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Violence et contrôle social des femmes

Author(s): Jalna Hanmer and E. L.


Reviewed work(s):
Source: Questions Féministes, No. 1 (Novembre 1977), pp. 68-88
Published by: Nouvelles Questions Féministes & Questions Feministes
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40619104 .
Accessed: 26/11/2011 21:42

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http://www.jstor.org
68

La photo de couverturede «La chasse est ouverte».

J^H^^^^^H
69

JalnaHanmer*

Violenceet contrôle
socialdesfemmes

Cet articletraitedu phénomène socialque constituent les violencesphysiques


exercéespar les hommescontreles femmes. l Notre
problèmen'estpas ici de com-
et
parer d'expliquer les divers et
types degrés de violenceni de raffiner surles varia-
tions de lieu, de tempset les personnalités des individusconcernés.Nous ne
cherchonspas non plus l'explicationde tel acte individuel: notrepréoccupation
centraleest la signification, au niveausocialstructurel,de la violencedes hommes
contreles femmes.
Pourcomprendre le phénomène, il convientde ré-évaluerle rôlede la violence
dansles relationsentrehommeset femmes. Nousconsidérons d'abordl'universalité
de la subordination des femmes, pourexaminerensuiteles formeset les incidences
de la violenceet en donner une définition.Nouscritiquerons les explications socio-
de et
logiqueshabituelles la violenceinterpersonnelleanalyserons le rôle de l'Etat
dansla création d'une dépendance«symétrique» entreles sexes. Nous tenterons de
mettreen évidencela pertinence d'uneanalysedesrapports de violenceentrehommes
et femmespour la compréhension des catégoriesde «sexe» et de «classe».Et la
question finale est : pouvons-nous combattre efficacement la violencemasculine?

Violencedes hommeset subordinationdes femmes.


Quand on pose la questiondu partagedu pouvoiret de l'autoritéentreles
sexesdansles différentescultures,l'opinionprédominante estque les femmes, tou-
jours et partout, ont moins de pouvoir et d'autoritédans la société que les
hommes.2Les activitésmasculines,quellesqu'ellessoient,sonttoujours,partout,
plus valoriséesque celles des femmes.A ce phénomèneon donnegénéralement
deux raisonsd'ordrematériel: l'une est que la fonctionreproductrice desfemmes

♦ Chargéede cours à la London School of


Economics, Universitéde Londres.
1. Ce texte a e te écnt a la suite d un séminaireanglo-français
surles rapportsde violence
entrehommeset femmes,organisépar le Social Science ResearchCouncil en 1975. Il a été pré-
senté à la conférenceannuelle de la BritishSociological Association,Sheffield,1er avril1977.
2. Cf. par exemple : Rosaldo, M. & Lamphere,L. (eds.), Women,Cultureand Society,
StanfordUniversityPress, 1974. Friedl, E., Womenand Men, Holt, Rinehart& Winston,1975.
Reiter,R. (ed.), Towardand Anthropologyof Women,MonthlyReview Press,1975.
Dans son Introductionà /'Originede la famille... Engels {The Originof the Family,Pri-
vate Propertyand the State, Lawrence & Wishart,1972), E. Leacock soulignele faitque nous
ne connaissons aucune société qui n'ait subi l'influencede la société occidentale. Les anthro-
pologues ont importéleur proprevision de la société et nulle partplus fidèlementque dans les
domaines qui pour eux soulevaientle moins de problèmes : c'est-à-direla divisionsexuelle du
travailet l'invisibilitéde la violence.
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limiteleur participation sociale. Le faitde porterles enfants, les nourrir puisles


élever,est considérécommela base de l'exclusiondesfemmes des activitéslesplus
valorisées(et les plus violentes)dans un grandnombrede sociétés: la guerre,la
chasse.Cettedivisionsexuelledu travailestaussiune divisionentresphèrepublique
et sphèreprivéede la vie culturelle, qu'elle soitembryonnaire ou hautement déve-
loppée, et la rigidité de ce cloisonnement s'étend ensuite à l'accès des femmes à
l'autoritéet au pouvoir.Le secondfacteurmatérielinvoquéestle rôledes femmes
dans la production, maison a constatéque, mêmedansles sociétésoù leurparti-
cipation excède 50 %, les femmes n'atteignent jamaisà la pleineégalité.3Il estrare
que l'on mette en relation la violence physiqueet sa menaceavecd'autresfacteurs
sociaux, mais un article récent tente d'établirl'importance relativede la violence
de
institutionnalisée, l'idéologie et du stade de développement économiquedans
l'acceptationpar les femmes de leur K.
oppression.4D'après Young et 0. Harris,
dansles sociétésoù l'on a le moinsde contrôlesurla nature,le modedominant de
contrôlesocialestl'usageinstitutionnalisé de la force: leshommespunissent collec-
tivementles individusfemmesqui ont enfreint les règlessociales- par le viol de
groupe,par exemple. A un degrésupérieur de contrôle surla nature,ce sontlesmé-
canismesidéologiquesqui dominent: «II y a prolifération des institutions vécues,
répressives», et la violence se limite à l'usage individuel de la force.A un stadede
productionencoreplus développé,le mode dominantde contrôledevientl'écono-
mie. «Les femmesn'ontpas accès aux moyensde production, ellesne contrôlent
plus leur propresurplusdomestique, n'ont pas accès au travail [rémunéré], etc..»
Le contrôleidéologiques'affaiblit et la violenceestencoreplusmasquée.
Il est certainque dansnotresociété,ni leshommesni les femmes ne sonttrès
empressés de reconnaître l'importance de la violence et de la menace dans le drame
routinier de la vie quotidienne.Souventon dissimuleet on se dissimuleles senti-
mentset attitudeshostilesqu'on a enversle sexeopposéet on ne les reconnaîtpas
commepartieintégrante de la viequotidienne.
La violencedes hommesenversles femmesau seinde la famillesembleun
sujettabou qui faitsurfaceà l'occasion,au moinsdansune frange de la conscience
collective.Par exemple,à la findu 19èmesiècle,en GrandeBretagne, le problème
de la violencemaritalea été soulevépubliquement, ce qui a conduità unemodifi-
cationde la loi, permettant aux femmesd'obtenirla séparationlégalede leurmari
la violence de ce dernier se manifestait de façonrégulière. 5 Puisle
lorsque problème
tombadansl'oublipourressurgir pendantla luttepourle droitde vote,sombrer à
nouveauet refairesurfaceaujourd'hui.Les femmesont,de tempsen temps,pris
consciencedu fait que la violencephysiques'exerçaitcontreelles en tantque
groupe,mais la plupartdu temps,ce qui est sociologiquement plus important,
l'usage de la forceet de la menacen'a été considéréque commeun problème

3. Ibid.
4. Young, K. & Harris,O., «The Subordinationof Womenin Cross CulturalPerspective»,
Paperson Patriarchy,Women'sPublicationCollective,1977 (à paraître).
5. Young, J., WifeBeating in Britain : a Socio-HistoricalAnalysis, 1850-1914, A.S.A.
ConferencePaper, 1976%
Entre «les problèmes individuelsdans le milieu social» et «les effetspublics de la
structuresociale», les mouvementsféministesont laissé place à l'imaginationsociologique. Les
académiciensde la sociologie feront-ilsde même ? {cf. Mills,C. Wright,The Sociological Ima-
gination,OxfordUniversity Press,1959 ;trad. franc.: Paris,Maspero, 1967).
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individuel.Aussile faitd'interpréter la violenceconjugale,y comprisle viol,et les


diversesagressions dontles femmessontvictimessurla voie publique,commedes
actes perpétrés par des hommesindividuels au nom de tous les hommes,peut-il
paraîtreosé, ou même absurde, tellement nous avonsindividualiséce phénomène
socialimportant.
Etantdonnéle manqued'informations surle sujet,nous ne chercherons pas
à établirde comparaisons avecd'autressociétés.Ce que nous voulonsmontrer, en
revanche, c'est que de
l'utilisation la force et de la menace, même si elle estparti-
culièrement occultée,est d'une importancesuffisante dans notresociétéindus-
trielleoccidentalepourêtrereconnuecommeun facteurmajeurde contrôlesocial
des hommessurles femmes.Nous voulonsmontrer égalementque toutce que les
hommesextorquent aux femmes, qu'il s'agissede bénéficeséconomiques,sexuels,
ou de prestige, reposefondamentalement sur l'usagede la forceet de la menace,
tout commela dominationexercéesurune classesociale,un groupeethnique,ou
unenation.
La violenceet la peur de la violencefaçonnent les comportements. Il s'agit
là d'un phénomènesociologiquepar excellence.Mais pourpouvoirle comprendre
à fondde ce pointde vue même,il faut,dans sa définition, tenircomptedu point
de vuede la victimeaussibienque de l'agresseur ou de la sociétéengénéral.

Définitionde la violence

Dans la vie d'une femme,la peur de la violencemasculineexistede façon


subtileet diffuse.A un premierniveau,la peurse ressentcommemalaise: soucide
se comporter commeil faut,de ne pas êtreridicule,ne pas attirer la moquerie.La
peurs'accentuequand on a été soi-même victimede violences, lorsqu'onsaitque
ou
des personnesconnuesou inconnuesde soi en ont été victimes; elle s'accentue
aussilorsqu'ons'écartedu comportement socialaccepté,ou quand on prévoitseu-
lementde le faire.Ce qui découragera une femmen'en découragera pas forcément
une autre,et le simplemalaisequi accompagneun comportement déviant,comme
de rentrer seule chez soi le soir,par exemple,peut suffire à ne jamais dérogerau
principede sécurité,ou à n'en dérogerque trèsexceptionnellement. Mêmesi les
femmesont des notionsdifférentes de la sécurité,chaque femmesait,de façon
intuitiveet émotionnelle, où se situela frontière
qui la mèneà cettezone d'ombre,
ce no woman'sland qui conduità un affrontement où elle a toutesles chancesde
perdre.Ces mêmesfrontières existentdansla viedomestique.6
Sous sa formela plusvoilée,la menacede la violenceou la violenceelle-même
peuventprovenir de comportements qui se présentent commeamicauxou plaisan-
tins. Ann Whitehead,dans son étude d'un villagedu Herdfordshire7, donne

6. Jones,B., «The Dynamics of Marriageand Motherhood», in Morgan,R. (ed.), Sister-


hood is Powerful Vintage,1970, pp. 46-61 : on y décritles différents
subterfugesdu maripour
consolidersa position de pouvoir. La menace n'a pas besoin de se crierhaut et fortpour créer
la peur de la violence.
7. Whitehead,A.. «Sexual Antagonism in Herefordshire»,in Barker, D. & Allen, S.
(eds.), Dépendance and Exploitation in Workand Marriage,Longmans, 1976, pp. 169-203.
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plusieursexemplesd'utilisation abusivede la plaisanterie; l'unede ces plaisanteries


avaitpour but de rappelerà une femmequ'elle était indésirabledansle pub du
village,lieu de rencontre de la cliquemâle à laquelleappartenait son mari,tandis
qu'une autre plaisanterie la
marquait désapprobation de l'intérêt extra-conjugalque
manifestait une femmeenversun homme.La description qu'AlwynRees faitd'une
communautédu pays de Galles8 contientplusieursexemplesdu rôleque joue la
plaisanteriede la partdesjeunesgensdu villagedansle contrôledes autresmembres
de la communauté.Mais il est remarquable que ce typede comportement soit
négligé dans la plupart des études monographiques.
Quantà la «plaisanterie» dansl'anonymat, nousconnaissons bienà la villeles
de siffletet le . et Coornaert9
coups «dragage»DominiquePoggi Monique explorent
les passagesde la villeinterdits aux femmeset nous rappellentqu'un humoriste
pourraittrèsbien,sans avoirl'air saugrenu, établirun «guidede la rue pourles
dames».La plaisanterie, avec ses sous-entendus, représente la formede pressionla
plus subtileet se situeà l'un des extrêmesdu continuum de la violence.
Une définitionsociologiquede la violenceenversles femmesdoit tenir
comptede l'usagede la forceet de la menacecommemoyend'obligerles femmes
à se comporter ou à ne pas se comporter de telleou tellefaçon.La mortse situeà
un extrêmeet la menaceà l'autre.Entreles deux,on trouvetoutessortesde com-
portements quotidiens,depuisles coups superficiels jusqu'aux blessuresgravesen
passantpar l'agression sexuelleet le viol.Notredéfinition de la violencecomprend
les catégorieslégalesmaisles dépasseen incluanttouslescomportements qui visent
à obtenirla soumission. C'est une définition de femme; elle partdu pointde vue
de la victime.

L'étenduede la violencemasculineenversles femmes.

Même si on se limiteaux délitstombantsous le coup de la loi, on peut


affirmerl'ampleurdu phénomène.Le mesurerprésentedeux difficultés : les statis-
tiquesofficiellesnous informent de ce qui est enregistré à la police ou dansles
tribunaux, maispas forcément des événements eux-mêmes. De plus,il n'existepas
de statistiques
surle sexede la victime, saufen cas d'homicide.Maisune foistracées
ces limites majeures,nous pouvons encore tirer quelques conclusionsdes
statistiques L'une d'elles est que pratiquement
officielles. tousles crimesviolents
sont commispar des hommes.Trèspeu de femmes, en comparaison, commettent
des actesde violenceenversdes femmesou des hommes.Autreconclusion: étant
donnéla description des crimes,il estévidentque les femmesconstituent la vaste
majoritédes victimesde «violencessexuelles»,les «attentatsà la pudeur»repré-
sentant50 % des inculpations de cettecatégorie.1°
Mais le sexe de la victimeest totalementinconnudansl'autregrandecaté-
gorie: «coups et blessures»,dont 10 % sontenregistrés commeviolencessexuelles.

8. Rees, A., Life in a WelshCountryside,University


of Wales Press,1951.
9. Poggi, D. & Coornaert, M., «The City : Off-Limitsto Women», Liberation,july-
august1974, pp. 10-13.
10. Home Office,Criminalstatistics,angiana ana wales, 1975, H.M.s.u. (Her Majesty
StationeryOffice),1976.
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En ce qui concernel'homicide,si on considèreles relationsentrel'agresseur et la


victime, un faitmajeurémerge: une femmea plus de chancesde se fairetuerpar
quelqu'unqu'elleconnaîtque parun étranger. Il estprobableque l'on pourrait tirer
la mêmeconclusionpour les coups et blessuresou les agressionssexuellessi on
faisaitdes statistiques comparables.
On trouvecependantquelquesdonnéesstatistiques plusprécises.En 1974,R.
et R. Dobash ont étudiéles actesd'accusationinitiauxportantsurtous les délits
commisdans toutesles circonscriptions d'Edimbourg et dansl'une de Glasgow.11
La violenceet les menacesconstituaient un faiblepourcentage (1 1, 10 %) des délits
enregistrés. Parmi les menaces et voies de fait, la violence à l'intérieur de la famille
était un peu moins fréquente(4,79 % des cas) que la violenceextra-familiale
(6,31%).
A l'intérieur de la famille,les agressions physiquescontrel'épouse consti-
tuaientpresque la moitié des délits.Si on additionne les violences,retenuesou
alléguées,et les menaces envers l'épouse, les violences envers le mari(0,79 %) et
les altercationsconjugales,on s'aperçoitque 84 % des menaces et des actesde vio-
lence dans la familleont lieu entremari et femme. Et la quasi-totalité de cette
violenceest exercéepar leshommescontreles femmes. restese partageentreles
Le
violencesperpétrées contreles enfants(6,69 %), les violencescontreles parents
(4,26 %), les violencesentrefrèreset sœurs(3,04 %) et les querellessansvoie de
faitavec d'autresmembresde la famille(1,94 %). Pource qui est de la violence
extra-familiale, les agressions d'hommescontredes femmesne représentaient que
13 % des cas, ce qui permetd'affirmer que c'est en se mariantou en cohabitant
avec un hommeque les femmescourentle plusgranddangerde se faireattaquer.
Cela ne suffitpas pourautantà donnerune véritableidée des agressions et
blessuresdontles femmessontvictimes, en particulier dansle foyer.Les policiers
reconnaissent qu'ils ont beaucoupmoinsde chancesd'arrêter un hommequi bat sa
femmequ'un hommequi maltraiteun enfantde la familleou quelqu'und'autre
12
que sa femmehorsdu foyerfamilial. Les témoignages rapportés à la Commission
d'Enquête Parlementaire sur la Violence dans le Mariage n'ont pas donné lieu à
des statistiques rigoureuses sur l'étendue et le type de violence exercéedans la
familleet, à notre connaissance, il n'existe de
pas projet de recherche surle sujet.13
La questionnousparaitcruciale.Pourquoine consigne-t-on pas les observa-
tionsrelatives à la nature des violences et
exercées, surtout, étant donné l'attention
portéesur ce domainepar la Commission d'Enquête,pourquoi ne recherche-t-on
pas ce typed'information ? A notreavis,ce désintérêt ne reflètepas la raretédes
comportements, maisplutôtleuracceptationcommeformede contrôlesocial.Le
phénomènen'apparaîtpas commefaitsocial,il n'estreconnuque commeproblème

11. Dobash, R. & R., The Nature and Extent of Violence in Mariage in Scotland,
ScottishCouncil of Social Service,1976.
12. Report from the Select Committee on Violence in Marriage...,vol. 2, H.M.S.O.,
1975,pp.270-290, 361-391.
13. Ibid., vol. 1. Le rapport,p. XIII, recommandecomme premierobjectif la création
d'un foyer (pour les femmeset les enfants)pour 10000 habitants.Actuellement,à peu près
15 % des bâtimentsnécessairessont disponiblesgrâce à des projets bénévoles dont la plupart
émanentde la NationalWomen'sAid Federation(Fédération nationaled'aide pour les femmes).
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si bienqu'en cet âge de la sociologie,de l'ordinateur


individuel, et des statistiques,
le recensement de ce type de crimesn'est pas considérécommeun priorité.14

La Contrainte et la socialisation.
structurelle

En sociologie,le rôle de la violencedansla structuration et le maintiendes


rapportsentrehommeset femmesn'a pas la place qui lui revient.Dans les
recherches qui sembleraient avoirtraità ces problèmes, l'usagede la forceest un
facteurdonton ne tientpas compteou qui estsous-est imé.1SEt lorsquedes socio-
logues fontquelque effortpour expliquerla violencemasculine,le faitmême
qu'elle s'exercecontredes femmes n'estpas intégré dansl'argumentation théorique.
Quant à la réponsede l'Etat, à traversses diversesinstancesofficielles, on n'en
tientgénéralement pas compte ou, si on la mentionne, on ne la considère pas
commefaisantpartiedu phénomène à définir.
Malgréces lacunes,le chercheur confronté à des cas individuelsconcocteun
pot-pourri car
d'explications, une seule théorie ne peut rendre comptedu phéno-
mène.A certainsstadescruciaux,se dessineune tendanceà individualiser et psy-
chologiser. Ainsi pour expliquer certaines de
catégories comportement qui ne
cadrentpas avec la structure sociale,comme la violence dite
irrationnelle, «expres-
sive» (opposée à la violence«instrumentale»), a-t-onrecoursdansla théorie«so-
ciale structurelle»aux notionsde frustration, tensionet «butscontrariés» . Au pire,
sociologiquement parlant,les normes et valeurs de violence sontconsidérées comme
déviantes, propres à des sous-cultures ou à quelques familles alors
individuelles que
la société dans son ensemblen'est pas touchée.16Au mieux,on considèrela
violencecommerépandueet la famillecommeune institution socialequi fournit
un terrainprivilégié des
d'apprentissage normes, valeurset techniquesde violence.
Les sous-cultures de la violencedeviennent alorsla partieémergéede l'iceberg.

14. Après le rapportde la Commissiond'Enquête, la D.H. S. S. a fourniplusieurscontrats


de recherchepour étudier les «systèmesde résorptiondes crises» dans le foyerconjugal et les
actions sociales à mener vis-à-visde la violence conjugale. Le Ministèrede l'Intérieur(Home
Office) envisagemaintenantl'enregistrement statistiqueséparé des actes de violenceconiugale.
15. Un exemple de cette sous-estimationdu role de la violence : Goode, W., «Force And
Violence in the Family», Journalof Marriageand the Family,vol. 33, n° 4, 1971, pp. 624-636.
16.Si dans cet articlenous évitonsle terrainpsychologique,les psychiatres,eux, ne sem-
blent pas y regarderde trop près en adoptant les théoriessociologiques (par exemple : Scott,
P., «Battered Wives»,BritishJournalof Psychiatry,125, 1974, pp. 433-441) ou les méthodes
sociologiques (par ex. : Gayford,J., «Wife Battering: A PreliminarySurvey of 100 Cases»,
BritishMedical Journal 25 jan. 1975 ; et «Ten Types of BatteredWives»,The WelfareOfficer,
n°l,janv. 1976).
On trouveraune excellentecritiquedes travauxde Gayforddans : The ExistingResearch
into Battered Women,NationalWomen'sAid Federation,1976.
Même E. Maccoby et C. Jacklin(The Psychologyof Sex Differences,StanfordUniversity
Press,1974, pp. 264-5) succombentaux affirmations gratuitessortiestout droit des préjugés:
«Bien que dans un nombreinconnu de cas des incidentsde ce genreillustrentun côté laid des
-
relationsconjugales côté que souventon ne voit pas ou ne veut pas voir - il ne faitguèrede
doute que l'usage directde la forceest raredans la plupartdes mariagesmodernes...Disons sim-
plement que tout couple homme-femmeconstitue habituellementune coalition où l'on
s'accorde pour minimiservolontairementla part de l'agressionafin de préserverles aspects
mutuellementgratifiants de la relation.»
75

C'est le pointde vue adoptépar Gellesdansune récenteet uniqueétudede


80 famillesaméricaines violentes.17Il combinela théoriede la socialisation avec
les théoriesde la frustration, de la tensionet des buts contrariés pour rendre
comptede la variétédes comportements des sujetsétudiés.Par la théoriede la so-
cialisationil essayed'expliquerle comportement présentparlesévénements passés
tout en interprétant le comportement présent termesde frustration,
en etc. Les
explicationsfoisonnent car, dans l'échantillon considéré,tous les adultesviolents
n'avaientpas subiou été témoinsde violencesdansleurenfance- et nous savons
par d'autressourcesque ceux qui ontconnula violencedans leurenfancene de-
viennent pas nécessairement violentsà l'âgeadulte.On établitun rapportstatistique
entrela violenceadulteet la socialisation dansl'enfance, maison ne connaîtpas la
corrélation entre les faitspuisqu'on ne saitpas quelleproportion de la population
en généralesttémoinou victimede violencespendantl'enfance- à supposermême
qu'on arriveà définir la notionde violence.De mêmepourles explications du type
«frustration» : ellesne peuvents'appliquerqu'à des cas individuels, et ce que l'on
proposecommeexplicationd'un phénomènesocial n'estque la sommede carac-
tèresindividuels.
La notionde rôle sexueln'est pas un outil plus satisfaisant, mêmesi dans
l'idée de rôle on inclutle conditionnement passé et le conditionnement présent
18
(renforcéou non). A côtéde l'idéologiedominante qui faitcroireque les femmes
choisissent la soumission et la dépendance, les espritslibérauxadmettent qu'ilexiste
depuis l'enfance un conditionnement social différent pour les deux sexes, qui
aboutit à la soumissionféminineet à l'agressivitémasculine.Si ce type
d'explication a le méritede mettreen lumièrele rôlede l'idéologiedansle compor-
tementhumainet de permettre la description de certainsaspectsdu comportement
à
acquis,il ne suffitpas rendrecompte des structures socialeset des rapportsde
domination.

La Théoriedes ressources.

frôlela possibilitéd'unenouvelleana-
Goode, avec sa théoriedes ressources,
lyse,maisse détournepour se rabattre prudemment surl'idée qu'on a recoursà la
violencelorsqueles autresressourcesmanquent,à savoirles ressourcesécono-
miques,le prestigeou le respect,d'unepartet l'amitiéou l'amour,d'autrepart.19
Cet auteuradmetbienque le mariageestune relationde pouvoiret que la forceou
la menaceconstituent des ressourceshabituellespourle mari/père;(de mêmeque
le pouvoiréconomiqueet un statutgénéralement Ce n'estque dansle
supérieur).
domainede l'amitiéet de l'amourque la femmea deschancesd'augmenter ses «res-
sources»,et à conditionde se dévouertout entièreà son mariet ses enfants.

17. Gelles, R., The ViolentHome, Sage Publications, 1972. (Une étude sur les cas de
femmesbattues en Ecosse doit bientôt paraître : Dobash, R. & R., ViolenceAgainst Wives:A
Case AgainstthePatriarchy,Free Press,1977.)
18. Voir : Steinmetz,S. & Straus,M., Violencein the Family, New York, Dodd, Mead &
Co, 1974 ; et Martin,D., Battered Wives,Glide, 1976.
19. Goode, art. cit.
76

On a largementdissertédans le mouvementféministesur l'amouret la


sexualité.On a dit souventque l'amouret les relationssexuellesavec les hommes
permettaient psychologique
l'oppression des femmes.
et matérielle Les femmes sont
renduesrivalesles unesdes autresdansleurquête de reconnaissance masculineet
aliénéesdansleursexualité.(D'où la jubilationdansle mouvement lorsqueMasters
et Johnsonontétablique le clitoris,et non le vagin,constituait
la basebiologique
de l'orgasmeféminin.)20 On dénoncel'amourcommeune armepernicieuse: c'est
tout ce à quoi les femmespeuventaspireret, une foisqu'il est là, il ne faitque
renforcer leur statutsubordonné.L'amourpour le mari,le foyeret les enfants
installeles femmesdansune relationqui se caractériseparla dépendance.L'amour
lui-même est donc aussiun moyende contrôlesocialdes hommessurles femmes.

Réciprocitéasymétrique+ Etat = dépendance"symétrique".

Maisnousne pouvonspas analyserl'usagede la forceentreindividus dansles


sociétésindustrielles sansprendreen considération le rôlede l'Etat,car l'organisa-
tion,le déploiementet le contrôlede la forceet de la menaces'intègrent dansla
structure La à
étatique. question poser est : au bénéfice de qui s'exerce cette force?
La réponseapparaîtà traversla façondont l'Etat déploiesa forceet exercesa
fonctionde contrôle,et aussien partieà travers les réactionsde l'Etatfaceà ceux
qui utilisentla force en dehors de l'appareilétatique.
E. Marx,dans une récenteétude surun villageisraélien, analyseun certain
nombrede manifestations violentes dansle cadrede la familleet de la communauté
et les relieà l'organisation de l'Etat. Il distingue deux typesde violence,considé-
rantque toutesociétéutiliseces deux définitions. L'une estla définition politique
et légaleet l'autrecelle qui a traitaux relationsinterpersonnelles. Il décritla vio-
lence contreles représentants de l'Etat commecoercitiveet celle exercéecontre
des membresde sa familleou d'autresindividus commeun appel(à l'aide). Lorsque
des violencesentreindividus ont lieu en public,ellesreçoivent l'attention de la po-
lice, mais si elles ont lieu en privé, elles ne sont pas nécessairement considérées
commedes délits,mêmesi lesprotagonistes sontblesséset que l'affaire tombedans
le domainepublic,car «l'intérêtpublicn'est pas en jeu et les organesde la loi
tendentà leur appliquerune définition plus restreinte de la violence».21Par
exemple, dans la famille Ederi, le mari a l'habitude d'agresserphysiquement sa
femmes; les enfantsl'acceptentcommeun événement banal et personnen'inter-
vient. L'auteur centre son attentionsur les frustrations du mari (ses «buts
contrariés»). Il est dit qu'à tel moment il a battu sa femme à cause de sa craintede
ne pouvoirsubveniraux besoinsde sa famille.Le ménagedoit payerune dette
inattendueet Mme Ederi désiraitquitterson travail.Mais aprèsl'agression, Mme
Ederisouffrait d'épuisement et de blessures aux
graves jambes et il lui étaitdifficile

20. Masters,W. & Johnson,V., Les Réactions Sexuelles, Paris, Laffont,1968 (édition
américaine: 1966). JillJohnston(Lesbian Nation, Simon and Schuster,1973, p. 169) remarque
à ce sujet que les féministesont réagi«comme si la reconnaissancede l'insensibiliténerveusedu
vagin apportaitaux femmesleur premierargumentlégal dans la plaidoiriecontrel'impérialisme
phallique.»
21. Marx, E., The Social Context of ViolentBehaviour,Routledge& Kegan Paul, 1976.
77

de tenirla maisonnéetout en gardantsontravailà tempspartiel.Aprèsl'agression,


MmeEderimarmonne: «... ce qu'il veutc'estque j'aille travailler pourqu'il puisse
resterà la maisonet s'occuperdes enfants.»L'auteurinterprète ainsila déclaration
de la femme: «Elle a comprisà ce momentque le problèmede sonmarin'étaitpas
cettedetteparticulière maisla perspective de ne pouvoirfournir à sa famillele mi-
nimumde subistance dansl'avenirimmédiat.»
On peutdonnerune autreinterprétation : MmeEderiattribueà sonmariune
raison«instrumentale» de son agression qui, si elle estpriseau sérieux,faitplusque
remettre en questionla validitédes catégoriessoi-disant noninstrumentales de vio-
lence. Si l'actionavaitun but coercitif- obligerMmeEderià garderson travail
contresa volontéet réduireses dépenses- MmeEderine voit-ellepas, elle aussi,
sesbuts«contrariés» ?
Maissa positionn'estpas analyséede la mêmefaçonque cellede sonmari.Ce
qu'on explique,c'est pourquoielle ne peutmodifier sa situationen aucunefaçon.
Elle ne peut attendred'aide ni de la police,ni de l'assistancesocialeni du public.
Lorsqu'elles'est montréesur le pas de sa porte,la nuque ruisselante de sang,
personne ne s'est approché d'elle. Elle ne peut non plus espérer d'aide en quittant
son mari.On ne fournitun travailde dépannageou une aide socialeaux femmes
qu'à conditionqu'il n'y ait pas d'hommevalidedansla famille,et si MmeEderi
essayaitd'abandonnerla responsabilité du foyeren se séparantde son mari,«elle
ne pourraitcomptersur l'aide de l'assistancesocialequi se trouverait encombrée
par un si grand nombre d'enfants» .
Si E. Marxreconnaîtque MmeEderiest prisonnière de la situation- «lors-
qu'un homme violente sa femme qui lui est liée par leur responsabilité commune
des enfantset par des liensde longuedate, il est susceptible d'aller trèsloindansla
-
violencecar il ne craintpas la rupturede leursrelations» il ne considèrepas
l'Etatcommeune institution qui intervient dansl'établissement et le maintiende la
positionprivilégiée de M. Ederipar rapportà sa femme.L'auteurconsidère, en re-
vanche,que la violenceexercéeparle marià rencontre de sa femmene menacepas
les intérêts de l'Etatcommele feraitla violenceexercéecontrel'unde ses représen-
tants,qui seraitalorsprisedavantageau sérieux.Dans cetteoptique,l'Etatestune
institution souverainequi réagitselonque son pouvoirest plus ou moinsmenacé.
Dans cettethéoriede l'Etat,M. et MmeEderine sontpas partieprenante; ils se
situenten dehorsde l'Etat(ou biensontopprimés parcelui-ci?).
A notresens,cette visiondes rapportsentrel'Etat et le ménageEderi est
fausse.On faitsilencesur le faitque Mme Ederi est, tout autantque son mari,
frustrée dansla poursuitede ses objectifs, etcontrairement à ce qui estditdu mari,
elle n'estpas censée faireappel à la compréhension ni demanderle partagedes
responsabilités. Ne voirlà que prévention contrele sexeféminin esttroprestrictif.
Il fautse demander pourquoil'analysede la positiondu marine peutêtreappliquée
à la victimede l'agression. Notreréponseest que cela dévoilerait les privilègesdu
mari,pas seulement le privilège de pouvoirdéfoulerses frustrations surautruisans
craindre de représailles de la partde la victimeou de la communauté, maisaussile
privilège de ne pas avoirà remplir le rôle,normalement attenduselonE. Marx,de
pourvoyeur de la famille.
D'aprèsE. Marx,la violenceinterpersonnelle provientd'une situationde dé-
pendancemutuelleentreles sexes,à la différence de la violencede l'Etat qui est
78

suscitéequand son pouvoirestmenacé.Ce seraitun moyenpourle maride rétablir


l'équilibrede la relationen rappelantà son épouseque leurdépendanceest réci-
proque.Point de vue probablement héritéde Lévi-Straussqui expliquaitl'univer-
salitéde la divisionsexuelledu travailpar la nécessitéd'établirune dépendance
réciproqueentreles sexes.Noussoutenonsque dansle cas des Ederi,la dépendance
n'estmutuelleque grâceà l'intervention de l'Etat.C'estbienl'interventionde l'Etat
qui obligeMmeEderià dépendrede son mariet donc à accepterses agressions et
son absencede contribution financière,tandisqu'elle doit porterles enfants, les
éleveret travailler.
La questioncruciale,tellequ'elle a été posée en Chinedansla luttecontrele
systèmeféodal,est : qui dépendde qui ? Ce qui étaitposé au départcommela
dépendancedu paysanvis-à-vis du seigneurfutreconnu,à l'issue des débatsde
groupes, comme une fausseconscience de classe et révélécommeun mode de
rapports maintenu parla force.22
Seulsceux qui ontle pouvoirontle choixde remplir ou nonleursobligations
sociales.C'est l'actionde l'Etat qui donnece choix à M. Ederi et le retireà sa
femme,servantainsil'intérêtpublictouten le définissant. Le faitque l'Etatpuisse
êtremishorsde cause dansl'analysede la violencedomestiquedonnebien la me-
sure du privilègedes hommesdans la définitionde la réalitésociale.Dans cet
exempleet dans les suivants, le pouvoirprendla formed'une forcerestrictive, ce
Backrach et Baratzont le de «non-décision». 23
que appelé pouvoir
Dans notresociétéplus vasteet anonyme,où la communauté restreinteest
souventmoinsà mone de limiterl'étenduede la violence,toute la brutalitéde
l'Etat (commecelle des maris)se révèle.Voici des variations ad nauseumsur le
thème:
«Mon visageétaittellement enflépar les coups que j'étaisdevenuemé-
connaissable.J'avaisperduune dentde devant.Il m'a misetoutenue.
Il m'a cogné la tête contreun murde briquespendantune heureen
répétant: «Qui était ce type ?» J'ai eu six côtes briséesà coups de
pied.J'étaisnoiretoutd'un côté à forcede coupsde poinget de coups
de pied. Il m'a tirée par les cheveuxjusqu'en bas de l'escalier.Il
n'arrêtait pas de m'écraserles doigtsde pied,nus,avecseschaussures à
talonscubains.Il répétaittoutle temps: «Qui étaitce type?» Ensuite
il est allé chercherun couteauet a dit qu'il allaitme tuersije ne disais
pas avec qui j'étais sortie.Il a essayéde me poignarder mais i'ai pu
arrêterle coup en levantle braset j'ai reçuune grandeestafiladesous
l'aisselle.Tout cela se passaitdevantmes petitesfillesqui ont cinq et
neufans. Bientôtla police est arrivéeaprèsqu'un voisinles aitappelés
pour la huitièmefois.Ils ne voulaientpas entrerdansla maison,alors
que la porteétaitouverte.Il estsortiet leura ditqu'il me battaitparce
que j'avais laisséles enfantstoutesseules.Jeles ai suppliésde m'em-
menerà l'hôpitalmais ils ne voulaientqu'à conditionque je porte
plainte.Ils sontpartisen lui disantde fairemoinsde bruitparceque
les voisinsse plaignaient. Ils ne m'ont pas demandési ce qu'il disait
étaitvraiet ne m'ontdonnéaucuneaide. Il est revenudansla maison
et nous a dit de noushabiller,moi et les enfants.Il nous a emmenées

22. Hinton,W.,Fanshen, Vintage,1968.


23 Backrach, P. & Baratz, M., «Two Faces of Power», American Political Science
Review,vol. 56, 1962, pp. 947-952.
79

chez son amiepourluimontrer ce qu'il lui feraitsi elleluiétaitinfidèle.


Puis il lui a demandési ellevoulaittoujoursde lui aprèsqu'elleaitvuce
qu'il m'avaitfait.Elle a dit oui - qu'elleavaitconnupireavecsonpre-
miermari.J'ai dit qu'il fallaitqu'ellesoitfolleet il m'a filéun coup sur
la bouche.Puis ils ont mismes fillesau lit,dansla maisonde son amie,
et il leur a dit que désormaisc'était leur nouvellemamanparce que
j'étais une putainet queje n'étaispas capabledem'occuperd'elles.Ils
ont faitdu café,maispas pourmoi,et puisil m'a emmenéeà l'hôpital
en me menaçanttoutle longdu cheminet en me disantque sije ne lui
disaispasavecquij'étaissortieil emboutirait la voiture. Dansle parkingde
l'hôpitalil m'a dit de leurdireque j'avaisété attaquéeen rentrant chez
moi aprèsêtresortiele soir.Quandnoussommesentrésil leura raconté
cettehistoire maisje leurai ditque c'étaitlui et il m'a crachéà la figure
en me traitantde salope.Jepensaisqu'ilsme garderaient maisilsm'ont
dit qu'ilsmanquaientde litset m'ontrenvoyée aveclui. En rentrant il a
misla voituredansle fossépouressayerde me fairepeur.J'aidû rentrer
à pied.»M

Le pouvoirmasculinet l'Etat.

Si l'on admetque la violencedes hommesenversles femmesa pourbut de


les tenirsous contrôle,cela expliqueaussi bienla violenceprivéeque la violence
publique.Cela rendcompteaussi des débordements de violence.Il peut êtreou
semblernécessairede tuer,mutiler, ou
handicaper compromettre temporairement
la capacitéd'une femmeà fournirdes services,afinde resterle maître.Prestige,
valorisation, estimede soi : c'estce que l'hommegagne,exprimeet faitreconnaître
à travers l'approbation des autres.
Dans cetteperspective, l'Etat représente les intérêtsdu groupedominant, en
l'occurrence les hommes,dansleurconfrontationavec le groupesubordonné, les
femmes. Ainsi,il est logiqueque dans les querellesdomestiquesle statutde la vic-
timedétermine la réponsede cet organede l'Etat qui a pourtâchede contrôler la
25
violence. Quand des hommesinconnusd'une femme(les policiers)soutiennent
un hommeconnud'elle(son mari)dansla réalisation de leurintérêtcommundéfini
par l'Etat, la loi est défendue impartialement puisque l'Etat définitles femmes
comme«moinségales». La découverte de cettecomplicitésurvient commeun choc
pourles femmes qui fontappelpourla première foisà la protectionde la police.La
plupart des femmes n'ont pas conscience des droitsqu'ellesabandonnent en se ma-
riantou en cohabitantavecun homme,maisdansle contextedes violencesdomes-
tiquesla contradiction entreleursintérêts et ceux de leurmaricommenceà appa-
raître.26

24. Ce n'est là qu'un des nombreuxépisodes de la violence endurée par cette femme
pendant son mariage. Elle a trouvé peu après secours dans un refuse pour femmesbattues.
25 . Depuis le rapportde la Commissiond'Enquête sur la Violence dans le Mariage,une
modificationde la loi a eu lieu : les policiersdoiventdésormaisprocéderà l'arrestationsi le juge
en a délivré l'ordre, alors qu'auparavant cette responsabilitéincombait aux court officiais.
Mais ce n'est guère qu'un pion avancé dans une guerrepsychologique fort complexe, car la
police a toujourseu le pouvoird'arrêterles malfaiteurs.
26. Pour un débat plus approfondisur ces questions, voir : Hanmer,J., «Community
Action, Women's Aid and Women's LiberationMovement»,in Mayo, M. (ed.), Womenin the
Community,Routledge& Kegan Paul, 1977.
80

La prééminencedes intérêtsmasculinss'exprimeà traversune politique


explicite: par exemple,en Grande-Bretagne, l'une des préoccupations majeuresdu
système d'aide socialeest le maintien de la famille, et dans la famille la femmeest
définiecommedépendante de l'homme. 27En créantune
dépendance«symétrique»
entreles sexes,l'Etatprêtemain-forte à l'hommeen rendantdifficile à la femme
de romprele mariage.Les lois et leurapplication, la politiquedu logement, lespres-
tationssociales,l'emploiet les salaires,toutcela enferme la femmedanssonstatut
de dépendance. Pourqu'unefemmepuissequitter,avecses enfants, un mariviolent,
elle doit êtreprotégéede cetteviolence,avoirquelquepartoù aller,et un revenu.
La Commission d'Enquêtea soulignéle rôlede l'Etatdansl'institution de la dépen-
dance féminineen posantcette questiontouterhétorique: «Pourquoiest-ceà la
femmeet aux enfantsde quitterla maisonet nonau mari? Pourquoine créerions-
nouspas des foyers pouraccueillir lesmarisviolents?»
Du pointde vue idéologiquecommedu pointde vue pratique,le problème
est abandonnéà la victime.Les femmesqui passentdansles refuges pour femmes
battuesnousdonnentdes exemplesde la façondontla violencede leurmaridevient
«leurproblème»: retourné contreellespar toutesles instancesofficielles (services
de santé, assistantssociaux, bénévolesou fonctionnaires, différentes instances
policièresou juridiques).En retournant le problèmecontrela femme, on en faitun
on les
problèmeindividuel, occulte fonctions de la violenceet l'on renforce enfin
l'idéologiequi soutientla domination masculine.
Ce processuss'illustretrèsclairement dansles exemplesque nousavonscités.
La police,les assistants le
sociaux, personnel hospitalier onttousrenvoyéla femme
à «son» problème.De plus,l'Etat supportele poids financier desconséquencesde
la violencemaritaleen fournissant les services qui vont réparer la santéde la femme
ou prendreen chargeles enfants si besoinest.L'Etat ramasselesmorceauxparl'in-
termédiaire deshôpitaux,des foyerspourenfants, de l'assistance sociale.2S
Mais si une femmeavec des enfantsà chargearriveà quittersonmari,l'Etat
l'entretiendra par l'aide publiquejusqu'à ce qu'elle se remarie. Ainsi,il prendle re-
lais de la responsabilitéfinancière du mari.Commel'indiqueclairement le Rapport
du Comitéd'Etude sur les Ménagesmono-parentaux, les hommesne sont finan-
cièrement responsables que des femmes qui cohabitent aveceux.29L'Etat agitainsi
au bénéficedes hommes,qui restenttoujourslibresde s'offrir les servicesd'une
femme- d'une femmedéfiniepar l'Etatcommedépendante. Tandisque la femme
qui dépendde l'Etat(le subrogéde sonmari)reçoitun revenuminimum, pourêtre
encouragéeà rentrer au serviced'unnouvelhomme.La politiquede l'Etatestdonc

27. Sur l'action de l'Etat visantà renforcerla dépendanceéconomique des femmes,voir :


Land, H., «Women : Supportersor Supported ?», in Barker & Allen, Sexual Divisions and
Society : Process and Change,Tavistock, 1976, pp. 169-203 ; et Lister,R. & Wilson,L., The
Uneaual Breadwinner.NationalCouncil forCivil Liberties.1976.
28. Il y a certainementune analyse à fairede la divisionsexuelle du travaildans le do-
maine de l'assistancesociale. Quelle signification sociale faut-ildonnerau faitque la «clientèle»
premièreet aussi les travailleursde base (et non ceux des niveaux hiérarchiquessupérieurs)de
?
l'assistancesociale sont avant tout des femmes Il faudraitaussi analyserles rapportsdes assis-
tantssociaux pour leurprésentationdu systèmesocial des sexes.
29. Report of the Committeeon One ParentFamilies, H.M.S.O. (G.B.), 1974.
81

de renvoyerles femmesau mariage(ou au concubinage)si par «malheur»elles


enétaientsorties.30
Dans le domainepublic,la complicitéentrel'Etat et les intérêts masculins
apparaît à travers les réactions de l'appareil d'Etat à la violence exercée indivi-
duellementpar des hommescontredes femmes.Il est apparemment impossible
d'assurerla sécuritédes femmesdansla rueou de garantir leuraccèsà toutsecteur
de la villeou de la communauté au mêmetitreque les hommes.La topologiede
nos villesindustrielles estcomparableà cellede nombreuses sociétéstraditionnelles
noncapitalistes, où la maisonou bienl'airedeshommesoccupele centretandisque
les femmes et les enfants viventà la périphérie. Dans nos villes,le centrese compose
de bâtiments publics,foyers de l'activité masculine. Commel'expliquent D. Poggiet
M. Coornaertdansl'articledéjà cité(cf. note9), les institutions les lieux
centrales,
de pouvoir,de prestigeou d'influence où se déroulentles transactions les plus dé-
terminantes pour la communautésont effectivement fermésaux femmesen tant
que groupe. En même temps les entrées sont limitées dans les sphèresd'activitéur-
de
baine, production et de travail, de loisiret de plaisir. tolèreles femmes,
On mais
avecdes restrictions. Les femmesn'ontpas le pleinusagede la cité,«leurschemins
sont hérissésde passagesinterdits et de signauxd'alarme».Les femmesdoivent
évitercertaines rues, certains quartiers, parcsou lieuxpublics,le jour si ellesne sont
pas dans leur rôle domestique de bonnes d'enfants, et la nuitde toutefaçon.Que
ce soit dansles magasinset boutiques,seul espaceurbainoù les femmesont libre
accès, ou dans leurfoyer,les femmessont isoléesles unes des autres.Commele
notentD. Poggiet M. Coornaert,la rencontreà l'épiceriedu coin n'a jamaisété
pour une femmel'équivalentdes barset des caféspourles hommes.L'espace ur-
bain,pourles femmesest compartimenté, sortirdes espacespermisaux femmes,
c'est courir le risque de se faireattaquerpar des hommes.
L'acte de violencequi a reçule plus d'attentionpubliqueest le viol.On dé-
nonce de plus en plus les réactionsde la police et les procéduresdes tribunaux.
Commel'expliquele N.C.C.L. (NationalCouncilforCivil Liberties),les violeurs
ontplus de chancesd'êtreacquittéssi le viol estsocialement possibleet si le mode
de viede la victime, mòne s'il estinconnudu violeur,exprimel'autonomie.31 Vivre
seule,marcherseule,fairedu stop,porterdesvêtements «indécents», avoirparléou
pris un verreavec le violeursont des actes susceptiblesd'avoirrendule viol
possible.Etrecélibataire,divorcée,adultère,avoirun enfantillégitime, un amant,
s'êtrefaitavorter, toutessituations qui n'ontrienà voiravec le viol,sontdes fac-
teursde bonneconsciencepourle violeur.Commel'a écritun groupede Féministes
Révolutionnaires : «Seuleune femmemariée,enfermée chez elle,encompagnie, ha-
billéejusqu'au cou, peut êtrereconnuecommevictime; c'est-à-dire quand le viol
est non seulement matériellement impossible, maissurtoutsocialement injustifiédu
32
pointde vuedu patriarcat.»

30. Le passage des femmesde l'indépendanceà la dépendance économique n'implique


pas forcémentle mariage légal. Voir le dossier du Bureau d'aide sociale : Living Togetheras
Husband and Wife,SupplementaryBenefitsAdministration Paper,5, H.M.S.O., 1976.
31. Coote, A. & Gill,T., The Rape Controversy,Nation Council forCivil Liberties,1975.
Griffin, S., «Rape : The All-AmericanCrime»,Ramparts,sept. 1971, pp. 26-34.
32. Des FéministesRévolutionnaires,«Justicepatriarcaleet peine de won, Alternatives,
n° 1 : «Face-à-femmes»,juin 1977 {Paris, Editions Alternativeet Parallèles).
82

Ainsi,on peutdireque des hommesqui n'ontapparemment rienà voiravec


les forcesde l'ordreremplissent en faitla mêmefonction.Les hommesqui har-
cèlent,attaquent,violentles femmesdoiventêtredécritscomme«les inquisiteurs,
les flics,les garde-chiourmes de l'ordrepatriarcal», et noncommedes déments, des
inadaptésou des obsédés sexuels,car «la chasse aux femmesest ouvertetoute
l'annéevingt-quatre heuressurvingt-quatre» (ibid.).
La peurenvahissante de la violenceet la violenceelle-même ontpoureffetde
jeter les femmesdans les bras «secourants»de ceux-làmêmesqui les agressent.
Maris et amants sont censés protégerles femmesde la violencepotentielle
d'hommesinconnus.Les femmesse sententgénéralement plus en sécuritéencom-
pagnied'un hommedansun lieupublic.Quantau foyer,on en faitle symbolede la
sécuritéet c'est souventainsique le ressentent les femmes, alorsque d'unpointde
vue statistique c'est dansle mariageou le concubinageque les femmesont le plus
de chancesde se faireviolemment agresser. Cettepeurdiffusede se faireagresser
dansles lieuxpublicsvientencorerenforcer la dépendancedes femmes vis-à-vis des
hommes.Le faitque de nombreux marisne battentpas leurfemmeet que de nom-
breuxhommesn'attaquentpas les femmesdansla rue ne constituepas unepreuve
que les agressions deshommescontreles femmes ne sontpas unepratiquecourante,
systématique, non limitée à quelques hommes défavorisés parla naissance, le condi-
tionnement ou la misère; c'est seulement la preuvequ'il n'estpas nécessairepour
chaquehommed'agirainsiafinde maintenir lesprivilèges de songroupe.J.Dollard
parle des «bons blancs» du Sud ne
qui trempent pas danslescruautésinfligées aux
noirspar les autresblancs.Mais l'important c'est que touthommeblancpouvait
battre,violerou assassiner touthommeou femmenoiresanscraintede poursuite
judiciaire, de même que tout hommepeut s'approprier impunément le corpsde sa
femmeou maîtresse.Dollardmontreaussicommentles noirsrecherchaient la pro-
tectiondesblancs,l'égidede «l'ange»blanc.33
Le point essentielà soulignerest que la forceet la menacene constituent
jamaisun moyende pressionsecondaire ou résiduelmaisqu'au contraire ellescons-
tituentles fondations premières des structures hiérarchiques,la sanction ultime qui
soutienttoutesles autresformesde contrôle.Si ce pointde vue n'estpas particu-
lièrement nouveau,on l'a rarement appliquéaux rapports entrehommeset femmes,
probablement parceque cela débouche sur une problématique de l'exploitation de
sexe, à mettre en rapport avec l'exploitation de classe.

Sexe et classe.

La comparaisonavec la situationdes noirsestutilepour rendreexplicitele


rôlede la forcedans le maintiend'une structuresocialedonnée.L'analyseque fait
du Sud - des
J. Dollarddes relationsentreblancset noirsdansune villeaméricaine
bénéficessexuels,économiqueset de prestigeque les blancsremportent au détri-
mentdes noirs- peut êtremiseen parallèleaveccelledu mouvement féministeen
ce qui concerneles rapportsd'exploitationentrehommeset femmes, (rapportsoù

33. Dollard,J.,Caste and Class in a SouthernTown, Yale UniversityPress,1937.


83

interviennent la sexualité,le statut,le prestige, commela divisiondu travail).Mais


Dollardsouligneaussi que les privilèges des blancsne peuventse maintenir que si
l'idéologieest soutenue par la force et par la menace. A tout moment on impose
aux noirsla déférenceenversles blancset les infractions aux règlessont punies
avanttoutpar la violencephysique,mêmesi Tonfaitégalement usagede sanctions
économiques.
En ce qui concerneles rapportsd'exploitationentreles sexesqui, horsdu
mouvement, n'ontpas donnélieu à des analysesaussiapprofondies que cellesdes
rapports entre noirs et blancs, on voit généralement dans l'institution de la famille
le moyenpremier de contrôlesocial.Les féministes ontdénoncél'amouret la «na-
turede la femme»commemoyensidéologiquesd'oppression. On trouveausside
en
plus plus d'essais sur l'économie domestique, problème la valeuréconomi-
le de
que du travail fourni gratuitement par les femmes, maisil y a controverses surla
question de savoir qui bénéficie de ce travail : le le
mari, capitaliste, ou les deux î34
Le rôlejoué par la violencemasculinedans l'exploitationéconomiquedes
femmes- qui comprendleursous-paiement dans le travailsalarié- estmentionné
subsidairement, sinon totalement passé sous silence. On avanceque c'est le capita-
lisme, et non les hommes,qui bénéficie des agressionsdes hommesenversles
femmes.Par exemple,R. Frankenburg35, cherchantà réinterpréter les relations
décritesentreles mineurs et leursfemmes dansCoal is OurLife,affirme qu'il existe
bienun bénéficeéconomiqueà la violence,maisau profitdu capitalisme et nondes
hommescar ceux-cise défoulentsur leur femmeau lieu de se défoulersurleur
patron.C'est aussi,sous un autreangle,la positionque reflète la campagnepourle
salairedomestique(Wages for Housework Campaign)36. Tout servicefourniau
travailleurmâle estconsidérécommeun travailpourlequelun salaireest dû, non
par le mari,esclavesalarié,mais par le capitalisme.On ne considèrejamais les
hommescommeredevablesdes bénéficesqu'ils retirent du travailgratuitde leur
fonine.Ces pointsde vuene rendent pas compte mariageen tantque relationde
du
pouvoir ni du rôle essentielqu'y jouentle contrôlefinancier et le recourspotentiel
à la forcephysique.
Mais le rapportentreviolenceet productionéconomique,dans la famille,
n'est pas direct.Si le but étaitd'extorqueraux femmesle maximumde travail,la
forceet la menacedevraient êtreutiliséesavecmesurepourobtenirce résultat, de
mêmeque doit l'êtrela coercition dans le travailindustriel pour maintenir le taux
de profit.
Harris37, étudiantun villagepéruvienoù tous les hommesont l'habitudede
battreleurfemme,note qu'il n'y a pas de rapportentrel'intensité des coups et la

34. Sur ce débat, voir notamment: Dupont, C, «L'ennemi principal»,Partisans,n° 54-


55 : «Libération des femmes,année zéro», Maspero, 1970, pp. 157-172. Seccombe W., «The
Housewife and Her Labour under Capitalism», New Left Review, n° 83, 1974, pp. 3-24.
Gardiner,J., «Political Economy of Domestic Labour in CapitalistSociety», in Barker& Allen
op. cit.,pp. 109-120.
andExploitation...,
(edsXDependence
35. Frankenburg,R., «In the Production of their Lives, Men (?)... Sex and Gender in
BritishCommunityStudies», in Barker,D. & Allen, S., Sexual Divisions in Society..., op. cit.,
PP. 25-51. .. _ _
36. Par exemple, Edmond, W. & Fleming,S., All Workand No Fay, Power oí Women
Collectiveand FallingWall Press,1975.
37. Communicationpersonnelle.
84

compétencede l'épousedansl'accomplissement de ses tâches(qui comprennent la


Les
productionagricole). coups paraissent administrés au hasard. Les «meilleures»
épousespouvaientaussi bien êtreles femmesles plus battues,tandisque les plus
paresseusesou incapablespouvaientéchapperà ces sévices.Plus prèsde nous,
d'aprèsles constatations faitesdans les centresd'aide aux femmesbattues,les
violencesdes marisou des concubinsne semblent pas avoirde rapportaveclesper-
formances domestiques de leurs victimes. La force est tropsouventcontre-produc-
tive; non seulement les femmespeuventêtregravement blesséesmaisellespeuvent
souffrir de troublesnerveuxqui leurrendront encoreplusdifficile de s'occuperdes
les
enfants,préparer repas, tenir le budget, etc. Elles de
risquent se retrouver à
l'hôpital médical ou psychiatrique, privant ainsi l'homme, au moins temporaire-
ment,de leursservices.
Les Péruviens du villagedisaientqu'ilsbattaientleursfemmes pourengarder
le contrôle; les Britanniques en disentautant,et à notreavisc'estcetteraison,plu-
tôt qu'une raisonéconomique,qui doit êtreacceptée.Maisalorsc'estconsidérer la
forceet la menacecommedes facteurs plusfondamentaux dans l'inférioritésociale
des femmesque le rôlequ'ellesjouentdansla vieéconomique.L'exploitation éco-
nomique n'est plus que l'un des bénéfices que les hommes retirent de l'asservisse-
mentdes femmes.A mesureque le contrôleque les hommesexercentsur les
femmess'étend,ils en retirent aussides bénéficesdansle domainede la sexualité,
de la reproduction, du statut,et dans le sentiment qu'ils ont d'eux-mêmes, par
exemple un sentiment de supériorité.
Les rapportsentrel'exercicede la violenceet la structure économiquesont
plutôt à rechercher au niveau de l'histoirede des
l'organisation sexesdansles dif-
férentes sociétés.Les considérations d'Engels la violencedansle mariage,
sur qui ne
sont pour lui qu'une parenthèse,sont à intégrerdans le débat de fond.Selon
Engels,«... dans le ménageprolétarien, les bases de toute formede suprématie
mâle ont disparu»38,car il n'y a pas de propriété.La loi bourgeoiseréglementant
les relationsdansle mariagene s'appliquepas aux prolétaires et la possibilité pour
les femmesprolétariennes d'obtenirl'indépendance économiqueen entrant dansla
productionsignifiequ'à la différence des bourgeoises, ellespeuventse séparerde
leurmarisi ellesle désirent. Cettedescription idylliquede la vie domestiquede la
femmeprolétarienne n'estternieque d'unelégèrenote: «sauf,peut-être, qu'il reste
quelquechosede la brutalité enversles femmes qui s'estrépanduedepuisl'introduc-
tionde la monogamie.»Pour Engels,l'organisation de la famillevariedirectement
en fonction desconditions économiques.Selonlui,leshommes,accumulant de plus
en plus de richesses, ont imposéla monogamieaux femmeset les femmesont ac-
ceptéque le surplusde richessesappartienne aux hommesparcequ'il avaitété pro-
duithorsdu foyer,dansla sphèrede travaildes hommes.«Le faitmêmequi avait
donné à la femmeun rôle prédominant dansla maison,à savoirsa spécialisation
dansles tachesdomestiques, assuraitmaintenant la suprématie de l'hommedansla
maison ; le travailde la femmeperditsa signification en regarddu travailde
l'hommepour obtenirles moyensde subsistance.»Engelspensaitque c'est ce

38. N.d.T. : notretraduction.Pour la versionfrançaisepubliée, cf. Engels,F., L 'Origine


de la famille,de la propriétéprivée et de l'Etat, Paris, Editions Sociales, 1974 (p. 80, puis
p. 170).
85

nouveaupouvoiréconomiquequi a permisaux hommesde renverser le système ma-


trilinéairede filiationet de transmission en
des biens faveur d'un systèmepatrili-
néaire.Engelsdécritalorsle passagede la cohabitation (mariageapparié)au mariage
monogame(surtoutdans la bourgeoisie),passaged'une positionoù la femme
pouvaitfacilement se séparerde son conjointet garderle contrôled'une partieau
moinsdes biensde la communauté conjugaleà unepositionoù ni l'unni l'autrene
luiétaitpossible.
RosilandDelmar,dans une relecturecritiquede l'essaid'Engels39,souligne
que les recherches anthropologiques effectuées aprèsEngelsn'ontjamaisconfirmé
l'idée d'une divisiondu travailspontanéeet bien tranchée: les femmesà la maison
et les hommesau dehors,ni l'idéed'uneprogression historique,dansles différentes
sociétés,du matriarcatau patriarcat.De plus, les anthropologues arriventà la
conclusionque la violencemasculineenversles femmesexistaitavantla monoga-
mie.Cetteviolencen'estdoncpas un malheureux capricede la naturehumainesus-
citépar la structure de classes.S'il est vraique les femmesont perduau coursdes
tempsun certainpouvoirsocial,il faudraitconsidérerl'usagede la forcepar les
hommescommeune explicationau moinspartiellede cettepertede pouvoir,car
la seule raisoninvoquéepar Engelsne suffîtpas à expliquerpourquoiles femmes
ont acceptéque le surplusde richessesappartienne uniquementaux hommeset à
leurlignée.40
Nous ne disposonspas d'informations suffisantesqui nouspermettent de sa-
voirsi la violencemasculineenversles femmesa augmentéaprèsl'institution de la
monogamie parla classedirigeante, mais Delmar nous rappelleque de l'avisd'Engels
lui-même, les femmesles plus oppriméesde son tempsétaientles femmes de bour-
geois. Un siècleplus tard, des
l'expérience refuges pour femmes battues démontre
que ce typede violences'exercedanstouteslesclasses.La violencedansle domaine
publicn'estpas nonphisunecaractéristique de classe.

Exclusionet Contrainte.

Le recoursdes hommesà la violenceou à la menacecontreles femmessert


deux objectifs: l'un estd'exclureles femmesde certainsdomainesou de restreindre
leurchampd'action,l'autrede les obligerà un certaincomportement. Les deux
interagissentde telle façonqu'aboutirà l'un des objectifsest aiderà l'aboutisse-
mentde l'autre.
Les femmessont exclues des - ou ont un accès restreint aux - groupes
masculinssociaux,économiqueset politiques.Les hommesont le pouvoirde dé-
finirla réalitésocialeparcequ'ils peuventexclureles femmes alorsque les femmes
ne peuventexclureleshommessansapparaître déraisonnablesou déviantes (voirles

39. Delmar, R., «Looking Again at Engels Originof the Family,PrivatePropertyand the
State», in Oakley, A. & Mitchell,J. (eds.), The Rightsand Wrongsof Women,Penguin,1976,
pp. 271-287.
40. On retrouvece point de vue sur la violence chez Whitehurst,R., «Violence in
Husband-WifeInteraction», in Steinmetz, S. & Strauss, M., op. cit. ; chez Rüssel, D., The
Politics of Rape, Stein and Day, 1975 ; et chez Brownmiller,S., Against Our Will,Seeker and
Warburg,1975.
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difficultésdes centresd'«Aide pourles Femmes»à «expliquer»pourquoiil y a si


peu d'hommes dans leursorganisations, et leurincapacitéà les en excluretotale-
ment).41Le pouvoird'exclusionest le langagede la dominance.Ainsiles groupes
d'hommessontconsidéréscommepublicstandisque les groupesde femmesap-
paraissent commeprivéset moinspermanents parcequ'ils ne bénéficient pas de la
validationsociale qui découle d'une positionhiérarchique supérieure. Parce que
les hommesdétiennent le monopoledu public,les femmessontexcluesde, ou ont
un accès limitéà certainsbâtiments, certainespartiesde la ville.La notiond'ex-
clusioncomporteen soi la menacede représailles (c'est-à-dire l'usagede la force)au
cas où les femmesauraientla «prétention» de pénétrer dansles domainesinterdits.
L'autreaspectde l'usagede la forceou de la menacepar les hommesest le
faitde contraindre les femmesà se comporter de telleou tellefaçonou à exécuter
certainestâches,en particulier nourricières et ménagères.Plus les femmessont
excluesdes sphèressociales,économiqueset politiqueset plus il est facilede les
contraindre au rôledomestique. Maismêmelorsqueles femmes ontun certainaccès
au domaineditpublic,ellespeuventêtremaintenues dansun rôlesubordonné grâce
à des moyensde contrôleidéologiqueset matériels (contrainte économiqueet vio-
lence physique)et grâceà la politiquede l'Etat qui soutientla structure hiérar-
chique familiale.Dans sa forme la plus rigide, la famille isoleles femmes des autres
adulteset détermine une dépendanceéconomiquetotale,si bienque lesphispetits
besoinsmatériels, et l'échangede parolesmême,dépendentde la bonnevolonté
masculine.
Il est intéressant de noterque le mouvement féministe de la findu 19ème
sièclecentraitsurtoutsa luttecontrel'exclusiondes femmes- de l'éducation,du
travail,de l'appareilpolitique- tandisque le mouvement contemporain viseplus
particulièrement l'obligation faite aux femmes d'accomplir un certain rôle domes-
tique. Le thème de la violencepermet de faire le lien entre ces deux aspectsde la
lutteféministe.

Répondreà la violencedes hommes.


S'il arriveparfoisque des hommesattaquentcollectivement des groupesde
femmes, la violencemasculine est généralementle faitd'hommes individuelsou de
groupes d'hommes contredes femmes individuelles.Il sembleen effet rarement
nécessairepour les hommesd'attaquerles femmesen tant que groupepour les
contrôler. Le seul exemplerécentdontj'ai entenduparleren GrandeBretagneest
l'attaque d'un grouped'hommescontredes femmesqui assistaientà la dernière
NationalLesbian Conference.A noterque, depuis,aucune Rencontrelesbienne
nationalen'a eu lieu car les femmesconcernéesdisentqu'ellesne peuventtrouver
aucunlieu de rencontre qui les préservede ce danger.42Le faitque les femmes en
41. A la Conférencede la FédérationNationaled'Aide pour les Femmes en 1976, il avait
été décidé que des hommespouvaientparticiperaux actions des groupes de base à condition
que leur rôle reste mineur,afin d'éviter le renforcement des stéréotypessexuels à l'intérieur
d'une organisationde femmespour les femmes.
42. A 1 intérieurdu mouvementde liberationdes femmes,ce sont les groupes d homo-
sexuelles qui constituentla plus grandeprovocation à l'égard des hommes car, de toutes les
femmes,ce sont celles qui sont le plus indépendantesd'eux.
87

tantque groupeportentrarement défià la domination masculineau pointd'attirer


sur elles, collectivement, la sanctionultime,peut être l'indice de la peur des
femmes,qui les rendnon provocantes, ou bienl'indicedu faitqu'ellessontsuffi-
sammenttenuesen mainspar ailleurspourrendreinutilece genrede représailles.
Défierla domination masculine, c'est s'exposeraux feuxde l'ennemi,enfon-
cer un à un touteune séried'obstacles,dontle premierest l'acceptationgénérale
du systèmesocialsexuel; il fautensuitevaincreen soi la peurde la déviance,de la
ruptureavec les normesculturelles, prendrele risquede déclencher des réactions
violentes, assumer cette violence et trouver les moyens de se libérerdu statutde dé-
pendance institutionnalisépar l'Etat dans le domaine des revenus, du logement, des
loiset de leurapplication.
Il estcertainqu'il s'exprimeactuellement une nouvelleprisede consciencede
la violencemasculine,et les femmes, dansla mesurede leursmoyens,commencent
à y répondre. Dans les premières analysesde l'oppression des femmes élaboréespar
le mouvement féministe contemporain, la violence physique a été priseen compte
parmi d'autres facteursd'oppression. Sur ce thème s'est développéaux Etats-Unis
un mouvement d'actionautourdu violtandisqu'en Grande-Bretagne le mouvement
s'est d'abord préoccupéde la violencedans le mariage; ces deux aspectsde la
violencemasculineont également déclenchédes actionsdansd'autrespaysocciden-
taux.Maisnousne savonspas ce qu'il en adviendra. Cetteprisede consciences'af-
le
faiblira-t-elle,«problème» sera-t-ilà nouveau individualisé, ou bien la compré-
hensionde la signification socialedes violencesphysiquessubiesparles femmes va-
t-ellecontinuerà se répandre, entraînant une analyseplusapprofondie de ce thème
etuneradicalisation des actions?
Le «problèmedes hommes»est encoreà souleversurle planthéorique,ainsi
que la questionde la rééducation des hommes.43L'anthropologie, la psychologie,
la sociologieont largement servià la propagandeet à l'apologiede la visionqu'ont
les hommesde la société,de la culture,des femmes- et de leurmodèledes rela-
tions hommes-femmes.44 Une nouvelleperspectiveest nécessairepour rétablir
l'équilibre; perspectivequi doitsouligner la fonctionde la violenceet de la menace
commemaîtressepoutrede la structure socialeet de toutle processussocialqui re-
pose sur l'asservissement des femmes.Une analysedu rôle de la violencedans le
maintiendu pouvoiret de l'autoritémasculine, individuellement ou collectivement,
à différents de
niveaux l'organisation sociale depuis petitsgroupesinformels
les jus-

43. Le récit de Gold Fower, dans Beiden, J., China Shakes the World,Pelican, 1973, il-
lustrecomment la domination des hommes sur les femmesdans la Chine pré-révolutionnaire
se maintenaitultlmement«à la force du poignet» et commentce futpar la violenceégalement
que les femmesébranlèrenten partie ce pouvoir dans la Chine post-révolutionnaire. Mais les
analyses de Chinois ou d'occidentaux pour tenterd'expliquer pourquoi les femmesen Chine
restentencore sous la domination des hommes ne tiennentpas compte du facteurde la violence
ohvsiaue.
44. Pour une mise en question du réductionisme« biologisant» appliqué aux femmes,
voir l'article de Mathieu, N.-C., «Homme-cultureet femme-nature?», L'Homme, vol. XIII,
cahier 3, 1973. Elle dénonce le faitque les anthropologuesn'emploientpas pour les deux sexes
des critèreshomogènes,alors qu'on devraitanalyserle systèmesocial des sexes sur des bases
tout aussi sociologiques que celles utiliséesdans l'étude des systèmeséconomiques, politiques,
religieux,etc.
88

qu'au fonctionnement formelde l'Etat à l'échellenationale,devraitclarifier,par


rapport à l'analysede les
classes, fondements et le fonctionnement, indépendants
de l'antagonisme de la divisionentreles sexes et de l'ex-
bourgeoisie-prolétariat,
ploitationdes femmes.
(Traduitde l'anglaisparE. L.)

Note de la Rédaction: II nousa


sembléutile de publierce «fait
divers»récentà titred'«illustra-
tion» françaisede la violence
exercée contre les femmes :

# Deux gendarme*de la bri-


gade de Rethel (Ardennes),
MM. ChristianLerat,trente-deux
ans, et Daniel Bédouin, vingt-
neuf ans, ont été condamnés à
dix mois de prison, dont huit
avec sursis, pour violences et
voies de fait avec préméditation,
par le tribunalde grandeinstance
de Charieville-Mézières.Soua le
prétexted'un contrôled'identité,
Us avaient obligé à se déshabiller
totalement une jeune fille de
dix-sept ans. La condamnation
des deux gendarmes entraine
leur radiation.- (Corresp.)

Le Monde, 31 juil.-ler août


1977, rubrique «En bref...»,
p. 6.

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