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Carnets métaphysiques

« Les hommes intelligents brilleront comme des lumières


dans le ciel » Daniel, 12, 3
Avant- propos

Il existe depuis un certain temps un intérêt grandissant


pour la pratique de la méditation à la façon bouddhiste, mais laïcisée en
fonction des besoins et des aspirations de l’occidental moderne. Cela se
produit dans le contexte d’une vie souvent affairée, où l’on est à la
recherche d’une profondeur, d’une thérapeutique nouvelle et naturelle,
d’un sens supérieur comparé à une vie étalée à l’horizontale par la
pression d’une ambiance désacralisée et matérialiste. A cet égard, il
semblerait que la tradition philosophique et spirituelle de l’Occident n’ait
rien à offrir, et elle est souvent vue comme un bel effort intellectuel non
opératif, dépassé par le point de vue de la science, auquel les méditants
font de plus en plus référence. Il est clair que la métaphysique ne peut
revendiquer le statut de science moderne, puisque précisément celle-ci
s’est construite contre elle, dans un souci de percer les lois et les
secrets de l’univers tel qu’il s’offre à nos cinq sens et qui fait l’objet d’une
reconnaissance unanime. Il s’en est suivi une désaffection de la
métaphysique à peu près totale du milieu intellectuel ; Platon est devenu
indésirable et Thomas d’Aquin n’est plus que le théologien de l’ Église
Catholique ; Giordano Bruno est considéré comme spinoziste avant
l’heure et Marsile Ficin comme une curiosité que l’on situe vaguement
dans la vaste mouvance de l’art humaniste de la Renaissance. Afin de
revenir à cette question de la vague d’intérêt pour la méditation, nous
souhaitons simplement signaler que l’exercice de la pleine conscience,
mettant l’accent sur le silence mental, n’est pas la seule voie vers le
salut. Comment se fait-il que les grands penseurs de l’ Occident n’aient
pas développé cette technique tout en étant pas étrangers à l’extase ? A
ce titre, nous voudrions mentionner l’étude de la pensée, sous sous
aspect vibratoire, publiée par les frères Servranx1, et qui préconise
comme méthode de développement personnel, la poursuite simple et
naturelle de la culture d’un intérêt et de suivre ce chemin de réalisation
de soi sans avoir besoin d’avoir recours à des exercices occultes
spécifiques. Lorsque nous avons pris conscience de ce fait, évident
pendant l’enfance alors que nous n’étions pas encore influencés par des
doctrines spirituelles, a été une véritable révélation. Ainsi le fait de
développer son goût pour la philosophie n’est pas une déviation du
chemin spirituel mais bien plutôt sa poursuite effective. Il est vrai que la
1 F et W Servranx, La force – Pensée, Bruxelles edit Servranx 1957
pensée du Bouddha n’encourage pas la métaphysique voire l’interdit, et
l’on comprend mieux pourquoi les hindous orthodoxes considère son
enseignement comme une hérésie, car le Vedanta repose sur le Yoga
de la connaissance. En Occident, ce type d’effort intellectuel a été
poursuivi au fil du temps en donnant naissance à des courants
philosophiques qui représentent bel et bien, selon nous, des élans
ascendants vers l’absolu, et où la pensée n’est pas l’obstacle mais le
moyen privilégié. Nous écrivons ceci afin de faire cesser ce
malentendu ; sur la voie spirituelle, la pensée n’est pas une chose à
faire taire et si les individus se trouvent dans l’embarras eu égard à leurs
contenus mentaux, ils doivent se demander pourquoi un attribut si
raffiné de l’être pose problème. Mais bien loin de nous de vouloir
rabaisser la valeur de la méditation yoguique car elle doit être conçue
comme une véritable libération de la pensée et non sa limitation ; dans
l’état d’absorption, le mental peut se libérer pleinement et donner le
meilleur de lui-même. Il va s’en dire que les ruminations négatives
doivent être arrêtées, qu’il veut mieux prendre l’air et aller se distraire
que de se forcer à des exercices produisant le contraire du but
recherché. La pensée métaphysique dans le monde occidental,
s’exprime bien dans les courants que sont l’hermétisme, le platonisme,
le stoïcisme, la kabbale et nous verrons que la possibilité d’une
réalisation spirituelle est toujours possible grâce à cet héritage précieux,
à condition de bien la situer et la comprendre correctement.
Pourtant, la métaphysique à elle seule ne suffira pas non plus à
remplir tout le programme qui s’offre à un candidat à l’initiation
spirituelle ; les couches les plus fines et les plus profondes du mental,
font signe vers une connaissance de type intuitif, extatique, qui
demande d’aller au-delà de soi-même vers une zone dangereuse et
inconnue, que l’on ne saurait apprendre par les voies habituelles et en
restant dans un état d’esprit conforme et rassurant. Nous voulons donc
dire que l’effort mental doit être poursuivi en direction de l’occulte, à la
fois dans ses études et dans sa vie.

L’étymologie de méditation nous apprend que meditatio


signifie préparer, prendre soin et désigne par là un acte de réflexion
approfondie. Cet acte en est venu à être considéré proprement sous
son aspect métaphysique et cela est bien logique quand on songe que
les grands sujets auxquels l’homme s’est attachés à répondre, peuvent
occuper notre réflexion durant une vie entière. Bien entendu, l’individu
ne pourrait tirer de lui-même toute l’ampleur de cette œuvre, et c’est
bien logiquement que la pensée effective et féconde ne se réalise que
dans sa participation, sa confrontation à la conscience collective
philosophique, l’égrégore métaphysique, la « chaîne d’or » de tous les
penseurs que l’humanité a connue et qu ‘elle continue de faire vivre par
le biais de ceux qui y contribuent. Il est bien connu que Platon et
Aristote situent le début de la philosophie dans le sentiment
d’étonnement face à ce qui est, mais ce peut être également
l’inquiétude, de type religieuse comme chez Kierkegaard, la curiosité, ou
même le désir de se former dans le cadre de leçons données par un
professeur et en vue de compléter sa culture générale. Lorsque un
espace suffisant de discussion est crée, bon nombre de personnes sont
capables de poursuivre une réflexion sur le sens de la vie. Tout homme
peut être philosophe à ses heures et la métaphysique n’est pas
seulement une discipline de spécialistes universitaires. Il nous semble
au contraire vraiment important de ne pas sous-estimer les gens
ordinaires, et il est aisé de voir que les question posées par des gens
simples, notamment simples, peuvent débouter des penseurs d’habitude
uniquement confrontés à leurs pairs. Il fait donc être philosophe à plein
temps et ne pas rejeter des personnes et des sujets qui fâchent, mais
bien au contraire, il nous faut le courage de reconnaître notre
désappointement et notre ignorance et d’en tirer les leçons. C’est
précisément ce que nous avons fait lorsque nous étions engagé dans
une voie extrême-orientale particulière et que nos sommes revenus à la
tradition européenne, et cette remise en question s’est produite sur de
nombreuses années et non sans efforts. Nous ne sommes plus
aujourd’hui dans la perspective d’une sagesse unique et transmise par
des gens autorisés même si celle-ci peut apporter beaucoup en tant que
défi à la modernité. Nous croyons à la possibilité d’une évolution
constante de la réflexion et de l’agir dans le monde sans pour autant se
trahir ou faire preuve d’inconstance mais en étant plus subtilement
intelligent et disponible. La pure tradition métaphysique ne peut être
selon nous en question d’orthodoxie mais bien une pensée vivante
sachant inclure tout ce que notre esprit sera à même de concevoir.
L’homme est un animal métaphysique, selon Schopenhauer, il ne se
contente pas d’exister mais interroge cette vie même, il se dédouble,
existant à la fois en soi et pour soi. La conversion transcendantale
intervient au moment où l’homme est pleinement désappointé par le
monde, celui du désir et de la volonté personnelle. Il entre en
philosophie comme au monastère et cherche une liberté authentique,
verticale et ne se vit plus tout à fait comme un être temporel. L’ouverture
du chemin métaphysique peut aussi se faire moins brutalement,
accumulant des connaissances qui modifie progressivement notre vision
du monde. Cependant le savoir demande lui-même un réexamen et
c’est là que la méditation est opérante ; elle consiste dans cette
attention particulière à ce qui se dégage de nos lectures afin de
s‘approprier tout ce matériau brut qui par son ampleur et sa diversité,
serait plutôt susceptible de nous faire douter d’une telle recherche
intellectuelle. On comprend dès lors la position de Kant, qui relègue la
réflexion métaphysique du côté de l’hypothèse et de l’espérance et lui
ôte son fondement rationnel. Ceci dit, nous avons opté pour une
certitude, celle de l’être, « car l’être est en effet et le néant n’est pas »
nous dit Parménide. Le poème De la Nature, nous place devant une
véritable expérience initiale et initiatrice, dans le sens où c’est la Déesse
qui confirme que c’est bien le chemin de vérité et de justice qu’ a
emprunté le philosophe et qui le place désormais à l’écart de l’homme
ordinaire ; c’est la révélation de l’omniprésence de l’Être qui fait toute la
différence. La pensée du non-être est une séduction fâcheuse qui nous
détourne définitivement du vrai : « il faut penser et dire ce qui est car il y
a être : il n’y a pas de non-être, voilà ce que je t‘ordonne de proclamer.
Je te détourne de cette voie de recherche ». La méditation sur l’être est
un donc un pas décisif, celui que poursuivra la philosophie réaliste de
Thomas d’Aquin et qui reste tout à fait incontournable pour la foi
Catholique. La certitude, à la fois intime et manifeste de la Présence, est
confirmée par le pensée et ne peut plus faire l’objet d’un doute. l’Être
n’est plus seulement un sentiment indéfini qui ne peut se formuler mais
devient le moteur l’interrogation, la réalité avec laquelle la pensée se
déploie et trouve son sens. Il n’est pas cet infini, apeiron, que les Grecs
redoutent comme un atteinte au cosmos qui constitue leur milieu ;
Parménide évoque la forme sphérique et la beauté de l’être ; il ne
saurait être temporel mais omniprésent et il n’y a que lui qui peut être sa
propre cause. Se tourner vers le devenir est une attitude mortelle qui
engendre constamment le sentiment de manque et d’insécurité ; c’est la
réaction ordinaire face à l’existence qui engendre la première frustration,
celle venant d’une incompréhension essentielle qui se répercute sur
tous les aspects de notre vie. L’affirmation védantique du Brahman
relève de la même démarche, mais l’on voit que la pensée occidentale
a préférée une pensée du devenir et a accusé la pensée de l’être de
n’être qu’une tautologie. Le dernier ouvrage de Fichte, pour faire une
incursion dans la philosophie moderne, Méthode pour parvenir à la vie
bienheureuse, énonce sans ambages, sans grand principe de l’unicité
de l’être : « L'être seul est, rien n'est que ce qui est de soi et par soi.
Nous disons en outre, cet être est simple, identique à lui-même,
immuable et invariable, il n'y a en lui aucune naissance, aucune mort,
aucun changement, aucun jeu de transformation mais toujours
immobile, toujours identique à lui-même, il persévère dans l’être » .2
Pourtant, Héraclite qui semble à première vue l’adversaire de la pensée
de l’être immuable, parle d’une route à la fois ascendante et
descendante, et affirme son unicité dans le Logos : « si ce n’est pas
moi, mais le logos que vous entendez, il est sage de dire tout est Un ». Il
s’avère donc claire que c’est la pensée qui reconnaît l’unité par de là les
apparences. La philosophie grecque, que les stoïciens vont incarner
pendant longtemps, se marque ainsi par une révérence et une
acceptation inconditionnelle de ce qui est, par la reconnaissance d’une
évidence de l’être que la pensée acquiesce et à partir de laquelle elle va
se déployer. En ce sens, on peut dire la métaphysique conservatrice,
car elle reconnaît une antériorité et une préséance de l’être sur l’histoire
et ses aléas. L’œil de l’esprit se tourne désormais vers ce qui subsiste in
temporellement et tente d’en scruter les qualités ; le devenir ne nous
échappe pas tout à fait puisque des choses sont prédictibles dans la
sphère de la matière étudiée par les sciences. Mais l’important est ce
repos dans l’être, cette méditation continue sur la présence par delà nos
humeurs et nos préférences et la sagesse est le signe de cette
conversion progressive d’une pensée immergée à sa source et comme
revenue à elle -même. Le corpus hermeticum, daté des premiers siècles
de notre ère, révèle cette nécéssité d’affiner l’esprit afin qu’il s’élève à la
contemplation de lui-même dans son essence : « Élève ton cœur vers la
Lumière et connais la » telle est l’injonction du Pymandre, car à l’instar
de Parménide, Hermès dit ceci dans l’Asclépios « car tout ce qui existe
vient de ce qui est et non de ce qui n’est pas : car au non -être manque
le pouvoir de faire naître tandis qu’au contraire l’être ne cesse jamais
d’être ». cette évidence par rapport à ce qui est, constitue en même
temps la révélation de l’origine : « Asclépios - mais qu’est ce que Dieu
enfin ? Hermès-..la cause de notre existence et de tout ce qui est,
comme de tout créature en particulier » la théologie rationnelle de
Thomas d’Aquin est une reprise de cette réflexion, car il faut admettre
que la remontée vers l’origine implique un mystère qu’il est impossible
d’attribuer à un abîme qui n’existerait pas. La pensée de l’être est
contrainte à admettre le divin comme point de départ et soutient de
toute existence. Dieu ne peut se comparer à sa création car il est seul
en mesure de la faire exister et sa Bonté se définit de façon logique et
non sentimentale : « ..car est bon qui donne tout et ne prend rien ? Et
en vérité dieu donne tout et ne prend rien. C’est pourquoi Dieu est le
bien est le bien est Dieu. Dans la pensée védique, le monde est fondé
sur le sacrifice, et dès lors, nous comprenons mieux le sens profond de
2 Fichte Méthode pour parvenir à la vie bienheureuse 1854
cette remarque au-delà de l’aspect moral et magique qu’on lui attribue
en premier lieu. Mais c’est dans la Kabbale que l’on rencontre ce
concept magnifié ; en effet, le tsimtsoum, exprime l’idée que c’est en se
retirant, en se contractant que Dieu laisse place à la création. Cela
suppose, à nouveau cette donation gratuite, que les choses auraient pu
ne pas être, que cet acte dépend de lui seul. Nous voyons que la
méditation oriente la pensée vers des régions où notre ego apparaît
bien petit en comparaison et que l’intérêt porté à ces différents sujets,
suffit à lui seul à nous fournir un détachement, une élévation, sans qu’il
soit nécessaire d’avoir recours à des méthodes d’ascèse radicales, les
quelles, la plupart du temps, contrarient la nature sans respecter
l’évolution progressive de l’âme. Les pensées deviennent comme des
flèches tendues vers une cible lointaine mais qu’il n’est pas possible de
vraiment manquer non plus, car c’est l’exercice qui vaut dans le cas de
cette entreprise si audacieuse. L’entrée en métaphysique confère un
sens indélébile de la noblesse, réveille les fonctions supérieurs de
l’esprit, la couronne étincelante de gloire. Les exercices spirituels, le
régime alimentaire, deviennent tout à fait relatifs à chacun, et
apparaissent comme secondaires. Nous voulons insister sur le fait, qu’il
est important pour nous, de bien distinguer le chemin métaphysique
d’une technologie spirituelle, laquelle est devenue semble t-il de nos
jours, l’expression favorite de la contre-initiation. Les techniques
énergétiques et magiques, hors de leur contexte métaphysique,
deviennent des façons de s’illusionner quant à leur fonction proprement
initiatique ou pire lorsqu’elles sont utilisées à des fins de domination à
de pouvoir, mais nous ne nous étendrons pas la dessus, car c’est à
chacun qu’il revient de se faire une idée du monde spirituel
contemporain. Le Corpus Hermeticum magnifie l’âme et tente de
redonner à l’auditeur la conscience de celle-ci est tant que lumière
indépendante du corps : « Ordonne lui-même d’aller jusqu’au ciel, elle
n’aura pas besoin d’ailes pour le faire. Rien ne peut l’en empêcher, ni le
feu du soleil, ni l’éther, ni la révolution du ciel, ni le corps des étoiles.. »3
L’âme est donc libre des éléments et ne peut se comparer à rien d’autre
de crée ; elle constitue une force d’animation et d’unité pour tout le reste
qui reste sous sa gouvernance. Mais alors pourquoi cette faiblesse de
l’homme tel que nous le connaissons aujourd’hui ? De toute évidence,
l’homme ignore la puissance de son âme et si celle-ci ne se connaît
pas, elle s’invertit et devient presque un encombrement. La philosophie
et la spiritualité deviennent un fardeau lourd à porter et constitue une
entrave à l’identification égotique. l’homme, dans ce cas en vient à
culpabiliser sur ses manquements et se sent frustrer de devoir, en plus
3 Pymandre, 74
des difficultés quotidiennes, assumer un sentiment vague et obscur, à
propos de quelque chose qu’il ne saisit pas. Le plus souvent, la
médecine ne trouve pas de solution à ce « vague à l’âme » quand le
sujet ne sombre pas tout à fait dans la dépression. Des rêves obscurs
hantent nos nuits, les déceptions s’accumulent dans un monde incertain
et qui reste incompris. Car l’âme doit connaître son origine et sa
situation pour qu’elle puisse actualiser ce pourquoi elle est faîte et c’est
justement la métaphysique qui peut lui en fournir les moyens. La sphère
du monde intelligible est son domaine et elle doit s’y déployer.
Heidegger nous signale que la vie authentique ne peut être réalisée
sans la réalisation que nous sommes des êtres pour la mort ; sans cette
certitude assumée, nous perdons le sens de l’existence et nous
sommes incapables de relativiser notre importance personnelle et
courons après des chimères. La philosophie antique accepte la mortalité
comme la donnée essentielle de l’être humain ; ce que nous appelons la
vie n’est qu’une préparation dans le vaste cycle de l’existence
universelle et ainsi que le révèle le dit Livre des morts Égyptien, le
monde de la Douat, est une étape bien réelle de la vie de l’âme, un
voyage obligé où les mémoires inscrites, acquièrent une vie propre et
nous renvoie inévitablement à ce que nous sommes. La balance
universelle de la justice, Mâat, préside à cet événement ; c’est le
jugement dont parle les religions, que l’on moque ou qui fait peur, mais
dont on ne comprend pas toute la portée. Socrate, dans l’Apologie,
accepte vaillamment sa mort en même temps que l’injustice des
hommes ; sauver sa vie à tout prix, constituerait un déni radical de la
valeur de la vie philosophique puisque elle est une préparation à la mort
et l’au delà.
Mais, bien sûr, ainsi que St Thomas d’Aquin le découvre au moment de
son trépas ; il réalise à cet instant que tout ce qu’il a pu écrire, n’est rien
en comparaison de ce qui lui est révélé. La pensée métaphysique
comporte des limites eu égard à toute la plénitude de la vie spirituelle
possible et donnée dans l’expérience mystique, mais elle oriente les
forces vitales et mentales vers une unicité. Cette forme de concentration
peut être l ‘équivalent du Pratiyara dans le Yoga. Il serait sot de penser
qu’une pensée désordonnée puisse continuer sa progression dans la
voie spirituelle. Il semblerait que ce point ne soit pourtant pas toujours
bien compris. Des chercheurs spirituels contemporains mettent souvent
l’accent sur une ascèse physique et différents points de vue s’affrontent
à ce sujet ; végétarisme, célibat, solitude, pauvreté volontaire ou leur
contraire, tout ceci trouve sa place en son temps mais nous pensons à
l’instar de Spinoza, que c’est la béatitude qui peut vraiment produire la
vertu, et que la puissance de notre entendement peut nous conduire
naturellement vers la bonne orientation dans tous les domaines, sans
qu’un genre de vie particulier nous soit imposé de l’extérieur. Non pas
que la discipline soit une chose négligeable, mais c’est bien l’amour
intellectuel de Dieu qui est l’affirmation souveraine de notre puissance
vitale. En ce sens, tout type de renoncement imposé prématurément, ne
peut que conduire à la frustration et selon le mot de Pascal, « l’homme
n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la
bête »4. Ainsi, l’imitation de la sagesse ou de la sainteté ne peut produire
qu’une parodie grotesque auto-illusoire. Cette sorte de dévotion
intellectuelle ne peut naître que lorsque des aspects plus ordinaires du
mental ont été canalisés vers une fin supérieure et ne sont plus
employés à résoudre des problèmes de doutes, de lenteur, de manque
d’informations. Ce yoga de la connaissance est celui qui ouvre la porte
de la libération et nous fait entrevoir une tout autre dimension que celle
vécue couramment sur le plan horizontal. Bien loin de n’être qu’une
activité cérébrale, ce sont les potentialités affectives qui sont également
éveillées à l’amour divin inconditionnel ; émotion surprenante dans les
premiers temps, car elle donne l’assurance que le royaume n’est pas de
ce monde, alors que nous sommes bel et bien toujours dans cette vie
terrestre incarnée. Effectivement, le philosophe peut vivre une existence
retirée, il se situe cependant au cœur du monde car son effort constitue
l’aboutissement de la courbe évolutive humaine. Il possède en lui la
trace et le résumé de toutes les expériences humaines antérieures et
comprend intuitivement les problématiques existentielles de ceux qu’il
croise. Ainsi, en dépit de ce que l’on peut croire, il s’intéresse de près à
tout ce qui touche son époque et pourrait dire avec Terence 5, « Homme,
il n’est rien d’humain qui me soit étranger »
En cette époque de grands changements, où les anciens fondements
de la civilisation sont remis en question, quantité d’influences
contradictoires sont « dans l’air », et la vie intérieure demande un soin
particulier, de tous les instants, car il n’est pas d’homme infaillible.
Par cette acuité du regard que nous nous accordons, non pas comme
une surveillance punitive, mais comme une attention bienveillante, nous
enrichissons notre vie mentale de cette forme de conscience dédoublée
qui s’entretient perpétuellement avec elle-même, dans un dialogue
constructif qui cherche toujours à élever le débat et qui pour cela, refuse
tout à fait la répétition malheureuse des problèmes quotidiens qui sont
ainsi largement relativisés. Là aussi réside la grande force d’une pensée
méditative ; elle est capable de se créer une vie « seconde », ultra-
mondaine, brillante et même si elle n’était qu’un produit de l’imagination,
4Pensées, Blaise Pascal.
5Térence ; L'Héautontimorouménos - IIe s. av. J.-C
elle aurait eu le privilège de nous extraire momentanément, du
« bourbier » de la vie quotidienne des hommes. Cette thèse est
brillamment développée par Raymond Ruyer, d’une façon à la fois
profonde et pleine d’humour6. Nous allons revenir au fait qu’il est partout
reconnu aujourd’hui que la relaxation à des effets bénéfiques pour la
santé, et partant sur la vie du sujet. Cependant, il est étonnant tout de
même, mais en réalité pas du tout fortuit et anodin, de ne pas rencontrer
de professionnels du développement personnel qui conseille, l’exercice
de la réflexion comme méthode de connaissance de soi. C’est en réalité
une activité à la fois beaucoup trop simple mais très exigeante, qui par
nature rend l’individu plus autonome et responsable, n’est pas du goût
des vendeurs d’illusions qui prolifèrent d’autant plus, alors que le niveau
de réflexion s’abaisse. Il faut dire que la pensée a besoin de temps et
d’ « espace » ; Ce dialogue intérieur avec soi-même, cher à Platon,
devient en fait le passe-temps principal du penseur qui reconnaît là sa
vocation. Il essaiera toujours de partager le fruit de ses réflexions avec
les autres, cherchant une brèche dans ces existences programmées qui
sont notre lot aujourd’hui. Il est tout de même ahurissant de penser que
le fait de réfléchir, qui est la fonction naturelle de l’homme, soit devenue
une activité dérangeante et inutile, sauf si vous en tirez un bénéfice et
pratique.
Nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec cette thèse
bergsonienne, conforme au sens commun, qui accorde une sorte de
priorité de fait à la pensée pratique. Pour ce qui relève de notre
expérience, nous nous sommes aperçus au contraire que la pensée
abstraite peut se développer très tôt, chez des sujets, mais aussi
comme caractéristique de certains peuples, les Grecs anciens, les
Hindous.. il n’est pas nécessaire de résoudre des problèmes plus
urgents avant de se mettre, sinon nous n’en aurions jamais fini. Il faut
reconnaître que la majorité se complaît dans la vie matérielle et ne
souhaite nullement être privée de sa présence protéiforme et hautement
invasive.
La capacité de la pensée spéculative est un fait proprement humain
mais qui tend à disparaître, remplacé par une habileté à concevoir des
solutions techniciennes à propos de tout et de n’importe quoi. La
métaphysique reste pourtant la manière de s’exprimer de l’homme
microcosme en accord avec sa nature profonde de révélateur de l’image
de l’univers et de Dieu, avant d’aller sûrement vers une forme de
pensée encore plus inclusive, qualifiée de gnostique par Sri Aurobindo,
cette intuition dont parle Bergson, qui nous ferait pénétrer au cœur
même des choses et de leur sens. Cette évolution vers l’accès à des
6 Raymond Ruyer l’art d’être toujours content Fayard 1978.
parties plus divines de notre être, ne peut se faire avant l’éclosion d’un
mental supérieur qui représente l’ascension d’une mentalité seulement
terrestre et utilitariste, vers une conception large et gratuite, l’exercice
d’une capacité à abstraire l’essence de notre expérience intérieure du
monde et exprimant des conceptions grandioses et esthétiques d’un
univers « offert » à cette fin pour nous. Selon nous, la métaphysique, en
ce sens, n’ aboutit pas seulement à des modèles traditionnels de type
Védanta ou Soufisme, mais englobe aussi des conceptions telles que
celles de Leibniz ou de Nicolas de Cues, par exemple. Mais,
précisément, nous allons désormais aborder la question des modèles
des mondes possibles, à la lumière de la pensée Hermétique comme
modèle de réflexion et non simplement comme une doctrine achevée.

La métaphysique est une pensée ouverte et créative.

Lors de son retour en bateau de Constantinople, Nicolas de Cues


dialoguant de façon œcuménique avec l’ Islam, eut sa pensée majeure ;
les contraires se touchent et l’être est tout englobant. Sa réflexion va
porter sur l’ infini qui se retrouve tout aussi bien dans la grandeur que
dans la petitesse, car qu’elle que soit une grandeur choisie, dans son
intervalle se loge un infini potentiel et ce à toutes les échelles. Cette
présence continue de l’infini est d’abord appelé dans La Docte
ignorance, le Maximum où Dieu visible en tant qu’il apparaît sous la
forme restreinte de l’univers. Unité et pluralité subsistent en lui ;
l’intelligence, bien qu’elle s’en approche ne peut pleinement saisir cette
vérité absolue, l’effort intellectuel est comme une asymptote qui tend
vers l’absolu : « Donc la quiddité qui est la vérité des choses, est
impossible à atteindre dans sa pureté..plus nous serons profondément
doctes dans cette ignorance, plus nous approcherons de la vérité elle-
même »7. Le paradoxe de l’intelligence est lié à la nature des choses
issue de la divinité inconnaissable en elle-même, laquelle se reflète
dans l’univers et dans notre nature aussi. Plus nous découvrons
précisément que nous ne parvenons pas à saisir la vérité absolue, et
plus nous nous en approchons. Nous voyons ici toute la grandeur de la
métaphysique en même temps que sa limite ; il ne faut cependant pas
s’y méprendre car ce n’est pas en mystique que le Cusain traite le
problème, c’est bien l’usage aiguë de l’intellect qui nous découvre cette
connaissance et surtout pas son abandon pur et simple. Nous
7 Nicolas de Cues De la Docte ignorance § 3 (1440), edit la Maisnie, Paris 1930.
retrouvons ici la méthode analogique propre à l’ Hermétisme ; où les
choses se répondent car elles sont liées à l’ archétype divin qui informe
le monde ; des structure fractales se répercutant à l’infini qui donne une
certaine image de la volonté créatrice tout en sachant que l’essence
dépasse notre compréhension. La monadologie de Leibniz, peut être
incluse dans ce type de démarche également, où l’harmonie pré-établie
constitue une expression, non pas de la perfection ultime, mais du
meilleur des mondes possibles. Grâce à cette lecture Hermétique de la
métaphysique, elle retrouve un sens profond et initiatique qui échappe
au jugement et à la compréhension de l’épistémologie moderne, dont le
modèle d’intelligibilité est fondé sue la science physique mécaniste, ce
qui est impropre pur juger de la métaphysique. Que celle-ci ne réponde
pas aux critères physicalistes et positivistes, quoi de plus normal et
évident, puisque justement, les prémisses de la métaphysique dérivent
d’une vision du monde incompatible. C’est bien pour cela d’ailleurs, que
le débat à son sujet s’ouvre à nouveau dans le petit monde des
philosophes, que la valeur cette ancienne discipline est à nouveau
reconsidérée, après un démenti qui semblait définitif. La vision
matérialiste a entraîné dans son sillage un idéal humaniste libéral qui
n’a pas apporté avec lui des réponses et l’amélioration du monde
souhaité, est-il besoin de fournir des preuves à cet égard ? Le monde
d’aujourd’hui est saturé à tous les niveaux, c’est pour cela que la
réhabilitation de la métaphysique, comme ferment d’idées qui
s’incarneront dans le futur, est une démarche essentielle. Sans
s’appuyer directement sur l’eschatologie religieuse, force est de
constater l’essoufflement de notre civilisation. Ce sont les penseurs,
parfois ignorés et solitaires, qui forment l’avant-garde des réformes, des
destructions nécessaires et des rénovations attendues, c’est pour cela
que René Guénon prévoyait la formation d’une « élite » spirituelle.
Néanmoins,cela ne vous aura pas échappé, nous avons une vision plus
large et inclusive de métaphysique, tout en demeurant fidèle à ses
principes de manière globale. La métaphysique est selon nous capable
de diversité et d’évolution et ne saurait être une science car sa destinée
va au-delà. Du reste, les faits le montrent bien, soufisme et Védanta ne
sont pas identiques, pas plus que le gnosticisme, ce qui montre bien
qu’une métaphysique qui serait l’expression pure d’une tradition
primordiale, n’existe en fait pas. Ceci étant dit, la métaphysique ne
saurait pas non plus être seulement un loisir d’esthètes désabusés ou
d’idéalistes rêveurs et inoffensifs ; si Dieu nous a fait à son image, c’est
bien dans cet être pensant en nous qu’il est possible d’en saisir le reflet,
d’où l’importance tout à fait considérable du choix des pensées, de
l’accueil que nous leur faisons, de la manière dont nous les entretenons.
C’est à cet endroit que nous nous définissons vraiment et que nous
construisons notre existence véritable. Aujourd’hui, la société laïque,
nous accorde le droit de penser ce que nous voulons, mais c’est aussi
une arme à double tranchant. La personne ordinaire estime que ses
pensées restent inaperçues voire inopérantes, et que seul le résultat de
ses actions importe. C’est bien dommage et tout à fait insuffisant, car
c’est de la sorte que nous nous rendons malheureux. Les pensées
« œuvrent » à notre insu la plupart du temps, et nous restons largement
inconscient de leurs effets sur autrui et sur le monde. La métaphysique
apprend tout au contraire à diriger nos efforts mentaux vers la
construction d’une réflexion, de systèmes qui nous rendent conscients
de la vie de nôtre âme, et en l’absence de cette vie intellectuelle, nous
sommes portés à nous identifier exclusivement à notre corps physique,
à nos émotions et nous faisons même appel à des années de
psychanalyse pour retourner un passé malheureux dans tous les sens,
en impliquant, qui plus est, la mémoire des parents. Notre réflexion, sur
ce point pourra paraître simpliste à bon nombre d’intellectuels
contemporains, mais nous tenons à dire, que selon nous, la pensée
spiritualiste se nourrit d’un effort évolutif, qui nous permettra, avec le
recul, de reconsidérer notre passé sous une lumière nouvelle, travail
indispensable pour établir le vrai pardon et la véritable repentance. Ce
sont des mots qui ne cadrent pas tellement avec le vocabulaire « New-
Age », mais ils demeurent cependant des expressions de notre lien au
divin car celui-ci mérite d’être réparé. l’homme doit sortir de son
isolement entêté s’il veut redevenir l’ami de Dieu et bien comprendre
que son « initiation » ne dépend pas de techniques mais d’une véritable
refonte de son état d’esprit. La métaphysique est l’affaire d’une vie
consacrée à la lumière de l’esprit ; l’âme y cherche une respiration
essentielle et la révélation de sa destinée la plus haute. Kandinsky a
cherché dans la couleur un langage spirituel que le métaphysicien
s’efforce de retrouver sous l’usage des mots eux-mêmes, dans le cadre
d’une expression qui relève proprement de l’humain. Le Sceau de la
prophétie n’est pas le Prophète, mais le Coran lui-même. D’où l’art de la
calligraphie comme initiation artisanale en lien avec l’esprit
chevaleresque. La métaphysique aspire à infuser l’ensemble de la
communauté, depuis les sommet de ses vues et de ses inspirations.
Selon nous, les différents systèmes de Spinoza, Leibniz, Bruno
etc..peuvent cohabiter car on y retrouve une unité essentielle, l’évidence
d’une trame intérieure et secrète au cœur des choses, que l’intellect
révèle sous un angle particulier, et en ce sens, elle s’oppose à la
dogmatique qui s’enferme dans la proclamation autoritaire d’affirmations
ressassées à souhait. Ceci dit, métaphysique et révélation se
complètent naturellement, car elles proviennent de l’unique source
éternelle qui paraît selon la marche cyclique d’un temps et d’un destin
préconçu. En ce sens, le métaphysicien est un médium conceptuel.

La question du destin

L’ authentique recherche philosophique nous amène à regarder les


choses « sous l’angle de l’éternité » ; la raison pure présuppose qu’elle
trouvera la cause des choses et la vision juste de leur enchaînement.
Spinoza a tenté de démontrer ce point de vue et cela l’a conduit a
refusé le libre arbitre, non pas la liberté, qui n’est plus une question de
choix mais de capacité à comprendre ce qui arrive. Cela signifie qu’il
existe un ordre dans l’univers puisque la pensée, qui ne saurait lui être
étrangère, le découvre peu à peu et s’élève toujours davantage et
parvient à supposer que tout a déjà existé dans l’intemporalité de
l’esprit universel mais qui nous reste masqué en raison de notre
attachement aux conditions, elles, relatives de notre esprit. Nous savons
que le Coran mentionne l’idée de prédestination à plusieurs reprises :
« Sais-tu que Dieu connaît ce qui se trouve dans le ciel et sur la terre,
tout cela se trouve inscrit dans un livre » Sourate 22, verset 70 . Bon
nombre de conceptions métaphysiques et scientifiques n’accordent pas
de place au hasard et le déterminisme pourrait bien être notre lot.
Cependant, la vision moderne, centrée sur l’homme, a tenté de soutenir
l’existence d’une liberté de choix laissée à l’homme, en en faisant même
leur fondement. La conception existentialiste sartrienne énonce même
une conception exprimant la nature si complète de notre libre arbitre
jusqu’à proposer la formule suivante : « l’homme est condamné à être
libre » dans L’existentialisme est un humanisme (1946). Bien que ne
niant pas le conditionnement reposant sur lui, l’homme dispose toujours
de la possibilité d’agir et d’orienter sa vie dans un sens qu’il a lui-même
choisi. Dans cette seconde moitié du vingtième siècle, on opte
largement en faveur de l’héroïsme de l’homme sans Dieu ; un homme
qui s’autodétermine, qui peut choisir de vivre ou non ainsi que l’expose
Camus dans sa question du suicide. La vie semble suspendue à son
bon vouloir et il doit assumer sa responsabilité dans tout ce qui se
présente à lui. Nous devons comprendre que ce modèle d’humanité,
correspond à un modèle du monde où l’homme se sent coupé de la
nature, de l’univers et de Dieu. C’est comme si l’homme s’était crée lui-
même et ne ressentait plus son appartenance au flot de la vie qui le
porte. Nous ne sommes pas « jetés dans l’existence » mais emmenés
par un courant vital dont nous sommes devenus ignorants. La soi disant
responsabilité qui nous incombe, exalte ceux qui s’en sortent et
humilient les malheureux ou les plonge dans une révolte destructrice ;
est-il besoin de rappeler les convulsions tragiques du XXème siècle ? A
la vue d’un ciel étoilé, dans une calme nuit d’été, combien d’entre nous
n’ont pas ressenti une sourde nostalgie leur rappelant leurs origines et
le besoin de comprendre, de rétablir une alliance avec un cosmos
devenu étranger ? Les stoïciens étaient convaincus de l’existence d’une
sympathie universelle, du caractère évident d’une Raison cosmique
organisant le monde et laquelle il faut toujours se référer. Ils ont établis,
en particulier dans le manuel d ‘Épictète, une différence entre les
choses qui dépendent de nous et celles qui nous échappent, de façon à
bien situer où pourrait se trouver notre part de liberté, dans un monde
qui semble bien déterminé. Ainsi, notre naissance et notre mort, notre
situation sociale, notre corps et notre santé, notre famille et notre nation,
notre situation historique et politique, sont des choses extérieures à
nous, qu’il ne dépend pas de notre vouloir de pouvoir changer et qu’il
serait vain de s’entêter à le faire. En revanche, la façon de nous
appréhendons cette situation, comment nous réagissons à son égard
reste en notre pouvoir, et tout notre liberté se situe à cet endroit. Une
existence malheureuse n’est l’est vraiment que si nous adhérons à cette
idée, et les faits ne sont que les jugements que nous portons sur eux.
Tout la vie philosophique va consister en cet apprentissage, se détacher
du contingent pour ne garder que l’essentiel et la noblesse de notre
pensée et de notre comportement et la seule chose qui importe par
rapport à une vie extérieure qui est fixée fatalement par un
enchaînement inexorable de causes et d’effets remontant à l’infini, ce
qui autorise à une pratique raisonnée de la divination et non plus
superstitieuse. Voilà la doctrine stoïcienne du « libre arbitre » et son
influence sera vraiment marquante car elle est l’école qui a eu la plus
longue vie et la plus grande diffusion populaire, faite tout autant pour
l’esclave que pour l’empereur. Elle représente également un pont entre
la haute antiquité et celle finissante ; elle emprunte la théorie du temps
cyclique, du renouvellement des mondes au sein d’un univers infini et
éternel, celle qui a été apporté très certainement par les Chaldéens et
que les Hindous ont toujours professé. L’ homme est une partie
intégrante du Monde et c’est selon la raison naturelle qu’il doit vivre ce
qui lui est imparti. Sénèque dira à peu près ceci que le destin
accompagne celui qui l’accepte et traîne celui qui le refuse ;
consentement raisonné de l’inévitable et non pas résignation passive. Ni
esclave ni révolté, le sage applique ce que la raison universelle
commande. Nous nous sommes arrêtés sur cette conception car elle
nous semble juste et mesurée, suffisamment explicité eu égard à un
sujet qui a toujours débat et qui le fait encore aujourd’hui. L’affirmation
dogmatique de l’Église qui accorde un libre arbitre donné par Dieu, ne
peut pas satisfaire pleinement le philosophe et le scientifique pas plus
que celle, quasiment outrancière, d’un existentialisme revendiquant
notre entière responsabilité. Les mystiques de l’Islam, religion
déterministe en son fond, considèrent que l’on ne peut parler de liberté
que dans la proximité avec Dieu, ce qui conduit à une totale acceptation
de ce qui est, à ne même plus avoir à choisir, ce qui semble
incompréhensible pour une mentalité moderne et profane. Un
enseignant moderne du Védanta, Ramesh Balshekar, a toujours insisté
sur l’illusion du libre arbitre et que la libération consiste précisément a
abandonné cette erreur. Les neurosciences estiment que notre part de
décision est bien mince et que nos actes volontaires ne le sont qu’en
apparence, ce que la psychanalyse, d’une autre façon avait déjà mis en
lumière. Enfin, nous voudrions parler de la tradition astrologique, qui
s’entend globalement sur ce point et dont l’essentiel se résume d’après
l’adage « astra inclinant, non necessitant ». Le déterminisme ne serait
pas fatal mais donnerait seulement des tendances et probabilités plus
ou moins fortes que les personnes soient ce qu’elles sont, se
comportent ainsi, et que tels types d’événements soient à prévoir.
Position sage et prudente des astrologues, surtout à l’époque
contemporaine, où il n’est pas possible pour cette discipline de
revendiquer un quelconque crédit scientifique. Mais le problème serait
clos, si justement, l’astrologie était susceptible de rester en dehors de
toute métaphysique, hors cela, en toute rigueur, n’est pas envisageable.
L’astrologie se rattache à la philosophie Hermétique et comme telle, elle
se fonde sur le principe universel D’analogie, « ce qui est en haut est
comme ce qui est en bas.. ». Le monde terrestre est un reflet de ce qui
est conçu dans le monde spirituel, les Idées, les formes platoniciennes,
sont le modèle des choses que l’on retrouve sur Terre mais dans un état
de moindre perfection. C’est peut-être dans ce décalage, cette
« différence ontolgique »8, ce « flottement »existant entre les deux
ordres de réalité , que se cache le caractère non tout à fait déterminé et
prévisible de notre existence. Mais cette liberté serait bien malheureuse
alors qu ‘elle serait le signe d’une déficience. Là encore, les astrologues
perçoivent intuitivement, que notre agir réel se situe dans notre façon de
réagir aux événements prescrits, ce qui renvoie à notre compréhension
et à notre niveau de conscience. C’est dans la « verticalité », notre
capacité à comprendre le sens de notre vie et celle de l’univers, dans la
perspective de l’ascension, que nous pouvons espérer trouver une
profondeur libératrice, eu égard à la contingence des aspects
8 Cette expression provient de Heidegger et signifie tout à fait autre chose, mais ici nous l’utilisons à dessein pour les
besoins de la cause.
secondaires et extérieurs de nos destins. En principe, la consultation en
astrologie, doit amener la personne concernée, à élargir son point de
vue sur elle-même et sur le monde. Ainsi, elle doit comprendre et
admettre que la réalisation du sens de sa vie, doit se différencier de la
notion purement ego-centrée de la réussite. La compréhension d’un
thème doit provenir d’une synthèse intuitive indiquant un chemin de vie
qui ne s’éclaire tout à fait que grâce à la notion de Karma. Nous nous
situons, du fait de l’incarnation, à la croisée de chemins faits de facteurs
innombrables et portés par le flot de la vie, inexorablement. Dans ce
dédale infini, et pourtant momentanément situé en point précis dans
l’espace-temps de notre existence, l’homme qui s’éveille souhaite plus
que tout réaliser de quoi il en retourne ; il sent intuitivement qu’il ne peut
aisément abandonner sa quête en déclarant le caractère absurde de la
vie. Dans la gnose dite sethienne9, les gouverneurs du monde, les
Archontes, sont les esprits planétaires qui assistent le Démiurge, l’esprit
créateur, dans ces œuvres « inférieures », c’est à dire de maintien du
monde tel qu’il est, sans que l’on puisse y changer quoi que ce soit ; le
Démiurge imite le vrai Dieu, la lumière infinie, mais sur le plan du
devenir, il est le responsable de l’Heimarmané, de la fatalité. Le Christ ,
au contraire, apporte aux gnostiques le message salvateur, de la même
façon que le Bouddha a montré le chemin conduisant à la sortie du
Samsara. De quoi nous souvenons réellement et jusqu’à quel point
sommes nous conscients de cette traversée sur l’océan de l’existence ?
Avons-nous des choix décisifs à faire ? Malgré le caractère tout à fait
incertain de l’existence du libre arbitre, les actes volontaire ne peuvent
être niés de toute évidence, il nous est tout à fait impossible des rester
les bras croisés en attendant que les choses se passent et notre
participation est forcément requise. Pourtant, la Futuwah affirme ceci :
« l’abandon des choses entre les mains de Dieu consiste à ne plus
choisir »10. La liberté spirituelle se situerait à l’opposé de ce que l’on
nous enseigne couramment et qui constitue le fondement de notre
éducation. Il n’ y a pas que dans l’ Islam que la volonté particulière et
égotique doit être abandonnée, Maître Eckhart avance que même
vouloir faire la volonté de Dieu est quelque chose en trop et l’on
rapproche ses paroles de l’enseignement zen où se connaître c’est
s’oublier soi-même, selon Dogen. Paradoxe, tout à fait au cœur de la vie
humaine, la liberté serait trouvée lorsque nous serions capables
d’oublier un ego que nous avons mis tant de temps à construire, en
apparence tout du moins, car en fait les choses adviennent et se

9 Seth, est le troisième fils du couple originel, et dans cette conception gnostique, il est censé apporté un
renouvellement et initié la génération de ceux qui possèdent la connaissance.
10 Futuwah Traité de chevalerie soufie paris Albin Michel 1989.
passent, lorsque nous faisons retour sur elles, et le caractère
mécanique de notre existence nous apparaît au grand jour. Il est vrai
qu’il faut déjà avoir une certaine expérience de vie pour se rendre
vraiment compte du caractère onirique de celle-ci. La minceur et la
caractère évanescent de notre présence à nous-mêmes lorsque nous
repensons à notre vie écoulée. La liberté consisterait donc en un
abandon de la préoccupation de soi en s’en remettant à la volonté de
Dieu. Cependant, force est de constater, que cet état de liberté supra-
personnelle, peut tourner à la caricature lorsqu’il est préconisé de façon
formelle et imposé par un soi-disant maître pratiquant l’abus de pouvoir
au nom de la tradition ; les exemples sont nombreux et pas seulement le
fait d’organisations sectaires reconnues. C’est la face sombre de la voie
spirituelle à laquelle il faut se confronter tôt ou tard, et qui constitue un
problème très grave, car la personne qui s’en rend compte, abandonne
généralement toute perspective spirituelle pour se réfugier dans la
révolte et opte pour un rationalisme critique et militant.

La conscience de soi
« Sais-tu que Dieu connaît ce qui se trouve dans le ciel et sur la terre, tout cela se trouve inscrit
dans un livre. Ceci est pour Dieu chose facile.
Notre existence se déroule comme un film sous nos yeux et dans
quelle mesure y prenons-nous part. Le début du véritable travail sur soi,
selon PD Ouspensy, survient lorsque nous réalisons que nous ne
faisons pas, que les choses arrivent. En effet, si nous sommes sincères,
nous devons admettre que nous ne gardons en mémoire que très peu
de choses et que celles-ci se teintent d’une perspective toute subjective
impliquant des émotions particulières, des vues confuses, des
déformations, qui à l’examen nous placent devant le fait que nous ne
sommes pas aux commandes de notre destinée. Pouvons-nous
reprendre les choses en main ? Est-il possible de devenir conscient de
ce qui nous advient et de nous-mêmes réellement ? A cette question,
l’auteur précédemment cité répond par l’affirmative mais à la condition
de s’y consacrer sérieusement à la façon dont on entre en religion. Il y
va en effet de notre relation à nous-même et à l’être qui sous-tend
l’existence. Le début de la quatrième voie11 consiste en cette prise de
conscience, plutôt douloureuse, que nous ne sommes pas éveillés à
nous-mêmes, et la maître mot en sera « rappelez-vous vous-mêmes ».
Bergson est le seul philosophe de l’époque contemporaine, à établir
cette distinction entre la mémoire profonde et spirituelle, d’avec une
mémoire superficielle et toute tournée vers les choses pratiques ; cette
11 La quatrième voie désigne le travail initiatique entrepris par Gurdjieff et Ouspensky, règle fondamentale de l’ordre
soufi naqshbandi
dernière est la seule reconnue utile et sanctionnée par la société si elle
nous fait défaut. La plupart des milieux soi-disant spirituels, prêtent en
réalité peu d’attention à ce phénomène et tout semble se passer en
superficie, surtout si l’on a le sentiment de connaître quelque chose en
répétant les concepts clés de l’école à laquelle on appartient. De plus, il
est caractéristique de constater, que bon nombre d’enseignants d’un
courant qu’on appelle néo-advaïta, fondent leur « enseignement », sur
l’idée que nous serions déjà éveillés et qu’il n’y a rien à faire ; le public
médusé et confus pour une part, conforté dans sa « grandeur » d’autre
part, s’en sort parfois en décidant de devenir à son tour une copie du
« maître ». Nous n’hésiterons à dire ici que nous voyons là une
expression de la « contre-initiation », selon l’expression chère à René
Guénon. Mais chacun répondra selon sa vocation et sera en mesure ou
pas, de comprendre qu’ « il faut que ces choses se passent » selon la
formule évangélique. Gurdjieff demandait, « pouvez-vous être
chrétien ?» de même que Kierkegaard constatait un vide total à cet
égard, ce qui a décidé de son destin consacré et solitaire.
Ceci dit, cette nécessité fondamentale de la « remémoration » ne veut
pas dire qu’il faille s’adonner pour ce faire à des exercices spéciaux,
occultes, c’est même plutôt le contraire qui est vrai ; se souvenir de soi
en tant qu’être est quelque chose qui se développe en fonction du
besoin spirituel que l’on éprouve et rien ne saurait être forcé dans ce
domaine. C’est grâce au développement continu et durable d’une juste
façon de penser, que l’on peut espérer obtenir un résultat. Lorsque l’on
a compris et vécu cela, les programmes de développement ésotériques
apparaissent comme des enfantillages en comparaison du silence
éloquent de cette présence essentielle qui nous accompagne. Nous
percevons très clairement la grande immaturité spirituelle qui est lot de
nos contemporains. Serions-nous si nombreux parce que nous sommes
des retardataires, des redoublants, à cette école de la vie ? Pourtant,
j’ose à penser que la grande majorité des enfants ressentent la
manifestation de l’esprit simplement dans leur petite vie pleine de
fraîche vitalité et d’imagination créatrice. Mais l’éducation matérialiste ou
religieuse dogmatique, ne sont pas lentes à prendre les choses en
main, laissant l’individu seul et coupé de son être naturel, qui deviendra
un adulte désorienté au sens propre. Les liens sociaux vont désormais
se fonder sur une solidarité de survivants et non sur la fraternité des
héros. On doit sentir cette vocation en soi relativement tôt, mais
malheureusement nous manquons de la présence des images
mythiques qui expriment et reflètent cette réalité. Prendre conscience de
soi va devenir aussi le moyen de percevoir les forces destinales qui
concourent à tracer notre chemin de vie. Une véritable foi en la
providence s’avère essentielle si l’on ne veut pas trop souffrir. La
conscience de soi crée une sorte d’effet « feed-back » dirait-t-on en
termes de la cybernétique ; un certain « écho » se produit en nous-
mêmes de ce que nous percevons de la réalité, cette résonance devient
le lieu intime où s’élabore ce sentiment unique d’être soi, d’être tout à
fait unique et d’avoir un destin particulier. En ce sens, nous pouvons dire
que l’âme se façonne tout au long de notre vie, qu’elle n’est qu’une
donnée potentielle au départ et que c’est bien un effort continu qui est
seul capable de développer cette identité secrète. C’est là où le langage
religieux devient significatif ; en nous parlant d’une relation personnelle
à Dieu, ce mystère qui est en nous s’éclaire dans l’espoir d’établir un
dialogue avec Celui qui doit être lui-même une personne. Cette
existence irréfutable de l’identité, ce caractère intime et singulier de ce
rapport à la vie et à l’absolu se révèle tout en se voilant à nouveau de
part sa profondeur insondable : cela se passe pour une fois et à jamais..
La monadologie de Leibniz met en scène ce scénario grandiose d’un
sujet qui concoure à l’harmonie universelle en apportant son point de
vue unique sur les choses ; l’univers est un hologramme vivant qui ne
peut prendre son sens que précisément lorsque nous en prenons
conscience. Le divin créant à son image, en appelle sans cesse à notre
participation et cette demande devient tout à la fois un défi et une
chance, un lieu de compénétration où les éléments s’aiment et se
répondent à l’infini. La métaphysique devient le chemin où l’homme
s’accomplit en devenant plus que son être naturel hanté par le
sentiment de séparation. Du dehors, la philosophie peut apparaître
comme un pur exercice intellectuel à ceux qui se focalisent
exclusivement sur des résultats tangibles et qui ne comprennent pas où
l’œuvre s’accomplit, c’est à dire dans le creuset intérieur, où le cœur et
l’esprit se mêlent et s’unissent dans l’âme naissante à elle-même et à
l’univers.

Le centre du cœur

La poursuite intellectuelle de la vérité est une attitude naturelle et noble


pour l’homme qui ressent un besoin d’accomplissement sincère. Mais
justement, d’où lui vient ce besoin ? La pure logique formelle ne peut
réaliser ce dessein car c’est de sens dont l’homme, et c’est lorsque ce
besoin devient irrépressible qu’il peut trouver les moyens de mettre en
œuvre ce qui s’avère nécessaire dans la poursuite de ses travaux. C’est
l’amour de l’Idéal qui lui donne des ailes et c’est la partie « affective »
profonde de son être qui se trouve à l’origine de cette impulsion ainsi
qu’à son terme. La philosophie platonicienne, notamment dans le
Banquet, exprime cette réalité par le biais du mythe d’Eros, de ce demi-
dieu riche de son manque, entreprenant et habile, amant et sorcier,
l’élément intermédiaire entre le monde des hommes et celui des dieux. Il
est à remarquer qu’un très ancien vase sumérien, dans sa figuration,
place déjà l’homme dans un monde se situant entre les dieux et les
animaux. C’est là le témoignage d’une conscience aiguë de la nature
humaine et du rôle qu’il est appelé à jouer dans l’univers. Les
mystiques révèlent la nostalgie essentielle qui habite l’homme et qui
témoigne de sa position particulière, soit que l’on dise qu’il a chuté où
qu’il n’est pas éveillé, il porte en lui en puissance la possibilité d’une
réalisation intérieure qu’il ressent comme son plus grand amour. En tant
que microcosme, c’est dans le centre du cœur que ce désir du divin va
naître et se développer selon ses caractéristiques antérieures qui sont
comme des voiles le séparant de l’objet qu’il poursuit. Le soufisme
s’appelle volontiers la voie du cœur ; le kabbaliste Michaël Laitman parle
du point dans le cœur comme étant le signal de l’appel à la vie
spirituelle et le Cantique des cantiques est l’expression de ce dialogue
amoureux entre l’âme et son Dieu. Il ne serait pas vraiment utile de
multiplier les exemples à ce titre, mais il suffit d’insister sur le fait que la
métaphysique est bien le résultat de cette union entre les forces de
l’intelligence et celles de l’affect profond. Il va sans dire que ce n’est pas
une simple curiosité passagère qui peut nous faire entrer en
philosophie, mais c’est une fidélité constante et dûment éprouvée au feu
des épreuves de la vie, qui peut seule nous accorder le titre de
prétendant. Comme des pauvres sur la voie, nous renouvelons
incessamment notre désir de nous unir à cet être infiniment grand et
pourtant toujours déjà abrité en nous mêmes. Platon, a expliqué dans la
République, la vision tripartite traditionnelle, où le cœur occupe le centre
du microcosme humain, représentant le courage du guerrier et
ultimement le sacrifice de soi au service de la communauté dans le
souci de maintien de l’ordre cosmique. Vivre devient un fardeau lorsque
l’existence n’est pas profondément motivée par une grande cause ou
tout du moins la présence d’un sens ; Bettelheim l’ a bien rendu dans sa
vie et son œuvre, à travers l’expérience douloureuse des camps, dont il
témoigne dans Le cœur conscient ; sa survie va dépendre de cette
étude de soi et du monde qui l’environne, dans une intention de
comprendre ce qui se passe malgré l’accablement et l’horreur qui
règnent. Ceux, malheureusement, qui ne peuvent élever leur vision
jusqu’au sens voient aussi leurs forces les abandonner. C’est une
expérience assez similaire en son fond, il fut aussi interné, qui conduira
Viktor Frankl, le fondateur de la logothérapie, à découvrir que la
véritable guérison psychique est complètement liée à la découverte d’un
sens à la vie. Nous ne sommes pas tous appelés à un destin héroïque
au sens propre, mais nous sommes conviés, à travers les épreuves
quotidiennes, à trouver une cohérence au-delà de la pure satisfaction
égotique sinon nous nous condamnons tôt ou tard à la frustration et au
décès de l’âme. Cette mort de l’être essentiel est un enfer. Notre
situation dans le temps et le devenir est insensée si elle ne se relie pas
à l’impulsion créatrice de la vie qui doit devenir consciente en nous, car
il ne s’agit pas seulement de durer et de survivre. Cependant, la Foi ne
se commande pas, et ce n’est pas en singeant les actes de la religion
que nous pouvons l’obtenir. C’est bien là où la métaphysique ouvre à
l’homme la possibilité à l’homme d’œuvrer complètement à la
satisfaction de son intelligence. Dans les dires du Prophète de l’Islam,
hadiths, il est question, à plusieurs reprises de l’honneur qui revient à
ceux qui cherchent la connaissance12. L’âme détient cette possibilité
d’être promise à l’immortalité, qu’elle actualise en devenant consciente
d’elle-même et en retrouvant ses ailes au cours de son pèlerinage sur
Terre. Ce désir d’éternité n’est pas une prolongation indéfinie selon les
normes de l’espace- temps tel qu’il est perçu dans la troisième
dimension, là où nous sommes confinés lorsque nous nous identifions
exclusivement au corps physique. Elle est en réalité toujours agissante
et intime sans cesse l’intelligence à répondre à son appel, elle refuse
d’être abandonnée, d’être trahie par une vie qui se perd dans les
mirages de la perception externe de ce théâtre d’ombres qu’est la scène
du monde. Il est cependant difficile de convertir l’intellect qui,
présentement est happé par le vacarme des affaires mondaines qui font
irruption dans les foyers par les voix fantomatiques des mass-médias
omniprésents. Ce spectacle perturbant peut dérouter l’homme qui
s’éveille et veut satisfaire ce besoin spirituel. Mais qu’il se rassure car il
n’est pas seul et la grâce est toujours disponible pour celui qui parvient
à pousser un cri sincère. Quel chemin désespérant pour celui qui ne
croît compter que sur ses propres forces ! pourtant de nos jours, dans le
milieu spirituel contemporain, il est proposé un nombre considérable de
techniques censées contribuer à satisfaire un matérialisme spirituel
devenu très tendance. Le spirituel sincère se détournera tôt ou tard de
cette mouvance trompeuse et caricaturale et préférera se confronter à la
solitude. La très riche et vénérable tradition de l’ Inde nous informe à ce
propos ; l’homme du kali yuga devra répéter le nom de Dieu car des
pratiques plus « sophistiquées » ne sont plus à sa portée. Évidemment,
cela ne signifie pas que l’on doive ânonner mécaniquement une formule
creuse et en espérer une efficience magique quelconque. C’est là
encore la conscience de soi en tant qu’être qui doit s’en trouvée
12 « Celui qui prend un chemin pour rechercher la science, allah lui fait prendre par cela un chemin vers le paradis »
renforcée, une remémoration de l’essentiel au cœur de la tourmente, de
l’agitation et des faux espoirs ; une conception métaphysique du monde
accompagne cette prière qui met en jeu un travail concerté de
l’intelligence et du cœur. La philosophie est donc une discipline qui met
en jeu notre capacité à aimer au plus haut point ; elle débute avec une
interrogation passionnée sur le monde, l’univers et en particulier sur la
condition humaine. On ne peut imaginer un philosophe sans cette
curiosité qui le rapproche concrètement de tout un chacun, dans les
conditions où celui-ci se présente, mais il est l’accueil même de la
personne telle quelle est, dans le respect intégral de ce qu’elle est. Un
amour qui ne manifeste pas de réel intérêt n’est qu’un attachement et
entraîne fatalement son lot de déceptions ; l’amour philosophique se
place au-delà des « j’aime et j’aime pas », dans un souci d’objectivité
qui peut surprendre dans un monde où il nous est demandé de prendre
sans cesse rapidement position, de choisir son camp, de constamment
émettre des jugements qui se fondent sur la dualité. Sans amour pas
d’intelligence, mais l’inverse est aussi vrai. Mais une philosophie qui ne
se fonde pas sur la présence incontournable de l’être, opère déjà une
division fâcheuse et morcelle l’homme dans ce qui le relie à l’ensemble
des choses et manque à lui donner la place qui lui revient. Ainsi, la
vision évolutionniste , en focalisant sur l’aspect de la survie biologique,
ramène l’homme à n’être qu’une machine à vivre. Qu’en est-il en
réalité ?

La place de l’homme

Aujourd’hui, il existe une réelle tendance, au sein de l’élite des


universités, à reconsidérer la relation entre religion et science,
consistant à rapprocher leurs vues, et non plus à les tenir séparées
comme cela s’est produit pendant toute l’époque moderne. En effet, la
vision positiviste et matérialiste semble ne plus satisfaire les hommes de
science car elle présente une vision trop étroite de la réalité et
l’évolutionnisme strictement darwinien fait aussi partie de ces théories
remises en cause. L’évolution, si elle reste une donnée incontournable,
ne pourrait plus seulement être le résultat de mutations et de sélections
naturelles ; il existerait un intelligent design non « coercitif » mais qui
laisserait néanmoins apparaître des lois naturelles, elles-mêmes reflet
de principes intelligibles, qui encadrerait l’effort évolutif. Le hasard et la
nécessité semblent bien être devenues, a eux seuls insuffisants à
expliquer la trame du vivant. Pourquoi, en effet, l’évolution n’a-telle
aboutie à créer un super-singe mais un homme, avec toute la richesse
et la complexité de son monde intérieur, des activités tout à fait
superflues du point de vue de la survie et qui peuvent être même
fragilisantes et dangereuses. Que resterait-il de notre histoire, de notre
civilisation, sans les artistes, les mystiques, les poètes, les aventuriers
de la vie et de science et pourtant, leur existence ne peut s’expliquer en
termes d’avantage évolutif, mais témoigne de quelque chose de non
naturel. Plutôt que le strict désir de se défendre et de se reproduire,
l’homme ne cherche-t-il pas bien plutôt à persévérer dans son être pour
atteindre une félicité dépassant la seule existence mortelle ? Ce désir
d’éternité qui le caractérise, tout au moins lorsqu’il est au sommet de lui-
même, laisse pressentir une destinée différente de celle qui s’applique
aux autres règnes. L’étude des expériences de mort imminente, sans
être vraiment officialisée, progresse sans cesse ; la physique quantique
et l’astrophysique entrevoient des lueurs sur des dimensions possibles
et nouvelles. Bref, le paradigme scientifique est en mutation, comme
l’est aussi l’ensemble du monde, révélant par là que nous sommes en
marche vers un changement global. Il s’agit d’un ajustement à la
nouvelle ère précessionnelle, celle du Verseau, mais aussi du cycle
concernant la grande année de 25920 ans, et qui ébranle les
fondements même de notre civilisation. Ceci dit, la force inertielle du
courant matérialiste crée des incertitudes et des peurs grandissantes
alors que son règne touche à sa fin. C’est bien l’homme précisément qui
souffre le plus de cette situation et la paradoxe est qu’il semble l’auteur
de cette carence ; manque de sens à sa vie alors que la science
moderne a fait fondre ses repères : plus de Dieu, d’organisation
hiérarchique fondée sur un ordre traditionnel qui rendait solidaire les
hommes au sein de leur appartenance, plus de races, de nations et la
différence de sexe finit par être niée à son tour. Les peuples premiers
gardiens de valeurs ancestrales et de la Terre, sont mis en péril par les
sociétés capitalistes avides d’exploiter la moindre parcelle de terre
rentable. L’homme est trahi par ses semblables, par une nouvelle élite
dirigeante qui semblent composés de prêta, d’êtres affamés de pouvoir
et sans scrupules, de véritables démons. Le tissu social n’est plus fait
que par des individus isolés au sein de leur propre famille et hypnotisés
par des médias superficiels et pourvoyeurs d’illusions ; cet outil à la
puissance incroyable sur les consciences, est une entreprise de
manipulation à haute échelle, dont l’effet terrifiant n’a jamais été
vraiment percé à jour par les analystes et pour cause. Quand on est
partie prenante d’une vision du monde dégénérée, il n’est pas possible
d’avoir le recul, précisément, de pouvoir réellement l’apprécier.
L’homme qui doit être le lien entre le Ciel et la Terre, ne sait plus jouer
son rôle et devient son propre ennemi. La stratégie infernale semble
bien avoir réussi quand on voit les intellectuels, pétris d’une culpabilité
sourde, gâcher leur intelligence dans des psychanalyses interminables
dépourvues de toute capacité d’illumination. A son tour, le repli religieux
est un piège exprimant de façon sectaire et violente, toute l’amertume
d’un homme perdu et désorienté. Si l’homme ne trouve plus le rôle qui
lui est assigné, c’est la nature elle-même qui en soufre, non seulement
parce qu’il se produit une pollution généralisée de la Terre, mais aussi
parce qu’elle ne reçoit plus de lui l’atmosphère psychique qui lui
conviendrait. Dans la tradition chinoise, le caractère du mot empereur,
souligne bien ce lien entre Ciel et Terre que réalise l’homme parfait ; il
devrait entre ce lieu d’échange en permettant qu’a nouveau, comme sur
l’échelle de Jacob, les anges puissent monter et descendre. Nous
sommes dans une situation où l’Origine n’a plus qu’un lointain écho
dans une vie quotidienne devenue surchargée de l’accessoire ; le
gnosticisme a désespéré de la Terre, faisant d’elle un lieu de perdition,
où la loi religieuse elle-même, n’est qu’une trompeuse imitation de la
lumière du vrai dieu ineffable. Le cycle du temps présent est déjà
amorcé depuis longtemps et l’on peut considérer que les premiers
temps du christianisme, offrent une certaine similarité eu égard à la
période que nous traversons. L’Empire du monde souffre de son
extension tentaculaire et présente de sérieuses zones de fragilité à ses
confins, offrant l’occasion aux « barbares », d’incursions de plus en plus
menaçantes. Le travail n’est plus une valeur qui confère dignité et
honneur, mais une fuite en avant pour maintenir sa place dans un
système prompt à exclure tout en continuant à fournir du « pain et des
jeux ». Cependant, cette situation excessive présente également une
occasion de salon inattendue ; çà et là, dans le secret des cœurs, dans
les « catacombes » de vies asservies et malheureuses, une grâce
puissante opère dans le sanctuaire intérieur, par celui qui vient « comme
un voleur dans la nuit ». De véritables gnostiques luisent dans ce
crépuscule du monde, manifestant une présence singulière et
transmettant des avertissements au sujet des dangers à venir. Le
transhumanisme qui propose très sérieusement le projet d’une
robotisation de l’homme, constitue bien cette influence
« ahrimanienne », annoncée déjà au début du siècle précédent par le
visionnaire Rudolf Steiner ; cette sinistre entité veut écarter
définitivement l’âme humaine de sa destination, en l’enfermant dans un
corps qui lui sera devenu étranger parce que complètement artificiel.
Cette mise en captivité pourrait être fatale à l’âme humaine, lui interdire
tout évolution spirituelle et ce serait l’enfer sur Terre ; celui-ci, dans le
meilleur des cas serait indolore, mais les influences spirituelles finiraient
par se désintéresser de l’âme ayant « choisi »la machine à la place de
l’esprit. Ceci demeure un scénario de science fiction ; étrangement, les
aperçus que nous avons sur la vie, la constitution, de certaines entités
extraterrestres depuis l’incident de Roswell, laissent entrevoir la
possibilité d’une évolution humanoïde de ce type. A l’opposé de ce type
d’influence « matérialisante », Il existe aussi un type d’action dirigée en
sens opposé, que Steiner a qualifié de « lucifériennes » ; mais nous
préférons ici nous en référer à des vues plus traditionnelles, lesquelles
font mention de l’action des êtres subtils que la tradition arabe appelle
les djinns, qui est devenu chez nous génie, lors de la période
médiévale avant de tomber en désuétude, ce qui du reste, n’est pas
insignifiant ; aujourd’hui, nous parlerions d’esprits. Leur influence peut-
être grandement bénéfique pour l’homme dans la mesure où ceux-ci
sont fortement pénétrés de la connaissance des mondes subtils et
inspirent à l’homme l’intuition, l’imagination créatrice, la pensée
hautement conceptuelle. Tout homme engagé sur le chemin de l’esprit a
déjà senti cette action irrésistible de l’inspiration à certains moments de
sa vie. Les religieux et les pouvoirs en place n’apprécient pas ce type
de personnes intuitives et capables d’une très grande liberté de l’esprit ;
ce fût la chasse aux sorcières et aux hérétiques, dont le bûcher de
Giordano Bruno, ce prophète de l’infini, est devenu l’emblème en 1600.
L’homme doit réapprendre a utilisé sa « génialité », mais pour ce faire, il
faut commencer par désirer éveiller ce sixième sens, ce pressentiment
des réalités subtiles et spirituelles, ce goût des choses cachées et du
mystère de l’existence. Beaucoup de conformistes ont exagéré les
dangers de l’occultisme ; il est vrai qu’un personne peut s’enfler
d’orgueil où souffrir de bouffées délirantes du fait de la vie mystique,
mais cela ne concerne finalement que très peu de monde eu égard à
une majorité alourdie et sourde. Il est vrai néanmoins que les gnostiques
modernes sont plutôt égocentriques qu’altruistes, leur monde intérieur
les occupe à plein temps et ils n’apprécient vraiment que la compagnie
de gens déjà avancés sur ce chemin. C’est le péché d’orgueil que
commet Iblis dans le Coran, l’être de feu qui refuse de s’incliner devant
Adam fait d’argile. Le gnostique est un nostalgique de l’origine, il a pris
conscience de son long voyage dans les dangereux marécages de la
vie sensible et souhaite retourner dans le monde lumineux. Il s’est
éprouvé durement et connaît désormais le prix des choses. En général,
il aura manifesté un grand intérêt pour les choses historiques et sera
devenu familier avec l’antiquité de l’existence humaine ; il est bon
envers toutes choses dont il ressent la détresse profonde mais
cependant il ne se lie pas et prend naturellement du recul face à chaque
situation, et l’humour bien souvent constitue son garde fou. A l’image
des roms, ce peuple étranger sur la Terre, richement doté de capacités
psychiques, il va comprendre les siens et les aider dans le besoin
pendant qu’il reçoit pas de gratitude et que son existence reste obscure.

Les sciences dites occultes

L’âme éveillée pousse sans cesse l’intelligence à enquêter sur le


mystère de l’existence. Les sciences occultes sont naturellement prisés
par le « pneumatique », l’homme spirituel, car elles sont en lien avec
l’éther lumineux qui tisse la trame subtile des mondes. L’esprit a besoin
d’un support et d’une matière afin de dévoiler son potentiel ; il s’insinue
là où les sens naturels s’arrêtent et éclaire ce théâtre d’ombres glorieux
et funeste, dangereux et plein d’excitation. L’esprit doit rester à l’écoute
de sa conscience, autant que faire se peut, s’il ne veut errer parmi les
miroitements de ses propres activités, car il est des murs sur son
chemin, des redites et des pièges qui peuvent aisément le plonger dans
la lassitude et le désespoir. Il doit cultiver cette présence sans faille de
façon à « densifier » cette matière subtile de l’œuvre, devenir un rayon
laser au lieu d’une simple lumière diffuse qui se perdrait dans les
contours de ce monde à éclairer. Si ses proches, le plus souvent ne lui
sont d’aucun secours, et constituent même souvent des obstacles, il
vient un temps où il découvre son appartenance à une longue chaîne
des intelligences, il se sent élu au sein d’une famille d’esprits
coopérants, même si parfois leurs actions sont déroutantes pour celui
qui s’éveille tout juste à la dimension spirituelle. L’organisation subtile du
monde se révèle au travers d’archétypes que les hommes ont pressenti
depuis l’aube des temps ; si ceux-ci apparaissent différemment au cours
des époques et des lieux c’est parce qu’ils se laissent appréhender en
fonction des différentes sensibilités. Les images du Tarot par exemple,
ont connu une étonnante continuité depuis leur naissance supposée
jusqu’à nos jours ; ils continuent de connaître un succès sans égal dans
l’ère culturelle qui est la nôtre et restent le jeu divinatoire le plus connu
et le plus apprécié. Il faut savoir que la divination signifie prendre conseil
de la divinité et non la prévision de l’avenir ; celle-ci n’est possible que
dans une certaine mesure et n’est pas souhaitable car cela risquerait
bien de rendre les hommes plus malheureux que ce qu’ils ne le sont
déjà. En revanche, après un tirage bien conduit, la personne se sent à
nouveau soutenu, guidée par les forces qui veillent sur les destinées
humaines et retrouve un sens à sa vie. Bien des prêtres et des
psychologues contemporains ne peuvent en dire autant ; les premiers
restent distants de la personne et murés dans leur dogme, quant aux
seconds, ils se permettent des délais indéfinis qui s’éternisent alors qu’il
faudrait une intervention nettement plus opérative. Le véritable
connaisseur du Tarot n’est pas le diseur de bonne aventure produisant
un spectacle lucratif, il sait la valeur relative de ce qu’il fait et les
Arcanes le lui révèlent elles-mêmes ; du Bateleur au Fou, le jeu indique
le caractère essentiellement illusoire de la vie humaine plongée dans un
devenir incertain pour une âme oublieuse d’elle-même. Le jongleur fait
merveille en maniant des choses inconsistantes, alors que le mât, en
devenant lui-même le jouet des formes illusoires, leur échappe en
même temps. Des personnages plus établis tels le Pape ou l’Empereur,
en s’affirmant comme des valeurs sûres, ont un côté caricatural qui
amuse d’ailleurs tout autant les enfants que les sages. Ceci dit, ces
images montrent l’œuvre de la loi de résonance dans nos vies ; notre
passage ici-bas est jalonné d’épreuves et de joies qui ne sont pas
étrangères à notre nature profonde, c’est à dire à l’aspiration de l’âme, à
son désir de comprendre ce qu’elle fait dans cette incarnation humaine.
Ceci se révèle également par le biais de l’astrologie qui se recoupe avec
le Tarot à bien des égards ; des formes archétypales se proposent à
notre lecture dans une combinaison qu’il n’est pas aisé à déchiffrer sans
faire appel à une intuition particulière. Les signes, les planètes, les
maisons pourraient désigner trois types de réalités qui se rejoignent en
l’homme, à savoir le monde angélique, celui des esprits et la réalité
humaine à proprement parler. Il est évident que la consultation
astrologique en direct et en face de la personne, permet à l’astrologue
de poser des questions clés qui guideront son interprétation, et le
moment de la rencontre et de l’entretien constitueront un moment
unique qui est tout à fait irremplaçable. La divination ne saurait être
comprise et traitée comme une science positive et demande l’éveil d’un
sens interne, celui de l’esprit, faute de quoi, elle se révélera caricaturale
et insuffisante. L’apprentissage des sciences occultes doit constituer
une initiation spirituelle car elles demandent une finesse, une patience,
une intelligence, que seule peut conférer un état de disciple. La magie
cérémonielle complétait souvent la formation de l’adepte qui éprouvait le
besoin d’approfondir son sens de la prière ; l’autel du mage devient un
microcosme, un sanctuaire à partir duquel il se fait prêtre et médium. La
magie ne peut s’accomplir que grâce à l’atteinte d’états de conscience
supérieur que l’on rejoint dans un état méditatif et émotionnel particulier.
Par lui-même le rituel demeure impuissant s’il ne touche pas notre
nature profonde, l’aspiration la plus haute de notre âme ; en retour, des
modifications de la vie extérieure se produisent qui sont en résonance
avec l’état d’esprit bien spécial que nous entretenons et cultivons grâce
à la pratique spirituelle. Cela dit, il ne faudrait pas confondre la magie
avec une école de développement personnel, car il y est question de
développer son lien avec le monde spirituel, de le rendre plus tangible et
non de fortifier la tendance conquérante de l’ego. Un exercice
préparatoire de la voie martiniste13, consiste à se regarder dans un
miroir à la seule lueur d’une bougie, et l’évanescence du reflet que l’on
constate, produit l’effacement de la conscience superficielle et contribue
à faire émerger un autre regard. Il ne peut y avoir de magie si l’on
n’entre pas en « contact » avec la dimension spirituelle, mais celle-ci, à
la différence du spiritisme est à la recherche, bien d’avantage, d’une
inspiration plus haute que de tous types de manifestations physiques
des esprits. Bien sûr, la théurgie de l’ Antiquité relate de nombreuses
épiphanies des divinités servies et invoquées, mais il ne faudrait pas
oublier l’importante formation philosophique des néo-platoniciens que
furent Proclus et Jamblique par exemple. Il est vrai cependant qu’ils ont
souhaité poussé plus loin que Plotin, l’expérience de la vie spirituelle, en
devenant aussi des prêtres comme les furent les égyptiens, et ont
éprouvé le besoin d’aller au-delà de la métaphysique. Les gnostiques de
leur côté, ont pratiqué une forme de messe théurgique, où à l’image du
Livre des Morts, les formules sont employées afin de franchir les portes
du monde crée en direction du Plérôme. l’essence même de
l’Eucharistie, se trouve dans l’opération alchimique de la
transsubstantiation. Les dons l’esprit, les charismes transmis aux
apôtres témoigne de l’essence magique du christianisme qu’il ne
faudrait en aucun cas réduire à une religion sociale. Il est à remarque
que les miracles, les épiphanies, les « pouvoirs » des saints, et les
apparitions mariales évidemment sont absents du protestantisme qui
propose tout au plus un service de guérison, et encore avec réserve.
l’Église Orthodoxe entretient depuis toujours une foi innée dans le
surnaturel, la force de la prière, l’illumination intérieure la participation
aux énergies divines et l’homme simple peut y avoir accès comme en
témoigne les Récits d’un pèlerin russe14. La magie peut-elle se pratiquer
lorsqu’on confesse la foi en Christ ? Oui, à condition que celle-ci soit
faîte sous son patronage et que le rituel et les techniques employées ne
soient pas effectuées dans le seul but de satisfaire des ambitions
terrestres. Il est évident que chaque âme aspire à développer son
potentiel, et lorsque celui ci commence à être reconnu puis déployé, la
tentation de focaliser là dessus est grande. Aussi faut-il sans cesse se
rappeler soi-même, bénir et prier à chaque occasion. Les influences
lucifériennes, lesquelles visent à isoler l’individu dans une sorte de
13 l’Ordre martiniste poursuit en l’adaptant à notre époque, le travail initiatique légué par Martinez de Pasqually et
son élève Louis Claude de St Martin.
14 Texte du XIXième siècle, resté anonyme, qui rend bien compte de la grandeur de la foi populaire et de la prière
authentique.
mystique narcissique, sont promptes à utiliser la capacité psychique afin
de nourrir toutes sortes de fantasmes qui peuvent conduire à la folie.
Mais nous dirons que cela est inévitable, que c’est plutôt bon signe que
l’âme est vraiment en train de la condition ordinaire. Autre écueil
rencontré au cours de cette phase, l’individu habité par des influences
de ce type, peut devenir le leader d’une secte avec tous les
débordements dont certaines sont capables ; ce phénomène est mal
compris lorsque l’on y voit qu’un phénomène relevant de la sociologie et
de la psychiatrie et c’est méconnaître le rôle de certaines entités dans le
développement de la psyché humaine. Le magnétisme spirituel se
développe avec la « qualité d’être », la capacité à devenir à la fois
émetteur et récepteur des courants spirituels qui nous traversent ; ce
niveau de rayonnement permet d’agir sans limites de temps et d’espace
mais reste cependant soumis au décret divin et certaines prières de
guérison peuvent rester sans réponses et l’esprit souffle où il veut.

La question de l’éveil spirituel.

Le bouddhisme nous a transmis la notion d’éveil spirituel qui est aussi,


dans cette tradition l’accès au nirvana ; cette notion a pénétré le grand
public lorsque des pèlerins spirituels issus de l’occident et du
mouvement hippie, ont commencé à répandre l’idée. En revanche, la
tradition occidentale semble ne pas faire mention de cela, comme si elle
ignorait cette sorte d’événement définitif et radicalement nouveau pour
la personne qui en fait l’expérience. Aujourd’hui, de nombreux
occidentaux, parfois très jeunes, disent vivre ce phénomène spirituel et
certains s’installent dans cette condition en en faisant un travail à plein
temps. Le soufisme, qui se situe entre l’est et l’ouest, parle de la notion
de fana, où extinction en Dieu, mais l’on ne voit personne qui
revendique ouvertement ce titre, et c’est plutôt l’effacement qui
caractérise le comportement adopté par les personnes concernées et
celles-ci répugnent à se faire connaître. Des afrad, des isolés
directement instruit par l’esprit, restent anonymes bien que leur
réalisation spirituelle soit très élevée. Alors qu’en est-il de ce
mouvement fort populaire, constitué de néo-éveillés occupant une
« chaire » de spiritualité dans les réseaux sociaux. Nous ne pouvons
nous empêcher de faire remarquer, à cet égard, que nous avons le
modèle d’un certain Krishnamurti comme émule de ce type
d’enseignant. Ce « prêcheur » a répété a souhait qu’il fallait se libérer
du conditionnement mais qu’a-t-il apporté à la place ? Son anti-
intellectualisme de principe est-il vraiment fécond où signale-t-il à la face
du monde un passé de cancre notoire ? Nos mots semblent sévères,
mais bien sincèrement, nous ne pensons pas que son enseignement
soit initiatique, sinon de façon simpliste mais qu’il s’inscrit comme une
subversion de plus, dans un monde en guerre contre lui-même. René
Guénon, y verrait à bon droit, un effet de la contre-initiation ; l’absence
de toute métaphysique est bien le signe de la perte de quelque chose
de fondamental pour l’homme, nous l’avons déjà déjà précisé, et il est
fort significatif de constater que le Védanta de Shankara, ne
reconnaisse pas comme vraie, la position bouddhiste sur les questions
les plus importantes. Le Mahayana n’est-il pas une tentative de
reconstruire ce qui avait été délaissé par une enseignement incomplet ?
On nous objectera que Guénon est revenu sur sa position à ce propos
et c’est peut-être le cas, mais il n’en reste pas moins que l’opposition du
bouddhisme à la tradition hindoue est bien ce qui le distingue, sinon il
n’aurait tout simplement pas existé ! La richesse de la tradition védique
fait qu’elle demeure une référence incontournable et ô combien salutaire
pour tout chercheur passionné et absolument sincère. Elle reste un
phare dans la nuit du Kali-Yuga, et à cet égard, nous conseillons
vivement la lecture des ouvrages de Stephen Knapp, lequel a
véritablement étudié et assimilé cette extraordinaire tradition. Par
chance, la tradition druidique s’en rapproche, et une bonne partie de
son enseignement, pour l’essentiel, est encore vécu et pratiqué par ses
initiés. Nous assistons même à un retour de l’intérêt pour la
connaissance spirituelle sous ses formes les plus ancestrales, et les
jeunes souhaitent retrouver leurs racines païennes qui les relient à la
Terre. Ceci dit, en face de cela se dresse un mur d’incompréhension
matérialiste, une politique dévoyée, les fanatismes religieux et
technologiques. Selon la tradition védique, nous sommes au début de
l’âge sombre, et les espérances relatives à la venue de l’ère du verseau
doivent être tempérées ; si l’on peut entrevoir l’arrivée d’une synthèse
spirituelle universelle, d’un autre côté, il faut craindre la mise en place
d’une sorte de religion de la science, qui sous couvert d’un culte à
l’ « Être suprême », pourrait instaurer une conception totalitariste du
divin, d’une « spiritualité » technicienne, ne laissant plus la place au
chemin et à l’existence de l’âme individuelle. Nous avons vu à travers
l’histoire, qu’après chaque nouvelle révélation, les religions
monothéistes qui s’en sont suivies, on tenté de s’imposer d’une façon
universelle et unilatérale. Ainsi, pour en revenir à cet notion d’éveil et la
replacer dans ce contexte, nous voyons qu’elle peut parfaitement
s’intégrer dans une religion mondialisée comme le « soma de ce
meilleur des mondes »15. A cet égard, une série TV américaine du nom
de « V », dans sa version de 2009, met en scène une invasion douce
extraterrestre, proposant la guérison de toutes les maladies et la félicité
au prix de notre liberté. Le parallèle qui peut être fait avec l’idéologie
« new-age » nous a frappé. L’authenticité de la quête spirituelle peut se
remarquer par l’initiative individuelle, la difficulté de la recherche et les
épreuves qui la jalonnent, la promesse de la libération et non celle d’un
bonheur mondain et du confort psychique. La « pilule du bonheur », est
en fait le strict opposé des plantes psychotropes utilisées dans le
chamanisme, car celles-ci provoquent un effet cathartique et visionnaire
révélateur, et non une béatitude bon marché. Les solutions de facilité
sont donc à éviter, cependant, se pénétrer de l’idée que nous avons un
potentiel d’éveil est évidemment une bonne chose ; il est indispensable
de faire cesser notre identification au corps physique, ce qui ne veut pas
dire l’ignorer ni s’adonner à des mortifications. Nous devons d’abord
comprendre et réaliser, que notre profonde est de nature spirituelle, et
pour ce faire, il faut écouter notre intuition qui se révèle lors de lecture
des écrits inspirés, au contact de la nature ou avoir la chance de
rencontrer des gens qui « vibrent » à ce niveau là. Être dans une écoute
attentive est très important afin de discerner, si ce à quoi nous avons
affaire témoigne à la fois d’amour et de connaissance. L’enseignement
spirituel authentique est toujours sobre et opératif, les mots viennent
d’une source éclairée et ne sont pas hésitants. L’initiation véritable vient
d’ « en haut », mais il est vrai que selon le schéma traditionnel, l’individu
concerné est appelé à suivre un chemin de compagnonnage auprès
d’un maître. La voie de l’homme seul est difficile, mystérieuse, mais
confère une liberté et une profondeur inégalée. Certains individus sont
faits pour ça mais ils ne courent pas les rues. Dans ce cas, il convient
de développer une grande confiance dans le décret divin, accepter
autant que faire se peut, les traversées du désert, répéter le nom divin
comme le naufragé s’accroche à sa bouée. Par les temps qui courent,
de nombreuses écoles à vocation initiatique, sont parasitées par des à
côtés, des tracasseries, l’inertie du groupe, la pression de monde
extérieur ; cela contribue à faire des vocations de solitaires, mais nous
ne saurions dire pour l’instant, si cela est vraiment bénéfique. Cela
indique certainement un besoin d’authenticité, l’expression d’un esprit
critique extrêmement précieux dans un monde qui ne cesse de vendre
des produits frelatés. Toujours est-il que dans cette période difficile, de
grandes opportunités spirituelles sont offertes par la grâce divine sans
cesse agissante ; l’internet rend disponible quantité de textes, d’articles,
de livres, qui peuvent fournir une information qui était tout à fait
15 Le meilleur des mondes Aldous Huxley,
inaccessible il y a encore peu. En même temps, cette approche « à la
carte » crée une confusion de laquelle il faut s’extraire en choisissant
d’être honnête avec soi-même et de se poser les bonnes questions. Les
critères d’amour et de connaissance peuvent être retenus comme
garde-fou ; c’est à une prise de conscience de l’essentiel que doit
conduire les études spirituelles et non à l’auto-satisfaction. La personne
qui se dit éveillée possède-t-elle une réelle culture de la philosophie
spiritualiste ? Si non, il convient de se demander pourquoi elle n’a pas
fait ce travail, l’équivalent de ce qui est requis dans d’autres disciplines.
Au nom du soi-disant dépassement du mental, on rencontre des
pseudo-enseignants qui se vantent de leur inculture. Il y a là quelque
chose qui doit nous alerter.

La connaissance du but

l’enseignement des religions révèlent de façon unanime que le


but du chemin est de faire le salut de l’âme ou la libération en d’autres
termes. La finalité est toujours la même bien qu’elle soit présentée selon
les besoins de temps et de lieu ; cette similarité exemplaire entre les
traditions nous renseigne sur l’origine supra-humaine des différents
aspects et moments d’une révélation divine qui nous est en quelque
sorte prêtée, et non donnée comme cela s’entend souvent, car, ainsi
que l’histoire en témoigne, certains ont tôt fait de s’en prétendre les
uniques dépositaires. Il n’ y qu’à s’en référer à l’histoire de l’Église
chrétienne pour constater que le besoin maladif d’établir une orthodoxie,
s’est soldé par des persécutions intellectuelles et réelles à l’encontre de
tous ceux qui s’écartaient de la doctrine établie par les pères de l’Église.
Celle-ci s’est construite sur le rejet de la spiritualité et de la culture
païenne au lieu d’en faire l’assimilation ; un certain nombre d’évangiles
ont été déclarés apocryphes alors qu’ils contenaient des perles pour
une voie authentiquement chrétienne. L’aspect initiatique du
christianisme a quasiment disparu de l’Église officielle, opérant ainsi une
scission complète des chrétiens eux-mêmes et c’est l’ésotérisme lui-
même qui est devenu indésirable, autrement dit, la lettre a tué l’esprit.
L’ère des poissons, telle qu’elle sera vécue au sein du kali-yuga, se
signale par une dualité constante à tous les niveaux de l’existence :
mysticisme et matérialisme, richesse et pauvreté, intolérance et laxisme,
enseignement diffus et populaire contre sociétés secrètes. Le monde
semble schizophrène et coupé en deux, ce qui a inévitablement conduit
les gens spirituels à la marge ; les fameux rose-croix seraient partis en
Orient. Dans tous les cas, l’ésotérisme et la métaphysique ont été mis à
l’écart et ont forcés les gens concernés à vivre dans les catacombes de
la modernité. L’enseignement public a rejeté lui aussi avec force, la
spiritualité vécue pour n’admettre l’histoire des religions seulement
comme une discipline de spécialistes. Il ne faut pas s’étonner dès lors si
les peuples sont en conflit depuis des siècles, gouvernés par des élites
bêtes et méchantes. Les besoins de l’âme commencent particulièrement
à se faire sentir à l’adolescence qui est loin de n’être qu ‘une crise
hormonale mais qui correspond aussi à l’éveil à soi, à l’indépendance
de sa conscience eu égard à la collectivité tout englobante jusqu’ici.
C’est le moment où la personne commence à se poser la question de
son identité réelle et profonde, disposant de la souplesse mentale pour
tenter des expériences de vie et de pensée, sentant qu’il y a quelque
chose de fondamental qui se joue dans cette quête ; cela est vu comme
un mauvais moment à passer pour des parents ignorants de ce qui se
joue et oublieux eux-mêmes depuis fort longtemps. Ce moment
significatif était celui de la confirmation pour l’Église, entrée dans la vie
d’un chrétien devenant conscient de l’action du saint-esprit ; c’est aussi
la bar-mitvah chez les juifs et le brahmacharya chez les hindous et l’on
pourrait citer quantité d’autres exemples qui rendent compte d’une
réalité spirituelle profonde et pas seulement une réalité historique et
sociale. L’accord profond, en son fond, des cérémonies traditionnelles
révèlent l’activité de la vie de l’âme perçue partout sur la planète, à une
époque où les forces « entropiques » ne règnent pas encore en maître.
Mais les religions elles-mêmes sont frappés par cette décadence en
faisant passer la morale et le devoir avant la métaphysique, alors que
pour le gnostique et conformément à l’ Évangile, la personne doit
devenir libre à l’égard de la loi et s’en remettre à l’esprit. L’âme se sent
prise au piège d’une réalité terrestre tyrannique, et si elle ressent
encore la réalité des symboles qui lui sont présentés, elle comprend
inconsciemment que le but de l’existence est trahi et elle entre en
rébellion.

Le rôle du gnostique.

l’âme en éveil se cherche une référence, une autorité à laquelle


elle puisse se confier et imiter, tout en pouvant devenir ce qu’elle est. Si
ce moment est attendu dans la jeunesse, il peut se produire lorsque la
personne s’ouvre à ce qu’elle est profondément, au cours d’un drame,
d’un moment de crise, d’instants de loisir et d’oisiveté favorisant un
retour sur soi réflexif. A partie de là, elle commence à penser que c’est
du côté de la philosophie qu’elle pourra se trouver des réponses, et
effectivement, les auteurs classiques apporte matière à réflexion qui
nourrisse l’âme sur ce chemin de découverte de soi ; cette étude en
elle-même peut occuper une vie et s’avère très riche, mais nous savons
qu’elle ne saurait apporter de réponse définitive au problème du sens,
car les différentes théories se contredisent, et nous sommes contraints,
ainsi que Descartes le disait, de choisir une morale provisoire. Nous
découvrons aussi, qu’à l’inverse les systèmes religieux proposent en
revanche des réponses claires et précises à ce qui nous préoccupe,
mais elles sont des pétitions de principe que l’examen rationnel peut
remettre en question ; elles comportent en leur des mystiques qui ont
dépassé la foi simple pour se lancer dans une aventure spirituelle qui
dépasse les capacités ordinaires. Il existe également des doctrines
ésotériques qui prétendent apporter un approfondissement de tout ceci,
mais nous ne pouvons qu’en connaître des bribes par la voie écrite et il
faudrait recevoir une initiation pour les découvrir réellement. Comme
dans d’autres domaines, le statut d’autodidacte n’est pas aisé et il nous
faudrait trouver un guide, ce qui ne se rencontre pas à chaque coin de
rue. Cependant, il est dit que la transmission initiatique reste accessible
car elle est comme une chaîne ininterrompue qui se perpétue tout au
long des âges et ainsi notre espoir peut rester vivant. Mais d’autre part,
nous n’avons pas de définition précise de ce qu’est un maître spirituel ;
pratique-t-il l’ironie comme Socrate où reste-t-il figé dans une posture
silencieuse comme un bouddha ? Faut-il s’attendre à un surhomme
ayant en tout point dépassé la condition qui est la nôtre ? Nous
projetons aisément des images sur nos attentes, surtout dans ce
domaine inconnu où la compétence est plus subtile que celle du maître
charpentier. Un vieil adage dit que quand le disciple est prêt le maître
paraît ; il convient donc de continuer nos chères études en espérant
rencontrer cette aide un jour. Nous pouvons considérer que la personne
qui s’afficherait comme étant un maître spirituel car il ne s’agit pas d’un
métier mais d’une qualité d’être ; celui-ci ne devrait pas non plus être le
porte parole d’une doctrine mais plutôt éclairer des points qui restent
obscurs pour ceux qu viennent à lui avec des questions. Son point doit
être impersonnel et objectif, car, précisément, son ego doit être devenu
transparent au point de ne laisser filtrer que la lumière. Il doit opérer
comme un miroir et nous renvoyer à nous-mêmes. Hormis cet aspect
psychologique de sa personne, il est évident qu’il doit aussi posséder
des connaissances de l’ordre métaphysique qui indique sa pénétration
de la vie spirituelle. Il connaît par expérience qu’il n’est pas seulement
un corps physique. Dans la tradition gnostique, il est courant de
rencontrer des célibataires, des gens désencombrés des affaires
familiales, car la maturité spirituelle se signale par un détachement vis à
vis de la continuité de la race humaine, prolonger la vie terrestre alors
que l’illusion a été mise à jour ne serait pas raisonnable. A la différence
du religieux, il reste dans le monde qu’il considère comme son lieu
naturel et sa dévotion reste intériorisée et sans affectation. Il peut être
un artiste transmettant par une matière particulière un message
transcendant que chacun pourra interpréter à son niveau. Une telle
perfection est très rare, et il semblerait bien que l’heure de rencontrer
physiquement un maître soit quasiment révolue. Les conditions de vie
qui autorisaient un telle rencontre ne sont presque plus présentes et
chacun désormais doit chercher directement une initiation venant d’en
haut tout en cherchant la connaissance là où elle peut se trouver ;
encore une fois, la large diffusion d’écrits ésotériques permet un
apprentissage qui était tout à fait impossible autrefois et cela indique
que la transmission est en train de changer de nature. Ce matériau est
même devenu tellement abondant qu’il devient difficile de garder le cap
en définissant clairement son objectif. Ainsi le rôle du véritable
gnostique est de manifester la qualité de l’âme revenue à elle-même,
d’endosser le travail du philosophe au sens premier, en éveillant les
consciences sur la nature de la réalité ; cet « emploi », de nos jours en
particulier, est perçu comme subversif, et l’homme spirituel n’est pas
populaire. Les gens perçoivent une différence essentielle chez lui, sans
pour autant comprendre de quoi il s’agit, et il peut sembler détenteur
d’un secret inavouable alors même que son comportement est des plus
simple et ordinaire lorsqu’il se confronte à l’ambiance commune. Il ne
manifeste pas l’intention de sauver le monde ou même de l’améliorer,
car le temps et les événements suivent leur cour ainsi que cela doit
être ; il veut simplement être ce qu’il est, dans une grande fidélité et
constance. En ce sens il est un témoin, un gardien de la réalisation
intérieure, de la foi, de la paix qui surpasse toute intelligence. Il est un
éveilleur des consciences sans être un doctrinaire, sa vision exprime
une distance, un doute eu égard à la modernité, tout en restant un
homme de son temps, il est intemporel ; on peut sentir que cette vieille
âme a parcouru les mondes terrestres et célestes depuis des éons, qu’il
s’est frotté avec la « crème » et la racaille de ce monde, il a aimé puis a
été déçu. Il a gardé en lui une trace des civilisations glorieuses, d’un
monde numineux, des grandes batailles des royaumes combattants ; il
émane une paix d’outre-monde tout en étant attentif aux moindres
détails des scènes quotidiennes. Il souhaite plus que tout, travailler sur
sa lucidité, son intelligence et sa force mentale, devenir l’expression
authentique de la profondeur de son âme. Pour clore ce portrait, il
convient d’ajouter qu’il se montre toujours prêt à apprendre, et accueille
avec bienveillance le point de vue d’autrui qu’il semble toujours prêt à
comprendre et à valoriser. La bonté est son arme favorite et l’amour son
refuge.

l’intemporalité de l’enseignement et notre époque.

La vie spirituelle est l’expression de Cela qui est toujours. Chaque


époque et lieu sur Terre bénéficie de sa présence plus ou moins
manifeste par des hommes qui empruntent le chemin de l’initiation. Le
Xxièmme siècle témoigne du travail de certains instructeurs, qui pour la
plupart, n’ont pas été pour autant de simples relais de la tradition
pérenne fondée sur des révélations de type religieux ; nous songeons ici
à des hommes comme Rudolf Steiner ou Georges Gurdjieff, lesquels
proposèrent des systèmes singuliers, qui se donnent chacun pour
tâche d’éclairer des aspects particuliers de l’initiation. Le premier a voulu
vraiment renouer le lien perdu entre l’homme et le cosmos, les
intelligences spirituelles qui participent à l’œuvre générale dans une
perspective très large englobant l’odyssée de la Terre et de l’espèce
humaine. Le second, bien qu’ayant lui aussi mis en lumière des
fondements cosmologiques, s’est focalisé sur la notion d’éveil à soi-
même, de la capacité à être véritablement dans un monde endormi et
frappé par la mécanicité. Ces différences manifestes sont
problématiques, en ce sens qu’elles offrent des vues particulières alors
que l’homme cherche au fond un enseignement unique et définitivement
satisfaisant pour l’intelligence. A l’opposé, René Guénon, se fera toute
sa vie, le porte parole d’un système unique, fondé essentiellement sur
le védanta, mais autorisant en même temps des « passages » en
direction du soufisme et de l’ésotérisme chrétien. Farouche opposant de
l’innovation en matière spirituelle, il a critiqué abondamment la
théosophie et le spiritisme. Nous devons mentionner que la théosophie
de Blavatsky, n’est pas fondamentalement différente de l’enseignement
traditionnel de l’Inde ; elle a subi une distorsion surtout à partir de Alice
Bailey qui a souhaité, sur ses bases, bâtir une nouvelle religion
mondiale et l’arrivée d’un événement messianique. Au sein du
mouvement théosophique, une réaction s’est produite eu égard à cela,
en particulier grâce au travail de Alice Leigthon Cleather, qui n’a pas
hésité à dénoncer cette dérive et souhaité redonner à la théosophie sa
mission initiale. Dès lors, on peut se demander pourquoi une part de
créativité innovante serait à éviter dans le domaine spirituel, lorsque
précisément, nous ne parvenons pas non plus, dans le passé, à
identifier vraiment cette fameuse tradition primordiale. Il convient donc
de penser que la vie spirituelle s’accomplit comme une connaissance
métaphysique en « progrès », falsifiable, comme une armature
permettant l’essor de l’intuition et de l’inspiration. L’âme va trouver dans
cet exercice intellectuel le sens de son parcours, son involution, ses vies
incarnées et son retour dans le monde spirituel. Chacun des grands
auteurs spirituels apparaît comme un frère rencontré sur le chemin de
cette existence subtile et complexe. Les exercices initiatiques proposés,
les retraites, les pèlerinages, les hauts lieux sacrés, peuvent être
envisagés dans la perspective de la maîtrise de soi, d’une pénétration
lucide de la profondeur de la vie intérieure, d’un réveil de la dévotion, et
non idolâtrés comme des vérités absolues tout à fait indépendantes de
notre participation. Il est dit aussi que « Dieu est beau et il aime la
beauté » d’après un hadith du prophète de l’ Islam ; l’éveil du sens
spirituel de l’existence, nous révèle des perceptions nouvelles, fines et
aiguës du monde qui nous entoure, car nous saisissons qu’il participe
des beautés subtiles dont l’univers supérieur participe. L’art sacré
s’entoure d’une aura de grandeur et de mystère ; il sublime le terrestre
et emmène l’âme vers la contemplation de ce qu’elle chérit le plus. Bien
sûr, les grands édifices religieux font étalage d’une grande technicité,
mais le numineux peut être perçu dans des objets très simples, des
vêtements et des visages modestes mais qui semblent comme éclairés
de l’intérieur. Le symbolisme religieux n’y est pas forcément présent, et
d’ailleurs la simplicité réelle qui habite le gnostique fait qu’il dédaignera
porter sur lui la marque ostentatoire du spirituel. La discrétion est de
mise lorsqu’on est vraiment habité de l’intérieur ainsi que le désir de se
montrer, d’exister à tout prix, surtout à une époque où la raison de vivre
équivaut au fait d’être visible sur la scène médiatique. De la même
façon, l’homme spirituel ne s’impose pas aux autres et ne devient jamais
un commerçant dans ce domaine. Ces capacités psychiques vont
s’exercer en toute discrétion, en fonction des circonstances et il ne les
met jamais en avant. Nous devons aussi éclaircir cette notion de
« service » dont certains font grand usage au point qu’ils canalisent,
semble-t-il, tous leurs efforts en ce sens. La plupart des gens qui
s’engagent sur cette voie, le font sans avoir de réelles capacités
spirituelles, ce qui les conduit vers des vues et des actions
humanitaires, louables a priori quant à leur intention, n’en sont pas
moins un moyen d’entretenir l’illusion d’un bonheur terrestre accessible
à tous, une mentalité restant dans le domaine de l’« humain, trop
humain » selon l’expression de Nietzsche.

Le mystère de l’individualité

Lorsque nous empruntons le chemin spirituel, nous comprenons que la


véritable guerre sainte est celle qui se mène contre l’ego ; il constitue
l’obstacle sur la voie de l’expansion de la conscience, mais s’agit-il
seulement de cela ? Nous l’avons déjà mentionné plus haut, il semble
tout à fait paradoxal de devoir se débarrasser de quelque chose, qui
jusque là, a constitué notre point d’appui, notre identité sociale. En fait, il
se pourrait qu’il soit appelé à jouer un rôle essentiel du point de vue
spirituel, alors que dans les premiers temps, il apparaît comme ce qui
gène notre élan ascensionnel, et comme un devoir d’en finir avec lui. A
l’opposé, nous avons l’ intuition de quelque chose de plus vaste et de
plus pur, une étincelle lumineuse, notre âme que nous ressentons
comme notre héritage divin. Celle-ci, au cours de son aventure terrestre
ne semble pas pouvoir se séparer entièrement de la personnalité, qui
bien que limitée et soumise à condition, colore nos pensées et tous nos
faits et gestes. Disons le franchement, s’il s’agissait purement et
simplement de supprimer l’ego, pourquoi ne pas avoir recours au
suicide ou au lavage de cerveau ? Nous pouvons constater aisément,
que des troubles de la personnalité, la folie, etc..ne s’accompagnent pas
d’un accroissement de la spiritualité. Il faut donc admettre que l’ego joue
un rôle nécessaire, mais est-il seulement une sorte d’interface sociale
ou est-il appelé à un destin plus haut ? La doctrine de l’Église, spécifie
que notre âme est personnelle, et se trouve face à un Dieu personnel
également, alors que les doctrines orientales parlent d’un principe
impersonnel. Nous pensons que la vérité se trouve entre les deux, non
pas une demi-mesure conciliante, mais une synthèse capable de
véritablement intégrer les éléments de la personnalité dans une
perspective plus haute et favorable. Si l’âme est dans son essence un
principe abstrait et intelligible, c’est dans son devenir humain qu’elle va
acquérir une personnalité ; elle va se charger de toute l’expérience
sensible qu ‘elle rencontre lors de ses différentes incarnations et se les
assimiler. Elle devient alors un « produit » tout à fait unique dans la
création, un être capable de pure spiritualité et d’idiosyncrasie. Il
ressemble vraiment à ce metaxu , cette figure d’Éros décrite dans le
Banquet de Platon, à la fois riche et dans la privation, doué d’une
double origine, et prêt à tout pour rejoindre l’objet de son amour, le soleil
du Bien, cet attracteur magnétique qui nous élève au-delà de notre
simple condition terrestre. Nous pensons que la compréhension de ce
point est tout à fait capitale, car cela va permettre de porter un regard
juste et positif sur notre destinée. En effet, si l’on considère que la vie
terrestre et ses péripéties, ne sont qu’un mauvais moment à passer, ou
au contraire une occasion de réjouissances, nous manquons à saisir la
valeur plénière de cet apprentissage. Le mythe de la Chute introduit la
faute et la culpabilité, même dans ses expressions ésotériques, le
gnosticisme ou la doctrine de la réincarnation de Martinez de Pasqually.
S’il en était ainsi, le contact et l’enseignement des esprits serait suffisant
et nous ne verrions pas des êtres divins s’incarner, ainsi que l’ont fait les
grands avatars. En l’homme s’opère toute l’ambition du processus
alchimique ; solve et coagula, passage de l’épais vers le subtil et vice
versa, synthèse du particulier et de l’universel. Comme le philosophe
Lévinas, la vue d’un visage est une expérience tout à fait singulière et
émouvante ; cet homme se découvre alors dans sa véritable intimité et
fait signe vers la transcendance. L’existence d’une simple personne
humaine, cache en réalité l’un des moments les plus importants de
l’univers ; cette vie cosmique profonde, perdue dans la nuit des âges,
s’éclaire d’une chandelle timide d’abord, puis d’un fier flambeau dans
l’homme éveillé à la pensée de lui-même, tourné vers son origine pour
mieux saisir son devenir, car c’est tout un. L’expérience nous le montre,
les personnes que nous avons rencontrées sont toutes uniques, mêmes
les jumeaux diffèrent entre eux, la nature semble innover sans cesse,
mais sur un modèle « éternel » ; l’un et le particulier se côtoient
constamment, au point d’être indissociables. Si chaque être humain est
unique, dans son corps, il est pourtant le résultat de toute l’histoire de
l’humanité qui se bouscule en lui, et son destin présent, bien que
souvent jugé banal, n’en est pas moins riche de tout ça ; c’est en en
prenant conscience que nous pouvons le faire revivre et lui donner un
sens, nous lui imprimons un caractère propre, et nous tenons désormais
tant à cette expression singulière de nous-mêmes, que nous finissons
par devenir exclusivement égocentriques. D’un autre côté, comme à
l’autre pôle de notre être, nous pouvons entendre un chant nostalgique
qui rappelle notre origine immémoriale, des rêves, des peurs, des
fantasmes, des souvenirs émanés d’un puits sans fond ; nous
apercevons une lumière au bout. Un jour, la personne découvre puis
laisse entrer peu à peu, ce sentiment amoureux qui n’a pas de nom et
auquel aucun objet propre vraiment ne convient. L’absolu sourd des
profondeurs de nous-mêmes comme un étranger exigeant et ne se
présente pas, tout d’abord, comme le consolateur qu’il peut devenir par
la suite ; l’appel de l’esprit, l’expérience du « surnaturel » ou de la mort
imminente, ouvre une brèche définitive en nous qu’il faut combler par la
suite. La personnalité construite selon des normes temporelles et
sociales conditionnées, ne vit pas aisément cette irruption incongrue et
tremble sur ses bases ; qu’en est-il de cet homme qui savait vivre, plus
ou moins bien jusqu’ici, mais qui était porté au moins par des certitudes.
Autrefois, ce changement de perspective pouvait être accompagné par
des aînés qui reconnaissaient la réalité de l’initiation ; celle-ci n’est pas
seulement un processus d’intégration sociale comme le voit les
anthropologues formés par la modernité, mais aussi une initiation aux
réalités invisibles qui ont côtoyées notre histoire depuis son origine
immémoriale ; car il s’agit bien d’une mémoire intemporelle, d’une
dimension supra-personnelle dont on ne dispose pas à sa guise, mais à
laquelle nous sommes introduits progressivement. Tout dépend de notre
aspiration vers les « mondes lointains » selon l’expression usitée dans
Agni Yoga, de notre désir profond de mettre à jour cette impulsion
secrète qui apparaît un jour dans notre vie. Il ne s’agit donc pas d’une
annihilation de soi dans un état de conscience qui nous dépasserait et
dont on ne pourrait plus revenir. Nous restons bel et bien celui que nous
sommes, reconnaissable dans son identité sociale et familière, mais
nous sommes enrichis par ce contact avec les profondeurs et les
hauteurs de l’être. Cette vie qui se transcende, qui participe aux
énergies divines, devient à la fois réceptacle et acteur de cette nouvelle
destinée qui s’annonce glorieuse ; un chant monte, spontané et inspiré,
du cœur vibrant, ranimé par la flamme du feu sacré. Cet enthousiasme
premier et authentique, qui ferait pâlir toutes les difficultés éventuelles,
est néanmoins terni par le contact inévitable avec le sommeil, la
désolation qui nous entoure et qui est pourtant devenue la norme dans
l’humanité déchue. La vie spirituelle est mise à l’épreuve
quotidiennement sans plus passer par les initiations caractéristiques des
cultes à mystère. L’individu re-né doit passer par la forge infernale de
l’indifférence, de l’ignorance et de la méchanceté. l’existence mondaine
réclame sans cesse de lui son abdication, sa trahison et son échec.
Chacun des ses mouvements contrariés doivent devenir des occasions
de prière, de tension vers la présence fidèle de la Mère divine qui veille
éternellement. Il comprend, peu à peu, que son souhait sera reçu et pris
en considération car l’espace sacré renvoie toujours ce qui lui parvient.
Il ne peut plus revenir vers la voie religieuse, hantée par le dogmatisme
et la routine, car son chemin devient de plus en plus personnel en
même temps qu’il participe davantage des forces universelles qu’il
approche.

De nouvelles capacités
L’homme né de l’esprit doit se faire à l’idée qu’il n’est plus de ce
monde ; ce n’est cependant pas tout de suite qu’il pourra réaliser sa
liberté effective dans des conditions de vie qui conviennent à sa vraie
nature. Le prince de ce monde ne lâche pas prise facilement, s’il le fait
un jour, c’est bien parce que la personne qui s’y oppose, a trouvé de
nouvelles ressources, des capacités qui se sont développées au cours
de ce long périple qu’est son existence. Tout d’abord, un éclaircissement
d’ordre intellectuel ; on comprend aisément la tournure des événements
et l’on fait montre de prescience assez souvent. Il semblerait qu’une
conscience qui s’élève, appelle désormais des énergies nouvelles ;
cette prière souvent muette est suivie d’une réponse intérieure. c’est au
dedans de nous, jusque dans la structure cellulaire, que se produisent
des changements qui modifient la sensibilité et la qualité de notre
vitalité. Notre besoin d’indépendance n’est possible que si nous
acquérons la force intérieure le permettant ; la conscience méditative
créée autour d’elle une sorte de champ magnétique protecteur. Mais la
situation n’est cependant pas toujours idéale ; face à de nombreux
tracas, des intrusions, des contrariétés et des outrages, il devient
indispensable de faire preuve de fermeté. Apprendre à se protéger
psychiquement, demande de réaliser pleinement que le monde n’est
pas amical, et qu’il ne faudra plus compté sur lui. Il faut être sur ses
gardes et se montrer discret en toutes choses. Rassurez-vous, cette
attitude défensive n’est pas obsessionnelle, mais c’est une habitude à
prendre. La culture de l’esprit doit nous rendre plus fort mentalement et
capable à certaines occasions d’influencer des gens et des situations
car les circonstance le demandent. Il ne serait pas juste que nous ne
puissions plus vivre en paix, car nous ne demandons rien d’autre qu’un
petit espace sacré. Il faut anticiper le résultat des prières, en se plaçant
dans une attitude de confiance totale qui semble folle à la mentalité
mondaine. C’est vraiment ce changement intérieur de notre psychologie
profonde qui constitue la clé pour le développement d’habilités
supérieures. Nous cherchons à libérer le pouvoir de l’âme qui a été
défigurée par la pression mondaine. Depuis sa plus tendre enfance,
l’homme spirituel comprend que quelque chose ne va pas, mais il lui
reste l’espoir d’un avenir souriant car il ne peut admettre à ce moment
là, qu’une entreprise mortifère est à l’œuvre. Il croit naturellement aux
mondes des esprits, à la grandeur des civilisations anciennes qui
revivent en lui dans ses jeux, dans ses rêves innocents mais ô combien
porteurs de sens. Il s’intéresse à la dimension surnaturelle de
l’existence, la parapsychologie, le phénomène ovni, la guérison par la
pensée et les plantes, la beauté de la nature sauvage etc. Il devine
qu’un destin particulier lui échoit en partage, qu’il est appelé à rejoindre
la plénitude, le plérôme comme le disent les gnostiques. Mais les forces
entropiques qui poussent le monde déchu vers la matérialisation,
agissent en un sens opposé à ses aspirations les plus chères. Le
monde devient de plus en plus complexe et tisse sa toile jusque dans
les détails mineurs de nos vies. L’emprise médiatique est telle, que les
informations diffusées tendent à remplacer complètement toute capacité
à penser par soi-même chez l’homme ordinaire, tandis que le mystique
se trouve de plus en plus isolé, et bien souvent, condamné au
désespoir. Il faut une foi énorme, provocante et insolente à nos propres
yeux afin de conserver un moyen d’existence et de paix pour continuer
à vivre. La pensée de la mort nous vient en aide à ce moment là ; nous
savons que la libération est proche mais nous ne souhaitons pas gâcher
notre vie pour autant dans des attitudes auto-destructrices. L’association
à des groupes et des enseignements, dits spirituels, est souvent
décevante, car un optimisme inconsidéré y règne la plupart du temps,
comme une langue de bois devenue une seconde nature, comme pour
mieux masquer ce qui se trame effectivement sur la scène terrestre.
Parmi les facultés incontournables, c’est la liberté de penser qui se
manifeste en premier ; elle est la clé de voûte de l’édifice intelligent que
l’homme bâti en lui-même. Il se plaît à examiner toute la gamme des
philosophies et des religions existantes et y puise constamment une
matière à réflexion. Il dévient véritablement érudit dans ces questions et
son jugement s’affine sans cesse. La méditation silencieuse est aussi
partie intégrante de son programme car elle permet d’aller au-delà du
mental automatique et de s’enfoncer dans la perception subtile et
profonde de qui nous sommes. Une certaine forme d’extase lui devient
accessible ; il goûte à la vie dans son expression la plus élevée. Il
pénètre l’esprit des hommes et retrouve les objets perdus. Il bénit son
lieu de vie, qui au milieu de la ville, semble animer d’une vie propre et
être devenue une entité indépendante. Son vêtement se signe par une
originalité discrète mais toujours présente. Son passé ne l’encombre
plus, bien qu’il puisse reconstituer toutes les phases de son existence et
en discerner la trame ; l’action du destin en marche le relie à celui de
son époque, et même s’il reste tout à fait inconnu, il sait qu’il prend part
activement au devenir de ces temps transitoires et difficiles, où les
âmes sont à la peine, tout en affichant un orgueil de surface. Il ne
dépend plus d’une quelconque autorité extérieure pour lui dire comment
vivre sa vie ; il écoute plutôt la voix intérieure, laquelle n’est en fait plus
seulement la sienne mais constitue une porte ouverte vers l’universel, le
conseil des ancêtres ainsi que l’impulsion des esprits qui
l’accompagnent dans sa marche vers l’illumination.
Originalité et indulgence

Dans ce monde relatif et gouverné par un principe inverse de celui du


ciel, le type de perfection que l’on s ‘attend à trouver chez l’homme
illuminé, doit être revu et reconsidéré à la lumière de l’expérience vraie,
du côté de celui qui a vraiment l’expérience de la chose et ne pas se fier
aux nombreux écrits théoriques qui en font état. L’illumination est le
réveil du principe du feu intérieur, la force qui permet la transcendance
de la dialectique aveugle du devenir, et qui ultimement, donne accès à
la libération dans cette vie. Les conventions, les us et coutumes, les lois
instituées par les pouvoirs en place, apparaissent sous leur vrai jour et
relativisées comme il se doit. Cela ne saurait rester une simple vue de
l’esprit que l’on partage entre gens avertis, mais on doit le vérifier de la
façon la plus pratique qui soit, c’est à dire en se mêlant volontairement à
la vraie vie, en découvrant par soi-même l’existence de chacun, sans
condition préalable, sans préjugés, sans classifications de bien et de
mal, mais en s’ouvrant totalement à l’expérience qui s’offre. Les
prostituées et les gens de peu sont préférés aux hypocrites et aux
pharisiens dans l’Évangile ; les gnostiques n’ont jamais fait de la morale
une fin en soi, car celle-ci est l’expression de la volonté conservatrice
des dominants. La spiritualité authentique est le désir de libération.

L’énergie profonde

Pour l’obtention de la liberté de l’esprit et sa manifestation dans


l’existence, il convient de trouver en soi les ressources suffisantes. Afin
de mener à bien ce projet, nous sentons que nous devons disposer
d’une énergie supplémentaire et différente de celle qui est requise pour
la vie sociale. Comment en effet dépasser la norme aliénante qui nous
tient clouer au sol? Si nous voulons avoir des ailes, c’est dans les
profondeurs de notre nature, à la base de la vie, qu’il faut puiser. Qui n’a
pas été troublé par des manifestations particulières de l’impulsion
sexuelle ? Cette énergie peut décupler nos forces, ainsi que les exploits
et turpitudes de la vie amoureuse nous le montre, et nous pouvons y
perdre la raison. Si nous parvenions à diriger cette force vers la
recherche d’une extase dont l’objet est infini et la joie promise sans fin,
nous parviendrions à une forme de vie et de perception au-delà du
connu, en direction de la libération spirituelle. Le tantra yoga nomme
cette énergie kundalini ; elle constitue une réserve de forces
insoupçonnées et dormantes au sein même de notre être. Ce n’est
cependant pas une énergie physique, mais cosmique, astrale qui se
trouve assoupie dans le premier centre subtil appelé mulahadara.
Mystique, sexualité, érotisme, entretiennent une relation étroite mais qui
est très peu connue de ceux mêmes qui ont écrit sur le sujet, faute
d’une expérience réelle à cet égard. Arthur Avalon alias John Woodroff,
dans son Introduction à l’hindouisme tantrique16 , signale les effets de
cet éveil en tant qu’il donne à la fois la jouissance et le détachement.
c’est dire si cet accomplissement a toujours suscité à la fois curiosité et
méfiance du côté des chercheurs de l’ésotérisme et de la spiritualité ; un
yoga qui propose à la fois liberté et maîtrise, conférerait un statut quasi-
surhumain à celui qui y aurait accès. Il va sans dire que les religieux
officiels, pour peu qu’ils en ait entendu parler correctement, ont
immédiatement bloqué sur la symbolique serpentine et infernale qui lui
est associé. Énergie chtonienne, la kundalini est associée à Kali, ainsi
qu’ à l’âge noir que traverse l’humanité, et où elle doit nécessairement
chevaucher le tigre. En astrologie, elle correspond aux influences
transpersonnelles de Pluton et Uranus, dont les effets ne sont pas très
bien connus et encore largement discutés de nos jours. On suppose
que l’éveil de Kundalini confère des facultés supérieures, mais
personne, à part les charlatans, ne se vante d’être parvenu à ce stade.
Si une telle énergie investit un individu, c’est le métabolisme lui-même
qui s’en trouve affecté ; le corps et les sens, se mettent à fonctionner à
un autre niveau. La saveur de la vie devient extrême, une béatitude
peut-être ressentie là où les gens d’ordinaire n’éprouvent que de plates
et banales sensations, et ne font l’expérience que du spectre courant
qui est permis à des niveaux de conscience passablement endormis.
Nous entrons véritablement dans un monde occulte, réservé
certainement à des privilégiés, mais qui ont aussi consacré leur vie en
vue de cet accomplissement. Pourtant, il n’est plus rare d’en entendre
parler de nos jours sur la toile, et de nombreux articles lui sont
consacrés ; à leur lecture cependant, nous pouvons constater qui s’agit
presque toujours d’une connaissance par ouï-dire, qui ne fait pas
apparaître le caractère originale et authentique de l’expérience, tant ce
type d’écrits se recoupent les uns les autres et se répètent indéfiniment.
Cependant, il est vrai que chacun d’entre nous dans un moment
d’enthousiasme particulier, a pu ressentir tout ce que la vie pouvait
encore tenir en réserve, la troublante promesse d’une joie céleste et
sensuelle à la fois, une union mystique dans cette vie dès ici-bas. On
discute souvent à propos d’un éveil partiel ou complet de la kundalini, ce
dernier constituant une remontée intégrale, jusqu’aux centres supérieurs
du cerveau, activant au passage tous les chakras intermédiaires ; la
puissance sexuelle se sublimant en devenant consciente d’elle-même,
16 Arthur Avalon Introduction à l’hindouisme tantrique edit Trismégiste Paris 1983.
c’est à dire que la force vitale universelle s’actualise et parvient au terme
de sa destinée dans le corps humain individuel. Alors c’est la réalisation
de l’unité effective qui se trouve à la base de la manifestation, qui
transcende toutes les paires d’opposés, et établissant par là, une
nouvelle vision tout embrassante qui relativise le processus de la vie
elle-même, remettant l’homme à sa juste place. En effet, l’éveil de la
puissance latente, lui apprend jusque dans son corps, son
appartenance au processus cosmique, dont la culture cérébrale
moderne l’avait totalement isolé ; il se sait désormais solidaire d’un
destin qui le dépasse infiniment tout y prenant une part active du fait de
ce nouvel engagement. La question de son libre arbitre ne se pose plus,
car il est beaucoup plus gratifiant de comprendre que dans ce
processus supra-personnel et cosmique, il se réalise pleinement comme
individu tout en participant désormais à tout ce pourquoi l’homme est
fait : un moment conscient du devenir divin dans le jeu éternel de la
création. La magie opère en tant qu’elle correspond à l’union des entités
spirituelles et de cette incarnation qui se soulève dans cette hiérogamie.
Les connaissent le chemin, ils inspirent et soutiennent le nouvel arrivant
dont l’existence se « marginalise » par rapport à une norme étouffante
et castratrice.

Le sabbat des sorcières

Ce moment magique qui a souvent inspiré faussement l’imagination


populaire et a été traqué par l’inquisition, se réalise avant tout dans
l’astral ; il est une réunion des esprits qui ont reçu la touche de la liberté
vivante que confère l’ascension spirituelle hors de l’atmosphère
confinée du siècle. Il est la réalisation du véritable amour dans le
sacrifice de l’individualité étroite et bornée, motivée uniquement par la
volonté de se conserver. Le sabbat est la célébration festive de la vie
qui se donne, se perd, se recrée, dans la saisie intime du mystère
cosmique de la vie et de la mort dans l’unité ineffable.La sorcière est
une gnostique née ; elle comprend le sens de la vie, car elle n’est pas
encombrée par des conceptions limitantes et mortifères, dont l’origine
peut-être retracée dans le culte patriarcal de la religion domestique 17. La
sorcière trace son chemin en solitaire, ce qui pour une femme, qui plus
est, constitue un véritable défi. Elle est très en avance sur son temps
parce qu’elle est intemporelle et vit une vie pleine au sein monde d’un
sanctuaire naturel et cosmique. Nombreux sont ceux qui font appel à
elle, notamment en ce qui concerne le fait de faire face à la maladie ;
17 Voir à ce titre La cité antique de Fustel de Coulanges.
nous ne pouvons dire si ces méthodes sont toujours vraiment efficaces,
mais elle soutient vraiment spirituellement les gens de peu qui sont
délaissés par les instances officielles. Sa spiritualité est vécue et non
feinte ou empreinte de dogmes desséchés ; elle a souvent bénéficié
d’une enseignement secret qu’elle pourra transmettre à son tour. Ce
dernier se compose des anciens cultes païens, dont le principal est
d’essence dionysiaque ; pratique de l’extase où la frénésie, le rêve,
l’ivresse, la liberté sexuelle nous apprennent tout ce que la vie peut
nous offrir. Confiance illimitée et abandon dans les bras de la mère
divine, cette voûte étoilée qui nous accueille sans compter ; le diable est
ce dieu cornu de la chasse qui opère comme braconnier pendant la
saison froide et qui est l’amant idéal. Mais surtout, la sorcière, s’étant
affranchie du mode humain, converse avec les esprits qui deviennent sa
chair. Elle est la vie à l’état brut, par delà le bien et le mal, une
conscience innocente et forte qui ne s’apitoie plus mais qui agit à
propos selon tous les moyens dont elle dispose. Elle côtoie la mort bien
souvent, elle en fait son alliée ; elle ne sait si elle sera sauvée de ce
destin funeste qu’est l’incarnation, mais elle songe parfois à son retour
comme reine des maudits, dans un château hanté, où son titre de
noblesse lui conférera une position dominante qu’elle aura bien méritée.
Mais la sorcière peut aussi verser dans le mal et se complaire dans la
force qu’elle sait dégagée ; alors son ombre peut s’étendre
malheureusement autour d’elle et causer l’infortune. Elle peut se
corrompre et perdre sa sagesse innée, se mettre aux services de
mauvaises causes pour gagner de l’argent, influencer de façon funeste
les relations amoureuses ou l’état de santé des gens qui l’entourent.
Elle peut se croire maître de son destin alors que des agents pernicieux
pèsent sur elle. Il vaut mieux cependant qu’elle ne regrette rien, car son
sort serait terrible si elle en venait à abandonner tout à fait l’usage de
son pouvoir. Elle qui n’était rien, socialement une proscrite due à ses
dons, à sa sensibilité, à son intelligence raffinée, elle ne peut plus faire
marche arrière en direction d’un bien qui ne lui sera jamais reconnu. Elle
n’a tout simplement pas vocation au martyr et refuse de se soumettre à
cet ordre patriarcal qui la nie jusque dans ses profondeurs. Quand elle
brûlera dans les flammes, elle prendra son envol hors de ce monde
sinistre et saura vivre de nouvelles aventures plus éthérées ; son savoir
est éternel car il fait corps avec le mystère de la vie dans toute sa
complexité et son ambiguïté. Rien n’est épargné à ceux qui éveillent en
eux un sixième sens et qui perçoivent, sentent et pensent au-delà de ce
qui est permis. L’amitié est difficile dans ce contexte ; la sorcière
soutient les gens qui viennent à elle, car elle connaît beaucoup sur les
difficultés de l’existence et parce qu’elle s’est familiarisée avec la mort.
Est-il possible qu’elle s’entretienne avec les défunts?Sans doute son
regard semble tourné vers l’au-delà et sait quantité des choses les
détails de la vie de chacun. Nous aimons à conserver le lien avec ceux
qui sont disparus et qui nous manquent et la sorcière donne satisfaction.
Saül a fait une entorse à sa foi en consultant celle d’Endor et les
hommes politiques préfèrent presque toujours les voyants aux coach
modernes. Il est à remarquer que personne n’est vraiment indifférent à
l’occulte ; les hommes sentent que des facultés spéciales sont
nécessaires pour comprendre le mystère de l’existence. Il y a un lien
secret entre les choses, nous le devinons lorsque des événements
s’attardent pour nous faire signe vers la transcendance du destin, vers
le maître du temps, qui fait naître, conserve et détruit tout ce qui a
jamais paru. La sorcière est amie de la Lune, de la nuit, de l’image
reflétée dans un miroir ; la lumière est aveuglante en plein midi.

La voie solaire

L’obscurité nocturne est comme la face cachée du monde, où


la nature fluidique reprend le dessus sur les formes plus denses
perçues à la lumière du jour. l’homme apprécie le retour de la vie au
printemps et vénère les rayons du Soleil. Nous nous sommes aperçus,
un beau jour, que l’idée métaphysique de l’émanation, correspondait
tout à fait à la réalité physique, où le Soleil a tiré de lui-même tout le
système qui gravite autour de lui. Regarder le Soleil, en particulier à son
lever, est une expérience inoubliable ; la source de la vie sur Terre fait
son apparition et un espoir infini nous remplit d’allégresse. Se relier à ce
phénomène est vraiment quelque chose qui remplit notre journée d’un
sens d’éveil, de grandeur, de mystère et de plénitude ; nous
abandonnons l’étroitesse de vues qui règne dans l’ambiance ordinaire,
pour nous placer sous les auspices du régent de notre monde, cet astre
qui se consume et nous sustente en permanence. Derrière l’apparence
physique, nous devinons l’intention créatrice et l’impulsion glorieuse
qu’elle imprime en nous, quand nous nous exposons à ces rayons et
que notre vie s’en trouve rechargée. l’activité solaire nous renseigne sur
le « sacrifice divin », et la vie des Avatars semble marquée du sceau
d’Hélios. Se connecter au Soleil est vraiment une expérience initiatique
qui change le cours de notre existence ; le corps énergétique s’active et
la maladie nous fuit. Une force et une dimension héroïque pénètre notre
être ; il est l’élément feu par excellence, celui qui fait gravement défaut
dans la vie moderne et qui s’exprime comme une négation du Logos et
du principe créateur. La tentative aberrante de modification du
calendrier n’a pu détrôner la place incontournable de la puissance
souveraine. Tant de choses pourraient s’améliorer si l’homme retrouver
son amitié avec le Soleil. Face à la complexité et au secret qui entourent
le culte Égyptien d’alors, Akhénaton propose une dévotion unique
envers le disque radiant et une mystique directe, fondée sur la source
de la toute-puissance omniprésente, une sorte d’ancêtre du soufisme.

La santissima muerte

Il existe une poésie de l’Inde qui dit ceci ; « si ta vie durant tu


chéris la mort dans ton cœur, la mort te donneras la vie éternelle ». La
mort est notre destination obligée ainsi que notre origine ; tout se résout
dans la mort et le non-manifesté est la partie la plus importante de
l’univers. Nos sens pourtant nous disent le contraire, nous jugeons notre
habitat selon la façade car nous n’avons que peu l’occasion de pénétrer
à l’intérieur. Pourtant, c’est bien là que nous devrions vivre mais les
conditions de vie actuelles nous ont volé les clés et nous sommes
comme des étrangers à nous-mêmes, gênés par notre vie intérieure,
nous batifolons à la périphérie de l’essentiel, forts de nos petits succès
éphémères. La pensée de la mort nous effraie car nous sommes mal
renseignés ; nous pensons que notre conscience va s’éteindre et qu’il
en sera finit pour toujours ; ainsi nous sommes tristes de voir à quel
point notre passage est limité. Cependant, le culte de la mort est encore
présent dans certaines aires culturelles du monde, notamment en
Amérique du Sud où la figure de l’ange exterminateur est honoré de
bien des façons. La mort ne fait pas d’exception ; tout le monde est
accepté par elle et ainsi en est-il de son culte. Toutefois, il est clair que
ce sont les réprouvés, les bannis et les exclus qui ressentent une
attirance particulière vis à vis d’elle, car ce sont eux qui connaissent ces
morsures et ont souvent été très tôt initiés à sa présence de par les
décès qui jalonnent le cours de certaines existences plus difficiles. Il
s’agissait au départ d’une dévotion secrète, qui ne s’affichait pas car
l’Église ne reconnaît pas cette figure de la sainteté ; aujourd’hui encore,
cela concerne des gens qui éprouvent une penchant pour la magie, qui
ont le sentiment que l’ange de la mort s’est révélé à eux d’une façon
personnelle et toute particulière. Un sentiment d’élection peut voir le jour
dans le cœur de l’offrant ; cette souffrance n’est pas vaine mais elle
augure au contraire l’accès à une profondeur particulière, une lucidité
salvatrice qui s’accompagne d’un lâcher-prise, d’un sentiment de perte
de sa propre importance qui confère une nouvelle dignité. Il faudrait
faire une étude astrologique sur le cas des authentiques dévots de la
Ninâ ; on y verrait certainement poindre la présence de Pluton, celles de
la maison VIII et le signe du Scorpion. La santa muerte rétablit la justice
dans la vie de ceux qui la prient ; il ne s’agit pas de vengeance ou de
maléfice, mais les offenseurs seront châtiés tôt ou tard, on en est
convaincu, et qui plus est, les témoignages abondent en ce sens. Il ne
faudrait pas oublier, que malgré l’interdit de l’Église elle-même, ce n’est
pas un hasard si elle s’est intégrée au culte catholique et non
satanique ; elle défend l’adultère et le vol et elle protège les biens de
ces fidèles. Il est vrai cependant qu’elle constitue une forme de magie
défensive et qu’elle contraste avec l’attitude passive moyenne des
croyants. La santissima muerte est bien trop crainte pour être
approchée par des gens qui appartiennent à la mentalité commune, les
optimistes qui pensent encore que le séjour terrestre ne leur réserve
que des bonnes surprises ; il faut être revenu de beaucoup de choses
pour comprendre le sens de sa présence et de son action, et cela en
définitive, ne s’explique pas mais se vit et se partage quelquefois, mais
c’est plutôt rare d’être disert à son propos. Nous avons pu constater
effectivement, tout le sentiment de protection que peut accorder la
dévotion à la sainte, cette force silencieuse indépassable qui se dégage
d’elle. Les soucis sont oubliés en présence de la mort, le mental plonge
en ses propres profondeurs sans regrets pour les erreurs du passé.
Ceux qui recherchent l’action magique pure, doivent savoir que celle-ci
ne peut être atteinte que par une transcendance de la psyché et l’éveil
du corps de lumière, la partie spirituelle de notre être qui habituellement
se trouve occulté par l’ego souffrant et l’étroitesse de notre champ de
conscience. Tous les exercices enseignés ça et là pour le
développement personnel, ne sont que des « amuses-gueules » et
seule l’émotion vraie nous transporte au sabbat de l’esprit ; un temps
vient où plus rien ne compte que l’essentiel, où nous entrons dans la
« taverne de la ruine » selon l’expression soufie, et nous mourrons
avant le trépas. Rien n’est véritablement appris du dehors sur le chemin
de l’initiation, et tout vient à propos et en son temps, en dépit de tout ce
que peuvent vous raconter les vendeurs de babioles. Le périple
initiatique n’est chose aisée que tout un chacun pourrait aborder ; les
organisations prônant un développement de l’humanité en s’appuyant
sur la bonne volonté mondiale, constituent un leurre bien moderne pour
l’homme déconnecté des forces naturelles et des puissances spirituelles
aurorales. Le chemin s’ouvre par une vue directe et sans concession de
notre condition ; cela s’oppose aux illusions narcissiques, et pour ce
faire, le contact intime avec la mort salvatrice est une étape essentielle.
L’homme doit se défaire de cette fausse opinion qu’il a de lui-même ; il
se croit seul important dans ce monde dont il ignore désormais toute la
teneur spirituelle et le rôle des autres règnes de l’existence, tant les
animaux que les êtres subtils qui forment une longue chaîne. Les
individus appelés à l’initiation se sentent bien seuls eu égard au monde
artificiel fabriqué par ses contemporains et passent des moments
difficiles, mais il n’est rien qui puisse les entraver car leur mission est
tracé depuis le commencement. Le gnostique prie la santa muerte de lui
accorder sa protection et cela commence par un savoir sur l’au-delà et
la certitude qui en découle. L’insignifiance de la vie moderne le conduit à
toujours parfaire sa connaissance de l’histoire, de la philosophie, de la
médecine naturelle et cette culture agit comme une grâce le prévenant
contre le risque des se sous-estimer et d’évaluer avec précision le
temps et les lieux des hommes. Il sait qu’il ne fait plus vraiment partie de
ce monde ; à la croisée des chemins, il pourra intercéder à la faveur de
ceux qui lui accorderont intérêt et respect bien qu’il soit au-delà de ces
considérations. La santa muerte fait justice et désormais il ne craint plus
rien ; il marche dignement vers son but, rachetant le passé par le regard
de la foi qui ressuscite. En fréquentant les cimetières, il s’aperçoit que
ce sont les peuples au destin difficile qui honorent encore les morts ; les
arméniens, les gitans, les musulmans, les vieilles familles, tous les gens
qui conservent un sens quelque peu profond de l’existence.

Le dieu inconnu

Cette existence se révèle être bien surprenante ; rien n’y est


donné gratuitement et tout nous force, au contraire, à se battre pour
exister. Cette vue simple et évidente laisserait penser que la mystique
ne serait qu’une fuite hors du champ de bataille. Et pourtant, il s’agit là
aussi de conquérir une paix au-delà de tout entendement, une attitude
spirituelle que seul un courage immense permet d’entrevoir. Nous le
répétons à souhait, le dieu des religions offre un programme qui n’est
que le prolongement de l’institution patriarcale et ne permet que très
peu d’espace de recherche et de liberté. Le gnostique fait référence à
un dieu qui se tient au dessus et au-delà de cette conception limitante,
une essence inconnaissable qui n’est pas en lien direct avec le monde.
Cela est connu dans le monde du Vaudou, pour lequel, seuls les dieux
et esprits intermédiaires peuvent intervenir dans nos vies. Ces forces
occupent des rangs divers mais peuvent se reconnaître par l’effet
qu’elles produisent sur les phénomènes naturels, alors que le dieu
inconnu ne semble pas vouloir y participer. Pourtant, les hérétiques de
tous bords, ont poussé la mystique jusqu’à l’inversion diabolique dans le
but de percevoir quelque chose de l’a-causal, de ce qui se tient par delà
l’évident, l’habituel, le surfait et l’ennuyeux. L’appel du dieu caché peut
portant faire irruption dans la vie d’un individu qui semble marqué par
une destinée singulière. Les signes de la présence d’un esprit peuvent
se manifester de façon humoristique, comme ce matin mon café s’est
transformé en chocolat chaud. Ainsi le souffle de la présence lointaine
nous amène vers des terres inconnues et notre avancement se mesure
en proportion aux risques que nous sommes prêts à prendre en faveur
de cette aventure spirituelle ; ce peut être de nouvelles rencontres ou
des écrits particulièrement inhabituels et qui peuvent être dérangeants.
Mais notre joie est grande en dépit des difficultés qui jalonnent ce
parcours d’éveil et de grâce. Les périodes d’isolement sont fréquentes ;
elles favorisent l’attention à ce qui est, car la vie constamment entourée
devient aveuglante, mécanique et inconsciente. Il faut maintenir cet état
de prière constante qui est une tension, une aspiration vers le non-dit, et
l’expression de l’amour qui nous habite depuis l’origine. Puissions-nous
retrouver ce temps d’avant l’orgueil du civilisé, qui impose sa
cartographie mentale, pauvre et limitante sur le mystère abyssale de
l’univers et de la vie. La nuit est ce moment privilégié où se dévoilent
nos profondeurs occultées, où les esprits s’approchent, curieux de la
présence d’un individu qui se réveille et qui se montre prêt à considérer
les choses autrement. Baignés par le silence lumineux des étoiles, nous
vibrons au diapason de la dimension du possible, émus parfois jusqu’au
larmes.

Le souffle du Dragon

L’éternité est toujours déjà présente et il n’y a même qu’elle ;


les anciennes civilisations mésopotamiennes, égyptiennes, chinoises,
nous ont offert, dans leurs archives, de nombreuses représentations du
dragon, cet animal mythique dont on devine la double appartenance à la
fois céleste et tellurique. C’est le serpent Ourobouros des gnostiques et
des alchimistes, un symbole de l’infini dynamique et qui se replie sur lui-
même, affirmant par là le caractère cyclique du temps, comme au final,
son immobilité. Vision panthéiste, où l’esprit ne se réalise pas sans la
matière, et où la matière reste inanimée sans l’esprit. Le devenir divin
est inscrit au cœur des choses, comme un programme encodé destiné à
se dévoiler progressivement, puis accédant à une révélation subite de
lui-même, parfois dans une explosion soudaine qui emporte
définitivement l’homme au-delà de lui-même. Cette expérience doit se
stabiliser, devenir l’habitus essentiel de notre existence, et reléguer à
l’arrière plan, tous les « sous programmes » perturbateurs qui pourraient
entraver notre devenir divin. Nous voyons souvent apparaître cette
figure du dragon dans les arts martiaux d’extrême-orient ; il évoque tant
la force universelle que les temps mythiques anciens, où la vie de
l’homme est encore empreinte de magie et d’un sens aiguë
d’appartenance à la nature parcourue par les forces spirituelles qui lui
ont donné naissance et qui la soutiennent constamment. Les courants
telluriques partent du Pamir, où ils prennent naissance dans le centre
énergétique de la planète, pour se répandre dans le monde en tissant
une toile nourrissante et protectrice. La sensibilité humaine des premiers
hommes leur a permis de pouvoir localiser les points d’émergence de
cette force et ainsi d’établir, à ces endroits, des lieux de culte célébrant
la terre-mère ; ces zones particulières, loin de les confiner dans une
vision horizontale, constitués autant de portails vers le ciel, et
permettant d’établir des correspondances. L’homme baignait dans un
flux énergétique constant, et sa vie oscillait entre le temps du rêve et
les tâches plus concrètes nécessaires à sa survie matérielle. Ces temps
bénis se retrouvent encore en partie chez les peuples premiers et
pourraient bien revenir, dans un futur pas si lointain. Les enfants qui ont
encore la chance de grandir dans un milieu naturel, retrouvent
joyeusement cet aspect essentiel de la vie humaine. Dans Chinatown,
dans le monde entier, on célèbre encore la venue du nouvel-an par la
danse du dragon. l’occident médiéval, garde ses portes, grâce à la
présence d’un ordre de chevalerie dit du Dragon, et l’on sait que son
cercle intérieur est dédié à la magie ; on suppose la présence
d’immortels en son sein : Dracula et Herman Cilej notamment. Cet
animal mythique se retrouve sur de nombreuse armoiries ; il symbolise
toujours le pouvoir suprême, mais comme tout symbole, il révèle
derrière un voile et le mystère reste la seule réponse vraiment
acceptable. L’homme est cet enfant qui s’éveille à cet univers beau et
monstrueux ; il tend les mains vers le ciel, convoquant dans son trouble,
des forces plus éthérées dans l’espoir d’en savoir davantage.

La langue des oiseaux

Lorsque l’on consulte les fameux événements spirites relatés par


Victor Hugo, on constate le langage direct et économique, faits de
formules frappantes et incisives ; une certaine assurance y transparaît
qui relève bien d’une autre dimension. D’habitude la critique prend des
gants, on y cherche ses mots par des approches prudentes. Ici, tout au
contraire à la question posée : « Cervantès savait ce qu’il faisait,
réponse ; « Cervantès savait ce qu’il faisait, dieu sait ce qu’il fait. On
n’est pas créateur par hasard. Le génie n’est pas le lanquenest ».
Certitudes d’esprits passés de l’autre côté, qui contemple ce monde
avec un tel recul, que les vues énoncées peuvent semblaient dures et
dérangeantes. La compassion n’y est pas cette complaisance
sentimentale qui est l’expression de notre lien fraternel habituel. Musset
s’y voit qualifié de « caniche des salons », Shakespeare de « plongeur
de l’âme ». Le comique des esprits ne cesse d’être incongrue, bien
surprenant pour une humanité des vivants qui se prend tant au sérieux ;
« ô homme, pense aux latrines d’où tu viens et à la tombe où tu vas »,
est-il dit un peu plus loin..Ici, l’esprit qui personnifie la « Critique »fait
des révélations « synthétiques » sur les grands auteurs en étant capable
d’en saisir l’essence comme nulle autre pareille ; « l’âme humaine avant
Shakespeare était une mer insondée. Eschyle avait eu tout de la mer, la
tempête, le vent, l’écume, le roc, le ciel, tout excepté la perle ;
Shakespeare a plongé et il a rapporté l’amour ». Nous apprenons que
l’essentiel de l’intrigue de ce drame humain qui nous est familier, n’avait
pas eu avant son grand spécialiste, celui qui nous révèle les ressorts
cachés de notre véritable motivation ici-bas. Balzac y est dépeint
comme celui qui apporte la précision du détail ; il devient un microscope
vivant ; « Balzac été l’huissier qui fait l’inventaire du désespoir ». La
communication spirite est originale et drôle ; l’homme est mis à nu par
autre chose que ses semblables. Les Dialogues avec l’ange de Gitta
Malasz sont pleins également de formules lapidaires et autoritaires qui
poussent l’homme à une transformation radicale ; l’expression
« brûle ! » revient souvent pour indiquer que l’énergie passionnelle est le
carburant véritable pour une existence authentique. Cela contraste avec
toute une tradition de la sagesse classique invitant à la tempérance et
se méfiant du caractère emporté. Nietzsche a toujours voulu montrer
que notre sagesse trop humaine pouvait être une voie de garage et en
rend la philosophie responsable ; en revanche l’artiste sait se dépasser
en vibrant pour plus haut que la petite sagesse effrayée face aux grands
sentiments. Dans les écrits en provenance de l’au-delà, on peut
remarquer cette force, cette lucidité supérieure indiquant le caractère
supra-humain de la vie posthume. Les mages, prophètes, voyants, ont
en commun cette part de folie qui inquiète les hommes dans leurs
visées conservatrices. La spiritualité est avant tout ouverture à l’inconnu
alors qu’elle est le plus souvent trop vécue comme un chemin tout tracé
qu’il convient de se contenter de suivre en accordant une confiance
aveugle envers les supposés maîtres de la voie que l’on croit sur
parole ; « Marche sur ton propre chemin, tout le reste est égarement »
dit aussi l’ange à Gitta. Cela implique un abandon véritable qui n’a rien à
voir avec le fait de se sécuriser en empruntant les pas d’autres
hommes ; l’inspiration est insécurité, nous acceptons de ne pas savoir et
nous sommes conduits tôt ou tard à expérimenter des folies pour les
hommes restés dans l’ornière que constitue le courant nourri de la
pensée convenable. L’aventure spirituelle est un saut dans l’inconnu qui
bouleverse jusqu’en ses fondements la construction personnelle. La
« langue des oiseaux » est une expression qui vient de l’hermétisme,
pour désigner le langage symbolique propre à l’énonciation des choses
de l’esprit. Lorsque l’on commence à sentir l’incursion du monde
spirituel dans sa vie, les mots commencent à manquer ; le vocabulaire
habituel semble plutôt fade et impuissant à relater ce qui se passe dans
la vie intérieure gonflée par un apport de sens et d’énergie, mais trop
rapide, incisif, pour que nous puissions en parler facilement même à des
oreilles attentives. Comme dans le cas d’artistes réellement inspirés, la
recherche de matériaux propres à façonner l’œuvre, devient partie
intégrante de la recherche elle-même. Pierre soulages disait ne pas
savoir où il allait ; ces noirs réfléchissants se découvrent et constituent
une surprise tant pour l’auteur que pour le public, qui dans son
étonnement même, devient acteur d’un travail dont la source se dérobe,
inconnue, intarissable, ouvrant une porte sur une dimension autre. La
voix de l’esprit chante une énergie créatrice qui nous porte depuis
toujours et qui n’attend que les occasions de se révéler chaque fois
différemment, faisant de cette existence une fête perpétuelle. Le mage
opère, lui aussi, sur cette âme du monde, mais à la différence de
l’artiste, il reproduit des rituels très anciens pour obtenir du nouveau, il
accompagne le verbe dans sa manifestation en devenant tout à fait
transparent, tout en se constituant comme un point de force
inébranlable. La parole, nous le savons, est le vecteur principal de nos
échanges, mais quand il s’agit d’exprimer la réalité de l’esprit, elle se
trouve dans une position secondaire, car l’infini ne se laisse pas modeler
par les mots de l’homme habituel. La poésie est tant appréciée pour
cela ; elle constitue une expérimentation de la langue au-delà des
possibilités communes et pointe vers un monde intérieur dont la
substance révèle un homme traversé par des forces qu’il pressent
seulement mais dont il n’est pas le maître. Les anciens grimoires
regorgent de sceaux au graphisme étrange, qui sont comme des
signatures de l’au-delà. John Dee, l’astrologue et mage de la cour
élisabéthaine, a travaillé à l ‘élaboration d’un langage angélique appelé
énochien, dont on peut constater aujourd’hui le regain d’intérêt dans la
communauté « magique ». Les Roms sont supposés aussi bénéficier
d’un idiome ancestral qui leur accorderait la faveur des enchantements.
L’homme a besoin de points d’appui, de signes qui deviennent des
capteurs d’une réalité éthérée, qui bien qu’abstraite, veut et peut se faire
connaître à nous, et dont nous cherchons parfois avidement le contact.
Carl Gustav Jung a révélé qu’une composante d’ordre spirituelle était
présente dans l’inconscient, et que celui-ci n’est pas seulement façonné
par une réalité sexuelle et affective limitante et tyrannique. Les
symboles religieux sont présents en nous de manière immémoriale et
universelle ; l’âme attentive à ce langage subtil, parvient à des
profondeurs insoupçonnées. Le phénomène de la synchronicité ou
coïncidence significative, est quelque chose d’admis à nouveau comme
possible, après avoir été relégué au rang des basses superstitions.
Nous avons tous vécus, à un moment ou un autre, l’irruption
d’événements « objectifs », qui semblent être comme le reflet de notre
réalité intérieure ; lors d’un cours de philosophie donné par mes soins
où j’abordais la question de la destinée, un énorme corbeau est venu se
poser sur la fenêtre de la classe, effrayant même certains élèves,
surpris au plus haut point.

Les signes de l’espace.

Puisque nous venons d’évoquer la mémoire de Jung,


celui-ci a considéré les témoignages du phénomène ovni, comme une
manifestation de l’inconscient religieux, lié à un âge où la possibilité de
l’exploration spatiale devient peu à peu une réalité. Depuis cette époque
assez récente, le phénomène a largement évolué au pont que certains
attendent une révélation imminente à ce propos ; les gouvernements en
sauraient plus que ce qu’ils n’ont affirmé jusqu’alors, en particulier les
américains et les russes. Jung, avec la plus grande honnêteté, révèle
cependant dans une lettre au physicien Pauli, que ce serait plus simple
si le phénomène ne laissait pas, au passage, des traces objectives. La
crise que traverse la modernité se caractérise par un divorce d’avec le
monde spirituel, ce qui justifie d’autant une attente messianique
annonciatrice d’une ère nouvelle :
« L’homme en tant qu’individu et les communautés culturelles d’aujourd’hui
se trouvent confrontés à une menace analogue d’embrigadement dans la
masse. C’est pourquoi la possibilité et l’espérance d’une réapparition du
Christ est déjà discutée en beaucoup de lieux, et nous avons même vu
naître une rumeur visionnaire qui exprime une attente de salut. Certes, cette
attente surgit aujourd’hui sous une forme qui n’est pas comparable à aucune
de celles du passé, et elle constitue un rejeton caractéristique du « siècle
technique ». Il s’agit du phénomène universel dessoucoupes volantes. »18
A ces propos, il semblerait que la conspiration pour un nouvel-âge, trouve un
fondement et une justification certaine, afin d’éviter que l’humanité ne sombre

18 CG Jung Un Mythe moderne


dans le nihilisme et conserve un réel espoir. A la lumière de la psychologie
des profondeurs, nous pouvons mieux comprendre comment certains ont pu
annoncer l’existence d’un projet, « Blue Beam », dès les années 1980,
prévoyant au plus haut niveau, la fabrication d’une religion mondiale, capable
de réconcilier les hommes avec leur temps, mais au prix d’une vaste
supercherie et d’une manipulation globale des consciences à une échelle
jamais atteinte jusqu’ici. L’avenir inquiète les hommes et à juste titre. Il existe
un lien bien visible, entre la mise au point et les premiers lancements de la
bombe atomique, et la manifestation des soucoupes volantes. Le crash de
Roswell s’est produit non loin de Trinity site et
de Alamogordo, exactement là où la bombe fera l’objet de son premier essai
et non loin de l’endroit où elle a été produite ; il existe des témoins sérieux qui
ont vu, tant au dessus de Tchernobyl que de Fukushima, des
« cigares volants ». Qui exerce cette surveillance eu égard à notre activité
atomique et ses dangers ? Une organisation secrète issue de l’armée
américaine ou des observateurs de l’espace ? Toujours est-il que ceux qui
sont concernés de près par le phénomène ovni, semble recevoir comme une
initiation, une impulsion lointaine réveillant des profondeurs endormis, comme
si les sujets se souvenaient de quelque chose d’enfouie, une personnalité
mystique que l’on a renié au moment de l’entrée dans la vie adulte. Le plus
souvent, les amateurs de l’ufologie s’intéressent également à d’autres
aspects du monde occulte ; on y rencontre un type de personnalité ouverte,
modeste, curieuse et studieuse, mais appartenant rarement au monde
universitaire. Il existe chez eux une volonté de cultiver le don psychique qui
les amène naturellement à limiter la vie sociale dévoreuse de temps et
d’énergie. Il semblerait que le « contact » spatial, soit une forme de rite
initiatique qui marque les consciences, et qui les introduisent à la recherche
spirituelle. Cette intrusion du cosmique peut se produire tôt dans l’enfance et
dans ce cas-là, il faut s’attendre à rencontrer un individu singulier, très en
avance sur les autres sur le plan du développement de la conscience, mais il
se peut qu’il ne soit pas reconnu de son vivant, tout en laissant un souvenir
impérissable à ceux qu’il a rencontrés un peu plus longuement au cours de
cette vie. Se pourrait-il qu’une nouvelle révélation en provenance des confins
de l’espace survienne au cours de ce siècle en résonance avec notre
nouvelle conception de l’univers qui nous est fournie par l’astrophysique ?
Cela se pourrait bien et ne serait pas tant une surprise que ça, puisque nos
ancêtres semblaient avoir des affinités particulières avec la vie cosmique, où
sa réalité constituait une donnée évidente et incontournable.
L’Égypte des pyramides

Il est dit que l’Égypte était une image du Ciel sur la Terre, définition du
modèle hermétique, en somme l’expression de ce fameux âge d’or dont parle
les traditions. Mais il est dit aussi que les dieux quitteront cette terre bénie et
que cet âge harmonieux connaîtrait une fin. l’archéologie classique, en
particulier celle de ses derniers temps, strictement matérialiste et
expérimentale n’a pas vue l’enseignement spirituel diffusée par les temples et
les pyramides de la terre du Nil. Nous devons au couple Schwaller de
Lubicsz, un formidable travail de reconstitution de la philosophie antique
égyptienne dans son aspect initiatique ; les hiéroglyphes sont des formules
pour la conscience, permettant une dévoilement progressif du sens du
voyage de l’âme en quête du sens de l’existence et de son rapport au
cosmos et aux dieux. Si la mystique hindou agit par « confondement » plus
direct avec l’absolu, le texte hiéroglyphique permet une assimilation par
degrés des différentes fonctions universelles, véritable philosophie vivante
détenant la clé du développement humain qui lui dévoile sa genèse, une
évolution de la conscience et non celle des corps décrite par Darwin, qui
réduit l’homme à sa faculté d’adaptation, et qui partant, fait de l’intelligence
humaine un instrument purement pratique. Nous avons désormais la chance
aussi, de pouvoir disposer du travail de Robert Bauval, qui révèle l’aspect
céleste de l’enseignement égyptien, en particulier le rôle cosmique des
pyramides dans son rapport à la mythologie de cette nation antique et divine.
L’orientation si précise et singulière des pyramides nous indiquent des liens
étroits avec les constellations, en particulier Orion et la Grande ourse et
Sirius ; ces monuments sont des étoiles sur la Terre. Le code Mystérieux des
pyramides19 de l’auteur précédemment cité, signale le regard du pharaon
Djéser, qui depuis sa « tombe », se lance en direction exacte de la Grande
Ourse. Tout se fait selon la Mâat, l’ordre cosmique, que l’Égypte toute entière
tente de respecter et de reproduire. Nous avons également que la grande
pyramide de Khéops, contient dans son architecture, de nombreuses
mesures exactes, comme la distance Terre-Soleil, la circonférence de la
Terre, toutes des dérivées obtenues à partir du nombre pi et du nombre d’or,
eux- mêmes rendus possibles grâce à la fameuse coudée égyptienne. Si ses
19 Robert Bauval Le code mystérieux des pyramides Pygmalion 1994 .
résultats sont impressionnants en eux-mêmes, comme dans le cas des
Grecs, ce n’est pas une ambition technicienne qui a motivé cela, mais bien
cosmique et spirituelle. L’Égypte est en quête de l’éternité de l’âme comme
son Livre des morts en atteste particulièrement bien. Si la pesée de l’âme
vérifie son intégrité et sa pureté, cette entité devient aussi intemporelle qu’elle
est légère ; en revanche, sur Terre, l’éternité sa manifeste par un temps
cyclique « obstiné ». L’étoile Sirius, joue un rôle particulier ; d’après l’ouvrage
déjà cité, en 2781 av-jc, le lever héliaque de l’étoile correspond exactement
au solstice d’été, et indique également, le début de la crue du Nil. La période
précédente, est celle de l’invisibilité dans la mort, la Douât, où l’astre ainsi
que le souverain, subissent la transformation et la régénération. Les conduits
mystérieux à l’intérieur de la pyramide, ceux qui partent des chambres du roi
et de la reine, indiquent respectivement, Orion et Sirius. Il n’y a pas lieu de
rendre, dans le détail, ce que les études précédemment citées font
abondamment. Nous indiquons simplement que notre civilisation témoigne à
l’inverse d’une rupture d’avec l’ordre cosmique, ce qui en termes religieux, a
été signifié sous l’appellation de la chute.

Le composé tripartite

Paul en parle dans ses épîtres : l’homme est corps, âme et


esprit. D’après ce que nous avons dit jusque là, le corps serait cet instrument
nous servant à expérimenter la vie sur Terre d’une façon concrète, jouant le
rôle d’une « interface », capable de nous mettre en lien avec ce champ
vibratoire d’une densité et d’une qualité particulière, tandis que l’âme,
enregistrerait cette expérience en son sein, la recueillant et la transformant
afin de la faire sienne, et de poursuivre son chemin vers la libération. Le
terme d’âme renvoie inévitablement à l’aspect émotionnel et sensible, l’artiste
dans la maison, qui connaît la vie et son sens lorsqu’elle n’est pas égarée par
toute sortes d’information erronées. l’esprit, c’est la partie purement
intellectuelle, reflet du feu créateur, celui qui doit guider l’âme dans son
cheminement, comme ce prince salvateur qui vainc les obstacles sur le
chemin du salut. Comme nous l’avions mentionné plus haut dans cet essai, la
quête éperdue de l’âme pour faire retour vers son lieu d’origine, se fait
conjointement au travail intellectuel de l’esprit, qui possède les capacités de
fournir la vision juste et les données essentielles pour la « navigation ». On
ne peut cependant schématiser à l’excès ce parcours initiatique, car c’est
bien chaque âme qui connaît ce dont elle a besoin pour résoudre son
« problème ». En ce sens, les informations fournies par les diverses religions
constituent des simplifications, qui exercent leurs actions sur des
consciences collectives qui n’ont pas encore entrepris le chemin de
l’individuation, agissant encore comme des groupes d’âmes. La conscience
ancienne et évoluée d’un individu qui ressent un appel vraiment spirituel, se
distingue de la masse car ses préoccupations deviennent plus exigeantes. Le
Dharma hindou l’a compris, le sannaysa correspond à une sortie hors-caste,
une décision d’évoluer au-delà de la loi générale, laquelle fonctionne pour la
conservation du groupe mais pas davantage. Ce chemin hors des sentiers
battus, n’est pas compris et reconnu dans le monde moderne et sa vision
matérialiste ; cela ne peut qu’aboutir au rejet des artistes maudits, des
sensitifs, des penseurs autonomes, de tous ceux qui se sentent
profondément différents et qui ne sont pas ce qu’ils sont juste par caprice ou
faiblesse, loin s’en faut, mais qu détiennent les clés de l’évolution de
l’homme. La majorité imbécile triomphe toujours dans ce monde aveugle, et
des persécutions sans nombre le confirme. Dans l’antiquité lointaine de la
Grèce et de Rome, on s’adressait à une divinité familiale en premier, avant
d’avoir recours à un concept plus étendu du divin ; là encore, c’est la tradition
de l’Inde qui est la plus précise, en élaborant l’idée d’une divinité personnelle,
ishtadevata, et que les astrologues peuvent connaître et rendre accessible
selon la logique sidérale. La société antique est d’essence religieuse et cela
se vit quotidiennement par la présence d’un culte pratique. Seuls les
philosophes, plus tardifs, sont parvenus à une conception plus abstraite de la
spiritualité mais les gens ordinaires se sont sentis reliés au divin par la
présence de rites appartenant à une tradition immémoriale. Le conformisme
est la norme naturelle et jugée excellente ; l’homme étant mû essentiellement
par un instinct de conservation. Ainsi, il a toujours existé une tension entre les
religions établies et des individus qui approfondissent pour leur compte
l’étincelle spirituelle déposée en eux. Cette forme d’individualisme ne peut
pas pour autant être taxée d’égocentrisme ; elle est le résultat de la jonction
de l’âme, de son passé immémorial, avec l’infini de la vie éternelle toujours
en acte. Alchimie de l’être et du devenir, l’expression individuelle de la
spiritualité est un art de la transformation des éléments inconscients, d’un
ego parvenu à la conscience de soi en se hissant hors de l’océan des forces
primordiales ; naissance à soi dans la maison de l’éternel, nativité reconnue
par les sages venus lui rendre hommage. Il est des hommes et des femmes
indomptables, qui se lèvent parmi leurs contemporains et qui affichent une
pensée originale parce qu’elle puise dans les sources profondes et célestes
de Cela qui est à jamais. l’Inde les a nommés les voyants, les rishis.

Les Upanishads

L’Upanishad appelée goutte de nectar de l’immortalité, comporte ses


versets : « la plus haute vérité est : il n’y a ni contrôle du mental, ni jeu du
mental, je ne suis pas attaché ni ne suis un adorateur ni ne suis un
chercheur de libération ni un être qui a atteint la libération ». Ici, on ne peut
plus rien dire qui relève de la logique ordinaire et l’on est vraiment dans la
non-dualité. L’objet et le sujet de la recherche sont parfaitement confondus et
la quête semble achevée. C’est pour cela que le gnostique ne peut être jugé
conformément aux catégories communes qui ont cours dans la vie courante
et la religion ; l’individu s’est affranchi du mur de la séparation et vogue sur
des eaux inconnues sans destination. La présence seule accueille le haut et
le bas, le proche et le lointain, dans un silence éloquent ; l’existence est à
elle-même sa propre fin et l’individu ainsi réalisé exprime ce qu’il est ni plus ni
moins. C’est le plus haut accomplissement, comme l’indique le début de la
strophe ; les fautes ou les mérites ne sauraient plus être pris en considération
pour celui qui « n’a plus de mémoire ». l’univers avait fixé pour lui un instant
auquel il a participé, et il voit désormais les hommes se débattre dans les
pièges de l’identité, des peurs et des fantasmes. Il ne veut plus rien d’autre
que ce qui est, car il sait que rien ne peut être changé sans être suivi par une
compensation contraire et équivalente. Pour lui s’achève les noces de l’un et
du multiple, de l’immuable et du changeant. Il a disparu aux yeux des
hommes, différent sans arrogance, digne sans revendications, présent à lui-
même et au moment, répondant naturellement aux situations telles qu’elles
se présentent. Cependant, il ne faudrait pas s’y tromper, plus loin, nous
lisons : « comme le beurre caché dans le lait, l’intelligence demeure en
chaque être. Elle doit être constamment barattée par la tige servant à baratter
qu’est le mental ». L’apaisement mental n’est pas aussi direct et simple qu’il
n’y paraît ; l’intelligence est l’instrument qui doit sans cesse être raffiné en
vue de la connaissance qui importe. Le travail est long et constant, il n’existe
pas de techniques offrant des raccourcis, et c’est justement à cet endroit qu’il
faut être vigilant ; la vie spirituelle est un long travail, difficile et sans prix,
mais certains, les premiers aveuglés, voudraient offrir des recettes pratiques,
des simplifications. Si l’on peut se garder entièrement de cette approche,
c’est préférable, c’est pourquoi ici, nous nous essayons à ce petit
commentaire des Upanishads ; le degré d’intégrité et d’impersonnalité du
texte s’impose ; il est un véhicule de transmission digne de confiance, c’est à
nous de travailler à sa compréhension et, éventuellement, pouvoir en
partager les réflexions qu’il a suscitées. Comme un fil conducteur pour ce
livre, la question de l’intelligence dans son lien à la spiritualité occupe notre
attention ; nous le répétons, l’élan intellectuel est souvent contraint ou même
brisé par des mouvements et des enseignants qui simplifie et dénature des
choses auxquelles ils n’ont pas accès. Ce « barattage » de l’intelligence dont
il est question dans le texte est dit « constant » ; dans son aspect « positif », il
est la passion de la recherche, sous son aspect « négatif », il est la remise en
question, l’auto-critique, le détachement. c’est un travail que tout authentique
philosophe connaît mais dont certains « maîtres » spirituels contemporains,
semblent s’être dispensés. Dans l’Upanishad du point de feu
(tejabindupanishad), il est dit : « même pour le sage et le penseur, cette
méditation est difficile à accomplir, difficile à atteindre, difficile à connaître et
difficile à supporter ». La vision de l’atman n’est pas chose aisée, car nous
sommes prompts à considérer l’ensemble de notre composé physico-mental,
comme plus important et nous passons, en général, notre vie entière à
consolider, ce sentiment de soi, alors que nous passons peu de temps dans
la réflexion de notre nature profonde. Quel contraste ici, entre cette
affirmation « dure » de l’Upanishad et la facilité avec laquelle le néo-advaïta
contemporain parle du Soi. Il semblerait que l’on parle de choses différentes.
La connaissance qui nous affranchit serait-elle devenue plus accessible de
nos jours ; il y a de fortes chances que l’aisance de certains ne soit que le
reflet de leur ignorance, aidée en cela par un public tout aussi peu cultivé.
Comment se fait-il que, eu égard à ce sujet éminemment philosophique,
l’enquête dans ce domaine ne s’accompagne d’aucune référence
correspondante chez les tenants de ces mouvements actuels. On dirait, au
contraire, que l’absence de culture philosophique, soit un pré-requis pour
occuper l’avant-scène où se produisent ces nouveaux gourous ; alors que
l’on constante que les rares cercles où se poursuit la connaissance
traditionnelle védantique, l’étude des textes s’avère tout à fait essentielle, car
il s’agit bien de yoga de la connaissance dont nous parlons. Cependant, il est
tout aussi vrai, que la connaissance livresque n’est pas le but non plus, loin
s’en faut, mais il faut comprendre que nous sommes dans le domaine subtil,
et que bien qu’inatteignable par la pensée, on doive malgré tout méditer sur
Cela.
Ainsi, nous ne pouvons connaître le but ultime, il n’y sûrement pas de terme
à cet aventure universelle ; nous connaissons la tension comme cet élan vital
qui nous porte, qui nous imprime un mouvement vers la joie de l’expression
et du combat.

Le ressenti profond

Nous ne sommes pas étrangers à la vie, et pourtant au cours


des difficultés de la vie d’adulte, il arrive de nous perdre, de ne plus avoir ce
qui vaut la peine ; les choses s’embrouillent à tel point que l’on sait plus ce
qu’il convient de faire, où sont le bien et le mal, qu’est ce que le bonheur en
fait ? C’est alors qu’il faudrait pouvoir se raccrocher à son corps ; non pas
dans une démarche narcissique de revalorisation de son image, même si
cette démarche est tout à fait opportune à un certain moment, le « corps »,
veut dire ici le ressenti complet et authentique eu égard à notre sentiment de
la vie ; s’avouer ce que l’on veut par delà les différents conditionnements et
apprentissages, y compris ce que nous croyons avoir appris au sujet de la
voie spirituelle, car il se pourrait bien, qu’en fait, ce n’est pas vraiment ce que
nous voulons, tout du moins pas de la façon dont cela est présenté est vécu
traditionnellement. Nous découvrons qu’il existe bien un courant de
spiritualité alternative et libertaire, où l’on sent que la démarche vers la liberté
et la vérité avait vraiment un sens ; gnostiques, naths, qalandars, klystis..
aspiration folle et inconditionnelle vers la libération des chaînes terrestres,
non pas dans l’ascétisme répressif, mais dans l’extase qui soulève et
emporte les restes attardés de l’homme souffrant et humilié mais qui finit par
imposer son triomphe. Victoire sur la bassesse d’abord en soi-même, avant
d’afficher sérénité et courage en face de la déchéance mondaine de cette
humanité boueuse qui fait l’histoire. L’art est une voie royale pour celui qui le
vit comme expression créatrice de soi, non pas repliée sur son idiosyncrasie,
mais complètement ouverte à la dimension d’évolution vers le subtil. Il s’agit
de comprendre notre attrait vers l’inconnu, comme cette aventure du vivant
qui s’éprouve dans cet espace infini de la conscience qui commence tout
juste de se révéler à lui. Les appels de l’au-delà commencent à se faire
entendre ; des soupirs, des murmures, des pleurs..c’est l’appel du large vécu
dans son for intérieur, conforté par les écrits qui attestent de ce fait mais qu’il
faut vivre par soi-même, dans la peur , la joie, l’honneur d’une liberté
retrouvée. Nous situons l’évolution de l’homme dans la perspective de celle
de la conscience ; expérience de la matière mêlée à ce qu’il y a de plus pur,
bannissement et rédemption, lutte et lâcher-prise, indifférence et dévotion..au
carrefour des mondes, sa situation est difficile dans un monde, à vrai dire
assez inhospitalier. Les païens d’aujourd’hui n’ont pas l’air de se souvenir de
notre combat contre les fauves et les intempéries quand ils glorifient
emphatiquement la nature. Bien sûr, la nature sauvage et pleine de beauté et
de vitalité mais elle est aussi un lieu de vie difficile. A cet égard, le mythe de
Prométhée, rapporté par Platon dans la République est parlant ; l’homme a
été fait nu et sans défense et le vol de l’intelligence, qui produit la technique,
n’est pas suffisant, car les hommes doivent encore s’entendre entre eux, d’où
la nécessité de l’art politique. La faiblesse de l’homo sapiens est aussi sa
force ; une sensibilité raffinée qui s’offre à lui comme l’invitation à découvrir
les causes derrière le monde visible, à accéder au monde des Idées par
l‘exercice de la pensée abstraite. Nous pensons que l’étape qui suit la
philosophie est la médiumnité et les facultés psychiques de haut niveau ;
celles-ci connaissent une développement harmonieux et intelligent que si
l’étape de l’ascèse mentale est bien prise au sérieux et toujours
régulièrement pratiquée. Le véritable visionnaire, comme les rishis de l’Inde
ancienne, laisse des textes importants et instructifs à la postérité, et ne se
satisfait pas des phénomènes qui témoignent avec fracs de l’au-delà. Nous
voyons aujourd’hui, grand nombre de gens revenir vers le spiritisme, mais
celui-ci ne laisse pas un enseignement à la portée vraiment initiatique, et la
communauté scientifique, se méfie et se détourne de cette approche souvent
peu rigoureuse et empreinte de trop d’émotions et de sentimentalisme.
Malgré cette mise en garde inévitable, il faut convenir aussi que l’accès au
monde spirituel, mobilise une capacité à ressentir qu’un excès de pensée
rationnelle finit par bloquer. C’est du côté des artistes, des marginaux, des
réprouvés, que se remarque le plus souvent, une spiritualité forte et créative,
qui laisse loin derrière elle le conventionnalisme religieux, qui nous l’avons
déjà dit, n’est que le reflet du besoin de sécurité des masses. Une sensibilité
forte, mais aussi un courage immense, face à ce vaste champ de bataille
que constituent les petites épreuves usantes de la vie quotidienne. Nous
devons aussi rajouter, que les tragédies occasionnent des bouleversements
profonds, qui agissent parfois comme de véritables épreuves initiatiques et
qui font naître un homme nouveau ; regardons les vies des saints, des
prophètes, des grands artistes ou de certains inconnus qui savent, ces
« initiés » dont parle Soljenitsyne dans le « premier cercle » ; ces hommes
revenus de tout, forcés de regarder à l’intérieur, au ciel, en une prière muette
et continue. La tragédie, en elle-même, ne constitue pas une garantie pour le
développement de facultés supérieures , c’est le contraire qui peut être vrai
aussi ; quelqu’un qui pourrait, qui saurait vivre un bonheur intense, s’ouvrirait
des perspectives psychiques et spirituelles inattendues. Par ailleurs, la
coexistence d’une vie éprouvée et d’une capacité à être heureux en même
temps, n’est pas incompatible, c’est même souvent le cas dans les exemples
cités. La foi finit par remplacer la peur, qui est la véritable destructrice de
l’esprit, ainsi que nous le rappelle Frank Herbert dans Dune20 : « Je ne
connaîtrai pas la peur, car la peur tue l'esprit. La peur est la petite mort qui conduit à
l'oblitération totale. J'affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de
moi. Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle
sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi ».

Bien souvent, les gens spirituels ressentent et vivent une différence souvent
handicapante eu égard à l’adaptation sociale ; le contact avec le niveau
« astral » est ouvert et des périodes de ressentis et de nervosité créent des
difficultés et un comportement anormal au sens propre. La grande épreuve
consiste est faire face et à s’accepter totalement et à refuser le jugement de
ce monde obtus. On peut voir dans certains enseignements, une emphase
mise sur l’acceptation, le fait de voir ce qui est ; cela n’est pas exactement ce
que nous croyons ; les valeurs mondaines ne sont pas à suivre et une
certaine défiance est de mise, ainsi que la mise en place d’un cercle de
protection psychique. Selon nous, cela s’avère tout à fait nécessaire car il ne
s’agit pas de vivre dans la résignation, bien au contraire, et l’on croirait
pourtant que c’est le vœu de certains à les entendre. Nous nous situerons
plutôt du côté de la tradition des gnostiques, de la mentalité sabbatique, qui
affirme la liberté de l’esprit, sa supériorité sur le monde « rationnel » des
bien-pensants ; l’affirmation du rêve et de l’extase, de l’étrange et de la
beauté farouche contre la « crasse » quotidienne, qui use l’individu différent,
20 Frank Herbert Dune , trad Michel Delmuth, ed pocket science fiction 1980.
autrefois inspiré, à l’image de l’enfance oubliée, au profit d’un maigre salaire
qui va lui coûter son âme. En dépit se son caractère tragique, la vie est
affirmée sans réserve dans la tradition magique et sorcière, car, précisément,
c’est parvenir à triompher des obstacles qui nous éloignent du bonheur et de
la vraie sagesse, qui va constituer l’objet de la quête. Achever sa vie en ayant
le sentiment d’un accomplissement réel de l’être connaissant en nous, sans
regrets tout en ayant bien conscience des erreurs commises ; celles-ci, la
plupart du temps étaient inévitables. Un pardon général peut avoir lieu mais
sans mièvrerie ; il ne s’agit pas du tout d’un épanchement sentimental et
puérile, très recherché par les pasteurs modernes des églises pseudo-
protestantes contemporaines, qui tentent d’ailleurs de le provoquer en
cherchant les failles émotionnelles chez des individus fragilisés. Le type de
pardon authentique, vient d’un vue lucide et bienveillante eu égard à la
situation qui fût la nôtre durant ce périple terrestre. Voir et comprendre
d’abord et ensuite agir..
la voix d’Iblis

A certains moments, nous avons expérimenté un type


d’écriture semi-automatique, où la conscience reste lucide et le contenu de
ce qui est noté tout à fait lisible ; cependant, nous étions parcouru par un
certain frémissement dans la colonne vertébrale indiquant la présence d’une
influence spirituelle. A chaque fois, nous avons pu remarqué le caractère
franchement gnostique de ces prises de parole par l’esprit il y est question de
la chute, de la vie sur terre presque comme une anormalité qui serait corrigée
grâce à l’ascension. Il est difficile pour nous d’admettre une telle situation,
dans la mesure où nous sommes naturellement portés à attendre beaucoup
de cette vie, que nous pensons bien atteindre un bonheur durable, et surtout,
nous pensons savoir très bien ce à quoi nous avons à faire, et nous nous
célébrons nous-mêmes à chaque occasion. Nous jugeons notre
comportement adéquat tant que nous parvenons à tirer notre épingle du jeu
et ne versons pas dans la déchéance physique et morale ou dans la
criminalité. Nous l’avons déjà mentionné rapidement plus haut ; dans le
Coran, Iblis refuse de s’incliner devant l’homme qui n’est considéré que
comme une simple créature d’argile, geste d’orgueil ou simple constatation
d’évidence. Ne serait-ce pas plutôt Dieu qui mène un projet insensé en
prétendant qu’il peut l’élever jusqu’à la vie spirituelle. Toutes les écritures
saintes du monothéisme annoncent un jugement qui constituera une forme
de sélection draconienne en vue d’obtenir son billet d’entrée pour le paradis,
en somme, et finalement un beau gâchis, quant on songe que, visiblement,
bon nombre d’entre nous, ne présentent pas les caractéristiques requises. Le
point de vue hindou, qui admet la réincarnation pourrait sembler différent et
plus logique, ceci dit, l’ « entropie » nécessaire exposée dans la théorie,
produit là encore, la venue de l’Avatar Kalki, vengeur et restaurateur..A
chaque fois, le projet divin aura été quelque peu trop ambitieux et passe par
le sacrifice d’une bonne partie de l’humanité ; à ce titre, il est aisé de
comprendre l’attitude des anges rebelles et leur volonté de « descendre » et
d’influencer la vie des humains qui se sentent en porte à faux eu égard à leur
condition bâtarde. Le poème Les litanies de Satan de Baudelaire, présentent
Dieu comme le véritable traître, celui qui favorise les puissants et un ordre
injuste, dont les vrais humbles éveillés, vont se détourner pour se confier à
l’ange détrôner. Halaj, le soufi rendu célèbre pour sa condamnation due à
son affirmation « je suis Dieu », rendait hommage à la fidélité de Satan pour
avoir maintenu sa position vis à vis de l’homme, obtenant du Très-Haut qu’il
devienne son tentateur. Nous voyons donc que l’adversaire joue un rôle très
particulier, il est bien celui qui mène le bal ici bas. La Terre est bien ce lieu
de l’épreuve, où l’homme se heurte à la densité de la troisième dimension et
aspire à plus ; certains s’y complaisent, en prenant les plaisirs d’ici-bas
comme des fins en soi, et une grande majorité est entraînée dans ce
mouvement de nos jours alors qu’effectivement, des énergies nouvelles sont
insufflées en vue d’augmenter le niveau vibratoire planétaire ; il faut craindre
un conflit mondial généralisé, car il semble bien que ce serait la seule
solution, afin de mettre à plat les puissances qui résistent à l’impulsion vers
l’ascension. De nombreuses et belles âmes se réveillent dans ce climat de
confusion ; les prières sont toujours entendues et obtiendront des résultats
certains. Il se crée un fossé entre les âmes susdites et ceux qui foncent tête
baissée en direction de leur sécurité matérielle ; des hommes se séparent
alors qu’ils étaient très liés par le passé et des familles se déchirent. Les
séries Tv, américaines en particulier, mettent en scène des histoires où le
paranormal, l’effondrement de la civilisation, la mystique et le diabolisme
arrivent au premier plan. Il est donc certain qu’un changement est en marche
et il devient de plus en plus difficile de prévoir les années ou les mois même
qui viennent. Le changement majeur qui nous attend nous dépasse et il faut
être prêt à tout. La traditional witchcraft parle de the Old One, une entité du
commencement des temps, un être immense qu régit la chasse et la guerre
chez les hommes, la virilité et l’extase donnée par la joie passionnée de
vivre ; ce dieu, largement refoulé par les monothéismes beaucoup plus
récents, semblent bien vouloir refaire surface chez certaines âmes secrètes
et intenses, qui éprouvent une dévotion infinie pour le mystère de l’existence.
Ces adeptes sont très discrets, alors même que l’on voit des banalités et des
fantasmes grotesques, qui se répètent déjà depuis de nombreuses années
dans la nébuleuse nouvel-âge. Si ce qui est en haut est comme ce qui est en
bas, il faut prêter attention au négatif de la photo, et considérer que « les
premiers seront les derniers ». Certains êtres particuliers mais qui se
dissimulent aux yeux du monde, accomplissent un travail considérable aux
yeux du monde ; nous ne voulons pas parler des mahatmas de la théosophie,
mais d’individus réellement « humiliés », instruits directement par les esprits
et qui possèdent un savoir rare et immense ; les anges de la rétribution se
font les gardiens de ces âmes précieuses qui savent encore faire des
miracles et que certains être avisés, savent encore reconnaître ces perles
dans cet océan de confusion qu’est devenu notre monde. Les temps
sabbatiques se manifestent, et des vents secrets soufflent sur les habitations
des vivants. Puissions-nous être attentifs et dévoués, demander la justice
chanter par le Psalmiste.

La pensée vivante

Plus l’homme avance sur ce chemin de la découverte de soi, et


plus il s’aperçoit qu’il est un être mental ; les pensées qui traversent son
esprit sont innombrables et s’écoulent en un flot continu qui ne cesse que lors
des périodes de sommeil profond. Cette constatation s’affine toujours
davantage grâce au fait de la echerche attentive elle-même qui le conduise
vers des moments de solitude qui ne sont pas toujours heureux mais qui
deviennent une nécessité ; le mystère à saisir gît en lui, dans cette richesse
psychique qui le porte tout au long de sa vie mais dont la plupart du temps, le
cours est détourné vers des buts utilitaires et à vocation sociale. S’il accepte
de cohabiter avec cela, il découvre qu’il peut créer sa vie intérieure, que c’est
même là sa grande tâche, qu’il est capable de comprendre et d’accepter son
destin sagement, sans se leurrer sur d’hypothétiques succès extérieurs que
les coachs en développement personnel font miroiter à ceux qui restent
encore naïfs. Pourtant, la pensée est bel et bien une force susceptible
d’influencer des choses en accord avec la ligne générale qui est tracée pour
nous, et à laquelle l’âme a donné son consentement avant d’opter pour cette
incarnation. Conscient de nos possibilités, nous pouvons co-créer la venue
d’événements significatifs dans nos vies ainsi que se protéger des agressions
et des indésirables. Concrètement, nous sommes en mesure d’amplifier des
phénomènes de sympathie ou d’antipathie en se concentrant sur ce que
voulons, attirer une personne aimée ou influer sur le cours d’un entretien
important et de son issue. Il faut considérer ceci avec sérieux et ne pas
verser dans la toute puissance, ce qui ne ferait que produire de graves
désillusions. Si la raison est très utile sur le plan pratique, c’est l’imagination
qui constitue la pensée vivante ; elle constitue la trame de la vie cosmique
créative et le mouvement surréaliste a bien saisi toute l’importance de laisser
libre cours à cette faculté afin de naître une à vie nouvelle et riche de
possibilités encore inconnues. Les nations premières se fondent sur la
puissance sacrée de l’onirisme, le « temps du rêve » auquel nous participons
toujours, a été vu par les aborigènes australiens, sur ce continent isolé et peu
encombré. Terence Mc Kenna, est un personnage de la contre-culture
américaine, qui a su montré l’importance de l’exploration spirituelle, où notre
imaginaire est une conscience holographique de l’univers, une porte d’accès
vers notre créativité et notre indépendance, une force capable de nous
conduire vers la sortie des chemins étouffants et touts tracés par la culture
officielle. La puissance des images nous relie à la lumière astrale des anciens
occultistes, à la capacité de divination, à l’intuition de la nature profonde de la
réalité masquée par la matrice institutionnelle. Henry Corbin a écrit sur la
valeur de l’imaginal dans le soufisme iranien, révélant la présence du monde
archétypal et transcendantal, par delà la simple fantaisie ordinaire purement
personnelle.

l’initiation diabolique

Nous avons à plusieurs reprises effleurés le sujet, et il serait temps


désormais de l’approfondir. Nous avons été confronté à ce sujet depuis
longtemps, et signalons dès lors, qu’il ne s’agit pas d’une démarche
adolescente et sans lendemain. Nous devons ici beaucoup au travail
d’Asenath Mason et lui rendons hommage. Chez elle, nous trouvons la
description concrète de l’arbre inversé et des différents stades de l’initiation
dans la voie de la main gauche ; c’est précis et particulièrement instructif.
Voici de quoi il est question dans Qliphotic initiation : c’est l’arbre de vie
inversé qui doit être pris en compte, avec 11 stations alors que l’arbre
traditionnel se compose de 10 séphiroth ; de Lilith à Thaumiel de la magie
permettant le gain matériel jusqu’au retour au vide en passant par les
différentes phases de libération sexuelle et de l’imagination, c’est la sphère
astrale des images émotives et passionnelles, de la venue au jour du refoulé
et des ressources cachées de l’inconscient. La personne engagée sur ce
chemin traverse de épreuves difficiles mais ô combien gratifiantes car elle
brave tous les interdits afin de parvenir au sentiment de sa propre divinité,
laquelle ne se situe plus dans un ciel éloigné, un idéal abstrait, une morale
régie par les intérêts de l’espèce humaine ; elle rejoint le rang des démons,
des contestataires et rebelles à l’ordre imposé au sein d’un cosmos restreint
pour se fondre dans le sentiment et la perception de l’infinité. Il n’est plus
question des limites conventionnelles et l’individu devient maître de sa
destinée en tant qu’il se réalise complètement, plus rien ne saurait lui être
dicté de l’extérieur, aucune autorité ne peut avoir de prise sur lui ; sa force lui
vient d’une détermination inébranlable et d’un courage héroïque qui aura su
supporter la charge de la quête. En même temps, le pouvoir démoniaque de
Aarab Zaraq, lui donne le pouvoir d’invisibilité, ce qui veut dire qu’il ne faut
pas s’attendre à le voir se manifester sur le devant de la scène ; tout au
contraire, il se dissimule et agit dans l’ombre, insaisissable comme le ninja,
déroutant et imprévu, il devance toujours ses adversaires dont il devine
aisément les intentions ; là réside sa grande liberté. l’hypothèse selon
laquelle la vie serait bien ordonnée ne résiste pas aux assauts de Satariel,
qui nous montre le côté absurde et surréaliste de l’existence. Les choses
injustes abondent, quel dieu serait responsable de ça ? Nous sommes plutôt
en présence d’un combat permanent, tant au ciel comme sur terre, où des
influences diverses s’affrontent pur une suprématie dérisoire et dont nous
avons peine à saisir la finalité. Un livre très intéressant de Kyle Griffith, War
on heaven, met bien en scène l’influence d’un groupe de « théocrates », qui
depuis l’autre côté, pousse les mortels à adopter leur point de vue fermé et
intransigeant ; à l’opposé, des esprits « libéraux », tendent à affranchir les
hommes de leurs vues étroites et les invite à l’indépendance. La guerre
spirituelle est un sujet que bon nombre de spiritualistes ne perçoivent pas,
où qui alors le réduisent à un simple combat entre le bien et le mal, et ne
voient pas qu’il s’agit plutôt de l’indépendance de l’homme, de son accès à la
maturité, de la constitution de l’individu en tant que force libre et capable de
décider de sa vie surtout sur le plan intérieur. Puissance aveugle du
Démiurge et des Archontes, le cosmos est une prison étroite pour l’homme
qui recherche l’ascension, l’intelligence et la liberté. Toute une bonne partie
de la tradition populaire magique est pleine de recettes de protection,
montrant par là que les hommes ont toujours reconnus la nécessité de faire
face à des influences indésirables, perturbant tant leur vie matérielle que
spirituelle. Le Dieu ancien est honoré sous la forme du chasseur, celui qui
ouvre le chemin de le vie hors des entiers battus, qui assurent la survie de
ceux qui s’élancent avec lui à la recherche de la nourriture sauvage, interdite
par le seigneur qui s’estime seul à pouvoir en profiter. Cette influence
qualifiée de démoniaque par les autorités en place, soutient les hommes et
les femmes courageux qui étouffent sous le joug ; les femmes surtout ont
conservé sa mémoire du moins celles qui ont encore accès à la mémoire
ancestrale et qui brûlent de trouver un amour véritable, à côté de celui que la
société leur a réservé. Sur les chemins de traverse, la foi, l’imaginaire,
l’émerveillement et la peur font naître la magie. La personne lésée dès
l’origine par ce monde infâme, se reconstruit en redonnant des mots et des
couleurs aux choses, en se reliant à des forces anciennes, tapies dans la
mémoire de la nature et prêtent à se réveiller. Malgré les difficultés qui
pèsent, the Old One, assiste et soutient ceux qui, revenus de tout s’ouvrent
au grand inconnu en fanté par un abîme inconcevable. Des hommes oubliés
sont devenus des sages, des amants des vainqueurs en dépit de tout ;
retrouver leur trace signifie d’abord et avant tout devenir comme eux.
L’ancienne tradition de la witchcraft, est un mélange éclectique de
philosophie, de religion de cuisine, d’observations des astres, d’arts
ménagers, de botanique, de psychologie, de self défense et de
gymnastique..En un mot, tout ce qui peut s’apprendre par soi-même et par
ceux qui nous ont précédé en cette voie, tout un savoir étouffé par une
culture officielle représentative des puissants et de leur monde clos et
réservé. Il faut croire encore et suer, pour pouvoir un jour franchir l’autre côté
du miroir, là où se tiennent les esprits rebelles prêts à nous entraîner dans la
folle ronde de la liberté.
Les mystères de la Déesse et la vie intérieure renaissante.

Ma famille, du côté italien par mon père, habite la région où se


trouve, la vierge noire du sanctuaire d’Oropa ; un ancêtre célèbre y est
enterré sous une petite pyramide ! Ma mère a toujours éprouvé une certaine
dévotion mariale. Pour ma part, ma jeunesse fût marquée par une certain
rationalisme dû a des études de philosophie et une certaine pratique
bouddhiste ; je ressentais un vide et de la dépression tout au long de ses
années. Il n’y avait pas de spiritualité vivante à ce moment là, je ne
ressentais pas un contact réel sauf à de rares moments, alors qu’étant enfant
je croyais naturellement aux esprits et à tout l’univers fantastique. La Déesse
toute enveloppante et protectrice, la mère des mondes, fît son retour lorsque
ayant commencé à réciter des « Ave maria », je commençais à ressentir une
grande sérénité, tout en ne me sentant pas contraint de devoir changer ma
vie extérieurement. Je fus également fasciné par la beauté du chant Wicca
de la déesse, et un soir en me couchant, alors que je commençais à
fredonner mentalement cette litanie, je vis intérieurement une lueur qui se
manifestait et je rêvais d’une jeune femme sannayasin, qui devait partir en
quête de la connaissance. Je guérissais d’un sentiment fort de culpabilité eu
égard à mon échec dans la vie sociale et spirituelle ; la Déesse se penchait
sur moi car je la priais quotidiennement. Mon approche de la spiritualité
devint plus éclectique, laissant mon imagination produire un enrichissement
de ma vie intérieure, et je devenais de plus en plus indépendant, ne me
sentant plus dans l’obligation d’être aimé et de rencontrer des gens qui me
comprennent. Curieusement, mon intérêt pour la magie me rendit plus
détaché des succès et ma foi grandissait sans avoir besoin de preuves
extérieures. Ce fût le véritable miracle de ma vie, je me sentais à nouveau
comme un petit enfant. Ce qui importe vraiment, c’est de pouvoir construire
sa pensée, ses valeurs, acquérir un sens aiguë de ce que c’est que d’être
une conscience et tout le pouvoir créatif qui s’y rattache. Dans mon cas, la
seule philosophie n’y a pas suffit, car elle est devenue beaucoup trop
matérialiste et cérébrale et il m’ a fallu renouer avec la pensée magique pour
nourrir correctement mon âme ; c’était une démarche qui allait en sens
inverse de ce que j’avais appris à l’université, un comble ! Je devais
abandonner le bouddhisme aussi, trop carré et peu chaleureux ; une
ambiance que j’ai toujours rencontrée dans le milieu de la philosophie
orientale. Le religieux, qu’il soit populaire où initiatique, m’ a beaucoup déçu.
En ce qui concerne le monde du développement personnel, on y trouve des
gens décidés et sérieux, qui ne plaisantent pas avec le succès..Le don de la
grâce, de la foi, qui se trouve au cœur du christianisme, cela allait m’être
donné par la tradition magique « libertaire ». Le dialogue intérieur, devenait
le fondement sur lequel je rebâtissais une amitié avec moi-même, la
possibilité d’un point de jonction entre les différentes parties d’une âme
complexe et blessée, qui ne voulait plus se montrer au grand jour. C’est
précisément le fait que « çà » parle en soi, qui me fît prendre conscience que
des esprits pouvaient nous souffler des paroles. Les écrits forts moralisants
de Kardec furent une déception, comme tant de doctrinaires à travers les
âges, son ton est imbus et arrogant, alors que le contenu n’apporte pas
grand-chose. J’ai envie de citer aussi l’exemple de Rudolf Steiner, refusant
de reconnaître la peinture abstraite et notamment, l’œuvre inspirée et
magique de Hilda af Klint.

Le monde du rêve

Le rêve et la magie sont étroitement associés ; ils participent


tous deux de la sphère astrale, cette matière subtile qui tisse les formes
avant qu’elles ne se manifestent sur le plan de la densité matérielle, car en
effet, les choses sont pensées et imaginées avant de se concrétiser. Selon
Freud, qui a eu pour mérite de redonner une grande place aux rêves, celui-ci
est l’expression de nos désirs refoulés. Cela n’est pas faux, mais limitant ; le
rêve dépasse de loin la simple sphère personnelle pour plonger dans un
océan d’images où l’âme retrouve ses ailes et peut à nouveau déployer toute
sa dimension ; les cauchemars, les rêves pénibles sont des « travaux » qui
doivent être effectués, afin que l’être spirituel puisse progresser vers la
souveraineté et la liberté qui sont sa nature essentielle. Je viens de rêver de
mon père et la situation rencontrée m’a fait verser quelques larmes ; cela
signifie que je devais me rapprocher de son âme afin de lui donner toute ma
tendresse, chose que je n’ai pas toujours su faire de mon vivant. Il semble
bien normal qu’aujourd’hui il me demande une certaine assistance, et en
l’aidant, je m’aide aussi, car l’amour pour les proches est une chose sacrée
dont on sent très bien que l’expression nous élève et nous accomplit. Ainsi le
rêves peuvent être vus aussi comme une anticipation de l’au-delà, où les
sentiment se manifestent instantanément en situation vécues. La célérité des
scènes oniriques nous surprend et nous déconcerte, c’est bien pour cela
d’ailleurs que nous préférons ne pas nous en souvenir, notre attachement à
la raison ordinaire est fort et tyrannique. Pourtant, notre attention portée à la
pensée nocturne, à l’imaginaire créateur, pourrait précisément nous
décharger de cette étreinte, de ce poids de la vie quotidienne qui rapetisse et
condamne notre entendement à la peur et à l’étroitesse. Le mystique prend
des coups mais il vole ; son amour lui donne la grâce que l’on admire après
coup, alors que de son vivant, il était jugé sévèrement où même persécuté.
La magie, représente la prise en main active de la situation de l’âme,
l’exercice de ses facultés, l’intention délibérée de l’ascension et du succès ; la
« gloire » arrive lorsque nous réalisons que nous ne pouvons faire autrement
que d’y parvenir ; un sentiment d’une beauté et d’une douceur infinies,
accompagnés d’une force inexorable. Les rêves d’une nuit sont un voyage
dans les profondeurs de l’esprit, dans les souvenirs retravaillés pour en
extraire la quintessence ; ce sont des œuvres d’art, la sensibilité d’une vie, la
stimmung, s’y exprime dans toute son ampleur sans contraintes de temps, de
lieux, d’impératifs sociaux ; de grands rêves sont le fruit de la collaboration
avec les esprits qui nous visitent et qui transmettent des messages. Notre vie
est une histoire enchâssée dans la trame de la mémoire de l’humanité ; nous
sentons la continuité entre les âges et nous honorons nos ancêtres par cet
acte de mémoire qui nous relie à eux. Rêver est la porte de l’éveil à la
globalité qui n’est plus perçue et comprise par la mentalité affairée et impie
de ces temps dégradés où l’inculture est la marque de gens appauvris et
fébriles, qui ne vivent que dans un présent vide de toute perspective réelle
mise à part celle du gain et du gonflement de soi-même sans respect pour la
vie. Si l’on assiste à un retour de l’intérêt pour le paganisme au sein d’une
certaine jeunesse actuelle, c’est un mouvement qui se cherche encore,
motivé avant tout par la magie pratique et qui ne s’est pas encore imprégné
du sacré porté par les âges, le seul qui pourrait à nouveau nous réunir dans
notre humanité ; les dieux nous convient à nouveau au festin, au sentiment
tragique, à la reconnaissance de la vie de l’esprit par de là le raison étroite et
utilitaire. C’est un appel à la refondation du foyer domestique, au retour de la
vraie noblesse qui sait rendre les honneurs qui conviennent alors que le
vulgaire s’affaire pour des causes perdues et dangereuses. La réalisation de
soi, l’amour de la sagesse, trouvent leurs fondements dans un quotidien qui
invite les puissance spirituelles dans la vie quotidienne, dans une écoute
attentive aux bruissements des choses familières qui font signe vers un au-
delà si proche mais craintif et scrupuleux. Dans notre quête spirituelle, nous
devons veiller à écarter le tapage fait autour des escrocs imbéciles qui
occupent le devant de la scène plébéienne, sourde, aveugle et grossière.
Une noblesse chevaleresque est en fermentation dans les entrailles de ce
monde en ruines ; elle ressurgira comme les meilleurs semences revoient le
jour quand les temps sont mûrs et nécessaires. Il faut compter sur les
songes, tant diurnes que nocturnes ; ils sont la porte de la vie lorsque les
ténèbres enveloppent cet âge impie. Mais pour en revenir au rêve, l’essentiel
ne réside pas dans son interprétation, qui ne peut toujours être
approximative, sauf bien sûr dans les cas où l’évidence du sens s’impose de
par la simplicité du scénario qui s’offre ; c’est l’expérience vécue des forces
de l’âme déployées qui importe et la capacité de régénération qu’elle nous
offre. Le rêve est tout à fait essentiel car il ouvre à la possibilité d’une pensée,
d’un vécu émotionnel sans limites, expression de notre nature profonde,
spirituelle, une pause tout à fait salutaire avant de se replonger dans la
dimension spatio-temporelle qui est notre lot à l’état de veille, dans une vie
quotidienne où de dures leçons nous attendent, ponctuées de joies, qui plus
elles seront désintéressées, et plus nos rêves seront légers et source d’une
abondante. Il faut aussi bien sûr mentionner la question des cauchemars ;
ceux-ci sont pénibles et nous sommes heureux de nous réveiller sans
malheureusement éprouver le repos que procure la douce luminosité des
songes. Le cauchemar est l’indicateur d’un conflit ; l’âme se débat avec des
problèmes ‘elle n’arrive pas à résoudre à l’état de veille et qui gâche ce
sentiment de plénitude qu’elle cherche à exprimer et qui constitue sa vraie
nature ; ce conflit vient de ce que notre être intérieur se sent prisonnier par
des pensées trop encombrantes, un sentiment d’identification avec les
problèmes quotidiens qui finit par occuper toute la place. C’est à cet endroit
que la pratique spirituelle peut nous venir en aide ; les prières, les rituels, les
méditations, les lectures « divines », doivent nous aider à surmonter
l’envahissement par les images néfastes dues aux problèmes quotidiens et
plonge la vision de l’âme dans un brouillard asphyxiant. Souhaitons que
quelques rencontres bénéfiques puissent auréoler notre existence ;
puissions-nous connaître des expériences amoureuses et sexuelles qui nous
apportent la sentiment du numineux et du sacré. Remarquons ô combien les
rencontres amoureuses en rêve illuminent et ravissent l’âme au point que
parfois, nous devenons enchantés par une personne de notre connaissance
mais avec laquelle nous n’aurions pas penser à ce type de rapports. Être
amoureux, voilà la clé de l’existence, la littérature mondiale en témoigne, et
ce sentiment nous conduira vers la pure forme de l’amour pour la vie et le
divin, pour toutes choses inconditionnellement.

Comprendre le Karma

Nous naissons, a priori, sans l’avoir demandé, nous sommes


jetés dans l’existence selon l’expression de Jean-Paul Sartre ; la poussée
des générations de l’histoire agit sur nous tel un flot impétueux qui nous
emporte vers une destination qui nous est tout aussi inconnue. Peu de gens
se posent vraiment la question ; la vie a ses exigences que nous ne pouvons
exiger, et pourtant aux heures graves nous aimerions comprendre ce qui
nous amène ici-bas, nous sentons parfois confusément que ce ne peut-être
complètement le fait du hasard. Désormais, la notion de karma fait partie du
vocabulaire courant, mais pour autant, avons-nous vraiment une idée juste
de ce dont il s’agit ? La racine du mot signifie « action », et comme telle,
celle-ci est suivie d’une réaction, d’un effet qui suit les actes entrepris. La
justice humaine est rendue selon les lois en vigueur dans les sociétés
respectives ; certains pensent pouvoir contourner ce qui est permis car ils
estiment que leur situation est injuste et entendent corriger cela à leur façon.
Existe-t-il une loi cosmique qui nous pousse à accomplir l’action juste ? La
notion de Dharma complète la précédente, dans le sens où, il reviendrait à un
individu d’occuper la place qui lui convient au sein de la société ainsi qu’à
l’égard de tous les êtres selon une échelle qui serait fonction de sa valeur
intérieure, de la contribution juste qu’il pourrait apporter au sein de
l’ « économie divine ». Cette façon de voir a été le fondement de la société
hindou pendant de nombreux siècles jusqu’à ce que la conception moderne
du monde atteigne aussi ce monde hautement conservateur. Cette révolution
sociale, dans l’antiquité romaine, se signale par la disparition de la fonction
royale, qui était essentiellement sacerdotale, pour laisser place à le
république, gouvernement où la plèbe envieuse entend bien rivaliser avec les
patriciens au moyen de l’argent nouvellement acquis, du pouvoir économique
et politique qui éclipse toujours davantage la fonction sacrée. Ainsi, notre
situation présente individuelle ne saurait être séparée du Karma mondial et
de sa compréhension. Si le monde s’est enfoncé dans les ténèbres de
l’avidité matérielle, se coupant presque définitivement de sa contrepartie
spirituelle, il faut le penser comme un phénomène d’inertie qui était inévitable
et lié à la nature du monde lui-même. Bien des gens spirituels se sont trouvés
en conflit avec les conditions de leur temps, et le grand malheur pour
beaucoup, a consisté en ce que la majorité leur a fait croire que leur malaise
était dû à des déséquilibres personnels sans tenir compte du tout d’une
perspective historique plus large. Le salut pour la personne spirituelle,
viendra de ce qu’elle puisse se décharger de sa culpabilité et revienne fidèle
à son svadharma, sa fonction individuelle accomplie au service du grand tout,
et y reste fidèle jusqu’au bout.
Elle sera aidée pour ça, d’autant plus qu’elle devient capable d’orienter
consciemment sa prière, sa magie, en fonction de ce but honorable entre
tous. L’univers est en mouvement constant ; notre perception de nous-
mêmes doit s’ajuster selon cette perspective et accompagner cette
dynamique de façon consciente. Ainsi, il se passe toujours quelque chose et
c’est seulement dans nos moments de dépression que nous ne percevons
que la morne routine autour de nous et dans notre vie qui est en réalité un
appel constant au renouvellement ; la vieillesse où les phases de maladie
sont des occasions d’approfondir notre réflexion, et nous devons réaliser que
notre vie mentale est aussi un flux perpétuel de pensées. Le contrôle mental
exercé de façon violente n’amène pas de bons résultats et cela se vérifie
dans l’expérience de bons nombre de méditants, qui lorsqu’ils sont sincères,
avouent ne parvenir à rien en tentant de s’imposer un « jeûne » mental. La
vie psychique est notre ressort essentiel et comme tel ne saurait être négligé
en la traitant de façon inappropriée en choisissant des solutions de facilité
apparente mais qui n’apporte rien en définitive, car elles ne sont pas en
adéquation avec notre être affectif, notre âme, qui au contraire, éprouve le
plus vif besoin de s’exprimer de façon spontanée, et de manifester sa joie, sa
dévotion, de la façon dont elle choisira de la faire, ce qui est peut-être d’aller
au cinéma plutôt de que passer des heures mornes assise sur un coussin.
Encore une fois, nous avons rencontré plus de magie chez les artistes que
chez les poursuivants de « voies » spirituelles : «

L'univers ne s'arrête à aucun moment…


Motonaga Sadamasa
L'UNIVERS ne s'arrête à aucun moment de se transformer et nous le subissons.
La transformation n'étant autre chose que le renouvellement, il est naturel que nous cherchions à créer des
phénomènes nouveaux ou que nous les découvrions avec étonnement.
Gutai est un groupe d'individus qui s'empare de toutes les techniques et matières possibles, sans se limiter aux deux
et aux trois dimensions ils emploient du liquide du solide, du gaz ou encore du son, de l'électricité et en même temps,
pour défricher, en tout lieu, toutes les formes possibles du beau en fraîcheur première.
Notre mot de passe est " créons l'étrange ". L'étrange c'est l'apparition hésitante de quelque chose d'inouï caché au
fond de l'humanité. Les artistes de Gutai ne seraient que des marteaux piqueurs perçant le mur qui empêche cette
apparition de l'inconnu… "

Paru dans Robho N° 5-6 avril 1971

Quel texte fascinant et monumental ! Nous pourrions continuer à citer


d’autres réflexions d’artistes contemporains qui illustrent selon nous la
contrainte « karmique »et les moyens d’en sortir. N’oublions pas que le
surréalisme a œuvré en ce sens également. Pour rendre hommage à cette
initiative, le Japon nous vient en aide à nouveau, lui qui s’illustre souvent
dans le domaine de l’avant-garde ; le groupe de coureurs et de
percussionnistes Ondekoza, est une expérience créative unique, tant par le
style de vie qu’il propose, une vie communautaire dédiée à l’aventure et à la
découverte ; des « moines » voyageurs, des artistes admirés mais qui restent
quasiment inconnus, un hymne d’offrande à l’énergie universelle, un groupe
confidentiel mais qui accepte les candidatures du monde entier.

Les maîtres de sagesse

le personnage principal de l’ordre hermétique de la golden dawn,


Mc Gregor Mathers prétendait recevoir ses enseignements de chefs secrets
qui se situeraient tout en haut de la hiérarchie initiatique ; cette assertion le
conduisit à des déboires eu égard à son entourage et à établir le nouveau
quartier général de l’ordre. Nous ne sommes pas assez documentés pour
pouvoir juger objectivement de cette question mais toujours est-il que de son
côté, au même moment, HP Blavatsky, soutint la même chose, mais en ce
qui la concerne, ceux-ci étaient des maîtres himalayens, dévoués au
développement de l’humanité dans son ensemble. Mathers ne revendiquait
pas un but aussi élevé et impersonnel, simplement, et c’est déjà beaucoup,
l’avancé spirituelle des membres de l’ordre, représentatifs de la fine fleur des
initiés occidentaux, se faisant en cela les héritiers des légendaires rose-croix.
En effet, on y rencontre des écrivains et artistes fameux de l’époque tels que
Bram Stoker, Butler Yeats, Florence Farr, William Wescott, et peu après
Aleister Crowley, la fameuse « bête », initiateur du mouvement thélémite,
lequel a tant influencé l’ésotérisme anglo-saxon du vingtième siècle jusqu’à
nos jours. Ce dernier parle d’une grande loge blanche, et de son contact avec
l’entité Aïwas, sera tiré son livre de la loi. Il nous faut mentionner également,
que cette histoire de supérieurs inconnus, avait courue dans les milieux de la
franc-maçonnerie néo-templière allemande ; passer en revue la petite
histoire, ne nous apprendrait rien de plus significatif. En revanche, il nous faut
voir derrière cette idée, a priori curieuse, mais pourtant très en vogue, de
l’existence d’êtres supérieurs qui cherchent à s’occuper de nous, du moins de
ceux qui le souhaitent. Gurdjieff, lui aussi, a parlé de la mystérieuse fraternité
de Sarmoung, dont on peut penser après-coup, qu’elle n’est autre qu’une
version des maîtres soufis naqshbandi de l’Asie centrale. Nous voyons que
les principaux courants ésotériques du siècle passé se réclament une origine
et un lien avec une organisation supérieure « tirant les ficelles » et diffusant
progressivement un enseignement salvateur. Comment se fait-il que les
médiums, de leur côté se contentent de parler d’esprits supérieurs, sans
mentionner l’existence d’une fraternité organisée ? Nous devons constater,
que les écrits initiatiques sont largement « encombrés » de référence
constante à la légitimité, à la validité historique, aux titres initiatiques, à
l’histoire personnelle des membres et au jeu d’influence entre ceux-ci ; cela
ne semble pas hautement spirituel et rien de semblable, ou presque, n’a lieu
en Orient. Cette histoire de supérieurs inconnus 21, n’est-elle pas un conte
pour enfants, qui se substituerait à la véritable inspiration, dont bénéficie
certains individus doués et réellement consacrés à la vie spirituelle ? Des
esprits supérieurs auraient-ils besoin de constituer en une fraternité formelle
ous ont-ce les hommes qui projettent un type d’organisation idéale
susceptible de les guider ? Dans le cas des Kwajaghan, mis à part leur lien
au soufisme Naqshbandi, on ne peut parler d’aucune méta-organisation
connue, mais bien au contraire, l’indépendance de chacun des maîtres dans
sa sphère d’influence ; Gurdjieff aura certainement recueilli des instructions
de leur provenance, mais mis à part lui, personne n’a trouvé la fameuse
Sarmoung. l’homme aime les constitutions lui permettant de légitimer ses

21 C’est un grade officiel dans le martinisme.


actions et de se prévaloir d’une certaine autorité eu égard à ses semblables.
Mais nous devons bien nous souvenir que la fluidité du monde spirituel ne
saurait se plier à nos règles ; la vie des mystiques de toutes les traditions
n’est-elle pas là pour le confirmer. Hallaj, François d’Assise, Ramana
Maharshi, Milarepa, etc, ne sont pas des individus normaux qui se sont
reposés sur des institutions humaines mais qui les ont au contraire
bousculées. La voie mystique ou sorcière, sont par essence des
manifestations de la liberté humaine et ne sauraient être enfermées dans des
formules réutilisables à souhait, car « l’esprit souffle où il veut », il est
indomptable, et par conséquent, le lâcher prise est la juste attitude à son
égard. Nous croyons fort en notre capacité d’initiative libre, ce qui nous
conduit à se penser les auteurs de nos pensées et de nos actes et nous nous
sentons responsables et prompts à accuser nos opposants dès qu’un conflit
se manifeste. Le mouvement du nouvel-âge, se revendiquant inspiré par les
maîtres, est une nouvelle forme de religion prétendant détenir la vérité et
œuvrer dans le sens du bien commun. Une vision des choses à l’échelle
collective est forcément réductrice et les individus authentiques ont toujours
souffert de cette approche, quand bien même ils étaient disposés à
apprendre, mais cependant, ils ne réalisaient pas sur le moment ce qui les
attendaient. L’homme intelligent et spirituel se découvrira, tôt ou tard, porteur
de ce fragment de vérité, réalisant le pouvoir de sa propre conscience et
vivra cela intégralement. Être un élève dans n’importe quel domaine que ce
soit implique d’être attentif et de bonne volonté de façon à comprendre la
leçon, mais c’est l’amour d’apprendre qui constitue l’aliment de
l’apprentissage et la possibilité de s’y dévouer . Nous voyons trop d’attitudes
bassement serviles dans le monde de la spiritualité et pas assez de curiosité
et d’esprit de recherche. Il serait bon de se regarder en face et des e
demander vraiment ce que nous souhaitons ; la recherche de la vérité a été
mon véritable maître et une source d’inspiration constante, si je n’est pas
rejeté l’idée d’avoir un maître, cela n’ a jamais été possible longtemps car la
répétition docile d’une « formule » consacrée ne fonctionne pas avec moi.
Esprit luciférien de la rébellion, je n’en ai pas moins ma place dans
l’économie universelle ; quiconque devient proche de moi, sera peut-être
gênée par ma franchise, mais pas par une attitude stupide et grossière. Les
individus qui me ressemblent finissent par devenir invisible aux yeux des
hommes ; comme un guerrier éclaireur qui efface ses traces, il vibre à la
hauteur de la dimension suivante et fait ses adieux discrètement. A partir d’un
certain stade de réflexion, l’esprit se sent comme capable de tout questionner
et de tout apprendre par lui-même ; c’est une forme d’illumination
intellectuelle en même temps qu’elle procure un contentement profond,
comme si nous étions sur la bonne voie, enfin confirmée par soi-même, sans
le besoin d’une approbation extérieure. Beaucoup d’anciens amis seront
déroutés par ce changement intérieur profond, et comprennent qu’il ne sera
plus possible d’avoir recours à une forme de chantage affectif avec vous ;
désormais, vous n’entrez plus en résonance avec des propos ambigus,
assurément malins mais tout aussi infantiles et que l’homme éveillé ne tarde
plus à détecter.

Le contrat avec les dieux

Jamblique ce philosophe platonicien, qui œuvrait à mi-


chemin des IIIème et Vième siècle après J.-C., ne se suffit de l’activité
spéculative mais entend bien reprendre l’ancienne voie qui conduit l’homme a
connaître ce qu’il nomme la race supérieure, des êtres d’une nature
spirituelle que sont les dieux et les daimons, les héros et les âmes. En
premier lieu nous rencontrons, les gardiens personnels en fonction de la
nativité, toute intelligence spirituelle se manifestant par le portail du Zodiaque
et régit la partie qui lui est assignée. L’influence daimonique se retrouve en
nous-mêmes, dans le corps, l’âme et l’esprit et peut être bonne ou mauvaise.
En vérité cette connaissance divine est innée à notre âme, elle en est
vraiment inséparable : « ..car la science de choses divines est étrangère à
toutes les autres et séparée de toute opposition ; elle ne consiste point à
accorder ou à poser des opinions, mais elle était uniformément la même de
toute éternité dans l’âme à qui elle coexiste »22. Jamblique est un homme qui
retourne aux mystères, sans renier la philosophie, mais pour autant, il veut
agir concrètement selon l’intuition profonde qu’il a de l’univers et de la
situation de l’homme dans ce vaste ensemble. Il ne faudrait pas considérer
les dieux comme résidant en en lieu particulier, car ils ont la capacité d’être
partout, sans pour autant se confondre avec les choses, ils sont le plus grand
contenant, alors que nous sommes en eux sans le savoir ; les prêtres ont
pour objet de rendre la communication possible. L’unité du monde, du ciel et
de la terre, la lumière indivisible rendent sensible la présence divine et laisse

22 Le livre de Jamblique sur les Mystères, p 16, trad Pierre Quillard 1895, edit Arbre d’or 2006.
entrevoir sa nature. Les rites et les cérémonies sont utiles pour nous délivrer
des passions amis ne sont rien pour les dieux qui n’ont besoin de rien dans
leur plénitude, la prière nous élève jusqu’à l’impassibilité propre à nous faire
ressembler à la nature divine : « Car ce qu’il y a en nous de divin,
d’intellectuel, d’un, ou si tu aimes mieux d’intelligible, s’éveille évidemment
par les prières et une fois éveillé recherche avec force son semblable et s’unit
à la perfection de celui-ci »23. Les dieux nous ont laissé des signes et des
symboles par lesquels nous pouvons les appeler ; la prière ésotérique mais
aussi la supplication peuvent nous en rapprocher car elle est la marque de
reconnaissance de notre infirmité, car en quelque sorte, nous leur
appartenons de même qu’ils remplissent tout ce qui est. Jamblique fait aussi
mention des anges, des archanges et des archontes, des âmes ce qui
montre l’influence chrétienne et gnostique ; la notion de héros, en revanche
est purement grecque. Les épiphanies des êtres spirituels se caractérisent
par la beauté, la fulgurance, la luminosité mais à des degrés divers, suivant
leur rang hiérarchique ; elles s’accompagnent de bienfaits tels que la
guérison, les biens nécessaires à la vie, du sens à donner aux événements
mais les daimones sont porteurs de châtiments. Nous retrouvons chez
Jamblique la notion de délivrance qui concerne la partie supérieure de l’âme,
celle qui peut échapper au destin en recevant l’influence des dieux
hypercosmiques. Si Jamblique nous parle des mystères d’Égypte, c’est parce
que cette contrée a conservé l’ancienne façon d’honorer les puissances
divnes, celle qui leur convient le mieux, alors que les Hellènes sont des
innovateurs maladroits. Les dieux sont conservateurs par nature puisqu’ils
sont immuables, et non par décret. Enfin, il nous conclure ce passage, en
précisant que notre auteur signale l’existence d’un Dieu unique, père de
toutes choses et transcendant tout le reste.

Astrothéologie

Pour tous ceux qui l’ont contemplé avec passion quelques


instants, la voûte étoilée exerce un pouvoir de fascination intense ; elle
est la déesse Nuit, dans le système magique de Crowley. Le spectacle
céleste nous renvoie à la fois à notre petitesse ainsi qu’à notre
appartenance à la totalité ineffable, cette énormité monstrueuse qui
23 Ibid p 29.
semble contenir tant de choses et de mystères inexplorés. Les
anciennes civilisations se sont sentis dépendants et solidaires de
l’univers et leur système religieux est tout entier imprégné du tissu
cosmique, de son énergie subtile, de son feu créateur, des cycles
récurrents qui animent le cosmos. Les puissances spirituelles sont à la
fois l’origine et le principe de l’univers ; leur contact, par le biais de notre
adoration et de notre écoute attentive, nous fournit des images
éternelles pour guider notre passage éphémère sur la Terre. L’époque
moderne a vu l’humanité se refermer sur elle-même ; elle y a perdu son
sens et sa grandeur, finissant par étouffer par son propre poids, espèce
égarée quant à son origine qui est aussi sa fin, ne comprenant plus la
valeur des choses si ce n’est leur prix sur le marché, elle lui faudra, si
elle veut survivre, reprendre le chemin des cieux pour régénérer la
Terre, cette oasis désormais menacée. Le chemin pérenne est révélé
par la course du Soleil, les avatars empruntent cette voie et la similitude
de leur parcours est frappante ; la naissance du Christ, celle de
Dionysos, d’Attis, d’Osiris, présentent des similarités qui ne peuvent être
dues au hasard ; ils sont nés de vierges, montrant par là l’origine
surnaturelle de leur entée dans ce monde et la tout puissance de l’esprit
fécondant, de même que le Soleil est à l’origine de tout le cosmos. Leur
vie est épreuve et enseignement, ainsi que mort et résurrection, une
thématique que l’on retrouve dans le chamanisme le plus ancien. Le
héros solaire, tel Hercule, parcourt les douze stations de l’année et
dirige le temps et le devenir perçus selon notre perspective : « Porphyre
né en Phénicie, nous assure que que l’on donna le nom d’Hercule au
Soleil et que la fable des douze travaux, exprime la marche de cet astre
à travers les douze signes du zodiaque »24. Dans cet ouvrage, l’auteur
ne songe qu’à l’aspect astronomique, et c’est là tout sa thèse, en
évacuant la possibilité que ces phénomènes soient régis par une
influence d’ordre spirituelle. Ceci dit, le livre a vraiment le mérite de
replacer le mythe christique dans sa perspective cosmique, alors que
les doctrinaires de l’Église, ont toujours voulu s’en distancier ; la religion
populaire, notamment au Moyen-Âge, a retrouvé inconsciemment,
nature oblige, le chemin du rythme à travers les fêtes saisonnières,
24 Charles François Dupuis, Abrégé de l’origine de tous les cultes, edit H Agasse Paris 1797-1798.
celles des saints, le sens universel et cosmique du dieu solaire qui lui
avait été envoyé. Peu importe que le messie ait vraiment marché en
Palestine, il est né au solstice d’hiver, le moment où la lumière reprend
le dessus sur les ténèbres, il ressuscite à Pâques, à l’avènement du
printemps, où les forces vitales s’affirment dans la nature végétale et
animale ; l’Ascension et la Pentecôte, expriment le bonheur des jours
heureux et inspirants de la lumière vive. Le mythe solaire exprime
l’alternance duale que l’on connaît durant le cycle annuel régit par le
grand astre. Le monde chrétien orthodoxe, plus rural et moins imprégné
par la civilisation dénaturée, a su garder quelque chose de la religion
cosmique et naturelle que l’on se doit de reconnaître universelle parce
que fondée sur le rythme de la nature elle-même : « Ainsi Mithra et
Christ naissaient le même jour, et ce jour était celui de la naissance du
Soleil. On disait de Mithra qu’il était le même dieu que le Soleil, et de
Christ qu’il était la lumière qui éclaire tout homme qui vient en ce
monde ».25 Summerland, est l’appellation qui désigne le paradis dans la
religion néo-païenne Wicca ; est-ce bien un hasard si ce nom veut dire
l’été ? Lorsque j’étais enfant, comme pour beaucoup d’autres, l’été
c’était d’abord le temps libre des grandes vacances, du beau temps et
des nuits étoilées, des baignades, des voyages, des amours naissants,
interdits..un temps vraiment paradisiaque par rapport au reste de
l’année. Le temps des récoltes, des cueillettes, de la parution des fruits
du labeur, d’un travail prolongé jusque tard, mais qui se fait plus
aisément. Il est tentant de rapporter toute l’explication du religieux au
phénomène saisonnier guidé par le Soleil, et à l’alternance été-hiver,
lumière et ombre, etc . L’âme humaine est de toute évidence un peu
plus complexe à déchiffrer ; il semble bien qu’elle ne soit pas assujettie
de la même façon que le corps aux variations météo et saisonnières ; le
désir de connaissance chez elle n’est pas seulement lié à un besoin
utilitaire, une simple recherche du bien-être. A ce titre, le temps de la
réflexion, de la méditation, appartiennent plutôt à l’hiver, au moment où
les forces vives du corps s’apaisent, où l’introspection prend le dessus
sur l’action ; c’est souvent un temps béni pour l’âme qui a atteint une
certaine maturité et que les jeux et les luttes du corps ne suffisent plus à
25 Ibid p 318.
combler. C’est à la création de soi par l’apprentissage multiple que nous
sommes conviés ; si l’âme parvient à poursuivre ce but durant toute son
existence dans l’incarnation, elle finit par coïncider avec son désir initial
et retrouve dès lors ses potentialités, à commencer par se sentir bien
vivant et uni au tissu de la vie dont nous sommes part et qui nous
alimente sans cesse. C’est une perception directe de l’essentiel, une
intuition de l’origine et de la fin qui oriente notre effort de connaître dans
ce sens. L’histoire des mouvements philosophiques et spirituels nous
devient familière, et nous nous intégrons à cette famille d’esprits qui
semble nous guider et nous soutenir dans notre quête métaphysique.
Dans le nagualisme, on parle de l’abstrait, de cette intuition du monde
énergétique par delà les structurations mentales coutumières qui nous
limitaient dans le monde social qui nous a élevé. Il ne s’agit plus, au
bout d’un moment d’une discipline spirituelle à suivre, car celle-ci
devient rapidement une autre forme de conditionnement, souvent plus
restrictive que la vie sociale ordinaire ; c’est apprendre à se mouvoir de
soi-même, dans l’intention de vivre ses rêves les plus secrets, ceux dont
nous avons réellement envie et qui véhiculent les émotions supérieures
qui transcendent la dimension commune. C’est la mine d’or du monde
intérieur profond, connecté aux esprits, qui s’ouvre telle une caverne
d’Ali Baba, une corne d’abondance qui donne la vraie richesse. Cette
bonne fortune, qui attend celui qui trouve la réponse au bout de son
périple, c’est la participation à l’œuvre de la vie créatrice à plusieurs
niveaux de l’existence ; création de soi dans un devenir fidèle à notre
propre voix intérieure, rappel de l’autre à sa dimension oubliée, grâce à
la simple présence, un regard, un sourire, une conversation banale peut
déboucher sur une expérience inédite pur quelqu’un qui est en attente
d’une « révélation », comme un fruit mûr qui attend de tomber.
L’irruption de la passion dans cette vie morne, par le désir ressuscité là
où il avait été crucifié, par la folie d’aimer sans moyens, abandonnant la
fausse image de soi asphyxiante. Les esprits sont attentifs à ces réveils
surprenants mais discrets ; dans ce monde gris une lumière luit, ils ne la
négligeront pas et feront parvenir l’aide fluidique, dans l’attente et
l’espoir que la nature de celle-ci soit comprise et acceptée. Peu à peu,
une collaboration s’instaure ; notre travail est d’abandonner les vieilles
pensées et façons de faire, alors nous devenons prêts à se pénétrer de
nouvelles idées inspirantes, nous faisons cette promesse de ne plus
nous retourner. Cependant, d’autres difficultés vont se présenter,
lorsque nous devons constater que religions et philosophies ne sont pas
en correspondance avec l’influence spirituelle, faite d’amour et de
liberté, que nous ressentons. Une véritable guerre a lieu, dans les
strates inférieures du monde spirituel, là où l’on croit encore qu’exister
c’est vaincre et prendre. Cela dit, il ne faut pas s’y tromper, cette
barbarie intellectuelle est bien présente et à l’œuvre dans les domaines
les plus avancés de l’activité humaine, comme les sciences et la
philosophie. Il peut être vraiment difficile de trouver sa voie parmi les
hommes.

La religion naturelle.

Existe-t-il une approche simple et directe de la vie


spirituelle, telle que les hommes l’ont pratiquée et que certains
connaissent encore aujourd’hui. De toute évidence, la Wicca représente
bien une tentative pour retrouver un héritage ancien, tout en étant une
version moderne d’une religion ancienne fondée sur les rythmes de la
nature. Au cœur de la voie inaugurée à une époque récente par Gérald
Gardner, on trouve la célébration des Sabbats, qui représentent les
moments clés de l’année, suivant ce calendrier : Imbolc le 2 Février,
l’Équinoxe de printemps le 21 Mars, Beltaine le 30 Avril, le Solstice d’été
le 21 Juin, Lugnasadh le 31 Juillet, L’Équinoxe d’Automne le 21
Septembre, Samhain le 31 Octobre, Yule, l’Équinoxe d’Hiver le 21
Décembre. Cette façon d’honorer la Terre n’a pas seulement un
caractère symbolique mais constitue une façon de se relier aux énergies
cosmiques qui régissent la vie sur Terre et qui permettent la magie de la
transformation et de la renaissance. La présence de noms celtiques
dénotent la volonté de se rapprocher de cette culture ancienne qui a
marqué le continent européen et qui avait disparu des consciences du
fait de la christianisation et de l’esprit positiviste qui se sont imposés sur
ce continent. Aujourd’hui, il semblerait que cette voie intéresse de plus
en plus des jeunes, en particulier des femmes, car elles y occupent une
place privilégiée ainsi que la Déesse ; réminiscence d’un temps où ces
dames constituaient le mystère et la force première dans les sociétés
préhistoriques, lorsque le phénomène de la procréation était
particulièrement précieux et honoré. La Wicca présente une vision du
monde qui diffère de celle léguée par le patriarcat romain et juif ; un
chemin où la sexualité, la liberté, la magie, le rêve, retrouvent une place
importante dans la vie de chacun, à l’opposé de la manipulation
rationnelle et dogmatique, imposée par des chefs puissants et
arrogants, soucieux de perpétrer une domination continue sur les
populations, et les entraînant dans des guerres et des conflits politiques
continuels. Cette religion ancienne, n’apparaît pas comme un corps de
doctrines pleinement constitué et les recherches contemporaines sur le
sujet, ne peuvent ignorer l’immense différence de mentalité qui nous
sépare des gens d’alors ; le monde était un mystère épais ainsi que
l’homme et son propre esprit, et nous étions confrontés sans cesse à
cette énigme, tout à la fois enchantés et effrayés par la fraîcheur, et
aussi l’opacité, de ce monde profond et immense. Cette période reste
finalement peu connue ; l’absence de documents écrits rendant la chose
difficile, mais aussi et surtout, le préjugé d’une évolution linéaire de
l’homme dans le sens d’un progrès continu. On parle de protohistoire
pour signifier un temps se situant entre l’âge des métaux et l’apparition
de l’écriture ; c’est toujours d’après les traces laissées par le
développement technique que l’on apprécie cette période, mais l’on
ignore tout de la vie intérieure de ces populations qui vivaient à une
époque qui n’est pas si lointaine. L’ethnologie a fini par se rendre
compte qu’il n’est plus possible d’aborder les peuples avec ce que nous
nommons le préjugé moderne et l’on a fort heureusement rebaptisé les
cultures autochtones des régions éloignées de la civilisation moderne,
les nations premières ; on y remarque la cohabitation cordiale avec le
milieu naturel, sans chercher à s’imposer sur lui, en y puisant avec
reconnaissance le juste nécessaire. L’origine du monde y est reconnue
comme surnaturelle, au-delà du compréhensible pour l’homme sans la
coopération avec les esprits qui cohabitent avec nous, mais dans une
dimension différente, un autre plan vibratoire diraient certains. L’idée
d’un progrès technique et matériel leur est étrangère, même saugrenue,
et notre civilisation leur apparaît comme monstrueuse, dangereuse,
drôle dans le meilleur des cas. Si la voix de la Callas enchante et ravit
certains indiens d’Amazonie, en revanche les images de la guerre les
stupéfient totalement ; c’est certainement l’indice que quelque chose ne
va pas dans la tournure qu’à pris la civilisation historique, qui a bien des
égards, apparaît comme incompréhensible et effrayante à des nations
anciennes et qui restent nos contemporains, faut-il le rappeler. Levi-
Strauss a mentionné ce fait, espérant par là alerter les hommes sur le
préjugé technocentriste dont nous étions les auteurs et les victimes ; on
ne peut reprocher ce fait à des élèves qui doivent se prêter à l’éducation
qu’on leur donne mais en revanche, il serait bon, qu’une véritable place
soit accordée à l’étude et l’appréciation des différentes cultures
présentes sur le globe. Il ne s’agit pas seulement d’accorder un regard
complaisant eu égard à la diversité, comme les médias disent
aujourd’hui, mais tenter un réel effort de compréhension. Mais cela
semble difficile dans un contexte de croissance exponentielle de la
technologie, du souci de l’efficacité rentable qui s’exerce à tous les
niveaux de notre existence. l’art pictural aborigène australien a fait son
entrée sur la scène, bénéficiant de l’apport innovant du courant
contemporain qui incluse des formes d’expressions très diverses, et qui
à ce titre s’avère très intéressant. Les artistes aborigènes
contemporains, Glory Nagale, Anna Price Petyarre, par exemple,
s’affirme par une technique que l’on peut qualifier de pointilliste ; après
avoir puisé le « thème » central du tableau dans la réserve de la
mémoire ancestrale, un geste répétitif et méditatif exprime cet acte
spirituel qu’il ne faudrait pas confondre avec une volonté décorative
ponctuelle, mais au contraire, une manière de se relier au Temps du
Rêve, une dimension initiale mais toujours présente, les forces sous-
jacentes à notre monde porteuses d’une créativité infinie que l’homme
peut capter et exprimer sa mesure ; créativité onirique qui replonge le
sujet dans la matrice fécondante et donne tout son sens à sa présence
dans le monde. L’expression « pointilliste », était au départ plus une
façon de dissimuler la peinture au regard profane, avant d’être
finalement pratiquée sciemment et de s’intégrer dans la longue chaîne
artistique qui relie ce peuple à la sagesse incomprise. L’art naturaliste
ancien remonte au paléolithique et se situe surtout dans le nord de
l’Australie, notamment dans la terre d’Arnhem et dans sa région, alors
que des motifs géométriques, sont surtout présents dans le centre et le
sud du pays. La peinture est aussi une carte du territoire, un tracé qui
révèle tant la géographie que la présence des forces sacrées qui l’ont
façonné ; peindre n’est pas un acte individuel détaché, mais celui de
l’humanité tout entière qui veut poursuivre l’œuvre des origines pour se
façonner un présent et un futur cohérents. La religion naturelle n’est pas
une vénération des forces ce la nature en tant que telles, que l’unité
transcendante qui est à leur source ; ce n’est pas non plus un
attachement sentimental à un dieu, qui en vérité, se situe par de là le
bien et le mal, au-delà de notre entendement. La paix rencontrée dans
ces hauteurs, provient d’un lâcher prise plutôt que d’une connaissance
complète ; on peut avoir une impression d’ « omniscience » lorsque,
pour les premières fois, nous faisons l’expérience de l’intuition
métaphysique. Par la suite les choses rentrent dans l’ordre car la
pression mondaine s’exerçant en sens contraire, a tôt fait de nous
ramener « sur terre », surtout si notre milieu familial et habituel est tout à
fait étranger à la métaphysique. L’inconscience ordinaire, est le milieu
dans lequel l’homme se sent comme un poisson dans l’eau ; l’aventure
de la connaissance spirituelle reste tout à fait exceptionnelle même si
l’on assiste à un renouveau d’intérêt eu égard aux capacités de l’esprit
humain. Les motivations restent ego-centrées car il n’y a pas de
reconnaissance du principe qui est à la base de tout et qui était le
fondement des spiritualités authentiques antérieures. A ce titre, la
religion naturelle des Indiens Peaux-Rouges ne fait pas exception où la
référence au grand esprit est constante ; la quête de vision s’inscrit dans
une démarche globale, à la fois personnelle et sociale, et doit répondre
à une injonction de l’Esprit ; cela va au-delà d’une démarche curieuse
fut-elle scientifique. Le candidat à l’initiation, bénéficie de l’expérience
de nombreuses générations sans pour autant que tout ce « matériel »
ne constitue un corpus dogmatique, du moins dans l’idéal. Il faut
vraiment ne pas oublier de considérer la chose suivante ; dans une
tradition orale, les instructions sont plus souples que celles qui sont sont
gravées dans la pierre, et l’on peut dire que le point de départ du dogme
monothéiste, coïncide avec celui des Tables de la Loi. Dans la religion
naturelle, les hiéroglyphes sont les événements eux-mêmes qui se
manifestent en tant qu’ils reflètent le principe ; la colère du grand esprit
s’exprime par le tonnerre mais est suivi par la pluie. La célébration des
quatre directions, se retrouve tant dans le rituel du calumet quand dans
celui du pentagramme, comme l’expression de l’équilibre cosmique qui
se maintient quoi qu’il puisse en coûter aux éléments qui se retrouvent
éloignés du centre, et qui en cela, ne sont plus viables. La vie résulte de
la position particulière de la Terre par rapport au Soleil et aux autres
planètes ; si elle se situait trop loin ou trop près, elle ne pourrait recevoir
l’impulsion vitale. Ce que nous appelons la religion naturelle, est la
saisie intuitive de ce principe et sa mise en œuvre tant dans le rituel que
dans la vie quotidienne qui en constitue le prolongement. L’homme
s’éveillant à la conscience de soi, reçoit pour mission de cultiver son
âme, de transformer en expérience intérieure et psychique tout ce qu’il
voit et interprète dans la nature extérieure ; l’épi de maïs qu’il
commence à cultiver, n’est pas indépendant de lui et ne saurait être le
seul résultat d’une technique appliquée mais il y va de son être même.
La nature poétique de l’univers, au sens premier, se révèle à travers ses
états d’âme, il en prolonge l’action et lui donne au sens nouveau. C’est
un sujet que la philosophie dite vitaliste de Bergson a traité comme nul
autre dans l’histoire de la philosophie ; il est le penseur de l’ intuition qui
saisit l’évolution créatrice et remet à sa place l’intelligence conceptuelle
qui pose des étiquettes sur une réalité qu’elle veut « tordre » à sa
mesure. Heidegger, par un autre biais, dénonce cet oubli de l’être qui
caractérise la pensée moderne et les dangers de la stricte rationalité
pour la culture et la civilisation. Nous pourrions citer également Michel
Henry ou l’école de Francfort, afin de montrer que la philosophie du
Xxème siècle a été particulièrement sensible à ce problème, sans pour
cela être capable de faire entendre sa voie, dans un monde submergé
par les enjeux politico-économiques et où les penseurs n’ont plus
véritablement leur place. Littérature et philosophie, sont devenues des
éléments décoratifs de l’éducation, et cependant, le paradoxe c’est que
la lourdeur de leurs programmes scolaires, nécessitent un
apprentissage technique conséquent sans qu’on puisse vraiment les
apprécier les assimiler, ce qui contribue définitivement à les rendre
inaccessibles et peu sympathiques aux élèves. Pour en revenir à la
spiritualité naturelle, et bien il convient de remarquer que bon nombre de
personnes qui se sont intéressées à des voies d’éveil ou à l’ésotérisme
en général, se sont senties concernées de près par la nature, de vivre
dans sa proximité de la comprendre à travers ses rythmes et ses
habitants, d’accomplir des démarches en vue de sa protection.

La voie du guerrier

Au cours des années 1970, en Occident, les arts


martiaux d’extrême-orient sont devenus populaires, et ce n’est pas
seulement d’un point de vue sportif qu’ils sont devenus intéressants,
mais aussi les représentants d’une ancienne sagesse qui semblait
vouloir renaître de ses cendres. L’infériorité militaire des chinois et des
japonais aux cours des conflits précédents, accompagné par ce qui s’est
produit dans les sports de combat, où les méthodes d’entraînement
sportives occidentales modernes, faisaient leur preuve en conduisant
ces adeptes vers la victoire ; pour mémoire, en 1964, la victoire de
Anton Geesink, aux jeux olympiques de Tokyo sur les japonais, a
constitué un véritable tournant dans l’histoire du sport de compétition.
Mais malgré cela, un certain public sent qu’il y a autre chose derrière les
arts martiaux d’extrême-orient, que les véritables protagonistes ne sont
pas des sportifs ordinaires et qu’il sont au-delà de la notion de gagner et
perdre et ne sont pas du tout impliqués dans le monde du sport ; les
figures mystérieuses et légendaires, qui illustrent cette tradition, se font
connaître mondialement : Les moines de Shaolin, le sabreur miyamoto
musashi, le furtif ninja, les colosses du Sumo.. . Derrière l’aspect
combattant, il existe une tradition spirituelle, des pratiques rituelles et
magiques, qui font de l’art de combattre dans ces contrées, une voie
d’accès au sacré et à l’éveil. Mais plus précisément, on trouve dans la
Bhagavat-Gîta, l’instruction de Krishna à l’adresse d’Arjuna concernant
la compréhension que le guerrier doit avoir pour surmonter son doute eu
égard à la violence ; le fait de se battre fait partie de son devoir et du jeu
de la vie et celui-ci ne doit pas reculer et agir comme n’étant pas l’auteur
de ses actes mais en relation avec le Principe qui l’habite, celui qui est
le Seigneur et le même en chacun. La fonction guerrière apparaît
comme essentielle dans les sociétés traditionnelles et c’est aussi ce
qu’avait mis en avant Platon dans sa République. Nous voyons donc
qu’il s’agit là d’une vocation sacrée permettant de maintenir l’équilibre
cosmique et social au niveau humain. La voie du guerrier est celle du
yoga des œuvres, et l’on peut s’attendre de la part de celui-ci qui e y est
destiné, à une ascèse conséquente. Ainsi, l’artiste martial se doit
d’aligner son corps selon une perspective verticale et transcendante où
le corps doit être éduqué d’une certaine façon. Le jeune citoyen de
Platon est d’abord formé à la gymnastique ; l’éducation physique
apparaît bien comme la fondation sur laquelle pourra être bâtie toute
l’éducation et ceci est loin d’être une option ; il faut s’imaginer la force, le
courage et l’habilité que devaient requérir la confrontation armée sur le
champ de bataille de l’Antiquité. La statuaire nous révèle le caractère
athlétique du corps des dieux. Mais les arts martiaux d’extrême-orient
offrent une parenté avec le yoga tantrique, cette discipline qui se
propose de travailler sur l’énergie interne, le prana, le qi, et les roues
d’énergie, les chakras, les dantians, répartis verticalement le long de
l’axe vertébral, une ascension qui nous entraîne de l’élémentaire au
divin. Les arts martiaux chinois et japonais mettent particulièrement
l’accent sur le centre du vente, le fameux Hara, point de départ de la
vitalité et de l’équilibre, lieu d’origine et de rassemblement des forces ;
est-ce un hasard si le samouraï défaillant doit se faire hara-kiri ? Il
existerait une force plus essentielle que celle de la mécanique purement
physique et qui serait même responsable d’actes qui dépassent les
capacités ordinaires. La discipline martiale rejoindrait le yoga et serait
aussi une voie d’éveil et de réalisation spirituelle. Ceci dit, il nous faut
tout de même mentionner que cela est régulièrement contesté par les
adeptes des sports de combat, qui y voient davantage une forme rituelle
qu’une réelle efficacité martiale et il peut être difficile de trancher sur ce
point. Certains arts martiaux philippins et indonésiens, présentent des
caractéristiques chamaniques, qui font du maître à la fois un prêtre et un
guérisseur, parfois un sorcier, car les frontières entre magie noire et
blanche sont parfois difficiles à définir très clairement ; les amulettes
chargées et léguées selon l’héritage des maîtres y jouent un rôle majeur
eu égard au contact avec le monde des esprits.
Les arts martiaux japonais, s’inspirent de l’esprit zen ; la coupe du
sabre doit être nette et franche et comme l’expression d’un esprit
immuable, celui d’un bouddha qui a pourfendu l’illusion de l’existence
matérielle et échappé aux tourments du sentimentalisme et de
l’attachement. Sur ce point, certains ont souhaité rappelé le soutien des
maîtres du zen, à l’effort de guerre japonais pendant le conflit avec la
Chine et la seconde guerre mondiale, où l’esprit impérialiste les aurait
beaucoup plus inspiré que la compassion que l’on serait en droit
d’attendre de la part de bouddhistes déclarés. Yasutani dont parle
Philippe Kapleau26, exprimait l’identité entre le zen et la guerre selon
certains propos confidentiels ; cela est pour le moins choquant...mais il
faut selon le précepte propre à cette spiritualité « aller droit devant soi,
sans se retourner et sans se poser aucune question ». Il s’agit là d’une
déformation grave du sens de la mission du guerrier originel, d’essence
chamanique et magique.
Le guerrier, selon nous est avant tout un survivant ; il doit d’abord et
avant tout surmonter le défi de vivre, en tâchant de devenir ce qu’il est,
passer de la puissance à l’acte, en surmontant les empêchements
nombreux qui se dressent sur son chemin. Son âme aventureuse
rencontre, presque à coup sûr, de l’hostilité venant de sa famille et de
ses proches, puis plus tard, de tout son entourage social, qui s’il s’est
montré indulgent le temps de son enfance, ne lui pardonnera pas ses
qualités jugées étranges et dangereuses. Il se montre souvent plus
intelligent et habile que la moyenne, ses centres d’intérêt
philosophiques et sa quête de sens qui ose aller par delà les habitudes
courantes de pensée et les préjugés, sont vite jugées « hérétiques ». En
effet, il en est peu, qui comme lui, osent aborder des sujets aussi divers

26 Philippe Kapleau Les trois piliers du zen Stock Paris 1972


que les ovnis, la sexualité, les plantes sauvages, la religion et l’au delà,
la politique utopique, la culture physique, la géographie..cela a de quoi
donner le vertige, surtout qu’il songe à tout sauf à devenir un producteur
aliéné à des diktats économiques absurdes. En un mot, il est libre, et il
comprend qu’il doit se battre s’il veut survivre et accomplir le vaste
programme de son âme, cet horizon indéfini qui l’anime du feu de la
passion. Ce serait bien s’il se rangeait du côté des sages, ou des
renonçants cloîtrés, mais il tient à faire sa propre expérience et son
chemin ne peut emprunter les sentiers battus, les solutions offertes par
d’autres. Cependant, il n’est pas aveuglé par la bêtise et l’orgueil, tout
au contraire, il ne cesse d’apprendre et d’être à l’écoute de tout et de
chacun, de lire et de réfléchir énormément et ne saurait se passer de
tout le matériel d’apprentissage dont il peut se saisir et qui le pousse de
découvertes en découvertes. Son grand péché c’est son esprit critique,
cette façon de tout sonder sans relâche, de dégager l’essentiel et de se
montrer plus lucide ; cela fait peur, inquiète et son cercle d’amis va se
déliter. Le guerrier cherche des pistes dans le labyrinthe du monde ;
c’est son intention qui le guide, comme une lumière qui anticipe et qui le
conduit providentiellement vers lieux et des actions où il peut mettre en
jeu ses ressources intérieures. Bien souvent, il ne sait où il va, surtout
lorsque tout semble l’abandonner et qu’il est confronté à la solitude,
confiné dans une âpre retraite livré à ses démons mais recevant aussi
des lumières supérieures sur le sens et le devenir des êtres et de
choses.
A travers le travail corporel, il devient une antenne et un véhicule de la
Shakti, l’énergie divine sous son aspect féminin enchanteur, décelant
une puissance subtile et cachée au vulgaire, que la force intègre du
guerrier peut parvenir à charmer afin de s’unir avec. Il y a un mystère
qui nous échappe derrière la sexualité, une charge si grande qu’elle
nous dépasse de toutes parts ; origine et soutien de la vie, beaucoup s’y
brûle en voulant l’approcher de trop près et seule le héros, vira, en
sanskrit, le guerrier tantrique, peut espérer s’en faire une alliée. c’est à
ce moment que la vraie magie débute car il entre en contact avec une
force supérieure qui ne réside pas de façon permanente dans son
corps, mais il peut tel un acteur des mystères et des drames sacrés, en
devenir une incarnation momentanée mais significative. Cette
conscience suprapersonnelle demande au guerrier une conduite de plus
en plus impeccable, selon l’acception employée par Castaneda, pour
désigner non pas une conscience morale, mais bien une attitude face à
la vie, qui débute avec l’intention de se tenir fermement debout, éveillé
face aux possibles révélés et à la réalité de la mort qui nous intime de
« réussir » notre passage dans l’existence ; parvenir à une prise de
conscience de la dimension énergétique, de notre lien avec les entités
qui peuplent l’univers et prendre des décisions qui nous sont propres
dans l’intimité de notre for intérieur. Le guerrier peut sembler très
individualiste et égoïste selon les vues communes, provenant d’une
humanité encore dans la conscience de groupe et dont les individus qui
la composent ne sont pas encore parvenus à l’autonomie. En revanche,
le guerrier était particulièrement apprécié dans les temps anciens, où
ses capacités intuitives et psychiques lui permettaient de déterminer les
actes essentiels relatifs aux situations de chasse et de combat.
aujourd’hui, il est craint car il ouvre des brèches dans la conscience
formatée d’une humanité trop fortement socialisée et qui peine à
entrevoir d’autres possibilités existentielles ; il n’en reste pas moins qu’il
continue à être en lien solidaire avec l’ensemble même s’il n’est pas
perçu comme tel mais au contraire comme un trouble-fête. Ainsi, il ne
peut s’attendre à beaucoup de soutien de la part de la communauté,
mais il doit au contraire renforcé ses liens avec le mode des esprits et il
va étonner certains de ses contemporains qui resteront suffisamment en
lien avec lui pour percevoir son « œuvre » ; encore une fois, nous
pourrions citer l’exemple de l’artiste novateur qui rend visible des
domaines inconnus, qui actualise des possibles. Comme Kandisky le
signale dans son Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier,
l’artiste se tient en haut d’une pyramide de l’évolution des consciences
et peut incarner une avancée considérable par rapport à la mentalité de
son temps. Mais le guerrier est plus insaisissable encore, son support
est encore plus abstrait car sa discipline n’est pas reconnaissable en
tant que telle, il ne s’inscrit pas dans un courant culturel en tant que tel,
même pas dans la chamanisme contemporain car celui-ci tend
beaucoup trop à se socialiser pour se rendre acceptable et commence à
bien se commercialiser. Le guerrier évolue sans filet, sans savoir lui-
même où l’impulsion spirituelle le conduit et s’étonne constamment de
cette avancée dans l’inconnu le rendant imprévisible et invulnérable.

Kalki
En parlant de guerrier, il en est un qui est considéré aussi
comme le dixième et dernier avatar de l’hindouisme, et qui vient clore ce
manvatara, un cycle d’humanité Nous voilà à nouveau sur un champ de
bataille, celui du monde en son entier, que ce héros sacré est venu
restauré, et cela commence par la purification d’un monde dégradé et
perverti, arrivant à son terme. Ce récit de la fin des temps, à beaucoup
trop de parenté avec une certaine idéologie fasciste, et l’on comprend
mieux dès lors, que cette information ne vaille pas la peine d’être
connue et diffusée du point de vue des humanistes modernes.
l’évolution ne peut se faire que dans le sens du progrès, n’est-ce pas
évident depuis les travaux de Hegel, de Comte, de Darwin, pour que
l’on revienne dessus ? Au cours du vingtième siècle, on a vu cependant
reparaître le point de vue traditionnel, sous le nom de philosophie
pérenne ou de tradition primordiale avec des auteurs comme René
Guénon, Frithjof Schuon, Martin Lings et Ananda Coomaraswamy,
Julius Evola. Leur œuvre revivifie la vision « orientale » du monde,
notamment à travers leur connaissance vécue de l’Hindouisme et du
Soufisme ; il en ressort principalement que un certain public occidental
moderne, intéressé par la spiritualité, a pu prendre connaissance des
notions d’initiation et de réalisation spirituelle, que l’occultisme
fantaisiste de la Belle-Epoque, était loin d’avoir contribué à rendre
intelligible, et qui a bien plutôt contribuer à discréditer tout ésotérisme
authentique aux yeux des penseurs sérieux. Mais ce qui nous intéresse
présentement, c’est de voir qu’il existe déjà des guerriers de Kalki,
vivant dans les catacombes du monde, averti depuis leur jeune âge que
quelque chose ne tournait pas, en dépit de l’énorme propagande
idéologique faussant la réalité, et qui est devenue comme une seconde
nature pour l’homme du crépuscule. La métaphysique véritable,
présente le monde comme manifestation du divin à des degrés divers
de conscience de soi, l’âme humaine se devant d’aller pleinement dans
le monde avant que de s’en retourner l’Origine. Les « chevaliers
Kalki », savent que la force d’inertie qui engendre le devenir historique,
doit aller jusqu’au bout, point d’ « écœurement », où le moment du
retour et de la restauration est rendu possible pour le monde entier.
L’œuvre de ces éveillés, ne fait pas partie des choses qui se manifestent
clairement et se comprennent aisément ; son action est occulte au sens
propre, à ne pas confondre surtout avec ce qui se prétend
« occultisme », lequel a pris d’ailleurs d’autres appellations au tournant
du siècle. La présence dans le monde de gens devenus bien conscients
est en soi suffisante ; l’univers divin n’est pas une machinerie industrielle
et une entreprise comptable qui établirait un bilan raisonnable. Ce n’est
pas du salut du monde dont il ne saurait être question de toute façon,
mais plutôt de sa remise en question qui s’opère par des « agents »
libres, des individus travaillant à leur propre libération qui vont créer par
résonance des effets secondaires qui constituent néanmoins de
véritables évènements spirituels dans les milieux qu’ils traversent. Ils
dérangent mais ils apaisent aussi ; leur présence est toujours
recherchée en tant de crise par ceux qui à ces moments là ne savent où
se rendre pour apercevoir quelque chose qui semble manquer dans le
monde. Le divin est devenu une denrée rare ; il n’est plus où il est censé
être. Le guerrier réintroduit une façon de penser qui se fonde sur
l’objectivité ; il est passé outre les caprices individuels et ses remarques
peuvent être qualifiées de dures mais en définitive sa parole compte et
l’on ne cesse d’y revenir. Il tranche net comme l’épée du samouraï et
exprime par là la justesse d’une vie accordée aux rythmes cosmiques
impersonnels. Son allure cependant tranche complètement avec
l’activité frénétique qui est imposée dans ce monde insensé ; son temps
semble suspendu, il regarde ailleurs, en direction de l’infini et ses pas
sont déliés.

Qu’est ce que la Connaissance ?


Étant donné que nous ne sommes pas ce qu’il est
convenu d’appeler un initié régulier, mais que nous nous sommes
inspirés de différentes sources à la fois vécues et littéraires, il apparaît
évident que parler de ce type de connaissance pourra sembler à
certains, à la fois prétentieux et déplacé et nous le comprenons fort
bien. Toutefois, rien ne nous interdit de penser que nous pouvons nous
faire une certain idée de ce que peut-être la connaissance initiatique et
l’exposer, justement afin d’être entendu et jugé par ceux qui sont
concernés. Tout d’abord, nous pensons nôtre quête s’enracine dans la
sensation de l’infini, éprouvé très tôt durant notre enfance et qui nous a
fait lever les yeux au ciel et pousser notre interrogation ; quelle est la
dimension, la réalité de cet univers ? Existe-t-il un dieu , des habitants
des cieux, quel est le sens et l’avenir de l’humanité et connaissons-nous
vraiment son passé. Plus tard, la lecture des livres du couple Schwaller
de Lubiscz fût vraiment une révélation ; l’Égypte ancienne, semblait
posséder la connaissance des choses, de la vie et de la mort et il
m’apparut que la lecture de Platon, en particulier la République, pourrait
constituer une initiation philosophique. Nous ne sommes pas précipiter
sur les ouvrages des gourous indiens bien connus à ce moment là, alors
que certains proches de nous étaient déjà sympathisants de ces
enseignements. Il nous a semblé qu’il était nécessaire de comprendre
d’abord de quoi il était question réellement avant d’entreprendre de
méditer ou de pratiquer le yoga, mais par la suite, nous avons cédé à
cette tentation. Cependant, nous avons toujours été intéressé par les
auteurs traditionnels, dans la lignée de René Guénon, dont les ouvrages
constituaient une approche théorique indispensable, de l’aveu même de
cet auteur, avant de pouvoir ce rattacher à une lignée initiatique
authentique, ce qui semblait difficile en Occident, voire partout par les
temps qui courent. Et puis conjointement, durant les années 90, nous
avons fait des études de philosophie et sommes également partis à
Shanghai, pour y suivre l’enseignement d’un maître de Tai chi chuan ;
cela nous a occupés longtemps, après notre retour à la maison, mais je
peux dire aujourd’hui que ce ne fût pas très concluant en ce qui nous
concerne tout du moins. Et puis, au cours des années 2000, par le biais
de l’internet, nous avons fait la connaissance de la voie de la main
gauche, qui par son originalité, son attitude critique du
conventionnalisme, la liberté inconditionnelle qu’elle propose avait de
quoi séduire. Nous ne citerons pas ici les différents mouvements qui
nous ont inspirés, mais nous avons eu le sentiment de progresser dans
le sens de la découverte de soi, de la redécouverte d’une force oubliée
et contrainte par le moralisme ; ce fût aussi l’occasion de voir le côté
obscur de l’existence, dont la perception nous a conduit, plus tard, à
rédiger un mémoire sur Schopenhauer. Parmi les courants de cette
nature, la pensée gnostiques semblaient être bienvenue pour confirmer
ces intuitions, ainsi que le mouvement du libre-esprit, et enfin la
Witchcraft, qui dans son fond, révèle bien la nécessité de mener une
guerre spirituelle, elle qui sans conteste, est animée par l’esprit
« diabolique de la révolte. Mais c’est toujours un sentiment de l’infini qui
nous habite, et non un désir égoïste de se voir triompher des autres par
esprit de lucre ou de vengeance. Ceci dit, la vois que nous suivons par
le seul fait de notre voix intérieur, n’est pas passive et autorise de se
défendre tout en reconnaissant que nous avons un destin à accepter et
à suivre. Nous reconnaissons la valeur « sublimante » de la sexualité, la
lutte pour la vie, et aussi et surtout, celle de la liberté de penser, ce qui
ne va pas à l’encontre, selon nous, des valeurs authentiquement
traditionnelles, car elles que le « fou » est toujours présent, comme
l’indique d’ailleurs l’enseignement du tarot, ainsi que le diable et la mort.

Les Cartes douteuses

Le fou avec son chapeau en forme d’infini et ses chausses


légères, étoilées, renvoi à ce personnage de la cour des rois, qui a le
privilège d‘amuser en se moquant de tout et de rien, d’abord de lui-
même, et s’il venait à déplaire, il pourrait être battu ou congédié ; la
farce n’est pas toujours comprise par les convives et le roi lui-même s’y
laisse prendre. Toutefois, c’est une grande chose que d’accorder sa part
à la folie, et le peuple le sait, qui supporte ce personnage grotesque et
sublime, et son messie a été traité de la sorte, juché sur un âne aux
portes de Jérusalem. Le cocu du village, une fois l’an, est promené nu
sur ce digne ongulé. Enfin, le fou est présent mais sans attaches dans
le temps, on lui prête des dons inhabituels ; est-il si étrange celui qui
parfois voit et comprend à l’avance et recommande la prudence à cause
de malheurs pressentis. Si le fou figure dans le tarot, c’est sans numéro,
ou alors en 22 comme maître nombre, au dessus du panier et de
vicissitudes communes ; il est hors normes, en dehors des conventions,
l’ami de tous et de personne, le contraire du héros, mais son absence
inquiète. Il est aussi ce sage, tellement versé dans l’étude qu’il en
oublie, les heures, le boire et le manger, la digne vêture. Il n’a pas de
destin mais vit par la Providence ; on ne l’aime pas mais l’on ne saurait
s’en passer. La mort, on lui fait un cortège au Moyen-âge au cours de
danses macabres ; elle est ce qu’il y a de plus inévitable mais les
hommes ne peuvent se permettre de la cacher et le Seigneur lui-même
n’a pu y échapper et c’est grâce à elle que le peuple est sauvé ; le fou
n’ose pas la moquer et le chevalier s’élance chaque jour à ses côtés car
son métier est bien de n’en avoir plus peur, de montrer l’homme
réconcilié avec cet événement, dont il a pris conscience depuis la nuit
des temps et qui fait vraiment parti de son humanité alors que l’animal
semble devoir toujours l’oublier dans un présent vague, aux contours
mal définis. La mort est la disparition d’une entité individuelle qui a pris
corps momentanément ; L’Égypte y a prêté un intérêt tout particulier, au
moins en ce qui concerne Pharaon et de sa réussite dans l’au delà,
dépend la bonne continuité de tout le pays. Si les démons sont à
vaincre au cours de l’ascension, leur chef n’apparaît pas en personne.
C’est bien plus tard que l’adversaire se présentera dans la Bible ; il
devient le tentateur et l’adversaire et la femme bafouée va l’inviter dans
sa vie, dans ses nuits ; celle qui refuse de courber l’échine et qui n’a
aucune force manifeste, va s’en faire un allié et en recevra des pouvoirs
secrets, des talents qui sont le sel d’une vie qui sans cela serait vouée à
la servitude. Ainsi, la plus secrète des sociétés se forme, mais le plus
souvent, c’est l’hérédité qui est la trame de la passation des facultés
spéciales. C’est le temps des amours secrets, de la victoire discrète sur
les ennemis arrogants et imprudents ; c’est la dignité retrouvée, l’espoir
de la passion renaissante, la lumière des songes prémonitoires en face
de la sombre perspective d’une vie contrainte que des hommes mauvais
et malheureux subissent et infligent autour d’eux. Le rêve fou de la
Puissance retournée à la lueur blanchâtre de la pleine lune où l’on
entend le chant des étoiles pendant que des abrutis avinés et sourds,
dorment d’un sommeil de plomb comme des bêtes de somme. Le fou se
cache pour assister aux incantations étranges dans la nuit profonde et
garante de l’éternel mystère ; il sait désormais que ses farces peuvent
devenir plus cruelle car il participe lui aussi, désormais de ce pouvoir
secret qu’il devra taire à jamais. L’arcane 15, ce créature ailée aux pieds
de bouc, indique sa nature duale ; ange de la nuit, il opère son charme
animale sur note nature dite inférieure, celle qui renvoie chez à des
appétits violents mais bien tentants car ils nous ouvrent vers une
dimension que la socialité interdit. Il nous fait vivre des passions
sexuelles, affectives, intellectuelles qui ne sont pas à la portée du
premier venu, car il n’aura pas osé franchir cette frontière bien gardée
de l’humain admis par la normalité ; une gnose inversée, celle du mal
telle que l’œuvre du marquis de Sade la célèbre. Tout ceci est avant tout
fantasmé plutôt que réalisé, ce qui rehausse d’une certaine façon le
caractère transgressif de ces actes qui échappent à la raison, que rien
ne peut justifier, si ce n’est l’invocation de la folie pour éviter d’avoir à la
penser. Des hommes se prétendent disciple du diable en secret, cela
fait peur et fascine en même temps ; qu’ont-ils découvert qui n’est pas à
notre portée. Cette vie qui est manifestement un fardeau pour
beaucoup, pourrait être provoquée, testée, rendue passionnément
dangereuse par des volontés qui ont défié la banalité, les valeurs
reconnues par un consensus tacite que l’on hérite d’âge en âge et dont
les puissants maintiennent la bonne marche. Le diable est cette
tentation qui nous incite un jour à laisser tomber nos devoirs pour traîner
dans les rues avec les mauvais sujets ; une existence différente s’ouvre
à celui qui désormais veut ouvrir les yeux sur l’ensemble de la réalité,
qui refuse de juger et qui entreprend de penser et de vivre par lui-
même. Certes, le prix à payer est lourd mais le jeu en vaut la chandelle,
car c’est la découverte d’un autre soi-même, celui inexploré qui attend
de livrer ses richesses. Cette opération de dévoilement est une chose
de l’esprit avant tout ; s’enfermer dans le mal à la façon des criminels
professionnels est bien sûr un piège qui n’a rien de spirituel mais d’un
autre côté, la sainteté relève de la même démarche, « choisir » une
seule façon d’envisager les choses et ne plus compter que là-dessus
pour se forger un caractère, une existence qui ressembleront davantage
à des réactions qu’à des actes qui trouvent leur fondement dans la
richesse multiple des possibles. Si les cartes « douteuses » comme
nous avons choisi à dessein de les nommer, figurent dans cette roue de
la vie qu’est le Tarot, ce n’est pas seulement pour indiquer des difficultés
qui pourraient survenir, mais révéler un potentiel caché dans l’existence
intégrale, celle vécue consciemment au-delà de la dualité, en acceptant
d’avancer sur le fil tendu de l’incertitude avec la volonté d’apprendre. A
un certain niveau, nous apercevons là un acte libre dénué de peur, et
pourtant, il nous faut nuancer ceci, car il serait idiot de ne pas voir qu’il
faut un certain potentiel inné pour se retrouver investi dans cette
démarche ; là encore les étoiles parlent...

Le AUM

La syllabe sacrée se trouve à plusieurs endroits de ma


demeure, comme le rappel de ce que nos sommes essentiellement,
blanc sur fond violet, ou rouge éclatant entouré de rayons partant vers
l’infini. On dit que c’est le son créateur et il n’est pas un mantra qui ne
commence sans lui. Sa prononciation mentale résonne comme un
bourdonnement interne qui semble réveiller toutes nos cellules ; je n’ai
jamais appris à le prononcer mais je n’ai jamais douté de lui, comme s’il
avait toujours fait partie de ma vie. Il est le symbole du sanatana
dharma, de cet ordre éternel omniprésent qui s’est conservé dans cette
matrice indienne où la vie spirituelle a toujours été au centre des
préoccupations, et on peut dire que c’est toujours vrai malgré
l’entraînement d’un temps qui s’accélère et qui nous conduit vers une
mutation attendue mais qui reste imprévisible dans la forme.
L’enseignement de la non-dualité, ou advaïta est devenu populaire en
Occident et se prête à un jeu interprétatif qui dépend de la personnalité
qui le vit et l ‘enseigne ; l’éveil s’est produit mais les vasanas et
samskaras, les résidus latents inconscients, les nœuds, les points de
rencontres initiaux des éléments formateurs de la personnalité ne
sauraient être éliminés par un coup de baguette magique. l’invocation
du son primordial font remonter à la surface, l’intention de découvrir la
vie dans sa plénitude, et avec elle, ce qui veut aller dans sons sens
mais qui ne saurait le faire sans l’acceptation de l’esprit conscient. La
vie spirituelle est cette démarche qui consiste à relâcher cette barrière
qui nous sépare de nos profondeurs, celles que nous partageons avec
l’ensemble de l’humanité et plus loin encore, de la vie cosmique qui
s’est faite corps en nous et dont nous portons l’empreinte d’une
inépuisable réserve. Nous revenons à la fameuse formule, « connais-toi
toi même, et tu connaîtras l’univers et les dieux ». Les mystères
antiques ne sont plus à notre portée et nous devons nous lancer à
l’aventure sans garde-fous ; l’entreprise initiatique se mue, le plus
souvent, en une forme quelconque de psychothérapie car les passeurs
authentiques se font plutôt rares, mais un besoin existera toujours, qui
poussera le hommes à retrouver le chemin qui les reconduira à l’origine
qui est aussi la fin. Mircéa Eliade a souligné à quel point la lecture, puis
l’interprétation des choses sacrées pouvaient jouer un rôle initiatique, lui
qui connaissait le yoga mais qui a préféré la carrière d’intellectuel et qui
constitua pour lui un chemin véritable. Le jnana yoga, souvent assez
mal défini aujourd’hui, passé inaperçu sous la masse de techniques
énergétiques qui inondent le marché, n’est-il pas ce chemin de
l’intellection susceptible de nous ouvrir les portes de la dimension
mystique ?

La belle carte du Monde

L’accomplissement existe dans le Tarot ; la carte du


monde représente les quatre constellations majeures que sont le
Verseau, le Taureau, le Scorpion, le Lion, qui sont devenus aussi le
symbole des quatre évangélistes, le tétraèdre qui informe la marche du
devenir cyclique dans le cosmos. L’être nécessaire se déploie selon un
ordre qui lui est propre, selon une logique que nous ne pouvons
retrouver qu’après coup ; nous ne pouvons rien dire de son essence et
c’est d’une manière partiellement éveillée que nous traversons ce
monde, et pourtant, quelque chose nous conduit à le connaître par
participation à la vie qui nous est donnée et qui est bien la chance de
devenir conscient d’un être et d’un phénomène qui nous dépasse
infiniment. La célébration qui suit les retrouvailles signale nôtre entrée
dans une dimension consciente qui nous porte au-delà du statut de
simple créature, de nature naturée, mais fait de nous des agents actifs,
à un certain niveau, d’une vitalité transcendée qui accouche d’un être
nouveau selon l’ordre naturel. L’état de grâce survient après l’avoir
longtemps désiré ; il réveille aussi le meilleur de nous-même, un bien
qui ne s’accorde pas toujours, loin s’en faut avec ce que la mentalité
ordinaire attend de nous, surtout si nous avons quelque prétention à ce
sujet, car cela nous sera reproché sans tarder. C’est dans la discrétion
que se réalise la dimension verticale, effacement et accomplissement du
monde, car c’est en nous que nous le portons à son achèvement. Les
éveillés authentiques ne parlent pas d’une ligne d’action car l’être se
suffit à lui-même et son action peut être qualifiée de subtile, surtout au
regard de ce qui est attendu d’un homme de bien. Néanmoins, il se
trouve toujours des gens qui remarquent la caractère singulier de cette
destinée marqué d’un caractère spécial, indéfinissable, qui pousse à
l’examen, à la réflexion, à une sorte de paix enthousiaste qui donne
envie de prendre un aller simple, une destination sans lendemain, pour
y vivre enfin le mystère descellé de la vie. l’instrument dont on joue se
trouve désormais sollicité au plus haut, intelligence et sensibilité
fonctionne sur un mode qualitatif supérieur ; une fraîche curiosité nous
parcourt comme une onde venant d’un horizon lointain, apportant avec
elle des nouvelles inédites dans un langage poétique. Ainsi,
l’accomplissement suggéré par le monde n’est pas cet accroissement
ordinaire de soi, mais un changement vibratoire qui affine un sixième
sens, celui d’être au monde tout en participant déjà d’un au-delà
pressenti mais qui reste inconnu.
Le caractère du sage

Spinoza est un philosophe aimé car il ne dénigre pas a


priori le corps et les passions : «La béatitude n’est pas la récompense
de la vertu, mais la vertu elle-même ». Ce n’est pas de se bien conduire
qui arrive en premier, car en vérité nous n’y parvenons pas sans la juste
compréhension de ce que nous faisons ; il ne sert à rien de réprimer ses
passions tant que nous ne comprenons pas en quoi la tempérance
s’avère bénéfique et c’est précisément parce que nous devenons
intelligent que les choses s’organisent autour de cet acte intellectuel,
devenu comme un méta-niveau cognitif, qui relativise et place en
perspective tout le reste : « Aussi longtemps que nous ne sommes pas
tourmentés par des sentiments contraires à notre nature, nous avons le
pouvoir d’ordonner et d’enchaîner les sentiments suivant un ordre
conforme à l’entendement »27. La sagesse de Spinoza nous apprend
qu’une passion ne peut être combattue frontalement, mais ne peut être
affaiblie ou remplacée que par une affection plus forte : « un sentiment
ne peut être empêché ni enlevé, sinon par un sentiment contraire et plus
fort que le sentiment à empêcher »28. Non pas se battre contre la
nécessité mais comprendre vraiment l’inévitable et réaliser la présence,
ici et maintenant de l’éternité, plutôt de l’intemporalité, c’est cette
fameuse connaissance du troisième genre sur laquelle tant de
commentateurs ont buté, et qui donne un charme tout particulier à
l’Éthique. Alors que certains classent rapidement le philosophe comme
un rationaliste athée qui aurait ménagé, par prudence, une place à Dieu,
la dernière partie de son livre maître leur reste étrangère et incomprise :
« L’opinion qu’a de moi le vulgaire qui ne cesse de m’accuser
d’athéisme, je me vois obligé de la combattre autant que je pourrai »29.
le système spinoziste s’avère être une gnose, un rationalisme mystique,
une métaphysique de la libération. Cette compréhension de la nécessité
est la porte qui ouvre sur l’éternité et vers la tranquillisation de l’esprit :
27 Spinoza Éthique Partie V , De la puissance de l’entendement ou de la liberté humaine, proposition X, 1677.
28 Ibid Partie IV, proposition LXIX,
29 Spinoza Lettre à Oldenburg 1665.
« Dans la mesure où l’esprit comprend toutes les choses comme
nécessaires, il a sur les sentiments une puissance plus grande,
autrement dit il en pâtit moins »30. La compréhension des choses nous
conduit vers une idée adéquate de Dieu, et cet acte de l’esprit, appliqué
avec constance nous conduit vers une sentiment de plénitude
incomparable ; le sommet de l’intelligence, du bonheur et de la
puissance vraie. L’amour intellectuel de Dieu est l’amour de toutes
choses, en tant que Dieu est tout ce qui est ; seul le sage cependant
accède à cette compréhension, car il ne saurait retrancher quoi que soit
de l’existence car toute chose à sa raison d’être et ne peut être, dans
l’absolu, considérée comme inutile et mauvaise.
Spinoza retrouve l’harmonie musicale dans sa doctrine très cohérente,
où l’entendement humain devient divin ; mais il n’ a cure du mystère, de
l’humble prière où de celle plus cérémonielle, mais qui possède toutes
une efficace que les philosophes d’une manière générale ont méconnu.
L’aspect du mystère, celui de la puissance et de la majesté, qui fait que
Dieu est vraiment Dieu, au-delà d’une pensée que l’on croît approcher
chez les grands métaphysiciens. Mais grâce à eux, ici nous pensons à
Malebranche, pour qui la raison est vraiment l’œuvre de Dieu et comme
il est bon de penser. Sur le plan de la magie, nous venons de le dire,
l’union de la pensée humaine et divine peut vraiment nous apporter une
protection efficace contre les coups durs et en ce sens, il est à noter que
la dévotion et l’humilité, sont bel et bien une condition pour faire entrer
la grâce dans nos vies ; quelque chose d’inattendu qui va contribuer à
nous pousser à réviser nos certitudes, où le développement de la
pensée ne se fait pas de façon linéaire et sans le concours de quelque
chose de plus grand. En effet, pourquoi l’homme serait le sommet de la
création ? Si pour certains, sa situation particulière lui donne un certain
rang privilégié, toutes les théologies reconnaissent l’existence des
anges, des êtres spirituels affranchis de la servitude de la matière, qui
représentent bien le rêve des gnostiques, de ceux dont on peut dire
qu’ils ont en commun d’avoir voulu développer le potentiel mental et
psychique, reconnaissant que c’est dans l’accroissement de la
conscience, que se situe une possibilité de bonheur tout à fait
30 Ibid Partie V, Proposition VI.
intéressante. Un parfum de défi, un halo de chance, entoure cette
attitude nouvelle ; une volonté calme et forte, surgie de profondeurs
insondables, une capacité de résilience qui finit par racheter la vie
entière, entraînant avec elle le pardon salutaire, l’espoir, toujours
gratuit, toujours renouvelé, la charité des cœurs brisés qui illuminent le
quotidien du petit homme égaré. L’individu sur le chemin est un
progressant ; il ne saurait se satisfaire d’une quelconque station
particulière même s’il lui faut parfois se reposer. Il devient fier et digne
mais sans prétention et se sait aimé par êtres qui l’ont devancé et qui
désormais se tournent vers lui avec bienveillance. Les amitiés
terrestres deviennent toute relatives, une distance nécessaire mais qui
n’est pas du dédain : « et par suite cet amour ne peut être souillé
d’aucun des vices qui se trouvent dans l’amour commun, mais il peut
devenir toujours de plus en plus grand et occuper la plus grande partie
de l’esprit et l’affecter largement »31. L’esprit devient de plus en plus
capable de répondre à l’appel de son essence, laquelle se traduit par
cette volonté de se persévérer dans son être, cet infini en nous qui n’est
autre que le divin lui-même et dont nous ne sommes séparés que par
les passions tristes qui tendent au contraire à nous diminuer. Une
pulsion de vie qui culmine dans cet amour intellectuel ; l’intelligence
triomphe de la bassesse, de la négativité, devenant apte à saisir l’être
de toute choses de façon synthétique, dans une intuition intemporelle de
la figure du monde. L’univers de Spinoza n’est pas marqué par le temps,
par le devenir ; il est ce qu’il est depuis toujours et cela est nécessaire.
C’est cela que l’esprit comprend, abandonnant la subjectivité maligne
dans une vision sous l’angle de l’éternité. Cette partie de l’esprit est déjà
éternelle, elle ne le devient pas après la mort à la faveur d’une
récompense pur bonne conduite. Le philosophe rejoint ici l’ésotérisme le
plus pur, celui dont les symboles permettent l’accès à la gnose véritable
et qui laisse de côté l’interprétation commune des religions, où l’esprit
est encore plongé dans la dualité ; cette conception partielle où l’âme
veut se sauver du monde en pratiquant une vertu qui prétend l’élever
au dessus du péché. Pour la religion, il est essentiel que le libre arbitre
existe afin que le jugement divin ne soit pas vain ; l’Ethique réfute cela
31 Ibid proposition XX scolie.
où l’âme n’est juge que d’elle-même. Cependant, on peut se demander
pourquoi le sage devient ce qu’il est, lui que Spinoza distingue bien de
l’ignorant, et comment il acquiert cette compétence ; cela ne figure pas
dans ses explications, et l’on ne peut que constater que la très grande
majorité ne réalise pas ce potentiel. Pourquoi alors cette différence
entre les êtres humains ? Cet avancement où ce recul de certaines
âmes, en particulier dans un domaine qui décide de façon aussi
radicale quant à la qualité de la compréhension du phénomène de la vie
intérieure, laquelle bien sûr ne saurait être appréhendée sans une
connaissance du monde, les deux étant des choses tout à fait
inséparables ? Cette différence ne peut être appréhendée de façon
objective et renvoie au mystère de l’individu lui-même, problème qui se
pose même si l’on étudie la génétique particulière à chacun, dont on sait
que la connaissance va permettre de déterminer la propension à être
victime de certaines maladies, mais ne permet pas à coup sûr si celle-ci
va vraiment se déclencher, ni surtout comment l’individu réagira à son
égard, tant sur le plan de sa manifestation effective, que de la façon
particulière dont la personne s’en trouvera affectée. On peut avoir
recours à l’étude de tout un ensemble de déterminismes afin de
comprendre quelqu’un, et bien entendu, cette approche nous
apprendra de nombreuses choses très importantes et pourtant, il restera
toujours une part d’incertain, d’imprévisible, comme si la nature était
capable de produire des individus tout à fait singuliers même si ceux-ci
sont rattachés à des types, des espèces, des catégories et ce de façon
bien repérables. C’est un mystère et un chance que de vivre dans un
monde qui offre une telle perspective, d’autant que l’être humain sa
caractérise justement par cette prise de conscience aiguë de son être,
qu’il vit de plus en plus en plus en fonction de cette saisie de lui-même
et ce d’autant plus que son intelligence se développe ; il en vient
d’ailleurs à préférer souvent la solitude et la réflexion lorsqu’il
approfondit toutes les données qu’il a enregistrées et retravaillées en
son for intérieur et il prépare une œuvre singulière ; il rassemble sa
pensée, il fait vivre le contenu des ses cogitations jusqu’ à un point
extrême qui le distingue de beaucoup de ses contemporains qui
restent, pour la plupart largement tournés vers la vie pratique, la routine
élaborée au cours des années et qui permet un bon fonctionnement en
ce monde. Le génie de Schopenhauer est une individu « traversé » par
l’essence métaphysique ; il perçoit les archétypes de la Volonté, l’
intériorité du monde alors que les autres restent confinés dans la
représentation. Le grand artiste est de cette nature et le philosophe
aussi, en tant qu ‘il pratique cet art de l’interprétation, pénétrant « la
Thèbes aux cent portes », que constitue la trame du monde.
Palingénésie, métempsychose, réincarnation, ces hypothèses restent
des explications sérieuses pour expliquer le caractère singulier de
certains individus qui jurent étrangement par rapport à leur milieu et dont
les parents s’exclament souvent « mais de qui tient-il cela ? » le génie
est un étranger en ce monde alors même qu’il l’habite plus
profondément ; la vie n’est pas toujours douce pour lui dont la
caractéristique est une sensibilité exacerbée, ce qui du reste, faisait dire
à Schopenhauer que des êtres plus subtiles que l’homme ne pourrait
pas supporter d’être au monde. C’est à cet endroit que ce penseur
manquait peut-être d’imagination, ou ne voulait pas voir que des être
spirituels justement pourrait participer de ce monde tout en n’en faisant
plus partie et qu’il reste bien difficile pour nous d’émettre des jugements
corrects à leur encontre. Il reconnaissait dans son Mémoire sur les
sciences occultes, que des spectres pouvaient apparaître comme des
sortes d’images rémanentes du monde de la Volonté, de même que la
magie, puisque cette face intérieure du monde est d’essence
métaphysique. Le sage est celui qui va jusqu’au bout de sa vie ; il en
connaît tous les aspects et meurt parce qu’il en a épuisé les
possibilités. Ce ne sont pas des techniques ou des voies spirituelles qui
pourraient nous accorder ce don de compréhension, lequel pour le
philosophe de Francfort, ne saurait être que le résultat du « travail »
philosophique. Celle-ci ne doit pas être confondue avec une discipline
universitaire, mais elle correspond à une vocation qui dégage l’individu
du monde commun du désir dans lequel il est empêtré depuis un temps
immémorial. On reconnaît là, la dimension gnostique propre à la
pensée de Schopenhauer. La tradition de l’Inde est la seule a vraiment
indiquer qu’il existe la phase du renoncement comme couronnement de
la vie humaine ; si on lui attribue le qualificatif de pessimiste, c’est bien
parce que notre civilisation est encore jeune et exprime cette vivacité de
la Volonté qui ne s’est pas encore suffisamment objectivée. Les
penseurs modernes de l’ésotérisme tels René Guénon ou Gurdjieff,
remontent toujours vers une source de sagesse qui est antérieure au
paradigme moderniste et se donne la mission de restaurer une vision du
monde qui est devenue inconnue des hommes de l’occident en
particulier. La vie spirituelle, philosophique reste le fait de l’individu et
l’on ne peut savoir dans quelle mesure un accès à la sagesse peut
influencer le monde alentour ; cela n’est pas repérable aisément, et il
faut plutôt envisager des liens subtils qui se nouent au-delà des bornes
du temps et de l’espace, à un niveau « quantique » ainsi qu’on
commence à l’envisager de nos jours. Si pour certains nous avons
l’audace de mélanger des points de vue d’auteurs qui semblent
irréconciliables, pour notre part, nous voyons au-delà des apparences le
même mouvement de retour à l’origine chez des hommes dédiés à cette
quête sans fin véritable, et la tradition ne peut être un repère valable
pour comprendre le monde, tant que l’individu n’est pas vraiment naît à
lui-même et n’ose pas envisager un chemin solitaire. Les profondeurs
de notre être semblent gardés par une censure que Freud a reconnu ;
cette barrière inconsciente que l’on doit repousser et qui nous conduit
vers un mode au-delà et en deçà de la raison.

Le surréel

Nous ressentons une insuffisance dans cette vie ; il y manque


la dimension du rêve que nous faisons lors de douces nuits et dont les
images nous instruisent sur de parts de nous-mêmes délaissées et qui
aimeraient à venir au jour. Ces visions subtiles nous voudrions qu’elles
se manifestent de façon créative lorsque nous sommes éveillés où
nous sommes soumis à un principe de raison qui nous frustre. Avoir été
amoureux en rêve change la vision de la personne concernée, pour
laquelle jusqu’ici nous n’éprouvions pas la même tendresse ; c’est peut-
être l’espoir, la révélation d’un amour possible comme si nous n’avions
pas su le voir durant nos heurs où nous semblions pourtant en
possession de nous-même et de savoir ce qu’il convenait de penser
d’elle et de la position correcte à tenir à son égard. Nous la croisons au
hasard de nos parcours et soudain, nous nous rendons compte que
quelque chose à changer, que nos yeux se sont dessillés ; notre
attention n’est plus superficielle comme à l’accoutumé, mais tout au
contraire, elle saisit comme une essence cachée de la personne, un
parfum secret que notre esprit libéré nous permet de voir. Peu importe
que cela soit qualifié de fantasme, nous réalisons que notre façon de
voir le monde est modulable, que la force des images oniriques peut le
transfigurer, le morne et l’habituel peuvent laisser place à des
ouverture secrètes, des charges affectives nouvelles et plus subtiles
dont nous sommes porteurs et que les artistes parviennent à mettre en
forme et nous comprenons que cela pourrait aussi être notre cas, si
dorénavant nous sachions nous mettre à l’écoute de cette part secrète,
de cette richesse des profondeurs qui ne cesse de produire des
merveilles dans les coulisses de notre être pensant. C’est le
pressentiment du projet surréaliste ; découvrir l’être amoureux qui ne
cesse de désirer un quotidien où l’on offre des roses, où l’on se marrie
sur un coup de tête, où l’on part en voyage sans un sou en poche et
l’on ne cesse de défier la lourde réalité du jour que la pensée commune
nous force à accepter ; le rêve est reconnu pour sa puissance
évocatoire depuis les origines de l’humanité ; il est la base sur laquelle
la magie est envisageable. Mais il ne faudrait pas vouloir en tirer partie
comme nous le faisons d’un outil ordinaire ; se forcer à rêver n’apporte
pas, le plus souvent les résultats escomptés, et de la même façon, nos
vœux ne se réalisent pas sans lâcher prise. Les gens qui croient au
destin bénéficient d’une sorte de sécurité intérieure qui les rend plus
souples et moins nerveux ; ils profitent mieux de la vie comme s’ils la
voyaient selon une perspective quelque peu décalée ; la vie est ce rêve
du grand esprit et nous devons y prendre part sans tout gâcher par
cette impatience égocentrique qui pousse les enfants à ouvrir leurs
cadeaux avant l’heure, et qui les conduit à être toujours un peu déçu.
De l’imaginaire créateur universel, devenons les médiums
sympathisants, des êtres qui écoutent et qui prient, qui croient
fermement en la réserve de puissances dormantes que nous pouvons
assimiler lentement. Rien ne presse car notre être appartient à la force
qui crée incessamment ; nous ne pas sommes seulement le personnage
transitoire que les circonstances ont façonné ; ses limites s’effacent dès
que nous retrouvons la faculté de rêver et de penser. L’amour et le
voyage sont possibles, si toutefois nous renonçons à l’étroitesse des
vues, des préjugés, des peurs qui constituent le maillage serré qui
nous a été imposé comme seul itinéraire possible. La solitude est le prix
à payer pour opérer cette transmutation des valeurs ; acceptons la
courageusement comme un don opportun lorsqu’elle nous échoie et
sachons mesurer la chance unique qui s’offre sans s’arrêter sur
l’expérience de ceux qui l’ont vécue comme une malédiction ; c’est à
cette condition que des rencontres fécondes peuvent avoir lieu, tout
d’abord parce que notre regard aura changé et que nous sommes
capables d’apporter du prix à la relation avec nos semblables. Il est vrai
néanmoins qu’ils peuvent se sentir quelque peu mal à l’aise face à une
présence réelle, mais ils garderont certainement une impression
favorable de cette rencontre, et cela éveillera sûrement leur curiosité. La
démarche surréaliste est un stimulant pour la pensée et il s’est avéré,
comme dans tous les cas d’écoles, qu’elle ne saurait être la panacée
pour accéder à notre richesse, laquelle ne doit pas être considérée
comme un objet qui serait à distance de nous, comme un eldorado dont
nous serions les découvreurs ; il n’en est rien, car ce qui est en jeu,
c’est un rapport dynamique avec nous-mêmes, un dialogue entamé
depuis notre jeune âge et qui nourrit la qualité de notre conscience. Les
psychologues s’interrogent aujourd’hui ; est-il bon de se parler à soi-
même, même à haute voix ? Bien sûr qu’il est bon de s’entretenir avec
soi car qui le ferait à notre place sinon la voix du consensus qui nous
rive dans un présent coutumier et utilitaire qui nous détourne de notre
plus haute exigence, celle de façonner notre capacité à penser et de
nous établir comme sujet de nos expériences. Celles-ci doivent être
retravaillées à l’aune de notre conscience, dialogue de l’être et de la
pensée qui nous enjoint de partir à la découverte d’un continent qui ne
cesse de se révéler à mesure que nous prenons le risque d’avancer. Un
autre réel se fait jour ; celui qui nous étonne car il n’est pas préétabli
par l’opinion commune ou limité par une auto censure du surmoi ; nous
avons fait le pari d’être soi et cette démarche est tout à fait
désintéressée, à part la plaisir que nous prenons à mettre en œuvre les
plus hautes instances spirituelles, dont nous soupçonnons aussi qu’elles
sont capables de convoquer des aides invisibles, des présences
subtiles qui caressent le même espoir de nous voir nous éveiller à la vie
de l’esprit. La fameuse écriture automatique n’a pas besoin d’être
poétique ; à en trop vouloir nous bloquons la simple inspiration,
l’ humble marche de l’esprit vers la prise de conscience de soi. Nous
devons être fidèle, même dans les moments apparemment sans
importance, car il ne serait pas juste de nous considérer seulement
comme des artistes créateurs qui souhaiteraient mettre de côté les
pensées les plus ordinaires ; nous nous devons à elles aussi, sans
porter de jugement, dans l’attente tranquille de révélations plus hautes.
C’est dans la solitude dépouillée que nous nous retrouvons en face de
nous, que nous découvrons que nous avons pour tâche de prendre soin
humblement de nous ; là les écrivains sont d’un grand secours et sont
les amis véritables d’une conscience naissante à la vie intérieure.
Lorsque nous avons vraiment avancé sur ce chemin, les petites choses
ne sont plis aussi déplaisantes mais peuvent nourrir notre sensibilité,
comme si notre éveil pouvait les éclairer sous un jour nouveau. c’est
sans fracas ni trompettes que nous trouvons le surréél comme baume
quotidien.

La préparation

Notre attention de peut manquer d’être attirée par bon


nombre d’offres de coaching, de développement, de soi-disant
spiritualité ; elles promettent la lune alors que la très grande majorité ne
peuvent offrir qu’une forme sophistiquée de divertissement ? ce qui
convient d’ailleurs très bien au clients qui peuvent se permettre de se
payer de tels loisirs. Finalement tout est bien comme ça, mais il en va
tout autrement pour la personne appelée, qui découvre cette vocation le
plus souvent au cours de ces jeunes années. Signe tout à fait
caractéristique, cette jeune individualité prend la découverte de la
pensée très au sérieux ; l’éveil à la réflexivité est l’événement le plus
marquant de sa vie, un nouvel être muni d’yeux et d’oreilles qui
s’ouvrent vraiment sur un monde qui semble venir au jour pour la
première fois, qui invite à être interrogé et parcouru dans toute son
ampleur. L’amitié est parfois merveilleusement providentielle ; elle est le
terrain d’aventure et le refuge de ces âmes sauvages qui n’opinent que
d’après elles, qui se sont lancées éperdument à la recherche d’elles-
mêmes, dans un entourage chaotique mais qui s’avère riche en
possibilités, à la « faveur » d’une béance offerte par une carence
éducative et culturelle ; les candidats à la vie spirituelle, sont plongés
dans une folie qu’ils doivent apprendre à contrôler sous peine de ne
pouvoir découvrir leurs facultés, tenir debout et revendiquer leur place,
enfin vivre une vocation qui n’attend pas. La pensée est une flamme
vive, une chandelle dans la nuit qui éclaire tous les recoins de
l’existence, et dont la cire se compose d’un matériau brut. Dans la
perspective académique, la pensée est un travail qui va consister
essentiellement en la transmission d’un savoir ; le penseur original, lui
est appelé par des puissances ténébreuses, éclairées par la lumière
intense de l’idéal. Il ne connaît pas de répit, une ambition intellectuelle
faustienne et dérangeante, l’entraîne dans une folle sarabande ; il ne
sait qui mène le bal mais il se sait convié, et pour rien au monde, il ne
déclinerait une telle invitation. Il sent confusément la promesse d’une vie
totale, qui ne se refuse rien mais qui ne veut rien rien posséder, qui
laisse les choses et les êtres, être ce qu’ils sont tout en pénétrant leur
intimité. C’est ainsi que les livres interdits, les cogitations étranges, les
rythmes décalés du joue et de la nuit, exercent une fascination
ininterrompue. Peu de résultats face à cette entreprise de conquête
audacieuse, mais la saveur secrète du fruit défendu. Dieu et Satan à la
fois se chamaillent en cette poitrine tourmentée ; nul de devient
dominant et c’est le jeu qui en vaut la chandelle, non la victoire de l’un
sur l’autre, car elle serait la fin de l’histoire. C’est une prière constante
qui habite cet être de désir et le plus dur et de faire la paix avec soi. Nul
ne peut vraiment le conseiller, son chemin est étroit car la seule
référence admissible est celle de sa propre compréhension et il ne peut
se permettre de trop accorder sa confiance. l’exil et la déchéance
deviennent la marque de son salut, préférables en tous points aux
mouvements des foules aveugles, manipulées par des forces
universelles incertaines. Face à l’accablement causé par les nombreux
décès, les défaites, les maladies, une étrange sérénité se lève comme
l’aube renaissante d’un monde nouveau ; c’est une force au-delà de
l’espoir, un pouvoir d’être qui n’appartient qu’ à ceux qui ont accompli la
ronde des existences. Seule la maturité des âges peut faire un sage ;
les anciennes traditions rappellent des choses précieuses, elles sont
comme des bornes sur la route panoramique de l’histoire, mais elles ne
sont pas des destinations finales, mais des points relais, des preuves
rassurantes d’une philosophia perennis qu’il va falloir ranimer, retrouver
en nous, tout en y incorporant la réflexion contemporaine dans ce
qu’elle a de plus caractérisé et de meilleur à offrir. Si l’histoire réalisait
cette fameuse synthèse finale, comme le pensait Hegel, cela voudrait
dire que les hommes du début n’étaient pas né assez tard pour acquérir
une véritable intelligence des choses. Nous pensons qu’il n’en est rien ;
que l’être humain a toujours eu à sa disposition les capacités de vivre
une existence spirituelle, sans tout ce fatras des événements et des
technologies. La sensibilité et l’intelligence n’ont nul besoin de
synthétiser de façon dialectique l’expérience du monde, car la
connaissance que nous en avons est donnée à tout instant, sans que la
théorie puisse adéquatement en rendre compte ; l’interprétation des
possibles s’offre dans la communion avec la présence devenue certaine
de l’être essentiel au cœur des mondes. La solitude se revêt d’une
lumière lointaine et les hommes du futur ne sont pas enviés. La vérité
est là et s’impose comme le monde, mais l’homme moderne n’est plus
en contact direct avec l’existence et sa valeur ; l’artifice a remplacé la
nature nourrissante et inspiratrice ; les esprits élémentaux se cachent et
les anges tentent encore de faire signe aux hommes qui prient, aux
chastes vestales qui permettent encore des portions de la Terre soient
préservées et aimées sans raison, sans avoir besoin de recourir à
l’écologie pour comprendre le monde qui nous entoure. Nous ne
souhaitons pas œuvrer pour l’ignorance, mais plutôt pour dire que la
connaissance de l’existence commence d’abord par l’attention
particulière que nous lui accordons au jour le jour, sans le recours
systématique à la médiation des instruments pour le mesurer, le tordre,
le faire parler à tout prix..Nous sentons d’abord que le monde est un
poème muet qui ne raconte que lui-même et que nous sommes conviés
à entendre, éventuellement à rajouter quelques vers légers et discrets.
L’homme bon apprécie encore le travail de la ménagère, le sacerdoce
inquiet mais chaleureux de ce vieux prêtre, les enfants qui traversent
sagement la rue calme ; ces visions de notre enfance raconte encore
Une histoire organisée à notre échelle, avant qu’une invasion étrange
perturbe nos vies et les affole tout à fait. Si la rencontre en nous de la
substance externe avec le sentiment interne, autrement dit les noces de
l’univers et de l’individu, le double regard unit au point focal de la
révélation, semble bien être le fruit de quêtes antérieures et la départ
vers une nouvelle vie dans l’inconditionné. Ce nouveau départ
s ‘accompagne d’une ré-lecture, au propre comme au figuré, des acquis
passés, des relations nouées, des visions du monde entretenues
comme de vieilles amitiés immuables, des livres à dépoussiérer.
Admettre comme nous sommes mus par une vérité objective, présente
et agissante, qu’il faut porter courageusement contre le mensonge
généralisé. Il convient de se confronter dans le dialogue de l’âme avec
elle-même, se laisser guider par cette inspiration ascendante, mettre le
pied sur l’échelle de Jacob et croire en la possibilité de rejoindre les
anciens maîtres de sagesse qui deviennent comme des compagnons de
route. La prise de conscience de soi coïncide avec la compréhension de
l’univers par lui-même et constitue en nous un acte définitif dont les
répercussions subtiles ouvrent des perspectives ignorées.
Rassemblement de la lumière après l’exil et célébration du retour de
l’enfant prodigue à l’heure inattendue. Par l’étude, la conscience de soi
se décentre pour s’ouvrir à l’origine qui est aussi la fin ; c’est la
découverte de l’instantanéité de l’Existence, la fusion du devenir et de
l’être dans l’individu qi renaît dans la perception élargie de son horizon.
La pensée est ramenée dans sa fonction essentiellement contemplative,
vouée à la theoria ; c’est la naissance au monde des idées qui rehausse
l’existence au niveau du sens, qui trouve satisfaction dans cette tension
vers une recherche indéfinie vers la lumière éclairante ; la fonction
intellectuelle ralentit le temps du devenir et dilate la conscience de soi
dans la fluidité, la célérité du monde idéal qui est perçu par l’œil interne
et qui fraternise avec la production intelligible intemporelle de la
génialité humaine qui se déploie sur Terre depuis un temps immémorial.
Les Avatars de la Révélation sont des rappels primordiaux qui
redressent l’intelligence perdue dans un monde humain devenu sourd et
incompréhensible.

Du corps

Ce que nous appelons le corps est l’objet de convoitise et


d’admiration ; il demande des soins incessants et tout semble tourner
autour de lui car l’esprit est déclaré se trouver dans le cerveau. Le
corps discipliné devient la possibilité pour la conscience d’habiter
pleinement ce véhicule qui devient capable d’œuvrer, faisant preuve
d’une telle excellence qu’il se fait oublier pour laisser une trace
numineuse de son passage, comme ses petites particules de prana qui
scintillent comme des poussières de lumière dorée. Le corps se fait feu
dans l’incandescence de la Présence qui s’affirme totalement ; ce n’est
que parce qu’on le laisse devenir pleinement lui-même qu’il peut devenir
autre et s ‘élever dans les nuées. Il souffre aussi et fait appel à notre
amour pour le soutenir ; une affection qui ne doit pas devenir
envahissante et qui vient se ressourcer au sentiment de
l’impermanence, nous permettant de retrouver une certaine légèreté. Le
corps humain que nous avons témoigne de notre passé ; il retrace notre
histoire depuis un début qu’il est néanmoins impossible de trouver.
Toute quête des origines nous confronte à l’énigme de la temporalité
insaisissable, à des boucles qui se succèdent dans un moment qui
disparaît à l’instant où nous pensons le tenir. Les limites du corps se
perdent également à l’épreuve d’une observation trop fine ; dans les
grandes dimensions il rejoint le foyer stellaire et « en bas », son aspect
particulaire, lui confère des propriétés incertaines qui restent sans
explications. Le corps est aussi éternel que le reste, mieux il n’ y a que
le corps vu sous un certain aspect, le mode étendu comme dirait
Spinoza. Notre corps présent est une goutte de la pluie éternelle ; elle
n’existera jamais qu’une fois et pourtant elle a toujours été déjà. Le
corps exprime vraiment le mystère de la temporalité, ce que je nomme
le paradoxe du devenir éternel instantané.
L’éveil et la prédestination

Il est vraiment nécessaire d’obtenir un peu de paix de l’esprit


lorsque nous traversons cette existence pour que nous puissions un tant
soit peu apprécier et comprendre le voyage. La culture ancienne a
toujours réservé une place essentielle à la notion de destin dans sa
façon d’appréhender le monde. C’est tout l’inverse qui s’est produit avec
l’avènement de la culture moderne pour laquelle l’individu entend se
libérer de son appartenance au cosmos et décider par lui-même de sa
destinée. La tendance contemporaine a accentué cette responsabilité
de l’individu et cela le conduit à une évaluation permanente de lui-même
et des autres, avec le souci d’être à la hauteur, chose qui signifie avant
tout de paraître comme tel et de cacher ses faiblesses. A l’avenir,
l’individu se trouvera fractionné au sein d’une société mondialisée
oublieuse de l’histoire, des ancêtres, qui souhaite faire disparaître
l’identité ancienne afin d’intégrer la personne au sein d’un monde
impersonnel plus vaste. C’est une nouvelle catégorie de forces
universelles qui semble défier l’homme et quelque part, certains
ressentent déjà tout l’enjeu du nouveau paradigme ; la résistance à de
telles puissances ne peut se faire qu’avec la participation supérieure et
bienveillante de la Providence, dans l’acceptation de son destin et du
modeste travail qui nous est imparti. Face à l’immensité du mouvement
de l’évolution, la complexité de la trame cosmique, il devient vital de
reprendre conscience de qui nous sommes réellement. Cela n’est
cependant pas un appel prophétique lancé indifféremment à toute
l’humanité, il s’adresse seulement à ceux qui se nourrissent de
philosophie, et qui ont à cœur de répondre à la question de la liberté.
Nous nous sommes convaincus de la solidarité indéfectible du
mouvement universel, qui en réalité se produit dans un instant éternel.
Nous pouvons nous décharger du souci constant de notre existence car
tout a déjà eu lieu, amor fati, éternel retour du même. Cependant, la
pensée de Nietzsche pousse à la responsabilité héroïque face au
destin, alors que nous souhaitons simplement réhabiliter cette notion
dans la théorie et la pratique d’une philosophie quotidienne. Il va s’en
dire que cela produit une perspective intellectuelle et psychologique tout
fait nouvelle ; l’individu qui comprend la nécessité de ce qui lui arrive,
pas seulement de façon mécanique, mais qui consent à la volonté
universelle, peut s’ouvrir à la méditation car ce qu’il contemple ne lui
semblera plus étranger. Mais que cela se produise ou non, cela aussi
relève du destin. Certaines séries tv récentes, réintroduisent les thèmes
tragiques qui parlent de la tout puissance du destin, du caractère
incompréhensible de nos vies, du jeu divin, du pathei mathos, d’une
sagesse trempée dans les flots inévitables du vécu, dont même une
science divinatoire accomplie, ne pourra en éviter la surprise. Il en est
ainsi de l’homme qui cherche mais qui ne peut trouver que des
réponses approximatives et provisoires, dans le champ de la
connaissance intellectuelle. Son âme aspire à la délivrance à partir d’un
certain stade de son évolution et cela le marque à jamais et constitue
une expérience qu’il ne pourra confier que très rarement. Désormais
bien conscient de ce qui l’attend, il considère le spectacle du monde
avec un recul grandissant ; il est mieux de vivre le présent en cessant
de s’inquiéter et c’est alors que peut agir une mystérieuse force
providentielle peut remplir le vide laissé par l’abandon de l’ambition et
de la peur. Le brahman est au-delà du bien et du mal ainsi que sa
manifestation ; il faut cesser de voir le monde comme s’il avait été fait
pour nous et apprendre à regarder avec plus d’attention , moins
d’attente et de préjugés. L’intelligence est ce qui peut nous ouvrir un
espace de liberté intérieure et toute action en ce sens s’avère
hautement bénéfique. L’Éthique de Spinoza est vraiment le modèle du
yoga de la connaissance, au moins jusqu’à un certain point, compte
tenu de ce que nous sommes capables d’en dire nous-mêmes ;
certaines techniques méditatives permettent peut-être d ‘approfondir cet
éveil cognitif à la réalité présente et à notre rapport avec elle. Ainsi,
accepter ce qui nous échoit est peut-être la chose la plus difficile à faire
dans un monde qui contredit cette évidence par ignorance et
superficialité. La personne qui a une vocation spirituelle, va passer
beaucoup de temps à se justifier à ses yeux et eu égard aux autres ;
c’est une perte d’énergie qui semble bien malheureuse et qui pèse
jusqu’à ce que l’on découvre l’action secrète de la Providence dans la
vie de ceux qui éprouvent un amour, un abandon particulier à l’Absolu.
Laisser entrer cette force dans nos vies est la découverte majeure dans
notre parcours, car cette façon de vivre ne serait pas tenable sans une
intervention « surnaturelle », le franchissement d’un pas décisif en
direction de la sortie de la tyrannie du mondain et du domaine mortifère
de l’ignorance ; cela ne se fait pas sans perte, car des attachements
affectifs, des peurs lointaines devront être abandonnées ainsi que de
faux espoirs entretenus par une image de soi illusoire. L’acceptation et
la reconnaissance de l’action divine n’attende pas notre perfection, et ce
faux idéal peut être un obstacle majeur à la transformation de notre
mentalité, à la venue d’une nouvelle vision du monde vérifiée dans la
pratique, dans le « miracle » quotidien. Notre cheminement peut enfin
progresser lorsque, paradoxalement, nous ne le désirons plus ; tout du
moins pas ce type d’avancée rassurante pour l’ego et qui fait que l’on se
trouve sage à nos propres yeux, et souvent, dans l’espoir secret, que
quelqu’un le remarque. Il s’agit bien d’un lâcher prise réel et la
perspective change ; nous ne sommes plus au centre de vision et de
commande mais nous commençons à laisser la place à une part
d’inconnu dont on sait cependant qu’elle est plus age que nous ne le
serons jamais. Ce n’est pas grâce à des exercices mentaux, des
techniques diverses, des nouveaux séminaires à la mode qui peuvent
produire un changement effectif ; celui-ci se produira ou non sans votre
consentement, comme le résultat d’une action naturelle venue à terme,
d’une floraison que l’on ne remarque pas sur le moment. C’est la vie de
l’absolu qui se joue à tout moment ; il devient particulier et s’oublie pour
que l’individu puisse s’imaginer aux commandes d’une vie qu’il chérit
comme son bien exclusif et qu’il défend à tout prix. Puis vient le temps
du retournement, de la métanoïa, l’individu cesse de souhaiter être celui
qu’il a été, car il entrevoit sa véritable identité ; et puis, plus ou moins
soudainement, c’est le réveil en découvrant qu’il est ce tout, à la fois
toujours immuable et changeant, toujours un autre sans cesser d’être
lui-même, l’aventure cosmique faite homme et qui se poursuit dès lors
qu’il en a fini avec cette phase intermédiaire, le première sur l’échelle de
la conscience de soi et qui marque une étape décisive. Abitare se cum,
devenir l’ami fidèle de cet éveil à soi, en compagnie des penseurs qui
ont œuvré dans ce sens et qui ravissent notre solitude amoureuse,
perdu pour le présent mais hôte des siècles, il sait dès lors faire naître le
bien qu’il vise ; il est cela qu’il cherche, et pourtant, il doit le devenir
toujours. La stupeur émerveillée et la joie de l’enfance, restent à jamais
des engrammes salvifiques ; c’est à cet instant que l’adulte blessé va
revenir pour se retrouver et ré-apprendre que cela n’aura pas été vain.
C’est une vie plus grande que soi qui est en travail ; ces enfants ingrats
se dispersent d’abord mais reviendront refaire les gestes éternels :
allumer l’encens et la flamme sur le tombeau familial pour honorer ces
instants tombés dans l’éternité.
La métaphysique apparaît vaine à ceux qui ne réalisent pas quel est le
véritable sujet de son propos ; l’ humain qui parle est plus qu’il n’y
paraît, il est l’absolu qui tente d’émerger de la nuit de l’inconscience et
souhaite rejoindre les radieuses intelligences spirituelles qui
accompagnent son chemin. L’assimilation de la culture humaine, ce
témoignage de l’aventure de l’esprit qui se construit, les enjeux subtils
de la métaphysique, l’appréciation de l’art, c’est tout ceci qui constitue le
chemin spirituel et la maturation d’un individu en pleine conscience.
Malheureusement, en ce moment, la voie spirituelle est rabaissé au
rang de technique et il semble bien que tout effort de l’intelligence soit
taxée de « dérive mentale », de rationalisation abusive presque
perverse à les entendre. Il en résulte un appauvrissement considérable
de cette matière et l’on peut comprendre que l’instruction académique
se détourne de ses sujets. Ceci dit, ce n’est pas là son seul motif ; c’est
dans le fond que la culture spirituelle et métaphysique pose problème
mais nous l’avons déjà évoqué à de nombreuses reprises.

l’idéal et le réel

La pensée Romantique dévoile la commune


appartenance de la pensée et de réalité au sein de la totalité ; la raison
tout en abandonnant pas ses fonctions courantes, se laisse porter vers
un delà lyrique de l’être, vers des régions supra-rationnelles et intuitives
où il est permis d’envisager des liens subtils, inaperçus depuis
l’ordinaire vie quotidienne. Mais c’est à partir de la vie intérieure que se
fomente un départ aventureux vers un sens supérieur et caché, un
ésotérisme vécu. Mon intérêt pour René Guénon revient régulièrement
depuis le début de ma quête spirituelle ; je viens de me rendre compte
en lisant le livre de JP Laurant, le sens caché dans l’œuvre de René
Guénon, que son thème astral comporte de nombreux points communs
avec le mien. Mais surtout, je me demandais bien comment quelqu’un
qui a vécu comme lui pouvait gagner sa vie, et j’ai appris d’autres
sources, qu’une pension mensuelle lui avait été allouée par un mécène,
une riche veuve américaine, preuve ô combien précieuse de l’action
secrète de la Providence. Il est vrai aussi que ces informations auraient
vraiment été les bienvenues beaucoup plus tôt.
La pensée n’est pas un phénomène isolé dans la tête d’hommes
étrangers au monde ; elle est la vie divine qui devient consciente d’elle-
même, qui s’enroule sur elle-même, s’enivre et se berce d’images
nouvelles produites à partir de sa chair. L’homme Romantique, se sent
par là investi d’une mission ; s’il a le choix de sa vêture, ce n’est pas par
vanité, mais parce qu’il reconnaît la présence divine dans son cœur,
celle des forces spirituelles murmurantes, que l’on devine sans les
toucher, que l’on ne comprend pas toujours, mais nous sommes
amenés à leur faire confiance. L’œuvre de fragmentation se poursuit, la
Lumière est mise à mal par des forces contraires qui poursuivent
inexorablement leur travail de sape. Le rêveur continue de voir des
étoiles et des papillons malgré la noirceur des inframondes qui s’activent
atour de lui.
l’idéalisme transcendantal de Schelling a bien raison de partir du
principe de la connaissance plutôt de que de celui d’être, toujours sujet
à controverse, car justement susceptible d’être une catégorie vide, ou
inconnaissable par nature. La conscience ne peut être niée, et il est aisé
de montrer quelle n’est pas un produit de l’homme, pas plus n’est
responsable de sa propre existence ; nous sommes renvoyés au cœur
de la nature, de son « imaginaire créateur », de ses potentialités
dormantes et qui ne cessent de demander leur réalisation effective. Il
n’est donc pas besoin de partir loin pour trouver le principe absolu de la
connaissance, puisqu’il siège en nous-mêmes, nous en sommes même
l’auteur et le sujet, existence naturelle et divine qui aspire au
développement de son esprit et qui en fait sa joie ultime. L’esprit en
mouvement bénéficie de grâces porteuses d’espoir ; le voyage n’est pas
vain et l’on réalise finalement que la qu^te est à elle-même sa propre fin.
Bien sûr, l’intelligence doit avoir un sentiment de progrès et pas
seulement d’avoir été mise en route ; l’histoire de la pensée s’anime de
l’intérieur et c’est comme si elle devenait notre propre histoire, comme si
les philosophes devenaient les membres de notre propre famille. Le mot
de Terence se fait réalité : « Rien de ce qui est humain ne m’est
étranger » ; la compréhension des hommes devient naturelle à mesure
que l’intelligence se développe, mais la compassion nous oblige aussi à
nous préserver par instinct de survie. Il faut revenir le plus tôt possible à
nos études, sans s’égarer dans les marécages de l’inconscience
humaine, qui offre le spectacle de vies offertes à tous les vents et qui
inspirent la pitié à la fuite à l’homme éveillé. Cette vie de l’esprit
s’accompagne d’exercices physiques stimulants, car le corps se trouve
comme galvanisé par la vie spirituelle et non pas délaissé, loin s’en faut.
C’est notre être tout entier qui acquiert une intensité merveilleuse.
Platon nous rattachait à une étoile et il avait bien raison ; l’avancée dans
la vie spirituelle permet de ressentir une attraction magnétique céleste,
qui nous guide vers la connaissance, sous la protection du seigneur de
celle-ci, l’être principe qu’en Inde on honore et vénère sous le nom de
Ganesh. Notre existence intelligible se construit visiblement et de façon
concrète par le franchissement d’étapes et par un travail continu ; tout
ceci ne saurait se faire cependant sans le soutien d’une inspiration qui
nous souffle des idées-forces, nous oriente vers des livres et des lieux
qui deviennent comme des sanctuaires et des réserves de vie
spirituelle. La conscience s’accroît grâce a ces soins continus que nous
lui accordons, à cette vigilance constante devenue note seconde nature.
Une unité se fait jour en notre âme qui veut se faire toujours plus un
écrin pour la grâce de l’intelligence ; un soleil intérieur s’allume et prie
en nous. Des événements fâcheux disparaissent et nous avons le
temps de respirer et de penser.
Navigation en eaux troubles

Le monde subit des influences subtiles et pernicieuses qu’il


ignore ; à mesure que nous en prenons conscience il devient d’autant
plus difficile d’y prendre part. Cette difficulté est compensée par le don
d’une foi et d’une énergie vitale qui transcendent les malheurs
passagers et qui donne la grâce d’un bonheur inespéré : « En cette vie
si brève ils ne veulent pas consacrer à des occupations extérieures leur
attention et leur temps, à les dérober au service de l’amour. Par une
sainte vie, ils ne cherchent qu’à acquérir de l’amour et à en répandre,
sans se soucier du grand spectacle des forces. Ils remettent
tranquillement leur destin aux mains de ces puissances, tandis que les
remplit l’intime conscience de leur inséparabilité d’avec l’être
supérieur.. »32. Les bouddhistes insistent sur la notion et la réalité de la
précieuse existence humaine ; il ne s’agit plus de gâcher « sa » vie en la
perdant à nouveau dans le labyrinthe du monde et de même les
gnostiques ont toujours insisté sur l’urgence qu’il y a pour l’homme à
s’éveiller, du moins pour ceux qui le peuvent encore. Arrivé à la
cinquantaine, le caractère évanescent de cette vie apparaît bien lorsque
nous consultons notre mémoire. Que reste-t-il de tout ça et qu’avons
nous vraiment retenu ? Comment dès lors est-il possible de se laisser
happer par de vains projets issus de la folie des hommes ? Nous ne
voulons pas parler du même amour, mais pour nous, c’est celui « che
muove il sole e l’altre stelle » comme le dit si bien Dante, tout notre être
est tendu vers l’infini, dans cette vitesse infinie qui confine à l’immobilité,
cette divine conciliation des opposés qu’évoque si bien Nicolas de
Cues. Le devenir chaotique du monde doit être laissé au profit d’un
appel à la Providence, cette action subtile qui conduit les amants
secrets vers le bout du tunnel, calme les terreurs, les excès de la
jeunesse, pour enfin établir une paix céleste et supra-mondaine. On
peut dire que le retour en dieu devient une certitude reconquise et
même un partenariat évident infiniment appréciable.
Mais tout cela ne se fait pas en un jour, surtout en ces temps troubles et
instables, qui en même temps, peuvent favoriser des retournements de
situation spectaculaires, les forces providentielles n’étant pas avares de
leur temps et de leurs dons, car elles ont, en principe, l’éternité devant
elles. L’ homme doit apprendre à recevoir et c’est le plus difficile pour
des individus éduqués dans l’idée que c’est à eux de faire, qu’il sont
32 Novalis Les disciples à Saïs 1802, trad Maurice Maeterlinck, edit Paul Lacombez Bruxelles 1914.
seuls au monde et responsables de leur destin dans un univers façonné
par eux et pour eux, et où plus aucune intelligence de l’esprit ne peut
intervenir et aider. Par définition, l’homme tombé n’ a plus conscience de
sa situation et peut aller très loin de le déni de sa situation ; ce n’est
assurément pas la somme des souffrances endurées qui peut garantir
une volonté de retour, mais bien évidemment, seule une prise de
conscience de la situation de l’homme d’aujourd’hui, à tous les niveaux,
peut laisser entrevoir l’espoir d’une « conversion » effective, un désir
ardent de vérité et l’espoir de parvenir à la trouver. Une marque
distinctive et claire sur le chemin ; l’individu pressent qu’il existe une
vérité absolue et qu’il est possible de la trouver, d’en vivre
intégralement, faire d’elle notre pain de chaque jour. Une Vie qui brille
en dépit des temps capricieux et incertains, fécondée à la source de
l’être, et toujours capable d’y retourner par un acte de remémoration ;
une fidélité à soi, pour le vertu de l’honneur lui-même, par la grandeur
de ce qui est
et qui ne cesse de se montrer pressant. Il faut une certaine audace,
celle qui consiste à tout lâcher, à préférer ce pacte avec celui qui reste
indéfiniment inconnu plutôt que l’assurance étouffante de la certitude
offerte par le commun qui nous a éduqué et nous entoure. Chaque jour,
dans la confrontation, l’aveu à soi, la voie se révèle dans son intime
beauté ; l’esprit se penche à notre oreille pour murmurer de douces
paroles d’encouragement qui effacent les douleurs de la veille.

La vertu

L’origine de cette notion est la fameuse virtù romaine, cette énergie


morale et virile qui constitue l’honneur de l’homme noble. Nous prenons
le parti de la vertu contre, dans le débat qui oppose stoïciens et
épicuriens, car nous pensons bien que l’évitement de la douleur, seul,
ne peut constituer le but d’une vie remplie, mais bien plutôt dans la
volonté de réaliser le meilleur de soi, c’est à dire de s’élever en esprit et
de repousser l’emprise de l’inertie matérielle, comme l’indique la carte
numéro onze du tarot, symbole de la force tranquille de l’âme qui vient à
bout de la sauvagerie représentée ici par le lion. Le triomphe de
l’homme peut être espérée lorsque l’on commence à entrevoir la
possibilité de l’aide providentielle des esprits supérieurs ; en dépit de
nos fautes et de nos errements, nous pouvons compter sur l’appui des
êtres qui ont parcouru le chemin avant nous et qui savent de source
certaine, combien il est difficile de rentrer au bercail. Nous voudrions
insister particulièrement sur le fait qu’il est important de ne pas se
décourager, l’homme est destiné à pouvoir y arriver et il le sait s’il
interroge son cœur, s’il crie sans relâche au sein de la nuit froide, une
lueur finira par lui apparaître. Il est évident que la voie spirituelle
propose un changement de perspective ; depuis l’ego centré sur ses
problèmes jusqu’à l’abandon en Dieu. La liberté ainsi conçue ne saurait
être question de libre arbitre mais de réel sentiment de plénitude que
nous apporte l’ascension vers le monde spirituel. Les stoïciens ont tenté
de faire comprendre ce point de vue à travers l’élaboration d’une
métaphysique rationnelle où le monde se montre dans son unité, sa
sympathie universelle, gouverné par Zeus, le principe de justice, qui
nous échappe momentanément dans ces jugements particuliers, mais
dont la compréhension rationnelle exige de prendre un point de vue
élevé, qui n’est peut-être pas accessible de suite. Au final, comme dans
l’ Islam, mais selon une approche plus religieuse, la confiance en l’ordre
du monde est requise car il est l’expression d’une intelligence et d’un
bien supérieur. Nous voyons l’importance du point de vue métaphysique
sur les esprits et les comportements et l’on devine aisément toutes les
conséquences pratiques que cette pensée peut engendrer. Penser le
monde en équilibre était le fait de la pensée antique mais son contraire
est devenu la marque distinctive de la modernité ; l’homme a perdu
contact avec le monde et a fait preuve de défiance à son égard, et ici
comme nous voulons le montrer, c’est l’abandon de la métaphysique qui
signe la mort d’une certaine intelligence spirituelle dans la mesure où la
porte du subtile finit par se refermer à force de ne pas être utilisée. Le
sujet clos sur lui-même, engagé dans une lutte constante contre un
univers hostile où l’homme croît qu’il peut et doit tout faire par lui-
même ; c’est l’expression même de la chute, est-il besoin de rappeler ?
que cet événement n’est pas à situer dans un passé mythique mais qu’il
se produit tous les jours et qu’il constitue véritablement l’origine du mal.
Afin de bien illustrer notre propos, nous devons montrer le divorce
existant entre l’exigence de sens de la raison humaine et la vie moderne
qui n’est pas motivée par un propos de service et de connaissance de
soi mais par la seule motivation de se bâtir une vie agréable. Les
médias affichent continuellement comme un modèle évident à suivre les
réussites fragiles et temporaires des stars du showbiz, suivies des
scandales et autres forfaits en tous genres de ces existences
continuellement exposées. A un autre niveau, le héros
« existentialiste », engagé courageusement pour des causes
incertaines, ou heureux envers et contre tout, apparaît comme une
exception dans un monde condamné ; il ne touche pas les gens simples
qui peuvent plus trouver le réconfort auprès des éternelles figures du
sages ou du saint. Nous voyons que le choix du plaisir ne nous mène
pas bien loin, si ce n’est vers l’exploitation commerciale du monde avec
le consentement hypnotisé des masses. La vertu est bien ce qui reste
envers et contre tout et c’est en ce sens que l’on peut parler de liberté ;
notre puissance d’être et d’agir se confondent dans la montée
asymptotique vers l’Esprit, et encore une fois la question du choix ne se
pose pas. Finalement, nous ne répondons jamais complètement aux
grandes questions mais c’est heureux, car c’est le chemin qui emporte.
Notre démarche est faite de curiosité et d’humilité, de l’espoir de voir se
réaliser notre vraie nature, celle qui est écrite et préparée depuis
toujours et que nous avons la joie et le mérite d’actualiser. La force
sublime de la prière se révèle lorsque nous nous réveillons un beau
matin munis d’une certaine sérénité souriante et que nous réalisons
soudain que le souverain bien n’est pas autre chose et qu’il se tient à
notre porte. Désormais l’existence acquiert une dimension de
profondeur qui donne du relief à ce passé que nous avons souvent
maudit et qu’il était bien difficile d’admettre ; une joie créatrice allège nos
pas discrets dans le dédale des villes. La révolte farouche d’autrefois à
laisser place à un forme sublimée d’acceptation ; celle du grand Tout, de
l’intelligence infinie, inconnaissable par elle-même mais dont nous
pouvons constater quelques effets dans la structure de la nature. Il est
plus difficile de voir où va la civilisation, peut être vers une prise de
conscience d’elle-même à travers ses errements dans le monde de la
déchéance et qui doit conduire vers une restauration qu’il ne faut
cependant pas attendre pour demain. L’attitude du veilleur, c’est ainsi
qu’on a pu dénommé la façon dont certains hommes plutôt éclairés et
versés dans l’ésotérisme, se tiennent vigilants face aux événements,
cherchant modestement à se préparer pour une initiation, à laquelle
cependant, ils n’ont pas accès dans l’immédiat ; ces études qu’ils
poursuivent, qu’ils tentent parfois de partager un peu autour d’eux,
constituent l’œuvre la plus importante de leur vie, expression même d’un
chemin d’abnégation et d’excellence. Cette attitude de travail humble,
est une supplication qui monte vers des cieux qui sont présents
éternellement pour l’homme qui s’incline honorablement.

La liberté

la liberté proposée par la philosophie moderne puis relayée dans la


mentalité populaire, exposée à grand traits, spectaculaire sur les écrans,
est une belle illusion qui fait vendre un modèle de l’homme et du monde
épuisant. La voie des anciens tourne ses regards vers la grande
efficace : celle du non-agir. Le sage comprend que tout se fait seul
depuis l’origine et n’a nul intention de se mêler à la bousculade pour
être au premier rang. Sa joie est comme le retour du printemps ;
éclatante mais invisible à l’œil nu, son adversaire songe à l’abattre
facilement, et alors qu’il s’avance pour porter un coup fatal, le sage s’est
déjà dérobé. Il a disparu, semble bel et bien perdu pour le monde mais
l’on commence à parler de lui ; il ne se reconnaît pas dans ces
descriptions. Le paradoxe de la sagesse c’est que la liberté se trouve
dans l’action juste et inévitable et non dans la délibération et de plus on
est dans l’abandon et le lâcher prise, et de plus on se sent porté par les
circonstances ; cela suppose une grande foi en la providence et
apprendre à croire. Si la liberté réside dans la sagesse et la proximité
avec Dieu, alors un espoir peut renaître dans les cœurs et les vies
éprouvées durement pendant cette existence ; ainsi que le dit
l’Évangile : « ..mais celui qui persévérera jusqu’à la fin, sera sauvé ». En
ce qui nous concerne, nous pouvons seulement dire ô combien la vie
est différente grâce à la prière et à la foi en la Providence ; cette
possibilité d’une vie régie par une force différente de celle de la logique
commune, c’est bien là une conviction que nous avions inconsciemment
quand nous avions fait le choix d’arrêter nos études et de nous
consacrer à la quête spirituelle, ce fût un pari fou qui décida du cours de
notre existence, mais il serait plus exact de dire, bien sûr, que quelque
chose était prévu qui nous conduirait à accepter et vivre une vérité
supra-mondaine, tel l’artiste parti définitivement à la recherche de la
beauté, et qui sait bien au fond qu’il ne rentrera pas de son voyage. A un
certain moment, nous savons que les longs préliminaires se terminent,
qu’une grâce habite notre âme meurtrie mais souriante ; la
métaphysique coïncident avec les courses et le ménage, car notre être
devenu transparent à un fluide subtil bienfaisant, ne se sent plus à
l’étroit dans cette existence qu’il a appris à incarner pendant toutes ces
années. Il va tenter, parfois rudement de réveiller quelques consciences
qui se trouvent placées sur son chemin, en particulier celles qui se
croient détentrice d’un certain savoir et qui ne font que tirer leurs
connaissances du consensus médiatique. Il n’a plus envie de perdre
son temps avec des discussions faites de compromis qui préservent les
points de vue particulier sans jamais faire vraiment avancer le débat ; il
sera dur avec certains car ils sont imbus d’eux-mêmes de façon
« dégoûtante », ceux qui font écran à la vérité, drapés dans leur vaine
gloriole. Il ne tardera pas à les confondre, à les affronter bravement, à
leur monter leur ignorance et les préjugés qui peuplent leur conscience
tels des hôtes choyés et bien nourris depuis des années. Comment
peut-on envisager une liberté quelconque sans l’éveil de l’intelligence
qui va constituer la naissance d’une individualité souveraine et
responsable ? Lorsque nous osons être, lorsque les voix intérieures
perturbatrices n’ont plus la même prégnance, que le projet de vie
ressenti si intensément durant l’enfance, se manifeste à nouveau pour
l’individu qui vivait jusque là comme un condamné, alors c’est un
profond sentiment de renaissance qui se fait jour et qui donne vraiment
la possibilité d’un nouveau départ ; des projets abandonnés peuvent
être redémarrés mais au-delà d’une qualité de vie qui s’accroît, c’est
surtout l’image de soi qui a muté en direction d’une vision indéfinie,
dynamique et salvifique. La dimension verticale de l’ascension s’ouvre
et tend les bras à celui qui est parvenu jusque là, qui a su imploré la
venue d‘un salut au-delà de l’entendement, que les anciens sages de
pays lointains connaissaient encore et quelques génies philosophiques
plus proches de nous. Le sentiment de liberté ne peut exister que parce
que nous avons fait l’expérience de la servitude, à tous les niveaux
« offerts » dans ce monde de la déchéance. C’est un relâchement des
tensions qui étaient le résultat de fausses identifications, d’attachements
et d’erreurs de conception ; ce passage à la maturité ne saurait
cependant se prévoir, se calculer, car il ne peut être considéré en
termes de quantité, mais c’est chaque âme individuellement qui vient à
la lumière en son temps et qui devient capable de regarder vers le haut
et d’entrevoir un devenir différent pour elle-même. Mais bien sûr, cette
compréhension n’est pas un phénomène séparé mais cela nous rend
capable de saisir les hommes dans leur ensemble, et du reste, les gens
qui entrent en contact avec nous, ne tardent pas, généralement à le
ressentir. Nous tendons silencieusement vers le dieu qui attire toute
chose depuis sa station suprême, invisible et immobile. Nous ne savons
dans quelle mesure il reçoit notre amour, mais cet effort n’est jamais
perdu car cette tension nous transforme peu à peu dans ce que nous
sommes vraiment, dans ce que nous aspirons à être de plus en plus
consciemment, depuis que nous avons reconnu l’essence de notre être,
dépassant la contrainte de l’humanité complaisante et égarée dans un
labyrinthe d’illusions qui s’entretiennent mutuellement ; à un moment
donné intervient une rupture salutaire, véritable passage initiatique qui
marque la naissance à une mentalité nouvelle. Aucun changement de
comportement, d’orientation de la destinée n’est à espérer ; certaines
choses peuvent se ré-accorder au diapason de l’esprit nouveau qui
réanime pas à pas les parties défuntes de l’être perdu dans la
déchéance que nous étions depuis si longtemps ; une chute
ontologique, une tristesse métaphysique qui brise tous les ressorts
essentiels. La liberté seule sait faire son chemin en nous par des voies
qui lui appartiennent et qui ne satisfont pas l’ego au demeurant, mais là
encore, la chasse directe aux mauvais penchants n’est qu’un
développement a contrario des mêmes tendances qui entachent le
véritable travail de l’esprit.

L’homme sans catégories

L’homme qui a muté dans la dimension de l’esprit est


vraiment celui qui préfère les paradoxes aux préjugés, pour rendre
hommage ici à la remarquable réflexion de Rousseau à ce sujet. Se
mouvoir à partir d’un espace de liberté qui est le fruit de toute une
maturation humaine, est un vin d’ivresse pour celui qui se meut dans les
repères habituels fondés sur la survivance pénible des individualités
bruyantes. Une lumière intellectuelle commence à poindre au fil des
lectures, des réflexions des rares et précieuses conversations, mais
finalement pas si peu fréquentes, car le gnostique a su les susciter de
façon presque irrésistible tout au long de sa vie, commence s’il était
devenu une parole vivante rendue disponible aux assoiffés. L’attention
qu’il a su capter le nourrit abondamment et donne une juste mesure
dans cette vie faite d’échanges constant, ou l’un et l’autre deviennent
indiscernables pour celui qui peut élever sa vision jusque là. Il ne s’agit
pas d’être heureux mais d’œuvrer à l’accomplissement d’une cause
sans bénéfices et sans fins, sans même songer à la beauté à la beauté
du geste, au devoir, à l’honneur. Le vrai détachement laisse sans voix
car le sens même disparaît ; il se fait jour une brise légère et
rafraîchissante qu’on peut qualifier de grâce ; dans ce renoncement
tranquille et sans drame, enfin la vie dont les sens aiguisés perçoivent à
nouveau les couleurs. En route vers la libération, l’individu n’est plus
soumis aux différents sens et âges de la vie ; perdu au milieu de nulle
part, il goûte déjà à la saveur de l’inconditionné.
Ce goût du mouvement qui donne des ailes au génie qui nous
accompagne, doit être suivi d’une humble reconnaissance à l’égard des
puissances fécondantes et inspirantes de l’univers ; une simple prière
pleine de foi peut nous prémunir contre une inflation égotique qui
viendrait tout gâcher ; surtout lorsque nous pratiquons des exercices
physiques et énergétiques qui rehaussent notre perception de la force ,
de le beauté , de l’habileté et de possibilités de séduction qui s’offrent à
nous quand nous vient la capacité de projeter de la poudre aux yeux, de
faire danser la lumière dans les voiles de maya. Le sentiment de liberté
doit être accueilli comme le cadeau le plus précieux, l’invité angélique
masqué venu des confins de l’univers. A partir d’un certain âge nous
devons comprendre que chaque instant est précieux, que ce moment
est passé de façon irrémédiable et que tout se joue tout le temps. Si
nous avons reçu la grâce de la compréhension, nous savons que nous
sommes pardonnés et que nous pouvons commettre certaines erreurs
mineures dues à la faiblesse de notre constitution ; telle addiction et tel
penchant continuent de nous empoisonner l’existence mais nous ne
sommes pas en quête d’une perfection stoïque car nous savons que
l’univers créé en est incapable. Nous percevons une beauté singulière
derrière les faits bruts en condition d’en avoir le loisir, et pour cela nous
nous déchargeons le plus possible des contraintes et obligations en
simplifiant notre existence ; nous sommes heureux d’être comme
quelqu’un parvenu à bon port et ne souhaitons plus devenir quoi que ce
soit en particulier, n’espérant pas non plus prolonger notre vie
inutilement. La peur de la mort révèle cette absence de compréhension
au sujet de la vie et de son sens ; l’homme d’aujourd’hui est un
handicapé métaphysique, une âme sous-développée qui s’étiole avec
les ans. Si les gens s ‘irritent de ne pouvoir juger la personne
pneumatique, celle-ci ne subira pas le contre coup de cela, si elle reste
bien dans la prière, sachant que ça vie ne lui appartient plus vraiment
mais devient l’œuvre de forces universelles créatrices qui se concertent
pour faire avancer le tracé du chemin vers la réintégration. L’âme libérée
comprend d’où elle vient, elle sait que son chemin était préparé pour
cette victoire sur les puissances d’en-bas, mais au tréfonds d’elle-
même, elle ressent aussi qu’elle a dû faire un choix même si d’un point
de vue logique et philosophique, celui-ci restera toujours difficile à
justifier. Mais après tout, c’est la réalisation spirituelle qui importe, la
transformation de l’être par une conviction inouïe, éblouissante, que les
capacités intellectuelles viennent seconder et dont elles constituent la
pleine expression par la suite ; mais l’expérience intérieure est le fruit de
la maturation de l’être qui n’est pas né d’hier et qui devient candidat à
l’élection spirituelle au fil des existences traversées. Celles ne sont pas
personnelles au sens courant, elles constituent toujours un partage de
l’humanité dans le creuset d’une conscience qui se forme, s’implique
puis s’affranchit avec tous et par tous. Cette liberté n’est pas facile à
acquérir car elle implique réellement la traversée du tragique qui
constitue pour l’essentiel l’affrontement entre les deux natures de
l’homme ; celle lumineuse et provenant de la source, et l’autre, bien plus
tardive, formée du limon de la terre avec le concours démiurgique des
puissances célestes. Quoiqu’il en soit, l’homme doit se rappeler sa libre
origine spirituelle s’il veut recouvrer le seul bonheur possible, qui se
conjugue avec être et non avoir ; il est vrai qu’il est tentant de voir
s’ébattre, dans le petit bassin, de jeunes âmes aventureuses dont les
exploits font rêver. L’âme mûre, le gnostique, jette un regard amusé,
parfois triste et compatissant, sur des spectacles qui se rejouent sans
cesse et dont il connaît les tenants et les aboutissants ; le savoir secret
réside dans l’interprétation du vécu et exposé dans une métaphysique
immémoriale que l’apprenant assimile progressivement du temps.

Le jeu des contraires

On apprend par le passage des ères, des ans, des heures à


rejoindre l’éternité immobile qui constitue le fond immuable de l’‘être.
Les souffrances vives et passagères nous conduiront à la plénitude
tranquille présente et non remarquée. Des facéties spirituelles égaient le
quotidien mortifère des hommes ignorants et esclaves. Il nous aura fallu
tant d’ivresse pour retrouver la raison . Ainsi nous pouvons aligner, sans
fin, des séries de contraires, car ainsi va la vie ; autant de contrariétés
qui révèlent un équilibre précaire que le maintien de la vie oblige,
comme la situation cosmique de notre astre dans le ciel, un miracle
permanent qu’on n’aperçoit plus et dont la raison ne se donne pas en
même temps que cette envie de participer qui nous appelle
automatiquement. Entre ces différentes situations qui s’ajustent
toujours, nous apprenons à nous placer correctement, et puis mieux
encore, nous prenons conscience de cet état de fait et nous pouvons
parler de la sagesse de ceux qui en témoignent. Jeu d’équilibriste qui
n’est pas si simple qu’il n’y paraît pour l’être humain est soumis à toute
sortes de pressions qui ne disent pas leur nom et d’un système éducatif
dont le bu t premier ne semble pas être l’apprentissage de la sérénité et
du bonheur. Cela reste donc une affaire privée, un projet individuel, qui
cependant, ne semble pas faire l’unanimité dans les sociétés dites
modernes alors que cela semble bien avoir été l’objectif principal des
mondes anciens et naturels, où la survie était en même temps associée
à l’apprentissage d’une sagesse ancestrale. Art de vivre qui implique
l’expérience de cette vie dans son intégralité, pour en faire la synthèse
et en tirer la quintessence. Mais ici point de méprise, il ne s’agit pas du
nombre ou de la variété forcée d’expériences qui va entrer en jeu ; c’est
la qualité qui compte et de ce parfum subtil émane le mystère de notre
personne et de notre liberté, et là les deux s’unissent et deviennent
inséparables comme un couple réconcilié et dont l’harmonie retrouvée
semble apaiser le monde. La philosophie et la science qui placent le
libre arbitre et son analyse logique, enferme la définition de la liberté
dans une catégorie a priori mais qui ne rend pas compte de la réalité
profonde des choses qui est d’essence surnaturelle. Si l’on considère
ceci de près, alors ce serait le monde tout entier qui serait condamner à
n’être jamais qu’une absurdité répétitive, et d’ailleurs sous cet angle de
la logique, cela semble normal, mais justement, c’est lorsque l’on
devient capable de le voir comme un miracle que le charme opère ; il
s’agit peut-être du don de la foi dont il est question dans la doctrine
chrétienne. La vérité de la vie ne se trouve pas dans les preuves qui
justifierait de son bien fondé en vertu de notre raisonnement ;
ultimement, l’intelligence doit s’abaisser pour laisser place à la
possibilité du miracle, au divin qui semble ne plus faire sens mais qui
s’impose dans l’âme tombée amoureuse. Effectivement, cela peut
ressembler à un amour mortel qui nous aura bouleversé et dont
l’aventure peut être comme un avant goût particulier, qui nous donne
envie de se mettre en quête de cette initiation spirituelle et existentielle.
La nuée primordiale au sein de laquelle naquit le désir de se connaître ;
venue de l’inouïe et de l’impensable, cette envie est ce qui nous meut
sans que nous sachions pourquoi jusqu’au jour où peut-être une vision,
une réminiscence se fraie un chemin dans la clarté du jour. Ce Christ au
centre du Zodiaque, ce talisman qui donne vie au souvenir de ce qui
importe le plus de savoir, pour l’homme égaré dans les roues broyeuses
de l’ignorance. La rédemption face à la tentation prometteuse d’une vie
infinie de beauté, une vitalité furieuse face à la douceur de l’humilité et
de l’amour de l’homme nouveau. Encore des oppositions qui font naître
la conscience d’une personne vraie, car en y réfléchissant, nous savons
que le savoir ne peut être que celui d’une conscience qui se sait elle-
même, en même temps qu‘elle se révèle unique et non pas un
enregistreur neutre de données sensorielles ou de computations
neutres qui ne laissent que des traces. l’oscillation du jeu des contraires,
leur mise en relation éprouvante tout au long de l’existence spatio-
temporelle, est le voie par laquelle par inévitablement la voie de
l’ édification et de la rédemption spirituelle et de toute connaissance ; il
ne faut pas s’attendre à ce que le conflit s’apaise, mais au contraire, à
l ‘image des célèbres et terribles tentations des saints, le chemin des
oppositions qui sont plus évidentes à chaque fois alors que nous
semblons prêts intérieurement pour une synthèse qui unifie. Il est bon
de parvenir à la vision de cet univers en équilibre précaire autour d’un
centre invisible mais omniprésent ; l’ action des vitesses stupéfiantes et
des énergies terrifiques contemplées par le « roseau pensant ». Dans
l’abandon se trouve la liberté, comme la force dans la faiblesse, mais
tout ceci pourrait ne pas être accessible avant une certaine vertu de
force intérieure et d’expérience ; nous sommes toujours renvoyés à nos
chères études et l’erreur consiste à croire en des raccourcis faciles. A
cette époque, l’homme pétri d’orgueil le reste également lorsqu’il devient
un chercheur spirituel ; les grands quêteurs et voyageurs augmentent
sensiblement ces derniers temps, désireux d’aventures et de visions
plus que de lucidité et l’on change de style de vie sans que le monde
intérieur soit vraiment abordé avec sérieux, faute là encore, ainsi que
nous l’avons souvent rappelé à une construction rigoureuse de la
pensée. Délaissement du subtil pour de l’expérience concrète,
mouvement si prisé chez les néo-spiritualistes, qui sont pour la plupart,
presque complètement ignorants de leur propre culture. Certains
« égarés » temporaires reviendront très certainement au christianisme
primitif.

Le savoir de la nature divine.

il a souvent été attribué le qualificatif de parfait au divin sans


s’interroger plus avant même chez les philosophes défenseurs de la
preuve ontologique. La perfection irait de pair avec l’infinité et la toute
puissance ; tout ceci est difficilement conciliable avec le caractère
inachevé de l’univers constaté par les gnostiques et de façon probante
par le révolution scientifique moderne. Une fois encore, c’est en se
référant à la tradition védique que l’on apprend que la Trimurti est faite
de trois éléments, dont un est « responsable de la destruction, Shiva. Il
est significatif que ce dieu soit particulièrement apprécié dans l’ Inde où
l’on juge favorable ce qui nous libère de la forme et du voile d’illusion.
Nous ne nous attarderons pas sur les splendeurs ou les défauts de la
manifestation, mais nous voulons montrer que notre savoir reste
« humain, trop humain » dépendant de nos catégories de l’entendement
et de la perception jusqu’à ce qu’une intuition supérieure nous ouvre la
voie d’une compréhension qui dépasse ce cadre car nous participons
d’états plus élevés de l’être à partir d ‘un certain degré de spiritualité ;
ceci reste relatif cependant ; il faut certainement distinguer une
connaissance de soi qui participe de l’absolu dans sa nature d’avec
l’omniscience qui n’est constatable nulle part et tout à fait
inenvisageable dans tout l’amplitude du terme. Avouer son
incompétence pour l’homme, dans le domaine métaphysique, ne doit
pas être un motif de rabaissement, mais au contraire un véritable
aiguillon qui nous mettra en position de demander l’aide des
intelligences supérieures qui peuplent les univers et qui peuvent nous
apporter des lumières. Nous devons en même temps accepter d’être
aider sur le plan pratique, car de ce point de vue, nous avons besoin
d’une certaine tranquillité en vue de poursuivre le chemin vers la
spiritualisation. La magie quotidienne est pleinement légitime dans cette
mesure, de ce besoin où nous sommes d’acquérir une confiance réelle
en la vie, que d’un point de vue religieux nous nommons la foi. Le jeu
divin, Lilâ, se connaît -il lui-même vraiment et qu’est-ce- que connaître
peut signifier à ce niveau là. Des penseurs remarquables33 ont mis
l’accent sur l’abîme primordial ; Schopenhauer parle du caractère
insondable de l’Orcus, et avoue son impuissance à savoir pourquoi la
Volonté est et veut, cela nous dépassant tout à fait. Certains individus
ne cessent de vivre à proximité du mystère et ils deviennent de
mystérieux sages, insaisissables comme le Tao des immortels et leur
corps, en exhalant un parfum particulier, témoigne qu ‘ils s’intègrent
dans la vaste nature cosmique au-delà des vibrations mondaines et
secondaires. Il est une triade bardique qui parle d’un point d’équilibre
entre les oppositions ; les circonstances évoluent, se cherchent et se
dévoilent autour de ce point intangible mais éternel ou plutôt intemporel,
un absolu qui nous précède et nous porte inconditionnellement. Cela
que nous cherchons se révèle quand nous cessons d’y faire opposition,
non pas dans une vacuité stérile et artificielle, mais en étant l’individu
que l’on est, qui s’abandonne à ce qu’il vit, avec générosité et confiance,
maladresse souvent ; cette candeur rejoint la sagesse ancestrale des
premières lueurs. Ce royaume de la grâce peut survenir quand
l’impasse de l’existence mondaine s’est complètement révélée, que le
champ des possibles s’est épuisée, que la volonté s’étant affirmée, se
nie finalement selon les mots de Schopenhauer ; c’est alors que peut
intervenir le surnaturel, l’influence d’en haut, du royaume des cieux, une
vie pleine mais par delà la grossièreté incorrigible de celle que nous
connaissons ici-bas. Les figures du sage, du saint, du génie
transcendent l’histoire et nous font aimer la mort comme la véritable
destinée qui nous échoit mais que nous cherchons toujours à éviter ; le
sens de la vie sur Terre n’est plus compris. Les Écritures peuvent nous
guider jusqu’ à la perception intime de la vérité ; une forme de certitude
inébranlable qui peut être contrariée et oubliée en surface, mais qu au
fond reste l’expérience « cognitive » la plus importante, et qui comme
telle induit une route possible vers la transformation.

L’entrée sur le chemin.

La venue de la grâce, l’exaucement de la première


prière, cette prise de conscience est un moment tout à fait fondamental
33 Jacob Boehme, Maître Eckhart, Meher Baba, entre autres, ont parlé de cette inconscience divine originelle.
et inoubliable dans la vie du chercheur spirituel, harassé par ses années
de recherches et d’errances, sur les voies du doute et de l’espoir, des
déceptions amères, des kilomètres parcourus dans le vaste monde.
Mais il est un jour béni où l’homme a le sentiment très net de la
réconciliation, de l’entrée dans une vie nouvelle ; c’est ce qui a été
rapporté à propos des gens qui vivaient les Mystères dans la période
antique ; il semblerait qu’une expérience de la mort rapprochée, la
possibilité d’effectuer un voyage spirituel probant et révélateur, fût la
caractéristique de la véritable initiation, qui signifie justement l’entrée
dans la confidence du sacré. Le rituel s’est étendu à l’ensemble de la
société, devenant pour les historiens davantage un phénomène
folklorique en même temps qu’une occasion de se vanter pour les
snobs. Aujourd’hui comme hier, une petite partie de la population aspire
coûte que coûte à la vérité, sacrifiant consciemment le confort d’une vie
ancienne et profane pour la grande aventure de la transformation
humaine vers l’esprit ; les démons trépignent et les hommes s’agitent
face à cette « candidature spontanée » qui souhaiterait troubler l’ordre
de l’ignorance et de la somnolence. L’Évangile parle d’un chemin étroit
qui mène à la vie, et couramment, on l’entend comme une exhortation
morale, alors qu’il s’agit du réveil de l’esprit qui donne un sens tout
nouveau à l’existence, un sens qui fait entrevoir l’étude d’une sagesse
qui viendra nourrir le restant d’une vie rehaussée. La porte d’entrée est
aussi celle de sortie ; la réalisation de l’existence comme un va et vient,
une période, un interlude à l’intérieur du vaste champ du non-manifesté,
offre une toute nouvelle perspective pour l’être humain, qui se définit le
plus souvent d’après sa celle existence corporelle, surtout depuis
l’époque moderne qui nous a enlevé la possibilité de penser autrement.
L’entrée sur le chemin peut se manifester par un simple vague à l’âme
au début, une sensation de décrochage par rapport à une réalité
ordinaire dont on sent qu’elle ne peut être le fin mot de l’histoire ; si
nous insistons sur cette étape qui semble plutôt initiale, c’est qu’elle est
d’une importance capitale, car la connaissance ici signifie vivacité et
fraîcheur, le retour à l’innocence, à la candeur contre la paranoïa,
comme le disait si bien Allen Ginsberg. Il faut songer à l’intellect libre et
déchargé de la Volonté de Schopenhauer comme marque essentielle du
génie. Les instants de pure intelligence sont retenus dans la mémoire
qui se reconnaît comme esprit cosmique à la fois agent et partenaire de
sa propre aventure. C’est la grâce qui nous introduit à la magie, la seule
façon d’être et d’agir pour l’homme naît de nouveau, laissant derrière lui
vanité matérialiste et la mentalité d’esclave guidée par la peur ; c’est
une mutation considérable à laquelle on a donné le nom de conversion
et qui est à proprement parler une redirection de l’être en faveur de la
dimension invisible, le développement d’une vision allant au-delà de la
chair. Après, le risque devient d’interpréter étroitement cette incursion
méta-sensorielle lorsque l’on redevient pleinement la personnalité
d’emprunt que nous habitons pour cette vie ; le flot journalier des allées
et venues, est fondé sur cette affirmation de soi arrogante et stupide et
qui constitue portant le fondement des valeurs modernes. Mais, avant
que de la dédaigner tout à fait, il faut comprendre que ce « détour » est
certainement un passage obligé dont nous ne mesurons pas tout à fait
la portée ni les effets. Il ne faut pas s’attendre à un changement
d’attitude de la part de personnes qui ne savent pas quoi mettre à la
place et il serait insensé de leur demander de faire un saut dans le
vide ; c’est pourtant ce que nous avons été obligé de faire.

Ésotérisme, métaphysique et christianisme

L’idée d’une vérité une, universelle et objective, qui se


décline selon les temps et les lieux, est pour le moins séduisante et
apparaît comme justifiée. En effet, il faut tout d’abord en convenir, nous
sommes inclus et soutenus par une réalité qui nous déborde et eu égard
à laquelle nous sommes capables de saisir des vérités particulières
mais fondamentales ; c’est ce qui explique que les diverses révélations
spirituelles expriment les choses à leur façon, un peu comme les
différentes contrées manifestent la réalité terrestre à leur façon, avec un
climat, un relief, des peuples singuliers. A côté des traditions spirituelles,
nous trouvons l’œuvre des métaphysiciens qui est un exercice de haut
vol pour l’intelligence et le chemin qui rapprochent les grands esprits ;
nous l’avons dit dès le début de cet essai, l’intelligence spirituelle et
intuitive peut nous offrir à la fois la Substance de Spinoza, la Providence
selon Leibniz, tout comme le destin funeste de l’incarnation selon
Schopenhauer, la Volonté de puissance nietzschéenne, l’Histoire
hégélienne, sans que notre raison se trahisse mais qu’au contraire, elle
prenne son plein essor et se développe intégralement, car il est logique
que l’intelligence humaine produise des œuvres spirituelles variées, son
génie étant créateur mais non omniscient. A la différence de René
Guénon, nous pensons que la métaphysique occidentale est une œuvre
qui participe pleinement à sa façon de la vie spirituelle. Les révélations
successives, quant à elles, se montrent dans la grandeur des
civilisations antiques et de leur panthéon, puis dans la prophétie du dieu
unique d’Adam à Mohammed, sur la terre matricielle de l’ Inde de
Krishna à Shankara et nous sommes certains que chaque peuple est
visité par des hommes porteurs de l’esprit. Il existe assurément, toujours
à découvrir, une littérature spirituelle qui soutient et élève les hommes
depuis toujours, mais il serait long de citer tous ces écrivains qui brillent
comme des étoiles dans la nuit. En lisant récemment Berdiaev, nous
prenons pleinement conscience de ce qui était resté un peu vague au
sujet de la profondeur et de la différence spécifique du christianisme ;
une voie qui ne demande pas la maîtrise mais l’amour, l’humilité à la
place de l’honneur, la grâce au dessus de la discipline, le droit à l’erreur
et à la petitesse..tout ceci n’est pas médiocrité mais la révélation faîte à
ceux qui aspirent à quelque chose d’autre qu’ils ont souvent pressenti
sans pouvoir le nommer et encore moins le vivre. c’est un appel à
inventer une nouvelle vie, où l’imagination n’est pas bridée par une
exigence rationnelle supérieure et hautaine. Il est dès lors plus aisé de
comprendre que la religion du Sauveur se soit bien intégré à une
spiritualité élémentaire aux racines profondément ancrées dans le sol et
le besoin métaphysique et magie de l’homme premier. Celui-ci sent au
plus profond de lui que cette vie peut être différente, rachetée par la
magie et la grâce du salut venant d’en haut et surpassant de loin nos
petites forces humaines. Mais nous ne nous sentons pas humiliés pour
autant, par un Tout-Autre ; au contraire, c’est notre liberté créatrice,
d’imaginer, de tenter, ce qui d’ordinaire va à l’encontre de l’étroitesse
des vues humaines, de la loi stricte, de la peur et de la petitesse de
cœur, pour grandir régénérer par cet effort gratuit, la beauté du geste
désintéressé.
Dans son accomplissement, nous pensons que l’ésotérisme rejoint le
message du Christ ; le langage de l’Évangile témoigne, non pas, comme
certains ont pu le croire, d’une spiritualité simplifiée et démocratisée,
mais au contraire, d’une vérité tellement directe qu’elle ne peut vraiment
toucher que les âmes les plus avancées. Ainsi, il est important d‘amener
cette précision à l’heure où les vues scientifiques, ou désignées comme
telles, sont les seules considérations à êtres prises au sérieux et ne
voient pas que leurs vues ne sont le fruit que de projections partielles et
localisées ; l’exclusion de la métaphysique témoigne de l’utilitarisme
satisfait des masses abruties par des siècles de matérialisme qui
s’accumulent et qui pèsent lourdement sur la conscience collective. La
poésie féerique, la magie de la foi, la beauté des rituels, la chaîne des
ancêtres, constituaient l’expression de la vie spirituelle de l’homme, de
l’érudit à l’illettré, du seigneur au manant, de l’enfançon au vieillard
éprouvé, l’homme se sentait uni dans sa condition terrestre difficile ;
nous ne sommes pas dupes au point d’ idéaliser une quelconque
époque et nous avons bien que la dogmatique intolérante et violente
était un problème qu’il ne faudrait pas oublier. Le christianisme est
continuité et aboutissement pour la vie spirituelle ; les prophéties
annoncent des âges trompeurs et difficiles et l’homme pressent que
quelque chose de grave est en train de se passer, le mythe de la chute
et de la déchéance ne laisse personne indifférent mais s’il n’est plus
qu’un lointain écho dans la mémoire de l’homme moderne imbu et repu.
Mais cela nous l’écrivons de façon à susciter un espoir plus grand que la
détresse ; au milieu des tourments, la présence divine nous sauvegarde
sin nous savons lui vouer la confiance dont elle est digne. La peur doit
disparaître tout en ayant acquis la conscience de notre situation, car
l’innocence n’est plus et ne peut plus être et il n’y a qu’à regarder
attentivement les jeunes enfants d’aujourd’hui pour le comprendre ;
l’humanité arrive à un tournant particulier de son histoire, où sa
reconnexion avec le monde supérieur est possible, en même temps que
sa chute vers les profondeurs grisantes des esprits séducteurs. Pour
l’homme qui s’est voué à la pensée, son chemin est tracé et son
rayonnement sera bénéfique tôt ou tard ; il ne doit jamais perdre la foi
dans cette voie métaphysique qui a été tracée pour l’éternité, car elle
témoigne d’un intérêt profond pour la vie, pour le mystère de l’existence
et c’est une attention portée sur tous les êtres, une passion
inconditionnelle pour ce qui est qui façonne une réflexion humble et
discrète qui prend le temps de s’élaborer le temps d’une vie. Racheter le
temps par un gain d’expérience fructueuse, une bonification patiente qui
permet une plongée nostalgique au cœur des commencements.
Certains anges ont un secret ; ils connaissent la félicité divine et l’ont
communiqué à certains hommes à chaque époque. Toujours discrets,
ces hommes et femmes ont quelquefois tenté de transmettre une partie
de la connaissance qui vient de nos grands frères spirituels. Développer
l’écoute intérieure qui conduit vers les hautes études, développer
l’énergie vitale qui correspond à ce ressenti profond de la félicité
originelle, bénir les personnes qui font preuve de reconnaissance et de
respect, qui aspire à l’intelligence des choses et admirent le vaste ciel
au dessus de leur tête. Un enseignement crée par des individus
avancés est toujours ponctuel et ne saurait devenir une institution mais
juste au lieu de passage et de transmission des influences célestes et la
transformation des personnes appelées. Il faut une grande confiance
pour faire un pas définitif dans la direction éthérée, mais une fois le
décrochage définitif, il s’ensuit un soulagement immense, comme si le
poids des ans nous était soudain enlevé. Nous nous sommes battus
pour cet avancement de l’individu, en faveur de sa liberté vraie, du
bonheur profond de ce cœur ouvert à l’infini.
Des anges déchus ou descendus ?

Les légendes anciennes concernant la création de l’homme au sein de


cet univers sont porteuses d’une enseignement ; les entités qui
secondent la puissance créatrice ont-elles toujours été favorables à
l’homme ? Comment peut-il s’allier avec ces intelligences premières qui
lui permettraient de voir la vie sous son vrai jour ?.. une aventure
fantastique, certes difficile, mais dont il nous serait possible d’extraire la
quintessence afin de profiter pleinement de ce que nous sommes en
puissance, de monter d’un cran, de se libérer de cette charge pesante
d’un corps lourd, que notre pensée devenue vivifiante pourrait régénérer
en or. Pour cela, il faudrait commencer par y croire, et sans l’exemple de
personnes qui l’ont réalisé, c’est délicat. C’est donc vers la lignée
magique de la tradition initiatique qu’il faudra se tourner pour espérer
recevoir cette influence bénéfique dont nous rêvons secrètement depuis
tous ces éons où nous semblons perdus sur la Terre. Le retour à
l’enfance prônée par le christ n’est pas un vain mot, mais un véritable
retournement de l’intelligence en imagination créatrice dans l’amour des
possibles entrevus et qui se dégagent incessamment de la richesse d u
monde lorsqu‘il est vu dans sa forme première, une puissance
immaculée comme la vierge pure qui est tout sagesse et promesse de
bénédiction pour des fils aimants et fidèles. Une gnose qui est vie et qui
s’accomplit dans le creuset secret du cœur, là où la belle endormie
attend sa délivrance. La quête est un jeu, un combat et une fête, elle est
l’éblouissement des instants brillants, un pied de nez à la triste nuit
démiurgique ; le Sabbat reste toujours secret, car par essence ceux qui
y sont conviés ne le savent qu’au dernier moment ; c’est une
prédestination, une connaissance qui est participation au mystère et qui
reste inénarrable, bien à l’image de ce dont elle fait état. Le monde a
cessé d’être ce matin, nous respirons cette aurore nouvelle avec des
yeux rafraîchis. Les anges qui sont descendus pour nos femmes ont
apporté les arts de la civilisation, si l’on en croit la légende présente
dans le Livre d’Henoch34, écrit conservé seulement par l’église

34 L’existence d'un livre éthiopien attribué à Hénoch est connue en Europe à partir du XVe siècle.
C'est le voyageur écossais James Bruce qui, le premier, apporta d'Éthiopie en Grande-Bretagne, en
1773, trois exemplaires de ce livre5. Deux manuscrits sont conservées à la bibliothèque
bodléienne, le troisième est une copie spécifiquement préparée pour Louis XV et aujourd'hui
conservée à la Bibliothèque nationale de France6. La première traduction en anglais date de 1821,
publiée à Oxford par Richard Laurence. La première édition du texte éthiopien est réalisée à Leipzig
par August Dillmann en 18511.
d’Abyssinie ; savoir faire et conscience de soi aiguë, comme supplément
et damnation qui engage l’homme dans un processus de
développement irréversible. L’intelligence est une lourde charge à porter
surtout lorsqu’elle va au-delà des attentes sociales et qu’elle se met à
évoluer avec un caractère de génialité et de gratuité. Aucune doctrine
initiatique véritable ne peut proposer une spéculation sur le devenir de
l’homme en tant qu‘espèce ; l’âme individuelle est ce joyau de la
création vers laquelle tende les espoirs d’une vaste conscience
universelle généreuse. Acquérir les arts est un jeu à l’image du pouvoir
et de l’intention originelle librement créatrice ; ne pas s’attacher à ses
propres productions mais aller toujours au-delà. Le contact avec les
intelligences supérieures s’il n’est pas accompagné par une conscience
avertie, entraîne presque toujours avec soi, des crises « inflationnistes »
et quelquefois fatales. Il est prudent ne pas nager trop loin du bord, de
peur d’être entraîné par des courants imprévisibles. C’est le sentiment
de la félicité qui accompagne les accomplissements humains qui est le
signe de sa véritable maturité, de sa venue au monde en tant qu’être
humain véritable. Si nous savons regarder attentivement toutes les
réalisations des civilisations passées, monuments, artisanats, poésie,
littérature ou arts plus spéculatifs, comme l’astrologie, la théologie, la
philosophie, nous devons reconnaître le génie qui s’y déploie, son
caractère unique, l’inspiration céleste descendue sur Terre afin de
façonner et de faire vibrer, briller, cette matière qui devient parlante. La
perte de contact avec la source sacrée, pousse les œuvres humaines à
proliférer comme pour combler un vide et chacun semble soulager à
l’idée de progresser sans cesse ; cette expression de l’incertain et du
changeant, amuse les esprits superficiels et fatigue au contraire ceux
qui éprouvent le besoin de la contemplation et de l’approfondissement.
L’aspiration aux mystères nous invite à retrouver le chemin des « chefs
secrets », l’enseignement invisible qui se déploie par les moyens
ordinaires mais qui n’étant pas fait pour tous, ne se laisse pas
appréhender à la première occasion ; il ne suffit pas, à cet égard
d’apprendre et de retenir car une autre forme de communication
intelligente s’instaure suite à l’approfondissement des thèmes
semblables, fréquentés tout au long d’une vie intelligente. La situation

La version originale en araméen était considérée comme perdue jusqu'à ce qu'on en trouve des
parties à Qumrân en 1947 7 parmi les manuscrits de la mer Morte. Quelques passages en grec ont été
publiés dès 1606 (des fragments conservés par Georges le Syncelle au IXe siècle). D'autres fragments
ont été publiés : ceux contenus dans des manuscrits conservés à la bibliothèque vaticane en 1844,
ceux issus d'une tombe découverte en 1886 à Akhmim en Égypte (publiés en 1892) et certains
conservés à la bibliothèque de l'université du Michigan (publiés en 1937). Il existe également des
fragments en latin, syriaque et copte. Wikipédia, article connu du 22/07/2017.
dépressive survient lorsque des idées et des sentiments d’infini et
d’absolu se heurtent à l’étroitesse d’un quotidien ; celui-ci finit par
apparaître comme une prison insupportable et même cette pauvre
description ne peut rendre compte de l’atmosphère mortifère est le lot
de la personne malheureuse. L’exercice physique, la respiration
profonde, l’abandon à la rêverie, peuvent aider à relancer une existence
stagnante et bloquée par un enchevêtrement parfois inextricable.
Lorsque nous serons capables de retrouver les voies élevées de la
prière et de l’étude, nous sentirons à nouveau l’immensité, la promesse
de libération hors des limites de ce monde étroit et le retour au lieu
d’origine de la lumière qui nous habite et qui ravit notre cœur blessé.
Les individus qui prennent ce chemin n’ont pas de facilité en ce monde,
et du dehors, leur existence est jugée comme un échec par les
ignorants, eux qui sont en réalité les aveugles et les infirmes. Des
esprits descendent pour que nous montions ; ainsi l’échange universel
est-il maintenu dans un équilibre grandiose qui échappe à nos vues,
mais ces vérités là nous les sentons en vertu d’une intuition première
comme cette inclination particulière de l’âme dont parle Platon. Nous
pouvons être aidé dans nos œuvres humaines tant que nous agissons
de façon désintéressée, car il ne faut pas oublier que la collaboration
des esprits ne peut s’obtenir que si nous nous considérons comme tel et
que nous nous sommes purifiés par une réflexion sur la mort qui aura
produit en nous un détachement salutaire. A partir de là, notre vie peut
prendre un nouvel essor discret, grâce au souffle vivifiant de l’esprit qui
travaille sur notre matière morte afin de nous ramener à la vraie vie
amoureuse et fidèle à la joie intérieure ; tout en continuant souvent à
nous débattre dans des conflits et des contradictions ennuyeux, la grâce
nous allège, et aux meilleurs heures du jour ou dans la plénitude de
certaines nuits, notre cœur se dilate et nous sommes ravis d’un sourire
intérieur qui fait crépiter d’allégresse les cellules dans les plexus. Si
nous sommes appelés à être entraînés dans ce jeu de la vie où
l’ouverture au monde est une chose capitale pour le jeune qui déploie
ses ailes, sachons revenir à nous-mêmes ; c’est en retrouvant la
transcendance que l’on se parachève, que l’on peut se sauver vivant
dans l’abandon radical et joyeux à l’abondance de la grâce sur-
essentielle. Nous pouvons montrer le chemin aux esprits téméraires, les
ramener à l’humilité et à l’humour, à la joie simple de l’écoulement
régulier des rythmes nourrissants.
La voie interne

les grandes religions fixent des objectifs civilisateurs, qui permettent


selon le principe du Dharma, de maintenir l’existence humaine dans une
paix et un contentement relatif. Mais l’homme qui pense par lui-même
veut découvrir quelle est la vérité et s’il ressent une profonde attirance
pour la vie spirituelle, il veut que ce soit un vécu authentique qui lui
révèle la vraie saveur de l’existence, telle que les saints, les génies, les
artistes l’on perçue et transmise autour d’eux. Il est une vie qui sort des
sentiers battus et qui s’engage sur les pentes dangereuses du rêve et
de l’extase, de la communication franche, entière et libre, avec le
prochain tel qu’il se présente, une vie poussée par une curiosité infinie
et désintéressée, le contraire de l’éducation calculatrice couramment
pratiquée. Cela dit, cette éducation basique ne doit pas être négligée,
car elle est le seule vraiment effective pour un être humain, et les
tentatives alternatives dans ce domaine s’avèrent infructueuses au final
on ne peut tricher avec le temps et faire comme si d’autre conditions de
vie seraient soudainement possibles ; il convient donc de composer
avec le matériau disponible et tenter de s’enrichir en apprenant tout ce
qu’il est possible car pour celui qui est appelé à développer sa pensée, il
verra que cela ne constitue pas un obstacle. Malgré tout, s’il est trop
idéaliste, il pourra souffrir d’un sentiment de « noyade » et d’injustice
pendant longtemps avec que la maturité ne lui apporte la complétude et
finalement la délivrance ; l’ego sera poli et permettra la croissance d’une
force spirituelle qui deviendra la maîtresse du logis. Si l’aspiration de
l’esprit c’est le développement libre de ses facultés, nous avons pu
constater ô combien les ennuis et les tracas ont une action délétère sur
lui, et par conséquent, comme il est important de pouvoir respirer le
grand air que donne la foi ; dans son remarquable ouvrage sur la
théurgie, Mouni Sadhu, cite à plusieurs reprises la recommandation de
Ramana Maharshi de se décharger de son fardeau sur le Seigneur.
Nous qui souhaitons gravir les échelons de l’être et de la connaissance,
ce qui est en son fond une seule et même chose selon la perspective
spirituelle, laquelle est expliquée par la philosophie platonicienne, autant
qu’il est possible, et bien nous devons impérativement sacrifier notre
mental souvent retors et incontrôlable sur l’autel de la foi ; combien de
regrets aurions-nous à la fin de notre vie si l’on se rendait compte que
tous nos vrais problèmes venaient de là ! Quelques minutes de silence
retentissant suffisent à faire monter cette satisfaction profonde de l’être
parvenu à la reconnaissance, selon l’expression shivaïte du Cachemire.
Les techniques d’ouverture ne peuvent pleinement porter leurs fruits
que lorsque l’être individuel a vraiment décidé de rentrer à la maison et
qu’il peut assez rapidement faire cesser, à leur naissance, les faux
espoirs, les inquiétudes, les frustrations..c’est dire si tout un travail a dû
se mettre en place au fil des années et en ce qui nous concerne, nous
n’y sommes pas parvenus avant la cinquantaine. Le Yoga classique
parle de l’étude du soi, svadhyaya, et nous sommes à l’heure bénie où
nous allons entreprendre nos lectures nocturnes, et c’est une joie
immense de pouvoir participer à cette fête de l’intelligence où la beauté
pure des régions éthérées se révèlent peu à peu dans l’âme abreuvée
et recueillie. Nous comprenons l’étude du soi dans l’étude du « monde »
en général, car le progrès dans l’attitude psychologique ne se fait pas
sans la curiosité de connaître le milieu dans lequel nous existons ; avez-
vous imaginé un sage ignorant et inculte ? A la différence de la voie
religieuse, le philosophe ne se retranche pas du monde dans une
pratique formelle portée et régie par une tradition religieuse officielle ; la
pratique du gnostique évolue selon les âges de sa vie, de sa
compréhension, de son intimité avec le Mystère. Sa prière se veut
précise et efficace surtout dans le cas d’une intervention favorable à
autrui, car en ce qui le concerne, il s’appuie surtout sur l’abandon à Dieu
qui connaît mieux ce qu’il convient de faire ; il est vrai cependant,
qu’une action « magique » peut être entreprise afin d’écarter un souci
quotidien qui peut parasiter la paix intérieure, comme des conflits ou
des bruits de voisinage dont on se doute bien que l’homme de bien n’en
est pas l’origine, lui qui est principalement un amoureux de la paix, du
sourire bienveillant et de la conversation harmonieuse. Le célibat
prolongé, la discrétion quant à ses affaires, attirent des suspicions et
quelquefois des inimitiés. De plus, nous constatons que de nos jours
les intellectuels académiques, sont pour la plupart d’entre eux, loin de la
quête spirituelle et s’y opposent même frontalement quelquefois, en
faisant la chasse aux sorcières et en voyant partout des mouvements
sectaires, lesquels sont examinés rapidement sans comprendre ce qui
est vraiment la cause et l’origine de la dérive en question. Nous ne
cessons de revenir sur le caractère problématique de cette époque, car
la perspective offerte aux sens spirituels réveillés, nous offre une vue
profonde sur les choses, notamment sur l’action troublante du grand
illusionniste, capable de par ses prodiges de séduire l’humanité dans
son ensemble. Nous y avons déjà fait allusion, les âmes incarnées
présentement, éprouvent un attachement très fort pour cette existence,
jamais dans l’histoire une telle répugnance à mourir ne s’était
rencontrée ; le peintre Francis Bacon, torture la chair et s’avoue
parfaitement nihiliste, dénonçant l’absurdité de l’existence tout en étant,
de son propre aveu, avidement poussé à exister et à jouir. Il incarne très
bien l’influence plutonienne qui agit sur l’humanité depuis sa découverte
en 1930. Un autre type d’âmes se rencontre ; des guerriers de lumière
qui conserve la réminiscence lumineuse de la puissance de l’esprit et
dont l’initiation consiste à s’engager consciemment du côté de la
lumière ; leur vie est pleine de difficultés et de paradoxes et leur façon
de se relever en toutes circonstances témoigne parfois du miracle. Ces
âmes là sont les moins nombreuses et de loin, mais le salut de l’homme
ne dépend pas du nombre de sauvés, et ce problème, du reste, ne peut
être envisagé sérieusement dans les limites de l’intelligence humaine.
Nous avons au cour de notre enfance, vécu sans artifices assez près de
notre âme pour pour avoir vécu des instants où nous connaissions un
bonheur parfait, le déroulement limpide de ce qui doit être. Et puis les
influences extérieures construisent un ego frelaté, qui commence à vivre
en fonction de ce qu’on va penser de lui ; l’âme ne reconnaît plus son
chemin dans ce labyrinthe mental naît de l’interaction des opinions, des
préjugés, de la peur et de la vanité. C’est grâce à la ferveur concentrée,
la réunion des pensées autour de l’essentiel, le combat constant contre
la négativité, que nous prenons le chemin du retour ; les heures calmes
de l’étude, l’exercice sportif, la respiration profonde donnent un avant-
goût de la vie joyeuse et libre de l’homme qui a su réintégrer sa
demeure. Son existence extérieure reste le plus souvent inchangée,
mais la solitude glorieuse s’accroît, érigeant un mur défensif nécessaire.
Désormais, c’est toujours la bienveillance et la recherche de la
profondeur qui motive les rencontres et elles ne sont pas anodines ; les
gens vont viennent comme les saisons sur Terre et il est bon de se
rendre compte du caractère impermanent de ce qui existe en
pardonnant à ces fréquentations qui n’ont pas su contribuer à quelque
chose de directement tangible, aux frustrations et pire aux tromperies
dont nous avons pu être les victimes. Mais comme le dit si bien Spinoza,
c’est la béatitude qui nous conduit à la vertu et c’est pour cela que notre
conseil ne peut aller que dans le sens permettant de développer cet
amour intellectuel de Dieu. De longues années de cette pratique nous
entraîne vers une autre perception du monde ; si les choses en
particulier ne font pas toujours sens, nous savons pourquoi nous
sommes venus et quel est le but et le voyage de l’âme.

Du bateleur au fou, ou l’inverse..

Ce que l’initiation propose à la différence des religions,


c’est de baliser le parcours de l’ âme dans son retour à la maison ;
plénitude embryonnaire, fusionnelle que nous avons tous connu et qui a
été interrompue par le traumatisme de la naissance35 , et qui trouve son
achèvement et son accomplissement dans la mort. Dans les sociétés
premières, l’initiation est indispensable, mais il ne faudrait pas croire
qu’elle ne soit là que pour répondre à un besoin de formalisme ancré
dans l’usage ancestral ou la crainte d’offenser les dieux. C’est presque
instinctivement que l’on fait appel à des rites ancestraux pour signifier
des transitions et des métamorphoses de l’être, tout au long du
mystérieux devenir des individus vivants, expressions particulières d’un
infini en acte perdu dans l’ineffable.
Au départ, le bateleur, l’illusionniste de foire, le nouveau né qui promet
et où l’on ne voit que merveilles. L’aube enchanteresse où tous les
possibles murmurent tendrement à nos oreilles stupéfaites ; le matins du
mode chantent à nouveau et nous sommes ravis et prêts à prendre un
billet pour l’inconnu. l’unité renferme tout en son sein mais cela ne se
voit qu’après coup ; au départ elle écrase tout de sa majesté et l’enfant
trop doué suscité l’admiration mais aussi la jalousie. Ne connaissant pas
sa force, il devient la dupe des adultes intéressés, et ils le sont presque
tous, souhaitons lui d’avoir une « mère suffisamment bonne » qui lui
fournira ce bagage essentiel afin de se sentir accepter dans cette vie.
S’il est vraiment intelligent, il ne tardera pas à comprendre que les
hommes ont pris une mauvaise route depuis cette marche forcée à
l’industrialisation qui étouffe le monde ? D’où provient ce projet, cette
ambition dont on nous dit que c’est le progrès. Le nouvel arrivant
comprend qu’il ne peut être le meilleur partout et devra faire des choix,
mais tant que son imaginaire ne connaît pas de limites et qu’il peut faire
fonctionner librement son esprit, il continuera de se sentir heureux. A
cœur vaillant rien d’impossible pourrait être la devise du bateleur, très
belle et très vraie parfois mais certains obstacles qui relèvent de la
nature des choses et du destin vont nous contraindre à « revoir notre
copie » en ce qui concerne certains projets et certaines ambitions. A cet
élan qui est tout action, il va falloir joindre l’attitude passive et réflexive
de la papesse qui va être le miroir des âmes et du monde. A quoi bon
faire des choses sans en prendre conscience ; si nous sommes sourds,
la musique devient un tintamarre et sans l’écoute attentive des discours,
aucune compréhension ne voit le jour. La Shruti, la révélation védique,
se fait par l’écoute et l’être devenu attentif perçoit désormais des choses
qui resteront inconnues aux distraits ; de là, la naissance d’une
connaissance secrète existant depuis l’aube de l’humanité. L’ésotérisme
est capté beaucoup plus que produit et sans une sensibilité cultivée à
35 C’est aussi le titre d ‘un ouvrage de Otto Rank, lequel conçoit une antériorité au complexe d’Oedipe freudien, paru
pour la première fois en 1928 chez Payot pour l’édition française, et réédité à plusieurs reprises jusqu’en 2002.
dessein, l’audacieuse intelligence ne suffira pas à ouvrir l’entendement
aux choses subtiles. Mais cette capacité à capter des messages, ne se
contente pas d’être comme une eau à la surface limpide ; quelque
chose s’agite et conçoit des projets dans la sphère humaine par une
volonté créatrice qui se manifeste à nouveau ; n’est-ce pas la femme
dans le couple qui souvent appelle à la venue de la nouveauté, enfante
de nouveaux projets. La femme, contenant éternel des germes en
gestation, hôte de la puissance créatrice qui sans elle se manifesterait
dans « rien » et songez que cela reste proprement inconcevable.
Pouvoir de l’imaginaire créateur, muse inspirante des héros et des
poètes, l’impératrice est la matrice du monde des idées ; elle est
certainement l’image de la déesse enchanteresse, Isis Astarté Diana
Hecate Demeter Kali Inanna, ainsi le chant de la déesse lui convient à
merveille. Nous souhaitons tous l’amour qui inspire et qui rend heureux
et nous pouvons demander cette grâce à l’impératrice. N’oublions pas
que le fait de chercher est en soi une preuve de pouvoir et de chance, si
toutefois nous savons rester léger, garder une certaine distance et un
sens de l’humour suffisant pour que tout ne soit pas tourné en tragédie
et en sentiment dépressif ; c’est parfois vraiment difficile mais nous
devons nous convaincre que nous sommes au dessus des drames de
l’existence, au de l’événementiel, brillants du diadème d’une conscience
souveraine. Puis vient le temps de faire ; la mère espère de son époux
la réalisation des espoirs pour la famille et aimerait que se réalise ses
projets ; en regardant l’ Empereur, nul ne doute qu’il est l’homme de la
situation et s’il décide d’une chose cela s’accomplira. Nous pouvons
nous étonner que, face à la petitesse morale et intellectuelle de
l’homme, celui-ci soit capable de telles réalisations matérielles. En effet,
l’histoire de la civilisation est façonnée par de grands travaux, à
commencer par ces imposants monuments qui ornent le monde antique
et qui constituent toujours des énigmes pour ceux qui s’intéressent de
près à leur construction ; tant que les ingénieurs et les techniciens ne
s‘étaient pas réellement penché sur le problème, la grande pyramide
d’Égypte n’avait besoin que d’esclaves d’après les archéologues et les
historiens..Cette thèse s’avère totalement insuffisante d’autant que le
phénomène est mondial de Machu-Pichu à Xian, en passant par l’Île de
Pâques et Stonehenge, à chaque la question de leur construction pose
problème. Le pouvoir créateur, réalisateur semble un atout pour
l’homme à moins que ce soit sa perte à l’image du mythe de la tour de
Babel. Aujourd’hui le danger est grand pour l’homme de tomber sous le
contrôle d’une technologie dont il est l’auteur, à moins qu’il n’en soit pas
la véritable origine..peut-être que cela arrange bien les pouvoirs en
place que de ne pas reconnaître l’existence de pouvoirs spirituels
présents dans l’univers, jouant différents rôles au sein de la complexité.
L’autorité traditionnelle à l’inverse reconnaît la nécessité que le pouvoir
temporel soit assisté par l’homme de Dieu, en l’occurrence le Pape,
figure par excellence du conseiller, de celui qui indique les limites, qui
est le garant d’une vérité religieuse pour le peuple, le préservant du
doute et de l’hérésie. C’est aussi la présence du maître spirituel, dont
l’appartenance à une lignée témoigne de l’authenticité ; il est le gardien
d’une porte. De nos jours, il est apparu le plus souvent sous une forme
dévoyée, contribuant ainsi à faire disparaître toute sa crédibilité dans un
monde athée et matérialiste. Tout chercheur authentique le croise un
jour ; peut-être sous la forme d’un enseignement qui chasse les peines
et les doutes, qui remet l’homme à sa place, le dotant de l’armure
spirituelle, protection indispensable par les temps qui courent.
L’enseignement s’appuie sur des textes le plus souvent, mais comme
une aide mémoire, pour aller au-delà, au cœur de l’action transformante
qui provient de l’énergie spirituelle en acte. Le Maître est puissant mais
discret.
Lorsque s’ouvre la possibilité du chemin avec l’Amoureux, un choix
décisif doit s‘opérer pour le destin de l’âme ; allons-nous vivre par et
pour l’esprit et accepter la mise à mort mondaine ? Acceptons-nous de
ne plus savoir, de perdre le confort affectif offert par des proches qui
vont sûrement s’éloigner?.. si nous sommes dans cette situation, c’est
que nous avons une aspiration souveraine, capable de nous amener à
« marcher sur l’eau, à déplacer les montagnes, à ressusciter les
morts.. » ; oui c’est la foi qui désormais fera de notre vie ce qu’elle est,
qui nous donnera le sublime sentiment de la dévotion et nous conduira
sur la voie de l’acceptation de ce qui est avec tout ce que cela implique.
Nous allons nous éveiller à la vie véritable et véritablement naître de
nouveau, alors jeunes gens, n’hésitez plus ! Ce qui nous est présenté
comme le chariot, ressemble peu à un attelage, mais plutôt au théâtre
du monde, avec le ciel et les étoiles pour rideau et des sphinx pour
assisses. Le jeune prince au sceptre occupe le centre de la scène où il
semble dominer son affaire ; il semble s’être lancé sans crainte sur le
chemin de la vie. C’est bien l’image du jeune adulte habile et audacieux
que l’on aime voir, car il sait sans doute répondre aux défis de la vie et
heureusement ; attendons d’en savoir davantage..
Plus que tout autre peut-être, le concept de justice est ambiguë ; nous
disons que nous récoltons ce que nous avons semé, mais en même
temps, nous constatons que les méchants continuent de prospérer..
Faudrait-il en conclure, comme certains de interlocuteurs de Socrate,
qu’il n’est de justice que celle du plus fort ? Platon ne cédera jamais là
dessus et écrira son grand œuvre la République pour nous le prouver.
S’il est une justice réellement supérieure, inspirée par l’Idée du Bien,
c’est elle que nous devons suivre dans notre vie, de façon à ne pas
vivre comme des bêtes, mais comme des hommes appelés à
l’excellence. L’âme se juge elle-même dans le système platonicien et
s’offre ainsi le genre de destin qu’elle a préparé de son vivant. Nous
avons entendu dire également, que le trop c’était comme le pas assez et
certes il semblerait bien que la sagesse soit un art de l’équilibre ; les
vertus cardinales dont Platon fait état, le réalise concrètement : la
prudence et le courage sont tous deux nécessaires sur le plan moral.
Sur le plan physique, nous pourrions dire que la vie témoigne d’un état
d’équilibre mouvant, tolérant certains écarts mais au-delà desquels
l’existence ne saurait se maintenir ; la Terre, est la manifestation de cet
équilibre dynamique dans l’espace cosmique.
La lame suivante représente un homme âgé qui avance seul avec une
lanterne qui éclaire faiblement son chemin nocturne. C’est un de ses
personnage qui ont quitté l’activité humaine ordinaire, yogi, excentrique,
sage, misanthrope ou guide spirituel, pour avancer sur un chemin qui
leur est propre et dont ils ne peuvent partager les secrets avec tout le
monde. Croiser l’un d’entre eux, est un signe certain du destin pour
celui qui en bénéficie ; à son tour, son existence sera une voie qui se
trace hors des sentiers battus, en direction d’une sagesse supérieure.
Mais l’incertitude et la solitude sont des prix trop lourds à payer pour le
commun des mortels qui préfère partager des jeux et des soucis à sa
portée. La vieille âme connaît le monde et s’en est affranchie.

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