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Cette communication permet de se questionner sur les ressemblances qui se profilent sur le
plan des compétitions sportives/ d’eSport. Le développement des compétitions de League of
Legends au regard du modèle de celles du football est traité à travers trois axes : dans un
premier temps, sont interrogées les institutions impliquées dans les tournois et leur mode
d’organisation, c'est-à-dire une partie des acteurs entrant dans le processus compétitif, allant
des équipes aux sponsors. Dans un second temps, une analyse plus précise est fait de la figure
du joueur professionnel, et de ses différentes façons d’accéder à une visibilité, voir à une
certaine célébrité entraînant la nécessité de cultiver un éthos particulier. Dans un troisième
temps, est abordé le processus de médiatisation des compétitions, la mise en scène de celles-ci
sur le mode de l’évènement ainsi que le discours médiatique qui les accompagne.
In this paper we question the similarities between sport and eSport competitions. The recent
development of League of Legends competitions will be analyzed on three points in regards of
those existing in the football. Firstly, institutions involved in the organization are considered,
especially the actors implicated in the competition process, from team to sponsors. Then, we
focus on the professional player figure and its ways to gain visibility or even celebrity, and the
consequent necessity to work on its ethos. Finally, we interrogate the competition media
coverage, its dramatization following the model of an event and both accompanying media
discourses.
Mots clés : médiatisation, médiation, eSport, sport, football, League of Legends,
professionnalisation, compétition.
Key words: media coverage, mediation, eSport, sport, football, League of Legends,
professionalization, competition.
INTRODUCTION
Dans le cadre d’une recherche de thèse, j’ai étudié la pratique de l’arène de bataille
multijoueur en ligne League of Legends où deux équipes de cinq joueurs s’affrontent dans un
environnement fixe par l’intermédiaire de personnages1. La méthodologie mobilisée m’a
amené à être une joueuse, expérimentant le jeu, découvrant l’univers développé par la société
productrice Riot Games. Une particularité de ce titre est de s’inscrire à la fois dans le
domaine du loisir mais également de la professionnalisation. En effet, League of Legends se
veut « la scène compétitive la plus active du monde, avec d’innombrables tournois dans le
monde entier, dont les prestigieuses Championship Series dans lesquels des pros salariés
s’affrontent pour une cagnotte de plusieurs millions »2. C’est ainsi que j’ai été amenée à
1
Il existe plus d’une centaine de personnages, qui ont des caractéristiques et compétences différentes. L’objectif
pour remporter la partie est de détruire la structure de la base de l’adversaire. Les parties durent généralement
quarante-cinq minutes.
2
C’est ainsi que Riot Games décrit une des particularités de son jeu vidéo. [Source :
http://gameinfo.euw.leagueoflegends.com/fr/game-info/get-started/what-is-lol/]
découvrir le monde de l’eSport, du sport électronique pratiqué par des joueurs professionnels
de haut niveau, s’affrontant dans des compétitions à dimension internationale. Cela m’a incité
à analyser les rapports entre loisirs et professionnalisation (Rollandin, 2014), à travers l’étude
de la figure des joueurs professionnels et des animateurs. Devant l’engouement que semble
susciter l’eSport à travers des actions de médiatisation via des plateformes diffusant les
tournois et les entraînements des joueurs, mobilisant ainsi de nombreux fans soutenant les
équipes professionnelles, je me suis questionnée sur son devenir. En effet, les matchs
opposent des équipes de cinq joueurs professionnels, qui malgré leur entraînement vont faire
vivre aux spectateurs des moments intenses, où il est difficile de savoir avec certitude qui va
l’emporter. Ainsi, les joueurs professionnels doivent faire des enchaînements rapides de
combinaisons sur le clavier pour contrôler un personnage, planifier en amont le choix de ce
dernier afin d’avoir une équipe équilibrée, définir des stratégies et les mettre en œuvre tout en
gérant les erreurs potentielles liées au dynamisme des actions et à la bonne coordination des
mouvements. Cette incertitude liée au dénouement du match n’est toutefois pas spécifique à
ce type de compétition. Christian Bromberger évoque ce phénomène à propos du football,
expliquant que :
si le match de football est aussi captivant à regarder que « bon à penser », c’est que l’aléatoire, la
chance, les erreurs d’appréciation y tiennent une place singulière en raison de la complexité
technique du jeu fondé sur l’utilisation anormale du pied, de la tête et du torse, de la diversité des
paramètres à maîtriser pour mener une action victorieuse. (2011, p24)
C’est ainsi qu’il ajoute qu’« au football, plus encore que dans les autres sports, le meilleur ou
le plus doté ne gagne pas toujours ». Un exemple survenu lors de la phase de groupe du
championnat du monde de League of Legends illustre parfaitement cela : alors qu’une équipe
brésilienne « invitée » Kabum avait perdu tous ses matchs, elle remporta son dernier match
contre une équipe européenne lui bloquant ainsi l’accès à la phase suivante alors que
spectateurs comme analystes considéraient ce match comme joué d’avance. L’intérêt que les
sujets ont à regarder un match ou à suivre une compétition de football relève du même
processus pour les tournois d’eSport. Je me suis alors demandé si les rapports entre les deux
pratiques sur le plan compétitif pouvaient aller plus loin. Certes, League of Legends implique
une pratique où le corps n’est pas mouvant dans le temps, contrairement à celui des joueurs de
football qui est en perpétuel mouvement sur le terrain, mais n’en est pas moins présent et
actif. Mélanie Roustan et Jean-Basptiste Clais constatent effectivement « la présence de
« séquelles » touchant le corps (surtout les yeux et les mains) » du joueur. Pour eux, « Maux
de tête, de dos, problèmes oculaires, courbatures, peuvent constituer autant de conséquences
directes d’une session » (Clais, Roustan, 2003, 37). Toutefois l’objectif n’est pas de se
demander si l’eSport peut être considéré comme un sport ou non, mais plutôt de questionner
les rapprochements des activités des joueurs professionnels de League of Legends avec ceux
du football. La comparaison avec le football semble pertinente dans la mesure où ce sport est
le plus joué et le plus regardé au monde, tout comme League of Legends, qui bien que jeu très
récent semble s’imposer comme une référence dans le domaine. J’ai d’ailleurs constaté que le
processus de médiatisation et les logiques communicationnelles liées aux compétitions
sportives électroniques n’étaient pas totalement novateurs mais semblaient s’inspirer de ceux
des compétitions sportives, tant sur le plan pratique que sur celui de leur mise en scène, ce qui
amène à la problématique suivante : En quoi pouvons-nous qualifier les ressemblances qui se
profilent sur le plan des compétitions sportives/ d’eSport ?
Je propose donc une analyse du développement de la pratique compétitive à haut niveau de
League of Legends à partir d’une comparaison avec les compétitions de football. On note que
les deux objets étudiés sont des « jeux » qui peuvent se pratiquer sur une scène non
compétitive par les sujets, permettant à ces derniers de développer une certaine connaissance
des règles qui les incitera à s’intéresser à la pratique telle qu’elle est vécue et mise en œuvre
sur le plan professionnel. La pratique compétitive de League of Legends s’inscrit dans un
contexte international. En effet, aucune compétition d’eSport impliquant des joueurs
professionnels (rémunérés de manière pérenne) ne se déroule en France. Même s’il est
possible de se rendre sur le lieu des compétitions, la plupart des sujets regardent les
retransmissions permises grâce à la médiatisation par Internet. Ainsi, bien que le football soit
un sport compétitif qui est également très développé nationalement, je ne m’intéresserai pas à
cette dimension-là. L’objectif est de questionner l’aspect compétitif du sport et de l’eSport, et
non la pratique des sujets ordinaires. Ils ont cependant leur place dans le processus étant
donné qu’une part de ceux-ci constitue le public des opérations de médiatisation. Considérant
que les deux pratiques impliquent et montrent à l’écran (à la télévision ou sur Internet) le
corps des joueurs professionnels, mon cadre théorique articule des travaux portant sur
l’analyse des interactions en face à face à d’autres portant sur le champ de la communication
médiatisée. Cette approche permet de tenir compte du corps et de son image, mais aussi de
l’impact du dispositif sur l’appréhension de la pratique des professionnels par les différents
publics. N’étant pas une spécialiste du football, j’ai dû également inclure à ce cadre une
documentation sur le football, et son actualité. Pour répondre à ma problématique, un
ensemble méthodologique ethnosémiotique3 a été appliqué à deux terrains : les compétitions
de football et celles de League of Legends, notamment à travers leur médiatisation,
respectivement à la télévision et sur Internet. J’ai effectué d’une part une analyse sémiotique
des programmes qui mettaient en avant l’activité des joueurs professionnels de football et de
League of Legends4. D’autre part, j’ai mené une étude interactionnelle des terrains en me
confrontant à de nombreux matchs5 comme le ferait n’importe quel spectateur.
Le développement des compétitions de League of Legends au regard du modèle de celles du
football est traité à travers trois axes : dans un premier temps, j’interroge les institutions
impliquées dans les tournois et leur mode d’organisation, c'est-à-dire une partie des acteurs
entrant dans le processus compétitif, allant des équipes aux sponsors. Dans un second temps,
mon regard porte plus précisément sur la figure du joueur professionnel, et sur les différentes
façons d’accéder à une visibilité, d’un éventuel accès à la « célébrité » et des liens développés
avec le public, entraînant la nécessité de cultiver un éthos particulier. Dans un troisième et
dernier temps, je questionne le processus de médiatisation des compétitions, la mise en scène
de celles-ci sur le mode de l’évènement ainsi que le discours médiatique qui les accompagne.
3
Je me suis inspirée du travail de Joëlle Le Marec et d’Igor Babou qui ont mis en œuvre ce type de
méthodologie, ce qui représente une des spécificités de leur recherche qui repose sur « le croisement de deux
approches disciplinaires qui ont trop souvent tendance à s’exclure l’une l’autre : à la sémiotique serait attribué le
travail sur des corpus, alors que l’ethnographie des usages se verrait attribuer l’analyse des entretiens ou des
observations » (Souchier, Jeanneret, Le Marec, 2003, 237)
4
Si les matchs de football sont retransmis à la télévision, dans cas de League of Legends, il faut se rendre sur
différentes plateformes de diffusion qui disposent d’une chaîne de webTV permettant aux spectateurs de suivre
les matchs commentés par des animateurs. On compte trois plateformes françaises : Ogaming, Millenium et
Eclypsia. Il est possible d’accéder aux trois par le biais du site lolesport.com.
5
Les matchs de la coupe du monde 2014 pour le football et les compétitions de League of Legends durant la
saison 4 (2013-2014) qui se sont réparties en différentes ligues pour chaque « continent » (Europe, Amérique du
Nord, Corée, Chine, Asie du sud) puis les championnats du monde dont la finale s’est déroulée le 18 octobre
2014.
1 STRUCTURES ET ACTEURS DES COMPÉTITIONS : IMPACT
SUR L’ACTIVITÉ DES JOUEURS PROFESSIONNELS
Le mode de fonctionnement des compétitions est abordé à travers les différentes structures et
acteurs impliqués. Je traite tout d’abord du planning des compétitions intimement lié à la
pérennité financière du joueur professionnel. Il est ensuite question des sponsors et des
équipes, considérés comme des acteurs indissociables de l’activité à haut niveau. Enfin, je
reviens sur le fait que les compétitions internationales peuvent constituer un témoignage
culturel d’une manière d’aborder la pratique de la compétition sportive/d’eSport.
6
Cela pose d’ailleurs la question de ce que l’on peut appeler « Joueur professionnel ». Est-ce seulement lié au
fait d’être rémunéré de manière stable ? Les joueurs qui ne sont pas dans cette division sont-ils des joueurs
professionnels ou semi-professionnels tant qu’ils n’arrivent pas à faire réintégrer leur équipe dans cette division ?
7
La coupe du monde de football 2014 a permis à l’équipe vainqueur de remporter trente-cinq millions de dollars
[source : http://www.linternaute.com/sport/magazine/primes-et-prize-money-du-sport/coupe-du-monde.shtml],
soit trente-cinq fois plus que pour l’équipe gagnant du championnat de League of Legends. Toutefois une équipe
de football compte bien plus de joueurs et d’autres professions œuvrant pour le bien de l’équipe.
se joue en plusieurs parties, pouvant aller jusqu’à cinq, le vainqueur étant l’équipe qui atteint
la première les trois victoires.
2.1 LES COMPÉTITIONS, DES ESPACES POUR SE METTRE EN SCÈNE INDIVIDUELLEMENT ET EN TANT
QU’ÉQUIPE
Bien que le public puisse rencontrer les joueurs professionnels sur les lieux où se déroulent les
compétitions, la plupart assistent à ces évènements par le biais des diffusions à la télévision
dans le cadre du football et sur Internet pour League of Legends. Qu’elle soit médiatisée ou
non, la rencontre constitue pour les joueurs des opportunités de se mettre en scène en tant
qu’équipe et en tant qu’acteur individuel. En tant qu’équipe, les joueurs peuvent témoigner
d’une certaine cohésion, en mettant en place des stratégies complexes qui reposent sur une
certaine symbiose, comme la construction d’une action permettant de mettre un but ou bien le
déroulement d’un combat entre les personnages de deux équipes permettant de prendre
l’ascendant lors d’une partie. L’image que le public se fait d’une équipe s’alimente par les
différents propos tenus par les joueurs, à propos de leur entente au sein d’une équipe. Ainsi,
certains professionnels de League of Legends, n’hésitent pas à expliquer que l’entente n’est
pas si bonne que l’on pourrait croire, ce qui est très rapidement relégué par les réseaux
sociaux, pouvant ainsi donner une idée des prochains résultats de cette équipe : une mauvaise
entente pouvant entraîner une mauvaise communication, aboutira probablement à de mauvais
résultats en compétition.
Les joueurs professionnels montrent un style de jeu qui leur est propre, avec des personnages
atypiques qui sont joués lors des parties, ou bien en faisant certains mouvements demandant
une grande maîtrise, comme cela peut être le cas au football. En effet, certains professionnels
de ce sport se démarquent par des mouvements auxquels ils ont donné leur nom, par un style
de jeu plus ou moins agressif, mais aussi par une manière d’être et d’évoluer au sein de
l’équipe. On compte par exemple Jean Pierre Papin qui avait une façon caractéristique de
marquer, ou bien Panenka et sa manière particulière de tirer un penalty, tous deux ayant donné
leur nom au mouvement. De la même manière, les joueurs professionnels de League of
Legends peuvent effectuer une action exceptionnelle qui se verra alors attribuer leur nom.
Ainsi, le joueur Insec a donné lieu à l’insec, ou encore Xpeke qui a donné une Xpeke,
accédant à une certaine célébrité, qui reste loin de celle des footballeurs qui se mettent en
scène également lors d’évènements médiatiques qui n’ont aucun rapport avec leur activité
initiale. Ce style de jeu leur permet de se différencier, et contribue à la formation de leur éthos
médiatique, c'est-à-dire de leur image de soi qui est véhiculée par le média. Notons que cette
image peut être enrichie par des caractéristiques corporelles ou vestimentaires. Le joueur
Imaqtpie se distingue par ses cheveux longs et sa barbe, ou le joueur Ocelote par ses écharpes
portées quel que soit le temps.
2.2 ENTRE INDIVIDUALISATION ET RESPECT DU COMPORTEMENT ATTENDU CHEZ UN JOUEUR
PROFESSIONNEL
Contrairement au football où l’activité favorise l’entraînement en équipe, le dispositif de
League of Legends est conçu de telle sorte que les joueurs professionnels puissent s’entraîner
aléatoirement avec d’autres joueurs ayant un niveau plus ou moins équivalent, ces derniers
pouvant être d’autres professionnels ou bien de très bons joueurs amateurs. Dans ces parties
où il n’est pas forcément entouré que d’autres professionnels, il se retrouve confronté à un
double rôle8 : être un joueur et être un professionnel. Ses actes et ses propos qui vont être
tantôt régis par un rôle tantôt par l’autre contribuent à enrichir son éthos mais introduisent une
difficulté dont le joueur professionnel doit tenir compte : alors qu’il évolue en tant que joueur,
il ne peut s’adonner aux comportements que l’on retrouve fréquemment chez les amateurs.
Ces derniers recourent souvent à l’insulte, aux propos racistes ou même à la déconnexion
volontaire dans le but de nuire au bon déroulement de la partie. Alors que le joueur
professionnel peut s’entraîner sans que ses actes et propos ne soient médiatisés, il reste tenu
d’entretenir son éthos de manière à rester cohérent avec la représentation que propose Riot
Games de ce que doit être un joueur professionnel. En effet, il doit se plier à des règles
explicites dans le règlement de League of Legends, comme ne pas prononcer de propos
racistes ou plus implicites comme ne pas quitter une partie sur le coup de l’énervement même
si celle-ci est sur le point de se terminer. Tous comme les joueurs de football qui doivent
présenter un comportement acceptable, car ils peuvent servir de modèle aux générations plus
jeunes, et sont également garants de valeurs sportives, ils s’exposent à des sanctions s’ils ne
respectent pas ses règles de fair play et de comportement, à l’image de Zidane en 2006 et de
son fameux coup de tête qui lui valut un carton rouge l’empêchant ainsi de poursuivre un
match de finale avec son équipe. Au-delà des critiques apportées sur le plan de leur carrière
individuelle, cela entache plus globalement l’esprit de compétition que souhaitent véhiculer
les sociétés à l’origine des évènements. Ainsi, Riot Games estime que les joueurs
professionnels sont porteurs de valeurs, et doivent faire attention à leurs actes et propos, que
ce soit lors des parties de jeu ou en dehors. J’ai constaté plusieurs exclusions notamment liées
à des affaires de racisme, engendrant une sanction, c'est-à-dire une interdiction de pratiquer le
jeu sur la scène compétitive pendant plusieurs mois9. Les conséquences peuvent être
dramatiques pour les joueurs, qui, ne pouvant assister à plusieurs matchs de leur équipe,
peuvent se faire exclure pour la saison et donc perdre leur salaire ainsi que leur crédibilité. Ils
peuvent devenir un des éléments ayant contribué à la défaite en raison de leur mauvais
comportement, s’ils n’ont pas pu jouer un match et ont donc été dans l’incapacité d’aider leurs
équipiers. C’est le cas d’un joueur de l’équipe européenne SK qui n’a pu jouer les trois
premiers matchs du championnat du monde qui comptaient pour la qualification en quart-
finale, suspendu pour avoir utilisé un pseudonyme raciste. L’image que les fans avaient de lui
a été entachée, comme celle de Zidane suite à son fameux coup de tête.
8
J’entends ici le rôle au sens de la définition donnée par Goffman, c'est-à-dire, un « modèle d’action préétabli
que l’on développe durant une représentation et que l’on peut présenter ou utiliser en d’autres occasions »
(Goffman, 1973, p23).
9
Certains cas plus graves ont même entraîné une exclusion à vie de la scène compétitive de certains
professionnels.
performances mais aussi de l’attention portée aux personnes qui les soutiennent. Une grande
différence entre les joueurs professionnels et les footballeurs semble résider dans ce lien. En
effet, au football, un des lieux phares d’expression des joueurs sont les conférences de presse,
où les joueurs distillent des paroles qu’ils ont préparées et répétées. Contrairement à cela, les
joueurs professionnels de League of Legends bénéficient d’une part de phases d’entraînement
individuel avec des équipiers aléatoires, qu’ils ont la possibilité de diffuser sur la plateforme
Twitch, cette dernière offrant à chacun la possibilité d’avoir une chaîne personnelle. C’est un
moment où le public bénéficie de conseils, car le professionnel commente ses actions, affirme
son style de jeu et accepte de répondre à des questions. Cette activité est une source de
revenue grâce à la diffusion des publicités et permet aussi d’estimer leur « fanbase ». C’est là
que le public peut développer une certaine adhésion à l’éthos du joueur, appréciant sa manière
d’être, de jouer et d’interagir avec le public. D’autre part, ils répondent aux questions ou
interagissent spontanément sur Facebook ou Twitter. Le média permettant la visibilité n’est
pas le même en terme de rapport temporel et d’interactions : la pratique des joueurs
professionnels de League of Legends est diffusée sur Internet, média qui permet aussi les
interactions avec leur public, contrairement aux joueurs de football qui ne peuvent le faire
qu’après coup, passant d’une image visible à la télévision à des interactions sur les réseaux
sociaux qui me semblent très contrôlées. Ainsi, le sport électronique compétitif implique que
les joueurs professionnels doivent non seulement maîtriser la pratique du jeu mais aussi
développer d’autres compétences, pour apprendre à communiquer sur les réseaux sociaux,
gérer le lien avec la communauté. Leur image dépendant du soutien de leurs fans, on observe
qu’ils communiquent beaucoup sur les réseaux sociaux, postant souvent des réactions à
chaud, expliquant des choix, revenant sur une défaite afin de s’assurer un soutien, tout en
essayant d’ajuster par des discours de réparation, l’image qu’ils se construisent.
10
La musique officielle de la coupe du monde 2014 est « We are One » interprétée par Jenifer Lopez et Pitbull,
et celle des championnats du monde de la saison 4 de League of Legends est « Warriors » d’Imagine Dragons.
football, j’ai acquis une certaine compréhension de ce qui se passait lors des matchs grâce à
des signes particuliers s’affichant à l’écran, éléments sémiotisant des instants importants ou
des caractéristiques du match. Lors du début de la diffusion d’un match de football, il est
courant de voir s’afficher à l’écran, la composition des équipes, permettant aux plus novices
de comprendre que certains sont des attaquants, d’autres des défenseurs et qu’il y a un goal.
Pour les plus expérimentés, c’est l’occasion de faire un pronostic quant aux chances de
victoire avec la composition proposée par l’entraineur de l’équipe. Au cours de la partie, des
éléments sont signalés par des signes particuliers s’affichant à l’écran, comme le carton et sa
couleur suivie du nom du joueur à qui il est attribué, ou encore la liste des joueurs ayant
marqués, accompagnés de la minute à laquelle cela s’est produit Des procédés similaires sont
mis en place dans le cadre des matchs de League of Legends, et d’autres sont contenus dans le
dispositif de jeu, ne nécessitant pas d’ajouter une interface particulière : c’est le cas de
l’affichage du temps, du score, etc. Toutefois, des éléments sont amenés par la société Riot
Games permettant de faciliter l’appropriation des matchs, comme la présentation des équipes
à travers des vidéos et interviews des joueurs montrant ainsi leur ressenti face au match à
venir, ou une grille présentant les joueurs qui vont s’affronter. D’autres éléments passant par
un affichage articulé autour de l’écran central permettent de visualiser ce qui peut se passer,
comme la sélection du personnage en temps réel par chaque joueur, l’image de celui-ci
s’affichant sur un écran apparaissant derrière l’emplacement où se situe les joueurs. Dans le
cas des deux types de matchs, des statistiques vont s’afficher durant l’évènement, présentant
le nombre de fautes pour les footballeurs, ou bien la réussite en tournoi d’un joueur de League
of Legends avec un personnage en particulier.
Alors qu’un spectateur d’un match de football présent dans le stade peut regarder l’endroit du
terrain qu’il désire, le spectateur assis devant sa télévision est soumis au bon vouloir du
caméraman. Si le terrain de football permet de suivre l’action générale, articulée autour du
ballon, le suivi d’un affrontement entre deux équipes de League of Legends est plus
complexe. En effet, des combats entre les joueurs peuvent avoir lieu à différents endroits de
l’arène numérique, qui ne peut être visible dans sa globalité, limite imposée par le dispositif
de jeu lui-même. Ainsi, que le public soit assis face aux joueurs professionnels ou regarde la
diffusion sur l’écran de son ordinateur, il reste soumis aux choix de la personne en charge de
la sélection des actions à montrer à l’écran. Si des actions importantes se passent au même
moment, un cadre s’ouvre dans le bas de l’écran permettant de suivre en temps réel les deux
actions ou bien un replay de l’action non suivie sera proposé. Le replay dans le cadre de la
compétition de football est également utilisé, que ce soit pour montrer une faute ou une
occasion de but. Une spécificité liée aux caractéristiques même de la pratique médiatisée du
jeu fait que de nombreuses actions peuvent être facilement enregistrées, sans avoir besoin
d’un caméraman, permettant une immersion un peu plus grande dans l’affrontement. En effet,
depuis peu, Riot Games propose de temps à autre lors des compétitions, de visualiser un très
court extrait d’une partie de jeu passée, accompagnée d’une bande son comportant les
échanges audio de ce que se disent les joueurs, permettant d’être transporté dans la dynamique
d’une action, le public accédant ainsi à une facette cachée de la compétition vécue par les
joueurs professionnels.
11
Les commentateurs français sont généralement sur place pour commenter les matchs, ce qui n’est pas toujours
le cas lors des compétitions de League of Legends. Généralement, les commentateurs français d’Ogaming,
le commentateur donne en direct des indications quant au déroulé du match, explique les
actions, fait un point sur le match, et se prononce parfois quant à son dénouement. Alors
qu’une seule chaîne de télévision retransmet le match, j’ai constaté que d’autres
commentateurs proposaient leur vision de l’évènement, notamment par le biais d’un autre
média, la radio. Étant destinés à un public n’ayant pas l’image en temps réel, les propos sont
plus riches et plus descriptifs afin que l’on se représente aisément ce qui se passe, donnant
ainsi une certaine dynamique même lorsqu’il n’y a que très peu d’action. Ce dynamisme
m’est apparu comme se rapprochant du travail que proposaient les commentateurs français de
League of Legends. En effet, ils ne sont pas simplement là pour expliquer ce qui se passe dans
la partie, la plupart des actions étant relativement explicite, mais pour proposer une médiation
de la pratique des professionnels. Ainsi, ils ne se limitent pas au simple commentaire des
actions, mais se permettent d’anticiper les stratégies des équipes, de proposer une
interprétation de l’état d’esprit des joueurs (Genvo, 2014), de juger les différentes actions,
d’indiquer quelles auraient pu être les alternatives, et d’animer les périodes plus lentes du
match s’il y en a.
Alors que le travail des commentateurs des matchs de football s’arrête généralement à la fin
du match ou quelques minutes plus tard après un bref retour sur le match, on constate que
ceux de League of Legends proposent une analyse très développée. Ceux-ci ont la liberté de le
faire étant donné qu’ils ne sont pas soumis à une logique de programmation stricte comme
c’est le cas avec les programmes télévisuels. Sur les trois plateformes de diffusion française,
une tendance semble s’installer : faire appel à des analystes pour discuter les moments forts
du match. Ces derniers peuvent être d’autres commentateurs ou des joueurs professionnels,.
Deux éléments se distinguent : sur Eclypsia, on constate une mise en scène rappelant celui
d’un plateau de journal, avec des analystes sur le côté, un présentateur au milieu, et une
personne surveillant les réseaux sociaux de l’autre côté. Une sélection de Tweets défile dans
le bas de l’écran, comme c’est désormais le cas dans certaines émissions de télévision. Sur
Millenium et sur Ogaming, les analystes sont souvent installés sur un canapé, évoquant ainsi
un instant propice à la conversation.
CONCLUSION
Par cette communication, j’ai mis en évidence de nombreuses ressemblances entre les
compétitions de football et celles de League of Legends, rapprochant ainsi le sport de l’eSport.
Toutefois, bien que des éléments structurant les saisons de compétitions, de gestion de
l’image de la figure du joueur professionnel, ou intervenant dans le déroulement des
compétitions, notamment sur le plan de la médiatisation, semblent similaires, d’autres au
contraire sont différents, souvent liés à la caractéristique du sport électronique : le fait que la
pratique passe par un dispositif médiatisé qui conditionne la pratique professionnelle, facilite
certaines mises en scène permettant l’accès à plusieurs niveaux de médiation. La diffusion sur
des plateformes en ligne et le fait que les activités des professionnels les amènent à côtoyer
plus souvent le public introduit une forme de proximité certaine entre les joueurs amateurs, les
professionnels (les joueurs pro et les commentateurs notamment) et la structure Riot Games.
On constate un rapport entre le développement de l’eSport et les mécanismes bien ancrés du
sport compétitif comme celui du football. L’eSport semble être le siège d’un phénomène en
devenir qui amorce son développement en s’inspirant de certains éléments régissant les
compétitions sportives sans toutefois être réellement similaire, créant ainsi un hybride se
d’Eclypsia et de Millenium travaillent à partir d’un flux diffusé par Riot Games leur permettant de suivre ce qui
se passe et de le partager avec le public français.
distinguant du sport, ce que l’on retrouve dans son appellation même associant le « e » de
« électronique » au terme de « sport ».
Si certaines logiques communicationnelles ne semblent pas spécifiques à la pratique de
League of Legends sur le plan compétitif, il reste difficile de conclure s’il s’agit ou non d’une
mutation plus large du monde du sport. Toutefois, des éléments de réponse devraient être
appréhendables dans les années à venir, en fonction de l’évolution du phénomène de
médiatisation de l’eSport. En effet bien que la médiatisation soit pour l’instant principalement
suivie par des sujets pratiquant le jeu en tant qu’amateur, étant donné qu’il faut avoir
connaissance de l’évènement pour se rendre sur les plateformes de retransmissions alors que
les matchs de football peuvent s’imposer à la télévision en changeant de chaîne, amenant des
personnes ne pratiquant pas le jeu à s’intéresser à la pratique de ce sport. Deux éléments
laissent penser que le monde du sport amorce sa mutation : d’une part, une diffusion de la
finale du championnat du monde de la saison 4 de League of Legends a été proposée dans
certains cinémas Pathé grâce au partenariat avec Coca Cola. Ainsi, il sera peut être possible
dans un futur plus ou moins proche, à l’image des matchs de football qui sont diffusés dans
des bars, d’allers voir une retransmission d’un tournoi d’eSport dans des lieux publics entre
amis. D’autre part, un joueur professionnel canadien a obtenu en 2013 un visa « sportif » lui
permettant d’aller exercer avec une équipe américaine, ce qui peut laisser présumer d’une
évolution positive quant à la considération des joueurs professionnels de League of Legends,
et plus généralement sur le futur de l’eSport.
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