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Paris par l’inventeur du logiciel, Laurent Boutboul.


S’estimant lésé par Accenture lors du rachat de sa
Renault et PSA ont gonflé en secret la
société en 2010, il accuse aujourd’hui le géant du
facture de leurs clients de 1,5 milliard conseil, Renault et PSA d’avoir utilisé son système
PAR YANN PHILIPPIN
ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 1 JUIN 2018 pour coordonner les hausses de tarifs, en violation des
règles de la concurrence.

Des documents confidentiels, obtenus par Mediapart


et l’EIC, montrent que les deux constructeurs français
ont artificiellement gonflé les prix, déjà très élevés, de
leurs pièces détachées, grâce à un logiciel miracle. Il en
a coûté 1,5 milliard d’euros aux automobilistes en dix Carlos Ghosn (à gauche), PDG de Renault, et Carlos
Tavares, président du directoire de PSA. © Reuters
ans.
Contacté par Mediapart, il nous a confirmé l’existence
Beaucoup d’automobilistes pensent que réparer sa
de la procédure par le truchement son avocat,
voiture coûte trop cher. Mais ils ignoraient à quel
Franck Normandin, mais a refusé de « commenter
point. À partir de la fin des années 2000, Renault et
des informations confidentielles débattues dans le
PSA Peugeot Citroën ont opéré une hausse de 15 %
cadre d’une procédure judiciaire en cours ». Laurent
des prix des pièces détachées pour lesquelles ils sont
Boutboul précise seulement que « ce litige concerne
en situation de monopole. C’est ce que révèlent des
les engagements du groupe américain Accenture et
documents confidentiels issus du cabinet de conseil
de sa filiale française à respecter les règles d’un
Accenture, obtenus par Mediapart et partagés avec
protocole antitrust [les règles internes en matière
le réseau European Investigative Collaborations
de droit de la concurrence – ndlr], défini avant
(EIC) et le quotidien belge De Standaard dans le cadre
l’acquisition de [s]a société Acceria pour maintenir
de notre enquête CarLeaks.
l’usage licite du procédé qu[’il] a conçu. »
L’Autorité française de la concurrence, alertée l’an
dernier de ces pratiques, a immédiatement ouvert une
enquête, puis l’a refermée au bout de quelques mois
sans avoir mené d’investigations complémentaires
Cette manœuvre a été réalisée grâce à un logiciel ni auditionné les témoins potentiels. Contactée par
très sophistiqué fourni aux deux constructeurs français Mediapart, l’Autorité indique que « les éléments
par Accenture, qui permet de réaliser des hausses portés à sa connaissance » ne justifiaient pas
de prix de façon presque indétectable. Selon nos l’ouverture d’une « enquête approfondie », mais
documents, l’opération a rapporté plus de 100 millions qu’elle se réservait la possibilité de le faire si de
d’euros de profits supplémentaires par an à chacun « nouveaux éléments » lui étaient communiqués.
des deux constructeurs français. Renault et PSA ont
Accenture et PSA ont refusé de nous parler et nous
ainsi soutiré, au niveau mondial, environ 1,5 milliard
ont seulement adressé de courtes réponses écrites
d’euros aux automobilistes en dix ans.
(à lire sous l’onglet Prolonger). Accenture estime
Cette pratique, choquante sur le plan éthique, pose que nos informations « comportent de nombreuses
également question sur le plan juridique. Nos inexactitudes et erreurs d’interprétation », que la
documents sont issus d’une procédure judiciaire
intentée au civil devant le tribunal de commerce de

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procédure intentée par l’inventeur du logiciel est des constructeurs sur les pièces de carrosserie, et aux
« sans fondement » et que le cabinet respecte ses « tarifs injustifiés » subis par les automobilistes. Sans
« obligations légales et contractuelles ». succès.
PSA « conteste totalement » ces « accusations […]
infondées », sans plus de détails, tandis que Renault,
qui a répondu par écrit à nos questions, indique
ne s’être « engagé dans aucune coordination, de
quelque forme que ce soit, avec PSA » et n’avoir
jamais « emprunté une démarche qui puisse relever,
de près ou de loin, d’une violation des règles de
Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, à l'Assemblée nationale en 2015,
concurrence ». lors de l'examen de la loi qui porte son nom. Il avait alors rejeté un amendement
destiné à abolir le monopole des constructeurs sur les pièces de carrosserie. © Reuters
Les pratiques de Renault et PSA sont d’autant plus
choquantes qu’avant la mise en place du logiciel En 2015, un amendement en ce sens avait été déposé
d’Accenture, ils vendaient déjà leurs pièces de lors de l’examen de la loi Macron, à l’époque
rechange à des tarifs exorbitants : jusqu’à cinq fois ministre de l’économie. Mais Emmanuel Macron
leur prix d’achat en moyenne, selon nos documents l’a refusé, épousant l’argumentaire du lobby des
confidentiels, soit 80 % de marge ! Selon Accenture, constructeurs. « J’ai de la sympathie intellectuelle
les pièces de rechange pèsent « 9 à 13 % du chiffre pour l’amendement […], mais les conséquences
d’affaires » des constructeurs, mais « jusqu’à 50 % de concrètes ne rendent pas raisonnable son adoption, au
leurs revenus nets ». regard de la situation économique de la filière », avait-
Ces énormes profits sont générés pour l’essentiel par il déclaré à l’Assemblée nationale.
les pièces dites « captives », sur lesquelles il n’y a pas Dans ce contexte, les constructeurs français n’ont pas
ou très peu de concurrence, donc aucun choix pour hésité à augmenter encore plus leurs marges, grâce
les automobilistes qui doivent réparer leur voiture. au logiciel fourni par Accenture. Vu la situation de
Ces pièces « captives » représentent en moyenne 30 à monopole sur les pièces de carrosserie et le fait que
50 % des revenus pièces détachées des constructeurs, Renault et PSA pèsent 55 % des ventes de voitures
et bien davantage en France. Car notre pays est l’un dans l’Hexagone, les automobilistes français sont les
des sept derniers membres de l’Union européenne qui premières victimes du système.
continuent à accorder un monopole aux constructeurs L’histoire commence en 2006. Laurent Boutboul,
sur les pièces dites « visibles », c’est-à-dire de consultant et expert en optimisation des
carrosserie (boucliers, calandres, rétroviseurs, ailes, profits industriels, crée la société Acceria pour
etc.). commercialiser Partneo, un logiciel qu’il est en train
Cela fait près de dix ans que les associations de de mettre au point. Sa société démarche Renault avec
consommateurs comme l’UFC-Que Choisir, ainsi une proposition alléchante : malgré les prix déjà très
que les garagistes et les distributeurs de pièces élevés des pièces « captives », il est possible de les
indépendants, se battent pour tenter de mettre fin augmenter encore.
à cette « exception française » liée à l’exclusivité À l’époque, les constructeurs fixaient le tarif des
pièces en fonction de leur coût, en multipliant le prix
de revient par un coefficient. Partneo change la donne
en se basant sur la « valeur perçue », c’est-à-dire le
prix maximum que le client est psychologiquement
prêt à payer.

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Une protection de roue à 3€ revendue vingt- de pièces concernées (plusieurs dizaines de milliers
cinq fois plus cher par constructeur) et de variations de tarifs, impossible
Concrètement, les pièces sont pesées, mesurées, de s’y retrouver. Le logiciel peut également être
photographiées et analysées dans un entrepôt- paramétré pour n’appliquer que des hausses modérées
laboratoire, afin de créer une base de données. Grâce aux composants « surveillés », qui entrent dans
à des algorithmes sophistiqués, les prix des pièces la composition de l’indice des prix réalisé par les
similaires sont ensuite augmentés en fonction du tarif assureurs auto, à travers leur organisme SRA (Sécurité
du composant le plus cher de la « famille », la majorité et réparation automobile).
des hausses étant comprise entre 20 et 300 %. Sans Séduit, Renault passe commande. Les résultats sont si
que cela ne choque le consommateur, puisque les spectaculaires que l’opération a reçu en 2008 le prix
composants sont de taille et d’allure semblables. interne « super award de la profitabilité », c’est-à-
dire le « super prix » du programme le plus rentable
de l’année (notre document ci-dessous). Renault nous
a répondu que l'équipe qui a reçu ce prix a travaillé
sur les pièces captives depuis « 1992, donc bien avant
l'utilisation de Partneo ».

Propositions de hausses de prix réalisées par Accenture


pour PSA sur un type de pignons. © Mediapart/EIC

Prenons par exemple les capteurs de pédale


d’accélérateur de Renault. Celui de l’Espace IV coûte
12,6 € et était revendu 109 €, près de neuf fois plus
cher, tandis que celui de la Mégane, d’un prix de
Le programme Partneo a obtenu de "super prix" interne de la profitabilité de
revient similaire, était vendu « seulement » 51 €. Grâce Renaut en 2008, et le prix de la "qualité" l'année suivante. © Mediapart/EIC
à Partneo, le prix du capteur de la Megane a plus que Selon les chiffres issus des documents d’Accenture,
doublé en quelques années, pour passer à 110 €, tandis Partneo a permis à Renault d’augmenter en moyenne
que celui de l’Espace IV n’a augmenté que de 2 % à de 15 % le prix de ses pièces captives, ce qui lui a
112 €. rapporté 102 millions d’euros supplémentaires par an.
Nos documents confidentiels permettent de Soit un gain cumulé de plus de 800 millions d’euros
documenter d’autres hausses massives. Le rétroviseur à ce jour, directement prélevés dans la poche des
des Clio III, qui coute 10 € et était déjà revendu huit consommateurs. Renault répond que ces chiffres « ne
fois plus cher à 79 €, a vu son prix doubler à 165 correspondent pas aux données dont [il dispose], et qui
€ grâce à Partneo, tandis que l’écran de passage des sont confidentielles par nature ».
roues des Dacia Logan et Sandero (la marque low cost Jusqu’ici, la manœuvre était très discutable sur le
de Renault), qui coûte seulement 3 €, a vu son prix plan éthique, mais parfaitement légale. La situation
bondir de 264 %, passant de 21 à 76 €… soit 25 fois est devenue juridiquement risquée lorsque le logiciel
plus cher que son prix de revient ! a été déployé chez un second constructeur. En
Le logiciel est également conçu pour dissimuler la 2009, Accenture signe un partenariat commercial avec
hausse globale des prix. Partneo augmente les tarifs Acceria, puis rachète l’entreprise l’année suivante.
d’environ 70 % des pièces (en général les plus Après Renault, les hommes d’Accenture, désormais
vendues), les baisse pour 20 % d’entre elles et ne aux commandes, se tournent naturellement vers PSA.
change rien pour les 10 % restant. Vu le nombre Mais avec des méthodes problématiques.

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Le 17 décembre 2009, un responsable commercial est passée de 80 à 85 % entre 2010 et décembre 2012.
d'Accenture écrit à l’un des cadres chargés des Cela signifie que PSA vend ses pièces en moyenne
pièces détachées chez PSA. Il promet une hausse sept fois plus cher que leur prix de revient !
des prix comprise entre 10 et 20 %, soit 70 à
140 millions d’euros de gains par an. « Comme
évoqué au cours de nos précédentes rencontres,
ces ratios viennent d’expériences récentes avec des
constructeurs automobiles généralistes », écrit-il.
Le problème, c’est qu’Accenture a révélé que ce
client précédent était Renault. Dans une présentation
commerciale réalisée pour PSA début 2010, le cabinet
PSA réalisait 80 % de marge sur les pièces détachées et a porté cette marge à 85
de conseil indique que son projet avec Renault a reçu % grâce à Partneo. Le logiciel a généré 125 millions d'euros pendant la phase de
le « super award profitabilité », photo du trophée rodage (2010-2012), puis 110 millions d'euros par an ensuite. © Mediapart/EIC

à l’appui ! Nos documents montrent qu’Accenture Renault dément catégoriquement tout échange
a aussi fourni à PSA des exemples de pièces dont d’informations, précisant que le « contact » avec PSA
les prix ont été optimisés, avec des références décrit par le témoin « n’a jamais été organisé ou
Renault. Accenture répond qu’il « n’échange pas pris ». Renault ajoute qu’il ne s’est « engagé dans
d’informations sensibles et/ou confidentielles entre aucune coordination » avec PSA et qu’il n’est « pas
ses clients ». en mesure d’apprécier l’évolution des prix pratiqués
Cette défense est contestée par le témoignage écrit par PSA ». Accenture et PSA démentent eux aussi
d’un ancien salarié d’Acceria, versé à la procédure toute coordination, sans répondre précisément sur
judiciaire. Il indique que les cadres de PSA avaient un l’existence du « contact » entre les deux constructeurs.
« doute quant au potentiel de gains » et « souhaitaient « C’est l’utilisation de ces données
se rassurer […] en parlant à un client ayant fait provenant d’un concurrent qui me
une opération similaire dans le passé ». Dans la préoccupe »
foulée, le responsable commercial de l’opération chez En tout cas, Accenture semble avoir violé ses propres
Accenture aurait proposé au chef du projet chez PSA règles. À l’été 2010, quelques mois après le démarrage
de rencontrer son homologue de Renault. Peu après, du projet chez PSA, le cabinet rachète Acceria.
selon le témoin « [un cadre de PSA] nous a informés Après examen du logiciel, Anthony Rice, responsable
qu’ils allaient lancer le projet avec Accenture et nous juridique d’Accenture à Londres, est inquiet. Le 7
avait confirmé que [le chef de projet chez PSA] avait juin 2010, il écrit qu’« Accenture estime qu’il y
bien contacté [son homologue de Renault] et qu’il a des risques en matière de conformité au droit
avait eu un retour très positif. » de la concurrence » liés à Partneo : Accenture
Coïncidence : selon un document confidentiel risquant d’être considéré par les autorités comme
d’Accenture, PSA a finalement réalisé, grâce au un « facilitateur si deux ou plusieurs concurrents
logiciel Partneo, une hausse moyenne de 15 % sur ses adoptent des taux similaires de hausses de prix ou des
pièces captives, soit exactement la même que celle stratégies similaires de fixation des prix » grâce au
réalisée auparavant chez Renault. Cela a rapporté 110 logiciel.
millions d’euros par an à PSA, soit un gain cumulé de Un mois plus tard, le 23 juillet, Anthony Rice envoie
675 millions d’euros au niveau mondial. PSA a gagné aux équipes d’Accenture chargées de Partneo un
sur les deux tableaux, puisqu’il a augmenté ses prix « protocole antitrust » qui « doit être respecté par
alors même que le coût des pièces a baissé (voir notre chaque collaborateur de l’entreprise », insiste-t-il.
document ci-dessous). Résultat : la marge moyenne

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Ce document édicte une série de règles drastiques sur PSA », puis « a assisté PSA à augmenter ses prix dans
l’usage de Partneo. Les consultants d’Accenture ont les mêmes proportions que les hausses pratiquées par
l’interdiction de «divulguer ou partager avec un client Renault ».
des informations commerciales non publiques » issues « Des informations non publiques provenant
d’un autre client, de « divulguer toute information qui de Renault ont été utilisées dans le processus
identifie spécifiquement une entreprise individuelle », d’établissement des règles de prix de PSA, conclut
d’utiliser des « informations non publiques […] pour ce consultant. C’est l’utilisation de ces données
définir les prix d’une entreprise concurrente », ou provenant d’un concurrent qui me préoccupe. »
encore d’« utiliser la même formule ou solution de Accenture n’a pas répondu à ce sujet, mais indique
fixation des prix pour fournir les prix recommandés respecter ses « obligations légales et contractuelles ».
pour les clients en concurrence ».
Ce témoignage a été versé à la procédure judiciaire
Selon nos informations, les deux cadres d’Accenture lancée devant le tribunal de commerce de Paris en
qui ont pris la tête d’Acceria après le rachat se sont novembre 2016 par le créateur du logiciel, Laurent
personnellement engagés à appliquer ces règles. « Je Boutboul, à l’encontre d’Accenture puis de Renault
confirme que j’ai lu et compris le protocole », répond et PSA. Pour étayer ses accusations au sujet d’une
le nouveau directeur général d’Acceria le 28 juillet possible entente sur les prix, il a commandé une
2010. consultation à l’une des plus éminentes spécialistes
Mais selon deux anciens consultants d’Accenture, ce françaises, Emmanuelle Claudel, professeure agrégée
protocole antitrust n’a jamais été montré aux équipes de droit de la concurrence à l’université Paris II-
chargées du logiciel Partneo. Et comme on l’a vu, Panthéon-Assas.
certains de ses principes semblent ne pas avoir été Le diagnostic de son rapport de 46 pages est
respectés chez PSA. très clair. Si l’opération ne constitue pas un cartel
classique (où les constructeurs fixent les prix
ensemble), les documents versés à la procédure sur
l’usage de Partneo semblent montrer une « pratique
concertée » anticoncurrentielle, « visant à coordonner
des stratégies de hausses tarifaires ».

© Reuters
« Les éléments transmis à la soussignée, qui devront
être complétés, permettent donc de raisonnablement
C’est ce que confirme un ancien consultant suspecter l’existence d’une entente horizontale de
d’Accenture chargé de Partneo. En 2015, alors prix entre les sociétés Renault et PSA ainsi que la
qu’il était encore en poste au sein du cabinet, il société Accenture, prise en qualité de facilitateur,
découvre l’existence du protocole antitrust. Il alerte conclut Emmanuelle Claudel. Sous réserve du résultat
Peter Malone, le responsable de la conformité et de d’investigations plus poussées, ces sociétés nous
l’éthique d’Accenture, et le responsable du droit de la semblent donc exposées à un risque d’importantes
concurrence, Sean Duffy. sanctions. »
Dans son courriel du 18 juin 2015, ce consultant La professeure de droit de la concurrence ajoute
indique qu’Accenture a dévoilé à PSA les « niveaux qu’« une enquête mérite d’être conduite » par
tarifaires de Renault-Nissan, explicitement en 2010 et la Direction générale de la concurrence de la
implicitement après ». Selon lui, le cabinet a « informé Commission européenne, étant donné « l’importance
PSA que Renault utilise les mêmes algorithmes et économique et la sensibilité du secteur concerné (celui
formules de définition des prix que ceux proposés à des pièces de rechange automobiles captives) et le
poids des opérateurs mis en cause ».

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Le dossier n’a, à notre connaissance, pas été transmis à Boite noire


Bruxelles. Mais l’Autorité française de la concurrence,
alertée en 2017, l’a rapidement refermé. Contactée
par Mediapart, l’Autorité indique que les « éléments
portés à sa connaissance [n’ont] pas justifié à ce
stade l’ouverture d’une enquête », mais ajoute que
Cette enquête a été réalisée en collaboration
ses services « gardent la faculté d’ouvrir une enquête
avec le réseau de médias d’investigation European
approfondie, par exemple dans l’hypothèse où de
Investigative Collaborations (EIC), dont Mediapart
nouveaux éléments leur seraient communiqués ».
est l’un des membres fondateurs. L’EIC
L’Autorité s’était en tout cas montrée très sévère par a notamment publié les enquêtes sur les armes de
le passé sur l’état de la concurrence sur le marché la terreur, les Football Leaks, les Malta Files, les
français. Dans un avis public du 8 octobre 2012, noirs secrets de la Cour pénale internationale, la
elle dénonçait la « hausse significative du prix des fortune offshore de deux filles de dictateurs (ici et
pièces détachées et des prestations de réparation là), l’énorme affaire de corruption chez Airbus et
et d’entretien des véhicules », qui ont augmenté de l’évasion fiscale de François-Henri Pinault et du
55 % entre 2000 et 2011 – une hausse dont on patron de Gucci.
sait aujourd’hui qu’elle est en partie liée au logiciel
Cette nouvelle enquête sur les pièces détachées
d’Accenture. L’autorité réclamait également que la
automobiles a été menée grâce à des documents
France mette fin au monopole des constructeurs sur
obtenus par Mediapart, et analysés en collaboration
les pièces « visibles » de carrosserie, comme l’ont déjà
avec l’EIC et le quotidien belge De Standaard.
fait la Belgique, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne
ou les Pays-Bas. Nous avons envoyé une liste de questions très précises
à Renault, PSA, Accenture et Laurent Boutboul,
« La France est le seul pays européen où le prix des
l’inventeur du logiciel Partneo. Aucun n’a accepté de
pièces détachées est orienté à la hausse depuis dix
nous parler. PSA et Accenture nous ont envoyé un
ans », déplorait Bruno Lasserre, alors président de
démenti de quelques lignes. Renault et M. Boutboul
l’Autorité de la concurrence, lors de la présentation
ont répondu à nos questions par écrit (lire les réponses
de cet avis. Six ans plus tard, les automobilistes qui
intégrales dans l'onglet Prolonger).
doivent acheter des pièces pour réparer leur voiture
sont toujours les vaches à lait des constructeurs. Nous avons également contacté par mail sept cadres
de Renault, PSA et Accenture qui ont directement
Signe que le sujet est ultra-sensible, ces derniers
participé à l’opération Partneo et aux événements
n’ont souhaité faire aucun commentaire sur les
relatés dans cet article. Aucun ne nous a répondu. Nous
hausses des prix des pièces détachées et les énormes
avons choisi de ne pas publier les noms de certains
gains financiers liés à cette opération. PSA indique
acteurs que nous n’avons pas pu confronter.
seulement qu’il fournit des « pièces détachées
répondant aux besoins de l’ensemble des clients, quel Prolonger
que soit leur budget », tandis que Renault écrit que le Nous avons anonymisé les patronymes des individus
prix de ses pièces « est calculé en considération de figurant dans nos questions, mais ne figurant pas dans
paramètres que Renault estime justes et équitables ». l’article.
Accenture nous a fait la réponse suivante
par courriel :
Bonjour Monsieur Philippin,

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Nous vous remercions pour la demande que vous Les chiffres dont vous faites état, qu’il s’agisse de la
nous avez adressée. Je vous prie de noter que référence à une augmentation moyenne de 15 % des
les informations dont vous disposez comportent de tarifs des pièces dites « captives » ou des revenus
nombreuses inexactitudes et erreurs d’interprétation. additionnels cités de 102 millions d’euros en base
Ces sujets de concurrence font l’objet d’une procédure annuelle et de 800 millions d’euros en base cumulée
civile depuis de nombreuses années et dans ce depuis 2006, ne correspondent pas aux données dont
contexte vous comprendrez que les parties ne peuvent nous disposons, et qui sont confidentielles par nature.
commenter la situation sans porter préjudice à Confirmez-vous que Partneo a obtenu en 2008 le
l’instance en cours. Cependant, Accenture estime que « super award profitabilité » de Renault et l’« award
l’action en cours est sans fondement. qualité » en 2009 ?
Partneo est un outil qui recense les prix publics Renault décerne deux types d’Awards : des Awards
des pièces détachées, et aide les constructeurs internes (récompensant des équipes de Renault) et
à prendre des décisions tarifaires appropriées. externes (récompensant des prestataires de Renault).
Accenture n’échange pas d’informations sensibles et/ Nous vous confirmons donc que Partneo n’a jamais
ou confidentielles entre ses clients. reçu d’Award de la part de Renault. Le « Super Award
Accenture est conforme aux obligations légales et profitabilité — tarification des pièces captives » de
contractuelles dans le cadre de ses relations avec ses 2008 auquel vous faites référence a récompensé le
clients. travail de l’équipe interne à Renault ayant conçu
PSA nous a fait la réponse suivante par courriel : un nouveau système de tarification des pièces de
rechange à l’issue d’un travail initié dès 1992, donc
Rebonjour Yann,
bien avant l’utilisation de Partneo. Nous n’avons pas
Après recherches en interne, il s’avère que les connaissance de l’Award Qualité de 2010 auquel vous
accusations adressées à PSA dans ton mail sont faites référence.
infondées. PSA les conteste totalement. La stratégie
Selon nos informations, suite au succès rencontré chez
après-vente du Groupe consiste à offrir des gammes de
Renault, Renault l’a conseillé à son partenaire Nissan,
pièces détachées répondant aux besoins de l’ensemble
ce qui a permis au constructeur japonais d’augmenter
des clients, quel que soit leur budget, au meilleur
ses tarifs de 25 % en moyenne sur ses pièces captives
niveau de fiabilité et de sécurité.
en Europe, ce qui a généré un revenu additionnel de
Renault nous a fait parvenir les réponses suivantes 56 millions d’euros par an en année pleine, soit un
par courriel : revenu additionnel cumulé de 500 millions d’euros
Accenture a commercialisé, puis acheté en 2010 (suite depuis 2006. Confirmez-vous ces chiffres ?
au rachat de la société Acceria) le logiciel Partneo, qui Nous n’avons pas à répondre pour Nissan.
permet, via des algorithmes complexes, aux industriels
Considérez-vous comme un comportement éthique
d’augmenter leurs tarifs sur les pièces détachées, et en
d’augmenter les tarifs dans ces situations « captives »
particulier les tarifs des pièces dites « captives », c’est
et dans de telles proportions, sur des pièces déjà
à dire peu ou pas sujettes à la concurrence.
vendues auparavant avec de très fortes marges, au
Selon nos informations, Partneo a permis à Renault détriment des consommateurs ?
d’augmenter ses tarifs de 15 % en moyenne sur ses
Renault s’efforce de faire bénéficier ses clients d’une
pièces captives, ce qui a généré un revenu additionnel
grande diversité de pièces de rechange de qualité dont
de 102 millions d’euros par an en année pleine, soit
le montant est calculé en considération de paramètres
un revenu additionnel cumulé de plus de 800 millions
que Renault estime justes et équitables.
d’euros depuis 2006. Confirmez-vous ces chiffres ?

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Selon nos informations, vu le scepticisme de PSA Nous ne considérons pas que notre entreprise ait à
quant à l’efficacité de Partneo, M. X, responsable quelque moment que ce soit emprunté une démarche
commercial chez Accenture, a organisé un contact qui puisse relever, de près ou de loin, d’une
entre le responsable des pièces détachées chez violation des règles de concurrence. Renault inscrit
PSA (M. Y) et son homologue chez Renault qui le respect des règles de concurrence au cœur d’une
avait en charge le projet Partneo (M.Z) afin qu’ils démarche de conformité essentielle au fonctionnement
échangent des informations sur l’usage de Partneo de l’entreprise.
et son efficacité en matière d’augmentation des Laurent Boutboul nous a fait parvenir les réponses
prix. Confirmez-vous ces informations ? Quelles suivantes par courriel :
informations ont été échangées par ces cadres de
Selon nos informations, Partneo a d’abord été vendu
Renault et PSA lors de ce contact ?
par Acceria à Renault, qui a, grâce au logiciel,
Nous infirmons ces informations : un tel contact n’a augmenté ses tarifs de 15 % sur ses pièces captives,
jamais été organisé ou pris. ce qui a généré un revenu additionnel de 102 millions
Renault et PSA se sont-ils coordonnés au sujet de d’euros par an en année pleine, soit un revenu
l’usage de Partneo afin d’obtenir des hausses de prix additionnel total de plus de 900 millions d’euros
similaires ? depuis 2006. Confirmez-vous ces chiffres ?
Renault ne s’est engagée dans aucune coordination, Je ne peux commenter ces chiffres confidentiels
de quelque forme que ce soit, avec PSA. débattus dans le cadre d’une procédure judiciaire en
Comment expliquez-vous que Renault et PSA ont cours.
réalisé la même hausse moyenne de prix sur leurs Selon nos informations, suite au succès rencontré chez
pièces captives grâce à Partneo et Accenture ? Renault, Partneo a été installé chez son partenaire
Nous ne sommes pas en mesure d’apprécier Nissan, ce qui a permis au constructeur japonais
l’évolution des prix pratiqués par PSA. Renault avait d’augmenter ses tarifs de 25 % sur ses pièces captives
et a d’autant moins de raisons, encore, de s’intéresser en Europe, ce qui a généré un revenu additionnel de 56
à cette donnée, qu’elle concerne des pièces captives, millions d’euros par an en année pleine, soit un revenu
qui n’entrent donc pas en concurrence, sur le marché, additionnel total de 400 millions d’euros depuis 2006.
avec les pièces vendues pour les véhicules de marque Confirmez-vous ces chiffres ?
Renault. Réponse similaire à la première.
Selon nos informations, des informations Considérez-vous comme un comportement éthique
confidentielles issues de Renault, ainsi que les mêmes d’aider et d’inciter les industriels à augmenter les
paramètres que chez Renault, ont été utilisées pour tarifs dans ces situations « captives » et dans de telles
implémenter le logiciel Partneo chez PSA. Renault en proportions, au détriment des consommateurs ?
était-il informé et si oui, a-t-il autorisé cette pratique ? Je ne me prononcerai pas sur l’aspect éthique du
Renault n’a jamais été informée des conditions dans dossier. Je souligne néanmoins qu’à l’époque où je
lesquelles le logiciel Partneo aurait été utilisé par dirigeais la société Acceria, le secteur automobile ne
PSA. Elle ne pouvait donc pas autoriser les pratiques présentait une part très faible de notre portefeuille
que vous identifiez. clients.
De façon générale, considérez-vous que Renault et Selon nos informations, suite au partenariat
PSA ont violé les règles de la concurrence via leur commercial noué entre Acceria et Accenture, en 2009
usage de Partneo ? Accenture a démarché le constructeur PSA. Selon nos
informations, lors de cette campagne commerciale :

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– PSA a été informé des résultats obtenus par le groupe Cette décision a été prise en considération des
Renault avec Partneo engagements pris par le groupe Accenture et sa filiale
– PSA a reçu des benchmarks de pièces Renault déjà française de déployer sur le plan mondial un procédé
optimisées grâce à Partneo avec les références de ces innovant qui, à l’époque, avait un temps d’avance
pièces Renault certain. Cette vente devait permettre au procédé que
– Il a été proposé à PSA d’obtenir avec Partneo j’avais conçu de devenir un standard mondial et
des hausses de prix similaires à celles réalisées chez j’avais considéré avec mon associé qu’il s’agissait là
Renault. d’une opportunité professionnelle pour mes équipes et
– Vu le scepticisme de PSA quant à l’efficacité nous-mêmes.
de Partneo, M. X, responsable commercial chez Selon nos informations, vous avez engagé une
Accenture, a organisé un contact entre le responsable procédure judiciaire devant le tribunal de commerce de
des pièces détachées chez PSA (M. Y) et son Paris, estimant qu’Accenture ne vous avait pas versé
homologue chez Renault (M. Z) afin qu’ils échangent la somme convenue pour le rachat. Confirmez-vous ?
des informations sur l’usage de Partneo et son Pouvez-vous nous expliquer ce litige ?
efficacité en matière d’augmentation des prix.
Je confirme cette information et je limiterai mon
– La promesse initiale a été tenue, puisque des
commentaire à préciser que ce litige concerne les
informations confidentielles issues de Renault ont été
conditions d’acquisition de ma société Acceria par la
utilisées pour paramétrer Partneo avec des paramètres
société Accenture.
similaires, ce qui a permis à PSA d’obtenir la même
hausse moyenne des prix que Renault sur les pièces Selon nos informations, vous avez également
captives (15 %), ce qui s’est traduit par un chiffre poursuivi devant le tribunal de commerce de Paris
d’affaires supplémentaire de 110 millions d’euros par les sociétés Accenture, Renault et PSA, les accusant
an pour PSA. d’avoir mis en œuvre une hausse coordonnée et
Confirmez-vous ces informations ? En tant que anticoncurrentielle des prix des pièces détachées
président d’Acceria à l’époque des faits, avez-vous automobiles. Pourquoi avez-vous lancé cette seconde
eu connaissance de ces pratiques et les avez-vous procédure ? Pouvez-vous étayer vos accusations ?
validées ? Y avez-vous participé ? Je confirme que cette procédure totalement distincte
Je ne peux commenter ces informations confidentielles de la première est engagée. Je limiterai mon
débattues dans le cadre d’une procédure judiciaire commentaire à souligner que ce litige concerne les
en cours. Je démens catégoriquement avoir eu engagements du groupe américain Accenture et de sa
connaissance de ces pratiques alors que j’étais filiale française à respecter les règles d’un protocole
président de la société Acceria. Je précise qu’à antitrust, défini avant l’acquisition de ma société
cette époque, la société Accenture avait engagé avec Acceria pour maintenir l’usage licite du procédé que
son équipe de vente et pour son propre compte j’ai conçu. Le respect du protocole établi par le
la commercialisation du logiciel Partneo et des groupe Accenture était primordial dans la mesure
optimisations de prix associées auprès de la société où le groupe américain compilait dans ses systèmes
PSA. d’informations l’ensemble des données relatives aux
hausses de prix de toutes les marques automobiles
Selon nos informations, Accenture a d’abord noué un
utilisatrices du logiciel Partneo.
partenariat commercial avec Acceria en 2009, avant
de racheter la société en juillet 2010. Pourquoi vos
associés et vous-même avez décidé de vendre ?

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