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Jean Laplanche

Entre séduction
et inspiration :
l'homme

~~

:: -

~ 11 'i'

QUADRIGE/PUF
Les forces en jeu
dans le conflit psychique*

Pour cette mise au point sur Ie conflit névrotique, Ies


deux textes de Freud en 1924, « Névrose et psychose » et
« La perte de Ia réalité dans Ia névrose et Ia psychose »,
peuvent nous servir, sinon de modele à appliquer, du
moins de point de départ. Pour Freud, il s'agit explicite-
ment d'une tentative pour insérer Ie conflit dans Ie cadre
de sa nouvelle théorie de I'appareiI psychique. Or trois
singularités retiennent d' emblée notre attention :
1 / La description du conflit est essentiellement
topique, mais, chose curieuse, cette topique ne fait pas
intervenir seulement Ies nouvelles instances mises en
place depuis 1920: Ie moi, Ie ça et Ie surmoi. Voilà
qu'une nouvelle « instance » apparait, comme une force
autonome : Ia « réalité » ; de sorte que Ie conflit réside
dans Ia façon dont Ie moi se trouve pris entre deux for-
ces majeures et devrait s'allier à l'une ou à I'autre. Dans
Ia névrose, c'est Ia réalité qui l'emporterait, aux dépens
du ça. Dans Ia psychose, ce serait I'inverse.
2 / Du côté des forces puIsionnelles, qui classique-
ment s'opposent dans Ia psyché (défense, symptôme,

* Prononcé au 2" Col1oque intemational Jean Laplanche, Canterbury,


15 juillet 1994.
compromis, etc.), Ia nouvelle opposition des « pulsions Concemant Ia réalité extérieure il est tout à fait sim-
J

de vie » et des « pulsions de mort »1, ne trouve absolu- pliste de parler de « monde extérieur rée1 » sans le spéci-
ment pas sa place. Loin d'être en lutte entre elles, les fier, et sans tenir compte des forces qui Ia polarisent.
deux grandes pulsions sont englobées dans le ça et ont Dire simplement que « Ia perception joue pour le moi le
un destin strictement commun. rôle qui dans le ça échoit à Ia pulsion »3, c'est établir une
3/ Quant à l'ancienne opposition, celle des pulsions symétrie sans rigueur, en escamotant cette question de
sexuelles et des pulsions d'autoconservation, il n'est force~Le monde extérieur ne dessine des lignes de force "\
pas étonnant de ne pas Ia retrouver, puisqu'elle a dis- que par l'investissement d'un être vivant. On est même
paro - comme axe majeur de Ia pensée freudienne, en droit de supposer qu'il n'est tout simplement perçu
apres 1915. Il reste que son absence se fait croellement qu'en fonction d'un tel investissement. Ce qui est indif- •
ressentir, lorsqu'il est, précisément, question de Ia férent n'est pas remarqué par le vivant. L'air que nousj
réalité. respirons ne fait irruption que lorsqu'il devient suffo-
quant, ou vient à manquer4•
De façon élémentaire, on peut décrire, pour un être
vivant donné, les forces qui animent Ia réalité selon trois
couples d'opposition sexualité/autoconservation ; attrac-
Sur Ia base d'un solide « réalisme », Freud a toujours tion/répulsion; environnement animé (et plus étroite-
distingué deux types de réalité : Ia réalité exteme, maté- ment, humain) / environnement inanimé.
rielle, à laquelle nous accédons par Ia perception, et Ia Laissons de côté provisoirement Ia sexualité pour
réalité psychologique, correspondant aux perceptions nous attacher au domaine de l' autoconservation ou adap-
issues de l'intérieur, tout d'abord les sentiments de plai- tation. C' est ce domaine que, couramment, on fait se
sir déplaisir, puis les affects, enfin les représentations, recouvrir avec Ia notion de « réalité » en général, le « réa-
fantaisies, raisonnements, etc.2 lisme » se donnant pour maximes de « vivre d'abord »
Il n'est pas question de contester cette premiere oppo- (primum vivere) avant de philosopher, ou même avant
sition, mais d'y établir des distinctions, de nous deman- de faire l'amour. Selon Ia polarité attraction/répulsion,
der quelles forces (quelles « pulsions ») y sont en jeu, et le champ des besoins autoconservatifs dessine un envi-
aussi de nous questionner sur un troisieme type éventuel ronnement (Unwelt) fait de pôles attirants (objets de
de réalité, transversal par rapport aux deux autres.
3. Le moi et le ça, GU7,XIII, p. 252-253 ; OCF-P, XVI, p. 269.
1. Quelle que soit Ia signification qu'on soit amené à leur donner. 4. Cf. D. Lagache, «Dans leur conduite, les organismes vivants ont
Voir plus bas, p. 138 sq. affaire à des valeurs positives et négatives, ou à des objets-valeurs, et non
2. La réalité psychologique n'est pas l'apanage de l'être humain. Elle pas à des objets, dans le sens que Ia connaissance vulgaire ou Ia connais-
se développe chez tout vivant, en se complexifiant avec Ia complexité du sance scientifique donnent à ce terme» (Le psychologue et le criminel,
systeme nerveux central. (Euvres lI, Paris, PUF, 1979, p. 192).
besoin) et de pôles négatifs (dangers). Ces besoins sont mentaires. Tout aussi bien qu' « autoconservatif », ce
inscrits dans l'individu par des montages, plus ou moins champ de forces peut être dénommé, en tant qu'inter-
ftxés ou adaptables, hérités par phylogenese. Mais ici humain ou inter-animaI, champ de Ia « tendresse »
intervient Ia différence entre deux types d' environ- (Freud) ou champ de l' « attachement}) (psychologie
nemem (animé/inanimé) et iI convient de distinguer modeme - éthologie).
nettement emre Ies especes, selon qu' elles sont directe- 11est paradoxal mais vrai de dire que ce domaine de
;1 ment branchées sur l'environnement inanimé, ou que ce I'autoconservation n'est décrit ici que par abstraction
branchemem passe par I'intermédiaire de I'autre vivam. pour ce qui conceme l' être humain. Présent à Ia nais-
Pour un certain nombre d' especes vivantes, Ies monta- sance sous forme de dispositions innées, instinctuelles,
ges som directement préadaptés à I'objet de consomma- iI va être tres vite recouvert, disqualijié, par un autre jeu
tion ou à Ia situation à éviter (appétence pour teI ali- de forces, celles de Ia sexualité humaine.
ment - connaissance instinctive d'un danger précis). Mais avant d'introduire Ia sexualité, iI est indispen-
Pour d'autres especes, I'acces à I'objet matérieI ou Ia sable de cemer un troisieme ordre de réalité, non pas à
connaissance du danger factueI sont inséparables de Ia côté de Ia réalité matérielle et de Ia réalité psychologique,
médiation du « socius ». Dans Ie cas de I'être humain mais transversale par rapport à elles : Ia réalité du mes-
- Ie seul qui nous occupe ici - Freud a souligné forte- sage, dont Ia matérialité doit être dénommée « signi-
mem son ignorance congénitale des dangers ; et quam fiant ». Ce domaine de réalité est celui que Freud pres-
aux appétences directement préadaptées à I'objet, notam- sent parfois, en désignam une « réalité psychique»
ment alimentaire, il semble bien qu' elles soiem - elles distincte non seulement de Ia réalité matérielle mais
aussi - inexistantes. Le bébé, au départ, n'a aucune aussi de Ia réalité simplement psychologique, et, pour
« intention » du Iait : ce n'est qu'à travers I'attraction et ainsi dire, plus dure, plus résistante qu'elle. C'est
Ia proposition du sein, de sa chaleur, de Ia nidation qu'iI notamment Ie cas de ce qu'il nomme Ies « souhaits
propose, etc., que Ie nourrisson accede à Ia fameuse inconscients ramenés à Ieur expression Ia demiere et Ia
« valeur-nourriture})5. Le monde humain de I'auto- pIus vraie »6,soit, selon notre conception du réalisme de
conservation, à Ia différence de ce qui se passe pour de I'inconscient, Ies « signifiams désignifiés » ( « représema-
nombreux animaux, est donc d'emblée et totalement un tions-choses » ) qui peuplent I'inconscient.
monde interactif, oriemé par des vecteurs réciproques La matérialité du message en dehors de toute inser-
sans qu'iIs soient pour autant régulierement compIé- tion « psychique I), dans Ia réalité exteme, on se Ia repré-
sente bien par Ia présence d'une table hiéroglyphique
5. Vn terme employé par Lagache pour souligner le fait que abandonnée dans Ie désert. Mais Ie message et Ie signi-
I'environnement n'est pas neutre, mais orienté par des valeurs, qui sont fiam ne som pas, pour autant réductibles au seul Iangage
autant de vecteurs forces. Mais, précisément, le vecteur nourriture
comme relation à l'inanimé, n'est pas un vecteur primaire pour le nourris-
son, comme ill'est pour Ia paramécie ou pour I'alevin de poisson.
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verbal : une fleche indicatrice de direction, dessinée sur pas une réciprocité demande-réponse, il est fonciere-
Ia paroi d'une caveme, est aussi un message; tout ment asymétrique, trouvant son origine dans l'autre
comme un sourire, un geste de menace, ou encore Ia des- (l'adulte).
truction par un avion américain d'une base de missiles C'est ici le lieu de faire intervenir Ia théorie de
irakiens. Le domaine de réalité propre au message com- l'étayage et de Ia séduction généralisée. Ne pouvant Ia
Iporte les caracteres suivants: 1 / le message n' est pas reprendre dans le détail, je me contenterai d'abord du
!nécessairement verbal, ni même intégré dans un systeme schéma suivant, montrant comment le message auto-
< sémiotique, mais il s'inscrit toujours dans une matérialité conservatif, interactif, de l'adulte, est doublé par un
I (signifiant); 2 / le message, avant de représenter message à sens unique, de nature sexuelle.
)quelque chose (un signifié) représente toujours un autre
lpour quelqu'un : il est communication, adresse; 3/ le Relation d'autoconservation
lmessage, de par sa matérialité est Y()':léà Ia polysémie. ou d'attachement
C'est ici qu'il convient de faire intervenir les différen-
ces, caractérisant le message adulte adressé à l'enfant.
Comme tout autre, ce message est susceptible de multi-
pIes interprétations. Mais nous le disons « énigmatique ,)
-) <-
en un sens tres précis, qui excede toute polysémie. En ~
effet, le message adulte, adressé à l'enfant sur Ia base Face inconsciente,
d'un dialogue, d'une réciprocité autoconservatrice, se sexuelle, du message adulte
trouve habité, compromis par Ia sexualité inconsciente
de l'adulte. S'il se présente comme énigmatique à La suíte du processus, nous y ferons allusion plus
l'enfant, c'est sans doute parce qu'il excede les possibili- loin. Mais ce qui importe ici pour le probleme de la
tés de compréhension et de maitrise du nourrisson; réalité, c' est que - à chacun de ses stades, à chacun de
mais plus fondamentalement, c'est parce qu'il est ses niveaux, en chacun de ses lieux corporels - Ia
incompris, dans sa duplicité, par celui-Ià même qui relation auto conservative est infectée, envahie et
l'émet. Le terme de message « compromis}) fait réfé- bientôt completement doublée par des significations
rence à une notion essentielle de Ia psychanalyse, pour sexuelles.
rendre compte, jusque dans Ia psychopathologie de Ia Ce que l'on appelle « pansexualisme i), en psychana-
vie quotidienne, des actes, discours, écrits, etc., tous lyse, c' est Ia théorie affirmant que Ia sexualité rend
adressés à l'autre, et tous porteurs de ce « parasítage }) compte de Ia totalité de l'être humain. Or nous affir-
par l'inconscient de l'émetteur. mons que le pansexualisme théorique n' est que le reflet
Le message sexuel habite donc le message autocon- d'un pansexualisme réel, c'est-à-dire du mouvement par
servatif. Mais à Ia différence de celui-ci, il n'implique lequel Ia sexualité réinvestit l'ensemble des activités
humaines. La sexuaIité n'est pas tout mais el1e est saurait être à son tour séparée des significations sexueI-
partout. Ies inconscientes présentes chez celui qui Ia profere?
Au terme de ce parcours sur Ia « réaIité » et son Le champ de I'autoconservation n'est donc pas direc-
impact dans Ie conflit psychique, résumons ainsi: Ia tement partie prenante du conflit psychique. Il en est Ie
réalité extérieure ne peut intervenir comme force que champ de dépIoiement, éventuellement l' enjeu. La
dans Ia mesure ou elle est investie. L'investissement cécité hystérique8 n'est pas Ie résultat d'un conflit entre
autoconservatif (1esbesoins) est chez I'homme, enti<~re- une fonction visuelle non sexuelle, adaptative, et des
ment médiatisé par Ies rapports interhumains. Ceux-ci, motions sexuelles, mais elle est Ia conséquence, sur Ia
à Ieur tour, sont totaIement infestés, compromis du côté fonction visuelle, q.'W'l. conflit .entre forces sexuelles
de I'aduIte par Ia participation sexuelle inconsciente. all~~gonis~e§.C'est cette position particuliere de I'auto-
Comme un pays neutre envahi par deux armées ·conservation qui justifie sa situation aux limites de Ia
étrangeres en Iutte l'une contre I'autre, non seuIement cure psychanaIytique et de son « baquet »9.
pour se partager son territoire mais pour exercer une
suprématie en vue d'autres enjeux, telle est Ia situation
du domaine autoconservatif chez I'être humain, envahi
par Ie conflit sexuel. Les forces autoconservatrices res-
tent débiles et incapabIes d'exercer une influence
Freud a aftirmé à pIusieurs reprises que I'appareil psy-
notabIe. En elles-mêmes peu capabIes de conflit, Ieur
chique ne se comprenait que par sa genese chez
sort reste entierement dépendant du conflit sexuel. Il est
I'individu. Il n' est pas toujours resté fideIe à cette vue,
bien connu que I'être humain, des qu'iI se sexualise,
notamment en faisant appeI pour décrire Ies « instan-
reste inaccessibIe à des enjeux purement adaptatifs. Il se
ces », à des racines ou à des noyaux innés. C'est notam-
nourrit ou se prive d'aIiments « pour I'amour de » ou
ment Ie cas pour Ie ça, dont Ia conception, à côté d'une
« par haine contre », et non pas pour survivre. Les bizar-
reries, Ies folies de I'être humain, ses idéaux destruc-
teurs ou aItruistes sont inintimidabIes. La contrainte de 7. La menace de castration est el1e-même séduction dans le sens large
l'amour ou de Ia perversion se rit de tous Ies interdits. ou nous définissons cel1e-ci. Quant à Ia « théorie de Ia castration >), son
statut métapsychologique est bien différent.
Dans cette mesure, I'idée d'un « danger réeI » motif du 8. Le trouble de vision psychogéne dans Ia conception psychanaly-
refouIement et de Ia névrose, telle qu'elle ressort d'une tique, in GW: VIII, p. 93 ; OCF-P, X. Voir aussi le premier chapitre de
Inhibition, symptôme et angoisse, à propos de I'inhibition : GW: XVII, 113-
c.ertaine Iecture de Inhibition, symptôme et angoisse ne 117; OCF-P, XVII, 205-209.
tlent pas une seconde, face à l'expérience. La castration 9. Cf. Problématiques IV: L'inconscient et le ça, Paris, PUF, 1981,
n'a jamais été un « danger réel »: elle n'intervient p. 207 sq. Problématiques V: Le baquet. Transcendance du transfert, Paris,
PUF, 1987, par ex. : p. 81 sq., 156 sq., 181 sq., 211 sq. Le discours auto-
comme force psychique qu'à partir d'une menace pro- conservatif ne « s'entend >) dans Ia cure, qu'en tant qu'il évoque,
noncée (Androhung et non pas Drohung) et celle-ci ne dédenche, voire génére le sexue1.
intention positive, véhicuIe Ie risque de revenir à des for- prétextes d'un tel clivage, nous reconduit à une phiIo-
ces instinctuelles (et non pIus puIsionnelles) innées10. sophie du « sujet» qui n'est pas innocente.
Un autre risque, qui n'est pas moindre, consiste à Mais Ies instances de l'appareil de l'âme ne se conçoi-
croire que ce que décrit Ia « métapsychoIogie » est une vent que par Ieur origine : l'impact sur un organisme
version pIus fine, pIus exacte, pIus « extensive» de Ia bioIogique en voie de déveIoppement, des messages
psychoIogie: Ie terme de « psychoIogie dynamique », seXUelSénigmatiques de I'autre. S'il fallait introduire'~ . ,,\1
parfois empIoyé, véhicuIe un teI comresens. C'est une autre « instance » que celles, classiques, de Freud, "'),
contre Iui que nous empIoyons, à Ia suite de Freud, Ie ce ne serait donc pas une « instance de Ia Iettre »11,puis- \ {
r
terme un peu désuet d' appareil de âme, entendam par sance abstraite issue de Ia théorie structuraliste, mais
Ià, tres précisément, I'appareiI psychique sexuel. bien une instance de I'autre. )
La psychanaIyse outrepasse sans conteste ses droits Cette priorité de l'autre (externe) dans Ia constitution
en prétendant rempIacer une psychoIogie cognitive, de I'appareiI de I'âme va se redoubIer en I'instance de
dom Ia Iégitimité demeure. Mais iI se produit, dans Ie I'autre interne: Ie ça. Car ceIui-ci n'est pas Ià primor-
monde de Ia réalité psychoIogique « intérieure », queI- diaIement et de toute éternité : iI est ce qui, du message
que chose de comparabIe au processus du « pansexua- de I'autre externe, n'a jamais pu être intégraIement tra-
llisme réeI » : I'appareiI sexueI de I'âme tend à reprendre duit (intégré, métabolisé) 12.II est, pour ainsi dire, une
i à son compte, à envahir et à s'approprier Ie champ de Ia « quintessence » d'aItérité.
I réaIité psychoIogique, en droit indépendam mais qui ne La constitution de l'appareiI de I'âme, aussi bien sous
I'est pIus, chez I'homme, que par abstraction. son aspect topique que sous ceIui des forces à l'reuvre
La division freudienne de I'appareiI de I'âme en un (aspect économico-dynamique), est corréIative du pro-
ça, un moi, des instances idéaIes, un surmoi, reste un til cessus du refouIement. CeIui-ci, à son tour est à
conducteur indispensabIe. Les distinctions entre un moi comprendre dans Ie cadre de Ia théorie de Ia séduction
I1
et un soi, ou entre Ie moi et Ie je sont éminemment criti- I généralisée: impIantation du signifiant énigmatique,
quabIes, et ressortissem pIutôt à des exigences idéoIogi- réactivation de Celui-ci dans l'apres-coup, tematives de
ques: le soi est une façon de redonner, par différence, maltrise, échec de traduction aboutissant au dépôt des
une prétendue autonomie à un moi rationneI autonome, objets-sources du ça. Je ne reviendrai pas sur cette
en négligeant sa composante narcissique. En sens séquence, mon objectif étant d'arriver à I'appareil de
inverse l'introduction d'un « je », quels que soiem Ies I'âme constitué, tel qu'iI fonctionne dans Ie conflit nor-
mal/névrotique.

10. Cf. Le fourvoiement biologisam de Ia sexualité, Paris, Synthélabo, 11. J. Lacan, L'instance de Ia lettre ..., in Écrits, Paris, Seuil, 1966.
1993 et Problématiques IV: L 'inconscient et le ça, Paris, PUF, 1981 ; Problé- 12. Cf. Nouveaux jondements pour Ia psychanalyse, Paris, PUF, 1987,
matique du ça. Le retour de Freud à I'instinct (Instinkt) est marqué dans 2e partie. Et La révolution copemicienne inachevée, Paris, Aubier, 1992,
ses demiers textes, par exemple L'homme Moise et Ia religion monothéiste. <, ponctuation ».
de liaison (Éros de Freud). I1 faut bien comprendre que
c'est le refoulement lui-même qui est le créateur des for-
ces pulsionnelles de déliaison. La menace que constitue
Le point de vue topique est un point de vue du moi, et pour l' organisme autoconservatif l' étrangereté du mes-
en ce sens toute topique est du moi : elle trouve son ori- sage de 1'autre (une étrangereté à base de sexuel) abou-
gine dans le moi, elle reflete les intérêts du moi. Ceci tit en fin de compte à confiner l' étrangereté du côté de
s'accorde avec l'intuition de Freud: « psyché est l'inconscient refoulé. Les raisons de cette déliaison, et
étendue, n'en sait rien I). En effet, le moi est certes une du processus primaire qui régit les contenus incons-
partie de psyché (l'appareil de l'âme), mais il est aussi cients, ne sont pas à chercher autre part que dans le
hégémonique : il prétend être le tout, il est potentielle- refoulement lui même. Celui-ci agit ({de façon haute-
ment le tout13• Que le moi soit descriptible comme ment individuelle )}(Freud) brisant les connexions entre
étendu, cela est à mettre en rapport avec son origine nar- les éléments du message, et surtout dénouant le lien
cissique. Le narcissisme, on le sait, n'est pas à concevoir signifiant-signifié. Les contenus inconscients sont le
comme un état monadique premier, mais comme un résidu de cet étrange métabolismel4, qui ({traite)} les
investissement libidinal « du moi I), ou plus précisément, messages de l'autre mais échoue à « traiter)} l'étran-
un investissement libidinal qui constitue le moi à l'image gereté même. Ce sont ces ({signifiants désignifiés )}qui
de l'autre corps comme totalité (le corps de l'autre poursuivent leur existence côte à côte dans l'incons-
- mais aussi mon corps comme autre). Le narcissisme cient, ou contractent entre eux les alliances les plus
n' est pas autre chose que l'identification narcissique. absurdes (déplacement -condensation).
Les forces de liaison ne sont pas moins érotiques que
celles de Ia déliaison, et c' est à juste titre que Freud les a
désignées du nom de l'Éros, qui « tend à établir des uni-
tés de plus en plus englobantes )}.Mais l'erreur du fon-
Venons-en aux forces en présence, dont nous affir- dateur est d'avoir voulu annexer à l'Éros Ia totalité de
mons, en droite ligne avec Ia théorie de Ia séduction et l'érotique, alors qu'il n'en est que l'aspect ({lié )}.
de l' ({invasion )},pansexualiste, qu'elles sont unique- Le centre d'action d'Éros est le moi, Éros se ressource
ment de nature sexuelle. C'est au sein de Ia sexualité sans cesse à une libido investie dans les totalités : en ce
que se produit Ia séparation entre forces sexuelles de sens, libido d' objet et libido du moi sont strictement cor-
déliaison (pulsion de mort de Freud) et forces sexuelles rélatives : si l'homme vit par amour, c'est indissociable-
13. Quitte, lorsqu'il est le tout, à n'avoir plus de pouvoir: dans le
ment par amour du moi et par amour de l'objet (total).
rêve, le moi, fixé sur le désir de dormir, est dilaté au point de co'incider de
nouveau avec les limites du moi-corps ; mais il laisse ainsi un jeu bien 14. Au sujet de Ia métabole, cf. Problématiques IV: L'inconscient et le
plus libre au processus primaire. ça, Paris,PUF, 1981, p. 135 sq.
A-t-on intérêt pour autant à solidifier Ie conflit Prenons garde aussi à Ia grande injustice que nous
comme s'il se produisait entre deux forces antagonistes risquerions de commettre, en assimilant purement et
définies une fois pour toutes comme puIsions de déliai- simpIement Ia liaison au moi, et Ie moi au narcissisme.
son et puIsions de liaison, et annexées à deux instances Maintenir que Ie point de départ, Ie bourgeon du moi,
immuabIes, Ie ça et Ie moi? Il ne sembIe pas. D'une est à situer dans l'identification spécuh.lre-àT'image du
part, c' est une même force sexuelle (libido) qui se sembIabIe, ne doit pas nous amener à négliger Ies
retrouve des deux côtés, et iI serait peu concevabIe qu'il apports identificatoires et Ies remaniements successifs,
n'y ait pas des conversions d'une forme dans l'autre. qui viennent enrichir et diaIectiser cette « instance ».
Nous savons bien que l'extrême de Ia voIonté de liaison CorréIativement, Ie fait que Ie moi reste toujours Ie pôIe
peut avoir pour résuItat I'extrême de Ia déIiaison15• auquel référer les actions de liaison, n'implique pas que
Liaison et déliaison sont donc pIutôt à concevoir ces actions se boment à I'imposition de formes rigides.
comme deux principes - types de processus - modes de Même si bien des mécanismes de défense névrotiques
fonctionnement - à l' reuvre à tous Ies niveaux topiques. font appeI par prédilection à une telle rigidité narcis-
C' est dire que Ies limites topiques et Ie jeu économico- sique, des m0<iesd,e liªison. plussoupIes de Ia pulsion
dynamique ne se recouvrent que dans une approche tres sont en jeu couramment.
grossiere : il y a du pIus et du moins délié dans Ie ça, du Schématiquement, on peut distinguer en efIet deux
pIus et du moins lié dans Ie mop6. types de Iiaison: Ia liaison par Ie moyen d'une forme
imposée comme de I'extérieur, comme « contenant »,
aux éIéments agresseurs de Ia puIsion ; et Ia liaison par
15. Voir l'analyse de]. André à propos de Ia Terreur révolutionnaire, symbolisation~ c'est-à-dire par intégration dans des
in La révolution fratricide, Paris, PUF, 1993.
16. Freud, dans ses « Nouvelles leçons », a proposé une comparaison
séquences, des réseaux, des structures symboliques, sus-
avec un pays, dont les populations ne se répartissem que grosso modo selon ceptibIes de mettre en ordre Ia pIus grande part possibIe
des criteres géographiques : les Allemands, éleveurs, sur les collines, les de I'étrangereté pulsionnelle.
Magyars, cultivateurs dans Ia plaine, les Slovaques, pêcheurs, au bord des
lacs (OCF-P, XIX, p. 156). L'actualité terrible du conflit yougoslave peut Parmi ces éIéments « Iiants », il faut mettre au pre-
permettre de réactualiser cette comparaison. Le niveau de Ia géographie mier pIan les grands « compIexes » ffidipe et Castration,
physique (plaines, momagnes, fleuves, etc.) n'est qu'une base qui ne per- et tous Ies grands mythes collectifs ou individuels,
met pas de comprendre le conflit, comparons-Ie, dans I'individu, au
niveau autoconservatif, terrain et partiellemem enjeu du conflito Le archai'ques ou pIus récents, voire forgés, remaniés ou
niveau politique, étatique, avec ses frontieres, correspondrait à Ia topique
psychique; enfm les forces en présence, ethnico-idéologico-culturelles,
correspondent au conflit psychique, dans sa réalité. e'est en vain qu'on
essaye de confiner le conflit réel dans des fromieres politiques que par
invigorés par Ia psychanaIyse elle-même (meurtre du
pere). Loin d'être des éIéments primordiaux du ça,
ffidipe et Castration sont des instruments de mise en
l'I
essence, il déborde. La purification ethnique (créer des frontieres corres- ordre, au service de Ia liaison. Le complexe de castration:
pondam aux pures ethnies) est un poim de vue... du moi. Mais heureuse-
mem le moi peut avoir aussi des points de vue plus souples : assimilation, met en jeu non pas une angoisse (sans objet) mais une
métissage, coexistence... peur déterminée, fixée sur un objeto La castration est
d'abord une « théorie sexuelle infantile », qui a reçu sa aussi à I'enfant les éléments - verbaux mais aussi extra-
forme canonique de ses co-auteurs (Hans et Sigmund), verbaux - indispensables à son auto-théorisation; iI
et qui permet de traduire sous une forme maitrisable véhicule à I'enfant, tout en Ies remaniant à sa façon,
des angoisses et des messages énigmatiques. Qu'il existe IesIIlythes et $cénarióscólledifs:; C'est tout cela, et
des formes de symbolisation moins contraignantes que blen d'autres choses encore, Ie parent « suffisamment
Ia logique castrative, c' est ce que j' ai tenté de montrer bon »18.
dans mon livre Castration, symbolisations17•
Pour revenir aux deux aspects de Ia Iiaison, forme
contenante et symbolisation, iI faut s'apercevoir qu'ils
sont présents ensemble dans tout processus concreto
Ainsi, aucune mise en récit, en mythe ou en roman de On m'en voudrait d'avoir passé sous silence l'ins-
I'histoire individuelle du sujet, ne se conçoit sans qu'y tance du surmoi. Je ne puis en dire que quelques mots :
interviennent des éléments narcissiques, qui précipitent, Ia question devrait être remise en chantier. L'opposition
coagulent, sa présence à telle ou telle place, comme d'un surmoi préredipien puIsionneI (( kleinien ») et
« moi » ou comme « idéaI », dans Ia structure fantasma- d'un surmoi redipien Iégislateur ne peut nous satisfaire,
tique. Inversement, si narcissiques soient-elles, Ies iden- sinon comme l'indice de Ia difficulté. Freud Iui-même
tifications prennent Ieur mobilité et Ieur dialectique par énonce Ies formulations Ies plus opposées, qui font tan-
Ieur insertion dans Ies scénarios, fussent-ils rudimentai- tôt du surmoi le représentant de Ia réalité, tantôt une
res, que tout individu forge pour mettre en forme instance tirant toute sa force des puIsions. Le primat de
I'énigmatique. I'autre aduIte dans Ia genese du monde puIsionneI de
A propos de l'opposition liaison-déliaison, revenons I'enfant devrait du moins nous permettre de reprendre
encore un instant aux situations originaires de séduc- autrement Ia question exogene-endogene. Que le sur-
tion. Pour avoir insisté sur Ies éléments d'instabilité, moi soit découvert (chez Freud, et dans chaque indi-
d'agression et de déliaison inclus dans les messages de vidu) sous forme d'énoncés, de messages interdicteurs
I'autre, pour avoir déclaré ironiquement que Ia mere, ou impératifs, que ces messages soient Ie plus souvent
afm de générer Ie puIsionnel dans I'enfant, devait être immuables chez teI individu, catégoriques, c'est-à-dire r

« suffisamment mauvaise », nous avons couru le risque non susceptibles d'être métabolisés - cela nous Iaisse
de négliger le fait que I'autre, parentaI ou non, fournis- soupçonner une origine dans des messages parentaux
sait aussi à l'enfant l'essentieI de son arsenal de Iiaison : n'ayant pas subi Ie refoulement originaire. La comparai-
son amour, ses soins, sa maintenance (holding) confor-
tent Ie narcissisme de I'enfant ; d'autre part, il apporte 18. Je remercil:t Silvia Bleich~a;'d'avoir insisté sur I'apport parental
des éléments de liaison, redonnant au tableau de Ia relation adulte-enfant
son équilibre indispensable.
son que j'ai avancée avec une enc1ave « psychotique » est l'angoisse, est une des façons de maitriser et de fixer
soumise à discussion et à élaboration. celle-ci en peur. C'est le cas notamment de Ia peur de Ia
11reste ce paradoxe que le surmoi, même s'i! ressortit castration.
originellement au non-lié, joue un rôle important dans Les symptômes à leur tour constituent les moyens
les processus de liaison: notamment dans le refoule- divers, souvent couteux et mal appropriés, par lesquels
I: ment secondaire, ou ses interdits viennent appuyer et s'exprime et ou se lie Ia pulsion. Parmi les symptômes
r\comme sceller Ia mise en vigueur des structures redi- ayant pour fin Ia liaison, rappe10ns le passage à l'acte,
, pienne et castrative. dont l' expression « criminels par sentiment de culpabi-
lité » reste tres parlante et tres vraie. J'y ai ajouté l'idée
qu'ffidipe lui-même peut être considéré comme le plus
illustre sinon le premier de ces criminels par culpabilité.
Cette formulation retoumée, et volontairement provo-
Pour prendre parti dans Ia vieille OppoSltlOn, cante de Ia culpabilité dite redipienne, tend à resituer le
débattue par Freud dans de nombreux textes sans trou- mythe à sa juste place, non pas comme fondateur et ori-
ver, malgré les apparences, sa résolution avec Inhibition, ginaire, mais comme tentative de liaison à situer dans le
symptôme et angoisse, l'angoisse selon nous est angoisse secondaire, dans « les couches supérieures de l'appareil
de pulsion, c'est-à-dire qu'elle est Ia manifestation de l'âme ».
d'affect Ia plus primaire, dans le moi, de l'attaque par Ia
pulsion de déliaison19• Cela ne signifie nullement vou-
10ir revenir à cette sorte d'alchimie à laquelle Freud
renonce, à propos de sa « premiere théorie », et selon
laquelle Ia libido se serait « transformée en angoisse ». 11serait simple de dire que les forces en jeu dans Ia
L'angoisse, comme affect primaire et sans objet, vient

i
cure sont les mêmes que celles qui s'affrontent dans

I
de l'attaqu~ pulsionnelle libidinale du ça et se produit
dans le mOl, comme tout affect d'ailleurs. La série des
affects négatifs, honte, culpabilité, peur, doit être consi-
l'appareil de l'âme au cours de Ia vie quotidienne.
« Simple» mais laissant peu d'espoir d'un véritable
changement. Selon nous, Ia cure est une des rares situa-
dérée comme une véritable généalogie, correspondant à tions20 et assurément Ia situation privilégiée qui remet
des niveaux différents d'élaboration et de liaison de en cause le refermement ptoléméique de l'appareil de
l'angoisse. Le danger réel, 10in d'être l'origine de l'âme. Le transfert21 est à considérer comme Ia possibi-

19. Cf. Problématiques I: L'angoisse, Paris, PUF, 1980; et Une méta- 20. A côté de certaines constellations (,culturelles )}.
psychologie à l'épreuve de l'angoisse, in La révolution copemicienne ina- 21. Cf. Du transfert, sa provocation par l'analyste, in La révolution
chevée, Paris, Aubier, 1992, p. 143-158.
copemicienne inachevée, Paris, Aubier, 1992, p. 417-437.
lité d'une réouverture de cet appareil, un renouvelle-
ment de I'adresse énigmatique de I'autre, prioritaire,
instigatrice, voire génératrice d'une néo-genese d'éner-
gie libidinale. Le renouveau, mutatis mutandis, de Ia
situation originaire de séduction, met peut-être en
défaut Ie principe de Ia « constance » de Ia somme des
énergies psychiques.

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