Escolar Documentos
Profissional Documentos
Cultura Documentos
!f
a UlnZalne
littéraire du 16 au 30 sept. 1970
La blessure du soleil
LA QUINZAINE
André Biély jambes! De tout son corps, de certes l'infidélité est patente:
1
Poèmes adaptés par sa seconde âme, avec en plus images disparues, images ajoutées,
Gabriel Arout r âme de son corps, et encore la variations libres à partir d'un
Gallimard, 119 p. vie propre et indépendante de thème, tels ces quelques vers amu-
son échine de chef t:lorchestre... :t sants qu'en vain on cherchera
Comme pour illustrer ce film dans l'original:
Du geme protéiforme d'An- dansant des gigues de Biély, Ga-
dré Biély. poète symboliste, briel Arout a centré son petit re- Et cependant je fais grand cas
romancier, philosophe. théori- cueil sur le plus long et le plus Du monde et de ses vains
cien de la forme littéraire, acrobatique des poèmes de Biély, plaisirs
sismographe affolé des séis- ce merveilleux Premier Rendez- Je flotte au souffle du zéphyr
mes du premier tiers du vous qui fut écrit en 1921 à Pétro- M'ébrouant comme un jeune
XXe siècle. Gabriel Arout a grad (et non cn 1906, comme il veau
choisi de nous donner une est dit par une regrettable erreur). Je meuble et trouble mon
des facettes. l'une des plus Sur le rythme dansant et mali- cerveau.
précieuses, celle du poète. cieux d'Eugène Onéguine, le vers
iambique tétrapode, il s'agit La méthode de l'adaptation
, d'une chronique musicale de quel- bre est dangereuse, mais pas pour
Et certes pas toute la poésie de ques moments saillants dans la le virtuose qu'est Arout, rompu à
Biély, car il y faudrait bien plu!l biographie revécue de Biély jeu- tous les jeux de l'adaptation. Di-
que ce petit recueil. Mais assez ne homme, sorte de Genèse à la sons pourtant que la méthode res-
pour qu'apparaisse le chemin qui fois humoristique et mystique de- treint singulièrement son choix,
mena Biély d'une poésie mysti- l'univers spirituel de Biély. Dans puisque, de toute évidence, celui-
que, nourrie de symboles reli- un tourbillon de calembours et de ci est surtout dicté par la réussite
gieux, à une poésie étonnamment pirouettes, un maelstrom de réfé- ou l'échec de cette transposition
surréaliste où le symbole n'est rences érudites et d'assonances musicale. Avant tout, Gabriel
plus dans l'image, mais dans les ébouriffantes, Biély évoque la Arout veut transmettre au lecteur
profondeurs mêmes du mot, sou- naissa,nce de son propre XX" siè- André _Biély français le plaisir esthétique dont
mis à une sorte de désintégration cle où s'entrecroisent les mythes est gratifié le lecteur russe. C'est
atomique. anciens et la théorie atomistique (Dessin .de N. Vychéslavskl.) à ce plaisir qu'il est fidèle, c'est
Gabriel Arout a sans doute été moderne. lui qu'il nous restitue très pleine-
dicté dans son choix par ce qui Les instantanés que nous livre ment. Et parmi toutes les trou-
l'a personnellement fasciné: le le poète sont comme les précipi- son cortège clownesque de culbu- vailles heureuses, citons ce qua-
Biély chef d'orchestre, prestigieux tations d'un tourbillon de mots tes et de pieds-de-nez n'est qu'un train bondissant :
manieur des sons, faisant surgir le en suspension, -et dans les cris- paravent opposé au grand souffle
nùroitement des souvenirs ou des taux recueillis, comme toujours, de l'Originel. Car au fond de la Un camarade très sceptique
visions dans la vibration des asso- Biély retrouve le monogramme mémoire gisent les filons de l'Uni- Dit: «N'es-tu pas
nances, des jeux de mots, et les caché des réalités spirituelles. De versel; sous la gangue des mots épileptique ? :t
contorsions d'un immense orches- tous ces tableaux «précipités:t gît le Sens mystérieux. Biély, Brisant, cruel, en plein élan
tre verbal. Tous les auditeurs de dans le laboratoire de la mémoire, dans son prologue, se compare à Les ailes de mon cerf-volant.
Biély nous l'ont décrit comme le plus brillant est celui du Con- un gnome obstiné cassant la croû-
une sorte de chef d'orchestre - cert: le chef monte au pupitre, te des mots : Les lecteurs de Pétersbourg re-
oiseau, penché sur un imaginaire la baguette clignote, le crâne connaîtront là èette sorte d'allé-
pupitre, commandant à un étin- chauve reluit, et tout commence : A coups de pic le gnome extrait gresse moqueuse et capricante qui
celant ensemble de cuivres et de assaut furieux des instruments, La gangue fruste des consonnes. sert de contrepoint au Biély tra-
bois qui lui seul entend, mais dont sabbat des cuivres, vol nuptial des gique et visionnaire. C'est ce
avec humour et virtuosité, sa ba- violons... D'où ces cascades d'hyperboles Biély capricant qu'Arout a su ren-
guette frénétique recrée pour nous fulgurantes et ces multiples con- dre à merveille, quitte parfois à
l'imaginaire présence. Tout est en jeu, tout est promis crétions de mots nouveaux, hélas ! forcer un peu la note et à insuf.
Arout cite dans sa courte pré- En une offrande fatidique quasi impossibles à rendre en fler à la poésie de Biély un je ne
face le brillant portrait de Biély A u dieu joueur de la musique. français. sais quoi de trop sensuel.
que fit dans un de ses articles la Et lui dressé sur ses ergots D'ailleurs, tout n'est pas adapta-
poétesse Marina Tsvétaieva, dont Conduit la charge des« fagots tion, et il y a aussi des traduc-
le talent poétique était parfois si Vers ses piqueurs qui tions rigoureuses. Ainsi trouvera-
Traduction ou
proche de celui de Biély: «Ce fanfaronnent, t-on dans ce recueil la traduction
n'était pas qu'inspiration verbale, Lance, veneur impénitent, adaptation intégrale de Christ est ressuscité,
c'était une Danse... toujours envi- La meute de ses chiens courants, le poème en vingt-quatre épisodes
ronné du tourbillon dansant des Coupant la route des C'est -qu'il nous lyriques que Biély écrivit en
pans de sa jaquette... antique, élé- trombonnes. faut parler dt' ,« l'infidèle fidélité :t avril 1918 pour faire pendant aux
gant, recherché, tel un oiseau (traduction Arout) dont Çabriel Arout prend, dans fameux Douze d'Alexandre Blok.
étrange, mélange de maestro et de _une courte déclaration liminaire, Ce poème est une longue Déplo-
prestidigitateur, toujours en mou- La salle Syinphonique était po:ur toute la «résponsabilité:t. L'écri- ration de la Russie crucifiée de
t1ement sur le rythme changeant Biély le symbole d'une autre salle, vain Arout n'est pas un traducteur 1918 : le corps meurtri de la Rus-
de sa danse - à deux, à trois, à plus universelle, et d'un autre or- servile. n entend par la- recher- sie est assimilé au corps du
quatre temps - liée au jeu mbtil chestre, plus élémentaire, où tour- che «d'équivalenb!'-et de transpo- Christ, la Grotte de la Mise au
des sens, des mots, des queues de billonnaient les grands principes sitions:t retrouver' « l'approxima- Tombeau devient tout le pays
pie, des jambes - que dis-je, des de l'Univers. La moquerie avec tion la plus serrée possible:t. Et ténébreux où les b r 0 w n i n g s
La Q!!buaine Littéraire, du 16 au JO septembre 1970 3
ROMANS