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Terrain

Anthropologie & sciences humaines

Collection Ethnologie de la France
Cahiers d'ethnologie de la France

24 | mars 1995 :
La fabrication des saints
La fabrication des saints

Hagio­graphiques
L'écriture qui sanctifie

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p. 75­82

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Thèmes : religion
Lieux d'étude : Europe

Texte intégral
1 Les chemins par lesquels la sainteté accède à une reconnaissance sociale croisent de
plusieurs manières ceux de l'écriture : hagiographie n'est pas un vain mot. On désigne
d'abord par ce terme l'ensemble des écrits – Vies,  martyrologes,  légendiers  –  qui  font
entrer  les  saints,  morts  parfois  depuis  de  nombreuses  années,  dans  la  mémoire
collective  et  l'espace  du  culte.  Captant  dans  le  tissu  d'une  existence  individuelle  les
traces du divin, la biographie du saint est par elle­même un témoignage de la présence
du surnaturel dans le monde. A ce titre, elle se rattache à l'Ecriture sainte par un jeu de
légitimations  réciproques  :  les  anciens  miracles  (ceux  du  Christ,  au  premier  chef)
témoignent en faveur des nouveaux ; les nouveaux donnent plus de crédit aux anciens.
Aussi n'est­il pas rare de trouver, annexé à la vie d'un saint, un « livre de miracles »
dont les rubriques correspondent aux différents types de miracles accomplis par Jésus
au temps de sa vie terrestre.
2 L'autorité  du  fait  miraculeux  reste  cependant  suspendue  à  des  procédures
d'authentification  dont  le  modèle  est  l'acte  d'écriture  juridique.  Il  existe  une
bureaucratie  de  la  sainteté  dont  l'image  bien  connue  du  procès  en  canonisation  ne
donne  qu'une  faible  idée.  Le  formalisme  juridique  conduisant  à  la  reconnaissance
officielle d'un saint n'a cessé de se durcir entre le 륀�룄�룄�e et le 륀�嫀�룄�룄�룄�e siècle. Il n'a été quelque
peu  allégé  que  depuis  1969,  en  raison  peut­être  de  l'engorgement  de  l'administration
pontificale face au flot grossissant des nouvelles causes introduites – une quarantaine
par an, en moyenne, au cours des dernières décennies1. La procédure, scandée par une
série de décisions sur les vertus du candidat, ses écrits, ses miracles, conduit en fait à
redessiner sa biographie. La tendance dominante depuis plus d'un siècle est de réduire
considérablement la place qu'y occupent les manifestations surnaturelles authentifiées.
Cela relève du souci, manifesté par ailleurs dans l'Eglise, de conserver au miracle son
caractère d'exception. La conséquence en est une raréfaction des marques objectives de
la  sainteté,  même  si,  de  fait,  leur  existence  reste  déterminante  dans  le  processus  de
reconnaissance  du  saint  :  on  a  vu  apparaître  depuis  peu  des  béatifications  sans
miracles,  mais  il  en  faut  au  moins  deux  (éventuellement  posthumes)  pour  une
canonisation.  En  dehors  de  ces  considérations  juridiques,  il  ne  faut  pas  oublier  non
plus  qu'un  procès  n'est  ouvert  qu'à  la  demande  d'une  communauté  «  de  base  »  –
congrégation  religieuse,  groupe  local  –  qui  a  dû,  au  préalable,  identifier  celui  qui  lui
semble digne d'être élevé sur les autels. Les manifestations sensibles de l'exceptionnel
(souffrances mystiques, visions ou facultés surhumaines telles la lévitation, l'ubiquité,
la  pénétration  des  esprits  ou  l'inspiration  prophétique)  demeurent  ainsi  les  signes  de
sainteté les moins équivoques, même si en fin de compte c'est avant tout l'« héroïcité
des vertus » du candidat qui se trouve mise en avant dans le procès.
3 Il  reste  que,  depuis  le  début  du  륀�룄�륀� e  siècle  surtout,  sont  valorisées  des  formes  de
moins en moins spectaculaires de la sainteté. Si le curé d'Ars est encore un personnage
d'exception,  qui  attirait  les  foules  de  son  vivant,  sainte  Thérèse  de  Lisieux,  quelques
décennies plus tard, est une obscure carmélite dont la vie, à première vue, ne tranche
guère  sur  celle  de  ses  compagnes  de  couvent.  Il  est  pourtant  facile  de  découvrir  les
raisons de sa gloire : Thérèse est une sainte de l'écriture, ses écrits autobiographiques,
publiés peu après sa mort et immédiatement célèbres, sont la pièce maîtresse du dossier
de canonisation. Si le cas n'a rien d'exceptionnel, il invite cependant à examiner, par­
delà  les  ressemblances  avec  un  passé  parfois  lointain,  la  possible  nouveauté  de  cette
entrée massive de l'écriture personnelle dans l'évaluation d'un itinéraire sanctifiant.

Les saints théologiens
4 Au cours des siècles, l'Eglise n'a pas manqué de manifester sa reconnaissance à tous
ceux  qui  l'ont  dotée  des  instruments  intellectuels  dont  elle  avait  besoin.  D'Augustin
d'Hippone  à  Alphonse­Marie  de  Liguori  en  passant  par  Anselme  de  Canterbury,
Thomas d'Aquin et tant d'autres, on ne compte pas les grands théologiens qui – même
critiqués  de  leur  vivant  –  ont  rapidement  rejoint  la  cohorte  céleste  des  bienheureux.
Rares pourtant sont ceux qui, parmi eux, font l'objet d'un culte populaire. Il s'agit en
somme  de  saints  «  d'appareil  »  qui  semblent  surtout  liés  aux  affaires  intérieures  de
l'Eglise.  Celle­ci  n'a  toutefois  pas  admis  sans  nuances  ce  type  de  promotion  pour
services rendus. Il suffit de lire la Légende dorée de Jacques de Voragine (륀�룄�룄�룄�e  siècle),
qui répercute déjà une tradition antérieure, pour constater que les rares « intellectuels »
cités (Ambroise, Augustin, Thomas d'Aquin) sont dotés d'une Vie analogue à celle des
autres  saints  :  au  lieu  d'insister  sur  leur  œuvre  de  théologiens,  on  leur  prête  des
miracles,  des  actes  héroïques,  des  faveurs  particulières  du  ciel  qui  les  rapprochent  de
leurs collègues moins lettrés. En fait, cette bizarrerie apparente se comprend aisément.
Dans un domaine où, de droit, la raison ne suffit pas à trancher avec certitude, il faut
cependant que la doctrine repose sur une autorité incontestable. La théologie doit donc
être  en  quelque  façon  inspirée,  et  seule  la  vie  de  son  auteur  peut  témoigner  sans
équivoque de ce privilège. La sainteté est ainsi le gage de la valeur de la doctrine, et non
le contraire. On retrouve ce principe dans le droit canonique : les écrits d'un futur saint,
loin d'être un argument en sa faveur, ne sont invoqués dans le procès de canonisation
qu'à titre d'obstacle éventuel. On les examine pour y chercher des traces d'hétérodoxie,
des  fautes  contre  l'obéissance,  la  morale,  les  vertus  éminentes  du  parfait  chrétien.  Le
décret super  scriptis  permet  au  procès  de  suivre  son  cours  seulement  dans  le  cas  où
tout est conforme : à la limite, on pourrait dire qu'un saint est toujours canonisé malgré
ses écrits !
5 En  fait,  il  est  évident  que  les  œuvres  intellectuelles  sont  prises  en  compte
positivement par l'Eglise. Elles contribuent parfois à rehausser la gloire d'un saint un
peu  dévalorisé,  voire  franchement  embarrassant.  L'exemple  le  plus  typique  de  ce
processus  est  peut­être  celui  d'Antoine  de  Padoue.  Pour  contrebalancer  l'image  trop
célèbre  du  thaumaturge  devenu  homme  à  tout  faire  des  petits  malheurs  de  la  vie
quotidienne, l'Eglise s'est évertuée à faire valoir son œuvre de théologien, allant jusqu'à
lui attribuer des livres qu'il n'a jamais écrits. Il ne s'agit là, toutefois, que de redessiner
le profil d'un saint déjà reconnu. Plus intéressantes sont les situations dans lesquelles
les  écrits  du  saint  deviennent  un  élément  essentiel  de  sa  réputation,  parfois  même  le
principal support de son existence dans l'espace de la dévotion. Il en va ainsi, comme
on l'a vu, de l'Histoire d'une âme de Thérèse de l'Enfant­Jésus. L'ouvrage, longtemps
diffusé  dans  la  version  remaniée  par  la  sœur  de  la  sainte,  qui  était  aussi  la  mère
supérieure  du  couvent  de  Lisieux,  reste  après  quatre­vingt­dix  ans  le  livre  des
conversions, le ferment d'innombrables vocations religieuses. Le pouvoir de ces écrits,
déjà  avéré  lors  du  procès  de  canonisation,  témoignait  sans  nul  doute  en  faveur  de  la
sainteté  de  leur  auteur.  L'hagiographie  «  thérésienne  »  y  voit  également  l'effet  d'une
nouveauté  théologique,  entendons  (car  la  nouveauté  n'a  pas  bonne  presse  en  ces
matières)  :  la  révélation  d'une  dimension  encore  inaperçue  ou  dédaignée  du  message
christique, qui se trouve en parfaite harmonie avec les besoins spirituels de notre temps.
Je  voudrais,  quant  à  moi,  interpréter  son  actualité  en  référence  aux  modalités  d'une
écriture  dont  l'efficacité  tient  moins  au  contenu  théologique  (en  fait  sans  grande
originalité) qu'à son rapport à la définition même de la sainteté.

Le témoignage des mystiques
6 La vie et l'œuvre de Thérèse s'inscrivent dans le registre de la sainteté mystique, qui
bénéficie d'une longue tradition d'écriture. En elle­même, cette expérience n'appelle pas
nécessairement le passage par l'écrit – on pourrait même penser qu'elle devrait l'éviter,
s'il  est  vrai  qu'elle  engage  l'esprit  à  la  rencontre  de  l'ineffable.  Et  pourtant,  le
mysticisme est bavard, à tout le moins fécond en transcriptions écrites. Je laisse de côté
ce que l'on appelle parfois, à la suite de son premier grand maître Denys l'Aréopagite, la
«  théologie  mystique  »,  qui  n'est  en  fait  qu'une  branche  de  la  théologie  spéculative.
Dans l'acception la plus commune du terme, que je reprends ici, la notion de mystique
désigne  l'union  intime  de  l'âme  à  Dieu  qui  se  traduit  par  des  extases,  révélations
privées, visions du ciel ou de ses habitants... Cette expérience toute subjective peut être
contenue dans les limites de l'oraison, c'est­à­dire d'une méditation fortement teintée
d'affectivité sur les « vérités » de la religion, de préférence ses mystères. Elle n'est alors
qu'un  style  de  spiritualité  pouvant  faire  l'objet  d'un  apprentissage.  Mais,  dans  le  cas
des grandes vocations mystiques qui ont nourri des réputations de sainteté, cette face
intérieure  du  contact  avec  le  divin  se  double  de  phénomènes  objectifs  parfois
spectaculaires  :  stigmates,  lévitation,  maladies  inexplicables,  pouvoirs
thaumaturgiques.  Ces  manifestations  sensibles  du  surnaturel  nourrissent  ainsi  un
tableau  signalétique  de  la  mystique  qui  recoupe  dans  une  large  mesure  celui  de  la
sainteté  en  général.  Leur  spécificité,  s'il  en  est  une,  tient  à  leur  inscription  dans  le
corps  :  la  foi  du  saint  mystique  ne  déplace  pas  les  montagnes,  les  miracles  qu'elle
appelle  n'ont  que  peu  de  prise  visible  sur  le  monde  extérieur.  A  un  esprit  qui  se  rend
passif  pour  se  laisser  pénétrer  par  le  divin  répond  une  chair  patiente,  au  sens
étymologique, un corps qui subit et qui souffre à l'imitation de celui du Sauveur. Et ce
corps,  livré  à  un  regard  étrangement  clinique,  révèle  par  des  prodiges  d'ordre
physiologique les aventures spirituelles de l'âme qui l'habite.
7 Ce tableau général de l'expérience mystique demande à être précisé sur deux points
au  moins.  En  premier  lieu,  il  correspond  à  une  forme  de  spiritualité  essentiellement
féminine. Quelques raisons de cette spécialisation apparaîtront au fil de mon exposé,
d'autres  relèveraient  d'une  analyse  des  rapports  différentiels  au  corps  selon  les  sexes
que  je  ne  puis  exposer  ici.  Retenons  du  moins  que  je  ne  traiterai  désormais  que  des
pratiques des saintes. En second lieu, ce tableau doit être complété par une approche
historique, même si, à certains égards, il échappe à toute inscription temporelle précise.
Il n'y a pas de différences fondamentales entre Lydwine de Schiedam, qui vécut au 륀�嫀�e
siècle,  et  Marthe  Robin,  morte  en  1981.  Grabataires  l'une  et  l'autre  pendant  presque
toute leur longue vie, elles associèrent aux plus hautes élévations de l'âme les désordres
physiologiques les plus saisissants. Les constantes de la longue durée sont bien réelles,
et  je  pourrais  en  multiplier  les  exemples.  On  peut  cependant  noter  une  évolution  qui
tient dans une large mesure au changement d'attitude de l'Eglise à l'égard du miracle :
aujourd'hui  beaucoup  plus  qu'hier,  l'expérience  mystique  peut  se  passer  de
manifestations  extérieures.  L'évidence  du  miracle  n'a  plus  à  cautionner  aux  yeux  de
tous  l'authenticité  de  l'aventure  spirituelle.  Mais  il  ne  s'agit  là  que  d'une  différence
d'accent.  A  toutes  les  époques,  en  effet,  se  trouve  posé  le  même  problème  :  celui  du
témoignage sur la part du phénomène qui reste de l'ordre de l'expérience intérieure et
constitue pourtant l'élément le plus précieux, celui qu'il convient d'objectiver afin de le
transmettre à l'ensemble du peuple de Dieu.
8 Et  c'est  ici  que  nous  retrouvons  l'écriture.  Dès  le  륀�룄�룄�룄�e  siècle,  les  directeurs  de
conscience  des  mystiques  ne  manquent  pas  de  leur  demander  de  transcrire  les
révélations privées dont elles sont favorisées. Cette requête, pour autant que les textes
nous  permettent  d'en  reconstituer  l'esprit,  semble  avoir  plusieurs  motivations  qui
toutes contribuent à la rendre impérative – parfois même tyrannique. Qu'il s'agisse de
laïques ou de religieuses, ces femmes n'ont aucun accès légitime à la prédication ou à
toute autre expression publique de leur foi. En un premier sens, leur écriture semble le
substitut d'une parole interdite, du moins confinée dans des cercles étroits. Pourquoi,
dès  lors,  leur  imposer  d'écrire  au  lieu  de  se  satisfaire  de  leur  silence  ?  C'est  que
l'expérience  mystique  est  toujours  suspecte,  et  ce  d'autant  plus  que  l'Eglise  tient
davantage  au  modèle  hiérarchique  qui  l'institue  médiatrice  obligée  entre  les  simples
hommes et Dieu. La prétention d'entretenir des relations directes avec le ciel est en elle­
même  subversive  et  risque,  en  outre,  de  déboucher  sur  l'hérésie.  Dans  ce  contexte,  le
confesseur, en imposant la rédaction de témoignages dont il est le premier destinataire,
marque  son  autorité  et  se  dote  d'un  moyen  de  contrôler  l'orthodoxie  des  révélations
alléguées : une doctrine trop singulière désigne à coup sûr l'« illusion diabolique »...
9 Ces  enjeux  de  pouvoir  ne  sont  cependant  pas  les  seuls  ni,  peut­être,  les  plus
déterminants.  On  constate  en  effet,  à  toutes  les  époques  et  dans  toute  la  chrétienté,
mais plus particulièrement, par exemple, dans les cités italiennes de la fin du Moyen
Age,  une  véritable  demande  de  sainteté  :  un  couvent,  une  ville  connaissent  les
avantages  –  matériels  et  symboliques  –  qu'ils  tireraient  de  la  présence  d'un  saint  en
leurs murs. Sitôt que se dessine une figure acceptable de sainte mystique, on fait tout
pour la cultiver (et elle­même, en règle générale, sait ce qu'elle a à faire). C'est alors que
le  rôle  du  confesseur  devient  stratégique.  Il  lui  incombe  en  effet  d'authentifier  les
miracles  et  les  vertus  de  sa  protégée,  et  en  même  temps  de  se  doter  des  preuves  qui
accréditeront  le  dossier  auprès  des  autorités  supérieures.  La  demande  d'écriture
s'inscrit dans ce contexte, devenant à peu près systématique à partir du 륀�嫀�룄�룄�e siècle. A
défaut que la mystique puisse écrire elle­même – son état extatique ne le lui permet pas
toujours  –,  on  invente  des  techniques  complexes  de  prise  de  notes,  de  sténographie,
afin de ne rien perdre de la parole inspirée2. Ce cas de figure, extrêmement courant, est
typiquement  celui  de  Thérèse  de  Lisieux.  Alors  qu'elle  est  atteinte  de  tuberculose  et
menacée  d'une  mort  prochaine,  mère  Agnès,  devenue  l'imprésario  de  sa  sœur,  lui
demande d'écrire son autobiographie. Au cours des derniers mois de vie de la malade,
c'est elle encore qui note ses ultimes paroles. Thérèse entre sans difficulté dans le jeu :
elle dont le projet avoué était de devenir une sainte meurt convaincue de sa sainteté.
10 La valorisation du témoignage écrit, perceptible dès le Moyen Age, s'accroît au fil du
temps,  jusqu'à  devenir  parfois,  avec  les  extases  bavardes  minutieusement  consignées
par écrit, une marque presque exclusive des faveurs du ciel. Le sens de cette évolution
est clair : à défaut de s'exprimer dans les formes extérieures de l'existence, la sainteté se
réfugie de plus en plus dans une expérience intime dont seule peut rendre compte une
écriture à la première personne. Il y a toutefois un net changement dans la teneur de ces
écrits  :  alors  que  les  anciennes  mystiques  (Gertrude  d'Helfta,  Julienne  de  Norwich,
Brigitte  de  Suède)  décrivent  principalement  des  visions  dont  leur  âme  n'est  que  le
théâtre, les contemporaines expriment d'abord leur évolution intérieure. Le titre donné
aux écrits autobiographiques de sainte Thérèse de Lisieux – Histoire d'une âme3 – est
symptomatique de ce nouvel état d'esprit, dont témoignerait aussi bien une histoire des
manifestations  laïques  de  l'intériorité,  des  valeurs  esthétiques  ou  du  souci  de  soi.  En
même temps, la prise en compte de cette dimension personnelle, avec l'aveu fréquent
des hésitations et des doutes qui précèdent l'ultime conversion, le caractère familier –
pour  ne  pas  dire  dérisoire  –  des  sacrifices  consentis  ou  des  mérites  salués  par  le  ciel,
donne  aux  autobiographies  spirituelles  une  valeur  pédagogique.  Aussi  les  journaux
intimes, « carnets de retraites », plus rarement autobiographies rétrospectives, ont­ils
une large place dans la littérature édifiante diffusée par les institutions ecclésiastiques
depuis  la  fin  du  siècle  dernier.  Ces  publications  ne  reflètent  pourtant  que  très
partiellement  une  pratique  du  «  journal  spirituel  »  devenue  au  륀�룄�륀� e  siècle  un
phénomène  de  masse  :  la  tenue  quotidienne  d'un  tel  carnet  était  proposée,  voire
imposée  aux  jeunes  filles  fréquentant  les  écoles  religieuses  à  titre  d'instrument  de
formation littéraire, morale et spirituelle4.
11 Ce qui précède suffit à dessiner le cadre quasi institutionnel d'une écriture devenue le
principal indice d'un parcours sanctifiant qui n'exclut pas les insistances malheureuses
de  l'humaine  nature.  Nul  doute  qu'en  devenant  autobiographique,  l'hagiographie  a
renoncé  à  offrir  aux  croyants  des  figures  d'un  inaccessible  hiératisme.  Déjà,  les
Confessions  de  saint  Augustin  n'avaient  pas  grand­chose  de  commun  avec  la  Vie
édifiante qu'en retient Jacques de Voragine. Thérèse de Lisieux, comme on pouvait s'y
attendre, est particulièrement sensible à cet effet de l'écriture personnelle : « Théophane
Vénard [un martyr d'Indochine] me plaît encore mieux que saint Louis de Gonzague,
parce  que  la  vie  de  saint  Louis  de  Gonzague  est  extraordinaire  et  la  sienne  tout
ordinaire. Puis c'est lui qui parle, tandis que pour le saint, c'est un autre qui raconte et
qui  le  fait  parler  :  alors  on  ne  sait  presque  rien  de  sa  "petite"  âme  !  »  (1973  :  31).
Pourtant, le témoignage sur soi, doublement orienté par son destinataire institutionnel
(directeur  de  conscience,  supérieur  de  couvent)  et  par  une  humilité  ostentatoire5
destinée  à  vaincre  l'orgueil  inhérent  à  la  démarche  autobiographique,  risque  fort  de
n'être ni plus exact ni plus sincère que le récit fait par un tiers. Pour en comprendre la
véritable portée, il me semble nécessaire de le considérer non plus simplement comme le
compte rendu d'une expérience, mais comme un facteur constitutif de cette expérience
elle­même.

Les martyrs de la lettre
12 En devenant une pratique imposée, l'écriture des mystiques – surtout lorsqu'il s'agit
de religieuses – relève déjà du domaine des exercices spirituels et des activités soumises
à la règle : elle est une expression de l'obéissance, du renoncement à sa volonté propre.
Obéissance  parfois  douloureuse,  comme  beaucoup  se  plaisent  à  le  noter  :  c'est  qu'il
s'agit  d'un  témoignage  sur  les  pensées  et  expériences  les  plus  intimes,  qui  doit
néanmoins être porté à la connaissance des autres. On mesure sans peine la lourdeur
d'une telle contrainte et ses effets normatifs. L'écriture vient compléter un système de
l'aveu,  déjà  institué  par  la  confession,  et  contribue  ainsi  à  vider  la  conscience  et  la
volonté de toute véritable autonomie. Il n'est donc guère étonnant, dans ces conditions,
que des expressions que l'on aurait pu croire empreintes de la plus grande authenticité
sombrent  souvent  dans  le  stéréotype  :  elles  consistent,  pour  une  large  part,  en
montages – conscients ou inconscients – de citations d'autres mystiques ou même de
sermons  et  de  livres  de  dévotion.  Si  l'on  retirait  des  trois  forts  volumes  des  Œuvres
complètes d'Elisabeth de la Trinité (1880­1906) ce dont elle n'est pas l'auteur, l'édition
s'en trouverait ramenée à de tout autres proportions...
13 Voilà donc une première manière, et non des moindres, de souffrir de l'écriture, par
l'écriture. Dans la mesure où la souffrance constitue réellement la pierre de touche de la
sainteté, ce n'est pas là un phénomène accessoire. On note d'ailleurs des manifestations
tout à fait littérales de cet usage douloureux de la lettre : les innombrables occurrences
où  une  contemplative  marque  sur  son  corps,  à  la  pointe  du  canif,  au  fer  rouge  ou  à
l'acide,  le  nom  de  Jésus  ou  quelque  autre  signe  pieux6.  Le  lien  est  ainsi  fait  entre  les
deux faces – spirituelle et corporelle – de la mystique, et le sens circule sans peine entre
ces pratiques, le lieu commun du « livre de la croix »7 et les lettres qu'inscrit sur le linge
blanc  de  leurs  pansements  le  sang  des  stigmatisées.  Une  symbolique  analogue  est  à
l'œuvre  dans  l'usage,  également  bien  attesté,  d'écrire  avec  son  sang  un  vœu  ou  une
profession de foi : Thérèse de Lisieux recopie de la sorte de Credo, Raphaëlle­Marie du
Sacré­Cœur  (une  fondatrice  de  congrégation)  signe  de  son  sang  en  1890  un  «  acte
d'abandon  à  la  volonté  de  Dieu  »8 ...  Autant  de  figures  d'un  engagement  rendu
irréversible tant par la force de l'écriture que par celle du sang. Devenu portion d'elle­
même,  l'écrit  peut  aussi  rester  attaché  physiquement  à  la  personne,  comme  pour  la
maintenir,  sans  risque  de  retombée,  au  plus  haut  de  l'élan  mystique.  On  connaît  le
célèbre Mémorial que Pascal conservait dans la doublure de son manteau, mais il s'agit
là d'une pratique relativement courante. Marie­Eustelle, une sorte de béguine poitevine
des années 1830, portait, enfermée dans un médaillon en forme de croix, la traduction
latine du vœu de virginité qu'elle avait fait dans sa jeunesse (1843, I : 112). De même,
Josefa  Menéndez  ne  se  sépara  jamais  du  papier  où  était  inscrit  un  vœu  semblable,
prononcé lors de sa première communion (1944 : 41).
14 Cette écriture de l'engagement prend un tour plus radical encore lorsqu'elle débouche
sur des vœux qui, selon la formule consacrée, « font frémir la nature ». « Otez­moi tout
ce que vous voudrez, mais laissez­moi la croix » (Marie de Loyola 1969 : 19), écrit dans
son  journal  intime  mère  Catherine­Aurélie  (1833­1905).  On  ne  compte  pas  les
demandes  enthousiastes  de  souffrance  et  de  martyre.  «  J'ai  tant  envie  de  souffrir,  de
vous  racheter  des  âmes,  écrit  par  exemple  Elisabeth  de  la  Trinité.  Je  suis  avide  de
sacrifices, je bénis tous ceux qui se présentent dans la journée. [...] Mon Dieu, voyez le
désir  ardent  de  mon  cœur,  envoyez­moi  des  souffrances,  cela  seul  peut  me  faire
supporter la vie. Père céleste, "ou souffrir, ou mourir" » (1980, II : 41). La reprise finale
de  la  devise  de  sainte  Thérèse  d'Avila  en  dit  long  sur  la  mystique  de  la  douleur  qui  a
cours dans les carmels. Huit jours après son entrée au noviciat, la même Elisabeth de la
Trinité avait d'ailleurs trouvé dans un questionnaire « récréatif » (sic) cette demande
terrorisante : « Un genre de martyre vous plairait­il davantage ? » (1980, II : 121). On
imagine  le  trouble  de  celui  qui  entre  dans  le  jeu  et  ose  composer  un  menu  de  ses
supplices favoris en s'inspirant de la Légende dorée ! Telle est bien, me semble­t­il, la
force  principale  de  cette  écriture  du  martyre  :  elle  donne  une  forme  objective  et
permanente  à  des  souhaits  en  eux­mêmes  angoissants,  qui  de  surcroît  acquièrent,  en
étant couchés sur le papier, la force d'un engagement contractuel. Le lecteur le moins
superstitieux  se  sent­il  prêt  à  écrire  (même  à  titre  d'expérience  de  laboratoire)  :  «  Je
veux  avoir  une  mort  atroce  »  et  à  en  présenter  le  détail  ?  Bien  que  rationaliste
convaincu, j'avoue ne pas en être capable.
15 Il est également des expériences plus heureuses de cette écriture mystique. De même
que  la  rédaction  d'une  lettre  d'amour  rend  pleinement  amoureux  –  on  connaît  les
analyses de Denis de Rougemont sur les origines littéraires de ce sentiment –, de même
une  écriture  de  l'amour  divin  suscite  et  ordonne  les  transports  de  l'âme  vers  le  ciel.
Comme leurs homologues laïques, les contemplatives des dernières décennies associent
fréquemment  à  l'écriture  d'un  journal  une  production  poétique  que  je  qualifierais
volontiers d'adolescente, si cela n'évoquait une psychologie par trop sommaire des âges
de la vie. Il ne serait pas vraiment charitable de citer des spécimens de cette « bouillie
du  cœur  »,  qui  oscille  entre  le  cantique  façon  륀�룄�륀� e  siècle  et  le  lexique  stéréotypé  de
quelques Fleurs du mal du pauvre. Disons que les mots sang, cœur, âme et larmes s'y
retrouvent avec une fréquence alarmante. Comparez avec les poèmes que vous écriviez
sans doute à dix­sept ans...
16 Du moins les mirages de la présence que suscite l'écriture amoureuse ne sont­ils pas,
dans le registre des passions terrestres, les seules figures de la rencontre de l'Aimé (e). Il
en va autrement pour les chastes amantes du Christ. Eternelles fiancées, elles n'ont que
le fil de leur écriture, chaque soir renoué dans l'intimité de la cellule, pour enlacer leur
correspondant céleste et le faire exister hic et nunc par la rhétorique de l'apostrophe, de
l'interlocution, du dialogue. « Ma fille, quand tu écris, il n'y a plus que Moi et toi », fait
dire  à  Jésus  une  mystique  contemporaine9.  En  même  temps,  cette  écriture  tend  un
miroir à toutes les péripéties de l'aventure spirituelle : intermittences du cœur, épreuves
contrastées de la grâce et de l'abandon, pieux marivaudages où le Christ se comporte en
amant  capricieux.  Les  relations  de  l'âme  à  Dieu  viennent  occuper  l'espace  d'une
événementialité  raréfiée  par  la  clôture  et  la  monotonie  d'une  existence  sous  la  règle.
Ainsi se mesure quotidiennement, face à la page blanche, la vacuité d'une vie qui, faute
de s'investir dans le monde, ne prend sens qu'à se croire envahie par le divin.
17 Il  est  vrai  que  la  vie  monastique  dans  son  entier  creuse  ce  vide  que  Dieu  seul  est
supposé  combler.  Mais  on  peut  émettre  l'hypothèse  que  l'écriture,  selon  des
potentialités  bien  attestées  dans  le  champ  de  la  littérature,  actualise  pleinement
l'expérience  intérieure  d'un  absolu  et  tend  à  cristalliser  autour  d'elle  les  composantes
traditionnelles de la mystique – de la dissolution en Dieu à l'ascèse et aux affres de la
« sécheresse ». La sacralisation des pratiques littéraires caractéristique de notre époque
semble donc avoir pour corrélat une expérience littéraire du sacré. Rimbaud ne serait­il
pas le frère aîné de Thérèse de Lisieux ? Il fallait avoir fait par l'écriture une « expérience
des limites » pour en venir à écrire : « Je est un autre. » Combien de mystiques n'ont­
elles pas repris, avec la conviction de dire l'essentiel, le mot énigmatique de saint Paul :
« Si je vis, ce n'est plus moi, mais le Christ qui vit en moi » (Epître aux Galates, 2, 20) ?
Dans tous les cas, c'est bien le fait d'écrire qui engendre ce sentiment de dépossession de
soi et offre à qui ne peut s'en déprendre le mirage d'une nécessaire transcendance.
18 Ainsi l'hagiographie, d'abord destinée à enregistrer les traces d'une sainteté objective
et à les authentifier, se transforme­t­elle de plus en plus en une hagio­poïèse, l'écriture
intime  devenant  le  lieu  principal  de  l'épreuve  et  de  la  souffrance  qui  désignent  les
saints. Il est vrai que, depuis le Moyen Age, les directeurs de conscience des mystiques
ont  su  leur  imposer  des  devoirs  d'écriture  bien  à  même  de  conforter  leur  vocation.  La
nouveauté,  s'il  en  est  une,  tient  au  caractère  de  plus  en  plus  exclusif  de  cet  exercice
sanctifiant,  à  l'heure  où  s'estompe  la  violence  des  pratiques  ascétiques  destinées  à
préparer  le  colloque  mystique.  Cela  ne  veut  pas  dire  que  la  sainteté  se  cultive
aujourd'hui  dans  la  paix  et  la  joie  –  le  martyre  reste  de  très  loin  le  premier  motif  de
canonisation,  et  la  voix  populaire,  lorsqu'elle  désigne  un  saint,  choisit  presque
invariablement  un  grand  malade  ou  un  jeune  mort.  Ces  phénomènes  ont  leur  propre
logique et ne recoupent qu'en partie le domaine qui a été ici examiné. Parmi les « jeux
d'écriture » qui font les saints, j'entendais surtout mettre en valeur ceux qui trouvent
leur force dans l'acte d'écrire et dans ses effets sur la conscience. La littérature, comme
d'ailleurs les autres arts, ne s'érige pas sans raison en dernier refuge d'un sens du sacré
qui se replie sur l'art lui­même. Les forces qu'elle mobilise peuvent aussi bien se mettre
au service d'expériences plus conventionnelles d'un absolu. Le mirage est, sans doute,
dans tous les cas le même.

Bibliographie
Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, 1937. Paris, Beauchesne.
Elisabeth de la Trinité, 1980. J'ai trouvé Dieu. Œuvres complètes, Paris, Ed. du Cerf, 3 vol.
Filiola, 1975. Chemin de lumière, Paris, Téqui.
Jacques de Voragine, 1967. Légende dorée, trad. J.­B. M. Roze, Paris, Garnier Flammarion, 2
vol.
Josefa Menéndez (sœur), 1944. Un appel à l'amour. Le message du cœur de Jésus au monde.
Toulouse, Ed. de l'Apostolat de la prière.
Lejeune Ph., 1993. Le Moi des demoiselles. Enquête sur le journal de jeune fille, Paris, Ed. du
Seuil.
Marie  de  Loyola  (sœur),  1969.  Fille  de  l'Eglise.  Mère  Catherine­Aurélie,  fondatrice  de  la
Congrégation des religieuses adoratrices du Précieux­Sang, Imp. du Bien public, Trois­Rivières,
Canada.
Marie­Eustelle, 1843. Recueil des écrits, La Rochelle, chez F. Boutet, 2 vol.
Sainte  Thérèse  de  l'Enfant­Jésus,  s.  d.  Histoire  d'une  âme  écrite  par  elle­même,  Lisieux,
Office central de sainte Thérèse de l'Enfant­Jésus.
1973. J'entre dans la vie. Derniers entretiens, Paris, Ed. du Cerf­Desclée de Brouwer.
Villepelée J.­F., 1977. La  folie  de  la  croix.  Sainte  Gemma  Galgani.  vol.  1  :  L'ascension d'une
âme, Hauteville (Suisse), Ed. du Parvis.

Notes
1Nombre donné dans l'article « Saints » du Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique,
col. 228.
2Ces pratiques sont déjà signalées pour Marie­Madeleine de Pazzi (1566­1607). Au début du 륀�륀�e
siècle,  Josefa  Menéndez  remettait  au  propre  chaque  jour  les  notes  prises  par  ses  collègues  au
cours de ses extases.
3Le titre exact du manuscrit est : « Histoire printanière d'une petite fleur blanche écrite par elle­
même et dédiée à la révérende mère Agnès de Jésus. » Histoire d'une âme a été choisi pour titre
de  plusieurs  biographies  ou  autobiographies  à  la  même  époque,  par  exemple,  dès  1885,  par
l'abbé L. Laplace pour son livre sur Mathilde de Nédonchel.
4Cf. Philippe Lejeune (1993).
5Inhibée  par  l'humilité,  sainte  Gemma  Galgani  (1878­1903)  ne  parvenait  pas  à  écrire
l'autobiographie  commandée  par  son  confesseur.  Elle  eut  l'idée  de  l'intituler  «  Le  livre  de  mes
péchés » et put dès lors en entreprendre la rédaction (Villepelée, 1977 : 152).
6Nombreux  exemples  et  analyse  dans  J.  Le  Brun,  «  A  corps  perdu.  Les  biographies  spirituelles
féminines du 륀�嫀�룄�룄�e siècle », Le temps de la réflexion n° 7, 1986, Paris, Gallimard, pp. 389­408.
7C'est ainsi qu'est souvent désignée la méditation des mystiques sur la Passion.
8Voir article à son nom in Dictionnaire de spiritualité...
9Filiola, 1975 : 203. Il est à noter que l'extatique est âgée de 83 ans lorsqu'elle écrit ce texte, mais
toute son œuvre, comme le surnom qu'elle s'est choisi, dénotent une posture de jeune fille.

Pour citer cet article
Référence papier

Albert J.­P., 1995, « Hagio­graphies. L’écriture qui sanctifie », Terrain, n° 24, pp. 75­82.

Référence électronique
Jean­Pierre Albert, « Hagio­graphiques », Terrain [En ligne], 24 | mars 1995, mis en ligne le 07
juin 2007, consulté le 13 février 2017. URL : http://terrain.revues.org/3115 ; DOI :
10.4000/terrain.3115

Auteur
Jean­Pierre Albert
EHESS, Centre d'anthropologie. Toulouse

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