Escolar Documentos
Profissional Documentos
Cultura Documentos
Dans ce texte fondateur de il~ théorie fémi- sexuel et d e ceux de Lacan sur la « phase du
1iste du_· c~ém _a (publié en 1_975Î, et dont nous 1 miroir » dans la constitution du moi, Mu lvey
~e13rodttrsom,un large extrait, Mu lvey pose les l mor;itre comment le d ispositif cinématographique
jalons de ce qui va constituer un des plus . reproduit et renforc e ces processus par son
grands axes méthodologiques d e ces études : organisation complexe des regards (émanan t de
l'utilisation de la psychanalys e pour démontrer · trois sources : Cê_méra, personnages et specta - '
comment l' insconscient de la sociét é patriarcal e -~ teurs). Elle souligne aussi l'a spect contradictoire
· structure la forme filmique mêm er Avant d'a bor- d es plaisirs du regard ainsi mis en œuvre, con-
der sein argument central, que nous présentons tradiction causée, d ' une part , par la dich oto mi e
ci-dessous, Mulvey justifie son utilisation de entre voyeurisme ' (qui implique une séparation
cette discipline qui, pour elle, permet de com- entre sujet et objet du regard) et identific at ion
prendre la fonction de la femm e dans l'ordre (qui impl ique une fusion des deux) . D'autre par't,
symbolique patriarcal. S'inspirant des travaux de elle montre comment la tension, rec onnu e pa r
Freud sur l'importance de la scopophilie (le plai -"":\ Freud, entre le plaisir de r_ egarder et le « dan-
sir de regarder) dan s la formation de l'instinct j ger » que cela représent e par l'évocation du
17
)J
20 ans de théories f éministes sur le cinéma
La femme comme image, l'homme festée dans le cinéma narratif; on voit ainsi
comme porteur du regard apparaître ce que Molly Haskell appelle « les
films de copains » où l'érotisme homosexue l
f
r
1
A. Dans un monde gouverné par l'inéga-
L
leur apparence est codée pour produire u~ permet l'unification technique de ces deux
fort impact visuel et érotique qui connote regards sans apparente rupture de la diégèse .
.J< le-fait-d .'être-regardé ». La femme exhibée Une femme s'offre en spectacle à l'intérieur
comme objet sexuel est Je leitmotiv du spec- du récit ; le regard du spectateur et celui du
tacle érotique : des pin-ups au strip -tease, de personnage masculin du film se combinent
Ziegfeld à Busby Berkeley, c'est sur elle que habilement sans rompre la vraisemblance du
le regard s'arrête, son jeu s'adresse au désir { récit. Pendant un instant, l'impact sexuel de
masculin qu'elle signifie. Les films commer- l' actrice sur scène transporte le film dans un
ciaux savent fort bien combiner spectacle et « no ·man's land », en dehors de son propre
récit (il faut noter, cependant, que dans la · temps et de son propre espace. Voyez la pre-
comédie musicale les numéros chantés et dan- mière apparition de Marilyn Monroe dans
sés rompent le déroulement de l'action). La River of No Return (Rivière sans retour, Otto
présence de la fe_mme est un élément de spec- Preminger) et les chansons de Lauren Bacall
tacle indispensable aux films narratifs stan- dans To Have and Have Not (Le port de
dards. Pourtant sa présence visuelle tend à l'angoisse, Howard Hawks) . De la même
/ empêcher le développement de l'intrigue, à façon, les gros plans sur les jambes (Dietrich,
suspendre le cours de l'action en des instants par exemple) et le visage (Garbo) sont une
de contemplation érotique . Cette présence
« étrangère » doit alors être intégrée de façon
j \ cohérente à l'histoire. Voici ce que dit le réa-
J convention qui intègre un mode différent
d'érotisme au récit. Quand on pré sente un
corps en fragments on détruit l'espace codi-
~ lisateur Budd Boetticher : « Ce qui compte fié depuis la Renaissance ainsi que l'illusion
c 'est ce que l'héroïne provoque, ou plutôt ce \ de profondeur nécessaire à tout récit. L'image
Î! qu'elle représente. C 'est elle, ou plutôt \ sur l'écran en devient plate, comme celle des
l'amour ou la peur qu'elle suscite chez le l découpages de papier ou des icônes, perdant
\ héros, ou bien l'intérêt qu'il éprouve à son ; toute ressemblance avec la réalité.
\ égard, qui le pou sse à l'action. En elle-même, \ __
\. la femme n'a pas la moindre importance. »
'--- (Une tendance à se débarrasser complète - B. Une même division hétéro sexuelle
ment de ce problème s'est récemment mani - du travail entre fonction active et passive
18
Plaisir visuel et cinéma narratif
19
r 20 ans de théories féministes sur le cinéma
20
Plaisir visuel et cinéma narratif
ment s produisent un champ visuel réduit. Le lieu en l' abse nce de l' homme qu'elle aime
regard ne passe pra ti quement pas par la dans la fict ion . Il y a d 'a utr es témoins ,
médiation des yeux du héros. Au cont rai re, d'autres spectate ur s qui la regardent dan s le
des présences un peu falotes, comme cellès de film ; leur regard ne fait qu ' un avec celui du
La Bessière dans Morocco (Cœurs brûlés), publ ic plutôt qu e d'en être le substitut. A la
avec lesqu elles le spectate ur ne peut s'identi- fin de Morocco, To m Brown a déjà disparu
fier, servent de ·sub stitut au metteu r en scène. dan s le désert qu and Am y Jolly enlève ses
Malgré l'insistance avec laquelle Ste rnb erg sandales dorées .et le suit à la marc he. A la
affir me que les histoires qu'il raconte n'on t fin de Dishonor ed (Agent X 27), Kranau est
aucun e imp ort ance , il est signifi cat if qu e ses indiffé rent au destin de Magd a. Dan s les deux
récits traitent d'une · situation plutôt que de cas, l'i mpa ct érot ique , sanc tifié par la mort,
reposer sur le suspens e et possèdent une tem- est offert en spectacle au publ ic. Le héro s ne
pora lité cyclique plutôt que linéai re, tandis comprend pas et, surtout, ne voit pa s.
que les comp lication s des intri gues sont le En revanche, chez Hitchcock, le héros vo it
résultat d'un malentendu plutôt que d'un con- très précisément ce que le publi c vo it. Bien
flit. Le gra nd absent, c'est le regard domi - que la fa scina tion pour une image perçue par
nant de l'homme au sein de la scène de le biais de l'éro tisme scopop hilique puisse être
l'écran. Le paroxysme du drame émotionnel le sujet du film, c'es t au héros qu'il imcomb e
dans les films les plus typiques de Mariene d 'incarner les contr adictions et la tension res-
Dietric h, les mom ents où la signification éro- senties par le spectateur . Dans Vertigo (Sueurs
'tique de cette dernière est la plus chargée, ont froides) en particulier, mai s aussi dans Mamie
21
20 ans de théories féministes sur le cinéma
r Lorsqu'elle franchit la barrière entre sa cham-
On trouve facilement des bre et le bâtiment d'en face, leur relation
illustrations de ces contradictions et retrouve une dimension érotique. Il ne se con-
de ces ambiguïtés dans l'œuvre tente pas de la regarder à travers son objec-
tif, comme une lointaine image chargée de
d'Hitchcock et de Sternberg, qui \ sens, il la voit aussi comme une intruse cou-
ont tous deux pratiquement fait du pable, confondue par un homme dangereux
regard le contenu ou le suj et d'un qui menace de la punir, ce qui lui fournit en
bon nombre de leurs films. fin de compte une chance de la sauver.
L'exhibitionnisme de Lisa nous avait déjà été
communiqué par son obfession pour les vête-
ments et la mode, par son désir de faire
d'elle-même une image pas sive de perfection
(Pas de printemps pour Marnie) et dans Rear plastique . Quant au voyeurisme et à l'activité
Window (Fenêtre sur cour), le regard est un de « spectateur professionnel » de Jeffries, ils
élément central de l'intrigue ; il oscille entre avaient aussi été établis par son travail de
voyeurisme et fascination fétichiste. Hitchcock journaliste-reporter : c'est un raconteur d'his-
n'a jamais caché son intérêt pour Je voyeu- toire\et un chasseur d'images. Cependant son
risme au cinéma et ailleurs. Ses héros sont des inactivité forcée Je cloue à son fauteuil
parangons de l'ordre symbolique et de la loi comme un spectateur de cinéma, et le met
- un policier (Vertigo), un homme domina- carrément dans la position fantasmat ique
teur qui possède arge nt et pouvoir (Marnie) occupée par Je public .
- mais leurs pulsions érotiques les mettent Dans Vertigo, la prise de vue subjective
dan s des situations compromettantes. Le pou- domine. Mis à part un fla sh-back du point
voir de soumettre autrui à sa volonté de vue de Judy, le récit s'élabore autour de
(sadisme) ou à son regard (voyeurisme) prend, ce que Scottie voit ou ne voit pas. C'est pré-
dans les deux cas, la femme comme objet. Le cisément de son point de vue que le public
pouvoir s'appuie sur l'assurance du bon droit voit croître son obsession et le désespoir qui
et sur la culpabilité établie de la femme (qui en résulte. Le voyeur isme de Scottie est fla-
évoque lg castration d'un point de vue grant : il tombe amoureux d'une femme qu' il
psychanalytique). Une véritable perversion se suit et qu'il épie sans jamais lui parler. Son
cache à peine sous un léger masque de cor- côté sadique n'est pas moins flagrant : il a
rection idéologique : l'homme est du bon côté choisi (et de son plein gré, après avoir connu
de la loi, la femme du mauvais. L'utilisation la réussite comme avocat) de devenir policier,
habile des processus d'identification chez avec toutes les possibilité s de poursuites et
Hitchcock, et son recours fréquent à la d'enquêtes que recèle la profession. Le résul-
caméra subjective qui exprime le point de vue tat est qu'il prend en filature et surveille une
du héros entraînent les spectateurs au cceur représentation parfaite de la beauté et du
de la position de ce dernier et leur font par- mystère de la féminit é, dont il tombe amou-
tager son regard gêné. Le spectateur est reux. Après sa confrontation avec elle, sa pul-
plongé dans une situation de voyeurisme au sion érotique le pousse à la détruire et à
sein de la scène de l'écran et de la diégèse, l'obliger à parler en lui faisant subir un inter-
ce qui parod ie sa prop re situation de voyeur rogatoire en règle.
dans la salle de cinéma . ~ Dans la seconde partie du film, il recons-
Dans son ana lyse de Rear Window, Jean titue son intérêt obsessionnel pour l'image
Douchet voit le film comme une métaphore qu'i l aimait observer en secret. Il reconstruit
du cinéma. Jeffries est le public, les événe- Judy pour en faire Madeleine, la forçant à
ments qui se déroulent dans l'appartement reproduire les moindres détails de l'apparence
d 'en face correspondent à l'écran. Quand il physique de son fétiche. L'exhibitionnisme et
épie par la fenêtre, son regard, élément cen- le masochisme de Judy en font le contrepoint
tral du drame, en acquiert une dimension éro- idéal (passif) du voyeurisme sadique (actif) de
tique. Tant qu'e lle restait du côté du specta- Scottie. Elle sait que son rôle c'est de s'offrir
teur, son amie Lisa l'ennuyait, il n'é prouv ait en spectacle - que c'est seulement en jouant
qu'un faible désir sexuel à son égard. ce rôle jusqu'au bout et, ensuite, en le re-
22
Plaisir visuel et cinéma narratif
23