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Mélangés à du sel, les nitrites (E249, E250) sont utilisés en charcuterie, dans
les salaisons, le bacon, le foie gras. Ils inhibent le développement potentiel d
e microbes très dangereux, comme Clostridium botulinum, qui sécrète une toxine m
ortelle, la botuline. Mais on les emploie aussi pour accentuer la coloration ros
ée et l'arôme des jambons. Or leur DJA est très faible (0,1 mg/kg, voir tableau)
.
Les industriels, Madrange par exemple, ne prennent-ils pas trop de risques lorsq
u'ils remalaxent du jambon pour le servir en « Jamb-burger », avec bien sûr quel
ques milligrammes de nitrites de plus, car la viande hachée se conserve mal... L
'un des antioxydants autorisés par la nouvelle directive, l'érythorbate de sodiu
m (E316), peut cependant réduire de 25 % les doses de sels nitrités employés en
charcuterie.
Certes, il faut s'accommoder des additifs, dont l'utilité est indiscutable. Mais
a-t-on réellement besoin des colorants ou des « exhausteurs de goût » ? La tart
razine (E102), colorant azoïque jaune, provoque des allergies, surtout chez les
personnes allergiques à l'aspirine. Pourtant, on la mélange souvent au bleu pate
nté (E131), pour donner aux sirops et aux coulis de menthe fraîche leur belle te
inte verte. C'est, paraît-il, le consommateur qui l'exige. Et il réclamerait, da
ns sa glace ou son yaourt, de la curcumine jaune pour y reconnaître un goût vani
llé. Ce serait également pour le satisfaire que Yoplait ajoute du noir brillant
(E151), autre colorant azoïque, dans son yaourt à boire à l'arôme framboise ! Ma
is c'est assurément par économie que les « fruits confits » des cakes ne sont pa
rfois que... du navet coloré, doux au goût et facile à couper !
Certaines enzymes - par exemple les a-amylases ajoutées à la farine pour accélér
er la panification - sont très allergènes, mais les boulangers sont les seuls à
en souffrir, puisque ces auxiliaires technologiques sont détruits par la cuisson
. On peut aussi s'interroger sur les épaississants et les émulsifiants. Ils sont
de plus en plus utilisés pour donner du corps et de la tenue aux produits allég
és, aux sauces, aux plats cuisinés, aux boissons, aux desserts, où ils remplacen
t les traditionnels lait, crème, oeufs, farine...
Ainsi les mono- et diglycérides d'acides gras et leurs esters (E472), les sucrog
lycérides (E474) ou la prolifique famille des phosphates (E338 à 341, E450 à 452
) se retrouvent partout. Dotés d'une DJA relativement élevée (70 mg/kg), les dér
ivés des phosphates s'emploient en biscuiterie-pâtisserie, en charcuterie, en co
nfiserie, dans les boissons, les mélanges déshydratés, les nappages, les chewing
-gums, les nouilles, la pâte à frire, le surimi, les fromages fondus, les blanch
isseurs de boissons chaudes, etc. Leur rôle ? Ils stabilisent (un mélange, une a
cidité...), émulsifient, retiennent l'eau, font lever une pâte...
Injectés dans la saumure des jambons standard, ils en augmentent le volume par r
étention d'eau. On leur adjoint alors des extraits d'algues (carraghénanes...),
de plantes (gomme arabique, gomme adragante...), de fruits (pectines...), des fa
rines de graine (de guar, de caroube), des produits de fermentation bactérienne
(gomme xanthane, gomme gellane). Ces « hydrocolloïdes » empêchent l'eau d'exsude
r. Même les laits fermentés de type yaourt peuvent en contenir depuis l'harmonis
ation européenne. Il arrive désormais qu'on absorbe une trentaine de grammes par
jour de ces macromolécules. A cette dose, ils méritent surveillance (4). Normal
ement, tout comme les fibres, ils sont indigestibles, mais, en présence d'alcool
, l'intestin peut partiellement les digérer. Avec quels effets ? On l'ignore. De
plus, en les substituant aux graisses (dans une vinaigrette...), on perd certai
nes vitamines contenues dans l'huile (vitamines A, E).
On connaît tout aussi mal les interactions des additifs, et encore moins leur ef
fet à long terme sur notre système immunitaire. De nombreuses substances sont co
mmunes à des excipients de médicaments et à des aliments. Les cas d'hypersensibi
lisation à des molécules devenues allergènes ne vont-ils pas se multiplier ? Le
Pr Denise-Anne Moneret-Vautrin, de l'hôpital central de Nancy, s'inquiète : elle
a observé de tels phénomènes avec le bleu patenté (E131) et avec la carboxyméth
ylcellulose (E466), un épaississant qui accroît la « sensation en bouche » des c
rèmes glacées et des crèmes stérilisées UHT.
Sous le couvert du naturel
Mais un contre-courant se dessine. Face à la méfiance du consommateur, certains
industriels tentent de chasser les additifs, au moins de leurs étiquettes : par
exemple en utilisant des extraits aromatiques « désaromatisés » pour leurs fonct
ions colorantes (extraits de gardénia, de santal....) ou antioxydantes (extraits
de romarin). Comme les arômes ne sont pas des additifs, les extraits végétaux,
mentionnés comme tels sur l'étiquette, autorisent l'argument publicitaire « sans
colorant ni conservateur ». Ce sont les clean labels, ou étiquettes propres, qu
i aujourd'hui se multiplient.
Selon Naturex, entreprise avignonnaise de production d'arômes et d'additifs « na
turels », le marché des conservateurs naturels pourrait s'élever à 50 millions d
e dollars (250 millions de francs) en 2001, au lieu de 13 millions en 1995. Et,
au salon FIE (Food Ingredients Europe), qui réunissait à Paris, en novembre dern
ier, 770 fournisseurs internationaux d'ingrédients, d'arômes et d'additifs - con
tre 33 au premier salon, en 1986 ! -, les poudres et les liquides colorés prépar
és à partir d'épinards, de sureau ou de paprika fleurissaient. Mais, harcelés pa
r leurs concurrents et par le service de la répression des fraudes, les producte
urs d'extraits végétaux sont sur la sellette. Les Goliath de l'additif (Roche, R
hône-Poulenc, BASF...) n'ont aucune indulgence pour ces David, transfuges de l'i
ndustrie des arômes, qui bénéficient d'une législation moins contraignante. Ils
demandent que les extraits végétaux soient soumis à la codification des additifs
, le naturel n'étant pas gage d'innocuité.
Le lysozyme, une protéine extraite du blanc d'oeuf, n'est-il pas un additif pote
ntiellement responsable d'allergies ? Les solvants d'extraction sont-ils anodins
? Il n'empêche, le virage est pris. Et les industriels cherchent de plus en plu
s à obtenir les fonctions des additifs à partir des ingrédients issus du fractio
nnement des matières premières agricoles : protéines de lait, de lactosérum, d'o
euf, de soja, amidons natifs ou modifiés, extraits végétaux (5).
Le consommateur, lui, doit continuer de scruter les étiquettes. Il n'a pas d'aut
re moyen de rester vigilant. Sinon, notre alimentation, comme notre médecine, de
viendra affaire de spécialistes.
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(2) Joint Experts Food Committee on Additives, comité mixte d'experts de la FAO
(organisme des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) et de l'OMS (
Organisation mondiale de la santé).
(5) La liste des ingrédients sur une étiquette est donnée par ordre décroissant
de poids.
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Science & Vie N°953, Février 97, page 118