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S HE IK H -T Â DI L Î

LA VIE TRADITIONNELLE
C'EST LA SINCÉRITÉ
(AD-DÎNUN-NACÎHAH)

TRADUIT DE L’ARABE ET ANNOTÉ


PAR
ANTOINE BROUDIER

SUIVI D’UN POÈME SUR LA SHAHÂDAH


TRADUIT DE L'ARABE PAR
ABD-ER-RAHIM TÂDILÎ ET ROGER MARIDORT

2015
NOTE DE L'ÉDITEUR

La présente édition de "La Vie traditionnelle, c'est la sincérité " est une
reproduction de l'édition de 19711, elle-même reproduite d’après l’édition de
1960, sans aucune modification mise à part la numérotation des notes en bas
de page.

Janvier 2015

1
La Vie traditionnelle, c'est la sincérité, Villain Et Belhomme — Éditions Traditionnelles (9, 11, Quai
Saint-Michel), PARIS, 1971.
NOTICE BIOGRAPHIQUE

« L'humble adorateur de son Seigneur, le prisonnier de son défaut, celui qui


importune (al-mutataffil) la communauté d’Allah, celui qui loue l'Envoyé
d'Allah — sur lui les meilleures salutations d’Allâh ! — Mohammed ben Alî
et-Tâdilî, de Rabat par la naissance, de Sijilmâsah 2 par l’origine (açl), el-
Hasanî3 par le lignage ». C’est en ces termes que se présente, avec toute la
politesse de l'Orient, le Sheikh Tâdilî dans un de ses ouvrages sur le tawhîd,
ou Doctrine de l’Unité.

Né il y a quelque quatre-vingt-dix ans, Mohammed ben Alî et-Tâdilî étudia le


Qorân dans sa ville natale jusque vers l’âge de quinze ans, puis il partit à Fâs,
où il poursuivit à fond ses études à la célèbre Université Qarawîyîn,
apprenant tout ce qu’il était possible d’y apprendre : exégèse et sciences
qorâniques, science du hadith ou des « traditions » remontant au Prophète
Mohammed, sciences traditionnelles. Il est probable que, dès cette époque,
Mohammed Tâdilî acquit la réputation d'avoir un « rang élevé », aussi bien
dans l'ordre exotérique que dans l’ordre ésotérique. Ses études à la
Qarawîyîn terminées, on le retrouve, menant une vie errante d'ascète, les
cheveux longs, vêtu de la muraqqaah, le vêtement rapiécé des Cûfis, allant de
zâwiyah en zâwiyah. On dit qu’il fut rattaché alors à toutes les organisations
initiatiques existant au Maghrib. Mais son Sheikh devait être Hâjj Alî es-
Sûsî, qu’il mentionne dans l’un de ses ouvrages : « J’étais, en l’année 1315 ou
164 en voyage, errant sans cesse, sans compagnon. J’étais dans le désert,
lorsque j’arrivai en un endroit désolé où il n’y avait point de route ; il me vint
alors à l’esprit que je devais m’efforcer de trouver quelqu’un qui m’indique le
chemin. J'étais perplexe, quand soudain je vis mon Sheikh, le Connaissant
par Allâh, le grand Sîdî Alî es-Sûsî el-Jaafarî el-Ilghî, qui habitait près de Sîdî
Ahmed ben Mûsâ dans son pays du Sus el- Aqçâ5, se tenant debout devant
moi. Il dit : « prends cette route, et implore l’aide du Compagnon ». Lorsque
je songeai à lui adresser le salâm, je ne le vis plus ; il avait disparu. Il y avait,
entre lui et moi, des jours (de marché) de distance ».

2 Aujourd’hui disparue, fut longtemps capitale de la région du Tâfilâlet, aux


frontières du Sahara marocain, et un marché important pour les bestiaux, l'ivoire et
l'or.
3 C’est-à-dire descendant du Prophète Mohammad par l'intermédiaire de Seyidna-

l-Hasan.
4 1895 on 1896 de l’ère chrétienne.
5 Le Soûs est une région du sud de Marrâkech, autour de la ville de Târûdânt
Le Sheikh Tâdilî, savant universel, écrivit de nombreux ouvrages qui, sans
doute, portaient sur des sujets assez variés. On raconte que pendant une
retraite spirituelle, à Marrâkesh, il eut l’idée de publier ses œuvres. Cette
préoccupation l'ayant distrait, quand il sortit de sa retraite, il fit un tas de ses
livres et les brûla.

En dehors de deux textes que nous avons tenté de traduire, et des assez
nombreux manuscrits qui restent dispersés entre les mains de ses disciples,
il reste cependant de l’œuvre écrite du Sheikh plusieurs témoignages — tous
sur le taçawwuf — dont voici les titres : « Fath lawâqih el-jïnân wa-shamm
rayâhînel-irfân », « maqâlahfi-t-talwîn wa-t-tamkîn », « ma-qâlah fî
wahdatil-wujûd wa wahdati-sh-shuhûd », « alhi- kam», «dîwân al-qaçâi» d
el-wajdâniyyah en-nawrânîyah », « risâlah nikâyah el-muntaqid wa shifâ el-
mu’taqid ».

Mais son œuvre écrite n’est que l'un des aspects de son activité de Sheikh
qu’il exerça, Grand-Maître de l’Ordre des Derqawâ, à Fâs, puis en la petite
ville d’El Jadida, où il devait être frappé de paralysie. Il vécut, aveugle et
paralysé, pendant plus de quinze ans dans sa petite maison d'El Jadida qui
était devenue une zâwiyah pour ses très nombreux disciples et visiteurs. Sa
silhouette est celle d’un être qui a réalisé la doctrine de l’Unité « commune,
profonde et ultime », doctrine dont il écrivait que « sa science est la plus
élevée des sciences et la plus parfaite ; elle est le fondement de toutes les
sciences, elle les englobe, elle est leur source et leur fin puisque toutes les
sciences dérivent d’elle. Bien plus, toutes les sciences se séparent de leur
compagnon lorsqu’il quitte cette demeure d’ici-bas. Seule, la science de la
doctrine de l’Unité accompagne son compagnon dans la demeure de l’au-
delà».
AVANT–PROPOS

Le premier ouvrage dont nous allons donner la traduction traite de


l’ésotérisme islamique.

On traduit habituellement dîn par « religion ». Dîn présente en fait plusieurs


sens6 dont aucun ne correspond exactement à ce que l’on entend par «
religion ». Le dîn, dans son acception courante, comprend la Tradition
entière, incluant exotérisme et ésotérisme. En outre, dîn signifie la vie et
l’attitude traditionnelles elles-mêmes, et c’est là son sens dans le hadith
choisi par le Sheikh comme titre de son ouvrage.

Il n'est pas inutile, par ailleurs, de reproduire ici un hadith au sujet du dîn =
tradition, d’une part parce que ce sens apparaît dans le traité, d’autre part
parce que nous définirons du même coup l’Islâm, l’Imân et l’ihsân dont il va
être également question.

« D’après Umar — qu’Allâh soit satisfait de lui ! — qui dit : Tandis que nous
étions assis auprès de l’Envoyé d’Allâh — qu’Allâh le bénisse et le sauve ! —
un certain jour, voici que nous apparut un homme aux habits d'une vive
blancheur et aux cheveux d’une intense noirceur, sans trace visible sur lui de
voyage, que personne parmi nous ne connaissait. Dès qu’il se fut assis près
du Prophète—qu'Allâh le bénisse et le sauve ! — il appuya ses genoux contre
ceux du Prophète et posa les paumes de ses mains contre les cuisses de ce
dernier.

« — O Muhammed, lui dit-il, renseigne-moi sur l’Islâm.

« — L’Islâm, répondit l’Envoyé d’Allâh, qu’Allâh le bénisse et le sauve ! —


consiste en ce que tu témoignes qu’il n’y a pas d’autre dieu qu’Allâh et que
Muhammed est l’Envoyé d'Allâh ; que tu accomplisses la Prière rituelle, que
tu remettes la zakât7, que tu jeûnes pendant le mois de Ramadân et que tu te
rendes en pèlerinage à la Maison d’Allâh, s’il est en ton pouvoir de le faire.

« — Tu as dit vrai, dit l’inconnu.

6 Le terme est sémantiquement complexe, si bien qu’on a voulu en faire le résultat


de la coïncidence d’une racine persane et d’une racine sémitique. Certains de scs
sens rappellent ceux d'un autre vocable complexe, également fort utilisé dans la
littérature traditionnelle, celui de adab.
7 L’aumône rituelle.
« Nous étions étonnés de le voir interroger le Prophète et lui donner son
approbation.

« — Renseigne-moi, reprit le visiteur, sur la Foi (Imân).

« — Elle consiste, répondit le Prophète, à croire en Allâh, en Ses Anges, en


Ses Livres, en Ses Apôtres et au Jugement dernier ; à croire en le Destin, qu'il
apporte le Bien ou le Mal.

« — Tu as dit vrai, dit l'homme. Renseigne-moi, reprit-il, sur l'Ihsân (bien-


faire).

« — Il consiste à servir Allâh comme si tu Le voyais ; car si tu ne Le vois pas.


Lui te voit.

« ... Là-dessus l'inconnu s’en alla. Je demeurai un long temps [à réfléchir]


quand l’Envoyé dit :

« — O Umar, sais-tu qui est l’interrogateur ?

« — Allâh et Son Envoyé, répondis-je, sont plus savants.

« C'est Gabriel (Djibril) : il est venu vers nous pour nous enseigner votre dîn
»8 .

Quant à la naçîhah, « certains prétendent que la fourberie des Persans est


démontrée par l’absence, dans leur langue, d'un vocable qui englobe toutes
les acceptions du mot naçîhah. En disant naçîhah, on n'entend pas
seulement la droiture du cœur9, car il est rare qu'un homme de cœur ne
trouve pas l’occasion de te donner un conseil susceptible, selon l'opinion qu’il
a de toi, de t’être particulièrement profitable. Dans leur langue, il existe un
mot pour désigner la droiture du cœur, un autre pour le désir de faire du
bien, d’autres encore pour le bon conseil et l’exhortation à bien se conduire.
Naçîhah, chez eux, s’exprime par plusieurs mots qui, réunis, ont le même
sens qu’un seul vocable de la langue arabe. Il est donc injuste de taxer les
Persans de fourberie, sous prétexte qu’ils ne possèdent pas le correspondant
de naçîhah ».

8 An-Nawawî, les 40 hadilh, texte arabe édité avec traduction française par Henri
Pérès, Alger, 1950, p. 16.
9 Le grand dictionnaire arabe Lisân al-arab donne plus précisément la « pureté »

(al-khulûç) comme sens premier du nuçh, et donc de la naçîhah.


Nous sommes heureux de cette conclusion d’al-Jâhiz10, car nous ne le
possédons pas non plus en français, et c’est faute de mieux que nous avons
adopté « sincérité ».

La Tradition est souvent représentée dans l’ésotérisme islamique par un


cercle dont le centre symbolise la Vérité (haqîqah), la circonférence la Loi
exotérique (sharîy âh) et les rayons les multiples voies convergentes de
l’Initiation (tarîqah, pl. turuq.). Le plan de la Risâlah repose sur ce schéma.
Le Sheikh expose d’abord les manifestations de la naçîhah de l’initié en tant
qu’il fait partie de la communauté des Croyants, puis au cours de son voyagé
initiatique. Il est amené au cours de son exposé à définir certains termes, non
pour constituer un dictionnaire de la terminologie du taçawwuf, mais pour
montrer, en dégageant les haqâiq, le rôle de la naçîhah.

Le traité se termine avec le terme ultime de la Voie qui n’est abordé


qu'allusivement, car « aucun registre ni aucune poésie ne l’appréhende ».

Enfin le Sheikh ajoute à l’ouvrage un appendice dans lequel il examine


diverses applications qui rejoignent, car « les extrêmes se touchent », les
idées exprimées au début.

Le ton du traité est assez familier, nous dirions volontiers fraternel. La suite
des idées est toujours parfaitement logique.

Si elle apparaît autrement, la faute n'en est due qu’au traducteur.

(A. B.).

Le second des deux textes que nous présentons est un petit poème sur la
Shahâdah qu'on entend fréquemment dans les réunions rituelles. La
Shahâdah, formule fondamentale de l’Islam, est le témoignage par lequel le
croyant affirme sa foi. Son sens précis et littéral est : « Il n’y a de dieu
qu’Allâh ». Comme le dit très justement Adul-Hadî « La formule d‘Et-
Tawhîd » ou du monothéisme est de lieu commun, sharaïte. La portée que
vous donnez à cette formule est votre affaire personnelle, car elle relève de
votre soufisme. Toutes les déductions que vous pouvez faire de cette formule
sont plus ou moins bonnes, à condition toutefois qu’elles n’abolissent point
le sens littéral ; car alors vous détruieriez l’unité islamite, c’est-à-dire son
universalité, sa faculté de s’adapter et de convenir à toutes les mentalités,
circonstances et époques. Le formalisme est de rigueur : il n'est pas une

10 Tirée du Livre des Avares, trad. Charles Pellat, Paris, 1951, p. 282.
superstition, mais un langage universel. Comme l’universalité est le principe,
la raison d’être de l’Islam, et comme, d’un autre côté, le langage est le moyen
de communication entre les êtres doués de raison, il s’ensuit que les formules
exotériques sont aussi importantes dans l'organisme religieux que les artères
dans le corps animal » (La gnose, 1911, p. 125).

D’autres traductions de la Shahâdah ont été proposées : « Il n’y a pas de


divinité si ce n’est Dieu ». « Il n’y a pas de divinité si ce n’est la Divinité »,
mais elles ont l’inconvénient de mettre au féminin ce qui est masculin en
arabe. Le texte porte, en effet « ilâha » et non « ilâhata », «—Allah » et non
« Allât ».

On peut évidemment traduire « Allâh » par Dieu puisque le Qorân enseigne


qu’il n’y a que Lui qui puisse être adoré ou servi comme tel. Mais le Qorân ne
dit pas qu'Allâh soit seulement Dieu ; il y a même un verset significatif à cet
égard : « wa lillahi- mathalulà’la » : « ayez d’Allâh la conception la plus
élevée ». Rien n’empêche donc de voir dans l'auguste Nom le Symbole du
Principe métaphysique suprême (cf. au sujet de la distinction entre Brahma
et Ishwara dans la Tradition hindoue, R. Guénon : L’Homme et son devenir
selon le Vêdanta, 4e éd. page 25).

Il nous paraît préférable par conséquent de garder en simple transcription le


tétragramme arabe tel qu’il est.

Le sens ésotérique de la Shahâdah ne se pénètre qu’au fur et à mesure du


voyage initiatique et selon les qualifications présentées par l’initié, car,
comme le dit le Sheikh Tâdilî, « son’ secret très élevé et très éclatant ne
grandit pas sur tous les promontoires ».

Voici quelques hadith ou « traditions » sur la Shahâdah rapportées au


Prophète Mohammad — sur Lui le Salut et la Paix —

D’après Ibn Omar, l’Envoyé d’Allâh — sur Lui le Salut et la Paix — a dit : «
Ceux qui récitent : Lâ ilâha illâ Allâh, n’éprouvent pas de solitude au
moment de la mort, non plus qu’au jour de la Résurrection. Il me semble les
voir, à l’heure du Grand Cri, se relever en secouant leurs cheveux couverts de
poussière, tout en disant : Alhamdûlillahi ladhî âdhhaba annâ-l- huzna
(Louange à Allâh qui chasse loin de nous la tristesse) ».

D’après En-Nisabouri, qui le tient de son père et de ses ancêtres, l'Envoyé


d’Allâh — sur Lui le Salut et la Paix — a entendu de l’archange Jibraïl : «
Allâh a dit : la parole Lâ ilâha illâ Allâh constitue ma forteresse et quiconque
pénètre dans ma forteresse s’abrite contre mon châtiment ».
D’après Ibn Abbas, l’Envoyé d’Allâh — sur Lui le Salut et la Paix — a dit : «
Allâh ouvrira les portes du Paradis et un crieur placé au-dessous du Trône
dira : Paradis à qui es-tu avec tous les biens que tu renfermes ? — Alors le
Paradis, avec tout ce qu’il contient, répondra : — Nous sommes aux gens de
Lâ ilâha illâ Allâh. Nous avons la nostalgie de voir les gens de Lâ ilâha illâ
Allâh ; nous ne réclamons que les gens de Lâ ilâha illâ Allâh. Personne ne
pénétrera chez nous en dehors des gens de Lâ ilâha illâ Allâh ; nous sommes
interdits à ceux qui ne disent pas Lâ ilâha illâ Allâh, à ceux qui ne croient
pas à Lâ ilâha illâ Allâh.

« C’est alors que l’Enfer criera : — Ne viendront en moi que les gens qui nient
Lâ ilâha illâ Allâh ; je ne réclamerai que les gens qui ont démenti Lâ ilâha
illâ Allâh ; je suis interdit à ceux qui disent Lâ ilâha illâ Allâh ; je ne serai
rempli que de ceux qui se sont opposés à Lâ ilâha illâ Allâh et ma colère
n’éclatera que contre ceux qui ne croient pas à Lâ ilâha illâ Allâh. — C’est
alors que la Miséricorde et le Pardon d’Allâh diront à leur tour :

Nous appartenons à ceux qui disent: Lâ ilâha illâ Allâh ; nous donnons
l’ouverture à ceux qui récitent Lâ ilâha illâ Allâh ; nous n’avons d’amour que
pour ceux qui disent Lâ ilâha illâ Allâh. Aucune miséricorde, aucun pardon
ne seront refusés à ceux qui disent Lâ ilâha illâ Allâh, car ils n’ont été créés
que pour les gens de Lâ ilâha illâ Allâh ».

D’après Abou Saïd Al Khidri, l’Envoyé d’Allâh, — sur Lui le Salut et la Paix —
a dit : « Quand Seydna Moussâ — sur lui la Paix — parla à Son Seigneur, il lui
dit — O Mon Seigneur, fais-moi connaître une parole qui me serve de
récitation et d’invocation auprès de Toi. Allâh lui répondit : — O Moïse, dis,
Lâ ilâha illâ Allâh —. — Mais tous tes serviteurs le disent

répondit Moïse. — Dis : Lâ ilâha illâ Allâh. — Il n’y a pas de dieu si ce n’est
Toi — dit Moïse — mais je voudrais seulement quelque chose qui me soit
particulier.— O Moïse, si les 7 cieux et les 7 terres étaient placés dans le
plateau d’une balance et si, dans l’autre plateau on plaçait Lâ ilâha illâ Allâh,
certainement l’équilibre serait rompu en faveur de Lâ ilâha illâ Allâh — ».

« Le meilleur culte de la Communauté a dit l’Envoyé d’Allâh — sur Lui le


Salut et la Paix — est la récitation du Qorân et le meilleur dhikr est : Lâ ilâha
illâ Allâh. Celui qui le récite monte au sommet de la perfection et obtient la
Présence du Très Grand, du Très Haut ».

(R. M.).
LA VIE TRADITIONNELLE, C’EST LA
SINCÉRITÉ
(Ad-dînun-nacîhah)

L
OUANGEà Allâh qui conduit Ses amis et Ses élus aux sources de la
félicité et qui, par Sa bienveillance et Sa protection, les dons de Ses
faveurs et de Sa providence, les garde des dangers qui les
retiendraient loin de Lui. Il les réjouit par Sa compagnie, et les attriste par
Son absence. Telle est la faveur d'Allâh, Il la donne à qui Il veut d'entre Ses
serviteurs.

Voici un traité (risâlah) général sur ce que la Vérité (al- haqq) — qu’Elle soit
exaltée ! — nous à fait connaître, sans délai ni hésitation.

Je vous fais parvenir — par mon âme ! — sur l’insistance du Témoin qui
connaît les Essences, les Universaux et les Singuliers11, le chant de l’Esprit de
votre humble serviteur. Le titre que j’ai choisi pour le transmettre est un
enseignement du Véridique et Digne de Foi (le Prophète), alors qu’il était
parmi ses Compagnons, sur lui et sur eux les salutations d’Allâh ! Il répéta
trois fois :

« — La vie traditionnelle, c’est la sincérité (ad-dînun- naçîhah).

« — Envers qui, ô Envoyé d'Allâh ? lui demandèrent les Compagnons.

« — Envers Allâh, envers Son Envoyé, envers les Imâms et envers les
Croyants , qu’ils soient d’un rang élevé ou inférieur ».

Ainsi, pour le Législateur, la naçihah est l’attitude générale qui embrasse


l'ensemble de la vie traditionnelle. La nacîhah, dans la vie traditionnelle,
implique l’assimilation des bases les plus solides de la Tradition entière ;
c'est là le principe le plus élevé après l’Islam, l’Imân et l’Ihsân12.

Or, l’Islam et l’Imân comportent la réunion des caractères louables. Le plus


général est la qualité des relations et de la fraternité, sur laquelle s'accordent
les Çûfîs et qu’ils s'honorent de rechercher. Leur enseignement est le plus
parfait, car il est la Doctrine la plus profonde de l’Unité. Les principes de
toutes les sciences y trouvent leur origine et son sujet est l’Essence.

11 Ash-Shâhidul-mulimmu bil-mâhiyyât wal-kulliyât. wal-juziyyât.


12 Sur l'lslâm, l’Imân et l’Ihsân, voir le hadîth cité dans l'Introduction.
Parmi les qualités des Çûfîs — que vous êtes13 — figure donc la noblesse du
caractère qu’a enseignée par amour pour son peuple le Véridique, le Digne de
Foi — sur lui les bénédictions d'Allâh ! — en ces termes : « Ceux d’entre vous
qui me sont le plus cher et qui seront le plus près de moi auprès d’Allâh, le
Jour de la Résurrection, ce sont les meilleurs par le caractère14, ceux qui sont
constants dans la sollicitude pour leurs amis15, ceux qui fréquentent (leurs
frères) et qui sont fréquentés (par eux) ». D’après une autre tradition, il a dit
— sur lui les bénédictions d’Allâh et la paix ! — : « Le croyant est un ami
intime (alûf) que l’on voit souvent (malûf). Pas de bien chez celui qui ne
fréquente pas (ses frères) et n’est pas fréquenté (par eux) ! ».

L’amitié comporte l’aide donnée aux âmes en désarroi : le Prophète — sur lui
les bénédictions d'Allâh et la paix ! — a dit dans un autre hadîth : « Allâh
n’est pas mieux adoré que par l’aide que l’on apporte aux âmes ».

Cette aide implique les témoignages d’amitié et d’affection que l’on porte aux
êtres. On rapporte que le Prophète — Allâh le bénisse et lui donne la paix ! —
a dit : « Les actions les plus chères à Allâh sont les témoignages d'amitié et la
recherche des bons procédés à l’égard de tous, pieux (barr) et débauchés
(fâjir) ». C’est un trait (waçf) général, beau chez tous, et chez les Çûfis d'une
beauté et d’une valeur éminentes. De là vient l'union de leur Fraternité. Ils
disent en maxime : « Les relations entre deux frères d’entre les Çûfis ne sont
pas parfaites, tant que l’un ne dit pas à l’autre : ô moi-même ! ».

Les qualités de caractère du Çûfî font que, quand tu es irrité après lui, il te
répondra par l’équanimité ; et si tu agis mal envers lui, il te fera du bien,
suivant le hadîth : « Fais du bien à celui qui t’a fait du mal ».

Elles veulent aussi qu’il pardonne à celui qui lui a fait du tort, qu’il s’efforce
de renouer les relations d’amitié avec celui qui les a rompues et qu’il agrée les
demandes de celui qui a repoussé les siennes.

13Le nom de çûfî, ne désigne proprement que « ceux qui sont parvenus au but final
de l'Initiation ». Le Sheikh Tâdilî l'étend cependant, ici et dans la suite du traité,
aux simples mutaçawwifîn.
14On verra plus loin les qualités de caractère des Çûfîs.
15Muwatta al-aknâf ; litt. : celui dont les côtés sont foulés. D'après le lisân al-arab,
on désigne par cette expression imagée mais obscure l'homme de naturel facile,
doux, généreux et hospitalier. Il est de surcroît plein de tact.
Les qualités de caractère du Çûfî font encore qu’il ne verra (les gens) que
d’un œil content16.

L'amitié oblige à la sincérité (aç-çidq) dans les rapports des Frères et des
foqarâ, extérieurement et intérieurement. D’après une maxime, « Quand
vous êtes en compagnie des Çûfis, soyez le avec sincérité, car ce sont des
espions des cœurs. Ils entrent dans vos cœurs et en sortent d’une manière
que vous ne prévoyez pas ».

En effet, tu es le miroir de tes Frères : ils regardent dans ton miroir ce qui est
à l’intérieur. Allâh — qu’il soit exalté ! — a dit : « Leur marque est sur leurs
visages17 ». Et d’après un adage, « Nul ne dissimule une chose sans qu’elle
paraisse sur sa figure et dans les mots qui lui échappent (faltatu lisânihi) ».
Le Très-Haut a dit au sujet de ceux qui dissimulent : « Tu les as reconnus à
leur marque et tu les reconnaîtras certes aux singularités de leur langage 18 » ;
et au sujet de ceux qui ne dissimulent point: «Il y a certes en cela des signes
pour ceux qui observent !19 ». D’après un hadîth, « Celui qui cache une
pensée secrète (sarîrah), Allâh l'habille de son vêtement (ridâ) »20. Mais les
Çûfîs sont préservés de dissimuler car ils ont revêtu le manteau de la pureté,
et c’est pour cela qu’ils se nomment Çûfîs21.

L’amitié implique la modestie (dans les relations) entre les Frères, la


libération de tous les emportements du caractère (al-hudûd), la conviction
que l’on a moins de valeur que les Frères. « Le Çûfî est comme la terre : on
rejette sur elle le mauvais, il n’en ressort que le bon. Comme le nuage qui
couvre de son ombre soumis et rebelles. Comme la pluie abondante qui
arrose les terres, mauvaises et bonnes ».
L’une des conséquences de l’amitié est de faire semblant de ne pas
s'apercevoir des faux pas des Frères, de cacher leurs fautes, de prier pour
leur pardon, et de rechercher leurs excuses possibles, ainsi que le dit cette
maxime des Çûfîs :

16 Bi-aynil-qarîrah : litt. « par l’œil de la fraîcheur ». La « fraîcheur de l’œil »


indique en arabe la consolation, le bonheur, la réjouissance. La « chaleur de l’œil »
indique la peine.
17 Qorân, XLVIII, 23, Sîmâhum fî wujûhinim.
18 XLV1I, 30. Fa la araftahum bi-sîmâhum wa la turifannahum-fî lahnil- qawl.
19 XV, 75. Inna fî dhâlika lu âyâtin lil-mulawassimîn.
20 Il y a dans tout ce passage une allusion à une branche de la science appelée en

arabc ilm al-firâsah, sur laquelle on pourra consulter, outre les articles firâsa et
kiyâfa de l'Encyclopédie de l'islâm, le chapitre firâsah de la Risâlah Qushayriyah
de Qushayrî.
21 Le Sheikh, comme Guénon (Le Roi du Monde, Editions Traditionnelles, 1950, p.

89, note 1), met donc en rapport direct la pureté (aç-çafâ.) et le nom même des
Çûfîs.
« Recherche pour ton frère soixante-dix excuses, et si tu ne les trouves pas,
reviens vers ton âme avec suspicion et dislui : ce que tu vois en ton frère,
c’est ce qui est caché en toi ! » Ils veulent dire que si tu portes en toi du bien,
il apparaît en eux, et si du bien apparaît en eux, c’est celui qui est caché en
toi. Et dans les Sagesses (hikam) : « Ce qui est relégué dans le mystère des
pensées secrètes apparaît au grand jour à l’extérieur ».
L’amitié implique que l’on s’informe des soucis des foqarâ, que l’on travaille
à hâter l’accomplissement de leurs affaires dans la mesure du possible, que
l’on aille souvent les trouver chez eux pour les visiter et renouveler l’alliance
(ahd)22 avec eux. Celui qui rompt (les relations d’amitié) avec ses Frères plus
de trois jours alors qu’il est leur voisin, et qui ne les visite pas, les trahit. Un
faqîr avait l’habitude de fréquenter la demeure d'un de ses Frères entre le
coucher du soleil et la nuit tombée. On lui en fit la remarque et il répondit : «
C’est parce que les cœurs s’altèrent à la longue, comme l’eau immobile
s’altère à la longue, et je crains que mes dispositions (nafas) ne changent si
j’attends trop longtemps ».

L’amitié veut encore que le faqîr se montre vis à vis de ses Frères animé de
bonnes pensées et qu’il ne les espionne pas :

La noblesse de caractère (makârim al-akhlâq), c’est le taçawwuf tout entier.

Elle suppose le renoncement à l’amour de commander parmi les foqarâ, le


renoncement à l’amour de l’ostentation le renoncement à l’amour des
honneurs (al-jâh). Le faqîr ne devra pas se vanter de dépasser les foqarâ par
sa science (ilm), par sa connaissance (marifah) ou par ses états (ahwal),
mais il pensera d’abord à son propre retard à se dégager des passions de son
âme et à précéder (ses Frères) dans la recherche de tout ce qui peut les
contenter. S’il commet une faute ou manque à ses devoirs, qu’il se hâte de
demander le pardon ainsi : « Gloire à Toi, Allâhumma, et par Ta louange ! Je
témoigne qu’il n’y a pas de divinité si ce n’est Toi. J’implore Ton pardon et je
reviens à Toi. J’ai fait du mal et je me suis opprimé moi-même. Pardonne-
moi donc, nul ne pardonne les péchés sauf Toi, ô Toi qui pardonne (ghafûr) !
».

22
La racine ‘ahida veut d'abord dire prescrire, ordonner, puis contracter une
alliance, un pacte. De là elle prend entre autres les sens de fidélité, de constance
dans l’amitié, de rapport d’amitiés (uhd, muâhadah). D’une manière générale,
alliance et amitié sont étroitement liés dans la civilisation Islamique et, avant,
arabe.
La naçihah dans la vie traditionnelle et les bases les plus solides de la
Tradition veulent, et c’est le degré (maqâm) de l’Ihsân23, que le faqîr veille
sur ses souffles et sur son temps, car chaque souffle lui demande d’acquitter
intégralement son dû et chaque instant de l’utiliser pour l’incantation
(dhikr)24, le discernement ininterrompu de la Présence divine (murâqabah)
ou la contemplation (mushâhadah) auxquels le faqîr est tenu. Le temps est
une épée, si on ne le coupe par la Vérité (al-haqq), il coupe par le faux (al-
bâtil) ! Tous les temps sont mis en gage pour leur raison d’être.

Car les temps sont au nombre de trois25 : « Le passé, et c'est ce que tu as vécu
; le présent, et c’est ce que tu occupes par ce qu’il te réclame ; et l’avenir : il
t’est caché, ne t’en occupe donc pas ! ». Celui qui s’absorbe dans le passé et
l’avenir perd le temps dont on lui demandera compte, le présent, qui ne se
remplace pas. Si tu veux accomplir plus tard ce qui a péri pour toi alors, le
moment que tu auras choisi pour t’acquitter te querellera et te dira : « Moi, je
n’ai pas été créé pour rien. Vois un autre moment de loisir. Si tu le trouves,
accomplis ce que tu dois ! Mais tu ne le trouveras pas». On dit pour cela : «Le
temps, c’est ce que tu vis dans le présent. Il n’est ni passé, ni à venir ».

L’emploi du temps du faqîr sera soit le dhikr, soit le remerciement (shukr),


soit la méditation (tafakkur) ; et ce qui permettra au faqîr de préserver ses
instants est le rejet de la fréquentation des profanes (ahdâth), car leur
fréquentation est un poison mortel.

Allah—qu’Il soit béni et exalté — a appelé notre attention sur les Frères qui
réalisent la préservation de leurs instants en disant dans son Livre Puissant :
« Des hommes tiennent ce qu’ils ont promis à Allâh » 26. Et Il a dit quant à
ceux qui, pour leur malheur, gaspillent leur temps : « ô vous qui croyez !
Pourquoi dites vous ce que vous ne faites pas ? »27, et : « Quiconque viole (le
serment), le viole à son détriment »28.

Et pour nous pousser à être fidèles aux promesses que nous lui avons faites
de préserver nos instants, le Très-Haut a dit : « O vous qui croyez, soyez
fidèles aux promesses ! »29 et « Soyez fidèles au Pacte ! »30.

23 Voir sur l’Ihsân le hadith cité dans l’Introduction.


24 Voir sur le dhikr R. Guénon, Aperçus sur l'Initiation, chapitre sur La prière et
l’incantation.
25 Voir R. Guénon, La Grande Triade, ch. sur le triple temps.
26
XXXIII, 23 : Rijâlun çadaqû mâ âhadu Llâha alayhi.
27 LXI, 2 : Yâ ayyuhal-ladhina amamu lima taqâlûna ma lâ lafalûn.
28 XLVIII, 10 : Fa man nakatha fa-innamâ yankulhu alâ nafsihi.
29 V, 1 Yâ ayyuhal-ladhina âmamû awfû bil-uhûd. L'éditlon oflicielle du Caire

porte : bil-uqûd, ce qui ne change d’ailleurs pas le sens.


Il a enfin dit sur la préservation des instants par le dhikr et sur la fidélité aux
engagements : « O vous qui croyez, craignez Allah comme Il doit l’être ! » 31 ;
c’est-à-dire : ayez une barrière qui vous empêche de perdre votre temps par
négligence (ghaflah) ou par des futilités.

Les Çûfîs disent pour cela : « Quand le faqîr meurt, il ne regrette rien de ce
qui est perdu pour lui ici-bas, si ce n'est un souffle qui est perdu pour lui
dans autre chose que le dhikr d’Allâh ».

Quand l’homme s’applique continuellement à occuper ses instants par le


dhikr d’Allâh, quand il préserve ses souffles par son discernement
ininterrompu de la Présence divine (murâqabah) en Allâh, pour Allâh, par
Allâh et avec Allâh, il est compté parmi les être spirituels (ar-rawhâniyyûn)
qu’aucun voile ne sépare plus de ce qui est caché dans le monde invisible :
car son incantation (dhâkirah) est une force spirituelle (quwwatun
rawhâniyyah) revêtue d'une forme lumineuse (lahâ çûratun nawrâniyyah)
; elle évolue dans le monde invisible, et ses secrets (maânî) lui sont dévoilés
tôt ou tard.

La suite des modalités du dhikr est longue et la langue ne peut la dénombrer.


Quand l’initié parvient au stade (marta- bah) dont nous parlions, tous ses
souffles, tous ses états, tous ses mouvements (harakâl), tous ses repos
(sakanât) deviennent dhikr. Celui qui a reçu le dhikr, a reçu l’Investiture
initiatique ! (manshûrul wilâyah)32.

Mais la suite des modalités du dhikr est longue. Il y a le dhikr par la langue,
le dhikr par le cœur, le dhikr par l’esprit (rûh), le dhikr par tous les éléments
qui sont en composition (al-jawâhirul-murakkabah) dans l’être. Il y a le
dhikr de la contemplation, de la conversation (mukâlamah), de l'entretien
(muhâdathah), de la conversation confidentielle (munâghâh).

Le dhikr de l’Essence (mâhiyyah) est le plus universel. Il appartient à celui


dont la forme corporelle (juthmâniyyah) baigne dans la lumière des réalités
spirituelles du dhikr. Quand il dit : « Allâh », l'Existence (al-wujûd) entière
dit ; « Allâh » puisque « Les croyants sont comme un corps unique ». Tous
les mouvements, tous les repos, la croyance juste et le regard vers la Création
par l'œil de la Miséricorde prennent part au dhikr.

30 XVII, 34, Wa awfû bil-ahd.


31 III. 102 Yâ ayyuhal-ladhîna âmanu-ilaqu Llâha haqqa luqâtihi.
32
Il sera question plus loin de la wilâyah.
La parole du Très-Haut : « Souvenez-vous de moi, Je me souviendrai de vous
»33 embrasse ce que nous avons dit d’une manière générale. Il y a (aussi) là
des modalités du dhikr des Gens de la Perfection, les Solitaires 34, dont nous
nous sommes abstenu de parler ici de crainte de troubler des foqarâ.

Le dhikr des négligents est faute pour les pieux (abrâr), le dhikr des pieux
est faute pour les Rapprochés (muqarra- bûn), le dhikr des Rapprochés n’est
pas déterminable dans le temps : sa réalité essentielle touche aux Côtés et
elle est entourée par les Extrémités 35.

Ainsi la négligence à chacun des degrés de ceux qui pratiquent l'incantation


est comptée parmi les péchés ; et le péché est un voile, que lève la demande
de pardon (istighfâr) sous ses différentes formes.

Les péchés sont divers : les uns sont graves et nécessitent le repentir
immédiat36. Les autres sont légers et le repentir est pour eux d’ordre général
: il se fera par exemple par l’accomplissement de l’ablution (rituelle) et par
les aumônes.

Que celui qui se rend coupable d’un acte défendu se repente ; et s’il réitère,
qu'il renouvelle son repentir sans se lasser, car Allâh — gloire à Lui ! —
l’agréera en toutes circonstances. Si l'on objecte : « Le coupable réitérera, et
il y a doute sur l’agrément de son repentir », je répondrai par le hadîth : «
Mon intercession en faveur des grands pécheurs de ma communauté fait
partie de la sharîyah ». Et le Très- Haut, dans la Sage Incantation (le Qorân),
a dit à Son Prophète — sur lui les bénédictions d'Allâh et la paix ! — de
transmettre à sa communauté ces paroles divines : « Dis : ô mes serviteurs
qui avez agi iniquement envers vous-mêmes ! Ne désespérez pas de la
Miséricorde d’Allâh. Allâh pardonne tous les péchés. Il est Celui qui

33 II, 152. Fadhkurûni adhkurkum.


34 Ahl al-Kamâl al-Mufrîdûn. Le terme de al-Insân al-Kâmil, qui désigne le même
état que celui de Ahl al-Kamâl, est déjà connu des lecteurs des E.T. Comme le Yogi
dans la Tradition hindoue, al-Insân al-Kâmil est désigné comme le « Solitaire », «
non au sens vulgaire et littéral du mot, mais comme celui qui réalise dans la
plénitude de son être la Solitude parfaite, qui ne laisse subsister en l’Unité Suprême
(nous devrions plutôt, en toute rigueur, dire la « Non-Dualité ») aucune distinction
de l’extérieur et de l’intérieur, ni aucune diversité extra-principielle quelconque.
Pour lui, l’illusion de la « séparativité » a définitivement cessé » (R. Guénon,
L'Homme et son devenir selon le Védânta, les Éditions Traditionnelles, 1947, pp.
180,181).
35 Nous traduisons littéralement l’expression arabe muttaçilatul-aknâf wa

muhavwalatun bil-atrâf. En d’autres termes, il s'agit pour l'incantation d’un


rayonnement « intégral dans les deux sens de l' « ampleur » et de l’« exaltation »
(Aperçus sur l’Initiation, E. T., 1946, p. 173).
36 Pour que le pécheur ne prenne pas l’habitude de la chose interdite.
pardonne, le. Miséricordieux »37. Le caractère universel du noble hadith et
du verset refuse toute restriction et informe de l’agrément par Allâh du
repentir des pécheurs et des criminels.

L’initié (mansûb) qui fait le dhikr et que le dhikr pare du manteau de cette
idée, ses yeux sont sereins. S’il regarde les créatures de l’œil de la shariyah, il
les excuse ; et s’il les regarde de l’œil de la haqiqah, il les remercie. Car les
créatures, ce sont les grands voiles qui nous séparent du Créateur, et l’accès
auprès d’Allâh passe par elles. C’est ce qui a fait dire à Abul-Abbâs al-Marsî38
: « Si la Lumière du croyant désobéissant était dévoilée, elle éclairerait ce qui
est entre le Ciel et la Terre. Que dire alors de celle du croyant soumis ! »

Chaque individu d’entre les créatures a deux aspects (jihah) : l'un supérieur,
l’autre inférieur. L’aspect supérieur est l’origine (al-Açl), l’aspect inférieur est
accidentel (âridah). Le Très-Haut a dit : « Nous avons créé l'Homme de la
plus belle façon, puis nous l’avons précipité au plus bas degré »39 à cause des
négligences et des défauts qui s’opposent à lui (âradahu) ; ces caractères
sont des souillures que le repentir purifie, et l’homme revient à son origine.
On a dit pour cela :

«Si tu remontes à l’essence d'un mauvais, tu trouveras en lui,


[luttant d’excellence, les signes cachés du Bien.
La beauté du mauvais complète son défaut. Tu ne verras plus
[chez lui de défaut ni de laideur ».

et le majdhûb dira pour cela : « Les créatures sont toutes lumineuses, et moi,
je vois en elles. Elles sont les grands voiles et l'accès (auprès d’Allâh) est en
elles »40.

Cette vision (mashhad) de la création s’empare des Gens de la


Contemplation et l’un d’eux a dit : « Je ne vois rien sans y voir Allâh »

37
XXXIX, 53 Qul yâ ibâdiyal-ladhîna asrafû alâ anfusihimiâ taqnatû min rahmati
Llâhi inna Lâha yaghfirudh-dhunûba jamîan innahu huwal y-hafûrur - rahim.
38 Ce très grand Sheikh, mort en 686 de l'hégire, fut le disciple et le successeur

immédiat du Sh. Abul-Hasan Shâdhilî. Comme lui, il n’a pas laissé d’œuvre écrite.
La principale source d’information sur ces deux Sheikhs est le Latâif al-Minun de
Ibn Ata Allâh al Iskandarî. Cf. Encyclopédie de l'Islam, articles Shâdili et Shâdiliya.
39 XCV, 4, 5 Laqad khalaqnal-Insâna fî ahsani taqivîm thumma radad- nâhu

asfala sâfilîn.
40 Sur le majdhûb, plur. majâdhîb, voir Guénon. Initiation et Réalisation

Spirituelle, p. 179 et suiv. La phrase est dans le texte en arabe dialectal marocain.
Seyidnâ Alî — Allah l’agrée !41 —a dit : « Me demanderait-on de voir autre
chose que Lui, je ne le pourrais pas ».

Celui qui est parvenu à cette vision s’est éteint (fana) en Allâh et en est arrivé
à ne plus voir en toutes choses qu'Allâh, c’est-à-dire qu’il voit en tout Ses
manifestations et Ses signes (Ayah). Seyidnâ Mohammed — sur lui les
bénédictions d’Allâh et la paix ! — citait à ce propos cette phrase : « Il y a en
toute chose un signe montrant qu’il est l’Unique. »

La conséquence du dhikr entier est donc inséparable de l’extrême et parfaite


fraternité entre les initiés, et celui qui fait l’incantation parvient ainsi au
degré (maqâm) de la Futuwwah42, puisqu’il s’occupe toujours d’autrui. C’est
là le dhikr des états transitoires (al-ahwâl). Car le dhikr se colore suivant les
présences divines que lui apporte la manifestation et à cause de l’extrême
fraternité dans les manifestations Çûfîes. Ils disent :

« Ton véritable frère est celui qui est avec toi.


Celui qui se nuit pour t’être utile.
Celui qui, lorsque t'éprouvent les vicissitudes du
temps,
Se disperse pour te rassembler ».

Mon âme a conçu à son tour des vers sur ce thème, et j'ai dit :

Qu’y a-t-il au monde de plus doux qu'un ami qui égaie le cœur ?
[Si j’ai glissé, je ne crains pas son blâme ; et si [j’ai trébuché, il s'efforce de
me relever. Les joies ne sont ni dans la nourriture, ni dans la boisson, ni
[dans les tapis, ni dans les vêtements, Ni dans les richesses 43, même si leur
parure nous frappe
[d’étonnement.
Mais un ami inspire le respect et la bienveillance qui naît de
[la générosité,
Pour un ami on a un visage plaisant et souriant ; il donne un
[bonheur44 sans péché
Un cœur paré de générosité. Il élève le caractère des meilleurs. Et si j’ai un
penchant pour le Vin pur, je ne suis pourtant pas

41
Gendre du Prophète et quatrième Khalife de l’Islâm. La chaîne initiatique
(silsilah) de la plupart des turuq remonte à lui.
42 « La Futuwwah désigne en général la générosité et la noblesse, et dans la

terminologie des Çûfîs, la futuwwah est que tu préfères les créatures à toi-même,
ici-bas et dans l'au-delà » (Juriânî, Tarifât).
43 An-nâimât : ce qui est délicieux, ce qui est abondant et doux. Ce peut- être les

richesses, mais ce peut-être ici une allusion aux femmes.


44 Litt. : une poitrine vaste, dilatée.
[dégrisé de ses qualités45. L'homme noble est irremplaçable ! L’homme noble
marche
[vers le succès !

Et on a dit dans cet ordre d’idées : « L'homme généreux quand tu le traites


avec générosité, tu le conquiers ».
Or, les liens de fraternité avec ceux qui pratiquent le dhikr amènent
nécessairement les bonnes pensées envers les pires, et les liens de fraternité
avec les négligents amènent nécessairement les mauvaises pensées envers les
meilleurs.

Le Très-Haut a dit : « O vous qui croyez, soyez patients » dans la recherche


constante et difficile (mukâbadah)46 des bonnes pensées envers les
serviteurs d’Allah. « Luttez de patience » en agissant continuellement dans le
degré de la Futuwwah en vue d’Allâh ; et « Craignez Allah»47, c’est- à-dire
ayez une barrière qui vous préserve de ce qui vous empêche d’agir en vue
d’Allâh.

Ayez connaissance, mes frères, d’une science en laquelle est votre salut et le
nôtre : ne divisez pas l’ensemble des groupes (tawâif) des initiés (mansûb),
même si eux-mêmes le faisaient ! Car la division est un égarement qui
entraîne inévitablement les innovations hétérodoxes (al-bida), qui disperse
les cœurs et qui détruit les résultats de l'amour (mahabbah). Le Très-Haut a
dit : « Convient-il à l’homme à qui Allâh a donné le Livre, la Sagesse et la
fonction de Prophète qu’il dise aux hommes : « soyez mes serviteurs, non
ceux d’Allâh » ? Non ! Mais « soyez des Docteurs de là Loi divine
(rabbâniyyîn), par votre enseignement du Livre et par votre étude ! »48.
Ainsi le verset refuse et écarte l’appui des créatures sur autre qu’Allâh ; il
évoque l’Instruction (tarbiyah) tirée des Prophètes — sur eux la paix ! —,
puis des walî49, puis des plus parfaits (amthal) ; ces derniers instruisent en

45
Le vin pur signifiant la connaissance initiatique la plus élevée, le vers signifie :
mon amour pour Allâh ne me fait pas dédaigner les qualités de l’ami.
46 Le terme de mukâbadah reviendra souvent dans la suite du traité. Plus fort que

la « patience » ou la persévérance (çabr), il indique un effort constant accompli


malgré la fatigue, la peine, les difficultés. Il comporte une idée de résignation et de
souffrance.
47 III, 200 Yâ ayyuhal-ladhina âmanu çbirû wa çâbirû wa-ttaqu Llâha.
48 III, 79 Mâ kâna li basharin an yutiyahu Llâhul-kitâba wal-hukma wan-

nubuwwaia thumma yaqûla lin-nâsi kûnû ibâdan li min dûni Llâhi wa lâkin kûnû
rabbâniyyina bimû kuntum tuallimûna l-kitâba wa bimâ kuntum tadrusûn.
49 La racine w l y exprime essentiellement les idées de proximité, d'intimité et aussi

de protection et d’administration. Le walî est donc l’Intime d'Allâh ». Ce terme de


walî sera d'ailleurs défini, ainsi que la wilâyah, qui est l'état correspondant, dans la
enseignant (bi-talîm) ce que nous apporte la Parole d’Allâh, dont l’étude
comporte, pour l’instruction, des branches telles que la bonne éducation
(adab), la science, la générosité, le courage, la longanimité, la réserve qui fait
s’arrêter aux bornes imposées par Allâh, l’observation du caractère sacré des
commandements divins qu’apporte la sharîah.

Telle est l’instruction générale impliquée dans la Parole du Très-Haut : «


Non, soyez les Docteurs de la Loi divine par votre enseignement du Livre et
par votre étude ».

L’ensemble de toutes les turuq des initiés indique donc avec zèle (le chemin
qui conduit à) Allâh et notre croyance en les initiés est absolue, sans aucune
restriction : car le Sheikh de l’initié est son père, les Sheikhs de son temps
sont ses oncles, et tous leurs autres foqarâ sont ses frères. Il traitera donc
son père comme celui-ci le mérite, ses oncles comme ils le méritent et ses
frères comme ils le méritent. Cette description (de la nature de leurs
relations) ressort avec évidence du Livre d'Allah et de la Sunnah de son
Prophète : le Très Haut a dit :

« Nous fortifierons ton bras par ton frère »50, et « Allâh aime ceux qui
combattent dans Son sentier en rangs serrés comme s’ils étaient un édifice
solide »51. Et le Prophète — sur lui les bénédictions et la paix ! — a dit : «
Deux croyants sont comme un édifice solide : l’un consolide l'autre », et : «
Les croyants sont comme un seul corps : si un membre de son organisme
s’affaiblit, tout son organisme s’affaiblit »

Le Très-Haut a encore dit : « Les croyants ne sont que des frères. Etablissez
donc la concorde entre vos frères ! »52. « Etablissez la concorde », c’est-â-dire
ayez des mœurs nobles telles que la longanimité, la générosité, la modestie,
la sollicitude, l’affection et l’amitié, car tout cela consolide la Fraternité et en
raffermit les fondements.

En un mot, la Voie des Çûfîs est Voie d’Union (jam) ; leurs souffles et leurs
mœurs sont l’amitié dans l’Union (al- ulfah-fil~jam). Car l’Union est le
principe de l’existence et le principe de ce qui se différencie dans tous les
mondes (ma tafarraqa fil-awâlim kullihâ). Les Çûfîs la recherchent, car elle

suite du traité. Voir aussi R. Guénon : Initiation et Réalisation spirituelle, chap. sur
Réalisation ascendante et descendante.
50 XXVIII, 35 Sa-nashuddu adudaka bi-akhika.
51 LXI, 4 Inna Llâha yuhibbul - ladhîna yuqâtllûna fî sabîlihi ka anna- hum
bunyânun marçûç.
52 XLIX, 10, Innamal - mûminûna ikhwatun fa-açlihû bayna akhaway- kum.
provoque l’ensemble des degrés (maqâmât) de la Voie, ses manifestations
(mazâhir) et ses états transitoires. Le Très-Haut a dit :

« Ne vous divisez point, car vous faibliriez et le succès vous échapperait :


soyez patients » dans (les difficultés) que vous devez endurer dans la vie
traditionnelle (dîn). « Luttez de patience », à toute inspiration (wârid) pour
vous rendre maître des ouvertures (futûhât) et des connaissances (maârif)
qui surviennent à l’improviste, et pour les dominer — « Qu’il n’agite point sa
langue en se pressant ! » — « Soyez fermes »53, de cœur et d’esprit, devant
toute Vision fulgurante venant du monde du Malakû54 et devant toute
Contemplation se levant du monde du Jabarût55. Celui que cherche l’initié
est devant lui !

Sachez, mes frères, que tout ce qui arrive à l'être est juste (haqq). L’Envoyé
d’Allâh — sur lui les bénédictions et la paix ! — disait : « Il y a grand bien
dans la patience (çabr) à l’égard de ce qui vous répugne ». Or, quand le dhikr
pèse à l’âme (nafs) c’est l’indice qu’une hypocrisie se dissimule dans la nafs
et s’y cache ; et dans la lutte contre la pesanteur (qui attire la nafs) vers ce
quelle veut, (la patience) est (à la fois) la mort de la nafs et le combat contre
elle56. En un mot, la patience est un bien dans toutes les situations

53 VIII, 46 et III, 200, Wa lâ tafarraqû fa - tajshalû iva tadhaba rîhukum wa -


çbirû wa çâbirû wa râbitû.
54 Le monde du malakût comprend les mondes de la manifestation informelle (al-

arwâh) et de la manifestation subtile (an-nufûs).


55 Le monde du jabarût : « chez Abu Tâlib al-Makkî, le monde de l'Im- mensité. Il

entend par là le monde des Noms et des Attributs divins » (Jor- Jâlnâ, Tarifât).
56 La nafs est donc considérée comme étant l'ensemble des tendances de l'être

contraires à la réalisation spirituelle. C'est ainsi que d'après Qushayrî (Risâlah


Qushayriyah, nafs), les Çûfîs « entendent par nafs les traits défectueux (malûlah)
de la créature, ses caractères et ses actes blâmables. Or, ces traits défectueux sont
de deux sortes : les uns sont acquis, comme ses désobéissances et ses luttes (qui
s’opposent a la Norme) ; les autres sont ses caractères Innés (de nature Inférieure).
Ceux-ci sont blâmables en eux- mêmes... (ainsi) l'orgueil, la colère, la haine, l’envie,
le mauvais caractère, le peu de tolérance, etc... La plus forte et la plus difficile (à
maîtriser) des tendances (ahkâm) de la nafs est (sa propension) à croire qu’il y a en
elle quelque chose de bon on qu'elle est signe de considération : et c'est pourquoi
cela est considéré comme un shirk (c’est-à-dire le fait d’associer quelque chose au
Principe suprême) caché... Au contraire, l’esprit (rûh)... est le siège des caractères
louables ». Le rûh est mis plus loin par Qushayrî en rapport avec les anges, et l'âme
avec les Shayâtîn.

La « lutte contre la nafs » n’est donc pas autre chose que la « Grande Guerre Sainte
» dont Guénon a souvent parlé (voir notamment Sayful-Islâm dans le recueil des
Cahiers du Sud sur L'Islam et l'Occident, et Le Symbolisme de la Croix, chap. sur
(mawâtin), sauf loin d’Allâh ; là, ce n’est pas un bien. Toutes les modalités
(durûb) de l'amour (mahabbah) s’opposent à la patience loin d’Allâh !

Sachez (encore), mes frères, que quand le faqîr qui fait le dhikr n’a pas en lui
de volonté (irâdah), le nom de Çûfî est une métaphore en ce qui le
concerne57 et son dhikr est dangereux. Nous n’entendons pas (ici) par «
volonté » celle qui est un attribut d’Allâh et un attribut éternel (qadim) qui
détermine le possible par certains des caractères qui peuvent l’affecter,
comme la longueur, la petitesse (qiçar), la blancheur, la noirceur, la débilité
ou l'embonpoint (siman) ; mais par « la volonté du faqîr », nous entendons
une ardente aspiration qui provoque toute illumination58 ; elle est appelée «
la pleureuse » (nâihah) et c’est à elle qu’il est fait allusion dans cette parole
de l’Envoyé d'Allah — sur lui les bénédictions et la paix ! — : « Quand il n’y a
pas de pleureuse dans le cœur, il est en ruine comme est en ruine la maison
lorsque nul ne l’habite ». Le possesseur de la volonté d’entre ceux qui font le
dhikr parcourt en un mois plus de chemin dans la Voie que n’en parcourt en
de nombreuses années celui qui l'a perdue. Le Prophète — sur lui les
bénédictions et la paix — l’a louée en ces termes : « Allâh aime assurément
tous les cœurs attristés » ; et certain Sheikh, quand il voulait faire ses adieux
à un faqîr partant en voyage, lui disait : « Quand tu verras un homme triste,
donne lui le salâm de ma part ».

Le faqîr qui possède la volonté, celui-là est entouré des surprises de l'amour
(bawâdihul-mahabbah) ; car la nature profonde de l’amour est (d’être) un
feu qui dévore les autres (que l’Aimé) et qui fait disparaître les limites (al-
âthâr). Le compagnon de l’amour pleure du désir ardent de rencontrer les
frères ; et la crainte de les quitter le fait encore pleurer : des deux manières il
ne trouve point de repos. C’est à l’amour (mahabbah) que fait allusion le
grand Sheikh al- Hâtimî59 en disant dans deux de ses vers :

La Guerre et la Paix). Il faut encore remarquer que par « la mort de la nafs », Il


faut entendre l’Intégration des éléments psychiques à leur place normale et leur
transformation, non leur destruction proprement dite.
57 Le nom de Çûfî ne convient d’ailleurs en toute rigueur qu’à ceux qui ont atteint le

but de la Voie Initiatique (voir note 13).


58 La formule est très concise et rimée, et ceci va souvent de pair avec cela. Qushayrî

donne un exposé assez complet des différents sens de « l’irâ- dah du faqîr ». La
meilleure illustration de ce dont il s’agit ici est la Qaçî dah sur la Shahâdah parue
dans le N° de décembre 1952.

59
Muhyiddîn ibn Arabi al-Hâtimî et Taî al-Andalusî, le Sheikh al- Akbar, né à
Murcie en 500 de l'hégire = 1165 de J.-C., mort & Damas en 638 h. = 1240 J. C.,
n'est pas à présenter à nos lecteurs (voir notamment R. Guénon, l' Esotérisme de
« Qu’y a-t-il au monde de plus malheureux qu'un ami, même s’il trouvait
doux le goût de la passion ?
Car certes, il pleure de désir ardent pour eux ; et s’il est près (d’eux), il
pleure de crainte de la séparation.

Cet amour-là est essentiel (dhâtiyah). Car il y a deux sortes d’amour : l’un est
essentiel, l’autre est apparent (çifâtiyah).

Plus précisément, l’amour apparent subsiste parfois du fait de l’altruisme60


et des présents qui l'accompagnent, et cesse avec leur absence. Le Très-Haut
a dit au sujet des gens de l’amour apparent : « Parmi eux, il en est qui
adorent Allâh incertains. Qu’il leur arrive un bien » d’entre les choses qu'ils
demandent et dont ils s’occupent constamment, « ils en jouissent
tranquillement » ; cela veut dire que leur nafs jouit tranquillement des
présents et (des biens) reçus en échange (de leur adoration) ; elle en est
heureuse et reconnaît à Allàh la Souveraineté (rubûbiyah) dans ce cas.

« Et que leur arrive une épreuve » dans le deuxième cas, et c’est le refus et
l’absence de présents, « ils se détournent derechef et perdent ce monde et
l’autre »61. Cela veut dire que leur pensée est mauvaise, qu’ils dénient la
Souveraineté (à Allâh) dans le cas du refus, qu’ils se coupent de tout amour
et en retirent la perte de ce monde et de l’autre. En réalité, c’est là une
habitude qui n’est pas de l’amour, mais seulement une passion psychique
dont la nafs revêt les manifestations pour parvenir aux objets de ses désirs :
on verra deux hommes s’aimer réciproquement tant que dureront de part et
d’autre les présents et les louanges ; mais si l’un d’eux cesse les présents, les

Dante chap. V et les nombreuses traductions qui ont paru ici-même). Il vient de
paraître chez Flammarion un ouvrage important de M. H. Corbin sur
L'Imagination Créatrice dans le Soufisme d’Ibn Arabî qui apporte une foule de
renseignements sur le Sheikh al-Akbar, bien que certaines des thèses qui y sont
défendues soient à notre avis contestables, et malgré la terminologie spéciale de M.
Corbin qui rend la lecture assez pénible. Il est vrai qu’un style difficile était
probablement nécessaire à la bonne diffusion de l’ouvrage dans les milieux
universitaires.
60
îthâr : ce terme désigne normalement une attitude recommandable du point de
vue initiatique qui consiste pour Jurjânî (Tarifât, îthâr) à « faire passer les autres
avant soi-même pour leur être utile et pour les défendre, et c'est la limite dans la
fraternité». Il s'agit donc en principe d’une attitude proche de la futuwwah (voir
note 42). Mais ici, îthâr désigne une fausse géné~ roslté, dont la raison d'être est
l'égoïsmc pur et simple.
61 XXII, 11. Wa-minhum man yabudu Llâha alâ harfin fa-in açabahu khayrub

ilmaanna bihi wa-in açâbat-hu fitnatun inqlaba alâ wajhihi kha- sirad-dunyâ
wal-âkhirah. La version officielle du Caire porte : Wa-minan- nâsi : « et parmi les
hommes », au lieu de Wa-minhum : « parmi eux ».
rapports amicaux (muwâçalah) et les louanges, l’autre répliquera par (un
changement) plus total encore.

Quant au signe (qui caractérise) l’amour essentiel, c’est que ceux qu’il
enflamme sont un peuple que le Vrai (al-Haqq) a dépouillé (salaba) de
l’amour apparent et qu’il a revêtu de la lumière de Son amour ; et dès lors
que la Providence (inâyah) et l’heur62 les ont ainsi précédés, ils se mettent à
L'aimer dans l’attribut (çifah) dont II s’est paré pour eux à cause de Son
amour63. C’est à cet amour qu’il est fait allusion dans la parole du Très-Haut :
« Il les aime et ils L'aiment »64 ; c’est-à-dire : « Il les aime » par Son amour, «
et Ils L’aiment » par Son amour.

Cet amour-ci durera à jamais. Celui qui l’a reçu aurait-il mille ennemis à sa
droite et mille amis à sa gauche, que, par son caractère inné (khulq), il ne
ferait pas de différence entre les deux (groupes). Car son caractère (çifah)65
est étemel (qadîmah), il ne se divise ni ne se partage. Celui qu’il enflamme
toujours traite bien celui qui lui a fait du mal, pardonne à celui qui lui a fait
du tort, (s’efforce de) renouer (les relations d’amitié) avec celui qui les a

62 saâdah : ce mot a habituellement le sens de « félicité », « bonheur » au sens


ordinaire du terme ; mais l’idée de bon augure, de bonne étoile n’en est jamais
absente. La racine saada sert pour désigner ce qui est « faste » ; et c’est bien cette
Idée qui est présente ici.
63 Qushayrî explique bien (mahabbah) comment l’être ne peut aimer Allâh que s’il

a été désigné de toute éternité par le décret divin. C’est bien là le sens des vers de
Dante dans lesquels Béatrice donne à Virgile l’ordre de guider Dante jusqu’à la
première étape du Voyage Initiatique :

« Mon ami, qui n’est pas aimé de la fortune, est arrêté dans son chemin sur la pente
déserte, si bien que de peur il est revenu en arrière ;
Va donc, et par ta parole éloquente et par tout ce qu’il faut pour le sauver aide-le en
sorte que j’en sois consolée »
(Enfer, chaut 11, vers 61 à 63 et 67 à 69, trad. A. Masseron).
Au reste, cela ne peut être métaphysiquement mieux exprimé que ce ne l’est dans la
Risâlatul-ahadiyah de Mohyiddin (traduite par Abdul-Hâdi dans Le Voile d'Isis No
de janv.-févr. 1933).
64 V. 54. Yuhibbuhum wa-yuhibbuna-hu.
65 Si l’on se reporte quelques lignes plus haut, on constatera que nous avons traduit

çifah par « attribut » tandis que nous le rendons maintenant par « caractère ».
C’est là un exemple des difficultés qu’éprouvent les traducteurs qui voudraient
rester à peu près conséquents. Des mots comme qadr, hukm, haqq sont
susceptibles de prendre des quantités de sens différents suivant le contexte.
Ajoutons que les difficultés sont d’autant plus grandes que le traducteur est plus
Influencé par la mentalité occidentale.
rompues, donne à celui qui a repoussé ses demandes. Le Très-Haut a dit : «
Le Clément leur donnera un désir (wudd) »66, c’est-à-dire un amour.

Pour le compagnon de l'amour, les contraires et les antinomies (addâd)67


sont équivalents. Dans l’Union, l’amour embrase son cœur (58) 68 comme il
l’embrase dans la séparation (qat), dans la proximité comme dans
l’éloignement, dans la puissance (izz) comme dans l’humilité (dhull) dans les
dons comme dans le refus, dans l’absence comme dans l’Union. Al-Fâridî69 y
fait allusion en ces termes :

« Mon Union est ma séparation, mon approche est mon éloignement, mon
humilité est ma puissance, mon épreuve est ma
[faveur ».

et il a dit encore sur l’amour essentiel :

« Si mon sort (hazz) est de partir loin de vous et qu'il n'y a pas
d'éloignement, ce départ, pour moi, c’est la réunion ».

Il en est ainsi parce que la nature profonde de l’amour est telle70 que toutes
les brûlures produites par ses forces71 grandissent dans l’ensemble des
viscères et des intestins, et que sa marche gagne la nature (mâhiyyah) de
l’être toute entière. Le compagnon de l'amour, celui-là attire les cœurs et les
esprits des gens ! Il y a beaucoup à dire sur le thème de l’amour...

Sachez — qu’Allâh nous soit utile, à vous et à moi ! — que celui dont l’amour
a le pas sur l’effort dans sa marche (sayr) et son voyage (initiatique) (sulûk)
est choisi (muj- tabâ) et que celui dont l’effort domine (par contre) est
ramené (munâb) ; le Très-Haut a dit « Allah choisit pour Lui ceux qu'il veut
et guide ceux qu’il ramène » 72. Le Choix et le Retour sont deux degrés

66 XIX, 90. Sa-yajalu lahumur-Rahmânu wuddan.


67 Voir sur cet état R. Guénon, Le Symbolisme de la Croix, chap. sur La Résolution
des Oppositions.
68 C’est ainsi que nous traduisons conformément à la Risalah Qushay- rîyah (lafz

ash-shâhid) yushâhidu mahabbatahu.


69 Omar ibn al Fârid al-Miçri as-Sa'dî, Sheikli poète qui naquit et mourut en Egypte

(576-632 de l’hégire = 1182-1235 de J. C.). Il a laissé un Dîwan que Nicholson a


étudié et dont une partie a été traduite en français par E. Dermenghem (L'Éloge du
Vin, Paris 1931).
70 On l’a vu plus haut, c’est un feu qui dévore les autres (que l’Aimé) et qui efface les

limites, ces éléments pouvant être conçus d’ailleurs comme des éléments
psychiques non unifiés.
71 Litt. : ses « forces d’attraction » (jawâdhib).
72 XLII, 13 Allâhu yajtabi ilughi man yashuu wa-yahdii la yhiman yunîb.
éminents dans la Voie des initiés (al-qawm)73 ; toutefois, le compagnon du
Choix vole dans ses ahwâl et dans son travail, tandis que le compagnon du
Retour marche. Et il y a assurément une certaine différence entre marcher et
voler !

Ainsi, l’homme de la dévotion (ibâdah), de l’effort, de l'ascétisme (zuhd)74,


du scrupule (wara), l’homme qui jeûne beaucoup le jour et qui veille
beaucoup la nuit, celui-là est ramené à Allâh, qu'il soit béni et exalté. Et celui
que possède les ahwâl, la futuwwah75, la longanimité, le courage, les dons
(mawâhib), la connaissance, la fraternité, l’amour, celui qui préfère les
autres à lui-même76, celui-ci est choisi.

De là proviennent la distance et l'avance dans la Voie qui séparent, de ceux


qui se sont tournés vers l’effort et la dévotion depuis des années, tel autre sur
lequel paraît la manifestation du Choix dans ses ahwâl, ses paroles et ses
actes : il a la première place très rapidement.

Le compagnon du Retour est homme d’acquisition et de travail, il reçoit ce


qui correspond à son mérite dans son effort. Allâh — qu’il soit exalté — a dit
au sujet des gens du Retour : « Entrez au Paradis en récompense de ce que
vous faisiez ! »77 et Ila dit : « A eux la Demeure et la Paix auprès de leur
Seigneur, Il est leur Ami (walî) en récompense de ce qu’ils faisaient »78. Le
Très-Haut a aussi dit à leur sujet : « Quant à celui qui donne, qui craint et qui
ajoute foi à la Très-Belle (Parole), Nous lui faciliterons (l’accès) à la Très-
Agréable »79; c’est-à-dire au Paradis, appelé « la Demeure Très-Agréable ».
Allâh a enfin dit sur leur cas : « L'homme n’aura que ce qu’il aura gagné, son
effort sera apprécié, il en sera récompensé par la Récompense très

73 Litt., al-qawm est sans doute « cc qui se tient debout » et, par suite, « un peuple
», « des gens » . Le terme que l’on emploie avec le sens de el-muta- çawwifin dans
la langue de l'ésotérisme islamique, a subi une évolution comparable à celle du mot
ar-rijâl, qui désigne « les hommes » et qui « est souvent employé pour dire les
hommes distingués par leur avancement dans la vie spirituelle » (de Sacy dans une
note de sa traduction des Haleines de la Familiarité, E. T. oct.-nov. 1953 p. 320).
74 zuhd, « dans la terminologie des gens de la haqiqah, c’est la haine de ce monde et

(le fait de) s’en détourner. On a dit que c’est le renoncement au repos de ce monde
pour chercher le repos de l'autre » (Tarifât, zuhd).
75 Voir note 42.
76 C’est par cette périphrase que nous traduisons cette fois îthâr (voir note 60).
77 XVI. 32. Udkhulûl-jannala bimâ kuntum tamalûn.
78 VI, 127. La-hum dârus-salâmi inda rabbihim wa-huwa waliyuhum bimâ kânû

yamalûn.
79 XCII, 5, 6, 7. Fa-ammâ man atâ wat-iaqâ, wa çaddaqa bil-husnâ, fa-sa-

nuyassiruhu lil-yusrâ.
scrupuleuse »80, c’est-à-dire par le Paradis, appelé « la Demeure de la
Récompense ».

Le Très-Haut a dit (par contre), en ce qui concerne les gens du Choix :


s’adressant en ces termes à Son Ami Mohammed — sur lui les salutations et
la paix ! — : « Dis : par la faveur d’Allâh et par Sa miséricorde ! », c’est-à-dire
: Dis, ô Mohammed, aux gens du Choix : tous les dons, les degrés (darajât),
les connaissances (maârif), les finesses (raqâiq), les subtilités (daqâiq), les
jardins, les hûris, vous les avez « par la faveur d’Allâh et par Sa miséricorde
». Le Vrai — Gloire à Lui ! — les couronne par Sa faveur et Sa libéralité
(karam), pas à cause de leurs œuvres. « Et de cela, qu’ils se réjouissent, c’est
mieux que ce qu’ils amassent ! »81. Cette Demeure dont le Vrai leur fait don
s’appelle « le Paradis des Dons » (jannatul-mawâhib). Le Vrai le leur a vanté
en disant : « C’est mieux que ce qu’ils amassent ». Elle est (encore) appelée «
la Demeure des Dons ». Le Très-Haut a dit : « Nous donnons pleinement, à
ceux-ci, et à ceux-ci (encore), le présent de Ton Seigneur. Le présent de Ton
Seigneur n’est point refusé » 82. Le compagnon des Dons, qui est le Choisi, a
beaucoup de goût (d’ailleurs) pour les Lois révélées (sharâi) et les œuvres
d’acquisitions (spirituelles) (kasb), en paroles et en actes.

Or, la Loi révélée (sharîyah) et la Vérité (haqîqah) sont deux symboles


(mazharân) qui informent de leurs domaines respectifs : celui des haqâiq
peut être défini comme « l'Intérieur » celui des sharâi comme « l’Extérieur
».

C’est ainsi qu’aucun intermediaire ne sépare les dons et les haqâiq, qui
distinguent le Choisi, de la Présence du Soi (hadratul-Huwiyyah). (Les
Çûfîs) disent : « Les inspirations (wâridah) divines viennent rarement
autrement qu’à l’impro- viste »; ils veulent dire que la wâridah survient,
dans le cœur ou dans l’esprit (rûh), subitement. L’inspiration peut venir du
plus haut du cœur ; elle est (alors) nommée ilhâm83 dans le cas du walî84, à

80 LIII, 39, 40, 41. Wa-an laysa lil-insâni illâ mâ saâ, wa-anna sayahu sawfa
yurâ, thumma yujzâ-hu-l-jazâ al-awfâ.
81 X, 58. Qul bi-fadli Llâhi wa-bi-rahmatihit fa-bi-dhâlika, fa-l-yafrahû, huwa

khayrun mimmâ yajmaûn.


82 XVII, 20. Kullan numiddu hâulâi wa-hâwulài min atâi rabbika wa-mâ kâna

atâu rabbika mahzûra.


83 D'après Jurjânî, al-ilhâm envahit le cœur comme un déferlement. Quand al-

ilhâm est envisagé en tant qu’il est différent de al-wâridah, comme c’est le cas, ici,
nous préférons garder « inspiration » pour traduire wâridah qui désigne une
notion plus générale que ilhâm : la provenance des wâridât peuvent être fort
diverses, tandis que l'ilhâm vient toujours d’une source supra-humaine.
84 Voir sur le wâli la définition donnée plus loin.
la différence du nom de « révélation » qu'on lui donne dans le cas du
prophète (nabi)85.

C’est l’inverse en matière de sharîyah ; sa Voie débute en effet par l’effort, et


on peut l’appeler « dévotion » (ibâdah) ; puis elle monte progressivement,
par la voie des acquisitions (spirituelles) jusqu’à la mnkhabadah86 et on
l'appelle « servitude » (ubûdiyah)87, puis elie s’élève encore, par la voie des
dons et des connaissances récoltés dans la voie des acquisitions (spirituelles),
jusqu’à la contemplation (mus- hâhadah).

Sachez - Allah vous fasse miséricorde ! — que la wilâyah88, pas plus que la
fonction de prophète, n’est le fruit d'une acquisition. La wilâyah comporte
des degrés ; son domaine, de réalités essentielles (haqâiq) et de subtilités
(daqâiq), est l’Intérieur. Il n’y a pas là d’intermédiaire (wâsitah).

Quant à la nature du walî, certains ont dit de lui : « Allâh s'est chargé de son
intérêt (amr), Il a chassé loin de lui son Shaytân 89, et II lui a donné empire
sur sa nafs90, qui n’a plus sur lui d’emprise91, car (le walî) est le témoin
d’Allâh sur Sa terre et il exécute (yaqûmu) la sunnah d’Allâh et Sa Loi
(fard)92 ». Quiconque, connaissant son état de walî, ne se sera pas conformé
à ses paroles et à ses actes, n'aura pas d'argument auprès d’Allâh le jour de la
Résurrection. Al-Hâtimî93 l’a ainsi défini : « Il est celui qui marche à la suite
du Prophète dans l'Extérieur et dans l’Intérieur94 », et l’on a dit : « Le walî
est celui qui dirige en dessous du Prophète le créé (al-khalq) par la Vérité
(al-haqq)95 ». Seyidî Sahl ben Abdallâh as-Sushtûri96, le Sheikh de Junayd97,

85 Voir sur le nabî Guénon, Initiation et Réalisation spirituelle, chap. sur


Réalisalion ascendante et descendante.
86 Voir note 46.
87 al-ubûdîya : « la fidélité aux pactes (avec Allâh et avec les frères), le respect des

interdictions (hudûd), la satisfaction de ce que l’on a, la patience à l’égard de ce que


l’on perd » (Tarifât).
88 Comme nous l’avons déja dit, la racine wly exprime les idées de proximité, de

protection et d’administration. On va voir que le Sheikh retient les deux derniers


sens pour définir le walî.
89 Ce terme doit être pris dans son sens étymologique d'« Adversaire ».
90 Cf. Note 56.
91 « Je te donne sur toi-même la couronne, et la mitre » (Dante, Divine Comédie,

Purg. XXVII, 142).


92 C’est là une fonction. — Le fard est la loi Impérative, tandis que la sunnah est un

ensemble de règles qui ne sont pas strictement obligatoires, sans être pour autant
indifférentes.
93 Cf. Note 59.
94 C’est-à-dire dans la sharîyah et la haqîqah.
95 Il en est ainsi parce que le Walî est établi dans la « station divine », qui est le

centre de la roue cosmique. Cf., pour des « illustrations » de l’influence qu’exercent


a dit : « Allâh ne fait connaître les awliyâ qu’à leurs semblables ou à ceux à
qui Il veut les rendre utiles. Si Allâh les montrait aux créatures, chaque
musulman aurait assurément l’obligation de tirer leçon de leurs paroles et de
leurs actes » et une mauvaise issue serait à craindre pour qui les
désavouerait. Mais Allâh — gloire à Lui et qu’il soit exalté ! — pose sur eux
Son voile, par miséricorde pour Ses serviteurs.

Les Sheikhs Parfaits (Kummâl) des Çûfîs sont parmi les awliyâ. Ils dirigent,
dans leur conformité (à la norme), le créé par la Vérité, en dessous du
Prophète, car ils sont les Khalifes orthodoxes qui se modèlent, dans leurs
paroles, leurs actes et leurs états (ahwâl), sur les Khalifes qui furent des
Compagnons du Prophète — sur lui les bénédictions et la paix ! comme aç-
Çiddîq98, al-Fârûq99, Uthmân ibn Affân100 et Seyidnâ Ali101 — Allah soit
satisfait d’eux tous !

Les Sheikhs des Çûfîs se situent à des degrés (maqâmât) divers : le Sheikh de
la Direction (irshâd) est celui dont la science juridique (fiqh) est mêlée de
science du taçawwuf, en sorte qu’il ne s’adonne franchement ni au
taçawwuf, ni au droit. Le Sheikh de l’Aspiration (himmah) instruit par
l’Aspiration. Le Sheikh des ahwâl instruit par les ahwâl. Le Sheikh de
l’Instruction (tarbîyah) et du Voyage (sulûk), lui, réunit toutes les maqâmât
; c'est lui qui fait entrer ses disciples en retraite spirituelle (khalwah)102.

les awliyâ sur le cosmos, l’ouvrage de M. A. Aïni sur Abd-Al-Kadir Guilâni (Paris,
1938).
96 Abû Mohammed Sahl Ibn Abdallâh as-Sushtûrî ou at-Tustarî, mort en 283 h =

896 de J. C., ou en 273 h.


97 Cf. Note 116.
98 Abû-Bakr aç-Çiddîq, mort en 634 de l’ère chrétienne, était le beau- père du

Prophète, et son compagnon pendant la hijrah. La chaîne initiatique de plusieurs


turuq remonte à lui.
99 Umar ibn al-Khattâb al-Fârûq, mort en 644, l'un des premiers et des plus

énergiques Compagnons du Prophète.


100 Uthmân ibn Affân, mort en 656.
101 Ali ibn Abi-Tâleb, mort en 661 ; cf. note 41.
102 La khalwah est un état dans lequel l’étre est « seul avec Allâh et converse avec

lui comme un ami cause avec un ami, sans avoir pour témoin ni aucun homme, ni
même aucun ange » (note de S. de Sacy aux Haleines de la Familiarité de Djâmî in
E. T. oct. nov. 1955, p. 321).« Il convient que celui qui préfère la khalwah à la
compagnie soit vide de tout souvenir, sauf du souvenir de son Seigneur ; vide de
toutes les volontés, sauf pour la satisfaction de son Seigneur ; vide de la convoitise
de la nafs, quelle qu'en soit la cause (sabab). S'il n’est ainsi, sa khalwalh le
précipitera dans le désordre ou le malheur » (Risâlah Qushayrîyah, al-khalwah
wal- uzlah).
Celle-ci comporte des conditions. Elle est au maximum de 49 jours et au
minimum de 21 jours. N’y entre pas qui veut : c’est le Sheikh qui sait à qui il
convient d’y entrer.

Après l’accomplissement de la retraite spirituelle, la clarté (jalwah)103. Pas de


jalwah sans khalwah. Retraite spirituelle et clarté sont deux des degrés de la
Voie. Leur science, comme la science de l’Instruction des Sheikhs, est traitée
ailleurs. Ce dont nous avons parlé dans ce traité est l’essentiel de la méthode
et du domaine de la dévotion et de l’effort. Ceux qui les pratiquent sont
honorés de la Science de la Certitude (ilmul-yaqîn)104, et l’effort dans la voie
de la dévotion reçoit el-munâatah105.

Le monde de l'effort est celui du Mulk106, que l’on appelle « le monde de


l’homme » (nâsût). Puis, après l’effort et la dévotion, viennent la fermeté
(mukâbadah) et la servitude, qui correspondent au monde du Malakût,
(dont la désignation) est une forme intensive (dérivée) de Mulk. Le Malakût
est ce qui est caché aux regards107.

103 La racine jlw implique les idées de : paraître au grand jour, se révéler (au sens
étymologique) et révéler ; et de là : fourbir une lame, polir un miroir, enlever le
voile de la jeune mariée, rendre resplendissant ou pur. Ici, c’est 1' « œil du cœur »
de l’Initié qui est purifié de ses impuretés par la khalwah. Cf. sur l’opposition
khalwah-jalwah la note déjà citée de de Sacy.
104
Rappelons que ilmul-yaqîn est la connaissance théorique, tandis que aynul-
yaqîn correspond à la « vue » sans identification, et que haqqul-yaqîn est la
connaissance totale avec Identification (cf. R. Guénon, Aperçus sur l'Initiation,
Paris 1946, p. 174, note 1).
105 el-munâatah : d’après la racine et la morphologie du terme, celui-ci désigne,

croyons-nous, l’état dans lequel les qualités (nuûl) de l’Initié ne lui appartiennent
plus en propre, mais sont celles de la divinité, comme dans les versets : « Ce n’est
pas toi qui a lancé quand tu as lancé, mais Allâh » et : « Assurément, ceux qui te
prêtent serment, le prêtent à Allâh », et comme dans le hadîth : « ... Celui que
J’aime, Je lui suis ouïe, vue, main, secours ».
106 Littéralement : le monde du Royaume ; ce terme désigne le monde sensible.
107
Cf. Note 44. — La Voie initiatique comprend principalement 3 grandes étapes
(voir p. 270) : 1° la dévotion (ibâdah), pour laquelle l’attitude de l’initié doit être
l'effort. A la dévotion correspondent le monde sensible (al- Mulk), qui est le «
monde de l’homme », et la connaissance théorique (ilmul yaqîn).
2° La servitude (ubûdiyah), pour laquelle l’attitude doit être la fermeté
(mukâbadah). C’est de cette étape qu’il va maintenant être question. A la servitude
correspond le monde du malakût qui semble bien ne représenter que la
manifestation subtile. Ce n’est qu’à la fin de cette étape que l'on obtient le fanâ,
c'est-à-dire la réintégration dans l’état primordial », et qu’a lieu le passage de ilmul-
yaqîn à aynul-yaqîn.
3° La contemplation (mushâhadah) dont il sera traité plus loin et qui correspond
aux mondes de la Sainteté (al-quds) et du Soi (al-huwîyah). C’est aynul-ynqîn qui
correspond à cette étape qui se termine, en même temps que la Voie initiatique,
La fermeté dans la servitude comporte l’organisation du temps de l'initié
suivant ce qu’il doit (faire) ; car le temps est une épée tranchante qui, si tu ne
coupes par la Vérité, coupe par le faux. Nous avons déjà parlé du temps d’une
manière générale. Celui qui perd son temps, perd tout.

La fermeté dans la Voie de la Servitude mène au degré (maqâm) : c’est


(l’étape) où tu es solidement installé clans ta servitude. Tu ne passeras pas à
un autre avant d’avoir accompli celui-ci si bien que ce soit Celui qui t’y a fait
entrer qui t’en fasse lui-même sortir.

La condition du maqâm est que tu y es établi


Fermement. Ne t'occupe pas d'un autre,
Mais accomplis-en plutôt les lois jusques au bout ;
Si tu sais être satisfait, tu en trouveras du profit.
L'entrée par laquelle tu es entré,
Apprécie bien son prix, c’est par elle que tu sortiras !

Celui qui sort de lui-même d’un maqâm vers un autre, son travail n'est pas
terminé. Celui qui en sort par Allâh, a achevé son travail.

La fermeté dans la servitude mène au maqâm de la terreur, puis au maqâm


du désir ardent (raghbah), puis à l’espoir, puis à la familiarité. La suite (des
maqâmât) est longue; elle a été examinée dans d’autres ouvrages ; citons
encore la crainte, la contraction, la tristesse. En traiter serait long, alors que
nous voulons être bref.

La fermeté dans la servitude conduit à l’état transitoire (hâl) ; le hâl est le


résultat produit par les inspirations (wâri- dât)108 chez ceux qui en sont
favorisés. Les inspirations sont provoquées par les récitations (awrâd), les
récitations relèvent de l’effort et de la dévotion. Pas d’inspiration sans
récitation, pas d’état transitoire sans inspiration.

Comme leur nom l'indique109, les états transitoires, chaque fois qu’ils se
produisent, changent et ne durent pas. On a dit pour cela :

avec haqqul-yaqîn. Les correspondances ci-dessus indiquées ne sont pas toutes


données par le Sheikh, mais elles nous paraissent découler assez logiquement du
texte.
108 Cf. p. 270.
109 La racine hwl veut dire changer, évoluer, durer le temps d’un cycle. — Jurjânî

explique dans les Tarifât que si un hâl se répète et devient habituel, il devient un
maqâm (voir plus haut).
« S'il ne changeait pas, on ne l'appellerait pas hâl, et tout ce qui change,
disparaît.
Regarde l'ombre (al-fî) quand elle, va disparaître, elle diminue
tant qu’elle dure ».

La fermeté dans la servitude mène à la recherche du wajd (tawâjud)110 ; le


tawâjud consiste en un effort pour obtenir le wajd, en un effort pour
provoquer une descente ;(d’influences spirituelles) dans le cœur ; tous ceux
qui recherchent les inspirations (wâridât) divines et les Mystères
dominicaux (al-maânîer-rabbânîyah) s’appellent mutawâ- jid111.

Après le maqâm de la recherche du wajd, vient le wajd lui-même, qui


(correspond) à la présence des Mystères (maânî) et des influences
spirituelles qui ont envahi le cœur, venant du monde de l’invisible (el-
ghayb). Quand le wajd persiste et dure (longtemps) chez l’initié, il s’étend à
tous les éléments de son être. Chacun d’eux prend sa part de wajd, et il est
donné à chacun un cœur, un esprit et un amour selon son besoin ; ils
reçoivent alors, de ce qu’ils veulent, les connaissances que leur accorde leur
Maître dans leur contemplation. L’être tout entier subit l’influence des
Mystères (maânî) obtenus par ses éléments dans leur rivalité et leurs efforts
contradictoires ; il s’affaiblit beaucoup et devient bientôt dominé. Cela
apparaît sur le visage de l’initié, sur son front, dans les mots qui lui
échappent, sur ses mains et ses pieds. Les gens parlent alors de lui selon les
différentes connaissances qu’ils peuvent avoir à son sujet. Tantôt il pleure et
rie en même temps, et on le dit fou, tantôt il parle un langage étrange
(ajamî), divulgant les haqâiq qui lui ont été communiquées, tantôt il se
distingue par d’autres singularités. Cet état est appelé wajdân112 « trouble »,
« seconde coloration » (talwîn thânî), « éblouissement ».

Celui qui dit : « Prends garde de dire : je suis Lui ! » est dans sa perte et dans
un maqâm de division. Celui qui dit : « Evite d’être autre que Lui ! » est dans
un maqâm d’Union, de Goût (dhawq) et de Dévoilement (kashf). Celui qui
s’y trouve ne cesse d’y travailler, et son être (dhâtuhu) s’établit toujours plus

110 La racine wjd veut dire « trouver », « perçevoir », « sentir », le P.F Jabre, dans
une thèse non publiée, proposait « trouvaille » pour rendre wajd, mais cette
traduction, si elle serait peut-être plus exacte qu’ « extase », puisqu’il s’agit d’un
état purement intérieur, ne serait pas très heureuse à notre avis. — D’après Jurjânî,
le wajd est comparable à « des éclairs qui brillent, puis qui disparaissent
rapidement ».
111
Participe actif formé sur tawâjud
112
Ce terme est, comme wajd, un « nom verbal » (maçdar) dérivé du verbe
wajada. — On trouvera d’assez nombreuses «illustrations » de manifestations de
cet état dans les Vies des Saints Musulmans, de É. Dermenghem (Alger).
fermement dans l’Essence (tazîdu tamakku- nan fî-dh-dhât), si bien qu’il
obtient la Puissance (al-quwwah) ; quand il a été vaincu dans la Totalité
pure (al-kullîyah al-mahdah), on appelle son maqâm « extinction » (fana)113
et disparition (ghaybah). Et quand il disparaît de la disparition114, on le
nomme « Réalisation » (wujûd)115 après le wajdân. Voici ce que dit Junayd116
sur le wujûd :

Ma Réalisation est que je disparaisse de l’Existence


Avec la Contemplation qui s’offre à moi.

Traiter de ces maqâmât serait long ; or nous voulons être bref.

Le monde de la fermeté et de la vision des mystères du Malakût117 est comme


un isthme (barzakh) qui sépare le monde de la dévotion, dont nous avons
parlé plus haut, et celui de la Contemplation118. Il a une face inférieure qui
prolonge le monde de l’effort, et une face supérieure, d’où sont répandues sur
lui les Connaissances (maârif) et les haqâiq, et qui est déjà le monde de la
Contemplation. Celui- ci vient ainsi en troisième lieu, après l’effort et la
fermeté. Il est donné à l'esprit (rûh) et correspond au monde de la Sainteté
(quds) sous un rapport, et au monde du Soi (huwi- yah) sous un autre,
puisque le resplendissement (tajallî) sur l’esprit de la Contemplation dans
un des trois mondes est un déferlement des haqâiq qui inondent
brutalement l’esprit, sans intermédiaire entre elles et les mondes.

113 «... El-fanâ, c’est-à-dire l’« extinction » du « moi » dans le retour à l' « état
primordial » (Guénon, Le Symbolisme de la Croix, 2e édition, p. 62, note 3).
114 « Au delà d’El-fanâ, il y a encore Fanâ el-fanâi, l’« extinction de l'extinction ».

En un certain sens, le passage de l'un de ces degrés à l’autre se rapporte à


l’identification du centre d’un état de l’être avec celui de l’être total » (ibid., même
note). — Ce passage de notre texte a une apparence de paradoxe. Il ne faut pas
oublier que l’extinction de 1’individualité ne peut être envisagée indépendamment
de l’établissement dans la Permanence (baqâ) du Soi, qui est l’autre face de la Mort
Initiatique (cf. notamment Guénon, Aperçus sur l'Initiation, chap. sur La Mort
initiatique).
115 Wujûd : ce terme, comme wajd et wajdânt est un nom verbal dérivé du verbe

wajada (cf. note 110). Il désigne nettement ici la Réalisation totale.


116 Abu-1-Qâsim al-Junayd, mort à Baghdâd en 297 de l’hégire = 910 de l'ère

chrétienne, est un Çûfî vénéré par de nombreuses turuq. il a été surnommé le «


Seigneur de la troupe » et le « Paon des savants ». Subki lui consacre plusieurs
pages de ses Tabaqât ash-Shâfiiyah.
117 Nous traduisons par cette périphrase le terme mutâlaah, qui signifie en général

« examen attentif », « vision ».


118 Cf. note 107.
Nous nous en tiendrons là, car après les trois maqâmât, l’exposé ne peut que
s’arrêter ; et si ce traité n’envisage que le début et le milieu (de la Voie), c’est
qu’aucun registre (defter) ni aucune poésie n’appréhendent son terme, mais
sa science est enfouie dans les poitrines et relève de l’ilhâm119. At-Tujîbî120 le
dit dans les Mabâhith121 :

« Le mettre par écrit n’est pas permis,


Mais c’est une science qu’enfouit la sagesse.
Prends garde de vouloir le chercher.
Dans un registre, un poème ou une composition (urjûzah) ! »122.

D’autres ont encore dit :

« O Seigneur de la perle (jawhar) de ma science ! Si je la divulguais, on me


dirait bien sûr : Tu fais partie de ceux qui adorent les idoles,
Et les musulmans jugeraient que verser mon sang est licite !123 Ils voudraient
que tout ce qu’ils voient beau soit laid.
Certes, de ma science je cache les perles, pour que ne voie pas la Vérité un
ignorant qu’elle troublerait ! »

et dans le hadîth : « Parlez aux gens dans la mesure de ce qu’ils comprennent


! Voulez-vous qu’Allâh et Son. Envoyé soient traités de menteurs ? »

Si cela est fermement établi, vous saurez avec certitude que tous ceux qui ne
sont pas poussés en totalité vers la Présence d’Allâh et ne recherchent pas
une réalisation, même si leur tambour s’entendait au loin et si le fracas de
leur tonnerre roulait jusques à l’horizon, sont des étrangers par rapport à
cette perspective. Mais quant au peuple de ceux qui sacrifient leur propre
individualité pour Allâh et qui l’utilisent pour aider tous les frères sans
distinction et pour leur faciliter le rapprochement d’Allâh, qui invoquent à

119 Cf. p, 270.


120 Abu-I-Abbâs Ahmad lbm al-Bannâ at-Tujîbî as-Saraqustî.
121 Le titre complet de l'ouvrage est : al-mabâhith al-açliyah an Jumlah aç-çûfîyah

(cf. Brockelmann, Geschichte der arabischen Lilteratur, Supp. III, p. 359).


122 L'urjûzah est une sorte particulière de poésie sur le mètre rajaz.
123 C'est-à-dire : ils penseraient que je suis un polythéiste, et que ma mise à mort est

justifiée du point de vue islamique.


l’aube dans l’humilité et la soumission, ceux-ci, elle les fera parvenir au but,
et leur donnera la force pour l’effort et la fermeté dans le dhikr d’Allâh.

C’est là que nous arrêterons la risâlah que voici, à laquelle nous ajouterons
un appendice124 qui va traiter de propos qui dérangent les pensées de tous et
qui distraient de la Route à laquelle le Sincère et Digne de foi — sur lui les
salutations d’Allâh ! a fait allusion en disant : « Je vous laisse sur la Route
blanche, de jour comme de nuit ; qui s’en écarte, périt. » Il en est en
particulier qui sont répandus chez certains frères qui dépassent (les limites
de la vérité) (ghulât), auxquels manque toute expérience en ce qui concerne
les modalités (aqabât) de la Voie, ses étapes (manâzil), ses degrés
(maqâmât), son début, son milieu et son aboutissement. Ils attribuent (ces
propos) aux Sheikhs, en leur faisant dire ce qu’ils n’ont pas voulu dire des
mérites d’une tarîqah, mais bien de toutes les turuq, car il n’émane rien de
nos Maîtres les Sheikhs qui ne soit d’accord avec le Livre et la Sunnah125. Ils
disent ainsi : « Telle est notre tarîqah, meilleure que toutes les autres » et ils
débitent des calomnies que nous tairons. Qu’Allâh leur soit indulgent pour
cela ! Leur dessein est d’exagérer dans leur tarîqah. Or le Très-Haut a dit : «
Ne dépassez point dans votre tradition les bornes de la vérité »126 ; et le
Sincère et Digne de foi — sur lui les bénédictions d’Allâh ! — a dit : « Ne me
louez pas outre mesure comme les Chrétiens le font pour Jésus, fils de Marie
». Allâh a dit aussi : « Les meilleurs (akram) d’entre vous, aux yeux d’Allâh,
sont les plus pieux ! »127.

C'est de la même façon qu’ils disent que la visite (ziyârah)128 est interdite
complètement et dans tous les cas. A Dieu ne plaise ! Certains ont seulement,
au cours de leur marche et de leur voyage, vu des Sheikhs mettre des
débutants en garde contre des actes entachés de passion. Ces débutants
venaient en présence des Sheikhs sans un cœur suffisamment armé et sans
discernement en face des pouvoirs (karamât)129 des initiés (rijâl)130, des

124 Comme on le constatera, cet appendice tranche une série de controverses dont
certaines sont d’ordre pratique et concernent la vie même des turuq. Il n'en est que
plus intéressant. Les termes techniques nécessitant une explication sont plus rares
que dans la première partie.
125 Cf. Note 92.
126 V, 77. Lâ taghlû fi dînikum ghayra-l-haqq.
127 XLIX, 13. Inna akramakum inda Llâhi atqâkum.
128 La ziyârah est la visite que les foqarâ rendent aux Sheikhs, et qui permet

d’acquérir leur Influence spirituelle (barakah). Elle est comparable à certains


égards, à un véritable pèlerinage.
129 Cf. Sur les « pouvoirs » et ce qu’il faut en penser : R. Guénon, Aperçus sur

l’Initiation, ch. sur les Prétendus Pouvoirs psychiques et sur le Rejet des Pouvoirs ;
Djâmî, Haleines de la Familiarité, trad. de Sacy, in E. T. oct. nov. 1955. On trouvera
ahwâl mélangés d’attraction (jadhb)131, ou des opinions contraires aux
habitudes dont on entend parler (dans les réunions çûfîes). C’est ainsi que
Zarrûq132 — Allâh l’agrée ! —, voyant le grand nombre de ceux qui
prétendaient de son temps (exercer la direction spirituelle), s’est exclamé : «
Pas de Sheikh après une barbe comme celle-là ! », et il a défendu la visite aux
débutants à cause de leur manque de maturité et de fermeté dans la Voie.
Certains généralisèrent cette défense et dirent qu’il fallait abandonner
radicalement la visite, comme le voulaient leurs passions. Au contraire, la
visite est l’esprit même de la Voie, depuis la genèse de notre formation, la
création de nos esprits et leurs mutations (tadâwul)133 dans le monde de la
virtualité pure (âlam al-khayâl al-mut- laq), comme après qu’Allah nous ait
donné cette existence, et ait fait de notre développement une visite,
renouvelant le passé et le confirmant dans Sa parole : « O vous qui croyez,
soyez fidèles aux promesses ! » 134 et : « Soyez fidèles au Pacte ! »134 bis. Il nous
a interdit la discorde et la brouille. As-Sushtûrî135, an-Nâbulsî136 et d’autres
Sheikhs envoyaient au loin leurs Compagnons, les Bien- Dirigés, Guidants et
Guidés, sur le modèle des ambassades du Prophète, pour appeler les gens,
leur enseigner leur Tradition (diyânah) et leur expliquer la Doctrine de
l’Unité (tawhîd) commune, (âmm), profonde (khâçç) et ultime (ak- kaçç)137.
Ils leur disaient : « Allez où vous voudrez, et faites nous connaître aux autres
». ' Allah a encore dit : « Soyez fidèles au Pacte, car du Pacte il est demandé
compte ! »138, etc... Celui qui rejette totalement la visite, néglige Allâh et la

de très nombreuses « illustrations » des pouvoir des awlîyâ dans Aïni, op. cit., et
surtout dans Trumelet, Les Saints du Tell.
130 Sur le mot rijâl employé dans ce sens, voir note 73.
131 Sur le jadhb et le majdhûb, voir Guénon, Initiation et Réalisation Spirituelle, pp.

179 et suiv.
132 Ahmad ibn Zarrûq al-Bunusî al-Fâsî, 846-899 de l’héglre = 1442-1493 de l'ère

chrétienne. Ce Sheikh, de la tribu des Barânis, entre Fes et Taza au Maroc, est le
fondateur de la tarîqah Zerrûqîyaht issue de la tarîqah Shâdheliyah. Il figure dans
la chaîne initiatique (silsilah) des Derqawa, dont était le Sheikh Tâdilî.
133 L racine dwl exprime les Idées de « tourner », « être en rotation » ; et à la VI e

forme, qui est employée ici : « faire quelque chose à tour de rôle », « aller et venir
», » fréquenter un endroit ».
134 V, 1. Yâ ayyuhal-ladhina âmanû awfâ bil-uqûd. 134 bis : XVII, 34 Wa-awfâ bil-

ahd.
135 Cf. Note 107.
136 Il s’agit très probablement de Abd el-Ghani en-Nâbulsi, né en 1050 de l'hégire =

1641 de l'èrc chrétienne, rattaché notamment à la tariqah Naqshabendiyah et à la


tariqah Qâdirîyah. Cet écrivain très productif s'attacha occasionnellement à
légitimer l'usage du tabac qui est considéré comme « blâmable » dans l’exotérisme.
Cf. Encyclopédie de l’Islam I, p. 38.
137 Cf. sur le tawhîd et son sens profond R. Guénon At-Tawhîd in Le Voile d’Isis.
138 XVII, 34. Wa-awfû bil-ahdi innal-ahda kâna masûla.
Voie, car les Sheikhs (qu’on ne veut pas visiter) sont les Khalifes qui
succèdent au Prophète, Allâh le salue et lui donne la paix ! Ce qu’il a fait, ils
le font ; ce qu’il n’a pas fait, ils s’en abstiennent. Car le bien tout entier est
dans la conformité à la Tradition (al-ittibâ), et tout le mal est dans
l’innovation (al-ibtidâ).

Sois comme furent les meilleures des créatures,


Allié longanime, suivant le Vrai.
Tout bien est dans l’imitation des Anciens (salaf),
Tout mal vient de l’innovation des successeurs.
Toute attitude du Prophète l’emporte (rajaha) :
Ce qu’on a permis, fais le ; ce qu’on a tu, laisse le.

Dans le même ordre d’idées, il y a aussi le sens qu’ils donnent à tort à une
phrase célèbre du Sheikh Abd el-Qâdir139, phrase qu’ils étendent, comprise
de travèrs, à leurs Sheikhs : ils croient que le Sheikh Abd el-Qâdir a dit : «
Mes deux pieds que voici sont sur la nuque de tous les awlîya d’Allâh ! ». Or,
loin du Sheikh Abd el-Qâdir et loin de tout autre Sheikh telle pensée ! Le
Sheikh Abd el-Qâdir a simplement voulu dire : « Les deux domaines où
j’excelle reposent sur la nuque de tous les awliyâ d’Allah ». Le terme qadam,
sur lequel il y a confusion, a en effet deux sens ; s’il veut dire « pied », il est
aussi employé couramment dans le sens de « domaine où l’on excelle », de «
rang élevé dans une chose aux yeux d’Allâh », comme dans le verset : « Ils
ont un rang (qadam) d’amitié auprès de leur Seigneur »140. Les « deux
domaines où j’excelle » de la phrase discutée sont la shariyah et la haqîqah
qui reposent respectivement, comme deux étendards, sur l’épaule droite et
sur l’épaule gauche des awliyâ, ainsi que le Prophète y a fait allusion quand
il a dit : « Les justes de chaque génération ont la charge de cette Tradition ».
Le terme de qadam évoque clairement ici l’idée de ces deux étendards que
doivent porter tous les awliyâ d’Allâh, depuis l’instant où ils les reçoivent,
jusqu’au souffle ultime avec lequel ils sortent de ce monde. Les portent alors
ceux qui les remplacent, et ainsi de suite jusqu’à la consommation de ce

139
Muhyiddîn Abd el-Qâdir el-Gîlanî, 1077-1166 de l’ère chrétienne, le « Sultan des
Awliyâ », fondateur de la très répandue tarîqah Qâridîya. Cf. Aïni, op cit. Tout ce
passage repose sur un argument linguistique qui le rendait impossible à rendre
littéralement d’une manière satisfaisante. Nous l’avons donc adapté, sans en rien
changer d’essentiel.
140 X, 2. Anna lahnm qudama çidqin inda rabbihim.
monde. Mais celui pour qui se dissipe l’ambiguité des paroles des awlîyâ, a
reçu la Sagesse ; « et celui qui a reçu la Sagesse, a reçu un bien abondant »141.

Parmi les propos des awlîyâ que ne comprennent pas ceux qui sont
dépourvus de science et qui se gargarisent de propos calomnieux, il y à des
formules comme celle d’Abû Yazîd al-Bistâmî142 : « Nous nous enfonçâmes
dans des Mers, tandis que les Prophètes restaient sur le rivage ». Voici le
sens de la phrase d’Abû Yazîd : « Nous nous enfonçâmes dans des Mers »,
c’est-à-dire nous fûmes impuissants à les traverser avec puissance (bi-hâlin
qawîyin) et calme (waqâr) ; bien plus, nous ne le pûmes, malgré notre
grande fermeté, à cause de l’agitation des flots des Mers des haqâiq autour
de notre être. Cela parut dans nos paroles, nos joues et notre front. Quant
aux Prophètes—sur eux les salutations et la paix! — ils traversèrent les Mers
tranquillement (alâ sakînatin)142 bis et calmement, à cause de la force de leur
puissance et de la protection (içmah) (qui leur est donnée). Le terme de «
submersion » ne peut s’appliquer à leur égard, car il ne s’emploie qu’à
propos de la domination des ahwâl143. Les Prophètes — sur eux les
salutations et la paix ! traversèrent toutes les Mers comme il est décrit : avec
la Tranquillité, le calme, la concentration (hudûr) qui correspondent au
degré de la Prophétie (maqâm en-nubûwah), et ils se tinrent sur le second
rivage144. Le Vrai — gloire à Lui ! — témoigna en faveur de Son Prophète —
Allâh le salue et lui donne la paix ! — quand il traversa cela et plus encore : «

141 Nous ne pouvons nous dispenser ici de citer quelques lignes de M. Louis
Massignon qui se passent de commentaires : « Après Shiblî, les cas de shath se
raréfient en mystique musulmane, et leur niveau s’abaisse. Les shathiyât attribuées
à Kilâni, Riffâ’i et lbn ’Arabî sont presque illisibles, quand on a examiné celles de
leurs grands devanciers. Le vertige d’orgueil qui perçait chez Bistâmi et Tostarî les
induit en des phrases d’une puérilité affligeante : « Mon pied est sur le cou de tous
les saints », « Me voici le Trône de Dieu », etc... S’efforçant, par soumission aux
théologiens, de « maintenir la distance » entre l’inaccessible transcendance divine
et leurs actes d’adoration, ils prennent leur revanche en s’enorgueillissant du moins
à se trouver hors de portée des autres hommes » (Essai sur les origines du Lexique
technique de la Mystique musulmane, Paris, pp. 110 et 120).
142 Né vers l’an 800 de l'ère chrétienne, mort en 875 = 261 de l'hégire Fondateur de

la tarîqah Tayfûriyah. lbn Arabi le cite parmi les initiés parvenus au maqâm des «
Gens du Blâme » (malâmatîyah) (Futûhât tome III, chap. 309, p. 38). Voir sur lui
Dermcnghcm, op. cit.
142 bis. La sakînah est la Grande Paix que Jurjâni décrit comme « une lumière dans

le cœur » (Cf. R. Guénon, Le. Symbolisme de la Croix, chap. sur La Résolution des
Oppositions et La Guerre et la Paix).
143 Il faut ajouter que, même si l’initié peut être momentanément en « submersion

», Il doit toujours garder une attitude active.


144 Et non pas sur le premier, comme le croient « ceux qui sont dépourvus de

science.
Le regard ne s’écarta point, et ne se fixa point ailleurs » 145 : il ne tourna pas
son regard vers tout cela146, mais il était dans une grande concentration
(hudûr), et dans une crainte (mahâbah) immense dans la Présence de son
Créateur. Al- Hâtimî147 a écrit un vers qui informe de la traversée de ces
Mers, sans y mentionner la « submersion ». Le voici :

« Nous laissâmes les Mers gonflées derrière nous.


D’où sauraient les gens où nous nous dirigeâmes ?

Car les degrés (maqâmât) des Parfaits Connaissants par Allâh se diversifient
suivant leurs différentes Dignités (hada- rât), sans limite. Dhu-n-Nûn al-
Miçrî148 envoya un de ses disciples (tilmîdh) à Abû Yazîd149, en lui disant : «
Va trouver Abû Yazîd, donne lui le salâm de ma part,'et dis lui : Ton frère
Dhu-n-Nûn al-Miçrî a bu un verre d’Amour et il a disparu (ghâba) des deux
mondes ». Et lorsque le messager fut arrivé auprès d’Abû Yazîd et lui eut
rapporté cela, Abû Yazîd lui répondit : Dis à ton Sheikh Dhu-n-Nûn : Abû
Yazîd a bu les Mers de l’Univers, et il en veut encore ! ».,

Le Sheikh et-Tafsûnjî150 dit à Abu-s-Suûd151 au sujet du Sheikh Abd el-


Qâdir152 : « Moi, il y a trente ans que je n’ai vu le Sheikh Abd el-Qâdir ici, à la
réunion ». Abu- s-Suûd lui répondit : « Celui qui est assis à la porte de la
maison ne voit pas celui qui est à l’intérieur. C’est par ses soins que t’est venu
(kharaja laka) vendredi le manteau brodé avec la surate el-ikhlâç ». Le
Sheikh demanda pardon à. Allah et purifia sa volonté (fautive).

145 LIII, 17. Mâ zûgha-l-baçaru wa-mâ taghâ. Ce verset se trouve dans la sûrate de
l’Etoile, en relation avec le « Lotus de la Limite » et le « Jardin de la Retraite ».
146 C’est-à-dire vers les Mers menaçantes du voyage initiatique.
147 Cf. note 59.
148 Très grand Sheikh égyptien, né en 180 = 795, mort en 215 = 830.

Dans Qushayrî, c’est un autre Çûfî, Yahya er-Râzî, qui s'expose à la répartie de
Bistâmâ.
149 Cf. Note 142.
150 Dans notre manuscrit, c’est le Qutb at-Tusûfûnjî, mais il s'agit probablement de

Abd er-Rahmân et-Tafsunjî dont Sharânî donne une courte biographie dans ses
Tabaqât el-Kubrâ ; en outre, il n'était pas Qutb (chef suprême de la hiérarchie
initiatique), puisque c’était Abd el-Qâdir lui-même qui l’était son époque, et avant
lui, sauf erreur, Yûsuf el-Hamadanî; mais Allâh est le plus savant. L’histoire se
comprend mieux si l’on se souvient des « pouvoirs » des awliyâ.
151 Il s’agit probablement du Sheikh Abus-s-Suûd Ahmad ben Abi Bakr al-Hazîmî

(ou el-Huzaymî ?) el-Attâr.


152 Cf. Note 139.
En un mot, la purification de la volonté et l’effort pour accomplir la sharîyah
sont le salut parfait (hiya aslam) de tous les foqarâ, débutants ou achevés. Il
est dit dans le hadîth ; « Si vous aviez confiance en des pierres, vous en tire-
riez profit ». Que penser alors de tes frères les initiés, et de toute la
communauté des adorateurs d’Allâh !

Allâhumma, salue Seyidnâ Mohammed, Plénitude (mil) des deux (sortes


d’êtres) pesants153 !

Allâhumma, salue Seyidnâ Mohammed, Plénitude des Premiers et des


Derniers !

Allâhumma, salue Seyidnâ Mohammed, Plénitude du Plérôme Suprême,


jusqu’au jour du Jugement ! Salue sa Famille et ses Compagnons, et donne
leur la paix !

« Gloire à ton Seigneur, le Seigneur de la. Puissance, loin de tout ce qu’on lui
attribue ! Que la paix soit sur les Envoyés, et Louange à Allah, le Seigneur des
mondes »154.

153 C’est-à-dire les jinn et les hommes (cf. Qorân, sûrate, n° 55).
154 XXXVII, 181-182.
QAÇÎDAH

Le Soleil du Témoignage s’est levé, étincelant.


Il a illuminé l’Existence.
« Lâ ilâha illâ Allah »
a dissipé le nuage de la négation.

Pour le désir, pour le désir ardent,


au jour de la Rencontre, dans la Maison du Bonheur,
la meilleure provision que tu puisses emporter
c’est : « Lâ ilâha illâ Allah ».

J’ai vendu ma maison natale pour de l’argent.


Au prix de ma vie précieuse,
j ’ai acheté la Maison Eternelle :
« Lâ ilâha illâ Allah » !

Il y a bien longtemps, je m’étais égaré


dans les déserts.
Ils remplaçaient ma famille au fond
de mon cœur pendant que des voix criaient :
« Lâ ilâha illâ Allah ».

Mon ravissement et mon approche me soulevaient,


comme mon isolement parmi les sables
et la disparition de moi-même
dans l’anéantissement de « Lâ ilâha illâ Allah ».

Plein d’impatience, à cause de mon jeune âge


et du désir passionné, j’étais attiré
vers ces mots : « Lâ ilâha illâ Allah ».

Quel état — ah ! si tu savais ! —


a habité entre mes poumons et ma clavicule,
parmi mes plus beaux chants : « Lâ ilâha illâ Allah ».

La meilleure œuvre dans la Servitude,


le dhikr du serviteur, sans plus,
après mes obligations et ma part de bonheur
dans la vie, c’est : « Lâ ilâha illâ Allah ».

La grande cour de tous les goûts,


la disparition dans la Présence d’Allah,
la satisfaction de Celui qu’on aime,
par Allah, c’est : « Lâ ilâha illâ Allah » !
Le possesseur des grandes connaissances,
on ne le laisse jamais tranquille,
mais il lui vient un serviteur qui l’aime.
Ce qui fait trouver la Présence, c’est la durée de « Lâ ilâha illâ Allah ».

Ma sorcellerie et ma guérison,
la sécurité et l’ascension,
mon médecin et mon remède,
c’est : « Lâ ilâha illâ Allah ».

L’arrivée des grandes connaissances,


le revenu de tous les dons,
l’argument de toutes les opinions,
c’est : « Lâ ilâha illâ Allah ».

Pendant longtemps, patiemment,


j’ai caché mon amour au fond de mon cœur,
puis je me suis découvert, et au grand jour
j’ai étreint : « Lâ ilâha illâ Allah ».

L’Extérieur de l’Etre fleurit de toutes les beautés.


Son collier est fait de perles et de pierres précieuses.
Mais la Lumière qui éclaire toutes les parures
c’est « Lâ ilâha illâ Allah ».

Toute chose dans l’Existence


est le théâtre de l’Œil de la Contemplation
de l’Unité disant au Seigneur Vénéré :
« Lâ ilâha illâ Allah ».

Puissé-je, en même temps que les montagnes,


que les herbes, les sables et les oiseaux,
réciter toujours : « Lâ ilâha illâ Allah » !

« Lâ ilâha illâ Allah »


a mélangé ma chair et mes os.
Son amour a construit sa demeure
dans mon cœur ; il a possédé mon esprit
et mon corps.

C'est par Sa Lumière que nous avons été


guidés ; par Elle que nous nous sommes
réfugiés auprès de la Vérité.
Avec passion nous avons aimé :
« Lâ ilâha illâ Allah. »
Par son amour je suis devenu
un monde portant son drapeau
que viennent frapper comme le vent
les appels de « Lâ ilâha illâ Allah » !

L’Hôte du Bonheur est à vos côtés ;


il descend sur vous, ô mes échansons ;
sa provision, c’est le désir de votre amour :
«Lâ ilâha illâ Allah » !

L’œil de la lumière de l’œil,


les jardins aux arbres ramifiés,
mon jardin dans l’Eternité,
c’est : « Lâ ilâha illâ Allah ».

Dans mon ardeur jalouse pour l’atteindre,


en courant parmi les villes des hommes,
jaillit comme un éclair imprévisible :
« Lâ ilâha illâ Allah ».

Mon ascension et ma pénétration,


c’est son invocation dans tous les états ;
les dons de tous mes trésors
c’est : « Lâ ilâha illâ Allah ».

La fraîcheur de l’œil du cœur,


mon soutien au jour des questions,
sa compagnie est pour moi la meilleure
des provisions : « Lâ ilâha illâ Allah ».

Son Secret très élevé et très éclatant


ne grandit pas sur tous les promontoires.
Comment la Lumière de Sa Clarté
peut-elle être cachée ?
« Lâ ilâha illâ Allah ».

Son Soleil est l’œil de l’Existence.


déjà, Il est apparu dans le blanc et dans le noir.
« Lâ ilâha illâ Allah » est la Lumière
éclairant le vêtement de toutes choses !

La Shahâdah est une Vérité et une Lumière.


C’est avec elle qu’il est venu, l’Annonciateur
de bonne nouvelle. Il a invité la Création
toute entière à dire avec lui : « Lâ ilâha illâ Allah

L’abreuvoir où je bois son eau dans le jardin,


l’objet du désir des 7 versets 155, dans
mon esprit et sur ma langue, c’est :
« Lâ ilâha illâ Allah ».

Tu ne verras rien en dehors de la Shahâdah,


car toute chose tient son drapeau ;
Tout être réclame le parfum d’ambre
de : « Lâ ilâha illâ Allah ».

O peuple de mon amour, excusez-moi.


Vous êtes des gens dignes de respect.
La fraîcheur de l’œil des yeux
c’est : « Lâ ilâha illâ Allah ».

O mon Dieu, je me réfugie auprès de Toi


avec ma pauvreté et mon respect.
Me voici présent devant Toi,
sous la .bannière de :
« Lâ ilâha illâ Allah ».

155 Les sept versets de la surat el-Fâtiha.


TABLE DES MATIERES

Notice biographique 5

Avant-propos 9

La Vie traditionnelle, c'est la sincérité 13

Qaçîdah 49

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