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JOHN M.

KELLY LIBDADY

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The Redemptorists of
the Toronto Province
from the Library Collection of
Holy Redeemer Collège, Windsor

University of
St. Michael's Collège, Toronto
<P
HOLV .<:«5r-
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University of Ottawa

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vN

LÀ JUSTICE PRIMITIVK ET LE PECHE ORIGINEL

\
BIBLIOTHEQUE THOMISTE
Directeur : Pierre MANDONNET, 0. P.

II

LA JUSTICE PRIMITIVE
ET

LE PÉCHÉ ORIGIAEL
D'APRES S. THOMAS

Les Sources. — La Doctrine

PAR

J.-B. KORS, 0. P.
Docteur de l'Université de Fribourg (Suisse)

Le Saulchoir, KAIN (Belgique)


REVUE DES SCIENCES
PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES

1922 4
5^
HOlYREOÉEMERLIBRARY. \^:SOR
NIHIL OBSTAT :

Fribourg, le 15 juillet 1916.

J. DE Langen-Wendels, O. p. p. Mandonnet, O. p.
Maître en S. Théologie. Maître en S. Théologie.

IMPRIMATUR

Huissen, le 7 mars l'.'21.

B. D. VAX Breda,
Mag. in Theol., Prov.

Insulis, V» die Maii 1922.

A. Margerin
Autistes pontificiœ domûs,
vie. gén.
AVANT-PROPOS

Saint Thomas — cela ne fait doute pour personne — a profité


des travaux théologiques de ses prédécesseurs. Outre la tradition
de l'Église, contenue dans les écrits des Pères, les doctrines des théo-
logiens ont aussi contribué à la formation de son esprit. Nous avons
cru dès lors qu'il ne serait pa5 sansJmportance de donner une vue
générale des opinions des prédécesseurs et des contemporains les
plus remarquables du Docteur Angélique. La connaissance du mi-
lieu dans lequel il a travaillé, et des sources dont il a profité, nous
rend sa propre doctrine plus intelligible et plus nette.

Quant à ses sources, saint Thomas lui-même ne les indique pas en


détail. Il cite surtout, par rapport aux questions qui nous occupent,
saint Augustin, l'autorité principale dans le domaine de la théologie ;

puis saint Anselme, Pierre Lombard, Hugues de saint Victor, saint


Grégoire de Nysse, la Glose ordinaire et saint Jean Damascène. Mais
il n'est pas téméraire de supposer — comme nous le verrons dans la
suite — que sa connaissance des autres auteurs a aussi influencé
sa doctrine.
Notre travail se divise en deux parties. Dans le première, nous
suivrons le développement de la doctrine sur la justice primitive et

le péché originel chez les principaux théologiens qui ont traité ce


sujet avant saint Thomas. On y distingue surtout trois écoles :

l'école augustinienne, l'école anselmienne, et l'école abélardienne ;

notre intention est d'exposer les doctrines de leurs chefs dans des
chapitres spéciaux. Les opinions que professent quelques auteurs
importants du douzième siècle, Honorius d'Autun, Hugues de
Saint-Victor, l'auteur de la Summa Sententiariim, saint Bernard et
Pierre Lombard, feront l'objet du chapitre suivant. Enfin le dernier
chapitre de cette partie sera consacré aux prédécesseurs immédiats
et à quelques contemporains du Docteur Angéhque : Guillaume
d'Auxerre, Alexandre de Halès, Albert le Grand, saint Bonaventure
et Pierre de Tarentaise.
Bibliothèque thomiste *
'''
LA JUSTICE PRIMITIVE ET LE PÉCHÉ ORIGINEL

Dans la seconde partie, nous étudierons la doctrine de saint Tho-


mas. Après avoir examiné la question d'abord dans les œuvres anté-
rieures à la Somme théologique, après avoir consacré un second
chapitre à quelques notions indispensables pour l'intelligence
géné-
rale de sa pensée, nous aborderons l'exposé même de sa doctrine défi-
nitive. Cet exposé sera divisé en deux chapitres, dont l'un traitera
de la justice primitive, et l'autre du péché originel.
TABLE DES MATIÈRES

Avant-Propos '.
v

PREMIÈRE PARTIE
Le développement de Ja doctrine de la justice primitive et du péché
originel depuis S. Augustin jusqu'à S. Thomas d'Aquin

Chapitre I. — 5. Augustin. (354-430).

Influence de S. Augustin sur la théologie et la philosophie.


Caractère général de la doctrine augustinienne ; son inter-
prétation 3
§ I. La son essence, ses relations avec la
justice primitive :

nature et la personne de l'homme, ses relations avec la


grâce, sa transmission
y
§ 2. Le péché originel son essence, ses relations avec la
:

nature, sa transmission 15

Chapitre II. — S. Anselme. (1033-1109).

Caractère général de la doctrine anselmienne 23


§ I. La justice primitive : son essence, ses relations avec la
p nature, avec la grâce, sa transmission 24
§ 2. Le péché originel : son essence, ses relations avec la
nature, sa propagation '.
, 31

Chapitre* III. — Pierre Abélard. (1079-1142).

I. La justice primitive. — 2. Le péché originel, son essence,


sa culpabilité 36

Chapitre IV.

§ 1. Honorius d'Autun. (f entre 1150-1160)


I. La justice primitive. — 2. Le péché originel, son essence,
sa culpabilité 40
VIII LA JUSTICE PRIMITIVE ET LE PÉCHÉ ORIGINEL

§ 2. Hugues de S. Victor. (1096-1141).

I. La justice primitive : son essence, ses relations avec la


nature. — 2. Le péché originel : son essence, sa culpabilité,
sa transmission . 43

§ 3. La Summa Sententiarum. (1137-1150?)

I. Les rapports de la justice originelle et de la grâce. — 2. Le


péché originel son essence, sa culpabilité
: 51

§ 4. S. Bernard. (1091-1153).

I. La justice primitive. — 2. Le péché originel : son essence. 53

§ 5. Pierre Lombard, (f 1164 ?)

I. La justice primitive : ses relations avec la grâce, son essen-


ce, sa transmission. — 2. Le péché originel : son essence,
sa relation avec la nature, sa propagation 55

Chapitre V. — Pévostin de Crémone (f 1209) ;

Guillaume d'Auxerre (f 1231); Alexandre de aies (f 1245) H ;

Albert le Granrf (1206-1 280) 5. Bonaventure{\22\-\21A); ;

Pierre de Tarentaise {-f \276).

§ I. La justice primitive : ses relations avec la grâce, son


essence 61
§ 2. Le péché originel : son essence, sa culpabilité, sa trans-
mission 67

SECONDE PARTIE
La doctrine de S. Thomas

Chapitre 1. — La justice primitive et le péché originel


dans les œuvres antérieures à la Somme Théologique.

§ I. La justice primitive : son essence, ses relations avec la


nature de l'homme, sa transmission, sa relation avec la grâce.
La doctrine du « De M aie ». Comparaison de cette doctrine
avec la doctrine des docteurs antérieurs S^
§ 2. Le péché originel : sa définition ; la concupiscence ; la
« faute » dans le péché originel sa propagation l'infec-

; ;

tion de l'âme, l'ignorance ; le siège du péché, sa peine.


TABLE DES MATIERES IX

La doctrine de la Somme contre les Gentils et du « de Malo » ;

la position de S. Thonias vis-à-vis de ses prédécesseurs . , 94

Chapitre II. — Les notions de nature et de grâce


chez S. Thomas.

I La notion de « nature » ;
relations de la nature à la per-
sonne et à son opération. — 2. La notion d''< état » état de ;

nature, état de la personne. — 3. Le naturel et le surna-

turel ; la grâce 114

Chapitre III. — Doctrine définitive de S. Thomas


sur la justice primitive.

I. La place de cette doctrine dans la Somme. Le caractère


gratuit de la justice primitive ; son essence ; sa trans-
mission ;
avec la nature et la personne de
ses relations
l'homme. —
2. Elle est un « habitus ». Sa relation avec

la grâce sanctifiante les états de la nature humaine.


;

3. Les propriétés, le sujet, les effets de la justice primi-

tive. Caractère général de la doctrine thomiste 128

Chapitre IV. — Doctrine définitive de S. Thomas


sur le péclié originel.

La place de cette doctrine dans la Somme.


§ I. La transmission du péché originel. Sa culpabihté l'argu- ;

ment de la Somme critique de la théorie du décret divin


;

et de l'unité morale du genre humain. La propagation . . 147


§ 2. L'essence du péché originel ; son sujet ; ses effets ; le

texte « vulneratus in naturalihus » ; les peines du péché . . 157

Conclusion. — Caractères généraux de la dotcrine de S. Tho-


mas ; sa position vis-à-vis de ses prédécesseurs et de ses
contemporains ; le développement général de la doctrine . 167
Table des auteurs cités 173
Table alphabétique des matières 176
><

BIBLIOGRAPHIE

SOURCES ORIGINALES
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XII LA JUSTICE PRIMITIVE ET LE PÉCHÉ ORIGINEL

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Ueberweg-Baumgartner, Grundriss der Geschichte der Philosophie, Bd. II. Berlin, 1913.
PREMIERE PARTIE

Le développement de la doctrine de S. Augustin


à S. Thomas

Bibliothèque thomiste
CHAPITRE I

SAINT AUGUSTIN

L'autorité de Saint Augustin domine toute l'époque pré-thomiste.


Dès l'année 415 ^, le synode de Jérusalem avait décerné au grand
Africain un témoignage d'orthodoxie les grands Conciles et les ;

Papes 2 le considéraient comme l'interprète autorisé de la Sainte


Écriture et de la tradition de l'Église. Plus que de tout autre
docteur, le mouvement scientifique de la chrétienté dépendit de lui.
Alcuin, le grand organisateur des écoles, lui emprunte sa définition et
sa division de la philosophie, l'identification de l'âme et de ses puis-
sances, et même s'en tient à son indécision dans la question de l'ori-

gine de l'âme. Rhaban Maur et Paschase Radbert subissent de même


son influence. Rémi d'Auxerre commente l'œuvre pseudo-augusti-
nienne, les Categoriae, — comme l'avait auparavant Henri d'Au- fait

xerre, — et sa.DialecHca. Les dialecticiens du onzième de même siècle,

d'ailleurs que leurs adversaires, en appellent à lui pour se défendre.


Saint Anselme lui aussi considère l'évêque d'Hippone comme la
toute première autorité "*
; sa psychologie est spécifiquement au-
gustinienne, aussi bien que son exemplarisme. Saint Bernard, les
Victorins, le suivent dans leurs doctrines. Même Abélard subit son
autorité incontestée, et essaie de ramener toutes ses thèses à la doc-
trine de saint Augustin. Après l'introduction d'Aristote en Occident,
l'influence du Saint se maintient, plus, il est vrai, dans le domaine de
la théologie que dans celui de la philosophie. Nous trouvons encore

1. Cf. Mansi, t. 4, col. 307. Coiiventus Hierosolyinitamus «... qui ?unt columnae et firma-
:

inenta Ecclesiaecatholicao Aurelius Augustinus et Hieronymus ». Col. 308 « Illico ille (Pela- :

gius) respoiidit Et quis est inihi Augustinus ? Cumque univers! acclamarent blaspheman-
:

tem in episcopum, ex cuiiis ore Dominas universae Africae induisent sanitatem... »

Concilium oecum. Constantinop. Il (anno 553) et Constantinop. III (anno 681) Con-
2. ;

cil. oecum. Nicaen. (anno 787). Le deuxième Concile d'Orange a rédigé ses canones d'après

les formules de saint Augustin. Voir aussi la lettre d'Hormisdas ad Possessorem « De arbi- :

trio libero et gratia Dei quid Romana, hoc est catholica, sequatur et asseveret Ecclesia...
ex variis libris beati Augustini, et maxime ad Prosperum et Hilarium, abunde (potest)
cognosci » (Mansi, t. 8. col. 500). Et encore Jean II « Augustinus cujus doctrinam secundum
:

praecessorum meorum statuta Romana sequitur et servat Ecclesia ». (Mansi, t. 8, col. 804,
ad Senatores). On peut trouver des témoignages analogues chez les Papes Pelage II, Aga-
thon, Hadrien I, Nicolas I, Léo IX, Grégoire VIL
3. Monologium, Prolog. : « Nihil potui invenire me in ea dixisse, quod non catholicorum
Patrum et maxime beati Augustini scriptis cohaereat. »
4 DEVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

son esprit dans de Gundissalinus, de Guillaume


les thèses principales
d'Auxerre et de Guillaume d'Auvergne, en particulier dans celles
qui se rapportent à la doctrine de la connaissance. Pierre Lombard
ne fait souvent que coUationner des textes de saint Augustin. Pour
Alexandre de Halès, il reste encore le principal guide, en philosophie
aussi bien qu'en théologie. La théorie de l'illumination intellective
n'est abandonnée complètement qu'avec saint Thomas ; et les em-
piristes de l'école d'Oxford en sont encore les défenseurs, Jean de
la Rochelle cite saint Augustin plus de 130 fois, tandis qu'Aristote
n'est allégué que 12 fois^. Saint Bonaventure, qui cite pourtant
beaucoup plus de textes d'Aristote que Jean de la Rochelle, est
loin d'attribuer au philosophe païen, même en psychologie, une au-
torité égale à celle de saint Augustin 2. Chez Albert le Grand lui-
même, l'introducteur de l'Aristotéhsme dans la théologie, on trouve
non seulement la théorie de l'illumination, mais aussi la conception
pratique de la science, la priorité du bien sur le vrai et d'autres
thèses augustiniennes ; et, dans sa théologie, il s'en faut de beau-
coup que l'autorité d'Aristote égale celle de saint Augustin, qui y est
incontestablement le docteur principal. Dans domaine de la
le

philosophie, saint Thomas assigne la première place au Stagirite ;

mais en théologie, la supériorité de saint Augustin, tant sur Aristote


que sur les autres Pères de l'Église, ne fait pas de doute il le cite ;

à chaque page, et l'appelle le plus éminent des Docteurs ^.


Cette grande influence de l'évêque d'Hippone se fait sentir tout
particuHèrement dans les questions concernant la justice et le péché
originels ; c'est pourquoi nous croyons devoir exposer assez longue-
ment sa doctrine sur ces deux points.

Mais auparavant une remarque s'impose sur le caractère général


des exposés doctrinaux de saint Augustin, et sur la méthode d'inter-
prétation qui en résultera pour nous, surtout dans la question pré-
sente.
A l'époque de saint Augustin, la théologie en tant que science
systématique était encore à ses débuts ; Augustin lui-même n'en

1. G. Manser, O. p. Johann von Riipella, dans Jahr. f. Philos, u. spek. Theol. B. 26,
H. 3, pp. 299-300.
Les éditeurs de saint Bonaventure disent à propos de ces citations d'Aristote, t. 10.
2.
col. 302 « Hi tamen loci magis serviebant ad probandam et omandam conclusionem iam
:

aliunde acceptam quam ad novara problematum solutionem ex ipsa peripateticorum doctri-


nam desumendam. »

Contra errores Graecorum.


3. Proœmium. Cf. Von Hbrtling, Augustitius-ZUaie bci
Thomas von A qui».
SAINT AUGUSTIN

était qu'un des plus grands initiateurs. On ne s'étonnera donc pas


de ne pas rencontrer dans les livres du grand Docteur une construc-
tion achevée et harmonieuse. Bien qu'il fût un esprit systématique
au plus haut degré —
le plan de son chef-d'œuvre « De Civitate

Dei le
» démontre il —
ne nous donne pas à vrai dire un système
,

de théologie. Sa terminologie n'est pas encore assez précise. Son


exposé reste fragmentaire, car la plupart de ses livres étaient des
oeuvres de polémique, ayant pour but la défense de la doctrine ca-
tholique dans les questions agitées de son temps. C'est pourquoi il

s'appuie surtout sur l'Écriture Sainte, la raison n'étant qu'une arme


secondaire. Cette activité presque uniquement apologétique le

poussait en effet à étudier plutôt la tradition de l'ÉgUse et les


Livres saints que la philosophie. Il n'en faut point conclure cepen-
dant que celle-ci n'avait plus d'influence sur sa doctrine théolo-
gique. Saint Augustin n'a jamais pu se défaire complètement des
idées philosophiques de sa jeunesse, et partout dans son œuvre on
retrouve les traces de son éducation néoplatonicienne. C'est ainsi,
par exemple, qu'il proclame primauté du bien sur le vrai et sur
la
l'être selon lui, dès lors, c'est plus par la notion de bien que par la
;

notion d'être que l'on arrive à comprendre Dieu car Dieu est le ;

Bien en soi. De même, en psychologie, il ignore la distinction de


l'âme et de ses puissances. Enfin, sa théorie de l'illumination intel-
lective est caractéristique à ce point de vue. Il faut notercependant
que, là où il ou la tradi-
voit clairement l'opposition entre la foi
tion catholiques et les théories platoniciennes, Augustin rejette ces
dernières, ou essaie de les mettre en harmonie avec la vérité révélée ;

et ainsi, grâce à son sens catholique, qui ne lui manquait jamais dans
les points controversés, il ne tombe pas dans les erreurs auxquelles

conduit le système plotinien.


En face d'une telle doctrine, plus ou moins inachevée et vague en
certains points, se pose naturellement une question d'interpréta-
tion. Faut-il, dans l'explication des textes de saint Augustin, s'en
tenir à une interprétation matérielle, ou bien tenter une interpré-
tation formelle, qui tienne compte de l'esprit général de la doctrine
de l'auteur ? Selon la première méthode, on se contente de rassem-
bler et d'analyser en eux-mêmes les textes dans lesquels l'auteur
traite d'un sujet donné en règle générale, cette méthode est insuf-
;

fisante, surtout — et c'est ici le cas — quand on l'applique à des


écrivains qui n'ont point sur la matière une doctrine expUcite et
nette. Dans au contraire, on replace les asser-
l'autre interprétation
tions et expressions de l'auteur dans l'ensemble de sa doctrine, et
6 DEVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

on les explique en fonction de cette synthèse. D'ailleurs, on peut alors


ou bien s'en tenir simplement aux données de l'auteur, ou bien pro-
longer son exposé en des conclusions que justifieront le sens général
et l'esprit de sa doctrine. En ce cas, il est possible que parfois l'in-
terprète se trouve être en contradiction avec tel ou tel texte de
l'écrivain lui-même, précisément dans les questions où l'auteur n'a
jamais apporté une solution précise et approfondie. Il semblera alors
que l'écrivain est en contradiction avec son propre système. Dans
ce cas, pour obtenir sa véritable pensée, il sera légitime d'interpréter
ses paroles dans le sens de sa docctrine générale, plutôt que de s'en
tenir matériellement à un texte qui n'a pas même la valeur d'une
opinion réfléchie Pour nous, qui ne voulons considérer la doctrine
^.

de saint Augustin que comme point de départ d'un développement


historique, il n'y a aucune utilité à adopter cette dernière méthode
d'interprétation; car nous n'avons pas à exposer dans toute son am-
pleur la doctrine augustinienne de la justice et du péché originels.
Il importe seulement d'en marquer les grandes lignes, en soulignant

les éléments qui déterminèrent dans la suite le développement doc-

trinal. C'est une interprétation formelle que nous tenterons, qui

pourtant s'en tiendra strictement aux données précises et expli-


cites du saint docteur ^.

Pour ce qui est de la doctrine de la justice originelle en particulier,


ilimporte de remarquer encore que saint Augustin ne nous fournit
que peu de renseignements et souvent imprécis. Sans doute, il en
parle à plusieurs reprises ; mais jamais il n'en traite ex-prof esso ;

ce n'est qu'indirectement, à l'occasion d'un autre problème, comme

1. Il me semble que saint Thomas a sui\ cette méthode aussi bien


i l'ùgard de saint ;"i

Augustin que d'Aristote. Dans son livre, Aitgustinus-Zitatc bel Thomas voit Aquiii, Von
Hertling est un peu injuste envers le Docteur Angélique.
2. Pour les citations des œuvres de saint Augustin, nous renvoyons toujours —
à raoin?
d'indication contraire — à l'édition de Migne, P. L. Pour faciliter les recherches, nous don-
nons ici la liste des tomes, où se trouvent les œuvres citées.
t. 32, Retraciationum libri II.
t. 34, De Genesl ad litteram.
t. 40, Enchiridion.
t. 41, De CivitateDci.
t. 42, De Trinitate.
t. 44, De Peccat. Merit. et Reinissionc.
De PcrfcctioHC lustitiae hominis.
De Gratia Christi et de Peccato origtnali.
De Niiptiis et Concupiscenttis.
De Anima et dus origine.
Contra duas Epist. Pclagianorum.
Contra lulianum.
De corrcptione et gratia.
t. 45, Opus imperject. contra lulianum.
SAINT AUGUSTIN

par exemple celui du péché originel ou de la grâce, qu'il nous expose


sa pensée. On ne s'étonnera donc pas de ne trouver parfois qu'une
réponse incomplète aux questions posées. C'est d'ailleurs plutôt
sous forme d'opinion personnelle que comme une doctrine mûrie
et achevée, qu'Augustin présente ses solutions.

I. — La justice originelle d'après saint Augustin.

Nous envisagerons successivement les réponses de saint Augustin


aux problèmes suivants, considérés comme essentiels.

Premièrement, en quoi consiste la justice originelle ? Comment


peut-on la définir ? Quel est son sujet ?
Deuxièmement, quels sont les rapports de cette justice originelle
avec la nature humaine ? Est-elle une propriété de la nature pure
ou un don surajouté ? Appartient-elle à la personne ou à la nature
spécifique dans l'homme ?
Troisième question : quel rapport établir entre la justice origi-
nelle et la grâce sanctifiante ? Peut-on les identifier formellement ?

ou la justice originelle est-elle seulement un don qui, bien que gra-


tuit, ne nous élève pas à l'ordre surnaturel ? Dans ce dernier cas,
y a-t-il un Hen nécessaire entre la justice originelle et la grâce sanc-
tifiante ?

Enfin nous ajouterons quelques mots sur la transmission de la


justice originelle.

Dans l'exposé de sa doctrine de la justice originelle, saint Augus-


tin suppose toujours admis le principe suivant : Dieu étant la bonté
pas pu créer l'homme dans la peine et la souffrance
infinie n'a :

l'homme a été créé dans la paix et le bonheur et puisque à cet état ;

de paix s'opposerait le combat de la chair contre l'esprit, Dieu doua


l'homme d'une rectitude morale qui lui évitât ce conflit ^. La jus-
tice originelle, selon saint Augustin, consiste précisément dans cette

Contra Iulianum, lib. 3, c. 11, 11. ^3. « ...non secundum illam felicitatem, ubi nihil erat
I.
in carne quod adversus spiritum concupisceret, et concupiscente adversus se spiritu frena-
retur, quia in natuia hominis aiitepeccatum pacem decebat esse, non bellum ». Voir aussi
lib. 4, c. 14, n. 69.

Opus Imperf. c. lui., lib. 4, c. iq. Absit ut in loco tantae felicitatis et in hominibus illic
.<

tanta pace felicibus esset uUa discordia carnis et spiritus ».


De Nuptiis et Concup. lib. 2, c. 35. « Absit enim ut illa beatitudo posset aut in loco illo
(paradiso) non habere quod vellet, aut in suo corpore vel auimo sentira quod nollet. »
De Civitate Dei, lib. 13, c. 14. « Deus enim creavit hominem rectum, naturarum auçtor,
non utique vitiorum. » Voyez encore lib. 14, c. 10 et 24.
8 DEVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

rectitude originelle de la nature : Deus fecit hominem rectum (Eccl.

7, 30). Cette rectitude de la nature humaine, c'est la subordination


de ce qui est inférieur à ce qui est supérieur, c'est-à-dire, du corps
à l'âme, de la concupiscence à la volonté, de la volonté à Dieu ^.

Obéir à Dieu, et ne point sentir en ses membres la loi de la chair se


rebellant contre la loi de l'esprit, telle était la justice primitive des
premiers hommes ^. Car la loi de l'esprit, c'est la loi de Dieu, qui a
dit : Aimez votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, de
tout votre esprit ; or, accomplir cette loi est impossible, si la chair
se révolte contre l'esprit, l'âme n'aimant pas alors son Dieu de tout
son être ^.

La prépondérance, dans cet état de la nature humaine, appar-


tenait donc à la volonté, c'est sa désobéissance qui devait troubler
toute la rectitude de la nature *.

Le siège de cette justice était l'âme, seule capable d'être juste ou


injuste^, que si au corps aussi bien qu'à
la rectitude s'étendait
l'âme, la justice au sens moral du mot, ne résidait que dans l'âme,
cause motrice qui devait maintenir partout l'harmonie requise.
Quoique, pour saint Augustin, la justice de l'homme consiste
d'abord dans l'obéissance de l'âme à Dieu, il est cependant à re-

marquer, — et cette observation vaudra parallèlement pour sa doc-


trine du péché originel, — que saint Augustin dans sa description de

1. De Peccat. Mer. et Rem., lib. 2, c. 22. « Faciebat quippe hoc oido iustitiae, ut quia eorum
anima famulum corpus a Domino acceperat, sicut ipsa eidem Domino suo, ita illi corpus
eius obediret, atque exhiberet vitae illi congruum sine ulla resistentia famulatum. Hinc et
nudi erant et non confundebantur. »
Cf. De Niipt. et Concup., lib. i, c. 3 ; lib. 2, c. 2 et 35.

Op.
2. 23.
cit., 1. 2, c. « Cum
itaque primorum illorum hominum fuerit prima iustitia obe-
dire Deo, et hanc in membris adversus legem mentis suae legem concupiscentiae non
habere... »

3. De c. 8, n. 19. « Nam cum est adhuc aliquid carnalis con-


Perjecllone iustitiae hominis,
cupiscentiae,quod vel continendo frenetur, non omni modo ex tota anima diligitur Deus.
Non enim caro sine anima concupiscit, quamvis caro concupiscere dicatur, quia carnaliter
anima concupiscit. Tune erit iustus sine \illo omnino peccato, quando uulla lex erit in mem-
bris eius repugnans legi mentis eius (Rom., 7, 23), sed prorsus toto corde, tota anima, tota
mente diliget Deum, quod est primum summunque praeceptum. (Matt., 22, 37-38)- » On
peut voir que chez Augustin, l'expression de justiu originelle est prise dans le sens de jus-
tice actuelle plutôt que de justice habituelle. Le premier sens est certainement celui qu'adop-
tera saint .'Anselme.

4. De Peccat. Mer. et Rem., lib. 2, c. 22. « Nondura quippe anima rationalis domina
Garnis inobediens exstiterat Domino suo, ut poena reciproca inobedientem experiretur car-
nem... Denique posteaquam est illa tacta transgressio, et anirtia inobediens a lege sui
Domini aversa est, habere coepit contra eam servus eius, hoc est corpus eius, legem
inobedientiae ».

De Civitatc Dci, lib. 14, c. hominem rectum


11, n. i..« Fecit... Deus... ac per hoc volun-
tatis bonae. Non enim rectus esset bonam non habens voluntatem. »
5. De Trinitate, lib. 8, c. 6. « Iustus autem in homiiie non est nisi animus et cum homo :

iustus dicitur, ex anim.o dicitur, non ex corpore. lîst enim pulchritudo animi iustitia. »
SAINT AUGUSTIN y

la justice primitive, insiste beaucoup plus sur l'état de la concupis-


cence que sur celui de la raison et de la volonté ; dans son analyse
de la rectitude de notre nature, il relève surtout la subordination
de cette concupiscence, l'obéissance de la chair à l'esprit. Il ne fau-
drait pas conclure de là que, pour lui, la justice originelle consistait
principalement dans la soumission de la partie sensitive, et que la
rectitude de la volonté était seulement une propriété personnelle.
En réalité, les textes cités le prouvent, la pensée de saint Augustin
était toute autre, et si parfois ses expressions demeurent obscures,
c'est qu'il n'a guère parlé de la justice originelle qu'à l'occasion du
péché dans sa relation avec lui et, puisque le péché ori-
originel, et ;

ginel, pour Augustin, consistait dans la concupiscence, on s'explique


pourquoi, dans ses écrits antipélagiens, il relève surtout l'absence
de la concupiscence dans la nature humaine au sortir des mains du
Créateur.
L'immortahté de justice ori-
était-elle partie intégrante de l'état

ginelle ? A partir du principe posé par Augustin et que nous rappe-


lions en commençant, il suit nécessairement que la mort devait
être inconnue au paradis terrestre les bêtes elles-mêmes ne mou- ;

raient qu'en dehors de ce lieu de félicité ^. Cependant cette immor-


talité n'était pas une propriété de la justice primitive ; cette jus-
tice en effet, consistant dans une sujétion des sens à l'esprit et de
l'esprit h Dieu, n'incluait pas de soi l'immortalité du corps. De fait,

Augustin parle de la justice et de l'immortalité comme de deux biens


différents in parndiso fuit lihertas hahendi plenam ciim immortali-
:

tate justiiiam 2. Aussi la mort n'est-elle qu'une peine du péché

d'Adam, dont elle reste distincte ^, et non pas un péché en elle-

même ; elle ne revêt pas ce caractère moral qu'ont la concupiscence


que la mort est un effet de la
et l'ignorance, et ce n'est qu'en tant
libre volonté d'Adam qu'elle est comprise dans la culpabihté du
péché originel en ce sens, on peut dire que le péché originel est
;

1. Opus imp. contra lui., lib. 3, c. 147. « G miseri si beatitudinem loci illius christiano
!

cogitaretis affectu, nec bestias ibi morituras fuisse crederetis, sicut nec saevituras ;... aut si
eas ultima senecta dissolveret, ut sola ibi iiatura humana vitam possideret aeternam, cur
non credamus qu.od auferentur de paradiso moriturae, vel inde sensu imminentis mortis exi-
rent, ne mors cuipiam viventi in loco vitae illius eveniret. »

2. Contra sec. epist. pelagian., lib. i, c. 2, n. 5 : Libertas quidem periit per peccatuin, sed
«

illa, quae in paradiso fuit habendi plenam cum immortalitate iustitiam. »


3. De Civitate Dei, lib. 13, c. 3Hactenus in eo natura humana vitiata atque mutata
: «

est, ut repugnantem pateretur in membris inobedientiam concupiscendi et obstringeretur


necessitati moriendi atque ita et quod vitio poenaque factus est, i. e. obnoxios peccato
;

raortique generaret. » Et lib. 14, c. i. « ...eo natura (mutabatur) humana, etiam in posteros
:

obligatione peccati et mortis necessitate, transmissa. »


Opus imperf. c. lui., lib. i. c. 47. « Non tamen mors corporis ipsa peccatura est, vel corpo-
rales quicumque cruciatus. »
10 DEVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

homicide et parler, comme Augustin, de la « culpabilité « de la


mort i.
L'immortalité n'était donc pas une propriété de la nature ;

même l'homme était mortel ^ s'il pouvait ne pas


avant la chute, ;

mourir, c'était en mangeant des fruits de l'arbre de vie ^ ^n ce sens :

seulement, il était immortel, et ce lui était un péché de ne pas man-


ger de ces fruits de vie.

Maintenant se pose la question : quelle est la relation de la justice


originelle avec la nature ? A-t-elle été une propriété naturelle de
la nature intacte, ou un don surajouté, gratuit ? Telle est le fonde-
ment du problème de la nature pure, la pierre d'achoppement des
Jansénistes et des Baianistes.
Pour bien résoudre cette question difficile, il est nécessaire de
partir des données certaines de la doctrine augustinienne. D'a-
bord, ne faut pas perdre de vue que saint Augustin parle à peu
il

près toujours en qualité de théologien. Pour lui, dans presque tou-


tes les questions, la Sainte Écriture est l'autorité principale. Ainsi,
il ne considère pas la nature dans sa constitution essentielle, mais
telle qu'elle a été créée par Dieu. Celle-ci est pour lui la vraie nature,
au sens propre du mot *. Dieu l'a voulue telle. Tout ce qui est au-
dessous de la perfection de la création est par conséquent vice,
péché. Il s'ensuit aussi que la concupiscence, l'insubordination de
la chair à l'égard de l'esprit est vice de la nature ^, est iniquité *.

1. Contra Iulian., lib. 6, c. i6, ii. 49 « ... qui baptizatur omni peccato caret non onini
:

nialo. ()uod planius ita dicitur omni reatu omnium malorum caret, non omnibus malis. »
:

2. Contra Iulian., lib. 4, c. 14, n. 60 « ...ille uterquc se.xus liis aliincntis quibus et ani-
:

malia cetera, corporaliter utebatur, et habebat ex hoc victu sustentaculum congruum, licet
modo quodam immortali, tameu animali corpori necessarium, ne indigentia laederetur de ;

ligno auteni \itae, ne senectute perduceretur ad mortem. «


î. De corrept. et grat., c. 12, n. 34 : « Primo itaque homini, qui in eo bono quo factus tuerat
rectus, acceperat posse non peccari, posse non mori ». '

Opus imperf. c. lui., lib. 6, c. 16 : « Non (timuit) Adam mortem in rniiis erat pote-tate
non mori. »
De Gen. ad liti., lib. 6, c. 25 « Aliud est autem posse non mori secundum quem modum
:

primus creatus est homo immortalis quod ei praestabatur de ligno vitae, non de constitu-
;

tione naturae. A quo liguo separatus est cum peccasset, ut posset mori, q\ii nisi peccasset,
posset non mori. Mortalis ergo erat couditione corporis animalis, immortalis autem bencfi-
cio Conditoris, »

4. Rctract., lib. i, c. 10, n. 3 : « ... Naturam, qualis sine vitro primitus rondita est : ipsa
eiiim vere ac proprie natura hominis dicitur. »

5. De pcrj. iust. homin., c. 8, n. 18 : « Concupiscentia nec erit in illa perfectione iustitae,


ubi nulluni est omnino peccatuni. »

De pecc. mcrit. ci rcmiss., lib. i, c. 20 : " Benc utitui- uialo, concupisrentiam rcstringens
connubio. »

Opus imperf. c. lui., 'ib. 3, c. 167 « Ego concupi^centiam caniis, quae libido etiam nun-
:

rupatur, malam esse dico. » et c 158. —


« Non autem ita mansit (natura) ut condita est : :

ideo crimini probatur obnoxia suamque stirpem suo crimini tamquam hcreditario fecit ob-
noxiam. » Comparez De nupt. et concup., lib. 2, c. 8, n. 91.
6. Contra Iulian. ,]\h. 2, c. 5, n. 12 : « Istam vero legem
peccati... propterea vocavit iniqui-
tatem, quia iniquura est, ut caro concupiscat adversus spiritum. »
SAINT AUGUSTIN 11

Elle ne vient pasdu Père, mais du monde ^ Cependant la rectitude


de la nature dans sa création était une grâce elle n'était pas seu- ;

lement la grâce de la création même, Dieu créant la nature gratui-


tement, — opinion
qu'on trouve plus tard chez plusieurs scolas-
tiques avant saint Thomas mais elle était une grâce spéciale. —
Elle était un don surajouté à la nature, n'étant nullement impliquée
dans les principes naturels, ni exigée par eux. Augustin l'exprime
nettement quand il dit qu'immédiatement après la transgression

du commandement de Dieu, les premiers parents rougirent de leur


nudité, la grâce divine les abandonnant 2. Il demande à Julien :

« Pourquoi ne croyez- vous pas que ce don a pu être concédé par

une opération divine {divinitus) aux hommes, placés dans le pa-


radis, à savoir qu'ils pussent engendrer des enfants... sans aucune
volupté, ou du moins avec une volupté ordonnée et réglée par la

volonté ^ ? « Ainsi le \'('H-on encore faire allusion à la concupiscence


naturelle en montrant la grandeur de la grâce dans le paradis, par
le fait que le corps terrestre et animal n'y aurait pas connu la
volupté des bêtes. De telles paroles n'ont de sens que dans la
supposition que le corps terrestre et animal incline de sa nature à
la concupiscence de la chair *.

Théoriquement donc, saint Augustin ne pose pas la question de


la nature pure. Il considère seulement ce fait, que Dieu créa l'homme
dans la rectitude. Tout désordre dans la nature est dès lors une
iniquité, un
un péché, contraire à l'économie divine qui se
vice,
manifeste dans la création il ne vient pas du Père, mais du monde. ;

D'autre part, puisque, selon Augustin, cette rectitude est une grâce
spéciale, elle n'était pas du tout due à la nature comme telle. Dieu
aurait pu créer l'homme dans des conditions naturelles sans au-
cune injustice ^. Saint Augustin est donc bien éloigné de l'opinion
de Baius et de Jansénius.

1. Opus impfi'j. c. lui., lib. 6, c. ;,y ; lib. 3, c. 20g.


2. De
CivUate Dei, iib. 13, c. 13 u Posteaquani praecepti facta tiaiisgressio est, confes-
:

tim gratia deserente divina, de corporum nuditate confusi sunt. » Saint Thomas comprend ce
texte dans le même sens, I» q. 105, a. 1, c. Comp. c. 24, n. 7. :

3. Contra Iid., lib. 4, c. 5 : « Cur autem non


hominibus in païadiso constitutis
creditis
ante peccatum divinitus potuisse concedi, ut tranquilla motione et coniunctioue vel com-
mixtione membrorum sine ulla libidiiie filios procrearent aut in eis saltem libido talis esset, ;

cuius motus nec precederet, nec excederet voluntatem ? »

4. Op. cit., lib. 4, c. 16, n. 82 « ...peccàto nudatum quod gratia contegebat. Gratia quippe
:

Dei magna ibi erat, ubi terrenum et animale corpus bestialem libidinem non habebat. Qui
ergo vestibus gratia non habebat in nudo corpore quod puderet, spoliatus gratia sensit quod
operire deberet. « Comp. : De peccat. merit. et remiss., lib. i, c 16; De Genesi ad liit., lib. 11,
c. 32 ; De Civitate Dei, lib. 14, c. 17.

3. Dans cette question, il est intéressant d'observer que la mort est aussi, selon saint
Augustin, un mal (op. cit., c. 75). Il dit à ce sujet : « Deus mortem non fecit ». [Opus Im-
12 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRTNE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

Enfin, ce don de la justice originelle appartenait-il à la nature


spécifique ou à la personne ? Il est hors de doute que saint Augus-
tin ne partage la première opinion. De même que le péché originel,

qui consiste dans le désordre de la nature même, appartenait à la


nature spécifique, ainsi la justice originelle, qui est son opposé.
La paix régnait dans la nature de l'homme ^ ; Dieu l'a créé sans
défauts ; elle est dite vraiment et proprement la nature de l'homme ^.

Pour ce motif il peut dire que la nature se serait propagée dans sa


rectitude aux enfants des premiers parents ^ car c'est la nature qui ;

se propage dans la génération *.

Quelle est, d'après saint Augustin, la relation qui existe entre la


justice originelle et la grâce ? Doit-on identifier formellement
cette justice avec la grâce sanctifiante, ou bien est-elle simplement
un don nous élevant pas à l'ordre surnaturel ?
gratuit, ne
Comme
nous l'avons déjà dit, saint Augustin ne nous présente
pas la doctrine de la grâce sous la forme systématique et concise
que lui donnera la Scolastique en son plein développement com- ;

battant les Pélagiens, Augustin a pour principal souci de démon-


trer la nécessité de la grâce et de définir sa relation avec le libre
arbitre. Il la définit comme la restauration de la nature,
avant tout
déchue de l'amitié divine, comme la guérison des blessures résul-
tant en nous du péché d'Adam, comme le secours divin indispen-
sable dans le combat contre les faiblesses de notre nature. Elle nous
illumine, nous entraîne, nous sanctifie par elle, Dieu
nous dirige, ;

agit en nos âmes, et nous fait non seulement connaître, mais sur-
tout vouloir le bien, coopérant aussi avec nous pour l'exécuter.

par], c. lui., lib. 4, c. 32, et 36) ;


quoiqu'il sache bien qu* la mort est chose tout à fait na-
turelle, que l'homme était mortel de sa nature, et n'était immortel que par la grâce. Voyez
De Gen. ad. litt., lib. 6, c. 25 ; De pecc. mer. et remiss., lib. 1, c. 1-6 ;
Retract., lib. i, c. 19,
II. 9 Contra lui. Pel., lib. 4, c. 14, n. 6(;.
;

Jos. Mausbach [Ethik des heil. Augustinus, Bd. II, kap. 2, § 3, 4°) cite De lib. arb.,
lib., 3, c. 20-22, et un texte du premier livre des Retract., c. 9, n. 6, pour prouver que saint

.\ugustin défend la uaturaiité de la concupiscence dans notre état actuel. Mais il me semble
que ces textes ne justifient pas une telle conclusion. Saint Augustin y fait seulement une
supposition. Si Dieu avait créé l'homme dans l'ignorance et la difficulté (la concupiscence),
il n'aurait pas été injuste, puisque même en cet état l'âme humaine serait supérieure à toute

créature corporelle, et pourrait triompher de ces défauts par l'exercice des vertus et la grâce
de Dieu. L'ignorance et la concupiscence ne seraient pas alors une peine du péché. I.e saint
Docteur parle donc du cas où ces deux vices sont naturels. Mais il ne dit pas que,
l'homme étant créé comme il est de fait, ces deux vices lui sont maintenant aussi naturels.
On ne peut donc pas appuyer sur ces textes une telle assertion.

1. Contra lui. Pelag. Mb., 3, c. n, 11. 23. Cf. supra, p. 7, note i.

2. Retract., lib. i, c. 10, n. 3. Cf. supra, p. 10, note 4.

3. Opus imperj. c. lui., lib. 3, c. 198 : « ... excepta propter incapaces uteros matrum sui
corporis quantitate, taies omnino qualis Adam factus est, (parvuli) gignerentur. »

4. Op. cit. lib., 5, c. 63 : « ... eadem quippe natura in singulis quibusque nascitm. »
SAINT AUGUSTIN là

En dehors de ces lignes générales, saint Augustin touche à peine


aux questions techniques que traitera la Scolastique si la grâce :

est un habitus, si elle réside dans l'âme ou dan? les facultés, etc..
Bien que nous n'ayions pas dès lors un traité théologique achevé
de la grâce, nous pourrons cependant utiliser et sainement inter-
préter les renseignements épars, plus ou moins précis que les textes
présenteront sur des points plus spéciaux.
Saint Augustin — ceci nous paraît certain — était d'avis que
l'homme au paradis étaiten possession de la grâce sanctifiante,
et cela (quoiqu'ici il s'exprime moins clairement), dès le premier
moment de sa création. Augustin, il est vrai, ne se sert pas de
l'expression «grâce sanctifiante » pour désigner cet état privilégié
de l'homme, mais il en décrit assez clairement les qualités : « Eo
quippe ipso cum ah illo non discedit, (Dei) ipse praesentia jiistifi-

catur et illuminatur et heatijicatur , opérante et custodiente Deo, dum


obedienti subiectoque dominatur ^. » L'homme alors jouissait de Dieu,
de qui il participait la bonté ; sa joie était perpétuelle, entretenue
par une charité ardente, par une foi sincère, par une conscience
droite ^. C'était là, la grâce même et la sainteté dont parle saint
Paul (Eph. 4, 21-24) ^, grâce et sainteté surnaturelles donc, comme
en témoigne ce texte. L'homme aussi en cet état méritait « Sic :

enim oportebat prius hominem fieri ut et bene velle posset et maie ;

nec gratis, si bene nec impune, si maie » * or. au paradis comme


; ;

aujourd'hui, on ne méritait pas sans la grâce. Il n'y a donc, pen-


sons-nous, aucun doute à avoir pour saint Augustin, l'homme :

dans l'état primitif possédait vraiment la grâce K


Mais, autre est la question de savoir si l'homme possédait la
grâce ou avait été créé dans l'état de grâce, et autre est la question

1. De Gen. ad lut., lib. 8, c. 12, n. 25.

2. De Civitate Dei, lib, 14, c. 26 : « Vivebat itaque homo in paradiso, fruens Deo ex quo
bono erat bonu?..., ^audiunf verura perpetuebatur a Deo, in quem flagrabat caritas de
corde puro et conscientia bona et ûde non ficta. »

3. De Gen. ad litt., Renovamini autem spiritu mentis vestra,, et induite


lib. 6, c. 26 : «

novum hominem eum qui secundum Deum creatus est, in iustitia et sanctitate veritatis
;

(Eph. 4, 21-24) ecce quod perdidit Adam per peccatma. »


:

Comp. c. 27 « Dicit item Apostolus Expoliate vos veterem hominem cum actibus eius,
: :

induite novum qui renovatur in agnitionem Dei, secundum imaginem cius qui créa vit eum,
(Col. 3, 9). Hanc imaginem in spiritu mentis impressam perdidit Adam per peccatum, quam
recipimus per gratiam iustitiae ; ... (lib. 3, c. 20, n. 32) in ipsa agnitione creatus est, ante-
quam delicto veterasceret, unde rursum in eadem agnitione renovaretur. » Voyez aussi de
Trin. 1. 14, c. 15-17.

4. Enchiridion, c. 105.

5. Enchiridion, c. 106 : « ... quainvis sine gratia nec tune (in paradiso) uUum meritum esse
potuisset. »

De Civit. Dei, lib. 14, c. 28 : « Nam... bene vivere sine adiutoiio Dei etiam in paradiso
non erat in potestate. » Cf. aussi De corr. et grat., c. 10-13.
14 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

de déterminer si cette grâce constituait l'élément formel et princi-


pal de la justice originelle. C'est maintenant cette seconde question
qui nous intéresse ; et, pour la résoudre, on a trop souvent iden-
tifié les biens de l'état de rectitude primitive avec cette rectitude
elle-même ; on a confondu ainsi ce qui, dans Adam, relevait de la

personne, et ce qui relevait de sa nature, les dons personnels et


les dons naturels. Or la justice originelle était un don de nature.
Il faut donc serrer la question de plus près, et rechercher, non pas

seulement si Adam avait personnellement, dès le premier instant


de son existence, la grâce sanctifiante, mais si cette grâce apparte-
nait à la nature comme partie de la justice originelle, si cette grâce
appartenait à la rectitude primitive dans laquelle non seulement
la personne du premier homme fut créée, mais encore la nature
humaine en lui.

C'est là sans doute une question que le Docteur lui-même ne


s'estpas posée exphcitement et à ce sujet Espenberger ^ dit que ;

personne ne pourra déterminer quelle fut, sur ce point, la penséa


exacte d'Augustin. Il nous semble pourtant que saint Augustin
donne des indications qui ne sont pas à négliger. Ne distingue-t-il

pas lui-même, en effet, la rectitude de la nature dans laquelle Dieu


créa l'homme, de la grâce par laquelle il l'aidait à faire le bien,
quand il dit « Tune ergo dederat homini Deus bonam voluntatem
: ;

in illa quippe eum jecerat, qui fecerat rectum ; dederat adiutorium


sine quo in ea non posset permanere si vellet ^ ? » Et un peu plus
loin, il dit que, en l'état de rectitude, le pouvoir de ne pas pécher
fut donné au premier homme. Enfin, à ce don s'ajouta la grâce de
voulait ^.
la persévérance, par laquelle il pourrait persévérer s'il

Si on rapproche ces paroles de la conception augustinienne de la


nature, telle qu'elle est exprimée souvent dans les œuvres du saint
Docteur, par exemple dans le texte cité plus haut, à savoir que la
nature telle qu'elle a été créée dans la rectitude est la vraie nature
humaine *, U semble légitime, à notre avis, de concevoir cette
rectitude, non pas comme proprement et substantiellement surna-
turelle, mais comme un don spécial., surajouté, qui n'élevât pas à
l'ordre surnaturel, comme le ferait la grâce sanctifiante. La justice
originelle est donc réellement distincte de la grâce.

1. Espknbi;rgerDie Elcmcntc dcr Erbsuudc nach Augustin und der Frûhscliolastik.


:

(l'orschungen zur christlichen Lilteratur-uiid Dogmengeschichte. Bd. 5, H. i, s. 37).


2. De Corr. et Grat., c. 11, n. 32.

3. Op. cit. c. 12, n. 34 « Primo itaque homini qui in eo bono quo factus fuerat rectus,
:

acceperat posse non peccare... datum est adiutorium perseverantiae, non quo fieret ut per-
severaret, sed sine quo per liberura arbitrium perseverare non posset. »

4. Cf. Pi 10, note 4.


SAINT AUGUSTIN 15

Faut-il maintenant considérer la grâce comme la cause efficiente


de la justice originelle, ou seulement comme une condition « sine
qua non », c'est un point que nous n'osons pas décider. Des textes
déjà cités ^ on peut seulement déduire la gratuité de la subordi-
nation de la concupiscence : elle était due à une grâce spéciale ;

à quelle grâce, à celle de l'intégrité ou à la grâce sanctifiante, c'est

ce que saint Augustin n'exprime pas clairement. Saint Thomas sou-


tiendra la dernière opinion ^.

nous reste à dire un mot sur la transmission de la justice


Il

Augustin déclare seulement que la nature se serait


originelle. Saint
propagée dans la rectitude et la béatitude ^. Les enfants seraient
nés dans le même état que leur père *, la conjonction matrimoniale
s'efîectuant tout à fait sous la domination et la direction de la
raison ^. Le père aurait été le principe de la propagation de la justice
originelle, comme il l'est maintenant du péché originel, parce
qu'il est le principe primordial de la génération ^. Si donc la femme
seule avait violé le commandement divin, elle seule, à l'exclusion
de son mari et de ses enfants, aurait contracté le péché '.

IL — Le péché originel, d'après S. Augustin

Nous traiterons d'abord de l'essence du péché originel ;


puis
de son rapport avec la nature ; enfin de sa propagation.

Le péché originel, selon saint Augustin, est d'abord la concupis-


cence, celle surtout qui se manifeste dans le mouvement des mem-
bres génitaux contre l'ordre de la raison. « Ce qui dans les membres
de ce corps de mort se révolte contre l'esprit, essayant de l'entraî-
ner tout entier à soi, ce qui ne s'exalte ni ne s'apaise au gré de la

1. Cf. p. 7, note i ; p. lo, note 4 ; p. 12, note 3.

2. I* q. 95, a-. 1. c.

3. Opus imperf. c. lui., lib. 2, c. iio :•« Quaiu miseriam in paradiso iitique non haberent,
si persévérante ibi naturae humanae rectitudine et beatitudine nascerentur. »
4. Op. cit. lib. 3, c. 198. Cf. aussi p. 13, note 3.

5. De Gratta Christi et 2, c. 36 «Sic ergo et primarum nuptiarum sine


de Pecc. orig.,\\b. :

libidinis passione tranquillitas, et motus genetalium sicut aliorum membrorum, non ad


effrenati caloris incitamentum, sed ad voluntatis arbitrium... »

6. Opus imperf. c. lui., lib. 2, c. 83 : « Non a femina concipiente atque pariente, sed a viro
seininante est generationis exordium. » Cf. aussi c. 119 et 225.
7. Op. cit., lib. 2, c. 179, et De Trinit., lib. la, c. 12, n. 18 : « si sola mulier cibum edis-
set illicitum, sola utique mortis supplicio plecteretur. »
»

16 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

raison, voilà le mal du péché dans lequel naît tout homme *. »

« C'est la concupiscence qui tient les enfants non baptisés dans les

Hens du péché et, même


meurent en bas âge, les mène à la s'ils

damnation comme des enfants de colère ^. »


Ce n'est pas la concupiscence seule, c'est aussi l'ignorance qui
fait partie du péché originel ^. Toutes les deux appartiennent à

l'ordre moral, et ne sont pas seulement des peines mais aussi des
péchés *.

Mais elles ne sont pas des péchés péché comme telles. Dans le

originel, en effet, il Le mal,


faut distinguer le mal et sa culpabilité ^.

c'est la concupiscence et l'ignorance en soi, le désordre moral dans


la nature, l'insubordination de la chair à l'esprit, qui est une ini-
quité, qui ne vient pas du Père, mais du monde ^. La culpabihté,
c'est la responsabihté de ce mal, qui nous incombe, l'homme ayant
troublé sa nature par son hbre choix '. Par le baptême, cette culpa-

1. De Pecc. Mer. et Rem., 29 « Quod igitur in membris corporis mortis huius ino-
lib. i, c. :

bedienter movetur, totuinque animum in se deiectum conatur attrahere, et neque cum


mens voluerit, exsurgit, neque cum mens voluerit conquiescit, hoc est malum peccati, in
quo nascitur ouinis homo. »

2. Op. cit. lib. 2, c. 4 : « Coucupiscentia... parvulos non baptizatos reos innectit, et tam-
quam irae filios, etiamsi parvuli moriantur, ad condemnationem trahit. »
Opus imperf. c. lui., lib. c. 47 « ... peccatum originale sic peccatum est, ut ipsum sit
3. :

et poena peccati quod inest quidem nascentibus, sed in eis crescentibus incipit apparere
;

quando est incipientibus necessaria sapientia, et mala conoupiscentibus continentia. »


Voyez aussi Contra lui., lib. 6, c. 16.
« Caecitas igitur cordis, qua nescitur quod iustitia vetet, et vio-
4. Op. cit., lib. 6. c. 17 :

lentia concupiscentiae, qua vincitur etiam qui scit unde debeat abstinere... peccata sunt. »
Voyez aussi Contra Itilian., lib. 5, c. 3, n. S.
« ...esse in homine aliquid mali, quod non ipsum,
5. Contra Iulian., lib. 2, c. 5, n. 10 :

sed reatus qui ex illo contractus fuerat, auferatur in Baptisrao. » Ibid. c. 3, n. 5 ; c. 4, n. 8 ;


lib. 6, c. 16, n. 49 « : ...qui baptizatur... omni peccato caret, non omni malo. » Cf. De Pecc.

Merit. et Remis., lib. i, c. 39 ; lib. 2, c. 4. De pecc. orig., ç. 40 ; De nupt. et concup., lib. 2,


c. 25.
6. Coiitra lui., lib. 2, c. 5, n. 13 «Istam vero legem peccati, cuius manentis reatus in
:

sacro fonte remissus est, propterea vocavit iniquitatem, quia iniquum est ut caro concupis-
cat adversus spiritum. » Cf. Opus imperf. c, lui., lib. 3, c. 167.
Opus imperf. c. lui., lib. 4, c 95 « ...ipsum originale voluntas eius eâecit, qui pri-
7. :

mus ea qua natura humana vitiata est, voluntate peccavit, ita ut quidquid hominum nasce-
retur per carnis concupiscentiam, qua? reorum confusione velata est, liberum non fieret a
reatu.
Nous ne comprenons pas comment E. Port.a.lié (Dict. Théol. Vacant, art. Augustin), peut
dire que pour saint Augustin la concupiscence n'est qu'un effet du péché originel. Le saint
Docteur s'exprime trop nettement en sens contraire. Ce n'est pas sur ce point qu'on doit
chercher la difiérence entre Augustin et Jansénius. La distinction' entre le mal et le « reatus »
revêt chez Augustin un tout autre sens que chez Jansénius. Pour Augustin, le « reatus » ne
consiste pas dans la prédominance de la concupiscence sur la raison cela pour lui, c'est le ;

mal. Le reatus, c'est la faute, ou la cuJpabihté, de ce mal qui nous incombe. Cette culpabilité
n'est pa<; une simple imputation du péché de notre premier père, qui pourrait être pareille-
ment enlevée par une simple non-imputation. Elle s'appuie, au contraire, sur notre unité
réelle avec la personne d'Adam en vertu du semen générateur. Un avec lui au moment de sa
prévarication, nous avons péché avec lui. La concupiscence est donc un désordre volontaire
dans notre nature. C'est pourquoi elle est dite péché. Elle est sans doute l'effet du premier
SAINT AUGUSTIN 17

bilité est pardonnée, le mal, c'est-à-dire, la concupiscence reste '.

Le mariage légitime un bon usage d'une chose mauvaise 2. fait

Cette culpabilité constitue un vrai péché, puisqu'elle vient du


libre arbitre C'est l'acte hbre du premier homme qui a fait la
=^.

nature pécheresse "*.

Toutefois, ce n'est pas seulement le désordre de la nature qui


nous rend coupables. Il y a plus. Selon saint Augustin, nous sommes
aussi accablés par le péché personnel d'Adam qui a corrompu la
nature. En Adam
nous n'avons pas seulement perdu la justice pri-
mitive, mais nous avons aussi mangé de l'arbre défendu et violé
le commandement divin. Au moment où Adam conunit son péché,
nous le fîmes en lui et par lui '".
C'est pourquoi la culpabihté du
péché, du peccatum oiigiiians
c mais elle constitue en elle-même le péché originel. C'est
->,

pourquoi, après le baptême, le mal demeure, mais il n'est plus péché ; on lui attribue cepen-
dant encore ce nom, parce qu'il est l'effet du péché et qu'il nous y pousse. Toutefois, par
notre consentement aux mouvements déréglés, nous ne contractons pas à nouveau la culpa-
bilité impliquée par le péché originel et dérivée de la volonté de notre premier père, mais
nous devenons coupables d'un péché personnel, effet de notre propre volonté.
1. Cf. p. i6, note 5.
De Nupt. et Concup., lib. i, c. 25 Dimittitur concupiscentia carnis in Baptismo, non ut
: <

non sit, sed ut iu peccatum non imputetur. Ouamvis aùtem reatu suo iam soluto, manet
tamen, »

De Pecc. Merit. et Remis., lib. 2, c. 28 : «... manente illa, reatus eius solvitur. »

2. De Pecc. Merit. Remis., lib. i, c. 39 et seqq. Cf. p. 16, note 5. Contra lui.,
et lib. 3,
c. 21, n. 42 : « Concupiscentiae carnalis qui modum teaet, malo bene utitur. >
3. Contra lui., lib. 6, c. 8, n. 29 « Non enim et hoc esset peccatum, quod originale tra-
:

heretur sine opère hberi arbitrii quo primus homo peccavit. » Cf. aussi Opus imperj. c. lui.,
lib. 2, c. III ; lib. 4, c. 90, 91, 95.

4. Opus imperf, c. lui., lib. 4, c. 104 « lUe propria voluntate peccatum : illud grande pec-
cavit naturamque in se vitiavit, mutavit obnoxiavitque humanam. «
J. Mausbach dans son voit dans le « reatus »
livre déjà cité [Ethik..., Bd. II, kap. 3, § 4)
du péché originel l'aversion habituelle de de l'homme non-régénéré. Dieu dans la volonté
Comme le péché habituel n'est autre que l'état d'aversion de la volonté après l'acte préva-
ricateur, ainsi le péché originel est un état de péché resté dans la nature humaine de par le
péché actuel d'Adam. Cette aversion a pour effet la concupiscence dans la partie inférieure
de l'âme renforcée par celle-ci, elle constitue avec elle le péché originel.
; Ainsi Maus- —
bach identifie le « reatus n..de saint Augustin avec ce que saint Thomas appellera la partie
formelle du péché héréditaire. Mais l'aversion habituelle dont parle saint Thomas ne désigne
que la privation de l'ordination de la volonté vers Dieu par la justice originelle. C'est là un
désordre, il est vrai mais ce désordre, si mauvais soit-il, n'a le caractère d'un péché, d'un,
;

reatus que par la seule participation à la volonté prévaricatrice d'Adam. A ce titre seule-
ment cette privation n'est pas purement une peine, mais aussi un péché. En soi, c'est-à-dire
indépendamment du rapport avec la volonté du premier parent, le désordre de la partie
supérieure de l'âme ou l'aversion habituelle n'a pas plus le caractère de péché que la concu-
piscence c'est donc ce rapport précisément qui constitue le « reatus ». Et en cela saint Tho-
;

mas suit bien saint Augustin, pour qui également le reatus n'est pas Tétat même de l'aver-
sion, mais la culpabilité de cet état provenant du libre arbitre d'Adam. Les textes cités dans
les notes p. 16, n. 7 et p. 17, n. i, le disent assez clairement. Les expressions alléguées
par Mausbach ne prouvent pas sa thèse, me semble-t-il, et elles admettent bien une autre
explication.

Contra duas Epist. Pelag., lib. 4, c. 4, n. 7 « Restât ut in illo primo homine peccasse
5. :

omnes intelligantur, quia in illo fuerunt omnes, quando ille peccavit unde peccatum tra- :

hitur B. Cf. aussi Opus imp. c. lui., hb. i, c. 48, 112 lib. 2, c. 7, 178, 179, 202, 215 ; lib. 4, ;

c. 176.

Bibliothèque thomiste. 2
18 DÉVELOPPEMENT DE LE DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

péché originel contient toutes les dépravations du péché d'Adam :

l'orgueil, le sacrilège, l'homicide, la fornication spirituelle, le vol,

l'avarice, tout ce qu'on peut trouver de mal dans l'acte prévari-


cateur du premier homme ^. Nous voyons un témoignage de cette
doctrine dans la comparaison, plusieurs fois reprise par le saint
Docteur, entre les rapports des enfants vis-à-vis d'Adam et les
rapports des enfants vis-à-vis de leurs parents immédiats. Augus-
tin soutient que les péchés des autres parents se propagent aussi,
non seulement quant aux effets pénaux, mais encore quant à la
culpabihté, jusqu'à la troisième ou quatrième génération ^. La seule
diiïérence doit être cherchée dans le degré de gravité, différant
dans le péché d'Adam et dans ceux des autres parents. Le péché
d'Adam, étant le plus grave, a souillé en effet toute la nature
humaine les péchés des autres parents ne s'étendent pas plus loin
;

qu'à la troisième ou quatrième génération ^. Sans doute le péché


d'Adam ne fut pas le plus grave en soi quant à l'objet, mais il sur-
passe tous les autres par l'intensité de la volonté et par ses effets*.
Car pour notre premier parent, il était infiniment plus facile de
rester fidèle au commandement divin que pour l'homme après la
chute ^. D'autre part, il corrompit l'intégrité de la nature, qui se

I . Enchiridion, c. 45 : « Quamns et in illo peccato uno quod per, unum homineiii intravit
in mundura, et in omnes homiaes pertransiiî, propter quod etiam parvuH baptizautur,
possint intelligi plura peccata, si unum ipsum in sua quasi menibra singula di\idatur. Xam
et superbia est illic, quia homo in sua pot'us esse quani in Dei potestate diJexit et sacrile- :

gium, quia Deo non credidit et homicidium, quia se praecipitavit in mortem ; et fornicatio
;

spiritualis, quia integritas mentis humanae serpentina suasione corrupta est et furtum, ;

quia cibus prohibitus usurpatus est et avaritia, quia plus quaui illi sufficere debuit appe-
;

tivit et si quid aliud in hoc uno admisso diligenti consideratione inveniri potest. »
;

5 Opus imperf. c. lui., lib. 2, c 177 « Si quis intempeiautia sibi podagram faciat eamque
. :

transmittit in filios, quod saepe contingit, nonne recte dicitur, in eos illud vitium de parente
transisse ? Ipsos quoque hoc in parente fecisse, quoniam quando ipse fecit in illo fuerunt ?
fecerunt ergo, non actione hominum, sed ratione jam seminum. » Cf. lib. 6, c. 27 « lustus :

est enim Deus et ideo nascentes nec facere nec fieri sineret miseros, nisi nosset reos Et )>.

Enchir., c. 46.
3. Opus imperf. c. lui., lib. 2, c. 163 « ...in illo qui hoc egit, quando id egit omnes eramus
:

tantumque fuit ac taie delictum, ut eo natura universa vitiaretur humana. » Cf. lib. 3,
c. 57 et 66 c. 65 « Corpus quidem mortuum est propter peccatum, non ad alios patres sed
;
:

ad illum pertinet, qui tanta impietate peccavit quantani nos metiri non possumus. »
Opus imperf. c. lui., lib. 3, c. 57 «...quis niodus et quae sit divinae ratio et mensura iusti-
:

tiae de alioruni patruni peccatis, ut reddantur in lilios, indagare quis potest ? Propter quod
Deus hominem vero iudicantem sic vindicare prohibuit. Sed apos-
sibi tenuit ista iudicia,
tasia primi houiinis in quo summa erat, et nullo impediebatur vitio libertas propriae volun-
tatis, tani uiaguum peccatum fuit ut ruina eius natura humana esset tota collapsa.

4. Opus imperf. c. lui., lib. 6, c. 27.


5 .Op. cit., lib. 3, c. 65 « ...alii vero patres etiamsi multa peccant, tamen quia et anima
:

infirma est et in corpore corruptibili, quod aggravât animam, peccant nec peccatis eorum
fit natura moritura et peccata eorum in filios longe diverse et longe minore redduntur, eius

occulto iustoque iudicio, qui in mensura et numéro et pondère cuncta disponit et Reddam :

peccata patrum in filios, non mendaciter dixit». Et encore lib. 6, c. 22 « Ipse primus Adam :

naturae tam e.xcellentis fuit... ut peccatum eius tam longe malus ceterorum oeccatis esset.
quam longe melior ipse ceteris fuit. »
'
SAINT AUGUSTIN 19

trouve déjà corrompue dans les autres parents. C'est pourquoi sa


transgression fut plus grave que n'importe quel autre péché, et
par suite toutes les générations humaines en sont chargées ^.

Du reste le péché actuel des parents plus proches, aussi bien que
le péché d'Adam, se transmettent par la génération et non seule-
ment par l'imitation ^
; de même donc que c'est en veitu du semen
générateur que les enfants contractent la culpabiUté de leurs pro-
ches parents, de même aussi c'est en vertu de la génération que le

péché personnel d'Adam est imputé à toute sa postérité. La concu-


piscence porte donc avec soi une culpabiUté qui contient toute la
dépravation de l'acte hbre qui la causa. Ce point deviendra plus
clair, par l'exposé des rapports entre le péché originel et la nature.

Comme un acte hbre du premier homme a


nous l'avons dit,

fait la Le hen qui nous rattache à lui, c'est


nature péoheresse ^.

l'unité de la nature qui se propage par la génération au moment ;

de sa prévarication Adam formait un seul homme avec sa postérité,


tous étant, en lui par le semen générateur *.
Pour Augustin, c'est l'unité de la race humaine en Adam qui
fournit l'exphcation du péché originel aussi demeurait-il toujours ;

perplexe sur la réponse à faire au problème de l'origine de l'âme


et de sa création immédiate par Dieu ^. C'est en raison de cette
unité que l'humanité est toute entière une « massa perditionis ^. »
La personne d'Adam a fait la nature ' pécheresse, puis c'est la nature
en nous qui nous fait pécheurs nous ne sommes coupables que par
;

la culpabilité de la nature en nous, qui à son tour n'est coupable

1. Cet argument est cité par l'auteur de la Sumtna Sententiarum, tr. 3, c. 10, mais il ne
l'accepte pas.

2. Opus imperf. c, lui., lib. 3, c. 19 « Cum ergo dicit patrum in filios, non imitationem
: :

sed generationem redarguit... ideo non dicit, in tertiam et quartam imitationem sed gene-
rationem. » Cf. encore Enchit^., c. 46 et 47 ; Contra lui., lib. 6, c. 8.
De Nupt. et Concup., lib. 2, c. 34, n. 57 « Illo magno primi hominis peccato, natura
3. :

ibi nostra in deterius commutata, non solum facta est peccatrix, verum etiam générât
peccatores. »

4. De Nupt. et Concup., lib. 2, c. 5 « Per unius illius voluntatem malam omnes in eo


:

peccaverunt, quando omnes ille unus fuerunt, de quo propterea singuli peccatum originale
traxerunt. » Cf. c. 26 c. 28, n. 48. Et De Civitate Dei, lib. 13, c. 14 ; p. 17, note 5.
;

De Pecc. Merit. et Remiss., lib. 3, c, 7 « ...in Adam omnes tune peccaverunt, quando in
:

eius natura illa insita vi qua eos gignere poterat, adhuc omnes ille unus tuerunt. »
Opus imp. c. lui., lib. 4, c. 90 « ...communem naturam mala voluntate vitiavit. » Et
:

aussi lib. 5, c. 63.

5. Opus imp. c. lui., lib. 4, c. 104 « Argue de origine : animarum cunctationem meam,
quia non audeo docere vel affirmare quod nescio. » Cf. De Anima et eius Origine.
6. Contra lui., lib. 3, c. 18, n. 35 : « Omnes in uno homine tamquam in massa originis

commune illud habent peccatum. » et lib. 5, c. 14. « Omnes ex eadem massa perditionis et
damnationis. »

7. Cf. note 3.
20 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

que par la volonté du premier homme, dans lequel cette nature


se trouvait toute entière. Nous portons donc d'une part notre
propre péché, pour autant que nous portons notre propre nature ;

d'autre part, cependant, c'est le péché d'un autre que nous portons
parce que nous ne l'avons pas commis de notre propre volonté per-
sonnelle 1. Le péché originel est donc un vrai péché de la nature,
vitium ?iaturae. Ainsi Augustin pouvait dire à JuHen qu'à la nature
ne nuisent que ses propres péchés ^. Pour saint Augustin donc, la
nature, propagée par la génération, est le Uen qui nous rattache

au péché personnel d'Adam. Nous l'avons commis en lui et avec


lui, et en ce sens nous-mêmes avons causé la concupiscence et

l'ignorance, qui nous rend coupables à moins que nous ne soyons


régénérés par le baptême.

Quant à la transmission du péché originel, Augustin déclare que


le péché originel se transmet par la génération, puisque c'est par
elle que nous nous rattachons au premier homme ^. Ce n'est pas
toutefois la génération comme telle qui nous transmet ce mal ;

c'est la génération en tant que dominée par la concupiscence *.


C'est cette dernière qui est le principe coiTupteur par lequel^,
et par conséquent avec lequel, naît chaque homme, — le Christ

excepté, car lui n'est pas venu par la voie de la concupiscence, mais
est né de la Vierge par l'action du Saint Esprit ^. Les parents bap-

1 . Contra lui., lib. 6, c. 8, n. 29 « Parentum autein peccata modo quodam dicuntur


:

aliéna, et rursus modo quodam reperiuntur et nostra aliéna quippe proprietate sunt actio-
:

nis, nostra autem contagione propaginis. »


Opiis imp. c. lui., lib. i, c. 57 « Sic autem aliéna sunt originalia peccata propter nullum
:

in eis nostrae voluntatis arbitrium, ut tamen propter orîginis contagium esse inveniantur et
uostra. 1) Cf. ibid. c. 48.

2 . Op. Fides autem catholica bonam, sed tamen mutabilem creaturam


cit., lib. I, c. 85 : «

in deterius voluntate mutatam


ac per hoc depravata sua vitiataque natura, non sub a'iena
;

substantia, sed sub peccato suo ream dicit scrviliter detineri. »


Retract., lib. i, c. 10, n. 3 « ...non intuentes ideo parvulos, qui utique pertinent ad huma-
:

nam naturam, trahere originale peccatum, quia in primis hominibus natura humana pecca-
vit, ac per hoc naturae humanae nulla nocuere peccata nisi sua. »
De Pecc. orig., c. 33 « Utrumque propagatur et natura et naturae vitium. »
:

3. De Pecc. Ment, et Remiss., lib. i, c. 15, n. 9 « Nam si aliqui possent generari non per
:

Adam... non liquide « omnes » dicerentur ». (Ce texte se rapporte à l'Épître Ad Rom., c. 5,
V. 18 : ... per unius delictum in omnes.)
De Pecc. orig., c. 38 : « ... quidquid ctiani nondum erat natum, merito est in prévarica-
trice radice damnatum, in qua stirpe damnata tenet hominem generatio carnalis. »
4. De Nupt. et Concup., lib. i, c. i « ... carnalis concupiscentiae malum, propter quod
:

homo, qui perillam nascitur, trahit originale peccatum. » Cf. aussi Contra diias Episi. Pela g.,
lib. I, c. 17.

5Contra lui., lib. 3, c. 21, n. 46 « Ex ista et cum ista nascitur homo. »


. :

De Nupt. et Concup., lib. 2, c. 5 n Diabolus concupiscentiam carnis in Domino non


6. :

invenit, quia Domiuus homo non per ipsam ad homines venit. » Cf. aussi Contra lui., lib. 3,
c. 15. û. 54.
SAINT AUGUSTIN ^ 21

tisés, bien qu'ils n'aient plus la faute héréditaire, procréent néan-


moins des enfants coupables, parce qu'ils les engendrent selon
la chair, dans laquelle règne encore la concupiscence ^ C'est donc

bien la concupiscence actuelle qui cause la transmission du péché


originel. L'œuvre de chair n'est jamais entièrement sous l'empire
de la raison et de la volonté, même dans l'acte conjugal licite 2.

Cependant cette concupiscence actuelle elle-même ne se transmet


pas d'individu à individu elle atteint le sujet engendré par une ;

sorte de contagion. Ainsi les enfants naissent infectés par la concu-


piscence de leurs parents. Issus d'un acte de concupiscence, ils

héritent d'une nature corrompue ^.

Pour exphquer l'infection de l'âme, saint Augustin propose deux


solutions. Ou l'âme se propage comme
ou bien elle est le corps,

créée immédiatement par Dieu. Dans la première hypothèse elle


est souillée à la façon du corps elle est l'effet corrompu d'une cause :

corrompue. Dans l'autre cas au contraire, elle reçoit la souillure

du péché au corps même, telun liquide qui se corrompt au contact


d'un vase impur. Si l'on demande pourquoi Dieu qui crée l'âme
innocente, lui fait subir une pareille humiliation et dégradation,
la seule réponse qu'on puisse donner, c'est que c'est là la justice

secrète de sa loi *. C'est en présence de cette difficulté que saint


Augustin gardait toujours des doutes sur la création immédiate
de l'âme par Dieu.
Comme nous l'avons dit plus haut, la propagation du péché
originel s'opère par l'homme seul, la femme n'y a pas de part spé-
ciale ; elle conçoit l'homme dans les conditions où elle l'a reçu ^.

1 . De Peu. Meril.
lib. 2, c. 9 « (lustus) ex hoc gignit, quod adhuc vetustum
et Remiss., :

ex hoc quod in membris eius concupiscentiahter movetur. » Et


trahit inter filios saeculi ;

c. 40 « Regeneratus quippe non régénérât filios carnis, sed générât


: ac per hoc in eos non ;

quod regeneratus, sed quod generatus est, traiicit. »


2. De Nupt. et Concup., lib. i, c. 24 « ..ipse ille licitus honestusque concubitus, non
:

potest esse sine ardore libidinis, ut peragi possit quod ratioiiis est, non libidinis. Qui certe
ardor sive sequatur sive "praeveniat voluntatem, non tamen nisi ipse quodam quasi suo
imperio movet membra, quae moveri voluntate non possunt. » Cf. aussi Contra lui., lib. 3,
c. 23, n. 53.

3. Contra lui., 'ib. 5, c. 14 « Vitia cum sint in subiecto in parentibus, tamen in filios
:

non quasi transmigratione de suo subiecto in subiectum aUerum..., sed affectione et con-
tagione pertranseunt. » Et Mb. 5, c. 3 « Concupiscentia carnis et causa peccati est, defec-
:

tione consentientis ve' contagione nascentis. »

Optis imperf. c.57 « De concubitu autem proies gignitur trahens originale


lui., lib. 2, c. :

peccatuin, vitio propagante vitium, Deo créante naturam. »


4. Contra lui., lib. 5, c. 4, n. 17 « Ut ergo et anima et caro pariter utrumque puniatur,
:

nisi quod nascitur renascendo emundetur profecto aut utrumque vitiatum in homine tra«
;

hitur, aut alterum in altero tamquam in vitiato vase corrumpitur, ubi occulta iustitia divi-
nae legis includicur. »

5 . Opus imperf.
lui., lib. 2, c. 179
c. « Ex illo ergo une principaliter erant tracturi nas-
:

centes originale peccatum, qui genuit. Illa autem quod excepit, concepit. »
22 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

Il resterait à examiner la question de la peine du péché originel

dans saint Augustin mais cela nous entraînerait trop loin. Nous
;

observerons seulement, au sujet des peines infligées à cause du


péché originel aux enfants morts sans baptême, que l'expression
« mitissima paena », employée par Augustin pour les décrire, doit

s'entendre relativement aux peines des autres damnés. Ce qui


importe ici, c'est de noter qu'Augustin exige à raison du péché
originel des peines positives. Cette opinion, qui est d'ailleurs la
conséquence logique d'une conception confuse de notre culpabilité,
devait exercer longtemps son influence. On la retrouve chez pres-
que tous les théologiens après Augustin, jusqu'à Pierre Lombard ;

eUe passe même chez saint Anselme, qui pourtant suit une autre
voie dans l'explication du péché originel Alexandre de Halès ;

et saint Bonaventure parlent encore de la privation de la lumière


physique pour les enfants morts sans baptême, bien qu'ils rejet-
tent toutes les peines positives ils placent en effet les enfants
;

dans un état intermédiaire ils sont sans douleur, mais aussi sans
:

félicité. C'est saint Thomas qui le premier a réduit les peines du


péché originel aux seules conséquences naturelles de la privation
de la justice originelle c'est-à-dire la corruption de la nature,
:

la passibilité, la mort, et finalement la privation de la \dsion béa-


tifique qui résulte de la privation de la grâce sanctifiante.

Nous pouvons donc ramener la doctrine augustinienne du péché


originel aux propositions suivantes :

le péché originel est l'imperfection morale de notre nature, qui


consiste dans la concupiscence et l'ignorance ;

de ce mal nous sommes responsables, en ce sens que le comman-


dement divin a été violé dans la personne* de notre premier père,
en qui sa postérité se trouvait virtuellement et matériellement
contenue puisqu'il en est le générateur ;

ce mal qu'est péché originel se propage par la génération, dont


le
l'acte ne peut plus être soustrait à la concupiscence actuelle, à
à cause de la corruption de la nature que nous avons héritée de
nos parents ;

c'est la présence de cette concupiscence actuelle dans l'homme,


qui lui fait engendrer des enfants dans lesquels se trouve le même
désordre ;

par le baptême enfin, la culpabihté est enlevée, mais le mal reste.


^

CHAPITRE II

SAINT ANSELME

Après saint Augustin, c'est saint Anselme qui a exercé l'influence


la plus nette sur la constitution de la doctrine de la justice et du
péché originels. Tandis qu'Augustin place le constitutif du péché
originel dans la concupiscence et relève surtout dans le premier
état de justice, l'absence de cette concupiscence, Anselme enseigne
que la justice de l'homme avant la chute réside dans la rectitude
de la volonté, et le péché originel dans la privation de cette rec-
titude. Cette différence essentielle a été le point de départ de deux
théories et de deux écoles dans le développement théologique pos-
térieur.
Saint Anselme donne à la théologie une forme et une structure
spéculative et dialectique ; ce n'est que rarement qu'on trouve
chez lui des textes de l'Écriture. Présupposant la foi, il tente d'en
donner les preuves. Le « Credo ut intelligam » a, un sens
chez lui,

plus rationalisant ^ que chez saint Augustin 2. On sent qu'au temps


d'Anselme la question des rapports de la foi et de la raison n'avait
pas été suffisamment élucidée et "l'influence d'un Scot Erigène, ;

qui, dans son essai de systématisation théologique, avait absorbé


la foi dans la science ^, se faisait encore sentir. C'est cette tendance

rationalisante de l'archevêque de Cantorbéry, qui nous expHque


la différenceprofonde que nous trouvons entre sa doctrine et celle
de saint Augustin. Anselme, il est vrai, connut la position d'Augus-
tin dans sa paraphrase du psaume « Miserere », il l'expose pres-
;

que littéralement**. Mais cela ne l'empêche pas, dans ses œuvres

1 . Cf. Ueberweg-Baumgartner, Grundriss der Geschichte der Philosophie, Bd. 2,


pag. 264-265.
2. Semio 43, c. 7, n, 9 : « Intellige ut credas ; crede ut intelligas ». (P. L. t. 38, col. 253).
3. Ueberweg-Baumgartner, op. cit., pag. 223-226. Grabmann : Geschichte der Scholas-
tischen Méthode. Bd. i, pag. 205-206.
4 .
Meditatio in Ps. Miserere, n. 13 : « ...homo ille, per quem hoc peccatum originale in-
travit in mundum, in se omnes de sua stirpe venturos occulta labe et foeditate suae libi-
dinosae concupiscentiae adeo tabificavit. » (P. L. t. 158, col. 829-834). ,

Saint Augustin dit < ...occulta etiani tabe carnalis concupiscentiae suae
: tabificavit in
se omnes de sua stirpe venientes (venturos). » De pecc. Merit. et Remiss., lib. i, c. 9, n. 10.
Meditatio in Ps. Miserere, n. 17 « Carnalis concupiscentia ...in baptismo praeterit reatu
:

et inpoenani peccato nobis remanet actu » et n. 18 « Et hoc est iuguni grave quod creatum
; :

est super filios Adam a die exitus de ventre matris eoruni (Eccl. 40, i) ». Saint Augustin cite
24 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

principales, de suivre une voie très personnelle. Nous nous trouvons


alors en face du dialecticien ; saint Au^stin, qui s'appuyait avant
tout sur l'Écriture et la Tradition, ne peut plus lui servir de guide ;

il s'abandonne à son besoin personnel de raisonner. Sans doute,


il part des données de la foi et de la tradition sur l'existence du
péché originel et sur sa transmission ; mais elles ne lui fournissent
que le point de départ et la matière de ses spéculations ; et il s'es-

saye alors à interpréter et à prouver, plus ou moins efficacement,


ces données de la révélation *.

Dans l'exposé de la doctrine de saint Anselme, nous traiterons


successivement de la justice originelle, puis du péché originel»
ainsi que nous l'avons fait pour les doctrines de saint Augustin.

Sur la question de la justice originelle, Anselme s'exprime


déjà avec plus de précision qu'Augustin. L'homme en tant qu'être
raisonnable devait être créé juste ; s'il en avait été autrement, sa
qualité d'être raisonnable n'aurait plus eu de sens, la raison nous
étant donnée pour discerner le juste de l'injuste. Pour le même
motif, le pouvoir de discerner le bien du mal lui est nécessaire,

afin d'aimer l'un et de haïr l'autre, afin de préférer ce qui est


meilleur à ce qui est moins bon. C'est donc le propre de toute nature
raisonnable d'être créée pour cette fin aimer par-dessus tout le :

bien suprême, et le choisir non pour un motif quelconque, mais


pour lui-même. Or la nature ne peut agir ainsi sans être juste 2,

parce que la justice implique la sujétion de la volonté à Dieu,


et c'est là le devoir de toute créature raisonnable. L'accomplis-
sement de ce devoir, c'est la justice ou la rectitude de la volonté '.

En un mot, pour que la créature raisonnable ne le soit pas en


vain, elle a due être créée à la fois raisonnable let juste.

ce texte maintes fois contre Julien. Cf. Opiis Imperf. c. lui. et les textes cités p. i6; n. 5 et

p. 17, n. I.

1 . De Fille Trinitatis, c. 4, col. 272 : « Duo parva opuscula mea, Monologion scil. et Pros-
logion, qiiae ad hoc facta sunt, ut quod fide tenemus de divina natura et eius per-
maxime
sonis praeter Incamationem, necessariis rationibus sine Scripturae auctoritate probari
possit. » Cf. aussi Monologium, c. 64, col. 210 Cur Deiis hovio, Praef., col. 361.
;

2. Cur Deus homo, lib. 2, c. i : « Rationalem naturam a Dec factam esse iustam, ut illo

fruendo beata esset, dubitari non débet. Ideo namque rationalis est, ut discernât inter
iustum et iniustum ...alioquin frustra facta esset rationalis... Simili ratione probatnr, quia
ad hoc accepit potestatem discernendi, ut odisset et vitaret malum et aniaret et eligerct
bonum, atque mains bonum magis diligeret et eligeret... .\d hoc itaque factam esse ratio-
nalem naturam certum est, ut summum bonum super omnia amarct et eligeret, non propter
aliud sed propter ipsnm. .«^t hoc nisi iusta facere nequit. Ut igitur frustra non sit rationalis,
simul ad hoc rationalis et iusta facta est. »
3. Op. cit.,Uh. I, c. II « Omnis voluntas rationalis creaturac subiecta débet esse volun-
:

tati Dei... Hoc est debitum, quod débet angélus et homo Deo, quod solvendo nullus peccat,
et quod omnis, qui non solvit, peccat. Haec est iustitia sive rcrtitndo voluntatis quae iustos
facit sive rectos corde, id est voluntate. »
SAINT ANSELME 25

Nous voyons déjà par cet exposé que la justice originelle, chez
Anselme, est comprise dans le sens strict de justice elle implique ;

l'accomplissement d'un devoir, d'un « dehitum ^ ». Par ailleurs,


elle est plutôt une vertu qu'une disposition de notre
nature la :

rectitude pour le bien et la sujétion à Dieu, prises comme aptitudes


de la volonté, ne sont que la matière de la justice la justice elle- ;

même est form.ellement une vertu de la volonté, par laquelle elle


maintient cette rectitude pour elle-même 2. C'est pourquoi An-
selme exige l'usage de la raison pour posséder cette justice ^. Aussi
la subordination de la partie inférieure de notre nature à la
volonté
n'appartient-elle à la justice originelle qu'en tant que cette subor-
dination dépend de la volonté. Le premier homme était libre de
conserver la justice ou de la perdre, en d'autres termes il était
libre de pécher ; c'était à lui de veiller avec soin à ne rien perdre
de ce qu'il avait reçu *. Quant à la concupiscence, elle n'est en soi
ni bonne ni mauvaise ; elle est toutefois injuste ^, parce qu'elle ne
doit pas se trouver en une nature créée dans un état d'har- «

monie parfaite, le corps devant être subordonné à l'âme, et l'âme


à Dieu '.

1 .
Loc. cit.; et aussi lib. i, c. 24. Cf. encore De conccptu virginali, c. 22 «...humana natura :

non habet in i'Io iustitiam quam accepit in Adam et anam semper débet habere ». Et
aussi c. 23 ;
De Casii diaboli, c. 15-16 Dial. de libero Arhitrio, c. 3.
;

2. De Conceptu virginali, c. 3 lustitia est rectitude voluntatis propter se servata.


: «
..

Dial. de Veritate, c. 12 : « Voluntas ergo illa iusta dicenda est, quae sui rectitudinem
servat propter ipsam rectitudinem. lustitia ergo est
rectitude veluntatis propter se ser-
vata. »
De Concordia praescientiae Dei cum libem arbiirio, c. 13 « Intentie
namque Dei fuit ut :

lustam faceret atque beatam naturam rationalem ad fruendum


se sed neque iusta neque :

beata esse potuit sine voluntate iustitiae et beatitudinis.


Voluntas quidem iustitiae est
ipsa iustitia. »

3. De Conc. virg., c. 8 : « lustitia ...quae nec servari petest nec haberi non intellecta. »
Cf. c. 29, et De Concord. praesc. Dei, c. 7.

4. De
casu daboli, c. 15 « Ideo namque débet, qui accepit. » :

DeConc. virg., c. 28 « Deus vero recte exigit a natura


:
quod dédit ei, et quod sibi iuste
debetur. » Et c. 22 « ...humana-natura non : habet in illo (infante) iustitiam quam accepit
m Adam, et quam semper débet habere. » Cf. encore De Concord. praesc.
Dei, c. 7.
5 .
De Conceptu virg., c. 4 : . Nec ipsi appetitus quos Apostolus carnem vecat, quae con-
cupiscit adversus spiritum et legem peccati,
quae est in membris repugnantem legi mentis
lusti vel mmsti sunt per se considerati. Non
enim hominem iustum faciunt vel iniusutum'
sentientem, sed iniusfrum tantum voluntate cum non débet
consentientem... Non eos sen-
tire, sed eis consentire peccatum est...
Si peccata essent, auferrentur in baptismo cum
omne peccatunv abstergitur quod nequaquam fieri palam est. Ouare non ;
est in eorum
essentia uUa iniustitia. » Cf. De Concord. praesc. Dei, c. 7.

6. De Concord. praesc. Dei, c. 13 : Appetitus vero, quos omnes vocat Apestelus car-
«
nem et concupiscentiam, in quantum sunt,non sunt mali vel inuisti sed quia sunt in ratio-
;
nali creatura ubi non debent esse, dicuntur iniusti. »
7. De Nuptiis consanguincorum, c. 5 : « ...in corpore humane ante primi hominis prae-
vancationem nihil erat turpe, nihil dissonum cum harmenia illa boni Createris manu :

bene et decenter aptata adhuc permanente pars parti


conveniret, Deoque anima animae
vero corpus suum per omnia subditum esset. »
DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS
26

En ce qui concerne l'immortalité, l'homme primitif pouvait ne


l'impossibilité
pas mourir mais cet état n'impliquait nullement
;

L'immor-
de la mort ^ au ciel seulement la mort est
;
impossible.
absolue. Ce pouvoir de
talité du premier homme n'était donc pas

ne pas mourir n'était point un don spécial, mais une


propriété

d'ordre naturel la mort en effet vient de dehors


;
elle est l'effet :

mor-
du péché qui corrompt la nature. En soi la nature n'est ni

telle niimmortelle 2. Et ici saint Anselme empnmte la formule

augustinienne des trois états différents posse non mori, non


posse :

toute
non mon, non posse mori^ mais l'exphcation donnée est ;

autre, puisque pour saint Augustin, l'immortalité du paradis,


posse non mori », était bien un don surajouté à la
nature *.
le ((

anselmienne
Quoique la justice originelle dans la conception
aitV caractère d'une vertu, elle n'en appartient pas
moins à la
par créa-
nature. Elle a été donnée à l'homme avec sa nature
propagée avec elle, si nos premiers parents
tion, et elle se serait
commis péché par lequel ils l'ont perdue. Cette
n'avaient pas le

une jusrice naturelle, et saint Anselme la distingue


justice était
avec la
nettement de la justice personnelle, qu'on ne reçoit pas
celle-ci, tel uri
nature, mais qu'on acquiert indépendamment de
l'aurait pas été
homme injuste qui deviendrait juste, alors qu'il ne
originairement. 5 Comme on peut le voir, cette distinction entre

I . Cur Deus homo, lib. i, c. i8 : « Habebant enira in paradiso quamdani immortalitatein,


sed non erat immortalis haec potestas.
»
id e5t, potestatem non moriendi ;

n
« Non puto mortalitatem àd puram,
sed ad corruptam hominis
2 Op cit lib 2 c :

iminortalitas ipsius inimu-


naturam'pertinere. Quippe si numquam peccasset homo, et
verus et quando mortales mcor- m
tabiliter firmata esset, non tamen minus hom.o esset ;

homines nam si pert.neret ad ^e^tatem


niptibilitate résurgent, non minus erunt veri ;

qui esset immortalis Non ergo


humanae naturae mortalitas, nequaqviam posset esse homo, quo-
corrupûbilitas, sive incorrupt.bilitas
pertinet ad sinceritatem humanae naturae
;

ad eius misenam. altéra ad bea-


niam neutra facit aut destruit hominem sed altéra valet ;

titudinem. »

" Alia erat illa iinmortalitas, ubi homo poterat non


3. Opus Unperf. c. lui., lib. i, c. 71 :

homo non potest nisi mori alia erit summa immortalitas,


mori, alia est ista mortalitas, ubi ;

ubihomo non poterit mori ». (P. L. t. 45, col. 1096).


mori, secundum quem
De Gemsi ad lit!., lib. 6, c. 25 « Aliud est autem posse non
4. :

quod praestabatur de ligno vitac. non de


moduin primus creatus est homo immortalis ci ;

animalis, immortalis autem


constitutione naturae... Mortalis ergo erat conditione corporis
benefirio Conditoris. »
« Est tamen peccatum quod quisque
trahit cum natura in ipsa
.
^. ne Concept, virg.,
c. i :

sua orrgme et est


sua origine peccatum quod non trahit cum ipsa natura, sed ipse
: et est
:

postquam lain est persona


peccatum quod non trahit cum ipsa natura, sed ipse facit illud,
ipsa origine, vocatur ongina'^
discreta ab aliis personis. Ulud quidem quod trahitur in
;

naturae, sed quomam propter


quod potest etiam dici naturale, non quod sit ex esscntia
oins corruptionem cum illa assumitur. Peccatum autem
quod quisque facit, postquam pei-
fit. Simili ratione potest
dici ori-
sona est, personale potest nominari, quia vitio personae
ginalis et personalis iustitia. Siquidem .\dam et Eva originaliter, id est ipso suo initio, m
autem dia
mox ut homines exstiterunt, sine intervallo iusti simul fucrnnt. Personalis
potest iustitia, cum iniustus accipit iustitiam, quam ab origine
non habuit. »
SAINT ANSELME 27

justice naturelle et justice personnelle n'est pas très formelle :

une chose n'est pas nécessairement naturelle par cela seul qu'une
personne la reçoit avec sa nature indépendamment de sa propre
action. Mais ici Anselme fortement influencé par l'ultra-réalisme
de Scot Erigène, n'a pas une idée claire du rapport de la personne
et de la nature * ; c'est pourquoi il peut attribuer à la justice natu-
relle les caractères d'une vertu proprement dite, ce qui dans le

système de saint Thomas serait une véritable contradiction.

Cette justice originelle doit-elle être considérée comme due à


la nature, ou comme une grâce, c'est-à-dire un don surajouté ?

Saint Anselme dit, à plusieurs reprises, qu'une créature raisonnable


ne peut être créée que juste, parce que sans la justice, la raison
n'est plus la raison ^. Est-ce à dire toutefois qu'on doit comprendre
la justice originelle comme une dette de nature, de telle sorte que
Dieu ne pourrait la refuser sans être injuste, ainsi que prétendirent
plus tard Baius et Jansénius ?
Pour répondre à cette question, il faut rappeler d'abord que
saint Anselme n'avait pas une conception nette de la distinction
entre le naturel et le surnaturel la doctrine touchant les relations ;

de la foi et de la raison n'était pas encore arrivée à maturité, et


il faudra attendre saint Thomas pour avoir les principes de solution
de ce problême. Saint Anselme plus que d'autres était encore loin
de la solution ; de là sa tendance rationalisante, dont nous avons
parlé ; de là aussi les expressions plus ou moins confuses que nous

pourrons trouver'^dans la question présente, et qu'on aurait tort


de rapprocher des formules de Baius. Il importe aussi de rappeler
qu'Anselme considère expressément la justice originelle et comme

1 A ce point de vue le passage suivant est aussi caractéristique « Quod Adam come-
. :

debat, hoc natura exigebat ; quia ut hoc exigeret, sic creata erat. Ouod vero de ligno vetito
comedit, non hoc voluntas naturalis sed personalis, hoc est propria, fecit «. {De Concept,
virg., c. 23). Ici il confond l'exigeance qui vient delà nature avec l'acte que pose la personne.
Il en a lui-même le sentiment, quand il fait usage de deux mots différents : « exigebat »

et « fecit ».

2 Cur Deus honio, lib. 2, c. i


. « Rationalem naturam
: a Deo factam esse iustam, ut
illu fruendo beata esset, dubitari non débet. Ideo namque rationalis est, ut discernât inter
iustum et iniustum... alioquin frustra esset rationalis... Simili ratione probatur quia ad
hoc accepit potestatem disreniendi, ut odisset et vitaret malum ac amaret et eligeret
bonum... Ad hoc itaque factam esse rationalem naturam certum est, ut summum bonum
super omuia amaret et eligeret, non propter ahud, sed propter ipsum. At hoc nisi iusta
facere nequit. Ut igitur frustra non sit rationalis, simul ad hoc rationalis ei iusta facta est. »
De Concept, virg., c. 13 « Nam eadem ipsa ratione, qua non debuit Deus Adam facere
:

nisi iustum ...aperte mens rationalis cognoscit euni quem simihter propria voluntate et
virtute procréât, alicui malo subditum fieri non debere, quoniam minus inconveniens est
omnipotenti et sapienti Dei bonitati talem facere rationalem naturam sola propria volun-
tate de raateria, in qua nullum est peccatum. » Cf. aussi c. 10.
28 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

une vertu de la volonté, et oamme une vertu naturelle cela résulte ;

du lien intime qu'il établit entre la justice et la condition d'être


raisonnable ^. Avoir la l'aison exige nécessairement la justice :

telle est la thèse qu'il déveteppe dans le premier chapitre du second


livre du Ciir Deus honio mais, on le comprend, la raison exige ;

tout au plus une justice naturelle.


Nous répondrons donc à la question posée en faisant une dis-
tinction. Si l'on considère exclusivement la justice naturelle de la
volonté, il que Dieu ne peut créer l'h'omme qu'en l'état
est bien vrai
de justice. Car, c'est de Lui que vient le premier acte de la volonté ;

cet acte ne peut donc être que juste ^. Mais si l'on entend par justice
originelle la rectitude totale de la nature, c'est-à-dire la sujétion
de la volonté à Dieu et des puissances inférieures à la volonté,
elle implique un don spécial qui n'est exigé à aucun titre par la
nature. C'est là précisément la doctrine que combattirent les
Baianistes.
Que saint Anselme considérât la sujétion de la vie inférieure à
la volonté comme une grâce spéciale, c'est ce qui paraît ressortir
des textes cités plus haut ^. Pour lui, la concupiscence, prise en
elle-même, n'est ni juste ni injuste, contrairement à ce que vou-
lait Baius. On ne peut donc pas prétendre que Dieu devait procurer
à l'homme la subordination totale de la concupiscence à la volonté
au titre de justice. Si Dieu le fait néanmoins, c'est alors par une
grâce spéciale ; car il n'y a aucune raison déterminante tirée des
exigeances de la nature elle-même.
On objectera peut-être que saint Anselme dit expressément que
au sens de la rectitude de la volonté est
la justice originelle prise

une grâce. C'est qu'on trouve dans son livTe De conceptit virsi-
ainsi
nali qu'Adam a perdu la grâce qu'il pouvait conserver pour sa
postérité *. Nous croyons cependant qu'Anselme parle ici de la
grâce dans un sens très large, c'est-à-dire en tant que la création

1 . Cf. note précédente.


2. Cf. p. 24, note 2.

3. Cf. p. 25, notes 6 et 7.

•t . De Concept. virg. ...gratiam qiiam de se propagaudis servare poterat, perdidit. »


c. 10: «

Et un peu plus gratiam, quam acceptam propagandis de se semper potuit servare,


loin : «

perdidit ». C. 23 « Quid ergo convenientius ad ostendendum magnitudineni bonitatis Dei,


:

et ad plenitudinein gratiae, quam Adam concedebat, quani ut quorum esse in illius potes-
tatc sic erat, ut quod ille naturaliter erat, hoc iLi per illum essent, ita quoque in eius esset
arbitri: libertate, ut qualis erat ipse iustitia et felicitate, taies eos propagaret. Hoc illi da-
tum est. Ouoniam itaque in taiitae gratiae celsitudine positus, bona, quae sibi et illis ser-
vanda acccperat, sponte deseriiit, idcirco filii perdiderunt, quod pator illis cum scrvando
dare posset, non servando abstulit ». C. 24 « Sic tamen prixata est (huniana natura) illo
:

dono, quo sibi iustitiam custodire poterat in posteros ut iu nullo eoruin ipsa cum aliqua ;

iustitia se propagare queat. » Cf. .aussi Dial. de Liber, .irbifr , c. 3.


SAINT ANSELME 2Q

elle-même est mie grâce. Car, en un sens, la création est effective-


ment une grâce, Dieu n'étant obligé d'aucune façon à créer l'homme
et à le créer dans les conditions où il l'a fait. Tout ce dont nous
jouissons dans notre nature est l'effet de la seule bonté libre de
Dieu. Cependant, la nature étant créée, elle emporte avec elle
certaines exigeances, auxquelles Dieu doit satisfaire, sans quoi
la création serait imparfaite. C'est bien là le principe sur lequel
se fonde le raisonnement de saint Anselme, quand il avance que
Dieu devait créer l'homme juste, parce qu'il l'a fait raisonnable.
La justice est exigée par la constitution de la raison ^. Pour lui

donc une grâce qu'au sens le plus large


la justice originelle n'est
du mot, une grâce de création. Aussi quand il écrit « quando :

illum (hominem) condidit nulla propagandi opérante natura aut


voluntate creaturae, simul illum fecit et yationalem et instum - »,

nous voyons ici commic un rappel à la gratuité de la création ^.


C'est dans le même sens que le pouvoir de transmettre la justice
originelle est appelé une grâce *. Car Anselme prouve simultané-
ment que la transmission de cette justice était nécessaire. La nature
n'en peut être privée de droit, qu'à cause du péché ^. Mais alors
Adam n'aurait-il donc pas eu la grâce sanctifiante ?

Saint Anselme n'en dit rien de manière explicite. Tout au plus


pourrait-on le conclure de ce que l'homme fut créé pour la béati-
tude, c'est-à-dire pour la vision et la possession de Dieu ^. Or pour
mériter cette vie surnaturelle la nature ne suffit pas ; il aurait donc
eu besoin de la grâce sanctifiante. Mais ce n'est là qu'une induc-
tion, et on ne voit pas qu'elle ait été dans la pensée de saint
Anselme.

Quant à l'explication de la transmission de la justice originelle,

1. Cf. p. 27, note 2.


2. De Concept, virg., c. 10.
3. Cf. encore ibid. c. 11.

4. De Concept, virg., c. 10: « Dédit etiani illi Deus hanc gratiam, ut sicut quando illum
condidit nulla propagandi opérante natura, aut voluntate creaturae, simul fecit eum et
rationalem et iustum ; ita simul cum rationalem haberent animam, iusti essent, quos gene-
raret opérante natura et voluntate, si non peccaret. »

5. Lac. cit....eadem quippe ratione, qua nionstratur rationalem naturam iustam


: «

esse creatam, probatur etiam quod qui ex humana natura propagarentur non praecedente
peccato, ex necessitate iustitiam pariter haberent cum rationalitate. Siquidem qui creavit
primum hominem sine parentum generatione, créât etiam eos qui per creatam ab illo fîunt
propagandi naturam. Omnis igitur homo, si peccatum non praecessisset, simul esset sicut
Adam et iustus et rationalis. »

6. Car Deus homo, lib. i, c. 9 : « Rationalem creaturam iustam factam esse et ad hoc ut
Deo fruendo beata esset... » Cf. aussi lib. 2, c. i.
Proslogion, c. i : « Quo (simius) obruti ? A patria in exsilium, a visione Dei in caecitatem

nostram. « Cf. encore De Concord. praesc. Dei, c. 13 Mono), c. 69. ;


.

30 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

elle repose chez saint Anselme, sur une solution ultra-réaliste


du problème des universaux. Pour comme pour les réalistes, lui

l'universel formel n'est pas une forme logique, mais une réalité ;

c'est une même nature réelle, unique, qui se trouve dans tous
les individus l'individuation ne divise pas la nature, mais sépare
;

les personnes ^. Avec une telle théorie, on le voit aisément, — —


le problème de la transmission de la justice originelle, comme celui

de la transmission du péché, devient très facile à résoudre. Toute

I .Etant donnée la grande importance de cette remairque concernant la doctrine


anselmienne sur la transmission de la justice primitive et surtout du péché originel, nous
donnons quelques textes pour prouver notre assertion, qui n'est pas admise par tout le
monde. Contre cette opinion s'inscrivent A. v. Weddingen, Essai critique sur la phi-
:

losophie de S. Anselme de Cantorbéry, pp. 208-242 P. Ragey, Histoire de S. Anselme, t. i, p.


;

484 ; L. ViGN'A Sanf Anselmo Filosofo, p. 55-59 Domex de \'orges, .S. Anselme, p. 152-
: ;

156 Bainvel, art. Anselme, dans Dict. deTkéol. cath.


; Grabmann, Geschichte der scho-
;

lastischen Méthode, t. I, p. 306-308 J. Fisher, Dïc Erkentitnislehre Anselms von Canter-


;

bury. Ces auteurs s'appuient surtout sur un texte du troisième chapitre de son traité
De fide Trinifatis « Xempe de nulla una eademque numéro re duo Angeli dicuntur, aut
:

duae animae, nec unum aliquid numéro de duobus Angelis dicitur, aut de duabus ani-
mabus, sicut et Patrem et Filiuni dicimus de Deo uno numéro et unum numéro Deum de
Pâtre et Filio. » Nous en parlerons pins loin.
Anselme ne traite pasla question des universaux « ex professo ». Cependant on trouve chez
lui des expressions, qui sont caractéristiques de l'ultra-rcalisme. Témoin sa définition de la
substance universelle « quae pluribus substantiis essentialiter communis est ...in plures
: ;

substantias se di\idit cum aliqua alia per essentialem communionem se colligit. » {Manolog.
;

p. 27. P. L. t. 138, col. 180). La personne est définie « quae cuni natura collectionem habet
:

proprietatum ». Cf. p. 26, n. 5. « Diversarum vero personarum impossibile est eaiidem esse
proprietatum collectionem aut de invicem eas praedicari. Nam et Pétri et Pauli non est
eadem proprietatum collectio». De fide Triniiatis c. 6. Dans ce même ouvrage, c. 2, il atta-
que RosceUn en disant « Qui enim nondum intelligit quomodo plures homines in specie sunt
:

unus homo, qualiter in illa secretissima et altissima natura comprehendet quomodo plures
personae quarum singula quaeque est perfectus Deus, sinl unus Deus ? » Cette comparaison
n'a de valeur que dans le sens ultra-réaliste. Il lui fait encore ce reproche « Qui non potest :

iutelligere aliquid hominem nisi individuuiu, nullatenus intelliget homiuem nisi huma-
e?.=;e

nampersonam. Omnisenim individuns homo, personaest. Qnomodoergoiste intelliget homi-


nem assumptum esse a V'erbo, non personam id est, aliam naturam, non aliam personam
;

esse assumptam ». Ce texte devient encore plus intéressant si on le compare avec ce qu'il
dit c. 6 « Verbum enim caro factum assumpsit naturam aliam, non aliam personam. Nam
:

cum profertur homo, natura tantum quae communis est omnibus hominibus, signiâca--
tur. Cum vero démonstrative dicimus istum vel illuin hominem, vel proprio nomine Jesum,
personam designamus quae cum natura collectioutm habet proprietatum, quibus hcmo
communis fit singulus, et ab aliis singulis distinguitur. Nam cum ita designatur, non quili-
bet homo intellgitur sed qui ab angelo annuntiatus est... Cum ergo Verbum caro factum
est, naturam assumpsit, quae sola nomine hominis significatur, et semper est aUa a di\ina
natura non aliam assumpsit personam, quoniam eamdem habet cum assumpto homine
;

proprietatum collectionem. Non enim idem est homo et assumptus a Verbo homo id est
lesus quoniam in nomine hominis, sicut dictum est, sola intelligitur natura in assumpto
; ;

vero homine, ve! in nomine lesu, intelligitur cum natura, id est, cum homine collectio pro-
prietatum, quae est eadem eidem assumpto homini et \'erbo ». Selon Anselme donc, dans
l'Incarnation le Verbe n'a pas pris une nature individuelle, mais la nature qui est commune
à tous, puisque selon lui la nature individuelle est une personne ayant un ensemble de
singularités en propre. Or dans l'Incarnation l'ensemble des singularités est commun à la
nature et au Verbe. Et c'est ainsi qu'on a dans le Christ une persoime et deux natures. Il
me semble que cette explication de l'Incarnation prouve clairement le sens ultra-réaliste des
conceptions anselmiennes. Cf. S. Thomas, Ili* q. 4, a. 4 c.
A cette lumière nous comprenons mieu-x les expressions de saint Anselme sur l'unité de
nature que nous avons avec .-^dam, comme par exemple celle-ci « tota aatura humana iu :
SAINT ANSELME 31

la nature luimaine étant en Adam, elle aurait, comme telle, et


avec lui, vaincu la tentation. Aussi saint Anselme conclut-il que
si Adam n'avait pas succombé à la séduction du démon, mais en
avait triomphé, il eut été confirmé dans la justice, et toute sa
postérité avec lui et par lui. Toute la nature humaine aurait en
effet triomphé en lui, et par conséquent elle aurait, comme telle,

mérité la confirmation dans la justice ^. Alors, il n'y aurait plus


eu seulement le posse non feccare ^, mais encore le non passe
peccare^. Si en effet, l'homme ayant péché, la faute s'est trans-
mise, a fortiori, dans le cas où l'homme n'aurait pas péché, la
justice se serait transmise ; car l'injustice n'a pas plus de viru-
lence à corrompre que la justice n'a de force à se maintenir en
la perfection *. La conséquence c'est que la justice originelle se
serait propagée comme la nature se propage elle-même, par la voie
de la génération.

Passons maintenant à la doctrine du péché originel. D'après


saint Anselme tout péché est strictement la privation d'une jus-
tice requise ^. Ainsipéché originel n'est autre chose que la pri-
le

vation de la justice primitive, qui doit se trouver dans la nature


humaine ^. Dieu, ayant étabh l'homme dans l'état de justice, est

ilJis erat et extra illos de illa nihil erat


{De Cuncep. virg., c. 2) Humana natiira tota crat
>
;
<

in parentibus primis(Cur Deus homo, lib. i, c. 18) « Natura corrupta per eum in qiio
» ;

tota nunc erat et extra qiiem non erat » ( De Nuptiis consanguineorum, c. 5).
Quant au texte objecté plus haut, les adversaires oublient que selon la conception ansel-
niienne le « unum numéro » c'est l'individuel. Or en Dieu exceptionnellement une essence
individuelle est commune aux trois personnes, tandis qu'entre deux anges ou deux âmes
il ne peut y avoir une essence individuelle commune. Les mêmes expressions chez saint

Anselme et les Thomistes n'ont pas toujours le même sens. Cf. A. Boehne, Anselmi Can-
tuariensis philosophia, p. 15, sqq ;De Résumât, S. Anselme de Cantorbéry, p. 494 ; Hau-
RÉAU, Histoire de la philosophie scolastique, t. I, p. 280-281.
Cur Deus homo, Ub. i, c. 18 « In illa tamen iustitia in qua erant, \idetur quod s
I. :

vicissent, ut non peccarent tentati ita conûrmarentur cum omni propagine sua, ut ultra
;

peccare non possent quemadmodum quia victi peccaveruat, sic infirmati sunt, ut, quan-
:

tum in ipsis est, sine peccato é^se non possent. Quis enim audeat dicere plus valere iniusti-
tiam ad alligandum in servitute hominem in prima suasione sibi consentientem, quam
valeret iustitia ad confirmandum eum in libertate, sibi in eadem prima tentatione adhae-
rentem ? Nam quemadmodum quoniam humana natura tota erat in parentibus primis,
tota in illis victa est ut peccaret (excepto illo solo homine, quem Deus sicut scivit sine viri
seraine de Virgine facere, sic scivit a peccato Adae secemere), ita in eisdem tota vicisset,
si non peccassent. »

Saint Thomas, dans sa Somme I. q. 100, a. i, ad 2, écrit en parlant de Saint Anselme :

< Hoc non dicit asserendo sed opinando ». Dans son Quodlib. 5, a. 8, il dit simplement « Qui- :

dam sequentes Anselmum... » etc.


2. Dialog. de libéra Arbitr. c. 2.

3. Cf. texte cité note i.

4. Cf. le même texte cité.


5. De casu diaboli, c. 15-16.
6. De Concept. Virg., c. 27 « Hoc peccatum quod originale dico aliud intelligere nequeo
:

in eisdem infantibus, nisi ipsam quam supra posui factam per inobedientiam Adae iusti
32 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

en droit d'exiger la conservation de cette justice '. b'en être privée


volontairement, voilà la faute de la nature humaine ^.
Cette faute première entraîne avec beaucoup d'autres fautes. elle

La première est l'impuissance à redevenir juste et à donner une


satisfaction pour la perte de la justice ^. Les nouveaux-nés ne peu-
vent comprendre ce qu'est la justice cependant ils ne sont point ;

excusés de la faute. Au paradis ils auraient compris ce qu'est


la justice sans la chute. S'ils peuvent plus maintenant, c'est ne le

à raison d'un acte libre et responsable de la nature humaine dans


le premier père"*. L'impuissance actuelle de cette même nature

est donc coupable. On doit dire pareillement que ce qui est fruit

de corruption dans notre nature, comme la concupiscence et l'igno-


rance, nous est imputé comme péché, tant que nous portons la

faute dont elles dérivent^. La privation de la justice primitive,


c'est formellement le péché originel ; les autres imperfections
et corruptions, qui en sont des effets, ne sont coupables qu'en
vertu de la culpabilité de la première privation. Elles sont plutôt
des peines que des péchés ^.

Mais quel est le rapport du péché originel à la nature ? Comme


la justice originelle, le péché héréditaire appartient à la nature,
et indirectement à la personne. C'est par la personne (c'est-à-dire

tiae debitae nuditatem, per quam oinnes ûlii suut irae, quoniaiu et naturam accusât spoa-
tanea, quam fecit in Adam, iustitiae desertio ». Ibid. c. 3 : « ...originale peccatum
esse iniustitiam dubitari non débet... Quod si ita est et iaiustitia non est aliud quam
absentia debitae iustitiae... utique originale peccatum clauditur sub eadem deâiiitione
inuistitiae ».

1. Cf. p, 25, note I.

2. De Concept, virg., c, 27 : « ...quoiiiam et naturam accusât spontanea quam fecit in


Adam, iustitiae desertio ». ,

3. De concord. praesc. Dei, c. 7 : « ...impotentia quae descendit ex culpa, non excusât


impotentem, culpa manente. Unde in infautibus, in quibus exigit Deus a natura humana
iustitiam quam accepit in primis parentibus cum potestate servandi illam in omnem pro-
lem suam, non excusât eam impotentiani habendi iustitiam, quoniam propter culpam in
hanc corruit impotentiam... Nec soluiu mipotentia iustitiam habendi, sed etiam impotentia
illam inteiligendi similiter in non baptizatis imputatur ad peccatum ». Cf. Cur Deus homo,
iib. I, c. 24 ; De Concept, virg., c. 2, c. 22.

Cur Deus homo, Iib. i, c. 24 » ...culpa est iili babere impotentiam qua uec iustitiam
4. :

tenere et peccatum cavere, nec quod pro peccato débet reddere, potest. Sponte namque
fecit unde perdidit illam potestatem. »

5. De Concord. praesc. Dci, c. 7 « ...nupotentia quae descendit ex culpa, non excusât


:

impotentem, culpa manente... Possumus etiam ratiouabiliter asserere quia quod a prima
conditionis liumanae dignitate ac fortitudine atque puchritudine minorata et corrupta est,
illi ad culpam imputatur... Sic quidem ipsos motus, sive appetitus quibus propter pecca-

tum .\dae subiacemus ...satis ostendit Sacra Auctoritas iniputah ad peccatum. » Et c. 8 :

« ...corruptio et mala quae fuerunt poena peccati et post baptismum rémanent, non sunt

per se peccata, Sola namque iniustitia est per se peccatum et illa quae sequuntur iniusti- ;

tiam propter causara suam iudicautur peccata douée ipsa remittatur. »


6 . Op. cit., c. 8, et De Suptiis consanguin., c. 5.
SAINT ANSELME 33

d'Adam) qu'il est passé une première fois à la nature ; c'est par la
nature qu'il passe dorénavant à la personne (c'est-à-dire de chacun
des hommes ^.) C'est pourquoi le péché d'Adam ne se transmet
point à ses enfants, de telle sorte qu'ils doivent en être punis comme
s'ils l'avaient personnellement commis '^.
La nature qui était toute
entière dans Adam, a péché par lui ^ ; en vertu de cette nature,
qui est transmise de génération en génération, tous étaient en Adam
que lui Le
et n'étaient autres *. péché héréditaire est donc vraiment
un péché de nature, un péché naturel.

Et nous voici amenés à la question de la propagation. D'après la

conception ultra-réahste de saint Anselme, tous les hommes parti-


cipent une même nature réelle^. Cette nature qui fut créée dans
notre parent commun, se propage dans l'acte de génération de
par la libre volonté du père*. En vertu donc de la vie commu-
niquée et reçue, nous sommes au premier parent dont nous liés

participons la nature ainsi en lui ne sommes-nous que lui, et non


;

nous-mêmes'. En appHquant ce principe à la doctrine du péché


originel, nous avons sans peine l'expHcation de sa propagation.
Puisque nous sommes unis à notre premier parent par la descen-
dance, nous portons en nous la même nature pécheresse. Adam
violant le précepte divin, la nature humaine l'a violé par lui :

1. De Concept, virg., Est peccatum a natura et est percatuiii a persona. Itaque


c. 25 : «

quod quod aiitem a natura naturale, quod dicitur ori-


est a persona potest diri personale,
ginale et siciit personale transit ad naturam, ita naturale ad personam hoc modo. Quod
:

Adam comedebat, hoc natura exigebat... Quod vero de ligno vetito romedit, non hoc volun-
tas naturalis sed personalis, hoc est, propria fecit ; quod tamen egit persona non fecit sine
natura. Persona enini erat quod dicebatur Adam, natura quod home fecit igitur persona :

peccatricem naturam, quia cum Adam peccavit, homo peccavit... Similiter fit in infan-
tibus e converso. Nempe quod in illis non est iustitia quam debent habere, noiï hoc fecit
illorum voluntas personalis, sicut in Adam ; sed egestas naturalis, quam ipsa natura accepit
ab Adam ». Cf. ibid. c. i.

2. De Concept, virg., c. 22 : « Peccatum Adae ita in infantes descendere ut sic puniri pro
eo debeant ac si ipsi singuli illud f ecissent personaliter, sicut Adam, non puto. »

3. De Concept, virg., c. 7 : « ...In Adam omnes peccavimus, quando ille peccavit, non
quia timc peccavimus ipsi qui nondum eramus, sed quia de illo futuri eramus. »

4. Op. 23 « Negari nequit infantes in Adam fuisse, cum peccavit, sed in illo cau-
cit. c. :

saliter sivemateriahter velut in semine fuerunt in ipsis personaliter sunt quia in illo
; ;

fuerunt ipsum semen, in se singuli sunt diversae personae in illo non alii ab illo, in se ;

alii quam ille. In illo fuerunt ille, in se ipsi. Fuerunt igitur in illo, sed non ipsi quoniam ;

nondum erant ipsi... »


5. Cf. p. 30, note I.

6. De Concept, virg., c. lo : « Cum fecit Deus Adam, fecit ineo naturam propagandi,
quam subiecit eius potestati ut ea uteretur pro sua voluntate, quamdiu ipse vellet subdi-
tus esse Deo... «

7. Cf. le texte cité note 4.

Bibliothèque ihouiiste 3
34 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

la personne a agi au compte de la nature i. Nous donc qui possédons


individuellement la même nature réelle, nous devenons pécheurs par
notre commune nature ^
;
par elle nous sommes le prévaricateur
Adam lui-même ^. Aussi nous incombe-t-il l'obligation de récu-
pérer la justice originelle et de satisfaire pour sa. privation.
Le Christ, lui, n'est pas venu par l'acte générateur d'un homme ;

de la nature humaine, transmise par la génération, il n'a pris que


la matière *. Or la matière ne comporte pas de péché ^. Dès lors,

bien que provenant de la masse de perdition, le" Christ n'est pas


pécheur, n'ayant pas la nature prévaricatrice^.
Dans cette théorie de saint Anselme, on comprend que la ques-
tion de la concupiscence soit reléguée au second plan ; ce n'est pas
la concupiscence actuelle dans l'acte de la génération qui produit
le péché originel, bien que la concupiscence soit vicieuse '
; c'est
l'unité de la nature, à laquelle nous participons par la génération,
qui nous rend pécheurs. Ne pas être venu par la volonté et la nature
d'Adam, voilà la raison pour laquelle le Christ n'a pas le péché
i - I . De Concept, c. 23 : > l'ecit igitur persona peccatricein uaturam, quia rum .\dam pecia-
vit, homo peccavit ». Et c. i : « ...fuit enim peccatum .\dae in homine quodest in natura,
et in illo qui vocatus est .\dam quod est in persona. »

2. Cf. p. 33, note I.

3 . De Concept, virg., c. 10 : « Restât igitur ut per hoc tantum sit débiter, quia est Adam ;

sed non simpliciter quia est Adam, sed quia est peccator Adam. »
4. Op. cit., c. 12 « Nulli efgo personae quamvis de se propagatae transmittere mala
:

praedicta potuit in cuius generatione nec natura illi data est propagandi, ner voluntas eius
quidquam operata est, aut operari voluit. Quare .\dae mala praedicta nulla ratione aut
rectitudine ad hominem conceptum de Virgine pertranseuut. » Et c. 13 « Niniis inconve- :

niens est omnipotenti et sapienti Dei bonitati talem facere rationalem naturam sola
propria voluntate de materia in qua nullum est peccatum. »

5. Op. cit., c. 15 : « Licet massa generis humani peccatrix nominetur, non tameii in ulla
parte eius est peccatum, uisi ut dixi in voluntate quam in nulla hominis conceptione semen
habere cognoscitur. »
6. Op. cit., c. 15 « Quamobrem nulla ratione vera aut v^risimilî contradicente, si consi-
:

derentur quae supra dicta sunt, iaui libère possumus concludere quia nulla ratio, nulla
Veritas, nuUus intellectus permittit ad hominem ex sola Virgine conceptum de peccato
massae peccatricis, quamvis de illa sit assumptus, aliquid potuisse aut debuisse accedere
etiamsi non esset Deus. »
Il est clair que saint Anselme comprend l'expression massa peccatrix dans un autre sens

que saint Augustin, à qui il l'emprunte. Pour celui-ci, la masse pécheresse c'est le genre
humain lui-même qui descend du premier homme par voie de génération. En conséquence,
le Christ n'appartient pas à la massa perditionis, bien qu'il vienne d'.^dam quant à la ma-
tière corporelle. C'est précisément cette matière corporelle qu'.Anselme appelle la masse
pécheresse aussi peut-il dire que le Christ vient de la « massa peccatrix »
;
« semen de :

Virgine sumptum asserit esse mundum quamvis sit de massa peccatrice » {De Coticept.
virg., c. 14). Et c. 15 : « quamvis de illa (scil. massa peccatrice) sit assumptus ». Cf. c. 21.

De Concept, virg., c. 7 « De immundo semine in iniquitatibuset in peccatis conceptus


7. :

potest homo intelligi non quod in semine sit immunditia peccati, aut peccatum sive ini-
;

quitas sed quia ab ipso semine et ipsa conceptione ex quo incipit homo esse, accipit neces-
;

sitatera ut, cum habebit animam rationalem, habeat peccati immmiditiam, quae non est
aUud quam peccatum et iniquitas. Nam etsi viciosa concupiscentia generetur infans, non
tamen magis est in semine culpa quam est in sputo vel in sanguine, si quis mala voluntate
exspuit, aut de sanguine sue aliquid emittit non enim sputum aut sanguis, sed mala volun- :

tas arguitur. »
SAINT ANSELME 35

originel ^. Pour saint Augustin, au contraire, le Christ était sans


péché parce ne procédait pas de la concupiscence ^.
qu'il

Si nous comparons maintenant la doctrine de saint Anselme à


celle de son grand maître, nous voyons qu'il s'écarte de lui sur

deux points quant à l'essence et à la transmission de la justice,


:

quant à la nature du péché originel. D'après saint Augustin, la


justice originelle consiste dans la rectitude de la nature d'après ;

saint Ansehne elle réside dans la rectitude de la volonté en tant


que puissance de la nature et elle est par conséquent une vertu.
Pour le premier, le péché originel est dans la concupiscence, et
c'est par elle que s'expUque sa propagation ;
pour le second, le

péché héréditaire est la privation de la justice primitive dans et


par la nature humaine, et c'est sur son ultra-réalisme que se fonde
la théorie de la propagation.
Ces divergences chez saint Anselme procèdent principalement
de sa tendance rationahsante sous l'influence de Scot Erigène ;

c'est à ce dernier en effet qu'il emprunte sa conception semi-


rationaliste du Credo ut intelligam ; c'est à lui aussi qu'il doit son
ultra-réalisme, apphqué à la question du péché originel ^.

1. op. cit., c. 8, 12, 13, 23,

2. Cf. p. 20, note 6, et p. 42, note 3.

3. Voici quelques textes de Scot Erigène (810-877 environ). Commentarium in Evangel.


sec. Joan., fragm. i, col. 310-311, P. L. t. 122 « Est itaque originale peccatuni illud quo
:

tota humananatura, simul et semel ad imaginem Dei condita et in qua omnes hoinines
ab initio mundi usque ad finem et unum sunt et secundurn corpus et aninam siniul creati,
leges divinas per inoboedientiam transgressa est in paradiso, nolens mandatum Dei cus-
todire... Solus ad medicamentumRedemptor noster in illa massa totius humani
vulneris
generis absque peccato relictus est, ut per illum solum seinper salvuna totius naturae vulnus
curaretur, ac per hoc ad pristinum statum salutis totum quod vulueratum est, restitueretur. »
Ibid. fragm. 2, col. 315 « Prima est nati\'1tas illa in qua totum genus humanum simul de
:

nihilo natum... »

De Praedestinatione, c. 16, n. 3 « Cum itaque omnium horainum universam naturara in


:

primo homine Deus condiderit, « adhuc enim, ut ait .A.ugustinus, ille unus omnes fuit »,
quod in ipso naturaliter creatum est, nullomodo potuit naturalem legem Creatoris tran-
sire.Non igitur in illo peccavit, quod in illo Deus creavit in quo tamen omnes peccave-
:

runt ac per hoc in ipso omnes moriuntur et consequenter omnes puniuntur. Proinde rec-
tissime creditur, quemadmodum in illo Deus generalem humanae generis creare voluit
.

substanliam, ita et omnium hominum propriam substituit voluntatem. Si enim in uno


communi omnium et corporalis et spiritualis naturae humanae plénitude sit constituta,
necessario ei inera-t singulorum voluntas propria. »
De Divisione naturae, lib. 2, n. 24 (col. 582) « In ipso quippe generali et universali homine
:

ad imaginem Dei facto omnes homines secundum corpus et animam simul et semel in
sola possibilitate conditi sunt, et in ipso omnes peccaverunt priusquam in proprias subs-
tantias ...prodirent. » Voir encore ibid. lib. i, n. 5
: lib. 4, n. 12, col. 801
; lib. 5, n. 27, ;

col. 923 ; n. 31, col. 942.


L'influence de Scot Erigène sur .Anselme se manifeste aussi par l'usage de la termino-
logie grecque, dans la question de la Sainte Trinité. {Monolog., prol.)
CHAPITRE III

PIERRE ABÉLARD

Abélard n'est pas seulement une personnalité originale, il est


encore un des écrivains de son époque qui ont exercé une influence
prépondérante sur développement de la théologie du moyen-
le

âge. Esprit novateur et professeur de grand talent, il attira et


groupa autour de lui des étudiants de toutes les nations, qui ne
lui ménageaient ni leur admiration ni leur enthousiasme. L'Église

dut mettre un frein aux initiatives aventureuses de cette inteUi-


gence subtile et remuante ^. L'action d'Abélard s'exerça beaucoup
plus sur le terrain de la méthode théologique que sur le terrain
des doctrines cependant, mû par un véritable esprit de progrès,
;

et en dehors de ses erreurs, Abélard apporta de nombreux élé-


ments nouveaux et féconds, qui prirent place dans la vie scienti-
fique de l'âge suivant. Nous devons, à ce titre, placer ici la doctrine
d'Abélard sur la justice primitive et le péché originel.

Le maître du Pallet n'a guère touché,*^ dans ses écrits connus,


la question de la justice originelle. A la manière d'Anselme, il

comprend cette justice comme une vertu de la volonté, dont les

enfants sont encore incapables 2. Pour lui,, la subordination de


la volonté à Dieu était la condition de la'domination de l'homme
sur toutes les créatures insensibles ou dépourvues de raison ' ;

il semble donc qu'elle constituait, dans sa pensée, l'élément prin-

cipal de la justice originelle.


Par ailleurs, l'immortahté n'était pas connaturelle à l'homme ;

loin de là, au paradis l'homme devait se nourrir afin de ne pas

1 Son petit traité De Unilale et Trinitate ciivina fut condamné au Concile de Soissons
.

en 1121, et sa Theologia christiana (de fide, de sacramentis, et de cantate) au Concile de


Sens en 1141.
2. Exposit. in Haexemeron (P.- L. t. 178, col. 767) « Etsi infans cum nascitur nondum
:

bonus homo dicatur, quod ad mores pertinet, bona tamen est creatura. »
Exposit. in Epist. ad Rom., lib. 2, col. 838 « Post baptismum parvulos et qui nullius
:

discretionis sunt, quamvis remissionem perceperint peccatorum, nondum tamen iustos


dicimus, quamvis iiiundi siut apud Deum qui nondum aut caritatis aut iustitiae capaces
esse possunt, nec aliqua mérita habere. »

3. Exposit. in Haexem., col. 761-762, et aussi 767.


PIERRE ABELARU 37

mourir ^ Abélard suit ici saint Augustin. Il semble bien qu'il con-

sidère la justice originelle comme une justice naturelle, dans


laquelle la nature fut créée. C'est du moins ainsi qu'il parle des

créatures spirituelles dont on comparait d'ordinaire la création


'^,

avec la création de l'homme, sans établir de différence entre ces


deux sortes de nature, comme devait le faire plus tard saint Thomas.
Telles sont les quelques idées d'Abélard sur la justice originelle.

Touchant le péché originel, Abélard a donné un exposé expUcite


dans son commentaire sur l'Épître aux Romains ^. Sans doute
il déclare à la fin de son exposition qu'il présente plutôt une opi-

nion qu'une affirmation nette * mais dans son Ethica, qui est d'une ;

date postérieure, il soutient la même doctrine et d'une manière


absolue. Sa rétractation dans son Apologie n'y change rien ;
car
elle n'est qu'un simple subterfuge ^.
D'après Abélard, le péché, proprement dit, consiste dans le
mépris de Dieu ou le consentement au mal^ ; il impHque néces-
sairement l'accomplissement d'un acte : tout péché est « actuel ».

Il suit de là que les enfants, qui n'ont pas encore l'usage de la rai-
son, ne peuvent être le sujet d'un péché au sens strict du mot '.

1. op. « Et attende quod cuin de cibo etiam hominis sicut de cibo ani-
cit., col. 765 :

iiialium providet et omnibus pariter terrena concedit alimenta, patenter insinuât mor-
tales quoque hominescreatos fuisse et eos in corporibus animalibus non spiritualibus fac-
tos esse, et ne morte dissolverentur, tune quoque horaini sicut nunc cibum necessarium
esse. »

2. Op. cit., col. 766 Illos quoque spiritus (apostates) bonos condidit in ipsa scil. spiri-
: <i

tual! substantiae natura, quam ipsi superbiae labe maculaverunt, non destruxerunt. »
3. Expositio in Epist. ad Rom., lib. 2, c. 5, col. 866-873.
4 . Op. 873 « Haec de originali peccato non tam pro assertione
cit., lib. 2, col. : quam
pro opinione, nos ad praesens dixisse sufficiat. »
5. Apologia, col. 107 Ex Adam, in quo omnes peccavimus, tam culpam quam poenam
: (

nos contraxisse assero, quia illius peccatum nostrorum quoque peccatorum omniijm origo
exstitit atque causa. »
6. Ethica, seu Scito teipsum, c. 3, col. 636 « Vitium itaque est quo ad peccandum proni :

efficimur, hoc est inclinamur ad consentiendum ei quod non convenit, ut illud scil. facia-
mus aut dimittamus. Hune vero consensum proprie peccatum nominamus hoc est cul- ;

pam animae qua damnationem meretur vel apud Deum rea statuitur, quis est enim iste
consensus, nisi Dei contemptus et offensa ipsius ? Peccatum itaque nostrum contemptus
Creatoris est et peccatum est Creatorem contemnere, hoc est id nequaquam facere propter
ipsum quod crediraus propter ipsum a nobis esse faciendum vel non dimittere propter ;

ipsum quod credimus esse dimitteadum. » Cf. aussi c. 3, col. 639, 641 c. 14, col. 654 ; :

« Proprie tamen peccatum dicitur ipse Dei contemptus vel consensus in malum. »

7 Op. cit., c. 3, col. 641 Ut enim beatus Hieronymus et manifesta ratio habet, quam-
: <i

diu anima infantili aetate constituta est, peccato caret. Si ergo a peccato munda est, quo-
modo sordibus peccati immunda est, nisi quia hoc de culpa, illud intelligendum est de
poena ? Culpam quippe non habet ex contemptu Dei, qui quidem quid agere debeat non-
dum ratione percipit. »

Ibid., c. 14, col. 654 : « A


(scil. a peccato proprie sumpto) parvuli sunt immunes
quo
et naturaliter stulti mérita non habeant tamquam ratione carentes, nihil eis
;
qui cum
ad peccatum imputatur et solummodo per sacramenta salvantur. » Cf. aussi Expos, in
Ep. ad Rom., lib. 2, col. 866, 871.
38 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

Chez eux le péché originel ne peut être un péché que dans un sens
impropre ^.
Quel est donc le constitutif du péché originel ? C'est le dehitum
damnationis, la dette de damnation, à laquelle nous sommes liés
à raison de la faute de nos premiers parents ^. Cette dette elle-même
provient de la libre disposition de Dieu. Dieu, qui peut traiter ses
créatures comme il lui plaît sans être injuste, a condamné Adam,
et, avec lui, toute sa postérité, sans qu'elle l'ait eUe-même mérité ^.
Il n'y a toutefois dans ce traitement non seulement aucune injus-
tice de la part de Dieu, mais au contraire un signe de sa grâce et
de sa bonté *. C'est ainsi, par exemple, qu'il nous révèle la grandeur
du péché et sa haine contre lui, afin de nous en prémunir ^. Mais
à quel titre Dieu nous a-t-il englobés dans cette condamnation
portée contre le péché de notre premier père ? A raison de la pro-
pagation du péché d'origine par la concupiscence. C'est la concu-
piscence de l'acte conjugal qui fait que le fils de l'homme est un
fils de colère. C'est elle qui nous rend dignes de punition en nous
transmettant le dehitum damnationis^, et les enfants portent le

poids de la transgression primitive, même s'ils sont nés de parents


baptisés. La nature nous fournit d'ailleurs un exemple de cette
vérité dans les ohviers entés, qui produisent malgré tout des sau-
vageons, et dans le grain séparé de la paille qui produit encore

1 . Expos, in Ep. ad Rom.,


lib. 2, col. 871 « Licet dicamus peccasse parvnilos in Adam
:

ut expositum est, non ideo simpliciter annuamus eos peccasse, sicut nec cum dicimus ali-
quern tyrannum adhuc vivere in filiis suis, ideo e\mi simpliciter vivere concedimus. »
2. Op. cit., lib. 2, col. 871 « Est ergo originale peccatum, cum quo nascimur, ipsum
:

damnationis debitum quo obligamur cum obnoxii aeternae poenae etficimur propter cul-
pam nostrae originis, id est primorum parentum a quibus nostra incoepit origo. »
3. Op cit., lib. 2, col. 869 « Quoquomodo Deus creaturam suam tractare velit, nullius
:

iniuriae potest argui. Nec malum aliquomodo potest c^ci, quod iuxta eius voluntatem
fiât... Constat itaque totam boni vel mali discretionem in divinae dispensationis placito
consistere, quae optime cuncta nobis ignorantibus disponit, nec quidquam bene fieri di-
cendum aut maie, nisi quod eius optimae voluntati consentaneum est aut advtrsum ut :

quemadmodum proposuinms quocumque modo Deus iam parvulos quam ceteras eius
creaturas tractare velit, id optime fieri non dubitemus etsi eas omnes ut voluerit ad poenam
ordinet, nec eum iniuriae argui posse quocumque modo eas ordinet, sive ad gloriam sive
ad poenam. »
4 Op. cit., col. 870 « Parum est ad divinae dispositionis conmiendationem in hac par-
. :

vulorum damnatione ab iniuria Deum absolvere, nisi et aliquani bonitatis eius gratiam
valeamus adstruere ». Col. 871 « In parvulorum damnatione cum quod non meruerint
:

plectuntur, multae possunt existere causae divinae dispensationis salubcrrimae..., ut non


sit iniquum eos sic puniri, licet non meruerint, quoniam Deus qui talium poena. tam ipsis
quam aliis non inutiliter utitur ...ut magis ad gratiam Dei quam ad iustitiani haec mitis-
sima parvulorum poena referenda videatur, et in quo maxirna Dei vidctur crudclitas, ma-
gnae dispensatio gratiae praedicanda. »

5 . Exposit. in Ep. ad Rom., lib. 2, c. 5, col. S62.


6. Op.
844 ...per carnalem concupiscentiam culpae originalis peccatum una
cit., col. : <i

cum proie propagatur. » Et lib. 3, col. 900 « Corpus quideni nostrummortuum est, id est
:

corporali morti obnoxium propter peccatum scil. primorum parentum, sive carnalis concu-
piscentiae maculam in qua est conceptum. » Cf. aussi col. 870-871,16 texte cité de S. Jérôme.
PIERRE ABÉLARD 39

de la paille avec le grain ^ De cette concupiscence déréglée donc


nous ne sommes pas coupables ; c'est Adam seul, par son péché,
qui en porte la responsabilité ;
par elle cependant nous sommes
punissables. La concupiscence
une nature corrompue et cette est
corruption est odieuse aux yeux du Créateur c'est pourquoi Dieu ;

a soumis tous ceux qui naissent par la loi de la concupiscence à une


condamnation universelle.
Le baptême nous procure le pardon de ce debitum damnationis,
et surtout de la peine étemelle elle-même mais les afflictions ;

temporelles et les défauts nombreux de la nature corrompue


demeurent. Telle est l'interprétation abélardienne du texte de saint
Augustin originis peccatum transit reatu, manet actu ^.
:

LsL différence doctrinale, entre Augustin et Abélard, est mani-

feste. Abélard a été sans doute sous l'influence d'Augustin il ;

est clair cependant qu'il ne fait que donner une habile transposi-
tion de la doctrine augustinienne, et c'est en vain qu'il s'efforce
de paraître d'accord avec le Maître, employant les mêmes termes,
les mêmes expressions, les mêmes exemples : le sens en est tout
autre. On trouve bien le rôle véhiculaire de la concupiscence, la
distinction entre le mal et la culpabilité, la massa peccatrix,
l'exemple des oliviers, du grain, etc ^ ; mais en réalité, la concu-
piscence n'a plus chez Abélard raison de péché *, le reatus n'est
que l'obligation de subir la punition du péché des premiers parents,
et la massa peccatrix a le même sens que chez saint Anselme.
1. op. cit., lib. S72 « Filiis autein illoruin videlicet primorum parentuni quibus
2, col. ".

pariter omnibus etiam pro culpa ipsorum patrum iratus est Deus, tamquam in peccato
carnalis concupiscentiae exceptis, quam ipsi videlicet patres et prima transgressione incur-
rerunt, singulis propria necessaria est absolutio quae levissima nobis instituta est in bap-
tisnio, ubi pro alieno quo obligantur peccato aliéna fides patrinorumque confessio inter-
cédât... Non mirum videri débet si quod indulgetur parentibiis, exigatur a filiis, cum ipsa
viciosa carnalis concupiscentiae generatio peccatum transfundat et iram mereatur. Unde
.A.postolus natura filii irae, a qua quidem ira parentes primi satisfactione propria sunt
:

liberati.... In ipsis etiam rerum naturis non incongruam nobis Dominus huius rei simili-
tudinem impressit, quae huiusmodi obiectioni satisfacere quodammodo videatur, cum tam
videlicet ex olivaequam ex oleastri semine non nisi oleaster nascitur, sicut tam ex carne
iusti quam ex came peccatoris non nisi peccator nascitur, et ex frumento a palea purgato
non purgatum, sed cum ipsa palea frumentum producatur sicut ex parentibus per sacra- :

mentum a peccato mundatis nemo nisi cum peccato nascitur. » Ces comparaisons sont
empruntées à saint Augustin.
2. On trouve la même doctrine dans les Sentenliae Ahaelardi, publiées par Migne sous le
titre d'Epitome theologiae christianae, c. 37 « Quod vero gehenna remissa, poena tempo-
:

raliter existât, in baptismate manifeste apparet, quia cum ibi gehenna, quae pro originali
peccato dimissa sit, manet tamen dissolutio corporis, manet et numerosa defectuum mul-
titudo. Unde Augustinus de origine peccati Transit, inquit, reatu, manet actu ». col. 1758.
:

3. De Peccator. merit. et remiss., lib. 3, c. 8, n. 6; Contra Iulian. Pelag., lib. 6, c. 6, n. 15 et seq.


4. Exposit. in Ep. ad Rom., 895. Voj-ez les textes cités plus haut. La con-
lib. 3, col.
cupiscence est bien aussi selon Abélard un vice de la nature, un défaut, mais elle ne nous
est pas imputée comme péché, puisque ce n'est pas nous, mais seulement Adam qui a
transgressé le commandement divin.
CHAPITRE IV 1

I. — HONORIUS D'AUTUN

Honorius d'Autun mérite aussi d'attirer notre attention. Son


Elucidarium eut en effet un succès universel au commencement :

du treizième siècle, il était déjà traduit dans la plupart des lan-


gues européennes Tandis que son livre Clavis physicae est cons-
^.

titué pour une très grande part par des emprunts à l'œuvre prin-
cipale de Scot Erigène, le De divisione naturae ^, V Elucidarium
contient des extraits littéraux des écrits de saint Anselme *. On y
trouve pourtant de nombreux éléments augustiniens ; car Honorius
a tenté de fusionner les doctrines d'Augustin et d'Anselme, sans
succès d'ailleurs ; en réalité, il les a défigurées l'une et l'autre.

Pour ce qui est de la justice originelle, Honorius adopte la même


définition qu'Anselme ^. Il en est de même pour le libre arbitre,
qui n'est donné à l'homme que pour garder la justice lihertas :

arbitra est potestas servandi reditudinem voluniatis, propter ipsam


rectitudinem ^. Primitivement le corps était subordonné à la volonté

1. Nous tenons à citer ici une série d'articles publiés par le R. P. Martin, O. P., où
le lecteur pourra trouver un examen remarquable et plus approfondi des doctrines du
XII<^ siècle ; nous ne pouvions pas dans notre travail déjà long analyser davantage les
théories antérieures à saint Thomas, sur cette « vêtus et inierminabilis quaestio » comme
disait Robert de Melun (ms. Bruges, cod. 191, f. 255'). Voici la liste de ces articles : daiis
la Rev. Se. Phil. Théol., VII (1913), pp. 700-725 ; VIII (1914), pp. 439-466 IX (1920), ;

pp. 103-120 : Les idées de Robert de Mehin sur le péché originel et dans Rev. Hist. Ecclés.,
;

XIII (1912), pp. 674-691 Le péché originel diaprés Gilbert de


: la Porrée (t 1134) et son Ecole.
2. Ueberweg-Baumgartner (Edit.
1915), p. 275.
Endres, Honorius Attgustodunensis und sein Elucidarium dans Historisch-politische
Blâtter, Bd. 130 (1902), pag. 157 et suiv.

3. J. Endres, Philos. Jahrb., Bd. 16 (1903), p. 455.

4.Comparez par exemple lib. i, n. 16 avec Cur Deus Homo, lib. i, c. 12, 13, 14 l'b. i, ;

n. 17 avec Cur Deus homo, lib. i, c. s lib. 2, c. 8 lib. i, n. 18 avec Cur Deus homo, lib.
; ;

2, c. 9.

5. De Concept, virg. c. 3. Cf. p. 25, note 2.


6. Anselmus, Dial. de Utero arbitr., c. 3. Honoru:s Augustodunensis, InevUabilc
(P. L. t. 172, col. 1200). Dans ce traité aussi et dans le De libero arhitrio, se trouvent des
extraits littéraux de saint Anselme. Par exemple la définition de la béatitude : « Beati-
tudo est omnium bonorum sufficientia sine onuii indigentia » (Inevitabilc, col. 1202) se trouve
littéralement chez saint .Anselme (De Concord. praescientiac Dei, c. 13). Comparer encore
Inevitabilc, col. 1212-1213, De libero arbitrio, c. 5, 6, avec le chapitre 13 du De Concord.
praesc. Dei.
HONORIUS d'AUTUN 41

et la volonté à Dieu ^ les créatures terrestres étaient à leur tour


;

sous la domination de l'homme 2. La justice originelle était natu-


relle 3, non seulement en ce sens qu'elle était donnée avec la nature

spécifique, mais aussi par opposition à la justice surnaturelle que


nous acquérons avec la grâce sanctifiante. L'auteur n'affirme pas
cela expressément, mais on peut le déduire de sa dépendance d'An-
selme ^. Comme chez Augustin, l'immortaUté de l'homme était
^
l'effet de la manducation des fruits de l'arbre de la vie
Honorius soutient l'opinion que l'acte conjugal dans le paradis
n'aurait été accompagné d'aucune délectation sensible ^, opinion
qui n'est ni augustinienne ni anselmienne ;
elle a toutefois exercé
plus tard une grande influence

Notre auteur adopte aussi la définition anselmienne du péché


originel. Pour lui le péché originel est la privation de la justice
primitive, accompagné de l'impuissance à satisfaire pour cette
perte, et à accomplir les commandements divins '. Par ailleurs,
il appuie plus fortement sur la concupiscence.
L'homme n'est pas puni parce qu'Adam a abandonné la justice,

mais parce en est lui-même privé. Dieu qui donna la justice


qu'il
à la nature humaine dans Adam, l'exige dans chaque homme qui
possède cette même nature. Quand elle n'y existe plus. Dieu punit
selon toute justice *. Cependant le motif intégral de la vengeance

1 . Inevitabile, col. 1212 : « Deus condidit hominem iustum et beatiim, sine omni indi-

gentia, in bonorum libeiam voluntatem iustitiae et beatitudinis, ut


sufiicientia, et dédit
voluntate iustitiae corpori subdito imperaret, voluntate beatitudinis, Deo obediret. »
2.Hexaemeron, c. 3, col. 258 « Ante peccatum homo omnia subiecta habuit. »
:

3.Elucidarium, lib. 2, n. 11, col. 1142 « Infans recens animatus vel natus tribus de eau-
:

sis reus existit. Primo, quia naturalein iustitiam non habet quam Deus primo honiini con-
tulit... Igitur quia naturalis iustitia in infante non invenitur, a iustitia Dei juste repellitur. »
Et n. 12, col. 1143 « Sed quia primus homo a iustitia naturali recessit et interdictum con-
:

cupivit... »

4. Cf. Elucid. lib. 2, n. i, col. 1 133- 11 34.

Op.
5. cit., lib. I, n. 13 « Si de ligno vitae uteretur, non amplius senesceret, non
:
infir-

maretur, numquam moreretur. » (col. 1117).


6. Op. cit., lib. I, n. 14, col. 1118 : « Quemadmodum manus manui, ita sine concupis-
centia iimgerentur, et sicut oculos se levât ad videndum ita sine delectatione illud sensi-
bile membrum suum perageret officium. »

7. Op. cit., lib. 2, n. Infans recens animatus vel natus, tribus de causis
n, col. 1142 : «

reus existit. Primo, quia naturalem iustitiam non habet, quam Deus primo homini contu-
lit. Secundo, quia debitor satisfaciendi pro temeritate desertionis existit. Tertio, quia mise-

rias incurrendo se inutilem suo Domino fecit. » Cf. Anselmum, De conc. virg., c. 2.

8. Elucidarium, lib. 2, n. 11, col. 1142 Nullius peccatum exigitur ab alio nullusque
: '< ;

pro alterius, sed pro sua ipsius iniustitia punitur. Deus iustitiam ab omni homine exigit,
quam primo dédit omnis autem homo in natura est Adam, in persona filius Adae. Et
;

quia omnis homo absque hac iustitia nascitur, non pro hoc quod eam Adam deseruit, sed
quia eam ipse non habet, punitur. »
42 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

divine n'est pas contenu dans la seule absence de la justice, comme


nous allons le voir.
Dans VElucidarium, qui a la forme d'un dialogue entre le dis-
ciple et le maître, le disciple pose cette question : Comment Dieu
peut-il exiger la justice de l'âme, puisque la chair seule vient
d'Adam ? Il est vrai, répond le maître, que Dieu n'exige rien de la
chair avant qu'elle ait reçu l'âme, ni de l'âme avant son union
à la chair ; dans le germe vital il n'y a pas plus de péché que dans
le sang et la salive ; et l'âme est créée innocente. Mais Dieu exige
de tout homme le debitum Adae, parce que tout homme, comme
Adam, a une âme et un corps, et ayant été conçu dans l'iniquité,
il naît dans l'injustice ^.

D'où nous vient alors cette injustice ? De la génération par


voie de concupiscence. L'acte de la génération devait exister
sans concupiscence, ni aucune délectation sensuelle : sicut mantis
manui devenu impossible par la préva-
coniungitur. Oi, cela est
rication d'Adam il a corrompu la nature et perdu la force domi-
:

natrice sur les puissances sensitives. C'est pourquoi nous héritons


la concupiscence avec la nature. Chacun étant conçu dans l'iniquité,
c'est-à-dire dans la concupiscence, il naît injuste pour ce motif ^.
La concupiscence, en effet, dans l'acte conjugal, souille le germe
vital ^. L'âme s' établissant dans ce vase souillé s'y unit avec une
telle avidité qu'elle l'aime plus que son Créateur. Il est donc juste,

que l'âme, qui préfère le corps souillé à Dieu, soit exclue de la pré-
sence divine avec ce corps déraisonnablement aimé *. Telle est

1 . op. cit., lib. 2, II. 12, col. I I4j : '


Non puto te ita ciesipere ut arbitreris caniein absque
anima horninem anima quippe ad hoc datur ut caro vivificetm-. Itaque ante acceptam
esse :

animam nihil a carne exigitur nec ab anima ante coniunctionem carnis quidquam exqui-
;

ritur, praeseitim cum in semine humanae conceptionis nulla culpa, sicut nec in sanguine
vel in sputo esse comprobetur et anima innocens a Deo creetur. Porro animae et cor-
:

poris homo dicitur, et ab (Migne ob) hoc debitum Adae iuste exigitur, et quia in iniquita-
:

tibus concipitur, in iniustitia uascitur, reus iusti iudicii statuitur ». Cf. Anselmum, De
Conc. virs,., c. 7 : « Non tamen magis est in semine culpa quam est in sputo vel in san-
guine. »

2. Eliicidarium, lib. 2, n. 12, col. 114,5 : « D. — Quomodo in iniquitate concipitur ? —


M. In concupiscentia omnis namque homo debuit sine concupiscentia gencrare, sicut
;

nianus manui iungitur sine delectationc. Sed quia primus homo a iustitia naturali re-
cessit, et interdictum concupivit niox concupiscentia eum servum sibi subegit et ipsum
;

omnesque posteros suos in concupiscentia generare coegit. Igitur omnis qui in concupis-
centia concipitur, iniustus nasci convincitur. » Cf. n. 15. ,

Op. cit., lib. 2, n. 15, col. 1145


3. « Homo in baptismate interius et exterius sancti- :

ficatur sed rursum semen eius per carnis concupiscentiam coinquinatur. »


:

4. Op. cit., lib. 2,


n. 14, col,. 1144-1145 « Deus a quo omnis bonitas et omnis sancti- :

tas est, non


bonas et sanctas créât animas et ipsae naturaliter desiderant corpus intrare,
nisi
ut nos naturaliter cupimus vivere vcrumtamen cura intraverint ilhid imnmndum et;

pollutum vasculum, tanta aviditatc illud amplectuntur, ut plus illud diligunt quam Deum.
lustum igitur est ut cum ipsae sordidum vas, irao carcere«i, quo includuntur, amore Dei
praeponunt, eas Deus a consortio suo cxcludat. » Cette compai'aison est déjà celle de saint
HUGUES DE SAINT-VICTOR 43

l'injustice dans laquelle naît chaque homme, même l'enfant de


parent baptisé, puisque le baptême ne nous dépouille pas de la
concupiscence. Ainsi nous sommes responsables de la faute d'Adam,
dans lequel tous ont péché et par lequel tous sont morts ^
Il y a donc d'après Honorius d'Autun, dans le péché
originel,

un élément personnel et un élément héréditaire, bien que le premier


suppose le second. L'injustice, ou absence de cette justice qui con-
siste dans l'amour divin par-dessus tout, est un état personnel.

C'est l'état de l'âme qui préfère le corps souillé à Dieu. Cependant,


c'est la concupiscence qui en est la cause. C'est par elle que le corps
domine l'âme corpus aggravât animam. L'âme unie à ce vase
:

impur se laisse dominer jusqu'à l'oubli de Dieu. On voit aisément


par tout cela qu' Honorius n'avait pas une idée précise du péché
originel. La raison qu'il donne de notre culpabiHté est très vague.
Quand le disciple lui demande, comment les enfants peuvent
avoir un péché, alors qu'ils n'ont pas encore l'usage de la volonté,
il ne donne qu'une réponse indirecte et ne touche pas la difficulté ^ ;

on a même l'impression qu'il n'est pas question d'un péché dans le


sens strict du mot. D'autre part il exagère l'injustice dans laquelle

nous naissons et en fait un péché personnel ^.

II. — HUGUES DE SAINT VICTOR

Moins original que saint Anselme et Abélard, Hugues de Saint-


Victor a cependant exercé dans le domaine de la théologie une
influence plus profonde et plus universelle * : il paraît dominer ses

.\UGUSTIN De libero arbitrio, lib. III, cap. 20, n. 58. Contra lui., lib. 5, c. 4, n. 17: « pro-
:

fecto aut utrumque (anima et caro) vitiatum ex hoinine trahitur, aut alterum -in altero
tamquam in vitiato vase corriimpitur. »
Elucidarium, lib. 2, n. 15, col. 1145 «Homo in baptismate interius et exterius sanc-
1. :

tiûcatur sed rursum. semen eius per carnis concupiscentiam coinquinatur... Crimen huius
;

pollutionis propter fidem. coniugii parentes deserit ob iniustitiam autem primae praeva-
;

ricationis transfunditur, quasi hereditario iure, in generatione prolis, et ideo tenentur obno-
xii culpae Adae, in que omnes peccaverunt et in que omnes mortui sunt... Si aliqua pasta
NC'ieno fuerit corrupta, omnes panes ex ea confecti sunt mortiferi sic in Adam fuit massa :

corrupta, et ideo èx eo nati sunt omnes peccato corrupti et idcirco morte digni, nisi fuerint
in morte Redemptoris per baptismum vivificati. Sicut ergo parentes pro seipsis in baptis-
mate sunt emundati, ita filios oportet pro seipsis per mortem Christi in baptismo reno-
vari. »

2. Op. cit., lib. 2, n. 11, col. 1142.

Nous ne comprenons pas comment Espenberger, Die Elemente der Erbsûnde nach
3.
Augustin und der Fruhscholastik, pp. 79-85, peut attribuer à notre auteur une théorie
achevée et complète à laquelle rien ne manquerait de ce que nos théologiens modernes
enseignent sur le péché originel.

Voyez Grabmann Geschichte der


4. : scholastischcn Méthode, t. 2, p. 229 ; Ueberweg-
B.\UMGARTNER, Grutidriss der Geschichte der Philosophie (1915), t. 2, p. 337.
44 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

contemporains. Sans doute, tel parmi ces derniers l'emporte sur


lui par la perspicacité et l'esprit de méthode comme Abélard tel ;

autre jouit d'une plus haute réputation de sainteté et d'une égale


orthodoxie comme Bernard de Clairvaux ; Hugues néanmoins
semble avoir réuni en lui ces dons multiples. Sa sainteté s'accom-
pagne d'im amour passionné de la science, et son orthodoxie s'allie

à l'estime de Maître éminent, il a été l'inspirateur


la dialectique.
d'un grand nombre d'écrivains célèbres de la dernière moitié du
douzième siècle, et du plus connu parmi eux, de Pierre Lombard,
le (( Maître des Sentences ». Tous ces titres assurèrent à Hugues une

vénération générale. Il suffit de lire les éloges de ses contemporains


et des théologiens postérieurspour comprendre de quelle autorité
incontestée il a joui. Au
saint Bonaventure le
treizième siècle,
considère comme résumant en lui la dialectique d'Anselme, la
prédication de saint Bernard et la contemplation de Richard de
Saint-Victor ^ Il convient donc d'entendre la doctrine d'un maître
si universellement estimé.

Les idées de Hugues de Saint- Victor sur la justice primitive et


le péché originel le rattachent surtout à saint Augustin, mais il

subit aussi l'influence de saint Anselme.


Parlant de la justice originelle, Hugues emploie comme Anselme
l'expression iustitia originalis, et il la comprend dans le même
sens que lui, c'est-à-dire qu'il la considère comme une vertu ^
Il a soin cependant de la distinguer nettement de la rectitude de
la nature. Cette rectitude de la nature implique son intégiité, l'ab-
sence de tout vice, de tout mal, principalement de la concupiscence.
En tant que vertu, la justice originelle réside dans l'accomplisse-
ment des préceptes divins. Or — et c'est ici que Hugues s'écarte
d'Anselme, qui, au fond, donne la même distinction ^ — c'est
la rectitudede la nature qui est originelle, plutôt que la justice,
parce que ce n'est pas la justice qui se transmet par la généra-
tion, mais au contraire la rectitude de la nature*. Aussi n'est-ce

1 . De ndiiclione artium ad thcologiam : « .\useliiius in ratiocinatione, Bernardus in prae-


dicatione, Richardus in conteniplatione, Hugo vero omnia haec. »

2. QuestioHcs in Epist. S. Paiili (P. L. t. 173), In Epist. ad. Rom., q. loi, col. 4-5Q « Si :

homo non peccasset, haberet omnimodam iustitiam, quae consistit in omnimoda prae-
ceptorum Dei iuipletione, ut nilomnino conrupisceret contra rationem, et ut Deuni ex
toto corde diligeret. Et q. 173, col. 474 « ...talis (homo) fuerit ante peccatuni, qui sine
» :

omni difficultate gratia adiuvante nihil concupisceret, et Deum ex toto corde diligeret. »
3. Voyez p. 24 et 25.
4. Summa de SacraMcntis,
lib. i, p. (>, c. 2). P. L. t. 176, col. 277-278 « .^n paternac :

obedientiae inerituni per inrorruptani originem ad posteros oumes transire debuerat ?...
Quod si verum est,ita tune in nascentibus foret ex luerito pareutum originalis iustitia, sicut
HUGUES DE SAINT-VICTOR 45

pas la justice qui est donnée à l'homme dans sa création comme —


l'enseigne Anselme, —
mais seulement la rectitude de la nature.
C'est pourquoi Hugues dit des anges qu'ils ont été créés ni justes
ni injustes, mais simplement sans défauts ^.
Sur la relation de la rectitude de la nature avec la grâce, Hugues
est un peu plus clair que ses prédécesseurs. Cependant, chez lui
aussi une étude spéciale de la grâce fait défaut ainsi ne nous ;

fournit-il pas une idée précise de la grâce habituelle considérée


comme une seconde nature. Il retient, il est vrai, la distinction
augustinienne de la gratia operans, qui nous retire de l'état de péché
et nous fait vouloir le bien, et de la gratia cooperans, qui nous aide
à faire le bien que nous voulons ^ ; on trouve même chez lui la

distinction explicite entre naturel et surnaturel ^. Mais la doctrine

des habitudes (hahitus) n'est pas encore élaborée en formules pré-


cises et claires ; et cet ensemble de notions ne forme pas un tout

nunc invenitur eisdem ex solo pateniae traiisgressionis reatu originalis culpa... Non
in
siiniliter quemadmodum nunc natura per inoboedientiani ad corrnptioneni
videtur quod
niutata cernitur, ita etiain tune per oboedientiam observatam (nisi usque ad tempus defi-
nitum a Deo conservata fuisset), ad incorruptioneni mutaretur. Seniel enim transgredi
plena inoboedientia fuit sed non similiier perfecta oboedientia fuisset, si in ipsa oboedien-
;

tia honio usque in fineni non perstitisset. Propterea sicut inoboedientia uno tempore con-
suniniata naturani ad corruptionem niutavit, ita oboedientia naturani ad incorruptionem
non niutasset, donec tempore suo usque in finem ser\ata fuisset perfecta. Qui autem inté-
rim generarentur, a natura noudum adhuc ad veram incorruptionem transformata semina-
rentur, neque nascendo originalis iustitiae meritum acciperent quoniam et ipsi a quibus nas- ;

cerentur, nondum adhuc perfectae oboedieutiae iustitiam haberent. Non autem potuit
natura nascentibus dare quod in generantibus nondum adhuc possidebat... Sic itaque
primus homo tempore oboedieutiae suae casto coniugio ...tilios generaret sine peccato
quidem, quoniam ex natura a.b omni vitio libéra, sed non similiter paternae iustitiae heredes ;

quoniam natura nondum foret ad incorruptionis praemium transformata ». Ibid. c. 23, col.
277 « Qui ergo sine peccato generantur, consequens omnino est quod etiam sine peccato
:

nascerentur.»
Cf. Albert le Grand, Sumnia theologica, p. 2, tract. 14, q. 85, ad qu. 2, ad obiect. :

« Magister Hugo notât ibi iustitianr gratuitam et non iustitiam quae est rectitudo natu-

ralium. »
1. Sunima de Sacram., 254 « Similiter et quod iusti dicuntur,
lib. i, p. 5, c. 19, col. :

solum. hoc ilUs erat iniustos non


Forte expressius et ad intelligendum evidentius
fuisse...
sit, nec bonos nec malos, iiec iniustos nec conversos, nec aversos, nec beatos nec miseros

conditos, asserenti. Nam qui bonos dicit, significat virtutem qui iustos meritum qui ; ;

conversos dilectionem qui beatos glorificationem. »


;

2. Op. cit., lib. I, p. 6, c. 17, col. 273-274 : « Gratia creatrix primum naturae conditae
quaedam bona bona quae natura primum corrupta perdidit,
inseruit, gratia salvatrix et
restaurât, et quae imperfecta nondum accepit, aspirât. Per prima bona liberum arbitrium
reparatur, per secunda bona liberum arbitrium operatur. In primis bonis, Deus in homine
operatur in secundis bonis Deus homini cooperatur... In his virtutibus quae per gratiam
:

reparatricem sint, primum Spiritus sanctus bonam voluntatem operatur deinde bonae ;

voluntati moventi se ex operanti cooperatur. » Cf. lib. i, p. 5, c. 24; p. 7, c. 8 (Cf. Summa


Sententiarum, tr. 3, c. 7).

3. Op. 274 « Virtutes autem quas gratia reparatrix naturae superaddita format,
cit., col. :

quia in merito aliquid supra naturani accipiunt, in praemio supra naturam remunerari
dignae sunt. » Ibid. col. 273 « Quando ergo voluntas hominis secimdum naturam solum
:

movetur, extra naturam non meretur quando vero secundum Deum movetur, supra
;

naturam meretur. »
46 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S, AUGUSTIN A S. THOMAS

systématique. C'est pourquoi les idées de Hugues sur la justice

originelle et son rapport avec la grâce restent si vagues et si flot-

tantes.
Hugues de Saint- Victor distingue entre la grâce de création,
gratia creatrix, et la grâce de rédemption, gratia salvatrix, reparatrix.

La première est celle en vertu de laquelle est produit ce qui n'exis-


tait pas encore la seconde répare ce qui existait, mais avait été
;

corrompu. La grâce créçttrice n'est autre que la création de la


nature elle-même et des vertus naturelles qu'elle requiert en toute
justice. La grâce réparatrice donne à la nature qu'elle relève,
des vertus nouvelles, c'est-à-dire sumatureUes ^. Au moment de sa
création l'homme ne possédait pas la grâce réparatrice, mais la
grâce créatrice. Quant à savoir si, avant la chute, des vertus surna-
turelles lui ont été données, Hugues n'ose pas le décider-. Il est
intéressant de comparer chez lui la doctrine de la création des
anges et celle de la création de l'homme. Les anges sont créés, on
l'a vu, sans grâce surnaturelle, et ils ne sont ni justes ni injustes ^.
Mais api es le premier instant de leur existence ils commencent de

suite à vouloir : les uns, coopérant sans contrainte à la grâce, se


sont convertis à Dieu ; les autres se détournant de Dieu, quand ils

auraient pu recevoir la grâce, se sont damnés dès ce moment *.


Pour l'homme, qui n'est pas tombé immédiatement après sa créa-
tion, la grâce était moins immédiatement nécessaire aussi n'a-t-il ;

pas reçu la charité dès le commencement. Hugues déduit de ce

1 Summa de Sacrum., lib. i, p. 6, c. 17, col. 274


.
: « /Uia est gratia creatrix, alia salvatrix.
Per creatricem gratiam facta sunt quae non erant ;
per gratiam salvatricem reparantur,
quae perierant. »

Cf. p. 45, note 2. Voir aussi ibid. p. 6, c. i, col. 263 ; et c. 6, col. 267 : « Quod visibile

donum erat, gratia dédit, etc. »


,

2 . Op. cit., col. 274 : « De illis auteui virtutibus quae voluntate bona ex amore diN-ino
inota perficiuntur, nihil temere circa ipsum (honiinem) quantum ad illum primum statum
pertinet, definire voluinus, praecipue cum de opère charitatis illius nullum sivc ex aucto-
ntate sive ex ratione argumentum certum habeamus. »

3. Cf. p. 45, note i.


4. Stimma de Sacrum., lib. i, p. 5, c. 23, col. 257 « Ceperunt autem dividi ab eo quod :

facti erant ut aliud iain essent, vel proficientes supra illud ut boni esseut, vel sub illo
déficientes ut mali essent. Haec est conversio et aversio qua divisi suut quae unum erant et
boni naturâ, ut sint alii supra illud boni per iustitiam alii sub illo mali per culpam. Conversio
;

enim iustos fecit et aversio iniustos... 1 et c. 24 « Qui autem ad bonum convertebantur,


:

voluntarie movebantur gratia coopérante sine coactione. Qui autem a bono avertebantm-
sponte praecipitabantur gratia deserente sine oppressione. Et qui convertebantur, idcirco
bene movebantur, qui gratiam cooperantem habuerunt. Sed qui avertebantur, non idcirco
praecipitabantur quia gratiam cooperantem non liabuerunt, sed idcirco a gratia desere-
bantur, quia avertebantur et praecipitabantur. Et qui avertebantur, non prius averteban-
tur et postea deserebantur quia cura. gratia non ceciderunt et qui convertebantur non ;

prius convertebantur et postea assumebantur quia sine gratia non profecerunt sed qui ;

avertebantur in eo ipso deserebantur, et qui convertebantur in eo ipso assumebantur,


pro aversione deserti et ad conversionem assunipti. »
On trouve cette même explication chez saint Ansf.lme De casu diuboli. :
HUGUES DE SAINT-VICTOR 47

don retardé de la charité, que l'homme dans ces conditions ne pou-


vait observer les préceptes ni avancer dans la voie de la perfection ^.

La rectitude était donc une perfection de l'ordre


originelle
naturel. Elle renfermait cependant un don spécial, qui dépassait la
perfection de la nature comme telle. Ce don consistait dans la
domination des appétits inférieurs par la volonté ^.
La justice originelle était la perfection de l'homme acquise
dans l'accompUssement des commandements divins, l'un de ces
commandements étant le précepte de la nature et l'autre celui de

la disciphne ajouté à celui de la nature^. Or, dans la poursuite de


cette perfection, le libre arbitre ne suffisait pas ; il avait besoin
de la grâce coopératrice. Par le libre arbitre seul, l'homme pou-
vait pécher et ne pas pécher, mais pour faire le bien il lui fallait

la grâce*. Au sujet de l'immortahté, notre auteur suit l'opinion


de saint Augustin, tout comme Abélard et Honorius d'Autun :

l'homme, de sa nature, était mortel, mais par le bienfait de l'arbre


de vie il pouvait triompher de la corruption °.

1 In Epist. ad Roman., q. 149, col. 469 « Quaeritur an homo prius de bono quod habuit
. :

aute lapsum sine additione aliorum gratiae potuerit obedire et praeceptum sibi datum
implere ? Si dicatur quod potuit, ergo ex eo quod tune habuit potuit proficere quod nega- :

tur fera ab omnibus. »


2. Sutnma de Sacrum., lib. i, p. 7, c. 17, col. Mensura auteni superioris appetitus
294 : «

ia libero arbitrio posita fuerat. Mensura vero donc. Qua-


inferioris appetitus concessa in
propter illam tenere velle, virtutis fuisset istam autem retinere posse, felicitatis. Unde
;

sicut culpa fuit illam non tenuisse, ita poena facta est illam amisse. In qua tamen poena
etiam culpa fuit, quia et hoc quoque mensmram non tenere contra iustitiam fuit. Haec
autem culpa precedentis culpae poena fuit, quia nisi spiritus in appetitu suo niensuram
deseruisset, caro subiecta spiritui adversus ipsum spiritum in suo appetitu terminum men-
surae non transiret. » Cf. lib. i, p. 6, c. 4, col. 265-266 « Porro voluntas si iustitiam teuuis-
:

set, haberet non solum motum corporis obedientem, sed motum sensualitatis consentien-
tem ». Et aussi lib. i, p. 8, c. 13, col. 316 Prolog., c. 3, col. 184
;
« Spiritus quidem :

propter Deura, corpus propter spiritum mundus propter corpus


;
humanum ut spiritus
Deo subiiceretur, spiritui corpus et corpori mundus. »
3 .Op. cit., lib. I, p. 6, c. 7, col. 268 « Ad bonum datum posita est custodia praeceptum
:

naturae et ad bonum promissum aperta est via, praeceptum disciplinae. Duo ista prae-
;

cepta data sunt homini. »


4. Op. cit., lib. I, p. 6, c. 16, col. 272 « Liberum arbitrium homo habuit ea sane liber-
:

tate, qua potuit sive ad bonum sive ad malum voluntatis suae appetitum inclinare, ad
bonum quidem adiuvante gratia ad malum vero solum Deo permittente, non cogente »
;

Hugues donne aussi la formule augustinienne des trois états du libre arbitre posse pec- :

care et posse non peccare posse peccare et non posse non peccare posse non peccare
; ;

et non posse peccare. Ibid., c. 18, col. 275.


Cf. aussi lib. i, p. 7, c. i et In Epist. ad Rom. q. 173, col. 474
;
« Homo ante peccatum :

fuerit talis qui sine omni difficultate gratia adiuvante nihil concupisceret et Deum ex
toto corde diligeret. »

5. Exposit. in Epist. S. Pauli In Epist. ad Corinth. I, q. 138, col. 542


; Salva reve- : •(

rentia secretorum, sine praeiudicio melioris sententiae dicimus quod naturaliter fuit homo
ante peccatum mortalis et passibilis beneûcio vero ligni vitae fieret immortalis. » De
;

Sacrament. Legis naturae et script., col. 24 « Talis virtus in ligno vitae est ut eius fructus
:

possit vitam hominis a mortis et omnis infirmitatis molestia defendere. » Suntma de Sacrant.,
lib. I, p. 6, c. 18, col. 275 u Nam quod primus ille homo non secundum qualitatem corporis
:

terreni, sed ex beneficio vitalis edulii non mori potuit, manifeste Scriptura ostendit.* Cf.
ib. I, p. 7, c. 17.
48 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

La Hugues sur le péché originel est complètement


doctrine de
augustinienne. condamne expressément l'opinion d'Abélard
Il

comme contraire aux autorités i il rejette aussi la conception


de ;

VElucidarium, qui fait du péché originel un péché


personnel plu-
tôt qu'un péché d'origine 'K La doctrine de
saint Anselme est seule-
ment signalée sans aucune appréciation » eUe ne fut
cependant ;

pas sans exercer quelque influence sur Hugues.


D'après notre auteur, le péché originel est la
corruption ou
le vice que nous contractons à notre
naissance, par l'ignorance
dans l'esprit, et par la concupiscence dans la chair*.
La concupis-
cence tire son origine de la perversion de la sensuahté,
et l'ignorance
de la perversion des sens^. Ce n'est toutefois
ni la concupiscence
m l'ignorance actuelles qui rendent l'enfant
pécheur, mais bien
la concupiscence habituelle, par
laquelle s'éveilleront plus tard
ses convoirises^ et l'impossibilité où il
sera alors de connaître la
vérité \ L'ignorance et la concupiscence
actueUe sont les actes du
vice, mais non le vice lui-même
\ Quant à la corruption de la
nature, elle nous est transmise par la
génération ^. La semence hu-
mame^ qui était en Adam, s'est séparée une première fois de lui,
puis s'est développée jusqu'à parvenir à la stature
humaine par-
faite ;
le même phénomène se renouvelle à chaque génération.
Mais cet accroi ssement de la substance séminale s'opère sans

1. In Epist.
ad Rom., q. 104, col. 450 « Alii eniin dicunt quod
peccatuin originale est
:

reatus aeternae poenae, id est debitum et


obnoxietas qua addicti sumus poenae : sed se-
cundum hoc originale peccatum non est culpa, sed poena.
Sed quod sit culpa, auctoritates
testantur, quod concedere oportet. »
2 Summa de Sacram., lib.
i, p. 7, c. 35, col. 303 « Nam si dicimus animam
.
quando cor- :

pun coimmscetur voluntate quadam ad delectationem


culpae inclinari, iam non originali
tantum sed actuali quoque peccato obnoxiam esse
demonstramus. k
3- In Epist. ad Rom., q. 107, col. 461 « Alii vero<iicunt quod originale
:
peccatum est
pnvatio cuiusdam originalis iustitiae quam haberet
homo, si non peccasset. »
4. Summa de Sac,:, lib. i, p. 7, c. 28, col.
299 « Si ergo quaeritur quid :
sit originale
peccatum m nobis, mtelligitur corruptio sive vitium
quod
nascendo trahimus per ignoran-
tiam m
mente, et concupiscentiam in carne. » Cf. au..-.i ,-.
26, col. 298 c. 31, 32, 34, 35. ;

5- Op. cit., hb. I, p. y, c. 34, col. 302 « In carne igitur


mortali ex sensualitate corrupta
:

nascitur vitmm concupiscentiae ex


; sensu corrupto vitium ignorautiae. »
6.0/). cit., lib. I, p. 7, c. 31, col. 302 « Non itaque
nascentes propterea sine vitio esse
:

existunentur, quia non concupiscunt,


quoniam radicitus vitium concupiscentiae in ipsis
est per quod postea cum operantur
concupiscunt. »
7- op. cit., hb. I, p. 7, c. 32, col. 302 « Ignorantia propterea vitium
:
est in eis ...quia
lunc cum nascuntur vitium in eis
est, quo postea impediuntur ne veritatem
quando debent. » Cf. In Epist. ad Rom., cognoscant
9. 104, col. 460.

^^•/''' ^'^: ^' P- 7. c. 31, col. In eo quod seminatur nec culpam habet uec
302 «
unu
acium culpae, sed causam. In eo quod
:

causam culpae et culpam habet, sed actum


nascitur,
co^uptio mortahtatis est, culpa concupiscentia est. Actus culpae
concriscere e"r T^^^^

'"^3"'"' "^^ '^5' ''°^- ^^°'- «Originale vocatur, quia ex vitiosa nostrae origi-
ni-'J^f^"''
ms couditione trahitur. »
^
HUGUES DE SAINT VICTOR 49

addition du dehors, c'est-à-dire sans que la nourriture se trans-


forme en elle^. C'est par ce moyen que s'établit notre union intime,
directe, avec notre premier père. Dans le dernier homme, il n'y aura
substantiellement qu'une particule d'Adam intrinsèquement accrue.
Tout le genre humain est donc comme un seul homme imus :

homo. Omnes in Adam unus homo fuimus, id est, ex eo qui unus


hotno erat per propagationem descendimus 2, H me semble que
l'interprétation de ce texte augustinien provient des expressions
classiques du même docteur
cela nous fait penser à la corpulenta ;

substantia et à lamassa peccatrix de l'évêque d'Hippone. Chez


Alexandre de Halès ce rapport se montrera encore plus clairement :

lui aussi parlera de la ratio seminalis ^.

C'est par le même procédé que notre condition de mortels nous


vient d'Adam *. La concupiscence actuelle des parents dans l'acte
conjugal corrompt la semence vitale le principe de la mort dans
;

la semence engendre la concupiscence et l'ignorance habituelles


dans le nouveau-né^. L'âme, plongée dans cette chair mortelle,
est souillée par elle c'est par la chair que l'âme convoitera, et
:

sera ignorante de ce qu'elle devrait savoir^. Ces défauts que nous


héritons ne sont donc pas l'œuvre de notre propre volonté ils ne ;

sont pas nécessaires de par la nature elle-même ils sont le résul- ;

tat de la hbre volonté de notre premier père ^.

1 . op. cit., q. 139, col. 467 « lUa eiiim particula quae fuit in lumbis Adae ex quo separata
:

fuit in filii eius generatione, in seipsa est aucta et multiplicata in perfectam hominis statu-
rain ex qua iterum separata est parva particula in secunda generatione, quae in seipsa est
:

iteruin aucta et multiplicata de qua iterum ita multiplicata est separata alla et sic dein-
;

ceps lege propagationis crevit in tantam multitudinem sine additamento extrinseco vel
ciborura mutatione in ipsam. » Cf. S. Thomas, I. q. 119, a. i.
2. Op. cit., q. 138, col. 467.
3. Comparez S. Thomas, ad i.
II Sent. d. 30, q. 2, a. 2,
4. Summa de Sacr., Natura enim nostra corruptionem quam
lib. i, p. 7, c. 27, col. 298 : «

in illo per ipsius actionem concepit, per nostram solum ad nos nativitatem traduxit. »

5. In Epist. ad Rom., q. 133, col. 467 « Adam... tabe suae concupiscentiae corrupit
:

omnes ex concupiscenti^m nascituros. » Cf. p. 23, note 4.


se per
Op. cit., q. 106, col. 460 « Quare (peccatum originale) posteris imputatur ? Responsio
: :

quia parentum concubitus non fit sine libidine,nec filiorum conceptus sine peccato.» Summa
de Sacr., lib. i, p. 7, c. 31, col. 302 « Caro igitur quae in concupiscentia seminatur cum
:

mortalitate concipitur, cum necessitate concupisceudi nascitur. In eo quo seminatur cul-


pam habet et actum culpae. » Et ibid., col. 302 « Quia igitur caro humana a parentibus :

cum mortalitate seminatur, in eo ipso quod seminata subiacet mortalitati vivifirata post-
modum carnalis concupiscentiae subiecta invenitur necessitati, quia ipsa mortalitatis
infirmitas causa est quam consequitur concupiscendi nécessitas. »
6. In Epist. ad Rom., q. 108, col. 461 « ...pollutio et immunditia quaedam, quam inve-
:

nit anima in carne cum ei infunditur, et ex qua polluitur unde cum sola anima concupiscat, :

non tamen anima dicitur concupiscere, quia anima ex carne concupiscit. » Cf. p. 8, note 3.
7. Op. cit., q. 136, col. 467 « Peccatum originale est quidem ex voluntate primorum
:

parentum, unde et ipsum potest dici voluntarium. »


Summa de Sacr., lib. i, p. 7, c. 35, col. 303 « Constat igitur quod anima rationalis corpori
:

liumano infusa nec voluntate corrumpitur ne peccatum sit actuale, nec necessitate corrum-
pitur, ne vitium non sit imputabile... Hoc autem illi inest non de integritate conditionis. »

Bibiiuthèque thomiste 4
50 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

Mais à quel titre ces défauts peuvent-ils nous être imputés


comme péchés ? A cette question Hugues ne sait que répondre.
L'homme, dit-il, ne peut comprendre ce mystère de la justice
divine ^. Il est intéressant d'observer ici — car cela éclaire les rap-
ports doctrinaux d'Hugues avec Anselme, que notre auteur, —
dans son exposé de l'Epître aux Romains, avait encore utilisé la
doctrine anselmienne pour résoudre cette difficulté on peut dire ;

répondait-il alors, qu'il n'est pas injuste que Dieu refuse la gloire
à l'âme dénuée de la justice car être prive de la justice originelle, ;

c'est là justement la culpabilité du péché héréditaire ^. Cette


réponse ne paraît plus dans la Summa de Sarcamentis.
Hugues n'est pas d'accoVd avec Augustin dans la question de la
propagation des autres péchés actuels d'Adam et de nos parents
plus immédiats. Pour lui, seul le premier péché de notre premier
père nous est imputé ^, mais non le péché d'Eve *, ni les autres
péchés actuels d'Adam ou de nos ancêtres ^. La raison de cette affir-

mation, c'est que, une fois la nature corrompue et dépouillée, on


ne peut plus rien lui prendre^.
Comme saint Augustin, Hugues distingue la faute et la peine.

Par le baptême, la faute est pardonnée, la peine reste '.

1 op. cit. « Nos tandem id quod veruni est proûteri opoitet, iustitiam divinam in hoc
. :

irreprehensibilem quideni esse sed comprehensibilem non esse. » Et c. 36 « Non igitiir :

magnopere insistendum est ut ratione investigetur quod -fide magis quam ratione scru- ;

tari oportet. » Rapprocher du texte d'Augustin, cité p. 21, note 4.

2. In Epist. ad Rom., q. iio, col. 461 « Quaeri solet quare animae mundae a Deo creatae
:

reatus originalis peccati imputetur ? Dicunt doctores hanc questionem insolubilem esse ;
potest tamen dici, non esse iniustura quod animae non habenti iustitiam non detur
gloria hoc enim est reatui originalis peccati subiacere, quod
;
est oi-iginali iustitia privari.
Quid ergo mirum si talis culpa tali puniatur poena ? »
3. Op. cit., q. 144, col. 468 « Quaeritur an alia peccata actualia Adae posteris impu-
:

tentur ? Solutio Apostolus dicit in uniiis delicto, no«i ait delictis, multi constituti sunt
:

peccatores ; in quo innuit, quod non plura sed unum solum imputatur. »
4. Op. cit., q. 145, col. 469 : « Quaeritur an etiam peccatum Evae nobis imputetur ?

Solutio : Nota verba Apostoli dicentis in unius delicto, non ait duorum. »

5 . Op.
q. 146, col. 46gcit.,« Peccata parentum etiam proximorum non iuiputantur
:

filiis, peccata patruin per imitationem sua faciant nec tune puniunturquia paren-
nisi ipsi ;

tes, sed quia ipsi peccaverrunt. »


Summa de Sacrum., lib. i, p. 7, c 38, col. 306 « Quod si verum est, constat quod peccata :

patrum actualia ad fihos non transeunt, sed originale solum quod ceteris omnibus tanto
maius quanto magis prae ceteris omnibus naturam ipsam mutare potiiit. » Hugues ne
fuit
s'écarte,on le voit, qu'à contre-cœur de saint Augustin c'est pourquoi il ne parle pas ;

d'une manière catégorique.


6. In Epist. ad Rom., q. 147 « (Peccatum priniorum parentum) nos spoliavit
: cetera ;

peccata aliorum nos tamquam nudos et spoliatos invenientia non potuerunt nobis aliquid
auferre. »

7. Summa de Sacram. ,lih. 297 «Quando veropersacramentumredemp-


i, p. 7, c. 24, col. :

tionis regenerantur qui generati sunt in poena et culpa, emundandis per spiritum regene-
rationis in ipso original! vitio tollitur non poena, sed culpa. » Et c. 37, col. 304 « Sic itaque :

originale peccatum quod in parentibus per regenerationem delctum est quantum ad culparn,
quia tamen ad poenam remanet, ad eos qui geiieraiitur transiens non solum ad poenam
LA SUMMA SENTENTIARUM 51

III. — SUMMA SENTENTIARUM

Nous n'avons pas fait usage de la Summa Sententiarum dans


l'exposé de la doctrine de Hugues de Saint- Victor ; l'authenticité de
cette œuvre est en effet très discutée, les uns la conservant au Vic-
torin, les autres la lui refusant ^. Nous n'avons pas ici à prendre
parti dans ce débat, mais nous ne pouvons nous abstenir d'exposer
la doctrine contenue dans cet ouvrage, étant donnée l'influence
qu'il a exercée.
En général, la Summa Sententiarum fournit la même doctrine
que Hugues de Saint-Victor on y trouve ; même des passages litté-

ralement extraits d'Hugues. Toutefois elle présente plus de pré-


cision. Ainsi son auteur pose expressément la question : quelle
grâce avait l'homme avant la chute ? et oui ou non, avec cette
grâce pouvait-il demeurer dans le bien ^ ? A la première question,
ilrépond que l'homme n'avait pas la charité immédiatement après
sa création, comme l'ont reçue les anges ^ à la seconde, que l'hom- ;

me, aussi bien que les anges, pouvait sans la grâce coopérante,
surajoutée à celle de la création, demeurer dans le bien, éviter
le mal, mais ne pouvait faire de progrès Dans la création l'ange *.

et l'homme sont constitués sans défauts, innocents, mais non pas


justes ^.

Quant au péché originel, il consiste aussi d'après la Summa


dans la concupiscence et l'ignorance habituelle. La première est
la cause de la seconde ; c'est pourquoi on peut parler d'un ou de
plusieurs péchés originels®.

constat, sed etiam imputatur ad culpam, donec percepto lavacro generationis in ipsis
quoque culpa deleatur, etiamsi poena remaneat. » Cf. lib. 2, p. i, c. 7. Voir aussi In'Epist.
ad Tim. /, q. 10, col. 596.
1 . Cf. G. Robert : Les Écoles et V enseignement de la théologie pendant la première moitié
du XII^ siècle, p. 212. Ueberweg-Baumgartner, pp. 338-339.
2 . Summa Sententiarum, tract. 3, c. 7 (P. L. t. 176, col. 98) : « Nunc restât iaquirere quam
gratiani horao ante peccatum habuit, et utrura per eam potuit stare an non, »
2. Op. cit., col. 100 « Nec tamen aliquis putet nos dicere quod in ipso exordio
: creatio-
nis (charitatem) habuit, sicut supra de angelis diximus sed post creationem.
; Non enim
statim cecidit sicut àngelus, sed per aliquain moram in Paradiso fuit. »
4. Op. cit., tract. 3, c. 7, col. 98 : « ... sine apposita gratia proficere non poterat, sicut
et de angelis sed non declinare ab eo quod acceperat, per gratiam sibi in rrea-
diximus ;

tione coUatam poterat. Aliud enim est facere bonum, aliud declinare a malo. Per illud adiu-
torium gratiae quod acceperat in creatione poterat declinare a malo ; sed sine superapposita
gratia non poterat ipse facere bonum. »
5 Op. cit., tract. 2, c. 2, col. 82 « Eos (angelos) fuisse bonos in primo exordio creationis
. :

constare débet, id est sine vitio. Non enim Creator optimus auctor mali poterat esse. Sed
nec iusti nec iniusti tune fuerunt, nec aliquam virtutem tune habuerent. » Et tr. 3 c. 2
col. 91 : « Ad similitudinem Dei factus est homo, quia innocens et sine vitio factus est. »

6. Op. cit., tract. 3, c. 11, col. 107 : « ...dici potest quod originale peccatum est concu-
piscentia mali et ignorantia boni... Vitium est, non actus... Ex hisce auctoritatibus (.^ugus-
52 DÉVELOPPEAIENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

L'explication de notre culpabilité est encore aussi vague que


chez Hugues de Saint- Victor. A la question : pourquoi le péché
d'Adam nous est-il imputé, la Somme des Sentences répond : parce
que nous l'avons commis en descendant d'Adam par la concupis-
cence. Le péché de notre premier père nous est attribué, non pas
parce que nous étions tous en lui originaliter, comme l'a dit Ansel-
me, —
le Christ aussi, selon la chair, était en lui, mais parce —
que nous sommes tous descendus ^ substantiellement de lui par la

concupiscence, qui est un effet de son péché. C'est pourquoi l'on


peut dire que le péché d'Adam est imputé à sa postérité, parce que
tous sont conçus dans l'effet de ce péché, c'est-à-dire sous la loi du
péché qui est la concupiscence. Au contraire l'homicide, ^e vol ne
sont pas imputés aux descendants d'Adam, la génération ne s'exer-
çant pas en vertu de leurs effets, c'est-à-dire selon un mouvement
qui procéderait d'eux ^. En conséquence, le péché d'Adam exerçant
une inlluence sur la génération par son effet, c'est-à-dire par la
concupiscence, nous nous trouvons aussi être coupables. Cette
conclusion n'est pas très claire ; l'auteur lui-même semble le recon-
naître, car il déclare, avec saint Augustin, — Hugues a procédé
de même — qu'en somine la culpabihté qui nous incombe est incom-
préhensible : c'est un mystère de la justice divine qui a son secret ^.
Nos deux docteurs, Hugues et l'auteur de la Smmna Sententiarum,

tini) patet concupisceiitiam mali esse peccatum originale sub qua continetur ignorantia
boni, quoiiiam ex ea est... Et inde est quod quandoque reperimus in S. Scriptura pluraliter
peccata originalia, quia diversa suut ignorantia boni et concupiscentia mali ; quandoque
singulariter reperimus peccatum originale, quia sicut diximus, unum istorum ex altero est.
Unde et sub eo vel in eo continetur. »

1 Op. cit., tract. 3, c. 10, col. 105. Ici l'auteur explique


.
la propagation du genre humain de
la même manière que Hugues de Saint- Victor. ,

2. Op. cit., tract. 3, c. 10, col. 105 « ...videndum est quare (peccatum prirai hominis)
:

imputetur posteritati eius. Omnes enira qui ab eo par concupiscentiam descendunt, ob-
noxii sunt peccato illo et pro illo rei sunt originalis peccati. Ad quod potest dici quod ideo
imputatur omnibus, quia omnes illud conuniserunt, ut Apostolus dicit lu quo omnes pec- :

caverunt (Rom. V) quod ita potest exponi lu eo onmes peccaverunt, id est peccato rei:

tenentur. Ut enim dicit Apostolus Per unius inoboedientiam peccatcjres constitui sunt
:

multi. Quod inde est quia per legem peccati ab eo descendunt. Non ideo imputatur eis
quia in eo tune fuerunt originaliter, cum et Christus secundum carnem in eo tune fuerit ;

sed quia per concupiscentiam quae venit de peccato illo, inde descenderunt. Et ita potest
dici quod ideo imputatur toti posteritati, quia in effectu huius peccati, id est in lege peccati
de hoc veniente, concipiuutur, videlicet in concupiscentia. Furtuni, homicidium et caetera
non imputantur posteris ;
quia non fit ipsa generatio secundum effectus iltorum, id est
secundum motum de illis venientem. »
3. Op. cit., Itaque dicendum putamus occultam esse Dei iusti-
tract. 3, c. 12, col. 109 : «

tiam qua illius quod non est in potcstate sua vitare, et quod
peccati anima, teuetur rea,
ipsa propria voluntate non commisit. Ut enim Apostolus dicit Incomprehensibilia sunt :

judicia Dei, et investigabiles viae illius (Rom. lo) ».


De l'opinion de VEluciUarium «: cum anima infunditur corpori invenit
illud corpus altum
et idoncum ad peccandum et inhoc delectatur, et ex hoc tali delectatione contrahit pecca-
tum illud », il dit : « Sed si hoc esset, non originale, sed actuale dici deberet. »
SAINT BERNARD 53

ayant suppose la création immédiate des âmes par Dieu, ne savent


plus comment assigner une raison suffisante à notre culpabilité,
tout comme leur maître, saint Augustin. C'est pourquoi l'auteur
de la Somme des Sentences va même jusqu'à dire, sans établir
^
aucune distinction, que le péché originel n'est pas volontaire

IV. _ SAINT BERNARD

Nous retrouvons les idées d'Hugues de Saint- Victor et de \a.Summa


Sententiarum chez saint Bernard de Clairvaux. Nous ne possédons
de lui, il est vrai, aucun traité m
sur la justice originelle ni sur le
péché originel on ne rencontre que çà et là des textes isolés qui
;

nous dévoilent plus ou moins clairement sa pensée.


De la justice originelle, saint Bernard ne parle que très rarement.
L'homme, pour lui, a été créé dans une harmonie parfaite sa ;

volonté était subordonnée à Dieu et son corps à sa volonté. Aussi


ne rencontrerait-il aucune difficulté dans la contemplation des
choses divines, ni aucune contrainte ou faiblesse vis-à-vis des con-
voitises de la chair 2. Il avait le posse non peccare et le posse non
turban a miseria. Par son péché il tombe dans le non posse non
peccare, et non posse non turbari a miseria ^.
dans le

Quant à savoir si l'homme a été créé dans la grâce sanctifiante,


Bernard ne nous fournit aucune indication. Cependant il enseigne
que la grâce lui était nécessaire pour faire le bien ^. Aussi le posse

Summa Sententiarum, tract. 3, c. 13, col. 109 « Solet etiain quaeri utrum voluntarium
1 . :

sitan iiecessariuin illud peccatum. Sed quod non sit voluntarium constat per supradicta.
Iterum si dicatur necessarium, non débet imputari. Et ideo voluit dicere quidam quod
nec necessarium nec voluntarium. Propheta tamen dicit De necessitatibus meis crue me, :

Domine (Ps. 24). Unde non videtur absurdum quod dicatur necessarium. »

2. Sermo II in Septuag., n. 2 (P. L.


183, col. 167) « Immunem ab hoc gravamine
t. :

(corporis corrupti) primi parentes animam novisti exstitisse, donec adhuc corpus gereret
incorruptum. Nimirum in libertate posuit eum Deus, ut inter summa et intima versans, et
in illa accederet sine difficultate, et
ad haec sine illecebra aut necessitate descenderet illa ;

penetrans naturali vivacitate et puritate mentis, haec auctoritate diiudicans praesidentis. »


In Annuntiat. B. V. M. Sermo I, n. 6, col. 386 « Pacem duplicem, ut nec intus pugnae
:

nec foris timorés, id est nec caro concupisceret adversus spiritum, nec esset ei creatura
ulla formidini. )>

De arbitrio, c. 6, n. 18, t. 182, col. ion


gratia et lib. « Creati quippe quodammodo nostri
:

in liberamvoluntatem, quasi Dei efficimur per bonam voluntatem... Nostra quippe volun-
tas bona (quod fatendum est) a bono Deo creata. »

3. De gratia et lib. arbitrio, c. 7, n. 21, col. 1013 : « Corruit Adam de posse non peccare
in non posse non peccare ...itemque de posse non turbari in non posse non turbari. »

Op. cit., c. 6, n. 17, col. ion « A Deo igitur velle, quomodo et timere, quomodo et
4. :

amare, accepimus in conditione naturae, ut essemus aliqua creatura velle autem bonum, ;

quomodo et timere Deum, quomodo et amare Deum, accipimus in visitatione gratiae, ut


simus Dei creatura. »
54 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

non peccare, et le posse non turban semblent-ils


avoir été des dons
spéciaux, puisqu'il les oppose à l'exemption
de contrainte, qui
appartient essentiellement à la nature et n'a pas
été perdue par la
chute 1. C'est là tout ce que nous rencontrons
sur la justice
originelle.

Saint Bernard s'étend davantage sur le péché originel. A ren-


contre d'Abélard, il soutient énergiquement qu'il s'agit d'un vrai
péché, et non pas seulement d'une oWigation
de subir la peine^.
Ce péché, cependant n'est pas personnel. Il nous
appartient réelle-
lement et nous en sommes esclaves, mais il nous
vient de dehors.
Nous n'avons pas péché personnellement, mais Adam
nous a fait
pécheurs en lui. A quel titre ? Nous ne le savons
pas. C'est le secret
de la justice divine 3.

Ce péché originel consiste dans la concupiscence *.


C'est la con-
cupiscence qui porte avec elle la faute de notre
premier père,
le vice qui corrompt notre nature.
Par le baptême, la damnation
et culpabiUté nous sont pardonnées, mais la
la
concupiscence
reste.Cependant elle ne nuit qu'à celui qui consent =. La consé-
quence de cette doctrine, c'est que le péché originel
se transmet

1 .
Op. cit., c. S, n. 21, col. 1013
Corruit de possc non peccare in non posse non pac-
: <

care, ...de posse non turbari in non posse non


turbari. Sola reniansit ad poenani lihertas
arbitnu... c. 2, n. 4, col. 1003 « Est vero ratio data
voluntati ut iustruat iliam.non des-
:

truat. Destrueret autein, si necessitatem ei ullam


imponeret... Ubi quippe nécessitas iam
non voluntas. » '

2. Tract, de erronbus Abaelardi,


1062-1063 « Non enim vis ut diabolus
c. 5, n. 13, col. :

in honnnem habeat vel habuerit potestatem


nec ego. Non tanien idcirco non habet : fateor,
quia ego et tu hoc nohnnus. Hoc si non conliteris
tu, nec cognoscis cognoscunt et dicunt :

qui redempti sunt a Domino, quos redemit de


manu inimici. » Cf. c. 6, et aussi Scrmo de
Passione Domini, n. 6, t. 183, col. 265.
3. Sermo I in Dpm. I post. Octav. Epiph., n. 3, roi. is6 (P. L. t.
1S3) « Aliéna lavit :

aqua, quos culpa uiquinaverat aliéna. Nec tamen sic


alienani dixerim, ut negem no'^tram •

ahoqum nec inquinaret. Sed aliéna est, quia in Adam omnes nescientes
peccavimus nostra ;
quia etsi in alio, nos tamen peccavimus, et nobis
iusto Dei iudicio iinputabatûr. licet
occulto. »

De gratia et lib. arbitrio, c. 0, n. 29, col. 1016 : « A quo (posse non peccare) illo per pec-
catum, inio nobis in illo et cum illo corruentibus. »
7>«c/. de error. Abael., c. 6, col. 1066 « Cur non aliunde iustitia,
cum aliundc reatus ?
:

Aiius qui peccatores constituit, alius qui iustificat


a peccato. » Cf. Sermo de Pass. Dom.,
loc. cit., et Sermo in CoenaDom. n.
3, col. 272.
4 .
A bael., loc. cit., « ...non sic illi (Adam) attineo ut non et isti (Cluisto).
Tract, de error.
Si illiper carncm, et per fidem luiio et si infectus ex illo
originali concupiscentia etiam
;

t iiristi gratia spintuali perfusus sum. »


Cf. Sermo in Coena Dom., n. 3, col. 272.
5 Sermo in Coena Dom., n. 3, col. 272 - In casu primi
. hominis cecidimus omnes. Ceci- :

dimus autem super acervum lapidum, et in luto unde non


solum inquinati, sed etiam vul- :

nerati et graviter quassati sumus. Lavari


qnidem cito possumus ad sanandum vero opus ;

est curatione niulta.


Lavamur igitur in baptismo, quia deletur cliiiographum danmationis
nostrae haec gratia nobis confertur, ut iam nihil nobis concupiscentia
et
:
noceat si tamen
a consensu abstineamus atque ita tamquam sanies inveterati ulceris
;
removetur dum
tollitur damuatio et responsum mortis quod prius inde manabat. »
IMERKE LOMBARD 55

par la génération et par la concupiscence. La concupiscence dans


l'acte conjugal corrompt la nature de l'enfant, qui naît ainsi avec
i.
le même vice, qui a souillé sa génération
On le voit, saint Bernard, comme Hugues de Saint- Victor suit
l'évêque d'Hippone emprunte
^ ; il lui plusieurs expressions :

avec lui, il parle d'une mitissima poena pour les enfants qui meurent
dans le seul péché originel ^ ; avec lui aussi il renouvelle la demande
adressée jadis à Julien d'après les paroles de l'Ecclésiaste « Unde
:

grave iugum super omnes et tôt os filios Adae idque a die exitus de
ventre matris eorum iisque in diem sepulturae in matrem omnium. «
(c. 40, V. 7). * C'est à lui enfin qu'il emprunte la formule.: passe

non peccare, non posse non peccare, non posse peccare^.

V. — PIERRE LOMBARD

Après Hugues de Saint- Victor, nous devons aborder la doctrine de


son disciple le plus célèbre, Pierre Lombard. Aucun nom dans l'his-

toire de la théologie du douzième siècle ne représente une égale


fortune ;
pour ses contemporains comme pour la postérité, il est

par excellence le « Maître des Sentences ». Aucune œuvre n'a été


commentée à l'égal de la sienne ; ses Sentences furent le Livre de
texte dans l'enseignement de la théologie pendant plus de trois
cents ans, et elles ne cédèrent que lentement la place à la Somme
de saint Thomas, à la fin du quinzième siècle. Saint Thomas lui-

même commenta, comme ses contemporains, en qualité de bachelier,


le livre des Sentences, et la publication de ses commentaires pré-

1 . Tract, de crror. A bacl., c. 6, col. 1066 : « Non sic illi attineo, ut non et isti. Si illi per car-
neni, et per fidem huic. Alius qui peccatores constituit, alius qui iustificat a'peccato ;
» «

aller in semine, alter in sanguine. An peccatum in semine peccatoris et non iustitia in san-
guine Cliristi ?»
Sermo in Coena Dont., n. 3, col. 272 « Neque enim dubium est quin a primis parentibus
:

in nos traducta sit lex ista peccati. Oiunes siquideni peccatrice voluntate generamur et inde
voluntas nostra corrupta est tamquam ulceribus plena unde licet inviti, pruritus quosdam :

concupiscentiarum et tamquam bestiales motus sentimus. »


Epist. 174, n. 7 (P. L. t. 182, col. 335) : Peccatum quomodo non fuit ubi libido non de-
fuit ? ).

2. De Baptismo ad Hugonem, c. 2, n. 8 (P. L. t. 182, col. 1036) : « Ab his ergo duabus


columnis, Augustinum loquor et Ambrosium, crede mihi, difficile avellor. Cum his, inquam,
me aut errare aut sapere fateor. »
3 . Sermo 6g in Cant., n. 3 (P. L. t. 183, col. 1114) : « Mitissimae sunt poenae ». Cf. Augus-
tin, Contra Iulin., lib. 5, c. 11, n. 44.
4. Sermo de Passione Dom., n. 6, col. 265. Cf. Augustin, Opus imperf. c. lulian., lib. i,
ce. 22-31, 35, 49, 50, 54, 55, 92, 122 ;
lib. 2, ce. 14, 16, 18, 67, 74, ii7, HQ, 124, 139.
141, 144, ; lib. 3, ce. 5, 6, 7, 8, 42, 68, 83, 134, 202, 211, lib. 4, ce. 2, etc

5 . De gratia et lib. arbitrio, c. 7.


56 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

céda sa maîtrise en théologie ^. Il est donc nécessaire d'entendre


sur la justice primitive et le péché originel celui qui fut si long-
temps le docteur des écoles théologiques.

La doctrine de Pierre Lombard est foncièrement augustinienne.


Pour lui l'évêque d'Hippone est Vegregius Doctor, le venerabilis
dodor Augustinus ^ ; et il le cite environ mille fois ^. L'influence de
Hugues de Saint- Victor et de la Summa Sententiarum est aussi
très sensible chez Pierre Lombard.
Dans la question de la justice originelle, Pierre Lombard se
demande expressément, avec l'auteur de la Somme des Sentences,
quelle grâce ou quelle puissance l'homme possédait avant la chute,
et si par elle il pouvait persévérer dans son état. A la même question
nous obtenons la même réponse. L'homme a reçu dans sa création
la grâce et la force de persévérer dans la condition où il avait été
établi; cependant ne pouvait progresser, n'étant pas capable
il

de mériter le salut avec cette seule grâce de la création, et sans rien


d'autre ^. Dans quelle condition fut-il donc créé ? L'homme fut*
créé sans aucun défaut, c'est-à-dire sans concupiscence et sans
ignorance ^; en possession de la rectitude de sa nature, d'une
volonté bonne et d'un secours qui lui permettait de persévérer^.
Ce secours fut le libre arbitre, préservé de souillure et de corrup-
tion, la rectitude de la volonté, l'intégrité et vigueur de toutes
les puissances naturelles de l'âme '. Cependant pour faire le bien —
pour mouvoir ses pieds, comme dit Pierre Lombard — l'homme
avait besion de la grâce opérante et coopérante ^. Telle est la justice

1. Cf. Grabmann, Geschichfc der scholastischcn Méthode, II, p. 359-407. Ueberweg-


Baumgartner, p. 299-301. De Groot, Leven van den h. Thomas van Aquino, p. 124.
2. Sentent. I, d. i, c. i ; d. 2, c. i (P. L. t. 192, col. 521 et 526).
3. Grabmann, Op. cit., p. 385.
4. // Sentent., d. 24, c. i, col. 701 « Nunc diligeiiter investigari oportet quam gra-
:

tiam vel potentiam habuerit homo ante casutn et utrum per eain potiierit stare vel non. ;

Sciendiira est ergo quod homini in creatione, sicut de angelis diximus, datum est per gra-
tiara auxilium, et collata est potentia per quam poterat stare, id est non declinare ab eo
quod acceperat sed non poterat proficere in taiituin, ut per gratiam creationis sine alia
;

mereri salutem valeret. »


5. Op. cit., II, d. 22, c. II, col. 700 « ...sine vitio (erat) natura hominis » ; d. 25, c. 7,
:

col. 707 : « Tune sine errore ratio iudicare et voluntas sine diffirultate bonum appctere
poterat. » n. 14. col. 709 : « ...ante peccatum nulla nullumque impc-erat hominis difficultas
dimentum de lege membrorum ad bonuni, nulla impulsio vel instigatio ad malum. «
6. Op. cit., II. d. 24, c. I, col. 702 « ...homo rectitudinem et bonam voluntatem in
:

creatione accepit, atque auxilium quo stare poterat. »


7. Op. cit., n. 4, col. 702 « ...illud adiutorium homini datum in creatione... utique
:

fuit libertas arbitrii ab omni labe et corruptela immunis, atque voluntatis rectitudo, et
omnium naturalium potentiarum animae sinceritas atque vivacitas. »
8. Op. cit., II, d. 29, n. i, col. 719 » ...ante peccatum homo indigebat gratia opérante
:

et coopérante. Non euim habebat quo pedem movere posset sine gratia operantis et coope-
PIERRE LOMBARD 57

originelle pour le genre humain : être sans défauts, être innocent

et posséder une nature ordonnée et droite. Le Maître expose d'ail-


leurs la même doctrine au sujet des anges eux aussi furent créés :

sans la grâce sanctifiante dans l'intégrité de leur nature, justes


c'est-à-dire innocents ^. Le défaut exclu par la justice originelle,
c'est, principalement, comme nous l'avons dit, la concupiscence
et l'ignorance, incompatibles avec la sujétion de la partie sensitive
à la volonté et la raison ^.

L'immortalité de l'homme avant la chute n'était que condition-


nelle l'homme devait manger les fruits de l'arbre de vie afin de ne
;

pas mourir, car, de par sa nature et sa condition, il était mortel.

C'était là l'état du posse mon et posse non mon ^.

Quant à la transmission de la justice originelle, les enfants se-


raient nés sans aucune corruption, la génération s'opérant sans
concupiscence semble que Pierre Lombard soutienne avec
*. Il

VElucidarium, que l'acte conjugal se serait exercé sans aucune


délectation sensuelle « Sicut alia memhra corporis aliis adniovemus
:

ut manum on, sine ardore lihidinis, ita genitalibus uterentur memhris


sine aliquo priiritu carnis^. »

La doctrine du Lombard sur le péché originel ne fournit pas plus


d'éléments nouveaux que celle sur la justice. Pour le Maître des
lautis auxilio habuit tameii quo potuit stare. » Selon Hugues de Saint- Victor et l'auteur
;

de la Summa
Sententiarum, seule la grâce coopérante était nécessaire à l'homme. Ainsi
Siimma Sent, tract. 3, c. 7 « ...dicimus quod si homo vel angélus declinasset a malo, habe-
:

ret utique meritum et proficeret sed non in hoc quod a malo declinasset, sed in hoc quod
;

a malo declinando bonuni diligeret, ad quod egebat gratia coopérante. Ad illud vero pri-
mum sufficiebat homo ante peccatum ex
adiutorium creatricis gratiae. Habebat enim
non peccare, id est vitare malum sed egebat
libero arbitrio et exillo adiutorio gratiae, posse ;

gratia coopérante ad bonum perficiendum. Post lapsum vero non solum coopérante sed
etiam gratia opérante eget... Sed ante lapsum non egebat nisi coopérante nondum enim :

ceciderat, et ideo uon egebat gratia per quam surgeret, sed ea sola per quam proficçret. »
Pierre Lombard propose la même doctrine au sujet des anges : III, d. 5, n. 4.
1 . Op. cit., II, d. 5, n. I, col. 661 : « Illi quidem conversi sunt et illuminati a Deo gratia
apposita. Isti vero sunt excaecàti, malitiae, sed desertione gratiae a qua
non immissione
deserti sunt ; non ita quod prius dedita subtraheretur, sed quia numquam est apposita ut
converterentur. » Ihid. d. 4, n. 6, col. 661 : « Quales fuerint angeli in creatione ostensum
est, boni scilicet et non mali innocentes et perfecti quodammodo, alio vero
: iusti, id est
mo.'o imperfecti. » 656 « Spirituahs et angehca natura in sua con-
Et ibid. d. 2, n. 7, col. :

ditioue secundum naturae habitum formata fuit et tamen illam quam postea per amorem ;

et conversionem a Creatore suo acceptura erat formam, non habuit, sed erat informis sine
illa ». Cf. Hugues de S. Victor, cité p. 45J note i, et p. 46; note 4.

2. Cf. p. 56, note 5.


3. Op. cit., II, d. 19, n. I, col. 690 : '<In illo namque primo statu habuit posse mori,
et posse non mori. » Et n. 2, col. 690 : " ...alterum habebat in natura corporis, id est posse
mori alterum vero scilicet posse non mori erat
; ei ex ligno vitae, scilicet ex dono gratiae. »

Cf. encore n. 6, col. 691-692.

4. Op. cit., II, d. 20, n. I, col. 692 : « Genuissent itaque filios in paradiso per coitum imma-
culatum, et sine corruptione » ; et n. 8, col. 694 « sine peccato nascerentur ».
:

5. Op. cit., II, d. 20, n. I, col. 692. Cf. p. 41; note 6.


58 DEVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

Sentences le péché originel consiste dans la concupiscence^. Elle


est un vrai péché 2, non pas actuel, mais originel, et
contracté par
la génération ^. C'est pourquoi le nom de concupiscence, appliqué
au péché ne désigne pas un acte, mais un défaut K
originel,
D'où ce défaut tire-t-il son caractère de faute ? C'est parce que
nous avons été un dans la personne d'Adam, à raison de l'unité de
la matière corporelle de tout le genre humain. Comme Hugues de
Saint- Victor, Pierre Lombard
exige donc pour la propagation du
péché originel l'unité individuelle de la matière corporelle d'Adam
et de tous ses descendants ^ L'acte libre de désobéissance de notre
premier générateur a corrompu la nature cet acte était transitoire, ;

mais le vice qui en résulte demeure dans la nature et porte la faute


avec lui. A cause de cette faute nous sommes condamnés à la dou-
ble mort de l'âme et du corps, parce que la même nature se propage
matériellement en tous ^.

Cette tare se transmet par la concupiscence de l'acte conju-

1 op. cit., II, d. 30, n. 7, col. 732


. « Quid ergo originale peccatum dicitur ? l-omes
:

peccati, scillicet concupiscentia vel concupisribilita?, quae dicitur lex membrorum, sive
languor iiaturae, sive tyrannus, qui est in iiiembiis nostris, sive lex carnis. » Cf. Maître
Roland Bandinelli, (éd. Gietl, Die Senienzen Rolands, p. 134.)
2. Oj). cit., d. 30, n. 6, col. 722 : « Peccatum igitur originale culpa est. «

3- Ibid., n. 3, col. 722 : « Non est igitur accipiendum peccatum Adae transisse in oninos
imitationis tantum exemplo, sed propagationis et originis vitio. » Cf. n. 7, col. 722.
In Epist. ad Rom., c. 5, v. 13-14, col. 1390 « ...non sua propria voTuntate peccaverunt
:

sicut Adam, sed originali vitio tenebantur obstricti, quod ab eo traxerunt. »


4- Op. cit., d. 30, n. 8, col. 722 : « Nomine autem concupiscentiae non actura concupis-
cendi, sed vitiuni primum significavit (Augustinus), cum eam dixit Icgem carnis... Vitiuni
utique est quod parvulum habilem concupiscere facit.adultum etiani concupiscentem reddit.»
Cf. ibid. d. 31, n. 2, col. 724 « Est enim peccatum originale concupiscentia, non
:
quidem
actus, sed vitium. »

5 Op. cit., d. 30, n. 8, col. 722 « In Adam enira omnes peccaverunt, ut in materia, non
• :

solum eius exemplo, ut dicunt Pelagiani. Omnes enim ille unus homo fuerat, id est, in eo
materialiter erant. Mauifestum est itaque onuies in' Adam peccasse, quasi in massa. » Cf.
ihid, n. 13, col. 723 « Materialiter atque causaliter, non formaliter, dicitur fuisse in primo
:

homine omne quod in humanis corporibus naturaliter est, descenditque a primo parente
lege propagationis, et in se auctum et multiplicatura est, nullo exteriori substantia in id
transeunte, et ipsura in futuro resurget. Fomentum quidem habet a cibis, sed non conver-
tuntùr cibi in liumanam substantiam, quae scilicet per propagationem descendit ab Adam.
Transmisit enim Adam niodicum quid de substantia sua in corpora filiorum quando eos
procreavit, id est aliquid modicum de massa substantiae eius divisum est, et inde formatum
corpus filii suique multiplicatione sine rei extrinsecae adiectione, auctum est et de illo
;

ita augmentato aliquid inde separatur, nnde formantur posterorum corpora


et ita progre- :

ditur procreationis ordo lege propagationis usque ad finem humani generis. Itaque dili-
gcnter atque perspicue intelligentibus patet omnes secundum corpora in Adam fuisse per
seminalem rationem, et ex eo descendisse propagationis liege ». Rapprocher S. Thomas, II
Sent., d. 30, q. 2, a. 2 Hugues de S. Victor, cité p. 49, note i.
;

Cf. In Epist. ad Rom, c. 3, v. 22-26, col. 1361 c. ?, v. 12-13, col. 1387-1389 v. 17, col. ; ;

1394 et // Sent. d. 33, n. 7, col. 731.


;

6. // Sent., à. 30, n. i-ii, col. 720-723 ; In Epist. ad Row., c. 3, v. 22-26, col. 1361
;
c. v. 18-10, col. 1397. // Sent., à. 31, u.
"i,
4, col. 723 : « Natura quippe humana non opère
Dei cum vitio primitus est instituta, sed ex voluntatis arbitrio primorum hominum venienti
est sauciata, ita ut non sit in carne bonum, sed vitium quo inficitur anima, »
PIERRE LOMBARD 59

gai ^ La prévarication d'Adam ayant corrompu la nature, l'acte

générateur ne peut plus s'exécuter sans la concupiscence. Par elle, la

chair de l'enfant contracte la souillure, et la chair à son tour souille


l'âme au moment de son infusion : c'est par la chair que l'âme con-
tracte le vice de la concupiscence *.

La concupiscence parvient donc jusqu'à nous à cause d'une


génération impure, et la culpabilité à raison de notre unité maté-
rielle avec le chef de notre nature, qui la corrompit librement.

Tels sont les deux éléments requis pour constituer le péché ori-
ginel ^ et c'est parce que chaque homme naît par la génération
naturelle, qu'il porte la souillure morale et pénale du premier péché.
Il résulte de là que le Christ, qui ne fut pas engendré par la concu-
piscence, mais par l'action du Saint-Esprit, fut préservé de cette
tare universelle, bien qu'il descendît lui aussi du premier homme
quant à sa substance corporelle *.
Le péché originel est donc libre et nécessaire à la fois libre :

dans sa cause première, l'acte libre d'Adam nécessaire, par sa ;

cause intermédiaire, la génération par voie de concupiscence, qui


le rend inévitable ^.

1.II Sent., d. 31, n. 8, col. 725 « Iimotescit quare dicatui- originale peccatum
: ideo :

scilicet, quia ex viriosa lege originis nostrae in qua coiicipiimir, scilicet carnis libidinosa
concupiscentia traducitur. » Cf. In Epist. ail Rom., c. 5, col. 1388, citant saint Augustin :

De BapUsmo parvulortim « Adam praeter imitationis exemplum occulta etiam tabe car-
:

nalis concupiscentiae suae tabefactavit in se omnes de sua stirpe venturos. » Cf. aussi In Ps.
50, P. L. 191, col. 487 In Epist. ad Rom., c. 5, col. 1387 et 1393.
;

II Sent., d. 31, n. 4, col. 724 « Caro enim propter peccatum corrupta fuit in .\dam
2. :

adeo ut ...iam post peccatum non valet fieii carnalis copula absque libidinosa concupis-
centia, quae semper vitium est, et etiam culpa nisi excusetur per bona coniugii. In concu-
piscentia ergo et libidine concipitur caio formanda in corpus prolis. Unde caro ipsa quae
concipitur, in viciosa concupiscentia polluitur et corrumpitur; ex cuius contactu anima
cum infunditur maculam trahit qua polluitur et fit rea, id est vitium concupiscentiae
quod est originale peccatum. » Cf. In Epist. ad Rom. c. 5, v. i?-i9, col. 1395 « Nemo nascitur :

nisi in concupiscentia camali. » Pierre Lombard rejette aussi l'opinion de VElucidarium


selon laquelle l'âme se rendait coupable, au moment de l'infusion, par une complaisance
en la chair du péché. Il le fait l^our la même raison que Hugues de saint Victor « Quidam, :

dicunt ideo illam infusam animam ream esse illius peccati, licet munda a Deo sit creata,
quia cum infunditur corpori, condelectatur carni, ex quo peccatum contrahit. Quodsi esset,
iam non originale sed actuale diceretur. » II Sent. d. 32, n. 5, col. 728.
•;
. // Sent., d. 32, n.
728 « ...nec caro corruptibilis
5, col. : animam peccatricem fccit,
scd peccatrix anima^carnem corruptibilem fecit. »

4. In Epist. ad Hcbr.,. c. 7, v. 4-10, col. 450-451 « ...hoc non sequitur in Christo, licet
:

in lumbis Adae et .\brahae fuerit, quia non secundum concupiscentiam carnis inde des-
cendit. »

// Sent., « Non enim quia ex came tracta ab Adam concepti sumus


d. 31, n. 8, col. 725 :

ideo peccatum traximus quia et Christi corpus ex eadem came formatum est, quae ab
;

Adam descendit sed eius conceptus est celebratus non lege peccati, id est concupiscentia
;

cai-uis, unde et caro eius peccatrix non fuit, imo operatione Spiritus Sancti. Noster vero
conceptus non fit sine libidine, et ideo non est sine peccato. »
5. II Sent., d. 32, n. 6, col. 728 « .necessarium potest dici quia vitari non potest
: . .

...et voluntarium non incongrue appellatur, quia ex voluntate primi hominis processif. »
60 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

Il n'y a qu'un péché originel dans chaque individu ^, résultant

du seul premier péché d'Adam ^.


Par le baptême la culpabilité du péché originel disparaît, mais la
concupiscence demeure ^.

1 . Up. cil., d. 33, n. 3, col. 730 : " Uno ergo et non pluiibus peccatis, parvuli obligati
sunt. » Cf. In Epist. ad Rum. 15-166, col. 1393 « ...in posteros tarnen nonnisi ununi
c. 5, v. :

originale transmittit. » Pierre Lombard distingue plusieurs péchés dans le « peccatum ori-
ginans », non pas dans le péché originel. // Sent., à. ^^, n. 4, col. 72g.
2. Op. cit., d. 33, n. 3, col. 730 : « ...non ergo peccatis patrura praecedentium obligentur
nisi .\dae... Non ergo pro peccatis parentum actualibus, nec etiam pro actualibus prinii
parentis, sed pro originali quod a parentibus trahitur, parvuli danuiabuntur. »
3. Op.d. 32, n. I, col. 726
cit., « Nec post baptismum remanet (concupiscentia) ad rea-
:

tuni, quia non iinputatur in peccatum, sed tantum poena peccati est ante baptismum ;

vero, poena est et culpa. » Et n. 2, col. 726 " Duplici ergo ratione peccatum originale dici^ur
:

dimitti in baptismo, quia per gratiàm baptismi vitium concupiscentiae debilitatur atque
e.xteuuatur, ita ut iam non regnet, nisi consensu reddantur ci vires ;
quia et reatu.'; ipsius
solvitur. »
CHAPITRE V

PRAEPOSITINUS, GUILLAUME D'AUXERRE


ALEXANDRE DE HALÈS, ALBERT. LE GRAND, S. BONAVENTURE,
PIERRE DE TARENTAISE

Après Pierre Lombard, la doctrine de la justice primitive et


du péché originel se développe de plus en plus. L'introduction de la
Logique nouvelle d'Aristote, puis des autres œuvres du grand philo-
sophe grec, dans le monde occidental, exerce une répercussion déci-
sive dans le domaine de la théologie. Par suite des exigences de la
culture philosophique, on est entraîné à rechercher une plus grande
précision dans les notions qu'on emploie, telles les notions de grâce,
de nature, de personne, d'habitude, de disposition, etc. Nombre
de questions sont posées, ordonnées, et divisées plus logiquement ;

il suffit de comparer les Sentences de Pierre Lombard avec les

écrits de ses commentateurs Guillaume d'Auxerre, Alexandre de


Halès, Albert le Grand, saint Bonaventure et Pierre de Tarentaise,
pour constater ce remarquable progrès.
Dans la question de la justice originelle l'influence de Praepo-
sitinus se fait particulièrement sentir. Comme il soutientque
l'homme a été créé dans la grâce sanctifiante ^, le problème du
rapport de la grâce sanctifiante avec l'état d'innocence devient plus
que jamais l'objet des discussions. Cependant, l'autorité de- saint
Augustin, à qui on attribuait le texte célèbre : siare Adam poterat,

Praepositinus, Siimma (d'après le ms 71 de la bibliothèque de Todi), fol. 89, col.


I.
a :Cur angelica natura vel alia spiritualis creatura magis dicatur facta ad siinilitudinem
«

Dei, quam niundus iste vei quaelibet alia creatura 1 ... Solutio Via magistrorum communis
:

est, scilicet quod creati fuerunt tantum in naturalibus et quod Lucifer numquam habuit
;

gratuita... Nobis autem videtur quod créât' sunt in naturalibus et gratuitis. Et quod obii-
citur quod primo erant informes et postea formati ad hoc dicimus quod informes dicti
;

sunt in respectu virtutum, quia virtutes non tantae erant quantae postea in confir-
matione. » Cf. encore fol. 92, col. a-b « ...Utrum homini simul collata fuerunt naturalia
:

et gratuita, an primo naturalia et postea gratuita... Sed beatus .\nselmus, cantuariensis


episcopus, dicit quod homo numquam fuit sine gratuitis ante peccatum, quod nobis
verisimilius videtur. Sic et de angelis beatus Gregorius dicit, quod simul in eis
condidit naturalia et largitus est gratuita, ut in precedentibus dictum est... » Rapprocher
de Albert le Grand, Sttmma Theol., p. II, tract. 14, q. 90, m. i, ad obiect., pag. 175 ;

Petrus a Tarentasia, II Sent., d. 4, a. 2 d. 29, q. i, a. 2


; Gulielmus Autissiodo-
;
'

RENSis, Sntmna aurea (Ed. Paris, 1500), II, tract, i, c. i, fol. 35b et tract. 10, c. 2, ;

fol. 6ob.
62 DÉVELOPPEMENT DE LE DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

pedem movere non poterat ^, empêche encore la plupart des théolo-


giens, même des meilleurs, d'accepter l'opinion de Praepositinus.
C'est ainsi que Guillaume d'Auxerre (Gui. Autissiodorensis), appuyé
sur l'autorité d'Augustin, attaque la théorie de Praepositinus à
propos des anges, au sujet desquels celui-ci avait proposé sa doc-
trine 2. Alexandre de Halès fait aussi opposition tant pour les anges
que pour l'homme^. Pierre de Tarentaise présente encore comme la
doctrine la plus commune et la plus probable la formule suivante :

« quod 7iec angélus, nec homo a principio creationis gratiam habuerit,


sed creatus, in primo actu suae voluntariae conversionis ad Dewn
gratiam accepit ;
gratia enim cum sit in anima tamquam in subiedo
voluntario, non naiurali, voluntariam dispositionem i. e. consensum
requirit, et quia Lucifer dispositionem non habuit, ideo gratiam non
accepit ^. » Albert le Grand, par contre, en présentant dans ses
commentaires sur le Lombard l'opinion du Maître non fuit homo :

creatus in gratuitis, y apporte cette restriction caractéristique :

qîiod tamen ego non credo, licet sustineam propter Magistriim ^.


Mais dans la question des anges il dit expressément qu'ils sont
créés dans la grâce ^. Cependant, dans sa Somme Théologique, que
l'on croit postérieure aux Sentences, il enseigne la doctrine tradi-
tionnelle, en s'appuyant précisément sur le texte pseudo-augusti-

1 On trouve ce texte déjà dans la Summa Sentent iariim (cf. p. 51, n. 2), Roland Bandi-
.

NELLi(cf.Gietl,DieSentenzen...,p.ii8), Pierre Lombard (cf. p. 56,0. 4,8). Cf. Alexandre


DE Halès, Summa SentoU. (éd. Koburger, 1481) p. Il, q. 96, m. 2, a. i ; Albert le Grand,
Sumtna Theol., p. II, tract. 14, q. 90, m. i, sol. (éd. Vives, t. 33, pag. 174) et In II Sent.,
d. 24, a. I, sol. (éd. Vives, t. 27, pag. 397) S. Bonaventure, In II Sent., d. 29, a. 2, q. 2,
;

rond. (éd. Quar., t. 2, p. 703) ; Pierre de Tarentaise, In II Sent., à. 24, q. i, a. i ; d.: 29,
q. I, a. 2.

Autissiodorensis, Sîimma aurea, lib. 11, tract, i.^fol. 35 « Praepositivus et multi


2. :

aliidixerunt quod angeli creati fuerunt in naturalihus et gratuitis. Et respondent ad iUud


quod dixit Augustinus, quod angelica natura in primo statu fuit informis non simpliciter
sed in coinparatione ad statuin confirmationis. Nobis magis placet via conimuiiis, secun-
dum quod non habuerunt gratuita.» Cf. Ibid., tract. 10, c. 3, q. 2, fol. 61 «Ad primunidicunt :

quidam quod Adam fuit in tripliri statu. Primo in statu innocentiae, secundo in statu
gratiae, ...tertio fuit in statu culpae... Lucifer autem non fuit nisi in duplici statu, scilicet

jn statu naturae et culpae. »

" Videtur autem


3. Alexandre de Halès, Summa Sentent., p. 11, q. 19, m. 2, in fine :

melius dictum quod (angélus apostata) numquam habuit gratiam gratum facieutem. »
(Maître Roland soutient aussi cette opinion. Cf. Gietl, Die Sentenzen Rolands, p. 91)- ^f-
p. II, q. 96, m. I, resp. : « ponunt Ipsum (hominem) fuisse conditum solummodo in
Alii
naturalilnis, non in gratuitis gratum facientibus, et hoc magis sustinendum est et magis est
rationi consonum et auctoritatibus probatum et diviiiae e.xcoUentiae declarativum e.xcel- :

ientiae dico scilicet maiestatis, sapientiae, bonitatis. »

4. In II Sent., à. 29, q. i, a. ?.

5. In II. Sent., d. 24, a. i, sol.

6. In II
Sent-, d. 3, a. 12, sol., p. 85 « Sine praeiudicio videtur mihi, quod opinio Sanc-
:

torura sit, quod angélus creatus sit in gratia et ideo suscipiendo illam positionem, sol-
:

vain obiectioues... «
LA JUSTICE PRIMITIVE 63

nien, cité tout à l'heure


i.
Saint Bonaventure 2 soutient la même
opinion que Pierre de Tarentaise. Ainsi, par suite
de l'introduction

de la doctrine de Praepositinus, la distinction entre la grâce sanc-


tifiante et la justice originelle devient
très nette. Par contre-coup
elle-même précisée on ne retrouve
la notion de justice originelle est ;

plus guère cette idée vague, qui ne permettait pas de savoir si la


disposition de la nature,
justice originelle était une vertu ou une
ainsi que nous l'avons constaté chez saint
Anselme et Hugues de
identifiée à la recti-
Saint- Victor 3. Maintenant la justice originelle est
tude même de la nature. C'est la disposition par laquelle la partie

sensitive de notre nature est subordonnée à la domination de la


raison et de la volonté, et ces dernières subordonnées à Dieu *.

Summa TheoL, p. II, trart. 14, q. 90, m. i, sol., p. 174 : « Secundo dicitur gratia qiiod
1
potentias ad actum meriti. Et in
superadditui- talibus adiutoriis potentiarum, et élevât
creatus Adam, ut dicit Augustinus. Dederat enim ei unde posset stare, sed
hac non fuit
proficereî ad meritum. Et de hoc consueverunt assignari très causae,
quod scili-
non unde
in hoc résultat omnipotentia Creatoris,
sapientia et bonitas. » Cf. le texte d'Alexandre
c.et

de Halès cité plus haut. Ibid. m. 2, sol., p. 176 « Adam


accepit adjutorium in ipsa crea-
:

esset. » Et ad 2 « Adjutorium Crea-


tione quo posset stare in rectitudine in qua creatus :

solain influentiam divinae \irtutis in esse


toris multiplex est. Est enim aliquando per
conservantis... Aliquando vocatur diviuuin adjutorium gratia gratis data superaddita
sine.his duobus adiutoriis nihil
naturalibus, qualem gratiam etiam Adam habuit... Et
posset convervari, ut dicit Augustinus. Tertio n-iodo dicitur
divinum adiutorium gratia
gratum faciens, qîiae proficit ad meritum et illam non habuit quia sine illa stare potu-
:

it inaccepta rectitudine per creationem. » Voir aussi ad 3. Cf. m. 3, ad 7 : « Adam autem


Humquam acceperat gratiam gratum facientem » ; et tract. 17, q. 106, m. i, sol., p. 278 :

« Non enim habuit in quo movere pedem posset...


»

In II. Sent., d. 29, a. 2, q. 2, concl., p. 703 « Est alia opinio communior et probabi-
2. :

liorquod modo prius tempore habuit naturalia quam haberet gratuita. Unde secundum
hanc opinionem in statu innocentiae distinguuntur duo tempora quoddam enim fuit :

tcmpus in qua habuit tantum naturalia; quoddam vero in quo habuit et naturalia et gratu-
ita. Et secundum diversitatem huius duplicis temporis dissolvitur apparens contrarietas
in auctoritatibus sanctorum... Ratio (conclusionis) ...sumitur ex triplici ordine videlicet
ab ordine sapientiae, bonitatis et iustitiae. » Il est intéressant de comparer aussi ce texte
de Bonaventure avec le texte d'Alexandre de Halès cité plus haut.
3. Voyez p. 25 et p. 44.
4. Alexandre de Halès, Op. cit., p. II, q. 122, m. 10, § 4 « ...dicimus secundum Augus-
:

tinum quod secundum naturam in primo statu omnia quae erant in homine, ita erant in
oboedientia sui superioris, unumquodque respectu alterius, ut tandem omnia regerentur et
obedirent imperio et intentioni supremi regentis sive imperantis. »
Albert le Grand, In Sent., hb. II, d. 16, a. 5, sol., p. 291 «lustitia autem naturalis :

dicitur ordo rectus virium inferiorum ad superiores, et superioris ad Deum, et corporis


ad animam et mundi ad corpus. Et in hoc ordine creatus est homo. » Cf. ibid. à. 30, a i,
sol., p. 497 et dans Summa TheoL, p. II, tract. 14, q. 85, ad qu. 2, ad 2, p. 138
;
« ...origi- :

nalis iustitia ...nihil aliud est nisi debitus ordo naturalium inter se, quo corpus ordinatur
ad animam et anima ad rationem. »
5. BoN-AVENTURA, In II. Sent., d. 19, a. 3, q. i, ad 3, p. 47o « ...originalis iustitia,
mérite
:

cuius erat in anima vis totius corporis contentiva. » Voir aussi d. 30, a.i, q. i, ad 13, p. 716 :

'<...secundum ordinem naturae corpus débet esse subiectura animae et sensibilitas sub-
iecta débet esse rationi » et q. 2, corp., p. 719
;
« Certum est enim quod tune anima homi-
:

nis est ordinata quando spiritus est sub Deo et caro et virtutes animales sunt sub spi-
ritu et sequentuur eius imperium » ... « sed sicut ordinatio in homine et rectitudo iustitia
est, sic perversitas et inordinatio culpa est ». Et Breviloquium, p. II, c. 10, c. 6.
Pierre de Tarentaise, In II Sent., à. 20, q. 2, a. 3 d. 19, q. 3, a. 3 a Gratia iiino-
; :
64 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

Cependant cette disposition semble se rapporter plutôt


aux puis-
sances de l'âme qu'à son essence K En tout cas la
justice originelle
est eUe-même considérée expressément comme
une grâce surajoutée
à la nature pure 2. En conséquence, la justice origineUe qui, quoique
grâce, appartient cependant à la nature,
se transmet par la géné-
ration, tandis que la grâce sanctifiante,
qui est un don personnel
et tout à fait su rnaturel, ne se transmet pas K Cette transmission

centiae iu anima, id est lustitia originalis,


qua sicut Deo subdebatur et oboediebat mc
corpus subditum regebat, plus potens .in continendo
quani elementorum contraria incU-
nat.o m
dissolvendo » d. 20, q. 2, a. 3 « ...iustitia originalis
;
seu naturalis sciucet quae- :
:
dam rectitude eius, qua corpus erat subditum viribus inferioribus
et illae viribus superio-
ribus et illae Deo. »
1. Cf. p. 78, note 3.
»

2. Alexandre de Halès, Op. cit., m. 2. a. 2 « ...primus homo conditus


p. II, q. g6, :

fuit m gratia eo modo quo gratia dicitur


communiter dicta, scilicet secundum quod com-
prehendit qu.qu.d est additum naturalibus quae sunt de constitutione
generali rerum
et quod est additum libero arbitrio disponens et
faciens ad eius rectitudinem q 03
m. 2 « Puit ergo immortalitas primi status, id est possibilitas
:
non moricndi a gratia o gratk
»
data, non gratum faciente. » »

Albert le Grand, In II Sent., d. 20, a. i, ad i, p. 342 « ...primus homo :


fuit mortalis
par naturam pnncipiorum ex quibus compositus erat,
sed immortalis per gratiam inno-
centiae » ;
d. 19, a. 4, sol., p.
334 ; d. 3^^, a. 2, q. 2, ad i, p. 538 « ...immortalitas et incor- :

ruptio corporis gratia innocentiae cadit. » Et dans Summa Thcol.,


...a
p. II, tr. 13, q. 79
ad qu. 3, p. 113 «Ex gratia autem innocentiae quae ab Anselmo
:
vôcatur 'originalis ius-
titia, habmt homo (immortalitatem) sicut
ex conservante ... De même tr. 14
ad 2, p. 176 (Cf. p. 63, note 2) et ibid. m. 1, sol., p. q 30 2 m
174 Dicendmn ergo qûod in'gratia
; : ,<

gratis data secundum virtutem naturalem creatus est


homo. ..

Pierre de Tarexïaise, In II Sent., d. 19, q. 3 d. 29, q. 3, a.'a


; : .....immortalitas non erat
a natura totaliter cum Adam esset compositus ex contratiis, sed magis ex gratia nam :

ex gratia innocentiae, per quam anima continebatur a Deo, habebat virtutem continent!
corpus ..
;
d. 31, q. i, a. 2 : « ...iustitia vero originalis in Adam gratia erat gratis data non
gratum faciens c « lustitia quippe ex gratia Adae fuit addita super
» ;
d. 32, q. 2, a. 3, :

prmcipia naturalia, qua se per ingratitudinem privavit unde cum esset gratia ' nulla :

iniuria posteris lit, si non reddatur eis iustitia ab Adam


deperdita. ..

S. Bonaventure, In II Sent., d. 19, a.


3, q. i, concl., p. 470 « Corpus valde bene erat :

complexionatum et anima de se incorruptibilis erat, quae iUud corpus regebat


et conser-
vabat et ita idoneus erat primus homo ex his constitutis quod
;
numquam deficeret per
elementorum pugnam. Sed tamen illud non sufiiciebat hoc enim non
posset anima pecca- ;

trix facere, si poneretur in consimili corpore. Et ideo


datum fuit illi animae donum gra-
tiae, per quam posset corpori praesidere et illud
regere et elementa quasi ii, quadam ami-
citia custodire et hoc, quamdiu vellet, suo aurtori
subiacere. Hoc autem donum gratiae
vocat .A.nselmus iustitiam originalcm. »
3. Alexander de Halès,
Op. cit., p. II, q. 95, m. i, a. i « Potest dici secundum .\nsel- :

mum quod si stetissent primi parentes genuissent filios heredes paternae


iustitiae
quantum ad iustitiam originalem. lustitia gratuita tantuni infunditur
immédiate a Deo.»
Et q. 96 m. I « Ad laudem maiestatis facit quod prius erat homo conditus
:
secundum
uaturam deinde informatus per gratiam ut in se cognoscerct gratiam
;
esse donum Dei
et illam a naturalibus distingucret... Sicut
noluit dare gloriam honiini quin praecederet
in honune quodammodo meritum condigni per usum gratiae, opus
enim caritatis onmia
ineretur ex condigno, sic noluit dare gratiam iiisi
praeambulo merito congrui per bonuin
usum naturae. »
Albert le Grand, In II Sent., à, 30, a. 2, c. « Dicendum quod peccatum
originale est :

peccatum naturae, ...et quia illa iustitia obligat ut dicit Anselmus


quia si stetisset, origi- :

nalem iustitiam profudisset in filios sicut profudit postea iniustitiam.


Et dans la Summa ..

Tbeol., p. Il, tract. 13, q. 76, ad qu.


3, p. 67 : Si remansisset in statu innocentiae .. Adam
ut d.cunt Augustmus et Anselmus, et generasset in
illo, aequalitatem istam transfudisset
,n posteros. Cf. tract. 14, q. 85, ad qu.
>.
ad 2, 2, p. 138 ; ad qu. 4 : Adam si non peccasset
LA JUSTICE PRIMITIVE 65

toutefois de la justice originelle n'est qu'indirecte. Elle consiste


en ce que le corps propagé n'oppose pas obstacle à la justice de
l'âme ^.

Bien que tous ces théologiens soutiennent que l'acte de généra-


tion, dans l'état d'innocence, aurait été accompagné d'une délecta-
tion sensuelle, ils nient cependant que cette délectation eût été

nullo modo Et huius causa est, quia iii car-


transmisisset iustitiaui giatuitam in prolem.
uali transfusione traasfundi uuu potest quod iiuUo modo neque per causam neque ut forma
est in carne. Gratuita autem iustitia nullo modo est in carne ut in causa vel in subiecto
sed in Deo solo est ut in causa in spiritu autem creato angelico vel humano est ut in sub-
;

iecto et ideo in carnali transfusione transfundi non potest. u


:

S. BoNAVENTURE, In II Sent., d. ig, a. 2, q. i, ad 2, p. 701 « ...iustitia originalis non :

tantum respiciebat voluntatem deliberativam, sed etiam respiciebat ipsaiu naturam ins-
titutam gratia autem respicit ipsam voluntatem liberam ut est libéra » d. 30, a. i, q. 2,
; ;

c. p. 719 « ...Adam innocentiam et immortalitatem susceperat pro se et sua tota posteri-


:

tate uade ipse innocens et immortalis generasset immortalem et innocentem. » Et encore,


:

d. 33, a. I, q. 2, ad i, p. 786 « lustitiam origiualem Adam et servare potuit posteris et


:

trausfundere. Breviloquium, p. III, c. 6 (Ed. Quar., t. 5, p. 235) « Si Adam stetisset,


« Cf. :

corpus suuui oboediens spiritui fuisset et taie ad posteros transmitteret, et Deus illi ani-
mam infunderet ita quod uiùta corpori iinmortali et sibi oboedienti haberet ordinem ius-
titiae et immunitatem. «
Pierre de Tarentaise, In II Sent., d. 20, q. 2, a. 3 « Erat iu primis parentibus duplex:

iustitia una originalis... ; hanc parentes in Irlios transfudissent ; ex parte etiam animae
:

Deus iufundendo animam in corpore mundo, siinul infudisset iustitiam quamdam gratui-
tam hanc non transfudissent.» Cf. d. 32, q. i, a. 2, c. a ...gratia vero infusa ad personam
: :

pertinet, non ad naturam non enim infimdi potest cuni natura « ; d. 29, q. i, a. 2, ad 3
; ;

« Duplex erat in Adam perfectio quaedam uaturalis transfundenda in posteros banc


; ;

non recuperavit... altéra personalis sicut gratia, propriae saluti necessaria hanc per actus
; :

persouales recuperavit » ; d. 20, q. 2, a. 3, ad 3 « Filios generasset iustos iustitia originali,


:

non gratuita, si stetisset. »


1. Alexandre de Halès, Op. cit., p. II, q. 95, m. i, a. i : «. ...quadam. improprietate
locutiouis dicitur iustitia originalis transfusa intégra ex qua anima habens iustitiam ori-
giaalem ex sui conditione, nihil contraxisset vitii quo defecisset a sua rectitudine nec a
stabilitate confirmationis superadditae gratiae Conditoris... Dici potest Adam transmi
sisse iustitiam in posteros quia talem transmisisset carnem si stetisset quae nequaquam
iustitiae obviasset immo per onuiia spiritui subiaceret. Unde cum Adam generaret filium
:

sine omni corruptela et rebellione ex parte carnis et Deus infunderet animam imiocentem
et rectam, omnes posteri eius recti et iusti essent, et licet illa iustitia principaliter quidem
esset a Deo qui eam tribueret animae, nihilominus tamen dici posset quod Adam eam
transmitteret quia carnem propagaret innoceutiae et iustitiae consonantem. «

Albert le Grand, Summa Theol., p. II, tract. 14, q. 85, ad qu. 3, ad i, p. 138 « ...sine :

dubio secundum Anselmum originalem iustitiam transfudissent parentes in parvulos ;

sed aliud est nisi debitus ordo naturaliiun inter se, quo corpus ordinatur ad ani-
illa nihil
mam et anima ad rationem, ut dicit Plato, secundum dominicalem iustitiam, et ordo natu-
ralium ad actus suos et finem, quae causabatur ex incorruptione eius quod transfunditur a
parentibus in prolem, si peccatum naturam peu-entum non corrupisset. »

Bonaventure, // Sent., d. 33, a. i, q. 2, ad r, p. 786 « (Adam) si stetisset, anima


S. :

potuisset illam carnem servare et a corruptione mortis et a corruptione libidinis et haec :

rectitudo erat originalis iustitia. Si autem in hac Adam perstitisset, cum generaret posteros,
carnem immaculatam transfunderet. Et similiter dmn anima creata a Deo innocens tali
carni uniretur, illud idem posse et eamdem rectitudinem haberet, quam habuit anima
Adae, et per hoc originalem iustitiam. Et pro tanto originalis iustitia transfundi dicitur,
quia si hanc habet pater, necesse est, quod hanc habeat fiiius. » Cf. Breviloquium, loc,
cit.

Pierre de Tarentaise, // Sent., d. 20, q. 2, a. 3 « Iustitia vero originahs a parentibus


:

tiransfundi dicitur quoad dispositionem a parte corporis, non quoad habitum iustitiae
i psi us. »

Bibliothèque thomiste 5
66 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A .S, THOMAS

plus grande que dans l'état de nature déchue. On trouve néanmoins


chez quelques-uns l'opinion contraire^.
Quant à l'immortalité, elle n'est plus uniquement l'effet de
l'arbre de vie.La tendance à unifier toutes les perfections de l'état
d'innocence dans le concept de la justice originelle y fait aussi
introduire le nom d'immortahté. Finalement l'arbre de vie n'a
plus qu'un rôle accessoire ^.

1. Alexandre de Halès, p. II, q. 94, m. 3


Op. « Respondendum intelligendum
cit., :

est hic dupliceui moduni quidam eniiu diceie voluerunt quod tanta vel maior
esse dicendi :

erat delectatio tune quam iiunc et tamen non erat inimoderata tanta erat propter natura- :

lis virtutis perfectionera inimoderata non erat propter iiiferioruni virtutum subiectionem
; :

ratio euim dominabatur illi delectationi et eam deferebat in suum finem et ideo non absor-
bebatur nec erat ibi repugnantia... Est et alius modus dicendi qui magis concordat verbis
;

Augustini et probabilitati rationis scilicet quod in decisione seminum et commixtione


:

sexuum tempore naturae institutae aliqua fuisset delectatio, moderata tamen et mensurata
secundmn quod exigebat hoininis rectitudo, et ideo non erat tanta quanta et modo... Con-
cedendae sunt rationes ostendentes quod non esset tune tanta delectationis intensio, quanta
est nunc, cum modo tanta sit ut modum et ordinem debitum non observât. »
AuTissiODORENSis, Siimma aurea, lib. II, tract. 10, cap. 2, q. 4, fol. 60 v « Dicimus :

quod ibi (in opère matrimoniali) esset delectatio naturalis. »


Albert le Grand, // Sent., d. 20, a. 2, sol. p. 343 ...habuissent in primo statu delec- : «

tationem in coitu sed subditam rationi, sicut in comedendo et bibendo, et non commo-
ventem corpus née ligantem rationem nec excitata fuissent membra nisi in quantmn,:

et quamdiu et quando voluisset ratio. »


S. Bonaventure, In II Sent., d. 20, q. 3, e, p. 481 « Quidam enim dicere voluerunt :

quod tanta vel maior erat delectatio tune quam nune, etc. Le texte est une citation litté-
rale du texte d'Alexandre cité tout à l'heure.

2. Alexandre de Halès, Op. cit., p. II, q. 58, m. 2, a. i « ...lignum vitae ad hoc dis- :

ponebat ut consequeretur immortalitas vitae in Adam sumente sed hoc non fuit tota :

causa. Sed causa intrinseca fuit vis continentiva animae, quam habuit a Deo vita in statu
innocentiae : extrinseca vero fuit esus ligni vitae. »

Albert le Grand, In II Sent., d. 19, a. 4, sol., p. 334 : « ...ad immortaUtatem Adae


quinque exigebantur quorum primum : continuatio ordinis ad perpetuam causam est
vitae et hoc fuit in hoc quod anima subderetur Deo, et corpus animae et mundus corpori.
:

Sic enim fuit hic hausit enim ex perpétue fonte vita,e et refudit in corpus perpetuam
;

vitam... Tertium erat ligni vitae quod disponebat a jferte materiae, removens a corpore
causas senectutis et indurationis membrorum et putrefactiones humorum. » Cf. ibid., ad 3 ;

a. 5, sol., p. 338 ; d. 20, a. i, ad i, p. 342


a. 6, ad 2, p. « ... primus homo fuit mor-
337 ;
:

talis per naturam prineipiorum ex quibus compositus erat, sed immortalis per gratiam
innocentiae. » Et encore Sum. Theol., p. II, tr. 13, q. 79, ad qu. 3, p. 113 « Ex tribus habuit :

homo immortalitatem in primo statu, scilicet ex absentia causae mortis et mortahtatis


quae est per peccatum... Ex gratia autem innocentiae ...habuit, sicut ex conservante. Ex
esu vero ligni vitae habuit sicut disponente et contrarias dispositiones removente. »
s. Bonaventure, In II. Sent., d. 19, a. 3, q. i, ad 2, p. 470 « Originalis iustitia faciebat :

naturam immortalem esse » et ad 3 « Innocentia non erat causa immortalitatis seeundum


; :

quod dicit puram privationem, sed seeundum quod importât originalem iustitiani merito
cuius erat in anima vis totius corporis contentiva. » De môme, a. 2, q. 2, ad i « ...hgnum :

vitae illud corpus non potuit perpetuare, poterat tamen adeo naturam ipsius adiuvare
et vigorare ut diutius viveret. » Et Breviloquium, p. II, c. 10, p. 228 « Incorruptio igitur :

et immortahtas corporis Adae principaliter veniebat ab anima sicut a continente et influente ;

a corporis bona et aequali complexione sicut a disponente et suscipiente a ligno vitae ;

sicut a végétante et adminiculante ; a regimine vero divinae providentiae sicut interius'


conservante et exterius protegente. »

Pierre de.Tarentaise, In II Sent., d. 29, q. 3, a. 2 : « Immortahtas non erat a natura


totaliter,cum Adam esset compositus ex contrariis, sed magis ex gratia, nam ex giaiia
innocentiae per quam anima continebatur a Deo, habebat virtutem contiuendi corpus. »
LE PÉCHÉ ORIGINEL, SON ESSENCE, SA CULPABILITÉ 67

La doctrine du péché originel est exposée avec plus de divergen-


ces. En général, nos théologiens cherchent à concilier les doctrines
de saint Augustin avec celles de saint Anselme. Ce dernier est cité
plus que jamais. Néanmoins, chez les uns, tel Alexandre de Halès,
l'opinion anselmienne prédomine chez les autres, comme chez ;

Bonaventure, Augustin reste le maître incontesté. Albert le Grand


se rapproche d'Alexandre de Halès, Pierre de Tarentaise de Bona-
venture ; tandis que Guillaume d'Auxerre et Praepositinus se
tiennent plus près du Maître des Sentences, bien qu'ils s'écartent

de lui sur quelques points. Ainsi Pierre Lombard définit le péché


originel par la concupiscence, tandis que ces deux disciples ajoutent
à la concupiscence l'orgueil — pris comme disposition, — l'envie,

et les autres penchants déréglés. Aussi admettent-ils plusieurs


péchés originels dans un même enfant : ils en comptent au moins
sept. Ils croient s'appuyer en ceci sur la doctrine de Hugues de
Saint- Victor, mais c'est à tort ^.

Alexandre de Halès, Albert le Grand, Bonaventure et Pierre de


Tarentaise distinguent expressément un élément formel et un élé-
ment matériel dans le péché originel : l'élément fornael est la pri-
vation de la justice originelle ; l'élément matériel, c'est la concu-
piscence 2. Leurs exphcations ne sont cependant pas tout à fait

1 . Praepositinus, Summa, b « Quaeritur quid sit originale peccatum ?


fol. 97, col. :

Ad quûd quidam quod originale peccatum nil aliud est quam pecca-
respoiident et dicuat
tum Adae et dicuut quod in parvulo nullum est peccatum, ipse tamen reus est, id est poenae
obnoxius pro peccato Adae... Alii dicuat quod originale peccatum est concupiscentia vel
concupiscibiLitas quae parvulum facit concupiscibilem et adultum concupiscenteni...
Sunt alLi qui dicunt quod originale peccatum non est tantura aliquid sed integratur ex
informitatibus animae et quadam obnoxietate qua anima obnoxia est aeternae damnationi...
(fol. 98, col. a.). Nobis auteni videtur convenienter dici posse quod plura originalia sunt in

parvulo ...et ad minus sunt septem principalia vitia, secundum quod dicit Hugo, in par-
vulo. Sicut enim concupiscibilitas parvulum reddit concupiscibilem et adultum concupiscen-
tem ita vitium superbiae parvulum reddit superbibilem et adultum superbieatem'et invi-
:

dia similiter, immo invidia parvulum reddit invidentem, nisi quod ei non imputatur quia
ratioue caret... »

AuTissiODORENsis, Sumnia aurea, « Quidam dicunt


lib. II, tract. 27, c. 6, fol. 88V-89 ;

quod unum est peccatum originale, nec est secundum concupisci-


peccatum originale nisi
bilem quae infecta et laesa est per peccatmn primi parentis. Aliae autem vires sunt taiitum
laesae. Sed haec solutio iiulla videtur esse cum omne peccatum sit malitia animae, non
tantum peccatum luxuriae. Et iii qualibet vi est pronitas ad peccandum. Non videtur
ratio quare potius una dicitur infecta quam alla. Propter hoc dicimus plura esse peccata
originalia in eodem homine quia plures sunt pronitates ad peccandum. Tamen possunt
dici unum peccatum propter unam obligationem, quum unica poena débet ei scilicet carentia
visionis Dei, quae tamen carentia diversificatur secundum diversas vires si quis subtiliter
inspiciat. »

2. Alexandre de Halès, Op. cit., p. II, q. 122, m, 2, a. i, ad 2 : « Cum enim dicitur,


peccatum originale est concupiscentia, materialis videtur esse praedicatio ; formaliâ auteni
cum dicitur macula sive deformitas ex origine primorum parentum contracta. »
Albert le Grand, In II Sent., d. 30, a. 3, sol., p. 505 « Utrum peccatum originale sit
:

concupiscentia vel fomes ? Solutio. Dicendum quod hic multi miltipliciter sunt locuti
ta quod nullus concordet cum alio :sed via facilior per quam possumus exire est ista,
68 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE AUGUSTIN A
S. S. THOMAS

concordantes. Pour Alexandre de Halès la concupiscence


c'est- —
même celui de Ja partie rationneUe, qui résulte
à-dire tout appétit,
de l'union de l'âme avec la chair corrompue i est avant tout —
une peine dans la privation de la justice requise que consiste
2. C'est
la coulpe du péché originel. Cependant, on pourrait aussi
appeler
la concupiscence un péché, en tant qu'elle est, comme élément
matériel, jointe à la privation de la justice 3. Par
contre l'igno-
rance qui n'est pas de l'ordre appétitif, auquel appartient
propre-
ment le péché, ne fait pas partie du péché héréditaire ^ Alexandre

quod dicamus quaedam esse in originali peccato ut materialia


et quaedam ut formalia Mate-
nale in originali est foeditas concupiscentiae sive
corruptio vitii... Formale autem in eo est
carentia debitae mstitiae. Cf. ibid. d. 32, a. i, sol, p. 521.
» Et dans la Sum. Theol. p II
tract. 17, q. 107, m. 2, ad 288
luxta dictum Ambrosii dicendum quod originkie pec-
3, p. : «
catum est culpa et poena... Sed cum dicitur quod sit vitium
corporis, materialis est prae-
dicatio, qma tuuc fomes concupiscentiae praedicatur
de originali. Quando autem peccatum . .

ongniale dicitur culpa et carentia debitae iustiae, tuuc


est formalis praedicatio quia id
cui ratio convenu peccati tune praedicatur
de ipso. » Cf. ibid. m. 3 ^ol p 29c '

S BoxAVENTURE. lu II Sent., d. 32, a. i,


q. i, concl., p. 761 «'...qu'audo gratia baptis- :

raalis infunditur animae, statira removetur


originale peccatum, eatenus qua erat carentia
debitae lustitiae... concupiscentia vero non oinnino tollitur
; sed minuitur pro eo quod pro-
mtas ad culpam simul potest stare cum gratia, quia non
erat ipsum peccatum loquendo
lormaliter sed materialiter. »
Et d. 33, a. 2, q. i, concl. p. 788 « ...tria concurrunt ad originale
:
peccatum scilicet
debitae lustitiae carentia et concupiscentia et carnis
foeditas et primmn est ipsi originali ;

essentiale, secundum vero materiale et tertium causale. »


Pierre de Tarentaise, In II Sent., d. 30, q. a, a. 1 « ...in peccato naturali seu origi-
:

nali est ahqmd per modum foriuae, scilicet habitualis aversio voluiUatis
a bono incommu-
tabili,quae est carentia debitae iustitiae: et aliquidloco
materiae scilicet conversio habitua-
lis virium appetitivarum ad sua delectabilia
sine imperio rationis, scilicet concupiscentia.
Cf. 31, q. 3, a. I.

1. Alexandre de Halès, op. cit.,p. II, q. 122, m. 2, a. 3 ...concupiscentia non acci-


: ..

pitur hic speciahter pro eo quod est potentiae concupiscibilis, sed generaliter prout est
cuiushbet appetere rationalis ex coniunctione piimaria cum
carne corrupta. »

2. Op. cit., p. II, q. 122, m. 2, a. I « originale habet utrumque


:
culpam et poe- in se et
nam. Culpa est carentia debitae iustitiae sive deformit^s quaedam
qua ipsa anima defor-
naatur. Concupiscentia vero est ipsa poena, quae in
parvuhs dicitur concupiscibilitas, in
adultis vero concupiscentia actu. » Et ad 2 « Illa vero
quae obiiciuutur quod peccatum ori-
:

ginale sit culpa, non e.xcludunt quin secundum aliquid


sit culpa et secundum aliud poena.
Ratione eniin carentiae iustitiae originalis peccatum originale
potest dici culpa, ratione
concupiscentiae potest dici poena ». Ad 4 « Cura ergo quaeritur
utrum originale peccatum
:

secundum idem sit poena et culpa, dicendum est, quod secundum


carentiam debitae iusti-
tiae est culpa, secundum concupiscentiam
vero est poena. » Ibid. m. 4 « Cum peccatum :

originale sit culpa et poena, ab aha causa trahit


ratioiiem culpae et ab alia rationem poenae.
Rationem poenae trahit a foeditate viciosa quae est in carne...
Rationem vero culpae trahit
a carentia debitae iustitiae. «

3- op. cit., m. 7 « ...concupiscentia est per se


:
poena. Dicitur autem peccatum quia pro
peccato est afflicta. Unde Augustinus ad Val.
concupiscentia vocatur peccatum quia pec-
:

cato facta est. Potest tamen dici peccatum quia,


cum est in suo dominio annexa est peccato
et causa peccati, et hoc modo
loquuiitur auctoritates supradictae cum dicitur quod pecca-
tum est ante baptismum. «
O/»- c»'-, P- n,
4. q. 122, m. 2, a. 3 : « Ignorantia est poena. Si autem dicitur culpa
non hoc
est nisi causaliter. Si autem
quaeratur quare de integritate peccati originalis pouitur
concupiscentia potius quam ignorantia, hoc est,
quia peccatum proprie est in voluntate
Concupiscentia autem pênes voluntatem determiuatur
et ideo magis ad rationem peccati
pertinet. «
LE PÉCHÉ ORIGINEL, SON ESSENCE, SA CULPABILITÉ 69

rejette l'opinion des quelques théologiens qui introduisent dans


le péché originel, Vaversio a hono immtdabili et conversio ad honum
commuta bile — c'est là la définition angustinienne du péché en
général, — à savoir Vaversio correspondant à la privation de la
justice originelle, et la conversio correspondant à la concupiscence.
Il objecte à cela que dans le péché originel, bien qu'il y ait une aver-
sion de Dieu et une inclination au mal par suite du péché des pre-
miers parents, cette aversion et cette conversion ne proviennent
cependant pas du libre arbitre de l'enfant. Elles ne peuvent, par
conséquent, constituer le péché originel, mais sont plutôt des
effets du péché d'Adam. S'il en était autrement, il ne serait plus

question d'un péché originel, mais d'vm péché actuel ou habituel.


On ne peut donc pas comparer cette aversion et conversion à
l'aversion et conversion actuelles ou habituelles qui constituent le

péché mortel ^. le Grand n'est pas très nette.


L'exphcation d'Albert
Sa doctrine peu près la même que celle d'Alexandre de Halès ^,
est à
bien qu'il appHque au péché originel la définition rejetée par Alex-
andre 3. Saint Bonaventure met en évidence la concupiscence,

1. op. cit., p. II, q. 122, m. 2, a. 3 « Adhuc etiam quaeritur utrumilla diffinitio peccati
: :

peccatum est aversio ab immutabili bono et conversio ad commutabile bonum, conveniat


percato originali. Et dicunt quidam quod sic ; ut in carentia debitae iustitiae intelligatur
aversio, in concupiscentia intelligatur conversio. Sed in hoc distinguunt inter peccatum
originale et actuale, quod in actuali peccato sit aversio et conversio actualis, in originali
dicatur aversio et conversio habitualis... Ad quod respondendum quod illa diffinitio pec-
cati datur de actuali peccato mortali... In originali autem peccato non est conversio actua-
lis vel habitualis proprie loquendo, nec aversio active dicta. Licet enim e.\ originali peccato

ratione concupiscentiae sit pronitas ad peccatum, non tamen dicitur conversio habitualis.
Habitus enim malus ex actu derelinquitur, nec dicitur aversio actualis qua par^Tilus se
avertit, licet actu sit aversus per peccatum primorum parentum. Sed non dicitur aversio
actualis nisi cum homo avertit se per liberum arbitrium a Deo. Non sic autem est in origi-
nali. »

2. Albert le Gr.\nd, In IISent., d. 30, a. i, ad i*"" \-iam, ad i et 2, p. 497 < Causa :

anima accipitur a pâtre in corruptione vitii, sive in poenaj quae filia vitii vocatur,
originalis in
et concupiscentia vocatur ab Anselme ». Cf. ibid. sol. Albert prend la concupiscence dans
un sens plus restreint qu'Alexandre. Pour lui, elle ne se rapporte qu'à la partie appétitive
sensitive.
Sum. TheoL, p. II, tract. 17, q. 107, m. 2, ad 3, p. 288 « luxta dictum Ambrosii dicendum :

quod originale peccatum est culpa et poena... Sed cum dicitur quod sit \-itium corporis,
materialis est praedicatio. Quando autem dicitur culpa et carentia debitae iustitiae tune :

est formalis praedicatio, quia id cui ratio convenit peccati, tune praedicatur de ipso, k

Et ibid. m. 4, a. 3, part, i, sol., p. 293 : « Duo enim


sunt in originali, quae est sicut serpens
sive suasio serpentis, et ab illa est poena aggravationis scilicet animae ex carne. Et est
ibi carentia debitae iustitiae et ab illa est culpa. » Et encore q, 108, m. i, sol., p. 304.
:

«Concupiscentia non dicitur peccatum nisi quia ex peccato et ad peccatum quia secundum :

suam essentiam est poena, et filia peccati dicitur ab Augustino. »


3. In II Sent., d. 30, a. 3, sol., p. 505 : « ad omùe
...originale peccatum est pronitas
malum cum carentia debitae iustitiae ...Et ad omne malum, est
quod dicitur pronitas
inclinatio ad conversionem in bonum commutabile, et non conversio, eo quod originale
non habet conversionem nisi in potentia. Dico autem in potentia compléta per habitum
corruptionis vitii. Aversionem autem habet in actu et haec tangitur per hoc quod dicitur
:

carentia debitae iustitiae. » Cf. Sum. TheoL, p. II, tract. 17, q. 107, m. 3, ad i, p. agi. Là
il dit que l'aversion aussi n'est qu'habituelle.
70 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

plus que les deux auteurs précédents le péché originel, pour lui, :

est la concupiscence. Il fait cependant une distinction on peut ;

considérer la concupiscence dans son essence, en tant que retenue


ou réprimée, et ainsi entendue, elle n'est qu'une peine ^ ; mais si

on l'envisage comme si immodérée et violente, qu'elle constitue


une domination de la chair sur l'esprit, alors une telle concupis-
cence n'existe que jointe à la privation de la justice requise, et
c'est elle qui constitue le péché originel 2, pour autant qu'elle est
en nous de par notre origine. La concupiscence et la privation
de justice ne sont, l'une et l'autre, que deux aspects de la même
chose ; tandis que l'une fait connaître le péché originel comme
conversio, l'autre désigne son caractère négatif comme privatio.
Le péché originel est donc la concupiscence, qui est injuste précisé-
ment par le désordre qu'elle inclut ^. Saint Bonaventure unit ainsi
plus étroitement la concupiscence et la privation de la justice ori-
ginelle : toutes les deux ont raison de coulpe *. De cette manière il

essaye de concilier la doctrine de Saint Augustin avec celle de saint


Anselme. Pour Alexandre et Albert le Grand au contraire, la concu-
piscence vient au second plan et n'a que raison de peine. Il faut
encore remarquer que Bonaventure admet la définition rejetée
par Alexandre de Halès^, ce qui concorde bien chez lui avec le

1. In II Sent., d. 30, a. 2, q. i, ad c, p. 723 « Ad illud vero qiiod obiicitur quod ron-


:

cupiscentia est nobis inflicta per peccatum, dicendum quod intelligitur de concupiscentia
prout est remissa, et sic sortitur rationem poenae et hoc modo non est originalis culpa,
;

sed ipsius sequela. » Et ad 3 « Etsi concupiscentia remissa intendi possit et intendatur, hoc
:

est per peccatum actuale concupiscentia vero intensa non dicebatur esse peccatum ori-
;

ginale, nisi prout sic contrahebatur a prima origine, et quia hoc non potest esse nisi semel,
quantumcumque et quotiescumque concupiscentia intendatur, originale peccatum non
iteratur. »

2. « ...originale peccatum est concujjiscentia et haec non quaecumque,


Ibid. in corp. :

sed concupiscentia prout claudit inse debitae iustitiae carentiam. Haec autem est concupis-
centia immoderata et intensa adeo ut sit carnis ad spiritum praedominantia, et talis semper
est iuncta carentiae debitae iustitiae, et secundum quod inest nobis ab origine dicitur pec-
catum originale. » Cf. II, d. 31, a. 2, q. i, c, p. 749, et ad 6, p. 750. A cet endroit, il parle
de la « nécessitas concupiscendi ». Cf. encore d. 30, a. i, q. 2, c, p. 71g et d. 32, a. i, q. i, ;

c, p. 760 « ...per gratiam baptismi vitium concupiscentiac debilitatur atquo èxtenuatur


:

ut iam non regnet. »

3. In II i, c, p. 722
Sent., d. 30, a. 2, q. ...cuni quaeritur quid sit originale peccatumj
: 1

recte respondetur, concupiscentia immoderata recte etiain respondetur quod sit


quod sit ;

debitae iustitiae carentia et in una istarum rcsponsioniun rlauditur altéra, licet una noti-
;

ficet ipsum originale ratione eius quod est in ipso habcns modum conversionis, altéra vero
ratione privationis. »

4 . Ibid. q. 2, c. p. 725 : « ...tam concupiscentia quain debitae iustitiae carentia notifirant


ipsum originale secundum quod est culpa, et idoo praedic antiir de ipso praedicatione per
essentiam. »

5. note 3. Et Breviloquium; p. III, c. 6, p. 233 « ...incurrit (anima) simul caren-


Cf. :

tiam debitae iustitiae et niorbum concupiscentiac ex quibus duobus tamquam ex aver- ;

sione et conversione dicitur intcgrari secundum .-Vugustinum et .\nselmum peccatum ori-


ginale. I
LE PÉCHÉ ORIGINEL, SON ESSENCE, SA CULPABILITÉ 71

caractère par trop actuel qu'il attribue au péché originel ; ainsi,

il soutient que le péché originel en tant qu'il est en nous un vice


de la personne, se rapporte à la volonté, tandis que comme vice
de la nature il concerne la puissance génératrice et la chair ^ ; or,

la déordination de la volonté est le principal dans le péché originel 2.


Par là s'explique aussi son opinion que le péché originel a pour
sujet immédiat les puissances, et, par elles, l'âme même^. Pierre
de Tarentaise se rapproche ici de Bonaventure *.

D'où vient la culpabilité du péché originel ? Guillaume d'Auxene


la cherche dans la volonté du premier homme ^, en qui nous
1. In II i, q. 2, concl., p. 763
Sent., d. 32, a. « ...originale prout est vitium personae, :

respicit voluiitatein,prout autein est vitium naturae, respicit generativam virtutem et


carnem. Gratia autem sacramentalis proprie respicit corruptionem personae contra vero ;

corruptionem naturae non habet ordinem directe. Et hinc est, quod cum infunditur gratia
baptismalis, deletur originalis culpa secundum quod erat peccatum ipsius animae, remanet
tamen aliquis languor in carne, qui est causa originalis in proie. »
2. In II Sent:, d. 31, a. i, q. 2, c, p. 744 « ...dupliciter est loqui de originali peccato ;
:

aut prout est culpa..., aut prout est vitium deordinans ipsam potentiam. Primo modo
arcipiendo proprie inest animae secundum liberum arbitrium et maxime secundum vohm-
tatem. Ipsum enim solum est, secundum quod anima culpatur vel laudatur cum est in
actu, et secundum quod est culpabilis vel laudabilis in suo ortu. »

3. Cf. p. 78.

4. Pierre de Tarentaise, In II Sent., d. 30, q. 2, a. i : «...in peccato naturali seu ori-


ginali est aliquid per modum formae scilicet hahitualis aversio volimtatis a bono incom-
mutabili, quae est carentia debitae iustitiae materiae scilicet conversio
: et aliquid loco
liabitualis virium appetitivarum ad sua delectabilia sine imperio rationis, scilicet concu-
piscentia. Peccatum enim est inordinatio, unde peccatum naturale est inordinatio naturae ;
ordinatio vero naturae ex duobus consistebat, scilicet ex oboedientia voluntatis quae adhae-
rebat bono incommutabili, et ex oboedientia virium inferiorum quae nboediebant volim-
tati inordinatio ergo naturae constat ex duobus oppositis, quorum principale est aversio
;

voluntatis per privationem iustitiae originalis et alterum conversio virium inferiorum ad ;

sua appetibilia sine freno rationis retinentis et hoc per pronitatem concupiscentiae. Sicut
;

vero in artificialibus de artefacto praedicatur materia, unde statua est aes et forma unde ;

statua dicitur figura Herculis ita in moralibus de peccato originali potest praedicari et
:

materia peccati, unde peccatum originale est concupi':'~entia et forma peccati, unde pec- ;

catum originale est carentia debitae iustitiae... Sicut autem materia statuae, quamdiu
ftgurain habet imaginis, imago dici potest, sed figura destructa non ita concupiscentia, :

quamdiu coniunctam sibi habet originalis iustitiae carentiam id est aversionem volun-
tatis, peccatum dici potest sed postquam voluntas reordinatur per gratiam, iam non
;

est peccatum, sed tantum po^ena. »


Ibid. d. 32, q. I, a. 3, q. i : « Sicut dicit Anselmus, in originali peccato natura corrumpit
personam : ibi ergo
corruptio personae et naturae
fit et secundum hoc concupiscentia :

dupliciter considerari potest, vel prout pertinet ad corruptionem personae et sic per baptis-
malem gratiam quae est beneficium personale, minuitur, non tollitur vel prout pertinet ;

ad corruptionem naturae sic nec tollitur nec minuitur. Ratio vero quare per gratiam
:

minuitur, non tollitur, haec est, quia non opponitur gratiae simpliciter, scilicet secundum
essentiam, sed secundum praedominantiam unde gratia praedominante ipsa minuitur:

in quantum inclinabat efficaciter ad oppositum gratiae sed non tollitur in quantum est :

poena quaedam et occasio pugnae. » Et encore quaestiunc. 2 « Concupiscentiam est consi- :

derare dupliciter aut secundum essentiam, sic per gratiam non minuitur aut secundum ;

effectum inclinandi sic minuitur per gratiam eo quod gratia inclinât in contrarium sicut
; :

si ponderi inclinanti deorsum addatur pondus inclinans sursum, pondus primum non minui-

tur secundum essentiam, sed secundum effectum inclinandi. »

5. Summa aurea, p. II, tract. 27,


89 « ...peccatum originale est voluntarium
c. 6, fol. :

voluntate remota, non propinqua, scilicet voluntate parentuin, non voluntate parvulo
rum. »
72 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

étions au moment de son péché


Transmis par la concupiscence ^, *.

le péché originel nous est naturel


c'est pourquoi il ne nous est ;

pas imputé comme un péché personnel, et ne nous condamne


pas aux peines sensibles mais la nature corrompue nous rend
;

indignes de la vision de Dieu ^.


Alexandre de Halès apporte une raison nouvelle, qu'on ne rencon-
tre pas avant lui. Les commandements du Paradis ne furent pas
donnés personnellement à Adam, mais en tant que représentant
du genre humain, toute la nature existant en lui à cause de l'unité
de la La prohibition ne fut pas promulguée
matière corporelle
*.

pour mais pour tous ceux qui étaient en lui en vertu du


lui seul,

germe vital la désobéissance ne fut donc pas seulement person-


;

nelle. Halès la compare à l'obéissance du Christ comme chef de la


nature humaine, méritant pour tous ceux dont il fut le chef, la
vie éternelle ^. C'est pourquoi la transgression du commandement
1. op. cit. 87 v. « Ideo peccavimus in Adam ...quia fuimus
p. II, tract., 27, c. i, fol. :

in eo quando natura
corrupta et nasciinur ab co per concupiscentiam camis. »
fuit
2 Cf. note précédente.
.

3 Loc. cit., fol. 88r « Dicimus quod naturaliter generatur peccatum in anima pueri,
. :

non de natura secundum primam institutionem; sed de naturali id est de corruptione quae
inolevit pro natura. Et bene sequitur est naturale ergo non est vituperabile ei primo,
: :

nec est ei jmputandum primo, nec etiam imputandum ad poenam sensitivam sed repro- ;

batur quia facit indignum praesentari conspectui Dei. »


4. Alexandre suit la théorie de Hugues de S. Victor et de Pierre Lombard, .'^mnma Sent.,
p. II, q., m. 2, a. I « Cuni ergo quaeritur quomodo tota humana natura fuit in Adam scili-
:

cet secundum materiam aut secundum formam, dicendum quod secundum materiam,
quia materia omnium corporum sive materiale quod est de constitutione omnium corpo-
rum humanorum, erat in corpore Adae. Et ad maiorem huius notitiam sciendum quod in
corpore Adae erat quantitas molis cum ratione seminali. Ratione quantitatis illius molis
poterat extendi et diffundi secundum extensionem corporis quasi improportionaliter maio-
ris sicut gutta vini effusa in magna vase aquae, materia illius difïundit se per totum vas
:

illud... Ratione ergo quantitatis molis sive matcrialis corporis Adae, partes ipsius decisae
in generatione, quantacumque eis facta fuerit additio per susceptionem alimenti, diffun-
debat se secundum extensionem quantitatis additae. Vraeterea, ratio seminalis in illo
virtutem habuit activam qua poterat se multiplicare in materia susceptibili... Quia ergo
portio decisa a corpore illo ratione quantitatis materialis poterat se extendere secundum
extensionem corporis cuiuscumque quantitatis additae, virtus autem multiplicare se in
materiali addito, sufficiebat ad omnia corpora generis humani seminanda. «
5 Op. cit., p. II, q. 122, m. 3, a. 3 « Originale peccatum est contractum per inoboedien-
. :

tiam primorum parentum et principaliter .\dae... Ratio autem transmittendi originale


\'idetur esse ex hoc quod prohibitio facta fuit ipsi .^dae, in quantum erat habens natu-
ram totam in se vel per quam alii descendei^ent per propagationem et ita prohibitio non
tantum extendebatur ad ipsum, sed ad eos qui erant in ipso semiiialiter. Si autem prohi-
bitio facta fuit Evae in Adam, quae non descendit ab eo per propagationem sed per quam-
dam formationem, multo fortius descendere dcbebat ad eos qui seminaliter erant in eo.
Quod autem inoboedicntia non fuit tantum personalis in .\<lam, patet per hoc- quod dicit
.\ugustinus super illud ad Rom. sicut per inobordientiam unius hominis etc. Facit enim
:

vim in hoc quod dicitur « unius hominis » id est honiinis totius in imo. Sicut enim Christus
si fuissot homo et non caput hominis, habuisset obocdientiam personalem tantum nec
redundarct eius oboedientia in àlios quantum ad effectum in onmes quorum erat caput,
ita oboedientia Adae prout in eo erat tota natura humana, redundavit in onmes qui semi-
naliter ab ipso sunt geniti. » Et ibid. m. 4 « Sicut dunlex est iustitia, una quam
: sibi homo

facif habens gratiam et dico de iustitia in exercitio, alia quae sibi sit ut in populo baptizato
sit iustitia mediante Christo sic duplex est iniustitia ima quam sibi homo facit ut homo
;

adultus peccans, alia quae sibi fit ex alio ut parvulo ex peccato Adae. »
LE PÉCHÉ ORIGINEL, SON ESSENCE, SA CULPABILITÉ 73

divin ne corrompit pas la nature seulement en lui, mais dans tous


ses descendants. Si Adam eût offensé son Créateur par l'orgueil
seul, sans violer le précepte de ne pas manger de l'arbre de la
science, ce péché aurait sans doute corrompu la nature en Adam,
mais pas au point qu'il eût transmis un péché d'origine ^. C'est

donc la volonté universelle de la nature qui a commis le premier


péché, et en elle se trouvait la volonté individuelle de cliacun des
descendants 2.

Albert le Grand, comme Guillaume d'Auxerre, découvre la cul-


pabilité dans la volonté du premier homme mais il en donne une ;

interprétation plus large. Adam, comme principe matériel de toute


la nature humaine 3, ne pouvait la corrompre qu'en son entier, s'il
la corrompait en lui-même. C'est pourquoi sa volonté fut la volonté
de toute la nature dont il était le chef et une fois qu'elle est deve- ;

nue coupable par la transgression du premier générateur *, Dieu


exige de chacun de nous la justice dont il avait doué son

1 . Summa m. 3, a. 3 « Ad obiectum autem in contrarium de super-


Sent., p. II, q. 122, :

hia dicendum est superbia corrumpat naturam in Adam, non tamen universa-
quod licet
llter ut ex illa fieret transmissio originalis peccati. Aliud enim est corrnmpere naturam in
isto, et aliud est corrumpere naturam prout est causa generationis. Similiter dicendum
est de gula. Si euim sine praecepto quod extenderat se ad totum hominem, per inordina-
tum appetitum comedisset de aliquo ipse Adam, esset peccatum personale tantum. Unde
non fuit necesse quod per gustum qui ad nutritivuni pertinet, esset causa originalis corrup-
tionis licet raaior fuerit ibi coniestio. Et distinguenduni est inter oboedientiam quae tantum
personaliter est et quae ad naturam se extendit. Si enim esset inoboedientia personalis
tantum, non corrumperet naturam in honiine, nec fieret transmissio originalis peccati. »

2. Op. Secundum Anselmum concedimus quod non punitur par\ulus pro


cit., m. I : «

culpa patris sed pro culpa sua proprie loquendo. Non enim dicit .A.postolus quod solum
Adam peccavit, sed dicit quod omnes peccaverunt in .\dam. Ratio vero enim erat in Adam
non solum voluntas huiussingularis personae, sed voluntas universalis naturae qua cadente
a iustitia originali. cecidit etiam quaelibet voluntas succedentium posteriorum ;caret
enim voluntas cuiuslibet illa rectitudine quam habuisset si Adam stetisset... Unde si debe-
tur et (filio) poena pro peccato primorum parentum non debetur ei poena pro peccato quod
fecerat haec persona in quantum haec sed pro peccato quod fecit in quantum erat hâbens
;

universalem naturam et in quantum erat principium respectu omnium et in quantum


erat habens virtutem conservandi generaliter originalem iustitiam et in posteris si
stetisset. »

3. In II Sent. d. 30 a. i, ad 3m viam, ad 4, p. 498 : « Adam ut principium materiale


hominum peccavit. » Et Sum. Thcol. p. II, tract. 17, q. 107, m. 2, q. i, ad I, p. 289 : « ...ori-
ginalepeccatum humana
voluntarium est voluutate primi parentis in quo fuit tota natura
per corpulentam su-bstantiam et legem concupiscentiae, praeter Christura, qui solum fuit
per corpulentam substantiam. »

4. Sum TheoL, p. II, tract. 18, q. 107, m. 2, q. i, ad i « Bene concedendum est quod :

(peccatum originale) non est voluntarium voluntate parvuli, nisi voluntas referatur ad
naturam, quae tota erat in primo parente quàndo peccavit... » « Voluntas Adae voluntas
fuit totius naturae, quae in ipso fuit quia non potest esse, quod aliquis velit antecedens,
;

quin etiam velit consequens, quod de necessitate sequitur ad illud. Unde quando voluit
peccatum transgressionis praecepti Dominici tune de necessitate vo'uit corrupte'am, quae
est per originale secuta in totam naturam praeter Christum eo quod tune tota natura :

fuerat in ipso, non nisi per legem concupiscentiae ab ipso traducènda, praeter Christum
solum, qui non fuit in ipso per legem concupiscentiae, sed per corpulentam substantiam
soluro. )i
74 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

chef V A rencontre d'Alexandre, Albert soutient que par chaque


péché mortel Adam aurait corrompu toute la nature humaine^. Un
péché véniel était d'ailleurs impossible dans l'état d'innocence ^.
Pour Bonaventure nous sommes coupables de par le péché
d'Adam premièrement, parce que Adam était le principe de toute
:

la nature humaine ; secondement, parce que le précepte divin ne


lui était pas donné comme à une personne singulière, mais comme
au chef de toute la nature humaine ; enfin, parce que la justice
attribuée à Adam aurait passé à sa postérité par la génération ;

c'est pourquoi cette justice est requise chez tous ses descendants,
et sa privation devient coupable*. Ces trois données doivent être
prises ensemble. On Bonaventure a adopté l'opinion d'Alex-
le voit;
andre. Outre l'unité physique ou matérielle du genre humain, et
l'hérédité de la justice primitive,
il exige encore que par l'intention

spéciale deDieu tous les hommes soient englobés dans l'obligation


imposée à Adam de ne pas violer le commandement divin °. Adam
comme principe physique de toute l'humanité, pouvait, par la
disposition de Dieu, lui transmettre soit la justice naturelle, soit la
privation coupable de ce don de la création. Bonaventure le réfère

,
I. Surit. Theol., p. II, tract. 17, q. 107, ni. 3, ad diff. i, ad i, p. 290 : « Carentia debitae
iustitiae est in parvulo. Debebatur enim ei iustitia si .\dam stetisset : tune enim trans-
fudisset rectitudinem iustitiae naturalis in parvulos, sicut modo transfiidit originale. Unde
licet non debebatur ei debito personali, tainen debito originali delebatur. "

2. In II Sent.
d. 33, a. i, q. 2, ad i, p. 538 « Huic autein gratiae (iiuiocentiae) in quan-
:

tum innocentia originalis, contrariebatur peccatum primum quodcumque mortale


erat
fuisset, per hoc quod interrumpit adhaesionem animae cum fonte perpetuae incomip-
tionis. 1)

3. Op. cit., d. 31, a. 10, sol. : « Dicendum quod meo iudicio ultimis rationibus consen-
tiendum est, quod non potuit peccare venialiter. » Cf. Siim. Theol., p. II, tract 14, q. 87,
ad q. 3, p. 155.

4.In II Sent., d. 30, a. i, q. 2, c., p. 719 « Potiiit'autem Adam totam naturam cor-
:

rumperc et culpabilem facere suo peccato triplici conditione concurrente. Prima est quia
non tantum erat hunianae naturae individuum, sed totius naturae principium. Secunda
est quia non tantum fuit sibi datum niandatuni sicut singulari personae, ;ed tamquam
stipiti totius humanae naturae et hoc bene indicat textus quia maudatum illud descendit
;

per virum ad mulierem. Tertia, quia Adam innocentiam et immortalitatera susceperat


pro se et sua tota posteritate unde ipse innocens et immortalis generasset immortalem et
:

imiocentem. Quia igitur ipse erat omniiun principium, et transgressus est mandatum quod
ei datum erat, secundum quod erat principium, et amisit il!am iustitiam et innocentiam
quam debebat omnibus posteris conser\'are, hinc est quod per ipsum originali iustitia sumus
privati et in eius infectione ceteri sunt infecti, non tantum poenaliter, sed etiam cnlpabi-
liter. tuni propter debitum ordinationis auae deberet es>e in nobis, tim pr ter care tiam )i

illius innocentiae quam deb rcin\is haborc. tnm proptci; praedomi laitiam conciipisce 1- .

tiae per quam animae nostrae sunt inordinatae et iniustae, et si iniusta sunt et ii rdina- -

tac necesse est eas siimmie iustitiae displ-c?rc. »

5. Op. cit., d. 33, a. I q. i, ad 3, p. 783 : « Peccans auteni actualiter non habet potcs-
tatejn vitiandi prolem quo habuimus obligari, et in quo tota massa generis
nisi ille solus in
humani potuit vitiari. » ad 5 « Ad illud quod obiicitur, quod ideo peccavimus in Adam,
:

quia fuinius in ipso dum pcccavit, dicendum quod ista non est tota causa, sed simul cum
hoc exigitur quod in primo parente omnes posteri possent obligari et caro omnium poste-
rorum posset infici et foedari hoc autem in alio quam in Adam non habet reperiri. »
;
LE PÉCHÉ ORIQINEt., SON ESSENCE, SA CULPABILITÉ 75

donc également à la justice et Ce rapport moral


au péché originel.

entre Adam et ses descendants explique aussi pourquoi Bona-


venture parle d'un démérite d'Adam à l'égard de sa postérité*.
Pierre de Tarentaise adopte la même doctrine qu'Albert le Grand,
mais plus explicite encore. Il distingiie d'abord le péché per-
sonnel du péché de nature ou originel. L'un et l'autre sont volon-
taires, le volontaire étant tout ce dont le principe est intrinsèque.
Or, le principe du péché personnel est dans ^a personne, et le prin-
cipe du péché naturel dans la nature de celui qui pèche. Adam
avait en lui toute la nature humaine, dont il était la source. Si
donc la personne d'Adam, qui ne peut agir que par sa nature, se
prive volontairement de la rectitude primitive, la nature se trouve
de son côté volontairement dépouillé par lui. que le péché
C'est ainsi
originel estun péché volontaire par la volonté du premier père,
etun péché de nature, par la propagation de la nature corrompue ^.
Chez les descendants d'Adam, la nature étant déjà corrompue et
dépouillée, les péchés personnels des parents immédiats ne peuvent
plus causer un péché originel chez leurs enfants ^. Pour Pierre

1 . op. à. 32, a. 3, q. i, ad 2, p. 770 « ...Ideo in ipso dicimus peccasse et demeruisse,


cit., :

et per eius inobedientiam peccatores constituti esse. Alia tamen est in nobis culpa quam
fuerit in ipso habet tamen rationein demeriti ab illa ex qua processit. » Et q. 2, ad 5, p. 774
; :

« Licet Adam non potuisset demereri animae ut separatae, potuit tamen ei demereri ut

came unitae. »

2. In II Sent., « Talis autem carentia boni quod débet inesse, dupli-


d. 30, q. i, a. 2 :

citer potest esse in enim in natiura humana distinctio personarum et commu-


homine : est
nitas naturae quae propagatione ab uno in alterum traducitur. Secundum hoc duplex débet
inesse bonum, cuius duplex defectus voluntarius facit duplex peccatum, scilicet personale
quod actuale dicitur, et naturale quod originale vocatur. Uterque vero defectus in primo
parente fuit et in eius sequacibus reperitur. Sed ab ipso trahitur actuale per solam imita-
tionem, originale vero seu naturale per propagationem. Utrumque autem voluntarium
est quia voluntarium est cuius principium est in ipso peccati vero personalis principium
; ;

est in persona peccante peccati vero naturalis principium fuit in natura peccante ; fuit
;

enim in Adam qui fuit principium totius naturae. Ipse enim a Deo factus est, nou solum
ut homo singularis, sed ut homo universalis in quantum principium. totius naturae. Et
quia omne quod a Deo est, tectum est, fecit Deus in eo et personam rectam et naturam
7"ectam utriusque vero rectitudiiiis conservation em posuit in eius potestate
: ReUquit :

enim illum manu cousilii sui (Eccl.


in 15), comnuttens ei regimen et conservationem tam
personae propriae quam naturae. Ipse vero peccans voluntarie privavit tam personam
suam quam totam naturam rectitudine, quidem personae per poenitentiam
et rectitudinem
alinuam recuperavit, sed non naturae unde qualem habet naturam, talem oportet trans-
:

fundere, sed non ^qualem personam, et ideo peccatum naturale ab ipso contrahimus propa-
gatione, sed peccatum personale solum imitatione. » Et aussi ad 3 ( Peccatima originale :

voluntarium est referendo ad totam naturam, non ad quamlibet singularem personam ;


voluntarium enim est voluntate remota primi parentis qui habebat potestatem super
totam naturam. » Cf. aussi ibid. d. 31, q. i, a. i « ...primima peccatum fecit peccatricem
naturam, quia peccante Adam, peccavit homo. » Et ad 3 « ...non tantum persona, sed :

natura prout in illo erat, auctor fuit culpae, quia persona non agit nec patitur sine natura ;

in illo autem erat tota natura. »

3. Op. cit., d. 33, q. I, a. i : « ...peccatum vero sequentium personale est, non naturale
;

non enim invertit naturam integram, sed omnino iustitia origiriali nudatam, et ideo non
corrumpit eam, sicut nec mortuum potest mortificari. »
76 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

de Tarentaise l'unité physique du genre humain et l'hérédité de la


justice originelle sont donc une cause suffisante pour la culpa-
biHté du péché originel. D'après tous ces théologiens, on ne peut
donc pas identifier le péché originel avec le péché personnel
d'Adam, peccaUim originans.
Sur question de la transmission du péché d'origine, tous ces
la

maîtres tombent d'accord que la concupiscence de l'acte conjugal


en est la cause. Le principe de corruption du corps chez les
parents se transmet par le germe vital chez l'enfant. L'âme créée
dans le corps engendré, est corrompue elle aussi par ce contact,
comme un vin versé dans un vase impur ; elle est sohdaire du corps
avec lequel elle forme une unité i,
et le désordre naît dans l'âme
quand la partie sensitive sous l'action de la chair s'oppose à la
domination de la raison et de la volonté. Or ce désordre dans
l'âme est une faute, puisque Dieu y exige de droit la justice origi-
nelle 2. Nos théologiens s'objectent alors : comment Dieu juste
1. Selon Guillaume d'Auxene, l'âme contracte la tache héréditaire « per concomitantiam
et cohaerentiam cum sensu et imaginatione, quum vires humanae per vires brutales ope-
rantur in sensibus et patiuntur ab eis ». [Summu atirca, lib. II, tract. 27, ci, fol. 87 v). .Alexan-
dre de Halès assigne l'union substantielle de l'àme et du corps comme cause du péché ori-
ginel. (SummaSent., II, q. 122, m. 4, ad 6). Siiit Bonaventure fait aussi appel à l'union de
de la chair niais il explique conformément à sa conception actualiste de la concu-
l'esprit et ;

piscence « Cum ergo dicimus camem inficere animain hoc intelligitur quantum ad tertiurn
:

modum agendi scilicet propter colligantiam, quam habct ad animam, propter quam dum
deorsum tendit eam secum trahit. » .\lbert le Grand emploie aussi la formule « ex xmione :

ad id cui infunditur », mais ajoute « in quantum est fonna ». {In II Sent., d. 30, a. i, ad
:

4"' viam, ad I, p. 498 a. 2, sol.). Pierre de Tarentaise écrit


; « Peccatum originale contra-
:

hitur a carne, non per actionem carnis in animam, proprie loquendo, sed per quamdam
naturalem communicationem. » {In II Sent., d. 32, q. 2, a. 2, ad 2).
2. AuTissiODORENSis, Sutnma aurca, p. II, tract. 27, fol. 87 v. « haec est falsa ideo : :

peccavimus in Adam quia eramus in lumbis eius quando peccaNat. Haec enim non est
sufficiens et praecisa causa sed illa duo sunt sufficiens et praecisa causa quia fiiimus in eo
;

quando natura fuit corrupta et nascimur ab eo par cdiicupiscentiam carnis. » Et ibid.


fol. 87 V., col. 2 « Quia ergo illa corruptio, quae est in came tantum poena, est ex culpa
:

praecedente, introduxit culpam in animam. » Et c. 4, fol. 88 v, col. i « ...Dominus infun- :

dit animam vasi corrupto. »


Alexandre de Halès. Summa Sentent., p. II, q. 122, m. 4 « ...corruptio poenalis est
:

in carne, quae tamen dicitur culpabilis non quia culpa sit in carne tamquam in subiecto, sed
quia per eam transmittitur. Et licet poena naturaliter sequatur ad culpam, nihilôminus est
quaedam poena quae est causa val dispositio ad culpam et talis est ipsa corruptio poenalis.
Disponit enim ad culpam in anima quae susceptibilis est culpae. Rationem poenae trahit a
foeditate vnciosa quae est in carne; quam cito enim anima infunditur cami foedae, tam cito
toedatur sicut a xàtio vasis vinum corrumpitur. Rationem vero culpae trahit a carentia dc-
bitae iustitiae. » Et ibid. n. i : «Licat huiusmodi unie (animae ad corpus) requirebatur ad
originale contrahendum, tamen haec non erat tota causa, imo requirebatur forte ulteri us
quod illa secundum libidinem quae est in seminis sparsione secundum
caro descçndisset
quod Augustiuus
dicit non propagatio, sed libido transmittit originale peccatum. »
:

Albert le Grand, In II Sent., d. 31, a. 2, sol., p. 314 « Mec iudicio triplex est libido,
:

scilicet actualis in anima, quae est improba voluntas actualiter vel habitualiter praecedens
peccatum. Est etiam libido concupiscentia suffocans rationem in pruritu carnis in coitu :

et non puto quod aliqua istarum causet originale... Sed est tertia de qua supra dictum est,
habitualis concupiscentia respersa in semine quae corrujnpit ordinem organorum corporis
ad animam secundum mobilitateni in bonuni et haec tantum est causa originalis secundum
:

quod trahitur originale a carne, et haec est quae transmittit originale et non causatur nisi
LE PÉCHÉ ORIGINEL, SON ESSENCE, SA CULPABILITÉ 77

peut-il obliger l'âme à entrer dans un corps par lequel elle sera
rendue coupable ? Guillaume d'Auxerre et Albert le Grand répon-
dent que Dieu ne veut pas changer l'ordre naturel des choses,
d'après lequel l'homme doit naître de l'homme. D'ailleurs, il est
toujours préférable d'être dans un tel état que de ne pas être du
tout ^. Alexandre de Halès ajoute en citant Hugues de Saint- Victor,

a primo parente et non ab aliis, et vocatur lilia vitii vel corruptio passibilitatis. » Et d. 30,

a. I, sol., p. 497 : « ...habitualis (illa) libido diffusa per corpus coniunctiun animae, inclinât
in bonum conunutabile, avertendo in quantum potest ab incommutabili, et non subjacet
ordini rationis propter quod dicit Apostolus (ad Rom.) Condelector legi Dei, etc.. Haec
: :

igitm- poena ideo tantum est in corpore, quia corpus non est substantia rationalis, et ideo
non susceptibile culpae et ideo cum inficitur illa subiectum quod est susceptibile culpae
:

hominis, simul est tune cum illa et sic inficitur anima infectione culpae et poenae. » Cf.
;

ibid. ad i™ viam, ad 4, p. 497 ad 4™ viam, ad i, p. 498 « Deus créât animam mundam,


; :

id est quod ex creatione non habet immunditiam sed potius in infusione accipit, non ex
:

creatione, sed ex unione ad id cui infunditur sicut viaum in contactu vasis immundi,
:

quod in manibus dantis est mundum. » Et dans Sum. Theol., p. II, tract. 17, q. 107, m. 4
a. 3, part, i, c. « ...duo enim sunt in originali peccato sicut dicunt auctores, scilicet sensua-
:

litas illiciti... et ab illa est poena aggravationis scUicet animae ex came. Et est ibi carentia
;

debitae iustitiae et ab illa est culpa » ; ad i, p. 298 « Licet anima non sit ex traduce, tamen
: :

contrahit originale cum iniimditm- corpori, sicut dicunt auctores, sicut vinum corrumpitur
in vase corrupto propter infectionem concupiscentiae, quae est in corpore propter quam ;

onme quod secundum legem concupiscentiae descendit ab Adam, infectum originali peccato
descendit. »

S. BoNAVENTURE, Iti II. Sent., à. 30, a. 2, q. i, p. 749 : « Ad intelligendum autem quo-

modo anima possit infici corruptione culpabili ex tali foeditate (camis), haec tria suppo-
nenda sunt tamquam manifesta, quorum unum est, quod foeditas carnis potest facere
camem rebellem spiritui quod patuit in Adam qui post peccatum sensit carnis suae rebel-
;

lionem. Secundum est illud, quod anima, imita came, propter coniunctionem ipsius ad
camem, vel trahit eam sm:s;ma, vel ab ipsa trahitur deorsum propter vinculum quod est
ipsius camis ad animam. Tertium est illud quod anima propria virtute non potest regere
camem rebellem, nisi iuvetur per divinam gratiam secundum quod Apostolus exclamât :

Infelix ego homo, etc. Ex his igitur tribus suppositionibus necessario sequitur quodsi anima
tali cami unitur, quod ab ipsa trahitur deorsum et per concupiscentiam incurvatur. Sed
animam incurvari non est aliud, quam eam perverti perversitas autem in substantia ratio- ;

nali, quae est capax iustitiae, non est aliud quam iniustitia et culpa. Ex hoc igitur clarum
est quod foeditas quae est in came, potest animam sibi unitam facere peccatricem. Et quia
ista foeditas a primo parente habet traduci in oiruies posteros genitos secmidum Jegem
propagationis hinc est quod mediante came ad omnes transfundit originale. » Et aussi
;

d. 32, a. 3, q. I, ad 3 « ...apud Deum qui aliter naturam instituit, vituperandus est, quia
:

in se non habet quod Deus iuste ab ipso exigic. » Enfin Breviloquium, p. III, c. 6, p. 235.
Pierre de Tarentaise, In II Sent., d. 31, q. 2, a. i, c. « Qualis caro facta est in Adam :

talis ab eo traducitur quia natura est vis insita rébus e.x similibus similia procreans
: :

ideo cmima prolis infusa huiusmodi cami duplicem corruptionem contrahit unam vitio- :

sitatis, alteram passibilitatis. Quia vero unumquodque est in recipiente pet modum reci-
pientis ...ideo utra^que corruptio aliter recipitur in anima quam sit in came... corruptio ;

vitiositatis in came est sine reatu culpae, in anima vero cum reatu culpae. » Et ad i « ...caro :

quamvis non habeat culpam formaliter, habet tamen virtualiter et ideo dat eam. Virtualiter
autem habet eam, quia concupiscentiaJiter traducta est ex came Adae peccato infectae. <>

I. Autissiodorensis, Op. cit., p. II, tract. 27, c. 4, fol. 88 v, col. i : « Dominus infundit
animam vasi corrupto, quia noluit mutare suam. constitutionem qua constituit quoi ex
homine generetur homo naturaliter. Hoc etiam fecit ad humilitatem... Nec iniuste agit
cum anima sic eam infundendo, quum sic esse melius est ei quam non esse. »
Albert le Grand, Sum. Theol., p. II, tract. 17, q. 107, a. 3, ad obiect. 10, p. 299 « Deus :

infundens animam ordinem naturae servat, qui ordo non est corriimpendus, propter inor-
dinationem peccati originalis. Et ideo bene facit corpori organizato creans et infundens
animam rationalem. Sicut enim dicit Plato in Timaeo Creatoris est nulli aliquid negare ;

eorum quae pertinent ad esse vel bene esse ipsius. »


78 DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUGUSTIN A S. THOMAS

que la justice divine est certainement irrépréhensible, bien


qu'elle nous
imparfaitement compréhensible K
soit
A part Praepositinus et Guillaume d'Auxerre, les. maîtres cités
n'acceptent qu'un péché originel dans chaque individu ^. Quant
au sujet du péché héréditaire, saint Bonaventure et Pierre de
ïarentaise soutiennent que, tout comme la justice originelle, il

est dans l'âme, mais par l'intermédiaire des puissances, surtout


de la volonté ; le désordre ne procède pas de l'âme aux puissances,
mais par les puissances il contamine l'âme ^. D'après Albert au

1. Summa Sentent., p. Il, q. 122, m. 4, § i « ...Et si quaeratur qua iustitia


: animae
imputetur quoci neque ex creatione -neque ex voluutate perpetravit, sed ex sola camis
societate contraxit, quam taïueii societatem non ipsa suo arbitrio vindicavit sed praecepto
et dispositione creatoris suscepit, nos id quod veruni est profiteri oportet iustitiara Dei
in hoc irreprehensibileru, sed non omnino esse comprehensibilem. Cf. Hugues de Saint- ;>

Victor, cité p. 30, note i.


S. Bonaventure, Brevilvquinm, p. III, c. 6, p. 235 « Deus aniniani infundit secunduin :

institutionem primariam. »

2. Alexandre de Halès, Summa Sentent., p. II, q. 122, m. 8 : « Aliquaudo in S. Scrip-


tura invenitur peccatum originale sinipliciter dictuni, aliquando plinaliter. Simpliciter
dicitur propter carentiam originalis iustitiae, quae uiia est in anima uuius parvuli ; plura-
litervero potest dici ratione diversarurn inclination uin ad diversa actualia peccata ad quae
inclinât et hoc modo intelligendae sunt auctoritates quae dicunt originale peccatum esse
;

multa prout est m


imo homine. »
Albert le Grand, In II Sen ., d. 31, a. 3, sol., p. 516 ;« Originale peccatum non est
nisi unum et ratio huius est quia amma contrahit ipsura, secundum quod ipsa est forma
:

corporis corporis autem perfectio est secundum substantiani


; et ideo contrahit ipsum :

secundum substantiam et sicut substantia est una, ita originale est unum sed dicitur ;

multiplex secundum quod multiplicatur ad actus in eo quod extendit se dilatando in corrup-


tione potentiarum... hoc autem non est esse plura nisi secundum quid. » Et dans Sum.
Theol., p. II, tract. 17, q. 112, sol., p. 325 « Dicendum quod originalia sunt multa in multis,
:

secundum quod subiecta sunt multa quia originale qùod est in uno, non est originale quod
;

est in alio. Sunt tamen omnia unum ratione reatus, quae est quod ex viciosa natura sunt
contracta, in qua est carentia debitae iustitiae et iguis sive foeditas fomitis, per quem lege
concupiscentiae seminantur. Sed in mio et eodem non est nisi unum peccatum originale,
ut dicit Anselmus ex primo peccante... » Et ad i
,
« ii. Scriptura de originali loquitur
:

aliquando ut de uno, aliquando ut de pliuribus. De uuo, propter imam rationem reatus ut


dictum est. De pluribus, propter plures inclinationes ad malum quod etiau^ habet in uno
et eodem homine. »
S. Bonaventure, In II Sent., d. 33, a. 2, q. 2, p. 791 « Originale peccatum unitatem :

habet secmidum speciem eo modo secundimi quod peccatum dicitiu: habere speciem. Unitas
autem ista in originali peccato venit prmcipaliter ex parte boni, quod privât, et ex pai'te
peccati Adae, per quod introductum est, hoc est ex parte oppositi et ex parte principii...
Si loquamur de unitate originalis quantum ad nimierum, sic dicendum quod in uno homine
est miicmu. »

Pierre de Tarentaise, In II Seni., d. 33, q. 2, a. i « Peccatum originale ...quae est :

corruptio debitae dispositionis inmembris onmibus, est unum solimi in eodem, tam secun-
dum speciem, quam secundum numerum » et ad 4 « ...quam vis diversarum potentianmi
; :

secundum se diversae sint corruptiones materiales tamen- eorura prout ordinantur et colli-
:

gantur simul in suo toto, mia est formalitas quia earum corruptio peccatum est ex ordina-
;

tione ad corruptionem voluntatis, quae est privatio originalis iustitiae. » Cf. d. 31, q. 3,
a. I, c. et ad 2.

.;. S. Bonaventure In II Sent., d. 31, a. i, q. 2, c, p. 744 : » .\liqui dicere voluerunt,


originale peccatum sic traduci et contralii ab anima, ut primo insit animae ratione sub-
stantiae suae, quae primo carni coniungitur et consequeuter mediante substantia ab ipso
:

potentiae iuficiuntur, pro eo quod non uniuutur potentiae carni infectae nisi per unionem
substantiae... Sed si istud quis ita intelligeret quod per originale peccatum primo habeiet
LE PÉCHÉ ORIGINEL, SON ESSENCE, SA CULPABILITÉ 79

contraire, il réside immédiatement dans l'essence de l'âme, et étend


de là son influence sur les puissances ^
Enfin, on trouve chez tous ces auteurs sans exception l'affir-
mation que les péchés des parents les plus proches ne se propagent
pas chez leurs enfants ^.

Tel était, quand parut saint Thomas d'Aquin, l'état de la


doctrine théologique touchant la justice primitive et le péché
originel ^.

Cette première partie, un peu développée sans doute, nous


permettra du moins, par la détermination des courants doc-
trinaux et des influences concurrentes, de mieux saisir la

pensée du Docteur Angélique, et de voir plus nettement le

infici substantia quam potentiae, ita quod originale insit aniniae non ratione potentiae
sed ipsius substantiae unitae ; hoc non videtur intelligibile... etc. »

Pierre de Tarentaise, In II Sent., d. 31, q. 3, a. i « Videtur igitur dicendum quod :

originale primo inest potentiis et illis mediautibus essentiae. Quia opposita habent fieri
circa idem mide cum ordinatio naturae esset formaliter in ratione, niaterialiter in viribus
;

inferioribus ; similiter eius deordinatio formaliter est in deordinatione rationis, scilicet in


carentia iustitiae, niaterialiter vero in deordinatione virium inferiorum, id est, in vitio
concupiscentiae ...per potentias vero inest essentiae », ad 3
;
« ...originale inest naturae :

non secundum substantiam, sed in quantum est principium operationum ; et ideo cum sit
principium operationis mediantibus potentiis, inest primo potentiis. » Cf. ad i.
I Albert le Grand, In II Sent
d. 31, a. 3, sol., p. 516. Cf. p. 78, n. 2. Et Sum. Theol.,
,

p. II, tract. ad 5, p. 336


17, q. 112,« ...secundum potentias animae non numerantur
:

peccata sed secundum subiectum quod est unum. In potentiis enim non est nisi secundum
inclinationem ad hoc vel illud. »

2. Alexandre de Halès, Sum. Sent., p. II, q. 122, m. i. Cf. p. y^,, n. 2. Et ibid. m. 3


a. I ...peccatum originale non transmittitur ab aliis quam a primis parentibus. » Com
: «

parez la doctrine d'Alexandre sur la propagation du péché originel, p. 72, note 4.


Albert le Grand, In II Sent., d. 33, a. i, sol., p. 533 « Dicendum quod non contrahitur :

originale nisi a primo parente et per proximos parentes et hoc est ideo quia oninis homo :

qui générât, non générât nisi in vetustate Adae ...et non peccato proprio, quia hoc natu- m
ram humanae miseriae non corrumpit, licet corrumpat bonum naturale in peccante sed :

peccatum Adae corrupit naturam humanam corruptione passibilitatis et vitii, et nuUum


aliorum peccatorum sic corrumpit natmram ...et ideo non transfunditur nisi pedcatmn
vetustatis. »

S.EoNAVENTURZ, In II Sent., d. 33, a. i, q. i, c, et ad 3, p. 783. Cf. p. -4, note 5.


Pierre de Tarentaise; cf. pp, 75-76.
3. Pour le début du XIIP siècle, comme plus haut pour le XII*^ siècle (cf. p. 40, note i),
l'examen des doctrines en cours pourrait être plus poussé, en particuher dans les traités
encore manuscrits de Stephanus Langton, Questiones (Cambridge, S. John's Coll., rns
C. 7), Mag. Martînus, Summa (Cambridge, ibidem Paris, Bibl. Nat. lat. 14556), Marti-
;

Nus DE I-UGERiis, Siinima (Worcester, Cathed. Libr., ms. F. 50 Paris, Bibl. Nat. lat. 31 17). ;

Simon de Tournai, Summa (British Muséum, Kings Libr. ms. 9 E XII Paris, Bibl. Nat. ;

lat. 3114 A et 14886) puis des premiers maîtres dominicains, Hugues de S. Cher, In /T
;

lib. Sent. (Cantorbéry, Chapter Lib., ms. A.. 12 Bruxelles, Bibl. roy. ms. 11422 Bruges
; ;

Bibl. mun., ms. 178), Richard Fishacre, In IV lib. Sent. (Oxford. Bail. Coll, ms. 57),
Robert Kilwardby, /m/F lib. Sent. (Oxford, Merton Coll. ms. 131 Worcester, Cathed. ;

Libr. ms. F. 3g). Nous nous contenterons de renvoyer à plusieurs notes documentaires où
le R. P. Martin, en une bibliographie des sources abondante et précise, a préparé un tra-
vail, qui ici dépasserait le cadre fixé. Voir son article, où nous avons pris quelques-unes
des références citées, dans La Ciencia Tomista, 1915, La doctrina sobre cl pecado original
en la Summa contra Gentiles, II, B.
80 LE DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE S. AUOUSTIN A S. THOMAS

progrès qu'il fit accomplir à ces problèmes. L'exposé que nous


venons de faire porte d'ailleurs en soi im intérêt, et présente
sur plusieurs points une nouveauté, qui en légitime le déve-
loppement.
DEUXIEME PARTIE

La doctrine de S. Thomas

Bibliothèque Ihomiste
CHAPITRE I

LA JUSTICE PRIMITIVE ET LE PÉCHÉ ORIGINEL DANS LES


ŒUVRES ANTÉRIEURES A LA SOMME THÉOLOGIQUE

« Venu au moment oùle treizième siècle intellectuel achevait

d'entrer en possession de la science profane et sacrée de l'anti-


quité, le génie de Thomas d'Aquin s'était vite aperçu du désarroi
où se trouvaient la philosophie et la théologie, submergées qu'elles
étaient par l'afflux de systèmes et de solutions les plus diverses
et souvent les plus contradictoires. L'œuvre énorme de son maître,
Albert le Grand, lui avait à la fois révélé la richesse et le chaos
au milieu desquels se débattait la pensée chrétienne de son temps.
Doué d'une merveilleuse puissance de synthèse, Thomas d'Aquin
élabora, avec les éléments que les siècles passés avaient accumu-
lés, une métaphysique à la fois simple et profonde, une et
féconde,
qui est l'œuvre souveraine et personnelle de son effort. A la lumière
des hauts principes primordiaux qu'il avait conquis, il revisa
tous les problèmes de la philosophie et de la théologie et leur
donna cette orientation ferme et harmonieuse qui fait la puissance
et labeauté de son œuvre. Ce travail de la remise au point de tant
de problèmes et de solutions de nature et d'importance diverses,
représente un effort dont l'estimation échappe au regard le plus
investigateur.
Thomas d'Aquin, grâce à la précocité de son génie, eut, de
trèsbonne heure, la claire vision de l'œuvre à édifier. Peu d'hom-
mes ont moins varié que lui, parmi le petit nombre de ceux qui
ont révolutionné une fois ou l'autre au cours des siècles, la pen-
sée humaine. Cependant il devait subir la loi qui régit même le
génie dans ses créations : l'indécision du premier pas, le passage
à travers l'ébauche ; saint Thomas a d'ailleurs eu lui-même une
claire conscience des conditions du progrès dans la collectivité
humaine comme chez les Passant en outre de cette
individus.
conviction théorique à l'ordre pratique, il reprit en sous-œuvre le
grand travail de sa jeunesse, le Commentaire sur le Maître des
Sentences, d'où sortit finalement le chef-d'œuvre de la Somme
théologique. »
84 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

Dans l'évolution de la doctrine de saint Thomas, « il s'agit sou-

vent de nuances de pensée, de précision, de formule, ou de détail


sans conséquence pour l'ensemble du système. Aucun grand prin-
cipe, aucune thèse fondamentale n'est en jeu. Néanmoins, sur un
certain nombre de points, il y a une modification et, plus fréquem-
ment, un progrès de la pensée, dûs à une adaptation plus adéquate
d'un problème spécial à l'esprit général du système et aux vérités
i. »
fondamentales qui en sont le support
Les observations d'ordre général qu'on vient de lire trouvent
leur justification dans un certain nombre de doctrines particu-
par saint Thomas la théologie de la justice primi-
lières élaborées :

tive et du péché originel en est un des exemples les plus intéres-


sants. Aussi devons-nous envisager successivement les solutions
proposées par Docteur AngéUque dans les écrits antérieurs à sa
le

Somme Théologique, puis celles qu'il adopte dans cet ouvrage


définitif. Un prem^ier chapitre va donc exposer la doctrine de
la

justice primitive et du péché originel d'après les œuvres contempo-


raines de l'activité scolaire de saint Thomas comme bacheUer et
comme maître, jusqu'en 1268. Nos sources principales pour cet
exposé sont : les Commentaires des Sentences de Pierre Lombard
(1252-1257) 2, les Questions disputées De Veritate (1256-1259) ^,

la Somme contre les Gentils (1259-1264) ^ et les Questions disputées


De Malo (1263-1268) ^

l — LA JUSTICE ORIGINELLE

Chez aucun des théologiens du moyen âge la question de la jus-

tice originelle ne constitue un traité spécial ;


il faut en chercher les

éléments parmi les spéculations sur l'état d'innocence primitive.

1. Mandonnet, Premiers travaux de polémique thomiste, dans Rev. des Se. Ph. et Th.,
t. 7. (1913), P- 245-247. KuHLMANN,
Der Gesetzbegriff beim h. Thomas von Aquin, Bonn,
1912, p. 109, note 2.
De Groot, O. P., Hct leven van den h. Thomas van Aquino, pp. 95-96 pp. iio-
J. V.,
;
2.
III ; p. 124, note i.

Mandonnet, Écrits authentiques de S. Thotnas d' Aquin. L'auteur place le


Commentaire
aux années 1253-1255 (p. 134). Il est suivi par
Ueberweg-Baumoartner, Gesc/nc/î/c der
Philosophie, t. 2, p. 483. Grabmann donne
aussi les années 1253-1255 (Thomas von Aqum,

dans Sammlung Kosel, p. 16).


les
3. Mandonnet, op. cit., p. 131.
Ueberweg-Baomgartner, op. cit., p. 484- De Groot,
op. cit., p. 129 Grabmann, op. cit., p. 17-
;

4. UEBEItWEG-BAUMGARTNER, Op. cit., p. 484


Dk GrOOT, op. Cit., p. I50 Gr.\BMANN,
; ;

op. cit., p. 18.

Mandonnet, op. cit., p. 131 ; De Groot, op. cit., p. 177-181 ;


UEBERWEC-BAtM-
5.
GARTNEH, op. cit., p. 484 ; GrABMANN, Op. Cit., p. 17-
AVANT LA SOMME THÉOLOGIQUE 85

Saint Thomas s'est conformé sur ce point au procédé de Pierre


Lombard. Pour nous, qui limitons notre étude à l'essence de
la justice originelle, il sera plus simple de procéder dans notre exa-
men un ordre systématique, comme nous l'avons fait pour la
selon
première partie. Le travail de comparaison sera ainsi plus facile.
Saint Thomas, comme ses contemporains, définit la justice ori-
ginelle une disposition de la nature il l'appelle la justice «natu- ;

relle ^. Cette disposition exprime l'ordre qui doit régner entre le

corps et l'âme, entre les puissances inférieures et les puissances supé-


rieures, entre l'âme et Dieu. Elle est donc le principe rectificateur
de la nature humaine 2. Dans ces diverses subordinations, la pre-
mière, c'est-à-dire celle de la raison et de la volonté à Dieu, est la
cause de la seconde et ainsi de suite ^. Cette rectitude de la volonté
donne à l'âme la force nécessaire pour maîtriser les puissances sen-
sitives, qui à leur tour préservent Nous le corps de la corruption.
sommes ici en présence d'une idée nouvelle, qui conduira plus
tard Thomas d'Aquin à une détermination plus exacte du rapport
de la grâce et de la justice originelle. Dans cette justice, saint Tho-
mas appelle partie formelle la subordination de la volonté à Dieu,
et partie matérielle la sujétion des autres puissances de l'âme et du
corps à la volonté ^. On remarquera d'ailleurs que saint Thomas
1. // Senl. à. 20, q. 2, a. 3.
2. Op. cit., « (iustitia) originalis, quae erat secundum debitum ordinem
d. 20, q. 2, a. 3 :

corporis sub anima et inferiorum virium sub superiori et superioris sub Deo, et haec quidem ,

iustitia ipsam naturam humanam ordinabat in sui primordio ex divin© munere et ideo ;

talem iustitiam in filios transfudisset. » Cf. aussi II, d. 23, q. 2, a. 2, ad i d. 29, q. i, ;

a. 2, ad 5 d. 30, q. i, c.
; d. 31, q. i, a. i, ad i
; d. i^, q. 2, a. i, c. ;

De Veritate, q. 25, a. 7, c. « homini in primo statu collatum fuit ut ratio totaliter infe-
:

riores vires contineret, et anima corpus. Et encore q. 24, a. 12, c. q. 25, a. 6.


>
;

Contra Gentiks, lib. 4, c. 52 « Secundum doctrinam fidei, ponimus hominem a princi-


:

pio taliter esse institutum quod, quamdiu ratio hominis Deo esset subiecta, et inferiores
vires ei sine impedimento desers-irent, et corpus ab eius subiectione impediri non posset
per aliquod impedimentum corporale, Deo et sua gratia supplante quod ad hoc perficien-
dum natura minus habebat »... « Huiusmodi autem beneficii quod a quibusdam originalis
iustitia dicitur, sic primo homini collatum fuit ut ab eo simul cum natura humana propa-
garetur in posteros »... « peccatum primi hominis... fuit et naturale, in quantum abstulit
sibi et suis posteris consequenter beneficium collatum toti humanae naturae. »
De Malo, q. 4, a. i, c. « ...primo homini in sua institutione datum fuerat divinitus
:

quoddam supematurale donum, scil. originalis iustitiae, per quam ratio subdebatur Deo
et inferiores vires rationi et corpus animae. Hoc autem donum non fuerat datum primo
homini ut singulari personae tantum, sed ut cuidam principio naturae, ut scil. ab eo per
originem derivaretur in posteros. » Cf. a. 6, ad 4 a. 7, ad 5 ; a. 8, c. « consequebatur ; : . .

naturam ex Dei munere » q. 5, a. i, c. a. 4, ad 7 q. 7, a. 7, c. et ad 9.


; ; ;

1. II. d. 21, q. 2, a. 3 « Talis erat primi status rectitude ut 5up>rior pars rationis Deo
:

subiiceretur, cui subiicerentur inferiores vires, quibus subiiceretur corpus ; ita quod prima
subiectio erat causa secundae, et sic deinceps ,-,. Comparez d. 23, q. 2, a. 3 ; et d. 33, q. i,
a. 1. De Malo, q. 3, a. 7, c.

4. II. d. 32, q. I, a. I, ad I : « ...in originali iustitia erat aliquid quasi formale, scil.
psa rectitude voluntatis, et secundum hoc sibi opponitur culpae deformitas. Erat in ea
etiam aliquid quasi materiale, scil ordo rectitudinis impressus in inferioribus viribus, et
quantum ad hoc opponitur sibi concupiscentia et fomes. »
86 LA DOCTRIN'r: DE S. THOMAS

admet une distinction entre la justice originelle et l'intégrité de la


nature semble que l'une désigne la droiture naturelle sous son
; il

aspect positif, l'autre sous son aspect négatif ^.


De la justice originelle découle, pour l'intelligence, une science
naturelle plus parfaite que celle que nous possédons actuelle-
ment ; car l'esprit n'est pas alors entravé dans la considération
de la vérité par la révolte de la concupiscence, l'influence des pas-
sions et les indispositions du corps -. La volonté, habituellement
dirigée vers Dieu, libérée de toute passion violente et de toute
inclination perverse, peut résister au mal et faire le bien naturel
sans difficulté l'homme, possède en effet toutes les vertus. Cor-
^ ;

ruptible par nature, le corps est rendu incorruptible par la


vigueur de l'âme, qui maintient sa complexion dans un équilibre
constant. Seul le péché pourrait lui faire perdre cette qualité dès ;

lors, pour saint Thomas, l'homme, dans l'état de justice primitive,

était de soi [simpliciter) immortel, accidentellement et sous un


certain rapport (secundum quid) en tant que pécheur, mortel ^.
,

Enfin, en vertu de la même domination de l'âme, l'homme était


impassible, c'est-à-dire qu'il ne pouvait pas éprouver de souffrances

1. II. d. 23, q. 2, a. 2 « ...quidam vero dicunt quod etiain habitus cognitionis omnium
:

rerum mox nati accepissent sed hoc non videtur necessariura neque quantum ad integri-
;

tatem naturae, neque quantum ad originalein iustitiam. »


2. II. d. 23, q. 2, ad 3 « Perfectio totius hominis pendebat ex superiori parte mentis,
:

qua homo Deo per rectitudinem iustitiae inhaerebat ut ideo illa permanente Deo coniuncta ;

sicut nec defectus in corpore aliquis, ut passio et mors, ita nec deceptio in anima esse potuit. »
Cf. d. 30, q. I, a. I G. De Veritate, q. 18, a. 8, ad i : « ...anima a corpore dupliciter potest
impediri. Uno modo per modum contrarietatis, in quantum corpus animae resistit et eam
obnubilât : quod quidem in statu innocentiae non fuisset. » Cf. a. 6, c. et ad 2. Cont. Cent.,
lib. 4, c.52 « ...ratio a sensitivis potentiis
: » De Malo, q. 5, a. i, c non impeditur.
« Neces- :

sarium fuit homini aliud supematurale auxilium ratione ?,uae compositionis. Est enim homo
compositus ex anima et corpore et ex natura intellectuali et sensibili, quae quodammo-
do si suae naturae relinquantur, intellectum aggravant et impediunt, ne libère ad sum-
mum fastigium contemplationis pervenire possit. Hoc autem auxilium fuit originalis jus-
tifia, per quam mens hominis si subderetur Deo, ei subderentur totaliter inferiores vires
et ipsum corpus, neque ratio impediretur quominus posset in Deum tendere. »

3. II. d. 24, q. I, a. 4 « Neutro autem modo (scil. neque ratione violentiae. neque ratio-
:

ne alicuius inclinationis ad malum per habitum vel passionem) potest dici de primo horaine
quod peccato resistere non posset quia et verum liberum arbitrium habebat, et integrum
; ;

unde nec passiones inerant quae ad malum impellerent, nec habitus perversus naturam
corrumpcns et ideo non solum habuit quod peccato resistere posset, sed quod etiam
;

illud facile potuerit. » Cf. d. 30, q. i, a. i, c. d. 29, q. i, a 4, ad 2. De Veiitaic, q. 18,


;

a. 4, ad 18 « De ratione status innocentiae erat ut Adam omnes virtutes haberet, quia


:

quaecumque ei deessent, iustitiam originalem non haberet. « Cf. a. 7, ad z.'De Malo, loc.
cit.

4. II. d 19, q. I, a. 2, c. a Unde simpliciter dicendus


: erat horno in statu illo immor-
talis, et mortalis nonnisi secimdum quid, id est, si peccasset. »et a. 4, ad 5 « ...lignum vitae
:

non erat principalis causa immortalitatis, sed coadiuvans ad continuationem vitae modo
praedeterminato ideo immortalitas non est iudicanda naturalis propter virtutem ligni
;

vitae, sed magis propter virtutem animae supra naturam collatam, quae principalis causa
immortalitatis erat. » Cf. d. 29, q. i, q. 5, ad 6 et De Malo, q. 4, a. 6, ad 4 q. 5, a. 4, ; ;

ad 7 ; q. 5, a. 5, ad 9 et 16.
,

AVANT LA SOMME THÉOLOGIQUE 87

ni de déchéances en tout ce qui relevait de sa nature ; ce n'est


qu'au sens impropre du mot qu'on aurait pu le dire passible, en
tant qu'il pouvait recevoir (pati) de nouvelles perfections ^ C'est
ainsi que saint Thomas a clairement unifié dans le concept de
justice originelle toutes les perfections de l'homme en l'état d'in-
nocence. Saint Augustin, lui, les avait fait dériver du bonheur
et de la félicité dont jouissait l'homme avant la chute, considérant
que ce bonheur était incompatible soit avec une désharmonie entre
les puissances de l'âme, soit avec la corrUptibilité du corpà ^. Mais,
on l'a vu, les théologiens des dernières. années du douzième siècle
avaient commencé à les rattacher p^us ou moins au concept de
justice primitive et Albert le Grand, qui dans sa Somme théolo-
;

gique attribuait l'impassibiHté à la vertu des fruits de l'arbre de


vie, soutient, dans les Sentences, une opinion semblable à celle de

saint Thomas ^.

La pour saint Thomas, appartient proprement


justice originelle,
à la nature humaine, et, par son intermédiaire, à la personne *.
C'est pourquoi la justice joue le rôle de disposition, ou tout au plus
d'habitus entitatifs, et non d'un acte ou d'un habitus opératif ;

l'acte, et par conséquent l'habitus qui en est l'effet, sont des per-
fections de l'individu ^.

Étant une disposition de la nature, la justice originelle se serait


transmise par la génération, c'est-à-dire par le procédé eri vertu
duquel la nature se reproduit®. Avec le Maître des Sentences

1. II. d. « Primus homo fuit passibilis eo sensu qi od alicuius perfectionis


19, a. 3 :

Sed quia illud quod perfectionem recipit non proprie dicitur passum vel
receptibilis est.
alteratum sed magis perfectum, ideo proprie dicitur pati secundum quod passio sequitur
alterationem, qua aliquid transmutatur ab eo quod est sibi secundum naturam, et hoc
modo corpus Adami fuit passibile secundum quid, id est si peccaret, sed impassibile sim-
pliciter. »

2. Chap. I, p. 7.

^. Summa theologica, II, tract. 14, q. 83, sol. i : « Et sicut Augustinus dicit, ex natura
propria habuit passibilitatem, ex ligno autem vitae habuit impassibilitatem, ita quod non
patiebatur a contrario ad dissolutionem substantiae. » (Ed. Vives, t. 33, p. 129).
In II Sentent., d. 19, a. 2, ad quaes. « Dicendum, quod de passibilitate animae dis-
:

putatum est in 3 Sent., in tractatu de Passione animae Christi tantum : tamen potest hic
dici, quod pati dicitur a graece : TtaOî'v, quod est recipere latine : et sic passibilis fuit
et in corpore et in anima
quia in anima recepit species, et in corpore cibum. Dicitur etiam
:

pati a contrario af&ciente passum et transmutante et sic non potuit pati nec in anima :

propter habitum gratiae primi status, qui contrarius erat huic passioni, nec permisit eam
cadere in eum. Dicitur etiam pati a contrario altérante et abiiciente a substantia et sic :

nullo modo erat passibilis, nec in corpore, nec in anima. » De ce texte il ressort que le second
livre des Sentences n'a été écrit qu'après le troisième.

4. Cf. p. 85, note 2.

5. II. d. 32, q. I, a. 2, c. : a Actus autem omnis personae est, quia actus individuonim
sunt, ut dicit Philosophus. »

6. II. d. 20, q. 2, a. 3, cité p. 85, n. 2. Cf. ibid. ad r ; et d. 23, q. 2, a. 2. De Ve Uate

q. 18, a. 2, c. : « Adam... in alios originalem iustitiam transfunderet. » Cont. Gent., lib. 4,


88 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

et ses autres Commentateurs, saint Thomas soutient que l'œuvre


de chair n'est pas en opposition avec la perfection que comporte
l'état d'innocence. L'acte générateur est une perfection naturelle
et un office nécessaire à la multiplication de l'espèce. Il n'a donc en
soi rien de répréhensible, à moins que les puissances sensitives
ne se soustraient à la domination de la raison, ce qui primitive-
ment était impossible de par la rectitude naturelle ^. Saint Thomas
prétend en outre — et en ceci il s'écarte des autres théologiens —
que la délectation jointe à l'acte générateur aurait été en sui plus
grande que présentement. Toutefois, la délectation, dans l'état
actuel, est relativement plus forte, parce que maintenant la raison
est obscurcie et dominée par la volupté, quelquefois jusqu'à la
folie ^.

Bien que la rectitude primitive appartienne à la nature, elle

ne découle pas de ses principes constitutifs. C'est qu'en effet,

tout ce qui est composé d'éléments contraires doit être corrup-


tible. En outre, l'appétit sensitif tend par sa nature vers tout
objet délectable aux sens, fût-il contraire à la raison. L'c; intellec-
tus possibilis )>, dépendant lui aussi des sens par son objet, ne peut
parvenir que difficilement à la connaissance de la vérité, à cause
de l'imagination contre laquelle il doit se garder. Par conséquent,
si l'homme avait Dieu dans des conditions purement
été créé par
éprouvé
naturelles, de sorte qu'il eût été mortel et passible, et eût
le combat de la concupiscence contre la raison, Dieu n'aurait pas

été injuste à l'égard de la nature humaine.


La justice originelle est donc un don surajouté par la bonté du
c. 52 « ...(originalis iustitia) ...sic primo homini collatum fuit ut ab eo simul cum natura
:

humana propagaretur in posteras. »De Malo, q. 4, a. 8, c. « Fuit autem in principio condi- :

tionis humanae quoddam donvun gratuitum primo homini divinitus datum non ratione
personae tantum, ^ed ratione totius naturae humanae ab eo derivandae, quod donum f it
originalis iustitia... Ration abiliter hoc donum fuisset ad posteros propagatum, propter
duo : primo quidem, quia consequebatur naturam ex Dei munere, licet non ex ordine natu-
rae ; secundo quia pertingebat usqre ad corpus, quod per generatio.;em traducitur.» Et
q. 4, a. I, ad 9 « Ex peccato enim primi parentis destituta est
: caro eius illa virtute ut
ex ea possit decidi semen per quod originalis iustitia iii alios propagetur. ..

1. II. Per peccatum natura specie variata non est. Unde quae-
d. 20, q. I, a. I : «

cumque ad perfectionem humanae speciei pertinent, oportet homini in statu innocentiae


attribuere. In omnibus autem corruptibilibus et generabilibus ad perfectionem pertinet,
ut unumquodque taie alterum facere possit quale ipsum est. Unde oportet in natura humana
ponere aliquem statum naturalis generationis etiamsi in ea numquam peccatum fecisset ;
et hic est status innocentiae, post quem homines transferendi erant in statum gloriae, ubi
omnino generationis cessât officium ». Cf. a. 2, ad i « In primo statu nullo modo inte-
:

gritas mentis soluta fuisset, sed scia integritas carnis, cui praeponderasset fecunditas
prolis ».

2. Ibid., a. 2, Absolute loquendo major delectatio coitus fuisset in primo statu


ad 2 : «

quam etiam modo sed secundum proportionem ad rationem fuisset multo minor
sit ; ;

quia ratio in suo actu fortiter persistens delectationi penitus dominaretur et ideo non fuisset ;

superabundans vel ferens delectatio sicut modo est. »


AVANT LA SOMME THÉOLOGIQUE 89

Créateur ^. Voici comment saint Thomas démontre cette propo-


sition. L'homme a été créé pour une destinée surnaturelle. Sa fin
est la béatitude qui consiste dans la vision de l'essence divine. Or,
l'homme ne peut pas parvenir par sa seule nature à cette fin, qui
dépasse le pouvoir de ses facultés. C'est pourquoi il est nécessaire
entre autres choses, que Dieu écarte les obstacles qui auraient em-
pêché l'âme de s'attacher à Lui par l'amour. Les inclinations des
puissances inférieures de l'âme, qui tendent par nature vers leur
objet propre, ne pouvaient rester en constante harmonie avec
les exigences de la raison et de la volonté. Il en aurait été de même
de la corruptibilité du corps. Il était donc nécessaire d'enrichir
la partie supérieure de la nature d'une force telle qu'elle pût dominer
despotiquement les puissances sensitives et le corps. Ce don fut
celui de la justice originelle, laquelle trouve donc sa raison d'être
dans la fin surnaturelle du genre humain 2.

1. II. d. 19, q. I, a. 2, c. « In ipsa sui institutione aliquid sibi (homini) collatum fuit

supra facultatum principiorum naturalium ». Cf. d. 20, q. 2, a. 3, c. Et aussi, d. 31, q. i,


a. I, c. : Deus humanae naturae in suo principio super conditiones suorum principiorum
•<

contulerat, ut esset in ratione rectitude quaedam originalis justitiae quam sine aliqua
resistentia inferioribus viribus imprimere posset ; et quia hoc gratis collatum fuerat, ideo
juste per ingratitudinera inoboedientiae subtractum est ». Ibid. a. 2, ad 3 « Poterat :

Deus in principio, quando hominem condidit, etiam alium hominem x limo terrae formare ; <

quem in conditione naturae suae relinqueret, ut scilicet mortalis et passibilis esset, et


pugnam concupiscentiae ad rationem sentiens in quo nihil huméuiae naturae derogaretur,
;

quia hoc ex principiis naturae consequitur. » Cf. d. 33, q. i, a. i, ad 3.


C. Gent., 1. 4, c. 52 « Necesse est enim corpus humarum, quum sit ex contrariis compo-
:

situm, corruptibile esse, et sensibilem appetitum in ea quae sunt sec. sensum delectabilia
moveri, quae interdum sunt contraria rationi, et intellectum possibilem, cum sit in potentia
ad omnia intelligibilia, nullum eorum habens in actu, sed ex sensibus... »
De Veritate, q. 18, a. 2, c. « Oportet ponere hominem in statu innocentiae duplicem
:

perfectionem habuisse, unam quidem naturalem, aliam autem gratiae, a Deo concessam
supra debitum naturalium principiorum. » Et q. 25, a. 7, c. « Quod enim homini in primo :

statu collatum fuit ut ratio totaliter inferiores vires contineret, et anima corpus, non fuit
ex virtute principiorum naturalium, sed ex virtute naturalis justitiae ex divina libertate
superadditae. » C. Gent. 1. 4, c. 52 « Sic natura humana fuit instituta in sui primordio
:

quod inferiores vires perfecte rationi subjicerentur, ratio Deo et animae corpus, Deo per
gratiam supplente id quod ad hoc deerat per naturam. » De Malo, q. 4, a. i, c. « Primo :

homini in sua institutione dafeum fuerat divinitus quoddam supernaturale donum scilicet
originalis justitiae. » Cf. a. 8, c. ; q. 5, a. i, c.
2. Respondeo dicendum quod ea quae sunt ad finem disponuntur
II. d. 30, q. I, a. I, c. : «

secundum necessitatem finis, ut ex II Physicor. (text. 78) patet. Finis autem ad quem
homo ordinatus est, est ultra facultatem naturae creatae, scilicet beatitudo, quae in visione
Dei consistit soli enim Deo connaturale est. Unde oportuit naturam humanam taliter
;

institui ut non solum haberet illud quod sibi ex principiis naturalibus debebatur, sed etiam
aliquid ultra, per quod facile in finem perveniret. Et quia ultim.o fini amore inhaerere non
poterat, nec ad ipsum tenendum pervenire nisi per supremam partem suam, quae est mens
seu intellectus seu ratio, in qua imago Dei insignita est, ideo ut illa pars libère in Deum
tenderet, subjectae sunt sibi vires inferiores, ut nihil in eis accidere posset, per quam mentis
contemplatio impediretur. » Cf. ibid. d. 19, q. i, a. 2. De Malo, q. 5, a. i, c. « Creatura ergo :

rationalis in hoc praeeminet omfli creaturae, quod capax est summi boni per divinam
visionem et fruitionem,licet ad hoc consequendum naturae propriae principia non sufûciant,
sed ad hoc indigeat auxilio divinae gratiae. Sed circa hoc considerandum est, quod aliquod
divinum auxilium necessarium est omni creaturae rationali communiter, scilicet auxiliura
gratiae gratum facientis... Sed praeterhoc auxilium necessarium fuit homini aliud superna-
turale auxilium ratione suae compositionis... Hoc autem auxilium fuit originalis justifia. »
90 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

Mais si une grâce, quels sont ses rapports


la justice originelle est
avec la grâce sanctifiante manifeste que, dans les Senten- ? Il est

ces, saint Thomas distingue expressément la justice originelle de


la justice gratuite ou grâce sanctifiante ^. Cela est hors de doute.
La grâce sanctifiante est un don personnel, la justice originelle
est prérogative de la nature ^. Le but de la grâce comme telle est
la béatitude ^. Or celle-ci consiste dans une opération, dans un
acte, qui appartient à la personne * ;il s'ensuit donc que la grâce

est avant tout un don personnel, puisque son but est la perfection
de la personne. Cette doctrine est aussi celle de la Somme contre
les Gentils ^. Saint Thomas admet cependant dans les Sentences
la possibilité d'une grâce sanctifiante appartenant à la nature et non
à la personne^.

A la suite de ses prédécesseurs, saint Thomas sedemande aussi


si l'homme a été créé dans la justice gratuite. Dans sa réponse
il rapporte l'opinion de Praepositinus, mais sans la rejeter comme
le faisaient les autres ; il s'en tient cependant à la doctrine commune;

1. « Duplex justitia primo homini poterat convenire. Una origi-


II. d. 20, q. 2, a. 3, c. :

nalis quae erat secundum debituni ordinem corporis sub anima et inferiorum vifium sub
superiori et superioris sub Deo... Est autem alia justitia gratuita quae actus meritorios eli-
cit. »

II. d. 29, q. I, ad 5
2. « Adam per poenitentiam potuit recuperare illa bona quae sibi
:

ad actus personales data erant, sicut gratiam et virtutes non autem illa quae toti natu- ;

rae collata erant, ut immortalitas corporis et oboedientia inferiorum virium ad ratioatm


et huiusmodi ».
3. II. d. 29, q. I, a. 3, ad 3 : « Illud enim ad quod per se gratia est ordinata, scilicet glo-
ria... i>

4. II. d. 31, q. 2, a. I, ad 5 « Béatitude animae in quadam operatione consistit. » Et


:

d. 32, q. I, a. 2, c. : « Visio enim divina actum quemdaiv désignât actus autem omnis ;

personae est, quia actus individuorum sunt, ut Philosophus dicit. »

5. C. Gent.
1. 4, c. 52 « Deus superiorem naturam inferiori ad hoc conjunxit ut ei domina-
:

retur,et, quod huius dominii impedimentum ex defectu naturae contingeret ejus, speciali
si

et supernaturali beneficio tolleretur. » La grâce de la justice originelle ne faisait donc qu'a-


jouter ce qui manquait à la droiture naturelle « Deo per gratiam suppknte id quod ad :

hoc deerat per naturam. » C'est pourquoi il dit Primum autem peccatura primi hominis : i

non solum peccantem destituit proprio et personali bono, scil. gratia et debito ordine ani-
mae, sed etiam bono ad naturam communem pertinente. «
6. II. d. 20, q. 2, a. 3. « Quidam enim dicunt quod primus homo in naturalibus tantura
creatus est, et non in gratuitis et secundum hoc videtur quod ad talem justitiam (gratui-
;

tam) requirebatur quaedam praeparatio per actus personales unde secundum hoc talis ;

gratia proprietas personalis erat ex parte animae et ideo nullo modo transfusa fuisset, ;

nisi secundum aptitudinem tantum. Alii vero dicunt quod homo in gratia creatus est, et
secundum hoc videtur quod donum gratuitae justitiae ipsi humanae naturae coUatum est :

unde cum transfusione naturae simul etiam transfusa fuisset gratia. » Cf. ibid. ad i, Sed
contra. Voir aussi ibid., d. 32, q. i, a. 2, ad 5 « quantumcumque de gratia baptismal! :

infundatur, numquam tamen potest hoc efficere ut ex toto toUat fomitem quia gratia illa
non est ordinata nisi ad curandum infectionem personae ex infectione naturae procedentem,
Potest tamen Deus alterius generis gratiam infundere per quam totum tolleretur ut sic ;

simul et personae et naturae infectio gratiae cederet. » ,


AVANT LA SOMME THÉOLOGIQUE 91

peut-être, veut-il, comme commentateur, s'en tenir, autant qu'il

est possible, à la doctrine du Maître. Il n'apporte pas d'arguments


en faveur de l'opinion courante et se contente de dire que cette
question ne peut pas être démontrée efficacement, puisqu'elle dé-
pend de la seule volonté libre de Dieu. Mais, en toute hypothèse,
si l'homme a été créé dans la seule intégrité naturelle, il est alors

plus probable qu'il a reçu la grâce immédiatement après sa conver-


sion vers Dieu, au premier instant de son existence ^. C'est la
même opinion qu'on retrouve chez Pierre de Tarentaise '^.
Saint
Thomas rejette donc l'opinion de saint Bonaventure qui distin-

guait deux moments dans l'état d'innocence, celui de la justice

naturelle, et celui de la justice gratuite ^. Pour ce qui est des anges,


saintThomas déclare que l'assertion de Praepositinus lui plaît
davantage *. Dans le De Veritate il se sert d'expressions qui
témoignent d'une préférence plus marquée pour l'opinion de
Praepositinus ^. Dans la Somme contre les Gentils il n'aborde pas
la question.

Il est intéressant de remarquer que saint Thomas ne se sert


pas du texte, qui pourtant était le fondement de l'opinion commune :

1. II. d. 29, q. I, a. 2. « Quidam dicunt quod homo in primo statu gratiam non habuit

nec virtutes gratuitas... Sed hoc non videtur auctoritatibus convenire in quibus ponitur
quod Adam charitatem habuit, quae sine gratia non habetur. .A.lii v^ero distinguunt statum
innocentiae in duos status dicunt enim quod homo in principio creationis suae sine gratia
:

creatus est in naturalibus tantum postmodum vero ante peccatum gratiam consecutus
;

est ;et secundum hanc distinctionem varia dicta sanctorum et doctorum concordare nitun-
tur. Sed istud non videtur convenire dictis sanctorum et doctorum qui de statu innocentiae
quasi de uno statu non distincte loquuutur, et ideo haec positio non magnae auctoritatis
est. Ideo alii dicunt quod homo in principio creationis suae in gratia creatus est et haec ;

quidem positio satis congruere videtur opinioni Augustini, qui ponit res simul tempore
perfectas fuisse et creatas in materia et forma. Prima vero opinio magis congruere videtur
opinioni aliorum sanctorum, qui dicunt per successionem temporis res creatas perfectas
fuisse. Quae tamen harum opinionum verior sit, multum efficaci ratione probari non potest,
sicut nec aliquidearum quae ex voluntate Dei sola dépendent. Hoc tamen propabilius est,
ut cum homo creatus fuerit in naturalibus integris, quae otiosa esse non poterant, quod in
primo instanti creationis ad Deum conversus, gratiam exsecutus sit et ideo hanc opiniomen
;

sustinendo dicendum est... » Et ad 2 « Secundum tertiam opinionem tam homines quam


:

ange'i in gratuitis creati sunt, et ideo contra eam non est huiusmodi objectio, sed contra
secundam qua^n sustinentes dicimus... « Au sujet de cette expression, il est intéressant
;

de comparer ce texte à II. d. 4, q. i, a. 3, cité note 3.

Pierre de Tarentaise lisait les Sentences à Paris après


2. S.Thomas. (Maxdonnet, Écrits
authentiques, p. 127.)

Comparez avec note 2, p. 63.


3.

4. d 4, q. I, a. 3 a Respondeo dicendum quod circa hoc est duplex opinio. Quidam


II. :

enim dicunt quod angeli non in gratia, sed in naturalibus tantum creati sunt et haec opinio :

est communior. Alii vero dicunt angelos in gratia creatos esse. Harum autem opinionum
quae verior sit non potest ef&caci ratione deprehendi... Tamen secundum convenientiam
ad alla ejus opéra potest una pars alia probabilius sustineri... etc. »
5. De Ver., q. 28, a. 2, ad 4 « Supposita illa opinione, qugd Adam aliquo tempore neque
:

gratiam neque culpam habuerit, quam%'is hoc a quibusdam non concedatur... » ad 5 ; ;

« Et si Adam in statu suae conditionis gratiam non habuit secundum quosdam, ponitur

tamen ab eisdem quod ante casum gratiam est adeptus. »


92 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

« Homo stare poterat, pedem movere non poterat. » Peut-être déjà


l'authenticité lui en semblait douteuse ; il l'explique seulement
dans r« Expositio textus » de la vingt-neuvième distinction^. Ce
fait, et l'explication qu'il donne homo habens gratiam non indiget —
alla giaiia ad eius conservaiionetn montre de quel côté allait — ,

déjà sa préférence. Dans la Somme, I^ q. 95, a.i, arg. 4, ce même


texte est à nouveau cité, mais sous le nom du Maître des Sentences ;

Saint Thomas ne l'attribue jamais à saint Augustin.


Commenous l'avons vu, la justice originelle devait se propager
avec la nature c'est pourquoi elle a son siège immédiat dans
;

l'essence de l'âme ^. Saint Thomas est donc ici en désaccord avec


saint Bonaventure et Pierre de Tarentaise.
Quant à la confirmation de la justice, si même Adam avait
résisté victorieusement à la tentation et obtenu en conséquence
sa confirmation immédiate dans la justice, sa postérité n'en aurait
cependant pas hérité car elle n'aurait été alors que la récompense
;

d'un acte personnel ^.

On peut donc dire, d'une façon générale, que saint Thomas,


en dehors d'une systématisation plus logique et de quelques idées
nouvelles importantes, reste encore dans ses Sentences proche des
autres maîtres de cette époque. On discerne cependant chez lui
une tendance à s'en séparer ; la différence se montre surtout dans
le caractère plus strictement naturel de la justice primitive. Tan-
dis que ses prédécesseurs, tout en attribuant cette justice à la
nature spécifique de l'homme, la cherchent en premier lieu dans les

puissances et lui donnent un caractère plutôt actuel, saint Thomas


en fait une disposition de la nature même, résidant immédiate-
ment dans l'essence de l'âme

Dans le De Malo, Thomas d'Aquin marque déjà nettement

1. Voyez p. 62, et la note i.

On de l'argument qu'il propose au sujet du péché originel


'•

2. peut tirer cette conclusion


11. d. 31, q. 2, a. I. Ipsa anima unitur per essentiam suam immédiate corpori, ut ex ea et
>'

corpore efficiatur unum... Et quia originale causatur in anima ex conjunctione ejus ad


taie corpus, prout forma est, sic enim ex utrisque conjunctis talis natura résultat, oportet
quod in essentia animae sit primo et principaliter sicut in subjecto originale in potentiis ;

autem per consequens. » —


Comparez ce texte avec ce qu'il dit II. d. 33, q. i, a. i, a. 3, :

ad 4 « Subjectum originalis culpae non est caro, sed anima. Oportet enim quod in eodem
:

subjecto sint privatio et habitus unde sicut illa originalis justitia quae in anima erat... »
;

Cf. aussi De Malo,q. 4, a. 4, ad i « Justitia originalis non sic erat in voluntate quin per prius
:

esset in essentia animae ; erat enim donum collatum naturae. »

3. II. d. 20, q. 2, a. 3, ad 5 : •< Adam in prima tentatione


Probabile videtur quod etiam si

perstitisset, statim confirmationem justitiae fuisset adeptus... Si tamen conce-


nondum
datur quod Adam confirmatus fuisset statim post victoriam tentationis, adhuc non sequitur
quod filios confirmâtes in justitia genuisset quia hoc sequebatur actus personales ejus, et
:

ta erat perfectio ad personam pertinens, quam non oportet in filios propagari. »


AVANT LA SOMME THÉOLOGIQUE 93

son opinion personnelle la justice originelle contient la grâce:

sanctifiante les termes qu'il emploie sont même très catégoriques


;
:

gmtia gratitm faciens includitur in ratione originalis justitiae.


Il ne croit pas, dit-il, que l'homme ait été créé dans une
condition

purement naturelle i. Voici son argument la justice originelle con- :

siste surtout dans subordination de l'intelligence à Dieu


la or, ;

cette subordination ne peut être constante que par la grâce la ;

grâce est donc nécessaire à l'existence de la justice originelle 2.

Au sujet des anges, notre auteur est encore plus catégorique.


On ne voit pas clairement cependant en quel sens il entend ici
le rapport de la grâce et de la justice originelle la grâce en cons- :

titue-t-elle la partie formelle, comme les expressions peuvent


le faire croire ou bien en est-elle la cause efficiente, ou seulement
?

une condition sine qua non ? D'après l'argument proposé, on dirait


qu'elle n'est qu'une condition pour la stabilité de la justice ori-
ginelle. D'autres textes cependant insinuent comme une causalité
de la part de la grâce formellement *.
^. En tout cas il les distingue

Bien que le Docteur Angélique se déclare dans le De Malo en

faveur de l'opinion de Praepositinus, il ne se prononce pas encore


d'une façon absolue. C'est ainsi qu'il écrit q.5, a.i, ad. 13 ratio :

illa procéda secundmn opinionem ponentium quod gratia gratum fa-

ciens non includatur in ratione originalis iustitiae quod tamen ;

CREDO esse falsiim. La même expression se trouve d'ailleurs dans


un texte cité plus haut^.
Au sujet de la transmission de la justice originelle chez les enfants
nés de parents déjà confirmés en grâce, saint Thomas donne
maintenant un argument qui rejette directement la possibihté

d'une telle hypothèse. La génération, dit-il, appartient à la vie


animale ; or, puisque dans l'état d'innocence la condition du corps

1. De Malo, q. 4, a. 2, ad 17 : « Originalis justitia includit gratiam gratum facientem,


nec credo verum esse, quod homo sit creatus in naturalibus puris. »

2. Ibid. q. 5, a. I, ad 13 procedit secundum illam opinionem ponentium


: « Ratio illa

quod gratia gratum faciens in ratione originalis justitiae ; quod tamen


non includatur
credo esse falsum, quia cum origmalis iustitia primordialiter consistât in subjectione huma-
nae mentis ad Deum, quae firma esse non potest nisi per gratiam, iustitia originalis sine
gratia esse non potuit. « Et encore ibid. q. 2, a 12, ad 9.

3. Ibid. q. 5, a. 5, ad II Posse non mori gratiae erat, sed non gratiae gratum facientis,
: ic

secundvun quosdam unde homo in statu illo mereri non poterat. Secundum alios autem
;

hoc doniun immortalitatis ex gratia gratum faciente procedebat ; et homo in statu illo
mereri poterat. •

4. Ibid. q. 5, a.i, c. Sed praeter hoc auxilium (scilicet gratiam gratum facientem)
:

necessarium fuit homini aliud superaaturale auxilium ratione suae compositionis... Hoc
autem auxilium fuit originalis iustitia ...hoc auxilium, quo continetur corpus sub anima,
;

et vires sensitivae sub meute intellectuali, est quasi dispositio quaedam ad illud auxilium,
quo 'mens humana ordinatur ad videudum Deum et ad fruendum ipso. »
5. Cf. note I,
94 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

correspond à celle de l'âme, la confirmation dans la justice coïnci-


derait avec la confirmation de l'état primordial du corps,
et il
ne serait plus animal, mais spirituel et absolument immortel. L'âme
obtenant le non posse peccare, le corps recevrait le non posse mon ;

et ainsi la génération deviendrait impossible ^.

II. — LE PÉCHÉ ORIGINEL

Pour définir le péché originel, saint Thomas suit la doctrine


de saint Anselme. Le péché héréditaire est la privation de la jus-
tice que l'homme devrait avoir 2 cette justice, c'est la rectitude ;

primitive qu'Adam reçut dans sa création comme don de nature.


C'est pourquoiDieu peut l'exiger de tous les individus du genre
humain. Mais le premier homme en violant le commandement
divin, introduisit le désordre de sa nature, détour-dans la rectitude
nant ainsi sa raison et sa volonté Nous, ses des- de sa fin dernière.
cendants, avons hérité de lui sa nature dans l'état où elle était
lorsque nous avons été engendrés corrompue par la prévarica- :

tion du premier homme, elle se propage misérable et privée de la


beauté intégrale qu'elle avait au premier jour. Le péché originel
consiste donc dans le désordre causé dans la nature par la privation
de la rectitude primitive '^.
Or, dans tout péché, on peut distinguer

I. De Malo,q. 5, a. « Secundum quosdam si Adam non peccasset


4, ad 8 :
tentatus, statim
confirmatus fuisset in iustitia et omnes posteri eius confirmati in iustitia nascerentur
et
secundum hoc obiectio locum non habet. Sed hoc credo esse falsum, quia corporis cond'itio
in primo statu respondebat conditioni animae unde quamdiu corpus erat
animale, et anima
:

erat mutabilis nondum perfecte spiritualis eiïecta. Generare antem pertinet ad


animalem
vitain. Unde sequitur quod filii Adam non nascerentur in isstitia confirmati. »

-2. IL, d. 30, q. I, a. 2, c. : « Defectus illius originalis iustitiae, quae homini in sua creatione
collata est, ex voluntate hominis accidit ; et sicut illud naturae donura fuit et fuisset in
totam naturam propagatum, homine in iustitia persistente, ita etiam et privatio illius boni
in totam naturam perducitur, quasi privatio et vitium naturae. » Et encore a. 3, c « Des- :

titutio ipsius voluntatis ab illa rectitudine ad finem quam habuit in institutione naturae
in peccato originali formale est, et hoc est privatio originalis iustitiae. » Cf. d.
31, q. i, a. i :

« Hic defectus (originalis iustitiae communis accepta a persona peccante) comparatus ad


naturam rationem culpae habet in omnibus in quibus invenitur natura. » Et d. 3 q. i
),
a. 2, ad 3 et 5 a ^, ad 4 d. 31, q. i, a. i, c. a. 3, ad 2
; ; q. 2, a. i, c. C. Cent., lib. 4, c.
; ;

52 : « Peccatum primi hominis... (fuit) et naturale, inquantum abstulit sibi et suis posteris
consequenter beneficium collatum toti humanae naturae. De Malo, q. 3, a. 7, c « In peccato
i>
:

originali est aliquid formale, scilicet carenti.i originalis iustitiae.» Cf.q.4,a2,c. :«


...peccatum
originale... nihil est aliud quam concupiscentia cum carentia originalis iustitiae ita ; tamen,
quod carentia originalis iustitiae est quasi formale peccato originali, concupiscentia autem
est quasi materiale. Et encore ibid. ad 10 ad 2
»
; q. 4, a. 8, c. et ; a. 6, ad 4.
3. II. d. 33, q. I, a. I, c. : « In hoc autem quod continue homo Dei adhaerebat, haec
virtus indita erat ut sub oboedientia rationis continue subderentur inferiores vires et
illi

snb oboedientia animae corpus, propter hoc scilicet quod ratio suo superiori continue
subdita fuerat. Intercisa autem prima oboedientia par hoc quod ratio primi hominis a
Dec aversa est per peccatum, consecuta est disturbatio ordinis in inferioribus viribus ad
AVANT LA SOMME THÉOLOGIQUE 95

un élément qui en est comme l'élément formel, et un autre qui

en est comme l'élément matériel ainsi dans le péché actuel, la


;

substance même de l'acte déréglé en est comme la partie maté-


rielle, tandis que le désordre à l'égard de la fin, qui précisément
donne le caractère de mal, en constitue la partie formelle ; aussi
dit-on que la conversion vers le bien périssable est comme la partie
matérielle, et l'aversion du bien immuable comme la partie
formelle du péché actuel. Si donc le péché actuel consiste dans le
désordre de l'acte humain, le péché originel consistera dans le

désordre de la nature humaine. Dans ce cas, la partie matérielle en


sera constituée par le dérèglement des puissances entre elles ou
par leur désordre, et la partie formelle par la déviation du but ;

c'est pourquoi le dérèglement de la volonté, dont la fin est préci-


sément l'objet propre, constitue la partie formelle du péché originel.
C'est en effet la volonté qui doit diriger les autres puissances vers
le but. Par contre les fonctions appétitives des sens reçoivent de

la volonté la finalité de leurs actes, en tant qu'elles lui sont subor-

données. La soustraction de ces fonctions à la domination de la


volonté, constitue donc la partie matérielle de la faute hérédi-
taire. Dans cette rébellion, chaque puissance tend de façon déréglée

vers son objet propre et nous met ainsi en état de convoitise du


mal. C'est cette révolte de l'appétit sensible contre la volonté qui
porte le nom de concupiscence i.

rationem et corporis ad animam. » Et d. 31, q. i, a. i, c. « Unde factura est, ut primo


. :

homine peccante, natura humana quae in ipso erat, sibi ipsi relinqueretur, ut consisteret
secundum conditionem suorum principiorum, et per modum istum ex actu personae pec-
cantis in ipsam naturam defectus transivit. Et quia natura deficiens ab eo quod gratis
impensum erat, non potest causare hoc quod supra naturam collatum erat, cum nihil agat
ultra suam speciem, ideo sequitur quod ille qui generatur ab habente naturam hoc modo
deficientem, naturam in simili defectu suscipiat quia actus personae secundum conditio-
:

nem suae naturae procedit, et ultra non se extendit. Inde est quod defectus in ipsam per-
sonam generatam redundat. » Cf. d. 30, q. i, a. i, c.
I. II. d. 30, q. I, a. 3, c. « Respondeo
: dicendum quod in quolibet peccato est
invenire aliquid quasi formale et aliquid quasi materiale. Si enim consideremus peccatum
actuale, ipsa substantia actus deordinati materialiter in peccato se habet sed deordinatio
;

a fine,formale in peccato est, quia ex hoc rationem mali praecipue habet ; inde dicitur
quod conversio ad bonum commutabile est ibi sicut materiale, et aversio a bono incommu-
tabili, est sicut formale... Sicut autem peccatum actuale consistit in deordinatione actus
ita etiam peccat-um originale consistit in deordinatione naturae. Unde oportet ut ipsae
vires deordinatae, vel deordinatio virium sint sicut materiale in peccato originali, et ipsa
deordinatio a fine sit ibi sicut formale. Illa autem pars quae per se nata est conjungi fini
est ipsa voluntas, quae habet ordinem finis omnibus aliis partibus imponere, et ideo desti-
tutio ipsius voluntatis ab illa rectitudine ad finem quam habuit in institutione naturae
in peccato originali formale est et hoc est privatio originalis iustitiae. Vires autem appetitus
:

sensibilis sunt natae recipere ordinem ad finem ab ipsa voluntate, secundum quod sibi
subj'^ctae sunt ; et ideo substractio illius vinculi quo quoddammodo sub potestate volun-
tatis rectae detinebantur, materiale in peccato est. Ex hac autem substractione sequitur
quod unaquaeque vis in suum objectum inordinate tendat, concupiscendo illud ; et ideo
concupiscentia qua habiles sumus ad maie concupiscendum peccatum originale dicitur,
quasi materiale in peccato originali existens. » De Malo, q. 4, a. 2, c. « Inter superiores
:
96 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

Saint Thomas, on le voit, attribue à la concupiscence un carac-


tère privatif ^. En cela, il va à l'encontre de tous ses prédécesseurs.
Pour lui ce n'est pas la conversion même vers le bien périssable,
qu'elle soit actuelle ou habituelle, qui constitue la partie matérielle
du péché originel, c'est la faculté de s'y porter en l'absence d'une
puissance dominatrice. Notre nature est donc présentement privée
de la justice qu'elle devrait posséder ; cette privation, ce défaut
a véritablement raison de faute, de péché.
On doit distinguer toutefois en cette privation trois aspects :

le défaut, le mal et la faute. Le défaut comporte simplement la


négation d'un bien ; le mal vise la privation d'un bien qui devrait
exister ; la faute implique une relation à la volonté, parce qu'il n'y
a culpabilité dans une privation qu'en tant qu'elle est causée par
la volonté. D'autre part, nous sommes ici en présence d'un double
bien, qui a trait l'un à la nature, l'autre à la personne ; la faute est
donc susceptible elle-même d'être considérée comme une faute

vires quae suscipiunt defectum per originem traductum sec. rationem culpae, una est quae
omnes alias movet, scilicet voluntas oiiines autem aliae moventur ab ea ad suos actus.
;

Semper autem quod est ex parte agentis et moventis, est sicut formale, quod autem est ex
parte mobilis et patientis, est sicut materiale. Et ideo cum carentia originalis justitiae se
habeat ex parte volrmtatis, ex parte autem inferiorum virium a voluntate raotorum sit
pronitas ad inordinate appetendum quae concupiscentia dici potest, sequitur quod pecca-
tum originale in hoc homine vel in illo nihil aliud est quam concupiscentia cum carentia
originalis iustitiae, ita tamen quod carentia originalis iustitiae est quasi formale peccato
originali, concupiscentia autem quasi materiale. »

i.II.d.30,q. i,a. 3,ad2:« Quod enimaliquis sit potens concupiscere, est ex potentia concu-
piscibili,sed quod sit habilis ad concupiscendum, est ex aliquo habitu vel ex eo quod per
modum habitus se habet. Contingit enim quod etiam privatio aliqua habilitatem quam-
dam relinquat, in quantum privatur aliquid, quod impedimentum praestare posset et ;

ita dicitur concupiscentia habitualis esse peccatum originale, non quidem ^às concupisci-
bilis, neque iterum aliquis habitus qui aliquid positive dicat sed ipsa habilitas quae relin- ;

quitur in inferioribus viribus ad ino dinate concupiscendum, ex hoc quod ab appetitu


subtrahitur retinaculum rationis, quo detinebatur ne eû'reîiate posset in sua objecta ten-
dere. » Voir encore II. d. 31, q. i, a. i, ad 3 «Tertio modo potest sumi libido quasi
:

habitualiter pro illa inordinatione virium nimia, ex qua est in nobis pronitas ad iuordinate
concupiscendum. » Et a. 2, ad 5 k concupiscentia habitualis quae in deordinatione virium
:

animae consistit. » Encore De Malo, q. 4, a. 2, ad 7 « Concupiscentia contracta per origi-


:

nem nihil aîiud est quam destitutio inferiorum virium a retinaculo iustitiae originalis. »

Et ibid. q. 5, a. 2, c. :In peccato autem originali invenitur quidem concupiscentia per


«

niodum habitualis dispositionis, quae parvulum facit habilem ad concupiscendum. Enfin ..

ibid. De Malo, q. 4, a. 2,Concupiscentia secundum quod pertinet ad originale


ad 4 : «

peccatum non est concupiscentia actualis, sed habitualis... Concupiscentia habitualis potest
dici dupliciter uno modo aliqua dispositio vel habitus inclinans ad concupiscendum
:
:

sicut si in aliquo ex frequenti actuali concupiscentia causaretur concupiscentiae habitus :

et sic concupiscentia non dicitur originale peccatum. Alio modo potest intelligi habitualis
concupiscentia ipsa pronitas vel habilitas ad concupiscendum, quae est ex hoc quod vis
concupiscibilis non perfecte subditur rationi, sublato freno iustitiae originalis et hoc ;

modo peccatum originale materialiter loquendo est habitualis concupiscentia. » S. Thomas


la nomme aussi « Habitualis concupiscentia per remotionem accepta. » (loc. cit.)
: Ibid.
q. 5, a. 2, c. « In peccato originali non est conv-ersio, sed sola aversio, vel aliquid aversioni
:

respondens scilicet destitutio animae a iustitia originali. » Et q. 7, a. 3, ad 17 « Et tamen :

fomes non dicitur concupiscentia habitualis positive, sed privative, sicut supra dictum
est, q. 5, a. i et 2, per remotionem scilicet originalis iustitiae. »
AVANT LA SOMME THÉOLOGIQUE 97

de la nature ou comme une faute de la personne. Pour qu'une


faute soit personnelle, il faut l'intervention de la volonté de la per-
sonne, tandis que la coulpe de la nature n'exige que « l'action d'une

volonté dans cette nature K » Or, la privation de la justice due à la


nature humaine a été causée par l'acte libre du premier homme
en qui la nature humaine se trouvait en son entier cette nature ;

porte donc présentement avec une privation volontaire qui elle

ne lui est pas survenue du dehors, mais qui a été causée par le
premier homme qui ait subsisté en elle. Le péché originel a donc
le caractère d'un vrai péché au sens propre du mot ^

Quant à la propagation de ce péché, il est manifeste qu'il doit

se transmettre avec la nature, parce qu'il lui appartient et n'ap-


partient pas à la seule personne d'Adam : il est, comme nous
l'avons vu, la privation volontaire d'un don fait à la nature. Saint

Thomas s'en explique ainsi : la nature déchue d'Adam étant,


comme toute autre cause, incapable d'agir au delà de ses forces, il en
résulte nécessairement que chaque enfant issu de cette nature,
est privé de la justice primitive, qui lui était due. Ce défaut, ayant

été causé par la libre volonté d'une personne subsistante dans


cette nature, a, par rapport à la nature, caractère de faute chez

1. S. Thomas ne dit pas


Remarquez que « voluntas naturae », mais « voluntas in natura
:

illa Cette expression-ci est plus exacte que l'autre, qu'on trouve chez Albert le Grand
».

et Pierre de Tarentaise.

2. II. d. 30, q. I, a. 2, c. : « quod haec tria, defectus, malum et


Sciendum est igitur
culpa, ex superadditione se habent. Defectus enim simplicem negationem alicuius bom
importât. Sed malum nomen priv'ationis est unde carentia alicuius, etiam. si non sit natum
;

haberi, defectus potest dici sed non potest dici malum, nisi sit defectus eius boni quod
;

natum est haberi unde carentia vitae in lapide potest dici defectus, sed non malum homi-
; ;

ni vero mors est defectus et malum. Culpa autem super hoc addit rationem voluntarii
ex hoc enim aliquis culpatur quod déficit in eo, quod per suam voluntatem habere potuit.
Unde oportet quod secundum hoc quod aliquid rationem culpae habet, secundum hoc
ratio voluntarii in ipso reperiatur. Sicut autem est quoddam bonmn quod respicit naturam
et quodam quod respicit persoiîam, ita etiam est quaedam culpa natmae et quaedam
personae. Unde ad culpam personae requiritur volimtas personae, sicut habet in culpa
actuali, quae per actum personae committitur ad culpam vero naturae non requiritur
;

nisi voluntas in natura illa. Sic ergo dicendum est quod defectus illius originalis iustitiae,
quae homini in sua creatione collata est, ex v'oluntate hominis accidit et sicut illud naturae ;

donum fuit, et fuisset in totam naturam propagatum, homine in iustitia persistente, ita
etiam et privatio illius boni in totani naturam perducitur quasi privatio et vitium naturae ;

ad idem enim genus privatio et habitus referuntur et in quolibet homine rationem culpae ;

habet ex hoc quod per voluntatem principii naturae, id est primi hominis, inductus est
talis defectus. » Et ad i « Non oportet quod sit in potestate huiusraodi personae hune
:

defectum habere vel non habere, sed suf&cit quod sit in potestate alicuius qui est in natura
illa quia ex hoc quod habens aliquam naturam peccavit, natura infecta est, et per conse-
;

quens inficitur in omnibus illis, qui ab illo naturam trahunt. Et ideo potest dici culpa natu-
lae, cum aliquis in natura illasubsistens,per voluntatem defectum isti m in totara naturam
causave it. » Cf. De Malo, q. 4, a. i, ad 5 « Defe tus per o iginem contrati.s habet qui-
:

dem rationen existentis ad alio,<i referatur ad perionam,non au'eni si referatur ad natu-


ram sic enim est quasi a prinripio intrinseco. »
;

Bibliothèque thomiste 7
98 LA DOCTRINE DE S, THOMAS

tous ceux qui possèdent cette commune nature, reçue de la per-


sonne du premier prévaricateur. C'est donc la personne, qui a
tout d'abord corrompu la nature, et c'est la nature à son tour qui
corrompt les personnes tous les descendants du premier homme ;

portent dans leur nature la faute commise par lui. Dans ces condi-
tions, le péché originel n'est pas un péché personnel, mais il se
trouve maintenant dans la personne à raison de la nature que
nous avons reçue. Il ne nous est pas plus propre que ne nous l'est ]?.
nature elle-même ^. C'est pourquoi le péché héréditaire est le
moindre de tous les péchés il n'est volontaire que par la volonté ;

d'Adam, principe de la nature -


La cauce immédiate dé la propagation du péché originel dans
l'enfant, est la concupiscence. Mais ici une trip'e distinction s'im-
pose. Par concupiscence, on peut entendre d'abord l'acte par lequel
la volonté convoite un objet illicite et désord»)nné ; elle désigne
alors un péché actuel. On appelle aussi concupiscence ,1a délecta-

I. II. d. 31, q. I, a. 1, c. Respondeo dicendum, quod in progressu originalis talis


: i<

ordo servatur, quod persona naturam infecit per actum peccati, et naturae infectio in
personam secundario transivit, quae a persona peccante propagatur quod qualiter sit, :

videndum est. Sicut enim prius dictuin est, hoc Deus humanae naturae in sui principio
supra conditionem suorurn principiorum contulerat, ut esset in ratione rectitudo quaedam
originalis iustitiae quam sine aliqua resistentia inferioribus viribus imprimere posset et ;

quia hoc gratis collatum fuerat, ideo iuste per ingratitudinem inoboedientiaesub tractum
est ;unde factum est, ut, primo homine peccante, natura humana quae in ipso erat, sibi
ipsi relinqueretur, ut consisteret secunduin conditionum suorum principiorum et per ;

modum istum ex actu personae peccantis in ipsam naturam defectus transivit. Et quia
natura deliciens ab eo quod gratis impensuin erat, non potest causare hoc, quod supra
naturam collatum erat, cum nihil agat ultra suam speciem, ideo sequitur quod ille qui
generatur ab habente naturam hoc modo deficientcm, naturam in simili defectu suscipiat ;

quia actus personae secundum conditionem suae naturae procedit, et ultra non se exten-
dit. Inde est quod defectus in ipsam personam generatam redundat. Sed ratio culpae inde
venit, quia illud quod collatum fuit gratis Adae, scilicet originalis iustitia, non fuit sibi
collatum personaliter, sed in quantum talem naturam haViebat, ut omnes scilicet in quibus
talis ab eo accepta natura inveniretur, tali dono potirentur et ideo cum propagatione ;

caniis etiam illa originalis iustitia propagata fuisset. In potestate ergo naturae erat ut
talis iustitia semper in ea conservaretur sed per voluntatem personae existeatis in natura
:

factum est, ut hoc perderetur et ideo hic defectus comparatus ad naturam, rationem
;

culpae habet in omnibus in quibus invenitur communis natura accepta a persona peccante ;

et quia per originem carnis defectus iste naturali generatione traducitur sim 1 cum natura,
ideo etiam et culpa originalis per originem carnis traduci dicitur et quia per voluntatem ;

personae ratio culpae ad naturam transit, ideo dicitur persona naturam infecisse. Quia
vero in personis aliis est originale peccatum a prima persona generantis, non est ratio culpae
ex ipsis, cum non propria voluntate peccatum taie incunant, sed in quantum talem naturam
cum ratione culpae recipiunt. Inde est quod secundo natura personam inficere dicitur. »
Cf. II. d. 30, q. I, a. 2, ad i d. 31, q. i, a. 1, ad 1 et 5
; a. 2, c. d. 33, q. i, a. 1, ; ;

ad 3 q. 2, a. i, c. De Mulo, q. 4, a. i, c « huiusmodi defectus non dicitur esse peccatum


;
:

personale sed peccatum totius naturae ncc ad personam pertinet, nisi in quantum natura
;

iniicit personam » et ad 7 « nisi ratione naturae infectae. » Cf. a. 2, ad 4 a. 3, ad 2 a. 4, c.


; : ; ;

2. II. d. 33, q. 2, a. I, ad 2omnia peccata mininmm est originale, eo quod


: " Inter
minimum habet de vohuitario non enim est vohmtariinn voluntate istius personae, sed
;

voluntate principii natiu-ae tantum. » Et7>f Malo, q. 5, a. i, ad 9 « Peccatum enim veniale :

comparatum huic personae vel illi,magis habet de ratione peccati quam peccatum originale;
quia peccatum veniale est peccatum \oluntarium \oluntate luiius personae, non autem
peccatum originale. »
AVANT LA SOMME THÉOLOGIQUE 99

tion sensuelle, celle en particulier qui accompagne l'acte de géné-


ration, dans lequel elle prédomine ; elle est alors l'effet du péché,
car sans le péché originel la délectation de l'acte sexuel eût été
éprouvée, mais n'eût pas prédominé sur la raison et la volonté.

On nomme enfin concupiscence le dérèglement habituel qui règne


dans les puissances appétitives de l'âme et d'où proviennent les
inclinations à la convoitise déréglée. Ce n'est pas la concupiscence,
entendue dans le premier sens du mot, qui peut transmettre le péché
originel, puisque le mariage est objet d'appétition licite et ordonnée.
Ce n'est pas non plus la concupiscence au sens de délectation
sexuelle qui peut propager le péché si l'on imagine en effet des ;

rapports charnels miraculeusement exempts du désordre de la


délectation, le péché originel se serait néanmoins propagé. C'est
donc au troisième sens, entendue comme désordre habituel des
forces appétitives de l'âme,que la concupiscence est la cause immé-
diate du péché originel dans l'enfant c'est elle qui est une dispo- :

sition de la nature. La génération étant, pour ainsi dire, une repro-


duction de la nature, il ne peut résulter d'une nature désordonnée
qu'une autre nature désordonnée et comme ce désordre reste inhé-;

rent à la nature des parents, même après le baptême, le fruit de


leur union ne saurait être une nature plus parfaite que la leur ^'
I. II. d. 31, q. I, a. I, ad 3 « ...libido
: tribus modis dicitur. Uno modo secundum
quod consistit in actu voluntatis illicite et inordinate aliquid desiderantis, et hoc modo
libido est actuale peccatum. Alio modo dicitur libido, quae consistit magis in delectatione,
sensualitatis, et praecipue in actu generativae, ubi supere.xcedit delectatio et sic est quid- ;

dam ex peccato derelictum, non quia sine peccato non esset delectatio, sed quia inordinata
non esset, quod nomen libidinis importât. Tertio modo potest sumi libido quasi habituali-
ter pro illa inordinatione virium nimia, ex qua est in nobis pronitas ad inordinate concupis-
cendum. A prima igitur libidine mens cuiuslibet iusti generantis liberatur, cum contingat
actum matrimonialem sine omni culpa et mortali et veniali exerceri unde constat quod non ;

intelligitur illa libido transmittere originale peccatum in prolem nec iterum illa, quae est ;

inordinata delectatio sensualitatis et si enim per miraculum a tali inordinatione delecta-


:

tionis coitus aliquorum purgaretur, nihilominus eorum nati peccatum originale contrahe-
rent. Unde patet quod libido tertio modo dicto intelligitur esse peccati originalis causa :

omne enim generans générât sibi simile in natura unde cum haec sit conditio naturae
;

humanae mstitia originali destitutae, ut talis inordinatio virium animae in ea existât,


constat quod etiam talis conditio in proie remanebit. Et si fervor coitus inveniatur dici
causa originalis peccati, hoc non propter se dicitur, sed inquantum est signum eius quod
est vera causa; quia ex inordinatione virium inorJinata delectatio in coitu procedit, quasi
signum, et effectus causam suam indicans. » Cf. d. 32, q. i, a. i, c. a. 3, ad i. Et De ;

Malo, q. 4, a. 3, ad n « Concupiscentia quae est in pâtre, ponitur causa originalis pec-


:

cati quod est in filio » a. 6, ad 16


; « Libido nominat inordinatam concupiscentiam actua-
:

lem. Dictum est autem supra quod materiale in peccato originali est concupiscentia habitua-
lis, quae provenit ex hoc, quod ratio non habet virtutem totaliter inferiores vires refrenandi.

Sic ergo libido actualis quae est in coitu est signum concupiscentiae habitualis, quae mate-
rialiter se habet in originali peccato. Causa autem quod aliquis transmittat peccatum
originale in prolem, est id quod remanet in eo de peccato originali etiam post baptismum,
scihcet concupiscentia vel fomes. Sic enim patet quod libido actualis non est causa quod
transmittatur originale peccatum, sed signum causae. Unde si miraculose fieret, ut actualis
libido totaliter removeretur coitu manente, tamen nihilominus proies traheret peccatum
originale. Unde .^ugustinus, cum dixit quod libido transmittit peccatum, ponit signum pro
sigaato. »
100 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

Une fois cette doctrine établie, le problème du rôle joué par


le germe vital dans la propagation du péché originel ne présente
plus de difficulté : le semen générateur, qui est l'instrument de
la propagation, transmet de la même manière et le péché originel
et la nature ; l'un et l'autre ne se trouvent que virtuellement dans
le semen ^. Saint Thomas pense même que, à proprement parler,
l'infection du germe vital n'a pas plus raison de peine que raison
de coulpe ^.

Mais comment l'âme est-elle souillée par le corps dans lequel


elle est créée ? Saint Thomas trouve réponse à cette question
dans ce fait que l'âme est la forme du corps. La génération est
œuvre de la nature dans" la propagation l'âme doit donc être
;

considérée, non comme un être complet dans l'ordre de la sub-


stance, mais comme la partie formelle de la nature elle-même et le but
propre de la génération. L'âme n'est créée que pour le corps et
pour former avec lui une nature humaine totale ^. Or, la forme

1. II. d. 30, q. I. a, 2, ad 4 « Licet semen in se non habeat infectionem culpae in actu,


:

habet tamen in virtute. » Et d. 31, q. i, a. i, ad 2 « Semen non est actu subjectum culpae, :

sed virtute tantum hoc modo enim semen se habet ad peccatum originale sicut ad naturam
;

humanam unde sicut in semine non est natura humana nisi in virtute, ita etiani nec ori-
;

ginalis culpa quia per virtutem quae est in semine, generatio ad naturam humanam ter-
;

minatur infectam originali peccato. » Cf. d. 33, q. i, a. 3 ad 4, et C. Gent., 1. 4, c. 52. Et


encore De Malo q. 4, a. i « iste defectus eo modo traducitur in posteros quo modo tradu-
;
:

citur humana natura. » Ibid. ad 12 « In semine est corruptio originalis peccati non actu
:

sed in virtute, eo modo quo est ibi virtute humana natura. » Ad 15 « Duplex est causa. :

Una quae agit per propriam formam, et haec est nobilior quam effectus inquantum est
causa. Alia est causa instrumentalis, quae non agit per formam propriam, sed inquantum
est mota ab alio, et hanc non oportet nobiliorem esse effectu, sicut terra non est nobihor
quam domus. Hoc autem modo semen camale est causa naturae humanae in proie, et etiam
culpae originalis in anima eius. » Ibid. a. 2, c. " Vis generativa per decisionem corporalis :

seminis operatur ad traductionem peccati originalis simul cum natura humana. » Et a. 3,


c. « Semen autem camale sicut est instrumentalis causa Jraductionis humanae naturae
:

in prolem, ita est instrumentalis causa traductionis peccati originalis et ita peccatum ;

originale est in came, id est in camali semine, virtute sicut in causa instrumentali. » Cf.
ibid. ad 5 a. 6, corp., ad 11, ad 13.
;

2. ad 4 « .illa infectio q\iac est in semine sicut non liabet rationem


II. d. 31, q. I, a. I, : .

culpae, proprie loquendo, ante infusionem aniniae, ita nec poenae, oportet enim idem
esse subjectum culpae et poenae. »

3. ad I « Anima rationalis potest comparari ad corpus ut motor,


II. d. 31, q. 2, a. I, :

secundum quod est principium aliquorum operuni, et ut forma... Si vero consideretur


inquantum est forma, sic immédiate corpori unitur quia esse quod est actus formae con- ;

juncti, est ex anima et corpore originale autem non transit in animam secundum quod
;

conjungitm- corpori ut motor, sed secundum quod conjungitur sibi ut forma quia sic huma- :

nam naturam constituit. » Ibid. d. 32, q. 2, a. i, ad 2 « Non est simile de anima et de :

angelo angélus enim creatus est non ut forma alterius corporis unde non poterat ex parte
: :

materiae defectus incidere, sed oportet quod si in principio creatiouis peccati maculuni
habuisset, hoc ex parte creantis esset anima vero creatur ut actus cuiusdam corporis, ex
;

cuius conjunctione potest aliquam maculam contrahere nec sequitur quod maculae illius :

Deus principium sit. » Cf. De Potentia, q. 3, a. 9, ad 3 « Sic ergo originale peccatum est :

in anima inqviantum pertinet ad humanam naturam. Humana autem natura traducitur


a parente in filium, per traductionem carnis, cui postmodum anima infunditur et ex hoc :

infectionem incurrit, quod fit cum carne traducta una natura. Si enim non uuiretur ei ad
AVANT LA SOMME THÉOLOGIQUE 101

en tant que perfection du corps doit être proportionnée au sujet


qu'elle va perfectionner. Toute forme en effet, est reçue dans la
matière selon la disposition de la matière même, puisque tout ce
qui est reçu se conforme à ce qui reçoit. Or, le corps humain issu
du premier homme après la chute, ne possède plus la disposition
nécessaire à la justice originelle : il a perdu l'impassibilité et la
subordination à l'âme ; il est corruptible et mortel, en vertu du
germe vital qui provient d'une nature corruptible et mortelle
C'est pourquoi l'âme, à raison d'une certaine coaptation, per quam-
dam collimitationem, ne reçoit de perfection que celle qui est pro-
portionnée à son récepteur. Elle est ainsi créée sans la grâce de
la rectitude primitive qui était une condition naturelle de son
espèce. Cette privation a raison de faute par cela qu'elle est l'effet
naturel de la corruption dans la semence humaine, corruption qui
procède de la libre volonté du premier générateur ^. Cette création
de l'âme dans un corps vicié ne constitue pas une injustice de la
part de Dieu ; le bien général de l'univers l'emporte en effet sur
le bien d'une créature particulière ; or la suppression de la multi-
plication naturelle du genre humain tournerait au détriment de
tout l'univers. Dans
ce cas, ou une nature qui contribue à la perfec-
tion de l'univers devrait en être enlevée, ou une perfection naturelle
devrait être retirée à tout un groupe d'êtres de l'univers, puisque
c'est une loi de nature que chaque être engendre son semblable ^.

constituendam naturam, sicut angélus uiiitur corpoii assumpto, infectionem non reciperet. »
Cf. ad 4. Et aussi De Malo, q. 4, a. i, ad 2 « Istud peccatum (originale) consequitur
:

totam naturam humanam unde subjectum huius peccati est anima secundum quod est
;

pars humanae naturae » q. 3, ad 2. « cum peccatum originale sit peccatum naturae, non
;

pertinet ad animam nisi inquantum est pars humanae naturae. » Cf. a. 4, c. et ad 10.

1. II. d. 30, q. I, a. 2, ad 3 « Ex que anima patris per peccatum infecta fuit, sequitur
:

etiam inordinatio in corpore, subtracto illo ordine quem natura instituta prius acceperat :

et ita etiam ex semine illo generatur corpus tali ordine destitutum unde et anima quae ;

tali corpori infunditur, deordinationem culpae contrahit ex hoc ipso quod huiusmodi cor-
poris forma efficitur, cum oporteat perfectionem perfectibili proportionatam esse. » Et
ibid. ad 4 « Ex hoc ipso quod in semine est talis dispositio, quae privatur illa impassibi-
:

litate et ordinabilitate ad animam^quam in primo statu corpus humanum habebat, sequitur


quod in proie, quae est susceptiva originalis peccati, ef&ciatur originale peccatum in actu. »
Ad 5 :AniiUfi non iuhcitur per infectionem corporis, quasi corpore agente in animam, sed
>

per quamdam collimitationem unius ad alterum quia forma recipitur in materia secundum :

conditionem ipsius materiae... etc. » Cf. II. d. 31, q. 2, a. i, c. et ad 2 d. 32, q. 2, a. i, ;

ad 2. De Patent, oc. cit. De Malo, q. 4, a. 3, ad i « Anima rationalis non habet immun- :

ditiam peccati originalis nec a se, nec a Deo, sed ex unione ad carnem Sic enim fit pars :

humanae naturae derivatae ab Adam. » Et ad 3 « dicendum quod Augustinus induit :

illud exemplum ad ostende idum quod Verbum Dei non maculetur ex unione seu adiunc-
tione ad carnem. Nam Verbum Dei non unitur carni ut formae, et ita se habet sicut lux non
immixta corpori, sicut radii non permiscentur faecibus. Sed anima unitur corpori ut forma
et ideo comparatur luci incorporatae, quae inquinatur ex admixtione sicut patet de radio ;

transeunte per aerem nubilosum qui obscuratur. » Cf. q. 5, a. i,ad 2 a. 2, ad 14. ;

2. II. d. 32, q. 2, a. 2, ad I : < Anima habet talem naturam ut tali corpori uniatur ; unde
si tali corpori non uniretur, oporteret quod vel omnino anima non crearetur, vel quod alte-
102 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

Il ne faut donc pas supprimer le processus naturel de la génération

humaine dans le but d'éviter l'infection du péché originel. D'autre


part le bien naturel précède le bien qu'on lui surajoute ; or, selon
l'ordre des choses, ce qui préexiste demeure même après la sup-
pression de ce qui est don surajouté. Aussi ne serait-il pas juste que
la soustraction du don de la justice originelle entraînât la sup-
pression de la génération naturelle, d'autant qu'il reste encore à
la nature la possibilité de récupérer ce qui a été perdu ^. La pri-

vation de la justice originelle n'enlève donc qu'un bien gratuit,


qui n'est à aucun titre dû à notre nature -, maintenant surtout que
le corps oppose un obstacle à ce don d'intégrité ^. Saint Thomas
reprend aussi l'argument jadis présenté par Guillaume d'Auxerre,
qu'il vaut mieux être comme on est que de ne pas être du tout *.

Restent maintenant quelques questions secondaires.


Et d'abord, l'ignorance appartient-elle au péché originel au même
titre que la concupiscence ? Dans les Sentences, saint Thomas

répond que l'ignorance n'a que raison de peine, puisqu'elle n'im-


plique de soi aucune relation à la volonté si donc on la nomme ;

péché, il faut l'entendre de l'ignorance qui exclut la science impli-


quée dans la justice originelle : personne n'est juste ni tempérant
riusnaturae esset et si alterius naturae esset, haec natura non esset. Unde constat quod
;

hanc naturam conservari impossibile est nisi per hune modinn (infundendo in corpore
corrupto). »

1. II. d. 32, q. 2, a. 2, c. : « Sicut bonuni gentis divinius est quani bonum unius honii-
iiis, ut in I Ethicorurn, c. 24, dicitur, ita etiani bonuni universi praepollet bono particularis
rei et specialis naturae ; unde etiam defectus in universum redundans deterior est. Si autem
humani generis naturalis multiplicatio tolleretur, in defecfuin totius universi redundaret ;

quia vel subtraheretur natura aliqua de universo quae ad perfectionem universi confert,
vel etiam alicui parti universi sua naturalis peifectio tolleretur, secundum quod unum-
quodque natum est sibi simile generare, et utrunique in defectuin universitatis redunda-
ret et ideo non débet interniitti hunianac generationis progressus naturalis, ut infectio
;

originalis vitaretur. Et praeterea, iste est ordo naturalis in rébus ut posteriori remoto, id
quod prius est, remaneat, nec ad ejus remotioneni tollatur, sicut quando removes \'itiuni,
remanet esse, ut in libro de Causis, prop. I. dicitur... etc. »

2. ad 2 « Quaedara vero poena est originali débita, quae niliil sub-


II. d. 32, q. 2, a. 2, :

trahit eorum quae naturae ex principiis suis debentur, sed aliquid humanam facultatem
excedens tollit, in quod tamen ordinata erat per aliquid natvuae gratis collatum imde ;

nulla injuria isti homini fit, si non sibi datur quod suae naturae non debctur secundum
quod eam accepit. »
3. De Malo, q. 4, a. i, ad 11 «originalis iustitia fuit superaddita primo homini ex
:

liberalitate divina ; sed quod huic animae non detur a Deo, non est ex parte ejus, sed ex
parte humanae naturae, in qua invenitur contrarimn prohibens. »

4. II. d. 32, q. 2, a. 2, ad 4 : « ad hoc Deus creaturam facit ut unaquaeque de sua


bonitate participet quantum possibile est ; nieliusque est ut secundum aliquem modum
participet quam nulle modo. Dico ergo quod quamvis illi qui in peccato originali nascmitur,
sint obnoxii ut priventur illa participatione divi ae bonitatis quae beatos etficit in patria,
tamen participant et facultatem participandi habent secundijm modum qui possibilis
naturae est secmidum suorum principiorum conditionem. »
AVANT LA SOMME THKOLOGIQUE 103

sans être prudent le De Malo, saint Thomas ne fait plus


*. Dans
cette distinction, simplement que l'ignorance, par laquelle
il dit

nous sommes privés de la science naturelle que nous aurions eu ^

dans l'état d'innocence, est comprise, elle aussi, matériellement


dans le péché originel. La raison, comme les autres facultés de
l'âme, est en effet mise en acte par la volonté ^.

Contrairement à saint Bonaventure, le Docteur Angélique sou-


tient que le péché originel réside dans l'essence de l'âme. L'âme
contracte le péché originel par l'acte même de son union avec le

corps, comme en étant la forme ; or, l'union de l'âme avec le corps


se réalise sansaucun intermédiaire, par l'essence même de l'âme ;

ils'ensuit donc que le péché originel inhère en premier lieu à l'es-


sence de l'âme. De là il s'étend aux puissances ^. Dans la réponse
à la troisième objection, saint Thomas présente un autre argu-
ment. Le péché originel, dit-il, est présent dans des puissanccF
différentes, la \-olonté et les puissances appétitives sensitives ;

or ce serait impossible s'il ne siégeait pas en premiei lieu dans


l'essence de l'âme, le principe commun de ces deux catégories
de puissances. C'est de là qu transmet aux différentes facul- il se
tés •*.
Nous retrouvons cet argument dans le De Malo mais il ;

est alors rejeté comme insuffisant, pour ce motif qu il y a d'autres


principes d'unité entre les pui.ssances ^.

I. II. d. 30, q. I, a. 3, Ignoiautia non per se respicit vuluntateiu


ad 5 : « uiide etiaui ;

defectus ille sicut et alii non culpae et si invenitur ignoran-


retinent rationem poenae, sed ;

tiani originale peccatum dici, intelligendum est de ignorantia privante illam scientiam
quae includitur in originali iustitia nuUus enim est justus v^el temperans, qui non sit pru-
;

dens. »

a. De Malo, q. 4, a. 2, autem quod quaerebatur de igno-


ad qu. de ignor. : " Ad illud
rantia dicendum est quod movetur et sic
inttr alias vires etiatn intèllectus a voluntate ;

defectus intèllectus etiani continetur niaterialiter sub peccato originali. Qui quidem defectus
est careutia illius scientiae naturalis, quam homo in primo statu habuisset. Et per hmic
nioduni ignorantia niaterialiter continetur sub peccato originali. » Cf. ibid. ad 2. Et aussi
q. 3, a 7, c.
II. d. 31, q. 2, a. I, c.
3. Respoiideo dicendum quod peccatum originale est in essen-
: <

tia animae sicut in subjecto quod sic patet. Philosophus in VIII. Metaph. i. 15, ostendit
:

quod unio fonnae et materiae non est per aliquod vinculum médium imo per se unum ;

alteri unitur .-jlias non esset unio esseutialis, sed accidentalis. .\nima autem forma corporis
;

est. Unde oportet ut ipsa anima uniatur per essentiam suam immédiate corpori, sicut
etiani ex cero et sigillo, ut in II de Anima, t. 7, dicitur. Et quia originale causatur in anima
ex conjunctione ejus ad taie corpus, prout forma est, sic enim ex utrisque conjunctis talis
natura résultat, oportet quod in essentia animae sit primo et principaliter sicut in subjecto
o igi lale ; i 1 pote itii- autem pe- con-,equen ; » Cf, De Malo q. 4, a. 4, c.
4. II. d. 31, q. 2, a. I, ad 3 : « ...in viribus superioribus et inferioribus siniul originale
salvatui et hoc non posset esse, nisi per hoc quod defectus
: et infectio primo in essentia
animae invenitur, quae utrarumque potentiarum principium est, ut sic ex ea in omnes
potentias corruptio originalis transeat. >

3. De Malo, q. 4, a. 4, c. « Et primo quidem aspectu potest alicui videri quod sit


:
'

(peccatum originale) per prius in essentia, ea ratione quia peccatum originale est unum,
potentiae autem animae uniuntur in essentia ejus tamquam in communi radice. Sed ista
.

104 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

Le péché originel, en tant que privation de la justice originelle,


qui seule rectifiait toutes le? forces de l'âme, est un dans chaque
individu. Par cette unique privation, toutes les puissances sont
déréglées ; on ne doit donc pas multiplier les péchés originels d'après
le nombre des diverses puissances et leurs inclinations mauvaises ^

Une question plus subtile concerne la peine du péché originel


qu'on décrivait alors par la formule célèbre : spoliaius in gratuitis,
viilneratus in naiuralibus ^ . Il n'y a pas de difficulté sur les pre-

rationon cogit quia potentiae animae etiam uniuntur


: alio modo, scilicet unitate ordinis,
et etiam unitate alicuius primae potentiae mov^entis et dirigentis. Sed oportet aliimde
huius veritatis inquisitionem accipere. »
Contingit esse corruptionem in partibus animae dupliciter.
1. II. d. 33, q. I, a. 3, c. : «

Aut ex eo quod uniuscuiusque partis animae fit corruptio quantum ad id quod proprium
est sibi sicut est in peccato actuali, quia per proprium actum potentiae inducitur prava
dispositio et habitus in ipsa et secundum hoc oportet quod plurium potentiarum sint
:

plures corruptiones ; non enim eodem habitu peccati cori'umpuntur concupiscibilis et iras-
de aliis secî sicut diversis habitibus virtutum perficiuntur, ita etiam diversis
cibilis, et sic :

habitibus vitiorum corrumpuntur. Aut ex eo quod tollitur illud quod omnes partes animae
in recto ordine conservabat, et talis corruptio est per originale peccatum, quod est privatio
originalis iustitiae; et ideo peccatum originale, quo omnes partes animae corrumpmitur,
est unum tantum in homine uno, in pluribus autem numéro différant. > Cf. ibid. ad 2 ;

et De Malo, q. 4, a. 8, ad i.
2. S. Thomas cite ce texte sed contra II. d. 30, q. 1, a. i, ad 3
II., d. 29, q. i, a. 2, ; ;

et de Malo, renvoie dans ce dernier endroit à la Glose ordinaire, Luc, 10.


q. 5, a. 5, arg. 11. Il
Dans la Somme Théologique (i. 2, q. 85, a. i, sed contra), il cite aussi la Glose, mais
ajoute que l'explication donnée du texte de S. Luc, vient de Bède. On trouve ce texte chez
Guillaume d'Auxerre (Summa Aurea, p. II, tr. 10, cap. 2, alla questio incidens, toi. 60,
Alexandre de Halès (Suii .Sent., p. II, q. 97, m. i, arg. i), Albert le Gran^ (II. d. 24,
a. 2, object. i ; S. Theol., p. II, tr. 14, q. 90. m. 4, obj., i,) et S. Bonaventure (II. d.
29, a. 2, q. I, arg. i). Tous renvoient à la Glose ordinaire, Luc 10. Cependant ce texte ne
se trouve pas littéralement dans la Glose. L'édition de Migne de la Glose (t. 114, col. 286)
renvoie à S. Augustin S. Thomas à Bède, ce que font aussi les éditeurs de S. Bonaventure
;

(Ed. Quar., t. II, p. 506). Voici le texte de la Glose (Ed. Quar., t. lî, p. 506) « qui (latrones, :

i. e. angeli mali) etiam induraenta gratiae spiritualis, immortalitatis scilicet et innocen-

tiae, offerunt (auferunt ?) et sic vulnera inferunt, i. e. peccata quibus humanae naturae
integritas violatur, et mors quasi fossis visceribus inducitur... semivivo relicto, quia immor-
talitatem exuere, sed rationis sensum abolere n n possunt... ». Voici' quel est le texte de
S. Augustin « Latrones, diabolus et angeli eius qui eum spoliavcrunt
:
immortalitate, et ,

plagis mpiositis, peccata suadendo, relinquerunt semivivum, quia ex parte qua potest intel-
ligere et cognoscere Deum,vivus est homo; ex parte qua peccatis contabescet .et premitur,.
mortuus ideo semivivus dicitur. » (Quaest. EvangeL, 1. 2, q. 19). Chez Bède (S. Luc,
est, et
1. 3, c. 5, t. 92, col. 468) on trouve
P. L. Latrones diabolum et angelos eius intellige...
: .<

Gloria videlicet immortalitatis et innocentiae veste privaruiit... Plagae peccata sunt,


quibus naturae humanae integritatem violando seminariuni quoddain (ut ita dicam) augen-
f ssis indidere visceribus. Abierunt autem, non ab insidiis aliquateiuis cessando,
dae mortis,
. sed earundem insidiarum fraudes occultando. Semivivium reliquerunt, quia beatitudi-
nem vitac immortalitatis exuere, sed non sensum ratiohis, abolere valueru'nt. » Hugues
de s. Victor s'approche encore plus du texte célèbre < Homo iste genus désignât huma- :

num. Quod parentibus sirpernam civitatem deseiens, in huius saeculi et exilii


in priinis
miseriam per culpam corruens, per antiqui hostis fraudulentiam veste immortalitatis et
innocentiae est spoliatum et originalis culpae vitiis graviter vulneratum... Homo autem
spoliatus est, \ulneratus est, semivivus est relictus, quia in humana natura, et si possit
divina similitude quae est in dilectione, penitus corrumpi, divina tamen imago, quae est
in ratione non potest penitus deleri. « (.Allegoriac in Xov. Test., 1. 4, c- 12, P. L., t. 175,
col. 814). Le texte se trouve cependant littéralement dans 1 écrit : Instructio sacerdotis,
AVANT LA SOMME THÉOLOGIQUE 105

miers mots de la formule ; car il est évident que l'homme par le

premier péché perdit tous les dons gratuits. La difficulté porte


sur la seconde partie •
vulneratiis in naiuralibiis. Dans quel sens
faut-il entendre cette expression ? L'homme, s'il avait été créé
dans l'état de nature pure, aurait.-il été plus parfait dans sa nature
même que l'homme après la chute ?

Dans les Sentences, saint Thomas propose cette distinction.


Comme les biens naturels, considérés en soi, sont dûs à la nature
en vertu de ses principes constitutifs, ils ne sont diminués par le

péché, ni dans l'homme, ni dans l'ange. Mais, si on les considère


en tant qu'ils sont subordonnés à la fin dernière, ils se trouvent
être amoindris l'homme et l'ange sont maintenant moins capa-
:

bles d'atteindre leur fin ^. Bien que les dons surajoutés n'appar-
tiennent pas à la nature, ils l'ont perfectionnée et lui ont donné
la puissance d'atteindre la fin surnaturelle. Sous ce rapport donc,
la nature a perdu beaucoup en perdant ce qui n'était même que
surajouté. En outre, le péché oppose à la grâce un obstacle qui ne
se serait pas trouvé dans la nature pure ;
là encore une impuis-
sance marquée vis-à-vis de la fin à atteindre provient de la sup-
pression des dons surajoutés à la nature et de l'obstacle apporté
à la grâce par le péché 2. C'est en ce sens que notre nature a été
blessée par le péché originel. Faudrait-il donc conclure que la con-
cupiscence aurait été dans la nature pure ce qu'elle est maintenant
dans la Thomas semble répondre affirma-
nature déchue ? Saint
tivement Poterat Deus a principio quando hominem condidit,
: «

etiam alium hominem ex limo terrae formare, quem in conditione


naturac suae relinqueret, ut scilicet mortalis et passibilis esset et
(parmi les œuvres de S. Bernard, 1'. L. t. 184, col. 775)
p. I, c. I, n. 2 Qui descendit : i<

de Jérusalem in Jéricho et incidit in manus !atronum, in arbitrium malignorum spirituum,


qui vulneratum eum in naturalibus spoliaverunt in gratuitis... »
1. ad 3 « Bona naturalia dicuntur dupliciter. Vel prout sunt in
II. d. 30, a. I, a. I, :

se considerata secundum quo'd naturae debentur ex propriis principiis, et sic nec homo
nec angélus per peccatum aliquid naturalium amisit, vel in aliquo diminutus est... Vel
secundum quod ordinantur in tineni ultimum, et hoc modo in utroque bona naturalia
diminuta sunt quidem, non penitus amissa, inquantum uterque factus est minus habilis
et magis distans a finis consecutione : et propter hoc etiam homo gratuitis spoliatus dicitur
et in naturalibus vulneratus. » Cf. aussi ad 5. Et De Malo, q. 5, a. i, ad 4 : « Per bonum
subtractum magis ab eo (Deo) elongatur. »

De Malo, q. 2, a. 11, c. « Onme autem obstaculum a icuius perfectionis aut formae,


2. :

simul cum hoc quod excludit forniam vel perfectionem quamcumque facit susceptivum
minus aptum vel habile ad formae receptionem... Sic ergo peccatum quod est obstaculum
gratiae, non solum excludit gratiam, sed etiam facit animam minus aptam vel habilem ad
gratiae susceptionem diminuit aptitudinem vel habilitatem a bono ad gratiam.
; et sic
Unde cum huiusmodi sit quoddam bonum naturae, peccatum diminuit bonum
habilitas
naturae et quia gratia naturam perficit et quantum ad intellectum et quantum ad volun-
;

tatem et quantum ad inferiores animae partes oboedibiles rationi, irascibilem dico et con-
cupiscibliem peccatum excludendo gratiam et huiusmodi auxilia naturae, dicitur vulnerare
;

naturam. » Cf. q. 4, a. i, ad 14 ; q. 5, a. i, ad 10, ad 13.


lot) LA DOCTRINE DE S. THOMAS

pugriam concupiscentiae ad rationem sentiens : in quo nihil liu-

manae naturae derogaretur, quia hoc ex principiis naturae conse-


quitiir ^. » A cause du péché, l'homme reste en possession des seuls
biens qui relèvent de la constitution de sa nature ^ ; les imperfec-
tions de la nature déchue ne sont que la conséquence des propres
principes de la nature ^ : ces défauts se manifestent dès qu'est
rompu le lien par lequel la justice surajoutée maintenait l'ordre
entre les puissances *. En somme, le péché n'est autre que la pri-

vation d'un don surnaturel^. L'inclination au mal n'est pas elle-

même la conséquence d'une disposition positive ; effet du péché,


elle n'a qu'une cause négative, la privation de la justice®. Selon

1. ad 3. Et ('. Gcnt. '. 4, c. 52 " Necesse est eiiiiii corpus huniauum,


II. d. 31, q. I, a. 2, :

cuia ex contrariis composituni, corruptibile esse, et sensibilein appetitum in ea quae


sit

sunt secundum sensuni delectiabilia inoveri, quae interdum sunt contraria rationi et intel- ;

lectuni possibilem, rum sit in potentia ad omnia intelligibilia, nullum eorum habens in
actu, sed ex sensibus natum ea acquirere, ditficulter ad scientiam veritatis pertingere et
de facili propter phantasmata a vero dexiare. » Cf. II. d. 32, q. i, a. 2, c. « Nécessitas :

inoriendi, passibilitas, rebellio camis ad spiritum, et huiusmodi quae omnia ex principiis


naturae causantur, et speciem totain consequuntur nisi miraculose aliter contingat. »
2. II. d. 30, q. I, a. I, a. i, c. :
i- l-'acta deordinatione a fine per peccatuni, haec onuiia
dona superaddita; in natura humana esse desiere, et relictus
(scilicet est home in illis
tantum bonis quae euni ex naturalibus principiis consequuntur. »
3. II. d. 31, q. I, a. 2, c. : " Ad
duo concurrunt, scilicet defectusesse enim originalis
quidam principia natmae humanae consequens
iterum quod fuerit in potestate naturae ; et
ut isto defectu careret vel non, sine quo ratio culpae in hoc defectu non esset. »

4.II. d. 32, q. 2, a. I, c. Si ergo consideretur fomes secundum quod est poena, non
: <

dicit aliquam poenam inflictani, quia supeniaturalia principia non suppwnunt aliquid posi-
tive in homine, sed pertinet ad illud genus poenarum, quod in solo defectu consistit ex ;

hoc enim concupiscentia vel fomes inordinate inclinât, quia subtractum est vinculum
originalis iustitiae, inferiores vires in oboedientia rationis connectens et secundum hoc ;

dicitur huiusmodi poenae Deus causa esse, inquantum illam originalem iustitiam non confert
liomini nato quam primo homini creato contulerat. »

5. II. d. 32, q. 2, a. 2, ad 2 : « Quaedam vero poena est originali débita, quae uihil
subtrahiteorum quae naturae ex principiis suis debentur, «ed aliquid humanam taculta-
tem excedens tollit, in quo tamen ordinata erat, per aliquid naturae gratis collatum ;

unde nuUa iniuria isti liomini fit, si non sibi datur quod suae naturae non debetur secun-
dum quod eam accepit. » Et ibid. d. 33, q. i, a. 1, ad 4. Cf. Ih- Malo, q. 4. a. 2, ad 7 :

• ConcupisceJTtia contracta per originem nihil est aliud quam destitutio iiiferiorum virium
a retinaculo iustitiae originalis. » Et a 6, ?d 16 « Materiale in originali peccato est concu- :

piscentia habitualis, quae provenit ex hoc quod ratio non liabct \irtutem totaliter infe-
riores vires Or, le pouvoir de gouverner despotiquement les forces infé-
refrenandi... «

rieures consistait dans la justice originelle q. 4, a. 8, c. » 1-uit auteni in principio condi- : :

tionis humanae quoddam donum gratuitum primo homini di\initus datum...,quod donuni
fuit originalis iustitia.Huius etiam doni virtus non soluni residebat in superiori parte ani-
niae, quae est intellectiva, sed ditiundebatur ad inferiores animae partes, quae contine-
bantur \irtute doni praedicti totaliter siib ratione. » Et encore Ih- Malo, q. 5, a. 2, c. :

• Quod ergo detrimentmn aliquod patiatur aliqua pei^sona lu his quae sunt supra naturam
potest contingere vel ex viti naturae, vel ex vitio personae quod autcm detrinientuin
> ;

patiatur in liis quae sunt naturae, hoc non videtur contingere nisi propter vitium proprium
personae. » Cf. ibid. (]. 5, a. i. c.

f). II. d. 33, q. I, a. 3, Sicut movens est duplex, unum per se et aliud per acci-
ad 2 : «

dens, quod est removens prohibens, ita etiam inclinans ad peccatum invenitiir in anima
duplex unum per se, scilicet habitus et dispositio ex peccato relicta, quia secundum
:

similitudinem dispositionis est actus ad quein dispositio inclinât aliud per accidens, quasi ;

removens prohibens, et sic peccatum originale ad omnia actualia inclinât, inquantuni


AVANT LA SOMME THÉOLOGIQUE 107

saint Thomas, la nature déchue ne diffère donc de la nature pure


que par la privation d'une perfection additionnelle, et par la souil-
lure de la culpabilité.
Quelques théologiens, comme Estius, Contenson, O. P., Serry,

O. P., Gazzaniga, O. P., ^ ont prétendu que, pour saint Thomas,


la concupiscence aurait été inconnue à l'homme créé dans des
conditions purement naturelles. Ils citent à l'appui de leur affir-

mation tous les textes dans lesquels saint Thomas affirme que la
concupiscence est connaturelle à la partie sensitive, mais non
à l'homme pris en son entier : la rébelhon de l'appétit des puissances
sensitives contre la raison et la volonté est contraire à la nature
humaine 2. Ces théologiens oublient alors que saint Thomas envi-
sage constamment la subordination de la concupiscence comme
un don surnaturel. D'ailleurs, si leur conclusion était légitime, on
devrait pareillement attribuer à la nature pure le don de l'incor-
ruptibilité un corps incorruptible conviendrait également mieux
;

à l'âme humaine, qu'un corps sujet à la corruption. Toute forme,


en effet est, par nature, principe d'être et s'oppose comme telle

à la corruption ; si elle se corrompt, c'est à la matière qu'elle le

doit ; car elle en dépend dans son existence. En toute chose donc
la corruption est contre les exigences de la partie la plus noble
de sa constitution, la forme. Cela est encore plus vrai pour l'àme

removet originalem justitiani, per quam vires a lapsu in peccatum continebaiitur. Et ideo
non oportet quod secundum diversitatem peccatorum actualium diversificetur originale ;

contingit enim quod idem removens prohibens est causa per accidens contrariorum motuum. »
Ibid. q. 2, a. I, c. « Defectus autem qui per originem traducitur, rationem culpae habens,
:

non est per subtractionem vel per corruptionem alicuius boni quod naturam hunianam
consequitur exprincipiis suis,sed per subtractionem vel corruptionem alicuius quod naturae
superadditum erat... In aliis auteui perfectionibus et bouitatibus quae naturam humanam
consequuntur ex suis principiis, nullum detrimentum sustinebunt pro peccato originali
damnati. »

I. Estius : In II Sent., d. 24, § 18 d. 30, §§ 9-12. (Paris 1696). — Contensok,


— Serrv, O.
;

O. P. : Theologia mentis et cordis, lib. 10, diss. 3, p. 296 (Turin, 1769). P. :

Tract, de variis humanae naturae statibits, disp. I, Prael. 4 (Lyon, 1770). — Gazzaniga,
O. P. : Praelectiones Theologicae, tom. 4, diss. 3, sect. 3, cap. 6 et 8 (Bologne, 1789).
2. II. d. 30, q. I, a. I, ad 4 :
Il ...quandocumque multa conveniunt ad constitutionem
eorum potest aliquid secundum se convenire naturaliter secundum naturam
alicuius, alicui
propriam, et aliquid convenit sibi secundum naturam totius... Secundum hoc ergo dico,
quod vis concupiscibilis naturale habet hoc ut in delectabile secundum sensura tendat ;

sed secundum quod est vis concupiscibilis humana habet ulterius ut tendat in suum objec-
tum secundum regimen rationis et ideo quia in suum objectum tendat irrefrenate, hoc
;

non est naturale sibi inquantum est humana, sed magis contra naturam ejus inquantum
huiusmodi. »
Cf. C. Gent., 1. 4, c. 52 ; De Malo, q. 4, a. 2, ad i. Et enfin II, d. 32, q. 2, a. i, ad 4 :

« quamvis ferri de natura ipsius concupiscibilis absolute considera-


in delectabile carnis sit
tae, non tamen est de natura eius secundum quod est humana, id est per rationis judicium
nata ordinari, et praecipue secundum hoc quod in natura humana potuit esse talis perfectia
in ratione qua concupiscibilem penitus ordinaret et ideo quando praeter ordine a rationis ;

in suum objectum fertur, ex defectu quodam contingit. »


.

108 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

humaine, qui indépendante de la matière dans sa subsatnce, est


entièrement incorruptible ^. Pourquoi alors ne pas attribuer à la
nature pure l'incorruptibilité ? Or, de même que la corruption
résulte de l'essence même de la matière, ainsi la concupiscence
provient de la nature de la partie appétitive sensitive. On ne peut
donc induire de ces textes que la concupiscence n'aurait pas existé
dans la nature pure, par cela seul qu'elle est en opposition à la
perfection de la partie supérieure dans l'homme. C'est pourquoi
saint Thomas lui-même ne conclut qu'à la convenance et à la pro-
babilité d'un don surajouté, la justice originelle -. De plus, par
quelle force l'âme aurait-elle dominé l'appétit sensitif qui de sa
nature tend vers son propre objet ? Serait-ce en vertu de la subor-
dination naturelle de la volonté à Dieu? Mais alors pourquoi cette

subordination maintenant ? Serait-ce par


n'existe-t-eile plus
une autre force naturelle ? Mais alors pourquoi ne la possédons-
nous plus maintenant ? Le péché originel nous aurait-il donc
enlevé un bien dû à la nature en raison de ces principes essen-

1. De Malo, q. 3, a. 5, c. : < Cum anima humana sit intellectiva in potentia, unitur


corpori ut per sensus accipiat species intelligibiles, quibus fit intelligens actu... Unde corpus
congruens tali animae fuit corpus ex contrariis composituni. Quod autem sequitur ex neces-
sitate materiae quod sit coixuptibile, secundum hanc conditionem non habet ap itudinem
ad fonnani, sed niagis repugnantiam ad forniam. Et quidem omms corruptio cuiuscumque
rei naturalis non est secundum convenientiam ad formam nam cum forma sit principium
;

essendi, corruptio quae est via ad non esse, opponitur ei... Sed speciali modo corruptio ex
necessitate materiae est praeter convenientiam huius fonnae quae est anima intellectiva.
Nam aliae formae sunt corruptibiles saltem per accidens sed anime intellectiva non est ;

corruptibilis nec per se nec per accidens... Sic ergo mors et corruptio naturalis est homini
secundum necessitatem materiae sed secundum rationem fonnae esset ei conveniens
;

immaterialitas, ad quam tamen praestandam naturae principia non sufficiunt, sed aptitudo
quaedain naturalis ad eam couvenit homini secundum animam...' Et inquantum immorta-
litas est nobis naturalis, mors et corruptio est nobis contra naluram. »

2. De Malo, q. 5, a. i, c. « Sed
: praeter hoc auxiliuifi (gratiam gratum facieiitem
necessarium fuit homini aliud supernaturale auxilium ratione suae compositionis. Est enim
homo compositus ex anima et corpore, et ex natura intellectuali et sensibili, quae quodam-
modo si suae naturae relinquatur, intellectum aggravant et impediunt, ne lihçre ad sum-
mum fastigium rontemplationis pervenire potest. » Cf. II. d. 30, q. i, a. i, c. Dans cet
article, S. Thomas donne le même argument supposé le but surnaturel de l'homme, la jus-
:

tice originelle était nécessaire afin que la partie inférieure et le corps n'empêchent pas la
raison de se tourner librement vers Dieu. C. Gcnl., 1. 4, c. 52 : « Posset tamen aliquis dicert
huiusmodi defectus tam corporales quam spirituales, non esse poenales, sed naturale-
defectus ex necessitate materiae conséquentes. Necesse et enim corpus humanum, quum
sit ex contrariis compositum, corruptibile esse et sensibilem appetitum in ea quae sunt
secundum sensum delectabilia moveri, quae interdum sunt contraria rationi Sed tamen . .

si quis rccte consideret, satis probabiliter poterit aestimare divina providentia supposita,

quae singulis perfectionibus congrue perfectibilia coaptavit, quod Deus superiorcm naturam
inferiori ad hoc conjunxit ut ci dominaretur et si quod huius dominii impedimentum ex
defectu naturae contingcret, eius speciali et supernaturali beneficio tolleretur ut scilicet. ;

quum anima rationalis sit altioris naturae quam corpus, tali conditione crefatur corpori
esse conjuncta... quod ratio a sensitivis potentiis non impediatur, sed magis eis dominetur...
Sic igitur huiusmodi defectus quamvis naturales homini videantur absolute, considerando
humanam naturam ex parte ejus quod est in ea inferius, tamen considerando divinam
providentiam et dignitatem superioris partis liumaiiae naturae, satis probabiliter probari
potest huiusmodi defectus esse poenales. »
AVANT LA SOMME THKOLOGIQUE 109

tiels ? Semblable assertion irait tout à fait à l'encontre de la doc-


trine du Docteur Angélique.
Il est donc manifeste que saint Thomas ne connaît pas une
nature pure sans la concupiscence ;
celle-ci est une imperfection
naturelle. La concupiscence ne pourrait être dite contre nature
qu'improprement, en ce sens, qu'une domination totale de la partie
inférieure de l'âme par la raison et la volonté serait plus conve-
nable et plus juste. Mais cela ne découle pas des propres principes
de la nature ^

Pour ce qui est de la rémission du péché originel par le baptême,


la grâce rétablit la justice originelle quant à sa partie formelle,
la rectitude de la volonté ; la partie matérielle et les imperfec-
tions corporelles demeurent. Avec la culpabilité, la peine est aussi

enlevée. C'est là l'explication de la formule célèbre : peccatum


originale transit yeaiii, nianet actu ^. L'actualité ne désigne donc pas
une opération, le péché originel n'étant pas un acte le mot « actu » ;

exprime seulement le contraire de potentialité. Cette réalité actuelle


fait abstraction de la qualité privative ou positive qui la peut cons-

tituer ^. La même interprétation se trouvait déjà chez Albert le


Grand *.
*

Il nous reste à relever quelques différences entre la doctrine des


Sentences d'une part, et celle de la Somme contre les Gentils
et du De Malo d'autre part. Dans l'expHcation de la transmission
du péché originel comme faute, les deux derniers écrits introduisent

1. Cf. p. io8, n. I.

2. « Per baptismum
II. d. 32, q. I, a. I, c. : autem gratia confertur, cuius virtute illa
infectio ab homiiie toUitur quae ex natura in personam devolvebatur, et secundum'hoc
anima purgatur a macula culpae et per consequens solvitur reatus poenae. Illa autem
dispositio ad malum quae fomes.et concupiscentia dicitur, non e.x toto tollitur, quia illa
dispositio sequitur conditionem naturae » Et ad i « Quamvis ergo non restituatur origi-
. . :

nalis iustitia quantum ad id quod materiale in ipsa erat, restituitur tamen quantum ad
rectitudinem voluntatis, ex cuius privatione ratio culpae inerat et propter hoc id quod :

culpae est, tollitur per baptismum, sed aliud poenale remanet. » Cf. de Malo, q. 4, a. 2,
ad 10 a. 6, ad-4.
;

^~. d. 32, Expos, text.


II. « Praetereat reatu, et maneat actu. » .\ctus non desumitur
:

liicpro operatione quia sic originale peccatum in actu non consistit, sed per modum quo
:

actus contra potentiam dividitur, ut id quod jam praesens est, actus esse dicatur, sicut
caecitas in actu esse dicitur, quando aliquis actu caecus est. »

4. Albert le Grand, // Sent. d. 32, a. i, ad qu., ad i (p. 522) « Peccatum originale :

manet actu, transit reatu. Dicendum quod actu manere exponitur duobus modis scilicet
potentialiter quoad partem materialem sicut dicimus quod iste actualiter est caecus, vel
:

actu, id est inclinatione ad actum, scilicet pronitate concupiscentiae et utrumque potest :

intelligi et intelligitur a diversis. » Dans la Sutn. Theol., p. II, tr. 17, q. 107, m. 4, a. 2,
partie. 3, sol. (p. 302), il ne donne que la seconde explication, qu'on ne trouve plus chez
S. Thomas.
110 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

un élément nouveau. Il s'agit des textes où saint Thomas consi-


dère la totalité du genre humain comme un seul homme : omnes
homines quasi unus homo. Cette conception a donné lieu à la théorie
de l'imputation et de l'unité morale du genre humain, théorie
dans laquelle cet « omnes quasi unus homo » est pris comme fonde-
ment de notre culpabilité. Bien qu'on trouve une semblable idée
chez saint Augustin, saint Anselme et d'autres docteurs, voire
même Thomas ne la mentionne pas
chez Pierre Lombard, saint
dans Commentaires sur les Sentences. Elle paraît pour la pre-
ses
mière fois dans la Somme contre les Gentils. Là dans le chapitre LII
du quatrième livre, il dit que les défauts de notre nature ont en
nous raison de faute, en tant que tous les hommes sont considérés
comme un seul homme, du fait de leur participation à une nature
commune. Dans ce cas, chaque individu est comme le membre d'un
tout dirigé par la volonté du premier père. Ainsi s'exphque le
caractère volontaire du péché originel, comme l'action de la main
qui serait coupable parce que mue par la volonté du premier
moteur en nous, qui est la raison ^. Le même argument, sous une
forme plus développée, se retrouve dans le De Malo ^. Ayant à
reprendre cette question dans notre dernier chapitre, il suffit

d'avoir signalé ici les développements nouveaux que propose


saint Thomas.
Une autre différence apparaît encore entre les Sentences et le

1. C. Gent., 1. 4, c. 52 Sic igitur huiusmodi defectus, in aliis consequens ex primo


: «

parente, etiaro in aliis rationem culpae liabet, prout omnes homines computantur unus
homo per participationem naturae communis. Sic ergo invenitur voluntarimn huiusmodi
peccatum voluntate primi parentis, quemadmodum et actio manus rationem culpae habet
in voluntate primi moventis, quod est ratio ut sic estimentur in peccato naturae diversi
;

homines quasi naturae communis partes sicut in peccato personali diversae uixius homiuis
*
partes. »

2. De Malo, q. 4, a. i, c. : « ...aliquis homo singularis dupliciter potest considerari-


Une modo secundum quod est quae am persona singularis alio modo secundum quod
;

est pars alicuius collegii ; et utroque modo ad eum potest aliquis actus pertinere pertinet ;

enim ad eum inquautum est singularis persona, ille actus quem proprio arbitrio et per se
ipsum facit sed inquantum est pars collegii, potest ad eum pertinere actus alienus quem
;

per seipsum non facit, nec proprio arbitrio, sed qui fit a toto collegio vel a pluribus de colle-
gio vel a principe collegii... Huiusmodi enim coUegium hominum reputatur quasi unus
homo, ita quod diversi homines in diversis officiis constituti sunt quasi diversa membra
unius corporis naturalis, ut Apostolus inducit de membris Ecdesiae. Sic ergo tota multitude
hominum a primo parente humanam naturam accipientiiun, quasi unum coUegiuili, vel
potius sicut unuin corpus unius iiominis consideranda est, in qua quidem multitudine
unusquisque homo, etiam ipse Adam, potest considerari vel quasi singularis persona, vel
quasi aliquod membrum huius multitudinis quae per naturalem originem derivatur ab uno...
Sed si consideretur iste homo generatus sicut quoddam membrum totius hmnanae naturae
a primo parente propagatae, ac si omnes homines essent unus homo, sic (defectus iustitiae
originalis) habet rationem culpae propter voluntarium eius principium, quod est actuale
peccatum primi parentis sicut si dicamus, quod motus manus ad homicidium perpetran-
;

duui, secundum quod manus per se consideratur, non habet rationem culpae, quia manus
de necessitate n ovetur ab alio; si autem consideretur ut est pars totius hominis. qui volun-
tate agit, sic habet rationem culpae, quia sic est voluntarium. »
AVANT LA SOMME THÉOLOGIQUE 111

De Malo, sur une question secondaire. Dans les Sentences, saint


Thomas, à la suite de tous ses prédécesseurs enseigne que dans ,

le cas où Eve seule aurait péché, les enfants nés d'elle et d'Adam

auraient contracté non le péché originel, mais bien les défauts


naturels *. Saint Thomas ne maintient plus cette opinion dans le
De Malo il lui paraît alors préférable de dire que les descendants
;

d'Adam eussent reçu la justice originelle de leur père malgré la


chute de la mère 2.

Au terme de cet exposé, pour mettre en pleine évidence le pro-


grès réalisé par saint Thomas dans la solution des questions de la
justice primitive et du péché originel, il nous reste à comparer
l'ensemble de la position thomiste avec celle des théologiens anté-
rieurs ou contemporains.
Ce qui frappe avant tout dans la doctrine de Thomas d'Aquin,
c'est le caractère exclusivement privatif du péché originel. Notre
Docteur a suivi rigoureusement la définition d'Anselme et s'il ;

a emprunté à saint Augustin le concept de concupiscence, il en a


modifié le contenu. On doit même dire que tout caractère positif
en a complètement disparu. C'est ainsi que la concupiscence, cause
de la transmission du péché héréditaire, est réduite au désordre
habituel dans les éléments inférieurs de la nature des parents ;

elle est étrangère à la délectation actuelle qui accompagne l'œuvre


de chair, et n'y paraît que comme une cause indirecte — removens
prohibons — dont cette délectation est en même temps le signe.
Tandis que Hugues de Saint-Victor, Pierre Lombard et Alexandre
de Halès exigent pour la transmission du péché originel l'unité
individuelle de la matière corporelle corrompue ^, saint Thomas
I. II. d. 31, q. I, a. 2, ad 4 :^« ...si mulier peccasset, viro non peccante, forte illa in

peccato suc mortua fuisset, et Deus viro aliam uxorem providisset. Si tamen ex ea filio.;
genuisset, dicitur quod illi filii passibilitatem et defectus corporales contraxissent, non
autem originalem culpam, et defectus qui sunt ex parte animae. Cuius ratio in evidenti est :

quia sec. Philosophuni in IV de animal., cap. 2, corpus non est nisi ex femina, anima autem
est ex mari, non ita quod anima rationalis traducatur, sed quia in semine est virtus forma-
tiva per quam in aliis animalibus inducitur virtus sensibilis, in homine vero organizatur
corpus et praeparatur ad receptionem animae rationalis. »
. De Malo, ad 5 « Dicendum quod aliquibus visuni est quod illi qui nasce-
q. 4, a. 7, :

rentur ex Adam non peccante, et Eva peccante, mortales et passibiles essent, propter hoc
quod ista consequuntur materiam quam minïstrat mater et tune mortalitas et passibilitas
:

non essent defectus poenales, sed naturales sed melius dicendum est, quod non essent
;

passibiles neque mortales si enim Adam non peccasset, transfudisset iustitiam originalem
;

in posteros, ad quam pertinet quod non solum anima subdatur Deo, sed etiam corpus sub-
datur animae, per quod excluditur passibilitas et mortalitas. »
3. Cf. S. Thomas, II. d. 30, q. 2, a. 2, c. « Magister vero et alii theologi hoc ponentes,
:

ad hanc positionem inducuntur propter traductionem originalis peccati, quasi in similem


112 LA DOCTRINE DE S. THOiMAS

part de l'unité formelle de la nature humaine, effet d'une causalité


réelle et effective. Cette unité est celle qui existe entre l'engendré et
le générateur, de qui l'engendré est comme une reproduction, unité
qui se réalise dans la multiplication de la nature par la génération ^.

Or, cette unité ne dépend pas de la matière, mais de la forme de


l'agent ^. Par ailleurs, supposé le don de la justice originelle, saint
Thomas n'exige plus une stipulation spéciale de la part de Dieu
pour la production du péché originel et en cela encore il diffère ;

d'Alexandre de Halès et de saint Bonaventure. Par un péché mor-


tel quelconque du chef de la nature, celle-ci aurait été privée de
la justice primitive et le péché originel en aurait été l'effet néces-
saire et inévitable ^. De ces principes, saint Thomas déduit logi-
quement que chaque descendant d'un Adam demeuré innocent,
aurait pu causer un péché originel pour sa postérité *.
Il va sans dire que le Docteur Angélique combat Abélard et

l'auteur de l'Elucidarium, dans leur négation d'une faute origi-


nelle qui fût vraiment un péché ^.

errorem cum non possit esse traductio originalis peccati in filios


prioribus déclinantes, ut
a parentibus nisisecundum hoc quod materia ipsius corporis filiorum fuit in ipsis paren-
tibus primis, quando peccaverunt, ut sic assimilatio in corruptione peccati sit secundum
convenientiam in materia, et non secundum rationem virtutis activae. »
1. II. d. 33, q. I, a. i, ad 5 « ...Principium alicuius naturae potest accipi dupliciter
:

Vel secimdum quod natura consideratur absolute secundum rationem speciei, et hoc modo
Adam non fuit principium naturae humanae nisi per accidens, nec sic etiam totara naturam
humanam infecit quia si aliquis de limo terrae iterum formaretur, originalem maculam
:

non haberet. Aut prout habet esse natura communis in individuis et hoc modo quodlibet ;

generans est quodammodo naturae principium in genito et secundum hune modum ille
;

homo ex quo omnes homines geniti sunt, naturae humanae principium dicitur esse. »
2. De Malo, q. 4, a. 6, ad 14 « ...aliqui crediderunt quod peccatum originale a primo
:

parente non posset traduci in posteros nisi oimies homines materialiter fuerint in Adam ;
et ideo ponunt quod semen non est superfluum alimenti, sed traducitur ab ipso Adam.
Sed hoc non potest esse, quia sic semen esset quid resolutun* de substantia generantis...
Per hoc autemnon excluditur,quin peccatum originale contrahatur a primo parente. Condi-
tio enim generati magis dependet ab agente quod disponit materiam et dat formam quam
a materia, quae a priori dispositione recedens et formam priorem amittens, ncvam dispo-
sitionem et formam recipit ab agente. Unde non refert quantum ad contractionem originalis
peccati, undecumque materia huius corporis venerit, sed a quo agente in speciem naturae
humanae fuerit commutata. »
3. II. d. 33, Expos, text.: «Ad secundum dicendum, quod hoc est per accidens, quod taie
nocumentum naturae humanae intulit (peccatum comestionis) quia scilicet fuit primum
peccatum quod naturam humanam vitiavit, et ordinem animae ad Deum interrupit in
illo ex quo omnes homines, per coitum generati, naturam humanam traxerunt. Quodcumque
autem aliud peccatum fuisset hoc modo primum, etiam similem effectum habuisset, sive
fuisset peccatum operis .sive voluntatis, quamvis quidam aliter dicant, dicentes si .\dam
alio modo peccasset, non incurrisse eum necessitatem moriendi... etc. »

4. II. d. 33, q. I, a. I, ad 3 « In quocumque autem homine fuisset inventa hunaana


:

natura intégra, per peccatum ipsius poterat corrumpi in eo, et in his qui ab eo descenderent.
Unde patet quod servatur eadem relatio omnium hominum ad naturam conmiuneni. »
5. II. d. 30, q. I, a. 2, c. «Alius est error eorum qui peccatum originale nomine tenus
:

concedentes, secundum rem negabant, dicentes in puero nato nullam culpam esse, sed
solum obligationem ad poenam, et hoc manifeste iustitiae diviuae répugnât, ut scilicet
aliquis obligetur ad poenam qui culpam non habet, cum poeua iuste non nisi culpae debea-
AVANT LA SOMME THÉOLOGIOUE 113

Contrairement à l'opinion de saint Augustin, saint Thomas


péché originel avec le premier péché qui le causa.
n'identifie pas le
Nous ne sommes pas coupables de la manducation du fruit de l'arbre
de la science, qui est un acte personnel, et, comme tel, n'a pas d'in-
fluence sur la nature de l'homme. En ce qui concerne la nature,
Adam ne pouvait la priver que du don de la justice ^.
L'infection de l'âme par le corps était entendue par tous comme
une souillure positive, qui atteint l'âme dans son contact avec
ce vase souillé. La conception positive de la concupiscence est au
principe d'une telle exphcation. Saint Thomas, lui, ne parle pas de
ce vase corrompu ; l'infection de l'âme n'est pas l'effet d'une ac-
tion du corps sur elle ; elle consiste dans la seule privation de la
justice originelle à raison des dispositions du corps corrompu ;

car la forme doit être proportionnée au sujet récepteur.


que saint Thomas nous présente dans une
Telle est la doctrine
première systématisation nous allons voir plus longuement ses
;

conceptions définitives dans son dernier et principal ouvrage,


la Somme Théologique.

» Et
tur. aussi II. d. 32, Expos, text. « Quia cum infunditur corpori, condelectatur carni.
:

Hoc non potest esse quia illa delectatio aut diceret operationem aliquam, et sic esset
:

peccatum actuale ut Magister dicit ; aut diceret naturalem inclinationem, qua anima cor-
pori conjungitur, et in hoc non potest esse peccatum ;
quia quod naturale est malum esse
non potest. »

I. De Malo, q. 4, a. 6, ad 20 ...Comedere significat actum personalem


: « sed peccare ;

potest pertinere ad personam et ad naturam et ideo illi qui recipiunt naturam humanam
:

ab Adam dicuntur in Adam peccasse, non autem dicuntur in Adam comedisse. » Cf. texte
«ité, p. 112, note 3 et II. d. 33, q. i, a. i, ad 4.

Bibliothèque thomiste
CHAPITRE II

NOTIONS DE NATURE ET DE GRACE CHEZ S. THOMAS

La théorie de la justice primitive et du péché originel se rattache


si étroitement chez saint Thomas d'Aquin à plusieurs de ses vues
philosophiques et théologiqvies, qu'il nous paraît nécessaire d'ex-
poser auparavant les principales notions qui dominent tout ce
traité. Nous éviterons ainsi, dans l'exposé même de la doctrine,
des répétitions inutiles et des digressions fastidieuses. Ainsi exa-
minerons-nous dans ce chapitre préliminaire, les notions de nature
et de personne, et leurs rapports mutuels la doctrine de la ;

grâce et de ses relations avec la nature. va de soi que, dans l'ex- Il

posé de ces questions, nous emprunterons nos informations aux


derniers ouvrages de saint Thomas, ceux-là même où dans la suite,
nous trouverons l'exposé définitif de ses idées sur la justice primitive
et le péché originel. Étudions d'abord la notion de nature.

Le mot natma est dérivé de nasci, naître, et signifie primi-


tivem.ent la naissance. Par dérivation, ce nom a été appliqué au
principe de la génération. Puis, comme dans les êtres vivants le
principe de la génération est intrinsèque, le nom de nature s'est
étendu à tout principe intrinsèque de mouvement, quel qu'il soit.
C'est ainsi qu'Aristote définit la nature le principe du mouvement :

dans un être qui possède par soi ce mouvement et non de façon


accidentelle. Ce principe étant ou la forme ou la matière, le nom de
nature est donné tant à la forme qu'à la matière. Comme le terme
de la génération naturelle est ce qui est produit, c'est-à-dire l'es-
sence de l'espèce, exprimée par la définition, cette essence spécifique
reçoit aussi le nom natura ^. Toutefois, entre les deux noms, essence

I. m. q. 2, a. I, c. : >• Sciendum est ergo quod nomen naturae a nascendo est dictum
vel sumptum unde primo
: est impositum hoc nomen ad significandum generationem xiven-
tium, quae nativitas vel pullulatio dicitur, ut dicatur natura, quasi nascitura deinde :

translatum est nomeJi naturae ad significandum principium huius generationis et quia :

principium generationis in rébus viventibus est intrinsecum, ulterius derivatura est nomen
naturae ad significandum quodlibet principium intrinsecum motus secundum quod philo- ;

sophus dicit Phys. I. II. t. 3, quod « natura est principium motus in eo in quo est per se, et
non secundum accidens ». Hoc autem principium vel forma est, vel materia. Unde quando-
NOTIONS DE NATURE ET DE GRACE CHEZ SAINT THOMAS 115

et nature, qui désignent la même chose, il existe une distinction


logique ; le nom de nature inclut toujours un aspect dynamique :

il signifie alors l'essence spécifique dans son rapport avec l'opé-

ration tandis que l'essence se dit plutôt des principes consti-


;

tutifs d'une chose, considérés en eux-mêmes. Ainsi, on dira que


la nature humaine après la chute est inclinée au mal, ce qui ne
se peut dire de l'essence humaine on parlera bien de la finalité ;

de la nature, mais non de celle de l'essence ^.

La nature signifie donc l'essence spécifique en tant qu'elle est


principe d'opération. Le nom de nature est donné parfois aussi à
toute la collectivité des êtres créés, à l'univers mais dans notre ;

étude nous parlerons toujours de la nature en tant qu'elle signifie


l'essence spécifique ^. On peut voir de suite quelle différence il

y aura entre saint Augustin Thomas, Pour saint Augustin, et saint


la nature comprend tout ce qui lui est donné dans sa création :

c'est elle qui est dite vraiment et proprement la nature de l'hom-


me ; tandis que pour saint Thomas la nature ne contient que ce
qui lui est dû en vertu de ses principes spécifiques. Mais entrons
plus avant dans l'examen de cette notion de nature.
Il que nous venons de dire, que la nature spéci-
résulte de ce
fique peut être considérée sous un double aspect prise matérielle- ;

ment, elle est identique à l'essence de l'espèce si on la considère ;

formellement, elle inclut en outre un rapport à l'opération.


Dans les êtres matériels, la nature considérée sous le premier
aspect, quoique détermiliée et complète dans l'ordre de l'essence,
estun être potentiel et déterminable dans Tordre de la substance.
La matière capable d'une double détermmation, l'une formelle et
l'autre quantitative ^ ne possède dans l'essence spécifique que
la première *. Or, la substance requiert d'être entièrement déter-
minée. C'est elle qui est le sujet immédiat de l'existence, c'est-à-

que natura dicitur forma, quandoque vero materia. Et qaia finis generationis naturalis
est in eo quod generatur, scilicet essentia speciei quam significat definitio ; inde est quod
huiusmodi essentia speciei vocatur etiam natura. Et hoc modo Boetius naturam définit
dicens » Natura est unamquamque rem infonnans specificâ differentiâ », quae scilicet
:

complet definitionem speciei. » Cf. a. 12 c, et I. q. 29, a. i, ad 4.


1. Cf. C. Schneider, Dî'e katholische Wahrheit, Bd. 8, p. 75, (Ed. Regensburg, 1888) ;

GouDiN, O. P., tom. 2, p. I, disp. 2, q. i, a. i.

2. Cf. Chapitre 3 de la seconde partie.

3. Materia inquantum huiusmodi est in potentia, » et q. 50, a. 2, ad


I. q. 4, a. I, c. : <i

I :In rébus autem materialibus aliud est quod déterminât ad specialem gradum, scilicet
«

forma et aliud quod determinatur, scilicet materia. » Cf. III. q. 77, a. 2, c. « Individua-
; :

tionis principium est quantitas dimensiva... »

4. I. q. 29, a. 2, ad 3 : « Essentia proprie est id quod significatur per definitionem.


Definitio autem complectitur principia speciei, non autem principia individualia. »
116 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

dire de l'actualisa tion ultime ^ La nature spécifique n'es<- donc pas


complète dans l'ordre de la substance ; et par suite, ell^ n'existe

pas par elle-même.


Or, la détermination ultérieure de la nature spécifique dans l'ordre
de la substance, s'effectue par l'individuation. Dans l'individu tout
principe constitutif de la nature est déterminé : la forme, comme
acte, l'est par elle-même ; la matière l'est par une détermination
quantitative. L'individu est donc le terme de la nature 2. En con-
séquence, il est le sujet propre de l'existence, de l'actualité ultime.
La nature n'existe que dans l'individu^. Et puisque l'action se
fonde sur l'être, l'individu est aussi le sujet propre de l'action*.
Quel donc le rapport de la nature à l'opération ?
est
L'individu, nous l'avons vu, est le sujet de l'action c'est par ;

la nature néanmoins qu'il agit. L'un et l'autre, l'individu et la

nature, sont principe de l'opération le premier est qualifié pHn- ;

cipium quod, le second principium guo^. Cependant la nature n'est


pas le principium quo immédiat le principe immédiat de l'opé- ;

ration est la puissance, dont la nature est comme la racine. Etant


donné en effet que, dans aucun être créé, l'opération n'est identique
à l'essence, toute opération est nécessairement d'ordre accidentel.
Il s'en suit que ses principes appartiennent au même genre. Une
nature substantielle ne peut donc être le principe immédiat de
l'opération ; elle requiert des puissances comme intermédiaires ^.

Ces puissances, procédant de la nature même, portent en consé-


quence son caractère. Une puissance intellective ne peut provenir
que d'une nature intellectuelle. Ainsi connaît-on la nature d'une
chose par ses opérations ; les opérations révèlent les puissances et
les puissances, à leur tour, caractérisent Icï nature. C'est aussi

I. I. Substautia dicitur dupliciter. Uuo modo dicitur substantia quiddi-


q. 20, a. 2, c. : «

tas rei quain significat secunduni quod dicimus quod definitio significat substan-
defiiiitio ;

tiam rei. Quaui quidem substantiaui Graeci oùai'av vocant quod nos esseutiam dicere ;

possumus. Alio modo dicitur substantia subjectum vel suppositum quod subsistit in génère
substantiae. Cf. Comm.
>» Mctaph. 1. lo, lect. 3. m
t.Toute détermination surajoutée est accidentelle elle n'appartient pas à la personne ;

comme un élément constitutif, mais comme un accident à son sujet propre et immédiat.
3. III. q. 17, a. 2, ad I « ...esse consequitur naturara, non sicut habentem esse, sed
:

sicut qua aliquid est ;


personam autem sive hypostasim consequitur sicut habentem esse.»
4. I. ad 3 « Actio est compositi sicut et esse existentis enim est agere. » et
q. 77, a. I, : ;

ad 2 « Agere non attribuitur naturae sicut agenti, sed persbnae


III. q. 20, a. I, : actns :

enim suppositorum sunt et singularium. Attribuitur tamen actio naturae sicut ei seoundum
quam persona vel hypostasis agit. »

5. I. q. 42, a. I, ad I : Onine agens agit per suam formam ». Cf. I. II. q. 55, a. 2.
6. I. ...cmn potentia et actus dividant eus, et quodlibet genus entis
q. 77, a. I, c. : «

oportet quod ad idem genus referatur potentia et actus et ideo, si actus non est in génère ;

substantiae, potentia quae dicitur ad illum actun», non potest esse in génère substantiae. »
et ibid. ad 5 « Forma substantialis est primum action is principium, sed non proximum. »
:
NOTIONS DE NATURE ET DE GRACE CHEZ SAINT THOMAS 117

comme principes d'opération, que la nature doit avoir une fin ;

sans cela il n'y aurait point d'opération. Donc tout ce qui, d'une
manière quelconque, est principe d'opération, doit tendre vers
une fin ^.

Nous devons cependant distinguer. Puisqu'il y a, comme nous


venons de dire, un double principe, le principium quod et le prin-
cipimn qito, et que celui-ci est comme l'instrument de l'autre, la
poursuite actuelle de la fin est toujours un acte individuel mais ;

sa détermination peut dépendre de la nature ou de l'individu.

Il y a des êtres dont toutes les actions sont déterminées par


la nature même. Ainsi si le feu brûle, si les plantes croissent, si

l'agneau fuit le loup, c'est de par leur nature. Dans ce cas, l'indi-
vidu ne donne que l'actualisation ^. C'est pourquoi dans les exem-
ples cités tout acte est dit naturel. Au contraire, les êtres libres ne
sont déterminés que par le bien universel. Leur nature intellec-
indépendante de la matière et de la quantité, ne s'oriente pas
tuelle,

d'elle-même vers les objets particuliers l'objet de l'intellect, aussi ;

bien que celui de la volonté, est l'universel ^. La poursuite des


biens particuliers n'est donc pas ici une nécessité de nature ; c'est
de l'individu que relèvent les déterminations plus singulières.
La nature ne se dirigedonc d'elle-même que vers le bien comme
tel ; les actes, dont l'objet est un bien particulier, sont d'ordre
personnel ^. Cependant, puisque c'est toujours par la nature que
la personne agit, les actes personnels doivent être subordonnés

1. I. II. q. I, a. 2, c. : « ...omnia agentia necesse est agere propter finem. Causarurn


enim ad invicem ordinatarum si prima subtrahatur, necesse est alias subtrahi. Prima autem
inter omnes causas est causa finalis. »

Ibid.
2. Haec autem detenninatio (in finem) sicut in rationali natura per rationalem
: '(

fitappetitiun qui dicitur voluntas ita in aliis fit per inclinationem naturalem, quae dicitur
;

appetitus naturalis. Tameu considerandum est quod aliquid sua actione vel motu' tendit
ad finem dupliciter uno modo sicut seipsum ad finem movens, ut homo alio modo sicut
: ;

ab alio motum ad finem, sicut^agitta tendit ad determinatum finem ex hoc quod movetur
a sagittante, qui suam actionem dirigit in finem... etc. » Cf. I. II. q. 6, a. 2, c. I. q. 83, ;

a. I, c.

3. I. II. q. 10, a. I, ad 3 « ...semper naturae


: respondet unum proportionatum. natu-
rae... Cum igitur voluntas sit quaedam vis immaterialis, sicut et intellectus, respondet ei
naturaliter aliquod unum commune, scilicet bonum, sicut etiam intellectui aliquod unum
conmaune, verum, vel ens, vel quidquid est huiusmodi. Sub bono autem communi
scilicet,
multa particularia bona continentur, ad quorum nuUum voluntas determinatur. »
bien distinguer entre ce qui est voulu de par la nature de la volonté et ce qui
4. Il faut
est voulu naturellement. Comme le suppôt, c'est-à-dire la personne, n'est pas seulement
une volonté, mais est de plus composée de différentes parties, il lui est naturel de vouloir
le bien de tout son être, quoique ces biens soient des biens particuliers. Ainsi on veut natu-
rellement l'existence, la vie, la nourriture et les autres biens naturels. Cependant, ils ne sont
pas voulus de par la nature de la volonté même, qui peut en conséquence vouloir le con-
traire. L'appétit de ces biens est donc véritablement un acte personnel. Cf. I. II. q. 10,
a. 2, c. et le texte cité note 3.
;
118 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

aux exigences naturelles. L'individu ne peut pas poursuivre un


but, qui s'opposerait au but formel de sa nature.
Deux conclusions sont à retenir de cet exposé :

1. La nature, en tant qu'indéterminée dans l'ordre de la substance,


n'est que puissance à l'égard de l'opération, dont le sujet propre
est l'individu.
2. La nature humaine joue de plus le rôle de puissance à l'égard
des opérations spéciales qui n'appartiennent pas à la nature.

Avant d'appliquer ces notions à la question de l'état de nature,


il nous faut définir ce que c'est qu'un état.
D'après saint Thomas (2* 2^*" q. 183, a. i, c. et ad i), le mot
status est dérivé de stare, être debout. Or, c'est en nous tenant
debout, que notre corps se trouve dans la position la plus natu-
relle : la tête est en haut, les pieds sont posés à terre, les autres
membres intermédiaires sont dans leur ordre normal ainsi le ;

tout se trouve en repos ^. Le mot status désigne donc la condition


en vertu de laquelle un echose se trouve être disposée, premièrement
en conformité avec ce que requiert sa nature ; et secondement
dans une certaine immobilité 2.
On objectera peut-être qu'on parle aussi du « mauvais état »

d'une chose, ce qui alors semblerait signifier qu'une disposition


mauvaise peut être convenable à la nature de cette chose ; c'est
contradictoire. L'objection porterait, si le nom d'état était donné
à la chose en raison de cette condition mauvaise. Mais non. Ce n'est
pas la déchéance qui constitue un état, mais bien la perfection
en vertu de laquelle on peut dire qu'une chose est stable. Si ses
autres perfections périssent, tant que celle-ci demeure, on peut
encore parler d'un état. Ainsi une maison, si misérable soit-elle,

se trouve être dans un état, tant qu'elle tient debout. C'est donc
à cette perfection que se rapporte la notion d'état ; et cette per-
fection convient toujours à la nature. Comment donc alors des
conditions mauvaises peuvent-elles servir à qualifier un état ?

La raison en est que le stare, aussi bien que les dispositions mau-
1. II. II. q. 183, a. I, c. : « ...status, proprie loquendo, significat quamdam positioais
dilïerentiam secundum quam aliquid disponitur, secundmu modum suae naturae, quasi
in quadam immobilitate. Est enim naturale homini ut caput eius in superiora tendat, et
pedes in terra firmentur, et caetera membra média convenienti ordine disponantur quod ;

quidem non accidit, si homo iaceat, vel sedeat, vel accumbat, sed solam quando erectus
stat nec rursus stare dicitur, si moveatur, sed quando quiescit. »
;

2. II. II. q. 183, a. I, ad I : « ...rectitude in quantum huiusmodi non pertinet ad ratio-


nem status, sed solum in quantum est connaturalis homini, simul addita quadam quiète.
Unde in aliis animalibus non requiritur rectitudo, ad hoc quod stare dicuntur ; nec etiam
homines stare dicuntur, quantumcumque sint recti, nisi quiescant. »
NOTIONS DE NATURE ET DE GRACE CHEZ SAINT THOMAS 119

vaises, appartiennent à un même sujet. Lors donc que l'état ne


se réfère pas de lui-même à ses mauvaises dispositions, il peut
être qualifié par elles à raison du sujet commun. C'est ainsi qu'on
peut parler de nature déchue.
Les conditions exigées pour constituer un état sont corrélatives
de la nature des êtres qui doivent posséder cet état. Par exemple,
pour avoir l'immobilité requise, autres sont les conditions d'une
collectivité de personnes, autres celles d'un seul individu.
Quelles sont donc les conditions nécessaires pour que la nature
humaine soit établie dans un état ?

Nous avons vu que, dans la nature humaine, il existe une dis-


tinction réelle entre la nature et la personne. Cette distinction
réelle nous permet de parler d'un état de nature et d'un état de
la personne comme de deux réaUtés distinctes. En ce qui concerne
la nature rappelons-nous ce qui a été dit plus haut, que la nature
est entièrement indéterminée, soit à l'égard des biens particuliers,
soit dans la poursuite du bien universel, qui est sa fin naturelle.
Puisque notion d'état implique dans une nature une disposi-
la
tion conforme à cette nature et une certaine immobilité, il s'ensuit
que pour la nature humaine, qui est elle-même indéterminée, un
état n'est possible que par une détermination surajoutée. La nature
en effet, tendant essentiellement à l'opération, exige une déter-
mination. L^n état d'indétermination, n'imphquant ni opération
ni acti\âté, équivaudrait à sa négation ; il ne serait plus question
pour elle d'état ou de stabilité. D'autre part la nature rationnelle
à cause de la tendance à l'action qu'elle possède dès le moment
où elle est consciente d'elle-même, devrait choisir nécessairement
les fins de ses actions et les poursuivre. Mais si la nature n'est
pas encore en possession d'un but concret dû à une détermination
surajoutée, par un principe extérieur
que Dieu, c'est la personne
tel

qui doit le lui donner. C'est de la personne en effet que relèvent les
actes. En conséquence, l'état dans lequel se trouve la nature est
un état personnel, variable dans chaque individu selon le choix
libre de chaque personne.
La nature donc, qui exige le passage de l'indétermination, qui
lui est propre, à la détermination de l'acte et de l'opération, qui
sont personnels, n'implique pas l'immobiHté requise pour un
état.

Il donc manifeste qu'un état dans la nature pure est


est
impossible l'homme peut être créé dans des conditions exclusive-
;

ment naturelles, mais imaginer là un état, dans le sens strict du


120 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

mot, implique une contradiction i. De fait l'affirmation d'un tel


état ne se trouve nulle part chez saint Thomas. Pour avoir un
état de nature, une détermination surajoutée est donc nécessaire.

Cette détermination surajoutée, devant être naturelle, ne peut


être causée que par l'Auteur même
de la nature 2. Or, cette déter-
mination de la nature par Dieu, nous la trouvons dans la justice
originelle, par laquelle la nature, douée d'une rectitude parfaite,
se dirige d'elle-même vers son Auteur. C'est en cela que consiste
Vétat de la justice originelle.

La personne n'a donc aucune puissance sur la nature comme


telle. Elle peut bien y ajouter des perfections personnelles, des
habitudes et des vertus, mais en aucune façon des perfections natu-
relles, car elle-même est inférieure et subordonnée à la nature spé-
cifique. Elle peut toutefois indisposer la nature à l'égard de la
détermination surnaturelle venant de Dieu. En effet, étant douée
de la hberté d'élection, la personne humaine peut porter sa
volonté vers les créatures au lieu de la maintenir vers le Créateur ;
ainsi, par cette indisposition, elle peut priver la nature du don
divin et la placer dans un état nouveau, opposé à l'ancien, qui est
l'état de la nature déchue. C'est une détermination négative, par
privation.
Tels sont les deux états possibles pour la nature humaine. Tout
autre état est personnel, procède des habitudes et des vertus,
mais nullement de la nature elle-même.

Qu'est ce qu'est un état de la personne ?

La stabilitéétant une condition nécessaire pour qu'il y ait


état, la notion d'un état personnel implique nécessairement la
liberté ou la sujétion. Car la personne, comme telle, est le princi-
pium qtiod libre des opérations. Dans cette condition elle n'a de

1. Cf. II. d.31, q.i, a. 2, ad 3 (vid. p. 8), note 1 ) De Malo,q. 4,a.i,ad 14. Il importe de
;

remarquer que du fait de cette assertion on ne nie pas la possibilité du « status naturae
purae » dans le sens large du mot « status ». Comme les textes le montrent clairement,
S. Thomas en reconnaît expressément la possibilité « Poterat Deus... alium hominem ex
:

lime terrae formare quem in conditione naturae relinqueret » (II Sent., loc. cit.). Cependant
nous n'admettons pas l'application du terme « status » compris dans son sens strict qu'il a
chez S. Thomas, à la notion de nature pure et nous ne croyons pas que la doctrine catholique
;

l'exige. Car contre les Baianistes elle ne vise pas à aflirmei' la possibilité, quant à la nature
pure, d'un état au sens strict ou au sens large du mot mais de la nature pure même elle
;

affirme la possibilité. C'est ce dernier point que les Baianistes contestaient, en considérant
l'intégrité naturelle non comme une grâce, mais comme un droit. La Bulle « Auctorem
Fidei » de Pie VI (28 août 1794) parle, il est vrai, « de statu naturae purae » mais, d'abord, ;

ce n'est que dans l'épigraphe d'un chapitre et de plus il ne s'agit évidemment pas de « sta-
;

tus » au sens strict défini par S. Thomas.


2. I. q. 9, a. 6, c. : • ... naturalis autem motus. . non causatur nisi ab eo quod causât
naturam. »
NOTIONS DE NATURE ET DE GRACE CHEZ SAINT THOMAS 121

stabilité que par une obligation permanente, qui dirigera cons-


tamment ses actes vers le même but déterminé. Or, selon que la
personne est libre ou liée par une telle obligation, elle se trouve
dans un état de liberté ou de sujétion. Par conséquent, l'état de
la personne, comme telle, implique liberté ou sujétion ^.
C'est là proprement ce par quoi un état de nature se distingue de
l'état de la personne. La nature, comme telle, n'est pas liée par une
obligation. Toute obligation ou contrainte se tire de l'acte, et se
réfère par conséquent à la personne, qui est le principium quod de
l'opération. C'est pourquoi on ne dit pas que la nature est servan-
te du péché, mais bien que la personne est au service du péché
selon la nature corrompue -.

Pour éviter toute difficulté, il faut se garder de confondre dans


cette question le péché originel avec les péchés actuels. L'état de
péché originel n'implique pas la servitude ; il en est tout autrement
de l'état d'un péché actuel. Le premier n'impliquant, en aucune
façon, ni acte ni habitude opérative, n'implique pas une obliga-
tion, mais un simple désordre dans les diverses parties consti-
tutives de la nature humaine. Il va de soi d'ailleurs que ce désor-

dre aura sa répercussion dans la personne, qui devra agir au moyen


de cette nature désordonnée ainsi ce désordre de la nature pourra
;

être la cause d'un état de servitude pour les hommes, parce qu'il
engendre en eux des incUnations au péché actuel. Le péché actuel,
au contraire, se réfère à l'acte et à l'habitude opérative, et cons-
titue, par conséquent, s'il possède une certaine stabilité, un état
de sujétion ou de servitude.
La même doctrine s'applique également à l'état de la justice
originelle, en ce qui regarde la liberté.

De ce que nous avons dit touchant la nature, il résulte que

I. II. II. q. 183, a. I, c. « ...circa homines ea quae de facili


: circa eos variantur et
extrinseca sunt, non constituunt statum puta quod aliquis sit dives vel pauper, in digni-
;

tate constitutus vel plebeius, vel si quid aliud est huiusmodi. Unde et in iure civili dicitur
quod ei qui a senatu amovetur, magis dignitas quam status aufertur. Sed solum id videtur
ad statum hominis pertinere quod respicit obligationem personae hominis, prout scilicet
aliquis est sui iuris vel alieni hoc non ex aliqua causa levi, vel de facili mutabili, sed ex
; et
aliquo permanente et hoc est quod pertinet ad rationem libertatis vel servitutis. Unde
;

status pertinet proprie ad libertatem vel servitutem sive in spiritualibus sive in civilibus. »
Cf. ad I.

2. III. q. 20, a. I, ad dominii fundatur super actione et passio-


2. :«...relatio servitutis et
ne, in quantum moveri a domino secundum imperium. Agere autem non
scilicet servi est
attribuitur naturae sicut agenti, sed personae actus enim suppositorum sunt et singula-
;

rium, secundum Philosophum. Attribuitur tamen actio natrurae sicut ei secundum quam
persona vel hypostasis agit. Et ideo quamvis non proprie dicatur quod natura sit domina
vel serva, potest tamen proprie dici quod quaelibet hypostasis vel persona sit domina
vel serva secundum hanc vel illam naturam. » Cf. ad 2 et a 2, c. «t ad 2. ;
122 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

le mot naturel peut revêtir des significations différentes. Il suffit

de citer ici quelques-unes des principales.


D'abord le mot naturel peut se rapporter au mot nature pris dans
le sens de naissance. On appelle alors naturel ce qui se trouve dans
un être dès sa naissance. C'est la conception augustinienne du mot
nature. On trouve ce sens, chez saint Thomas, appliqué entre autres
au péché originel. C'est ainsi qu'il explique le texte de l'Apôtre :

Eramus natura filii irae ^.


La seconde signification est plus importante. Elle provient du
mot nature en tant que la nature implique les principes spécifiques
d'une chose. Or, les principes primordiaux des êtres corporels
étant la forme et la matière, le « naturel » peut regarder le principe
formel aussi bien que le principe matériel. En fonction de la forme,
est dite naturelle toute activité qui en procède de par son essence :

ainsi brûler est naturelau feu. En fonction de la matière, est natu-


relle toute action qui répond à son inclination à recevoir ce qui lui
vient du dehors. Ainsi le mouvement du ciel lui est naturel à cause
de l'aptitude du corps céleste à recevoir un tel mouvement, bien
que son moteur agisse librement ^. C'est en vertu des mêmes prin-
cipes qu'on distingue ce qui est naturel à l'espèce, et ce qui est
naturel à l'individu. De la forme comme principe déterminant de
la nature, résultent les qualités spécifiques, telle la risibilité qui
est naturelle à l'espèce humaine en vertu de la forme. De la matière,
en tant que principe d'indixàduation, dépend tout ce qui est
naturel à Tindividu. Ainsi l'état maladif est dit naturel à tel ou tel
individu à raison d'une indisposition de sa matière corruptible ^.
Le naturel est donc ce qui existe en vertu d'un des principes essen-

1. III. q. 2, a. 12, c. : « ...natura uno modo dicitur ipsa nativitas, alio modo esscntia
rei. Unde naturale
potest aliqiiid dici dupliciter uno modo quod est tantum ex princi- :

piis essentialibus rei, sicut igni naturale est sursum ferri alio modo dicitu'- esse homini ;

naturale quod ab ipsa nativitate habet, secundum illud Ephes II. 3 Eramus natura filii :

irae. »

2. Loc. cit. et II. II. q. 164, a. i, ad i.

3. I. II. q. 6, a. 5, ad 2 : « Dicitur autem aliquid naturale dupliciter : uno modo quia est

a natura sicut a principio activo, sicut calefacere est naturale igni alio modo secundum ;

principium passivum, quia scilicet est innata inclinatio ad recipiendum actionem a principio
extrinseco sicut motus coeli dicitur esse naturalis propter aptitudinena coelestis corporis
;

ad talem motum, licet movens sit voluntarimn. » Cf. ibid. q. 10, a. i, ad 2 II. II. q. 164, ;

a. I, ad I.

4. I. II. q. 51, a. r, c. : « uno modo secun-


...aliquid potest esse naturale alicui dupliciter :

dum naturam naturale est homini esse risibile, et igni ferri sursum: alio modo
speciei, sicut
secundum naturam individu!, sicut naturale est Socrati vel Platoni esse aegrotativum vel
saoativum, «ecundum propriam complexionem... Habitus qui est dispositio ad operatio-
nem... potest quidem esse naturalis et secundum naturam speciei et secundum naturam
individui. Secundum quidem naturam speciei, secundum quod se tenet ex parte ipsius
ajiiraae, quae cum sit forma corporis, est principium specificum secundum autem naturam ;

individui ex parte corporis, quod est materiale principium. » Cf. ibid. q. 63, a. i, c.
.

NOTIONS DE NATURE ET DE G.-^ACE CHEZ SAINT THOMAS 123

tiels soit dans la nature spécifique, soit dans l'indi-


d'une chose,
vidu. Il qu'une qualité peut être « naturelle » à l'égard
est clair
d'un principe essentiel et contre nature à l'égard de l'autre par ;

exemple, la corruptibilité est naturelle à l'homme de par sa matière,

elle est contre nature par rapport à son âme immortelle '

C'est à cette conception du naturel, que saint Thomas oppose le

surnaturel. Le surnaturel, qui s'oppose au naturel par mode de


supériorité, est tout ce qui surpasse la faculté et la proportion de
la nature. ressemble au naturel, en ce qu'il est fondé sur un
Il

principe intrinsèque, soit actif, soit passif. Comme Dieu seul peut
agir dans les Hmites de la nature, c'est-à-dire intrinsèquement,
et parce que la nature, hors de sa sujétion essentielle, n'est soumise
naturellement à aucun autre agent, il s'ensuit que le surnaturel
est exclusivement une œuvre divine. C'est par cette propriété
que le surnaturel diffère de ce qui est dit contre nature, de ce qui
est violent ^.

On distingue dans le surnaturel le supernaturale quoad modum


et le supernatîirale quoad suhstantiam. Le premier ne surpasse
la force d'une nature créée que par les circonstances de sa produc-
tion ou de son existence, l'autre la dépasse par son essence. La grâce,
c'est le surnaturel par essence consistant dans la participation :

de la nature divine, elle ne peut être l'œuvre que de Dieu même ^.


r. S5, a. 6, c.
I. II. q. ...ex parte suae formae naturalior est homini incorruptio
; -<

quam rébus corruptibilibus. Sed quia et ipsa habet materiam ex contrariis composi-
aliis
tara, ex inclinatione materiae sequitur corruptibilitas in toto. Et secundum hoc homo e~t
uaturaliter corruptibilis secundum naturam materiae sibi relictae, sed non secundum natu-
ram formae. » Cf. II. II. q. 164, a. i, ad i.
2. I. q. 105, a. 6, ad I ...cum aliquid contingit in rébus naturalibus praeter naturam
: <'

inditam, hoc potest dupli citer contingere uno modo per actionem agentis qui inclinatio-
:

nem naturalem non dédit, sicut cum homo movet corpus grave sursum, quod non habet
ab eo ut moveatur deorsum et hoc est contra naturam. Alio modo per actionis illius agentis
;

a quo dependet actio naturalis et hoc non est contra naturam, ut patet in fluxu et refluxu
;

maris, qui non est contra naturam, quamvis sit praeter modum naturalem aquae, quae
movetur deorsum. Est enim ex impressione coelestis corporis a quo dependet naturalis
inclinatio inferiorum corporum. Cum igitur naturae ordo sit a Deo rébus inditus, si quid
praeter hune ordinem faciat, non est contra naturam. Unde Augustinus dicit quod < id
est cuilibet rei naturale quod ille fecerit a quo est omnis modus, numems et ordo naturae. »
Et dans IH. q. 44, a. 2, ad i « ...sicut inferioribus corporibus naturale est moveri a coeles-
:

tibus corporibus quae sunt superiora secundiun natmralem ordinem, ita etiam naturale
est cuilibet creaturae ut transmutetur a Deo secundum eius voluntatem..., et ita non
corrumpitur natura coelestium corpormn, cum eorum cursus immutetur a Deo, corrurape-
retur autem si ab aliqua alia causa immutaretur. »

3. r. II. q. 112, a. I, c: «Nulla res potest agere ultra suam speciem, quia semper opor
tet quod causa potior sit effectu. Donum autem
gratiae excedit omnem facultatem naturae
creatae cum nihil aliud sit quam quaedam participatio divinae naturae, quae excedit
omnem aliam naturam. Et ideo impossibile est quod aliqua creatura gratiam causet. Sic
enim necesse est quod solus Deus deificet, communicando consortium divinae naturae per
quamdam similitudinis participationem, sicut impossibile est quod aliquid igniat nisi solus
ignis. »
124 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

C'est de cette grâce qu'il nous reste maintenant à dire quel-


ques mots.
Dans la seconde partie de sa Somme théologique, saint Thomas
traite de l'homme, en tant qu'il est le principe de ses actes, doué
de hbre arbitre et maître de ses opérations. Après quelques
questions sur la fin ultime de l'homme, il traite des actes
humains, par lesquels nous devons parvenir à notre fin dernière.
Il divise ce traité en deux parties : dans la première il traite des
actes humains en humains en
général, et dans la seconde des actes
particulier. La première partie se divise à son tour en deux sec-
tions l'une considère les actes humains en eux-mêmes, l'autre les
:

considère dans leurs principes ^. Or de ces principes, les uns sont


intrinsèques, telles les puissances et les habitudes ^ ; les autres
sont extrinsèques, et ce sont l'homme, le démon, et Dieu.
Les deux premiers n'ont qu'une influence morale sur les actes
humains ils peuvent agir sur l'agent par suggestion, mais non
;

effectivement sur la volonté ^. Dieu, au contraire, peut agir de l'une


et l'autre manière. Il nous instruit extérieurement par ses lois et

nous aide intérieurement par sa grâce ^.


Telle est la place occupée par la question de la grâce dans la
Somme théologique de saint Thomas. Et parce que dans la com-
position rigoureusement logique de la Somme, la position même
des diverses questions a son importance, la place occupée par le

traité de la grâcenous aide à déterminer le caractère de son con-


tenu. Dieu agit donc dans l'homme, d'après saint Thomas, comme
cause morale, en instruisant par ses lois, et comme cause effective,
en aidant par sa grâce. La grâce est dès lors considérée dans son
rapport avec l'acte humain. C'est un principe, venant du dehors,
qui ordonne nos actes à leur fin surnaturelle ; instrument de l'ac-

tion efficace de Dieu, elle se distingue en cela des lois divines qui
ne sont que des causes morales. Or, il y a une double catégorie
ou hahitus, et l'acte second, qui est l'acte
d'actes, l'acte premier
proprement dit. Et puisque l'un est aussi nécessaire que l'autre,
Dieu nous donne une double grâce, correspondant à ce double
acte grâce habituelle, correspondant à l'acte premier, et la
: la
grâce actuelle, correspondant à l'acte second. La grâce habituelle
ne nous fournit pas seulement la puissance d'agir dans l'ordre

1. I. II Prol. ai quaest. 6.

2. I. II. Prol. al quaest. 49.


3. I. II. q. 80, a. I, c.

4. I. II. Prol. ad quœst. 90.


NOTIONS UE NATURE ET DE GRACE CHEZ SAINT THOMAS 125

surnaturel, mais aussi la faculté d'agir avec promptitude, facilité


et délectation ^.

De cette relation essentielle de la grâce à l'acte, il résulte que la


grâce concerne proprement la personne, de qui relèvent les actions.
Cette conclusion sera encore plus claire, si nous examinons plus
profondément le caractère de la grâce.
La grâce est l'œuvre de la bonté divine et procède d'un amour
spécial pour la créature raisonnable. On distingue l'amour divin
commun, qui s'étend à toutes les créatures en leur donnant l'être
dans l'ordre naturel ; et l'amour spécial envers la créature ration-
nelle, qui l'élève au-dessus de sa condition naturelle et la fait parti-
ciper à la nature divine ^. La grâce est cette participation à la
nature di\dne, consortium divinae natiirae ^. Qu'est-ce à dire ?

Cette participation n'est pas une communication entitative de la


nature divine, mais une participation par ressemblance * : la grâce
nous fait fils de Dieu par adoption ^. Or, de même que Dieu dans
l'acte créateur communique sa bonté à toutes les créatures par
quelque ressemblance, de il nous com- même par l'acte d'adoption
munique une ressemblance à du Verbe®. La la filiation naturelle
similitudo participata de la grâce habituelle est donc une ressem-
blance à la filiation étemelle. Comme le Verbe éternel est un avec
son Père, ainsi l'homme est un avec Dieu par la grâce '. Cette union
consiste en ce que l'homme atteint Dieu par la connaissance et
l'amour ^. La grâce est donc une qualité de l'âme par laquelle

1. I. II. q. iio, a. 2, c. et q. m, a. 2, c.

2. I. IL q. iio, a. 1. c.

3. Cf. I. II. q. iio, a. 3 ; a. 4 ; q. 112, 3. i, q. 114, a. 3 ; III. q. 2, a. 10, ad r ; q. 3, a. 4,


ad 3 ; q. 62, a. i et 2.

4. I. II. q. 112, a. I, c. : a Donum autem gratiae excedit omnem facultatem naturae


creatae, cum nihil aliud sit quam quaedam participatio divinae naturae, quae excedit
omnem aliam naturam... Sic enim necesse est quod solus Deus deificet, communicando
consortium divinae naturae per quamdam similitudinis participationem. » Cf. ibid. q. no,
a. 4, c. K ...(homo) per naturam animae participât secundum quamdam similitudinem
:

naturam divinam per quamdam regenerationem sive recreationem. » Et encore III, q. 62,
ai 2j c. ; q. 2, a. 10, ad i ; q. 3, a. 4, ad 3.

5. I. II. q. 114, a. 3, c. ; q. no, a. 3, c. ;


III. q. 23, a. 4, ad 2.

6. III. q. 23, a. I, ad 2 communicatur bonitas divina


: « Sicut per actum creationis
omnibus creaturis secundum quamdam similitudinem, ita per actum adoptionis communi-
catur similitude naturalis filiationis hominibus secundum illud. Rom. 7, 29 « Quos praes- :

civit conformes fieri imagini Filii sui. » Cf. a. 2, ad 2.

7. III. q. 23, a. 3, c. : « Tertio modo assimilatur creatura Verbo Dei aetemo secundum
unitatem quam habet ad Patrem ;
quod quidem fit per gratiam et charitatem. »

8. I. q. 43, a. 3, c. Cf. III. q. 2, a. 10, c. « Indiget autem humana natura gratuita :

Dei voluntate ad hoc quod elevetur in Deum, cum hoc sit supra facultatem suae naturae.
Elevatur autem humana natura in Deum dupliciter imo modo par operationem, qua scili- :

cet sancti cognoscunt et amant Deum alio modo per esse personale. » Et ibid. q. 7, a. 13,
;

corp.
126 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

l'homme connaissant et aimant Dieu, est un avec Lui, et, possé-


dant ainsi la ressemblance de la filiation étemelle, devient le fils

adoptif de Dieu. Par elle aussi il est destiné à la vie éternelle, con-
formément à la parole de l'Apôtre : Si jilii, et heredes. De cette
conception de la grâce découle clairement son caractère personnel.
L'adoption ne convient pas à la nature, mais à la personne. Elle est
une propriété personnelle. On n'adopte pas une nature, mais seu-
lement un individu ^.
Un autre argument, tiré de la fin pour laquelle la grâce nous est
donnée, confirmera notre thèse. Ainsi que nous l'avons dit, la
seconde partie de la Somme théologique analyse l' ordination de
l'homme vers Dieu. C'est pourquoi saint Thomas traite dans cette
partie des actes humains, c'est en effet par ses actes que l'homme
doit parvenir à sa fin dernière. S'il place également ici son traité
de la grâce, la raison en est que la grâce est le moyen par lequel
Dieu dirige nos actes. Œuvre de l'amour divin, nous destinant à la
vie éternelle, la grâce est l'instrument de cet amour pour nous y
conduire -. La fin vers laquelle tend la grâce, est donc celle même
de l'homme. C'est ce que dit saint Thomas: «La grâce qui nous
fait amis de Dieu, dirige l'homme immédiatement vers la posses-

sion de la fin ^. » Elle rend nos actes méritoires *. Or, la fin de


l'homme consiste dans la vision béatifique, c'est-à-dire dans la
possession de Dieu par l'acte de notre intelligence^. Le but est
donc essentiellement personnel. Et c'est pourquoi, adultes, nous
devons ^ le mériter par nos propres actes. C'est pourquoi la
donnée en vue de ce but personnel, doit être elle aussi
grâce,
un don personnel. C'est par elle que l'homme atteint Dieu per-
sonnellement ^.

Notons enfin qu'on trouve l'expression gratin personalis, pour

1. m. q. 23, a. 4, c. : « ...ûliatio proprie convenit hypostasi vel personae, non autem


naturae » ; et ad i : « ...sicut filiatio non proprie convenit naturae,ita nec adoptio. »

2. 1. II. a. iio, a. I, c. : « ...alia autem dilectio est specialis, secundum quam trahit
creaturam rationalem supra conditionem naturae ad participationem divini boni et secun- ;

dum hanc dilectionem dicitur aliquem simp.iciter di igere, quia secundum hanc dilectionem
vult Deus sirapliciter creaturae bonum aetemum ;
quod est ipse. »

3. I. II. q. III, a. 5, c.

4. I. II. q. 114, a. 2, c. ...nuUa creatura est sufficiens principium actus meritorii


: 1

vitae aeternae, nisi superaddatur aliquid supernaturale donum, quod gratia dicitur.»
Cf. III. q. 7, a. 7, a. 7, ad i.

5. 1. II. q. 3, a. 8, c. perfectam igitur beatitudinem requiritur quod intellectus


: « .-Vd

pertingat ad ipsam essentiam primae causae. Et sic perfectionem suam habebit per unio-
nem ad Deum sicut ad obiectum, in quo solo beatitudo hominis consistit. »
6. I. II. q. m, a. i, c. : « ...duplex est gratia : una quidem per quam ipse homo Deo
coniungitur, quae vocatur gratia gratum faciens ; alia vero per quam unus homo cooperatur
ulteri ad hoc quod ad Deum reducatur. »
NOTIONS DE NATUHE ET DE GHACE CHEZ SAINT THOMAS 127

désigner la grâce sanctifiante, dans les Commentaires sur l'Épître


aux Romains ^.

La grâce étant un don personnel, l'^'/rt^ de grâce aussi 'est un état


de la personne.
Après l'analyse de ces notions, la doctrine de la justice primi-
tive et du péché originel sera plus claire et plus facile à saisir.

9. In Epist. ad Rom., c. 5, lect. 3 : « ...per solum primum peccatum primi parentis subla-
tum estbomim iiaturae... Per alla veropec ata subtrahitur bonuiii gratiae personalis, quod
non transit ad posteros. »
CHAPITRE III

LA DOCTRINE DÉFINITIVE DE S. THOMAS


SUR LA JUSTICE PRIMITIVE

Dans la Somme théologique, saint Thomas expose la question

de la justice primitive en dehors de son traité du péché originel.


Le procédé mérite d'être signalé car, jusqu'alors, notre Docteur
;

se conformant à l'usage étabh par ses prédécesseurs, ne l'avait pas


encore appliqué. C'est dans la première partie de la Somme qu'est
abordée l'étude de l'état d'innocence de la nature humaine ^ Dans
cette partie en effet, saint Thomas traite de Dieu, considéré en
lui-même, puis dans ses manifestations extérieures que sont les
œuvres de la création. De cette manifestation de Dieu au dehors.
l'Écriture sainte dit, au début du Hvre de la Genèse :
a Dieu vit

tout ce qu'il avait fait, et tout était très bon ». C'est là le caractère

essentiel des œuvres divines ; tout ce qu'il fait porte le cachet de


son éternelle bonté. C'est la plénitude de son Être qui se répand
et se donne en participation à toutes ses créatures et toute
chose, ;

par là-même qu'elle est bonne, se rapporte à Dieu et se ramène à

Lui.
L'homme, quand mains de son Créateur, participa
il sortit des

donc à cette bonté Dieu créa l'homme à son image et ressem-


:

blance Dieu fit l'homme droit, c'est-àcdire juste, Deus fectt


;

hominem rectum. Tel est le principe sur lequel Docteur Angéhque


le

établit toute sa doctrine de la justice originelle. Et c'est là la raison


pour laquelle il sépare l'exposé de cette doctrine du traité relatif
au péché héréditaire. La justice primitive est l'œuvre de Dieu et
l'effet de sa bonté infinie le péché originel au contraire est l'œu-
;

vre de l'homme. C'est le mal, qui s'oppose à la nature divine, mal


qui ne peut être l'effet que d'une créature failUble, capable de
désordre. Aussi la doctrine sur le péché originel doit-elle prendre
place dans la seconde partie de la Somme -, là où saint Thomas
considère les rapports de l'homme avec Dieu, et traite des actes

humains, c'est-à-dire des vertus et des péchés. Cette place, donnée

1. I. qq. 94-102.
2. I. II. qq. 81-83 et 85.
DOCTRINE DÉFINITIVE DE SAINT THOMAS SUR LA JUSTICE PRIMITIVE 129

aux deux traités dans l'ordre systématique de la Somme, est à

noter ; car elle éclaire utilement la conception générale de la nature


de la faute héréditaire, aussi bien que de la nature de la justice
originelle. La justice originelle est l'effet de la bonté surabon-
dante du Créateur c'est Dieu qui a fait l'homme droit. L'homme
:

n'est pas droit par sa seule nature la rectitude de la nature ;

humaine dans nos premiers parents au moment de leur création


n'était point le résultat des seuls principes constitutifs de l'essence
humaine, mais l'œuvre de Dieu et une grâce spéciale ^.
Le corps humain, en tant que composé d'éléments contraires,
est de sa nature corruptible. De même, la partie inférieure de l'âme,
c'est-à-dire les puissances appétitives sensitives, tendent d'elles-
mêmes vers tout ce qui est délectable aux sens, comme vers leur
propre objet. Et parce que cet objet peut leur être proposé sans
l'intervention de la raison et même contre son ordination, ces puis-
sances peuvent exercer leurs actes propres indépendamment de
la raison et de la volonté ^.

Dès lors, la rectitude primitive de l'homme, c'est-à-dire la sujé-


tion entière et absolue du corps et des facultés sensitives à l'âme
et à la raison, doit être l'effet d'une cause plus haute et supérieure à
notre nature, car une pareille subordination dépasse de beaucoup
les forces de la nature humaine. Aussi, quoique ce don convienne
parfaitement à l'homme en raison de l'origine divine de son âme
spirituelle, incorruptible et formée à l'image de Dieu ^, l'homme n'a-

1. I. q. 95, a. i, c. : « Manifestum est autem quod illa subiectio corporis ad animam et


inferiorum virium ad rationem, non erat naturalis. » Et ibid. q. 97, a. i, c. « ...inerat :

aniniae vis quaedam supernaturaliter divinitus data, per quam poterat corpus ab omni
corruptione praeservare, quamdiu ipsa Dec subiecta mansisset. » Cf. encore I. q. 94, a.
I, c. ; I. II. q. 81, a. 2, c. a. 4, ad 2 a. 5, ad 2 q. 83, a. 2, ad 2 q. 85, a. i,
q. 102, a. 4, c. ; ; ; ; ;
.

a. 6, c. Camp. Theol., ce. 153, 191, 200, 202, 204 Ad Rom. c. 5, lect. 3 I. q. 100, a. i,
; ; ;

c. : K lustitia autem originalis, in qua primus homo conditus fuit, fuit accidîns naturae
speciei non quasi ex principiis speciei causatum, sed tantum sicut quoddam donurn divinitus
datum toti naturae. »

2. Comp. « Non enim hoc erat ex natura corporis, si eius componentia


Theol., c. 191 :

considerentur, quod in eo dissolutio sive quaecumque passio vitae repugnans locum non
liaberet, cum esset ex contrariis elementis compositum. Similiter etiam non erat ex natura
animae quod vires etiam sensibiles absque repugnantia rationi subiicerentur ; cum vires
sensibiles aaturaliter moveantur in ea quae sunt delectabilia secundum sensum quae mul-
toties rectae rationi répugnant. Erat igitur hoc ex virtute superiori, scilicet Dei, qui sicut
animam rationabileni corpori coniunxit, omnem proportionem corporis et corporearum
virtutum, cuiusmodi sunt vires sensibiles, transcendentem ita dédit animae rationali vir- :

tutem, ut supra conditionem corporis ipsum continere posset et vires sensibiles secundum ;

quod rationali animae competebat. » Cf. II. II. q. 164, a. i, ad i.


3. Ad Rom., c. 5, lect. 3 : « Hoc autem providentia divina disposuit propter divinitatem
animae rationalis, quae cum naturaliter sit incorruptibilis, debebatur sibi incorruptibile
corpus sed quia corpus quod est ex contrariis compositum, oportebat esse organum sensus
:

et taie corpus secundum naturam suam incorruptibile esse non potest, supplevit potentia
divina quod deerat naturae humanae, dans animae virtutem continendi corpus incorrup-
tibiliter. » Cf. Comp. Theol., loc. cit.

Bibliothèque thomiste 9
130 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

vait pourtant aurun titre à le réclamer comme un droit, ni à raison


de sa nature, aiiisi que nous l'avons vu, ni, a fortiori, au nom de la
providence et de la justice divines ; car tout ce que Dieu fait, est

sagesse et justice, par la seule raison que cela est son œuvre ^,

Aussi ne peut-on pas parler d'un devoir de Dieu à l'égard de ses


créatures, mais seulement des devoirs des créatures à l'égard de
Dieu, en tant qu'elles doivent se soumettre à Lui, afin de réaliser
l'ordre divin en elles ^.

Ce don gratuit de la rectitude n'est pas un don personnel, mais


appartient à la nature même, et par la nature à la personne. L'indi-
vidu en effet est subordonné à l'espèce. De même que la matière
n'existe que poK' la forme, ainsi la distinction matérielle ou numé-
rique des individus est subordonnée à la distinction formelle ou
spécifique ; et c'est pour ce motif qu'il n'y a dans l'ordre des êtres
incorruptibles qu'un individu de chaque espèce, celle-ci étant suffi-
samment conservée dans un seul ^. L'espèce occupe donc la première
place dans l'intention du Créateur. Dès lors, la fin de la nature
universelle n'est pas l'individu qui est contingent et corruptible,
mais ce qui est nécessaire et perpétuel, c'est-à-dire l'espèce ^. C'est
pourquoi Dieu ne donna pas la droiture primitive directement à
Adam et à Eve, mais à l'homme réahsé en eux.
Ce principe est d'une importance capitale pour déterminer la
nature de la justice originelle d'après saint Thomas. Et d'abord,
il nous fournit l't xplication du nom donum natiirae, don de nature^,

par lequel est dv finie la justice primitive. Ensuite, nous y trouvons


la raison de la transmission de ce don à toute la postérité d'Adam.
Il constitue le fond même de son explication. Car, la génération
étant l'acte d'une nature, qui comme toute cause tend à se repro-
duire, il s'ensuit que c'est par la génération que se transmet tout
ce qui appartient à la nature ®. C'est pourquoi aussi la justice ori-

1. I. II. ad z « Nec solum in rébus huinanis quidquid a Deo mandatur,


q. 94, a. 5, :

hoc ipso debitum, sed etinm in rébus naturalibus quidquid a Deo fit, est naturale quo-
est
dammodo. » Et q. 93, a. i, ad 3 « Intellectus humanus est mensuratus a rébus... Intellec-
:

tus vero divinus st niensura rerum. » Cf. I. q. 94, a. 5, ad 2.


<

2. I. II. q. III, a. I, ad 2.

3. I. q. 47, I. 2, > .

« Id enim per se videtur esse de intentione naturae, quod est seniper


4. I. q. 98, a. I, c. :

et perpetuum quod autem est solum secundum aliquod tempus, non videtur esse princi-
;

paliter de intentione naturae, sed quasi ad aliud ordinatum alioquin, eo corrupto, natu- :

rae intentio cassaretiir. Quia igitur in rébus corruptibilibus nihil est perpetuum et semper
manens nisi species bonum speciei est de principali intentione naturae, ad cuius conserva-
;

tionem naturalis gent-ratio ordinatur. »


5. I. q. 100, a. I, I. II. q. 81, a. 2, c.
I . q. 83, a. 2, ad 2
; q. 85, a. i, c. Comp. Theol.
; ;

ce. 192, 200, 202, Ad Rom., c. 5, lect. 3 ;


Quodlib. 12, q. 20, a. 32.

6. I. q. 41, a. 5, f. « Omnc autem producens


-.
aliquid per suam actionem, producit sibi

simile quantum ad formam qua agit. »


DOCTRINE DÉFINITIVE DE SAINT THOMAS SUR LA JUSTICE ORIGINELLE 131

ginelle, don de la nature spécifique, devait être transmise aux des-


cendants du premier homme ^
L'instrument de cette propagation doit être la matière séminale
de l'homme, principe actif de la génération, qui donne à l'élément
féminin, dans l'acte générateur, la perfection requise pour la récep-
tion de l'âme humaine. Mais, comme la justice originelle est for-

mellement une propriété surajoutée de l'âme, l'action séminale


n'est et ne peut être qu'une cause dispositive de la matière. Néan-
moins, comme l'homme en son entier, âme et corps, et non le corps
seul, est considéré comme le résultat de la génération, en tant que la
vertu séminale dispose effectivement à l'infusion de l'âme créée par
Dieu, on peut dire pareillement que la justice originelle aurait été
transmise par la génération, puisque le principe actif de la géné-
ration transforme la matière de manière à ce qu'elle puisse recevoir
l'âme et avec elle la rectitude originelle 2.

Il s'ensuit encore que tous les descendants d'Adam auraient par-


ticipé au don fait à la nature par l'intermédiaire du semen géné-
rateur, à moins qu'un péché personnel n'y eût mis obstacle ^.
Dans ce cas, les descendants de l'homme devenu pécheur auraient
été privés de la justice originelle ^.

Enfin, dernière conséquence, les perfections entièrement


personnelles n'auraient pas été transmises aux enfants et ceux-ci
n'auraient possédé ni une science parfaite, ni l'usage complet de
leur raison dès le premier moment de leur naissance ^.

Telle est la suite des conclusions que nous pouvons déduire

1. I. q. 100, a. I, c. : « ...naturaliter secundum speciein. Unde


homo générât sibi siniile
quaecumque accidentia consequuntur naturam quod filii parentibus
speciei, in his necesse est
similentur nisi sit error in operatione naturae, qui in statu innocentiae non fuisset. lustitia
;
. .

autem originalis... fuit accidens naturae speciei non quasi ex principiis speciei. causatum,
sed tantum sicut quoddam donum divinitus datum toti naturae ...et propter hoc, etiam
filii parentibus assimilati fuissent quantum ad originalem iustitiam. » Cf. I. II. q. 8i, a. 2,

c. q. 85, a. i, c.
;
Comp. TheoL, ce. 192, 200, 202 Ad. Rom., c. 5, lect. 3.
; ;

2. I. II. q. 82, a. I, c. « ...principium activum in generatione est a pâtre, materiam


:

autem mater ministrat. » Cf. I. II. q. 81, a. 4, ad 2 III. q. 28, a. i, ad 5 q. 93, a. 5, ; ;

c. Voir aussi I. q. ii8, a. 2, ad 4 « ...homo générât sibi siinile in quantum per virtutem
:

seminis eius disponitur materia ad susceptionem talis formae. » I. II. q. 83, a. i, ad 3 :

« ...anima huius hominis non fuit secundum seminalem rationem in Adam peccante sicut

in principio effectivo sed sicut in principio dispositivo eo quod semen corporale quod ex ;

Adam traducitur, sua virtute non efficit animam rationalem, sed ad eam disponit. » Une
autre question concernant aussi le rapport entre la grâce sanctifiante et la justice originelle
sera expliquée plus loin.

3. I. q. 100, a. 2, ad i. « Si Adam non peccasset..., possent tamen fieri filii gehennae


per liberum arbitriura peccando. » Et ad 3 : « ...nec ita necessitatem non peccandi transmi-
sisset ad posteros, quod omnino peccare non possent ;
quod est tantum in beatis. » Cf.
aussi Quodlib. 5, q. 5, a. 8.

4. Cf. chap. 4, p. 131.

5. I. q. roi, a. i, c. : « ...pueri in statu innocentiae non nascerentur perfecti in scientia. »

fct a. 2, c. : « ...pueri in statu innocentiae non habuissent perfectum usum rationis. »


132 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

du principe posé par saint Thomas : c'est la nature humaine plutôt


que la personne qui est créée dans la rectitude. Ce même principe
va nous servir aussi à déterminer la nature de cette justice.

Le mot (( justice » signifie généralement la rectitude de l'ordre


qui existe soit dans l'acte même de l'homme — et alors nous avons
la vertu de justice — , soit dans les dispositions intérieures de sa
nature, en tant que la partie supérieure est subordonnée à Dieu, et les
parties inférieures de l'âme subordonnées à la raison. Or, nous
l'avons dit, la justice originelle est un don de la nature spécifique.
Elle ne se rapporte donc, pas directement aux actes humains,
qui relèvent de la personne, mais à la disposition intérieure de la
nature même. La justice originelle n'est donc pas une vertu, mais
elle consiste dans la rectitude ou harmonie de la nature humaine,
en vertu de laquelle la raison est soumise à Dieu, les parties infé-
rieures de l'âme à la raison, et le corps à l'âme ^.

Ce don de nature doit -il être appelé un habitus ? Il s'agit évidem-


ment, non de la catégorie spéciale ainsi dénommée par Aristote,
mais d'une espèce de la catégorie de qualité. 'L'habitus est donc
cette qualité qu' Aristote et les Scolastiques définissent : une dispo-
sition en vertu de laquelle un être est modifié en bien ou en mal,
eu égard à sa nature, soit qu'on considère cet être en lui-même —
etencecas l'habitus est dit entitatif, — soit qu'on le considère en
fonction de son acte — et alors l'habitus est opératif -. De cette
définition, il résulte pour qu'un
que sont requises trois conditions
sujet soit modifiable par un habitus, opératif ou entitatif. Premiè-
rement, il faut que ce sujet soit en puissance par rapport à d'ul-
térieures dispositions et perfections deuxièfnement, qu'il soit en ;

puissance à plusieurs dispositions possibles, selon des fins diffé-


rentes troisièmement, qu'à chacune de ces dispositions plusieurs
;

éléments concourent, qui soient bien ou mal coordonnés en v^ue

1. I. II. q. 113, a. I, c. : « Cuin autetn iustitia de sui ratione iniportet quamdam recti-
tudinem ordinis, dupliciter accipi potest : uno modo secundum quod importât rectum in
ipso actu hominis, et secundum lioc iustitia ponitur virtus quaedam... Alio modo dicitur
iustitiaprout importât rectitudinem quamdam ordinis in ipsa interiori dispositione hominis,
prout scilicet supremum liominis subditur Deo, et inferiores vires animae subduntur supre-
mae, scilicet rationi et hanc etiam dispositionem vocat Philosophus (Ethic. lib. 5) « ius-
;

titiam metaphorice dictam. » Haec autem iustitia in homine potest fieri dupliciter uno :

quidem modo per modum simplicis generationis, qui est ex privatione ad formam et hoc ;

modo iustiftcatio posset competere etiam ei qui non esset in peccato, dum huiusmodi iusti
tiam a Deo acciperet, sicut Adam dicitur accepisse originalem iustitiam etc.. » Ct. I. q. 94,
a. I, c. ; a. 4, c. ; q. 95, a. i, c. ; a. 2. c. ; a. 3 c. ; q. q8, a. 2, c. ; I. II. q. 82, a. i, c. ; q.
89, a. 3, c. ; II. II. q. 163, a. i ; q. 164, a. i, c. 'id Rom., c. », lect. i ; c. 5, lect. 3 ; Co'np.
Theol., ce. 153, 191, 192.
2. I. II. q. 49, a. I ; ibid., a. 3, c.
,

DOCTRINE DÉFINITIVE DE SAINT THOMAS SUR LA JUSTICE ORIGINELLE 133

de la forme d'être ou de l'opération ^. Or, la justice originelle rem-


plit toutes les conditions requises : la nature pure est évidemment
distincte de la justice primitive qui doit la parfaire, et en puis-
sance par rapport à elle ; cette nature pure peut être modifiée et
disposée de plusieurs manières ; enfin divers éléments, les puis-
sances inférieures et les puissances supérieures, l'âme et le corps,

concourent à cette disposition. La justice originelle — qui provient,


nous le verrons, d'une cause permanente, la grâce sanctifiante —
parce qu'elle dispose les éléments divers de la nature humaine
de manière à la rendre parfaite par rapport à sa forme et à sa fin,

est donc vraiment un habitus. Et puisque la nature humaine n'in-


clut pas une relation directe et immédiate à son acte ou opération,
il s'agit donc ici d'un habitus entitatif et non opératif ^.

Cet habitus, cette perfection de la justice originelle, est, comme


nous l'avons vu, un don, une grâce de Dieu. En quoi est-elle une
grâce ? Doit-on l'identifier, du moins dans son principe formel,
avec la grâce sanctifiante ? Et si non, quel rapport soutient-elle
avec cette grâce ^ ?

Selon un bon nombre de théologiens, saint Thomas, dans ses


derniers ouvrages, spécialement dans sa Somme théologique, sou-
tiendrait que la grâce sanctifiante est le principe formel de la
justice originelle. Ces commentateurs admettent alors que la grâce
sanctifiante avant la chute jouissait d'une efficacité supérieure à
celle qu'elle a dans l'état actuel, où Dieu l'a limitée, quant à son
effet, à la restauration de la seule personne. Ils sont ainsi conduits
à distinguer de la justice originelle l'intégrité de la nature ^.

1. I. II.
q. 49, a. 4, c. « Habitus importât dispositionem quamdam in ordine ad naturam
:

rei, etoperationem vel ûnem eius, secundum quam bene vel maie aliquid ad hoc disponitur.
Ad hoc autem quod aliquid indigeat disponi ad alterum tria requiruntur... etc.
2. Cela se révèle par ce qu'il dit du péché originel qui s'oppose à la justice primitive par
privation « ...duplex est haljitus
: unus quidem quo inclinatur potentia ad agendum,
:

sicut scientiae et virtutes dicuntur habitus et hoc modo peccatum originale non est habi-
;

tus. Alio modo dicitur habitus dispositio alicuius naturae ex multis compositae secundum
quod bene se habet vel maie ad aliquid et praecipue cum talis dispositio fuerit quasi in
;

naturam versa, ut patet de aegritudine et sanitate et hoc modo peccatum originale est;

habitus. » (I. II. q. 82, a. i, c).

3. Sur les rapports de la justice primitive et de la grâce, s'est élevée récemment


une controverse entre M. J. Bittremieux, professeur à l'Université de Loi;vain, et
M. A. Michel, professeur à l'Université catholique de Lille. Cf. Revue Thomiste, 1921,
pp. 121-150 et 424-430. Nous penson; que notre étude, mettant en valeur la structure
générale de la doctrine thomiste, et dcouvrant les sources qu'elle utilise, pourra appor-
ter quelq e lumière dans ces questions difficiles.

4. SoTO, De natura et gratta, I. c. 5. Suarez, De Creatione, J. 3, c. 20 (éd. Vives, t. 3).


Valentia, t. I, disp. 7, q. 2. Médina, I. II. q. 83, a. 2. Salmanticenses, t. 8, De vitits et
peccatis, disp. 16, dub. i, n. 7. De Rubeis, De originali peccato. Billuart, Tract, de Gratia,
diss. 2, a. I, § 2 et 3. Gonet, Clypeus theo. thsmist., t. III, tract. 8, disp. i, a. 5. Perrone,
Praelect. theol., I p. 3, c. 2. Van der meersch, Z)irf. rft theol. cath., art. Grâce, col. 1608.
134 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

Cette opinion ne nous semble pas fondée. Il est bien vrai que,
dans la Somme, la relation entre la grâce sanctifiante et la justice
originelle est plus accentuée et plus étroite que dans les ouvrages
antérieurs. Nous ne sommes plus ici en présence d'une simple
juxtaposition de fait de ces deux grâces, mais bien en face d'une
dépendance nécessaire, indispensable. L'une ne peut exister sans
l'autre. Cependant nous ne croyons pas pour autant que saint
Thomas affirme leur identité.
Voici les motifs sur lesquels se fonde notre interprétation.
D'abord remarquons qu'aucun texte n'énonce cette identité. Dans
la première partie de la Somme, où il traite cette question ex

professe saint Thomas conclut seulement que l'homme doit être créé
avec la grâce sanctifiante, parce que, sans elle, la justice originelle
est impossible. Cette conclusion s'explique aussi bien dans le cas
d'une dépendance nécessaire que dans celui d'une identification
formelle.
Premier argument positif. La doctrine de saint Thomas sur la
nous l'avons dit, sur le principe que
justice originelle est fondée,
ce don n'est pas personnel, mais relève de la nature spécifique
de l'homme. Il est dès lors impossible d'identifier la justice origi-
nelle avec la grâce sanctifiante, puisque cette dernière est essen-
tiellement un don personnel. Nous l'avons déjà remarqué au cha-
pitre précédent la grâce est donnée à l'homme comme principe
:

de son adoption surnaturelle par Dieu, et l'homme est, par elle,


ordonné à la possession de sa fin surnaturelle. Aussi ce don appar-
tient-il à la personne humaine. Il ne suffit pas — comme le fait

d'ailleurs saint Thomas — d'attribuer à la grâce sanctifiante


d'avant la chute une efficacité plus grande, eh vertu de laquelle la

partie inférieure de notre nature était subordonnée à la raison


et la volonté. La dans le caractère personnel de
difficulté réside
la grâce sanctifiante ;
nous interdit de l'identifier
et c'est ce qui
avec la justice originelle, don de nature. C'est pourquoi saint
Thomas ne dit pas (III'* q. 27, a. 3), que dans l'hypothèse où la
grâce donnée à la Sainte Vierge aurait causé la subordination
totale de la partie inférieure de l'âme à la raison et à la volonté,
cette grâce aurait par le fait même restitué la justice originelle ;

non, il affirme que : « quantum ad hoc gratta sanctificationis in

Virgine habtiit viM iustitiae originalis. i>

Nous trouvons un second argument dans quelques expressions


de saint Thomas. Il dit par exemple, dans son Commentaire sur

l'Épître aux Romains, que Dieu donna la justice originelle à l'hom-


DOCTRINE DÉFINITIVE DE SAINT THOMAS SUR LA JUSTIlI ORfOINELLE 135

me à cause de la divinité de son âme. Par ce don, il suppléa ce qui


manquait à la nature humaine. L'incorruptibilité; fut communi-
quée à l'homme parce qu'elle lui était plus naturel K; relativement à
la partie supérieure de sa nature, c'est-à-dire râin(;. Et c'est pour
la même raison que les parties inférieures furent entièrement subor-
données à la raison ^. Dieu, on le voit, a doué l'homme de la recti-
tude originelle, pour suppléer à l'insuffisance de sa nature. C'est
donc que la justice originelle, quoique dépassant les forces natu-
relles, ne s'élève cependant pas au-dessus de la dignité de l'âme,

qui appelait cette justice originelle et en était coiame la mesure 2.


Or, la grâce sanctifiante dépasse infiniment la dignité de l'âme,
non seulement parce que l'âme ne peut pas la j)roduire, comme
c'est déjà le cas pour la justice originelle, mais encore et surtout
parce que la grâce habituelle, qui est essentiellement de l'ordre
surnaturel, surpasse infiniment l'ordre naturel, auquel appartient
l'âme humaine. Si donc la justice originelle est donnée à l'homme
pour suppléer à l'insuffisance de sa nature vis-à-vis de l'âme,
il s'ensuit que la justice primitive perfectionne h\ nature humaine

seulement dans son ordre propre elle la rend droite en lui pro-
:

curant une parfaite harmonie entre les différente s parties consti-

tutives du composé humain ; mais elle n'élève nullement l'homme


au-dessus de l'ordre des créatures, comme le fait la grâce sancti-
donne participation de la nature
fiante qui, elle, lui Les divine.
expressions de saint Thomas supposent donc une distinction for-
melle entre la grâce sanctifiante et la justice originelle. C'est pour-
quoi dans le DeMalo, q. 5, a. i, il faisait une distinction entre l'homme
et les autres créatures rationnelles par rapport au secours divin.
Pour atteindre la fin suprême toutes ont besoin de la grâce mais ;

à l'homme il faut en outre la justice originelle, à cause de la cons-


1. Ad Rom., c. 5, lect. 3 « Alio modo potest considerari natura hominis secundum quod
:

per divinam providentiam fuit ei per iustitiam originalem provisuin. Quae quidem iustitia
erat quaedam rectitudo, ut mens hominis esset sub Deo, et inferiores vires essent sub mente;
et corpus sub anima, et omnia exteriora sub homine, ita scilicet, quod quamdiu mens homi-
nis Deo subderetur, vires inferiores subderentur rationi, et corpus animae, indeficienter ab
ea vitam recipiens, et exteriora homini, ut sciUcet omnia servirent, et nullum ex eis nocu-
mentum sentiret. Hoc autem providentia divina disposuit propter divinitatem animae ratio-
nalis, quae cum naturaliter sit incorruptibiUs, debebatur sibi incorruptibile corpus sed quia :

corpus quod est ex contrariis compositum, oportebat esse organum sensus, et taie corpus
secundum naturam suam incorruptibile esse non potest, supplevit potentia divina quod
deerat naturae humanae, dans animae virtutem continendi corpus incorruptibiliter, sicut
faber si posset, daret ferro, ex quo cultellum fabricat, virtutem ut rubiginem nullam contra-
heret. Sic ergo postquam mens hominis per peccatum est a Deo a versa, amisit virtutem
continendi inferiores vires, et etiam corpus et exteriora, et sic incurrit mortem naturalem
a causis intrinsecis et violentiam ab exterioribus nocumentis. » Cf. I. q. 97, a. i, c. ; I. II.
q. 85, a. 6, c. ; Comp. Theol. ce. 151, 191.

2. Cela n'empêche pas que la justice originelle soit ultérieurement une disposition pour
la grâce. En rectifiant la nature, elle en enlève les obstacles à la vie parfaite de la grâce.
136 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

titution particulière de sa nature ^. Telle est, croj'ons-nous, la véri-


table interprétation de saint Thomas, qui se trouve d'ailleurs
expressément chez Cajetan et Ferrariensis 2.
Cette distinction nous explique aussi, pourquoi le saint Docteur
ne connaît que deux états de la nature humaine, l'état de nature
droiteou intègre, status naturae inte^rae, et l'état de nature cor-
rompue, status naturae corruptae. En identifiant le concept de l'état
de nature avec celui de l'état de l'homme, c'est-à-dire ce qui est
spécifique avec ce qui est individuel, on a obscurci la notion de la
justice originelle ^.

On admet en général cinq états de la nature humaine sur la


terre, l'état de nature pure, l'état de nature droite ou intègre,
l'état de justice originelle, l'état de nature déchue, et l'état de
nature réparée ou état de grâce. Or, comme nous l'avons vu dans
le chapitre précédent, imaginer un « état « de nature pure est une
contradiction ; on peut supposer l'homme créé dans des conditions
purement naturelles (in puris natuvalihus ; in conditione suae
natt{rae) ina.is , il est impossible de vouloir constituer un état, dains
le sens strict du mot, avec ces seules conditions. De même l'état
de nature réparée est inconnu à saint Thomas, pour qui la grâce
est un don personnel ; il est d'ailleurs assez évident que la nature
comme telle n'est pas réparée, puisqu'elle se propage encore avec
le péché originel, et que, par suite, seules les personnes sont réta-
bliesdans l'amitié de Dieu puis, par l'intermédiaire de la personne,
;

la nature de l'individu on ne peut donc pas nommer cet état un


;

état de nature. Quant à l'état de nature déchue, il est bien clair que
saint Thomas l'admet et le décrit aucun doute à cet égard. Res- ;

tent donc les états de nature intègre et l'état, de justice originelle.


Or saint Thomas n'admet pas de distinction entre ces deux états :

Pour lui, ils sont identiques. La justice originelle n'est autre chose
que la rectitude de la nature dont la grâce est bien la cause effec-
tive, mais, en aucune manière, la cause formelle. Il reste donc

seulement l'état de nature intègre ou de justice originelle, et l'état


de nature déchue. C'est pourquoi le saint Docteur dans son traité
sur la grâce ne parle que de ces deux états c'est pourquoi il peut ;

1. Voyez p. 108, note 2.


2. Cf. Cajetan, Comm. in I, q. 95-100 ; Ferrariensis : Comm. in lib. IV C. Cent.
52, p. 291. (Romae 1901).
3. I. II. q. 109, a. 2, c. « Natura hominis potest dupliciter considerari
: uno modo in :

sUi integritate ; aliomodo secuhdum quod est corrupta in nobis per peccatum primi paren-
tis. » Cf. aussi a. 8, c. De l'état de l'homme, S. Thomas parle I. II. q. 106, a. 4, ad i « tri- ;

plex est hominum status. Primus quidem veteris legis secundus novae legis tertius status; ;

succedit non in hac vita sed in futura, scilicct in patria. » Cf. I. II. a. loi, a. 2, c. ; q. 103,
a. 3, c. ; III. q. 53, a. 2.
,

DOCTRINE DÉFINITIVE [ E SAINT THOMAS SUR LA JUSTICE ORIGINELLE 137

considérer l'état de nature en Adam, sans intervention tel qu'il fut

de la grâce, et l'état de nature déchue avec la grâce c'est pour- ;

quoi il emploie toujours en parlant de l'état de nature de nos pre-


miers parents, l'expression l'état de nature intègre ou l'état :

d'innocence ^.

Mais quelle relation existe ai ors entre la grâce et la justice ori-


ginelle ? La réponse à cette question va nous permettre de préciser
encore la notion de rectitude primitive.
Rappelons d'abord que cette rectitude est en soi une perfec-
tion de l'ordre naturel, bien qu'elle surpasse les forces de la seule
nature humaine elle n'est pas naturelle en tant que requise par
;

notre nature, mais bien une chose naturelle en soi. Car même à
l'égard de la grâce, elle ne dispose la nature que négativement,
en enlevant tout obstacle par la rectitude de la volonté d'abord,
puis par la subordination des autres facultés à la direction de la
volonté. C'est la conséquence de ce que nous venons de dire ^.
La justice ou rectitude de la nature comporte en général la
subordination des éléments inférieurs aux éléments supérieurs, soit
donc la soumission du corps à l'âme, des parties appétitives sensi-
tives à la partie appétitive rationnelle et à la raison, et de la rai-

son à Dieu. Or, dans l'état d'intégrité, l'homme n'avait pas besoin
de la grâce pour aimer Dieu naturellement par-dessus tout ^. La
sujétion de la volonté à Dieu, en tant que relevant de la justice
originelle, n'étaitdonc pas le but et la raison d'être de la grâce
sanctifiante. Mais, il 3' a, dans la triple sujétion que comporte la
justice primitive, un ordre hiérarchique : la sujétion de la raison
à Dieu est la cause de la subordination de la partie sensitive à la
raison, et du corps à l'âme. Saint Thomas cite en faveur de cette
assertion un texte de saint Augustin : « Tant que l'âme reste subor-
donnée à Dieu, ses puissances inférieures lui sont soumises d'elle-

même » ; et dans la I"" IL''*' q. 82, a. 3, il en donne la raison, à

savoir qu'il appartient à la volonté de diriger toutes les autres


puissances de l'âme vers la fin *. Or, — et voici la raison de la grâce —
la soumission totale des parties inférieures à la raison dépasse

1. Voir I. q. loo, a. i, c. et ad 2 ; I. II. q. 89, a. 3, c ; q. 109, a. 2, c ; a. 3, c. ; a. 4, c,


a. 8, c. ; a. 10, ad 3 ; q. 113, a. i, c. ;
q. 114, a. 2, c.

2. I. q. 95, a. 4, c. : « ...(gratia) tune copiosior fuisset, nullo obstaculo in natura humana


invente. »

3. Cf. I. II. q. 109, a. 3, c.

Tota autem ordinatio originalis iustitiae ex hoc est quod voluntas hominis erat Deo
4. «
subiecta. Quae quidem subiectio primo et principaliter erat per voluntatem, cuius est
movere omnes alias partes in finem. »
138 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

les forces de la nature ; s'il en était autrement nous posséderions


encore cette domination après la chute de nos premiers parents,

car, posés les principes constitutifs de la nature et les propriétés

qui en découlent, le bien de cette nature n'est pas diminué par


le péché ^. Dans ces conditions, la raison, pour dominer totalement
les puissances inférieures, avait besoin d'une force surajoutée et
surnaturelle : cette force venait de la grâce sanctifiante ; comme
le dit saint Augustin (De Civit. Dei, lib. 13, c. 13) : « Immédia-
tement après la transgression, la grâce abandonnant nos premiers
parents, ils avaient honte de leur nudité ^. ^>

Pourquoi la grâce sanctifiante était-elle nécessaire pour pro-


duire cette rectitude ? Dieu ne pouvait-il pas, par un autre don
surnaturel, obtenir le même effet ? —
Saint Thomas, notons-le
d'abord, affirme cette causalité de la grâce sur l'autorité de saint
Augustin. ^lais on peut apporter aussi la raison suivante. Il s'agit

ici de la confirmation de la volonté humaine sur laquelle rien ne


peut agir intérieurement hormis Dieu lui-même cette confirma- ;

tion porte sur la sujétion de la volonté à Dieu, puisque c'est préci-


sément cette sujétion de la volonté qui lui procure la force de se
subordonner les facultés inférieures enfin, cette confirmation ;

doit être permanente, afin de pouvoir constituer un état. Or, ces


trois conditions ne sont remplies que par la grâce la grâce, et :

la grâce seule peut assurer la sujétion surnaturelle et habituelle

de la volonté à Dieu. C'est donc avec raison que saint Thomas


affirme qu'Adam a dû être créé dans la grâce sanctifiante. Nous

1. I. II. q. 85, a. I, c. : « ...bonum naturae humanae potest tripliciter dici : primo ipsa
principia naturae ex quibus ipsa natura constituitur et proprietates ex his causatae, sicut
potentiae animae et alia huiusmodi... Primum igitur bonum naturae nec tollitur, nec dimi-
nuitur per peccatum. »

2. I. q. 95, Respondeo dicendum quod quidam dicunt quod primus homo non
a. I, c. : «

fuit creatus in gratia postmodum gratia fuit ei collata, antequam peccasset,


; sed tamen
Plurimae autem Sanctorum auctoritates attestantur hominem in statu innocentiae gratiam
habuisse. Sed quod fuerit etiam conditus in gratia ut alii dicunt, videtur requirere ipsa
rectitudo primi status, in qua Deus hominem fecit, secundum illud Eccl. VII. 30 Deus :

fecit hominem rectum. Erat enim haec rectitudo secundum hoc quod ratio subdebatur Deo,
rationi vero inferiores vires et animae corpus. Prima autem subiectio erat causa et secundae
et tertiae. Quamdiu enim ratio manebat Deo subiecta.inferiora ei subdebantur, ut Augus-
tinus dicit, De Remiss. pecc. lib. I. c. 16. Manifestum est autem quod illa subiectio cor-
poris ad animam, et inferiorum virium ad rationem, non erat naturalis alioquin post ;

peccatum permanserunt, ut Dionysius dicit (De divinis nominibus, c. 4, p. 4, i, 19.) Unde


manifestum est quod et illa prima subiectio, qua ratio Deo subdebatur, non erat solum
secundum naturam sed secundum supeniaturale donum gratiae non enim potest esse ;

quod eSectus sit potior quani causa. Unde Augustinus dicit De civitate Dei, lib. XIII, :

c 13, quod « postquam praecepti facta transgressio est, confestim, gratia deserente divina,
de corporum suorum nuditate confusi sunt. Senserunt enim motum inoboedientis camis
suae, tamquara reciprocam poenam inoboedientiae suae ». Ex quo datur intelligi, si deserente
gratia, soluta est oboedieatia camis ad animam, quod per gratiam in anima existeatem
inferiora ei subdebantur. » Cf. Comp. Theol., ce. 191, 193, 197.
DOCTRINE DKFINfTIVE DE SAINT THOiMAS SUR LA JUSTICE ORIGINELLE 139

pouvons dès lors conclure que la grâce était chez le premier homme
la cause efficiente de la justice originelle, mais non sa cause for-
melle ; et de fait saint Thomas ne dit jamais que la rectitude du
premier état consistait dans la possession de la grâce sanctifiante,
mais bien qu'elle l'exigeait comme sa racine ^.

Il semble que l'opinion contraire s'est affirmée à l'occasion et

à cause des polémiques dirigées contre Baius et Jansénius. En réfu-


tant ces docteurs qui exagéraient le caractère naturel de la justice
primitive, les théologiens catholiques ont à leur tour exagéré le
rôle de la grâce. L'équivoque s'est produite d'abord à cause du
caractère gratuit et préternaturel de la rectitude dans laquelle
notre nature fut créée, ce qui faisait appeler cette rectitude une
grâce ; elle s'est produite aussi par le fait que cette rectitude est
vraiment l'effet de la grâce sanctifiante et en même temps une dis-
position à cette grâce ; enfin, parce que, de fait, la grâce sancti-
fiante appartenait à l'état de justice originelle.
Reste à voir comment la justice originelle, qui est l'effet de la
grâce sanctifiante, peut être en même temps une disposition à
cette grâce Pour résoudre cette difficulté, il suffit d'observer que
?

dans tout changement substantiel les dispositions ultimes de


la matière à l'égard de la forme nouvelle procèdent de cette forme

même ; de là la distinction entre les « dispositiones praeviae »

et les « Les dispositions ultimes de la ma-


dispositiones ultimae ».

tière ne sont pas relatives au devenir ou « fieri « de la forme, mais


à son existence ou « esse » elles ne sont donc nécessaires qu'à
;

l'instant même où parait la forme. Elles peuvent en conséquence


résulter de la forme même. C'est ainsi que la justice originelle est
à la fois disposition et effet de la grâce sanctifiante.

Appliquons maintenant cette doctrine du rapport de la justice


originelle et de la grâce sanctifiante au problème de la transmis-
sion de la justice primitive. Si la grâce est hée si intimement à
la rectitude de la nature, jusqu'à en être la cause efficiente, ne fau-

drait-il pas dire que la grâce sanctifiante se propage aussi avec


la nature ? S'il en était autrement, pourrait-on encore dire que
la justice originelle peut se propager avec la nature humaine ?

Pour exposer plus clairement, la solution de ces questions, il sera

I. I. q. loo, a. I, ad 2 : « ...radix originalis iustitiae, in ciiius rectitudine factus est homo,


consistit in subiectione supematurali rationis in Deum, quae est per gratiam gratum facien*
tem. » Le caractère personnel de la grâce se révèle encore dans la réponse ad 5 de l'article 5
de la quest. 95. Là S. Thomas suppose le consentement d'Adam, dès le premier moment de
sa création, à l'infusion de la grâce : « ...cimi motus volimtatis non sit continuus, nihil
prohibet etiam in primo instanti suae creationis primum bominem gratiae consensisse. »
140 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

utile de prendre, comme


exemple, la génération humaine. La
nature humaine, en ne se propage pas de la même manière
effet,

que cePe des animaux sans raison chez ces derniers, la forme ;

aussi bien que la matière procèdent de la seule puissance séminale ;

chez l'homme, au contraire, chaque forme individuelle, c'est-à-


dire chaque âme, est immédiatement créée par Dieu la puissance ;

génératrice de l'homme mais l'âme


dispose, il est vrai, la matière,
vient de Dieu. Cela n'empêche pas que l'on disela nature de
humaine qu'elle se propage par voie de génération. La raison en est,
que Dieu n'agit pas, dans la constitution de l'individu humain,
comme une cause extra-naturelle, mais conformément à l'ordre de
la nature. Comme telle, la causalité divine, une fois posée la libre
institution de la nature elle-même, est nécessaire, en tant que les
dispositions produites par l'homme dans la matière exigent une
forme rationnelle, créée par Dieu. C'est donc à raison du senien géné-
rateur que Dieu crée l'âme humaine, et ainsi on peut dire que la
nature humaine se propage par la génération, bien que son principe
formel soit l'effet immédiat du Créateur.

Pour en revenir à notre question, il est évident que la grâce


sanctifiante ne peut se propager, ni directement, ni indirectement,
en vertu de l'action séminale de l'homme. Elle n'appartient en
effet à aucun titre à l'ordre naturel. Une nature créée, si parfaite
ne peut jamais produire une disposition qui exige une forme
soit-elle,

substantiellement surnaturelle. Il en est tout autrement de la^


justice originelle. Comme nous l'avons dit, la justice originelle
n'appartient pas foncièrement à l'ordre surnaturel. 11 n'y a donc
pas contradiction à dire que la justice originelle, accordée tout
d'abord aux premiers générateurs de la race* humaine, conféra au
semen générateur d'x\dam la vertu de conduire la matière généra-
triceféminine à un degré de perfection tel. que cette matière,
en son dernier état, exigeait comme forme, non seulement une
âme rationnelle, mais encore une âme douée d'une rectitude parfaite.
Dans ces conditions, l'enfant qui serait né, aurait vraiment reçu
ce don de la nature, de parla vertu du s^m^^z générateur de l'homme ^.
Cependant, et c'est ici ^a difficulté, cette justice est impos-
sible sans la grâce. La grâce aurait donc été exigée par la généra-
tion. Il faut établir iciime distinction. Dans l'hypothèse précédente
la grâce n'aurait pas été exigée en vertu de la génération même,
comme c'est le cas pour l'âme et la justice originelle, mais elle^

I. I. II. q. 8i, a. 2, c. : < ...originalis iustitia traducta fuisset in posteros siinul cum
natura. » Cf. II. II.164, a. i, ad 3 ; et Comp. Theol. ce. 192, 200. .\lbert le
q. Giand
bppo e ajssi la justice origme//^ à là justice gratuite. Cf. p. 64, note 3.
DOCTRINE DÉFINITIVE DE SAINT THOMAS SUR LA JUSTICE ORIGINELLE 141

n'aurait été requise que comme condition nécessaire à cette jus-


tice. La génération ne requiert rien d'autre qu'une nature droite.
Que la grâce soit une condition nécessaire à la possession de cette
rectitude, cela est accidentel, par rapport à la génération. Dans
l'espèce, la grâce n'aurait étéqu'une condition sine qua non. La
justice originelle aurait donc appartenue à la nature propagée,
mais non la grâce sanctifiante, qui est un don personnel. Dieu
aurait donné la grâce sanctifiante à la personne, lors de la nais-
sance, afin de lui procurer ce qui lui était dû en vertu de la géné-
ration, c'est-à-dire la justice originelle ^.

Écartons, en terminant, une conception inexacte : la rectitude


des différentes parties de la nature trouve son siège ou sa racine
dans l'âme, et non pas son existence formelle dans les puissances.
C'est cette rectitude radicale qui constitue la justice originelle ^.

Quelles sont maintenant les propriétés de cette rectitude pri-


mitive ?

La première propriété de la rectitude originelle est son unité.


Dans chaque personne il n'aurait existé qu'une justice originelle,
laquelle maintenait toutes les parties de l'âme dans l'unité ^. La
rectitude des puissances appétitives n'aurait donc pas été une
autre justice que celle de la volonté, puisque le principe formel de
la rectitude de toute la nature aurait été la rectitude même de la
volonté. Par cette rectitude aussi les autres puissances de l'âme
eussent été droites, car la volonté, principe moteur de toutes ces
autres puissances, leur communiquait, avec le mouvement, l'or-
dination à leur fin. C'est ainsi que saint Thomas est conduit à
distinguer deux parties dans la justice originelle, la partie formelle
qui est la rectitude de la volonté, et la partie matérielle consti-
tuée par la subordination des diverses parties de l'âme à la
volonté *.

Communiquée à plusieurs individus, la justice originelle aurait

1. I. q. loo. a. I, ad 2 : « Cum
radix originalis iustitiae, in cuius rectitudine factus est
homo, consistât Deum, quae est per gratiam gratum
in subiectione supematurali rationis in
facienteni, ut supra dictum est, necesse est dicere, quod si pueri nati fuissent in originali
iustitia etiam nati fuissent cum gratia, sicut et de primo homine supra diximus quod fuit
cum gratia conditus. Non tamen fuisset propter hoc gratia naturalis quia non fuisset ;

transfusa per \-irtutem seminis, sed fuisset collata homini statim cum habuisset animam
rationalem. » La justice =e transmet par génération, la grâce non.
2. I. II. q. ad 2 « ...etiam originalis iustitia pertinebat primordialiter ad essen-
83, a. 2, :

tiam animae erat enim donum divinitus datum humanae naturae, quam per prius respicit
;

essentia animae quam potentiae. Potentiae enim magis videntur pertinere ad personam,
in quantum sunt principium personalium actuum. »

3. I. II. q. 82, a. 2, ad 3.

4. Cf. p. 138, note 2 ; I. II. q. 82, a. 3, c. ; Coinp. TheoL, ce. 191, 197.
142 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

été numériquement multiple, mais non spécifiquement. Don de


la nature spécifique, elle aurait été, comme la nature même, for-
mellement une dans tous ^.

Quel aurait été le sujet de cette justice primitive ?

En Adam, elle existait comme dans sa cause principale à l'égard


de tous les descendants ^ ; dans le semen générateur, elle se serait

trouvée comme dans sa cause instrumentale et dispositive ^. Le


sujet de la justice originelle était l'âme, et, en premier lieu, l'es-
sence de l'âme, de préférence aux puissances. C'est pourquoi nous
disions tout à l'heure que la justice originelle doit être conçue
comme subsistant radicalement dans l'essence de l'àme^.
Cependant, si nous considérons la justice originelle dans son
inclination à l'acte, elle vise alors les puissances de l'âme, et avant
tout la volonté ; car la volonté, dans l'ordre de l'action, est plus
proche de l'âme que les autres puissances, puisque c'est elle qui
est leur principe moteur 5.

Il suffira, pour finir, de dire quelques mots sur les effets de la


justice originelle.
La justice originelle devait exercer son efficacité sur toutes
les puissances de la nature humaine, et étendre son action sur les
individus, la société et la conservation de l'espèce.
Tout d'abord, en ce qui concerne la nature de l'homme, la rai-

son d'Adam, ne trouvant pas dans le monde extérieur un obstacle


à sa contemplation claire et ferme des oeuvres intelligibles de Dieu,
connaissait son Créateur dans une plus pleine lumière que pré-
sentement ^. Pour le même motif, Adam connaissait les anges plus
parfaitement que nous, puisque sa connaissance des objets intelli-

gibles existant en son âme, était plus sûre et plus stable que la
nôtre '. De plus, sa raison ne pouvait pas se tromper l'erreur de ;

1. Cf. I. II. q. 82, a. 2, c.


2. I. q. 100, a. I, c. : « ...filii parentibus assimilât! fuissent quantum ad originalem iusti-
tiam. » Cf. a. 2, c. Et I.II. q. 81, a. 2, c. « ...originalis iustitia traducta fuisset in po=teros
:

simul cum natura. i>

3. Cf. p. 131.
4. Cf. p. 141, note I ;
Comp. Theol., c. 191.

5. Cf. I. II. q. 83, a. 3, sed contra, et in corp. ; I. II. q. 82, a. 3, c .

6. 94, a. I, c. « ...homo primus non impediebatur per res exteriores a clara et arma
I. q. :

contemplatione intelligibilium effectuum, quos ex irradiatione primae veritatis percipiebat,


sive naturali cognitione sive gratuita... Sic igitur per huiusmodi intelligibiles efïectus Dei
Deum clarius cognoscebat quani modo cognoscamus. »

7. I. ...anima primi hominis non poterat quidam videre angelos per


q. 94, a. 2, c. : «

essentiam, sed tamen excellentiorem modum cognitionis habebat de eis quam nos habeamus,
quia eius cognitio erat magis certa, et fixa circa interiora intelligibilia quam coguitio nostca. »
DOCTRINE DliUNITlVE DE SAINT THOMAS SUR LA JUSTICE ORIGINELLE 143

la raison à l'égard de son objet propre n'est possible, en effet, que


si un obstacle d'ordre inférieur intervient, l'imagination, par
exemple, ou tout autre cause semblable. Mais précisément, ces
facultés inférieures étaient alors dominées elles-mêmes par la jus-
tice originelle ^.

Quant à la volonté, elle commandait en maîtresse, « despoti-


quement », aux passions, de sorte qu'aucun mouvement désor-
donné ne pouvait se produire en elles. Et de même que dans la
raison toute méprise à l'égard du vrai bien était impossible, ainsi
la volonté ne pouvait se laisser séduire par le mal ^.

Dans la partie sensitive, étaient absentes certaines passions, qui,


comme la crainte et la douleur, procèdent de notre inclination vers
le mal, ou vers un bien nécessaire inattingible ou insaisissable^.
De son côté, le corps de l'homme, incorruptible et immortel,
ne connaissait que les passions ennoblissantes, ignorant celles qui
auraient pu le faire souffrir ou l'amoindrir. L'immortalité était
l'effet de la grâce, l'arbre de vie ne jouant qu'un rôle secondaire
et dispositif ^.

Dans l'ordre surnaturel l'homme aurait joui de toutes les vertus,


sans cependant les posséder toutes de la même manière. Celles
qui auraient impliqué quelque imperfection contraire à la per-
fection de l'état de la justice originelle, n'étaient dans l'homme
que comme habitus ; les autres, au contraire, avaient leur pleine
efficience opérative ^.

Les œuvres de l'homme en cet état étaient plus méritoires que


ne le sont maintenant les nôtres, à envisager l'étendue du mérite

du côté de la grâce, qui était alors plus abondante à raison de la

1. I. q. 94, a. 4, c.
2. 95, a. 2, c.
I. q. « In statu vero innocentiae inferior appetitus erat rationi totaliter
:

subiectus. » Cf. In Epist. ad Ephes., c. 5, lect. 6 ; Comp. Theol., c. 191 « ...ratio himiana :

nullis inordinatis passionibuï turbabatur. »

3. I. q. 95, a. 2, c. « ...omnes illae passiones quae respiciunt malum in Adam non erant,
:

ut timor et dolor et huiusmodi similiter nec illae passiones quae respiciunt boniun non
;

habitum et tune habendum ut cupiditas aestuans. Illae vero passiones quae possunt esse
boni praesentis ut gaudium et amor vel quae sunt futiuri boni in suo tempore habendi,
;

ut desiderium et spes non affligens, fuerunt in statu innocentiae... Non erant (tamen) in eo
pcissiones animae nisi ex rationis iudicio conséquentes. » Cf. a. 3, ad 2.

4. I. q. 97, a. I, c. : « Non enim


corpus eius erat indissolubile per aUquem immortalitatis
vigorem sed inerat animae \'is quaedam supematuraliter divinitus data
in eo existentem ;

per quam poterat corpus ab omni corruptione praeserA'are, quamdiu ipsa Deo subiecta
mansisset. » Et ad 3 « ...vis illa praeservandi corpus a corruptione non erat animae humanae
:

naturalis, sed per donum gratiae ; et quamvis gratiam recuperaverit ad remissionem culpae
et meritum gloriae, non tamen ad animae immortalitatis effectum. » Sur la passibilité et
l'impassibilité cf. I. q. 97, a. 2. —
Sur l'immortcilité, cf. I. q. 97 a. 4, c, et encore Comp.
Theol. ce. 153, 191 ; et I. II. q. 85, a. 5, c,
5. I. q. 95, a. 3, c.
144 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

disposition meilleure de la nature. Il en était de même, si l'on


considère l'œuvre de l'homme primitif dans toute son étendue.
L'homme disposant alors d'une vertu plus parfaite, produisait
aussi des œuvres plus excellentes. Cependant, si nous envisageons
leur valeur relative, ces œuvres de l'homme l'emportent mainte-
nant par un plus grand mérite, parce qu'après la chute l'homme
est frappé d'une plus grande impuissance ^.
Au point de vue de ses relations avec les autres êtres de la nature,
l'homme dominait toutes les créatures inférieures, animées ou
inanimées, quoique d'une manière différente. Il gouvernait les

animaux par son commandement, imperium, et par l'usage qu'il


en faisait ; les plantes et les êtres inanimés simplement par une
utilisation sans obstacle -.

Dans les rapports des hommes entre eux, se serait exercé un


certain pouvoir, un régime de domination, au profit du plus intel-

ligent ou du plus habile, qui aurait dirigé les autres vers leur bien
particulier et à la fois vers le bien commun ^.

Le régime de la propagation naturelle de l'espèce aurait existé


dans l'état de justice originelle, et cela par la génération, qui est
une perfection fondamentale de la nature *. Comme présentement,
elle se serait effectuée par l'union de l'homme et de la femme,

mais sans les dérèglements d'une concupiscence désordonnée, étant


donnée la parfaite subordination des facultés sensitives à la rai-
son et la^. La délectation sensuelle n'aurait d'ailleurs pas
volonté
été abolie pour autant elle aurait été plutôt intensifiée à cause
;

de la perfection plu? grande de la nature et de la sensibilité plus


affinée du corps ®.

1. I. q. 95, a. 4, c. : « hominis opéra ad «lereiidum in statu innocen-


...efficaciora fuissent
tiae quana post peccatuni,attendatur quantitas meriti ex parte gratiae, quae tune copio-
si

sior fuisset, nuUo obstaculo in natura humana inv^ento similiter etiam, si consideretur ;

absoluta quantitas operis quia cum homo esset maioris virtutis, maiora opéra fecisset.
;

Sed si consideretur quantitas proportionalis, maior invenitur ratio meriti post peccatum
propter hominis imbecillitatem. »
2. I. q. 96, a. 2, c. ; « ...in statu innocentiae animalibus aliis per imperium dominabatur.. ;

dominabatur plantis et rébus inanimatis, non per imperium, vel immutationem, sed absque
impedimento utendo eorum auxilio. » Cf. a. i, c. Comp. Theol., c. 192. ;

3. I. q. 96, a. 6, c.

4. I. q. 98, a. I, c. « ...in statu innocentiae fuisset generatio ad multiplicationem humani


:

generis ; alioquin peccatum hominis fuisset valde necessarium ex que tantum bonum conse-
cutum est. » Cf. II. II. q. 164, a. 2, ad 2.

5. I. q. 98, a. 2, c. : « Ea enim quae sunt naturalia homini, neque subtrahuntur, neque


dantur homini per peccatum... etc.».
6. I. q. 98, a. 2, ad 3 « ...secundum hoc homo in coitu bestialis efficitur, quia delectatio-
:

nem coitus et fervorem concupiscentiae ratione moderare non potest. Sed in statu innocen-
tiae nihil liuiusniodi fuisset, quod ratione non moderaretur non quia esset minor delectatio ;

secundum sensum, ut quidam dicunt, (fuisset enim tanto maior delectatio sensibiUs quanto
esset purior natura et corpus magis sensibile) ; sed quia vis concupiscibilis non ita inordinate
DOCTRINE DÉFINITIVE DE SAINT THOMAS SUR LA JUSTICE ORIGINELLE 145

Telle est la doctrine définitive du Docteur Angélique sur la


justice originelle.Ce qui frappe surtout chez lui, c'est la tendance
à chercher et à introduire autant que possible une interprétation
« naturaliste ». On en a la preuve dans tout son traité sur l'état

d'innocence. Pour saint Thomas, le surnaturel ne nous est connu


que par l'autorité divine. Dès lors que l'Écriture se tait, il faut juger
i.
selon les lois naturelles C'est là chez lui un principe. Ainsi n'ad-
met-il pas la vi=ion immédiate de Dieu par l'homme avant la chute,
opinion adoptée par quelques théologiens sur la prétendue autorité
de saint Augustin ; en réahté, l'évêque d'Hippone soutient tout au
plus la possibihté de cette vision -, et c'est plutôt chez le Maître des

Sentences qu'il faudrait chercher cette doctrine ^. Pour la même


raison, saint Thomas exclut de l'état d'innocence la vision immé-
diate des anges. Ainsi encore, Adam vivait d'une vie animale
normale. Le mariage aurait été universel et conforme aux lois
de la nature. Les enfants se seraient développés progressivement
dans leur corps et leur intelligence. Bien plus, saint Thomas l'ad-
met, la mort eût existé dans cet état de félicité. Les animaux, qui
dans l'état présent, se nourrissent animaux, de la chair d'autres
auraient fait de même
paradis ici, saint Thomas aban-
dans le *
;

donne saint Augustin qui conservait quelque doute à ce sujet


Ainsi dans cette description de la justice originelle, notre Docteur
ne perd pas de vue les exigences de la nature.
se extulisset superhuiusmodi delectatione regulata per rationem ; ad quam non pertinet
ut sit minor delectatio in sensu, sed ut vis concnpiscibilis non immoderate delectationi
inhaereat. »
1. I. q. 99, a. i, c. « ,... ea quae sunt supra naturam, sola fide tenemus
:
quod autem ;

credimus auctoritati debemus. Unde in omnibus asserendis sequi debemus naturam rerum
praeter ea quae auctoritate divina traduntur, quae sunt supra naturam. » Et aussi I. q. loi,
a. I, c. « De iis quae sunt supra naturam, soli auctoritati creditur. Unde ubi auctoritas
:

déficit, sequi debemus naturae conditionem. »

2. S. AuGUSTiNus, De Gent. ad XI,


33 (P. L. t. 34, col. 447) « Fortassis enim
litt., lib. c. :

aliis intrinsecus vel ineffabilibus modis Deus cum


illis antea loquebatur, sicut etiam cum
angelis loquitur ipsa incommutabili veritate illustrans mentes eorum, ubi est intellectus
nosse simul quaecumque etiam per tempora non ûunt simul. Forte, inquam, sic cum eis
loquebatur etsi non tanta participatione divinae sapientiae quantum capiunt angeli,
tamen pro humano modulo quantumlibet minus, sed ipso génère visitationis et locutionis. »
Et encore ibid. lib. VIII, c. 18, col. 387 « Sed non sic existimo primo homini locutum
:

Deum. Talia quippe Scriptura narrât ut potins credamus sic esse Deum locutum homini
in Paradiso sicut etiam postea locutus est patribus, sicut Abrahae, sicut Moysi, id est in
aliqua specie corporali. »

3. II. Sent., d. 24, n. 4 (


P. L. t. ) « Cognovit enim a quo creatus fuerat
192, col. 701 :
:

non eo modo cognoscendi quo ex auditu solo percipitur, quo modo a credentibus absens
quaeritur, sed quadam interiori aspiratione qua Dei praesentia contemplabatur non tamen ;

ita excellenter sicut post banc vitam sancti visuri sunt neque ita in aenigmate qualiter in
hac vita videmus. » Et IV Sent., d. i, n. 3, col. 850 « Homo ...ante peccatum sine medio
:

videbat. »

4. I. q. 96, a. I, ad 2 : « Quidam dicunt quod animalia quae nunc sunt ferocia et occidunt
alla animalia in statu illo fuissent mansueta, non solum circa hominem, sed etiam circa
animalia. Sed hoc est omnino irrationabile... »

Bibliothèque thomiste 10
146 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

Partant du principe posé par l'Écriture : Deus fecit hominem


rectum, il en déduit toute la justice originelle. La rectitude consis-
tant dans la domination de l'inférieur par le supérieur, il devenait
convenable à raison de la nature de l'âme que le corps lui fût subor-
donné ^, que les facultés appétitives sensitives obéissent à la
volonté et à la raison ; il était également dans l'ordre de la nature
que le premier homme exerçât sa puissance de domination sur les
animaux et même sur les hommes, ses semblables 2. Enfin, saint
Thomas ne requiert l'existence de la grâce dans le premier moment
e la création de l'homme qu'à seule fin de pouvoir établir cetd
ordre, qu'est la justice originelle.
nous comparons cette doctrine de saint Thomas avec celle
Si
de ses prédécesseurs, nous y trouvons un esprit beaucoup plus
systématique, une clarté et une précision incomparablement supé-
rieures. La conception de la justice originelle en particulier est
très nette. Elle est la disposition de la nature humaine, d'où résulte
l'ordre et l'harmonie dans les différentes parties du composé
humain, mais ce n'est pas cet ordre lui-même. Nous ne trouvons pas
ici ce caractère mi-naturel et mi-personnel, qui paraît encore chez
saint Bonaventure. Enfin les relations de la justice et de la grâce
sont déterminées avec une grande fermeté. L'action causale de
la grâce vis-à-vis de la justice, qui réalise la sujétion de l'âme à
Dieu et de la partie inférieure à la raison et à la volonté, avait déjà
été signalée dans les Sentences, mais elle ne prend toute sa valeur
que dans la Somme même ; dans le De Malo, saint Thomas ne par-
laitpas encore avec autant de netteté ni sur un ton aussi caté-
gorique que dans la Somme, où il introduit sa conclusion par ces
mots : Unde manifestum est.

8. I. q.97,a. i, c. « ...qiiia oninis anima rationalis excedit proportionem corporalis ràate-


:

riae,conveniens fuit ut in principio ei virtus daretur, per quam corpus con^ervare posset
supra naturam corporalis materiae. »
9. I. q. gfi, a. i, c. : t Unde patet quod naturalis est subiectio aliorum animalium ad
hominem. » Cf. art. 4, c.
CHAPITRE IV

LA DOCTRINE DÉFINITIVE DE S. THOMAS


SUR LE PÉCHÉ ORIGINEL

La doctrine du péché originel est exposée par saint Thomas


dans la seconde partie de la Somme théologique, au cours du traité
des vices et des péchés. Contrairement à la justice originelle qui
estun don proprement une œuvre de
divin, le péché originel est
l'homme a ne vient pas du Père céleste, mais du monde ».
: il

Cette parole de saint Jean, maintes fois citée par saint Augustin
contre Julien, doit être prise en son sens strict. Le péché originel
ne vient en aucune manière du Créateur ; c'est nous qui sommes
coupables de non pas en vertu
la prévarication d'Adam, et cela,
d'un décret divin, qui aurait inclu nos volontés dans celle d'Adam,
ni par une action de la causalité divine, directe ou indirecte. Si
notre culpabilité ne dérivait pas naturellement du péché de notre
premier père, elle ne nous affecterait en aucune façon. La faute héré-
ditaire suppose, il est vrai, le don de la justice originelle fait à la
nature, — et par ce côté
le péché originel relève, par privation.de

l'ordre surnaturel nous ne pouvons la connaître que par la


; et

révélation —
mais, ceci posé, la faute héréditaire est la conséquence
;

nécessaire du premier péché. Nous reviendrons d'ailleurs sur cette


question.

I. — La TRi^NSMISSION DU PÉCHÉ ORIGINEL

Il est donc impossible que Dieu soit la cause du péché originel ;

c'est l'homme, et spécialement le premier générateur de l'espèce,


qui par son premier péché en assume la responsabilité ^. Adam, par
le fait même qu'il était le premier homme de qui tous les autres
sont issus, était le chef du genre humain. Sa nature devait se
propager dans tous ses descendants telle qu'elle était en lui, au
moment de la génération. Or, Adam a privé sa nature de la justice
I. I. II. q. 8i, a. I, c. Respondeo dicendum quod secundum fidem catholicam est
• î<

tenendum quod primum peccatum primi hominis originaliter transit in posteros. » Et


a. 2, c. « Et hoc modo iustitia originalis erat quoddam donum gratiae toti humanae naturae
:

divinitus collatum in primo parente, quod quidam primus homo amisit per primum pecca-
tum. » Cf. q. 82, a. 2 ; q. 85, a. i ; q. 100, a. 7.
148 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

originelle par la transgression du commandement divin i.


En per-
dant la grâce, il a aussi perdu la rectitude qui en découlait. Il n'a
pu par conséquent transmettre à sa postérité qu'une nature désor-
donnée et corrompue. Dans notre nature, ce désordre a raison et
qualité de faute - comment cette culpabilité passe-t-elle dans la
;

nature transmise, c'est là la vraie difficulté.


Nous avons observé plus haut que saint Thomas dans la Somme
dans le De Malo, a introduit, pour la solution
contre les Gentils ei
de cette question, un élément nouveau, qui n'avait pas encore
paru dans les Sentences c'est ce procédé d'envisager le genre :

humain comme un seul homme en vertu de la participation par


tous d'une même nature. C'est ce point de vue que nous retrouvons
dans la Somme.
Pourquoi saint Thomas a-t-il introduit cette nouvelle con-
ception ?

Dans les Sentences saint Thomas avait démontré que le désordre


de la nature dans le premier homme se transmettait à sa postérité.
C'était à cause d'uu corps corrompu que l'âme, qui doit lui être
proportionnée, n'était plus créée dans la justice originelle. De plus,
cette privation dans la nature avait été volontaire par l'acte libre
d'Adam. Et puisque Adam subsistait en quelque sorte dans la
nature commune, à raison de la génération qui la propage, nous
avons reçu de lui une nature volontairement corrompue, et par
conséquent coupablement corrompue ^.

Une telle explication du péché originel est insuffisante. Il faut


établir en effetque nous héritons, non d'une nature coupable-
ment désordonnée, mais bien d'une nature coupable. C'était là la
lacune de l'argument des Sentences. Du fait que nous acquérons

1. Cf. le texte de I. II. q. 8i, a. 2, cité note précédente, et les autres citations.

2. I. II. q. 81, a. I, ad I : « ...derivatur eiiim per originera culpa a pâtre in filium. » Cf.
in corp. j a. 4, ad ad 2 « ...originale vero cuni sit peccatuni naturae, est quae-
i ;
q. 82, a. i, :

dam inordinata dispositio ipsius naturae quae habet rationeni culpae, in quantum derivatur
ex primo parente. »
3. Il nous semble que le card. Billot, dans son traité sur le péché originel n'a pas marqué
la différence entre la doctrine des Sentences et celle de la Somme. Il accepte l'exposition
des Sentences, à savoir que nous héritons- d'vme nature volontairement corrompue « Simile :

nimirum esset (traductioni scil. peccati originalis), si homo quispiam radicitus a se exstir-
paret facultatem aliquani uatuialem, puta visivam vel auditivam. Nam, hoc faciendo,
corrumperet homo ille et personam et naturam personani quidem, referendo ad se indivi- :

duum naturam vero, refereudo ad suam progeniem, eo quod post radicalem dictae facul-
:

tatis exstirpationem, generaret filios eadem facultate orbatos, et ille alios et sic in indeûni-
tuni. Et adhuc magis simile esset, si iterum per impossibile, eiusmodi radicalis exstirpatio
dependeret a \ iolatione legis, et in\olveret iu se rationem deordinationis a régula legis.
Tune enim delictum huius hominis, non modo maucam, sed et ream communem naturam
ethceret, et rei nascerentur filii, non quidem reatu personali inferente ilebitum poenae
ppsitivae, sed reatu naturali inferente debitum poenae negativae. » (De personali et originali
peccalu, p. III, § I, p. 1-14 ; 1910). Cf. § 2, p. 143-144 ; § 3, P- i59-
DOCTRINE DÉFINITIVE DE SAINT THOMAS SUR LE PÉCHÉ ORIGINEL 149

par voie de génération cette nature volontairement corrompue,


toute culpabilité en est exclue *. Saint Thomas semble désapprou-
ver lui-même dans la Somme
l'explication proposée dans sa jeu-
nesse Pour compléter alors l'argument qu'il avait donné, le
2.

saint Docteur introduit l'élément que nous avons signalé.


C'est en vertu de l'unité de la nature humaine qu'on peut con-
sidérer tous les hommes comme un seul individu. Cette unité
n'est pas d'ordre logique, mais bien d'ordre physique à cause du
lien réel de la génération. On doit donc considérer tous les in-
dividus du genre humain issus d'Adam, comme les membres divers
d'un seul corps. Or, l'acte d'im membre corporel, de la main par
exemple, n'est pas volontaire par la volonté de la main, mais par
la volonté de l'âme, qui la première met le membre en mouvement.

L'homicide, commis par la main, ne peut pas être imputé comme


un péché à la main en elle-même, mais bien en tant qu'elle est
partie de l'homme et est dirigée par son premier principe moteur,
la volonté. Ainsi, le désordre qui se trouve dans un homme issu

d'Adam n'est pas volontaire de par sa propre volonté, mais de par


la volonté du premier générateur, qui par la notion génératrice

entraîne tous ses descendants à la corruption, de même que la


volonté de l'âme conduit à leur acte tous les membres qui lui
^
sont subordonnés
1. I. II. q. 8i, a. I, c. « Omnes huiusmodi viae insuffîcientes sunt
: quia dato quod aliqui
:

defectus corporales a parente transeaiit in prolem per originem, et etiam aliqui defectus
animae ex consequenti propter corporis indispositionem (sicut interdum ex fatuis fatui
generantur), tamen hoc ipsum quod est ex origine aliquem defectum habere, videtur exclu-
dere rationem culpae, de cuius ratione est quod sit voluntaria. »
2. Voici le texte des Sentences, II. d. 30, a. 2, ad 4 « ...licet semen non habeat in se
:

infectionem culpae in actu, habet tamen in virtute sicut etiam patet quod ex seiuine leprosi
;

generatur filius leprosus, quamvis in ipso semine non sit lepra in actu est enim in semine :

virtus aliqua deficiens, per cuius defectum contingit defectus leprae in proie. Similiter
etiam ex hoc ipso quod est in semine talis dispositio quae privatur illa impassibilitate et
ordinabilitate ad animam, quam in primo statu corpus humanum habebat, sequitur quod
in proie, quae est susceptiva» originalis peccati, efftciatur originale peccatum in actu. »

Comparez ce texte avec celui de la Somme : I. II. q. 8r, a. i, c. : « Alii vero hoc répudiantes
tamquam erroneum, conati sunt ostendere quomodo culpa animae parentis traducitur in
prolem, etiamsi anima non traducatur, per hoc quod corporis defectus traducuntur a parente
in prolem, sicut leprosus générât leprosum, et podagricus podagricum, propter aliquam
corruptfonem seminis, licet talis corruptio non dicatur lepra vel podagra. Cum autem corpus
sit proportionatum animae, et defectus animae redundent in corpus et e converso, simili

modo dicunt quod culpabilis defectus animae per traductionem seminis in prolem deri-
vatur, quamvis semen actualiter non sit culpae subiectum. » Cf. Contp. Theol. c. 201. Il
est à remarquer que S. Thomas ne rejette pas cette opinion comme absolurnent fausse,
mais comme insuffisante. Elle prouve bien comment la corruption parvient à l'âme, mais
elle ne suffit pas à établir la culpabilité même. C'est pourquoi S. Thomas dans ses Commen-
taires sur l'Épître aux Romains allègue encore cet argument pour prouver comment la
corruption atteint l'âme, quoique créée par Dieu.
3. I. II. q. 81, a. I, c. « Et ideo alia via procedendum est, diçendo quod omnes homi-
:

nes qui nascuntur ex Adam possunt considerari ut unus homo, in quantum conveniunt in
natura, quam a primo parente accipiunt ; secundum quod in civilibus omnes homines qui
150 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

Exposons un peu plus à fond cet argument. Et tout d'abord


que veut dire l'expression la motion de la génération, moiio
:

genemtionis ? Par cette formule, saint Thomas entend la géné-


ration active du père. Du père en effet procède la vertu active qui
dispose la matière génératrice, fournie par la mère. Sous l'action
de cette vertu séminale, l'embryon se parfait de plus en plus jus-
qu'au degré de perfection requis pour la réception de la forme. Or,
le semen de l'homme, n'étant que l'instrument de la propagation
et n'agissant en conséquence qu'en vertu du générateur, son
efficacité ne peut dépasser la perfection même du générateur. La
matière de l'embryon humain sera donc disposée de manière à cor-
respondre à la propre perfection du père. Et puisque la forme est
proportionnée â la disposition de la matière, l'âme de l'enfant n'aura
ni plus ni moins que la perfection naturelle du père ^. Ainsi Adam,
ayant privé la nature humaine de la perfection surajoutée par le

Créateur, ne pouvait plus engendrer que des enfants dépourvus


comme lui de la justice originelle. C'est donc la condition même

dans laquelle s'effectue la motio generaiionis chez le premier homme,


qui nous prive de la rectitude ou intégrité due à notre nature.
En somme, l'argument proposé revient à ceci : De même que
la volonté de l'homme dirige ses membres dans leurs actes, ainsi
la volonté d'Adam a conduit tous les membres du genre humain à
la privation de la justice originelle, et cette motion de la volonté
sunt uniiis cominunitatis, reputaiitur quasi ununi corpus, et tota coinmuiiitas quasi unus
hoino sicut etiam Porphyrius dicit (cap. de Specie, cire, lued.), quod n participatioue
;

speciei plures honiines sunt unus homo. » Sie igitur multi hoinines ex Adam derivati sunt
tamquani multa membra uuius corporis. Actus autem uiiius membri corporalis, puta inanus,
non est voluntarius voluntate ipsius manus, sed voluntate animae, quae primo movet
membrum. Unde homicidium quod manus committit, non jmputaretur manui ad pecca-
tum, si consideraretur manus secundum se, ut divisa a corpore sed imputatur ei inquantum
;

est aliquid hominis quod movetur a primo principio motivo hominis. Sic igitur inordinatio
quae est in isto homine ex Adam generato, non est voluntaria voluntate ipsius, sed volun-
tate primi parentis, qui movet motione generationis omnes qui ex eius origine derivantur,
sicut voluntas animae movet onmia membra ad actum. » Cf. Quodlib. XII, q. 2i, a. 32.
(Ce petit article d'un style lapidaire marque bien sa pensée) Ad Rom., c. 5, lect. 3 Comp.
; ;

TheoL, c. 201. —
ScHELL adopte l'interprétation des Sentences. Il n'a pas compris en effet
la « motio generativa ni, par suite, tout l'argument de la Somme comme il n'a pas com-
>>,

pris non plus l'argimient par lequel S. Thomas prouve qu'Adam ne pouvait pécher véuiel-
lement avant la chute. Cf. Katholische Dogmatik, II, pp. 292-306, 331-334.
I. I. II. q. 81, a. 4, ad 1 « ...non propter
: locum exilii, sed propter peccatum tradu-
citur originalis culpa ad onmes, ad quos active eius generatio pervenit. »Et I. II. q. 81,
a. 1, ad 2 ...etsi anima non traducatui-, quia virtus séminis non potest causare animam
: «

rationalem, movet tamen ad ipsam dispositive unde per virtuteni seminis traducitur
;

humana natura a parente in prolem et simul cum natura naturae infectio. Ex hoc enim lit
iste qui nas itur co sois culpae primi pan mis, q od natmam ab eo s riitur
per quamdam generativam motionem. » Et encore De Malo, q. 4, a. 6, c. Sicut autem :

moventur partes unius hominis per imperium voluntatis, ita movetur filius a pâtre per
\im generativam unde Philosophus dicit in II. Phys. quod pater est causa tilii ut movens
; ;

et in lib. de gcneratione Animalium, dicitur quod in semine est quaedam motio ab anima
patris quae movet materiam ad formam concepti. »
DOCTRINE DÉFINITIVE DE SAINT THOMAS SUR LE PÉCHÉ ORIGINEL 151

du premier liomme se transmet par la génération. Or, de môme que


les actes de nos membres relèvent de l'ordre moral à raison de la
volonté qui les dirige, ainsi la privation de la justice dans les mem-
bres du genre humain, relève de l'ordre moral, parce que c'est la
volonté du premier générateur qui est la cause de cette privation.
Il n'y a donc pas seulement en cela la propagation d'une nature
volontairement corrompue, mais encore une participation à la
volonté qaii la corrompit. Telle est la raison de notre culpabilité.
En conséquence nous ne sommes pas coupables par notre volonté
personnelle, mais par une volonté participée, en tant que nous appar-
tenons à ce corps total dont la volonté d'Adam moteur
était le
premier. Il est manifeste que cet argument ne suppose aucunement
un décret divin établissant une unité morale entre tous les des-
cendants d'Adam et faisant d'Adam le chef du genre humain. Bien
au contraire, la force de l'argument réside précisément dans l'unité
physique de l'espèce. C'est la motion de la génération qui nous
joint à la volonté du premier homme. Cela suffit pour nous rendre
coupables du désordre de notre nature.
Cet argument établit donc ce que nous avons affirmé plus haut,
à savoir que le péché originel dérive naturellement du premier
péché de notre premier père ^. Il ne suppose aucun décret spécial,
mais seulement un don fait à la nature don par la perte duquel ;

notre nature se trouve être corrompue. C'est pourquoi, si Adam


n'eût pas violé lui-même le commandement divin, mais un de ses
descendants, c'est celui-ci qui aurait transmis un péché originel
à sa postérité, de la même manière qu'Adam l'a fait pour tout le

genre humain.
Les théologiens qui requièrent un décret divin comme fondement
nécessaire de l'explication du péché
nous objectent les originel,
exemples proposés par saint Thomas au commencement de son
argumentation ^. Le saint Docteur compare en effet l'unité du genre
humain à celle d'une communauté de citoyens. Or, cette unité
est indubitablement une unité morale, unité en vertu de laquelle
ce que fait le chef, est considéré comme fait par toute la commu-
nauté. C'est ainsi qu'Adam aurait été constitué par Dieu chef du
genre humain, non seulement parce qu'il est le premier homme
d'où procède toute l'humanité, mais parce qu'il est qualifié pour
agir au nom de tous. La déordination de la nature, opérée par lui,

1. Au sujet de cette assertion, est intéressant de noter l'expression dont se sert S. Tho-
il

mas dans le Comp. Theol.,c. 196 :Sed haec questio (c. à. d. de la transmission d'une coulpe)
«

de facili solvitur. » On ne parle pas ainsi d'un mystère.


2. De Malo, q. 4, a, i, c. Cf. p. iio note 2.
152 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

sera considérée comme accomplie par tous et chacun de ses des-


cendants. A notre chef nous He effectivement la génération
mais ;

notre descendance d'Adam


que le moyen en vertu duquel
n'est
nous appartenons à cette unité morale dont il a été le chef et le
gérant. C'est ainsi que certains théologiens expliquent comment
Adam nous a rendus coupables par la motion de la génération.
A cette interprétation s'oppose tout d'abord l'argument même
proposé par saint Thomas. De même que la moralité de la volonté
est naturellement participée par la main, par cela seul que la main
appartient à l'unité physique dont la volonté est le moteur pre-
mier, de même la volonté d'-Adam est participée par ses descendants
en vertu du lien physique de la génération. C'est à ce seul titre,

exclusivement, que nous sommes tous considérés comme un seul


homme : « Ex
enim fit iste qui nascitur consors ciilpae primi
hoc
parentis quod naturam ab eo sortitur per quamdam generativam mo-
tionem ^. » Tandis que la motion générative qui transmet la corrup-
tion, est vraiment, selon saint Thomas, comme la continuation
de l'acte de la volonté du premier générateur, elle n'est, d'après
les autres, qu'une condition nécessaire pour appartenir à l'unité
morale dont Adam est le chef.
Et de vrai, comment faut-il entendre cette expression : unité
morale ?

L'expression c unité morale « peut désigner une unité établie


sur des actes de plusieurs volontés, qui concordent par leur ten-
dance actuelle ou virtuelle vers un même objet ; ou bien elle signi-
fie la participation commune de plusieurs individus à un même
acte moral, qui leur donne une commune orientation. Si on la prend
dans le premier sens, il ne peut être aucunement question d'une
unité morale du genre humain, la chose est claire. Dans le second
sens, l'unité morale n'explique rien. Elle est en effet dans ce cas
le résultat d'une participation commune à un acte moral. Or, ce
qu'il faut précisément expliquer, c'est à quel titre tout le genre
humain peut participer à l'acte moral de son chef. •**

Pour soutenir cette interprétation, on institue alors une comparai-


son entre le genre humain et une famille. Mais on oublie que l'unité
d'une famille n'est qu'une hypothèse juridique, à raison du lien
de la génération, et du fait qu'en général les enfants s'accordent
avec leurs parents. La loi ne considère que ce qui arrive ni in pln-
rihns, c'est-à-dire le plus souvent. Il n'y a donc dans la famille

qu'une unité physique en vertu de la génération, et une imité mo-

9. I. II. q. 81, a. I, ad 2 ; Cf. p. 150, note i.


DOCTRINE DEFINITIVE DE SAINT THOMAS SUR LE PÉCHÉ ORIGINEL 153

raie qui n'est qu'une fiction de la loi. Aussi nul ne dira d'un enfant
qu'il est responsable des actes de son père, lors même qu'il en
subit les conséquences. On le voit, cet argument nous ramène à
la fameuse théorie de l'imputation.
On insiste. De même que le législateur rattache les uns aux autres
lesmembres d'une même famille par un lien légal, de même Dieu
nous rattache à Adam par un lien moral. Sur quoi se base-t-on
pour avancer pareille chose, et pour établir ce lien moral ? Dieu ne
peut pas vouloir, sans autre considération, que nous soyions res-
ponsables, au sens strict du mot, de ce que nous n'avons pas voulu
de notre propre volonté. Seule la raison présentée par saint Thomas
peut nous faire comprendre l'existence de notre culpabilité. C'est
en vertu de l'unité physique de la nature humaine, que nous parti-
cipons à l'acte moral de notre premier père, et parce que c'est lui
qui a mu notre nature, comme la volonté de l'individu meut et

dirige ses membres. De cette participation procède, il est vrai,


une certaine unité morale du genre humain, en tant que tous les
hommes sont solidaires de l'acte prévaricateur d'Adam mais ;

cette unité morale n'est que le résultat de l'unité physique, qui


fonde notre participation à une commune nature déchue ^.
Il serait d'ailleurs étonnant que saint Thomas eût oublié dans

son argumentation le seul élément ayant valeur démonstrative.


Ilveut établir proprement d'où provient la culpabilité, et se de-
mande comment on peut affirmer que le péché originel est volon-
taire ? C'était là la difficulté restée sans solution dans les autres

interprétations. Si donc la réponse devait être cherchée dans un


décret divin, comment se fait-il que le saint Docteur n'en fasse
pas mention ? Il ne suffit pas de dire qu'Adam était le chef du genre
humain ; on a déjà l'équivalent de cette affirmation dans ce fait

qu'il est le premier homme d'où procède le reste de l'humanité.


Si on veut maintenir l'exemple d'une collectivité moralement une,
I. Si l'on admet ce décret spécial par lequel Dieu aurait constitué Adam chef moral

de tous ses descendants, il s'ensuivrait logiquement que les enfants nés avant la chute
aurai^t été privés également de la justice et de la grâce au moment de la prévarication
paternelle cette affirmation est une absurdité. Dieu n'aurait pu priver de sa grâce une créa-
;

ture qui peut-être, au moment même du péché de son père, brûlait d'amour pour son Créa-
teur. On ne résout pas cette difficulté en disant qu'Adam ne pouvait plus alors transmettre
la corruption à ces enfants. La corruption n'est que l'effet de la culpabilité la peine pré-
;

suppose la coulpe. En outre, les défenseurs du décret soutiennent précisément que la trans-
mission de la corruption n'est pas une rasion suffisante pour la contraction d'un péché.
D'après eux la culpabilité vient du décret. Elle n'est que conditionnée par l'unité physique
du genre humain. Or, dans le cas posé, les enfants étaient issus d'Adam, ils appartenaient
donc en vertu du décret à l'unité morale, dont Adam était le chef. —
On peut encore obser-
ver que le péché originel, dans cette explication, est affecté d'un caractère personnel. Bien
que la corruption se trouve dans la nature, la personne en porte elle-même la culpabilité,
étant personnellement incluse dans le décret divin.
154 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

alors on ne peut conclure qu'à une faute juridique, rien de plus :

l'unité d'une communauté civile n'explique pas une culpabilité


morale. Saint Thomas aurait donc dû indiquer clairement dans ce
cas qu'Adam avait été constitué chef moral de la nature humaine
par une disposition spéciale du Créateur.
En fin de compte, nous estimons que la comparaison de la col-
lectivité sociale ne sert qu'à montrer la légitimité de cette concep-
tion de l'unité du genre humain regardé comme un seul homme
à cause de son unité physique : ne considère-t-on pas en effet
comme un seul individu tous les citoyens d'un même état ^ ? Cet
exemple du groupe social est d'ailleurs jugé par saint Thomas si
peu nécessaire à l'explication de l'argument que le Saint Docteur
ne le donne même plus dans son Commentaire de VEp. ad Ro-
manos, ni dans le Compendium Theologiae ^.

De cet exposé nous pouvons déduire d'abord que l'instrument


de la propagation du péché originel est le semen générateur de

l'homme. Il contient en lui la puissance active du générateur qui


conduit la nature à son achèvement ^. Or, la perfection de cette
motion mesure et se limite à la perfection même de l'agent. Par
se
que cette puissance génératrice tende à la production d'une
ailleurs,

nature corrompue, cela procède de la concupiscence du générateur ;

la concupiscence est aussi dès lors instrument de la transmission


du péché pas la volupté de
originel. Cette concupiscence, ce n'est
l'acte conjugal, mais bien le désordre habituel qui règne dans le
corps humain après la chute *. C'est par suite de cette corruption

1. Il que Saint Thomas dans la Quest. De Malo


est intéressant d'observer le seul traité —
où il parle d'un
collegium » « —
se corrige déjà lui-même « Sic ergo tota niultitudo hoini-
:

num a primo parente humanam naturam accipientium, quasi unum collegium, tel potius
sicut unum corpus unius hominis consideranda est. » D'après les défenseurs du décret il
aurait été mieux de dire sicut unum corpus vel potius sicut unum collegium.
:

2. Ad Rom., c. 5, lect. 3 ; Comp. TheoL, c. 201. Cf. Billot, op. cit., p. III, § 2, pp. I45,
151. Dans la troisième Thomas dit encor «peccatum originale non
partie de la Somme, Saint :

est nostra voluntate peractum, nisi forte in quantum voluntas Adae reputatur nostra,
secundum modum loquendi quo Apostolus dicit Rom. 5 In quo omnes peccaverunt. » :

ad 3. Ce texte montre clairement que dans la pensée de Saint Thomas, il n'y a


III. q. 84, a. 2,
pas de place pour la théorie de l'unité morale. Ce renvoi problématique à un modus loquen- .<

di » de l'Apôtre, est bien significatif.

3. I. ad 2. Cf. p. 150, note i. Et I. II. q. 83, a. i, c. " ...in semine autem


II. q. 81, a. 1, :

corporali estpeccatum originale sicut in causa instrumentali, eo quod per virtutem activara
seminis traducitur peccatum originale in prolem sinml cum natura humana. » Cf. ad 3 ;

Ad Rom. c. 5, lect. 3.
4. I. ad 3 « libido quae transmittit peccatum originale in prolem, non
II. q. 82, a. 4, :

est libido actualis quia dato quod virtute divina concederetur alicui quod nullam inordi-
;

natain libidinem in actu generationis sentiret, adhuc transniitteret in prolem originale


peccatum. Sed libido illa est intelligenda liabitualiter, secundum quod appetitus sensiti-
vus non continetur sub rationc, soluto vinculo originalis iustitiae. »
DOCTRINE DÉFINITIVE DE SAINT THOMAS SUR LE PÉCHÉ ORIGINEL 155

dans le corps du générateur que dans le corps de l'enfant règne un


semblable désordre. L'âme alors, terme de la génération, étant
créée dans le corps, doit subir la disposition du sujet récepteur ;

elle aussi contracte le désordre. L'infection de la tare héréditaire


ne procède donc pas du Créateur, mais des exigences du corps dans
lequel et pour lequel l'âme est créée^ ; l'âme, en tant que et telle
qu'elle est exigée par la génération, est privée de la rectitude pri-
mitive. C'est donc vraiment en vertu du semen générateur, par la

motion de la génération, que nous contractons la corruption de


notre nature ^.

Cette création de l'âme dans un corps corrompu ne répugne pas


à la sagesse divine le bien commun en effet vaut plus que le bien
;

particulier, et Dieu ne trouble pas à cause de celui-ci, l'ordre uni-


versel des choses, — ce qui devrait arriver si, pour éviter l'infec-

tion individuelle d'une âme, de il ne la proportionnait pas à l'état

son corps d'autant plus que l'âme ne reçoit l'existence


;
que dans
le corps or, il vaut mieux pour l'âme exister selon sa nature que
;

de ne pas être du tout. D'ailleurs, elle pourra échapper à la damna-


tion par la grâce ^.

Il résulte encore de l'argument proposé que le péché originel


n'infecte que ceux, mais aussi tous ceux, qui sont issus d'Adam
secundiim seminalem rationem, c'est-à-dire par la motion d'une géné-
ration naturelle *. Si donc un homme était formé de chair humaine
par miracle, il ne contracterait pas le péché originel. Par suite
aussi, le Christ, qui est venu « non ex virili semine, sed mystico
spiramine », n'a pas connu l'infection de la coulpe héréditaire ^ ;

1. Ad Rom., c. 5, lect. 3 « ...licet in semine non sit anima, est


:
semine Nirtus tamen in
dispositiva corporis ad animae receptionem quae cum corpori infunditur, etiam ei suc
nrado conforniatur, eo quod omiie receptum est in recipiente per modum recipientis. Et
exinde videmus quod filii similantur parentibus etc.. » I. II. q. 83, a. i, ad 4 « ...'infectio :

originalis peccati nulle modo causatur a Deo, sed ex solo peccato primi parentis per cama-
lem generationem. Et ideo cym creatio importet respectum animae ad solum Deum, non
potest dici quod anima ex sua creatione inquinetur. Sed infusio importât respectum et ad
Deum infundentem, et ad carnem cui infunditur anima. Et ideo habito respectu ad Deum
infundentem, non potest dici quod anima per infusionem maculetur, sed solum habito
respectu ad corpus cui infunditur. » Cf. ad 5.
2. I.-II. q. 81, a. 4, ad 2 « Caro non inficit animam, nisi in qucuitum est principiuni acti-
:

vum in generatione. »

3. I. II. q. 83, a. I, ad 5.

4. I. II. q. 81, a. 3, 0....culpa originalis traducitur ad onmes illos qui moventur ab


: «

Adam motione generationis. » Et ibid. a. 4, c. « Unde illi soli peccatum originale contra- :

hunt, qui ab Adam descendunt per virtutem activam in generatione originaliter ab Adam
derivatam, quod est secundum seminalem rationem ab eo descendere nam ratio seminalis ;

nihil aliud est quam vis activa in generatione. Si autem aliquis formaretur virtute divina
ex carne humana, manifestum est quod vis activa non derivaretur ab Adam. Unde non con-
traheret peccatum originale. » Cf. a. 5, c. ; Ad Rom., c. 5, lect. 3 ; III. q. i, a. 4, c. ; q. 49,

a 5, c. ; q. 7, q. 2, ad 4.

5. Ad Rom., c. 5, lect. 3 : « Christus peccatum originale non traxit, quia ex sola femina
sine virili semine carnem assumpsit. » Cf. III. q. 27, a. 2, c.
156 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

il ne descend d'Adam que selon la matière corporelle, corpulenta sub-


stantia, et non selon la ratio seniinalis. A noter cependant que la
matière qui est dans le Christ et celle qui est en nous, n'est pas
numériquement la même que celle qui fut en Adam, comme l'avait
prétendu Pierre Lombard ^ Par contre, la Sainte Vierge aurait
contracté la faute héréditaire, si la grâce ne l'avait pas préventi-
vement écarté ^. Quant à nous, au cas où Adam n'aurait pas suc-
combé à la tentation, mais Eve seule, nous n'aurions pas hérité
du péché 3, et nous serions nés dans la même rectitude que notre
premier père nous n'aurions pas eu davantage des poenalitates,
;

telles que la nécessité de mourir et la passibihté *.


Enfin, dernière conséquence, ni les autres péchés d'Adam, ni
ceux des autres parents, ne peuvent causer une coulpe héréditaire.
N'ayant aucune action sur la nature spécifique, ils ne nous cor-
rompent pas par la motion de la génération la nature en effet :

étant déjà dépouillée, ils ne peuvent plus rien lui prendre. Nous ne
participons donc à leurs péchés d'aucune manière ^. Par contre,
même baptisés, les parents propagent encore le péché originel ;

la grâce du baptême n'enlève que les effets personnels de la tare


héréditaire, c'est-à-dire la coulpe et la damnation ; la concupis-
cence ^ et les peines de la vie, qui proviennent de la nature même,
restent. Or, la génération est l'œuvre de la nature. La corruption
de cette dernière se transmet donc par la génération. Et parce
que cette génération inclut toujours la motion du premier géné-
rateur, cette corruption a aussi raison de coulpe '.

1. Cf. I. q. 119, a. 2, ad 4.
2. I. « ...onmes homines praeter solum Christum ex .\dani derivati
II. q. 81, a. 3, c. :

peccatum originale ex Adam contrahunt. » La réponse ad i, *vec sa distinction entre la


mort réelle et le « reatus mortis » est intéressante par rapport à la conception iimnaculée
de la Sainte Vierge. Cf. III. q. 27, a. 2, c.

3. I. II. q. 81, a. 5, c. : ...principium activum in generatione est a pâtre, materiani autem


«

mater ministrat. Unde peccatum originale non contrahitur a matre, s X a pâtre. Et


secundum licc, si A
a-n non peccante, Eva peccasset, filii originale peccatum non contra-
herent ; autem esset, si Adam peccasset, et Eva non. »Cf. Ad Roin.^c. 5, lect.
e converso
3 I. II. q. 81, a. 5, ad 2
; « ...quibusdam videtur quod Eva peccante, si Adam non peccasset,
:

tilii essent immunes a culpa paterentur tamen necessitatem moriendi, et alias


;

passibilitates provenientes ex necessitate materiae, quam mater ministrat, non sub


ratione poenae, sed sicut quosdam naturales defectus. Sed hoc non videtur conveniens.
Immortalitas enim et inapassibilitas primi status non erat ex conditione materiae, ut in
primo dictum est, sed ex originali iustitia, per quam corpus subdebatur animae, quam-
diu anima esset subiecta Deo. Defectus autem originalis iùstitiae est peccatum originale.
Si igitur .^dam non peccante, peccatum non transfunderetur in posteros propter peccatum
Evae, manifestum est quod in filiis non esset defectus originalis iùstitiae unde non esset in ;

eis passibilitas vel nécessitas moriendi. »

4. Loc. cit.

5. I. II. q.
81, a. 2, c. ...alia peccata actualia vel primi parentis vel aliorum non corrum-
: -i

punt naturam quantum ad id quod naturae est, sed solum quantum ad id quod personae
est, id est secundum pronitatem ad actum. Unde alia peccata non traducuntur. » et Comp,
TheoL, c.202.Cf. I. II. q. 81, a. 2 ad 2 et 3 II. II. q. 163, a. 3, ad 2 Ad Rom,, c. 5, lect. 3.
; ;

6. 1. II. q. 81, a. 3, ad 2 « ...aufeitur reatu, et remanel


: actu quantum ad fomitem. »
7. I. II, q. 81, a. 3, ad 2 III. q. i, a. 4, ad 2 q. 69, a. 3, ad 3.
; ;
DOCTRINE DÉFINITIVE DE SAINT THOMAS SUR LE PÉCHÉ ORIGINEL 157

Le processus de la transmission du péché originel nous montre


enfin qu'Adam, comme personne, a corrompu la nature, et qu'en-
suite, inversement, la nature corrompt les personnes chez ses des-
cendants ^,

Les expressions, péché originel, péché de nature, ont ainsi leur


pleine explication.

IL — L'essence du péché originel; son sujet; ses effets.

Ainsi que nous l'avons dit plus haut, le péché originel a le carac-
tère d'un vrai péché et d'une véritable faute ^. Il est un désordre
volontaire, d'ordre moral, dans la nature, comme le péché actuel
l'est dans la personne. Puisque la culpabilité résulte de la partici-

pation de la volonté, le péché originel, n'étant volontaire que par la


volonté du premier homme, il est un péché moindre encore que le

péché véniel '.Il consiste dans la privation volontaire de la justice


*. C'est
originelle là le seul désordre qu'Adam ait causé dans la
nature. Ce désordre n'est cependant pas purement privatif il ;

implique encore une déoidination habituelle résultant de la pri-


vation ; aussi, comme la justice originelle est-il appelé un habitus,
non au sens d'une form.e inclinant la puissance à l'acte, mais dans
le sens d'une disposition de la nature, dont l'effet est d'ordonner
bien ou mal cette nature par rapport à sa fin. Le péché originel
est comme une maladie de la nature ^
; or une infirmité corporelle
n'est pas seulement privative, détruisant l'équilibre de la santé,
mais elle implique encore un élément positif, dans les humeurs
en désordre ; de même le péché originel implique un élément pri-

Ad Rom., c. 5, lect. 3 « ...In processu originalis peccati persona infecit naturam,


1. :

scilicet Adam peccans vitia\àt humanani naturam, sed postmodum in aliis natura \-itiata
infecit personam, dum scilicet genito imputatur ad culpam naturae vitium propter volun-
tatem primi parentis. » Cf. III. q. 69, a. 3, ad 3.

2. Cf. I. II. q. 81, a. I, c. ; Comp. TheoL, c. 201 ; Ad Rom., c. 5, lect. 3.

3. III. q. I, a. 4, c. : « ...intensive ...maius est peccatum actuale quam originale, quia


plus habet de ratione voluntarii. » Cf. I. II. q. 87, a. 5, ad 2.

4. I. II, q. 81, a. 5, ad 2 : <i Defectus autem originalis iustitiae est peccatum originale. •

Et Ad Rom., c. 4, lect. i ; c. 5, lect. 3.

5. I. II. q. 82, a. I, c. « ...duplex est habitus


: unus quidem quo inclinatur potentia ad ;

agendum, sicut scientiae et virtutes dicuntur habitus et hoc modo peccatum originale ;

non est habitus. Alio modo dicitur habitus dispositio alicuius naturae ex multis compositae
secundum quod bene vel maie se habet ad aliquid et praecipue cum talis dispositio fuerit ;

quasi in naturam versa, ut patet de aegritudine et sanitate et hoc modo peccatum origi- :

nale est habitus. Est enim quaedam inordinata dispositio proveniens ex dissolutione illius
harmoniae in qua consistebat ratio originalis iustitiae sicut etiam aegritudo corporalis ;

est quaedam inordinata dispositio corporis secundum quam solvitur aequalitas, in qua
consistit ratio sanitatis. Unde peccatum originale languor naturae dicitur. »
158 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

vatif et un élément positif : la privation de la justice originelle


et le désordre des puissances de l'âme ^
On un élément formel
distingue dans ce désordre de la nature
et un élément matériel. La volonté est le moteur premier dans
les actes humains les autres puissances sont dirigées par elle.
;

C'est donc de la volonté que dépendent l'ordre et la rectitude des


autres parties de l'âme. Par conséquent, si la volonté est elle-
même insubordonnée, elle devient cause de dérèglement dans les
autres puissances. C'est pourquoi la privation de la justice ori-
ginelle par laquelle la volonté était suboidonnée à Dieu, est la
partie formelle du péché Tout autre désordre dans les ori-ginel.

puissances de l'âme n'en constitue que la partie matérielle. Et com-


me ce désordre se manifeste surtout par une conversion déréglée
vers les biens périssables, on lui a donné le nom général de concu-
piscence c'est dans ce sens que la concupiscence est la partie
:

matérielle du péché héréditaire ^.

C'est bien selon cette acception que, dans la Somme théologique,


la concupiscence désigne la disposition désordonnée des parties
inférieures de l'âme. Elle n'est pas l'inclination même vers un bien
périssable, celuide la chair, par exemple, comme les théologiens
antérieurs à saint Thomas nous l'avaient décrite ^ elle désigne le ;

désordre en tant que disposition de toutes les parties de l'âme.


C'est d'elle en conséquence que procède le mouvement déréglé et
de la partie irascible et de la partie concupiscible. L'ignorance
appartient elle-même aux imperfections matérielles du péché ori-
ginel. Cependant, comme dans le mal, la partie inférieure de l'âme
joue le rôle principal, en obscurcissant et en entraînant la raison,

le péché originel, pris matériellement, est concupiscence plutôt


qu'ignorance *. Enfin, le péché originel, étant la privation de la

justice originelle, qui était spécifiquement une, possède à son


tour une semblable unité. Il est un aussi par rapport à sa cause,
le premier péché de notre premier père. Pour les mêmes raisons

1. Ibid. ad I : « ...sicut aegritudo corporalis habet aiiquid de privatione in quantum


tollitur aequalitas sanitatis, et aliquid habet positive, scilicet ipsos humores inordinate
dispositos ita etiam peccatum originale habet privationem originalis iustitiae, et cum hoc
;

inordinatam dispositionem partium animae. Unde non est privatio pura, sed est quidem
babitus corxuptus. »

2. I. II. q. 82, a. 3, c.

3. I. II. q. 82, a. I, ad 3 ...obiectio illa procedit de habitu quo potentia inclinatur in


:

actum. Talis autem habitas non est peccatum originale quamvis etiam ex peccato origi- ;

nal! sequatur aliqua inclinatio in actum inordinatum, non directe, sed indirecte, per remo-
tionem prohibentis, id est originalis iustitiae, quae prohibebat inordinatos motus sicut :

etiam ex aegritudine corporali indirecte sequitur inclinatio ad motus corporales inordina-


tos. » Cf. a. 4, ad I, et ad 3.

4. I. II. q. 82, a. 3, ad 2. Ht ibid. ad 3. Cf. I, II. q. 109, a. 2, ad 3.


DOCTRINE DÉFINITIVE DE SAINT THOMAS SUR LE PÉCHÉ ORIGINEL 159

il est égal en tous, quoique numériquement il se multiplie comme


les individus eux-mêmes ^.

Quel est le sujet du péché originel ?

Le péché originel a été en Adam comme dans sa cause première


et principale. Dans le réside comme dans sa
semen générateur il

cause instrumentale Son sujet est l'âme. Ici encore, saint Tho-
^.

mas utilise la comparaison du péché originel et du péché actuel.


De même que la volonté d'une personne dirige toutes les facultés

de l'âme et lesmembres du corps dans leur acte, ainsi la volonté


d'Adam a dirigé tous les membres de la nature humaine vers la
privation de la justice requise. Or, le péché actuel n'a raison de
faute que dans les puissances capables d'être le sujet ou l'instru-
ment du péché. Pour prendre un exemple, la volonté qui s'adonne
à la gourmandise excite le concupiscible à désirer des aliments,
et meut la main, puis la bouche pour exécuter son acte. Dans la
mesure même où ils sont dirigés par la volonté, les membres et les
facultés sont les instruments du péché ;
par contre, l'opération
des forces nutritives, et de ses organes, qui ne sont pas soumis
de leur nature à la volonté, ne peut avoir raison de faute. Ainsi,
tandis que l'âme peut être le siège d'une faute, la chair en est inca-
pable par elle-même ; dès lors, toute corruption issue du premier
péché et atteignant l'âme, a raison de faute ; la corruption dans la
chair ne peut être qu'une peine. L'âme est donc le siège du péché
originel ^,

Mais dans quelle partie de l'âme la faute héréditaire trouvé-t-


elle son siège ? Est-ce dans l'essence même ou dans les puissances ?

Conformément à sa doctrine sur la nature du péché originel,


saint Thomas en place le siège dans l'essence même de l'âme. Le
péché originel en effet se contracte par l'origine ; lamotion de la
génération nous en rend coupables ; son siège est donc ce qui dans
l'âme est atteint premier par la génération. Or, l'âme est la fin
le

de la génération, en tant que forme du corps, et cela lui convient à,


raison de sa propre essence. C'est donc l'essence de l'âme qui est
le premier sujet du péché originel *. C'est de là que son influence
1. I. II. q. 82, a. 2, c,

2. I. II. q. 83, a. I, c. : « Peccatum ergo originale omnium hominum fuit quidem in ipso
Adam sicut in prima causa semine autem corporali est peccatum originale
principali... In
sicut in causa instrumentali, eo quod per virtutem activam seniinis traducitur peccatum
originale in prolem simul cum natura humana. »

3. Ibid. a. I, c.

4. I. II. q. 83, a. 2, c.
160 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

s'étend ultérieurement aux puissances. Le péché, priv^ant l'essence


de l'âme de la force rectificatrice de la justice originelle, laisse le

désordre s'étendre aux puissances qui procèdent de l'âme. C'est


là l'origine de leur inclination au péché. Et puisque le péché dépend
principalement de Ja volonté, celle-ci est la première atteinte par
le péché originel, et subit la première l'inclination au péché ^.

Comme puissance supérieure, elle tient de plus près à l'essence


de l'âme que les autres forces appétitives de l'homme ^ aussi ;

précède-t-elle l'intelligence dans l'ordre de la motion à l'acte ^.


Cependant si on considère l'infection du péché originel non plus
selon l'inclination à l'acte, mais d'après son caractère héréditaire,
comme d'ailleurs il convient proprement à une infection, la puis-
sance génératrice, la force concupiscible, et le sens du toucher sont
les plus spécialement infectés. Ce sont eux surtout qui servent à la
génération, et c'est leur corruption qui transmet la souillure du
premier péché *.

Cette distinction entre le siège propre du péché héréditaire et


les puissances qui en sont infectées témoigne, une fois encore,
que le péché originel, comme faute de nature, n'est pas le désordre
formel des puissances, mais ce désordre radical de la nature, qui
vient de la privation de la justice originelle. Par voie de consé-
quence les puissances issues d'une telle nature, ne sont plus subor-
données l'une à l'autre ^.

Examinons maintenant les effets du péché originel, et voyons


d'abord s'il diminue le bien de la nature. Saint Thomas distin-

gue trois biens de la nature humaine : ses principes constitutifs


et les propriétés qui en résultent, l'incUnation à la vertu, et la jus-

tice originelle. La un don surajouté.


dernière, on le sait, est

Le premier bien, qui est essentiel, ne se perd ni ne diminue par


le péché. Par contre, la justice originelle, qui était un don gratuit,

est totalement détruite par la prévarication d'Adam. Quant à


l'inclination à la vertu, elle ne peut être que diminuée par le
péché ®. Il est clair que l'inclination au bien diminue sous l'action
I. I. II. q. 83, a. 3, c.

3. Ibid. ad a.

3. Ibid. ad 3.

4. I. II. q. 83, a. 4.

5. I. II. q. 83, a. 3, ad 3.Cf. p. i4i,note 2 et I. II. q. 82, a. 2, ad 3 « ...est unum tantura


;
:

peccatum originale, sicut etiam est una febris in uno homine, quamvis diversae partes
corporis graventur. »

6. I. II. q. 85, a. I, c. : « ...bouum naturae humanae potest tripliciter dici : primo ipsa
DOCTRINE DÉFINITIVE DE SAINT THOMAS SUR LE PÉCHÉ ORIOINEL 161

du péché actuel, puisqu'il engendre une inclination contraire ;

mais le péché originel peut-il, lui aussi, diminuer notre disposition


au bien ?

Avant de répondre à
cette question, nous devons présenter plu-
sieurs remarques. Observons d'abord que l'inchnation naturelle
à la vertu résulte de la quaUté d'être raisonnable qui est le
propre de l'homme. Doué d'intelligence, l'homme doit agir confor-
mément à la raison. Or, agir selon la raison et agir selon la vertu
est une seule et même chose ; tout ce qui met un obstacle à l'ac-
tivité selon la raison, diminue donc l'inclination naturelle à la
vertu ^.

Une seconde remarque concerne l'emploi du mot « naturel ».


Ce terme, nous l'avons dit plus haut, a une double signification.
Il désigne soit ce qui résulte des principes constitutifs de la nature,
soit ce qui est simplement convenable à la nature, sans pour cela
découler de ses principes essentiels, telle la sujétion complète
de la partie sensitive de l'âme à la volonté ^. On peut donc par-
ler d'une double inclination naturelle à la vertu, l'une résultant

de la nature pure, l'autre qui provient d'\m don surajouté, mais


cependant convenable à la nature en sa partie supérieure. C'est
en ce dernier sens que l'inclination à la vertu dans l'état d'inno-
cence était naturelle ^. Le premier homme avant la chute ne con-
naissait pas la rébellion de la chair contre l'esprit. Agir selon la rai-
son était alors plus facile, grâce au secours de la justice primi-
tive.

Une troisième observation, relative à la question de la nature

priQcipia naturae, ex quibus ipsa natura constituitur, et proprietates ex his causatae...


Secundo, quia homo a natura habet inclinationeni ad \drtuteni ut supra habitum est. Ipsa
autem inclinatio ad virtutem est quoddam bonura naturae. Tertio modo potest dici bonum
naturae, donum originalis iustitiae quod fuit in primo homine coUatum toti humanae
naturae. Primum igitur bonun\ naturae nec tollitur nec diminuitur per peccatum. Ter-
tium vero bonum naturae totaliter est ablatum per peccatum primi parentis. Sed médium
bonum naturae scilicet ipsa naturalis inclinatio ad \'irtutem diminuitur per peccatum.
Per actus enim humànos ût quaedam inclinatio ad similes actus, ut supra dictum est.
Oportet autem quod ex hocq lod aliquid inclinatur ad unum contrariorum, diminuatur incli-
natio eius ad aliud. Unde cum peccatum sit contrarium virtuti, ex hoc ipso quod homo
peccat diminuitur bonum naturae, quod est inclinatio ad virtutem... » Et a. 2, c. k Sed :

quia diminuitur ex parte impedimenti, quod apponitur ne pertingat ad terminum, mani-


festum est quod diminui quidem potest in infinitum quia in inânitum possunt impedimenta
apponi, secundum quod homo potest in infinitum addere peccatum peccato non tamen ;

potest totaliter consumi, quia semper manét radix talis inclinationis. »


I. II. q. 85, a. 2, c.
1. « ...naturalis inclinatio ad virtutem ...convenit homini ex hoc
:

ipso quod rationalis est ex hoc enim habet quod secundum rationem operetur, quod est
;

agere secundum virtutem. » Cf. I. IL q. 63, a. i, c.


2. I. II. q. 85, a. 3,ad 3 « Concupiscentia in tantum est naturale homini in quantum sub-
:

ditur rationi : quod autem excédât limites rationis, hoc est homini contra naturam. «
3. Cf. loc. cit.

Bibliothèque thomiste 11
162 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

pure, nous arrêtera plus longtemps. La nature pure aurait-eUe


été affectée- par le même désordre que la nature déchue, en dehors
bien entendu, de la souillure du péché originel et de la relation de
cette nature à une justice perdue ?

La réponse affirmative nous paraît s'imposer ; et voici pour-


quoi. D'une part saint Thomas, ici, comme dans ses œuvres anté-
rieures, pose ce principe que le péché originel n'a rien enlevé de ce
qui est essentiel et propre à la nature humaine. D'autre part, nous
savons que le péché héréditaire ne consiste que dans le désordre
habituel provenant de la privation de la justice originelle. En vertu
de la première donnée, tout ce qui peut découler des principes essen-
tiels de la nature, doit se trouver encore dans la nature déchue
à moins d'un obstacle survenu du dehors ; on ne peut assigner d'au-
tre raison par quoi la nature déchue diffère de la nature pure.
Or, du second principe, on ne peut conclure à l'existence d'aucun
obstacle dans la nature, en vertu duquel cette nature serait mutilée
dans ses perfections naturelles. Le désordre habituel dans la na-
ture déchue n'a d'autre cause que la seule privation de la justice
originelle. Or, la perte d'un don surajouté laisse la nature elle-même
intacte ; elle ne cause rien de positif qui puisse être un obstacle
aux perfections naturelles. Si donc il existe un désordre dans
la nature déchue, il doit avoir sa raison d'être dans la nature
même, par conséquent être pareillement attribuable à la nature
et
pure ^ C'est pourquoi saint Thomas affirme aussi, à propos de la
corruptibilité après la chute, que la matière est abandonnée à
elle-même -
; la force surnaturelle a été retirée. Il est bien vrai

que le péché actuel d'Adam a altéré sa nature à lui, en causant


une inclination positive vers l'objet de son péché personnel mais ;

dans la nature spécifique le péché n'a fait que supprimer la justice


primitive. La différence entre la nature pure et la nature déchue
n'est donc prise que du côté de l'ordre surnaturel. La nature déchue
a une relation à la justice perdue, en tant que cette justice est exigée
d'elle par son Créateur c'est ce pourquoi la privation de la recti-
;

tude primitive devient en elle une faute et une peine. Et ainsi la

1. I. II. q. 17, a. 9, ad 3 « ...quia per peccatum primi parentis ...natura est sibi relicta,
:

subtracto supernaturali dono, quod homini divinitus erat collatum ideo consideranda ;

est ratio nahiralis, quare motus huiusmodi membrorum (genitalium scilicet) specialiter
rationi non obedit. »

2. I. II. q. 85, a. 5, c. : « peccatum primi parentis,


...subtracta hac originali iustitia per
sicut vulnerata est humana natura quantum ad animam per deordinationem potentia-
rum, ut supra dictum est, ita etiam est corruptibilis affecta per deordinationem ipsius
corporis... » Cf. ad I « ...remota originali iustitia, natura corporis humani relicta est
:

sibi. « Et ibid. a. 6, c. n ...homo est naturaliter corruptibilis secundum naturam materiae


:

sibi relictae. » Cf. III. q. 69, a. 3, ad 3.


DvOCTRINE DÉFIN'ITIVE DE SAINT THOMAS SUR LE PÉCHÉ ORIGINEL 163

nature déchue porte en elle un obstacle à la grâce et conséquem-


ment à la poursuite de sa fin dernière ; ce qui n'aurait été dans la
nature pure.
Une fois ces notions préliminaires établies, la solution de la
question posée devient assez facile. Le péché originel a diminué'

en nous l'inchnation à la vertu en tant qu'elle provenait, dans


l'état primitif, de la justice originelle, mais il n'a pas diminué
l'inclination qui résulte de la nature pure. Le péché originel n'aurait
pu produire ce résultat que par l'introduction d'une inclination
contraire. Or, cette inclination, comme les puissances mêmes
de l'âme, appartient bien plus à la personne qu'à la nature spéci-
fique. Sidonc le péché originel n'a corrompu la nature que par
rapport à une propriété de l'espèce, il n'a pas diminué l'inclination
naturelle à la vertu. Ainsi donc, lorsque saint Thomas parle d'une
inclination naturelle à la vertu, perdue par le péché originel, il

faut entendre cette affirmation de l'inclination à la vertu en tant


qu'elle provenait de la justice originelle. Elle aussi était natu-
relle, non pas à raison du corps, mais relativement à la partie supé-
rieure de l'âme ^.

En conséquence, les plaies ou blessures de la nature, qui con-


sistent précisément dans
diminution de notre inclination natu-
la
relle à la vertu, ne sont que le désordre naturel des puissances, pro-
venant de nature abandonnée à elle-même par la perte de la
la
justice originelle^. L'ignorance de l'intelligence, la mahce et la
faiblesse de la volonté, la concupiscence de la chair, auraient été
l'apanage de la nature pure. Nous en avons une nouvelle preuve
dans les paroles du saint Docteur relatives à la concupiscence.
D'après lui, la concupiscence est naturelle à l'homme en tant qu'elle
est subordonnée à la raison. Ce qui est contre nature c'est qu'elle
excède les limites po^sées par l'esprit ^. Toutefois, saint Thomas sou-
tient aussi que la subordination complète de la partie sensitive
à la volonté ne résulte pas des principes constitutifs de la nature ;

et par là, elle est surnaturelle *. Le mot « naturel » ne signifie donc

1. I. II. q. 85, a. 3, c. « ...per iustitiam originalem perfecte ratio continebat inferiores


:

animae vires ; et ipsa ratio a Deo perficiebatur ei subiecta. Haec autem originalis iustitia
subtracta est per peccatum primi parentis, sicut iam dictum est. Et ideo omnes vires animae
rémanent quodammodo destitutae proprio ordine, que naturaliter ordinantur ad virtutem
;
et ipsa destitutio vulneratio naturae dicitur... In quantum ergo ratio destituitur suc ordine
ad verum, est vulnus ignorantiae in quantum vero voluntas destituitur ordine ad bonum,
;

est vulnus malitiae in quantum vero concupiscentia destituitur ordine ad delectabile


;

moderatum ratione, est vulnus concupiscentiae. »


2. Loc. cit.

3. I. II. q. 85, a. 3, ad 3. Cf. p. 161. note 2 ; et encore I. II. q. 82, a. 3, ad i ; III. q. 15;
a. 2, ad 2.

4. Cf., chap. III, pp. 129-130. Voir I. q. 95, a. i, c. : « Manifestum est autem. quodilla
'

164 LA DOCTRINE DE S. THOMAS

pas autre chose que convenable à la nature dans sa partie supé-


rieure, la raison et la volonté. Le « contre-nature » n'exclut pas
le naturel dans le sens strict du mot ; il n'y a donc pas opposition
entre la nature pure et les imperfections signalées. Il ne faut pas
oublier d'ailleurs, que nous prenons ces imperfections dans leur
caractère privatif, comme un désordre de la nature. A procéder
ainsi, on écarte un grand nombre de difficultés. La nature, qui

n'est que puissance, n'est pas le siège immédiat d'une inclination.


La concupiscence considérée comme la tendance positive vers les
voluptés de la chair appartient à la personne et diffère dans cha-
que individu selon la diversité-dés tempéraments. Ce n'est donc
pas d'elle que nous parlons.
^Le texte célèbre « vulneratiis in naturalibus, spoliatus gratiti-
tis regarde donc la grâce sanctifiante et le don de la justice ori-
))

ginelle d'une part, et de l'autre les incUnations convenables à la


nature. Cette explication se ramène, on le voit, à celle du Commen-
taire sur les Sentences ^.

Effets du péché originel sont aussi la mort et les infirmités cor-

porelles. Elles ne sont, il est vrai, causées par le péché du premier


homme qu'accidentellement, per accidens : la faute d'Adam ne
fut qu'un removens pïohihens, en tant qu'elle a détruit la jus-
tice originelle qui empêchait la corruption naturelle de se mani-
fester 2.

Le péché héréditaire produit aussi dans l'âme une tache, résul-

tant de la privation de sa splendeur. L'âme humaine brille d'un


double éclat ; l'un est l'effet de la lumière naturelle, la raison ;

l'autre provient de la lumière divine, c'est-à-dire la sagesse et la


grâce. Par le péché originel, l'homme a été privé de la grâce et est
tombé dans l'ignorance ; l'âme humaine a alors perdu la gloire de
son premier jour : c'est là la tache qui nous souille, nous rend
odieux aux yeux du Créateur ^.

subiectio corporis ad animam, et inferiorum virium ad rationem, non erat naturalis. »

Et Comp. 200 « ...post peccatum primi parentis omnes absque originali iustitia
Theol., c. :

et cura defectibus consequentibus sunt exorti. N'ec hoc est contra ordinem iustitiae, quasi
Dec puniente in ûliis quod primus parens deliquit quia ista poena non est nisi subtractio :

eorum quae supematuraliter primo homini divinitus sunt concessa. »


1. Cf. I. II. q. 85, a. I.

2. I. II. « Per accidens autem aliquid est causa alterius, si sit causa remo-
q. 85, a. 5, c. :

vens prohibens... hoc modo peccatum primi parentis est causa mortis, et omnium
; et
huiusmodi defectuum in natura humana, in quantum per peccatum primi parentis sublata
est originalis iustitia, per quam non solum inferiores animae vires continebantur sub ratione
absque onmi deordinatione, sed totum corpus continebatur sub anima absque omni defectu. »
Cf. Corap. Theol. ce. 198, 234.

3. Cf. I. II. q. 83, a. I, ad 4. Sur les autres effets du péché, cf. I. II. q. 86, a. i, c.,et ad 3.
DOCTRINE DÉFINITIVE DE SAINT THOMAS SUR LE PÉCHÉ ORIGINEL 165

Pour le péché originel, comme pour tout autre péché, l'homme


a encouru une peine. Tout péché appelle contre le pécheur une réac-
tion de la part de l'ordre qu'il a troublé ^ Le désordre de la nature
déchue est contraire à l'ordre divin ; Dieu a son tour s'oppose
à l'homme. L'union d'amour entre la créature et son Créateur est
rompue le ciel nous est fermé, et au lieu de la vie bienheureuse,
;

la mort éternelle nous attend ^. Cependant, comme le péché originel

n'est pas l'œuvre de notre propre volonté, Dieu nous punit seule-
ment par la privation de la grâce, ce qui correspond au désordre
de notre nature. Il ne nous inflige pas positivement de peines cor-

porelles ; les pénalités de la vie sont des peines consécutives à la


privation de la grâce, qui nous préservait^. De même encore, nous
ne sommes pas punis de la gravité du péché
la peine éternelle pour
originel lui-même, mais à cause de notre condition nous man- :

quons de la grâce qui seule peut nous rendre dignes de la vision


béatifique *.

Si l'on compare cet exposé de la doctrine du péché originel


avec celui du Commentaire sur les Sentences, il est aisé de voir
que saint Thomas a poussé encore plus à fond l'étude du carac-
tère propre du péché originel. Le problème de notre culpabilité
est résolu. Membres d'un corps dont Adam était le premier moteur,
nous sommes par lui entraînés et amenés non à la manducation
du fruit de l'arbre de la science, —
ce qui fut de sa part un acte
personnel, — ni à la corruption de la nature entière, — ce qui est
l'effet individuel de son acte, — mais à l'appauvrissement d'une
nature qui est proprement la nôtre. Par la génération, la rnotion
setransmet d'Adam à notre nature individuelle, et c'est ainsi que
nous portons, chacurt, notre propre péché.
C'est ici surtout que paraît le désaccord entre saint Thomas
et saint Augustin. Celui-ci cherche notre culpabilité dans notre uni-
té matérielle avec Adam au moment de son péché à raison du ;

semen générateur, nous étions en lui et constituions avec lui un


seul sujet c'est par lui que nous avons violé le commandement divin
,

1. I. II. q. 87, a. I, c.

2. I. II. q. 87, a. 3, c.

3. I. II. q. 85, a. 5, c. « Subtractio autem originalis iustitiae habet rationem poenae,


:

sicut etiam subtractio gratiae. Unde etiam mors et omnes defectus corporales conséquentes
sunt quaedara poenae originalis peccati. » Cf. III. q. i, a. 4, ad 2.
I. II. q. 87, a. 5, ad 2 « ...peccato originali non debetur poena aeterna ratione
-, :
suae
gravitatis, sed ratione conditionis subiecti, scilicet hominis qui sine gratia invenitur, per
quam solum fit remissio poenae. »
166 LA DOCTRINE DE S. THOMAS,

et mangé le fruit défendu. Pour saint Thomas, l'unité matérielle


ne consiste pas dans l'unité du genre humain en un seul sujet,
mais dans le lien physique établi par la génération. C'est pourquoi
la cause du péché originel est placée dans le mouvement de la vo-
lonté de notre premier père, qui nous donne encore notre orienta-
tion aumoment même de notre conception. Nous n'avons pas péché
en au moment de sa prévarication personnelle notre péché ne
lui ;

commence et n'existe qu'avec nous. Il ne va pas à nous faire manger


avec Adam le fruit défendu, il aboutit seulement à l'état de cor-
ruption où se trouve notre nature individuelle.
Quant au péché originel en son essence, il est formellement pri-
vatif il est la privation de la justice originelle. Par lui, nous ne
:

sommes donc pas coupables d'une aversion de Dieu, impliquant


un acte positif de la volonté, ni d'une conversion positive vers
les biens périssables, quoique l'une et l'autre puissent résulter
du péché héréditaire. Notre faute est de n'être pas ordonnés à
Dieu de par notre nature, et de ne pas avoir la force nécessaire
pour retenir les puissances inférieures dans leur poursuite désor-
donnée du bien créé ; le péché originel est un péché de natiure.
Aussi n'intéresse-t-il que par voie de conséquence les puissances
de l'âme. C'est pourquoi on ne trouve plus, dans la Somme, la
comparaison entre le péché originel et le péché actuel à propos
d'aversion et de conversion. Par là, saint Thomas s'oppose à la
plupart des théologiens qui l'ont précédé. Par son explication de
la culpabilité dans le péché héréditaire, saint Thomas a plus claire-

ment et plus profondément défini l'essence de ce péché.


CONCLUSION

Au même de
cours de ce travail, soit de l'exposé de la doctrine
saint Thomas, de l'enquête préalable sur les élaborations des
soit
prédécesseurs et contemporains du Docteur Angélique, plusieurs
réflexions d'ordre général, se présentaient, et se sont sans doute
présentées à l'esprit du lecteur, à mesure que se dessinait chaque
position de détail dans l'ensemble de la doctrine thomiste. Nous en
avons réservé l'expression jusqu'ici, afin de dégager en terminant,
d'une manière plus saisissante, les conclusions et le résultat d'en-
semble auquel nous avons abouti.

Pour ce qui est de la justice originelle, on aura observé que la


doctrine sur ce point ne s'est développé que très lentement. La
raison première en est dans l'absence de données scripturaires
explicites, contrairement à ce qui regarde le
péché originel. Saint
Augustin n'a touché à cette question qu'indirectement de là le ;

caractère vague et flottant de ses solutions. On ne trouve rien, en


particulier, qui permette de préciser le rapport de la justice origi-
nelle et de la grâce. Il faut arriver jusqu'à saint Anselme pour ren-
contrer, pour la première fois, l'expression de « justice originelle » ;

ellene désigne cependant pas encore une disposition de la nature ;

pour saint Anselme, il y a seulement une distinction entre la recti-


tude de la nature de l'homme et la justice originelle. Cette dis-
tinction disparaît chez Pierre Lombard, et c'est alors que le pro-
blème de la grâce dans le premier homme commence à se poser.
Prévostin propose cette opinion que l'homme, et l'ange lui-même,
ont été créés dans la grâce sanctifiante ; mais il rencontre une
opposition universelle chez ses contemporains. Ces derniers, induits
en erreur par un texte pseudo-augustinien, soutiennent que l'homme,
par son adhésion à Dieu, pouvait se préparer lui-même à rece-
voir la grâce. Cependant, l'idée de Prévostin était féconde on :

finit par se rapprocher de lui, ne fût-ce que sur un point secon-


daire. C'est ainsi que Pierre de Tarentaise soutient déjà, contre
saint Bonaventure, que la grâce a été donnée à l'homme aussitôt
après sa création. Saint Thomas se tient sur la réserve et s'abs-
tient d'abord de prendre position. Mais bientôt il se déclare en
168 LA JUSTICE PRIMITIVE ET LE PÉCHÉ ORIGINEL

faveur des vues de Praepositinus ; dans la Somme théologique il

lesadopte nettement. Il résout concurremment le problème qui


en découle, celui du rapport qui doit exister entre la justice ori-
ginelle et la grâce habituelle ; la grâce est la cause efficiente de la
justice, et la justice est elle-même la rectitude parfaite de notre
nature.

La doctrine du péché originel avait été incomparablement


mieux élaborée que celle de la justice originelle, avant l'interven-
tion de saint Thomas d'Aquin. C'est qu'ici la donnée scripturaire
fondamentale était très ferme et explicite.
Saint Augustin était revenu sur la question du péché originel
à plusieurs reprises, et la doctrine, chez lui, en est déjà ferme et
précise en bien des points ; aussi la théorie augustinienne devait-elle
exercer une influence profonde sur la tradition théologique ulté-
rieure. Les points fondamentaux de cette doctrine ont trait à la
nature et à la transmissibilité du péché du premier homme. Comme

élément constitutif du péché originel, la concupiscence joue un rôle


prédominant elle est, en Adam, la conséquence de sa faute,
: et
c'est cet héritage qui nous rend prévaricateurs à notre tour. Issus
du premier homme par la transmission du germe vital qui était déjà
en lui, nous formons tous matériellement une seule unité, et nous
avons, avec lui, mangé le fruit défendu. C'est en vertu de ces princi-
pes qu'Augustin semble persuadé que les générateurs intermédiaires,
dans la suite des générations humaines, transmettent leurs péchés
à leurs descendants jusqu'au quatrième degré. Cette dépendance
étroite du péché origine^ avec le péché personnel d'Adam, explique
aussi pourquoi saint Augustin a exposé, comme il l'a fait, la nature
des peines infligées aux enfants morts sans baptême, à rai^^on du
seul péché originel.
Dans la question de la transmission de ce péché, Augustin
accentue particulièrement le rôle de la concupiscence actuelle, et
la souillure de l'âme par l'intennédiaire du corps corrompu.
A rencontre d'Augustin, saint Anselme introdui'^ le concept de

privation de la justice originelle, comme constitutive du péché


héréditaire.
Si l'on excepte Abélard, qui déforme complètement le concept
de péché, et VElitcidarium, qiu découvre notre culpabilité dans
l'avidité de l'âme à s'unir à un corps corrompu, les théologiens
se rattachent, soit à saint Augustin, soit, et c'est le plus grand nom-
bre, à saint Anselme. Avec la Somme d'Alexandre de Halès appa-
CONCLUSION 169

raît la distinction entre la partie formelle et la partie matérielle du


péché originel, c'est-à-dire, entre la privation de la justice primi-
tive et la concupiscence, distinction qui tend à concilier les doc-
trines d'Augustin et d'Anselme. Néanmoins la concupiscence re-
tient toujours son caractère positif ; c'est pourquoi la concupiscence
actuelle dans l'acte conjugal est considérée, par la plupart, comme
la cause de la transmission du péché originel. Tous s'appUquent
à trouver le principe de notre culpabilité dans la volonté de notre
premier père. Mais notre participation à l'acte volontaire d'Adam
est expliquée de façons différentes. Les uns, font appel à une unité
de nature réelle, conçue à la manière de l' ultra-réalisme philoso-
phique ; d'autres, à l'unité de matière de tout le genre humain ;

quelques-uns aussi, à une disposition divine spéciale. Finalement,


on cherche la solution dans une distinction entre la volonté person-
nelle d'Adam et une volonté de nature.
Les choses en étaient là quand Thomas d'Aquin vint mettre
de l'ordre dans cette confusion, éliminant les éléments inutiles,
organisant les autres en une doctrine cohérente, qui respectait
à la fois les données de l'Écriture et les exigences d'une philosophie
pleinement consciente d'elle-même.
Saint Thomas commence par établir le caractère purement
privatif du péchéoriginel. Non seulement la partie formelle de
ce péché, c'est-à-dire la privation de la justice originelle dans la
volonté, a un caractère négatif, mais encore la partie matérielle,
la concupiscence, est dans la même condition. Il insiste, par-dessus
tout, sur cette donnée fondamentale que le péché d'origine est un
péché, non de la personne, mais de la nature. De là procède logi-
quement que les peines dues au péché originel sont elles-mêmes
d'ordre privatif. C'est par la concupiscence, prise aussi au sens
privatif, que se transmet le péché originel. Quant à la culpabilité
qu'implique de notre part le péché d'origine, il l'a cherchée, tout
d'abord, dans une privation volontaire du don divin dans la nature
humaine tout entière, puis, finalement, dans la participation de
chacun de nous au mouvement volontaire par lequel Adam trans-
met sa nature déchue à sa postérité par la génération, cette géné-
ration étant le lien réel qui rattache les uns aux autres les membres
de l'espèce humaine et en constitue l'unité.
La manière dont Thomas d'Aquin a résolu les problèmes relatifs
à la justice primitive et au péché originel nous révèle et l'esprit
et la méthode qui président chez le Saint Docteur à l'exécution
de son œuvre théologique En qualité de théologien, Thomas d'A-
170 LA JUSTICE PRIMITIVE ET LE PÉCHÉ ORIGINEL

quin recueille exactement les données scripturaires et l'enseignement


de l'Église. Après cela, il se conduit à la lumière des doctrines
philosophiques, fermement élaborées dans son esprit, et dont Aris-
tote a fourni la base principale. Il s'en est d'ailleurs exprimé lui-
même très clairement en ce sujet même : « De Us quae sunt supra
rationem, soli auctoritati creditur. Unde uhi auctoritas déficit, sequi
dehemus natiirae conditionem ^. » Il est manifeste, de fait, que dans
la question de la justice primitive et du péché originel, la préoccu-
pation de saint Thomas, en dehors de l'élément dogmatique, est de
rapprocher et de réduire à un minimum la distance entre la condi-
tion de l'homme dans l'état de nature pure et de grâce primitive,
de son état présent. Ici et là, en effet, c'est le même sujet
et celle
humain, de qui, à travers les vicissitudes d'états différents, la nature
et les facultés sont définies par la science anthropologique, que
s'en est formée saint Thomas. Aussi les vicissitudes et variations ne
doivent pas, dans leur amplitude, dépasser ce qui est strictement
requis par les données révélées. Sur le terrain de la justice et du
péché originels, qui est spécialement d'ordre physio-psycholo-
gique, saint Thomas a donc constamment sous les yeux la réalité
humaine présente, et c'est pourquoi ses solutions ont un caractère
réaliste, ou, pour parler plus exactement, un caractère physio-
psychologique prononcé.
Ce caractère apparaît dans sa théorie de la justice originelle,
quand il résout les questions suivantes : la connaissance que possé-
dait le premier homme, le phénomène de la génération et la délec-
tation sexuelle, la condition des nouveau-nés, la mort des ani-
maux dans l'état de félicité. La même préoccupation et le même
procédé se manifestent dans son explication du péché originel,
où il cherche la raison de tout dans la nature de l'homme et de
l'espèce humaine. On trouve un exemple typique de cette manière
de faire dans le passage de la Somme théologique, I^, 11^'', q.17,
a. g, ad. 3.

Grâce à ce procédé méthodique, saint Thomas est amené à or-


donner l'ensemble de sa doctrine avec une unité parfaite, en une
synthèse solide et claire, où tous les éléments se groupent sous des
principes fermes et peu nombreux, et ceux-ci, à leur tour, sous cette
conception unique le péché originel relève directement de la
:

nature humaine et non de la personne.


On voit maintenant le progrès accompli, si l'on compare cette
doctrine synthétique aux vues fragmentaires et incohérentes des

2. I. q. loi, I. a. I, c.
CONCLUSION 171

théologiens antérieurs ou contemporains. Un grand nombre d'opi-


nions — telles des pierres défecteuses — , sont re jetées hors de la
nouvelle construction doctrinale ; d'autres matériaux y sont incor-
porés, mais mis en leur place et adaptés, acquérant un autre sens
et une nouvelle valeur selon l'orientation qui leur a été imposée.
L'ensemble de cette construction méthodique et élégante, l'œuvre
personnelle de Thomas d'Aquin, révèle son esprit d'analyse et son
génie d'organisation.
TABLE DES AUTEURS CITÉS

Abélard, xi, 3, 36-39, 43, 44, 47, Contenson, 107.


48, 54, 112, 168. Contra Gentes, 84-113.
Albert le Grand, xi, 4, 6i-yg, 87,

gy\ 1042, 140I. Del Prado, xi.


Alexandre de Halès, xi, 22, 49, Domet de Vorges, 30^.
6i-yç, 1042, III, 112, 168.
Anselme (S.), xi, 22, 23-3^, 36, Elucidarium, 40, 42, 48, 52^, 57,
40, 41, 43, 44, 46*, 48, 50, 52, 592, 112, 168.

63, 67, 70, 94, iio, III, 167, Endres, 40^, 40^.

169. Espenberger, xi, 14, 43^.


Augustin (S.), XI, 3-22, 34^, 35, Estius, 107.

37, 39, 41, 44, 47, 50, 52, 53,


56, 61, 62, 67, 70, 87, 92, 1042, Ferrariensis, xi, 136.
iio, III, 113, 115, 137, 138, Fisher, 30^^.

145, 165, 168, 169.


Autissiodorensis, voir : Guillau- Gazzaniga, 107.
me d'Auxerre. Gietl, XI, 581, 62I, 623.
Glose ordinaire, v, 104^.
Bainvel, 30I. Gonet, XI, 133*.
Baianistes, 10, 28, 120^. Goudin, xi, 115^.
Baius, II, 27, 28, 139. Grabmann, xi, 23^, 30^, 43*, 56\
Bède, 104^. 563, 842^ 843, 844, 84^
Bernard (S.), xi, 44, §3- 5 5. i04^- GrGot(de),56i, 842, 843, 845.
Billet, XI, 1483, 1542. Guillaume d'Auvergne, 4.
Billuart, xi, 133*. Guillaume d'Auxerre, xi, 4, 61-
Bittremieux, 133^. yg, 102, 104"^.

Blachère, xi. GundissalinuF, 4.

Boecker, xi.
Boehne, 311. Hauréau, 30^.
Henri d'Auxerre, 3.

Cajetan, xi, 136. Hertling (von) 43, 6^.

Capreolus, xi. Honoré d'Autun, xi, 40-43, 47,

Compendmm Theologiae, 128- 48, 52^ 57> 59l 112, 168.


. 146, 151I, 154. Hugueny, xi.
174 LA JUSTICE PRIMITIVE ET LE PÉCHÉ ORIGINEL

Ragey, 30I.
Hugues de S. Cher, 79^.
Hugues de S. Victor, xi, 43-50, Rémy d'Auxerre, 3.

51, 52, 53. 56, 58, 67, 77, III. Rémusat (de), 30^.
Rhaban Maur, 3.
Jansénistes, 10. Richard de S. Victor, 44.
Jansénius, 11, 16', 27, 139. Richard Fishacre, 79'.
Jean Damascène, v. Robert, 511.

Jean de la Rochelle, 4. Robert Kilwardby, 79^.


Jean Scot Erigène, xi, 27, 35, Robert de Melun, 40I.
35^ 40- Roland Bandinelli, $8^, 62I, 622.

Julien, II, 55. Romanos {Comni. in Epist. ad),


135, 149^ 154-
Kleutgen, xii. Rubeis (de), 133*.
Kuhlmann 84^. Rupella, voir Jean de la Rochelle.

Langton, voir Stephanus.


Lombard, voir Pierre Lombard.
:
Salmanticenses, xii, 133*.
Schaff, XII.

de Malo, [Qu. disp.) 84-113. Scheeben, xii.

84I, Schell, XII, 150.


Mandonnet, xii, 84-, 84^,
Schliinkes, xii.
845, 912.
Manser, 4^.
Schneider, xii, 115^.

Martin, xii, 40^, 79. Schwane. xii.

Martinus (Magifter), 79^. Scot Erigène, voir : Jean Scot


Martinus de Fugeriis. 79^. Erigène.

Mausbach, 12, 17*.


Sententiarum {Comm. in IV li-

bros) 84-113.
Médina, 133*.
Michel, 133'. Serry, xii, 107.
Simon de Tournai, 79^

Paschase Radbert, Soto, XII, 133*.


3.

Pélagiens, 12. Stephanus Langton, 79^.


Stôckl, XII.
Perrone, 133*.
Pesch, XII. Suarez, xii, 133*.

Petavius, xii. Summa Sententiarum, 19^, 50,


62I
Pierre Lombard, xi, 4, 22 44, 51-53, 56,

53-60, 62I,
67, 85. 87, iio, Summa Theologica, 84, 104^,
114-166.-
145, 156, 167.
Pierre de Tarentaise, xi, 6i-yg,
62^, 91, 92, 97^, 167. Tarentaise, voir : Pierre de Ta-
Portalié, xii, 167. rentaise.
Praepositinus, xi, 60, 6i-yg, 90, Tennant, xii.

91, 93, 167, 168. Thys, XI i.


,

TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES 175

Thomas d'Aquin (S.), xi, 4, 22, Valentia, 133^.


31I 40I,
27, 49, 493, 55, 83-171. Van der Meersch, xi, 133*.
Turmel, xii. de Veritate {Qu. disp.), 84-113.
Vigna, 30^.
Uebenveg - Baumgar tner , xii
23I, 51I,
2^\ 402, 434, 561, 842, Weddingen (van) 30^.
843, 84^ 845.

TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES

Acte conjugal, 21, 41, 57, 65, Enfants non baptisés, 22, 38, 55,
88, 144. 72, 165-
Adam, 147, 150-151. État : sa notion, 118-120 ; les
Ame (création de 1') 21 ; son états de la nature, 119-120,
infection, 21, 42, 49, 59, 76, 136 ; de la personne 120-121,
100-102, 113, 150, 155. 136^ ; état de nature intègre,
Ange, 45, 46, 51, 62, 91, 93. 136 ; état de nature corrom-
Arbre de vie, 10, 36, 41, 47, 56, pue, 136 ; les cinq états de
6(3, 864, 1^3 nature, 136.
Christ, 20, 23, 52, 59, 733, 73*, Eve, 50, III, 156.
155-156. Génération, 48-19, 72*, 130-131,
Concupiscence, 9, 15-16, 20-21, 144.
25 -34. 38, 42, 54-55, 56, 58-60, Grâce de création, 28-29, 46, 51»
67-71, 95, 98-99, 106-109, 154, 56.
158, 163, 164. — sanctifiante ; sa notion, 12,
Connaissance en Adam, 142. 124-127, 134 ; sa relation avec
Corpulenta suhtantia, 49 y^, la justice originelle, 13-15,
it, 156. 29, 41, 45, 51, 53, 56, 57,
CorruptibiHté du coips humain, 61, 63, 64, 90-93, 133-141,
9-10, 26, 36, 47, 57, 88, 107, 167-168.
129, 164. Gratia cooperans, 45, 47, 56 ;

Création de l'âme, voir : Ame. operans, 45, 56 reparatrix, ;

Créatures spirituelles, 37. 46 ; salvatrix, 46.


Dehitum damnationis, 38. Hahitiis, 132-133.
Décret divin, 72, 74, 151-154. Ignorance, 16,32, 48, 51, 56, 68,
Délectation sensuelle, voir Acte : 102, 158, 163.
conjugal. Immaculée Conception, 1562.

LA JUSTICE PRIMITIVE ET LE
PÉCHÉ ORIGINEL
176

Immortalité, 9, 26, 41, 47. 57-


— sa transmission, 20-21, 33-35.
97-
42, 48-50, 52, 54. 58, 76,
66, 86, 129, 143.
102, 147-157
Impassibilité, 86, I43-
;

Inclmation à la vertu, 161-163.


— ses effets, 22, 104-109,
160-

Individu, 116-118, 165 ;

Infection de l'âme, voir :


Ame. — son sujet, 21, 42-43, 49. 59.
78-79, 103, 159-160 ;

Justice, 8, 25, 40, 132.


— primitive sa notion, :
7-8, — unité ou pluralité, 51, 60,

78, 104, 158-159-


24-25, 26, 40, 44, 53. 63, 85-87,
Peines du péché originel, 22,32,
128-133 ;
160-
sa relation avec la nature
: 38, 55, 72, 102, 104-109,

10-12, 27-29, 36, 47, 53-54> ^65.


^ . .

Personne, sa notion, 11D-117 ,

64, 87, 89, 129-132 ;

chez S.
— sa relation avec la grâce sanc-
personne et nature,
Grâce, Anselme, 30^.
tifiante, voir :

originelle.
49 Privation de la justice
Massa peccatrix, 34^ 39' >

originel, sa notion.
— perditionis, 19, 34, 34^-
voir Péché
:

^56-
Ratio seminalis, I8^ 49, i55,
Méritîs de l'état de justice ori-
156^-
Reatus, 17*, 39. 6o^ 109.
ginelle, 13, 46-47. 56, 143-144-
voir
Rectitude de la nature,
:

Mitissinia paena, 22, 55.


Justice primitive.
Mort, II^ 36, 47. 49. 57. 58. 164.
9,
Science du premier homme,.
86,
Nature, 114-118 humaine, 10, ;

état de nature, voir État


142.
14 ;
: ;

164.
Spoliatus in gratuiiis, 104,
nature pure, 119. i2o\ 136,
Surnaturel, 123.
161-163. pri-
chez S. An- Transmission de la justice
Nature et personne,
64-65.
mitive, 12, 15, 29-31. 57.
selme, 30^. originel,
87, 139-141 ; du péché
Naturel, 122-123, 161.
Hu- voir péché.
Naturel et surnaturel chez
:

Ultra-réalisme, 27, 30. 30^-


gues de S. Victor, 45^
Unité, du genre humain, 19, 30.
Orgueil, 67.
30\' 48-49. 53. 74. 76. 98.
Originel, voir Justice, Péché. justice
no, 149-154 de la
Péché actuel d'Adam, 17, 50.
;
I

actuel des primitive, 141.


52, 60, 76, 113, 156 ; ]

86
Vertus de l'état d'innocence,
autres parents, 18, 33. 5^'
143-
60, 79, 156 ;

sa notion, 15-20, Vitimn naturae, 20, 33, 75. 95.


originel :

41-43. 48-49. 157.


31-33. 37-39. 104,
Viilneratus in naturalibns,
51. 54. 58-59. 67-76. 94-97.
163, 164.
147-154, 157-159 ;

X ne Ai du Metz,
au Lille (France),
— 1.291
7,
Brouwer i::!^
et C'S 41, rue
Imp rimé par Desclée, De
/

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