Você está na página 1de 6

Hommes et Migrations

À la recherche de la culture immigrée


André Videau

Résumé
Comment, à la lumière des faits, la «culture immigrée» s'est considérablement estompée, pour qu'on voit, au matin des réalités,
les enfants d'immigrés, le plus souvent "beurs" en tête, entrer dans la culture tous azimuts, avec armes et bagages, originalité et
brio, obstination ou désinvolture, et bien sûr, perte et fracas.

Citer ce document / Cite this document :

Videau André. À la recherche de la culture immigrée. In: Hommes et Migrations, n°1144, juin 1991. Jeunes maghrébins de
France. «Forum sur l'émigration maghrébine en France», Université d'Oran, 16-17-18 octobre 1989. pp. 35-39;

http://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_1991_num_1144_1_1672

Document généré le 19/08/2016


A LA RECHERCHE

DE LA CULTURE IMMIGRÉE

par André Videau*

... Et s'il n'y avait pas de «culture beur» (ou autres) mais
des « beurs » (ou autres) entrant dans la culture... ?

Comment, à ia lumière des faits, la «culture immigrée» s'est considérablement


estompée, pour qu'on voit, au matin des réalités, les enfants d'immigrés, le plus souvent
nbeursH en tête, entrer dans la culture tous azimuts, avec armes et bagages, originalité et
brio, obstination ou désinvolture, et bien sûr, perte et fracas.

LE TEMPS DES UTOPIES amenés à disparaître à brève échéance à la faveur de


retours massifs au pays.

Première époque : La société française pouvait se distraire et s'enri¬


cultures spécifiques et plurielles chir d'apports extérieurs. On citait à l'appui quelques
modes capillaires ou vestimentaires. La cuisine se
diversifiait de paella, de pizza et de couscous. Au
LONGTEMPS
provisoire, destinée
il fut entendu
à combler
que l'immigration
sur le marchéétait
du même titre que les bardes bretons ou les troubadours
occitans, on écoutait chanter Djamel Allam et Djurdju-
ra en kabyle. Ces nomades pouvaient agrémenter nos
vies de sédentaires. Ils ne travaillaient pas qu'à nos
routes, nos ponts, nos maisons et nos bagnoles ! Cela
méritait bien quelque attention et surtout la préserva¬
tion de leur intégrité pendant ce moment d'exil labo¬
rieux.
ver
nisme
gers
baptisa
des
même
travail
puis
et,
déficits
dictature
dans
lisme
d'un
qu'elles
par
dujacobinisme
la
en
chantiers,
latriomphant
vis-à-vis
attention
boulimie
ailleurs,
respect
hexagonal
bizarrement
économiques
transit.
s'éparpillaient
voie
ou du etPour
àque
des
etde
niveleur
détourner
colonialisme
développement.
appliquer
lesmain-d'œuvre
battait
cultures
qu'elles
«qu'elles
laclasses
momentanés
cultures
au ;partout
culture
hasard
onles
intrinsèques
creuses
méritaient
ne
aient
beauceronne
extra-territoriales
etprincipes
surplus
pouvait
des
difficilement
en
des
De
de
droit
brèche
de
zones
pays
trente
plus,
humains
donc
l'après-guerre,
du
de
néanmoins
desortant
urbaines
ou
le
protection¬
cité,
les
glorieuses,
ces
qu'éprou¬
régiona¬
picarde.
engagés
dus
méfaits
»on
étran¬
deaux
puis¬
les
etla
On inscrivait donc l'apprentissage des langues et
cultures d'origine en surcharge du cursus scolaire. On
choisissait pour ce faire des enseignants formés aux
méthodes de là-bas (sans se prémunir de conformismes
politiques ou des prosélytismes religieux qui pouvaient
être ainsi véhiculés). On encadrait les loisirs des jeunes
d'animateurs communautaires, spécialistes du folklore
et de la ségrégation. On délimitait, et au besoin alimen¬
La règle fut d'encourager les différences, sans tait de subventions, des aires d'expression homogène :
trop se soucier des ghettos et de l'apartheid tolérés ou émission de télévision, radios « libres », magazines,
engendrés puisque, de toutes manières, ils seraient maisons d'édition, centres culturels spécifiques... On
* Chargé de mission jusqu'en 1985 au Fonds d'intervention culturel.

HOMMES
N° 1144 -JUIN
& MIGRATIONS
1991 35
favorisait la création d'un réseau d'associations, aussi mesure, des parcours très personnels — artistes étran¬
farouchement verrouillées sur leur appartenance que gers, savants, chercheurs, étudiants, sportifs, commer¬
des réserves d'indiens, sans même s'inquiéter si quel¬ çants — qui devaient peu ou rien à l'immigration peau-
que milice étrangère occupait le mirador. périsée de la main-d'œuvre et à la sinistre épopée des
bidonvilles, des cités de transit ou des foyers Sonacotra.
Les miroitements séparés, et parfois regrettable- Les éclaireurs ou les phares de ces réussites aveu¬
ment filtrés, de cette société mosaïque n'étaient que glantes s'appelaient Montand ou Adjani, Picasso ou
des étoiles filantes qui rejoindraient sous peu leur exo¬ Platini, Reggiani ou Piccoli, Kopa ou Noah...
tique firmament. Ceux qui voulaient sortir de l'orbite
coutumier n'avaient qu'à faire preuve d'un acharne¬ L'ennui c'est que la foule bigarrée des jeunes issus
ment inouï et de qualités exceptionnelles pour tomber de l'immigration était peu présente sur le podium ruti¬
dans nos champs culturels comme des aérolithes. lant des modes, des idées et des réussites créatives. A
quelques exceptions près, dont nous reparlerons, ils n'y
Deuxième époque : culture métisse et singulière participaient que de loin, en consommateurs bas de
gamme. Comment aurait-il pu en être autrement ?
Les murs édifiés autour du respect des différences
furent ébranlés par l'arrivée tumultueuse des bataillons Ces « privilégiés » qu'on découvrait tels des
de « la deuxième génération » et par l'écroulement du princes sous les haillons, porteurs de deux cultures,
mythe du retour. On avait beau être au pire moment de celle du pays des parents aux parfums d'Orient et celle
la récession, les parents décidèrent de poser définitive¬ du pays d'accueil aux goûts des libertés occidentales,
ment leurs valises. L'aide au départ, distribuée ici ou là dont, par une alchimie mystérieuse dans les caves des
avec plus ou moins de parcimonie, n'y fit rien. Leur grands ensembles, ils allaient réaliser une synthèse ori¬
destin ne se jouerait plus entre deux trains, deux ginale et stimulante qui régénérerait une France four¬
bateaux ou deux épousailles, même si les enfants nés ou bue, étaient, hélas, le plus souvent en manque de la
moindre connaissance et reconnaissance identitaire.
«ramenés
cul entreà deux
l'unique
chaises
bercail,
». devaient se retrouver le
Du pays d'origine, par le truchement du milieu
Il y eut partout, à demeure, des jeunes d'origine familial déraciné et appauvri, ne leur était transmis qu'un
diverses, bien plus visibles que les parents parce qu'ils langage fruste et analphabète, des coutumes gênées par
débordaient bruyamment des écoles et couraient les l'exil, des préceptes religieux abâtardis de superstitions...
rues. Alors le discours tactique et bien intentionné fit Du pays d'accueil, les rogatons d'une éducation le plus
un réel effort pour s'adapter à cette implantation non souvent bâclée, les sollicitations onéreuses et frelatées, et
programmée mais foisonnante, et chamarrée, et chahu¬ parfois dévastatrices, du mercantilisme et de la permissi¬
tante. Il fallait au plus vite uniformiser ces indociles vité. Double galère, amplifiée bien des fois, non par la
diversités qu'on avait beaucoup fait pour exacerber. surévaluation des classes « éclairées » et lointaines,
mais par un ostracisme impulseur de violences dans leur
Non seulement la culture d'origine, dont ils environnement immédiat.
étaient les héritiers et les ambassadeurs, devint une
entité rassemblant comme par miracle les gens les plus Leur richesse supposée n'était qu'une disette,
dissemblables — un échantillonnage quasi universel comme ils allaient le clamer sans intermédiaires,
avec panoplie européenne du Portugal à la Turquie, remontant par milliers de La Courneuve ou de l'Alma-
Gare, des Minguettes ou de Monclar, de La Paillade ou
palette ! africaine,
chinois — mais elle
dualité
se mêla
arabo-berbère
harmonieusement
et casse-tête
à la du Merlan, derrière des leaders symboliquement ano¬
culture d'accueil dans le chaudron du melting-pot pour nymes et ordinaires, lors des deux rallyes pour les
donner la potion magique qui permettait de surmonter droits civiques et contre le racisme (Marche pour l'éga¬
tous les handicaps dus à la double appartenance, aux lité 83 et Convergence 84). Revendiquant en quelque
classes étrangères et aux couches défavorisées. On sorte le droit à la ressemblance !
essaierait même de la faire avaler par petites doses
édulcorées aux plus réfractaires des nationaux. Troisième époque et dernier avatar bien-pensant :
la culture « beur »
On citait, à grand renfort de dithyrambes et d'ap¬
préciations publicitaires, quelques réussites indivi¬ Il fallait bien tenir compte de ce discours à la fois
duelles. On étalait leur profil et leurs consonances qui revendicatif et modérateur. On avait péché par excès
révélaient d'autres sphères, et leurs activités qui prou¬ d'optimisme. D'échecs scolaires en inadaptations pro¬
vaient l'agrégation. On englobait, pour faire bonne fessionnelles qui n'offraient pas d'alternative au merce-

36 HOMMES
N° 1144& MIGRATIONS
- JUIN 1991
nariat des parents, de ségrégation par l'habitat et l'ar¬ moun moulait des plaques d'égouts avec des graffitis en
gent de poche aux tracasseries administratives, de tur¬ arabesques et tous les fastes de l'Andalousie... et,
bulences collectives au rejet individuel au faciès, les encore plus avancés dans l'insertion mondaine et le ser¬
jeunes issus de l'immigration se débattaient dans de vice national, Rafik habillait le Marais, Farida s'affi¬
trop sérieuses difficultés pour assurer la relève espérée. chait Goude ou Gauthier, Nadia Samir et Rachid
Et puis, finalement, ils étaient trop nombreux, trop dif¬ Ahrab occupaient la télévision, les stades ovationnaient
férents, de statuts trop inégaux. Rédhouane Bouster ou Tarik Benhabilès. Quant aux
lascars lyonnais de « Carte de séjour », ils réveillaient la
Alors se présenta l'opportunité sélective Douce France de Trénet sur un tempo de raï. On pou¬
des « beurs ». Elle tombait à pic. Elle réduisait le pro¬ vait même ajouter au bottin beur de la célébrité un
blème à sa quintessence. richissime boucher ou un éminent cardiologue !

Pour le sens commun, dans un saisissant raccourci, il Il n'y avait pas que la presse pour broder sur l'évé¬
n'y a d'immigré qu'arabe, et l'Arabe est fatalement nement. Au cinéma, des personnages beurs donnaient
algérien. C'est cet Algérien
que les plus timorés ou E. Morere/lm'media
les plus xénophobes
voient en rôdeur malin¬
tentionné dans les cages
d'escaliers ou les couloirs
du métro, c'est ce jeune
bouclé-bronzé qui hante
les terrains vagues et les
visent
esprits irascibles
faibles, c'est
insomnia¬
lui que
ques et allumés de bistros,
entraînés au tir vindicatif
par les sbires de Le Pen
toujours prompts à cirer
d'idéologies raciales des bot¬
tes qu'ils n'ont pas quittées
depuis la guerre d'Algérie.

L'appellation branchée
« beur » plaisait aux modernes
et aux démocrates de tous Rachid Taha, chanteur du groupe « Carte de Séjour » en 1987.
poils, mais elle avait aussi
de quoi séduire les plus
prudents parce qu'elle adoucissait les mœurs. Aux la réplique à Coluche, Hanin ou Belmondo. Cabrel,
hasards sémantiques du verlan en banlieue nord-pari¬ Renaud ou Guidoni mettaient des beurs dans leurs bal¬
sienne, on avait, pour la première fois, un moyen de dési¬ lades, Tournier ou Le Clézio dans leurs romans.
gnation triviale du Maghrébin qui ne lui était pas étrangère
et qui échappait donc aux transferts de la hargne et du Sauf que ces réussites n'étaient pas toujours aussi
mépris. Sous ce label, de connotation involontairement évidentes qu'on voulait bien le démontrer et surtout
gourmande et même pâtissière — indubitables références que, pris séparément, aucun de ces jeunes artistes n'en¬
nationales qui préfiguraient l'intégration —, on pouvait tendait moins
encore assumer
servirla defonction
caution dissipante
à une manœuvre
de leader,
aussi
trouver à quelques-uns d'entre eux un visage avenant, un
comportement louable et leur délivrer un visa d'aptitude à généreuse soit-elle.
la communauté. Fût-ce par l'étroitesse de l'entrée des artistes.
Ils souhaitaient tous être reconnus de préférence
La démonstration se fit sans plus attendre avec pour leur talent et la qualité de leurs productions ou de
certains à peine sortis du marécage social et déjà hissés leurs prestations au même titre que leurs pairs. Ils se
sur les pilotis de la gloire. Mehdi Charef portait à l'écrit méfiaient, non sans raisons, des excès d'attention que
et à l'écran les déboires de Madgid et Pat, Karim Kacel donne la mauvaise conscience, du risque inflationniste
chantait Banlieue sur toutes les ondes, Rachid Khi- et aléatoire d'un discours d'opportunité. Des abus de

37
HOMMES
N° 1144 - &JUIN
MIGRATIONS
1991
carottes et des retours de bâton. Et puis, dans l'hiver Il devenait chic et choc de signaler cette efferves¬
rigoureux des calculs égoïstes et des brutalités du quo¬ cence et cette invasion, et de l'attribuer aux seuls beurs
tidien, ces hirondelles des faubourgs avaient-elles quel¬ qui, bien entendu n'étaient pas les derniers, mais dans des
ques chances de faire le printemps ? cohortes mêlées de Blacks d'Afrique et des Antilles, de
Viets, de Portos, de Yougos et d'une bonne proportion
N'y avait-il pas un peu de cynisme ou d'euphorie de Céfrans (Franco-Français certifiés d'origine).
facile à s'éblouir de la piste aux étoiles où quelques
beurs faisaient merveille, alors que les cités restaient On avait attribué, à grand renfort de concerts
dans l'ombre, que les boîtes à lettres et les ascenseurs polyglottes, le goût, déjà signalé, des citadins pour le
délabrés focalisaient autant de colères, que les moby¬ cosmopolitisme, à une irrésistible influence de cette
lettes ou les radio-cassettes faisaient autant de grabuge jeunesse multiraciale, bien sûr entraînée par les beurs.
dans les tympans, que l'ennui et le désarroi suscitaient Comme si les tocades et les influences durables, du
plus de révoltes nihilistes et de vindictes sommaires que jean à la pop, du coca au rock, du fun au hamburger...
d'élans créatifs et de mouvements approbateurs ? n'étaient pas d'abord d'origine anglo-saxonne ! Comme
si le reggae ne venait pas plus de la Caraïbe que de
Le déferlement de la culture beur était-il considé¬ Champigny ou le raï de la côte oranaise que de Nan-
rablement mythique, tel un mirage provoqué dans les terre ! Comme si le rap, le smurf ou la break-dance
déserts à force de scruter le vide et de s'inventer une avaient eu besoin des jambes et des valises des émigrés
oasis pour échapper à la désespérance, ou pratique¬ pour traverser l'Atlantique ou le Channel !
ment organisé comme une fumisterie théâtrale pour ca¬
cher la hideur du décor aux yeux des spectateurs ? Certes il ne s'agit pas de réduire le phénomène à
néant, mais de le ramener à de plus justes proportions.
LE TEMPS DES RÉALITÉS N'en déplaise aux grincheux et aux illusionnistes,
plusieurs jeunes nés dans les quartiers et les banlieues,
dans les communautés issues de l'immigration ou, plus
C'est vrai qu'il y avait eu pas mal d'emphase et de généralement, dans le prolétariat urbain, sont arrivés à
confusion. On avait monté en épingles quelques réus¬ sortir de l'anonymat et à percer la carapace d'un sys¬
sites issues d'un contexte ingrat. Pour exalter le phéno¬ tème replié sur ses valeurs, mais pas assez assuré de sa
mène beur on avait même procédé par défaut (il n'y pérennité
leurs initiatives.
pour ôter toute chance à leur juvénilité et à
avait pas d'équivalente pléiade d'artistes dans la
communauté turque, ou portugaise, ou yougoslave...).
Génération avec ou sans numéro d'ordre et diver¬
On avait embrigadé sous la bannière beur l'en¬ sement colorée, qui, en jouant des coudes, des méninges,
semble des manifestations culturelles ou plus simple¬ des poings ou du synthétiseur se fait une place sur la
ment existentielles des proches banlieues. Là, pour scène culturelle du pays où ils vivent et qui est, par la force
recoudre un tissu social en lambeaux, certains s'effor¬ des choses, le leur. Ce n'est ni un miracle, ni une calamité.
çaient de créer un réseau serré d'associations et d'acti¬ Tout simplement une logique et une nécessité de base.
vités. Mais le soutien scolaire ou l'alphabétisation, les
clubs femmes ou informatique, le rock-diatribe, le théâ- Le contraire serait scandaleux et condamnerait
tre-pamphlet ou la vidéo-constat, ne cassaient pas, sauf davantage une société vouée à l'ostracisme (il n'y a, par
exception, les baraques du showbiz et n'avaient droit exemple, pas de quoi s'étonner, ou s'esbaudir, ou s'in¬
qu'à quelques subsides et flashes municipaux ou institu¬ digner de croiser autant de beurs ou autres dans la BD
tionnels. D'autres, plus désabusés par l'environnement ou le polar, genres qui collent au réalisme, c'est au
et pour le déchirer davantage, fuyaient aux petits bon¬ contraire la télé qui est condamnable, miroir truqué de
heurs-malheurs des transports bondés et revêches vers la société française qui trop souvent les oublie ou les
les centres obnubilants, en quête « d'ambiances » pas expurge, tout en introduisant jusqu'à saturation den¬
faites pour eux, à des prix prohibitifs, et qu'ils devaient rées avariés et fausses valeurs étrangères).
parfois s'approprier à la force des poignets.
D'ailleurs, de tous temps, les communautés, les
Il était évident que les banlieues bougeaient, avec ethnies, les secteurs géographiques économiquement
suffisamment de muscle et de musique pour ne pas pas¬ marginalisés et à la traîne des progrès et des promo¬
ser inaperçues. On y parlait verlan. On s'y habillait tions, ont eu accès à des réussites « prodigieuses » dans
« classe ». Elles débordaient même, en force et sans des disciplines très contingentées. Celles-ci, résultant
complexe, sur les territoires de pointe de la modernité. d'efforts presque surhumains et de rares conjonctions

38 HOMMES
N° 1144
& MIGRATIONS
- JUIN 1991
de chance et de talent, agissaient comme soupape à une la représentation ou à l'exhibition, et l'on peut citer
médiocrité et à une démoralisation inéluctables, procu¬ nombre de plasticiens, peintres ou sculpteurs audacieu-
rant l'illusion ou, à défaut, un fort pouvoir consolant sement figuratifs, des dessinateurs de BD et des carica¬
d'identification. Qu'on pense aux coureurs cyclistes turistes et tant d'autres, expérimentés ou débutants, qui
bretons et aux toreros andalous, aux footballeurs des pratiquent la photographie, la vidéo, le cinéma.
favelas et aux boxeurs de Harlem, aux guitaristes gitans
et aux chanteurs de blues. On pensait qu'un machisme sourcilleux et agressif,
hostile à toute frivolité et tout sentimentalisme, les
Le même type de réussite, mêlant endurance phy¬ empêcherait de sortir de la peine et de l'obscurité de la
sique à toute épreuve et dons innés poussés à la perfec¬ manutention, et beaucoup se pressent
vatoires
versouleslesconser¬
cours
tion et retrempés par
l'adversité, peut exis¬ d'art dramatique avec
ter en milieu immigré. l'espoir, à l'image de
L'apogée d'une car¬ Sous LA BANNIÈRE BEUR Hamou Graïa ou de
rière arrachée au prix Miloud Khétib, de
de tous les sacrifices ON A EMBRIGADÉ Farid Chopel ou de
et surmontant tous les Smaïn, de faire car¬
dénuements et toutes L'ENSEMBLE DES MANIFESTATIONS rière de comédien.
les frustrations, frisera
alors l'idolâtrie. Voyez CULTURELLES OU EXISTENTIELLES On pourrait conti¬
de quelle
cia un Luisaura
Fernandez
bénéfi¬ nuer à aligner noms
DES BANLIEUES
à Vénissieux. Force bousculent
et disciplinesles idées
qui
est de constater cependant que de tels exemples sont reçues et défient les tabous. Je ne résiste pas à citer un
rares. dernier exemple, en apothéose : celui de Kader Bélarbi,
nommé danseur étoile à l'Opéra de Paris !
« L'arrivée » des jeunes issus de l'immigration, et
particulièrement des jeunes maghrébins, attractivement Sans doute trouvera-t-on que c'est trop peu.
qualifiés de «beurs», est d'une autre nature. D'où,
peut-être, l'effet de surprise et les jugements contrastés Les chemins de l'intégration ne sont pas les sen¬
dans l'appréciation. tiers de la gloire, même si nos exemples montrent que
les banlieues ne sont pas non plus les cages aux fauves
Ils n'ont pas respecté cette échappatoire chiche¬ ou les dépotoirs sans issue un peu trop complaisam-
ment comptabilisée et canalisée. Ils ne sont pas deve¬ ment décrits. Il n'y aura jamais de la place pour tout le
nus, à titre d'exemple, des as du ballon rond, de la der- monde sur les podiums de la célébrité et bien peu, c'est
bouka, de la calligraphie ou de la danse du ventre. le lot commun, ont les qualités requises pour entre¬
Exceptions pittoresques qui auraient confirmé la règle de prendre le parcours d'obstacles qui y conduit. Il est
leur inadaptation à notre société culturellement liber¬ normal aussi de vouloir et pouvoir devenir institutrice
taire et cartésienne, polyvalente et avant-gardiste ! ou vétérinaire, receveur des postes ou chimiste, infor¬
maticien ou cuisinier ou gendarme... !
On déplorait leur inaptitude à manier correcte¬
ment la langue française et en voilà quelques-uns écri¬ Mais alors, nous dira-t-on, en niant les spécificités
vains à la suite de Mehdi Charef : Akli Tajer, Azouz d'une culture immigrée, ou métisse, ou beur, au béné¬
Begag, Tassadit Imache... fice d'un investissement, considérable par sa variété
mais très limité par son nombre, de la culture française,
On les disait inféodés à une société sexiste qui assimilation.
vous n'apportezToutque
discours
les preuves
distinctif
d'une
ou lente
nuancé
et ne
sélective
serait
brime les femmes, les confine derrière murs et foulards,
ou, à peine pubères, les réexpédie au bled à des fins plus alors que rideau de fumée ou cache-misère.
matrimoniales, et en voilà plusieurs dans les joutes
électorales, les compétitions sportives, sur les scènes de Pris isolément chaque parcours de ces jeunes issus
théâtre ou de music-hall, sur les écrans de télévision ou de l'immigration et entrant dans la culture est la preuve
dans les défilés de mode. du contraire. Certes, aucun ne veut avancer sous un label
ethnique ou un emblème militant, mais chacun sait bien
On affirmait leur respect absolu des interdits qu'il tire une partie de son originalité et de sa force
coraniques au point d'inhiber chez eux toute velléité à d'un jardin intime fécondé aux sources même de sa vie.

HOMMES
N° 1144 -JUIN
& MIGRATIONS
1991 39

Você também pode gostar