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Lechevallier Jean. Belles infidèles d'hier et d'aujourd'hui. In: L'antiquité classique, Tome 36, fasc. 1, 1967. pp. 132-143;
doi : https://doi.org/10.3406/antiq.1967.2648
https://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_1967_num_36_1_2648
1 Georges Mounin, Les belles infidèles, Éditions des Cahiers du sud, Paris, 1955,
p. 81.
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imprimée, j'ai été frappé par tel ou tel de ses défauts. Cette
fâcheuse, je Fai ressentie particulièrement en feuilletant
la traduction de Y Enéide qu'André Bellessort a publiée dans la
Collection des Universités de France 2.
Mon impression était-elle ou n'était-elle pas fondée ? Afin de
le savoir, j'ai examiné de près l'épisode de la mort de Didon,
c'est-à-dire les 184 derniers vers du livre 4 (vers 522 à 705).
Or je n'ai pas «retrouvé intégralement» l'original dans la
traduction. J'ai constaté au contraire qu'à peu près aucune des
caractéristiques mentionnées dans l'article du dictionnaire
comme étant celles d'une «bonne traduction» ne se rencontre
chez André Bellessort.
11 retranche, il ajoute, il modifie.
Il lui arrive de ne pas donner aux mots latins leur véritable
sens, de substituer une image à une autre, de ne pas respecter
le mode des formes verbales, ou leur temps, ou leur nombre, ou
leur personne, de changer le tour de pensée, de ne pas reproduire
le mouvement du texte.
Bref, en l'espace de 184 vers, je n'ai pas relevé moins de 151
inexactitudes.
Je ne les énumérerai pas toutes ici. J'en signalerai seulement
quelques-unes, prises parmi les plus graves et présentées
aux rubriques indiquées ci-dessus.
A propos de certains passages particulièrement mal venus,
j'établirai une comparaison entre la traduction d'André
et celles d'autres traducteurs, ayant consulté vingt-six
dont les dates de publication s'échelonnent depuis 1716
(traduction du R. P. François Catrou, de la Compagnie de Jésus)
jusqu'à 1964 (traduction de Pierre Klossowski) 3.
2 Société d'édition« Les belles lettres». Paris, tome I (livres 1 à 6) 1925 ; tome 2
(livres 7 à 12), 1936.
Je cite Y Enéide dans cet article conformément au texte établi par Henri Goelzer
pour la Collection des Universités de France et d'après lequel André Bellessort a fait
sa traduction.
3 Pour les diverses traductions de Y Enéide que j'ai consultées, je donne la date
de la première édition quand je la connais, ou, à défaut, la date de l'édition que j'ai
eue entre les mains. De même pour les autres ouvrages cités,
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3) André Bellessort ne donne pas aux mots latins leur véritable sens.
Voici quelques exemples.
Au vers 616, Bellessort traduit : finibus extorris par « chassé de
ses frontières », alors qu'il aurait fallu traduire par : « chassé de
son territoire».
Bellessort semble avoir pris un malin plaisir à ne pas traduire
les mots latins par les mots français normalement correspondants.
Au vers 580, il traduit retinacula par « le câble qui retenait le
vaisseau ». Or « câble » traduirait beaucoup mieux funis du v.
575 et amarres, employé à cet endroit, est la traduction normale
de retinacula.
La traduction est parfois irréfléchie. Ainsi au v. 673,
traduit unguibus ora sóror foedans et pectora pugnis par « sa
sur... se meurtrissant le visage de ses ongles, la poitrine de ses
poings ». Or « se meurtrissant » ne convient pas du tout pour
traduire foedans, vu la présence de unguibus. On déchire le visage
avec les ongles, on ne le meurtrit pas. Il aurait fallu traduire :
« ... la sur... s'abîmant le visage de ses ongles et de ses poings
la poitrine».
Plus grave encore est l'erreur du v. 621. Le texte latin dit :
hanc vocem extremam cum sanguine fundo, ce qui se traduit très
simplement :« Voilà les dernières paroles que je répands avec mon
sang ». Bellessort traduit : « Voilà le dernier vu qui s'échappera
de mon cur avec mon sang », ayant confondu, semble-t-il, le
mot vocem avec le mot votum.
Si l'on considère la traduction non plus de mots isolés, mais de
groupes de mots, on peut faire des constatations analogues.
Au vers 573, le texte dit : considite transtris, ce qui se laisse
traduire très facilement : « prenez place sur les bancs de
». Bellessort traduit : « saisissez les rames ». C'est une
ce n'est pas une traduction.
Au vers 592, les mots interrogatifs : non arma expedient? sont
mal traduits par : « on ne courra pas aux armes ? », alors qu'ils
signifient : « ne dégageront-ils pas (ou encore : ne sortiront-ils
pas) leurs armes ? »
Au vers suivant la suite de l'interrogation : diripientque rates alii
navalibus ? ne doit pas se traduire par : « on ne lancera pas
lui tous les vaisseaux de mes chantiers ? », mais par : « et
d'autres n'arracheront-ils pas les navires des arsenaux ? »
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7 TL· chiefplays of Corneille, translated into English blank verse, by Lacy Lockert.
Princeton University Press, 2nd edition, 1957.
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