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Marchés financiers et philosophie:

les enjeux d’une reconstruction du cadre épistémologique.

BA Mouhamadou El Hady

Depuis la fin des années 70 on a assisté à un processus apparemment inéluctable qui a vu les
marchés financiers prendre le contrôle de l’économie mondiale et a abouti à l’intégration
croissante des marchés de capitaux et à l’éclatement de facto des barrières que les Etats
mettaient parfois au commerce international via certains dispositifs comme les droits de
douane ou le contrôle des transfert de capitaux. De ce fait, le monde actuel est devenu comme
un vaste supermarché où les détenteurs de capitaux peuvent intervenir sur toutes les bourses
et passer d’une place financière à l’autre sans entrave de la part des Etats souverains dont ces
bourses dépendent.
Cette situation a été rendue possible principalement par le surendettement de la majorité des
pays riches de la planète, Etats Unis d’Amérique en tête, et par la révolution qu’ont apportées
les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Cette prise de contrôle
s’est bien évidemment appuyée sur une théorie économique, le néolibéralisme, qui impute les
échecs précédents à l’intervention des Etats dans le jeu économique et affirme que la seule
manière d’avoir un système économique viable est de laisser le marché aller selon son cours
naturel avec le moins de régulations possibles de la part des autorités politiques. Si tel est le
cas, promettent les néolibéraux, le pur jeu des agents économiques aboutit nécessairement au
meilleur équilibre possible i.e. celui qui assure le maximum de prospérité à la société toute
entière.
Notre propos dans cet article est de dégager dans un premier temps les présupposés
épistémologiques du néolibéralisme puis de le critiquer d’abord en pointant leur anachronisme
puis en nous appuyant sur des approches plus récentes à savoir les travaux du mathématicien
Benoît Mandelbrot sur les marchés financiers et l’apport des approches cognitives en
économie.

I Cadre épistémologique du discours néolibéral :


Avant de commencer, apportons d’abord une précision : une vision idyllique de la situation
économique du monde voudrait que la généralisation du modèle capitaliste néolibéral que nous

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connaissons actuellement ne fût rien d’autre que le résultat d’un déroulement quasi nécessaire
d’un processus historique qui a vu la démocratie triompher des autres systèmes politiques,
singulièrement du communisme, et cela parce qu’elle est intrinsèquement supérieure en ce
qu’elle est le seul système qui ne bride pas la liberté d’entreprendre qui est à la source de toute
création de richesse. La réalité cependant est bien plus complexe que cela et le lien
systématique et intéressé que les tenants de l’idéologie néolibérale font entre démocratie et
absence d’intervention de l’état dans la vie économique est loin d’être évident ne serait-ce que
parce que la consolidation économique des démocraties occidentales s’est faite, après la
seconde guerre mondiale, en grande partie grâce au plan Marshall dont on ne peut pas
franchement dire qu’il soit d’inspiration néolibérale vu qu’il a été mis en place en grande partie
pour des raisons politiques. L’ouverture de tous les marchés aux capitaux d’origines diverses,
la mainmise de la Haute Finance sur la marche du monde est un phénomène récent, en rien
nécessaire et qui n’a pu se faire qu’avec le consentement des dirigeants des états les plus
prospères de la planète. C’est là tout le sens de l’affirmation de Louis Pauly selon qui :
« L’intégration croissante des marchés de capitaux n’a pas surgi d’une graine mystérieuse
plantée dans l’ancien , mais traduit les décisions délibérées et les choix politiques que les états
souverains, notamment les plus puissants d’entre eux, ont assumé sur plusieurs années. »1 Si
tel est le cas, une analyse critique de la pensée néolibérale s’impose donc afin d’en déterminer
la consistance théorique puisque c’est elle qui sert de paradigme à cette intégration.

Ainsi que le laisse entendre son nom, le néolibéralisme est une remise au goût du jour du

capitalisme libéral déjà théorisé au XVIIIème siècle par Adam Smith notamment. Cette théorie
avait été mise à mal d’abord par le socialisme qui prône une stricte subordination de la sphère
économique à la sphère politique qui a le devoir de veiller à ce que la poursuite de leurs intérêts
privés par les citoyens n’entraîne pas une transformation de la société en une jungle où les
plus fortunés asservissent les plus démunis puis, dans un cadre plus strictement capitaliste,
par les travaux de John Maynard Keynes selon lequel pour que le capitalisme soit viable, il
faut non seulement une régulation du jeu économique par les autorités mais aussi l’intervention
de ces dernières via la réglementation des activités boursières afin d’inciter les rentiers à éviter
la spéculation et à investir leurs capitaux dans le circuit productif, des politiques fiscales et
budgétaires redistributrices destinées à réduire l’inégalité des fortunes et la prise en charge
systématique par l’Etat d’une partie de l’investissement social. Du point de vue de Keynes, il
y a une incapacité structurelle du marché à assurer le plein emploi et la croissance
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indépendamment de l’Etat.

Bien évidemment, les théoriciens néolibéraux ne sont absolument pas d’accord avec les
analyses de Keynes. En fait toutes leurs analyses reposent sur le principe exactement inverse :
le principe de l’efficience des marchés. André Orléan nous explique que: « Pour l’économie
théorique orthodoxe, il existe toujours un point de vue englobant et unificateur, celui de la
rationalité et du calcul économique : parce que la rationalité instrumentale pondère les divers
objectifs selon leur priorité, elle dissout les hétérogénéités, réconcilie les oppositions et
produit une évaluation unificatrice. »2 Selon les pères du néolibéralisme donc, il faut le moins
d’interférences possible avec le marché de sorte que se réalise l’équilibre naturel du système,
équilibre qui est le seul viable. Aussi Ludwig Von Mises affirme-t-il que : « la théorie
moderne de la valeur et des prix montre comment les choix des individus, le fait qu’ils
préfèrent certaines choses et en écartent d’autres, aboutissent, dans le domaine des échanges
interpersonnels, à l’apparition de prix de marché »3 . L’on peut d’ores et déjà remarquer une
chose : c’est qu’il y a, implicite à ce principe d’efficience des marchés cette idée que ce qui est
‘’naturel’’ est bon. En effet, on peut certes accepter que, laissés à eux mêmes, les agents
économiques aboutissent à un état d’équilibre que nous pouvons qualifier de ‘’naturel’’ dans la
mesure où il n’est rien d’autre que la pondération de leurs désirs et calculs respectifs sans
intervention extérieure, mais qu’est ce qui garantit la viabilité de cet équilibre ?
Friedrich Von Hayek, autre père du néolibéralisme semble appuyer cette conception sur une
base évolutionniste qui écrit : « La liberté laissée à chacun d’utiliser les informations dont il
dispose sur son environnement pour poursuivre ses propres desseins est le seul système qui
permette d’assurer la mobilisation la plus optimale possible de l’ensemble des connaissances
dispersées dans le corps social [...]Si la liberté est devenue une morale politique, c’est par suite
d’une évolution naturelle qui fait que la société a progressivement sélectionné le système de
valeurs qui répondait le mieux aux contraintes de survie qui étaient celles du plus grand
nombre »4 . Hayek considère que, de même qu’aucune espèce animale ne saurait échapper à la
‘’struggle for life’’ induite par le jeu impitoyable de la sélection naturelle qui ne laisse survivre
que les plus aptes, aucune société ne peut durablement opter pour une forme, quelle qu’elle
soit, d’économie dirigée parce qu’elle le paierait de sa mort économique. A la limite, le
libéralisme économique et son corollaire, la démocratie ne se choisissent pas : ils s’imposent à
nous. De plus, comme dans la ‘’struggle for life’’ darwinienne, il y a des gagnant et des
perdants et cela ne choque absolument pas les néolibéraux : il y a souvent, conjointe à la

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doctrine néolibérale, cette idée que la pauvreté n’est que la validation objective et juste de la
valeur (ou l’absence de valeur) de la personne qui en est victime et n’est en aucune façon
imputable au système. C’est dans cette optique que Hayek écrit : « Cela se déroule, comme
tou les jeux, suivant des règles régissant les actions des individus participants, dont les buts,
les talents et les connaissances sont différents ; ce qui a pour conséquence que le résultat sera
imprévisible et qu’il y aura régulièrement des gagnants et des perdants [...] il serait absurde de
demander que les résultats pour chaque joueur soient justes. »5 . L’on pourrait être trompé par
l’emploi du mot ‘’juste’’ et penser qu’il s’agit de l’aveu que le jeu est imparfait dans la mesure
où il peut être ‘’injuste’’ mais en fait cet emploi des qualificatifs ‘’juste’’ et ‘’injuste’’ semble
à Hayek aussi déplacé que le fait de dire que le jeu de la sélection naturelle est injuste parce
qu’il a abouti à la disparition des mammouths. Certes, il peut paraître insupportable qu’il y ait
des pauvres, surtout dans une société riche, mais il faut voir que : « la fonction des prix et des
salaires est moins de rétribuer les individus pour ce qu’ils ont faits, que de leur dire ce qu’ils
devraient faire (règles de conduite) dans leur propre intérêt comme dans l’intérêt général. »6 .
Aussi, engager, comme le préconise Keynes, l’Etat dans des politiques de grands travaux afin
de résorber le chômage semble-t-il aux néolibéraux particulièrement malvenu parce
qu’empêchant que les chômeurs prennent conscience de ce qu’ils devraient faire en créant
artificiellement du travail.
La question que l’on peut se poser au vu de cette application de la théorie de Darwin au
devenir économique et social des sociétés humaines est celle de sa légitimité. En effet, les
néolibéraux postulent un ordre économique extérieur à nous et qui s’applique nécessairement
mais ne peut-on pas considérer avec Kant que l’évolution nous a doté d’un appareil cognitif
qui nous permet de sortir de l’ordre des causes pour entrer dans l’ordre des raisons et de ce fait
rétroagir sur l’ordre économique supposé naturel à la lumière de notre moralité. Cette objection
nous semble d’autant plus pertinente que dans un cadre strictement évolutionniste, rien ne
nous assure que notre soumission à de prétendues lois naturelles n’aboutira pas à un équilibre
certes naturel mais dont les humains seraient exclus.
Au delà du darwinisme sous-jacent au discours néolibéral, il nous semble que ce qui est au
cœur de l’épistémologie néolibérale et lui donne sa cohérence, c‘est le déterminisme classique.
Pour mettre ce fait en lumière, il nous faut un peu remonter dans l’histoire. Nous avons dit
plus haut que le néolibéralisme était une restauration du libéralisme d’Adam Smith et nous
avons vu qu’à la base du discours néolibéral, il y a le principe d’efficience des marchés qui dit
que laissés à eux mêmes, les acteurs économiques aboutissent à un équilibre avec des prix de

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marchés qui rétribuent tout agent économique à sa juste valeur. Signalons que l’une des toutes
premières (si ce n’est la première) occurrence de ce principe se trouve chez Adam Smith qui en
1786 déjà écrivait : « c’est pourquoi, sans aucune intervention de la loi, les intérêts privés et
les passions des hommes les conduisent naturellement à diviser et à répartir le capital de
chaque société entre les différents emplois qui s’offrent à eux, de la manière la plus
rapprochée possible de ce qui est le plus conforme à l’intérêt de la société tout entière. »7 .
L’agent économique qui poursuit égoïstement ses intérêt est, ajoute Smith, « conduit par une
main invisible à promouvoir un résultat qui n’était pas dans ses intentions... le progrès d’une
nation vers la richesse et la prospérité. »8 . Si l’on remarque de plus que la conception des prix
de Smith était dite ‘’gravitationnelle’’ et qu’elle était censée montrer « comment le prix effectif
du marché tourne autour du prix ‘’naturel’’ (égal au coût de production) comme les planètes
autour de l’astre central »9 on comprend aisément d’où vient le déterminisme dont hérite le
néolibéralisme : de la physique newtonienne.
Qu’a donc à voir la physique newtonienne avec le libéralisme économique ? pourrait-on
objecter. A priori rien serait-on tenté de répondre mais ce serait profondément méconnaître
l’apport de Newton qui ne se limite pas à quelques équations applicables à la philosophie
naturelle comme on disait de son temps. Ce qu’il apporte de bien plus important, c’est une
confirmation de cette considération déjà exprimée par Galilée que l’univers est un livre écrit en
langage mathématique et qu’il n’y a rien en lui qui n’obéisse à un ordre immuable que l’homme
peut déchiffrer. En soumettant les corps célestes à une loi simple, Newton installe surtout et
durablement dans les esprits une foi en la science et aux pouvoirs de l’esprit humain qui vu
désormais comme capable de tout expliquer dans la nature. Cet optimisme atteindra son
apogée avec l’énonciation du principe du déterminisme universel par Pierre Simon de Laplace.
Ce dernier pense qu’en vertu du principe Leibnizien de raison suffisante, aucun événement ne
survient dans la nature de manière fortuite. L’évolution de l’univers, du monde microphysique
jusqu’aux mouvements planétaires est gouverné par des lois rationnelles et immuables de sorte
que leur connaissance et celle de l’état présent du système permettent de prédire l’état du
système à n’importe quel moment de son évolution. Laplace va même jusqu'à dire que: « nous
devons envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur et comme la
cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné connaîtrait toutes les
forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si
d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la
même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome :

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rien ne serait incertain pour elle et l’avenir comme le passé serait présent à ses yeux. »1 0
Bien sûr, les néolibéraux ne s’expriment pas exactement dans les mêmes termes que Laplace,
mais ils partagent avec lui la pensée que les phénomènes sociaux aussi sont déterminés par des
lois ; c’est sur ce fondement que repose leur refus de toute intervention extérieure,
singulièrement étatique, dans le jeu économique. Ils estiment que laissés à eux mêmes, les
acteurs sont portés par la ‘’main invisible’’ de Smith1 1 à un équilibre qui assure la prospérité
de la nation. Le rapprochement que nous faisons entre déterminisme laplacien et libéralisme
économique nous semble confirmé par le fait que les principaux instruments mathématiques
utilisés en économie sont les équations différentielles et la théorie des probabilités. Or on sait
que les équations différentielles sont justement nées dans le sillage de la théorie newtonienne
ayant été créées par Newton parce qu’elles étaient l’outil mathématique permettant de
modéliser les systèmes dynamiques déterministes évoluant en fonction du temps comme le
mouvement des planètes. Quant à la théorie des probabilités, il est révélateur que le livre de
Laplace ait eu pour titre : Essai philosophique sur les probabilités. Pourquoi un aussi forcené
déterministe que lui a-t-il besoin d’une ‘’théorie des hasards’’ ? Il nous semble que chez
Laplace comme dans les théories néolibérales, c’est la même conception du rôle des
probabilités qui fonctionne, conception qui peut se résumer dans la phrase de Cournot : « le
mot hasard n’indique pas une cause substantielle mais une idée. ». Tout événement qui
survient dans le monde (ou dans le marché) est censé être dû à une cause bien déterminée. De
plus tous ces événements sont liés entre eux dans un système de cause à effet de sorte que la
physique (respectivement l’économie) n’est rien d’autre que la recherche de ces lois de
causalité. Malgré tout, quoique le hasard n’ait pas d’existence ontologique, nous avons besoin
d’une théorie des probabilités parce que la ‘’faiblesse de l’esprit humain’’ et son imperfection
font qu’incapable d’embrasser d’un seul regard les lois et les phénomènes, il lui faut trouver
une méthode qui lui permette de maximiser1 2 ses chances de trouver les vraies lois. Or nous
apprend Laplace, la théorie des probabilités « ne laisse rien d’arbitraire dans le choix des
opinions et des partis à prendre, toutes les fois que l’on peut à son moyen déterminer le choix
le plus avantageux. Par là, elle devient le supplément le plus heureux à l’ignorance et à la
faiblesse de l’esprit humain. »1 3

Nous savons que l’une des évolutions majeures de la physique du XX’ème siècle, la mécanique
quantique a rendu caducs tout à la fois le déterminisme classique et la conception du hasard
comme simple masque de notre ignorance n’ayant aucune existence ontologique. Cette théorie
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montre que le hasard n’est pas seulement une idée mais est nichée au cœur de la physique
puisque certains phénomènes sont, en droit, imprévisibles et ne peuvent être soumis à une loi
qu’à un niveau statistique. Kojève résume parfaitement cette caractéristique du monde
quantique dans le passage suivant : « ici, le phénomène en tant qu’individuel n’est pas et ne
peut pas être complètement prévu. Et il ne peut pas être prévu parce que le monde de la
physique quantique n’a pas de structure causale, parce que des systèmes ‘’identiques’’ ayant
le ‘’même’’ état initial et situés dans les ‘’mêmes’’ conditions extérieures peuvent évoluer
d’une manière différente. »1 4
Les physiciens, au cours du siècle écoulé, se sont vu obligés de renoncer au déterminisme dont
ils pensaient pourtant qu’il était la condition sine qua non de toute activité scientifique.
Devrait-il en être de même pour les économistes libéraux et néolibéraux ? Si tel était le cas, cela
aurait une conséquence dévastatrice sur leur théorie dans la mesure où pour que le principe
d’efficience des marchés puisse tenir, il faut que les marchés obéissent à des lois déterministes
qui optimisent les paramètres économiques et produisent l’équilibre le plus conforme à
l’intérêt général. Si à l’inverse, les lois du marché n’étaient pas déterministes, il faudrait que les
autorités définissent l’intérêt général, écrivent les règles du jeu et, au besoin, agissent de sorte
à influer sur le résultat final.
Une première indication de réponse à cette question nous est donnée par Karl Popper. Selon
ce dernier en effet, le déterminisme n’est rien d’autre qu’une survivance de l’idée
d’omniscience divine, avec cette différence que le concept de loi de la nature remplace celui
‘’l’esprit de Dieu’’ comme spectateur omniscient. Popper concède certes qu’il peut y avoir
des ‘’théories prima facie déterministes’’, une théorie étant ainsi qualifiée, « si et seulement si
elle permet de déduire, à partir d’une description mathématiquement exacte de l’état initial
d’un système physique fermé décrit dans les termes de la théorie, la description, avec
n’importe quel degré fini de précision stipulé, de tout état futur du système. »1 5 ; mais il
montre aussi que même une telle théorie, aussi complète soit-elle ne suffirait pas à garantir la
vérité du déterminisme scientifique parce que toute prédiction faite de l’intérieur d’un système
rétroagit sur ce système de sorte à en modifier l’évolution. C’est ce que Popper nomme
‘’l’impossibilité de l’autoprédiction’’ et il pense que du fait cette impossibilité logique, « la
doctrine du déterminisme s’avère auto-contradictoire. Ainsi ne peut-on rien invoquer pour
appuyer le déterminisme ‘’scientifique’’ ; et aucun appel à la science prima facie déterministe,
aussi complète soit-elle, ne peut appuyer aucune autre forme de déterminisme. »1 6

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Si l’on suit l’analyse de Popper, le déterminisme est théoriquement intenable et cela affaiblit
quelque peu la position des néolibéraux qui se retrouvent dans un cadre épistémologique dont
on peut dire qu’il est anachronique. Cependant, il ne s’agit pas que de théorie ; dans les faits,
nous vivons dans un cadre économique qui applique largement leurs idées. La question qui se
pose alors est celle de savoir si cette application aboutit bien aux équilibres harmonieux dont
ces penseurs nous assurent qu’ils sont l’apanage du marché que l’on laisse aller à son cours
naturel. Pour répondre à cette question, nous allons nous intéresser à deux approches de
l’économie qui partent de ce qui se passe effectivement dans les marchés financiers laissés à
eux mêmes.

II Bourse et hasard sauvage :


Nous l‘avons signalé plus haut : le déterminisme est solidaire d’une conception du hasard
comme n’existant pas réellement dans la nature mais reflétant notre ignorance des causes qui
agissent et sont à l’origine des phénomènes. Cette conception avait un retentissement en
mathématique où les théoriciens des probabilités ne pouvaient prendre au sérieux l’idée que
l’aléatoire puisse avoir une existence pleine et entière ; c’est ainsi que Kolmogorov qui est celui

qui, au XXème siècle, a donné ses lettres de noblesse à cette théorie en l’axiomatisant
écrit que : « Toute la valeur épistémologique de la théorie des probabilités est basée sur le fait
que les phénomènes aléatoires, considérés dans leur action collective à grande échelle, créent
une régularité non aléatoire »1 7. Cette conception de l’inexistence du hasard et de son caractère
inévitablement explicable par des causes qui restent à découvrir est largement partagée par les
hommes de sciences et le philosophes. Elle n’est cependant pas acceptée par le mathématicien
français Benoît Mandelbrot. De son point de vue, sous cette apparente unanimité, se cache un
malentendu : si tout phénomène collectif possède au moins un aspect non aléatoire, il n’est pas
évident que cet aspect soit intéressant. De plus, il pense que si on prête attention aux
phénomènes aléatoires, on se rend compte qu’il n’y a pas un seul hasard mais différents états
du hasard tout comme il existe différents états de la matière. Ces états du hasard sont les
hasards bénin, lent, et sauvage.
Le hasard bénin est celui qui a été généralement étudié par les mathématiciens et qui présente
rapidement une régularité à grande échelle. C’est par exemple celui qui est à l’œuvre dans la
mécanique statistique où on ne peut pas suivre les trajectoires individuelles des molécules mais
où on peut cependant connaître leur distribution globale et les effets macroscopiques de
l’équilibre qui sera atteint. La théorie financière classique sur laquelle s’appuie le
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néolibéralisme postule justement que les interactions des agents économiques en action dans
les bourses prennent une forme qui peut se ramener au mouvement Brownien1 8 qui lui même
relève du hasard bénin.
Le hasard lent est défini par Mandelbrot comme étant un état du hasard pour lequel les lois
classiques des probabilités ( la loi des grands nombres et les deux formes classiques du
théorème central limite.) demeurent applicables mais qui évolue d’une manière tellement lente
que le fait de savoir si le système finira par devenir régulier ne nous est pas d’une grande aide
pour résoudre les problèmes concrets auxquels nous sommes confrontés.
A coté de ces deux formes de hasards qui, somme toute demeurent classiques, Mandelbrot
définit une autre forme qui, elle, échappe aux formalismes classiques et que les
mathématiciens, quand ils y étaient confrontés, qualifiaient de ‘’ pathologique’’. Cette sorte de
hasard, que Mandelbrot appelle sauvage entraîne un ‘’échec complet du mode bénin de
convergence des fluctuations’’1 9
L’identification par Mandelbrot de ces différents états du hasard est très importante parce
qu’elle permet de modéliser certains phénomènes aléatoires observés dans la nature mais dont
même avec la théorie classique des probabilités, on ne parvenait pas à avoir une représentation
et ce, quelle que soit l’échelle considérée. Parmi ces phénomènes on peut citer par exemple la
météorologie. En fait il serait plus juste de dire que le concept de hasard sauvage permet de
comprendre pourquoi ces phénomènes ont la propriété d’échapper à nos modélisations. Il
signale que : « Dès qu’on prête attention au hasard sauvage, on arrive vite à en voir des
exemples partout y compris dans des contextes d’une importance brûlante. Qu’on puisse ou
non les expliquer, ces exemples sont incontournables. » 2 0
Du hasard sauvage, Mandelbrot détecte deux ‘’symptômes’’ qui ne sont pas mutuellement
exclusifs : « (a) la rencontre occasionnelle d’énormes écarts par rapport à ce qu’on aurait voulu
considérer comme la ‘’norme’’, et (b) la rencontre occasionnelle de très longues suites de
valeurs, telles que chacune prise séparément s’écarte assez peu de la norme, mais les écarts
dans une direction sont si ‘’persistants’’ que la moyenne ne peut se faire que très lentement ou
pas du tout. »2 1 Ces symptômes permettent de définir les deux formes de hasard sauvage qu’il
nomme respectivement ‘’Effet Noé’’ et ‘’Effet Joseph’’ et qu’il définit ainsi que suit :
« Lorsqu’un hasard n’est pas bénin et que le défaut de convergence est dû à la taille
exceptionnelle de quelques valeurs [...], nous disons qu’il manifeste un ‘’Effet Noé’’. »2 2 ;
« Lorsqu’un hasard n’est pas bénin et que le défaut de convergence est dû à l’interdépendance
statistique (le caractère « pseudo-périodique »), nous disons qu’il manifeste un ‘’Effet

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Joseph’’. » 2 3. On aura deviné que ces noms quelque peu saints sont inspirés des épisodes de
la Bible qui relatent respectivement le Déluge qui a vu un ‘’défaut de convergence’’ dû à la
taille exceptionnelle des précipitations ; et le songe de pharaon des sept vaches grasses et des
sept vaches maigre, songe interprété par Joseph comme la succession de sept années fastes
suivies de sept années de sécheresse.
A ce point de l’élaboration théorique, il était intéressant pour Mandelbrot de vérifier la
pertinence de ses analyses et pour ce faire, les chroniques boursières ( i.e. l’historique des
fluctuations de prix enregistrées dans le marché boursier) étaient tout indiquées. L’un des
motifs de ce choix est : « [ l’ ] Abondance des données : en ajoutant les matières premières,
actions, obligations et taux de change, et même en évitant les Bourses dont on sait que
l’activité est trop faible ou trop affectée par les manoeuvres de ses membres ou par les
caprices du pouvoir, on dispose de données empiriques d’une richesse sans commune mesure
avec celle des prix de détail et celle des quantités économiques autres que les prix. Certaines
Bourses de matières premières ont une histoire centenaire, et sont réputées faire connaître sans
les triturer les prix qui ont été pratiqués en leur sein. »2 4 . Cette abondance et surtout le fait
que ces données soient les résultats bruts du marché, antérieurs à toute normalisation, permet
de tester objectivement la théorie du hasard sauvage. Pour ce faire il adopte une méthode
‘’résolument empiriste’’ consistant à éviter toute explication des faits au moyen d’une théorie
préexistante pour se contenter de représenter simplement les données pour voir ce qui en
sortira. Une telle approche aboutit à un résultat très différent celui que le modèle économique
classique laissait présager c’est ce que souligne Mandelbrot qui écrit : « Quelle était donc l’idée
centrale de mes travaux sur la finance ? L’idée, qu’on peut appeler ambiante suivait la
physique en utilisant le mouvement Brownien. Elle admettait que les prix sont des fonctions
continues du temps et que leurs fluctuations ne sont pas plus sévères que celles que décrit la
distribution bien classique de Gauss. Mais l’examen des faits montrait le contraire : des
fonctions discontinues et des fluctuations tout à fait extrêmes. Tandis que le hasard Brownien
pouvait très légitimement être qualifié de ‘’bénin’’, j’ai vite dû conclure que la bourse
impliquait une toute autre forme de hasard.»2 5. Inutile de dire que cette ‘’toute autre forme de
hasard’’ était sauvage ! La question qui se pose maintenant est la suivante : pourquoi les
fluctuations des marchés boursiers ne se conforment-ils pas au modèle classique ? Une
tentative de réponse est donnée par Mandelbrot lui-même : « Pour un prix, au contraire, je
crois qu’il faut s’attendre à rencontrer des sauts qui restent importants, en valeur relative,
même du point de vue du long terme.

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De cette affirmation voici une justification théorique a priori : l’offre et la demande qui
déterminent un prix, résultent, toutes deux à la fois de facteurs objectifs et
d’anticipations. Même si on accepte pour les premiers une approximation continue, les
seconds peuvent changer du tout au tout à la suite d’un ‘’signal’’ physique dont la durée et
l’énergie sont négligeables, tel le proverbial ‘’trait de plume’’. Du coup, la rationalité dans la
détermination des prix risque fort de mener à des sauts ‘’déstabilisants’’.» 2 6 On verra dans les
développements suivants que c’est effectivement la complexité des anticipations des agents
qui n’est justement pas prise en compte par le modèle classique qui sous-tend le
néolibéralisme.

III Apport des approches cognitives de l’économie :


La Bourse est un rêve éveillé... Et ce rêve révélateur d’un subconscient qui parce qu’il est
collectif , parce que chacun peut le constater chez le voisin , prend l’apparence d’une réalité
objective et rationalisable. Les espérances partagées créent leur autojustification.
Pierre Balley

Les sciences cognitives sont nées au début du vingtième siècle par le rapprochement de
recherches qui avaient pour point commun de s’efforcer de comprendre la formation et
l’acquisition de croyances et de connaissances par les systèmes cognitifs naturels avec
l’objectif de reproduire éventuellement ces systèmes cognitifs dans des artefacts. Elles ont été
de ce fait dès l’origine pluridisciplinaires et parmi les père fondateurs des sciences cognitives
on peut noter un certain nombre d’économistes. Il est dès lors assez étonnant que l’
« économie cognitive », en tant que discipline, ne se soit constituée que dans les années 80
grâce au rapprochement de deux programmes de recherches qui visaient respectivement à
intégrer les aspects dynamiques (inspirés de la théorie darwinienne) et les aspects mentaux de
l’action des agents économiques dans le marché. Cette économie cognitive a pour principale
particularité de tenir compte des faits suivants soulignés par Walliser : « Les croyances des
acteurs ne sont pas prédéterminées et figées, mais sont révisées au cours du temps selon des
processus visant tant à préciser l’état actuel du monde qu’à suivre son évolution. Les
processus des acteurs ne sont pas déterministes et inconscients, mais sont mis en œuvre de
façon partiellement délibérée, pour compenser par le travail du temps des capacités cognitives
limitées. A l’« homo œconomicus » succède l’« homo cogitans/adaptans » qui, par un
cheminement bouclé, ajuste ses croyances aux observations réalisées sur un contexte qui
11 4
fluctue sous l’influence de ses propres actions modulées par ses croyances. »2 7. Soulignons
avant de progresser que malgré cette création formelle tardive, l’économie cognitive n’est pas
radicalement différente de ce que faisaient des auteurs classiques tels Adam Smith ou Keynes.
Ces derniers aussi tenaient compte des croyances des acteurs économiques et de l’aspect
dynamiques voire évolutionnaire de la révision de ces croyances, les économistes cogniticiens
actuels apportent principalement une meilleure prise en compte de cette dimension des
interactions économiques grâce au développement de la théorie des jeux, de la psychologie
cognitive et à la simulation des marchés financiers en situation expérimentale afin de vérifier les
prédictions théoriques.

C’est en s’inscrivant dans le paradigme de l’économie cognitive qu’André Orléan se propose


de résoudre un paradoxe de la théorie libérale classique : comment se fait-il que surviennent
dans les systèmes libéraux des crises ou des krachs boursiers ? En effet, autant la crise de
1929, la crise asiatique que la bulle internet qui a éclaté en 2000 sont survenus dans des
marchés financiers laissés à eux mêmes sans contrôle directif des autorités. L’explication que
les partisans de la théorie libérale orthodoxe donnent est que ces crises sont non pas une
conséquence du fonctionnement sans entrave des marchés mais la suite d’un coup de folie des
investisseurs. Selon eux ce serait parce les acteurs économiques ont pris des décisions
‘’irrationnelles’’ que le marché a connu des évolutions chaotiques. Cette explication a le mérite
de sauver le principe d’efficience des marchés, mais si l’on s’intéresse aux aspects
psychologiques qui déterminent l’action des investisseurs, on se rend compte que « la
prédominance de la spéculation n’est pas une aberration : elle est la réponse rationnelle aux
contraintes que construisent les marchés financiers. »2 8. Quelles sont donc ces contraintes ?
Comment se fait-il qu’elles aboutissent à ce qui semble être l’autre du marché : le chaos ?
Pour répondre à ces questions, il faut revenir aux principes de base qui ont présidé à la création
des marchés financiers. Dans un premier temps, il y a face à face un entrepreneur et un
détenteur de capitaux, ce dernier finance l’entrepreneur dans l’espoir que les activités de cet
entrepreneur prospéreront assez pour lui permettre de dégager des bénéfices et de verser des
dividendes à ses actionnaires. Dans un tel cadre, nul besoin d’une bourse des valeurs
permettant d’échanger des titres : l’investisseur engage ses fonds et attend le terme fixé pour
récupérer son du. Ce système est simple mais a un inconvénient majeur : l’investisseur est
obligé d’attendre l’échéance pour rentrer dans ses fonds même quand il a un besoin pressant
d’argent. Pour remédier à cette limite du système, une solution simple a été trouvée qui est la

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liquidité i.e. le fait de rendre les créances négociables : on peut sortir du marché en vendant ses
droits à un prix qui, normalement, reflète leur apport futur. André Orléan signale que : « les
marchés financiers sont des créations institutionnelles, inventées pour répondre à une exigence
singulière des créanciers : rendre les dettes négociables. »2 9 mais il ajoute tout de suite : « La
force de cette approche est de concevoir la finance de marché comme étant, dès l’origine une
transgression : il s’agit de transformer une grandeur immobilisée, le capital productif, en un
actif librement négociable. »3 0 C’est de cette première ‘’transgression’’ que découle tout le
reste et c’est elle qui explique que surviennent des krachs boursiers qui sont la suite logique et
rationnelle du libre jeu du marché.
En effet, puisque les titres sont négociables, ils obéissent à la loi de l’offre et de la demande
comme toute marchandise et leur prix n’est plus seulement déterminé par les bénéfices
escomptés mais dépend aussi de tout un ensemble d’autres facteurs. De plus, par définition,
l’avenir est incertain et rien n’assure que l’entreprise fera des bénéfices. De ce fait ce qui fait la
valeur d’un titre c’est moins sa rentabilité effective à terme que les anticipations que les
spéculateurs font de cette rentabilité future. Les facteurs cognitifs, négligés par les analystes
néolibéraux, jouent alors un rôle de tout premier plan et singulièrement, on passe d’une
situation où les anticipations portent sur les dividendes escomptées à une autre où le plus
important est de savoir quels sont les attentes des autres acteurs économiques afin de tirer
profit de leurs opinions. C’est ce que Walliser nomme la spéculation psychologique et il écrit
que : « Si l’on envisage la spéculation psychologique, chaque opérateur doit deviner non
seulement ce que les autres pensent du rendement objectif de l’actif, mais ce que les autres
pensent que les autres pensent. »3 1. L’on voit que les anticipations deviennent vite très
complexes et n’ont souvent plus rien à voir avec la valeur réelle des titres en question. Il
s’établit alors un « équilibre d’anticipations rationnelles [qui] montre que le prix d’un actif est
formé d’une valeur fondamentale, traduisant son rendement objectif, et d’une bulle spéculative,
traduisant l’opinion subjective à son sujet. »3 2 La spéculation psychologique est donc à
l’origine des bulles qui finissent par éclater en krachs boursiers, mais n’est ce pas là un effet
pervers plutôt qu’une conséquence nécessaire de la structures des marchés qui elle serait
fondamentalement bonne ?
A cette question, les analyses d’André Orléan apportent des éléments de réponses. Selon lui,
‘’un fait social très intéressant et très spectaculaire’’ est la capacité qu’a la spéculation à
s’imposer aux intervenants. Il affirme qu’ « On ne peut pas rester à l’écart de la liquidité. On
ne peut pas rester indifférent aux variations des prix qu’elle produit même si elles nous

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paraissent complètement illusoires. »3 3. Et effectivement, si un intervenant sait que le marché
surévalue un actif qu’il a en sa possession, il résistera difficilement à la tentation d’en profiter.
A la limite un spéculateur doit-il s’installer confortablement dans la schizophrénie et agir non
pas selon ses convictions profondes mais selon l’opinion du marché. Aussi nous faut-il
« distinguer selon que les anticipations individuelles portent sur l’état de l’économie ou selon
qu’elles portent sur le comportement du marché. Ce sont ces dernières anticipations qui
déterminent l’action des investisseurs. Il n’y a ici aucune irrationalité au niveau individuel.
Cet effet décrit bien la complexité cognitive des marchés. Cette complexité est une
conséquence directe de la logique autoréférentielle qui y prévaut. »3 4. A cause de cette logique
autoréférentielle, l’équilibre qui finit par s’établir dans le marché n’est en rien efficient en ce
sens qu’il reflète non pas la valeur objective des titres mais le consensus qui a fini par s’établir
entre les différentes spéculation psychologiques. Aussi Orléan affirme-t-il que : « La
convention est le mode d’organisation de la communauté financière. Elle en a toute la
fragilité. »3 5. De fait, l’équilibre ne reposant pas sur des bases objectives comme le rendement
effectif à terme de l’actif, est extrêmement sensible aux rumeurs ou à de brusques revirements.
Notons par ailleurs pour terminer que puisque la spéculation psychologique est une
conséquence nécessaire de la liquidité, la constitution des bulles spéculatives et leurs
conséquences, les krachs boursiers sont inévitables quand on adopte le laisser faire que
préconisent les néolibéraux. Ce constat rend indispensable l’existence, au dessus du marché
d’autorités politiques qui servent de régulateurs et prennent les mesures indispensables à la
préservation de l’économie capitaliste.

Conclusion :
Critiquant des travaux de psychologues qui prétendaient prouver l’inégalité des hommes,
Stephen Jay Gould a une fois affirmé que la théorie de ces scientifiques était irrecevable non
parce qu’elle était socialement désagréable mais tout simplement parce qu’elle était fausse. Il
nous semble que la même critique peut être faite aux tenants du néolibéralisme. Ces derniers
affirment que la vie économique est une jungle éliminant impitoyablement les plus faibles et
une telle conception choque assurément tous ceux qui pensent qu’en dernier ressort, c’est
l’homme qui doit prendre en main son destin et choisir la manière de répartir les richesses.
Malgré tout, si cette conception, quoique choquante, était fondée, nous serions dans
l’obligation de l’accepter. L’analyse épistémologique du discours néolibéral que nous avons
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mené plus haut montre cependant que ce discours est loin d’être aussi assuré que l’on
l’affirme. Nous avons en effet vu que la théorie néolibérale repose sur un cadre
épistémologique (le déterminisme universel) largement discrédité de nos jours. Cette théorie
prédit par ailleurs que laisser le marché se gouverner lui même aboutit à un équilibre heureux
alors qu’en fait cela met en branle des mécanismes psychologiques qui emballent le marché et
produisent des bulles spéculatives. Là réside, de notre point de vue l’ intérêt d’une analyse
épistémologique du discours néolibéral : en en révélant l’inconsistance, elle contribue à nous
donner les moyens d’argumenter pour une mondialisation qui se disjoindrait de l’idéologie
néolibérale.

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1 Louis W. Pauly, Who elected the bankers? Surveillance and control in the World Economy, Ithaca Cornell
University Press 1997 cité in Pierre de Senarclens : La mondialisation : théories, enjeux et débats, Dalloz
Armand Colin, 2002, p. 87.

2 André Orléan, Le pouvoir de la finance, Odile Jacob, 1999 p.48-49

3 L. Von Mises, L’action humaine, cité par M. Baslé et A. Géléran (direction) Histoire des pensées
économiques. Les contemporains. P. 288

4 F. V. Hayek, ‘’The use of knowledge in society’’ in Individualism and economic order, 1949, cité dans René
Passet, L’illusion néolibérale,, Fayard, 2000, p. 46.

5 F. V. Hayek, Droit, législation et liberté, T2, cité par M. Baslé et A. Géléran (direction) : Histoire des
pensées économiques. Les contemporains;.p. 305

6 ibidem.

7 Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776 cité par R. Passet : op.
cit. p. 45.

8 Ibidem.

9 René Passet : op. Cit. p. 34

10 Pierre Simon de Laplace, Essai philosophique sur les probabilités, Christian Bourgois, 1986, pp. 32-33

11 Que l’on peut identifier aux ‘’forces dont la nature est animée’’.

12 Il est intéressant de noter qu’en économie on parle souvent d’optimisation.

13 Laplace, op. cit. p 206

14 Alexandre Kojève, L’idée du déterminisme dans la physique classique et dans la physique moderne, Le livre
de poche, coll. biblio essais LGF, 1990, p. 230

15 K. R. Popper, L’univers irrésolu. Plaidoyer pour l’indéterminisme, Hermann, 1994, p. 27

16 idem, p. 67.

17 Gnedenko et Kolmogorov (1954) cité par Mandelbrot Benoît, Fractales, hasard et finance, Champs,
Flammarion, 1997, p. 61

18 L’expression ‘’ mouvement Brownien’’ désigne le mouvement aléatoire que décrit une particule, comme un
grain de pollen ou de la poussière, qui se trouve plongée dans de l’eau. L’explication de ce phénomène sera le
fait d’Einstein qui, dans un de ses articles de 1905, affirme qu’il s’agit là de l’effet du choc entre les molécules
de l’eau et cette particule.

19 Mandelbrot, Benoît, Fractales, hasard et finance,Champs, Flammarion, 1997, p. 70.

20 idem. p 112.

21 idem p. 71.

22 idem p 113.

23 idem p. 114.
24 Mandelbrot Benoît, op. cit, p. 129

25 idem p. 59

26 idem, pp. 143-144

27 Bernard Walliser, L’économie cognitive, Odile Jacob, 2000, p. 8.

28 André Orléan, Le pouvoir de la finance, Odile Jacob,1999 p. 50.

29 idem, p. 12

30 André Orléan, op. cit., p.12.

31 Bernard Walliser, op. cit. , p. 230

32 ibidem.

33 André Orléan, op. cit. , p.51

34 idem, p.73

35 idem p. 87

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