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Dialectique et philosophie
Stanislas Breton
Breton Stanislas. Dialectique et philosophie. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, tome 62, n°76, 1964. pp.
597-630;
doi : 10.3406/phlou.1964.5274
http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1964_num_62_76_5274
<*> Les réflexions développées dans cet article ont été reprises dans une com*
munication présentée à 'la Société de philosophie de Bordeaux le 1 1 janvier 1964.
<>> La Pensée et le Mouvant, 1933, 22e éd., Paris, 1946, pp. 49-50.
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ASPECTS DE LA DIALECTIQUE
A. Le fait de la contradiction.
« a. De potentat, q. 7, a. 8. ad 4.
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c'est sur le trajet de ces relations que nous avons rencontré les
différentes formes de la « contradiction ». Le rapport, en effet,
implique à la fois la distinction, la distance de ses termes et leur unité.
Or l'opposition renforce la distance. Elle la durcit en hostilité, elle
l'accentue en incohérence, elle l'exacerbe en privation. Les trois
formes de l'opposition sont ainsi, échelonnées en intensité et en
profondeur, les trois modes déficients de la distance. Il y a plus. Dans
ce système de rapports, une hiérarchie s'impose. Le rapport à
soi ou relation interne est plus profond que le rapport externe
qui englobe, ordonnées entre elles selon l'ordre ontologique
d'excellence, la relation à autrui et la relation aux choses. Nous
distinguerons en conséquence une opposition externe qui se résume
dans le double conflit de l'homme avec l'homme et de l'homme
avec les choses ; une opposition interne dont nous avons repéré
les deux types les plus significatifs : la contradiction proprement
dite et la privation. La hiérarchie du négatif reflète ainsi la
hiérarchie même des rapports. De ce point de vue, la situation
dialectique que nous décrivions peut se définir comme la pathologie de
nos rapports fondamentaux. Mais le négatif n'a de sens que par
le positif qu'il laisse transparaître dans le vide même de son manque.
L'opposition trahit donc l'unité que la relation devait opérer. Et
comme cette relation n'est pas une unité toute faite mais un style
d'unification, nous devinons, sous le groupe des oppositions, le
groupe des opérations fondamentales qui doivent organiser notre
champ de potentialités. Ce groupe d'opérations comporte
indissolublement l'unification de soi avec soi, l'unification de soi et d'autrui,
l'unification de soi et d'autrui avec cet autre anonyme que sont les
choses. Chacune de ces synthèses exprime un impératif de
réalisation. Chacune d'elles implique un intervalle à traverser, un échec
possible à assumer. L'unité est donc corrélative de la distance et de
la transitivité. On n'est soi qu'en « passant » à l'autre, et l'on ne
devient l'autre qu'en revenant à soi. Identité, transitivité, réflexi-
vité : ces trois moments définissent, comme on sait, le style de la
dialectique philosophique. Sous son allure abstraite, il est facile de
retrouver l'expérience humaine que les systèmes ont thématisée.
Cette expérience, où l'homme vit ses rapports fondamentaux sur le
mode du conflit, de la contradiction, de la privation, est ce que
nous appelons situation dialectique. Après en avoir caractérisé la
forme, il nous faut en préciser les différents niveaux et contenus.
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B. Le principe de non-contradiction.
<*> Les deux idées de monde et d'univers ont d'évidentes affinités. C'est par
souci de clarté que nous tenons a les distinguer. Kant, dans la dialectique trant-
cendentale, ne fait pas intervenir l'idée de hiérarchie qui nous paraît essentielle
à celle d'univers.
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(T> Comment l'Absolu, en tant que tel, peut-il être, fût-ce au titre d'énergie,
rapport à autre chose, c'est-à-dire à ce qu'il fonde ? Cette antinomie, qui a
préoccupé N. Hartmann (« antinomie du principe à la fois absolu et relatif >),
repose, nous semble-t-il, sur l'équivoque du terme « relatif >.
'•> La conversion dont parlent les néo-platoniciens n'est donc que l'extrême
pointe de la réflexion radicale. La reditio compléta ad propriam essentiam
implique plus et mieux qu'une simple introspection ou une connaissance savoureuse
de soi. L'esprit découvre en sod le principe dont il vit.
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Cet univers, considéré dans son rapport aux exigences qui le fondent,
résulte d'une réflexion sur le fait de la contradiction. Ce fait doit être
compris. Il ne peut l'être qu'en vertu d'un principe de
non-contradiction. La logique interne de ce principe développe un ordre
hiérarchique dont le centre de gravité est la causa sui. La liberté
déploie ses moyens, se réalise à travers l'autre, se réfléchit en soi
et en son origine radicale. Le monde ne se réduit plus à une
solidarité mécanique de phénomènes ou à un étagement statique de
structures. Le mouvement qui le traverse et l'unifie reflète un acte
d'être, un groupe d'opérations qui en constitue le sens.
Après l'avoir vue à l'œuvre, il nous sera possible désormais de
préciser la signification de la pensée dialectique, comme attitude
spirituelle, comme forma mentis.
II
LA PENSÉE DIALECTIQUE
("> Op. cit., p. 53. L'auteur précise ainsi ce qu'il entend par c structure
logique » : « Unter einer logischen Struktur wird dabei der formule Zusammen-
hang realeT oder idealer Gegenstânde oder Sachverhalte, Vorgange und Prozesse
verstanden, der sich aus ihnen herausheben und sich durch ein ansckauliches
Schema, ein Denkmodell, oder, wenn dies nicht môglich ist, durch ein System
von Zeichen darstellen lâast, deren Bedeutung und deren Beziehungen zueinander
definiert sind. », ibid.
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que par l'acte qui s'y exprime et qu'il doit servir ; f) le rapport du
monde et de la liberté implique une genèse réciproque : d'une part,
la liberté fait que le monde soit ; le monde, d'autre part, fait que
la liberté puisse advenir, c'est-à-dire se réaliser dans une limite qui
constitue sa détermination ; g) le réel en son ensemble se déploie
dans un mouvement circulaire, dont l'unité est assurée par un groupe
d'opérations fondamentales : identité, transitivité, réflexivité.
Cette explicitation logique résume, dans ses traits principaux,
l'intuition qui sous-tend la pensée dialectique. Toutefois nous avons
laissé dans l'ombre, pour mieux la souligner ensuite, la portée
précise de la réflexivité. Pour nous contenter nous aussi d'une
approximation, nous emprunterons à Bergson l'essentiel de ses formules
sur l'intuition fondamentale du spinozisme. « Disons [...] que (cette
intuition) c'est le sentiment d'une coïncidence entre l'acte par
lequel notre esprit connaît parfaitement la vérité et l'opération par
lequel Dieu l'engendre, l'idée que la 'conversion' des Alexandrins,
quand elle devient complète, ne fait plus qu'un avec leur
'procession' et que lorsque l'homme, sorti de la divinité, arrive à rentrer
en elle, il n'aperçoit plus qu'un mouvement unique là où il avait vu
d'abord les deux mouvements inverses d'aller et de retour, —
l'expérience morale se chargeant ici de résoudre une contradiction
logique et de faire, par une brusque suppression du Temps, que le
retour soit un aller. » (16>
Pour notre part, plus que sur la coïncidence des deux
mouvements, — coïncidence qui, bien comprise, ne nous paraît pas
contradictoire (17), — nous mettrions l'accent sur la coïncidence de la
liberté et de son principe. Car telle est, nous semble-t-il, la
postulation secrète qui s'intègre à l'intuition fondamentale du sens
d'être (<18), La réflexion totale qui accomplit la liberté dans sa redi-
(") Ces divergences «ont trop réelles pour qu'on puisse honnêtement les con*
tester. Je ne confonds point Marx avec Spinoza mi Hegel avec Plotin. Déceler une
certaine structure, une certaine allure du mouvement, ce n'est point réduire les
cas particuliers aux modes accidentels et négligeables d'un universel abstrait.
Il y a bien des demeures à l'intérieur de la dialectique. Celle-ci, avons-nous
remarqué, déborde ses formes concrètes. La typologie de ces formes nous amènerait
trop loin. A titre de fil conducteur, je propose une typologie systématique dont le
principe s'inspire du groupe d'opérations fondamentales. Telle dialectique
accentue surtout l'opération d'identité: elle est surtout conceptuelle et logique
(cf. le Platon du Sophiste et du Parménide, plus près de nous Hamelin dans
l'Essai). Telle autre insiste sur la transitivité (le marxisme, par exemple, avec sa
notion de travail). Une troisième, enfin, celle de Plotin, de tendance mystique,
affectionne la conversion ou réflexivité.
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III
DIALECTIQUE ET PHILOSOPHIE
'**' Op. cit. Leisegang étudie dans cet ouvrage le Gedankenlyeia, dont l'hégé-
lianiame (Kreia der Kreise) est le modèle accompli; la Begriffspyramide, dont
Aristote fournit l'exemple classique; le geradliniger Fortschritt, dont les
représentants les plus conscients sont les théoriciens du progrès indéfini.
'"' Kleinere Schriften, II, Berlin, 1957, pp. 1-5. Hartmann parle de tendance
dominante. Tout penseur est peu ou prou Syatemden\er et Problemdenk,er. Même
avec ces atténuations, une telle classification nous paraît un peu simple. Elle peut
servir de première approche.
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<**> Hartmann, par la suite, a étudié Hegel de plus près. Mais ce qu'il
retiendra de Hegel c'est surtout la formulation de certain* problèmes fondamentaux
et la description de leurs données. CI. notre ouvrage: L'être spirituel, Paris-Lyon,
1962, pp. 57 et «v.
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<M> Je rappelle à ce sujet un texte de Fichte : c Wir hier das Sein definieren,
wëhrend es doch sonst als allgemeiner Satz galt dass das Sein nicht zu definieren
sei; welches die Quelle ailes Irrtums ist. », Werke, Leipzig, Meiner, 1912, VI,
p. 5. Pour Fichte, l'être est définissable. Mais cette définition c'est l'idéalisme
absolu qui la donne.
(") Le choix de l'unité minimum, pour ceux qui la retiennent, se justifie par
le souci c scientifique », objectif, de ne point restreindre l'espace ontologique
a la seule domination du spirituel (un spirituel conçu du reste sous forme
personnelle) et, conséquemment, au pouvoir c despotique » de la finalité.
'"' Cette contingence affecte, en effet, les données des problème* autant que
la structure des systèmes.
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