hapten corinthion
eo cur pore corer
SCULPTURE ROMANE ET LITURGIE
Marcello Angheben
Jusqu’au xf siécle, Yessentie! du décor monu:
mental des églises est resté cantonné aux mosaiques
et Ala peinture murale mais & partir de Van mille, il
sfest étendu & des degrés divers & la sculpture sur
pierre qui connut alors un essor sans précédent.
Cotte sculpture sest concentrée, a Vintére
pace ecclésal, sur les chapiteaux ole mobilier ltr
sigue, et extérieur, sur les portals, es proiro et les
facades frontispices, trois eréations majeures de la
période romane (ct siécles)!, Cette progression
‘quantitative s’est de surcroit doublée d’un dévelop-
pement inédit de la figuration, Des les années 1020
sont apparus dans le porche de Saint-Benoft-sur
Loire des chapiteaux historéés (fig. 1-2)2, Autour de
1040, Acceptus a produit dans le nord des Pouilles
deuxambons et un tréne épiscopal en marbre ornés
de figures animales et humaines (fig, 3-4)°. Quant
aux premiéres facades frontispices, elles ont vu le
jour vers le milieu du slécle & Saint-Mexme de
Chinon et Azay-le-Rideau, une génération environ
avant les premiers portails historiés (Jaca, Charlieu,
Toulouse, Compostelle) et les premiers protiro
(Modéne, Bari)
Les thes traits
del'es-
ces supports cozrespon-
dent en partie & ceux que l'on continuait de confier
ala peinture ou plus rarement, la mosaique: théo-
phanies, Viewge & YEnfant,récits bibliques, hagio-
131a
Yee
graphiques ou eschatologiques. Mais & cOté de ces
thémes religieux vest développé un répertoire «pro-
fane» infiniment plus étendu que dans le décor
‘mural: luttes entre homunes, entre animate animate
dévorants ou menagants, bestiaires, motifs végétaux
(Gg.5)°, Dans bien des cas, ces thémes semblent avoir
&6 investis d'une signification religicuse, les compor
tements des hommes et des animaux servant alors
exempla tant pour les simples fidéles que pour les
‘hommes d’Eglise®. Aussi doivent-ils étre intégrés dans
‘une réflexion globale portant sures rapports entre la
sculpture monumentale et Yespace liturgique.
Cette réflexion portera principalement sur
les thémes eucharistiques développés dans espace
liturgique, mais elle s’étendra également & la ques-
tion de la structuration des espaces. I! faudra en
effet s‘interroger sur la maniére dont la sculpture
monumentale des xx" siécles a contribué & struc
turer les espaces en fonction de leur hiérarchie et de
132
leurs différents usages lturgiques. Cette approche ne
peut s‘appuyer que sur un nombre relativement res-
treint de recherches. Généralement, etsouvent juste
tire, ona attribué a ces themes une fonction pédago-
gique, moralsatrice, dogmatique ou politique. Mais il
est evident que dans de nombreuxcas Vimage sculp-
‘ée se rapportait Sgalement a la fonction
de Védifice religiewx: la pratique quotidienne de la
liturgie et en particulier du sacrifice eucharistique
Les themes iconographiques étant par nature polysé-
miques, on ne peut affirmer mécaniquement que
est leur dimension liturgigue qui a été retenue
ou du moins privilégiée par le ou les concepteurs’.
Aussi faut-il pouvoir fonder cette lecture sur des
arguments substantiels. Quelquefois, certains indices,
iconographiques suifisent & la corroborer, comme la
représentation d’un calice, d'une pattne ou de pains
marqués dune croix sur la table de la Céne, mais Je
plus souvent les arguments émanent du contexte:
Fig. 3. Canosa, nthe
Arte San Sabine fle
om Acepms (os
140),
‘San Angel, muse
apie: rn de
Fabio d’Aosp ts
(1081) provemantemplacement, orientation ou thémes associés. Cest
pourquoi toute lecture de cet ordre réclame une
tude sérelle des themes potentiellement liturgiques
cet des programmes dans lesquels ils ont été intégrés,
ce que je qualife d’approche «syntaxique»®, Un tel
travail dépassant le cadre de cet essai, je ne powrai
que formuler quelques hypothéses ou pistes de
recherche fondées essentiellement sur les exemples
‘que je connais le mieux ou les mieux étudiés. Les
limites de ce cadre expliquent également pourquot la
réflexion n’a pas 6téétendue aux autres espaces litur~
‘giques ornés de sculptures — clitres,salles capitu-
laires, réfectoires —, alors que des études trés perti-
nentes ont é&é récemment consacrées & cette
question’,
Dans un premier temps, il faudra tenter de
déterminer comment la sculpture contribue & la
structuration du lieu de culte en accentuant la higres~
chie naturelle séparant espace liturgique de celul
des fidéles. Seront ensuite abordés les nombreux
thémes eucharistiques sculptés & proximité de Yau-
tel majeur. Il faudra alors sinterroger sures rapports
pouvant exister entre ces thémes et ceux, souvent
analogues, des facades, Bt pour achever ce rapide
panorama, seront abordés dautres rituels dont on
trouve des reflets dans la sculpture: le liturgic funé-
raite, la pénitence publique, les processions, le culte
des saints et le drame liturgique.
La structuration des espaces
Si Varchitecture romane présente habituelle-
ment trois partes ~ nef, transept et choeur ~, le dis-
positifliturgique ne délimite que deux aires fonction-
nellement et hiéraschiquement distinctes: Yespace
des fidéles et Ie choeur lturgique, Ce dernier se sub-
divise & son tour en deux espaces fonctionnellement
complémentaires: le sanctuaire, ot se trouve Yautel,
ete choeur des chanteurs quia d’abord prs la forme
de la schola cantorum avant de dovenir le choour des
‘moines ou des chanoines. En fonction de Fespace
dévolu au clergé, la frontitre du chocut liturgique
peut se situera Fentrée du choeur, entrée du tran-
sept ou dans la nef, Cette délimitation spatiale est
marquée par une cloture présentant selon les
poques et les lieux la forme d'une pergula ou fem-
pion, ean jubé, d'une tribune ou d'un pontils®. Dans
le monde byzantin, cette cléture ~ VYconostase ~ a
‘été progressivement saturée de peintures, mais dans
YOccident des xx" sitcles, ce support ala plupart
du temps été chargé de sculpture en pierre ou en
stue. Limportance quantitative de ce décor seulpté
134
mais aussi les thématiques qui véhicule et dont il
sera question plus loin font souvent de cete cloture
tune sorte de facade intérieure annongant, au méme
tite que de nombreuses facades, le décor développé
2 Tintériour de espace liturgique
La délimitation matérelle entre Yespace litur-
gique et celui des fdéles seffectue également par
tune surélévation du premier. La plupart des cldtures
de cheur ayant disparu, Cest souvent cette diffé-
rence de niveau lorsqu’elleestauthentique, qui per-
met de repérer V’étendue du choeur liturgique!”
Tnfin,& défaut de toute trace matérielle de sépara-
tion, on ne peut comprende le décor du choeurlitur-
gique qu’en se fondant sur celui du chceur tout en
conservant & Vesprit que la frontiére architecturale
de cet expace ne correspondat pas nécessairement
la frontive de Vespace dévolu au erg.
Comme on va Te voir le civage hiérarchique
entre Vespace liturgique et celui des fidéles a sou-
vent été accusé par une distribution différenciée des
themes, mais on peut observer dembiée quil peut
également étre mis en évidence par la différencia-
tion quantitative et/ou qualitative du décor, Four ce
qui concemne les aspects architecturaux de T espace
ecclésil — apparel, couvrement, modénature ~ on
observe dans un certain nombre de chantiers que la
partie occidentale de Y’église a fait objet d'une
attention €duite par rapport & la partie orientale,
alors que les travaux ont progressé dest en ouest. Et
pour de nombreuses églses, on peut supposer quela
Giférence de traitement est due non pas au manque
cde moyens financiers mais & limportance que Yon
accordait aux espaces en fonction de leur usage et
de leur hiérarchie"2 Si dans le domaine de la sculp-
ture on rencontre régulibyement cles phénomenes
comparables, 'ntentionnalité du recul quantitatif
et/ou qualitatif de la sculpture est plus difficile aéta-
blir dans la mesure oil svaccompagne le plus sou-
vent dun changement atelier. Cest le cas en pat-
ticulier dans trois édifiees comptant pacmi les plus
prestigieux du monde roman. A Cluny Ill, Saint-
Semin de Toulouse et Saint-Jacques de Compostele,
Ja sculpture de la nef n’est qualitativerent pas tou-
jours inféxieuze & celle du chorur liturgique mais la
figuration enzegistre un recul significa a Toulouse
et radical dans les deux autres exemples™. La rédue-
tion quantitative du décor peut également concer-
ner des ensembles dans lesquels la figuration noc-
cupe quune place secondaire. Ainsi dans I’église
dsey-Evéque (Sa6ne-et-Loire), les chapiteaux du.
cheeur et du transept sont omés principalement de
motifs végétaux dune ceraine qualité tandis que lescali Saint-Pierre,
chapiteaux de la nef ne sont occu;
feuilleslsses & peine esquissées!*
Dans ancien duché ¢’ Aquitaine, les exemples
de clivages de ce type sont trés nombreux et mérite
rajont ce ttre une étude sérielle qui serait d’autant
mieux fondée que certains ateliers peuvent y tre
aisément identifés. Le cas d/Aulnay est & cet égard
des plus instructifs. Le premier atelier, qui a travaillé
ax cheeur et au transept, se caractérise parla profu:
sion de son répertoire omemental et iconographique
tandis que le deuxidme atelier, dont intervention se
limite pour lessentiel & la nef, a développé des
formes extrémement schématiques et n/a pas exé-
cuté le moindre chapiteau histori Enfin le décor de
Ia fagade a été sculpté par un troisiéme atelier qui est
revenu & Yexubérance décorative et aux themes his
toriés du premier atelier tout en sen distinguant par
lesstyle eta taille des fgures!®. On a done clairement
valorisé les deux extrémités de V’église ~ fagade et
espace liturgique -, maintenant ainsi espace des
fidéles au second plan. Vintentionnalité d'une telle
différenciation est corroborée par la comparaison
avec le programme structurellement analogue de
Yéplise de Varaize. Le premier atelier d’Aulnay est
intervenu au chevet et sans doute & I'entrée du
chceur oii semble avoir exécut6 unique chapiteau
historié situé & lintérieur de I’difice. Dans le tran:
is que par des
sept et la nef sont intervenus deux autres ateliers
médiocres et probablement distincts du dewxiéme
atelier d'Aulnay, bien quills leur aient emprunté cer-
tains motifs et se caractérisent comme lui par ’étroi-
tesse de leur répertoire décoratif. Pour le portal en
revanche,situé ici sur le lane sud, on a fait appel au
troisiéme atelier d’Aulnay. Le programme sculpté
semble ainsi reproduire le principe de la valorisation.
du choeur et de Yentrée principale mis en ceuvre &
Aulnay.
Dans les grands programmes auvergnats ~
Mozae, Notre-Dame-du-Fort Issoire, Saint-Nectaire
Ia différenciation des espaces est également accu-
sée. On a relevé depuis longtemps que les chapi
teaux du rond-point comportaientla plus forte den
sité iconographique, constituant de surcroit des
programmes iconographiques relativement cohé-
Tents, Méme si ce sont des ateliers distincts qui
ont travaillé dans le rond-point et dans les autres
parties de Iéglse, Fintentionnalité de cette différence
de densité ne fait guére de doutes car elle distingue
le programme du rond-point non seulement de la
nef et du transept mais aussi du déambulatoire. En
Poitou, & Saint-Pierre de Chauvigny (Vienne), on
retrouve une concentration encore plus marquée des
chapiteaux historiés dans le rond-point et Yens
ble du programme sculpté peut de surcroft étre attri-
bué au méme atelier, ce qui confirme l'intentionna-
Ite du clivage est-ouest’”.
Leespace titurgique
comme figure du ciel ou du paradis
La prééminence hiérarchique du chaeur litur-
sique découlant naturellement des actes rituels exé-
cutés dans son enceinte est considérablement rer
foreée par sa symbolique paradisiaque ou céleste. Si
Ja liturgie ou ses commentaires assimilent souvent
Yensemble de Vespace ecciésial au paradis, au ciel ou
2 la Jérusalem oéleste, ils appliquent parfois cette
symbolique plus particuliérement au choeur litur-
gique™®. Au sein de Yespace ecclésial, une telle ass
millation a souvent é8 matérialisée et par const
quent renforeée par Vintermédiaire du décor. Dans
Jes premiéres églises, elle a été exprimée principale-
‘ment par les théophanies absidales: le Christ glo-
rieux entouré des Vivants, des anges ou des saints,
se tenant souvent dans un jardin dans lequel s‘écou-
lent es quate fleuves du paradis voire dans une ville
assimilable & la Jérusalem céleste comme a Sainte-
Pudentienne (fg. 6). Ces visions célestes se sont
perpétuées durant tout le Moyen Age, principale
135rment sur les peintures ou les mosaiques absidales,
Mais dans de nombreuses églises, la sculpture a éga~
Jement, et souvent pour une large part, contribué a
souligner la prééminence hiérarchique du choeur
iturgique et sa dimension paradisiaque ou céleste,
Comme on va Ie voir dans analyse théma-
tique, les théophanies n’ont ét8 que trés rarement
transposées sur les chapiteaunccar ces thémes étaient
généralement traités de maniére beaucoup plus
‘monumentale dans la conque absidale. Elles appa-
raissent en revanche fréquemment sur les clatures
de cheeur, les ciboriums et surtout les décors d’au-
tels. La dimension eéleste de espace liturgique est
également proclamée par la présence de figures
angéliques sur le mobilierliturgique comme sur les
chapiteawx. Un des exemples les plus éloquents est
la cldture du transept occidental de la cathédrale
dHildesheim oi des anges se tiennent assis dans les
écoingons de Yarcature dominant le monument,
occupant de la sorte une position prééminente
136
convenant idéalement a leur statu®®, Des anges ont
égaloment été figurés sur les ciboriums de Saint-
Nicolas de Bari, Ripoll et Compostelle. C’est d’au-
tant plus remarquable que dans les deux premiers
exemples, un ange porte un pain cucharistique™
(fig. 7-8).A Saint-Semnin de'Toulouse, on les rencon
tre sur Timposte d'un pilier du chaeur oi une frise
de tétes angéliques semble faire écho auxanges figu-
rés sur le décor de I'autel. De maniére également
significative semble-t-il, des anges figurent & len-
ée du chceur dOrcival et de Sainte-Colombe
(Charente)",
A cbté de ces thémes assimilant I'espace litur-
gique au ciel, on rencontre des the
quement paradisiaques. Exceptionnellement, le para-
dis peut étre évoqué directement par 585 quatre
fleuves. En Bourgogne, le theme a été figuré en pein-
ture sur Vare absidal de Ber76-la-Ville (fig. 10) et sur
tune série de quatre chapiteaux situés dans le chceur &
‘Cluny (fg. 9) et Autun, entrée du choeur liturgique
2s plus spécif
ie de Pabeide
ig, 7. Bar basin
Saint Nica, tarot
Fig. 8. Bari, basique
Saint-Nioes, chap
sax du cori de
ate! majeur
Fernie chapitean deAAnzy-Le-Duc (ig. 11) et dans la tavée précédant cet
espace & Vézelay*. I! parait donc évident que dans
cette région, on a fait un usage structurellement ral-
sonné de ce théme dans le but de renforcera symibo-
lique paradisiaque de l'espace liturgique™.
Ailleurs, le paradis peut étre évoqué par sa
faune et sa flore, mais Vinterprétation paradisiaque
de cos thémes trés largement répandlus est difficile
ment démontrable lorsqu’elle n'est pas corroborée
parle contexte, Sur les clotures de cheour figure p:
fois un arbre de vie peu
hautement valorisés comme le paon, ainsi qu’on
oir sur les chancels de la cathédrale de
Ces animaux paradisiaques peuvent éga-
Jement apparaitre sur le décor de Vautel et sur celui
des chapiteaux. Ainsi dans le Midi de la France, des,
oiseaux figurent sur une importante série d’autels,
seulptés entre lépoque paléochrétienne et la période
romane””. Ce choix thématique est particuliéremer
significatif dans le chceur de Saint-Semin de
‘oiseaux ou d/animaux
‘Toulouse ott des oiseaux trés semblables figurent &
la fois sur la céldbre table du maitre-autel sculptée
sar Bernard Gilduin et sur un chapiteau des piliers
du choeur, C'est d’autant plus significatif qu’on ne
rencontre pas dans cet espace danimaux clairementdémoniaques mais uniquement des oiseaux et des
lions, ceux-ci étant de surcroft hiérarchiquement
subordonnés & ceux-li On retrouve un respect ana:
logue de la hiérarchie entre oiseaux et lions en
Bourgogne, dans une importante série de six églises,
ainsi qu’a Notre-Dame-la-Grande de Poitiers”,
Dans ces différents ensembles, l'absenc
ouvertement présentés comme menagants ot
danimaux
démoniaques et la prééminence accordée aux
oiseaux semblent accroftre es dimensions céleste et
paradisiaque de espace liturgique
Enfin, cos dimensions peuvent étre exprimées
par Ie rejet des scenes violentes ~ luties entre
hommes ou entre animaux, animaux dévorants ou
rmenagants — et des figures démoniaques a Yexté
ace. I semble assez logique que Yon
ématiques d'un lieu asi-
rieur de cet
ait souhaité carter ces th
milé au paradis, un séjour céleste accessible uni-
quement aux anges, aux saints et aux justes. Les
usages montrent pourtant qu’aucune régie n’était
observée & cet égard puisque ces thematiques
ont été développées dans quantité de programmes
de chesurs liturgiques. Lorsqu’au contraire elles
en ont été écartées, il convient donc de montrer
au cas par cas que ce rejet est intentionnel, en se
fondant notamment sur la figuration de themes
liturgiques ou paradisiaques dans te choeur litur
gique ou la présence de figures néfastes dans I'es
pace des fidales établissant un contraste marqué
centre ces deux aires. On peut I'observer dans une
remarquable série déglises bourguignonnes,
comme a Cluny, Anzy-le-Duc ou Saint-Laurent
en-Brionnais. observation peut étre étendue &
d'autres ensembles mais pourle montrer, i faudrait
multiplier les études régionales abordant systéma-
tiquement les programmes sculptés sous cet angle
Fig 10, Bera lV
se prio Tata
Tess
(uatre os plateLes themes eucharistiques
des cheeurs liturgiques
En abordant la question’ des rapports entre
sculpture romane et lturgie, on serait tenté de s‘at-
tacher dans un premier temps aux représentations
de la pratique liturgique, mais celles-ci demeurent
extrémement rares en dehors des cycles hagiogra-
pphiques et on ne les rencontre guére dans Yespace
délimité par la cloture de choeur®, Parmi Tes excep-
tions, on peut citer les chandeliers de Capoue et
de San Giovanni del Toro oi a été figurée la c&ré.
monie de Vallumage du cierge pascal. Il convient
&galement de mentionner une évocation directe du
chant grégorien, méme si elle ne s‘effectue que par
Je truchement des inscriptions. Deux chapiteaux du
rond-point de la grande abbatiale détruite de Chuny
montrent chacun quatre musiciens ~ alors que la
musique instrumentale était théoriquement pros-
crite dans V'enceinte de I’glise — et non des moines
psalmodiant, mais les inscriptions qui les accompa-
gnent évoquent les hut tons du plain-chant (ig.
12)®. Si cet exemple montre avec éloquence que les.
thémes développés dans espace lturgique peuvent
se référer spéeifiquement & Fune de ses fonctions, il
confirme d’un autre cété que Viconographie nillus-
‘re généralement pas lttéralement le rituel
ILen va de méme pour les nombreux themes
dont il sera question dans cette section puisque ce
sont pour la plupart des thémes bibliques se référant
plus ou moins directement a Veucharistie. Encore
tune fois, est Yapproche syntaxique qui permet le
plus souvent de déterminer sic'est bien leur dimen-
sion litargique que le concepteur a souhaité mettre
cenavant, Aussi importe-t-ild’examiner leurs empla-
cements et les programmes iconographiques dans
lesquels ils sinsérent. Une attention toute particu-
Iigre sera accordée aux théophanies car elles consti-
‘tuent le theme le plus récurrent dans les absides, les
ddécors aut et sur les facades dont il sera question
dansla section suivante. Seront ensuite abordés suc-
cessivement les paradigmes vétérotestamentaires, les
sujets néotestamentaires et, pour terminer le theme
de Vanimal buvant dans un calic
Les théophanies
Les théophanies des églises orientales ont
depuis longtemps été interprétées dans un sens
liturgique mais curieusement, cetle lecture n’a
presque jamais été envisagée pourlesinnombrables
théophanies figurées dans les églises romanes, &
commencer par celles de la conque absidale™.
Comme elles comportent la plupart du temps des
composantes issues des visions de Anonyme ou de
YAgneau (Ap 4 et 5), on y a généralement vu des
teprésentations de la Seconde Parouse, le retour du.
Christ & la fin des temps. Se fondant sur Yexégise,
Yves Christe a pourtant montré que ces visions
divines ne devaient pas nécessairement étre situées
dans le temps de I'eschatologie™. D’auires argu:
‘ments coroborent Vactualité de ces visions et sue:
tout leur lien avec la liturgie eucharistique.
Dans cette perspective, la figuration du Christ
gioriewx entouré des Vivants de I’Apocalypse,
anges ou de saints serait destinée a matérialiser sa
présence dans Iéglise au milieu des fidéles au début,
du canon de la messe, aut moment oi cette présence
est sollicitée & travers les mots du Vere digmm. Cette
raison par laquelle commence la préface invoque
cen effet les higrarchies clestes et le Christ par lequel
les anges rendent grice au Pére™, Liaison est sui-
vie par le chant séraphique du sanctus emprunté & la
fois’ Isaie (Is 6,3) et & I’Apocalypse (Ap 4 8). illus
tration du sacramentaire comporte généralement ces
figures divines et angéliques, confirmant ts explici-
tement qu’elles sont réellement présentes dans le
lieu de culte au moment oit ces paroles sont pronon-
cées. De maniére exceptionnell, le sacramentaire de
Metz (vers 870) comporte une illustration pout le
Vere dignum et une seconde pour le sanctus, la pre
mire rassemblant les neuf ordres de la hiérarchie
angélique autour de la Maiestas Domini — le Christ
139entouré des Vivants de Apocalypse — tandis que la
seconde montre le Christ flanqué de deux séraphins
(Gg. 13). Mais dans la grande majorité des sacramen-
taires,Vllustration de la préface ne comporte qu'une
mage, la Maiestas Domini parfois accompagnée d’un
ou plusieurs séraphins voire un chérubin tétra-
morphe isolé comme dans le sacramentaire de
Drogon™. Dans le sacramentaire de Saint-Denis
(x sigcl), le Chaist entouré des Vivants, de dix anges,
et de deux séraphins surmonte un oratoire dans
lequel apparaft un autel, matérialisant ainsi la pré~
sence dans le lieu de culte de ces étres eélestes invo-
qués dans le Vere dignum. Dans le contexte du sacra~
mentaire, la Maiestas Domini se rapporte donc bien
‘aux temps présents et plus particuligrement la pré-
sence du Christ et de ses anges dans I’église au
‘moment du canon.
Ce type de théophanie se retrouve sur la
majorité des retables et des antepencia, quils soient
en métal, en bois peint, en stuc ou en pierre. Ils
‘ont pourtant gure été interprétés dans une pers
pectiveliturgique. Compte tenu des étroites analo-
gies avec liconographie des sacramentaires et de
Yemplacernent de ces théophanies, cette interpré-
tation semble pourtant s‘imposer, en particulier
lorsque le Christ est accompagné de séraphins ou
de chérubins. C’est le cas notamment sur la plaque
antéricure de 'autel de Ratchis (Cividale du Frioul,
737-744) oii le Christ est flanqué de deux anges
combinant des composantes iconographiques pro-
pres aux séraphins ~ six ales ~ et aux chérubins —
les les constellées d'yeux™. Sur Vantependium du
maitre-autel de Saint-Denis offert Yabbaye par
Charles le Chauve, une ceuvre disparue mais tepro-
duite sur un tableau du xv sidcle, deux chérubins
volent au-dessus dune théophanie dépourvue de
la traditionnelle représentation des Vivants, autre-
‘ment dit dans un contexte iconographique indé-
pendant de toute référence & I’ Apocalypse, On
retrouve les deux ordres supérieurs de la higrarchie
angélique sur plusieurs autels portatifs”. Enfin, des
anges pourvus de quatre ailes— sans doute des ché-
rubins ~ accompagnent une Maiesias Domini sur les
peintures du retable magonné de San Pere de
‘Terrassa (x sidcle)®.
Pour les retables ou antependia, infiniment plus
nombreux, dont le programme est dépourvu de
séraphin, de chérubin ou de toute autre allusion
directe aux liturgies céleste ou terrestre, l'nterpré-
tation eucharistique est plus difficile & étayer. On
pourrait méme considérer que la simple présence
des deux premiers ondies de la higrarchie angélique
140
ne suffit pas a établir. On peut toutefois supposer
{bon droit que le décor de Yautel devait se rappor-
ter préférentiellement & sa fonction, de la méme
manidre que les décors des fonts baptismaux, des
calices ou des patines se réferent le plus souvent &
Jeur fonction liturgique®. Il en va de méme pour les
autels portatifs sur lesquels figurent souvent des
représentations des paradigmes vétérotestamen-
taires du sacrifice eucharistique, et en particulier
les sacrifices mentionnés dans Yoraison Supra quae
dont il sera question dans la section suivante: ceux
d’Abel, de Melchisédech et d’ Abraham. On les ren-
contre ensemble ou séparément sur les autels por-
tatifs de Darmstadt, du Musée national du Moyen.
Age & Paris, d'Osnabrtick#, de Berlin's, de Mén-
chengladbach'®, de Cologne", de Bamberg! et de
Stavelot®, Orla plupart de ces ceuvres comportent
tune théophanie: une Maiestas Domini ou le Christ
entouré des apdtres", De maniére encore plus
significative, autel portatf d’Hildesheim a associé
au Christ entouré des apétres et de la Vierge ut
prétre officiant devant un autel sur lequel ont ét
déposés un calice et une paténe®*, Sur ces autels,
d'un type particulier le lien entre théophanie et
liturgie eucharistique semble évident. Ly a ds lors
Ge fortes probabilités pour que les théophanies des
retables et des antependia se rapportent également
8 la présence divine dans I’église au moment dt:
sacrifice de aul. Cette interprétation est en tout
cas beaucoup plus appropriée a la fonction de ce
support que celle du retour du Christ & la fin des
temps.
Des observations analogues peuvent étre faites
au sujet des théophanies absidales. Apparues trés
précocement, elles sont restées durant tout le Moyen
Age le theme dominant de ce point focal de espace
ecclésial. Dans les églises coptes, leur dimension
ceucharistique est confirmée par deux indices icono-
graphiques: la mention du trisagion sur le livre
cexhibé par le Christ dans la salle 6 et dans la chapelle
XVII de Baouit, un pain cucharistique et un calice
tenus respectivement par saint Piette et saint Paul
dans la chapelle n® XLV du méme site, En
Cappacoce, cette dimension s'est exprimée princi
palement & travers les nombreuses figures de séra-
pphins et de chérubins entourant le Christ (fg. 14)®.
En Occident, les théophanies absidales ont égale-
‘ment accueil tr tot ces figures angéliques. A Santa
Maria Antiqua (757-767), le Christ du cul-de-four
est danqué de deux chérubins tétramorphes®!.Tou-
jours & Rome mais un sigcle plus tard, les peintures
de Santa Maria in Gradeltis ou del Secundicerio
|
|
ig. 13. Sacrament
ie Mere (ors 670,
Paris, Br ms. a
AISI, £5 bation
tu sce.(872-882) ont combiné une ss Domini avec
deux anges hexaptéryges®.
Et A partir du x° sige, les compositions de ce
type se sont multiplies de maniére exponentielle™.
(On en trouve une concentration remarquable dans
‘une région transfrontaliére comprenant a Catalogne
ct VAritge: Saint-Pierre de Montgauch, Sainte-
Marie de Vals (Ariége), Sainte-Marie et Saint-
Clément de Tatil (Hg. 15), Sant Sernf de Baiasca,
Santa Eulalia d'Rstaon, Sant Pau d'Tsterri de Cardés
(Lérida), Sant Tomas de Fluvia et Santa Eulalia de
Vilanova de la Muga (Gérone). Dans ces théopha-
142
nies figurent régulitrement, en plus des compo-
santes déja citées, anges Michel et Gabriel
que on qualife traditionnellement d’avocats en rai-
son des inscriptions qui les accompagnent™. Cette
série est d’autant plus importante qu'elle comporte
trois indices iconographiques confirmant leur por-
eucharistique. Pour commencer, le chérubin et
la Maiestas Domini a’ Esta
sont accompagnés de la triple mention du sanctus.
Ensuite, aVals et Ester de Cardés, ces mémes anges
tennent un encensoir, comme on peut également le
voir Maderuelo (Ségovie). Or dans la liturgie de
hin entoura
Fig. 14, Kii Cur
res), Hack
cde four: hSophane
compost,Yautel, le principal encensement pratiqué lors des
messes ordinaires s‘effectue sur les saintes espces
aprés Toffertoire, juste avant la préface durant
laquelle sont précisément invoquées les hiérarchies
célestes®®, De plus, & Estersi de Cardés, des objets
liturgiques dont un calice figurent aux pieds des
ele
anges. Ce troisiéme indice semble stipuler
chérubin et le séraphin encensent les saintes espces
offertes & Dieu au moment olt Yoffciant ow un aco:
te pratique ce méme rituel autour de ’autel. Cette
omposition permettait ainsi au clergé et aux fideles
de visualiser la réalité immatérielle de la liturgie
céleste pratiquée en méme temps que la liturgie ter-
restre, telle que évoquaient les textes et en particu
lier les chants et les oraisons du canon de la messe.
En dehors de cette série, la dimension eucha-
ristique des théophanies absidales peut transparai
tre travers d’autres indices iconographiques. Dans
le-four de Saint-Nicolas de Tavant, le Christ
cot entouré par les Vivants, de simples anges et de
deux anges hexaptéryges dressés sur des roues de
feu combinant, comme sur lautel de Ratchis, des
caractéristiques propres aux séraphins ~ les six ailes
ct aux chérubins —les roues de feu. Mais le plus
important ici est que les anges tendent dans la
direction du Cherist des objets dans lesquels on peut
reconnaitre des hosties et des calices. Ils représen:
teraiont alors de maniére étonnamment littérale
et
Vange du sacrifice invoqué dans le Supra
dans le Supplizes pour qu'il apporte & Fautel divin,
Phin
Fig. 18 Toulouse
Saint Sern plague
ledéambularve,
Maietas Doedevant la majesté divine, le sacrifice offert & lautel
terrestre”.
‘Comme pour les retables et les antependia se
pose la question de applicabilité de cette lecture
‘eucharistique aux théophanies dépourvues dindices
iconographiques aussi explcites et ce sont globale-
sponses que Von peut avancer.
D'une part, il semble légitime de privilégier une
interprétation conforme la fonction du lieu. D’autre
part, ces compositions sont souvent accompagnées
de paradigmes vétérotestamentaires du sacrifice
eucharistique, comme on le verra plus loin.
A importe
encore de préciser que linterprétation liturgique des
théophanies absidales n’implique aucune exclusive,
autres niveaux de lecture ayant pu s'y superposer:
dogmatique ~ notamment en relation avec Ia ques-
tion de la présence réelle® ~ voite politique, Mais
en Vabsence d’indices iconographiques substantiels,
il me semble difficile de fonder de telleslectures®
La lecture eucharistique étant peu tépandue
dans Phistoriographie, il pourrait sembler prématuré
ou pétilleux de la transposer & la sculpture m
mentale. Il me parait toutefois nécessaire dans le
cadre de cet essai de brosser & grands traits les
contours de cette hypothése, tout en reportant des
publications ultérieures les recherches plus appro:
fondies qu’elle réclame.
Le lien entre les théophanies absidales et la
sculpture monumentale est clairement établi par les
plaques sculptées encastrées dans le déambulatoire
de Saint-Semnin de Toulouse, attribuées a Bernard
Gilduin, qui devaient probablement constituer Van-
tependium du maitre-autel (Bg. 16-18). La plaque
centrale comporte une Maiesias Domini tandis que
Jes dew plaques latérales montrent chacune un ange
doté de deux ailes et portant un phylactére dont
inscription mentionne le triple sanctus et qualifie
son propriéiaire de chérubin & gauche et de séraphin
8 droite. Le séraphin occupant le sommet de la hig
rarchie angélique, sa place devrait logiquement se
trouver & la droite du Christ et non & sa gauche,
Yaborder la sculpture romane,
mais cette inversion hiérarchique est explicitement
mentionnée par inscription de l'arc et semble par
conséquent avoir été pleinement assumée par le
concepteur. D’autant qu'elle se retrouve, 3 une
exception pres, dans la série des théophanies cata
lanes et ariégeoises évoquée précédemment. Cette
étroite parenté structurelle confirme que la théopha-
nie de Yautel comespond & celle des culs-de-four.
Cette parenté s/étend également a la triple mention
clu sanctus qui établit fermement dans les deux cas
146
‘unien avec la iturgie euchatistique. A Toulouse, ce
lien est de surcroit corroboré par les mots pax nobis
inserits sur le livre exhibé par le Christ puisque ces
paroles prononeées par Ie Ressuscité sont reprises
parle prétre au moment de la collecte™
On retrouve une composition analogue sur les
facades des tribunes de Serrabone et Saint-Michel
de Cwa, Comme Ia récemment souten de maniére
tubs convaincante Eduardo Carrero, la tribune de
Serrabone a probablement été congue pour empla-
cement ob elle se trouve et non pour servi de cheeur
‘occidental et la tribune démemirée de Saint-Michel
de Cuxa devait également sever & extrémité
orientale de la nef, Quelle que soit option rete
nue, essentiel pour mon propas est que ces tribuines
constituent la fagade dun espace liturgique. Celle-ci
comporte une Maiestas Agni ~ 'Agneau entouré
des quatre Vivants ~ accompagnée de deux anges
hexaptéryges®. Le remplacement de la tradition-
nelle théophanie anthropomorphique par 'Agneau
sxplique vraisemblablement par la contrainte du
cadre, Le milieu de la composition étant oceupé par
une arcade, i fallait que la figure divine soit désaxée
et logée dans un écoingon, un espace convenant
davantage & la figure de ’Agneau inserite dans un
médaillon qu’é un Christ en gloire. Sur le plan
Fig. 19,56
(Pyrndes vinta),
tne,sémantique, cette différence ne constitue nullement
tun obstacle a Yinterprétation cucharistique. Elle la
renforce au contraire piisque l Agneau représente le
Christ sacrfié et que son image surmonte presque
systématiquement Yautel majeur depuis ’époque
paléochrétienne, comme on peut le voi & Saint-Vital
de Ravenne. A Cua, Vinterprétation eucharistique
est confirmée parla présence d'un ange thuriféraire
sur Yun des chapiteaux conservés. Ce théme rap.
proche de surcroit cette composition éclatée de
celles, beaucoup plus compactes mais iconogt
quement analogues, des absides catalanes et arié
_geoises. Aussi peut-on avancer que la facade de I
pace liturgique de Serrabone a joué un réle
fdentique. On pourrait méme supposer, avec toute
la prudence qui s‘impose face & de tells inconnues,
«que les absides de Serrabone et de Cuxa compor-
taiont des théophanies de ce type dans la mesure od
elles sont exceptionnellement récurrentes dans les
régions voisines. Il faudrait alors en déduire que les
sculptures étaient également destinées & annoncer
sions polychromes, dans un effet
de feuilletage de espace, ou offi au simple fiddle,
aux yeux duquel la tribune masquait 'abside, Yimage
de la présence divine dans son église. Il faudra reve-
ni plus longuement sur ce probable effet de feulle-
tage lorsque seront évoquées les théophanies des
facades.
‘Comme pour le décor de Vautel et du cul-de~
four, et toujours pour les mm
ture eucharistique peut étre étendue aux compos!
tions dépourvues de chérubins, de séraphins ou de
toute autre allusion directe au saint sacrifice, Celles-
ci demeurent cependant trés rares & Vintérieur des
églises et elles devraient de surcroit étxe abordées
s raisons, cette le
non pas isolément mais dans leurs contextesrespec-
tifs, On peut néanmoins le supposer pour les cl
tures de choeur comme celle ’Halberstadt. A Parre
ona conservé une plaque provenant d'un pontile ow
plus probablement d’un ambon montrant une
Maiestas Domini accompagnée de deux grands anges
et des Peres de I'Eglise"”. Quelle que fut son empla-
cement initial, il me semble que I’hypothése d'une
Jecture eucharstique peut etre étendue & cette couvre
ainsi qu’aux nombreux ambons comportant une
théophanie, en particulier quand ils marquaient la
frontiére de Yespace lturgique au méme titre que les
clotures de choeurs*,
Les ciboriums constituent un autre support
accueillant des théophanies sculptées. Ainsi, sur la
{face septentrionale du ciborium de Civate figure un
Christ en gloire porté par des anges, un théme fré
147quemment représenté dans les absides du centre et
du sud de Italie (fg 20). La lecture liturgique est
corroborée par la présence de deux themes lis & la
Passion — la Crucifixion et la Résurtection ~ sur les
faces occidentale et méridionale. En revanche, le
théme tourné vers le cul-de-four~ la Tradito legis ~
est manifestement dépourvu de valeur spécifique-
ment eucharistique. Cet exemple montre ainst avec
tant d’autres qu’on ne sauraitinterpréter systémati-
quement les théophanies des espaces liturgiques
dans un sens eucharistique®
Sure chapiteaur, les théophanies de l'espace
liturgique ne sont pas beaucoup plus nombreuses,
sans doute parce qu’elles devaient sembier redon-
,A Saint-Nicolas de Bari,
des anges portant une hostie apparaissent sur
les écoincons du portal occidental et str le cibo-
ritun™, Enfin la grande croix commanditée par
Suget pout le cheeur de Saint-Denis seinible avoit
G:é congue en relation avec celle du Jugement der
rier figurée sure portal occidental puisaw'une ins
cription Yassimilait spécifiquement & la croix de la
Parousio!5
Fig. 30. Moa
Sain Pier, posed
sud.
aiaCes différents exemples montrent de manire
suffisamment éloquente que I'on a cherché & tabi
un lien visuel et par conséquent structurel entre la
facade et espace liturgique, sans doute pour mon
teer que la premire annonce le second. La facade
offiait ainsi au fidBle une vision divine anticipant
sur celle qui allait simposer & son regard sur la cl6-
ture de choeur ou dans Yespace liturgique, produ
sant ainsi un effet de feuilletage de Vespace.
Les théophanies
Les thémes développés sur les portals sont
nombreux et extrémement diversifiés, et certaines
particulerités iconographiques parfois trés explicites
indiquent que leurs programmes iconographiques
correspondent aux préoccupations spécifiques du
commanditaire: exaltation du saint patron ow
d'un saint dont on posséde des reliques, affirmation
dun dogme défendu localement, évocation d’une
situation ou d’événements politiques dont dépend,
Vinstitution religieuse, etc: I n’en demeure pas
moins que sur la grande majorité des facades appa-
raft au moins une théophanic. Elle peut demeurer
extsémement diserdte comme les représentations de
!Agneau divin, simposer au contraire au centre du
portail ou au sommet de la facade, ou encore s'ins-
rire dans des compositions éminemment complexes
comme celles du portail central de Vézelay, du porche
de Moissac (fig. 30), des facades d’Angouléme, de
Ripoll (fig. 31) et de Fidenza ou des portails compor-
tant un Jugerent cemicrtels ceux de Macon, Autun,
Beaulieu, Conques, Compostelle ou Farme. Aussi
convient-il de se demander si cette omniprésence
divine ne révele pas un niveau de signification géné
ral sajoutant aux niveaux sémantiques propres &
chaque programme ou les
Uépigraphie apporte un premier élément de
réponse dans la mesure oli es thématiques dévelop-pées sont souvent analogues. Comme ’a bien sion:
tné Robert Favreau, elle se concentre en eflet sur deux
grands thémes:’éplise est une figure de la Jérusalem
céleste ou du paradis auxquels donne acct
a porta
t cette porte est le Christ Iui-méme, confor-
‘aux paroles rapportées par Jean: ego sum
cstv aver (Jn 10,7) [1 ego sur ostiunt. Per me, si
quis intr turn 10,9)". It semble done
bien exister des niveaux de lecture généraux applica
bles aun grand nombre de portals
¥épigraphie demeure en revanche trés discréte
au sujet de la liturgie eucharistiquet®® I me semble
néanmoins que cette lecture doit étre envisage, Si
Yon admet Vinterprétation eucharistique des th
phanies absidales et Vidée selon laquelle ces théo-
phanies sont annoncées ou refiétées par celles des
facades, on en déduira que ces demniéres peuvent
également posséder une dimension liturgique. Cette
supposition peut s‘appuyer sur des arguments ico-
nographiques substantiels dans le Sud-Ouest de la
France of, on Ia vu, il existe une parenté tres
Gtroite entre les théophanies absidales, celle du mai-
tre-autel de Saint-Sernin de Toulouse et les tribunes
de Serrabone et Cuxa. On en retrouve en effet les
Penalmposantes prin
plus probablemen
fet appliqué
e en tout ¢
duit les principalquelles se sont ajoutés les Vieillards de Apocalypse
Gg. 30)", En Bourgogne, trois portals comporten
tune vision glosieuse du Christ accompagné de séra-
phins ou d’un séraphin et d’un chérubin, dans
un schéina emprunté plus ou moins directement
au theme de VAscension: Perrecy-les-Forges,
Chartieu (portal nord) et Semur-en-Bronnais!. Si
ces différents portals comportent des anges suppo-
sés chanter le sanctus, cet indice n’est pas suffisant
pour postuler que les théophanies qu'ils accompa
gent évoquent précisément la présence du Christ &
Vintérieur de Yéglise au moment du canon de la
esse.
A Notre-Dame-du-Port en revanche, un
indice majeur permet de corroborer cette lecture
fig. 33). Le tympan montre un Christ tronant flan.
qué de deux grands anges hexaptéryges et surmon-
tant deux des quatre Vivants: le boeuf et le lion.
Quant au linteau, ila été consacré & trois épisodes
de la vie du Christ: I'Adoration des Mages, la
Présentation au Temple et le Baptéme. S'ajoutent
enfin &ces deux composantes des reliefs entourant
le portail et sur lesquels figurent Isaie, Jean
Baptiste, 'Annonciation et la Nativité, Sur Ie lin
162
teau, la succession de tableaux narratifs est domi-
née en son centre par le Temple de Jérusalern, un
édicule abritant un autel au-dessus duquel est sus
pendue une lampe™, Pour pouvoir lui accorder cet
emplacement a la fois central et plus étendu en
hauteur, on a da resserrer la composition dans la
moitié droite du linteau, ce qui confirme Fimpor-
tance aecordée & ce theme. De plus, le Christ du
tympan était entouré d’un édicule comparable &
celui qui abrite Yautel de la Présentation. Il semble
done qu’au sein de ce programme dont les niveaux
de lecture sont probablement nombreux et com-
plexes, la dimension liturgique a été volontaire-
‘ment mise en évidence.
Le programme de
demeure cependant exception!
thes
Notre-Dame-