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Fourquin Guy. André Bossuat, Jeanne d'Arc, 1968. In: Revue du Nord, tome 50, n°199, Octobre-décembre 1968. pp. 716-718;
http://www.persee.fr/doc/rnord_0035-2624_1968_num_50_199_5897_t1_0716_0000_3
André
n° BOSSUAT,
211. Jeanne d'Arc, Paris, P.U.F., 1968, Coll. Que sais-je ?,
« On a tant écrit sur elle qu'on éprouve quelque scrupule à écrire encore...
Les ouvrages consacrés à Jeanne d'Arc se comptent par milliers. Un petit
nombre seulement présente de l'intérêt », écrivit le regretté A. Bossuat.
Pourquoi donc faut-il que ce petit livre qui, lui, présente un vif intérêt, soit un
écrit posthume par sa publication ?
En dépit de la mélancolie qui grandit, au fur et à mesure de la lecture,
chez qui a bien connu l'auteur — lequel, malgré une santé depuis longtemps
délabrée, continua jusqu'au bout ses travaux, et même ses recherches dans
les fonds d'archives qu'il connaissait si bien — , c'est pourtant l'intérêt qui
domine. En si peu de pages, André Bossuat a su nous donner l'essentiel sur la
vie et le rôle de l'héroïne nationale, en même temps qu'une précieuse mise
au point. L'auteur n'était-il pas l'un des meilleurs spécialistes de ce xve siècle
si plein de contradictions ?
La dernière œuvre d'André Bossuat est ainsi à la fois, comme il se devait,
un récit solide et une remarquable tentative d'explication. En dépit de la
publication intégrale, voilà plus d'un siècle, des procès de condamnation et
de réhabilitation (ce qui nécessite une nouvelle édition, en cours de parution,
pour le premier), de celle, récente, des interrogatoires, l'histoire de Jeanne
d'Arc « n'est pas encore parfaitement éclaircie. Bien des énigmes subsistent,
auxquelles de multiples hypothèses n'ont pas encore réussi à apporter de
solution définitive ». On discute toujours et, comme le déplorait déjà Etienne
Pasquier en 1580, « jamais mémoire de femme ne fut plus déchirée que la
sienne ».
Du récit proprement dit, on notera seulement et sa vigueur et sa densité.
De la tentative d'explication, on revanche, on donnera un aperçu qui,
forcément, passera sous silence bien des nuances et bien des réflexions
particulièrement judicieuses. Le point de départ est clair (p. 11) : violence, brutalité,
parti pris ont obscurci après Azincourt et l'affaire de Montereau les « vertus
traditionnelles » et la « morale élémentaire ». Cette « fille simple et pure » eut
donc le mérite incommensurable de remettre, quand il le fallait et toutes les
fois qu'il le fallait, les Français dans la voie du devoir et, cela, d'abord, parce
qu'elle avait du bon sens, la chose du monde parfois le moins bien partagée.
Que dit-elle, en effet, inspirée par ses « Voix », sinon que toutes les arguties,
tous les sophismes ne peuvent empêcher le « gentil Dauphin » d'être le roi de
France, tout simplement parce qu'il est l'aîné des enfants vivants du dernier
roi Charles VI ? Sinon, aussi, que les Anglais n'ont pas à occuper la France
et que devront seuls y rester ceux qui y auront péri ?
Irremplaçable historien de l'idée d*État et du sentiment national à la fin
du moyen âge, André Bossuat fait remarquer (pp. 88 sq.) que la Pucelle, qui
n'avait rempli qu'incomplètement sa tâche (si le roi avait été sacré, les Anglais
n'avaient pas encore été « boutés » complètement hors de France), voyait
après son supplice son rôle reconnu « par les Anglais qu'elle avait vaincus, plus
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que par les Français qui lui devaient leurs victoires ». Pourtant, « le peuple ne
l'oublait pas », il avait même peine à croire à sa mort, d'où le succès d'une
aventurière qui, en 1436, se fit passer pour Jeanne. « II y eut sans doute d'autres
fausses Pucelles et le cas de Jeanne des Armoises ne fut pas isolé. Il faut le
considérer, et c'est ce qui en fait l'intérêt, comme la preuve que l'enthousiasme
que Jeanne d'Arc avait suscité parmi les populations était, lui, toujours bien
vivant » (p. 95).
Cette fidélité populaire, dans les années indécises qui suivirent 1431, est
la meilleure preuve, sous-entend justement André Bossuat, de ce que Jeanne
d'Arc « n'a pu se manifester, de ce qu'elle n'a pu accomplir sa mission que
parce qu'elle faisait appel à des sentiments qui existaient déjà et parce que ses
gestes, comme ses paroles, éveillaient des échos » (p. 115). Si Michelet, puis
Henri Martin, l'ont considérée comme « la créatrice... du sentiment national
et de la patrie », ce n'est aucunement la dénigrer que de croire que l'embryon
de ces deux notions lui fut antérieur. Cela, on le disait déjà avant le beau petit
livre d'André Bossuat, mais celui-ci l'a démontré plus solidement que cela
fut jamais.
La nouvelle conception de la royauté, selon laquelle le roi n'est que le
dépositaire, non le propriétaire de celle-ci, avait débordé le cercle des officiers
royaux pour s'affirmer, dès au moins le traité de Troyes, dans la mentalité
collective de la France : en rappelant cette conception au Dauphin, Jeanne n'a
donc fait que dire très haut et avec obstination ce que beaucoup pensaient.
D'où il s'ensuivait la nullité de Fexhérédation de Charles VII. Et ce royaume
avait de saints patrons veillant sur ses destinées : outre Charlemagne et saint
Louis, et à défaut de saint Denis (dont le sanctuaire, en dépit du courage et
du loyalisme de ses moines, était tombé entre les mains anglaises), l'archange
saint Michel dont le « Mont » devait rester inviolé et qui était le premier apparu
à Jeanne pour lui tracer sa mission (pp. 119-120). La France était bien « un
pays tout spécialement privilégié ».
Il est donc impossible à un roi anglais de porter la couronne des lys, et ses
sujets qui guerroient en France doivent repasser la Manche. On l'a dit depuis
assez longtemps, « les souffrances nées de la guerre, la présence de l'ennemi
ont fait naître le sentiment de plus en plus accentué d'une communauté
nationale » (p. 120). Mais, André Bossuat le démontre, « il ne s'agit plus seulement
d'une communauté en fonction de la royauté, d'un sentiment qui se confond
avec la religion monarchique. C'est la France elle-même qui apparaît vivante
et distincte de son gouvernement ». Après avoir retrouvé la conception romaine
de l'État, les juristes ont redécouvert la notion de patrie : le souci du bien
commun s'impose à tous les habitants, même au roi, et « il ne peut y avoir de
neutralité » vis-à-vis de l'ennemi. C'est bien ce que Philippe de Gamaches,
abbé de Saint-Faron de Meaux avant de l'être de Saint-Denis, dira aux Anglais
qui l'avaient fait prisonnier : « repousser la force par la force est chose licite
et... le devoir de combattre pour son pays résulte de la loi naturelle qui est
immuable ». Jeanne d'Arc n'a pas dit autre chose que Philippe de Gamaches
ou bien qu'Alain Charrier.
Ainsi, Jeanne d'Arc « n'a pas créé le sentiment national, car ce sentiment
existait avant elle et en dehors d'elle ». Mais elle l'a exprimé avec la force
particulière que lui avaient procurée ses « Voix ». Mais, surtout, « le miracle
de Jeanne d'Arc, c'est qu'elle a su agir... : Va, fille de Dieu, va, va, lui
ordonnaient ses Voix » (p. 126). « Les principes étaient là», «ce que les clercs rêvaient,
ce que chantaient les poètes, les théories des juristes ». Pourtant, tout cela
resta longtemps dans le domaine des idées. Celle qui les en fit sortir pour les
mettre en œuvre, ce fut Jeanne qui eut l'immense mérite de comprendre que
« sans l'action, l'idée n'était rien » et qui, ne sachant ni A ni B, sut dire après
Alain Charrier que « rien ne suffit de vouloir le salut et la liberté publique
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Paul SPANG, Handschriften und ihre Schreiber — Ein Blick in das Scriptorium
der Abtei Echternach, Luxembourg, éd. Bourg-Bourger, 1967.