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Langue française

La glossématique et l'esthétique
Jean Domerc

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Domerc Jean. La glossématique et l'esthétique. In: Langue française, n°3, 1969. La stylistique. pp. 102-105;

doi : https://doi.org/10.3406/lfr.1969.5440

https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1969_num_3_1_5440

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Jean Domerc, Lille.

LA GLOSSÉMATIQUE ET L'ESTHÉTIQUE

La théorie de la littérature a Copenhague.

« La langue est une forme et non une substance » : c'est sur cette
seule phrase du cours de Saussure que Hjelmslev a construit sa théorie
linguistique que, pour rompre avec la tradition, il désigne d'un nom
nouveau : la glossématique.
Après avoir distingué le plan de Yexpression et le plan du contenu, il
introduit à l'intérieur de chacun de ces deux plans la dichotomie forme/
substance, ce qui l'amène à reconnaître deux « strates » pour chaque plan,
donc quatre « strates » en tout (fig. 1) :

substance du CONTENU sC (sens)

(signifié)
forme du CONTENU fC
SIGNE

forme de l'EXPRESSIONfE (signifiant)

substance de l'EXPRESSION (son)


sE

Alors que, par une sorte d'automatisme culturel, on serait porté à


assimiler sans réfléchir la forme et l'expression, la substance et le contenu,

1. Tel est le titre de la IVe partie des Recherches structurales. Travaux du Cercle
linguistique de Copenhague, t. V, 1949. Les Danois n'utilisent guère le mot «
stylistique ».

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il faut admettre qu'il existe, non pas deux, mais quatre entités différentes.
La langue crée des formes à partir de deux substances amorphes, qu'elle
réunit, combine et organise en signes; elle découpe et condense la pensée
indistincte en formes signifiées qu'elle associe indissolublement à des
formes signifiantes, elles-mêmes découpées dans la substance sonore.
Qu'elle soit phonique ou psychique, la substance est extra-linguistique.
Seule la forme, signifiée ou signifiante, est linguistique; elle occupe une
position centrale; tandis que la substance, marginale, présuppose la
forme qu'elle manifeste.
On voit que Hjelmslev n'a fait que systématiser ce qui peut déjà se
lire dans le Cours de Linguistique générale, notamment dans le chapitre
« La valeur linguistique » (pp. 155-157). Néanmoins, tout en éliminant ce
qu'il pouvait y avoir de « psychologiste » dans la théorie et la
terminologie qui l'exprime, il a accentué l'opposition entre la forme et la substance,
en faisant d'une distinction méthodologique une séparation radicale : la
substance est ainsi évacuée définitivement et l'analyse se retrouve
enfermée dans le carcan du formalisme, sans parvenir à démêler les relations
complexes et délicates qui unissent forme et substance. Comme le veut
Hjelmslev, la théorie linguistique se présente comme une sorte d'algèbre
du langage, à laquelle on est en droit de reprocher son excès d'abstraction
et de généralité 2.
A partir du schéma fondamental proposé par Hjelmslev, complété
par les indications données dans le chapitre 22 des Prolégomènes (I),
plusieurs disciples du maître danois ont élaboré une théorie de la littérature
conçue comme une langue et justiciable d'une analyse linguistique.
Il existe, en effet, à côté des langues naturelles, dites « langues de
dénotation », des « langues dont le plan de l'expression est une langue »
1(1), p. 101, (IA), p. 155 j, que Hjelmslev appelle langues de connotation,
et des « langues dont le plan du contenu est une langue », qu'il appelle
métalangues. La littérature est une langue de connotation, la linguistique,
une métalangue. La langue, qui est l'objet de la linguistique, est la
matière de la littérature; elle est le contenu de l'une et l'expression de
l'autre. « Après avoir achevé l'analyse de la langue de dénotation, il
faut (...) soumettre la langue de connotation à une analyse suivant la
même procédure » 1(1), p. 105, (IA), p. 110 f.
C'est Hans Serensen qui, dans un essai sur la poésie de Baudelaire
(III), a tiré toutes les conséquences de cette conception de la littérature.
Sorensen retrouve dans l'œuvre littéraire les quatre « strates »
distinguées par Hjelmslev :
1° La langue est la substance de l'expression de la littérature, comme
les couleurs sont celle de la peinture et les notes celle de la musique. Ainsi
Rilke a pu prendre l'allemand comme substance de l'expression, mais il
lui est arrivé aussi de choisir le français, tout comme on peut passer de la
2. Cf. André Martinet, « Au sujet des Fondements de la théorie linguistique »,
B.S.L., 42, pp. 19-42.

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substance phonique à la substance graphique quand on écrit au lieu
de parler.
2° Le style est la forme de l'expression littéraire; on peut le considérer
comme une mise en forme de la langue à des fins esthétiques; du style
relèvent le choix des mots, les métaphores et comparaisons, les figures
de rhétorique, le rythme enfin.
3° La littérature a pour forme du contenu ce que Serensen appelle
le motif. Le motif se présente comme le principe d'organisation de l'œuvre;
il engendre les thèmes dans leur succession et en ordonne la composition.
C'est à ce niveau que se pose le problème du genre, « forme du contenu
littéraire d'une nature plus ou moins liée à la tradition » (III) (p. 20),
qui embarrasse fort Serensen : « Le problème du genre est important,
mais ne peut pas être résolu ici. » II ne sait trop quelle place donner à
ce concept dans sa théorie, étant donné les incroyables difficultés que
susciterait une tentative de définition cohérente des différents genres 3.
4° Reste la matière, la substance du contenu. Ici Serensen éprouve
de nouvelles difficultés à distinguer dans le motif ce qui est substantiel
de ce qui est formel. Il préfère procéder par soustraction et constater que
« la substance du contenu comprend (...) tous les éléments non
linguistiques de l'œuvre littéraire : les idées, les sentiments, les visions du poète... »
(p. 21). Finalement, c'est à un terme déjà utilisé par Jean Hytier dans
les Arts de littérature qu'il recourt pour désigner les diverses « incitations à
l'œuvre » : le prétexte.
Le prétexte, c'est tout ce qui précède le texte, à la fois en dehors
et en avant de l'œuvre, non seulement un héritage, une tradition (et
c'est ici qu'il faut placer la recherche des sources), mais en même temps
un projet d'accomplissement, une intention et une invention.
Une telle théorie, pour séduisante qu'elle soit, appelle de sérieuses
réserves. Elle est à la fois systématique et contradictoire, rigoureuse dans
ses grandes lignes, mais incertaine dans le détail.
Il est arbitraire de faire de la langue, la substance et du style, la
forme de l'expression littéraire, car, alors que dans le domaine linguistique,
l'opposition entre forme et substance permettait de distinguer ce qui est
linguistique et ce qui ne l'est pas, cette opposition n'a pas de sens ici,
puisqu'elle ne permet pas de distinguer ce qui est littéraire.
Ou bien cela veut dire : il écrit en français, en russe, et ce n'est pas

3. Ad. Stender-Petersen n'a pas les mêmes scrupules : sa « théorie structurale de


la littérature » est construite sur une répartition des œuvres littéraires entre quatre
genres fondamentaux (lyrique, épique, dramatique, narratif) qui par combinaison
peuvent donner « douze produits de croisement » T.C.L.C., t. V, pp. 277-287.
4. Outre les hésitations concernant la place exacte du « motif », dont il a été
question plus haut, signalons l'emploi fort imprécis du mot « thème » qui semble appartenir
tantôt au plan du contenu tantôt au plan de l'expression : « Les thèmes (...) sont des
grandeurs formelles de l'expression, mais qui, linguistiquement vus (?), sont des centres
de signification » (p. 20). Il en est de même du mot « symbole ».
Svend Johansen (II) propose une théorie plus nuancée du signe esthétique,
assimilé au signe connotatif.

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plus intéressant que d'enregistrer des évidences telles que : il parle, il
écrit; ou bien on est obligé de considérer la langue comme autre chose :
à partir du moment où elle entre comme élément constitutif dans l'œuvre
littéraire, c'est une forme qui devient une autre forme, on assiste alors à
une métamorphose, à une réévaluation complète de la langue quotidienne :
d'où la difficulté de distinguer entre langue et style. Ce n'est pas en
considérant la langue comme une substance qu'on pourra résoudre le problème;
ce serait plutôt une manière de l'esquiver. En effet, prise comme
substance, la langue est exclue de la littérature; prise comme forme, elle se
confond avec le style. C'est sans doute pour cette raison que Hjelmslev
se gardait bien de distinguer entre forme et substance à l'intérieur des
langues de connotation. C'est ce qu'a bien compris Knud Togeby (IV), qui
voit la principale différence entre langue et littérature non dans cette
distinction artificielle, mais dans le fait que la langue est un texte infini,
composé d'un système fini d'éléments, alors que l'œuvre littéraire est un
texte fini, dans lequel « système et discours coïncident » (p. 47).
C'est bien là ce qui caractérise l'œuvre littéraire : c'est un discours
fini, qui est en même temps un système : à la différence de la langue
quotidienne, encore tout empêtrée dans l'indéfini, dans l'imprécis et même
dans l'informe, pour la langue littéraire, tout est forme, tout est signe,
tout est valeur.

BIBLIOGRAPHIE

(I) Hjelmslev, Louis. — « Omkring sprogteoriens grundlseggelse », Fest-


skrift udgivet af Kebenhavns Universitet, Copenhague, novembre
1943.
(IA) Traduction française : Prolégomènes à une théorie du langage,
Paris, les Éditions de Minuit, 1968.
(II) Johansen, Svend. — « La notion de signe dans la glossématique et
dans l'esthétique » (Recherches structurales. Travaux du Cercle
linguistique de Copenhague, t. V, 1949, pp. 288-303.)
(III) S0RENSEN, Hans. — « Studier i Baudelaires poesi », Festskrift udgivet
af Kebenhavns Universitet, Copenhague, 1955.
(IV) Togeby, Knud. — « Littérature et linguistique » (Orbis Litterarum,
vol. XXII, 1967, pp. 45-48), Copenhague.

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