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Introduction à la philosophie de Hegel

Ouverture Philosophique
Collection dirigée par Dominique Château,
Agnès Lontrade et Bruno Péquignot
série Classiques de l’Histoire de la Philosophie
dirigée par Miklos Vetö

La série Classiques de l’histoire de la philosophie a pour ambition de


republier des ouvrages de référence devenus introuvables. Chacun
d’entre eux est accompagné d’une préface écrite par un spécialiste,
destinée à le situer dans son contexte historique et à en actualiser le
contenu.

Léon Ollé-Laprune, La philosophie de Malebranche, 2 tomes,


2009.
Louis LAVELLE, La Philosophie française entre les deux
guerres, 2008.
Georges LYON, L’idéalisme en Angleterre au XVIIIe siècle,
2007.
Désiré NOLEN, La critique de Kant et la métaphysique de
Leibniz, 2006.
Gabriel MARCEL, La métaphysique de Royce, 2005.
Vladimir JANKELEVITCH, L’odyssée de la conscience dans
la dernière philosophie de Schelling, 2005.
Théodore RUYSSEN, Shopenhauer, 2004.
Augusto VERA

Introduction à la philosophie de Hegel


Suivant l’édition de 1864

Réédité par A. Bellantone

L’HARMATTAN
© L'HARMATTAN, 2010
5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-12915-3
EAN : 9782296129153


INTRODUCTION DE L’ÉDITEUR

Vera, Hegel et l’idéalisme de l’absolu

1. Le 31 mars 1857, dans les pages finales d’une revue appelée «


Emporio Italiano », le lecteur européen pouvait lire la réclame d’un
livre de philosophie : « Introduction à la philosophie de Hegel. By
Prof. A. Vera, Docteur-es-Lettres of the Faculty of Paris, and formerly
Professor of Philosophy in the University of France »1. Augusto Vera,
auteur du livre en question, était aussi le directeur de la revue2.
Parti de France en 1852, Vera avait peut-être espéré trouver en
Angleterre une position académique3. Après la déception éprouvée
lors de son séjour en France4 – pendant lequel il avait fait partie de la
grande et active colonie de l’émigration italienne5 – Vera essayait la

1
Cf. « Emporio italiano. Revue périodique en italien, anglais, et français. Des
sciences, des arts, des lettres, de l’industrie, et du commerce, organe de l’Institution
portant le même nom, projetée par L. Montemerli dei Conti Sandonnini et présidée
par le Marquis de Downshire », 31 mars 1857, p. 16.
2
À propos de cette expérience, Vera écrira, dans ses Saggi filosofici, qu’« en
acceptant la direction du journal, dans le but, d’une part, d’être utile, pour autant que
je pusse, à mon pays, j’eus d’autre part l’occasion de m’en servir pour combattre
l’empirisme dans le domaine du journalisme et de l’opinion, et de défendre la cause
de l’idéalisme. Et cette pensée, qui a dicté tous les écrits que j’ai publiés en
Angleterre, apparaît encore plus clairement dans le texte sur Bacon, puisque je me
proposai d’y attaquer le père de l’empirisme moderne là même où résidait sa
puissance ». Cfr. A. VERA, Saggi filosofici, Morano, Napoli 1883, p. 225. L’article
sur Bacon – paru dans les pages de l’«Emporio italiano» en 1857 – sera republié en
langue française dans les Mélanges philosophiques, Ladrange, Paris 1862, pp. 267-
286.
3
À propos des raisons de la migration de Vera en Angleterre, il faut tenir compte
de l’opinion de Guido Oldrini et de Salvo Mastellone, qui considèrent les raisons
personnelles comme primordiales, en particulier la piste sentimentale. Cf. S.
MASTELLONE, V. Cousin e il Risorgimento italiano, p. 85 et G. OLDRINI, Gli
hegeliani di Napoli. Augusto Vera e la corrente ortodossa, Feltrinelli, Milano 1964,
p. 66.
4
En particulier à cause de l’échec au concours pour un poste à la Faculté de
Strasbourg. Strasbourg sera aussi le lieu où la carrière universitaire d’un autre italien
– Giuseppe Ferrari – trouvera sa triste conclusion.
5
Sur l’émigration italienne en France cfr. le livre de S. MASTELLONE, V. Cousin

V


voie anglaise. En réalité, le séjour anglais ne réservait pas le succès


philosophique escompté : Giovanni Gentile, dans sa belle
reconstruction de la vie de ce philosophe italien, parlera justement
d’une existence difficile, menée grâce aux « magri proventi di
conferenze private e lavori letterari »6. L’expérience de la direction de
l’« Emporio Italiano » – revue passionnée par la cause italienne, mais
pauvre pour sa qualité et ses contenus – a peut-être été l'une de ces
voies de survivance tentées par Vera. Ce sera seulement en 1859 qu’il
pourra enfin sortir de cette période triste, étant nommé professeur à
l’Académie Scientifique et Littéraire de Milan et, l’année suivante, à
l’Université de Naples, où il terminera sa carrière académique7.
On peut légitimement penser que les années anglaises ont été pour
Vera les plus difficiles de sa vie, situées entre la carrière de
l’enseignement français – vers laquelle il voulait de toute façon se
tourner 8 – et la reconnaissance officielle en Italie, qui atteindra son
apogée en 1880, quand Vera sera nommé sénateur du Royaume
d’Italie par l’intercession bienveillante de Francesco De Sanctis.

2. Nous nous tromperions en pensant que pendant la période


anglaise Vera fut un écrivant aride : au contraire, c’est surtout à ce
moment-là qu’il donna la preuve la plus étonnante de sa capacité de
travail et de sa ténacité dans l'œuvre de diffusion de la philosophie
hégélienne en Europe9.

e il Risorgimento italiano, cit., pp. 102-103 (en particulier pour le milieu de la


princesse de Belgioso et du prince Cisterna) et – pour un souvenir direct – V.
GIOBERTI, Epistolario, a cura di G. Gentile et G. Balsamo Crivelli, Vallecchi, Firenze
1927-1930, p. 53.
6
G. GENTILE, Le origini della filosofia contemporanea in Italia, Parte III, v. I,
Sansoni, Firenze 1957, p. 269.
7
Le succès de Vera en Italie sera très limité. Par rapport à ses relations
internationales, il n’eut pas de succès dans sa patrie. Gentile écrira que Vera «
enseigna à Naples pendant environ un quart de siècle sans y laisser presque aucune
trace de son œuvre ». Cfr. G. GENTILE, Le origini, cit., p. 263. On peut supposer que
la raison pour laquelle Vera ne laissait presque aucune trace dans la culture
philosophique italienne dépend du fait que son inspiration philosophique
fondamentale était française, peut-être très lointaine du débat philosophique italien,
et en particulier des discussions des hégéliens napolitains. On verra tout de suite les
raisons de cette prise de position.
8
Voir à ce propos G. OLDRINI, Gli hegeliani di Napoli, cit., p. 89.
9
En 1867, dans son ouvrage sur L’hégélianisme et la philosophie, Vera
confessera que son but final, pendant le séjour en Angleterre, fut la défense en
Europe de la « cause de la philosophie », à travers la diffusion de la philosophie

VI


En 1855, Vera publiait son Introduction à la philosophie de Hegel –


qui restera son chef-d’œuvre et deviendra justement l'un des
classiques sur la philosophie allemande entre le XIXe et le XXe siècle
– par ailleurs, en 1859, il faisait paraître sa traduction de la première
partie de l’Encyclopédie hégélienne10. Les années passées en
Angleterre étaient donc le commencement puissant d’une œuvre
«titanesque» de promotion de la philosophie hégélienne en Europe11.
Mais le travail de cette période resterait toujours solitaire, sans
aucune véritable relation avec le milieu philosophique hégélien ou
quelque connexion directe avec les discussions philosophiques
françaises et anglaises. Quand Vera tentera, en 1856, une polémique
avec la publication d’un pamphlet critique contre deux livres de
Calderwood et Ferrier, cela ne s'avèrera être qu’une tentative plutôt
maladroite12. Son Inquiry into speculative and experimental science
était l’affirmation d’une science métaphysique absolue : « The real
position of the problem of Absolute Science, or of the Science of the
Absolute is this: either we know nothing, or we know all; either our
mind is adequate to the knowledge of the Absolute, or we must give
up all hope of ever attaining Truth. Science, in the strict sense of the
word, or Skepticism: the problem admits no medium »13. Mais il n’y
avait aucune place, en Angleterre comme en Europe, pour la

hégélienne ». Cfr. A. VERA, L’hégélianisme et la philosophie, Ladrange, Paris 1861,


pp. 47-48. « Servir la cause de la philosophie » était aussi le but posé par Cousin à
son travail. Cfr. V. COUSIN, Cours de philosophie. Introduction à l’histoire de la
philosophie, Pichon et Didier, Paris 1828, leçon I, p. 5.
10
Logique de Hegel, traduite pour la première fois et accompagnée d'une
introduction et d'un commentaire perpétuel par A. Vera, 2 vol., Ladrange, Paris
1859. Cette traduction de la Logique selon l’exposition de l’Encyclopédie, sera
suivie de la traduction des autres deux parties de cet ouvrage de Hegel. Cfr.
Philosophie de la nature, de Hegel, traduite pour la première fois et accompagnée
d'une introduction et d'un commentaire perpétuel par A. Vera, 3 vol., Ladrange,
Paris 1863, et Philosophie de l'esprit de Hegel, traduite pour la première fois et
accompagnée de deux introductions et d'un commentaire perpétuel par A. Vera, 2
vol., Baillière, Paris 1867-1869.
11
Sur l’adjectif titanesque cfr. G. JARCZYK – P.-J. LABARRIÈRE, De Kojève à
Hegel. Cent cinquante ans de pensée hégélienne en France, p. 21.
12
Les deux livres étaient : H. CALDERWOOD, Philosophy of the Infinite:
Constable & Co., Edinburg 1854; J.F. FERRIER, Institutes of Metaphysic: the theory
of Knowing and being, Blackwood, Edinburg 1854.
13
A. VERA, An Inquiry into speculative and experimental science, with special
reference to Mr. Calderwood and professor Ferrier’s recent publications, and to
Hegel’s doctrine, Logman, Brown, Green and Longmans, London 1856, p. 37.

VII


philosophie absolue et purement idéaliste professée par Vera. Le


philosophe italien resta donc isolé, tout engagé dans une fidélité
orthodoxe à l’œuvre hégélienne, dans laquelle il avait cru trouver la
plus haute réalisation du commandement posé par Cousin dans son
Cours de 1828, c’est-à-dire de faire des « idées […] les seuls objets
propres de la philosophie, le monde du philosophe »14.
Au-delà du lieu de résidence, en Angleterre – comme en Italie les
années suivantes – la philosophie de Vera sera totalement immergée
dans l’effort de donner une réponse approfondie aux problèmes posés
par l’éclectisme français, même quand l’éclectisme aura désormais
changé de direction15. C’est pour cette raison que son idéalisme ne
sera jamais capable de communiquer avec la culture philosophique
italienne, dans laquelle, comme l'a déjà bien remarqué Giovanni
Gentile, il ne laissera presque aucune influence16. Vera restera toujours
un philosophe français et, plus spécifiquement, un philosophe de
l’époque éclectique17.

3. Auguste Vera est justement célèbre comme le plus grand


diffuseur des idées hégéliennes en Europe durant le XIXe siècle. Son
nom restera lié pendant des décennies à celui de Hegel. À ce propos

14
V. COUSIN, Cours de philosophie, cit., I, p. 26.
15
Sur le changement de l’éclectisme, phénomène crucial dans l’histoire de la
philosophie française du XIXe siècle, voir G. OLDRINI, Hegel e l’hegelismo nella
Francia dell’Ottocento, Guerini, Milano 2001, pp. 145-197, et A. BELLANTONE,
Hegel in Francia, Rubbettino, Soveria Mannelli 2006.
16
L’apparition de Vera à Naples, en 1861, sera considérée avec défiance et
suffisance par les hégéliens de Naples. Bertrando Spaventa, l’autre grand nom de
l’idéalisme italien du XIXe siècle, écrira une lettre à son frère Silvio pour lui donner
un rapport à propos de la première leçon académique de Vera à Naples : « Hier, Vera
a donné son premier cours. Je ne l’ai pas entendu. Ceux qui l’ont entendu et compris
ont dit : vulgarité sans précédent. Vera, je le savais déjà, ne comprend qu’Hegel et le
comprend très superficiellement ». Cfr. l’appendice épistolaire à B. SPAVENTA, La
filosofia italiana nelle sue relazioni con la filosofia europea, a cura di G. Gentile,
Laterza, Bari 1909, pp. 293-294.
17
On doit insister sur cet enracinement français de l’œuvre de Vera, qui constitue
effectivement la raison principale de son incompréhension historique en Italie. Vera
travaillait à une forme d’hégélianisme nourrie par les problèmes éclectiques. C’est
pour cette raison qu’il ne pouvait jamais parler la langue de l’autre hégélianisme
italien : celui de Bertrando Spaventa. À propos de Spaventa cfr. F. RIZZO, Bertrando
Spaventa: le lezioni sulla storia della filosofia italiana nell'anno accademico 1861-
1862, Armando Siciliano, Messina 2001; I. CUBEDDU, Bertrando Spaventa, Sansoni,
Firenze 1972.

VIII


Gentile a écrit – et il ne parlait pas seulement du cas italien – que «


Hegel et Vera furent pendant de nombreuses années deux noms
inséparables »18. Son rôle, souvent mal considéré, ne pourrait jamais
être oublié dans une histoire générale de la Wirkungsgeschichte de la
philosophie de Hegel.
Jarczyk et Labarrière, dans leur histoire de l’hégélianisme français,
ont écrit – après quelques traductions de morceaux de Hegel, comme
celui de Sloman et Wallon en 1852 – qu'« avec Vera commencent les
choses sérieuses »19. Grâce à son ouvrage de diffuseur et traducteur,
Vera deviendra rapidement une personnalité internationale, comme le
démontrent ses affiliations avec beaucoup de sociétés et revues
européennes et des États-Unis ou l’importance reconnue à son travail
de la part d’une autorité de l’hégélianisme comme Karl Rosenkranz20.
C’est à partir de ce point de vue – celui de l’importance de la
réception et de la circulation de la philosophie hégélienne – que, au
XXe siècle, les interprètes ont lu et catalogué l’ouvrage de Vera21.
Personne ne peut contester la justesse de cette image, mais peut-être
faut-il aller plus loin pour comprendre son travail en tant que diffuseur
de l’hégélianisme et sa véritable inspiration philosophique.
Le point essentiel n’est pas celui de bouleverser le jugement
traditionnel sur les limites de la philosophie de Vera ou sur son
interprétation de Hegel. Il faut plutôt comprendre ses racines

18
G. GENTILE, Le origini, cit., p. 266.
19
G. JARCZYK – P.-J. LABARRIERE, De Kojève à Hegel, cit., p. 21. Cfr. La
logique subjective de Hegel, traduite par H. Sloman et J. Wallon ; suivie de quelques
remarques, par H. S., Paris, Ladrange 1854.
20
Vera était agrégé à la Société des Sciences de Lille, à la Philosophische
Gesellschaft de Berlin, à la Philosophical Society de St. Louis. Sur la participation
de Vera aux travaux de la Philosophical Society de St. Louis cf. The St. Louis
Hegelians, ed. By Michael H. DeArmey & James A. Good, v. 1, Thoemmes Press,
Bristol-Sterling 2001, p. 31. Cf. aussi K. ROSENKRANZ, Hegel’s Naturphilosophie
und die Bearbeitung derselben durch den Italienischen Philosophen A. Vera, Berlin
1868.
21
Bien sûr, les interprètes n’ont pas manqué de reconnaître les limites de l’œuvre
de Vera, quelques fois avec une sévérité peu généreuse contre ce traducteur italien.
Benedetto Croce, dans sa Préface du traducteur à son édition de l’Encyclopédie
hégélienne écrivait : « Il me semble que les traductions de Vera – qui ont été et
restent les principales et presque seules médiatrices pour la connaissance de l’œuvre
de Hegel auprès des nations néolatines – n’ont pas la qualité qu’on leur attribue, et
doivent être regardées et utilisées avec méfiance, toute bienveillante qu’elles
soient ». Cfr. B. CROCE, Prefazione del traduttore a G. W. F. Hegel, Enciclopedia
delle scienze filosofiche in compendio, Laterza, Bari 1907, pp. LXII-LXVII.

IX


philosophiques profondes et son inspiration fondamentale : car Vera


n’avait jamais perçu son travail comme ouvrage d’érudition ou
d’histoire de la philosophie, mais il avait toujours travaillé en
philosophe, avec un horizon problématique que nous devons essayer
de reconstruire.
C’est uniquement avec une pleine conscience du problème
philosophique de Vera – qui dépasse sa lecture de Hegel et qui
détermine en même temps la raison profonde et la ligne maîtresse de
cette interprétation – que nous pouvons comprendre la spécificité de
son hégélianisme, qui a eu une influence déterminante dans le paysage
culturel francophone. C’est la raison pour laquelle notre tâche sera
avant tout celle de proposer une reconstruction plus complète du
parcours philosophique de Vera, qui nous permettra à la fin de
considérer l’Introduction à la philosophie de Hegel comme une œuvre
philosophiquement engagée, fruit de décisions interprétatives
profondément enracinées dans la pensée de son auteur.
Ce sera sous cet horizon que l’interprétation de l’hégélianisme et le
choix de Vera en faveur de Hegel – car il ne fut pas originairement un
hégélien – trouveront leur juste place et auront leur explication. Dans
ce cadre, la lecture des ouvrages écrits avant son option hégélienne et,
d'un autre côté, la lecture des ouvrages du vieux Vera, professeur à
l’Université de Naples, seraient des sources précieuses : ces derniers
montreraient que c’était bien le problème philosophique de Vera de
justifier son hégélianisme – pas le contraire.

4. Mais, quel fut le problème philosophique de Vera ? Dans


l’Introduction, explicitant d’une façon catégorique sa perspective
problématique, Vera écrira que le but de la philosophie est de «
s’élever à l’absolue connaissance »22. Il fut donc un philosophe de
l’absolu23.
La pensée de Vera est en effet une métaphysique engagée dans la
possibilité de toucher l’absolu, qu’il a toujours considéré comme une
question précédant et débordant toute critique d’ordre gnoséologique.
Peut-être Vera était-il totalement dépourvu des capacités pour
comprendre la spécificité moderne du lien entre métaphysique et
gnoséologie, – et ce doute est vraiment plus qu’une simple hypothèse

22
Infra, p. 21.
23
À ce propos il faut lire les travaux de A. Plebe sur la philosophie de Vera. A.
PLEBE, Spaventa e Vera, Edizioni di Filosofia, Torino 1954, pp. 45-62.

X


– mais son attention était continuellement concentrée sur le lien


métaphysique fondamental entre l’absolu et ses apparences, le
principe et ses différenciations, la vérité et la conscience24.
À partir des thèses de doctorat de 184525 – Vera ne discutera que de
la même question : nos idées – entendues comme le moyen entre nous
et l’absolu, mais aussi comme la puissance de médiation entre l’un et
la multiplicité – sont-elles des fonctions de distorsion, ou, plutôt, sont-
elles la dimension de la transparence de l’être à la pensée ?
L’Introduction à la philosophie de Hegel constitue le moment décisif
de l’histoire spéculative de Vera, celui où il trouve dans l’hégélianisme
la réponse positive à sa question fondamentale. À partir de ce passage,
la philosophie de Hegel apparaît comme la réponse à une question
philosophique qui était vive chez Vera avant et au-delà de tout
hégélianisme.
En 1872, en présentant son ouvrage de la maturité, le Problema
dell’Assoluto, Vera écrira : « Je me permets de préciser que ce n’est
pas la première fois que j’examine ce problème. Je peux même
affirmer sans hésiter qu’il n’y a aucun de mes écrits, du premier au
dernier, de ceux que je publiai en 1845 à celui de l’an dernier, dans
lequel je ne l’aie pas, de façon plus ou moins explicite, directement ou
indirectement, examiné »26.
Donc, Vera reconnaît lui-même la continuité de son problème
philosophique, qui était effectivement le problème de l’absolu et son
absolue intelligibilité. C’est pour cette raison que nous pouvons
appeler la philosophie de Vera un idéalisme de l’absolu, qui continue
et donne une nouvelle profondeur aux problèmes posés par la
philosophie de Victor Cousin27.

24
Giovanni Gentile, qui était au contraire le plus grand – et peut-être le dernier –
représentant pur de la révolution subjective opérée par la pensée philosophique
moderne ne manquait pas de reconnaître l’extranéité de Vera à cette tradition. Cfr. G.
GENTILE, Le origini, cit., pp. 319-325.
25
A. VERA, Le problème de la certitude, Joubert, Paris 1845 ; A. VERA, De
Platonis, Aristotelis, Hegelii de medio termino doctrina, Joubert, Paris 1845.
26
A. VERA, Poblema dell’assoluto, v. I, Napoli, Detken & Rochol, 1872, p. VII.
27
Trop souvent considérée comme une simple philosophie oratoire, la pensée de
Cousin eut au contraire une influence précise au cours de la philosophie française
qui suivit. On peut reconnaître cette influence dans quatre point fondamentaux : le
développement du rapport entre philosophie et histoire de la philosophie ; la
caractérisation institutionnelle de la philosophie ; le rôle fondamental de la
psychologie comme point de départ de toute recherche philosophique ; l’aspiration à
une raison objective. Nous sommes encore loin de mesurer avec justesse l’influence

XI


C’est à l’intérieur de cette perspective personnelle que nous


pouvons aussi trouver la justification – certainement prépondérante –
de son option pour la pensée hégélienne, qu’il considérait comme
capable d’apporter la solution la plus avancée au problème de
l’absolu.
Il faut donc reconnaître l’unité problématique de la pensée de Vera,
comme il l’avait reconnue encore une fois dans son dernier ouvrage,
quand il écrivait que le sujet traité « n’est pas différent, au fond, de
celui qui est traité dans l’opuscule Platonis, Aristotelis et Hegelii de
medio termine doctrina »28. C’était une confession rétrospective, sur
laquelle on pourrait soulever une certaine méfiance. Mais elle peut
bien être confirmée par une lecture attentive des textes de Vera.

5. Arrivé en France en 1839, Vera était déjà depuis quelques années


professeur dans des institutions de province : le collège communal de
Mont-de-Marsan, après Toulon et Lille, Limoges et Rouen, jusqu’à
Strasbourg, avec une courte période comme remplaçant d’Adolphe
Franck dans un lycée de Paris. Dans ses pérégrinations, toujours avec
l’envie d’obtenir un poste à Paris, il était protégé par Ballanche et par
Charles de Rémusat.
En 1844, avec la soutenance de ses thèses en Sorbonne, il obtenait
sa reconnaissance par le milieu éclectique. Vera, en racontant sa
soutenance, dira – en 1867 – que Cousin avait défini son discours sur
Platon comme une leçon « savante et profonde »29. Mais la thèse sur le
problème du medius terminus chez Platon, Aristote et Hegel et la thèse
sur le Problème de la certitude étaient des ouvrages aboutissant dans
une position sceptique. Ils étaient, de toute façon, de véritables thèses
éclectiques de par le style de leur écriture et pour leur rationalisme
fondamental.
C’était dans le périmètre du problème de la raison impersonnelle
que Vera discutait ses thèses : son scepticisme n’était pas le dernier

historique de la philosophie de Cousin. Sur V. Cousin voy. P. VERMEREN, Victor


Cousin. Le jeu de la philosophie et de l’État, L’Harmattan, Paris 1994 ; J.-P.
COTTEN, Autour de Victor Cousin. Une politique de la philosophie, Les Belles
Lettres, Paris 1992 ; R. RAGGHIANTI, La tentazione del presente. Victor Cousin tra
filosofie della storia e teorie della memoria, Bibliopolis, Napoli 1997; G. PIAIA,
Storicismo ed eclettismo: l’età di Victor Cousin, in Storia delle storie generali della
filosofia, a cura di G. Piaia, 4, L’età hegeliana, v. II, Antenore, Roma 2004.
28
A. VERA, Dio secondo Platone, Aristotele e Hegel, S.L. 1885.
29
A. VERA, L’hégélianisme et la philosophie, cit., p. 35.

XII


mot de sa philosophie, mais il était plutôt une étape provisoire, un


arrêt dû à la nécessité de trouver les moyens pour échapper au cul-de-
sac dans lequel la vieille logique conduisait la pensée philosophique30.
Le défi de Vera était le défi éclectique de trouver le fondement d’une
raison effectivement absolue, capable de savoir la réalité en tant que
telle.
Le problème était clair : «pouvons-nous atteindre à une
connaissance absolue ? »31. Et ce problème-là, selon Vera, n’était pas
une question d’ordre psychologique, comme suggérait la théorie
officielle de l’école éclectique, mais « surtout de métaphysique »32.
L’importance de la mise en doute de l’axiome psychologique était l’un
des éléments les plus importants des thèses de 1845, grâce auquel Vera
démontrait sa compréhension de la faiblesse de la position éclectique.
Cousin, dans son cours de 1828, avait écrit que « la méthode
psychologique est la conquête de la philosophie elle-même, cette
méthode a déjà aujourd’hui et prendra chaque jour davantage un rang
et une autorité incontesté dans la science »33. La méthode
psychologique en question était une observation de la conscience pour
en déduire les principes fondamentaux de l’ontologie : la psychologie
était donc une recherche intime de la présence factuelle des principes
universels dans le sujet. Ce que Vera contestait était la nature
immédiate de ce passage, autour de laquelle jouait effectivement toute
la philosophie de Cousin – et qui était aussi la source la plus évidente
de sa faiblesse et de son manque de profondeur.
Écrivant à Victor Cousin, Vera déclarait que « la théorie du moyen
terme n'est autre chose que la théorie de la démonstration, de sorte que

30
Sur le débat, à l’époque de Cousin, concernant le thème de la raison
impersonnelle, cfr. F. BOUILLER, Théorie de la raison impersonnelle, Joubert, Paris
1844.
31
A. VERA, Problème de la certitude, cit., p. 2.
32
Ivi, p. 8.
33
V. COUSIN, Cours de philosophie, cit., II, pp. 5-6. Cousin, dans la deuxième
préface de ses Fragments philosophiques, en 1833, posera le caractère
psychologique comme différence entre la philosophie allemande et la philosophie
française. En parlant de Schelling et Hegel, Cousin écrivait : « Tout en me plaisant à
proclamer les ressemblances qui rattachent la philosophie que je professe à celle de
ces deux grands maîtres, je dois aussi à la vérité d’avouer que des différences
fondamentales me séparent d’eux, bien malgré moi ». La plus importante de ces
différences était la conception de la psychologie comme terrain expérimental de la
philosophie. Cfr. V. COUSIN, Préface du 1833 aux Fragments philosophiques,
Ladrange, Paris 1833, p. XLII.

XIII


traiter de l'une c'est en même temps traiter de l'autre. La démonstration


n'a lieu ni dans les principes ni dans les conséquences, ni dans les
causes ni dans les effets pris séparément, mais dans leurs rapports, et
comme la cause c'est l'infini et l'effet le fini, démontrer n'est autre
chose que trouver un moyen entre le fini et l'infini »34. En posant la
question du moyen terme et de la certitude de la connaissance, Vera
ouvrait l’espace d’un questionnement, là où Cousin voulait la certitude
d’une foi dogmatique.
Vera refusera toujours la solution psychologique du problème en
réaffirmant que le « point décisif du problème » ne pourra être que son
« côté métaphysique et ontologique »35. Au-delà de l’importante
distinction méthodologique, le problème de Vera était toutefois le
même que Cousin : donner un fondement effectif à la raison absolue
ou impersonnelle et, par conséquent, effacer le cauchemar du
scepticisme36.

6. Dans sa thèse de 1845, Vera écrivait qu’« entre le dogmatisme et


le scepticisme il ne peut y avoir à la rigueur des doctrines
intermédiaires »37. Pour la philosophie il ne restait donc que l’absolu
ou le néant.
En accusant l’insuffisance de toutes thèses philosophiques du passé
– y compris la thèse hégélienne, pour le moment – Vera déclarait, dans
la thèse sur la certitude, que « ce qui se révèle à l’intelligence
humaine, ce n’est pas la raison elle-même, la raison dans son essence,
mais la raison par les idées. Or au-dessus des idées il y a l’essence.
L’idée n’est qu’une forme, une loi, un type purement intelligible qui
nous fournit la mesure de l’être des choses, ainsi que de leurs
perfections, mais qui ne nous laisse point pénétrer dans l’intimité de
leur nature »38.
C’était, bien sûr, une solution phénoméniste, qui n’était pas
suffisante aux yeux de Vera. Le caractère originaire et continu de toute
la recherche philosophique de Vera était son incompatibilité avec des

34
Correspondance de V. Cousin, Bibliothèque Cousin, Paris, mss. Cousin, vol.
38, f. 5120.
35
Infra, p. 27.
36
La lecture cousinienne du XVIIIe siècle est toujours concentrée sur sa
conclusion sceptique. À ce propos cfr. V. COUSIN, Histoire de la philosophie au
XVIIIe siècle, Didier, Paris 1829.
37
A. VERA, Le problème de la certitude, cit., p. 1.
38
Ivi, p. 219.

XIV


solutions moyennes. Il était, sous tous points de vue, un philosophe à


la recherche de l’absolu – il ne se contentait pas d’une vérité qui ne fut
pas totale.
Le manque de contact entre les idées et les essences, l’interruption
découverte entre la pensée du sujet et la pensée objective, la réfraction
des idées comme intermédiaires de l’absolu : tout cela marquait pour
Vera l’impasse de la philosophie traditionnelle et son manque de
réalisation. « La conclusion que nous voulons tirer de la discussion
précédente, c’est que nous ne pouvons connaître l’essence des choses
», écrivait-il en 184539.
Mais le cœur du problème était déjà défini : est-il possible que les
idées ne soient pas des sources de distinction entre nous et l’absolu ?
Est-il possible que l’idée devienne un passage transparent ? C’était là
toute la question philosophique de Vera : si l’idée pouvait devenir une
transparence, alors la connaissance absolue – l’unique connaissance
digne de ce nom – devenait possible, supprimant aussi le cauchemar
du scepticisme. Le pari philosophique était donc celui de trouver une
puissance de médiation capable de bâtir effectivement le lien entre la
pensée et la chose, l’un et le multiple, notre conscience et l’absolu.
Cousin n’avait pas eu de doute à ce propos : « Et vous ne devez pas
croire que les idées représentent quelque autre chose, et que c'est par
leur ressemblance avec ce qu'elles sont destinées à représenter, que
nous leur prêtons croyance. Les idées, on l'a démontré, ne représentent
rien, absolument rien qu'elles-mêmes »40. Pour le père de l’éclectisme,
les idées n’étaient autre chose que de pures intelligibilités et le rapport
de notre conscience avec les idées était un rapport immédiat, de
consubstantialité : « Ce qui fait le fond de notre raison fait le fond de
la raison éternelle »41.
Vera, dans Le problème de la certitude, définit au contraire les
idées comme une source de réfraction entre l’essence et la raison. Il ne
pouvait ni accepter la solution cousinienne – qu’il considérait naïve –
ni aller au-delà d’elle. L’affirmation selon laquelle « un principe […]
ne peut être conçu qu’à l’aide d’une forme simple et purement
intelligible de la pensée, c’est-à-dire d’une idée »42 serait reconnue
seulement en 1855 – mais avec une postille de grande importance :

39
Ivi, p. 165.
40
V. COUSIN, Cours de philosophie, cit., II, pp. 26-27.
41
V. COUSIN, Cours de philosophie, cit., V, p. 15.
42
A. VERA, Le problème de la certitude, cit., p. 173.

XV


l’idée deviendra le principe même, l’essence même. Identifiant


totalement, avec l’aide de l’hégélianisme, l’idée et l’essence, Vera
donnera dans l’Introduction une solution au problème de la médiation.
Mais en 1845 il ne sortait pas encore du périmètre de son scepticisme
méthodique : « L’on voit pourquoi nous ne pouvons rien démontrer, au
sens strict du mot »43.

7. L’ennemi de Vera était le scepticisme. Mais le scepticisme


pouvait prendre plusieurs visages. Le scepticisme de ses thèses était,
bien sûr, une forme méthodique, ayant pour but de mettre en lumière
des problèmes destinés à être résolus par un effort ultérieur de la
pensée. Donc, la situation de Vera était une situation sans doute
pénible, mais provisoire.
En 1845, quand il écrivait ses thèses, le visage le plus proche du
scepticisme – et aussi le plus ambigu et dangereux – apparaissait en
réalité être le kantisme. À partir de 1820, Victor Cousin avait accusé
Kant d’être un sceptique : le kantisme était décrit comme « le
scepticisme absolu », incapable de reconnaître autre chose en-dehors
de la « subjectivité de la raison humaine ». Dans les leçons de 1828,
Cousin rappelait avec force, au contraire, que « la raison n’est pas
individuelle ; donc elle n’est pas nôtre, elle ne nous appartient pas, elle
n’est pas humaine »44. Le kantisme avait donc nié la raison
impersonnelle et le pouvoir des idées comme « manière d’être de la
raison éternelle »45. La philosophie de Kant était présentée comme la
forme la plus dangereuse du scepticisme : elle semble appartenir à la
tradition rationaliste et idéaliste, mais elle aboutit à une nouvelle
position de négation de la métaphysique. En parlant de cette
ambiguïté, Cousin avait écrit qu’« après avoir commencé par un peu
d'idéalisme, Kant aboutit au scepticisme »46.
L’antikantisme français, au XIXe siècle, a plusieurs sources, mais la
source cousinienne est sans doute l’une des plus formidables47.

43
Ivi, p. 197, n. 1.
44
V. COUSIN, Cours de philosophie. Introduction à l’histoire de la philosophie,
cit., V, p. 10.
45
Ivi, p. 13.
46
V. COUSIN, Cours de philosophie, cit., V, p. 17.
47
L’accusation de scepticisme contre Kant sera une constante de tout le discours
spiritualiste jusqu’à la Troisième République, quand la philosophie kantienne
deviendra l’un des pivots idéologiques de l’Université. Sur la réception de Kant en
France voy. F. AZOUVI – D. BOUREL, De Königsberg à Paris. La réception de Kant

XVI


Comme toute la génération entre 1820 et 1860, Vera était préoccupé


par l’idée du scepticisme kantien et par le besoin de donner à la raison
philosophique un fondement absolu, qui lui garantisse le succès contre
les critiques du XVIIIe siècle. Il n’abandonnerait jamais l’antikantisme
comme source primaire de sa philosophie : nous pouvons dire que
l’antikantisme est plus originaire dans la philosophie de Vera que
l’hégélianisme-même48.
Les thèses de 1845 donnaient la démonstration de cette hypothèse.
Selon le Problème de la certitude, au fond la philosophie kantienne «
contient la négation de la connaissance »49. En tant que philosophe qui
aspirait à l’absolu, Vera ne pouvait pas accepter la limitation de la
raison au côté subjectif. Dans l’Introduction nous lisons que « la
philosophie kantienne emprisonne la pensée dans un réseau de formes,
— catégories, concepts, idées — d'où elle ne peut sortir »50. Avec sa
force polémique habituelle, Vera ne manquera pas de soutenir cette
idée à la fin de sa carrière, quand il écrira que dans le kantisme « il y a
tout, mais dans une forme contradictoire, discontinue, confuse, et, si je
puis dire, chaotique »51.
L’idéalisme de Vera, très bien accoutumé au respect de l’histoire de
la philosophie, ne manquerait pas de faire sa place d’honneur à Kant
dans la généalogie de l’idéalisme52. Mais sa philosophie sera toutefois
un idéalisme sans kantisme et sans fichtéisme, indisponible à accepter

en France 1781-1804, Vrin, Paris 1991 ; A. BELLANTONE, La prima circolazione del


pensiero di Kant nell’area francofona (1784-1820), «Atti dell’Accademia Peloritana
dei Pericolanti», Classe di Lettere, Filosofia e Belle Arti, ESI, Napoli 2005, pp. 223-
253.
48
Ce point est crucial : puisque l’hégélianisme de Vera repose sur son
antikantisme, la lecture orthodoxe de Hegel acquiert une allure particulière. Au
contraire de Fischer ou Spaventa, engagés à trouver, dans un retour de Hegel à Kant
à travers Fichte, le sens caché de la logique hégélienne, Vera utilise une stratégie
différente. Il cherche donc dans la philosophie ancienne – et plus particulièrement
dans Platon – la voie d’accès au sens de la pensée hégélienne. Ce choix – encore une
fois préparé par Cousin – constitue peut-être l’un des points les plus importants de
l’interprétation de Vera. Remarquable, sous ce point de vue, ce passage de
l’Introduction : (infra, p. 94). Cf. A. BELLANTONE, Hegel en France : de Cousin à
Hyppolite, «Cahiers de critique philosophique», nn. 5-6/2007, pp. 37-66 e pp. 131-
165.
49
A. VERA, Problème de la certitude, cit., p. 59.
50
Infra, p. 34.
51
A. VERA, Problema dell’assoluto, cit., IV (1882), pp. 4-5.
52
En particulier, sur la route ouverte par Hegel, Vera louera les antinomies de
Kant. Cfr. Infra, pp. 49-50.

XVII


une lecture ou une réforme subjectiviste de la philosophie hégélienne.


Ce choix – certainement antécédent à toute option hégélienne – était le
fruit de l’antikantisme éclectique et marquait la différence totale entre
la philosophie de Vera et celle d’un autre hégélien italien comme
Bertrando Spaventa.
Pour Vera, la racine historique de l’idéalisme n’était pas dans la
modernité, mais dans la philosophie ancienne. L’histoire de
l’idéalisme devenait donc une tension entre Platon et Hegel : « Platon
et Hegel, voilà, selon nous, les deux limites extrêmes de la
dialectique, les deux chaînons auxquels elle est, pour ainsi dire,
suspendue. L'un en jette les fondements, l'autre la complète et
l'achève »53. L’idéalisme de Vera sera toujours un idéalisme de
l’absolu et des idées, jamais un idéalisme de la pensée et de son
activité.

8. Dans les thèses de 1845, en particulier dans la thèse sur la


certitude, nous trouvons Vera implacable contre Hegel : « Aux deux
éléments, aux deux principes opposés que l’ancien idéalisme n’avait
pu concilier, Hegel en a ajouté un troisième qui, selon lui, doit opérer
cette conciliation et faire disparaitre toute opposition »54. Mais, au-
delà des intentions de Hegel, ce troisième principe n’aurait pu opérer
effectivement la médiation absolue.
Selon Vera « cette unité de l’être et de la connaissance que l’on
prétend réaliser dans l’unité de l’idée échappe »55, parce que
l’hégélianisme ne savait pas vraiment expliquer la nécessité du
passage d’un élément à l’autre, à commencer par la relation de l’être
et du néant. Ainsi, dans la philosophie hégélienne « la multiplicité des
éléments reparaît »56.
En 1847, écrivant pour le Dictionnaire des sciences philosophiques
l’article Idéalisme, Vera écrivait que « la méthode démonstrative, telle
que l’entend Hegel […] excède la puissance de l’esprit humain ; et la
raison en est que le fond même de l’être, l’essence absolue des choses
nous échappe »57. Et en effet Vera considérait que « si nous saisissions
l’essence absolue de l’infini et du fini […] nous comprendrions
53
Infra, p. 144.
54
A. VERA, Problème de la certitude, cit., p. 125.
55
Ivi, p. 136.
56
Ibidem.
57
A. VERA, Idéalisme, Dictionnaire des sciences philosophiques, éd. A. Franck,
1844-1852, III, pp. 180-194.

XVIII


comme l’infini engendre le fini, ou comment il exerce son action sur


le monde, et en général, comment les substances communiquent entre
elles »58.
Jusqu’en 1847, donc, Vera ne reconnaissait pas à Hegel le fait
d’avoir outrepassé la contradiction. La dialectique était une tentative
puissante, mais pas aussi puissante pour vaincre l’échec de la
démonstration. Cette méfiance originaire de Vera pour Hegel
démontre que son problème philosophique était enraciné au-delà de
l’hégélianisme.
Ce sera seulement dans l’article intitulé La philosophie de la
Religion de Hegel, daté de 1848, que Vera admettra finalement la
solution hégélienne : « Tout le travail de la pensée consiste à poser un
élément, de l’idée, – moment immédiat – à saisir dans cet élément un
élément contraire, – moment de médiation, analyse – et à trouver un
troisième terme qui concilie et unit les deux premiers – synthèse ».
Pour Vera ce mouvement était « la vie et le mouvement éternels de la
pensée, et, pourtant, la vie et le mouvement éternels de la réalité »59.
Giovanni Gentile sera étonné par la mutation du jugement de Vera à
propos de Hegel, mais Vera avait désormais trouvé dans la dialectique
le pouvoir absolu de la médiation.
On peut dire qu’entre le Problème de la certitude (1845) et le
Problema dell’Assoluto (1874) s’articule le chemin de Vera et que sa
question était toujours celle de la médiation métaphysique, ou, pour
utiliser les formules de Cousin – encore une fois vrai maître de Vera –
celle du fini, de l’infini et de leur rapport60.
D’un point de vue logique et chronologique, l’Introduction de 1855
se place donc au milieu de la route. C’est le moment où Vera découvre
que l’idée, jusque là entendue comme une médiation déformante, peut
être, au contraire, le véritable point de communication absolue entre
l’être et la conscience, l’unité et la multiplicité : « L'idée est comme la
limite sur laquelle la pensée et l'être, l’intelligence et son objet
viennent se rencontrer »61.

9. À partir de 1848, donc, Vera a cru et su trouver dans la

58
Ibidem.
59
A. VERA, Mélanges philosophiques, cit., pp. 215-216. L’article était paru
originairement dans la revue «La liberté de penser», II, 1848, pp. 57-72.
60
V. COUSIN, Cours de philosophie, cit., V, p. 15.
61
Infra, p. 26.

XIX


philosophie hégélienne la solution au problème de la médiation. C’est


pour cette raison, intime à son chemin de réflexion, que Vera devient
hégélien : le caractère de l’hégélianisme que nous trouvons dans
l’Introduction de 1855 est totalement plié à la logique du problème
philosophique de l’absolu et de sa propre médiation. Dans
l’Introduction nous trouvons une interprétation qui n’a plus de doute à
propos de l’hégélianisme comme source théorique et historique d’une
philosophie capable de toucher l’absolu et de faire vivre la raison
subjective à l’intérieur de la dynamique de la raison absolue et
impersonnelle. Grâce à la philosophie hégélienne, Vera trouvait la
méthode pour placer la pensée au-delà de l’opposition, directement
dans le lieu où réalité et pensée sont un : l’idée.
En décrivant le rôle de l’idée dans le système hégélien, Vera était
clair : « Ou l’idée n’est qu’une détermination, une catégorie, une
forme de la pensée […] qui n’a pas un rapport d’essence, un rapport
substantiel avec elles ; ou bien, l’idée, outre qu’elle est la condition et
la forme essentielle de la pensée, est liée par une communauté de
nature aux choses mêmes, que l’intelligence ne saurait penser qu’avec
son concours. Cette seconde opinion donne naissance à ce qu’on a
appelé idéalisme objectif, et la première, à ce qu’on a appelé idéalisme
subjectif »62. L’idée, qui, en 1845, était encore la source de la
distorsion, était désormais devenue le cœur de l’être : l’unique
philosophie capable de l’absolu était finalement l’idéalisme objectif.
Acceptant une stratégie néoplatonicienne, Vera plaçait l’idée dans
l’être-même et la pensée humaine à l’intérieur de cette même idée,
éliminant à la base tout problème de communication entre être et
sujet63. C’était la solution cousinienne, finalement fondée grâce à
toute la force de l’instrument logique hégélien. Les idées n’étaient
autre chose que l’absolu même et notre conscience était placée ab
origine sans les idées, qui étaient décrites comme « des conceptions de
cette raison universelle et absolue que nous ne constituons pas, mais
qui apparaît en nous »64.
L’instance critique présentée dans les thèses de 1845 avait disparu.

62
Infra, p. 94.
63
C’est sur ce point que Vera a pris sa décision philosophique. Les arguments
hégéliens, refusés en 1845, ne sont pas suffisants pour expliquer ce saut. On doit
donc parler plutôt d’un choix. C’est à ce choix qu’il faut s’en remettre chaque fois
qu’on cherche le secret d’une philosophie. Et, bien sûr, ce choix relance chaque
philosophie dans la dimension de la responsabilité.
64
V. COUSIN, Cours de philosophie, cit., V, pp. 10-11.

XX


Avec un véritable saut, Vera avait pris pleinement position à l’intérieur


de l’Idée, qui était considérée absolument dans le sujet tout comme le
sujet était considéré absolument en elle.
La dimension logique devenait donc la dimension authentiquement
réelle, dans laquelle toute chose vivait dans leur vérité : «Il n’y a pas,
en-dehors de la substance logique, une autre substance qui la domine
et qui la contienne, mais toutes les choses, en tant que substances,
sont enveloppées dans son unité»65. C’est pour cette raison que «
l’idée logique ne livre pas seulement aux autres sphères de l’existence
leur forme, mais bien aussi leur contenu »66.
La sphère logique devenait le tout formel et matériel. Ce qui
échapperait à la logique – ce qui ne pourrait pas se rendre idée – ne
serait pas substance, ne serait pas rationalité, ne serait pas réalité.
L’identité de toute réalité substantielle avec l’idée – et la résolution de
la première dans la seconde – ne sera plus mise en doute par Vera67.
Toute activité philosophique deviendra idéalisme, comme on peut lire
dans l’Introduction : « L’idéalisme fait le fond de toute doctrine
philosophique »68.

10. Après l’Hegel-Renaissance du XXe siècle, nous sommes


accoutumés à voir en Hegel un philosophe s’attachant à penser – peut-
être pas jusqu’à la fin – les contradictions de la réalité69. Avec Wahl,

65
Infra, p. 125.
66
Infra, pp. 125-126.
67
Ce romantisme de l’idée est ce qui étonne le plus dans la philosophie de Vera.
Sa foi absolue dans les idées et dans la philosophie comme organon absolu des idées
est la force constante de sa pensée. Elle en constitue aussi la faiblesse, parce que les
idées sont à la fin la prison à l’intérieur de laquelle Vera enferme sa vision de la
réalité. Ce romantisme de Vera est bien exposé dans ce passage de l’« Emporio
Italiano », daté du 31 mars 1857 : « Notre croyance est que l’idéal et l’invisible –
cette lumière qui jaillit des profondeurs de l’âme humaine et qui dans l’âme humaine
a sa source – est le principe – nous ne dirons pas de tout ce qui arrive dans le monde,
ce serait là une opinion inadmissible, étrange – mais des actions les plus éclatantes,
des plus grandes découvertes et des mouvements historiques les plus extraordinaires.
Nous prétendons qu’une idée, belle et vraie, trouve par elle-même et par la vertu qui
est en elle, les moyens et les instruments qui devront la réaliser ; que la force d’une
telle idée est irrésistible, et que les âmes et les convictions, et avec les âmes et les
convictions, les intérêts, finissent par être subjugués par elle ».
68
Infra, p. 21.
69
C’est le grand changement de l’image de Hegel. Il est bien résumé dans deux
reconstructions historiques : V. DESCOMBES, Le même et l’autre : quarante-cinq ans
de philosophie française (1933-1978), Editions de Minuit, Paris 1986 ; J. ROTH,

XXI


Kojève, Hyppolite, nous avons appris que la philosophie hégélienne a


voulu être capable de rendre justice à la fonction tragique de la
scission. Bien sûr, on peut faire beaucoup d’objections à cette tentative
de lire Hegel comme philosophe de la contradiction, mais ce qui est
certain est que pour Augusto Vera l’hégélianisme était tout autre
chose : une philosophie de l’harmonie, de l’équilibre, de
l’accomplissement.
Avec son commencement absolu avec l’absolu, Vera avait trouvé
dans la philosophie hégélienne la solution à tout l’ensemble des
problèmes présents en 1845. Avec le saut dans la sphère logique, le
problème de la médiation était résolu et la philosophie, suivant
l’exemple cousinien, était garantie dans son rôle de savoir absolu. Ce
qui chez Cousin était aussi une préoccupation politique et
d’institutionnalisation de la discipline, était devenu pour Vera une pure
question théorique, que l’hégélianisme avait contribué à déclarer
résolue d’une façon absolue70.
C’est pour cette raison que Vera, désormais en Italie, écrira
plusieurs années auparavant, que « notre tâche, et la tâche de la
philosophie, est, en ce moment, d’entendre Hegel, et, en l’entendant,
d’en développer et d’en agrandir la pensée, d’en remplir les vides et la
compléter »71. On ne doit pas interpréter cette limitation à l’intérieur
du périmètre hégélien comme une sorte de faiblesse de la pensée de
Vera – qui est faible pour d’autres raisons – mais comme un choix
cohérent avec son problème spéculatif fondamental.
Quand, dans son ouvrage sur L’hégélianisme et la philosophie, en
1867, Vera défendra la philosophie hégélienne, en déclarant son
identité avec la philosophie tout court, il sera cohérent avec sa

Knowing and history : appropriations of Hegel in Twentieth century. Cornell


University Press, Ithaca-London 1988.
70
Le rationalisme de Cousin – ayant pour but de confirmer la dignité de la
philosophie comme discipline scientifique à l’intérieur de la restauration de
l’université et du réseau des savoirs officiels – avait une tâche d’ordre politico-
culturel. C’est pour cette raison qu’on peut effectivement parler d’une politique de la
philosophie chez Cousin. Mais chez Vera, la foi dans une rationalisation absolue de
la réalité répond plutôt au besoin spéculatif profond, qui montre les signes d’une
vision radicale et totale de l’intelligence humaine. C’est – par exemple – sur le camp
de la philosophie de l’histoire que le rationalisme de Vera montre toute sa faiblesse
dans la réalité de ses applications. Cfr. A. VERA, Introduzione alla filosofia della
storia, Le Monnier, Firenze 1869. Sur ce sujet v. C. CESA, Augusto Vera e la
filosofia della storia, Guida, Napoli 1991.
71
A. VERA, Essais de philosophie hégélienne, Baillière, Paris 1864, p. 164.

XXII


conviction que l’hégélianisme était la seule route parcourable pour


éviter l’impasse sceptique.
Ayant expérimenté en 1845 l’insuffisance du rationalisme classique
et de l’empirisme, Vera savait que le retour à Leibniz proposé par
Emile Saisset et par l’école éclectique était simplement une tentative
vide de restauration philosophique72. De plus, il lisait dans l’apostasie
de l’éclectisme la certification de son manque de force spéculative et
de courage culturel. « Il y a quelques années, Hegel était annoncé à la
France comme une apparition extraordinaire », avait écrit Vera dans
les pages de son Introduction, « cependant, une sorte de
métamorphose paraît s’être opérée dans ces derniers temps à l’égard
de ce philosophe »73.
En 1867 l’apostasie éclectique contre Hegel était désormais
évidente et Vera ne manquait pas d’en accuser l’éclectisme,
remarquant en même temps la grandeur de la philosophie de Hegel :
«En-dehors de l’hégélianisme, ou, pour employer une expression plus
indépendante de l’idéalisme absolu, il n’y a pas de grande et vraie
philosophie»74. Mais l’éclectisme n’avait jamais douté du passage
entre la conscience et les idées et il n’avait pas entendu l’exigence
d’aller au-delà du rationalisme platonique, en cherchant vraiment le
fondement de la médiation. C’était une bataille perdue d’avance75.

11. L’hégélianisme de Vera était donc un hégélianisme de l’idée et


de l’absolu. L’Introduction parlait clairement : les deux éléments de la
philosophie étaient « d'une part, l'objet de la philosophie, le principe
sur lequel elle est fondée, et, d'autre part, l'idée. S'élever à l'absolue
connaissance, saisir la nature intime des choses, et la saisir à l’aide de
l'idée et dans l'idée, voilà ce qui se trouve au fond de toute doctrine
philosophique »76. Le rôle de la philosophie était donc la
contemplation des idées : « Comme nous venons de le constater, l'idée

72
Cf. E. SAISSET, Discours sur la philosophie de Leibnitz (prononcé à la
Sorbonne le 19 Janvier 1857), Plon, Paris 1857.
73
Infra, p. 5.
74
A. VERA, L’hégélianisme et la philosophie, cit., pp. 1-2.
75
La philosophie française, à partir de 1840, procède à un éloignement, plutôt
rapide en vérité, des positions de l’idéalisme allemand. L’effort cousinien
d’acclimater l’idéalisme en France avait été faible et seulement une minorité des
élèves – plus ou moins directs – continuait à combattre en faveur de la diffusion des
idées allemandes en France. Parmi ceux-ci, par exemple, Etienne Vacherot.
76
Infra, p. 22.

XXIII


et la pensée sont inséparables, et si connaître les choses est en avoir


une pensée ou une idée claire et bien définie, on ne pourra arriver à leur
connaissance que par la connaissance des idées, et la mesure de la
connaissance des idées nous donnera la mesure de la connaissance des
choses »77.
L’idée était l’idole de Vera, à tel point qu’il ne regrettait pas
d’utiliser pour elle l’adjectif d’innée : « All Ideas are innate, or none
are », lisons-nous dans l’Inquiry de 185678. Dans cet ouvrage, nous
trouvons d’autres affirmations qui ne laissent pas de doute sur
l’orientation de leur auteur : « All the strength of Speculation consist
in the direct apprehension of Ideas, in the gasping of Ideas by intellect,
quite independent of the experimental element, and by diving into
their eternal, immutable, and universal nature »79. La philosophie de
Vera prenait donc l’aspect d’une véritable contemplation de pures
idées, dans leur relation et dans leur connexion systématique.
Dans l’Introduction, on peut lire que « si les idées sont les principes
de l’être et de la pensée […] ce sera la science de l’Idée considérée
dans son existence absolue, comme à tous les degrés de son existence
relative et de ses rapports, qui formera l’objet de la connaissance
philosophique »80. C’est pour cette raison que, en 1855, le centre de la
réflexion de Vera était la logique et que, parmi les ouvrages hégéliens,
il considérait que l’Encyclopédie était la plus adaptée à l’intelligence
de l’hégélianisme. C’était dans l’Encyclopédie que le rôle de la
logique – et des idées – comme sphère axiomatique de la réalité
pouvait apparaître plus évident dans sa relation avec la nature et
l’esprit : dans l’exposition de cet ouvrage, Vera trouvait plus
facilement la possibilité de faire voir la substantialité du plan idéal et
l’enracinement de toute la réalité dans sa dimension. « En voulant
faire connaître Hegel d’une manière – écrivait Vera – nous n’osons pas
dire complète, mais suffisante, nous avons dû choisir celui de ses
ouvrages qui renferme toutes les parties de son système, c’est-à-dire
son Encyclopédie »81.
Le travail de Vera, dans toute l’Introduction, sera donc celui de
faire voir le pouvoir de médiation des idées, leur capacité à nous

77
Infra, p. 32.
78
A. VERA, Inquiry, cit,, p. 13
79
Ivi, p. 44.
80
Infra, p. 89.
81
Infra, p, 16.

XXIV


donner une vision transparente de toute la réalité. Bien assurée dans


son commencement absolu avec la logique, dans l’idée, la pensée de
Vera se sentait capable de fuir tous les problèmes posés par la critique
moderne de la connaissance, qu’il considérait – suivant la tradition
éclectique – comme des problèmes d’ordre psychologique : « Peu
importerait, en effet, d’avoir établi que l’idée est une condition, un
élément essentiel et primitif de la pensée, si l’on ne pouvait ensuite
franchir les limites de la pensée subjective et saisir dans l’idée la
réalité même des choses »82.
L’Introduction à la philosophie de Hegel était le chemin à travers
lequel Vera déclarait publiquement que sa recherche d’une pensée
objective, sa tentative de fonder sérieusement la raison impersonnelle
proposée par Cousin, avait trouvé dans l’hégélianisme son instrument
fondamental et son accomplissement le plus fort et le plus sincère.

12. Dans son Introduction spéciale à la traduction de la Logique de


Hegel, en 1859, Vera écrivait que « la logique, on le sait, ne forme
qu’une partie du système de Hegel, mais elle en forme la partie la plus
importante en ce sens qu’elle fournit la clef de tout le système »83. Ce
qui était plus important était la puissance logique de fournir la clé de
la médiation absolue dans sa pureté, une médiation qui était capable
de donner aussi le modèle pour la médiation dans tous les différents
niveaux de la réalité.
C’était pour cette raison que Vera concentrait son attention sur le
rôle objectif et systématique de la logique hégélienne. La critique de
Vera aux logiques formalistes était implacable, tout comme sa foi dans
le caractère objectif des catégories : « Il faut donc admettre qu’il y a
une logique, une seule logique, ou le Logos absolu, suivant lequel les
choses sont rationnellement et absolument faites et pensées, et
qu’ainsi tout ce qui est ou qui peut être, tout ce qui meut dans le ciel et
vit sur la terre, le soleil et les astres, […] tout est soumis à des lois
logiques »84.
On peut dire que le processus de la pensée de Vera apparaît
implacable et remarquait, encore une fois, le pouvoir des idées et leur
capacité de médiation absolue : « S’il est vrai que les idées constituent
l’essence des choses, la méthode absolue sera la méthode qui connait

82
Infra, p. 27.
83
A. VERA, Introduction à G. W. F. HEGEL, Logique, cit., p. I.
84
Ivi, p. 69.

XXV

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