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Arabic Sciences and Philosophy, vol. 22 (2012) pp.

1–50
doi:10.1017/S0957423911000087 © 2012 Cambridge University Press

L’ANGLE DE CONTINGENCE: UN PROBLÈME DE


PHILOSOPHIE DES MATHÉMATIQUES

ROSHDI RASHED
Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité, SPHERE, UMR 7219, CNRS,
5 rue Thomas Mann, Bâtiment Condorcet, Case 7093,
F-75205 Paris Cedex 13, France
Email: rashed@univ-paris-diderot.fr

Abstract. From Euclid to the second half of the 17th century, mathematicians as well
as philosophers continued to raise the question of the angle of contact and, generally,
of the concept of angle. This article is the first essay devoted to this subject in Arabic
mathematics. It deals with Greek writings translated into Arabic on the one hand,
and contributions of Arabic mathematicians on the other hand: al-Nayrīzī, Ibn
al-Haytham, al-Samawʾal, al-Shīrāzī, al-Fārisī, al-Qūshjī, among others. Most of
these contributions are hitherto unknown.

Résumé. Depuis Euclide jusque tard dans le XVIIe siècle, mathématiciens et philo-
sophes n’ont cessé de s’interroger sur l’angle de contingence et, plus généralement,
sur la notion d’angle. Cet article est le premier essai où sont examinés les écrits
grecs portant sur ce thème et transmis en arabe, ainsi que les nombreux travaux,
pour la plupart jusqu’ici inconnus, des mathématiciens arabes eux-mêmes:
al-Nayrīzī, Ibn al-Haytham, al-Samawʾal, al-Shīrāzī, al-Fārisī, al-Qūshjī, entre autres.

INTRODUCTION*

Parmi les problèmes des mathématiques anciennes et classiques que les


mathématiciens et les philosophes ont partagés figurent notamment
la quadrature du cercle, l’asymptote à une hyperbole, l’angle mixtiligne
et l’angle de contingence. Jusqu’à la première moitié du XVIIe siècle,
on n’avait cessé d’en discuter; ainsi un mathématicien-philosophe, le
Père Mersenne, évoque ces deux derniers problèmes, à côté de la dupli-
cation du cube, comme exemples de ces problèmes traités par les
mathématiciens et les philosophes, dans son livre de 1625: La vérité des
sciences.1 Ces problèmes, comme beaucoup d’autres rencontrés en

*
Cette étude fait partie d’un livre intitulé L’angle de contingence dans les traditions grecque et
arabe, en préparation. On y trouvera l’édition critique et la traduction de tous les textes
évoqués.
1
Marin Mersenne, La vérité des sciences (Paris, 1625), p. 859 sqq. Après avoir rappelé la
définition de l’angle de contingence, il écrit: “Néanmoins quelques-uns ne veulent pas accor-
der que l’espace qui est entre la tangente et le cercle soit un angle, c’est pourquoi Viète
2 ROSHDI RASHED

histoire des mathématiques, représentent une situation particulière: un


décalage et une inadéquation entre le phénomène étudié et les moyens
mathématiques disponibles, qui exigent, et non seulement suscitent,
une élucidation philosophique de la part du mathématicien lui-même
et aussi de la part de certains philosophes. Avec la quadrature du cercle,
depuis Hippocrate de Chios et les écrits d’Aristote, on voit se développer
un thème de réflexion mathématico-philosophique autour de la notion
d’existence en mathématiques et de ses rapports avec celle de
constructibilité.2 Le problème de l’asymptote à une hyperbole porte sur
le comportement asymptotique, dont la description exigeait l’introduc-
tion de l’infiniment petit avant que soit inventé le calcul différentiel. Il
conduit à poser la question philosophique des propositions vraies, puis-
que rigoureusement démontrées, dont les objets sont conçus par l’enten-
dement mais inaccessibles à l’imagination (Géminus, Proclus, al-Sijzī,
Maïmonide, etc.3 ). Autrement dit, il s’agit du problème des rapports
entre démonstration et imagination, dont on connaît toute l’importance
pour la philosophie du XVIIe siècle. Le problème de l’angle rectiligne, de
l’angle mixtiligne, et notamment de l’angle de contingence, confronte le
mathématicien à la double question: ces deux angles sont-ils d’un
même genre? sont-ils des grandeurs, et de quelle nature? Pendant deux
millénaires au moins, les mathématiciens ont manqué des vrais moyens
d’y répondre – il aurait fallu pour cela savoir étudier la notion de contact
des courbes, mesurer la courbure et ordonner les infiniment petits; et,
même s’ils ont amorcé quelques tentatives en ce sens, il a fallu attendre
Newton et ses successeurs, notamment Jacques Bernoulli, pour que
soit esquissée une première solution,4 laquelle est aujourd’hui un

conclut au huitième livre de ses réponses mathématiques chapitre treize que l’angle du
demi-cercle n’étant pas obtus, ni aigu, qu’il semble être droit, et par conséquent que ce
qui reste, c’est-à-dire ce qu’on appelle angle de contingence, ϰερατοειδὴς, n’a aucune
quantité, et que c’est seulement un angle imaginaire, γωνία εἰϰονιϰή, d’autant qu’il n’est
mesuré par aucune circonférence [. . .]” (ibid., pp. 866–7).
2
R. Rashed, Les mathématiques infinitésimales du IXe au XIe siècle, vol. IV: Méthodes
géométriques, transformations ponctuelles et philosophie des mathématiques (Londres,
2002) et “L’analyse et la synthèse selon Ibn al-Haytham”, dans R. Rashed (éd.)
Mathématiques et philosophie de l’Antiquité à l’âge classique. Études en hommage à Jules
Vuillemin (Paris, 1991), pp. 131–62.
3
R. Rashed, Œuvre mathématique d’al-Sijzī. Volume I: Géométrie des coniques et théorie des
nombres au Xe siècle, Les Cahiers du Mideo 3 (Louvain-Paris, 2004), pp. 93–104 et 294–309.
4
Newton étudie à plusieurs reprises l’angle de contact que les courbes définies par les
équations y = kxα font avec l’axe des abscisses à l’origine. Il compare entre elles les diverses
ordonnées correspondant à la même abscisse. En d’autres termes, il ordonne les angles
suivant les valeurs de l’exposant α, et trouve ainsi ce qui devient plus tard l’ordre des infini-
ment petits. Il engage aussi la recherche sur la mesure de la courbure, que ses successeurs
continueront à développer. Voir notamment le problème 5 de “Methods of series and flux-
ions”, dans D. T. Whiteside (éd.), Mathematical Papers of Isaac Newton (Cambridge,
1969), vol. III: 1670–1673, pp. 150 sqq.; La méthode des fluxions et des suites infinies, traduit
par M. de Buffon (Paris, 1740; réimpr. 1966), p. 63 sqq.; voir également vol. I, pp. 83–7.
Newton étudie le problème dans les Principia Mathematica, livre I, section 1, scholie au
L’ANGLE DE CONTINGENCE 3
élément de tout un chapitre consacré à l’étude asymptotique des
fonctions. Durant toute cette période, les mathématiciens ne pouvaient
que mêler à la solution mathématique des réflexions de nature philoso-
phique, sur l’infini, la grandeur, la continuité, la nature de l’objet
angle, etc. Quant aux philosophes, ils devaient à leur tour affronter un
paradoxe: voici un objet, l’angle de contingence, qui aurait pu relever de
la catégorie de la quantité, mais qui cependant ne vérifie pas la
définition de la quantité. Fallait-il admettre qu’il relève de plusieurs
catégories à la fois – quantité, qualité, relation, position –, ou qu’il ne
réponde à aucune des catégories définies par Aristote? Que l’on
interprète les catégories d’Aristote dans un sens taxinomique ou
classificatoire,5 la question reste entière. Aristote lui-même évoque
l’angle mixtiligne, et non pas le cas particulier de l’angle de contingence,
en deux endroits au moins: les Seconds Analytiques6 et les
Météorologiques,7 ce qui a incité I. L. Heiberg à conjecturer que “l’usage
des angles mixtilignes a probablement joué un rôle plus grand dans la
géométrie pré-euclidienne avec laquelle Aristote était familier”.8 Les
commentateurs et les successeurs philosophes d’Aristote n’ont cessé de
s’interroger sur l’angle comme objet mathématique, même si certains –
Avicenne par exemple9 – évitaient de se compromettre dans les
discussions sur l’angle de contingence, qu’ils savaient, à l’époque, sans

lemme XI: “Dans toutes les courbes qui ont une courbure finie au point de contact, la sous-
tendante évanouissante d’un angle de contact est à la fin en raison doublée de la sousten-
dante de l’arc qu’elle termine” (Isaac Newton’s Philosophiae naturalis Principia
mathematica, éd. A. Koyré et I. B. Cohen [Cambridge, Mass., 1972], vol. I, p. 83; Principes
mathématiques de la philosophie naturelle, traduction de la Marquise du Chastellet
[Paris, 1966], p. 44). Voir aussi les lemmes prédédents, VI à IX. Notons que cette recherche
de Newton qui conclut tant d’études et de controverses sur l’angle de contingence est directe-
ment liée au calcul infinitésimal, qu’il fondait pendant les années 1664–1686.
5
D. Morrison, “The taxonomical interpretation of Aristotle’s Categories: A criticism”, dans P.
Anton (éd.), Essay in Ancient Greek Philosophy. Volume V: Aristotle’s Ontology (New York,
1992), pp. 19–46, à la p. 20.
6
Aristotle’s Prior and Posterior Analytics, A revised text with introduction and commentary
by W. D. Ross (Oxford, 1949), 41 b, 6–22; et le commentaire de Ross pp. 374–6.
7
Aristote, Météorologiques, 376 a 11–24 b 1, 4; De Memoria, 452 b 19–20.
8
Cité par W. D. Ross, Aristotle’s Prior and Posterior Analytics, p. 375 à partir de Abh. zur
Gesch. der Math. Wissenschaften, xviii (1904).
9
Avicenne n’évoque pas l’angle de contingence dans son mémoire sur l’angle, alors que dans
al-Shifāʾ, lors de la discussion de l’atomisme, il écrit: “Parmi leurs arguments (des
atomistes) l’existence d’un angle indivisible, celui qu’Euclide a posé le plus petit des
aigus” (al-Tabīʿiyyāt, 1. al-Samāʿ al-tabīʿī, éd. S. Zayed [Le Caire, 1983], livre III, p. 186).
˙
Dans son autre livre, al-Mubāhathāt, ˙ toujours à propos de l’atomisme et des arguments
des atomistes, il écrit: “Ils ont˙ établi une partie indivisible par des démonstrations . . .
parmi lesquelles la proposition du troisième livre d’Euclide dans laquelle il a montré l’exis-
tence d’un angle plus petit que tous les angles aigus rectilignes” (éd. M. Bīdārfar [Téhéran,
1413/1992], pp. 363–4).
Il reste qu’al-Shīrāzī, dans son traité Sur le mouvement du roulement, attribue à
Avicenne une étude fautive de l’angle de contingence. Cette étude ne figure dans aucun
des traités d’Avicenne sur l’angle que j’ai pu examiner (MS Istanbul, Yeni Cami 221, fol.
18r): “Fa-innahu lahu (Ibn Sīnā) maqāla fī al-zāwiya allatī bayna al-muhīt wa-al-mumāss”.
˙ ˙
4 ROSHDI RASHED

issue. Or ces discussions, et aussi ce silence, méritent d’autant plus l’at-


tention que l’angle et l’angle de contingence intervenaient dans l’argu-
mentation philosophique.10 Avec l’angle de contingence, on a combiné
deux notions complexes, encore non maîtrisées: l’infiniment petit et la
grandeur non-archimédienne, laquelle n’était pas encore conçue. À cela
s’ajoute une difficulté supplémentaire, de nature classificatoire: l’angle
de contingence, selon sa forme, n’est ni rectiligne, ni curviligne: il est mix-
tiligne; mais, selon le mode de sa génération, il se distingue des autres
angles mixtilignes puisqu’il est formé non par une corde mais par une
tangente.
On comprend l’importance historique et épistémique de la
recherche sur un tel objet. Cette importance ne tient pas seulement
à l’usage que l’on a pu en faire comme contre-exemple mais, bien
plus, aux questions soulevées à son propos sur la divisibilité, la
continuité, l’homogénéité, la comparabilité, etc., qui toutes portaient
sur les limites de la géométrie ancienne et de la géométrie classique.
L’histoire de ce problème dans les mathématiques grecques ainsi
qu’au XVIe et au XVIIe siècle a été maintes fois rédigée avec
précision.11 On sait ainsi que les questions précédentes, et d’autres
encore, ont été abordées par Proclus, Simplicius, Jean Philopon, et,
plus tard, par Peletier, Clavius, Viète, Galilée, Grégoire de
Saint-Vincent, Wallis, Hobbes, parmi bien d’autres. Quelques
siècles avant, on rencontre le nom de Campanus12 et, indirectement,

10
Il s’agit notamment de la discussion de l’atomisme par les théologiens-philosophes
(al-Mutakallimūn); cf. M. Rashed, “Kalām e filosofia naturale”, dans Storia della scienza,
vol. III: La civiltà islamica, Enciclopedia Italiana (Rome, 2002), pp. 49–72.
11
Voir le commentaire de Th. Heath à la proposition III.16, dans The Thirteen Books of
Euclid’s Elements, translated with introduction and commentary, 2e éd. (New York,
1956), vol. II, pp. 39–43; ainsi que les commentaires de B. Vitrac à sa traduction des
Éléments d’Euclide (Paris, 1990), vol. I, pp. 158–9, 203, 426–7; et J. Itard, “Quelques remar-
ques sur la notion d’angle et sur l’angle de contingence”, dans L’aventure de la science.
Mélanges Alexandre Koyré (Paris, 1964), vol. I, pp. 346–59.
Pour les travaux de Peletier, Clavius, Wallis, et sur l’histoire de l’angle de contingence,
c’est Luigi Maierù qui a marqué la recherche moderne. Voir ses importantes contributions:
“La polemica fra J. Peletier e C. Clavio circa l’angolo di contatto”, dans Atti del Convegno
Internazionale: Storia degli studi sui fondamenti della Matematica e connessi sviluppi inter-
disciplinari, Pisa-Tirrenia, 26–31 marzo 1984 (Luciani, 1989), vol. I, pp. 226–56; “John
Wallis: ‘Lettura della polemica fra Peletier e Clavio circa l’angolo di contatto’”, dans M.
Galluzzi (éd.), Atti del Convegno “Giornate di storia della matematica”, Cetraro, 8–12 set-
tembre 1988 (Commenda di Rende, 1991), p. 315–64; “. . . in Christophorum Clavium De
Contactu Linearum Apologia – Considerazioni attorno alla polemica fra Peletier e Clavio
circa l’angolo di contatto (1579–1589)”, Archive for History of Exact Sciences, 41 (1990):
115–37. Voir également J. Itard, “L’angle de contingence chez Borelli”, Archives internatio-
nales d’histoire des sciences, 56–57 (1961): 201–24; S. Rommevaux, “Un débat dans les
mathématiques de la Renaissance: le statut de l’angle de contingence”, Journal de la
Renaissance, vol. IV (2006): 291–302; et F. Loget, “Wallis entre Hobbes et Newton. La ques-
tion de l’angle de contact chez les Anglais”, Revue d’histoire des mathématiques, t. 8, fasc.
2 (2002): 207–62.
12
Cf. Rommevaux, “Un débat dans les mathématiques de la Renaissance”, pp. 294–6.
L’ANGLE DE CONTINGENCE 5
celui d’Oresme.13 Mais on semble ignorer que ces mêmes questions
étaient déjà débattues à la fin du IXe siècle, parfois en termes
équivalents, par al-Nayrīzī (865–922), un successeur anonyme de
ce dernier, et par d’autres mathématiciens tels que Thābit ibn
Qurra, al-Sijzī, Ibn al-Haytham, al-Samawʾal, al-Tūsī, al-Shīrāzī,
al-Fārisī, al-Qūshjī, entre autres. C’est l’histoire ˙de ces derniers
mathématiciens, mais aussi de leurs sources, que j’entends esquisser
ici sur la base de documents dont la plupart n’étaient pas connus
jusqu’ici, afin de mettre en perspective les contributions de leurs
successeurs et aussi de décrire l’évolution de ce thème de recherche.
En bref, il s’agit cette fois de reconstituer l’un des chapitres de la
philosophie des mathématiques en arabe.

I. L’HÉRITAGE GREC EN ARABE: EUCLIDE, SIMPLICIUS


ET JEAN PHILOPON

Les mathématiciens et les philosophes arabes ont rencontré la notion


d’angle et celle d’angle de contingence dans la traduction au IXe
siècle des Éléments d’Euclide et dans certains commentaires de ces
derniers, transmis d’une manière ou d’une autre en arabe. C’est à
partir de ce fonds qu’ils ont entamé leur propre recherche. Il
s’agit de deux définitions du premier livre des Éléments et de
deux autres du troisième livre, en plus de la proposition III.16
dans l’édition Heiberg du texte grec (III.15 dans la traduction arabe
de Ishāq-Thābit). Ils ont également eu accès au commentaire
˙
de Simplicius des Éléments, au commentaire de Jean Philopon à la
Physique d’Aristote (partiellement perdu en grec) et, peut-être, à
son commentaire des Seconds Analytiques. Quant au commentaire
de Proclus, rien n’indique, autant que je sache, qu’il ait été transmis
en arabe.

1. Réflexions grecques sur la notion d’angle


Pour comprendre et situer les contributions des mathématiciens
arabes à ce thème, nous ne faisons usage, pour l’essentiel, que des
textes qu’ils ont pu consulter. Commençons donc par rappeler les
définitions d’Euclide telles qu’elles ont été données dans la traduction
d’Ishāq-Thābit des Éléments.
˙
‫ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﳌﺴﻄﺤﺔ ﻫﻲ ﺍﳓﺮﺍﻑ ﻛﻞ ﻭﺍﺣﺪ ﻣﻦ ﺍﳋﻄﲔ ﺍﳌﻮﺿﻮﻋﲔ ﰲ ﺑﺴﻴﻂ ﻣﺴﺘ ٍﻮ‬
.‫ﻣﺘﺼﻠﲔ ﻋﻠﻰ ﻏﲑ ﺍﺳﺘﻘﺎﻣﺔ ﻋﻦ ﺍﻵﺧﺮ‬

13
Voir Itard, “Quelques remarques sur la notion d’angle”.
6 ROSHDI RASHED

Définition I.8: Et un angle plan est l’inclinaison de chacune de deux lignes


placées dans un plan et qui sont en contact l’une avec l’autre, sans se
prolonger.14

‫ﻭﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﻗﻄﻌﺔ ﺍﻟﺪﺍﺋﺮﺓ ﻫﻲ ﺍﻟﱵ ﳛﻴﻂ ﺑﻬﺎ ﺧﻂ ﻣﺴﺘﻘﻴﻢ ﻭﻗﻮﺱ ﻣﻦ ﺍﳋﻂ ﺍﶈﻴﻂ‬
.‫ﺑﺎﻟﺪﺍﺋﺮﺓ‬

Définition III.7: Et un angle d’un segment de cercle est celui qu’entourent


une droite et un arc de la circonférence du cercle.15

‫ﻭﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﱵ ﰲ ﻗﻄﻌﺔ ﺍﻟﺪﺍﺋﺮﺓ ﻫﻲ ﺍﻟﱵ ﳛﻴﻄﺎﻥ )ﻛﺬﺍ!( ﺑﻬﺎ ﺧﻄﺎﻥ ﻣﺴﺘﻘﻴﻤﺎﻥ ﻳﻮﺻﻼﻥ‬
‫ﺑﻴﻦ ﻧﻘﻄﺔ ﺗﻌﻠﻢ ﻛﻴﻔﻤﺎ ﺍﺗﻔﻘﺖ ﻋﻠﻰ ﻗﻮﺱ ﺍﻟﻘﻄﻌﺔ ﻭﺑﻴﻦ ﻃﺮﰲ ﺍﳋﻂ ﺍﳌﺴﺘﻘﻴﻢ ﺍﻟﺬﻱ ﻫﻮ‬
.‫ﻗﺎﻋﺪﺓ ﺍﻟﻘﻄﻌﺔ‬

Définition III.8: Et un angle dans un segment de cercle est celui qu’entourent


deux droites qui joignent un point quelconque marqué sur l’arc du segment,
et les deux extrémités de la droite qui est la base du segment.16
La définition I.8, tout particulièrement, fera l’objet de nombreux
commentaires. On observe immédiatement que, selon cette définition,
l’angle plat ne sera pas considéré comme un angle. Cette conséquence
sera ensuite souvent utilisée. On connaît le long commentaire que
Proclus donne de cette définition.17 Si les mathématiciens arabes
ignoraient ce dernier texte, ils connaissaient, en revanche, le commen-
taire de Simplicius, qui est cité in extenso par al-Nayrīzī dans son propre
commentaire des Éléments.
Simplicius commence par énumérer les espèces d’angles – ceux que
cite Euclide et ceux qu’il ne cite pas. En fait, à l’exemple de Proclus, il
classe les angles selon la forme des lignes qui les entourent et la
manière dont elles se rencontrent. C’est ainsi qu’il classe: les angles
rectilignes, les angles curvilignes dont il distingue trois types – bicon-
vexes quand les convexités des lignes sont opposées, biconcaves quand
les concavités des lignes sont opposées, convexes-concaves quand la
convexité d’une ligne s’oppose à la concavité de l’autre.18 Vient

14
MS Rabat 1101, fol. 1v.
15
Ibid., fol. 20v.
16
Ibid.
17
Procli Diadochi, In Primum Euclidis Elementorum Librum Commentarii, éd. G. Friedlein
(Hildesheim, 1967), pp. 121–8; Les Commentaires sur le premier livre des Éléments
d’Euclide, trad. P. Ver Eecke (Bruges, 1948), pp. 109–17.
18
Voici la classification de Proclus: “Enfin, les angles compris sous des lignes droites et ceux
compris sous des circonférences le sont sous des lignes simples. Ces derniers comportent à
leur tour des angles de même espèce; car deux circonférences qui se coupent mutuellement
ou se touchent forment des angles, elles aussi, au nombre de trois: l’angle biconvexe lorsque
L’ANGLE DE CONTINGENCE 7
ensuite l’espèce de l’angle corniculaire – rendu en arabe par qarnī – et
enfin l’espèce des angles des segments du cercle.
Avec cette classification, l’angle corniculaire se trouve introduit
dans le lexique des mathématiques arabes.
Au cours de ce commentaire Simplicius soulève la plupart des ques-
tions déjà débattues à propos de l’angle, et qui seront ensuite
discutées pendant quelques siècles; par exemple:

• à laquelle des catégories aristotéliciennes l’angle appartient-il?


• appartient-il à une catégorie ou à plusieurs?
• est-il une grandeur? et donc divisible?
• quelle est alors sa place entre les autres grandeurs, telles que la
ligne, la surface et le solide?
• les différents angles sont-ils comparables, comme Euclide le
laisse entendre?

Simplicius cite ensuite la définition de l’angle déjà attribuée à


Apollonius par Proclus. Selon Apollonius, l’angle est un rassemble-
ment (συναγωγή) ou une contraction, “d’une surface ou d’un solide au
niveau d’un point en-dessous d’une ligne ou d’une surface brisée”.19
Simplicius cite ensuite la définition d’Apollonius selon laquelle l’angle
est une grandeur ayant des dimensions qui aboutissent – ainsi que les
limites de la grandeur – en un seul point. On a ainsi une définition qui
englobe l’angle plan et l’angle solide: l’un a deux dimensions, l’autre
en a trois.
Simplicius, enfin, définit pour sa part l’angle comme “intermédiaire
dans la grandeur” entre ligne et surface pour l’angle plan, et entre
surface plane et solide pour l’angle solide.
Dans les dernières définitions, comme dans d’autres qu’il expose
ensuite, intervient la notion de dimension, et l’angle plan sera
intermédiaire entre une grandeur ayant une seule dimension et une
autre, qui a deux dimensions.

les convexités des circonférences sont à l’extérieur, l’angle biconcave, appelé systroïde, lors-
que les concavités sont à l’extérieur, et l’angle mixte de convexe et de concave tel que ceux
des lunules. D’autre part, les angles compris sous des lignes droites et des circonférences le
sont aussi de deux manières: sous une ligne droite et une circonférence convexe, comme
l’angle semi-circulaire, ou sous une ligne droite et une circonférence concave comme l’angle
corniculaire. Enfin, tous les angles compris sous deux lignes droites seront appelés recti-
lignes et donnent lieu à une triple distinction” (Proclus, in Eucl. 127.3–16).
19
“Telles étaient donc les apories, et bien qu’Euclide dise que l’angle est une inclinaison et
Apollonius qu’il est le rassemblement d’une surface ou d’un solide au niveau d’un point
en-dessous d’une ligne ou d’une surface brisée – car il semble définir ainsi tout angle en
général –, nous dirons, nous, à la suite de notre Précepteur [Syrianus d’Alexandrie], que
l’angle n’est aucune des choses mentionnées prise pour soi, mais qu’il tire son existence
de leur combinaison à toutes, et que c’est pour cela qu’il a mis dans l’incertitude ceux qui
ont été portés en faveur de l’une d’elles seulement” (Proclus, in Eucl. 123.14–23).
8 ROSHDI RASHED

En un mot, si, par son commentaire traduit en arabe, Simplicius a


fourni aux lecteurs les principales notions relatives à l’angle et les
discussions qui l’ont entouré, il ne s’est toutefois pas arrêté à l’angle
corniculaire, qu’il connaissait cependant. L’avait-il évoqué à propos
de la proposition III.16 des Éléments? nous n’avons aucun moyen de
le savoir. Tout indique cependant que les questions soulevées par le
texte de Simplicius avaient continué à être agitées par la suite.
Avicenne (mort en 1037) nous apprend ainsi que Thābit ibn Qurra
(826–901) a écrit sur l’angle et l’a fait appartenir à la catégorie de la
position. Ce texte ne nous est pas parvenu, mais Avicenne, qui l’avait
lu, écrit à son propos:
Quant à celui qui considère que l’angle relève de la position, c’est Thābit ibn
Qurra, et un groupe d’anciens. Ce qui pour lui a rendu cela nécessaire est que
l’angle est produit à partir du rapport des limites de la chose à la chose, ou les
parties de ce qui le limite les unes aux autres par rapport aux autres dans les
directions, et cela est la position. Donc l’angle appartient à la catégorie de la
position.
Selon cette conception de la position, les positions de l’angle sont
celles de l’extension – ou de la surface – auxquelles elles se superpo-
sent. Ce sont les relations de ces parties les unes aux autres qui
définissent la position. Cette conception de nature “topologique” de
Thābit ibn Qurra, qui sera autrement développée plus tard par Ibn
al-Haytham, est celle des mathématiciens engagés dans l’étude des
fondements et dans la transformation de la géométrie héritée.20
Avicenne, qui était au fait de l’ensemble des définitions de l’angle,
évoque aussi celle du philosophe Abū Hāmid al-Isfizārī (ou al-
Asfizārī, milieu du Xe siècle): ˙
Il a dit: l’angle est une certaine quantité autre que la ligne, la surface et le
solide; mais il est bien une espèce de quantité qui se produit entre deux
espèces. L’angle plan se produit entre la ligne et la surface [. . .], et l’angle
solide, aussi, entre la surface et le solide.
Avicenne poursuit:
et ainsi, comme si l’angle plan pour lui (Abū Hāmid al-Isfizārī) était une sur-
face plane dont la largeur n’a pas été achevée,˙ et l’angle solide était un solide
dont la profondeur n’a pas été achevée.21
Ces vestiges montrent cependant que la discussion de la notion
d’angle resurgit constamment depuis la traduction du commentaire
de Simplicius jusqu’à Avicenne. On verra plus loin qu’elle se prolon-
gera encore durant quelques siècles.

20
On pense ici à Ibrāhīm ibn Sinān, al-Qūhī, al-Sijzī, entre autres.
21
MS Istanbul, Aya Sofia 4829, fols. 47v–48r.
L’ANGLE DE CONTINGENCE 9
2. L’angle corniculaire d’Euclide à Jean Philopon
Simplicius, non plus qu’Avicenne dans son Traité sur l’angle, ne
s’arrête à l’angle corniculaire, que tous deux avaient évoqué.
Celui-ci a été connu par la proposition III.16 des Éléments:
Si une droite est menée selon des angles droits à partir de l’extrémité d’un
diamètre du cercle, alors elle sera à l’extérieur du cercle et aucune autre
droite ne tombera entre elle et la circonférence; l’angle du demi-cercle sera
plus grand que tout angle aigu rectiligne, et l’angle qu’entourent cette droite
et la circonférence sera plus petit que tout angle aigu rectiligne.22
On observe, ce qu’Ibn al-Haytham avait déjà fait, qu’Euclide ne
définit, ni ne nomme, cet angle qui “sera plus petit que tout angle
aigu rectiligne”, que d’ailleurs il n’évoque dans les Éléments qu’une
seule fois. Proclus le baptisera plus tard l’angle “corniculaire
(ϰερατοειδής)” et Ibn al-Haytham “l’angle de tangence (al-tamāss)”.23
Or, avec l’énoncé de cette proposition, on constate que la notion de
tangence est essentielle à la définition de cet angle, ce qui explique
le choix terminologique d’Ibn al-Haytham – “tangence”– et celui
d’“angle de contingence” plus tard. Il est tout aussi évident que la
notion d’angle “plus petit que tout angle aigu rectiligne” dépend,
implicitement au moins, de celle de l’angle en tant que grandeur, ou
en tant que quantité, puisqu’elle suppose la comparabilité et la
mesure. Ces deux questions seront présentes dans toutes les discus-
sions ultérieures.
Euclide démontre l’existence et l’unicité de la tangente, avant
d’établir le dernier point de l’énoncé. Mais, pour saisir la difficulté
que soulève ce point, procédons d’abord intuitivement. On constate

22
Heiberg, vol. III, p. 117; MS Rabat 1101, fol. 20.
23
Ibn al-Haytham écrit dans Sharh musādarāt Kitāb Uqlīdis (L’Explication des postulats du
˙
livre d’Euclide), MS Oxford, Bodleian ˙Hunt. 237, fol. 190v:

‫ ﻫﻲ ﺍﻟﱵ ﺫﻛﺮﻫﺎ ﺃﻗﻠﻴﺪﺱ ﰲ ﺍﻟﺸﻜﻞ ﺍﳋﺎﻣﺲ ﻋﺸﺮ ﻣﻦ‬،‫ﻓﺎﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﱵ ﳛﻴﻂ ﺑﻬﺎ ﺧﻂ ﻣﺴﺘﻘﻴﻢ ﻭﳏﺪﺏ ﺍﻟﻘﻮﺱ‬
‫ ﻭﻫﻲ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﱵ ﳛﻴﻂ ﺑﻬﺎ ﺍﳋﻂ ﺍﳌﻤﺎﺱ ﻭﺣﺪﺑﺔ‬،‫ ﻋﻨﺪ ﺫﻛﺮﻩ ﻟﻠﺨﻂ ﺍﳌﻤﺎﺱ ﻟﻠﺪﺍﺋﺮﺓ‬،‫ ﺃﻋﲏ ﺍﻟﺜﺎﻟﺜﺔ‬،‫ﻫﺬﻩ ﺍﳌﻘﺎﻟﺔ‬
‫ ﻷﻧﻪ‬،‫ ﻭﱂ ﻳﻘﺪﻡ ﳍﺎ ﺃﻗﻠﻴﺪﺱ ﺣ ًﺪﺍ ﻭﻻ ﺫﻛ ًﺮﺍ‬،‫ ﻭﺑﻴﻦ ﺃﻧﻬﺎ ﺃﺻﻐﺮ ﻣﻦ ﻛﻞ ﺯﺍﻭﻳﺔ ﺣﺎﺩﺓ ﻣﺴﺘﻘﻴﻤﺔ ﺍﳋﻄﲔ‬،‫ﺍﻟﺪﺍﺋﺮﺓ‬
.‫ ﻭﻫﻮ ﺍﻟﺬﻱ ﺫﻛﺮﻧﺎﻩ؛ ﻭﻗﺪ ﳝﻜﻦ ﺃﻥ ُﲢ ّﺪ ﺑﺄﻥ ﻳﻘﺎﻝ ﺯﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﺘﻤﺎﺱ‬،‫ﱂ ﻳﺴﺘﻌﻤﻠﻬﺎ ﺇﻻ ﰲ ﻣﻮﺿﻊ ﻭﺍﺣﺪ‬

“L’angle entouré par une ligne droite et la concavité de l’arc est celui qu’Euclide a
mentionné dans la quinzième proposition de ce livre, c’est-à-dire le troisième, lorsqu’il a
mentionné la droite tangente au cercle; c’est l’angle entouré par la droite tangente et la
concavité du cercle. Il a montré qu’il est plus petit que tout angle aigu rectiligne; mais
Euclide n’en a présenté ni une définition ni un nom; car il ne l’a utilisé que dans un seul
endroit, celui que nous avons mentionné. Or il est possible de le définir en disant: l’angle
de tangence”.
10 ROSHDI RASHED

alors qu’il est assez aisé d’ordonner les angles rectilignes, quelle que
soit la définition qu’on en donne. On dira que l’angle (OA, OB) est
inférieur à l’angle (OA, OC) si le côté OB est à l’intérieur de ce dernier
angle (en procédant éventuellement par superposition). On pourra
faire de même pour une classe restreinte d’angles mixtilignes qui
ont des rectilignes égaux, dont les côtés sont concaves simples, tous
orientés dans la même direction. Or une telle démarche n’est pas pos-
sible pour des angles quelconques, pour ne pas parler de l’angle de
contingence.
Ainsi, aux questions de tangence et de grandeur s’ajoutent celles de
la comparaison entre les angles – rectiligne, mixtiligne et de contin-
gence –, et de l’existence de l’ordre total et de la continuité. Autant de
questions que soulèveront les lecteurs d’Euclide. L’histoire a conservé
certaines de leurs lectures. La première, qui est aussi la plus impor-
tante, est celle de Proclus, qui s’attaque de front à la question de la
grandeur, et aussi à celle de la définition de la notion d’angle. Il écrit:
Mais, si l’angle est une grandeur et que toutes les grandeurs homogènes
finies ont un rapport l’une avec l’autre, alors tous les angles homogènes, au
moins ceux dans les plans, auront un rapport l’un avec l’autre; ainsi, un
angle corniculaire aura un rapport avec un angle rectiligne. Or, les gran-
deurs qui ont un rapport entre elles peuvent se dépasser l’une l’autre si
elles sont multipliées; donc, l’angle corniculaire pourra finalement
dépasser l’angle rectiligne; ce qui est impossible, car il est démontré que l’an-
gle corniculaire est plus petit que tout angle rectiligne.24
C’est ainsi que Proclus règle la question de la grandeur en posant
rigoureusement le problème qui sera débattu par ses successeurs.
Jean Philopon, pour sa part, soulève la question de la continuité par
un argument souvent repris plus tard, mais de manière différente. La
discussion alors engagée portait sur la comparabilité de la droite et de
l’arc de cercle, et la question était de savoir si “le plus grand passe au
plus petit sans passer par l’égal”.
Jean Philopon reconnaît la validité de ce principe et la nécessité de
passer par l’égal pour les grandeurs homogènes. Quant aux grandeurs
non homogènes, c’est-à-dire celles auxquelles on ne peut pas appli-
quer la théorie des proportions, il s’explique dans son Commentaire
de la Physique:
Il n’est pas nécessaire, écrit-il, que, s’il existe le plus grand et le plus petit,
entre les choses l’égal existe. En effet, l’angle aigu entouré par une droite
et la convexité de l’arc est plus grand que tout angle aigu, <et l’angle aigu
entouré par une droite> et la concavité de l’arc est plus petit que tout
angle aigu. Et il n’existe aucun angle entouré par une ligne droite et une
ligne circulaire égal à un angle aigu rectiligne; car, si cela existait, alors la

24
In Eucl. 121.24–122.7.
L’ANGLE DE CONTINGENCE 11
ligne droite se superposerait à la ligne circulaire. En effet, si nous faisons
mouvoir une droite sur le diamètre, nous formons un angle entouré par la
droite et le demi-cercle, qui est le plus grand, et un angle entouré par une
droite et la concavité, qui est le plus petit. L’un des deux angles se forme
après l’autre sans qu’il se forme <l’angle> égal à l’angle aigu rectiligne.25
De même, mais plus longuement, dans son Commentaire des
Seconds Analytiques:
Si quelqu’un accorde que Bryson a ainsi mené à bien sa construction, il est
loisible de lui répondre que le propos selon lequel là où il y a du plus grand
et du plus petit que quelque chose, il y en a aussi de l’égal, est vrai dans le
cas des choses de même genre, mais que cela n’est plus vrai dans le cas des
choses qui ne sont pas de même genre. Car le géomètre montre que, dans
le cas du demi-cercle CDB, la droite AC menée perpendiculairement à partir
de l’extrémité du diamètre CB tombe nécessairement en dehors du cercle; et
que des deux angles produits (i) par la circonférence et le diamètre et (ii) par
la droite menée perpendiculairement et la circonférence, je veux dire de
l’angle extérieur ACD et de l’angle intérieur DCB, l’angle extérieur est
plus petit que tout angle rectiligne aigu et l’angle intérieur plus grand que
tout angle rectiligne aigu. Ainsi donc, dans ce cas, bien qu’ayant montré
que des angles sont plus grand et plus petit que le même angle rectiligne
aigu, nous ne pourrions cependant pas en découvrir d’égal, du fait que les
grandeurs ne sont pas de même genre. Car les angles considérés sont
supposés provenir d’une droite et d’une circonférence – on les appelle
d’ailleurs corniculaires. Et le paradoxe est que, alors que l’angle extérieur
peut être augmenté à l’infini et l’intérieur diminué, et que, à rebours,
l’angle intérieur peut être augmenté à l’infini et l’extérieur diminué, ni
l’angle extérieur, augmenté à l’infini, ne deviendra jamais égal à l’angle rec-
tiligne aigu – mais il sera toujours plus petit que n’importe lequel – ni l’angle
intérieur augmenté à l’infini ne sera jamais égal à un angle droit.
Nous augmentons l’angle extérieur en traçant des cercles plus petits.
Ainsi, si je coupe le diamètre CB au point E, que je coupe la droite CE en
deux moitiés au point G et que, avec G pour centre et GC pour intervalle,
je trace un cercle dont le demi-cercle est CHE, l’angle extérieur ACH aug-
mente et, derechef, en vertu de ce qu’on a déjà dit, il n’en est pas moins
plus petit que tout angle aigu. Ce théorème a en effet été prouvé par le
géomètre pour tout cercle (voir Fig. 1).
Derechef, de la même manière, ayant coupé le diamètre du cercle intérieur,
ayant inscrit un cercle plus petit et ayant fait cela à l’infini, j’augmente
toujours l’angle extérieur et je diminue l’angle intérieur, mais ni l’angle
extérieur, ni l’angle intérieur, ne seront jamais égaux à un angle rectiligne
aigu: l’extérieur sera toujours plus petit, l’intérieur toujours plus grand.
C’est ainsi que j’augmente l’angle extérieur et que je diminue l’angle intérieur.
À l’inverse, j’augmente l’angle intérieur et je diminue l’angle extérieur en cir-
conscrivant des cercles plus grands, de la manière suivante. Je prolonge le
diamètre CB en ligne droite jusqu’à E et, avec B comme centre et BC

25
Aristūtālīs, al-Tabīʿa, tarjamat Ishāq ibn Hunayn, éd. ʿA. Badawī (Le Caire, 1965), p. 783.
˙ ˙ ˙ ˙ ˙
12 ROSHDI RASHED

Fig. 1

comme intervalle, je trace un cercle, dont le demi-cercle est CGE (voir Fig. 2).
Il est clair que le demi-cercle CGE tombera à l’intérieur de la droite AC, du fait
qu’il a été prouvé que la droite menée perpendiculairement de l’extrémité du
diamètre tombe nécessairement à l’extérieur du cercle. Or, que pas la moindre
partie du demi-cercle extérieur CGE ne soit en contact avec une partie du
demi-cercle intérieur CDB, c’est clair à partir de ceci: s’il y a contact, menons,
à partir du point où ils coïncident, disons H, vers les centres des cercles B et J,
les droites HB et HJ. Puis donc que le point J est le centre du demi-cercle
intérieur, JH est égale à JC. Derechef, puisque B est le centre du demi-cercle
extérieur CGE, BH est égale à BC. Mais BJ et CJ sont égales à JH. Donc HB
est égale à BJ et à JH. Par conséquent, du triangle HJB, les deux côtés HJ, BJ
sont égaux au côté unique HB, ce qui est impossible. Par conséquent, aucune
partie du cercle extérieur ne coïncide avec une partie du cercle intérieur. Donc
le cercle extérieur coupe l’angle ACH. Ainsi, en traçant, à l’infini, de la même
manière, des cercles extérieurs, je diminue à l’infini l’angle extérieur et j’aug-
mente l’angle intérieur. Mais jamais l’angle intérieur, augmenté, ne devien-
dra égal à un droit, et toujours, il devient plus grand que tout angle
rectiligne aigu.26
Si donc il a été montré qu’il est possible qu’il y ait du plus grand et du plus
petit que la même chose sans qu’il y ait de l’égal à elle, du fait de la dissem-
blance des grandeurs, c’est ainsi à tort que Bryson a soutenu que, si le poly-
gone circonscrit est plus grand que le cercle et le polygone inscrit plus petit,
l’intermédiaire entre l’inscrit et le circonscrit est égal au cercle. Car là encore,
les grandeurs sont dissemblables, je veux dire le polygone par rapport au cer-
cle. En sorte qu’ils ne seront pas égaux.27

Dans le premier commentaire, celui de la Physique, il donne l’exem-


ple de l’angle du demi-cercle et de l’angle de contingence. Il affirme
que, si l’on déplace une droite sur le diamètre du cercle, elle forme
d’abord avec la circonférence l’angle du demi-cercle, qui est plus

26
Voir Fig. 2.
27
Jean Philopon, In Analyt. Post. 112.36–114.17, dans Commentaria in Aristotelem Graeca,
edidit M. Wallies (Berlin, 1909), vol. XIII, pars III.
L’ANGLE DE CONTINGENCE 13

Fig. 2

grand que tout angle rectiligne aigu, et forme ensuite l’angle de con-
tingence, qui est plus petit que tout angle rectiligne aigu, sans former
au cours de son mouvement un angle égal à un angle rectiligne aigu.
Dans le Commentaire des Seconds Analytiques, il explicite sa
pensée et donne un exposé détaillé où il procède à la division de l’angle
de contingence par des cercles, à défaut de la division par des droites.
Il commence par relever le caractère paradoxal du phénomène, qui
tient au fait que l’angle de contingence peut croître à l’infini et celui
du demi-cercle peut décroître à l’infini, et inversement, sans qu’aucun
des deux ne devienne un angle rectiligne aigu.
Pour illustrer ce fait, il trace successivement deux figures des
cercles emboîtés et tangents en un même point.
Soit d’abord le cercle CDB, de diamètre CB, tangent au point C à la
perpendiculaire AC. On a l’angle de contingence ACD et l’angle du
demi-cercle BCD, et on peut appliquer la proposition III.16 des
Éléments. Soit un point E sur le diamètre BC; partageons EC en
deux moitiés au point G. Traçons le cercle CHE, de centre G et de
demi-diamètre GC. Il est tangent au point C à AC. On a ainsi
augmenté l’angle de contingence et diminué l’angle du demi-cercle.
On réitère le procédé indéfiniment et on trace des cercles emboîtés
comme ECH, sans que l’angle de contingence soit égal à un angle rec-
tiligne aigu, et sans que l’angle du demi-cercle soit égal à un angle
droit (Fig. 1).
Ce phénomène paradoxal s’explique, selon Philopon, parce que l’on
peut appliquer la proposition III.16 d’Euclide à chacun des cercles.
Jean Philopon procède ensuite par l’inverse, en augmentant
indéfiniment l’angle du demi-cercle et en diminuant indéfiniment
l’angle de contingence. Il aboutit au même résultat.
L’inverse de cette argumentation, à savoir qu’il n’est pas nécessaire
qu’il y ait l’égal entre le plus grand et le plus petit, sera invoqué de
manière récurrente dans les rédactions sur l’angle de contingence,
précisément pour nier la continuité. Ainsi Avicenne, au troisième
livre du Shifāʾ, écrit:
14 ROSHDI RASHED

Quant à ce que l’on dit à propos de l’angle mentionné, qu’il est indivisible
– alors qu’il est bien divisible – il y a en fait en puissance infiniment d’angles
plus petits que lui. La démonstration a été établie qu’il n’y a aucun angle
rectiligne plus petit que lui. Mais quand on dit qu’une chose qui n’a pas
telle propriété est plus petite que telle chose, cela ne signifie pas qu’il n’y a
aucune autre chose plus petite qu’elle. Celui qui a acquis la connaissance
des fondements de la géométrie sait que cet angle est divisible à l’infini
par les arcs.28
Un autre argument, non moins important et tout aussi diffusé, qui
remonte, semble-t-il, à Pappus, était connu des mathématiciens
arabes. Proclus nous apprend en effet que Pappus, dans son
Commentaire des Éléments, a montré que les angles égaux à un
angle droit ne sont pas tous droits, et qu’un angle curviligne est
égal à un angle droit.29 Le texte grec de Pappus est perdu, et il ne

28
Al-Shifāʾ, al-Tabīʿiyyāt, éd. Zayed, p. 201.
29
“D’autre part, ˙ Pappus nous a justement rendus attentifs au fait que la réciproque,
c’est-à-dire qu’un angle égal à un angle droit est toujours droit, n’est pas vraie, mais que
cet angle est nécessairement droit s’il est rectiligne; que l’on peut cependant montrer
aussi un angle curviligne égal à un angle droit. Il est clair qu’un tel angle ne sera plus
appelé droit. En effet, nous avons admis l’angle droit dans la section des angles rectilignes
en l’établissant sous une ligne droite placée sans inclinaison sur une ligne droite sous-
jacente; de sorte qu’un angle égal à un angle droit n’est pas nécessairement droit s’il n’est
pas rectiligne. Imaginons donc deux lignes droites AB, BΓ égales formant l’angle au point
B droit, et soient décrits, sur ces droites, les demi-cercles AEB, BZΓ de même centre et
égaux de distance. Dès lors, puisque ces demi-cercles sont égaux, ils coïncident l’un avec
l’autre, et l’angle compris sous l’arc EB et la droite BA est égal à l’angle compris sous
l’arc ZB et la droite BΓ.
Ajoutons de part et d’autre l’angle restant compris sous les droites AB et l’arc BZ, il s’en-
suit que l’angle droit entier est égal à l’angle en forme de croissant compris sous les arcs EB,
BZ; et cet angle en forme de croissant n’est néanmoins pas un angle droit. Si l’angle compris
sous les droites AB, BΓ est obtus ou aigu, on montrera de même qu’un angle en forme de
croissant lui est égal; car c’est là la forme des angles curvilignes qui se concilie avec les
angles rectilignes, sauf à savoir qu’il faut ajouter l’angle mitoyen compris sous la droite
AB et l’arc BZ pour l’angle droit et l’angle obtus, et le retrancher pour l’angle aigu; car la
droite AB y coupe l’arc BZ. Nous exposons donc les dessins relatifs à chacune de ces supposi-
tions (Fig. 3).
Nous avons donc consigné sommairement les choses qui prouvent que tous les angles
droits sont égaux entre eux, et qu’un angle égal à un angle droit n’est pas nécessairement

Fig. 3
L’ANGLE DE CONTINGENCE 15
reste de la traduction arabe que la partie du commentaire du livre X
des Éléments.
Nous ne savons rien de certain sur la connaissance qu’on pouvait
avoir des commentaires de Pappus des autres livres des Éléments.
Cet argument figure cependant dans le commentaire de Simplicius,
lequel était connu en arabe. On y lit la démonstration suivante:
Supposons l’angle droit ABΓ, et marquons au centre B et avec une distance à
volonté deux points sur les lignes AB et BΓ, soit les deux points Δ et E.
Traçons à partir des deux centres Δ et E et avec les distances EB et ΔB le
demi-cercle AZB et le demi-cercle BΘΓ. Alors, l’angle ABZ est égal à l’angle
ΓBΘ, car, si les demi-cercles sont égaux, leurs angles sont égaux. Faisons
l’angle ABΘ commun, on a l’angle AZBΘ tout entier égal à l’angle ABΓ.
Mais l’angle ABΓ est droit, et l’angle AZBΘ est en forme de croissant; donc
un angle en forme de croissant est égal à un angle droit (Fig. 4).30

Fig. 4

Al-Nayrīzī écrit à son tour, avant de donner la démonstration


rapportée par Simplicius:
Les angles égaux à un droit ne sont pas nécessairement droits, à moins que
l’on transpose le nom de l’angle aux arcs également; alors les angles entourés
par des arcs sont dits droits par voie de métaphore.31

II. LES COMMENCEMENTS ARABES DE LA RÉFLEXION SUR L’ANGLE


DE CONTINGENCE: AL-NAYRĪZĪ ET L’ ANONYME DE LAHORE

À partir du IXe siècle, les mathématiciens non seulement connais-


saient les Éléments, mais étaient au courant de ces discussions sur

un angle droit; car comment dirait-on qu’un tel angle est droit alors qu’il n’est pas recti-
ligne?” (Proclus, in Eucl. 189.12–1914).
30
Codex Leidensis 399,1. Euclidis Elementa, éd. R. O. Besthorn et J. L. Heiberg (Copenhague,
1897), pp. 22–4.
31
Ibid., p. 22.
16 ROSHDI RASHED

Fig. 5

l’angle de contingence et, plus généralement, sur la notion d’angle.


C’est dans ces conditions qu’ils ont repris à leur compte ces thèmes
de recherche et de discussion, jusqu’à ce que l’ensemble fût à nouveau
étudié par Ibn al-Haytham et ses successeurs.
Le premier de ces mathématiciens, semble-t-il, est al-Nayrīzī
(c. 865–c. 922). Dans son Commentaire de la traduction (probablement
d’al-Hajjāj) des Éléments, il soutient, à propos de la proposition III.15,
˙
que l’angle entouré par la perpendiculaire tangente à la circonférence
du cercle et celle-ci n’est ni une grandeur, ni un angle rectiligne. Il
établit ainsi cette double négation (Fig. 5):
Le mathématicien (Euclide) voulait que l’angle entouré par l’arc ΓAΔ et la
perpendiculaire ΔZ soit plus petit que tout angle aigu, car il n’est pas divi-
sible. S’il était divisible, alors il se trouverait entre l’arc ΓAΔ et la droite
ΔZ une autre droite, étant donné que la division des angles est par les lignes
droites qui les séparent. Mais, puisque l’angle KΔZ n’a pas été séparé, il n’est
pas un angle rectiligne, car tous les angles rectilignes se divisent. Il (Euclide)
l’a alors nommé par le nom qui s’est imposé à lui en raison de l’autre angle
interne.32 En effet, puisque l’angle EΔZ est droit, qu’il tombe entre la ligne
ΓΔ et la perpendiculaire ΔZ à l’arc ΓAΔ, et qu’on a séparé l’angle KΔZ qui
n’a pas de grandeur, il reste l’angle interne entouré par le diamètre ΓΔ et
l’arc ΓAΔ plus grand que tout angle aigu, car l’angle aigu est celui qui est
moindre qu’un angle droit d’un certain autre angle aigu. Étant donné donc
que l’angle interne n’est pas moindre qu’un angle droit, [qui est un angle
aigu], d’un angle qui a une grandeur, alors le mathématicien (Euclide) a
qualifié l’angle interne de plus grand que tout angle aigu.33

Ce commentaire d’al-Nayrīzī, accompagné des nombreuses cita-


tions qu’il a empruntées aux commentaires de Simplicius et

32
“L’angle qu’entourent cette droite et la circonférence”, qui est désigné dans le texte grec par
l’expression “angle restant”, λοιπὴ <γωνία>. Cf. ci-dessus.
33
Codex Leidensis 399,1, Livre III, pp. 70–2.
L’ANGLE DE CONTINGENCE 17
d’Aghānīs, a constitué le fonds à partir duquel les mathématiciens
arabes et latins ont élaboré leur recherche.
Témoin de cette dépendance, l’écrit d’un anonyme, un opuscule
intitulé Sur l’angle, qui fait partie d’une collection manuscrite
copiée à Bagdad en 1159–1162, et donc rédigé avant cette date.34
Cet auteur examine presque tous les thèmes, déjà rencontrés, relatifs
à l’angle de contingence. Il part d’un fait paradoxal: alors que l’on
applique aux angles les opérations que l’on applique à la quantité
– égalité, inégalité, rapport, division, multiplication, etc. – et qu’on
peut donc définir l’angle comme “une quantité ayant une position”
( fa-al-zāwiya idhan kammiyya dhāt wadʿ), l’angle n’appartient pas
˙
pour autant au nombre des grandeurs énumérées par Aristote.35 Le
paradoxe est flagrant: voici un objet géométrique auquel on applique
les opérations qu’on applique aux grandeurs, sans qu’il soit compté
parmi les grandeurs. Une question s’impose: l’angle est-il une
grandeur?
L’auteur commence par rappeler les réponses des anciens, Euclide,
Simplicius, Aghānīs, telles que les a rapportées al-Nayrīzī. Selon lui,
Euclide ne considérait pas l’angle, dans sa définition par inclinaison,
comme une grandeur; alors que, dans la proposition VI.33 des
Éléments, il démontre que “dans les cercles égaux, les angles au centre
et les angles inscrits sont dans le rapport des arcs interceptés”, et
considère par conséquent l’angle comme une grandeur, puisqu’il
procède à l’aide de la théorie des proportions. Toujours selon l’auteur,
Simplicius voit dans l’angle une grandeur, de même qu’Aghānīs pour
qui c’est une grandeur ayant deux dimensions qui aboutissent toutes
les deux au même point.
L’auteur relève dès le début de l’opuscule la difficulté que soulève la
définition de l’angle comme grandeur. D’abord, si on double l’angle
droit, la somme n’est pas un angle, d’après la définition I.8 des
Éléments; et de même pour l’angle solide, s’il devient égal à quatre
droits. Or une grandeur ne s’annule pas si on la double. D’autre
part, l’angle ne vérifie pas la définition 4 du livre V des Éléments.
Enfin, l’angle ne satisfait pas non plus la proposition X.1 des
Éléments, que vérifient toutes les grandeurs (archimédiennes). Pour
établir cela, l’auteur invoque le contre-exemple de l’angle de contin-
gence. Il considère l’angle de contingence ABC et l’angle rectiligne
D. Si l’on retranche de D plus que sa moitié, et si du reste on retranche
plus que sa moitié, si on réitère continûment cette opération, on ne
pourra pas aboutir à un angle plus petit que l’angle ABC mais on

34
Sur ce manuscrit de Lahore, coll. Nabī Khān, voir R. Rashed, Les mathématiques
infinitésimales du IXe au XIe siècle, vol. IV: Méthodes géométriques, transformations ponc-
tuelles et philosophie des mathématiques (Londres, 2002), p. 738.
35
Cf. Catégories, 6; Physique, 4, ch. 1 à 5; Métaphysique Δ, 13, 1020 sq.
18 ROSHDI RASHED

aura toujours un reste plus grand que celui-ci. Inversement, si on


double ABC autant de fois que l’on veut, le résultat sera toujours
plus petit que l’angle D. On en conclut que l’ensemble des angles ne
vérifie pas la proposition X.1 des Éléments.
Mais, à défaut de pouvoir diviser l’angle de contingence par une
droite, l’auteur propose de le diviser par une “ligne circulaire” de la
même concavité que le cercle initial, procédé que nous avons
rencontré chez Jean Philopon et que nous rencontrons dans un corol-
laire à la proposition III.15, dans certains commentaires des
Éléments, comme celui d’al-Abharī (mort en 663/1265 environ).36
L’auteur anonyme conclut alors: “Il ressort clairement de cela que
cette espèce d’angle est qualifiée de la propriété de la quantité”.
L’auteur propose d’établir par une autre méthode que l’on peut
retrancher autant de fois que l’on veut l’angle de contingence de l’an-
gle rectiligne, sans pour autant épuiser ce dernier; il en conclut que
ces deux angles n’appartiennent pas au même genre puisqu’ils
ne vérifient pas la proposition X.1 des Éléments. Sur ce point

36
“Il en ressort clairement (de III.15) que toute droite menée <perpendiculairement> de
l’extrémité du diamètre d’un cercle quelconque est tangente au cercle, et nous en venons
à tracer par des points <en nombre> infini que l’on suppose sur la droite EC avant ou
après son prolongement dans la direction de CD, <un nombre> infini de cercles, dont le
demi-diamètre de chacun est de la grandeur de ce qui se trouve de la droite DC entre les
points à partir desquels on trace les cercles, et le point D; et de sorte que la perpendiculaire
DG soit perpendiculaire au diamètre de chacun des cercles et que la circonférence de chacun
des cercles tombe entre la perpendiculaire DG et la circonférence du cercle AD. Et nous en
venons à tracer par des points <en nombre> infini supposés sur la droite DE des cercles <en
nombre> infini, dont le diamètre de chacun est de la grandeur de ce qui se trouve de la droite
DE entre le point sur lequel est tracé le cercle, et le point D, de sorte que la perpendiculaire
DG soit perpendiculaire au diamètre de chaque cercle, et que la circonférence du cercle AD
tombe entre la perpendiculaire DG et chaque circonférence de cercle” (Fī al-handasa, MS
Téhéran, fols. 43r-v; cf. Fig. 5).

‫ ﻓﺈﻧﻪ ﳝﺎﺱ‬،‫( ﺃﻥ ﻛﻞ ﺧﻂ ﻣﺴﺘﻘﻴﻢ ﺧﺮﺝ ﻣﻦ ﻃﺮﻑ ﻗﻄﺮ ﺃﻱ ﺩﺍﺋﺮﺓ ﻋﻤﻮ ًﺩﺍ ﻋﻠﻴﻪ‬١٥ ‫ﻭﺍﺳﺘﺒﺎﻥ ﻣﻨﻪ )ﺍﻟﺸﻜﻞ‬
‫ ﻗﺒﻞ ﺇﺧﺮﺍﺟﻪ ﺃﻭ ﺑﻌﺪ ﺇﺧﺮﺍﺟﻪ ﰲ‬،‫ ﺗﻔﺮﺽ ﻋﻠﻰ ﺧﻂ ﻩ ﺟ‬/ ‫ﺍﻟﺪﺍﺋﺮﺓ؛ ﻭﺃﻥ ﻟﻨﺎ ﺃﻥ ﻧﺮﺳﻢ ﻋﻠﻰ ﻧﻘﻂ ﻏﲑ ﻣﺘﻨﺎﻫﻴﺔ‬
‫ ﻧﺼﻒ ﻗﻄﺮ ﻛﻞ ﻣﻨﻬﺎ ﺑﻘﺪﺭ ﻣﺎ ﻳﻘﻊ ﻣﻦ ﺧﻂ ﺩ ﺟ ﻭﻣﺎ ﻳﺘﺼﻞ ﺑﻪ ﺑﻴﻦ ﺍﻟﻨﻘﻂ‬،‫ ﺩﻭﺍﺋﺮ ﻏﲑ ﻣﺘﻨﺎﻫﻴﺔ‬،‫ﺟﻬﺔ ﺟ ﺩ‬
‫ ﻭﳏﻴﻂ ﻛﻞ‬،‫ ﻭﻳﻜﻮﻥ ﻋﻤﻮﺩ ﺩ ﺯ ﻋﻤﻮ ًﺩﺍ ﻋﻠﻰ ﻗﻄﺮ ﻛﻞ ﺩﺍﺋﺮﺓ ﻣﻨﻬﺎ‬،‫ﺍﻟﱵ ﻧﺮﺳﻢ ﻋﻠﻴﻬﺎ ﺍﻟﺪﻭﺍﺋﺮ ﻭﺑﻴﻦ ﻧﻘﻄﺔ ﺩ‬
‫ﺩﺍﺋﺮﺓ ﻣﻨﻬﺎ ﻳﻘﻊ ﺑﻴﻦ ﻋﻤﻮﺩ ﺩ ﺯ ﻭﳏﻴﻂ ﺩﺍﺋﺮﺓ ﺍ ﺩ؛ ﻭﺃﻥ ﻧﺮﺳﻢ ﻋﻠﻰ ﻧﻘﻂ ﻏﲑ ﻣﺘﻨﺎﻫﻴﺔ ﺗﻔﺮﺽ ﻋﻠﻰ ﺧﻂ ﺩ ﻩ‬
‫ﺩﻭﺍﺋﺮ ﻏﲑ ﻣﺘﻨﺎﻫﻴﺔ ﻗﻄﺮ ﻛﻞ ﻣﻨﻬﺎ ﺑﻘﺪﺭ ﻣﺎ ﻳﻘﻊ ﻣﻦ ﺧﻂ ﺩ ﻩ ﺑﻴﻦ ﺍﻟﻨﻘﻄﺔ ﺍﻟﱵ ﺗﺮﺳﻢ ﻋﻠﻴﻬﺎ ﺍﻟﺪﺍﺋﺮﺓ ﻭﺑﻴﻦ ﻧﻘﻄﺔ‬
‫ ﻭﳏﻴﻂ ﺩﺍﺋﺮﺓ ﺍ ﺩ ﻳﻘﻊ ﺑﻴﻦ ﻋﻤﻮﺩ ﺩ ﺯ ﻭﺑﻴﻦ ﻛﻞ‬،‫ ﻭﻳﻜﻮﻥ ﻋﻤﻮﺩ ﺩ ﺯ ﻋﻤﻮ ًﺩﺍ ﻋﻠﻰ ﻗﻄﺮ ﻛﻞ ﺩﺍﺋﺮﺓ ﻣﻨﻬﺎ‬، ‫ﺩ‬
.‫ﻭﺍﺣﺪ ﻣﻦ ﳏﻴﻂ ﺗﻠﻚ ﺍﻟﺪﺍﺋﺮﺓ‬

‫ ﻋﻤﻮﺩ ﺑﻴﻦ‬:‫ﺑﻴﻦ ﻋﻤﻮﺩ‬ 7 – ‫ ﺍﻟﻨﻘﻄﺔ‬:‫ﺍﻟﻨﻘﻂ‬ 3


L’ANGLE DE CONTINGENCE 19
également, les angles diffèrent des grandeurs, puisqu’une partie
d’une grandeur est une grandeur de même genre. Ils en diffèrent
encore sur un autre point, qu’avait déjà noté Jean Philopon: on peut
passer du plus petit au plus grand sans passer par tous les
intermédiaires. Ainsi, l’angle limité par un arc de cercle et une droite,
s’il est dans un demi-cercle ou moins qu’un demi-cercle, il est aigu; et
s’il est dans plus d’un demi-cercle, il est obtus.37 On passe donc d’un
angle aigu à un angle obtus sans passer par l’angle droit.
L’auteur anonyme utilise donc la définition V.4 ainsi que la pro-
position X.1 des Éléments pour montrer à la fois que l’angle rectiligne
et l’angle de contingence ne sont pas homogènes, et que l’angle diffère
de toutes les grandeurs géométriques. Il poursuit encore plus loin
cette comparaison: il compare l’angle à la ligne, à la surface et au solide,
en considérant le nombre des dimensions, et en montrant à chaque fois
en quoi l’angle ressemble à une grandeur et, surtout, en quoi il en
diffère. Il conclut en se demandant si l’angle relève de la catégorie de
la quantité. Comme il n’existe pas une unité angulaire – comme
l’unité pour les nombres – et comme, en plus, l’angle a une position,
il ne peut être considéré comme une quantité discrète. Mais, comme
il ne vérifie pas non plus la propriété de l’intersection – à savoir que l’in-
tersection de deux grandeurs homogènes, deux lignes par exemple, est
d’une dimension moindre que la grandeur – l’angle ne relève pas non
plus de la quantité continue. Tout cela mène l’auteur à conclure dans
la perplexité et dans l’indécision: “certains états (de l’angle)
entraînent nécessairement qu’il est une grandeur, et d’autres le nient”.
Ce texte indique donc que, bien avant le XIIe siècle, l’étude sur l’an-
gle et l’angle de contingence portait principalement sur la notion de
grandeur, et reposait sur la notion de grandeur et sur l’axiome
d’Archimède. C’est à cette étude que contribuera Ibn al-Haytham,
au XIe siècle.
L’étude de l’angle et de l’angle de contingence s’est sans doute pour-
suivie depuis la fin du IXe siècle. Cependant, l’état de la recherche sur
la littérature scientifique arabe pendant cette période, ainsi que la
perte d’un nombre considérable de manuscrits, ne nous permettent
pas de connaître de manière précise et détaillée les différentes contri-
butions. Un grand mathématicien comme Thābit ibn Qurra (826–901)
aurait discuté de l’angle – on a vu que c’est ce qu’affirme plus tard
Avicenne dans son Traité sur l’angle. D’ailleurs, la rédaction d’un tel
traité par le philosophe comme réponse à ses interlocuteurs
témoigne de l’attraction exercée par ces thèmes. Le mathématicien
al-Sijzī a, pour sa part, écrit brièvement sur l’angle de contingence.
Il affirme en effet dans son Introduction à la science de la

37
Euclide, Éléments, III.29.
20 ROSHDI RASHED

géométrie38 que les angles curvilignes et l’angle de contingence ne sont


pas “mesurables”, c’est-à-dire que l’on ne peut pas les étudier à l’aide
de la théorie des proportions. Dans un autre traité, Pour aplanir les
voies en vue de déterminer les propositions géométriques, il rappelle
que l’angle de contingence n’est comparable à aucun angle recti-
ligne.39 Mais c’est le successeur d’al-Sijzī, Ibn al-Haytham, qui repren-
dra cette étude de l’angle de contingence.

III. IBN AL-HAYTHAM: LA COMPARAISON DES INFINIMENT PETITS

Dans son Livre sur la solution des doutes du livre d’Euclide sur les
Éléments et l’explication de ses notions, Ibn al-Haytham s’arrête
à la proposition III.15 de la traduction arabe, qu’il considère
comme une des difficultés (mushkilāt) de la géométrie. Après en
avoir cité l’énoncé, il propose une nouvelle démonstration de l’exis-
tence et de l’unicité de la tangente menée à l’extrémité du diamètre
du cercle. Il discute ensuite plus longuement de l’angle de contin-
gence et de l’angle mixtiligne. Puisque nous venons d’examiner
ce qui nous est parvenu des prédécesseurs d’Ibn al-Haytham à
ce sujet (et qu’il a sans doute connu), il nous faut à présent
dégager les points saillants de sa géométrie, nécessaires à la
compréhension de son étude de l’angle de contingence et de l’angle
mixtiligne.
Le premier point touche à sa conception de la géométrie: nous avons
montré ailleurs40 qu’il fut le premier à introduire systématiquement
le mouvement comme notion primitive de la géométrie, afin de pou-
voir étudier les transformations des figures géométriques et les
relations entre elles. À ce projet il a consacré deux livres, Les connus
et L’analyse et la synthèse, ainsi que son Explication des postulats du
livre d’Euclide, où il reprend les notions des Éléments d’Euclide pour
les fonder à partir de la notion de mouvement. On verra plus loin que,
dans son étude sur l’angle de contingence, il procède par rotation et
par superposition.
Le second point est relatif aux notions de tangente et de tangence.
Ibn al-Haytham considère, et cette fois encore personne ne l’avait fait
avant lui, le point de contact comme un seul point selon la catégorie de
la position, mais comme un point double selon la catégorie de la
relation. Il écrit:
‫ﻭﺍﳋﻂ ﺍﳌﺴﺘﻘﻴﻢ ﺍﳌﻤﺎ ّﺱ ﻟﻠﺪﺍﺋﺮﺓ ﺍﻟﺬﻱ ﺫﻛﺮﻩ ﺃﻗﻠﻴﺪﺱ ﰲ ﺻﺪﺭ ﺍﳌﻘﺎﻟﺔ ﺍﻟﺜﺎﻟﺜﺔ ﻫﻮ ﺧﻂ‬
‫ ﻭﺇﺫﺍ ﺃﺧﺮﺝ ﻫﺬﺍ ﺍﳋﻂ ﺍﳌﺴﺘﻘﻴﻢ ﰲ‬،‫ﻣﺴﺘﻘﻴﻢ ﻳﻠﻘﻰ ﺍﻟﺪﺍﺋﺮﺓ ﻋﻠﻰ ﻧﻘﻄﺔ ﻣﻨﻬﺎ ﺑﻨﻘﻄﺔ ﻣﻨﻪ‬
38
Kitāb al-Madkhal ilā ʿilm al-handasa, MS Dublin, Chester Beatty 965, fol. 8r.
39
Les mathématiques infinitésimales, vol. IV, p. 1104.
40
Les mathématiques infinitésimales, vol. II et IV.
L’ANGLE DE CONTINGENCE 21
‫ ﱂ ﻳﻠ َﻖ ﺍﻟﺪﺍﺋﺮﺓ ﻋﻠﻰ ﻧﻘﻄﺔ ﻏﲑ ﺗﻠﻚ ﺍﻟﻨﻘﻄﺔ ﻣﻨﻬﺎ ﺍﻟﱵ‬،‫ﺍﳉﻬﺘَﻴﻦ ﺇﺧﺮﺍ ًﺟﺎ ﺇﱃ ﻏﲑ ﻧﻬﺎﻳﺔ‬
‫ ﺇﺣﺪﻯ‬،‫ ﻭﻣﻮﺿﻊ ﻫﺬﺍ ﺍﻟﺘﻤﺎ ّﺱ ﻫﻮ ﻧﻘﻄﺔ ﻭﺍﺣﺪﺓ ﺑﺎﻟﻮﺿﻊ ﻭﺍﺛﻨﺘﺎﻥ ﺑﺎﻹﺿﺎﻓﺔ‬،‫ﻟﻘﻴﻬﺎ ﻋﻠﻴﻬﺎ‬
‫ ﻭﺍﻷﺧﺮﻯ ﻫﻲ ﻧﻬﺎﻳﺔ ﺍﳋﻂ‬،‫ﺍﻟﻨﻘﻄﺘَﻴﻦ ﺍﳌﻀﺎﻓﺘَﻴﻦ ﻫﻲ ﻧﻬﺎﻳﺔ ﺍﻟﺪﺍﺋﺮﺓ ﻭ ُﻣﻀﺎﻓﺔ ﺇﻟﻴﻬﺎ‬
.‫ﺍﳌﺴﺘﻘﻴﻢ ﻭ ُﻣﻀﺎﻓﺔ ﺇﻟﻴﻪ‬

La droite tangente au cercle qu’Euclide a mentionnée dans le préambule du


troisième livre est une droite qui rencontre le cercle en un point de celui-ci
par un point de celle-là; et si l’on mène cette droite dans les deux directions
indéfiniment, elle ne rencontre pas le cercle en un point autre que celui sur
lequel elle l’a rencontré, et la position de tangence est un seul point par la
position et deux par la relation; l’un de ces deux points relatifs est
l’extrémité du cercle et relatif à lui, et l’autre est l’extrémité de la droite et
relatif à elle.41
Or, pour que ces deux points s’identifient en un seul selon la
catégorie de la position, ils doivent se rapprocher indéfiniment.
C’est dans ce rapprochement que l’infiniment petit intervient tout
naturellement. Mais, pour expliquer techniquement cette idée, il a
fallu attendre l’invention du calcul différentiel.
Le troisième point, tout aussi important, est la conception qu’Ibn
al-Haytham se faisait de l’angle. Or il n’ignorait sûrement pas que
la définition de l’angle avait fait couler beaucoup d’encre depuis
l’antiquité, et que la définition euclidienne n’était pas unanime-
ment admise.42 À la suite de Thābit ibn Qurra, Ibn al-Haytham
développe toute une théorie pour montrer que l’angle appartient
bien à la catégorie de la position et non à celle de la quantité. Ses
motivations, on le verra, sont directement liées à son désir
d’élaborer un discours général sur toutes les espèces d’angle plan.
Il commence par définir l’angle plan comme une forme d’une po-
sition de surface. Il écrit:
‫ ﻓﺈﻧﻬﻤﺎ ﻳﻔﻌﻼﻥ ﰲ ﺍﻟﺴﻄﺢ ﺻﻮﺭﺓ ﺗﺘﻘ ّﻮﻡ ﻣﻦ ﻭﺿﻊ‬.‫ﻓﻜﻞ ﺧﻄﲔ ﻳﺘﻘﺎﻃﻌﺎﻥ ﰲ ﺳﻄﺢ‬
‫ ﻓﺎﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﺒﺴﻴﻄﺔ‬.‫ ﻭﻫﺬﻩ ﺍﻟﺼﻮﺭﺓ ﺗُﺴ ّﻤﻰ ﺯﺍﻭﻳﺔ ﺑﺴﻴﻄﺔ‬،‫ﺍﳋﻄﲔ ﺃﺣﺪﳘﺎ ﻋﻨﺪ ﺍﻵﺧﺮ‬
‫ ﺍﳓﺮﺍﻑ ﻛﻞ ﻭﺍﺣﺪ ﻣﻦ ﺧﻄﲔ ﻣﻮﺿﻮﻋﲔ ﰲ ﺑﺴﻴﻂ ﻭﺍﺣﺪ ﻣﻠﺘ ِﻘﻴَ ْﲔ ﻣﺘﻘﺎﻃ َﻌﲔ‬:‫ﻫﻲ‬
‫ ﻭﻗﺪ ﺗﻜﻮﻥ ﰲ‬،‫ ﻭﻗﺪ ﺗﻜﻮﻥ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﺒﺴﻴﻄﺔ ﰲ ﺍﻟﺴﻄﻮﺡ ﺍﳌﺴﺘﻮﻳﺔ‬.‫ﻋﻠﻰ ﻧﻘﻄﺔ‬
.‫ﺍﻟﺴﻄﻮﺡ ﺍﶈ ّﺪﺑﺔ ﻭﺍﳌﻘ ّﻌﺮﺓ‬

41
Sharh musādarāt Kitāb Uqlīdis, MS Oxford, Bodleian Hunt. 237, fol. 181v.
42 ˙
Définition ˙I.8, déjà citée.
22 ROSHDI RASHED

Deux lignes qui se coupent dans une surface font dans la surface une forme
(sūra) qui est constituée à partir de la position (wadʿ) des deux lignes, l’une
˙ rapport à l’autre. On appelle cette forme un angle
par ˙ plan. L’angle plan
est donc une inclinaison de chacune des deux lignes placées dans une
même surface plane, qui se rencontrent ou se coupent en un point. L’angle
plan peut être dans les surfaces planes, et il peut être dans les surfaces
concaves et convexes.43
Pour comprendre ce qu’Ibn al-Haytham entend par “forme d’une po-
sition”, il faudrait se référer à sa conception du “lieu”.44 Selon cette con-
ception, en effet, l’angle est une forme invariable définie par les
distances entre les points de la surface d’une région de l’espace limitée
par deux lignes qui se rencontrent en un point; c’est la forme d’une
étendue.
L’usage délibéré de ce langage aristotélicien obéit à une intention
précise: l’angle-forme n’est plus l’angle-grandeur, c’est l’angle-étendue.
Pour montrer que l’angle n’est pas une grandeur au sens archimédien
du terme, Ibn al-Haytham évoque le contre-exemple déjà rencontré: l’an-
gle droit une fois doublé, il s’annule; et l’angle aigu infiniment petit une
fois multiplié, le produit dépassera l’angle droit et ne sera pas un
angle. Or une grandeur telle que la ligne, la surface, le solide, . . ., une
fois multipliée, le produit sera une grandeur du même genre. Pour expli-
quer l’existence, la croissance et la décroissance de l’angle rectiligne, Ibn
al-Haytham fait appel à un modèle cinématique: il se donne un segment
de droite et prend un point quelconque sur ce segment; à partir de ce
point, il élève une droite inclinée qu’il meut d’un mouvement continu
dans l’une des deux directions (le premier segment restant fixe), et cons-
tate la décroissance monotone d’un côté et la croissance monotone de
l’autre.
Voici ce qu’il écrit:
‫ ﻭﻧﺘﺨﻴّﻞ ﺧ ًﻄﺎ‬،‫ ﻭﻧﺘﺨﻴّﻞ ﻋﻠﻴﻪ ﻧﻘﻄ ًﺔ ﻛﻴﻔﻤﺎ ﺍﺗﻔﻘﺖ ﻣﻨﻪ‬،‫ﻧﺘﺨﻴّﻞ ﺧ ًﻄﺎ ُﻣﺴﺘﻘﻴﻤﺎ ﻣﺘﻨﺎﻫﻴﺎ‬
‫ ﻓﻴَﺤﺪﺙ ﻋﻠﻰ ﺗﺼﺎﺭﻳﻒ ﺍﻷﺣﻮﺍﻝ ﻋﻦ ﺟﻨﺒﺘﻴﻪ‬،‫ﺁﺧﺮ ﻣﺴﺘﻘﻴ ًﻤﺎ ﺧﺎﺭ ًﺟﺎ ﻣﻦ ﺗﻠﻚ ﺍﻟﻨﻘﻄﺔ‬
،‫ ّﰒ ﻧﺘﺨﻴّﻞ ﻫﺬﺍ ﺍﳋﻂ ﺍﻟﺜﺎﱐ ﻣﺘﺤ ّﺮ ًﻛﺎ ﺇﱃ ﺇﺣﺪﻯ ﺍﳉﻬﺘَﻴﻦ ﻭﺍﻷ ّﻭﻝ ﺛﺎﺑﺘًﺎ‬،‫ﺯﺍﻭﻳﺘﺎﻥ‬
‫ ّﰒ ﻻ ﺗﺰﺍﻝ‬،‫ ﻭﺗﺘﻌﺎﻇﻢ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻷﺧﺮﻯ‬،‫ﻓﺘﺘﺼﺎ َﻏﺮ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﱵ ﺗﻠﻲ ﺟﻬﺔ ﺍﳊﺮﻛﺔ‬
‫ ﻣﺎ ﺩﺍﻡ‬،‫ﺗﺘﺼﺎﻏﺮ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﱵ ﺗﻠﻲ ﺟﻬﺔ ﺍﳊﺮﻛﺔ ﺇﱃ ﺃﻥ ﺗﻨﺘﻬﻲ ﺇﱃ ﻏﺎﻳﺔ ﺍﻟ ِﺼﻐﺮ‬
.‫ ﻭﺗﺼﲑ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻷﺧﺮﻯ ﰲ ﻏﺎﻳﺔ ﺍﻟ ِﻌ َﻈﻢ‬،‫ﺍﳋﻂ ﻣﺘﺤﺮ ًﻛﺎ ﰲ ﺗﻠﻚ ﺍﳉﻬﺔ‬
ّ
‫ ﻭﻳﻜﻮﻥ ﻣﻴﻠﻪ ﺇﱃ‬،‫ﻭﻳﻜﻮﻥ ﺍﳋﻂ ﺍﳌﺘﺤﺮﻙ ﰲ ﻫﺬﻩ ﺍﳊﺎﻝ ﻣﺎﺋ ًﻼ ﻋﻠﻰ ﺍﳋﻂ ﺍﻟﺜﺎﺑﺖ‬
،‫ ﻓﻴﻈﻬﺮ ﻣﻦ ﻫﺬﻩ ﺍﳊﺎﻝ ﺃ ّﻥ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﳊﺎ ّﺩﺓ ﻭﺍﳌﻨﻔ ِﺮﺟﺔ ﻣﻮﺟﻮﺩﺗﺎﻥ‬.‫ﺟﻬﺔ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟ ُﺼﻐﺮﻯ‬
43
Sharh musādarāt Kitāb Uqlīdis, MS Oxford, Bodleian Hunt. 237, fol. 156r-v.
44 ˙ ˙
Les mathématiques infinitésimales, vol. IV.
L’ANGLE DE CONTINGENCE 23
،‫ّﰒ ﻧﺘﺨﻴّﻞ ﺍﳋﻂ ﺍﻟﻘﺎﺋﻢ ﻣﺘﺤ ّﺮ ًﻛﺎ ﺇﱃ ﺍ ِﳉﻬﺔ ﺍﻷﺧﺮﻯ ﻓﻼ ﺗﺰﺍﻝ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﺼﻐﺮﻯ ﺗﺘﻌﺎﻇﻢ‬
.‫ﻭﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﻌﻈﻤﻰ ﺗﺘﺼﺎﻏﺮ‬

‫ ﻓﻼ ﺑﺪ ﺃﻥ ﺗﻨﺘﻬﻲ ﺍﳊﺮﻛﺔ ﺇﱃ ﺃﻥ ﺗﺼﲑ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﱵ‬،‫ّﰒ ﺇﺫﺍ ُﲣﻴّﻠﺖ ﺍﳊﺮﻛﺔ ﻣﺴﺘﻤ ّﺮًﺓ‬
‫ ﻓﻴﺼﲑ ﺍﳋﻂ‬،‫ ﻭﺗﺼﲑ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻷﺧﺮﻯ ﰲ ﻏﺎﻳﺔ ﺍﻟ ِﻌﻈﻢ‬،‫ﰲ ﺟﻬﺔ ﺍﳊﺮﻛﺔ ﰲ ﻏﺎﻳﺔ ﺍﻟﺼﻐﺮ‬
‫ ﻭﻳﻈﻬﺮ ﺃ ّﻥ‬،‫ﺍﳌﺘﺤ ّﺮﻙ ﰲ ﻫﺬﻩ ﺍﳊﺎﻝ ﻣﺎﺋ ًﻼ ﺇﱃ ﺍﳉﻬﺔ ﺍﻷﺧﺮﻯ ﺍﳌﻘﺎﺑﻠﺔ ﻟﻠﺠﻬﺔ ﺍﻷﻭﱃ‬
‫ ّﰒ ﺻﺎﺭﺕ ﺃﻋﻈﻢ‬،‫ ﻛﺎﻧﺖ ﺃﺻﻐﺮ ﻣﻦ ﺍﻟﱵ ﺗﻠﻴﻬﺎ‬.‫ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﱵ ﺗﻠﻲ ﺍ ِﳉﻬﺔ ﺍﻷﻭﱃ‬
‫ ﻭﻻ ﺗﺼﲑ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﺼﻐﺮﻯ‬،‫ ﻭﺗﺰﺍﻳﺪﻫﺎ ﻭﺗﻌﺎﻇﻤﻬﺎ ﺇ ّﳕﺎ ﻛﺎﻥ ﲝﺮﻛﺔ ﺍﳋﻂ‬،‫ﻣﻨﻬﺎ‬
.‫ُﻋﻈﻤﻰ ﲝﺮﻛﺔ ﺍﳋﻂ ﺍﻟﺬﻱ ﳛﻮﺯﻫﺎ ﺇ ّﻻ ﺑﻌﺪ ﺃﻥ ﺗﺼﲑ ﻣﺴﺎﻭﻳﺔ ﳍﺎ‬

Nous imaginons une droite finie, nous imaginons un point quelconque de


celle-ci et nous imaginons une autre droite issue de ce point; il se produit
en tous les cas deux angles, de part et d’autre. Ensuite, nous imaginons
cette deuxième droite en mouvement, dans l’une des deux directions, la
première droite étant fixe. L’angle qui est dans la direction du mouvement
décroît de plus en plus et l’autre angle croît de plus en plus; puis l’angle du
côté de la direction du mouvement continue à décroître jusqu’à ce qu’il
devienne d’une extrême petitesse, tant que cette droite se meut dans cette
direction; et l’autre angle croît et devient extrêmement grand. Dans ce cas,
la droite mobile sera inclinée sur la droite fixe, et son inclinaison sera vers
le petit angle. Il est évident dans ce cas que l’angle aigu et l’angle obtus
existent.
Imaginons ensuite la droite élevée en mouvement dans l’autre direction;
alors le petit angle continue à croître et le grand angle à décroître. Si
ensuite l’on imagine le mouvement continu, il aboutit nécessairement à
ce que l’angle qui est dans la direction du mouvement devienne d’une
extrême petitesse et l’autre angle d’une extrême grandeur. La droite
mobile dans ce cas sera inclinée dans l’autre direction, opposée à la
première direction. Il est évident que l’angle qui était dans la première
direction plus petit que l’adjacent, puis est devenu plus grand que lui, et
augmente et croît, n’était que par le mouvement de la droite. Le petit
angle ne devient le grand angle par le mouvement de la droite qui l’entoure
qu’après lui avoir été égal.45
Ibn al-Haytham poursuit ainsi pour montrer l’existence de l’angle
droit lorsque les deux angles deviennent égaux.
Quant à l’étude des angles mixtilignes, on verra plus loin qu’Ibn
al-Haytham y procède par rotation.

45
Sharh musādarāt Kitāb Uqlīdis, MS Oxford, Bodleian Hunt. 237, fols. 158v–159r. On retrou-
˙ ˙ cet exemple plus tard chez J. Peletier. Cf. Rommevaux, “Un débat dans les
ve d’ailleurs
mathématiques de la Renaissance”, p. 298.
24 ROSHDI RASHED

On peut se demander comment, par une telle conception, Ibn


al-Haytham justifie les opérations appliquées à l’angle rectiligne, et
ensuite aux autres angles plans. Pour répondre à cette question, Ibn
al-Haytham a recours cette fois encore au langage aristotélicien et à
la distinction commune à l’époque entre le “par soi” et le “par acci-
dent”, langage dans les termes duquel il formule à nouveau la notion
de la divisibilité à l’infini qui caractérise toute quantité et lui permet-
tra d’étudier l’angle de contingence. Il distingue entre deux espèces de
divisibilité: “par soi”, et “par accident”. Les grandeurs divisibles par
soi sont celles qui sont divisées directement, sans qu’il soit besoin
de passer par d’autres grandeurs. Elles ne sont autres que les gran-
deurs “mesurables”, au sens de l’époque,46 c’est-à-dire soumises à la
théorie des proportions; ainsi la ligne, la surface, le solide, etc. Ce
sont les grandeurs archimédiennes. Les grandeurs divisibles par
accident sont celles dont la division est effectuée par l’intermédiaire
d’autres. Ainsi, écrit Ibn al-Haytham:

‫ ﻭﺫﻟﻚ ﺃﻥ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺇ ّﳕﺎ ﺗﻨﻘﺴﻢ ﺇﺫﺍ ﻛﺎﻧﺖ‬،‫ﺇ ّﻥ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺇ ّﳕﺎ ﺗﻨﻘﺴﻢ ﺑﺎﻟﻌ َﺮﺽ ﻻ ﺑﺎﻟﺬﺍﺕ‬
‫ ﻭﺫﻟﻚ ﺃ ّﻥ ﺍﳋﻄﲔ ﺍﶈﻴﻄﲔ ﺑﺎﻟﺰﺍﻭﻳﺔ‬،‫ﻣﺴ ّﻄﺤﺔ ﺑﺎﻧﻘﺴﺎﻡ ﺍﻟﺴﻄﺢ ﺍﻟﺬﻱ ﻫﻲ ﺻﻮﺭٌﺓ ﻓﻴﻪ‬
.‫ ﺃﻋﲏ ُﻣﻜﺘﻨﻔﺎﻥ ﻟﻠﺴﻄﺢ‬،‫ﺍﳌﺴ ّﻄﺤﺔ ﳘﺎ ﳏﻴﻄﺎﻥ ﺑﺎﻟﺴﻄﺢ‬

L’angle se divise par accident et non par soi, puisque, s’il est plan, il se divise
par la division de la surface dans laquelle il est formé, et cela car les deux li-
gnes qui entourent l’angle plan sont celles qui contiennent la surface.47
Pour étudier toutes les espèces de l’angle – rectiligne, curviligne,
mixtiligne, de contingence – Ibn al-Haytham s’efforce de trouver
une définition qui les englobe, d’où son recours à la forme de position.
Mais sachant pertinemment que les trois dernières espèces ne sont
pas “mesurables”, et ne sont donc pas des “grandeurs” selon la
géométrie euclidienne, il a élaboré une théorie de l’angle qui lui auto-
rise certains calculs, sans passer par la théorie des grandeurs
archimédiennes, ni donc s’engager sur la nature de l’angle comme
“quantité”. Nous avons là un exemple de solution philosophique
d’un problème mathématique, lorsque les moyens mathématiques
de solution font encore défaut.
À l’aide de cette conception de l’angle, Ibn al-Haytham aborde l’an-
gle de contingence et commence par montrer qu’il n’est pas du même
genre que l’angle rectiligne. Il écrit que ces deux angles “ne sont pas de
même genre et qu’il n’y a pas de rapport entre eux”. Notons qu’il ne

46
Cf. R. Rashed, “Les premières classifications des courbes”, Physis, XLII.1 (2005): 1–64.
47
Sharh musādarāt Kitāb Uqlīdis, MS Oxford, Bodleian Hunt. 237, fol. 157v.
˙ ˙
L’ANGLE DE CONTINGENCE 25
présente pas cette non-homogénéité comme une simple constatation
ou comme un postulat, mais qu’il l’établit en montrant que les angles
de contingence forment une suite croissante d’infiniment petits, alors
que les angles rectilignes forment une suite décroissante d’infiniment
petits, et que les termes de la première sont tous inférieurs aux
termes de la seconde.
Soit l’angle rectiligne EAB = α. Par division successive en deux
moitiés, selon la définition précédente, il forme une suite d’angles

rectilignes aigus infiniment petits, soit la suite (Un )n≥1 = 2an n≥1 . Il
forme ensuite une autre suite décroissante des cercles, tous tangents
au point A à la perpendiculaire AE. Il prend pour cela sur le
demi-diamètre DA une suite de points successifs comme centres, et
trace des cercles de plus en plus petits; soit la suite des cercles
(Cn)n≥1. À partir de cette suite décroissante de cercles, il forme une
suite croissante d’angles de contingence, soit (Cn)n≥1. Il montre
enfin que, quel que soit le terme de cette suite croissante, il est plus
petit que tout élément de la suite décroissante des angles rectilignes
aigus.
En effet, soit B un point quelconque de la circonférence du cercle
ABC, la droite AB coupe tous les cercles (Cn)n≥1 et engendre une
suite décroissante d’angles rectilignes, chacun étant plus grand que
tout angle de contingence, puisque celui-ci est inclus dans celui-là,
et dans l’ordre.
Ibn al-Haytham montre ensuite que, quel que soit l’angle de contin-
gence C, il est plus petit que tout angle rectiligne α; ou, en d’autres
termes: pour tout n ∈ N, si C < α, on a nC < α.
Lue un peu trop rapidement, la démarche d’Ibn al-Haytham pour-
rait être assimilée à celle de Philopon. Il n’en est cependant rien.

1. Le contexte, tout d’abord, est différent. Philopon s’interroge


dans le Commentaire de la Physique aussi bien que dans celui
des Seconds Analytiques sur la possibilité pour les grandeurs
non-homogènes de passer du plus grand au plus petit sans pas-
ser par l’égal. L’angle de contingence et l’angle du demi-cercle
sont évoqués à titre d’exemple pour illustrer ce problème, et
non pas pour eux-mêmes.
Ibn al-Haytham s’interroge en mathématicien sur le concept
d’angle en général et celui d’angle de contingence en particulier
pour, écrit-il, “découvrir la cause (ʿilla)” de ce qui a été établi
dans III.16, à savoir pourquoi tout angle rectiligne aigu formé
par la perpendiculaire à l’extrémité du diamètre du cercle et
une droite quelconque menée du point de contact est plus
grand que l’angle de contingence. Philopon et Ibn al-Haytham
n’étudient pas le même problème et ne poursuivent pas le
même but.
26 ROSHDI RASHED

2. Le traitement de la notion d’homogénéité diffère lui aussi.


Philopon se borne au cadre aristotélicien selon lequel la
non-homogénéité des lignes simples que sont la droite et le cer-
cle relève d’une ontologie physique, tout au plus physico-
mathématique. Philopon ne démontre pas la non-homogénéité
de l’angle rectiligne aigu et de l’angle de contingence. Or, tel
est précisément le but d’Ibn al-Haytham: établir cette
non-homogénéité. Lecteur d’Euclide, il savait que ce dernier a
établi dans III.16 l’inégalité entre l’angle de contingence, l’angle
rectiligne aigu et l’angle du demi-cercle, sans se préoccuper de
la question de l’homogénéité. C’est précisément à cette question
qu’Ibn al-Haytham a voulu répondre. La stratégie qu’il conçoit
délibérément consiste à comparer les infiniment petits et à
montrer rigoureusement que ces deux “grandeurs” (angle de
contingence et angle rectiligne) ne vérifient pas la proposition
X.1 des Éléments.
3. Cette stratégie, on l’a vu, passe par deux suites, l’une
décroissante et l’autre croissante, qu’il manie en même temps
en montrant que la première majore toujours la seconde. Il
procède ainsi par la formation de ces suites d’infiniment petits
pour après les comparer entre elles. Plus précisément encore, il
compare deux approximations. La première est l’approximation
de la tangente par des sécantes, et la deuxième est l’approxima-
tion du cercle initial par des cercles qui sont eux-mêmes une
approximation du cercle osculateur. Philopon, quant à lui,
forme une suite d’angles de contingence et une suite d’angles
de demi-cercles complémentaires, et souligne que, lorsque
l’une croît indéfiniment, l’autre décroît indéfiniment, mais
sans que les termes de l’une ou de l’autre soient égaux à un
angle rectiligne aigu, c’est-à-dire sans passer par l’égal.

Ces différences entre le philosophe et le mathématicien sont, à


l’évidence, la contrepartie opératoire, si l’on veut, de leur conception
radicalement différente de la notion de non-homogénéité.
Ibn al-Haytham ne s’arrête pas là; il se demande s’il est possible de
diviser l’angle de contingence, pour pouvoir comparer entre eux les
angles de contingence. L’idée, déjà rencontrée chez Philopon et dans
le corollaire de III.15 du Commentaire des Éléments d’al-Abhārī, est
la suivante: l’unicité de la tangente à l’extrémité A du diamètre du cer-
cle, qui définit avec la circonférence du cercle l’angle de contingence,
n’empêche pas de faire passer par le point A une suite décroissante
de cercles, tous tangents en ce point, et dont chacun définit avec la
tangente un angle de contingence. C’est alors qu’Ibn al-Haytham
étend le résultat précédemment obtenu: les angles de contingence
ne sont pas seulement non homogènes avec les angles rectilignes,
L’ANGLE DE CONTINGENCE 27

Fig. 6

mais le sont également entre eux et, de ce fait, incomparables. Il écrit:


“ainsi, il n’y a pas de rapport entre les angles entourés par des arcs
inégaux”.
Notons que, au cours de cette démarche, Ibn al-Haytham procède
par division des angles, dans le sens déjà précisé de la divisibilité
par accident. Celle-ci assure pourtant que, pour les angles comme
pour les grandeurs quelles qu’elles soient, chaque partie d’un angle
est un angle de même genre, par accident pour ainsi dire, que ces par-
ties soient ou non comparables.
Ensuite, Ibn al-Haytham restreint en quelque sorte la question et
se demande si l’on peut déterminer un rapport entre une sous-classe
d’angles mixtilignes et les angles rectilignes, à défaut d’un rapport
entre tous les angles mixtilignes et ces derniers. Il montre que
cela est possible, et que l’on peut même avoir un rapport d’égalité,
“si chacun des angles est entouré par deux lignes de même genre
et deux lignes égales aux deux lignes de l’autre angle”. On peut
dans ce cas réduire la mesure de l’angle mixtiligne à celle de l’angle
rectiligne.
Pour établir ce résultat, Ibn al-Haytham développe l’exemple déjà
rencontré chez al-Nayrīzī. Mais, à la différence de ce dernier, il
procède par une rotation, et ensuite par une superposition.
Il considère deux angles mixtilignes ayant deux rectilignes égaux et
ayant leur concavité dans la même direction, et telles que les recti-
lignes forment un angle aigu.
Soit AB = AC les deux rectilignes, cordes des segments ADB et AEC.
On a l’angle rectiligne aigu BAC et les deux angles mixtilignes DAB et
EAC égaux, puisque les deux segments sont superposables après une
rotation (A, BÂC); d’où, si on ôte communément l’angle BAE des deux
angles DAB et EAC, on a CÂE = EÂD (Fig. 6).
Ainsi, on a un angle mixtiligne égal à un angle rectiligne.
28 ROSHDI RASHED

Ibn al-Haytham parle ensuite, plus généralement, d’un rapport de


proportionnalité entre ces angles lors de leur division et de leur mul-
tiplication. C’est dire que, même si les angles mixtilignes ne forment
pas une “grandeur mesurable”, on peut, pour cette sous-classe d’an-
gles mixtilignes, les “mesurer” à l’aide de l’angle rectiligne aigu
formé par les rectilignes de ces deux angles mixtilignes.
Dans cette étude, Ibn al-Haytham a transformé plusieurs résultats
connus de ses prédécesseurs pour donner une nouvelle analyse du
problème de l’angle de contingence, analyse qui ne sera égalée que
longtemps après. Bien sûr, les successeurs vont s’en inspirer, et les
thèmes abordés par le mathématicien du XIe siècle seront repris çà
et là, que ce soit dans son sillage ou indépendamment. Pour l’heure,
nous pouvons évoquer quelques mathématiciens, en commençant
par al-Samawʾal (mort en 1175), al-Shīrāzī (1236–1311), Kamāl
al-Dīn al-Fārisī (mort en 1319) et ʿAlāʾ al-Dīn al-Qūshjī (1403–1474).

IV. AL-SAMAWʾAL, Al-TŪSĪ ET AL-SHĪRĀZĪ: LA COMPARABILITÉ DES


GRANDEURS ˙ ET DES FIGURES GÉOMÉTRIQUES

1) Parmi les successeurs d’Ibn al-Haytham qui ont repris l’étude de


l’angle de contingence figurent l’algébriste al-Samawʾal ibn Yahyā
al-Maghribī et Kamāl al-Dīn al-Fārisī. Ce dernier a eu la bonne ˙
idée, on le verra plus loin, de réunir plusieurs études sur l’angle, celles
d’Ibn al-Haytham, d’Avicenne, d’al-Samawʾal, ainsi qu’un long essai
de sa main. L’épître d’al-Samawʾal nous est parvenue annotée par
al-Fārisī. Ces annotations, parfois critiques, nous transmettent, si
l’on peut dire, une polémique post mortem: des réponses à
al-Samawʾal formulées à un siècle et demi de distance environ.
Dans cette épître, al-Samawʾal répond lui-même à un correspon-
dant, qui s’adresse à lui pour qu’il veuille bien arbitrer une discussion
agitée à propos de l’angle de contingence. Toute la question est de
savoir si cet angle est, ou non, du même genre que l’angle rectiligne.
Le correspondant rapporte que l’un des mathématiciens de l’Ouest
islamique, un certain Abū Sharīf al-Maghribī, a cru avoir démontré
que ces deux angles sont homogènes. Or celui-ci ne fait que reprendre
la démonstration d’al-Nayrīzī pour en tirer une conclusion erronée. En
effet, après avoir établi l’égalité des deux angles, il obtient comme
al-Nayrīzī l’égalité d’un angle curviligne et d’un angle droit; ce qui
est exact. Mais il ajoute: “Si donc un angle curviligne est du même
genre qu’un angle rectiligne, alors l’angle entouré par une droite et
un arc est, à plus forte raison, du même genre qu’un angle rectiligne”.
Faute logique grave qui attire les foudres d’al-Samawʾal et l’incite à
rejeter toute la démonstration, y compris la première partie – ce
qu’al-Fārisī ne manquera pas de lui reprocher.
L’ANGLE DE CONTINGENCE 29
Or Abū Sharīf al-Maghribī ne considère pas un angle rectiligne quel-
conque, mais un angle droit. Cette restriction, qu’al-Samawʾal n’a pas
notée, a été relevée par al-Fārisī. Le problème sera examiné au siècle
suivant par l’astronome et mathématicien Qutb al-Dīn al-Shīrāzī
(voir plus loin). ˙
Al-Samawʾal reprend le problème et commence par discuter de la
comparabilité de l’angle de contingence et de l’angle rectiligne. Pour
entamer cette discussion, il explique d’abord ce qu’il entend par
“homogène” ou “comparable”. En se référant au cinquième livre des
Éléments, il écrit: “La définition de l’homogène selon eux (les
géomètres), ce sont les deux dont le plus petit excède le plus grand
par duplication”; c’est-à-dire, soit A et B deux grandeurs telles que A
< B, A et B sont homogènes si, lorsqu’on double A autant de fois que
nécessaire, le résultat excède B. C’est ainsi qu’al-Samawʾal interprète
la quatrième définition du livre V des Éléments, la définition du
rapport.
Mais cette définition ne semble pas convenir à al-Fārisī, qui propose
de recourir à la proposition X.1 des Éléments, telle qu’Ishāq-Thābit
˙
l’ont rendue dans la traduction de l’ouvrage d’Euclide, à savoir:

،‫ ﻭﻓﺼﻞ ﻣﻦ ﺃﻋﻈﻤﻬﻤﺎ ﺃﻛﺜﺮ ﻣﻦ ﻧﺼﻔﻪ‬،‫ﺇﺫﺍ ﻛﺎﻥ ﻣﻘﺪﺍﺭﺍﻥ ﻣﻮﺿﻮﻋﺎﻥ ﻏﲑ ﻣﺘﺴﺎﻭﻳﲔ‬


‫ ﻓﺈﻧﻪ ﺳﻴﺒﻘﻰ ﻣﻨﻪ ﻣﻘﺪﺍﺭ ﻣﺎ ﺃﻗﻞ ﻣﻦ‬،‫ ﻭﻓﻌﻞ ﺫﻟﻚ ﺩﺍﺋ ًﻤﺎ‬،‫ﻭﳑﺎ ﻳﺒﻘﻰ ﺃﻛﺜﺮ ﻣﻦ ﻧﺼﻔﻪ‬
.‫ﺍﳌﻘﺪﺍﺭ ﺍﻷﺻﻐﺮ ﺍﳌﻮﺿﻮﻉ‬

Deux grandeurs posées étant inégales, si on sépare de la plus grande plus


que sa moitié, du reste plus que sa moitié, et si on procède toujours ainsi,
il reste alors une grandeur inférieure à la petite grandeur posée.48
Rappelons que cette définition a été discutée par des mathématiciens
comme Thābit ibn Qurra, al-Qūhī, Ibn al-Haytham, Ibn al-Sarī,49 et
que al-Samawʾal aussi bien qu’al-Fārisī connaissaient sans aucun
doute ces débats.
Quoi qu’il en soit, de cette définition de l’homogénéité al-Samawʾal
tire une conclusion négative: si A est un angle de contingence et B un
angle rectiligne, A et B ne vérifient pas cette définition, et par
conséquent ces deux angles ne peuvent pas être d’un même genre,
ni donc comparables. Il examine plus loin la raison qui fait qu’il en
est ainsi.
Si donc la démonstration de l’homogénéité énoncée par Abū Sharīf
al-Maghribī est fausse, al-Samawʾal se tourne vers la démonstration
par Ibn al-Haytham de la non-homogénéité, qu’il trouve

48
MS Téhéran, Malik 3433, folio non numéroté.
49
Voir Les mathématiques infinitésimales, vol. II, pp. 498–502.
30 ROSHDI RASHED

insatisfaisante. Mais la connaissance qu’il avait de la solution d’Ibn


al-Haytham est indirecte; ce n’est pas, en effet, le livre même d’Ibn
al-Haytham qu’il avait lu, mais un exposé donné précisément par
Abū Sharīf al-Maghribī. L’attaque qu’il porte contre Ibn al-Haytham
a donc manqué son but, ce qui lui a valu de recevoir à son tour les cri-
tiques sévères d’al-Fārisī, qui lui reproche d’ignorer le texte d’Ibn
al-Haytham. Cependant, cette discussion à distance nous permet de
confirmer notre compréhension de la solution d’Ibn al-Haytham.
Al-Samawʾal a donc cru à tort qu’Ibn al-Haytham a établi la
non-homogénéité de l’angle de contingence et de l’angle rectiligne à
l’aide de la seule suite croissante (Cn)n≥1, et que la croissance s’est
opérée par simple duplication des termes. Or nous avons vu qu’Ibn
al-Haytham forme cette dernière suite à partir des cercles tangents
à la perpendiculaire, la suite (Cn )n≥1 , sans procéder aucunement
par duplication. De plus, pour établir la non-homogénéité, Ibn
al-Haytham s’appuie sur la croissance de la suite (C n )n≥1 et la
décroissance de la suite des angles rectilignes (Un)n≥1. Ce sont ces
erreurs d’interprétation du texte que relève al-Fārisī.
Mais, comme al-Samawʾal croyait qu’Ibn al-Haytham avait doublé
autant que nécessaire l’angle de contingence, il examine à son tour
cette possibilité. Il considère le cas particulier de deux demi-cercles
égaux.
Mais al-Samawʾal savait qu’il ne pouvait aller plus loin et
généraliser un tel résultat, et n’ignorait pas que le problème de la mul-
tiplication de l’angle de contingence et de la comparaison de celui-ci
avec l’angle rectiligne reste entier.
Confronté à cette difficulté et faute des moyens géométriques de la
résoudre, il se pose la question de la comparabilité de deux figures
géométriques. Notons d’abord que, par “figure”, il entend, tout
comme les anciens géomètres, le sens donné par Euclide: la figure
“est ce qui est compris par une seule ou plusieurs limites”. Pour
al-Samawʾal, ce qui caractérise la figure est moins ses propriétés
métriques, que sa forme et sa position. Ainsi, une figure polygonale
est caractérisée par sa forme, laquelle est à son tour caractérisée
par les angles et non pas par la longueur des côtés ni par l’aire.
Deux figures polygonales sont comparables si elles ont des angles
égaux et semblablement placés. Elles ont donc la même forme, sans
que celle-ci soit relative à l’aire. Comparer deux figures, c’est donc
examiner l’égalité de la forme et la similitude de la position. Sans le
dire explicitement, à la suite d’Ibn al-Haytham, al-Samawʾal pense
l’angle comme appartenant à la catégorie de la position.
Deux angles sont égaux s’ils ont la même forme et des positions
semblables: les figures qui entourent l’un ont les mêmes positions
que les figures qui entourent l’autre. Ainsi, pour ajouter un angle
L’ANGLE DE CONTINGENCE 31
communément à deux angles rectilignes, il faut s’assurer que l’angle
ajouté a bien la même position dans les deux cas, la forme étant iden-
tique. C’est là que réside la raison de la non-comparabilité entre l’an-
gle de contingence et l’angle rectiligne. C’est là aussi qu’il faut, selon
al-Samawʾal, voir la raison de la non-additivité des angles mixtilignes
aussi bien que des angles de contingence. On a vu précédemment
qu’on ne peut doubler un angle de contingence qu’une fois.
C’est par cette réflexion sur la comparabilité des figures
qu’al-Samawʾal pouvait répondre à la question initiale de la
non-homogénéité des deux genres d’angle.
2) Si al-Samawʾal avait posé le problème de la comparabilité des
figures géométriques à partir de celui de l’angle de contingence,
Nasīr al-Dīn al-Tūsī (1201–1274) et son élève Qutb al-Dīn al-Shīrāzī
˙
avaient ˙
en revanche ˙
rencontré le problème de l’angle et de l’angle
de contingence alors qu’ils s’interrogeaient sur la comparabilité
entre les figures. À la fin de son Astronomie (Nihāyat al-idrāk),
al-Shīrāzī soulève la question classique de la comparabilité entre le
cercle et la droite, et propose une méthode pour établir cette compa-
raison: faire rouler un cercle le long d’une droite, sans glissement,
de sorte qu’il reste tangent à la droite pendant le mouvement,
jusqu’à ce qu’il revienne à sa position initiale. Cette méthode lui per-
met d’une part de montrer que la circonférence du cercle est égale au
segment de droite parcouru et, d’autre part, de comparer une ligne
courbe à une droite. Son maître Nasīr al-Dīn al-Tūsī engage la discus-
˙
sion sur la portée et la validité ˙de cette méthode, dans un écrit
aujourd’hui perdu mais cité par al-Shīrāzī dans la réponse qu’il lui
adresse, réponse intitulée Sur le mouvement de roulement et les rap-
ports entre la <figure> plane et la courbe.50 La discussion porte sur
la comparaison d’une courbe et d’une droite, des courbes entre elles,
sur la rectification de la courbe, sur les propriétés qui demeurent
après rectification, sur la méthode pour établir la comparaison, etc.
C’est au sein de ce débat qu’une bonne place est consacrée à l’angle
et à l’angle de contingence. Ce dernier problème se trouve donc
intégré à titre d’exemple dans une recherche plus générale.
Bien qu’il présente un grand intérêt, nous ne reprendrons pas ici cet
échange entre les deux mathématiciens, de nature topologique avant
la lettre, sur la comparabilité des courbes; nous nous en tiendrons à ce
qui concerne l’angle. Deux questions sont posées, qui touchent direc-
tement les méthodes de comparaison:
1° La superposition de deux grandeurs, ou de deux figures,
géométriques est-elle une condition nécessaire et suffisante pour

50
MS Istanbul, Yeni Cami, T 221/2. E. Wiedemann, “Beiträge zur Geschichte der naturwis-
senschaften. LXXI”, dans Aufsätze zur arabischen Wissenschafts-Geschichte (Hildesheim,
1970), II, pp. 644–9.
32 ROSHDI RASHED

établir qu’elles sont proportionnelles, éventuellement égales, ou


n’est-ce qu’une condition suffisante?
2° La similitude entre deux grandeurs – ou deux figures – est-elle
une condition nécessaire et suffisante pour établir qu’elles sont pro-
portionnelles, éventuellement égales, ou n’est-ce qu’une condition
suffisante?
Pour prouver qu’il s’agit seulement d’une condition suffisante, il
suffit d’exhiber deux grandeurs – ou figures – égales sans être super-
posables (première question), ou sans être semblables (seconde ques-
tion). Al-Tūsī avait donné bien des exemples, et al-Shīrāzī a puisé
˙ de l’angle. Tout au long de sa discussion, il se réfère au
dans l’étude
traité, déjà évoqué, d’Ibn al-Haytham, dont il reconnaît volontiers
l’influence.
Pour répondre à la première question, il reprend l’exemple classi-
que: l’existence d’un angle curviligne égal à un angle droit. Mais il
va plus loin et montre, plus généralement, qu’il existe des angles
curvilignes égaux à des angles rectilignes non droits. Il écrit que
cette égalité entre angles rectilignes et angles curvilignes “n’est pas
propre à l’angle droit, ni aux deux demi-cercles, mais est plus
générale”.51 Voici comment il démontre cette généralité:
Soit une droite AB et le segment de cercle AHB. Du point B on mène
la droite BD = AB suivant un angle quelconque. Deux cas se
présentent: BD ne coupe pas l’arc AHB (Fig. 7), DB coupe l’arc AHB
(Fig. 8). On a encore plusieurs cas de figure selon la grandeur de
l’arc AHB:
_
• AHB est un demi-cercle; alors l’angle ABD est bien un droit si BD
est tangente au cercle (Fig. 7); et si BD n’est pas tangente au cercle,
alors l’angle ABD est un angle obtus. Cet angle est aigu dans la
figure_ 8.
• AHB est plus petit qu’un demi-cercle; alors l’angle ABD est aigu
dans la figure 8, et il peut être aussi bien aigu qu’obtus ou droit
dans la figure 7.
_
• AHB est plus grand qu’un demi-cercle; alors l’angle ABD est obtus
dans la figure 7 et aigu, obtus ou droit dans la figure 8.
Traçons BED un segment de cercle semblable au segment AHB, et
qui lui soit opposé. Ces deux segments semblables sont égaux puisque
AB = BD. Les deux angles ABH et DBE sont donc égaux. Ajoutons
dans 7 et retranchons dans 8 communément l’angle DBH. On a
immédiatement AB̂D = HB̂E (Fig. 7, Fig. 8).

51
Ibid., fol. 12v:
.‫ﻋﺎﻡ‬ ‫ ﺑﻞ ﻫﻮ‬،‫ ﺇﻥ ﻫﺬﺍ ﻏﲑ ﳐﺼﻮﺹ ﺑﺎﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﻘﺎﺋﻤﺔ ﻭﻻ ﺑﻨﺼﻔﻲ ﺍﻟﺪﺍﺋﺮﺗﻴﻦ‬:‫ﻓﺄﻗﻮﻝ‬
L’ANGLE DE CONTINGENCE 33

Fig. 8

Fig. 7

Al-Shīrāzī montre ainsi qu’un angle curviligne est égal aussi bien à
un angle droit qu’à un angle rectiligne non droit, et que la superposi-
tion n’est pas une condition nécessaire pour établir l’égalité des angles
et, plus généralement, des figures géométriques; ou, comme il écrit:
“les deux grandeurs peuvent être égales alors que la superposition
est écartée.”52
Al-Shīrāzī tire une première conséquence de ce résultat: l’égalité
entre grandeurs ne dépend pas de l’égalité de leurs positions respec-
tives. Conséquence immédiate de la précédente: l’angle ne peut pas
relever de la catégorie de la position – ce qui incite al-Shīrāzī à
reprendre sa définition. L’angle ne relève pas non plus de la catégorie
de la quantité puisqu’il ne vérifie ni la définition V.4 ni la proposition
X.1 des Éléments, mais il ne relève pas non plus de la catégorie de la
relation. Après ces trois négations – et probablement sous l’influence
d’Avicenne – al-Shīrāzī propose de définir l’angle comme une configu-
ration (hayʾa) qui se forme pour la grandeur auprès de l’un de ses points
ou de l’une de ses lignes en tant que cette grandeur a une ou plusieurs
limites jointes en ce point ou en cette ligne sans se prolonger. Tout indi-
que que cette définition a inspiré l’élève d’al-Shīrāzī, Kamāl al-Dīn
al-Fārisī, comme on le verra plus loin.
Pour répondre à la seconde question, celle de la similitude,
al-Shīrāzī revient à l’examen des Éléments d’Euclide qu’effectue
Ibn al-Haytham dans ses deux livres: la Solution des doutes et
l’Explication des postulats du livre d’Euclide. Au cours de cet
examen, Ibn al-Haytham montre en effet que la similitude entre
deux grandeurs n’est pas une condition nécessaire (elle est

52
Ibid., fol. 4v:
.‫ﺍﻟﺘﻄﺒﻴﻖ‬ ‫ﻭﳍﺬﺍ ﻗﺪ ﻳﺘﺴﺎﻭﻯ ﺍﳌﻘﺪﺍﺭﺍﻥ ﻣﻊ ﺍﻣﺘﻨﺎﻉ‬
34 ROSHDI RASHED

seulement suffisante) de l’existence de rapports entre elles. Il évoque


l’exemple qu’il a lui-même étudié dans plusieurs écrits sur les
lunules et sur la quadrature du cercle, à savoir l’égalité des lunules
à des triangles: ces figures ne sont pas semblables, et pourtant il
existe un rapport entre elles, et même un rapport d’égalité. Pour con-
firmer cette conclusion d’Ibn al-Haytham, al-Shīrāzī discute de l’an-
gle de contingence et de l’angle rectiligne, en suivant, pour
l’essentiel, l’exposé de son prédécesseur. Il examine ainsi les con-
ditions pour que deux angles mixtilignes soient égaux, puis il
étudie l’angle de contingence à l’aide de deux suites définies par
Ibn al-Haytham, afin de montrer que cet angle et l’angle rectiligne
aigu ne sont pas de même genre. Il montre ensuite, cette fois encore
de la même manière qu’Ibn al-Haytham, que la division de l’angle de
contingence par des cercles tangents au même point donne des
angles de contingence non homogènes (la raison en est qu’il n’y a
pas de rapport entre les lignes qui les entourent). Il conclut ainsi:

‫ ﺃﻋ ﲏ ﺍﳌ ﺴ ﺘ ﻘ ﻴﻤ ﺔ‬، ‫ﻭﻫ ﻲ ﺃﻥ ﺍ ﻟ ﺰ ﺍ ﻭﻳ ﺘ ﻴ ﻦ ﻟ ﻴ ﺴﺘ ﺎ ﻣ ﻦ ﺟ ﻨﺲ > ﻭ ﺍ ﺣﺪ < ﻭ ﻟ ﻴﺲ ﺑ ﻴ ﻨﻬ ﻤﺎ ﻧﺴ ﺒ ﺔ‬


، ‫ﺍ ﳋ ﻄﲔ ﻭ ﺍ ﻟ ﱵ ﺑ ﻴ ﻦ ﺍ ﳋﻂ ﻭ ﺍ ﻟ ﻘ ﻮ ﺱ ؛ ﻭ ﻫﺬﻩ ﺍ ﻟ ﺰﺍ ﻭ ﻳ ﺔ ﻭ ﺇﻥ ﻛﺎ ﻧ ﺖ ﺗ ﻨ ﻘﺴ ﻢ ﲞﻄ ﻮ ﻁ ﻣ ﻘ ﻮ ﺳ ﺔ‬
‫ ﻷﻥ ﺃ ﺟ ﺰ ﺍ ﺀ ﻛ ﻞ ﻭ ﺍﺣ ﺪﺓ ﻣ ﻦ‬، ‫ﻓﻼ ﳝ ﻜ ﻦ ﺃﻥ ﺗﻨ ﻘ ﺴ ﻢ ﺑ ﻨ ﺼ ﻔﲔ ﺃ ﻭ ﻋ ﻠ ﻰ ﻧ ﺴ ﺒ ﺔ ﻣ ﻌﻠ ﻮ ﻣ ﺔ‬
‫ ﻷﻥ ﺑ ﻌﻀﻬ ﺎ ﻣﺴ ﺘ ﻘ ﻴﻢ ﻭ ﺑ ﻌﻀ ﻬ ﺎ ﻣ ﺴ ﺘﺪ ﻳ ﺮ ﻭ ﻷﻥ‬، ‫ﻫﺬﻩ ﺍ ﻟ ﺰﻭ ﺍ ﻳ ﺎ ﻟ ﻴﺴ ﺖ ﻣ ﻦ ﺟ ﻨﺲ ﻭ ﺍ ﺣﺪ‬
‫ ﻭ ﻟ ﻴﺲ ﺑ ﻴ ﻦ ﺟ ﺰ ﺀ ﻣ ﻦ ﳏ ﻴﻂ ﺩ ﺍ ﺋ ﺮﺓ ﻣ ﻦ‬، ‫ﳏ ﻴ ﻄ ﺎﺕ ﺍ ﻟ ﺪﻭ ﺍ ﺋ ﺮ ﺍﳌ ﺨﺘ ﻠ ﻔ ﺔ ﻟ ﻴﺴ ﺖ ﳑﺎ ﺗ ﺘ ﻄﺎ ﺑ ﻖ‬
‫ ﻻ ﺇﻥ ﻛ ﺎ ﻧﺖ‬، ‫ﺍ ﻟﺪ ﻭ ﺍ ﺋ ﺮ ﻭ ﺑﻴ ﻦ ﺟ ﺰ ﺀ ﻣ ﻦ ﳏ ﻴﻂ ﺩ ﺍ ﺋ ﺮﺓ ﺃ ﺧ ﺮﻯ ﻏ ﲑ ﻣ ﺴﺎ ﻭ ﻳ ﺔ ﳍ ﺎ ﺗ ﻄ ﺎ ﺑ ﻖ‬
‫ ﻓ ﻠﻴ ﺲ ﺑ ﻴ ﻦ ﺯ ﻭ ﺍ ﻳﺎ ﺍ ﻟ ﺘﻤ ﺎ ﺱ ﻣ ﻦ‬. ‫ﺍ ﻟ ﻘ ﻮ ﺳﺎﻥ ﻣﺘ ﺸ ﺎﺑ ﻬ ﺘﻴ ﻦ ﻭ ﻻ ﺇ ﻥ ﻛﺎ ﻧ ﺘﺎ ﻏ ﲑ ﻣ ﺘ ﺸﺎ ﺑ ﻬﺘ ﻴ ﻦ‬
.‫ﺩﻭﺍﺋﺮ ﳐﺘﻠﻔﺔ ﺗﺴﺎ ٍﻭ ﻭﺗﻨﺎﺳﺐ‬

Les deux angles ne sont pas d’un même genre et n’ont pas un rapport entre
eux, j’entends le rectiligne et celui formé par une droite et un arc. Si cet angle
se divise par des lignes arquées, il n’est pas possible qu’il se divise en deux
moitiés ou selon un rapport connu, puisque les parties de chacun de ces
angles ne sont pas d’un même genre, étant donné que les unes sont recti-
lignes et les autres curvilignes. Or, puisque les circonférences des cercles
différents ne se superposent pas, et qu’il n’y a pas de superposition entre
une partie de la circonférence de l’un des cercles et une partie de la
circonférence d’un autre cercle qui ne lui est pas égal, que les deux arcs soient
semblables ou qu’ils ne soient pas semblables, il n’y a donc pas entre les
angles de contingence formés à partir des cercles différents égalité et
proportionnalité.53

53
Ibid., fol. 15v.
L’ANGLE DE CONTINGENCE 35
Al-Shīrāzī rapporte en outre une démonstration de la non-
homogénéité proposée par son maître al-Tūsī,54 ainsi qu’une critique
˙
de ce dernier des expressions d’Euclide concernant l’angle. La démons-
tration est “formelle” et combine les propositions I.9, I.16 et X.1 des
Éléments. Pour établir que l’angle de contingence et l’angle rectiligne
aigu ne sont pas du même genre, al-Tūsī procède par réduction à
l’absurde: ˙
Supposons en effet que les deux angles sont du même genre et sup-
posons que les propositions d’Euclide sont toutes les trois vraies.
L’angle rectiligne ou bien n’est pas divisible en deux parties égales
indéfiniment, ou bien il l’est. S’il ne l’est pas, alors on contredit I.9
(couper un angle rectiligne donné en deux parties égales). S’il l’est,
on a encore l’alternative suivante: ou bien au terme de la division infi-
nie on aboutit à un angle rectiligne plus petit que l’angle de contin-
gence, ce qui contredit III.16; ou bien on n’y aboutit pas, ce qui
contredit X.1, puisqu’on a supposé que les deux grandeurs sont
homogènes. De tout cela on conclut que les deux angles ne sont pas
homogènes.
Quant à la critique, elle porte sur l’usage – dans III.16 – de “plus
petit” et “plus grand” pour les angles qui ne sont pas des grandeurs
auxquelles s’appliquent ces termes, sans que soit explicitement
proposé un sens de “plus petit” et “plus grand” qui soit approprié
aux angles. L’usage que fait Euclide de ces expressions est
“impropre”.55

54
Ibid., fol. 16r.
55
“Quant au propos d’Euclide et d’autres mathématiciens, ‘nous divisons un angle rectiligne’
et à leur propos selon lequel ‘l’angle entouré par un arc de cercle et la droite qui lui est tan-
gente est plus petit que tout angle aigu rectiligne, et celui qui est entouré par l’arc de cercle
et son diamètre est plus grand que tout angle aigu rectiligne’, et autres semblables à cela,
alors que la division n’est que pour les grandeurs et non pas pour les positions, et que la peti-
tesse et la grandeur ne sont qu’entre les grandeurs homogènes entre lesquelles il y a un rap-
port, ceci est une exagération dans l’expression. Or ce qu’on entend par la division de l’angle,
c’est mener en lui une ligne, ou des lignes d’inclinaison égale; et ce qu’on entend par petit et
grand pour les angles mentionnés, c’est que le petit tombe à l’intérieur de ce qu’ils appellent
grand, et non pas le petit et le grand qui sont entre les grandeurs, lesquelles ont un rapport
les unes aux autres” (fols. 18v–19r).
‫ ﻭﻗﻮﳍﻢ ﺇﻥ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﱵ ﳛﻴﻂ ﺑﻬﺎ‬،‫ ”ﻧﻘﺴﻢ ﺯﺍﻭﻳﺔ ﻣﺴﺘﻘﻴﻤﺔ ﺍﳋﻄﲔ‬:‫ﻓﺄﻣﺎ ﻗﻮﻝ ﺃﻗﻠﻴﺪﺱ ﻭﻏﲑﻩ ﻣﻦ ﺍﻟﺮﻳﺎﺿﻴﲔ‬
‫ ﻭﺇﻥ ﺍﻟﱵ ﳛﻴﻂ ﺑﻬﺎ ﻗﻮﺱ ﺍﻟﺪﺍﺋﺮﺓ‬،‫ﻗﻮﺱ ﺍﻟﺪﺍﺋﺮﺓ ﻭﺍﳋﻂ ﺍﳌﻤﺎﺱ ﳍﺎ ﺃﺻﻐﺮ ﻣﻦ ﻛﻞ ﺣﺎﺩﺓ ﻣﺴﺘﻘﻴﻤﺔ ﺍﳋﻄﲔ‬
‫ ﻣﻊ ﺃﻥ ﺍﻟﻘﺴﻤﺔ ﺇﳕﺎ ﺗﻜﻮﻥ ﰲ ﺍﳌﻘﺎﺩﻳﺮ ﻻ‬،‫ﻭﻗﻄﺮﻫﺎ ﺃﻋﻈﻢ ﻣﻦ ﻛﻞ ﺣﺎﺩﺓ ﻣﺴﺘﻘﻴﻤﺔ ﺍﳋﻄﲔ“؛ ﻭﻣﺎ ﺃﺷﺒﻪ ﺫﻟﻚ‬
.‫ ﻓﻬﻮ ﲡﻮﺯ ﻣﻨﻬﻢ ﰲ ﺍﻟﻠﻔﻆ‬،‫ ﻭﺍﻟﺼﻐﺮ ﻭﺍﻟﻌﻈﻢ ﺇﳕﺎ ﺗﻜﻮﻥ ﺑﻴﻦ ﺍﳌﻘﺎﺩﻳﺮ ﺍﳌﺘﺠﺎﻧﺴﺔ ﺍﻟﱵ ﺑﻴﻨﻬﺎ ﻧﺴﺒﺔ‬،‫ﰲ ﺍﻷﻭﺿﺎﻉ‬
‫ ﻭﺍﳌﺮﺍﺩ ﺑﺎﻟﺼﻐﺮ ﻭﺍﻟﻌﻈﻢ ﰲ ﺍﻟﺰﻭﺍﻳﺎ‬،‫ﻭﺍﳌﺮﺍﺩ ﺑﻘﺴﻤﺔ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺇﺧﺮﺍﺝ ﺧﻂ ﺃﻭ ﺧﻄﻮﻁ ﺍﻻﳓﺮﺍﻓﺎﺕ ﳍﺎ ﻣﺘﺴﺎﻭﻳﺔ‬
36 ROSHDI RASHED

V. AL-FĀRISĪ: UNE PREMIÈRE SYNTHÈSE

Les écrits sur l’angle et l’angle de contingence que nous avons


rencontrés jusqu’à présent, à l’exception de ceux d’al-Tūsī et
d’al-Shīrāzī, que ce soit en grec ou en arabe, font partie ou bien ˙ des
commentaires des Éléments d’Euclide, ou bien de ceux d’un des
traités d’Aristote. À cela viennent s’ajouter quelques explications au
fil des écrits de philosophes, comme dans al-Shifāʾ d’Avicenne, et
même de philosophes-théologiens. La seule rédaction indépendante
et entièrement consacrée à l’angle que nous connaissions est le traité
d’Avicenne, d’ailleurs intitulé Sur l’angle. Avicenne souligne qu’il s’y
est inspiré des discussions qu’il a entretenues sur ce thème avec son
contemporain Abū Sahl al-Masīhī. Nous avons déjà noté que, dans
ce traité, Avicenne n’étudie pas ˙l’angle de contingence, qu’il évoque
plus d’une fois dans al-Shifāʾ ainsi que dans son autre livre,
al-Mubāhathāt. Mais, tandis qu’Avicenne écrivait ces pages en Iran,
˙
son éminent contemporain Ibn al-Haytham discutait en Égypte de ce
même sujet, l’angle, dans ses deux livres consacrés aux Éléments
d’Euclide – l’Explication des postulats et la Solution des doutes.
L’épître d’al-Samawʾal et le texte anonyme de Lahore, ainsi sans
doute que d’autres travaux encore à découvrir, montrent la vitalité du
sujet au XIIe siècle encore. Plus tard, le mathématicien et physicien
Kamāl al-Dīn al-Fārisī rédige le premier traité indépendant et
entièrement consacré à l’angle jamais écrit par aucun mathématicien.
Il confirme et, si l’on peut dire, amplifie une tradition déjà établie par
l’écrit anonyme de Lahore. L’importance historique et philosophique
de l’événement est patente, mais, pour des raisons de forme, nous
nous contenterons dans cette étude de souligner les traits saillants du
livre d’al-Fārisī.
Le but d’al-Fārisī est clair: reprendre la notion d’angle, dont il dit
dans le prologue de son Traité que “rien n’est plus difficile à la
compréhension”, et celles qui lui sont associées, pour les fonder sur
des bases plus solides. Héritier d’Ibn al-Haytham dont il avait
commenté certains travaux, mais aussi d’Avicenne, al-Fārisī a
élaboré à partir de ces deux traditions une première synthèse sur l’an-
gle et l’angle de contingence. S’il s’est engagé dans un tel chemin, c’est
qu’il était porté par une autre tradition, florissante au XIIIe siècle, celle
des grands mathématiciens comme Nasīr al-Dīn al-Tūsī et Qutb
˙ notamment
al-Dīn al-Shīrāzī, qui s’occupaient aussi de˙ philosophie, et ˙

‫ ﻻ ﺍﻟﺼﻐﺮ ﻭﺍﻟﻌﻈﻢ ﺍﻟﺬﻱ ﻳﻜﻮﻥ ﺑﻴﻦ ﺍﳌﻘﺎﺩﻳﺮ‬،‫ﺍﳌﺬﻛﻮﺭﺓ ﻭﻗﻮﻉ ﺍﻟﱵ ﻳﺴﻤﻮﻧﻬﺎ ﺃﺻﻐﺮ ﺩﺍﺧﻞ ﺍﻟﱵ ﻳﺴﻤﻮﻧﻬﺎ ﺃﻋﻈﻢ‬
.‫ﻧﺴﺒﺔ‬ ‫ﺍﻟﱵ ﻟﺒﻌﻀﻬﺎ ﺇﱃ ﺑﻌﺾ‬
L’ANGLE DE CONTINGENCE 37
de celle d’Avicenne. Élève d’al-Shīrāzī, al-Fārisī se réfère souvent
dans ses écrits au maître de son maître: Nasīr al-Dīn al-Tūsī.
˙
Le traité d’al-Fārisī se compose de deux parties; ˙ première,
dans la
al-Fārisī transcrit le traité d’Avicenne, l’écrit d’Ibn al-Haytham qui
figure dans la Solution des doutes, l’épître d’al-Samawʾal, qu’il
commente, et annonce qu’il ajoute un texte du mathématicien Ibn
al-Sarī. La seconde partie est constituée de son propre traité sur l’an-
gle. Tout se passe donc comme si al-Fārisī voulait présenter à son
lecteur les matériaux à partir desquels il a élaboré sa propre synthèse.
Son traité s’ouvre, comme il se doit, sur la définition de l’angle (il y
reviendra plus d’une fois). Il part de la propriété sur laquelle s’accordent
tous les géomètres: la divisibilité de l’angle. Mais, conscient des
difficultés qui se présentent, il opte pour la distinction déjà opérée par
Ibn al-Haytham, mais aussi par Avicenne, entre la divisibilité “par
soi” et la divisibilité “par accident”, celle dont relève l’angle. C’est la
divisibilité de la surface contenue par les deux lignes qui se rencontrent
en un point – sans être dans le prolongement l’une de l’autre – et qui for-
ment l’angle. Cette divisibilité est selon une seule dimension: la lon-
gueur. L’angle n’est donc pas une quantité, puisqu’il n’est pas divisible
“par soi”. Il n’est pas non plus une relation, puisqu’il est divisible “par
accident”. Trois notions semblent donc nécessaires à la définition de
l’angle: deux lignes qui se rencontrent en un point; la position de ces
deux lignes l’une par rapport à l’autre dans la surface; la configuration
spatiale (hayʾa) formée par les deux lignes et la position. Al-Fārisī écrit:

‫ﳌﺎ ﻛﺎﻧﺖ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﻫﻴﺌﺔ ﺍﳓﺪﺍﺑﻴﺔ ﺣﺎﻟﺔ ﰲ ﺳﻄﺢ ﻣﺘﺤﺪﺩ ﲞﻄﲔ ﻣﺘﺼﻠﲔ ﻣﻦ ﻏﲑ ﺃﻥ‬
‫ ﺃﻋﲏ‬،‫ ﻭﻛﺎﻧﺖ ﺑﺘﺤﺪﺩﻫﺎ ﻏﲑ ﻣﻘﺘﻀﻴﺔ ﻟﺘﻨﺎﻫﻲ ﺍﻟﺴﻄﺢ ﻃﻮ ًﻻ‬،‫ ﻣﻨﻘﺴﻤﺔ‬،‫ ﻣﺘﺤﺪﺩﺓ‬،‫ﻳﺘﺤﺪﺍ‬
‫ ﺃﻋﲏ ﰲ ﺍﻻﻣﺘﺪﺍﺩ ﺍﳌﻘﺎﻃﻊ‬،‫ ﻭﻣﻘﺘﻀﻴﺔ ﻟﺘﻨﺎﻫﻴﺔ ﻋﺮ ًﺿﺎ‬،‫ﰲ ﺍﳉﻬﺔ ﺍﻟﱵ ﻓﻴﻬﺎ ﳝﺘﺪ ﺧﻄﺎﻫﺎ‬
‫ﳍﻤﺎ؛ ﻭﳏﻘﻖ ﺃﻧﻬﺎ ﻻ ﺗﻨﻘﺴﻢ ﺇﻻ ﲞﻂ ﳜﺮﺝ ﻣﻦ ﻧﻘﻄﺔ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﻭﻳﻘﻄﻊ ﺍﻻﻣﺘﺪﺍﺩ ﺍﳌﻌﱰﺽ‬
.‫ ﻓﺮﺃﻭﺍ ﺗﻘﺪﻳﺮﻫﺎ ﺣﺴﺐ ﺗﻘﺪﻳﺮ ﺍﻟﺴﻄﺢ ﺍﻟﺬﻱ ﻫﻮ ﳏﻠﻬﺎ‬،‫ﻓﻴﻤﺎ ﺑﻴﻦ ﺿﻠﻌﻴﻬﺎ‬

Puisque l’angle est une configuration convexe qui a lieu dans une surface
limitée par des lignes qui se rencontrent sans se confondre, qu’il est limité,
divisible, et n’exige pas par sa limitation la finitude de la surface en lon-
gueur, c’est-à-dire dans la direction selon laquelle ces deux lignes se prolon-
gent, mais exige sa finitude en largeur, c’est-à-dire dans l’étendue qui les
sépare (littéralement: qui les coupe), qu’il est avéré qu’il ne se divise que
par une ligne menée de son point (son sommet) et qui coupe l’étendue qui
se situe entre ses deux côtés, ils (les géomètres) ont pensé le mesurer suivant
la mesure de la surface qui est en son lieu.56

56
MS Téhéran, Majlis Shūrā, fols. 93–94.
38 ROSHDI RASHED

Cette conception d’al-Fārisī témoigne bien d’une synthèse de l’angle


comme “forme de position” (Ibn al-Haytham) et de l’idée de “configu-
ration” (Avicenne), et prolonge ainsi celle d’al-Shīrāzī. Avicenne
écrit en effet dans son traité Sur l’angle que le nom d’angle désigne
quatre notions: deux lignes, qui ont une configuration (hayʾa) dans
leur union, comme les configurations de la forme du triangle, du
quadrilatère, de la rectitude, de la courbure; cette même configuration
et la surface contenue par les deux lignes en tant que contenue par
elles et en tant qu’elles lui sont extérieures; et une surface et deux
lignes en tant qu’une chose réunie de la surface et des lignes.57
Trois de ces notions se retrouvent dans la définition d’al-Fārisī,
articulées à la définition d’Ibn al-Haytham.
Al-Fārisī procède ensuite à la classification de ces configurations
selon deux critères à la fois. Le premier vaut pour toutes les figures
géométriques: les lignes qui les forment. On a alors les angles recti-
lignes, curvilignes, les lunules, les mixtilignes, les coniques. Le second
critère est particulier aux angles: il porte sur la manière dont les deux
lignes limitent la surface – segments du cercle, angle de contingence.
Après avoir défini l’angle et opéré ce classement, al-Fārisī engage l’exa-
men de notions associées à l’angle: homogénéité, mesure, continuité,
etc. La première question posée par la notion d’homogénéité est celle
de la distinction entre angle rectiligne et angle curviligne, presque
aussitôt suivie par la distinction entre angle rectiligne et angle mixti-
ligne, et particulièrement l’angle de contingence. Al-Fārisī admet avec
les mathématiciens qu’angle rectiligne et angle curviligne sont deux
genres différents, mais cette différence ne préjuge pas, selon lui, de
l’homogénéité entre ces deux angles. L’argument général qu’il invoque,
avant de spécifier la question pour les angles, est qu’entre deux figures
de différents genres il peut exister un rapport, même si nous ne le
connaissons que de manière approchée. Or c’est précisément le cas du
rapport entre le diamètre et la circonférence du cercle, qu’il évoque.
Peut-être al-Fārisī pensait-il à ce qu’affirme Ibn al-Haytham, que le
rapport peut exister même si nous ne pouvons pas le construire.
Toujours est-il qu’il insiste sur l’idée selon laquelle il n’est pas
nécessaire, pour que deux grandeurs aient un rapport, qu’elles appar-
tiennent au même genre; inversement, que deux objets peuvent appar-
tenir à un même genre sans qu’il y ait un rapport entre eux: par
exemple, l’angle droit et l’angle de contingence appartiennent tous
deux au genre “angle plan”, mais il n’y a pas de rapport entre eux.
Si al-Fārisī réfléchit d’entrée de jeu à cette notion de rapport entre les
angles, c’est parce que, d’une part, l’étude de l’angle mène directement à
celle de la comparabilité des angles, et donc à celle de l’homogénéité des

57
Risāla fī al-zāwiya, MS Aya Sofia 4829, fol. 50r.
L’ANGLE DE CONTINGENCE 39
angles, et que, d’autre part, la définition euclidienne du rapport ne con-
vient pas aux grandeurs non homogènes, et notamment à l’angle de con-
tingence. Il lui faut donc aménager un ensemble de notions qui lui
permettent de traiter les questions évoquées en contournant la
définition euclidienne. Or c’est précisément ce qu’il va entreprendre.
Al-Fārisī commence par observer que la définition euclidienne du
rapport entre les grandeurs homogènes, celles qui excèdent les unes
les autres par duplication continue, ne s’applique pas aux angles.
Cette définition doit en effet vérifier deux conditions: les grandeurs
doivent admettre la duplication continue et d’autre part accepter
que l’une excède l’autre par duplication; sinon elles ne seront pas
homogènes, comme l’angle de contingence et l’angle rectiligne aigu
(ne respectent pas la première condition), et la ligne et la surface
(seconde condition). Quant aux surfaces, pour qu’il y ait un rapport
entre elles, il faut qu’elles soient limitées et finies de tous les côtés.
Les angles ne peuvent donc pas avoir de rapport euclidien en ce
sens. Al-Fārisī va alors introduire plusieurs notions nouvelles, dont
certaines lui sont suggérées par l’algèbre, sur laquelle il a composé
un livre substantiel.58
Il définit d’abord ce qu’il appelle rapport “conventionnel”
(istilāhiyya), c’est-à-dire rapport établi par convention entre les
˙ ˙ ˙ C’est le rapport entre les arcs des cercles dont les centres
angles.
sont les sommets des angles. Ce rapport n’est ni “par soi”, puisqu’il
ne relie pas deux quantités, ni “par accident”, puisque les “lieux” –
les régions des surfaces déterminées par les configurations – ne se
superposent pas.
La perspective qui est la sienne dans ce traité est de se placer dans
le cercle pour pouvoir comparer les angles rectilignes, considérés
comme sections du cercle, entre eux et avec certains angles curvi-
lignes et d’autres angles mixtilignes, comme l’angle de contingence.
Pour ce dernier, même si une de ses parties se superpose à un
angle droit, il n’y a pas de rapport entre les deux. En effet, et c’est
une conséquence de la proposition V.8 des Éléments rappelée par
al-Fārisī, une partie d’une grandeur est de même genre que celle-ci.
Or tel n’est pas le cas pour l’angle de contingence et l’angle droit: l’an-
gle de contingence n’est angle que par métaphore. C’est la conclusion
d’al-Fārisī.
Qu’en est-il du rapport conventionnel entre les angles rectilignes
aigus? La question est vite réglée, puisque la comparaison est entre
cordes, c’est-à-dire entre segments de droite.
Cette définition du rapport conventionnel permet à al-Fārisī de
montrer comment mesurer l’angle rectiligne. Peut-elle opérer plus

58
Voir R. Rashed, “Kamāl al-Dīn al-Fārisī ”, Dictionary of Scientific Biography, vol. 7
(New York, 1973), pp. 212–19.
40 ROSHDI RASHED

loin, pour d’autres angles, curvilignes par exemple? Al-Fārisī montre


que c’est possible pour les angles formés par l’intersection d’arcs de
cercles égaux, et ceux formés par des sections égales et semblables.
Au cours de cette étude, il introduit une nouvelle distinction, entre
grandeurs déterminées et grandeurs indéterminées (sayyāla); distinc-
tion empruntée au langage de l’algèbre. Il conclut ainsi son examen:

،‫ ﺃﻋﲏ ﻛﻞ ﺃﺭﺑﻊ ﻗﻮﺍﺋﻢ‬،‫ ﻭﻧﺴﺒﺘﻪ ﺇﱃ ﲨﻴﻊ ﺍﻟﺪﺍﺋﺮﺓ‬،‫ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﳌﺴﺘﻘﻴﻤﺔ ﺍﳋﻄﲔ ﻗﻄﺎﻉ‬


‫ ﻓﺎﻟﻘﻮﺱ ﻗﺪﺭ‬.‫ ﻭﻛﻨﺴﺒﺔ ﻗﻮﺱ ﺍﻟﻘﻄﺎﻉ ﺇﱃ ﺍﶈﻴﻂ‬،‫ﻛﻨﺴﺒﺔ ﻣﺎ ﺇﱃ ﺃﺭﺑﻊ ﻗﻮﺍﺋﻢ‬
‫ ﻓﻌﻠﻰ ﺃ ّﻱ ﻗﺪﺭ ﻓﺮﺿﻨﺎ ﺭﺳﻢ ﺍﻟﻘﻮﺱ ﻋﻠﻰ‬،‫ ﻭﻷﻥ ﺍﻟﻀﻠﻌﲔ ﻣﺴﺘﻘﻴﻤﺎﻥ‬.‫ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ‬
‫ ﻟﻜﻮﻥ ﺍﻟﻘﺴﻲ‬،‫ ﻛﺎﻧﺖ ﻧﺴﺒﺔ ﺍﻟﻘﺴﻲ ﺍﳌﺮﺳﻮﻣﺔ ﺇﱃ ﺩﺍﺋﺮﺗﻬﺎ ﻭﺍﺣﺪﺓ‬،‫ﻃﺮﻓﻴﻬﻤﺎ‬
‫ ﻭﻛﺬﻟﻚ ﺇﻥ ﻛﺎﻥ ﺿﻠﻌﺎﻫﺎ ﻗﻮﺳﲔ ﻣﻦ‬.‫ ﻓﻬﺬﻩ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﻣﺘﻌﻴﻨﺔ ﺍﻟﻘﺪﺭ‬.‫ﻣﺘﺸﺎﺑﻬﺔ‬
‫ ﻭﻛﺬﻟﻚ ﺇﻥ‬،‫ ﻧﺴﻤﻴﻬﺎ ﺍﳍﻼﻟﻴﺔ‬،‫ﺩﺍﺋﺮﺗﻴﻦ ﻣﺘﺴﺎﻭﻳﺘﻴﻦ ﻭﺣﺪﺑﺘﺎﳘﺎ ﰲ ﺟﻬﺔ ﻭﺍﺣﺪﺓ‬
‫ ﻓﺄﻣﺎ‬.‫ﺗﻘﺎﻃﻊ ﺟﺰﺁﻥ ﻣﻦ ﳏﻴﻄﻲ ﻗﻄﻌﺘﻴﻦ ﻋﻠﻰ ﻧﻘﻄﺘﻴﻦ ﻣﺘﻨﺎﻇﺮﺗﻴﻦ ﺗﻘﺎﻃﻊ ﺍﳍﻼﻟﻴﺎﺕ‬
‫ ﺃﻋﲏ ﻻ ﳝﻜﻦ ﺍﻧﻄﺒﺎﻕ ﺃﺣﺪﳘﺎ ﻋﻠﻰ‬،‫ﺇﻥ ﻛﺎﻥ ﺃﺣﺪ ﺍﻟﻀﻠﻌﲔ ﻏﲑ ﳎﺎﻧﺲ ﻟﻶﺧﺮ‬
‫ ﻓﺈﻥ ﺍﻟﻘﻮﺱ ﺍﳌﺮﺳﻮﻣﺔ ﻋﻠﻰ ﻧﻬﺎﻳﱵ ﺿﻠﻌﻴﻬﻤﺎ ﻻ ﺗﺸﺎﺑﻪ‬،‫ﺍﻵﺧﺮ ﻛﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﺘﻤﺎﺱ‬
‫ ﻭﻛﺬﻟﻚ ﺇﻥ ﻛﺎﻥ ﳎﺎﻧ ًﺴﺎ ﻭﻛﺎﻥ ﲢﺪﻳﺒﺎﳘﺎ‬.‫ ﺇﺫﺍ ﻋﻈﻢ ﺍﻟﻀﻠﻌﺎﻥ ﺃﻭ ﺻﻐﺮﺍ‬،‫ﺍﻷﺧﺮﻯ‬
‫ ﻋﻠﻰ ﺃ ّﻱ‬،‫ ﻓﺎﻟﺰﻭﺍﻳﺎ ﺍﻟﱵ ﺗﻜﻮﻥ ﻗﺴﻴﻬﺎ ﺍﳌﻮﺗﺮﺓ ﳍﺎ ﻣﺘﺸﺎﺑﻬﺔ‬.‫ﺃﻭ ﺗﻘﻌﲑﺍﳘﺎ ﻣﺘﻮﺍﺟﻬﲔ‬
‫ ﻭﺍﻟﱵ ﻟﻴﺴﺖ ﻛﺬﻟﻚ‬،‫ﻗﺪﺭ ﻓﺮﺽ ]ﻭ[ﻣﻦ ﺿﻠﻌﺎﻫﺎ ﻫﻲ ﻣﺘﻌﻴﻨﺔ ﺍﻷﻗﺪﺍﺭ ﻣﺘﺠﺎﻧﺴﺔ‬
.‫ ﻭﻟﻨﺴﻢ ﺍﻷﻭﱃ ﺛﺎﺑﺘﺔ ﺍﻷﻗﺪﺍﺭ ﻭﺍﻟﺜﺎﻧﻴﺔ ﺳﻴﺎﻟﺔ ﺍﻷﻗﺪﺍﺭ‬.‫ﻓﻐﲑ ﻣﺘﻌﻴﻨﺔ ﺍﻷﻗﺪﺍﺭ ﻭﻏﲑ ﻣﺘﺠﺎﻧﺴﺔ‬

L’angle rectiligne est une section <du cercle > , son rapport au cercle tout
entier, c’est-à-dire à tout quatre <angles> droits, est égal à un certain rapport
aux quatre droits, et égal au rapport de l’arc de la section à la circonférence.
L’arc est la grandeur de l’angle. Mais, puisque les deux côtés sont droits, donc
de quelque grandeur nous supposons l’arc tracé à leurs deux extrémités, on a
le même rapport des arcs tracés à leur cercle, étant donné que les arcs sont
semblables. Cet angle est donc une grandeur déterminée. Il en est de
même si ses côtés (de l’angle) sont des arcs de deux cercles égaux, et que
les convexités de ces arcs sont dans une même direction – nous les
appelons lunules. Il en est de même pour les deux parties des circonférences
des deux sections qui se coupent en deux points homologues à la manière
des lunules. Mais si l’un des côtés (de l’angle) n’est pas homogène à l’autre,
c’est-à-dire que l’un ne se superpose pas à l’autre, comme l’angle de contin-
gence, alors l’arc tracé aux extrémités des deux côtés n’est pas semblable à
l’autre, que les côtés deviennent plus grands ou plus petits. Il en est de
même si <l’un des deux côtés> est homogène à l’autre, alors que leurs
convexités ou leurs concavités sont opposées. Les angles dont les arcs
interceptés sont semblables, quelle que soit la grandeur supposée de leurs
L’ANGLE DE CONTINGENCE 41
côtés, ont donc des grandeurs homogènes, et ceux qui ne sont pas ainsi n’ont
pas de grandeurs déterminées et ne sont pas homogènes. Appelons les pre-
miers ceux qui ont des grandeurs fixées, et les seconds ceux qui ont des gran-
deurs indéterminées.59

Al-Fārisī donne, pour la première fois, à l’angle de contingence


ainsi qu’à d’autres angles mixtilignes et rectilignes le statut de gran-
deur, afin de répondre à la question de l’homogénéité et à celle de la
mesure des angles.60 Il y a deux genres de grandeur: déterminées et
indéterminées. Les angles rectilignes appartiennent au premier
genre, alors que l’angle de contingence, ainsi que bien d’autres angles
mixtilignes et curvilignes, appartient au second. Les angles qui ont
des grandeurs déterminées – disons les angles déterminés – ont tous
un rapport entre eux. Quant aux angles qui ont des grandeurs
indéterminées – disons angles indéterminés – ils n’ont en général pas
de rapports entre eux, et ne sont donc pas homogènes aux angles qui
ont des grandeurs déterminées, si toutefois par “rapport” on se réfère
à la définition d’Euclide. Il arrive cependant que l’on trouve des angles
indéterminés égaux, et que l’on puisse doubler un angle indéterminé.
Al-Fārisī rappelle alors ces deux cas évoqués auparavant.
Soit AD = DE et traçons les deux demi-cercles AGD et DHE.
Séparons DC = DB et traçons les deux demi-cercles CID et DKB. Les
angles ADG et EDH sont égaux. Ôtons-en les angles égaux CDI et
BDK; il reste les angles IDG = KDH, qui sont indéterminés (Fig. 9).
Dans le second exemple, on double l’angle. Soit les deux arcs de
deux cercles égaux; on a l’angle BCD égal au double de chacun des
angles BCA et DCA.
Al-Fārisī évoque aussi l’exemple donné par al-Samawʾal, pour
obtenir le rapport de double entre deux angles indéterminés.
Dans ces derniers cas, même si l’on ne dispose pas de “termes” pour
désigner ces rapports, on ne peut pas interdire de parler de “rapports”
en un certain sens – qui bien entendu n’est pas le sens euclidien –
dans la mesure où il y a superposition des configurations.
Al-Fārisī est à présent en mesure de donner la raison générale pour
laquelle l’angle de contingence n’a de rapport ni à l’angle droit ni à l’an-
gle rectiligne aigu. Il est en effet indéterminé, alors que les deux derniers
sont déterminés: dans le premier cas, on a une grandeur indéterminée,
tandis que, dans les deux autres, ce sont des grandeurs déterminées.
Ainsi, à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe siècle, puisque les seules
grandeurs reconnues comme telles sont archimédiennes, on ne pouvait
que taxer les autres d’indéterminées. Ibn al-Haytham avait établi que

59
MS Téhéran, Majlis Shūrā, fol. 96.
60
Comparer avec la discussion entre Hobbes et Wallis. Cf. Maierù, “John Wallis: Lettura della
polemica”, pp. 339–41; et Loget, “Wallis entre Hobbes et Newton”, pp. 227 sqq.
42 ROSHDI RASHED

Fig. 9

ces deux classes d’angles ne sont pas homogènes. Al-Fārisī le rappelle et


s’efforce d’en donner la raison en revenant à la nature des grandeurs.
Al-Fārisī soulève ensuite la question des angles congruents
(al-mumāthala): deux angles mixtilignes peuvent-ils être égaux
sans être congruents? Cette question avait déjà été évoquée par son
maître lors de l’étude du mouvement de roulement.
La “vérité” (haqīqa), de l’angle est, pour al-Fārisī, la configuration
˙ détermine dans la surface. La congruence de deux
et le lieu qu’elle
angles dépend donc de l’union de leurs configurations et de celles
des lieux. Deux angles non congruents peuvent cependant être
égaux. En voici la preuve.
Soit AB = BC et AB ⊥ BC. Traçons deux demi-cercles ADB et BEC,
de sorte que l’angle DBE soit égal à un droit. Prolongeons AB jusqu’à
G telle que AB = BG, et traçons le demi-cercle BHG de sorte que l’an-
gle EBH soit égal à un droit.
Imaginons ensuite que l’arc BEC se déplace d’un mouvement de
rotation autour du point de contact B. Au début de son mouvement,
il produit un angle contenu par les deux arcs BDA et BEC. Cet
angle continue à croître à mesure que le mouvement se poursuit,
jusqu’à ce qu’il devienne égal à un angle droit. Il continue à croître
par ce mouvement jusqu’à ce que l’angle EBH soit lui aussi égal à
un droit, ce qui implique qu’il existe un angle égal à deux droits –
EB̂D + EB̂H = 2 droits (Fig. 10).
Pour al-Fārisī, il y a congruence lorsqu’il y a superposition des
configurations et des lieux. Mais il se peut que des angles soient
égaux sans être congruents. C’est dire que la superposition est
seulement une condition suffisante de l’égalité des angles, et non
pas une condition nécessaire. Si Qutb al-Dīn al-Shīrāzī pouvait
˙
soutenir une telle idée pour les grandeurs, dans le cas des angles,
qui n’en sont pas, al-Fārisī se trouve devant l’alternative suivante:
qu’il y ait un angle égal à deux droits sans qu’il y ait l’inclinaison
– ou la convexité – nécessaire à la conception de l’angle,
impose d’admettre que cette inclinaison n’est pas une condition de
l’existence de l’angle, ou bien qu’il n’y a pas d’angle. C’est cette
L’ANGLE DE CONTINGENCE 43

Fig. 10

dernière branche de l’alternative que choisit al-Fārisī, pour éviter


l’inconsistance.
Il propose alors de considérer la situation suivante. Soit l’angle de
contingence ABE et supposons l’arc qui l’entoure en rotation autour
du point de contact en s’éloignant du rectiligne AB et en s’approchant
du rectiligne BC. L’angle EBC est plus grand au début du mouvement
et décroît ensuite, alors que l’angle ABE croît, jusqu’à ce que l’arc
devienne tangent au rectiligne dans la position BHG. Ainsi, l’angle
qui initialement était plus petit qu’un droit croît continûment pour
être égal à un droit, puis, par saut (tafra), devient plus grand qu’un
droit; ce qui est impossible. ˙
Al-Fārisī explique que l’angle ne subit pas de “saut” en lui-même
lors de sa croissance, mais seulement lorsqu’on le compare à ce qui
n’est pas de son genre. La croissance continue des choses, écrit-il,
“nécessite qu’elles deviennent égales à toutes les grandeurs qui leur
sont homogènes, et qu’il y ait des intermédiaires numériques entre
leurs grandeurs au commencement du mouvement et lors de son
achèvement selon l’ordre naturel”.61
Ici, al-Fārisī recourt au terme saut (tafra) qui a connu une
longue histoire lors de la discussion du ˙ mouvement chez les
philosophes-théologiens, les Muʿtazilites. Introduite dans la
problématique de l’angle, cette notion déclenchera une discussion
animée chez les successeurs d’al-Fārisī.

61
MS Téhéran, Majlis Shūrā, fol. 99:

‫ ﻭﻳﻜﻮﻥ ﻭﺳﺎﺋﻂ ﻋﺪﺩﻳﺔ‬،‫ﻭﺍﺯﺩﻳﺎﺩ ﺍﻷﺷﻴﺎﺀ ﻋﻠﻰ ﺍﻟﺘﺪﺭﻳﺞ ﻳﻮﺟﺐ ﺻﲑﻭﺭﺗﻬﺎ ﻣﺘﺴﺎﻭﻳﺔ ﳉﻤﻴﻊ ﺍﳌﻘﺎﺩﻳﺮ ﺍﻟﱵ ﲡﺎﻧﺴﻬﺎ‬
.‫ﺑﻴﻦ ﻣﻘﺪﺍﺭﻳﻬﺎ ﰲ ﺍﺑﺘﺪﺍﺀ ﺍﳊﺮﻛﺔ ﻭﺍﻧﺘﻬﺎﺋﻬﺎ ﻋﻠﻰ ﺍﻟﱰﺗﻴﺐ ﺍﻟﻄﺒﻴﻌﻲ‬
44 ROSHDI RASHED

Il poursuit cette étude par celle de l’angle solide, et il est amené à


discuter des formes des solides, de leurs surfaces latérales, de leurs
courbures, etc. C’est à cette occasion qu’il examine, par exemple, la
différence entre l’angle et le sommet du cône, d’une part, et les cou-
poles, d’autre part. Mais n’allons pas plus loin, pour ne pas allonger
cette étude, et aussi pour conclure.
Partant des travaux d’Ibn al-Haytham et admettant leurs résultats,
al-Fārisī a conçu, à l’exemple d’Avicenne, un traité autonome,
intégralement consacré à l’angle. Mais, à la différence du philosophe,
le mathématicien a voulu que sa théorie englobe aussi l’angle de
contingence, et que son exposé soit démonstratif. Il s’est donc efforcé
de forger de nouvelles notions, telles que “angle à grandeur
déterminée” et “angle à grandeur indéterminée”, et de les agencer
en une théorie qu’il pensait apte à éviter les paradoxes rencontrés
lors de l’étude de ce thème.

VI. LA NÉGATION DE LA CONTINUITÉ: AL-QŪSHJĪ ET SES


PRÉDÉCESSEURS

Parmi les arguments invoqués lors de la discussion de l’angle de con-


tingence figure celui de la négation de la continuité. On se demande
alors si l’on peut passer du plus petit au plus grand sans passer par
tous les intermédiaires, et notamment l’égal; ou, dans le présent
contexte, si l’on peut passer directement de l’angle aigu à l’angle
obtus sans passer par l’angle droit. Plusieurs témoignages indiquent
que cette question a été posée assez tôt: ceux de Jean Philopon, de l’au-
teur anonyme, d’Avicenne dans al-Shifāʾ, et d’al-Fārisī, entre autres.
Ainsi, dans un commentaire de Nasīr al-Dīn al-Tūsī des Éléments
˙
d’Euclide, un anonyme a intercalé un˙ folio supplémentaire à propos
de la proposition III.16. Voici ce qu’on peut y lire:

‫ ﻭﻳﺒﻴﻦ ﻛﻞ ﻭﺍﺣﺪ ﻣﻨﻬﺎ ﻋﻠﻰ ﻋﺪﻡ ﺟﻮﺍﺯ ﻭﻗﻮﻉ‬،‫ﰲ ﻫﺬﺍ ﺍﳌﻘﺎﻡ ﺗﺮﺩ ﺛﻼﺙ ﺇﺷﻜﺎﻻﺕ‬
.‫ﺍﳋﻂ ﺍﳌﺴﺘﻘﻴﻢ ﺑﻴﻦ ﺍﻟﻌﻤﻮﺩ ﺍﳌﺨﺮﺝ ﻋﻠﻰ ﻃﺮﻑ ﺍﻟﻘﻄﺮ ﻭﺍﶈﻴﻂ‬

‫ ﻷﻧﻪ ﻟﻮ ﺍﻧﻘﺴﻤﺖ‬،‫ ﺃﻥ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﱵ ﳛﻴﻂ ﺑﻬﺎ ﺍﻟﻌﻤﻮﺩ ﻭﺍﶈﻴﻂ ﻻ ﺗﻨﻘﺴﻢ‬:‫ﺃﺣﺪﻫﺎ‬


،‫< ﻭﻋﺪﻡ ﺍﻧﻘﺴﺎﻡ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺑﺎﻃﻞ‬. . .> .‫ﻟﻮﻗﻊ ﺑﻴﻦ ﺍﻟﻌﻤﻮﺩ ﻭﺍﶈﻴﻂ ﺧﻂ ﻣﺴﺘﻘﻴﻢ‬
‫ ﺑﻞ ﻫﻲ ﻋﺒﺎﺭﺓ ﻋﻦ‬،‫ﻷﻥ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﻟﻴﺴﺖ ﻋﺒﺎﺭﺓ ﻋﻦ ﺍﳊﺪﺑﺔ ﺍﻟﱵ ﰲ ﻧﻬﺎﻳﱵ ﺍﳋﻄﲔ‬
‫ ﻭﺍﳉﻮﺍﺏ‬.‫ ﻭﻛﻞ ﻣﻘﺪﺍﺭ ﻳﻘﺒﻞ ﺍﻟﺘﺠﺰﺋﺔ ﺇﱃ ﻏﲑ ﺍﻟﻨﻬﺎﻳﺔ‬،‫ ﻭﺍﻟﺴﻄﺢ ﻣﻘﺪﺍﺭ‬،‫ﺍﻟﺴﻄﺢ‬
‫ ﱂ( ﻻ‬:‫ ِﳌﺎ )ﳐﻄﻮﻁ‬،‫ﻋﻦ ﻫﺬﺍ ﺃﻥ ﺍﻻﻧﻘﺴﺎﻡ ﻻ ﻳﻠﺰﻡ ﺃﻥ ﻳﻜﻮﻥ ﺑﺎﳋﻂ ﺍﳌﺴﺘﻘﻴﻢ‬
‫ ﻭﺃﻥ ﺍﻻﻧﻘﺴﺎﻡ ﺑﺎﳋﻂ ﺍﳌﺴﺘﺪﻳﺮ ﻓﻴﻪ‬،‫ﳚﻮﺯ ﺃﻥ ﻳﻜﻮﻥ ﺍﻻﻧﻘﺴﺎﻡ ﺑﺎﳋﻂ ﺍﳌﺴﺘﺪﻳﺮ‬
.‫ﻣﺘﺤﻘﻖ ﺑﺄﻥ ﺗﺮﺳﻢ ﺍﻟﺪﺍﺋﺮﺓ ﺍﻷﺧﺮﻯ ﲝﻴﺚ ﻳﻘﻊ ﻗﻮﺳﻬﺎ ﰲ ﻭﺳﻂ ﻫﺬﻩ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ‬
L’ANGLE DE CONTINGENCE 45
،‫ ﺃﻧﺎ ﺇﺫﺍ ﺃﺛﺒﺘﻨﺎ ﻃﺮﻑ ﺧﻂ ﺩ ﺯ – ﺃﻋﲏ ﻃﺮﻑ ﺩ – ﻭﺣﺮﻛﻨﺎ ﺍﳋﻂ‬:‫ﻭﺍﻹﺷﻜﺎﻝ ﺍﻟﺜﺎﱐ‬
‫ ﻓﻼ‬،‫ ﻷﻧﻪ ﻟﻮ ﺩﺧﻞ ﺧﻂ ﺩ ﺯ ﺑﺎﳊﺮﻛﺔ‬،‫ﻓﻼ ﺑﺪ ﺃﻥ ﻳﺪﺧﻞ ﺧﻂ ﺩ ﺯ ﺩﻓﻌ ًﺔ ﰲ ﺍﻟﺪﺍﺋﺮﺓ‬
‫ ﻭﺩﺧﻮﻝ ﺧﻂ ﺩ ﺯ ﺩﻓﻌﺔ ﳏﺎﻝ؛ ﻷﻧﻪ‬.‫ﺑﺪ ﺃﻥ ﻳﻘﻊ ﺑﻴﻦ ﺍﻟﻌﻤﻮﺩ ﻭﺍﶈﻴﻂ ﺧﻂ ﻣﺴﺘﻘﻴﻢ‬
.‫ﻳﻠﺰﻡ ﻗﻄﻊ ﺍﳌﺴﺎﻓﺔ ﺩﻓﻌﺔ‬

‫ ﻭﺣﺮﻛﻨﺎ ﺧﻂ ﺩ ﺍ‬،‫ ﺃﻋﲏ ﻃﺮﻑ ﺩ‬،‫ ﺃﻧﺎ ﺇﺫﺍ ﺃﺛﺒﺘﻨﺎ ﻃﺮﻑ ﺧﻂ ﺩ ﺯ‬:‫ﻭﺍﻹﺷﻜﺎﻝ ﺍﻟﺜﺎﻟﺚ‬
،‫ ﻓﺘﻜﻮﻥ ﺯﺍﻭﻳﺔ ﺍ ﺩ ﻩ ﺍﳊﺎﺩﺓ ﺃﻋﻈﻢ ﻣﻦ ﻗﺎﺋﻤﺔ ﺯ ﺩ ﻩ ﺑﺎﻟﻄﻔﺮﺓ‬،‫ﺣﱴ ﻳﻘﻊ ﰲ ﺧﺎﺭﺝ ﺩ ﺯ‬
‫ ﻳﻠﺰﻡ ﻭﻗﻮﻉ ﺍﳋﻂ ﺍﳌﺴﺘﻘﻴﻢ ﺑﻴﻦ ﺍﻟﻌﻤﻮﺩ‬،‫ﻷﻧﻪ ﻟﻮ ﲢﻘﻖ ﺍﻷﻋﻈﻤﻴﺔ ﺑﻘﻄﻊ ﲨﻴﻊ ﺍﳌﺴﺎﻓﺔ‬
‫ ﻭﻷﺟﻞ ﺃﻧﻪ ﻳﻠﺰﻡ ﺃﻥ ﻳﻜﻮﻥ ﺍﻷﺻﻐﺮ ﺃﻋﻈﻢ ﻣﻦ ﺍﻷﻋﻈﻢ‬.‫ ﻭﺍﻟﻄﻔﺮﺓ ﻏﲑ ﻣﻌﻘﻮﻟﺔ‬،‫ﻭﺍﶈﻴﻂ‬
.‫ﻣﻦ ﻏﲑ ﺃﻥ ﻳﺼﻞ ﺇﱃ ﺍﻷﻋﻈﻢ؛ ﻭﻫﺬﺍ ﻏﲑ ﻣﻌﻘﻮﻝ‬

En cet endroit, trois difficultés se présentent, dont chacune montre


l’impossibilité qu’une droite tombe entre la perpendiculaire menée à
l’extrémité du diamètre et la circonférence.
La première est que l’angle entouré par la perpendiculaire et la
circonférence ne se divise pas, car, s’il se divisait, alors une droite tomberait
entre la perpendiculaire et la circonférence <. . .>. Mais l’indivisibilité de l’angle
est fausse, car l’angle n’est pas la pointe qui est aux extrémités de deux lignes,
mais c’est la surface; or la surface est une grandeur, et toute grandeur est sus-
ceptible de partition à l’infini. Et la réponse est qu’il n’est pas nécessaire que la
division soit par une droite; et comme elle n’est pas possible par la droite, la
division sera par la ligne circulaire. Et la division par la ligne circulaire s’y
trouve réalisée si on trace un autre cercle de sorte que son arc soit au milieu
de cet angle.
La deuxième difficulté est que, si nous fixons l’extrémité de la droite DG,
c’est-à-dire l’extrémité D, et que nous faisons se mouvoir la droite, il faut
alors que la droite DG entre d’un coup dans le cercle; car, si la droite DG
entre par le mouvement, alors il faut qu’entre la perpendiculaire et la
circonférence tombe une droite. Or l’entrée de la droite DG tout d’un coup
est impossible, car cela implique de parcourir la distance d’un coup.
La troisième difficulté est que, si nous fixons l’extrémité de la droite DG,
c’est-à-dire l’extrémité D, et si nous faisons se mouvoir la droite DA jusqu’à
ce qu’elle tombe à l’extérieur de DG de sorte que l’angle aigu ADE soit plus
grand que l’angle droit GDE, c’est par saut, car, si l’accroissement se réalise
en parcourant toute la distance, il est nécessaire que la droite tombe entre
la perpendiculaire et la circonférence. Or le saut est inconcevable, tout en
étant nécessaire pour que le plus petit soit plus grand que le plus grand
sans passer par le plus grand. Ce qui n’est pas intelligible (Fig. 11).62

62
MS Hyderabad, Jāmi‘a Osmāniyya 510, fol. 37.
46 ROSHDI RASHED

Fig. 11

Dans un autre traité, anonyme, de nature philosophique et consacré


à l’angle, on lit:

‫ﺇﺫﺍ ﻓﺮﺽ ﲢﺮﻙ ﺍﻟﻘﻄﺮ ﺍﳌﺬﻛﻮﺭ ﻣﻊ ﺛﺒﺎﺕ ﻧﻘﻄﺔ ﲤﺎﺱ ﻣﻊ ﺍﶈﻴﻂ ﺇﱃ ﺧﻼﻑ ﺟﻬﺔ‬
‫ ﻭﻻ ﻳﻮﺟﺪ ﻟﻪ ﰲ ﺍﻟﻮﺟﻮﺩ ﺩﺍﻓﻊ‬،‫ ﺑﻞ ﻭﺍﻗﻊ‬،‫ ﻭﻻ ﺷﻚ ﺃﻧﻪ ﻓﺮﺽ ﺃﻣﺮ ﳑﻜﻦ‬،‫ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ‬
‫ ﻭﱂ ﻳﻘﻊ ﳍﺎ‬،‫ ﻳﻠﺰﻡ ﺍﻟﻄﻔﺮﺓ ﺍﻟﱵ ﲢﻜﻢ ﻋﻠﻴﻬﺎ ﺍﻟﺒﺪﻳﻬﺔ ﺑﺎﻟﺒﻄﻼﻥ ﻭﺍﻟﻌﺪﻡ‬،‫ﻭﻻ ﻣﺎﻧﻊ‬
.‫ﺑﺘﺼﻮﺭ ﰲ ﻃﺮﻳﻖ ﺍﻟﻮﺍﻗﻊ ﺃﺛﺮ ﺭﺟﻞ ﻭﻻ ﳑﺶ ﻗﺪﻡ‬

‫ ﻓﻼ ﳏﺎﻟﺔ ﺗﻮﻫﻢ ﺑﻴﻦ ﻭﺿﻌﻪ ﺍﻷﻭﻝ‬،‫ ﺍﻟﻠﺰﻭﻡ ﺃﻧﻪ ﻛﻠﻤﺎ ﲢﺮﻙ ﺍﳋﻂ ﺍﳌﺬﻛﻮﺭ‬:‫ﺑﻴﺎﻧﻪ‬
‫ﻭﻣﻮﺿﻌﻪ ﺍﻟﺜﺎﱐ ﺯﺍﻭﻳﺔ ﻣﺴﺘﻘﻴﻤﺔ ﺍﳋﻄﲔ ﻣﻀﺎﻓﺔ ﺇﱃ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﱵ ﻛﺎﻧﺖ ﺑﻴﻦ ﺍﻟﻘﻄﺮ‬
‫ﻭﺍﶈﻴﻂ؛ ﻭﻗﻠﻨﺎ ﺇﻧﻬﺎ ﺃﺻﻐﺮ ﻣﻦ ﺍﻟﻘﺎﺋﻤﺔ ﺑﻘﺪﺭ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﻟﱵ ﺑﻴﻦ ﺍﳋﻂ ﺍﳌﻤﺎﺱ ﻭﺍﶈﻴﻂ‬
‫ ﻭﻻ ﳝﻜﻦ ﺑﺎﻟﱪﻫﺎﻥ ﺍﳌﺬﻛﻮﺭ ﺃﻥ‬.‫ﺍﻟﱵ ﻻ ﻳﻮﺟﺪ ﻣﺜﻠﻬﺎ ﺣﺎﺩﺓ ﻣﺴﺘﻘﻴﻤﺔ ﺍﳋﻄﲔ‬
،‫ ﺑﻞ ﺃﻋﻈﻢ ﻣﻨﻬﺎ ﻷﻧﻬﺎ ﻣﺴﺘﻘﻴﻤﺔ ﺍﳋﻄﲔ‬،‫ﺗﻜﻮﻥ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﳌﺘﻮﳘﺔ ﺑﻘﺪﺭ ﺗﻠﻚ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ‬
‫ﻓﻴﻠﺰﻡ ﻣﻦ ﺇﺿﺎﻓﺘﻬﺎ ﺇﱃ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﳌﺬﻛﻮﺭﺓ ﺃﻥ ﺗﺼﲑ ﺗﻠﻚ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺃﻋﻈﻢ ﻣﻦ ﺍﻟﻘﺎﺋﻤﺔ‬
‫ ﻷﻥ ﻭﺻﻮﳍﺎ‬،‫ﻣﻊ ﺃﻧﻬﺎ ﻛﺎﻧﺖ ﺃﻧﻘﺺ ﻋﻨﻬﺎ ﺑﺪﻭﻥ ﺃﻥ ﺗﺼﻞ ﻓﻴﻤﺎ ﺑﻴﻦ ﺇﱃ ﺍﻟﻘﺎﺋﻤﺔ‬
.‫ ﻭﻫﻮ ﳏﺎﻝ‬،‫ﺇﻟﻴﻬﺎ ﻣﻮﻗﻮﻑ ﻋﻠﻰ ﺃﻥ ﻳﻀﺎﻑ ﺇﱃ ﺍﻟﺰﺍﻭﻳﺔ ﺍﳌﺬﻛﻮﺭﺓ ﺍﻟﻘﺪﺭ ﺍﳌﺬﻛﻮﺭ‬

Si on suppose que le diamètre mentionné s’est mu, le point de contact avec la


circonférence étant fixe, dans une direction différente de celle de l’angle
– sans doute cette supposition est-elle possible, bien plus, réalisable, et
rien n’interdit son existence ni y répugne –, cela implique le saut que le
bon sens juge faux et dont il n’y a aucune représentation qui ait laissé la
moindre trace sur le chemin de la réalité.
Démonstration. Il s’ensuit nécessairement, à mesure que la droite
mentionnée se meut, qu’on imagine que, entre sa première position et
sa deuxième position, un angle rectiligne soit ajouté à l’angle qui est
entre le diamètre et la circonférence. Mais nous avons dit que ce dernier
L’ANGLE DE CONTINGENCE 47
est plus petit que l’angle droit, de la grandeur de cet angle qui est entre
la droite tangente et la circonférence, et auquel aucun angle aigu recti-
ligne n’est égal. Il n’est alors pas possible, par la démonstration
mentionnée, que l’angle imaginé soit de la grandeur de cet angle; mais
il est plus grand que lui, car il est rectiligne. De son addition à l’angle
mentionné, il s’ensuit nécessairement que cet angle devient plus grand
qu’un angle droit – alors qu’il était plus petit que lui – sans passer
entre temps par un angle droit, car son passage par celui-ci dépend du
fait qu’il faut ajouter à l’angle mentionné la grandeur évoquée. Ce qui
est impossible.63
Ces textes – dont le dernier est certainement tardif – attestent
la présence récurrente de cet argument invoqué pour nier la
continuité, et ceci pendant bien des siècles. Et, de fait, l’astronome
et mathématicien du XVe siècle, ʿAlāʾ al-Dīn al-Qūshjī (1403–1474),
reprend cet argument alors largement diffusé parmi les
mathématiciens et les philosophes. Il propose la preuve suivante:
Soit ABC un cercle de diamètre CD et DG une perpendiculaire à
l’extrémité D, tangente à la circonférence en ce point. L’angle ADG
est un angle de contingence, et, d’après la proposition III.16 des
Éléments, il est plus petit que tout angle rectiligne.
Par une rotation de centre D et d’angle CDP dans la direction de B,
on mène CD sur PD. L’angle PDA est obtus puisqu’il intercepte un arc
plus grand qu’un demi-cercle. On est ainsi passé d’un angle aigu à un
angle obtus, sans passer par un angle droit (Fig. 12).
Pour expliciter son raisonnement, al-Qūshjī rappelle que la tan-
gente est unique, et que toute droite entre celle-ci et la circonférence
coupe cette dernière. Il imagine un angle aigu en D et une droite
superposée à CD. Il fait se déplacer cette droite sur la circonférence
dans la direction de B et forme l’angle CDP. Cet angle, aussi petit
soit-il, est toujours plus grand que l’angle de contingence ADG; ce
qui implique que l’angle PDA est obtus.
On comprend que la négation de la continuité ne puisse que susciter
un débat philosophique, dont on trouve déjà les traces dans le
traité d’al-Fārisī ainsi que dans les deux textes précédemment cités
qui évoquent l’idée de “saut” (tafra) souvent maniée par les
˙
philosophes-théologiens, les Muʿtazilites, dans leurs discussions à
propos de l’atomisme. Certains, comme al-Nazzām (m. 849), affir-
˙˙
maient qu’un corps peut passer d’un lieu à un autre sans passer par
le lieu intermédiaire, par saut. Le débat sur l’angle de contingence a
remis à l’ordre du jour celui de la continuité et de la discontinuité,
comme en témoigne ce traité anonyme sur l’angle que nous venons
de citer.

63
Al-Zāwiya al-hādda, MS Qum 6356, fol. 66v.
˙
48 ROSHDI RASHED

Fig. 12

CONCLUSION

Les écrits des mathématiciens arabes sur l’angle de contingence


– ceux que nous connaissons – permettent déjà d’établir quelques
faits historiques et épistémiques. Ils attestent, d’abord, l’existence
d’une tradition de recherche, active et continue, sur ce thème, à partir
de la fin du IXe siècle. Les mathématiciens de cette tradition ont
élaboré des idées et avancé des thèses dont certaines ont été trans-
mises à leurs successeurs, tels que Campanus, et d’autres retrouvées
par eux (Peletier, Clavius, Hobbes, Wallis . . .). Intégrer ces écrits à
l’histoire de ce problème est nécessaire à deux titres: pour comprendre
comment les travaux d’un Euclide, les commentaires d’un Simplicius
ou d’un Jean Philopon, ont été reçus par les mathématiciens arabes; et
pour pouvoir situer à leur juste place les contributions de ceux qui ont
succédé à ces derniers, qu’il s’agisse des savants latins ou de ceux du
e e
XVI et du XVII siècle, avant l’intervention de Newton en 1664. Nous
serons alors en mesure de nous interroger sur la continuité et la
riche complexité d’une recherche mathématique, somme toute techni-
quement modeste, présente durant deux millénaires. Comment com-
prendre cette présence continue? Quelle est au juste sa signification?
Depuis Euclide et jusqu’au milieu du XVIIe siècle, mathématiciens
et philosophes se sont efforcés de répondre à certaines questions,
de nature différente, certes, mais enchevêtrées. La plus générale de
ces questions, qui d’ailleurs est sous-jacente à toutes les autres, est
la suivante: comment concevoir, dans le cadre de l’ontologie
mathématique de l’époque – platonicienne ou aristotélicienne – un
objet qui se présente comme une grandeur, ou tout au moins comme
une quantité, sans pourtant répondre à la définition qui en était
donnée. Cette question est implicitement présente dans plusieurs
autres, qu’elle détermine; par exemple: de quelle catégorie relève
L’ANGLE DE CONTINGENCE 49
l’angle de contingence ou, plus généralement, l’angle? Toutes ces
questions ont donné lieu à plusieurs traductions techniques, reprises
par les mathématiciens: que doit vérifier une grandeur extensive si
elle ne vérifie pas l’axiome d’Eudoxe-Archimède? Peut-on comparer
les objets ou les grandeurs géométriques de genre différent? Peut-on
distinguer, comme le fait al-Fārisī, deux genres de grandeurs?
Peut-on penser la continuité d’une grandeur géométrique quand on
passe du plus petit au plus grand, sans passer par tous les
intermédiaires et donc par l’égal? La superposition des grandeurs
est-elle une condition nécessaire et suffisante à l’égalité entre elles,
ou seulement suffisante? etc.
Ces questions, et bien d’autres encore, se projetaient bien au
delà du présent mathématique, celui des seules grandeurs
archimédiennes, et s’ouvraient sur l’avenir. Or c’est précisément
dans ce hiatus entre les questions et les moyens mathématiques
d’y répondre que s’est fait sentir le besoin d’une élucidation philoso-
phique. Une telle situation n’est d’ailleurs pas pour surprendre l’his-
torien des mathématiques: que l’on pense aux débats sur les
indivisibles, sur la notion de limite, ou, bien plus tard, sur les notions
relatives à la probabilité.
Il est clair que ces questions soulevées par les mathématiciens à
propos de l’angle de contingence dépassaient largement le cadre
étroit de cet objet singulier. Leur rôle était tout aussi important
dans bien d’autres chapitres des mathématiques et, plus
généralement, c’est sur l’organisation de l’ontologie des objets
géométriques qu’elles portaient. On peut voir dans cette polyvalence
la raison principale de la multiplicité des réponses et de la survie de
ce problème tout au long de tant de siècles, ainsi que de sa disparition
avec la naissance du calcul infinitésimal. Rappelons quelques
exemples.
Nous avons observé que la contribution d’Ibn al-Haytham
représente un point saillant dans l’histoire du problème de l’angle
de contingence, sommet qui ne sera franchi que lorsqu’on commencera
à étudier les courbes à l’aide de leurs équations et à traiter de la
grandeur des courbures. Ibn al-Haytham, lui, pour pouvoir comparer
angle de contingence et angle rectiligne, c’est-à-dire des objets de
genre différent, a comparé des suites d’infiniment petits. Or cette
comparaison, et les procédés qu’il a dû inventer pour l’établir,
étaient tout aussi fondamentaux pour sa propre recherche, d’avant-
garde, dans plusieurs autres chapitres: les lunules, la quadrature
du cercle, les isopérimètres et les isépiphanes, l’angle solide, la
mesure du paraboloïde et de la sphère. C’est sans doute dans ces
recherches où il avait développé les mathématiques infinitésimales
qu’il faut voir l’origine des thèses et des méthodes à l’œuvre dans
son écrit sur l’angle de contingence.
50 ROSHDI RASHED

Cette même question: peut-on comparer des objets géométriques de


genre différent? traverse encore bien d’autres chapitres. Elle se pose
par exemple lors de l’étude du mouvement, comme en témoigne la
recherche de Nasīr al-Dīn al-Tūsī et de Qutb al-Dīn al-Shīrāzī, sur
le mouvement du˙ roulement. ˙ ˙
Quant à la question de la continuité, c’est l’une des préoccupations
majeures des mathématiciens depuis Thābit ibn Qurra, en raison
du mouvement massif de recherche sur l’intersection des courbes
coniques pour déterminer les racines des équations cubiques et
bi-quadratiques.64
On pourrait évoquer aussi les discussions sur la définition de la
notion de grandeur et la généralisation de celle qu’en donne
Euclide: que l’on pense à al-Qūhī, à Ibn al-Haytham, à Ibn
al-Sarī. . .65 L’intérêt porté à l’angle de contingence n’était donc pas
l’effet de la singularité de la chose ou de l’usage mathématique qui
pouvait en être fait. Il était en fait soutenu par l’intervention dans
d’autres chapitres des questions posées à son propos, et aussi par la
difficulté à concevoir l’objet “angle”.
Si à présent on considère les différentes réponses à ces questions,
on observe qu’elles s’organisent toutes, comme du reste celles qui
concernent les courbes,66 autour d’un nombre réduit de notions:
grandeur, divisibilité, continuité, homogénéité. Chaque contribution
rencontrée combine ces notions, ou quelques-unes d’entre elles, si
bien que l’on pourrait représenter l’histoire de ce problème par un
tableau à double entrée, où se croiseraient ces notions et les thèses
des auteurs. Mais ce tableau ne montrerait pas l’essentiel: les
méthodes mises en œuvre pour établir chaque thèse. On en a vu un
exemple avec Jean Philopon et Ibn al-Haytham.

64
Voir R. Rashed, Les mathématiques infinitésimales du IXe au XIe siècle, vol. III: Ibn
al-Haytham. Théorie des coniques, constructions géométriques et géométrie pratique
(Londres, 2000); et Geometry and Dioptrics in Classical Islam (Londres, 2005).
65
Voir Les mathématiques infinitésimales, vol. II.
66
Voir Rashed, “Les premières classifications des courbes”.

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