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Affres de l'identité nationale, ethnique, sexuelle et

linguistique dans Belle du Seigneur d'Albert Cohen

Susan D. Cohen

Women in French Studies, Volume 6, 1998, pp. 39-49 (Article)

Published by Women in French Association

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https://muse.jhu.edu/article/496436/summary

Access provided by Pontificia Universidad Católica de Chile (9 Jan 2018 16:09 GMT)
Cohen39

Afires de l'identiténationale, ethnique, sexuelle et


linguistique dans BelleduSeigneurd9Albert Cohen
Through the analysis oftropes ofdisguise and monstrosity, this ar-
ticle shows the identity ofthe novel 's immigrant Sephardic hero inflected
and problematized by interrelatingfactors ofnationality and ethnicity,
gender, and language. It demonstrates how conflicting social, personal,
and historicalfactors converge in an impassefrom which theprotagonist
cannot extricate himself. Themes ofJewishness repressed or brandished,
in dialectical relationship to the alternative betweenpariah andparvenu
described by Hannah Arendt, intersect with the problematic of love as
conquest ofthe dominant Other 's woman, afigure meant, impossibly, to
replace the occultedJewish mother as legitimizingsource. Theprotagonist 's
complex relationship to the French language informs the text stylistically,
structurally, and thematically. This article analyzes compensatory moves
ofverbalperfectionism, over-production, mockery, linguistic "monstros-
ity, " and linguistic "disguise. "

"Ils pensent mal de nous en croyant que c'est vrai. Il faudra que j'écrive un livre
pour bien leur expliquer qu'ils ont tort" (119) s'écrie àpropos de l'antisémitisme européen
le naïf et sympathique Saltiel, vieux Juif pauvre, oncle du personnage principal dans
Belle du Seigneur. En effet, le Juifen Occident constitue la problématique qui informe
tous les textes d'Albert Cohen1 , et en particulier, ce roman, publié en 1968, et couronné
par le Grand Prix du Roman de l'Académie Française.
Un brefrappel de l'histoire s'impose pour les analyses qui suivent. C'est Genève
en 1936. Jeune, beau, brillant, et Juif, Solal, Sous-Secrétaire Général à la Société des
Nations, a eu le coup de foudre pour Ariane, issue de la grande noblesse protestante,
et femme d'un bureaucrate de la SDN, G inoffensifcrétin Adrien Deume. Solal s'introduit
dans la chambre d'Ariane déguisé en vieux Juifpour tenter de la convaincre de l'aimer
par humanité. Epouvantée et indignée par cette agression, elle lui jette un verre à la
figure. On voit ensuite Adrien Deume dans son bureau, oisif, en perpétuelle adoration
devant son taille-crayon neuf et se félicitant de sa carrière; puis sa mère, bigote
catholique confite dans ce que sa belle-fille méprise comme exemple "de la fausse
chrétienneté." Font irruption périodiquement Les Valeureux, parents pauvres de Solal,
Juifs du ghetto de la minuscule île grecque de Céphalonie, figures loufoques, pétris
d'admiration pour l'élégant Seigneur Solal, leur cousin, qui habite au Ritz.
Solal séduit Ariane dans de très longs discours parfaitement contrôlés, dans
lesquels son charme s'exerce dans la dénonciation même des "manèges" classiques
de séduction. Au coeur du livre, de nombreuses pages célèbrent leur amour.
Envoyé en mission en Allemagne, ce diplomatejuifse fait agresser dans la rue. A son
retour il vit enfermé avec Ariane dans une passion devenue insupportable parce que
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coupée de la société. Solal avait perdu sa nationalité française ainsi que sa place à la
S.D.N. après avoir dénoncé le refus de l'organisme d'aider les Juifs allemands. Il fait à
Ariane des scènes de jalousie, la bat; ils sombrent dans la drogue et finissent dans le
suicide.
Cette étude montrera en quoi cette histoire d'un grand amour tragique campe
une tragédie sociale et dépend d'elle. L'enfer à deux et la mort découlent directement
d'une crise d'identité tripartite (nationale-ethnique, sexuelle, linguistique), provoquée
par l'antisémitisme.
I. L 'identité nationale et ethnique
"Que de souhaits de mort aux Juifs dans ces villes de
l'amour du prochain." (Belle du Seigneur, 723)

Si Solal s'insurge contre l'illégitimité de toute noblesse et de tout privilège, c'est


en exclu qu'il se plaint. En ce personnage se cumulent les alternatives contraires que
l'Europe, comme l'a montré Hannah Arendt, proposait aux Juifs : soit le statut de
parvenu soit celui de paria (Jew as Pariah).
Au début du texte Solal est un parvenu, mais imparfaitement parce que trop
conscient de l'être. S'il s'accuse d'avoir vendu son âme pour arriver (305), il n'a
pourtant pas été jusqu'à tenter de se faire passer pour non Juif ou pour renier son
peuple. Quand il refusera cette trahison, de parvenu il deviendra paria, apatride et sans
situation, mais paria incomplet aussi, car paria voulu, hyper-conscient de ses contra-
dictions. Celles-ci l'empêcheront de lutter plus avant.
La figure qui caractérise le mieux ce personnage est celle du déguisement, trope
récurrent dans le texte, qui s'ouvre sur un exemple clé. Le riche et beau Sous-Secrétaire
Général de la S.D.N., autant recherché par les femmes que par les sommités du monde
diplomatique, ce "gentilhomme" ("quoique Israélite," comme le précise Adrien Deume
[112]) ce parvenu donc, dans un mouvement d'idéalisme et d'orgueil extravagants, se
déguise en paria: en vieillard juif pauvre, laid, lubrique, édenté (de belle dents chez
Cohen constituent un symbole de beauté, de jeunesse, et de privilège arbitraire).
Ayant pénétré par effraction dans la chambre d'Ariane, il demande son amour à cette
femmejeune, noble et belle. Toutefois, par leur nature même, les déguisements montrent
et cachent en même temps. Solal exige qu'Ariane aime ce qu'il n'est pas, ce masque
caricatural que l'Europe plaquait sur les Juifs, une sorte d'essence fausse mais tellement
imposée et rabâchée que certains l'adoptaient, par ce mécanisme de haine intériorisée
devenue haine de soi, qu'a décrit Sander Gilman. En même temps Solal voudrait
qu'Ariane réagisse en voyante, qu'elle voie, au-delà du masque, et la fausseté gro-
tesque de celui-ci et ce qui serait sa "vraie" essence. Seulement, n'existant pas, les
essences se dérobent toujours. En attendant, Solal ne veut pas qu'Ariane l'aime pour
ce qu'il est: jeune, beau, élégant, cultivé —mais sans assise admise dans la société
européenne de l'époque, pour laquelle l'attribut "juif annule tous les autres.
Le geste de Solal trahit aussi un "machisme" sans bornes. Ariane (je reviendrai
sur ce point) doit le voir aussi avec les yeux d'une mère, qui aime inconditionnellement.
En forçant sa chambre, en l'épiant, en lisant son cahier personnel, en écoutant aux
portes ses monologues secrets, en la violant dans son intimité, Solal a recours, avec un
Cohen41

sexisme foncier, à la brutalité qu'il décrie tant dans les autre domaines, lorsqu'elle
s'emploie entre hommes.
Mais il s'agit déjà d'un deuxième déguisement. En tant que Sous-Secrétaire
Général à la S.D.N., Solal doit être dans le paraître et surtout dans un paraître implicitement
non-Juifqui échapperait à la caricature du Juifvulgaire, gesticulant, obséquieux, etc..
Il faut, en niant, non pas ce qu'il est, car il n'est pas vulgaire, nier son peuple ainsi
représenté, y compris comme il dit "les minables" qu'a chaque peuple (763), figurés ici
par ses cousins. Par honte de ce premier déguisement vécu en tant que tel mais qui
n'en est donc pas vraiment un, et de sa complicité avec l'hypocrisie de la S.D.N, Solal
se traite non de Sous-Secrétaire Général mais de Sous-Bouffon-Général.
Lorsque Solal part en mission en Allemagne, un troisième déguisement déclenche
encore une scène clé. Comme chez Ariane, il s'agit d'un geste voué à l'échec, suicidaire,
mais cette fois déployé sur le plan social, au sens de public. Présenté indirectement,
comme c'est souvent le cas dans ce texte, cet étrange épisode consiste surtout dans le
monologue de Rachel, la nainejuive, qui a recueilli Solal dans la cave où elle se cache
avec sa famille. Celui-ci avait déambulé les rues de Berlin, habillé, à nouveau, en Juif
orthodoxe. Etait-ce pour les mêmes raisons que chez Ariane: dans l'espoir que l'on ne
regarderait que l'intérieur de l'être, que l'on verrait le masque comme masque, le "min-
able" comme produit historique du ghetto, et/ou que l'on s'apercevrait de la vraie
dignité du Juiforthodoxe? Solal va-t-il dans "le pays de la haine" s'attirer cette haine
par cette "culpabilité sans faute" qu'Ariane discerne chez les Juifs dans les livres de
Kafka (517)? Aussi absurde que dans la scène initiale, l'entreprise est autrement
dangereuse. Ne s'arrêtant pas aux subtilités interprétatives, les Allemands s'abattent
sur ce qui pour eux est Le Juif en son unique vérité essentielle et invariable, et ils le
tailladent à coups de couteau.
Signalons l'importance de la cave, symbole d'un refoulé que Solal endosse et
dans lequel il entre, symbole horriblement concret, car des Juifs se cachent et se
cacheront réellement dans des caves àtravers l'Europe. L'Europe refoulera les Juifs,
littéralement, les chassant et les tuant, et symboliquement, en projettant de les reléguer
aux bas-fonds de l'histoire, de les réduire au statut de souvenir d'un peuple anéanti.
Notons l'intéressante évolution du symbole depuis Solal (1930). Dans ce premier
roman, Solal, devenu ministre, installe toute la tribu de ses parents dans les caves de
son château à Saint-Germain, où il "se commet" de nuit avec eux, caricatures des
"vices" imputés aux Juifs. Telle la femme de Barbe Bleue, l'épouse élégante de Solal
découvre la porte, descend, voit les "péchés", remonte. Plus tard, invitée par Solal, elle
assiste, horrifiée, au spectacle de la cave, qui offre une image complexe du Juifparvenu
honteux, cachant ce qu'il n'est pas (ces vices), mais refusant par ailleurs de se séparer
totalement de ce qu'on fait des Juifs, et que, par contagion, on accuse tous les Juifs
d'être. Comme dans la chambre d'Ariane dans Belle du Seigneur, Solal souhaite que,
par-delà ce "masque," la femme voie une autre essence. Dans le premier cas le symbole
de la cave se limite diégétiquement à l'échelle individuelle de Solal face à sa femme, aux
prises avec l'antisémitisme d'une part et d'autre part avec sa culpabilité envers son
peuple et ses problèmes d'identité. Dans Belle du Seigneur, situé en 1936 mais écrit
après le génocide, il préfigure celui-ci, et dépasse de loin le contexte personnel.2
11 s'opère ici un triplejeu de masques. La difformité de Rachel constitue comme un
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déguisement en soi, dû lui aussi à l'antisémitisme. Elle est naine et bossue à la suite
d'un pogrome dont sa mère, alors enceinte d'elle, fut victime en Pologne. Cette
monstruosité réelle, "masque" que Rachel ne peut ôter, rend dérisoire et un peu hypo-
crite le déguisement de Solal, qui peut à son gré s'en défaire. L'épisode constitue un
renversement en miroir déformant de la première scène du roman. La naine Rachel a le
geste inverse de celui de Solal chez Ariane. Réellement difforme, caricature incarnée
des Juifs, elle se déguise en reine élégante et prononce alors des discours de séduction
à l'intention de Solal. A celui-ci, blessé, provisoirement impuissant, est dévolu le rôle
"féminin" qu'avait eu Ariane auparavant. La scène finit en carnaval pathétique: la
naine habillée en reine Esther se promène dans la cave, en carrosse tirée par deux
chevaux etiques avec, à ses côtés, Solal affublé d'un faux nez, son faux prince, lequel,
attendri mais nullement séduit, accepte déjouer un rôle qu'il sait temporaire. Cela
forme le contraire du geste carnavalesque joyeux, car, comme dit la naine, c'est le
monde lui-même qui est sens dessus-dessous: "En ce Berlin tout est à l'envers, mon
cher! Les humains en cage et les bêtes en liberté"(432).
A Paris vers la fin du texte, Solal maintenant paria apatride et sans poste, revêt un
quatrième déguisement. Ayant mendié inutilement le renouvellement de sa nationalité,
de désespoir il laisse pousser sa barbe, et, le dos courbé, marche au hasard, devenu
l'image du Juifparia, comme dans son costume initial. Lorsqu'il lit "Mort aux Juifs"
crayonné sur les murs de la ville et entend des remarques antisémites, il ajoute encore
un faux nez. Ce renchérissement accuse le faux dans le masque, imposé du dehors et
du dedans. Solal resté riche sait qu'il peut partir. Il sait aussi qu'il n'est pas un Juif
croyant. Qu'est-il donc ? La question, ainsi formulée, se pose à lui de la façon la plus
critique au moment où il voit arriver de "vrais" Juifs: Juifs polonais croyants, orthodoxes,
pour qui la barbe et le manteau longs ne constituent point des déguisements, qui sont
bien dans leur peau et leur foi, et qui, s'ils sont méprisés, comme se le dit Solal, sont
méprisants aussi et surtout : "eux-mêmes, fabuleusement." (737)3
Se marque donc une progression dans les déguisements du personnage, non
vers l'essence de l'être mais vers l'absence d'être, vers la mort. Il porte des masques
non de protection mais de provocation suicidaire; sinon de mauvaise foi, certainement
sans la foi indispensable.
Appréciés sous un certain angle, les Valeureux, troupe de "comic relief
shakespearien, fonctionnent, en personnage collectif , comme double burlesque de
Solal. Eux se déguisent en Européens. Croyant s'habiller comme il faut pour faire
bonne impression à Genève4 , ils s'attifent de façon grotesque, comme la naine dans un
autre contexte. Tous ces masques manquent leur but. Ceux des Valeureux ne trompent
personne, ceux de Solal outrepassent ses desseins, car il les avait endossés afin de
détromper, non pour tromper. Si, par ailleurs, Solal prétend revendiquer sa parenté
avec ses cousins, il se garde bien de les promener devant ses chefs à la S.D.N. Les
Valeureux restent son refoulé historique, éthniquement et personnellement, car ils
figurent d'une part le passé oriental des Juifs en Occident et, d'autre part, l'enfance de
Solal à Céphalonie. Les maintenant dans ce statut, Solal omet ainsi de les faire remonter
de la "cave" évoquée plus haut5 . Dans ce sens il conviendrait de voir en eux moins le
double de Solal, moins le revers d'un de ses masques, que ce qui complète le personnage.
L'aspect éthnico-national de l'identité en crise chez Solal se traduit aussi dans sa
Cohen43

jalousie avouée de tous ceux qui ont une appartenance, nationale, ethnique, de classe
bien nette: depuis les aristocratesjusqu'aux facteurs, garçons d'hôtel, et clients d'hôtel,
dont même les "souliers bien cirés, bien cirés, bien alignés [la nuit devant la porte des
chambres, sont] sûrs d'eux" (720).
II. L'identité sexuelle
"Car l'action du sexuel est passagère tandis que
souveraine et durable celle du social." (Belle du Seigneur 235)

Vers la fin du livre, Solal se plaint d'être "désormais, un homme seul, et [avec]
comme patrie, une femme" (7 1 8). Ce problème est structurellement lié au social et au
linguistique.
Il ne s'agit point de n'importe quelle femme - "patrie." Le texte insiste sur le fait
que Solal ne tombejamais amoureux d'une femme juive. A part la naine Rachel, les
Juives demeurent absentes du roman, occultées comme l'est la mère du protagoniste.
Celui-ci n'a aimé que des femmes aristocratiques, blondes, à noms et prénoms nobles.
Ainsi que l'adjectif "noble," attribut de tous les aspects d'Ariane, le nom d'Ariane
Cassandre Corisande d'Auble, forme un thème récurrent.6 Dépositaire de la culture
européenne par sa naissance, même si Solal la trouve légèrement idiote (car il doit la
dominer par G intelligence, ainsi que par le sexe) Ariane en est; elle ne peut se déclasser
malgré son mariage avec Deume; elle demeure la denrée authentique.
Ainsi ne sera-t-elle jamais destituée de ses titres de noblesse, alors que ceux de
Solal ("Juifde millénaire noblesse" [310], "Solal XlV'des Solal, fils du révéré grand
rabbin de Céphalonie et descendant du grand prêtre Aaron, frère de Moise,"[l 16]) et
de son peuple, dont la généalogie remonte au "Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de
Jacob"(3 8), se heurteront toujours à une fin de non recevoir, non seulement en tant que
titres de noblesse mais comme titres à l'existence même. (Dénonçant cette injustice,
Solal s'écrie, "Nous [les Juifs], il y a deux mille ans, nos prophètes! Eux [les Allemands]
il y a deux mille ans, des casques avec des cornes de bêtes!"-430).
Comme il ne pourra faire d'Ariane la mère par laquelle il ferait son entrée légitime
dans le monde noble, le "social," il la possédera, misérable substitut pour lui qui ne
légitime rien. Iljouera l'autre rôle attribué aux Juifs, celui de séducteur dont la sexualité
menacerait l'ordre établi. Par vengeance il domine l'aristocrate: elle lui dit "mon
seigneur," lui baise la main, fait déclaration de vassalité, lui conférant ainsi dans le privé
un simulacre de cette noblesse sociale dont il est en mal. A mesure que la société rejette
et violente les Juifs, Solal va plus loin dans le besoin d'abaisser la femme,jusque dans
la déchéance, tout en croyant l'aimer. Il lui reproche le désir qu'il a d'elle en lui
reprochant le désir qu'elle a de lui. Il la pénétrera mais ne pénétrera pas là où il veut,
dans la légitimité agréée par les hommes. Car il s'agit d'une histoire entre hommes, la
femme servant de rite de passage au "social" masculin.
Ceci rappelle les analyses, faites par Fanon, des complexes du Noir vis à vis de la
femme blanche, et des liens entre le sexuel et le social. Mutatis mutandis, dès 1930
dans Solal, Cohen esquisse la structure du problème chez le Juif par rapport à la
Chrétienne. De façon plus complète, Belle du Seigneur dévoile les rapports entre le
sexuel, le social, et, on le verra, le linguistique.
44Women in French Studies

En parvenu, Solal réclame d'abord un faux statut de paria, exigeant qu'Ariane


l'aime en tant que tel, d'un amour inconditionnel qu'ont seules les mères d'enfants
laids. Devant la femme iljoue la carte de la pitié, alors qu'il se garde de paraître ainsi
"déguisé" devant ses collègues de la S.D.N. Par un retournement significatif, lorsqu' il
devient réellement paria (apatride et sans poste), de honte et d'orgueil il revêt devant
Ariane l'aryenne le "masque" opposé, celui du parvenu, du seigneur capricieux. De
peur de perdre l'amour de la femme, lequel selon Solal n'existe que comme soumission
à un supérieur, il ne lui apprendjamais son geste pourtant si noble, et suicidaire, qui lui
valut d'être révoqué.
Malgré cette attitude compliquée et ambivalente envers la sexualité, (vue, dans la
traditionjudéo-chrétienne patriarcale, comme bestiale, source de culpabilité, de domi-
nation et d'appropriation de l'autre, et qui refuse la sexualité libre surtout à la femme),
en dépit du long psychodramejoué par Solal à Ariane lorsqu'il déchoit socialement, ce
livre contient des pages qui figurent parmi les plus bellesjamais écrites par un homme,
du point de vue de son personnage féminin, sur l'amour - depuis les préparatifs de
réception de l'amant, jusqu'à l'acte représenté comme joie saine, comme sacre
merveilleux de la découverte réitérée du corps. Ceci à condition cependant que la
femme soitvirginale, l'amant le premier à la fairejouir. La place manque pour approfondir
ici ce qui, lorsque Solal apprendra qu'Ariane a eu un amant avant lui, amènera la crise
ultime en exacerbant son complexe de castration sexuelle et sociale, l'amant précédent
étant un chef d'orchestre allemand (et, de surcroît, de mère russe).
Si Solal juge lamentable de devenir "un homme seul [avec] comme patrie une
femme," il raisonne encore par renversement. C'est lui qui a isolé Ariane, lui faisant
subir son sort de paria sans le lui expliquer. Leur passion vire au tragique parce qu'au
plus profond niveau, il reproche à cette femme de ne pas être sa mère, ou plutôt de ne
pas l'avoir été à temps. La seule voie de salut, bouchée àpriori par sa contradiction
interne, aurait été que le fil d'Ariane, cadeau d'amour, fasse magiquement de Solal le fils
d'Ariane. L'occultation des femmes juives chez Solal s'expliquerait en partie par le
refus d'un certain inceste de la part de ce personnage. Quoique de façon malheureuse,
il s'identifie tant à son peuple que toute Juive, qui l'incarnerait comme source, serait,
métaphoriquement, mère. Seule Juive du texte, et par là symbolique, Rachel se situe
d'emblée horsjeu comme candidate à l'amour de Solal pour cause d'une monstruosité
qui, en Europe, est sajudaïté même.7 Face à l'antisémitisme implacable qui crée cette
monstruosité, Solal a une réaction double. D'une part, dans un élan de culpabilité et de
défi, il revendique son identité avec les disgracieux de sa race, les Valeureux et la naine,
comme le fait Aimé Césaire dans le tramway parisien pour son "nègre" "comique et
laid" (65). D'autre part, à "l'inceste" monstrueux il préfère un "inceste" plus utile qui
l'en sortirait, par voie de femme. Ariane aurait surtout dû être sa mère patrie dès le
départ, départ qui aurait permis son départ vers le "social." Après avoir éliminé du
champ la femme-mère juive, responsable de sa naissance de portée si conflictuelle,
Solal punit cette nouvelle mauvaise mère. Enfermant Ariane avec lui, il crée le simulacre
d'un autre espace matriciel. Comme cet espace ne saurait s'ouvrir sur l'entre-hommes
désiré, il fondera la culpabilité de cette mère-ci. Et, comme Solal en fait son huis clos
ultime, il lui permettra de fermer la boucle en devenant lieu, non de naissance, mais de
suicide. Si Solal ne parlejamais de l'essentiel avec Ariane, c'est que la femme G intéresse
Cohen45

non comme voix mais comme voie où lui puiserait une langue légitimée pour parler aux
hommes.

III. L 'identité linguistique


"Il va et va, coeur affamé, oeil méfiant, va et va, Juif chantonnant triste,
chantonnant faux" [...] (Belle du Seigneure 706)

Belle du Seigneur est un grand livre en partie parce que Cohen y a trouvé pour
ainsi dire lejoint stylistique: la technique des monologues, soliloques, discours indirects
libres et monologues intérieurs. Pratiquement tout est oral: Ariane soliloquant dans
son bain écoutée par Solal caché dans sa chambre; le monologue de séduction de Solal
au téléphone avec le mari de celle qu'il veut séduire et qui est dans la pièce; Mariette,
la bonne qui parle toute seule dans sa cuisine; Solal discourant silencieusement de
l'antisémitisme devant Ariane; les cousins céphaloniens, "grands parleurs" pérorant
les uns devant les autres; les discours indirects libres d'Adrien Deume etc.8
Cette oralité fonde le grand humour et la verve linguistiques du roman. Mais
l'ironie, même mêlée de tendresse, reste empreinte de supériorité envers celui dont on
ridiculise les discours, parfois dans leur fond, plus souvent dans leur langage même. A
tous les niveaux du texte, la langue est thématisée de façon presque obsessionnelle.
Elle fonctionne en signe soit d'appartenance soit d'exclusion. Chaque personnage
est classé par des tics de langage à la Proust, par son registre de langue et par ses
remarques métalinguistiques. Parmi ceux qui "en sont": Ariane !'incontestablement
noble à la "voix aux inflexions dorées"(29), incapable par son éducation de dire des
gros mots, même seule, se corrige si elle omet par exemple un imparfait du subjonctif, et
connaît le latin comme apanage de sa caste. Les Deume, petits bourgeois belges, ont
le style de leur classe, un accent belge dont Ariane se moque, et se reprennent aussi en
s'efforçant de se conformer à leur idée du langage de la bonne compagnie. Mariette
et son parler de servante plein de fautes de grammaire, Adrien à qui son chef fait
réécrire les communications, en en reprenant le français maladroit, effaré à l'idée de ce
qu'en penserait le gouvernement français s'il les voyait sous cette forme. Cependant,
tous ces gens s'expriment avec la certitude irréfléchie de leur légitimité.
Pour les Juifs du texte, la langue forme un masque imparfait, et en tant que tel, un
signed' exclusion: la nainejuive, fière d'avoir appris le français, explique l'importance
de la connaissance des langues pour les Juifs, si souvent obligés de passer les frontières.
Elle se déguise en élégante en revêtant une fausse couronne, et en parlant la langue
élégante, "la langue de Racine" (43 1), fausse aussi, car anachronique et surtout parce
qu'elle la parle mal. Les Valeureux: "grands discoureurs, Juifs du soleil et du beau
langage, fiers d'être demeurés citoyens français en leur ghetto de l'île grecque de
Céphalonie, fidèles au noble pays et à lavieille langue"(108), se déguisenten Européens,
discursivement, aussi imparfaitement qu'avec leurs habits. Il en résulte, dans les deux
cas, des costumes linguistiques et vestimentaires hétéroclites, déformés, difformes.
Ils ont gardé la nationalité française depuis des siècles, mais, Juifs dispersés, ils ont
perdu la langue. La leur est truffée d' anachronismes, d'images orientales, d' emphase,
de tournures qu'ils croient élégantes comme leurs vêtements mais qui, comme ceux-ci,
ne provoquent que le rire et le mépris.
46Women in French Studies

"La noblesse est affaire de vocabulaire" déclare Solal (303). En Europe, il s'agit
d'abord d'un "vocabulaire" de noms propres par lesquels la noblesse a entériné le vol
de la terre dont elle s'était emparée. Dans l'absence de prénoms et la surabondance de
noms de famille chez "Solal 1 è des Solal," il manque le nom de lieu. Privés de terre, les
noms des Juifs ne les enracinent nulle part, si ce n'est, comme le suggère la polysémie
du patronyme, dans la solitude sans sol de la lumière du soleil. (Le diminutif"Sol"joue
à la fois sur la signification française de "terre" et de "soleil" en espagnol, langue des
origines séfarades du personnage. Sur le plan individuel les sens de soleil unique,
Seigneur unique, amant unique et homme seul entrent également en jeu.) Il est à
rappeler que s'il y avait eu reconnaissance sociale, elle ne se serait nullement portée
sur l'ascendance et la langue maternelles de Solal. Celle-ci était certainement dialectale
et, avec tout nom de (la) mère, occultés apriori dans un non-dit de dénigrement. Tout
aval social n'aurait affirmé que l'ascendance paternelle, patronymique (le personnage
ne s'identifie qu'à elle) et, implicitement, la langue-symbole de cette fonction: l'hébreu,
laquelle se sacralise doublement, en elle-même comme langue de la Bible et en la
personne de son père grand-rabbin.9
Quant au vocabulaire au sens large, Solal s'avère plus perfectionniste que les
parfaits. Si le parler genevois d'Ariane, avec ses septantes, nonantes et autres expres-
sions, l'agace; si,jaloux du naturel de sa noblesse d'expression, il la dénigre ("Précieuse,
la malheureuse, le langage choisi qu'elle parle même à poil"- 695); s'il se moque des
défauts de prononciation du bureaucrate qui refuse de l'aider à faire annuler son décret
de dénaturalisation (717), c'est encore par un dépit d'exclu. Dans la scène du début,
Solal "se salua en hébreu dans la glace. Il était un vieux Juifmaintenant, pauvre et laid,
non dépourvu de dignité"(28). Ce qui parfait le déguisement est le langage sacré -
secret dirait Gilman- des Juifs. Un secret qui n'est même pas le sien puisqu'il ne croit
pas. Encore une fausse essence qui ne se trouve point derrière ce qui pour l'Europe
antisémite serait le masque inauthentique du français et du Français, derrière lequel se
dissimulerait une essence juive. La maîtrise de la langue française ne sauvera pas
Solal. De même que pour la nationalité et pour la femme, s'il possède la langue, s'il est
dans la langue, il n'est pas de la langue, de la seule manière reconnue par les Autres
tout-puissants: par une hérédité nonjuive. Pour G antisémite, les Juifs ne peuvent que
chanter "faux."
Ariane accepte de se taire pendant les heures que durent les discours de séduction
de Solal. Après la "reddition" de la femme, ce sera l'amour qui assurera son silence et
sa soumission. Le cahier intime d'Ariane, lu par Solal entré par effraction dans sa
chambre, contenait un brouillon de roman. Le lecteur regarde par-dessus l'épaule de
Solal lisant à l'insu de son "auteur" un texte-métonymie violé à plusieurs égards.
Ouvert, il est livré après à une double médiation nocive: celle des yeux supérieurs,
indulgents, attendris et surtout moqueurs de Solal (lequel n'écrit pas, ressent de
l'insécurité par rapport à la culture dont a hérité Ariane et de la morgue à base de
jalousie par rapport au naturel avec lequel elle habite les hauts registres d'une langue
chez lui seconde), et celle d'Albert Cohen. Le réel auteur du projet de roman se livre à
une parodie misogyne au deuxième degré. Il infantilise le personnage et son texte en
écrivant de telle sorte que celui-ci cumule tous les défauts qu'un imaginaire (masculin)
attribue à l'écrit "féminin": texte capricieux, frivole, enfantin et par conséquent amusant
Cohen47

et touchant, c'est le projet d'une riche jeune femme oisive, déçue par son mari et qui
s'ennuie: c'est tout saufsérieux. Après la rencontre avec Solal, Cohen fait taire Ariane,
qui n'écrira plus. L'amour lui ôtera ce qui ne fut qu'une lubie passagère de femme mal
aimée. Ces stratagèmes témoignent du fait que ce que Jones appelle, parlant du
seizième et du dix-septième siècles, "the anxiety felt in early modern culture over the
manipulation of language by women" (1 87), se perpétue dans la première moitié du
vingtième siècle, (pour ne pas parler d'aujourd'hui). A ce double niveau textuel, Belle
du Seigneur manipule le dénigrement et l'infantilisation pour tourner l'objet de cette
angoisse, l'écrit de la femme, en dérision puis pour faire taire celui-ci en faisant taire
Ariane. Car comme l'intelligence de la femme qui doit rester moins cultivée que chez
l'homme (c'est le cas pour Ariane, femme d'intérieur), ses écrits doivent rester à l'état
de projet oublié.
Après avoir rendu la femme muette pour s'assujettir un auditoire, Solal se heurtera
à la surdité de la S.D.N., où l'on refuse d'écouter son appel à l'aide pour les Juifs
allemands. Privé de parole sociale, il se retrouvera muet avec Ariane, monologuant
mais silencieusement devant celle dont il ne veut faire une partenaire discursive de
peur de déchoir de ses dernières - et premières prérogatives: la domination de la
femme. En tentant de s'affirmer par ou contre la femme plutôt que d'en faire une
interlocutrice dans le social, Solal fonce plus en avant dans l'impasse, ce qui entraîne
les deux amants au suicide. Pour des raisons différentes: elle, par désespoir face à
l'échec de l'amour, domaine uniquement personnel dans lequel la société - et Solal - la
cantonnent; lui par un désespoir d'identité dans lequel s'imbriquent le national, le
linguistique et le sexuel, et dont le dénominateur commun est le "mal-entendu" de
base, l'antisémitisme. L'ultime paragraphe du roman, donnant pour ainsi dire le dernier
mot (muet) à Solal, illustre cet entrelacement. Alors qu'il attend la mort, il "baisfe] le
visage virginaF d'Ariane déjà expirée, et s'imagine qu'il lui garde la main en entrant
"dans la cave où une naine pleurait [...] son roi condamné qui pleurait aussi
d'abandonner ses enfants de la terre, ses enfants qu'il n'avait pas sauvés" (845 -je
souligne).
Cettejuxtaposition mériterait une analyse approfondie. Notons que l'infantilisation
de la femme, (Ariane, la naine Rachel), est comparable à celle des Juifs (les Valeureux,
Rachel). Interdire la participation à l'histoire et à l'activité sociale c'est maintenir l'exclu
dans un statut d'enfant, comme l'amontré Arendt pour les Juifs (Origins) etde nombreux
autres critiques pour les femmes. L'on pense par example à Simone de Beauvoir.
Quoique frappé de la même exclusion, Solal se fourvoie en adoptant une stance de "roi
condamné," d'"archange" (844) paternaliste envers les "petits" Juifs - les Valeureux-,
(quoiqu'il dénonce les préjugés qui les empêchent d'agir en adultes dans l'Histoire) et
envers les femmes (il ne dénonce point les préjugés qui les réduisent à un statut
semblable, car, profondément, il voudrait rester à leur égard un fils doté du pouvoir du
père). L'ultime retour à la "cave," métaphore du refoulement, du silence, et de la mort,
est tristement significatif de l'échec individuel et du triomphe provisoire des forces
sociales refoulantes.
Toutefois tous les registres discursifs du texte, y compris celui de Solal, sont
manipulés par l'auteur. Albert Cohen les brasse avec un panache confinant parfois à
l'excès dans ce beau livre baroque. Ses vastes déploiements discursifs font de tout le
48Women in French Studies

texte une sorte de masque-écran voué peut-être en partie à prouver que rien ne lui
demeure étranger dans cette langue dans laquelle lui non plus n'est pas né10.
Cependant, à rencontre de son personnage, Cohen exerce sa virtuosité avec une joie
qui refuse l'exclusion. Lorsque la Légion d'honneur lui a été remise, Cohen, citoyen
Suisse, a évoqué "cette admirable langue française qui est l'une de mes patries" (cf.
Blot, p. 274). Avec Belle du Seigneur il lui fait un hommage bien digne d'elle. Non
déchiré comme son tragique héros, Albert Cohen revendique le droit à toutes ses
origines en revendiquant le droit aux langues et aux pays qui sont siens.

Susan D. CohenNew York University


NOTES

1Ne à Corfou en 1 895 dans une famille séfarade, Albert Cohen émigré à cinq ans à
Marseille, et meurt en Suisse en 1 98 1 . Bouleversé par l'antisémitisme en France, et par
l'évolution de celui-ci vers la catastrophe du nazisme, dont, comme l'a montré Hannah
Arendt (Origins), l'Affaire Dreyfus n'était que la répétition générale, Cohen fut marqué
également par l'histoire de l'antisémitisme "oriental," endémique à sa terre natale de Corfou.
Sous domination vénitienne depuis 1204, l'île devient française en 1 797 lorsque
Napoléon s'en empare. Les Français y proclament l'égalité de tous, d'où l'amour
inextinguible des Juifs corfiotes pour le pays libérateur. En 1 8 1 4 le Congrès de Vienne place
Corfou sous protectorat anglais. Après avoir créé les Etats-Unis des Iles Ioniennes,
l'Angleterre en fait don à Ia Grèce en 1864. (Preschel) Habitants de l'île depuis au moins le
12è siècle, les Juifs de Corfou avaient toujours eu affaire à l'antisémitisme chrétien. Ils
subirent l'infériorité sociale et légale (celle-ci jusqu'à l'arrivée de Napoléon), le ghetto, le port
obligatoire d'insignes, et de constantes persécutions, dont, en 1891, un pogrome notoirement
ravageur, à laquelle Cohen fait allusion dans son roman Mangeclous. En 1 943 les Allemands
occupent l'île, tuant et déportant les Juifs. En 1982, ils ne sont plus que 70 descendants de
ceux qui étaient revenus dans l'île après la guerre. (Preschel) Ce passé a sans doute motivé le
choix de la Céphalonie, île grecque d'où viennent Solal et les Valeureux dans Belle du
Seigneur.
2Le fait que le second livre a été publié après le génocide compte sans doute pour
beaucoup dans la tristesse qui le sous-tend, et se reflète dans la modération du ridicule des
personnages des Valeureux et des satires des Juifs.
3Certains critiques voient en Solal un prophète (Blot, p. 12), mais ce serait un prophète
malheureux car sans foi, sans message de Dieu, et qui ne prophétise pas. Il ne fait que clamer
ce qui est: son mal à être, et l'injustice dont son peuple est victime.
4Voir l'analyse des vêtements des Valeureux et de Solal dans l'oeuvre de Cohen, menée
par TaI et Goiten-Galperin sous une toute autre optique, et qui tire d'autres conclusions que
les miennes.
'Dans Les Valeureux le narrateur/auteur dit "mes Valeureux, qui ne sont ni adultes ni
dignes, ni sérieux, [...]"(91). Mais, de ses "frères en Israel," comme ils peuvent participer
pleinement à l'histoire, il dit qu'ils sont "adultes et dignes, sérieux [...]" (91). Je reviens sur
ce point plus loin.
6Le texte fait le lien avec Proust, auteur qu' Ariane méprise pour le trop grand cas qu'il
fait des appellatifs nobles (5 1 8). Parmi eux il faut surtout citer, pour la ressemblance, celui
d'Oriane, duchesse de Guermantes.
7Dans Solal, Rachel est le prénom de la mère du héros. Elle figure la servilité,
Cohen49

"monstruosité" que Solal méprise sans analyser le patriarcat qui l'exige. Dans Belle du
Seigneur toute servilité comme toute soumission est qualifiée de "féminin" -comme le
"sourire féminin" d'Adrien Deume cherchant à plaire à ses supérieurs. (63, 89)
"L'on sait que Cohen dictait ses livres (toujours à une femme). Belle du Seigneur est
celui qui exploite le plus génialement cette oralité. Pour les origines biographiques de cette
tendance, cf. Blot, et Cohen dans les Carnets et dans Le Livre de ma mère.
9A propos du "minoritaire venu d'ailleurs" et des écrivains séfarades francophones en
particulier, Hassoun note le déchirement de celui qui "s 'est un jour condamné à transmettre à
sa descendance une langue ignorée de ses ancêtrespaternels, et une culture incompréhensible
aux fins lettrés de ses grands-parents."(p. 50 -je souligne.)
'"Pour une discussion dans une perspective analytique lacanienne du problème de la
langue maternelle chez les Séfarades francophones nés hors de France voir Hassoun.
REFERENCES

Arendt, Hannah. The Origins ofTotalitarianism. New York: Harcourt Brace Jovanovich,
1973.
—. The Jew as Pariah: Jewish Identity and Politics in the Modern Age. New York:
Grove Press, 1978.
de Beauvoir, Simone. Le Deuxième sexe. Paris: Gallimard, 1949.
Blot, Jean. Albert Cohen. Paris: Balland, 1986.
Césaire, Aimé. Cahier d'un retour aupays natal. Paris: Présence africaine, 1956.
Cohen, Albert. Solal. Paris: Gallimard, 1930.
—. Mangeclous. Paris: Gallimard, 1938.
Le Livre de ma mère. Paris: Gallimard, 1954.
Belle du Seigneur. Paris: Gallimard, 1968.
Les Valeureux . Paris: Gallimard, 1969.
O vous, frères humains. Paris: Gallimard, 1972.
Carnets 1978. Paris: Gallimard, 1979.
Fanon, Franz. Peaux noires, masques blancs. Paris: Seuil, 1952.
Gilman, Sander. Jewish SelfHatred. Baltimore: The Johns Hopkins University Press,
1986.
Hassoun, Jacques. L'Exil de la langue. Paris: Point Hors Ligne, 1993.
Jones, Ann Rosalind. "Introduction, Cluster on Early Modern Women." PMLA 109, #2
(March 1994): 187-189.
Preschel, Pearl L. The Jews ofCorfu. Diss. New York University, 1984., D.E. Q84-1 1433.
TaI, Annette et Goiten-Galperin, Denise. "Vêtements et masques des personnages juifs chez
Albert Cohen." Yod (Revue des études hébraïques etjuives modernes et
contemporaines) 14(1981; premier semestre): 69-86.

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