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Actes DU CoLLOQue DU CRI, CENTRE DE RECHERCHE SUR L’IMAGINAIRE, MONTPELLIER, DECEMBRE 1994 “RUPTURES DE LA MODERNITE” IMAGINAIRE ET NOUVEAUX MEDIAS sous la direction de Lise Boily Les Cahiers de I’Imaginaire — N° 17 Directeurs : Gilbert Durand, professeur émérite 4 I’Université de Gren able, ‘et Michel Maffesoli, professeur de sociologie 4 la Sorbonne, aris V. Secrétaire de rédaction : Patrick Tacussel, professeur de socidlogie & L’Université Paul Valéry de Montpellier Coordination : Martine Xiberras, maitre de conférences A l'Université Paul Valéry a Montpellier. Correspondance : a adresser 4 Mme Xiberras, Dpt de Sociologie, Université Paul , Route de Mende, 34 199 Montpellier Cedex 5. Tél : 04 67 14 20 92, Fax : 04 37 14 24 87, E-mail : xiberras @ bred.univ-montp3 fr Comité de lecture : Pietro Bellasi professeur de sociologie a LVUniversité de Bologne (Italie), Edgar Morin, sociologue et épistémologue, directeur de recherche au CNRS, Roberto Motta, pro- fesseur d’anthropologie a 1a Fondation Joaquim Nabuco de Recife (Brési), Jean Bruno Renard, professeur de sociologie 2 1 Université -Valéry, Viola Sachs, professeur de littérature & Paris VIII, Patrick Tacussel, profeseur de sociologie 4 I'Université Paul Valéry, Martine Xiberras, maitre de conférences 4 1'Université Paul Valéry 4 Montpellier, Jean-Marc Ramos, maitre de conférences & I'Université Paul Valéry, Rachid Amirou, maitre de conférences & I’ Université Paul Valéry, Philippe Joron, maitre de conférences a l'Université Paul Valéry, Patrick Imbert, Professeur a I’Université d’ Ottawa. Maquettiste : Nathalie Orvoén. Correctic ition : Héléne Houdayer, Catherine Perez, Astrid SanbemBeden ‘Conditions d’abonnement : ~ France : 220 F ~ Etranger : 280 F Le numéro : 120 F ; Rglement & adresser A.L’Harmattan, 5-7, rue de I'EcolePolytechnique 75005 Paris. Tél : 01 40 46 79 20 ou G1 40°46 79 21 Les Cahiers de L’Imaginaire sont publiés avec le concours du Conseil scientifique du Département de Sociologie de I’ Université Paul-Valéry, Montpellier IN. Ainsi que du Centre d'Etudes sur 1’ Actuel & le Quotidien (CEAQ),Université Paris V - René Descartes et du Centre Régional des Lettres et de la région Languedoc Roussillon, ©L'Harmattan, 1998 ISBN : 2-7384-7316-4 SOMMAIRE Eniro : Lise Bolly : Imaginaire cyborg et recombinatoire.. Dossier 1 : NOUVEAUX MEDIAS ET CONVERGENCES.... 7 Laura Bovone : Au centre de la culture post-moderne : les nouveaux intermédiaires culturels. 1 Lise Boily : Médiologie et rapport a I'imaginaire. 25 Heidi Figuerros-Sarriera : Liimaginaire cyborg de la fin du millénaire... 43 Ugo Ceria : Messageries-Minitel : la technologie détournée par Vimaginaire, 51 Marie-Thérése Neuilly : L’imaginaire et l’accident nucléaire. 37 Chrys Constantopoulou : Fantasmes modernes a propos de . 69 7 Jean-Yves Dartiguenave : L'idéologie managériale soptguée aa tail ‘social, un imaginaire caché. 5 Dossien CYBERSPACE, ESTHETIQUE ET SPIRITUALITE. 97 Tamae Ishii Manzoku : Les images du média et les nouveaux mouvements religieux au Japon... Alain Mons : Les esthétiques diffuses : formes contemporaines et 127 127 139 153 Pascal Hachet : Dionysos et Geethe.... Albert Assaraf : Du lien aux origines du sacré. 169 Frédéric Monneyron La Communauté des citoyens de Dominique Schnapper... 169 Franca Franchi L’ Androgino de Adriano Marchetti. 173, Ronald Creagh Une histoire de 1a communication moderne de Patrice Flichy.. ». 175 EDITO es changements technologiques et culturels en cours positionnent Vimaginaire comme lieu stratégique d’intervention. La mise en /sctne de l’imaginaire semble étre un veritable lieu de pouvoir. L'imaginaire est un espace virtuel intangible od s’inscrivent les empreintes du vécu, od s’enregistrent les représentations plus ou moins Glaborées des rapports au monde empirique, des expériences humaines émotives et cognitives. C’est aussi cet espace od imagination op2re certains fonctions : filtrage, sélection, organisation et opérationalisation. Il s’agit d’un espace effervescent et mouvant od s’effectue une interaction constante entre I’actif d’un capital significatif qui refléte la trajectoire de I'individu et les stimulations contemporaines plus ou moins novatrices et provocatrices apportées par l'environnement social, Vhabitus. C’est dans I'imaginaire que s'optre le bricolage de l'information, du savoir envrac de-manibe & lof donner du sens, Crest un Lew de découpage, de regroupement, de formatage rendant possible I'intégration. de données, de savoirs multiples de maniére a les rendre signifiants. Les phénomenes de changements technologiques et culturels en cours provoquent I’imaginaire individuel et social et exigent de la pro-action, de I’action, de l’engagement de 1a part des spécialistes de la communication en matiére de stratégies de conception et de contenu. Les nouveaux médias par le biais des intermédiaires culturels reflétent cette dynamique. Ces derniers s’approprient les nouvelles technologies de information pour des usages sociaux. Les technologies nouvelles de l'information et de la communication favorisent l’émergence d’un espace virtuel qui devient un lieu de réinvention du réel. Va-t-on renforcer l’exclusion dans la virtualité ? Va- t-on y reproduire nos décalages culturels ? Va-t-on y reproduire le sexisme, la discrimination ? Si la’ virtualité est I’état extréme, le comble de la réalité pour reprendre Jean Beaudrillard, les contenus, les représentations y devraient reculer bien de nos limites symboliques afin de réinventer une réalité qui ne cultive plus la dissonance, état propice aux pratiques d’exclusion. Les expériences dynamiques en cours dans l"espace cybernétique marquent le passage vers une nouvelle ere : celle de l'harmonisation des sens physiques, du mouvement et de la pensée. La virtualité est un lieu de réinvention du Réel. Le virtuel travaille en interface avec l’expérience individuelle empirique od des enchassements, des interpénétrations semblent prometteuses pour des applications sociales. Le présent numéro questionne certains de ces phénoménes & travers les changements en cours, Le travail de Laura Bovone discute d’un point de vue théorique, le role des nouveaux intermédiaires culturels dans le systeme contemporain des communications qui se veut le lieu méme de la réflexivité et de ambivalence. L’auteur présente ces nouveaux intermédiaires culturels & partir du couplage habile que ces derniers opérent entre les principes de la recherche créative et ceux du marché. Lise Boily questionne le role des médias en privilégiant limaginaire comme lieu ’intervention de changement individuel et social. Reconnaissant l’importance des intermédiaires culturels, elle analyse influence des médias dans une perspective de reconstruction postmodeme qui amenuiserait le décalage entre lofficialité des discours et les pratiques sociales. Cette réflexion vise & mieux comprendre les liens entre les discours sur la Post- Modemité, les théories du changement et leurs ramifications dans les industries de la communication. Le texte d’Heidi J. Figuerroa-Sarriera explore I’imaginaire cyborg de la fin du millénaire. Tl pose d’entrée de jeu les distinctions sur les technologies cyborg et nous introduit 4 une nouvelle métaphore qui dépasse Ia relation traditionnelle humain- machine : « La condition postmoderne est un état qui mélange créatures humaines, éco-systémes, quincailleries et logiciels, produisant un immense réseau tres embrouillé, a partir duquel se génére la nouvelle biopolitique du XXIe sitcle ». Hugo Ceria s’intéresse & une pratique répandue de I'usage de la Messagerie-Minitel en France. Son analyse établit une correspondance & des rites sociaux déja étudiés par Emile Durkheim et Erving Goffman. On y aborde la technologie comme lieu de détournement par I’imaginaire pour faciliter des pratiques sociales anonymes qui se confondent, dans une perspective anthropologique, aux ‘comportements carnavalesques. Chrys Constantopoulou s’intéresse aux phénoménes du numérique qui entre dans nos vies par le ludique. Elle analyse I’imaginaire des jeux video én tant que récit mythique de notre temps. Cette réflexion sur 1a relation entre l'imaginaire et les nouveaux médias constitue une étape de synthéses théoriques posant des jalons importants pour les travaux dans le champs des pratiques communicationnelles. On y trouve une référence au principe de convergence propre & la pensée postmoderne. Lise Boil, Directrce, Centre de recherche en Communication et Changeme nf aux Département de Communicatic Universite d’Ottawa DOSSIER 1 AU CENTRE DE LA CULTURE POSTMODERNE : LES NOUVEAUX INTERMEDIAIRES CULTURELS Laura Bovone référence & un ensemble de professions nouvelles ou renouvelées /qui sont liées directement aux processus communicationnels. Il s’agit de professions qui jouent un rdle clé dans la société de Vinformation oa nous vivons. Elles illustrent et incarnent les ambivalences et incertitudes de parcours rattachées & cette période de transition. Dans cet essai, je référe de fagon générale (2) aux journalistes aux publicitaires, aux opérateurs de télévision et de tourisme, aux directeurs de centres culturels aux créateurs de mode, aux architectes, aux responsables de galeries, et autres individus occupant des fonctions similaires. Les agents de la communication au niveau exécutif ou technique, n’y sont pas inclus. Les individus sélectionnés, méme s'ils ne sont pas qualifiés d’une maniére formelle pour la profession qu’ils exercent, se démarquent soit par leur scolarité tres élévée, soit par leur dynamisme. et peuvent donc étre considérés comme des chainons déterminants dans a sGrie création-manipulation-transmission de biens & haut contenu d'information, ou de biens dont la valeur symbolique est fondamentalement prépondérante. La thése que l’on veut soutenir est celle de la centralité de ces professions, centralité qui — on le verra — est un mot paradoxal dans le domaine d’une culture qui n’a pas de centre, comme celle post moderne (Bovone 1990), mais qui aussi indique leur propre capacité et tendance & assimiler, reproduire, enfler les paradigmes opposés qui cohabitent dans la société contemporaine (Feathersone 1991 ; Bovone 1993). Dans les I "expression « nouveaux intermédiaires culturels » (1) fait paragraphes qui suivent, je veux avant tout discuter de certains attributs utiles A qualifier la culture postmodemne, notamment ceux d’ ambivalence et de réflexivité, qui semblent caractériser tant la culture en tant que telle, que, plus particuligrement, I’identité postmodeme. On essaicra ensuite de démontrer comment le syst#me des communications, habité et animé par les nouveaux intermédiaires culturels, est le lieu-méme de la réflexivité et de I’ambivalence et comment ces intermédiaires construisent leurs roles sur les cendres de rdles & leur déclin comme ceux de intellectuel ou de I’artiste, tout en conjuguant d’une manire plus direete que ces dernier, les rincipes de la recherche réatve avec ceux lu marc! 1 LE POSTMODERNE, CATEGORIE DESCRIPTIVE ET TOLERANTE I est désormais difficile de dire quelque chose de nouveau & propos du postmoderne. Bien que dans le panorama sociologique italien il s'agisse d’une catégorie qui n’a pas encore beaucoup de défenseurs (Crespi 1988 ; Belohradsky 1989 ; Bovone 1990 ; Ferrara 1992 ; Donati 1993), ou méme d'une position intellectuelle par rapport a laquelle on garde ses distances (Ardigd 1988), il s’agit d'un lieu commun, méme abusé, chez les chercheurs anglais et allemands en sciences sociales (Foster 1984 ; Jameson 1984 ; Lash 1990 ; Featherstone 1991 ; Bauman 1991 et 1992 ; Seidman - Wagner 1992, etc...), pour lesquels (avec quelques polémiques bien connues dont je parierai ensuite, comme Jurgen Habermas 1981 et Antony Giddens 1990) il a gagné une dignité pareille & celle du terme postindustriel. D' ailleurs, le postmodemne prend sa place dans notre discipline & travers le fameux ouvrage de Jean- Frangois Lyotard (1979) qui nous le présente notamment comme le cOté culturel du postindustricl. Néanmoins, parmi les sociologues francophones il y en a peut étre plus qui préférent partager l’esprit de la culture postmoderne (tout d’abord Jean Baudrillard 1985 et 1990), qu’utiliser cette catégorie avec continuité, comme fait Michel Maffesoli 1990, 1991, 1993). Notre discours ne demande pas que tous les traits du postmoderne soient illustrés, il est pourtant indispensable de montrer pourquoi on le considéze comme un bon concept auquel faire référence pour parler de la culture contemporaine et surtout de ces acteurs sociaux qui s’occupent de sa transmission. 1.1. DE MODERNE A POSTMODERNE Pour définir le moderne ou bien le processus de modernisation on ut utiliser une contribution désormais classique, The homeless mind EBerger et alli 1974), qui a la qualité de conjoguer des facteurs structuraux et culturels du changement social et surtout d’analyser les facteurs culturels de l’intérieur de la subjectivité humaine, du point de vue des acteurs. Une fois repérés les véhicules principaux de la modemisation dans la modalité de production technologique et dans la bureaucratic, dans Ia lignée de Max Weber, on les considére 4 l’origine, dans I’univers symbolique de la modernité, non seulement comme la recherche continue de la rationalité, mais aussi comme une conception hétéroclite de la réalité. Il s’agit bien d’une réalité pluraliste, infiniment lible en tant que composée par des problémes résolubles, et aussi a Porigine d’une tendance & garder ses distances du role (dans le sens Erving Goffman 1961), c’est-2-dire A ne jamais croire que sa propre idenulé est revenu — > position de classe —> conflit. Un tel schéma était en quelque sorte déduit mécaniquement d’un moddle de marché auto-réglé déja terminé dans les premieres décennies de ce sitcle (Polanyi 1944). Les mouvements politiques de la société postindustrielle ont des buts sociaux qui se situent dans la lignée d’instances globales soutenues par les ‘médias (jeunes, femmes) ou, au contraire, dans des enchevétrements locaux de besoins (écologiques, xénophobes) (Melucci 1984), La libération de quelques schémas traditionnels de la division du travail ( ge et par sexe) a aussi augmenté les options individuelles (Beck 1992 ; ‘Smelser-Erikson 1980) et la variété des agrégations sociales, jamais aussi fortes et totalisantes que quand elles étaient déterminées par le typique conflit économique de classe. Les travaux les plus récents sur la stratification sociale s'accordent sur le fait de ne pas considérer les objectifs économiques ou de pouvoir comme des facteurs d’agrégation ni uniques ni principaux, de méme que I’occupation ne semble pas étre le facteur déterminant pour I’acquisition des droits de cité (Rovati 1992 ; Donati 1993). Par rapport a V’idée de classe, celle d’ « ordre », depuis toujours a été employée avec plus d’aisance (3), d’une manitre moins impliquante par rapport & I'idéologie et, ce qui est déterminant en ce cas-ci, elle a é16 localisée dans les caraciéristiques culturelles des sujets et elle a surtout été employée pour les secteurs centraux, fragmentés et difficiles & encadrer, du systéme de la stratification sociale (Sylos Labini 1974). IL ne nous parait pas hors du contexte de classer les nouveaux intermédiaires culturels parmi les nouveaux ordres intellectuels (Bovone 1993), non seulement pour garder nos distances avec Bourdieu et sa terminologie, mais justement pour mettre en évidence le point de vue tout A fait culturel de notre discours. 2.3 ARTISTES, INTELLECTUELS, MARCHANDS, C’EST-A-DIRE INTERMEDIAIRES CULTURELS Parmi les ordres moyens qui émergent dans le panorama économico- socio-politique celui dont on est en train de parler est sans doute destiné 16 4 acquérir une importance de plus en plus grande, par son ampleur et sa position stratégique. Il n’est pas encore évident d’en marquer les frontiézes et d’en établir, méme par hypothése, la logique d'action. Il s’agit, sans doute, de « communicateurs », liés au syst#me de communication de masse dont ils constituent le socle et, pour certains aspects, méme d'une manidre sectorielle, les experts les plus importants. Leur formation les lie dans la plupart des cas, a la catégorie des intellectuels, et parfois celle des artistes (pour certains parmi les publicitaires, les créateurs de mode, les architectes, etc.) ; pour mieux dire, les professions d’intermédiation culturelle constituent une nouvelle issue pour ceux qui ont du mal & se reconnaftre ou tout simplement & trouver de quoi vivre en tant que pur artiste ou pur intellectuel. Ceux-ci, @’ailleurs, méme dans un passé od leur rOle était plus aisément reconnu, constituaient quand méme des personages exceptionnels dans le panorama des occupations, ou peut-tre ils ne leur appartenaient pas ‘vraiment, parce qu’ils pratiquaient des otia plutdt que des negotiations. L’augmentation de la quantité de ceux qui suivent un curriculum de formation de d’artiste ou d’intellectuel dans la société postindustrielle en fait inévitablement des employés, voire des professionnels (Prandstraller 1990), et le monde des mass-média parait étre leur sidge idéal. L/Art et la Culture étaient des mondes a part, pour peu de monde. Maintenant le processus de dé-différentiation qui intéresse 1a postmodernité est clair (Lash 1990 ; Crook-Pakulsky-Waters 1992) : la culture « haute » et la culture populaire se mélangent, la culture de masse comprend les deux, les renvois de I’une A I’autre sont fréquents et répétitifs (Edgar Morin 1984 ; Featherstone 1991 : 110). Le postmoderne marque I’affaiblissement de la recherche de !'unique, du personnalisme typique de 1a culture individuelle bourgeoise, de l’avant-garde artistique ct politique qui constituait le véritable entrainement de Iintellectuel pur jusqu’aux années 60. ‘Aujourd’hui méme !’intellectuel académique aspire dans 1a plupart des cas A devenir un intellectuel « médiatique », un maitre du « prét-a- penser » (Berthud-Busino 1990), & se donner un objectif qui ne soit pas que cognitif, mais une couche esthétique qui le fasse apprécier par un Public plus vaste (Raymond Boudon 1990). En particulier, c’est bien dans le domaine de l'art que semble étre dépass€ le fier parcours de recherche, de soudaines découvertes, de bouleversement de styles ; d’un cOté tout parait déja essayé, l'histoire est bien 1a pour nous le rappeler, de I’autre, l'art se mélange A la vie, leurs valeurs se confondent, comme le montre trés bien A. De Paz, l'idéal de V’artiste moderne, le but de son combat contre le bourgeois bien- pensant — hédonisme, libération, expression totale de sa personnalité — est devenu la regle culturelle de tout individu postmodeme, « parfait micro-artiste de sa vie privée » (De Paz 1992 : 102). Les demnitres avant- gardes nous ont montré que tout peut devenir arv/marchandise, art vendu fen tant que tel, c’est-A-dire marchandise, et d’ailleurs depuis longtemps le marché en tant que tel s’est emparé de I’impératif de "innovation. 17 Lartiste revient done trés souvent au professionnalisme, utilise son master ob il pense qu’ily a dela place, abandonne Tindividvalisme pout le travail d°équipe et le travail dans les maxi-structures, pour la recherche de la subvention d’état et de la sécurité. La société de la communication et la culture de I’image sont son aréne, il leur est indispensable ainsi qu’elles le sont pour lui. « Le monde de la production culturelle » n’est certainement pas plus « un monde économique & Fenvers », comme Bourdieu (1993) a eu, et parfois a encore, la prétention d’affirmer. Bref, la dé-différentiation conceme art et marché, art et vie, culture « haute »'et culture populaire, non au sens qu’il est impossible de faire un emploi différencié de ces catégories analytiques, mais au sens que les superpositions entre les réalités auxquelles chacune d' entre eles fait référence sont telles qu’elles rendent plus nécessaire l'étude des interconnexions que I’étude des réalités singuligres ou des sous-syst¢mes singuliers (Muench 1992). ce sens il me parait pertinent de se concentrer sur la catégorie des nouveaux intermédiaires culturels, comme carrefour od des logiques diverses se rencontrent — d'information et de marché, communicatives et mass-communicatives, de recherche intellectuelle et d’expressivité, de conservation et d’émancipation, etc. — observatoire privilégié et interprétes privilégiés des interconnexions de la société de la communication. Tis sont, en méme temps et désormais d’une manitre institutionnelle, des artistes et des marchands, des intellectuels et des employés, des créateurs et des vulgarisateurs, et, en tout cas, des « communicateurs ». On peut donc, selon mon opinion, les appeler intermédiaires culturels avec un signifié bien plus complexe que celui proposé par Bourdieu : non seulement ou pas vraiment des intermédiaires du godt de la classe dominante pour le faire accepter par les classes inférieures, mais plus généralement des transmetteurs de culture, de signifiés qu’ils élaborent ou re-€laborent pour le grand public ou, encore mieux, pour la grande caisse de résonance que sont les moyens de communication de masse. Le role de médiateur obtient une telle importance a cause de la «médiatisation» de la culture, du fait que la culture, griice au syst8me des mass-média, est cristallisée, rendue durable, protagoniste déterminante de I’histoire et du marché des biens (Thompson 1988). 2.4, MEDIATION SYMBOLIQUE ENTRE ANCIENNES ET NOUVELLES AMBIVALENCES. On parle donc d’intermédiaires dans le sens le plus large d’abord du concept de médiation symbolique, et, puis, des différentes nuances de ce concept dans la société mass-médiatique. « Le langage constitue aujourd’hui des nombreux édifices de représentations symboliques qui paraissent dominer sur la réalité quotidienne comme des présences gigantesques qui appartiennent & un autre monde » (Peter Berger-Thomas Luckmann 1967 : 40). Si, pour 18 donner un exemple de ce travail symbolique, Berger et Luckmann fournissent encore seulement les quatre syst®mes classiques de la religion, de la philosophie, de l’art et de la science, c’est certainement aussi pour le systéme des communications de masse que vaut la remarque que « le langage est capable non seulement de construire des symboles qui sont profondément abstraits de l'expérience quotidienne, mais aussi de « reporter en arritre » ces symboles et de les présenter comme des éléments objectivement réels » (Berger - Luckmann 1967 : Les symboles, donc, d’un cOté servent & se référer A des réalités- autres, A des domaines de réalités différentes de celles de la vie quotidienne, d’un autre cOté ils constituent eux-mémes des réalités socialement construites, ils sont « le domaine de la production culturelle » (Bourdieu 1993) ; une mesure de leur potentiel objectivant émerge 6videmment de la force acquise parle langage des images, et, en général, de la force que les parcours de plus en plus complexes de la médiation symbolique donnent aux symboles, de leur création a leur utilisation. Avec cela, on ne veut pas, par contre, partager la vision de plus en plus catastrophique de Jean Baudrillard (1990), son hypothdse d’une machination infemale qui, en promettant ou méme imposant un exces de communication, empéche toute communication sensée, établit la fin de toute référence, l'impossibilité de vraies relations humaines et de vraies informations. Les intermédiaires culturels vivent probablement d’une manidre plus consciente que d'autres les ambivalences de la société contemporaine. Celles-ci, d'une certaine fagon, comme le démontre Simmel, sont les mémes depuis toujours, comme toute cohabitation est le lieu od le désir de différentiation et le désir d’unité trouvent une solution variable. C’est- A-dire que si, en général, on définit la société comme « l'ensemble d’actions réciproques dont les contenus et les intéréts matériaux ou individuels prennent une forme » qui les rapproche, V’histoire nous montre que « en un deuxiéme temps ces formes deviennent autonomes et agissent seulement pour elles-mémes » (Simmel 1983 : 78) ; donc, mené ses dernitres conséquences, le jeu de la sociabilité, de I’art, de la science ou de la mode devient vide de contenu. Il me semble par contre qu’il est nécessaire de suivre Simmel jusqu’au fond, c’est-A-dire d'affirmer avec lui que ces formes sont cependant un potentiel. Sil'on cherche ce que Simmel ne peut pas nous dire de la culture de masse dans ce qu'il nous dit de la mode, I'un des phénoménes culturels qui le fascine le plus et qui est certainement constitutif de la culture de ‘masse, on remarque enfin un enthousiasme dans ses mots, qui ne semble pas effacé par une certaine préoccupation pour les excés de la mode typiques de notre « temps impatient » (Simmel 1985 : 27). « Le vrai charme de la mode (...) repose (...) tant dans la possibilité d'etre guidé par un cercle social, qui permet & ses membres une imitation réciproque en libérant I’individu de toute responsabilité éthique et esthétique, que 19 dans 1a possibilité, A I’intérieur de ces limites, de se créer une nuance personnelle avec I'intensification ou avec le refus de la mode » (Simmel 1985 : 60-61). La duplicité, l'ambivalence, que Douglas et Isherwood attribuent globalement au systéme des biens en tant que signal de désirs d’exclusion et d’appartenance, en tant que capable d'¢loigner et de joindre, est la duplicité de la mode d’ apres Simmel. Me paraft aussi évidente I’analogie avec ce que Habermas appelle le « potentiel ambivalent » des media, quand il affirme que « les spheres. publiques des media hiérarchisent et en méme temps ouvrent I’horizon de communications possibles ». Leur « potentiel autoritaire », en effet, dQ a la structure hiérarchique et centralisée qui les gouverne, cohabite avec un « potentiel d’émancipation », dau fait qu’ils se servent quand méme de « formes généralisées de la communication qu’ ils ne substituent pas, mais qui tout simplement condensent la compréhension linguistique et donc restent liées & des domaines du monde vital » (Habermas 1985 : 573). Si le discours de Habermas vaut pour « les domaines publiques des media », il est cependant applicable aux sujets impliqués par ces domaines, qui peuvent étre considérés comme le lieu de rencontre des potentiels autoritaires et d’émancipation et, comme ils ont accés tant aux « media de controle » (argent et pouvoir), qu’aux « media de communication » (influence et prestige), capables aussi de construire tant des occasions « d’intégration systémique » que « d’intégration sociale », selon qu’ils sont plutot orientés au succ’s ou plutdt a l’entente (Habermas 1985 : 267-275) Test donc évident que le genre 4’ opportunité que ces professionnels de la communication peuvent offrir 4 leur public dépend en grande partie dod et de comment ils se disposent sur le continuum de l’ambivalence. En général on peut dire — suivant les affirmations de F. Crespi (1993: 149) au sujet des artistes —, que pour ces experts de ‘communication le lieu de la responsabilité se trouve dans « leur attention prononcée et consciente par rapport au médium qu’ils utilisent ». Le langage n'est pas utilisé sans réflexion comme dans la vie quotidienne, ni avec un controle sur sa fonctionnalité comme dans les discours des spécialistes ; il s’agit d’un cas particulier de médiation symbolique ot «les moyens d’expression (...) constituent eux-mémes la manifestation directe du message ». Le discours qu’on a esquissé jusqu’ici a essayé de considérer d'une maniére globale les nouveaux intermédiaires culturels, tombant ccertainement dans des généralisations et des banalisations par rapport 4 Ia richesse et Ia variété des professions en question. Je crois d’ailleurs que I’on peut considérer comme acquis le fait que, en tant que « communicateurs », ils ne peuvent pas se soustraire a I'ambivalence que toute médiation symbolique, toute forme d’ agrégation de la culture porte 20 en elle ; d’autant plus, qu’ils transmettent — construisent, en tant que « communicateurs » postmodernes, une culture qui se reconnait déja ambivalente et cohabite avec son ambivalence. 3 CONCLUSION Il me parait utile de qualifier comme postmoderne 1a culture contemporaine parce qu’elle marque la fin de quelques certitudes modernes acceptées sans réserves — telles que le mythe du progrés technologique économique, la foi dans la capacité d’aboutir 4 un projet social rationnel et dans 1a nécessité d'une organisation vitale et sociale centrée sur le travail — pour un syncrétisme culturel sans certitudes et sans centre, mais tolérant méme par rapport a des éléments obsolates ou mémecontradictoires. La culture contemporaine, frappée par un exces d’informations et incapable d'arriver 4 une synthése partagée, cohabite avec I'ambivalence, qu’elle accepte provisoirement, en pratiquant un travail réflexif sur elle-méme qui la modifie continuellement, en provoque la crise et la récuptre. Au niveau individuel, cela donne une perception de la multiplicité des choix disponibles sans une idée qui les guide, situation qui peut amener 2 une impasse ou A un activisme excessif, mais en tout cas favorise une mise en boucle sur soi-méme. Les nouveaux intermédiaires culturels sont des professionnels de la communication, des intellectuels engagés dans la vulgarisation, des artistes qui eréent des images de la culture de masse, des semeurs de bon gofit liés a la logique de la culture d’élite et A celle du marché, A la conservation et & l'innovation. Ils prospérent dans I'ambivalence de la culture postmodeme, en nourrissent les moyens de communication, qui & leur tour donnent de la consistance et du pouvoir aux élaborations culturelles des intermédiaires mémes. Tis sont les experts les plus grands dun systéme complexe, responsables de fragments remarquables de la réflexivité sociale, d’eux dépend en grande partie la possibilité que Vexcés de communication puisse véhiculer la confrontation et V'émancipation plut6t que le nivellement et I’auto-exclusion. Laura Bovone Département de Sociologie Université Catholique du Sacre Coeur, Milan Nores (1) Je dois tout bord réger une dette de reconnaissance &'égard de Pere Bourdieu pour ce gui concere 'emploi de expression « les nouveaux itermédaies cultures »: je consacrrai Frum des paragrapbes qui suivent Is liison avec la théorssion de Bourdio, mais aussi pour ‘exper certaies réserves son gard (Ds stisersanpt anders ta tteepa desc pegspaseterpérées dans Bovone (1994), {G) Dalles le concept de clase a é vilsé etext utilisé souvent d'une manitre moins igoueuse pur rapport ln wadition marist cela avait dja sigalé par I'etcellnt travail de S. Ossowaki dans les années ‘60 (1966), et se uouve non seulement dans le débat américain ‘Bendix - Lipset 1966, moins lié aux excellent fantOmes de notre culture, mais aussi dans le ‘bat européen (Dabreadorf 1959; Ammassai 1993) 21 BIBLIOGRAPHIE "AntasatP, (eo a drction de), Tenderoe della sraificacion sociale, Vitae penser, Milano, 1993 ‘Ardigo A., Per una sociologia oltre il postmodern, Laterza, Bari, 1988. ‘Baudrillard J. «) pour décrire une machine capable de convertir les sons en sensations tactiles. Leffet érogéne dépend de la partie de l’anatomie od I’on établit le contact avec le stimulateur tactile. On prévoit le télédildonique — appareil de Réalité Virtuelle (RV) aux intentions dildoniques — pour le milieu du XXIe sitcle, étant donné qu'on a besoin d’ordinateurs tres puissants pour pouvoir faire fonctionner et contrGler les milliers de sSenseurs et effecteurs sur chaque segment de peau (7). Les discussions dans les milieux culturels portant sur de tels projets suivent apparemment deux courants. Le premier est celui dans lequel on considére ces appareils comme des moyens de « nous libérer » de la misére de notre corps organique et de « coloniser » un espace différent. En général, cette perpective est contestée par les discours féministes, mais comme nous allons le voir, de maniéres divergentes. Nous avons la perspective qui congoit ce domaine comme une espece de « champ de bataille » des significations, od les interprétations rationnelles instrumentales masculines coexistent dans un combat avec d’autres interprétations, lesquelles défient les entendus conventionnels relatifs aux catégories qui classifient notre vie et nos corps (8). Les positions féministes sur ce sujet oscillent entre deux tendances. Une tendance voit dans ces objets des instruments qui augmentent les capacités actuelles de nos corps organiques, et par conséquent réaffirment la récupération de I’autocontrOle sur le corps féminin et sa sexualité (9). L'autre voit dans l’espace technologique méme la possibilité de transgresser et de déstabiliser les entendus hégémoniques de la domination. Ce deuxitme courant est particulitrement significatif pour notre présente discussion. La réappropriation du corps ne peut se faire sans I’appropriation du « Cyberspace » ; dans ce sens, nous assistons a I’apparition d’une nouvelle notion du corps plus adéquate au mythe politique du Cyborg. Allucquere Rosanne Stone nous dit qu’entrer dans l'espace discursif d'un programme, c'est entrer dans un espace composé d’ensembles de variables et d’opérateurs, od le programmeur donne des noms. Entrer dans cet espace signifie donc l'expérience de dominer et en méme temps Ia sensation de s’avouer vaincu ; nommer consiste donc a s’approprier les superficies, a les incorporer a I'intérieur de la sienne propre. A ce propos, Stone signale : « la pénétration se traduit en envelope. Autrement dit, entrer dans l'espace cybernétique, c’est physiquement se 46 revétir de cet espace, devenir un organisme cybemétique (« cyborg »), se revétir d’un espace cybernétique dangereux et séducteur comme dun habit, c’est s’habiller en ferme » (10). Ceci d’une certaine fagon illustre comment — a partir de l'espace qui rend possible de nouveaux desseins technologiques — la théorisation {éministe a transgress¢ les catégories conventionnelles, déstabilisant par exemple la polarité domination- résistance, dedans-dehors, pénétration-invagination, masculin-féminin. Le déplacement du corps s’accompagne d’une revalorisation du « sensoriel » comme moyen de connaissance ; dans une perspective féministe cette revalorisation implique nécessairement une réappropriation des formes du plaisir corporel et de la sexualité. Mais en méme temps, il présuppose un nouvel imaginaire du corps humain, configu fondamenialement pat ls « bts» ot « bytes » gu rendent possibles des tribus électrodigitalisées ot l'image du corps assume une Qualité protéenne : est réinstallée Ja valeur non seulement de I’éphémére et du temporaire, mais aussi du virtuel, de ce qui ne correspond plus aux formes conventionnelles. Pour finir, j’insisterai sur l'inventaire des transgressions de plusieurs présupposés modernistes, que la figure mythique du cyborg rend possible, selon Haraway. En premier lieu, le cyborg défie les dichotomies traditionnelles (spécialement masculin/féminin, humain/machine), dépassant leurs limites et produisant des catégories fondamentalement hybrides. Deuxitmement, le cyborg défie les métanarrations traditionnelles qui se réclament du principe d’une unité fondamentale 4 partir de laquelle ont lieu les processus de séparation/identification. Troisismement, et comme conséquence de ce qui précéde, le cyborg défie 1a métaphore naturaliste qui a permis la domination de la femme/nature. Quatriémement, le cyborg défie les principes universels (c’est-a-dire occidentaux) de la Rédemption et de la totalité (le cyborg n’a pas de complexe d’Oedipe a régler). Enfin, comme enfants illégitimes du militarisme, le capitalisme patriarcal et le socialisme d”état ne sont plus loyaux a leurs progéniteurs. Le cyborg est une créature de la science-fiction et de la vie réelle, C'est le « self » postmodemne ; dans son imaginaire, les frontigres entre le réel et le fictif se fondent et se confondent, « structurant toute possibilité de transformation historique » (11). Tl ne s'agit pas devant ce panorama, pour Haraway, d’étre désolé et cynique, mais d’assumer de fagon radicale la question : qui seront les cyborgs ? Selon cette auteur, deux perspectives s’ouvrent. Dans un cas, Ie monde cyborg apparait comme une imposition finale du réseau de contrdle, domination et exploitation sur la planéte. Dans l'autre cas, le monde cyborg a quelque chose voir avec des réalités incarnées, sociales, od les personnes n'ont pas peur d’établir des relations les unes, avec les autres, avec les animaux et avec les machines. De 1A émergent des subjectivités qui n’ont pas peur de leurs identités constamment partielles et contradictoires. La lutte politique doit se situer dans les deux perspectives simultanément, 47 Les unités cyborgs sont monstrueuses, perverses, illégitimes et en tant que telles, elles nous interpellent et nous répugnent simultanément (comme « le féminin »). Cependant, l’analyse et la décodification de ce nouveau scénario est, & notre avis, un des grands défis de notre temps. Relever ce défi exige la réflexion théorique sur I’héritage de 1a ‘Modernité comme projet historique, mais aussi et en méme temps léveil dune certaine sensibilité pour transgresser les présupposés de cette méme Modemité. Heidi J. Figueroa-Sarriera Professeure de Psychologie Sociale Depértement de Psychologie Rio Piedras Campus Université de Porto Rico Notes (1) Traduction par Bernard Orcillard. Quelques-unes des réflexions résumées dans cette communication se touveat dans « Cybergology : Constructing the Knowledge of Cybernetic ‘Organism », travail qui constitue Mintroduction du live The Cyborg Handbook, édié par Chris Hables Gray, Heidi J. Figueroa-Sarrera et Steven Meator. Routledge, New York-London, 1995, (@) Le terme « cyborg » & &té créé par Manfred Clynes, qui avec Nathan S. Kline, a écrit 1" artile intirlé « Cyborg and Space » Cet article sera reproduit dans Chris Hable, et. als. (eds) op. cit (@) David Harvey, The Condition of Posimodemity. Mastachusets, Basil Blackwell, Inc. 1990. @) Voir notre travail « Children of the MIND with Disposables Bodies », in Chris Hables Gray, et. als. (eds), op. cit. Ce chapitre est consacré 2 une analyse des straiégis rhétorigues lbs par Hans Morave- Directeur di Mobi Robot Labora’ dans so Heit: MIND Children ‘The Fade of Robot and Haman Ineligence, Cambie, The MIT Press, 1988 (6) Carolyn Marvin dans ses recherches sur les dscourstachologiques propos de 'électuicité «du XI%e sitele, nous dit que dans la science populaie du XIXe sitcle le corps apparait comme élément de référence 2 partir duquel le monde est compris. Mais la culture des experts scientifiques tat lige aax aisonnemeats abstaits désincamés. Cepeodant, quand les spécilistes stadressaient aux secteurs populaires, ils fasaient appel aux aspects religieux et magiques, sspects fondamentaux de la culture orale de I'époque cela allant de pair avec la résistance 8 Taliation du corps comme source de plaisir. (6) Nicole Stenger, « Mind is a Leaking Rainbown », in Michacl Benedikt (ed), Cyberspace First Steps, Massachusets, The MIT Press, 1992, p. 51 (7) Howard Rheingold, Virual Reality, New York, A Touchtone Book, 1992. (@) Dans le débat sur les représentations cultures de ces desscins, « && reconnue l'entente cnire les ingénicurs, les travalleursleuses sexvellesflles et les imprésarios sexuels : tous sont ‘experts dans la fabrication de « tokens » qui sont fcilementreconnus comme objets de dési. La ‘omposante rotique est indiscutablement présente dans les débats portant sur ces systémes. (©) Pour une discussion plus détailee des formes selon lesquelles les discours feminists ont abordé les implications des dessins de haute technologie- spécialement dans le domaine des ‘communications voir notre travail inttalé « Cul cuerpo ? Qué mujer ? Heterotopiasfeministas tnte el encuadre ‘hi-tech’ », in Heidi J Figueroa-Sarriera, Marfa M. Lé, Les implications des dessins de haute technologie- spécislement : Revistopias feministas ante el encuadre « ‘bi tech’ », in Heidi J. Figueros-Sarriera, Maria M. Lé les implica (10) Allucquere Rosanne Stone, « Will the Real Body Please Stand Up ? : Boundary Stories ‘About Virtual Cultures », in Michael Benedikt (ed), Cyberspace First Step. Massachusets, The MIT Press, 1992, p. 109. 48 (1 Donna Haraway, « A Cyborg Manifesto: Science, Technology and Socialst-Feminism in the Late Twentiets Century », in Simians, Cyborgs and Women.The Reinvention of Nature, New ‘York-London, Routledge, 1992, p. 150. Révérences BUsLIOGRAPHIQUES Figueroa-Sarriera Heid, Ls cialist-Feminism, in « The Late Twentieth Century », in Simians, Cyborgs and Women, The ReinveHables Gray Chris, Figueroa-Sariera Heidi et Mentor Steven, (Cas) The Cyborg Handbook, New York-London, Routledge, Printempr, 1995. Haraway Donna, « A Cyborg Manifesto : Science, Technology and Socialist-Feminism in the Late Twentieth Century », in Simians, Cyborgs and WomenThe Reinvention of Nature, New ‘York-London, Routledge, 1992, p. 149-182, Harvey David, The Condition of Postmodemnity, Massachusets, Bail Blackwell, Inc. 1990. Marvin Carolyn, « When Old Technologies Were New. Thinking About Electric ‘Communication », inthe Late Nineteenth Century, Oxford, Oxford University Press, 1988. ‘Moravec Hans, MIND Children : The Future of Robot and Human Intelligence, Cambridge, ‘The MIT Press, 1988. ‘Rheingold, Howard, Viral Reality, New York, A Touchtone Book, 1992. ‘Stenger Nicole, « Mind is a Leaking Rainbown », in Michael Benedikt (ed.) Cyberspace First ‘Steps, Massachusetts, The MIT Press, 1992, p. 49-58. ‘Stone Allucquere Rosanne, « Will the Real Body Please Stand Up ? : Boundary Stories About ‘Viral Cultures », in Michael Benedikt (Bd.) Cyberspace First Steps, Massachusetts, The MIT Press, 1992, p. 81-118 49 50 MESSAGERIES-MINITEL : LA TECHNOLOGIE DETOURNEE PAR L’IMAGINAIRE. Ugo Ceria e développement de la communication électronique a rencontré ntérét des observateurs sociaux, qui ont largement considéré les ‘implications au niveau macro-social de l'emploi des nouveaux média, Les données sur l’exploitation du nouveau médium le plus diffusé en France, le Minitel, nous invitent a réfléchir : un instrament congu comme source d’informations et moyen de renseignement et de formation a été transformé, d’abord par initiative des « pirates » informatiques, ensuite par l’initiative des fournisseurs de services, en un théatre avec des personnages dont le nom est remplacé par un pseudonyme (1). Je fais référence au « théatre » de la messageric télématique, qui assure aujourd’hui une grande partie des rentes du réseau Télétel. Le jeu de masque, le langage codé, les stratégies des usagers, véritables «caméléons» de la communication, nous suggérent guels sont les motifs du succds de la messagerie. Je montrerai qu’a la source de ces comportements communicatifs on peut trouver une sorte de « constante anthropologique », le comportement spontané de la féte, du déguisement, de la frivolité carnavalesque, mais aussi le goat du partage d’un style de dialogue, original et hermétique, propre au groupe, qui peut ainsi « se reconnaftre » en tant qu’unité, Ti ne s’agit plus du genre d’idemtification & travers laquelle 1a modernité donnait 4 chaque individu la sensation rassurante de faire partie dune société, et en méme temps de garder ses traits distinctifs, de ne pas devenir la cellule anonyme d’un organisme totalisant. Au Minitel l'individu choisit Tanonymat, il en fait sa manigre de « se perdre », d’annuler son propre rOle dans des rOles contradictoires, de jouer 1a confusion. Le « miniteliste > expérimente une nouvelle identité, celle qui le lie & une « société secréte » qui ne choisit pas un lieu pour ses réunions, mais un temps, celui de la fiction débridée ; c'est peut-étre un signe de la post- modernité qui avance : le paradoxe d’une identification obtenue grace au renoncement provisoire & sa propre identité et & l’assomption des infinies identités possibles. 51 Trop souvent on a abordé le discours sur les nouveaux médias par le biais de la futurologie qui, si elle a d'un cOté favorisé le charme de ses instruments, en a fait d'un autre cOté des instruments apparemment trés distants des habitudes de rassemblement et de communication de notre société, S'il est vrai que les nouveautés apportées par les nouveaux médias sont nombreuses, il est pourtant vrai que le dialogue télématique garde beaucoup des caractéristiques des rites sociaux dont Emile Durkheim pour les aspects macro-sociologiques, et Erving Goffman, pour les aspects micro-sociologiques, signalent la fonction agrégeante. L’évolution des new media électroniques s’insére dans les grands facteurs de changement de la société postmodeme, considéré qu'il est possible de voir dans les comportements communicatifs qui se développent autour de ces instruments une version fragmentaire et éphémére des rites archaiques et tribaux. Pour fournir un exemple, on peut faire référence au masque, élément fondamental du jeu de mimicry, Catégorie proposée par Roger Caillois dans son anthropologie des jeux. Les usagers de la messagerie-Minitel ont un masque, le pseudonyme, qui répond & la double fonction de cacher I’identité de I’individu et de proposer une nouvelle identité, un personage qui pourra jouer son rdle sur les planches éphémeres de I’écran du terminal. Ceux qui jouent leur personage dans une messagerie participent 4 un jeu de mimicry qui consiste, je cite Caillois (2), « a devenir soi-méme un personnage illusoire et se conduire en conséquence ». Pour suivre ce fil rouge anthropologique qui lie le rassemblement télématique aux rites sociaux de toute époque, on peut bien faire référence au pseudonyme en tant que masque et & 1 licence de la plupart des dialogues électroniques pour y trouver des affinités avec le comportement carnavalesque. Le carnaval, comme dit Georges Balandier (3), « bouleverse les classements sociaux selon le hasard des Tencontres et la conjonction insolite des personnages imités ». Le carnaval a une seule régle fondamentale : il faut renverser les régles de la vie quotidienne, on peut donc, comme au Minitel, jouer la folie. « Le ‘camaval, par ses origines, est une explosion de licence qui (...) exige le déguisement et repose sur la liberté qu'il entraine », écrit Caillois (4). Sur P’écran télématique le sexe est le sujet le plus abordé, en tant que « vocabulaire partagé », un sexe dé-matérialisé dans la parole. C’est comme si le langage revenait A ses origines, comme s'il perdait le pouvoir de la proposition, que Michel Foucault (5) signale étre la condition nécessaire & T’ordre de la langue, pour retrouver sa dimension tribale, son lien avec la fabulation enfantine, la libre invention, la parole saussurienne qui amorce le changement analogique de la langue (6). Au Minitel on estropie les mots, on joue avec les interjections, les graphismes que le petit clavier permet d’afficher ; il ne s’agit pas d'une thétorique ni d'une virtuosité linguistique, ni d’un vrai code partagé : tout cela nécessite des régles ; il s'agit d’une évocation du son & travers 52 le signe, d'une libre et personnelle utilisation du langage, avec lequel on établit un rapport « empathique » et non critique. C'est une langue argotique qui triomphe au Minitel, une maniére de rendre graphiquement la langue parlée, favorisée par la nécessité de raccourcir, de rendre plus rapides, et donc moins chers, les messages. Il y a aussi le désir de suivre tun rythme qui puisse imiter le plus possible celui de la langue parlée. Pour obtenir cet effet d’expression orale il est aussi trés important de choisir des mots qui appartiennent au domaine de I’argot, et des divers langages populaires ; Mc Luhan (7) dit bien que toute langue est argot avant Pécriture, Quant a la forme, on estropie les mots pour obtenir un effet de cri, d’émotion, pour enfler la tonalité du discours. L’emphase est aussi obtenue par les onomatopées des bandes dessinées, par une ponctuation exagérée et réutilisée librement, La transgression touche A la grammaire, & la regle de la langue écrite ; le mot devient malléable, il se plic aux exigences expressives. Jacques Leslie (8) affirme que le dialogue électronique « est comme un coup de fil, mais par écrit ». Une définition trés efficace de cette communication aux modalités nouvelles me vient d’un entretien avec un usager du Minitel, qui a défini la messagerie comme « un dialogue face & face, mais les yeux fermés ». L’hypothése de Mc Luhan (9) qu'une culture orale et un espace acoustique vont de plus en plus s’affirmer avec le développement de la communication électronique semble démontrée. Ce que l'on écrit sur T’écran du terminal, est comme une pitce de thédtre qui est jouée une fois pour toutes au moment méme de son invention, et qui se perd & la fin de la communication. 11 s’agit d’une improvisation basée sur la capacité d'imaginer un dialogue, de formuler des hypothéses sur une voix. La culture des réseaux électroniques est donc une culture orale, aux formes d’expression spontanées. On parle, au Minitel, on s’exprime en groupe, on ajoute des mots pour contribuer a la création de ce « cadavre exquis » qui est le résultat du rassemblement électronique. Les mémes mots, et souvent les mémes phrases, se répatent & chaque nouveau -«contacb> qui s’établit ; le masque permet le rapport entre les usagers, la parodie, les mensonges sont acceptés comme normaux, et peu de monde semble avoir encore une illusion de vérité. « C’est pas des idées qui assent » m’a dit un usager des messageries ; en ce contexte, ce qui compte est souvent le rite de la communication, une communication qui a sa fin en soi, sans message ni contenu. La vérité ne joue plus son ancien rOle dans la communication, on a renoncé a la certitude en faveur de 'incertitude et du camouflage ; pour observateur, il est peut étre venu le moment de renoncer une fois pour toutes a cette idée dépassée et inutile de vérité en faveur d’une insertion au czur-méme de I’expression collective. L’époché, la suspension du jugement est un devoir, quand les vieilles vérités ont perdu leur efficacité et qu’une vérité nouvelle ne se montre pas encore. D’autant plus, que les acteurs mémes de la ‘communication électronique ont bien appris avant celui qui les observe & 53 se passer de toute certitude, en faveur d’une communication qui est avant tout un jeu de doutes et de mensonges, le domaine du « pseudo », du faux et de I'incertitude. Les techniciens qui ont créé le réseau Télétel ne pouvaient pas prévoir ce détournement de I'instrument d'information et de renseignement & Y'instrument de communication ; ce qui paraissait un pas en arrigre par rapport 2 la perfomance dela communication «en direc permis pa le téléphone, cachait un enjeu dont seulement les pirates électroniques, les hackers, qui ont créé par un sabotage la premiére messagerie, s’étaient apergus. Cet enjeu éiait Yanonymat, la condition nécessaire du rite de féte, de la « sortie de soi », de la libre projection (pour employer un terme psychologique) de la’ part de l'usager. Le terminal permet une consommation froide de la féte, une sortie de soi qui n’engage pas, une transgression « dans un fauteuil ». On peut bien se demander s'il est licite de considérer encore ces comportements comme des « facteurs dagrégation » sociaux, vu que, méme s*ils ont beaucoup de points Communs avec le rituel social, on doit renoncer & toute idée de proxémie, de rassemblement, de proximité physique, qui était chez Durkheim (10) Y'une des conditions du rituel. Si l'on arrive a s’acquitter d’un concept festint de proxémie comme proximité physique el sl I'on accepts Vétendre a I'idée de réseau communicatif, comme réseau réel installé sur le territoire ainsi que réseau de liens communicatifS établis tout au long des dialogues par les choix des individus, on peut bien s’apercevoir qu'au Minitel on assiste 4 une nouvelle forme de proxémic, une roximité qui renonce & espace en fonction du temps : au Minitel on nest plus co-présent, on est coincident, on partage I'instant de la féte, qui en devient aussi le lieu, un lieu symbolique, somme idéale des noeuds télématiques activés par les usagers dans leurs parcours communicatifs. Le temps est occupé, rempli de gestes communicatifs, du jeu sans regles de la messageric, soit-elle conviviale, ou, ce qui est plus fréquent, Grotique : il s'agit de petits rituels qui gardent leur fonction de favoriser les liaisons entre les individus ; en effet, ils permettent de commencer des relations qui ont pour objet et qui parfois obtiennent comme résultat Ia rencontre que les minitelistes eux-mémes appellent « réelle ». Le network électronique n’est pas seulement une simulation du réseau social, vu que I’on assiste souvent & la réalisation concréte du passage de V’écran, ob la distance physique entre les interlocuteurs peut bien étre considérée infinie, & la rencontre, et parfois au rapport sexuel, véritable point-zéro de la proxémie, court-circuit des corps. Centre a*etiaes sur PActuel et le Quotidien (CEAQ) Notes G) Sur le « détoumement » du Mintel, de In conception des techniciens aux piratages qui sont AVorigine de Ia messagerie, je renvoie 4 M. Abadie, Minitel story, Paris, Favre, 1988. QDR. Caillois, Les Jeux ef les hommes, Pais, Gallimard, 1967, p. 60. (G)G. Balandier, Le Powoir sur scdnes, Paris, Balland, 1980, p. 130. (GR. Caillois, op. cit, p. 254, (3) « Ce qui érige le mot comme mot tle dresse debout au-dessus des crs et des brits, c'est a ‘roposion cachée ea hi, écrit M Foucault dans Les Mots eles choses, Pais, Gallimard, 1966. (6) « Rien n’entre dans Ia langue sans avoir été essayé dans la parle, et tous les phénoménes ‘évolutifs ont leur racine dans la sphbre de I'individu », et encore : « Pour qu'un changement analogique "impose, i a fallu qu'un premier sujet I'improvise, (..) des autres l'imitent et le répatent, jsqu'a ce qu'il simpote A Vusage », F. de Saussure, Cours de lingustique générale, Paris, Payot, 1972, p. 231, (7) GF 1n-« wtrade » consacrée au slang dans le chap. 1V de Me Luban, Laws of media. The new science, University of Toronto Press, Toronto, 1988. (8) Jacques Leslie, « Mail bonding. E-mail is creating a new oral culture », Wired, mars 1994, (9)Me Luan, op: cit. (20) Of p. ex. les considérations de f. Durkheim sur I'effet effervescence engendré par la ‘8c, dans Les Formes élémeniaires de la vie religieuse, Paris, Librairie Générale Frangaise, 1991, p 629-641. 5S 56 L’IMAGINAIRE ET L’ACCIDENT NUCLEAIRE. Marie-Thérése Neuilly. nucléaire de Tchernobyl en 1986, et la gestion de la crise qui a suivi cette situation (1). Les faits : Tchernobyl, 26 Avril 1986 — ‘heure 24 — Explosion du réacteur n°4. Disparition de I'URSS fin 1991. 135000 réfugiés écologiques. '5 millions de personnes vivent dans des zones contaminées : de 1,8 millions a3 millions en Ukraine, 2,4 millions en Biélorussie,1 million en Russie. 10000 km? hautement contaminés dans les trois pays. Manque de médicaments, hOpitaux insuffisamment équipés... Crise économique. La crise et 1a perte de repéres spatio- temporels : quels territoires, quels projets ? La crise qui a suivi la catastrophe de ‘Tehemobyl a, comme dans chaque accident technologique majeur (2), bouleversé le cadre de I’existence, déstabilisé la population. L’enveloppe familidre et protectrice, le cadre de référence, recdle une dangerosité que rien ne signale, et pour ceux qui étaient dans la zone proche de la centrale, il a fallu partir sans espoir de retour. Les repéres spatiaux ont été brisés par l’évacuation, remodelés en profondeur par la Contamination. Les repéres temporels, qui disaient l’existence en termes de passé, de présent et de futur, n’offrent plus la possibilité de construire un projet. Le temps s'est arrété, C’est donc sous le signe de la rupture et de 'insécurité que I’habitant va vivre. B= rappel du contexte : l'accident survenu dans Ia centrale 1- A L’usaGE DES ZONES CONTAMINEES DE Russie, BIELORUSSIE ET UKRAINE S’ELABORENT DES DISCOURS SCIENTIFIQUES ET SOCIAUX NOURRIS DE DIVERSES INFLUENCES. Gestion des territoires contaminés EN Bretonussie La catastrophe de Tchernobyl a mobilisé intelligentsia contre le pouvoir central, car la Biélorussie ne bénéficia d’aucune aide, Moscou gardant le silence jusqu’en 1988. En 1991 on pouvait lire sur les banderoles lors d'une manifestation qui regroupait des dizaines de milliers de grévistes : « Nous avons eu le plus de morts pendant et avant 37 la guerre, le plus de victimes de Tchernobyl, le plus de fusées pour une nouvelle guerre ! ». En Biélorussie (3) fin juillet 1990, le Soviet Supréme décide « les mesures d’accéiération du programme d’Etat concernant la liquidation des conséquences de la catastrophe de Tehemobyl » (...) La République socialiste soviétique de Biélorussie est déclarée zone de catastrophe nationale (...) Elle soutient la décision du Soviet Supréme d’Ukraine d’exiger du gouvernement d’URSS la fermeture de la centrale de Tchernobyl, au plus tard en 1992 ». Les évacuations concernent les personnes habitant sur des territoires pollués a plus de 15 Ci / km2. Pour ce qui est des zones contaminées entre 1 et 5 Ci/km2, qui concernent environ 1,8 millions d’habitants, des compensations par mois et par personnes seront versées, ainsi que des primes pour les médecins, infirmiers, instituteurs.... qui travailleront auprés de cette population. EN UKRAINE En Ukraine, une loi définit en février 1991 les territoires contaminés. 377 500 hectares ont des doses de 5 curies ou plus par km2. 3 316 000 hectares ont une contamination inférieure & cing curies. EN Russie On estime, de source non officielle que 5500 km2 sont contaminés, et selon des sources officielles, qu'il s’agit de 1000 km2. Si la région de Briansk est considérée comme zone contaminée, il n’en est pas de méme pour celles de Orel, Kalouga, Toula, ou la pollution en césium 137 est de ‘cing curies au km2— Alla Yarochinskaya (4) signale que cette pollution atteint quinze curies dans la ville de Plavsk, située dans la région de Toula. 1-1 LES DISCOURS SCIENTIFIQUES 1-1-1, Discours des courants scientifiques qui se situent dans la perspective de la production d’énergie par les centrales atomiques, production spécialement développée en France : s'il est reconnu qu'il y a eu une catastrophe nucléaire A Tchemnoby! en 1986, les conséquences de celle-ci sont évaluées avec circonspection, qu'il s'agisse des chiffres des. Victimes directes, ou de ceux relatifs & ia santé des habitants pour maintenant et dans le long terme. 1-1-2, Discours des courants scientifiques minoritaies, qui se sont donnés pour rble d’attirer I’attention des populations sur les risques potentiels d’accident que leur font courir les centrales nucléaires et les stockages d’armes atomiques, ainsi que les lieux de retraitement des déchets ou les sites d’exploitation d’ uranium. Ainsi est née une polémique opposant ceux pour qui I'accident de ‘Tehernobyl s’arréte A ces conséquences connues a ce jour, et qui sont celles de I'explosion, de I’irradiation des personnes directement exposées, et des dérdglements sanitaires enregistrables et quantifiables maintenant, et d'autres scientifiques ou des opposants au développement du nucléaire, pour lesquels il y a sous-estimation de ces dommages, tant 58 & court terme qu’A long terme. Pour ces derniers, la notion de radiophobie ne serait qu'un camouflage permettant de rapporter a Vangoisse du sujet des manifestations de morbidité qui reléveraient d'une situation objectivement dommageable pour les habitants de ces zones contaminées. Les ¢laborations scientifiques en présence ont des argumentaires également structurés qui se placent sur les plans de Tobjectif et du contrOlable. 1-1-3, Les questions de I’ information et des risques inhérents & Yétablissement d'un contrble social sont également soulignées par ces contestataires. Dans ce secteur de la production d’énergie d'origine nucléaire s’exprime depuis la mise en place de cette production une demande récurrente en matitre d'information : les opposants & ce syst#me sont particulidrement attentifs A ce qu’ils estiment étre une atteinte aux droits de tout citoyen que I’on doit informer de ce qui le concerne directement ou indirectement. Pour ce qui est des décideurs, tant dans le domaine de I'énergie atomique que dans les spheres du politique, on peut noter qu’il y a collusion, fondée sur des stratégies qui ne sont pas nécessairement dui méme ordre — rester crédible par rapport a une énergie « propre », efficace, bon marché... ou éviter les effets de panique — afin de laisse filtrer le moins possible d’informations en cas. d'incident. D’autre part, la technicité de cette information, nourrie de procédés, d’unités de mesure héritées de divers systémes, de descriptifs complexes, en fait pour un public non averti un sujet qui reléve de Texpertise. Comme le militaire, le nucléaire reléve du secret et non de la communication. Il ne se positionne pas en tant qu’objet d’un débat démocratique, et il se dérobe quand on veut I'amener sur ce plan 1a. Il contribue donc & laccroissement des procédures de contrOle social — qui sapisse des cenrales, des aboratoires, des usnes de ttement des chets, du transport des matidres radio actives...Du secret 2 la sacralité : Louis Vincent Thomas (5) montre que ce lien existe parce que l'industrie de l’atome « s’attaque aux forces obscures de la nature les plus puissantes, les plus secrétes, les plus menacantes... » et qu’elle s’inscrit ainsi dans la dimension du sacrilege. 1-2 LEs DISCOURS SOCIAUK : 1-2-1 Remise en question de la légitimité de I'Btat : Liaccident de ‘Tehemobyl a, entre autres conséquences, celle de générer une crise de Iégitimité du pouvoir étatique (6).Une des différences notables entre risque ordinaire et risque majeur repose sur le degré d’acceptabilité qu’il revét auprés d’une population. Pour Romain Laufer (7), la perception du risque est fonction du systéme de normes, et de l’acceptabilité sociale du risque. Cette notion repose sur des déterminants culturels, le risque « ordinaire » étant considéré comme socialement acceptable, le risque « majeur » au contraire étant socialement inacceptable. Le systéme de réparations mis en place par les trois pays, et qui « s’apparente un 59 effort de guerre » tend a restaurer cette légitimité. C’est par une solidarité nationale que peut étre développée une compensation a des conditions de vie jugées inacceptables, car la légitimation doit prendre en compte la notion de justice. La catastrophe a remis en question dans Topinion publique l'image de la science, et la confiance dans les structures politiques, et dans les hommes qui gouvernaient alors. En 1986 avec la glasnost (transparence), les chercheurs rejettent la tutelle idéologique, et les milieux scientifiques donnent naissance & une nouvelle classe d’hommes politiques, comme I’ex dissident Andréi Sakharov ou bien Askar Akaiev, responsable de I’ Académie des sciences de Kirghizie, élu président du Kirghizstan indépendant en 1991. L’Etat s'est Soar roams en laissant Paes des industries dangereuses, alors jue c’est lui qui en assurait I’établissement et le controle. Non seulement il n'a pas informé la population concemée & temps pour qu’elle puisse se Protéger, mais encore il a contribué a la diffusion de contre-vérités. 1-2-2 Propagation de rumeurs de toute nature, emballement de la parole sur fond de crise économique. Les rumeurs ont accompagné ou remplacé les informations concernant I’accident et ses suites, tant en France que dans les territoires concernés. Dans les trois républiques silence, mensonge, information, glasnot et rumeurs se succ&dent et s'entremélent. En France, l’ouvrage de Yves Lecerf et Edouard Parker (8) La guerre des rumeurs, souligne le caractére paroxystique de la propagation de ce phénomene. Les auteurs concluent ainsi le premier chapitre, intitulé « La naissance de la folle rumeur des 2000 morts de Tchernobyl » : « Information, désinformation ou bien auto — désinformation ? ‘Tchemnobyl : une fission dans la raison ? un nuage médiatique ? la raison bafouée ? l'information irradiée ? Le syndrome de la Tcherno — transe ? » (p. 24) Mais ils démontrent qu'il s'agit d’un accident sur la centrale parfaitement maftrisé, dans lequel il n'y a eu a déplorer que 3imorts, et que ces rumeurs dévoilent «la rivalité de complots en France d'un ethnosavoir de transe médiatique & court terme, avec un ethnosavoir de survie & long terme, dans un monde qui sera de toute manibre nucléaire » (p. 378 ). Quand on ajoute a cela quelques indications sur la trajectoire professionnelle des auteurs — « ayant nous mémes un passé d’ingénieurs nucléaires... » (p. 4),et of, note n°8, on peut relativiser autant la notion d'information que celle de rumeur. Ce passé scientifique aménerait-il quelque cynisme ? « Nous ne voulons pas ici tenter de faire croire que les techniques nucléaires seraient moins fiables que les autres mais souligner que, toute situation présentant des avantages et des inconvénients, le fait pour les soviétiques d’avoir eu déja plusieurs accidents graves avec contamination nucléaire, leur procure sans doute Tavantage de savoir en traiter les conséquences mieux que quiconque. Cela expliquerait pour partie le calme et I'efficacité dont ils ont fait preuve & Tchemobyl — compte tenu bien entendu, d'un certain degré de 60 pagaille aussi, inhérent & toute situation d’accident et peut-etre également, pourrait-on gjouter, a tout syst¢me fortement bureaucratisé — » (p. 60). L’Etat, la science et la technique sont frappés de discrédit : Le doute s’installe, 1’Etat n'est plus le garant de la véracité de l'information, et le scientifique s'est trop compromis avec lui. Les organismes non gouvernementaux, quand ils savent faire la démonstration de leur indépendance deviennent des interlocuteurs crédibles, car les crépitements du compteur Geiger ne suffisent pas s'ils ne sont pas accompagnés de la confiance que I’on accorde 4 l’opérateur. 1-2-3 Le mal des rayons qui s’est développé dans un contexte de sous-information alimente une peur sociale, et les zones contaminées sont des lieux qui interrogent I’habitant, le scientifique et le politique. L’HABITANT Tl doit réapprendre A vivre le quotidien, quand les pratiques sociales les plus ancrées sont remises en question : cultiver son jardin ou se nourrir, pour ce vieux couple ne plus s'asseoir sur le banc qui Taccueillait car il est trop prés de la descente d’eau devenue dangereuse. Ne pas aller dans les bois, ne pas ramasser de champignons, ne pas pécher les poissons dans I'étan; «« Ici, nous sommes fous, et d’ ailleurs il faut étre fou pour vivre ici...et de toutes fagons je ne peux pas partir d'ici ». « Ce que tu manges, ce que tu bois, ce que tu respires, tout cela est mauvais pour toi ».« Regarde mon fils, comme il est pale... ». « Avant, il y avait les pionniers, j'allais courir dans les bois avec mes camarades, on chantait autour des feux de camp. » « Ils disent que c'est dans notre tte que nous sommes malades, ils ont peut étre raison... mais Serguiev, sa femme, elle a un cancer,,j’ai eur et peut ue que c'est pas dans ma tee» (12) Avant I’accident 1’état sanitaire de 1a population n’était pas sysiématiquement contrOlé. C’est alors que manquent les moyens de le faire, que des enquétes de santé publique et des contrOles systématiques du degré de pollution ambiante devraient étre effectués. La question qui se pose est celle relevant d’une situation nouvelle pour laquelle nous ne possédons pas de modélisation : quel devenir pour ces gens qui ingerent tous les jours des doses parfois infimes parfois lourdes de produits contaminés. Méme avec I’aide des spécialistes qui ont géré les suites des explosions atomiques on ne peut répondre de fagon complétement salisfaisante 4 ce questionnement. LE POLITIQUE Il est confronté & un certain nombre de questions. Comment compenser ce dommage causé 4 une population captive dont l'avenir est hypothéqué dans une proportion que l'on ne connait pas, et ce dans un contexte de paupérisation généralisée ? Comment gérer les peurs sociales afin qu’elles n’engendrent pas des troubles sociaux qui mettraient en péril ’ordre institué ? 61 LE POLITIQUE ET L’ ASSISTANCE La prise en charge médicale et sociale des victimes est une forme de lien social, pour lequel I’Etat consacre une partie importante de son budget. Une des difficultés & laquelle se heurte cette assistance est celle découlant de la définition sociale du statut de victime. La Iégitime revendication d’une prise en compte de la souffrance et de la spoliation peut s’accompagner d'une extréme dépendance, et de la fin de toute élaboration de projet personnel, et pour certains exclus du nouveau systéme économique qui se met en place le seul projet peut étre la demande d’ assistance. lant il faut noter ici que pour une partie de ceux qui devraient légitimement étre pris en charge A ce titre, par exemple pour une partie des liquidateurs, cette reconnaissance est tres difficile & obtenir, ce qui entraine pour eux un accroissement de leur désarroi, de leur stress, et bien évidemment une aggravation de leur maladie. 2-PEURS SOCIALES ET NOUVELLES SOLIDARITES 2-1 Les RIVIERES ET L’ ABSINTHE Dest fait référence ici aux textes prophétiques, ceux de I Apocalypse de Saint Jean dans lesquels il est question d’une catastrophe occasionnée par une pierre d’absinthe qui tombant du ciel, tua des hommes et pollua les rivitres. Cette phrase restée mystérieuse et qui ne prenait sens que métaphoriquement dans cette grande fresque du désarroi et de la destruction s’éclaire ici singulitrement, dans cette absinthe Tchernobyl, malheur annoncé et précurseur d’autres cataclysmes. « Les quatre premieres trompettes - 16 1-9. Les sept Anges aux sept trompettes s’appréttrent a sonner.. Et le troisiéme Ange sonna... Alors tomba du ciel'un grand astre, comme un globe de feu. Il tomba sur le tiers des fleuves et sur les sources ; I’astre se nomme Absinthe : le tiers des eaux se changea donc en absinthe, et bien des gens moururent de ces eaux devenues améres. Et le quatriéme Ange sonna... ». Serge Prétre, dans son article Nucléaire, symbolisme et société (9) évoque la notion « d’épidémie psychique » pour expliquer ces peurs, peurs qui ne sont pas sans évoquer les manifestations millenaristes, convulsions d'une raison qui déraisonne, contagion qui amene le social dans I’apocalypse appelée. La radiophobie serait la premiére manifestation de ce malaise, l’expression de ce passage dans la dimension d'un imaginaire destructeur. Pour reprendre I’argumentaire de Serge Prétre, c’est parce que nous avons un certain nombre de représentations mises en place par I’histoire des catastrophes industrielles, la guerre nucléaire, la littérature et le cinéma d’ anticipation, que nous pouvons développer de tels symptOmes ancrés dans cette approche totalement irrationnelle : « beaucoup de personnes apparemment logiques et rationnelles furent submergées par les contenus 62 symboliques et inconscients de leur cerveau droit. Et ce fut la panique ». De quelques notions employées pour décrire les réactions d'une société affectée par un événement caractére dramatique. L’ePIDEMaE PSYCHIQUE Cette notion a été introduite par C.G. Jung. Elle est en lien avec celle d'inconscient collectif, et reposerait sur des représentations collectives, sur un idéal commun fortement structuré, ou sur une instabilité psychique collective. LA CONTAGION MENTALE Gustave Le Bon, dans son ouvrage Psychologie des foules (1895) parle de « contagion mentale », dont il souligne I’importance et la dangerosité, car selon lui cette fin de siécle va faire entrer le social dans « Vere des foules ». Cette contagion mentale, se combinant avec T'hérédité, va éte 8 l’origine de « I’ame collective » des peuples et des civilisations. Si Gabriel Tarde se montra trés opposé & ces théories, Freud par contre souligna la convergence qui existait entre sa propre approche et celle de Le Bon. Dans Psychologie collective et analyse du moi (1921), il écrit « Par I’accent qu’elle met sur le réle inconscient de la vie psychique, la psychologie de Le Ben se rapproche considérablement de landtre ». LiaTarion Cette procédure qui pour Tarde (10) est & I'origine du social, pourrait étre avancée pour expliquer ce phénoméne de déréglement social et individuel que certains observateurs signalent comme affectant les zones touchées par I'accident. La société se fonde par l’imitation, et l'imitation cst induite par un phénomene de suggestion. L'imitation est « le rapport social élémentaire », et les individus vont » par contagion élémentaire reproduire les mémes comportements. Les cadres institutionnels auront done ici une importance toute relative par rapport & ces subjectivités en interaction. LA RADIOPHOBIE : DES BIENFAITS DU PROGRES A LA FEUR DE 1’ ATOME La radiophobie se définit comme une pathologie psychologique, qui se manifeste par une peur de I’énergie atomique et de ses applications scientifiques ou militaires. Les manifestations de ce mal relevent de ce domaine qu’on désigne de « psychosomatique », avec insomnies, cauchemars, maux de ventre, de téte, crises d’angoisse.... Bella et Roger Belbéoch, dans leur livre Tchernobyl, une catastrophe notent que ce terme est employé dans Le Monde du 25 mai 1988 qui restitue les résultats d’une mission d’experts francais & Kiev « on s’efforce aussi de traiter les anxieux qui somatisent, qui éprouvent des douleurs intestinales, qui ont des cauchemars la nuit et les « radiophobes », symptOme nouveau en U.R.S.S. od traditionnellement, I’atome faisait partie des bienfaits du progrés. Ces anxieux sont traités dans des services de psychothérape od l'on pratique des buns aux heres, des projections de films avec musique douce et diffusion de parfums ». 6 De Ia A considérer que 1a population ne souffre de rien d’autre que de cette difficulté psychologique relative la situation post-accidentelle, il n’y a qu’un pas qui a été franchi par un grand nombre de joumalistes, de scientifiques... Ainsi est née une polémique opposant ceux pour qui accident de Tchernobyl s'arréte ces conséquences connues & ce jour, et qui sont celles de I’explosion, de l’irradiation des personnes directement exposées, et des dérdglements sanitaires enregistrables et quantifiables maintenant, et d'autres scientifiques ou des opposants au développement du nucléaire, pour lesquels il y a sous-estimation de ces dommages, tant & court terme qu’a long terme. Pour ces derniers, la notion de radiophobie ne serait qu'un camouflage permettant de rapporter 4 l’angoisse du sujet des manifestations de morbidité qui reléveraient d’une situation que I’on devrait reconnaitre objectivement comme dommageable pour les habitants de ces zones contaminées. Ce terme ainsi discrédité dans ce débat est tombé en désuétude. Cependant un autre concept est apparu, peut-tre en remplacement, celui de stress. Nombre d'études, de pratiques de « réhabilitation psychologique », se situent dans cette perspective. Lé STRESS Ce concept est utilisé dans les domaines de la vie quotidienne et du travail dans les sociétés industrialisées occidentales. Les aspects psycho- sociaux du stress ont été largement étudiés (11) : des questionnaires sont mis au point pour introduire la mesure dans de telles situations. Ainsi ceux de Holmes et Rahe, en 1967 ( Echelle d’ajustement social), ou de Rahe en 1975, Pour les auteurs de échelle d’ajustement social, dite aussi échelle de stress, une quarantaine d'événements de vie sont associs A des valeurs plus ou moins intenses, ce qui d’aprés les auteurs permet, en additionnant Iintensité de tous les stress vécus en une année de connaitre I’état dans lequel se trouve la personne. Ce sont ces Echelles, ou des échelles qui répondent & des principes proches, qui sont utilisées dans les zones contaminées quand le stress lié & cette situation est étudié, par exemple dans les Centres de réhabilitation psychologique (12). 2-2, PEURS SOCIALES ET ETABLISSEMENT DE NOUVEAUX LIENS SOCIAUX : DE LA PEUR QUI ISOLE AU LIEN SOCIAL INTERNATIONAL ! ACCUEIL DES ENFANTS DE TCHERNOBYL EN FRANCE. Les Enfants de Tchemobyl sont accueillis en France et dans d'autres pays européens depuis 1990. Il s’agit d’enfants, et d’adolescents, qui relévent d’un statut juridique particulier, parce qu’ils vivent dans les zones contaminées ou parce qu'un de leurs parents a été touché par la catastrophe, par exemple un liquidateur qui développe maintenant des conséquences du « mal des rayons ». Ces enfants sont donc affectés d’un statut de victime, et leur séjour dans une zone « propre » a deux finalités possibles : soit une finalité d’ordre sanitaire, reconstituer un potentiel de ) < aboutissement » de la culture modeme du progrés avec des « contenus futiles > des jeux (destinés au « temps libre » donc sans fin productive) semble curieux (surtout A cause du dépaysement provoqué par utilisation de I’ordinateur pour « ce qu’il n'est pas censé faire » & savoir le jeu). Certes, cette fin de sigcle apporte (avec beaucoup d'autres choses) la relativisation des valeurs de la modemité occidentale (pour ce qui nous conceme ici, le temps libre par exemple n’est plus de nos jours connoté comme « oisif » comme jadis ; il y a méme des études qui montrent son importance civilisationnelle (1). Ainsi, la rencontre de la « haute technologie » avec la « relativisation des valeurs» concernant le jeu a conduit aux jeux vidéo. Ce « nouveau-né » est un phénoméne complexe impliquant & la fois des questions de communication, des médias et des techniques (ainsi que des attitudes et tendances ‘culturelles les concernant...), de conceptualisation (nos concepts habituels étant souvent incapables de « signifier » des réalités « flottantes » qui nous entourent — un exemple typique est le cas des images de synthése qui obligent & revoir des notions telles « qu’ objet » (2) ; un autre est celui du virtuel qui abolit les 69 limites connues entre « réalité » et « simulation » (3), de temps libre, de loisir et de « jeu » mais aussi la question économique (puisque les « jeux » sont proposés par l'industrie culturelle...). Avec les jeux se manifeste un processus communicationnel complexe (particuliérement révélateur de 'imaginaire modeme & propos des nouvelles technologies dont les jeux vidéo sont une application tres courante). Si I’on admet (dans la lignée de Gilbert Durand, Michel Foucault ou Edgard Morin) que le récit imaginaire a une grande importance pour la communication on doit souligner que l’imaginaire des jeux répond a des « besoins profonds », et devient « approche du monde » : en tant que récit mythique de notre temps il est sans doute riche de sens (surtout en tant que mise en scdne/participation/implication personnelle a des défis considérés « vitaux »...). Récrrs Les jeux peuvent étre classés selon leur contenu ou leur theme en plusieurs catégories (exemple : jeux d'aventures, jeux de sports, jeux de ‘combat, jeux d'action, jeux de simulation...) dont les préférées dai public ‘sont pour le moment iés jeux d’aventure et le continent des simulateurs, Un jeu d’aventure est avant tout un récit, Chaque situation est en général une €nigme ou un combat, dans lequel Je hasard peut jouer un role plus ‘ou moins grand (si ’aventure a généralement une fin unique, le nombre de parcours possibles est trés grand, — de sorte que chacun y trace une voie qu’il resent comme personnelle) ; il s'ensuit une implication individuelle du joueur auquel il est proposé de « revivre » en « détective », en « homme d'affaires », en « jeune premier », ou méme dans la peau d'un autre sexe (mais il y a peu de femmes qui jouent...) ; ifelle peut étre « acteur » dans Ia Chine coloniale, dans les Caraibes du XVIle sitcle ou dans I’ex-Union Soviétique, dépassant ainsi les limites du temps et de lespace. On remarque (en priorité) une adaptation des grands univers romanesques de la littérature internationale (il existe bien stir également de titres complétement nouveaux). ‘On doit tout d’abord souligner la tr8s grande richesse de l'imaginaire des jeux ; on dirait qu’il s’agit d'une « revanche » de l'imaginaire réprimé par I’hyper-rationalisme qui se trouve 4 l’origine méme de Tinformatique. Les sujets favoris tournent autour d’une fantasmatique élémentaire concernant le temps, la destruction (et la mort), la métamorphose, la libération (dans I'espace et dans le temps), 1a dialectique avec/de I’« autre » (la femme, la béte, la machine...). Il semble certain que les jeux vidéo, (ce dernier-né de I’industrie de Yimaginaire incorporant les toutes dernidres innovations techniques) ‘véhiculent (tout comme la Science-Fiction) des fantasmes archétypaux. En empruntant au savoir d’aujourd’hui son langage, ils font resurgir les mythes d’hier (en les dotant d’une crédibilité nouvelle...) révélant ainsi des angoisses humaines peut-Etre « étemelles »... On pourrait mentionner 70 rapidement quelques sujets favoris de la littérature (des programmes) des jeux. On rencontre presque partout le fantasme de la maitrise du temps (soit dans les voyages temporels, soit dans la « confusion » de périodes historiques) : les personages arrivent & étre maitres du temps (et de Yespace) soit par pouvoir spécial, soit par processus accidentel soit par un média extra-terrestre ou « technique ») ; I’idée du pouvoir y est centrale : le joueur est sans cesse agressé en permanence défié ; il doit faire preuve de son pouvoir (politique ou physique — mesuré & celui des prétendants « maitres du monde » ses adversaires) et faire face a la menace (loups-garous, draculas, zombies, sorcigres, monstres font presque toujours partie du décor...). Une idée aussi « centrale » est celle de la métamorphose, la capacité de prendre autre forme que la sienne, devenir un « autre » ; ceci est bien entendu au coeur de la dialectique de Y « identification » '; d’ailleurs la sociologie a reconnu (avec Erving Goffman et Jean Duvignaud comme « pionniers » (4) que « faire comme si » ne reléve pas uniquement du domaine de 1’ « artificiel » (du ‘« mensonge » ou de I « hypocrisie ») : il s’agit d’une prise en charge symbolique d’un comportement. Cette idée de « métamorphose » associée avec la redéfinition de I’ « espace-temps » (par rapport aux conceptions « classiques ») devient ainsi un théme culture! d’actualité proposé par I’imaginaire avant méme d’étre traité par le discours Scientifique qui commence a admette (daillears timidement apres les nouvelles connaissances techniques...) la « fluidité » du monde. y a enfin dans les récits des jeux des fantasmes archétypiques concernant I' « autre». Certes, il exisie plusieurs fagons d’accepter la différence (la coexistence pacifique et la complémentarité, mais aussi la domination et exploitation) ou la refuser (exclusion, destruction ou méme « fusion >» 1 il y a méme des ressemblances qui questionnent, qui fascinent ou qui angoissent : 1) La relation homme/femme reste & cet gard la plus riche en ‘contenu fantasmatique ; par rapport a la femme les jeux vidéo (& 95% création et « jeux » d’hommes) ont été accusés de sexistes... Une forte dose de défoulement sexuel, de méme que de violence omniprésemie (3 phantasmagories sado-masochistes — riche matitre pour psychanalyses) est présente dans les jeux (5) od on. rencontre également différents « portraits » de femmes (des « vraies » et des simulacres, des belles et des moches, des sensuelles et des maternelles) amsi que des « types » d’homme : le héros romantique et le machiste (portraits et types véhiculés également par Iimaginaire des films 4 succes — dont souvent Je jeu reprend I’histoire — ou de la bande dessinée). 2) La « différence » est aussi présente dans les fantasmes qui concernent la relation homme/animal qui est méme révélatrice de civilisation (6). Le rapport & la « bestialité » (le « non humain ») montre aussi l'homocentrisme agressif de I’homme occidental : les jeux ont nu souvent & faire aux fantasmes liés aux animaux : projection animiste, quéte de alter-ego et sollicitation érotique, besoin de domination et de pouvoir... 3) Ily a enfin une « grande région » génératrice de fantasmes Cimaginaire profond de l'homme face & 1" « objet » technique et & la machine — a l’objet « automate ») sur laquelle (et malgré son importance) les études manquent (la Science-Fiction remplit ce vide : machines humaines et humains machinés, Puissance/Impuissance face la machine, hantise de l’objet rebelle, crainte de la dépossession, mécanismes de défense qui luttent contre tout ce qui met en danger Vintégrité et la constance de I’individu ou du groupe). La thématique des jeux tourne presque toujours autour de ce sujet majeur pour I’Occident modeme... ENIEUx... Dans ses travaux particulitrement intéressants concernant la Science- Fiction, Louis-Vincent Thomas (7) avait analysé ce genre de littérature ‘comme : 1- la mythologie du monde modeme en train de se faire (qui comme toute mythologie deviendrait le lieu géométrique de tous nos fantasmes, de nos fantasmes do tous ls eps) 2 une sociologie imaginaire de notre temps (« récits » qui ne sont pas aprés tout incompatibles — comme plusieurs sociologues et anthropologues l’ont déja souligné (8). Si l'on considére la Science- Fiction comme la mythologie du monde modeme en train de se faire (et Louis-Vincent Thomas est trés convaincant) on peut, en continuant cette pensée affirmer que les jeux vidéo sont le « prolongement » de la Science-Fiction (passée en « travaux pratiques » ! ). « L’hypoth?se de départ intervient dans un ailleurs spatio-temporel au-dela du réel immédiat mais dans son prolongement virtuel. A partir de 1A, elle développe une folie du comme si Ala maniére du fou en liberté qui, dans a logique de son délire, a plus de rigueur que l'homme normal » (9). Le mythe, en tant que récit expliquant/justifiant le social consiste justement 4 « exploiter » (par les concepts et les moyens connus dans une société) des situations typiques possibles (pour connaitre et résoudre les préoccupations de cette société) comme tout « récit » peut bien le montrer (pour cela le fameux point d’ interrogation « Les Grecs croyaient-ils leurs mythes ? » parait impertinente). L'imaginaire joue un r6le primordial pour concevoir et « formuler » la « fabulation ». Dans cce sens, les jeux vidéo sont le « prolongement » du récit de la science fiction en « acte » comme jadis, dans le théatre grec on jouait les cOtés les plus « dramatiques » — en’fait le plus souvent, les plus tragiques d'un « mythe » comme le montrent autant de tragédies « sauvées » jusqu’a nos jours telles qu’ Agamemnon, Prométhée, Perses, Antigone, nn Oedipe, Electre, Iphigénie etc. Analysant le theatre Jean Duvignaud (10) at < La sexualité, la mort, I’échange économique ou esthétique, le travail, tout est manifeste, tout est jou. L'homme est la seule espece dramaiique... L’acte de représenter est l'acte social fondamental. Entre la Vérité et le mensonge, s’étend une région intermédiaire, celle du Vraisemblable, de la véracité, du probable, du virtuel. Il n'existe pas de dichotomie rigoureuse de I’erreur et de la vérité — sur ce point on peut voir le sens qu’a pris le mot « hypocrite » qui signifiait initialement Vacteur... La vraie distinction entre la situation sociale et la situation thédtrale ne réside en ceci qu’an théatre, l’action est donnée 3 voir, restituée en spectacle. L'imitation-représentation c’est pour assurer le caracttre symbolique de 'action ». Loriginalité cognitive de ce qui se Gonne A voir c'est qu’il devient «plus réel que le réeb» dans un sens : ill y a des aspects longtemps sous-estimés qui « jouent » pourtant dans Ta dynamique sociale (aspects comme le ludique, la simulation, lirrationnel bien discernés dans la tragédie) ; on devrait rappeler le rOle éducatif du theatre grec (11). La « particularité » des jeux c'est que le joueur tc simule > un role de protagoniste (en entrant dans la peau d’un personage). . ; ne La science-fiction... est bien une littérature de l’angoisse. Non qu'elle introduise un héro-type dont elle mettrait & nu la psychologic et duguel le lecteur pourrait s"identifier. En effet, le récit est axé, non pas sur les individus, mais sur une structure donnée, univers social, ville, phénoméne naturel, monde magique méme, en somme sur une situation pe fait 2 laquelle les hommes sont globalement affrontés » (12). A Tencontre de ce schéma, les jeux vidéo concrétisent le récit en demandant au joueur de s’identifier 4 un personnage et de « vivre » la Situation angoissante (rappelons que jeu vidéo signifie aussi « défi» — résoudre...). Un grand nombre des obsessions ne cessent de tourmenter Pinconscient de I’homme (peut-étre retrouvant aujourd'hui une certaine recrudescence inséparable du développement d’une civilisation technicienne axée sur la rentabilité et le profit (volonté de puissance, rencontre de l'amour et de la mort, mythe de ’apprenti sorcier, hantise Ge l'apocalypse ou complexe de I’éviction...). Plus que la science-fiction qui pose ces problémes, la « technique-fiction » tend & les résoudre Symboliquement (comme l’effet cathartique du théatre). S*agirait-il Grobsessions « résolues » dans/par la simulation ? Sur ce point nous ne ppouvons que reconnaitre que notre vocabulaire est fort connotateur. ‘S'agirait-il d'une « récupération » de l'imaginaire contestataire des jeux (fappelons qu’avant que les industries s’intéressent & l'exploitation des premiers programmes pour assurer lour « diffusion » comme produit de culture de masse, les jeux vidéo furent ce qu’on pourrait appeler une ‘expression » contre culturelle — allant a l'encontre de 1a culture Classique enseignée & I’école (13) par I'industrie culturelle (concentrée autour de quelques majors) ? On devrait préciser que le facteur de B diffusion (qui est lié A des grands intéréts bien sO...) ne change rien — (ou presque — au besoin de s’occuper de « défis imaginaires » en s'y impliquant ; d’ailleurs, la sociologie n'a pas encore résolu le probleme de I’ « influence des médias» ou des « besoins » déja existant des acteurs... La réussite galopante des jeux, auprés des populations adultes aussi (14), montre que I’ « homme joueur » de cette fin de sidcle s'exprime par un imaginaire archétypal en prenant plaisir & mettre en Scéne ses fantasmes et ses mythes et en y jouant des rdles possibles... En matidre de technique (et ce point est important puisqu’on définit notre société comme « techniciste »...) I'imaginaire semble la « dominer » en Jui imposant sa logique et sa voionté. Notes (1) En 1938 J. Huizinga entreprend une étude historique du jeu : pour I'auteur, si I'Homo Sapiens ne convient pas trés bien A notre espbce parce que nous ne sommes pas tellement ‘aisonaables, si celui Homo Faber nous défnit encore moins bien car feber pout qualifier maint «animal, ne pourat-on pas ajouter A ces termes celui d'Homo Ludens (homme joueur 7). Le jeu est défini comme action libre, sent comme fictive et située en dehors de la vie Courant, capable 1 soci6té humaine sont toutes entemélées de jeu — créateur de culture ; dans Te jeu, nous avons affaire 4 une fonction de Ite vivant qui se laisse aussi peu déterminer de fagon complete parla biologie que par la logique ou I"éthique. Selon Roger Caillois (1958) Te jeu contribue b Yaccomplissement de besoins tls que : le besoin de # affirmer, I'ambi ‘sdreste, de rapdité, d'endurance, d'équilibre,d"ingéniosité; Ia mise au poiat de rigles et de jurisprodences, le devoir de le respecter, la entation de les tourner a riser de ‘ivresse, la nostalgie de I'extas, le désir d'une panique voluprucuse. Depais toujours les limites ‘entre le ludique ef 1'éducatif furent incertaines ; le jeu apparait comme éducation, sans fin ‘déterminée d'avance, du comps, du caractre ou de 'inielligence (développement des aptitudes); ‘apprendre parle jeu est une Vieille idée. En ce qui concern plus patculleeaneat les jeux video, existence de programmes explicitemeat pédagogiques ne doit pas faire oublicr que de tres ‘ombreux titres proposés comme de simples jeux ont un contenu éducatif évident (Sim Ant, ‘Tetris, Wordtrs etc). C'est au domaine tout enti qu'il faut reconneftre une authentique ‘dimension éducative.. (2) Voir par exemple, Patrick Tacussel « Les images de syathise : vers une mutation ivilisaionnelle», in Cahiers de 'imaginaire, no 1 (L'imaginaire dans les Sciences et lea Art), Toulouse, 1988 (p, 105-112) ou Anne Sauvageot, « Créations visuelles et styles cognitife », in Sciences de a socitl, 90 26 Toulouse, mai 1992 (p. 19-28). 74 (@) Voir par exemple, Ph. Quéau, Le Virtue, INA, Patis, 1993, () Jean Duvignaua, Spectacles et Sociéiés, Denctl, Paris, 1970 et Erving Goffman, La mise en scone de a vie quotidienne, Ba. de Minuit, Paris, 1979. (5)P. Bruno, Les Jeur vidéo, Syrs, Pais, 1993. (6) Louis-Vincent Tomas (1988), p. 100 : « Le rapport homme/animal est un révélateur privilégi¢ des civilisations, méme s'il n'est pas aussi marquant que celui qui lie 'homme 2 la technique. Mise 8 distance ou assimilation de la blte A !'homme, exploitation forcenée ou aussi divinisation, strait ou rejetrésument en gros les atitudes le plus topiques. Mais celles-ci ne sont jamais neutres ; toujours, elles s'accompagnent de fantasmes inattendus qui foisonnent en tous ‘ens, aujourd'hui peut-8ve plus encore qu’hier...» (7) Louis-Vincent Toomas, 1979, 1984, 1988 (8) Voir Michel Maffesoli, « Le paradigme esthétique : Ia sociologie comme at», in Sociologie et Socités, vol. XVII, no 2, Paris, octobre 1985, (p. 33-39). « On recommence & voir et surtout a re plus avoir peur de dire, que la connaissance ne se limite pas 1a science :& tout le moins une certaine forme de science». Ou LP. Colleyn, Acme, Films Ed, Acme Films, Paris, 1991. « Dans les sciences humaines, In séparation du savoir et de l'art a commis beaucoup de dégits, car, ‘comme le dient les Bambara, « un savoir qui ne sait pas s'exprimer se referme sur lui-méme comme la folie »... Il est bien difficile de savoir pourquoi aujourd’hui dans les éerits des sociologues la vie a cessé de vibrer». (9) L-V. Toomas, (1988), p. 16-17 (20) 4. Duvignavd, Op cit, (1970). (11) L'imp0t pour le théttre, appelé « thécrikon telos » était censé permettre aux citoyens a Athtnes les plus démunis d'avoir accbs an thédre. (12) LV. Thomas, (1988), p. 16 (13) S. Hamon, journalise de Ia presse spécialisée Joypad, Joystick, a soutenu que les jeux ‘vidéo Gaient au début une « contze culture » (Forum du Monde Diplomatique 1, sur les jeux vidéo, e 26/11/1993) (14) Voir Le Diberder, Qui a peur des jeux vidéo 7, La Découverte, Paris, 1993 REFERENCES ‘Bruno P., Les Jeux vidéo, Syros, Pais, 193. Caillois R., Les Jeux et les hommes, Gallimard, Paris, 1958. Colleyn JP., Acme Films, Ba. Acme Films, Pats, 1991 Duvignaud J, Spectacles et Sociérés, Denotl, Pars, 1970. Goffman E., La Mise en scone de la vie quoidienne, Bd. de Minuit, Paris, 1979. Huizinga J Homo ludens, Essai sur a fonction sociale du jew Pats. Gallimard, 1951 Le Diberder A. & F, Qui a peur des jewx video 2, La Découverte, Paris, 1993. Maffesoli M,, « Le paradigme esthéiique : la sociologie comme art», in Sociologie et Société, vol. XVIL, n0 2, Paris, octobre, 1985 (p. 33-39). (Quéau Ph, Le Virtuel, INA, Pats, 1993. Sauvageot A., « Créations visuelles et styles cognitifs », in Sciences de la société, no 26 ‘Toulouse, mai 1992 (p. 19-28). Tacussel P, « Let images de synthase : vers une mutation civilisationnelle », in Cahiers de PImaginaire, wo 1 (L'imaginaire dans les Sciences et les Arts), Toulouse, 1988 (p. 105-112). 15 6 L’IMAGINAIRE AUTONOMIE DE LA TECHNIQUE Gérard Dubey celui de mon ordinateur ) ai-je appuyé au cours de cette journée sans m’interroger une seule fois sur le chemin parcouru par Vélectricité pour parvenir jusqu’a moi. Celle-ci est pourtant passée par une chaine complexe de production, de transformation et de transportation & laquelle ont participé une multitude d’acteurs humains. Lorsque je prends I'avion ou le train, je ne m’interroge pas davantage sur Ja facon dont le trafic est régulé, sur les moyens techniques mis en ceuvre pour rapprocher de zéro la probabilité d'un téléscopage. Cela fonctionne et cette réponse me suffit. Cela fonctionne comme par enchantement serais-je tenté d’ajouter. La technique est 18, comme un fait de nature, comme le ciel est 1a, transparente, dans les deux sens donnés a ce terme, d’invisible et sans mystdre (1). Ce n’est ni le lieu ni le moment d’interroger en profondeur les raisons qui nous conduisent & considérer la technique comme un fait massif sur Iequel nous n’avons aucune prise, autrement dit, & la doter d’une quasi- autonomie. Notons simplement, car cette réflexion nous entrainerait bien au-dela de notre sujet, qu’une tendance assez lourde nous pousse & dresser une barritre étanche entre ce qui reléve de I’humain d'un cOté et ce qui reléve de la technique de I’autre. Ainsi, avons-nous alternativement recours a la notion d’erreur humaine ou de défaillance technique chaque fois qu’un avion s’écrase. De cette étrange et paradoxale faculté qu’ont les hommes de s‘abstraire du processus technique, découle une représentation quelque peu schizophréne du technicien, c’est-d-dire de celui qui se trouve dans lun rapport professionnel et direct avec la technique. Schizophréne dans la mesure ol nous avons la plus grande difficulté & nous représenter son savoir-faire autrement que sur un mode exclusivement fonctionnel, séparé de sa dimension humaine, a la fois subjective et sociale. La technique n’est pourtant pas ce monolithe sans équivoque dont la croyance moderne essaie de se convaincre, mais, a l'instar des conceptions animistes (2), le support physique d'un véritable champ de force ob se fixent, se font et se défont, se mélent et se fécondent dans un combat parfois mortel les représentations sous Iinstance desquelles les hommes s’approchent, communiquent et apprennent & apprivoiser leurs SE combien d’interrupteurs (de celui de ma cafetitre électrique a 7 désirs. Bref, le lieu d’investissement imaginaire par excellence od se jouent et s’échangent les représentations identitaires, s’élaborent les valeurs qui font qu'un groupe est un groupe et non une simple collection dindividus, un monde, ni plus simple ni plus transparent qu’ un autre. Le long travail de terrain que nous avons réalisé auprés des Ingénieurs Electroniciens des Syst?mes de la Sécurité Aérienne (IESSA) et dont nous rapportons ci-dessous les principaux résultats s"inscrit dans ce cadre (3). Le choix d’une population de « purs techniciens » n'est pas arbitraire puisqu’il répond au souci majeur que nous avions de dénicher de I’imaginaire 1A od on s’attend le moins & en trouver. De surcroit, le monde de Taéronautique est historiquement lig celui de Ia technique qui constitue l'un de ses principaux poles de référence. Aujourd’hui plus que jamais, il est le laboratoire od sont testées avant d'éure diffusées de rs nombreuses techniques de pointe. Deux idées forces ressortent de nos travaux : Premitrement, que la relation du technicien & l'objet technique est indissociable des représentations imaginaires qui la structurent et la valorisent sur le plan du sens (4). Par imaginaire nous entendons non seulement ici ce qui englobe, structure et fait tenir ensemble individus et groupes, mais également connaissances théoriques et pratiques, machines et hommes. Deuxigmement, que I’innovation technologique n'est productrice de nouveaux imaginaires, donc de nouveaux rapports au réel, qu’a partir du moment ot un échange parvient & s'instaurer entre l'imaginaire qu'elle incarne et celui dans lequel elle vient se nicher. Ce processus justement réciproque a pour condition ce que nous traduisons par le terme d’incomplétude(5). Mais revenons 4 nos électroniciens en commengant par une présentation sommaire. Les IESSA constituent avec les pilotes et les ContrOleurs aériens T'un des principaux corps de métier du systéme de la navigation aérienne. Lorsqu’ils sont opérationnels, ils s'occupent de la maintenance, en temps réel et H 24 ou en horaire programmé, des équipements techniques au sol. C’est le cas de tous les IESSA qui exercent dans les maintenances locales ou régionales, les CRNA (Centres Régionaux de la Navigation Aérienne) et les grandes approches telles qu’Orly ou Roissy. Pour bien saisir en quoi consiste leur mission nous devons d’ abord nous faire A l'idée que lespace aérien tel qu’il est pergu par le contrdleur en salle ou en tour de contrdle est une réalité de plus en plus médiatisée par la technique, le ciel qu'il voit et qu'il entend tune réalité construite partir du sol. Avant de parvenir au casque du contrOleur, la voix du pilote est passée par toute une chaine de matériels. Liinformation qui apparait sur le scope (I'écran du contrOleur) n'est plus Te plot (le point lumineux) analogique d’un avion mais le produit fini d'une alchimie complexe réalisée en amont au cours de laquelle des données numériques en provenance de plusieurs radars ont été corrélées et décodées pour donner naissance & une image exploitable. aid ‘LES IMAGINAIRES DE LA TECHNIQUE Un premier niveau d’analyse nous révéle que le sentiment ’appartenir au corps des électroniciens se construit autour d’une relation imaginaire aux machines et 4 la technique en général. Lorsque vous entrez pour la premitre fois en salle technique vous n’apercevez d’abord qu’un dédale de machines. Rien qui laisse soupgonner la présence d’étres humains, de chair, d’os et de désirs. L’impression est encore plus forte en salle des calculateurs. Ici tout est clair, dégagé. Le silence du lieu n’est couvert par que le bruit monotone des ventilateurs qu’aucun éclat de voix ne vient rompre. D’un seul regard vous épousez la totalité de espace od sont alignés tels des sphynxs « Khéops », « Néfertiti », « Mykhérinos » et les autres, les calculateurs du Coordonateur Automatique du Trafic (cautra) qui régule et calcule en temps réel la trajectoire de tous les avions qui survolent le territoire. Pourtant, au regard de I’électronicien, les machines ne sont pas ces objets froids et sans vie que voit l’observateur extérieur mais le médium par le prisme duque! des hommes communiquent entre eux. Exergons- ous A voir avec ses yeux, & sentir avec ses images. L’électronicien s’intéresse moins & la surface qu’aux « entrailles » de la machine, autrement dit, il ne se projette pas sur elle a la fagon des profanes qui lui attribuent des potentialités qu’elle n’a pas. Par Vintermédiaire de ses structures internes, de son squelette — que conerétisent les schémas de montage — il retrouve la pensée de celui qui Va congue ; il entre en communication avec son architecte. On retrouve derriére la machine une pensée dans laquelle on se reconnait ou non. Pour qu’elle soit appréciée par ses utilisateurs il ne lui suffit pas d’étre fonctionnelle. Lorsqu’on a affaire & un constructeur qui n'a pas de culture sécurité aérienne, ga se passe plus ou moins bien. Il y a ici des cas concrets 4’équipements qui ont 6% mal vécus depuis leur installation. Par contre, avec la chaine radio qui est construite par un ancien constructeur que nous connaissons depuis 20’ ans, des gens qui connaissent bien la maison, il n’y a pas de problé¢mes particufiers. Ils ont en téte ce que nous recherchons comme qualité de produit. (...) Une bonne machine est celle qui correspond bien a notre état d’esprit. (ESSA, Roissy, CDG). La machine est un objet dans lequel on s’investit personnellement et affectivement, dans lequel on a laissé une partie de soi-méme, son ‘empreinte. Cette relation privilégiée et singuliére prend parfois la forme d’un « corps & corps », d'un duel dans lequel l'homme se mesure 4 la machine, essaie de la prendre de vitesse en déjouant les « pitges » qu'elle lui tend. C’est au détour de la panne que cette relation se manifeste avec le plus d’acuité. 19 La recherche du bug niché dans un programme, du composant défaillant ou du branchement défectueux peut parfois’ prendre I'allure d'un jeu de piste od chacun rivalise de ruse et d’astuce. La découverte de la solution vient consacrer l’imagination et l'expérience de I'intervenant ‘mais également témoigner de son intelligence avec la machine. A Vinverse, en cas d’échec, la perte est proportionnelle au gain escompté. La déception qui en résulte annule l'intérét pris au jeu. Le retour A la case départ et le sentiment d'un coup pour rien laissent un godt amer. La panne, c’est comme une énigme & résoudre. On se remet en cause complétement sur une panne. C’est presqu’un parcours initiatique. Lorgu‘on a trouvé, on éprouve un grand conteniement, c'est méme plus que cela. C’est pareil en informatique, lorsqu’on a trouvé I’origine d’un bug, on est aus satistait (un IESSA, Roissy) inverse, Lorsqu’on ne parvient pas & trouver de solution on se sent vraiment mal. (un IESSA, Athis). lest presque impossible de comprendre le malaise qui s’empare de VIESSA si I’on n’appréhende le jeu qu’en terme de calcul rationnel des fails t des pertes. Bien que la mise soit itive, le woubleprovogué par échec est profond, tenace. Ce fait, qui ne laisse pas de nous étonner, s'explique & partir du moment od l'on considére qu’a travers le jeu, individu engage sa relation au monde, a la réalité extérieure. « Jouer avec see Fob c'est I’arracher & sa banalité, a son unilatéralité pour le ue et inventorier le monde des possibles qu'il renferme. De este mane, Ie Jeu offre l'occasion de renouer une liaison intime ayec les choses et de saisir en méme temps (...) les significations non objectives (...) qui sont associées aux objets (..) En demni¢re analyse, il s’agirait d’étre autre pour devenir un peu plus soi-méme et renaitre 4 son identite » (6). Laute, ici, c’est la machine, et cela nous en dit déja long sur Ia fagon dont les IESSA se représentent jeur métier et lui conférent un sens. La machine est cet espace inconnu, labyrinthe de composants et de cAbles qu’il faut déchiffrer, repérer, mémoriser. Méme lorsqu’on a la chance de disposer des schémas de cAblage, d'une cartographie des lieux, on n’est pas pour autant sorti d’affaire dans la mesure od la carte n’est pas le territoire, qu'un schéma ne correspond jamais tout & fait & la réalité. L’exploration se fait d'abord a distance par I’ observation et Vinterprétation des signes extérieurs. Puis vient le moment de exploration en elle méme, du franchissement et du contact, le moment dentrer plus profondément dans la machine, de descendre en elle. C'est ici que s'opére la magie du sens, que se dévoile la finalité du métier, dans la transgression de la frontitre symbolique qui sépare le dehors du dedans. Le parcours initiatique dont il est question un peu plus haut rend compte du caractére méthodique, minutieux, progressif et presque ritualisé de la descente au cceur de 1a machine. Sa signification outrepasse les considérations d’ordre stricement technique. C’est avant tout un passage aux limites, une transgression au sens propre, au cours de laquelle Ja relation avec la machine se transforme pour devenir presque fusionnelle. Et comme toute transgression, parce qu'elle introduit la confusion, réalise des mélanges contre «nature» et menace d’effacer les repéres, celle-ci comporte un risque que toutes les précautions de la procédure seryent a conjurer. La transgression dont il s’agit ici est tout entitre contenue dans expression descendre Je plus bas possible dans la machine qui signifie pénetrer en elle et, d'une Certaine facon, entrer dans son intimité, Nous assistons une double métamorphose. Celle de I’électronicien d’abord qui se fond A la machine, pense et parle pour elle. Celle de la machine enfin qui peu A peu prend presque vie, livre aux oscilloscopes et autres analyseurs de spectre ses rythmes internes (7). Les flux qui circulent en elle, invisibles |’instant d’avant, se matérialisent sous forme d'image, d’ondulations incandescentes. Un moment, un moment seulement, effacement de la frontigre symbolique entre le dehors et le dedans procure un sentiment asez proche du senlimentsacritge dont pale D. Breton a propos de la radiographie (8). Un peu A la maniére dont un médecin légiste scrute I'intérieur du corps et I’expose & l’extériorité du regard, I’électronicien descend dans les méandres du systéme, extrait le composant suspect pour le soumettre 3 la lumiéze de l’analyse (9). Ainsi qu’il vient d’étre montré, la relation imaginaire a l'objet technique est fortement solidaire d'un rapport spécifique 4 l’espace et au temps. En ce qui concemne Iespace, c'est moins la matérialité en soi de Yobjet qui est ici déterminante que sa perméabilité, autrement dit son incomplétude. C’est parce que la machine n’est pas un systéme totalement clos que I’échange peut avoir lieu, que la question de Videntité, autrement dit de Valtérité, peut trouver sa place. Les vides, les manques de la machine sont autant d’invitations au voyage, de fenétres par ot ’humain s’ouvre & sa propre Strangeté. En ce qui concerne le temps, il nous suffira de rappeler que les ingénieurs électroniciens appartiennent a une institution od I’action en temps réel occupe une place centrale pour la simple raison qu'on n’interrompt pas le mouvement d'un avion comme on interrompt celui d’un train. Cela va naturellement de soi mais inscrit aussitot Vintervention technique a I’intérieur d’un champ de significations beaucoup plus vaste. Cela signifie que loin d’étre une réalité autonome, Vimaginaire de la technique échange constamment avec d’autres référentiels que le sien, en l’occurrence ici, le vol des avions. Tout un imaginaire du risque, de la sécurité, propre & la navigation aérienne, le traverse, l'alimente et I'alt2re en permanence. 81 Le risque, c'est celui, a la fois symbolique et réel, que représente la transgression de la frontidre qui sépare le ciel de ia terre. Bien que V’Glectronicien ne soit presque jamais, a la différence du contrOleur, en contact direct avec le pilote, il n’en a pas moins le sentiment trs fort de participer 4 un cérémoniel dont dépendent chaque fois des centaines de vies humaines. C’est grice au lien qu’institue, entre elle et le cérémoniel, le temps de la navigation aérienne que l’activité technique déborde le cadre de ses frontidres et bénéficie du surcroit de sens que confére la proximité du danger. Réciproquement, le souci apporté a la précision des réglages et des calibrages, & la propreté et dla clarté des cAblages, tout le temps dépensé & faire de la machine autre chose qu'un vulgaire outil mais aussi quelque chose de beau, de str, bref, tout ce qui présuppose et fonde l’intimité des ingénieurs électroniciens avec les machines est par umme ce qui contribue au confort des contrdleurs, donc rapproche de Ja finalité du syst2me. Ce mélange polymorphe de pratiques et d'images, qui porte les marques d'une histoire singulitre, forme le canevas sur lequel vont venir se greffer les nouvelles technologies. Nous verrons dans quelques instants que ce fait, loin d’étre indifférent, conditionne les entrées dans le réel, autrement dit, le passage du monde clos et purifié du laboratoire ou du bureau d’étude au monde ouvert et composite de la vie. ‘DU PHYSIQUE AU VIRTUEL : UNE RUPTURE A L’EPREUVE DE LUIMAGINAIRE La démarche anthropologique appliquée au monde de la technique nous introduit au coeur des mutations qui affectent de fagon globale la société dans laquelle nous vivons, la technique étant le banc d’essai od se jouent les métamorphoses d’aujourd’hui et od se préparent celles de ‘demain, Elle nous permet en outre de replacer les nouvelles technologies a T'intétieur du parcours socio-historique chaque fois singulier qui est le leur. Enfin, 1a compréhension in vivo des processus imaginaires qui ‘sous-tendent notre relation a la technique peut nous aider a sortir du dilemme tes moderne qui agite sporadiquement « technophiles » et «technophobes ». En cette période de révolution technologique permanente, il est en effet tentant de préter & la technique plus qu'elle ne peut ou de voir en elle plus qu’elle n’est, positivement ou négativement. Ainsi, sur la base des potentialités qu’on attribue a priori aux nouvelles technologies, les uns s’empressent d’annoncer l'avénement de relations inédites au réel, alors que les autres cherchent nous persuader de la destruction imminente de la notion méme de réalité. Ne nous méprenons pas sur la radicalité de cette opposition, elle recéle malgré les apparences plus de points d'accord que de désaccord. Jattire votre attention sur un point : le pouvoir, faste ou néfaste, qu’ attribuent respectivement ces deux positions 2 la technique considérée comme phénoméne autonome. En marge, 82 rappelons que les tiroirs des bureaux d’étude sont pleins de ces projets qui devaient changer la face du monde en faisant entrer le réve dans la TEalité et que les possibilités, aussi extraordinaires soient-elles, offertes par un nouvel objet technique ne présagent en rien de son appropriation par Je public (10). A Vinstar d’autres catégories professionnelles, automatisation et informatisation sont les deux tendances lourdes auxquelles sont aujourd’hui confrontés, en tant qu’utilisateurs, nos électroniciens. Toute Tiinterrogation porte sur les possibilités d’ appropriation par I'imaginaire de technologies qui ont initialement été conues pour fonctionner en circuit fermé. Par définition, l’automate est ce qui se meut de soi-méme sans participation d’autrui. Si l’autonomie prétée aux automates est elle- méme imaginaire, elle I’est par défaut dans la mesure od elle refoule en permanence cette filiation et que ce refoulement constitue son mode d’étre le plus propre (11). Ce phénoméne a pour principal effet de renforcer la coupure entre I’humain et la technique dont il fut question en début d’article. Globalement, la fracture se manifeste par une contraction simultanée de T’espace et du temps, donc par l’irruption d'un rapport spatio- temporel déconnecté des limites de la durée et de I’étendue qui définissent la temporalité ot la spatialité humaine, autrement dit, d’un « monde » d’od l'homme avec son corps et ses sens semble exclu par avance. Nous disons « semble » car les transformations qui s’opérent donnent lieu A des résultats souvent contradictoires et presque toujours ambivalents, Ainsi, au fur et & mesure que se dématérialise le rapport aux machines se multiplient les situations ambigués grace auxquelles V'homme recouvre son statut d’interpréte, c'est-a-dire, de créatcur de sens. ‘ortes de boites noires od sont imbriquées de nombreuses applications, les nouveaux syst?mes se caractérisent en effet par leur opacité. A 1’ objet physique, a la chose, immédiatement accessible par la voie des sens, se substitue la fenétre de I'écran, c’est-A-dire une image numérique dont le sens reste 4 déchiffrer et qui ne refléte que partiellement la réalité interne du systéme. Toute la difficulté, mais également tout le plaisir, consiste donc & se représenter cette réalité. A défaut de pouvoir directement visualiser ce que la machine a dans le ventre, la multiplication des zones d’ombre laisse une part de plus en plus importante a l'interpréte. Les « vraies-fausses > panes générées par les nouvelles technologies en sont une parfaite illustration. Une application peut par exemple étre déclarée en panne sans cesser pour autant de fonctionner. A I'opérateur de découvrir s'il s’agit d’une panne véritable ou d'un bug informatique et cela implique une série de transformations dans la fagon de se représenter I’espace et le temps. Chaque élément signalé en défaut doit @tre rapporté a la totalité du syst#me auquel il appartient et cela oblige V’électronicien 4 abandonner peu a peu le mode de raisonnement 83 ‘séquentiel pour penser en « parallale ». Au mode plan, bidimensionnel (& Vimage des schémas électroniques), qui prévaut encore aujourd'hui, se Substitue progressivement une teprésentation en profondeur et en relief de espace. Tous ces changements vont apparemment dans le sens dune reconnaissance de la pluralité du réel. Il y a cette notion de machine virtuelle od plusieurs applications tournent en méme temps. Si plus rien ne fonctionne on pourrait penser qu'il s'agit d'un probléme matériel, mais cela pourrait aussi bien étre un probléme de noyau. Il y a des critres qui nous font penser qu’il s’agit de telle couche plutdt que telle autre, mais ce n'est jamais systématique (...) Ty a toute une gymnastique mentale a faire. II faut 4 chaque instant se recréer une image des logiciels qui tournent et cela fait appel Vintelligence humaine. (un IESSA) « To be and not to be » (12), tel est donc le paradoxe auquel nous familiarise le nouveau mode de relation & espace et au temps introduit par Iinformatique, Le monde dans lequel nous entrons est un monde od ia nature des phénomenes est double, od le postulat dune réalité objective et univoque révéle son impuissance. Sortir « du désespoir moderne favorisé dans une grande mesure par I’attachement de la conscience a la philosophie de 1a chose, c’est-A-dire au dogmatisme du sens commun qui nous propose I’altemative tranchante du plein et du vide, de la présence et de I'absence » (13), telle semble étre I'utopie a Jaquelle nous convient les nouvelles technologies. Plus concrétement, cet exemple montre que 1'informatisation ne se solde pas systématiquement par une destruction des reperes traditionnels, La recherche de la cause cachée, l’exploration de la machine, qui comptent parmi les principaux pdles d’investissement imaginaire du métier, peuvent méme sortir renouvelés de ce processus. Gardons-nous pourtant d’extrapoler car si l'indétermination & laquelle nous expose le monde virtuel de l’informatique a ceci de positif qu’elle rétablit Vhomme, contre I’hégémonie de I’automate, dans ses prérogatives d’interprate et de pourvoyeur de sens, cette positivité peut aussi dégénérer en impuissance. On ne demeure pas sans danger a l’intérieur du no man’s land que représente ce « land » sans courir le risque de perdre le sens de la réalité et surtout celui de l’action. Tout dépend ici de la fagon dont ces technologies s’adaptent localement aux pratiques de leurs utilisateurs mais surtout & l'imaginaire qui les fonde. En ce qui concerne les IESSA, souvenons-nous en particulier que la partie la plus technique de leur travail a pour singularité de s’inscrire dans un horizon de sens qui la dépasse. Lintervention technique est toujours asservie au risque potentiel que représente le vol des avions et c'est d’ailleurs ce qui lui confére a la fois sa valeur et son efficacité. Or, si I'ambiguité que distillent les nouveaux systémes est, ainsi que nous venons de l’observer, propice au travail d'interprétation, elle est aussi chronophage. Pour |"informaticien standard, si tant est qu’il existe, cela ne pose pas de probléme. Les 84 conséquences de ses décisions sont aussi virtuelles que 1a réalité qu'il manipule. Pour nos électroniciens, en revanche, chaque minute perdue approche d’un danger bien réel. La tension engendrée par le doute est ici plus inhibante et paralysante que libératrice et contribue grandement détériorer l'image que les électroniciens ont d’eux-mémes. N’oublions ppas que l’action, autrement dit, la transgression des limites instaurées par a nature, est la clé de votte et la véritable raison d’étre de la Navigation Aérienne, La menace que fait alors encourir I’intellectualisation du rapport aux machines est celle d’un décrochage progressif de la réalité. Au fur et ‘mesure que se multiplient les pannes virtuelles, s'éloigne la réalité des machines par l’intermédiaire desquelles les électroniciens se représentaent la réalié du danger et donnaient sens 8 ler mission, A la férence du pilote qui joue directement sa vie dans I’action et bénéficie de surcroit du prestige que cela confére, I"électronicien ne dispose pas de tels garde-fous, de reperes forts susceptibles de I’aider & compenser et & apprivoiser cette mise en abime du réel. ConcLusion On ne change pas d’imaginaire comme I’on change de logiciel et une méme innovation technologique aura des effets trés différents, voire opposés, selon qu’on la destine & institution bancaire, 1a SNCF ou la navigation aérienne et a l'intérieur de cette demiére, & des pilotes, des contrOleurs ou des électroniciens. Il n’y a pas de transposabilité des techniques parce qu'il n’existe pas d’imaginaires interchangeables. On nne peut rien inférer a priori du renforcement de la fonction d'interpréte promu par I'informatique en dehors d'un projet d'action et d'une finalité de sens. Selon qu’il s’agit d’un banguier préparant son prochain plan dinvestissement dans l'atmosphére feutrée d'un immeuble parisien ou d’un pilote confronté a une panne de réacteur au décollage par visibilité nulle, la multiplication des possibles aura des effets incomparables. La qualité de réception d’une innovation technologique est chaque fois fonction du degré de connaissance qu'elle a su incorporer du milieu oi elle doit s'implanter, c’est-A-dire de son contexte social et imaginaire. Dans le cas des Ingénieurs Electroniciens de la Navigation Aérienne, nous avons pu constater que l’imaginaire interférait directement sur le processus d’appropriation en condamnant & plus ou moins long terme les innovations qui tendaient a dissocier les deux points d’ancrage imaginaires du métier, les machines et le ciel. Selon les possibilités qu'il offre A ses utilisateurs de l’investir de leurs désirs et de tout ce qui structure leur action sur le plan du sens, un méme objet technique engendrera I’impuissance ou I’action. 85 Le paradoxe est 14, dans toute sa nudité. A la célérité des automatismes peut répondre l'immobilité des hommes médusés par Vécran, inaction ; au temps du projet, chargé de sens, celui du non- sens... le temps, dans sa vérité la plus brute, la plus brutale : Rien... la mort. Z G. Dubey Centre d’Etude des Techniques, des Connaissances et des Pratiques STCOPRA) (CE Université de Paris I- Pantéon So) Tel et Fax : 40 46 28 37 NorEs (1) Sur Ia question des Macro-Systémes Techniques et de leur prétendue autonomie, voir Gras. ‘A, Grandeur et dépendance, PUF, Pais, 1993. (2) Rappelons que dans la pensée animiste le fonction utlitaire de l'outil est inséparable du iscours mythique qui organise le monde ou de ce qu’en jargon moderne nous appelons sa fonction esthétique, autement di, de ordre du sens et du symbole. Je renvoie par exemple anx études consacrées par les anthropologues & la symbolique du métier de forgeron en Afrique ‘occidentale (M. Griaule, L. de Heusch, V. Jonker... Par comparaison, se référer aux articles pparus dans L'imaginaire des techniques de pointe, sous la direction 4A. Gras et S. Poirot- Delpect, L’Harmaian, Pais, 1989. (@) Dubey G, Dans les coulisses du ciel, Rapport CETCOPRA/CENA, 1994. (4) Pour In definition du mot sens, nous nous référons b A. Berque. L’ambivalence du mot sens provieot, on le sat, de I'étymologie: d'une part le Iain sensus, d'aute part le germanique sinno (Girection).(..) « Seat », en certines autres langues aussi, évoque des thtmes plus ov moins parents : par exemple le dest, comme dans le chinois yisi; intention, comme dans l'anglais ‘meaning ; le concernement, comme dans l'arabe ana ; comme dans le japonsis imi..Par leur présence lntente, ces thimes nous diseat que tout sens est une teasion ; et ainsi que tout sens {nflre un passage du méme A T'autre, un parcours de I'ici A I'ailleurs, un trajet réverible de Ia signification & l'expérieace. Dans Le Sauvage et l'artifce,p. 128, Gallimard, Paris, 1986. (6) Nous nous inspirons ici ibrement dela logique sous-jacente 8 lesthétique japonaise du en ‘du ma, La logique du tiers non-exclu, qui est celle du en, éaie la logique de lincompiétude, qui est celle du ma. L'une et Pautre portent en effet I'acceat sur l'extrinséque (ls relation), et ‘minimisent d'autant Iintrinsdque (essence, a substance propre). Elles supposeat qu'une entité Ann'existe véritablement que dans sa relation C avec une entié B ;etréciproquement. Berque.A Le Sauvage et Varfice, op.cit, p. 208 (6) Barras, A, Mort a jouer, morta déjouer, PUP, Paris, 1994, p. 89. (7) Comment cette intimité avec l'objet est-elle possible 7 Un petit détour par 'expérience cesthétique nous en dira davantage : Ce que nous dit par exemple un paysage, nous ne I'éprouvons pas seulement par un décodage des signes, mais plas immédiatement grice aux apriori par Tesquels nous faisons corps avec Iui.Intimité qui n'est pas une projection de I"bomme sur les choses ; les qualité affectives de cellesci ne sont donc pas que des modes dre propres 2 homme (..) C'est sur les choses que l'homme les éprouve, et si ily a métaphore, c'est plutht ‘quand il les réfere& hu apts les avoir Aécouvertes bors de lu. Duffeane. M, L'inventaire des a rior. Recherche de U'originare, p. 318, C. Bourgeois, Paris, 1981. Ci par A. Berque dans Le Sauvage et artifice, p. 142, Gallimard, Paris, 1986. 86 (8) Le Breton. D, La Chair a vif, p. 108, Métalié, Pais, 1993. D. Le Breton intepréte ici un passage du célebre roman de TMann inttulé La Montagne magique, dans leqvel, Hans Castorp, personnage central du live, découvre image en tansparence de son propre corps radiographé. Cotte image fait naive en Iii un sentiment ob se mélent indistinctement Feffoi et la fascination, sentiment que ce vers d’Agrippe d’ Aubigné écrit en 1570 tradut par ailleurs parfaitement : Dans le corps dela mort j'ai enfermé ma vie. (8) Si l'on considére avec D. Le Breton que la représentation du corps a Vorigine de 1a médecine expérimentale au 1Téme sitcle est celle d'une mécanique discernable des autres par la seule singulaité de ses rouages (La Chair @ vif, p. 98), |'analogie est woublante, et en tout cas, mécitat d'etre relevée, (10) En ce qui concerne le processus d’ appropriation et de détournement de l'objet technique par l'usager, je renvoie, entre aulze, a Touvrage de Perviault. J, La Logique de usage, Flammarion, Pris, 1989, (ID Sila technique est autonome, elle I'est avant tout comme croyance. Nous toucbons la un point des plus mystérieux. A quel mode imaginaie parsdonal la croyance renvoie-telle ? (12) Gras A, Poirot-Delpech. 8, Moricot. C, Seardigli. V, Face @ automate : Le pilote, le et de la « demande » d’insertion. Il importe avant tout de favoriser, a l'aide d'outils « opératoires », 1’émergence d’une « demande » d’insertion et de « produire » une « offre » d’insertion adéquate par la mise en ceuvre de dispositifs « performants ». L’insertion est réduite, ici, 8 sa dimension purement formelle. ‘On nous objectera qu’apres tout le modéle du marché pourrait étre ‘une maniére de décliner la « forme », au sens que lui donne G. Simmel, c’est-A-dire une représentation symbolique qui « unifie sous son vocable une diversité de phénoménes ou une diversité d’aspects d’un méme phénoméne ou d’une méme activité » (2). Mais ce serait oublier que le marché n’est pas seulement congu comme une représentation symbolique figurant le « réel », mais comme la réalité elle-méme. D’une certaine fagon, la « forme » est, ici, évidée de tout contenu en prétendant eure pur contenu. « Devenant son propre et seul objet, en dehors de toute extériorité, elle se réduit & n'étre qu'une pure fonction d’elle-méme » (3) échappant par lA & toute interrogation. A vrai dire, cette tendance & hypostasier le marché pour en faire un espace d’autorégulation auquel l'ensemble de la sociéxé doit étre soumis n'est pas une chose nouvelle. K. Polanyi a bien montré que c’est au XIXe sidcle, en Angleterre, que les premieres tentatives d’instaurer un marché autorégulateur ont vu le jour provoquant des effets dévastateurs sur le plan de I" organisation sociale (4). Avec cette idée d’autorégulation, la référence au marché se double ainsi d’un idéal de pure fonctionnalité auguel, précisément, aspirent les tenants de la modernisation du travail 90 Ceux-ci puisent leur inspiration dans l'idéologie « managériale » afin de légitimer leur quéte d’un modale de « bonne » organisation du fonctionnement sociétal. L’entreprise, déifiée, — congue, & la fois, comme un modale de base, un condensé, des relations sociales et comme un moyen de garantir la cohésion sociale — devient alors la référence ‘omniprésente et omnipotente A partir de laquelle les dispositifs d'action sociale sont pensés et élaborés. La mise en ceuvre de ces dispositifs est ainsi comparée a un « investissement » productif devant dégager une « plus-value » sociale. Pour ce faire, il convient d’ obtenir des « gains de productivité » par une économie toujours plus poussée des moyens au regard des fins poursuivies et par une organisation toujours plus rationnelle et fonctionnelle du champ de I'action sociale. IP. Le Goff a bien montré que cette idéologie « managériale » repose sur une conception déterminge des rapports sociaux, empruntée pour partie aux utopies du XIXe sidcle (5). La société y est congue « comme lun vaste corps dont les organes articulés concourent tous & la production. Moddle physiologique et modéle machinique se conjuguent dans la représentation de la société comme un étre-machine dont la performance productive résulte de I’agencement correctement articulé de tous les organes » (6). Les exhortations, quelque peu lancinantes, au « partenariat » ne visent pas autre chose qu’A cet agencement correctement articulé de tous les organes concourant au fonctionnement du tout social Il s'agit de délimiter clairement, voire de eréer de toutes pices, les fonctions respectives de chaque acteur ou institution afin de faire jouer les complémentarités, d’aboutir & des effets de « synergie », pour le plus grand bien de l'ensemble. Tl ne faut pas s’y tromper. La recherche de complémentarités est envisagée, ici, d’un point de vue purement instrumental en ce qu'elle vise exclusivement la performance productive de l’organisation elle-méme. L’essentiel est de parvenir 4 un bon ‘« positionnement » des acteurs sur I’échiquier abstrait de I’ organisation fonctionnelle qui est congue comme une fin en soi. Nous retrouvons, ici, le provessus d’évidement de la « forme ». Pour reprendre les termes de G. Simmel, 1a forme s’exhausse pour nous donner a voir une société totalement désincarnée, dépourvue d’ aspérités et de zones d’ombre. Réduit & une sorte de « canevas fonctionnel » (G. Durand), le donné social est délesté de toute pesanteur sociologique. C'est ainsi que le travail social n'est plus appréhendé a travers son ambiguité structurelle — ambiguité qui tient 4 son activité de mé entre le registre de I’action sociale et celui de la socialité (7) ‘comme une simple fonction, parmi d’autres, de l’action sociale. L’appel 4 un meilleur « positionnement » des travailleurs sociaux renvoie & la nécessité d’ajuster une multiplicité d’interventions d’acteurs différents ‘qui poursuivent tous un méme but : I’optimisation du fonctionnement de oO ion sociale. Une telle perspective oblitére en fait les enjeux politiques et idéologiques liés aux représentations, aux pratiques, aux intéréts divergents des acteurs sociaux et au caractire irréductiblement pluraliste et conflictuel des valeurs. Elle tend, en outre, & faire croire que I’action collective est un processus immanent qui suit la courbe « naturelle » du progrés et non un construit social (M. Crozier) toujours problématique au double sens de ce qui fait question et de ce qui est aléatoire, Das lors, comme le note bien J.P. Le Goff, le monde se partage, au plan des représentations, entre ceux qui sont dans la course au progrés, qui sont favorables au changement social, aux innovations, et les autres qui sommeillent beroés par les illusions de leurs vieilles idées ou de leurs convictions idéologiques rétrogrades. C’est évidemment a ces derniers que s’adressent les injonctions relatives au renforcement du « professionnalisme ». Derriére ce terme se cache, peu ou prou, la ferme intention d’éradiquer 1a tendance & I’amateurisme, aux pratiques dilettantes, 4 la subjectivité, dont sont suspectés, sans grand discernement, les travailleurs sociaux. C’est par la technicisation des compétences et la délimitation précise des «référentiels » constitutifs des « professionnalités » que l'on entend aboutir & des modes d’ intervention pestormants, Les travallers sociaux « polyvalens» doivent sins! céder ia place A des «techniciens de la relation» ou A des « opérateurs dinsertion » selon Je champ d’intervention considéré et la mode du moment. LA encore, il s'agit moins de s’attacher aux pratiques et aux roles, c’est-A-dire aux diverses manidres d’interpréter et de traiter les missions imparties aux professionnels, que de mettre I'accent sur la fonction A remplir. On sait que le rOle renvoie & la contribution sociale c’est-a-dire & la manidre dont les acteurs sociaux congoivent leur participation & un ensemble social donné. Comme tel, le role est fortement déterminé par les croyances, les valeurs et les représentations des acteurs sociaux mais aussi par la perception que ceux-ci ont des attentes formulées par ensemble social augue! ls appartennent. Le rBle consitue ainsi un mixte de rationalités qui peut aller, pour reprendre la typologie de M. Weber, de I’activité rationnelle en finalité (Zweckrational) a l’activité rationnelle en valeur (Wertrational) en passant par l’activité affectuelle ou I’activité orientée par la tradition (8). La fonction, quant a elle, ne renvoie qu’a elle méme, c’est-A-dire guelle ne se congoit que dan le cade d/une raonalité instrumental ce que M. Weber désigne par le terme «d’ activité rationnelle en au plan des moyens» en ce qu'elle n’interroge pas la pertinence des fins en tant que telles mais se focalise exclusivement sur l’adéquation des moyens & des fins poursuivies. 92

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