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Annales.

Économies, Sociétés,
Civilisations

Les foires en Languedoc au moyen âge


Jean Combes

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Combes Jean. Les foires en Languedoc au moyen âge. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 13ᵉ année, N. 2, 1958.
pp. 231-259;

doi : 10.3406/ahess.1958.2730

http://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1958_num_13_2_2730

Document généré le 28/04/2017


Les foires en Languedoc

au moyen âge

C'est a la renaissance économique du xne siècle que doit être


rattachée l'apparition des foires et des marchés. Le recul de l'Islam
qui a fait longtemps peser sa domination presque exclusive sur les rivages
de la Méditerranée ouvre au monde occidental les routes de l'Orient et
provoque du même coup un vigoureux essor du commerce terrestre et
maritime. La circulation accrue des hommes et des marchandises incite
à l'organisation de réunions périodiques, où les échanges se feront dans
les conditions les plus avantageuses pour tous. Tels sont les foires et les
marchés qui alors surgissent au hasard des documents : ils en révèlent
l'existence, sinon la création. Il n'est pas toujours aisé de distinguer,
comme on le fit par la suite, d'une part le marché, en latin forum ou mieux
mercatum, réunion hebdomadaire d'importance strictement régionale ;
de l'autre, la foire, qui en latin est désignée le plus souvent d'un nom au
pluriel, nundine, n'a lieu qu'une fois l'an, se prolonge généralement
plusieurs jours г et bénéficie d'un rayonnement beaucoup plus étendu. Les
textes associent assez souvent mercatum et nundine 2. La foire, d'autre
part, est volontiers liée à une fête religieuse, d'où son nom français qui
vient du bas-latin feria, jour de fête 3, et il est permis de se demander
si l'on n'a pas parfois attribué indûment la dénomination de foire à ce qui
était demeuré une simple fête : l'afflux des fidèles attirait les marchands
et donnait lieu à une activité commerciale intense, mais brève, un peu
comme dans les fêtes actuelles de nos villages, là du moins où elles ont
survécu. La fête ne réclamait naturellement que des arrangements rudi-
mentaires, quelques planches et quelques toiles en plein vent, et ne
comportait pour les marchands et pour les chalands aucun privilège juridique.
C'est peut-être dans cette catégorie qu'il convient de ranger la célèbre
foire de Saint-Gilles qui, le 1er septembre, réunissait tant de monde, et
venu d'un peu partout, autour du tombeau du saint patron : si les échanges

1. Nundine, qui vient sans doute de la combinaison des deux mots novem et diet,
désignait à Rome un marché tenu tous les neuf jours par les habitants de la campagne.
Au moyen âge le sens a nettement évolué.
2. Voir notamment A. Dupont, Les cités de la Narbonnaise première, Nimes, 1942,
p. 613, n. 2 ; — W. M. Newman, Le domaine royal sous les premiers Capétiens (987-
1180), Paris, 1937, p. 37 et n. 1 et 2.
3. Le mot allemand Messe évoque la cérémonie essentielle du culte chrétien.

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ANNALES

étaient alors plus animés, le reste de l'année l'activité du port et du bourg


de Saint-Gilles demeurait considérable J.
A s'en tenir aux foires et aux marchés qui méritent vraiment ces
appellations, on observe qu'ils sont organisés et privilégiés : la protection
spéciale dont sont l'objet tous ceux qui les fréquentent, les faveurs d'ordre
juridique et fiscal dont ils sont souvent gratifiés, sans parler de
l'importance économique, financière, sociale et politique qui s'attache à bon
nombre de ces foires, tout cela explique que l'autorité publique ait eu à
s'en préoccuper. Elément de prestige et source de retenus, foires et
marchés ne peuvent naître et durer qu'avec la permission officielle. Tout
naturellement, le droit de concéder foires et marchés, comme le droit
de battre monnaie, fut longtemps exercé par les seigneurs ecclésiastiques
et laïques, cessionnaires ou usurpateurs des droits régaliens 2 : la chose
paraît encore communément admise à la fin du xme siècle, témoin une
supplique des consuls de Montagnac au viguier de Béziers en date du
18 janvier 1292 3, soulignant que « barons, prélats et autres seigneurs »
concédaient des foires aux localités de leur ressort. Et il semble bien que
si l'évêque de Lodève revendique en 1321 le droit d'instituer et de changer
foires et marchés dans sa cité et son diocèse 4, c'est parce qu'il peut faire
état d'un diplôme de Louis VII, plusieurs fois confirmé par la suite 8,
concédant à l'un de ses prédécesseurs, Gaucelin de Montpeyroux, les
regalia dans tout l'évêché. Les choses changèrent au cours du xrve siècle.
Depuis Philippe le Bel était proclamé le droit exclusif du roi de battre
monnaie, et si l'ordonnance de décembre 1315 respectait les situations
acquises d'un grand nombre de barons et d'églises, elle entourait l'usage
de ces privilèges de conditions si restrictives qu'elle les rendait à peu près
illusoires et que le royaume s'acheminait ainsi peu à peu vers l'unité
monétaire e. De même le roi prenait l'habitude de ne pas tolérer que foires
et marchés fussent ouverts sans sa permission expresse ; le 8 mai 1372
les instructions envoyées au gouverneur de Montpellier, Me Arnaud de

1. Sur le rôle économique de Saint-Gilles, qui fut très important dans la seconde
moitié du xne siècle, voir A. Dupont, op. cit., p. 621, et M. Gouron, « Saint-Gilles-du-
Gard », in Congrès archéologique de France (CVIII6 session, 1951, p. 108 et 109). И
ressort de mentions éparses du cartulaire du notaire génois Giovanni Scriba (1156-
1164) que des contrats commerciaux concernant Saint-Gilles étaient conclus à Gênes
à diverses époques de l'année. Cf. A. Schaube, Handelsgeschichte der romaniscken
Vôlker des Mittelmeergebiets bis zum Ende der Kreuzzuge, § 441, p. 562 et 563.
2. W. M. Newman, op. cit. p. 37 et 38 : a Le roi comme un seigneur quelconque
crée des foires et des marchés. » II en concède souvent tout ou partie des revenus.
— Sur la liaison entre la monnaie et le marché, voir R. Latouche, Les origines de V
économie occidentale, p. 284 et 285.
3. Arch, de l'Hérault, fonds de Montagnac, liasse 9, n° 3.
4. Cette prétention de l'évêque est rappelée dans des lettres de Philippe V de 1321.
— Cf. E. Martin, Cartulaire de la ville de Lodève, Montpellier, 1900, n° LXXX, p. 107.
6. Ibid., n° XXII, p. 26.
6. A. Dieudonné, Manuel de Numismatique française, t. II, p. 117 et 118.

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FOIRES EN LANGUEDOC

Lar, pour la conservation des droits de souveraineté, de ressort et autres


droits royaux dans la ville et la baronnie de Montpellier, cédées au roi
de Navarre Charles le Mauvais, exprimaient officiellement la doctrine
de la royauté. « Au Roy appartient seul et pour le tout en tout son
Royaume, et non à autre, à octroyer et ordenner toutes foires et tous
marchés *■ ». Peu à peu reconnue dans la plus grande partie du royaume,
la prérogative royale n'est contestée que par quelques grands vassaux
qui continuent à battre monnaie et à concéder foires et marchés : tels,
sous Louis XI encore, le comte de Foix et le duc de Bourgogne 8.

H ne paraît pas qu'on puisse faire remonter au delà du xne siècle les
plus anciennes réunions périodiques de marchands, nous l'avons déjà
indiqué. Ce n'est que par une mention d'un inventaire de la fin du
xve siècle qu'on a connaissance d'un diplôme du pape Adrien III qui aurait,
en 884, confirmé un marché de Lodève 8. On peut seulement affirmer que
selon un document de 1212, ce marché se tenait depuis quelque temp?
déjà, et le samedi *. Un marché est signalé à Béziers en 1175 et 1176 6i
Le vicomte de Béziers, Roger II, accorde un marché à Gabian en avril
1180 et le fixe au mercredi e. On ne sait à quelle époque remonte celui de
Pézenas qui avait lieu d'abord le jeudi et fut en 1484 transféré au samedi '.
Notons enfin que l'évêque d'Agde, Thédise, qui régna de 1214 à 1233,
fonda un marché à Montagnac et le plaça le vendredi 8. Ce ne sont pas là
les seules créations de cette époque : il n'est que de parcourir les cartu-
laires pour s'en convaincre •.

1. Ord. des rois de France, t. V, p. 480. — F. Boubq uelot, Etudes sur les foire»
de Champagne, t. I, p. 18.
2. R. Gandilhon, Politique économique de Louis XI, Rennes, 1040, p. 219.
3. Cartul. de Lodève, n° V, p. 3.
4. Ibid., n° XLI, p. 37 et 38. Au xve siècle, il y eut concurrence entre ce marché et
celui de Clermont qui se tenait le mercredi. Cf. E. Mabtin, Histoire de la ville de Lodève
depuis ses origines jusqu'à la Révolution, Montpellier, 1900, t. I, p. 258.
5. J. Rouquette, Cartulaire de Béziers (Livre Noir), Montpellier, 1918, n°" CCLIII
et CCLVII, p. 354 et 360.
6. Gabian (Hérault, arr. de Béziers), cf. Ibid., n° CCLXXV, p. 390 et 391 (d'après
Bibl. Nat., fonds Doat, t. 61, f° 272).
7. Авен, de Pézenas, п° 554 de l'inventaire F. Rességuier, publié par J. Beb-
thelé, Montpellier, 1907.
8. Fonds de Montagnac, liasse 9, n° 1. (Cf. A. Ушах, « Etablissement du marché à
Montagnac », Rev. des lang. romanes, t. XLIV, 1901, p. 70 et 71).
9. Exemples, deux actes du Cartulaire de Maguelone : en 1170 le comte de Melgueil
(Mauguio) autorise l'établissement d'un marché à Montlaur, qui commande l'une des
routes de la garrigue, entre Montpellier et Quissac (Gard) ; il en concède la juridiction
( « justicias, firmancias, districciones, dominia et dominaciones ») et les revenus » (lesdas
et usaticos et obvenciones et proventus») et il en garantit la sécurité («etomnes homines,
et res ad mercatum quoquomodo pertinentes, in vendendo et stando ad mercatum,

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ANNALES

En ce qui concerne les foires, les premières en date sont peut-être


celles de Moissac, signalées dès 1125 par une charte qui en règle le
fonctionnement. On y vendait des tissus et pendant leur tenue — il y en avait
quatre par an — des dispositions particulières étaient prises pour la
sécurité des marchands. Ce sont là des traits que nous retrouverons
souvent et dont nous rencontrons ici la première esquisse. En 1151 sont
mentionnées les deux foires de Nimes : l'une se tenait après Pâques et
durait huit jours ; l'autre avait lieu à la fête de Notre-Dame ; il y avait
en outre au mois d'août un marché — terme bizarre pour désigner un
événement annuel — consacré à la préparation des vendanges. Quelques
années plus tard, le 4 mars 1158, était confirmée l'autorisation donnée
à Carcassonne par son vicomte Roger Ier de tenir également deux foires
annuelles, l'une de quinze jours, des Rameaux à Quasimodo, l'autre
d'une semaine à partir de la Toussaint : aide et protection étaient
garanties à tous ceux qui y viendraient pendant les huit jours qui précédaient
et les huit jours qui suivaient, seuls les coupables d'un crime attesté
par la rumeur publique étant exclus de cette faveur *. Il y avait aussi
à cette époque une foire à Aniane, car en 1165 le pape Alexandre III
recommandait de ne pas molester ceux qui la fréquentaient a. Cette
seconde moitié du xne siècle est aussi, nous n'aurions garde de l'oublier,
la belle période de Saint-Gilles, mais si Paffluence y est particulièrement
grande au moment de la fête ou foire du 1er septembre, l'activité
mercantile est sans doute quasi permanente. Génois et Pisans amènent les épices
et les drogues de l'Orient et emportent les draps de Flandre et de France
du Nord, à quoi se mêlent de plus en plus les productions de l'industrie
textile méridionale. Deux autres centres commerciaux, mais en dehors
du royaume, concurrencent Saint-Gilles dans une certaine mesure : ce
sont Fréjus et Saint-Raphaël, dont les foires ou marchés — les deux
expressions sont employées indifféremment — étaient également visités
par les Génois et les Pisans : les premiers étaient signalés dès 1100 8. La
foire de Fréjus se tenait à la Saint-Laurent, le 10 août, celle de Saint-
Raphaël à la Saint-Mathias, le 21 septembre 4. Un traité du 22 juillet
1190 entre l'évêque de Fréjus et les consuls de Gênes réglait le trafic des
draps apportés en foire 6.
Au cours du xme siècle, surgissent de nouvelles foires en même

et in redeundo »). Cf. Cart, de Maguélone, éd. Rouquette, t. I, n° CLI, p. 277 et 278.
En 1179 Louis VII permet à l'évêque de Maguélone, Jean de Montlaur, d'instituer
< nundinas et mercatus » à Villeneuve et à Gigean qu'il tient du roi : il y recevra
« consuetudines...., quas domini nundinarum et mercatorum in eis soient accipere ».
{Ibid., no CLXXI, p. 313 et 314.)
1. Sur ces diverses foires, voir A. Dupont, op. cit., p. 611 et 612.
2. Aniane (Hérault, arr. de Montpellier). Cf. Schaube, op. cit., § 459, p. 585.
3. Ibid., § 450, p. 575.
4. Ibid.
5. Ibid., § 451, p. 576. Cf. aussi H. Laurent, La draperie des Pays-Bas en France
et dam les pays méditerranéens, p. 69, n. 1.

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FOIRES EN LANGUEDOC

temps que les anciennes disparaissent. Soulignons en effet, pour nombre


de ces créations, leur fragilité, qui a trop souvent échappé aux historiens.
Parce qu'est rencontrée une fois par hasard la mention d'une foire ou
d'un marché, on est naturellement enclin à croire que cette foire ou ce
marché ont duré et ont été régulièrement tenus pendant de longues
années. Il n'en est rien, et un examen attentif des textes commande la
plus grande prudence : la concession de foires et de marchés a toujours
obéi autant à des considérations politiques qu'à des motifs économiques.
Il s'agit souvent de désarmer une opposition, de rémunérer des services,
de stimuler un zèle. Mais besoins et possibilités ont pu aussi être mal
appréciés : à l'usage, telle création s'avère inefficace. Bien entendu, la
concession n'est pas expressément révoquée, mais la foire ou le marché
qui en a été l'objet, après quelques essais malheureux tombe tout
doucement en désuétude.
Après la crise albigeoise, les efforts de rénovation économique
provoquèrent toute une floraison de foires, en liaison avec le rapide
développement de l'industrie drapière dans les sénéchaussées de Toulouse et de
Carcassonne. Peut-être ce succès de la draperie est-il lié à la survivance
discrète de l'hérésie. Comment ne pas être frappé par ce fait que, au
xne siècle, on désignait volontiers les Cathares du nom de tisserands,
« parce que les ateliers de tisserands, aussi bien dans les Flandres et en
Champagne que dans le Midi, avaient été très travaillés par l'hérésie » x ?
Et par cet autre fait : au xrve siècle c'est dans les parties de la sénéchaussée
de Carcassonne qui avaient été les plus touchées par le catharisme que
la draperie connaît le plus vigoureux essor. Ne faut-il pas attribuer à des
raisons du même ordre les troubles de Béziers de 1329 a ?
Nous avons déjà, noté le rôle des tissus aux foires de Moissac, celui des
draps à la foire de Fréjus. De même à la foire de Lodève, dont la
première mention sûre ne remonte pas au delà de 1212 —• cette foire se tenait
lors de la fête patronale de saint Gêniez, le 25 août — ce sont les draps qui
paraissent occuper le premier rang 3. Un peu plus tard, une convention
du 31 août 1230 a pour but d'attirer les pareurs de Narbonne, c'est-à-dire
les fabricants de draps, aux foires de Tinières, près de Salces, en leur
garantissant qu'ils n'y payeront que des droits modérés *. Dans la seconde
moitié du xine siècle, la densité des foires apparaît comme singulièrement
forte dans les bassins moyens de l'Hérault et de l'Orb, zone de contact
où sur les routes de plaine viennent se greffer les voies d'accès à la mon-

1. P. Bklperron, La croisade contre les Albigeois et V union du Languedoc à la


France (1209-1249), p. 64 (n. 1 de la p. 63).
2. Voir Hist, de Lang., t. EX, p. 467 (n. 3 de la p. 466), d'après fonds Doat, 1. 157,
ff. 21-72 v.
3. E. Martin, op. cit., p. 258 et 261 (cf. Cart, de Lodève, n° XLI, t. 37).
4. A. Blanc, Le Livre de comptes de Jacme Olivier, Paris, 1899, p. 306-308. Cf. aussi
fonds Doat, t. 50, f ° 68.

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ANNALES

tagne, par quoi les Narboimais communiquent avec le Nord de la France


et les Montpelliérains avec les pays aquitains. Dans un texte du 12 juin
1262 x, nous rencontrons les noms de Magalas et de Gabian au nord de
Béziers. Sur l'Hérault, ou tout près, c'est Saint-Thibéry, Pézenas et
Clermont. Sur la Lergue, affluent de l'Hérault, nous retrouvons Lodève.
Plus à l'Est, sur une des routes menant à Montpellier, c'est Villemagne
(ou Villeveyrac). A ces foires on vend des animaux de bât, ânes et mulets,
des peaux, des cuirs, des fromages, du suif, des toiles de lin, des cordes ;
mais le commerce des draps reste l'activité dominante, à Villemagne, à
Clermont et à Lodève notamment : on y apporte entre autres des draps
blancs de Narbonne. Trente ans plus tard, un document montagnacois
du 18 janvier 1292 que nous avons déjà cité, énumérant les foires de la
viguerie de Béziers, range parmi lesanciennes celles de Béziers, de Servian,
d'Aniane et du Pouget et parmi les plus récentes celles de Cazouls, de
Florensac et de Saint-André-de-Sangonis ; mais nous ne pouvons dire
l'importance des unes ou des autres 2. Bientôt d'ailleurs deux localités
vont émerger et accaparer l'essentiel du trafic : Pézenas et Montagnac.
Nous avons été amené à dire ailleurs comment Pézenas et Montagnac
avaient dû leur essor à ce fait qu'elles commandent un des passages de
l'Hérault. Le pont de Saint-Thibéry qu'utilisait la voie Domitienne
fut délaissé pour un autre pont plus septentrional. Pour frauder la leude
royale qui se levait à Béziers ou à Saint-Thibéry, les marchands, Nar-
bonnais en tête, prirent l'habitude de traverser l'Orb en amont de
Béziers 3, ceux qui se dirigeaient vers l'Est atteignaient l'Hérault en amont
du lieu traditionnel de passage *. Dès le xine siècle, d'autre part, les deux
localités sont rattachées au domaine direct de la couronne 8. Si, à partir
de 1362, le comté de Pézenas dont elles font partie est à plusieurs reprises
inféodé à de hauts personnages, princes du sang et grands seigneurs, il
n'en demeure pas moins en fait sous la haute main de l'administration
royale e. Lodève, cité épiscopale, Saint-Thibéry et Villemagne, sous la
coupe de leurs abbés, ne luttent pas à armes égales.

1. Il s'agit d'un appel des consuls de Narbonne contre une décision de la viguerie
royale de Béziers : il a été publié en grande partie par A. Blanc, op. cit., p. 358-371.
2. Fonds de Montagnac, liasse 9, n° 3.
3. L'appel des consuls narbonnais s'efforce de justifier l'attitude des marchands à
l'égard des leudiers royaux de Béziers. Sur la leude mage et menue de Béziers, voir
Bull, de la Soc. archéol. de Béziers, t. II, 1837, p. 43-79.
4. Saint Louis autorisa la construction d'un pont entre Pézenas et Montagnac, en
remplacement d'un bac. Ce pont fut achevé vers la fin du xine siècle (Arch, de
Pézenas, nos 1048 à 1051 de l'inventaire).
5. Montagnac depuis juin 1234 {Hist, de Lang., t. VIII, n° 308) et Pézenas depuis
mars 1262 (Layettes du Trésor des chartes, t. IV, n° 4750; cf. Arch, de Pézenas, n° 8
de l'inventaire).
6. Sur les vicissitudes du comté de Pézenas, voir notamment l'Avant-Propoe de
l'inventaire Rességuier, éd. Bebthelé, p. 6 et 7.

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FOIRES EN LANGUEDOC

Nous avons eu également l'occasion de montrer comment, par des


concessions successives, Pézenas et Montagnac, dès la fin du premier
tiers du xive siècle, bénéficiaient de six foires, nombre qui fut réduit
d'une unité par la disparition vers 1400 d'une des foires de Montagnac.
Un cycle s'était constitué, à l'instar du cycle des foires de Champagne.
Pézenas avait au moins une foire en juin 1262, nous l'avons vu. C'est
sans doute celle de la mi-septembre ou de la Nativité de la Vierge : un
texte de la fin du siècle en parle comme d'un fait déjà ancien *. L'origine
des deux autres foires est assez bien datée. Celle de la Pentecôte est due
à Jean de la Couture qui administra la sénéchaussée de Carcassonne en
1273 et 1274 2. Le roi Charles IV concéda celle de la Saint- Amans ou de
l'octave de la Saint-Martin (février 1325) 3 : dès juillet 1326 elle fut
avancée de huit jours, d'où son autre nom de foire de la Toussaint 4.
Pour Montagnac, si certains textes peu précis font allusion à des
concessions de Saint Louis et de Philippe le Hardi 6, la première foire
qui soit datée avec une quasi-certitude, celle de la fête de la Décollation
de saint Jean-Baptiste (29 août) fut instituée par le sénéchal Simon Brise-
teste vers 1290 : le 6 décembre de cette année, il invitait le viguier royal
de Béziers à la faire publier e. L'opposition de Pézenas, qui craignait
pour sa foire de la mi-septembre, retarda jusqu'en 1300 au moins l'entrée
en vigueur de la concession 7. La foire de la Décollation existait encore
à la fin du xrve siècle 8, mais il n'en est plus question dans des lettres de
Charles VI de mars 1410 °. En avril 1330, Philippe VI accorda une foire
pour la mi-carême et les deux jours suivants 10. Une autre foire avait lieu
à la Saint-Hilaire (14 janvier) ; sa première mention authentique est dans

1. Arch, dé Pézenas, n° 1048.


2. Ibid.
3. Ibid., n<» 252, 253, 254, 257 et 258.
4. Ibid., n08 260 et 261. Ce changement avait été peut-être provoqué par des
lettres des pareurs de Montolieu, parlant aussi pour ceux de Toulouse, Carcassonne,
Limoux et Béziers (6 décembre 1325). Ils faisaient valoir que des acheteurs de draps,
de laine et d'autres marchandises, venus de régions éloignées, avaient trouvé cette
foire trop proche de Noël (Ibid., n° 408).
5. Fonds de Montagnac, liasse 9, n° 7 ; A 242 Pacotte XII, art. 1872 ; cf. E.
Martin-Chabot, Les archives de la Cour des Comptes, aides et finances de Montpellier,
Université de Paris, Bibl. de la Fac. des Lettres, n° 497, p. 96.
6. Fonds de Montagnac, liasse 9, n° 2.
7. Sur le long conflit entre les deux localités, cf. Arch, de Pézenas, n08 524 à
535 ; fonds de Montagnac, liasse 9, n08 3, 4, 5, 6 et 7. A travers les arguments polémiques,
il est difficile d'évaluer l'importance relative de Pézenas et de Montagnac : les Monta-
gnacois soutenaient que leur castrum était le « ma jus et melius » que le roi avait dans ta
région (Ibid., n° 3), un peu plus tard que le lieu de Montagnac est « major et populosior
et abilior ad nundinas exercendas » que le lieu de Pézenas (Ibid., n° 22).
8. Un acte du 11 juin 1395 prévoit un règlement à la foire de Montagnac de
septembre (Arch, de l'Hérault, notaires du clergé, P. Porole).
9. Ordon., t. XIX, p. 621 et suiv.
10. Fonds de Montagnac, liasse 9, n° 12 ; Авен. Nat., JJ 66, n° 101 ; Ordon., loe.
cit.

237
ANNALES

des lettres du même Philippe VI, d'avril 1345, qui la fixent au 13 janvier
et aux deux jours qui suivent 4
La concession de chacune de ces foires, il importe de le souligner,
n'était pas gratuite. Non content d'en escompter des profits directs et
indirects, le roi exigeait dans l'immédiat le versement d'une finance 2.
Nous avons connaissance, par exemple, d'un versement de 150 livres —
il ne fut certainement pas unique — lors de l'octroi à Montagnac de la
foire de la Décollation de Saint-Jean-Baptiste ou du 29 août (mars 1299) 3.
Un peu plus tard, Pézenas offrit notamment 1 500 livres, payables en
cinq ans, pour la création d'une quatrième foire qui se serait tenue à la
Saint-Vincent, le 22 janvier, mais la négociation n'aboutit pas, en raison
notamment de l'opposition de Montagnac 4.
Originairement, semble-t-il, ces foires duraient trois jours : c'est le
chiffre qu'indique la supplique des consuls de Montagnac du 18 janvier
1292. Cette durée fut en tout cas attribuée aux foires de la Décollation
et de la mi-carême à Montagnac : c'était aussi celle de la foire de la mi-
septembre à Pézenas. Un autre texte parle de la foire du lendemain de
Pentecôte et des trois jours suivants 6. Mais déjà en février 1325, il était
admis que la foire de Saint- Amans (ou de la Toussaint) à Pézenas, prévue

1. Ordon., t. V, p. 184, d'après Arch. Nat. JJ 75, n° 333. Ces lettres furent
confirmées par Charles V (mai 1369) qui renouvela à cette occasion une promesse non tenue
de son grand-père : Montagnac ne serait jamais détachée de la couronne (Ordon., t. V,
p. 185). On ne saurait retenir l'indication d'une histoire anonyme de Montagnac —
attribuée à Rey-Lacroix — publiée en 1843, qui fait remonter cette foire à 1295.
2. Tel était l'usage dès la fin du xnie siècle. Philippe le Bel concéda nombre de
foires et de marchés, toujours après enquête et moyennant une prestation d'argent
plus ou moins forte (cf. E. Boutaric, La France sous Philippe le Bel, p. 353 et 354).
8. (Fonds de Montagnac, liasse 9, n° 5.) Un autre texte, antérieur de peu, ne
prévoyait que 100 livres (Ibid., nos 4 et 6). Plus tard les lettres de Philippe VI, d'avril
1345, furent suivies du paiement d'une finance de 600 livres au terme de la Saint-Jean
(n° 24). Il semble qu'en raison de ses foires, Montagnac était astreinte à un cens annuel :
pour non-paiement de la finance due au roi, les foires furent un instant saisies (3
janvier 1392 [Ibid., n08 32 et 33]). Selon des lettres du comte de Foix du 6 décembre 1419,
Montagnac payait 450 livres à la Saint-Michel (n° 39).
4. Avec cette quatrième foire Pézenas tâcha d'obtenir pour les visiteurs de ses
foires, les ennemis du roi exceptés, une immunité de trente jours à l'égard de marques
réelles et personnelles. Les consuls promettaient 1 500 livres tournois en cinq ans
par paiements égaux ; ils construiraient en un lieu convenable un four qui
fonctionnerait au profit du roi. Il semble bien que la proposition fut acceptée et une convention
conclue, accordant une foire de quatre jours au lieu des neuf que Pézenas demandait.
Mais à la suite de réclamations, l'enquête préliminaire du sénéchal de Carcassonne
fut jugée irrégulière et le 19 septembre 1334 le roi ordonna de la recommencer.
L'opposition de Montagnac, particulièrement vigoureuse (cf. une procédure de mai 1336)
fit le reste et les choses en restèrent là. Pézenas rabattit de ses prétentions, réclamant
seulement la sauvegarde de trente jours : à la fin de 1337 les négociations reprirent sur
ces bases avec le sénéchal (fonds de Montagnac, liasse 9, n08 21 et 22 ; Arch, de Pézenas,
n° 263).
5. Fonds de Montagnac, liasse 9, n08 4, 6, 11 et 13 ; Arch, de Pézenas, n° 1048 ;
Ordon. t. 19, p. 621 et suiv.

238
FOIRES EN LANGUEDOC

d'abord pour trois jours, se prolongerait huit jours К A la fin de 1345,


toutes les foires de Pézenas et de Montagnac étaient de dix jours et il eD
sera ainsi par la suite 2.
Cet allongement des foires, comme leur multiplication, répondait
à un besoin : il s'agissait essentiellement d'assurer des débouchés
suffisants et réguliers à la draperie méridionale alors en pleine expansion.
Un peu partout — les documents en témoignent — on s'efforçait d'attirer
par divers avantages les pareurs des villes drapantes du Languedoc.
Nîmes obtint de Charles IV, en juillet 1322, une foire de huit jours, à
partir du lundi précédant la mi-carême 3 et combattit obstinément,
plusieurs années durant, la création de la foire de Montagnac prévue pour
une époque voisine. Les Nîmois l'emportèrent d'abord devant le
sénéchal de Beaucaire, mais ils finirent par succomber devant le Parlement
et leur foire disparut *, signe entre tant d'autres du déclin de Nîmes après
une très brève période de prospérité. Philippe III y avait, à la fin du
хше siècle, prétendu y fixer les marchands italiens, mais la concurrence
de Montpellier où le roi de France se sentait de plus en plus chez lui,
s'avérait finalement victorieuse. Béziers, qui en avril 1341 se faisait
concéder une foire de six jours commençant à la Saint-François, le 20 mai,
pour remplacer une foire du xine siècle dont rien n'indique qu'elle ait
survécu jusqu'alors, n'était pas plus heureuse 6. Il en est de même des
petites villes de Saint-Thibéry et de Caux, qui s'efforcent vainement de
faire vivre, la seconde une foire récemment accordée, la première une
institution remontant au moins au milieu du xine siècle, on le sait. Des
lettres de novembre 1322 témoignent que les pareurs de Fanjeaux
fréquentaient Saint-Thibéry : leurs représentants y rencontraient les gens de
Nîmes en quête de clients pour leur foire 6. Quelque vingt ans plus tard,
le 24 octobre 1340, l'abbé et les consuls de Saint-Thibéry faisaient
confirmer par le roi la foire de la Saint-Luc evangeliste du 18 octobre et des
deux jours suivants, et se faisaient autoriser à entrer en relations avec les
marchands susceptibles d'y venir ; mais lorsqu'ils prirent langue avec les

1. Arch. de Pézenas, n<* 252, 253, 254, 257 et 258.


2. Ibid., n° 265 ; fonds de Montagnac, liasse 9, n° 25.
3. L. Ménard, Histoire de Nîmes, t. II, p. 33 et 34 ; preuves n° XXIV, p. 45.
4. Sur le conflit Montagnac-Nimes, voir L. Ménard, op. cit., t. II., p. 52, 63, 66,
76, 77 ; preuves n08 XL et XLII, p. 77 et suiv., 87. Voir aussi Arch. Nat. XI A 7,
ff. 60 et 148 (Inventaire Furgeot, n08 1262 et 1748) ; fonds de Montagnac, liasse 9,
n0* 8, 9, 14, 16, 17, 20 et 23. Parmi les arguments de Nîmes on retiendra celui-ci :
le castellum de Montagnac peut à peine contenir 60 mulets avec leurs charges {Ibid.,
n° 8). Il paraît que la foire de Montagnac fut régulièrement tenue pendant quatre ans,
puis elle fut supprimée par le sénéchal de Beaucaire (8 mai 1332). Nous ignorons la
date de la revanche de Montagnac.
5. Bibl. Nat., fonds Doat, t. 60, f. 68 ; Arch. Nat., JJ 73, n» XXVII. Voir BuU.
de la Soc. arch, de Béziers, t. III, p. 30 et 31.
6. L. Ménard, op. cit., t. II, preuves, n° XXVI, p. 47.

239
ANNALES

pareurs réunis aux foires de Montagnac, Us soulevèrent l'opposition


d'Avignonet en Lauraguais qui tenait sa foire à la même Saint-Luc, et
surtout celle de Pézenas qui défendait celle de la Saint-Amans : en avril
1341 ils durent renoncer à leur dessein i. De même, bien que le roi fût
seigneur de la moitié du castrum de Caux et à ce titre intéressé à la
prospérité de cette localité, les consuls ne purent (en raison de la vive
résistance des Piscénois) faire ranger leur foire de Notre-Dame d'août parmi
les foires drapières (sollempniores et drapanciores) ; et, parce qu'ils avaient
eux aussi pris contact avec les pareurs, une information fut ouverte contre
eux en novembre 1345 sur l'ordre du duc de Bourbon, gouverneur de
Languedoc 2.
Ainsi, un peu avant le milieu du xrve siècle, la précellence des foires
de Pézenas et de Montagnac tend à s'affirmer sans conteste : la succession
de ces six foires couvre une bonne partie de l'année et prétend suffire
aux besoins du commerce. Le cycle s'ouvre par la foire du 29 août h
Montagnac, — appelée à une prompte disparition, — se continue à
Pézenas par celles de la mi-septembre et de la Saint- Amans ou de la Toussaint,
puis viennent les foires de la Saint-Hilaire et de la mi-carême à Montagnac,
enfin celle de la Pentecôte à Pézenas. A dater des derniers mois de 1345,
comme on va le voir, des lettres de Philippe VI confèrent aux foires de
Pézenas et de Montagnac un statut exceptionnel : ce sont des foires
générales, pourvues, selon l'expression de Paul Huvelin, « de franchises et de
privilèges » qui les mettent à l'abri de toute concurrence sérieuse1.'
Au xne siècle déjà, à Moissac et à Carcassonne notamment, des
mesures étaient prises pour la sécurité des marchands fréquentant les
foires 3. On connaît, de la même époque, le conduit des foires de
Champagne garantissant la protection du comte, plus tard celle du roi 4. Au
commencement du xive siècle, les marchands redoutent surtout, lorsqu'ils
se trouvent hors de chez eux, d'être les victimes des marques ou reprér
sailles qui frappent les compatriotes et les concitoyens des coupables et
des débiteurs qui ne peuvent être atteints personnellement. Aussi Phir
lippe VI favorise-t-il grandement la foire de Nîmes récemment instituée
quand il décide, le 17 février 1336, que ceux qui la fréquenteront seront à
l'abri des marques, non seulement pendant sa durée, mais encore huit
jours avant et huit jours après 5.
C'est un avantage du même ordre que le roi accorde le 14 décembre

1. Akch. de Pézenas, n°» 540 à 543.


2. Ibid., n°s 537 à 539.
8. A. Dupont, op. cit., p. 611.
4. Sur les foires de Champagne, cf. d'une façon générale, R. H. Bautier, « Les
foires de Champagne. Recherches sur une évolution historique », in Recueils de la Société
Jean Bodin, t.V : La foire, Bruxelles, 1953, p. 97-145.
5. Le roi intervient à la demande des consuls de Nîmes protestant contre des
marques délivrées par le custode ou le juge de la Cour du Petit-Scel de Montpellier à
des créanciers italiens. (Авен, de l'Hérault, A 236, Pacotte VI, f. 27.)

240
FOIRES EN LANGUEDOC

1345 aux foires de Montagnac, à l'égard des marques décernées par le


Parlement, notamment contre les sujets des rois d'Aragon et de Sicile :
une sauvegarde de trente jours, dix pour se rendre à la foire, dix pour y
séjourner, dix pour en revenir *. Cette garantie n'était valable qu'un an,
mais par la suite elle fut si fréquemment renouvelée qu'elle devint en
fait quasi permanente 2. En février 1346, Philippe VI confirmait des
lettres du duc de Bourbon du 28 novembre 1345 qui, moyennant une
finance de 2 500 livres, concédaient aux foires de Pézenas, et cette fois à
titre perpétuel, la même faveur à l'égard de toutes les marques, quel
qu'en fût l'auteur, le Parlement, le Petit-Scel de Montpellier ou toute
autre juridiction royale 8. Très vite d'autres garanties s'ajoutèrent à celle-
là : comme aux foires de Champagne, il fut décidé que les marchands
venant à Pézenas et à Montagnac ne pourraient être inquiétés pour des
dettes, des délits ou des crimes antérieurs aux foires. Toute action
judiciaire, toute mesure d'exécution était suspendue pendant la période de
sauvegarde 4. Des lettres du duc d'Anjou, du 10 août 1376, précisaient
qu'à Pézenas cette franchise d'arrêt s'appliquerait même aux créances du
roi 5.
A cette franchise judiciaire — essentielle — s'ajoutaient certaines
franchises fiscales, encore qu'avec Huvelin on ait eu, semble-t-il, trop de
tendance à croire que les foires générales étaient exemptes en principe
des taxes permanentes ou temporaires sur les transactions et sur les
exportations. En raison des circonstances, — guerre étrangère et guerre

1. Fonds de Montagnac, liasse 9, n° 25.


2. Cette sauvegarde fut renouvelée par Jean le Bon et pour trois ans (7 mars 1352) ;
on ajouta dix ans à deux reprises (26 juin 1353 et 8 décembre 1362) [Ibid., n° 27].
Charles V agit de même : le 26 avril 1369 il prolongea la garantie de dix ans après
l'expiration de la période en cours. Dès le 26 mai 1371, il accordait dix ans de plus et en
faisait bénéficier, outre les Aragonais et les Siciliens, les sujets du comte de Provence
et du dauphin du Viennois (n° 29). L'immunité est dès lors considérée comme un fait
acquis : le 8 mars 1371 le duc d'Anjou interdisait d'exécuter les marques du
Parlement ou du juge du Petit-Scel, notamment contre les Provençaux et les Dauphinois.
3. Arch, de Pézenas, noe 265 à 273, 284 et 292 ; Авен, de l'Hérault, A 4, f. 254 ;
Arch, de Montpellier, grand Chartrier, n° 751 de l'inventaire P. Louvet, éd. J. Ber-
thf.t.e, Cf. A. Germain, Histoire du Commerce de Montpellier, t. II p. j. CXXVII,
p. 196-199. En avril 1346, deux consuls de Pézenas eurent mission de garantir de toute
marque les clients des foires, conformément à la concession royale (Arch, de
Pézenas, n08 276 et 277). Par la suite, il parut plusieurs fois nécessaire de confirmer les
lettres de Philippe VI ou d'en ordonner la stricte application : lettres du comte de
Poitiers (10 février 1359), de Charles VI (août 1405), de Charles VII (janvier 1423 et
4 mars 1437). Cf. Arch, de Pézenas, nos 282, 314, 327 et 338 ; Arch, de l'Hérault,
A 9, f° 20v. et A II, f° 55v.
4. Sur les franchises et les privilèges des foires, le travail de P. Huvelin, Essai
historique sur le droit des marchés et des foires, reste l'œuvre de synthèse à quoi il faut
toujours se reporter.
5. Arch, de Pézenas. n08 294 et 549. Ces lettres furent confirmées par le duc de
Berri (29 août 1382) et par Charles VI (9 août 1383 [Ibid., n08 297, 299 et 551]). En les
renouvelant une fois encore (15 janvier 1389 [n° 302]), Berri accordait la même faveur
à Montagnac (fonds de Montagnac, liasse 9, n° 31). Les lettres du duc d'Anjou furent
encore confirmées par la suite, notamment par Louis XI et par Charles VIII.

241

Annales (1S« année, avril-juin 1968, n° 2) 8


ANNALES

civile notamment, — la politique royale subit en ce domaine de multiples


fluctuations. C'est ainsi qu'en 1393 les marchandises achetées aux foires
de Pézenas et de Montagnac, déjà astreintes à l'impôt sur les transactions
de 12 deniers par livre, ne payaient pas l'imposition foraine \ et qu'en
1439, elles y étaient soumises 2. En 1386 le duc de Berri, qui venait
d'acquérir la baronnie de Lunel, obtint du roi pour Lunel et ses foires alors
naissantes la réduction à 6 deniers pour livre de l'impôt de 12 deniers sur les
ventes : Pézenas protesta et bien vite Lunel fut soumise au droit commun 3.
En 1418, en revanche, Pézenas fut totalement exempte de cette
imposition de 12 deniers et de l'impôt sur le vin, comme en 1424 du droit de
barrage établi par Montpellier 4. Ce sont là des exemples trop isolés pour
que s'en puisse dégager une formule générale.
En regard des franchises, les privilèges : les obligations contractées en
foire, les délits et les crimes commis en foire, soustraits au droit commun,
relevaient de juridictions d'exception et étaient plus durement
sanctionnés 5. La mission dévolue en Champagne aux gardes des foires incombait
à Montagnac au baile royal e, à Pézenas au châtelain 7, qui eut souvent

1. Arch. de Pézenas, n° 303.


2. Les Etats de Languedoc réunis au Puy (avril 1439) protestent contre cette
nouveauté (Hist, de Lang., t. X, preuves n° 871, col. 2151). En mai 1441 le roi maintient
l'exemption des 6 deniers pour livre de la foraine pour les marchandises achetées en
foires, un certificat des élus du diocèse d'Agde témoignant qu'elles ont payé l'aide de
12 deniers pour livre (Авен, de Pézenas, n° 342). Mais les exigences des fermiers de
la foraine continuèrent à se manifester, pour la raison sans doute que les aides
disparurent, remplacées par l'équivalent (1443-1444). Une quittance du 29 novembre 1448
(Ibid., Cartulaire A, f° 127v.) montre que les consuls de Pézenas et de Montagnac
payaient alors la foraine au nom de leurs administrés. Des lettres de Charles VII du
12 septembre 1450 font voir que Pézenas et Montagnac ne se résignent pas (Arch,
de l'Hérault, A 12, ff. 164v.-167v.) : elles semblent avoir eu satisfaction par la suite
(Arch, de Pézenas, nos 350 et 351).
3. T. Millerot, Histoire de la ville de Lunel depuis ses origines jusqu'en 1789,
Montpellier et Lunel, s.d., p. 175 ; Arch, de Lunel, inventaire Millerot, n° 2255,
1933 et 1934 ; Arch, de l'Hérault, A Pacotte X, ff. 157 et 158 ; Arch, de Pézenas,
no 301.
4. Arch, de Pézenas, noe 321 et 334.
5. Cf. un acte du 3 octobre 1320 relatif à l'incarcération dans la prison du château
de Pézenas d'un Lodévois qui devait à un marchand de Réalmont, pour un achat de
pastel, 19 livres payables à la foire de septembre (Arch, de Pézenas, n° 250).
Beaucoup plus tard, le 15 juin 1435, le baile de Montagnac, Jean de Caux, faisait saisir les
biens de François Bousquet, sergent du Petit-Scel de Montpellier, qui devait 17
moutons d'or à Jean de Didier, sergent de Carcassonne, reliquat du prix d'une pièce de
drap gris de Limoux achetée à la foire de Montagnac.
6. Des lettres de Charles IV, du 19 juin 1325, rappellent que le baile de Montagnac
doit être choisi sur place (Ordon., t. XIX, loc. cit., texte rectifié d'après fonds de
Montagnac, liasse 9, n° 40).
7. Sur l'adjudication de l'office de châtelain de Pézenas, voir notamment Arch.
Nat.,
n° 795,XiAacte9,du
f° 8340
juin
(Furgeot,
1361. —n°En4361),
1417,acte
conséquence
du 5 juillet
de la
1342
guerre
; Arch,
civile,
de l'office
Pézenas,de
capitaine et châtelain fut disputé entre deux rivaux : le Parlement en confia
provisoirement la gestion au seigneur de Florensac, Philippe de Lévis (Arch. Nat., XIA 62,
fo 22).

242
FOIRES EN LANGUEDOC

à se défendre contre les empiétements du viguier de Béziers x. On appelait


du baile et du châtelain au seul Parlement.
Promues foires générales, les foires de Pézenas et de Montagnac ne
pouvaient que l'emporter sur leurs rivales. Ce n'est sans doute pas un
hasard si la foire de Villemagne disparaît brusquement des textes à cette
époque : elle est mentionnée pour la dernière fois dans un acte de Som-
mières du 10 mai 1346 2. Au même moment s'évanouit la foire de Lodève.
Cette foire avait eu sa période de prospérité et nous savons qu'en 1246
elle durait trois jours ; peut-être couvrait-elle une semaine entière à la
fin du xiue siècle, mais l'évêque eut le tort de se heurter aux officiers
royaux. En 1311 il voulut transférer la foire du 25 août au 25 mai;
après un long conflit il dut y renoncer 3. En 1345 il s'agissait non
plus d'un changement de date, mais d'un changement de lieu. Une enquête
confiée par le roi au viguier et au juge de Béziers conclut au statu quo
(août 1346) ; les officiers de l'évêque s'opposèrent à l'exécution de cette
décision ; coïncidence singulière, désormais il ne fut plus question de la
foire de Lodève 4.
C'est également à cette époque que des rapports réguliers achèvent de
s'établir entre les foires de Pézenas et de Montagnac et la draperie
languedocienne qui avait été organisée par les grandes ordonnances de Philippe V
et de Charles IV 6. Si désireux qu'ils soient d'écouler leurs productions, les
pareurs des villes drapantes du Languedoc ne s'aventurent pas à la légère.
Ils ne fréquentent une foire que s'ils sont assurés d'y trouver, dans des
conditions suffisantes de confort et de bon marché, du ravitaillement et
du logement pour eux et pour leurs bêtes, des entrepôts pour la
conservation de leurs tissus, des étalages pour leur présentation au public. De là
l'habitude de contacts préalables : échange d'ambassadeurs, négociations,
véritables traités. Nous avons déjà évoqué les efforts des gens de Saint-
Thibéry, de Nîmes et de Caux pour attirer les vendeurs de draps e. Nous

1. Surtout à la fin du xive siècle et au début du xve ; cf. Авен, de Pézenas, nos 796
à 801, 803. Le châtelain avait déjà vu son autorité contestée à la suite de la création,
d'ailleurs éphémère (1346-1352) de la viguerie de Pézenas, issue du démembrement de
celle de Béziers, le nouveau viguier ayant été institué conservateur des privilèges des
foires (Arch. Nat., XIA 13, fo 293 ; Arch, de Pézenas, n°s 749, 758 et 778). Les
pouvoirs du châtelain furent précisés par des lettres du comte de Poitiers (10 février 1359),
confirmées par Charles VI (10 mars 1406 [Arch, de Pézenas, nos 282 et 312]).
2. Arch, de Pézenas, n° 408.
3. E. Martin, op. cit., t. I, p. 258, 261 et 262, d'après Cartul. de Lodève, n08 xli,
xlviii, lxxv, lxxvi, lxxxiv, xcv, p. 37, 41, 105, 114.
4. E. Martin, op. cit., t. I, p. 259-261 d'après Cartul. de Lodève, n" xciv et xcv,
p. 113 et 114.
5. Or don., t. XI, p. 447 et suiv. ; 458 et suiv. ; J. Petit, Essai de restitution des plu»
anciens mémoriaux de la Chambre des Comptes de Paris, nos 693, 694 et 700.
6. Pour Saint-Thibéry, Arch, de Pézenas, n° 543 : le 24 octobre 1340, le roi avait
autorisé l'Abbé, le couvent, les consuls et les hommes de la localité à s'entendre avec
les marchands du dehors « super preciis botigarum seu domorum et aliarum rerum
suarum ». Pour Nîmes, voir notamment des lettres des « suprapositi parayrie » de
Fanjeaux aux consuls de Nîmes pour se plaindre qu'on ne leur ait concédé dans cette

243
ANNALES '

sommes encore mieux renseignés sur la politique de Pézenas : pour


favoriser le lancement de la nouvelle foire de la Saint-Amans, les consuls, le
30 mai 1325, garantissaient pendant quatre ans aux pareurs de Toulouse,
de Béziers, de Limoux et Saint-Pons-de-Thomières l'usage gratuit des
boutiques où les draps étaient exposés à la vente, chaque boutique étant
munie d'un lit et d'une attache pour une bête. Passés les quatre ans, le
loyer serait, durant les neuf années suivantes, raisonnable et contrôlé К
Quelque temps après, le 7 novembre 1333, les Piscénois qui espéraient,
à tort d'ailleurs, obtenir du roi une foire à l'Epiphanie, y promettaient la
même gratuité totale des boutiques, et pendant neuf ans, aux pareurs de
Toulouse, de Carcassonne, de Béziers, de Limoux et de Montolieu : la ville
de Pézenas équiperait et entretiendrait les boutiques à ses frais 2.
Montagnac ne demeurait pas en arrière, et c'est en raison des assurances
reçues que les pareurs de nombreuses localités des sénéchaussées de
Toulouse et de Carcassonne s'engageaient, en novembre 1330, à venir à sa
nouvelle foire, sans doute celle de la mi-carême instituée en avril 1329 :
sur le document, malheureusement assez endommagé, on peut lire les
noms de Toulouse, Béziers, Saint-Pons-de-Thomières, Olargues, Lodève,
Carcassonne, Limoux, Sorèze, Castres 3.
Il semble bien qu'en 1346 des liens solides sont noués et des habitudes
prises : cette année-là la Cour de Marseille fait crier dans cette ville les
immunités des six foires de Montagnac et de Pézenas, naguère accordées
par Philippe VI, et un extrait de la criée donne les noms des localités
dont les marchands fréquenteront la prochaine foire de Pézenas 4. On a
précisément conservé les engagements pris, ец mars-avril 1346, par les
fabricants de draps à l'égard de la foire de Pentecôte 5 et les deux listes
coïncident à très peu près. Ainsi rencontre-t-on Toulouse, Saint-Félix-du-
Lauraguais e, Sorèze, Castres, Avignonet, Villepinte, Montolieu, Fanjeaux,

n° XXVI,
ville des a sufficientes
p. 47). Pourbotigas
Caux,» voir
que Arch,
pour trois
de ans
Pézenas,
(L. Ménard,
n° 538 op.
: lescit.,
consuls
t. II, de
preuves
Caux
étaient accusés d'avoir fait « tractatus et convenciones illicitas cum mercatoribus ».
1. Arch, de Pézenas, nos 254 et 259.
2. Ibid., n° 262. Il était convenu qu'on payerait seulement trois sous par lit
supplémentaire pour toute la durée d'une foire, même si on y dormait plus de neuf nuits.
3. Fonds de Montagnac, liasse 9, n° 13.
4. E. Baratier et F. Reynaud, Histoire du Commerce de Marseille, t. II, p. 288
(n. 4 de la page 287), d'après Arch, des Bouches-du-Rhône, III В 46, ff. 23v. et 122 ;
Arch, de Marseille, HH 248. — On criait déjà la foire de la Saint-Amans à Béziers
en avril 1325, quelques semaines après sa création (Arch, de Pézenas, n° 257). Au
printemps 1346, les lettres de Philippe VI étaient publiées aussi à Montpellier (n° 279),
à Perpignan et à Narbonne (n° 280).
5. Arch, de Pézenas, n08 274, 275 et 408.
6. Il s'agit de Saint-Félix au diocèse de Toulouse, d'après un acte du 9 avril 1346
(Arch, de Pézenas, n° 408) et non de Saint-Félix-de-Lodez, petite localité du Lodé-
vois (départ, de l'Hérault), comme on le croit quelquefois et non sans motif, le Lodévois
ayant toujours plus ou moins pratiqué la draperie. P. Wolff, Commerce et marchands
de Toulouse (vers 1850-vers 1450), parle aussi de Saint-Félix-du-Lauraguais ; cf.
notamment p. 265.

244
FOIRES EN L4NGUED0C

Montréal, Carcassonne, Limoux, Lagrasse et Gignac 1. Telles sont les villes


drapantes dont la production est alors assez forte pour alimenter un trafic
régulier 2. Il est remarquable que dans cette enumeration ne figurent ni
Saint-Pons-de-Thomières ni Béziers que nous avions citées en 1325 et
en 1330 3. On n'y trouve pas non plus Narbonne dont la draperie était si
importante au xine siècle 4, ni Lodève handicapée par les défauts de
ses productions, à quoi le règlement episcopal de 1288 n'a pu porter
remède 6.
En face des vendeurs, voici les acheteurs de draps. Un autre lot
d'engagements émane de nombre de localités du Sud et du Sud-Est de la France

1. Sur ces treize noms, onze sont communs aux deux listes. La criée de Marseille
cite en plus Avignonet, Pézenas a en outre l'engagement de Gignac. Cinquante ans
plus tard, les pareurs carcassonnais fréquentaient régulièrement Montagnac : une
procédure du 3 janvier 1392 se déroule « in carreria recta, scilicet prope cantonem carrerie
ubi aie Carcassone tempore nundinarum.... tenere consuevit ». (Fonds de Montagnac,
liasse 9, n° 32.) Leurs statuts faisaient d'ailleurs l'obligation aux pareurs de
Carcassonne de se rendre aux foires de Pézenas et de Montagnac ou de s'y faire représenter,
au jour fixé par les suppôts ou les courtiers du métier (Ordon., t. IV, p. 271).
2. Un compte non daté de Pierre de Chalon, conservateur des ordonnances sur les
drape, relate que les décisions royales eurent d'abord effet dans la sénéchaussée de
Carcassonne, où 9 cités, 52 castra, bourgs et villes pratiquaient le pannifice, et non
dans le comté de Foix, ni dans les sénéchaussées de Toulouse et de Beaucaire (Arch.
Nat., J 388, 13). Mais la sénéchaussée de Toulouse les appliqua par la suite, comme
on le voit par cette lste de noms qui appartiennent aux deux sénéchaussées de
Carcassonne et de Toulouse, avantagées par leur climat et leurs cours d'eau réguliers. Déjà
Carcassonne et Limoux figurent avec d'autres dans une ordonnance de Philippe V
du 24 février 1318 (Ordon., t. XI, p. 447 et suiv.) Carcassonne, Montolieu, Montréal et
Fanjeaux figurent parmi les localités où est levée une taxe destinée à liquider marques
et contre-marques entre France et Aragon (Bibl. Nat., fonds Doat, t. 52, ff. 75-92).
Cf. С Port, Essai sur Vhistoire du commerce maritime de Narbonne, Paris, 1854, p. 154.
Sur la même liste, Sorèze, encore de la sénéchaussée de Toulouse, dont les marchands
sont signalés à Pézenas vers 1340 (Arch. Nat., XI A 8, f. 213, Furgeot 3972).
3. Béziers subit peut-être les effets des troubles de 1329 dont on a déjà parlé (cf.
supra, n. 25). L'entrée en vigueur à Béziers des ordonnances sur la draperie avait déjà
été retardée de quatre ans par une forte opposition intérieure (Arch. Nat., J 388, 13).
4. Les draps blancs de Narbonne étaient renommés : cf. le texte de juin 1262 cité
plus haut. Voir aussi dans A. Blanc, op. cit., p. 585 et 588, la mention de draps de
Narbonne de diverses couleurs saisis et vendus à Barcelone (procès-verbal du 5 mars
1309). Narbonne et Carcassonne figurent en tête des villes drapantes dans les
ordonnances de 1318 (Ordon., t. XI, p. 447 et suiv. ; p. 458 et suiv.) ; cf. aussi un arrêt du
Parlement du 13 juillet 1320 (Arch. Nat., J 388, 7 ; J. Petit, op. cit., n° 699) et les
instructfcns de Charles IV à Pierre de Chalon (19 juin 1322 [Arch. Nat., J 388, 10 ;
J. Petit, n° 703]). Initialement hostiles à la gabelle des draps (A. Blanc, op. cit.,
p. 785-799) les Narbonnais furent étroitement associés aux négociations sur sa
suppression (Bibl. Nat., fonds Doat, t. 157, ff. 21-72v. ; Hist, de Lang., t. IX, p. 467
[n. 3 de la p. 466]). Mais Narbonne n'ayant au bout de quinze ans payé qu'une faible
partie de la somme à laquelle elle avait été taxée à cette occasion, des commissaires
royaux vinrent saisir les draps chez les pareurs (cf. un appel au roi du 15 avril 1345,
Doat, t. 53, f. 70). L'affaire n'était sans doute pas réglée en 1346. A cette époque,
d'ailleurs, certains procédés de fabrication laissent à désirer et un règlement du 30 mars
1346 est destiné à y remédier (A. Blanc, op. cit., p. 882-890). Il ne semble pas que par
la suite la draperie narbonnaise ait retrouvé sa prospérité originelle.
5. Б. Martin, op. cit., t. 5, p. 264 et 265. Cette même année 1346, on ne vend pas
de draps à la foire de Lodève.

245
ANNALES

actuelle 1. Certaines d'entre elles avaient antérieurement fabriqué des


draps, celles-là ou d'autres en feront par la suite, mais il est clair qu'au
milieu du xive siècle leur rôle est principalement, sinon exclusivement,
commercial 2. En avril et en mai 1346 leurs drapiers annoncent aux pareurs
de Toulouse, de Carcassonne, de Limoux, de Fanjeaux, de Béziers, voire
de Montolieu, qu'ils ont l'intention de se rendre eux aussi à la prochaine
foire de Pentecôte à Pézenas. Ils comptent y acheter de quoi alimenter
la consommation locale et régionale et aussi la revente au dehors. Voici
les gens d'Albi, Montpellier, Lunel, Sommières, Anduze, Aies, Avignon,
Salon, Bollène, Bourg-Saint-Andéol, Pont-Saint-Esprit, Saint-Paul-
Trois-Châteaux, Viviers, Montélimar, Romans, Tournon, Le Puy, Lyon,
Manosque, Sisteron, Digne : indication intéressante sur les principaux
clients de la draperie languedocienne. Provençaux et Dauphinois occupent,
on le voit, une place considérable. Un peu plus tard on rencontrera aussi
des Savoyards et des Italiens, Piémontais en tête. D'un autre côté,
Catalans et Aragonais apporteront les productions de la draperie catalane,
alors en plein essor.
Le commerce des draps du Languedoc n'absorbait pas toute l'activité
des foires de Pézenas et de Montagnac. Nous avons insisté ailleurs sur la
variété du trafic : matières premières et objets fabriqués de l'industrie
textile, articles de bazar, produits animaux et végétaux, métaux usuels 3.
Il nous paraît également inutile de souligner ici l'importance de la
circulation monétaire et le rôle croissant des règlements par lettres de change :
l'usage de plus en plus répandu d'éteindre les dettes par compensation
donne à ces foires l'aspect d'un clearing-house, à l'instar des foires de
Champagne 4.

1. Arch, de Pézenas, n° 408.


2. L'opposition est nette entre les deux groupes d'engagements : d'un côté, ce sont
les suppôts des pareurs (« suprapositi parayrie ») qui, au nom de leurs commettants,
font part à tous, marchands et personnes quelconques, d'une prochaine venue à la
foire ; de l'autre, ce sont les drapiers qui écrivent aux « suprapositis ac paratoribus
parariarum sive alarum » des principales localités drapantes.
3. Voir J. Combes, « Montpellier et les foires de Pézenas et de Montagnac au
xrve siècle et au commencement du xve », in Congrès régional des Fédérations historiques
de Languedoc (Carcassonne, 1952), p. 95 ; P. Wolff, « Midi aquitain et Midi
méditerranéen, Toulouse et les foires de Pézenas à la fin du xive siècle et au début du
XVe siècle » (Ibid., p. 80) ; J. Combes, « Foires régionales au moyen âge », in Bull. trim,
du Centre régional de la Productivité et des Etudes économiques de Montpellier, 3e trim.
1954, p. 226. Ce sont à peu près les mêmes marchandises que l'on trouvait à la foire
de Lodève en 1346 : bétail gros et menu, peaux, laine, objets en fer, poteries. Cf. E.
Martin, op. cit., t. I, p. 264.
4. Le 31 août 1386, Charles VI autorisait les marchands étrangers à apporter toutes
sortes de monnaies aux foires de Pézenas à la condition qu'elles ne fussent pas fausses,
qu'elles ne fussent pas la contrefaçon de monnaies françaises et qu'on ne leur donnât
pas un cours supérieur à leur valeur intrinsèque. Le roi interdisait toute vente d'or
ou d'argent en lingot en vue de l'exportation (Arch, de Pézenas, n ° 300). Charles VII
exigea en outre que les pièces étrangères fussent apportées dans la quinzaine à la
monnaie royale la plus proche (20 décembre 1424 [Ibid., n° 303]). En janvier 1462, Louis XI

246
FOIRES EN LANGUEDOC

Multiples étaient les avantages qui découlaient des foires. C'était un


stimulant de l'économie méridionale tout entière. Mais elles étaient la
source de profits plus directs. Le roi en était l'un des principaux
bénéficiaires : outre les finances reçues lors de l'institution ou de la concession
de nouvelles franchises, il percevait la plupart des leudes ou péages qui
jalonnaient les routes conduisant à Pézenas et à Montagnac. Dans les
textes il est souvent question de la leude de Béziers par exemple l. Sur
place, de nombreuses taxes étaient levées sous divers noms : ainsi la leude
de Lodève qui était partagée entre l'évêque, le chapitre et plusieurs feuda-
taires 2. La leude de Pézenas, dont nous avons un tarif très complet de la
fin du xnie siècle, revenait au roi seul 3 ; il en était de même de la leude

permit d'apporter aux foires de Montagnac l'or et l'argent, monnayés ou non,


d'Espagne, de Catalogne, de Provence, de Savoie, d'Allemagne ou d'ailleurs (fonds de
Montagnac, liasse 9, n° 58). On notera aussi la liquidation en foire de dettes contractées
sur une autre place (cf. P. Wolff, op. cit., p. 164 et 165) ; l'emploi des lettres de change
pour le transfert des capitaux (Arch, de l'Hérault, Notaires du fonds de l'évêché,
A. Vitalis 150, f. 77v. ; Antoine de Malarippa, f. 2).
1. La leude mage et menue de Béziers se levait au nom du roi sur les marchands
et voituriers, à Béziers et à Saint-Thibéry notamment (A. Blanc, op. cit., p. 358-371) :
la chronique des consuls biterrois Mercier et Régis en a conservé le tarif (Bull, de la
Soc. Arch, de Béziers, t. III, 1837, p. 48-77). Le 15 août 1378, Charles V décide que ceux
qui viendront aux foires de Lunel, qu'ils soient de France ou d'Aragon, paieront la
leude de Béziers doublée, soit qu'ils passent « per strictus dicte leude », soit qu'ils
arrivent par l'Orb, par l'Aude ou par mer (Arch, de Pézenas, n° 548 ; Arch, de
Lunel, n° 1931). Le fermier de la leude confisquait les marchandises des fraudeurs :
en 1331 il fut requis de restituer des mulets et des ânes saisis à Pézenas sur des
marchands de Vendres (Hérault) qui n'avaient pas payé parce que, disaient-ils, ils n'avaient
pas l'intention de vendre leurs bêtes (Arch, de Pézenas, n° 1583).
La leude de Béziers n'était pas unique. Au cours de son procès contre Montagnac,
Nimes fait allusion aux grands péages qu'on levait entre Saint-Thibéry et Nîmes
(fonds de Montagnac, liasse 9, n° 8). Montagnac de son côté soutient que la foire de
Nîmes frustre le roi de 300, de 400 livres et plus par an, car pour s'y rendre les
marchands passent par la montagne et par d'autres lieux qui ne sont pas au roi, alors
qu'en allant à Montagnac ils acquittent les péages de Toulouse, de Castelnaudary,
d'Avignonet (Haute-Garonne), de Carcassonne, de Béziers, de Pézenas, de Saint-
Amans (s'agit-il de Saint-Amans, près de Mazamet, Tarn ?), de Cessenon (Hérault),
de Villefranche (de Lauraguais) ? [Ibid., liasse 9, n° 9.]
Au début du xrve siècle les Biterrois se faisaient exempter d'une leude ou péage
seigneurial perçu sur la route de Béziers à Capestang et à Homps, c'est-à-dire sur le
chemin romieu, reliant directement Béziers et Carcassonne (A. Soucaille, Le consulat
de Béziers, Béziers, 1896, p. 28 et 29).
2. E. Martin, op. cit., t. I, p. 263 et 264.
3. Arch, de Pézenas, n° 533. La leude de Pézenas avait un caractère mixte, elle
était à la fois péage et tonlieu, pour employer la terminologie peut-être contestable
de W. M. Newman, op. cit., p. 29-31 (cf. P. Wolff, op. cit., p. 464, qui opposerait
plutôt péages et leudes). Elle frappait les transactions en foire — et là elle s'appliquait
aussi aux Piscénois — et en dehors des foires ; elle était en outre souvent perçue lors
de l'entrée en ville ou de sa simple traversée, mais les taux étaient variés. Voir
également un autre tarif du 13 avril 1322 (Arch, de Pézenas, n° 1582). Ce caractère
complexe des leudes apparaît aussi à Lodève. Cf. le règlement de la foire de 1346 (Cartul.
de Lodève, n° XLI et XCV, p. 37 et 38, 114 à 116). Selon l'expression de E. Martin,
op. cit., 1. 1, p. 147, « la leude atteint la marchandise dans son débit et dans son transit ».

247
ANNALES

de Montagnac J. Il existait d'autres taxes qui avaient un caractère


permanent, car on les levait aussi en dehors des foires : ainsi à Lodève le
droit de coupe ou sestairal, c'est-à-dire le droit de mesurage des grains,
et le droit de quintal ou de poids 2. On connaissait aussi à Pézenas le droit
de coupe et le pesage ou poids public : tous les deux au xive siècle étaient
dans les mains de la municipalité 3. Très lucratifs aussi étaient les revenus
des étalages et des boutiques. A Lodève ces profits étaient comme la leude,
mais d'une façon différente, répartis entre l'évêque, le chapitre et divers
particuliers 4. A Pézenas, à la fin du xine siècle plus de deux cents tables
étaient tenues du roi qui, outre son cens, prélevait à chaque foire 4 deniers
par table pour son taulagium ou droit d'étalage 5. A la fin du xive siècle,
les consuls affermaient pour un an, avec le poids public, les tables de
changeur, de canabassier et de poissonnier qui appartenaient à la
municipalité e ; l'église paroissiale disposait également de tables de mercier et
de changeur 7 ; des particuliers possédaient aussi des tables et des
boutiques. Tout cela était loué aux marchands pour la durée des foires. Les
consuls de Montagnac louaient de la même façon boutiques et tables 8.

1. Elle se levait « juxta ulmos » (Fonds de Montagnac, liasse 9, n° 10). Cet acte, de
février 1331, montre que les leudes de Montagnac et de Pézenas étaient perçues par les
mêmes fermiers. A Nîmes le roi ne touchait que la moitié des leudes (Ibid., n° 9). Un
accord de décembre 1273 fixa les droits respectifs du roi et de l'abbé de Saint-Thibéry
sur le péage du pont de l'Hérault et sur la leude des jours de marché (Arch, de
l'Hérault, A 242 Pacotte XII, f. 89v.). A partir de 1295, les Biterrois furent exemptés de
la leude de la foire de Saint-Thibéry comme les habitants du lieu (A. Soucaille, op. cit.,
p. 69).
2. Б. Martin, op. cit., t. I, p. 148-154. A la fin du xine siècle, la communauté
avait acquis la jouissance exclusive du droit de coupe, l'autre restant entre les mains
de l'évêque.
3. Arch, de Pézenas, n° 866 à 876.
4. Б. Martin, op. cit., t. I, p. 263.
5. Arch, de Pézenas, n° 533. Le roi levait le même a taulagium » sur les tables de
Montagnac (Fonds de Montagnac, liasse 9, n° 3). Au dire des Piscénois, la place et les
maisons où se tenaient les foires étaient dans leur ville sous la directe du roi ; à
Montagnac elles relevaient du prieur et de damoiseaux pariers du roi (Arch, de Pézenas,
no 533).
6. Voir le registre des délibérations de l'année 1378 (Arch, de Pézenas, n° 1176,
BB 3). Cf. aussi une Ordonnance du 13 janvier 1391 sur les biens des communautés
(Ibid., n° 815). On a conservé le tarif des droits du poids public (ou poids du roi) pour
1467 (Ibid., n° 878).
7. Voir un registre de 1397 (Ibid., n° 631).
8. On trouve dans les « Comptes des clavaires de Montagnac (1436-1437), publiés
par A. Vidal (Rev. des Lang, romanes, t. XLIX et L, 1906 et 1907), la recette des foires
de 1437, soit respectivement 31 livres 7 sous 4 deniers et 23 livres 7 sous 6 deniers :
les tables payaient de 7 sous 6 deniers à 1 livre 5 sous et les boutiques de 1 livre 5 sous
à 3 livres. Selon « Les comptes consulaires de Montagnac (Hérault) » publiés également
par A. Vidal (Ann. du Midi, 17e et 18e années, 1905 et 1906), la recette en 1427 avait
été de 33 livres et de 28 livres 9 sous (Ibid., 17e année, n08 57 et 58, p. 528). Elle s'éleva
en 1448 à 43 livres 17 sous 1 denier et à 31 livres 8 sous 7 deniers (Ibid., 18e ann., n08 225
et 226, p. 79). Ces chiffres témoignent d'une certaine régularité, la stabilité des tarif»
annulant les effets de l'instabilité monétaire. On remarquera que la foire de la Saint-
Hilaire l'emporte sur celle de la mi-carême.

248
FOIRES EN LANGUE

Si, lors du lancement d'une foire, on consentait souvent aux visiteurs des
avantages exceptionnels, — mise à leur disposition de boutiques à titre
gratuit ou à bas prix, dispense d'impôt \ — très vite il fallait prendre des
mesures pour protéger les marchands 2. D'une manière générale, les consuls
contrôlaient les prix : pour mettre obstacle à une hausse spéculative ils
avaient tout pouvoir pour taxer vivres, repas et loyers 3. Dans une étude
antérieure nous avons évoqué certaines pratiques des capitalistes montpel-
liérains qui acquéraient à l'avance, pour une série de foires, la disposition
de maisons toutes meublées qu'ils comptaient louer au prix fort au moment
de Faff luence *. Parfois il s'agissait seulement de boutiques et de tables 6.
L'intérêt qui s'attachait à la prospérité des foires explique les efforts
déployés, au profit des marchands étrangers, pour modérer le zèle
exécuteur de marques qui s'exerçait au mépris des franchises si souvent pro-
clamées. Des difficultés surgissaient sans cesse, provoquant plaintes,
procès, interventions des pouvoirs publics e. Au xive siècle, ce sont sur-

1. En 1299 le sénéchal de Carcassonne affranchit de toute leude les visiteurs des


trois prochaines foires du 29 août à Montagnac (Fonds de Montagnac, liasse 9, n° 6).
En revanche le fermier de la leude de Pézenas exigeait souvent plus que le tarif (cf.
Arch, de Pézenas, n08 1578, 1580 et 1581). A la foire de la mi-septembre seule, il lui
était permis de percevoir double-droit (cf. acte du 9 février 1538, n° 1585).
2. Parmi les arguments avancés par les Montagnacois en faveur de leur foire du
29 août, figure cette remarque que grâce à elle ils s'enrichiront : « tam mercando quam
res suas carius distrahendo et domos suas et tabulas carius locando plurimum dicta-
buntur et annis singulis lucrabuntur », d'où de grands avantages pour le roi. Car il lui
importe d'avoir des sujets riches, capables de payer tous les ans « collectam sive talliam »
(Fonds de Montagnac, liasse 9, n° 3).
8. En septembre 1334, les consuls de Pézenas provoquent une ordonnance du
châtelain confiant à trois experts, respectivement de Béziers, de Montpellier et d'Aspiran
(commune de l'Hérault, arr. de Lodève), le soin de fixer le loyer des tables de mercier,
ce qui est fait le même jour : le loyer est de 5, 4 ou 3 sous tournois (Авен, de Pézenas,
до 255).
Des lettres du comte d'Armagnac, du 14 juillet 1357, confirmées par Charles V
(25 avril 1369) rappellent que les consuls de Montagnac ont qualité pour organiser lea
foires, répartir entre les marchands selon leur appartenance rues, maisons, boutiques,
tables, écuries, réprimer les fraudes ; on essayait volontiers de tromper sur l'origine dea
draps (cf. un conflit entre foulons de Carcassonne et marchands de Sorèze, Arch. Nat.,
XI A, 8, f. 213, inventaire Furgeot, n° 3972), fixer les prix (Ordon., t. XIX, loc. cit. ;
fonds de Montagnac, liasse 9, n° 35). Plus généralement, le duc d'Anjou, le 9 décembre
1370, invite le baile à respecter le droit des consuls de mettre en place « tabulas, boti-
quas et alas » avec les poids où on pèse les marchandises, « que pondère grosso vendun-
tur », et de prolonger les foires si cela paraît utile en raison des pluies, des inondations
ou des méfaits des gens de guerre {Ordon., loc. cit., fonds de Montagnac, liasse 9, n° 28).
4. En 1357, le comte d'Armagnac autorisait les consuls de Montagnac à prendre
des mesures contre des spéculateurs se disant bourgeois royaux, notamment de la part
antique de Montpellier qui, soit par achat de fruits, soit par location, essayaient de
disposer de maisons, boutiques, tables et écuries. (Ordon., t. XIX, loc. cit. Pour le
xve siècle, voir J. Combes, « Les investissements immobiliers à Montpellier au
commencement du xve siècle », in Recueil de mémoires et travaux publiés par la Société d'Histoire
du Droit et des Institutions des anciens pays de Droit écrit, fasc. II, Montpellier, 1951,
p. 23.
5. АВСН. DE PÉZENAS, П0 309.
6. Voir Авен, de Pézenas et Авен, de l'Hérault, fonds de Montagnac, passim.

249
ANNALES

tout les Marseillais qui protestent : en 1337, réclamation contre une saisie
opérée à Montpellier sur des drapiers venant de Pézenas г ; nouvelle
plainte en 1362 à la suite de la confiscation de draps achetés à Montagnac 2.
Les autorités françaises se montraient compréhensives. En 1351 le roi
Jean intervient contre le Petit-Scel de Montpellier 3 ; en 1361 c'est le duc
d'Anjou qui ne veut pas qu'on inquiète les marchands de Provence et du
comté de Forcalquier * ; en 1371 Charles V prend sous sa protection
Provençaux et Dauphinois 6. Par la suite il est aussi question des Montpel-
liérains e et des Catalans, ceux-ci souvent victimes de marques
toulousaines 7. Dans les premières années du xve siècle, la saisie sur l'ordre du
Petit-Scel, en vertu d'une marque contre les sujets du prince de Pignerol
et d'Achaie, de 22 balles de drap de Gignac achetées à la foire de la Saint-
Amans de Pézenas (novembre 1404), pour le compte de drapiers d'Avignon,
donna lieu à un long procès dont le Parlement eut à connaître 8.

On ne saurait donc trop souligner l'importance des foires de Pézenas


et de Montagnac, mais il s'en faut de beaucoup qu'elles aient joui d'un
monopole, car dans le cours du xive siècle, puis au xve, les concessions
de foires et de marchés se sont multipliées. Il n'est pour s'en convaincre
que de feuilleter les registres du Trésor des Chartes qui en mentionnent
très souvent e. A côté des foires générales, catégorie où se rangent les foires
de Pézenas et de Montagnac tout comme les foires de Champagne et la
foire du Lendit à Saint-Denis, il existe des foires et des marchés
régionaux dont le rayonnement est forcément limité. M. René Gandilhon a
bien montré comment ces organismes sont nés au xve siècle, mais son
étude vaut aussi pour la période antérieure 10. Le roi cède volontiers aux
sollicitations de serviteurs, d'amis dont il veut récompenser « les grans et

1 . En raison d'une marque contre les sujets du roi de Sicile, parmi lesquels figuraient
les Marseillais (Arch. de Marseille, HH. 247).
2. On avait délivré une marque contre les Provençaux, coupables d'actes de
piraterie (Ibid., BB 23, f. 65).
8. Arch, de Pézenas, n° 281.
4. Ibed., n° 283. Le 17 août 1377, le duc d'Anjou décide que la marque du Biterrois
Jean Brémond, ne saurait atteindre les Marseillais (Ibid,., n° 295).
5. Cf. lettres du 30 mai 1371 (Arch, de Pézenas, n° 289 ; Arch, de l'Hérault,
A 6, f° 84v.). — Autre intervention du duc de Berri (1401) en faveur des Provençaux
menacés par la marque André Muntaner (Arch, de Pézenas, n° 306).
6. Cf. lettres du duc d'Anjou du 26 octobre 1374 (Arch, de Montpellier, Grand
Chartrier, n° 758 ; A. Germain, op. cit., t. II, p.j. CLXXVII, p. 296 et 297).
7. Signalons en 1366 un conflit entre le châtelain de Pézenas et le juge de Nar-
bonne, exécuteur de la marque Jean Moynier contre les Aragonais (Arch, de
Pézenas, n° 285), Beaucoup plus tard, Charles VII intervient (1427) à propos de la marque
Raymond Bonnet (Ibid., n° 336).
8. Ibed., n°s 309 à 312, 315 et 802 ; Arch. Nat., X la 52, f° 81v. ; 53, f° 390.
9. Arch. Nat., JJ 73, 74, 75 et 77 notamment.
10. R. Gandilhon, op. cit., p. 217-239.

250
FOIRES EN LANGUEDOC

agréables services » : ce sont ses officiers, des évêques, des abbés, des
seigneurs grands et petits. En même temps on fait valoir des arguments
économiques et démographiques, et des plus variés : tantôt assurer des
débouchés à une région fertile et industrieuse, tantôt aider au relèvement
d'une région appauvrie et dépeuplée par les malheurs du temps ; tantôt
le pays est « de grand passage », tantôt il est éloigné de toute voie de
communication 1. Le plus souvent le roi ordonne une enquête : il s'agit
de savoir si la foire projetée ne nuira pas à une foire déjà existante, il
faut donc qu'on n'en connaisse pas qui se tienne à faible distance et à la
même période de l'année. Ce n'est qu'une fois l'enquête close que le roi
prendra sa décision qui, quelle qu'elle soit, risque de soulever des
oppositions dont le Parlement aura à connaître. Nombre de projets n'ont pas
dépassé le stade de l'enquête, mais certaines créations juridiquement
parfaites sont demeurées théoriques ou n'ont eu qu'une durée éphémère.
Il existe tant de foires et de marchés dont on ne trouve pas la moindre
trace dans les documents de la pratique notariale !
Des foires anciennes s'efforçaient de survivre, mais avec un succès
inégal. Celle de Lodève, nous l'avons vu, disparaît après 1346. Celle de
Caux semble avoir eu le même sort et au même moment, après avoir
vainement essayé de devenir foire générale a. Au contraire, les foires de
Joyeuse et d'Aubenas, en Vivarais, ont sans doute réussi à durer. Le
11 novembre 1338 les consuls de Joyeuse se mettaient d'accord avec les
régents d'Aubenas au sujet de la foire de Saint-Luc à Joyeuse, que « ceux
d'Aubenas regardaient comme leur étant nuisible » 3. Quelques années
plus tard, le 27 juin 1345, le roi tranchait un conflit qui avait surgi au
sujet de l'emplacement de la foire d'Aubenas *. Nous ne savons à quelle
époque remontent les deux foires de Meyrueis, en Gévaudan, de la Saint-
Pierre d'août et de la Saint-Barthélémy, mentionnées le 29 avril 1320
par un notaire de Ganges 5. Il existait aussi à Uzès une foire de la Saint-
Firmin qui appartenait au chapitre de la cathédrale : sa durée fut réduite
de douze jours à trois en 1358 e.
En regard il convient de placer en premier lieu une création de Philippe

1. Ibid., p. 220 et 221. En ces matières, on le voit, les arguments opposés sont
également invoqués. A la fin du xme siècle et au début du xive, Montagnac soutient que
deux foires rapprochées ne peuvent qu'avantager les marchands qui vont aisément de
l'une à l'autre. Pézenas et Nimes sont d'un avis contraire (Fonds de Montagnac, liasse 9,
noe 3 et 9).
2. Arch, de Pézenas, n° 538.
3. R. Saint-Jean, Le consulat de Joyeuse sous V Ancien Régime, diplôme d'Etudes
supérieures d'Histoire (mémoire complémentaire inédit), p. 33.
4. Arch, de l'Hérault, A 4, f° 210v.
5. Arch, de l'Hérault, II, E 36, notaires de Ganges, n° 2, P. Martial, f° 16.
6. L. d'Albiousse, Histoire de la ville ďUzes, Uzès, 1903, p. 87. Des lettres de
Louis XI du 23 février 1481 faisaient état des franchises des foires d'Uzès : comme sur
les autres foires et marchés du Languedoc, on ne pourrait y poursuivre l'exécution des
obligations privées ; le roi réservait expressément le cas de ses propres créances (Arch.
de l'Hérault, A 14, f° 38v.).

251
ANNALES

le Bel, de mars 1292. Quand le roi devint, par un traité de paréage avec les
religieux, coseigneur du monastère de Saint-André sur le Rhône qui
devait bientôt donner naissance à la petite ville de
Vil eneuve-lès-Avignon, il y fonda un marché le mardi et deux foires de trois jours chacune
commençant l'une le dimanche de Quasimodo, l'autre à la fête de la
Décollation de saint Jean-Baptiste : les visiteurs n'étaient tenus que de leurs
obligations et délits personnels, les créances du roi mises à part 1. Mais rien
n'indique que cette concession ait été suivie d'effet : on remarquera que
la seconde de ces foires coïncidait avec une foire de Montagnac instituée
précisément à cette époque. Nous ne savons pas davantage ce qu'il advint
d'un projet de deux foires et d'un marché aux Matelles, réclamés en 1340
par l'évêque de Maguelone 2, ni d'un projet de marché à Marsillargues,
à la demande de Raymond de Nogaret 3, car le résultat des enquêtes n'est
pas parvenu jusqu'à nous.
D'une autre portée apparaissent certaines décisions prises sous
Charles V, alors que son frère le duc d'Anjou était gouverneur du
Languedoc. On peut se demander si la situation exceptionnelle de Pézenas et de
Montagnac ne fut pas, pour une raison ou pour une autre, mal vue de
quelques personnages influents. Si une démarche de Montpellier pour
l'octroi des deux foires, l'une au lendemain de l'Ascension, l'autre à, la
Saint-Luc evangeliste, donna uniquement lieu à une information du
trésorier royal Pierre Scatisse (6 août 1368) 4, Lunel, plus heureuse, parvint
au même moment à se faire attribuer deux foires générales à l'instar de
celles de Pézenas et de Montagnac : elles furent fixées au 15 août et à la
Chandeleur (5 août 1368) 7. En fait, ce fut seulement au printemps 1377
que les syndics de Lunel furent autorisés par le duc d'Anjou à députer
auprès des pareurs de Carcassonne, de Narbonne, de Toulouse, de Li-
moux, de Lagrasse, de Fanjeaux et de Montolieu 6. Quelques mois après,
comme les gens de Toulouse, de Carcassonne et de Béziers avaient promis
de venir à la foire du 15 août et qu'on prévoyait un afflux de visiteurs,
une commission fut chargée, avec l'assentiment du viguier seigneurial, —
Lunel appartenait alors au comte d'Etampes, — de veiller à l'hébergement
des étrangers et de s'opposer à la hausse des victuailles et des autres
produits de première nécessité (7 août 1377) e. A ce moment se manifesta
l'hostilité de Pézenas et de Montagnac, soutenues par la Chambre des

1. Авен, de l'hérault, A 241 Pacotte XI, ff. 44-53.


2. Arch, de l'Hérault, Cartul. de Maguelone, B, f. 140 v.
3. Arch, de l'Hérault, A 4, f° 283v.
4. Arch, de Montpellier, Grand chartrier, n° 756. Cf. A. Germain, op. cit., t. II,
p.j. n° CLXIV, p. 273 et 274.
7. Hist, de Lang., t. X, preuves, n° 542, col. 1394 et 1395, d'après Arch. Nat.,
JJ 113, n° 197 ; Arch, de Lunel, n° 1931 ; Arch, de Pézenas, n° 548. Notons que Lunel
avait depuis très longtemps un marché le lundi (Arch, de Lunel, n° 1954).
5. Arch, de Lunel, n° 1924 ; Arch, de l'Hérault, A 240 Pacotte X, ff. 95 et 96.
6. Arch, de Lunel, n° 1927.

252
FOIRES EN LANGUEDOC

Comptes x. Le comte d'Etampes se défendit et, après enquête, les foires


de Limel furent conservées, mais transférées à Quasimodo et à la
Madeleine (15 août 1378) 2. Il semble que durant plusieurs années tout au moins
les foires de Lunel furent effectivement tenues, et avec quelque succès.
Une notification du viguier de Lunel au sujet des deux foires perpétuelles
et générales de cette localité (13 juin 1379) 8 relève qu'à la foire de
Quasimodo s'étaient rendus pareurs et marchands de Montpellier, Toa^ouse,
Carcassonne, Lagrasse, Limoux, Montréal, Béziers, Montolieu, Perpignan,
Revel, Alet, Gignac, Clermont, Lodève, Saint-Martin *, Saint -Jean-de-
« Olis » (?), Ganges, Le Vigan et Quillan, et qu'aux foires prochaines
avaient en outre promis de venir des gens d'autres centres, Fanjeaux,
Narbonne, Foix, Mazères, Pamiers, Saint-Gervais 6, Durfort, Fabrezan,
Trèbes, Saint-Félix-de-Caraman (ou de Lauraguais), Saint-Pons, Caunes,
Castres, Lasbordes, Labruguière, Olargues, Villemagne •, Saissac, Cal-
cayran (?). Mises à part Montpellier, Ganges et Le Vigan, qui envoyaient
surtout des acheteurs, des drapiers et non des pareurs, ce sont là des centres
producteurs de draps dont nous connaissons le plus grand nombre, tous
situés, Perpignan exceptée, dans les sénéchaussées de Carcassonne et de
Toulouse ou dans le comté de Foix 7. A la même époque Lunel essaye de
s'assurer des relations régulières avec la Méditerranée : en août 1368 elle
s'était fait autoriser par le roi à nettoyer et à améliorer la roubine l'unissant
à l'étang de Mauguio, afin que les navires de mer pussent arriver près de
l'agglomération. Mais bientôt les obstacles se multipliaient. Pour couvrir
les frais des aménagements, le roi avait concédé aux Lunellois le
monopole de la vente du sel dans leur ville 8 : ce monopole se heurta à l'hostilité
de marchands de Montpellier 9 et les travaux furent abandonnés. Devenu
seigneur de Lunel (1385), le duc de Berri s'efforça de faire bénéficier les
foires d'avantages fiscaux : ce fut en pure perte l0. Les textes ultérieurs
ne parlent pas des foires de Lunel.

1. Cf. les lettres des gens des Comptes au sénéchal de Beaueaire (Fonds de Monta-
gnac, liasse 9, n° 30).
2. Arch, de Lunel, n° 1931 ; Arch, de Pezknas, n° 548.
3. A prendre le document au pied de la lettre, elles duraient une quinzaine, quatre
jours avant la fête dont elles portaient le nom et sept jours après, puis quatre autres
de retour de foire (ou d'arrière-foire), comme à Aies par exemple au siècle suivant.
4. Sans doute Saint-Martin, canton de Belpech (Aude).
5. Saint-Gervais-sur-Маге, dans la partie montagneuse de l'arrondissement de
Béziers (Hérault).
6. Arrondissement de Castelnaudary (Aude).
7. Ces noms figurent pour la plupart sur des listes dressées par F. Baratier, op. cit.,
p. 288 et 289, par M. Gouron, « Achats en foire d'un marchand drapier d'Anduze
(1408-1418) », in Congrès régional des Fédérations historiques de Languedoc (Carcassonne,
1952), p. 696-71, et par P. Wolff, op. cit., p. 265-268 et carte n° 4. Retenons quelques
noms nouveaux pour le bassin de l'Aude : Quillan, Trèbes, Caunes, Fabrezan.
8. Cf. lettres de Charles V (12 août 1368), Авен, de l'Hérault, 240 Paootte X,
fo 77 ; Hist de Lang., t. X, pr. n° 540, col. 1391 et 1392.
9. A la fin de 1380 le différend n'était pas tranché (Arch, de Lunel, n° 2041).
10. Cf. supra et n. 67.

253
ANNALES

Une menace du même ordre pour Pézenas et Montagnac fut constituée


par les trois foires, de six jours chacune, qu'en novembre 1369 le duc
d'Anjou concéda à Villeneuve-lès-Avignon, en remplacement des créations de
Philippe le Bel, en leur attribuant aussi les privilèges des foires générales,
mais rien n'indique que cette décision ait reçu le moindre
commencement d'exécution 1. On ne saurait davantage attacher d'importance à
l'institution d'une foire franche à Nimes pour la Saint-Michel, en février
1392 2.
La concurrence d'Avignonet-en-Lauraguais aurait pu être plus
sérieuse. On a déjà signalé que cette localité, dont une des foires s'ouvrait
à la Saint-Luc evangeliste (18 octobre), s'était efficacement opposée en
1341, d'accord avec Pézenas, à la tenue à la même date d'une foire à
Saint-Thibéry 3. Avignonet avait à cette époque une autre foire, assez
proche d'une des foires de Montagnac * ; il s'agit sans doute de la foire du
premier dimanche du carême signalée au xve siècle. La localité était bien
située, sur la grand route de l'Océan à la Méditerranée, au cœur de la
zone drapière. C'était l'un des centres du commerce du pastel et ses foires
étaient solempnes 8. Mais la randonnée du Prince Noir ruina la petite ville
dont la calamité des Grandes Compagnies retarda le relèvement. Des
lettres de Jean le Bon en faveur ď Avignonet (28 août 1356) mentionnent
sans autre précision un marché et des foires dont les clients bénéficieront
trois ans durant de larges exemptions fiscales, mais rien ne prouve que ces
manifestations commerciales aient eu une réelle importance e. Nous ne
sommes pas mieux renseignés sur les foires de Castelnaudary, trois foires
de quatre jours chacune, que le roi Jean confirma ou concéda le même
28 août 1356 7 : des lettres de Charles V, du 13 mai 1367, ne parlent plus
que d'un marché 8. C'est le « relatif répit », dont jouit le Haut-Languedoc
de 1391 à 1415 environ 9, qui favorisa l'essor des foires d'Avignonet et de
Castelnaudary. Une enquête de 1411 sur les péages du Toulousain montre
qu'on transportait de la laine de Toulouse jusqu'aux foires, relativement

1. Arch. de l'Hérault, A 241 Pacotte XI, ff. 44-53. Il était prévu un marché
pour le jeudi. Les trois foires étaient fixées au troisième jour avant la Saint-André
apôtre, au 3 mai et au cinquième jour avant l'Assomption. On pourrait exporter les
draps achetés en foire, à l'exception des draps blancs ; toutes les monnaies d'or et
d'argent de bon aloi seraient reçues. Le juge mage de la sénéchaussée de Beaucaire et le
viguier de Villeneuve et de Saint-André étaient institués conservateurs des privilèges.
2. Akch. de l'Hérault, A 6, f. 227.
3. Arch. de Pézenas, n° 540.
n° 538).
4. Au témoignage des gens de Caux plaidant pour leur foire (Arch. de Pézenas,
5. Ibid.
6. Ordon., t. III, p. 73-79.
7. Elles étaient placées au jeudi avant les Rameaux, à la fête des Saints Simon et
Jude, au lendemain de l'Assomption. On garantissait qu'il ne serait pas toléré d'autre
foire à moins de deux lieues à la ronde (Ordon., t. XIV, p. 5-7 ; 106-109).
8. Ordon., t. V, p. 5-7.
9. P. Wolff, op. cit., p. 49 et 50.

254
FOIRES EN LANGUEDOC

peu éloignées, de Moissac et d'Agen, de Muret, de Mazères et de Pamiers,


de Castelnaudary et d'Avignonet 4 Certaines de ces foires, celles de
Castelnaudary, d'Avignonet et de Pamiers notamment, contribuaient
au ravitaillement en étoffes des drapiers toulousains 2. C'étaient là
cependant des foires locales dont le rayonnement restait limité 3.
Les grandes foires de Pézenas et de Montagnac subirent sans trop de
mal le contre-coup des troubles politiques et sociaux des premières années
du xve siècle, car elles continuèrent de bénéficier de la sollicitude du roi
et de ses représentants en Languedoc. Les deux localités ne cessaient
de se préoccuper d'accroître leur capital le plus précieux, leurs chartes
de privilèges, scellées de cire verte avec lacets de soie verte et rouge,
las marcals, comme on disait à Montagnac 4. Aux lettres de Charles VI
et de Charles VII 6 s'en ajoutèrent plus tard de Louis XI (janvier 1462
et 10 février 1471) e, de Charles VIII (novembre 1484-janvier 1485) 7
et de Louis XII (novembre 1498-juillet 1499) 8. Plus précisément, Pézenas
et Montagnac obtinrent la protection au moins verbale des autorités
contre les violences des gens de guerre 9 et surtout le fréquent
renouvellement des garanties traditionnelles à l'égard des marques et des
obligations rigoureuses 10. Parfois, et pour un temps plus ou moins long, on

1. P. Wolff, op. cit., p. 245 et 246, d'après Авен, de Toulouse» AA II 2.


2. P. Wolff, op. cit., p. 256.
3. Ces foires recevaient, elles aussi, la visite des exécuteurs de marques : deux
« saumées » de vases de verre furent saisies à la foire de Castelnaudary en vertu de la
marque de Jean Julia contre les Aragonais (Bibl. de Montpellier, Procès-Verbal de
la marque de Catalogne, ms. V. 9467, allocation au droit des marques du 18 novembre
1439, f° 18).
Des lettres de Louis XI (mai 1463) accordèrent trois foires à Avignonet, à la Saint-
Luc evangeliste, date traditionnelle, au premier dimanche de carême et à l'Ascension.
Il n'y aurait pas d'autres foire ou marché à moins de trois lieues. Les consuls étaient
juges et conservateurs des privilèges. Les visiteurs, exempts de tout impôt, ne
pourraient être inquiétés pour des obligations antérieures, les engagements pris en foire
seraient rigoureusement exécutés (Ordon., t. XV, p. 657-662).
4. Fonds de Montagnac, liasse 9, n° 58 bis.
5. Pour Montagnac, cf. Ordon., t. XIX, p. 621-630 ; pour Pézenas, cf. Авен, de
Pézenas, n°s 314, 327, 338.
6. Fonds de Montagnac, liasse 9, n° 58 et 68 ; Авен, de Pézenas, n° 357, 364, 366.
7. Fonds de Montagnac, liasse 9, n08 65 et 68 ; Ordon., loc. cit. ; Arch. de Pézenas,
n° 372.
8. Fonds de Montagnac et Ordon., ibid. ; Arch, de Pézenas, n° 377.
9. Cf. diverses lettres du comte de Foix qui s'échelonnent de 1419 à 1435 (Авен.
de l'Hérault, A 10, ff. 26v., 59v., 166, 232v., 279 v. ; fonds de Montagnac, n08 39
et 41. Voir aussi une déclaration du capitaine du château de Cabrières, Jean de Lupiac,
affichant ses bonnes intentions à l'égard des marchands (Arch, de Pézenas, n° 337).
En fait, les gens de Cabrières se livrèrent, comme les autres, aux pires méfaits (cf. Bibl.
de Montpellier, Procès- Verbal de la marque de Catalogne, V 9467, ff. 51v., 69, 73,
84, 109v. et 110).
10. Cf. des lettres de Charles VII, de février et de mars 1437 (Ordon., loc. cit. ; Arch,
de l'Hérault, A II, f. 55v. ; Fonds de Montagnac, n° 46). Pour Montagnac, il existe
une série de lettres d'immunité de Guillaume de Champeaux, évêque de Laon et
général des finances en Languedoc (1434-1440) qui énumèrent, comme clients réguliers des
foires, Provençaux, Catalans, Piémontais et Savoyards (fonds de Montagnac, liasse 9»
n°s 42, 43, 45, 47, 48 et 49).

255
ANNALES

prenait des mesures générales. C'est ainsi qu'en 1434 de nombreuses


marques ayant été délivrées contre les Catalans, les Génois, les Florentins,
les Piémontais et les Vénitiens, leur exécution nuisait grandement au
port d'Aigues-Mortes comme aux foires de Pézenas et de Montagnac.
Les gens ne savaient plus à qui vendre leurs draps et le pays était appauvri
d'or et d'argent. Aussi les Etats du Languedoc réunis à Vienne réclamèrent-
ils une suspension des marques pendant six ou sept ans : on en profiterait
pour mettre sur pied un règlement amiable, comme on l'avait déjà souvent
fait. Le roi accorda seulement un sursis de deux ans (23 avril 1434) que
Guillaume de Champeaux, général des finances en Languedoc, notifia
à tous les officiers et justiciers du royaume К Un peu plus tard on prit
l'habitude de concéder chaque année à Pézenas et à Montagnac des lettres
au texte à peu près immobilisé 2 : elles avaient pour objet d'assurer la
protection royale contre les gens d'armes et de trait et contre les marques
frappant les étrangers, et spécialement les Aragonais et les Provençaux.
Les infractions étaient justiciables des généraux sur le fait de la justice
et, après 1443, du Parlement de Toulouse 8.
Ces documents officiels étaient destinés à la plus large diffusion et
l'une des fonctions essentielles des consuls de Pézenas et de Montagnac
était de l'assurer. Ils envoyaient l'un d'eux ou quelque officier municipal,
— parfois l'un et l'autre, — dans les principales villes marchandes
solliciter des autorités locales la criée des privilèges des foires. Nombre de
pièces du fonds de Montagnac portent au verso l'attestation notariée de
la publication qui en a été faite. On y relève les noms de Montpellier, de
Pont-Saint-Esprit et surtout d'Avignon qui occupe, et de loin, la
première place *. Ce rôle majeur d'Avignon ressort aussi des comptes
consulaires de Montagnac (1422-1460), qui mentionnent en outre Beaucaire,
Tarascon, Arles, Aix-en-Provence, Béziers, Perpignan, Carcassonne,
Castelnaudary et Toulouse 6.
L'adhésion des Biterrois au parti bourguignon leur valut le transfert
à Béziers, en 1418, des trois foires de Pézenas e — on a la preuve que la

1. Авен, de l'Hérault, A 10, f. 271 v. ; fonds de Montagnac, liasse 9, n° 44.


2. Le début se retrouve toujours identique : « II est venu à notre connaissance... »
3. Arch, de l'Hérault, A II, ff. 279v., 283v., 302v. ; A 12, ff. 109v., 181, 220v.
4. Fonds de Montagnac, liasse 9. Pour Montpellier, n° 47 ; — pour Pont-Saint-Esprit
n°B 47, 52, 53 ; — pour Avignon, n°e 78, 47, 51, 52, 53, 56, 59, 80. Cette dernière ville
apparaît en 1429, se retrouve en 1438, 1446, 1450, 1452, 1455 et 1462, puis en 1477 et
régulièrement, souvent deux fois l'an, de 1480 à 1486, enfin en 1498 et 1499. La criée,
ordonnée par les juges de la Cour temporelle, rapportait à la fin du siècle : 6 gros au
précon, 12 au notaire ; le clerc du notaire pour son vin avait droit à 12 deniers.
5. A. Vidal, « Comptes consulaires de Montagnac », in Ann. du Midi, 17e ann.
(1905), p. 517-534 et 18e ann. (1906), p. 69-80 et 196-208. Voir aussi deux lettres des
Montagnacois aux pareurs de Perpignan du 4 mars 1470 et du 15 mars 1480, Rev. des
Lang, romanes, t. IV, 1873, p. 259 et 260.
6. Déjà Charles VI avait confirmé les lettres de Philippe VI créant une foire à la
Saint-François et il en avait porté la durée à sept jours (28 août 1407 [A. Soucaille,
op. cit., p. 69 et n.2]).1 Le transfert fut décidé par Louis de Chalon, comte de Genève

256
FOIRES EN LANGUEDOC

foire de la Toussaint 1418 fut effectivement tenue à Béziers * — mais


très vite le dauphin rendit leurs foires aux Piscenois 2. Quant aux foires
de Montagnac, elles semblent avoir eu lieu tous les ans, sauf peut-être en
1418 8 : les comptes des clavaires de l'année 1436-1437, les comptes
consulaires qui, avec des lacunes, couvrent la période 1422-1460, témoignent de
l'importance qu'elles gardent durant cette période troublée *. Les malheurs
du temps ne nuisaient pas trop aux réjouissances populaires : à la Saint-
André, la fête du Jouven ou de la jeunesse attirait à Montagnac jeunes
hommes et jeunes filles de la région. On s'amusait trois jours, parfois quatre*.
La fin de la guerre anglaise fut marquée par une nouvelle série de
créations de foires : la royauté entendait contribuer ainsi au relèvement
économique e. On notera l'ouverture d'une enquête sur l'institution de
deux foires à Viviers, en Vivarais (1428) 7, d'un marché et de deux foires
à Sumène, au pied des Cévennes (1431) 8. En 1434, le roi ordonna une
information sur la création de deux foires à Aies, l'une à la Saint-Georges
(23 avril), l'autre à la Sainte-Eulalie (10 décembre) ». Peu après, la date
de la première était changée : il s'agissait désormais de la
Saint-Dominique l0. L'opposition d'une localité voisine, Saint-Ambroix, qui
bénéficiait depuis 1363 d'un marché et de deux foires, ne put empêcher
l'institution définitive des foires d'Alès en décembre 1439 u. Mais l'insécurité
des routes qui gênait les relations avec Paris retarda jusqu'en 1446 au
moins l'entrée en vigueur de la décision royale. Aies eut alors deux foires
de huit jours et en outre deux retours de foire de quatre jours, à partir
du 24 août et du 17 janvier 12. Les draps ne tenaient à Aies qu'une place

(juillet 1418 [Arch. de Pézenas, n° 417 ; Ordon., t. XII, p. 260"J). Des lettres royaux
du 8 août fixent au 28 du même mois l'ouverture de la première foire transférée (A. Sou-
caille, op. cit., p. 70 et n. 1).
1. M. Gouron, art. cit., p. 62.
2. Par ses lettres du 14 juillet 1419 (Arch. de Pézenas, n° 424). Dès le 9 mai 1419,
le châtelain de Pézenas faisait publier à Avignon la foire de Pentecôte (Ibid., n° 323).
Béziers résista et fit durer le procès plusieurs années (Ibid., nos 423 à 445).
3. Cf. lettres du comte de Foix du 6 décembre 1419 (fonds de Montagnac, liasse 0,
n° 89).
4. A. Vidal, « Comptes des clavaires de Montagnac », in Rev. des Lang, romanes,
t. 49 (1906), p. 64-86 et 302-320 ; t. 50 (1907), p. 49-67 ; — « Comptes consulaires de
Montagnac » (cf. n. 2).
5. Voir A. Vidal, « Introduction aux comptes des clavaires » (Rev. des Lang,
romanes, t. 49, p. 62 et 63).
6. Ce sont par « les foires et marchés que les pays s'enrichissent et les terres engres-
eent » (cité par R. Gandilhon, op. cit., p. 217).
7. J. Régne, Histoire du Vivarais, Privas, 1921, t. II, p. 295. Ce n'est qu'en 1500
que les foires de Viviers furent créées.
8. Sumène, arr. du Vigan, Gard (Arch, de l'Hérault, A 10 f. 199v.)
9. La Chambre des Comptes, alors à Bourges, devait vérifier s'il n'existait pas
d'autres foires contemporaines à moins de quatre lieues (Arch. db l'Hérault, AlO,
f. 316).
10. Ibid., A 12, f. 41.
11. Ibid. Cf. aussi A. Bardon, Histoire de la ville ďAlais, de 1341 à 1461, Nîmes,
1896, p. 224 et 225.
12. A. Bardon, op. cit., p. 225.

257

Annales (13* année, avril-juin 1958, n° 2) 4


ANNALES

restreinte, la primauté de Pézenas et de Montagnac demeurant


incontestée J.
La politique de Louis XI fit sentir ses effets ici comme en d'autres
domaines. Pour des raisons fiscales autant que commerciales, on
multiplia concessions et confirmations de privilèges, et singulièrement de
marchés et de foires 2. C'est ainsi que nombre de foires locales et régionales
furent créées en Languedoc, par exemple deux foires et deux arrière-
foires à Sommières (mars 1464) 3, trois à Puylaurens (juillet 1464) *, deux
à Tournon (mars 1469) 6, deux aux Vans (août 1473) e. C'est à ce moment-
là aussi que, grâce à une ruse, naquit la foire de Beaucaire : en glissant
dans la liste des franchises de cette ville que, moyennant finances, ils
faisaient confirmer par le roi la mention d'une foire qui n'avait jamais
été tenue, les consuls lui firent donner existence légale (mars 1464) 7.
Des lettres de Louis XI du 9 juin 1467, relatives à l'exemption des péages
et des leudes dont bénéficiaient les Beaucairois, parlaient de la foire de la
Madeleine et des trois jours suivants 8. En 1468 Beaucaire prétendait
tenir de la concession royale non pas une foire, mais deux, de huit ou dix
jours chacune, et c'étaient des foires générales, comme celles de Lyon.
Mais Pézenas et Montagnac veillaient, et le Parlement de Toulouse eut à
connaître du conflit 9. Après une enquête ordonnée par le trésorier
général du Languedoc, des lettres du 10 février 1471 consacrèrent le triomphe
de Pézenas et de Montagnac en interdisant l'institution de foires générales
à trente iieues à la ronde l0. Triomphe éphémère, car la foire de Beaucaire
put assez vite s'affirmer et durer. Elle fut confirmée par Charles VIII

1. Le 10 novembre 1441 un drapier vend à Aies du drap de Perpignan qu'il s'était


procuré à la foire de Pézenas (A. Bardon, op. cit., p. 304 et Doc. just. n° XL VII et
p. cxn).
2. R. Gandilhon, op. cit., p. 217-239.
3. Sommières (Gard) (Авен, de l'Hérault, A 241 Pacotte ' XI, f° 90). Voir
I. Gaussen, Considérations sur les foires et les marchés de Sommières en Languedoc,
depuis leurs origines jusqu'à la Révolution, Nimes, 1924, p. 231-245).
4. Puylaurens (Tarn [Ordon., t. XVI, p. 223-224]).
5. Tournon (Ardèche [Ordon., t. XVII, p. 206-207]).
6. Les Vans (Ardèche [Ordon., t. XVII, p. 588 et 589]).
7. On se contentera de renvoyer à une pénétrante étude de M. J. Sablou,
archiviste du Gard, à paraître in Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du
Roussillon. XXXe et XXXIe Congrès — Sète-Beaucaire (1956-1959), Montpellier, 1958.
8. Arch, de l'Hérault, A 13, f. 145.
9. Cf. lettres de Louis XI, du 9 août 1470, Arch, de l'Hérault, A 13, f. 320.
10. Cf. Fonds de Montagnac, liasse 9, n° 68; Arch, de Pézenas, nos 365-366. Le
roi rappelait que d'autres villes avaient vainement tenté d'avoir des foires, entendons
des foires générales, comme Béziers, Lunel, Nîmes, Aies, Millau et Avignon. — Millau
avait obtenu de Charles VII trois foires franches de six jours (cf. J. Artières, Millau
à travers les siècles, Millau, 1943, p. 109). — Dans les premiers mois de 1425, le roi et
le Parlement de Toulouse interdisaient aux marchands du royaume de fréquenter la
foire d'Avignon (Arch, de l'Hérault, 49, f° 154v. ; Arch, de Pézenas, n° 544 et
545). Au même moment, le roi donnait aux consuls de Pézenas et de Montagnac le
droit de prolonger les foires en cas de besoin (Arch, de Pézenas, n° 364).

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FOIRES EN LANGUEDOC

(janvier 1484) et par Louis XII (avril 1499) * et un mandement du Corps


municipal de la ville en date du 21 juillet 1499 montre qu'alors la foire de
la Madeleine et des trois jours consécutifs était régulièrement tenue 8.
A la fin du xvie siècle et au début du xvne, Pézenas et Montagnac purent
seulement empêcher l'établissement d'une seconde foire 8. En liaison
avec Marseille devenue française depuis 1481, la foire de Beaucaire fut
promptement la grande pourvoyeuse d'épices du royaume.
La garantie royale, plusieurs fois renouvelée, par Charles IX et
Henri III entre autres, permit à Pézenas et à Montagnac de combattre
efficacement la concurrence de Carcassonne 4 et de Montpellier 6. Mais on
continua de créer des foires locales et régionales ; à la requête des Etats
de Languedoc, Charles VIII proclama le 12 mai 1488 que toutes les
localités à qui on avait octroyé des foires pourraient les tenir, à la condition
qu'il n'y eût pas deux foires le même jour e.
Il a été depuis quelques années souvent répété que le déclin des foires
de Champagne, sensible au début du xive siècle, avait amorcé un
changement radical de la pratique commerciale : dès lors c'étaient les grandes
villes, principaux centres de consommation, qui concentraient l'essentiel
des échanges ; et de citer le Paris des Valois et l'Avignon des papes. Il
n'a peut-être pas été assez remarqué que, en Languedoc, c'est précisément
dans la dernière période du moyen âge que les foires, et notamment les
foires drapières, avaient pris tout leur développement. Une grande partie
des draps de cette région étaient destinés à l'Italie du Sud et au Levant
et les exportateurs, Narbonnais, Montpelliérains, Marseillais avaient un
intérêt évident à trouver en des lieux aisément accessibles et à des époques
connues d'avance un ravitaillement à la fois abondant et varié 7.

Jean Combes.

p. 53
1. et
T. 54.
Fassin, Essai historique et juridique sur la foire de Beaucaire, Aix, 1900,
2. Arch, de l'Hérault, A 238 Pacotte IX, p. 13 et suiv.
8. Arch, de Pézenas, nos 484-497.
4. Carcassonne avait obtenu deux foires de Charles VIII (octobre 1485) : la riposte
de Pézenas et de Montagnac fut prompte et efficace (Arch, de Pézenas, n08 517-523).
5. Sur le long conflit avec Montpellier depuis la création de deux foires par le même
Charles VIII (mars 1488) jusqu'au début du xvne siècle, cf. Arch, de Pézenas, noe 446-
481 ; A. Germain, op. cit., t. II, p. 57-61.
6. Arch, de l'Hérault, A 17, f. 126v.
7. Jacques Cœur avait un établissement à Pézenas (cf. L. Guiraud, Recherches et
conclusions nouvelles sur le prétendu rôle de Jacques Cœur, 1900, p. 62 et n. 2). Il fut
accusé d'avoir, quoique officier royal, pris une participation dana la ferme des foires
de Pézenas et de Montagnac et d'avoir par son influence réussi à la faire adjuger à bas
prix. Bien plus, en 1441, alors qu'il l'avait eue pour 9 550 livres, il la compta 12 000 livres
à ses associés (cf. M. Mollat, Les affaires de Jacques Cœur. Journal du Procureur
Dauvet, t. I, p. 10 et 11, ff. 5v. et 6). En avril 1454, les quatre galées de l'Argentier
furent mises en adjudication à la foire de Montagnac (ibid., p. 184, f. 150v.).

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