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Au-delà du Code de commerce : quelques réflexions

sur l’apport de Jean-Marie Pardessus


Laura Moscati

« Nous n’intervertirons l’ordre [du Code de Commerce] que le plus rare-


ment qu’il nous sera possible »  .
C’est, animé de cette ferme intention, que Jean-Marie Pardessus débute
sa première œuvre relative à la codification commerciale, les Élémens de
Jurisprudence commerciale, écrite immédiatement après avoir été appelé
à occuper la première chaire de droit commercial créée à la faculté de droit
de Paris en .
En réalité, il n’en sera pas ainsi. Dès les Élémens, quelques écarts s’avè-
reront nécessaires et s’imposeront toujours davantage au travers de l’ensei-
gnement de Pardessus et de sa pratique du droit qui le conduiront à offrir
des hypothèses de réflexion et des facteurs de construction de la matière
commerciale qui iront bien au-delà du Code.
Certains éléments sont à l’origine de ce processus. Le Code, laborieuse-
ment élaboré et hâtivement publié  , présente, dans sa structure et dans son
langage, des carences spécifiques ; à commencer par sa modeste fluidité par
rapport à l’imposant Code civil et surtout il sera, avant celui-ci, soumis à la
décodification et à la recodification.
Entravé dès sa naissance, le Code a été souvent l’objet de jugements peu
flatteurs dans les manuels les plus importants  . Anne Lefebvre-Teillard nous

. Cf. Pardessus (Jean-Marie), Élémens de jurisprudence commerciale, Paris,


Durand, , p. .
. Des traces évidentes peuvent être relevées chez : Cambacérès (Jean-Jacques
Régis, de), Lettres inédites à Napoléon, 1802-1807, I, Paris, Klincksieck, , passim
et dans Correspondance de Napoléon Ier , publiée par ordre de l’Empereur Napoléon III,
XV, Paris, Plon, , passim.
. On peut voir en particulier les œuvres classiques de Hilaire (Jean), Introduction
historique au droit commercial, Paris, PUF,  et de Szramkiewicz (Romuald), His-
toire du droit des affaires, Paris, Montchrestien, . De manière synthétique, Hilaire
 laura moscati

révèle la position de Cambacérès qui ne jugeait pas opportun d’enfermer la


matière commerciale dans des « dispositions trop absolues qui pourraient
quelquefois se trouver en opposition avec l’équité » d’autant plus qu’il avait
un jugement négatif du projet Gorneau de . C’est son respect envers la
volonté de l’empereur qui le conduisit à participer tout de même activement
à la construction définitive de certaines institutions, fermement convaincu
qu’étant donnée la composition du tribunal commercial, le nouveau texte ne
pouvait être qu’« un code de marchands »  .
En réalité, dès les premières années de sa promulgation, le Code fut
intégré dans l’œuvre de Pardessus, grâce à la construction d’une pensée
solide que l’on déduit non seulement des diverses éditions du Cours de droit
commercial  étayées par son œuvre de pratique du droit, mais également
d’autres écrits plus spécifiques qui constituent une série d’atomes gravitant
autour de l’œuvre majeure et qui la résument. Je me réfère en particulier au
Traité du contrat et des lettres de change  , au Discours sur l’origine et les
progrès de la législation et de la jurisprudence commerciale  , au Du Code de
commerce d’Espagne  et à d’autres encore.
La logique cartésienne inhérente à la systématique de ces œuvres, la sen-
sibilité marquée pour la comparaison juridique, l’historisation de la matière
commerciale, l’échange entre droit civil et droit commercial, le lien étroit
avec les exigences sociales et économiques des individus, sont autant d’élé-
ments qui font de Pardessus une personnalité polyédrique qui mérite plus
de considération qu’il n’a reçue en sa qualité de remarquable représentant
de la science juridique française, à cheval entre pratique normative et inté-
rêts historiques. L’œuvre commerciale de Pardessus n’a pas, elle non plus,

(Jean), « Droit commercial », dans Dictionnaire de la culture juridique sous la dir.


de Denis Alland et Stéphane Rials, Paris, PUF, , p. -. Cf. maintenant aussi
Droit des affaires. Questions actuelles et perspectives historiques, sous la dir. d’Édouard
Richard, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, .
. Cf. Lefebvre-Teillard (Anne), « Cambacérès et le Code de commerce », dans
1807-2007. Le Code de Commerce. Livre du bicentenaire, Paris, Dalloz, , p. -.
. Pardessus (Jean-Marie), Cours de droit commercial,  vol., Paris, Garnery, -
. L’œuvre a été réélaborée et développée au cours des éditions successives : e éd.,  vol.,
Paris, Nève, - ; e éd.,  vol., Paris, Nève, - ; e éd.,  vol., Paris, Nève,  ;
e éd.,  vol., Paris, Nève, - ; et la dernière (e éd.,  vol.,) publiée à Paris, Plon, en
-.
. Pardessus (Jean-Marie), Traité de contrat et des lettres de change, des billets
à ordre et autres effets de commerce, suivant les principes des nouveaux codes,  vol.,
Paris, Garnery, .
. Le Discours précède la Bibliothèque de droit commercial, par J.-M. Pardessus,
Paris, Egron, .
. Pardessus (Jean-Marie), « Du Code de commerce d’Espagne », Revue judiciaire,
, p. -.
au-delà du code de commerce... l’apport de jean-marie pardessus 

reçu une attention spécifique, comme il ressort des écrits récents de Jean
Hilaire  , qui, comme on le sait, a offert des apports décisifs à l’histoire du
droit commercial français  .
Lié à la revue Thémis, véhicule de diffusion de la science juridique alle-
mande en France, Pardessus avait établi de fréquents contacts épistolaires
avec d’importants représentants de la science juridique allemande et, en par-
ticulier, avec Haubold, Lappenberg, Mittermaier, Warnkönig  . Admirateur
enthousiaste de la science et de la culture d’outre-Rhin, Pardessus, malgré
sa connaissance limitée de la langue, est l’un des premiers juristes français
à établir avec eux des relations. Mais l’attirance la plus forte vers ce monde
est due à sa recherche tenace de contacts et de points de référence pour son
Cours de droit commercial et pour la Bibliothèque de droit commercial, rédi-
gée à la demande du gouvernement. Dès sa nomination à la faculté de droit de
Paris il s’adresse à Villiers, professeur à Göttingen, d’origine française et sen-
sible aux rapports culturels avec la France, afin de recevoir des informations
relatives aux œuvres allemandes sur le droit commercial : « Les fonctions
de professeur du Code de Commerce... m’imposent l’obligation de réunir en
un corps de Doctrine des principes épars dans un grand nombre d’auteurs...
En général je désire ceux qui vous semblent jouir de l’estime générale, qui
contiennent plutôt les principes susceptibles de former le droit commun que
ceux qui traitent des usages locaux et insolites et les plus nouveaux »  . Ou
encore, plus tard il écrit à Haubold, avec l’aide duquel il espère « rendre
moins imparfait(e) » son œuvre de pionnier sur le droit commercial  .

. Hilaire (Jean), « Pratique et doctrine au début du xixe siècle. L’œuvre de Jean-


Marie Pardessus (-) », dans Figures de justice. Études en l’honneur de Jean-
Pierre Royer, sous la dir. d’Annie Deperchin, Nicolas Derasse, Bruno Dubois, Lille, Centre
d’histoire judiciaire, , p. - ; id., « Le Code civil et la Cour de Cassation durant la
première moitié du xixe siècle », dans 1804-2004. Le Code civil. Un passé, un présent, un
avenir, Paris, Dalloz, , p. - ; id., « Pardessus Jean-Marie », dans Dictionnaire
des juristes français. XIe -XXe siècle, sous la dir. de Patrick Arabeyre, Jean-Louis Halpérin
et Jacques Krynen, Paris, PUF, , p. -.
. Outre le manuel classique déjà cité, cf. en particulier, id., Le droit, les affaires
et l’histoire, préface de Bruno Oppetit, Paris, Economica,  ; id., « Une histoire du
concept d’entreprise », Archives de philosophie du droit, , , p. -.
. Cf. Motte (Olivier) Lettres inédites de juristes français du XIXe siècle conser-
vées dans les archives et bibliothèques allemandes, II, Bonn, Bouvier Verlag, ,
p. -.
. Lettre à Villiers du  mai  : cf. Motte (Olivier), Lettres inédites, op. cit.,
p. . Successivement les mêmes requêtes furent présentées à Haubold : « Je continue de
mettre mon espérance en vous, soit pour me procurer encore des dissertations académiques
sur les matières qui rentrent dans mon plan, soit pour me faire connoître dans les autres
Universités d’Allemagne des Savans aussi généreux et obligeans que vous l’êtes envers
moi » : lettre du  novembre  ; cf. ibid., p. .
. Lettre à Haubold du  mars  : cf. ibid., p. -. La même requête fut
présentée à Warnkönig pour la Belgique : cf. ibid., p. , lettre du  mars .
 laura moscati

Infatigable éditeur de sources  , historien raffiné du droit et grand


connaisseur de la littérature juridique européenne, Pardessus aurait difficile-
ment pu s’adapter au commentaire de la lettre nue de la loi. Mais, admirateur
fervent de la France napoléonienne, de l’œuvre réalisée par l’empereur et sur-
tout de la trace indélébile que celle-ci devait laisser dans le monde européen,
Pardessus entend construire, sans la déséquilibrer pour autant, l’assiette de
la matière commerciale qui, selon lui, avait besoin d’un code.
C’est justement de l’amalgame entre les diverses éditions de son œuvre
et les Consultations contemporaines imprimées et manuscrites, conservées
à la Bibliothèque de la Cour de cassation à Paris, que j’ai pu consulter,
grâce à la courtoise disponibilité témoignée par M. Eudes Chigé, directeur
de la Bibliothèque  , que je ferai quelques modestes considérations pour offrir
des éléments nouveaux sur l’évolution du Code et sur la personnalité d’un
juriste qui s’impose dans la doctrine commerciale française entre Delvincourt
et Thaller.
Avant tout, l’intérêt de Pardessus porte sur une définition des contenus et
des limites du droit commercial : « La nature des choses, l’usage si puissant
en matière de commerce et qui sous l’empire de l’ancienne législation avait
non seulement suppléé au silence de la loi, mais quelques fois même l’avait
abrogée, doivent donc seuls être considérés »  . Le rappel fréquent au droit
ancien, constitué en particulier par « l’Ordonnance » de , mieux connue
comme « Code Savary », le conduit à penser que le Code de commerce doit
être un code de principes. Le projet du Code également, rédigé dès  
et resté pendant longtemps bloqué dans les méandres du parcours d’appro-
bation, répondait, à ses yeux, à cette conception : « ils ont voulu éviter

. La vie et les œuvres de Pardessus ont été l’objet d’intérêts spécifiques nourris par
des contemporains après sa mort, mais pas l’objet d’études plus approfondies et récentes.
Cf. dans le détail, Eloy (Henri), M. Pardessus sa vie et ses œuvres, Paris, Durand,  ;
Le Tribunal et la Cour de cassation. Notices sur le personnel (1791-1879), Paris, Imp.
nationale, , p. , n.  ; Duranton (Frédéric), « M. Pardessus. Notice biogra-
phique et bibliographique », Journal général de l’instruction publique et des cultes, vol. ,
n. ,  juillet .
. Le matériel conservé à la Cour de cassation est d’une grande valeur. Il s’agit des
consultations de Pardessus imprimées : Consultations imprimées (Recueil factice de pièces
rassemblées par J.-M. Pardessus) : ses thèses et diverses mémoires de lui-même et des
contemporaines,  vol. : vol. I, - ; vol. II, - ; vol. III - : cote  ;
et de celles manuscrites : Ms. -, Consultations écrites de J.-M. Pardessus (-
) ; Ms. -, Rapports du Conseiller J.-M. Pardessus à la section des requêtes de
la Cour de cassation (juillet -décembre ).
. Bibliothèque de la Cour de cassation, Consultations manuscrites, Ms.  : .
. Cf. Projet de Code de commerce présenté par la Commission nommée par le
Gouvernement le 13 germinal an XI, Paris, Imp. de la République, .
au-delà du code de commerce... l’apport de jean-marie pardessus 

l’inconvénient de tout régler, de tout mettre dans le domaine des dispositions


impératives »  . Mais Pardessus progresse remarquablement en inscrivant,
dans un discours plus général et de principe, la législation commerciale et
en rapportant ses affirmations à la nature même du droit plus sujette que
d’autres à l’évolution et aux changements.
L’élément essentiel pour Pardessus est l’internationalisation du droit
commercial, un droit transnational, supérieur aux frontières nationales. Sur
la base de cette ferme conviction, essentielle pour la définition de la
matière, le juriste est incité à la valorisation de la science commerciale. Dans
la « Bibliothèque de droit commercial », à laquelle il avait répondu par une
œuvre à la fois historique et comparatiste relevant de la science plus que de
la pratique, le juriste affirme, avec encore plus de clarté, que les lois commer-
ciales sont davantage assujetties à la force et à la nature des choses : « Les
lois civiles n’agissent que sur le peuple à qui elles sont données ; elles res-
sentent nécessairement de l’influence de ses mœurs, de son organisation, de
son climat ; les lois du commerce intéressent l’univers entier, dans lequel les
commerçans forment pour ainsi dire une même famille. L’esprit de ces lois
ne sauroit changer avec les démarcations territoriales ; dans leur prévoyance
hospitalière, elles ne doivent pas offrir moindre garantie aux étrangers qu’aux
nationaux ; et l’expérience nous a plus d’une fois appris que leur injustice,
punie des plus affreuses réactions, allumoit le feu de la guerre, d’un bout du
monde à l’autre »  .
Un autre élément essentiel de la pensée de Pardessus est celui qui concerne
le rapport avec le Code civil plus célèbre et plus chanceux. Si en principe,
le Code de commerce est, et doit rester, une exception à celui-ci et sur-
tout doit déduire des normes et construire des institutions dans les arché-
types préfixés à partir du Code civil, Pardessus n’échappe pas à la tentation
de remodeler, de reconstruire, d’adapter aux exigences du droit commercial
qui s’étaient amplifiées après la libéralisation des marchés et qui laissent
des traces évidentes dans l’évolution des diverses éditions du Cours et dans
les Consultations contemporaines imprimées et manuscrites, conservées à la
Bibliothèque de la Cour de cassation à Paris.
La législation commerciale jaillit en effet directement de la force de la
nature des choses, embrasse l’univers entier, dont les commerçants forment
une unique famille qui va au-delà des frontières territoriales. En revanche,
les lois civiles, dont les changements ont toujours accompagné ceux des ins-

. Bibliothèque de la Cour de cassation, Consultations manuscrites, Ms.  : .


. Pardessus (Jean-Marie), Bibliothèque de droit commercial, op. cit., p. -.
 laura moscati

titutions politiques, se distinguent par leur fluidité dans la mesure où elles


s’imprègnent nécessairement de l’influence des mœurs, de leur organisation,
de leur climat et de la nation à laquelle elles appartiennent. L’uniformité
des principes et leur indépendance sont des caractères distinctifs du droit
commercial par rapport au droit civil.
Sur cette base, il est important d’attirer l’attention sur le plus grand,
peut-être, parmi les codes de commerce contemporains, le code espagnol
promulgué à la fin des années vingt  ; selon Pardessus, il est parmi les pre-
miers à combler des lacunes et à approfondir des institutions du code français
lui-même  , par exemple dans la manière de traiter des assurances en géné-
ral et de l’assurance terrestre en particulier, par rapport au code français
qui prévoit uniquement la matière maritime et certains éléments constitutifs
relatifs aux obligations commerciales, aux sociétés et au commerce maritime.
Je partirai de certaines illustrations, de nature systématique par rapport
au Code de commerce, auquel Pardessus, malgré l’impératif initial, se dérobe
bien vite pour rendre la matière plus harmonieuse. Je m’attarderai en outre
sur quelques exemples d’ordre substantiel en essayant de vérifier comment,
et dans quelle mesure, il a lui-même offert son œuvre pour clarifier et com-
pléter des parties obscures ou absentes du Code et le rôle qu’il a joué dans
l’évolution successive du processus normatif.
C’est avant tout l’élaboration unitaire de l’article , qui définit le commer-
çant, et des articles - qui contiennent l’essence de l’acte de commerce,
intégralement reprise et positionnée au même endroit par le code français
en vigueur  . En plaçant l’acte de commerce avant la figure du commer-
çant, à mon avis, Pardessus commence le processus de l’objectivisation du
droit commercial que la doctrine juge amorcée par le Code  . En plus, le
déplacement du titre des sociétés du livre I au volume III du Cours permet

. Cf. Codigo de commercio espanol decretado, sancionado y promulgado en 30 de


mayo de 1829, Madrid, .
. Pardessus (Jean-Marie), Du Code de commerce d’Espagne, op. cit., p. . Sur
l’importance du Code d’Espagne, cf. Convert (Laurent), « La codification commerciale
espagnole. Une œuvre originale », dans 1807-2007. Le Code de Commerce, op. cit., p. -
.
. Code de Commerce, , art. L/.
. On trouve intéressantes les observations concernant le problème de l’objectiva-
tion de la part de Berlinguer (Luigi), Sui progetti di codice di commercio del regno
d’Italia, 1807-1808 : considerazioni su un inedito di D.A. Azuni, Milano, Giuffrè, ,
Galgano (Francesco), Storia del diritto commerciale, Bologna, Il Mulino, e éd., ,
p. - et maintenant de Conradi (Johannes), Das Unternehmen im Handelsrecht. Eine
rechtshistorische. Untersuchung vom preußischen Allgemeinen (1794) bis zum Allgemei-
nen Deutschen Handelgesetzbuch (1861), Heidelberg, Decker’s Verlag, , p. -.
au-delà du code de commerce... l’apport de jean-marie pardessus 

à Pardessus d’élargir les réflexions sur la matière des sociétés et de procéder


à une analyse conjointe à la matière de la faillite.
En outre, Pardessus traite de certaines institutions qui ne figurent pas
dans le Code et qui, par le biais de son œuvre, entrent dans l’usage commun
de la matière commerciale. Je me réfère avant tout à la construction des
éléments constitutifs de la propriété intellectuelle et industrielle ainsi qu’aux
enseignes et aux marques, dans le cadre des obligations commerciales, initia-
lement configurées par rapport à l’action pénale en matière de contrefaçon.
Le Code de commerce n’offre cependant pas une réunification de toutes
les règles en matière d’obligations commerciales, comme on l’aurait désiré.
Dans le silence du Code, sur la base d’un avis du Conseil d’État de ,
les juristes et les magistrats sont contraints de recourir aux lois civiles pour
ce qui relève de la matière des obligations commerciales. Pardessus remédie
à cette carence en construisant des principes généraux à partir de chaque
élément constitutif, rappelé, à l’aide d’exemples, dans le Code. Il perçoit
pleinement les nécessités de la matière, liées à la nature même et à la rapidité
des opérations commerciales, qui entraînent nécessairement la modification
de certaines règles du droit civil, comme dans le cas de la stipulation ou de
l’engagement pour autrui.
Donc Pardessus, face au silence du Code de commerce, juge opportun de
procéder à un réaménagement de ces mêmes obligations commerciales, en se
référant à la structure des obligations de droit civil, en en offrant une confi-
guration autonome, en en identifiant le caractère typique et l’exemplarité.
Le titre de la vente assume lui aussi une configuration autonome parmi les
Élémens et la première édition du Cours. Tandis que dans le Code, un seul
article relatif à la preuve est réservé à la matière de la vente commerciale  ,
Pardessus élargit son propos en définissant en général les principes du droit
civil qui s’appliquent à la vente commerciale et repère les évidentes limites
imposées par les caractéristiques de la profession du commerçant  .
En pénétrant dans la substance du droit et en me concentrant davantage
sur les ombres que sur les lumières, je voudrais citer quelques exemples en
matière d’entreprise, de société, de faillite et de droit d’auteur.
Comme on le sait, le Code de  définit les commerçants comme ceux
qui font du commerce leur profession habituelle et il traite les actes de com-
merce par rapport à tous les litiges en la matière devant les tribunaux com-

. Code de Commerce, art. .


. Pardessus (Jean-Marie), Cours de droit commercial, re éd., op. cit., I, p. -
.
 laura moscati

merciaux, en assujettissant au droit substantiel et processuel tout acte et


tout rapport. Il utilise, en outre, le terme « entreprise », en le reprenant des
sociétés civiles régies par le Code civil  et non pas de la législation précé-
dente, étant donné que ledit terme n’apparaissait pas ni dans le Code Savary
ni dans le projet Miromesnil. Il faut cependant, tenir compte du fait que dans
le Dictionnaire universel de commerce, conçu par Savary lui-même et rédigé
par ses fils, on utilise le terme « entreprise » dans l’acception de la capacité
ou non du commerçant de mener à bien une affaire et celle d’« entrepre-
neur » lié à l’activité de production de biens et de services (manufactures,
bâtiment)  .
Dans le Code de  également, l’entreprise est reliée aux variantes de
l’acte de commerce (manufacture, fourniture, transport) en fonction de la
nature de l’acte qui détermine la compétence des tribunaux de commerce,
plutôt que par la personne physique du commerçant.
Cette caractéristique, qui constitue un modèle transmis aux codes italiens
antérieurs à l’unité et aux codes unitaires de  et de , est élaborée
par Pardessus dès la première édition du Cours et, peu après, dans une
consultation, où, en ayant bien présent à l’esprit l’idée de la distinction entre
profession habituelle et profession occasionnelle, il la transfert de la personne
du commerçant à l’entreprise elle-même  .
Le Code de commerce évoque les sociétés du Code civil, en montrant un
lien plus étroit entre les deux codes par rapport à d’autres matières. Il régit
trois types de sociétés commerciales : en nom collectif, en commandite et
anonymes sans faire de distinction entre sociétés de personnes et sociétés de
capitaux. En outre, il consacre deux articles aux associations en participa-
tion, sans les faire précéder d’une définition générale de société comme dans
le Code civil.
Pardessus offre une définition générale des sociétés où l’on note la limpi-
dité et la modernité de la disposition, dont les traits caractéristiques restent
encore valides, par rapport à l’élaboration des sociétés par type fournie par
le Code et transmise aux codifications successives. On note la construction
progressive du droit des sociétés caractérisée par une ample introduction
concernant la discipline des sociétés commerciales, les principes généraux
et les caractères essentiels  . Celle-ci précède l’analyse des types de sociétés

. Code civil, art. .


. Cf. Savary (Jacques), Savary (Louis-Philémon), Dictionnaire universel du com-
merce, II, Paris, Estienne, , col. -.
. Bibliothèque de la Cour de cassation, Consultations imprimées, I :  déc. .
. Cours de droit commercial, e éd., op. cit., III, p. -. Cf. aussi Bibliothèque
de la Cour de cassation, Consultations imprimées, III :  avril .
au-delà du code de commerce... l’apport de jean-marie pardessus 

en arrêtant son attention sur les sociétés anonymes  . Il offre ainsi des sug-
gestions importantes pour la réforme sociétaire dans la deuxième moitié du
siècle.
La construction limpide de l’élément constitutif de la liquidation dont
l’importance est soulignée dès la première édition, dans le silence « remar-
quable » du Code  , apparaît dans la dernière édition de l’œuvre totalement
achevée  . Parmi les nombreux problèmes, le juriste distingue un principe
général dans la limite imposée à la nomination de l’un des associés comme
liquidateur, en rappelant les limites du mandataire par rapport à la volonté
du mandant dans la société civile  . Dans cette matière en effet, Pardessus
soutient, dans l’une des premières consultations manuscrites, que « les prin-
cipes du droit civil beaucoup plus resserrés cependant que ceux du droit
commercial sont les seuls que nous invoquerons »  .
Pardessus s’attarde longuement sur la matière de la faillite. Comme on
le sait, en effet, Napoléon avait stimulé la promulgation du Code pour intro-
duire une plus grande rigueur en matière de faillite et plus de sévérité contre
les débiteurs dès lors qu’il entendait, d’une façon générale, moraliser le com-
merce  . Pour autant que le Conseil d’État ait tenté d’atténuer les disposi-
tions du projet, le Code se montre fort dur en la matière et les commerçants
préfèrent ne pas déclencher la procédure prévue, longue, difficile, coûteuse et
parfois cruelle, et lui préfèrent la liquidation à l’amiable. C’est la première
partie du Code qui ne résistera pas à l’épreuve du temps au point que la loi
de  en la matière substitue tout le livre III, en atténuant la sévérité des
dispositions et en accélérant les procédures.

. Pour l’importance cf. Lefebvre-Teillard (Anne), La société anonyme au


XIXe siècle. Du Code de Commerce à la loi de 1867. Histoire d’un instrument juridique
du développement capitaliste, Paris, PUF, .
. Bibliothèque de la Cour de cassation, Consultations manuscrites, Ms.  : .
Il faut noter que le tribunal de Lyon avait proposé d’insérer un titre spéciale sur la liqui-
dation (Observations des Tribunaux de Cassation et d’appel, des Tribunaux et Conseils
de Commerce, sur le projet de Code du Commerce, II, Paris, Imp. de la République,
an XI-, p. ) successivement refusé par la commission de révision (Révision du
projet de Code de commerce, précédée de l’analyse raisonnée des observations... des tri-
bunaux, par les citoyens Gorneau, Legras et Vital-Roux, Paris, Imp. de la République,
an XI-, I, p. ).
. Cours de droit commercial, e éd., op. cit., V, p. -.
. Code civil, art. .
. Bibliothèque de la Cour de cassation, Consultations manuscrites, Ms.  : .
. Cf. Padoa Schioppa (Antonio), Napoleone e il Code de commerce, dans Padoa
Schioppa (Antonio), Saggi di storia del diritto commerciale, Milano, Edizioni Universi-
tarie di Lettere Economia Diritto, , p. -.
 laura moscati

En matière de faillite, quelques années après la promulgation du Code,


le conseiller de Gerando distingue une antinomie entre la pleine obligation
des débiteurs solidaires  et une possibilité de recours pour un débiteur soli-
daire à l’encontre des autres  : entre un caractère solidaire paritaire et un
caractère non paritaire. Mais la véritable antinomie, selon lui, existe avec
le principe civiliste de la subrogation . Au travers d’un examen plus arti-
culé, la loi de  semble mieux clarifier les divers éléments constitutifs
sans accueillir les critiques de de Gerando qui avaient déjà fait l’objet d’une
réflexion approfondie dans certaines Observations manuscrites de Pardessus
conservées parmi ses documents  , où l’on prévoyait une situation de parité
entre les débiteurs solidaires  . En réalité, la distinction se présente comme
l’un des nombreux éléments d’utilisation autonome des institutions du droit
commercial par rapport au droit civil : les codébiteurs commerciaux, en effet,
contrairement aux codébiteurs civils, restent solidaires.
En matière de droit d’auteur, Pardessus a été capable d’élaborer une
réflexion plus achevée également par rapport au droit des brevets et des
marques, en contribuant ainsi à une nouvelle configuration de la propriété
intellectuelle. Il considère les droits de l’auteur — qui sont immatériels et
s’inscrivent dans la catégorie des biens meubles — comme la base décisive de
la propriété littéraire dès lors que l’auteur a les mêmes droits sur son travail
de l’esprit que sur ses autres biens matériels  .
Sa sensibilité vis-à-vis de la protection du travail réalisé par l’auteur,
d’une part anticipe un discours lié aux droits de la personne  , d’autre part
elle en identifie un facteur central de différenciation avec la propriété maté-
rielle  . Pardessus estime que les principes fondamentaux de la propriété
littéraire et de la propriété matérielle, ainsi que les moyens de transmission,
sont identiques, mais non pas leurs effets. L’éditeur, en réalité, ne peut dispo-

. Code de commerce, art. .


. Code de commerce, art. .
. Code civil, art. .
. Bibliothèque de la Cour de cassation, Consultations manuscrites, Ms.  :
juin .
. Code de commerce, art. .
. Il faut tenir compte que déjà dans son œuvre précédente (Élémens de jurispru-
dence commerciale, op. cit., p. -), Pardessus avait inséré en bref les problèmes des
droits des auteurs et des brevets à l’intérieur de la tractation.
. Dans la dernière édition les aspects du droit d’auteur liés à la personne seront
encore plus clairs : Cours de droit commercial, e éd., op. cit., I, p. -.
. « La vente d’un manuscrit en pleine propriété... n’a pas les mêmes effets que celle
des propriétés ordinaires. Elle ne donne pas à l’acheteur le droit de disposer de l’ouvrage
de la manière la plus absolue » : ibid., I, p. .
au-delà du code de commerce... l’apport de jean-marie pardessus 

ser pleinement de l’œuvre car il doit la laisser inchangée  , en en respectant


l’obligation morale et en devenant, selon lui, un « usufruitier » qui jouit
d’un droit temporaire qui ne peut être prorogé. Par suite, les héritiers, au
lieu de recevoir un droit perpétuel, ne doivent percevoir qu’un droit limité,
et Pardessus considère comme « exorbitante »  la demande d’une partie
importante de la doctrine française de transmission perpétuelle du droit
de l’auteur.
Il est intéressant de remarquer que si dans la première édition du Cours,
Pardessus utilise l’expression « propriété » du manuscrit, il préfère dans les
éditions successives les termes « droit de copie », en étayant la configura-
tion de cette institution par l’introduction de la figure de l’« usufruitier ».
Cette évolution symbolise le passage des réflexions doctrinaire du xviiie siècle
à celles successives à la législation spécifique en la matière et elle sera élabo-
rée par la doctrine qui lui succédera peu après  .
Pardessus, donc, avec la préfiguration du droit moral et des droits de
la personne et en même temps avec la démarcation vis-à-vis de la propriété
matérielle, offre à la propriété intellectuelle, sous la double acception du droit
des brevets et du droit d’auteur  , une nouvelle construction. En particulier,
Pardessus utilise — à mon avis pour la première fois — en  l’expres-
sion polysémique « propriété intellectuelle et industrielle »  , anticipée par
l’utilisation du terme « industrielle », et ce dès les Élémens  .
En outre, il faut souligner que toute la matière insérée, conjointement
à celle des marques et des brevets, dans le Cours dès la première édition
et progressivement élargie dans les éditions successives, comporte en elle-
même des nouveautés porteuses de développements futurs. La construction
et ses éléments constitutifs qui y sont relatifs, jamais traités dans les codes de
commerce, mais que nous retrouvons encore dans les manuels de droit com-

. « Il a droit de le publier en tels formats et nombre d’éditions qu’il veut, mais il
n’est pas le maître d’intercaler ou d’opérer des changements de quelque manière que ce
soit, sans le consentement de l’auteur » : ibid., I, p. -.
. Commission de la propriété littéraire. Collection des procès-verbaux, Paris,
Imprimerie de Pillet Aîné, , p. .
. Je me réfère à l’œuvre de Charles Augustin Renouard : Traité des droits d’auteurs
dans la littérature, les sciences et les beaux-arts,  vol., Paris, Renouard, . L’œuvre
avait été précédée par un Mémoire lu à l’Académie des Sciences morales et politiques qui
en dégage les principes essentiels : « Théorie des droits des auteurs sur les productions de
leur intelligence », Revue de législation et de jurisprudence, -, , p. -.
. À cet égard, une consultation où Pardessus relie la loi de  au règlement
de  est intéressante en matière de marques : Bibliothèque de la Cour de cassation,
Consultations imprimées, III :  avril .
. Cours de droit commercial, e éd., op. cit., II, p. .
. Id., Élémens de jurisprudence commerciale, op. cit., p. .
 laura moscati

mercial et industriel, sont considérées aujourd’hui comme étant à l’origine


de la matière industrielle.
À la lumière des exemples sommaires ici présentés, apparaît clairement
la nécessité d’élargir — je suis en train de l’élaborer — les réflexions sur
l’apport de Pardessus à l’évolution du Code de commerce. Il faut souligner
la tension souvent présente chez le juriste entre le fait de commenter le droit
et la tentation de le créer, et les solutions choisies sont parfois le produit
d’un grand travail d’équilibre.
L’intention initiale de suivre l’ordre du Code n’a pas été, comme nous
avons tenté de le démontrer, respectée. Comme pour d’autres juristes, jugés
exégètes, une confusion se crée entre les intentions proclamées et la réalité
du travail effectué. Pardessus, en effet, aboutit à construire et à affiner une
matière brute où il emprunte souvent des catégories au droit civil, mais
toujours en tenant compte de l’aspect économico-social et de la dimension
croissante, pressante et autonome de la matière.
Mais l’aspect qui le distingue de ses contemporains et sur qui personne
n’a jamais arrêté son attention, est son rapport avec la science juridique
allemande.
Bien qu’adhérant à la culture dominante de son pays et fervent partisan
du droit codifié, Pardessus nourrit une forte tendance à la conceptualisation
fruit de ses contacts avec l’Allemagne. Ce qui le conduit, et cela est son
principal mérite, à offrir un renouveau systématique du Code, bien conscient
de ses limites par rapport au Code Napoléon.
Son objectif constant consiste dans l’amélioration de la législation du
droit commercial, fondée sur une tradition ancienne et bien établie, qui
doit être prise en considération et confrontée aux exigences économiques et
sociales et aux mutations que les vicissitudes révolutionnaires et les exigences
du marché imposaient.

Laura Moscati
Sapienza Université de Rome (Italie)

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