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Illustration de couverture :
Guillaume Lebelle, Sans titre, 2005,
Gouache sur papier, 50 x 50 cm
© Guillaume Lebelle, courtesy galerie Christophe Gaillard
Depuis 1876
I. Le Mal, un choix
ou une fascination ? Bataille
contre Sartre au sujet de Baudelaire
9. Ibid., p. 87.
10. Baudelaire, Les Fleurs du mal, dans Œuvres complètes, t. I, p. 144
(nous soulignons).
Paresse et lâcheté sont les causes qui font qu’un si grand nombre
d’hommes, après que la nature les eut affranchis depuis longtemps
d’une conduite étrangère (naturaliter maiorennes), restent cepen-
dant volontiers toute leur vie dans un état de tutelle ; et qui font
qu’il est si facile à d’autres de se poser comme leurs tuteurs 31.
50. Kant, Kritik der Urteilskraft, Ak. V, § 40, p. 294 et n.*. Trad. d’Alexis
Philonenko, Critique de la faculté de juger, Paris, Vrin, 1965, p. 128 et n. 1.
51. Ibid.
2. Idem, p. 58-59.
3. Deleuze, Critique et clinique, Paris, Éd. de Minuit, 1993, p. 92.
I. La violence ontologique
comme opposée à l’éthique
5. Voir par exemple l’entretien réalisé à la fin 1983, paru l’année suivante :
Foucault, « Archéologie d’une passion », Dits et écrits, n° 343.
12. M. Weber, Die protestantische Ethik und der « Geist » des Kapitalismus,
trad. d’Isabelle Kalinowski, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme,
Paris, Flammarion, « Champs », 2002, p. 63-64.
13. Foucault, Histoire de la folie, p. 101.
16. Kant, Kritik der Urteilskraft, Ak. V, p. 167. Trad. d’Alexis Philonenko,
Critique de la faculté de juger, Paris, Vrin, 1965, « Préface », p. 17.
20. Heidegger, Kant und das Problem der Metaphysik, (1e éd., 1929),
GA 3, IVe Partie, notamment § 36-38. Trad. Waelhens et Biemel, Kant et
le problème de la métaphysique, Paris, Gallimard, « Tel », 1981.
21. Foucault, « Préface à la transgression », p. 239.
dont il dit que les phrases « sont aussi sobres qu’un dessin
japonais, pure ligne tracée par une main sans support, et
qui traverse les âges et les règnes. Il fallait un vrai alcoolique
pour atteindre à cette sobriété-là 2 ». Cette déclaration,
qui dans un autre contexte apparaîtrait peut-être comme
chargée d’ironie, sonne fort sérieuse dans le discours de
Deleuze, dans lequel des cas similaires se succèdent pour
prouver que si « les fous », mais aussi « les alcooliques »,
les « schizophrènes », les « drogués » et d’autres (les guil-
lemets servant à rappeler que les individus en question ne
sauraient être ainsi réduits à une détermination univoque
que par un esprit superficiel) peuvent être de grands
artistes et penseurs, si certains comptent même parmi les
gens les plus originaux dans l’art, alors la conclusion de
Deleuze, de Guattari, mais aussi de Foucault sera : tant
pis pour le sujet et pour le moi. Remettre en question
le moi devient le prix à payer pour parvenir à une autre
forme de création 3.
Pourtant, cette proximité entre les trois auteurs cache
des divergences considérables. L’analyse a déjà permis de
définir une première tension entre Foucault et Deleuze
au sujet du mineur et du majeur, puis une deuxième au
sujet de la notion de transgression puisée chez Bataille.
Désormais, ce sera Artaud qui fournira l’occasion de
repérer une troisième tension, lui qui fut une référence
importante pour l’Histoire de la folie et les textes de
Foucault sur la littérature écrits dans le sillage de ce livre,
Toute mon œuvre n’a été bâtie et ne pourra l’être que sur
ce néant,/ sur ce carnage, cette mêlée de feux éteints, de cris
taris et de tueries,/ on ne fait rien, on ne dit rien, mais on
souffre, on désespère et on se bat, oui, je crois qu’en réalité
on se bat. – Appréciera-t-on, jugera-t-on, justifiera-t-on le
combat?/ Non./ Le dénommera-t-on ?/ Non plus,/ nommer
23. Foucault, « Des espaces autres » (1967), Dits et écrits, n° 360, t. IV,
p. 758.
24. Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 199.
25. Ibid.
33. Ibid. Ainsi le chef éthiopien qui soumet à l’esclavage les princes
vaincus, exemple donnée par Artaud, « Lettres sur la cruauté. Première
lettre », p. 121.
dans Le Théâtre et son double, n’est finalement paru qu’en 1948 (voir ibid.,
n. 1, p. 388).
41. Deleuze, Critique et clinique, p. 163. Les citations suivantes sont
extraites des pages 164-165.
43. Foucault, « La folie et la société » (1970), dans Dits et écrits, n° 83,
t. II, p. 132.
fin des années soixante-dix est en effet une autre voie qui
dépasse à la fois le « je » et l’universel ; elle est celle du
« nous », ni singulier ni universel, mais particulier. Ainsi,
elle constitue une autre option par rapport au subjectivisme
radical de la folie (impossible de dire « je » à la place de
Nietzsche, mais aussi à la place de Van Gogh et d’Artaud)
et à l’universalité de la philosophie classique. Ce chemin
n’est ni celui de la folie ni celui de la science ni enfin celui
de la politique. Il est à proprement parler le chemin de
l’éthique, et Foucault le trouvera simultanément chez les
Anciens et chez Baudelaire, l’imitateur de la folie.
En effet, dans l’attention portée à cet auteur dans
les années 1980 tout le souvenir n’est pas perdu de la
différence entre le fou et celui qui fait semblant. Quels
traits les séparent ? Le premier est le caractère central du
choix personnel. On a vu comment Foucault découvre en
Baudelaire un auteur qui établit pour lui-même la règle
du travail continu et intensif. Partout il décèle les indices
de l’éthique rigide du dandy. Autant ceux qui ne choisis-
saient pas (parce qu’ils ne pouvaient pas choisir), avaient
été, dans les années soixante, la source d’une pensée de la
transgression, autant celui qui choisit, quand bien même
il mime la folie, aide maintenant Foucault à réfléchir sur
l’éthique comme technique de soi, ascèse, voire comme
renoncement. La deuxième marque qui sépare la folie
de son imitation est celle des espaces auxquels se dirige
chacune des ces forces. Dans les « œuvres de folie », la
transgression visait un dehors, un espace au-delà des limites
de l’être. Dans les textes de Baudelaire, en contrepartie,
il y va d’un travail sur les limites de soi-même. Les deux
forces partagent le caractère ontologique et critique,
puisqu’à la fois il s’agit de l’être et de ses limites. Mais si
la transgression était impulsive et inévitable, c’est-à-dire
I. Baudelaire,
écrivain transhistorique
que Foucault prend pour cible dans Les Mots et les choses (les deux écrits
paraissent en 1966). Que la finitude soit pour chacun nécessaire, cela fait
qu’elle est universelle ; que par ailleurs elle s’individualise incomparablement,
cela la transforme en des singularités irréductibles. D’où il suit que les deux
termes ne sont distingués, voire opposés par Sartre que pour mieux être
accordés à la fin, dans un élan dialectique que le titre même de son texte met
en évidence. La tâche sur laquelle se clôt cet article est elle aussi explicite :
elle consiste à « découvrir, en chaque conjoncture, indissolublement liées,
la singularité de l’universel et l’universalisation du singulier » (p. 190). Par
rapport à Descartes et Kant, Sartre propose ainsi un autre mode de commu-
nication entre l’universel et le singulier, sur la toile de fond de la finitude
de l’homme, et de l’Histoire. Mais l’irréductibilité du singulier sur laquelle
il s’arc-boute n’est ni pensée aussi radicalement que chez Foucault, où le
passage d’un terme à l’autre devient impossible (éclatement simultané du
moi et de l’universel), ni n’ouvre le champ d’une réflexion sur le particulier,
qu’elle paraît ignorer. On soupçonne dès lors que le singulier irréductible
sartrien n’est peut-être rien d’autre qu’une conscience individuelle exacerbée,
néanmoins destinée à se lier à l’universel qui l’entoure.
27. Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 223-224.
La pensée critique
et la fin de l’anthropologie
I. Revenir à Kant
pour mieux en détourner le projet
3. Idem, p. 353.
4. Foucault, « Introduction par Michel Foucault », Dits et écrits, n° 219,
t. III, Paris, Gallimard, 1994, p. 431 sv.
11. Ibid.
22. Ibid.
23. Foucault, L’Ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, p. 7.
L’émancipation et nous
4. Ibid.
5. Ibid, p. 237-238.
23. Voir F. Gros, Michel Foucault, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 3e éd.,
2004 [1996], p. 116-123 et le dossier consacrée à la parrhêsia par la revue
Aurora, vol. 23, n° 32, 2011 (accessible sur Internet).
51. Par là, nous rejoignons la thèse d’Étienne Balibar selon laquelle,
dans « Qu’est-ce que les Lumières ? », Foucault combine « la leçon de
Nietzsche avec celle de Kant ». É. Balibar, La Crainte des masses. Politique
et philosophie avant et après Marx, Paris, Galilée, 1997, p. 33.
52. Nietzsche, Ecce Homo, « Par-delà bien et mal », § 2, dans Nietzsche,
Œuvres philosophiques complètes, t. VIII. Trad. de J.-C. Hémery, Paris,
Gallimard, 1974, p. 319.
un but plus élevé que celui d’un pur flâneur, un but plus
général, autre que le plaisir fugitif de la circonstance. Il
cherche quelque chose qu’on nous permettra d’appeler
la modernité 54[...]. » Dans le même sens, Mon Cœur
mis à nu tranche de la manière suivante : « Il y a aussi
des gens qui ne peuvent s’amuser qu’en troupe. Le vrai
héros s’amuse tout seul 55. » Après l’aristocratie, l’éloge de
l’héroïsme, voilà un deuxième point commun au dandy et
au gentilhomme. Enfin, troisième trait qu’ils partagent,
l’aristocratie et l’héroïsme ont partie liée avec le rejet de
l’idée de progrès. Je cite à ce propos un passage éloquent de
Mon Cœur mis à nu : « Pour que la loi du progrès existât,
il faudrait que chacun voulût la créer ; c’est-à-dire que
quand tous les individus s’appliqueront à progresser, alors,
et seulement alors, l’humanité sera en progrès 56 ». Une
fois de plus, nous sommes aux antipodes de Kant, pour
qui l’enthousiasme collectif était un signe indépendant
du comportement des individus pris de façon séparée,
comme il l’écrit dans la deuxième section du Conflit des
facultés. En somme, l’héroïsme, l’aristocratie et le refus
du progrès sont trois idées majeures partagées par le
dandy et le gentilhomme, dans lesquelles le moderne et
l’antimoderne apparaissent comme des frères jumeaux,
également opposés à l’Aufklärung kantienne.
Du reste, la proximité entre Baudelaire et Nietzsche
n’est plus à établir. Sur ce point, on doit à Benjamin
quelques intuitions fort justes, ébauchées dans les fragments
63. Foucault, « La folie et la société » (1970), Dits et écrits, n° 83, t. II,
p. 132.
64. Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne, p. 711.
65. Nietzsche, Jenseits von Gut und Böse, n° 30, dans Werke, t. VI 2,
p. 44 ; trad. Robert Laffont, Œuvres, t. II, p. 586.
Chicago Press, 1982 (2e éd. avec une postface et une inter-
view de M. Foucault, 1983). Trad. de F. Durant-Bogaert,
Michel Foucault. Un parcours philosophique, Paris,
Gallimard, 1984, maintenant dans « Folio/Essais ».
Dumoulié, Camille, Nietzsche et Artaud. Pour une éthique de
la cruauté, Paris, PUF, 1992.
Europe, n° 873-874, jan.-fév. 2002, Paris : « Antonin Artaud ».
Foucault, Michel, Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge
classique, Paris, Plon, 1961 ; 2e éd. : Histoire de la folie à
l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972 (la préface est subs-
tituée et deux appendices de réponse à Henri Gouhier et
à Jacques Derrida sont introduits, alors qu’une longue
note du dernier chapitre sur le Zarathoustra de Nietzsche
est éliminée) ; 3e éd. : Histoire de la folie à l’âge classique,
Paris, Gallimard, « Tel », 1976.
Foucault, Michel, Les Mots et les choses. Une archéologie des
sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966.
Foucault, Michel, L’Ordre du discours. Leçon inaugurale
au Collège de France prononcée le 2 décembre 1970, Paris,
Gallimard, 1971.
Foucault, Michel, Les Anormaux. Cours au Collège de France
(1974-1975), éd. par Valerio Marchetti et Antonella
Salomoni, Paris, Seuil/Gallimard, « Hautes études », 1999.
Foucault, Michel, Surveiller et punir. Naissance de la prison,
Paris, Gallimard, 1975.
Foucault, Michel, Histoire de la sexualité I : La Volonté de
savoir, Paris, Gallimard, 1976.
Foucault, Michel, Sécurité, territoire, population. Cours au
Collège de France (1977-1978), éd. par Michel Senellart,
Paris, Seuil/Gallimard, « Hautes études », 2004.
Foucault, Michel, L’Herméneutique du sujet. Cours au Collège
de France (1981-1982), éd. par Frédéric Gros, Paris, Seuil/
Gallimard, « Hautes études », 2001.
a 122-127, 129-130,
135-138, 140-141, 143,
André-Carraz (D.) 92, 231 163, 166-168, 170,
Aristote 27, 208, 231 191, 193-195, 198-206,
Artaud (A.) 12-13, 42, 208-209, 214, 221-223,
61, 86-105, 107-111, 231-232, 239
113-114, 116-117, 125, Benjamin (W.) 9, 31-32,
231, 233-234, 238-239 119, 201-203, 232, 239
Bouveresse (J.) 211-212,
b 232
Introduction ........................................................................................... 5
I Devenir mineur,
le renversement de l’appel kantien ................................. 19
I. Le Mal, un choix ou une fascination ?
Bataille contre Sartre au sujet de Baudelaire ...................... 21
II. Lumières et modernité : Foucault
et l’association de Kant à Baudelaire ...................................... 29
III. Deleuze et la radicalisation du mineur .............................. 42
II La transgression : contre l’admiration
de Foucault, la méfiance de Deleuze ............................ 59
I. La violence ontologique
comme opposée à l’éthique ......................................................... 62
II. La formulation d’une ontologie critique : Nietzsche et
Heidegger, contre Kant et Hegel ............................................. 73
III Le supplice du sujet : l’admiration de Deleuze
et l’abandon de Foucault ...................................................... 85
I. La grande folie solaire
et les pouvoirs de la schizophrénie .......................................... 88
II. Contre l’infinitude,
échapper au pouvoir par le corps ............................................. 99
III. Trois différences entre l’éthique et le supplice ........... 111
IV La modernité comme époque
et comme attitude .................................................................... 117
I. Baudelaire, écrivain transhistorique .................................... 118