou distribution de tracts,
Communiqué de solidarité
chômage endémique frappant en particulier
collectes de fonds pour les victimes de la ré- la jeunesse, la marginalisation arbitraire de avec la révolte de Gafsa
pression, etc. De telles condamnations sont larges secteurs de la population. Il est révé- Nous, organisations syndicales présentes à
d’autant plus choquantes qu’au même mo- lateur que l’événement déclencheur des mo- Tunis, le 14 janvier 2009, après avoir pris les
ment on célébrait le soixantième anniversaire bilisations ait été la protestation contre une informations nécessaires à une bonne com-
de la Déclaration des droits de l’Homme. fraude impliquant les autorités locales dans le préhension de la situation de la lutte légitime
recrutement pour les mines de phosphates, des habitants du bassin minier de Gafsa,
Une telle impudence du pouvoir tunisien qui sont le principal employeur de la région. après avoir assisté au simulacre de procès
est facilitée par le soutien que lui apportent des 38 accusés, demandons :
depuis des années les gouvernements occi- Face à de telles injustices, les condamnés
dentaux, à commencer par ceux qui se sont La liberté immédiate et sans conditions de
peuvent compter en Tunisie sur la mobilisa- tous les prisonniers, leur réintégration dans
leurs emplois respectifs ;
Une telle impudence du pouvoir tunisien est facilitée par le Le respect de la liberté syndicale et d’expres-
soutien que lui apportent depuis des années les gouvernements sion ;
occidentaux, à commencer par ceux qui se sont succédé en France L’arrêt des poursuites contre ceux qui sou-
tiennent à l’étranger le mouvement.
succédé en France. Le fait que le parti tuni- tion d’organisations de défense des droits de Nous remercions l’accueil des organisations
sien au pouvoir soit membre de l’Internatio- l’Homme, sur des réseaux d’avocats ainsi que et associations qui nous ont aidés à dévelop-
nale socialiste sert souvent d’alibi facile aux sur les syndicats d’enseignants, de la poste per notre solidarité. Nous attendons de l’État
gouvernements de gauche pour justifier leurs et des télécommunications ou encore des tunisien des réponses dignes et justes d’un
bons rapports avec le régime de Ben Ali. Les médecins de la santé publique et des phar- État démocratique et nous appelons l’ensem-
ambiguïtés de la direction de la centrale syn- maciens. En France aussi la solidarité s’orga- ble des organisations syndicales mondiales
à se mobiliser afin que justice soit rendue le
dicale unique tunisienne n’ont rien arrangé : nise, en particulier à Nantes, où habitent de
3 février aux prisonniers.
le principal accusé, injustement suspendu de nombreux Tunisiens originaires de la région
Organisation démocratique du travail (ODT, Ma-
ses mandats syndicaux par les instances ré- de Gafsa. roc),
gionales et nationales, n’a été rétabli dans ses Confédération nationale du travail (CNT, France)
mandats par la confédération que la veille de Comité de soutien aux habitants du bassin Sud Éducation et Union syndicale solidaire
l’ouverture du procès. minier de Gafsa c/o FTCR, 3, rue de Nan- (France)
tes, 75019 Paris. bassin.minier@hotmail.fr Syndicat national autonome des personnels de
En fait, les condamnés n’ont fait qu’exprimer Collectif nantais de soutien aux Tunisiens de l’administration publique (SNAPAP, Algérie)
le malaise social régnant dans cette région Redeyef : ldh.nantes@orange.fr
déshéritée. Ce procès inéquitable fait partie PS : des syndicalistes tunisiens ont signé le
des atteintes criantes et multiples aux droits * Alain Baron a été longtemps membre de la direction texte en leur nom propre
syndicaux. Il confirme, une fois encore, la de Sud-PTT. Il était présent le 4 décembre 2008, au nom
persistance du pouvoir tunisien dans la voie de Solidaires, à la première séance du procès de Gafsa.
7
Actu R.D.Congo
Entretien avec
Colette Braeckman
U
ne guerre mondiale se déroule dans un quasi participé. Ils s’installent dans des camps et représentent un péril pour
les Tutsi congolais qui vivent au Kivu, certains depuis fort longtemps.
silence depuis plus de dix ans dans l’Est du Par ailleurs, ils sympathisent avec les Hutu congolais, qui eux aussi se
Congo. Elle a déjà fait plus de cinq millions de trouvent au Kivu. Donc se trouve exporté vers le Kivu le conflit rwandais
victimes. Les médias nous présentent le conflit de haine ethnique et de rivalité entre les Hutu et les Tutsi. Ces faits se
greffent sur un pays qui est devenu extrêmement faible. On est à la fin
comme interethnique, masquant ainsi la lutte du régime Mobutu et, deux ans plus tard, le nouveau régime en place
pour le contrôle des immenses richesses de ce pays, dont le à Kigali (Rwanda), celui de Paul Kagamé, se lance vers le Kivu pour
coltan indispensable aux téléphones portables. Les grandes démanteler les camps de réfugiés, provoquer le retour de la plupart
d’entre eux. Finalement, cette guerre va mener au renversement de
puissances (France, Belgique d’un côté et USA, Grande-Bre- Mobutu et à l’installation d’un nouveau régime. Depuis lors, il y a eu
tagne de l’autre) s’affrontent par Etats et milices interposés. beaucoup d’actions militaires du Rwanda au Congo. La raison qui a
La signature d’accords économiques entre le gouvernement toujours été invoquée par le Rwanda était de venir à bout des derniers
groupes armés hutu qui se trouvent toujours sur le territoire congolais
congolais et la Chine est venu bouleverser récemment le et qui, selon le Rwanda, menacent sa sécurité. Mais, en réalité, ce
partage du gâteau. Nous revenons avec Colette Braeckman n’est pas tout à fait comme cela que les choses se présentent. Ces
sur les événements récents au Kivu. L’arrestation de Laurent groupes hutu sont toujours là, beaucoup sont incrustés dans la société
congolaise et ne représentent plus tellement aujourd’hui une menace
Nkunda, survenue après cette interview, indiquerait-elle un pour le Rwanda. Par contre, ils terrorisent les Congolais, pratiquent des
changement de tactique ? viols, parce qu’ils veulent s’emparer des terres et surtout de l’accès aux
Afriques 21. ressources minières, qu’ils exportent à leur profit, pour s’acheter des
armes et pour continuer le combat contre le régime de Kigali.
Pourriez-vous nous donner un aperçu historique de
la région du Kivu ?
Vous faites référence aux FDLR. Pourrait-on avoir un
Colette Braeckman. Au Kivu, il y a toujours eu des rivalités entre les
populations autochtones et les groupes de population qui sont arrivés aperçu des groupes armés qui sévissent au Kivu ?
du Rwanda par vagues successives. C’est le colonisateur belge, dans
les années 1930, qui, considérant que le Rwanda et le Burundi étaient Colette Braeckman. Il y en a beaucoup. Il y a donc les FDLR (Forces
des pays surpeuplés, des réservoirs de main-d’œuvre, a commencé à démocratiques pour la libération du Rwanda), c’est le nom qu’ils se
amener des ressortissants, surtout du Rwanda, vers le Kivu. Ceux-ci sont donné. En fait, ils fédèrent tous ces groupes armés hutu qui sont
ont été installés par le colonisateur dans les terres, ils ont servi de restés au Congo. Ils rassemblent aussi des gens plus jeunes, qui sont
main-d’œuvre pour les colons. Les populations locales ont toujours arrivés dans les camps de réfugiés enfants et n’ont donc pas commis
vécu cela comme une spoliation, perçu les gens qui arrivaient comme
des intrus et, même au fil des années, la nationalité de ces groupes de Colette Braeckman,
personnes a toujours été mise en cause. Après les arrivées massives, spécialiste de la région des grands
dans les années 1960, le régime hutu se met en place au Rwanda et lacs en Afrique, est grand reporter
provoque l’exil de milliers de Tutsi qui s’installent eux aussi au Kivu. au quotidien belge Le Soir. Elle a
Chaque fois qu’il y a des massacres au Rwanda, on voit arriver de nou- écrit plusieurs ouvrages notamment
veaux groupes de Rwandais qui s’installent au Kivu, avec chaque fois Rwanda. Histoire d’un génocide
la même compétition pour la terre, les mêmes sentiments d’hostilité (Fayard, 1994). Son dernier livre Les
des populations locales et la même contestation de leur nationalité. nouveaux prédateurs, publié chez
L’opération Turquoise, à la fin du génocide rwandais en 1994, pro- Fayard en 2003, analyse la politique de
voque un déferlement de plus de 1,5 million de réfugiés au Kivu, l’Ouganda et du Rwanda vis-à-vis de la
qui sont donc des Hutu. Beaucoup ont commis le génocide, y ont République Démocratique du Congo.
Les prédateurs
exécutant du Rwanda ?
Congo
battu dans les rangs du FPR depuis les années 1990, pendant
République Démocratique du le génocide en 1994. Après les deux guerres du Congo, il était
aux côtés des militaires rwandais, il a beaucoup de sympathies
dans le rang à titre personnel, car il est ami avec ses anciens
compagnons d’armes comme le chef d’état major James Kara-
dabé, et il a donc des liens avec les Rwandais, mais dire que
c’est une pure marionnette, un pur instrument de Paul Kagamé,
je crois que c’est un peu simpliste. Il a son propre agenda, ses
propres relations. Son agenda est congolais, il affirme qu’il se bat
le génocide au Rwanda, mais qui ont été élevés dans pour la sécurité des Tutsi congolais, qu’il veut lutter contre les
cette norme idéologique de haine. Le Rwanda considère par consé- FDLR, ce qui est partiellement exact, mais il veut aussi garder le
quent qu’ils représentent, eux aussi, un danger pour sa sécurité, sa contrôle de son fief dans le Nord Kivu et, surtout, il est soutenu par
stabilité politique. Ces FDLR affirment vouloir surtout un dialogue po- les hommes d’affaires de Goma, qui forment une bourgeoisie d’af-
litique avec Kigali, ce que Kigali refuse absolument, en disant qu’il est faires essentiellement tutsi, qui ont des relations avec le Rwanda,
exclu de négocier quoi que ce soit avec des gens qui ont une idéologie qui ont participé à l’époque à la guerre du FPR rwandais et l’ont
génocidaire. Le dialogue peut rassembler aussi des Hutu qui estiment financée. Ils sont très proches de Kigali, sans être des incondition-
que l’espace politique n’est pas suffisamment ouvert au Rwanda et nels. Ces gens ont leur propre autonomie, leur propre agenda, dont
qui voudraient contraindre le régime à tolérer une opposition un peu une part importante consiste à défendre leurs intérêts économiques,
plus radicale ou plus active. Les FDLR exploitent les ressources du notamment l’exploitation des mines, le bénéfice des douanes, des
Kivu, terrorisent les populations congolaises, mais ne mettent pas en devises et des ressources de la province.
cause les autorités du pays, ni le gouverne-
ment de Kinshasa, ni l’autorité du président
Kabila. Les FDLR ont souvent collaboré sur
le terrain avec les forces armées congolai-
ses. Collaboré, d’abord, dans certains trafics,
dans l’exploitation des richesses, collaboré
aussi dans les opérations militaires, parce
que les FDLR sont des groupes extrêmement
rodés à la guerre. Cela fait quinze ans qu’ils
sont sur le terrain et ils ont de plus grandes
qualités militaires que l’armée congolaise. Il
arrive souvent que, lors des affrontements,
l’armée congolaise les mette en première
ligne. Ils prennent d’autant plus volontiers
la tête des affrontements qu’ils ont en face
d’eux le général Laurent Nkunda, le dirigeant
du CNDP (Congrès national pour la défense
du peuple), qui rassemble surtout des Tutsi
congolais qui s’estiment menacés par les Hu-
tus congolais des FLDR. Ces Tutsi congolais
sont soutenus par le Rwanda, même s’ils le
récusent officiellement. En réalité, le Rwanda
soutient le CNDP de plusieurs façons, en
hommes, en armes, en munitions, en unifor-
mes, etc. Il existe aussi des groupes locaux
congolais que l’on appelle les Maï-Maï. Ce
sont des guerriers traditionnels hostiles à
toute présence étrangère au Kivu. Ils sont
globalement hostiles aux invasions du Rwan-
da, au CNDP et, parfois, collaborent avec les
FDLR. En réalité, ils sont plutôt nationalis-
tes, comme les Pareco (Patriotes résistants
congolais), des groupes paramilitaires qui se
battent aussi contre les forces étrangères, Sources : Philippe Rekacewicz, «Les richesses convoitées de la RDC», Le Monde diplomatique, janvier 2000; United States Geologi-
mais qui peuvent coopérer avec les FDLR. cal Survey (USGS), Mineral facilities of Africa and the Middle East, 2006; Atlas de l’Afrique, Éditions du Jaguar, Jeune Afrique, 2000.
9
Actu R.D.Congo
10
économie A FRI Q UE
Retour sur un
héritage colonial
L es indépendances
africaines de la deuxiè-
me moitié du XXe siècle
s’inscrivaient dans la
lutte pour l’universalité des droits
humains. L’espoir de mettre un ter-
me au pillage des ressources natu-
relles et à l’exploitation des peuples
se conjuguait alors avec la construc-
tion du droit international sous l’égide
de l’Organisation des Nations unies.
Mais les anciennes puissances colo-
niales disposaient de mécanismes de
domination qu’elles ont parfois su pré-
senter comme une preuve de leur solida-
rité à l’égard de ces nouveaux États : la
zone franc en est une illustration.
illus
tra
tion
: Be
noi
t
11
économie A FRI Q UE
Durant les années 1960 et 1970, les pays en rembourser la dette). Les accords de parte- moins chers, mais c’est sans tenir compte
développement se sont endettés massive- nariat économique (APE), sous couvert de des subventions européennes à l’exportation
ment sans que cela profite réellement à leurs permettre aux produits africains de trouver ou de l’aide publique au développement liée
populations. Les créanciers publics ou pri- des débouchés au Nord, organisent en fait à l’achat des produits européens. L’obligation
vés des pays riches octroyaient les prêts afin la concurrence entre pays et empêchent la primordiale de rembourser la dette parachève
d’imposer leur vision du développement, qui création de cartels de pays producteurs qui la structure néocoloniale des relations entre
consistait surtout à drainer l’appareil productif
africain vers l’extérieur, avec la complicité des
La garantie de la F rance n’est qu’une c h imè r e
gouvernants du Sud. La baisse des cours des pourraient influer sur les prix de vente (com- la zone franc et l’Union européenne en for-
matières premières dès la fin des années 1970 me c’est le cas pour le pétrole avec l’Organi- çant les États africains à trouver toujours plus
renforça le mécanisme. Les pays endettés se sation des pays exportateurs de pétrole). De de devises étrangères. Le mécanisme de do-
trouvèrent dans l’incapacité de rembourser. plus, le fait que ces produits ne soient pas mination qu’est le franc CFA simplifie grande-
En 1982, le système financier international transformés sur place enferme l’Afrique dans ment le pillage des ressources naturelles, y
en crise fut alors sauvé par l’intervention des le sous-emploi. Actuellement, 40 % des ex- compris pour les mafias extérieures à la zone
institutions financières internationales (ou IFI, portations africaines partent pour l’Europe, franc, qui n’ont pas confiance dans la stabilité
c’est-à-dire le Fonds monétaire international, alors que les exportations intra-africaines de leurs monnaies nationales et font ainsi un
la Banque mondiale...)(1). Avec cette crise atteignent 9 % à peine du volume global placement sûr. L’exemple des stations-service
de la dette des années 1980, les pays africains (Organisation mondiale du commerce, 2006). de Cotonou (Bénin), désespérément vides, et
ont subi les injonctions des IFI et ont dû met- de la multitude d’échoppes vendant l’essence
tre en place des programmes d’ajustement du Nigeria en bonbonnes en verre de 25 li-
structurel : les dépenses publiques sont al- La domination monétaire tres au bord des routes en atteste : ce sont les
lées en priorité au remboursement de la dette. recettes fiscales du Nigeria qui s’en trouvent
Cela a entraîné – entre autres – des licencie- Dans ce contexte de crise, la zone franc ne diminuées. Les principes essentiels du franc
ments massifs dans la fonction publique, une sera pas épargnée. Elle a un poids démogra- CFA (liberté absolue de transfert et de conver-
réduction des subventions aux producteurs phique et économique comparable à celui du sion, garantie par l’État français) permettent
et aux consommateurs, et des privatisations Nigeria pour une étendue six fois plus gran-
dans toute l’Afrique. En particulier, les quinze de. Le fait marquant
pays de la zone franc ont eu à affronter une est que les dirigeants
dévaluation (2) de moitié de la valeur du franc (7) des pays de la
CFA (3) en janvier 1994. Cela a contribué à zone franc ont aban-
faire figurer une dizaine de ces États à la fin donné toute souverai-
de la liste du classement IDH (4) du PNUD et neté sur la question
à faire entrer treize d’entre eux dans l’initiative monétaire : ils n’exer-
Pays pauvres très endettés (5). Aujourd’hui, cent aucun contrôle
les formes de protection publique des popu- sur les changes ni les
lations (sécurité sociale, chômage, retraite…) mouvements de ca-
sont donc réduites au minimum dans bien pitaux. Tout se fait en
des pays africains – tandis que l’ONU constate France, et une grande
que l’Afrique est créancière du reste du mon- partie des réserves de
de en termes financiers (6). Notons qu’à cela devises de ces pays
s’ajoute la récente crise alimentaire, comme est déposé au Trésor
l’illustrent les nombreuses révoltes populaires public, à Paris, sur
face à la vie chère sur le continent. des comptes d’opé-
ration. Cet argent est
donc dans les cais-
Crise du crédit ses de l’État français,
et les pays franc CFA
La crise actuelle se manifeste par un étrangle- renoncent ainsi à une
ment du crédit (credit crunch) qui aura des importante marge de
implications sur le volume et les conditions manœuvre budgétai-
des nouveaux prêts, tandis que les taux d’in- re. Avec un euro dont
térêt de ces prêts augmenteront. Les marchés le cours est supérieur
financiers considèrent en effet les investisse- à celui du dollar, les
ments sur le continent africain comme très ris- exportations (cacao,
qués. Cet argument est fallacieux : il masque coton, pêche, bois,
le fait que 60 % des multinationales implan- pétrole, minerais va-
tées en Afrique sont européennes et qu’elles riés dont l’uranium (8), etc.) sont trop chères surtout le rapatriement des bénéfices en Eu-
s’y livrent à une concurrence acharnée tout sur les marchés mondiaux où la cotation se rope et favorisent la fraude et l’évasion fiscale,
en réalisant d’importants bénéfices. La crise fait souvent en dollars. Cela accroît la relation alors que toute décision ne peut se prendre
se manifeste également dans la baisse des de dépendance vis-à-vis de l’Union euro- qu’avec l’accord des Français au sein des
cours des matières premières non agricoles, péenne et vide de sens les perspectives de conseils d’administration des trois banques
dont l’Afrique dépend à plus des deux tiers développement régional. Les produits im- centrales (9).
pour ses entrées de devises (et donc pour portés des pays hors zone euro sont certes
12
économie A FRI Q UE
Dr o it in te r n a tio n a l
Le droit in ternational résulte du rapport d e f o r c e s p o l i t i q u e s . De s E t a t s c o m m e d e s m o u v e -
men ts socia ux peuvent s’en emparer co n t r e l e d r o i t d e s p l u s f o r t s . A t i t r e i n d i c a t i f : C h a r t e
de l’ONU (1945), Déclaration Universelle d e s D r o i t s d e l ’ H o m m e ( 1 9 4 8 ) , R é s o l u t i o n 1 5 1 4 d e
l’ONU sur l ’autodétermination des peupl e s ( 1 9 6 0 ) , R é s o l u t i o n 1 8 0 3 s u r l e c o n t r ô l e d e s r e s -
sou rces n aturelles (1962), Pactes sur le s D r o i t s C i v i l s e t P o l i t i q u e s e t E c o n o m i q u e s , S o c i a u x
et Cu lturels (1966), Charte des droits et d e v o i r s é c o n o m i q u e s d e s E t a t s ( 1 9 7 4 ) , Dé c l a r a t i o n
su r le droit au développement (1986).
13
Éducation togo
L L’ÉCOLE
’Organisation d’appui à la
démocratie et au dévelop-
pement local, Oadel (1), est
POPULAIRE
une association togolaise
exerçant à Lomé, la capitale.
DE LOME
Sa particularité réside dans le choix de
ses promoteurs de faire de l’éducation
politique des citoyens un axe de travail
fondamental. Par Tata Yawo Ametoenyenou, président de l’Oadel
À sa création, en mars 2003, les fondateurs
ont constaté que le contexte togolais était
marqué par une démocratie balbutiante, em-
UN ESPACE
bourbée dans une crise sociopolitique sans
précédent depuis 1990, et par le désarroi du
D ’ É D U C A T IO N
peuple, qui connaissait toutes les affres d’une
dictature. Parallèlement à cette situation, le
P O L I T IQUE
D ES PEU PL E S
débat politique était monopolisé par les po-
liticiens, alors que les citoyens faisaient les
AU TOGO
frais de la gestion calamiteuse de l’État. C’est
pourquoi, aboutissant à la conclusion que les
citoyens avaient eux aussi leur mot à dire sur
la gouvernance du Togo, l’école populaire de
Lomé a été créée.
L’Épol a pour particularités d’animer ses ren- antidémocratiques. L’immigration des jeunes
contres en langue nationale, spécialement vers les États-Unis avec le système de loterie
l’ewé, langue la plus parlée au sud du Togo, Visa : le bonheur est-il là-bas ? Quels passés
et de les organiser dans des lieux accessibles pour l’avenir ? Analyse comparative des cau-
au public populaire des quartiers cosmopoli- ses et effets des mobilisations populaires des
tes de Lomé. Ainsi, l’école se tient surtout au années 1990-1991 et 1992-2005 au Togo et
Centre communautaire de Bè et non dans les quels types de remobilisations aujourd’hui ?
centres culturels français ou américains ni Quelles contributions de la femme togolaise à
dans les salles climatisées des hôtels. une lutte politique apaisée au Togo ?
Ces deux caractéristiques de l’Épol ont fait Certaines de ces conférences, dont une en
d’elle une référence à Lomé. À la première français, ont été enregistrées et sont dispo-
nibles. Cela permettra d’éditer et de diffuser photo : Tata
conférence, 45 participants étaient présents,
sur CD les extraits de ces conférences dans Au regard de la soif d’information qui existe au
à la dernière, ils étaient 250 !
un but pédagogique, surtout vers les popula- sein de la jeunesse togolaise, l’Oadel s’est lan-
tions rurales. Depuis 2007, les rencontres de cé un défi : organiser en août 2009 à Lomé un
À ce jour, 20 écoles populaires ont été organi-
l’Épol ont cessé faute de ressources financiè- forum international des jeunes d’Afrique, d’Eu-
sées, qui ont assuré l’ancrage et la reconnais-
res. Pourtant la demande existe et elle est ex- rope et d’Amérique pour discuter autrement
sance de l’Oadel. Parmi les thèmes qui ont
primée par les citoyens aux responsables de des questions qui intéressent les jeunes en tant
le plus mobilisé les participants, nous pou-
l’Oadel, qui, pour survivre, ont rompu avec le qu’acteurs du changement : ce sera l’Étran-
vons citer : Peut-on faire le développement
bénévolat et se sont fait embaucher comme ge Rencontre (www.etrangerencontre.org).
sans faire de la politique ? Togo : un autre
combat est-il possible ? Les alternatives pa- salariés.
En initiant l’école populaire de Lomé, l’Oadel
cifiques de résistance populaire aux dérives
a voulu contribuer à la réflexion collective qui
peut éclairer l’opinion publique togolaise sur
les goulots d’étranglement du développement
et inviter les citoyens à être exigeants vis-à-vis
d’eux-mêmes et des décideurs politiques, car
il faut se résoudre à l’évidence, « le change-
ment ne peut provenir, dans un avenir pro-
che, que des citoyens décidés à ce que les
choses ne soient plus comme avant ». Mais
l’Épol peut-elle renaître de ses cendres ?
1. oradeltogo@yahoo.fr
14
Actu TC H A D
La p a i x
Entretien avec
Delphine Djiraibe porte-parole
du CSAPR au Tchad
est-elle possible ?
A
A é r o p o r t d e N’ D j a m e n a . D a n s l e c a d r e d e l ’ A c c o r d d e c o o p é ration militaire
t echni que, l a pr ésence f r ançai se au Tchad est const i t uée d’ un c o nti n-
rrivé à la tête du Tchad par un coup d’Etat en g e n t d e 1 1 0 0 h o m m e s s u r é q u i p é s ( c h a s s e u r s b o m b a r d i e r s, hélicoptères
de com bat , bl i ndés l éger s) .
1990, Idriss Deby est indéfectiblement soutenu
par la France. Sa gestion du pouvoir se caractéri-
se par la corruption, le clanisme et la violence. Il Afriques 21.
a dû faire face à deux tentatives de renversement Pourriez-vous présenter le CSAPR ?
(2006 et 2008) et une guerre civile, qui a fait plus de 20 000
Delphine Djiraibe. Le Comité de Suivi de l’Appel à la Paix et à la Ré-
morts, l’a opposé à l’ensemble des autres forces politiques et conciliation est un réseau d’organisations de la société civile composé
militaires en 1999-2000. Il n’a dû son salut qu’à l’intervention des associations de défense des droits de l’Homme, d’associations,
militaire française qui considère ce pays comme stratégique de syndicats, d’ONG pour le développement, des comités Justice et
Paix, etc., qui depuis 2002, font un plaidoyer pour un processus de
pour ses intérêts. Ce pays pétrolier depuis 2003 reste l’un des paix durable au Tchad, un processus qui part d’un dialogue avec tous
plus pauvres du monde. les acteurs politiques.
22
Actu TC H A D
23
Syndicalisme ma r o c
Entretien avec
Propos recueillis par Christian Mahieux* pour Afriques 21
L Mohamed Mahjoubi
es militants de l’Orga-
nisation démocratique
du rail sont confrontés
à une très forte ré-
pression ; parce qu’ils
Organisation Démocratique du Rail
Au Maroc
refusent de se laisser corrompre, Pendant ce temps-là, les syndicats-
la direction les mute à des cen- maison reçoivent des subventions,
des dons de la direction… qui finan-
taines de kilomètres de chez eux, ce ainsi leur passivité.
baisse leur salaire, et leur secré-
taire général vient d’être licencié. Pourquoi avez-vous choisi
répriment
Mohamed Mahjoubi. L’ODT permet
de coordonner les différentes struc-
tures qui y sont affiliées. Elle orga-
nise notamment la solidarité contre
la répression. L’ODT a été constituée
le 5 août 2005 par des militants vou-
lant combattre les directives des ins-
24
Syndicalisme ma r o c
Mohamed Mahjoubi. Elle est en général difficile. Mais il y a des diffé- L’autonomie du mouvement syndical est peu
rences suivant les secteurs, en grande partie liées à l’existence ou non
d’un syndicalisme indépendant. Dans certains cas, il y a des négo-
pratiquée au Maroc. La plupart des
ciations régulières et le maintien du pouvoir d’achat est assuré. Dans syndicats correspondent en fait à un parti
d’autres cas, les salaires sont inférieurs d’un tiers au SMIC pourtant politique. Mais l’ODT ne semble pas exempte
défini par l’État ! Les libertés fondamentales, concernant notamment
les associations et les syndicats, sont très souvent bafouées, afin que
du même reproche?
les travailleurs aient moins d’outils pour résister aux attaques féroces
Mohamed Mahjoubi. Effectivement, ce sont des militants d’un
des néolibéraux qui pillent nos richesses.
parti politique, le PS, qui ont créé l’ODT. Des membres du
bureau exécutif de l’ODT sont des responsables dudit parti,
Quelles sont les actions menées par l’ODR ? mais la structure du syndicat et ses statuts n’exigent aucune
appartenance politique pour ses adhérent-e-s. Et, surtout, ils ga-
Mohamed Mahjoubi. Le 30 janvier 2008, en coordination avec l’ODT, rantissent l’indépendance des syndicats sectoriels, ainsi qu’une
nous avons organisé un sit-in de protestation devant la direction géné- autonomie de la gestion. En ce qui concerne l’ODR aucun de ses
rale de l’Office des chemins de fer. Du 26 au 28 juillet, l’ODR partici- dirigeants n’est militant du PS, aucun n’a de relation étroite avec
pait au forum maghrébin, après avoir accueilli la délégation de Solidai- un parti quelconque. Cela n’empêche pas qu’à Casablanca, lors
res et consolidé le travail commun avec SUD-Rail. Le 28 octobre, nous des élections parlementaires de septembre 2007, des militants de
avons appelé à une grève nationale pour imposer notre cahier revendi- l’ODR aient figuré sur des listes électorales de ce parti sans en
catif, imposer la liberté syndicale et dénoncer la révocation de quatre être adhérents. La situation vis-à-vis des organisations politiques
cheminots servant de « lampistes » suite à un accident ferroviaire (les n’est pas simple au Maroc, c’est vrai. Mais à l’ODR, nous tenons
vraies raisons en sont l’état du matériel et du réseau). Le 1er novem- à l’autonomie du syndicat vis-à-vis des organisations politiques. La
bre, à l’occasion d’une coordination syndicale euromaghrébine, l’ODR composition de notre bureau national et notre fonctionnement illus-
a renforcé ses relations avec SUD-Rail et la CGT Espagne. trent cela.
25
Droits humains Afrique du Sud
Xénophobie ou
Par Antje Schuhmann
violence mondialisée ?
Amandla! Numéro 4 Octobre-Novembre 2008 Traduction de l’anglais par Bernard Ferry.
Manifestation pour protester contre les violences xénophobes à l’encontre de réfugiés somaliens à Worcester, dans la province du Cap, en mars 2008 photo : Aprilleticia
26
Droits humains Afrique du Sud
L
es violences ont commencé en mai 2008 à Johannesburg et se sont ensuite
étendues aux quartiers pauvres dans tout le pays, faisant plus de 60 morts
et 30 000 réfugiés intérieurs. Des milliers de personnes, secourues par leurs
pays d’origine, ont été « rapatriées » en autocar. « Ceux qui ne connaissent
pas le vieux mot zoulou pour “coude” ne sont pas ici chez eux », déclara l’un
des dirigeants de ces émeutes. A cette occasion, on entendit répéter ce que l’on entend
partout en pareilles circonstances : « Ils nous prennent ce qui nous appartient ! Nous
qui n’avons déjà pas suffisamment. »
Xénophobie en Afrique du Sud ? Y aurait-il là contradiction dans les ter- ces fatales des restructurations néolibérales et
mes ? Comment expliquer la surprise de l’opinion publique alors même de la privatisation de certains services publics
que, depuis 1997, le pays connaît un climat permanent d’intolérance et peuvent expliquer la colère et la frustration
de violence envers les étrangers ? Le projet de loi de 1999 sur l’immigra- croissantes, mais pas le choix des victimes de
tion déplaçait au sein même du tissu social le ces violences. Pourquoi s’en prendre à son
contrôle aux frontières, puisque l’on deman- voisin, un réfugié pauvre, parce que l’on ne
dait aux citoyens de vérifier autour d’eux si dispose que d’un logement d’une seule pièce
des immigrants illégaux ne bénéficiaient pas pour sa famille, au lieu de se rendre collecti-
de services bancaires, hospitaliers, scolaires vement dans les supermarchés Pick’n Pay ou
ou d’adduction d’eau. En 2002, la nouvelle au ministère du Logement ? Choisir des boucs
loi sur l’immigration actualisait l’idéologie de émissaires c’est une chose, choisir particuliè-
l’apartheid en fondant l’exclusion non plus rement des étrangers noirs dans toute l’Afrique
sur des critères de race mais de situation du Sud en est une autre. Comme on le voit si
administrative. On retrouve dans cette loi souvent, une action de masse de caractère
les échos du passé mêlés aux raffinements progressiste devient réactionnaire lorsqu’elle
contemporains sur l’art et la manière de gérer utilise et renforce d’autres systèmes de privi-
les flux de population et le marché du travail lèges : domination masculine, appartenance
à la sauce néolibérale. En outre, et toute révé- raciale ou nationale. Bien souvent, on avance
rence due à la lutte de libération nationale en aussi une explication toute faite : de tels com-
Afrique du Sud, Frantz Fanon et Edward Saïd portements ne peuvent être authentiquement
ne nous avaient-ils pas déjà mis en garde ? sud-africains, ils ont forcément été orchestrés
N’avaient-ils pas souligné que toute lutte de par des tiers. En accusant des « délinquants »
libération nationale, ou contre l’esclavage ou d’avoir incité aux émeutes, on exonère ainsi
l’apartheid, pouvait, une fois victorieuse, ac- facilement les véritables fauteurs de troubles,
coucher du pire ? « Tous les nationalismes d’abord ceux dont l’action a appauvri les mas-
sont sexistes, tous sont imaginaires, tous sont ses, et ensuite les forces de police, particuliè-
dangereux. » Face à l’innommable, les ten- rement brutales. Dans le cas de l’Afrique du
tatives d’explication n’ont pas manqué. La Sud, un certain nombre de questions demeu-
xénophobie serait-elle la conséquence d’une rent sans réponses. Combien faut-il de taxis
peur « naturelle » de l’étranger ? Mais agres- collectifs remplis d’émeutiers pour pouvoir
seurs et victimes étaient bien souvent voisins parler d’« actions planifiées » ? Trois, trente
depuis des années. S’agirait-il alors de racis- ou trois cents ? Quelles pourraient être les
me ? Peut-on utiliser le concept colonial de motivations de ces fameux « tiers » et qui tire
racisme, remontant au XIXe siècle, pour qua- bénéfice de la déstabilisation ?
lifier l’attitude agressive d’Africains noirs en-
vers d’autres Africains également noirs ? Cette Tous les acteurs politiques ont officiellement
violence est-elle assimilable à la violence lé- condamné ces violences, mais la référence
gitimée par la culture et la biologie qui a servi à une tierce partie suppose l’innocence à la
à asseoir les privilèges de la minorité blanche fois de l’Etat et de la société civile, qui, pé-
face aux populations noires ? A moins que tris d’une saine identification nationaliste, se-
la haine des Noirs ait été intériorisée par les raient tous deux dépourvus de haine envers
Noirs eux-mêmes, si longtemps colonisés ? l’étranger, tandis que la foule aurait seule-
Non. Il faut bien admettre que cette violence ment été séduite par des fauteurs de trouble.
a tiré sa légitimité d’un nationalisme et d’un A quoi rime la rhétorique des politiciens sur
chauvinisme aussi universellement acceptés la « Renaissance africaine » rappelant que
que répandus. Nous sommes des citoyens leurs pays ont autrefois aidé nos héros, alors
sud-africains, voilà pourquoi nous devrions même que l’Etat expulse les ressortissants de
avoir la préférence ! ces mêmes pays ? « Où sont donc passés nos
dirigeants ? » se lamentent les journalistes
On a souligné que la violence contre les immigrés résultait d’erreurs politi- avant de mettre enfin la main sur ce qu’il faut
ques dans les domaines du logement, de l’éducation, des services en gé- de politiciens, policiers et militaires. Cette fa-
néral, voire dans celui des relations internationales. Certes, les conséquen- çon autoritaire d’envisager le politique ignore
27
Droits humains Afrique du Sud
visiblement que ce sont ces mêmes person- sans parler des fossés qui se creusent entre plus à la réalité. Il n’existe pas une contradic-
nalités et institutions qui créent et entretien- les exclus eux-mêmes. tion unique, capitalisme ou mondialisation ou
nent un climat d’hostilité envers les Noirs non Dans ce contexte capitaliste, le projet sud-afri- néolibéralisme, dont la résolution résoudrait
sud-africains. cain, à savoir l’édification d’un Etat providen- du même coup les autres formes de violence.
ce doté d’un régime bourgeois démocratique, Sexisme, racisme, homophobie et chauvi-
Le langage de l’autorité politique est-il tou- avec une forte classe moyenne et un faible nisme sont liés et expriment localement une
jours approprié à une démocratie ? De quelle taux de chômage, semble singulièrement dé- violence répandue dans le monde entier sans
autorité avons-nous besoin ? De héros de la passé, d’autant que cet Etat providence tend qu’on puisse déterminer un point d’origine et
libération nationale ou d’une direction collec- à être démantelé dans les régions même qui un point d’arrivée.
tive mûre et responsable luttant pour des em- l’avaient vu naître. Partout dans le monde,
plois décents, pour le logement, et exigeant dans les villes, anciennes et nouvelles élites De telles manifestations locales d’une violen-
de Siemens et d’AngloGold qu’ils paient enfin coexistent avec des populations appauvries. ce mondialisée appellent en retour de nouvel-
pour les bénéfices tirés de l’apartheid ? Les Eau, électricité, logement, terrains, médica- les formes de résistance. Le croisement des
gens manifestent-ils derrière des banderoles ments antirétroviraux, services médicaux, statuts liés à la race, à la classe, au genre, à
proclamant « La diversité est bonne pour no- éducation et services sociaux sont de plus en l’orientation sexuelle ou à la citoyenneté rend
tre économie ? » La gauche désire-t-elle une plus privatisés. La pauvreté et les privations fi- chacun de ces secteurs politiques dépendant
campagne anti-xénophobie commanditée nissent par se mêler aux discriminations racia- des autres. Pour résister de façon efficace, il
par l’Etat et soutenue par des personnalités, les, aux inégalités liées au sexe, aux violences nous faut mieux comprendre comment s’arti-
ou entend-elle soutenir des collectifs insur- faites aux femmes, à la xénophobie et au vide culent l’exploitation capitaliste, le sexisme, la
rectionnels avançant des revendications ra- juridique organisé par l’Etat lui-même. Les domination hétérosexuelle, la violence et l’ex-
dicales, menaçant les fondements mêmes démocraties néolibérales limitent la participa- clusion à travers les privilèges liés à la nationa-
du pouvoir politique bourgeois et libéral, des tion politique aux élections, alors même que lité. Il nous faut mieux comprendre comment
démocraties patriarcales ? Partout dans le les peuples ont perdu toute croyance dans le sont liés victimisation et privilèges : homme
monde, des foules se livrent à des violences système électoral. Parallèlement, on met en noir mais oppresseur patriarcal ; femme sud-
dont il faut rechercher les causes dans la crise place des politiques de promotion de l’iden- africaine pauvre et violée mais en même
des démocraties néolibérales, ou « post-dé- tité nationale et de gestion des flux migratoi- temps xénophobe.
mocraties ». Ces violences de masse, inor- res. L’accès aux ressources est géré de façon
ganisées, sans direction, sont un peu rapide- inégalitaire, suivant des critères ethniques, Théorie et pratique de la résistance prennent
ment réduites à un problème de « gestion des de race, de genre et d’orientation sexuelle. dès lors des formes apparemment para-
crises ». Nous semblons surpris que de tels La participation politique est inaccessible à doxales : des immigrés pourchassés veulent
événements aient lieu dans notre Afrique du des gens considérés comme surnuméraires, trouver refuge dans des zones blanches ; au
Mexique, des femmes travaillant dans des zo-
Il s’agit également de la crise d’une gauche incapable nes franches bénéficient de plus d’autonomie
d ’ o u v r i r d e n o u v e a u x c h e m i ns d ’ é m anc i pat i o n que dans des régions rurales où règne encore
la domination patriarcale. Au lieu de segmen-
Sud d’après l’apartheid, et nous les jugeons impossibles à exploiter et politiquement im-
ter et de prioriser, il nous faut secouer en tous
conjoncturels. puissants. Que faire quand on n’est entendu
sens la toile d’araignée.
Au lieu de croire, comme toujours, que la so- par personne et qu’on n’a rien à perdre ? La
lution en Afrique du Sud réside dans la multi- violence mondialisée témoigne d’une crise de * Antje Schuhmann est chercheuse post-doctorante au dé-
plication des structures étatiques, on pourrait la démocratie et d’une crise de la représen- partement d’études politiques de l’université de Wits, où elle
objecter qu’à bien des égards, l’Afrique du tation. La violence xénophobe ne pourrait- enseigne la théorie féministe et les politiques de la diversité.
Sud se trouve à l’avant-garde des pays qui elle être considérée comme une façon radi-
échafaudent de nouvelles réponses au pro- cale d’affirmer son appartenance nationale à
blème des migrations dans un contexte de l’heure où cette même collectivité nationale
restructurations néolibérales. Partout dans le abandonne ses citoyens en surnombre ? La
monde, le mécontentement grandit contre les foule n’a aucun programme à négocier avec
immigrés et les réfugiés, entraînant mesures l’Etat, sinon « donnez-nous notre dû sans cela
répressives et création de camps de déten- on tue ».
tion. Tels sont les nouveaux modèles sociaux
et les institutions clés du nouveau millénaire. Les centres institutionnels de la société sont
« L’empire des camps » ou les « garnisons provoqués, attaqués depuis ses marges, à tra-
de l’extraterritorialité » sont les nouveaux dé- vers les corps martyrisés des plus faibles. En Amandla!
potoirs et les institutions exemplaires d’un Afrique du Sud, ces plus faibles ne sont pas Publ i é depui s av ri l 2007, est un m en-
système capitaliste mondialisé, socle d’un seulement les immigrés mais aussi les fem- s uel d’ i nformati ons , d’ a nalyses et de
Occident voué à la consommation effrénée, à mes noires et pauvres, les lesbiennes noires débats sur les processus politiques,
un mode de vie de consommateur de biens et pauvres, les femmes sans-papiers. La vio- économiques et sociaux actuels, les
bon marché. Aussi bien au Nord qu’au Sud, lence sexiste sert aussi à compenser la margi- événements et les luttes en Afrique
des populations entières apparaissent « en nalisation. Comme les immigrés, les femmes du Sud, en Afrique et dans le reste
surplus » et leurs réactions sont similaires. noires et pauvres vivent dans un statut d’ex- du monde, dans une perspective de
Les partisans de la libération des marchés ga- traterritorialité, abandonnées par la loi. Il s’agit gauche radi cal e et non sect air e.
gnent du terrain, on évoque la « disparition du également de la crise d’une gauche incapa-
travail » et, en conséquence, le fossé ne cesse ble d’ouvrir de nouveaux chemins d’éman- http://www.amandla.org.za
de grandir entre les exclus et ceux qui trou- cipation, désespérément attachée à un sujet
vent encore leur place au sein du système, révolutionnaire prolétarien qui ne correspond
28
Justice R w a n da
Batailles judiciaires
L autour du
e génocide des Tutsi du Rwan-
da est entré dans les prétoires :
génociderwandais
alors que les premières brèches
se font jour dans la vérité offi-
cielle (rapport Mucyo, plaintes
contre des officiers français), le camp
négationniste croit pouvoir compter sur Par Xavier Renou
Procès Védrine contre fait encore parler de lui. La fameuse instruc-
la justice pour circonscrire l’incendie…
Génocide made in France tion, attendue pendant des années, et cousue
de fil blanc, est en train de faire long feu. Le
En novembre 2007, Hubert Védrine est as- juge avait conclu à la culpabilité du président
actuel du Rwanda, Paul Kagamé, et émis des
Procès Péan pergé d’un liquide rouge sang par des mili-
tants du collectif Génocide made in France. mandats d’arrêt à l’encontre de l’entourage
Il s’agit d’alerter l’opinion sur l’impunité dont de ce dernier, provoquant en retour la rupture
Le journaliste Pierre Péan, auteur d’un livre des relations diplomatiques entre Kigali et Pa-
jouissent toujours les complices français du
raciste et négationniste sur le génocide de ris. C’est au titre de ces mandats que Rose
génocide. Après deux gardes à vue, une per-
1994 au Rwanda, est jugé pour incitation à la Kabuye, la chef du protocole de la présidence
quisition, la suppression des images télévi-
haine raciale. En effet, Noires Fureurs, blancs rwandaise, était arrêtée et mise en examen
sées de l’action et la mise sur écoute des mi-
menteurs reprend le discours qui fut celui des pour « complicité d’assassinats », mais lais-
litants, le procès se déroule un an plus tard à
génocidaires hutu extrémistes à propos de sée en liberté. Or, le principal témoin à charge
Paris. Deux militants (1) sont poursuivis pour
leurs victimes tutsi. Péan et ses amis, Hubert du juge Bruguière se rétracte publiquement,
violences, happy slapping (diffusion d’images
Védrine, Bernard Debré et Stephen Smith en expliquant comment il aurait été, avec son
de violences) et atteinte à l’honneur d’Hubert
tête, venus le soutenir à la barre, savaient ne consentement, instrumentalisé par des te-
Védrine, qualifié publiquement de « complice
rien avoir à craindre d’une juridiction françai- nants de l’ancien régime rwandais et les auto-
de génocide ». C’est d’ailleurs une première
se. La relaxe ne surprit donc personne. Mais rités françaises. C’est le deuxième témoin à
victoire du collectif : l’ancien conseiller de
de nombreux médias soulignèrent la proxi- accuser le juge de manipulation : Emmanuel
François Mitterrand a retiré sa plainte pour
mité significative des écrits de Péan à propos Ruzigana avait déjà découvert dans la presse
diffamation. On peut donc le traiter de com-
des Tutsi avec ceux des nazis, comme des que sa déposition avait été falsifiée pour incri-
plice de génocide publiquement ! À l’issue
génocidaires hutu, au sujet de leurs victimes miner Paul Kagamé. Un journaliste de Libé-
du procès en présence d’Hubert Védrine, au
respectives. Le crédit de ce journaliste spécia- ration avait alors révélé que Ruzigana, qui ne
cours duquel la mauvaise foi et la partialité
liste des contre-feux littéraires est désormais parle pas français, avait été privé de traduc-
se conjuguent pour empêcher que l’on parle
bien entamé. teur et aurait subi un chantage au droit d’asile
du rôle d’Hubert Védrine dans l’organisation
du génocide, une de la part du juge. C’est alors toute la mani-
peine d’amende de pulation orchestrée par le juge qui s’effondre
3 500 euros est pro- et jette le discrédit sur ceux qui y ont prêté la
noncée contre moi, main : les journalistes Charles Onana, Pierre
tandis que Mariama Péan et Stephen Smith, et les universitaires
est relaxée. Nous fai- Claudine Vidal et André Guichaoua. Il n’existe
sons appel, Védrine désormais plus aucun élément matériel ni té-
ne s’en sortira pas si moignage valable attestant de la responsabili-
facilement. té du FPR de Kagamé dans l’attentat prétexte
au génocide. Du coup, il va falloir de nouveau
s’intéresser à une possible responsabilité de
« Enquête » du la France dans l’exécution de l’attentat contre
l’ex-dictateur rwandais Habyarimana…
juge Bruguière
et arrestation Pendant ce temps-là, les génocidaires réfu-
giés en France (Claver Kamana à Lyon, Bivu-
de Rose Kabuye gabagabo à Toulouse, Agathe Habyarimana à
Paris, Wenceslas Munyeshyaka à Gisors…) et
Le juge d’instruc- leurs complices français (Védrine, Balladur,
tion très controversé Juppé, Léotard, Quesnot, et tant d’autres)
Jean-Louis Bruguière, courent toujours. Mais nous ne les oublions
Les militants de Génocide Made in France proposent des « souvenirs de la po- photo : GMIF qui s’était vu confier pas, et leurs crimes sont imprescriptibles.
litique africaine de François Mitterrand au Rwanda » à la vente aux enchères l’enquête sur l’atten-
des effets personnels de l’ancien président de la République. Espace Drouot, tat contre l’avion du 1. Dont l’auteur de l’article.
Paris, janvier 2008. dictateur du Rwanda, Xavier Renou, membre de Génocide made in France.
prétexte au génocide,
manifeste@desobeir.net
29
Justice B u r k i n a Fa s o
L Norbert Zongo
Le 13 décembre 1998, le jour- Par Lila Pour Afriques 21
naliste Norbert Zongo, son frè-
re, son chauffeur et un autre
affaire classée ?
compagnon sont retrouvés
morts, calcinés, vers Sapouy
(ville située à 100 km de Ouagadougou).
Dès le lendemain, la nouvelle se répand
gne « six suspects sérieux », tous membres En octobre 2006, Reporters sans frontières re-
partout dans le pays. La population des-
de la garde présidentielle, avec à leur tête met au procureur des « éléments nouveaux »
cend dans les rues. Plusieurs fois me- l’adjudant Kafando, chef de la sécurité rappro- et demande la réouverture du dossier. En tant
nacé de mort, Norbert Zongo enquêtait chée du président. Alors que la rue gronde, le que membre de la CEI, le secrétaire général
pouvoir institue un Collège de sages, supposé de l’organisation fournit à la justice la version
depuis quelque temps sur la mort de
faire des propositions pour résoudre la crise. complète du rapport. Les passages suppri-
David Ouédraogo, chauffeur de François D’autres institutions sont par la suite mises en més mettent clairement en cause François
Compaoré, frère du président, au Conseil
L e m o u v e m e nt c o ntr e l’ i m p u n i t é t o u j o u rs pr é s e nt
de l’entente, la garnison militaire qui
abrite la garde présidentielle. place. Leurs travaux aboutissent à la Journée Compaoré et un homme d’affaires, Oumarou
nationale du pardon, le 30 mars 2001, censée Kanazoé. Moins de vingt-quatre heures après,
Le Burkina, réputé calme, allait vivre la plus faire œuvre de réconciliation nationale en fai- la justice annonce que ces éléments ne sont
grande crise depuis l’arrivée au pouvoir de sant l’économie de la vérité et de la justice « pas nouveaux ». Le 13 décembre dernier,
Blaise Compaoré par le coup d’Etat du 15 oc- à l’occasion des dix ans de ces assassinats,
tobre 1987. Les émeutes ne semblaient pas le collectif contre l’impunité organise des
vouloir se calmer. Très vite, un collectif contre Une justice aux ordres manifestations pour obtenir la réouverture
l’impunité a été créé pour réclamer vérité et du dossier*. Un concert d’artistes engagés
justice. En parallèle, le juge d’instruction Wenceslas a lieu avec notamment Didier Awadi, Tiken
Ilboudo est nommé dans ce qu’il est convenu Jah Fakoly, Ismaël Isaac, Smockey, Zêdess,
d’appeler « l’affaire Norbert Zongo ». Il incul- qui ont sorti un album intitulé Norbert Zongo,
Réconciliation sans vérité ni justice ? pe en 2001 l’adjudant Kafando, condamné affaire classée ? Les mobilisations populaires
en 2000 à vingt ans de prison pour la mort ont montré qu’elle ne l’était pas et ne le sera
Sous la contrainte de la rue, le pouvoir met de David Ouédraogo. Mais, bientôt, la justice pas.
en place une commission d’enquête indépen- argue de son état de santé pour laisser le dos-
dante (CEI). En mai 1999, celle-ci remet son sier s’enliser, et lui laisser couler des jours pai- * La mobilisation dépasse les frontières du Burkina avec
rapport – au préalable allégé sous la pression sibles… chez lui. En juillet 2006, le juge pro- notamment le lancement d’une pétition internationale :
de deux représentants du gouvernement. Ses nonce un non-lieu pour l’adjudant Kafando. http://norbertzongo10ans.blogspot.com/
conclusions sont sans appel : le crime est de C’est un choc. Les avocats de la partie civile
nature politique. Par ailleurs, ce rapport dési- font appel mais le non-lieu est confirmé.
Manifestation, 10 ans de l’assassinat de Norbert Zongo, Ouagadougou, Burkina Faso, 13 décembre 2008. photo : André Tibiri
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Justice Côte d’ivoire
Trafigura: chèque
Propos recueillis par Paul Martial pour Afriques 21
en blanc aux pollueurs
Interview de Joseph Bréham de Sherpa
E
n 2006, la multinationale Trafigura déchargeait plus été bafoué puisque Gbagbo
a signé cette convention, qui Procès « Angolagate »
de 500m3 de déchets hautement toxiques en une disait que les trois cadres
dizaine de lieux de la capitale ivoirienne, faisant à allaient être libérés et le len- Depuis le 6 octobre 2008, s’est ouvert
demain, une décision de jus- à Paris le procès dit de l’Angolagate,
ce jour 17 morts et des milliers de victimes, dont cette affaire de trafics d’armes d’une
tice, indépendante en théorie,
certaines auront des séquelles à vie. Fin septembre ordonne la libération de ces valeur de 790 millions de $, à des-
2008 s’est tenu un procès qui n’a concerné que les sous-fifres trois cadres ! Cette transac- tination du gouvernement angolais
de cette affaire. Les vrais responsables, grâce à la transaction tion est illégale à trois niveaux : d’Eduardo dos Santos, de 1993 à
- Premier niveau, elle permet 2000. En aidant le gouvernement
faite entre la présidence ivoirienne et Trafigura, ne seront pas à l’Etat Ivoirien d’empêcher angolais à contourner l’embargo, les
inquiétés. Afriques 21 revient sur cette affaire, avec Joseph Bré- les victimes de saisir la justice, accusés, des membres de l’élite poli-
ham de l’association Sherpa qui a intenté une action judiciaire alors que ces dernières n’ont tique, économique, intellectuelle fran-
jamais signé cette convention ; çaise ont ainsi contribué à prolonger la
à Paris contre la multinationale. elle a juste été signée par l’Etat. longue et très meurtrière guerre ango-
Afriques 21. - Deuxième niveau, l’article laise. Mais un faisceau de faits indique
Pourriez-vous, en quelques mots, 2044 du Code civil ivoirien sti- que ce procès risque de s’achever par
pule que l’on ne peut transiger
présenter l’association Sherpa ? sur les conséquences civiles
une simple relaxe des accusés. Car,
c’est la condition pour que Areva,
d’un délit, et a fortiori d’un cri-
Joseph Bréham. Sherpa s’appuie sur un réseau international de juris- Bolloré, Thalès, Total obtiennent de
me, qui sont définies comme
tes. Elle agit pour que les entreprises qui ne respectent pas les droits la part du gouvernement angolais des
toutes les infractions punies par
de l’Homme indemnisent les victimes. En ce sens, elle peut ester en contrats qui les font baver depuis quel-
plus de dix ans de prison. Les
justice comme c’est le cas pour Trafigura, ou via des négociations avec trois cadres de Trafigura ont été ques temps. L’issue très probable de
ces sociétés. De plus, elle réfléchit à de nouveaux outils juridiques poursuivis pour complicité d’em- ce procès sera peut-être une occasion
pour éviter que ces infractions puissent continuer en toute impunité. poisonnement, qui est un crime que ceux et celles qui s’attendent en-
en droit pénal ivoirien. Il est donc core à ce que la République, de plus
En février 2007, un accord est conclu entre impossible de transiger sur les en plus contrôlée par le Capital, mette
Trafigura et Laurent Gbagbo. En échange de conséquences civiles de ce crime fin à la FrançAfrique vont saisir pour
et c’est pourtant ce que fait cette abandonner la dénonciation moraliste
l’abandon de toutes poursuites judiciaires, transaction, d’où son illégalité. Ce et changer de stratégie, dans la lutte
l’armateur du Probo Koala s’engage à verser 150 que je vous dis, n’importe quel ju- contre ce vampire.
millions d’euros à l’Etat ivoirien et s’engage à régler riste ivoirien vous le dira, ce n’est
donc pas une interprétation révo-
les frais de décontamination des sites. lutionnaire. - Enfin, le troisième niveau, ce même article du Code
Comment analysez-vous cette transaction ? civil précise qu’aucune transaction ne peut empêcher le ministère
public de poursuivre en justice au pénal. Ainsi Trafigura pouvait être
Joseph Bréham. Cette transaction va permettre la libération de trois poursuivie en justice, au pénal, par le ministère public quand bien
cadres de Trafigura qui ont été incarcérés suite à une décision de même cette transaction aurait été légale. C’est donc une transaction
justice. Je rappelle quand même qu’il y a un principe, celui de sans fondement juridique qui a permis de libérer les trois principaux
la séparation des pouvoirs ; la justi- responsables. C’est une magouille, c’est vraiment le terme.
Lawrence Summers, ce est donc
ancien économiste-en-chef de la Banque Mondiale : « Les censée être Vous avez déposé une plainte au mois de juillet
pays sous-peuplés d’Afrique sont largement sous-pollués. indépen-
La qualité de l’air y est d’un niveau inutilement élevé par dante de devant le doyen des juges d’instruction de Paris.
rapport à Los Angeles ou Mexico. Il faut encourager une l’exécutif. Pour quelles raisons les juges français sont-ils
migration plus importante des industries polluantes vers Dans cette compétents ?
les pays moins avancés... et se préoccuper davantage d’un affaire, nous
facteur aggravant les risques d’un cancer de la prostate avons la preu- Joseph Bréham. Il suffit pour cela qu’il y ait l’un des auteurs ou l’une
dans un pays où les gens vivent assez vieux pour avoir cet- ve absolue que des victimes qui soit français et, en l’occurrence, nous avons trois vic-
te maladie, que dans un autre pays où deux cents enfants ce principe a
sur mille meurent avant d’avoir l’âge de cinq ans. »
times franco-ivoirienne.
(The Financial Times, 10-2-1992, Le Monde, 19-5-1992).
31
31
Droits humains
Du racisme français
QUESTIONS à Odile Tobner
O dile Tobner est une écri-
v a in e , v e u v e de M on-
g o B e t i e t p résidente
d e l’a s s o c ia t io n S u r vi e France
32
Droits humains
La Charte du Mandé
une déclaration des droits de l’Homme
e n A f r i q u e d è s l e X III e s i è c l e
Entretien avec le professeur Youssouf Tata Cissé
Par Claire Guény pour Afriques 21
C
La palme revient en la matière aux mem- Mandé, berceau du futur empire du Mali,
bres de la confrérie des chasseurs, donso probablement au milieu du XIe siècle, après
tòn. L’enseignement qu’ils dispensent à leurs la conversion à l’islam du roi Baranadama,
ette « déclaration des droits élèves porte essentiellement sur la fraternité, à la suite d’une grande sécheresse qui avait
l’amour du prochain, la protection des faibles éprouvé son pays. Ce pays est alors devenu,
de l’Homme » survient alors
et des orphelins, la lutte contre la tyrannie et pour les musulmans, le champ de capture
que l’Europe, en plein Moyen l’arbitraire, d’où qu’ils viennent. Tout postulant par excellence des « infidèles ». Ce fut alors
Âge, prépare la 5e croisade à cette confrérie doit prononcer le serment la chasse aux non-musulmans, la mise à mort
suivant : « Les chasseurs n’ont de mère et de de plusieurs prêtres de la religion traditionnel-
et que les droits humains
père que Sanènè et Kòntròn et de frères que le ainsi que la destruction des objets de culte,
sont encore loin d’émerger. les autres chasseurs, quels que soient leur appelés fétiches. L’esclavage va ainsi s’éten-
race, leur religion ou leur rang social ; ils ne dre avant d’atteindre son paroxysme avec l’ar-
sont d’aucun pays, ne reconnaissent aucune rivée massive des musulmans, et surtout des
Bien qu’ils soient confrontés depuis long-
frontière, leur patrie étant la brousse, c’est-à- Maures, au milieu du XIIe siècle. Auparavant,
temps à l’influence de l’islam et au règne de
dire partout où vit le gibier. » C’est au nom de le prisonnier de guerre devait, pour payer son
la civilisation judéo-chrétienne, dont les chan-
ce credo qu’ils vont, devant les progrès de l’is- crime, travailler au profit des veuves, enfants
tres continuent encore de nier leurs apports
lam, organiser, au tout début du XIIIe siècle, la et parents de ceux qui étaient morts par sa
à l’histoire et à la culture de l’humanité, les
lutte sans merci contre ce crime incommen- faute à la guerre. Les descendants de tels
peuples mandingues, dont les Malinkés et les
surable que sont l’esclavage et la traite des prisonniers ne pouvaient être ni battus, ni
Bambaras, n’en continuent pas moins d’en-
non-musulmans, notamment noirs, vers le humiliés, ni a fortiori vendus ou mis à mort.
seigner à leurs enfants des valeurs morales et
Sahel, le Maghreb et le Proche-Orient. Cet état de servage communément appelé
spirituelles universelles.
Ce trafic commence, en ce qui concerne le « esclavage domestique » constituait la répa-
34
Histoire
ration institutionnalisée en pays mandingue. exil depuis son jeune âge, voyant que les es- ou empereur du Mandé tout entier. À cette oc-
L’esclavage « rouge », inhumain, instauré par claves transitaient entre les mains des Berbè- casion, on déclama solennellement la Charte
les musulmans, notamment arabes et berbè- res, des Maures et des Soninkés musulmans du Mandé, qui stipule le respect de la vie et
res, et plus tard par les Européens, jurait avec pour aller vers le Maroc, la Libye et l’Egypte, de la personne humaine, la lutte contre toute
cette loi-là. C’est pour mettre fin à ce crime conçoit d’éteindre l’esclavage jusque dans son discrimination ethnique et raciale, la liberté
odieux, devenu un fait banal avec l’expansion essence. Nourri par l’éducation de sa mère, d’entreprendre, d’aller et de venir, et le res-
de l’islam, et pour l’abolir que les chasseurs Soundjata s’écriait souvent : « L’homme est le pect des lois du Mandé nouveau.
et les tenants de la religion traditionnelle vont joyau de la terre, il doit à ce titre être protégé.
se mobiliser. En effet, pour qu’un pays vive et s’ouvre à la
prospérité, il doit contenir des hommes, sinon
Avant eux, Soumaworo Kanté, né au Mandé, il connaîtra la désolation et la tristesse. » Pen-
de la caste des forgerons du Sosso, province dant plus de cinq ans, Soundjata va mobiliser
vassale de l’empire du Ghana, voyant les ca- la grande majorité de ses confrères chasseurs
ravanes d’esclaves enchaînés remontant vers du Wagadou, du Sahel, des rives du lac Débo
les pays arabes, avait nourri le projet d’abolir et du Sénégal, constituant ainsi la grande ar-
l’esclavage. Il alla alors trouver les nobles ma- mée de libération du Mandé de la tyrannie
linkés, qui étaient tous des esclavagistes, et de Soumaworo. Les batailles et les victoires Sociologue, ethnologue, chercheur au
leur demanda de le suivre dans son combat se succèdent, dans la grande plaine de Krina CNRS et professeur à la Sorbonne, à la
pour l’abolition de l’esclavage. Devant leur re- d’abord, puis à Sibi et Kri et enfin à Naréna, retraite, Youssouf Tata Cissé est un spé-
fus de s’associer à un forgeron, « un homme où l’armée du Sosso est anéantie. De retour à cialiste des mythes et légendes du Mali,
vil, donc de peu de valeur » selon eux et dont Dakadjalan en 1212, Soundjata et ses confrè- auxquels il a déjà consacré plusieurs
la raison d’être était de fabriquer les armes res élaborent le serment des chasseurs, com- ouvrages, notamment « La grande geste
leur permettant de défendre leur pays contre munément appelé Charte du Mandé, visant du Mali, des origines à la fondation de
les prédateurs, Soumaworo devint le plus à abolir à tout jamais l’esclavage et la traite. l’empire » (1988), « Soundjata, la gloire
grand esclavagiste que le Mandé ait jamais « Tant que nous détiendrons le carquois et du Mali » et « la Charte du Mandé »
connu. Il revint du Nord avec une très grande l’arc, jurèrent-ils au triangle Dankun, lieu de en 1991, tous deux chez Karthala et la
cavalerie et détruisit les plus grandes métro- culte par excellence des chasseurs, aucun confrérie des chasseurs (Nouvelles du
poles de ce pays, dont Sòbè, Bali, Niani-Kou- Malinké ne sera jamais plus vendu ou troqué Sud, 1994).
roula, Dakadjalan et surtout Karatabougou, la contre du sel gemme ou des chevaux. » Dix
cité aux soixante quartiers fortifiés, patrie de ans durant, ils vont mener une lutte sans mer-
son neveu Fakoly Doumbia, le général en chef ci contre les esclavagistes de tous les pays.
de ses armées. C’est alors qu’ils intronisent en 1222, date à
Devant ce désastre, Soundjata Keïta, un simbo laquelle la comète dite « de Halley » apparut
ou maître chasseur, qui vivait dans le Nord en dans le ciel du Mali, Soundjata comme mansa Voir la Charte du Mandé en dernière page.
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développement
Grille informatique
mo n d i a l e en Afrique
Réduire la fracture numérique avec l’Afrique subsaharienne
L
Par Michel Jouvin
es discours sur la fracture les résident. Les utilisateurs sont organisés en En permettant l’accès à un outil informati-
numérique avec l’Afrique communautés (virtual organizations) qui favo- que performant et global, utilisé par la com-
risent la communication entre membres d’une munauté scientifique mondiale, la grille sort
sont devenus une sorte de même communauté. L’accès à ce « centre de l’Afrique de son isolement tout en préservant
lamentation rituelle depuis calcul mondial » ne nécessite qu’une machine la possibilité de développer des problémati-
des années. Avec sa cohorte tout à fait ordinaire. ques locales.
de programmes impuissants à changer
Il existe aujourd’hui plusieurs infrastructures Quelques exemples concrets de cette nou-
la donne tant en ce qui concerne l’accès de grilles de production, mais la plus impor- velle coopération scientifique possible exis-
à des réseaux performants à des coûts tante est Egee (Enabling Grid for E-science) tent déjà, en particulier dans le domaine des
acceptables que pour endiguer la « fuite (1), initiée et partiellement financée par l’UE. sciences biomédicales avec le projet Wisdom
Cette grille dont le centre de gravité est euro- (4), axé sur la recherche de candidats pour le
des cerveaux » qui handicape un peu
péen couvre actuellement tous les continents traitement de maladies « négligées » comme
plus les chances de développement de sauf les USA et l’Australie. C’est plus de la malaria ou émergentes comme le virus
ces pays. 250 sites interconnectés représentant plus de H5N1. En utilisant les ressources disponibles
80 000 processeurs, ouverts à plus de 200 sur la grille, différentes campagnes ont per-
Des actions sont en cours, impulsées par l’UE communautés d’utilisateurs. mis d’identifier des candidats potentiels qui
et l’UA, pour la mise en place d’une infras-
tructure haut débit, via des fibres optiques L a gr i ll e s o rt l ’ A fr i q u e d e s o n i s o l e m e nt
sous-marines, entre l’Europe et l’Afrique. Ces
projets, déjà très en retard, ne produiront pro- La France, par le biais de l’institut des grilles du font maintenant l’objet d’une évaluation en
bablement pas d’effet à très court terme faute CNRS (2), est à l’origine d’un partenariat avec laboratoire. Ce projet implique des partenai-
d’une infrastructure réseau suffisante dans deux pays d’Afrique subsaharienne, le Séné- res scientifiques de nombreux pays, en parti-
les pays concernés. gal et l’Afrique du Sud (3), pour y développer culier des pays concernés. Dans le cas de la
l’utilisation de la grille et la mise en place de malaria, il y a par exemple des partenaires en
nœud de la grille Egee. Même si théorique- Afrique du Sud (CSIR).
Face à cette situation, faut-il désespérer de ment l’utilisation de la grille ne nécessite pas
toute évolution et se résoudre à voir fuir de la mise en œuvre de ressources dans la grille, Michel Jouvin
leur pays tous les scientifiques qui ont été l’histoire européenne a montré que l’existence Responsable technique du site EGEE GRIF5,
formés au cours des années et dont le seul de ressources locales dynamisait l’utilisation membre de l’institut des grilles du CNRS
espoir d’une activité intéressante est l’émi- par les scientifiques locaux et contribuait à
gration ? Une nouvelle approche, fondée sur former un vivier d’experts pour aider les uti-
les grilles informatiques, pourrait contribuer à lisateurs à identifier les usages possibles de
changer la donne. cet outil. La grille bénéficiera des éventuelles
futures infrastructures réseau performantes
Les grilles informatiques sont une technologie, entre l’Afrique et le reste du monde, mais elle
1. Pour plus d’information sur la grille Egee, voir :
à base de logiciel appelé middleware, permet- a l’avantage de pouvoir fonctionner avec les http://www.eu-egee.org
tant d’interconnecter des centres de calcul infrastructures existantes. Cela limitera bien
dans le monde entier de telle sorte qu’ils ap- sûr le type d’application qui pourra s’exécuter 2. Institut des grilles du CNRS :
paraissent comme un grand centre de calcul sur les ressources mises en œuvre dans ces http://www.idgrilles.fr
unifié. Un utilisateur autorisé de la grille peut pays mais pas la capacité des utilisateurs à 3. En ce qui concerne l’Afrique du Sud, ce partenariat se fait en
utiliser n’importe laquelle des ressources de utiliser la ressource globale et donc à avoir ac- coopération avec l’Italie.
la grille et les données sont accessibles de cès à l’ensemble des ressources et des don-
tous les centres quel que soit l’endroit où el- nées disponibles dans leur communauté. 4. http://wisdom.eu-egee.fr
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CULTURE A FRI Q UE
37
CULTURE A FRI Q UE
« Aya de Yopougon »
des gos qui se cherchent Entretien réalisé par Awa Goudiaby et Benjamin Preciado pour Afriques 21
Entretien avec Marguerite Abouet auteur de Aya de Yopougon aux éditions Gallimard
Le point de vue est celui d’une bande de gos définie. Elle refuse d’être cataloguée comme
(« jeunes filles »), que nous suivons dans scénariste d’histoires africaines ; d’ailleurs elle
leurs vies. Elles parlent le nouchi (1), « les a un projet de BD « qui se passe en France
jeunes appellent ça le français africanisé avec avec des Blancs ». Elle vient aussi d’écrire
humour ». Dans ce milieu résolument urbain, le scénario d’un dessin animé d’Aya, sorte
la télé occupe une place importante dans d’anti-Kirikou, avec les voix d’acteurs africains
leurs vies, avec ses séries à l’eau de rose et et peut-être une bande-son avec de vieilles
ses clips vidéo. chanteuses ivoiriennes, telles que Reine Pe-
lagie et Chantal Taïba.
Certains sujets sensibles tels l’homosexualité
sont abordés ; également le métissage de la
jeunesse, qui dépasse les différences eth-
niques ou religieuses : « Il y a des familles
chrétiennes qui donnent des prénoms musul-
mans à leurs enfants, c’est fait exprès ! » Au
« problème » de l’immigration, Marguerite ré-
torque que « les jeunes ont toujours eu envie
de partir. C’est propre à tout être humain de
N
vouloir aller voir ailleurs pour se chercher ».
C’est d’ailleurs un des sujets du dernier vo-
ous avons croisé la premiè- lume, avec la venue à Paris d’un des héros et
re fois Marguerite Abouet son passage par un foyer malien. Elle tient à
dans les studios de Radio rendre hommage aux femmes de ces foyers,
qui l’ont bien aidée lors de son arrivée en
libertaire lors d’une émis- France. « A Yopougon, c’était les mères qui
sion. Nous la retrouvons à dominaient. J’étais toujours avec ces mamans
l’occasion de la sortie du quatrième tome qui assurent au quotidien. » Elle est persua-
de cette bande dessinée qu’elle écrit avec dée que c’est surtout grâce aux femmes et
à leurs associations que les choses peuvent
le dessinateur Clément Oubrerie. Nous bouger en Afrique. Elle compte d’ailleurs sur
avons immédiatement été séduits par leur aide pour son association Des livres pour
l’authenticité et l’humour de l’auteure, tous (2), qui a comme objectif de créer des
bibliothèques pour les jeunes des quartiers
qui transparaît dans la série. Marguerite
d’Abidjan et d’autres villes africaines. Mar-
a grandi dans ce gigantesque quartier guerite a demandé à l’éditeur Gallimard, qui
d’Abidjan qu’est Yopougon, avant de ve- a accepté, de faire une édition moins chère
nir en France. pour l’Afrique, car comment « faire une his-
toire avec des Africains sans qu’ils puissent
« Le héros de l’histoire, c’est Yopougon », la lire ? » À la question de savoir pourquoi Aya
nous explique-t-elle. « J’en avais assez qu’on obtient tant de succès, Marguerite pense que
nous montre comment meurent les Africains « les gens se reconnaissent ; ces gens ont les
et pas comment on vit (...) je voulais mon- mêmes problèmes que tout le monde, il y a
trer le quotidien. L’Afrique, ce n’est pas que cette chaleur, cette entraide, cette humanité
des contes, que de l’exotisme ou des livres dans Aya, ça leur fait du bien ». L’auteur s’ap-
de grands intellectuels, c’est aussi de vrais puie sur sa propre expérience pour construire
gens », ajoute-t-elle. ses personnages et comprendre leurs motiva- 1. Argot ivoirien - dictionnaire: www.nouchi.com
tions plutôt que de partir d’une histoire pré- 2. www.deslivrespourtous.org
38
Aya de Yopougon - éditions Gallimard 2008
39
1
N°
Afriques 21 nouvelle série | février 2009
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F
1. Les chasseurs déclarent :
Toute vie humaine est une vie. Que chacun entretienne, pourvoit aux be- d’une frontière à l’autre du Mandé.
Il est vrai qu’une vie apparaît à l’existence soins des membres de sa famille. La razzia est bannie à compter de ce jour
avant une autre vie. au Mandé.
Mais une vie n’est pas plus ancienne, plus 4. Les chasseurs déclarent : Quelle épreuve que le tourment !
respectable qu’une autre vie. Que chacun veille sur le pays de ses pè- surtout lorsque l’opprimé ne dispose
De même qu’une vie n’est pas supérieure res. d’aucun recours.
à une autre vie. Par pays ou patrie, faso, il faut entendre L’esclavage ne jouit d’aucune considéra-
aussi et surtout les hommes. tion, nulle part dans ce monde.
2. Les chasseurs déclarent : Car tout pays, toute terre qui verrait les
Toute vie étant une vie. hommes disparaître de sa surface, connaî- 7. Les gens d’autrefois nous disent :
Tout tort causé à une vie exige ré- tra la désolation et le déclin. L’homme en tant qu’individu, fait d’os et
paration. de chair, de moelle et de nerfs, de peau
Par conséquent, 5. Les chasseurs déclarent : couverte de poils et de cheveux, se nourrit
Que nul ne s’en pren- La faim n’est pas une bonne chose. d’aliments et de boissons.
ne gratuitement à son L’esclavage non plus n’est pas une bonne Mais son âme, son esprit vit de trois cho-
voisin. chose. ses :
Que nul ne cause du Il n’y a pas de pire calamité que ces cho- Voir qui il a envie de voir, dire ce qu’il a en-
tort à son prochain. ses-là, dans ce bas-monde. vie de dire et faire ce qu’il a envie de faire.
Que nul ne martyrise Tant que nous détiendrons le carquois et Si une seule de ces choses venaient à man-
son semblable. l’arc, la faim ne tuera plus personne au quer à l’âme humaine, elle en souffrirait.
Mandé. Et s’étiolerait sûrement.
3. Les chasseurs dé- Si d’aventure la famine venait à sévir,la
clarent : guerre ne détruira plus jamais de village 8. En conséquence, les chasseurs déclarent :
Que chacun veille sur pour y prélever des esclaves. Chacun dispose désormais de sa person-
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son prochain. C’est dire que nul ne placera désormais ne.
Que chacun vénère le mors dans la bouche de son semblable Chacun est libre de ses actes, sans pour
ses géniteurs. pour aller le vendre. autant atteindre aux lois de son pays.
Que chacun édu- Personne ne sera non plus battu, afortiori Chacun dispose désormais des fruits de
que com- mis à mort, parce qu’il est fils d’esclave. son travail.
me il se Tel est le serment du Mandé.
doit ses 6. Les chasseurs déclarent : A l’adresse des oreilles du monde entier.
enfants. L’essence de l’esclavage est éteinte ce jour,
voir article p.34