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Socio-anthropologie

4 | 1998
Le politique

Présentation : la nation, « Les phénomènes


morphologiques » de Marcel Mauss

Marcel Fournier

Éditeur
Publications de la Sorbonne

Édition électronique Édition imprimée


URL : http://socio- Date de publication : 15 novembre 1998
anthropologie.revues.org/126 ISSN : 1276-8707
ISSN : 1773-018X

Référence électronique
Marcel Fournier, « Présentation : la nation, « Les phénomènes morphologiques » de Marcel Mauss »,
Socio-anthropologie [En ligne], 4 | 1998, mis en ligne le 15 janvier 2003, consulté le 30 septembre 2016.
URL : http://socio-anthropologie.revues.org/126

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Présentation : la nation, « Les phénomènes morphologiques » de Marcel Mauss 1

Présentation : la nation, « Les


phénomènes morphologiques » de
Marcel Mauss
Marcel Fournier

1 Dans son « Avertissement » au texte de Marcel Mauss sur « La nation », Henri Lévy-Bruhl
écrivait : « Parmi les familiers de Marcel Mauss il n’en est pas un à qui il n’ait confié, au
cours de ses conversations (...) qu’il préparait un ouvrage sur la Nation1.» Le seul extrait
de cet ouvrage inachevé de Mauss qui soit connu est celui que Lévy-Bruhl a publié en 1956
dans L'Année sociologique, troisième série. Le projet était ambitieux : d’après les fragments
qui en restent (plusieurs centaines de pages), l’ouvrage eût été, selon Henri Lévy-Bruhl,
« monumental2 ». « Ce monument, hélas, ne sera jamais édifié, ajoutait-il, et les quelques
débris que nous avons cru devoir sauver de l’oubli ne sauraient donner une idée exacte de
l’oeuvre projetée3. »
2 Le texte intitulé « Les phénomènes morphologiques » – un titre on ne peut plus
durkheimien – est l’un de ces débris ou fragments : dactylographié à double interligne et
paginé de la page 29 à la page 504 ce texte constitue, si l’on tient compte de la pagination,
la suite du texte de Mauss sur « La nation ». Ces pages sont consacrées à l’étude des
moyens de communication, anciens et nouveaux. Hier comme aujourd'hui, les contacts
entre les sociétés sont fréquents et divers, et les emprunts, nombreux. Communication
certes, mais aussi interdépendance.
3 Pourquoi publier ce chapitre inédit de l’ouvrage sur la nation ? Ce texte de Mauss nous
inspire les mêmes réserves que celles qu’exprimait Henri Lévy-Bruhl devant l’extrait de
« La Nation » qu’il publia en 1956 : il s’agit manifestement d’une première ébauche 5. Si
nous choisissons de le publier, c’est que nous estimons qu’en dépit de certaines
obscurités, il permet de nous faire une idée un peu plus claire de l’ouvrage que Mauss
projetait d'écrire.
4 Nous avons découvert le texte de Mauss sur les « phénomènes morphologiques » lorsque,
menant notre recherche sur Marcel Mauss6, nous avons eu accès au Fonds Hubert-Mauss

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des archives du Collège de France. Ce texte fait partie d’un ensemble de textes qui sont
probablement divers chapitres de l’ouvrage de Mauss. Ces textes (manuscrits et
dactylographiés) portent tantôt sur la nation tantôt sur le socialisme et la nationalisation.
D’un côté, étude du problème de la nationalité, de l’autre, réflexion sur le socialisme (et
sur les nouvelles formes de socialisme). Selon une note manuscrite, le titre de I’ouvrage
aurait pu être « La Nation et le sens du social. Le socialisme ». L’intention de Mauss était
de traiter conjointement des deux grands mouvements qui traversent les sociétés
contemporaines : le nationalisme et le socialisme. « Notre ouvrage est avant tout, précise-
t-il, de politique et il s’agit de décrire la situation présente des nations, et d’en déduire
quelques préceptes pratiques assez rares. » Une tâche d’autant plus difficile que Mauss
n’avait pas encore le « recul nécessaire » et qu’il ne disposait pas de toutes les données.
« Je me risque », disait-il, tout en espérant qu’« un espace court de temps infirmera ou
confirmera (ses) observations ».
5 Selon Henri Lévy-Bruhl, c’est probablement au cours de l'année 1919-1920 que Marcel
Mauss (1872-1950) entreprend la rédaction de son « magnus opus » sur la nation. Il
revient alors du front. Mais il y pensait depuis quelques temps. Engagé volontaire
pendant toute la durée de la guerre, le sociologue-soldat profita de ses loisirs et des
longues heures de solitude pour entreprendre la rédaction d’un ouvrage qu’il intitulait
« De la politique », et dont le plan rapidement esquissé, doit comprendre les parties
suivantes : 1) la civilisation (extension de commerce, technologie, religion, langue, etc.) ;
2) les phénomènes morphologiques (migrations, colonies, voies de communications) et les
phénomènes de société (guerres, colonisations)7. Tout porte à croire qu’il pensait déjà à
son ouvrage sur la nation.
6 Au lendemain de la guerre, Mauss retrouve son poste à l’Ecole pratique des hautes études
(section des Sciences religieuses) puis il reprend ses contacts avec ses amis du Parti
socialiste, mais, un peu dépaysé, il évite de s'impliquer directement dans les débats
politiques. Son abstention politique est de courte durée : le « vieux militant » – il a 46 ans
– ne peut rester indifférent face aux questions économiques et politiques qui se posent : la
paix, le bolchevisme, la crise.
7 Dès l’été 1920, Mauss reprend ses activités de journaliste et publie régulièrement dans La
Vie socialiste et dans Le Populaire, des textes sur la coopération, les « nouvelles formes » de
socialisme, la situation politique internationale et sur la question de l’heure, l’adhésion à
la IIIe internationale. Ses « Observations sur la violence », une série de cinq longs articles,
paraissent dans La Vie socialiste. Mauss caresse alors le projet d'écrire un petit livre sur le
bolchevisme. L’ouvrage demeure inachevé. Seules deux parties sont publiées :
« Appréciation sociologique du bolchevisme » en 1924 dans la Revue de métaphysique et de
morale et l’année suivante, « Socialisme et bolchevisme » dans la Revue slave.
8 Mauss présente à l'automne 1920 une communication sur le « problème de la nationalité 8
» devant un auditoire de philosophes lors du Congrès de philosophie à Oxford. Ce texte
relativement court sera le seul qu’il publiera sur ce thème. Il comporte deux parties :
définition de la nation, puis étude d’une attitude idéale, 1’internationalisme (qu’il
distingue du cosmopolitisme). On sait, par une lettre qu’il a écrit à son ami Henri Hubert
(1872-1927), que l’été auparavant, Mauss, retiré à Epinal, travaillait, tous les matins, à son
ouvrage sur « La nation » : « Le IVe Livre sur le Socialisme est écrit », lui disait-il avec
fierté9.
9 De l’étude à peine esquissée de « La politique » à celle, plus élaborée sur « La nation et le
sens du social », le titre change, mais le projet est toujours le même : il s’agit, pour Mauss,

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d’analyser l'ensemble de la réalité économique et politique contemporaine, c’est-à-dire


tout à la fois : 1) les « faits économiques proprement dits » (industries d'Etat, organisation
nationale des capitalistes, trusts, cartels, etc.), 2) le « mouvement politique et économique
venant d’en haut » (législation pour réduire l'anarchie capitaliste, contrôle des trusts,
protection des travailleurs) et enfin 3) le « mouvement politico-économique venant d’en
bas » (coopératives, syndicats, mutuelles, partis populaires, pressions de l’opinion
publique)10. Parmi les divers fragments de « La nation » se trouve un texte dactylographié
d'une centaine de pages intitulé « Les faits » et présenté comme le chapitre III de
l’ouvrage. Ce texte de Mauss ne comprend que deux parties, l’une sur les « faits
économiques » et l’autre sur « le mouvement économique d'en bas ». A ces divers
fragments s’ajoute un texte consacré aux « Idées socialistes. Le principe de la
nationalisation11 ».
10 Ces quelques fragments donnent une idée un peu plus précise de l’ouvrage de Mauss sur
la nation. Le seul fragment que l’on connaissait jusqu'à l’ouverture du Fonds Hubert-
Mauss est celui que publie Henri Lévy-Bruhl en 1956, quelques années après la mort de
Mauss. On connait la définition que Mauss donne, dans ce texte, de la nation : « Nous
entendons par nation une société matériellement et moralement intégrée, à pouvoir
central stable, permanent, à frontières déterminées, à relative unité morale, mentale et
culturelle des habitants qui adhèrent consciemment à l’Etat et à ses lois12. » C'est en
« ancien combattant » que Mauss aborde la question de la « guerre et de la paix entre les
nations », l’horreur de la guerre est à la base de son pacifisme. « Plus jamais çà », s’écrie-
t-il avec tous ceux qui, pendant des mois et des années, ont connu les pires atrocités. Il
espère, sans trop se faire d’illusion, un peu plus de civilisation.
11 Pendant ses rares moments de loisirs, et probablement jusqu’au milieu des années 1930,
Mauss poursuit la rédaction de son ouvrage sur la nation. Lorsqu’en 1929, Mauss expose
ses travaux pour sa candidature au Collège de France, il fait explicitement référence à ses
« incursions écrites dans le domaine du normatif », indiquant qu’« elles se rattachent
presque toutes à un grand ouvrage sur “La Nation” (élément d’une politique moderne) à
peu près complet en manuscrit ». Et il ajoute : « Cet ouvrage ne sera même pas publié
dans la collection des Travaux de L'Année sociologique, tant je veux distinguer la sociologie
pure, même d'une théorie absolument désintéressée13. »
12 « Ouvrage à peu près complet » ? « La Nation » reste en plan. Comment expliquer que
Mauss n'ait pas terminé son grand projet ? Il y a divers facteurs personnels et
conjoncturels. D’abord, une « grave maladie » qui l’immobilise au début des années 1920,
au moment même où, son plan en mains, il entreprend la rédaction de son ouvrage.
Ensuite, les nombreuses obligations professionnelles qui ne lui permettent pas de
consacrer beaucoup de temps à la réalisation d’une grande étude sur une question aussi
éloignée de ses préoccupations scientifiques : enseignement à l’Ecole pratique et au
Collège de France, création de l’Institut d’ethnologie de Paris (1925), fondation de
l’Institut français de sociologie et relance de L’Année sociologique, deuxième série
(1925-1927). Pour l’« héritier » de Durkheim, la succession est lourde. Enfin, une façon de
travailler qui ne le prédispose guère à mener à terme de grands projets d’écriture : une
thèse sur la prière laissée en plan et un petit livre sur le bolchevisme, inachevé.
13 A eux seuls, ces divers facteurs n'expliquent pas l’« échec » de Mauss. Il faut aussi tenir
compte de la conjoncture politique et intellectuelle des années 1930 : révolte contre
l’ordre des choses existant, critique du libéralisme et recherche d’une troisième voie

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entre capitalisme et communisme, proposition d’une économie organisée, concertée ou


dirigée, exaltation de la communauté. C’est, dira-t-on, l’« esprit des années 1930 ».
14 Les thèmes de la Nation, de la Paix, de l’Europe et du Socialisme, qui sont au coeur de
l’analyse de Mauss, se retrouvent chez ceux qui veulent alors renouveler la doctrine
socialiste et qui, comme Marcel Déat, cherchent alors à concilier nationalisme, socialisme
et pacifisme. Pourtant si Mauss est attentif à la démarche du leader du nouveau Parti
socialiste de France, il ne le suit pas : pas plus qu’il n'est convaincu de la thèse de la
« montée des classes moyennes », il refuse la formule « Ordre, autorité, nation », chère
aux néo-socialistes.
15 N’eussent été ses origines et sa fidélité à Jaurès, que serait devenu Mauss ? L’éclatement
du Parti socialiste en 1933 et l’échec de Marcel Déat et des néo-socialistes le démoralisent
et l’éloignent de l'action politique partisane. Mauss observe, en spectateur impuissant et
inquiet, l’évolution générale de l’Europe entre bolchevisme et fascisme. C’est un « retour
au primitif », dit-il, qui ne saurait finir qu’en tragédie. Dans un tel contexte, penser la
nation devient difficile, impossible. Pour le sociologue et aussi le militant socialiste,
« l’une des douleurs (...) de sa vie », c’est, à la fin des années 1930, « d’assister, au nom du
primat de l’Etat, aux pires crimes et à la régression des sociétés elles-mêmes, et, même,
dans quelques cas, à leur disparition14 ».

NOTES
1. H. Lévy-Bruhl, « Avertissement » in M. Mauss, La nation, Oeuvres, t. 3, Paris, Editions de
Minuit, 1969, p. 571.
2. Ibid., p. 572.
3. Ibid.
4. Il existe aussi une version manuscrite de ce texte.
5. Nos interventions dans le texte figurent toutes entre crochets : [ill] indique un mot (ou
rarement un passage) illisible ; [mot?] un mot incertain ; [...] une coupure (il y en a peu).
6. M. Fournier, Marcel Mauss, Paris, Fayard, 1994.
7. M. Mauss, « De la politique », s.d. 26 p. (Fonds Hubert-Mauss, archives du Collège de
France). Non daté, le manuscrit est illisible du fait de l’écriture de l’auteur et du mauvais
état de sa conservation.
8. M. Mauss, « The Problem of Nationality » (1920), in Proceedings of the Aristotelian
Society, in M. Mauss, Oeuvres, t. 3, Paris, Editions de Minuit, 1969, p.626-634.
9. « Le IVe Livre sur le Socialisme est écrit : Ch. I Définition du Socialisme. Histoire.
Définition de la nationalité (écrit). Ch. II Les formes du socialisme. Histoire et critique du
socialisme utopique, pamphlétaire, d’Etat, ouvrier, révolutionnaire (écrit). Ch. III
Difficulté de l’action sur la société (écrit mais pas trop long, 140 p. envoyé à LB [Lévy-
Bruhl]. Ch. IV Théorie de la nationalisation (écrit en partie, arrêté en attendant le livre de
Webb). Ch. V Le Socialisme des institutions (écrit en partie).Ch. VI Conception des
prochains changements sociaux (à écrire). » (Lettre de Marcel Mauss à Henri Hubert, 29
septembre 1920, Fonds Hubert-Mauss, archives du Collège de France).

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10. Marcel Mauss, « Les faits », texte dactylographié, s.d., p. 1-2, Fonds Hubert-Mauss,
archives du Collège de France. Il s’agit du troisième chapitre de l’ouvrage de Mauss sur
« La nation ».
11. Nous avons publié ce chapitre inédit de « La nation » dans Marcel Mauss, Ecrits
politiques, Paris, Fayard, 1997, p. 249-266.
12. M. Mauss, « La nation » (1920 ?), in Marcel Mauss, Oeuvres, t. 3, op. cit., p.584.
13. M. Mauss, « L’oeuvre de Mauss par lui-même » [1930], Revue française de sociologie,
janvier-mars 1979, vol XX, n°1, p 220.
14. Lettre de Marcel Mauss à « Monsieur le Président », 18 juillet 1939 in Marcel Fournier,
Marcel Mauss, op. cit., p. 690.

AUTEUR
MARCEL FOURNIER
Université de Montréal

Socio-anthropologie, 4 | 2003

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