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Des compétitions sportives au développement de l’eSport: du

football à League of Legends.

Cette communication permet de se questionner sur les ressemblances qui se profilent sur le
plan des compétitions sportives/ d’eSport. Le développement des compétitions de League of
Legends au regard du modèle de celles du football est traité à travers trois axes : dans un
premier temps, sont interrogées les institutions impliquées dans les tournois et leur mode
d’organisation, c'est-à-dire une partie des acteurs entrant dans le processus compétitif, allant
des équipes aux sponsors. Dans un second temps, une analyse plus précise est fait de la figure
du joueur professionnel, et de ses différentes façons d’accéder à une visibilité, voir à une
certaine célébrité entraînant la nécessité de cultiver un éthos particulier. Dans un troisième
temps, est abordé le processus de médiatisation des compétitions, la mise en scène de celles-ci
sur le mode de l’évènement ainsi que le discours médiatique qui les accompagne.
In this paper we question the similarities between sport and eSport competitions. The recent
development of League of Legends competitions will be analyzed on three points in regards of
those existing in the football. Firstly, institutions involved in the organization are considered,
especially the actors implicated in the competition process, from team to sponsors. Then, we
focus on the professional player figure and its ways to gain visibility or even celebrity, and the
consequent necessity to work on its ethos. Finally, we interrogate the competition media
coverage, its dramatization following the model of an event and both accompanying media
discourses.
Mots clés : médiatisation, médiation, eSport, sport, football, League of Legends,
professionnalisation, compétition.
Key words: media coverage, mediation, eSport, sport, football, League of Legends,
professionalization, competition.

INTRODUCTION
Dans le cadre d’une recherche de thèse, j’ai étudié la pratique de l’arène de bataille
multijoueur en ligne League of Legends où deux équipes de cinq joueurs s’affrontent dans un
environnement fixe par l’intermédiaire de personnages1. La méthodologie mobilisée m’a
amené à être une joueuse, expérimentant le jeu, découvrant l’univers développé par la société
productrice Riot Games. Une particularité de ce titre est de s’inscrire à la fois dans le
domaine du loisir mais également de la professionnalisation. En effet, League of Legends se
veut « la scène compétitive la plus active du monde, avec d’innombrables tournois dans le
monde entier, dont les prestigieuses Championship Series dans lesquels des pros salariés
s’affrontent pour une cagnotte de plusieurs millions »2. C’est ainsi que j’ai été amenée à
1
Il existe plus d’une centaine de personnages, qui ont des caractéristiques et compétences différentes. L’objectif
pour remporter la partie est de détruire la structure de la base de l’adversaire. Les parties durent généralement
quarante-cinq minutes.
2
C’est ainsi que Riot Games décrit une des particularités de son jeu vidéo. [Source :
http://gameinfo.euw.leagueoflegends.com/fr/game-info/get-started/what-is-lol/]
découvrir le monde de l’eSport, du sport électronique pratiqué par des joueurs professionnels
de haut niveau, s’affrontant dans des compétitions à dimension internationale. Cela m’a incité
à analyser les rapports entre loisirs et professionnalisation (Rollandin, 2014), à travers l’étude
de la figure des joueurs professionnels et des animateurs. Devant l’engouement que semble
susciter l’eSport à travers des actions de médiatisation via des plateformes diffusant les
tournois et les entraînements des joueurs, mobilisant ainsi de nombreux fans soutenant les
équipes professionnelles, je me suis questionnée sur son devenir. En effet, les matchs
opposent des équipes de cinq joueurs professionnels, qui malgré leur entraînement vont faire
vivre aux spectateurs des moments intenses, où il est difficile de savoir avec certitude qui va
l’emporter. Ainsi, les joueurs professionnels doivent faire des enchaînements rapides de
combinaisons sur le clavier pour contrôler un personnage, planifier en amont le choix de ce
dernier afin d’avoir une équipe équilibrée, définir des stratégies et les mettre en œuvre tout en
gérant les erreurs potentielles liées au dynamisme des actions et à la bonne coordination des
mouvements. Cette incertitude liée au dénouement du match n’est toutefois pas spécifique à
ce type de compétition. Christian Bromberger évoque ce phénomène à propos du football,
expliquant que :
si le match de football est aussi captivant à regarder que « bon à penser », c’est que l’aléatoire, la
chance, les erreurs d’appréciation y tiennent une place singulière en raison de la complexité
technique du jeu fondé sur l’utilisation anormale du pied, de la tête et du torse, de la diversité des
paramètres à maîtriser pour mener une action victorieuse. (2011, p24)
C’est ainsi qu’il ajoute qu’« au football, plus encore que dans les autres sports, le meilleur ou
le plus doté ne gagne pas toujours ». Un exemple survenu lors de la phase de groupe du
championnat du monde de League of Legends illustre parfaitement cela : alors qu’une équipe
brésilienne « invitée » Kabum avait perdu tous ses matchs, elle remporta son dernier match
contre une équipe européenne lui bloquant ainsi l’accès à la phase suivante alors que
spectateurs comme analystes considéraient ce match comme joué d’avance. L’intérêt que les
sujets ont à regarder un match ou à suivre une compétition de football relève du même
processus pour les tournois d’eSport. Je me suis alors demandé si les rapports entre les deux
pratiques sur le plan compétitif pouvaient aller plus loin. Certes, League of Legends implique
une pratique où le corps n’est pas mouvant dans le temps, contrairement à celui des joueurs de
football qui est en perpétuel mouvement sur le terrain, mais n’en est pas moins présent et
actif. Mélanie Roustan et Jean-Basptiste Clais constatent effectivement « la présence de
« séquelles » touchant le corps (surtout les yeux et les mains) » du joueur. Pour eux, « Maux
de tête, de dos, problèmes oculaires, courbatures, peuvent constituer autant de conséquences
directes d’une session » (Clais, Roustan, 2003, 37). Toutefois l’objectif n’est pas de se
demander si l’eSport peut être considéré comme un sport ou non, mais plutôt de questionner
les rapprochements des activités des joueurs professionnels de League of Legends avec ceux
du football. La comparaison avec le football semble pertinente dans la mesure où ce sport est
le plus joué et le plus regardé au monde, tout comme League of Legends, qui bien que jeu très
récent semble s’imposer comme une référence dans le domaine. J’ai d’ailleurs constaté que le
processus de médiatisation et les logiques communicationnelles liées aux compétitions
sportives électroniques n’étaient pas totalement novateurs mais semblaient s’inspirer de ceux
des compétitions sportives, tant sur le plan pratique que sur celui de leur mise en scène, ce qui
amène à la problématique suivante : En quoi pouvons-nous qualifier les ressemblances qui se
profilent sur le plan des compétitions sportives/ d’eSport ?
Je propose donc une analyse du développement de la pratique compétitive à haut niveau de
League of Legends à partir d’une comparaison avec les compétitions de football. On note que
les deux objets étudiés sont des « jeux » qui peuvent se pratiquer sur une scène non
compétitive par les sujets, permettant à ces derniers de développer une certaine connaissance
des règles qui les incitera à s’intéresser à la pratique telle qu’elle est vécue et mise en œuvre
sur le plan professionnel. La pratique compétitive de League of Legends s’inscrit dans un
contexte international. En effet, aucune compétition d’eSport impliquant des joueurs
professionnels (rémunérés de manière pérenne) ne se déroule en France. Même s’il est
possible de se rendre sur le lieu des compétitions, la plupart des sujets regardent les
retransmissions permises grâce à la médiatisation par Internet. Ainsi, bien que le football soit
un sport compétitif qui est également très développé nationalement, je ne m’intéresserai pas à
cette dimension-là. L’objectif est de questionner l’aspect compétitif du sport et de l’eSport, et
non la pratique des sujets ordinaires. Ils ont cependant leur place dans le processus étant
donné qu’une part de ceux-ci constitue le public des opérations de médiatisation. Considérant
que les deux pratiques impliquent et montrent à l’écran (à la télévision ou sur Internet) le
corps des joueurs professionnels, mon cadre théorique articule des travaux portant sur
l’analyse des interactions en face à face à d’autres portant sur le champ de la communication
médiatisée. Cette approche permet de tenir compte du corps et de son image, mais aussi de
l’impact du dispositif sur l’appréhension de la pratique des professionnels par les différents
publics. N’étant pas une spécialiste du football, j’ai dû également inclure à ce cadre une
documentation sur le football, et son actualité. Pour répondre à ma problématique, un
ensemble méthodologique ethnosémiotique3 a été appliqué à deux terrains : les compétitions
de football et celles de League of Legends, notamment à travers leur médiatisation,
respectivement à la télévision et sur Internet. J’ai effectué d’une part une analyse sémiotique
des programmes qui mettaient en avant l’activité des joueurs professionnels de football et de
League of Legends4. D’autre part, j’ai mené une étude interactionnelle des terrains en me
confrontant à de nombreux matchs5 comme le ferait n’importe quel spectateur.
Le développement des compétitions de League of Legends au regard du modèle de celles du
football est traité à travers trois axes : dans un premier temps, j’interroge les institutions
impliquées dans les tournois et leur mode d’organisation, c'est-à-dire une partie des acteurs
entrant dans le processus compétitif, allant des équipes aux sponsors. Dans un second temps,
mon regard porte plus précisément sur la figure du joueur professionnel, et sur les différentes
façons d’accéder à une visibilité, d’un éventuel accès à la « célébrité » et des liens développés
avec le public, entraînant la nécessité de cultiver un éthos particulier. Dans un troisième et
dernier temps, je questionne le processus de médiatisation des compétitions, la mise en scène
de celles-ci sur le mode de l’évènement ainsi que le discours médiatique qui les accompagne.

3
Je me suis inspirée du travail de Joëlle Le Marec et d’Igor Babou qui ont mis en œuvre ce type de
méthodologie, ce qui représente une des spécificités de leur recherche qui repose sur « le croisement de deux
approches disciplinaires qui ont trop souvent tendance à s’exclure l’une l’autre : à la sémiotique serait attribué le
travail sur des corpus, alors que l’ethnographie des usages se verrait attribuer l’analyse des entretiens ou des
observations » (Souchier, Jeanneret, Le Marec, 2003, 237)
4
Si les matchs de football sont retransmis à la télévision, dans cas de League of Legends, il faut se rendre sur
différentes plateformes de diffusion qui disposent d’une chaîne de webTV permettant aux spectateurs de suivre
les matchs commentés par des animateurs. On compte trois plateformes françaises : Ogaming, Millenium et
Eclypsia. Il est possible d’accéder aux trois par le biais du site lolesport.com.
5
Les matchs de la coupe du monde 2014 pour le football et les compétitions de League of Legends durant la
saison 4 (2013-2014) qui se sont réparties en différentes ligues pour chaque « continent » (Europe, Amérique du
Nord, Corée, Chine, Asie du sud) puis les championnats du monde dont la finale s’est déroulée le 18 octobre
2014.
1 STRUCTURES ET ACTEURS DES COMPÉTITIONS : IMPACT
SUR L’ACTIVITÉ DES JOUEURS PROFESSIONNELS
Le mode de fonctionnement des compétitions est abordé à travers les différentes structures et
acteurs impliqués. Je traite tout d’abord du planning des compétitions intimement lié à la
pérennité financière du joueur professionnel. Il est ensuite question des sponsors et des
équipes, considérés comme des acteurs indissociables de l’activité à haut niveau. Enfin, je
reviens sur le fait que les compétitions internationales peuvent constituer un témoignage
culturel d’une manière d’aborder la pratique de la compétition sportive/d’eSport.

1.1 INSCRIPTION TEMPORELLE DES COMPÉTITIONS ET PÉRENNITÉ DU MÉTIER DE JOUEUR


PROFESSIONNEL
Le football est un sport dont les compétitions s’articulent autour de tournois locaux,
nationaux, internationaux, continentaux, mondiaux, ce qui s’explique par le grand nombre de
pratiquants, rendant pertinent ce mode de structuration. Bien que des petites compétitions
soient organisées à League of Legends au niveau national, la scène dite compétitive est
notamment portée par deux types de compétitions : celles que l’on pourrait dire
« continentales » bien que les répartitions soient atypiques et les mondiales. En effet, tout
comme au football, il existe des divisions dans lesquelles les équipes vont évoluer pendant
une saison, l’enjeu pour elles étant de rester dans les premières afin de ne pas être reléguées
dans une division inférieure. Les compétitions continentales, correspondent à 5 ligues,
chacune comportant huit équipes professionnelles qui se rencontrent plusieurs fois : Europe
(LCS EU), Amérique du Nord (LCS NA), Chine (LPL), Corée (OGN), et Asie du Sud (GPL).
Chaque équipe accumule des points lui permettant d’évoluer dans le classement.
Contrairement au football où une victoire peut valoir plusieurs points, sur League of Legends,
elle ne vaut qu’un point. Les équipes les plus mal classées devront alors affronter des équipes
challengers afin de tenter de conserver leur place dans la division, et ce, tous les six mois.
L’enjeu est de taille : les équipes qui restent dans cette division voient leurs joueurs rémunérés
par la société Riot Games, alors que dans les divisions en dessous, les joueurs ont plus de
difficultés à trouver une source de revenus fixes, ce qui peut nuire à leur entraînement6.
Rester dans cette division permet également d’avoir une chance de se qualifier pour le
championnat du monde. En effet, contrairement au football où la coupe du monde a lieu tous
les quatre ans et où les équipes se composent des meilleurs joueurs d’une nation, dans le cas
de League of Legends, ce sont les mêmes équipes qui ont accès à cet évènement particulier.
Au sein de chaque ligue, les équipes s’affrontent pour tenter de décrocher une place pour ce
championnat. L’enjeu est de taille : deux millions de dollars sont disponibles, dont un million7
pour l’équipe victorieuse. Le déroulement menant à la finale du championnat du monde est
similaire à celui d’une coupe du monde : des phases de groupe où les équipes s’affrontent,
afin d’arriver au quart de final, à la demi-finale et à la finale. Notons que si pour une finale de
football, tout se joue sur un match, la finale du championnat du monde de League of Legends

6
Cela pose d’ailleurs la question de ce que l’on peut appeler « Joueur professionnel ». Est-ce seulement lié au
fait d’être rémunéré de manière stable ? Les joueurs qui ne sont pas dans cette division sont-ils des joueurs
professionnels ou semi-professionnels tant qu’ils n’arrivent pas à faire réintégrer leur équipe dans cette division ?
7
La coupe du monde de football 2014 a permis à l’équipe vainqueur de remporter trente-cinq millions de dollars
[source : http://www.linternaute.com/sport/magazine/primes-et-prize-money-du-sport/coupe-du-monde.shtml],
soit trente-cinq fois plus que pour l’équipe gagnant du championnat de League of Legends. Toutefois une équipe
de football compte bien plus de joueurs et d’autres professions œuvrant pour le bien de l’équipe.
se joue en plusieurs parties, pouvant aller jusqu’à cinq, le vainqueur étant l’équipe qui atteint
la première les trois victoires.

1.2 SPONSORS ET ÉQUIPES: DES ACTEURS INDISSOCIABLES DE L’ACTIVITÉ COMPÉTITIVE


Les joueurs d’eSport comme les footballeurs sont recrutés en fonction de leur performance
dans des tournois amateurs, accédant ainsi aux équipes/clubs professionnels. Les équipes
professionnelles de League of Legends portent un nom et un logo, ce qui permet de les
identifier comme c’est le cas pour les équipes de football. Intégrer une équipe professionnelle
permet au joueur de recevoir une certaine rémunération qui peut varier en fonction de la taille
de la structure, celle-ci peut assurer ses déplacements, un salaire, etc. Alors que pour le
football les équipes accédant au mondial sont gérées par leur pays, les équipes de League of
Legends doivent avoir une source de financement. Les sponsors trouvent ainsi tout
naturellement leur place, en soutenant une équipe, un joueur, en termes de financement ou de
matériel, en échange de visibilité. Certaines équipes portent même le nom de ces marques qui
investissent dans l’eSport comme Roccat (Europe) de Samsung ou de SKTélécom (Corée). Si
« le financement des compétitions sportives ne date pas d’hier » (Nys, 2010), celui de League
of Legends s’avère relativement récent, et semble en plein essor. Selon Jean-François Nys
(2010),
Sans surprise, ce sont les équipementiers sportifs qui dominent avec Adidas et Nike aux deux
premières places, suivis par Puma qui a réalisé un bond impressionnant depuis 2005, grâce
notamment à ses contrats passés avec les équipes africaines. Le top 5 est complété par deux
sponsors de la Coupe du monde FIFA, Coca-Cola et Emirates […].
Ce qui est intéressant à relever dans cette analyse des principaux sponsors dans le monde du
football dans les années 2009-2010, c’est qu’un phénomène similaire se produit dans le cas de
l’eSport : les principaux sponsors sont liés au monde de l’informatique et des
télécommunications. Toutefois, il est bon de signaler que depuis la saison 4 de League of
Legends, un sponsor déjà présent pour le football a fait son entrée : Coca cola, introduisant
une nouvelle division pour les ligues européenne et américaine : Coke Challenger League,
offrant ainsi une possibilité d’arriver à intégrer la division principale (les LCS EU et NA).
Les sponsors acquièrent ainsi une visibilité sur les lieux de l’évènement dont les diffusions via
Internet font une grande audience. Ainsi, les tenues des joueurs professionnels de League of
Legends arborent de plus en plus de logos de marques, comme c’est déjà le cas pour les
footballeurs professionnels. Alors que la performance d’une équipe est importante pour
assurer aux joueurs un salaire donné par Riot Games, elle l’est aussi dans la perspective de
garder ses sponsors : les joueurs professionnels sont tenus de faire des prestations leur
permettant de rester sur le devant de la scène compétitive afin d’assurer une grande visibilité
au sponsor. Ainsi, l’enjeu pour chacun est de définir quelle équipe lui assurera le plus de
chance d’accomplir la meilleure performance durant l’année et d’arriver au championnat du
monde. On constate ainsi des mouvements toute l’année entre les équipes, sans qu’aucune
période ne soit définie contrairement au football. Alors que la finale de la saison 4 vient de se
terminer, de nombreux joueurs quittent leur équipe et cherchent à se faire recruter par
d’autres. À titre comparatif en ce qui concerne les montants des transferts : un des meilleurs
joueurs européen Rekkles peut se faire racheter pour 15 000 dollars, contre 94 millions
d’euros pour un joueur de foot comme Cristiano Ronaldo en 2009.
1.3 DES COMPÉTITIONS INTERNATIONALES, VECTEUR D’UNE MANIÈRE CULTURELLE DE PRATIQUER
ET D’ENVISAGER LE SPORT / ESPORT COMPÉTITIF
Un élément m’a très souvent étonné lorsque je regardais des matchs de football impliquant
l’équipe de France avant la coupe du monde ou aux débuts de la coupe du monde. Des matchs
amicaux sont organisés, permettant aux français de marquer un nombre de but considérable,
montrant ainsi une inégalité certaine entre les deux équipes. Cela se poursuit ensuite dans la
première phase de groupe. Cette inégalité est constatée par Christian Bromberger :
Mais si, à travers ses principes, ses héros et ses légendes, le football célèbre l’égalité des chances et
la solidarité, le monde social, avec ses inégalités et ses coups bas, refait brutalement surface sur le
terrain. Ici, comme dans la ferme des animaux de George Orswell, certains sont plus égaux que
d’autres. (2010, p23)
Ainsi, si les résultats peuvent s’expliquer par d’inégalités en termes d’entraînement et de
moyens investis, ils témoignent aussi d’une vision culturelle de la pratique du sport ou de
l’eSport. Afin d’accomplir des performances sur la scène compétitive, les joueurs
professionnels, de football ou de League of Legends ont droit à des entrainements quotidiens
intensifs. On notera que les entraînements sur League of Legends peuvent aller parfois jusqu’à
plus de douze heures de jeu par jour, durée impensable pour des footballeurs, en raison d’une
limite de la sollicitation du corps des sportifs. Dans les pays comme la Corée, on constate que
les entraînements sont plus intensifs, l’eSport étant reconnu au même titre qu’un sport. En
Europe, les joueurs ne s’entraînent pas autant. La considération du joueur professionnel de
League of Legends n’a d’ailleurs pas la même en Corée, qu’en Europe ou aux États Unis. Ce
constat est fait en analysant la mobilité des joueurs professionnels. Alors que les footballeurs
disposent d’un Visa spécial leur permettant de voyager et de se déplacer, il n’existe pas de
Visa permettant à un eSportif de se déplacer, celui-ci n’étant pas considéré comme un sportif
dans la plupart des pays. À plusieurs reprises lors des différentes compétitions, des joueurs
professionnels n’ont pas pu se rendre sur les lieux de la compétition. Pour pallier cela, une
solution reste de faire appel aux remplaçants, mais ceux-ci ont peu de temps pour s’entraîner
collectivement, contrairement au foot où les titulaires peuvent sortir au cours d’un match. Là
les remplaçants assurent un match si besoin, et ce dans sa totalité. Si les remplaçants ne
bénéficient pas de la même intégration dans les équipes de football que dans celles de League
of Legends, on observe aussi une différence quant à l’encadrement des joueurs
professionnels : si les équipes de football bénéficient toutes d’un ensemble de professions les
accompagnants, il n’en va pas de même dans les équipes professionnelles de joueurs d’eSport.
Ainsi, certaines équipes n’ont pas d’entraîneur. Lorsqu’il y en a, ceux-ci sont généralement,
comme dans le cas du foot, d’anciens joueurs professionnels. A l’heure actuelle, cette
différence s’explique par le fait que la pratique du jeu League of Legends sur la scène
compétitive est récente, ce qui ne permet pas d’avoir suffisamment d’anciens joueurs
professionnels, qui se dédient à l’entraînement des autres. J’émets la supposition que cela va
commencer à changer, et que dans quelques années, toutes les équipes auront des entraineurs
ou managers, métiers offrant ainsi une opportunité de reconversion pour les joueurs.

2 LA CONSTRUCTION DE L’ÉTHOS DES JOUEURS PROFESSIONNELS : DE LA


VISIBILITÉ À LA CÉLÉBRITÉ ?
Les joueurs professionnels sont intégrés dans un système de médiatisation permettant de
diffuser leur style de jeu en se mettant en scène lors de leur entraînement personnel et des
tournois, leur permettant un passage de la simple visibilité à une certaine célébrité. Tout
d’abord, il est question des espaces auxquels les joueurs professionnels ont accès pour se
mettre en scène en tant qu’équipe, mais aussi pour se construire un éthos individuel. Je
considère ici l’éthos comme « une notion qui relève de tout type d'échange et participe dans
toute situation à son bon fonctionnement » (Amossy, 2010, p31), c'est-à-dire que tout acte ou
toute action contribue à la formation d’une image du sujet. Ensuite, je montre que malgré une
certaine liberté dans la personnalisation de leur éthos, les joueurs professionnels doivent
moduler l’aspect comportemental de leur image afin de ne pas s’éloigner de la représentation
de la figure du joueur professionnel que se fait la société Riot Games, s’ils ne veulent pas
s’exposer à des sanctions. Enfin, le rapport au public est questionné : les joueurs
professionnels de League of Legends développent un rapport de proximité plus important avec
leur public que les footballeurs, ce qui leur permet d’ajuster leur éthos personnel.

2.1 LES COMPÉTITIONS, DES ESPACES POUR SE METTRE EN SCÈNE INDIVIDUELLEMENT ET EN TANT
QU’ÉQUIPE
Bien que le public puisse rencontrer les joueurs professionnels sur les lieux où se déroulent les
compétitions, la plupart assistent à ces évènements par le biais des diffusions à la télévision
dans le cadre du football et sur Internet pour League of Legends. Qu’elle soit médiatisée ou
non, la rencontre constitue pour les joueurs des opportunités de se mettre en scène en tant
qu’équipe et en tant qu’acteur individuel. En tant qu’équipe, les joueurs peuvent témoigner
d’une certaine cohésion, en mettant en place des stratégies complexes qui reposent sur une
certaine symbiose, comme la construction d’une action permettant de mettre un but ou bien le
déroulement d’un combat entre les personnages de deux équipes permettant de prendre
l’ascendant lors d’une partie. L’image que le public se fait d’une équipe s’alimente par les
différents propos tenus par les joueurs, à propos de leur entente au sein d’une équipe. Ainsi,
certains professionnels de League of Legends, n’hésitent pas à expliquer que l’entente n’est
pas si bonne que l’on pourrait croire, ce qui est très rapidement relégué par les réseaux
sociaux, pouvant ainsi donner une idée des prochains résultats de cette équipe : une mauvaise
entente pouvant entraîner une mauvaise communication, aboutira probablement à de mauvais
résultats en compétition.
Les joueurs professionnels montrent un style de jeu qui leur est propre, avec des personnages
atypiques qui sont joués lors des parties, ou bien en faisant certains mouvements demandant
une grande maîtrise, comme cela peut être le cas au football. En effet, certains professionnels
de ce sport se démarquent par des mouvements auxquels ils ont donné leur nom, par un style
de jeu plus ou moins agressif, mais aussi par une manière d’être et d’évoluer au sein de
l’équipe. On compte par exemple Jean Pierre Papin qui avait une façon caractéristique de
marquer, ou bien Panenka et sa manière particulière de tirer un penalty, tous deux ayant donné
leur nom au mouvement. De la même manière, les joueurs professionnels de League of
Legends peuvent effectuer une action exceptionnelle qui se verra alors attribuer leur nom.
Ainsi, le joueur Insec a donné lieu à l’insec, ou encore Xpeke qui a donné une Xpeke,
accédant à une certaine célébrité, qui reste loin de celle des footballeurs qui se mettent en
scène également lors d’évènements médiatiques qui n’ont aucun rapport avec leur activité
initiale. Ce style de jeu leur permet de se différencier, et contribue à la formation de leur éthos
médiatique, c'est-à-dire de leur image de soi qui est véhiculée par le média. Notons que cette
image peut être enrichie par des caractéristiques corporelles ou vestimentaires. Le joueur
Imaqtpie se distingue par ses cheveux longs et sa barbe, ou le joueur Ocelote par ses écharpes
portées quel que soit le temps.
2.2 ENTRE INDIVIDUALISATION ET RESPECT DU COMPORTEMENT ATTENDU CHEZ UN JOUEUR
PROFESSIONNEL
Contrairement au football où l’activité favorise l’entraînement en équipe, le dispositif de
League of Legends est conçu de telle sorte que les joueurs professionnels puissent s’entraîner
aléatoirement avec d’autres joueurs ayant un niveau plus ou moins équivalent, ces derniers
pouvant être d’autres professionnels ou bien de très bons joueurs amateurs. Dans ces parties
où il n’est pas forcément entouré que d’autres professionnels, il se retrouve confronté à un
double rôle8 : être un joueur et être un professionnel. Ses actes et ses propos qui vont être
tantôt régis par un rôle tantôt par l’autre contribuent à enrichir son éthos mais introduisent une
difficulté dont le joueur professionnel doit tenir compte : alors qu’il évolue en tant que joueur,
il ne peut s’adonner aux comportements que l’on retrouve fréquemment chez les amateurs.
Ces derniers recourent souvent à l’insulte, aux propos racistes ou même à la déconnexion
volontaire dans le but de nuire au bon déroulement de la partie. Alors que le joueur
professionnel peut s’entraîner sans que ses actes et propos ne soient médiatisés, il reste tenu
d’entretenir son éthos de manière à rester cohérent avec la représentation que propose Riot
Games de ce que doit être un joueur professionnel. En effet, il doit se plier à des règles
explicites dans le règlement de League of Legends, comme ne pas prononcer de propos
racistes ou plus implicites comme ne pas quitter une partie sur le coup de l’énervement même
si celle-ci est sur le point de se terminer. Tous comme les joueurs de football qui doivent
présenter un comportement acceptable, car ils peuvent servir de modèle aux générations plus
jeunes, et sont également garants de valeurs sportives, ils s’exposent à des sanctions s’ils ne
respectent pas ses règles de fair play et de comportement, à l’image de Zidane en 2006 et de
son fameux coup de tête qui lui valut un carton rouge l’empêchant ainsi de poursuivre un
match de finale avec son équipe. Au-delà des critiques apportées sur le plan de leur carrière
individuelle, cela entache plus globalement l’esprit de compétition que souhaitent véhiculer
les sociétés à l’origine des évènements. Ainsi, Riot Games estime que les joueurs
professionnels sont porteurs de valeurs, et doivent faire attention à leurs actes et propos, que
ce soit lors des parties de jeu ou en dehors. J’ai constaté plusieurs exclusions notamment liées
à des affaires de racisme, engendrant une sanction, c'est-à-dire une interdiction de pratiquer le
jeu sur la scène compétitive pendant plusieurs mois9. Les conséquences peuvent être
dramatiques pour les joueurs, qui, ne pouvant assister à plusieurs matchs de leur équipe,
peuvent se faire exclure pour la saison et donc perdre leur salaire ainsi que leur crédibilité. Ils
peuvent devenir un des éléments ayant contribué à la défaite en raison de leur mauvais
comportement, s’ils n’ont pas pu jouer un match et ont donc été dans l’incapacité d’aider leurs
équipiers. C’est le cas d’un joueur de l’équipe européenne SK qui n’a pu jouer les trois
premiers matchs du championnat du monde qui comptaient pour la qualification en quart-
finale, suspendu pour avoir utilisé un pseudonyme raciste. L’image que les fans avaient de lui
a été entachée, comme celle de Zidane suite à son fameux coup de tête.

2.3 UN RAPPORT AU PUBLIC PERMETTANT DES AJUSTEMENTS DE L’ÉTHOS MÉDIATISÉ DU JOUEUR


PROFESSIONNEL
Le lien entretenu avec le public en dehors de la compétition permet aux joueurs d’introduire
des ajustements dans leur éthos. En effet, leur image ne dépend pas seulement de leurs

8
J’entends ici le rôle au sens de la définition donnée par Goffman, c'est-à-dire, un « modèle d’action préétabli
que l’on développe durant une représentation et que l’on peut présenter ou utiliser en d’autres occasions »
(Goffman, 1973, p23).
9
Certains cas plus graves ont même entraîné une exclusion à vie de la scène compétitive de certains
professionnels.
performances mais aussi de l’attention portée aux personnes qui les soutiennent. Une grande
différence entre les joueurs professionnels et les footballeurs semble résider dans ce lien. En
effet, au football, un des lieux phares d’expression des joueurs sont les conférences de presse,
où les joueurs distillent des paroles qu’ils ont préparées et répétées. Contrairement à cela, les
joueurs professionnels de League of Legends bénéficient d’une part de phases d’entraînement
individuel avec des équipiers aléatoires, qu’ils ont la possibilité de diffuser sur la plateforme
Twitch, cette dernière offrant à chacun la possibilité d’avoir une chaîne personnelle. C’est un
moment où le public bénéficie de conseils, car le professionnel commente ses actions, affirme
son style de jeu et accepte de répondre à des questions. Cette activité est une source de
revenue grâce à la diffusion des publicités et permet aussi d’estimer leur « fanbase ». C’est là
que le public peut développer une certaine adhésion à l’éthos du joueur, appréciant sa manière
d’être, de jouer et d’interagir avec le public. D’autre part, ils répondent aux questions ou
interagissent spontanément sur Facebook ou Twitter. Le média permettant la visibilité n’est
pas le même en terme de rapport temporel et d’interactions : la pratique des joueurs
professionnels de League of Legends est diffusée sur Internet, média qui permet aussi les
interactions avec leur public, contrairement aux joueurs de football qui ne peuvent le faire
qu’après coup, passant d’une image visible à la télévision à des interactions sur les réseaux
sociaux qui me semblent très contrôlées. Ainsi, le sport électronique compétitif implique que
les joueurs professionnels doivent non seulement maîtriser la pratique du jeu mais aussi
développer d’autres compétences, pour apprendre à communiquer sur les réseaux sociaux,
gérer le lien avec la communauté. Leur image dépendant du soutien de leurs fans, on observe
qu’ils communiquent beaucoup sur les réseaux sociaux, postant souvent des réactions à
chaud, expliquant des choix, revenant sur une défaite afin de s’assurer un soutien, tout en
essayant d’ajuster par des discours de réparation, l’image qu’ils se construisent.

3 ORGANISATION D’UNE JOURNÉE DE COMPÉTITION : VERS UNE CULTURE


DE L’ÉVÈNEMENT ET DE L’ACTION, DE LA MÉDIATISATION À LA MÉDIATION
Analysons l’organisation des compétitions. Tout d’abord, leur déroulement est assimilable à
celui d’un évènement, marqué par la spectacularisation et la symbolisation, où des codes de la
compétition sportive sont repris. Puis, l’analyse de la place de l’écran est faite, le considérant
comme support de diffusion d’éléments sémiotisant l’affrontement et médiatant une part de ce
qu’est la pratique médiatisée. Enfin, je traite d’un acteur important dans le processus de
médiatisation : les commentateurs, qui par leur propos offrent une forme de médiation de la
pratique.

3.1 ENTRE SPECTACULARISATION ET SYMBOLISATION : VERS UNE REPRISE DES CODES DE LA


COMPÉTITION SPORTIVE
On observe un fort phénomène de spectacularisation et de symbolisation dans l’organisation
des compétitions de League of Legends, qui semblent s’inspirer des compétitions sportives,
accentuant la dimension évènementielle de par leur « caractère spectaculaire », « les lieux
inédits » auxquels « se conjuguent un décor particulier et une bande son pareillement étudiée
afin de créer une ambiance particulière » (Courbières, 2007, p101). Effectivement, lors des
différents matchs répartis tout au long de l’année, chaque ligue trouve des lieux de rencontre
dans le continent auquel elle est attachée. Ainsi, lors des LCS Européennes de la saison 3,
alors que la plupart des matchs se déroulaient dans un studio ESL à Cologne, un évènement
s’étendant sur un weekend s’est déroulé à Lille au Zénith. Différents types de lieux ont été
investis au fil des différentes saisons, allant de salles comme le Zénith, à des lieux dédiés
initialement aux rencontres sportives comme le Staples Center à Los Angeles qui a accueilli
la finale du championnat du monde de la saison 3, en passant par des espaces temporaires
construits spécialement pour la compétition comme lors de la finale d’un évènement coréen
qui s’est déroulée sur une plage. Le sport électronique de compétition n’a pas de lieux dédiés,
mais emprunte temporairement des lieux de rencontre. La finale des championnats du monde
de la saison 4 s’est d’ailleurs déroulée dans le stade de Seoul World Coupe stadium,
initialement construit pour la demi-finale de coupe de football en 2002. A l’heure actuelle,
accueillir un championnat du monde de League of Legends est bien moins important
qu’accueillir une coupe du monde de football. En effet, dans ce dernier cas :
Accueillir une Coupe du monde permet en effet de lancer un programme de modernisation des
stades à même de régler les problèmes récurrents de violence sportive, de mettre en œuvre un
réaménagement urbain et d’attribuer aux stades une utilité autre, notamment celle de lieux de
profit, et non plus uniquement de cathédrales dans le désert… après la compétition. (Dietshy, 2010)
On peut se demander si le nombre grandissant de spectateurs qui assiste aux évènements de
Riot Games peut contribuer à faire de l’eSport un élément moteur de l’économie dans les
années à venir : en 2011, on comptait 200 personnes, en 2013, 12 000 personnes, et 40 000 en
2014.
Les lieux des rencontres de League of Legends sont scénarisés, rappelant la mise en scène
d’un match de foot. En effet, au-delà des éléments spécifiques liés à la structure du jeu lui-
même comme la nécessité d’installer une scène avec un écran géant au milieu permettant de
diffuser la partie de jeu, avec les deux équipes réparties de chaque côté, on constate que lors
des matchs importants, les joueurs de chaque équipe font une pause sur scène face au public,
comme les footballeurs avant un match. Chaque équipe arbore un maillot les identifiants. On
note que si les footballeurs ont tous le même type de maillot, les joueurs pro de League of
Legends portent des t-shirts, des polos ou un blouson au sein d’une même équipe, montrant
ainsi la diversité des produits que les fans pourront acquérir. Comme lors de la coupe du
monde 2014, le championnat du monde de la saison 4 de League of Legends exhibait
l’élément phare symbolisant la victoire : la coupe. À la fin des matchs, on observe des signes
connotant des valeurs sportives, comme le fair-play et le respect de l’adversaire symbolisé au
football par des accolades entres les joueurs des équipes ou même l’échange de maillots.
Toutefois, ce phénomène est beaucoup plus codifié dans le cadre de l’eSport, les joueurs
gagnants étant implicitement invités à se rendre auprès des joueurs perdants pour leur serrer la
main. Ne pas accepter ce rituel peut être grandement critiqué, et considéré comme un manque
de respect. Alors que les championnats du monde ont leur cérémonie d’ouverture que l’on
pourrait comparer celle de la coupe du monde avec notamment la présentation en direct d’une
chanson dédiée à l’évènement10, la clôture des évènements de League of Legends reste
relativement simple, les joueurs sont applaudis, mais il n’y a pas d’évènement venant clôturer
le championnat, contrairement aux cérémonies marquant la fin des coupes du monde de
football.

3.2 L’ÉCRAN, SUPPORT PERMETTANT LA DIFFUSION D’ÉLÉMENTS SÉMIOTISANT L’AFFRONTEMENT


ET MÉDIANT UNE PART DE L’ACTIVITÉ SPORTIVE/D’ESPORT
Qu’il s’agisse de la pratique du football ou de League of Legends, n’importe quel sujet peut
s’essayer à la pratique, en jouant avec des amis ou dans un contexte plus officiel. Ainsi,
chacun peut se faire une idée de ce qu’est la pratique. Toutefois, n’ayant jamais joué au

10
La musique officielle de la coupe du monde 2014 est « We are One » interprétée par Jenifer Lopez et Pitbull,
et celle des championnats du monde de la saison 4 de League of Legends est « Warriors » d’Imagine Dragons.
football, j’ai acquis une certaine compréhension de ce qui se passait lors des matchs grâce à
des signes particuliers s’affichant à l’écran, éléments sémiotisant des instants importants ou
des caractéristiques du match. Lors du début de la diffusion d’un match de football, il est
courant de voir s’afficher à l’écran, la composition des équipes, permettant aux plus novices
de comprendre que certains sont des attaquants, d’autres des défenseurs et qu’il y a un goal.
Pour les plus expérimentés, c’est l’occasion de faire un pronostic quant aux chances de
victoire avec la composition proposée par l’entraineur de l’équipe. Au cours de la partie, des
éléments sont signalés par des signes particuliers s’affichant à l’écran, comme le carton et sa
couleur suivie du nom du joueur à qui il est attribué, ou encore la liste des joueurs ayant
marqués, accompagnés de la minute à laquelle cela s’est produit Des procédés similaires sont
mis en place dans le cadre des matchs de League of Legends, et d’autres sont contenus dans le
dispositif de jeu, ne nécessitant pas d’ajouter une interface particulière : c’est le cas de
l’affichage du temps, du score, etc. Toutefois, des éléments sont amenés par la société Riot
Games permettant de faciliter l’appropriation des matchs, comme la présentation des équipes
à travers des vidéos et interviews des joueurs montrant ainsi leur ressenti face au match à
venir, ou une grille présentant les joueurs qui vont s’affronter. D’autres éléments passant par
un affichage articulé autour de l’écran central permettent de visualiser ce qui peut se passer,
comme la sélection du personnage en temps réel par chaque joueur, l’image de celui-ci
s’affichant sur un écran apparaissant derrière l’emplacement où se situe les joueurs. Dans le
cas des deux types de matchs, des statistiques vont s’afficher durant l’évènement, présentant
le nombre de fautes pour les footballeurs, ou bien la réussite en tournoi d’un joueur de League
of Legends avec un personnage en particulier.
Alors qu’un spectateur d’un match de football présent dans le stade peut regarder l’endroit du
terrain qu’il désire, le spectateur assis devant sa télévision est soumis au bon vouloir du
caméraman. Si le terrain de football permet de suivre l’action générale, articulée autour du
ballon, le suivi d’un affrontement entre deux équipes de League of Legends est plus
complexe. En effet, des combats entre les joueurs peuvent avoir lieu à différents endroits de
l’arène numérique, qui ne peut être visible dans sa globalité, limite imposée par le dispositif
de jeu lui-même. Ainsi, que le public soit assis face aux joueurs professionnels ou regarde la
diffusion sur l’écran de son ordinateur, il reste soumis aux choix de la personne en charge de
la sélection des actions à montrer à l’écran. Si des actions importantes se passent au même
moment, un cadre s’ouvre dans le bas de l’écran permettant de suivre en temps réel les deux
actions ou bien un replay de l’action non suivie sera proposé. Le replay dans le cadre de la
compétition de football est également utilisé, que ce soit pour montrer une faute ou une
occasion de but. Une spécificité liée aux caractéristiques même de la pratique médiatisée du
jeu fait que de nombreuses actions peuvent être facilement enregistrées, sans avoir besoin
d’un caméraman, permettant une immersion un peu plus grande dans l’affrontement. En effet,
depuis peu, Riot Games propose de temps à autre lors des compétitions, de visualiser un très
court extrait d’une partie de jeu passée, accompagnée d’une bande son comportant les
échanges audio de ce que se disent les joueurs, permettant d’être transporté dans la dynamique
d’une action, le public accédant ainsi à une facette cachée de la compétition vécue par les
joueurs professionnels.

3.3 LE TRAVAIL DES COMMENTATEURS : VERS UNE MÉDIATION DE LA PRATIQUE PROFESSIONNELLE


Les compétitions de League of Legends font intervenir des acteurs incontournables dans les
compétitions sportives : les commentateurs11. Lors des matchs de foot diffusés à la télévision,

11
Les commentateurs français sont généralement sur place pour commenter les matchs, ce qui n’est pas toujours
le cas lors des compétitions de League of Legends. Généralement, les commentateurs français d’Ogaming,
le commentateur donne en direct des indications quant au déroulé du match, explique les
actions, fait un point sur le match, et se prononce parfois quant à son dénouement. Alors
qu’une seule chaîne de télévision retransmet le match, j’ai constaté que d’autres
commentateurs proposaient leur vision de l’évènement, notamment par le biais d’un autre
média, la radio. Étant destinés à un public n’ayant pas l’image en temps réel, les propos sont
plus riches et plus descriptifs afin que l’on se représente aisément ce qui se passe, donnant
ainsi une certaine dynamique même lorsqu’il n’y a que très peu d’action. Ce dynamisme
m’est apparu comme se rapprochant du travail que proposaient les commentateurs français de
League of Legends. En effet, ils ne sont pas simplement là pour expliquer ce qui se passe dans
la partie, la plupart des actions étant relativement explicite, mais pour proposer une médiation
de la pratique des professionnels. Ainsi, ils ne se limitent pas au simple commentaire des
actions, mais se permettent d’anticiper les stratégies des équipes, de proposer une
interprétation de l’état d’esprit des joueurs (Genvo, 2014), de juger les différentes actions,
d’indiquer quelles auraient pu être les alternatives, et d’animer les périodes plus lentes du
match s’il y en a.
Alors que le travail des commentateurs des matchs de football s’arrête généralement à la fin
du match ou quelques minutes plus tard après un bref retour sur le match, on constate que
ceux de League of Legends proposent une analyse très développée. Ceux-ci ont la liberté de le
faire étant donné qu’ils ne sont pas soumis à une logique de programmation stricte comme
c’est le cas avec les programmes télévisuels. Sur les trois plateformes de diffusion française,
une tendance semble s’installer : faire appel à des analystes pour discuter les moments forts
du match. Ces derniers peuvent être d’autres commentateurs ou des joueurs professionnels,.
Deux éléments se distinguent : sur Eclypsia, on constate une mise en scène rappelant celui
d’un plateau de journal, avec des analystes sur le côté, un présentateur au milieu, et une
personne surveillant les réseaux sociaux de l’autre côté. Une sélection de Tweets défile dans
le bas de l’écran, comme c’est désormais le cas dans certaines émissions de télévision. Sur
Millenium et sur Ogaming, les analystes sont souvent installés sur un canapé, évoquant ainsi
un instant propice à la conversation.

CONCLUSION
Par cette communication, j’ai mis en évidence de nombreuses ressemblances entre les
compétitions de football et celles de League of Legends, rapprochant ainsi le sport de l’eSport.
Toutefois, bien que des éléments structurant les saisons de compétitions, de gestion de
l’image de la figure du joueur professionnel, ou intervenant dans le déroulement des
compétitions, notamment sur le plan de la médiatisation, semblent similaires, d’autres au
contraire sont différents, souvent liés à la caractéristique du sport électronique : le fait que la
pratique passe par un dispositif médiatisé qui conditionne la pratique professionnelle, facilite
certaines mises en scène permettant l’accès à plusieurs niveaux de médiation. La diffusion sur
des plateformes en ligne et le fait que les activités des professionnels les amènent à côtoyer
plus souvent le public introduit une forme de proximité certaine entre les joueurs amateurs, les
professionnels (les joueurs pro et les commentateurs notamment) et la structure Riot Games.
On constate un rapport entre le développement de l’eSport et les mécanismes bien ancrés du
sport compétitif comme celui du football. L’eSport semble être le siège d’un phénomène en
devenir qui amorce son développement en s’inspirant de certains éléments régissant les
compétitions sportives sans toutefois être réellement similaire, créant ainsi un hybride se

d’Eclypsia et de Millenium travaillent à partir d’un flux diffusé par Riot Games leur permettant de suivre ce qui
se passe et de le partager avec le public français.
distinguant du sport, ce que l’on retrouve dans son appellation même associant le « e » de
« électronique » au terme de « sport ».
Si certaines logiques communicationnelles ne semblent pas spécifiques à la pratique de
League of Legends sur le plan compétitif, il reste difficile de conclure s’il s’agit ou non d’une
mutation plus large du monde du sport. Toutefois, des éléments de réponse devraient être
appréhendables dans les années à venir, en fonction de l’évolution du phénomène de
médiatisation de l’eSport. En effet bien que la médiatisation soit pour l’instant principalement
suivie par des sujets pratiquant le jeu en tant qu’amateur, étant donné qu’il faut avoir
connaissance de l’évènement pour se rendre sur les plateformes de retransmissions alors que
les matchs de football peuvent s’imposer à la télévision en changeant de chaîne, amenant des
personnes ne pratiquant pas le jeu à s’intéresser à la pratique de ce sport. Deux éléments
laissent penser que le monde du sport amorce sa mutation : d’une part, une diffusion de la
finale du championnat du monde de la saison 4 de League of Legends a été proposée dans
certains cinémas Pathé grâce au partenariat avec Coca Cola. Ainsi, il sera peut être possible
dans un futur plus ou moins proche, à l’image des matchs de football qui sont diffusés dans
des bars, d’allers voir une retransmission d’un tournoi d’eSport dans des lieux publics entre
amis. D’autre part, un joueur professionnel canadien a obtenu en 2013 un visa « sportif » lui
permettant d’aller exercer avec une équipe américaine, ce qui peut laisser présumer d’une
évolution positive quant à la considération des joueurs professionnels de League of Legends,
et plus généralement sur le futur de l’eSport.
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