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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

Masarykova univerzita

Filozofická fakulta

Akademický rok 2005/2006

Diplomová práce z francouzského jazyka :

Les locutions figées et les expressions figurées


dans les farces médiévales françaises

Jana Slezáková

Vedoucí práce : Mgr. Bohdana Librová, PhD.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

Tous mes remerciements vont à la directrice de mon mémoire Bohdana Librová. Elle m’a
beaucoup aidée et fourni des explications nécessaires pour écrire ce travail : les sources dans
lesquelles je pouvais puiser en me procurant des indications
bibliographiques. Sans elle je n’aurais pas pu écrire ce mémoire.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

Table des matières

Table des matières 4


Introduction 6
1. Définition de la locution 8
1.1 Terminologie 8
1.2 Caractéristiques générales de la locution 10
1.2.1 Figement 10
1.2.2 Défigement 12
1.2.3 Origine du figement 14
1.3 Métaphore 14
1.4 Classement 16
1.4.1 Locutions nominales/Noms composés 16
1.4.2 Locutions adjectivales 17
1.4.3 Locutions adverbiales 17
1.4.4 Locutions verbales 17
1.4.5 Locutions-phrases 20
2. Place des farces dans le théâtre médiéval 20
3. Aperçu critique des études antérieures 23
4. Méthodologie et constitution du corpus 27
5. Relevé des locutions 30
5.1 Le Retrait 30
5.2 Le Gentilhomme et Naudet 39
5.3 Le Cuvier 45
5.4 Le Chaudronnier 47
5.5 Le Meunier de qui le diable emporte l’âme en enfer 51
5.6 L’obstination des femmes 59
5.7 Le Frère Guillebert 60
5.8 Lucas, sergent boiteux et borgne, et Le Bon Payeur 69
5.9 Le Galant qui a fait le coup 74
6. Emploi stylistique des locutions 76
6.1 Utilisation des locutions en contexte 77
6.2 Comique langagier des farces 79

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6.2.1 Défigement comique 79


6.2.2 Expressions « candidates » au figement et jeux de mots 81
6.2.3 Figures rhétoriques comiques 85
6.2.4 Combinaisons des expressions 86
6.3 Degré de figement des locutions 88
6.3.1 Changement de déterminant 88
6.3.2 Modification qualitative ou quantitative de substantif 89
6.3.3 Changement de préposition et autres changements 91
6.4 Répertoire thématique des locutions 91
6.4.1 Amour 92
6.4.2 Sacré/diabolique 94
6.4.3 Valeur nulle ou minime 95
6.4.4 Raclée 96
6.4.5 Tromperie 96
6.4.6 Bêtise 97
Conclusion 98
Liste des abréviations utilisées dans le texte 100
Bibliographie 101

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

Introduction

« Je ne suis pas d’accord avec ton comportement, j’ai fait le pied de grue pendant
deux heures. Ça doit changer vaille que vaille. Tu es un cas à part. Jusqu’à maintenant, je
supportais tout, mais je ne peux pas te faire raison, et de plus maintenant, que tu m’as posé un
lapin, fais ton paquet. Tu peux aller de porte en porte, si tu veux, tu ne m’intéresses plus. »
Ces expressions s’utilisent quotidiennement. Mais comment ces ensembles sont-ils venus
dans la langue moderne ? Sont-ils vieux ou récents ? Mais tout d’abord, que sont-ils ?
Nous savons tous que « parmi les éléments de la langue qu’il faut acquérir pour
s’exprimer figurent non seulement les mots, mais aussi des groupes de mots plus ou moins
imprévisibles, dans leur forme parfois, et toujours dans leur valeur. »1 Comme les unités
lexicales simples, il faut les mémoriser, les apprendre et savoir les utiliser. Les suites
semblables, dont le sens compositionnel ne donne pas le sens de l’ensemble, s’appellent des
locutions. Quoi que nous les utilisions quotidiennement, nous ne nous posons pas de
questions sur leurs origines ou encore moins sur leur définition. En préambule indispensable à
ce travail sur les locutions figées et expressions figurées, nous allons aborder le sujet de la
définition dans la première partie de notre exposé.
« Les locutions naissent et vivent en marge de la langue normale. »2 Elles représentent
un outil pour saisir la réalité : la nature, l’homme, sa vie, ses mœurs, ses institutions, et aussi
ses façons de sentir, de concevoir le monde. C’est donc un héritage social et culturel, mais un
héritage linguistique également, car beaucoup d’expressions se sont figées à partir du moment
où les choses qu’elles désignent ont disparu et ont cessé d’être connues. Ainsi non seulement
la vie mais la langue elle-même déposent dans le langage des formes mortes et qui ont cessé
d’être comprises : les unes appartiennent au lexique, les autres à la grammaire.3
Il se fait ainsi que les expressions ont leur histoire, leurs origines et il est très
intéressant de les suivre. Par exemple, les locutions que j’ai mentionnées au début de cette
introduction existaient déjà en moyen français, c’est-à-dire le français du XIVe au
XVIe siècles. Les deux premiers siècles (XIVe au XVe) ont été marqués par de grands
changements de société, la guerre de Cent ans, des émeutes sociales ; et le dernier siècle
(XVIe) par la renaissance, la réforme et des guerres de religion. « La période du moyen
français n’est pas une simple période de transition entre l’ancien français et le français

1
Rey, A. : Préface du Dictionnaire des expressions et locutions. P. V.
2
Guiraud, P. : Les locutions françaises. P. 11.
3
Ibid.

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moderne. Du point de vue de la typologie de la langue, on pourrait l’appeler la première


période du français moderne. »1 Frankwalt Möhren qualifie le moyen français comme une
phase préparatoire du français moderne. Nous avons dit que le monde se reflétait dans le
langage et celui-ci a été saisi dans les livres. Nous pouvons observer ces traces dans les farces,
représentant un genre littéraire que le langage parlé a pénétré comme un des premiers. Elles
ont ainsi interrompu l’hermétique de la poétique médiévale, en introduisant des éléments de
la vie ordinaire. André Tissier, éditeur critique des farces médiévales, souligne l’importance
des farces, et leur apport dans le français moderne. Selon lui, c’est un genre unique du théâtre
médiéval qui a survécu jusqu’à nos jours, car il utilise un langage vif et imagé, figuré, maintes
expressions de la vie courante qui se sont conservées et que nous utilisons sans le savoir. Les
jeux de mots des auteurs de farce consistent souvent en oscillation entre l’utilisation d’une
locution au sens propre ou au sens compositionnel des mots ; ou encore, en création de suites
de mots que l’écrivain essaie, via ses personnages, de faire passer pour des locutions figées.
Des expressions semblables ne figurent pas dans les dictionnaires des locutions de moyen
français de Di Stefano ou de Bidler, mais où est la frontière entre une expression figurée figée
et inventive ? Elle n’est nullement garantie, en effet, et les lexicographes ont été souvent
obligés de recourir à leur propre jugement.
Sans tenir compte des œuvres lexicographiques, et de quelques études ciblées, il
n’existe aucun exposé portant uniquement sur les locutions dans les farces médiévales et leur
emploi stylistique dans les contextes précis. Nous allons donc concentrer notre travail sur ce
sujet : les locutions figées, les expressions figurées figées et inventives dans les farces
médiévales et leur « comportement » dans le texte et contexte. Pour finir, en réponse au souci
étymologique des francophones modernes qui se demandent d’où vient telle ou telle locution,
nous remonterons la trace de certaines expressions figurées employées de nos jours.

1
Möhren, F. : Bilan sur les travaux lexicologiques en moyen français avec un développement sur la définition.
P. 195.

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1. Définition de la locution

Le nombre d’ouvrages qui traitent ce sujet, le nombre de dictionnaires de locution


(généraux ou spécialisés) et les maintes conférences sur ce sujet témoignent de l’ampleur de
cette problématique, qui est très difficile à cerner. La même question fondamentale revient de
façon récurrente. Qu’est-ce qu’une locution figée ? Qu’est-ce qui n’est plus une locution
figée ? En 1984, Jacqueline Picoche lors d’une conférence au sujet de la locution en moyen
français a énoncé toute une vérité : « la notion de syntagme figé est susceptible de degrés ;
certains syntagmes figés peuvent admettre le sens usuel et plénier des mots qui les
composent ; les modifications sémantiques dues à la subduction ou à la spécialisation
référentielle peuvent être compatibles avec une certaine liberté syntaxique. »1 En effet, ses
critères sémantiques et syntaxiques s’enchevêtrent plutôt qu’ils ne coïncident exactement.
Nous allons tout de même établir quelques critères pour décider s’il s’agit d’une locution
figée ou pas, tout en tenant compte du fait qu’une locution est « un produit libre de la
créativité du langage »2. Il en découle les cas marginaux, se trouvant à la frontière entre une
locution et une suite compositionnelle normale des mots dont nous allons exposer les cas
précis dans la sixième partie de ce travail.

1.1 Terminologie

Un grand flottement terminologique produit nécessairement une confusion. Essayons


donc dans cette première partie d’éclaircir la terminologie utilisée.
Qu’est-ce qu’une locution et une expression ? Il n’est point facile de définir ces deux
termes, mais c’est absolument nécessaire. Les termes expression et locution sont souvent
considérés comme des synonymes, car la différence entre les deux est, en effet, très subtile.
Alain Rey nous fournit une explication éloquente de la locution : « La locution est une unité
fonctionnelle plus longue que le mot graphique, appartenant au code de la langue en tant que
forme stable et soumise aux règles syntaxiques de manière à assumer la fonction
d’intégrant. »3 On pourrait recopier la même phrase complexe pour définir l’expression, mais
une légère distinction apparaît lorsqu’on met l’accent sur la genèse de chaque terme :

1
Picoche, J. : La locution figée comme révélateur du signifié de puissance des polysèmes. P. 117.
2
Rey, A. : Les implications théoriques d’un dictionnaire phraséologique. P. 119.
3
La locution est donc une suite figée et inséparable de plus d’un mot qui fonctionne comme une unité syntaxique
intégrante (Rey, A. : Préface du Dictionnaire des expressions et locutions. P. VI.).

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

• La locution (du latin locutio, de loqui : « parler ») signifie exactement « manière de


parler », façon de former le discours, manière d’organiser les éléments disponibles de
la langue pour produire une forme fonctionnelle. Selon Alain Rey, c’est pour cela
qu’on peut parler de locutions adverbiales ou prépositives, alors que ces mots
grammaticaux complexes ne seraient jamais appelés des expressions.
• L’expression est la même réalité considérée comme une « manière d’exprimer
quelque chose » ; elle implique une rhétorique et une stylistique ; elle suppose le plus
souvent le recours à une figure : métaphore, métonymie, etc. Quand bien même la
divergence entre tous ces éléments notés ne serait ni franche ni nette, nous ne les
considérerons pas dans notre travail comme synonymes et nous allons
systématiquement distinguer locution figée (sans figure rhétorique) et expression
figurée (avec une métaphore) qui peut être soit figée ou novatrice et inventive selon
son degré de figement. Leurs caractéristiques approfondies seront traitées dans le
chapitre suivant. Leur trait principal repose sur l’antagonisme existant entre unités
lexicales simples (la table, l’amour, la terre, etc.) et unités lexicales composées
(faire le pied de grue, faire son paquet, etc.). Certes, la locution figée peut également
contenir une métaphore, mais nous allons utiliser ce terme dans son acception
restreinte pour éviter toute confusion chez le lecteur.
Elucidons, pour la clarté de notre exposé, quelques termes de plus, liés à notre
problématique. Sont appelés « gallicismes » ou « idiotismes » les termes qui ne peuvent pas
être traduits mot à mot dans une langue étrangère et dont l’emploi est significatif plutôt dans
des comparaisons multilingues. Aussi, nous écartons des clichés stylistiques, des citations, ou
lieux communs, qui ne sont généralement pas considérés comme des locutions, mais
employés en commun, ils peuvent acquérir une valeur aphoristique ou proverbiale.
Dans les dictionnaires de locutions, les auteurs ne peuvent pas saisir des tours et des
tournures, c’est-à-dire une façon d’assembler les signes du lexique typique pour un certain
usage, par exemple pour un discours littéraire. En revanche, nous allons citer ces structures,
typiques pour les farces, dans la dernière partie de notre travail, traitant de la stylistique des
farces et de l’utilisation stylistique des locutions figées et des expressions figurées.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

1.2 Caractéristiques générales de la locution

1.2.1 Figement

O. Jespersen dans son ouvrage Philosophy of Grammar1 parle de deux principes


opposés dans les langues: la liberté combinatoire et le figement qui caractérisent la langue.
Ces deux tendances sont opposées mais nécessairement complémentaires dans une langue
vivante. « Une locution est un syntagme figé, situé au-delà du mot et en-deçà de la phrase
figée. »2 Le terme et le critère essentiel pour toute notre étude représente le figement. Il est
donc indispensable de le définir soigneusement et précisement : « Une séquence est figée du
point de vue syntaxique quand elle refuse toutes les possibilités combinatoires ou
transformationnelles qui caractérisent habituellement une suite de ce type. Elle est figée
sémantiquement quand le sens est opaque ou non compositionnel, c'est-à-dire quand il ne
peut pas être déduit du sens des éléments composants. Le figement peut être déduit du sens
des éléments composants. Le figement peut être partiel si la contrainte3 qui pèse sur une
séquence donnée n'est pas absolue, s'il existe des degrés de liberté. »4 Le figement est formé
d’après Gaston Gross par trois critères: 1) opacité ; 2) manque des propriétés
transformationnelles (on ne peut pas transformer une phrase affirmative en question, etc.) ;
3) non-actualisation des éléments qui ne peuvent pas être actualisés individuellement, et on ne
peut pas insérer entre eux d'autres éléments. Robert Martin dans son étude Sur les facteurs du
figement lexical à peu près des mêmes critères, sauf que leurs appellations sont légèrement
modifiées : 1) non-compositionalité ; 2) saturation intentionnelle ; 3) restrictions
sélectionnelles.
Le premier critère du figement est donc l’opacité sémantique. « Une séquence
donnée est dite opaque quand, à partir des sens des éléments composants, on ne peut pas
reconstituer le sens de l'ensemble. »5 Le sens compositionnel s’oppose donc au sens opaque
de la phrase. Or, il y a certaines expressions où le premier sens, le sens compositionnel entre
en jeu, et donc il peut donner naissance par exemple à des jeux de mots (voir ci-dessous). Il
est donc tout-à-fait possible de comprendre une certaine locution seulement à partir des mots
qui la composent. D’après Martin, la locution se compose de deux mécanismes principaux :
1
1924, trad. en fr. 1971.
2
Martin, R. : Sur les facteurs du figement lexical. P. 291.
3
« Une contrainte est une restriction portant sur la liberté combinatoire potentielle d'une structure donnée
(contrainte syntaxique) et sur la calculabilité du sens (restriction sémantique). » (Gross, p. 154)
4
Gross, G. : Les expressions figées en français, noms composés et autres locutions. P. 154.
5
Ibid. P. 155.

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l’enrichissement sémantique et la démotivation étymologique, ainsi une séquence de mots


peut signifier plus que l’addition simple de ses parties.
Le deuxième critère s’appelle le blocage des propriétés transformationnelles. Ainsi
les éléments de la phrase ne peuvent pas être librement transformés et leur valeur est
intentionnelle et non référentielle. Les exemples des transformations servant à déterminer le
degré de figement des locutions verbe-complément sont : passivation, pronominalisation,
détachement, extraction, relativation. Voyons encore quelques exemples valables pour les
suites nominales : nominalisation, adjonction d’adverbes intensifs, prédicativité. Plus une
suite de mots est figée ou difficile à transformer, plus il y a de chance qu’il s’agisse d’une
locution. Cette analyse n’est pas indispensable pour les suites dont l’opacité sémantique reste
évidente. Il faut également comme autre critère bloquer des paradigmes synonymiques, car on
ne peut pas remplacer un élément d’une locution figée par un synonyme. Il est aussi
impossible d’insérer un adjectif ou une relative entre les éléments figés, ni des adverbes
d’intensité devant les adjectifs, ni des incises, etc. Mais il y a des degrés de figement
syntaxique, il est possible parfois de modifier l’article, par exemple dans boire la tasse,
« avaler involontairement de l’eau en nageant » (Rey).
Le troisième critère pour décider, s’il s’agit d’une locution figée, est la non-
actualisation des éléments. En généralisant, nous pourrions appeler locution tout groupe
dont les éléments lexicaux constitutifs ne peuvent être actualisés individuellement. De plus,
toute substitution de leurs éléments est impossible. Mais le figement n’est pas toujours aussi
contraignant, car plus on se rapproche des marges locutionnelles, plus le degré de liberté
augmente. Rajoutons que l’étendue combinatoire des vocables est limitée, car certaines
n’exitent pas en dehors de la séquence figée, et seul un nombre restreint d’éléments peut
figurer dans une locution.
Il en résulte qu’une locution est « un syntagme (nominal, verbal, adjectival,
adverbial) dont les éléments composants ne sont pas actualisés individuellement et qui forme
un concept autonome, que le sens global soit figé ou non. »1 Une locution n’est pas une
catégorie primaire, mais elle se sert de catégories primaires qui, dépourvues d’actualisation, se
combinent pour former des unités polylexicales qui ont le même statut syntaxique que les
catégories simples.
Robert Martin nous prévient de la complexité de la problématique. En effet, tous ces
facteurs dégagés se combinent de façon extrêmement variable, et donc, « entre la locution

1
Gross, G. : Les expressions figées en français, noms composés et autres locutions. P. 154.

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prototypique, qui réunit en elle, au plus haut point, l’ensemble des facteurs qui ont été isolés
et les franges les plus éloignées où un seul des facteurs manifeste et de la manières la plus
ténue, il y a place pour une gamme infinie de degrés intermédiaires et tout particulièrement
pour le modèle locutionnel, plus ou moins productif. »1. Nous allons nous rendre compte de la
même chose dans notre travail, car il n’est point facile d’évaluer le degré de figement d’une
locution ; il va donc falloir se servir dans plusieurs cas particuliers de l’intuition et du
jugement personnel.
La situation la plus simple est celle où l’ensemble de la séquence est figée. C’est le cas
d’un proverbe (Une fortune ne vient jamais seule), d’une suite verbale (vaille que vaille),
d’une suite adjectivale (léger du cerveau), adverbiale (à foison) ou encore d’une locution
prépositive (du point de vue) ou conjonctive (quand bien même), ou des mots composés (trou
sainct Patris), dont nous ne parlerons pas dans notre travail. Dans une chaîne donnée, une
partie seulement de l’ensemble peut faire l’objet d’un figement, tandis que le reste relève
d’une combinatoire libre (voir ci-dessous). On trouve souvent, dans une position donnée, une
possibilité de paradigme. Les variantes sont plus fréquentes que le figement total. Par
exemple, en moyen français tout un paradigme restreint d’objets pour exprimer la valeur
minimale était utilisé : ne... un pet, un oignon, un écu, un grain, une pomme.

1.2.2 Défigement

Pour mieux comprendre le phénomène de défigement, rappelons-nous le


fonctionnement des phrases libres : « Les constructions libres sont caractérisées par
l’existence de paradigmes permettant des substitutions définies par les contraintes
d’arguments et par des modifications et des restructurations qui dépendent de la nature
sémantique et syntaxique de la relation existant entre le prédicat et ses arguments. On peut
ainsi calculer le nombre de variations potentielles pour une construction donnée. Toute
transgression à ces possibilités est considérée comme une faute, comme par exemple une
construction avec un verbe instransitif. Le seul jeu possible consiste à introduire dans un
domaine d’arguments, caractéristique d’un prédicat donné, un substantif qui ne fait pas
partie de la classe sémantique en question. La littérature use de cette possibilité de façon
constante dans le cadre de la métaphore. »2

1
Martin, R. : Sur les facteurs du figement lexical. P. 303.
2
Gross, G. : Les expressions figées en français, noms composés et autres locutions. P. 20.

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En comparaison avec les constructions libres, caractérisées par la possibilité de


surprendre le lecteur par une métaphore, les séquences contraintes n’offrent pas cette
alternative. Or, nous avons déjà mentionné ci-dessus qu’il est tout à fait possible que le
premier sens d’une expression entre en jeu en même temps que son sens opaque. Jacqueline
Authier-Revuz dans son Méta-énonciation et (dé)figement distingue trois types de réactions
méta-énonciatives après une énonciation d'une locution figée : 1) L'énonciateur requiert
explicitement l'un des deux sens ; 2) l’énonciateur ressent son dire comme troublé par le
deuxième sens, soit le premier, soit l’opaque ; 3) l’énonciateur accueille tous les deux sens. Le
figement peut donc être mis en évidence grâce à l’effet provoqué par le jeu du défigement, qui
consiste à supprimer la contrainte qui caractérise les suites figées. Le défigement consiste à
ouvrir des paradigmes là où, par définition, il n’y en a pas. Cet effet attire donc l’attention du
lecteur et l’effet de surprise attendu met en évidence le phénomène du figement.
Le mot ou une expression loin de la réalité ne fait souvent qu’y tomber. Le
mouvement étymologique naturel est alors renversé, ce ne sont plus l’homme et la vie qui
créent le langage, mais la langue qui crée des personnages et des événements imaginaires. La
littérature abonde en créations de ce type, en premier lieu la littérature populaire ; les fables ne
sont le plus souvent que la concrétisation d’un proverbe ou d’une métaphore abstraite.
L’effet littéraire du défigement est utilisé couramment dans les farces ; le caractère
équivoque des expressions et les glissements entre sens propre et figuré représentent la source
du comique. C’est au lecteur de décider, si l'auteur voulait jouer sur les deux sens : le propre
et le figuré ou s'il voulait évoquer seulement le sens figuré. Par exemple, l’expression figurée
prendre d’un sac doubles moutures, qui signifie « tirer double profit d’une chose », pourrait
être prise dans certain contexte au sens propre, par exemple s’il s’agissait d’un meunier qui
volait ses clients. Le défigement et son degré dépend éminemment du contexte et de la culture
et des compétences du récepteur.
« La plupart des locutions sont ainsi exposées à des contaminations de sens, à des
croisement de formes, à de fausses interprétations qui en actualisent des valeurs illusoires ; il
est dans leur nature d’être toujours prêtes à basculer dans la fausse étymologie ou le
calembour ; souvent même dans le calembour voulu, car la bizarrerie, voir le non-sens, sont
une source de succès et de survie pour de nombreuses locutions. »1

1
Guiraud, P. : Les locutions françaises. P. 10.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

1.2.3 Origine du figement

Un autre paramètre d’étude concerne l’origine du figement. Le figement peut avoir :


• Une origine externe et faire référence à des événements historiques, mythologiques,
religieux. Par exemple trou Sainct Patris désignait « l’entrée du purgatoire », mais
après aussi « le sexe de la femme ».
• Une origine littéraire : par exemple la locution figée avoir les XV joies, dans le sens
de « souffrir » pourrait faire référence à une prière très populaire au Moyen Age, Les
Quinze joies de Notre Dame, ou elle pourrait faire penser à la satire des Quinze joies
de mariage qui relatait tous les malheurs des hommes mariés.
• Une origine linguistique interne : il reste, dans toutes les langues, des « blocs
erratiques » (cf. Guiraud, P. : Les locutions françaises), des éléments ou constructions
qui remontent à un état de langue antérieur. Ces éléments ont gardé leur syntaxe
d’origine et apparaissent de ce fait comme extérieurs au système actuel, par exemple
la construction syntaxique flottante vaille que vaille, ou l’absence de l’article, toute
habituelle syntaxiquement en ancien français : tenir soubz las, « tenir en laisse ».
Pierre Guiraud dans son étude sur La locution française souligne l’archaïsme des
locutions : « l’archaïsme est la marque de presque toutes les locutions ; il est soit dans les
choses, la locution référant à des objets, des institutions, des coutumes aujourd’hui disparus ;
soit dans la langue, la locution ayant conservé une construction ancienne ; ou un sens
désuet. »1

1.3 Métaphore

D’après Pierre Guiraud, nous trouvons derrière la plupart des locutions une image qui
en motive le sens. De même, Christiane Morinet dans son travaille Métaphore et locution:
l'activité référentielle est-elle discursive ? souligne importance de l’association locution -
métaphore. « La fréquence des assemblages de mots que l’on nomme locutions ou expressions
ne suffit pas à justifier l’intérêt que l’on peut leur porter, et qui vient surtout de leur caractère
interne. Celui-ci procède en premier lieu du transfert métaphorique. »2
Selon Alain Rey, l’intérêt de la métaphore est qu’elle met en rapport deux réalités liées
par une relation analogique sans abandonner la première. On emploie donc un terme concret

1
Guiraud, P. : Les locutions françaises. P. 7.
2
Rey, A. : Préface du Dictionnaire des expressions et locutions. P. X.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

dans un contexte abstrait par substitution analogique, sans qu’il y ait d’élément introduisant
formellement une comparaison. Il en résulte que pour qu’une métaphore devienne expression
figurée, elle doit être attestée dans plusieurs textes et, plus tard, dans un dictionnaire. L’image
que la métaphore reflète peut être tantôt transparente, tantôt effacée ou usée.
La distinction entre une expression figurée figée basée sur une métaphore et attestée
dans un dictionnaire, et une simple métaphore non figée, (création inventive de l’auteur de la
farce utilisée dans le but comique ou ironique) est ardue. Nous avons pu souvent distinguer
des cas simples de métaphores, quelques-unes seront citées dans cette partie. Les expressions
figurée, quant à elles sont répertoriées dans la partie cinq de notre travail. Quant aux cas
litigieux, nous les avons également rassemblés dans la partie cinq, assortis d’un commentaire
approprié. Ainsi le lecteur pourra se rendre compte de la fragilité de la limite entre expression
figurée et métaphore inventive, car une telle métaphore est aussi souvent à l’origine d’une
locution ou expression.
Des exemples de métaphores :
IV, v. 35-38 : Le Gentilhomme exprime à Lison ses sentiments amoureux : « Le grant
amour/Que j’ay a la belle Allison,/Tient mon coeur en si forte prison/Que je n’en puis
(ar)rester en (nulle) place. » Il s’agit ici d’une métaphore d’amour classique, conventionnelle.
Il s’agit même d’un topos (cf. Froissart, Jean, La prison amoureuse). Il n’y a pas de figement
entre les éléments de l’expression métaphorique et donc il ne s’agit pas en l’occurence d’une
locution figée. Trad. : « Le grand amour/Que je ressent envers la belle Allison,/Tient mon
cœur en si forte prison/Que je ne peux nulle part garder mon calme. »

XXXV, v. 260-262 : Un propos classique et une métaphore classique de l’amour, d’une flèche
du petit dieu Amour transperce le cœur de l’amant et le blesse. « Amour veult mon cœur
penestrer/De sa sayete noble et digne. » Trad. : « Amour veut transpercer mon cœur/D’une
noble et courtoise flèche. »

Quand l’auteur envisage ensemble deux objets de pensée pour en chercher ce qui les
rapproche et ce qui les différencie, nous parlons d’une comparaison, qui peut aussi se figer.
Voyons quelques exemples de comparaisons non lexicalisées, non figées :
XXXVI, v. 78-81 : Le Badin se réjouit du fait de faire l’amour à la chambrière. « C’est une
joye que de bastre/Les fesotes de ses filletes,/Qui sont joinctes comme poulletes/Qui n’urent
jamais de poucins. » Une autre métaphore pour désigner les femmes qui n’ont jamais eu

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

d’enfant. Trad. de Faivre : « C’est la joie de venir cogner/Les fessottes de ces fillettes,/Aussi
jointes que des poulettes/Qui n’ont jamais eu de poussins. »

XXXVI, v. 246-247 : Crespinete va le laisser pisser dans une fiole et elle va aller voir le
médecin : « Et ainsy d’un oyseau qui volle,/G’iray sçavoir qu’on me dira. » Expression
imagée, une métaphore ordinaire. Trad. de Faivre : « J’irai plus vite qu’un oiseau./Pour savoir
ce qu’on m’en dira. »

1.4 Classement

Le classement des locutions évoque toute une problématique. Nous avons plusieurs
possibilités de les répertorier:
1) D’après les critères formels (locutions verbales, adverbiales, adjectivales, etc.).
2) Par champs sémantiques et métaphoriques (la bataille, le manger, le boire, etc.).
3) Selon le domaine d’origine des mots qui forment la locution (les noms des parties du
corps, des animaux).
4) Par ordre alphabétique, tout autre classement étant largement subjectif et arbitraire.
5) Par ordre d’apparition dans les textes pour des travaux d’une petite ampleur,
comme le nôtre.
Dans cette partie théorique, nous allons présenter une esquisse du classement formel
des expressions, tout en excluant les locutions prépositionnelles et conjonctives, ainsi que des
mots composés, car Halina Lewicka a déjà fourni une étude poussée portant sur ce sujet. Dans
la partie pratique nous suiverons l’ordre d’apparition des locutions dans les textes originaux.

1.4.1 Locutions nominales/Noms composés

« Le nom est une catégorie que la grammaire a privilégié du point de vue du


figement : il est le seul qui ait reçu une dénomination particulière (nom composé) ; toutes les
autres sont désignées sous le terme générique de locutions : locutions verbales, adjectivales,
adverbiales. »1 Ils ont la même distribution syntaxique que les noms simples. Dans une suite :
un nom, un déterminant et un adjectif, où l’adjectif n’a pas la fonction d’un modifieur2. Ils

1
Gross, G. : Les expressions figées en français, noms composés et autres locutions. P. 27.
« On appelle modifieur un élément de la détermination du nom (adjectif, complément du nom, proposition
2

relative) qui participe avec un prédéterminant (article le, un zéro ; possessifs ou démonstratifs) à déterminer un

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

fonctionnent comme une unité, alors qu’ils sont constitués de plusieurs éléments lexicaux, que
leur sens soit transparent ou opaque (voir chapitre 1.2.1). P. e. : trou saint Patris, « l’entrée du
purgatoire », mais aussi « le sexe de la femme ».

1.4.2 Locutions adjectivales

Traditionnellement, la catégorie de l’adjectif est définie sémantiquement comme « un


mot que l’on joint à un nom pour exprimer une qualité de l’être ou de l’objet nommé ou pour
introduit un nom dans le discours »1. Mais Gross leur donne une autre qualification, du point
de vue sémantique : « Nous considérons comme adjectifs les formes (simples ou composées)
qui correspondent aux deux critères suivants : a) elles figurent, en posiiton d’attribut, à droite
du verbe être ; b) elles peuvent être nominalisées par le pronom invariable le. »2 P. e. : léger,
tendre du cerveau, « sot, faible d’esprit ».

1.4.3 Locutions adverbiales

Les locutions adverbiales sont de loin la catégorie la plus hétérogène et elles sont
caractérisées surtout par leur diversité. Il ne faut pas les confondre avec les arguments des
verbes puisque leur emploi est facultatif, à la différence des arguments. P. e. : à foison,
« abondamment » ; comme un veau, « nigaud » ; à planté, « en abondance ».

1.4.4 Locutions verbales

« Une suite verbe + complément est une locution verbale si l'assemblage verbe-
complément n'est pas compositionnel ou si les groupes nominaux sont figés (c'est-à-dire qu'on
ne peut les modifier d'aucune manière : les déterminants sont fixes et les modifieurs
interdits). »3 Cependant, elles ont quelques traits communs avec des groupes verbaux libres:
1) la même structure interne car tous les deux types peuvent avoir un complément direct ou
indirect ; 2) le verbe est fléchi ; 3) il n'y a pas toujours le même degré de figement dans la

substantif dans le cadre d'un groupe nominal libre. » (Gross, G. : Les expressions figées en français, noms
composés et autres locutions. P. 155.)
1
Grevisse 1969 : p. 284.
2
Gross, G. : Les expressions figées en français, noms composés et autres locutions. P. 90.
3
Ibid. P. 69,70.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

suite de mots, celui-ci se reflète dans les possiblités transformationnelles des éléments
individuels.
Dans le cadre des locutions verbales nous nous heurtons au problème ardent des
locutions à verbe support (avoir faim, avoir soif), source de désaccord entre les théoriciens :
certains les comptent parmi les locutions verbales, certains non. De plus, la confusion est
favorisée par les dictionnaires eux-mêmes, qui appellent locutions des expressions. Souvent le
seul critère de l’absence de déterminant est retenu pour affirmer qu’il s’agit d’une locution à
verbe support, mais il n’est pas satisfaisant. La frontière entre les deux reste assez fine. Nous
allons essayer de la délimiter dans ce travail.

Gougenheim en avait déjà parlé en 1971 et il avait utilisé pour distinguer les verbes
supports deux critères : 1) le verbe est de sens très général et le substantif représente le porteur
sémantique ; 2) le déterminant et d'autres éléments grammaticaux devant le complément sont
absents. Or, ce deuxième point est assez contestable, puisque l'absence d'article ne peut pas
être un critère primaire, à cause de sa grande variabilité. Elle dépend de la relation entre le
verbe et le nom. Observons la différence sur cet exemple de Gross : prendre une décision et
prendre la tangente. Dans l’expression prendre une décision, on peut analyser les relations
syntaxiques entre les éléments de la locution et les transformations deviennent possibles :
pronominalisation (la prendre), formation de relative (la décision que j’ai prise),
interrogation en que (qu’est-ce que j’ai pris ?), possiblité de devenir sujet d’un passif (la
décision a été prise). En revanche, dans la locution à verbe support prendre la tangente, cette
suite est considérée comme figée, le verbe prendre n’a pas d’arguments, on ne peut pas
intérpréter tangente comme son complément. Aucune des propriétés habituelles du
complément d’objet direct n’est observée et cet ensemble n’est pas modifiable.
Gaston Gross fait également partie de ceux qui ne considèrent pas ces constructions
nominales à verbes supports comme des locutions verbales. D’après lui, « un verbe support
est un verbe prédicativement vide (c'est-à-dire sans arguments), dont la fonction est
d'apporter à un substantif prédicatif les informations de temps, de personne et de nombre. (...)
Certains verbes supports apportent, de plus, des indications de nature aspectuelle (multiplier
les erreurs), inchoative (débuter une conférence), etc. »1
De surcroît, pour compliquer cette problématique déjà complexe s’ajoute le prédicat
verbal composé. Nous allons voir la différence entre une locution à verbe support et un

1
Gross, G. : Les expressions figées en français, noms composés et autres locutions. P. 155-156.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

prédicat verbal composé sur l’exemple de avoir faim et avoir froid (cf. Gross) dont la
structure de surface est identique (auxiliaire avoir + substantif abstrait, article zéro, possibilité
d’insérer l’intensif très et de comparatif). Mais leurs différences sont beaucoup plus
importantes car la détermination est plus contraignante pour avoir froid que pour avoir faim :
il est possible d’insérer l’article indéfini (Luc a une faim de loup) ou le possessif (sa faim) ou
faire une relative (la faim que Luc a). En effet, dans avoir froid le verbe avoir ne peut pas être
effacé et il est considéré comme un verbe syntaxiquement figé, à l’opposé la construction
avoir faim est composé du prédicat nominal faim, actualisé par le verbe support avoir qui le
conjugue.
Jacqueline Giry-Schneider dans son livre Les Prédicats nominaux en français désigne
clairement la différence entre les expressions à verbe support et des prédicats composés. Elle
distingue d’abord les expressions à prédicat nominal libre (faire un pèlerinage, faire des
grâces à qqn) où certains sont métaphoriques (faire un tonneau, faire un tête-à-queue) ce qui
ne constitue pas en soi une expression idiomatique (notons simplement que Di Stefano dans
son dictionnaire atteste des locutions à prédicats nominaux dans l’emploi figuré, et donc, nous
allons les citer aussi). Certains enfin, ont, en plus des déterminants ordinaires définis et
indéfinis, un déterminant particulier, zéro, ou LE, comme faire grève ou faire carême ; il n’y
a pas de raison de considérer que faire carême soit une expression idiomatique alors que faire
un carême sévère n’en serait pas une. D’après Jacqueline Giry-Schneider, celles-ci ne sont pas
des expressions à verbe support.
A l’opposé, on trouve les expressions à prédicats non libres, à déterminant figé,
comme faire fi de, faire florès, faire long feu, faire part à deux avec qqn ; mais les sujets du
prédicat nominal et les éventuels compléments sont généralement libres ; faire est ici un verbe
support, mais non réductible puisque le déterminant du prédicat nominal est figé. Il en résulte
donc, que pour cet auteur, les locutions à verbe support ont un élément figé et c’est la relation
entre le verbe support faire et son complément qui a le déterminant figé. Elle exclut, par
contre, les expressions avec le verbe faire d’emploi métaphorique.
Les locutions à verbe support ont certaines caractéristiques communes avec les
vraies locutions verbales : absence de de en cas de négation (je n’ai pas pris la tangente, je
n’ai pas faim), pas de passif, absence d'article, nombre fixe du substantif, absence de
coordination. Mais les différences sont plus nombreuses et plus importantes, ce sont par
exemple les multiples possibilités de transformations : relativation, adjonction de qualificatif,
pronominalisation. Bref, les locutions à verbe support sont également les séquences figées.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

Etant donné la finesse des limites entre une locution à verbe support et une locution
verbale, et le litige concernant cette problématique, nous allons dans notre travail répertorier
les locutions à verbe support et les locutions à prédicat non libre, ainsi que les locutions à
prédicat libre d’emploi métaphorique, accompagnées avec une précision appropriée d’un cas à
l’autre. Ceci constituera le corps du chapitre 4.

1.4.5 Locutions-phrases

Nous avons rencontré quelques proverbes et surtout des phrases exclamatives figées
(de nombreux jurons). Nous ne leur consacrerons qu’un court passage, car ils se situent
légèrement à la frange de notre sujet.
Un proverbe est un fait de langue, une phrase complète ou elliptique, assez brève
possédant des caractères particuliers, archaïsme, structure régulière, contenant les sagesses
des nations. L’emploi de la métaphore permet de concrétiser son riche contenu et son
message. Cela les différencie des locutions figées. Les recueils de proverbes les plus anciens
datent déjà du XIIe siècle. Les proverbes qui ont de toute façon été toujours d’usage parmi
nous, on en rencontre également dans les premiers livres écrits en français. Le mot même
commence à être usité à partir du XIIIe siècle.
Gross les appelle locutions-phrases ou phrases figées qui peuvent être exclamatives
(que le diable m’emporte) ou proverbiales (une fortune ne vient jamais seule).

2. Place des farces dans le théâtre médiéval

Nous avons déjà mentionné que la langue, et par la suite les livres peuvent nous
renseigner sur la nature des relations sémantiques. Soulignons donc quelques points
importants de l’ Essai de poétique médiévale de Paul Zumthor et rappelons-nous ce qu’est une
farce médiévale.
Le texte médiéval s’adresse toujours à une collectivité. « Dans une grande mesure,
toute poésie s’élève, au moyen âge, comme une voix louant ou condamnant une collectivité,
mais au nom de celle-ci. De la sorte, le décodage du texte constitue pour le décodeur un acte
à la fois dramatique et apaisant, un voyage aller et retour pour le pays d’une reconnaissance,
distanciation et communion. »1 Généralement, dans une société archaïque comme celle du

1
Zumthor, P. : Essai de poétique médiévale. P. 32.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

Moyen Age, l’élaboration d’un texte admet deux fonctions : une relative à une certaine
perception du sacré et l’autre profane. De plus, tout au long du moyen âge les textes semblent
avoir été, sauf exceptions, destinés à fonctionner dans des conditions théâtrales : à titre de
communication entre un chanteur ou récitant ou lecteur, et un auditoire. Le texte se joue sur la
scène, puisque toute la civilisation médiévale repose sur un type de culture à transmission
orale.
Les auteurs sont pour la plupart anonymes. Il en résulte une mouvance, un continuum
harmonieux à travers le temps, l’espace et la multiplicité des acteurs. « Le poète s’introduit
dans son langage au moyen de procédés transmis par le groupe social. C’est ce groupe qui,
des signes formant le poème, détient les motivations. L’individu s’enracine dans le milieu
humain et y justifie sa présence en restructurant à sa façon un Imaginaire dont les éléments
lui sont fournis, déjà bien élaborés, par ce même milieu. »1 La théâtralité des textes réside
dans le fait de jouer la réalité. La tradition, la typologie et le rythme, des topoï ont la force
obligatoire.
Le système sémiologique de la poésie médiévale est un système fort restreint, tout en
gardant une certaine distinction des genres, surtout dans la période du XVe et XVIe siècles :
« La production de l’œuvre tient de la fabrication d’un objet d’usage. »2 D’où l’archaïsme de
la plupart des formes de discours traditionnelles : le langage ne devait pas refléter le langage
réel ou le monde réel. Il y avait un système subtil de codage et décodage.
C’est dans le théâtre que le chant commence à reculer par rapport à la récitation et que
le langage remplit une fonction ambiguë. Il ne faut pas nier les fonctions du langage dans le
jeu, mais souligner le fait que ces fonctions furent beaucoup plus limitées dans le théâtre
médiéval que dans le théâtre plus récent. De ce fait, toutes les pièces sont rédigées en vers. La
mouvance de l’œuvre, caractéristique de la tradition médiévale, admet quand même certains
jeux brefs jouant de l’effet de surprise, et beaucoup de farces échappaient à la poétique
contraignante. Ils sont du reste tardifs et n’apparaissent pas avant les XVe et XVIe siècles.

Dans le théâtre médiéval, il faut distinguer le théâtre didactique qui comprend les
miracles, les mystères et les moralités, ensuite le théâtre divertissant et satirique (profane,
comique) qui comprend le sermon joyeux, le monologue dramatique, la sottie, la moralité et

1
Zumthor, P. : Essai de poétique médiévale. P. 69.
2
Ibid. P. 107.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

enfin la farce1,2. La farce, à l’origine, est une courte pièce, incorporée à un spectacle édifiant3
pour détendre les spectateurs. Son origine remonte au XIVe siècle, son âge d’or commence
après la guerre de Cent ans et dure jusqu’au début du XVIe siècle. Plus de deux cents textes
relativement homogènes nous ont été conservés, qui se réclament du genre de la farce, courtes
d’à peu près 300-400 vers, en octosyllabes.
A. Strubel nous a fourni un beau synopsis des farces que nous allons développer :
« elles représentent des similitudes de construction, de thématique et de style (trois ou quatre
personnages, représentants de l’humanité quotidienne, incarnant une fonction et une
condition : femme, mari, valet, amoureux, « badin » - le naïf qui prend tout à la lettre et
dévoile involontairement les faux-semblants), scénario fondé sur le rebondissement
prévisible, avec pour principe dynamique la ruse ; des préoccupations surtout matérielles
(manger, faire l’amour, obtenir de l’argent) ; des relations humaines fondées sur la violence
et la tromperie. »4
La structure de la farce est donc assez simple. Les thèmes : 1. l’autorité entre maître et
valet, mari et femme, il est question de savoir qui commandera à l’autre, qui échappera à
l’autorité de l’autre. 2. les fonctions naturelles : a) manger et boire, b) déféquer et uriner,
c) faire l’amour. 3. les malformations physiques et intellectuelles : naïveté sotte ou sotte au
badin, égarements de l’esprit, goutte et surdité, impuissance sexuelle due à l’âge. 4. la ruse.
Le but de la farce est de faire rire le spectateur à gorge déployée, quand bien même le
sujet en serait nos misères et nos ridicules. Elle montre d’une manière schématisée et
caricaturée la réalité quotidienne, « l’ambiance de la rue au quotidien »5, avec des
personnages médiocres : ni sympathiques, ni antipathiques, des gens ordinaires tels que les
curés, les moines, les marchands, les artisans, les commères. Le milieu urbain y domine, le
paysan est mal vu, ainsi qu’un noble rural (Le Gentilhomme et Naudet). La morale de la loi de
la jungle se résume souvent à un pragmatisme de survie qui assimile la sagesse et le succès.
La ruse tourne à la confusion de celui qui l’a imaginée, et tel est pris qui croyait prendre.
C’est ce renversement de situation qui fait la durable gaieté des plus célèbres farces. Les

1
D’après A. Strubel l’étymologie du terme farce rappelle aussi bien le domaine culinaire ou vestimentaire
(fars/farciture), que la cosmétique (la fart, « maquillage »). Aujourd’hui, la farce, « hachis d’aliments garnissant
l’intérieur de quelques préparations culinaires », dont le verbe farcir également.
2
Rappelons la filiation frappante, dans les sujets et les mécanismes du comique, avec les fabliaux. La
conversion des jongleurs en farceurs correspond à l’évolution du récit, animé par la déclamation et la gestuelle,
vers le dialogue et le jeu à plusieurs, avec un relais qui pourrait être le monologue dramatique. (cf. Strubel)
3
Les farces peuvent être intégrées dans les Mystères, comme Meunier de qui le diable emporte l’âme en enfer
d’André de La Vigne.
4
Strubel, A. : Le théâtre au Moyen Age. P. 106.
5
Ibid. P. 108.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

autres moyens du comique sont des plus simples : les gags visuels, le jeu physique, la
manipulation d’objets facétieux, les coups et les violences diverses, les déguisements, les
jargons et les accumulations d’injures. Mais le principal facteur du rire est généralement le
langage, avec les possibilités offertes aussi bien par la transgression – obscénité/scatologie –
que par les glissements entre sens propre et figuré.
Choisissant la ruse comme pierre de touche de la farce, B. Rey-Flaud distingue entre
facéties et farceries : 1. les facéties sont des simples sketches, basés sur une forme élementaire
de tromperie sans retournement (Chaudronnier, Obstination des femmes), 2. les farceries, ou
farces d’intrigue, la ruse crée un dispositif aux ressorts multiples, confondu souvent avec le
schéma du « trompeur trompé » (Cuvier). Les éléments fonctionnels de cette logique sont la
farce proprement dite, le quiproquo et la méprise, le coup de théâtre.
Ces textes appartiennent principalement aujourd’hui à quatre vieux recueils d’œuvres
dramatiques, longtemps ignorés : 1. Recueil du British Museum1, 2. Recueil Trepperel2, 3.
Recueil Cohen3, 4. Recueil La Vallière4. Une édition critique et soignée des farces a été
publiée en XIII volumes de 1986 à 2000 à Genève. Nous avons pris cette édition comme base
pour notre étude des locutions figées et des expressions figurées dans les farces médiévales
(Tissier, André : Recueil de farces (1450-1550) I.-XIII. Genève, Droz, 1986 - 2000.).

3. Aperçu critique des études antérieures

Dans notre introduction, nous avons signalé que le problème de la locution figée et de
l’expression figurée dans les farces n’a pas encore été traité d’une façon systématique, bien
que les chercheurs français se soient consacrés au moyen français durant les vingt dernières
années et aient tenu plusieurs conférences et colloques spécialisées.
A part les dictionnaires dont nous allons parler dans la partie méthodologique, et des
études ciblées portant soit sur un seul auteur soit uniquement sur les locutions verbales et les
mots composés, il n’y a pas une étude consacrée uniquement sur les locutions figées et les

1
Recueil factice de 64 pièces, imprimées en caractères gothiques à Paris, Lyon ou Rouen entre 1532 et 1559. Il
fut découvert en Allemagne en 1840 et acquis par le British Museum en 1845.
2
Il regroupe 35 pièces (dont cinq farces) imprimées au début du XVIe siècle à Paris dans l’atelier de TREPPEREL.
Découvert en 1928 en Italie, il appartient depuis peu à la Bibliothèque nationale de France.
3
Recueil factice de 53 pièces imprimées et toutes intitulées farces. Les originaux, découverts en 1928 avec le
Recueil Trepperel, avaient été copiés à la hâte par GUSTAVE COHEN. Celui-ci les publia en 1949 dans une édition
peu soignée.
4
Manuscrit de copiste qui daterait de la seconde partie du XVIe siècle et qui regroupe 74 pièces appartenant
vraisemblablement au répertoire de la société joyeuse des Conards de Rouen. Ce manuscrit, en écriture gothique,
est depuis 1784 à la Bibliothèque nationale.

- 23 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

expressions figurées dans les farces médiévales. Nous allons donc voir de plus près ces textes
d’un œil critique.
L’étude de la langue des farces la plus poussée est l’œuvre de l’auteur polonais Halina
Lewicka. Elle confie elle-même que le lexique n’a fait l’objet d’aucune étude de sythèse. Les
sources sont constituées d’éléments uniques épars, trouvés dans des glossaires et des notes
d’éditeurs de textes. Son livre La langue et le style du théâtre comique français comporte
deux tomes. Le but de son travail a été de proposer une série d’études sur la langue du théâtre
comique1 du moyen âge (elle a produit les deux ouvrages mentionnés et une bibliographie des
farces), et par la suite, de contribuer à la connaissance limitée que l’on a du français parlé de
la deuxième moitié du XVe et du premier tiers du XVIe siècles. La plupart de textes se situent
entre 1460 et 1530. L’auteur s’est limitée aux textes de cette période, car d’après elle, les
pièces tardives n’ont pas une langue représentative et sont touchées par les tendances de
renaissance. Notons seulement, que André Tissier pour son édition critique du Recueil des
farces a pris les textes du 1450-1550, ce qui confirme l’intérêt de cette période. Après avoir
mis de côté les textes dialectaux2, elle a relevé le vocabulaire le plus significatif pour le
français moderne. On y retrouve souvent des traces de langage familier, fortement empreint
d’éléments populaires et affectifs, et des néologismes servant à enrichir le vocabulaire du
théâtre, mais aussi à développer les procédés comiques.
Le premier tome porte le nom La dérivation3, c’est une œuvre morphologique ; le
deuxième est consacré aux Composés. Son travail a été assez méritoire, car la composition des
mots dans le français des XVe et XVIe siècles a été jusqu’ici étudiée d’une manière
incomplète et sans méthode. La grande Histoire de la langue de F. Brunot et les divers
travaux d’Edmond Huguet ne fournissent que des répertoires des mots, mal ou pas du tout
classés. Qui plus est, ces ouvrages ne concernent au fond que la langue des lettrés et
recouvrent le même champ d’exploration que les travaux dédiés à la langue de tel ou tel
écrivain. Halina Lewicka souligne également le manque des études théoriques générales
concernant les mots composés et les locutions. Cependant, les études sont surtout
synchroniques et ne fournissent pas une vue d’ensemble sur la composition des mots dans
l’histoire du français.

1
A part la farce, c’est le sermon joyeux, le monologue dramatique, la sottie, la moralité. (cf. Strubel)
2
Vue que les deux principaux centres de production étaient Paris et Rouen, elle a écarté quelques monologues
savoyards, des farces en patois fribourgeois et quelques autres pièces méridionales. Dans d’autres farces donc les
traits dialectaux se bornent à quelques régionalismes de vocabulaire et à quelques particularités phonétiques ou
morphologiques plus persistantes.
3
Son étude porte sur les suffixes, dans la première partie, puis sur quelques catégories de dérivés et dans la
troisième partie sur les éléments stylistiques dans la dérivation.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

Ce deuxième tome est plus proche de notre sujet, car l’auteur traite les mots composés
dans le sens de Gross ou des locutions nominales dans les sens de Rey (voir le chapitre 1.4.1).
Nous nous sommes heurtée dans notre travail à des locutions semblables, mais nous n’en
avons mentionnés que quelques-unes : celles qui entraient dans d’autres expressions figurées
et qui formaient des ensembles engendrant du comique de langage et des jeux de mots (p. e.
trou saint Patris). Ceci dit, nous n’avons pas répertorié des suites composées comme des
serments, des jurons ou des insultes.
Halina Lewicka n’a pas abordé les locutions adjectivales, adverbiales et verbales, ni
les locutions à verbes support, ni les suites avec un prédicat verbal ; elles feront l’objet de
notre étude.
Robert Garapon, un autre auteur, a consacré une œuvre à la langue du théâtre français.
Son travail, La fantaisie verbale et le comique dans le théâtre français du Moyen Age à la fin
du XVIIe siècle, concerne non seulement les farces, mais tout le théâtre français ; il s’attache à
l’utilisation des verbes qui constituent la source du comique, mais aussi de la fantaisie. C’est
un sujet plus vaste et traité d’une manière non systématique, car son point de vue est plus
littéraire que linguistique ; il démontre des effets spéciaux produits par des verbes à l’aide de
nombreux d’exemples : des répétitions de mots, des incohérences systématiques ou propos
sans suite, des énumérations, etc. Il s’agit d’une étude portant sur cinq siècles, depuis le début
de la création du théâtre, jusqu’à la fin du règne de Louis XIV ; elle ne veut pas seulement
constater, mais aussi expliquer. La première partie concerne les jeux et dits des XIIe et XIIIe
siècles ;la deuxième partie les miracles et les premiers mystères du XIVe siècle ; la troisième
évoque largement l’âge d’or de la fantaisie verbale dans les sotties, farces et mystères du XVe
et du XVIe siècles. L’auteur souligne l’importance du jargon1 dans la production dramatique.
Citons comme exemple la jargon latin du Frère Guillebert qui est assez courant, par exemple
l’expression avec custodi nos pour « les parties sexuelles de la femme ». Autrement, le jeu
verbal, décrit par Garapon, n’est pas très fréquent dans les farces, puisque les farceurs avaient
plutôt recours à des locutions du langage parlé et à un comique moins sophistiqué, plus
populaire.
Ulla Jokinen a écrit les Observations sur les locutions françaises dans les farces et
dans les sotties: le Cuvier, Le Maître Pierre Pathelin, et seize sotties comprises dans le
Recueil de l’imprimeur Jean Trepperel qu’Eugénie Droz a publiées en 1935. L’auteur a
sélectionné un petit échantillon des farces, accumulé et ordonné ses observations, dont la

1
Il part de la définition suivante du jargon : « toute forme de langage étranger employée en vue de produire un
effet comique » (cf. Garapon, R. P. 40.).

- 25 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

portée est limitée par le nombre de ses sources. Elle a retenu pour son classement d’abord le
critère fonctionnel : expressions de souhait et de commandement, impératifs exclamatifs,
formules de politesse, exécrations, jurons et malédictions ; et puis le critère de survivance
d’une locution jusqu’à nos jours : 1) locutions connues depuis l’ancien français vivant encore
en moyen français et répandues dans la langue de nos jours, 2) locutions connues en usage en
ancien et moyen français qui ont disparues après, 3) locutions nées pendant la période du
moyen français que nous connaissons encore de nos jours, 4) expressions qui surgissent en
moyen français et disparaissent par la suite. Jokinen s’emmêle dans la catégorisation, dans la
terminologie et dans la classification qui manque de justesse et de clarté. Il fournit un point
de vue intéressant sur la problématique, mais il n’explique pas suffisamment les locutions.
Geneviève Hasenohr a consacré un petit travail sur La locution verbale figurée dans
l’œuvre de Jean Le Fèvre. Il s’agit d’un sujet assez restreint, puisqu’il se limite aux locutions
verbales figurées présentes dans l’œuvre d’un traducteur du latin. Bien qu’il aurait fallu
répertorier toutes les locutions, non seulement verbales ; l’auteur a réussi à saisir le problème
principal des études semblables : la définition de la locution figée. « Si déjà dans la langue
moderne la limite entre syntagme libre et locution est souvent arbitrairement fixée, comment,
dans une langue morte, faire le départ entre métaphores instituionnalisées, passées dans la
langue, et créations d’auteur, entre faits et réalisations individuelles ? »1 Nous nous sommes
confrontée également à cette question-là.
Pour éviter de perdre des unités lexicales qui pourraient présenter quelque intérêt pour
l’histoire du langage figuré, elle est partie dans son travail d’une définition extensive de la
locution verbale figurée : 1) un auxiliaire de verbalisation suivi d’un substantif pris dans un
emploi figuré (mettre au mestier, prendre son viés ploy, tenir eschevinage) ; 2) un verbe à
sens plein suivi d’un substantif avec lequel il constitue une entité lexicale synthétique dont le
sens imagé ne se réduit pas à la somme des sens des deux composants (battre le vent, payer la
lamproie, teindre sa couleur), ou d’un substantif n’admettant de commutation
distributionnelle qu’avec un nombre très restreint d’autres substantifs de sens voisins (tenir
eschevinage/senne ; battre le vent/l’air/l’eau) ; 3) des groupes composés d’un verbe à sens
plein employé au propre et suivi d’un substantif pris dans un sens figuré (vivre de vent
« promesse ») qui se laissent décomposer sémantiquement en éléments autonomes et dont le
substantif est susceptible de permuter avec quantité de substantifs traduisant (proprement ou
métaphoriquement) des notions ou des réalités voisines (vuydier la voie/le chemin/la

1
Hasenohr, G. : La locution verbale figurée dans l’œuvre de Jean Le Fèvre. P. 232.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

maison/la place). Elle a donc accepté les locutions à verbe support lorsqu’un des composants
était employé dans un sens figuré ; c’est la même méthode que Di Stefano a utilisé pour la
constitution du répertoire de son dictionnaire. Et c’est ainsi que nous avons décidé de
procéder dans notre travail. De plus, Geneviève Hasenohr a appliqué deux méthodes
complémentaires : relever et présenter en contrepoint, la liste des locutions figées ou figurées
et puis les vérifier dans les sept dictionnaires usuels et dans l’apparat de l’édition critique des
farces par André Tissier. Même si cette étude ne cible pas les farces, elle a pu nous guider
dans la sélection des critères méthodologiques.
Qu’est-ce qu’il résulte de tous ces travaux pour nous ? Nous avons vu qu’un simple
ouvrage lexicologique ne suffit pas pour traiter la question des expressions dans les farces, car
la problématique est plus complexe. Il faut observer également le degré de figement, faire la
distinction entre les locutions verbales et les locutions à verbe support, etc. Il n’est pas
sufissant non plus de prendre seulement les mots composés comme Halina Lewicka (il aurait
fallu qu’elle continue son travail et qu’une œuvre sur les locutions suive les deux tomes de La
langue et le style du théâtre comique français) ou uniquement les locutions verbales comme
Geneviève Hasenohr ou Robert Garapon. Il faudrait procéder comme Ulla Jokinen, mais sur
un plus grand échantillon pour que l’étude ait une plus grande portée. Notre façon de procéder
est développée dans le chapitre suivant.

4. Méthodologie et constitution du corpus

Nous l’avons déjà dit, mais rappelons le encore une fois, les locutions sont des
« façons de s’exprimer et des formes figées du discours, formes convenues, toutes faites,
héritées par la tradition ou fraîchement créées, qui comportent une originalité de sens par
rapport aux règles normales de la langue »1. Ces expressions sont le plus souvent imagées et
elles mettent dans le discours une couleur que les énoncés régulièrement produits n’ont pas.
En même temps, elles ont un degré de figement plus ou moins important.
Nous avons répertorié dans notre travail des locutions figées et des expressions
figurées figées ou inventives verbales, adjectives et adverbiales, y compris des expressions à
verbe support, qui ne sont pas considérés par certains lexicologues comme locutions verbales.
Tout cela dans le cadre du corpus distingué ci-dessous. Mais nous nous sommes heurtés de
temps à autre à des phrases complètes figées, comme p. e. les locutions proverbiales, les

1
Rey, A. : Préface du Dictionnaire des expressions et locutions. P. VII.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

dictons ou des sentences, parmi lesquelles certaines contiennent la sagesse traditionnelle.


Cependant, nous allons nous intéresser plutôt à leur forme figée qu’à leur contenu.
En revanche, nous avons exclu de notre étude les locutions conjonctives,
prépositionnelles et les mots composés simples qui sont plutôt des mots complexes déjà
lexicalisés ; comme par exemple des prépositions (en vue de), des conjonctions (quand bien
même) ou des groupes de mots à valeur stable, techniques, scientifiques ou simplement usuels
(chemin de fer) en allant du plus métaphorique au plus plat. Car l’essentiel devait concerner
des expressions toutes faites et figurées, qui ont pris naissance d’une image, d’une métaphore,
d’un glissement de sens. Ainsi nous excluons les emplois figurés des mots simples : P. e. :
III, v. 121-122 : Par telles paroles annonce Guillot à la dame l’arrivée de son amant, il fait
allusion à l’acte amoureux : « Deffedés-vous, car asaillir/On vous vient par cruel effort. »
Faivre : « Défendez-vous, car on arrive/vous sauter méchamment dessus ! »
Une fois les locutions citées, nous allons analyser leur système syntaxique et les
relations sémantiques entre leurs composants, les classer et les étudier du point de vue lexical
dans le but de pouvoir conclure à une locution figée, une expression figurée figée ou
inventive, etc.
Notre outil principal a été le Dictionnaire des locutions en moyen français de Di
Stefano créé en 1991 ; il a comblé la lacune des travaux lexicographiques, car dans aucun
ouvrage significatif portant sur le moyen français, il n’y avait pas un nombre suffisant de
locutions, sauf quelques remarques diachroniques dans les dictionnaires de Rey et Chantreau.
Aussi, Di Stefano a relevé dans son dictionnaire des locutions qui ne sont nullement attestées
à l’heure actuelle. Nous avons également consulté le Dictionnaire érotique. Ancien français,
Moyen français, Renaissance de Bidler, car Di Stefano a respecté les tabous concernants la
sexualité. Dans les textes de farces, de telles allusions libres sont toujours présentes, mais on
ne les explicite pas, on les déguise dans les métaphores des armes (assaillir qqn), de la
religion (trou sainct Patris), du jeu (ex), des outils de la vie quotidienne (passer le paturage à
la herse).
Pour dissiper nos doutes, nous avons consulté les dictionnaires suivants: Dictionnaire
de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle de Godefroy, A
Dictionarie of the French and English Tongues de Cotgrave, Dictionnaire de la langue
française du XVIe siècle de Huguet et de Altfranzösisches Wörterbuch de Tobler-
Lommatzsch.
Pareillement aux unités lexicales simples, les locutions ont aussi souvent changé au
niveau du signifiant ou au niveau du signifié. Nous avons suivi ces changements dans notre

- 28 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

travail. Dans ce but, nous avons consulté ces dictionnaires modernes de locutions : Le
dictionnaire des expressions et locutions de Rey-Chantreau, Dictionnaire érotique moderne
de Delveau, Le bouquet des expressions imagées de Duneton.
Nous avons consacré la dernière partie à l’étude stylistique et fonctionnelle des
locutions dans le contexte concret, car c’est justement la langue imagée, les jeux de mots, le
jeu sur le figement et le défigement des locutions, les glissements entre le sens propre et
figuré qui représentent le facteur principal du rire. Ensuite, nous allons reveler en quoi
l’emploi des différentes locutions est spécifique/novateur dans nos textes. Nous traiterons des
changements par rapport à leur syntaxe et à leur sens tel qu’il est donné par les dictionnaires.
Malheureusement, il était nécessaire, vu le nombre des farces (Le Recueil de farces
d’André Tissier compte XIII volumes), de faire une sélection. Il était difficile de faire le
choix, mais nous avons pris comme critère le thème : les querelles conjugales, puisque ces
farces-ci sont vraiment basées sur le comique de mots, des locutions figées et des expressions
figurées y sont fréquentes. Nous avons consulté également la traduction des farces par
Bernard Faivre.

La liste des farces examinées :

Le Retrait (Tis. III, tome I, p. 177 – 242/Faivre p. 325-396)


Le Gentilhomme et Naudet (Tis. IV, tome I, p. 243-303/Faivre p. 477-536)
Le Cuvier (Tis. XIII, tome III, p. 15-78/Faivre p. 67-120)
Le Chaudronnier (Tis. XIV, tome III, p. 79-115/Faivre p. 121-154)
Meunier de qui le diable emporte l’âme en enfer d’André de La Vigne (Tis. XXII, tome IV,
p. 169-243/Faivre p. 397-476)
L’obstination des femmes (Tis. XXXI, tome VI, p. 17-60/Faivre p. 33-66)
Frère Guillebert (Tis. XXXIV, tome VI, p. 183-261/Faivre p. 199-268)
Lucas, sergent boiteux et borgne, et Le Bon Payeur (Tis. XXXV, tome VI, p. 263-
307/Faivre p. 155-198)
Le Galant qui a fait le coup (Tis. XXXVI, tome VI, p. 309-366/Faivre p. 269-324)

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

5. Relevé des locutions

Comme nous l’avons déjà signalé dans la première partie de ce travail, nous avons
décidé dans ce chapitre de procéder à un classement chronologique. Il se proposait un critère
sémasiologique (selon les critères lexicaux) ou onomasiologique (selon les notions exprimées)
à prendre en considération, mais vu la nécessité du contexte pour bien saisir des locutions et
des expressions, nous avons choisi de respecter l’ordre chronologique des locutions dans les
textes. Nous présentons les farces sur le thème « La guère des sexes »1 d’après leur apparition
dans l’édition critique des farces par André Tissier2 par un petit résumé.
Pour une meilleure lisibilité dans le texte, chaque citation se trouve entre des
guillements, accompagné de ses coordonnées. La locution ou expression examinée est
systématiquement soulignée. Dans le commentaire qui suit la citation, les mots cités figurent
en italique, leur explication se trouve entre guillemets. Les expressions sont toujours
précédées d’un contexte bien précis et suivies d’une traduction.

5.1 Le Retrait3 Tis. III, tome I, p. 177 – 242/Faivre p. 325-396)

Le Retrait est une farce dont la source essentielle est la nouvelle LXXII des Cent
Nouvelles nouvelles. On aura affaire dans cette farce à une infidélité dans la maison
conjugale. La femme du Retrait, mal mariée à un homme âgé revêche, ne peut ouvrir sa porte
à son Amoureux que si le valet Guillot n’y met pas obstacle pour en tirer profit. A l’arrivée du
mari, l’amoureux est toujours présent dans la maison et il trouve la cachette au fond du
cabinet. Pour le faire sortir, Guillot le fait passer à son maître pour un diable ravisseur des
jaloux. Et donc ainsi le jeu s’est calmé.

III, v. 5 : La femme se plaint de son mari revêche : « Car mon mary me tient soublz las. » Le
mot las vient du latin laqueus et signifie « lacs, lien » (Tis.). God. et Hug. n’indiquent que le
sens de « malheureux, misérable ». DiSt. donne à l’expression tenir soubz las le sens de « en
son pouvoir, prisonnier » (il cite même le vers en question comme exemple). Il s’agit donc
d’une expression figée et figurée car une image d’un lien ou une laisse entre le maître et le
soumis entre en jeu. Néanmoins, le sens reste assez prévisible. Nous avons gardé jusqu’au

1
Faivre, B. : Les farces Moyen Âge et Renaissance. Volume I. La Guerre des sexes.
2
Tissier, A. : Recueil de farces (1450-1550) I.-XIII.
3
Le retrait signifie un « cabinet, lieux d’aisances » (Hug.), aujourd’hui les toilettes.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

français moderne une expression tenir en laisse qui est sentie comme une métaphore du chien
tenu par son maître et son sens est d’« empêcher quelqu’un d’agir librement » (début XVIe s.)
(Rey). Trad. : « Car mon mary me tient en laisse. »

III, v. 26-27 : La femme outrage son valet Guillot et le traite d’imbécile, elle ne veut pas lui
confier quoi que ce soit, elle ignore sa ruse. « Je ne t’ose dire le poinct,/Tant tu es leger du
cerveau ». Leger, tendre du cerveau équivaut à un « sot, faible d’esprit » (DiSt.), il s’agit
d’une expression figée et figurée dont la figure repose sur l’emploi figuré de l’adjectif léger.
Quoique cette expression ne soit plus utilisée de nos jours et les lexicographes ne l’insèrent
pas dans l’inventaire de leurs dictionnaires des locutions, elle reste compréhensible, car le
rapport entre l’image et la nouvelle réalité est assez clair. Nous pourrions citer d’autres
séquences figées utilisées de nos jours : avoir le cerveau comme un petit pois, avoir le
cerveau fêlé (cf. Jouet). Trad.: « Je n’ose te dire rien,/Tant tu a le cerveau fêlé. »

III, v. 36-38 : Guillot a gardé son chapeau sur la tête, il ne veut pas rendre grâce à sa
maîtresse. Celle-ci se moque de lui en le traitant de malade. « Es-tu tigneulx ?/Comment tu
n’es poinct gratieulx,/Que ne mes la main au bonnet ! ». Etre tigneulx veut dire « avoir une
maladie de la peau de tête » – la teigne (Tis.). Nous n’avons pas affaire à une locution figée ni
figurée, mais tout simplement à une comparaison implicite entre une personne atteinte de la
teigne et celui qui oublie d’ôter son chapeau. Elle sert de source pour le comique situationnel
et l’ironie. Trad. de Faivre : « Tu as la teigne ?/Ce n’est vraiment pas très poli/De ne pas ôter
ton bonnet. »

III, v. 55-56 : Les insultes entre Guillot et sa maîtresse continuent : « Vous m’avés apelé
lourdault ;/Mais, par Dieu, le mot vous cuyra. ». Le sens du verbe cuire est dans cette phrase
figuré, basé sur le désagrément de la sensation de cuisson. Ce mot peut avoir d’autres
acceptions que celle de « rendre un aliment propre à l’alimentation par une forte chaleur qui
transforme sa consistance, le goût » (Rob.), par exemple celle de « réfléchir à, peser » ou
« comprendre, apprécier » (Hug.). Même si DiSt. ne considère pas cette suite comme figée,
l’exploration du Corpus de la littérature médiévale (CLM) nous prouve le contraire : « ton
mauvais blason te cuira » (Farce du vieil Amoureux et du jeune Amoureux, v. 37) ou « leur
cacquet en fin leur cuira » (Femmes qui aiment mieux suivre et croire Folconduit, v. 28). La
locution est qqch te cuira. Autrement, nous avons vu de nombreuses utilisations d’une autre
locution au sens identique : en cuire à qqn, « entraîner des ennuis pour lui » (Rob.). Depuis,

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

cette suite continue à exister. Trad.: « Vous m’avez appelé crétin !/Mais, par Dieu, ce mot
vous en cuira ! »

III, v. 67 : Guillot ne veut pas guetter à la porte pendant que le couple adultère fait l’amour :
« Gueter ? le deable donc m’emporte ! » Il s’agit d’une expression figée et figurée qui se
trouve dans de nombreuses farces (DiSt.). Dans la langue moderne, le juron le diable
t’emporte ! est ressenti comme vieilli (Rey). Ce type d’exclamation qui voue son objet au
démon ou à la maladie a cédé la place par exemple à la simple expression de l’éloignement va
te promener ! (Rey). Trad. : « Guetter ? Que le diable donc m’emporte ! »

III, v. 75-76 : Guillot prévient la dame qu’elle est en train de commettre une erreur : « Vous
fistes un lourd sault,/Quant vous me dictes telle injure. » DiSt. parle seulement de faire un
sault a qqn, « l’attaquer, lui jouer un mauvais tour. » Quand bien même Tis. aurait essayé de
former dans ses notes critiques une locution faire un lourd sault au sens de « faire une chose
mal à propos », la recherche dans le CLM a prouvé que l’utilisation de cette expression avec
l’adjectif lourd est propre seulement à l’auteur du Retrait. Il en était probablement dans le but
de souligner la gravité de l’erreur commise par la dame. Il n’y a pas de traces d’une
expression pareille dans le français moderne. Nous nous heurtons ici pour la première fois à
un problème de la définition d’une locution, car le verbe faire n’est pas utilisé dans sa
signification propre de « fabriquer, réaliser », mais son sens est affaibli et il sert de support
pour l’emploi figuré de son complément (cf. Gross). Rappelons encore une fois, que nous
avons décidé de garder de telles expressions, des expressions à verbe support, dans notre
répertoire. Trad.: « Vous avez fait une erreur /De me dire une telle injure. »

III, v. 93-94 : Guillot annonce l’arrivée de l’Amoureux et il se moque de ce qu’il va suivre.


« Y vous ostera bien les sourys/Tantost du cul. » Cette métaphore dont nous n’avons pas
trouvé d’autre exemple dans le CLM renvoie à l’acte sexuel. Elle fait partie de nombreuses
images et métaphores inventives qui décrivent l’acte charnel et qui enrichissent le langage des
farces en le typisant. Le traducteur a gardé la même métaphore qui ne se retrouve non plus
dans Le dictionnaire érotique moderne. Trad. de Faivre : « Il vous ôtera vite fait/les souris du
cul. »

III, v. 105 : Après avoir fait un peu de chantage, Guillot promet enfin à la dame de garder la
porte : « Y n’y viendra ny chast ny chien. » Ne... ni chat ni chien s’utilisait dans le sens de

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

« personne » (DiSt.), la valeur nulle est donc exprimée par une locution figée, figurée attestée
dans les textes (cette question sera traitée globalement dans le chapitre 6.4.3). Présentement,
le chien est parti de l’expression et le chat y est resté. Nous disons : il n’y a pas un chat (Rey).
Trad. de Faivre : « N’y entrera ni chat ni chien ! »

III, v. 143-144 : Guillot regrette de ne pas avoir la même jouissance que les amoureux, il est
jaloux d’eux. « Et moy, un povre maquereau,/Feray la grue ainsy c’un veau ! » L’expression
actuelle faire la grue pour dire « attendre debout » existait déjà en moyen français (DiSt.).
Notons également quelques formes bizarres de la même suite : faire de la grue, faire la
jambe de grue ou faire le pied de la grue (Rey). Aujourd’hui, la grue signifie également « une
prostitutée » (Rey, A. : Dictionnaire culturel en langue française). Il est fort probable que ce
sens-là a été dérivé de cette image. Et quelle est l’étymologie du mot grue ? C’est une
adaptation du latin populaire grua, altérnative du latin classique grus, gruis qui désignait un
oiseau et une machine de guerre. Il s’agit d’un mot d’origine expressive dont on trouve des
équivalents dans plusieurs langues indo-européennes : le grec geranos, le vieil anglais cran
(angl. mod. crane), etc. - Le veau signifiait traditionnellement « un sot, un naïf, un imbécile »
(DiSt.) ce qui fait allusion à la réputation de bêtise de cet animal. Nous avons affaire à une
combinaison astucieuse de deux expressions figurées : faire la grue et comme un veau. Trad.
de Faivre : « Et moi, le pauvre maquereau,/Je ferai la grue comme un veau ! »

III, v. 146-149 : Le valet Guillot ne laisse pas entrer l’Amoureux sans récompense : « Vous
me rompés la teste./Pensés-vous que vous laise entrer/Sans argent en main me planter ? »
L’expression figurée, figée rompre la teste a qqn veut dire « le fatiguer, l’importuner »
(DiSt.). Nous avons en français moderne deux suites semblables : casser la tête à qqn et
casser les pieds de qqn signifiant « le fatiguer par ses paroles, son agitation, le bruit qu’on
fait » (Rey). Trad. de Faivre : « Vous me cassez la tête !/Pensez-vous que je laisse entrer/Sans
la pièce au creux de ma main ? » Nous retrouvons exactement la même locution dans la farce
du Meunier de qui le diable emporte l’âme à l’enfer XXII, v. 226 : Le meunier ne supporte
plus la tromperie de sa femme avec le curé, son amant : « Hay ! vous me rompez la teste. »

III, v. 158-159 : L’Amoureux a hâte d’embrasser la femme. « Acolés moy, mon


musequin./Quant je vous voys, je suys transy. » Etre transi est une locution figée avec le sens
d’« un amoureux froid » (Bid.). Le mot transy (du latin transire) signifie « trépassé, mort »
(Tis.). Aujourd’hui, cette locution figée amoureux transi a gardé son sens d’« amant timide »

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

et ne s’emploie que péjorativement (cf. Delveau). Vu notre contexte, cette acception est très
peu probable. L’expression est utilisée plutôt dans le sens inversé. Trad. de Faivre :
« Enlacez-moi, jolie frimousse./Quand je vous vois, cela me tue. »

III, v.163-165 : Le mari est parti et la femme incite son amoureux à l’action : « Mon mary est
dehors/S’en est alé ; ne craignés fors/Que de faire le passe temps. » DiSt. nous offre quelques
expressions figurées avec ce substantif : avoir du passetemps, donner le passetemps, prendre
son passetemps, toutes sont liées à une occupation agréable, dans notre contexte à une
occupation d’amour. Bid. accorde que l’expression prendre, faire son passetemps signifie
vraiment « forniquer ». Nous avons remarqué déjà dans les dictionnaires une grande
variabilité du verbe et des déterminants. Le passetemps est le plus souvent utilisé avec le
verbe prendre, une fois avec avoir et une autre fois (à part notre vers) avec le verbe faire :
« de faire cinq cens millions/Passetemps pour esbattement » (Monde, p. 400) (CLM). Après la
recherche dans le CLM, nous avons vu que le déterminant n’a été nullement stable. Dans les
cas semblables, les lexicographes ont décidé à la forme de leur entrée d’une manière aléatoire.
Il s’agit vraisemblablement d’une locution à verbe support d’un degré de figement moindre du
déterminant et du verbe avec son prédicat (voir ci-dessous, chapitre 6.3). Le traducteur a
remplacé cette vieille expression par une autre à verbe support : prendre du plaisir (Rey). Il
pourrait également opter pour prendre son plaisir, « faire l’acte vénérien » (cf. Delveau).
Trad. : « Mon mari est dehors,/Il est sorti. Ne craignez rien,/Sinon de prendre votre plaisir. »

III, v. 180 : Guillot commente l’approche de l’accomplissement de l’acte amoureux entre la


femme et l’Amoureux : « Tantost aura son picotin » Picotin, « ration d’avoine pour les
chevaux », s’appliquait dans l’acte sexuel de l’homme à la « ration d’amour » qu’il donne à la
femme (Bid.). Le mot picotin dans ce sens-là est souvent utilisé avec le verbe avoir (cf.
Gringoire, sotties), mais DiSt. ne considère pas l’ensemble comme une locution figée. Le
CLM cite le plus souvent la suite avec le verbe bailler/donner, une fois avec prendre et puis
notre cas avec avoir. Bid. ne note donc que la locution donner/bailler le picotin, « faire
l’action charnelle ». Il s’agit encore une fois d’une locution à verbe support où le verbe est
plus figé que dans le cas de passetemps, mais le déterminant reste autant instable. Notre
séquence avoir son picotin, ne peut pas être considéré comme figée, même si le verbe avoir
avait comme le verbe support un sens affaibli de « obtenir, jouir de ». Faivre a traduit
correctement par la ration qui n’a pas autant d’équivoque que le mot picotin.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

III, v. 201-205 : Le mari revient, il attend derrière la porte et Guillot donne son commentaire :
« Qu’el est marye/D’estre vis à vis du galant !/Or là ! couraige ; sus ! ma metresse./Sang
bieu ! vous petés bien de gresse ». God. explique l’expression péter de gresse ainsi : « être
fort rondelet, être éclatant de santé », donc ici « être en bonne forme pour faire l’amour », on
la trouvera par exemple dans Rabelais (cf. Tis.). Nous avons gardé jusqu’au français moderne
la même expression avec un petit changement de substantif : péter de santé, « être en pleine
forme » (Rob.) Trad. de Faivre : « Qu’elle est triste/De n’être plus sou son amant !/Allons,
courage, ma maîtresse !/Sang Dieu ! Vous pétez de santé ! »

III, v. 217-218 : Guillot se prépare à cacher l’Amoureux dans le cabinet et il jure sur sa fierté :
« Sy je faulx par la goulle/Ne vous fiés jamais en beste. » Faillir par la gueule n’est pas
directement une expression figée, mais elle entre dans le paradigme de nombreuses
expressions avec le mot gueule (DiSt., CLM). Vu l’acception du verbe faillir « commetre une
faute, être en faute, se tromper » (Hug.), le sens de l’ensemble est assez prévisible « dire
quelque chose qu’il ne fallait pas ». Il pourrait s’agir d’une locution novatrice, candidate au
figement qui a échoué à son concours ou tout simplement une façon de dire de l’auteur du
Retrait. Trad. de Faivre : « Si je fais faux bond côté gueule,/Ne vous fiez à aucun bestiau. »

III, v. 237-239 : Guillot va ouvrir à son maître et il fait allusion à ce qui est arrivé en son
absence : « Vrayment vos blés sont bien sarclés./Mon maistre, je voys querir les clés./Ma
metresse, voyecy mon maistre. » Nous avons ici affaire à une belle métaphore filée novatrice
ironique de l’acte amoureux qui n’est pas attestée dans les dictionnaires, ni dans le CLM.
D’ailleurs, le domaine érotique prend souvent ses métaphores au champ lexical du labour (cf.
Roman de la Rose ; Tis. XXXIV, v. 138-139). Le mot blé entrait dans les locutions sur le
thème amoureux, p. e. battre blef sur la grange, battre le blef en aultrui grange, « avoir une
relation exraconjugale » (DiSt.). Le verbe sarcler signifie « nettoyer (un champs) en arrachant
les mauvaises herbes » (God.). Trad. de Faivre : « Vous sarclez vos blés en vitesse !/Je vais
chercher la clé, mon maître./Ma maîtresse, voici mon maître ! »

III, v. 246-247 : Le mari se doute d’un adultère parce qu’ils l’ont laissé attendre longtemps
devant la porte et il déclenche un interrogatoire : « Tantost arés du ravelin,/Quatre ou cinq
grans coups toult d’un traict. » Il s’agit d’une locution figée à verbe support avoir du ravelin,
« avoir des coups, se faire battre » (DiSt.). Ravelin est d’après God. « un gros bâton ». Trad.
de Faivre : « Vous allez tâter du gourdin/Quatre ou cinq grands coups à la file. »

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

III, v. 274-275 : Le mari menace sa femme et son valet, il veut apprendre la vérité : « Je vous
rompray les echignes./Me faictes-vous rompre la teste ? » Dans DiSt., nous avons trouvé des
locutions mesurer l’eschine a qqn, frotter l’eschine a qqn, or Rey a noté tout le paradigme
caresser (frotter, rompre) l’échine à qqn, « le battre » et il le désigne comme vieilli. La
recherche dans le CLM montre que l’échine(s) est généralement l’endroit où on reçoit les
coups, et elle s’utilise avec les verbes mesurer, frotter ou rompre d’une manière égale (p. e.
« le deable luy rompe eschine », La Farce du Raporteur, p. 16). Le degré de figement est
plutôt moindre entre le verbe et son complément, mais le nombre des verbes possibles reste
restreint. De même le nombre de complément n’était pas complétement figé, quand bien
même il y aurait une tendance à utiliser le singulier. Remarquons le jeu de mots sur la double
utilisation du verbe rompre dans deux expressions différentes avec deux sens éloignés. Trad.
de Faivre : « Je m’en vais te briser le dos !/Ne va pas me casser la tête ! »

III, v. 276-277 : « Vous puissiés avoir male feste !/Rompu vous m’avés le serveau. » Pour
DiSt. avoir feste veut dire « se réjouir » et n’avoir feste « être tourmenté ». Mais avoir male
feste, existe-t-il une telle locution ? Même si elle ne figure pas dans le dictionnaire de DiSt., le
CLM prouve son utilisation plusieurs fois dans plusieurs textes et donc son certain figement
(p. e. La Farce du Maître Pathelin, v. 662 : « Dame, Dieu en ait male feste ! » ; Le Savetier,
le sergent et la laitière, v. 95 ; Moralité nouvelle des Enfants de Maintenant, p. 55 ; Farce
nouvelle des Cinq Sens de l’Homme, p. 303.). – L’expression rompre le cerveau a qqn
porte le même sens que rompre la teste (DiSt.) (voir v. 146-149). - Trad. de Faivre : « Ca, ça
vous portera malheur !/Vous m’avez défoncé le crâne. »

III, v. 282-283 : Les amants ont fait un festin. Le mari est arrivé et pour lui expliquer la
femme feint qu’il était destiné à lui. Sauf qu’une cuisse manque au canard et le maître
s’étonne pourquoi ils ne l’ont pas réclamé au marchand tout de suite auprès : « Ne c’est-il
poinct esayé/De vous faire quelque raison ? » Faire la raison signifie « acquitter une dette ou
accorder satisfaction » d’après Godefroy et « traiter équitablement, rendre justice, faire payer
ce qui est dû, fixer un prix, régler sa dette, venir à bout » d’après DiSt. Vu la transformation
de l’article défini en adjectif quelque, il s’agit d’une locution figée à verbe support (comme
faire un lourd sault, III, v. 75-76). Le degré de figement du déterminant est moindre. De nos
jours, Rey accorde à cette locution tout un sens différent : faire raison à (qqn) équivaut à « lui
faire réparation » ou « lui tenir tête en buvant avec lui et autant que lui » ou « lui rendre

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

justice, reconnaître ses mérites ». Trad. de Tis. : « N’a-t-il pas fait l’effort/de vous donner une
avance sur ce qu’il vous devait ? »

III, v. 289-290 : Le maître râle contre les marchands arnaqueurs : « A tous les deables soyent
les meschans/Qui trompent ainsy les marchans,/Les gens d’honneur et gens de bien ! » Voici
un beau juron figuré d’envoi de quelqu’un au diable qui se répète dans presque toutes les
farces, DiSt. l’a marquée dans son dictionnaire des locutions. Trad. : « Que soient au diable
tous les méchants /marchands qui trompent ainsi/les gens d’honneur et les gens de bien. »

III, v. 299 : La femme prie son valet ne rien dire : « Guillot, que mot on ne sonne ! »
DiSt. explique la locution figée ne sonner mot comme « se taire, ne rien dire ». Hug. donne
également au verbe sonner le sens de « dire, prononcer », mais ce verbe peut être dans ce
sens-là lié uniquement avec le nom mot et donc il est assez figé. Le CLM atteste également
l’emploi nombreux de cette locution figée basée sur une métonymie. Nous avons dans le
français moderne une expression équivalent souffler mot, « émettre un son, parler » (Rey).
Trad. : « Guillot, ne souffle pas mot ! »

III, v. 311-312 : L’Amoureux est caché dans le cabinet au milieu des excréments et Guillot
s’en moque : « Y vouldroict bien estre à Romme,/Vostre amoureulx dont n’ose dire. » La
locution adverbiale figée a Rome1 indique « un ailleurs loin d’un danger » comme d’autre
villes (cf. DiSt.). Nous pourrions considérer comme figé (au moins en partie) tout l’ensemble
voloir estre + complément circonstanciel de lieu qui exprime souvent d’une manière ironique
le dégoût, la surprise ou l’ahurissement d’un personnage (cf. branche IV du Roman de
Renart : « Or volsist estre mors en biere », v. 178 éd. Dufournet). La partie verbale entrant
dans le paradigme courant, elle peut donc être considérée comme figée. Trad. de Faivre « Il
voudrait être au bout du monde,/Votre amoureux dont je ne dis rien. »

III, v. 314-315 : La femme est en train d’expliquer les choses à son mari et elle s’indigne
contre le vallet qui lui coupe sans cesse la parole. « J’ey le myen coeur tant remply d’ire/De se
sot qui ront nos propos ! » Rompre les propos de qqn (DiSt.) est une vieille variante de
l’expression utilisée jusqu’à nos jours couper la parole « interrompre ». Cette expression s’est
lexicalisée dans les emplois figurés du verbe couper (Rey). Comme nous utilisons ce verbe

1
Pierre Guiraud désigne cette locution comme un calembour géographique.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

dans le sens pareille par exemple pour dire couper appétit ou couper envie, l’ensemble couper
la parole à qqn n’est pas ressenti comme expression figée, même si elle reste figée en partie.
Son degré de figement est relativement faible, il est donc fort probable que il en est de même
pour rompre les propos en moyen français. Le verbe rompre se lie avec le même complément
sans déterminant dans la locution figée rompre propos, « changer d’avis » (DiSt.) ou dans le
sens de « interrompre » avec le chemin, le disner, le sommeil (Hug.). Il reste à noter que le
verbe rompre ne pouvait pas être remplacé par couper en moyen français. Trad. de Faivre :
« Cet idiot me met hors de moi/à couper ainsi la parole. »

III, v. 355-356 : Guillot est content car il a pleinement profité de la situation en puisant de
l’argent de tous les trois côtés : « Je leur en baille./Je prens argent à toutes mains. » En bailler,
en bailler d’une/d’un autre a qqn signifiant « lui jouer un tour, le tromper » (DiSt.) est une
expression figurée et figée. Aujourd’hui, nous utilisons seulement l’expression la bailler belle
dans le sens de « chercher à faire accroire qqch » (Rey) qui a survécu du moyen français
(DiSt.). Trad. : « Je les escroque /Je prends l’argent de tout le monde. »

III, v. 386 : Le mari et la femme sont finalement contents que Guillot a tout arrangé si bien, et
ils lui proposent de boire un verre. Guillot ne refuse jamais une telle proposition : « A bien
sifler ne faulx jamais. » Sifler a le même sens que dans notre expression populaire siffler un
verre: « le boire d’un trait » (Tis.). D’après God. on employait aussi sif(f)leur pour
« buveur ». Dans notre cas, l’emploi de l’expression est elliptique car l’objet verre est sous-
entendu, on en a parlé dans les vers précédents. Dans le français contemporain, nous
rencontrons l’expression sabler un verre (Dun.). Trad. : « Pour sabler un verre je ne manque
jamais. »

III, v. 422 : Le mari a marre des allusions ironiques de son vallet et il le soupçonne de faire
l’imbécile: « Je croy que tu faictz de la beste. » Faire la beste veut dire « affecter la bêtise »
(DiSt.), la même locution figurée existe jusqu’à nos jours avec le même sens (Rey).
Néanmoins, nous remarquons dans notre farce une forme légèrement modifié par l’article
partitif qui fait penser à une locution à verbe support. De même que pour la suite faire la
raison, le déterminant du prédicat verbal d’une locution à verbe support est assez instable, et
le degré de figement est moindre. Ainsi les modifications telles que le changement du
déterminant ou l’ajout d’un adjectif entre le verbe et son prédicat sont possibles. Trad. : « Je
crois que tu fais la bête. » Nous retrouvons la même expression, cette fois-ci sans article

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

partitif dans la farce du Meunier de qui le diable emporte l’âme en enfer (XXII, v. 96-97) où
le meunier menace sa femme de raconter tout dans le paradis devant Jésus Christ. Cela ne
l’empêche pas de le battre. « Fault-il qu’encore je vous touche ?/Qu’esse cy ? Faictes-vous la
beste ? »

III, v. 459-460 : Après une scène de jalousie, l’Amoureux sort du cabinet tout noir et puant, et
Guillot le présente comme un diable ravisseur des jaloux. Le mari jure qu’il ne sera plus
jamais jaloux de sa vie: « La fiebvre cartaine m’espouse,/Sy jamais je suys jaloux ! »
L’expression figurée et figée espouser la fievre est utilisée surtout dans les jurons et les
imprécations (DiSt.). Dans notre cas, la fièvre est de plus spécifiée la fièvre quartaine. Nous
pourrions rencontrer également fievres blanches ou fievre traversaine (DiSt.). Les jurons de
ce genre ne sont plus utilisés dans le français contemporain. Trad. de Faivre : « Je veux bien
attraper les fièvres/Si je suis désormais jaloux. »

III, v. 478-479 : L’Amoureux remercie Dieu de l’avoir sauvé : « J’ey eschapé belle
fortune./Sans la finesse j’estoys mort. » L’expression assez connue l’eschapper belle (DiSt.) a
été modifiée par l’auteur du Retrait par le substantif fortune. Emettons l’hypothèse qu’il
voulait soit combler la lacune de l’expression pour qu’elle devienne plus claire, soit essayer
de faire une étymologie populaire. En vérité, beau y a le sens ancien d’« opportun, qui
convient parfaitement » et le genre féminin correspond à une valeur de neutre (Rey). Cette
locution figée est fréquemment usitée jusqu’à nos jours sous forme de l’échapper belle
« échapper de peu à un grand péril, à un danger sérieux ». Trad. de Faivre : « Je crois l’avoir
échappé belle./Sans mon astuce, j’étais mort. »

5. 2 Le Gentilhomme et Naudet (Tis. IV, tome I, p. 243-303/Faivre p. 477-536)

Le Gentilhomme et Naudet est une farce tématiquement assez curieuse et rare, puisque
c’est un mari trompé qui y prend sa revanche en trompant celui qui l’a trompé. C’est le thème
repris des Cent nouvelles nouvelles, dont la farce s’est juste inspirée. Le Gentilhomme vient à
la maison de Naudet voir sa femme Lison et se réjouir avec elle, il renvoie donc Naudet
d’abord abreuver son cheval, puis chercher du vin, et ensuite transmettre un message à La
Damoiselle. Dès que Le Gentilhomme commence à se dévêtir, Naudet, attendant ce moment
en cachette, prend sa veste et court, habillé en Gentilhomme, transmettre le message à La

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

Damoiselle. Celle-ci demande une explication et Naudet le lui donne en lui faisant la même
chose que Le Gentilhomme à Lison. La vengeance est accomplie.

IV, v. 3-4 : Lison tient des propos ironiques par rapport à son ménage et elle se plaint d’être
ligotée à la maison par son mari. Naudet répond pour soi tout étonné, car quant à lui, il n’avait
pas l’impression de l’enfermer. C’est plutôt qu’elle cherche des prétextes pour le pouvoir
tromper : « Quoy ! est ma chemise dorée ?/Da, da ! s’el est, j’en suys marry. » Parmi les
nombreuses expressions où entre le mot chemise, Tis. n’a rien trouvé qui expliquait ce vers,
DiSt. n’en parle pas non plus. D’après le sens de dorer : « couvrir d’une couche d’or pour
tromper sur le contenu » (Tis.), nous pouvons toutefois comprendre. Nous avons gardé dans le
français contemporain l’expression dorer la pilule à qqn, « présenter qqch sous des couleurs
trompeuses, trop favorables » (Rey). En moyen français, on utilisait le terme estre une pilule
ensucree et un cuivre doré, « être un faux, déloyal » (DiSt.), cet emploi se servait de la même
idée de masquage appliquée non à l’apparence (dorée) mais au goût (Rey). Supposons que
l’auteur de la farce connaissait ces expressions, mais qu’il a remplacé pilule ou cuivre par
chemise pour des raisons stylistiques. Ainsi il a réussi à faire allusion à une expression connue
en l’actualisant et en jouant sur son acception traditionnelle et sur l’acception prévue par les
spectateurs. Trad. : « Quoi ! Vous devez parler de quelqu’un d’autre ?/Oui, oui ! mais si c’est
de moi, j’en suis marri. »

IV, v. 5-7 : Naudet sait bien qui est Le Gentilhomme, il a dévoilé son jeu : « Sçavez-vous de
quoy je me ry ?/De Monsieur de nostre villaige,/Qui va de nuict en varouillaige. »
Varouilla(i)ge est le même mot que garrouage ou garouillage « lieu de débauche » (God.),
mais ce mot peut désigner directement « la débauche » (Hug., Bid.). Aller en garouage
signifie donc comme notre vadrouiller « courir le guilledou, aller en quête d’aventures
galantes » (DiSt.). Nous retrouvons cette expression également dans d’autres farces (p. e. Tis.
VI, v. 133 ; VII, v. 28). Il serait intéressant de suivre la trace étymologique de ce mot, car il
fait penser au garou. Malheureusement, Tob. ne donne pas l’explication de ce verbe, ni de
nom gar(r)ouage. Rey dans son Dictionnaire culturel éclaircit ses origines : vadrouiller a été
en utilisation commune en XIXe siècle, mais il est d’origine régionale plus ancienne, il
signifiat « se vautrer » (cela pourrait être un doublet de gadrouiller « patauger »). Le mot est
selon P. Guiraud directement issu d’un gallo-roman dérivé du lat. vadum. Il pourrait aussi être
dérivé de vadrouille qui est d’origine incertaine, et d’après Wartburg il pourrait provenir d’un
régionalisme lyonnais drouilles « hardes » et d’un préfixe de renforcement va-, du latin valde

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

« beaucoup ». P. Guiraud suggère un dérivé de vadare « passer à gué », de vadum.1 Trad.:


« Sais-tu bien de quoi je rigole ?/Du Monsieur de notre village,/Qui vadrouille dans la nuit. »

IV, v. 46 : Le Gentilhomme vient voir Lison, mais Naudet est à la maison et se montre
comme un grand bavard. Sa femme essaie de le faire taire : « Que ce fol yci a de plet ! » Di
Stefano n’atteste pas directement avoir de plet, mais il a noté prendre son plet, « parler
inutilement, être bavard » ayant le même sens. Plet signifie « paroles, langage » (God., de
placitum), il ne s’agit pas alors d’une locution figurée, mais seulement d’une séquence figée,
dont le degré de figement est moindre. Nous pourrions également classer cette locution parmi
celles à verbe support, vu le changement du déterminant et la possiblité d’insertion d’autres
éléments entre le verbe et le nom. Même si la locution avoir de plet ne figure pas dans le
dictionnaire de DiSt., son emploi fréquent dans les textes des farces (p. e. Tis. III, v. 307) ou
dans d’autres textes du CLM, prouve un certain degré de figement. Trad. : « Que cet idiot
parle trop ! »

IV, v. 53-56 : Le Gentilhomme envoie Naudet abreuver son cheval, bien évidemment, contre
son gré : « Houla, ho ! voicy pour desver./Qu’esse icy ? Hau ! comme il s’esmouche./Je croy
qu’il y a quelque mouche/Qui luy fetrouille soubz la fesse. » A l’époque le mot fetrouiller2 a
été plusieurs fois employé pour un homme qui fait l’amour (Tis.), et il a souvent le sens de
farfouiller (God.). Bid. atteste une expression assez proche, qui aurait pu servir de modèle
pour notre auteur : avoir des mouches subz la queue pour dire « faire l’amour » de source
d’un jeu de mots fondé sur l’expression figurée figée connue. Nous avons déjà rencontré
l’image des souris ôtées du cul (Tis. III, v. 93-94) et maintenant c’est la métaphore des
mouches qui fetrouillent soubz la fesse d’un homme. Delveau note dans son Dictionnaire
érotique moderne l’expression farfouiller une femme « la baiser, ou quelquefois la peloter
seulement. » Trad. de Faivre : « Holà ! C’est qu’il me rendrait fou !/C’est quoi, ça ? Ho !
Comme il s’énerve !/Je crois qu’il y a une guêpe/Qui lui farfouillle sous la fesse. »

IV, v. 68 : Lison dresse la table et renvoie Naudet chercher du vin. Celui-ci fait l’imbécile ne
comprenant rien. « A son folois il faict du fin. » D’après God. folois signifie « folie », il
donne également deux exemples, un en son folois (cf. Mir. de Nostre Dame, XXXIII, 1540) et
a son folois (cf. Farce d’un Gentilhomme, v. 254), les mêmes témoignages sont dans le CLM.

1
Vaudrouille désigne également « une femme prostituée » (Rey, Dictionnaire culturel).
2
Fetrouiller est peut-être une faute pour fatrouiller (Tis.).

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

Le mot folois s’utilisait alors soit avec la préposition en, soit avec la préposition a, et la
signification de l’ensemble était « dans sa folie ». Cette locution n’est pas figurée, mais elle
aurait pu être en train de se figer avec le choix de deux prépositions a/en son folois. –
L’adjectif fin signifie au sens moral « délicat, tendre » (cf. God.). Faire le fin, faire du fin
équivaut à « faire des façons, dissimuler » (DiSt.) C’est une locution figée, dont nous avons
gardé dans le français moderne jouer au plus fin « tromper qqn en le surpassant dans la ruse »
(Rey). Trad. : « Dans sa folie, il joue au plus fin ».

IV, v. 73-76 : Le Gentilhomme se prépare à l’acte amoureux en se déshabillant : « A ! ma


plaisante vignette,/Pendant que Naudet n’y est point/Je m’en vois mettre en beau
pourpoint/Affin que mieulx nous esbatons. » Se mettre en pourpoint était « se mettre à l’aise,
ôter sa robe et ne garder que le pourpoint » pour plusieurs raisons : pour travailler, pour se
battre et dans notre cas pour satisfaire plus facilement aux premiers ébats amoureux (Tis.,
DiSt.). Rey explique l’expression se mettre en pourpoint ainsi « s’appliquer à une tâche » (1re
moitié du XVIIe s.). L’image est celle de se mettre en bras de chemise, retrousser ses
manches. Après l’exploration du CLM, nous pouvons dire que l’expression figurée se mettre
en pourpoint s’utilise couramment, mais l’ajout de l’adjectif beau est propre à l’auteur du
Gentilhomme et Naudet, probablement pour renforcer son sens ou pour actualiser son emploi.
En plus, l’auteur a rajouté pour faire plus joli que son pourpoint est beau. Trad. de Faivre :
« Ma jolie vignette,/Pendant que Naudet n’est pas là,/Je m’en vais me mettre en
pourpoint,/Que nous nous ébattions à l’aise ! »

IV, v. 101-104 : Il va être nécessaire, la fois prochaine, d’envoyer Naudet bien loin pour que
les deux amoureux adultères puissent accomplir leur désir sexuel. Le Gentilhomme veut donc
envoyer Naudet chez sa femme noble : « Je luy jouray donc de finesse./Tantost je
l’empescheray bien./Ma femme ayme sur toute rien/A le veoir ; tousjours la faict rire. » Les
expressions avec le verbe jouer ne sont pas perçues par tous les auteurs de la même manière,
les uns les voient plutôt comme des locutions figées, les autres plutôt comme des expressions
à verbe support. Par exemple pour DiSt., il ne s’agit pas d’une locution figée, sans parler
d’une expression figurée. Nous considérons cette suite comme une locution à verbe support,
car beaucoup d’utilisations de jouer de ont une fonction semblable. Notamment jouer de
retraicte, « se retirer, s’enfuir » ; jouer de son reste, « faire tout ce qu’on peut, risquer tout,
faire tous ses efforts » (Hug.) ; jouer de bonheur, de malchance, de malheur, « donner »

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

(Rob.). Trad. de Faivre : « S’il s’agit de jouer d’astuce,/J’ai un moyen de le coincer./C’est que
ma femme aime beaucoup/Le voir : il la fait toujours rire. »

IV, v. 123-130 : Naudet a apporté le vin que les amants ont désiré, il en boit d’abord et après
il dilue le reste dans un seau. « Et bien donc ! Mais je sois mauldict/Se je n’en boy premier
ma part./Et puis je mettray là leur part/Dedens le seau. Advisez/Se je n’ay bien faict « hauld le
nez »./Je mettray cy le demourant./Le voyla frais maintenant,/Quand de boire aurez appetit. »
Faire « hauld le nez » est une innovation assez compréhensible de l’auteur de cette farce pour
remplacer le verbe ordinaire « boire », peut-être il s’agit également d’une expression
populaire qui n’a pas été consignée par les dictionnaires. Il faut imaginer que le buveur a le
nez en haut, parce qu’il est en train de boire, et pour mieux boire, il a mis la tête en arrière. Le
traducteur a bien traduit par lever le coude ce qui est une locution figée pour « boire,
s’énivrer » (Rey). Trad. de Faivre : « Très bien ! Mais que je sois maudit/Si je ne bois d’abord
ma part./Après, je verserai leur part/Là, dans le seau. Regardez bien/Comment je sais lever le
coude. »

IV, v. 169-171 : Lison emmène son amoureux derrière le rideau, dans une chambre à côté
pour que personne ne puisse les observer : « C’est très bien dict, m’amie chere./Qu’on ne
nous prenne à desarroy./Allons derriere, vous et moy. » Le sens de prendre a dessaroy est
« déranger » (Tis.). DiSt. parle simplement de la locution adverbiale ordinaire a desroi
« bruyamment, en désordre » qui se lie avec le verbe prendre employé à son sens propre. Il ne
peut pas s’agir d’une locution à verbe support, mais d’une séquence partièlement figée, car la
locution adverbiale s’emploie uniquement avec le verbe prendre, néanmoins, l’ensemble
prendre a dessaroy ne peut pas être considéré comme une locution figée. Trad. : « Vous avez
raison, ma chérie./Pour qu’on ne nous dérange pas,/Allons derrière, vous et moi. »

IV, v. 175-177 : Naudet revient et il les entend jouir : « Qu’esse cy ? ily s’en sont
vollez./Moy, mot, paix ! là je les os./Hon ! ilz font la beste à deux dos. » Cette plaisante
métaphore pour désigner l’acte d’amour était couramment employée à cette époque, par
exemple les Œuvres de Coquillart, chez Rabelais ou Villon (Tis.). Elle est notée également
chez DiSt. et Bid. avec la signification de « faire l’action charnelle ». Cette expression
figurée, figée classique s’emploie jusqu’à nos jours pour l’acte de baise (Dun.). Trad. :
« Qu’est-ce que c’est que ça ? Ils s’en sont allés/Paix ! Calme ! là, je les entends/Oh ! Ils font
la bête à deux dos. »

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

IV, v. 195-196 : Naudet immerge devant La Damoiselle dans les habits de son mari. C’est
pourquoi elle avait peur que quelque chose lui soit arrivé. « Par mon createur, je l’ay
belle ;/ C’est Naudet. Que Dieu nous doint joye ! » Il s’agit d’une expression elliptique
empruntée au jeu de balle, signifiant non « l’occasion est bonne » (Tis.), mais, ironiquement
« je me suis trompée » (DiSt. : l’avoir belle « se tromper, être trompé »). Trad. : « Mon Dieu,
je me suis trompée/C’est Naudet. Dieu nous tienne en joie ! »

IV, v. 306-309 : Le Gentilhomme s’apercoit d’avoir perdu sa robe et il se lamente : « J’ay


perdu ma robe contant ;/Mais je crains d’en prendre encor une./On voit souvent qu’une
fortune/Ne vient point seulle, se dict-on. » DiSt. ne cite pas exactement ce proverbe, mais il
explique le sens du mot fortune « hasard, chance, accident, malheur ». C’est Le Roux qui
atteste ce proverbe, existant jusqu’à nos jours (un malheur ne vient jamais seul (Rey)), dans
son recueil : fortune ne vient seule (XVe s.). Trad. de Faivre : « Un malheur ne vient jamais
seul. »

IV, v. 384 : La Damoiselle accueille chalereusement son mari noble et elle s’indigne sur les
propos et sur la fanfaronnade de Naudet : « Mais que ce fol a de blason ! » Après les
vérifications du CLM, il faut dire que la locution avoir blason n’existe pas, le Corpus l’atteste
seulement dans notre farce et nulle part ailleurs. La seule locution consignée de la
signification semblable est tenir blason, « se perdre en bavardage » (DiSt.). Nous pouvons
désigner cette suite à verbe support, car blason est « discours, conversation » (God.) et verbe
avoir a le sens propre affaibli. Il est intéressant de suivre la trace étymologique de cette
expression, qui est d’origine héraldique, car la première acception du substantif blason est
celui d’« un bouclier » (cf. Rey, Dictionnaire culturel). Blason étant quelque chose de noble,
son emploi dans notre contexte est vraisemblablement ironique. Nous utilisons jusqu’à nos
jour l’expression redorer son blason, « redonner à ses finances l’éclat qui correspond à son
titre, à son nom » (Rey), elle a rapidement commencé à être employée avec une valeur
ironique, surtout en parlant du mariage d’un noble avec une riche roturière. De même, le
verbe blasonner s’emploie dans le sens de « se moquer de, railler » (Rob.). Trad. de Tis. :
« Que de propos stupides tient ce fou ! »

IV, v. 385-389 : Le Gentilhomme exprime après avoir fait l’amour à Lison que toutes les deux
dames sont pareilles. « Hon, hon ! ma femme, estes-vous telle ?/Du chois n’en donnerois un

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

oignon,/De Lison ou ma Damoyselle,/De ma Damoyselle et Lison./N’en parlons plus et nous


taisons. » Ne... un oignon signifie « peu ou rien » (DiSt.), ce légume entre donc dans le
paradigme restreint des éléments qui peuvent exprimer la valeur nulle ou minime ; cette suite
est figée seulement en partie. Même si le traducteur a utilisé également l’oignon comme
d’auteur de la farce, cette expression n’existe plus en français moderne (Dun.,Rey). Trad. de
Faivre : « Hon ! Ma femme, êtes-vous ainsi ?/Le choix ne vaut pas un oignon/De Lison ou ma
Demoiselle,/De ma Demoiselle et Lison. »

IV, v. 394-396 : Une parole semblable pour les hommes : Naudet ou Gentilhomme, peu
importe, cela revient au même : « Ma foy, Monsieur, sans trahison,/Je ne vous donnerois ung
pet/Pour estre Monsieur ou Naudet. » Voici un autre élément qui peut désigner la valeur
minime ne... un pet « peu ou rien » (DiSt.). Cette expression figée et figurée avec un degré de
figement moindre a été préservée jusqu’au français moderne, Dun. dans son dictionnaire note
ne pas valoir un pet (de lapin) « médiocrité ». Trad. de Faivre : « Ma fois, Monsieur, sans
trahison/Le choix n’en vaudrait pas un pet/Que je sois Monsieur ou Naudet. »

5.3 Le Cuvier1 (Tis. XIII, tome III, p. 15-78/Faivre p. 67-120)

Le Cuvier est une farce à trois personnages : le mari Jacquinot, sa femme et la Mère de
sa femme. Il s’agit d’un ménage où la femme règne sur l’homme, elle lui a fait une liste des
obligations et celui-ci est forcé par conséquent de baisser le ton dès qu’elle approche. Mais
elle tombe dans le cuvier et elle se retrouve à la merci de son mari qui en jubile. Il prend sa
revanche et il promet d’aider sa femme seulement si elle supprime la honteuse liste. Il
annonce à sa belle-mère la bonne nouvelle : sa femme méchante est morte et à sa place une
femme d’exemple et de bonté est sortie de l’eau.
.
XIII, v. 1-3 : Le mari se lamente et il se plaint de sa situation conjugale : « Le grant dyable me
mena bien/Quant je me mis en mariage./Ce n’est que tempeste et oraige. » Cette expression
figurée, qui n’est pas figée ni en moyen français ni en français moderne, entre dans le
paradigme de nombreuses locutions avec le mot diable, elles seront traitées globalement dans
le chapitre 6.4.2. L’auteur du Cuvier s’est probablement inspiré par ce paradigme et il a créé

Le cuvier, le terme est attesté pour la permière fois du XIIe siècle et détermine « une cuve pour faire la
1

lessive » (Rob.).

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

une nouvelle expression dont le sens est fort prévisible. De même, l’expression du traducteur
coup de diable n’est présente ni en Rey ni en Dun. Trad. de Faivre : « C’était un coup du
diable/Quand je me suis mis en ménage./Toujours la tempête et l’orage. »

XIII, v. 38-41 : Jacquinot proteste quand sa belle-mère essaie de lui dire que sa femme le bat
pour son bonheur, pour le corriger. « Mais ce n’est rien dit à propos/De faire ainsi tant
d’agios./Qu’entendez-vous ? voyla la glose. » L’expression courante faire des agios, présente
p. e. dans la Passion d’Arnoul Gréban (v. 3843), signifie « énoncer des phrases
cérémonieuses, embarras » (DiSt.). La modification de déterminant est due au fait qu’il s’agit
d’une locution verbe support. Alain Rey explique dans son Dictionnaire culturel en langue
française que le mot agio, en usage aux XVIe-XVIIe siècles, signifiait « façons, manières ».
Son pluriel agios a été usité au sens de « cérémonies » au XVe siècle, puis au sens de
« babioles, reliques » en 1562. Il pourrait être pris au grec hagios « saint », répété dans les
antiennes1, avec influence de agiez « ornements ». Agios n’existe plus dans le français
contemporain, en revanche Rey montre une autre expression qui veut dire à peu près la même
chose : faire des phrases « parler, écrire de manière prétentieuse ». Trad. de Faivre : Mais
c’est parler pour ne rien dire/De faire ainsi de grandes phrases. J’ai mal compris : soyez plus
claire ! »

XIII, v. 45-47 : La belle-mère appelle Jacquinot péjorativement Jehan, par le nom qui a une
connotation défavorable qui désigne traditionnellement des sots (Tis.) ou éventuellement des
maris trompés. Jacquinot réagit ainsi : « Jehan ! vertu sainct Pol, qu’est-ce à dire ?/Vous me
acoustrez bien en sire,/d’estre si tost Jehan devenu. » Sire prenait particulièrement dans les
textes comiques comme les farces sens ironique de « sot, niais, nigaud » (Tis.). Philipot
suggère pour ce sens un emprunt à l’argot des Coquillarts. Acoustrer signifie « affubler », et
l’expression acoustrer en sire s’approche donc à l’expression tailler un costume. Dans le
français contemporain nous avons une expression tailler un costume (costard) à qqn avec une
signification légèrement modifiée : « lui faire une mauvaise réputation » (Rey). Trad. de
Faivre : « Gros Jean ? Vertu saint Paul ! De quoi ?/Vous faites de moi un idiot /De m’appeler
Gros Jean si vite. »

1
Antienne : « refrain repris par le chœur entre chaque verset d’un psaume, ou chanté seulement avant et après le
psaume. » (Rob.).

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

XIII, v. 55 : Jacquinot préférerait être tué plutôt que de subir cette corvée toute sa vie :
« J’aymeroys mieulx qu’on me coupast (la) gorge. » Couper la gorge a qqn signifie « lui
enlever tout argument, le convaincre d’erreur » (DiSt.). La même expression couper la gorge
à qqn s’emploie encore en XVIIe s. avec une autre signification « lui causer quelque
dommage ; lui faire un préjudice notable qui le ruine, qui le met en état de mourir de faim »
(Fur.). Mais l’auteur du Cuvier n’avait pas à l’esprit la locution couper la gorge quand il a
écrit ces vers. Il pensait plutôt au sens compositionnel des unités individuelles et il a joué sur
le défigement de l’expression figurée pour créer un effet du et ironique. Trad.: « J’aurais
préféré qu’on me plutôt coupe la gorge ! »

XIII, v. 141-142 : La dernière obligation de la liste est de faire l’amour à sa femme quand
l’occasion se présentera: « Et puis faire aussi cela/Aulcunesfois à l’eschappée. » L’expression
figée faire cela, aussi le faire, bref faire + pronom démonstratif ou personnel (DiSt., Bid.,
Delveau) était d’usage fréquent (Tis. XXX, v. 32-33 ; XXXIV, v. 33). C’est un euphémisme
pour remplacer toute une échelle d’expressions métaphoriques, comme faire la beste à deux
dos (Tis. IV, v. 178 ; X, v. 107 ; XIX, v. 197), faire la cautelle, fourrer le pelisson, river le
bis. Trad.: « Et puis le faire /Quand se présente une occasion. »

5.4 Le Chaudronnier (Tis. XIV, tome III, p. 79-115/Faivre p. 121-154)

Le Chaudronnier est une farce avec la plus belle collection d’injures. L’affrontement
entre le mari et la femme est cette fois-ci égalitaire. Après en être venu aux mains, le mari est
obligé d’implorer pardon. Ils parient que celui qui rompra le silence le premier aura tort à
jamais. S’en suit un silence absolu où tous deux guettent dans leur coin que l’autre craque.
Dans cette situation arrive le chaudronnier qui va réussir à bouger le couple. Il fournit des
caresse à la femme, le mari ne le supporte plus et il punit le chaudronnier. Ainsi c’est la
femme qui a gagné le pari.

XIV, v. 25-31 : La femme injurie l’homme et elle le compare à un âne : « Mais envyeuse/De
ouyr vostre teste glorieuse/Comme un asne ricanner ! » L’âne symbolise la stupidité et
l’entêtement (il partage cette dernière réputation avec le mulet) dans la tradition gréco-latine
(cf. Rey, http://longuesoreilles.free.fr/Symboles_et_Creation/Symboles_et_Creation.htm) et
dans ce contexte son nom est utilisé d’une manière ironique et comique avec le verbe ricaner.
Il s’agit d’une expression figurée, avec un degré de figement léger. Asne forme une locution

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

figée avec d’autres unités lexicales : chanter, crier comme un asne, plus beste qu’un asne, etc.
(DiSt.). Trad. de Faivre : « Moi, envieuse/d’entendre cette tête enflée/Qui chante comme un
âne brait ! »

XIV, v. 44 : Lors de la bagarre, l’homme fait allusion à l’utilisation abondante de parfum par
sa femme : « Vous faictes tout le muglia. » Le muglia est une appellation métonymique pour
les femmes qui chassaient les mauvaises odeurs par l’utilisation abondante des parfums tels
que « de la graine de violette ou de muglias » (Tis.). Vu que cet ensemble ne figure pas dans
DiSt., ni God., ni Hug., ni CLM, cette expression n’est pas figée, seulement figurée. Il s’agit
d’une locution inventive insolente à verbe support propre à cet auteur qui devait probablement
faire rire les spectateurs. Trad. de Faivre : « Vous vous inondez de parfum. »

XIV, v. 69-72 : Le mari anticipe le pari, car il taquine sa femme: « Vous verriez plustost
Lucifer/Devenir ange salutaire/Que1 une femme eust un peu de repos,/Et soy taire ou tenir
maniere. » Voici une belle création figurée de l’auteur du Chaudronnier qui veut exprimer le
degré de l’impossibilité du silence d’une femme. Cette expression n’est pas figée. Trad. de
Faivre : « Vous verriez plutôt Lucifer/Devenir l’ange du salut/Avant qu’une femme se
calme/Et se taise ou reste tranquille. »

XIV, v. 80-86 : La femme jure à son mari que ce ne sera pas elle qui parlera la première. « En
cest estre/Vous demourrez assis/Sans parler à clerc ny à prebstre,/Non plus que faict ung
crucifix./Et moy qui me tais bien envys,/Je tiendray mieulx en paix/Que ung chinotoire. »
Voici deux belles comparaisons créatives qui ne sont pas figées et qui se veulent inventives
pour épater l’adversaire, voire le lecteur. Ni Le Roux ni CLM ne relève ces expressions, elles
sont inédites. Chinotoire ne se rencontre nulle part ailleurs, et son sens est inconnu, cela
pourrait être p. e. un « bouddha » (Tis.). Trad. de Faivre : « Dans ce coin/Tu vas rester
assis/Sans parler à curé ou prêtre,/Aussi muet qu’un crucifix./Moi, qui me tais bien malgré
moi,/Je me tiendrai plus silencieuse/Qu’un magot chinois. »

XIV, v. 87-88 : Le perdant va faire à manger « Qui perdera, dame cervelle,/Il paye à la soupe
payelle. » Il y a tout un jeu de mot sur la soupe payelle : la payelle est « une poêle à frire », de
plus, ce mot a pu être voulu pour le jeu de mots : paye... payelle, ou pour annoncer le
chaudronnier qui venait sur la scène (Tis.). Le sens de l’expression est « le perdant va payer la

1
Cet ensemble ne figure pas dans la liste de Le Roux.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

soupe ». Elle pourrait paraître au premier coup d’œil comme une expression figurée, mais le
sens est compositionnel et non opaque, l’auteur a employé le jeu sur le défigement (voir le
chapitre 6.2.1). Trad. de Faivre : « Quelle cervelle !Le perdant,/C’est lui qui paie la gratinée. »

XIV, v. 89 : Le coup s’acharne à ne plus parler : « Mot sans cillier. » Cette expression sonne
d’après God. pleinement sans dire mot ne sans cillier, dans cette farce, l’auteur a utilisé la
forme raccourcie certainement pour des raisons de versification. DiSt. note les deux termes
assemblés séparémment : sans mot dire « en silence » ; sans ciller « sans bouger ». Nous
avons donc deux possibilités d’interprétation : décider soit à un mélange de deux expressions
figurées et figées, soit à une abréviation d’une seule expression. Trad. : « Sans dire mot ni
sans ciller. »

XIV, v. 119-123 : Le chaudronnier arrive et il s’indigne que personne ne lui adresse la parole,
alors il va essayer de faire parler les deux. « Hau ! Jenin1, conque(s)ti(stes-vous)
mouche ?/Faictes-vous cy du president ?/Il ne remue lebvre ne dent./Se semble, à veoir,
un ymage,/Un sainct Nicolas de village. » Le sens du premier vers est : « Avez-vous gobé une
mouche que vous ne voulez pas laisser échapper ? » (Tis.). Il ne s’agit pas d’une expression
figée conquester des mouches, c’est simplement une métaphore pour exprimer le silence
d’autrui puisqu’une telle expression n’existait pas encore (CLM). L’auteur ne pouvait pas
penser à cet endroit-là à un défigement. Néanmoins, il est possible que notre expression
contemporaine gober des mouches avec la signification de « perdre son temps à attendre
quelqu’un » (Dun.) a pris sa naissance dans ce type de textes ou même dans cette farce. -
DiSt. considère seulement la partie en président « en faisant l’important » comme figée, mais
nous allons noter toute l’expression faire du président en le prenant pour une locution à verbe
support. – Malgré le fait que la locution ne remuer lebvre ne dent n’est présente dans aucun
dictionnaire des locutions en moyen français, et donc on pourrait en déduire à une invention
de l’auteur, une métaphore, une expression figurée sans figement, Dun. atteste l’expression
récente et cocasse ne connaître qqn ni des levres ni des dents (Dun.) : « ne pas le connaître du
tout », une variante de ni d’Eve ni d’Adam. Il est assez probable qu’il s’agissait déjà à
l’époque d’une locution figée en cours de figement, pas encore attestée dans les dictionnaires
du moyen français. – Dans la suite figée fixe, planté... comme une image (DiSt.), ymage veut
dire « statue » (Tis.). Dans Les Quinze Joies de mariage il est dit d’une femme qui, à l’église,

1
Jenin désigne « un sot » (Tis.).

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

se tenait immobile à son banc, qu’elle se contenait « doulcement comme ung ymage ». Dans
notre cas, le mari est vraiment immobile et il rappelle au chaudronnier une statue, quelque
chose d’immobile. A la place du comparateur comme, l’auteur utilise une expression
équivalente se semble. Cette séquence est donc figurée et figée aussi. De nos jours, on
compare à une image quelque’un de sage (Rey). – Le Roux répère l’expression faire le Saint
Nicolas de village et la classe dans les proverbes français, mais il n’explique pas son sens.
D’après Tis. elle s’emploie dans le même cas que l’expression plus contemporaine faire le
Père Noël dont ni DiSt., ni Dun., ni Rey ne parlent. D’après les caractéristiques
hagiographiques, nous pourrions déduire que Saint Nicolas symbolise un homme bonasse et
un peu bête car les vertus prêtées aux saints, en particulier, dérivent souvent de la forme de
leur nom. Certes, dans la majorité des cas c’est à quelque particularité de son histoire que le
saint doit ses pouvoirs. « Le français médiéval adore jouer sur les mots ; dans l’ancienne
rhétorique l’étymologie est le nom d’une figure qui consiste à expliquer les caractères d’un
objet ou d’un individu par la forme de son nom. » 1 De plus dans notre contexte, l’usage de
cette expression est elliptique car le verbe faire n’est pas exprimé. Nous supposons la
signification de l’expression d’après les caractères du personnages saint en question. Trad. de
Faivre : « Ho, ducon a gobé des mouches ?/Ou bien on joue au président ?/Il ne remue ni dent,
ni lèvre:/On croirait voir une statue./Un saint Nicolas de village. »

XIV, v. 143-144 : Le chaudronnier s’étonne de l’immobilité et du silence du couple. « Mais


que dyable ont-il en la gorge ?/Il ne se remuoit point un grain. » Ne... un grain signifie « pas
du tout, nullement, aucunement » (DiSt.). C’est une autre locution figurée qui s’ajoute aux
expressions à valeur nulle déjà rencontrées : oignon, pet, grain, mie, pomme, écu (voir le
chapitre 6.4.3). Aujourd’hui nous utilisons pour cette acception la suite ne... poil qui a été
également attestée en ancien français et notée dans l’étude ciblée de Frankwalt Möhren Le
renforcement affectif de la négation par l’expression d’une valeur minimale en ancien
français (Beihefte zur ZRPh, t. 175, 1980, Tübingen, Niemeyer.). Trad. : « Mais que diable
ont-ils dans la gorge,/A ne pas remuer d’un poil ? »

1
Guiraud, P. : Les locutions françaises. P. 98.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

5.5 Meunier de qui le diable emporte l’âme en enfer d’André de La Vigne (Tis.
XXII, tome IV, p. 169-243/Faivre p. 397-476)

C’est un cas rarissime dans les annales de l’histoire de la farce, car on connaît l’auteur
de cette farce, il s’agit d’André de La Vigne. La représentation de la pièce est située très
volontairement par l’auteur au plein milieu de l’agonie de saint Martin. « Le canevas n’en est
guère original (triangle habituel du mari cocu, de la femme dominatrice et du curé paillard)
et l’épilogue scatologique n’en est pas neuf (il est emprunté au fabliau de Rutebeuf, intitulé
Le pet au vilain), mais les ingrédients comiques les plus rebattus acquièrent une noirceur peu
commune, dès lors que le lit farcesque est un lit de mort. »1 La femme de la farce bat son mari
malade, cloué au lit, et roucoule avec le curé à quatre pas du lit du malade, en rêvant du bon
temps qu’ils se paieront dès que la mort emportera le mari. Et un peu plus tard, le mari est
obligé de se confesser au rival détesté (le curé) pour bénéficier du salut après la mort.
Entretemps Lucifer envoie un de ses diables chercher des âmes, le diable attrape dans son sac
le crottin du mourrant et il se fait gronder par le souverain de l’enfer d’empuanter son
royaume.

XXII, v. 7-8 : Le Meunier a froid et il répond à sa femme : « J’ay moult grant peur, si le froit
dure,/Qu’aulcuns en seront trop deceux. » Voici une locution typique à verbe support, dont la
différence par rapport aux locutions verbales est définie par la modification et l’adjonction
d’un adjectif qualificatif. Trad. : « J’ai un grand peur que si le froid continue/Certains verront
comme ils se trompent ! »

XXII, v. 11-12 : La femme incite son mari à se lever, celui-ci excepté si elle lui passe du bon
vin à boire. « Femme, pour me mectre au-dessus,/Baillez-moy la gourde pie. » Mettre au
dessus signifie « mettre en l’honneur, sur les autres » (DiSt.). Tis. explique l’ensemble se
mectre au-dessus comme « se mettre au-dessus de la douleur pour la surmonter ». Vu les
recherches sur le CLM, nous concluons plutôt à une utilisation elliptique de cette suite avec le
sens compositionnel « se lever » et non à une expression figée. - La gourde pie est une
expression argotique pour désigner du « bon vin » composée de l’adjectif gourt, dont le sens
habituel est « à la mode, fastueux » et du substantif pie, de pier : « boire » signifiant « action
de boire, boisson » (Tis.). D’où l’expression figurée croquer la pie « boire

1
Faivre, B. : Les farces. P. 400.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

gaillardement » (Tis. XIV, v. 191) (DiSt.) utilisée du XVe au XVIIe s. (Rey). DiSt. note
également l’expression figée et figurée bailler la gourde pie « donner à boire ». Trad. : « Ma
femme, pour que je me lève,/donnez-moi à boire. » Dans les v. 243-244 la femme appelle le
curé Croque Pie tout en plaisantant avec lui : « Parlez à Regnault Croque Pie,/Vostre cousin,
qui vous vient voir. »

XXII, v. 15 : Le femme gronde son mari malade à la fois parce qu’il a toujours soif et qu’il a
sans cesse une goutte au nez. « Mais qu’ayez tousjours la roupie/Au nez ! » Avoir la roupie
au nez était une expression courante pour dire « avoir soif, boire beaucoup ». Ici, nous
pouvons supposer le défigement dans le but d’un jeu de mots sur roupie au nez. Au sens
propre, la roupie est « une goutte d’humeur qui pend au nez », particulièrement quand il fait
froid (Tis.). De la même façon que nous disons d’un ivrogne qui boit comme un trou (Rey), la
femme ferait allusion au fait que son mari a toujours soif. Le traducteur a utilisé une des
nombreuses expressions figurées pour exprimer « s’énivrer, biberonner » se piquer le nez
(Dun.). Trad. de Faivre : « Mais il faut toujours que tu te piques/le nez. »

XXII, v. 23-25 : Le Meunier demande à sa femme de la boisson. Mais elle ne veut pas lui en
donner pour se venger des années passées en couple. « Mort suis pour toute recompence,/Se je
ne refforme ma pence/De vendange delicieuse ! » Tis. comprend le verbe refformer dans le
sens de « rinçage de son estomac par une boisson exquise ». Cette expression figurée n’est pas
présente dans le dictionnaire de DiSt. ni nulle part ailleurs dans le CLM, elle est propre à
l’auteur du Meunier. Trad. de Faivre : « Je n’ai que la mort pour issue/A moins de me rincer
le ventre/D’un bon coup de jus de la treille. »

XXII, v. 36-38 : Le Meunier se défend, dit qu’il a assez veillé au plaisir de sa femme et qu’il
remplissait comme il fallait les devoirs conjugaux. « Aux jours ouvriers et jours de festes,/Je
foys tout ce que vous voulez,/Et tant de petis tours. » Pour donner le sens à ses petis tours, il
faut voir plus loin le v. 131 où la femme parle avec son amant de curé : « Des tours ferons ung
million. » Le terme figuré et figé à verbe support faire ses petits tours veut dire « faire des
exploits sexuels » (DiSt., Bid.). Trad. : « Jour de travail ou jour de fête/Je faisais tout ce que
vous vouliez/Sans oublier vous faire jouir. »

XXII, v. 44-45 : Le Meunier continue à se plaindre : « pencez que, dans mon advertin,/Les
quinzes joyes n’en ay mye. » Tob. explique le mot advertin comme « une duperie, tromperie,

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

imposture » ou « une maladie » ; aussi Cohen l’explique dans son glossaire des mots rares et
difficiles et il lui donne le sens de « accès de folie ». Vu cette éclaircissement, dans mon
advertin n’est ni locution ni expression. - La signification de la suite avoir les XV joies
équivaut à « suffrir » (DiSt.). D’après Tis. cette expression pourrait faire référence à une
prière très populaire au Moyen Age, Les Quinze joies de Notre Dame, les quinze joies
exprimaient le comble du bonheur. Mais le contenu de toute la farce fait plutôt penser à la
satire des Quinze joies de mariage (fin du XIVe – début du XVe siècle) qui, en opposition,
relataient tous les malheurs des hommes mariés. – Ne... mie veut dire « ne... point, ne... pas »
(DiSt.), elle aurait pu représenter une expression figée et figurée pour désigner la valeur nulle
qui s’ajouterait à notre liste, mais ces expressions négatives ont été si lexicalisées que l’on ne
peut pas les mettre sur le même niveau que les autres locutions figées et expressions figurées.
Trad.: « Tu me crois peut-être assez dupe/Pour ne pas en suffrir ! »

XXII, v. 51-54 : Le Meunier pleure son destin : « Qui se marye/Pour avoir ung tel
contrepoinct ?/Je ne sçay robe ne pourpoint/Qui tantost n’en fust descousu. » Avoir un tel
contrepoint (DiSt.) est une locution figurée et figée. Contrepoint au sens propre renvoie à une
phrase musicale accompagnée de parties secondaires se répondant. Au sens large, il désigne
une musique quelconque, une chanson (faire le contrepoint signifiait : « chanter ») ; le sens
dans ce contexte-là peut être pris d’après le verbe contrepointer dans le sens figuré :
« contrecarrer, se mettre en opposition, combattre » (Hug.). Trad. : Qui voudrait se
marier/Pour avoir une telle adversité?/Les coutures de mes habits/En seront toutes décousues.

XXII, v. 59 : Après la bastonnade de son mari, la femme dépose le bâton et elle dit : « Il en est
taillé et cousu. » Tis. prétend que cette métaphore devait appartenir au langage des drapiers,
couturiers et chaussetiers qui s’est figée postérieurement. Elle renvoie aussi au v. 52-53. En
estre taillé et cousu signifie « décidé, fini » (DiSt.). Nous avons trouvé dans le CLM la même
expression dans Science et Asnerye, p. 338 : « Et ce faictz mon bon gré, mon ame ;/Tu en as
cousu et taillé. ». Trad. : « Tu en as déjà eu assez. »

XXII, v. 64 : Elle le frappe encore une fois : « Empoignez/Ceste prune ! » Le mot prune entre
dans diverses expressions, DiSt. explique empoigner une prune comme « être frappé ».
L’argot du français moderne n’utilise plus le mot prune pour désigner « un coup », mais le
pruneau. Trad. : « Déguste ce pruneau ! ».

- 53 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

XXII, v. 74 : Le mari annonce à sa femme qu’il va mourir, celle-là s’en moque : « Je n’en
donne pas une pomme. » Il s’agit d’une autre locution ne... une pomme, où une pomme
exprime la valeur minime et elle entre dans ce paradigme restreint, mais pourtant vague
(DiSt.). Trad. : « Je m’en fiche complètement. »

XXII, v. 84-87 : Le curé, amant de la meunière, sort de chez lui et il a l’intention d’aller lui
rendre visite. « Il y a des sepmaynes mainctes/Que je ne vis nostre munyere./Pour ce, je m’en
vois aux actaintes/La trouver. » Cette locution à verbe support a été consignée chez Hug. sous
les formes suivantes : venir, parvenir à son atteinte, à ses atteintes, « atteindre son but, arriver
à ses fins » (atteinte est « action d’atteindre »). Nous voyons que le degré de figement du
verbe et du déterminant est plutôt moindre, nous pourrions donc considérer notre variante s’en
aller aux actaintes comme une partie de ce paradigme. Trad. : « Ça fait déjà beaucoup de
semaines/Que je n’ai pas vu notre meunière./Je vais tâcher de/la trouver. »

98-99 Le meunier menace sa femme de tout raconter au moment du jugement dernier, mais
cela ne l’empêche pas de le battre à nouveau. Le meunier répond : « Laissez m’en paix ! Trop
fine mouche/Estes pour moy. » Nous nous heurtons à un problème d’interprétation de cette
appellation car pour DiSt. le mot composé une fine mouche signifie « un homme habile et
rusé », mais dans notre contexte c’est une femme qui est appelée ainsi. Bidler dans son
Dictionnaire érotique note encore une autre explication pour la mouche : « poil du bas
ventre ». Nous pensons que compte tenu le contexte, l’auteur a utilisé pour une femme une
appellation d’origine masculine, pour aussi dire qu’elle se comporte comme un homme. La
fine mouche s’utilise jusqu’à nos jours (cf. Brassens). Trad. de Faivre : « Fous-moi la paix !
Tu es pour moi/Bien trop maligne ! »

XXII, v. 120 – 121 : L’homme se meurt, le curé et la femme s’en réjouissent : « Curé, nous
vivrons gayement,/S’il peult estre en terre perché. » Tis. parle d’une image plaisante mais peu
heureuse, pour « être logé en terre ». Peut-être l’expression vient-elle, d’après lui, de ce qu’on
disait : perché à un gibet, c’est-à-dire : pendu, mort. Malheureusement, DiSt. ne nous aide pas
dans notre recherche. Une autre explication possible est fournie par Hug. Il note encore une
autre sens du mot percher1, dont le sens est 1. « traverser » ou 2. « franchir » ; ce qui pourrait

1
La forme dialectale du verbe percer (Hug.).

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

donner une explication satisfaisante à notre expression métaphorique figurée, mais pas figée.
Trad. : « Curé, nous vivrons gaiement,/Quand la terre le couvrira. »

XXII, v. 158-161 : Le meunier prend congé des vivants : « Congé me fault prandre des vifz/Et
m’en aller aux trespassez/De bon cueur et non pas envis,/Puis que mes beaux jours sont
passez. » La locution à verbe support prendre congé de qqn est définie par DiSt. comme
« demander la permission de qqn », or Rey prétend à cette expression déjà depuis le XVIe s.
dans le sens de « faire ses adieux à qqn, avant de partir », dans notre contexte avant de mourir.
Il s’agit certainement d’une locution figée, en effet, DiSt. s’était trompé sur son sens et il l’a
pris dans le sens compositionnel, car congé signifie « la permission » (Hug.). – Notons encore
que s’en aller aux trépassés est un euphémisme pour exprimer « mourir », son sens est
compositionnel, ce n’est pas une locution. Trad. : « Il faut que je dise mes adieux aux
vivants/et que je m’en aille chez les trépassés/de bon cœur et sans rechigner/puisque mes
beaux jours sont passés. »

XXII, v. 178-179 : La dispute conjugale : « Tant de langaige,/C’est-il à payne d’un escu ! »


Ne... un escu équivaut à « peu ou rien » (DiSt.). Notre auteur s’est basé sur cette locution,
mais il a ommis la particule ne pour pouvoir mettre « c’est à peine d’un escu ». Cette
expression figée et figurée est utilisée jusqu’à nos jours, sauf qu’un écu a été remplacé par un
rond (Rey). Trad. : « Cela ne vaut même pas un rond ! »

XXII, v. 207-210 : La femme veut faire taire le mari qui l’accuse. Elle déguise donc le curé en
son cousin. Le cousinage était une parenté dont se réclamait un amant fallacieux pour
approcher sa belle (Tis.). Nous en trouvons des exemples notamment dans les Quinze joies de
mariage. Le meunier se doute du sale jeu et il menace : « A ! très orde vielle, truande,/Vous
me baillez du cambouys !/Mais quoy ! vous en pairez l’amende,/Se jamais de santé joys. » Le
cambouis1 est le produit de la graisse qui servait à graisser les essieux des roues et des
poussières métalliques (Tis.). DiSt n’en parle pas, mais Dun. révèle l’expression donner du
cambouis, provenant du XVe s. pour dire « se moquer de qqn, lui jouer un jour, le duper », il
cite l’exemple de notre farce et il ajoute qu’il était utilisé dans l’argot du peuple. Il s’agit donc
d’une expression figurée et figée. - En ce qui concerne la deuxième suite, payer l’amende
« subir les conséquences » (DiSt.), elle est figurée et figée, n’est plus usitée de nos jours.

1
Nous avons le premier exemple de ce mot au XIVe siècle (Tis.)

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

Nous employons tout simplement le verbe payer dans son sens figuré. Trad.: « Ah, vieille
salope crade !/Tu me tires un pied de cochon./Mais tu vas me le payer /Si je reviens à la
santé. »

XXII, v. 217 : Il faut remettre le meunier soupçonneux en confiance : « Il faut qu’en bon train
on le boute. » Bouter signifie la même chose que mettre (Hug.). Cette expression figurée
mettre qqn en (bon) train veut dire « mettre dans de bonnes dispositions pour, en humeur de »
(Cotg.). Trad. : « Il faut qu’on le remette en confiance ».

XXII, v. 221-224 : La femme parle au curé/cousin à qui Le Meunier a tourné le dos :


« Regardez ce groz lymosin,/Qui a tousjours son hault couraige !/Parlez à vostre
parentaige,/S’il vous plaist, en luy faisant feste. » Tis. traduit la suite avoir son hault couraige
comme « faire le fier », car haut signifie également « fier », mais il ne s’agit pas d’une
locution, car le sens de l’ensemble est plutôt compositionnel. – En revanche, faire feste a qqn
« se réjouir, démontrer de la joie à qqn » (DiSt.) est une expression figurée et figée. Trad. de
Faivre : « Regardez ce gros paysan/Qui fait toujours son dédaigneux !/(Au Meunier) Il faut
parler à ton parent,/S’il te plaît, en étant aimable. »

XXII, v. 229-230 : Le meunier sait qu’ils se moquent de lui et que ce n’est qu’un jeu : « Celle
requeste/Aura devers luy bon credit. » DiSt. atteste l’expression figée avoir credit avec qqn
« avoir confiance en qqn » qui ressemblerait d’après nos critères plutôt à une locution à verbe
support, vu l’adjonction de l’adjectif entre le verbe et son prédicat nominal. La variabilité de
cette locution est grande, nous avons trouvé dans le CLM p. e. les attestations de perdre bon
credit (Femmes qui font écurer leurs chaudrons, v. 154 : « vous perdrez en nous bon credit »),
mais l’expression avoir bon crédit telle quelle n’existe nulle part ailleurs. Trad. de Faivre :
« Ce conseil-là,/Il le suivra bien volontiers. »

XXII, v. 258-262 : Le curé annonce au malade que sa cousine et sa voisine viendront lui
rendre visite : « Que c’est Bietris vostre cousine,/Ma femme Jehenne Turelure,/Et Melot sa
bonne voisine,/Qui ont pris du chemin saisine,/Pour vous venir reconforter. » Pour Tis.
prendre du chemin saisine veut dire « se mettre en route », le terme juridique saisine
désignerait la « possession », le sens de l’ensemble serait littéralement « prendre la route en
possession ». Or DiSt. atteste une expression un peu différente prendre le/son chemin
(a/contre/de/en/envers/vers) d’un sens légèrement différent : « s’acheminer, se diriger, trouver

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

la voie ». L’expression toute faite avec l’adjectif saisine n’existait pas (cf. CLM), Tis. a tort.
La variété des prépositions et les modifications possibles du déterminant ou l’adjonction d’un
adjectif qualificatif laissent plutôt penser à une locution à verbe support. Trad. : « Béatrice,
votre cousine,/Ma femme, Jeanne Turelure,/Et melot sa bonne voisine,/elles se sont mises en
route/Pour venir vous reconforter. »

XXII, v. 283 : Quand ils s’assoient à table, la femme dit : « Vecy pain et vin à planté. » A
planté signifie « en abondance, en quantité, beaucoup, grand nombre » (DiSt.). Rey accorde le
même sens à l’expression provenant du XVe siècle à gogo « à profusion, abondamment ».
Nous rencontrons plus loin une autre expression de même sens à foison qui existe encore,
bien qu’elle soit un peu vieillie. Trad. : « Voici du pain et du vin à gogo. »

XXII, v. 340-341 : Les diables parlent de leurs occupations et l’un d’eux raconte qu’il est
obligé de faire des jolis tours : « Je joue icy de passe passe,/Pour mieulx faire mon
tripotaige. » L’expression jouer de passe passe revient dans plusieurs farces (p. e. Tis. XXI,
v. 46) et veut dire « tromper, tricher, faire des tours d’adresse, peut aussi avoir un sens libre »
(DiSt.). Alors il s’agit d’une locution figée. Le mot passe passe au sens propre correspond au
« tour d’adresse » des escamoteurs. – Faire son tripotage « faire des tromperies, des jeux
d’amour » (DiSt., Bid.) représente donc une autre locution à verbe support, car le tripotage est
un « jeu d’amour » (cf. Bid.). Le tripotage a aujourd’hui le sens de « action de tripoter, de
toucher qqch avec insistance » aussi dans le sens érotique (Rob.). Tripoter le carton s’utilise
pour dire « jouer aux cartes » (Dun.). Trad.: « Je suis obligé de faire des tours d’adresse/pour
pouvoir mieux faire l’amour. »

XXII, v. 397-399 : Le meunier appelle le curé pour se confesser, il sent que la mort approche :
« Or çà doncques, vaille que vaille,/Quoy qu’à la mort fort je travaille,/Mon cas vous sera
relaté. » Cette locution, attestée depuis XIIIe s., avec son sens « tant bien que mal », signifiait
à l’origine « que la chose vaille la peine ou non, peu ou beaucoup ». Malgré sa syntaxe,
aujourd’hui peu claire, la locution figée est restée vivante (Rey). Chez DiSt. le sens de « cela
ira comme cela ira ». Trad. de Faivre : « Allons-y donc, vaille que vaille:/Même si la mort me
travaille,/Je vais vous débiter mon cas. »

XXII, v. 401-402 : Le meunier se confesse : « Mais pour boire en une boutaille,/J’ay tousjours
le mestier hanté. » La locution très courante à verbe support avoir mestier signifie « avoir

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

besoin, avoir envie » (DiSt., Hug.). Le mot mestier peut figurer aussi indépendamment dans le
sens « service, office » ou « occupation » (Hug.). Cette locution étant suivie d’un participe
passé du verbe hanter en fonction d’adjectif, il s’agit probablement d’une locution à verbe
support syntaxiquement modifiée. D’après la recherche dans le CLM, cette suite est propre à
cette farce. Le verbe hanter signifie soit « pratiquer », soit « aller souvent, se trouver
habituellement » et dans notre cas l’ensemble veut exprimer l’envie grande et habituelle de
boire du Meunier. Trad.: « Mais pour descendre une bouteille/J’ai toujours eu une grande
envie. »

XXII, v. 413-414 : La confession continue, il avoue qu’il a fraudé : « J’ay souvant la trousse
donnée/A Gaultier, Guillaume ou Colin. » Donner la trousse signifie « jouer un tour, causer
du dommage par surprise, faire une tromperie, un mensonge » (DiSt.). - Guillaume, comme
Gau(l)tier, ou Colin servait à renvoyer à une personne indéterminée (DiSt.). Nous avons donc
affaire à une combinaison originale de deux expressions figurées et figées. Trad. : J’ai joué
souvent un tour/A Gautier, Guillaume ou Colin. » Une expression semblable est fournie dans
le v. 40 de la même farce où le mari blâme sa femme qu’elle va voir ailleurs. « Vous
allez/Puis chetz Gaultier, puis chetz Martin. » Ces deux noms indiquent une personne en
général, « n’importe qui » (DiSt.) et figurent dans de nombreux textes littéraires : Recueil de
Fribourg, L’œuvre des Coquillart, etc. Les noms s’emploient avec des verbes différents :
aller, craindre, soupper, ou, suivis de la préposition à, pour exprimer l’appartenance. D’après
Rey seul Gautier a été employé du XIVe s. au XVIe s.; l’autre nom, apparu ensuite, était
souvent interchangeable (on trouve aussi Martin et surtout Guillaume) ; il s’agirait, d’après
Gottschalk, de noms de personnages de farces, de noms de paysans selon Littré. Trad. :
« Vous allez chez l’un et puis chez l’autre. »

XXII, v. 419-420 : La confession continue : « Je pris de soir et de matin/Tousjours d’un sac


doubles moustures. » L’expression vieillie tirer deux (dix...) moutures d’un même sac veut
dire « tirer plusieurs profits ou avantages d’une même affaire, d’une même situation » (Rey).
Le sens de mouture est ici « prix de l’opération de meunerie » et l’expression fait allusion à
une malhonnêteté commerciale. Vu que dans notre contexte il s’agit d’un meunier,
l’expression prendre d’un sac doubles moutures, pourrait être prise à la lettre. Cette
expression figure p. e. dans l’œuvre de François Rabelais. Trad. : « Le soir ou le matin, j’ai
toujours fait/Dans seul sac doubles moutures. »

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

XXII, v. 465-469 : Le diable qui a été envoyé sur Terre pour ramener une âme en enfer
attrape le crottin du meunier mourant en pensant que c’est son âme. Il empuantit tout l’enfer
et Lucifer n’en est pas du tout content. « Or, qu’il n’y ait coing ne carriere/D’enffer, que tout
ne soit ouvert !/Ung tour nous a baillé trop vert !/Brou ! Je suis tout enpuanty./Tu as mal ton
cas recouvert ! » La signification de le bailler vert équivaut à « raconter une chose difficile à
croire, à avaler » (DiSt.). Nous avons affaire à une belle expression figée et figurée. Dans
notre contexte, le substantif tour a remplacé le déterminant. Trad. de Faivre : « Holà ! Ouvrez
tout en enfer,/Tous les recoins, toutes les pièces !/Tu nous a fait un joli coup !/Berk ! Je suis
tout empuanti !/Là, tu viens d’aggraver ton cas. »

XXII, v. 473 : Le diable se fait battre par Lucifer pour entreprendre ce mauvais coup : « Je luy
feray maulvais party. » La locution faire maulvais party a qqn « le maltraiter physiquement »
(DiSt.) a de nos jours changé légèrement de forme : faire un mauvais (méchant) parti à qqn,
mais aucunement de sens de « maltraiter, spécialement, maltraiter physiquement,
éventuellement tuer » (Rey). Cet emploi constitue le seul témoin vivant d’un sens classique de
parti « condition, situation ». Trad. : « Je lui ferai un mauvais parti. »

5.6 L’obstination des femmes (Tis. XXXI, tome VI, p. 17-60/Faivre p. 33-66)

L’obstination des femmes est une farce courte dont le dessein principal est de montrer
le prototype de la scène de ménage. Le prétexte semble être futile – trouver un locataire pour
une cage à oiseaux. Rifflart, « grande gueule et bonne pâte »1 veut y mettre une pie, car c’est
le symbole traditionnel du caquetage féminin et donc il voudrait bien encager sa femme
bavarde. Finette, « verbe haut et tête dure »2 qui veut y enfermer un coucou, car au XVIe
siècle, le même mot désignait le cocu et le coucou. La querelle est dure, mais c’est à la fin la
femme qui gagne. La scène de ménage a permis aux deux de se retrouver seuls et de se rendre
compte qu’ils s’aimaient.

XXXI, v. 13 : Le mari menace sa femme de la battre, si elle ne l’écoute pas. « Je vous


rompray tout le museau,/ Tant vous donray des horions. » Nous avons déjà vu l’expression
rompre les échines dans le sens de « battre », maintenant c’est le museau qu’on veut rompre.
Il s’agit d’une simple actualisation de expressions avec le verbe rompre qui entre dans ce

1
Faivre, Bernard : Les farces. P. 35.
2
Ibid.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

paradigme. Notons que l’appellation d’une partie de corps par la corréspondante animale est
assez fréquente dans les genres comiques. Trad. : « Je vous romprai votre museau/Autant de
coups je vais vous donner. »

XXXI, v. 72 : Rifflart veut donner à sa femme pendant la querelle un coup sur le nez et elle
lui répond ainsi : « Vous ne le porterez pas loing./Je vous bailleray sus le groing,/Entendez-
vous, villain jaloux ? » Bailler sur le groing a qqn signifie « le frapper » (DiSt.) Nous allons
traiter le thème de la raclée globalement dans le chapitre 6.4.4 où nous allons répertorier tous
les termes concernés. Trad. : « Vous ne le porterez pas loin./Je vous cognerai sur le
groin,/Comprends-tu, villain jaloux ? »

XXXI, v. 123-126 : Rifflart veut encore donner des coups à sa femme, car elle ne lui obéit
pas, mais elle n’est pas d’accord avec lui malgré les menaces. « Vous en aurés/Plus de cent
coups, n’en doubtés mye./Cuidés-vous que ce soit mocquerie ?/Il fault que je vous serve1 à
bon. » Notons seulement que cent, ainsi que mille... ou trente (voir ci-dessous) indiquent une
quantité indéterminée mais importante (DiSt.). - La locution adverbiale a bon signifie
« sérieusement, pour de bon, pour la bonne cause » et elle s’utilise dans une forme modifiée
pour de bon jusqu’à nos jours, avec le sens de « véritablement ». Trad. « Vous en aurez/plus
de cent coups, n’en doutez pas./Croyez-vous que je plaisante ?/Il faut que je vous donne pour
de bon des coups de bâton. »

5.7 Frère Guillebert (Tis. XXXIV, tome VI, p. 183-261/Faivre p. 199-268)

Le Frère Guillebert est une farce à quatre personnages : le frère Guillebert, le mari, la
femme et la commère. Dans le couple, les époux ont une grande différence d’âge. La femme
est insatisfaite et la commère lui cherche un meilleur homme pour coucher avec. Voilà le
Frère Guillebert qui dépasse les autres moines et qui ne parle que du cul ! Il y a toute une série
d’expressions imagées, concernant le sexe de l’homme, le sexe de la femme et l’acte
amoureux. Elles sont le plus souvent basées sur les métaphores. La femme envoie son mari au
marché et frère Guillebert arrive, mais manque de chance, il a oublié son sac. Frère Guillebert,
déshabillé, se retrouve caché dans un coffre, assis sur le sac que le mari a oublié. Celui-ci
donc prend le caleçon du frère Guillebert et il ne s’en aperçoit qu’après. Tous les coupables

1
D’après God. sens de servir ici est de « fournir quelqu’un de quelque chose ».

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

sont horrifiés et la femme demande conseil à la commère. Cette dame arrive à faire croire au
mari qu’il s’agit d’un caleçon de St. François qui a été emprunté à sa femme pour qu’elle
tombe enceinte de lui. L’histoire se termine bien.

XXXIV, v. 13-14 : « En foullant et faisant zic zac,/Le gallant se trouve au bissac. » Notre mot
expressif zigzag est venu en français par le wallon de l’allemand et indiquait à l’origine « un
mouvement de va-et-vient » (Tis.). Pour DiSt., ainsi que pour Bid. la locution à verbe support
faire zic zac veut dire « foutre ». - Le mot bissac signifie « sac de toile fendu en long par le
milieu et dont les extrémités forment deux poches » (Tis.) qui pouvait désigner « les parties
sexuelles de la femme ». On retrouve ce sens également dans la farce de L’official (Tis. VIII,
v. 305). Le sens de l’expression figurée figée se trouver au bissac « au bout du rouleau »
(Bid.) n’est pas présente chez DiSt. parce qu’il ne fournit pas les significations franchisant de
trop le tabou du sexe. Trad. de Faivre : « En fouillant et faisant zic zac,/l’amant se retrouve
au bissac. »

XXXIV, v. 16-17 : « S’on s’encroue sur voz mamelettes/Et qu’on vous chatouille le bas. »
D’après Tis., le bas en parlant d’une femme est souvent employé pour ses « parties
sexuelles ». L’expression figurée figée chatouiller le bas signifie « chatouiller le bas d’une
personne, en réalité d’une femme, comme supra et infra » (Bid.). Trad. de Faivre : « Si l’on se
cramponne à vos seins/Et qu’on vous chatouille le bas. ».

XXXIV, v. 20-21 : « De quoy serviroient voz aumoyres,/Si ne vouliez bouter dedens ? »


L’aumoyre « armoire », souvent avec la nuance de « trésor » (God.), est pris ici dans le sens
particulier de « parties sexuelles de la femme » (DiSt.). Bid. note toute une expression figurée
et figée : bouter dedans l’aumoire au sens de « coïter ». Trad. de Faivre : « A quoi serviraient
vos coffrets/Si vous ne mettiez rien dedans ? » Cette expression revient encore une fois dans
la même farce : v. 110-111 « Vienne, fust-il moyne ou convers,/Je luy presteray mon
aumoyre. »

XXXIV, v. 22-23 : « Se vous couchez toujours à dens/Jamais n’aurez les culs meurtris. ».
L’expression figurée figée a dens « le visage contre le sol, le visage en bas » (DiSt.) est basée
sur une métonymie. Elle est plusieurs fois présente dans les farces sous la forme soudée
adens, adenz, p. e. dans la farce Maître Mimin qui va à la guerre (Coh. IV, v. 56). Trad. : « Si
vous couchez toujours sur le ventre,/vous n’aurez pas le cul meurtri. »

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

XXXIV, v. 27-28 : « Gardez se l’atelier1 est net,/Devant que larder le connin ;/Car, s’on prent
en queue le venin,/On est pirs qu’au trou sainct Patris. ». En ce qui concerne larder, son sens
propre du mot est « mettre des lardons dans la viande » (God.), d’où familièrement « percer
de coups » (God.). Quant au mot connin, il pouvait s’employer en terme affectif ou désigner,
comme ici, « les parties sexuelles de la femme ». Cela résulte de la convergence
homonymique/paronymique entre connil de cuniculus signifiant « lapin », et connin,
diminutif de con de cunum signifiant « sexe de la femme ». Larder le connin est une
expression figée avec le sens de « faire l’acte vénérien » (DiSt., Bid.), car elle est utilisée dans
plusieurs récits (p. e. Pierre Troterel dans sa Comédie des Corrivaux). – Les expressions
figurées figées le venin s’en prent en queue, le venin gist en la queue (DiSt., Bid.) parlent de
la peur d’une maladie sexuelle. – Le mot composé ambigu trou saint Patris signifie « l’entrée
du purgatoire », mais aussi « le sexe de la femme », alors il entre facilement dans les jeux de
mots. Sa signification dans notre contexte est plutôt celui du « purgatoire ». Trad. de Faivre :
« Voyez si l’atelier est propre/avant de larder le connin:/Si le venin vous prend la queue,/C’est
pire qu’au trou de l’Enfer. »

XXXIV, v. 68-69 : « Se l’une de vous me demande/Pour fourbir un poy son haubert. »


L’expression figurée figée fourbir le haubert a une femme, fourbir la cuirasse a une femme
signifie « coïter » (Bid.). D’après Tis. cette expression vient de l’argot. Le haubert était à
l’origine « une chemise de mailles à manches, à gorgerin et à coiffe, que portaient les hommes
d’armes au moyen âge. » (cf. Rey, Dictionnaire culturel). Trad. de Faivre : « Pour fourbir un
peu sa cuirasse. »

XXXIV, v. 98-99 : La jeune femme se plaint de son mari qui n’arrive plus à lui faire l’amour
et à remplir ses devoirs conjugaux. La commère lui conseille ceci : « Il vous fault un amy
gaillard/Pour supplier à l’excripture. » L’expression figurée figée supplier a l’escripture veut
dire « faire la chose » (Bid.). Remarquez la grande variété des expressions concernant l’acte
amoureux, nous allons toutes les répertorier dans le chapitre 6.4.1. Trad. de Faivre : « Il vous
faut un ami solide/Pour tenir la plume à sa place.»

1
L’atelier désigne « le sexe de la femme » (DiSt.).

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

XXXIV, v. 126-127 : Le frère Guillebert prie la dame de le soulager, de lui donner l’aumône
d’amour : « M’amye, je vous pry qu’il vous plaise/Endurer trois coups de la lance. » Cette
expression métaphorique était d’usage fréquent, notamment dans les contes (p. e. Cent
Nouvelles nouvelles). Coup de lance a le sens de « attaque amoureuse, exploit amoureux »
(Bid.). Même s’il s’agit d’un mot composé, nous l’avons marqué pour compléter le langage
du frère Guillebert et les expressions concernant l’amour et le sexe. Trad.: « Mon chou, je
vous prie qu’il vous plaise/D’endurer trois coups. »

XXXIV, v. 120-121 : Frère Guillebert proposa à la femme sa faveur. « Mon las coeur vous
baille en ostage:/Plaise vous le mettre à son aise. » Cette locution adverbiale figée signifie
depuis le moyen français « sans être gêné, avec facilité, liberté » (Rey). Elle pourrait
également jouer avec la locution se mettre à l’aise, « prendre tout l’espace dont on a besoin »
ou plus souvent « se mettre dans la tenue où l’on se sent le mieux » (Rey). Trad. : « Je vous
donne mon coeur en otage/ qu’il vous plaise de le mettre à son aise. »

XXXIV, v. 133-135 : La femme a peur d’accepter la proposition du frère. Le frère essaie de la


tranquiliser et de la mettre à l’aise pour qu’elle accepte de le soulager. « Qu’on ne sçaura rien
du hutin1./S’une foys je suys sur me oeufz,/Je bausmeray sur le tetin. » L’expression figurée
figée estre sur ses oeufs signifie « être à son aise, avoir des commodités » (DiSt., Bid.) et elle
peut résulter de l’image d’une poule qui est dans son nid et donc en sécurité. On peut
comparer avec une autre expression être pris sur les oeufs, « être surpris dans le lit d’un autre
avec sa femme » (cf. Tis.). Nous avons gardé jusqu’au français moderne l’expression aux
œufs « très bien, parfait » (Rey). La langue argotique ancienne disait : à la coque. –
L’expression figurée figée baumer le tétin a une acception grivoise (Bid., DiSt.), l’usage de la
préposition pourrait être signe d’un degré de figement moindre. En ce qui concerne le mot
bausmer(ay), God. le rattache à basme, baume et, sans conviction, propose pour sens de
« respirer un parfum ». Philipot corrige : haumaray, du verbe haumer, auquel il donne le sens
de « frapper », il le suppose dérivé de heaume : « frapper du heaume ». Il y aurait alors une
nouvelle métaphore érotico-militaire. Mais on pourrait aussi corriger : bau(l)dray ou
baulderay, du verbe bau(l)dre : « frapper, mettre, donner ». Trad. de Faivre : « Qu’on ne
saura rien des assauts./ Je m’installe dans votre nid/Et me répands sur les tétons. »

1
Hutin, « la lutte, la lutte amoureuse » (DiSt.).

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

XXXIV, v. 138-139 : La femme invite le frère Guillebert à la venir voir le lendemain matin et
il s’en réjouit. Il tient de tels propos de son mari: « Plaisir sera au viel mastin/De trouver son
patis herchié. » D’après Tis. l’expression passer un pâturage à la herse remplace une autre
expression semblable labourer le champ (la vigne) d’autrui bien sûr dans le sens figuré
érotique du terme, désignant encore une fois l’acte d’amour. DiSt. indique la locution :
arouser les prés d’autrui qui doit avoir le même sens, Bid. note également quelques
expressions avec l’amoureuse pasture « la chose » ou chercher, demander pasture avec le
sens de « coïter », mais l’expression figurée trouver son patis herchié est inventive, propre à
l’auteur du Frère Guillebert et elle s’ajoute aux métaphores qui apartiennent au champ lexical
du labour (cf. Roman de la Rose ; Tis. III, v. 237-239). Trad. de Faivre : « Ça plaira à ce vieux
corniaud/De trouver sa prairie hersée. »

XXXIV, v. 140 : La femme se moque de son mari, bientôt cocu. « Le vieillart a trop bon
marché. » La locution figée avoir bon marché signifie « s’en tirer à bon prix, facilement »
(DiSt.). Bon marché s’emploie aujourd’hui pour « prix avantageux » et à bon marché
signifiant « à bon compte, au meilleur coût » au XIIIe s. s’utilise souvent métaphoriquement
dans le sens de « sans grand dommage, au mieux » (Rey). Trad. de Tis. « Le vieillard aura ce
plaisir à très bon compte ».

XXXIV, v. 161-162 : La femme accuse son mari qu’il l’a torture par la famine sexuelle, mais
l’homme se défend : « En ung moys je fais mes cinq coups,/La sepmaine ung coup
justement. » La femme répond : « Cela n’est qu(e) afemmement. » Faire des coups, faire un
coup veut dire « foutre » (Bid.). Dans le français moderne, nous utilisons l’expression tirer un
coup pour « avoir un orgasme » (d’un homme). La métaphore est celle de l’arme à feu,
symbole transparent de l’érotisme phallique (Rey). Au regard des modifications du
déterminant du complément, il s’agit d’une locution à verbe support. Trad. : « Je tire mes cinq
coups par mois:/Ça fait juste un coup par semaine. » La femme répond : « C’est un régime de
famine. »

XXXIV, v. 191-198 : Le frère Guillebert se prépare pour venir chez la femme. « Hé, gentil
tetin,/Que tant tu me tiens en l’oreille ! Tenir en l’oreille est une expression figurée et figée de
la signification d’« être cher » (DiSt.). Duneton nous fournit le commentaire de la symbolique
érotique de l’oreille dans La puce à l’oreille : « Ce n’est pas d’hier que l’on compare l’oreille
à une coquille, et réciproquement un coquillage à une oreille. Les noms de plusieurs

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

mollusques, oreilles-de-mer, oreilles-de-Vénus, sont les noms vulgaires de divers haliotides.


Ce n’est peut-être pas la peine que je fasse un dessin, mais ce n’est pas non plus d’hier que la
coquille désigne le sexe de la femme – sexe qui justement signale son désir par des
démangeaisons plus ou moins tenaces. »1 Trad. : « Hé, joli tétin,/Comment tu m’es cher. »

XXXIV, v. 208 : Le frère Guillebert arrive juste après que son mari a fermé la porte. « Hola,
hay ! je viens bien à point. » L’expression adverbiale figée a point signifie « en ordre, en état,
à propos, à juste titre, ponctuellement, comme il faut, dans l’état voulu, avec précision, au
moment opportun, d’une manière convenable, opportunément, au bon moment » (DiSt.). Ce
terme à sens polyvalent existe jusqu’à aujourd’hui, il conserve le sens de « dans l’état
souhaitable ou recherché », il est utilisé surtout pour qualifier des opérations concrètes. Une
autre locution se prête à la confusion : venir a point, « plaire, convenir » (DiSt.) qui n’est pas
convenable pour notre contexte. Trad. : « Hola, hé ! j’arrive au bon moment. »

XXXIV, v. 229 : Le mari a oublié son sac et il revient, il faut que le Frère Guillebert se
cache : « S’il vous trouve, vous estes frit. » D’après les Œuvres de Coquillart, cette
expression figurée figée veut dire « vous êtes perdus ». DiSt. accorde à cette expression figée
et figurée également le sens d’« être perdu, fini, ruiné, foutu ». Plus précisément, il ne s’agit
pas d’une construction nominale à verbe support, mais d’une construction à prédicat
métaphorique. Nous avons gardé cette expression jusqu’à nos jours nous sommes frits signifie
toujours « cuit, foutu » (cf. Rob.). Trad. : « S’il vous trouve, vous êtes foutu. »

XXXIV, v. 236-239 : Guillebert se voit arrangé en oie, prête à la cuisson. Il est d’usage, en
effet, que le cuisinier laisse au volaille quelques plumes au croupion (Tis.). « Le dyable ayt
part au hochement/Et à toute la cauqueson !/Accoustré seray en oyson:/Je n’auray plus au cul
que plume. » La locution figée à verbe support avoir part a s’utilisait dans le sens de
« recevoir sa part de, participer de, s’intéresser » (DiSt.). Elle a survécu jusqu’au français
moderne avec la signification peu modifiée de « recevoir une part de qqch ; participer d’un
avantage ». DiSt. a également noté toute une expression le dyable ait part au coq plumé, sans
traduction ni explication, qui rassemblerait à la nôtre. Trad. de Faivre : « C’est du diable que
vient la baise/Et toute les copulations !/Je vais me retrouver chapon:/Au cul, je n’aurai que
des plumes. »

1
Duneton, C. : La puce à l’oreille. P. 61.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

XXXIV, v. 260 : Le frère Guillebert se doit plier comme une grenouille. « Il me fault cy
estendre en raine. » Cette jolie comparaison novatrice de l’auteur a le sens de « s’accroupir
comme une grenouille ». Trad. : « Je dois m’accroupir comme une grenouille. »

XXXIV, v. 264 : Le frère Guillebert reste toujours caché dans le coffre : « A ce coup je suis à
bazac. » Basac, bazac désigne une « ruine, destruction » (Hug.) La construction nominale à
verbe support estre à bazac (ou basac) veut dire « se trouver dans une position fâcheuse, etre
dans une mauvaise situation » (God., DiSt., Hug.), le mot basac y a été employé dans le sens
figuré du terme. Trad. de Faivre : « Ce coup-ci, c’est la catastrophe. »

XXXIV, v. 267-269 : Le frère Guillebert imagine son destin prochain et il regrette surtout son
membre viril qu’il aimait tant utiliser. « C’est faict, helas ! du povre outil./Vray Dieu, il estoit
si gentil/Et si gentement encresté. » Nous avons affaire à un développement de l’image d’un
outil masculin et de son érection. Bid. parle de la locution l’outil se dresse qui a le même sens
que notre variante se trouvant dans le texte : « le membre viril de l’homme en érection ».
Delveau accorde aussi le sens de « membre viril » à l’outil. Faivre : « C’en est fait de mon
pauvre outil.../Vrai Dieu, il avait tant de classe,/Redressant fièrement la tête... »

XXXIV, v. 276-279 : Le frère fait ses lamentations au nom de Dieu : « Ha, s’il me prenoit en
mercy/Et qu’il print toute ma robille !/Mais helas, perdre la coquille,/Mon Dieu, c’est pour
fienter par tout. » La locution prendre qqn a merci signifie « le prendre à sa solde, le
pardonner » (DiSt.), mais nous retrouvons dans le texte une autre préposition en. D’après le
CLM, la préposition n’était pas tout à fait figée, on utilisait soit a, soit en d’une part égale.
Cette expression ne s’emploie plus dans le français contemporain. Trad.: « S’il me prenait à sa
solde/Et qu’il me prend tous mes habits... !/Ah là là, si je perds mes couilles,/Mon Dieu, j’en
chie partout. »

XXXIV, v. 290-292 : Le mari continue à chercher sa sacoche : « Point n’est cy parmy ses
drapeaulx./On l’a quelque part mis en mue. » Le mot mue signifie « retraite » et en mue « en
réserve » d’après Huguet. Di Stefano accorde à la locution adverbiale en mue le sens de « en
cage, en prison, dans un lieu secret, enfermé, coi. ». Et Tissier considère tout l’ensemble
mettre en mue comme locution figée avec la signification « cacher ». D’après lui, ce mot vient

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

de mue « cachette » (God.), plutôt que de mue « changement » (God.). Trad. : « Il n’est pas
dans le linge ici./on l’a du cacher quelque part. »

XXXIV, v. 306-311 : Pareillement à l’expression du v. 68-69 : « Tetins poinctifz comme


linotz,/Qui portent faces angelicques,/Pour fourbir leur custodinos,/Auront l’ymage et mes
brelicques./Ne les logez point parmy flicques:/Dedens jambons les fault nourrir. »
L’expression figurée figé fourbir le custodi nos a une femme signifie encore une fois
« foutre » (Bid.). D’après Tis. custodi nos (de latin « garde-nous ») désigne « les parties
sexuelles de la femme ». Le verbe fourbir se trouve souvent dans des expressions semblables,
nous allons les résumer dans le chapitre 6.4.1. – L’ymage figure dans ce passage encore une
fois dans le sens de « membre viril » (Tis.). - Un flicque était une « tranche de lard et de
viande salée de porc » (God.). Philipot lui donne ici avec raison sens figuré de « cuisse
maigre » qu’on opposera à jambon « cuisse grasse » de femme. Ces dernières mots sont
employés métaphoriquement. Trad. de Faivre : « Tétons pointus comme linottes,/Vous qui
avez visages d’ange,/Pour fourbir vos derniers remparts/Aurez breloques et fétiche./Ne les
logez pas dans les couennes:/Les jambons les nourrissent mieux. »

XXXIV, v. 315-317 : Le frère Guillebert fait une sorte de testament : « Pour vous fourbir un
poy le dos,/Quant vous avez faict le bagaige./Frotez rains et ventre ; g’y gaige. » L’expression
figurée figée fourbir le dos a une femme signifie « coïter » (Bid.). D’après Tis., fourbir est
utilisé ici dans le sens de « frotter », car une autre locution exprimant la signification d’un
acte vénérien suit après. - Faire le bagaige veut dire « faire l’amour », bagaige peut signifier
les « parties sexuelles de l’homme et de la femme » (Bid.). – La suite frotter reins et ventre ne
figure pas dans les dictionnaires des locutions érotiques, même si le ventre et les reins entrent
dans les locutions érotiques, ces deux mots ne sont pas utilisés ensemble et non plus avec le
verbe frotter. Dans ce cas-là, il s’agit d’une expression figurée inventive, propre à l’auteur du
Frère Guillebert. Trad. de Faivre : « Pour frictionner un peu le dos/Quand vous avez fini
l’étape./Frottez ventre et reins, et je gage. »

XXXIV, v. 322-325 : Frère Guillebert conseille aux jeunes hommes : « Qu’on leur fer(e)1
leurs appareilz/Sur l’orifice de la pance/De leurs femmes. S’en est la chance,/Ilz en auront
plus beau ferir. » L’orifice de la pance est « l’anus » (Tis.), mais ça peut très bien être

1
Tis. suppose que fera vient de ferir « frapper, enfoncer ».

- 67 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

« l’entrée du vagin ». Nous avons noté ce mot composé pour compléter le style de langage de
Frère Guillebert, même si les mots composés ne font pas partie intégrante de notre travail. -
Ferir est un infinitif substantivé qui veut dire « coup » ; et l’on en revient aux coups de la
lance (v. 127). Nous rencontrons ici encore une des nombreuses métaphores créatives
concernantes l’acte d’amour dont aucune n’est attestée dans les dictionnaires. Néanmoins,
nous avons gardé une expression avec le mot férir : sans coup férir signifiant « sans
rencontrer la moindre résistance, sans difficulté » (Rob.) (dans le XVe s. le sens de « sans
combattre »). Trad. de Faivre : « Qu’on leur ferre leurs appareils/Sur l’orifice de la panse/De
leurs femmes. Si ça se trouve,/Leurs couprs en seront mieux portés. »

XXXIV, v. 329-331 : Les conseils du frère Guillebert concernent également la consommation


des boissons alcoolisées: « Qu’ilz disent en lavant leurs brongnes:/J’ay bien gardé, le temps
passé,/Mon gentil gosier de sorir. » L’expression figurée, mais pas figée laver ses brongnes
veut dire « boire abondamment » (Tis.), c’est un équivalent de l’expression figurée figée laver
sa gorge (DiSt.). Le mot brongne est « une survivance picarde de l’ancien français broigne »,
sorte de tunique de mailles peu différente du haubert, et qui par métonymie signifierait
« gorge » (Tis.). Dans le français moderne, nous utilisons l’expression se rincer la gorge. -
Sorir « dessécher » est devenu ultérieurement saurir, il nous est resté dans hareng saur (Tis.).
Laisser dessécher le gosier veut dire « ne pas boire », mais les dictionnaires ne classifient pas
cette expression comme figée, ni figurée. Le sens de cet ensemble est compositionnel. Trad. :
« Qu’ils disent en se rinçant la gorge/Que j’ai bien gardé dans ma vie/que mon gosier ne
dessèche jamais. »

XXXIV, v. 363-364 : Le frère Guillebert est sauvé, le mari s’en va : « Par sainct Gens,
revoycy bon jour ;/Encor pourra paistre pelée. » Pelée est d’après God. « endroit dégarni de
poils du membre viril », Bid. parle tout simplement du « pénis ». Voici encore une autre
expression concernant le sexe, c’est une expression figurée, mais pas figée, car elle n’est pas
attestée dans les dictionnaires des locutions. Trad. de Faivre : « Par saint Jean, je revois le
jour./Mon chauve pourra paître encore. »

XXXIV, v. 365-366 : La femme est aussi contente que le frère a été sauvé : « Helas, j’estois
bien desolée./Je cuydois qu’il vous mist à sac. » L’expression figurée et figée mettre a sac a la
signification de « tuer, perdre ». Elle a survécu jusqu’au français moderne et elle s’utilise dans
le sens de « piller, saccager » (Rob.). Trad. : « Hélas, j’étais bien désolée/J’ai pensé qu’il allait

- 68 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

vous tuer. » Nous revoyons cette expression dans la même farce encore une fois dans les v.
401-402 : « Donnez moy conseil et ayde ;/Aultrement je suis mise à sac. »

XXXIV, v. 431 : Le mari faché, s’apercevant d’avoir pris à la place d’une sacoche les braies
du frère, revient enragé à la maison et il menace : « Le dyable vous cauquera bien. » Cette
expression entre dans le paradigme des maintes expressions avec le diable (voir chapitre
6.4.2). C’est une menace, elle est figurée, mais pas figée. Trad. de Faivre : « Le diable te
baisera bien. »

XXXIV, v. 440-442 : Encore une autre expression de l’acte d’amour : « Vous faictes fourbir
le (b)uihot,/Et on m’apellera huihot. » Buihot veut dire d’après God. « un tuyau », dans ce
texte ce terme renvoie aux « parties sexuelles de l’homme ». Le buihot d’un homme désigne
donc « la verge virile » (Bid.) et l’expression figurée figée fourbir le buihot a la signification
de « foutre ». Elle entre dans le paradigme des expressions avec le verbe fourbir à côté des
nombreux autres compléments. - Huihot était un mot assez répandu en Picardie et en Wallonie
et veut dire le « cocu ». Trad.: « Toi, on t’astique le tuyau,/Moi, on m’appellera cocu ! »

XXXIV, v. 489-492 : La commère commente la situation : « Le bon homme ne pensoit


mye/Que eussiez les brayes sainct Françoys,/Et en faisoit tout plain d’effrois./Il ne sçavoit
comme il en estoit. » La locution à verbe support faire l’effrois signifie « donner l’alarme »
(DiSt., God.). Nous pouvons observer le même type de comportement comme dans d’autres
cas des locutions à verbe support : le déterminant n’est pas fixe, son degré de figement est
moindre, à savoir faire l’effrois, faire tout plain d’effrois. Trad. de Faivre : « Le gros bêta n’a
pas pensé/Tenir les braies de saint François/Et il faisait tout un ramdam,/Sans savoir ce qu’il
en était. »

5.8 Lucas, sergent boiteux et borgne, et Le Bon Payeur (Tis. XXXV, tome VI,
p. 263-307/Faivre p. 155-198)

Dans la farce de Lucas, sergent boiteux et borgne, et Le Bon Payeur, la femme fine et
rusée arrive à très bien dominer Lucas, son mari boiteux et borgne. Elle le mène où elle veut
par sa propre ruse et par sa raison claire. Le Bon Payeur, un débiteur à Lucas pour ne pas
devoir payer l’a averti que sa femme le trompe avec Le Vert Galant. Mais elle réussit encore

- 69 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

une fois à le persuader du mensonge du Bon payeur, et à trouver son plaisir amoureux où elle
veut. Son mari s’en doute un peu, mais elle arrive à le ruser à tout moment.

XXXV, v. 6-9 : Lucas revendique l’argent que le Bon Payeur, nommé de façon ironique, lui
doit. « Mort bieu, voicy ce bon payeur,/Qui me doibt, il y a long temps,/Cinquante (deulx),
dont je pretemps/Et mectre en son colet la main. » Cette expression figée et figurée a plusieurs
formes d’après DiSt. : mettre la main sur le collet, au collet, mettre en son collet la main,
« l’attraper », l’image est telle que prendre qqn par « la partie du vêtement qui entoure le
cou » (Rob.). Les locutions prendre qqn au collet, lui mettre la main au collet, lui sauter au
collet dans le sens de « se saisir de lui » ou dans le sens figuré de « l’appréhender » existent
jusqu’à nos jours. L’expression se prendre au collet, « se battre » est ressentie comme vieillie
(Rob.) Trad. de Faivre : « Mort Dieu, voici ce Bon Payeur/Qui me doit, depuis bien
longtemps,/Cinquante-deux : je lui réclame/Et je le chope par le cou. »

XXXV, v. 14-15 : Lucas décide d’aller réveiller son débiteur : « Quel remede ? Il est
necessaire/Que je le prenne au sault du lict. » Cette locution adverbiale au sault du lit, signifie
« très tôt » (DiSt.), dès que le pécheur se réveille. Pour Rey cette expression emporte dans le
nouveau français l’idée de l’immédiateté, sinon de brusquerie. Trad. : « Quoi faire ? Il est
nécessaire/Que je l’attrape au saut du lit. »

XXXV, v. 61-62 : Le Bon Payeur, pour détourner l’attention de son créditeur, jure que sa
femme couche avec un autre homme : « Dea ! j’osse bien dire/Qu’il (l’) entretient, je le sçay
bien. » Bid. atteste la locution entretenir une femme avec le sens de « nourrir une
concubine ». Le Petit Robert n’atteste pas une signification pareille, mais Le dictionnaire
érotique moderne accorde au verbe le même sens que Bidler. « Oui, j’ose bien le dire/Il
l’entretient, je le sais bien. »

XXXV, v. 73-74 : Le Bon Payeur explique à Lucas qu’il ne peut rien en savoir, car il ne voit
pas pleinement à cause de son œil. « C’est pour nient, car tu ne regardes/La sepmaine que de
travers. » L’expression (regarder) de travers veut dire « (regarder) avec suspicion, aminosité,
d’un air malveillant. » L’auteur joue sur le sens premier de cette expression « regarder de
travers à cause de l’œil » et sur le sens figuré de cette expression. Cette utilisation joue sur le
défigement (voir chapitre 6.2.1). Cette expression existe jusqu’à nos jours avec les deux sens :
de travers : « dans une direction, une position oblique par rapport à la normale ; qui n’est pas

- 70 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

droit, qui est placé ou dirigé autrement qu’il ne faut » ou regarder qqn de travers : « avec
animosité, avec suspicion » (Rob.). Trad. de Faivre « Ca ne sert à rien, car ton oeil/Regarde
toujours de travers. »

XXXV, v. 79-80 : Lucas demande des gages au Bon Payeur en cas de mensonge, mais il n’y a
rien dans sa maison, il est assez pauvre : « Se j’eusse des biens à foysson ;/Mais de prendre
rien n’y a ciens. » Le mot foison (du latin fusio, « écoulement, action de se répandre ») est
archaïque sauf dans la locution adverbiale à foison qui veut dire jusqu’au français moderne
« en grande quantité, abondamment » (Rey), DiSt. accorde à cette expression le même sens.
Trad. de Faivre : « Si j’avais de biens à foison./Mais que peut-on saisir ici ? »

XXXV, v. 113 : Après avoir rusé Lucas, Le Bon Payeur l’envoie « au peaultre ! au
peaultre ! » Peau(l)tre signifiait « gouvernail » et par extension « barque, navire », la locution
figée envoyer au peautre « envoyer promener ».et aller au peautre « aller au diable » (Hug.).
Pour DiSt. au peaultre, aller, chasser, envoyer au peaultre veut dire « au diable, chasser,
avoir une correction ». Selon Tis. peaultre désignait à l’origine « la paillasse », c’était
renvoyer qqn dans son taudis, et par là l’envoyer promener « au diable ! ». Dans notre
contexte, il faut sous-entendre le verbe aller. Trad. : « au diable ! au diable ! »

XXXV, v. 150-153 : Le Vert Galant vient voir la femme de Lucas, Ameline Fine Mine, elle se
plaint de son mari et le Vert Galant estime qu’il faut lui faire pareil. « Et voire, voire, j’entens
bien/Qui fault faire de tel pain soupe./Mais quoy ! sy fault-il que je soupe/Aveques vous par
quelque soir. » D’après God. cette vieille expression figurée figée faire de tel pain
soupe signifiait « rendre la pareille ». On la retrouve chez Jean de Meung dans le Roman de la
Rose ou encore chez Rabelais. DiSt. explique le sens de faire a qqn soupes de son pain
comme « le payer de sa monnaie ». De plus, notons le jeu de mot, qui vient dans le vers
suivant, concernant le souper. Il est intéressant de faire le commentaire également sur le sens
compositionnel de cette expression. Avant d’être un potage, la soupe était seulement une
tranche de pain trempée dans du bouillon (Fur.), ainsi on faisait la soupe à la base d’une
tranche de pain. En français moderne, nous rencontrons l’expression rendre la pareille avec la
même signification: « traiter de la même manière qu’on a été traité, dans une circonstance
comparable (et que ce soit en bien ou en mal) ». Attestée à la fin du XIVe s., cette locution a
survécu à la précédente et est très vivante, surtout dans des contextes négatifs (Rey). Trad. de

- 71 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

Faivre : « Bien sûr, bien sûr ! Je suis d’accord:/Il faut lui rendre la pareille./Il faudrait un petit
souper/En votre compagnie, un soir. »

XXXV, v. 171-172 : Lucas a vu sa femme parler avec le Vert Galant et il la blâme pour cela.
Elle sait qui le lui a rapporté et elle le persuade de son innocence et donc du mensonge du Bon
Payeur : « C’est mon, le grand deable l’emporte !/Car il m’a joué d’un faulx tour. »
DiSt. atteste la locution jouer de ses faux tours, mais il n’explique pas sa signification comme
dans tant de cas, il se limite à nous fournir des exemples. En revanche, Rey explique que bon
tour, mauvais (sale, vilain) tour (notamment avec le verbe jouer) désigne une « action par
laquelle une personne se moque, se joue de qqn ». Si le mauvais tour cherche à nuire et se
caractérise toujours négativement, le bon tour signifie le contraire. Notre expression est
légèrement différente du modèle proposé dans le dictionnaire, le pluriel ou le singulier de tour
et son déterminant n’étaient pas figés ; nous pourrions en déduire à une locution à verbe
support. – En ce qui concerne le v. 171, voir Tis. III, v. 67. Trad. de Faivre : « Exact ! Le
grand diable l’emporte !/ Il m’a joué un sale tour. »

XXXV, v. 183-188 : Ameline Fine conseille à son mari de faire payer le Bon Payeur, en
utilisant la force : « A ! rien, rien, prenés un fouet/Bien acoustrà de chareton ;/Et, tout ainsy
c’un careton,/Faictes lay devant luy claquer./Et puys, sy ne vous veult payer,/Taillés luy
chausses au long du cuyr. » Notre Bon Payeur a décidé de ne pas mettre les chaussures, donc
ne pas sortir pour ne pas devoir payer la dette à Lucas. Le seul moyen de le faire régler ses
dettes, c’est d’utiliser le fouet. Or notre expression tailler des chausses s’emploie d’après Bid.
dans un sens complètement différent : « forniquer ». Nous avons probablement affaire à un
défigement, où le sens primaire vient sur la scène. L’image est telle de Lucas qui fouette les
jambes du Bon Payeur jusqu’à ce qu’il mette les chausses. Les chausses désignent « partie du
vêtement masculin qui couvrait le corps depuis la ceinture jusqu’aux genoux ou jusqu’aux
pieds. » (Rob.). Même s’il s’agit d’une expression figurée figée, dans notre cas, son sens est
compositionnel. Trad. de Faivre : « Ah, ce n’est rien ! Tu prends un fouet/Bien résistant de
charretier ;/Et comme font les charretiers,/Tu le fais claquer devant lui./Et s’il ne veut pas te
payer,/Taille des chausses sur son cuir ! »

XXXV, v. 202-203 : Quand Lucas fouette Le Bon Payeur, celui-ci se lamente : « C’est mal
encontre d’un boueteux./Le Grand deable emporte le borgne. » On opposait bon encontre à
mal encontre qui veut dire « mauvaise chance, malheur » (Tis.). Egalement selon DiSt. bone,

- 72 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

male encontre signifie « de bon, de mauvais augure, selon une certaine superstition ». Nous
avons gardé de cette locution figée dans le français moderne l’adjectif malencontreux
signifiant « qui survient à contretemps, qui se produit mal à propos » (Rob.). Trad. de Tis. :
« C’est un malheur que de rencontrer un boiteux./Le grand diable emporte le borge. »

XXXV, v. 226 : Lucas avertit sa femme de prendre garde de parler avec Le Vert Galant à
l’avenir. Mais Ameline se défend : « A ! mon mary, vous avés tort/De m’inputer un tel
outrage. » Tort vient du latin populaire tortum, substantif neutre de tortus « tordu, de travers »
dérivé de torquere « tordre » (Rob.). Avoir tort représente une locution figée à verbe support
classique. Attestée aussi chez DiSt., elle a survécu jusqu’au français moderne avec la
signification de « ne pas avoir le droit ou la vérité de son côté ; se tromper » (fin Xe s.) (Rey).
Elle s’oppose à avoir raison. Trad. : « A ! mon mari, vous avez tort/de m’imputer un tel
outrage. »

XXXV, v. 273-275 : Le Vert Galant et Ameline se préparent à passer la nuit ensemble :


« Ainsy que deulx parfaictz amans,/Nous ferons bien nostre paquet. » Un paquet suppose
d’après God. « assemblage de plusieurs choses liées, enveloppées ensemble », et faire son
paquet s’utilise pour dire « décamper », mais aussi « faire l’amour ». Dans le français
moderne, cette locution existe également, seulement son sens change : faire son paquet, ses
paquets, « se préparer à partir, généralement à son corps défendant » (XVIe s.) (Rey). Dun. lui
accorde encore une autre signification : « mourir ». Le traducteur Le Faivre a utilisé une
expression avec un sens changé mettre le paquet, « risquer une grosse somme pour gagner ;
faire un effort maximal », mais il avait tort. Trad.: « Ainsi que deux parfaits amants/Nous
allons nous ébattre. »

XXXV, v. 277 : Les deux maris se reconcilient : « Siechons1-nous bequet à bequet. » Bequet
à bequet représente la même locution que bec à bec « nez à nez, en face » (DiSt.). Nez à nez
comme face à face, exprime la rencontre de deux personnes (réalisée dans la langue par tête à
tête, vis-à-vis) avec la nuance de brusquerie (Rey). Trad. : « Asseyons-nous nez à nez. »

1
Siechons est une forme dialectale pour siegeons (Tis.).

- 73 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

5.9 Le Galant qui a fait le coup (Tis. XXXVI, tome VI, p. 309-366/Faivre p. 269-324)

Dans la farce du Galant qui fait le coup nous allons observer un adultère, cette fois-ci une
infidélité masculine. Le Badin « fait le coup » avec sa servante (la Chambrière) pendant que
sa femme Crespinete, bigote et un peu bêtasse, est en pèlerinage. La servante tombe enceinte
et là un chirurgien intervient pour sauver la bonne réputation de son ami. Le Badin fait
semblant d’être malade du ventre, le chirurgien confirme que l’homme est tombé enceinte et
pour qu’il se débarrasse de son fœtus, il va falloir qu’il couche avec la Chambrière pour le lui
transmettre. La femme bigote ne soupçonne pas son mari d’adultère et elle les laisse coucher
ensemble.

XXXVI, v. 27-30 : Le Badin veut que la Chambrière lui fournisse du réconfort sexuel. « Tu
me faictz le sang esmouvoir,/Foy que je doy à Nostre Dame./Vien çà, preste moy une
drame/De ton service corporel. » Les deux cas sont des expressions imagées, figurées, propres
à l’auteur du Galant qui a fait le coup, mais pas figées. Faire esmouvoir le sang exprime le
désir amoureux, prêter à qqn une drame de son service corporel traduit l’acte charnel. Cette
dernière est basée sur une autre expression figurée figée : emprunter le dragme, « coïter »
(Bid.). A l’origine, le mot drame (dragme, en grec drachme) signifiait « huitième partie de
l’once » et se disait d’une « petite quantité » (Tis.). Trad. de Faivre : « Tu me fait bouillonner
le sang,/Foi que je dois à Notre-Dame./Viens me prêter une pincée/De ton service corporel. »

XXXVI, v. 70-71 : Crespinete revient d’un long pèlerinage et elle pense que tout le monde
dans la maison sera content de la revoir. La chambrière Malaperte va se réjouir certainement
de son retour et ira le raconter partout. « Certainnement elle ira/A grans et petis d’huys en
huys. » L’expression de huys en huys signifie « de porte en porte » (DiSt.). Rey note
l’expression de porte à porte, de porte en porte avec le même sens « de logement – maison,
appartement, etc. – en logement » (XVe s.). Elle a été substantivée en du porte-à-porte
signifiant « démarchage, visite systématique des logements » (pour vendre, enquêter, etc.)
(Rey). La structure de la locution est donc restée, seulement le mot vieilli a été remplacé par
un synonyme plus utilisé pour désigner la même chose (de même pour becquet à becquet –
voir XXXV, v. 277). Trad. : « Elle ira certainement le dire/aux grands et aux petites de porte
en porte. »

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

XXXVI, v. 85-86 : La chambrière a peur de sa maîtresse, de sa réaction au moment


d’apprendre son péché. « J’aroyes des couroulx plus de trente,/Que ma maitresse sceust le
faict. » Cette locution n’est pas citée directement dans les dictionnaires des locutions. Il a fallu
faire une enquête approfondie. Courroux désigne une « affliction, douleur » (Hug.) et trente,
gagner trente signifiant « à certains jeux, avoir un avantage de trente points » (Hug.) a été
utilisée également dans le sens figuré. De plus, le chiffre trente symbolise « un bon nombre »
comme cent ou mille (DiSt.). Il s’agit donc vraisemblablement d’un déterminant figé plus de
trente (ou seulement trente) + un substantif signifiant « beaucoup, énormément », son emploi
est ironique. Nous utilisons de nos jours dans le langage familier le nombre trente-six pour
désigner un grand nombre indéterminé (Rob.). Trad. de Faivre : « Cela me mettrait aux cent
coups/Que ma maîtresse sût la chose. ».

XXXVI, v. 122-123 : La chambrière gémit : « Se n’eusiés poinct tant amussé/Vostre ventre


contre le myen,/Je pence qui n’y eust eu rien. » Voici une autre expression figée et figurée
pour désigner l’acte amoureux, basée sur la métonymie. Amusser son ventre contre celui
d’une femme veut dire faire l’acte vénérien (DiSt.) Trad. de Faivre : « Vous auriez un peu
moins frotté/Votre ventre contre le mien,Il n’y aurait rien eu, je pense. ».

XXXVI, v. 152-153 : Le Badin explique au médecin ce qui s’est passé pour qu’il vienne le
secourir. « Un jour fut que je fus tenté ;/Sans viser à gaigne ne perte. » La locution figée sans
viser à gaigne ne perte signifie « sans réfléchir » (DiSt.), « sans examiner profit ou perte »
(Tis.). A la place de la locution médiévale, nous utilisons dans le même sens pour peser « les
arguments en faveur de qqch, et ceux qui s’y opposent » la locution le pour et le contre (Rey).
Trad. : « Un jour, j’ai cédé à la tentation ;/Sans peser le pour et le contre. »

XXXVI, v. 159 : En décrivant le ventre de la chambrière : « Elle est panchue comme une
vache. » DiSt. note la comparaison figée : panchu comme vache sans explication. Selon
Rey le terme comme une vache sert de comparaison intensive dans les locutions anciennes,
dans notre cas pour le ventre de la Chambrière enceinte, dont le stade de grossesse est déjà
avancé. Trad. : « Elle est grosse comme une vache ! »

XXXVI, v. 196-197 : Le Badin essaie de consoler et de rassurer la chambrière : « Je luy


brasse un bel apareil./Tais-toy, ne pleure jamais jour. » DiSt. cite cette expression figée et
figurée, mais sans explication : brasser un bel appareil a qqn. Le verbe brasser est dans notre

- 75 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

cas d’emploi métaphorique, car il est consigné dans les dictionnaires avec la signification de
« tramer » (Hug.). Le mot appareil veut dire « préparatif » ou « magnificence » (Hug.). Ce
mot est aujourd’hui ressenti comme vieilli et signifie « déploiement des apprêts, des moyens
destinés à donner éclat et magnificence à une cérémonie, à un événement, à une opération »
(TLFi). L’utilisation du mot appareil est donc ironique en combinaison avec l’emploi
métaphorique du verbe brasser. Tis. n’explique pas cet ensemble dans ses notes non plus,
mais il propose une bonne traduction : « Je lui prépare un bon tour./Tais-toi, ne pleure plus
jamais dans la journée. »

XXXVI, v. 226-227 : Le Badin commence à feindre la maladie dès le retour de la femme, la


Chambrière crie : « C’est faict : voye le là trespassé./Il est aussy royde c’un ais. » Le mot ais
désigne une « hache » (God.). L’expression comparative figée aussi roide qu’un ais (DiSt.)
s’utilise dans le sens de « raide comme un mort qui ne bouge plus ». De nos jours, nous
employons l’expression droit comme un piquet dans le même sens (Rey). Trad.: « Il est droit
comme un piquet. »

XXXVI, v. 330-331 : Crespinete propose à la Chambrière de coucher avec son mari pour qu’il
se débarrasse de l’enfant. Elle se défend de le faire : « Certes, de cela nulement/Jamais je ne
seroys d’acord. » Cette construction nominale à verbe support classique a été attestée déjà
chez DiSt. : estre d’accord. Elle s’utilise toujours fréquemment. Trad. : « Certes, je ne serais
jamais d’accord avec ça. »

6. Emploi stylistique des locutions

« Nous observons et jugeons les êtres et les choses dans leurs formes, leurs couleurs,
leurs mouvements, leurs relations, leurs emplois et leur situation, et nous leur conférons en
même temps des valeurs plus ou moins implicites, plus ou moins inconscientes et qui
déterminent les images dans lesquelles entre la chose, et les locutions dans lesquelles entre le
mot. »1 Néanmoins, il n’est pas évident de reconnaître les locutions et les identifier dans les
farces. Les locutions figées et les expressions figurées sont souvent masquées, elles sont
confrontées à des expressions métaphoriques inventives et aux locutions défigées. Nous avons

1
Guiraud, P. : Les locutions françaises. P. 63.

- 76 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

déjà abordé cette problématique au cas par cas dans la partie précédente. Dans ce chapitre,
nous allons examiner de plus près leur emploi stylistique.
La première partie sera consacrée à l’utilisation générale des locutions dans le
contexte, à leur position et à leur fonctionnement au sein des œuvres. Nous allons nous poser
les question de type : Dans le discours de quels personnages figurent les locutions ? Comment
contribuent-elles à caractériser les personnages ?
Dans la partie suivante, nous résumerons et regrouperons les particularités du comique
des farces (emplois comiques ou ironiques des locutions, jeux de mots fondés sur les
locutions, prise au pied de la lettre des expressions). Nous dirons comment ces emplois
particuliers contribuent à la construction de la trame narrative ou à la coloration de l’œuvre ;
car ces effets spéciaux sont assez fréquents dans les farces. Nous allons observer les
connotations spécifiques que les locutions peuvent recevoir ou prêter aux textes. Les locutions
peuvent structurer le récit, et lorsqu’elles se placent à des moments cruciaux de l’action, elles
entraînent souvent des effets comiques. Nous allons prêter une plus grande attention au
défigement, aux expressions candidates au figement, aux figures rhétoriques comiques,
aux combinaisons des locutions.
Dans la troisième partie, nous allons observer le degré de figement des locutions et
expressions dans lesdifférentes pièces.
Et dans la dernière partie, nous allons répertorier des locutions selon les thèmes
récurrents des farces : amour, sacré/diable, valeur nulle, raclée, bêtise et tromperie.

6.1 Utilisation des locutions en contexte

Nous pourrions distinguer deux sortes de locutions :


• Les unes faisant partie intégrante de la langue, sans que personne s’en aperçoive,
lexicalisées dès le moyen âge, et qui avait un tel degré de figement tel qu’il n’était plus
possible de jouer sur leur sens propre. Il s’agit des locutions figées.
• Les autres présentant un degré de figement moindre ou avec un sens compositionnel
non totalement opaque, qui pourrait prêter source à un comique verbal ou langagier. Il
s’agit des expressions figurées figées ou novatrices.
Les locutions et expressions interviennent toujours dans le discours direct, notamment
dans les répliques des personnages lors des disputes, des joutes verbales, des moments
cruciaux où il faut dompter l’autre et se sentir au-dessus de lui, gagner. Celui qui est plus rusé,
vainc. Celui qui arrive à se moquer de l’autre, sans qu’il s’en rende compte, est le meilleur.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

Celui qui sait mieux parler, est le plus fort. Alors, il est absolument indispensable pour les
personnages de maîtriser le jeu de mots, connaître le plus d’expressions possibles, essayer de
jouer sur les significations nombreuses, déballer un jeu équivoque. En quelque sorte, la
connaissance des expressions figurées et la capacité de former des métaphores qui ont l’air de
locutions ou d’expressions, devient essentiel.
Suivant les modalités de l’usage des locutions et des expressions, nous pouvons
diviser les farces en deux groupes :
• farces à comique situationnel où la fréquence des locutions figées et des expressions
figurées est moindre, les locutions n’y jouent pas le rôle principal, car ces farces
reposent sur le comique de situation. Par exemple Le Cuvier montre la transformation
grotesque d’une mégère oppressive en épouse exemplaire. L’obstination des femmes
résout un pari insensé. Le Galant qui a fait le coup essaie d’en finir avec l’infidélité du
Galant avec la Chambrière, et de fournir des explications à sa femme.
• farces à comique langagier, fondées sur les jeux de mots, l’utilisation des locutions
et la création de nouvelles expressions figurées. Elles contribuent aux traits
caractéristiques de ces farces : par exemple l’image du séducteur Frère Guillebert ne
serait pas complète sans nombreuses expressions « culottées » concernant l’acte
charnel. Les locutions démontrent également la ruse et l’intelligence de leurs
utilisateurs. Ainsi dans Le Frère Guillebert la femme rusée utilise également des
locutions avec intelligence et ingéniosité. Dans Le Retrait, le vallet Guillot joue avec
sa maîtresse et son désir de voir l’être élu, il dicte les conditions et gère la situation par
ses propos insolents, équivoques et osés. Il en tire un profit permanent en construisant
le récit par ses actions de parole. La maîtresse essaie d’être un adversaire à sa mesure,
mais elle n’y arrive pas et elle doit s’incliner devant la ruse du valet. Dans Le
gentilhomme et Naudet, le paysan Naudet, l’acteur principal de la farce, faisant rire le
lecteur, prend sa revanche. Il peut se le permettre contre un noble seulement parce
qu’il est astucieux. Le comique langagier entre dans la farce du Chaudronnier, lorsque
le personnage de ruse de cette pièce, le Chaudronnier entre en scène. Autrement, le
comique de cette farce est plutôt basé sur l’utilisation des injures, qui appartiennent au
corpus du deuxième tome du livre de Halina Lewicka. Le rire du Meunier de qui le
diable emporte l’âme en enfer, repose pour la plupart sur le Meunier, qui se lamente
sur son destin de malade et de mari battu. L’auteur de cette pièce, André de la Vigne,
maîtrise le défigement et son style est assez élevé par rapport aux autres pièces. Lucas,

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

sergent boiteux et borgne, et Le Bon Payeur, est fondée sur la ruse du Bon Payeur,
débiteur de Lucas, et de la femme de Lucas, Ameline, qui les surpasse tous.

6.2 Comique langagier des farces

6.2.1 Défigement comique

Le jeu sur le défigement (voir le chapitre ci-dessus 1.2.2) et sur les deux sens d’une
locution demande une bonne maîtrise de la langue et par conséquent, il n’est pas fréquent
dans les sujets traités. De plus, la prise au pied de la lettre de toutes les expressions figurées
n’est pas possible. Nous ne l’avons pas observée dans toutes les pièces, juste une fois dans le
Cuvier, deux fois dans le Chaudronnier, le Meunier de qui le diable emporte l’âme en enfer,
et dans Lucas, sergent boiteux et borgne, et Le Bon Payeur. Observons encore une fois tous
les cas de défigement.
L’expression couper la gorge a qqn, signifiait en moyen français « lui enlever tout
argument, le convaincre d’erreur » (cf. DiSt.), mais ce n’était pas ce sens figuré que Jacquinot
avait à l’esprit, quand sa femme lui imposait toute une longue liste de tâches domestiques :
« J’aymeroys mieulx qu’on me coupast (la) gorge. »1 Il faut comprendre cette expression dans
le sens premier de « couper la gorge » égale « tuer », car le héro aurait préféré de se faire tuer
plutôt que de se laisser infliger cette corvée. Ainsi, l’auteur du Cuvier réussissait à faire rire
son spectateur.
Dans Le Chaudronnier, le couple se dispute et parie que celui qui gagnera, va payer en
monnaie spéciale. « Qui perdera, dame cervelle,/Il paye à la soupe payelle. »2 Il y a tout un
jeu de mot sur la soupe payelle. Le sens de l’expression est « le perdant va payer la soupe ».
Selon Tissier, payelle était « une poêle à frire », et peut entre autres annoncer l’arrivée du
chaudronnier sur la scène. De plus ce mot a pu être voulu pour le jeu de mots : paye... payelle.
Cette expression pourrait paraître au premier coup d’œil comme une expression figurée
inventive, mais le sens est compositionnel et non opaque, donc son sens est ici : « le perdant
va payer la soupe ».
Quand le Chaudronnier arrive sur scène, il s’indigne que personne ne lui parle et il
prend à la lettre dans son discours une belle expression figée. « Hau ! Jenin, conque(s)ti(stes-

1
XIII, v. 55.
2
XIV, v. 87-88.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

vous) mouche ? »1 Le sens du premier vers est : « Avez-vous gobé une mouche que vous ne
voulez pas laisser échapper ? » (cf. Tis.). Il ne s’agit pas donc d’une expression figée, c’est
simplement une métaphore pour exprimer le silence d’autrui. Elle joue sur le sens premier des
mots de la phrase. L’expression gober des mouches n’a plus le sens compositionnel, mais
opaque et veut dire : « perdre son temps à attendre quelqu’un » (Dun.). Les opérateurs du
défigement sont le contexte et les phrases ce qui suivent l’expression figée (dans notre cas
laisser échapper).
Dans Le Meunier de qui le diable emporte l’âme en enfer, la femme gronde son mari
qui lui demande à boire. « Mais qu’ayez tousjours la roupie/Au nez ! »2 Avoir la roupie au
nez était une expression courante, avec le sens de « boire beaucoup, avoir soif » (Tis.). En
même temps, la femme fait allusion au fait que son mari a froid et par conséquent, il a une
roupie au nez. Au sens propre, la roupie est « une goutte d’humeur qui pend au nez », plus
particulièrement, quand il fait froid. Vu que le malade s’est aussi plaint d’avoir froid, il est au
lecteur de décider, quelle acception donner à l’expression.
L’expression tirer deux (dix...) moutures d’un même sac signifie « tirer plusieurs
profits ou avantages d’une même affaire, d’une même situation » (Rey). Le sens de mouture
est à l’origine « prix de l’opération de meunerie » qui a été élargi pour désigner toute
malhonnêteté commerciale. Comme si on parlait de notre meunier qui a triché dans sa vie
qu’il l’avoue lors de sa confession : « Je pris de soir et de matin/Tousjours d’un sac doubles
moustures. »3 Vu qu’il s’agit d’un meunier, l’expression prendre d’un sac doubles moutures,
fait penser directement à son origine.
Dans Lucas, sergent boiteux et borgne, et Le Bon Payeur, Le Bon Payeur explique à
Lucas qu’il ne peut pas voir l’infidélité de sa femme à cause de son œil borgne : « C’est pour
nient, car tu ne regardes/La sepmaine que de travers. »4. L’expression (regarder) de travers
veut dire « (regarder) avec suspicion, aminosité, d’un air malveillant » (cf. DiSt.). Mais Lucas
est borgne et il regarde vraiment de travers. Voici le jeu de mots basé sur le défigement et sur
le sens figé à la fois, vu l’antipathie du personnage de Lucas. Le défigement est seulement
partiel.
Ameline Fine conseille, dans la même farce, à son mari de faire payer son débiteur, le
Bon Payeur en utilisant la force : « A ! rien, rien, prenés un fouet/Bien acoustrà de
chareton ;/Et, tout ainsy c’un careton,/Faictes lay devant luy claquer./Et puys, sy ne vous veult

1
XIV, v. 119.
2
XXII, v. 15.
3
XXII, v. 419-420.
4
XXXV, v. 73-74.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

payer,/Taillés luy chausses au long du cuyr. »1 Bid. explique tailler des chausses comme
« forniquer ». Mais dans ce cas, Lucas a promis à Bon Payeur d’attendre qu’il mette des
chaussures pour devoir payer sa dette. Ainsi le débiteur a décidé de ne plus jamais les mettre
et la femme de Lucas Ameline lui a conseillé de prendre le fouet. Vu que les chausses sont
une « partie du vêtement masculin qui couvrait le corps depuis la ceinture jusqu’aux genoux
ou jusqu’aux pieds » (Rob.), nous avons affaire à un défigement, puisque le sens primaire
vient sur la scène, au moment où Lucas fouette les jambes du Bon Payeur, jusqu’à ce qu’il
mette les chausses.

6.2.2 Expressions « candidates » au figement et jeux de mots

Nous avons classifié dans les expressions « candidates » au figement les métaphores
inventives ou autres suites qui, tout en pouvant paraître figées, ne sont pas consignées dans les
dictionnaires de locutions tels que Di Stefano ou Bidler. Elles sont souvent source du comique
et de l’ironie, en faisant allusion à des locutions déjà attestées. Il était donc indispensable de
vérifier leur degré de figement dans le Corpus de la littérature médiévale (CLM) et dans les
dictionnaires du moyen français et de leur consacrer un chapitre spécial. Nous ajoutons que
cet effet de style est plus commun que celui du défigement.
Dans quelques cas, nous n’avons pas trouvé des expressions toutes faites dans les
dictionnaires, mais la consultation du CLM nous prouve qu’elles étaient déjà figées d’une
certaine manière ou qu’elles étaient au moins sur le point de se figer. Il en est ainsi pour
l’expression rompre les echignes dans le vers : « Je vous rompray les echignes./Me faictes-
vous rompre la teste ? »2 Les expressions attestéees sont soit mesurer l’eschine a qqn, frotter
l’eschine a qqn (DiSt.), ou caresser (frotter, rompre) l’échine à qqn (Rey). La recherche dans
le CLM montre que l’échine(s) est généralement l’endroit où on reçoit des coups, et elle
s’utilise avec les verbes mesurer, frotter ou rompre d’une manière égale. La variante caresser
l’échine à qqn est plus récente que les expressions du moyen français. Nous avons constaté un
degré de figement plutôt moindre entre le verbe et son complément, néanmoins le nombre des
verbes possibles du paradigme reste restreint. De même le nombre de complément n’était pas
complétement figé, quand bien même il y aurait une tendance à utiliser le singulier.
Remarquons le jeu de mots sur la double utilisation du verbe rompre dans deux expressions
différentes avec deux sens éloignés. Il en est de même pour l’expression avoir de plet : « Que

1
XXXV, v. 183-188.
2
III, v. 274-275.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

ce fol yci a de plet ! »1 Même si la locution avoir de plet ne figure pas dans le dictionnaire de
DiSt., son emploi fréquent dans les textes des farces ou dans d’autres textes du CLM, prouve
un certain degré de figement. (Di Stefano n’atteste pas directement avoir de plet, mais il a
noté prendre son plet, « parler inutillement, être bavard » ayant le même sens.). La même
chose est valable pour l’expression en estre taillé et cousu2 appartenant au langage des
drapiers, couturiers et chaussetiers qui s’est figée postérieurement.
Parfois, les auteurs ont fait allusion à une locution déjà figée, en substituant le verbe.
Leur invention se prétend souvent figée, mais elle ne l’est pas. Prenons par exemple la
citation suivante : « Mais que ce fol a de blason ! »3 Au cours des vérifications du CLM, nous
avons appris que la locution avoir blason n’existe pas, le Corpus l’atteste uniquement dans la
farce du Gentilhomme et Naudet. La seule locution consignée de signification semblable est
tenir blason, « se perdre en bavardage » (DiSt.). Blason étant quelque chose de noble, son
emploi dans notre contexte est ironique. Sa signification est également de « discours,
conversation » (God.)
Un autre exemple : « Quoy ! est ma chemise dorée ?/Da, da ! s’el est, j’en suys
marry. »4 En moyen français, on utilisait le terme estre une pilule ensucree et un cuivre doré,
« être un faux, déloyal » (DiSt.), cet emploi se servait de la même idée de masquage appliquée
non à l’apparence (dorée) mais au goût (Rey). L’auteur de la farce connaissait peut-être ces
expressions, dans ce cas il aurait remplacé pilule ou cuivre par chemise pour des raisons
stylistiques. Ainsi a-t-il réussi à faire allusion à une expression connue en l’actualisant et en
jouant sur son acception traditionnelle et sur l’acception prévue par les spectateurs.
Très souvent, cet effet de comique est utilisé pour commenter l’acte charnel. Quant à
avoir son picotin5, le CLM cite le plus souvent la suite avec le verbe bailler/donner, une fois
avec prendre et puis dans notre cas avec avoir. Bid. ne note que la locution donner/bailler le
picotin, « faire l’action charnelle ». Notre séquence avoir son picotin, ne peut pas être
considérée comme figée, même si le verbe avoir avait comme le verbe support un sens
affaibli de « obtenir, jouir de ».
L’expression au sens érotique fourbir le buihot a qqn6 entre dans le paradigme des
expressions avec le verbe fourbir à côté d’autres compléments. Le buihot d’un homme désigne
« la verge virile » (Bid.) et l’expression figurée figée fourbir le buihot a la signification de

1
IV, v. 46.
2
XXII, v. 59 : « Il en est taillé et cousu. ».
3
IV, v. 384.
4
IV, v. 3-4.
5
III, v. 180 : « Tantost aura son picotin ».
6
XXXIV, v. 440-442 : « Vous faictes fourbir le (b)uihot,/Et on m’apellera huihot. ».

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

« foutre ». La séquence ne peut pas être considérée comme figée, car cette expression est
propre uniquement à l’auteur du Frère Guillebert.
De même, le vers suivant fait allusion à plusieurs termes de l’époque sans être lui-
même figé : « Houla, ho ! voicy pour desver./Qu’esse icy ? Hau ! comme il s’esmouche./Je
croy qu’il y a quelque mouche/Qui luy fetrouille soubz la fesse. »1 A l’époque le mot
fetrouiller a été plusieurs fois employé pour un homme qui fait l’amour (Tis.), et il a souvent
le sens de farfouiller (God.). Bid. atteste une expression proche qui a servi de modèle pour
notre auteur : avoir des mouches subz la queue pour dire « faire l’amour ».
Pareillement, dans une autre situation quand le frère Guillebert se moque du mari qu’il
va tromper : « Plaisir sera au viel mastin/De trouver son patis herchié. »2 D’après Tis.
l’expression passer un pâturage à la herse remplace une autre expression semblable labourer
le champ (la vigne) d’autrui qui, bien sûr dans le sens figuré érotique du terme, désigne l’acte
d’amour. DiSt. indique la locution : arouser les prés d’autrui qui doit avoir le même sens,
Bid. note également quelques expressions avec l’amoureuse pasture « la chose » ou chercher,
demander pasture avec le sens de « coïter », mais l’expression figurée trouver son patis
herchié est inventive, propre à l’auteur du Frère Guillebert, elle s’ajoute aux métaphores qui
apartiennent au champ lexical du labour.
La suite frotter reins et ventre3 ne figure pas dans les dictionnaires des locutions
érotiques, même si le ventre et les reins entrent dans les locutions érotiques, ces deux mots ne
sont pas utilisés ensemble et non plus avec le verbe frotter. Dans ce cas-là, il s’agit d’une
expression figurée inventive, propre à l’auteur du Frère Guillebert.
Dans le Galant qui a fait le coup nous rencontrons : « Tu me faictz le sang
esmouvoir,/Foy que je doy à Nostre Dame./Vien çà, preste moy une drame/De ton service
corporel. »4 L’expression soulignée est imagée, figurée, propre à l’auteur, mais pas figée. Elle
fait penser à l’expression figurée figée : emprunter le dragme, « coïter » (Bid.).
De nombreuses expressions créatives comiques concernent l’action de boire de
l’alcool. Nous allons citer à cet endroit trois cas que nous avons trouvés dans notre corpus. Ils
ne sont pas figés, mais ils pourraient l’être ou le devenir. De toute façon, elles étaient
compréhensibles pour le lecteur qui devait s’esclaffer à leur lecture.

1
IV, v. 53-56.
2
XXXIV, v. 138-139.
3
XXXIV, v. 315-317 : « Pour vous fourbir un poy le dos,/Quant vous avez faict le bagaige./Frotez rains et
ventre ; g’y gaige. ».
4
XXXVI, v. 27-30.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

1. « Et bien donc ! Mais je sois mauldict/Se je n’en boy premier ma part./Et puis je
mettray là leur part/Dedens le seau. Advisez/Se je n’ay bien faict « hauld le nez »./Je
mettray cy le demourant./Le voyla frais maintenant,/Quand de boire aurez appetit. »1
Faire « hauld le nez » est une innovation assez compréhensible de l’auteur de cette
farce pour remplacer le verbe ordinaire « boire », peut-être, s’agit-il également d’une
expression populaire qui n’a pas été consignée par les dictionnaires. Il faut imaginer
que le buveur a le nez en haut, parce qu’il est en train de boire, et pour mieux boire, il
a mis la tête en arrière.
2. « Mort suis pour toute recompence,/Se je ne refforme ma pence/De vendange
delicieuse ! »2 Tis. comprend le verbe refformer dans le sens de « rinçage de son
estomac par une boisson exquise ». Cette expression figurée n’est pas présente dans le
dictionnaire de DiSt. ni nulle part ailleurs dans le CLM, elle est propre à l’auteur du
Meunier.
3. « Qu’ilz disent en lavant leurs brongnes:/J’ay bien gardé, le temps passé,/Mon gentil
gosier de sorir. »3 L’expression figurée, mais pas figée laver ses brongnes veut dire
« boire abondamment » (Tis.), c’est un équivalent de l’expression figurée figée laver
sa gorge (DiSt.). Le mot brongne est « une survivance picarde de l’ancien français
broigne », sorte de tunique de mailles peu différente du haubert, et qui par métonymie
signifierait « gorge » (Tis.). - Laisser dessécher le gosier veut dire « ne pas boire »,
mais les dictionnaires ne classifient pas cette expression comme figée, ni figurée. Le
sens de cet ensemble est compositionnel.
Les auteurs inventaient souvent des appellations hilarantes : de telles manières de
s’exprimer créaient des situations et des commentaire burlesques. Les expressions de ce
paragraphe faisaient certainement rire le lecteur. Notamment lors d’une bagarre où l’homme
se moque de l’utilisation abondante de parfum par sa femme : « Vous faictes tout le
muglia. »4 Le muglia est une appellation métonymique pour les femmes qui chassaient les
mauvaises odeurs par l’utilisation abondante des parfums tels que « de la graine de violette ou
de muglias » (Tis.). Cet ensemble ne figure ni dans les dictionnaires, ni dans le CLM, donc
l’expression n’est pas figée, seulement figurée. Il s’agit d’une locution inventive insolite à
verbe support propre à cet auteur. Ex aequo, faillir par la gueule dans le vers : « Sy je faulx

1
IV, v. 123-130.
2
XXII, v. 23-25.
3
XXXIV, v. 329-331.
4
XIV, v. 44.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

par la goulle/Ne vous fiés jamais en beste. »1 Ce n’est pas directement une expression figée,
mais elle entre dans le paradigme de nombreuses expressions avec le mot gueule (DiSt.,
CLM). D’après l’acception du verbe faillir « commettre une faute, être en faute, se tromper »
(Hug.), le sens de l’ensemble est assez prévisible « dire quelque chose qu’il ne fallait pas ». Il
pourrait s’agir d’une locution novatrice, candidate au figement qui a échoué à son concours ou
tout simplement une tournure de l’auteur du Retrait. Et encore une dernière expression
énnoncée par un mari faché : « Le dyable vous cauquera bien. »2 C’est une menace, elle est
figurée, mais pas figée.
La séquence suivante s’est figée au fur et à mesure jusqu’à devenir une expression
figée en français moderne avec un degré de figement significatif. « Jehan ! vertu sainct Pol,
qu’est-ce à dire ?/Vous me acoustrez bien en sire,/d’estre si tost Jehan devenu. »3 Sire prenait
particulièrement dans les textes comiques comme les farces un sens ironique de « sot, niais,
nigaud » (Tis.). Philipot suggère pour ce sens un emprunt à l’argot des Coquillarts. Acoustrer
signifie « affubler », et l’expression acoustrer en sire est voisine de tailler un costume. Cette
dernière expression a dans le français contemporain une signification légèrement modifiée :
« lui faire une mauvaise réputation » (Rey).

6.2.3 Figures rhétoriques comiques

Nous avons déjà parlé de la métaphore dans la partie théorique (voir chapitre 1.3 ci-
dessus). Mais les métaphores, les comparaisons, les personnifications ou les métonymies
comiques forment toute une catégorie spéciale, car elles font véritablement rire le spectateur.
Le degré de figement y est nul, et donc, nous ne les avons pas toutes marquées dans notre
travail. Néanmoins, il reste intéressant de les mentionner brièvement et d’en noter quelques-
unes.
Les métaphores les plus inventives concernent souvent l’acte amoureux, elle font
partie de nombreuses images décrivant l’acte charnel et enrichissant le langage des farces.
Voici deux exemples des suites non figées : 1. Guillot annonce l’arrivée de l’Amoureux à sa
maîtresse et il se moque de ce qu’il va suivre. « Y vous ostera bien les sourys/Tantost du
cul. »4. 2. Le frère Guillebert a failli de se faire découvrir par le mari trompé, une fois celui-ci

1
III, v. 217-218.
2
XXXIV, v. 431.
3
XIII, v. 45-47.
4
III, v. 93-94.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

parti, il s’en réjouit : « Par sainct Gens, revoycy bon jour ;/Encor pourra paistre pelée. »1
Pelée est d’après God. « endroit dégarni de poils du membre viril » et le verbe paître est
utilisé pour « faire l’amour ».
Les comparaisons sont souvent figées, mais certaines peuvent être inventives. Le frère
Guillebert doit se plier comme une grenouille pour se cacher devant le mari qui arrive
inopinément : « Il me fault cy estendre en raine. »2 Cette jolie comparaison novatrice de
l’auteur a le sens de « s’accroupir comme une grenouille ». Ou un autre exemple : Guillot a
gardé son chapeau sur la tête, il ne veut pas rendre grâce à sa maîtresse. Celle-ci se moque de
lui en le traitant de malade : « Es-tu tigneulx ?/Comment tu n’es poinct gratieulx,/Que ne mes
la main au bonnet ! »3. Etre tigneulx veut dire « avoir une maladie de la peau de tête » – la
teigne (cf. Tis.). Nous avons affaire à une comparaison implicite entre une personne atteinte
de la teigne et celui qui oublie d’ôter son chapeau. Elle sert de source pour le comique
situationnel et l’ironie.
Un contraste poétique peut également venir en scène, par exemple quand le curé et la
femme du mourant fêtent le décès du mari incommodé : « Curé, nous vivrons gayement,/S’il
peult estre en terre perché. »4 Il s’agit d’une image plaisante mais peu heureuse pour « être
logé en terre » (cf. Tis.). Peut-être l’expression vient-elle, d’après lui, de ce qu’on disait :
perché à un gibet, « pendu, mort ». Le contraste vient à l’image entre la notion de pendu,
c’est-à-dire en l’air, et la terre. De même, l’expression mourir de soif emprés le puis est
fondée sur un oxymoron, dans le vers : « La douleur est bien plus amere,/Mourir de soif
emprès le puis. »5

6.2.4 Combinaisons des expressions

Un effet de style remarquable est produit par la combinaison de plusieurs locutions


entre elles et avec d’autres phénomènes de la langue figurée. A cet endroit-là, nous avons
regroupé tous les cas de notre échantillon.
Guillot regrette ne pas avoir la même jouissance que les amoureux, il est un peu
jaloux. « Et moy, un povre maquereau,/Feray la grue ainsy c’un veau ! »6 Nous avons affaire

1
XXXIV, v. 363-364.
2
XXXIV, v. 260.
3
III, v. 36-38.
4
XXII, v. 120-121.
5
XXXIV, v. 167-168.
6
III, v. 143-144.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

à une combinaison astucieuse de deux expressions figurées faire la grue, « attendre debout »
(cf. DiSt.) et comme un veau, comme « un sot, un naïf, un imbécile » (cf. DiSt.).
Quand le Chaudronnier arrive sur scène, il s’indigne que personne ne lui parle et il
utilise dans son discours tout un enchaînement des métaphores inventives, des défigements,
des expressions figurées figées et des images qui forment ensemble un passage burlesque :
« Hau ! Jenin, conque(s)ti(stes-vous) mouche ?/Faictes-vous cy du president ?/Il ne remue
lebvre ne dent./Se semble, à veoir, un ymage,/Un sainct Nicolas de village. »1 Nous voyons
plusieurs images à la fois : quelqu’un qui a gobé une mouche et ne peut pas parler, le
président qui fait son important et qui ne parle pas aux gens simples comme le chaudronnier,
une statue immobile qui ne bouge ni les lèvres, ni les dents, et une image de saint Nicolas de
village, d’une personne bonasse et un peu bête qui ne comprend rien, qui n’a rien à dire.
Puis, deux combinaisons compliquées de la langue figurée concernent l’acte vénérien :
« Gardez se l’atelier est net,/Devant que larder le connin ;/Car, s’on prent en queue le
venin,/On est pirs qu’au trou sainct Patris. »2. Nous voyons l’image d’un atelier (« sexe de la
femme ») net où un homme n’a rien à craindre, il peut faire ce dont il a envie sans attraper des
maladies sexuelles. Les maladies, c’est le pire, c’est encore pire qu’un purgatoire. Tout cela
est si bien enveloppé dans le langage figuré qu’il était, par moments, difficile de le déchiffrer.
Notons que le trou saint Patris signifie « l’entrée du purgatoire », mais aussi « le sexe de la
femme » (DiSt.). L’auteur a joué à cet endroit sur le double sens de l’expression.
Dans une sorte de testament du Frère Guillebert, trois expressions figurées avec le sens
de « faire l’acte vénérien » se suivent et accentuent son discours vulgaire : « Pour vous fourbir
un poy le dos,/Quant vous avez faict le bagaige./Frotez rains et ventre ; g’y gaige. »3
Un cas spécial est le vers : « Mot sans cillier. »4 Cette expression est d’après God.
pleinement sans dire mot ne sans cillier, et d’après DiSt. sans mot dire, « en silence » et sans
ciller, « sans bouger » figurent indépendamment. Nous avons donc ici deux possibilités
d’explication : un mélange de deux expressions figurées et figées ou un abrégement d’une
seule expression, vraisemblablement dans le but de dynamiser le discours ou la versification.

1
XIV, v. 119-123.
2
XXXIV, v. 27-28.
3
XXXIV, v. 315-317.
4
XIV, v. 89.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

6.3 Degrés de figement des locutions

Les auteurs maîtrisaient les locutions d’une manière aussi naturelle que les mots
simples. Ils ne se posaient pas la question sur le degré de figement, ils ont tout simplement
voulu faire rire le lecteur et ils ont travaillé les locutions naturellement comme une partie
intégrante du langage. Nous avons déjà évoqué des locutions « candidates » au figement, dont
le degré de figement était plus ou moins grand. Nous avons remarqué dans les dictionnaires
une grande variabilité des verbes et des déterminants des substantifs entrant dans les locutions
à verbe support. Le CLM conforte cette analyse. Dans ce chapitre, nous allons répertorier des
locutions à verbe support apparues dans notre corpus et analyser les changements par rapport
à la forme donnée par le dictionnaire. Comme nous l’avons signalé dans les chapitres
précédents, les locutions à verbes supports ont un degré de figement moindre en comparaison
des locutions verbales. De nombreuses modifications sont possibles : il s’agit du changement
de déterminant, de préposition ou de la modification qualitative ou quantitative de substantif.
Le problème est toujours de savoir quelle est la forme de base (de dictionnaire) d’une locution
à verbe support. Dans les cas litigieux, les lexicographes ont essayé de décider d’après la
forme la plus utilisée, mais notre recherche dans le Corpus de la littérature médiévale nous a
prouvé que il n’en était pas toujours ainsi et certaines décisions des lexicologues semblent
plutôt aléatoires. Nous allons juger les expressions par rapport à leurs formes dans les
dictionnaires.

6.3.1 Changement de déterminant

Nous avons rencontré les changements suivants : de déterminant possessif en article


défini, de déterminant indéfini en possessif, de déterminant défini en partitif.
Nous rencontrons des changements de déterminants possessifs en articles définis. Le
dictionnaire de DiSt. nous offre les formes avoir du passetemps, donner le passetemps,
prendre son passetemps, celui de Bid. prendre, faire son passetemps. Le passetemps est le
plus souvent utilisé avec le verbe prendre, une fois avec avoir et une autre fois (à part notre
vers) avec le verbe faire (CLM). Dans notre citation nous avons : « Mon mary est dehors/S’en
est alé ; ne craignés fors/Que de faire le passe temps. »1 Il en est de même pour le vers : « Il y
a des sepmaynes mainctes/Que je ne vis nostre munyere./Pour ce, je m’en vois aux

1
III, v. 163-165.

- 88 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

actaintes/La trouver. »1 Huguet dans son dictionnaire note seulement les formes venir,
parvenir à son atteinte, à ses atteintes, « atteindre son but, arriver à ses fins ».
L’article indéfini peut se transformer en pronom possessif. Faire des coups, faire un
coup « foutre » (Bid.) devient : « En ung moys je fais mes cinq coups,/La sepmaine ung coup
justement. »2
Le changement de l’article défini en partitif est aussi possible. Le cas inverse est aussi
possible et les cas litigeux restent nombreux. « Je croy que tu faictz de la beste. »3 A comparer
avec l’entrée de dictionnaire faire la beste, « affecter la bêtise » (DiSt.). La même locution
figurée existe jusqu’à nos jours avec le même sens que la médiévale (Rey). Trad. : « Je crois
que tu fais la bête. » Nous retrouvons la même expression, cette fois-ci dans une forme
correcte dans la farce du Meunier de qui le diable emporte l’âme en enfer (XXII,96-97) :
« Fault-il qu’encore je vous touche ?/Qu’esse cy ? Faictes-vous la beste ? »

6.3.2 Modification qualitative ou quantitative de substantif

Le substantif qui entre dans une locution à verbe support peut être modifié par un
adjectif qualificatif, par un participe passé dans le rôle d’un adjectif qualificatif, par un
adverbe de quantité.
L’expression faire un sault a qqn, « l’attaquer, lui jouer un mauvais tour », a été
modifiée par un adjectif qualificatif lourd. « Vous fistes un lourd sault,/Quant vous me dictes
telle injure. »4 L’auteur de cette farce, probablement dans le but de souligner la gravité de
l’erreur commise a renforcé cette expression figée et figurée par l’adjectif lourd. De même
que dans l’expression se mettre en pourpoint, se dévêtir pour mieux travailler ou dans notre
cas pour mieux s’ébattre (Tis., DiSt.), où l’auteur a rajouté pour faire plus joli que son
pourpoint est beau : « A ! ma plaisante vignette,/Pendant que Naudet n’y est point/Je m’en
vois mettre en beau pourpoint/Affin que mieulx nous esbatons. »5 Observons maintenant le
cas suivant : « Que c’est Bietris vostre cousine,/Ma femme Jehenne Turelure,/Et Melot sa
bonne voisine,/Qui ont pris du chemin saisine,/Pour vous venir reconforter. »6 Pour Tis.
prendre du chemin saisine veut dire « se mettre en route », le terme juridique saisine
désignerait la « possession », le sens de l’ensemble serait littéralement « prendre la route en

1
XXII, v. 84-87.
2
XXXIV, v. 161-162.
3
III, v. 422.
4
III, v. 75-76.
5
IV, v. 73-76.
6
XXII, v. 258-262.

- 89 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

possession ». Or DiSt. atteste une expression un peu différente prendre le/son chemin
(a/contre/de/en/envers/vers) d’un sens légèrement différent : « s’acheminer, se diriger, trouver
la voie ». L’expression toute faite avec l’adjectif saisine n’existait pas (cf. CLM), Tis. a tort.
La variété des prépositions et les modifications possibles du déterminant ou l’adjonction d’un
adjectif qualificatif laissent penser à une locution à verbe support. En revanche, l’exemple d’
avoir bon credit avec qqn est compliqué, car nous avons trouvé dans le CLM p. e. les
attestations de perdre bon credit, et donc, le degré de figement de bon credit tel quel est assez
discutable. Néanmoins, l’expression avoir bon credit1 n’existe nulle part ailleurs et DiSt.
n’accorde que avoir credit qvec qqn. Et enfin, l’adjectif quelque entre dans la locution faire la
raison « acquitter une dette ou accorder satisfaction » (God.) dans le vers suivant : « Ne
c’est-il poinct esayé/De vous faire quelque raison ? »2.
Le prédicat nominal d’une locution à verbe support peut également être modifié par un
participe passé dans le rôle d’un adjectif qualificatif : « Mais pour boire en une boutaille,/J’ay
tousjours le mestier hanté. »3 La locution très courante à verbe support avoir mestier signifie
« avoir besoin, avoir envie » (DiSt., Hug.). D’après la recherche dans le CLM, une telle suite
est propre uniquement à cette farce. Le verbe hanter signifie soit « pratiquer », soit « aller
souvent, se trouver habituellement » et dans notre cas l’ensemble veut exprimer l’envie
grande et habituelle de boire du Meunier.
Les adverbes de quantité tant de et tout plain de entrent dans des locutions à verbe
support. Le terme faire ses petits tours, voulant dire « faire des exploits sexuels » (DiSt., Bid.)
devient : « Aux jours ouvriers et jours de festes,/Je foys tout ce que vous voulez,/Et tant de
petis tours. »4. Faire des agios, « énoncer des phrases cérémonieuses, embarras » se
transforme en : « Mais ce n’est rien dit à propos/De faire ainsi tant d’agios./Qu’entendez-
vous ? voyla la glose. »5. Et faire l’effrois, « donner l’alarme » (DiSt., God.) change en : « Le
bon homme ne pensoit mye/Que eussiez les brayes sainct Françoys,/Et en faisoit tout plain
d’effrois./Il ne sçavoit comme il en estoit. »6

1
XXII, v. 229-230 : « Celle requeste/Aura devers luy bon credit. ».
2
III, v. 282-283.
3
XXII, v. 401-402.
4
XXII, v. 36-38.
5
XIII, v. 38-41.
6
XXXIV, v. 489-492.

- 90 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

6.3.3 Changement de préposition et autres changements

En moyen français, les prépositions dans les locutions n’étaient souvent pas figées. Il
en était par exemple dans les deux cas que nous allons citer. Un cas d’une multiplicité
extrême de prépositions possibles est représenté par la locution prendre le/son chemin
(a/contre/de/en/envers/vers) dont nous avons parlé sur la page précédente. La locution
prendre qqn a merci1 signifie « le prendre à sa solde, lui pardonner » (DiSt.), mais nous
retrouvons dans notre texte une autre préposition, en. D’après le CLM, la préposition n’était
pas tout à fait figée, on utilisait soit a, soit en d’une part égale. L’expression figurée figée
baumer le tétin2, d’une acception grivoise (Bid., DiSt.), prend la préposition sur.
L’expression assez connue l’eschapper belle3 (DiSt.) a été modifiée par l’auteur du
Retrait par le substantif fortune. Enonçons l’hypothèse qu’il voulait soit combler la lacune de
l’expression pour qu’elle devienne plus claire, soit essayer de faire une étymologie populaire.
En vérité, beau y a le sens ancien d’« opportun, qui convient parfaitement » et le genre
féminin correspond à une valeur de neutre (Rey).
La signification de le bailler vert équivaut à « raconter une chose difficile à croire, à
avaler » (DiSt.). Nous avons affaire à une belle expression figée et figurée. Dans notre
contexte, le substantif tour a remplacé le déterminant : « Or, qu’il n’y ait coing ne
carriere/D’enffer, que tout ne soit ouvert !/Ung tour nous a baillé trop vert !/Brou ! Je suis tout
enpuanty./Tu as mal ton cas recouvert ! »4

6.4 Répertoire thématique des locutions

Au cours de notre travail, nous avons vu de nombreuses expressions et locutions qui


concernaient des thèmes revenant dans presque chaque farce. Il n’était pas possible de les
ranger par thèmes dans la cinquième partie, mais nous allons le faire maintenant, car cela va
nous démontrer clairement la variété des expressions. Nous allons suivre les réseaux
métaphoriques thématiques et classer les locutions des plus simples aux plus compliquées et
sophistiquées. Un autre critère de classement sera leur degré de figement. Les thèmes traités,

1
XXXIV, v. 276-279 : « Ha, s’il me prenoit en mercy/Et qu’il print toute ma robille !/Mais helas, perdre la
coquille,/Mon Dieu, c’est pour fienter par tout. ».
2
XXXIV, v. 133-135 : « Qu’on ne sçaura rien du hutin./S’une foys je suys sur me oeufz,/Je bausmeray sur le
tetin. ».
3
III, v. 478-479 : « J’ey eschapé belle fortune./Sans la finesse j’estoys mort. ».
4
XXII, v. 465-469.

- 91 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

typiques pour les farces observées sont : amour, diable/sacré, valeur nulle, raclée, bêtise et
tromperie.

6.4.1 Amour

Dans une quête amoureuse il fallait tout d’abord aller en garouage1, « courir le
guilledou, aller en quête d’aventures galantes » (DiSt.), ensuite se mettre en pourpoint2, ôter
sa robe et ne garder que le pourpoint pour satisfaire plus facilement aux premiers ébats
amoureux (Tis., DiSt.). Puis, chatouiller le bas3 d’une femme, comme supra et infra (Bid.) (le
bas en parlant d’une femme, est souvent employé pour ses « parties sexuelles » (Tis.)).
Pour exprimer « faire l’amour, fouttre, coïter » nous rencontrons toute une variété
d’expressions. La locution la plus simple d’usage fréquent faire cela4 (aussi le faire, bref faire
+ pronom démonstratif ou personnel) remplaçait toute une échelle d’expressions
métaphoriques. Le verbe faire reste souvent dans les expressions de ce type : faire ses petits
tours5, faire un coup, faire des coups6 où la métaphore est celle de l’arme à feu, symbole
transparent de l’érotisme phallique (Rey). Nous avons aussi coup de lance7 qui désigne une
« attaque amoureuse, exploit amoureux » (Bid.). Faire son tripotage8 représente une autre
locution figée, car le tripotage est un « jeu d’amour » (cf. Bid.). Faire zic zac9 développe
l’image du mouvement pendant l’acte charnel, faire le bagaige10 entraine à l’image le bagaige
« parties sexuelles de l’homme et de la femme » (Bid.). On peut également faire un
paquet11ou faire la beste à deux dos12. Le problème de la récurrence des expressions ne se
pose vraiment pas, vu le nombre de termes différents.

1
IV, v. 5-7 : « Sçavez-vous de quoy je me ry ?/De Monsieur de nostre villaige,/Qui va de nuict en varouillaige. »
2
IV, v. 73-76 : « A ! ma plaisante vignette,/Pendant que Naudet n’y est point/Je m’en vois mettre en beau
pourpoint/Affin que mieulx nous esbatons. »
3
XXXIV, v. 16-17 : « S’on s’encroue sur voz mamelettes/Et qu’on vous chatouille le bas. »
4
XIII, v. 141-142 : « Et puis faire aussi cela/Aulcunesfois à l’eschappée. »
5
XXII, v. 36-38 : « Aux jours ouvriers et jours de festes,/Je foys tout ce que vous voulez,/Et tant de petis tours. »
6
XXXIV, v. 161-162 : « En ung moys je fais mes cinq coups,/La sepmaine ung coup justement. »
7
XXXIV, v. 126-127 : « M’amye, je vous pry qu’il vous plaise/Endurer trois coups de la lance. »
8
XXII, v. 340-341 : « Je joue icy de passe passe,/Pour mieulx faire mon tripotaige. »
9
XXXIV, v. 13-14 : « En foullant et faisant zic zac,/Le gallant se trouve au bissac. »
10
XXXIV, v. 315-317 : Le frère Guillebert fait une sorte de testament : « Pour vous fourbir un poy le dos,/Quant
vous avez faict le bagaige./Frotez rains et ventre ; g’y gaige. »
11
XXXV, v. 273-275 : « Ainsy que deulx parfaictz amans,/Nous ferons bien nostre paquet. »
12
IV, v. 175-177 : « Qu’esse cy ? ily s’en sont vollez./Moy, mot, paix ! là je les os./Hon ! ilz font la beste à deux
dos. »

- 92 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

Le verbe fourbir entrait également souvent dans les expressions de l’acte vénérien,
pour dire « coïter ». On pouvait à une femme fourbir le dos1, fourbir le custodi nos2 (custodi
nos désigne des « parties sexuelles de la femme » (Tis.)), fourbir le haubert, fourbir la
cuirasse3, ou à un homme fourbir le buihot4(le buihot d’un homme désigne « la verge virile »
(Bid.)).
Le même sens est accordé à l’expressions quasi littéraire supplier a l’escripture5 ou
aux expressions du champ de labour donner le picotin6, passer un pâturage à la herse,
labourer le champ (la vigne) d’autrui7 ou arouser les prés d’autrui. Bid. note également
quelques expressions avec l’amoureuse pasture « la chose » ou chercher, demander pasture
avec le sens de « coïter », mais l’expression figurée trouver son patis herchié est inventive,
propre à l’auteur du Frère Guillebert.
Les expressions plus physiques basées sur des métonymies sont amusser son ventre
contre celui d’une femme8 et une suite inventive frotter reins et ventre9. Bouter dedans
l’aumoire10 dans le sens de « coïter » (Bid.) utilise le mot aumoyre, « armoire » pour désigner
les « parties sexuelles de la femme » (DiSt.).
On parle aussi d’un échange : prêter à qqn une drame de son service corporel11,
emprunter le dragme.
Suivant l’appellation du sexe, les expressions changent : on peut se trouver au bissac12
(« au bout du rouleau » (Bid.)), brasser un bel appareil a qqn13, larder le connin14. En ce qui
concerne cette dernière expression, larder au sens propre du mot signifie « mettre des lardons
dans la viande » (God.) et Quant au mot connin, il pouvait s’employer en terme affectif pour

1
XXXIV, v. 315-317 : Le frère Guillebert fait une sorte de testament : « Pour vous fourbir un poy le dos,/Quant
vous avez faict le bagaige./Frotez rains et ventre ; g’y gaige. »
2
XXXIV, v. 306-311 : « Tetins poinctifz comme linotz,/Qui portent faces angelicques,/Pour fourbir leur
custodinos,/Auront l’ymage et mes brelicques./Ne les logez point parmy flicques:/Dedens jambons les fault
nourrir. »
3
XXXIV, v. 68-69 : « Se l’une de vous me demande/Pour fourbir un poy son haubert. »
4
XXXIV, v. 440-442 : « Vous faictes fourbir le (b)uihot,/Et on m’apellera huihot. »
5
XXXIV, v. 98-99 : « Il vous fault un amy gaillard/Pour supplier à l’excripture. »
6
III, v.180 : « Tantost aura son picotin. »
7
XXXIV, v. 138-139 : « Plaisir sera au viel mastin/De trouver son patis herchié. ».
8
XXXVI, v. 122-123 : « Se n’eusiés poinct tant amussé/Vostre ventre contre le myen,/Je pence qui n’y eust eu
rien. »
9
XXXIV, v. 315-317 : Le frère Guillebert fait une sorte de testament : « Pour vous fourbir un poy le dos,/Quant
vous avez faict le bagaige./Frotez rains et ventre ; g’y gaige. »
10
XXXIV,20-21 « De quoy serviroient voz aumoyres,/Si ne vouliez bouter dedens ? »
11
XXXVI, v. 27-30 : « Tu me faictz le sang esmouvoir,/Foy que je doy à Nostre Dame./Vien çà, preste moy une
drame/De ton service corporel. »
12
XXXIV, v. 13-14 : « En foullant et faisant zic zac,/Le gallant se trouve au bissac. »
13
XXXVI, v. 196-197 : « Je luy brasse un bel apareil./Tais-toy, ne pleure jamais jour. »
14
XXXIV, v. 27-28 : « Gardez se l’atelier est net,/Devant que larder le connin ;/Car, s’on prent en queue le
venin,/On est pirs qu’au trou sainct Patris. ».

- 93 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

désigner les parties sexuelles de la femme. Cela résulte de la convergence entre connil de
cuniculus, « lapin » et connin, diminutif de con, de cunum, « sexe de la femme ».
Mais ce vaste répertoire ne suffisait pas aux auteurs, il fallait qu’ils inventent leurs
propres façons de dire et leurs propres métaphores. Ainsi les mouches fetrouillent soubz la
fesse1 d’un homme qui fait l’amour. Ou un homme ôte les sourys du cul2 d’une femme.

6.4.2 Sacré/diabolique

Les locutions avec le diable et le dieu se répètent et reviennent dans toutes les farces,
surtout dans les jurons. Sans tenir compte de leur grande fréquence, nous les avons notées
seulement une seule fois, leur emploi restant identique.
Les jurons attestés dans les dictionnaires se répètent dans les farces : le deable
m’emporte3, a tous les deables soiyent qqn4, ou au peaultre, aller, envoyer au peaultre5 et
renvoient au diable la « persona non grata ».
Les auteurs inventaient également d’autres expressions, personnelles, qui s’ajoutent au
paradigme des locutions avec le diable : « Le grant dyable me mena bien/Quant je me mis en
mariage./Ce n’est que tempeste et oraige. »6 Ou une menace austère : « Le dyable vous
cauquera bien. »7 Ou imaginez tout simplement une chose pareille : « Vous verriez plustost
Lucifer/Devenir ange salutaire/Que une femme eust un peu de repos,/Et soy taire ou tenir
maniere. »8 Voici une belle création figurée d’un auteur de farce qui peut exprimer ou traduire
de degré de l’impossibilité du silence d’une femme.
Les auteurs aimaient utiliser des comparaisons aux choses sacrées pour souligner
l’absurdité ou l’impossibilité de l’objet ou de la personne comparé : « En cest estre/Vous
demourrez assis/Sans parler à clerc ny à prebstre,/Non plus que faict ung crucifix./Et moy qui
me tais bien envys,/Je tiendray mieulx en paix/Que ung chinotoire. »9 Ces deux expressions
figurées qui ne sont pas figées se veulent inventives et inédites pour épater l’adversaire, voire

1
IV, v. 53-56 : « Houla, ho ! voicy pour desver./Qu’esse icy ? Hau ! comme il s’esmouche./Je croy qu’il y a
quelque mouche/Qui luy fetrouille soubz la fesse. »
2
III, v. 93-94 : « Y vous ostera bien les sourys/Tantost du cul. »
3
III, v. 67 : « Gueter ? le deable donc m’emporte ! »
4
III, v. 289-290 : « A tous les deables soyent les meschans/Qui trompent ainsy les marchans,/Les gens
d’honneur et gens de bien ! »
5
XXXV, v. 113 « Au peaultre ! au peaultre ! »
6
XIII, v. 1-3.
7
XXXIV, v. 43.
8
XIV, v. 69-72.
9
XIV, v. 80-86.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

le lecteur. (Chinotoire ne se rencontre nulle part ailleurs, et son sens est inconnu, cela pourrait
être p. e. un « bouddha » (Tis.)).
Les noms des personnages saints ont été souvent utilisés pour désigner autre chose que
la sainteté. Dans l’expression faire le Saint Nicolas de village1 classée dans les proverbes
français, Saint Nicolas symbolise un homme bonasse et un peu bête car les vertus prêtées aux
saints, en particulier, dérivent souvent de la forme de leur nom. Le mot composé ambigu trou
saint Patris2 signifie « l’entrée du purgatoire », mais aussi « le sexe de la femme », il entre
donc facilement dans les jeux de mots. Sa signification dans notre contexte est plutôt celle de
« purgatoire ».

6.4.3 Valeur nulle ou minime

Toute une étude de Frankwalt Möhren3 a été consacrée à ce thème. Nous allons donc
seulement nommer les substantifs qui entrent dans les locutions de ce genre dans nos textes.
Le paradigme de la valeur nulle ou minime restreint reste cependant assez vaste.
« Peu ou rien » signifie ne... un oignon4, ne... une pomme5, ne... un escu6, ne... un pet7
« peu ou rien » (DiSt.). (Dun. note dans son dictionnaire Bouquet des expressions imagées ne
pas valoir un pet (de lapin) pour désigner la « médiocrité » de l’objet en question. Ne... un
grain8 a une valeur renforcée : « pas du tout, nullement, aucunement ». La construction ne...
mie9 signifiant « ne... point, ne... pas » a été si lexicalisée que l’on ne peut pas la mettre sur le
même niveau que les autres locutions et expressions figées et figurées.
Nous avons rencontré également deux expressions avec deux éléments de négation :
ne... ni chat ni chien10 avec le sens de « personne » et ne remuer lebvre ne dent11 qui a persisté
dans l’expression récente et cocasse ne connaître qqn ni des levres ni des dents (Dun.) : « ne

1
XIV, v. 119-123 : « Hau ! Jenin, conque(s)ti(stes-vous) mouche ?/Faictes-vous cy du president ?/Il ne remue
lebvre ne dent./Se semble, à veoir, un ymage,/Un sainct Nicolas de village. »
2
XXXIV, v. 27-28 : « Gardez se l’atelier est net,/Devant que larder le connin ;/Car, s’on prent en queue le
venin,/On est pirs qu’au trou sainct Patris. ».
3
Le renforcement affectif de la négation par l’expression d’une valeur minimale en ancien français.
4
IV, v. 385-389 : « Hon, hon ! ma femme, estes-vous telle ?/Du chois n’en donnerois un oignon,/De Lison ou
ma Damoyselle,/De ma Damoyselle et Lison./N’en parlons plus et nous taisons. »
5
XXII, v. 74 : « Je n’en donne pas une pomme. »
6
XXII, v. 178-179 : « Tant de langaige,/C’est-il à payne d’un escu ! »
7
IV, v. 394-396 : « Ma foy, Monsieur, sans trahison,/Je ne vous donnerois ung pet/Pour estre Monsieur ou
Naudet. »
8
XIV, v. 143-144 : « Mais que dyable ont-il en la gorge ?/Il ne se remuoit point un grain. »
9
XXII, v. 44-45 : « pencez que, dans mon advertin,/Les quinzes joyes n’en ay mye. »
10
III, v. 105 : « Y n’y viendra ny chast ny chien. »
11
XIV, v. 119-121 : « Hau ! Jenin, conque(s)ti(stes-vous) mouche ?/Faictes-vous cy du president ?/Il ne remue
lebvre ne dent. »

- 95 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

pas le connaître du tout » (une variante de ni d’Eve ni d’Adam). Il est donc assez probable
qu’il s’agit d’une locution figée, non attestée dans les dictionnaires du Moyen Français.

6.4.4 Raclée

Le verbe rompre s’utilise d’un côté dans les expressions avec le sens de « battre »,
rompre le museau1, rompre les echignes a qqn2, ainsi que mesurer l’eschine a qqn, frotter
l’eschine a qqn. De l’autre côté dans les expressions avec le sens de « le fatiguer,
l’importuner » : rompre la teste a qqn3, rompre le cerveau a qqn4.
Avoir du ravelin5 signifie « avoir des coups, se faire battre » (d’après God. ravelin est
« un gros bâton »). Empoigner une prune6 veut dire « être frappé », faire maulvais party a
qqn7, « le maltraiter physiquement » et bailler sur le groing a qqn8, « le frapper ».

6.4.5 Tromperie

Commençons cette partie par une belle expression figurée tirer deux (dix...) moutures
d’un même sac9 qui signifie « tirer plusieurs profits ou avantages d’une même affaire, d’une
même situation ». Le sens de mouture est ici « prix de l’opération de meunerie » et
l’expression fait allusion à une malhonnêteté commerciale. L’avoir belle10 veut dire « se
tromper, être trompé » (DiSt.).
Faire le fin, faire du fin11 est « faire des façons, dissimuler ». Si on trompe quelqu’un
on peut lui bailler/donner du cambouis12, pour « se moquer de qqn, lui jouer un jour, le
duper », ou on peut lui donner la trousse13 : « jouer un tour, causer du dommage par surprise,
faire une tromperie, un mensonge ».

1
XXXI, v. 13 « Je vous rompray tout le museau,/ Tant vous donray des horions. »
2
III, v. 274-275 : « Je vous rompray les echignes./Me faictes-vous rompre la teste ? »
3
III, v. 146-149 : « Vous me rompés la teste./Pensés-vous que vous laise entrer/Sans argent en main me
planter ? »
4
III, v. 276-277 « Vous puissiés avoir male feste !/Rompu vous m’avés le serveau. »
5
III, v. 246-247 : « Tantost arés du ravelin,/Quatre ou cinq grans coups toult d’un traict. »
6
XXII, v. 64 : « Empoignez/Ceste prune ! »
7
XXII, v. 473 : « Je luy feray maulvais party. »
8
XXXI, v. 72 : « Vous ne le porterez pas loing./Je vous bailleray sus le groing,/Entendez-vous, villain jaloux ? »
9
XXII, v. 419-420 : « Je pris de soir et de matin/Tousjours d’un sac doubles moustures. »
10
IV, v. 195-196 : « Par mon createur, je l’ay belle ;/ C’est Naudet. Que Dieu nous doint joye ! »
11
IV, v. 68 : « A son folois il faict du fin. »
12
XXII, v. 207-210 : « A ! très orde vielle, truande,/Vous me baillez du cambouys !/Mais quoy ! vous en pairez
l’amende,/Se jamais de santé joys. »
13
XXII, v. 413-414 : « J’ay souvant la trousse donnée/A Gaultier, Guillaume ou Colin. »

- 96 -
Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

6.4.6 Bêtise

La bêtise va de paire avec la ruse, moteur des farces, c’est pourquoi nous en avons de
nombreuses traces dans les farces.
Pour désigner un idiot, on va dire qu’il fait la beste1, qu’il est leger, tendre du
cerveau2, éventuellement on va le comparer à un veau3 signifiant traditionnellement « un sot,
un naïf, un imbécile » ou à un asne4 qui était considéré comme un animal ignorant.
Acoustrer signifie « affubler », et sire prenait particulièrement dans les textes
comiques comme les farces sens ironique de « sot, niais, nigaud ». L’expression acoustrer en
sire5 s’approche de l’expression tailler un costume « prendre qqn pour un imbécile ».

1
III, v. 422 : « Je croy que tu faictz de la beste. »
2
III, v. 26-27 : « Je ne t’ose dire le poinct,/Tant tu es leger du cerveau ».
3
III, v. 143-144 : « Et moy, un povre maquereau,/Feray la grue ainsy c’un veau ! »
4
XIV, v. 25-31 : « Mais envyeuse/De ouyr vostre teste glorieuse/Comme un asne ricanner ! »
5
XIII, v. 45-47 : « Jehan ! vertu sainct Pol, qu’est-ce à dire ?/Vous me acoustrez bien en sire,/d’estre si tost
Jehan devenu. »

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

Conclusion

Après avoir étudié les locutions figées et les expressions figurées dans les farces
médiévales, reprenons le paragraphe initial de ce mémoire truffé de suites figées : « Je ne suis
pas d’accord avec ton comportement, j’ai fait le pied de grue pendant deux heures. Ça doit
changer vaille que vaille. Tu es un cas à part. Jusqu’à maintenant, je supportais tout, mais je
ne peux pas te faire raison, et de plus maintenant, quand tu m’as posé le lapin, fais ton
paquet. Tu peux aller de porte en porte, si tu veux, tu ne m’intéresses plus. » Au début, nous
connaissions la significations des expressions, mais nous ignorions leurs origines et les détails
touchant leur évolution, et cette étude nous a permis d’assembler des éléments sur leurs
origines et leur évolution. Nous avons suivi leurs traces qui remontent souvent au moyen
français, jusqu’aux farces médiévales. Ainsi nous retrouvons les vestiges du moyen français
dans le français contemporain. Vaille que vaille, à foison, être d’accord, à part, faire la grue
sont des expressions que nous utilisons de nos jours et qui n’ont pas changé de sens, ni de
forme. Pour d’autres, le sens a légèrement évolué : faire son paquet, qui signifiait « faire
l’amour », s’est transformé en « se préparer à partir » ; faire la raison qui voulait dire
« acquitter une dette ou accorder satisfaction » s’est transformé en faire raison à (qqn), « lui
faire réparation » ou « lui tenir tête en buvant avec lui et autant que lui » ou « lui rendre
justice, reconnaître ses mérites ». Ou bien encore, d’autres dont le français moderne a changé
la forme, mais qui possèdent une source métaphorique identique : péter de santé qui vient de
péter de graisse, nez à nez vient de bec à bec, de porte en porte vient de de huys en huys.
Quand bien même l’échantillon de farces étudiées resterait petit, quand bien même il
aurait fallu étudier l’intégralité des farces, les méthodes de notre recherche se sont avérées
efficaces. Nous avons non seulement confirmé de nombreuses expressions figées déjà
consignées dans les dictionnaires, mais nous avons également jeté une nouvelle lumière sur
certaines locutions qui n’ont pas été attestées ; nous avons découvert le degré de figement
important de ces expressions-là, et nous pensons qu’elles mériteraient une place dans un
dictionnaire approprié. Nous avons également dévoilé les expressions « candidates » au
figement et des suites faisant allusion aux locutions attestées, qui produisent des effets
comiques faisant rire le spectateur. Les auteurs des farces débordent de créativité et de sens
pour l’enjouement langagier ; témoin de cela, nous espérons avoir contribué à la
problématique du style des farces et par extension de la langue figurée du XVe siècle.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

Néanmoins, il serait méritoire de travailler sur la totalité des farces, prendre la suite de
Halina Lewicka et écrire une étude capable de succéder à son livre La langue et le style du
théâtre comique français des XVe et XVIe siècles : la dérivation et les mots composés. Car
mieux connaître la langue des farces signifie mieux connaître et surtout mieux comprendre la
langue contemporaine.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

Liste des abréviations utilisées dans le texte

Bid. Bidler
CLM Corpus de la littérature médiévale
Cotg. Cotgrave
DiSt. Di Stefano
Dun. Duneton
God. Godefroy
Hug. Huguet
Le Roux Le Roux de Lincy
p. page
p. e. par exemple
qqch quelque chose
qqn quelqu’un
Rob. Petit Robert
Rey Rey et Chantreau
s. siècle
Tis. Tissier
TLFi Trésor de la langue française informatisé
Tob. Tobler-Lommatzsch
trad. traduction
v. vers

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

Bibliographie
Textes du corpus :
Cohen, Gustave : Recueil de farces françaises inédites du XVe siècle. Cambridge (Mass.), The
Mediaeval Academy of America, 1949.
Faivre, Bernard : Les farces Moyen Âge et Renaissance. Volume I. La Guerre des sexes.
Imprimerie nationale Editions 1997. 596 p.
Tissier, André : Recueil de farces (1450-1550) I.-XIII. Genève, Droz, 1986 - 2000.
Tissier, André : Farces françaises de la fin du Moyen Age. I.-IV. Droz, Genève, 1999.
Corpus de la littérature médiévale, Champion électronique, éd. Blum et alii.

Ouvrages lexicographiques :
Bidler, Rose M. : Dictionnaire érotique. Ancien français, Moyen français, Renaissance.
Montréal, CERES, 2002.
Colin, J.-P. ; Mével, J.-P. ; Leclère, C. : Dictionnaire de l’argot français et de ses origines.
Larousse, Paris, 2001.
Cotgrave, Randle : A Dictionarie of the French and English Tongues, 1611, rpt. Hildesheims,
New York, G. Olms.
Delvau, Alfred : Dictionnarire érotique moderne. Domaine français, Paris, 1997.
Di Stefano, G. : Dictionnaire des locutions en moyen français. Montréal, CERES, 1991.
Duneton, Claude : Le bouquet des expressions imagées. Editions du Seuil, Paris, 1990.
France, Hector : Dictionnaire de la Langue Verte. Archaïsmes, néologismes, locutions
étrangères, patois. Nigel Gauvin, Etoile sur Rhône, 1990.
Godefroy, Frédéric : Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du
IXe au XVe siècle, 10 vol., Slatkine, Genève-Paris, 1982. Réimpression de l’édition de
Paris 1891-1902.
Greimas A. J. : Dictionnaire de l'ancien français. Paris, Larousse/SEJER, 2004.
Greimas, A. J. : Dictionnaire du moyen français. Paris, Larousse-Bordas/HER, 2001.
Hassel, J. W. : Middle French Proverbs, Sentences and Proverbial Phrases. Toronto,
Pontifical Institute of Mediaeval Studies (Subsidia Mediaevalia) 1982.
Huguet, Edmond : Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle. 7 vol. Librairie
ancienne Edouard Champion, Paris, 1925-1967.
Larchey, Lorédan : Dictionnaire historique d’argot. Paris, Dentu, 1889.
Larchey, Lorédan : Nos vieux proverbes. Paris, 1886.
Le Roux , Philibert-Joseph: Le dictionnaire comique, satyrique, critique, burlesque, libre et
proverbial : 1718-1786. Paris, H. Champion, 2003.
Montreynaud, Florence : Dictionnaire de proverbes et de dictons. Paris, Larousse, 1980.
Rey, Alain : Dictionnaire culturel en langue française. I-IV. Le Robert, Paris, 2005.
Rey, Alain ; Chantreau, Sophie : Dictionnaire des expressions et locutions. Dictionnaires Le
Robert , Usuels du Robert, Paris, 1993.
Robert, Paul : Le Petit Robert. Dictionnaire de la langue française. Dictionnaires Le Robert,
Paris, 1996.
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Wiesbaden, 1955-1976.

Ouvrages théoriques :

Locutions françaises, grammaire :


Authier-Revuz, J. : « Méta-énonciation et (dé)figement », Cahiers du français contemporain,
2, « La locution en discours », M. Martins-Baltar (éd.), p. 17-39.

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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

Duneton, Claude : La puce à l’oreille. Balland, Paris, 1985.


Fontenay – St. Cloud, 1995, p. 119-135
français contemporain, 2, « La locution en discours », M.-M. Baltar (éd.), CREDIF, ENS
Giraud, Pierre : Les locutions françaises, Que sais-je, n° 903, PUF, Paris, 1980.
Giry-Schneider, Jacqueline : Les prédicats nominaux en français : les phrases simples à verbe
support, Genève, Droz, 1987.
Grévisse, Maurice : Le bon usage. Grammaire française. Refondue par André Goosse. 13e éd.
Paris, Duculot, 1993.
Gross, G. : « Du bon usage de la notion de locution », La locution entre langue et usages, M.
Gross, Gaston : Les expressions figées en français, noms composés et autres locutions, Paris,
Ophrys, (Collection L’Essentiel Français),1996.
Gross, M. : Méthodes en syntaxe. Régime des constructions complétives, Paris, Hermann,
1975.
Grunig, Blanche-Noëlle : « La locution comme défi aux théories linguistiques : une solution
d’ordre mémoriel ? », La locution entre langue et usages, M. Martins-Baltar (éd.),
p. 225-240.
Jouet, Jacques : Les mots du corps dans les expressions de la langue française. Larousse,
Paris, 1990.
Martin, Robert : « Sur les facteurs du figement lexical », La locution entre langue et usages,
M. Martins-Baltar (éd.), ENS, Editions Fontenay – St. Cloud, 1997, p. 291-305.
Martins-Baltar (éd.), p. 201-224.
Martins-Baltar, Michel (éd.) : La locution entre langue et usages, M. Martins-Baltar (éd.),
Langages, ENS Editions, Fontenay Saint-Cloud, 1997.
Mochet M.-A., Cintrat, I. :« De quelques formes de stéréotypie dans le discours », Cahiers du
Morinet, Ch. : « Métaphore et locution : l’activité référentielle est-elle discursive ? », Cahiers
du français contempotain, 2, « La locution en discours », M. Martins-Baltar (éd.),
p. 137-149.
Simatos, Isabelle. : « Référence et argumentalité du GN dans les locutions verbales », La
locution : entre lexique, syntaxe et pragmatique, P. Fiala, P. Lafon, M.-F. Piguet (éds.),
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Di Stefano, G. : « Locutions et datations », La locution : actes du colloque international,
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Garapon, Robert : La fantaisie verbale et le comique dans le théâtre français du Moyen Age à
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Hasenohr, Geneviève : « La locution verbale figurée dans l’oeuvre de Jean Le Fèvre », La
locution : actes du colloque international, Université McGill, Montréal, 1984.
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locution : actes du colloque international, Université McGill, Montréal, 1984.
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Locutions figées et expressions figurées dans les farces médiévales françaises

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Lewicka, Halina : Bibliographie du théâtre profane français des XVe et XVIe siècles.
Wroclaw, Polska Akademia Nauk, 1980.
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la dérivation. Panstwowe wydawnictwo naukowe, Warszawa, Paris, Klincksieck, 1960.
Lewicka, Halina : La langue et le style du théâtre comique français des XVe et XVIe siècles :
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Möhren, F : Le renforcement affectif de la négation par l’expression d’une valeur minimale
en ancien français, Beihefte zur ZRPh, t. 175, 1980, Tübingen, Niemeyer.
Möhren, Frankwalt : « Bilan sur les travaux lexicologiques en moyen français, avec un
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Ostrá, Růžena: Přehled vývoje románských jazyků. Lidová latina. Francouzština. FF MU
v Brně.
Picoche, Jacqueline : « Un essai de lexicologie guillaumienne : la locution figée comme
révélateur du signifié de puissance des polysèmes », La locution : actes du colloque
international, Université McGill, Montréal, 1984. N° spécial de « Moyen Français »,
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Revol, Thierry : Le sacré dans les textes dramatiques des XIe-XIIIe siècles en France. Paris,
Honoré Champion, 1999..
Rey, Alain : « Les implications théoriques d’un dictionnaire phraséologique », La locution :
actes du colloque international, Université McGill, Montréal, 1984. N° spécial de
« Moyen Français »,, 14-15, 1984, p.119-133.
Sainéan, Lazare : Les sources indigènes de l’étymologie française. I-II. E. de Boccard, Paris,
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Strubel, Armand : Le théâtre au Moyen âge : naissance d’une littérature dramatique. Rosny,
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Zumthor, Paul : Essai de poétique médiévale. Ed. de Seuil, Paris, 1972.

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