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Par une décision du 27 mai 2015 (n°374708), le Conseil d’État juge que le montant minimum
du débet laissé à la charge du comptable en cas de remise gracieuse lorsque le comptable
a commis un manquement ayant causé un préjudice financier doit être appliqué
manquement par manquement et non pour la globalité d’un exercice. La décision n’en est
pas moins intéressante à plusieurs titres, le Conseil d’Etat ayant profité de sa troisième
décision depuis les réformes intervenues pour en préciser le régime et les conditions
d’applications (ODINET Guillaume et DUTHEILLET DE LAMOTHE Louis, Responsabilité
des comptables : le préjudice financier entre en ligne de compte, AJDA, 2015, p. 2142).
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Au visa de l’article 60 de loi du 23 février 1960 fixant le régime de responsabilité personnelle
et pécuniaire des comptables publics, le juge de cassation distingue deux situations. Dans
son deuxième considérant, il rappelle que “le comptable public dont la responsabilité
personnelle et pécuniaire a été mise en jeu à raison d'un manquement ayant causé un
préjudice financier à l'organisme public concerné est susceptible de se voir accorder la
remise gracieuse des sommes mises à sa charge par le juge des comptes” . Dans son
troisième considérant, il ajoute que “le comptable public dont la responsabilité personnelle et
pécuniaire a été mise en jeu alors que le manquement qu'il a commis n'a causé aucun
préjudice financier à l'organisme public concerné peut se voir ordonner par le juge des
comptes le versement d'une somme, insusceptible de faire l'objet d'une remise gracieuse
par le ministre chargé du budget”.
La distinction opérée par le Conseil d’Etat entre manquement n’ayant causé aucun préjudice
financier et manquement ayant causé un préjudice financier en est rendue nécessaire :
l’existence ou l’absence d’un préjudice financier détermine le régime applicable de
responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public. C’est cependant certainement
l’aspect de la réforme qui suscite “le plus de difficultés d’interprétation” (GIRARDI Jean-Luc
et RENOUARD Louis, Évolutions de la responsabilité personnelle et pécuniaire des
comptables publics, AJDA, 2012, p. 536). Il appartient “à la jurisprudence de préciser la
notion de préjudice financier, terme qui n’a pas d’équivalent dans la jurisprudence civile ou
administrative” (MICHAULT Christian et SITBON Patrick, La réforme des conditions de mise
en jeu de la responsabilité des comptables publics, AJDA, 2013, p.681). On aurait
cependant pu imaginer que la notion de préjudice en matière de responsabilité soit
transposée de la jurisprudence administrative. C’est, après tout, en cette matière, le
préjudice qui donne la mesure de la réparation, comme en matière financière lors d’une
mise en débet (THÉBAULT Stéphane, Le pas de plus vers la responsabilité pour faute du
comptable ou comment tout changer en préservant l'essentiel, RFFP, 2013, p. 238)
Pour opérer cette distinction, le juge doit rechercher l’existence d’un préjudice financier et a
été contraint, dans sa jurisprudence, d’en définir une méthode.
Une lecture attentive de la décision fournit quelques précisions sur la manière dont le
préjudice a été apprécié par le juge de cassation, le préjudice devant être imputable au
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manquement du comptable et préjudiciable à l’organisme dont il tient les comptes (Cour des
Comptes, 2014, Centre régional de la propriété forestière d’Aquitaine, n°68465 ; Cour des
Comptes, 2014, Académie de marine, n°69090).
En l’espèce, le Conseil d’Etat a validé le raisonnement de la Cour des comptes qui avait
identifié un préjudice financier causé par les dépenses litigieuses. Il s’agissait du versement
de plusieurs indemnités dépourvues de tout fondement législatif. Le Conseil d’Etat le
confirme, estimant que la Cour des comptes n’a sur ce point commis ni erreur de droit, ni
erreur dans la qualification juridique des faits : “le comptable public qui procède au paiement
d'une indemnité non instituée par un texte législatif ou réglementaire commet un
manquement à ses obligations causant, eu égard au caractère indu de ce paiement, un
préjudice financier à l'organisme public concerné”.
En premier lieu, la circonstance que les indemnités irrégulièrement versées par le comptable
public aient été régularisées postérieurement par décret est sans incidence sur l’irrégularité
de la dépense et le préjudice qu’elle occasionne. L’existence d’un préjudice financier
s’apprécie donc au moment de la dépense, confirmant la jurisprudence de la Cour des
comptes sur ce point (Cour des comptes, 2014, CCAS de Pamproux, n°69806 ; Cour des
comptes, 2015, ENM, n°72448). En soit, cela n’a rien de surprenant, l’acte de régularisation
étant dépourvu de portée rétroactive (Conseil d’Etat, 1948, Société du journal de l’aurore,
n°94511). Il faut cependant noter que la Cour des comptes admet la régularisation dans de
rares situations, notamment lorsqu’elle intervient quasi immédiatement après le paiement de
la dépense (Cour des comptes, 2015, Chambre régionale d’agriculture de Bretagne,
n°72106). Ce constat a conduit la doctrine à considérer que “l’absence de fondement
normatif suffisant des dépenses de personnel aboutit toujours à la constitution en débet”
(GAILLARD Stéphane et PICARD et Jean-Eudes, L’existence d’un préjudice financier
s’apprécie en principe au moment du paiement, AJDA, 2015 p. 1533).
En second lieu, le Conseil d’Etat juge que le ministre ne peut, pour faire écarter l’existence
d’un préjudice financier, se fonder sur le pouvoir hiérarchique qu’il exerce sur les comptables
en cause ni sur le fait que le versement des indemnités litigieuses aurait été imputable à sa
propre décision et versés à des fonctionnaires de son ministère. Aux termes des dispositions
combinées de la loi du 13 juillet 1983 portant statut général des fonctionnaires et du décret
du 17 juillet 1985 relatif à la rémunération des fonctionnaires, il appartient au comptable
public en cas de versement irrégulier d’une indemnité à des fonctionnaires de suspendre le
paiement et d’en informer l’ordonnateur. De plus, les textes ouvrent à l’ordonnateur la
possibilité de requérir par écrit du comptable de payer, et ce sous sa responsabilité. Le
raisonnement ici développé s’agissant d’une dépense est analogue côté recette, il appartient
au comptable de se livrer aux différents contrôles qu’il lui incombe d’assurer et d’accomplir
les diligences requises (Conseil d’Etat, 2015, comptable du service des impôts des
entreprises de Saint-Brieuc Est, n°370430).
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II - La mise en débet du comptable auteur d’un manquement ayant causé un préjudice
financier et le pouvoir de remise gracieuse du ministre chargé du budget
Le Conseil d’Etat rappelle d’abord le principe issu de la loi de finances rectificative de 2011
(précité) : “en dehors des cas de décès du comptable public ou du respect par celui-ci, sous
l'appréciation du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif des dépenses, aucune
remise gracieuse totale n'est possible.” Le législateur a contraint le pouvoir de remise
gracieuse du ministre du budget. En cas de mise en débet, le ministre est contraint de
laisser à la charge du comptable une somme égale à 3 millièmes du montant du
cautionnement pour le poste comptable considéré.
Si la décision du Conseil d’Etat lève une incertitude sur ce point, elle n’est en rien
surprenante. La règle dégagée par le Conseil d’Etat l’avait déjà été s’agissant d’un
manquement n’ayant pas causé de préjudice financier : “le comptable public dont la
responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu alors que le manquement qu'il a
commis n'a causé aucun préjudice financier à l'organisme public concerné peut se voir
ordonner par le juge des comptes le versement d'une somme, insusceptible de faire l'objet
d'une remise gracieuse” ; “toutefois, ce montant ne peut excéder, pour chaque manquement
aux obligations incombant au comptable [...] le plafond prévu par la loi“ (Conseil d’Etat,
2014, Minefi c/ Remont, n°367254).
La mise en débet appartenant au juge des comptes, le Conseil d’Etat a précisé son office en
la matière.
B - Le juge des comptes n’excède pas son office en précisant la part non
rémissible du débet dans sa décision
Le Conseil d’Etat a précisé l’office du juge des comptes au fond : “la Cour des comptes, qui
n'est pas allée au-delà de son office en indiquant dans son arrêt si la somme mise à la
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charge du comptable à raison de chaque manquement ayant causé un préjudice financier à
l'Etat était susceptible de faire l'objet d'une remise gracieuse totale du ministre ou si cette
remise gracieuse était au contraire plafonnée dans les conditions rappelées ci-dessus, n'a
pas commis d'erreur de droit en portant une telle appréciation.”
En l’espèce, la Cour des comptes dans sa décision avait assortie chaque mise en débet
d’une précision ainsi libellée : “En application du paragraphe IX alinéa 2 de l’article 60
modifié de la loi du 23 février 1963, le comptable public dont la responsabilité personnelle et
pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au troisième alinéa du paragraphe VI
peut obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse de la somme mise à sa
charge ; hormis le cas de décès du comptable ou de respect par celui-ci des règles du
contrôle sélectif des dépenses, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée au
comptable. Pour le présent débet, la somme laissée à la charge du comptable,
conformément à la loi précitée, sera au moins égale au double de la somme mentionnée au
deuxième alinéa du paragraphe VI, soit trois millièmes du montant du cautionnement prévu
pour le poste comptable considéré” (Cour des comptes, 2013, TPG des Bouches-du-Rhône,
n°67904).
Cette décision aboutit à renforcer l’office du juge sur le contrôle des comptables publics et
confirme le mouvement de contrainte du pouvoir de remise gracieuse, remise qui ne peut
désormais en principe n’être que partielle, impulsé par le législateur en 2011 (loi de finances
n°63-156 du 23 février 1963, modifiée par la loi n°2011-1978 du 28 décembre 2011).
On peut se féliciter de ce que la remise gracieuse de débet ne soit plus, ainsi que le
confirme cette décision, un simple instrument de gestion d’un réseau de comptables
(SEGUIN Philippe, rentrée solennelle de la Cour des comptes du 23 janvier 2006)
anéantissant le contrôle du juge financier en le privant d’effectivité et déresponsabilisant les
comptables publics (GIRARDI Jean-Luc, RENOUARD Louis, Évolutions de la responsabilité
personnelle et pécuniaire des comptables publics, AJDA, 2012, p. 536).