Chapitre XI

L’eurasisme (poème politique)

L’eurasisme en tantque philosophie (qu’est-ce que la philosophie ?)

L’eurasisme est en premier lieu une philosophie. La philosophie est pratiquement tout. L’homme ne peut pas vivre sans philosophie. Quelquefois il ne le sait pas mais la
philosophie le fait avancer. S’il ne soupçonne rien de tel, la philosophie agit avec lui comme avec un objet, elle se trouve en dehors de lui. Au contraire, celui qui accepte de
façon active et consciente une certaine philosophie devient libre de toute manipulation extérieure, devient le porteur de cette philosophie. Il reçoit le signe intérieur d’une
dignité philosophique particulière, cet individu est visible de loin, autour de lui apparaît une sorte de rayonnement invisible.

La seule chose qui donne une valeur à un homme est la philosophie ; la capacité à philosopher constitue précisément la dignité de notre espèce, distincte de celle des animaux.
À la différence des troupeaux de magnifiques créatures, l’homme peut librement philosopher, ce par quoi s’exprime sa plus haute dignité.

L’eurasisme s’adresse aux gens libres capables de prendre conscience de leur propre nature et de prendre en main leur propre destin. Sans philosophie, l’eurasisme est
incomplet. Et tout simplement impossible.

Le peuple est l’amour

Le premier principe philosophique de l’eurasisme est un patriotisme érotique. Selon ce principe, le peuple apparaît

La Quatrième théorie politique

comme un absolu : la philosophie eurasiste l’appréhende en qualité de valeur suprême. Une question surgit alors immédiatement : qu’est-ce que le peuple ? Le peuple est
l’amour. C’est pourquoi, nous parlons précisément d’un patriotisme érotique. Il pourrait sembler que l’emploi d’une telle définition au sujet du concept de patriotisme, comme
la représentation du peuple en tant qu’amour constituent quelque chose d’inhabituel. Examinons cependant l’étymologie du mot russe « peuple » (44). Il désigne quelque
chose qui « a poussé », forme provenant elle-même du mot rod, qui signifie directement naissance, apparition de l’homme. L’amour précède précisément la naissance et il
joue dans cette naissance un rôle décisif. Sinon, aucun homme n’apparaîtrait. Il est facile de comprendre qu’à l’origine du peuple se trouve l’attraction mutuelle entre un
homme et une femme.

L’extraordinaire force de l’amour meut précisément les vagues de génération qui engendrent toujours plus de descendants, créent une famille, assurent la perpétuation de
leur lignée. L’ensemble des êtres engendrés par un acte d’amour constitue le peuple. Le concept même de « peuple » est empli de cette force intérieure et souterraine de
l’amour. Il n’y a pas de peuple sans amour, le peuple est le produit de l’amour, le produit de l’amour entre les hommes et les femmes éprouvant un très fort attrait l’un envers
l’autre.

Siècle après siècle, de génération en génération, des situations semblables se répètent : des hommes appartenant à un certain peuple et des femmes qui y appartiennent aussi.
Bien sûr, il existe des échanges avec d’autres peuples. Mais au final, le peuple s’agrandit : quelquefois le même, quelquefois un autre…

L’humanité est le produit de l’amour global des peuples pour eux-mêmes et envers les autres. En évoquant le peuple, nous entendons par ce terme non pas une quelconque
abstraction mais une réalité érotique ferme et concrète. Nous nous posons en permanence de sérieuses questions. Sur le peuple et sur nous-mêmes. Sur notre peuple et nous-
mêmes. Quel est mon rapport à ce peuple ? D’où ce peuple vient-il ? Comment écrira-t-il son futur ? Nous devons sentir le peuple derrière nous, dans notre sang, dans nos
gènes. Il est dans nos entrailles et autour de nous. Nous ne sommes que des transmetteurs sacrés de l’énergie de notre peuple vers le futur.
Le peuple avance. Il se trouve derrière nous. Mais il avance à travers nous. Et il nous pousse vers l’amour, il pousse pour que des générations de Russes eurasistes voient le jour
et portent ce sentiment fondamental d’amour.

Le corps russe

Pourquoi le peuple constitue-t-il le concept absolu, essentiel, central, premier et dernier de la philosophie eurasiste ? Parce que le peuple comme l’amour donne à l’homme
tout : l’apparence, la vie, la langue, la culture. Tout ce que nous possédons, de la forme des yeux et des oreilles, du crâne jusqu’à la constitution du squelette a été formé par
l’amour de nos ancêtres, c’est-à-dire du peuple. Le courant d’amour dans le peuple nous a donné notre corporéité. Nous ne sommes qu’un épisode dans ce corps du peuple
qui nous précède sous la forme du corps collectif des ancêtres, et qui est présent simultanément sous la forme d’autres êtres russes. Et lorsque l’un de nous pense à un autre
Russe, il ressent la matrice du peuple, la corporéité commune, ainsi que son appartenance à cette corporéité de même que son propre caractère d’être co-dissout dans cette
corporéité. Cette même corporéité se transmet à travers nous dans l’avenir. Nous portons en nous les embryons de la corporéité russe future de la même façon que le corps
humain, d’après les enseignements des startsy orthodoxes, porte en lui l’embryon du corps de la renaissance, du « corps de gloire ». Il s’agit d’une perspective religieuse
verticale. Mais le fondement, le socle de la philosophie eurasiste, l’élément de base et son sens essentiel est bel et bien le peuple.

En temps que corporéité commune, il se transmet dans le futur, vainc le temps, l’histoire et l’espace. Le peuple nous donne un corps mais il s’agit d’un corps commun et non
pas d’un corps russe particulier, privé. Nous recevons une particule de ce corps en location, pour un certain temps. Aujourd’hui nous la possédons, et demain non. Il fut bien un
temps lorsque nous ne le possédions pas. Nous le rendons à nouveau, lorsque s’approche le trait fatidique, ou encore lorsqu’un incident soudain rompt notre vie, et que le
corps disparaît. Mais le peuple 239

La Quatrième théorie politique

existe avant notre naissance et après notre mort ; c’est-à-dire qu’il est toujours. Et la relativité de notre corps individuel pâlit devant la corporéité absolue, éternelle et infinie
de notre propre peuple. Le peuple constitue le corps global commun et la valeur absolue.

Le don de la langue

Le peuple donne à l’homme la langue. Que pourrions-nous dire maintenant, comment pourrions-nous parler et communiquer entre nous sans cette langue que nous a
transmise notre peuple. Quelque chose de natif, un corps reçu de la part du peuple, capable de donner à l’homme l’énergie pour penser, il s’agit bien de bois pour l’âme et
notre conscience. Mais pour le fonctionnement de la conscience, pour le discours, pour le verbe, nous avons besoin de la langue. Elle aussi nous est transmise par le peuple.
Cette langue, comme le remarque Heidegger, est le poème suprême.

Le simple fait de prononcer n’importe quel mot russe choisi au hasard constitue une véritable magie, un immense acte spirituel, dans la mesure où on entend dans ce qui est
dit le bruissement et le murmure des choses fondamentales, des pensées, des mouvements de l’âme qui se trouvent derrière nous. Et de ceux qui viendront après nous. La
langue natale communique à l’homme une immense énergie, son propre style intellectuel moral, conceptuel, elle imprime sur l’âme humaine une empreinte indélébile. Sans la
langue, nous nous ne sommes rien. Sans la langue, notre individualité, notre existence sont absolument vides, n’offrent aucun intérêt pour qui que ce soit. Que serions-nous si
nous ne pouvions parler, si l’on ne nous avait pas donné cette absolue, cette majestueuse et cette si merveilleuse langue russe ? Nous ne serions rien d’autre que du bétail
muet… Mais on nous a donné cette langue, le peuple nous l’a donnée et nous lui en sommes redevables. Notre langue exprime ce qui est pensé, le beau, le juste et le bon.

Mais il ne s’agit pas d’un simple don, on nous a prêté cette langue, et nous devons la rendre. Pour toutes ces raisons, nous devons attentivement, scrupuleusement, apprendre
à parler dans cette sainte langue russe. Voilà en quoi consiste le sens de la philosophie eurasiste, (non sans raison le leader des premiers eurasistes était un linguiste, le prince
Troubetskoï), mais tel n’est pas seulement notre amour de la langue, il s’agit d’un culte, d’une adoration religieuse, d’une attitude extraordinairement attentive envers ce qui
est dit en langue russe.
Rendre ce que nous devons à la langue signifie la comprendre, la conserver, parler dans cette langue de la grandeur du peuple, et composer des hymnes en son honneur. Celui
qui ne parle pas en langue russe de la grandeur de son peuple peut se voir privé de cette langue. La liberté de la langue russe, la liberté du verbe russe se trouve dans la
célébration par le chant et par les pleurs de la grandeur et des souffrances du principe russe dans l’Univers… Les autres discours peuvent bien être exprimés en d’autres
langues.

L’homme russe s’endortetse réveille

Le peuple nous a donné tout ce que nous possédons. Nous avons hérité de lui la culture, le verbe russe, notre forme de pensée, nos maisons, les terres, c’est pourquoi dans la
philosophie de l’eurasisme le peuple constitue une catégorie absolue. Il est nécessaire d’y penser le matin en se levant. Au réveil, il convient de dire : « Je suis un homme russe
». Il convient de le dire avant de s’endormir, en même temps que la prière, lorsque l’on se brosse les dents, ou pendant une promenade, etc. Au moment où l’on s’endort, il
convient d’affirmer : « Voilà, un homme russe s’endort ». Voilà tout ce qui possède de l’importance. À présent lui, l’homme russe, passe d’un état russe, la veille, à un autre état
russe, l’état russe du sommeil. Ainsi s’endort et se réveille le principe russe même, l’être intelligent et corporel du peuple immortel et infini. Voilà ce que signifie « assimiler le
peuple ». Il ne s’agit pas seulement d’affirmer de façon formelle : « J’aime mon peuple, je suis patriote ». Il s’agit de se trouver enivré par son propre peuple. « Pourquoi ? »,
demanderez-vous. Parce qu’il s’agit de notre peuple. Il est ainsi et nous sommes ainsi. Nous n’avons pas le droit de nous aimer de façon séparée. Nous devons nous aimer à
travers un amour pour tout le peuple russe, à travers l’amour du principe russe pour lui-même. Seul un tel amour nous élève, nous satisfait et nous apporte des fruits, tous les
autres actes d’amour sont stériles. Tout ce que nous évoquons au sujet des Russes, peut être 241

La Quatrième théorie politique Mais une apparence non russe constitue aussi quelque
chose de valeur, dans la mesure où elle est, elle aussi, un
également appliqué, sous réserve de certaines
peu russe. Si nous voyons un clignement des yeux
modifications, à d’autres peuples. D’ailleurs, que les
particuliers, un humour bien connu, si nous voyons les cils
représentants d’autres peuples parlent et nous les
trembler d’une façon particulière, nous disons avec
écouterons et opinerons en signe d’approbation. Nous
certitude : « Oh, ce sont les nôtres ! » De quelle façon les
discutons ici et maintenant de l’homme russe et du peuple
nôtres ? Peu importe, ce sont les nôtres.
russe.
Les limites du peuple
L’homme russe en tant qu’absolu
Où le peuple se termine-t-il ? On peut se poser cette ques-
L’homme russe est tellement absolu que nous ne compre-
tion philosophique si on s’éloigne quelque peu de la pensée
nons pas le sens de l’existence d’autres peuples. « Si ce ne
selon laquelle il est infini et si l’on observe la dure réalité et
sont pas des Russes, alors qui sont-ils ? », nous demandons-
que l’on recherche la fin du peuple. Mais cela est difficile.
nous sincèrement. Lorsque nous voyons par exemple un
Tout est balayé par le sentiment omniprésent selon lequel le
Arabe joyeux, remarquable, qui ne refuse pas un verre, qui
peuple est infini et n’a pas de limites. Notre peuple est
ne refuse pas de rire, de « se lâcher », nous reconnaissons
assurément infini, nous ne pouvons pas affirmer avec
alors : « Voilà un vrai Russe ». Il n’est même pas nécessaire
certitude ce qu’il en est des autres… Cependant, si on
de boire, il suffit simplement de voir : voici un homme
s’engage dans la scolastique : où le peuple se termine-t-il ?
sympathique qui vient vers nous. Il est clair qu’il est russe.
Là où commence un autre peuple. Où l’amour finit-il ? Là où
Nous le comprenons de cette façon, nous nous comprenons
commence un autre amour.
nous-mêmes de cette façon. Et cette compréhension
provient non pas de l’apparence, quoique, bien sûr, notre Nous ne pouvons pas nous représenter le « non-amour ». Il
apparence russe constitue aussi quelque chose de valeur. n’y a pas de monde sans amour. Il ne tiendra pas une seule
seconde, il se fendra en deux et se brisera en morceaux. Il
n’y a pas de monde sans amour parce qu’il n’y aura pas
d’énergie en lui, tout refroidira instantanément en lui. Le
monde est l’énergie de l’amour. Les anciens enseignaient : «
Les pierres s’aiment les unes les autres. Les fleurs s’aiment
les unes les autres ». Aujourd’hui on connaît bien l’érotisme
des fleurs, les scientifiques mesurent même les indicateurs
de l’activité sexuelle des plantes. Naturellement les animaux
et les hommes s’aiment les uns les autres. Mais les pierres
?… Oui, les pierres aussi éprouvent de l’amour. La vie des
pierres comme la tension érotique des énergies minérales
constitue un gigantesque champ. Elles aiment autrement
puisque nous ne pouvons pas connaître cet amour au-delà
des limites, transcendantal. Peut-être la pierre aime-t-elle
un petit brin d’herbe, une certaine plante. L’amour de la
pierre pour l’arbre, le platane, le cyprès, constitue
indiscutablement une énergie qui nous est inaccessible,
mais étonnante et présente dans le monde. C’est pourquoi,
là ou l’amour se termine, commence un autre amour. Où le
peuple se termine-t-il ? Là où commence un autre peuple.
Cependant, du point de vue de l’homme russe, dans la
mesure où le peuple russe est infini, il ne se termine nulle
part.
Il y a des peuples ouverts et des peuples fermés. Le peuple
russe est ouvert et notre amour est ouvert. Notre amour ne
se limite pas à l’un ou à l’autre, il choisit tous. Nous aimons,
nous aimons véritablement. Mais cela signifie que par cet
acte d’amour, d’amour russe, nous dépassons l’individu en
particulier. Qu’est-ce qu’un individu ! Un seul, un autre, un
troisième… L’essentiel est l’amour, il est plus important.
L’essentiel est l’ouverture, la gigantesque énergie de la vie
du peuple. Naturellement, tout ce qui prend naissance par
cet amour vit en tant qu’élément de ce peuple : la famille,
les enfants, l’État, créé comme une sorte de carapace par
notre peuple.
L’État-hérisson
L’État est en fait quelque chose de dégoûtant. On ne le crée
pas par plaisir. Le fait est que malheureusement, le peuple
ne peut en permanence aimer, ne peut pas que faire
l’amour dans 243
La Quatrième théorie politique
son état intérieur et se trouver dans un espace extatique de
contemplation. Périodiquement, quelqu’un porte atteint à
ce peuple, quelqu’un l’attaque, se jette sur lui. Pour se
défendre contre quelque chose d’autre, l’État est
précisément nécessaire. Le sens du véritable État-nation
russe réside en ceci qu’il doit nous protéger des autres
comme des mouches dégoûtantes et obstinées.
Extérieurement, il doit être agressif, dur si nécessaire
comme une carapace. Mais intérieurement, il doit être
particulièrement souple pour ne pas perturber, ne pas
déranger les processus de vie spirituelle nationale, de vie
érotique qui coulent en permanence, invisibles, dans notre
peuple. Voilà comment nous comprenons l’État.
L’État en lui-même est une chose nuisible, mauvaise, trop
formelle, trop froide. Il n’y a rien d’attirant dans cet acier,
dans ces machines, dans ces cruels instruments de torture.
Nous voudrions bien nous séparer de l’État. Il doit être
piquant à l’extérieur, un État de type hérisson. Piquant à
l’extérieur, doux à l’intérieur comme le ventre du hérisson,
vivant, touchant, agréable.
Nous ne sommes pas capables de nous comprendre nous-
mêmes, voilà notre grandeur
Ainsi, le premier et le dernier point principal de la philoso-
phie de l’eurasisme est le suivant : le peuple est l’absolu.
C’est pourquoi quand on vous demande ce qu’est
l’eurasisme, vous pouvez répondre avec assurance : « Il
s’agit de l’amour absolu envers son propre peuple, de
l’amour envers l’amour, de la compréhension du peuple en
tant que valeur suprême. Il n’y a rien de plus haut que notre
peuple. » Nous n’en connaissons pas d’autre. Nous les
mélangeons tous. Nous ne sommes pas capables d’identifier pierre. En effet les plantes ne poussent pas et les pierres ne
clairement les autres. Il y a des peuples capables de sont pas disposées ici au hasard, elles vivent ici. Elles savent
comprendre les autres, nous, non. Nous ne sommes même ce qu’elles font, leur vie se trouve déterminée à cet endroit
pas capables de nous connaître nous-mêmes. Nous sommes précis, dans ce point précis de l’espace russe, il s’agit en
simplement le Peuple et voilà tout. quelque sorte d’une philosophie du lieu où on se trouve, du
« lieu de développement » comme le disait Piotr Savitsky. Il
L’esprit de la terre
s’agit de la voix de l’esprit, de la terre natale qui s’adresse à
Le deuxième point le plus important dans la philosophie de nous à travers tous les êtres, rampants, grouillants, volants,
l’eurasisme est le concept d’esprit de la terre, le concept grimpants, tombants ou étalés sous l’effet de l’ivresse. La
d’espace vivant et de terre-âme. L’eurasisme comprend l’es- voix s’adresse à elle-même, affirmant une immense réalité
pace en tant que réalité vivante absolue. L’espace ne des formes de vie et d’espace.
constitue pas une catégorie abstraite mais une couche
L’espace constitue un phénomène doué de raison. Il recèle
importante du monde vivant. L’espace contient les espèces
en lui, dans la terre, une intelligence. Cette intelligence
minérales, végétales et animales. Tous sont ses éléments.
parle, 245
En d’autres termes, nous comprenons l’espace comme
notoirement rempli, jamais vide. Notre espace déborde La Quatrième théorie politique
toujours de vie et détermine la vie. L’espace parle de lui à
crie sa présence et il est indispensable d’être très attentif
travers cette vie, il se manifeste. C’est pourquoi il vibre. Il
pour l’entendre. Quand nous évoquons l’espace nous nous
s’agit de l’esprit de la terre, de notre terre qui nous
exprimons habituellement de cette façon : « Voici mon
appartient qui parle et notre peuple se déplace dans le
espace, voici le tien, celui-ci appartient à mon pays, celui-ci
temps sur cette terre, dans un état diffus, horizontal, tel le
au tien ». Nous nous comportons envers l’espace comme
mercure.
envers un organisme vivant. Cependant, le terme « mon »
L’espace en tant que forme de vie apparaît non pas comme le signe d’une appartenance mais
comme un signe de parenté. Des liens de parenté lient
Un rapport vivant envers l’espace comme envers la vie
l’homme à la terre et à l’espace vivant. C’est pourquoi la
constitue l’essence de l’eurasisme. Nous percevons l’espace
terre est notre mère. Le pays est notre patrie.
comme une forme de vie. En son temps le fondateur de la
géopolitique Friedrich Ratsel a écrit l’ouvrage L’État en tant Les frontières vivantes
que forme de vie (Staat als Lebensform). Puisque l’espace
Dans la vision du monde eurasiste, la notion de « frontières
constitue une forme de vie, cela signifie qu’il ne peut être
vivantes » revêt une grande importance. Les frontières sont
immobile. Il s’oppose à toutes les frontières artificielles dans
là ou un être vivant se distingue par convention d’un autre.
la mesure où l’espace n’est pas quelque chose que l’on peut
Mais on ne peut tracer une frontière sur un être vivant. On
fixer une fois pour toutes, mesurer de façon définitive. On
ne peut prendre les trois quarts d’un lièvre, les quatre
ne peut ici construire quelque chose, là, autre chose, et
cinquièmes d’un écureuil et en faire un pays, construire un
espérer que tout reste ainsi. Non. Tout ce qui est nécessaire
État. Ces trois quarts de lièvre et ces quatre cinquièmes
d’une façon naturelle se construit là où il doit apparaître. De
d’écureuil ne constituent pas un État. L’État et ses frontières
la même façon que poussent les plantes, ou sont disposés
apparaissent aussi comme une projection de l’esprit de la
pendant des siècles, des millénaires, d’énormes blocs de
terre. Mais si nous coupons des éléments de ces êtres au
hasard, des éléments de ces unités vivantes de l’espace et si
nous disons : « Voilà, maintenant nous allons nommer cet
État Ukraine », nous faisons violence aux lois de la vie. Par
pitié, quelle Ukraine ? L’Ukraine dans ses frontières
contemporaines ne peut tout simplement pas exister parce
qu’il existe au minimum quatre organismes vivants dont on
a prélevé des fragments, trois quarts de lièvre, la moitié
d’une vipère, un quart d’écureuil, etc. Ainsi, la Petite Russie
est à la fois et plus étroite et plus grande que l’Ukraine.
L’Ukraine compte encore quelques grands ensembles
géopolitiques : la Galice, la Volhynie, la Crimée, la Nouvelle
Russie dont une partie se trouve à l’intérieur des frontières
de la Fédération de Russie. Il s’agit d’un point
particulièrement important !
Nous devons examiner les espaces selon leur nature inté-
rieure et non pas en fonction d’une conjoncture éphémère.
C’est pourquoi nous, eurasistes, ne pouvons parler de
Fédération de Russie, cette fédération n’existe pas, cet État
n’existe pas, il s’agit d’une chose artificielle éphémère, là
encore, trois quarts d’écureuil, quatre cinquièmes de
scarabée, une pierre et une brassée de branches. Cela ne
peut pas véritablement constituer une réalité vivante.
L’empire russe et l’Union soviétique étaient des réalités
vivantes. L’un comme l’autre étaient des formes de vie
puissantes et supérieures, avec, probablement, ici quelque
chose de superflu ou au contraire, là, quelques manques.
Cependant, malgré tout il s’agissait d’unités vivantes. Ce
que nous avons après la chute de l’Union soviétique n’est
pas une chose vivante, il s’agit d’un simulacre spatial, qui
mourra. Si vous coupez une patte à un écureuil, regardez ce
qu’il peut faire ensuite. Il ne peut se trouver de noix et
mourra, comme mourra tout le modèle spatial étatique
La Quatrième théorie politique
Croates et à droite des Bosniaques musulmans. Nous allons
y aller et nous mourrons là-bas.
postsoviétique. Avant de partager des territoires il est
indispensable de demander à ces territoires : « Voulez-vous,
vous, terres, vous, rivières vous, golfes, vous, forêts, vous,
marais, faire partie de l’Ukraine indépendante ou pas ? » Il
est nécessaire d’organiser des référendums, non pas parmi
les téléspectateurs imbéciles, absurdes comme des
échardes et historiquement irresponsables. Il convient de
demander aux éléments, il convient de demander aux
montagnes, aux eaux, à la pluie, qu’ils votent. Il convient de
se demander quelle forme de référendum on peut proposer
aux éléments pour qu’ils puissent exprimer leur opinion sur
ces questions essentielles.
La montagne serbe
Si nous nous comportons avec attention et avec amour en-
vers notre espace, si nous comprenons sa voix, si nous
apprenons à déchiffrer ses sons, nous entendrons ce que
nous disent les montagnes. En 1992, en Serbie j’ai rencontré
un jour un détachement de Serbes que tous avaient à cette
époque trahis. Quand nous nous sommes arrêtés, je leur ai
demandé :
- Où allez-vous et pourquoi ?
- Nous allons prendre cette montagne.
- Pourquoi avez-vous besoin de cette montagne, il n’y a rien
là-bas, il s’agit peut-être d’un important point stratégique ?
- Non, stratégiquement, elle n’a aucune importance, là-bas il
n’y a absolument rien, ni eau ni électricité, mais c’est notre
montagne serbe. Cette montagne ne veut pas appartenir à
la Croatie, cette montagne veut rester en Serbie. Elle nous
appelle. Oui, là-bas se trouvent de nombreux détachements
de 247
Pourquoi allaient-ils là-bas ? On peut penser que c’étaient
des imbéciles, des inconscients. Ne comprennaient-ils pas
qu’il est agréable de vivre, que l’on peut manger, dormir, se
promener, lire, chasser les moustiques ? Mais eux
marchaient vers cette montagne pour laquelle ils allaient Certains estiment que le temps existe mais pas l’éternité. En
donner leur propre vie parce que la montagne les avait fait, c’est tout à fait le contraire. L’eurasisme affirme que
appelés. Elle leur avait dit : « Hommes, venez ici, venez. J’ai l’éternité existe mais pas le temps. Tout ce que dit
besoin de votre mort. Votre sang serbe chaud doit asperger l’eurasisme constitue une vérité absolue qu’il convient
mes pentes. » La montagne leur a dit tout cela et ils ont d’accepter sans aucune réflexion critique. Accepter et
compris qu’elle les appelait. Ceci est juste, il ne s’agit pas de répéter. Le temps est une illusion, l’être ne possède que
folie. l’éternité. C’est pourquoi l’intuition de l’éternité, la
respiration de l’éternité, la pensée en termes d’espace et de
Personne n’a besoin de la montagne mais cette montagne
synchronisme, l’expérience de l’éternité constituent le
est serbe. Tous les Serbes le comprennent. Ils sont un
contenu essentiel de la conscience eurasiste. Et si l’éternité
peuple très vivant, magnifique, eurasiste. C’est pourquoi les
est, si l’éternel peut être objet de notre expérience, par
Serbes comprennent tout immédiatement. Ils disent : «
conséquent l’éternité est ici et maintenant et elle doit appa-
Cette montagne est une partie de notre collectif, c’est notre
raître comme objet de notre expérience.
camarade, on l’appelle ainsi, et nous allons lui venir en aide.
» Ainsi, le second élément de la philosophie eurasiste est Pour l’absolu, contre le relatif
l’esprit de la terre, la foi en l’esprit de la terre, l’adoration
Ici apparaît un principe généralisateur : « Nous sommes
de l’esprit de la terre, le dialogue avec lui et le culte de
partisans de l’absolu et nous sommes contre le relatif. » En
l’esprit de la terre.
fait, naturellement le relatif existe aussi quelque part. Bien
L’éternité entre tes mains sûr, le temps aussi a ses chances, il possède sa propre petite
voix. Mais il s’agit d’une catégorie peu significative et de
Le troisième principe de la philosophie eurasiste se nomme
droits très limités. Au contraire, les droits de l’absolu, les
l’éternité entre tes mains ou l’étreinte du vide. Le fait est
droits de l’éternité, le culte de l’éternité doivent se trouver
que nous sommes fortement, trop fortement liés au temps.
au centre de notre conscience et tout le reste, à la
« Maintenant », « plus tard », « avant », « auparavant »…
périphérie. Mais l’éternité ne s’avère pas riche de contenu
En effet, ces réalités existent certes, on a construit en se
tel que le sont les objets dans le temps. L’éternité d’une
basant sur elles la pensée, la logique formelle, cependant le
certaine façon nous effraie parce qu’elle nous supprime.
concept même du temps nous éloigne de l’essentiel. Au
Elle nous enlève, nous brûle, d’où l’expression « l’étreinte
début nous pensons : « Voilà nous sommes encore jeunes, il
du vide ». Le Philosophe étreignant le vide est le nom d’un
est encore tôt. » Puis : « Nous sommes déjà adultes est déjà
traité d’alchimie chinois. Il donne très précisément le sens
plus jeunes bien que pas encore vieux. » Ensuite : « Voilà
de l’expérience de l’éternité. Mais si nous réussissons à
nous sommes déjà vieux, nous ne sommes plus jeunes, et
manipuler l’éternité il sera beaucoup plus facile pour nous
même plus adultes, mais tout à fait retraités. » Mais tout
de vivre ; de vivre et d’accomplir des exploits
cela n’est qu’une illusion parce qu’à travers les formes
invraisemblables, de construire une carrière renversante, de
temporelles nous perdons contact avec l’être véritable. Le
simplement profiter de la vie ou d’errer dans le monde et
temps est un piège qui tente de nous tromper, de nous
de regarder à droite et à gauche, simplement de façon
éloigner de l’essence des choses. Le temps masque la voie
eurasiste, particulière.
de l’être, l’appel qui retentit dans l’éternité.
Alors tout deviendra absolument différent que cela ne l’est
Le temps n’existe pas
chez ceux qui se trouvent à l’intérieur de la machine noire
de la relativité, la machine noire du temps. L’éternité nous
est offerte 249
La Quatrième théorie politique
à nous, Russes, elle nous est donnée, proposée, et même
imposée. Que nous le voulions ou non, nous devons
l’étreindre.
Il est impossible de l’étreindre, il est impossible de la domp-
ter, il est impossible de l’instrumentaliser, mais il n’y a rien
de plus simple que de réaliser cela.
Tels sont les trois principes philosophiques essentiels, les
trois principes de la pensée eurasiste qui s’incarne en
quatre thèses complémentaires. Mais ces trois principes
sont les principaux.
La patrie absolue
Les trois principes principaux de l’eurasisme exposés plus
haut s’incarnent en un quatrième principe, la Russie. La Rus-
sie constitue la patrie absolue. La Russie est le réceptacle de
la révélation eurasiste, de l’esprit eurasiste, de la vie
eurasiste et de la chair eurasiste. La Russie en elle-même
est le peuple, d’où le concept de « russe ». Le premier
principe de la philosophie eurasiste est : le peuple est
amour ; notre patriotisme est un patriotisme érotique. La
Russie est l’espace, elle est notre territoire, et ici s’incarne
l’esprit de la terre, second principe de la philosophie
eurasiste. Troisième principe : la Russie est l’éternité. Nous
avons déjà évoqué pourquoi la Russie est le peuple. Elle est
l’espace parce qu’elle est un État et un territoire. Mais
pourquoi la Russie est-elle éternité ? Parce que le concept
même de Russie ne peut être compris que si nous allons au-
delà des limites du temps.
La Russie estun conceptontologique
Aujourd’hui la Russie n’existe pas. Elle n’a jamais existé et
n’existera jamais dans le présent. Elle est toujours une
construction, une idée, un concept, une certaine réalité, qui
apparaît toujours, qui n’appartient jamais au présent, mais
qui est toujours, a été et sera sous une forme non-incarnée
et simultanément incarnée. La Russie a été, est et sera en
dehors de nous. Et l’expérience de la Russie est expérience
de la confrontation avec la réalité qui peut être, et est
quand nous ne sommes pas. C’est pourquoi, évoquant la
Russie, dissertant sur notre histoire et notre futur, et même
sur notre présent, nous opérons malgré nous avec la
catégorie éternelle, qui se trouve de l’autre côté de notre
expérience individuelle.
L’individualisation de l’expérience supra-individuelle
La tâche de l’eurasisme est de faire de l’expérience du
contact avec une réalité extérieure et supérieure à
l’individu une expérience individuelle. Paradoxe : faire
entrer l’éternité dans le temps, étreindre l’absolu et le
transformer en objet de son propre coeur. Voici la tâche
principale de l’eurasisme russe.
La Russie est la patrie absolue, la Russie est une doctrine. La
Russie est une distinction, la Russie est une mystique, la
Russie est un culte. Seul peut exister un rapport sacré
envers la Russie. La Russie est un concept sacré. Il n’existe
pas de Russie non-sacrée. Lorsque nous disons « Russie »,
nous prononçons « sacré ». Tout le reste résonne de façon
différente, d’autres mots sont nécessaires. La France par
exemple est un concept non-sacré même pour un fervent
patriote français. Mais la Russie est sacrée. L’eurasisme est
le fait de servir religieusement la Russie.
La carte du monde ontologique (Sohravardi)
Examinons à présent les principes Europe et Asie sur la
carte de l’être. Les deux concepts d’Europe et d’Asie sont
liés dans l’eurasisme. D’un point de vue philosophique, on
peut les expliquer à la manière de la philosophie iranienne,
dans l’esprit de l’école d’Ichrak, de la « connaissance
orientale » de Sohravardi. Dans ses oeuvres, Sohravardi a
décrit la carte de la géographie de l’être. Il s’agit non pas
d’une géographie physique mais métaphysique. Dans cet
être, il existe l’Orient et l’Occident, il existe une Asie
ontologique et une Europe ontologique. Sohravardi précise
le sens de ces concepts. Qu’est-ce que l’Asie ontologique,
l’Asie de l’être ? L’Asie est l’Orient, le lieu où le soleil se
lève. C’est la source du monde, le point de contact avec
l’éternité. L’Orient est le lieu où se trouvent les sources de
nos intuitions. Dans l’eurasisme, l’Asie apparaît avant tout
comme un concept ontologique lié à l’« être pur ». Il s’agit
de la maison où se lève le soleil de l’existence, le soleil de la
réalité 251
La Quatrième théorie politique
première, immaculée, le soleil lavé qui vient d’apparaître
sur la voûte céleste. Le soleil métaphysique apparaît comme
une des sources énergétiques les plus fondamentales de la
vision du monde solaire eurasiste. Il s’agit de la « partie
asiatique » de l’eurasisme.
Les puits de l’exiloccidental
Qu’est-ce donc sur cette carte ontologique du monde selon
Sohravardi, sur la carte de l’être, dans cette géographie
métaphysique sacrée, que l’Occident ? Sohravardi lui-même
nomme l’Occident « pays des puits de l’exil ». Il s’agit du lieu
d’épuisement des rayons de l’être, du pôle de l’entropie, du
territoire de la perte de l’être intérieur et du contenu
intérieur. Il s’agit de mondes d’épuisement, et de déclin.
Selon Sohravardi, la première tâche de l’homme sur la voie
de son éveil consiste à ce que l’homme, où qu’il vive,
prenne conscience qu’il se trouve dans un Occident
spirituel. Dans son état habituel, l’homme se trouve comme
dans un cercueil, dans le cachot de la chair morte et non-
éveillée, dans l’ignorance totale des possibilités de sa
propre âme à la recherche du retour et de l’éveil. Mais, en
prenant conscience de sa situation catastrophique, il doit
s’arracher à cette geôle de l’Occident et commencer son
chemin vers l’Orient.
Le voyage vers le pays de l’Orient
Selon Sohravardi, la tâche principale de l’homme consiste
en un voyage du pays de l’Occident vers le pays de l’Orient.
C’est-à-dire qu’il s’agit de quitter les « cavernes de l’exil »,
les « geôles occidentales », les « puits de l’exil » et de
revenir à la source, à l’Orient. En combinant la carte de
l’être métaphysique avec la carte géographique nous
découvrons qu’entre l’Europe où la civilisation arrive sous
nos yeux à une impasse ontologique, à des terriers
ontologiques, et l’Asie, où l’organisation traditionnelle a été
conservée jusqu’ici, se trouve la Russie. D’un côté, la Russie
est orientée vers l’Occident, de l’autre, par sa partie la plus
considérable, gigantesque, et la plus vaste, elle est ancrée
dans l’Orient et apparaît comme un gigantesque morceau
de l’Asie, une partie indissociable. Dans cette Russie
ontologique, se produit une transformation miraculeuse de
l’ancien en nouveau. Le chemin de la source ontologique
passe à travers la Russie. La Russie est ce chemin, le chemin
d’une nouvelle naissance, l’itinéraire du retour spirituel.
Spirituel, mais simultanément physique, de même
qu’historique, politique et culturel, intellectuel,
psychologique et esthétique.
Tout cela constitue un eurasisme compris en profondeur,
un eurasisme en tant qu’ontologie, en tant que philosophie
et métaphysique. L’eurasisme n’est pas seulement
l’équilibre d’un certain Occident avec un certain Orient, il ne
se limite pas à leur dialogue, comme nous l’affirmons
parfois à des utilisateurs extérieurs, il ne s’agit pas
seulement d’un rééquilibrage des pôles. L’essence de
l’eurasisme consiste en le chemin de l’Occident vers
l’Orient. Et il s’agit du chemin qui se réalise en Russie. De
l’Occident vers l’Orient et non pas le contraire, en aucune
façon.
L’intégration de l’Occidentdans l’Eurasie (la descente
auxenfers)
L’Occident apparaît comme la limite de l’entropie. Nous
devons, nous pouvons le comprendre mais en comprenant
l’Occident, nous comprenons la structure du fond
ontologique. Nous comprenons ce qui existe là-bas, au-delà
des dernières limites du monde, dans les ténèbres absolues,
aux frontières de l’existence. Ce fut une expérience très
importante et, selon Sohravardi, sans avoir vécu cette
expérience, l’expérience de l’épuisement extrême, nous ne
pouvons trouver l’énergie du retour. C’est pourquoi la
connaissance de l’Europe, la déesse aux yeux en forme de
lune, enlevée par Zeus et transportée on ne sait où en
Occident, constitue un savoir particulièrement important
mais un savoir négatif. Il s’agit, si l’on veut, d’une
démonologie commune. En effet, les satanistes n’étaient
pas les seuls à s’occuper des noms des démons ; des abbés,
d’honnêtes théologiens catholiques s’intéressaient aussi à
cette question. Ils notaient les noms des démons, en
prenaient connaissance non pas naturellement pour entrer
en contact avec eux, mais pour avoir une représentation de
la géographie mystique, de ses cartes, de ses paysages, de
la population de sa frontière, située à la limite la plus
extrême de l’être. C’est pourquoi, pour les eurasistes,
l’Europe constitue une catégorie absolument 253
La Quatrième théorie politique
négative que l’on peut connaître et aimer, de même que
l’on aime, par exemple, les âmes errant en enfer.
Il existe un récit très populaire en Russie qui relate la des-
cente de la vierge Marie en enfer afin d’y sauver ceux qui
s’y trouvent. Et, bien qu’il n’y ait aucune raison de les
sauver, la force de Son amour est plus haute que la logique
du jugement et de la punition. Elle leur pardonne quoi qu’il
en soit. C’est pourquoi, nous pouvons aimer l’Europe,
seulement de la même façon que nous aimons des malades
étrangers atteints d’une maladie incurable, des lépreux, des
crapules, des criminels, de la vermine. Nous pouvons aimer
mais il s’agit d’un amour eurasiste particulier. Nous avons
vocation à transférer l’Occident en Orient. C’est pourquoi
nous sommes l’armée de l’Orient, l’armée de l’aube de la
connaissance, qui mène un combat pour que l’Orient
intègre complètement en lui l’Occident, pour qu’en
l’espèce, il n’y ait plus d’Occident, mais un seul grand
Orient, absolu. Et seule la Russie est capable de le faire,
dans la mesure où la Russie participe à ces deux réalités.
L’archange pourpre de la Russie
Dans les écrits de ce même Sohravardi on trouve un mo-
ment intéressant où il est question de l’existence d’une
montagne sacrée nommée Kaf, au sommet de laquelle se
trouve la ville secrète de Hurkalia et où se produit le retour
des puits de l’exil occidental dans le pays de l’Orient. Sur
cette montagne, se trouve un ange aux ailes étranges. L’une
de ses ailes est sombre et l’autre blanche. Il s’agit d’un ange
atypique. On le nomme également l’archange pourpre car
l’alternance de la pure lumière et des ténèbres donne une
couleur pourpre.
La réalité de l’archange pourpre est la réalité du passage de
l’exil occidental à l’aube orientale, à l’aube éternelle de la
Grande Asie Sacrée qui est précisément cet ange
mystérieux, l’essence secrète de la Russie, sa mission
historique et spirituelle qui s’étend à tous, à la politique, la
culture, à la sociologie et à notre histoire.
L’enseignementspirituel: l’appelà la repentance
L’enseignement eurasiste est un enseignement spirituel et,
comme cela est connu, il s’agit d’une école prophétique. Il
s’agit du point de confluence des grands fleuves de la pen-
sée. Une doctrine absolument autosuffisante qui donne aux
hommes tout : un sens dans la vie, l’énergie créatrice et une
juste orientation de leur amour. L’eurasisme est la pensée à
l’aide du coeur, ce sont les profondeurs de la pensée du
coeur. L’eurasisme consiste en une invitation à l’expérience
prophétique. Souvenons-nous de qui étaient les prophètes
bibliques : ils renforçaient l’identité de leur propre peuple
en disant : « Réveille-toi, Israël, réveille-toi peuple. Tu es
tombé bien bas, tu t’es transformé en porc, cela ne doit pas
être. Combien de temps encore peut-on se livrer à ce que tu
fais ? Reviens à ta véritable essence. » Nous autres,
eurasistes, disons-nous autre chose ? Nous crions : «
Peuple, homme russe, chers peuples eurasistes, que faites-
vous! Qu’êtes-vous devenus ! Cela suffit. Il est temps de
mettre fin à cette chute. Russe, lève-toi ! » Nous faisons ce
que faisaient les prophètes : nous permettons à notre
peuple de retourner à notre propre identité.
La véritéeurasiste
Que faisaient donc encore les prophètes ? Ils fustigeaient
les défauts du système existant, disaient la vérité, ce qui
leur valait souvent de ne pas être appréciés. Les eurasistes
non plus ne sont pas très appréciés parce que lorsque nous
voyons quelque chose de mauvais, nous affirmons que cela
est mauvais et lorsque nous voyons quelque chose de bon,
nous affirmons que cela est bon mais cela ne plaît pas, ni au
pouvoir, ni à la majorité des individus. Ils veulent soit que
nous nous taisions, soit que nous disions seulement du bien
comme lorsque l’on parle des morts. Nous nous exprimons
de façon juste, honnête et ferme surtout, et lorsque nous
voyons des choses que nous détestons, dégoûtantes pour
notre esprit, qui vont à l’encontre de nous, nous utilisons
des mots durs et attribuons de sévères épithètes. C’est
pourquoi, dans certaines situations nous pouvons être
victimes de persécutions. Pour affirmer la vérité, il faut
toujours être prêt à se voir persécuté. Bien que cela ne soit
pas toujours inévitable. Quelquefois, les prophètes étaient
nourris, acceptés, admirés, portés aux nues et quelquefois
on leur jetait des pierres. Et l’un comme l’autre se trouvent
dans le fondement de l’existence prophétique, c’est
pourquoi, si nous sommes des eurasistes conscients, il faut
supporter tout cela 255
La Quatrième théorie politique
dans le calme. Cela ne signifie pas que nous devons
chercher ce à cause de quoi on pourrait nous cracher
dessus, nous fusiller, nous mettre en prison, ne pas nous
laisser sortir… Peut-être quelque part nous aussi serons-
nous nourris, honorés, portés aux nues, alors qu’ailleurs
peut-être, on crachera sur nous, on nous battra et on se
moquera de nous. Mais de même que les prophètes, les
eurasistes doivent porter leur vérité, affirmer leur volonté.
L’analyse eurasiste
Que font encore les prophètes ? Ils rétablissent le lien entre
la cause et l’effet. « Reprends-toi Edom, reprends-toi Syr, tu
t’es éloigné de l’adoration du vrai Dieu et c’est pourquoi le
Seigneur t’a punie en détruisant les murs de ta ville. Où est
le royaume de Babylone qui se tenait aussi puissant ? Le
royaume de Babylone n’est plus. Pourquoi ? Parce qu’ils ont
refusé le Dieu unique. » À notre époque cette fonction est
dévolue à l’analyse politique, la politologie des profondeurs.
Les hommes analysent les causes d’événements déterminés
et montrent de quelle façon et selon quelles trajectoires ils
conduisent à des conséquences déterminées. Il s’agit d’un
élément de l’analyse eurasiste.
La langue eurasiste
La langue des prophètes apparaît très particulière : elle est
poétique, métaphorique. De même, l’eurasisme recherche
les catégories de sa langue, de son analyse et, plus
précisément, de la poésie dans la haute philosophie plutôt
que dans le quotidien et dans les détails éphémères, dans
les chiffres du budget, dans les noms des politiciens d’un
jour, dans des informations sensationnelles vides et
rapidement dépassées. Mais nos métaphores sont à ce
point claires, ces paraboles sont à ce point compréhensibles
qu’elles sont peut-être plus claires que la plus logique et
rationnelle des explications.
La prédiction eurasiste
Que font encore les prophètes ? Ils parlent du futur : « Et je
vois cette grande montagne tomber. » Il s’agit de la
prédiction eurasiste. Nous, eurasistes, faisons des
prédictions concernant le futur de la même façon, dans le preuve du bien-fondé absolu et triomphal de l’eurasisme.
style des prophéties. Nous disons : « Bientôt seront Ensuite, il vit comme il le peut ou comme il le veut, en se
ébranlées les fondations de la Russie et les forces impures soumettant à notre logique eurasiste, secrètement ou
menacent de prendre leur revanche. La sauterelle orange ouvertement, consciemment ou inconsciemment.257
volera vers la Russie. Et de l’intérieur se lèvera la vermine
La Quatrième théorie politique
enchaînée un temps par la puissance de l’Union soviétique
et la puissance de l’État russe. La vermine se lèvera car le Le sens de l’eurasisme consiste en ce que cette doctrine
moment où elle sortira de toutes les failles approche. Déjà totalitaire, absolue, et qui vous détermine de façon
maintenant notre Patrie n’est pas très pure, mais alors ce implacable doit devenir la racine de votre liberté. Elle
sera bien pire. » coïncide avec votre arbitraire. Le moment où vous exécutez
un ordre désagréable de votre supérieur, en réalisant votre
L’enseignement eurasiste est spirituel, prophétique. Simul-
propre fantaisie apparaît comme un véritable moment
tanément, il apparaît extraordinairement contemporain ;
eurasiste. Lorsque l’ordre coïncide avec votre fantaisie, avec
dans la mesure où les choses dont nous parlons portent
votre désir, avec le mouvement de votre âme. Lorsque la
plusieurs noms, nous employons des termes quelque peu
liberté absolue se fond en une synthèse indissoluble avec la
différents. Et cependant ces termes apparaissent comme
discipline absolue, il y a alors un véritable eurasisme. Dans
des définitions classiques des sphères d’activité qui
cet état, incontestablement, la représentation du négatif
intéressent l’élite intellectuelle et politique.
disparaît, l’image de l’ennemi s’éloigne à l’arrière-plan. Et
La discipline eurasiste, racine de la liberté cela est juste. En effet, au début pour se constituer en tant
qu’organisation, en tant que force, il est nécessaire d’évo-
Voici le dernier élément de la philosophie eurasiste. Pour le
quer un programme positif. Tout ce qui a été énoncé plus
définir, il nous est indispensable de déterminer qui nous ne
haut constitue un programme positif. Mais il convient
sommes pas. Jusqu’à présent, tout ce qui a été exprimé
d’accorder une certaine attention au programme négatif. Le
était tellement énergique, tellement profond, tellement
négatif se propose de lui-même à nous. Aussitôt que vous
absolu qu’il semblait ne pas rester de place pour une
vous trouvez dans le monde, vous êtes confrontés
quelconque opposition, pour un quelconque mal. Il semble
immédiatement à l’élément non-eurasiste. Comment donc
que tout ce qui a été exprimé apparaisse évident,
généraliser de façon conceptuelle ce qui n’est pas nôtre, ce
intéressant et juste au plus haut point ; il y a en vous-même
qui nous est hostile ?
une foule de preuves de ce que j’ai avancé. Regardez-vous,
touchez votre corps. Vous êtes des hommes russes, vous L’atlantisme estle malabsolu
êtes. Vous êtes déjà né, vous n’êtes pas encore morts. Voilà
Pour déterminer tout ce qui nous est hostile nous propo-
précisément la preuve suprême du caractère absolument
sons le terme « atlantisme ». Ces attroupements de
juste de toutes les constructions énumérées plus haut. Vous
porteurs de la doctrine des « puits de l’Occident », antithèse
êtes précisément ce que la doctrine soufie nomme khudjat,
directe de notre philosophie eurasiste, sont les atlantistes.
la « preuve » du bien-fondé de l’idée eurasiste.
L’atlantisme nie formellement la valeur du peuple qu’il
Inutile de chercher des constructions complexes, point
remplace soit par la masse, soit par l’individu. Il nie la terre
besoin de conversation vide et superflue. Le seul fait de
vivante et l’enracinement des hommes dans cette terre en
l’existence de l’homme russe constitue précisément la
proclamant ce que l’on pourrait nommer un « nomadisme
de l’asphalte ». Non seulement il s’agit d’un nomadisme
(qui peut être lié aux paysages familiers, aux territoires, aux
espaces), mais d’un nomadisme de l’asphalte, un
nomadisme dans un espace artificiel. Un déplacement
virtuel et permanent parmi les McDonald’s identiques à Tel-
Aviv, Washington, Cusco, Moscou, Tokyo… Un seul et même
McDonald’s et peu importe quel individu y mâche son
hamburger. Dans le monde virtuel, il n’est rien de réel, il
s’agit d’un nomadisme de l’asphalte ignorant la terre
vivante. C’est là le principe de l’atlantisme qui s’infiltre de
tous les côtés.
MTVou la personnification de l’abomination de la
désolation : l’impératif de la relaxation
Regardez MTV, il s’agit d’un exemple d’agitation classique.
La chaîne est menée de façon professionnelle et retransmet
de façon intensive le code atlantiste, en premier lieu en
direction de la jeunesse.
L’atlantisme constitue une négation de l’éternité dans la
mesure où il est fondé sur le principe « À moi, ne serait-ce
que pour un seul jour », sur des impératifs pernicieux « Vis
maintenant ! », « Ne t’en fais pas ! », « Détends-toi ! », «
Relax ! ». Mais dans les faits, ce sont des instructions. Vous
pensez que l’on vous a donné de quoi satisfaire votre plaisir
? Il n’en est rien, vous avez reçu un ordre. Ce que vous
recevez de la part des eurasistes, nous l’affirmons
clairement sans le cacher, ce sont des instructions : « Soyez
plus haut que vous ne l’êtes. Soyez bons, soyez lumineux,
soyez purs, soyez courageux, donnez naissance à des
enfants sains, vigoureux et magnifiques, créez l’histoire. »
Tel est notre ordre. Oui, il s’agit d’un ordre et nous ne le
cachons pas. Les atlantistes agissent de façon plus lâche. Ils
disent « Détends-toi ! » et si l’individu moyen ne souhaite
pas se détendre, se tient debout et s’entraîne avec des
haltères, alors que faire : ne pas s’entraîner avec des
haltères? Et cet ordre « Ne t’en fais pas ! », « Détends-toi »,
« Relax », répété avec insistance, pénètre notre
subconscient et nous code. L’atlantisme nous code tous, il
nous freine dans certaines activités et nous pousse vers
d’autres, nous force à faire ce que nous ne voulons pas.
Peut-être l’eurasisme aussi nous force-t-il à faire ce que
nous ne voulons pas. En fait, nous ne voulons rien, l’homme
est paresseux. Mais l’eurasisme nous affirme honnêtement
: « Nous vous forçons à faire ce que vous ne voulez pas
parce que nous pensons à votre place, nous prenons en
charge votre responsabilité et vous serez meilleurs, plus
beaux, heureux, même malgré vous. » « Nous vous rendrons
heureux » disent les eurasistes tout en montrant le poing à
la foule. Et ils le feront. Nos adversaires, les atlantistes,
agissent de façon 259
La Quatrième théorie politique
plus détournée. Ils déclarent : « Tout est normal, tout va
bien. Tout ira bien de cette façon aussi ! » En réalité ils
détournent notre attention. Et si vous ne vouliez pas ce «
Tout est normal, tout va bien. Tout ira bien de cette façon
aussi ! » ? Et si vous vouliez au contraire vous ressaisir ? Et
si vous vouliez avancer sur la voie du dépassement ? Mais
on nous affirme : « Tout va bien…, le sexe sans risque… On
pense un peu et cela suffit. Allons boire une bière. » Et il y a
là aussi un ordre, une instruction totalitaire, la même que la
nôtre. Je ne peux pas dire qu’elle soit pire. Elle est tout
aussi totalitaire dans la mesure où elle viole tout autant
votre volonté. Simplement, nous disons où nous vous
menons alors qu’eux ne vous disent rien. Car, s’ils mettaient
à nu l’essence de leur programme idéologique, tous
seraient horrifiés et le peuple russe aurait tôt fait d’anéantir
cette chaîne.
L’ontologie entropique de l’Extrême Occident(au-delà des
Colonnes d’Hercule)
L’atlantisme déteste la Russie, l’atlantisme s’oppose à
l’Orient, l’atlantisme apparaît comme une philosophie de
l’Extrême Occident. En son temps, la civilisation antique
avait dressé à Tanger et dans le golfe de Gibraltar des même que sur les marchandises achetées au supermarché ;
colonnes sur lesquelles il était écrit « Nec plus ultra », ce qui nous nous positionnons dans le monde des hommes de
signifie « Il ne faut pas aller plus loin », « Inutile d’aller plus façon très claire. Certes, ce signe peut s’effacer de même
loin », celui qui s’y risquerait le regretterait. Tant que ces que vous pouvez vous-même l’effacer, tel un tatouage, mais
colonnes veillaient sur l’humanité, les portes de l’Occident cela n’est pas aussi simple. Essayez de faire disparaître un
ontologique étaient scellées, scellées par ce sceau, ces deux tatouage en le frottant à l’aide d’un morceau de toile émeri
colonnes, et tout allait plus ou moins bien. Mais un ! Cependant, lorsque les hommes vous voient, ils lisent ce
misérable est malgré tout passé par là. Au moment où il est signe. Or, il suscite de la colère chez nombre d’entre eux.
passé par là, il a brisé le sceau ontologique fondamental.
De même, l’eurasiste peut deviner la nature des autres au
Savez-vous ce que signifie le signe du dollar ? Ce sont les
moyen des nuances, des lapsus, de l’aspect extérieur ; un
deux colonnes d’Hercule qui, sur les représentations
individu moyen met sa casquette à l’envers, enfile un
antiques, se mêlaient sous la forme de la lettre S avec
pantalon large et prend la route. Que cela signifie-t-il ? Qu’il
l’inscription « Il ne faut pas aller au-delà de ces colonnes ».
se trouve possédé par l’esprit de l’atlantisme. Il sert le
Mais sur le dollar il est écrit non pas « Nec plus ultra » mais
Léviathan. Il chante du rap, se cure le nez à volonté, se
« Plus ultra », « Il est possible d’aller plus loin ». Cela est
détend, tout est dit. C’est le Léviathan. Certes, il ne s’agit
possible. Aujourd’hui le dollar signifie le mouvement au-
pas encore d’une immersion complète dans le Léviathan
delà de ces colonnes, vers la zone interdite, vers l’Occident
mais il s’agit déjà, en principe, d’un objet nécessitant la plus
lointain, vers l’Atlantique. Cela signifie que le monstre
grande attention. Lorsque nous serons plus nombreux, nous
marin, le Léviathan, s’est libéré de ses filets antiques qui
ne permettrons plus à de tels personnages de marcher ainsi
pendant longtemps l’avaient maintenu en captivité. Et
dans nos rues. Ils devront se regrouper dans des lieux
lorsque les navires de Colomb et d’autres d’aventuriers
prévus à cet effet, comme des ghettos pour les malades, où
européens sont partis dans cette direction à travers l’océan
ils pourront laisser tomber leur pantalon, afficher sur leur
Atlantique, ils ont par leur geste rituel brisé les chaînes qui
visage une expression digne de MTV et bondir sur leurs
maintenaient le Léviathan et le Léviathan s’est levé. Voilà ce
mons261
qu’est l’atlantisme, la philosophie de l’Occident lointain,
une attaque ontologique des puits de l’exil. L’atlantisme La Quatrième théorie politique
désigne donc tout ce qui nous est contraire.
trueuses planches à roulettes. Ce sera le ghetto atlantiste
La polaritédes signes pour les amateurs de roller, de rap ou de skateboard. On
établira les ghettos les plus durs pour les surfers, le
Lorsque vous voyez des hommes nier tout ce que nous affir-
phénomène atlantiste le plus insolent et le plus anti-
mons, tout ce que nous proclamons et même tout ce que
eurasiste. Il n’est rien de pire que de glisser sur cette
nous ressentons, sachez que ce sont des ennemis, des
répugnante planche avec un sourire dévoilant une rangée
atlantistes et dans une certaine mesure, ils comprennent
de dents blanches. En un mot, l’atlantisme constitue notre
parfaitement ce qu’ils font, qui ils servent, et contre qui ils
ennemi absolu. Nul besoin d’ajouter quoi que ce soit.
luttent. C’est pourquoi, sitôt que nous voyons apparaître le
L’essentiel a été dit. Rien ne pourra aider celui qui n’a pas
signe eurasiste sur notre front ainsi qu’un rayonnement
compris. Rien.
eurasiste autour de notre être, nous acquérons l’aura de
l’eurasisme, en quelque sorte inscrite au marqueur, de Le problème du « moi »
À présent, en ce qui concerne la représentation eurasiste de Le plus souvent, on nous nomme de façon erronée. Aupa-
l’homme. Il est vraisemblablement aisé de comprendre que ravant, il existait des rituels particuliers destinés à donner
de notre point de vue l’homme constitue l’incarnation du un nom approprié à l’enfant, on consultait les calendriers, le
peuple et de la terre. En d’autres termes, l’homme n’existe temps. Les autres peuples possédaient d’autres rituels, dans
pas en tant que tel, il n’est qu’un fragment de réalités plus la mesure où le nom importe. Il ne s’agit pas d’une
profondes. C’est pourquoi entre le « je » et le « tu » dans le formalité.
cadre de son propre peuple, il n’existe pas une très grande
Le nom n’estpas une formalité
tension dialectique. Que l’on considère le « je » ou le « tu »,
en l’espèce, si nous sommes russes, qu’importe ce que nous À l’époque soviétique on nous nommait un peu au hasard :
partageons ? Il s’agit d’une question de principe, la Electron, Vladlena… On pouvait même donner le nom de
représentation de son propre isolement par rapport aux Radium. Certes, ce ne sont pas nos vrais noms, nous nous
autres en tant que situation non-définitive et parfaitement nommons autrement. Maintenant aussi le choix du nom se
conventionnelle. D’où l’idée de communauté, d’où la produit presque au hasard. On vous a donné une étiquette
représentation selon laquelle « l’homme » apparaît comme que vous portez. « Macha, je m’appelle Macha. » Quelle
une dénomination presque conventionnelle. Macha ? Lorsque nous rejetons ce faux nom, nous
devenons des Russes, de simples Russes ou encore un autre
Bien, il est aujourd’hui Vassia, mais pourquoi ne serait-il pas
peuple sain quelconque, nous pouvons porter de l’eau. Et
Pétia ? Si, comme toi, il éprouve de la joie, danse, va à la
c’est alors qu’à travers notre nation, à travers
pêche, regarde le ciel, participe à des actions politiques,
l’impersonnalité, à travers la fusion avec notre peuple, avec
prépare son mémoire universitaire, pourquoi serait-il
notre propre corps animé, avec notre langue, avec notre
précisément Vassia ? Pourquoi a-t-il décidé qu’il est Vassia ?
culture, nous trouverons notre propre « moi ». Et nous
Simplement l’élément russe vit à travers lui, respire à
dirons ensuite à tous : « Je m’appelle Makary, dorénavant
travers lui. Notre représentation de l’homme n’est pas
appelez-moi Makary. » Et cela sera un Makary
individuelle. Cela ne signifie pas que nous n’ayons pas
véritablement semblable à Makary. Cela sera une étincelle
d’individualité. Au contraire, dès que nous nous sentirons
d’éternité et non Makary. Cependant, maintenant il est
russes, le Russe numéro 15, le Russe numéro 17, le Russe
encore tôt. On doit mériter son nom. Nous n’avons pas de
numéro 19, nous commencerons à prendre conscience de
nom, il nous faut construire notre individualité. Mais si on
notre véritable individualité. Mais cela se passera de façon
ne la crée pas, cela ne constitue pas non plus un problème.
naturelle et progressive, et non pas de façon artificielle, non
Nous aurons simplement un Russe sans nom, bien nourri,
pas suite à une programmation forcée. Notre propre « moi
respirant à la russe, qui aura bien profité de la vie, qui aura
» sortira de nous, surtout en réponse au « Russe numéro 15
bien pris des forces et affichera un visage satisfait. Tout ce
», et dira : « Non, excusez-moi, je ne suis bien sûr pas Vassia
qui est magnifiquement russe disparaîtra. Mais si le Russe
mais je ne suis pas non plus Pétia. Vous m’avez nommé
numéro 15 découvre en lui un « moi » véritable et
Russe numéro 15 et m’avez considéré comme Vassia. C’était
supérieur, cela sera remarquable. Nous dirons simplement :
une erreur, une conclusion trop hâtive. Dorénavant, je suis le
« Mon cher, tu as carte blanche, tu seras 263
Russe numéro 15, je suis heureux d’avoir quelque chose à
moi, qui existait auparavant ou qui est apparu. » Et que La Quatrième théorie politique
mon âme vous parle de ce « quelque chose », qu’elle donne
son véritable nom.
un dirigeant, un décurion ou un centurion du mouvement
eurasiste. » Mais s’il ne le trouve pas, tout ira bien aussi.
L’hérésie de l’individualisme
L’hérésie atlantiste malfaisante sur l’individu s’oppose à
notre enseignement eurasiste sur l’homme en tant qu’être
ethnique. L’atlantisme proclame : « Ce n’est pas un homme,
ce n’est pas un Russe, c’est seulement Vassia. Il est tel que
vous l’avez nommé ; juste Vassia, juste un individu.
L’appartenance à la race, au peuple, à la langue n’ont
aucune signification. Aujourd’hui, il parle telle langue,
demain une autre, aujourd’hui il vit ici, demain, là-bas. Mais
dans tous les cas et quelles que soient les circonstances, il ne
reste qu’un individu. Il possède une carte de crédit, un
carnet de chèques, un numéro sur le front et sur la main
droite, un code-barres, un numéro fiscal. Voilà tout. Qui est-
il de par sa nationalité, sa culture, de quoi est-il une partie,
tout cela apparaît comme secondaire. Il n’est une partie de
rien, il est un tout. » Cette représentation de l’homme
apparaît comme purement atlantiste.
L’homme n’estqu’une convention
Notre représentation de l’homme, eurasiste, enseigne que
l’homme est une convention, juste une convention. Et alors
il peut élargir les frontières de son « moi » jusqu’à l’infini.
Par exemple, vers le haut pour dire : « Je suis un esprit ». Ou
alors en largeur pour déclarer : « Trois ou cinq personnes
vivent en moi, voici Vassia, voici Pétia, voici deux Macha, il y
a peut-être encore quelqu’un, voire quelqu’un de trop… ».
Voilà une grande âme remarquable. Quelle vie large en
perspective ! Quelle magnifique expérience ! Cet
élargissement des frontières humaines et de la
représentation du « grand homme » porte le nom savant
d’humanisme maximal. L’homme peut de même s’agrandir
vers le bas et s’exclamer fièrement: « Je suis un animal ! »
Et il aura tout autant raison. Il a également droit de se
conduire comme un porc.
La représentation eurasiste de l’homme affirme que
l’homme est l’incarnation de son peuple, ainsi qu’un phéno-
mène provisoire, une valeur instable. Aujourd’hui, il est «
untel » et « ainsi », demain il peut être « un peu différent ».
Après-demain encore autre. Mais il est des notions
permanentes, le peuple et l’espace. Ainsi que l’éternité qui
vit à travers nous.
L’impératif de la lutte
Dévoilons à présent la représentation eurasiste de la poli-
tique. Notre tâche consiste à lutter et à vaincre l’atlantisme,
à rendre les valeurs de l’eurasisme totales et obligatoires
pour tous. Voilà quel est précisément notre programme.
Nous commençons la voie de la lutte eurasiste d’une
position loin d’être triomphale. Nous possédons un énorme
potentiel dans la mesure où tant l’espace, que le pays ou
encore l’énergie de l’âme du peuple s’avèrent eurasistes.
Cependant, notre situation ne semble pas pour autant
brillante, c’est pourquoi il est difficile de s’acquitter de cette
tâche. Il est pourtant indispensable de se fixer cette tâche.
Si les individus, même dans une situation de pression, n’ont
ni perspective, ni volonté globale, ils ne feront rien.
Si l’on parle de façon réaliste, il est nécessaire de lutter
contre l’atlantisme et si nous parvenons à lutter contre lui
de façon efficace, cela constituera déjà un succès. De façon
générale, il convient de s’efforcer d’éliminer l’atlantisme et
les atlantistes. Si nous y parvenons, cela sera remarquable.
Si nous n’y parvenons pas, au moins nous aurons pratiqué
de l’exercice.
Nous irons au-delà de l’horizon
Notre activité ne connaît pas de frontières et c’est pourquoi
lorsque l’on nous demande : « Où vous arrêterez-vous ? », il
serait juste de répondre : « Nous ne nous arrêterons nulle
part, nous ne nous arrêterons jamais parce que l’eurasisme
est une philosophie ouverte ». Lorsque nous aurons fini avec
un ennemi, nous passerons au suivant. Il s’agit d’une grande
idée, semblable à la Grande Russie, il s’agit du grand empire petite pousse, puis un arbre. Ensuite, cet énorme bloc
eurasiste et nous n’avons aucunement l’intention de fixer d’asphalte étalé commence à se fissurer, les racines
ses frontières. Que les autres nous fixent des frontières et s’étendent et l’asphalte disparaît.
lorsque nous nous heurterons à eux frontalement, et qu’ils
L’arche eurasiste
nous diront : « Hommes, vous n’irez pas au-delà », nous
nous 265 Il existe une jeunesse eurasiste. Mais il doit exister des
vieillards eurasiste, de simples hommes et de simples
La Quatrième théorie politique
femmes eurasistes, des conducteurs de bus eurasistes, des
efforcerons d’aller encore plus loin et nous irons plus loin ! policiers eurasistes, c’est-à-dire que doit exister la totalité
Voilà avec quelle pensée il convient de vivre. de ce qui est eurasiste. S’il y a des jeunes, il doit y avoir des
anciens, s’il y a des eurasistes intelligents, il doit y avoir des
C’est pourquoi la définition des amis et des ennemis dans la
eurasistes stupides, s’il y a des eurasistes actifs, il doit y
politique eurasiste apparaît extrêmement importante. Il est
avoir des eurasistes passifs. Il convient de rassembler une
une réalité extrêmement simple mais dont il convient de se
paire de chaque type d’individu, comme dans l’arche de
souvenir en permanence : nous avons des ennemis. Ce sont
Noé. Tout doit être représenté chez nous, si possible en
naturellement les atlantistes. Nous avons des amis, nous-
double exemplaire. De même que dans l’arche de Noé
mêmes ainsi que ceux qui sont semblables à nous. Et
avaient été rassemblés les représentants de diverses
beaucoup sont semblables à nous, dans la mesure où, si on
espèces afin de leur permettre de survivre au déluge, de
comprend précisément l’eurasisme, il devient clair qu’il est
même l’eurasisme doit compter des réalisateurs, des
question non pas d’un mouvement séparé, d’une
acteurs, des militaires, des banquiers, des cyclistes, ainsi
philosophie distincte, il s’agit d’immenses nations. Il s’agit
que quelques individus sans occupation déterminée… Ainsi,
d’êtres humains, de vos parents éloignés, de vos parents.
il convient de s’efforcer de trouver des eurasistes
L’eurasisme constitue effectivement une immense direction
représentant tous les types de la société. Il y a des
spirituelle, esthétique, philosophique, existentielle et
eurasistes dans l’administration du président, dans le
politique.
gouvernement. Il y a de riches banquiers eurasistes de
L’herbe à travers l’asphalte même qu’il y a des pauvres eurasistes mendiants sur les
parvis.
Quelle est donc la représentation eurasiste de la stratégie ?
La stratégie de l’eurasisme est orientée vers l’introduction Le réseau eurasiste
des principes eurasistes partout, de la même façon que
Plus nous avançons, et mieux nous voyons le lien qui relie
l’herbe pousse à travers l’asphalte. Il est très important que
entre eux les eurasistes, ces fils qui établissent entre eux un
nous ne nous concentrions pas sur un point isolé,
système de communication, le système de communication
déterminé. Nous avançons dans toutes les directions, il y a
eurasiste. Il devient clair que tout cela n’est pas dû au
là une diffusion sphérique de l’eurasisme. C’est pourquoi, si
hasard, nous avons préparé tout cela pendant longtemps et
l’eurasisme se heurte en un certain lieu à des difficultés
nous allons nous préparer encore pendant un certain
précises, il progresse immédiatement dans une autre
temps. Mais tôt ou tard, ce réseau fera parler de lui.
direction, de la même façon, les plantes trouvent leur
Certains pratiquent l’eurasisme de façon professionnelle,
chemin à travers les fissures de l’asphalte : au début une
d’autres de façon épisodique. L’essentiel étant que
l’eurasisme constitue le contenu de l’âme. Et notre tâche
consiste à créer un réseau eurasiste complet.
La langue des actes eurasistes
Nous devons nous-mêmes assimiler les mots eurasistes et
passer à la langue des actes eurasistes. Maintenant, nous en
sommes justement au stade où l’eurasisme passe de la ré-
flexion, de l’expression verbale, à l’expression par l’action.
La théorie du geste eurasiste s’impose d’elle-même. Il ne
s’agit pas de quelque chose d’achevé. Il est nécessaire de
former le geste eurasiste, le style de comportement
eurasiste, le type de loisirs eurasistes, les actes eurasistes.
Quelque part, un grand peuple eurasiste doit exister.
Ailleurs, il n’y aura que deux ou trois personnes. Mais cela
est déjà suffisant pour sortir de la pensée et 267
La Quatrième théorie politique
accomplir l’acte eurasiste. L’essentiel étant qu’il soit
considéré comme eurasiste.
La simplification de l’eurasisme
Il est indispensable d’élargir l’auditoire visé par une sim-
plification des formes du message eurasiste. Tout ce qui a
été exprimé jusqu’ici apparaît relativement complexe. Il
convient encore de penser, de simplifier, de vérifier sa
validité auprès des parents et des amis afin de l’exprimer de
façon plus simple. Il convient de trouver les mots. Toutes
ces notions ne peuvent être exprimées de façon abstraite.
On peut, dans des conditions de laboratoire, élaborer une
formule simplifiée mais cela sera quelque peu artificiel. La
simplification doit passer à travers vous. Il est indispensable
de le comprendre. Et alors vous choisirez automatiquement
les mots justes, les termes exacts, les arguments pertinents,
les exemples adaptés à ceux qui manquent d’intelligence.
Ce processus naturel de transmission du message à un
nombre de plus en plus grand d’individus dénués de raison
conduira à une simplification organique du message
eurasiste.
L’eurasisme est cette énergie profonde, capable d’entrer
facilement en contact avec d’autres idéologies, d’autres
idées, d’autres vues simplement parce qu’il ne s’agit ni
d’une idéologie, ni d’idées, ni de vues, parce qu’en
comparaison avec l’eurasisme, tout ressemble à un jeu
d’enfant. Nous parlons ainsi aux enfants lorsqu’ils
s’efforcent avec une attention soutenue de mettre leurs
doigts dans la prise électrique ou encore lorsqu’ils
s’approchent d’un air menaçant de leur mère avec des
ciseaux à la main. On comprend immédiatement qu’ils ont
en tête quelque chose qui ne doit pas être. Comment leur
parle-t-on ? On peut immédiatement commencer à leur
faire une leçon en expliquant ce que signifient 220 V,
comment se déplacent les électrons et que cela se termine
par des brûlures… Il est clair que cela n’est pas efficace.
Habituellement, on les éloigne adroitement de leur but, on
les distrait, ou on leur met dans les mains quelque chose de
moins dangereux et on les dirige sur un autre itinéraire plus
inoffensif. On leur dit : « Que fais-tu donc avec ces ciseaux,
donne-les moi, je te donnerai un ballon. » À ce moment,
l’enfant distrait ne comprend pas qu’on lui enlève les
ciseaux, qu’on le tourne dans une autre direction et, le
ballon dans les mains, il se dirige déjà vers un autre but,
beaucoup plus intéressant pour lui et moins dangereux.
C’est exactement ce à quoi doit ressembler le dialogue des
eurasistes avec les représentants de toutes les autres
idéologies quels qu’ils soient. Sauf les atlantistes. Les
atlantistes sont nos ennemis. Certes, il y a peu d’atlantistes
convaincus, comprenant l’atlantisme. Dans l’ensemble, il
s’agit d’individus se trouvant provisoirement dans un état
de conscience altéré. Par conséquent, il est nécessaire de
s’adresser à eux, d’agir envers eux d’une façon appropriée.
Leur faire respirer des sels, leur faire reprendre leurs
esprits. En ce qui concerne les individus qui professent les
idées non pas de l’atlantisme mais des idées extravagantes,
par exemple conservatrices ou communistes ou encore
national-bolcheviques, c’est-à-dire ceux qui nous répètent
nos propres idées, on doit calmement mener un dialogue
avec eux comme avec un enfant qui se dirige là où il ne faut
pas avec des ciseaux dans les mains. « Vraiment ? Vous
pensez cela ? Bien. » Et progressivement il convient de faire
revenir cet individu à un état conscient.

La recherche d’alliés

Dans la mesure où, pour l’eurasiste tous sont alliés à l’ex-

ception des atlantistes, la diversification du discours
apparaît pour lui comme une question de principe.
L’eurasiste doit savoir parler plusieurs langues. En présence
d’un ouvrier, il doit de suite évoquer le mouvement ouvrier,
la nécessité d’un travail honnêtement payé, affirmer que les
oligarques sont des crapules, etc. Face à l’intelligentsia,
l’eurasiste doit évoquer la grandeur de la culture russe,
Pouchkine, évoquer ses erreurs sans conséquences.
L’essentiel demeure l’aptitude à engager le dialogue et à
promouvoir l’approche eurasiste à travers le modèle de
situation de l’instant présent. Tout au moins montrer qu’il
existe un certain nombre de valeurs fondamentales dont
vous êtes informé, alors que votre interlocuteur ne l’est
pas, mais dont vous vous retenez pour le moment de parler
avec lui, c’est pourquoi vous évoquez Pouchkine. 269
La force eurasiste

La force eurasiste est l’affirmation à la société de notre détermination à participer à son destin.
Elle se mesure par le nombre de sympathisants, leur qualité, le soutien en matière
d’information, notre degré de préparation à l’action, la coordination de nos efforts, notre
capacité à mener une activité autonome et organisée, notre aptitude à exercer une influence
sur la situation. Il existe une organisation eurasiste, une philosophie eurasiste ainsi qu’une
abondante littérature eurasiste. L’essentiel doit être l’intuition eurasiste, les muscles eura-
sistes, la poigne eurasiste, les dents eurasistes pour avancer intelligemment dans ce monde
rempli de pièges, de recoins traîtres, d’entrées sombres et mal éclairées où les ennemis vous
attendent. La tâche des eurasistes consiste à avancer dans ce jeu historique, fondamental et
eschatologique aussi loin que possible.

Les buts eurasistes

Les buts eurasistes aujourd’hui peuvent être définis comme suit :

- devenir véritablement une force, prendre part à ce qui se passe dans le pays, influencer ce
qui se passe dans le pays dans un sens eurasiste,

- devenir une puissante force dirigeante dans notre pays, assurer l’exercice des fonctions de
pouvoir en tant qu’instrument de réalisation concrète des idées eurasistes,

- à nouveau transformer la Russie en empire et créer en s’appuyant sur la Russie une grande
puissance, un empire eurasiste continental et…

- participer à la transformation finale du monde.

Ni plus, ni moins.

Partie V

Les contours idéologiques de la future