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Faculté de Théologie
Institut Supérieur des Sciences Reiigieuses
LVL
20880
DIEU ET L'HOMME
Contribution de Raymundo Panikkan au dialogue
e n t r e le christianisme e t l'hindouisme
Deuxième Part;ie
Robert SMET
Louvain-La-Neuve
ISBD
267
CHAPITRE IV
LE CULTE
268
INTRODUCTION
Nous insisterons sur l'opus humanum. Nous parlerons donc du culte his
torique, celui que nous pouvons déployer hic et nunc, 11 ne sera pas ques
tion de liturgie céleste proprement dite, bien que le thème soit riche et
analysable, tant du point de -vue hindou que du point de vue chrétien, à par
tir, par exemple, des passages concernant le sujet dans l'Apocalypse johannl-
que,
(l) Nous ne pouvons aborder pareille entreprise. Des travaux nombreux s'en
sont occupés. Par exemple, Worship and Rituai, spécialement l'article
Hindu Worship, Sacrifices and Sacraments, de M, DHAVAIÎOHY, pp, 81-126;
voir aussi R, DE SÎIET et J, NEU7ER, La quête de l'Etemel,19é7jauxaniticîLes
de A, HUART sur le calendrier et lés fêtes hindoues (pp, 154 - 1^4)»
sur les pèlerinages et les saints (pp. I65 - I76), et de R, ANTOINE, sur
rituels et culte (pp, 177 - "187)» sur les sacrements (pp, 168 - 198) et
le culte des images (pp. 199 - 215), Voir aussi S, LEVI, La doctrine
du sacrifice dans les Brahmanas, et M, BIARDEAU - CH. MALAIiOUD, Le sacri-
fice dans l'Inde ancienne.
270
On ne peut oublier non plus une donnée biblique constante qui, sans
être une critique du rite, insiste sur l'amour fraternel et sur la justice
dans la vie religieuse et, somme toute, dans le culte. Les prophètes juifs
et Jésus prolongent la révélation divine du décalogue mosaïque unissant les
deux tables de la Loi, la première parlant de la relation directe avecAdonaî
et la seconde des relations humaines (7).
Une autre donnée encore est celle de l^acte cultuel comme rappel, comme
actualisation et comme appel, "L'action passée commémorée est l'offrande du
Christ. On peut présentement s'y associer ce qui nous donne accès au sanctu
aire céleste"(îi). On aurait, ainsi, un acte opérant la "présentification"
d'une réalité antérieure archétypale mais situé, en même temps, dans une di
mension eschatologique où l'expérience finale de communion rêndra le culte
actuel superflu.
(l) M.F, LAÇAIT, Vocabulaire de théologie biblique, col, 24I - 242, avec réfé
rence à Hébr.^ 10 ; 19; Apoc, 5 s 6; 11 : 19; 4 ; 2 - 11,
272
§ 1 - LA DEFINITION DU CULTE
1) le culte comme acte d'une personne qui cherche m contact avec du trans
cendant 5
2) le culte comme expression d'une croyance et donc un acte qui suppose une
certaine conceptioalisation de la foi?
5) le culte peut prendre des aspects différents selon qu'on met l'accent sur
l'intellectuel, sur le volitif centré sur l'amoin:, sur l'aspect extérieur
et communautaire dans des célébrations, ou sur le serviee de l'homme?
événements du monde sont des symboles ou des manifestations d'une réalité plus
haute et invisible qu'ils signifient. Les symboles ne sont pas le tout et les
choses sensibles nous ramènent à un plan supérieur, soit aux réalités intelli
gibles, Aristote, lui, veut sauver davantage la réalité des choses. Elles
sont en elles-mêmes. Elles sont et symboles et substances.
Cette façon de penser ne nie pas la relation constitutive entre les deux pô
les du réel -le divin et inhumain- mais elle n'a pas le sovffîi premier de
la valoriser (1), i
La vision du monde peut être pensée sior d'autres données, R, Panikkar
nous présente sa perspective, L'Inde est en quête de la réalité et elle veut
la penser immuable et permanente. Alors que, pom? les deux! écoles grecques,
l'immuable est au-delà de la connaissance sensible, l'Inde perçoit toute chor
se comme "figure limitée et rétrécie de l'Absolu" (2), L'expérience védantir
que est "l'expérience d'une vision non-dualiste de l'être, une perceptiondeç
choses non comme objets (Dieu ne connaît pas d'objets), ni comme contenus,
mais en tant qu'attitudes et gestes de Dieu"(5), Au lieu de prôner l'analo
gie, à partir du réel observé, pour parler de Dieu, la chose est considérée
comme épiphanie de Dieu ou comme Dieu sous l'apparence de là chose présen
te (4). "Le symbole est théophanie, ou mieux encore, ontophanie" (5).
L'homme est "la partie visible de cette intersection où tous les ordres de la
réalité se croisent, il est le carrefour d'une réalité qiu. embrasse Dieu
jusqu'aux choses matérielles, en passant par tous les êtres" (6),
Dieu et la créature ne sont pas un au sens moniste, ni deux comme dans
l'option dvialiste (7)* L'être et les étants ne sont ni un, ni deux (s).
(1) E, PANIKKAR, Le mystère du culte, pp, 128 - 131, Voir aussi Der
zerbrochene Krug, pp,_ 55é - 57'1 et Le mystère du culte, pp, 133-1425
nous résumerons cette parabole de "la cruche cassée" dans ce chapitre au
paragraphe sur les sacrements,
(2) R, PANIKKAR,. Le mystère du ciflte, p, 138,
(3) R, PANIKKAR, Le mystère du culte, p, I40,
(4) R, PANIKKAR, Le mystère du culte, p. 140.
(5) R» PANIKKAR, Le mystère du culte, p, 141»
(6) R, PANIKKAR, Le mythe comme histoire sacrée, p, 3OI• L'homme est "ce
mésocosme, miroir de la réalité totale" dit l'Auteur dans The Vedic
Expérience, p, 4*1 •
(7) R» PANIKKAR, La faute originante, p, $6, Dans The Vedic Expérience,
l'Auteur dit aussi "la divinité est le support final de:l'univers" et
l'homme et le cosmos ne sont pas deux créations différentes"
( p. 61),
(b) R, PANIKKAR, Des Ishvara des Vedanta, pp, 447-448, Kein christlicher
Yoga, p, 44, etc.
278
Les choses sont symboles, non pas des copies de l'original., mais somme ses
impressions, comme les e2î)ressions d'un même et unique être. S'il reste tme
différence entre le symbole et le symbolisé, en oe sens que celui—là est ac
cessible et celui-ci inaccessible, toutefois, on n'est pas forcé de penser
le monde comme séparé de son principe (l).
Le monde est mâyâ. Ce terme peut signifier "illusion", mais sans qu'il
prenne nécessairement un sens péjoratif, "Illusion" viendrait du ludns la
tin, Le monde en tant que mâyâ est le jeu divin, le plaisir divin qui con
tinue (2), La réalité dernière serait l'Absolu, mais un Absolu que ne recou-r
vre pas entièrement le mot "Dieu", car l'Inde distingue un Brahman imperson
nel et un Brahman inférieur personnel (5), Cet Absolu n'est pas à côté de la
créat-ure, ni la créature à côté de son Créateur,
(1) Pour la commodité de la lecture, nous nous contenterons de citer uuae fois
encore la définition panikkarienne de l'hétéronomie, soit ; "une conception
du monde, aussi bien qu'un degré anthropologique de nonscience, fondés sur
une structure hiérarchique de la réalité, L'hétéronomie prétend que les lois
régissant chaque sphère de l'existence proviennent d'une instance supérieureet
sont peut? ânsi dire responsables, en tout et pour tout, du fonctionnement de
tel être particulier ou de telle sphère de l'existence". Voir R, PANIKKAR,
Le culte et l'homme séculier, p, 47•
(2) R, PANIKKAR, Le culte et l'homme séculier, pp, 50-51» La loi du Karma,
p, 82,
283
qualité plutôt que celle d'une mort au terme d'un temps quantitatif et li
néaire (1).
(1) Nous avons jugé utile de situer ici la convergence de l'analyse de la tempo
ralité en autonomie avec una comparaison de l'Auteur entre le temps linéai
re et le temps circulaire développée ailleurs tout en sachant que le temps
qualitatif et circulaire est impliqué dans les réflexions de l'Atiteur sur
l'ontonomie. Nous rappelons ici que Sénèque voulait aussi une vie plus in
tense que longue. Voir Traités philosophiques. De brevitate vitae,
pp. 52-55.
(2) R, PANIKKAR, Le culte et l'homme séculier, p, 65,
(3) R, PANIKKAR, Le culte et l'homme séculier, p, 66,
286
l 1) Les trois régimes dont if fut question ne sont pas à considérer comme
des étapes successives repérables dans l'histoire. Ce n'est pas un ré-
simé de l'histoire des religions. On ne peut pas dire que l'humanité ror
ligieuse fut d'a.bord hétéronome, ensuite autonome et enfin, ontonome.
Ce sont trois mentalités différentes. Certes, nous conviendrons que la
réaction autonome vient, en principe, en tant que réaction, après une pé
riode hétéronome, mais les trois mentalités ont existé de tout temps et
c'est encore le cas aujoircd'hui,
3) Comme le dit l'Auteur, il faut voir que l'ontonomie n'exclut pas, mais
plutôt inclut, les deux autres régimes. Ce ne sont pas trois mondes sé
parés par des cloisons étanches. Chaque régime repère des tendances, fait
des mises en évidence, a ses points d'insistance, privilégie ses valeurq
et exprime des structures mentales. Mais on ne doit pas exclure l'ado
ration en ontonomie sous prétexte que la dévotion ou 1'amour sont pré
sentés comme première valeur efficiente dans ce régime, ni exclure le
service en autonomie parce qu?il est question de participation et de mys
tique en ontonomie. On se méfiera de toute schématisation et de toute
simplification.
Dans le prolongement de cette troisième remarque nous verrons donc le
culte assumer idéalement (a) l'adoration , le respect, la dévotion ou
l'amour, (b) l'éternité, la temporalité, la tempitemité et (c) le sacri
fice, le service ainsi que la participation ou la mystique.
A. Introduction
Madeleine Biardeau, une forme pure de religion sacrificielle, pas plus qu'une
forme pure du renoncement perçu comme rupture avec le sacrifice"(9).
En termes simples, d'tine part, les Brahmana ne se contentent pas d'nn acte
pnr et minutieux, indépendant de l'intention de celui qiii le pose ou qui le
demande et les Upanisad d'autre part, ne rejettent pas, au nom du. renonce-
c
B, Perspectives panikkarienne
(l) Nous verrons que l'évolution observée par M. Biardeau rejoint celle
décrite par le professeur de Santa Barbara, Nous reviendrons aussi à ce
que celui-ci dit du Purusa, Avant de passer aux perspectives proprement
panikkariennes, soulignons combien cette perception de sacrifice nous
semble éloignée de celle de R, GIEAED, Pour lui, du moins dans La
Violence et le sacré, p, 85, "la religion, en effet, n'a jamais qu'un
seul but et c'est d'empêcher le retour de la violence réciproque". Les
sacrifices n^auraient pas pour objet principal de mettre en relation avec
les dieux (p, 131), ils ne sont pas une offrande à la divinité (p, 367),
le dénominateur commun aux différents sacrifices serait la violence in
1° La première phase.
(1) Par exemple, voir MAHARISHI IL\HESH YOGI, La science de l'Etre et l'Art
de vivre, pp. I65 - 165»
(2) R, PAÎflKKAR, Le mystère du culte, p, 56, note I6, Historiquement, dit
l'Auteur, dans Spiritualità indu, p, 69, la théorie dti Karma n'a pas
des origines bien établies.
(5) R. PMIKKAR, Le mystère du. culte, p. 55»
(4) R. PAlïIKKAR, Le mystère du culte, p, 55.
(5) R, PAÎIIKICAR, Le mystère du culte, p, 56.
(6) R, PAILEKKAR, Le mystère du culte, p, 59. Dans l'univers védique, chaque
acte humain a la. structure théandrique d'un sacrement d'après Some
Aspects of Suffering and Sorrow in the Vedas, p. 395.
(7) R, PANIKKAR, Le mystère du culte, p, 61, Voir aussi Le mythe comme
histoire sacrée, pp. 268-269. Ceci est confirmé par M. DHAVAÎ40HY,
Hindu ¥orship. Sacrifices and Sacraments, p. 108,
294
(l) M, BHâVMOîIY, dans Hindu Worship, Sacrifices and Sacrements, décrit les
rites fondamentainc comme le ss^crifice du feu ou Agnihotra (pp. 85 - 85),
lié, avec le soleil, au circuit de la vie, les sacrifices à la nouvelle
lune et à la pleine lune ou Gâtuomiâsya, tous les qvxatre mois (pp. 86 - 87 \
le sacrifice du soma ou Agnistoma (pp» 97 ~ 98) objet d'interprétations
————— .•»
2° La deuxième phase
=R. Panilckar observe qu'on risque, dans cette phase, de verser dans un
certain élitisme. Il constate aussi que l'Inde, présentement, opère une sé
cularisation simplifiante. Elle mise sur une éducation profane et scienti
fique ainsi que sur le travail profane. Toutefois, le tréfonds religieux
des millénaires fait que ce savoir et que ce labeur peuvent encore y ^rder
un caractère cultuel. Dans The Trinity and the Religious Expérience,
l'Auteur rappelle que l'Inde propose un type de spiritualité différent delà
spiritualité personnaliste que l'on retrouve dans le judaïsme, dans le clirisr
tianisme, dans l'islam, ainsi que, au sein de l'hindouisme, dans le bhakti-
mârga dont il va être question (l),
5° La troisième phase
R, Panikkar nous propose une analyse des trois phases qu.'il a présen
tées, La première phase serait de type hétéronome : l'homme offre un cixLte,
il prie parce que Lieu le fait prier, parce que des préceptes sont avancés.
Le symbole rituel n'est même pas toujours compris par l'orant, "Inutile de
comprendre, il suffit d'exister et on est intégré" (5),
(1) R, PMIKKAR, The Trinity and the Religious Expérience, pp, 25-40; voir
siirtout pp, 21, 22, 25, 27-28, 29, 52, etc.
(2) R, PMIKKâR, Le culte et l'homme séculier,p. 69, M, LHAYMîORY, dans
Hindu Worship, Sacrifices and Sacraments, souligne qu'avec la Gitâ dis
paraît l'aspect commercial (do ut des) au profit de la dévotion et du dé
tachement (pp. 108-110), Après l'époque védique, on assisterait à une
intériorisation du culte. L'insistance est mise sur la concentration
s-ur Lieu, sur l'union heureuse avec Lui (p, 111 ), sur la méditation sur
Brahman inséré dans le lotus du coeur, approché par le Yoga, vénéré par
le culte mental (p, 112), Au-delà des divinités mineures, la vénération
du Lieu Suprême (pp, 112 - II3),
(3) R« PANIKKAR, Le culte et l'homme séculier, p. 76.
297
"Le culte hétéronome de la. période védique entend faire du réel, entend bâ
tir le monde ou le faire surgis?, entend participer au processus théo-cosmi
que" (l).
La phase upanisadique veut davantage comprendre et constitue une réac-
tion autonome. L'homme se sépare du tout, il veut une participation cons
ciente au processus de sa libération (2), On veut comprendre les symboles,
on exige la"signifiance"des actes, on tient à la connaissance. "L'ontique
devient ontologique, et à partir de là, logique" (5).
l^îais l'Inde, malgré le prestige du Vedânta et l'influence du bouddhisme,, .
qu'elle ne verse pas dans l'élitisme ou dans la froideur, ce qui est con
trôlé par la thalcti (1)9
Il ne vient pas juger une histoire qu'il n'a pas vécue mais il ne tient
pas à l'ignorer comme s'il ne lui devait rien, (2).
"Le Tout, décrit ici comme l'homme originel, est identique à son activité,
c'est-à-dire au sacrifice. Ce qui fait la vitalité du Tout, osera,it-on dire,
c'est le sacrifice. C'est par le sacrifice que le Tout 'est', c'est par le
sacrifice que le Tout se démembre, ou mieux, pour conserver la transcendance
du Purusa, im quart du tout va se découper en création ; il devient oeil,
soleil, souffle, vent -tout ce qui est- puis par le sacrifice la création
retourne au Purusa" et "les nombrevix autres sacrifices ne sont rien d'autre
Tout ceci n'est; pas sans rappeler le mythe de l'inceste. En milieu hin
dou, il exprimerait non la création du monde mais sa re-création. Nous sen
tons un lien entre l'inceste et la rédemption dans un second moment de la
création, une fois que le monde est là (é).
ce est "l'action théandrique par laquelle l'homme uni au cosmos est sau
vé", Par le sacrifice, le monde commence et s'achève. Thème de la créa
tion et du retour en Dieu, aussi p, 65.
(6) R, PANIKKAR, The myth of inoest, p, I36,
302
tut divin. Dieu ne serait plus seulement Dieu, ni l'homme seulement homme. •
Dieu et l'homme redeviendraient Purusa (2).
Le thème du sacrifice dans l'hindouism.e, par voie de conséquence, parai-
trait difficilement dissociable de celui du Purusa. Celui-ci semble complexe
et riche. Ainsi, en plus du survol des trois phases du culte dans l'hin- •
douisme, qui avait amené l'Auteur à soioligner l'importance du commerce entre
les deux pôles du réel, à faire appel à la signifiance des actes posés et à ^
la participation personnelle, à tirer aussi tous les enseignements de l'é
volution à travers les Brahmana, les Upanisad jusqu'à la bhakti, R. Panikkar
insiste, dans l'analyse du culte et du sacrifice, sur le thèm-e de Prajapati-
Purusa, sur le sacrifice conme acte de Dieu qtii se donne et comme acte de
l'homme qui fait retour à sa source. Il semble intéressant de soulignercetr-
te perspective chère à l'hindouisme et sans laquelle, selon des connaisseurs
comme S, Levi, M. Biardeau et R. Panikkar, nous accepterions une grave lacu
ne pour la compréhension de l'univers hindou.
reçoit la vie et il garde l'espoir (l). Par lui, l'homme va vers le divin
et le divin vient vers l'homme (2), Par lui, le monde est sans cesse nou
veau (3). Par lui, sont possibles le salut et le saut vers l'autre bord (4),
An. premier acte divin sacrificiel correspond le second acte qui est humain,
en sorte que toute liturgie est un "re-faire" du monde, une reprise del%icte
créateur (5), par lequel le monde devient (6),
Plus qu'un spectateur dvi cosmos, l'homme dans le sacrifice, naît une
deuxième fois dans son échange avec le monde divin (7), Il s'unit avec le
tout de la réalité. Il restaure l'unité entre les mondes»
Dans cette somme sxir le Tédisme, l'Auteur rappelle, une fois encore com
bien le thème du sacrifice connut une évolution dans le sens d'une intério
risation par rapport au risque du ritualisme initial. Le sacrifice ne de
vient-il pas aussi, en effet, l'étude sacrée, la connaissance upanisadique,
la destruction du petit Purusa qu'est l'ego individuel, en ce sens que, par
le sacrifice,l'homme se sauve de son individualité (s) ? L'Auteur rappelle
à cette occasion, les trois phases précitées du culte (5), la troisième
ayant sa source plus chez les princes que chez les brahmanes et manifestant
une poussée progressive vers le Vedânta (10), les Upanisad l'enregistrant (11 )
avec le theme de 1'agnihotra intérieur (12), La Gita chercherait alors une
synthèse harmonieuse de l'action, de la connaissance et de l'amour et propo
serait un chemin supérieirc au sacrifice védique et à la connaissance privilé
giée par les Upanisad (13).
Sans entrer dans toutes les spéculations de l'Inde sur le Purusa, que
nons laissons aux spécialistes et qui ne rentrent pas dans notre recherche,
disons toutefois que le thème semble riche. Pensons aux "trois quarts ad
intra qui marquent l'attachement à la transcendance de l'Absolu, à son as
pect brahman ou nirguna. Le quatrième quart est celvii qui est engagé dans
la vie avec le monde et avec les hommes, et l'on retrouverait ici l'élément
atman ainsi que le thème de l'immanence. On perçoit Dieu tourné verslîiom-
me et l'homme tourné vers Dieu, On se rappelle ainsi la donnée du sacrifice
primordial, du premier acte de la création ou du "démem.brement" et celle des
sacrifices ultérieurs, multiples et quotidiens, envisa-gés comme le second
acte de la création et comme procesBus de remembrem.ent.
505
A, Perspectives panikkariennes
Tout cela peut se faire sans idolâtrer le passé dans un fixisme scléro-7
sant et, en même temps, cela peut exister sans voir seulement le présent vé-i
eu peir la personne, car on risquerait de ne pas tenir compte de toutes les •
dimensions humaines. Cet aspect de la question implique de nouveau les exi
gences de continuité et de concrétion (4).
(5) -E, P/iNIKKAR, Le culte et l'homme séculier, p. 115. "La célébration con
temporaine doit être spontanée, créatrice et authentique. Ni planifiée,
ni forcée'^ dit l'Auteur dans The Vedic Expérience, p, 29.
(4) E, PANIKKAE, Le cu-lte et l'homme séculier, pp, II7 - 118,
308
(1) l'Tous pensons, par exemple, aux rites d'initiation de groupes américains
qui, sous le soleil et dans le Pacifique, reprennent le rite de l'eau,
(2) R, PAMIKKAR, Le culte et l'homme séculier, p. II9.
(5) R» PAIÎIKKAR, Le mythe comme histoire sacrée, p, 312,
(4) R« P/iPFIîŒAR, Le c"ulte et l'homme séculier, p, 102.
509
Ils se lancent dans ce que notre Auteur appelle une "liturgie expérimenta
le" (l), A ses yeux, ils oublient que la liturgie était déjà vieillotte il y
a deux mille ans et que la crise actuelle se situe non pas seulement au ni
veau des formes, mais au niveau même du concept de liturgie (2), Il les con
sidère comme des iconoclastes dans la mesure où leur souci de plaire et de ré
cupérer les amène à balayer des rites qui ont survécu aux siècles, porteurs
de message et de densité, des rites qui avaient "valeur en soi" (3).
B, Quelques réactions
5" Les qualités des rubriques et des nigriques qu'on se rappelle la spon
tanéité, l'universalité, la. concrétion et la continuité portent à ré
flexion et sont toutes qiiatre au service de la sincérité,
5° L'Auteur signale aussi une crise de rites, qu'il appelle "une crise des
intermédiares" (4). Les canons et les rites ne correspondent plus tou.-
jours au désir d'immédiateté, au souci d'expérience directe.
1° Si un rite est non-signifiant, cela peut lui être reproché dans cer
tains cas, l'Eglise catholique s'en est rendue compte notamment depuis
le Concile Vatican II. îîais cela ne peut-il pas venir aussi du maté
rialisme ambiant ou simplement d'une insuffisante oonscientisation ?
Prenons un exemple quotidien, Nous donnons la main, le matin, à ce-ox
que nous rencontrons et avec qui un certain lien existe. Nous leur dir
sons "bonjour", mais, ce faisant, souhaitons-nous vraiment que le jour;
soit bon povir eux ? Dans ce cas, ce n'est pas tellement le rite qui
est en cause. Nous n'avons pas besoin d'un commentateur pour l'expli
quer. Ce qui est en cause, c'est le niveau de conscience de celui qui
accomplit le rite, au moment où il le fait,
On peut dire aussi que les gestes, comme la parole, sont plus culturels
qu'on ne le pense parfois et que cela n'empêche pas l'universalité "catholi-
qiie" d'vine communauté qui vit les mêmes réalités sous des formes culturelle-
ment différentes. Entre l'universel uniforme et le sectaire pluriforme, il
y a donc une place pour un authentique pluralisme "catholique", sans lequel
il n'y aurait plus moyen de faire une liturgie parlante ni de procéder à des
adaptations (1).
Nous vivons justement, à une époque où le catholicisme postconciliaire veut
être juif avec les Juifs, grec avec les Grecs, chinois avec les Chinois,
bref, devenir indigène partout où il est, car nous comprenons, dans l'ère
P'ostcoloniale, que la même foi peut aller de pair avec le régionalisme de
ses expressions ou du moins de certaines d'entre elles. Chaque culture et
chaque époque a sa richesse propre et l'exigence d'universalité ne peut en
faire abstraction.
Notons que nor.s posons la question porn attirer l'attention du lecteur sur
le problème. Notre Auteur, quant à lui, est, bien sûr, ouvert au pluralisme.
Lorsque nous liai avons posé les questions suivantes ; "Le même symbole expri-
me-t-il la même chose d'une religion à l'autre ? La même rubrique recouvre-
t-elle la même chose ? Y a-t~il un schéma repérable de l'expression symbo
lique par les rubriques", il nous a répondu qu'il reconnaissait n'avoir pas
encore expliqué clairement le mot "symbole" mais que son effort pour une herr
méneutique diatopique visait à souligner que la connaissance symbolique est
enracinée dans le mythe de chaque pays en sorte qu'un symbole valable pour
tine culture n'a pas besoin d'être identique dans une autre culture.
Nous croyons pouvoir dire ici que l'Auteur ne nie pas l'intérêt de notre mi
se en évidence des rites que nous appelons de droit divin et de leur univer
salité mais que, par son'Logocentrismë', il ne tire pas avec force et clarté,,
les conséquences, notamment en matière rituelle, de la pripordialité accor- ;
dée par les Chrétiens à la reconnaissance du Logos en Jésus de Nazareth,
ressuscité et Seigneior (l).
Troisièmement, l'exigence d'universalité, tant pour les nigriques que pour
les rubriques, peut-elle faire abstraction du milieu socio-culturel de leur
émergence ? Ce troisième point rejoint le premier mars nous voulons plus
qu'une répétition. La recherche d'un langage transculturel au nom d'un uni-
versalisme en marche ne devrait pas nous amener à une méfiance a priori vis-
à-vis de ce qui est socio-culturellement situé. En effet, le rite et la ni-
grique ou le "discours" qui commente la rubrique sont situés,le langage est
situé, le système sous-jacent l'est également, on peut en dire autant du my
the. Tout ce qui est hmain a un milieu d'émergence. S'il existe donc des
rites dont la signifiance est universelle, gardons-les. D'autres, certes,
peuvent être assez hermétiques et, par conséquent, créateurs de "sectes",
fiais les rites, en général, ne sont-ils pas liés à un milieu particulier et
le langage qui vise aussi à l'universalité ne peut-il donner des traductions
donnant au rite sa'bignifiance"pour le non-initié ? C'est à chacun de s'in-?
former, de questionner, de respecter l'autre, d'approcher tout phénomène re-^
ligieux respectueusement, "avec des gants". C'est à chacun de percevoir
l'intentionalité de tout homo religiosus, îlais, cela étant, il y aura tou
jours diversité d'expressions du sens du sacré, comme il y aura toujours di-^
versité d'expressions du savoir-vivre. Nous devrions éviter un marché com
mun mondial de la "pratique" qui déboucherait sur le syncrétisme, sur la mo-?
notonie, ou sur une navrante uniformité (2),
(1) R, Panikkar émet un joiu? l'hypothèse que le Christ ne nous laisse aucu-r
ne phrase dans sa propre langue pour ne pas nous lier à une langue, quel
le qu'elle soit. Voir The Bostonien Verities, p, I50. 'Peut-être pas
Vatican III, écrit-il, mais Jérusalem II est ce qu'il y a de plus ur- .
gent pour notre temps", p. 151> suggérant sans doute une ouverture du
christianisme à la symbolique des autres religions et cultures,
(2) Dans Religions e religioni, R, PANIKKAR dit clairement qu'une religion
incolore et uniforme s'adapterait mal à l'homme (p, I65), que l'unité
n'est pas l'uniformité (p, I85) et même que la multiplicité des reli
gions, au lieu d'apparaître comme un scandale ou une faillite, doit être
envisagée comme "une sitioation dynamique" (p, 201).
314
Notre Aute-ur ne nous contredira pas, nous l'avons dit, mais il nous semble
dangereux d'insister trop sur l'universalité, de même que sur la spontanéi
té, Ne peut-on, en effet, se demander ici dans quelle mesure un rite peut
être spontané ? N'y a-t-il pas justement rite quand il y a répétition,
"re-action" et donc, dans une certaine mesure, non-spontanéité (l) ? Dfe,ccord
pour que le culte soit un acte théandrique, un acte profond de ma, personne,
mais ma personne ne peut être "décultiorisée".
A, Introduction
B, Perspectives panikkariennes
comme en liii il n'y a pas de distinctions, "il en résulte que nous partici
pons aussi de son être, de sa divinité" (l). Il connaît les choses non en
soi, mais en lui, de lui, "Il se connaît comme 'choses' "(2). "C'est l'ex
périence d'une vision non-dualiste de l'être, tme perception des choses non
comme objets (Dieu ne connaît pas d'objets), ni comme contenus, mais en
tant qu'attitudes et gestes de Dieu" (3).
L'Occident part des choses pour parler de Dieu, par analogie, tandis
que l'Inde considère les choses comme Dieu lui-même "en tant qu'épiphanie,
en tant que ,,, chose, car la chose n'est rien d'autre que Dieu sous
1' 'apparence' de la chose présente" (4). Potxr l'Occident, le symbole est
"signe de ", ce qui suppose un sujet qvii a une connaissance imparfaite et
une !'pré-vision" de l'objet. Pour l'Inde, le symbole n'est pas un "signe
de", ni un moyen de connaissance, ni quelque chose de différent du. symboli-r
sé, mais bien la réalité elle-même non en tant que réalité mais en tant
qu'ontophanie, manifestation de l'être. L'homme qui connaît est perçu corn-»
me "contenant de Dieu" ou "symbole de la réalité absolue" (5).
Cette parabole peut nous aider à comprendre la notion de sacrement
chez Raym'undo Panikkar.
A ses yeux, Platon et Aristote ne suiffisent pas pour comprendre les sa-?
crements chrétiens. Pour Platon, les choses sont "Idéalsymbole" (6) en
tant que révélant une réalité "idéale" invisible. Pour Aristote, les .cho
ses sont "Realsymbole" (7), ce qui valorise la. substantialité des choses,
leur réalisme. Mais les deux mondes, le terrestre et le céleste, restent
séparés. L'immanence n'est pas valorisée dans la pensée occidentale.
Oii la réalité est que Dieu se donne et que le culte est "la participation
de l'homme au dynamisme de retour à Dieu de la création, en d'autres termes,
une oeuvre divine" (l), plus opus Dei que opus hominum, L'Inde pourrait,
ici, aux yeux de notre Auteur, enrichir le renouveau eucharistique catholi
que en soxilignant le lien ontique de l'homme au cosmos, en prenant la nature
humaine dans son intégralité, en soulignant la signification transcendante
de toute antion humaine (2), le lien de toute action avec notre fin suprême,
le lien entre l'homme et l'Absolu, le primat de l'acte liturgique "plénier
et saint" qui est plus qu'une démarche de l'intellect (3), la liturgie com
me "contemplation active" (4), comme "acte sacral intentionnel" (5) où l'évé
nement actualisé requiert l'adhésion de tout ce que nous sommes, intellect
et affectivité compris, exprimée par l'Amen (6)»
La tâche primordiale du Christ "où incarnation, mort et résurrection ne
font qu'un tout inséparable, a été d'accomplir cette sainte action théandri-
que où l'homme -et la création- imite Dieu ontologiquement, c'est—à—dire
fait retour à Dieu et, comme une telle démarche suppose une participation de
plus en plus intime à la vie même de Dieu jusqu'à s'unir à lui, il devient
Dieu" (7). Le christianisme ne peut être compris sans Christ, il est plus
qu'une feltanschaumg, plus qu'un système en "isme" à côté d'autres systèmes.
Par conséquent, une redécouverte de la messe serait ici primordiale.
On ne réinvestirait pas seulement l'orthodoxie chrétienne mais aussi
l'orthopraxie, qui serait "l'existence sacramentelle et la conscience saceiv-
dotale" (s), la collaboration au salut du monde, ce par quoi le christianis
me peut rencontrer le mieux les autres religions qui, toutes, aspirent à l'ac
te théandrique parfait.
(f) "Ce 'est pas pur hasard si dans le 'canon' du sacrifice du Christ du
rant la messe on s'en réfère à Abel, à Melchisédech et à Abraham" obser
ve l'Auteur, dans Los dioses y él Seïïor, p. 105.
(2) H, PANIKKAR, Le mystère du culte, p. 49*
(3) R. PANIKEAR, Le mystère du culte, p. 113.
(4) R. PANIKEAR, La faute originante, p. 88.
(5) R» PANIEEAR, La faute originante, p. 77.
521
3° Dans "la cruche cassée", R, Paniklcar n'oppose pas notre monde à tin "immua
ble surhumain", distinct du monde phénoménal, car les choses ne sont pas
pour lui des sjTnboles en tant que signes d'un au-delà d'elles-mêmes mais
des symboles comme contenants de Dieu, identiques à l'original, les choses
étant manifestations de l'Etre,
5° La foi est ce qui nous permet de percevoir l'identité de la messe avec l'o-
riginal, soit la messe comme symbole avec les variantes précitées,
6° Tout semble éclsrré par l'idée de remembrement de Prajâpati, par le dynamis
me descendant et ascendant a l'intérieur duquel se rèstaure le monde en sa •
source, La messe serait le sommet de ce dynamisme,
Dieu, pour donner le salut, passe par l'ordre établi. Dans ce sens, il y a
des moyens ordinaires, nature]^ de conduire à lui les individus et les peu
ples , Dans l'Eglise, ce sont les sacrements, î^lais il y a aussi des sa
crements dans l'Ancien Testament et la nature. Par conséquent, dit l'Auteur,
"nous pouvons dire que le sacrement est le moyen ordinaire dont Dieu se sert
pour attirer les peuples à Ixii" (2),
§ 7 - LE CULTE ET L'AGTIOï!
L'action reste théandrique même si elle est plus que liturgique au sens vé
dique. Il resterait^ de la première période védique, l'idée d'une action
"par laquelle l'humain et le divin collaborent afin de maintenir l'univers
et de lui permettre d'atteindre son but" (l), ce qui serait, a\xx yeux de
R. Panikkar, l'idée originelle exprimée dans le Yeda et les Brahmana.
Une idée déjà relevée de notre Auteur est que l'orthodoxie peut rassem
bler moins de personnes qu'une bonne rubrique. De même, nous pouvons entrer
en communion avec des personnes qui n'ont pas, par rapport à nous, la même
convergence intellectuelle, Nous pouvons poser des actes signifiants qui ac-;
complissent l'homme au-delà des divergences.
ÎTotre Auteur considère que l'Inde peut jouer le rôle de stimulant pour
une théologie intégrale, où la théologie n'est pas uniquement une science,
où la recherche intègre l'ascèse, vise à la divinisation, dépasse la spécula
tion, traite de l'agir, est du domaine du culte, veut assumer l'homme entier,
exprime la préséance de l'être vivant sur le savoir.
A cette époque, en 1966, il reconnaît que sa pensée est encore "en voie
de développement" (5).
Deux hommes doclirinalement séparés, peuvent ensemble poser des actes signi^i
fiants pour l'un et pour l'autre, sans s'excommunier. Ils peuvent compren
dre qu'ils participent "à quelque chose qui, d'une manière ou d'une autre,
nous transcende tous" (l), ce transcendant serait le "mythe de Dieu" plus que
"l'idée de Dieu" exprimée seulement par certains (2).
Le Chrétien doit chercher des formes capables d'exprimer son message
universel de libération, des foimies recevables par tous (5). Si les rites
anciens sont contestés, il faut prSner des actes spontanés comme cetix du
Christ, des "symboles vivants encore ressentis comme natiirels" (4), posés par
des êtres pvirs, soucieux de réconciliation, suivant l'Esprit , conscients de
ce qu'ils font. Si les rites anciens sont contestés, il faut en trouver qui
soient universels, concrets, sincères et sans rupture avec ceux qui nous pré
cèdent et avec ceux qui nous entourent.
Celui qui visite l'autre qui est seul ou prisonnier, celui qui nourrit
son frère qui a faim, qui habille l'autre qui est nu, qui abreuve celui qui
a soif, celui-là est en orthopraxie même s'il ne perçoit pas le Christ comme
critère, même si son "comment vivre" ne repose pas explicitement sur un
"pourquoi vivre". Il serait, par son orthopraxie, en train de mettre enpra-r
tique l'ontonomie, de façon spontanée et libre, comme un estomac, nous di
sait un ôçur l'Auteur, peut très bien fonctionner et remplir sa fonction
sans le savoir,
\ S
4° l'acte cultuel conçu comme pouvant tout envahir ; l'aide aux pauvres,
la réconciliation fraternelle, la recherche du beau, la musique, l'art
en général mais aussi le repas, la danse, la fête, la relation d'amitié,
(1) Nouvelle histoire de l'Eglise, vol. 4» 1ère partie, le siècle des Ivimiè-
res et la révolution, par L, ROGIER, p, 179»
(2) Nouvelle histoire de l'Eglise, vol, 4, p, I79,
352
B, Perspectives panikkariennes
Ainsi, l'adoration nous aide à vaincre ce qui fait obstacle à notre réa
lisation. C'est une action où tout notre être est impliqué, où le Moi
se réalise. Par elle, l'homme transcende le temps, marche vers sa
moksa, voit sa vie irradiée. Elle est un moyen vers la perfection et i
une fin, soit la perfection elle-même. M seulement prière, ni seule
ment connaissance, elle devient une action qui transcende la d^^alité,
une mort, une résurrection. Elle comporte un aspect sacrificiel. Elle
se situe sur le chemin ontologique et dynamique de l'homme avec le
divin (1),
Ici, l'Auteur aurait pu, peut-être, développer le thème hindou des guna,
%
(1) R, PAEIKEAR, The Yedic Expérience, pp. 555 - 355» Se libérer du "petit
soi" (ahamkarâ) pour retreviver le Soi (âtman),- dit-il dans The Yedic
Expérience, p. 80,
(2) R. PAÏÎIKKAR, Le mystère du. culte, p, 97, L'aspect demande et invocation
existe en Inde aussi, l'Auteur le montre souvent dans son ouvrage
The Yedic Expérience où il traduit et commente un grand nombre d'hymnes.
Il semble impossible, même, de comprendre l'Inde sans ses prières, ce
qui est peut-être le cas de toutes les religions.
(3) R* PAITIKICAR, Spiritualité, indu, p, 89, note I6,
(4) A, SILBURE définit guna comme suit : ce "n'est pas la qualité, l'attri-
but statique de la substance, mais une pioissance dynamique, qu'on peut
rapprocher de yoni, sovircxe jaillissante", voir Svetasvatara Upanisad,
p, 31» note 2. Yoir sur les guna, par exemple, la Svetasvatara Upanisad,
•V» 7j p» 69; Ganapati Upanisad, III, 6, p, 10; Maitry Upanisad,
^ ^ _ »—
Prapâthaka, YII, 1, p, 32; Mahâ Uârayana Upanisad, t, 1, YI, 209, P» 59»
voir ici les notes 209-210, p, 151, etc.
557
(1) Les trois guna sont réunies dans la Gitâ. par exemple en II, 45, p. 625
VII, 12, p. I50; 15-14, p. 1515 XIII, 15, p. 232; XIV, 5, p. 242; 9,
P. 245î 10, p. 2445 18, p. 248,• 25-25, pp. 250-251 ; XV, 2, p. 254î
XTII^ 2, p. 275; mil, 40, p. 299.
La Gitâ détaille chacune d'elles, soit guna sattva (voir XIV, 9, p.245;
11, p. 244; mil, 20, p. 292; 25, p. 295- 26, p. 294? 50, p. 295; 55,
p. 296; 56-57, p. 297), guna ra.ias (voir III, 57, p. 92; XIV, 9, p.245;
12, p. 245; 15-16, p. 246; *17, p. 247? 22, p. 25O; mil, 21, p. 292;
24, p. 294; 27, pp. 294-295? et 54, p. 296; 58, p, 297) et guna tamas
(voir XIV, 9, p. 245; 15-16, p. 246; 17, p. 247; 22, p. 250; mil, 22,i
p. 292; 25, p. 294; 28, p. 295; 52, p. 296; 55, p. 297.
Notre propos ne peut être de développer, dans notre recherche actixelle,
un expose sur ce que l'hindouisme a pensé et dit sur la théorie des trois
£Una. Nous en percevons l'importance et en devinons l'intérêt, l'Auteur '
noûs le confirme, avons-nous vu, mais nous constatons que le professeur
de Santa Barbara ne propose nulle part une présentation de cette pensée
qu'il nou.s annonce comme importante dans l'hindouisme,
(2) On peut trouver une bibliographie sur le sujet chez P. LEBAIL, dans La
découverte intérieure, pp. 115-II4 et 157-146. Rappelons l'importan
ce des postirces physiques appropriées, des techniques particulières de
respiration, du cadre où elle se pratique, dv. rjrfchme de vie simplifiée,
du silence, des endroits précis du corps sur lesquels la concentration
gagne à se porter. Le méditant est appelé à se libérer par sa médita
tion, de ses passions, de ses rêves, de ses soucis, de sa science, de
ses souvenirs, de ses projets, de ses obsessions, prenant ainsi ses dis
tances par rapport avi monde phénoménal et à une existence atomisée dis
persante et écartelante. Il y est aidé par la concentration sur des des
sins géométriques (mandala"). ps,r la répétition de mots, formules ou
hymnes (mantra). par la fixation sur une représentation préférée du di
vin, par des exercices de visualisation, par l'accession au quatrième
état qui est celui de veille sans pensées, le tout avec l'aide d'un gui
de expérimenté (guru). sans abandonner la lecture des litres sacrés
(sruti") et de la tradition (smrti). et sans quitter nécessairement l'en
gagement dans le ponde. Assez'rapidement peuvent se produire des effets
normaux (comme le ralentissement cardiaque, un accroissement de saliva--
tion, une relaxation mrsculaire profonde, une réduction de la respira
tion, un calme intérieur étonnant, etc.) et des effets paranormaux
(comme l'audition de "sons inaudibles", la vision d'objets, de personnes
et de couleurs, etc.). La régularité, quotidienne si possible, peut
transformer en profondeur la pensée, la relation humaine, le mode de vie,
l'action dans le monde, la vision du réel, les réactions physiques et
psychologiques. Le méditant sent progressivement tout un mouvement d'in
tériorisation, de découverte de son Moi profond. L'authentiques expé
riences mystiques peuvent se produire mais le méditant sera toutefois
prudent avant d'identifier ce retour à 1'atman comme une communion avec
l'Absolu comme tel, sans que celle-ci soit à exclure a priori. Voir
R.C, ZAEHNER, Inde. Israël. Islam, pp. 111-112; J, M/1.SSON, Valeurs re
ligieuses de l'hindouisme, pp. 175-177, etc. ——————
538
Nous devinons aussi que la priere telle que nous cherchons à la décrire
peut être sans objet, que la distance entre le sujet et l'objet peut s'éva
nouir ou que, si un objet reste, c'est la divinité. Si l'homme peut commen
cer par une adoration de la divinité sous une forme sensible, ce n'est enco
re qu'une préparation, un auxiliaire, quelque chose de provisoire en atten
dant que l'image soit mise de côté (3)» l'étape suivante étant le repos, la
détente sans objet, sans buts ni directs ni indirects, le don de soi à
Dieu (4),
Le professeur de Santa Barbara se demande si l'on peut être chrétien
sans la méditation, si, sans elle, nous soipmes capables de nous accomplir.
Cette question illustre bien l'importance qu'il attribue à l'objet de ce pa
ragraphe, même s'il ne nous détaille pas les techniques et méthodes comme
on pourrait le souhaiter.
Il est du reste convaincu qii^nn la matière, l'Inde peut aider l'Occident (l).
Nous avons besoin de "faire une retraite", de nous "arrêter", pour cé
lébrer le mystère de Dieu, du Christ, de l'Eglise, du monde et le mystère de
chacun de nous. C'est comme un fin en soi. "Seigneur, propose-t-il un jour
comme prière à des retraitants,puiasions-nous voir, devenir conscienis de la
réalité. Puissions-nous ne pas toujours vivre sans comprendre, ni sans voir,
ou en voyant et en comprenant seulement ce qui au fond est moins importan-y'(^ ).
L'Atitein: parle de l'espace sacré, intérieur et extérieur, du calme, de
la paxx, de la tranquillité comme dimensions religieuses, de l'expérience re
ligieuse comme expérience de communion où l'on se fond "dans le plus haut",
où "deux" n'a plus de sens (3). Ce n'est que par notre absence que l'Absolu
peut être présent (4), parce que "Quand on sait qu'on médite on ne médite
plus vraiment" (5).
Cette méditation a pour effet aussi de nous libérer du temps sans faire
de nous des êtres intemporels. Retrouvant notre Moi profond dans l'expérien-
de communion, nous échappons à la banalité, à la juxtaposition des phénomènes
et des personnes, à l'atomisation de l'existence. D'une part, en effet, ncus
ne serions pas combles par le seulement temporel, et, d'autre part, nous ne
le serions pas davantage par le seulement étemel (6).
L'intention humaine doit pouvoir s'exprimer dans des mots, par la paro
le, Celle-ci est médiatrice. Elle incame l'homme. Réalité théandrique,
la parole joue un rSle dans l'ascension spirituelle de l'homme et la prière
est "l'acte le plus authentiqu.e de l'homme, c'est-à-dire l'acte par lequel
il se révèle lui-même comme il est réellement et par lequel la réalité lui
est révélée" (4),
Issue du silence, chaque parole authentique peut paraître comme une
prière, par laquelle l'homme entre en contact avec le noyau profond du réel,
A ce niveau, la prière est active et passive, c'est quelque chose que l'on
donne et quelque chose que l'on reçoit, La prière apparaîtrait comme insé
parable de la parole et le silence interviendrait essentiellement pour l'in-
earprimahlê,. Il est comme une parole non dite qui garde toute sa valeur (5)»
"Lu silence jaillit la parole" (6) et "chaque mot plein est un acte liturgi-
que" (7).
La parole et le son jouent un rSle dans la prière comme expression dti
Moi pour le rejoindre et pour le dire. Ils sont moyens de communication et
de communion, L'hindoxiisme possède des prières innombrables et souvent très
belles. Le son, en tant que mantra, serait aussi porteur d'une force capa
ble de nous perter vers notre centre dans la méditation, celle-ci culminant
dans le quatrième état (l), sans pensée ni son, qui est communion dans le si
lence avec notre centre et avec l'ATasolu, Le son serait tel un véhicule vers
l'intériorité, La hhakti apparaît alors comme dévotion, mais aussi comme
abandon, comme don aimant, abandon et don qui sont manifestés dans le sacri
fice, dans la prière, dans le silence de la méditation et de la contemplation*
G, Quelques réactions
Sans doute, n'était-il pas obligé de nous dire ce qu'on peut trouver
dans de savants traités sur la question ou ce qu'on peut découvrir sous
la guidance d'un maître. Sans doute, le professeur de Santa Barbara ne
treut-il pas être notre guru. C'est parfaitement son droite Notre re
gret, toutefois, subsiste mais il n'est pas une critique (l). Il n'en
reste pas moins, pour ses lecteurs, quelques imprécisions. La brève ini
tiation au concept oriental de méditation, que nous nous sommes permise
dans une note, ne pouvait lever totalement les anibiguîtés sans nous lan
cer dans le longs exposés alors que notre but était seulement de préci
ser que le terme "méditation" ne recouvre pas, en Inde, la même réalité
que chez nous. Elle serait, par exemple, souvent moins discursive que
nous ne le pensons en Occident,
(l) R, PANHKAR, dans La presenza di Bio, pp, 16-19, nous met en garde
aoissi, avec raison, contre le danger de confondre les techniques de
méditation avec la fin, alors qu'elles ne sont que dès moyens, La
remarque semble pertinente quand on pense à certains Occidentaux qui,
à la limite, réduiraient PATANJALI, le grand théoricien du yoga, à
n'être plus qu'un professeur de "gymnastique" d'origine exotique
ou de sophrologie pour personnes surmenées.
349
(l) Dans The Trinity and the Religiotis Expérience, R, PMIKKAR part du Dieu
des Upanisad qui n'est pas un Dieu perçu tel une personne qui parle, or
donne, punit, appelle et attend une réponse. On serait plutôt dans la
sphère de l'expérience atteinte, de l'union et de l'inmianenoe plus que
dans celle du dialogue, de la rencontre ou de la correspondance inter
personnelle, p. 29. L'immanence est privilégiée par rapport à la trans
cendance, p, 50» On ne parle pas, dès lors, à un Dieu immanent, p, 31,
car le .divin n'est pas un Dieu extérieur qui prend abri en moi, p, 32,
mais l'âtman identique au Bràhman, p, 32» Dans cette ligne, la prière
est donc plus silence qu'activité discursive, p, 34» Elle est contact
avec l'immanence de l'Absolu, p» 35» H est question de silence, d'aban
don, de non-attachement absolu, de refus de tout anthropomorphisme, p, 38,
d'union ineffable expérimentée, pp. 38-39* Dans Spiritualité, indu,
l'Auteur parle de contrôle mental (sama, calme, équanimité, sérénité),
de domination des sens (dama, autocontrôle, ascétisme), de renoncement
(uparati), de patience (titiksa), de concentration de l'esprit (samdhâna)
et de foi (sraddhE) , p. 81, ainsi que èe la disparition "sujet-objet"
dans la contemplation, pp, 82 -84» Le guru est indispensable, pp. 112-
11é, car "une vie religieuse n'est pas possible sans un maître spirituel'4
p» 116, L'Auteur distingue aussi, on l'a vu, le chemin de l'action
(karma-marga*"), le chemin de l'amour (bhakti-marga*) ou moyen de l'amour
dans tuae ligne personnaliste, et le jnânâ-mârgaf' pour lequel le divin en
vahit tout et où l'oraison n'est plus perçue comme pensée mais davantage
comme nudité totale, p, 145» Elus loin, il parle du rythme respiratoire,
p, 166, d'une participation du corps, p. I69, du son prononcé ou mantra,|
pp, 170-175, qui a comme un caractère sacramentel, q\ri est efficace
quand il est prononcé par un initié qui l'utilise dans des conditions
et dans des dispositions appropriées, p, I7I et q\ii facilite une identi
fication progressive avec son contenu, p, 172, L'Auteur parle aussi du
mandala ou yantra, pp, 175 - 17*5, des gestes liturgiques, pp. 177 - 178-
mudra - des postures du yoga ( ou âsana). Cela condviit à une spirituali
té moins conceptuelle, expérimentée, voulant englober tout l'homme,
soit -une spiritualité intégrale, p, 181, mais dont on ne peut décrire
phénémologiquement toutela variété, p, 182,
350
2" Ensuite, nous posons une question. Elle est complexe et, de plus, elle
est posée à l'Auteur mais tout autant à l^liindouisme. Nous veillerons à
la formuler en termes simples. Lorsque, dans la pratique régulière de la
méditation, l'homme se purifie de son "état grossier", lorsqu'il se libère
de ses .projets et de ses passions, lorsqu'il accède au'Quatrième état",
lorsqu'il passe à la visualisation, rejoignant pas à pas son âtman, son Moi
pur et profond, -ce qvii peut être •une expérience enthousiasmante et trans
figurante - est-il uni à Dieu, à ce moment-là, ou simplement se retrouve-t-
il lui-même ? Autrement dit, ce qui est rejoint, est-ce "Moi* ou "Lui" ?
Serai-je, en effet, capacité d'Absolu ? Même si, à ce moment, on a la
qmsi-oertitude de la présence béatifiante du Tu Absolu, ne doit-on pas se
méfier de soi-même, de ses impressions, de ses certitudes ? La conscienceî
de la présence peut être ce^ctaine, ma,is n'est-ce pas éventuellement une
conscience erronée ? Une question semblable ne peut-elle, du reste, être
posée lors de certaines manifestations étonnantes à l'intérieur de mouve
ments charismatiques ? Peut-être, est-ce la question de la métaphysique
occidentale et du transoendantalisme biblique à l'école védantine ? Peut-
être, est-ce la question d'une tradition métaphysiqtie de tendance d'ualiste,
dans la perspective platonicienne et aristotélicienne, à une autre tendance
ou tradition métaphysique, plus dans la ligne du Yedânta et sans doute d'une
partie de l'Asie, de l'Inde au Japon ? Peut-être aussi la réponse serait-:
elle à chercher dans le silence du Bouddha dont notre Auteur nous a parlé
déjà ?
Lorsque nous lui avons personnellement posé cette question, l'Aute-ur d'ai-
bord en fut heureux. Il souligna que l'expérience de soi n'est pas automar
tiquement celle du Dieu vivant, du. Dieu de Pascal, d'Abraham, d'Isaac, de
Jacob et de Jésus-Christ (l). Il exMerait -un danger de panthéisme, de
narcissisme (2), d'immanentisme, de circuit sur soi-même, de cercle fermé
et -une telle négation de la transcendance pourrait ne pas rejoindre ni la
conception chrétienne ni la conception hindoue. Cet aspect de sa réponse
ne lui paraissait toutefois pas stiffisant, bien qu'important» En effet,
nous disait-il, si Dieu est transcendant, il est aussi immanent, et il ci
tait le mot de saint Augustin sur le Dieu présent au plus intime de chacun.
Mais alors, comment ttre certain que l'on rejoint d'Absolu et comment se
manifeste cette certitvide et son expérience ? Le don de l'Esprit et 1'ex
périence de la vie entière pourraient nous indiquer que nous sommes dans la
bonne ligne. Dans la méditation, par ailleiirs, on ne serait jamais certain
que l'on 3:ejoint l'Absolu parce que celui-ci n'est pas objet de pensée ou
de réflexion. On serait toujours "dans le risque". On po^arrait arriver à
l'Absolu mais sans en être nécessairement conscient d'autant plus que la
conscience n'est pas le dernier mot de l'expérience et de la vie,
3 Enfin, faisons une mise au. point, dans le prolongement de notre question.
R, Panikkar parle de la "prière-méditation" de l'Orient, Il considère que
l'Inde peut enrichir l'Occident, Toutefois, il ne va pas unilatéralement
dans un sens. Il a valorise la bhalcti *, dimension fondamentale du culte" (1),
/ \
§ 9 - LE CULTE ET LE TEiïIOIGNAGE
A, Introduction
Dans le Nouveau Testament, les témoins sont souvent les témoins ocu
laires et auriculaires, ceux qui ont connu le Maître, ceux qui peuvent té
moigner de sa réstirrection mais aussi de ses paroles, de ses actes, de ses
gestes, de ses rencontres, de ses révélations, de sa personne. Le Christ
Jésus donne une mission de témoignage (l), et lui-même se présente comme le
téjnoin du Père, De même que le Père a envoyé le Fils, de même le Fils a
envoyé ses disciples comme témoins, comme poirteurs d'une bonne nouvelle.
Il veut qu'on se déclare pour l\ii devant les hommes (2), Nous ne dévelop
perons pas ici une étude exégétique sim les thèmes du témoignage, du témoin,
de l'acte de témoigner, dans l'Ancien et le Nouveau Testaments, Retenons
simplement que la démarche de convergence impliqtxe la mission de témoigner,
d'être porteur d' 'évangile", d'être le sel de la terre, la ville sior la
montagne, la lumière dans la maison (5) et le levain dans la pâte (4),
B. Perspectives panildcarierines
"Le dialogue est foncièrement mon owertxœe à l'autre pour qu'il me dise et
me découvre mon n^the, ce que je ne peux connaître moi-même, ce que je con
sidère comme allant de soi. Le dialogue est une façon de me connaître et
de dégager mon point de vue à partir.d'une intériorité plus profonde qui
restait cachée en moi-même, et que l'autre éveille par sa rencontre avec moi
dans ce tréfonds qui nous dépasse' "Pris dans ce sens, le dialogue est
un acte religieux par excellence, car il reconnaît ma religatio à l'autre,
mon indigence individuelle, et mon besoin de sortir de moi-même, de me transr
cender pour me sauver" (l).
D'une part, il y aurait un dialogue dialectique qui fait confiance à
l'esprit, à la raison, aux arguments, qui peut conduire au jeu intellectuel,
à la controverse, à la polémique, aux disputationes et, d'autre part, le
dialogue dialogique ou dia,logal, Celtii-ci, davantage, fait confiance à l'au
tre, au coeux-, à l'intuition, à l'écoute, à la révélatign du moi par l'au
tre. La relation "témoignant-témoigné" serait de ce second type.
(en vertu d'un raisonnement) ni par une relation dialoêiqL'*^® (eu vertu
d'une confiance en l'autre)" (l). Il ne suffit pas que l'acte du témoigant
commence potir que le témoignage passe en tant que témoignage eu en tant que
contenu, que porteur de sans..
Ainsi, "le témoin ne nous dévoile pas une vérité que nous ne connais
sons pas" (2), Le martyr chrétien, par exemple, témoignerait de la vérité
chrétienne pour les seuls Chrétiens, du courage des héros pour les historiens
des religions,et de la religion comme opi-um du peuple et ennemie du progrès
pour le Marxiste (5).
Le témoignage n'attirait donc, po-ur R. PaniMcar, aricun sens hors de l'ho-,
rizon donné, hors de la culture où il se situe, hors d'une"copnunion mythi- :
quë' (4)» Cette analyse du phénomène manifeste qu'il est étudié dans une
perspective planétaire ou interculturelle et ncn plus à l'intérieur d'un
seul topos d'émergence.
un in-esse plus qu'un oo-esse (l). Plus qu'une table ronde diplomatique,
il faudrait étreindre les deux religions dans vine synthèse personnelle,
"comprendre" autrui, s'incarner dans l'autre religion.
C, Quelques réactions
1' Nous pourrions retenir les cinq étapes de l'histoire chrétienne distin
guées par notre Auteur (témoignage, conversion, croisade, mission et
dialogue) comme étant une synthèse originale. Pourtant, dirons-nous,
tout schéma schématise. En fait, il y a mission à l'ère apostolique,
conversion à l'ère des croisades comme actuellement, et le dialogue
n'est pas seulement un brevet contemporain, qu'on se rappelle certain^
Pères de l'Eglise, tout en reconnaissant que notre vingtième siècle se-
caractérise peut-être plus par une dimension planétaire des problèmes,
des recherches et des rencontres,
(1) Yoir Lumen gentium, ch, 2, n° 15 - 16} Nostra aetate} Unitatis redin-
tegratio, etc,
(2) Yoir par exemple, D, PIBE, Bâtir la paix, Le Christ lui-même ensei
gne par dialogues., par exemple en Jean 4 : 5 - 415 1 -13? Mat, I9 î
16 - 22; Jean 18 ; 53 - 38} 9 - 11} 6 ; 25 - 58} Mat. 20 ; 20-28,
bien qu'on sente parfois dans ces textes, une insuffisance de "com
munion mythique" dont parle l'Auteur,
362
(1) I Sam, 18 : 1,
(2) R, PidTIKKAR, Indology as a cross-cultural catalyst, pp. 177 - 178.
L'homologie serait une sorte d'analogie existentielle et fonctionnelle
(= de fonction), comme le dit l'Auteur,
564
CONCLUSIONS
culte, et, enfin, de s'engager lui-même en prenant position non comme sim
ple analyste du passé mais en tant que prospecteur poin: une interféconda
tion,
Notre Auteur propose alors des pistes sur detix éléments fondamentaux
de tout culte, à savoir les gestes et symboles, d'une part - sans que sa
pensée sur le symbole soit encore achevée— et, d'autre part, sur le dis^
cours explicatif les accompagnant. Il distingue, à ce propos, ce qu'il ap
pelle "rubriques" et "nigriques". Nous èentons, dans cette partie de sa re
cherche, son "obsession ontonomique" lorsqu'il souligne les qualités qu'il
attend des deux données considérées et qui seraient la spontanéité, l'uni
versalité, la concrétion et la continuité, au service de la sincérité, sans
méconnaître, au passage, la crise des intermédiaires, "crise cyclique sans
doute, mais particulièrement contemporaine.
ir» Dans xin deincième point de nos conclusions, nous voudrions émettre deux
propositions à dessein de mieinc situer la pensée de E, PaniMcar.
1) Notre Auteur nous paraît vouloir dépasser l'analyse technique des réa
lités abordées dans le christianisme et dans l'hindouisme. Par ceci,
nous voulons dire qiie le professeur de Santa Sarbara ne se livre pas, à
chaqiie occasion, du c6té hindou, à une analyse eschaustive et systématique
par exemple des sacrifices, des rites, des sjrmboles, des techniques de mé
ditation, et ainsi de suite,pas plus qu'il ne propose un exposé théologi
que de la recherche sacramentelle chrétienne ou une exégèse biblique
fouillée. Il sait ce qu'il ne dit pas, il en dit assez pour que nous le
sentions, mais il semble ne pas vouloir nous orienter vers un comparatis
me aléatoire ou, ce qui serait pire, vers un marchandage de vérités au
tour d'une table ronde en quête de compromis,
\
2) Notre Auteur part aussi de la certitude déjà perçue dans notre chapitre
sur Isvara ou le Christ etemel -qu'on se rappelle par exemple le para
graphe sur Melchisédech- qu'il y a un culte authentique dans toutes les
religions, qu'il y a partout des prêtres "frères de nos prêtres", qu'il
y a partout par conséquent une démarche, respectable parce que réelle, de
convergence entre les pôles de l'Etre, Il ne peut donc être question de
valoriser l'un au préjudice de l'autre, soit de "convertif l'autre à moi" ,
Au-delà d'un co-esse d'ignorance, de méfiance ou éventuellement d'agressir
vite, il perçoit la possibilité dt déjà l'existence aujourd'hui d'un in- ;
esse, car partout la vie peut être oosraothéandrique malgré les divergen
ces de doctrines et de comportements,
Le salut serait "l'acte même de cette rencontre entre Dieu et l'homme, qui
ne peut avoir lieu sur terre que dans la foi" (l). Serait sacramentelle
"toute réalité sujmatvirelle qui s'accomplit historiquement dans notre vid'(2)^
» 'sacrement» signifie en effet don divin de salut dans et par une forme ex
térieurement saisissahle, contestable, qui concrétise ce don s un don de sa"|
lut en visibilité historique" ... "L'amoin? de l'homme Jésus est en effet ;
l'incarnation humaine de l'amour rédempteur de Dieu, ttne venue de l'amovir de
Dieu en visibilité" (3), Le Christ Jésus apparaîtrait alors comme •l'adora-^
teur suprême du Père, la réalisation suprême et parfaite de toute reli
gion" (4). Sa place centrale est présentée de telle sorte qu'il y aurait
un'hprès-Pâques" qui n'existerait pas avant. "La grande effusion de grâce
ne pouvait avoir lieu qu'après sa résurrection des morts" (5) et le Christ
Jésus, d'après le Nouveau Testament, ne peut donner l'Esprit qu'après son
élévation" (6), Dans cette ligne de pensée "Jésus-centrique", les sacrements
apparaissent comme prolongeant teiirestrement le Corps du Christ car "Dieu,
nous propose toujours le Royaume des Cieux dans un habit terrestre. Il l'a
fait dans l'Ancien Testament", ce qui prolonge "la pédagogie de l'Eglise
sacramentelle" (7), Ces sacrements sont "exigés ultérieurement par la per
manence de la médiation de grâce de l'homme Jésus" (s) et sont "des rencon—:
très d'hommes sur la terre avec l'homme glorifié, Jésus, par le moyen d'une
forme visible" (9). Dans le prolongement de ceci, l'Eglise est "la présence
visible s\xr terre de cette activité d'achèvement du Christ dans et par son
humanité glorifiée", présence de grâce qui s'accomplit "par la fonction a-
postolique sur la base du caractère sacerdotal et par les fidèles sur laba-f
se de leur caractère de baptisés et de confirmés" (10), Un sacrement est"
donc alors xin acte officiel de l'Eglise, "un acte de salut personnel du
Christ céleste lui-même, dans la forme de manifestation visible d'un acte
fonctionnel de l'Eglise" (1), rendant visible l'acte sauveur du Christ ain
si que le culte et la sainteté de l'Eglise qui est son corps.
CHAPITRE V
LA BENCONTEE INTRA-EELIGIEUSE
575
imiioDucTion
§ 1 - la religion;
§ 2 - les approches scientifiques des religions;
§ 5 - trois attitudes fréquentes dans la rencontre;
§ 4 ~ le dialogue dialogique;
§ 5 - l'homologie;
§ é - 1'épochè ;
§ 7 - la- vision panildcarienne de l'hindou.isme;
§ 6 - qu'est-ce que l'Eglise ?
§ 9 - la. catégorie de croissance ;
§10- la "théologie hindoue-chrétienne".
Nous tenterons alors de tirer quelques conclusions.
§ 1 - M EELIGION
De prime abord, la. qu.estion paraît assez simple, pour quelqu'un qui vit
dans une religion'institutionnalisée", avec ses structures, son histoire^
ses dogmes, ses conceptions morales et son culte bien établis. Connaissant,
par contre, le souci de l'Auiteuir de chercher me réponse qu.i embrg.sse le
plus d'hommes possibles, nous devinons que la réponse de l'adepte d'une re
ligion particulière risque de lui paraître étriquée, éventuellement sectaire.
Peuironpar honnêteté intellectuelle, définir la,religion à partir d'me re
ligion ? De toute fa.çon aussi, la religion me fois définie, il reste que
les religions continueront de se définir elles-mêmes,
(1) R, PAÎIIKICAR, L'homme qui devient Dieu, p. 51. Dans Spirituali-^ indu,
pp. 15-18, on perçoit nettement l'influence de l'hindouisme, du concept
de dharma cosmique et personnel, qui conduit l'Auteur à souligner que la re
ligion est m chemin vers notre fin, "Rigoureusement, l'hindouisme
n'est pas une religion, mais simplement dharma" écrit-il, p, 18,
(2) R, PARIKSAR, L'homme qui devient Dieu, p, 41. La religion doit donc être
au se3?vice de l'homme et non l'inverse dit l'Auteur dans Rtatattva, p,42.
Dans Religions e religioni, l'Autetir parle de la religion comme la voie
qui mène l'homme à sa fin ultime, p, 14, et il la distingue d'une vague
religiosité commune aux re!%ions et désincarnée.
576
leva? libération, qu'elle leur donnera la joie, sans les séparer du monde (l).
Une conséquence logique de cette thèse serait qu'aucune religion organisée
- "positive""comme on dit parfois- ni que toutes les religions combinées
n'ont le monopole de la religion (2). Cette thèse aurait comme base théolo
gique que si Dieu veut sauver tous les hommes, il offre- à tous les occa
sions et les moyens de l'être. Les rebgiàns seraient nulles si elles ne vou-f
laient sauver (3). Dans cette conception paniM-cexienne de la religion, il
n'y aurait pas seulement les religions tra.ditionnelles mais, logiquement,
toutes les voies qui s'offrent aux hommes dans la recherche d'un idéal de
vie épanouie et libre (4).
Il sait que les religions d'hier, qui à certains peut-être paraissent
surannées,restent vivaces, mais il ajoute égalem.ent que de nouveaux chemins
s'élaborent dans un sens différent de celui des reliions traditionnelles (5) ,
tout en admettant que ces chemins nouveaux devraient éventuellement s'appe- i
1er "croyances", parce que voulant être des substituts et que, sur le plan
sémantique, ces nouveaux chemins ne seraient pas des "religions", vu les ré
sonances du mot religio. Aucune religion organisée n'ayant englobé toute
l'expérience humaine (6), il faudrait s'ouvrir au pluralisme, à la rencontre
des points de vue, dans une quête de la plénitude humaine ef savoir que, mê
me si ces chemins nouveaux veulent parfois biffer les religions, ils veulent
aussi sauver l'homme (7). De part et d'autre, on vit le pèlerine^ge existen
tiel de l'homme. De part et d'autre, on cherche une voie d'accomplissement,
partant d'une vision de l'homme hic et ninc -ce qu'il appelle le "predica-
ment" - et envisageant "Cine vision de son sta,tut final (s).
Une telle approche nous semble s'expliquer, chez l'Autetir, par plusieurs
objectifs.
1) Il veut, et novis yrommes habi-tués, ne pas voir dans la religion une sim
ple doctrine, un système en "isme", une pure structure rationnelle, ni^
En entendant ces questions, nous sentons que la recherche n'est pas ter
minée, d'autant plxis qu'il n'y a pas seulement "la religion" mais aussi Jes
religions. Il est bon de repérer des constantes, inais il reste les reli--
^ons organisées. . •.
(1) R« DMIIŒT'Jl, Lettre sur l''Inde, pp, 9I -92? "Le Christ et l'hindouisme,
p, 40; Le mystère du cuîté, 'pp, 159» 198» 205; Le sujet de l'infaillibi
lité, p, 452, Eine Betrachtung ùber Melchisedech, p, 14; The Bostonian
Verities, p, 148? Christ, Abel and Melchisedech, p, 405; The rules of
the game, p, 56; The category of grovrfch, pp, II4» II6 et 122. L'expres
sion "religions non-chrétiennes, serait une expression inadaptée, dfeprès
La chiesa e le religioni del mondo, p, I70,
(2) R, F/AIIKIOIR, Le m.ystère du culte, pp, 125» 128s, 152, lé9-170, etc?
SÛnyatâ and Plërôma, p. 91•
385
Si, en effet, les grands mouvements qui "font" le monde ne peuvent se fermer
ni s'au.tosuffire, ils ne doivent pas s'autodétruire. Si -un dialogue doit
naître entre eux, cela suppose qu'ils subsistent.
L'Auteur se doit d'eJler plus loin et d'aborder ce qu.e nous avons appe
lé un 'becond niveau de la réflexion sur la religion". Dans de nombreux pas
sages, Dieu, est plus explicitement reqviis dans la recherche d'une définition,
Le professeur de Santa Barbara parle, par exemple, de la manifestation de
l'Unique qui se dévoile dans toute chose, appelant l'homme à voir tout sous
une nouvelle dimension, dans la sjTiiphonie cosmique, où il peut avoir la cons
cience du sacré, où il peut repérer le super omnia in omnibus, en s'ouvrant •
à l'univers, copne Pierre, jadis,dans la vision à Joppé (l). "Le Dieu per
sonnel est le but de la créature" (2) et"l'essence de la Peligion présuppo
se un tu-je" (3). Un livre entier est consacré à une investigation plus en
profondeur de la rel^ion et des religions.
peuvent vivre avec une même expérience. C'est surtout dans la conceptuali-
sation qu.e la différence se crista.lliserait (l),
Ainsi, nous avons perçu dévot niveaux dans la recherche d'vine définition
de la religion. Le premier s'attachait à repérer des constantes entre tous les
grands mouvements humains et entre tous les hommes, partant de levir predioa-
ment, en quête de l'ultime, de la plénitude, de l'orthopraxie, de la libéra
tion, de la réalisation, du salut tels qu'ils les conçoivent. Le second re
père les constantes entre les ensembles qui se situent davantage conme reli
gions et dans lesquelles, bien sûr, on retrouverait l'aspect dynamique, per
sonnel et existentiel d'une recherche, par l'homme, de son accomplissement
intégral, décrite dans le premier niveau.
1)'L'approche socicicglique
Cette approche étudie les fonctions sociales àe la religion, son enraci
nement social, ou l'influence de la société sur la religion ou de la reli
gion, sur la société, etc., mais l'Auteur ne la décrit pas. 11/ se conten
te d'insister sur le fait que cette approche sociologique .est soucieuse
d'étudier les phénomènes religieux .par delà l'isolement où chaque religion
souvent les confine. Elle sait qu'on ne peut empêcher le passage des idées,
elle apprend la tolérance, elle relève les lois sociologiques des phénomè
nes religieux et les structures fondamentales des religions. Son ouvertu
re ne signifie pas syncrétisme et l'homme qui vit d'une religion ne doit
pas être étonné si l'approche sociologique lui montre que des phénomènes
religieux "de sa religion" se retrouvent dans d'autres religions (l).
2) L'approche historique
Si certains auteurs abordent le problème avec des préjugés, il reste que
l'histoire des religions montre leur importance capitale dans la vie des
peuples. Les travaux, en la matière, se multiplient aujotird'hui. Au-delà
des ambiguïtés possibles dans ces recherches, elle convergent pour poursui
vre un hiimanisme intégral et sont à encourager (2),
3) L'essai phénoménologique
La phénoménologie veut décrire les phénomènes religieux sans le moindre
esprit partisan. Elle repère les structures apparentées- Elle propose ;
Une vue d'ensemble. Cette méthodologie a un apport énorme. Déjà, elle
circonscrit la terre. Le problème est de savoir dans quelle mesure la
description d'un phénomène peut atteindre le fond des réalités ayant un
4) L'étude psychologique
Par exemple, on peiit tirer profit d'une étude de la psychologie reli
gieuse, de la, psychologie des profondeurs, des recherches d'anthropologie,
des études sur le rêve ou sur le sjnabolisme. Ces études peuvent aider à
comprendre l'être humain et à assurer un apport positif d'annlj^se et de pé
nétration, N'est—il pas intéressant de savoir comment d'autres personnes
se concentrent sur des problèmes que nous rencontrons nous-mêmes ? La re
ligion touchant les profondetu?s de l'homme, toute recherche sur la psycho
logie humaine peut avoir de l'intérêt pour l'approche des religions (2)^
(i)R. PilNIKILiR, Philosophy of Religion, pp. 224-225. Il cite Yan LER LEEIA^,
¥.B. KRISTEMSSIT, K. GOLDANNER, P. EEILSR, M. ELLilLE, G. V/ILEtTGREN, W. JMISB,
J»A, GUTTAT, Dans The Trinity and the Religions Expérience, pp. 1 -2,
l'Auteur parle de la phénoménologie comparant des phénomènes, des structu- '
res et des doctrines, mais qui ne peut remplacer une philosophie ni une
théologie de la religion. Elle serait, comme telle, insuffisante pour pro
duire une interfécondation. Dans Religione e religioni, p. 48, il ajoute .
q^ie "le phénomène religieux a une natiire plus complexe que celle d'un pur
fait historique". Ce serait aussi un fait mystique. Pour lui, on ne pour
rait se satisfaire d'une description extérieure. A ce titre, p. 45, "un
chercheur a-relgieux ne pourra percevoir l'essence des faits religieux".
Ne peut-on ajouter, toutefois, que la phénoménologie va plus loin que la
description d'un phénomène observable de l'extérieur, en matière de reli
gion, pour tenter déjà de repérer les intuitions et les démarches que le
phénomène englobe ? L'Auteur ne suppose-t-il pas une phénoménologie s'ar-
rêtant au 'fait brut ", alors qu'elle tente aussi de repérer le "coeur" de
ce fait ?
5) Le problème philosophique
Pour E. Panikkar, l'approche sociologique, l'intégration historique,
l'essai phénoménologique et l'étude psychologique ne remplissent pas les
besoins d'ime stricte philosophie de la religion (l). Celle-ci est affron
tée à des problèmes complexes et elle doit éviter des écueils nombreux,
Petit-on, par exemple, considérer comme universelles des catégories extrai
tes d'une philosophie d'une religion ? Peut—on actuellement trouver un
critère supra-culturel dans le pluralisme contemporain ? Que peut-on cons
truire à partir de ce qu'on croit constitutif de la nature humaine tiniver-
selle d'autant plus q^ie la philosophie relève de la culture plus que de la
nature (2) ? Le problème de la relation entre "philosophie" et "religion"
est-il résolu (j) ? Peut-on aussi aller loin a,vec une étude des structunes
sous-jacentes à la vie religieuse (4) ?
La philosophie devra être critique, prendre conscience de ses limites
et de ses présuppositions, veiller à prendre un sens muLticulturel plutôt
qiie de rester dans une seule sphère, tenir compte des diverses structures
d'intelligibilité et revendiquer la liberté de sa démarche (5).
La philosophie et la religion ne s'opposent pas, pour le professeur
de Santa Barbara, La vraie tension entre l'une et l'autre ne se sittie pas
entre deux rivaux mais entre deux éléments d'une seule et même démarche hu
maine, celle qui veut faire face à la préoccupation ultime de l'être hu
main (6).
Concernant le Christ, notre Auteur n'opterait pas pour une pensée exclu-
siviste sous prétexte de sauver la spécifité dti christianisme, mais il ne
prendrait pas non plus une position qui abandonnerait cette spécificité. Il
affirme l'Incarnation du Verbe et partage la théologie néotestamentaire. Il
ne rejette rien de la foi chrétienne mais il privilégie me pensée où le
Christ est le Seigneur de l'univers et la base ultime de tout ce qui existe.
Il partagerait sans doute le point de vue de Y. lîaguin lorsqu'il écrit : "Dès
le point de départ, je dois être honnête et reconnaître que je considère le
Christ comme le Sauveur ultime de l'humanité entière (3), tout en ajoutant,
comme il le.dit dans la phrase mise en exergue à notre chapitre 3, "monpoint
de départ n'est pas peut-être la théologie chrétienne comme on l'entend tra-
tidionnellement, mais plutôt une foi, une foi nue, dirai-je, dans le Christ,
dans un Christ qui n'est pas absolument identifié avec Jésus de Nazareth"(4),
Si, néanmoins, on convient que les images précitées ne sont pas sans
intérêt, si l'on pense aussi au Verbe omniprésent, peut-on pa,rler encore de
"religions non-chrétiennes" ? E. Panikkar répond ici que l'homme actuel réa-r
git contre tout paternalisme, contre tout colonialisme, contre toute discri
mination et contre le complexe de supériorité de certains Chrétiens. "Si
'chrétien' est un terme positif, 'non-chrétien' ne peut être que péjoratif".
Parler de rendions non-chrétiennes, pex conséqiient, serait à ses yeux,une
expression malheureuse sur le plan psychologique (l). Sur le plan scienti
fique, il se demande si une religion peut être un critère pour évaluer les
autres (2). Sur le plan philosophiqtie, la distinction situe dans un dilemme ;
le Chrétien croit que sa religion est la seule vraie ou il ne le croit pas.
S'il le croit, il risque de dire que les autres sont fausses ou qu'elles sont
"non-religions". Pans le second cas, il ne peut justifier, dit l'Auteur, la
division qui en deviendrait arbitraire et qui ferait du christianisme un
point de repère et de discrimination tout en niant qu'il y ait un motif
objectif pour ce choix (5). Sur le plan théologique, si l'on admet des re
ligions non-chrétiennes, soit sans référence au Christ, celiii-ci 'ne sauve
rait que peu de monde et le salut ne serait consommé que par quelques uns.
L'universalité de l'Eglise serait incompatible qvec une pensée qui ne valori
se qu'une religion. D'une part, l'Eglise a une relation sublime et particu
lière, "una relazione sublime e particulare" avec le Christ et d'autre part,
toute religion serait ordinata a Cristo, le Christ agissant en chacune (4).
Tout homme qui adhère à sa religion adhère au Christ, même s'il ne le sait
paSj et l'Eglise doit lui dire, comme• Pa^ul aux Athéniens : "ce que vous ado~
rez sans le connaître, nous vous l'annonçons" (l).
En fin de parcovirs, ra,ppelons que R, Panikkar, après avoir dépassé la
présentation des approches scientifiques des reliions (§2), envisage une
rencontre plus profonde entre elles. Dans cette entreprise, il décrit trois
attitudes observa,hles : l'exclusivisme, l'inclusivisme et le parallélisme.
Il n'en choisit aucune. Tu la complexité du problème, il use d'un langage
imagé qui ne résout pas tout mais n'en présente pa,s moins de l'intérêt. Il
voit la lumière de Dieu présente pa,rtout, il déduit que toutes les religions
sont "ordonnées" au Christ, mais reconnaît que le christianisme a une relation
"sublime et po,rticulière" avec Lui (2),
§ 4 - LE DlfiLOGTJE DIALOGIQUïï
toute chose comme non-duelle, comme n'étant pas deux avec le Seul et l'Uni
que. L'autre est dans Xa-mesiJire où il est aimé, où il est le récipient de
l'acte d'amour du moi absolu et on l'aime parce gu'il est brahman (4).
(1) E, PANIKKAR, Advalta and Blialcti, p. 299* Dans le passé, dit P. PALLON,
dans Pour •un dialogue vrai entre chrétiens et hindous, pp. 123 -124, le
dialogue a connu une évolution. D'abord, préjugés et malentendus empê
chaient toute collaboration et communion. Puis on a rêvé d'une rencon
(1 ) Dans The Trinity a,nd the Keligious Expérience, p. 5> l'Auteur insiste sur
l'importance de la tradition, sur la nécessité d'une continuité avec le
passé et d'un développement harmonieux. Sans le principe d'homogénéité,
sans une bonne connaissance de la théologie chrétienne, le chercheur
court le risque de syncrétisme, dit R. PAITIEKAR, dans La Intégration del
Pensamiento, p, 248, J,A, CUTTAT, dans La rencontre des religions, insis
te sur la nécessité de partir de sa propre religion, "sans laquelle je
n'e.urais ni connaissance ni expérience spirituelle auithentique", p, I3.
(2) R, Pi'ilJIKKAR, The rules of the ^me, pp, 51 -52.
(3) R. PMIKKAR, SÛnyata, a^nd Plêrôma,p, 91 • On retrouve aussi l'idée que
l'un des deux partenaires ne doit jas fixer les "règles du jeu" da,ns
Métathéologie ou théologie diacritique, p. 49»
(4) Le même, ce doit être autre chose qu'une coexistence diplomatique et re
lativement passive, dit-il dans Maya e Apocalisse, p, 175*
406
Nous pouvons nous demander alors quel est le statut exact du discours
de notre Auteur» Est-ce une profession de foi proprement paniléÈarienne ou
plus ' Est-ce un voeu d'-unité qu'il formule ou une voie qu'il propose ? Ne
peut-il y avoir, en effet, comme une confusion entre le but poursuivi et les
moyens choisis ? Ne s'assied-on pas, en xm sens, comme si l'on avait trou
vé la solution, comme si on était aarsivé 3.u terme, comme si tout était réso
lu, alors que, peut-être, rien ne serait résolu ?
§ 5 ~ L»HOMOLOGIE
Par exemple,
- il est difficile
^ de comparer Pieu, le Père
^ avec Brahman(l)
et une comparaison entre Isvara et le Christ "peut s'avérer non seulement
dangereuse mais inadéquate" (2). Cependant, le Chrétien appelle le Christ
le Seigneur et l'Hindou appelle, lui aussi, Isvara le Seigneur, Il y a une
différence entre "Seigneur" et "Seigne\ir" mais pas une différence telle
qu'elle transcendrait toute analogie fonctionnelle ou qu'on pourrait nier a
priori le terrain commun, pas plus que niveler tout sans nuance (5).
De même Brahman est différent de Yalwé, Le contenu de l'un est diffé
rent du contenu de l'autre. L'un ne peut être la traduction de l'autre.
Les deux termes sont, en un sens, intraduisibles, mais il est en même temps
indéniable qu'ils jouent un rôle semblable dans des contextes différents(4).
L'idée de Brahman n'est pas l'idée théiste de Dieu, mis l'une et l'autre déi-
signent l'Etre, la Vérité, l'Ultime, l'Absolu (5). On aurait tort de croi
re à la synonymie ou à l'équivalence de termes utilisés dans des cultures
différentes (6) mais on peu.t observer leur homologie, soit une analogie exisr
tentielle et fonctionnelle (= de fonction)(7)»
vaisnava, j'ai comme une foi nue qui peut revêtir différants habits. Tu me
dis alors si je te comprends bien, je te dirai ensuite si je puis concilier
ma découverte avec ma foi au Christ, Alors, ou bien j.e cesserai d'être chré
tien parce que j'aurai trouvé plus en Krsna, ou bien je pourrai établir un
» • »
lien spécial entre le Christ et Krsna,un lien que l'un des deux partenaires,
. • • •
(1) Kous supposons que le terme "expérimentation" désigne une méthode scien
tifique d'observation en vue, par exemple, d'induire une hypothèse ou
une loi mais de toute façon dans une démarche qui n'engage pas la person
ne existentiellement, ce qui la distinguerait de 1,'(expérience,
(2) R, p/\HIKK/iR, Faith and Belief, pp, 12-14, Ne peut-on se demander si la
foi peut être simplement ce risque, ce dynamisme, cette "nudité" ? Nfest-
elle pas plus qu'enthousiasme, ou "saut dans l'autre" ? Est-elle seule-
m.ent effort enthousiaste ? Ne peut-on souhaiter qu'une "sym-pathie" a
priori soit prolongée par une question a posteriori ? Ne peut-on crain
dre que certains soient tentés par une "embrassade ingénue" ? Peut-on
sans risque distinguer foi et croyance ? On peut, au moins, s'interro
ger, semble-t-il,
(3) R, PANIKKAR, Faith and Belief, p, I5,
(4) Rè PANIKKAR, The rules of the game, p, 34»
415
Tout ceci, on le devine, n'est pas sans poser quelques questions. Dans
quelle mesure,par exemple, peut-on dissocier foi et: croyance, ou ce que nous
avons appelé (au chapitre 2, paragraphe 8, sur foi et logos) le "reçu" et le
"construit" ? Quand est—on sÙr qu'en relativisant un langage on ne relativi
se pas.aussi sa visée profonde ? Une théologie traditionnelle (voir le prin
cipe d'homogénéité) n'est-elle pas plus qu'un discours rationnel mais aussi
l'expression d'une expérience de personnes et de générations de personnes
dont on ne pourrait faire abstraotion sans risque profond ? N'y a-t-il pas ;
le danger, également, de mettre en question l'idée d'un "en soi" de la véri-:
té et de dire ; "peu importe ce que les choses sont en elles-mêmes, car ce qui
importe est ce qu'elles sont pour nous" ? Sans douite, la réponse à cette
dernière question serait-elle que la vérité est toujours une vérité en
R. Panikkar sent que tout le monde n'est pas à même de réussir lone tellq
opération dialogique.. Il appelle à l'engagement et au. risqtie en théologie(1
il souhaite q^•le les religions osent affronter l'avenir (2), il afjScme qu'il
faut vaincre l'isolement et l'autosatisfaction (3) et que l'homme moderne
sait qu'il doit s'ouvrir au pluralisme (4). Il dit que le croyant quel qi^M
soit, ne peut, à cause de sa théologie, se séparer du reste de l'humanité(5)
et qu'il doit tenir compte de l'expérience religieuse de plus d'une reli
gion (é). Mais, en fin de compte, il reconnaît aussi que cela peut être dan
gereux, que tous n'en sont pas capables (7) et que celui qui croit perdre sa
foi ne peut s'y aventurer (s). Cependant, dirons-nous, ne po\irrait-on ajou
ter aussi que celui qui pratique le dialogue dialogique et repère les termes
homologiques va aussi, tôt oti tard, vouloir réaccéder à un logos clair, enri
chi probablement, mais clair, un logos logique si l'on peut dire, parce qu'il
n'est pas un meuble avec des tiroirs que l'on pourrait ouvrir et fermer, se
lon les heures et les situations et cela surtout s'il est un Occidental, ce
qui est un conditionnement important (et la liberté conas.te aussi à assumer
ses conditionnements) ? Peut—être pourrait—on alors penser à la pratique de
1'épochè, a une mise entre parenthèses provisoire des croyances propres pour
mieux communier à l'expériencefôndàmentale de l'auxtre î La chose ne serait-
elle pas une solution pour la rencontre ? Sans doute, il est difficile ou
dangereux^ à nos yeux^ d'isoler une expérience fondamentale et de la séparer de
ses médiations concrètes en dehors desquelles elle n'existe pas. Voyons ce
que l'Auteuj? en pense.
(1) R, P/iNII{EAR, The Bostonien Verities. p. 145.
(2) R, PANIKEAR, Philosouhy of Religion, pp. 237 - 238.
(3) R. PMIKEL/iR. !I!he oategorxrbf growth. p. II9,
(4) R» PANIKEC/iR, Le mx^the comme histoire sacrée, pp. 246-247. Le vrai, plu
ralisme ne serait pas de l'ordre du logos, il ne pourrait être accepté
idéologiquem_ent car il dépasse l'ordre conceptuel et le plan de l'idéolo
gie, présupposant la relativité radicale des constructions humaines. La
rencontre se situerait plus au niveau du "mythe" qu'à celui de la con
frontation des logoi,
R. PilNIKKAR, The rules of the game. pp. 27-28; Faith and Relief, p. 12.
R. PANIIŒAR, Philoâophy of Religion, p. 239.
17) R« PMIKKiiR, Faith and Relief, p. 12,
(8) R, PANIKKA.R, Faith and Relief, p. I4»
415
§ 6 - L'EPOCHE
dialectique, dans un dialogue, nous voulons par le fait même, réaliser une
rencontre avec l'humain tout entier. Il n'est pas possible,alors, d'abstrai--
re nos convictions profondes car noiis n'aurions plus l'humain tout entier.
Par exemple, si notis croyons, comme Clirétiens, que Dieu a tout créé, cela
conditionne toute notre pensée, à moins qu'il n'y ait une rupture entre no
tre "connaissance" et notre "vie". Nous déduisons, logiquement, que tou.t
est bon -y compris la matière et le corps, comme dans la Genèse- que nous
sommes établis dans le jardin comme oollaborateiars du Jardinier , dotés d'iule
mission démitirgique, de talents à faire f3?uctifier, nous déduisons que la
vie, animale et végétale, est à respecter comme un don du Créateur, et ainsi
de suite. Pouvons-nous l'oublier pour et dans la rencontre ? Snsuite, l%,u-!
tre comprendrait-il qu.e nos affirmations sur le respect de la vie, sur le
travail, sur la procréation, sur le progrès, etc,,, émergent de notre con
viction profonde en la réalité ou au mystère de la Création (l) ?
Nous voyons ainsi l'Auteur s'opposer à 1'épochè, alors que nous avions
émis l'hypothèse de 1'épochè au terme du paragraphe précédent. Il lui paraît
que cette méthode envisagée serait préjudiciable au dialogue religieux pro
fond, Celui-ci doit échapper ainsi a-u complexe de supériorité ou d'infério
rité, au relativisme, a,u réductionnisme, au minimadisme, au pa.ternalisme et
tout autant a la peur. Le dialogue doit nous aider à comprendre l'autre
avec notre foi et non sans elle (4),
Le professeur de Santa Barbara fait ici allusion à deux termes parti
culiers : le pistema et le noema. Le premier terme désigne le noyau de la
voie de devenir quelqvie chose qu'ils ne sont pas encore (l). Il faut faire
face au défi de conversion, rester sans cesse ouvert à la réalité, avoir foi
dans le passé et dans le présent, et demeurer pèlerin sur un chemin encore
vierge et nouveau pour nous (2), Le fait de notre inachèvement apparaît com
me line évidence qu'il n'est même pas besoin de démontrer (5).
Au te3mie de ce paragraphe, nor.s aurions plusieurs points à souligner,
coiîime décrivant le phénomène tandis que lui refuserait toute dichotomie per
sonnelle dans î'ihveBt'i^ticai ).
Nous nous poserons une question simple : pour R, Panikkar, qui pratique la
double obédience - chrétienne et hindoue - selon le mot déjà cité de
M. Nédoncelle, globalement, qu'est-ce que l'hindouisme ?
sacrifions nos différences, nos idées, nos conceptions et nos pratiques pour
nous laisser prendre par le silence, par l'amour, par la recherche de la vé
rité, par l'être, pour nous retrouver dans la soxirce (l)*
De toute façon, l'aspect non-dogmatique de l'hindouisme apparaît clai
rement (2), Il ne se sent pas moins comme une religion où l'Absolu est pré
sent, et donc comme une religion surnaturelle. Il ne pourrait admettre, en
aucun cas, d'être considéré comme étant "sans-Dieu" ou dans l'erreur aussi
longtemps qu'il n'aurait pas rencontré un Chrétien (5) car si Dieu est, au?-
cune société humaine ne peut être a-religieuse, indépendante ou sans lien
avec lui (4),
Face au christianisme-religion, qui repose sur des mandatés, sur des
"prophètes", sur des personnes considérées comme porteuses d'une parole ve
nue d'gAlleurs, prononcée par un "Très-Haut", fidèlement proclamée en litur
gie et transmise institutionnellement, l'hindouisme se présenterait aussi
conme marqué davantage par l'immanence que par la transcendance. Peut-on,
dirait-il, chercher Dieu en dehors sans trahir le Dieu intérieur (5) ? On
cherche l'Un, on cherche l'identité Brahman-atman, l'imEianence, l'unité, la
profondeur (6), tandis que le point de vue biblique serait pltis tourné vers
la transcendance, vers la différence entre le divin,et l'humain et vers la
recherche d'une vérité "descendue", IVIais Brahman n'est pas Yahwé, L'Inde
se passionne alors sur 1'oméga, sur l'homme parvenant à son but, sur Dieu,
sur l'être, sur le "tout en tant que tout", sur l'Un connu en tant que mul
tiple, car "le tout est toujours là" (7), On ne marcherait pas vers m îout-
Autre qui serait au-dessus d'une montagne dont on fait lentement l'ascensiori,
mais on chercherait plutôt à abattre aujourd'huii les obstacles qui nous
est mais "il deviendra xmeforae supérieure d*Hindouisme" (l) ou, connue il
le dit ailleurs; "L'hindouisme est le point de départ qui culmine dans le
christianisme" (2),
d'Eglise (l). Pour lui, le Logos, plus qu'un message, c'est Q,uelqu'un qui
se donne à l'homme, à tout homme qui pose un acte de foi et d'accueil person<-
nels sans se fonder sur la croyance des autres ou sur la connaissance d'une :
herméneutique qui ne serait pas directe (2), Ce qui est transmis, ce serait
moins \xn message que Quelqu'un * Ce qu!on reçoit par tradition, c'est d'a
bord le Révélateur, (5),
L'Eglise apparaîtrait donc comrae un mystère, soit comme une réalité en
globante, plus que comme une institution repérable et limitée. Organisme
de salut, elle n'est pas comme telle coextensive à 1'Eglise-institution vi
sible aujourd'hui. Gomme Lieu veut sauver tous les hommes -nous avions pris
ceci comme "fait primitif" panikkarien au début de notre chapitre 2 - il
donne à tous le Révélateur et les moyens de salut. Ceux-ci doivent exister
dans toutes les religions, car le Christ s'y trouve (4),
Comme nous assistons aujourd'hui à une découverte de la conscience cos
mique en évolution, cela devrait entraîner un "développement de la religion",
une croissance en Lieux, une accession à une plxis grande ma,txirité religieuse.
Le même que le Christ Jésus n'a pas voxHu mettre son vin nouveau dans les
vieilles outres du judaïsme peut-être étriqué de son temps, de même, ne pour
rait-i^an imaginer, dans le même sens, dit R, Panildcar, qu'il y aurait aujour-i
d'hui xxne nouvelle mise à mort poxxr introduire, me fois encore, du vin nou
veau. (5) ? '
ligions,
(5) R, PMIKKAR, The category of growth, p, 13é, Nous notons ici, toutefois,
que l'Autexu?, dans Rtatattva, p, 28, constatant le déclin de l'idée d'ins
titutions réglant la vie des gens, veut éviter qui'après m totalitaris
me institutionnel on tombe dans l'excès opposé. Il ne propose pas le
modèle de la souplesse asiatique car l'homme a besoin de s'insérer dans
des organismes vivants.
456
(1) Voir G., THILS, Propos et problèmes, pp. I79 et R. PANIKKAR, dans
Religions e religioni, p. 20.
(2) R. PANIKKAR, Relation of christians, p. 342,
(3) R, PANIKKAR, Humanismo y Cruz, p. 256, note 8. Il souligne aussi que
l'Eglise n'est pas seulement la hiérarchie. "L'Eglise est l'Eglise,
dit-il p. 95, et la Hiérarchie est la Hiérarchie de cette Eglise, Corps
i^ystique du Christ", organisme vivant, p. 117, essentiellement dynamique
car "toute la vie est dynamisme, activité", p. 153.
437
§ 9 - LA CATEGORIE DE CROISSAITCE
Le Christ ne sera jaraais totalement connu sur terre, sans quoi il fau
drait voir le Père. Cela étant, R, Panikkar veut écrire un livre qui soit
une étape de la recherche de l'huiûanité vers l'inconnu (l). Le Christ et
l'Esprit oeuvraient déjà avant Abraham et cela fait que le Christ eut des
précurseurs, des prophètes, dans l'alliance vétérotestamentaire, mais aussi
ailleurs, dans ce qu'on pourrait appeler l'alliance cosmique. Dès lors, il
y a une tradition à garder, multiséculaire, dépassant la tradition chrétien
ne et Juive, qui ne devrait pas déterminer l'homme vers un regard rétrospec
tif statique mais plutSt pousser "en avant le progrès des traditions humai
nes" (2), Ainsi, on en viendrait à dire que "la plénitude des temps est fon
te au.ssi des apports temporels provenant de toutes les religions" (3).
Toutes sont inachevées dans leur stade actuel d'évolution et le salut vient
par elles et en elles, mais, en un sens, il est encore à venir (4)»
Ne devrait^on pas prendre le risque existentiel d'une vie engagée dans
une orthopraxie , dans une assomption sans répudiation, dans une sjrmbiose
sans syncrétisme, où l'honme partagerait les expériences originales réali
sées dans les traditions chrétiennes, laïques, hindoues et bouddhiqxies (5)
sinon dans toutes les autres traditions, afin que les hommes pèlerins et tou
te la terre se rencontrent dans la croissance (6) ?
Nous partons ici à la découverte de ce que notre Auteur appelle la ca
tégorie de croissance. Bien des thèmes panikhariens nous y ont préparés.
Le "fait primitif" panikkarien est la manifestation universelle de Dieu,
qui n'élimine pas le caractère inépuisable de l'Absolu, La perception exis
tentielle du monde comme non-fini engendre la soif de connaître celui qu'on •
ne peut voir "que de dos", mais Dieu ne serait pas absent ni extérieur dès
le début du cheminement des âmes vers leur plénitude et leur accomplissement.
(1) R, PARIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p. 18,
(2) R, PAiriKKAR, Le mystère du culte, p, I7,
(3) R» PARIKECAR, Le mystère du culte, p, I50,
(4) R. PARIKKAR, Das erste Bild des Buddha. p. 378. Dans le dessein de Dieu,
dit l'Auteur, dans Religione e religioni. p. I30, toute religion a un as
pect eschatologique, est ouverte à la conversion, à l'approfondissement,
au lieu d'être un système clos ou un organisme statique,
(5) R. PiHIBXAR, Philosophy as Life-Style, pp. 200-201,
(6) R, PARIKKAR, Los dioses y el Senor, p. 131,
459
Nous avons vu aussi la foi a,pparaîta:e comme question, comme acte, comme
dimension constitutive de l'homme, comme un dynamisme d'ouvertrire vers la
transcendance et pas seulement comme orthodoxie ou comme logos théologique.
Ainsi, le corps de Prajâpati, démembré par la faute originante ou le sacri
fice primordial du Purusa, est appelé à se remembrer par la réunification des
éléments éparpillés dans les cultures et dans les religions du monde. Le
tout est appelé à culminer dans une vision oosmothéandrique où rien ne serait
isolé de l'ensemble, ni la science de la philosophie oxx de la théologie, ni
la théologie de la mystique, ni une expérience religieuse d'une autre intui
tion fondamentale. Le cosmique ne serait pas coupé de l'homme, ni l'homme
de Dieu et du cosmos.
Tout homo rellgiosus semble déjà achïiettre un salut, un sauveur, une finali
té et la recherche a déjà réalisé des progrès appréciables (l).
Ensuite, il faudrait une théologie de la, religion. Cette théologie de
la religion ne devrait pas être la théologie d'une religion particulière.
Elle ne serait pas une théologie oubliant la dimension planétaire de la réa
lité, Elle ne serait pas tournée setûLement vers un passé particulieri II
est capital, au contraire, d'avoir une expérience interne des autires reli
gions qui dépasserait la phénoménologie des religions, laquelle est nécessai-j
re mais ne serait et ne pourrait être un substitut d'une théologie de la re-» '
ligion (2), Les religions, en effet, ne sont pas purement objectivables et
il importe de les expérimenter de l'intérieur, en un sens croire à ce qu'elles
disent, à ce que croient leurs croyants, car la croyance d'un croyant appar
tient à la religion (3). Cela évite les extrapolations, des jugements, des
comparaisons superficielles et la survivance des cloisonnements, L'Auteur
voudrait donc qu'on n'expérimente pas les religions "comme des rats ou des
plantes", comme il le dit, mais qu'on accède à l'expérience interne des au
tres religions que celle dans laquelle chacun est né. Il est possible, pour
lui, d'intégrer plus d'une religion,. Le même que les génies religieux de
l'humanité ont pu "fusionner" plus d'un courant religieux, de même cela se
rait encore possible aujourd'hui sans que chacm devienne poiar autant un
(1 ) Nous avons ailleurs résumé la recherche sur le nom des médiateurs, sur les
avantages et les inconvénients des termes "Christ" et "Logos", sur le ter-
meplus commode de "Seigneur". Nous renvoyons aussi nos lecteurs aux pa
ragraphes sur l'homologie, la religion et le dialogue dialogique. On ne-
peut ignorer non plus toutes les recherches sur les mythes, les croyance^
les rites et les symboles des religions. Les différentes approches scien
tifiques commencent ainsi à accumuler des données multiples, va,:ï^es;, sé
rieuses et précieuses,
(2')) R, PANTKKAR, The category of growth, pp, 131-152,
(3) Ne peut-on se demander si cela est possible ? Nous avons déjà fait re
marquer aussi que la phénoménologie veut être plus que la description
d'un fait brut et rejoindre 1'intentionnalité plus profonde. Cela nous
amène—t-il, pour autant, à croire à ce que l'autre croit et dit ? Quel
serait,ici, le sens du mot "croire" ? Le plus, ne peut-on se demander où
se situerait exactement la différence entre la théologie et la phénoméno
logie ?
443
(1) E, PAÏÏIKKAR, The categoiy of growth, pp* 137-158, P, EALLON fait remaiv-
quer, dans Pour un vrai dialogae entre chrétiens et hindous, p, 116, que
l'hindoiiisme est déjà habitué aux interfécondations et aux osmoses dont
le professeur de Santa Barbara parle régulièrement en soulignant que le
christianisme n'échappe pas historiquement au phénomène,
(2) R, PANIKKAR, Le temps circulaire, p, 207,
(3) R, PANIKEAR, Le culte et l'homme séculier, p, 45*
(4) R» PAMKKAR, The rules of the garae, pp, 2-7-28,
(5) R, PAïïIKKAR, Le culte et l'homme séculier, p, 45»
(6) R, PAMÎŒAR, The category of growth, p, 137,
(7) R, PARIKKAR, The category of growth, p, 158.
445
L'Auteur considère aussi que cette rencontre ne peut pas être seulement
un symposium théologique. Le théologien n'est-il pas plus occupé, en effet,
à expliquer un donné plubôbqu'à pratiquer l'exploration ? La rencontre pré
conisée ne pose-t-elle pas aussi un problème nouveau auquel les outils théo-
logiques actuels ne seraient pas adaptés ? Si nous nous rappelons la tension
"prêtre-prophète", la rencontre ne devrait-elle pas avoir un"charisme pro
phétique" (4) ? La rencontre,qui serait d'un type nouveau, ne devrait-elle
1) une foi qui désigne "une attitude qui transcende le simple donné, et les
formulations dogmatiques des différentes confessions" -soit aller vers
une rencontre où l'on aborde plus des réalités que des systèmes et où
l'on baigne dans le domaine essentiellement religieux (3);
2) une espérance qui opère contre •tout espoir, qui peut vaincre les obsta
cles et les limites de notre faiblesse ainsi que les variétés devue pro
fanes et qui agit "comme venant d'en-haut pour accomplir un devoir sacré"j
3) un amour qui serait une force nous poussant vers nos contemporains pour
'découvrir en eux ce qui manque en nous", un amour authentique qui ne cher
che pas une victoire et qui est passionné de vérité, "Il nous pousse à
la reconnaissance commune de la vérité, sans ignorer les différences ou
4) Dieu veut le salut d'e tous. Il n'y a pas de salut sans foi mais ni le
salut ni la foi ne sont le monopole soit des Chrétiens, soit d'un groupe
particulier quel qu'il soit,
5) Les moyens qui mènent au salut existent dans toutes les religions, car
tout homme de bonne volonté suit une religion particulière parce qu'il
croit qu'il trouvera en elle l'accomplissement ultime de sa vie.
(1) R, PANIICKAR, The rules of the game, p, 55. Voir aussi le Christ etlMn-
douisme, p, 52,, On peut apprécier l'appel optimiste de l'Auteur, mars
est—il un voeu personnel de sa part au davantage un procédé résolvant
les problèmes ? Un voeu ? Certainement, Un procédé résolvant tout ? Ce
n'est pas évident, nous semble-t~il. Pour qu'il y ait la symphonie, il
faut tout de même des partitions,
(2) Nous devrons nous demander, dans notre chapitre 6, si le Logos est à
l'oeuvre partout identiquement, ce qui n'est pas un problème nouveau en
théologie. Pensons à toute la théologie'du Logos,
(3) On peut évidemment se demander de quelle Eglise il s'agit. Purement spi
rituelle ? Mystère déjà incamé ? Peut-être faudrait-il parler plutêt
du Corps iy^stiqvie ?
448
6) Le Christ est le seiil médiatetir mais en étant présent dans chaque reli
gion authentique, quels que soient sa forme et son nom (l).
(1) Mais quel est, d'une part, le sens d'.une médiation du Christ invisible et
inconnue de ceux qui ignorent le Christ et d'autre part, le sens de la
médiation visible de Jésus—Christ ? Questions normales posées par les
Chrétiens,
(2) R, PANIKKAR, The rules of the game, pp. 36-37,
(3) R, PAîIIKKAR, The Hindu Ecolesial Consciousness, p, 202,
(4) R. PAITIKKAR, La presenza di Dio,. pp« 30-51.
(5) R. PANIKKAR, Le Christ et l'hindotiisme, p» 25.-
(6) R, PANIKKAR, La faute originante, p. 69,
(7) Intervention de Raymundo Panikkar dans Christus und Indien, p. 128,
(s) R, PAi^TIKKAR, Indology as a cross-cultural catalyst, pp. 178-179, C'est
le thème de la mort e-t de la résurrection des religions, y compris Itiindcuii
me, dont l'Auteur nous a déjà parlé. Voir aussi Los dioses y el Seïîor, p, 1
449
(1) Par exemple, R,. PMIKEAR, The Eostonian Verities, pp. I48 - I5I,
La philosophie de la religion,, p. I97, ou Epochè, in the Religious
Encounter, p. 47. Sur le christianisme "importé" par les missionnaires
voir Kerygma und Indien, pp. 19-27. ,
(2) R, PARIKKAR, Rtatattva : a Préfacé to a Hindu-Christian Theology,
pp. 6-63.
(5) J.C, ÎIANALEL, Editorial, dans Jeevadhara, 49, 1979, PP. 3-4.
451
son approche du mystère, et, parce que l'homme devient l'explorateur d'un
nouveau chemin, la théologie "hindoue-chrétienne" lui est vitale (l)«
(1) Ceci nous semble exprimer clairement l'option prise par le professeur de
Santa Barbara et que nous avons soulignée régulièrement,
(2) R. PAHIKKAR, Rtatattva, p. I6,
(3) R. PAIÎIKKAR, Rtatattva, p. 23. Sur les interfécondations dans l'histoire,
voir aussi Religions e religioni, pp» 176-180,
(4) Ce qu'il appelle une identico nucleo, dans Religions e religioni, p, I7,
455
L'Autem: propose l'image des cartes. Poiu? un même territoire, des car
tes varient. Elles ne sont pas dressées à la même échelle, pair exemple.
Les unes sont globales ou générales, les autres limitées et précises.
Certaines donnent les fleuves et les reliefs, d'autres indiquent les routes
et les localités. Toutes parlent du même territoire. Elles peuvent être
différentes mais cela ne prouve nullement qu'il ne s'agit pas du même terri
toire, de même qu'une mélodie identique peut être transcrite sirr portées
avec des clés différentes (6). L'Auteur voudrait, par ces comparaisons,
souligner la flexibilité et la relativité des orthodoxies . Chaque religion
fournit une orthodoxie, soit une carte ou une partition musicale, mais le
territoire des religions n'est pas identifiable aux cartes proposées aux
hommes pour leur pèlerinage.
Nous pouvons nous ouvrir aux croyances des autres au point qu'elles
nous paraissent crédibles quand nous les intégrons dans nos catégories, \3ne
fois que celles-ci se sont élargies.
(1) L'Auteur signale toutefois que l'hindouisme comme religion n'est pas à
identifier avec la doctrine de l'advaita, voir Religione e religion!,
p. 83,
(2) Nous renvoyons ici à notre paragraphe sur l'homologie dans le présent
chapitre. Dans Spiritualita indu, p, 10, E, PAEEKKAR note que la base
commune entre la spiritualité chrétienne et celle des autres religions
"est encore un terrain vierge pratiquement et à explorer",
(3) E, PADIKKAR, Etatattva, p. 46.
(4) E, PANIKKAR, Etatattva, p, 58, Cela ne signifie pas toutefois, à nos
yeux, que tout soit résolu. Les comparaisons entre l'Inde et la théolo
gie trinitaire chrétienne nous laissent personnellement sur notre faim.
Les auteiors ne prennent du reste pas tous le même point de départ. Il
serait hasardeux de partir de la Trim^ti (Brahma, Siva, Yisnu), Déplus,
certains s'inspirent du Saccidânanda (H, LE SAUX par exemple),et d'autres,
de la réflexion sur Brahman et I^ara (comme notre Atiteur),
459
CONGLÏÏSIONS
Une première donnée qui peut frapper le lecteur et qui nous semble im
portante est que personne n'est appelé à se renier en vue du dialogue entre
les homines religiosi. Etre ce qu'on est, sans démission ni répudiation.
Nous avons une foi ? Soyons-y fidèles,dit l'Auteur, Nous vivons dans une
tradition ? Ehtretenans-la. Nous grandissons dans un monde particulier qui,
a sa théologie ? ï?aisons-en l'étude. Nous possédons nos croyances ?
Approfondissons-les et réconcilions sans cesse:• le connaître et le vivre.
Nous adhérons à une religion ? Que notre fidélité soit solide et notre com
portement conséquent. Le principe d'homogénéité a grande valeur. Accordons
notre attention, donc, à l'histoire du topos qui nous a engendrés, observons
l'évolution de ce milieu éducatif à travers les siècles, étudions nos Ecri-
tures et le tradition qui les a portées jusqu'à nous. Soyons pleinement ce
que nous sommes. Osons le dire, osons nous dire. Refusons l'épochè puis
qu'elle apparaît psychologiquement impraticable, phénoménologiquement inap-:
propriée, philosophiquement défectueuse, théologiquement faible et religieux
sement improductive. Osons mettre carte sur table dans le dialogue et soyons
assez clairs pour que l'autre puisse rejoindre notre pistema comme nous ten
tons de repérer le sien. Nous ne pratiquerions pas le dialogue en laissant
l'autre monologuer.
Une deuxième donnée est que, si nous monologuons, l'autre ne peut dia
loguer avec nous. Tenir à ce qui, pour nous, est l'ultime et le faire sans
aucune démission , sans la moindre restriction mentale ni aucune mise entre
4él
Conscient que tout homme de honne volonté est engagé dans une même
expérience d'être, cet homme sent avec les autres comme un début de "commu
nion mythique". S'il ne jjartage pas les pré suppositions des autres, s'il
n'adhère pas à toutes leurs croyances, s'il n'adopte pas totis leurs compor
tements, il sait déjà que tous marchent sur le même chemin^ L'Hindou, le
Musulman, le Chrétien, le Bouddhiste et le îlarxiste pourront peut-être re
connaître cette expérience, ce cheminement semblable, si on demande leur avis,
Tous partent de leur predicament, recherchent un accomplissement,partagent
un dynamisme profond, rêvent au bonheur, luttent contre les obstacles, s'en
gagent personnellement, vivent de convictions personnelles, ont le culte de
de la vérité, recherchent l'authentique, voient leur vie modifiée par ce
quelque chose ou par ce Quelqu'un qu'ils cherchent, adhèrent librement à leur
démarche et sacrifient leur silence pour une parole vraie. Tous perçoivent :
un jour la relativité du langage de leirr milieu et sentent qu'une croissance
est possible dans la rencontre, dans la perception des homologies et que
leur expérience gagne à être fécondée par l'expérience des autres. Tout ce
la est possible, pense R, Panildcar, et les hommes de bonne volonté pcurront
peut-être le reconnaître un jour, dans leur "soliloque intra-personnel",
(l) R, PMIKICAR, dans The Trinity and the Religions Expérience, p, 2, recon
naît qu'il s'embarque dans une "soliloque sincère", qu'il joue sa
"partition" mais en vue d'une possible symphonie.
CHAPIîRIC VI
poims DE REPEPiES
4é6
lîITROLUCTION
Bien des penseirus intéressants ne sont donc pas abordés (l). Bous ne
proposons pas un savant traité sur le dialogue en général entre l'univers
hindou et le monde chrétien où il faudrait faire la recension de toutes les
expériences de rencontre dans les ashrams ou ailleurs, ainsi que procéder à
l'analyse d'une littérature actuellement immense. Bous ne verrons pas non'
plus des traûtés comparatifs même intéressants (2),
En accord avec R, Panikkar, nous avons porté notre attention sur trois
thèmes majeurs de sa recherche ; Dieu, le Christ et le culte. Bous avons
débouché sur la description de sa réflexion sur le dialogue intra-religieux.
Le sujet précisé, les perspectives clarifiées, nous nous proposons, dans une
nouvelle démarche, de situer la pensée panilckarienne en regard d'autres re-,
cherches, et, ici aussi, un choix s'impose, avec les sacrifices liés au fait
même de tout choix, •
(1) On peut penser, par exemple, à RAM MOHAM ROY, KESHAB CHABDRA SEB, SRI
RAMAKRISHBA, S^/ZAMI VIVEKABAKDA, MAHATMA GABDHI, SARYEPALLI RADHAKRISHBAB,
K, SUBBA EAO, BRAMABABDHAB BPABDHYABA, APPASAMY,- CHEBCHIAH, CHAKKARAI,
MARK SHBDER EAO, P.D,. DEVABABDAB, H, LE SAUX, J, MOBCHABIB, '
K» KLOSTEEMAIER, J,A, CIJTTAT, ,etc. Sur la vision hindoue du Christ,
R«,PABIKKAR, dans Maya e Apocalisse, donne une bibliographie pp. 377 - 378.
(2) Par exemple, R, DE S^ŒJT et J, BEUBER, La quête de l'Etemel,
468
Nous prenons ces trois points de vue pour mieux situer la pensée panik-
karienne à l'intérieur de l'immense recherche actuelle réalisée par le chrisr
tianisme et, plus particulièremen•t^pea^^catholicisme.
469
religieiTE (n° 43 à 47)j tous appelés à la sainteté (n° 39 à 42) et marchant '
vers la plénitude eschatologique (n° 48 à 51 )•
(1) La recherche de l'unité entre les Chrétiens a donc pour motif notamment
l'évangélisation des non-chrétiens. Voir G, THILS, Le décret sur l'oe-
»• • III I
(1) Notamment par la recherche sur l'Un et le multiple, sur l'Un en nous,
sur le Moi profond, sur "l'identité" avec Dieu, différente toutefois,
en Inde, de notre intimité (du Je) avec Dieu (le Tu)»
(2) On pense ici au karma-yoga* (bien qu'il connût une évolution),
(3) Ceci fait allusion au jnâna-yoga*«
(4) C'est le chemin de la bhakti *. On pense particulièrement à Ramânuja et
à la Gitâ,
(5) G, THILS, dans Le décret svir l'oecuménisme, pp. 83 -84» montre qu'on ne
peut oublier l'oeuvre de l'Esprit dans ceux qui ne sont pas catholiques,
une oeuvre qui peut nous enrichir et nous aider "à faire atteindre plus
parfaitement le mystère même du Christ et de l'Eglise", J, MSSON, ré
fléchissant sur les implications du dialogue dans Dialoguer ; comment ?,
pp. 146-160, invite à reconnaître l'autre comme un égal, à ne pas per
dre chacun sa propre foi, à développer une connaissance mutuelle et à
relever les points communs déjà existants.
475
ohez les autres (n° 2) (l), "Le devoir de l'Eglise, dans sa.prédication, est
donc d'annoncer la croix du Christ comme signe de l'amour universel de Lieu
et comme source de toute grâce" (n° 4)«
Puisque Lieu est le Père de tous les hommes^ les Chrétiens auront donc
le souci de s'opposer aux théories et aux pratiqties discriminantes quant à •
la dignité humaine et aux droits qui découlent de celle-ci (2),
(1) G, THILS, dans Les religions non-chrétiennes, pp. 16-17, rappelle que
toutes les religions, y compris le christianisme, ont leurs imperfec
tions, mais que, dans les religions non-chrétienn^il en est de plus
grandes qui apparaissent quand on voit "tout ce qui manque à ces reli
gions lorsqu'on sait ce que le Christ a voulu pour sa religion, le chris
tianisme" : doctrines incomplètes, rites cultuels qui n'équivalent pas
à nos sacrements, sacrifices qui ne peuvent rivaliser avec l'Eucharistie,
révélations lacunières. S'il y a donc, p.20, "un dessein universel de
Lieu pour l'humanité et une 'voie universelle' du salut, il reste néan-;
moins qu'il existe un ordre "normatif institué par le Christ pour le
temps de l'Eglise, Et les bienfaits spécifiques de l'économie sacramen-
taire ne seront jamais partagés par ceux qui n'ont pas reçu le Baptême",
Ceci dit, on peut faire valoir, à côté de l'alliance avec Israël, une air
liance universelle, une alliance en Adam et Noé, "alliance qui concerne"
le destin religieux de toute l'humanité"et que cette tendance théologi
que, en elle-même, n'est ni de l'indifférentisme, ni une théorie de
l'équivalence des religions, ni du syncrétisme,
(2) Comme dit A,M, HEKEil, dans l'Introduction à Nostra aetate (Unam Sanctam),
p, 12, Vatican II montre une Eglise qui ne cherche plus à vaincre ni à
absorber les autres religions mais à les connaître et à les comprendre,
"Toutes les cultures du monde se rencontrent, elles se doivent le respect
et la considération". Tous les pays, p, 15, sont "en voie de conversion"
et le Chrétien ne devrait pas opposer ceux du dehors et ceux du dedans,
car en un sens, "le monde entier apparaît comme le "dedans* de l'homme
chrétien", îlais le dialogue n'est pas dmple, toutefois, comme l'analyse
de E, JUGUET, dans Se faire conversation, pp, 24I-256, Parlant du Père
MONCHMIN, P,R, GREF, dans Une patience géologique, écrit :"Le\3x univers,
sans communication possible : tel fut le drame d'un grand spirituel,
l'abbé Manchanin, qui avait voué sa vie à la connaissance de l'Inde-
plus, à la communion avec elle. Or, plus il va dans ce sens, essayant
de se faire indien avec les Indiens, plus il perçoit le mur qui les sé
pare" ,
474
Ils veilleront à éviter toute vexation opérée envers les hommes en raison
de leur race, de leur couleur, cte leur classe ou de leur religion (n° 5)«
(1) Nous croyons devoir attirer l'attention sur le terme "subsiste" préféré
au terme "est".
47T
3. Quel est le lien des religions avec l'histoire universelle du salut et avec
la révélation universelle ?
5) et que le salut vient du Christ seul, ce qui crée un problème dans les re
ligions où la grâce de Dieu est à peine esquissée et où, par conséquent,
on risque davantage de s'en remettre aux oeuvres légales et aux imperfec
tions rituelles (2),
prepaxatio evangelioa, thème riche mais complexe (l)« h^autres ont vu la ma-^
nifestation d'vine opposition institutionnelle au Royaume, Une autre possi
bilité encore ; occasionnellement et pour un temps, les religions pourraient
être des instruments de Dieu, en ce sens qu*à travers elles. Dieu ;Jugerait
la religion juive-chrétienne, la secouerait, la rappellerait à l'ordre,
"On ne peut excl"ure cette possibilité" dit Mgr. Thils (2),
Par ailleurs, on pourrait chercher également un fonds commun. M, Eliade
proposerait de s'informer à partir de la situation anthropologique de l'hom
me parce que "ces substructures conduisent les hommes à se former uniformé
ment les mêmes représentations sjnnboliques fondamentales" (5), les archétypes
engendrant les symboles et se retrouvant dans les mythes et les rites reli
gieux.
(1) J,A, COTTAT, dans Introd, à Inde, Israël, Islam, pp, 20-22.
(2) J,A, CTJTTAT, dans Introd, à Inde, Israël, Islam, p, 22, L'Auteur ren-
voi-e ici à son ouvrage The oonsrergent Mnd : Towards à Dialecties of
Religion,
(3) J» A, CUTTAT, dans Introd,. à Inde, Israël, Islam, p, 59,
(4) J,A, CUTTAT, dans Introd» à Inde, Israël, Islam, p, 59.
(5) R.C, ZAEm^, Inde, Israël, Islam, pp. 72-81, R, PANIKKAR dans Religions
e religioni, compare aussi deux tendances dans l'esprit religieux, l'are
plus portéevers la transcendance (pp. 29-32), l'autre vers la vie inté
rieure, l'immanence et l'introspection (pp, 28-29),
490
félicité (5);
- la vérité est une et indivisi - la vérité a plusieurs aspects,
ble; elle peut être regardée sous dif
férents angles;
Ainsi, dit R,G, Zaehner, "Israël et l'Inde sont les 'tjrpes' de toutes
les grandes religions" et un problème jaillit dans le dialogue entre ces deux
mondes, à savoir "l'étemelle pierre d'achoppement, Jésus-Christ, qui préten
dit être le Eils du Très—Haut" (l)» Nous y reviendrons, avec l'Auteur, dans
le troisième point de ce paragraphe.
(l) R,C, ZAEHNER, Inde, Israël, Islam, p, 81, Nous n'aborderons pas ici les
considérations du professeur d'Oxford sur l'Islam ni sur Zarathustra.
Yoir J,A, CUTTAT, La rencontre des religions, p, 20,
495
(1) R,C, ZAEEŒIER, dans Inde, Israël, Islam, p. 225, observe que la Cita ne
se présente pas comme révélée par ira Dieu situé hors de l'homme. Elle
constitue plutôt une révélation de ce qui est latent dans l'homme". Il
explique, p, 268, que le souci de l'Hindou de réaliser l'expérience d'ain
mode d'être étemel plus que d'une rencontre avec, un Toi étemel et oljec-
tif ne pousse pas la pensée à sentir l'utilité du prophétisme. Ce qui
peut paraître une force de cet univers hindou peut aussi être un aspect
incomplet,
(2) R.C. ZAEI-MER, Inde^ Israël, Islam, pp. 199-200,
(5) R.C, ZAEIiHElR, Inde, Israël, Islam, pp, 201 -202, Comme se le demande
R, GIRAULT, dans Croire en dialogue, p, 69, 1'lïide a-t-elle le sens de
la création, celui de la communion avec Dieu et entre les hommes, et
développe—t—elle •une théologie des réalités terrestres et de la montée
humaine avec ses aspects techniques ?
(4) R.C, ZAEHNER, Inde, Israël, Islam, p, 246,
(5) R.C, ZAEtlîIER, Inde, Israël, Islam, p, 267,
(6) R.C, ZAEHNER, Inde, Israël, Islam, pp, 284-285,
496
(1) J.A, GUTTATj La rencontre des religions. p« 3T,, L^Auteur établit une dis
tinction entre "intériorité" et "introspection" ainsi qu'entre "contem
plative" et "psychologique".
(2) J.A. CUTTAT, La rencontre des religions, p. 39,
(3) J.A». CUTTAT, La rencontre des religions, p. 40.
(4) Le Christ est "l'union totale de la pleine intériorité et de l'absolue
transcendance" dit CUTTAT, dans La rencontre des religions, p. 44»
(5) J.A, CUTTAT, La rencontre des religions, p. 44,
(6) J.A, CUTTAT, La rencontre des religions, p. 45.
(7) J.A, CUTTAT, La rencontre des religions, p. 46.
(e) J.A. CUTTAGJ, La rencontre des religions, p. 75-74.
(9) J.A, CUTTAT, La rencontre des religions, p, 75,
499
CM
00
des points de vue purement subjectifs dépourvus 00COde 'données' objectivement
connaissables" (2), Le cliristianisme, alors, présente un aspect nouveau et
unique. En Christ, "la présence objective d'un être pleinement humain est
la clef et la porte de ce qui est pleinement divin" (3), Christ est la voie,
est la vérité. En lui, la transparence du visible A l'Invisible est Infinie,
La foi dans le Christ "devient la faculté d'entrevoir, à travers un autre
homme, la réalité vue par Lieu et -dans les limites assignées à la créationr
Lieu lui—même tel qu'il Se voit, et ce, par le seul acte de regarder parles;
yeux du Christ, de contempler 'avec' Lui" (4),
Ainsi, l'homme parle d'une Yoie innaccessible et d'un Nom indicible pai;
nature, même pour les plus hauts des contemplatifs, mais le Verbe, en s'in- •
camant, les a rendus "cheminables et articifLables par grâce, même pour le
moins doué des humains" (5)* La volonté de Lieu qui vient vers l'homme dans
le Verbe incamé rend possible ce qui ne l'est pas à la volonté de l'homme
s'élevant vers Lieu, L'Incarnation "comble et suimonte les plus profondes
intuitions extra—chrétiennes" (6), Si, d'une part, l'Orient nous rappelle
notre vocation "naturellement surnaturelle" (7), le Christ enseigne à l'hu-.
manité, par exemple, que l'Absolu divin est personnel. Le Christ, par sa
résurrection, restatœe notre corps comme temple de l'Esprit, comme enceinte
de l'intériorité et comme ouverture à la transcendance (s). Le Christ,dans
la logique de la tradition juive, rappelle l'auto-révélation de Lieu comme
Personne, non comme Léité impersonnelle (9) , Il proclame l'homme créé
CONCLUSIONS
(l) L'Auteur sait aussi reconnaître que l'alliance avec Israël est unique,
tout en ajoutant que Dieu peut agir à travers des traditions religieuses
différentes. Voir R, PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 1é9, Il
sait qu'Israël a un privilège et une place particulière qu'il ne veut
pas minimiser. Voir The Trinity anà the Religions Expérience, p, 25 ,
Il distingue "1'automanifestation divine en Jésus-Christ" et le révéla
tion hindoue qui serait davantage le fait d'une illumination interne liée
à la médiation de la sruti. Voir Spiritualita indu, p, 56,
503
R.C. Zaehner, ensuite, a proposé une distinction claire entre les reli
gions mystiques et les religions prophétiques. Cette clarté complète les
approches de G, Thils et cela nous aide à mieux repérer les racines hindoues
de R, PaniKkar qui expliquent beaucoup de ses idées coupe ;
12) le fait, qui ne va pas sans un certain flou dialectique, de créer des néo-
logismes (comme "ontonomie","orthopraxie", "homologie" "dialogue dialogir
que", "théologie hindoue-chrétienne") ou de changer le sens de certains
termes qui nous sont familiers (comme "Eglise", "catholicité", oommunicatio
in sacris, "sacrement" etc).
Ceci étant dit, il serait trop simple de dire que R, PaniKkar est hin
dou, donc comme on ne peut affirmer ; "Untel est écossais, donc il est-
avare", Si les racines hindoues de notre Auteur sonbrepérables, il faut
504
Certains seront négatifs, avec une certaine dureté (l)« D'autres reconnaî
tront que le professeur de Santa Barbara n'a pas une pensée révolutionnai
re (2), D'autres encore, prudents, se poseront des questions (3)* Sans en
trer déjà dans les conclusions générales de notre travail, nous voudrions
proposer ici quelques considérations,
retrouvej bien que sous des formes diversesy dans les religions dites a^ra-»
hamiques, et, principalement pour nous, dans le catholicisme.
D'autre part, il est normal que quelqu'un qui, tout en étant chrétien,
comme R. Panikkar, connaît de près la vie religieuse multiséculaire de
l'Inde, soit frappé par la richesse des rites, des mythes, des expériences
mystiques, des symboles, des recherches philosophico-religieuses, des livres
hindous et de la sainteté de l'Inde. Dieu ne demande à personne d'être aveu^r
gle ou de mauvaise foi. Il est normal que ce croyant mette 1'accent sur
l'universalisme d'une certaine révélation et d'un certain salut, sur le Logos
qui ne parle pas seulement par Jésus de^''^zareth (ce que son milieu n'esrb
pas encore entièrement disposé à accepter bien que l'attirance de l'Inde vers
le Christ soit connue), suc le sacerdoce universel de Melchisédech et du
Christ Seigneur, sur l'alliance cosmique, adamique ou noachique, sur le fait
que nulle religion n'est purement naturelle, sur l'omniprésence active de
l'Esprit, sur la valeur religieuse profonde du Yeda, sur l'intérêt des re
cherches d'intériorité, d'intuition mystique et d'expérience religieuse au
thentique en Inde (notamment), sur le refus de colonialisme des uns par rap
port aux autres, sur les qualités et les exigences, sans en oublier les dif
ficultés, d'un dialogue qui peut s'ouvrir entre la tradition chrétienne et
l'hindouisme. Il est compréhensible que cet homme ne soit pas porté à partir
des spécificités du christianisme, sans toutefois pouvoir dire qu'il les re
nie ou qu'il les tait, de même que les héritiers de la, seule tradition juiye—
chrétienne ont souvent misé unilatéralement sur les spécificités légitimes
de leur foi au risque souvent —les exemples ne manquent pas— de verser daps
l'exclusivisme, dans l'intolérance, dans l'ignorance des autres, avec un com
plexe de supériorité et de conquête, menés par un certain unilatéralisme de
leur logique propre.
Tertullien sont des grands noms mais sont-ils complets ? Sont-ils tous
indemnes d'ambiguïté voire, parfois, d'hérésie ? On se réfère pourtant à
eux, on les cite, éventuellement cum grano salis, mais aussi respectueuse
ment, parce qu'ils ont leur message, leur intuition, leur sagesse propre, j
parce qu'ils sont des jalons. Thomas d'Aquin, malgré son équilibre et son
prestige, échappe-t-il au phénomène ? Pe^it-on être aveuglément thomiste,
aristotélicien, platonicien ou plotinien ? Certes non» Il n'existe pas de^
système imrfait. Chaque grand penseur dépose une parcelle de vérité. Il
est un chaînon dans la démarche du Geist. Notre Auteur aussi. Il est un
moment du Geist, un chaînon, quelqu'un qu'on citera, qu'on nuancera mais
qui, nous le croyons, fera date dans la recherche.
SYNTHESE ET CONCLUSION
Le Christ est donc sarx, même si l'Auteur n'insiste pas autant que saint
Jean sur le egeneto ou sur le eskènôsen, même si l'Auteur ne met pas l'accent
sur les conséquences, déduites dans la théologie chrétienne, de 1'identifica*
tien entre Logos et Jésus, sans toutefois nier cette identification , comme ;
nous l'avons vu.
1, H, Panikkar valorise la relation entre les deux grands pôles plus que
la distance. Nous avons régulièrement perçu me métaphysique sous-jacente
517
Comme telle, 1'orthopraxie englobe tout l'agir humain en tant que géné
rateur, de coimnunion entre tous les hommes et avec le cosmos. Elle s'exprime
dans l'aide aux pauvres, dans la réconciliation fraternelle, dans les arts
et la recherhce du beau, dans le repas, la danse, la fête, l'amitié, dans la
lutte pour améliorer le sort des hommes, dans une convergence morale déjàgra,n-"
de entre les différentes religions.
Elle s'incarne dans des actes vivants, ressentis comme naturels, posés
par des êtres purs, manifestant une fraternisation entre tous, car il n'y a
pas de "sans—Lieu" ou d'êtres purement nat\irels. Les gestes sont; posés, des
symboles sont" utilisés. Ils ont valeur en soi. Ils accompagnent des actes
intérieurs. Ils sont compatibles avec des orthodoxies différentes, exprimées
dans des nigriques , mais elles doivent toujours tendre à la sincérité et à
1'authenticité,
3» L'Inde propose à l'homme une dimension mystique. Elle connaît une spiri
tualité de tj'pje personnaliste dans plusieurs de ses mouvements et de ses li
vres sacrés. Elle propose aussi une spiritualité d'un autre type, qui nous
est peut-être moins familière.
5i9
Le son, la parole, le mantra, les hymnes sont essentiels. Ils sont les
véhicules de l'intériorité. L'action n'est pas dévaluée mais enrichie parce
que, par la méditation, tout est "con-centré" et nous émergeons comme coopén
rateurs du divin.
A cette fin, il faudrait que les règles du jeu ne soient pas données
seulement par une des parties en présence, La croisade prendrait fin. Le
complexe de supériorité disparaîtrait et, avec lui, l'exclusivisme intolé
rant, l'inclusivisme orgueilleux, le parallélisme comparatif et juxtaposant,
le colonialisme conquérant, mais sans pour autant qu'on puisse verser dans,
le syncrétisme amorphe ou dans le relativisme néantisant.
Avec un sens profond du sacré, dans un univers qui lui apparaît auréo
lé d'une structure sacramentelle, riche de la présence active du Révélateur
vivant, l'hindouisme conduit l'homme au repos dans le Fondement, au silence^
à l'intériorité, à l'expérience mj'-stique. Il serait dans le plan de la
Providence comme un point de départ dont le sommet se trouve dans le chris
tianisme. Est-il, du reste, une religion non-chrétenne ?
S'il peut comprendre que le moule méditerranéen qui l'a façonné n'est
pas le seul et qu'il peut l'enrichir, s'il se sent inséré dans le peuple
des hommes saisis par l'Esprit de toujours à toujours, il peut construire upe
catholicité en Lieu, méditer avec Pierre à Joppé et préparer, peut-être,
Jérusalem II,
Après un résumé des^ idées principales développées par notre Auteur et
en restant dans le cadre de notre projet, nous voudrions prendre nos distan
ces et nous interroger. Ce n'est pas ici le lieu de reprendre in extenso
les questions qui ont jalonné notre découverte des perspectives panihkarien-
nes» Nous voudrions simplement poser quatre questions qui nous paraissent
fondamentale s,
souvent chrétienne, même s'il ne garde pas toujours à chaque mot le sens
que l'Occident lui donne, L'Inde est-elle préparée à cette terminologie ?
§ue penseront le brahmane et le sâdhn des termes de "grâce", de "sacremenf^
de "rubrique"*, de "nigrique" *, mais plus encore, de"îrinité"^ de "Logos"^
de "Rédemption", de "Christ", de "Fils", d"Eglise"...! Il est clair pour- : -
tant que ce langage chrétien n'est pas utilisé par l'Auteur seulement à u-i^
sage interne, pour un discours intra-culturel méditerranéen, mais qu'il
s'adresse à un auditoire notamment hindou, La perspective d'une théologie
"hindoue—chrétienne" peut donner des espérances, mais elle commence à peine
et il faudrait la prolonger avec la participation d'orientaux moins occi
dentaux, ainsi que R, Panikkar le souhaite l\ii-même explicitement à un mo
ment, comme nous l'avons indiqué,
insistance unilatérale sur certains thèmes qvii ne sont pas ceux que privilé
gie une théologie "Jésus-centrique" -et pas seulement "Lo£o-cent£itue" -
interpelle nos penseurs d'une part mais peut, d'autre part, les inquiéter.
En effet, ne peut—on s'attendre en la matière à voir davantage mis en avant
le discours chrétien traditionnel ? Si l'Auteur refuse l'épochè, s'il veut
une interprétation orthodoxe, s'il tient, comme il le dit, à réaliser autre
chose qu'une démarche diplomatique vis-à-xis d'un hindouisme attaché à la
théorie de l'avatar, n'y a-t-il pas, tout de même, en fin de compte, une
stratégie d'approche ? Si, effectivement, il y a autre chose qu'une straté
gie d'approche, le prix n'est-il pas trop élevé ?
3® Le professeur de Santa Barbàra nous fait vivre dans une pensée fondamen
talement religieuse, A l'Occident tantôt marqué par le dualisme dichotomi
que greoo—sémite, tantôt obsédé de produirej de transformer et de possédeir
ou tournant en rond dans 1'intra-mondain et l'anthropocentiJisme à la limi
te suicidaire, il vient, avec le soutien d'un sous—continent entier, noiis
proposer une métaphysique non—dtialiste, nous suggérer une vision oosmothéan-r
drique, une unification de l'existence de l'hommej qu'il soit philosophe ou'
savant, ermite ou lac,oôb homme est situé au coeur des trois mondes, inséré
dans le jeu divin - lila - et dans la relation ontique avec le Tout,
Dans ses sentiers vierges; l'Auteur fait preuve d'une grande liberté.
Liberté faoe au discours hindou traditionnel -ne serait-il pas, par exem
ple, védantin sans être à propremerit parler safikarien ni râmânujien ? - et
liberté face au langage théologique traditionnel de 1^Occident, Il dit l'ê
tre tel qu'il le sent et non tel que la "pensée sur l'être" aurait pu le fi
ger dans les écoles. Il ne veut pas, en cela, que la raison pensante soit
un obstacle à l'Esprit. La rencontre, en effet, est pour lui, vm acte reli-
gieijx plus qu'wie querelle dialectique.
•un fe-u orange hésitant entré les devix autres, mais plutôt une absence de
feu..
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Ajoute bibliographique
Introduction générale II
Introduction 2
1. Autonomie 3
2. Bhakti-yoga (ou marga) 5
3. Brahma^.ji .inâsâ 8
4« Bralima-.inâsâ 9
5. Démythologisation i1
6 . Dogme "12
7. Esprit Shint 14
8, Poi 15
9» Herméneutique 17
10, Hétéronomie 21
11. Individu (et personne) 23
12, Is'vara 24
13. Jnânâ-yoga (ou mârga) 26
14» Sarma^yoga -tou mârga) 27
15» Méditation 29
16, Moksa -(oti approche hindoue de la libération) 30
17,î'tythe 34
IB.îfythème 37
19» fîythologomène 38
20, Oecuménisme oecuménique (ou catholique) 38
21, Ontonomie 41
22, Orthodoxie 45
23, Orthopolèsis 48
24, Orthopraxis (ou Orthopraxie) 49
25, Raison 5I
26, Sanâtana dharma 57
27, Sécularisation 58
28, Sécularité 58
29, Sruti 59
30,Temps 61
31, Tolérance 55
Conclusions gg
555
Chapitre 2 ; l'Absolu 71
Introduction 75
§ 1 - L'universalisme ou la manifestation universelle de Dieu 75
§ 2 ~ L'Inconnaissable ou l'Inépuisable 81
§ 5 - Brahma-jijnâsa ou le désir de connaître Dieu 85
§ 4 - La contingence et le "Dieu des philosophes et des savants" 90
§5-19' 3:elation entre le monde et sa cause 94
§ 6 - Dieu dans les régimes d'hétéronomie, d'autonomie et
d'ontonomie 115
§ 7 - La foi comme question 120
§ 8 - Foi et Logos • 128
§ 9 - Le mythe de Pra.jâpati 159
§10- La vision cosmothéandrique I46
§ 11 - Le mystère trinitaire 155
Conclusions 175
Introduction 188
Introduction 269
§ 1 - La définition du culte 272
§ 2 - Les fondements métaphysiques sous-jacents 276
§ 5 - Le culte dans les régimes d'hétéronomie, d'autonomie et
d'ontonomie 282
Introduction 574
§ 1 - La religion 575
§ 2 - Les approches scientifiques des religions 586
§ 5 - Trois attitudes fréquentes dans la rencontre 592
§ 4 - Le dialogue dialogique 599
§ 5 - L'homologie 4O8
Bibliographie 552