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1IJ3B

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L’UNIVERS

HISTOIRE ET DESCRIPTION
DE TOUS LES PEUPLES

ASIE IIIMEAIKE

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'l'YPO(iUAt*lllh: DE FlUMIN DIUOT FUÉRES, FILS KT C“
111 E JACUU, V o(i.

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ASIE MINEURE
DKSCHirTKIS

üRogkaphique, historique et archéologique

ÜËS PROVINCES ET D£S VILLES DE LA CHERSONNESE D'ASIE

l'Ut

CHARLES TKXIEK
IIK l'INSTITIT

PARIS
riKMIN DIDOT FKÈHES, FILS ET C'% KDITEUKS
IMHUMErUS ItE L*IN.SnTLÏ DE l UANCE
HUK JACOU, 5U

M UCCC LXll

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16APR.1994

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ASIE MINEURE,
DESCRIPTION

GÉOGRAPHIQUE, HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE, ,

PAR CHARLES TEXIER,


DE L’rairmiT.

LIVRE PREMIER.
AVANT-PROPOS. — TRAVAUX DES VOYAGEURS MODERNES.
CONSEILS SUR l’ORGANISATION d’uN VOYAGE EN ASIE. — HYGIÈNE.

Dintisna politiques et géographiques de l’Asie.

Périple de l’Asie Mineure. — Orographie.

CHAPITRE PREMIER. vit même qui ne pouvaient dessiner que


la carabine d’une main et le crayon
Trente années se sont écoulées de- de l’autre ,
position peu commode pour
puis que l'auteur de ce livre entreprit un peintre. De sérieux obstacles s’étaient
d’explorer en son entier la presqu’île certainement présentés , qui avaient
de l’Asie Mineure. En ce temps-là arrêté l’essor d’explorateursentrepre-
cette contrée paraissait presque inabor- nants ; des attaques soudaines avaient
dable, et tous les voyageurs qui i'a.- été suivies de conflits dont l’issue fut
vaient parcourue revenaient en faisant fatale.Les difOcultés presque insurmon-
des récits émouvants des dangers qu’ils tables que rencontraient les voyageurs
avaient courus. Les uns, comme Tour- n’étaient pas de nature à encourager
nefort, racontaient combien de fois ces sortes d’entreprises; des contrées
les attaques des brigands les avaient for- désertesà traverser, la guerre civile, les
cés de se détourner de leur route; les dissensions intestines entre les diverses
autres entamaient leur narration comme autorités, les privations des choses les
s’il se fût agi d’une expédition guer- plus nécessaires, tels étaient les obsta-
rière. Le colonel Leake partait avec une cles contre lesquels il fallait lutter. Qui-
escorte very well armated; d’autres conque voulait visitér l’Asie devait sur-
ne dormaient que sous la protection de tout cacher à un peuple déliant l’inten-
leurs dottble-barelled gun (1) . On en tion d’observer le pays et d’en étudier
les monuments; car dans une opération
(i) Felloiv's Journal, p. ig5. Aruiidell, topographique les populations étaient
Smen Churehes, p. 3, etc. toujours disposées a soupçonner l’idée
V' LivraUm. (Asib Mineure.) T. II. 1

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. ,

3 - L’UOTYJiRS.

d’une invasion étrangère. Les voyageurs CONSEILS AUX VOYAGEURS.


étaient obligés d’emprunter l’habit de
simples marchands pour traverser C6 Lé premier principe qui doit guider
pays avec plus de sécurité, et pour ob< un voyageur dans ces contrées lointai-
tenir des notions qui étaient accueillies nes ,
c’est la conliance dans les popu-
avec avidité par les savants de l’Europe. lations qu’il visite. Nous pouvons dire
Mais grâce à l'énergie du souvecaia >
qu’il n’y a pas d’exemple qu’un cava-
qui avait ané.àDti les janissaires, et qui lier arrivant franchement dans une tri-
voulait fermement modiüer l’esprit. de bu, et y demandant l’abri et les vivres,
son peuple, un heureux changement aucun secours lui ait été refusé. L’hos-
s’était fait dans les relations des habi- pitalité ,
l’alfa et la diffa ,
comme on
tants de l’Asie Mineure avec les étran- dit en Afrique, sont toujours dans les
gers qui les visitaient, et, pendant plu- mœurs des Orientaux qui ne se sont pas
sieurs années, l'auteur a pu parcourir gâtés au contact des villes. Il est ce-
la contrée, non-seulement sans ren- pendant une condition imporlante, c’est
contrer d'opposition de la part des au- de parler tant soit peu fa langue du
torités ou des paysans, mais encore c’est pays et de pouvoirs’exprimer soi-méme.
à l’aide des renseignements qu’il obte- C’est déjà différent tpiand on est à la
nait , et qui étaient toujours accompa- merci d’un drogman presque toujours
gnés des offres de service les plus ami- élevé dans la crainte des Turcs et de
cales, qu’il a pu pénétrer dans ces ré- la peste, et dispose néanmoins à vanter
gions presque désertes où les vivres lui ses nombreux exploits contre les bri-
eussent manqué sans le concours em- gands. Comme la plupart de ces auxi-
pressé qu'il trouvait dans ce pays. liaires, qui ont cependant leur degré
Cet état de choses, qui paraissait si ne connaissent que médiocre-
d’utilité,
nouveau alors , fut bientôt annoncé et ment langue turque, ils sont exposés
la
publié en Europe. L’auteur s’empressa à causer au voyageur les plus grands
de le faire conwtre, et appela de tous mécomptes ,
soit sur les routes qu'il
côtés les explorateurs d’un pays sur veut parcourir, soit sur les ressources
lequel l’histoire comme les sciences qu’il doit rencontrer.
avaient tanta apprendre. C’est à partir II est donc de la plus grande impor-

de ce jour que les voyages de l’Asie de- tance pour ceux qui veulent entrepren-
vinrent si nombreux et si fructueux. Si dre un long voyage dans ces contrées
l’on se reporte à la connaissance que les d’apprendre sutlisamraent de langue
érudits comme les géographes avaient turque pour savoir au moins compter
alors de l'Otient, on comprendra les couramment ; cela est nécessaire pour
immenses progrès que les sciences et les distances comme pour les dépenses.
l’histoire ont faits dans cette voie. La connaissance des monnaies et des
L’Angleterre comme l’Allemagne et mesures est des plus faciles à acquérir.
la Russie ont apporté leur tribut au On ne compte guère les distances que
tonds commun des connaissances de l’O- par heures de marche, sahat; un che-
rient, et cependant, malgré ce qui a été val au pas fuit six kilomètres dans un
fait, ou peut dire que cette étude n’est sahat; ceci résulte d’uu calcul fait
encore qu’à l’ctat naissant. Nous allons pendant plusieurs années. Un voyageur
résumer dans ce volume l’élat des con- qui veut parcourir l’Asie, nous enten-
naissances historiques et géographi- dons ici l’Asie depuis Smyrne jusqu’au
ques qui résulte des études déjà faites, golfe Persique , car les mœurs sont à
et nous signalerons les lacunes qui exis- peu près les mêmes dans toutes ces
tent encore et les espérances que fait contrées, doit avoir soin de se munir,
concevoir cette ardeur de connaître par l’intermédiaire de son ambassade
qui est un des cachets saillants de la d’un fermao impérial valable pour les
jeunesse d’aujourd'hui.- autorités des provinces qu’il veut visi-
ter. l’.es. gouverneurs des grandes villes,
(t i
'

comme Smyrne, Broussa, etc., délivrent,


à la demande des consuls, des 6o«youn/i
ou passeports valables pour le rayon de
i
ASIR AlINFX'RE. 3

leur fiouveniement ; mois ces papiers ne le moleste pas paria demande de la


sont loin d'avoir l’influence des fer- capitation ou sous quelque autre pré-
mans. Enfin pour aller d’un lieu à texte, que les vivres nécessaires lui
un autre, il y a encore un papier de soient fournis, qu’il trouve toujours
route appelé teskéré , qai n’est bon que hospitalité, égards et protection , sui-
pour avoir des chevaux de poste. L’in- vant leS' capitulations impériales. Tel
convénient de ces deux dernières piè- est l’objet de mon présent ferman
; dès
ces , c’est qu’elles ne mettent pas le sa réception, conformez-vous-y exacte-
voyageur à l’abri des visites douanières ment.
à tous les lieux de péage, tandis que Écrit à la fin de la lune de safer 1251
le porteur du ferman h’y est jamais (20 Juin 1835).
exposé, soit qu’il aille par terre ou par Traduit par le soussigné, secrétaire
mer. interprètedu Roi.
Nous donnons ici le modèle d’un Signé: Annibal DANTAN.
ferm.on délivré sous le règne du sultan
Mahmoud à la demande de l’ambassa- Pour le personnel quevoyageur le
deur de France. veut emmener avec personnage
lui, le
le plus important est un bon cawass.
Traduction d'un ferman adressé à tou- Un cawass est une espèce de maréchal
tes les autorités ciniles et militaires des logis qui porte le ferman et qui se
des pays situés entre Constantinople charge de procurer à la caravane, hom-
et Tarsous. mes et chevaux, tout ce dont elle a
besoin. Ce raxvass est nécessairement un
L’ambassadeurde France, près ma Su- Turc; mais il n’a pas besoin d’être réel-
blime Porte, amiral baron Roussin, mo- lement tiré du corps des cawass. Il
dèle des grands de la nation chrétien- suffit qu’on lui fasse délivrer une com-
ne, a dernièrement, dans la note qu’il a mission par les bureaux de la Porte.
présentée , exposé oue le gentilhomme Quand un voyageur est assez heureux
irançais N... se reno de Constantinople pour avoir trouvé un bon cawass, il
à Tarsous pour faire un voyage de curio- peut partir tranquille; il trouvera tou-
sité, avec uu certain nombre de domes- jours sa tente ou son konac bien ap-
tiques francs, et il a demandé que ce provisionné, les chevaux bien four-
entilhomme, partout sur sa route, nis d’orge et de foin et bonne réception
epuis Constantinople Jusqu’à Tarsous, partout. Mais il faut se défier d’un ca-
soit logé convenablement; qu’il n’é- wass querelleur, qui croit se donner
prouve aucune difficulté ni pour lui- de l’importance en molestant le petit
même, ni pour ses effets et ses mon- nombre de curieux et d’enfants qui
tures, que les vivres nécessaires lui s’arrêtent pour voir passer le captan ;
soient fournis, qu’on se garde bien de c’est le nom que les 'Turcs du peuple et
le molester en lui demandant la capi- des bazars donnent aux Européens.
tation, ou pour tout autre prétexte, que Après le cawass vient le cuisinier. On
les règles de l’hospitalité soient obser- prend ordinairement un jeune Grec qui
vées envers lui, et qu’il Jouisse d’une n’a besoin que de savoir faire le pilaw ;
pleine et entière protection, conformé- il n’est pas même nécessaire qu’il sache
ment aux capitulations impériales. plumer des poules, car dans ce payssm
Mon ordre est qu’il soit agi ainsi que se- contente de les tremper un moment
de.<!sus. Vous donc qui êtes les autorités dans l’eau bouillante, et d’un seul geste
susdites , vous saurez que ce gentil- on enlève tout, plumes et peau, et
homme mérite hospitalité et respect. quelquefois la viande.
Dans quelque lien qu'il débarque, en L’interprète vient ensuite ; il se pré-
allant de Constantinople à Tarsous avec sente ordinairement comme parlant
un certain nombre de domestiques > indistinctement > toutes les langues
francs, vous aurez soin qu’il soit logé du pays. Il est presque toujours dans le
convenablement, qu’il iréprouve au- vrai. Son emploi consiste à préparer les
cune difficulté ni pour lui-même, ni bagages et à les surveiller au moment
pour ses effets et ses montures, qu’-on des haltes. 11 fait les menues oommis-
L-
4 LTINIVEaS.
sions dans les bazars, et accompaftne CHAPI'raE 11.
le voyageur dans les visites qu’il fait
aux autorités. HYOIÈIfB.
L’organisation de la caravane exige
beaucoup de soins. Autrefois le service Au nombre des provisions utiles , on
des postes d’Asie, qui était établi depuis doitcompter une petite pharmacie con-
Cyrus, fonctionnait assez régulièrement ; tenant les médicaments les plus usnels,
le ferman donnait droit àétre servi comme comme le sulfate de quinine , du lau-
ageut et au tarif du gouvernement. Le danum, de l’ammoniaque, quelques
prix était une piastre, 0,25 cent, par prises de purgatifs , une trousse conte-
cheval et par heure de marche; mais nant ciseaux, lancettes, pierre infernale
aujourd'hui ce service est presque dé- et quelques bandes dans le cas d’un
sorganisé ; de plus les prix ont été con- accident. Il est utile d’emporter un
sidérablement augmentés; il est mieux scariOcateura vecdes ventousesà pompe.
de faire uii traité avec, un caravaneur Ce petit instruiiient, qui remplace avan-
arménien, un katergi, qui se charge, tageusement les sani^ues , peut rendre
moyennant un contrat passé de gré à de grands services. Dans presque toutes
gré', de fournir pendant tout le temps les eaux stagnantes de l’Asie l’on trouve
du voyage, et sur toute route, le nombre des sangsues; mais il faut avoir soin
de chevaux requis. Il se charge en outre de les faire dégorger pendant quel-
de la nourriture et de tout le personnel ques jours avant de les employer ; sans
des palefreniers (turu(gi), et sengage à cela leur morsure peut être venimeuse
remplacer tout cheval qui viendrait à et causer des abcès. Une boite de cly-
manquer en route. Celui qui désirerait sopompe ne devra pas être oubliée, ainsi
une monture plus Une que les chevaux qu^une pièce de uiachylon contre les
de caravane, et avoir un cheval à lui, clous et furoncles que l'iexcès de la cha-
ferait toujours bien de stipuler la nour- leur peut faire naître. Le moindre soin
riture de son cheval par le katergi; sans médical que l'on donne à ses gens est
cela il courrait risque d'étre rançonné toujours du meilleur effet; ils en sont
dans les villages où il s’arrêterait. très- reconnaissants et servent avec plus
Le matériel du voyage se compose de zèle.
de deux paires de cantines, en bois ou Il est à peu près inutile d’appeler un

en cuir, d’une petite tente, d'un lit des médeciusdu pays, tant leur ignorance
pliant avec quelques tapis, enfln d’une est grande ; mais maintenant dans pres-
cuisine portative, une marmite, des que toutes les villes on trouve des méde-
assiettesde fer battu et deux petits ton- cins européens. Ce sont les barbiers du
neaux pour l’eau. Les autres cantines pays qui se chargent de faire les sai-
contiennent les livres de voyage, les gnées ; ifs saignent ordinairement les
instruments, tels que boussole, lu- malades soit du pied soit de la main, et
nettes, et les objets qui servent à la laissent lemembre dans un bassin d'eau
spécialité des recherches que l’on veut chaude. Dans l'ignorance où ils sont
faire. Ainsi aujourd'hui, lu plupart de de l'anatomie, ils se hasardent rarement
ceux qui voyagent pour étudier les mo- à faire une saignée du bras dans la
numents ne manqueront pas d’emporter crainte d’un accident. On fera bien du
un appareil photographique; mais si reste, avant d’entreprendre uu long
l’on veut un bagage plus portatif, ilsufüt voyage, de prendre une consultation
de se munir d’une caméra lucida, petit écrite de son propre médecin qui don-
instrument qui offre les ressources les nera des conseils selon le tempérament.
plus étendues. Il faut aussi emporter Mais en route il ne faut pas négliger
un grand parasol de paysagiste qui sert les petites indispositions, que la fatigue
en même temps pour s'abriter dans les aggrave promptement, surtout les liè-
courtes haltes que l’on fait eu route. vres et la dyssenterie. Les insolations
doivent être soigneusement évitées, en
ayant soin de porter un chapeau à large
bord et de ne jamais stationner pour
dessiner ou écrire qu’à l’abri d’un parasol.
,

ASIE MINEURE. S

Le régime diététique est des plus toutes les populations champêtres. Les
simples :se conformer à la manière de mesures hygiéniques à prendre sont
vivre du pays. L’usage du vin du ta-
, des plus simples; excepté quelques can-
bac, du café n’a rien de nuisible. Ceux tons marécageux comme £phèse et
dont l’estomac pourra s’accommoder quelques embouchures de fleuves, le
du laitage sous toutes les formes trou- pays est d'une salubrité complète. Il
veront une ressource précieuse dans cet faut avoir soin de ne jamais dormir la
aliment. Les fruits sont généralement nuit en plein air pour ne pas contrac-
bons et très-abondants en Asie ; mais il ter d'ophtalmies et de ne pas dormir
faut savoir les choisir dans leur pro- en plein soleil. Les vêtements que l'on
vince natale. Les raisins de Smyrne doit porter ne diffèrent en rien de ceux
les poires d’Angora , les melons de que l’on porte en Europe; ceux qui sont
Cassaba sontd’un usage salutaire quand habitués aux vêtements de flanelle ne
on ne les prend pas par excès. Mais il devront pas les quitter à cause do la
faut s’abtenir autant que possible de chaleur; une ceinture de laine est un
toutes les solanées comme tomates mé- bon préservatif contre les refroidisse-
longènes et des concombres crus, dr>nt ments.
les indigènes font un usage immodéré. Nous devons, avant de terminer cette
Pour tout dire en un mot, le voya- question d’hygiène, dire un mot d'un
geur fera bien de ne pas s’écarter du fléau qui pendant bien longtemps a été
régime alimentaire qu’il suivait dans son un sujet d’effroi pour les voyageurs eu-
pays. Ceux qui ont l’habitude du thé ropéens ; nous voulons parler de la
peuvent en faire usage à toute heure peste, puisqu'il faut l’appeler par son
pour boisson habituelle; elle remplace nom. Lorsque nous sommes arrivé en
avantageusement le vin , qui est rare et Orient, nous venions comme tous les
médiocre dans l’intérieur. autres dans la persuasion que la fuite
Les salaisons ne sont pas un aliment seule pourrait mettre à l’abri de l’atteinte
sain ; on n'en trouve pas à acheter dans de la contagion; que le moindre attou-
l’intérieur, et celles qu’on emporte ne chement, le plus petit contact suffisaient
tardent pas à devenir rances. pour faire contracter la peste, et c'est
Ceux qui ne craignent pas d’augmen- dans ces idées, partagées du reste par
ter leur bagage pourront emporter une partie de la population franque de
quelques boites de conserves et de lé- l’Orient, que nous traversâmes plusieurs
gumes secs ; mais il est surtout impor- épidémies. Car de 1833 à 1842 la peste
tant de se pourvoir d’un sac de biscuits se manifesta dans les difl'erentes régions
qu'on appelle à Smyrne paximada pour de la Turquie d'Asie sous la forme de
le cas ou l’on ne trouverait pas de pain plus de trente épidémies dont quelques-
dans les haltes, et cela arrive fréquem- unes furent très-meurtrières. Les précau-
ment lorsqu’on entre dans les régions des tions que nous croyions devoir prendre
nomades. En effet ces tribus ne cuisent en voyageant ne nous mettaient pas tou-
pas de pain, mais préparent au mo- jours à l’abri du contact, et nous finîmes
ment du repas des galettes appelées par reconnaître que les dangers que
pita et qui ne sont autre chose que de peut présenter la peste ont toujours été
la pâte non levée , chauffée pendant fort exagérés. Notre expérience person-
quelques minutes sur une plaque de nelle ne suffirait certainement pas pour
tôle. On est toujours certain de trouver donner un conseil à ce sujet; mais de-
en route à s’approvisionner de viande puis cette époque les médecins du Caire
de mouton , d’œufs et de poules. Celui ont recueilli et publié des observations
qui prend goût aux préparations de lai- qui peuvent rassurer ceux que leurs pé-
tage que font les nomades se trouve régrinations conduiraient dans des con-
assuré contre toute privation; car trées où la peste se manifeste. Nous re-
dans toutes les tribus, comme dans les viendrons plus tard sur ce sujet, qui ne
villages, le lait est abondant. Ou le peut être traité d’une manière incidente.
consomme doux ou aigri; il prend alors La peste d’ailleurs ne se manifeste plus
le nom de youhourt, et (éit pour qu’à de rares intervalles et tend à dis-
ainsi dire la base de la nourriture de paraître de l’Orient.
6 L’UNIVERS,
Il un détail important à
est encore revenir ensuite au bord de la mer dans
question d’argent et celle
traiter, c’est la la Mysie, l’Æolide et la Carie.
du backckich, mot turc que les voya- La géographie pure exigerait (|ue
geurs apprennent bien vite à connaître, nous suivissions l'ordre des bassins des
et qui n’a pas d’analogue dans les au- fleuves; mais cette méthode a l’incon-
tres pays. Backcliich veut dire à la fois vénient de morceler l'histoire des pro-
présent, pour boire, bonne main, et ne vinces et de jeter le lecteur dans une
signifie pas seulement rémunération sorte de confusion. Nous pensons qu’il
d’un petit service, c’est une. libéralité vaut mieux étudier chaque province
gratuite que l’on attend de l’étranger. séparément ; les populations qui les ont
Mais comme le présent se borne ordi- successivement occupées ont formé des
nairement à quelque menue monnaie, groupes distincts qui seront mieux sai-
il n’est pas très-onéreux quand on sis par cette méthode, et les caractères
peut le donner sous cette forme ; voilà des monuments et des mœurs présen-
pourquoi il est très-important d’avoir teront un tableau plus complet.
avec soi une certaine provision de pias- Entre les œuvres d’art des Grecs de
tres et rie demi-piastres. l’Ionie, les monuments taillés dans le roc
Pour les fonds que l’on doit emporter de la Lycie, et les grottes grossière-
avec soi, les banquiers de Smyrne et de ment ébauchées de la Cappadoce, entre
Constantinople ont aujourd'hui beau- les villes de marbre par les
bâties
coup plus de relations qu’autrefois avec Grecs et les constructions gigantesques
les villes de l’intérieur. Il .'^ern donc des Lélèges et des Mèdes, la différence
possible de se procurer des traites sur ne vient pas seulement des races qui
Smyrne, Angora, Césaréc et Alep. les ont élevés, elle tient aussi à la for-
Ainsi organisée, nous conduirons mation du sol où vécurent ces diffé-
notre caravane dans les régions les rentes populations ; le caractère de l’ar-
plus reculées de la péninsule et lui dé- chitecture change avec la nature des
velopperons toutes les beautés de la matériaux que l'on peut mettre en œu-
nature et de l’art qu’elle renferme. vre. Les premiers édifices en brique et
en pisé furent bâtis dans les plaines de
la Chaldée et de la Babylonie, et le dé-
CHAPITRE III.
faut de bois de construction dut con-
duire les habitants à inventer la voûte
DIVISION DE l’OUVBAGE. pour couvrir leurs monuments. Les
contrées montagneuses où la roche est
Les géographes anciens ne parais- tendre et facile à travailler offrirent
sent pas avoir adopté de plan fixe dans aux populations troglodytes des repaires
les descriptions de l’A.sie Mineure qui commodes, et les grands rochers cal-
sont parvenues jusqu’à nous. Strabon caires de la Perse et de la Médie furent
commence par la province centrale de pris comme le livre impérissable où
la Cappadoce, et marche de l’est à les conquérants d’alors firent graver
l’ouest sans s’attacher à un ordre mé- leurs exploits.
thodique. Scylax fait le tour rie la La fine et précise architecture des
presqu’île depuis le Pont jusqu’à la Grecs n’aurait jamais orné les villes
Cilicie nous le suivrons dans son pé-
;
et les colonies anciennes si d’inépui-
riple. Pline et Mêla suivent une mar- sables carrières de marbre n’eussent
che contraire. Les géographes modernes fourni d’abondants et de riches maté-
ont adopté plus volontiers, dans la des- riaux aux artistes d’Europe ou d’A-
cription de la presqu’île d’Asie, l’ordre sie. Si les vallées où coulent de grands
des provinces du septentrion au midi ; fleuves ont souvent servi de frontières
c’est en effet ordinairement par la Bi- aux États, elles ont rarement arrêté
tbynie que presque tous les voyageurs conquérants la marche de
l’essor des ;

qui ont décrit le pays sont entrés dans ne doit donc en tenir compte
l’histoire
l’Asie Mineure; nous adopterons la que dans le cas où elles ont réelle-
même marche. Nous étudierons la Bi- ment formé une barrière entre des*
thvnie et les firovinces centrales pour raceji distinctes . comme lit le fleuve
,

ASIK MlJjEÜRE. - ^

Halys dans la haute antiquité asiati- Les Cataoniens ; ,

que, entre les races européennes et les Les Cariens ;


races sémitiques. Les Lyciens.
Les historiens anciens avaient dans Ces derniers se divisent en quatre
leurs écrits implicitement démontré branches qui sont ;

que ce fleuve partagea la population Les Myliens :


ae l’Asie en deux souches bien dis- Les Solymes;
tinctes; mais cela ressort phitôt de la Les Termiles ;
comparaison des documents qu’ils Les Lyciens.
nous ont laissés que d’un grand fait
généralement reconnu et attesté par LE N ou d’asie.
eux ; nous avons cherché il y a long-
temps (() à que
faire ressortir tout ce D n’est pas surprenant qu’une contrée
ce fait avait depour l’étude
saillant qui fut rhorcelée par des populations
de la contrée, et nous voyons que si différentes de langue et d’origine
depuis ce temps non-seulement aucune n’ait jamais été désignée sous un nom
controverse ne s’est élevée sur ce sujet unique. Le nom d’Asie ne fut d'abord
de la part des auteurs qui l’ont traité; appliqué qu’à la partie occidentale de
mais il est regardé aujourd’hui comme la presqu'île, à celle que les Romains
acquis a l’histoire (2) ; ce sont ces deux appelaient province d’.Asie. Quant à l'o-
souches, l’une, appelée par les anciens rigtne de ce nom, qui de nos jours s'ap-
Leuco-Syriens ou Syriens blancs, issus plique au vaste continent oriental, nous
des races sémitiques qui peuplèrent l’A- lisons dans Hérodote (I): « On croit
sie occidentale jusqu’à la Phenicie
, et
néanmoins, d’après ce que rapportent
l’autre connue sous le nom générique que l’Asie fut ainsi nommée
les Grecs,
de Bryges et de Mysiens émigrés de du nom de la femme de Proniéthée.
la Thrace, et qui sont par conséquent Cependant les Lydiens réclament pour
de race européenne , ou comme d’au- eux l’honneur d’avoir donné le nom à
tres l’ont démontré de race indo-ger- l’Asie, et soutiennent qu’il vient non pas
manique. de la femme de Proniéthée, mais d^A-
Voilà donc une division naturelle sias, fils de Cotyset petit-fils deManès, et
dont nous devrons tenir compte, et que la tribu Asiade qui existe à Sardes
qui peut s’établir de la manière sui- lire le sien de la même origine. » Néan-
vante : moins ce nom d’Asie que se disputaient
les peuples de la région occidentale s’est

Races indo-germaniques ou euro- bientôt répandu au delà de ces limites;


péennes : car Hérodote nous apprend que les ré-
gions situées à l’est de l’Euphrate por-
I.es Thraces; tèrent aussi le nom d’Asie « Les As-
;

Les Mysiens ; syriens, dit-il, étaient maîtres de toute


Les Lelègps; l’Asie supérieure, depuis cinq cent
Les Bitbyniens ; vingt ans, lorsque les Mèdes commen-
Les Phrygiens ; cèrent les premiers à se soustraire à leur
Les Paphlagoniens ; domination (2V. » On pourrait encore
Les Grecs ; citer un grand nombre de passages où
le nom d^Asie est applique à tout le
Races sémitiques : continent , témoin ceux-ci ; « Cyaxare,’
fils de Phraorte, soumit toute l’Asie au-
Les Cappadociens ; dessus de l’Halys (1, 103). Les Scythes
Les Ciliciens , demeurèrent maîtres de l’Asie pendant
Les Lycaohiens; vingt-huit ans (1, 1 06). Astyage fit passer
sous le joug des Perses les Mèdes, qui
(i) Asie Mineure, 1839, introduction, avaient dominé sur l’Asie au delà du
p. 10.

U) ror. Vivien de Sainl-Msrtin, Hisl. (i) Hérod., IV, 45 .
• les dec. genfrr,, etc., etc.
(ï) Hérod., T, pS.

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8 L’XJWIVERS.
fleuve Halys pendant cent vingt-huit nom à la totalité de TAsie actuelle;
ans , non compris le temps de l’invasion mais comme dans leurs connaissances
des Scythes (I, 130). Les Perses qui géographiques ils n’avaient aucune idée
s'étaient soustraits à la puissance des bien précise de ce que nous appelons
Mèdes furent, depuis la défaite d’As- un continent, ils ont étendu le nom
tyage, les maîtres de l’Asie {ibid.). » d’Asie de proche en proche à mesure
Ces mots, haute et basse Asie, sont qu’ils ont avancé dans l’intérieur. Les
employés par Hérodote (i) pour dési- Lydiens le connaissaient déjà, et il est
ner les contréessituées à l’est et à l’ouest probable qu’il leur était venu des peuples
e l’Halys. En parlant des campagnes de l’Asie moyenne; voilà pour le conti-
de Cyrus et d’Harpage dans le pays situé nent entier. Le nom d’Asie Mineure
entre Sardes et la Lyrie, il s’exprime n’apparaît nulle part dans l'histoire
ainsi « Tandis qu’Harpage subjuguait
: ancienne ; sous l’empire romain cette
l’Asie inférieure Cyrus lui-même por-
, contrée est désignée sous le nom de
tait la guerre dans l’Asie supérieure. » province d’Asie; elle comprend les pays
La limite qui séparait ces deux contrées situés au nord c'est à-dire en de([à
,

varia à différentes époques; elle fut fixée du Taurus , mais elle n’avait pas d'ap-
d’abord au fleuve Sangarius, puis à' pellation distincte. Strabon se contente
l’Halys (2). Il ressort de toutes ces ci- de la nommer La Chersonnèse fl) en
tations que si dans la très-haute anti- opposition avec tout le continent a’Asie.
quité la contrée appelée Asie avait porté Le nom d’Asie Mineure n’apparaît
un autre nom, cette tradition était com- dans l’histoire que sous les empereurs by-
léteinent effacée de la mémoire des zantins. On disait alors la petite Asie (2).
ommes, et que déjà six ou sept cents Dans les divisions de cette province en
ans avant notre ère. ce nom était appli- rtièmes l’empereur Constantin Por-
quée toute la partie connuedu continent. phyrogénète lui fait prendre la déno-
Cela ressort des vers du poète Mimnerme mination de Thème Anatolique, d’où
cité par Strabon (3). Cet auteur, parlant est venu le nom d'Anatolie et par cor-
de l’expédition des Æoliens qui chas- ruption de Natolie, qui se trouve sur
sèrent les Léièges du territoire d’É- plusieurs cartes. Ces deux derniers
phèse, s’exprime ainsi : « Après avoir noms commencent à tomber en désué-
quitté Pylos.... Nous arrivâmes par mer tude, et sa dénomination d’Asie Mineure
en Asie, objet de nos désirs » ; or le poète est généralement adoptée pour désigner
Mimnerme passe pour avoir été contem- la Chersonnèse d’Asie.
porain de Solon; il écrivait donc dans
le septième siècle avant notre ère. Pau- CHAPITRE IV.
sanias, racontant les circonstances du
départ des Ioniens sous la conduite de DIVISIONS DE l'ASIE MINEUBE A DIE-
Nilée, fils de Codrus, mentionne les di- FÉBENTES EPOQUES.
verses tribus grecques qui l’accompa-
gnèrent ; —
« ils se rendirent sur des Un pays qui a été peuplé et colonisé
vaisseaux en Asie » (4). Ces événe- — par tant de tribus de races différentes
ments se passaient dans le onzième siècle abordant de tous les points de l’horizon,
avant notre ère; or si à cette époque l’A- a dû nécessairement, dans le cours des
sieeüt portéun autre nom, l'auteur n’eût siècles, subir de nombreuses et impor-
pas manqué de le dire comme il le , tantes modifications dans ses divisions
dit pour les villes et les provinces. territoriales. Cependant il est un fait
Vouloir remonter plus haut dans les an- attesté par Homere, c’est que, avant la
tiquités grecques serait se jeter dans guerre de Troie, les principales provinces
des conjectures. Il est possinle que les étaient déjà constituées en corps d'État,
nouveaux colonq n’aient pas étendu ce en d’autres termes les grandes migra-
tions thraces venues d’Europe pour s’é-
(i) Hérod., liv. IV, 45. tablir dans la presqu’île avaient eu lieu.
(a) Hérodote, I, 7 a; VI_, 43.
(3) XIV, 634. ( 1) Strab., XIV, 664.
( 4 ) Pausanias, I. VII, ch. a. (») Voy. Paul Oruie, I. I", cb. II.
ASIE MINEURE. 9
Si nous voulons rechercher quelles- fu- l La Bithynie.
rcut les divisions de la contrée anté- La Paplilagonie.
rieurement à ces migrations , nous en Le Pont.
Àu nard ;
sommes réduits à rassembler quelques L’Honoriade.
faits épars dans les anciens écrivains, L’Hellénopont.
qui nous apprennent, il est vrai, que du I Le Pont Polémoniaque.
nord et de l’est de grandes invasions
eurent lieu à diverses époques antéhcl- Les trois dernières en furent détachées.

léniques; mais ces expéditions tempo- ' Les deux Mysies.


raires ne ehangèrent rien aux divisions La Troade.
géographiques. L’invasion de Sésos- L’Æolide.
tris (1) fut aussi de peu de durée, et A l’occident :
L’Ionie.
les Égyptiens, vainqueurs des tribus La Doride.
asiatiques, n’ont laissé dans le pays au- La Carie.
l
cune trace de leur séjour, à l’exception La Lycie.
du monument de Nyniphi, cité par La Pamphylie.
Hérodote. Au midi :
La Cilicie Trachée.
Le cours de l’Halys, qui coupe la I La Cilicie Champêtre.
presqu’île en deux parties à peu prés La Galatie.
égales parait avoir été la base des oeux La Phrygie épictète.
grandes divisions primitives, soit pour Au centre: La graude Pnrygie.
Îes races, soit pour le territoire. La ré-
La Pisidie.
;ion située à l’est du fleuve et qui dans I L’Isaurie.
Îa haute antiquité était désignée sous
La Cappadoce.
le nom de Leucos-Syrie faisait partie .1 l’est : L’ Arménie I".
de cette dernière contrée. La Cappadoce L’Arménie 2".
était déjà constituée en royaume , sans
doute sous la suzeraineté des rois d’As- Les Romains, faisant abstraction des
syrie. Tout le territoire situé à l’ouest
régions situées au delà du Tauriis, don-
du fleuve était pour ainsi dire a la naient le nom d’Asie propre, quæ pro-
merci des tribus errantes, comme les prie vocatur Asia, à toute la contrée
Pélasges, les Léièges et les habitants des située au nord de cette chaîne ; elle com-
lies qui venaient tour à tour se dispu- mençait au Golfe de Telmissus (I), et
ter quelques lambeaux de territoire. finissait à la presqu’île des Thyniens à
Après la guerre de Troie l’invasion des
l’entrée du Bosphore (2). Agrippa divisa
ieuples grecs suit un courant régu- cette Asie propre en deux parties; il
fier, et les grandes et riches colonies donnait à la première pour limites à
ioniennes s’établissent sur la cote orien- l’orient la Phrygie et la Lycaonie, au
tale, tandis que la monarchie des Perses
couchant la mer Égée, au midi l’É-
s’avance au couchant du fleuve fron-
gvpte (3) ? au septentrion la Paphlago-
tière faisant d’abord la guerre aux rois
,
nie; il lui supfiosaitqualre cent soixante-
aborigènes de Lydie avant de .se mesu- dix mille pas de long sur trois cent
rer avec les Grecs. C’est à partir de cette
mille pas de large. 11 fixait pour limites
époque du sixième au cinquième siècle à la seconde partie de l’Asie propre à
avant notre ère que nous avons des do-
l’orient l’Armenie Mineure, à l’occident
cuments suffisants pour établir une divi-
Phrygie, la Lycaonie la Pamphylie (4),
la
sion géographique de l'Asie Mineure
au septentrion la province pontique, au
qui (ireseute un certain caractère de midi la mer de Pamphylie et faisait sa
précision.
Ces provinces sont classées de la ma-
(i) Pline ,
V, ch. 47.
nière suivante, d’après leur ordre de
(3) Pline, V, ch. 3s.
position du nord au sud, eu deux gran-
(3) Pline dit i|uel(|ues lignes plus haut
de.sdivisions : la Pontique, l’Asiatique,
qu’elle commençait à Telmissii.
qui forment vingt-quatre provinces.
(4) Ici les provinces du sud ne font
plus
partie de l’Asie propre; on est en droit de
(i) Hérod., liv. II, ch. loi. supposer une faute dans le mot Égypte.

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’L’UiMVKRS.
La CiBYBATiQUK, ctief-lieu Cibyra,
longueur de ciny c'eut soixante mille
de Phrygie; elle compte vingt-cinq
pas, sur trois ceiit vingt-cinq mille ville

pas de largeur. L’Ionie et les prai- cités dans son ressort.


La Synnadiqüb, chef-lieu Sjmnada;
ries asiennes que les Grecs regardaient
comme le cœur du pays faisaient ellea dans son ressort vingt et un
partie de cette division ; c'est là aussi
peuples divers dont six seulement sont
qu'étaient situées les sept églises d’Asie nommés (1).
L’apaméenwk, chèf-lieu Apamée de
mentionnées dans l’Écriture. Darius,
maître de l’Asie, divisa la contrée en Phrvgie; elle compte dans son ressort
quatre satrapies auxquelles il imposa six villes qui sont nommées et neuf
un tribut. Hérodote donne
(1) les dift dont le nom
est passé sous silence
férentes divisions de ces gouvernements ; comme n’ayant aucune célébrité.
nous les mentionnerons en parlant des Halicabnasse, chef -lieu Halicar-
provinces. nasse; les six villes qui sont sous sa
juridiction lui ont été attribuées par
CHAPITRE V. Alexandire le Grand.
Alabanda, cité libre qui donne son
JOBIDICTIONS BOMAINES. nom au ressort dont elle est le chef-
lieu. Sous sa juridiction sont dix villes,
Dès l’origine de la puissance romaine La Sabdique, chef-lieu Sardes; sa
en Asie , la contrée fut divisée en dio- juridiction s’étend par delà le mont
cèses ou gouvernements, dans lesquels il Tmolus jusqu’au Méandre; elle com-
où l’on rendait la
y avait un tribunal prend dix villes. Pline en nomme cinq et
justice. Strabon se plaint de la confu- d’autres peu connues {ignobiles).
sion que ce mode de division apportait La Lycaonie, annexée au district de
dans la géographie, les provinces n’é- l’Asie propre. Elle a dans son ressort
tant plus renfermées dans leurs limites cinqnatious. De cette province, fut, de
respectives et variant selon les caprices plus, distraite, une tréirarchie qui con-
des vainqueurs. fine à la Galatie. Cette juridiction com-
« Les pays qui suivent au midi (de
mande quatorze villes dont la plus c.'-
la Catacécaumène) jusqu’au mont
Tau-
lèbreest Iconium.
rus sont tellement confondus les uns Smybne, tenant dans son res.sorl la
avec les autres, qu’il est bien difficile de plupart des villes d’Æolide,les Magné-
déterminer au juste ce qui appartient à siens du Sipyle et les Macédoniens
la Phrygie , à la Lydie , à la Carie
ou a
Hircaniens.
la Mysie. Ce qui n’a pas peu
contribué
Romains, Éphèse comprend dans sa juridic-
à cette con fusion , c’est que les tion neuf populations diverses au
dans la distribution de ces pays, n’ont
nombre desquelles on comptait ceux
point eu égard à la différence des na- d’Hypoepa, ville célèbre par son temple
tions; mais ils les ont divisés en juridic- de Diane persique.
tions dont chacune avait une
ville
Adramyttiüm. avait dans son res-
principale où les juges s’assemblaient sort toute la Troade , et par conséquent
pour tenir les assises (2). » étendait son gouvernement jusqu’au
JNous emprunterons à Pline les détails fleuve Esepus.
sur les circonscriptions de ces dépar- Pergame , « la ville la plus célèbre
tements, sur lesquels l’auteur latin nous
de l’Asie. » Elle avait dans son ressort
fournit des documents précieux ; néan- d’autres cités de
douze peuples et
moins il ne suit pas d’ordre méthodique marque.
dans sa nomenclature , et il en compte Telles sont les juridictions mention-
plusieurs sans nommer leur chef-lieu
nées par Pline. Il ne reste qu’une
d’arrondissement.
faible lacune pour arriver aux confins
Nous en donnons un tableau selon le de l’Asie propre, c’est-à-dire au Bos-
classement qu’en fait l’auteur (3) phore; c’est la généralité de Bithynie
dont il ne donne pas le chef-lieu ; mais
(i) Liv. III, 89.
(i) Sirabon, XIII, 6ag.
1) Plint* V, 39.
(3) Pline,
lie. T, pn-eiim. (
,

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ASIE MINEURE. tV

Cette lacune est comblée par Pline le CHAPITRE VI.
Jeune, <|ui, comme gouverneur de cette
province, résidait à Niconiédie. ASIE DIVISÉE EN THÈMES.
On voit que dans cette répartition
des gouvernements les noms des an- Le nom de thème, qui fut donné à
ciens peuples et les limites des an- ces divisions territoriales, vient du
ciennes provinces sont tout à fait lais- mot grec qui signifie position. Le
sés de côté, comme si déjà l’empire
thème anatolique, qui plus tard donna
avait voulu tenter une fusion entre les
son nom à toute la contrée, Anatolia,
différentes races. Cet état de division
Anatolie, d'«à l'on lit par abbréviatjon
en Juridictions ayant chacune son ma-
Natolie, n’est cependant pas le plus éloi-
gistrat particulier fut cependant modifié
gné vers l’orient ; mais, comme le fait
sous le règne de Vespasien, qui sépara
observer l’empereur Constantin Por-
une partie de l’Asie pour en faire le phyrogénète, qui a laissé un traité des
gouvernement qu’on appela l’Asie pro- thèmes de l’empire byzantin ce nom ,
consulaire. Une loi de l’empereur An-
fut donné à la province eu égard à sa
tonin établit en principe que cette
po.sition vis-à-vis de Byzance ; mais ce
modification fut faite à la demande des
thème est au couchant de la .Mésopota-
peuples d’Asie, ad desideria Âsia-
mie et des provinces de l’est.
norum, et à cette époque on ajouta les
Iles à l’Asie proconsulaire; la ville
THÈME I ANATOIQUIE.
d’Éplièse fut déclarée première métro-
pole. Ceci ne paraît pas avoir rien changé
au.x limites des juridictions, mais aug- Le thème anatolique est habité par
mentait l’autorité du proconsul sur cinq peuples divers ; il commence à la
chacun des départements. Avant l’em- petite ville de Mérus(l) appartenant à la
pire d’Alexandre Sévère chaque pro- province de Phrygie salutaire. Il se pro-
vince eut son préfet particulier ; cepen- longe jusqu'à Iconium et se termine au
dant depuis Vespasien jusqu’à Antonin pays des Isaures vers le Taurus; cette
le proconsul d’Asie paraît avoir eu une contrée est aussi appelée Lycaonie, où
inspection générale sur toutes les pro- se trouvent les montagnes froides ( le
vinces d’Asie et une juridiction plus Taurus ) ; le versant nord de la Pam-
particulière sur la province proconsu- phylie en fait aussi partie.
laire et sur les îles de l’Hellespont. Dans La région intérieure du thème ana-
la suite le vicaire du diocèse d’Asie par- tolique comprend la Pisidie et la partie
tagea cette inspection Ces divisions de la
.
de la Phrygie capatienne depuis Acroï-
haute administration politique ne chan- nuin jusqu’à Amorium. La Carie et la
gèrent rien aux anciens chefs-lieux de Lycie en forment les limites maritimes.
juridiction civile dans lesquels on con- Ce thème est donc compris dans les
tinua à rendre la justice. Mais sous limites suivantes. II commence à Mé-
Constantin tout le territoire de l’empire rus, frontière du thème Obséquium, s’é-

fut divisé en quatre diocèses, et l’O-i tend en longueur jusqu’aux montagnes


rient n’en forma plus qu’un seul. 11 y de l’Isaurie. En largeur, il a vers sa
eut plusieurs provinces dans un même gauche les frontières du thème des Bu-
diocèse, tandis qu’auparavant le diocèse cellaires et le commencement de la
était borné à une seule juridiction ; en Cappadoce; à sa droite l'Isaurie et le
d’autres termes, le mot diocèse est en commencement du thème cibyrrhœti-
langue grecque synonyme de juridic- que; ce thème est gouverné par un
tion (n. proconsul qui a sous ses Ordres un ma-
La division de l'empire décrétée par gister agminum, cliefdes milices et qui
Constantin le Grand dura jusqu’au plus tard reçut le nom de patrice.
n gue de Constantin Porphyrogénète. Dans le principe, la répartition n’était
pas faite ainsi; le département militaire
(i) .Slralioii. Xlt, 6ïy. était divisé en préfectures, qui renfer-

(r^ VoY. le SynecttèmY tl’Hirroi- è'i.


, ,

19 L’UNIVERS.
maient un nombre de troupes indé- Magnésie ,
Tralles , Hiérapolis , Co-
terminé. lossæ (t), Laodicée, Nyssa, Stratoni-
Les cinq nations qui composaient le cée, Alabande, Alinda ,
Myrina , Téos
thème anatolique étaient les Phrygiens, Lébédus, Philadelphie (2).'

les Lycaoniens, les Isaures, les Pam-


phy liens et les Pisidiens. Ces peuples, THÈME IV OBSEQDIUU.
antérieurement à la conquête romaine,
formaient ou des républiques ou des
Le nom d’Obsequium vient d’un mot
monarchies ; les Romains les divisèrent
grec désignant, à la cour de Byzance,
en provinces et en préfectures. Le pré- le secrétaire des commandements (3) ;
fet duprétoire avait l’administration
aussi le chef du thème Obsequium n’n
militaire et le préfet urbain le gouver-
pas le titre de préteur, mais celui de
nement civil.
comte.
L’étendue de ce thème est détermi-
THÈME II ABMÉNIAQOS. née ainsi qu’il suit :

Il commence au golfe Astacénus (de


Le thème arméniaque est ainsi
Nicomédie) et au promontoire Dascy-
nommé parce qu’il est voisin des fron-
lium; il s’étend jusqu'à Tritonos aux
tières de l’Arménie. Straboii ni les au-
monts Sigriains, et l'île Proconnése et .

tres auteurs qui ont traité de la géogra-


se prolonge jusqu’à Ahvdos, (’.vziipieel
phie de la contrée ne font aucune men-
Pariura. Du golfe Astacénus il s'étend
tion de ce nom, qui lui fut donné par
jusqu’à l’Olympe mysien à la région
l’empereur üéraclius. Il comprend
des Dagotthéniens et jusqu’à Pruse
presque toute la Cappadoce. Cette der-
nière province fut divisée en trois par-
même où habitent les Bithyniens.
Au sud il comprend une partie de
ties la Cataonie, qui commenceà üléli-
:
l’Olympe jusqu’au Rhy-ndacus où ha-'
tèoe ; la Taurique, qui s’étend jusqu’au
bitent les Mysiens sur le littoral, et a
pied du Taurus, et le centre, ou est
Cyziqueoù habitent les Phrygiens et les
Césarée, métropole. La grande Cappa-
Grecs. De ce côté il s’étend jusqu’à Do-
doce commence à Césarée et s’étend du célèbre
rvlée et Cotyæum, patrie
Jusqu’au royaume du Pont; elle est bor-
Ésope. A l’orient il va jusqu’à la ville,
née au couchant par l’Halys et à l’o-
de Mérus; au couchant il flnità Ahvdos.
rient par la Mélitene.
En largeur il s’étend du fleuve Rhyn-
La petite Cappadoce embrassait une
dacus jusqu’à la 'ville de Domatére. Les
partie de la Cilicie, qui renfermait qua-
chefs de ce thème avaient dans leurs
tre villes.
attributions l’entretien vies voies et des
Le thème arméniaque contient sept
édifices et des logements royaux.
villes, qui sont ; Aniasée Ibora, Zali-
Les nations qui habitaient ce thème
,

chus , Andrapa, Aminsus, Neocésarée,


étaient les Bithyniens, les Mysiens, les
:

Sinope.
Phrygiens , les Dardaniens que l’on
appelle aussi les Troyens. Il contenait
THEMES lit DES THKACIENS.
les villes suivantes :

Nicée( métropole), Cotyæum, Dory-


Ce thème comprenait ce qu’on appe-
lée, Midæum, Apamée, Myriée, Lamp-
lait primitivement la province d’Asie et
saque , Parium , Cyzique, Abydos.
ui était sous les ordres du proconsul
’.Vsie.
Le nom de ce thème lui vient de ce (i) Célèbre par son église de l’Archange

qu’au temps d’Alyatte, roi de Lydie, des Mirhel,


(a) Il est à remarquer que la pusition de
colons de Mysie, qui est une contrée de
toutes ces villes est aujourd'hui bien déter-
la ïhrace d’Europe, vinrent s’établir
minée.
dans cette région. honoris causa , piw-
une (3) Ordinis tuendi et
II comprend vingt et villes, qui
eunt.
sont :

Ephèse, Smyme, Sardes, Milet,


Priène Colophon , Thyatirc Pergame
, ,

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, ,

ASIE MINEURE. |3

THÈME V OPTIMÀTUM. Les nations sont les Galates , les Bi


thyniens, les Maryandiniens.
On ignore par quelle raison ce thème
fut appelé Optimatum les troupes n’y
;
- THEME VII DE PAPHLAGONIE.
sont point placées en cantonnement et
il est commandé par un fonctionnaire Les Paphlagoniens étaient regardés
qui porte le titre Je Domestique, et oui dans l’antiquité comme la nation la plus
est d'un ordre inférieur au préteur ; les stupide, la plus impudente et la plus
peuples qui habitent ce thème sont : détestable qu’on pût rencontrer. Homère
Les Bitbyniens , les TbarSiates , les les cite pourtant au nombre des peu-
Thyniens, qui sont voisins des Phry- ples qui vinrent au secours de Priam
giens. et déjà à cette époque la Paphlagonie
Les villes remarquables .sont : était célèbre par la race de ses mules.
Nicoinédie, me'tropole, Héiénopolis, Les Paphlagoniens passaient pour
Prœnetus, Astacus, Parthenopolis. être de race égyptienne, conduits par
Le thème Optimatum est arrosé par Phinée, qui le premier habita la Paphla-
le fleuve Saugarius, sur lequel un pont gonie ; il fut ^re de Paphlagon^ qui
maguifique a été construit par l’empe- donna son nom au pays.
reur Justinien. Les villes principales sont : Amastra
Ce pont existe encore ; nous en par- Sinope et Teium (i).
lerons en décrivant la Bithynie. I.,a Paphlagonie est bornée à l’o-
rient par l’Halys et au couchant par
HBME VI DES BUÇELLAIBES. le Billoeus.

Ce thème n’a pas non plus reçu son THÈME vin CHALDIA.
nom d’un lieu particulier ou de quel-
que peuple célèbre, mais tout simple- Ce thème est ainsi nommé des an-
ment des bucellaires, qui sont des agents ciens Perses venus de la Chaldée. La
inférieurs chargés de la subsistance inétropole est Trébizonde, ville grecque
des troupes (des vivres, pain, selon l’ex- ainsi que l’atteste Xénophon. Dans
pression usiiée aujourd'hui. ) On ap- l’intérieur sontcompris des pays ap-
pelle bucellus (1) un petit pain rond partenant à l’Arménie Mineure, comme
et plat ;
le garde pain s’appelle cella- leprouveqt les noms seuls des contrées.
rius. La Celtzène, les Syspérites et Gœza-
I.,es peuples qui occupent ce thème num, dont il est fait mention dans l’É-
sont les Maryandiniens et les Gâtâtes. criture au quatrième livre des Rois. Les
Il commence a la ville de Modrena, con- Assyriens ayant réduit en servitude
fronte rOptimatum, remonte vers la les habitants de Samarie les transpor-
métropole d’Ancyre et s’étend jus- tèrent prèsdu fleuve Gœzaniim. Le pays
qu’aux coulins de la Cappadoce et au fut appelé Chaldée par les Perses pour
château de Saniana ; tout ce territoire se rappeler leur contrée natale, d’ou ils
est occupé par les Galates. ont été appelés Chaldéens (2).
T, es Galates, colonie des Francs, ar-
rivèrent en Asie du temps d’Attale, roi THÈME XI DE SÉBASTE.
de Pergame et de Nicomède, fils de Zi-
pcetès; ils occupèrent le pays jusqu’au thème de Sébaste commence à
rovaume de Pont et jusqu’à la ville la petiteArménie; il prit son nom de
d’Héraclée et au fleuve Parthénius. Sébaste (César), qui honora du même
Dans les terres ils s’étendeut jusqu’au titre plusieurs villes de l’Asie.
fleuve Halys. Il n’en est donné ni la nomenclature
Les villes de ce thème sont ; des villes ni celledes frontières.
Ancyre, inétropole des Galates, Clau-
diopolis. métropole des Maryandiniens (i) Déjà nonimre dans l'autre Ibème.
Héraclée, Pruse (sur l’Hypius), Teium. (a) Les thèmes IK de Mésopotamie et X
Colonea ne font point partie de la pres-
(i ) Lillér. buuchcr. qu’île.

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14 L’UNIVERS.
THIeME Xn DE LYCANDVS. THÈME XIII DE SELEUCIE.

Lycandus ne commeni^a à être Le thème de Séleucie est cette partie


comptée au nombre des tlièmes et des de risaurie bornée au couchant par le
villes que sous le règne de l’empereur mont Taunis à l’orient par les monta-
,

Léon antérieurement la ville était sans


;
gnes de la Cilicie où sont les villes ma-
aucune population , tant Lycandus q^ue ritimes.
Izamondus et toute la région frontière Les villes principales sont :

de l’Arménie. Séleucie , Gorycus, l’antre de Corycus


Cependant un Arménien de distinc- et la plaine qui produit le safran, les
tion, haut comme un colosse, gendre villes de Soli, Ægée, Pompéiopolis,
de Lœrastria, homme à la main longue Aphrodisias, Issus avec le golfe de
et ambidextre , appelé en langue armé- même nom dans le voisina^ duquel
,

nienne Azotus, vint soit comme trans- est la ville de Tarse, patrie dé l’apotre
fuge, soitcomme ami, touver l’empe- Paul.
reur Léon, et ayant reçu le comman- Séleucie n’eut d’abord ni le titre de
dement des troupes, sous le titre de thème, ni même celui de préfecture;
præ/ectus agminis , s’en alla faire la c’était un simple château avec une ve-
guerre aux Bulgares. Mais il fut battu dette pour sun'eiller les incursions des
et disparut ainsi que Théodose , le pro- Sarrasins qui possédaient Tarse; mais
tovestiaire de l’empereur. l’empereur Romanus, qui augmenta
L’Arménien avait avec lui un ami les frontières de l’empire, eu fit une
nommé Mélias, qui s’échappa sain et préfecture.
sauf du combat, et comme il était fait Cette ville reçut son nom de son fon-
à la vie d’aventures, il rassembla une dateur Séleucus Nicanor. Ce district fut
poignée d’Arméniens, alla s’emparer de aussi appelé Décapole , parce que, outre
Lycandus, rebâtit la citadelle et restaura Séleucie, il contenait dix villes, sa-
les ruines de la ville. La contrée, réta- voir :
blie dans son ancien état, fut rendue Germanicopolis , Titiopolis, Domé-
aux Arméniens. Comme elle était fer- liopolis, Zénopolis, Néapolis, Clau-
tile et admirablement pourvue de bons diopolis, Irenopolis, Césarée, Lauza-
pâturages, elle fut classée parmi les dus, Dalisandus.
thèmes et devint une des belles prétures Danscette dernière ville on conserve
par les soins et le courage de Mélias. le bouclier du saint martyr Théodore,
Le nom de la ville est d’origine armé- suspendu à la voûte du temple.
nienne. On raconte que l’empereur
Justinien, parcourant les provinces de THÈME XIV DE CIBYBBHA.
l’Asie Mineure arriva h Lycandus. Le
promeus de la ville, magistrat muni- Le thème de Cibyrrha commence à
cipal, était si riche en bétail, qu’il offrit mer Orientale
Séleucie, située sur la , et
à titre d’hommage à Justinien dix trou- finit au couchant dans les parages de
peaux de mille brebis variés de couleur Milet, de Jassus et du golfe de Bargylia.
et divisés de la sorte ; Il s'étend chez les Andaniens où est si-

Mille noires, mille blanches, mille tuée Mvlasa, ville très-célèbre, la villede
grises, mille mélangées, mille rous- Bargylia, Myndus , Strobelus, Halicar-
ses, mille couleur de belette, mille nassé, patrie d’Hérodote, où l’on voit
jaunâtres, mille marquées de noir, le tombeau de Mausole
mille rouges et mille dorées, qui rap- En marchant vers l’orient on trouve
pelaient, au dire des Grecs, la célèbre le golfe Céramique et la ville du même
toison d’or. L’empereur accepta avec nom. A l’extrémité du rivage est la ville
joie, et fit inscrire sur la porte de Ly- de Cnide; en continuant vers l’orient
candus une inscription qui est une sorte on trouve le golfe OEdemus, le port
de jeu de mots. de ï.aryma, situé ep face de llle de
L’auteur grec ne donne pas les noms Synié. La région maritime appartient
des villes principales du thème de Ly- aux Rhodiens, qui possèdent des arse-
candus. naux En traversant de l’autre côté, on
ASIE MIKEURE. 13

trouve la célèbre ville de Telmissus, lui échut en partage. Ce sont ces noms
ensuite Patare et Xautbus, patrie du qui sont encore usités parmi les Turcs,
peintre Protogène, puis cette ville de et les anciennes conscriptions territo-
Lycie exhalant l'odeur des parfums, riales sont à peu de chose près celles
c’est Myra, la ville du bienheureux des pachalik d'aujourd’ hui. Chaque di-
saint Nicolas dont le corps laisse exha- vision territoriale porte le .nom de
ler des parfums comme l’indique le saudjak.
nom de la ville (1). De là on voit le Le saudjak de Broussa avait reçu
fleuve Phoenix et la ville du même d'Othman le nom de Khodawenkiar.
nom, puis Phaselis; ville célèbre et La divisionmoderne de l’Asie Mineure
Attalia, fondée par Attale Philadelphe. est donc aujourd’hui classée ainsi qu’il
Ensuite Sylœum puis Perga, ville cé- suit:
lèbre, Sidé repaire des pirates et Seigé, La Bithynie, sandjak de Khodaiven-
colonie de Lacédémone. kiar.
La montagne et le château d’Anemu- La Mysie, Kara-si.
rium, ensuite Antioche seconde et ,
La Lydie, Saruk Khan.
Cibyrrha, la ville dont le thème a pris Mæonie, Aidin.
son nom vulgaire et sans renommée. ) Carie, Mentesche.
On trouve ensuite Sclinus, petite ville La Lycie, r i

Tekké.
avec un fleuve de même nom, puis le La Pamphylie, |

port vieux et Sélencie elle-même. Voilà Pisidie, I

les villes qui sont soumises à l’admi-


Uamid.
Isaurie, j

nistration du préteur de Cibyrrha. Lycaonie, |


Carainan.
Dans l'intérieur des terres, sur les Cappadoce, j

frontières du thème Thracien, le thème Cappadoce, Iconium.


de Cibyrrha commence à Milet, passe à Phrÿgie, Kermian.
Stratonicée. Ce qu’on appelle Mogola, PapRiagoUiBi . Kastamouni.
la ville de Pysie, il traverse la région Ua^- e'Pont. "tsùin Amasia.
ghia et Tauropolis. Il s’étend ju^n’à t\- >l'

Tlos et OEnoanda, et traverse Phileta, CHAPITRE VII.


Podalia , le lien dit Anomatichos et ar-
rive à Sagalassus pour finir dans les ré- COUP d’oeil sue la forme géné-
gions du Taurus où demeurent les rale DE LA FBESQU’IlE.
Isaures. Telle est l’étendue du thème
de Cibyrrha dont les habitants se sont 11 suffit de jeter les yeux sur la carte

souvent montrés rebelles aux ordres des continents pour être frappé de la
des empereurs. L’ile de Rhodes est si- particularité que présente la forme de
tuée au voisinage de ce thème qui, re- l’Asie Mineure. Toutes les grandes
gardant en même temps le nord et le presqu’îles du globe, tous les grands
midi affecte la forme triangulaire d’un caps sont en effet tournés vers le pôle
A. Il est peuplé par une colonie do- sud, le cap de Bonne- Espérance,
rienne venue du Péloponnèse et qui se comme le cap Horn, l'Italie comme
prétend de la race d’Hercule. :
'
la Grèce ou la presqu’île indienne.
L’AsieMineure seule se détache du con-
DIVISION DE l’ASIE SOUS LA DOMI- tinent, en se dirigeant de Test à l’ouest.
NATION OTTOMANE Ses côtes sont baignées par les eaux de
trois mers qui diffèrent entre elles au-
Après la chute de l’empire byzan- tant par leur étendue que par leur ca-
tin, les princes seidjoukides se parta- ractère physique ; enfin le relief de la
gèrent les différentes provinces et cha- presqu’île , la forme et la direction de
cun d’eux donna son nom à celle qui ses montagnes, viennent pour ainsi dire
se grouper pour faire de cette partie
(ï) Les saints dont le corps exhale des de l’Asie une terre exceptionnelle.
huiles parfumées étaient appelés Myroble- La presqu’île que nous connaissoM
tés; — il
y a une sorte de jeu de mots sur le aujourd’hui sous le nom d’Asie Mi-
nom de la ville de Myra. - > neure ou d’Anatolie est cette partie du
,

16 L’UNIVERS.
grand continent asiatique rehfermée rendaient pas bien compte de la courbe
entre le 24° 35' et le 55° dené de lon- qui ferme la côte de la Lycie, et pre-
gitude orientale. Les côtes de la partie naient leurs mesures en suivant les
nord appartenant à l’empire ottoman sinuosités de cette côte. La forme gé-
se prolongent jusqu’au 39‘ degré. nérale de la presqu’île est certainement
Én latitude, le cap Anemour,qui est la conséquence des nombreux soulève-
la plus sud, passe par le 36°
terre le ments des montagnes qui ont sur» à
degré, et au nord, le promontoire de différents âgesgMiogiques ; mais fac-
Siuope passe par le 42° degré H minu- eu aussi une
tion des feux souterrains a
tes. Kl le est baignée au nord par le part énorme dans la constitution de ré-
Pont-Euxin, le Bosphore et la Propon- gions entières.
tide; la mer Égée baigne ses côtes occi- Néanmoins, malgré l’effet des terri-
dentales; la région du sud est limitée bles tremblements de terre dont nous
>ar cette partie de la .’lléditerranée que voyons de nos jours l’action désas-
fes anciens appelaient mer de Rhodes treuse , nous persistons , malgré l’opi-
ou de Cilicie. nion de quelques géologues , basée du
Ducôté de l’orient, les limites de reste sur une traoition de l’antiquité,
l’Asie Mineure ont été très-variables et nous persistons à croire au syuchro-
sont ntoins faciles à déterminer. Stra- nisipe des bassins des mers. Ainsi pour
boii et Anollodore inclinent à penser nous le Bosphore comme les Darda-
ue. tout le territoire qui est à l'orient nelles et le détroit de Gibraltar appar-
e la ligne tirée d'Amisus à Issus, ou tiennent, comme les éléments constitu-
de Samsoun à Scandéroun, doit être tifs, à la période géologique actuelle.
regardé comme n’appartenant pas à la Nous pouvons même aflirmer, que si
presqu’île.Trébizonae et son territoire depuis notre époque géologique, la
en seraient alors exclus. La distance forme du Bosphore a été modilire ce ,

qui sépare ces deux points , d’après canal a été plutôt rétréci qu’élargi , car
Ératosthène, a trois mille stades de tout le terrain qui avoisine les îles
700 au degré, soit 554 kilomètres, 865 Cyanées d’Europe et celles d’Asie, est
mèt.; cette mesure est loin d'être exacte. formé par des terrains de trachytes
Les géographes modernes ont étendu qui se sont épanchés dans la mer. Les
le territoirede l’Asie Mineure à l’orient bassins des mers conserveraient selon
de l’Halys; c’est le cours de l’Euphrate nous depuis cette époque leurs limites
qui en forme la limite à l’orient. Jusqu’à respectives si leurs rivages n’étaient
la hauteur de Malatia et d'Eguine; en- soumis à une loi géologique appartenant
suite la frontière s’incline à i’est pour à la troisième période ; nous voulons
venir rencontrer la mer Noire à l’est parler de la loi des atterrissements.
de 'l'rébizonde. L’erreurdes anciens sur
la forme réelle de l’Asie Mineure est ALLUVIONS DES FLEUVES.
d’ailleurs bien excusable; car il n’y a
guère que soixante ans que les obser- Si l’on examine la tradition conser-
deBeauchamp et celles du com-
vations vée par quelques historiens, ou ne man-
mandant Beaufort ont donné à l’Asie quera pas d’exemples pour prouver l’ir-
Mineure savéritable forme en l’élargis- ruption ou la retraite des eaux marines
sant d’un degré. Danville avait bien sur certaines côtes; mais partout où
senti la difficulté, mais n’avait pu la ré- nous avons été à même de vérifier cette
soudre. Strabon compte 3,500 stades assertion, nous avons reconnu l’effet
de Chalcédoine à Sinope, soit 647 34, normal desalluvions. Pour mettre cette
tandis qu’en réalité il n’y en a oue 520. vérité en évidence , nous nous conten-
Il compte 5,000 stades de Rhoaes à is- terons de prendre pour exemples quel-
sus, soit 554 865, tandisqu’iln’yaque ques ports fondés sur les bords de la
125 milles géographiques. Il fait cepen- Méditerranée qui nous permettront
dant la remarque très-exacte que Amisus d’établir avec certitude le mouvement
et Issus se trouvent sur le même méri- de retrait, et en même temps les causes
dien. L’erreur des anciens géographes de la retraite des eaux de la mer.
provient sans doute de ce qu’ils ne se Les ports de Cymé, de Miiet, de
ASIË MINEURE. 17

Pompéiopolis , sur la côte d'Asie, Bip- polis ; ce port est aujourd’hui entière-
pone et Carthage sur la côte d’Afrique, ment comblé. Ici les eaux douces ont
,

nous donnent des jalons pour mesurer une propriété incrustante qu’on remar-
la marche des alluvions sur ces côtes, que dans prevue toutes les rivières de
et nous pouvons constater d'autre part la côte. Ainsi , le port de Pompéiopolis
que les ports situés loin des embouchu- est rempli par une véritable roche , et
res des neuves ont continué d’étre fré- les blocsde «lionnes ou autres débris
quenté par les navires. qui sont épars dans cette masse, sont
Les hommes des premiers âges , les
Babyloniens, les Egyptiens, les Assy- £a rivière de Douden, que les anciens
riens , qui avaient , plus que nous, eon- appelaient Catarrbactès , parce qu’elle
servé une impression profonde des se précipite dans la mer d'une grande
temps diluviens, s’étant établis sur les hauteur, jouit au plus haut degré’ de
borcls des grands fleuves de l’Asie ou cette propriété incrustante. Tout le ter-
de l’Afrique, avaient pris toutes les pré- ritoire de son parcours est converti en
cautions imaginables pour se mettre à véritable rocher qui englobe les plantes,
l’abri des inondations. Les travaux qu’ils les restes d’animaux, et les couvre d’une
exécutèrent dans ce but étonnent notre couche calcaire.
imagination, et nous serions tentés de En continuant le périple vers l’ouest,
les regarder comme fabuleux, si, chaque on arrive dans la province de Lycie qui
jour, les études faites sur ces contrées offre d’immenses et magnifiques ports
n’apportaient la preuve la plus évidente dans un état parfait pour le mouulage
de la véracité des historiens de l’anti- des navires : le port de Marmarice, ce-
uité, et si l'on n’était souvent à même lui de Macri ; les ports de Myra , Phel-
e vérifier, sur le sol même, la réalité ius Antipbilo : c’est qu’id le 'Taurus do-
des travaux entrepris et menés à leur mine la côte presque verticalement et
fin. les eaux n’ont pu charrier de limon
Le golfe d’ Alexandrette, qui était dans dans ces ports.
l’antiquité un port aussi salubre que Nous avons souvent entendu les marins
commode, n’offre plus sur son rivage et les géographes se demander pourquoi
que des marais pestilentiels; l’effet na- la côte d’Asie et la côte du nord de
turel des vagues apportant nécessai- la Méditerranée étaient si riches en ex-
rement sur cette côte tous les détritus cellents ports, tandis que dans tout son
que contiennent les eaux a suffi en quel- parcours la côte d’Afrique n’en offrait
ques siècles pour opérer cette métamor- pas un seul digne de ce nom. Yod la
phose. véritable raison : le continent Africain
La province voisine, que les anciens a été dans l’origine aussi écbancré que
appelaient la Cilicie champêtre , est une le continent d’Asie ; mais sous l'influence
immense étendue de terrains d’atterris- des atterrissements et surtout, car
sement qui sont couverts de la plus ceci est une cause majeure, sous l’in-
abondante végétation. Plusieurs rivières, fluence des vents du Nord qui régnent
le Sarus , le Pyramus , le Cydnus ,
ar- sur cette côte pendant huit mois de l’an-
rosent ces contrées et continuent de née , le mouvement de la mer loin d’en-
l’accroître en étendue. Ce mouvement lever la moindre parcelle de sable, les
des terres est déjà apparent dans l’an- accumule sans cesse sur le rivage. Tout
tiquité Entre la ville d'Adana et la mer, ce qui existait de ports, golfes ou échan-
sont de vastes inaremmes qui se sont crures, a été peu à peu comblé, tandis
formées depuis cette époque. La ville que la côte d’Asie, abritée par ses hautes
de Tarsous, qui était maritime dans montâmes est restée dans l’état où elle
l’antiquité , ne reçoit plus maintenant fut créée.
de navires , et le fond de la mer s’est Si nous remontons vers le Nord en
tellement exhaussé que les navires sont suivant la côte , nous trouvons un des
obligés de mouiller à Mersine, à deux exemples les plus curieux de la puis-
lieues de Tarsous. sance des atterrissements pour changer
A l’ouest de Tarsous , il
y avait un la surface d’un pays. Nous voulons parler
port romain, dans la ville de Pompéio- de la villedeMilet, une des places mari-
2* Livraison. (AstG Mineuse. T. U. 3
, ,,

L’UWIVERS.

limes les plus célèbres de l’antiquité. comme la vallée a très-peu de pente,

Milet avait quatre ports , dont un seul de voir les eaux prendre une direction
pouvait contenir une flotte entière ; elle en sens inverse du cours du fleuve et
fut fondée onze cents ans avant J.-C., former des noeuds qu’il est impossible
et sous Alexandre elle jouissait encore de déterminer exactement parce qu’ils
de son pouvoir maritime. Mais Milet sont toujours variables. La nature du
était située à l’embouchure du Méandre, terrain, qui est composé d’un sable argi-
et ce petit fleuve, dont le sinueux par- leux, se prête à ces jeux de la nature,
cours est devenu proverbial, a sufli pour et comme le sol de la vallée du Méandre
anéantir complètement cette mère de est presque entièrement couvert de praj-
quatre-vingts colonies. Il jj a un fait re- ries , d’herbes fines , le -cours de la ri-
marquable, qui parait avoir été oublié : vière s’y dessine d’une manière saisis-

c’est que les sinuosités du Méandre sont sante qui a frappé tous ceux qui ont par-
essentiellement variables. Dans l’espace couru ces rives. Une autre ville, Priene,
de deux ou trois ans, la direction des située dans le voisinage du fleuve, et
eaux change plusieurs fois, et, sans enfin Iléraclée du Latmus, placée au
abandonner positivement la ligne géné- fond d’un golfe du même nom , partici-
rale de son parcours, le fleuve se prati- paient aux privilèges des villes mariti-
que à droite et à gauche d’innombrables mes. Le Méandre, en charriant des sa-
lacets qui finissent par former des lits bles, a peu à peu comblé le port de
nouveaux. Priène , celui de Milet, et a fermé l’en-
Toutefois Strabon(l) mentionne un trée du golfe de Latmus, de manière à
usage des Ioniens qui prouve que cette en former un lac qu’on appelle aujour-
observation avait déjà été faite par les d’hui Oufa-Baü. Milet est a plus de deux
riverains du fleuve. On raconte, dit-il lieues dans les terres, et une île, l’île de
qu’on intente des procès au Méandre Laile, assez éloignée jadis du continent,
toutes les fois qu’il change les limites a été englobée dans les atterrissements,
des champs en rongeant les angles de et ne se retrouve, plus aujourd’hui.
ses rives, et que en est convaincu,
s’il La ville maritime d'flphèse a eu le
on le condamne à des amendes qui sont même sort que Milet. Son port est au-
prises sur, les péages. jourd'hui comblé par les alluvions du
Le Méandre coule depuis la ville de Caystre.
Yéni-Cheher jusqu’à la mer, dans une Un autre fleuve de l’Asie Mineure
masse de terrain meuble dont la puis- l’Hermus, qui se jette dans le golfe de
sance n’est pas connue, mais qui dé- Smyrne , joue à l’égard de cette ville le
»asse de beaucoup la profondeur de son même rôle que le Méandre à l’égard de
Îit. Dans les grandes crues , quand le
Milet. Les masses énormes de limon
courant est devenu rapide , les eaux ra- u’d charrie ont formé une large bande
vinent peu à peu le rivage, qui , presque e terrain sur laquelle est assise la ville
partout, forme une falaise verticale. de Ménimen; mais, de plus, il forme
Dans les endroits où il y a un remous, à l’entrée du golfe de Smyrne un banc
la falaise ruinée peu à peu, s’écroule, et dont l’étendue augmente de jour en
le fleuve s’enfonce dans un coude qu’il jour, et , si des travaux de draguage ne
creuse incessamment. Ce mouvement sont pas exécutés dans un bref délai
des ondes va ensuite frapper la rive op- on peut prédire le moment assez rap-
posée qui est ravinée de la même ma- proché où les vaisseaux ne pourront
nière de sorte qtie les eaux se creusent plus aller mouiller à Smyrne. Bien plus,
,

un lit en zizgag qui a donné à ce


cours on peut être assuré que dans un temps
d’eau un caractère particulier. Mais donné le golfe de Smyrne deviendra un
l’action des eaux sur les rives étant in- lac, comme le golfe de Milet.
cessante , les terres sont peu à peu en- En dehors du golfe de Smyrne, vers
traînées dans le lit du fleuve , les coudes le nord , était une autre ville célèbre , la
ville de Cvme, avec un port maritimeet
se comblent pour se reformer sur de
nouveaux dessins, et il n’est pas rare, un port de commerce. Les alluvions
du Calque, ont tellement changé l’aspect
(t) xu, 58o. de cette côte que l’on cherche en vain
,
,

ASIE MINEURE. 19

l’ancien rivage; les jetées de l’ancien CHAPITRE VllI.


port se voient à près d’une lieue dans
les terres , au milieu de marécages qui
portent dans le pays le nom de Touzla
PBHIPLB DE l’aSIB UINEUBB. —
CÔTE SEPTENTRIONALE.
cazleu, la Saline-aux-Oies. On com-
prend dans quelle perplexité se sont
trouvés les géographes qui voulaient re- Après cet exposé des causes qui ont
trouver les vestiges du monde ancien produit la forme actuelle de la pres-
avant que ces observations eussent été qu'île, nous suivrons le contour des
faites. Les fleuves de la Troade , qui côtes et nous verronsjusqu’à quel point
ont changé leurs cours et mêlé leurs ces considérations générales sont justi-
eaux, mettaient nos devanciers dans un fiées.
"

embarras inextricable. Trébizonde, située à l’origine de la


Cette action évidente des alluvions, courbure que forme la partie extrême
qui ont formé de vastes territoires sur de la mer Noire par 37® 20' environ de
les côtes d’Afrique et dont le delta du longitude, offre le premier point de la
Nil est le plus célèbre exemple , a lieu côté qui ait Tapparence d’un mouillage;
également sur la côte nord de l’Asie quel(|ues rochers volcaniques, traces
Mineure. Les vents du nord et du nord- d’une coulée de laves qui s’est épanchée
ouest étant ceux qui régnent le plus dans la mer, ont servi de base à un
régulièrement dans ces r^ons, tous les môle qui y fiit fait dans le sixième siè-
sables charriés par les rivières si petites cle, mais qui est aujourd’hui détruit.
qu’elles soient sont rejetés sur la côte Les navires sont mouillés aux pafages
et ont converti les moindres criques de Platana, où ils sont abrités du vent
en pâturages. Si l’on jette les yeux sur de l’ouest et du 'nord-ouest; mais le
la cote opposée, la presqu’île de Crimée seul véritable port de Trébizonde est
offre les magnifiques ports de Sébas- la côte même ou les habitants ont l’ha-
topol, Balakiava et plusieurs autres bitude de tirer les barques exactement
mouillages. Sur la côte d’Asie, il n’y comme du temps de X'énophon.
a que la presqu’île de Sinope, qui, abri- A partir dé ce poinf' la' côte s’inflé-
tant la côte des vents du large, a pré- chit au nord en Ibrmant une dentelure
servé le port des ensablements. Dans peu accusée. Les terres sont élevées et
la Propontide , l’exemple n’est pas abruptes, s 'ouvrant pour donner pas-
moins frappant; sur toute la côte de sage à des vallées verdoyantes. Peu à
Tbrace, il n’y a aucun port, tandis que peu les côtes s’aplanissent' et Pou ar-
sur la côte opposée on voit encore le rive aux alluvions du YechîMrmak. '

port de Cvzique qui pourrait s’ouvrir Toute la plaine qui forme le bassin
pour abriter une flotte. Suivons un inférieur des fleuves est basse et maré-
moment la même loi sur tout le littoral cageuse. Cette pointe sablonneuse et
sud de la Méditerranée ; nous trouvons le delta des Kizil Irmak forment les
partout des mouillages forains, excepté deux pointes extrêmes de la baie de
dans la baie d’Oran ; tandis que sur la Samsoun , sur le golfe d’Amisus,' à la-
côte nord, nous comptons la Spezzia, uelle les anciens donnaient une éten-
Gênes, Villefranche , Toulon, Mar- ue exagérée. Cest la partie la plus
seille et d'autres encore jusqu’à Gibral- saillante au nord et la plus accidèntée
tar. Ceci n’est certainement pas l’effet de toute la côte; un autre golfe plus
du hasard. large et non moins profond 'suit im-
I.a côte occidentale de l’Asie Mineure, médiatement celui d’Amisus; 'c’est la
étant fortement accentuée, présente en baie de Sinope dont la pointe ouest
même temps l’un et l’autre des deux très-saillante est formée par une pres-
phénomènes, c’est-à-dire des golfes qu’île rocheuse Bnuz tépe bouroun qui
larges et profonds comme ceux de engendre l’excellent mouillage de Si-
Smyrne, de Jassus et d'Halicarnasse, et uope ,
le seul port de toute la côte.
en même temps des golfes comblés A partir de Sinope jusqu’au mouillage
comme ceux de Latmos et de Cymé. d’Érégli , la côte s'infléchit au sud en
décrivant un arc de cercle. Le cap
2 ,
, ,

lonsivfiftâ.
20
est le point grands lacs africains ne peut agir avec
Kérembé autrefois Carambis Aumi
courbe ; ensuite autant de puissance sur la cote.
le plus saillanide cette
pointe d une vovous-nous de grands golfes , Je golfe
vient Amassera, située à la Mou-
Bender de Nicomédie, celui de Cius ou de
sinuosité du rivage, et enUn terres
une dania entrer profondémentdans les
Erégli, l’ancienne Héraclée, avec époques des pre-
et rester, comme aux
presqu’île peu saillante. vierges de tous les détritus
miers âges
La côte forme ensuite une courbure ,

que charrient les eaux marines. Les lies


en sens contraire,, c’est-à-dire
d^t la
On ne nombreuses , la grande île de m.ybre
concavité est tournée au nord.
nom de golfe a cet de Marmara donnent de la variété a
saurait donner le om-
les ou- cette mer, tandis que les forêts
espace de mer, ouvert à tous
aucun breuses de la côte reflètent leur verdure
ragans du nord ; ici il n y a
dans ces ondes toujours pures.
mouillage; les atterrissemeius de
la
L’aspect des côtes des Dardanelles
Sakkaria et de l’Hypius, deux
flet'yfs
ne présente aucune particularité digne
importants pour la contrCe. ont comblé du
était pro- d’être notée. I.e courant violent
toute cette baie qui autrefois
des ter- Bosphore a perdu de sa puissance en
fonde, et converti en pâturages
traversant la mer de Marmara et
les
rains autrefois inondes. A
partir de ce
avec
commence à s’exhausser eaux de la mer Noire s’épanchent
point, la côte
en plus rocheuse, une sorte de tranquillité dans 1 Helles-
et devient de plus
du Bosphore ou on 1 pont. Tj côte asiatique des Dardanelles
jusqu’à l’entrée ,
châ-
liesCyanées d Europe est basse et peu accidentée; les
rencontre les
grou- teaux d’Asie , le cap Sigée qui signale
et celles d’Asie; ce sont plusieurs basses
flancs l’entrée du détroit sont des terres
pes d’Ilots très abruptes , leurs aspect est aussi
vagues, et sans mouvement. Cet
étant toujours assaillis par les de l’Ida
celui de la Troade. I-a chaîne
fis sont dénaturé volcanique, comme laisse entre
qui s’élève loin de la côte
les deux côtes qui les avoisinent ; leur territoire qu’on
elle et la mer ce vaste
composition est très-variée ; on y distin- de Troie, terrain ou
appelle la plaine
gue au milieu de rognons de trachytes,
l’on rencontre des bancs de
coquilles
des couches de cendres volcaniques
de marines pétrifiées et dont les espèces
avec du pyroxène et des fragments qui vivent
sont les mêmes que celles
chalcédoine altérée.
encore dans ces mers. Les eaux tombant
Tel est le rivage nord de la presqu
Ile,
de l’Ida ont, bien avant que les hom-
semblable, comme nous l’avons dit, pour
mes soient venus habiter ces régions
Tuniformité des lignes, à ceux des autres plaine qui devait être si
formé cette
continents qui présentent leur front au
célèbr6. -
nort*- ....
cet admirable et singu- L’île de Ténédos en face de la Troade
Le Bosphore, des vents du large et
dont la for- arrête l’effet
lier canal des deux mers ,
permet aux navires de mouiller avec
mation a toujours été pour les popula-
sûreté sur cette côte dont le nom
est
si grand
tions riveraines le sujet d’un
venu a sup- devenu à son tour historique sous le
étonnement qu’on en est
poser des phénomènes impossibles
pour nom de baie de Bézica. Le petit port an-
tique d’Alexandria Troas, avec un
môle
expliquer son existence , le Bosphore,
de ensablé était le seul mouillage que
qui est à lui seul un port magnifique côte, qui a
constamnient les anciens eussent sur cette
six lieues de long, balaye
partir de ce point devient roide
et in-
cotes
de ses ondes mugissantes les Le con-
hospitalière pour les navires.
d’Europe et d’Asie, et ne laisse aucune un groupe montagneux
Son tinent forme ici
alluvion se former sur ses rives.
de nommé cap Baba ; c’est l’ancien pro-
le
courant de droite entre dans le port
montoire d’Assos formant la corne sep-
la Corne-d’Or et enlève les sables que
tentrionale du golfe d’Adramytte;
ici
charrient constamment le Cyndaris et
le
côte s’infléchit tout à coup à
l’est ;
Barbyzes, et empêche tout ensablement.
la
change elle est abrupte et sans la moindre
Ici le tableau des côtes d’Asie
baie; ce n’est qu’en approchant du
d’aspect; la mer de Marmara dont
fond du golfe que les terres s’abaissent
l'étendue surpasse à peine celle des
ASIE MINEURE. 31

et donnent passage à quelqnes ruis- ue par des tempêtes locales peu re-
seaux. Tout ce groupe de montagnes outables pour les navires.
est entièrement volcanique ; ce sont les Nous n^avons aucune donnée pour
laves en s’épanchant dans la mer qui établir jusqu’à quel point la physiono-
ont formé celte côte. mie delà côte nord du golfe de Smyrne
a pu changer depuis l’antiquité ; mais
les aliuvions de rHermus sont si abon-
CHAPITRE IX.
dantes qu’elles modifient presque à vne
d’œil les lignes de la côte en formant un
CÔTE OCODENTALE. delta qui s’avance incessamment vers
la côte opposée. Cette grande plaine où
L’autre corne du golfe d’Adramytte l’Hermus traîne ses ondes tranquilles
est loin de ressembler à la précédente. a dû à une période reculée être une an-
Un groupe d'iles que les Grecs appellent nexe du golfe de Smyrne ; et il fut un
MoscoNisi(lestles aux Veaux) découpent temps où le groupe accidenté de Pho-
les abords du continent comme une den- kia se présentait comme une lie; mais
telure au milieu de laquelle les barques cette forme des terres a dû précéder
comme les gros navires trouvent un de beaucoup tous les âges historiques.
abri. En continuant le périple au sud, La côte sud du golfe est aussi accentuée
le golfe de Tchanderli, autrefois de que celle du nord est plane. Le cap
Pitane. EtaUikos Kolpos, succède à Mêlas est composé de roches volcam-
celui d’Adramytte; c'était l’ancien port ues et de laves noires ; plus loin ce sont
de Pergame et ici la côte n’a pas changé es trachytes rougeâtres qui ont valu
de physionomie depuis l’antiquité. Il son nom a la ville d’Erythræ , la ville
n’en est pas de même des parages qui Rouge. En avançant dans le golfe on
suivent : tout ce qui fut autrefois le aperçoit deux pitons jumeaux d’une
golfe de Cymé toutes les terres sur les- formé régulière que les Turcs appellent
quelles s’élevaient les villes de Myr- Iki kardach (les oeux Frères) et qui sont
rbina Néonticbos etd’Ægé ont tellement bien connus des navirateurs français
changé de physionomie qu’il est im- sous le nom des Mamelles. Un certain
possible à l’observateur de suivre sur nombre de petites fies et notamment
,

le terrain aucune description ancienne la grande et la petite Ourlac, longent


de ces parages , les aliuvions ont tout cette côte du golfe et contribuent à en
modifié. faire un des plus beaux et des plus im-
Les petites baies de Phokia, ainsi portants mouillages de l’Asie Mineure.
appelées aujourd’hui de l’ancienne et A la hauteur des Mamelles, la presqu’île
de la nouvelle Phocée, sont les derniers qui forme la côte sud subit un étran-
mouillages que présentent cette côte glement qui la réduit aux proportions
jusqu'au golfe de Smyrne. L’effet des d’un isthme. La côte occidentale fait
aliuvions ne s’est pas fait sentir jusque- face à nie de Chio et au milieu des dé-
là et la mer a conservé sa profondeur. coupures sans nombre forme la baie de
Deux groupes montagneux signalent Tcliesmé. Au sud de l’isthme les navires
l’entrée du golfe de Smyrne; celui du trouvent encore la baie de Sighadjik, qui
nord est appelé Kizil Lournou àcause de était l’ancien port de Téos. Quelle ri-
la couleur rouge des terres. L’autre Ka- chesse de bons mouillages et comme
ra bournou (le cap Noir), ainsi nommé on comprend bien que les nations ac-
de sa couleur noire qui avait déjà frappé tives et intelligentes venues de l’Occi-
le.sanciens. Aussi avait-iJ reçu le nom dent s’établir dans ces parages ont dû
de cap Mêlas. L’entrée du golfe de rapidement s’élever à une prospérité
Smyrne est dirigée vers le nord-ouest; commerciale inouïe. Les villes deCiaros,
elle est abritée des vents et de la mer du Colophon, Lebedus brillaient sur cette
Jjirge par la grande Ile de Métélin; la côte dans des situations heureuses et
ligne des côtes suit d’ailleurs un con- bien choisies. Éphèse seule , fondée à
tour sinueux qui s’infléchit d’abord à l’embouchure du Cayslre, eut dès ses
l’est, ensuite au nord-est; de sorte que premiers temps à luttercoutre l’envahis-
les eaux du golfe ne peuvent être agitées sement des aliuvions; des lagunes se
22 Î,’UNIVERS.

tonnaient, qui ont engendré les étangs CHAPITRE X.


sélinusieus; les rois Attales faisaienten
vain jeter des môles pour donner de la CÔTK HÉBIDIOHALB-
rapidité aux eaux des (leuves; les sables
gagnaient toujours et en même temps, Au fond du golfe de Symé s'élève

iar un phénomène encore inexpliqué,


une haute montagne dont les acrotères
mer gagnait d’autres parties du ri- descendent dans la mer par des pentes
Îa
vage; de sorte qu’on voit aujourd’hui le rapides mont Phœnix avec la
c’est le

a
;

singulier spectacle d’uii pont situé en


n’île du même nom, connue au-
’hui sous le nom peu poétique de
pleine mer là ou fut dans le moyeu âge
l’embouchure du Caystre. Barba Nicolo, que porte aussi une pe-
tite lie voisine. groupe montagneux
Nous avons parlé plus haut des at-
lerrissemenis du Méandre; c’est a cette du mont Phœnix engendre une baie
latitude que finit l’action des grandes profonde et singulière, qui s’appelle au-
alluviuns. Le cap Arbora, peu accen-
jourd’hui baie de Mermeridjé et en
français de Marmarice. Cette baie, d'une
tué, indique l’entrée du golfe de Jassuit,
dans lequel nous finîmes par rencon- forme pnsque circulaire, a son entrée
trer, après tant de vaines recherches
tournée vers le sud. Un îlot, qui a été
de nos prédécesseurs, le golfe de Bar- naturellement rejoint au continent par
gylia,que l’on croyait comblé. A la nou- une bande de sable, défend l’entrée des
velle de celte découverte, l’amirauté an- lames du large ; et à gauche de l’îlot
glaise envoya le navire Heacon pour une passe assez profonde pour que les
faire le re èvement de ce port si sin- plus gros navires puissent la franchir
gulièrement perdu. On explique du donne entrée dans le port, qui est le

reste comment le golfe de Bargylin est plus sûr de la côte. Il est vrai que cet
resté longtemps ignoré des rares na- avantage est balancé par un immense
vigateurs qui remontent le golle de inconvénient ; un seul navire mouillé à
Jassus ou Hassein ..alé si. Car ces l’entrée peut bloquer le port , et dans
parages sont à peu près déserts et ne ces dernières années la flotte ottomane,
sont Iréqueutés que par quelques bar- qui avait eu l’imprudence de se retirer à
ques du pays; l’entrée du golfe de Bar- Marmarice fut bloquée par un vaisseau
gylia, qui lui-même est une anttexe de de Mehemet-Ali qui gardait la pa,sse.
celui de Jassus, est masouée par une Après Marmarice s’ouvre le vaste et
grande île ; de sorte qu’elle n’est pas magnifique golfe de Macri, qui fut une
aperçue du large. C’est en nous diri- possession des chevaliers de Rhodes.
geant par terre d’Halicarnasse vers Un grand nombre d’îles en défendent
Jassus que nous retrouvâmes ce l’entrée contre les vents et la mer. Une
golfe. île longue , qu’on appelle encore aujour-

Le cap Krio, si célèbre dans l’anti- d’hui l'tle des Chevaliers, le sépare pour
quité sous le nom de Triopium pro- ainsi dire en deux bassins; celui qui
moutorium, forme la corne méridio- est le plus avancé dans les terres est
nale des terres du golfe de Cos (|ui l'ancien Glaucus Siuussurle bord du-
prend son nom del’ile voisine. De nom- quel était la ville de Teimissus. Ici
breuses baies s’ouvreul de part et d'au- nous retrouvons le phénomène ter-
tre, parmi lesquelles il laut compter restre des alluvions sous un aspect nou-
la baie deBoudroum ou d'Ilalicarnausse. veau, c’est-a-dire que non-seulement
Les terres du cap K-rio sont tellement la vallée qui s’étend à plusieurs ki-

échancrées que tout autour de l’isthme lométrés daiis les terres a été entière-
dorique les navires trouvent des abris ; ment comblée par les alluvions ; mais
il en est de même du golfe de Svmé.
1rs monuments antiques comme les

Aussi les anciens Cariens étaient-ils de tombeaux et les magasins qui étaient
liardis navigateurs et des pirates redou- Jadis au bord de la mer, sont aujour-
tiibles. d’hui baignés par les flots et enfoncés
à une certaine profondeur. Ce mouve-
ment ne peut être dû à un exhausse-
ment des eaux de la mer; car il se re-
A&teiYftNEORE. 193

trouverait marqué sur toute la côte , U parages de l’Oe Kakara l’ancieilne Do-
faut donc l’uttribuer à un abaissement lichiste. Cette lie longue et rocheuse
local du terrain Nous remarquerons plus est séparée du continent par un canal
à l'est le même pliéuomène, tandis qu’au qui ira pas un kilomètre de large; le
port de 'Wathi près d'Antiplieilus les continent lui-même est découpé en
monuments antitmes occupent encore une dentelure profonde qui engendre
près du rivage leur position primi- plusieurs petits ports, notamment le
tive. port Tristomo, dont le nom antique est
Toute la côte depuis Macri jusqu'à inconnu. Le canal de Kakava offre le
l’iie de Kastellorizo forme une suite plus beau mouillage du monde pour
non interrompue de saillies et de re- une flotte entière ; le fond est de roche
traites motivées par les contreforts ou et partout on atteint le fond par douze
acrotères du Taurus qui descendent ou quinze brasses. Les nombreuses
jusque dans la mer. Il faut noter dans constructions antiques s’élèvent tant sur
ce nombre la saillie appelée yèdi bou- rtle que sur le rivage et offrent, bien
roun par les Turcs, Uepta Kavi par les plus accusé, le singulier phénomène que
Grecs ou en français les Sept-Caps. On '

nous avons déjà signalé à Macri, c’est-à-


arrive ensuite à la grande vallée du dire que les habitations comme les tom-
Xanthus, à l’emboucliure de laquelle beaux sont envahis par les eaux. Tout
était la ville et le port de Patare. Toute le reste du littoral environnant n'ayant
la physionomie de ce territoire a telle- pas changé de niveau, il faut en conclure
ment changé que l’on a peine à recon- à un abaissement de plusieurs mètres du
naître les descriptions des anciens. Les massif de l’île de Kakava et du fond du
atterrissements ont comblé le port de détroit qui sépare l’ile de la terre ferme.
Patare, et les eaux du Xanthus tonnent Les découpures <lu rivage engen-
une plage qui gagne toujours sur la mer. drent encore une autre baie profonde
A six milles environ à l’est, la baie deRa- à l’est dei’île de Kakava; c’est la liaie
lamaki,lePhoenicusportus des Romains, Andraki, non loin de laquelle est la ville
offre encore aux navires un mouillage de Myra. Toute la plaine de Myra est
aussi sain que tranquille; c'est comme formée par les alluvions d’une rivière
un bassin daau limpide au milieu d’une appelée üemeri.
nature vierge et austère. Une fois que La baie de Phinéca reçoit les eaux
le bâtiment est mouillé à Kalamaki, on de plusieurs rivières, dont la plus consi-
perd de vue l’entrée, et les marins com- dérable est le Allagliir tchaî, ^ui ont
parent ce mouillage à une cuvette. formé un vaste dépôt ailuviomtaire dont
Malheureusement l’eau douce y man- l'âge ne paratt-pas tnt-ancien ; car dans
que et il est d’autant moins fréquenté toute cette plaine on ne trouve aucune
que ses rives ne sont que des monta- trace de ville antique. La villede Limyra,
gnes abruptes et sont complètement in- qui est la plus voisine, est assise sur
habitées. Un groupe de petites îles, les collines qui appartiennent aux pen-
les îles Volo et Okendra , sont comme tes inférieures du Taurus.
fa tête d’un petit archipel dont l’ile de Le cap Chélidonia, qui forme la
Xastellorizo est le centre. Cette der- pointe sud-est de la Lycie, est aussi la
nière est placée juste dans le méridien terre la plus avancée vers le sud; en-
du port Sevédo où fut la ville d’Âoti- suite la côte tourne brusquement dans
ihellus; le port Sévédo excellent mouil- la direction du nord. Elle est partout
ÎBge est divisé en deux parties par une de nature rocheuse, ne reçoit aucun
langue de terre rocheuse; l’autre petite cours d’eau important et se prolonge
crique porte le nom de port Vathy (pro- ainsi dans une longueur de quarante
fond); die n’est bonne que pour les milles ,
et forme la branche occidentale
bari(ue$ ; on mouille au fond du port du golfe d’Adalia. Une inQnité de petites
Sévédo |tar sept ou huit brasses. criques découpent cette côte, où floris-
La baie Hassar, qui suit celle de Sé- saieut plusieurs villes anciennes.
védo, est ouverte aux vents du sud- La situation d’Adalia marque le fond
ouest et n’est intéressante à aucun point du golfe de même nom formé par la côte
de vue. Il n’en est pas de même des« de la Pamphylie. Toute cette terre.
L’UNIVERS.
dans U
longueur de plus de quatre- côte reprend son aspect varié tantôt
vingts kilométrés, est formée par les al- rocheux, tantôt agreste; c’est la Ciiicie
luvions de trois rivières dont les noms Trachée des Grecs. Les géographes
anciens sont le Catarrhactès, le Cestrus comptent toute cette plage comme fai-
et l’Ëurymédon. Ici le travail des al- sant partie du golfe d'Adalia. Jusqu’au
luvions se manifeste avec une puissance cap Anémouril n’y a pasunseul mouil-
dont le reste de la côte n’offre pas lage sur tout le long de la côte; car ce-
d’exemple. A part quelnues collines de lui d’Alaya est ouvert au sud-ouest.
roche tendre et qui elles-mêmes sont Les bâtiments des indigènes, qui con-
composées d’une espèce de travertin, naissent bien ces parages, ont l’habi-
c’est-à-dire de formation d’eau douce, tude de mouiller en pleine côte et tout
tout le territoire compris entre Adalia près du rivage; ils se considèrent ainsi
et Sidé est formé de terrains de trans- comme à l’abri des vents du sud, qui
port. Les villes anciennes qui peuplaient cependant donnent en plein dans le
cette contrée sont assises sur les con- olfe; mais par suite de la proximité
treforts inferieurs Taurus. Non-
du es montagnes qui forment comme un
seulement la côte gagne en étendue sur vaste écran, la côte, selon l’expression
la mer qui la baigne, mais dans les pa- des marins, refuse le vent, et les plus
rages d’Adalia elle gagne aussi eu hau- fortes bourrasques du sud causent ra-
teur par la vertu incrustante des eaux rement des sinistres aux bâtiments
du Catarrhactès. Nous avons une preuve moutllés en pleine côte. Nous avons
palpable des importantes modifications même vu des bâtiments de guerre de la
que cette côte a subies par les témoi- marine égyptienne rester en station à
gnages des auteurs anciens qui men- l’ancre à l’abri de ce mouillage précaire.
tionnent un grand lac, le lac Capria, au En jetant un coup d'œil sur la carte,
centre de la Pamphylie, et que nous n’a- on voit que lacôtesud de l’Asie Mineure
vons plus retrouvé^. Ceux qui comme est pour ainsi dire composée de deux
nous ont visité le pays dans ces dernières golles, celui d’Adalia et celui de Tar-
années n’ont pu que constater la dis- sous, séparés par un large promontoire
parition de ce lac, qui a certainement dont le cap Anemour forme la pointe
été comblé par les atterrissements. la plus avancée. Toute la partie est de
L’embouchure des fleuves s’est aussi ce promontoire est de nature rocheuse
sensiblement modifiée. Ces rivières de et forme par conséquent, par sa ren-
Pamphylie étaient pour la marine des contre avec les eaux de la mer, un cer-
Grecs comme autant de ports où les tain nombre de petites criques, parmi
flottes trouvaient un abri. Aujourd’hui lesquelles le Lessaii el Kalpé, petit cap
des Itarres formées par les sables n’en protégé par un îlot, l’Ilot Provençal
permettent l’accès qu’à de faibles bar- peut mériter le titre de véritable port;
ques, et encore dans la saison des hautes mais c’est le dernier de la côte ; car de-
eaux. puis ce point jusqu’au golfe d’Alexan-
Ou voit par le nombre infini de drette nous retrouvons les plages allu-
mouillages, de criques et d’ilots dont la vionnaires formées par les nombreux
côte de l’ancienne Lycie est hérissée cours d’eau du Taurus, parmi lesquels
combien cette contrée était favorable à le Cydnus à Tarsous, le Sarus à Ada-
la piraterie. Des grottes naturelle.s creu- ua, et le Pyramus à Ayas Jouent le
sées dans les rochers, une montagne principal rôle. Dans le premier siècle
presque infranchissable qui descend de notre ère un témoignage non équi-
jusqu’à la côte étaient des retraites sûres voque d’un auteur contemporain atteste
pour le brigandage. La vue de ce pays que la ville de Tarsous était située prés
explique comment la puissance romaine d’un lac qui servait en même temps de
a été forcée de compter avec les pirates port et d'arsenal (1). Aujourd’hui on
et quelquefois de capituler avec eux ne trouve plus vestige de ce lac.
avant d’en purger les mers. Le delta formé par les fleuves Sa-
Le fleuve Mêlas qui marquait la fron- rus et Pyramus change de jour en jour
tière orientale de la Pamphylie est aussi
la limite du pays de plaines. Au delà la (0 Slrab., XIV, 67a.
,

ASIE MINEURE. 35

la physionomie de la côte. Ce phéno- oltstruée par les sables. Le vent de


mène tellement appréciable du
était mer, qu’on appelle dans ce pays i/n-
temps même des Grecs qu*on prévoyait dat , pousse dans le golfe une’ partie
déjà le Jour où la mer de Chypre serait des sables cbarriés par les fleuves et
comblée , et on prêtait à l'oracle la pré- contribue à son envasement. Aujour-
diction suivante : Un temps viendra où d’hui le mouillage d'Alexandrette est
la postérité verra le vaste et rapide le seul <]ui soit praticable pour les gros
Pyramus atteindre l’île sacrée de Chypre navires.
à force de reculer la côte de la terre Les caps Karatasch, à l’ouest, et
ferme (t). On sait que les anciens Kanzir, à l’est, limitent les rivages du
étaient fort prodigues de faits sem- golfed’Alexandrette ou de Scanderoun ;
blables , soit ^ur réunir, soit pour sé- il s’avanee dans les terres dans une pro-

parer les lies et les continents; mais fondeur d’environ 0°40', soit quinze
il n’en est pas moins vrai que toute lieues selon la direction nord-est. La
cette contrée gagne h vue d’œil sur la ville de Scanderoun est située sur la
mer, et les barres formées à l’embou- côte orientale, au sud d’une petite anse ;
chure des neuves engendrent ces étangs le mouillage est abrité des vents du
qui sont comblés à leur tour. large par les terres environnantes. C’est
Le Pyramus, après avoir charrié des au cap Kanzir que se termine le périple
monceaux de sable qui ont obstrué de l’Asie Mineure; tout le reste du lit-
son embouchure, a pris son cours plus toral appartient à la Syrie.
à l'est et s'est creusé un nouveau lit qui Ce rapide coup d’œil jeté sur les
s'ouvre près du cap Karatasch. Sur côtes de la presqu’île montre jusqu’à
toute cette côte les navires ne sauraient quel point le prolil de son littoral a été
.

trouver un mouillage, tant elle est hé- inodilié non-seulement par les grands
rissée (le bas-fonds sablonneux. phénomènes géologiques qui ont pré-
Nous devons dire aussi que le long cédé l’arrivée des premiers habitants
de cette côte, et notamment au mouil- mais encore par l’effet du travail des
lage de Mersyn, près de Tarsous, ce alluvions. Depuis les époques histo-
qui a contribué le plus à gâter le mouil- riques, plusieurs lacs, des golfes, ont
lage, c'est l’habitude séculaire des marins été comblés par les terres amoncelées
qui viennentsur lest pour faire des cbar- et sont devenus des terres habitables.
eements sur cette côte et qui jettent Un calcul a été fait duquel il résulte
leur lest dans la mer. En effet, des que l’Asie Mineure depuis l’époque de
,

sondages opérés par un marin fran- Strabon, s’est augmentée d’une surface
çais ont ramené des pierres travaillées, égale à la moitié d’un département de
jes bri(iues et une quantité de pro- la France. Il sera donc toujours im-
duits hétérogènes qui prouvent que le portant pour ceux qui voudront s’oc-
fond sur cette côte n'est rien moins que cuper de questions de géographie an-
naturel. L'ancien lit du Pyramus est en cienne de tenir compte de cés modi-
,

communication avec un vaste étang fications.


marin de peu de profondeur ; la nou-
velle embouchure a déjà formé un CHAPITRE XL
delta considérable, et les vents modi-
fient à leur gré les sinuosités du rivage MONT TAUBUS.
en rassemblant tantôt le sable en col-
lines et en falaises, tantôt en formant Montagnes de la Lycie.
des barres à fleur d’eau ou sous-ma-
rincs. nouvelle embouchure du Py- Nous avons déjà exposé un des ca-
ramus se trouve maintenant à l'ouest ractères qui distinguent la presqu’île
du cap Karatasch, et par conséquent d’Asie des autres contrées de l’Europe ;
dans le golfe même d'Alexandrette. mais il en est un plus frappant encore,
La baie d’Ayas, qui fut autrefois un c’est le haut relief de ses terres qui
excellent mouillage, est maintenant surgissent du sein des mers comme une
pyramide tronquée dont le sommet
(i) Sirab., Xa, 536. forme les plateaux intérieurs. Ces bau-
36 L’UNIVERS.
tes terres ne s’abaissent jamais à moins l’habitant, qui, s’en rapportant seulo-
de six ou cents métrés au-dessus
liuit ntent au témoignage de ses yeux , voit du
des mers, et forment, pour ainsi dire, grandes montagnes dans ce qui n’est en
le niveau moyen de l'Asie occidentale; réalité que les contreforts des terres éle-
car l’Arménie et la Perse restent, dans vées du centre. Mais toutes ces monta-
leurs ré^^ions, à six cents mètres au- gnes secondaires ont en un nom qui se
dessus de la mer. rattache a des événements historiques ;
Il
y a peu d’années que l’invention leurs ondulations ont formé les limites
du baromètre portatif a permis aux de provinces et de royaumes ; elles sont
observateurs de mesurer avec une exac- donc pour l’étude de la presqu’île aussi
titude sufiisante l'altitude des contrées importantes à connaître sous le point de
qu'ils parcouraient, et les récits des vue historique que sous celui de la
premiers voya;>eurs furent accueillis géographie.
avec la plus grande incrédulité. Nous Du peu de mots que nous avons dit
ne saurions croire, disait un rédacteur de la distribution des eaux sur cette
du Journal des Savants, que la ville partie du continent on ne doit rien con-
d'Erzéruum soit aussi élevée que le col clure de défavorable à la contrée.
du petit Saint-Bernard. C’est pourtant L’incomparable beauté du climat, la
ce qui a lieu, et les vérifications réité- richesse de la végétation feront toujours
rées des mêmes altitudes, si elles ne de ce pays une terre privilégiée où le
concordent pas à quelques mètres près, travail intelligent de l’homme recevrait
offrent cependant un moyen de con- au centuple la récompense de ses
trôle suffisant pour qu'on puisse dès an- soins.
jourd’hui tracer le proQI de toute celte Du côté du sud le plateau central de
partie du continent asiatique. On pour- l’Asie Mineure est soutenu par une
rait dire , non sans quelque apparence grande chaîne qui suit les onJulations
de raison , que l’Asie Mineure u est pas de la côte et qui se prolonge dans toute
une contrée sillonnée par des chaînes la longueur de la presqu'île. Cette
de montagnes , mais qu'elle est à elle chaîne, appelée par 1rs anciens Taurus,
seule une montagne dont les chaînes du mot syrien Tor { montagne ) est
ne sont que les dentelures. En effet, une de celles qui ont été le mieux étu-
vues de la mer, les côtes se présentent diées par les géographes anciens; ils
comme une suite à peine interrompue en faisaient la base de tout le .système
de montagnes rocheuses et abruptes; géographique de l’Asie.
\Ties du coté de la terre, les sourcilleux Le mont Taurus est comparé par
sommets ne sont plus que des collines, Ératosthène à un baudrier qui cou-
dont l'ascension est des plus faciles. perait le continent en deux parties,
Cette manière d'envisager la contrée l’une septentrionale,rautre méridionale.
n’est pas nouvelle; car le géographe Ces deux parties sont, relativement aux
Eratosthène estime la largeur de la Grecs, en dei^à et au delà du Taurus , et
chaîne du Taurus égale à celle de toute la chaîne elle-même était regardée
la presqu’île (I). Les anciens avaient déjà comme la plus considérable de la terre
remarqué que la conséquence de cette habitée. Elle était considérée comme
conformation n’était pas des plus heu- prenant naissance aux colonnes d’Her-
reuses pour en faire une région homo- cule, passant le détroitde Sicile , lon-
gène. Les eaux y sont trop dispersées, geant les extrémités méridionales du
les rivières maigres et torrentueuses, Péloponnèse et de l’Attique, et s’éten-
les terres en pentes trop rapides; de là dant jusqu’à Rhodes et au golfe d’issus.
ces immenses alluvions dont nous avons Du golfe d’issus elle remonte vers le
tracé un tableau dans le chapitre pré- nord va joindre la grande chaîne de
,

cédent. rimaüs dans l’Inde, et se prolonge jus-


Cette forme du relief des terres tjue qu’à la mer des Indes dans utie lon-
révèle l’étude barométrique du conti- gueur de quarante-cinq mille stades
nent d’Asie échappe en grande partie à soit835 myriamètres. Mais dans tout
ce parcours il change tant de fois de
(i) Strnbsn, liv. XI, 490. nom qu’on a peine à reconnaître lu
,

ASIE MINEÜRE. 37

même chatne. Pline (1) ne lui en tions anciennes qui ont beaucoup plus
donne pas moins de vin^ différents de précision. Ije nom même du Taurus
parmi lesquels les plus connus sont l’I* est aujourd’hui complètement oublié, et
maüs, le Paropamisus, le Pariadrès, chaque groupe porte un nom particu-
le Caucase. Strabon le divise en cinq lier.
groupes parmi lesquels il compte le
mont Zagros de Perse. Ammien Mar- CRAOCS.
celin et Paul Orose lui donnent cinq
noms qui diffèrent de ceux des autres .'//< dagh.
géographes. Ptolémée ne lui en donne
pas moins de vingt-deux dans l'étendue A l’ouest de la vallée du Xantbus s’é-
de son parcours et Pomponius Mêla lève le massif gigantesque de 1 Akdagh,
dit sagement que les Grecs avaient le Cragus, qui domine toute la Lycie
l’habitude d’appeler ces montagnes les et dont la hauteur atteint 8,000 mètres.
monts Cérauniens. Son sommet est presque toujours cou-
Depuis que la géographie de ces con- vert de neige et ses rameaux s'étendent
trées est mieux étudiée, on a reconnu dans une direction diagonale selon le
que cette longue suite de montagnes nord-ouest et le sud-est. Au nord il
n’appartenait pas à la même chatne; fait sa jonction avec le mont Cadinus
mais pour les anciens c’était toujours au inoven d'un plateau qui n’a pas
le Taurus, c’est-à dire le pays monta- moins de 600 mètres au-dessus du ni-
gneux par excellence , et sous ce rap- veau de la mer. Il se relie, à l’ouest,
port ils étaient dans le vrai. avec le mont Massicytus qui domine la
Pour le continent qui nous occupe, le baie de Telniissus ou de Macri , et ses
mont Taurus prend naissance dans la acrotères méridionaux forment les caps
province de Lycie au sud ouest de l’A- de Phinéca et de Chélidonia.
sie, c’est-à-dire dans le groupe deCragns Pour bien classer ce groupe lycien
ui domine, la baie de Telniissus, et qui, d’après l’ancienne géographie, nous
e nos jours, porte le nom de Akdagh éprouvons une certaine difficulté, pré-
(la montagne Blanche). Le mont Mas- cisément à cause des documents variés
sicytus s’élève à l’ouest de cette monta- que nous ont laissés les géographes.
gne et fait partie intégrante du groupe. Ainsi Strabon (1), Pline (2), Sénèque (S)
Des vallées presque inextricables se croi- n’hésitent pas à placer le mont Chi-
sent en tous sens dans ces hautes ré- mère dans le Cragus même et dans le
gions; la plus longue et la mieux dessi- mont Solyme, qui en est proche.
née est celle du fleuve Xanthus que les D'après la description de Strabon, il
habitants appellent Kodja tchaî, la mat- faudrait donner le nom de Cragus à
tresse riviere. On sait combien, dans tout le massif qui est à l’est du fleuve
ces régions, les nomenclatures géogra- Xanthus, et toutes les autres monta-
phiques données par les habitants sont gnes qu’il nomme ne seraient que des
arbitraires et incertaines ; les montagnes différentes régions du groupe principal.
changent de nom
presque dans chaque Toute la région qui est a l’ouest du
district: les fleuves dix fois dans leur olfe de Marri appartenait aux Rho-
parcours. Ce sont presque toujours des iens ; c’est la région appelée Peræa et
dénominations prises de la couleur des que &:ylax appelle le pays des Hho-
roches ou des eaux : la montagne blan- diens.
che rouge jaune ; aucun souvenir des
, I.a ville et le mont Dædala appar-
,
noms historiques n’est resté dans le tenaient aux Rhodiensf4); mais la mon-
pays ; et il n'est pas rare que les habi- tagne faisait partie de la Lycie, c’est-à-
tants d’un même village n’aient plu- dire qu’elle est regardée comme appar-
sieurs noms pour désigner la même tenant au Taurus.
montagne. Aussi serait-il à désirer que
les géographes européens conservas-
i) Slraboii ,
XIV, 665.
sent autant que possible les dénomina- Pline V, a-.
ï) ,

(3) Sénèque , ep. 79 .

(0 V, «7. (4) Slrab., XIV, 664.*^


,

38 L'UNIVERS.
« le mont Dædala vient l’An-
Après nom. On l’appelle aujourd'hui Taktalu'
ti-Cragus, montagne coupée à pic, puis (montagne des planches), parce qu’il y
le mont Cragus avec ses huit cimes et a une scierie pour débiter les bois.
une ville de même nom. C'est dans ces La région nord, dont les cimes s’éche-
montagnes que la fable place la Chi- lonnent parallèlement à la mer, est le
mère, et l’on voit à peu de distance une mont Climax, qui descend jusqu’au ri-
vallée nommée Chimæra et dont l’ou- vage. Lorsque du port d’Adaba on est
verture commence dès le rivage de la témoin du coucher du soleil derrière
mer (I). » Cette description embrasse ces montagnes, le spectacle est des plus
donc toute la largeur de la Ljcie puis- majestueux. Chaque plan de montagne,
que nous sommes arrivés a la côte chaque sommet se dessine dans la va-
orientale. Strabon nomme en effet les ieur bleue , et l’on peut à loisir compter
fies chélidoniennes qui terminent cette fes échelons du mont Climax, qui se
côte; ce qui ne l’empêche pas de mettre présente comme un escalier gigan-
dans la même région le mont Olympus tesque pour atteindre les hauteurs de
ou Phœnicus, et tout à fait au même la Lycie. Voilà selon nous le groupe qui
endroit le mont Soiyma (2), près de doit porter les noms do Cragus et d’An-
Phasélis dont la position est bien con-
,
ti-Cragus. Ce dernier était ainsi nommé
nue, et toujours dans la même région le parce qu’il se présentait d’abord aux
mont Climax (échelle), qu’ Alexandre navigateurs qui venaient de l’ouest
franchit avecdifhculté,etdans ce nombre Si nous reprenons les définitions des
nous devons encore trouver place pour auteurs grecs et latins, nous trouverons
le mont Massicytus (3), avec une ville qu'elles sont toutes d’accord pour at-
du même nom. Pour faire concorder tribuer le Cragus à la Lyeie et non
cette topographie avec l’état du pays il la chaîne qui court plus vers l’est.
est clair que nous devons restreindre les Étienne de Byzance le désigne comme
différents groupes et les faire rentrer montagne de Lycie qui prit son nom
l’un dans l'autre. Aussi l’Anti-Cragus d’un fils de Tréniilus et de la nymphe
est la montagne qui s’élève à l’est du Praxidice. Il s’y trouvait des grottes
golfede Macri, et qui projette sept consacrées aux dieux champêtres. (Steph.
promontoires dans la mer; on donne )Byz. V. Cragus). Ovide(l)nomme ensem-
aujourd’hui à ce massif le nom turc ble le Cragus, les villes de Xanthus et
de Yedi bournuu. Ce groupe est li- de Lymira, qui en étaient voisines.
mité à l’est par la vallée du Xan- Pline (2) ne mentionne le Cragus que
tlms , Kodja tchaï. Le massif suivant comme un promontoire ; mais il le met
qui est limité à l’est par la courte et dans la Lycie près du mont Massycitus.
abrupte vallée de Phinéca, est le mont Une seule autorité a pu porter quel-
Massicytus, aujourd’hui Ak dagh. Il ues géographes à supposer que le nom
comprend un certain nombre de som- e Cragus était donne à quelque chaîne
mets notamment le Sousousdagh (mon- de la Cilicie ; c’est la mention faite par
tagne sans eau); ensuite vient la So- Ptolémée de la ville d’Aiitiochia ad
lyma mons appelé tantôt Almaludagh Cragiim qui appartenait à la Cilicie ; ce
du nom de la ville voisine, tantôt Ya- qui est confirmé parles médailles. Mais
lynizdagh (montagne solitaire). Strabon donne l’explication de cette
Le versant oriental du mont Soiyma difficulté (3) en mentionnant sur la côte
donne naissance à la vallée d’Alaghir de (iilicie un écueil qui avait aussi le
tchaï , qui forme la limite entre la côte nom de Cragus. « Puis Cragus. rocher
orientale et le dernier groupe ; enfin la (Petra) voisin delà mer, escarpé de tous
bande montagneuse comprise entre côtés. > On voit que ce n'est pas le nom
mer est divisée en deux
cette vallée et la d’une montagne. Selon Bochart le nom
iar le cap Avova. La région sud est de Cragus serait, comme celui de "Tau-
fe mont Olympus avee la ville du même rus, d’origine sémitique, et viendrait du

([) Strabon, XIV, p. 665. (i) Métam., IX, 645.


(a) Ibid., 666. (a) V, î 7 . “

(3) Win., V, aj. (3) Str»b., XIV, 66p.


ASIE MraEüRE. M
mot Crac, qui en langue syriaque si* forme des montagnes et des vallées.
guiOe une roche. Ce sont ces roches brisées et entraînées
Tout le massif lycien est composé de dans les bas fonds par la fonte des
roches qui se rapportent à l’âge du cal- neiges qui ont formé par la suite des
caire alpin , c'est-à-dire de formation siècles ces grandes collines de brèches
secondaire. et de conglomérats qui composent pres-
La base des montagnes qui entourent que toute la ceinture de la Lycie. Nous
le golfe de Telmissus est une brèche avons déjà dit quelques mots de ce
calcaire tendre dans laquelle on a pu mouvement insensible des rivages ma-
facilement creuser les monuments dont nifesté par l’exhaussement ou renfon-
nous parlerons dans la suite. Ce genre cement des monuments antiques ; on
de conglomérat forme des montagnes le reconnaît dans presque tout le pour-
entières dans tout le pourtour de la tour de la T.ycie. Le port de Caunus
Lycie. La masse des montagnes , même est aujourd’hui converti en un lac d’eau
des plus élevées est d’une formation douce qui s’épanche dans la mer, et
crétacée ; c’est un calcaire blanc com- les antiques constructions de la ville
pacte souvent marneux et dont l’âge sont à trois kilomètres du rivage; leur
est déterminé par la présence de fossiles niveau actuel indique un exhaussement
de cette époque; mais généralement ces successif du sol. Déjà dans l’antiquité
fossiles sont très-rares sur la côte de le territoire de Caunus passait jiour
Lycie ; on rencontre seulement une for- malsain. Strabon parle du teint hâve
mation assez puissante de nummulites et maladif de ses habitants et rappelle
au port Tristomo, à l’île de Kakava. le mot d’un plaisant qui disait on :

Le calcaire qui compose la plus ne saurait appeler malsain un endroit


grande partie des montagnes de la Lycie où les morts mêmes marchent (I)
est blanc de lait, sonore, très-facile à L’ensemble du massif lycien parait être
travailler et a tous les caractères d’une contemporain de la formation crétacée,
roche métamorphique; c’est une question oui se reconnaît dans toutes les lies de
que les géologues auront à décider. Il l'archipel et sur la côte du Pélopon-
est remarquable en ce qu’il présente nèse. Il a donc peu d’espoir d’y trou-
y
dans sa contexture des sortes d’excava- ver des dépôts métalliques, et, en effet,
tions qui ont souvent la forme de longs jamais il n’en a été fait mention dans
tubes; d’autres fois de géodes remplies la contrée. Plus au nord dans la pro-
de sable rouge. vince de Cibyratis les habitants étaient
La vallée du Xanthus, toute d’allu- renommés par leur habileté à travail-
viou ,
présente sur ses flancs quelques ler le fer ; mais il ne parait pas que
bancs de grès vert, et surtout des ces mines aient jamais été très-consi-
dépôts d’eau douce ; la vallée de Myra dérables ; elles sont aujourd’hui com-
est d’une même époque jKologique, et plètement ignorées ou épuisées.
ses monuments sont taillés dans une
roche blanche compacte et d’un travail TAUBDS DE PAMPRYUE ET DE CI-
facile. C’est l’abondance des roches LICIE.
calcaires qui a porté le peuple de la
Lycie à pratiquer un art dans lequel il Toute la côte orientale de la Lycie,
a excellé à l’égal des Perses l'art de
,
qui se termine au cap Chélidonia pr
tailler les monuments dans le roc. cinq petites lies qu’on appelait les Iles
Toutes ces montagnes sont encore Chélidoniennes (des hyrondelles) forme,
aujourd'hui couvertes d’épaisses fo- comme nous l’avons dit, une crête mon-
rêts, et rien ne saurait peindre la beauté tagneuse qui se dirige au nord. Elle
de ces vallées inextricables au fond des- uitte le bord de la mer et remonte
quelles roulent les eaux des torrents; ans les terres en laissant sur la côte
mais la nature tendre ,de leur forma- la grande plaine d’Adalia.
tion et surtout les lits de marne qui Ce massif montagneux dans lequel se
sont intercalés dans les bancs plus so- trouvaient plusieurs villes anciennes se
lides sont des causes incessantes d'é-
boulements qui changent peu à peu la (i) Straboo, XIV, 65i.
M L’ITNiVEaS
noraiiM Smsous dagh ; on. lui dooaait du Taurus qui la limite au nord prend
autrefois le nom de Sngalassus. L’épais- en. effet un aspect plus sauvage et plus
seur de ce massif est d'environ quarante alpestre que dans la région de l’ouest.
kilomètres; il forme le contrefort méri- Sa largeur est aussi plus considérable ;
dional du lac d’Ëgdir et s’ouvre pour il constitue presque en entier le sol de

laisser passer les eaux de la rivière Dou- la province de Pisidie ; mais pour l’a-
den ; une des passes se trouve au sud nalyse géographique sommaire que
d’Aglasoun (Sagalassus); c’est l’ancienne nous faisons, nous sommes contraint
passe de Termessus qu’Alexandrea en- de nous en rapporter uniquement aux
levée avec peine. Le caraclère de ces noms anciens ; car les noms modernes
montagnes se présente de la même ma- ne sont que confusion.
nière dans tout le parcours de la côte. Dès que le Taurus a donné passage
Du côté du sud, ce sont de hautes cimes au fleuve Mêlas, il se rapproche de Ta
qui s’élèvent de quinze cents à deux mer et constitue pendant une longueur
mille mètres au-dessus de la mer. Vues de près de cent cinquante kilomètres
du côté du nord, ce ne sont plus que le rivage même de la mer, dans laquelle
des collines, tant le plateau intérieur il vient plonger en grandes falaises
conserve de hauteur, de huitàneuf cents abruptes. Il est impossible de joùir d’un
mètres. spectacle plus grandiose et plus saisis-
sant lorsqu’on navigue en rangeant les
CHAPITRE XII. terres de la Cilicie. Le point culminant

MONTAGNES DE LA PAHPHYLIE de cette chaîne est la montagne que


ET DE LA CILICIE. l’on nomme aujourd'hui Goeukdagh (la
montagne céleste) (1) et représente à
A la plaine d’Adalia commence la ré- n’en pas douter le mont Aodriclus

gion de Pamphylie, qui est bordée au (oros Àndriclos) la seule montagne


nord par la chaîne du Taurus, dans que nomme Strabon dans ces parages.
lequel s’ouvre un autre passage qui don- Le Gœukdagh est de nature calcaire
nait accès dans la Pisidie ; tout ce mas- comme tout le reste de la chaîne. Dès
sif porte aujourd’hui le nom de Des- les premiers jours de décembre, ses
poïras dagh. Il s’étend jusqu’aux lacs sommets se couvrent de -neige.
d’Ëgdir et de Beychéri. Des pics nom- Le fleuve Selinus nous donne un re-
breux et d’une élévation considérable père pourdéterminer lerocher duCragus
dominent le parcours de la chaîne et place à l’ouest du cap Anemour. Kous
forment un dédale de vallées qui cons- avons déjà fait observer (à) que ce nom
tituaient la province sauvage de Pisi- de Cragus était tout à fait local et n’ap-
die ; les eaux de ces montagnes se dé- partenait pas à une chaîne ; c'est donc
versent dans la Méditerranée par trois introduire une grave erreur en géogra-
rivières principales qui sont le Cestrus, phie que d’appliquer le nom de Cragus à
Acsoii , l'Eurymédon , le Keuprisou et cette partie du Taurus; il n’y a rien d’é-
le Mêlas Manafgatsou. tonnant du reste de retrouver le même
Après la Despo'irasdagh, la montagne nom appliqué à deux localités diffé-
prend le nom de Baoulo et se rap- rentes; il y a en Asie une quantité de
proche de la côte vers son extrémité fleuves Lycus, plusieurs Mêlas et non
orientale; une autre chaîne, celle du moins d’OIympe. Le rocher d’Anemu-
Bouzbouroundagb, court parallèlement rium, qu’on appelle encore aujourd’hui
à la première. Au nord, jusqu’aux plai- Anemour, est le point le plus saillant
nes de Konieh, sont plusieurs massifs, de la côte tant en hauteur qu’en lati-
et notamment le Karadagh, près de tude; c’est le point où le continent se
Karamnn, qui appartiennent au Tau- rapproche le plus de Chypre ( 3 ).
rus topographiquement, mais qui en Le fleuve Calycadnus, qu’on appelle
diffèrent comme formation ; car ce sont
des montagnes volcaniques. C’est au (i) Geeuk veut dire liltéralemeol bleucé-
fleuve Mêlas ou Manafgat que les an- leile.
ciens faisaient commencer la Cilicie (a) Voy. pins haut, p. aS, col. a.
Trachée c’est-à-dira rocheuse. Lachatne ( 3) Strab., XIV, 669.
ASIE MINEURE, 31

anjoard’hai Sélefké tehaï , est. encore Après avoir escaladé ce défilé, on


un repère pour reconnaître quelques arrive sur un plateau d’où partent en
détails de la région montagneuse; c’est diverses directions des vallées qui con-
à l’est de cette rivière que se trouvait duisent au nord, à l’est et à l’ouest. De
la roche nommée Pœcile avec une route notre temps c'était Samour-bey, dévoué
des échelles taillée dans le roc pour à Méhémet-Ali, qui occupait ce Yaëla,
aller de la côte à Séleucie. Ici Stra- c'est-à-dire que le pacha d'Égypte était
bon emploie encore le mot petra pour de fait maître de l’Asie Mineure. D’é-
désigner ce rocher, comme il l'a fait paisses forêts d’essences d’arbres verts
pour le rocher Cragus de Cilicie. Pour et des cèdres couvrent ces montagnes,
le mont Andriclus qui selon nous forme et la nature des roches prouve qu’elles
la frontière septentionale de la Cilicie, appartiennent à une formation bien an-
le géographe grec emploie le mot orot térieure à celle du Taurus ; le sommet
qui s'applique aux chaînes aussi bien offre de nombreux fossiles qui ne se
qu’aux montagnes isolées. Il y a dans rencontrent que dans les couches infé-
Strabon une sorte de confusion dans la rieures du terrain secondaire; le pied
nomenclature des montagnes de cette de ces montagnes est couvert par des
côte. Après avoir fait parcourir à son formations plus récentes, et nous y
lecteur toutes les côtes et les montagnes avons recueilli une espèce d’hultre, la
de la Cilicie, il ajoute <• Aux extrémités plus grande espèce connue , et qui n’a
du Taurus est le mont Olympus... pas encore reçu de nom des géologues ;
d'où l'on voit toute la Lvcie, la Pam- elle a plus de cinquante centimètres de
phylie et la Pisidie, et qui servit de re- longueur (1). Le versant oriental de
traite au pirate Zineticus(l) ». U est clair CPS montagnes donne passage au fleuve
que c’est la même montagne qu’il a Sarus, qui coule au milieu des forêts
mentionnée en Lycie (2) ; il était hors de cèdres. Ici les habitants divisent les
de propos d’en parler ici. montagnes en deux groupes, l’un appelé
Il nous reste à placer une chaîne ci- Buyuk Phyrat (1^ grand Phyrat) et
licienne appartenant au Taurus et dont l’autre KUtchuk Phyrat. Ces deux mon-
Strabon n’a pas parlé, c’est le mont Im- tagnes sont calcaires et séparent le bas-
barus, que Pline indique au nord de sin du Sarus de celui du Pyramus.
Séleucie (3); ce serait alors l’ancienne Ici l’Anti-Taurus remonte au nord pour
dénomination de toute cette partie du former un des contreforts de la vallée
Taurus qui conGne à la Cilicie cham- où coule l’Euphrate, qu'on appelle aussi
pêtre jusqu’à la chaîne qu’on appelait Phyrat tehaï. Ces montagnes ont été
Anti-'Taurus, et qui commence au delà longtemps au pouvoir des princes chré-
du fleuve Pyramus. tiens, et les ruines de nombreux châ-
C'est dans la région orientale de teaux du moyen âge, attestent que ces
rimbarus ou du Taurus de Cilicie passages étaient vigoureusement dé-
que se trouvent les célèbres portes fendus. Ici In largeur du Taurus, selon
dliciennes appelées aujourd'hui Kulek Pline (2), est de douze mille pas. Pen-
Boghaz ( le défilé du moucheron ). On ne dant qu’il traverse le Taurus, l’Eu-
saurait se faire une idée de la confu- ihrate perdait son nom pour prendre
sion de montagnes qui existent en cet fe nom d’Ommas. Après avoir franchi
endroit, tantôt des précipices qu’il faut les rapides de la montagne, il reprend
tourner en longeant des corniches de son nom d'Euphrate (3). L’Anti-Tau-
rochers glissants, tantôt des pentes si rus ou grand Phyrat a abandonné la
rapides qu’on ne saurait les franchir à direction de l’ouest à l’est pour pren-
cheval si le chemin n’eût été rendu dre celle du nord. Ici nous retrouvons
praticable en couvrant le rocher avec dans sa contexture les mêmes boulever-
des troncs d'arbres qui forment une sements , on pourrait dire les mêmes
espèce d’escalier.
(i) Plusieurs échantillons sont déposés
(j) Strab., XIV, 671. dans les galeries du Jardin des plantes.
(a) XIV, fi«6. (ï) Liv. V. ch. » 4 .
3 Liv.
( )
V, rli. 37. (
3 ) Pline, ibid.
, , ,

83 L*OmVERS.
aberrations que dans la branche paral- MONT AMANUS ET MONT HHOSUS
lèle à mer; mais la formation des
la BEILAN DAGH.
montagnes est des plus variées et très-
difficile à déflnir : ce n’est plus le cal- La chaîne de montagnes qui borne
caire alpin dont bien connu
l’âge est à l’est le golfe d’Alexandrette se com-
des géologues, c’est un mélange de pose du mont Rhosus et du mont
schistes d'argiles de diverses époques
,
Amanus, connu aujourd’hui sous le nom
et de roches qui ne sont pas encore de BeTlan dagh. Cette chaîne court
étudiées; mais nulle part on ne voit ap- dans la direction du sud au nord ; elle
paraître le granit ni les rochers à base forme avec le Taurus un angle aigu
de feldspath ; les terrains volcaniques dans lequel s’enfonce le golfe d^Alexan-
y sont très-peu étendus ; ce sont les drette.
schistes irisés et des roches d’un noir Le mont Rhosus occupe la partie
de jais qui au premier aspect ont méridionale de la chaîne. La hauteur ne
l’apparence de houille ; mais hélas on dépasse pas dix-huit cents mètres. Il se
est bien vite détrompé. L’Anti-Taurus termine au! sud par un grand promon-
après avoir formé comme une barrière toire qui est marqué sur les cartes sous
ue l’Euphrate franchit en écumant le nom de Raz el kanzyr ( le cap du
epuis la latitude de Malatia jusqu’à Cochon ) ; entre l’Amanus et le Rhosus,
celle (le Bir ou de Biradjik, l’Anti-Tau- il
y a une dépression qui donne accès
rus file sur la rive droite du fleuve dans l’intérieur ; la ville de Beïlan est
pour aller regagner les montagnes de située à l’entrée de ce défilé, qui était
l’Arménie. Alors il n'est plus de notre connu sous le nom du passage de l’A-
domaine. Nous pouvons donc résumer manus.
ainsi les diverses branches de cette chaîne du Rhosus s’étend jusqu'à
I-a
longue chaîne. la latitudede la ville de Skanderoun ; là
se trouve un autre passage qu’on ap-
chaIne du taubus. pelle aujourd’hui Beli Boghaz.
Ce mot Beli, qui se trouve assez
I" Croupe Cragus, comprenant :
fréquemment dans les noms de lieux ,

dans ces régions signifie beau, joli; il

Anti-Cragus, Yedi Bouroun dagh , est fréquemment employé dans fa con-


Massicytus, Ak dagh, versation pour dire très-bien.
Solyma, Bey dagh, Pour suivre l’opinion des géographes
Climax-Chimæra, Tactalu dagh. anciens qui ont donné des montagnes
d’Asie une description plus méthodique,
2' Groupe Taurus pamphylien :
nous devons rattacher au systècne du
Pas deTermessus, Taurus une grande partie du plateau et
Sousous dagh des montagnes de la Cappadoce, c’est-à-
Sagalassus dire les monts Kara dagh qui s’élèvent
Agiasoun dagh, Baoulo. le long du revers septentrional du
Taurus , dans les régions de la ville de
3' Groupe Andriclus de la Cilicie Karaman et les montagnes de la Pisidie
Trachée. etquelques-unes de celles de la Carie,
notamment le mont Cadmus qu’on ap-
Kara dagh pelle aujourd’hui Baba dagh.
Despoïras dagh.
Il en serait de même du plus grand
4* Groupe Imbarus de Cilicie cham- et du plus célèbre volcan de l’Asie Mi-
pêtre. neure, du rival de l’Ararat; en un mot
du mont Argée qui domine la ville de
Ala dagh Césarée de Cappadoce; mais en don-
Kulek boghaz. nant une description abstraite de ces
5' Groupe Anti- Taurus. montagnes et surtout avec les nonns
modernes qui, comme nous l’avons déjà
Buyuk Phyrat, dit,sont si variables, nous ne présente-
Kutchuk Phyrat. rions au lecteur que des idées confuses

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ASIE MINEURE. 3S

ou insaisissables , il est préférable de L’Hermus, qui descend des plateaux


donner la description de ces groupes de la Phrygie, apporte à la mer de
isolés avec celle des provinces dont Smyrne le tribut des eaux des monta-
ils font partie. Nous nous bornerons, gnes du nord.
dans cet aperçu orograpliique à donner ,
Pour suivre selon leur position la
une idée des grandes chaînes dont la description de ces montagnes, nous
position et la aénomination sont bien continuerons de remonter du sud au
admises et constatées, et qui servent à nord depuis les versants du Taurus.
déterminer les limites des provinces. La Lycie, dont le groupe montagneux
Le mont Taurus, à ce point de vue, doit est si remarquable ,
forme comme le
fixer d’abord l'attention de tous ceux coin sud-ouest de la presqu’île. Nous
qui veulent se rendre compte de la géo- avons dit, d’après l’autorité des anciens
graphie de la presqu'île d'Asie, puis- géographes, que tout ce qui était à l'oc-
qu’il sert de base à cette grande divi- cident de ce groupe n'appartenait pas
sion d’Asie au delà du Taurus et d’Asie au Taurus. Cette division pouvait être
en deçà du Taurus qui a été admise considérée comme arbitraire; car les
dans tout le cours de l’antiquité. ramifications de cette grande chaîne se
se prolongent vers le nord et forment
CHAPITRE XIII. plusieurs bassins lacustres. Mais la
division politique de la presqu’île de-
CHAINES DE l’iNTÉBIEUB. mandait ce partage pour conserver les
régions distinctes d^Asie en deçà du
Il est important de faire remarquer Taurus et d’Asie au delà du Taurus (1).
combien le.s anciens ont cherché à
mettre de méthode dans la déOnition MONT PHGENIX.
des montagnes qui sillonnent la pres-
qu'île de l’Asie Mineure; et malgré La contrée quis’étend à l’ouest du
l’extrême difficulté de classer ces golfe de Macri appartenait à la Carie;
chaînes qüi se coupent en divers sens, mais comme elle avait été longtemps
.ilsont saisi la physionomie de la con- la propriété des Rhodiens, elle conser-
trée aussi bien que pourraient le faire vait le nom de Peræa et finissait au
les géographes modernes ; il faut ùire mont Phoenix. L’étude de cette der-
la part des difficultés qui se présen- nière montagne exigerait de plus longs
taient en foule par faute d’instruments dévéloppements que ceux que nous
de précision, la boussole et le baro- pouvons y consacrer dans ce tableau
mètre. On recounalt dans le tableau sommaire. Elle domine un des plus re-
orographique de l’Asie Mineure trois marouables golfes de la côte , le golfe
grandes chaînes principales et qui sont de Marmarice ou Phiscus (3). Aujour-
à peu près parallèles entre elles dans d’hui elle est sans nom local. Au som-
la direction de l’est à l’ouest, au sud le met on reconnaît encore les vestiges
Taurus qui est le contrefort sud du pla- du célèbre fort dont les défenseurs ont
teau central, au nord le mont Ida et résisté jusqu’à In mort aux attaques

au centre le mont Tniolus. Deux chaînes d’Alexandre.


intermédiaires, le Sipylus et le Mes- La variété des marbres précieux dont
sogis, ont moins d’importance, mais se composent différentes parties de
viennent toutes deux s’amortir au pla- cette montagne lui a valu le nom
teau central de la Plirygie et en for- qu’elle porte aujourd'hui. Le fort Phoe-
ment comme les contreforts occiden- nix est situé sur un mamelon, à 1,300
taux. mètres environ au-dessus de la mer, et
Cette formation, qui au premier est dominé par un pic beaucoup plus
abord ferait concevoir l’existence de élevé. Le golte, dont la forme est un
longues vallées transversales, est inter- triangleamort aux angles forme comme
rompue par des ramifications qui s’é- le centre de nombreuses vallées qui
tendent en diverses directions et ne
laissent passage qu’à deux grands cours (i)Strab., XIV, 65 1 .

d’eau, le Méandre et le Caystre. (a) Strab., XIV, 663.


3"^ Ltvraüon. (Asib Minbubb.ît 11 . •
34 L’UNIVERS.
viennent en rayonnant se réunir près- (les pays très-accidentés où se trou-
(|ue en un point central du golfe. vaient les villes de Stratonicée, .Mylasa,
Une presqu'île rocheuse de calcaire Jassus, Hnhearnasse et Cnide. Toute
blanc sert d'assiette à la petite ville de cette contrée est d’une richesse in-
Marmarice. On pourrait uireque ce sou- croyable eu carrières de marbre blanc et
lèvement est d’une date presque his- veiné. La montagne sur laquelle est
torique; car au sommet des roches, à bâtie Jassus est d'uu marbre de mé-
plus de dix mètres au-dessus de la mer, diocre qualité, avec des bancs schisteux
on trouve le rocher percé par les pho- qui se débitent en tablettes. Mais les
lades, et nous avons encore trouve des murs de la ville sont du plus beau
coquilles en place;. Ce fait doit se ratta- marbre blanc, tiré des environs; le
cher au mouvement extraordinaire que temple d’Apollon est également de
nous signalons sur toute la côte de marbre blanc; Nous parlerons de la ri-
Lycie, mouvement d’ascension d’une chesse desmonuments de Cnide. Toutes
part et d’abaissement de l’autre, qui mé- ces carrières sont loin d’être connues;
rite une sérieuse attention de la part d’autres générations y puiseront des
des géologues et qui doit ouvrir des matériaux pour les monuments de l’a-
points de vue nouveaux sur la physique venir. Strabon n’oublie pas de mention-
du globe. ner ces carrières (1) « Mylasa est située
:

Cette presqu’île rocheuse est entourée dans une plaine très-fertile ; elle est do-
>ar une grande plaine d’alluvion sur minée par une montagne où il y a une
faquelle s’élèvent trois Ilots de roche. carrière de fort beau marbre blanc. »
Il est clair qu’à une certaine époque Les montagnes qui dominent Qali-
toute cette plaine faisait partie du carnasse s’abaissent dans la mer eu
golfe et que les alluyions apportées par formant plusieurs caps, parmi lesquels il
deux petites rivières ont comblé la partie faut remarquer le cap Triopæum où
haute. était située Cnide. Ici la roche est com-
Une autre singularité à signaler, c’est posée d’un poudingue calcaire dans un
l’entréedu golfe même, qui est barrée ciment sablonneux ro^eâtre, qui n’est
par une grande lie, et a puche les propre à aucun emploi.
montagnes viennent se profiler de ma- On pourrait considérer ce pays mon-
nière a cacher complètement l’entrée tagneux comme un des contreforts sep-
du canal. A droite, c’est-à-dire à l’est, il tentrionaux du Taurus <mi se rattache
semble qu’ily a une passe ouverte dans au mont Cadmus, le Baoa dagh d’au-
laquelle le navire u’a qu'à se lancer ; jourd’hui, qui s’élève à 1,850 mètres au-
mais c’est là qu’est le danger pour ceux dessus du niveau de la mer. Cette mon-
qui ignorent ces lieux; car une barre tagne, composée de calcaire, tantôt
de sable ferme tout à fait ce passage. compacte, tantôt marneux, pourrait ap-
Il faut donc pour entrer dans la baie de partenir aux terrains de l’âge de la craie
Marmarice louvoyer entre la grande et du calcaire compacte qui compose le
île et l’ilot (1) et toujours ranger la côte Taurus et la plupart des lies de l’archi-
ouest. La constitution géologique de ces pel. Ses ramifications s’étendent vers le
montagnes parait d’une époque anté- sud, où nous avons franchi un col au sud
rieure a celle du mont Taurus. On y delà villede Deniziy quiest à 1377 m..
reconnaît des marbres sacdiaroïdes de de hauteur absolue.
différentes couleurs, des serpentines en Le versant norddu Baba dagh donne
couches assez puissantes et des roches naissance au Lycus et nous transporte
calcaires avec (les pénétrations d'autres dans les plaines du Méandre. Mais
roches siliceuses dont nous ne saurions nous avons encore à étudier deux i-haiues
déterminer l’âge. qui forment le flanc méridional de cette
Le revers septentrional du mont vallée, le mont Latmus et le mont
Phœnix se rattache aux montagnes de Grius (2).
la Carie, qui ne constituent pas de
chaînes très-élevées, mais qui forment (i) XIV, 658.
(») Slr»b., xrv, 835.
0} Voir la carte.
,

ASIE MINEURE. 3â

MONT LATMDS. mait autrefois 'la rive occidentale du


golfe de Milet. mont Grius ou
C’est le
La cliatne du Latmus commence à Ghazohleudagli, dont les sommets ma-
se détacher doucement du Baba dagh melonnés sent couverts d’une épaisse
(Père des montagnes) et se dirige forêt. La chaîne du Grius est aussi com-
vers l'ouest en donnant, par diverses posée de schistes micacés et de meiss,
dépressions qui paraissent tout à fait qui la placent dans le cadre de Ta for-
des vallées d’érosion, passage à plu- mation primitive. Cette chaîne s’étend
sieurs petits affluents du Méandre, jusqu’à Mendelia (Euromus) (t). Elle
notamment la Tcbina et i’Arpas finit par s’élargir vers le sud et forme
tchaï. Toute la composition de cette entre Euromus et Mylasa un rempart
niuntagne est d'un schiste micacé qui dans lequel sont des carrières de marbre
nous annonce des terrains très-anciens cristallin.
et de première formation. I.,a montagne Le Méandre, qui forme la limite entre
de Arpas , qui tire son nom de l’an- l’Ionie et la Carie, coule de l’est, à l'ouest
cienne ville de Harpasa, forme un des devant chaîne du Latmus. Le versant
la
renflements principaux de la montagne, formé par
septentrional de la v.allée est
qui continue defilervers l’ouest eu pré- une chaîne longue et continue que les
sentant des sommets peu accidentés; anciens appelaient le mont Messogis
enfin elle se termine par le massif de {Mesogkis)-, or pour une oreille grecque
Becli parmak dagh (les Cinq-Doigts ), ce nom peut signifier le milieu de la
qui est l’ancien et le célèbre Latmus terre, comme s’il divisait la région en
dont mer baignait jadis la base. Toute
la deux parties égales.
cette montagne est granitique ou for-
mée de roches à base de feldspath; MONT MESSOGIS.
c’est donc une des plus anciennes for-
mations de la contrée, contemporaine Le mont Messogis, que l’on nomme
du mont Tinolus , et qui vit
autour aujourd’hui Kestenous dagh (la monta-
d’elle surgir toutes les montagnes que gne des Châtaigniers), s’étend dans une
nous avons déjà visitées. Aujourd’hui, longueur de plus de vingt myriamètres,
comme nous l’avons déjà dit, le pic du depuis le plateau de la Phrygie où était
mont Latmus se baigne dans un lac située Célænæ, aujourd’hui Dinaire,
marécageux qu’on appelle Oufa-Ball, jusqu’à la mer, où il vient s’amortir en
dont les eaux jadis marines , adou- formant le groupe du Mycale. Du côte
cies par les pluies, ne sont plus que du sud, le mont Messogis se présente
saumâtres. Un fait assez curieux, c’est sous un aspect verdoyant et fertile. I>es
que ce lac contient des mulets et au- sommets sont arrondis et plusieurs val-
tres poissons de mer qui furent enfer- lées s’ouvrent pour donner cours à de
més lorsque le Méandre eut bouché petites rivières qui viennent se jeter
l’entrée du golfe et qui s’y sont per- dans le Méandre. La formation du
pétués. Messogis diffère complètement de la
Le mont Latmus est entouré d’une chaîne du Latmus, qui lui fait face au
ceinture de forêts qui sont célèbres sud. La majeure partie du groupe de
dans la fable. On
y montrait dans une Kestenous est composée de cailloux
grotte voisine d’un ruisseau le tombeau roulés et de terrains d'alluvion charriés
d’Endymion. Le sommet de la mon- sans doute par le Méandre à une époque
tagne, complètement dépouillé de ver- très-reculée. Ces terrains sont d’une
dure, se compose de cinq pitons grani- fertilité sans égale et étaient dans l’an-
tiques qui lui ont valu son nom de mon- tiquité peuplés de vilVes nombreuses.

tagne des Cinq-Doigts. C’est une des plus Le Messogis du côté de l’est offre une
élevées de la enatne ; mais si l’on en juge assez faible élévation, parce que la val-
par la fonte rapide des neiges au prin- lée du Méandre s’élève insensiblement
temps, son altitude ne doit pas dépasser jusqu’au plateau de la Phrygie.
quinze cents mètres. La plus importante des villes qui oc-
De l’autre côté du lac court une
chaîne d’un ordre secondaire et qui for- (i) StraboQ, XIV, 035.
8.
36 L’UNIVERS.
cupeat les pentes est Tralles, aujour- le Lethæus, qui coulait à Magnésie, et
d'hui Aïdin qui est à l’entrée d’une val- l’Eudon, qui coulait à Tralles.
lée profonde, coupant la montagne dans Une branche occidentale du mont
la direction du nord au sud. Ensuite Messogis se détache dans la direction
vient la ré.gioa fertile qu’on appelle le du nord et donne naissance à la chaîne
marché aux hgues, Nosly bazar. C’est du montPactyas, qui contieutles chaînes
cette province qui fournit les ligues con- secondaires, le mont Prion et le mont
nues sous le nom de figues de Smyrne. La Thorax (1).
beauté du pays a bien sa contre-partie Le mont Pactyas est la chaîne que
dans les affreux tremblements de terre l’on franchit pour aller de Smyrne à
^ui ont ravagé la contrée à différentes Éphèse ; c’est sur le versant nord de cette
époques. Pourtant dans ces régions on montagne que l’on trouve les ruines de
n’observe aucune trace de terrains vol- Métropolis.
caniques. Le mont Messogis vient s’a-
mortir à la côte en formant une mon- MONT PBION.
tagne élevée et arrondie; c’est le mont
Mycale, si célèbre dans l’antiquité. On La chaîne du mont Prion court pa-
l'appelle aujourd'hui Samsoun dagh; rallèlement au mont Paetps et forme
q’est aussi le nom du reste de la chaîne la côte méridionale de l’ancien golfe
qui descend jusqu’au Méandre. d’Éphèse, aujourd'hui comblé. Les crê-
tes dénudées et rocheuses de cette
UONT HYCALB. montagne qui se détachent sur le ciel en
rofondes dentelures qui lui donnent
Le mont Mycale se présente du côté f apparence d’une scie, r-pitnt en grec.
de la mer comme un cône régulier à Pausanias (3) lui donne le nom de mont
sommet tronqué. Ses ramifications des- Pion, ainsi nommé, dit-il, à cause de la
cendent du coté du nord et forment le fertilité de son sol, du mot grec r.iuiv,
mouillage de Scala Nova et les ondu- gras, fertile. Mais tous ceux qui ont vu
lations montagneuses qui entourent le cette montagne conviendront que la
détroit de Samos. Strabon (1) décrit eu dénomination de Strabon lui est bien
ces termes le mont Mycale « Après l’em-
: plus applicable, car ses sommets se pré-
bouchure du Méandre vient le rivage sentent aux yeux comme une falaise dé-
au-dessus duquel sont la ville de Prièue chirée. Nous devons ajouter cependant
et le mont Mvcale. Cette montagne, qui que Pline donne également le nom de
est couverte de bois et abondante en gi- Pion à la montagne sur laquelle Êphèse
bier, s’incline versl’tle deSamos,et forme étaitbâtie,« attoUitur monte Pione{3).^
au delà du cap Trogilium un détroit Le revers méridional du mont Prion,
d’environ sept stades (1,308 mètres). » composé de nombreuses vallées bien
Cette distance est trop petite; mais le arrosées, va se rattacher au mont Tho-
restedela description peutencores’appli- rax, qui domine la vallée du fleuve L»-
querau mont Samsoun. Le mont Mes- thæus où était àituée Magnésie du
sogis, selon le géographe Théopompe (2), Méandre. Le mont Thorax se présente
s'étend depuis Celænæ jusqu’à Mycale; du côté du sud comme un cône arrondi
en sorte que cette montagne celle qui
, à son sommet. Ses flancs renferment de
avoisine Celænæ et Apamée, est habitée belles carrières de marbre qui ont servi
par les Phrygiens , une autre partie par à bâtir la ville de Magnésie et plusieurs
des Mysi et des Lydiens, le reste par monuments d’Éphèse. La position des
des Cariens et des Ioniens. monts Pactyas et Thorax est fixée par
Le revers nord est plus abrupte et Strabon de la manière suivante. « Le
(4)
plus accidenté que le versant sud. 11 premier lieu que l’on rencontre en
est sillonné par des vallées plus pro- sortant d’Éphèse est Magnésie sur le
fondes, qui donnent naissance à de pe-
tites rivières autrefois célèbres, comme (i)Slrab., XIV, 633.
(a) L 7, cil. V.
(i) XIV, m>. (3) Liv. V. cil. ay.
Sliab., XIII, () XIV, 646.
ASIE MINEURE. 37

Méandre; on l'appelleainsi parce qu’elle table; mais c’est de ses flancs nord que
est située près de ce fleuve ;
mais elle est sort le Pactole, qui déjà du temps des
encore plus près du Lethæus ,
qui vient Romains avait perdu de sou antique re-
du moût Pactyas des Ëphésiens. Ma- nommée. Nous nous étendrons dans la
gnésie est située dans une plaine au partie historique sur les recherches que
pied du mont Thorax, où fut cruciGé le nous avons faites sur le régime de ce
grammairien Daphylas. » fleuve. Un petit lac, situé presque au som-
Le revers septentrional de la mon- met de la montagne, en forme la source
tagne n’offre pas un caractère aussi et rochers de gneiss et de mica-
les
tranché; il s’abaisse rapidement vers la schiste fournissent encore aujourd’hui
grande vallée transversale où coule le à ses ondes les parcelles de mica qui
Caystre. donnent au sable cet aspect brillant.
Le mont Tmolus est à nos yeux le

CHAPITRE XIV.
MONT TMOLUS.
Le mont Tmolus est la chaîne qui
K
premier noyau , l’ossature de toute
c est cette chaîne qui, d’après

île ;

géologique aujourd’hui géné-


>rie
ralement admise, adû surgir la première
du sein de la terre, alors que le géant
la

forme le revers septentrional de la val- du Taurus était encore englouti dans les
lée du Caystre. 11 se rattache, à l’o- abîmes terrestres. Le Tmolus est en ef-
rient, au mont Messogis par des ondu- fet composé de granit et de roches pri-
lations, qui se prolongent jusqu’au mont mordiales; c’est une rareté en Asie Mi-
Cadinus; de sorte que cette montagne neure que nous ne retrouverons guères
forme comme le nœud où se réunissent qu’à l’Ma et à l’Olympe. L'aspect de la
plusieurs chaînes ; c'est peut-être à cause montagne offre tout le cachet, séduisant
de cela que les Turcs lui ont donné le pour le peintre, des contours accidentés
nom de Baba dagh (le Père des monta- que présentent les rochers granitiques..
gnes). Peut-être dans quelques-unes de ses ra-
Le mont Tmolus était célèbre dans mifications pourrait-on signaler quelques
l’antiquité par ses excellents vignobles, lambenux calcaires; mais nous n'en
dont il ne reste plus aujourd'hui que de avons pas rencontré. Dans les redons de
faibles traces dans les villes de Baindir. la villede Tapoë, l’ancienne Ilypoepa,
et de TapÔe (1). Strabon le dépeint le granit passe tout à fait au schiste
comme étant couvert de forêts (2) dont micacé. Le versant nord commande la
il ne reste plus que le souvenir. On plaine de Sardes, où coule le fleuve Ber-
voit encore sur les flancs de ses val- mus. Tous les contreforts de ce côté
lées des restes de forêts de chênes qui sont composés d’agglomérats de cailloux
ont été incendiées et dont les troncs roulés, de fragments de gneiss et de
charbonnés restent comme les tristes té- sable; c’est à un de ces contreforts
moins du passé. Le mont Tmolus est qu'appartient le massif sur lequel s’é-
appelé aujourd'hui Bouz dagh (monta- levait la citadelle de Sardes. Le Tmo-
gne de la Neige), parce que c'est sur ses lus ou Bouz dagh commence à se dé-
sommets que la ville de Smyrne et les irimer en s’approchant de la mer et
villages environnants viennent s’appro- faisse entre lui et le mont Pagus une
visionner de neige. Il s’étend de l’est à large vallée qui conduit dans la vallée
l’ouest dans une longueur de cent vingt du Caystre. Au nord, le long de la chaîne,
kilomètres environ. Aussi la phrase s’étend la vallée de Bournabat, à l’entrée
que les traducteurs français prêtent à de laquelle est située la ville de Smyrne.
Strabon (3) « Le mont Tmolus est
: Nous devons mentionner aussi un pays
assez ramassé », ne nous paraît pas montagneux qui forme la barrière nord
exacte. Le Tmolus du côté du sud ne de la vallée de Bournabat. Cette chaîne,
donne naissance à aucune rivière no- dont l’altitude atteint à peine la hau-
teur de quinze cents mètres, appartient
(i) Pline, liv. V, cIk ag. en entier au système crétacé c’est dans ;

ta) XIII, 6ag. les rochers qui dominent la ville de


(i) XIII, 62g. Bournabat que les touristes vont visiter
38 L’UNIVERS.
(les excavntioDS appelées , sang aucune tièrement composé de trachytes et de
espèce d’autüi'ité, les Grottes d'Homere. roches de nature volcanique, et a cela
Cette tradition a pour base un passage de particulier que c’est une fornintioii
de Paiisanias (t) qui a été faussement isolée au milieu des montagnes caicai-
appliqué à cette localité. « Les Smyr'» res. Les Turcs l'appellent Kizil dagh ;l i

néens ont dans leur pays le fleuve Mê- montagne Rouge). Au sud sont les mon-
lés dont les eaux sont excellentes; près tagnes de Téos, de Claros et de Colo-
de sa source est une grotte où Homère, phon en calcaire gris qui approche du
dit-on, composait ses poèmes. • I-es marbre, et au nord la vallée de Bour-
grottes que l’on montre aujourd’hui ne nabat.
sont pas à la source du fleuve, cesontdes
excavations peu profondes dans la ro-
che calcaire, et qui n’ont rien de remar-
CHAPITRE XV.
quable. Le versant oriental de ce rameau
(lu Tmolus est couvert d’une forêt assez MONT MIMAS.
touffue dans laquelle est le célèbre ro-
cher où se trouve gravé le portrait de Le groupe qui forme la rive méri-
Sésostris. La jolie ville de Nymphi , cé- dionale du golfe de Smyrne est re-
lèbre par ses plants de cerisiers, est si- marquable par deux montagnes coni-
tuée au pied de cette montagne. Ces ques, égales de forme et de dimension
différentes chaînes nous ont conduit que les navigateurs fram^ais appellent
jusqu'au bord de la mer au golfe de les deux Mamelles et les Turcs Iki Kar-
Smyme. Nous avons à examiner lesgrou- dach {les Deux Frères). Au pied de
pes montagneux qui l’entourent et qui ces montagnes sont situées les sources
ont servi d’asile aux premières colonies chaudes mentionnées par Strabon (1)
ioniennes qui vinrent s’établir en Asie. et par Pausanias (2). Les Clazomé-
<<

L’étude de ces montagnes offrirait niens, dit-il, ont une source chaude où
un puissant intérét'au géologue, attendu ils rendent une espèce de culte à Aga-

que sous un cadre restreint il pourrait memnon. »

trouver des formations de tous les âges, Les ruines de Clazomènes sont en
depuis les granits jusqu’aux roches vol- effet situées dans le voisinage. Pausa-
caniques du terrain tertiaire. La forme nias donne le nom de Marna au pro-
de ces montagnes se présente sous des montoire voisin de Téos; ce serait alors
traits grandioses et saisissants, qui se la pointe du port de Sighadjik.
gravent facilement dans la mémoire du Pline (3) attribue au mont Mimas
navigateur. foute l’étendue de cette presqu’île et
Nous suivrons pour notre étude la lui donné deux cent cinquante mille pas
ligne de la chaîne (lu Tmolus. La mon- d’étendue. Il ne mentionne pas les Ma-
tagne qui domine la ville de Smyrne est melles, qui sont cependant fort remar-
le mont Pagus près duquel Alexandre quables.
est censé avoir eu une vision (2). Pli- A l'ouest de ces montagnes il y a
ne (3) lui donne le nom de Martusie. entre les golfes de Smyrne et de Téos
Dans cette même contrée on trouve le ou de Sighadjik un abaissement de
mont Martusie adossé à Smyrne { a tergo terrain qui avait donné à Alexandre
Smyrnæ), et dont les racines vont join- le Grand la velléité de faire couper
dre celles du mont Olympe. Tout cela l’isthme, dont la longueur est de sept
n’est pas très-exact; car entre les mon- milles romains (4). 11 voujait ainsi faire
tagnes de Smyrne et l’Olympe, il y a de une île de presqu’île d’Érythrée et du
la
grandes vallées sans compter celle du mont Mimas. Mais ce projet n’a pas
Mélés dont l’auteur vient de parler dans même eu de commencement ; du moins
le même chapitre. Le mont Pagus ou il n’en reste aucune trace. 11 s’est con-
Martusie est presque conique; il est en-

(i) XIV, 645.


(i) Liv. Vit, ch. V, (a) L. VII, ch. 4.
(») Paus., ach. 5. (3) Liv. V, ch. ag.
(3) Liv. V, cb. » 9 - (4) Pline, liv. V, ch. ag.
,

A SJlî' MINEURE. 3»

tenté de faire réonir au continent l'ile CHAPITRE XVI.


de Clazomènes.
Ces projets de couper les isthmes HONT SIPYLUS ET SES EMBBANCHB-
furent souvent entrepris dans l’anti- MENTS.
uité, mais jamais n’abouiiret t. Héro-
ote raconte au sujet des Cnidiens une Sur la rive droite du golfe de Smyrne
anecdote assez plaisante. Le massif sur et non loin de remboucluire du Mêlés
lequel est bâti la ville de Cnide est réuni s’élève une montagne conique dont
au continent par un isthme de la lar- les ramilications forment le groupe do
geurde cinq stades (740°’). Les Cnidiens Maniser dagh (montagne de Magné-
qui avaient voulu le couper, rencontrant mont Sipylus, un des plus
sie). C’est le
une foule d’obstacles, envoyèrent con- célèbres de la Phrygie. Cette mon-
sulter l’oracle de Delphes, qui leur ré- tagne se présente plutôt sous la forme
pondit ingénuement : » Ne vous donnez d’un massif que d’une chaîne; elle
pas tant de peine. Si Jupiter avait voulu doit son origine à de très-anciens vol-
que votre territoire fdl une île, il n’au- cans dont les éruptions ont couvert la
rait pas eu besoin de vous pour cela. »Les contrée à des époques antérieures aux
Cnidiens se le tinrent pour dit (I). temps historiques, et doivent être ran-
Darius voulut couper l'isthme du gés dans l’ordre des volcans anciens.
mont Athos, Néron l’isthme de Corinthe ; Les roches qui les composent sont des
tous ces projets sont toujours restés trachytes rouges et bleus; mais à une
inachevés. époque plus récente des laves se sont
C’est aux montagnes des Mamelles faitjour sur les flancsde cette montagne,
et à la hauteur des îles d’Ourlak que et ont donné naissance à des coulées
s’arrête la formation calcaire. Le grand qui sont eu tout semblables à celles des
cap qui forme la corne méridionale du volcans de l’Auvergne. Le groupe du
golfe de Smyrne s’appelle aujourd’hui Sipylus s’étend à l’est jusqu'à la ville de
Kara bournou. C’était autrefois le cap Magnésie et est séparé par une dépres-
Mêlas ; l’un et l’autre nom signifie le cap sion assez forte des montagnes calcaires
Noir ainsi nommé de la roche volca- de Bournabat et de Nymphi ; au nord
nique noire dont il est composé, et sa base est baignée parles eaux de l’Her-
dont on fait des meules de moulin. inus que les Turcs appellent Sarabat
C’est cette montagne que les Grecs ap- ou Kediz tchaî et qui va se jeter dans
pelaient Mimas. 'Tout le reste du pro- le golfe de Smyrne, à l’ouest de la mon-
montoire où sont les ruines d’Erythræ tagne. A U nord-est, le Sipylus se rattache
est composé de trachytes rouges c’est ;
pardes ondulations presque insensibles
je pense, en dépit des autres étymolo- au Mourad dagh le mont Dindymène,
mes de ce nom, ce qui a motivé le nom une des montagnes importantes de la
d’Érythræ, la ville Rouge. Au sud du Phrygie centrale.
mont Mimas et du golfe d’Érythræ L'importance du mont Sipylus étant
sont les collines qui dominent Tchesmë, beaucoup plus grande sous le rapport
composées de tuf volcanique blanc. historique qu’au point de vue géogra-
Toutes ces couleurs des côtes qui s’har- phique, nous compléterons l’étude de
monisent avec le bleu intense du ciel cettemontagne lorsque nous nous oc-
donnent à la côte d’Ionie un aspect cuperons desvilles situées sur son ter-
particulier qui se grave dans le souvenir ritoire.
de tous ceux qui ont visité ces parages. Le reste de la côte nord du golfe est
Le.s îles .Arginusses ,
aujourd’hui .Spal- formé d’alluvions qui s’étendent jus-
madores, appartiennent aussi aux ter- qu'aux rochers de Phokia, l’ancienne
rains plutoniens, tandis que l’île voi- Phocée placée a l’entrée du golfe.
sine de Chio rentre dans la grande fa- Depuis la plaine de l’Hermus jusqu’à
mille des îles de l’archipel qui sont, Pergame et sur la côte jusqu’au golfe
moins deux ou trois îlots ,
du système d’.Adramytte le pays est compose de
crétacé. plaines peu accidentées dans lesquelles
coule le fleuve Caïque et l’un de ses af-
(i) Hérodote, I, 174. fluents, le Selinus,
40 L’UNIVERS.
terrain commence à présenter
Ici le CHAPITRE XVII.
un aspect nouveau ; la région purement
calcaire a cessé et les roches schis- MONT IDA.
teuses avec des Hlons de quartz com-
mencent à surgir, mais souvent entre- Il serait difliciie de dire laquelle des
coupé par des épanchements trachyti- deux montagnes de l’Ida ou de l'U-
ties. Cnaque montagne, chaque colline lympe pa sait dans l’opinion des an-
e cette région porte un nom moderne, ciens pour avoir la plus grande célé-
mais wi ne se rattache en rien aux sou- brité mais il en est peu qui aient été
;

venirsnistoriques. Le groupe méridional le sujet de commentaires plus variés et


est toujours le Maniserdagh, et le massif plus nombreux. Le voisinage de la
entier est le Kodja dagh, ( ta maîtresse Troade, toutes les traditions mytholo-
montagne). Plus on avance vers le nord, logiques dont le mont Ida fut le théâtre
plus le terrain primitif se développe. Au- donnent un intérêt particulier à l’étude
dessus de la ville de Pergame on entre de cette montagne. Nous n’avons au-
en plein dans le système granitique ou jourd'hui à notre disposition quedes frag-
de micaschiste qui constitue l’ensemble ments tronqués de Démétrius de Scepis
du mont Ida. Les différents torrents qui que Strabon nous a conservés ; mais ces
descendent de ces montagnes témoi- fragments sont précieux pour nous gui-
gnent que les sommets sont de même der dans la connaissance de cette chaîne
nature que la base; car tous les cailloux dont l'étude est des plus compliquées.
roulés qu’on ramasse dans leurs lits Nous pouvons faire au sujet du mont
sont de syénite, de gneiss et de micas- Ida la même observation que nous
chiste. M. Tchihatcheff, qui a bien ob- avons faite au sujet du Taurus; c’est
servé ces parages, cite une localité cu- que ce nom était donné dans l’antiquité
rieuse dans le Madara dagh au nord , non pas à une seule chaîne, mais à un
de Pergame; c’est un chaos de blocs de système montagneux qui coupait toute
syénile accumulé comme par suite la Troade depuis le golfe d’Adramytte
d’un tremblement de terre et dans les- jusqu’à l’Hellespont, et la séparait pour
quels on observe la roche depuis l'état ainsi dire du reste de la Mysie. C’est
sain et compacte jusqu’à celui de la plus sous ce point de vue qu’il faut accepter
complèledé-sagrégation. Là, un petit vil- la définition de Strabon; car ou éprou-
lage du nom deXchamoglou s'est installé verait quelque déception si l’on voulait
au milieu de ce désordre de la nature. suivre une seule et unique chaîne dans
Les maisons sont en partie établies, tout le parcours qu’il lui assigne.
sous les blocs suspendus, et forment des Aussi les anciens et surtout ilonière
habitations moitié cavernes moitié mai- ont-ils l'habitude de nommer le mont
sons. Chaque fissure, chaque crevasse a Ida au pluriel.
pour ainsi dire été utilisée pour y établir
une demeure, et quelques murailles de (àa.ssvmque .^iih ipsit
pierres sèches couvertes de branchages Aiilamlrovt Plirvgiiu mollnmr inoiililius IJ.T.
ont complété l’habitation. (Virg.,Æ«., lil). lit, V. 5.)
Cette montagne du .Madara dagh,
Les différents passages des anciens au-
qui selon toute apparence est restée
teurs qui ont fait mention de cette
dans tout le cours de l’antiquité sans
autres habitants que quebjues Lé.lèges chaîne offrent trop d’intérêt pour ne pas
'rrogloilites (I), est peu visitée de nos être ;
ils nous serviront
recueillis ici

jours, et l’on doit savoir gré à M. Tchi- comme point de comparaison avec l’é-
tat moderne,tel que l'on peut l’ob-
hatchef de l’avoir si bien décrite, au
prix de beaucoup de fatigues (3). server aujourd’hui.
Nous commencerons par les extraits
de Strabon, qui a puisé dans les écrits
(i) Él. r>y/. V. Oargaru. de Démétrius de Scepsis, et qui s’attache
(î) Jsic Mineure , I. l, |i. 4^*^-
plus particulièrement aux détails topo-
graphiques.
La meilleure idée topographique de

''
eû D; ogle
,

ASIE MINEURE. 41

ce qu’on appelle vérilablementla Troade plaine, à la même distance oue \' Ilium
doit être prise de la position de l’Ida. recens, située entre ceS extrémités, tau-
Cette haute montagne se dirige vers le dis que l’ancienne Ilium était placée
couchant et la mer occidentale, en se au lieu où commencent ces bras. Ce
repliant aussi un peu vers le nord et demi-cercle renferme la plaine simo-
vers la côte septentrionale qui est celle sienne, que traverse le Simoïs et la
de la Propontiue, depuis le détroit d’A- plaine scamandrienne, où coule le Sca-
bydos jusqu'à l’Æsepus et à la Cyzi- mandre. Ces deux plaines sont séparées
cene. l’une de l’autre par un long col qui, s’é-
L’Ida a plusieurs extrémités qui s’a- tendant en ligne droite depuis l'ilium
vancent en forme de pieds qui lui actuelle, adossée à ce même col, jusqu’à
donnent la figure d'un scolopendre ; les la Cébrénie , forme avec les deux bras
deux dernières sont du côté du septen- ci-dessus décrits la figure de la let-
trion, les hauteurs près deZéléia, et tre e(i>.
du côté du midi le cap Lectum. f.es T.e mont Ida a été qualifié par Ho-
premières se terminent dans les terres mère de montagne abondante en sour-
un peu au-dessus de la Cyzicène, à la- ces à cause de la quantité de fleuves
ueile Zéléia même appartient aujour- qui en sortent.
’hui ; mais le cap I.ectum s'avance Une colline dépendante du mont Ida
jusqu’à celte partiedela mer Égée qu’on et nommée Cotylus, est à environ 120
traverse pour aller de 'fénédos à Les- stades au-dessus de Scepsis; de cette
bos. Il parle (Hamère) ici fort à propos colline sortent leScamandre, le Graiii-
du Lectum en le considérant comme que et l’Æ.sepus (I).
une portion de l’Ida et comme le pre- Étienne de Byzance cite en ces ter-
mier lieu où l’on arrive de la mer pour mes le mont et la ville de Gargara :

se rendre à cette montagne. « C’est, dit-il, une ville de Troade située


Ce poêle distingue fort bien aussi de sur le sommet du mont Ida ;
on l’appelle
ses extrémités le sommet de la mon- aussi Palægargara. « Strabon l’attribue
tagne sous le nom Gargarum ; car en- aux /Eoliens. Le mont Gargara était ha-
core aujourd’hui l’on montre sur les bité par les Léièges. Gargara était, dit-il,
tarties élevées de cette montagne un fondée par les habitants d’Assos. Selon
fieu nommé Gargarum et dont Gar- Éphore, cité par Macrobe, ces deux vil-
gara, ville actuelle des Æoliens, tire les étaient "tres-voisines, et Gargara fut
son nom. ainsi nommée de Gargare, fils de Ju-
En doublant le cap Lectum nu , piter, qui vint de Larisse de Thessalle.
trouve un vaste golfe formé par l’Ida Le grammairien Diotime, natif d'Adra-
ui se retire du Lectum pour avancer mytte, y tint une école; c’est de lui
ans l'intérieur des terres et par Canæ qu’Aratus dit en deux vers « Je pleure :

autre cap opposé au Lectum quelques- ;


sur Diotune qui s’asseoit sur les rochers
uns l’appellent golfe de l’Ida ; d'autres pour enseigner l’alphabet aux enfants de
lui donnent le nom de golfe d’Adra- Gargara (2). « On donnait aussi ce nom
mylte (I). Deux montagnes s’élèvent à un promontoire ; mais nous croyons
au-dessus de la Propontide, l’Olympe de qu’il faut l’identifier aveclecapLectum,
Mysie et l’Ida. Au-dessous de la pre- car il n’y en a pas deux dans ces pa-
mière est la Bithynie, et en re l’Ida et rages.
la mer Troade (2).
est la Étienne de Byzance nous apprend
Selon Démétrius de Scepsis, des par- de plus, d’après Lycophron que le som- ,

ties du mont Ida voisines de la Cénré- met chauve et dénudé de l’Ida portait
n ie se détachent deux bras qui s’avancent le nom de Phalacræ. Ce mot, dit-il,
vers la mer,
dans la direction de
l’un désigne le sommet de l’Ida, ne produi-
Rhœtium, l’autre dans celle de Sigeum, sant aucune plante à cause de la neige et
et forment comme un demi-cercle dont de la glace, mais qui est tout à fait dé-
les extrémités se terminent dans la pouillé. Toutes les montagnes privées

(i) XIII, 583. (i) xm, 5y:.


(a) XII. 574. (a) XIII, 6 oI2

>
'..-C-Oglc
42 L’UNIVERS.
de végétation portent le nom de Plia- sur la côte dans une longueur de dix ou
lacræ. Selon Diodore de Sicile, la mon- douze kilomètres. C’est sur le penchant
tagne de l’Ida tire son nom d’Ida, fille de ces pitons qu’est située l’ancienne
de Melissée, roi de Crète ; c’est la plus ville d’Assos. Toute la montagne est for-
haute de celles qui dominent l’Helles- mée de trachytes rouges très-durs et
pont; on y remarque, au milieu, un an- qui ont presque l’apparence du por-
tre où l’on dit que les trois déesses fu- phyre. C’est de ces carrières inépuisables
rent jugées par Pâris. On prétend — que les Grecs ont tiré les matériaux des
aussi oue ce fut dans l’Ida que les dac- monuments d’Assos; la solidité de cette
tyles iaéens étaient établis, et que, ins- roche est à toute épreuve ; mais le ton,
truits par la mère des dieux ils furent ,
d’un violet foncé, est triste à la vue, et
les premiers à travailler le fer; enOn on sa dureté, jointe à sa nature cristalline,
observe dans cette, montagne un phé- empêche de donner à la pierre aucun
nomène qui lui est propre. Ici Diodore poli. On remarque autour de la ville de
décrit un phénomène d’optique causé très-grands amas de scories de fer ; d’où
par le lever du soleil, et qui de nos jours viennent ces scories? ce n’est certaine-
peut encore, être observé dans ces splen- ment pas la pauvre population du vil-
dides matinées caniculaires, quand les lage de Beyram qui a jamais exploité
brumes de la montagne se dorent des des mines. Il est plus probable que ce
rayons du soleil naissant(l). Pomponius sont lus vestiges des exploitations anti-
Mêla rapporte les mêmes phénomènes ques commencées par les Léièges et
en les exagérant (2). contiuuées par les Grecs. Les scories
Nous pouvons maintenant parcou- sont très-riches en fer, et forment des
rir cette longue chaîne recherchant à rognons agglomérés épars sur le sol.
identifier lesnoms modernes avec les I.a formation volcanique s’appuie
noms anciens. L’extrémité de la chaîne à l'est et au nord sur le terrain grani-
de l’Ida vient s’amortir dans la mer tique, Derrière ce premier étage de la
au cap Baba, qui est l’ancien promoii- montagne s'élève la belle chaîne du
toriiim Lectmn. On peut mouiller Garsara, jadis séjour des dieux, appelée
sous les terres du cap, abrité par une aujourd’hui Kaz dagh (la montagne de
jetée qui s’avance d’une vingtaine de l’Oie ). Les Turcs sont très-portés à dé-
mètres dans la mer; elle est formée poétiser les noms.
de grosses pierres accumulées sans Le Gargara se rattache à une autre
beaucoup d’art et ne peut défendre les chaîne orientale dont les sommets for-
navires contre les vents de l’ouest. ment un demi-cercle, et la courbure de
r.e petit village de Baba se présente à cette chaîne est tournée vers l’ouest,
mi-côte; on y remarque un pauvre ca- c’est-à-dire vers la plaine de Troie. Les
ravansérail et une petite mosquée, et contreforts de cë grand cirque de mon-
un petit fort est bâti sur une pointe tagnes s’abaissent insensiblement vers
qui s'avance dans la mer. Les monta- la plaine, et tout ce relief topographique
gnes qui forment le cap Baba sont dé- rappelle assez bien la forme que nous
nudées à leur sommet et se présen- avons représentée plus haut. Les ma-
tent sous des contours très-accentués; gnifiques forêts de chênes qui couvrent
la roche nue de couleur jaunôtre sort le flanc de ces montagnes et qui don-
de terre en forme de pic ;
la partie nent naissance à ces minces ruisseaux
moyenne est couverte de quehiues jadis si renommés font de ces vallées
broussailles. Ce cap forme la corne sep- un séjour plein de charmes pour le
tentrionale du golfe d’ Ad ramytte. foute voyageur qui attache quelque prix aux
la côte court dans une direction est et souvenirs de l’antiquité.
ouest. La seconde chaîne que nous avons
Les terrains calcaires que l’on ob- mentionnée, et qui se rattache au Gar-
serve au cap Baba font bientôt place gara , était le mont Cotylus, qui encla-
aux terrains volcaniques qui s’étendent vait la plaine de Cébrenie; c’est dans
ces vallées qu’étaient situées les villes
(r) Diodore, XVII Ç. de Scamandrie et de Scepsis et les mi-
(a)Liv. I, r. iS. nes d’argent qui étaient exploitées dans
ASIE MINEURE. 43

la haute antiquité. La nature géologi- Au nombre des lacs que renfermait la


que du terrain ne s’oppose nullement région de l’Olympe, lés anciens citent
à l’existence de mines d’argent dans souvent le lac Dascylitis, qui était aux
ces parages, parce que les roches sont de environs de Cyziqiie (1). Rien n’a pu
la nature du gneiss, du quartz et des nous mettre sur les traces de ce lac, qui
micaschistes , qui souvent servent de passait cependant pour un des plus im-
gangue au rainerai d’argent. portants de la contrée, et aucun des
Le massif qui compose la chaîne de voyageurs qui ont consacré quelques
ridane vient pas s’abaisser dan s la plaine pages à la description de la Bithynie ne
selon une ligne de circonvallation, maisil parait s’étre souvenu de son nom;
est entouré d’un cercle de montagnes in- nous devons en conclure ou qu'il s’est
férieures qui circonscrivent la plaine de desséché, ou que ce nom s’est con-
Troie, et au nombre desquelles se trouve fondu dans celui d'un des autres lacs
la célèbre éminence du Pergama. Au sud d’Apollonias ou de Milétopolis. Cepen-
ellesse rapprochent de la mer, et le pays dant Strabon (2) les nomme tous les
depuis les ruines d' Alexandrie Troas Jus- trois simultanément. C’est une ques-
qu’au cap Baba va toujours én s’élevant tion curieuse de géographie, qui n’est
au-dessus de la mer. pas encore résolue.
Au nord, au contraire, le massif mon- Un si grand nombre de villes an-
tagneux intermédiaire laisse entre lui ciennes peuplaient les vallées et les pla-
et la mer toute la plaine de la Troade, teaux formés par ces montagnes , que
le cap Sigée ou Janissaire , et se courbe leur nomenclature trouvera mieux sa
selon la ligne des Dardanelles. Tous ces place dans les chapitres consacrés' à ces
groupes secondaires sont généralement villes. Nous mentionnerons encore le
de calcaire marneux et par conséquent Katerli dagh (montagne des Mulets), qui
d’une constitution beaucoup plus récente est un des acrotères de l’Olympe projeté
que la grande chaîne de l’Ida. vers le nord et forme le cap de Bouz
Le massif granitique reparaît sur la bouroun dans la mer de Marmara.
côte de l'Hellespont dans la presqu’île Ici finit le système de l’Ida et com-
de Cyzique où il forme le mont Din- mence celui de l’Olympe Mysien ; mais
dyinene, aujourd’hui Kapou dagh (la nous devons le laisser pour le moment,
nÜontagne de la Porte.) Cette montagne afin de suivre dans toute son étendue
est conique elle se rattache au continent
;
le rempart montagneux qui soutient
ar la presqu’île de Cyzique qui est les plateaux du centre à partir du golfe
E asseet sablonneuse ; mais autrefois elle de Nicomédie.
formait une île (1). La constitution de ces montagnes est
Son flanc occidental se prolonge en des plus variées et n’appartieiit plus
un cap qui forme la presqu’île d’Ar- à une nature homogène comme la
taki (2), avec un îlot du meme nom et plupart de celles que nous avons dé-
qui est de nature calcaire, marbre gri- crites.
sâtre ; c’est une amorce de la grande Nicomédie et ses alentours offrent
lie de Procconèse ou de Marmara qui seuls un tableau varié des terrains de
donne son nom à toute cette mer qu’on sédiment de plusieurs âges géologiques,
appelait autrefois Propontide. C’est la parmi lesquels le grès rouge parait
limite que les anciens assignaient à la former un noyau considérable, puis-
chaîne de l’Ida; elle se rattache au. qu’on le retrouve à plusieurs stations
massif de l'Olympe de Mysie par des tant sur le bord du Sangarius que dans
ramifications die médiocre liauteur qui les villes de Géivéh et d’.\kseraï.
donnent passage à plusieurs fleuves et Toute la chaîne, d’une élévation mé-
forment un certain nombre de bassins diocre, qui forme un dés côtés du bassin
lacustres d’une certaine importance qui du lac de Sabandja, couct à une distance
donnent à la province de Bilhynie cet moyenne de quinze kilomètres de la
aspect si riant et si fertile. côte. Elle s’ouvre pour donner passage

(i) Stnb., XU, 575. (i) Strabon, XII, S^S.


fa) Id.,Xn, 576. (9) Ibid.

ogle
,

44 L’UNIVERS.
au fleuve Saiigarius aujourd’hui Sak- chait à la hauteur de Trébizonde avec
karia l’un des plus longs de l’Asie Mi- les monts Thechès. Ce que nous pour-
neure et dont le volume d'eau paraît rons en dire trouvera mieux sa place
avoir singulièrement diminué si l’on ,
dans la description des provinces qu’ds
s’en rapporte aux descriptions des his- traversent.
toriens (I).
Les ondulations de terrain qui se CHAÎ.NES DU CENTRE.
manifestent entre ces montagnes et la
mer sont bien déOnies par les Turcs, qui Si l'on voulait établir une théorie des
ne leur donnent pas le nom de dagh, montagnes du centre comme les anciens
montagne, mais celui de tépé, butte. géographes l’ont fait du mont Taurus
Toute la côte sud du Bosphore de Thrace on pourrait dire que l’Olympe de Mysie
est généralement basse et peu ondulée: joue au nord le même rôle que le mont
il n’y a que la montagne ihi Géant Cragus de Lycie au sud; c’est-à-dire
(temple de Jupiter Urius), qui s’élève en qu’il forme comme la souche de toutes
face du golfe de Buyukdéré et qui les chaînes qui sillonnent la partie cen-
présente une masse assez importante; trale de la presqu’île.
mais il faut penser que sa base baigne A l’ouest il .se rattache au mont Ida
dans les eaux de la mer. Son revers par une suite de soulèvements continus.
méridional est déjà beaucoup moins Il se dirige au sud par le Tuuinandji

abrupte; sa hauteur absolue n’atteint dagh jusqu’au centre de la Phrygie, et à


pas cinq cents mètres. Ainsi les plai- l'ouest il se rattache à TEIma dagh, qui
nes de l’intérieur, situées immédiate- n’est que la continuation des monts
ment au sud de cette montagne , dé- Ala dagh. Il est une particularité bien
passent de quatre ou cinq fois en hau- plus commune en Asie que dans les
teur le sommet même de la montague, régions d’Europe, c’est que les cours
puisque leur hauteur moyenne est de des différents fleuves ne suivent que ra-
800 a 1,000 mètres. rement la pente des montagnes , mais
Kara hournou est le cap qui indique viennent au contraire les couper à angle
l’entrée du Bosphore. De là jusqu’à l’em- droit et s’onvrent un pas.sage là où l’on
bouchure du Sangarius le pays est plat, ne croirait pas qu’une rivière dilt passer.
se relève aux environs de Chilé; mais Pline dépeint d’une manière très-animée
l'aspect des montagnes est des plus la lutte de l’Euphrate avec le mont
uniformes; elles se composent de som- Taurus (I) lorsque le fleuve rencontre
mets arrondis et couverts de verdure, le géant des montagnes d’Asie. Mais ce
s’abaissant pour donner pa.ssage aux fleuve n’est pas le seul qui semble pren-
fleuves et se relevant ensuite mais sans dre à lâche de se détourner de son cours
changer de physionomie. On peut dire pour aller chercher des issues impos-
que les plateaux inférieurs viennent ici sibles. L’Ilalys, après avoir longé les
s’amortir par échelons bien déterminés montagnes dé la Cappadoce , tourne
sans former ces grands prolils monta- brusquement au nord et va se jeter sur
gneux que l’on remarque dans le sud les montagnes du royaume au Pont
et dans l’ouest. Ajoutez à cela que ces qu’il franchit dans les délilés de Son-
montagnes de la Paphlagonie et du gourlou.
royaume de Pont n’offrent que peu de Le Uhyndacus, qui se rend dans la
souvenirs historiques; leur étude détail- mer de Marmara, l’Hermus prenant sa
lée n’aurait pour le lecteur qu’un in- source dans la même région, et(|ui suit
térêt tout à fait abstrait, une nomencla- un cours tout à fait opposé , présentent
ture de noms turcs qui ne se rattache à le tnènie car.ictère, et cependant ces
aucun nom antique; c’est tout le prolit défilés étroits qu’ils franchissent ne sont
qu’en pourrait tirer le lecteur. Nous )as des vallées d’érosion creusées par
nous bornerons à faireObserver que toute fes eaux, ce sont comme des fentes
cette chaîne portait autrefois le nom de ouvertes dans les chaînes et (jui sont
monts Oigassus, et qu’elle se ratta- contemporaines de la formation. La

(i) Procope, De Mdif., I. V, c. 3. (i) Pline, liv. V,ch. H*


,

ASIE MINEURE. 45
plupart des petits fleuves de la côte sud mais toutes les montagnes qui viennent
se composent d'une manière analogue. s’appuyer sur ses flancs appartiennent
On peut dire qu'il n’y a que le Méaiidre au système caîcaire et à l’argile. Aussi
et le Cayslre qui coulent régulière- la contrée située entre Brou.ssa et Ku-
ment dans leurs vallées respectives en tayah se présente-t-elle sous des traits
longeant tranquillement les montagnes uniformes et monotones, l^a ville même
qui dirigent leurs cours. Ainsi le pas- de Kutayah est dominée par une mon-
sage d’un fleuve du continent à la mer tagne crayeuse. Toute la plaine envi-
n’est-il pas le moins du monde l’indica- ronnante est dépourvue de végétation.
tion d’une vallée supérieure. Il suffit Le Mourad dagh offre un tableau tout
de jeter les yeux sur la carte d’Asie pour différent. Ses pics, hardiment découpés,
voir combien le cours des rivières est se dessinent sur l'horizon. De vastes
tourmenté et par conséquent combien forêts et des vallées profondes offrent
le relief du terrain est diflicile à peindre aux nombreuses populations nomades
d’une manière intelligible. La chaîne des retraites d’été appelées yaéta aussi
ou plutôt le massif de l’Olympe niysien fraîches que salubres. Le Mourad dagh,
s’élève rapidement a peu de distance vu des hauteurs de Kédiz grand ,

de la mer de Marmara, et c’est du côté yaéla qui est situé à 1,100 mètres au-
du nord qu’il présenté le plus imposant dessus de la mer, se dessine comme une
aspect. L'histoire de l’Olympe est tel- chaîne courant de l’est a l’ouest. Mais
lement liée à celle de la ville ue Broussa du côté du sud ses contreforts des-
que ce serait rompre l’unité du tableau cendent en suivant le cours de l’Her-
que de les séparer l’une de l’autre. mus presque jusque dans les parages
Nous nous contenterons ici de grouper de Koula De nombreuses villes de la
les chaînes qui se rattachent au massif Phrvgie Épictète se cachent dans les
de l’Olympe et qui contribuentà former replis du terrain et sont aujourd’hui
,

le relief de la contrée. Toute la région de pauvres villages. Au delà du Mourad


méridionale de l'Olympe règne à une et vers le sud-ouest court le Gouroun
hauteur de mille à onze cents mètres dagh, dont les sommets restent cou-
au-dessus du niveau de la mer, etquoique verts de neige une partie de l’eté. Mais
les ondulations des montagnes qui la toutes ees montagnes, dont les noms an-
sillonnent ne paraissent que de peu d'im- ciens sont ignorés, ne présentent, au
portance elles ne laissent pas que d’a-
, point de vue historique, qu’un médiocre
voir une altitude absolue considérable. intérêt, et dans I état incertain de la
La chaîne qui se détache de l’Olympe nomenclature turque il est difficile
du côté du sud s’étend jusqu’à Kutayah d’en donner une description satisfai-
et s’abaisse vers celte ville en formant sante, puisqu’elles changent de nom,
divers plateaux. Celui de l’est est arrosé presque à chaque village, comme les
par le Poursak ou Thymbrius, qut va se cours d’eau qui les arrosent. .Ainsi
leter dans le Sangarius. Le plateau de l’Hermus s’appelle à sa source Kediz
l’ouest, au centre duquel est située la ville tchaï-, plus loin vers la plaine de Sardes
d’Aizani, est arrosé par le Rhyndacus, c’est le .Sarabat.
qui se rend directement à la mer, en Une autre chaîne un peu mieux ca-
traversant le Iqc d’Apolloni.is. Ce pla- ractérisée ,
partant du mont Olympe
teau d’Aizani, appelé aujourd’hui Tchaf- sépare la Bythinie de la Phrygie Lpic-
der hissar (le Château de seigle) est tète. C’est l'Ak dagh dont les raiiiiUca-
comme le point de partage des eaux tions s'étendent jusqu'à Angora ; cette
entre la Propontide et la mer Ionienne. chaîne appartient presque tout entière
A très-peu de distance d’Aizani, un à la formation granitique. Elle est ar-
autre fleuve l’Hermus prend sa source rosée par le fleuve Sangarius, ets’aliaisse
et coule vers le sud. vers le sud pour former le vaste plateau
Une grande chaîne courant est et de la ville de Sevri hissar. Mais le re-
ouest donne passage à ce cours d’eau. vers sud est bordé par une chaîne se-
Elle.porte aujourd’hui le nom de Mou- condaire offrant des soulèvements de
rad dagh. C’est le mont Dindymène. syénite Ires-remarquables. C’est au
Le massif de l’Olympe est granitique ; pied d’une de ces montagnes qu’est si-
43 L’UJVIVERS.

tuée la ville de Pessinuate, et par con- contiennent plusieurs lacs, notamment


séquent la montagne est le mont Din- le grand lac Salé et plusieurs autres lacs,
dymène cité par Strabon , mais différent ^puyés aux versants septentrionaux du
de la chaîne que nous venons de nom- Taurus. Puis viennent les terrains vol-
mer. C’est la dernière montagne histo- caniques d’Urgub appartenant à la for-
rique de ces régions. mation plutonienne dont le mont Argée
Au sud s’étendent les terrains acci- est le point saillant.
dentés de la Phrygie, qui sont presque Du côté de l’ouest une autre région,
tous le produit de feux souterrains. appelée la Catacécaumène ou pays brûlé,
Le système calcaire se montre de est aussi le produit dgs feux souter-
nouveau à l’est et s’étend jusqu’à la rains. La description de ces contrées
plaine de K.ara hissar; c’est dans ces sera mieux placM à côté de celle des
montagnes que se trouvent les célèbres villes qu’elles renferment. On se fait
carrières de marbre de Synnada et les mieux une idée des traits généraux du
grands épanchements trachytiques qui pays.
ont valu son nom à Kara hissar ( le On voit par le tableau très-succinct
Château Noir ). que nous avons fait du relief de la
L’Ak dagh, changeant de nom, so qu’on peut la considérer
presqu'île,
prolonge toujours à l’est. Il donne pas- comme un vaste plateau soutenu au
sage au fleuve Halys et va se rattacher nord et au sud par des contreforts
aux montagnes d’Amasie. montagneux qui ne sont autres que le
Au sud de cette chaîne , qui se dé- Taurus et le mont Olgassus. Dans sa
compose en plusieurs ramifications pa- partie ouest, les chaînes de montagnes
rallèles qui traversent la province de viennent s’amortir au bord de la mer;
Haimanan, commence la ré^ou des pla- c’est ce qui forme ces golfes si nom-
teaux, qui, rarement interrompus par breux et si profonds qui sont presque
des ondulations de terrain, s’étendent tous parallèles entre eux.
jusqu’au delà de Césarée. Ces plateaux

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,

LIVRE II.

LA BITHYNIE.

CHAPITRE PREMIER. trouvait hors de la Bithynie an-


cienne (1).
Etienne de Byzance fait descendre
PBEMIERS COLONS DE LA. BITHYNIE.
cette peuplade des Itébryciens de Bé-
LIMITES DE LA CONTBÉE.
bryce ou de Bébrycée, sans indiquer
qu'elle ait aucune communauté d’ori-
La grande et fertile eonlrce qui est gine avec les Bébrycjens d’Espagne (‘21.
située sur les bords de la nier Noire, du Ce qui parait certain, c’est que la na-
Bosphore et de
Propontide, et que
la tion des Bithyniens ne descend pas de
les Grecs et les Romains ont appelée celle (les Bébryces , car celle-ci fut ex-
Bithynie. était, dans l’origine, occupée terminée par la guerre (3). Si les Bé-
par le peuple des Bébryces (I), et por- bryces ne sont pas cités par Homère
tait le nom de Bébrycie (2), Lorsque les dans le recensement c’est que selon
, ,

Argonautes remontèrent dans la Pro- la remarque d’Apollodore, ils sont


pontide les Bébryces étaient gouvernés
,
compris sous le nom des Phrygiens
par le roi Amycus , fils de Neptune et avec les Dolious. Et quoique Strabon
de la nymphe Bitbynis (3). Mais ce nom dise positivement que les Bebryces sont
parait apocryphe , car les autres au- originaires de Thrace (4) il est certain
,
teurs anciens se taisent sur ce point; qu’ils sont venus s’établir en Asie long-
Pline et Strabon déclarent formelle- temps avant la guerre de Troie.
ment que la Bithynie reçut ce nom Tous ces faits épars daus les histo-
après l’invasion des Thracês, nommés riens concourent à nous prouver que les
Bithyniens et Thyniens. peuples qui occupaient l’.Vsie Mineure
Tout ce qui est relatif à l’histoire dans les derniers siècles avant notre ère,
primitive de cette contrée est tellement étaient tous étrangers à la contrée.
obscur, que les historiens anciens eux- Nous verrons eu étudiant les autres
,
mêmes sont loin d’être d’accord sur le provinces et en clierchant à débrouiller
petit nombre de faits qui nous sont le chaos de tribus et de peuplades qui
parvenus. D’après un scoliaste d’Apol- se sont succédé depuis le quatorzième
lonius de Rhodes , les Bébrvces n’occu- siècle av. J.-C., que la majorité des
paient pas tout le pays qui fut depuis peuples qui ont occupé la partie de la
fa Bithynie, mais ils s’étendaient au presqu’île située à l’occident de l’Ha-
couchant fort au delà de ses limites. lys , était originaire d’Europe. C’est la
« Amycus était roi des Bébryces dans la
Thrace qui a fourni le plus fort con-
Bithynie, et possédait principalement tingent de population à la partie sep-
le pays vers les côtes (4). » Charon pré- tentrionale (le l’Asie Mineure. Les
tend (lue l’ondonnait anciennement le Dryopes , qui se mêlèrent avec les Bé-
nom ae Bébrycie au pays des Lampsa- bryces , avaient émigré avec les Athé-
ciens. Le territoire de” I>ampsaque se
(i) Les Bébryces et les Dryopes occupaient
(i) ServiuB , Coiiinienl. sur l’Ëncide, les environs d’Abydos. Strabon, tir. XIII,
liv. V, p. 373. p. S86 Hérodote , liv.
;
I, ch. CXLVI.
(a) Proxinta Behricii pandunlitr limina (ï) Verho Bedpuxuv.
regiii Valer. Flaccus, IV, p. 99.
liv. 3 Éraloslhènes cité par Pline ,
Ilist. iia-
( )

(
3 ) Apollod. Bibl., liv. I, ch. TIII,
§ 20. tur., liv. V, ch. XXX; Apollonius de Rhod.,
(4 )
Scboliasla Pariseitsia ad Apollon. Rho- Argon., liv. II, ch. II. p. 118. Schœfer.
dienseni. Argon., liv. II, ch. II, p. 118, (4 )
Sirabon. liv. XIU, p. 586 ; Hérod.,
Scbasfer. liv. I, ch. CXLVI.

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,

48 L’UNIVERS.
niens et les Ioniens; ceux-ci se fixèrent brement , ne fait mention ni des Bithy-
dans la région occidentale de l’Asie niens, ni des Thyniens, dont la puis-
Mineure, et les Dryopes vinrent dans la sance s'est accrue dans la contrée au
Bébrycie et s’établirent sur les rives de point d'absorber tous les autres peu-
la Propontide. Quant aux limites des ples. Hérodote affirme que les Bithy-
territoires occupés par ces différentes niens sont Thraces d’origine; qu’ils
peuplades, il serait superflu de vouloir sont venus des bords du fleuve Stry-
les déterminer d’une manière positive moii , qu’ils ont été chassés de leur pays
car Strabon remarquait qu’elles ont par les Teucriens et les Mysiens, et que
subi tant de variations, et que la Bitby- ces derniers envoyèrent eux-mémes une
nie a été occupée par des peuples si dif- colonie en Asie (1).
férents, que les géographes déjà renon- Cette invasion des peuples de la fa-
çaient à l’éclaircissement de cette ques- mille thrace dure pendant plusieurs
tion si difficile. siècles. Les Phrygiens paraissent avoir
Après la mort d’Amycus roi des Bé- ,
été les premiers, puisqu'ils ont pénétré
bryces, tué par Pollux (I), les Argo- plus avant dans l’intérieur du pays.
nautes bâtirent un temple en l'honneur C’est en transportant le nom delà mète
du dieu qui leur avait donné la vic- patrie dans la nouvelle contrée qu’ils
toire (2). De leur côté, les Bébryces venaient occuper, que les différentes
élevèrent à la mémoire d’Amycus un familles de colons ont jeté une grande
temple qui n’était éloigné que de cinq confusion dans la géographie de ces
stades du Nympliéon de Cbalcédoine. contrées. Ou trouve des Phrygiens, des
Un laurier d’une grandeur extraordi- Mysiens, des Bithyniens, des Thyniens
naire avait crû prcs de ce temple. 11 et des Tliraces en Europe et en’ Asie.
avait la vertu de rendre invincibles au Le scoliaste d’Apollonius de Rhodes
jeu du cestc ceux qui avaient mâché dit : 11 faut observer qu’il y a deux Bi-

de ses feuilles (3). thynies l’une, en Europe, aux envi-


:

I.a race d’Amycus régna encore rons de Salmydessus, c’est un lieu de la


quelque temps sur les Bébryces. Étienne Thrace; l’autre en Asie, jusqu’au Bos-
de Byzance mentionne Mucaporis phore (2). La majeure partie des Bithy-
comme roi de Bitbynie et Mandron, qui niens e.-it originaire de la Thrace, mais
régnait à Lampsaque", lorsque les Pho- s’est accrue par l’émigration de Grecs
céens s’eu emparèrent (4). C'est vers du continent qui .'ont venus s’établir
celte époque que les Cimmériens péné- dans celte contrée. Pausnnias va plus
trèrent dans la Bébrycie et s’en rendi- loin ; il regarde tous les Bithyniens
rent maîtres. Une partie des Bébryces comme originaires du continent de la
fut exterminée ; mais les Cimmériens ne Grèce. Les Bithyniens, dit-il , sont ori-
purent former d’établissement durable, ginaires de r.Arcadie et de Mantinée(3î.
et furent à leur tour chassés par les Néanmoins, Strabon avait dit, avant
Thraces bilhyniens (.5). lui : La plupart des auteurs s’accor-
Quoiqu’il soit très-difficile de fixer dent à regarder les Bithyniens comme
positivement l’époque où les tribus eu- originaires de la Mysie’. Ils ont reçu
ropéennes qui occupaient la Thrace et leur nom des Bithyniens et des Thÿ-
la Macédoine se sont transportées dans niens , deux peuples de la Thrace qui
l'Asie Mineure, il parait certain que ce vinrent s’établir parmi eux. Les preuves
fut avant la guerre de Troie. Ces tribus, qu’on en donne par rapport au peuple
çui ont émigré à différentes époques, des Bithyniens, c'est qu’il existe de nos
étaient Phrygiens, les Mysiens et
les jours dans la Thrace une peuplade
les Thyniens. Homère, dans sou dénoni- nommée Bithyniens, et par rapport aux
Thyniens, c’est que la côte près d’A-
(i) Théonilc, Idvl. XXII. pollonie et de Salmydessus porte le nom
(a) Niccpli., Hisl. eci l. liv. VII, ch. !..
de Thynias. Un passage d’Hérodote,
(3) Pline, liv. XVI, ch. XLIV; Oyon.,
p. ao, (i) Hérod., liv. VII, ch. LXXV.
(4) Cliaioii. Ilelleiiica, fi, cd. Müllcr. (î) If, vers 177.
(5) Ait. apiid Emt., p. 53, in Dioiiysiiini. (3) Paiisauias, liv. VIII, ch. IX.
ASIE MINEURK. 40

(]tie nous avons cité plus haut ,


atteste plade. Les Milésiens ayant bflti Héra-
les mêmes faits. clée, soumirent les Mariandyniens,
Ce fut seulement sous les rois de anciens habitants de cette contrée , et
Ttithynie que la contrée eut des limites les vendirent comme esclaves, mais
bien déterminées. Leurs possessions sans les envoyer hors du pays(l). Ainsi,
étaient comprises entre le Sangarius à dit Eustathe,' leur condition ressemblait
l’orient , et le Rhyndacus au couchant. beaucoup à celle des Ilotes. Etienne de
Anciennement, les Bithyniens possé- Byzance nomme aussi, d’apr^ Théo-
daient le pays depuis le Bosphore jus- pompe, les Ladepsi et les Tranipsi
qu’au fleuve Rhebas. Le pays monta- comme faisant partie des peuples de la
gneux qui suit était habité par les Thy- Bithynie; mais il ne dit pas en quelles
niens jusqu'à la rivière de Calés, de régions ils étaient établis (3).
manière que les Bithyniens et les Thy- 2° Les Caucones. Cette peuplade oc-
niens étaient limitrophes (t). cupait une eticlave du pays des Mariun-
Du côté (lu sud , il est beaucoup plus dyniens vers les bords de la mer, jus-
difficilede déterminer les limites de la qu’au fleuve Parthénius, qui prend sa
Bilhynie, même sous les rnis. Leurs source dans la Paphlagonie meme. Il y
conquêtes se sont étendues jusque dans a, dit Eustathe, un peuple en Arcadie
l’intérieur de la Phrygie , et ils possé- nommé Caucones , qui , se croyant ori-
dèrent la Phrygie Hellespontique ou ginaire delà Paphlagonie, prêta du se-
Epictète (2). Le royaume de Bithynie cours aux Troyens. C’est dans cette par-
se composait donc des peuples sui- tie de la Bithynie qu’existe encore une
vants : peuplade nommée Cauconiate, voisine
t“) Les Mariandyniens; la langue et des Mariandyniens (3). Ils sont cités par
les usages de ce peuple ne diffèrent pas Homère dans le dénombrement. Vers
de ceux des Bithyniens. Il est probable la mer, dit il , sont cantonnés les Ca-
que c’est un peuple thrace (3). I.es Ma- riens et les Péoniens, célèbres tireurs
riandyniens possédaient la partie la d’arc , les Leléges , les Caucones et les
plus orientale delà Bithynie, et don- nobles Pélasges (4).
naient leur nom au golfe où tombe le Ces Caucones étaient des tribus er-
Sangarius (4). Étienne de Byzance rantes , répandues en Grèce et en Asie.
nomme Map>.av6uv(a •/cip» le pays qu'ils Eustathe nous a conservé une note très-
habitaient. Il pense avec Eustathe (S) curieuse et fort positive à ce sujet. Il
que ce peuple prenait son nom d’un mentionne les Caucones du Pélopon-
homme d’Æolie, nommé Mariandynus. nèse. On sait, dit-il, que les Caucones
Mais Strabon, sur l’autorité de 'î'héo- sont un peuple nomade , et qu'il y avait
pompe (6), dit que ce Mariandynus non-seulement des Caucones en Arca-
était maître d’une partie de la Paphla- die , mais aussi dans la Paphlagonie.
gonie, envahit ce canton sur les Bébry- Us étaient voisins des Mariandyniens et
ces, et lui donna son nom après la con- habitaient la côte ju.squ’au fleuve Par-
quête. Lorsque les Argonautes eurent thénius (5). Il n’est pas étonnant de
quitté la Bébrycie, ils s’arrêtèrent chez trouver dans ces contrées des peuples
les Mariandyniens , sur les(]uels régnait nomades, car les Scythes qui, sous la
Lycus, qui les reçut favorablement, conduite de Madiès, s’étaient emparés
parce qu’il était Grec d’origine et de la de l’Asie, en poursuivant les Cimmé-
race de Pélops (7). Xénophou nous ap- riens chassés d*Europe (6) , et qui , après
prend quelle fut la fin de cette peii- la défaite des Mèdes, la réduisirent
tout entière sous leur domination (7),

(i) Eustathe, ad Uion. Xénoph., Kxp. Cyr.,


(1) li». VI.
() .Sirahon , li». XII , p. 543. (
2 ) Tliéop., Pragm., Ifb. VIII, p. 280 , cd.
(3) .Sirabou, liv. XII, p. 54a. Millier. El. Byz. v. Ladepsi.
(4) Pline, H'ul. nat., tir. VI, ch. I. (3) Eusialhr, ad Hom., lllad., 363.
(5) Apiid Dionys., li». V, p. a 88 ( 4 ) Eustathe, ad Hom., Ilia J., 362.
.

() Théop., p. 3ia, cd. MUIIer. (5) Kuvtalhe, Oilyss., liv. III, ». 366.
(7
Bibliolh. d'Apollod., liv. I, ch. VIII, 6 ) HéVodole, liv. I, ch. Cltl.
(
§^3. { 7) Hérodote, li». I, ch. CVI.

Livraison. (Asie Müvkurr. ) T. H. 4


,,

50 L'UNIVERS.
(lurent, chassés à leur tour par les Mè- Nous croyons que ces documents sur
(les , laisser quelques tribus vagabondes les ancieiis peuples qui ont occupé la
au milieu des montagnes de la Paphla- Bitbynie sont les seuls qu’on doive re-
gonie ctdu Pont, c’est-à-dire des monts garder comme positifs. Strabon lui-
Pnryadres et Orminius (1). Cette suppo- même a éprouve tant de difficulté à
sition est couürmée par Strabon .« Quant bien faire eoiinaitre leur origine, qu'il
aux Caucones, dit-il , qui, selon quel- termine sa description en disant Telle :

ques auteurs , occupaient la côte à l’est était donc la disposition de ces lieux et
(les Mariaudynieus jusqu'au fleuve Par- de ces peuples. Elle ne ressemblait
thénius , et qui possédaient la ville de guère à celle que l'on voit aujourd'hui.
Tieiuni , les uns leur donnent une ori- Il faut cliercher cette différence dans
gine Scythe, les autres les regardent les diverses révolutions qui ont tantôt
comme une peuplade sortie de la Ma- séparé, tantôt confondu les peuples,
cédoine, d’autres encore comme des suivant la volonté des maîtres, qui n'ont
Pélasges. On prétend aussi qu'ils avaient pas toujours été les mêmes ; car, après
lenr demeure dans le pays qui s'étend la prise de Troie , ces pays passèrent
depuis Héraclée et les Manandyniens successivement sous la domination des
jusqu’aux Leucosyriens que nous nom- Phrygiens , des Mysiens , des Lydiens
mons Cappadociens. On trouve le peu- des Éoliens, des Ioniens , des Perses et
ple des Caucones aux environs (^e des Macédoniens et en dernier lieu
,

Tieium qui s’étendent jusqu’au fleuve


,
des Romains , sous lesquels la plupart
Partbénius et celui des Uénctes de l’au- de ces peuples ont perdu jusqu'à leur
tre côté, à qui appartient la ville de langage et leur nom.
Cytorus. Encore de nos jours, ou voit Peu de temps après l’ctablissemeut
aux environs de ce fleuve une peuplade des Bitliyniens dans cette contrée , iis
qui porte le nom de Cauconides. » furent soumis par Crésus (I). A la des-
3“ Les Thyniens qui occupaient la truction de l’empire de Lydie, ils pas-
presqu’île formée par le Pont-Euxin , le sèrent sous la domination de la Perse
Bosphore et le golfe de Nicomédie. Ces et leur territoire forma une satrapie
Thyniens, comme nous l'avons vu, eennue sous le nom de Dascylium ou
étalent Thraces et sortaient des États d’Uellespontique.
dn roi Phynée. Des colonies grecques étaient déjà
4° Les' Bébryces dont nous avons venues s'établir sur les côtes de la Pro-
parlé. pontide et avaient repeuplé uu pays
5» Les Mysiens qui occupaient le depuis longtemps ravagé par la guerre.
mont Olympe et qui sont venus de la Mais cet état de prospérité ne fut pas
Thrace vers la meme époque que les de louguc durée; les républiques de
Phrygiens. Ces tribus , qui se sont éten- Byzance et de Clialcédoine firent plu-
dues vers la Troade, ont donné leur sieurs invasions dans la Bitbynie,
nom à cette province. Quant à ceux saccagèrent
(3)
différentes villes de celte
qui s’étaient établis près du lac Asca- province et en massacrèrent les habi-
nius et dans l’Olympe, quoique cette tants (2). Les Bithyniens eurent aussi à
montagne ait conservé de tout temps le souffrir (lu passage de l’armée de Xé-
nom d’OIympe Mraien, pour la distin- noplion. .Une rencontre eut lieu près de
guer des autres du même nom , ils se Calpe ils furent vaincus , et l’armée des
;

sont confondus avec les Bithyniens (2). dix mille arriva à Chrysopolis (3).
Ces défaites successives n’affaiblirent
(1) Ptolémée, Géog., V. cependant pas le courage des Bitliy-
(2) Apollodore oous apprend que du niens , qui tentèrent constamment de
temps d'Ântycus, roi des Bebnces la My-
, s’affranchir de la domination des Per-
sic était gouvernée |»r Lycus, uls de Dascy- ses, et malgré les embarras continuels
lii.s
,
qui fut secouru par Hercule coulro que le satrape Phaniabaze leur suscita
Auiyciis. Dans celle guerre, Hercule tua
Mygdon, frère d'Amycus et roi d’une por-
tion de la Bébrycie qui reçut de lui le nom
,
(i) Héiodole, liv. I, ch. CXXVUI.
de Mygdouie. (Bîbl, AtioU., Uv. II, cb. V, (a) Diodorc, liv. I,ch. LXXXII.
s V-) XcDupb., Hut., liv. lU, cb. O.
,

ASIE MINEURE. 51

au dehors , le Bithynien Dédalsès , en niée, général d'Antigone, envoyé au


s'emparant d’Astarus, fonda une sorte secours des Grecs, combinées avec
de gouvernement monarchique. Cest ce celles de Chalcédoiiie. Mais les discus-
prince que l’on peut regarder comme le sions qui éclataient entre les généraux
fondateur du royaume de Bithynie, d’Alexandre les forcèrent bientôt à veil-
quoique Memnon (1) ne le désigne lui ler à leurs propres intérêts (1), et les
et ses descendants que par le titre d’é- nouvelles républiques se trouvèrent ex-
parques. posées à la vengeance des rois de Bi-
Cet état de choses dura jusqu’au mo- thynie. Chalcédoine, qui avait voulu
ment où Alexandre anéantit la puis- continuer seule la guerre, vit son ar-
sance des Perses en Asie Mineure. C’est mée taillée en pièces , et toute la ville
alors que la Bithynie devint un royaume sur le point d'être pillée; mais In répu-
sur lequel les historiens anciens nous blique de Byzance, qui avait toujours
ont laissé quelques renseignements. tenu secrètement pour les Grecs, se
torta médiatrice entre les Bithyniens et
CHAPITRE II. fes habitants de Chalcédoine.
Le règne de Zipoetès ne fut qu’une
BOIS DE BITHYNIE. suite de guerres heureuses. En vain les
lieutenants d’Alexandre , convoitant ses
Étienne de Byzance nous donne le riches provinces, lui cherchaient des
tableau ehronologique du règne des huit ennemis dans l’Asie et dans la Thrace (2).
rois qui ont gouverné la Bythynie de- Les princes d’Héraclée se souvenaient
puis sa constitution en royaume jusqu’à encore des succès des rois de Bithynie
sa réduction en province romaine. et s’étaient liés avec Lysimaque contre
Botyras, Gis de Dédalsès, se trouva Zipoetès, qui résolut de marcher droit
maître de la Bithynie à la mort de son contre Héraclée. pour soumettre à ja-
père il défendit Astacus contre les
: mais une ville avec laquelle il ne pou-
entreprises de Denys , tyran d’Héraclée, vait vivre en paix. Cette partie de la
qui vint l’assiéger avec une armée nom- Bithynie, située au delà du Sangarius,
breuse. Son Gis Bias, qui hérita de son qui avait été occupée par les Mariandy-
pouvoir et de ses États , eut à soutenir uiens , était un pays presque désert , et
de nombreuses guerres avec ses voisins les peuples qui l’habitaient , obéissant à
pour maintenir ses droits (378 à 328 l’instinct nomade, vivaient dans des
av. J.-C.). Il résista avec avantage à huttes construites à la hâte , etn’avaieut
Caranus b), lieutenant d’Alexandre, aucune ville. Ces habitudes se conser-
qui commandait en Phrygie et qui avait vent encore parmi les peuples du pla-
formé le projet de rendre la liberté aux teau septentrional de l’Asie Mineure,
villes grecques tombées au pouvoir des au delà de l’Halys. Mais les Bithyniens,
(3)
Bithyniens. originaires d’Europe, et habitues à des
La mort d’Alexandre délivra pour demeures fixes, sentaient le besoin de
toujours Bias de cet adversaire dange- créer des villes dans tous les lieux de
reux ; c’est alors qu’il prit le titre de leur domination. Pendant cette cam-
roi que sa postérité conserva pendant pagne, qui traîna en longueur, iZipœtès
trois siècles. Son Gis et successeur fonda la ville de Zipœtium, au delà du
Zipoctès dut aussi affermir par les ar- Sangarius, près du mont Lypérus. Elle
mes son pouvoir sur des provinces dont n’est mentionnée que par Memnon et
la possession lui était contestée. Les Étienne de Byzance (3). Le silence des
républiques grecques ,
jalouses de voir historiens d'un temps postérieur donne
un royaume naissant qui menaçait in- lieu de penser qu’elle changea de nom
cessamment leur liberté, se liguèrent ou qu’elle ne subsista pas longtemps.
entre elles pour faire la guerre à Zipœ- .1, ^IVH;
tès, qui, dans le commencement, fail- (i) Conf. Diod, de Sieile.
lit être accablé par les forces de Ptolé- (2) Memnoa , ap. Phot., cU. XXI.
CODf. Til. Üv., liv. XXXVIlt, (11.

(1) Apud Pbot., p. 722. .. .i-

(2) Diodore, p. 492.


4.
52 L’UNIVERS.
NICOHÈDB I*'. côtes de la Troade dans le but d’y for-
mer un établissement (I).
Zipœtès mourut après un règne de Il valait mieux les appeler comme
quarante-sept ans, en laissant son fils des amis que d’attendre ciu’ils vinssent,
Niconiède 1*'' possesseur de ses Étals. les armes à la main , réclamer un pays
Ce prinee signala son avènement au pour s’établir. Lorsque nous nous oc-
trône par un crime trop commun dans cuperons de l’invasion des Gaulois en
les annales de l’Orient. Il fit massacrer Galatie, nous examinerons en détail les
se.sfrères , dans la crainte que leur am- circonstances qui ont précédé leur arri-
bitiun n’amenôt le démembrement d'un vée. Nicomède signa avec eux un traité
royaume encore mal affermi. Le plus qui nous a été conservé parPhotius(2).
jeune d’entre eux Zibéas ou Zipœtès,
, Les intérêts de Byzance sont ménagés
fut assez heureux pour échapper à la dans ce traité , ainsi que ceux des autres
mort. Retiré dans la partie orientale de de Nicomède. Les Gaulois
villes alliées
la fiitbynie, il rassembla des partisans, devaient se déclarer ennemis de tous
et marcha contre sou frère. ceux qui entreraient, les armes à la
Nicomède s’était ainsi suscité le dan- main, dans les diverses terres dépen-
ger qu’il redoutait le plus. Effrayé dantes de cette république.
des progrès que faisait son ennemi , il
demanda l’alliance des habitants d’Hé* LBS GAULOIS PASSENT EN ASIE.
raclée, anciens ennemis de la Bithynie,
mais depuis loni^temps fatigués âe la L’arrivée des Gaulois en Asie chan-
guerre. Chalcédoiue avait été tellement gea la face des affaires. Bien qu'Antio-
maltraitée qu'elle vit avec joie une pro- chus. Grec de nation, eût toutes les
position qui était propre à amener la sympathies des républiques de la Bithy-
cessation des troubles dont elle avait nie, elles restèrent fidèles à Nicomède.
tant souffert. Byzance suivit la fortune Héraclée fournit même des vaisseaux
de Chalcédoine." Mais, d’un autre côté, pour défendre les côtes. Les Gaulois
Antiochus, roi de Syrie, qui songeait marchèrent contre l’armée d’Antiochus
depuis longtemps à réduire sous sa do- et la forcèrent de repasser le Taurus.
mination les provinces de l’.Asie Mi- Nicomède , pour récompenser la valeur
neure situées en deçà du Taurus , était de ses nouveaux alliés, leur céda quel-
venu offrir des secours à Zipœtès. C’est ques terres au delà du Sangarius (ô).
alors que Nicomède, pour faire face à C’est là que nous les retrouverons plus
un ennemi si puissant, eut l’idée d’ap- tard, imposant des lois à toute l’Asie
peler à son secours des alliés dont la centrale.
renommée avait déjà traversé l’HclIes- Délivré de tous ses ennemis, en
iont, et qui seuls pouvaient contre-ba- bonne harmonie avec ses voisins Nico- ,
fancer puissance d’Antiochus On
la mède put donner ses soins aux intérêts
vit paraître sur les bords de la Propon- de son royaume. Astacus la principale ,

tide les plus hardis compagnons de ville de Bithynie, avait si longtemps


Brennus, qui avaient laissé au loin der- souffert des ravages de la guerre, qu’elle
rière eux la Grèce et la Macédoine, et était presque démantelée. Il songea à
qui campaient aux portes de Byzance fonder une capitale , et choisit pour l’é-
comme des alliés menaçants. Il est pro- tablir la position la plus heureuse de
bable que le traité que Nicomède avait toute la côte de Bithynie. Nicomède s’é-
signé avec les Byzantins ne fut pas sans tait allié à une princesse phrygienne
influence sur la détermination du roi, nommée Kosingis (4), dont il eut trois
et que les Byzantins furent heureux , en enfants. A la mort de Kosingis il ,

lui prêtant secours, de .se débarrasser épousa une femme nommée Étazéta,
d’une amitié onéreuse. En ouvrant les qui traita les enfants du premier lit avec
portes de l’Asie à une poignée d’hom-
mes qui arrivaient pour fonder un em- (i)Slrab.,liv. xir, ch. IV.
pire ,
Nicomède fit preuve d’une poli- (î) Memnon apmi Pholium
, , p. 720.
tique sage. D^à les émissaires des Gau- (3) 281 à 240 .-iv.

lois avaient fait une descente sur les (4) Meiiiiioii, apiid Phol.. p. 724.
ASIE MINEURE. 53

tant de dureté, que Ziélas, l’atné, fut FBUSIAS BOl.


contraint de se retirer près du roi d'Ar-
ménie. La fin du règne de Nicoinède L’autre fils de Nicornède, Prusias,
fut constamment heureuse. Les tenta- régnait sur la partie occidentale du
tives des rois de Syrie , pour lui susci- royaume; mais ,
constamment occupé
ter des ennemis, n’eurènt aucun suc- dans les guerres civiles
,
il ne continua

cès ; il mourut après un règne de trente- pas les entreprises de son père Kico-
cinq ans , en désliéritant ses enfants du mède ,
travaux commencés pour
et les
premier lit, au profit de Prusias, fils fonder et embellir les villes restèrent
aîné de sa seconde femme. suspendus.

ZIÉLAS ftoi. FBUSIAS

Mais Ziélas , en apprenant la mort de A la mort de Ziélas , son fils Prusias,


son père, vint à la tête d’un certain qui est généralement regardé comme le
nombre de partisans revendiquer ses premier roi de ce nom, parvint à réunir
droits à la couronne. Il trouva un appui à son royaume les provinces que gou-
inattendu dans la nation des Gaulois vernait sou oncle Prusias. Ce fut le, su-
tectosages (1) qui se souvenait de l’al- jet de la première guerre suscitée entre
liance qu'elle avait contractée avec .son les rois de Bitbynie.et ceux de Pergame.
père, et qui en même temps accueillait Les deux partis trouvaient facilement
avec joie l'occasion de faire la guerre. des alliés parmi les princes grecs et les
Avant d’être arrivé aux fronlières de la petites républiques, qui espéraient le.“
Bitliynie ,
il avait déjà rassemlilé une uns et les autres quelques agrandisse-
armée nombreuse; mais ceux d'iléra- ments comme fruit de la victoire. At-
clée et de Tium avaient pris le parti de tale s’étant ligué avec la république de
la reine. Ziélas , du reste , s’en vengea Byzance, Prusias, pour mieux lui résis-
en excitant contre eux les Gaulois , qui ter, alliance avec Philippe , roi de
fit
ravagèrent Is territoire d’Hérac.lée. Si Macédoine. Ce prince avait déjà eu plu-
nous devons nous en rapporter à Étienne sieurs occasions de porter la guerre en
de Byzance (2), et croire que Ziélas a Asie , et saisissait avec empre.ssement
fondé la ville de Zéla dans le royaume de nouveaux motifs de s’immiscer plus
de Pont, il faudrait supposer qu’il a avant dans les querelles des rois de cette
donné son nom aux lieux où il s’était contrée. Sous les plus frivoles prétextes,
retiré pendant son exil , sans s’arrêter il attaquait les villes de la côte choi- ,

à la difficulté que présenteraient d’au- sissant le moment où leurs alliés étaient


tres auteurs qui placent cette ville in- engagés dans desentreprises lointaines.
distinctement dans Pont, dans l’Ar-
le Une des places les plus importantes de
ménie ou dans la Cappadoce, car les la Propontide, dont l’origine remontait
frontières de cette province ont si sou- à une haute antiquité, puisqu’elle était
vent varié, que la ville de Zéla peut regardée comme fondée par un Argo-
avoir été comprise tantôt dans l’une, naute (1) qui lui avait laissé son nom,
tantôt dans l'autre de ces provinces. Les la ville (le Cius (2), ayant fait alliance
dissensions de Ziélas et de sa belle- mère avec les Ætoliens, s'attira ainsi la co-
eurent pour résultat le partage de la lère de Philippe qui l’attaqua , la prit,
,

Bitliynie,et unaccommodemeut eut lieu et en fit vendre les habitants, après l’a-
sous les auspices de la république d'Hé- voir ruinée de fond en comble (3). La
raclée. Ziélas s’établit dans la partie
orientale delà province. C’est peut-être
(1) Hérodote, liv. V, diap. CXXÜ.
à cette époque que remonte la division
(2) Suivant Apollodoix- ( itildlotb., lib. tl;,
en première et deuxième Bithynie, qui la villede Ciiiv fui fondée par l’Argoiiauie
ne fut pas cependant très-usitée. Polypliéme , qui, à $ou l^‘luul' de Colchidr,
descendit à terre avec Hercule. Se trouvuul
(1) Mémo., apud Phol., p. -24. abaudouiié sur la cote, il fonda la ville de
(2) Vcrho ZvjXa. Cius, et s’en fit roi.
3 Folylic
( ) , 709.

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,

54 L’UMVERS.
ville de Myrlée, fondée par Myrlus, avait tenté de l’assassiner; la guerre fut
chef des CÔlophoniens , fut également décrétée, et Prusias employa, mais en
saccagée par Philippe. Les Rhodiens vain, son influence auprès'des envoyés
alliés (leces deux villes, se liguèrent de Rome pour détourner la républi(|ue
avec Attale 1", et déclarèrent la guerre d’un pareil projet. (170 av. J.-C.) Pour
au roi de Macédoine. Prusias qui avait ,
rendre son intervention plus utile à son
épousé A pâmée, (ille de ce prince, reçut beau-frère, Prusias attaqua Euinène,
en présent le territoire des villes con- et porta la guerre dans les États du roi
quises ; il rebâtit Cius, et lui donna son de Pergame, qui fut ainsi contraint de
nom. La ville fut appelée Prusiade, et, rester en Asie Mais ces événements
pour distinguer de la ville du même
la servaient mieux la politique de Rome
nom, au pied de l'Olympe, on
située que n’aurait pu faire une guerre directe.
l'appela Pruse sur mer. La ville de Les Romains attendaient que les rois
Myrlée prit le nom d’Apamée reine de ,
d'Asie se fussent suffisamment affaiblis
Riihynie et femme de Prusias. Ce fut, les uns par les autres, pour les attaquer
suivant Étienne de Byzance fl), îsico- ensuite ouvertement.
niède Épiphane qui donna à la ville de Les armées de Prusias remportèrent
Myrlée le nom de sa mère A pâmée. sur celles d'Eumène de nombreux avan-
Lorsque les Romains déclarèrent la tages; elles durent ces succès moins à
guerre à Philippe, Prusias ne soutint l’hahileté de leurs généraux qu’aux con-
pas son allié, et laissa le roi de Pergame seils d’Anuibal, qui, errant et proscrit,
passer en Grèce pour porter du secours s’était retiré à la cour de Prusias, père
aux Romains. Profitant des dissensions de Cynægus. Le général cartiiaginois
suscitées
)
entre des États qui pouvaient combattit lui-même la flotte d’Eu-
voir d’un oeil jaloux l'agrandissement de mène (I) et mit ses vaisseaux en fuite.
la Bithynie , Prusias résolut d’étendre Des services aussi éclatants ne purent
ses frontières du côté de l’Orient. Il cependant détourner Prusias de fa plus
entreprit le siège d’Héraclée , l’une des lâche trahison. Eumène s’était plaint
principales places de la Paphlagonie, aux Romains de la conduite de ce
et qui fut annexée au royaume de Pont prince ; déjà la république était l’arbitre
par Mithridate. Blessé pendant le siège, suprême auquel se soumettaient les
ilrenonça aux conquêtes , et finit tran- monarques d'Asie, quand la voie des
quillement sa vie après un règne de ,
armes n'était pas assez prompte.
quarante ans, laissant la couronne (2) Quintius Flaminius envoyé du sé- ,

à un fils qui portait son nom. nat ,


arriva en Bithynie avec la mission
avouée de rétablir la concorde entre
PRUSIAS II. les deux rois. En apprenant que l'im-
placable ennemi des Romains vivait en
Ce Prusias, surnommé Cynægus, le Bithynie comme l'hôte et l’ami de Pru-
chasseur, monta sur le trône de Bithynie sias, Flaminius ne dissimula pasqhe le
vers 192 avant J.-C. L’alliance qui avait peuple romain ne consentirait jamais à
existé entre son père et les princes de recevoir pour allié un ami d’Annibal.
Macédoine subsistait toujours, malgré C’est alors que le roi de Bithynie ne
la conduite équivoque de Prusias envers rougit pas de solliciter la protection de
Philippe. Le roi de Bithynie épousa Rome, en promettant de livrer son
une des sœurs de Persée ,
et prit une hôte; mais celui-ci , averti à temps du
part active aux intrigues que ce prince complot tramé contre lui , avait préparé
entretenait avec tous ies ennemis des du poison , qu’il prit au moment où les
Romains en Orient. Rumène, allié de gardes du roi venaient l’arrêter. Il fut
la république et jaloux de la puissance
,
enterré à Libyssa, village qui était au
des rois de Bithynie, se plaignit aux bord de la mer (2).
Romains de la perfidie de Persée, qui
(i) Pliitarqiir, Tie d’Aiinibal.
(1) Vurbo MufXÉia. (a) Il Fuit et Libyssa oppiihim ,
iibl uiiih;

(
2 Til. l iv., XXXIl, ch. :i4; XXXTII, Hamiibalis tanliini Uinudiis... > Plinii A'atu-
ch. 3o. ral. Histor., lib. V, rap. XXXII.
,
.

ASIE MINEURE.
Prusias , obligé de rendre à Euniène atteindre Nicomède, qui laissa cepen-
les provinces conquises, entreprit le dant son trône à un Gis du même nom
voyage de Rome pour tâcher de se
,
Ce prince, sous le nom de Nicomède III,
concilier, par sa présence , les intérêts soutint d’abord une guerre contre son
du sénat. Mais l'attitude suppliante frère Socrate, protège par Mithridate;
qu’il prit en abordant le Capitole, la ce motif seul lui valut l’alliance des
bassesse de ses supplications , lui furent Romains, qui le rétablirent plusieurs
plus défavorables auprès des fiers répu- fois sur son trône. Depuis ce moment
blicains que la conduite hardie qu’il la Bithynie fut acquise aux Romains,
avait tenue en attaquant leurs alliés. et, quelques années plus tard, Nico-
Renvoyé avec mépris, il revint en Bi- mède, en mourant, les institua ses hé-
thynie pour se venger sur les rois de ritiers. Cependant, ils n’entrèrent p'a.s
Pergame, et déclara de nouveau la sans combattre en possession de leur
guerre à Attale II, successeur d’Eu- héritage, et Mithridate mit une nom-
mène; il le vainquit, et s’empara de sa breuse armée en campagne pour dé-
capitale ; mais les Romains le forcèrent fendre la Bithynie, qui fut soumise,
de nouveau à restituer cette ville à son malgré ses efforts, par Silanus, Lu-
souverain légitime. Des soulèvements cullus et Cotta. Ce dernier avait établi
survenus en Bilhynie forcèrent Prusias son quartier général à Chalcédoine,
à s’enfuir à Nicoinédie ; son fils Nico- pendant que Lucullus assiégeait Aparaée
mède vint l’attaquer, à la tête des ré- et Pruse; cerné dans la ville par Mithri-
voltés , dans sou dernier refuge. Après date, qui avait armé une flotte nom-
l’avoir fait assassiner, il fut proclamé breuse , il fut secouru à temps par son
roi , et reçut le surnom de Philopator. collègue (1).
Les premières années de son règne se La dynastie des rois de Bithynie doit
passèrent dans une paix profonde. donc être établie de la manière sui-
vante :

HICOHBDE il.
avant J.*C.
Bias, régna de 378 à 328
L’alliance de ces monarques avec les Zipoetès, — 328 à 281
rois grecs, et leurs relations continuel- Nicomède I"', — 281 à 246
les avec les princes asiatiques les plus Prusias (Zelas) — 246 à 232
renommés par leur faste, donnent lieu Prusias I*', — 232 à 1!>2
de croire que la cour des rois de Bithy- Prusias II, — 192 à 149
nie n’était pas moins brillante que celle Nicomède II, — 149 à 92
des Attale et des Séleucides. Mais la
Bithynie a été trop souvent envahie et
Nicomède III, — 92 à 7*
saccagée, pour qu’on puisse espérer d’y
retrouver quelque monument impor-
LA BITHYIUE BÉOUITE EN PBOyiNCE
tant qui date de l’époque où elle n’etait
KOMAINB.
pas soumise à la domination étrangère.
Dès lors, ce pays, converti en pro-
vince romaine tombe sous le gouver-
mCOMÈDE III. ,

nement des proconsuls et des préteurs


T.’alliance que contracta Nicomède et rentre dans l’administration générale
avec Mithridate lui attira la haine des de l’empire. Décrétée province du peuple
Romains , mais ne l’empêcha pas de romain (2), la Bithynie fut gouvernée
conquérir la Cappadoce et la Paphla- par des proconsuls tirés au sort. Plu-
gonie, qu’il partagea avec son allié. Les sieurs empereurs la visitèrent, et sou-
Romains appelés pour arbitres dans uu
,
vent son territoire devint le champ de
différend^ qui s’éleva entre eux, s’em- bataille où les prétendants à l'empire
parèrent de la Cappadoce pour venger Grent valoir leurs droits.
le roi Ariarathe assassiné par Mithri-
date (1). Le même sort ne tarda pas à (i) 71 av. J.-C.
(a) Pline, ép. IV, 9; V, ao; VI, 5 ; Vtl,
(i) Appian.. Bell. 7-ao. 6 et 10.

I
Pi. :
, ,

M L’UNIVERS.
EMPEBEUBS BYZANTmS. en mettant le siège devant les villes
qu’ils occupaient. Les soldats de Pro-
De tous les combats qu’excitèrent les cope, qui étaient à Nicée, purent
ferres civiles, il n'en est pas de plus néanmoins faire une sortie, et vinrent
important que celui qui décida du sort inquiéter l’armée de Valens qui en-
de l’empire entre Licinius et Constantin. tourait Chalcédoine. La fuite sepic mit
La flotte du premier avait été battue l’empereur à l’abride leurs poursuites ;
devant les murs de Byzance; presque il se sauva par le lac de .Sophon
tous ses vaisseaux et cinq mille soldats u’Ammien Marcellin (1) nomme lac
avaient péri. Il passa secrètement à 3 e Sunon. Il est clair que l’auteur latin
Chalcédoine , et eut bientôt réuni autour ne veut pas parler du lac Ascanias :

de lui une armée de cinquante mille car tout le territoire de Nicée était
hommes; mais Constantin, sans lui occupé par les eunemis, tandis que Ni-
donner le temps d’assembler des forces comédie tenait pour l’empereur. Cet
plus considéraules, traversa le Bosphore événement, qui augmenta le nombre
et engagea la bataille, qui se donna sur des partisans de Procope , lui donna les
les hauteurs de Chrysopolis, aujour- moyens de poursuivre le siège de Cy-
d'hui Scutari ; tout le champ de bataille zique , mais ne lui ouvrit pas pour cela
est occupé aujourd’hui par le vaste ci- le chemin de l’empire. Attaquée par

metière des musulmans, qui s’étend de- Valens dans la plaine de Nacolia , en
puis la ville Jusqu’au pied du mont Plirygie, son armée fut vaincue, et le
Boulgourlou. général lui-même, arrêté dans sa fuite,
Pendant les règnes .suivants, l’em- eut la tête tranchée par ordre de l’em-
pire, balancé entre des victoires et des pereur, dont la vengeance ne s’arrêta
revers , soutint presque constamment pas là, car plusieurs des villes qui avaient
des guerres lointaines , et la Bitbynie pris le parti de Procope eurent leurs
ainsi que les provinces limitrophes, murailles rasées. Aussi, lorsque les
jouirent d’une sorte de tranquillité, que Perses, sous la conduite de Cliosroès,
des soulèvements partiels ne parvinrent firent une invasion en Bithynie, il leur
pas à troubler. Julien à peine monté
,
fut facile de s’emparer des villes ainsi
sur le trône , se Bt gloire de réparer les démantelées. Aux irruptions des Perses
édifices des principales villes qui avaient succédèrent celles des Cotlis et des
été endommagées par des tremblements Scythes, qui n’avaient pas pour usage
de terre. Partant de Nicomédie,il tra- de faire une guerre en réglé, mais dont
versa l’Asie pour aller faire la guerre le seul but était de descendre sur la
aux Perses. Son successeur, Jovien, côte pour piller les habitants et brûler
couronné dans Ancyre, ne vit pas même ce qu’ils ne pouvaient emporter.
comme empereur les murailles de Malgré la persécution qu’elle avait
Constantinople. Valentinien, l’un de éprouvée sous les règnes des empereurs
ses tribuns, avait été appelé d’ Ancyre en Dèeeet Dioclétien, la religionchrétienne
Bithynieparun parti puissant qui,' d’ac- se répandit arec rapidité en Bithynie;
cord avec l’armee, l’élut empereur dans du moment qu’elle trouva uue pro-
la ville de Nicée. A peine investi de cette tection près du trône, les fidèles cou-
dignité, il se rendit à Nicomédic, et vrirent de monastères et d’éulisc.s les
associa son frère Valens à l’empire. Le environs des villes et les penchants des
grand concours de partisans qui s’é- montag.'tes. Toutes les vallées de l'O-
taient réunis autour des nouveaux em- lympe virent arriver des anachorètes
pereurs ne put cependant étouffer les ui formaient des disciples fervents et
prétentions de Procope, allié à la famille évoués.
impériale. Malgré la présence de l’em-
pereur, il s’empâta de Nicée et de Chal- DOMINATION MUSULMANE.
cédoine. La mort de Valentinien sur-,

venue sur ces entrefaites, fit passer Les autres parties de l’Asie Mineure
l'empire sans partage entre les mains étaient depuis longtemps tombées entre
de Valens, dont le premier soin fut de
poursuivre avec vigueur les rebelles, (i) Lib, XXV! ,
c. 8.
,

ASIE mine:ure. 57

les mains de la race musulmane, qui leur était dévolu à eux et à leurs des-
avait formé des royaumes et des prin- cendants. C’est là l'origine de la puis-
cipautés indépendantes; mais la vigi- sance des dérébeys (I), dont le gouver-
lance des empereurs byzantins avait nement, tout à fait féodal, fut pendant
éloigné jusque-là des frontières de la plusieurs siècles d’un si grand secours
Bithynie les hordes des émirs et des a la puissance des sultans. Quelques-
califes. Haroun-al-Rachyd, qui s’était uns de ces fiefs, donnés pour un certain
emparé d'Angora , et dont l’avant-garde nombre d’années, rentraient, a l’extinc-
était venue presque à Héraclée , s’était re- tion du titre, sous le pouvoir de la
tiré, parsuite d’un traité signéavecl’em- Porte. Les guerres particulières que se
pereur(l). I^es Seidjoukides , d’ailleurs livrèrent ces beys, les vexations de
constamment eu guerre avec d’autres toute espèce dont ils accablèrent non-
princes musulmans, avaient mollement seulement les chrétiens, mais encore
attaqué la Bithynie, lorsque ToghruI, le les différentes tribus musulmanes qui
chef de la dynastie d’Osman, voulant venaient camper dans leurs districts,
aussi conquérir un empire pour les siens, contribuèrent à anéantir les derniers
marcha droit vers l’ouest, et vint mourir éléments de civilisation et de commerce
sur les bords du Sangarius, en montrant dans cette contrée. Un des grands
à son fils Orkhan les hauteurs de principes de la politique du sultan
Broussa. Ala-Eddin, sultan seldjoukide, Mahmoud était de réunir sous un prin-
lui avait donné en apanage toutes les cipe unique et absolu le gouvernement
terres qu’il pourrait conquérir au delà de l’empire. La puissance des dérébeys
du Sangarius. La prise de Broussa, fut attaquée , et ceux qui étaient dans
dont les Osmanlis firent leur capitale le voisinage de. Constantinople furent
en Asie, amena la chute du pouvoir obligés de se soumettre. Aujourd’luii
des empereurs en Bithynie. Des guerres la Bithynie est gouvernée par des pa-
infructueuses, un pouvoir précaire, ne chas, qui reçoivent tous les ans l’in-
peuvent être considérés comme la vestiture à l’époque du Beyram. Ou
marque d’une domination. Plus tard, n’entend plusparler de ces soulèvements
lorsque les armées des croisés vinrent hardis qui mettaient en feu des pro-
occuper ces contrées, les Osmanlis, vinces entières, et maintenant Turcs et
quoique vaincus, ne furent Jamais com- chrétiens, courbés sous le même niveau,
plètement chassés, et la prise de Cons- jouissent, de la part des autorités, sinon
tantinople, en couronnant les efforts de la meme bienveillance, du moins
de deux siècles, cimenta pour jamais la d’une tranquillité relative.
domination musulmane.
Lorsque le sultan Orkhan détermina CHAPITRE III.
les limites de la province nouvellement
conquise, il donna les noms de ses FaONTlÈBËS DE LA. BITHYNIE.
lieuten.mts aux principaux districts
dont ils s’étaient emparés. Ainsi, le pays Le royaume de Bithynie. formé du
des Thyniens fut appelé Khodja-Ili , et démembrement de plusieurs peuples
l.a partie occidentale de la* province eut naturellement des frontières varia-
reçut le nom de Khodawenkiar; les bles; néanmoins, du côté de l’ouest,
fiels que l’émir s’était réservés autour les limites furent constamment lixée.s
de rOlvmpe furent appelés Sultan- par le Rbyndacus. Du côté de l’est, il
OEni.Mais le sultan ne gardait pas pour fut longtemps borné par le cours du
lui seul les terres conquises, et les plus Sangarius (2) ; mais après l’adjonction
braves de ses émirs recevaient des por- du pays des Mariandyniens , il s’é-
tions de territoire qui devaient au tendit jusqu’à Héraclée, et même jus-
trésor public, outre une redevance en qu’au Parthénius, c’est-à-dire , jusqu’à
argent, un certain nombre d'hommes la limite extrême du territoire de Cau-
armés ; le gouvernement de ces districts coues. Cette Thrace qui est en Asie,

(i) De Hammer, Histoire de l'empire ot- (i) Déréliey, liey de» vallées.
iomaftf tonie L (a) Strabon, liv. XII, p. 54r.
, ,

£8 L’UNIVERS.
dit Xénophon, commence ii l’embou- terminées par la chaîne de l'Olympe,
chure du Pont-Euxin et s’étend jusqu’à qui est presque parallèle à la cote de
Héraclée. Elle est à droite de ceux qui I Euxiii
, et qui étend ses ramiGcations
naviguent vers le Pont ; de Byzance à dans la Paphlagonie jusqu’au Pont et au
Héraclée il y a une journée de naviga- fleuve Halys.
tion pour une trireme dans les plus
longs Jours (1). IIONOBIADE.
Les frontières déterminées par Stra-
bon sont un peu différentes. « La Bi- Vers cinquième siècle , Théodose II
le
tbynie est bornée à l’orient par les Pa- détacha de la Bithynie une vaste portion
phlagoniens et les Mariandyniens , et dont il forma un gouvernement parti-
par quelques-uns des Épictètes ; au culier qui fut appelé Honoriade , du
septentrion par le Pont-Euxin, depuis nom de, son oncle Honorius. Héraclée
l’embouchure du Sangarius jusqu’au reçut le titre de métropole et devint le
Bosphore qui sépare Byzance de Chal- lieu de résidence du gouverneur (1).
céduinc; à l’occident, par la Propon-
tide , et au midi par la Mysie et la
,
PAn.XGES DU nOSPHOBE.
Phrygie surnommée Épictète , laquelle
est aussi appelée Phrygie Hellespon- La partie de la Bithynie qui est bai-
tique (2). » gnée par la mer a été de tout temps la
Sous la domination des Romains , les mieux connue et la plus peuplée. Les
limites de la Bithynie furent un peu vastes ports que forment les sinuosités
changées. Toute la côte, dit Strabon de la côte attiraient , avant la fondation
(la partie droite du Pont-Euxin) ,
était de Byzance le commerce de la Grèce
,

soumise à Mithridate, depuis la Colchide et les colonies de l'Europe.


jusqu’à Héraclée. Mais le territoire si- Depuis l'embouchure du RhjTidacus
tué au delà de cette ville jusqu’à l'em- dans la Propontide jusqu’à l’emboucliure
bouchure du Pont-Euxin et jusqu’à du fleuve Cius, la côte est peu élevée.
Chalcédoine , était resté sous la dépen- Toute cette plaine est riche en oliviers
dance du roi de Bithynie. Après la chute et en pâturages. Le fleuve Cius, qui
des rois de ce pays, les Romains con- sort du lac Ascanius, vient se jeter dans
servèrent les mêmes limites, de sorte un golfe profond qui prenait son nom
qu’ Héraclée appartenait au Pont; mais de la ville la plus importante construite
le pays qui est au delà de cette ville sur ses bords. Au reste, on n’est pas d’ac-
appartenait à la Bithynie (3). La dé- cord sur cette dénomination ; Pomponius
termination de Ptolémée est diffé- Mêla s’exprime ainsi
y a au delà
« 11 :

rente. La Bithynie, dit-il, est bornée, de Dascyiium deux golfes de moyenne


au midi , par l’Asie propre , comme le grandeur; l’un, qui n’a point de nom
montre la ligne tirée depuis le fleuve baigne la ville de Cius (2). >
Rhyndacus jusqu’à la frontière ; à l'o-
rient , par In Galatie et la Paphlagonie C.\P POSIDIUH.
d’après la ligne tirée depuis la limite
mentionnée jusqu’à Cytorus , ville du Le promontoire de Cius , qui fut ap-
Pont. pelé aussi le cap Posidium (3), est formé
Néanmoins, tous les auteurs mo- par un prolongement du mont Argan-
dernes qui ont traité de la Bithynie thonius, sur le penchant duquel était
ancienne se sont accordés avec Étienne bâtie la ville de Cius. Ce cap est sans
de Byzance et Arrien (4), pour en fixer doute le Neptuni fanum de Pomponius
les limites au Parthénius du côté de ÎMéia. Il est couvert de forêts c’est en ;

l’orient. Au sud , les frontières sont dé- en ce lieu que la fable place l’aventure
d’Hylas enlevé par les nymphes.

fi) Xénoph, Cyci, Uv. V, eh. III,


O. I. (i) Jean Malala, Clironog., liv. XFV,
(i) Sirabon XII, 563. p. 69 , 6 , éd^Oxon.
(3) Strabou, liv. XII, p. 54 1 . (a) Mêla liv. I, ch. XIX.
,

(4) Perip., liv. I, p. i4, t5. 13) Ptolomée , liv. V. ch. I.

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ASIE MINEURE. 69

En remontant vers le nord , et après Depuis Chalcédoine jusqu’à l’embou-


avoir doublé le cap Posidium , on entre chure du Pont-Euxin , la partie de la
immédiatement dans un autre golfe qui côte d’Asie qui est baignée par les eaux
s’étend de l’est à l’ouest, dont la partie du Bosphore se prolonge du nord au
sud est forniée par le mont Argantho- sud sans former de golfes profonds ;
nius , et la côte nord par la partie sud les bâtiments peuvent cependant mouil-
de la presqu’île des Thyniens. ler à Scutari , dont le port était autrefois
très-fréquenté , mais qui a été comblé
GOLFE d’ASTACUS OU DE MCOHÉDIB. pendant les guerres civiles. Pierre Gilles
en vit détruire les derniers vestiges,
Ce golfe, prenant son nom des villes lorsque la fille du sultan .Soliman fit
les plus importantes construites sur ses bâtir une mo.squée .sur la côte d’Asie.
bords ,
est appelé tantôt Olbianus de la On voit encore dans la mer quelques
ville d’Olbia(t), tantôt .^siacenus delà pierres qui ont appartenu à l’ancièn
villed’Astacus (2). môle, dont la construction avait pour
Plus tard , la ville deNicomédie ayant but d’arrêter les efforts du courant.
remplacé la ville d’Olbia , ce golfe prit
le nom de golfe de Nicomédie, qu’il a PORT CALPÉ.
conservé jusqu’à nos jours. La côte sud
de la presqu^le des ïhyniens se pro- La côte baignée parles eaux du Pont-
longe du nord-ouest au sud-est, depuis Euxin n’offre aucun abri aux navires de-
le cap de Chalcédoine jusqu'à la partie puis l’entrée du Bosphore jusqu’au port
la plus étrpile du golfe. A ce point, les Cal pé, situé près de la rivière de ce
terres se rapprochent, forment une nom. Étienne de Byzance nous apprend
sorte de détroit, qui, arrêtant l’impé- qu’il y avait également une ville de
tuosité des vagues , fait du golfe de Ni- Calpé; Xénophon (I) nous a fait une
comédie un vaste et tranquille port. description de ce port : il est ouvert
à l’abri d’un rocher escarpé qui s’a-
FORT HEBÆUS. vance dans la mer, et qui a vingt aunes
de haut à l’endroit le plus bas; et au-
Le cap de Chalcédoine, nommé aussi dessus un espace d’environ quatre cents
Héraeus, est bordé d’une quantité de ieds de large capable de loger dix mille
rochers. Au dedans de ce promontoire, ommes. Au-dessous est le port, vers
la mer forme un golfe, qui, à le voir, l’occident, avec une source qui ne tarit
semble être partout d’une égale profon- jamais et qui coule le long de la mer.
deur. Cependant il n’y a qu’autant Le cap qui forme le port Calpé s’a-
d’eau qu’il en faut pour couvrir le ter- baisse du côté de l’est, et la côte est
rain (3). Justinien fit réparer ce port plate et sans accident. Le fleuve San-
Héræus (4). 11 fit faire un nouveau port garius , qui se jette dans la mer un peu
dans le même endroit; comme l'ancien lus à l'est , servait aussi de port pour les
était exposé à la violence des vents et arques. Mais, en réalité, après le port
des tempêtes, il y remédia en faisant de Calpé, il n’y avait que celui d’Héraclée
jeter quantité de' caisses dans la mer, qui offrit un abri certain aux navires.
et il eleva par ce moyen deux môles Tels sont les principaux traits de la
jusqu’à la surface de l’eau, au-dessus géographie et de l’histoire d’un pays
desquels il posa des roches pour résister qui, à différentes époques, a appelé
à l'impétuosité des vagues. Ainsi il , rattention des peuples les plus civilisés
rendit ce port extrêmement sûr même de l’Europe et la convoitise des hordes
pendant Thiver et durant les plus- fu- incultes de l’Asie. De cette monarchie
rieuses tempêtes. bithynienne qui fut l’alliée des plus il-
lustres rois grecs, et dont la république
(i) nicla, id. ibid. romaine, à l’époque de sa puissance,
{») Slrabon, liv. X.Il,p. 563. envia l’héritage, il ne reste pas un
(3) DémcMiii. de Billiytiie , liv. IV. apud mouument qui puisse faire juger quels
SIeplianuin ByzanI, verbo ’Hpata.
(4) Proro|ie, De JEtii finis, ïà\. i"ch.XI. (i) Kip. Cyri,, liv. VI, ch. IV.
,

60 L’UNIVERS.
principes avaient dirigé les artistes de Neptune, fonda une ville
fut déclaré Pis de
ce pays. Il n’est pas probable que le <àlaquelle il donna son nom , et le goliè
style de l’architecture phrygienne , dont lui-méme prit le nom de la ville. Le.s
on retrouve quelques exemples, ait été Mégariens arrivèrent en Asie vers le
pratiqué long^mps par les Bithyniens conimencement de la dix-septième olym-
qui, voisins des côtes de la mer, et en piade, c’est à-dire sept cent douze ans
relations constantes avec les colonies avant J.-C. Memnon (I) rapporte le
grecques, durent suivre dans leurs arts passage suivant « Astaensétait habitée
:

rimpre.ssion que donnait aux peuples par une colonie de Mégariens au com-
d’Asie le génie hellénique. mencement de la dix-septième olym-
Tous les monuments de l’antiquité piade; ils donnèrent à la ville le nom
que l’on rencontre en Bithvnie sont de d’Astacus pour obéir à l’oracle, en mé-
l’époque romaine. Presque'tout ce que moire d’un certain Astacus, l’un des
les princes byzantins avaient bâti aiec Spartes habitant de Thèbes. » Si en effet
une rapidité qui témoignait plutôt du la ville d’Astacus fut détruite par Lvsi-
désir de. jouir vite que de faire des maque,elle ne dura que pendant iine
choses durables, a été anéanti par ériode de quatre cents ans, et les
suite des guerres, des tremblements tie abitants furent transportés à Nico-
terre et des renouvellements qu’a mo- inédie par le fondateur de cette nouvelle
tivés une domination nouvelle. Les ville (2). l.a prospéritéde la colonie nais-
débris épars de ces temps reculés, de- sante ne tarda pas à porter ombrage aux
venus plus rares de jour en jour, acquiè- chefs indigènes, qui attaquèrent et sou-
rent encore plus de prix aux yeux de mirent les nouveaux colons. Dédal-
l’historien qui les conserve avec respect, sès, le chef de la dynastie bithynienne,
comme les derniers témoins d’une bril- incorpora dans ses États les deux villes
lante époque. Les contrées moins favo- grecques, et Astacus tomba sous les
risées de la naturel dont les sites sau- coups de Lysimaque pendant la guerre
vages, héri.ssés de rochers, ont clé que ce prince livra à Zipoetès. Cet évé-
dédaignés par les populations modernes, nement doit être placé entre 328 et 324
nous offriront une plus ample moisson av. J .-C., cette dernière date étant celle
d'antiijuités; mais nous avons cru de- de la mort de Lysimaque. l.e succe.s-
voir recueillir scrupuleusement les mo- seur de Zipoetès, Nicomede L'', appela
numents byzantins de Bithynie ,
qui dans la nouvelle capitale qu'il venait
ne brillent' paspar la perfection du de fonder les débris de la population
style, mais qui se rattachent par des d’Astacus; ce qui n’empécha pas cette
liens précieux à notre histoire nationale. ville oe se relever en partie de ses ruines,
tout en laissant à Nicomédie la supré-
CHAPITRE IV. matie qu’elle avait conquise.
Pausanias (3), en décrivant les objets
NICOMÉniF. MÉTROPOLE. d'art conservés dans l’enceinte d’O-
ASTACllS. OLBIA. lympie, mentionne une statue d’ivoire
de Nicomède 1", roi de Bithynie « qui
Lorsque les premiers colons grecs a donné son nom à la plus grande ville
arrivèrent sur les côtes d’Asie, ils choi- de ce royaume, car Nicomédie s’appelait
sirent le.s sites les plus favorables pour anciennement Astacus ».
le développement ilu commerce et de
C’est du moins l’opinion de Strabon;
l’agriculture. Les Mégariens remontè- mais il n’en est pas moins vrai que
rent la Propontide et s'établirent au longtemps après cette époque Astacus
fond d’un vaste golfe situé à l’entrée du est mentionnée par plusieurs auteurs

Bosphore de Thrace. comme existant sur le rivage du golfe


Astacène concurremment avec Kico-
ASTACUS. médic; ce fait est facile à expliquer en

Tous ces lieux étaient alors sans nom ; (r) Meinuon apiid Pholiiim, cli. XXI.
lechef de la colonie, nommé Astacus, fils (a) Strabon, XII, 563.
d’Olbia, qui en sa qualité de navigateur (3) Liv. V, cb. la.
ASIE MINEURE. 61

disant qu’Astacus s’est relevée de ses de Nicomédie qu’une seule et même


ruines après la mort de Lysimaque. ville. Ptolémée (1) fait aussi une dis-
Du temps de Constantin Porphyro- tinction entre Astacus et Olbia. Nous
génète, Astacus est mentionnée parmi devons en conclure que, malgré les
les villes encore existantes: I" Nico- assertions contraires des historiens ro-
médie métropole...; 4“ Astacus. Pompo- mains , il y eut dans le golfe Astacène
iiius Mêla, après avoir décrit le polie de trois villes qui chacune à son tour ac-
Cius, poursuit en ces termes; » L’autre quirent une certaine renommée et dont
golfe, qu’on appelle Olbianns, porte sur les populations vinrent se fondre dans
son promontoire un temple de Neptune, celle de Nicomédie qui resta seule en
et dans son enfoncement Astacus, fon- possession de donner son nom au vaste
dée par les Mégariens. » Ce promontoire golfe dont elle occupe l’extrémité.
est le cap Posidium, aujourd'hui Botiz Le cap Posidium formait la pointe
bouroun (lecap de la Glace), ainsi appelé sud du golfe Astacène; le cap Acritas
non pas parce qu’il y fait plus froid formait la pointe nord : c’est là que
que dan.s le voisinage, mais parce que commence le. Bosphore. Cec.ip s’appelle
c'est en ce lieu qu’on emharqiiait pour aujourd’hui Fanar Baghtchési (le fanal
Constantinople les provisions de neige re- du Jardin); il y a un petit phare pour
cueillies dans l’Olympe; c’est donc dans signaler l’entrée du golfe.
le voisinage de ce cap qu’il faut chercher
remplacement encore inconnu de l’an- ISICOMÉDIE.
cienne Astacus, et sur celte côte aucune
localité ne parait avoir mieux convenu Le titre de fondateur d’une ville
à l’assiette d’une ville antique que le était tellement recherché que le pre-
site de Kara Moursal. mier soin d’un prince vainqueur ou
puissant était de supprimer le nom des
OLBIA. villes déjà existantes et de le remplacer
par le sien propre. Le même sort est
Une autre ville du nom d’Olhia fut arrivé à Nicomédie, fondée parle Thrace
également fondée par les Mégariens; Zipœtès, père de Nicomède. Ce der.
elle prit son nom de la mère de leur
nier prince, avant de faire une se-
rhei, et le golfe fut indifféremment dé- conde dédicace de ia nouvelle capi-
signe par les Grecs sous les noms de tale de son royaume, offrit un sacrifice
golfe d’OIbia ou d’Astacus. L’examen iour se rendre les dieux favorables, et
attentif de ces côtes ne saurait conduire fes prêtres lui annoncèrent, d’après les
à reconnaître le site de la ville; car ce présages des victimes, que la ville dont
golfe attira, pendant tout le cours de ilallait jeter les fondements serait une
l’empire byzantin, une population nom- des plus grandes et des plus florissantes
breuse, et un nombre considérable de de l’Asie, et que la durée en serait
villes, de forteresses et de châteaux cou-
éternelle (2). Une statue d’ivoire, repré-
vrirent ses rivages. sentant Nicomède, fut élevée sur la place
Scylax ne fait aucune mention d’As- principale; c’est cette même statue que
tacus et ne parle que de la ville d’OIbia Trajan transporta à Rome (3).
et du golfe CIbianus. Ou peut inférer
Suivant l’usage presque général dans
des documents épars qui nous restent l’antiquité de placer les villes sur deg
,
sur ces deux cités qu’Astacus , fondée hauteurs, Nicomédie fut bâtie sur une
par les Mégariens, vit bientôt sa popu- des collines qui entourent le golfe.
lation s’augmenter par l’arrivée de co-
On voit encore dans la partie la plus
lons athéniens qui se fondirent dans
élevée une suite de murailles flanquées
la population bithynienne en- allant
de tours, qui paraissent avoir appartenu
s’établir à Nicomédie.
à l'ancienne cité, et qui plus tard ser-
Ammien Marcellin (1) est du nombre virent d’acropole à la ville bithynienne,
des historiens qui ne font d’Astacus et
(t) I.iv. V, ch. 1 .

(i) Liv. XX U et Ticlir’l PoHio in Hist. (i) Libaniiis, 1. II.


A"g. (.X) Pausaiiias, lib. T, ch. 12.

ogle
,

62 L’UMVKRS.
lorsqu’elle fut arrivée an plus haut degré Près des égouts et dans le terrain qui
de prospérité. Une grande portion de est occupé aujourd'hui par l’arsenal , ou
ces murailles plus de deux
s’élève à voit les débrisd’un môle qui, semblable à
mètres au-dessus du l.es tours,
sol. celui de Pouzzoles, était formé d’arcades
demi-circulaires, sont construites en comme un pont. Cette invention des
pierres de petit appareil , qui indiqueut Romains avait pour but de laisser un
évidemment un ouvrage romain; mais passage aux courants sous-marins qui
les soubassements sont formés d’é- entraînant avec eux du sable et du li-
normes blocs de pierre calcaire, restes mon , auraient bientôt comblé les ports
de la construction primitive. Ces mu exposés à leur action. Ce môle était bâti
railles descendent dans l’intérieur de de briques et couronné de larges assises
la ville moderne. On les reconnaît fa- de pierre. Les piles des arclies sufG-
cilement au milieu des maisons; Nico- saieut pour rompre l’impéluositc des
médie étant fondée sur une colline de vagues. Les débris de cette construction
de grès, elles ne peuvent se confondre sont encore baignés par les eaux de la
avec les roches naturelles. mer; mais la portion la plus considé-
F.n descendant du côté ouest de la rable se trouve au milieu d’un terrain
colline principale, les murailles se per- qui n’existait pas du temps de l’an-
dent bientôt au milieu des jardins et cienne Nicomedie. En effet, le golfe
des groupes de maisons. Cependant, de d’Astacus est soumis aux mêmes lois
distance en distance, on remarque des que tous les autres golfes qui commu-
murs de soutènement construits en niquent avec des plaines. Des atterris-
grands blocs , qui formaient sans doute sements considérables ont été formés
de magnifinues terrasses sur lesquelles par les eaux des torrents, qui ont charrié
étaient situées les habitations. Le der- les terres sur lesquelles sout bâtis
nier mur de ce genre est au pied de la maintenant les arsenaux de la ville
colline de l’ouest. 11 était à cette époque turque.
situé au bord de la mer; il est bâti de Non loin du môle, et sur la der-
briques , etsoutenu , de trois mètres en nière terrasse, se trouve une construc-
trois mètres ,
par de grands contre-forls tion dont la destination n’est pas facile
de pierre, entre lesquels s’ouvraient à expliquer. C’est une plate-forme dont
les égouts, qui étaient aussi au bord de l’élévation varie de cinq à deux mètres,
la nier. Ces égouts sont encore en par- sur la pente du terrain. Elle est bâtie
fait état de conservation
, et annoncent en grands blocs de pierre, appareillés
les débris d’une opulente et vaste cité. avec le plus grand soin, et forme un
Ce sont de grands canaux dans lesquels carré de vingt et un mètres cinquante
un homme peut marcher debout. Ils centimètres de côté , sur trois desquels
pénètrent horizontalement dans l’inté- sont placés des avant-corps carrés. On
rieur des terres. On conçoit, pour lu ne voit aucune trace de porte ni d'es-
ville de Nicomédie, la nécessité d’avoir calier autour de ce massif qui est assez
eu des égouts nombreux et bien entre- bien conservé. Le couronnement est
tenus. Située sur la pente d’une colline formé de grosses pierres ponant une
rapide, sur un terrain très-ondulé, elle moulure et percées d'un trou carré,
eût été exposée aux ravages des eaux comme si elles avaient dû supporter
pluviales, comme on le remarque au- une grille. Sa situation dominant la
jourd’hui dans la ville moderne. baie conviendrait beaucoup à un temple;
Par la seule observation de ses mu- mais ce terre-plein paraît avoir été
railles et des rares débris de l’ancienne primitivement inaccessible de tous côtés.
ville, on peut rapporter les ruines de Ni- Etait-ce le piédestal de quelque colosse
comédie à trois époques différentes, l’é- ou de quelque trophée, c’est ce qu’il
poque de la Bithynie indépendante, l’é- est impossible de décider.
poque romaine et l’époque byzantine. Ni- La ville de Nicomédie fut richement
comédie ne resta pas longtemps au haut dotée par les rois de Bithynie (J). Nico-
de la colline; ses habitants se portèrent
naturellement vers la mer où les appe- (i) Animieii Marrrllin lui dotiiie le litre
laient le commerce et la navigation. de mère des villes de riilliyiiie (liv. XVII,
ASIE MIM'.URE. 63

mède l’orna de monuments somptueux qui avait reçu des embellissements con-
et l’éclatde sa cour attira dans ses Etats sidérables, et l'on voit dans ses lettres
non-seulement les princes ses voisins, à l’empereur (jtielle était sa sollicitude
mais séduisit le plus illustre des Ro- pour le bien-être de la province qu’il
mains, qui dut regretter plus d’une fois administrait. Parmi les projets de tra-
le trop long séjourqu’i 1 fit chez N icomède. vaux publics que le préteur de Bithynie
Les empereurs romains , maîtres de .soumettait à Trajan, il en est un qui est
la Bithynie, traitèrent les habitants exposé en détail dans une de ses lettres
plutôt en alliés qu’en peuples conquis. à l’empereur (1 ). Pline songeait à joindre
Des routes somptueuses furent ou- à la mer par un canal le lac de Sabandja,
vertes dans toutes les directions , des éloigné de Nicomédie d’une distance
ports furent creusés , des canaux même d’environ trente kilomètres; d’autre
entrepris pour mettre les provinces part ce lac aurait pu être Joint au fleuve
en rapport direct avec les villes mari- Sangarius, et la navigation aurait pu se
times. L’exploitation des forêts qui faire directement entre la mer Noire et
couvraient la Bithynie fut un des points le Nicomédie sans avoir à passer
golfe de
qui attirèrent le plus l’attention des le Bosphore. Le chemin était abrégé de
préteurs. Le luxe des constructions tout le circuit de la presqu'île des Thy-
commençait à se répandre dans Rome, niens. Ce projet avait reçu de la part
et l’Europe ne suffisait plus à fournir d’un roi de Bithynie un commencement
les matériaux précieux dont les patri- d’exécution ; mais il parait, malgré l’ap-
ciens embellissaient leurs riches villas. probation que Trajan envoie à Pline (2),
L’île de Proconnèse offrait une mine qu’aucun travail ne fut exécuté.
inépuisable de marbre blanc; mais la Pendant que Pline visitait quelnues
passion des roches précieuses et rares villes de son gouvernement, un violent
augmentait à mesure qu’elle se trouvait incendie éclata à Nicomédie et détruisit
satisfaite. Les arsenaux de PJicomédie, non-seulement plusieurs maisons par-
riches en matières premières, fournis- ticulières, mais encore deux édiuces
saient des navires qui transportaient publics, le temple d’isis et la Gérousie
jusqu’en marbres de prix , les
Italie les ou palais du sénat. A cette occasion
jaspes colorés et les métaux qui ser- Pline proposé à Tïajan d’établir une
vaient pour la décoration. IN'icomédie communauté de surveillants pour pré-
proGtait, pour ses constructions, du venir les incendies; mais l’empereur,
voisinage de tant de carrières magni- auquel les conférences des chrétiens
Gques le mont Dindymène de Cyzique
; étaient déjà suspectes, refuse l’autori-
lui fournissait des granits, la vallée du sation, en faisant remarquer combien
Sangarius de» jaspes, les terrains vol- cette province à déjà été troublée par
caniques de Lynissa des matériaux plus des sociétés de ce genre (3). En effet,
grossiers, mais non moins solides. I.a à peine les premiers chrétiens eu-
pierre calcaire employée dans les con- rent-ils prêché la doctrine du Christ
structions était tirée des montagnes qui dans ces contrées, que de nombreux
sont en face, de l’autre côté du golfe, adeptes se réunirent à eux. Pline, qui
car le sol de la ville et les environs ne résidait à Nicomédie, usa avec modé-
sont composés que de grès. ration du pouvoir que lui donnait l’em-
Pline, nommé préteur de Bithynie pereur pour poursuivre les sectateurs
sous le règne de Trajan , parle avec les de la nouvelle doctrine.
plus grands éloges de Nicomédie (1), Il mentionne dans ses lettres les
bains , les aqueducs les forums et les
,

ch. XIII), et Pline l’appelle la ville illustre


temples qu’elle renfermait. C’est à cette
(liv. V, ta fine). époque que Nicomédie fut ravagée par
Lorsque la Bithynie fut réduite eu le terrible incendie qui détruisit ses
(()
province romaine, Nicomédie devint le siège monuments publics. Soit par flatterie,
des gouverneurs, dont quelques-uns lui pro-
curèreut de grands avantages. Pline l'orna (i) Pline le Jeune, liv. X, let. L.
d’une place publique et y construisit uu (a) Il)id., iel, LI.
aqueduc. Lettres i6, 4o, 41, 5o. (3) Plin. liv. X, letl. XLII, XLIII.
64 L’UNIVERS.
soit par reconnaissance, cVtait un Dioclétien ,
qui songeait déjà sérieuse-
usage répandu dans toutes les villes ment à créer en Orient une seconde
de l’Asie Mineure d'élever des temples métropole; mais l’activité qu’il dé-
en l’honneur des empereurs. Nico- ploya pour augmenter et emmllir cette
médie obéit au mouvement général; ville, se changea bientôt en vexations,
mais le sénat, pour donner plus de que sa cupidité rendait encore plus in-
prix à une pareille faveur, ne rac- tolérables. Laetance s’est plu à recueillir
cordait qu’avec une extrême réserve. tous les actes odieux reprochés à Dio-
Aussi Dion (1) fait- il remarquer comme clétien à cause de son goût désordonné
une preuve du grand crédit de Soater, pour des constructions faites sans but
natif de Nicomédie et favori de Com- et sans projet arrêté; car chaque jour
mode , la permission qu’il obtint pour il donnait l'ordre de démolir des édi-
sa ville natale de faire élever un temple fices construits ou à peine achevés pour
à l’empereur, et de fonder des jeux et les remplacer par d'autres. I.e goût des
des combats en son honneur. Sur un jeux du cirque s’était répandu au point
morceau de frise richement orné, on que pas une ville ne voulait être privée
lit encore quelques lettres qui semblent de cette jouissance. Dioclétien fit bâtir
être la fin du mot Antonimjs. Il serait un hippodrome somptueux qui n’existe
possible que ce fût un débris du temple plus de nos jours, parce que de tout
de Commode. Ce prince a reçu, en ef- temps celte ville ayant été florissante ,

fet , dans plusieurs capitales de l’empire les matériaux de ‘marbre des monu-
les bonneurs divins. ments furent taillés a nouveau pour
Dans la lutte qui s’engagea entre être employés dans d'autres édifices.
.Septime-Sévère et Niger, la ville prit Un hôtel des monnaies, un arsenal,
parti pour le premier. Elle resta tou- des fabriques d'armes, des palais pour
jours fidèle à rempereur, et parmi les sa femtne et pour sa fille, furent élevés
monuments de son règne on trouve par ses ordres, et les habitants, ap-
une portion d’inscription qui doit avoir pelés par corvée, travaillaient à leurs
appartenu à une statue élevée en l’hon- frais à ces constructions gigantesques,
neur ce prince par ordre de son fils
(le qui ne s’élevaient qu’aux dépens des
Caracalla; elle est gravée sur un pié- nabitations de la ville. Tous ces édi-
destal dont la partie inférieure manque; fices, construits à la hâte, ne résistèrent
mais on peut la restituer d’après une pas à l'effort des siècles. 11 est même
inscription identique qui existe dans les probable que, pour la plupart, ils ne
ruines de Synnada. Ces monumentssont furent pas achevés. Dioclétien, en
postérieurs à la prise de Ctésiphon par quittant la résidence de Nicomédie,
Sévère. coupa court à une fortune aussi im-
prévue. La cérémonie de son abdication
A 1.1 bonne Fortune, la ville (honore)
l’enipn enr César Mare Aiircle Anionin An- eut lieu l’an 305 de J.-C., dans la grande
gmte, pirnx, sébasie, la ii' année de .sa
plaine située à l’est de Nicomédie. Il
pniss.inee tribnnilienne,
consul, sons reni- monta immédiatement en litière, et se
ppiTiir César .SepiimeSévcre, pieux, Perlinax, retira à Salone pour v finir ses jours.
auguste , vainqueur de l’.Arabie , de l'Adia- Ce fut ,î Nicomédie, en 30:5, que
liéne, des Parlhcs , très-puissant et nuiitre commença la persécution contre les
de la terre et de la mer. chrétiens. Galcrius vint trouver l’em-
Cette inscription est de l’an 202 de pereur dans celte ville, et obtint, par
notre ère, l’année du premier consulat ses instances, que les moyens les plus
de Caracalla, et la onzième depuis que rigoureux seraient mis en usage pour
son père l’avait as.'ocié à l’empire. forcer les fidèles à abandonner leur foi.
Héliogabale (218) partant d’Antioche L’église cathédrale fut le premier édi-
fice qui supporta la fureur du peuple :
pour se rendre Home s’arrêta à N’i-
,i

comédie, où il passa l’hiver qui suivit on enfonça les portes, on livra au


son élection. piljage tous les meubles et les livres
qu'il contenait, et peu s’en fallut qu’il
Nicomédie fut le séjour favori de
ne fût incendié; la crainte de voir le feu
(i) In Commodo. se propager au delà de l’enceinte de
ASIK MINEURE. 6.5

rédiUce sacre put seule empêcher l’em- composèrent des poèmes pour chanter
pereur d’exécuter son dessein. L’évêque les derniers jours de Nicomédie.
saint Authyme eut la tête tranchée. On Libanius, dans sa Monodie, écrite
trouve dans une grecque de la
église vers l’an 354 (1), chante ainsi la ruine
Mysie une que nous rap-
inscription de Nicomédie : « INicomédie , naguère
porterons quandnous examinerons encore une ville, mais aujourd'hui
cette province, et dans laquelle est rentrée dans la poussière, doit être
mentionné un évêque du même nom pleurée par moi en silence. Tant d’édi-
qui administrait le diocèse de Scaman- fices publics et privés qui faisaient l’or-
dria. nement de la ville croulèrent les uns
Engagée dans la guerre entre les Ro- sur les autres! depuis la citadelle jus-
mains et les Perses, iNicomédie souffrit qu'aux jardins, tout s’abîma; les pré-
des maux inouïs lorsque les derniers toires et les tribunaux , la multitude de
vinrent assiéger Clialcédoine (1). Quel- temples, la masse des thermes, le magni-
ques années plus tard , les Goths , arri- fique palais, et le théâtre, qui suffisait
vant par le canal du Bosphore, s’em- pour illustrer la ville.
parèrent de Clialcédoine (:!), et cette « Le soleil était à peine arrivé à son
conquête inattendue leur fournit des midi. A ce moment les dieux gardiens de
armes et des provisions de toute es- la villeavaient abandonné les temples,
pèce. De là ils marchent sur JNicomé- et sombrait comme un navire
la ville
die,et, guidés par un transfuge, ils sans pilote; les murs tombaient sur les
parviennent à se rendre maîtres de la murs, les colonnes sur les colonnes, les
place. Tout ce que cette ville renfermait toits sur les toits, les fondements même
de richesses tomba en leur pouvoir; les étaient détruits; le théâtre s’écroula
monuments publics furent livrés aux le premier avec fracas. Alors l’incendie
flammes, et ce que le feu ne détruisit commence; les toitures propagent les
ias fut rasé quelque temps après, flammes le Cirque lui-même, plus solide
;

Ïorsque les barbares se trouvèrent obli- que les murs de Babylone, est détruit;
gés de lever le siège de Cyzique. les animaux affamés errent à l’aventure;
Cependant tous ces désastres étaient les portiques, les musées le temple des ,

facilement réparés; car, malgré les Grâces et des Nymphes et le grand bain
expressions exagérées des histbrieus, qui portait le nom de l’empereur (2)
il esc probable que les villes dont ils tous ces édifices disparaissent, et le
mentionnent la destruction n’étaient peuple au milieu de ces désastres erre
ias complètement ruinées; mais lorsque comme des fantômes. »
fes phénomènes naturels se joignirent à La relationd’Ammien Marcellin, dans
tant d’invasions et de revers, N icomédie sa description du tremblement de terre
vit sa fin approcher, et tout le luxe de qu’éprouva Nicomédie, nous fait con-
ses édifices disparut en un seul jour, naître un grand nombre d’édifices qui
anéanti par un terrible tremblement de seraientignoréssans lui. « Dansces jours
terre. En examinant la nature de la de désolation, dit-il, d’horribles tremble-
contrée, on est d’autant plus étonné ments de terre ont ravagé la Macédoine,
de voir qu’elle ait souffert de si vio- l’Asie et le Pont, et par leurs secousses
lentes secousses, que rien, dans ses répétées ont anéanti un grand nombre
environs, ne décèle une grande force de villes et de montagnes. Et au milieu
des feux souterrains, à peine si l’on de tant d’affreuses calamités, nous de-
voit près de la mer quelques affleure- vons rappeler la ruine de Nicomédie,
ments de terrains volcaniques. Ce fut métropole de la Bithynie , dont je vais
dans le quatrième siècle que la ville eut donner un vrai et succinct récit :

à souffrir les plus rudes atteintes; tous « Le 24 août, à la pointe du jour,


les écrivains du temps ont parlé de d’épais nuages s’étant rassemblés, cou-
cette catastrophe dans les termes les vrirent la surface du ciel, et la lumière
plus lamentables; Libanius et Ephrem
(i) l.lbanii Monudia de Nieomedia, in
(i) Nicéphore Calliste, Vit. oper. ed. Moreli., II, 1675.
(2} Animirii Marcellin, liv. XXII, rli. IX. (») Sans doute les thermes d’Aotonin,
j" UvraUon. (Asie Minekbk.) T. II. 5
LUNIVERS.
du soleil ,
disparut au point qu’on ne Ce ne
fut guère que sous le règne de
distinguait pas les objets les plus voi- Justinien, vers le milieu du sixième
sins; puis, connme si un dieu eût lancé siècle que JNicomédie vit renaître nue
,

lu foudre et excité les vents des quatre partie de sa prospérité passée (I). Pro-
l'oins du monde, on entendit le bruit cope s’étend avec complaisance sur les
efirayant des tempêtes et le fracas des nombreux monuments dont l’empereur
Ilots débordés ; à cela se joignirent des dota cette ville c’étaient encore des
;

tourbillons et des torrents de vapeurs bains, des aqueducs et des églises;


enflammées, avec d’affreux tremble- mais aucun de ces édiflees n’a subsisté
ments de terre qui renversèrent de fond jusqu’à nous, et nous devons cliercher
en comble et la ville et les faubourgs. au milieu des jardins de la ville turque
La plupart des maisons qui se trouvè- les débris d’une cité qui fut si puis-
rent sur le penchant des collines tom- sante.
bèrent les unes sur les autres , et les .Sous le rapport de l'antiquité, on
échos portèrent de tous côtés le bruit ne saurait espérer faire de grandes dé-
de cet horrible désastre. Les sommets couvertes dans une ville qui a supporté
des montagnes
renvoyaient les cris de si déplorables catastrophes. Il ne
plaintifs de ceux qui cherchaient leurs reste plus rien de ces temples, de ces
épouses, leurs enfants et leurs proches; ues si nombreux. A l’orient de
enfin , longtemps avant la troisième
heure du jour, les ténèbres étant dis-
ra e, vers le quartier appelé Zeï-
toun, MahaUé-si, et dans le lieu
sipées et l’air devenu plus serein, on nommé lmbaher,au milieu des terrains
découvrit toute l'étendue de ces ra- du cimetière juif, se trouvent les ruines
vages. d'une grande citerne qui fournissait de
« Quelques malheureux accablés par
, l’eau à l’ancienne ville. Elle est com-
les décombres, périrent écrasés; d’au- posée de trente six piliers port.mt des
tres, ensevelis Jusqu’aux épaules, expi- arcades surmontées de voûtes en pen-
rèrent faute de secours; ceux-ci se trou- dentifs. Toute la construction est de
vèrent susp>-ndus à de hautes poutres briques les impostes seules sont d’une
:

sur lesquelles ils étaient tombés; on espèce de grès volcanique. La surface


vit alors confondus les cadavres d’un de cette citerne est de deux cent cin-
grand nombre d’habitants que le même quante mètres carrés; elle contenait
coup avait détruiis; quelques-uns mou- quinze cents mètres cubes d’eau. Pline
rurent de crainte et de disette dans avait trouvé une source considérable
leurs maisons ruinées. Ce fut ainsi que qu’il proposMit à l’empereur d’utiliser
termina misérablement ses jours Aris- pour l’usage des liabitants, en la con-
teiiète, qui avait recherché la place de duisant à la ville au moyen d’un ou-
vicaire du diocèse créé par Constance vrage voûté (arcuato apere), et il
pour honorer la piété de sa femme Ku- tenait particuliérement à maintenir le
sébie On aurait pu sauver une niveau de la source, afin que les quar-
grande partie des temples, des mai- tiers élevés pussent en profiter égale-
sons et des habitants, si l'ardeur des ment. Il proposait, pour cela, de res-
flammes, qui se répandirent aussitôt, taurer un aqueduc qui avait coûté aux
n’eût pas , pendant cinquante jours et habitants trois millions trois cent vingt-
cinquante nuits, achevé de ruiner neuf inille sesterces (G44,993 francs),
tont (1). » et qui étaitresté imparfait ('ij. On ne voit
C’est à cette époque que tout ce qui plus de traces de ce monument ; niais la
restaitde l'art ancien dans la ville fut position de cette citerne, à mi-côte,
entièrement détruit. On pourrait dire donne lieu de penser qu’elle a reçu les
que Nicomédie renferme encore les eaux de la source aujourd'hui perdue.
preuves de ce tremblement de terre; L’intérieur était revêtu d’un enduit
car ses rues et ses cimetières sont jon- composé de trois couches différentes :

chés de colonnes, de débris d’archi- la première, appliquée immédiatement


traves et de fragments informes.

(() Procope, De Ærfi/., liv. 'V.

(i) Amm. Marcell., lib. XVII, cap. VII. {%) F.f>hl. XIV, lib. X.
, ,

ASIK MliSETIRF., 67

sur les briques , était un bloeage com- occupait. Elle est toujours une des villes
posé de chaux et de ciment la deuxièuie, ; les plus importantes de l’Asie Mineure;
un mélange de charbon pilé et de chaux ;
sa population peut être évaluée à 30,000
et la troisième était un stuc fort dur, âmes, reparties de la manière suivante :

formé de pierres pilées, de chaux et Turcs 2,500 familles.


d’huile. Grecs 1,200 frf.
C’est de ce lieu, qui domine une vallée Arméniens 800 frf.
rofonde, qu’on jouit du plus beau coup Juifs 500 frf.
’oeil de la ville et du golfe. Les mina- Mais on sait combien il est difficile
rets qui s’élèvent au milieu des niasses d’obtenir des ren.seignements exacts sur
de verdure, et les nombreux jardins de la population réelle des villes musul-
Nicomédie , lui donnent cet aspect de manes; car tout le monde, les gouver-
fraîcheur et de richesse particulier aux neurs comme les habitants, ont intérêt
villes de Bithynie. à en dis.siinuler le chiffre Quelque con-
Après avoir suivi la fortune de la ca- fiance que l’on inspire aux rayas, ils
pitale de l'empire d’Orient, Nicomédie croiront toujours utile de diminuer le
tomba entre les mains des Turcs en l’an nombre de leurs coreligionnaires parce .

727 de l’hégire, ou 1326 de notre ère, que le karatch ou capitation étant établi
après les efforts inutiles que fit Ka- par tête, et recueilli par les tchorbadji
loioannès, frère de Marie Paléologue, ou primatsde chaque nation, on parvient
pour défendre cette place. Après la ainsi, en divisant l’impôt sur un plus
prise de Constantinople par les Latins, grand nombre de têtes, à en alléger le
les princes Comnènes vinrent résider à poids, et les gouverneurs devant re-
Nicomédie. mettre au trésor le montant des impôts
Presque toutes les églises furent con- établis suriinnomhredonnéd'liahitanis,
verties en mosquées par le sultan Orkbau. sont enclins à donner un chifre moindre
Néanmoins, Nicomédie conserva tou- our qu'il reste une partie notable de
jours dans l’Eglise grecque les privilèges f impôt perçu, dans leurs caisses.
et l'importance d’un siège épiscopal ; et Le principal commerce de Nico-
dans les grandes fêtes de l’Eglise de médie est le bois et le sel. On a utilisé
Constantinople , l’évéque de Nicomédie les vastes marais qui sont au fond du
marche à côté de celui de Nicée immé- , golfe, pour établir des salines qui sont
diatement après le patriarche. On con- d'un grand produit. La fabrication du
serve dans l’église de Nicomédie plu- sel est entre les mains des particuliers ;
sieurs reliques, parmi lesquelles on le gouvernement se réserve la dîme do
remarque le bras de saint Basile ren- sel fabriqué I.e commerce de bois est
fermé dans une châsse d'argent, qui a libre, à la charge de vendre au gouver-
la forme d’un bras et qui est richement nement de choix qui
les échantillons
ornée de rubis et de perles. peuvent être iitilesà la marine. Mais cette
La moderne Nicomédie est appelée liberté est chèrement achetée par les
par les Turcs Isnikmid par suite de charges qui pèsent sur les habitants; car
cette corruption de langage qui a altéré les Rayas comme les Turcs qui s’occu- ,

les noms des anciennes cités. Isnikmid pent du commerce des bois, doivent four-
n’est qu'une portion de ces mots grecs : nir en corvées les ouvriers nécessaires au
e!ç Nizo[jn5osiav. service de la marine. Le gouverriemeùt
Le grand vizir Koupruli a fait établir alloue une journée de cinq piastres pour
à Nicomédie des arsenaux maritimes qui les ouvriers de ces chantiers; mais cette
ont longtemps fourni les galères et les somme est rarement payée intégrale-
caravelles les plus estimée- de (ionstan- ment et nul n’oserait là réclamer du
,

tinople. Tous les armements importants gouverneur. Les Arméniens se livrent


se font à Constantinople, mais on cons- volontiers à la fabrication du maroquin,
truit encore à Nicomédie quelques bâ- qui s’exporte à Constantinople.
timents de guerre. Cette ville doit à son La ville moderne de Nicomédie est
heureuse position, à son voisinage des composée de vingt-trois quartiers, dont
forêts, et à l’activité de ses habitants, dix-neuf sont habités par les Turcs, trois
de n’avoir pas déchu du rang qu’elle par les chrétiens et un par les juifs.
6 .
,

C8 L’UNI VERS.
plus ancienne mosquée était au-
La cadence du style turc primitif date
trefoisune église grecque qui fut con- du règne du sultan Osman, qui envoya
sacrée par le sultan Orkhan au culte de en Italie des artistes pour étudier les
rislain. Le plus grand temple musulman monuments de l’Occident c’était l’é- :

a été bAti par Pertew pacha , grand vizir poque où l’école du Bernin était à son
du sultan Soliman le Grand, et qui resta apogée.
pendant sept ans à Mcomédie comme A leur retour, ils introduisirent dans
gouverneur. Cette mosquée est près du les constructions les modèles d’un art
port à l’entrée de l'arsenal Sinam , qui
: italien déjà dégénéré , et encore abâtardi
en fut l’architecte, imita dans de moin- en passant dans des mains qui ne le
dres proportions la mosquée que le comprenaient pas. Le faible reflet de
sultan faisait bâtir à la même époque à l’art des Arabes fut totalement éclipsé,
Constantinople, et qui porte le nom de et l’art des Turcs tomba au degré où
Soliman. Le même areliitecte construisit nous le voyous aujourd’hui.
des bains et un caravanséraï. Ces mo-
numents, en rapport avec le commerce CONSTITUTION DU SOL AUX SNVIBONS
et la population de la ville, n’offrent DE NICOMÉDIE.
cependant rien de remarquable comme
œuvre d’art. Il n’y a plus de traces du Les collines sur lesquelles est bâtie
magnifique palais que le sultan Mou- de Nicomédie sont un embran-
la ville
rad IV Gt bâtir h Mcomédie, et qui était chement de la chaîne qui forme la côte
entouré de jardins splendides. Les nord du golfe et dont le mont Maltépé
palais que les premiers sultans firent est le jioint culminant; au nord elles se
construire en Asie Mineure, celui de rattachent au mont Sophon ou de Sa-
Broussa et celui de Magiipsiedu Si vins, bandja.
ne sont plus que des amas de décombres. Le terrain calcaire bleu qui constitue
L'arsenal impérial d'où sortirent Jadis le sol de Scutari cesse bientôt pour faire
les vaillantes galères qui tinrent en place à des roches à base de quartz, et
échec les marines de Gênes et de Ve- le grès rouge finit par dominer. Cette
nise, aujourd’hui désert et ruiné, ne nature de roche s’étend jusqu’au bassin
peut plus servir à la construction des du Sangarius. Dans riiitérieur de la
Sâtiments d’un fort tonnage; car les at- ville, il se présente sous la forme de
terrissements formés peu à peu au fond stratifications bien distinctes inclinées
du golfe. Ont comblé la darse et rendu de 30 degrés à l’est, les couches ont
le mouillage impraticable pour les grands environ deux mètres d’épaisseur. Elles
vaisseaux. sont séparées par des lits de cailloux de
Si les ruines de Nicomédie , exami- quartz et de jaspe qui dans la partie su-
nées en détail, ne sont plus pour périeure de la colline ont à peine la
l’antiquaire qu’un souvenir vague et grosseur d’un pois, et en descendant les
confus d’une civilisation effacée; si l’ar- couches intercalaires et les cailloux aug-
tiste ne trouve rien qu’un sentiment mentent d’épaisseur, de sorte qu'à Ta
pittoresque dans les constructions éle- base de la colline elles forment avec la
vées par les Osmanlis, la nature s’y. roche mémeun poudingue à gros noyaux;
montre toujours vivace, m'ande et ma- bientôt le grès rouge disparaît et lé ter-
jestueuse ; les collines ombragées de té- rain est entièrement composé de cail-
réblnthes , les vigoureux et noirs cyprès loux.
qui entourent les demeures des morts La base du terrain des deux autres
les jardins verdoyants qui embellissent collines est également (le grès rouge;
chaque maison , donnent à la ville iin mais daus la partie supérieure il est
aspect général de richesse et de gaieté stratifié par un calcaire marneux à cas-
qui s’évanouit quand on entre dans sures conchoîdes d’une dé.>agrégation
l’intérieur. Les nombreux cimetières facile. Ces couches sont recouvertes par
placés près des mosquées renferment une véritable marne, qui s’étend indéfi-
quelques monuments qui datent de l’é- niment vers l’est. Nous avons donc ici
|Mque où l’art des 'Ûircs puisait ses l’origine du terrain de grès rouge qui
inspirations dans l’école araoe. La dé- forme une partie du sol de la province.
ASIE MINEURE. <)9

CHAPITRE V. ordinairement de quinze jours; ou pro-


fite de la saison des cerises; l’usage de
rÉlUPLE BU GOLFE DE NICOMEDIB. ce fruit aide, dit-on, singulièrement l’ac-
tion des eaux.
Pour entreprendre le périple du golfe Les coupoles qui couvrent le bain
de Nicomédie il faut retourner à
,
cette sont, dit-on, celles qui furent construites
ville et suivre la côte nord. Il est bien par l’impératrice Hélène. Non loin de
important pour les voyageurs qui s’oc- là sont quelques ruines qui apparte-
cupent de recherches d’antiquité de ne naient sans doute à l’hospice et au pa-
jamais traverser un ancien cimetière lais d’Hélène et de Constantin (i). C’est
sans examiner avec soin les pierres tu- à son retour de Jérusalem qu’Hélène
mulaires; car on peut presque toujours fit construire ces édifices sur l’empla-

y recueillir des inscriptions; les stèles cement de l’ancienne Drépanon, et


et les colonnes votives étant d’un Constantin, pour honorer sa mère,
transport facile, les habitants les em- éleva le bourg au rang de ville, et lui
ploient volontiers pour décorer les donna le nom de Hélénopolis; lui-
tombes. méme aux derniers temps de sa vie,
,

La route de caravane entre Nico- s’y rendit quelquefois et mourut dans


médie et Constantinople suit la côte sa villa d’Ancyron, petite place voisine
nord du golfe. Après cinq heures de de Nicomédie.
marche, on arrive à Yarimdjé, et on C’est à Hélénopolis que se retira
couche au khan de Héréké. On distingue l’armée des croisés commandée par
sur la route les ruines d’un château by- Pierre l’Ermite et Gauthier sans Avoir,
zantin qui domine la montagne voisine lorsqu’elle abandonna Nicée pour se
et qui descendent jusqu’à la mer. Hé- mettre en communication avec la côte,
réké paraît occuper la place de l’ancienne et pour renforcer l’armée dans le but
Ancyron, petite ville des environs de d’attaquer Nicée. Après le malheureux
Nicomédie, où Constantin avait une combat contre les Sarrazins, ces der-
villa et où il est mort; ce qui explique niers élevèrent une pyramidr avec les
pourquoi les uns placent le lieu de sa ossements des Francs tombés sur le
mort à Nicomédie, les autres à Ancyron. champ de bataille; ilsét.rient au nombre
En effet cette place pouvait être regardée de vingt-cinq mille, si l’on en croit Alexis
comme un fauho'irg de la capitale. Toute Comnene.
cette côte était jadis occupée par des Entre Yalovatch et Bersek coule un
villas des patriciens de Byzance. petit ruisseau dont les eaux forment
Bouz bouroun forme le point de sé- mille détours; on l’appelle aujourd’hui
paration entre le golfe de Nicomédie et Kirk ghetekid; c’est l'ancien fleuve
celui de Cius ou de Mnudania. Pour se Draco, auquel ses détours sans nombre
rendre à Nicée en droite ligne, on peut avaient valu cette dénomination. Il prend
descendre au village de Samanli , et de sa source dans les montagnes qui sé-
là se diriger par la rive sud du lac en parent le lac de Nicée de la mer (2). Ce
passant parKurla. petit fleuve formait la limite entre l’em-
Un peu plus à l’ouest est le village ire des Byzantins et celui des Selljou-
de Yalovatch qui marque la position ides, quand Alexis Comnine, menacé
de Drépanon appelé ensuite Héléno- du côté de l’ouest par le duc de Nor-
polis. Il faut chercher de ce côté les mandie , et du côté de l’est par Soliman,
bains chauds où la princesse Hélène fut obligé de conclure la paix; il aban-
aurait fait fairede grandes constructions. donna a ce dernier toutes les terres
Ces bains étaient fréquentés par les qu’il avait conquises depuis Nicée Jus-
babitantsde l’ancienne Byzance, comme qu’au fleuve Draco, et il ne re.sta plus
aujourd’hui par ceux de Constantinople, au prince grec que l’étroit territoire
qui les préfèrent à ceux de Broussa à compris entre le fleuve et la mer. Le
cause de la proximité de la capitale. village de Hersek est bâti sur un pro-
Leur situation dans une vallée om-
breuse en fait un lieu des plus agréa- (i) Piocopv, De Ædif., V, ».
bles dans la saison d’été. La cure est (») Procope, De Æ<hf., loc. cil..
I.UNIVERS.
Constantinople; on prend les eaux de
montoire qui se trouve directemeut en
Taouchandil avant d’aller terminer sa
face de celui de Dit ; de sorte qu’eu ce
point le golfe de ^icomédie est telle-
cure à Yalovatch. Pendant trois jours
ment resserre que sa largeur n’a pas on s’abstient de tout mets salé e.t de
toute espèce de viande; le quatrième
plus de six kilométrés. (;e village tient
jour on commence à prendre le matin
son nom du gnind visir H6rst'k Alimtd
pacha, qiiien 1457 lit hâtirune mosquée
une grande lasse d’eau et l’on se tient
chaudement. Cela dure trois jours ; les
et un cariniuiseral. Non loin de
llersek
dont le trois jours suivants ou boit de l’eau trois
est le village de Kara Moursal
fois par jour et l’on ne mange que du
nom rappelle la première victoire du
poulet au riz non salé. Cjuand ou s’est
sultan Osman. Mours:d,uu des compa-
gnons d’armes de Aghidjé Kodja, ayant purgé dix ou quinze fuis , on prend de
la limonade ou de la soupe acidulée
pris le nom de Kara Moursal (le Noir),
s’empara de la partie méridionale du avec un citron qui procure des éva-
cu.itions. Pendant le temps de la cure,
golfe de Nicomédie, qui lui fut donnée
le nazir ou directeur des eaux y fait sa
en fief à condition qu'il entretiendrait
résidence pour maintenir l’ordre public.
des barques armées pour veiller à la
conservation de sa conquête (1326). Un
Souvent au lieu de faire succéder à
cette première cure l’usage des bains
château (]u’il Ot construire dans la
partie sud du golfe porte encore sou
de Yalovatch, on le remplace par des
bains de sable, et alors on continue le
uom et est devenu le centre d’un vil-
régime de volailles et de riz. I-a plupart
lage; c’est en cet endroit que fut sans
des buveurs d’eau sont installés. sous
doute foudée Astacus « en face de Ni-
des tentes autour de la source; d’autres
comédie ». A quelques lieues de cet en-
demeurent dans le village. Cette époque
droit se trouvent les bains chauds de
Yalovatch, l’ancienne Urépanon qui ,
de la saison des eanx rassemble à Taou-
chandil une foule, de marchands, de
prit ensuite le nom de Hélénopolis.
baladins, de cafédji (jiii préparent le
Comme nous avons dit plus haut.
sorbet c’est un tah eau des plus animés.
fa: village que l’on rencontre en
sui- ;

vant la côte porte le nom d’Krégli ,


qui Les femmes turques se dispensent de
place de Kribolon. la règle qui leur defend de paraître sans
parait occuper la
mentionnée par voile hors du logis.
Cette même ville est
Ptolémée sous le nom d’Kribaca.Giaoiir En continuant de cotoyer le golfe,
Erégli, village situe sur la montagne voi-
on arrive après une heure et demie de
sine, est occupé par les familles grecques
marche à une langue de terre sablon-
neuse que l’on appelle üil , c’est-à-dire
chassées du lùtrd de la mer.
langue. La pointe de Dil est placée
Tous ces rivages étaient couverts de
exactement en face de celle de Hersek;
riches villas byzantines; aussi trouve-
c’est ce qui forme l’étranglement du
t-on à chaque pas des vestiges d’an-
golfe de Nicomédie et en fait un excellent
ciennes murailles; mais il n’existe au-
cun édifice complet.
mouillage en empêchant la merdu large
d’y entrer. Cette terre est si basse et
paraît si peu tenir au continent que les
TA.OUCHANDIL. habitants du pays racontent qu elle a
été faite par un derviche qui voulait

La Langue de Lièvre. Un gros village traverser le golfe et n’avait pas de quoi


paver son passage; les bateliers du
du même nom s’élève sur le dos de
la colline; c’est .sans contredit le plus voisinage , craignant de voir l’entrée du
considérable et le plus pittoresque de golfe comblée, s’empressèrent de lui of-
frir leurs barques; et comme dans ces
toute la côte. 11 est célèbre par des
sortes de réiits il a toujours une
y
sources minérales qui coulent à trois
kilomètres du village, et qui sont preuve à l’appui , on montre dans le
le but de nombreux pèlerinages pen-
voisinage le tombeau d’un derviche
dant toute la belle saison, mais surtout qui s’appelait Dil Baba ( le père de la
dans le mois d’avril. A cette époque les langue ). 11 y a à Dil un petit khan et une
malades ilc toute classe arrium! de foniaiiie qui furci.! construits en 1638
.

ASIE MINEURE. 7i

par Mustapha BostaDdji, chef des jardi- dans les terres (1), Pierre Gilles donne
niers du sultan Mourad 111. au village moderne le nom de Dacibyssa
On arrive après une lieure de marche Tous les itinéraires mentionnent cette
au village nommé Mahallé-ul- Alime (le ville comme lieu d’étape; ce qui prouve
quartier des aimées) qui n’offre rien de qu’elle existait encore sous l’empire by-
reinaruualile. zantin. L’itinéraire d'Antonin place Li-
Guébizé, dont le nom u’est autre byssa entre Chalcédoine et N icomedie de
qu’une altération de Ly bissa, est située à cette manière :

six kilomètres de Taouchandil ; c’est en


ce lieu que mourut Anuibal 11 y a, dil Antomn.
Plutarque (I), en Bithyuie un village sur Chalcedonia.
le rivage de la mer, que ceux du pays ap- Pantiebium. . . . M. P. XV,
pellent I.ybissa duquel on dit qu’il se Libyssam M. P. XXIV,
trouvait un oracle tout commun en cette Nicornediam . . M. P. XXII.
.

sorte :

Tables de Peutineer.
Terre Lj hisse engloutira le corps
De Aiinilial, i|iiaiKl l'ime en sera hors. Gulcedoniu.

Anuibal, retiré à Lybissa, avait fait


I.iuissa XXXVTI.
creuser des souterrains autour de sa
Nicomédia .... XXIII.
maison pour prendre la fuite dans le Itiuéraire de Bordeaux.
cas où il serait poursuivi. Mais sa re-
traite ayant été cernée par des gardes, Chalcedonia.
il se décida à mourir pour ne pas Nas.sete. . . , . . M. P. VII.
tomber entre les mains des Romains. Pandicia . . . . M. P. V||.
Plutarque rapporte qu’il s’empoisonna Puntamus M. P. Xlll.
en buvant du sang de taureau. Cette Libyssa M. P. tX.
croyance, généralement répandue dans Ibi positus est rex Annibaliamis qui
l’antiouité, n’est basée sur aucun fait fuit Afro.um.
réel le sang de taureau n’est pas plus
;
Biuuga M. P. XII.
nialfaisantque celui de tout autre animal. Nicomédia .... M. P. Xlll.
Il faut donc s’en tenir à l’autre version
rapportée egalement par Plutarque que Le Port de Guébizé était autrefois
le général carthaginois mourut en défendu par un château fort de cons-
buvant un poison qu’il portait toujours truction byzantine dont il ne reste
avec lui. Le monument ou plutôt la ue quelques vestiges. Sous le règne
colline qu'on regarde comme le tom- e Soliman le Grand , une mosquée fut
beau d’Anpibal est un tumulus qui est construite à Guébizé par Tchoban Mus-
aujourd’hui couvert de gazon et qui tapha pacha; cette place était au nombre
ns présente au dehors aucune trace des conquêtes du sultan Orkhan.
de construction ; c’est un emplacement En (luittant Guébizé pour suivre la
vierge pour les futurs faiseurs de route de Constantinople, on commence
fouilles. à entrer dans l’interleur du pays ; mais
Pline parle de Libyssa comme d’une on ne perd jamais la mer de vue. Da-
ville qui n’existait plus de son temps (2). ridjé, petit village, est situé sur le ri-
« On y voyait la ville de Libyssa, dont vage; c’était du temps des Byzantins
il ne reste plus que le tombeau d’An- un château fort qui fut pris par Maho-
nibal. » met 11 en 1423. Il y a aussi à Oaridje
Étienne de Byzance (3) ne la cite comme à Taouchandil une source mi-
pas moins comme une ville maritime; nérale qui est fréquentée par les Grecs
tout cela s’explique, attendu qu’elle était comme la première l'est par les Turcs.
très-voisine de la mer. Ptolémée la place Pendik, l’ancienne Pantichium est si-
tuée à six kilomètres de Guébizé et à
(i) Anuibal, in fine; Amjot. égale distance de Kartal ; c’est la pre-
(a) Liv. V, 3a.
(3) V. Libyssa. (ly l.iv. V, ch. I.

uigitized '
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L’UNIVERS.
inière étape après Constantinople. Ici le
selon Pline, éloignée de soivante-deax
rivage est très-accidenté et se découpe
mille cinq cent pas de Nicomédie I).
enuneinflnité de promontoires. On ar- (
Les fondateurs de Byzance ayant été
rive enfln au pied d’une montagne
d’où consulter l’oracle pour lui demander
la vue s’étend sur toute la
capitale; en quel lieu ils devaient fonder
c’est le Maltépé, c’est-à-dire la colline une
ville : Allez, leur répondit-il
du trésor. On raconte que bien des re- , établissez-
vous devant la ville des aveugles. Cette
cherches inutiles ont été faites à sa satyre contre les habitants de Chal-
base pour retrouver des trésors ima- cédoine fut répétée par Mégabyze
ginaires; c’est le point culminant d’une (2)
général perse. Ces gens-là, dit-il,’
petite chaîne de collines qui va aboutir
étaient donc aveugles pour avoir
a la mer. .Maltépé est à seize kilomè- été
choisir un territoire si ingrat lorsqu’ils
tres de Scutari et à douze de
Chalcé- avaient devant eux une contrée si
doine; ce lieu paraît marquer l’empla- ma-
gnifique. Byzance en effet fut
cement de Pélékanon ; mais ce n’est fondée
dix-septans après Chalcédoine.
qu’une conjecture, car il ne reste aucun Sous le règne de Darius Chalcédoine
indice sufQsant pour s'assurer de cette lut souiT)ise ou pouvoir dps
position. Pprs6S.
Pharnabase s’empara de la ville, et après
avoir réduit tous les jeunes gens à l’état
CHAPITRE VI. d eunuques, il hsenvova à Darius.
Polyen raconte la manière dont les
CHALCBDOINE. Perses s’emparèrent de la ville (3). Ils
creusèrent un souterrain de quinze
L’ancienne Chalcédoine est située stades qui avait son entrce sur le
entre Scutari et Kadi-Keui,dans la plaine flanc
dune colline et qui pénétrait sous les
qu’on appelle Dogliandjilar méidani murailles jusqu’à la [ilace du marché.
(la place des Fauconniers). C’est aujour- Une nuit que les assiégés étaient dans
d’hui le champ de manœuvres des Jo plus grande quiétude,
les Perses en-
troupes cantonnées à Scutari. Au fond trerent par le souterrain'et la ville
d’une petite baie formée par la pointe fut
prise.
de Kadi-Keui se trouve le jardin de Pendant la guerre entre les rois Pru-
Haïder Pacha avec une fontaine om- sias et Philippe, les Rhodiens, d’abord
bragée par un magnifique platane. allies des .Etoliens ensuite de Phi-
Dans l’antiquité
cette fontaine portait lippe,s’emparèrent de Lysimachie, ville
le nom de source d’IJerinagoras.
de Troade, ensuite de Cius et enfin de
Kadi Keui, c’est-à-dire le village du Chalcédoine.
juge, s’élève sur l’emplacement de l’an-
Dans la guerre contre Mithridate,
cienne Chalcédoine dont les ruines
celte dernière ville fut prise par le prê-
même ont disparu, et qui ne vit plus que teur Aurélius Cotta,76 ans avant J.-C.
dans les souvenirs historiques.
Lorsque Mithridate devint de nouveau
Chalcédoine fut fondée l’an 1575 maître de la Bithynie, il marcha contre
avant J.-C. par Archlas, qui conduisait
Chalcédoine; Cotta se retira dans la
une colonie de Mégariens. Elle prit son place, et laissa Nudus, le
nom du fleuve Chalcédon, qui arrose la commandant
de la flotte, occuper la plaine devant la
plaine voisine, et qui lui-même tenait
ville.Chassé de cette position, ce der-
son nom soit d’un fils de Saturne, soit nier voulait se retirer vers les portes
du fils du devin Chalcas. Les autres mais dans
;
le tumulte de la retraite, il
traditions découlent probablement de
perdit beaucoup de monde
l’oracle local, qui avait une grande cé- (4).
La garde des portes lit descendre
lébrité. Il était placé dans le temple
d’A- du haut des murailles un panier dans
pollon et n’avait pas moins d’autorité
que l’oracle de Delphes.
(i) Pline, I.V,c. XXXII.
Cette ville reçut aussi les noms
de (a) Hérod., IV, it\.
Procérastis et de Coipusa, sans doute
à (3) Pulyanus, S(ratag., VII,
causede sa position devant la Corne d’or, XI, 5, ap.
Ha m mer.
qui est le golfe de Byzance, Elle
était. (K) Appieii ,
BeU. Mithr.
,

ASIE MINEURE. 73

lequel furent hissés Nudus et quel- nèse et en partie ruinée mais l’invasion
;

ques ofriciers ; le reste fut mis en dé- des Scythes dans le courant du troi-
route. Mithridate, qui ne perdait au- sième siècle, sous le règne de l’em-
cune occasion , vint le même jour se pereur Gallien , porta le comble à ses
placer avec sa flotte devant l’entrée du malheurs; la ville fut entièrement rasée.
ort, brisa les cliatnes qui le fermaient, Constantinople venait à peine d’être
rdla quatre vaisseaux ennemis, amarra fondée, quand les Goths firent une ir-
le reste, au nombre de soixante , à la ruption août lesravage.s furent réparés
suite des siens, tandis queCotta et Nii- par Cornélius Avitus.
diis qui se trouvaient dans la ville ne Dans la vingt et unième année de son
pouvaient opposer aucune résistance; règne, hî 28 juin 320, jour de la Saint-
dans cette action, Mithridate ne perdit Pierre, Constantin lit détruire les tem-
que. peu de monde. ples de Chalcédoine , ou les convertit
Pierre Gilles emprunte à Denys de en églises. L’oracle d’Apollon fut en-
Byzance un récit qui montre à quelles glouti sous les décombres, et le temple
fourberies avaient recours les devins de de Vénus fut transformé en église de
Cbalcédoinepour attirer la foule à leurs Sainte-Euphémie. Cette égli.se était si-
prétendues révélations. tuée dans le faubourg du Chêne (Drys ).
Un faux devin, nommé Alexandre, C’était le plus brillant quartier de
s’étant associé ii Byzance avec un cliro- Chalcédoine ; c’est là que Rufin, le mi-
nographe diffamé nommé Coccouas nistre favori d’Arcadius, possesseur de
avaient remarqué que les trésors pleu- richesses immeii.ses, avait fait construire
vaient dans les temples de Delphes, une splendide villa, qui englobait telle-
Claros, Delos, et que l'art de la divi- ment les constructions environnantes
nation donnait de grands profits; ils que tout le quartier était appelé Rufi-
entreprirent de fonder eux aussi un Dopolis ; elle s’élevait sur la colline qui
oracle. Cocconas préférait Chalcédoine avait favorisé la prise de la ville, par les
comme un lieu fréquenté par les mar- Perses. Ses colonnes de marbre pré-
chands. Alexandre penchait pour une cieux se iniTaient dans les eaux du Bos-
ville de Paphlagonie nommée Aboni phore. L’or et les mosaïques ornaient de
Teichos des murs d'Abon), et son avis somptueux appartements, et Rufin, quoi-
l'emporta. Ils partirentdonc pour Chal- que non baptisé, avait faitbâtirune église
cédoine, et imaginèrent de faire dé- sous l’invocation des apôtres Pierre et
terrer près du temple d'Apollon des Paul. Toutee luxe etec^s démonstrations
tables de bronze [lortant une inscrip- religieuses plaisaient a Théodose, dé-
tion dont le sens était que bientôt Es-
: fenseur ardent de la foi orthodoxe. L'em-
culape avec son père Apollon arriverait pire d’Orient était infecté d’arianisme
dans le royaume de Pont, et s’établirait depuis Valens; les ariens triomphaient;
uuiis la ville d’Aboni Teichos. La fraude le désordre était dans f Église; chaque
fut assez bien concirtée pour que le église avait sa règle, et les evêques se
bruit (le cet événement se répandit lançaient mutuellement des anathèmes.
rapidement dans la Bithynie et arrivât Le polythéisme profitait de ces dissen-
usqu'à la ville, qui s’empressa de faire sions, et les sacrifices païens se multi-
Ilôtirun temple à Apollon. Cocconas pliaient. Rufin, n’étant encore que néo-
resta à Chalcédoine, distribuant les ora- phyte, s’était déclaré avec vigueur pour
cles avec succès. On pense, ajoute le clergé orthodoxe ; mais il ne pouvait
Pierre Gilles, qui rapporte ce fait d’a- rester plus longtemps sans entrer dans
près Lucien, que les tables de bronze le giron de f Église, et le jour où le
trouvées dans les fondations des murs monastère et le temple qu’il avait fait
de Chalcédoine, quand Vnlens les lit bâtir furent achevés, la dédicace en fut
démolir, remontent à cette époque. faite avec une splendeur inusitée, et
Elles contenaient quelques vers hexa- Rufin reçut le baptême le 24 septembre
mètres annom^nt à Byzance des évé- 394. Les evêques furent mandes des di-
nements sinistres. vers diocèses de l’Asie; un concile de
Chalcédoine fut assiégée par Alci- dix-neuf prélats procédas la dédicace et
biade pendant la guerre du Pélopon- au baptême- Les anachorètes de la Thé-

j.git:;sd y VjOOgle
74 l.nUNIVERS
baïdeet de l’ÉgypU* avaient été appelés ; ment en face. L’ensemble des cons-
ils étaient arrivée sons la conduite de tructions se composait de l'église et de
leurs abbés couverts de peaux de chèvres, deux vastes mona.-tères avec des por-
d’autres presque nus, les tdieveux et la tiques et des promenoirs. C’est la qu’en
barbe en désordre ; ils rappelaient les l’année 451 se tint le concile contre
Bosci ou anachorètes broutans, qui vi- l’héresie d’Kutycnès et qui prit son
vaient dans les montagnes de {'.esarée. nom de la ville ou il eut lieu, lliéro-
La cuve baptismale était entourée d'un clès chasse Chalcéeoine parmi les \illes
rideau de pourpre, et Kufin y ilescendit de la PoHlica prima, et lui assigne le
soutenu par Aininonius, le célébré suli- premier rang parmi les évêchés de la
taire du Pont. province.
Trois fois on lui plonttea la tête dans Dans seconde année du règne de
la
l'eau b.iptismale, et au sortir des fonts, Justinien, en 56 , le 21 mars, le général
1

Ainmonius lui donna l'acculade. De ri- sarrasin Almunzar s’empara d'un fau-
ches eulotties (les présents baptismaux) bourg de Cbalcédoine, et le réduisit eu
furent envoyées aux principaux habi- cendres. C'est de ce moment qu'une
tants de Cbalcédoine. (>tte cérémonie croyance s'établit dans Chalcédoiue (|ue
fut illustrée par l'homélie de Gréftoire le vingt et unième jour du mois était
de Nysse, plus que par la pompe théâ- un jour malheureux. On se rappelait
trale qui raccompa<!uait. Ce fut pour de sinistres événements arrivés a cette
ainsi dire le dernier éclat de la splen- même date
deur de Cbalcédoine (I). L'invasion des Perdes suivit à peu
Sur le promontoire Heroeon s'élevait près la même marche que celle des Sar-
un somptueux p.dais qui appartenait rasins ; ils se présentèrent devant Chal-
à Théodose ce ;
lieu était célèbre chez cédoiue, la cinquième année du régné
les Byzantins. C’est de là que Théodose d'Heraclius, eu 715, et comme ils lie
écrivit aux chefs des ariens de Constanti- pouvaient pas s'en rendre maîtres im-
nople, qu’ils eussent à rentrer dans la médiatement, ils laissèrent un corps
commuiiion de Nicée ou à abandonner d’observation, et aniiee d'après ils
I

les églises dont ils étaient en po.sses- l'emportèrent (I). Enfin la ville étant
sion. Une assemblée de ces sectaires tombée entre les mains des Turcs peu
ayant eu lieu, les ariens se soumirent de temps avant la prise de Constanti-
à la sentence de Théodose et quit- nople, ils détruisirent les derniers ves-
tèrent les qu’ils possédaient
édifices tiges de ses riches monuments pour
dans la ville, pour
s’installer dans ceux bâtir dans leur nouvelle capitale des
du faubourg. D’après cette maxime mosquées et des bains. Aujourd'hui on
qu’ils avaient adoptée Si vous êtes per-
: cherche en vain remplacement de ses
sécutés dans une ville, retirez-vous (fans murs et de ses édifices ; n ais la fon-
une autre. taine d'Hermagoras continue de ra-
de .Sainte-Kuphémie. décrite
I.’église fraîchir le sol ; et le petit lleiive Cbaleé-
par Évagrius (2). fondée comme nous don, sous le nom peu poétique de
avons dit par Constantin, était distante Kadi-Keui-Souiou , porte toujours ses
de deux stades { 368 m. )du Bosphore, eaux à la mer après avoir arrosé quel-
sur le penchant d’une colline dépendant ques jardins.
d’un faubourg de Chalcédoiue. On Pierre Gilles vit détruire les derniers
avait voulu que les fidèles qui se ren- vestiges du pàlais de Burin,quifiit plus
daient à l’eglise pussent en même tard occupe par Bélisaire. I,es pierres
_

temps jouir du spectacle de la nature, de taille étaient transportées à (Cons-


du murimire des Ilots et de la verdure tantinople pour construire la mosquée
de la campagne. Son plus bel orne- de Soliman le Grand. Cette destinée
ment, .ajoute l’écrivain, était l’admi- des pierres de Chalcédoiue inspire au
rable tableau que présentait la vue de .savant écrivain de Hammer une triste
Constantinople qui s’élevait directe- monodie dans le genre de celles de Liba-
nius sur IS'icomedie! « Ah si ces pierres
(i) Ailiéd. Thierry, 1860.
(a) Giiliiis, üc H . Turac., lib. Ifl. (() Théupliane, ans 6 et 7 de Uéracliiis.
ASIK MINEURK. 76

pouvaient parler, s'écrie-t-il, elles nous breuses constructions en ornèrent les


rediraient les hymnes chantés dans les abords.
fêtes nocturnes’de Vénus, les psaumes Lorsque les habitants du moderne
qui retentirent dansl’eftlise de Sainte- village de Kadi Keui font quelques
Euphemie; aujourd’hui, au lieu des ex- fouilles pour planter des arbres ou
hortations des Pères de l’Éplise, elles élever quelque muraille il est rare,

n'entendent pins que la voix du mollah qu’ils ne tombent pas sur d'antiques
qui leur crie cinq mis par jour // n'est : fondations. Tous les fragments qu’on a
aanlre Dieu que Dieu, et Mahomet est mis a découvert datent des temps by-
son prophète.... Jusqu’à ce qu'un trem- zantins; il y a longtemps que le dernier
blement de terre ou une révolution vestige de la ville grecque a disparu.
inattendue leur donne une autre desti- Les médaillés qu’on exhume à de rares
nation » ! intervalles sont aussi du bas empire ; il
Les anciens écrivains attestent que est même difUcile de s’en procurer.
les habitants de Chalcédoine ne se dis-
tinguèrent jamais dans les lettres ; mais
LA FONTAINE ZABBTA.
ils s'adonnaient avec ardeur à la pêche
(les thons et des pélamides, et étaient
devenus très-adroits dans l’.irt de fa- y aurait aux environs de Chalcé-
Il

doine une curiosité archéologique et


briquer et de tendre les filets. Les pois- naturelle à rechercher : c’est la fontaine
sons du genre scombre sont en effet Zaréta, citée par plusieurs écrivains
très-nombreux dans le Bosphore ; à anciens et qui nourrissait de petits cro-
certaines saisons ils remontent le cou-
cocliles.
rant pour aller frayer dans la mer
Etienne de Byzance la mentionne en
Noire et redescemient ensuite pour
,
ces termes (I) :’n lly a une fontaine au-
gagner la Méditerranée et continuer dessus delà merde Chalcédoine nourris-
leur pérégrination autour du globe. La
sant de petits crocodiles,» etStrahon(3),
ville de Chalcédoine avait deux ports •• on trouve dans la Bithynie la ville de
formés par deux promontoires ; l'un, Chalcédoine..., le bourg de Chrysopolis
nommé Acritas, portait à son extré- et le temple chalcédonien; au dessus de
mité un temple de Vénus Marine; ces lieux et non loin delà mer la fontaine
l’autre, qui s’appelle aujourd’hui Fa-
Azarétia, qui nourrit de petits croco-
nar bouroun ,
est regardé par Pierre
diles. » D’autres écrivains, notamment
Gilles comme l'ancien Hœreum pio- Siace (3) et Antigonus de Caryste (<),
montorium. Le grand port fut défendu tarlent aussi de ces animaux ; le premier
par un môle, ouvrage du questeur et fes appelle des lézards byzantins ( By-
protcspathaire Eulrope, qui lui donna zantiacos lacertos). C’était sans doute
sou nom. L’autre port plus au nord une espèce de salamandre et non pas
s’ouvrait sur le Bosphore, Justinien y
de lézards (.S), car ces animaux ne vi-
fit taire quelques ouvrages et notam-
vent pas dans l'eau.
ment des casemates pour les barques Le faubourg de Drys à Chalcédoine
que l’on tirait à sec sur le rivage. Cet
avait pris l’accroissement d’une ville ;
usage est encore .suivi à Constanti-
aussi est il désigne par les écrivains du
nople, et ces sortes de remises sont ap-
temps comme une ville et un port de
pelées Ka'ik-Hané, maisonsde bateaux.
mer (6). Cédrénus n’en parle que comme
Justinien lit construire un palais non
d’un faubourg qu’on nommait de son
loin du promontoire Hœreon, nous temps RuHniana. Du temps de N. Ca-
avons dit que Théodose en possédait
liste, il gardait encore le nom de Rufin.
déjà un au même lieu. On y voyait aussi
une église de Saint-Jean ; et comme le
(i) V. Z.nrela.
rivage était couvert de plantes marines,
(a) XII, 5(>3.
on appelaitcette plage Calamotum. Pro-
(3) Liv. 4.
cope nous apprend que par les ordres
(4) Hislor, AJirnh., c«p. i64.
de Justinien un môle, supporté par des (5; yoy. Sirabon, traduction lV..nçaisc,
arcades, fut construit dans le but (le tom. 4 , p. 79.
rendre le grand port plus sôr. De noni- (6) Suci'ül , ffhl, rcclef.t l- VI» ch» *4»

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*

76 L’UNIVERS
Le faubourg de Drye ou du Chéiie avait navires (jui traversaient le Bosphore en
pris son nom d’un chêne gigantesque venant du Pont-Euxin. Une flotte de
qui en faisait l'ornement. On disait alors trente voiles sous deux commandants
le faubourg de Ruphin. veillait à la sûreté du port. 1.106 partie
de ce port fut comblée, lorsque la ville
CHAPITRE VII. de Clialcédoine fut détruite, et l’autre
partie, sous les empereurs byzantin.s,
CHRYSOPOLIS. — SCUTABI. — tlSKU- pour empêcher les barbares d’y trouver
DAH. un refuge. Les derniers vestiges de ce
port disparurent au commencement du
A dix stades environ de Clialcédoine seizième siècle lorsque la lille du sultan
et dans le territoire appelé lilialcedo- Soliman lit bâtir la mosquée qui porte
nia (t) SC trouvait l'arsenal des Clialcé- son nom. Quelle (lue fut son impor-
doniens, qu'on appelait Clirysopolis, et tance commerciale du temps des Grecs,
dont l'cniplaceinent est occupé par la Chrysopolis ne subit aucun accroisse-
ville moderne de Scutari, nomniee tJs- ment pendant le règne des rois de Bi-
kudar par les Turcs. La ville s'élève sur thynie. Strabon ne la mentionne que
une pente douce au pied du mont Roiil- comme un village dépendant de Chal-
gourlou, du haut duquel on jouit du cédoine. Son nom acquit quelque célé-
plus magnilique panorama qu'il soit brité, parce, que c’est dans le voisinage
possible d’imaginer ; en aucun lieu de de Chrysopolis que Licinius fut vaincu
la côte la vue du Bosphore et de Cons- par Constauiin en l’an 324, et la dix-
tantinople ne se développe d’une ma- neuvième année de son règne. Licinius,
nière aussi splendide. prisonnier, fut conduit à Thessalonique,
L’antique tihrysopolis était, sous où il eut la tête tranchée. Le nom de
l’empire des Perses, le lieu où se ver- Scutari, qu’on ne trouve pas dans les
saient les tributs levés sur les peuples auteurs anciens, vient sans doute de ce
delà presqu’île; c’est de laque lui vint que cette ville renfermait un corps des
le nom de la ville d'Or. Etienne de sciitahi, porte-boucliers, equi/es primi
Bvzance, (|ui rapporte les traditions des scularii , créé avec les sagUlarii par
Grecs, nous les montre lidèles à leur ha- l’empereur Valens. Ils précédaient le
bitude de faire dériver tous les noms des corps des seconds scutaireset se trou-
villes et des peuples de quelque héros vaient sous les ordres du maître des mi-
de leur race; selon cet auteur Chry- lices pour l’Orient (1). Selon M. deliam-

ses, lils de Chrvseis et d'Agamemuon, mer, le nom uskudar est perse et cor-
fuyant la persécution d’/Egiste et deCly- respond au mot de astandar, que Xeno-
tPinncstre, se retira en Asie, et mou- phon emploie pour désigner les courriers
rut en ce lieu, où il eut sa sépulture. En impériaux, les angari des Perses.
commémoration de ce fait, la ville fut
appelée Chrysopolis. Quoique le voisi- LES COURUIEHS EN ORIENT UaNS
nage de Byzance ait toujours été un l’antiquité ET DE NOS JOURS.
obstacle à l’accroissement de cette ville,
comme elle se trouve être le point de I,es Perses «avaient établi «à Chryso-
l’Asie le plus avancé du côté (le TEu- polis une station de courriers qui por-
ropc, elle fut toujours un lieu de tran- taient les ordres dans tout l’empire, et
sit assez fréquenté Les Dix mille, après cette institution fut soiuneusemcnt con-
avoir quitté Trêbizonde, s’arrêtèrent servée par l’empire romain. Auguste
pendant sept jours à Chrysopolis pour imita les Perses en établissant une cor-
poration de veredarii ou courriers qui
y vendre leur butin (2). Les Athéniens
s’étant emparés de Chrysopolis, l’en- avaient des stations tous les cinquante
tourèrent d’une muraille, et en tirent milles. Là on trouvait non-seulement des
une place où se versait l’argent prove- chevaux de rechange, mais encore de.s
nant des dîmes perijues sur tous les voitures h deux et à quatre roues qui
pouvaient porter jusqu’à mille livres.
(i) Xéiiopbon, VI, 6, 36.
(«} Xéaoph., I. 6. (i) Notice (Iv l'F.iiipirc, p. Sp.
ASIE MINEURE. 77

Le nombre des animaux, chevaux ou mu- nie (t). Cette institution des angari ou
lets, qui devaient être attelés était fixé des postes publiques commençait à dégé-
par des règlements (1); les voitures à nérer sous l’empire by7.antin,'les auber-
deux roues ne pouvaient porter que cinq gistes, par faveur ou à prix d’argent, ob-
cents; le cheval de poste ne portait tenaient la faculté de servir les cour-
qu’un excédant de trente livres l’été ; riers, et ils louaient leurs chevaux à tout
on attelait huit mules et.l'hiver dix; les venant. Le mauvais entretien des routes
voitures à deux roues étaient attelées de rendait inutile l’emploi des chariots;
trois mules. Valentinien défendit de se le désordre se mettait dans l’adminis-
mettre plus de trois personnes dans ces tration quand les Turcs se sont rendus
dernières voitures (2). Outre ces trans- maîtres du pays. En leur qualité de peu-
ports, il y avait des chevaux de course ples cavaliers et nomades, leurs princes
appelés veredi qui franchissaient ra- n’ont pas laissé tomber en désuétude
pidement de grandes distances (3). La une dans laquelle le cheval
institution
selle et la bride ne devaient pas excéder joue principal rôle. Aux mansiones
le
le poids de soixante livres sous peine r'omaines succédèrent les mensil-bané,
d’amende. Chaque station devait être que le sultan Soliman organisa d’une
garnie de vingt chevaux et jamais elle manière régulière. Lasdiploma délivrés
ne devait être vide. Les patriciens affi- par le préfet du prétoire furent rempla-
chaient un grand luxe dans l’équipage cés par des bouyourdi délivrés par le
de leurs montures ; les mors et souvent pacha, et les agents seuls du gouverne-
les brides étaient dorés ; enfin un vété- ment avaient le droit de se servir des
rinaire payé par la commune était at- chevaux. Mais dans cette institution des
taché à rétablissement. transports, le commerce n’était pas ou-
Chaque année le nombre des chevaux blié; les routes, mal entretenues, il est
était renouvelé par quart, et c’était la vrai, autant par incurie que comme
province qui avait la charge de les rem- question de défense, ne pouvaient plus
placer. Par le moyen de ces courriers, les servir aux voitures, et la rheda des La-
nouvelles se répandaient avec la plus tins , dont les Turcs ont fait le mot
grande célérité ; des esclaves se tenaient nraba, la voiture, finit par devenir en
constamment prêts pour seller les che- Asie un objet de curiosité. Mais en re-
vaux des greniers bien approvbionnés
; vanche ils ont mis un grand soin à fon-
servaient non-seulement aux chevaux de der des établissements magnifiques sous
poste, mais encore aux cavaliers qui le nom de caravanséraî, c’est-à-dire pa-
voyageaient par détachement. Les em- lais des caravanes. Ces établissements
pereurs eux-mêmes faisaient usage de contiennent au rez-de-chaussée de vastes
ce moyen de transport. Titus tomba écuries, des magasins pour les marchan-
malade dans une maison de poste. dises et au premier étage des chambres
Les particuliers pouvaient faire usage pour les voyageurs. Il y a ordinaire-
des postes impériales moyennant une ment une dotation attachée à l’établis-
permission du præfectus prætorio, qui sement pour défrayer le personnel, et les
délivrait des diplômes. Pline, préteur de caravanes sont reçues moyennant une
Bithyuie, parait avoir été tres-diflicile très-minime redevance. Les caravan-
pour délivrer ces permis de poste, et il séraïs sont classés parmi les fondations
écrit à Traian qu’il n’en donne que dans pieuses, comme les fontaines eties hospi-
le cas d’absolue nécessité. Lui-même, ces, et la création d’un tel édificedispense
lorsqu’il parcourait sa province, ne voya- un musulman du voyage de la Mecque.
geait pas à cheval mais dans des voitures Aux angari des Persans, aux cererfa-
;
c’est ainsi qu’il se rendit d'Éphèse à rii des Romains a succédé chez les Turcs
Pergame. Mais ce voyage le fatigua beau- une corporation qui tenait de près à
coup, et il se rembarqua à Pitane, le port celle des janissaires et qui cependant
de Pergame pour se rendre en Bithy- existe encore, c’est le corps des tatars,
qui sont considérés comme courriers du
(i) L.S, G)d. Tli. cabinet pour porter les ordresde la Porte.
(a) L. 19 , 3o, Cod.TlieoJ.
(3) Procop., De Uello Pers., lib. a. (i) Pline, liv. X, Un. XVIII.
7fi L’ÜNIVF.flS.

Non-seulement ils ont le droit de pren- stations étaient sur les sommets Isamo.s,
dre dans cha(|ue mensil liané les che- Ægylos, Manias, Kyrizos, Mokilas (t),
Nuux qui leur sont nécessaires; mais sommet du mont
et la dernière sur le
dans les villages ou même sur les routes Auxent (Boulgourlou), où était le monas-
nul cavalier n'oserait refuser de troquer tère des Acœmites (qui ne dorment. pas).
son cheval contre celui d'un Tatar en Ce dernier point correspondait directe-
mission, quitte à retrouver sa monture ment avec le ^lais. Il est fait mention
dans la maison de poste prochaine. Les de cette télégraphie dans l'histoire by-
tatars sont reconnaissables à leur cos- zantine au sujet de l’empereur Mi-
tume particulier; ils portent un grand chel I|1 en 842. Ce prince, abandonnant
béniche, sorte de robe rouge avec le fez, les soins de l’empire, se livrait avec em-
et tout l'attirail de campagne ne les portement aux jeux du cirque. Un cour-
quitte jamais; nous voulons parler des rier du palais vint au moment des cour-
armes de toute sorte et des accessoires ses lui annoncer que les Sarrasins ve-
de la pipe. naient d’envahir une des provinces de
l’empire. Il lit écarter cet importun et
TÉLÉGnAPniE CHEZ LES BVZANTI.XS. ordonna d'éteindre les feux qui dans les
temfis d'alarme avertissaient tous les
Indépendeminent de cette transmis- pays situés entre Constantinople et Tar-
sion terrestre des ordres impériaux, les sus (2).
souverains de iSyzance avaient établi Le promontoire de Scutari forme la
une ligne de télégraphie aérienne véritable limite entre le Bosphore et la
nocturne entre Tarsus et la vdle de Propoiitide; c’est à cette place que, se-
Sciitari. La première station était placée lon la tradition des Grecs, la vache lo
sur le mont lioulgourlou Ce système de aurait traversé la mer; aussi le cap de
signaux correspondait avec Constanti- Scutari était-il appelé Damalis ou le cap
nople, soit à la tour des vedettes (t), de la Vache. Si l’on veut chercher une
soit à la tour du centenier voisine du source historique à ce nom de Damalis,
palais. L’invention de ces signaux re- il faut franchir plusieurs siècles et ar-
monte aux plus anciens temps histori- river à l’époque d’Alexandre. Philippe
ques. I.a prise de Troie fut annoncée à de Macédoine assiégeait Byzance qui
,
la Grèce' par des signaux nocturnes qui était défendu par Charès, général athé-
se répétèrent de proche en proche sur nien. Sa femme Damalis étant morte
les sommets de toutes les montagnes (2). pendant le siège, les Byzantins, pour
Les Gaulois connaissaient le même reconnaître le.-- services que leur avait
moyen de correspondance; mais l’or- rendus Charès, élevèrent un tombeau à
ganisation régulière des signaux télé- Damalis sur le cap de Scutari et dres-
graphiques ne date oue du neuvième sèrent une colonne portant la ligure em-
siècle de notre ère. Ils furent perfec- blématique d’une vache (3).
tionnés sous le règne de Théophile par Scutari est du petit nombre des villes
Léon le Philosophe, évêque de Thessa- d’ Asie qui n’ont pas vu leur prospérité
lonique. I.a nécessité de connaître les déchoir avec la domination musul-
mouvements des Sarrasin^ avait fait or- mane. Faubourg de Constantinople
ganiser ce service les feux étaient dis- coinme elle l'était de Chalcédoine, c’est
^
posés de manière a former des chiffres toujours le lieu de casernement des
qui correspondaient à des phrases; huit principales troupes réunies autour de
stations étaient établies entre Tarsus et la capitale, et de magniliques casernes,
la capitale. La première à Kola dans qui s'augmentent tous les jours, peuvent
le voisinage de Tarsus (saus doute recevoir des corps d’artillerie et de ca-
Kulek-Boghaz )(3), une seconde sur les valerie.
du mont .'\rgce(4i. I.es autre-
hniiteiirs Autant par esprit de religion que
(i) Coliorles vigiliiim.
(i) Ksdiyle, /1j>omemiion, v. aSi, i85. (i) Aujourd’hui inconnu.!.
(3) Voyez page 3i. (») Cibboii, régné de Michel.
(4) Cüiitimialor Tlu'ophanis, IV, § 35, ap (3) Codin d’après Deiiys de ltyzance(Ua-
Hauinier, loc. cil. malis).
ASIE MINEURE. 79

pour plaire aux troupes cantonnées h .àla vie civile, n’en sont pas moins regar-

Sciitari, la plupart des sultans ont con- dés commedes fondations pieuses. Nous
tribué à embellir Suulari de plusieurs voulons parler des bains et descaravan-
monuments remarquables ; les lontaines serais. Ces derniers édifices sont dignes

y sont décorées avec gortt et de nom- d’une ville qui est la première place :1e
breuses mosquées rompent, par la forme transit entre l’Asie et l’Europe, ils sont
«légante de leurs coupoles et la multi- nombreux et largement installés. Ou
plicité de leurs minarets, l’uniformité est toujours certain d’y rencotitrer des
des lignes du paysage. Moins voisine de caravaneurs arméniens pour des voyages
Coustaniinople, Sciitari passerait pour de long cours; ils sont aussi disposes à
une ville remarquable. partir pour la Perse et l’Afganisian que
pour Its environs de Smyrne mais
;

MOSQUÉE BU SULTAN SOLIMAN. pour tout ce qui concerne l’equipement


du voyage, c’est à Constantinople seule-
Le sultan Soliman, de Sclim, fit
fils ment qu’on peut se les procurer.
bâtir en 1.547, en l’honneur de sa fille La ville de Scutari est entourée d’un
Mihrma sultane, une. mosquée qui est immense champ des morts planté de cy-
restée la plus belle de la ville. Elle e.st près séculaires, qui font de ce lieu un
située au bord de la mer ; les nombreuses des sites les plus remarquables des en-
coupoles de son avant-cour (harem) virons de la capitale. Il n’y a pas en
sont couvertes de plomb et soutenues Asie d’autres jardins publics que les ci-
par des colonnes de marbre. metières. Ce sont des lieux de prome-
I.a mosquée bâtie par la mère du sul- nade aussi bien que de recueillement. La
tan Mahomet lit est située dans la par- mort n’est nas envisagée, parles niu.^ul-
tie sud de la ville; elle fut bâtie en mans sous le même point de vue que par
1597, et est imitée d’une église gn cque leschrétiens,et ridéed’uneautrevie leur
de Constantinople qu'on appelle Kilicé- cause plutôt un sentiment de quiétude
IJjami-si. La grande coupole est entou- que de tristesse. La terre d’Asie étant
rée. de six autres demi-coupoles dispo- la patrie commune de tous les Osman-
sées en polygone et quatre autres s'élè- lis, les principaux habitants de Cous- '

vent dans les (juatre angles. Cet édili e t.'intino|ile attachent un certain prix à
est situé sur une éminence non loin dti l’idée d’aller reposer où re|K)sent leurs
inarclié aux chevaux (at bazari) et do- ancêtres, et font transporter leur dé-
mine presque toute la ville. pouille mortelle à .Sculari. Cependant
Différentes sultan<s et princesses ont le grand cimetière n’est pas décoré de
suivi le même exemple et ont orné la monuments somptueux, de chapelles
ville de Sculari d’éiiilices religieux, de sépulcrales ou Turhéh, comme on en
tekkès ou couvents de derviches et voit un grand nombre à Constantinople.
d’hospices pour les pauvres. Tous ces Autrefois la dignité du mort était indi-
monuments ont été bâtis à une époque quée sur sa tombe par la forme du tur-
où l’architecture turque abandonnait ban qui couronnait la pierre tumulaire;
l’ecole arabe, dont elle avait été un re- aujourd’hui c’est le simple fez qui in-
flet original, pour se jeter dans l’archi- dique la sépulture des grands comme
tecture bâtarde qui n’est ni musulm.tne des marchands. Les tombeaux des fem-
ni chrétienne. La mosquée de Sélim III mes sont décorés d’une simple inscrip-
en est un exemple déplorable. Quoique tion au milieu de laquelle est sculpté
bâtie eu marbre et décorée avec un cer- un cyprès la tête penchée ; c’est le sym-
tain luxe, on ne trouve ni dans son en- bole de l'âme qui s’est envolée au ciel.
semble ni dans les details de ses. orne' Une fois le mort déposé dans la tombe,
ments rien qui rappelle plutôt l’orient la famille vient quelquefois rendre vi-
que l’occident; c’e.stun style qui n’a pas site a la sépulture ; mais le tombeau
même pour lui l’originalité de la bar- reste sans gardien sous la protection
barie. Les princes musulmans qui ont de la piété publique, sans que jamais on
doté la ville de Scutari de tant de mo- songe à sa réparation ou à son entre-
numents religieux n’ont pas oublié d’y tien. Aussi quoique le cimetière de Scu-
joindre ceux qui, bien que se rapportant tari date de rétablissement des Turcs
80 I/UNIVF.RS.

à Constantinople, on y découvre à L’ancienne tour était un ouvrage de l’em-


peine un seul tombeau qui remonte au pereur Manuel ; c’est en ce pointqu’était
delà d’un siècle. Les nombreuses ins- attachée la grande chaîne qui fermait
criptions peuvent cependant offrir quel- l’entrée du Bosphore et dont l'autre ex-
que intérêt à l’orientaliste; il y trouvera trémité était reliée au continent d’Eu-
toujours le sentiment religieux exprimé rope. L’ancienne tour, dont il reste
sans emphase, et quelquefois des ex- quelques dessins, était un bâtiment mas-
traits des poètes persans ou arabes les sif, couronné de créneaux et couvert par

plus aimés des musulmans. un toit pyramidal. Une jetée sous-ma-


Le mont Boulgourlou est l’ancien rine reliait cet écueil au continent d’A-
Damatrys ; les environs étaient couverts sie. L’édifice byzantin que P. Gilles a

de jardins et de maisons de plaisance. vu et décrit a été démoli au commen-


L’Anonyme de Constantinople, dans sa cement de ce siècle, et remplacé par un
nomenclature des palais et des monas- iavillon dans le godt moderne et dont
tères construits au oclà du Bosphore ( ), 1 fa coupole est surmontée d’un fanal.

cite le palais de Bryas , ainsi nommé, Il est entouré de quelques corps de

dit-il, parce que le dernier des empe- garde où stationne un poste. Déjà du
reurs byzantins, fuyant sa capitale pour temps de P. Gilles on croyait que l’in-
se retirera Jérusalem, pourra dans son térieur de ce petit fort était alimenté
palais de Bryas entendre les cris de dé- par une source d’eau vive; mais il est
sespoir des habitants. constant qu’il n’y a qu’une citerne qui
Il fut construit par les empereurs Ti- reçoit les eaux pluviales. Les Turcs ra-
bère et Maurice, qui bâtirent aussi le content au sujet du nom de l’édifice,
palais de Damatrys, où se trouvait le la Tour de la Fille, une histoire roma-
boisdeConsiantin l’Aveugle, fils d’Irène. nesque d’une princesse qui y fut déte-
Le port d’Eutrope, ainsi nommé du nue; c’est sans doute ce conte qui a
protospaihaire de l’empereur Constan- motivé de la part des Européens le nom
tin, qui le lit construire, était voisin de de Tour de Léandre, quoiqu’elle n’ait
ces lieux. rien de commun avec l’événement poé-
Les princes byzantins avaient pris les tique dont .Sestos fut le théâtre.
mœurs des Orientaux avec lesquels
ils étaient en communication constante, CHAPITRE VIII.
et le goût des jardins appelés Paradis
chez les Perses, s’était introduit chez les LES ILES DES PRINCES. DAIHONISI.
Grecs; ils étaient établis de préférence
sur la côte d’Asie ; le palais de Damatrys Les Iles des Princes forment un pe-
était entouré d’un vaste parc rempli de tit archipel peu éloigné de la côte de
gibier, où les empereurs et les princes Bithynie et à l’entrée du golfe de Nico-
leurs allaient se livrer à l’exercicede
fils médie ; les Grecs les appelaient Daimo-
la chasse. Tous ces palais ont disparu ; nisi (les Iles des Génies). Il est assez
mais les fontaines qui les arrosaient cir- difficile d’identifier avec les noms mo-
culent encore au milieu des jardins des dernes les nombreuses îlesqui sont men-
Turcs. tionnées par Pline (I) sur toute la sur-
face de la Propontide ; nous ne pouvons
LA TOUR DE LÉANDRE. reconnaître que l’île Proconnèse ou de
Marmara, l’MedeBesbicusouCalolimno,
A quelques encablures du rivage, et legroupe des Iles des Princes. Ces
dans voisinage de Scutari, s’élève une
le dernières sont mentionnées sous les
tour de construction moderne, que les noms suivants: Élée, les deux Rliodusse,
Turcs appellent Kiz-Koulé-si (la Tour de Érébinthe , Mégalé, Chalcite et Pityode.
la Fille), et qui est connue des Européens Le caractère de chacune de ces îles,
sous le nom de Tour de Léandre. Elle leur position respective, permettent de
est bâtie sur un écueil à fleur d’eau. se reconnaître dans cette sèche nomen-
clature.
(i) Anonyoïi, Pais lit, liv. III, p. 5g,
ap Kaiuliii'i. (i) Pline, liv. V, ch. XXXII.
ASIE MINEUSE. SI

Comme ces Iles sont nommées, d'a- Les des Princes > furent ainsi
lies >
près leur position à l’égard de Chalcé- nommées par les Byzantins, parce que
doine, Élée s’identifie arec Proté ou la durant toute la pénode de cet empire
première. Étienne de Byzance (I) cite elles furent couvertes d'églises et de mo-
ce passage d’Artémidore. * En partant nastères qui servirent de lieux de re-
du cap Acritas , après avoir navigué traite forcée ou volontaire à un grand
cent dix stades (2), on arrive au cap nombre de princes détrônés ou chassés
Hyris. Il y a dans ce voisinage l'ile Pi- de la cour.
tyode, une autre Ile nommée Chalcitis,
célèbre par ses mines de cuivre, et une PBOTK.
autre tie nommée Prota; de là à la ville
de Chalcitis
y
il a quarante stades ( sept . L’empereur Romain Diogène, qui fut
kilomètres et demi). Les deux Rhodusse prisonnier de Alp-Arsl.in, recouvra sa
sont aujourd'hui Rhobito et Anti- liberté moyennant trois cent soixante
Rhobito, très-voisines l’une de l’autre; mille pièces d’or, pour venir expirer
Chalcitis n’a pas changé de nom ; c’est comme prisonnier religieux dans un
l’île de Chalki. Pityode est Pita; Eré- mon.Tstère de l’tle de Proté, qu’il avait
binthe est alors Antigone ; car l'ile de fondé (I). Cent trente ans auparavant
Megalé, la plus grande de toutes, est cer- l'empereur Romain P'' avait éprouvé
tainement l’ile du Prince, qui a donné un sort semblable. Renfermé par ses
son nom à tout le groupe. La distance fils dans un monastère, il y unit ses
donnée par Artémidore sert à fixer les Jours.
positions du cap Acritas, qu'il faut Le plus ancien cloître de l’ile de
placer dans le voisinage de Scutari. > Proté uit bâti dans la première année
Les noms turcs diffèrent complète- du neuvième siècle ; c’était une prison
ment de ceux donnés par les Grecs ; les d’État aussi bien qu’une maison reli-
difQcnItés que nous avons signalées gieuse, et chaque révolution accomplie
pour la nomenclature des fleuves et des dans Constantinople fournissait un
montagnes se retrouvent encore dans contingent au personnel des moines du
celles des villes. Il en est plusieurs qui, couvent. Les successeurs de Nicéphore
même aujourd’hui, portent plusieurs furent rasé.s et renfermés dans le cou-
noms, les uns turcs, les autres grecs, et vent de cette lie ; il arrivait quelquefois
d’autres donnés par les marins étran- que ceux des reclus qui n'avaient pas eu
ers. L’archipel des Princes est connu les yeux crevés ou arrachés trouvaient
es Turcs sous le nom de Kizil Adalar moyen, à l’occasion de quelque révolu-
(les lies Bouges). Cest aussi le nom de tion de palais, de jeter de coté la haire
l’ile Prinkipo, la plus grande du groupe. pour reprendre la cuirasse.
Elles doivent donc être classées d'après
la nomenclature suivante (3) : ÀIVTIOONE.

PaoTX. ProU. Kinali ada si. Du temps des empereurs byzantins


Stiu •i|nlft<*atioti,
Antigone avait rem le nom de Panor-
SIeCALé. Prinkipo. Kizil ada si.
Lllr Rou|«. mus; on y avait bâti un château formi-
Erebentdi'S. Antigone. Bogbazii ada si. dable dont l’anonyme de Constantino-
1/lIr du Détroit.
ple (2) fait une description romanesque
Chalcitis. Chalki. Heibeli ada si.
L*llf RéiiBèé.
de laquelle il ressort que Cbosroës as-
RiiODcssF.1'*. Rhobito. Taoochaaadaal. siégea cette place avant d’attaquer Chal-
L'ile dfs Lfèvrrt. cédoine. Outre ses hautes murailles, le
RiioduueII*. Anii Rhohilo. Sadefadati. château était protégé par un buste de
L'ilcdMCoquilIrt.
femme à deux têtes qui était placé dans
la tour du nord au-dessus de la porte
(i) V. Cbalritia.
( 9 ) Vingt kiloiDètrea. (i) Voyez Hammer, ComtantinopoUs und
(3) I/C premier nom est en romain, le se- der RosidioroSf |». 36i. Brunet de Preale,
cond en giec modei-ne, le truisieme en J.a drece, p. 109.
turc. (ï) Anonyme de C. P., li». V, p. 83

Uvraiton. (Asm Mikbure.) T. II. ®


83 L’UNIVERS.
d’entrée. Le feu ayant été mis au châ- la Vierge et le troisième dédié à la sainte
teau, et toute la place réduite en cen- Trinité,où l’on est conduit par une allée
dres, la tour seule subsistait encore de cyprès séculaires.
grâce à la vertu de la statue bicéphale
qui écartait les flammes de quinze au- PRINKIPO.
nes des murailles. Chosroès einpcrta
cette statue en Perse, où elle fut I objet Il
y a toute apparence que l'Ile ap-
d’un culte. pelée aujourd’hui Prinki^ doit être
Les ruines du château de Panorinus identifiée avec celle que Pline appelle
existent encore au bord de la mer près Mégalé ;
c’est la plus considérable du
du port on les appelle Bourphaz; les
',
groupe. Les Turcs lui donnent le nom
ruines de citernes et de murailles que de Kizil ada si, c’est-à-dire l’île Rouge,
l’on découvre au sommet de la colline à cause de la couleur de ses monta-
appartiennent au monastère, prison d’Ë- gnes. Chalki et Prinkipo sont placées
tat dont il est souvent fait mention. vis-à-vis l’une de l’autre et ne sont sé-
C'est là que Méthodius, avant d’être parées que par un étroit canal. Son
élevé au patriarcat de Constantinople, étendue ne dépasse pas cinq kilomè-
.souffrit un long et cruel supplice. Ren- tres ; elle est allongée dans la direction
fermé dans un cachot obscur avec deux nord-est sud-ouest, et traversée par une
brigands, l’un d’eux vint à mourir, et ligne de petites collines.
on laissa le cadavre infect avec le pri- La nature du sol est calcaire et
sonnier. Ce supplice dura sept ans, a la quartzeuse ; elle renferme des traces de
suite desquels Méthodius fut tiré de sa fer oxydé. A la pointe nord est situé
prison par Michel, fils de Théophile, et le grand village qui porte le même
nommé patriarche. nom que l’Ile ;
il renferme trois monas-
tères ;
l’un bâti dans la plaine et deux
CH.XLCITIS . autres sur une colline. Le village est
entouré de vergers, d’oliviers, et de ri-
Chalcitis prit son nom des anciennes ches cultures ; les bois de cyprès et d’ar-
mines de cuivre qu'on y exploitait ; on bres fruitiers donnent à ce petit coin de
reconnaît encore quelques traces des an- nie un aspect de fraîcheur bien rare
ciens travaux dans les environs du port. aux environs de la capitale. Du côté du
Elle est couverte d'une magniDque végé- nord on trouve au contraire une con-
tation, abondamment arrosée, et s’élève trée sauvage et aride qui contraste avec
comme un cônede verdure au milieu du la fertilité des jardins du village. Il ne
groupe d’iles dont elle fait presque le reste en fait dfe ruines des anciennes
centre constructions byzantines que quelques
Elle parait avoir été dès les plus anciens pans de murailles ayant appartenu à
temps un séjour de paix et de tranquil- des monastères.
lité , étrangère a toutes les catastrophes A la pointe sud de I1le se trouve le
nolitiqiies qui retentissaient dans les monastère de Saint-Georges. Du haut de
Iles voisines. Le cuivre de ses mines la colline voisine on jouit du magnifique
était d.s plus estimés et était surtout panorama de toute l'Ile. Deux belles
employé pour fabriquer les statues des sources ombragées par des platanes con-
dieux. C’est de l’airain de Chalcitis lent non loin du chemin ; c'est le lieu de
qu’avait été faite la statue d’Apollon à rendez-vous des habitants de Constan-
Sicyone. I.’lle produisait outre le cuivre tinople, principalement des Grecs qui
du lapis lazuli et du borax ou chryso- s’y rendent le dimanche en caïk.
colle. Ari.stoie lui-même mentionne ces Une si heureuse situation fut appré-
Iles comme dignes de remarque. L’Ile ciée par les princes byzantins qui éle-
entière affecte la forme triangulaire ; vèrent à l’envi des villas et des monas-
vuedii râlé du sud, elle se présentesous tères dans les vallées de l’Ile. Justinien
la forme d’un cône unique ; mais vue y fit bâtir un palais dont les ruines sont
en travers ou y découvre, trois sommels peut-être celles que l’on observe près
couronnés toiis trois par des monas- du couvent de Saint-Nicolas, et c’est
tères, celui de Saint-Georges, celui de sans doute du règne de cet empereur
.

ASIE MINEURE 83

que Mégalé a pris le uom de l’üe du de Satyrus fut cpnstruit par le patriar-
Priuce (I). Otte île fut, comme les au- che Ignatius.
tres, le théâtre de ces revers de for- La petite île d’Oxeia est voisine de
tune si communs au moment de la Platée. Sou nom, quisjgnilie, rude âpre,
chute de Byzance, et il semblait que est bien d’accord avec son aspect désolé.
les princes et les impératrices ne fissent Les autres ne soutque di s rochers
îlots,
bâtir des monastères que dans la pré- où séjournent pendant la belle saison
vision de leur chute. L’impératrice Irène, quelques familles de pêcheui;s.
dont le règne jeta un si vif éclat, ter-
mina ses Jours dans un monastère de CHAPITRE IX.
Prinkipo, et l’impératrice Zoé, forcée de
prendre le voile, fut uu moment ren- PABAGES UE LA MER NOIRE. LE MORT
fermée dans cette île par Michel Cala- GÉANT.
fate. Mais elle en sortit bientôt pour
remontersur le trône. L'usurpateur fut La montagne située sur la côte d’Asie
privé de la vue et renfermé à son tour immédiatement en face du golfe de
dans le monastère de Sergius. Buyukdéré est connue de tous les navi-
Aujourd'hui ce petit archipel a perdu
g iteurs qui traversent le Bosphore. Les
tonte son importance stratégique au Turcs lui donnent ie nom de Yorus
point de vue de l’attaque et de la dé- dagh on l’appelle aussi quelquefois
;

fense de la capitale; mais à l’époque .luschadagh (la montagne de Josué). Les


byzantine il vit plus d'une fois les flot- indigènes prétendent que c’est là que
tes des Perses et des Turcs se glisser au fut enterré le prophète des Hébreux. Au
milieu du dédale des îles pour fondre haut de la iiiootagne on trouve une en-
sur Constantinople. ceinte carrée, ^entourée d’uu mur de
L’île de Platée est tout à fait nue et pierres sèches. Ce lieu correspond au
désolée ; elle servit de lieu d’exil à Mi- .siteappelé le lit d’Heroule. Un mara-
chel Rhangabé, qui, su commencement bout avec quelques arbustes auxquels
du neuvième siècle, y fut renfermé dans sont suspendus des chiffons marquent
un monastère et forcé de prendre la le degré de superstition que les indi-
tonsure avec son fils. Il y vécut encore gènes ont au sujet de certaines pierres
trente-deux ans sous le nom d’Athanase. ou de certains arbres ; cette oroyange
Ses deux fils, dans la fleur de l’âge, fu- des musulmans répandue sur, touf^ la
rent privés de leur virilité; le premier, terre de l’islam mérite quelques dévelop-
Rustratius, mourut peu de temps après, pements que nous donnerons en parlant
et fut enterré du côté gauche de l’église, des lieux de pèlerinages célèbres.
et le tombeau du père fut placé à droite.
Le second fils, Ignatius. arriva à la di-
LE TEMPLE DE JUPITBB LtHIOS,.
gnité de patriarche et devint le fonda-
teur du monastère de Satyrus, qui fut temple fut bâti parPhryxus. Il était
bâti sur le mont Maltépé; c’est là qu’il situé a l'entrée du Bosphore, dans la par-
eut sa sépulture. tie la plus étroite du canal, au poipt qù
A cinq kilomètres de Pandik, sur la la chaîne deTOlympe Mysien vient ren-
route de Chalcédoine et à douze kilo- contrerîe rivage'; cet endroit fut.dès les
mètres de Scutari, se trouve le port de temps' les plusreeutésregar^ pqmmt; le
Kartal dans le voisinage duquel s'élevait plus important peur la défense de la «Ote
le palais de Bryas et le monastère Sa-
d'Asie; et dans lèa derniers siè les il
tyrus ; ils se trouvaient entre le port et devint la possession des Génois qui y bâ-
le mont Maltépé qui en est peu éloigné. tirent un cliâteau aujourd'hui eu ruines,
On y voit en effet quelques ruines qui mais qui porte encore le nom de Djiné-
ont pu appartenir à un ;ialais. Le palais vise kalé si (le diâteau génois), .Ce lieu
de Bryas fut construit par les empe- est généralement désigne par les auteurs
reurs Maurice et Tibère ; le monastère anciens sous le nom de Uiéron ou de
temple de Jupiter. Jason, à son retour
aux
(i) Hamnier, CoiislaiilinopoVu und du (le lâiGolcbidq,
y i^Dsacra un autel
limpltoroij I. II, I-Iî. nT-.ff(,*i;i(M douze dieux : les navigateurs du Pnnt-
6.
L’UNIVERS.
64
piler les Grecs étaient supérieurs aux
Euxin étaient dan* l’asage d'y consa- ;

l.a po^se!>slon de ce
barbares ; mais ils s’enfuirent à l'arrivée
crer des iifliamles.
luuBtemps un ohjel de con- des Goths et livrèrent Chalcédoine qui
territoire fut
ha- fut mise au pillage.
testation entre les Byzantins et les
La première apparition des Russes
bitants de Clialeédoine. Prusias finit par
mais dans le Bosphore eut lieu en 866 ; ils s’a-
S eu rendre maître et s'y forlifla;
le rendre aux Byzan- vancèrent jusqu'au Hiéron. Us revin-
il fut contraint de
avait en- rent une seconde fois en 94î, dans la
tins avec tmi* les objets qu’il
tuiles , et vingt-troisième année du règne de l'em-
levés du temple , les bois , les
pereur Romanus , brûlèrent Sténia_, la
les caissons.
tradition conservée par hotte grecque, et s’emparèrent de Hié-
**D^'nrès*ia
ron;enliniisarriveTent jusqu a Byzance.
Diodore de Sicile, les Argonautes re- S em-
Galsia, s cm-
J- Âiaitt arrivés h Génois. maîtres de Galata,
I .es Génois,
V 6 n 9 fit d6 Colchos , éisnt 8rri\és ô
l.es
parèrent du Hiéron, et y construisirent
remboucbure du Bosphore, y sacrifiè- encore aujour-
le château dont on voit
rent aux douze dieux. Le temple
pa-
consacré a Jupiter d'hui les ruines. L’écusson de la répu-
rait avoir alors été
blique de Gênes subsiste au-dessus de
la
l’autre dieu
et à Neptune; car l’un et
porte d’entrée.
étaient honorés dans l'Hiéron du Bos- em-
phore (IJ. Pausanias.vainqueurdeMar- Au delà de ce château jusqu a I

bouchure de la mer Noire, il y avait


donius à Platée, consacra une coupe
ele- plusieurs antres places qui ne sont plus
d’airain à Neptune Sauveur, et nt
connues que de nom; mais que P* Gil-
ver une statue à ce dieu avec le con-
d'après Denys de Bvzauoe, place
cours des habitants de Chalcédoine. les,

Cicéron fait mention d'une statue


de dans l'ordre suivant : Chelæ, c est-à-dire
les échellt^s qui sont situées entre le^ fa-
Jupiter Urius qui existait égalementdaus aujourd’hui
nmn Jovis et Pantichium ;
ce lieu sacré.
ce lieu est complètement sauvage
. et
Pieire. Gilles décrit ainsi le
château
désert, les monUgnes couvertes de
ver-
fort tel qu’il existait de son
temps; les
Grecs lui donmnt encore le nom de dure descendent jusque dans la mer.
un petit fort défendu aussi Paniichium, différent de celui qui
Iliéron. C’est
placé était sur le golfe d'Astacus, est ainsi
bien par la nature que par art, I

du pro- nommé des fortifications qui l’entou-


sur la pointe la plus avancée aujourd’hui le
montoire qui est formé de plusieurs raient. Le cap Coracium,
par des vallées boi- fort Poinis, est entouré de rochers «n-
éminences, séparées de
restait encore à cette époque des où les corbeaux ont I habitude
sées. âi
•rca. Il
*_
-
/J-t»
AfltKnUP
niiAlniiPv débris des anciens éaitices
^

venir nicher;
fjn:iici c’est à cause de ce
,
-- fait —
que les Grecs lui ont donné le
nom de
composés de grondes pierres de. taille
que les'furcs enlevaient pour les porter cap a.
fl roiistanlinonle. Après ce cap vient la tour de «édée
Mcaee
qui se présente sous la forme d un ro-
Ce remnart de Bvzance ne put arrê-
ter^esŒnns de^ barbares.*^ En 248 Sher arîondi et dans le vo.|upage sont
une descente les Cyanées d Asie
de J -C. les llérules firent
au moyen d’une Botte de cinq
cents , senter l’avpect singulier
jaaïuuca, et vinrent
barques, assiéger Glirysopo- •
d’Europe. Strabon esUme à vingt stades
. v_ ^1.^* nAoevl ilc lu-
naval ils fil. distance entre ces deux écueils.
lis; mais après un combat
la

rent obligés de battre en retraite


jus- Vient ensuite le promontoire Ancy-
en ræum où Jasonprit une ancre de pierre
qu’au Iliéron. Vers la même époque,
en Bt- abandonna plus tard. On arrive
268, les Goths firent une invasion qu’il

thynieel ravagèrentle paysjusqu'a


Nieo- enGn au fleuve Rhebas dont l’embou-
s’emparèrent du fort de Hié- chure est située à quatre-vingt-dix sta-
médie ; ils
Une des du Hiéron ce cours d’eau forme la
ron où ils déposèrent leur butin. ;

les limite de la presqu’île des


Thyniens , et
garnison de Chalcédoine gardait
abords du château et du temple de Ju- marque , selon les Byzantins , l entrée
du Bosphore. Il porte encore le nom
de
a
Thneico, liv. UI. Riva ; un petit fort ou kavak est bâti
(i) P. Gille», Je Bosph.
l’embouchure pour surveiller les côtes.
ch. V.
ASIE MINEURE. SS

CHAPITRE X. que confirmer son opinion. Quelques


restes d’antiquité prouvent qu’en effet
ROnOBIADB. DUSÆ PBOS OLYMPUH. ce village est situé sur une station an-
PBUSB SDB L’HVPIUS. tique. En continuant vers l’est, on ar-
rive au bord d’une petite rivière nom-
Dans le principe, le cours du Sanga- mée Milan sou, qui n’est autre que le
rius formait la frontière orientale de la fleuve Hypius, dont lecours n’a pas une
Bithynie; mais le roi Prusias, s'étant grande etendue. Il se jette dans la mer
emparé de la côted’Héraclée, annexa tout à cent quatre vingts stades de l’embou-
ce territoire à ses États et en porta la chure du Sangarius. On ne peut douter
frontière jusqu'à cette dernière ville (I). qu’il ne soit identii|ue avec la rivière
Voilà pourquoi dans la même page du nommée Milan tchaï par les Turcs.
géu::raphe grec on trouve deux limites Dans l'antiquité l’embouchure de l’Hy-
différentes assignées à ce royaume. pius offraitun assez bon mouillage aux
Nous avons dit oue la province d'Uo- navires, et la flotte de Miihridate y
noriade fut détachée de la Bithynie par trouva un refuge momentané pendant
l’empereur Théodose qui voulut créer uue violente tempête.
«n nouveau département de l’empire en I.a rivière prend sa source dans les
riionneur de son oncle Honorius. Toute montagnes voisines de Boli,qui sont ap-
cette contrée fut dans l’origine détachée pelées indistinctement mont Liperus et
de la Paphlagonie, et cette dernière mont Hypius (t). Elle traverse un petit
province rétmie au royaume de Pont lac, et après avoir contourné une colline
n'eut plus même d'administration par- boisée, vasejeterà la mer après un cours
ticulière. La province de l’Hononade de trentre kilomètres environ. Tout ce
est portée dans le synecdème de Hiéro- territoire fut conquis sur les Maryandi-
clès comme contenant six villes Prusias, : niens par lesBebryces, qui .s’avancèrent
Héraclée, Tium, Claudiopolis, Hadria- jusqu'au fleuve Hypius, et l’on bâtit en
nopolis et Cratia. Les trois premières ce heu une ville qui fut nommée Hy-
sur la côte, les trois autres dans l’inté- pia (
2 ).
rieur des teries. Les noms d’Héraciée La dynastie des Prusias regardait
(Heraclea Pontica) et de Tium sont trop comme uue gloire d'attacher à la fon-
intimement liés à l'histoire du royaume dation d’une ville un nom qui devait
de Pont pour en être détachés; nous rester à jamais célèbre. Aprèsdeux vil-
nous occuperons de l’histoire de ces les de Pruse fondées l’une au pied de
villes quand nous étudierons cet ancien l’Olympe et l'autre au bord de la mer,
royaume. Prusias IV voidiit créer une ville de son
DLSTCHÉ. nom dans la prorinee qu’il avait récem-
ment conoiiise et fut le foudateur de
Après avoir, franchi le Sangarius, Prose sur (’llypius, épithète qui lui fut
ou arrive au village de Tchandak où donnée pour la distinguer des autres
se trouve une maison de poste. On villes du même nom. Comme les histo-
rencontre çà et là quelques vestiges riens ne font plus aucune mention de la
d'autiquité qui prouvent qu’on se tient ville d’Hypia, il est à croireque le nom
toujour-i sur grande voie romaine
la de Pruse fut donné à cette ville d'Hy-
qui conduisait dans l'est; on traverse pia et qu’on créa Prusa ad Hypium.
ensuite une plaine découverte et assez Cette ville est connue par ses méitiailles;
bien cultivée, et l’on arrive au village elle est mentionnée par Ptolémée, et un
de Dustché, dont le nom rappelle celui de ses évê tues, nommé Hesychius de
de Dusse Pros Olyuipum, petite ville Pruse siirl'Hypius, faisait partiedu con-
plus connue par les cartes itinéraires cile de Nicée.
que par l’histoire. Otter, dans ses voya- Les mines de Pruse sur l’Hypiusont
ges, est le premier qui ail identifié la été retrouvéessur remplacement même
Tilleantique avec le petit village, et les de la petite ville de Eski bagh, que les
observations faites depuis lors n’ont fait «
(i) Pline, V, ch. 3v.
(i) Siraboo, XII, 543. (v) Scbol. Apoll., I. II, v. 7P7.
Rfi L’UNIVERS.
habitants i Uskiibi. Eski
rononct-iit sisté à la fureur des iconoclastes (I;.
bagh ancien jardin, rappelant
signifle Les habitants de tous ces districts
sans doute un de ces grands parcs de paraissent mener une vie assez heureu.se.
plaisance nommés paradis, dans lesquels Le pays est extrêmement fertile, et de
les princes d’Orient se livraient aux plai- belles forêts, qui appartiennent toujours
sirs de la chasse. au pays boisé de Olympe f la mer des
I

La ville turque s’élève au milieu des arbres), couronnent les montagnes L'ex-
jardins sur le penchant d’une colline ploitation des bois est une source in-
qui était couronnée par l’acropole de cessante de travail, et de nombreuses
Priise ; c’esteiicorc la résid.’ncede l'agha. immunités sont accordées aux paysans
i.es inurailles de l’ancienne ville, en- bûcherons en compensation des char-
core conservées, se prolongent en par- ges que leur impose le goiivernemeut-
tie sur la colline et en partie dans la Le bétail est nombreux; mais dans ces
plaine. Elles sont de diverses époques pays trop humides, le mouton ne pros-
et l'on observe même quelques parties père pas aussi bien que dans la région
qui sout faites avec des débris de mo- des hauts plateaux. La nature sylvestre
numents antiques. Une des portes attire est peu différente de celle de l’Italie,
surtout l’attention ; elle est composée mais infiniment plus belle et plus abon-
d’énormes pierres, et l'architrave qui dante que celle des eûtes de Provence.
la couronne est d'une seule pièce et n’a Le goût de la marine n’est pas très- ré-
pas moins de quatre mètres de long; pandu dans les villages d'alentour, et
mais les fortes dimensions des pierres les Turcs paraissent plus disposés à se
ne suffisent pas pour donner le cachet livrer aux travaux des champs.
de la haute antiquité; cette porte ne pa-
rait pas antérieure aux murailles ro- CHAPITRE XL
maines.
A l’exception du théâtre, dont la co- tTIXÉBAlBE DE NICOMÉDIE Al) LAC
téa ou salle, creusée dans le flanc de DE SABANDJA (SOPHOK).
la colline, est assez bien conservée. Il ne
reste que des débris des autres monu- La route de Nicomédie à Sabandja se
ments; les gradins du théâtre sonj en- dirige vers l’est. On cotoie d’abord les
core en partie à leur place; le prosce- salines,qui peuvent avoir deux kilomè-
nium est détruit et l’on ne peut le res- tres de long sur huit de large. Ici les
tituer que par conjecture. Les buissons collines cessent de suivre les contours
qui couvrent le sol, les hautes herbes de la baie pour se diriger vers le nord,
qui envahissent les monuments anti- et forment ainsi une large vallée qui a
ques sont un obstacle à des recherches environ huit kilomètres d’étendue et
superOcielles; mais il est certain que dont la culture est riche et variée. Après
des fouilles entreprises en cet endroit six kilomètres de marche, on traverse
qui n’a jamais été exploité comme car- sur un pont la petite rivière Xérès, qui
rière donnerait lieu a des découvertes va se jeter dans le golfe. Pendant les
intéressantes. Il ne faut pas oublier que vingt-quatre kilomètres que l’on par-
moins une ville a eu d’importance dans court de Nicomédie à Sabandja on ne
les temps modernes, plus on doit es- quitte pas cette vallée, on marche tou-
pérer d'y faire des découvertes d’anti- jours sur le terrain d’alluvion qui ren-
quités. fenne peu de cailloux; il est arrosé par
M. Boré, dans sa correspondance, fait un certain nombre de ruisseaux oui des-
mention d’une ancienne statue de la cendent des montagnes du nord; de là
Vierge qu’il aurait découverte dans un sa grande fertilité. Tout porte à croire
jardin. Il est à croire qu’il aura con- ne dans la haute antiquité, le régime
fondu quelque statue antique avec la es eaux de ces régions était tout à fait
représentation de la Vierge; car non- différent. Le Sangarius, dont le cours
seulement ce n’est pas dans l’usage de moyen est del’est a l’ouest, devaitsuivre
l’Église d’Orient d’avoir des figures de la ligne des montagnes de Sabandja et
ronde bosse, mais on peut dire que bien
peu de bas-reliefs chrétiens ont ré- (i) E. Boré, Correspond., 197-000.
,

VSi>i)M»îiKURE. »7

venir déboHclwr dans le «olfe de IN'i- dénué Sophou (I). Le lac de Soplion a
coinédie en traversant la dépression du reçu dans Bas-Empire différentes dé-
le
lac de Sabandja , comme le Rliyndacus nominations; Aminien Marcelliu l’ap-
traverse le lac Apollonias (1). Les allu* pelle le lac de Sunon, Sunonensis la-
vions ayant exhaussé le terrain entre le eus (2); Aune Coninéne lui donne le
lac et le golfe, le fleuve fut forcé de nom de Baana (3). Il est séparé, de la
prendre qu'il suit aujour-
la direction ville par des jardins assez étendus. Sa
d’hui, et Sangarius alla se jeter dans
le longueur est d'environ dix kilomètres,
la mer JNoire, en
laissant des marécages et sa largeur n’en a pas plus de six. Du
qui marquent son ancien lit. côté de Sabandja c’est-à-din; de la
,

A droite de la route de Nicomédie à grande vallée, c’est une plage sablon-


Sabandja, la chaiiiedecollines s’élève in- neuse; mais du côté du nord et du sud,
sensiblement et se couvre de taillis qui le lac est encaissé dans une chaîne de
plus loin deviennent une véritable forêt montagnes boisées qui descendent Jus-
appartenant à cette région de l’Olympe u’au bord de l’eau. I.a circonférence
que les indigènes appellent Agatdi dé- u lac est estimée par Otter a quinze
nt.«i(la Merdes arbres). milles, soitviiigt sept kilomètres et demi.
On arrive après six heures de marche TchiliatchetT estime son pourtour à
à Sabandja, située dans la partie sud du trente-six kilomètres ; Les eaux sont
lac, mais non pas sur la riveimmédiate, dotices et potables.
dont elle est séparée par des Jardins et Il est une loi générale sur les lacs
des cultures. '
c’est que leurs eaux sont douces toutes
Sabandja n’est qu’une ville de transit^ les fois qu’ils sont en communication
elle doit son existence anx nombreuses avec la mer ; du moment qu’ils sont sans
caravanes qui la traversent en venant communication, ils deviennent de |>e-
de l’est ou du sud de la presqu'île. On tites mers intérieures leurs eaux sont
:

y compte de cinq à six cents maisons, saumâtres ou salées.


une mosquée de chétive apparence et ,
La pensée d’utiliser les eaux de ce
des khans pour les voyageurs. Aucun lac pour créer un canal de navigation
monument de l’ancienne ville ne sub- entre ce pays et le golfe de Nicomédie
siste plus , on trouve çà et là dans les a souvent été agitée dans l’antiquité
rues (les fragments d’architecture qui et examinée de nos jours. i\I. de Hain-
sont presque tous de l’époque du Bas- mer (4) a fait, au point de vue histo-
Empire. rique, une étude approfondie de la
question; mais le projet proposé par
LE LA.C DE SOPHON. Pline le Jeune à Trajan ne paraît pas
avoir reçu un commencement d'e.xécu-
tion, du moins il n’en existe aucune
A défaut d’autres renseignements,
trace (5).
la présence du lac suffirait pour per-
mettre d’identifler Sabandja avec iW- Pour se rendre au pont du Sangarius,
qu’on appelle dans le pays Bech-Kou-
prou (les Cinq ponts) , on commence
(i) Sollte Texiers Angabe riclitig sciii,
a côtoyer le lac; mais bientôt les collines
daxs die game EinKnkune vom Nieomedia abruptes venant jusque dans les eaux,
Golf ostwaila ziiiu Sabanuscha-See nur aus
ou est obligé de marcher pendant plu.s
aufgescbnenimlera Land von Sand und
d’une heure dans le lac même sur un
Kieselcbuti bestâiide so wâre es nicht un-
,
warsclieiiilich , das der Sangarius einst dort
fond de sable; dans quelques endroits
seine Ausiadung znm Meere batte,... und les chevaux ont de l'eau jusqu’aux
aeiti Bette iioi^narls erst eiiieni jiingem sangles. Les collines sont composées de
Durrhbriicbc verdankte. Gart. Ritler Erd- :
roches quartzeuses avec du sable rou-
kuiide, i 8 part. 3* vol., pag. 676 .

Nous ne pouvons développer pins longue (i) Cédrénii.s, II,|i. 6 x 8 , ffU/. mêlée.
nuint nu sujet qui demanderait un mémoire (a) Amniien Marc(dlin, tiv. XX.VI,ch. viii.
spécial; nous recommandons celte question
(3) X, a8a.
ans voyageurs géologues qui visiteront oacb Broiivsa,
celte (4) Uiibtick auf einer Reise
province.
(5) Pliue.le((.. liv. X. loti. 4.

ogie
,

ts L’ÜNIVERS.
geâtre qui contient du fer hydraté. Lea Justinien a commencé d’y faire un
eaux du lac en minant constamment la pont, et il s’applique avec une telle ar-
base des collines ont causé des éhoule- deur à cet ouvrage , que je ne doute pas
ments qui ont taillé prest^ue .à pic le ter- qu’il ne l’achève en peu de temps (I). »
rain de la rive; cependant de distance en L’ouvrage fut en effet terminé dans
distance s'ouvrent de petites vallées dont la trente-quatrième année du règne de
la verdure contraste agréablement avec Justinien, c’est-à dire en 561 de J.-C.
ce sable aride. D’après Paul Diacre, on détourna le San-
Bientôt on abandonne les bords du garius de sou lit pour exécuter la fon-
lac pour entrer dans des terrains ma- dation des piles.
récageux mais cultivés; ce n'est qu’au Constantin Porphyrogénète rappelle
bout d’une heure que l'oii rencontre la en ces termes la coustruciion de ce mo-
petite rivière qui sort du lac de Sabandja nument. • Le thème Optimatumesttra-
etqu on appelle Kdissou; elle passe sous versé par le fleuve Sangarius, dont les
un pont romain d'une seule arche, et rives sont jointes par un pont digne
tourne ensuite vers le sud. A peu de d’étre vu. Il fut bâti par l’empereur
distance de la, on franchit une colline Justinien, qui ne sera jamais assez glori-
de grés rouge, et l’on arrive au pont fié. Sur une des pierres du pont est

monument d'une rare magniricence et placée l’inscription suivante :


qui mérite tous les éloges qu’en ont fait
les contemporains. Toi auvii ,
comme l'orgueilleuse Hrapérie,
les peuples médiqiies et toutes les liordes
liarbares, Saiignriiis, dmil le cours iiiipé-
CHAPITRE XII.
lueiix est romiiu par ces voàies, lu roules
niaiiiteiiani esclave d’un travail loiiveraiii, ja-
PONT DE JUSTINIEN SUE LE SANOA- dis rebelle aux navires, jadis indomplé,
BIl'S. niaiiilenant lu gis sous les entraves d'une
]Hcrre iiillexible (aj.
L’empereur Justinien, pour faciliter
les communications d’un bout à l’autre Cette inscription n’existe plus, mais le
de l’empire, songea particulièrement, monument est pre.sque intact. Il est
dans les travaux qu’il entreprit, à éta- composé de huit arches et a quatre cent
blir de grandes routes et a restaurer vingt-neuf mètres de longueur. L’ou-
celles qui existaient déjà. La
plus im- verture des grandes arches est de vingt-
portante était celle qui conduisait de trois mètres, et la longueur des piles de
Nicomédie aux confins de la Syrie en six mètres cinquante centimètres. Il est
traversant la l’brygie et la Cappadoce. bâti en grands blocs de pierre calcaire;
Cette route était coupée a peu de dis- les arches sont à plein ceintre et s’élè-
tance de Sopbon par le fleuve Sanga- vent toutes à la même hauteur, de sorte
rius; c’est là que l’empereur entreprit que le tablier du pont est parfaitement
de construire le pont monumental qui horizontal. Au niveau du pont sont
existe encore. Il fut sans doute com- ménagées sur chaque pile des héxèdres
mencé vers l’an 553, lorsque Justinien exactement comme au Pont-Xeuf à
fît la paix avec les Perses. Il n’était pas Paris.
encore achevé lorsque Procope écrivait A l’extrémité du côté du lac est une
son livre Des Édifices. « Le Sangarius, grande porte en forme d’arc de triom-
dit l’historien de Justinien , ce fleuve phe renferniant un escalier en hélice
dont le cours est si rapide dont la pro-
, pour monter au sommet.
fondeur est un abîme et dont la largeur A l’autre extrémité est une grande
ne peut être comparée qu'à l’étendue de niche de la même dimension que l’arc;
l’Océan , n’avait jamais souffert de pont. c’était un lieu de repos pour les voya-
Ceux qui étaient assez hardis pour le geurs.
traverser attachaient ensemble plu- En ce point la route se bifurque ; une
sieurs bateaux et passaient dessus ; mais branche se dirige vers le nord pour en-
cela ne se faisait pas sans danger, car
le fleuve, rompant les cordages, disper- De Ædif.,
(t) Proro|>e, liv.V, ch. m.
sait les bateaux et novait les hommes. (a)C. Purpbyrogcnètr, Tliem., V,
ASIE MINEURE. 80

trer dans la Paphlagonie ;


l’autre em- Sangarius. Ce village est situé sur la
branchement tournait vers le sud pour rive gauclie du fleuve, qui en cet en-
conduire en Phrvgie. droit a une largueur dVnviron crut
Une chose curieuse, c'est que le fleuve mètres , et se divise ensuite en deux
Sangarius , si rudement tr.aité dans branches qui forment ce qu’on appelle
l’inscription de Justinien, n’a pas con- nie. Pendant l’été, ces deux branches
senti à se soumettre à l’éternel esclavage sont presque à sec ; ce qui explique le
dont il était menacé; peu à peu son nom de Xérobates que les anciens don-
cours s’est porté à l'est, et aujourd’hui naient quelquefois au Sangar us (1).
il ne passe plus sous ce pont qu'un mince Les deux branches du fleuve sont
ruisseau marécaj^eux le grand courant
: réunies par un double pont que l’on
s’est transporté a l'est; ceci tendrait à nomme Uzun-kouprou, et la route se
prouver qu’en effet le pont de Justinien continue vers l’est jusqu’à ce qu'on ren-
fut établi sur un lit factice qui s’est peu contre un autre petit fleuve nommé
à peu trouvé encombré par Ve limon du Milan sou, l’ancien Hypius.
fleuve.
Ces mouvements des rivières de l’A- CHAPITRE XllI.
sie ne sont pas sans exemple; on peut
en citer plusieurs qui se sont ouvert ITIKEBAIHE UE SA B ANDJ A A OEI VKH ( 2 ;,
de nouvelles embouchures depuis les L’A^CIEN^E TOTTOEÜM, ET A NICEE.
temps historiques
Lorsque l’empire byzantin se vit me- En sortant de Sabandja, on suit la
nacé par tous les peuples de l’Islam , grande route de caravane i|ui traverse
les Perses, les Mongols et les Tartares, obliquement l’Asie, et l’on fait quelques
qui, des régions de l’est, se ruaient sur kilomètres dans la direction de l’est. Le
Constantinople, le cours du Sangarius terrain que l’on parcourt est très-acd-
devint une ligne de défense bien plus deiile II est presque entièrement coni-
importante qu'auparavant. Aussi les po.sé d’argile plastique entremêlée de
Coninènes eurent-ils soin de faire cons- marues verdâtres contournées, talqui li-

truire sur ses rives des châteaux pour ses, qui paraissent servir de lit à l'argile.
surveiller les ennemis. Les abords du La nature des cailloux roulés par les
pont furent laissés dans l’abandou ; torrents indique que ces terrains no s'é-
les marécages comtnencèrent à se for- tendent pas fort loin ; car les ruisseaux
mer et le neuve peu à peu changea la cliarient üe nombreux fragments de
direction de son ht. quartz et de serpentine.
Les culées du pont sont assises de Après neuf kilomètres de marche, on
part et d'autre sur des collines de grès se retrouve sur le terrain de grès rouge
rouge dont l’inclinaison concorde. Du de la même formation que le^ collines
côté du lue elles forment uii éperon qui du pont de Sabandja, et sans doute le
res.serre le défilé par où les eaux s’é- même que l'on retrouve à Nicomédie.
chappent pour aller au Sangarius. Après avoir frauchi cette colline, la na-
Attenant à la culée orieutale du pont, ture du terrain et du pays change su-
on remarque une construction encore ,
bitement ; on descend dans une vallée
bien conservée qui se compose d’un
,
profonde enclavée dans des montagnes
certain nombre de salles voûtées; tout presque à pic, composées d’un poudin-
est bâti en pierres de grand appareil gue dans letjuel il entre des cailloux de
comme le reste de l’édifice, fl y a lieu quartz et de jaspe, et d’une roche blanche
de regarder cette annexe comme une sta- analogue à la baryte sulfatée. Le ciment
tion de veredarii, ou une de ces maisons naturel qui uuit ces différentes natures
de poste qui jalounaient cette grande de roche n’offre aucune solidité , de
voie jusqu’aux contins de la Cilicie. sorte qu’elle se désagrège facilement,
Après avoir traversé le pont, on re- et ses parties coustituautes vont se ré-
joint la route qui se dirige au nord-est, pandre dans le lit des torrents.
et l’on arrive au petit village de Ada-
bazari (le Bazar de l’ile), ainsi nommé (i) Flutarch., </« 1, p, 34.
d'un Ilot formé par deux branches du (a) Prononcei Ghéiveb.
90 L’UNIVKRS.
Le cours du fleuve qui arrose cette d’antiquité pour être certain qu'elle oc-
vâllée, grossi par les eaux et la fonte cupe la situation d’une ville antique ; il
des neiges, vient chaque année ronger a sur la grande place plusieurs dé-
peu à peu la hase des falaises, qui s’é- ris de sarcophages, et un autel orné
croulent en élargissant la vallée. Il n’est de palmettes sur lequel on lit en grands

pas difficile de trouver au milieu des caractères le nom AXIAAETl; un autre


cailloux qui encombrent le lit des ruis- fragment de cippe en marbre porte sur
seaux des fragments de jaspe rubané sa partie supérieure la trace de deux
rouge et vert d’une grande beauté ; les pieds qui appartenaient à une statue de
>arties polies par les eaux laissent voir grandeur naturelle.
fes plus brillantes couleurs. En jetant les yeux sur les itinéraièes
En continuant la route, on se trouve anciens, on reconnaît une ville de Tôt-
sur une formation schisteuse qui en- toeum, située sur la route de Constanti-
gendre des rocs pointus et des formes nople à Antioche, entre Oriens Medio
très-tounnentées ; on arrive ensuite à et Dablis, à vingt-huit milles de la pre-
une vallée transversale qui est un des mière et à égale distance de l’autre.
affluents du Sangarius; c’est une ri- Tottoeum se trouve également sur la
vière rapide, dont les eaux sont jau- route de Nicée à Ancyre, et dans la
nâtres et charrient beaucoup de sable vallée du Sangarius elle' est marquée à
elle coule au milieu d’une formation quarante milles de Nicée, distance qui
de poudingue trèsKiur, qui s’étend pres- convient parfaitement à Geïveh (I);
que jusqu’à Nicée. Dablæ est à vingt-huit milles, etDadas-
La ville de Geïveh est située sur la tana, où mourut l’empereur Jovien (3),,
rive droite du Sangarius ; on traverse le à quarante-cinq milles. La tablede Peu-
fleuve sur un 'pont musulman de six tinger est aussi d’accord avec ces dis-
arches, ouvrage du sultan Bayazid. La tances. Dadastana est marquée par Am-
vallée a environ quatre kilomètres de mien Marcellin comme étant sur la
large. Geïveh est dans la plaine, et du frontière de la Bithynie et de la Ga-
côté du sud la vue est bornée par la latie. Il y a sept heures de marche on
ligne des montagnes du Toumandji vingt-huit kilomètres entre Sabandja et
dagh, qui fait partie de la chaîne de l’O- Geïveh.
lympe. De nombreuses cultures de mû- Ak seraï, la Maison blanche (douze
rier et des jardins bien arrosés cou- kilomètres de Geïveh petite ville sans
),
vrent les environs. Les melons et les importance, est situéesur la rive gauche
fruits de Geïveh sont célèbres dans la du Sangarius, que l’on traverse sur un
contrée ; mais la difficulté de transport bac en venant de Geïveh ; les fragments
|ui existe dans toute la Turquie d’Asie d’architrave etde colonnes que l’on peut
?orce de les consommer presque sur trouver dans Ak seraJ proviennent de
place ; on en porte cependant jusqu'à Lefké, l’ancienne Leucæ, qui en est dis-
Broussa. Geïveh était autrefois une ville tante de huit kilomètres ; mais elle n’est
assez considérable; elle avait au delà de pas sur la route directe de Nicée.
trois cents maisons ; elle fut totalement
ruinée par une inondation du Sangarius LBUCiE.
qui la rasa presque entièrement sous le
règne de Mourad IV ( 1640); jamais La de Leucæ est située sur une
ville
elle ne s’est relevée de cet échec. Les petite Lefké sou que le
rivière appelée
maisons construites depuis cette époque colonel Leake et d'autres géographes
paraissent avoir été biâties en prévision ont démontré être la même que le fleuve
d'une autre inondation; elles sont pour Gallus, qui, selon Strabon, prenait sa
la plupart élevées sur de grands piliqrs de source dans la Phrygie Hellesponti-
bois et bâties en terre battue. qiie (3) et allait se jeter dans le San-
Il
y a plusieurs caravanséraïs et une gariusà trois cents stades deNicomédie ;
chétive mosquée; autrefois elle avait
plusieurs écoles et des mosquées, qui ont (i) Ilinêr. i4r.
disparu. (») ARimirn Marc., I. XXV, ch. X. ,
On trouve à Geïveh assez de vestiges (3) Slrtbon, XII, 543.
ASIE MINEURE. 01 .

nous pensons cependant qu’il est dif- nombreux disséminés sur les collines
férent du fleuve Gallus cité Pline (1), vertes animent le paysage, dont le fond
duquel les Galles, prêtres de Cybèle, secompose des sommets resplendissants
avaient pris leurnom ; ce dernier fleuve de l’Olympe. Tant desilence et de soli-
doit couler aux environs de Pessi- tude ont succède aux marches guer-
nunte. rières des nations. Cet amas rouge de
Le Gallus qu’on appelle Lefké sou briques , c’est Nicée où se sont battus
prend sa source dans le versant orien- avec acharnement presque tous les
tale de l'Olympe ; on l'appelle Bedrè anciens possesseurs du sol, les Ro-
tchai, il coulé vers l’est, rassemblant tous mains comme les Byzantins, les mu-
les cours d’eau secondaires et notam- sulmans et les croisés, et maintenant
ment celui qui s’échappe du lac d’Ai- à peine l’habitant de ces lieux sait-il le
neh gheul (le Lac du Miroir), voisin nom de cette ville qui fut si chèrement
de la petite ville du même nom dont le disputée. En descendant dans la vallée
site répond à celui d’Angelocomé des du lac, on arrive, après une heure de mar-
Byzantins ; enfin il va se jeter dans le che, à un ancien camp retranché en rui-
Sangarius à l’est de Lefké. Dans leur nes. C’est une enceinte carrée flanquée
habitude de confondre ensemble tous de tours; l’endroit paraît abandonné. Les
les cours d’eau, les Turcs, donnent aussi habitants donnent à cet endroit le nom
à cette rivière le nom de Sakkaria (le de Kara eddin (la Religion noire). C’est
Sangarius), ce qui a pendant longtemps un des anciens camps construits par
apporté beaucoup de confusion dans les croisés pendant qu’ils assiégeaient
l’hydrographie de cette province, Nicée.
Aineh gheul est une villede trois mille
habitants dont la principale industrie CHAPITRE XIV.
consiste dans l’exploitation des forêts,
lis cultivent aussi de la soie, qui se vend MCÉE.
sous le titre de soie de Broussa. Sa si-
tuation sur la grande roule de Constan- Nicée, l’ancienne capitale de la Bi-
tinople à Kutavah la rend assez floris- thynie, célèbre à tant de titres dans les
sante. annales des chrétiens, aujourd’hui dou-
De GeTveh à Nicée en ligne directe blement déchue du rang qu’elle occu-
on compte quarante-huit kilomètres, on pait comme place de guerre et comme
laisse Lefké au sud. La première poste métropole, n’offre plus dans son en-
est à Ak serai, douze kilomètres, la ceinte que les débris épars de la cité by-
valléedu Sangarius qui s’étend à perte zantine; mais l’importance et la conser-
de vue est peuplée de nombreux villages vation parfaite de son système de dé-
composés chacun de quinze ou vingt fense en font un des lieux les plus in-
maisons. On fait une courte halte à téressants à étudier, pour l’intelligence
Mécridjé, huit kilomètres. A partir dece de la poliorcétique ancienne, et des
point on abandonne le bassin du San- sièges nombreux que cette ville a sou-
garius pour entrer dans celui du lacAs- tenus contre les Arabes, les Grecs et
canius ou de Nicée. En sortant de Mé- les Latins.
cridjé, on franchit un col élevé ; le ter- Comme point stratémque,Nicée com-
rain de grés rouge que l’on n’a pas mande la grande vallée dans laquelle
quitté jusqu’à Ak serai fait place à une est situé le lac Ascanius , l’un des plus
nature de roches schisteuses etde mica- grands de l’Asie Mineure , et défend le
schiste. col qui sépare le bassin du Sangarius
Arrivé au haut de la montagne, un du bassin de la Propontide. Aussi les
splendide spectacle se déroule aux re- premiers peuples qui , venant de la
gards. Le lac de Nicée étend à l'horizon Thrace.se sont établis dans la Bithyiiie,
sa nappe argentée; de loin en loin, des ont dû nécessairement choisir de préfé-
groupes d'arbres indiquant des villages rence un point si important et si facile
ombragent le tableau, et les troupeaux à défendre. Séparé au nord du golfe
de Nicomédie par la chaîne du mont
(I) Liv. V, ch. 3. Arganthonius , et défendu au sud par

sd ûv oglf
,

93 L’UNIVERS.
les contre-forts inférieurs de l’Olympe, puisqu’elle la portait encore vers l’an
le bassin du lac a été de tout temps cé- 120 de J.-C. A cette époque, elle était
lèbre par sa fertilité; mais les anciens le lieu de résidence des proconsuls;
avaient déjà remarqué ^ue la pureté de sous Néron, Caius Pétronius (I) ; sous
l’air ne répondait pas a la beauté du Hadrien, Sévère, qui depuis fut em-
pays, et que les habitants alors, comme pereur; sous Trajan, Servilius Cal-
aujourd’hui, achetaient pardes maladies vus, y exercèrent cette dignité. Constan-
épidémiques les avantages du climat (I ). tin, en témoignage du respect pour le
Suivant Etienne de Ityzaoce (2), elle fut premier concile général qui s’y était as-
dans l’origine colonisée par les Bottæi semblé (2), affranchit Nicée de la juri
qui lui donnèrent le nom d'Aiicora diction de Nicomédie. Mais l’empereur
C’AyxûpT]). Mais un a peu de docu- Valens, qui persécuta les chrétiens de
ments sur cette ville du temps de la cette contrée, lui enleva le titre de mé-
Bithynie indépendante ; il n’est pas même tropole pour le rendre déGnitivement à
bien certain qu’elle ait existe à cette Nicomédie. C’est sans doute alors qu’elle
époque; car, selon Strabon, son origine dut l'effacer de ses monuments, commé
est moins ancienne. Elle a été fondée nous l’avons vu dans les inscriptions ci-
par Antigone, Gis de Philippe, qui la tées plus haut.
nomma Jntigonia; ce qui ferait re- Les tremblements de terre qui rava-
monter son origineà l’an 3 là avant J.-C., gèrent cette partie de l’Asie, à différentes
époque où Antigone devint maître de époques, n’épargnèrent pas la ville de
toute cette partie de l’Asie, après la Nicée. L’empereur Hadrien , vers 1 20 de
mort d’Eumèiie. Après la chute d’An- J.-C. (3), rebâtit les murailles, et Gt cons-
tigone, la ville tomba entre les mains de truire les deux portes de marbre blanc
Lysimaque, qui l’appela Nicée, du nom qui existent encore au nord et à l’est.
de sa femme, Glle d'Auti|iater. ,Sous le règne de Valérien, en 259,
Voilà à peu près tout ce que nous sa- les Scythes, qui avaient fait invasion m
vons de l’origine de la Nicée grec(|iie, Bithynie, prirent et pillèrent Nicée; de
dont l'histoire avait été écrite par Mé- la, iis se airigèrent vers Cyzique, mais
nécratès, cité par Plutarque dans la vie furent arrêtés par le fleuve Rhyndacus,
de Thésée. Quoique Strabon donne à subitement grossi par les pluies; ils brû-
Nicée le titre de métropole, Nicomédie lèrent Nicomédie et Nicée, qu’ils s'é-
lui contesta toujours ce privilège, et taient d'abord contentés de ravager. Le
l’antipathie qui existait entre ces deux séjour de ces barbares en Bithynie ne
villes semanifesta dans plusieurs occa- fut pas de longue durée, et les villes
sions; ainsi, dans la lutte entre Niger qui avaient souffert de leurs invasions
et Sévère, Nicomédie s’étant déclarée se relevèrent bientôt de leurs ruines. On
pour ce dernier, Nicée, par haine pour employa dans la consiniction des murs
les Nicomédiens, embrassa le parti de les débris des édifices que les Scythes
son adversaire, et les deux villes pri- avaient renversés; les plus beaux frag-
rent' les armes pour soutenir les chefs ments d’architecture, les stèles et les
Les rois de
qu’elles avaient choisis (3). iiédestaux qui contenaient les actes pu-
Uithynie habitèrent constamment cette filics de la ville et qui mentionnaient les
dernière viUe, dans la(|uelle se trouvait services rendus par les citoyens, furent
leur palais. Dans les médailles frappées employés pêle-mêle avec, les matériaux
sous les empereurs, Nicée n’est point bruts. Les colonnes des temples, cou-
désignée comme métropole: cependant chées comme des pièces de bois, servi-
plusieurs inscriptions tracées sur les rent à affermir les fondations des tours
portes semblent attester qu’elle prenait ébranlées par les machines. Peu à peu,
ce titre sur ses monuments publics. tout ce qui restait de l’ancienne Nicée
Il paraîtrait que Nicée conserva cette disparut de sou enceinte et fut remplacé
qualiGcation pendant plus d’un siècle, par des édifices bâtis à la hâte, qui ne

(i) Siralion, liv. XII, p. 565. (0 Tacite, lib. XVI, «8.


(s) Voce Nicea. (a) Dion Cbryvostome ,
ürat. XXXVIIl,
(3) Cf. Herodieo, liv, UI, ch. a. ^3) Eusébe, Clironitoii,
ASIE MINEURE. 93

rappelaient, ni par leur goût ni par la Il n’existe plus rien des thermes de
solidité de leur construction, les inonu- Justinien, et les grands bains bâtis par
inents élevés à la belle époque de l'art. les sultans , abandonnés à la dévasta-
L’empereur Claude II , trente ans tion et à l'incurie, ne sont plus que des
plus tard, éleva les deux portes qui exis- ruines ajoutées à celles qui jonenent le
tent aujourd'hui au sud de la ville sol de Nicée.
et n l’ouest du côté du lac; les inscrip- La célébrité que Nicée s’était ac-
tions qu'on lit encore sur les architraves uise par les deux concilesqui se tinrent
lui attribuent la reconstruction des mu- ans son enceinte , la plaça toujours
railles. au premier rang des métropoles ecclé-
[.'époque brillante de la ville de Ni- siastiques. Favorisée de toutes les ma-
cée est celle où la religion chrétienne, nières par les empereurs grecs, elle
protégée par l’empereur, prit son essor devint le principal objet des attaques
et sortit victorieuse des persécutions du des conquérants arabes, qui, arrivés
paganisme que les chrétiens dissiilents comme chefs de tribus errantes dans le
tentaient de renouveler. Le premier sud de l’Asie Mineure, avaient en peu
concile œcuménique, dans lequel trois de temps fondé un État dont la puis-
cent dix-huit évéques déterminèrent les sance devint redoutable an vieil empire
actes de la foi catholique , lixèrent le de Byzance. Sous tes premiers califes,
temps de Pâques, posèrent les bases de les Arabes s’avancèrent en vainqueurs
la discipline ecclésiastique, et con- Jusqu’à Héraclée de Bithynie, et ne se
damnèrent l'hérésie d'Arius ; ce cé- retirèrent qu’après avoir signé avec les
lèbre concile se tint , non pas dans empereurs byzantins des traités qui
une église, mais dans le palais im- accordaient aux musulmans de grands
périal. avantages. Mais la paix ne fut pas de
Sous le règne de Valens, la ville longue durée, et leurs armes victorieu-
souffrit encore des atteintes d’un ses vinrent se briser contre les rem-
tremblement de terre qui endommagea parts de Nicée, qui, malgré les échecs
ses publics; ils furent re-
édifices réitérés qu’elle avait éprouvés, était en-
construits par la libéralité de l’empe- core la place forte la plus redoutable
reur (l). de toute la contrée. Les empereurs
Sous le règne de Justinien, la ville Léon le Philosophe et Constantin Por-
reçut des embellissements considéra- phyrogénète, son fils, qu’il avait eu de
bles , et les temples détruits furent Zoé, sa troisième femme, élevèrent les
rempl.ncés par des églises et des mo- murailles de marbre arec les tours qui
nastères. Procope nous apprend que se voient au nord-est de la ville , et
cet empereur fondu plusieurs établis- constatèrent par une inscription leur
sements religieux pour les hommes et victoire sur les Arabes, vers 9 12.
pour les femmes. Il restaura le palais Ces succès éloignèrent pour quelque
qui avait été presque entièrement dé- temps les entreprises des Arabes ; mais
truit, et rétablit un aqueduc mis hors vers le milieu du onzième siècle fl 074),
d’usage par la vétuste; c’est prubable- Soliman le Seidjoukide, sultan d'Ico-
ment'celui qui apporte encore aujour- nium, conquit Nicée, qui lui fut cédée
d'hui ses eaux dans la ville par la porte en toute propriété par l’empereur grec,
de Lefké. Nous savons, par le même Nicéphore Botoiiiates; il y établit sa
auteur, c|ue Justinien fit construire des résidence. Les deux fils de Soliman,
thermes près de l’hôtellerie des cour- s’étant, à la mort de leur père, échap-
riers (2). L’importance de cet établis- pés de la prison où ils étaient retenus,
sement ressortait du grand nombre de se rendirent à Nicée, où ils furent re-
routes qui, de tous les points de l’em- çus avec tous les honneurs dus au sang
pire, venaient converger vers cette ville. des sultans, et le gouverneur de la ville
la remit entre leurs mains, comme un

(i) Chronicott Paschale, page 557, ôd. de bien qui leur appartenait par droit de
Bonne. naissance. Kilidj-Arsian , l’atné des
(a) y«redariorum Diversorio Procope, deux frères, voulant augntienter la po-
de ÆdificiU. pulation de la ville et lui rendre son
,

94 L’UNIVERS.
ancienne importance, fit rassembler les riches débris de monuments anciens
femmes et les enfants des -hommes qui épars sur le sol, pour que cet art, créé
étaient en ttarnisou dans Nicée, et leur dans le but de suppléer à la disette
ordonna de venir habiter la ville (I). de matériaux destines à l’ornement
C’était un usage qui se perpétuait de- pût subsister dans cette contrée. La
puis les anciens conquérants, de trans- fabrique de Nicée fournit également
porter par une simple ordonnance les de .ses produits à Constantinople , et
populations d'un district dans un autre. un poète persan était attaché a l’éta-
I.«s sultans dépeuplèrent ainsi Méli- blissement pour composeï les inscrip-
tène, qui, sous Justinien, était une des tions reproduites sur les émaux (I).
plus grandes villes de la seconde Ar- Nous arrivons maintenant à l’époaue
ménie, et en transportèrent les habi- où l'histoire de Nicée efface celle aes
tants à Constantinople. C’est depuis autres villes de l’Asie, par le rôle impor-
ce temps que la nation arménienne est tant qu’elle joue dans les annales du
devenue si nombreuse dans cette capi- christianisme.
tale. 1,’arrivée des croisés en Bithynie, en
Nicée se ressentit bientôt du goût 1005, fut signalée par la malheureuse
pour les arts qui distinguait les princes expédition de Pierre l’Ermite et de
seidjoukides, et elle commença à voir Gauthier sans Avoir. A son départ de
fleurir dans ses murs une ère nouvelle Constantinople, l’armée s’embarqua sur
de civilisation arabe. Rivaux des ca- des vai.-seaux que lui avait tournis
lifes de Bagdad et de Cordoue , ces l’empereur grec, et se dirigea vers Ni-
princes rassemhlaieut à leur cour tous coinétlie , où elle séjourna peu de
les hommes distingués dans les arts et temps. Elle alla ensuite dresser son
dans les sciences. L’élan qu’ils don- camp aux environs de Kemlik, l’an-
nèrent à l’art de construire ouvrit bien- cienne Cius, appelée Civitot par les his-
tôt une phase nonvelle et une route in- toriens des croisades, et que les Grecs
connue où se jetèrent les artistes orien- appellent aujourd'hui GMo. C’est de ce
taux. Ils avaient appelé de l’Arabie et point que l’armée, parcourant les bords
de la Perse les astronomes et les poètes. du lac, exerça ses déprédations sur le
Ce fut aussi a cette contrée qu’ils de- territoire de Nicée. Les soldats enle-
mandèrent des artistes pour élever les vaient le gros et le menu bétail appar-
élégants éditices ornés d’émaux dont tenant àdes Grecs serviteurs des Turcs.
l’antique empire de la Chine, avait ré- Le pays était gouverné alors par So-
pandu peu à peu le goût dans l’Asie liman le Jeune, surnommé KilidJ-Ars-
occidentale. Ils marchaient, emprun- lan (1).
tant toujours aux peuples chez lesquels Le succès des Latins encouragea les
ils s'établissaient quelque chose de Teutons à tenter une entreprise sem-
leurs arts et de leurs usages, mais con- blable; s’étant rassemblés au nombre de
servant comme par instinct le type trois mille hommes d'infauterie, ils
d’ornementation créé par les Arabes et prirent la roule de Nicée, et vinrent at-
fondé uniquement sur les règles de la taquer une ville située au pied d'une
géométrie. montagne, à quatre iivlles environ de
L’art d’émailler la faïence, si utile Nicée. Guillaume de Tyr ne nomme
pour orner des monuments construits point cette place, mais il atteste que c’é-
dans les plaines de la Cappadoce, où tait un point fortifié et capable de ré-
le marbre sont très-
et la pierre à bfttir sister à une attaque; en effet, il fallut
rares, fut transporté à Nicée. Celte fa- toute rimpéluosiié des Teutons pour
brique donna quelques produits qui vaincre les efforts des habitants, qui
furent employés à la décoration des furent presque tous massacrés. .Soli-
inonuineuts. Nicée et Broussa en ont man , apprenant le succès des chré-
conservé des traces ; mais la Rithyuie tiens , rasseinblaquinze mille hommes,
était trop riche en matériaux de toute et revient à Nicée pour chasser les
espèce, en marbres blancs et veinés, en
(i) Moui’adgf&-n*Oiisson, t. III.

(i) Alexiade, lib. VI, cap. II. (a) GuîUauiue de Tyr, liv. I, p. 66»
, ,,

ASIE MINEURE. 9â

Teutons du fort qu’ils occupaient (l). droite de l’est à l’ouest, tandis que du
Les prodiges de courage de ceux-ci ne côté du nord la côte est bien plus si-
peuvent éloigner les Turcs, qui Gnis- nueuse et les montagnes plus escar-
sent par mettre le feu à la porte du pées.
château et par entrer dans la place. La nouvelle de la défaite des Teu-
Les hardis auteurs du coup de main tons arriva cependant au camp de Civi-
sont massacrés sans pitié; deux cents tot, et plongea les pèlerins dans la
jeunes gens sont conservés pour l’es- consternation ; niais bientôt le déses-
clavage, et tout le reste périt par le poir fit place à la soif de la vengeance,
glaive. et une multitude sans ordre vint as-
Sur la route directe de Nicée à Ghio saillir la tente de Gautbier-sans-Avoir,
on ne trouve aucune trace du château qui résista longtemps , mais finit par se
mentionné dans Guillaume de Tyr; mettre à la tête des siens , et marcha
mais, en remontant à quatre milles a avec deux cent cinquante mille hom-
l'est dans la grande vallée qui conduit mes sur Nicée pour surprendre Soli-
au Sangarius , on reconnaît près du vil- man. Le sultan, averti par ses espions,
lage Kara cddinun vaste camp retranché sort rie la ville et se cache dan.s les dé-
ou cassaba de forme carrée que nous ,
filés des montagnes formant les contre-
avons décrit plus haut. II y a lieu de forts du mont Olympe. Surpris par les
croire que les Teutons, dans leurs ex- Turcs les croisés' sont massacrés , et un
,

cursions avaient tourné la ville de Ni-


, petit nombre de pèlerins parvint seul à
cée , et étaient venus s'emparer de cette réchapiier, et se retira dans une forte-
position (3). resse rnin^ qui se trouvait près de Ci-
Toutes les communications entre les vitot. C’est dans cette malheureuse af-
contrées de l’est et la ville de Nicée se faire que périt Gautbier-sans-Avoir, qui
sont toujours faites par la rivesud du lac. tomba percé de sept flèches.
A cette époque , la grande voie romaine, Deux ans après l’expéditioa de Gau-
restaurée par Néron, qui conduisait de thier, la grande armée des croisés,
Nicée à Apamée, devait être bien plus composée de sept cent mille hommes,
praticable que de nos jours ; d'ailleurs vint sous la conduite de Godefroi de
,

la rive sud du lac soit une ligue presque Bouillon , de Tancréde et de Bobémond,
faire le siège de Nicée. Soliman Kilidj-
Arslao, sultan d’Iconium, l’un des plus
(i) Albert d’Aix, liv. I, p. a6.
(a) Les historiens des croisades n’ont pas
célèbres princes seidjoukides , étendait
laissé assezde documents pour que l'on puisse alors son pouvoir sur la majeure par-
déterminer d'une manière positive la posi- tie de l’Asie Mineure. Au moment où
tion du château appelé Excrogorgnnv par le il avait été informé de la marche des

moine Robert, Exorogorgum parGuiberl de croisés , il s’était rendu chez les princes
Nogent, et Xeiigordon par Anne Comnéne. ses voisins , et leur avait persuadé que
La distanre de quatre journées de Nicomé- sa cause était celle de tout l’islamisme.
die n’est |>as une donnée suffisante , puisque Il en avait obtenu des renforts considé-
nous ignorons quel chemin suivaient les rables (1) et des secours en argent et en
croisés, et qu'ils peuvent avoir employé matërirl. Mais avec une grande intel-
,

quatre jours s'ils «ut passé par Sahandja et


ligence de la stratégie , il avait compris
Ak-Seraï pour gagner la grande vallée de
que son action serait beaucoup plus
Nicée. Cette roule est plus longue , mais il
effiiace s'il se tenait hors de la ville,
li'y a pas de montagne à franchir. Guillaume
de Tyr, en rapportant la défaite des Teutons au lieu de s’enfermer dans les murail-
dans ce château, n'en donne point le nom; les. En conséquence, il se retira dans

mais il ditqn'il étaitsilué an pied d'iine mon- les défilés de l'OIympe avec une troupe
tagne à quatre milles environ de Nicee. Il d’environ cinquante mille soldats sur
parait que ce passage a échappé à M. de lesquels il comptait pourattaquerà dos
Hammer quand il a discuté la position les chrétiens. Il mit d’ailleurs tous ses
d’Ttxnrogorgum , qu'il place à Ak-Son , ville soins à prémunir Nicée contre un long
située sur le versant nord-est de l’Olympe siège. Toutes les fortifications élevées
et séparée du bassin de Nicée par une chaîne,
de montagnes d’un accès difficile. (i) Guillaume de Tyr, liv. U, p. laS.
,, ,

9H LTJNIVEnS.
par lea empereurs grecs avaient été mond de Saint-Gilles, et est repouasé
mises en bon état, et la triple ligne de après des prodiges de valeur. Les chré-
circonvallation qui défendait son en- tiens, non moins barbares que leurs
ceinte flt l'admiration des croisés, et, ennemis , coupèrent les têtes des morts,
loin de les intimiiler, redoubla leur et les jetèrent dans la ville à l'aide de
courage. Un large fossé communiquant leurs machines.
avec lé lac était toujours rempu d'eau La ville était investie de trois côtés,
et le revers du cdté de la place était et les chrétiens veillaient jour et nuit à
défendu par un ag^er flanqué de tours, ce qu'aucun convoi de vivres ou de
formant un chemin couvert de seize munitions ne pût être introduit dans
mètres de large en avant du rempart Nicée. Mais à l'ouest les murs étaient
lequel avait dix mètres de hauteur sur baignés par les eaux du lac Ascanius,
une épaisseur de quatre mètres. De dis- qui offraient une communication facile
tance en distance, des tours de dix-neuf avec le dehors. Les chrétiens , n’ayunt
mètres de hauteur et de dix mètres de à leur disposition ni barques ni bateaux,
diamètre protégeaient la muraille et le se trouvaient dans l’impossibilité de ré-
chemin de ronde qui circulait tout au duire la ville par la famine. Soliman
tour de la ville. lui-même prenait souvent la voie du lac
La forme de la ville est irrégulière pour aller voir sa femme et son fils
etson grand axe se dirige du nord au qu’il laissait dans la place pour mieux
sud toute la partie sud est défendue
;
encourager les assiégés à résister aux
par le lac, sur lequel il n'y avait pas croisés.
d'embarcations. La porte du Nord con- Plusieurs semaines s’étaient écoulées
duisait vers le mont Ai^anthonius, sans que les croisés eussent tenté un
dont les collines sont boisées et cou- assaut; chaque jour on inventait des
vertes de jardins. La porte de l'est machines pour renverser 1rs murailles.
s'ouvre sur la grande vallée qui forme Parmi les princes les uns dirigeaient les
le prolongement du bassin du lac, et la balistes, les autres fabriquaient des bé-
porte du sud communique avec la route liers de fer pour battre en brèche les
qui conduit à Broussa par la montagne. remparts , mais !e génie des Sarrasins
'Toutes ces portes étaient défendues par ne le cédait pas à celui des Francs. Les
un double rang de tours et par des che- portes avaient été fermées avec soin
mins tortueux que formaient les res- par des herses de fer glissant dans des
sauts de l’agger, et qui forçaient l'as- rainures, et les murailles garnies de
saillant de passer immédiatement sous machines de toutes sortes écrasaient les
les traits de la place. Telle était la ville assiégeants sous des Quartiers de roche,
que les chrétiens vinrent assiéger au ou enlevaient avec nés crochets de fer
nombre de six cent mille fantassins et les combattants qui s’approchaient trop
cent mille cavaliers cuirassés. Le duc près des murailles et les laiss'iient re-
,

Godefroi se chargea d'aitaquer l'est de tomber morts ou mutilés. Les têtes


la ville, c'est-à-dire, la porte de Lefké des vaincus servaient de part et d'autre
et les remparts qui la défendaient. de projectiles , et chaque fois que les
Bohémond et Tancrède occupèrent la Sarrasins effectuaient une sortie, les
position du nord L’ouest de la ville fut têtes de ceux qui succombaient étaient
bloqué avec difficulté par Hugues le coupées et portées à l’empereur de
Grand et Tèvéque Adhémar. Le valeu- Constantinople, comme un sanglant
reux comte de Toulouse , arrivé depuis trophée. F.n récompense, Alexisenvoj'ait
peu, défendit la position du sud; ce aux croisés des vivres et des chariots
rut ce corps d’armée qui eut à soutenir chargés d’armes , de munitions et d’ha-
le premier engagement avec les Sarra- billements.
sins. Soliman, qui était en embuscade Les chefs de l’armée fermement ,

dans les défilés situés au sud du lac résolus à s'emparer de Nicée , pour ne
( il occupait probablement le territoire pas laisser entre les mains de leurs en-
de Yenicbeher ) , voulant dégager les nemis une place aussi importante , se
abords de Nicée occupés par les chré- décidèrent à pousser le siège avec vi-
tiens, s’élance sur la troupe de Ray- gueur. Deux seigneurs croisi's, Henri
,,

ASIK jMllNKURli;. 97

de Hache et le comte Herman , Grent la ville était constamment ravitaillée


construire une machine appelée le /te* par jugèrent qu’elle ne tom-
les navires,
nard, faite en bois de chêne, et recou- berait jamais entre leurs mains , s’ils ne
verte de claies d’osier et de cuir. Cet parvenaient à fermer cette voie. En
appareil, qui pouvait contenir vingt conséquence , ils s’adressèrent à l'ein-
hommes , devait être approché des mu- ercur pour qu’il leur fût donné des
railles pour en saper les fondements; arques, qui furent transportées sur
mais, pendant qu’on le traînait , tous des traîneaux tirés par des chevaux et
les bois s'affaissèrent et écrasèrent les par des hommes, du port de Civitot
hommes qui s’y étaient renfermés. .jusqu’au lac de Nicée, dans une longueur
Quoique les murailles ne fussent bâties de sept milles; les bâtiments étaient
que de briques les machines des Francs
,
assez grands pour contenir jusqu’à cent
étaient imparfaites, qu’ils purent à
si combattants. Cette entreprise fut ache-
peine entamer le ciment qui les reliait. vée dans l’espace d’une nuit.
Cependant à force d’attaques réitérées,
,
L’histoire mentionne plusieurs faits
ils parvinrentà pratiquer quelques fentes de ce genre. Au siège de Tarente , les
dans les murs. La résistance désespérée Romains , maîtres de la citadelle , in-
des Turcs arrêtait l’élan des chrétiens, vestis de tous côtés par l'armée d’An-
et dès qu’une muraille était entamée, nibal avaient cependant la mer libre,
,

on en rebâtissait une autre derrière. Ils et reçurent de Métaponte assez de ren-


combattaient du haut de leurs remparts forts pour détruire les ouvrages avancés
avec un infatigable , et lançaient
zèle des Carthaginois. Annibal, pour inter-
sur les chrétiens de la poix , de l’huile cepter toute communication entre la
des torches enGammées, et toutes les citadelle et la mer, Gt fabriquer des
matières propres à incendier les machines machines pour traîner les galères , qui
des assiégeants. furent transportées à travers la ville,
En voyant les efforts de courage dé- du port jusqu’à la pleine mer (I). Dans
ployés dans ce siège mémorable, en la guerre contre Mithridate, Lucullus
comptant le nombre des assiégeants, étant venu pour délivrer Cyzique , blo-
qui devait s’élever au moins à quatre quée par l’armée de ce prince, Gt prendre
cent mille hommes effectifs, il y a lieu sur le lac Dascylitis une grande barque
de s’étonner qu’une place comme Nicée u’il Gt traîner sur un chariot jusque
n’ait pas été enlevée car située en: ans la mer, et ayant embarqué des
plaine, elle n'est défendue que par des soldats, il l’introduisit dans la ville (2).
ouvrages d’art, sans que la disposition Plus tard, au siège de Constantinople
des lieux vienue ajouter à la difficulté par Mahomet II, les Ottomans, vou-
de l’attaque. Elle a été néanmoins re- lant s’emparer du port, dont l’entrée
gardée par les historiens des croisades était fermée par des chaînes, firent
comme la place la plus forte de toute passer sur des chariots des barques
l’Anatolie. Robert le moine regarde la armées en guerre depuis le point du
,

reddition de Pücée comme une preuve Bosphore appelé aujourd’hui Château


de la protection divine : « Car, dit-il d’Europe (3), jusqu^à la partie supé-
nulle force humaine n’aurait pu l’em- rieure de la Corne d’Or. Mais de
porter sans le secours de Dieu, et il toutes ces entreprises , celle des croisés
était bien juste que cette ville, qui avait fut la plus difficile , puisqu’on une nuit
vu sanctionner tous les dogmes de l’É- les barques parcoururent sept milles de
lise catholique, fût enlevée aux ennein is chemin par terre. Ils suivirent proba-
e notre sainte foi et réconciliée au blement la vallée d’écoulement du lac
Seigneur, et qu’elle rentrât dans le sein au pied des collines, où coulait la ri-
de notre sainte mère Église comme un vière appelée par les anciens fleuve As-
de membres. » Malheureusement,
ses canius.
la croixne brilla pas longtemps sur les
de Nicée, car peu d’années après,
églises
(i) Tile-Live, II, ctiap. III.
elleretomba entre les mains des Otto- (a) Pliitarcli., in Lueiulo.
mans. Haromer, UUt, de* Ot-
(3) Kouinili-Hissar.
Cependant les chrétiens, voyant que tomans, tODI. II.
7' Livraison. (Asie Mineure.) T. II. 7

Ogif
, , ,

98 L’ÜNIVERS.
Cette flottille était sous les ordres du pour fuir par le lac; mais elle fut ar-
capitaine Butumites, que les historiens rêtée avec son fils , et livrée aux princes
des croisades appellent Tatin et qui croisés. C’est alors que les musulmans
était particulièrement attaché à la per- envoyèrent des députés à Godefroi pour
sonne de l’empereur. T/rrsque les mu- traiter de la reddition de la place ; Bu-
sulmans virent les murailles du côté du tumites, qui avait reçu des instructions
lac cernées par les barques des chrétiens, secrètes de l’empereur Alexis, pénètre
leur courage comment^a à les abandon- dans la ville, et décide les Ottomans à
ner. Du côté des chrétiens, au contraire, rendre de préférence la ville à l’empe-
l'attaque fut poussée plus vigoureuse- reur. Cette proposition fut acceptée,
ment; le côté du midi, c’est-à dire de et les princes croisés virent sans envie
la porte de Yéni cheher, où comman- une trahison qui les privait du fruit de
dait le comte de Toulouse, était remar- leur victoire. Mais, sous le rapport po-
quable par une tour d’une grande élé- litique, ils avaient atteint leur but :
vation; près de là se trouvait le palais car, devant s’enfoncer dans l’intérieur,
des sultans, qu’Anne Comnène nomme ils étaient sûrs de ne pas laisser sur

sullanikon, et où demeuraient la femme leurs derrières un ennemi redoutable.


et la sœur de Soliman. Ce palais était En 1106, la ville de Nicéefut remise
.sans doute le même que celui qui fut par l’empereur Alexis aux princes seld-
construit par les empereurs grecs et joukides. A la mort du jeune Alexis,
restauré par Justinien. Tous les efforts Andronic Comnène, peu de temps après
des croisés se tournèrent vers ce point, son avènement à l’empire, en 1183 , se
et les machines les plus puissantes fu- présenta devant les villes de Pruse et de
rent approchées pour battre en brèche Nicée, qui lui refusaient l’obéissance;
et renverser la tour. Ils parvinrent, à INicée ayant été réduite, fut saccagée
l’aide d’un bélier très-solide, traîné à par les troupes impériales, qui y com-
force de bras , à faire dans la muraille mirent des cruautés inouïes (1); mais
une ouverture assez grande pour que elle revint aux Comnènes, au moment
deux hommes pussent y passer. La nuit de la prise de Constantinople par les
ayant mis un terme aux travaux du Latins, et l’empereur Théodore Lasca-
siège, les chrétiens s’aperçurent avec ris, qui s’y fit couronner en 1203, y éta-
découragement que les Turcs avaient blit le siège de l'empire de Nicée. .
_

irolité de leur repos pour réparer tous A la chute de Tempire des SeldjoB-
fes dommages de la veille. Un des as- kides , les Osmanlis s’emparèrent rapi-
saillants, Lombard de naissance, pro- dement de leurs anciennes provinces.
pose enfin de construire une machine Orkhan eut d’abord à se rendre maître
au moyen de laquelle la muraille sera des places de Broussa et de Nicée,
sapée sans danger pour les assaillants. dont son père avait préparé la conquête.
Les chefs des croisés lui fournissent A cette époque, Andronic le Jeune ré-
l’argent et les matériaux nécessaires gnait à Constantinople (1330). La prise
et bientôt les Turcs voient une tour de de Nicée n’offrit pas à l’armée ottomane
bois, dont la hauteur égale celle des moins de difficultés qu’à celle des croi-
remparts , s’avancer lentement , et venir sés, et la marche du si^e fut exacte-
s’appliquer contre la muraille, sans que mentla même. Orkhan s’empara des pe-
les combattants qu’elle contient soient tits forts construits dans les plaines en-
exposés aux traits de la ville. La mu- vironnantes , et bloqua la place assez
raille est minée ;
les pierres de la base étroitement pour que les habitants,
sont remplacées par des pièces de bois, pressés par la famine, songeassent à lui
et bientôt le feu, consumant ces sup- ouvrir leurs portes. Il s’empara du fort
ports, amène la chute du rempart, qui de Karatekin, voisin de Nicée , ce qui
s’écroule en entraînant la tour, objet acheva d’intercepter toute communica-
d’une attaque si bien combinée. Cet tion avec le dehors. Enfin, les habi-
événement acheva de démoraliser les tants, épuisés par des assauts multipliés
assiégés, d’autant plus que la femme et par un blocus de plusieurs années
de Soliman voyant sa retraite menacée
,

par la chute de la tour, fit une tentative (i) Art de vérifier les dates, p. 44$. ^ >
,

ASIE MllNEURE. 99

traitèrent de leur reddition, dont les nien fit construire la grande église de
conditions fiirent acceptées par le sul- Sainte-Sophie, à Constantinople, en 538,
tan. La garnison pouvait sortir avec ses toutes les grandes églises reçurent la
bagages, et se retirer à Constantinople, forme d’une basilique. On peut citer, à
près de l’empereur, et les habitants qui l’appui de cette opinion, le monastère
resteraient à Nicée, en acceptant la loi de Saint-Jean-Stuaius, qui subsiste en-
du vainqueur, conservaient la liberté core dans cette ville, et réglise de Beth-
de pratiquer leur religion. Ces conditions léem bâtie par l’impératrice Hélène
,

acceptées, les habitants se portèrent en mère de Constantin deux monuments


,

foule au-devant du sultan, 'qui fît son dont la date est certaine. Ces églises
entrée triomphale par la porte de Yéni sont formées par deux rangs de colon-
cheher. nes intérieures, supportant une toiture
La première pensée d’Orkhan fut d’é- en charpente. Au fond de l’église est
lever des mosquées et d’établir des éco- l’hémicycle (to pijpa), où était placé
les religieuses. Plusieurs églises appar- l’autel. Cette forme primitive a été imi-
tenant aux Grecs furent converties en tée de la basilique ues anciens, où se
mosquées ; on remarque encore aujour- tenaient les assemblées ( ixxXr, mai ). Plu-
d'hui les ruines de l'église appelée sieurs de ces ^lises de premier style
Agilia-Sophia, qui était, comme la mé- n’étaient que d’anciens temples, dont
tropole de Constantinople', consacrée à l’intérieur avait été élargi en entourant
la sagesse du 'Verbe incarné. Toutes les d’une muraille la colonnade du péri-
peintures et les mosa'iques représentant style. Ce ne fut qu’à l’imitation du chef-
des sujets religieux, tous les versets des d’œuvre d’.Anthemius que les architectes
livres saints inscrits sur les murailles d’ime époque postérieure à Justinien
furent détruits et recouverts de chaux, construisirent des églises à coupole.
et on leur substitua des sentences du L’église de Sainte-Sophie est un monu-
Coran , dont il reste encore aujour- ment trop peu connu et trop peu étu-
d'hui de nombreux vestiges ; mais de- dié car c’est de sa création que date
,

puis plus d’un siècle, depuis la dé- une ère nouvelle pour l’architecture by-
chéance complète de la ville de Nicée, zantine. L’église d’Aghia-Sophia à Ni-
cette mosquee même est abandonnée ;
cée était couverte par un dôme en pen-
la coupole s’est écroulée, et tout le dentif sur un plan carré. Ce caractère
quartier environnant n’est plus qu’un seul indique qu’elle est plus récente
amas de décombres. que la seconde moitié du sixième siècle.
Nous pensons donc que l’église qui exis-
ÉGLISE DE SAINTE SOPHIE. tait à l’époque du premier concile devait
être, comme toutes les autres, en forme
Les voyageurs ont souvent cherché de basilique. Il nous reste trop peu d’é-
les traces de l’église illustrée par le léments pour baser une opinion sur l’é-
grand concile œcuménique qui déter- tendue et la position de cette église,
mina les actes de la foi catholique, et mais il ne faut pas la chercher parmi
posa les bases de la discipline ecclésias- celles qui subsistent encore. Il n’est pas
tique. PaulLucas avait cru reconnaître certain d’ailleurs, que le premier con-
cette église
dans les ruines du théâtre cile général, qui s’assembla le 19 juin
romain que l’on observe encore dans 325, se soit tenu dans une église; l’em-
la partie sud-ouest de la ville. Cette
pereur Constantin, qui le présida en
opinion n’a pas besoin d’être discutée. iersonne, n’était pas encore baptisé. Se-
M. de Hammer croit que l’église d’A- fon ['Histoire des conciles (1), le saitit
ghia-Sophia est la même que celle où synode se tint dans le palais impérial.
se tint ce premier concile. Mais pour L’empereur, pour honorer les évêques,
ceux qui ont suivi les phases de l’archi- prit sa place au milieu d’eux sur uu
tecture byzantine depuis Constantin siège d’or fort bas. Ce palais devait être
jusqu’à la chute de Constantinople, il le mênje qu’occupaient les préteurs ro-
est lacilede déterminer les limites chro- mains et les empereurs grecs, et qui
nologiques des différents styles d’ar-
chitecture. Jusqu’à l’époque où Justi- (i) Tome I, page ao3.
7.
100 L’UNIVERS.
était au rentre de ta ville. Mais les ca- tellement malsain pendant l’été, que
rartères de l’église d'Aghia-Sophia se le métropolitain est autorisé à habiter
rapportent parfaitement à eeux des mo- la ville de Gbio. Les habitants n’ont
numents du huitième siecle, et, par d’autre industrie qu’un peu de jardi-
conséquent, il ne serait pas impossible nage et la récolte de la soie. Quelques
que le second concile, qui se tint en 787, familles grecques fabriquent des tissus
s'y fdt rassemblé. qui se confondent dans le commerce
Orkhan lit élever à Nicée le premier avec ceux de Broussa.
imaret (hospice pour les pauvres) que
lesOttomans aient construit dans cette ClIATITRE XV.
partie de l’Asie; mais les sultans seld-
joukides avaient déjà créé, dans la par- LES MUES.
tie orientale de l’Asie Mineure, de ces
fondations pieuses où l’on distribuait Tant de maîtres divers, tint de sièges
aux pauvres et aux vieux soldats des vi- et de catastrophes , ont apporté trop
vres et des secours. Ces monuments de changements dans la forme de l’en-
recevaient toujours de la piété du fon- ceinte de Nicée, pour qu’on puisse es-
dateur, ou des donations particulières, pérer d’y rien rencontrer qui date de la
un revenu en immeubles destiné à l'en- Nicée de Lvsimaque, ni même de celle
tretien de l’établissement. Ces biens, d’Hadrien. Du temps de Strabon, la
désignés sous le nom de vakouf, con- ville avait seize stades ou deux mille
sistaient en terres conquises sur les neuf cent quarante-quatre mètres de
chrétiens, en bazars et en bains, dont circuit; le pied de ses murailles était
la location revenait à la mosquée de la- baigné par les eaux du lac, qui la d^
quelle les imarets dépendaient généra- fendaient du côté de l’ouest. I,e géo-
lement. graphe grec remarque, en outre, que
Un des soins du sultan Orkhan après ses quatre portes pouvaient être aper-
la conquête de Nicée fut d’organiser çues d’une pierre située au milieu du
l’administration, et de déterminer les gymnase. Ce gymnase avait été com-
limites ou sandjaks nouvellement con- mencé un peu avant l'arrivée de Pline
quis. Nicée fut déclarée capitale du en Bilhynie, pour remplacer l’ancien
sandjak de Kodjà-Illi mais, sous Ma-
; édifice- que le feu avait détruit. On le
homet II, le chef-lieu fut transporté à reconstruisait sur un plan beaucoup
Nicomédie, et ce fut le signal de l’anéan- plus vaste, mais Pline blâme beaucoup
tissement de Nicée. l’architecte. Il trouve que l’édifice est
Aujourd'hui la villë de Nicée est gou- irrégulier, et que les parties en sont
vernée par un mutzellim ressortissant mal ordonnées, et, d’après l’avis d’un
au pachalik de Broussa. architecte, il pense que les murs ne
La ville moderne, appelée par les Turcs pourront soutenir la charge qu’on leur
Isnik , corruption des mots grecs it{ destine, quoiqu’ils aient vingt-deux
Neixalav , occupe la partie centrale de la pieds de large, dimension prodigieuse
cité byzantine. En entrant par la porte pour un monument de cette espèce (I).
de I.efké, on parcourt un grand espace Le peu desolidité des édifices de Nicée
planté en jardins, avant d’arriver a la tenait particulièrement à la mauvaise
ville moderne, dont les maisons bâties qualité du terrain, qui, composé
d’argile offrent l'aspect le plus miséra- d’atterrissements, n’a pas la solidité
ble ; la rue principale, formant le ba- nécessaire pour soutenir de lourdes
zar, est la seule dont l’aspect soit un masses.
peu vivant. I.a population grecque ne Au premier coup d’œil, on serait
dépasse pas douze a quinze cents âmes, tenté de croire que les murailles n’ont
et habite un quartier séparé, voisin de pas changé de forme, car les portes se
l’église actuelle, dont le métropolitain trouvent encore aujourd’hui aux extré-
tient sous sa juridiction tout le pays mités de deux axes qui se coupent à
environnant, depuis Ak-séraï , à l’est, angles droits. Mais, ainsi que nous l’a-
jusqu’à Ghio, à l’ouest, et jusqu’à Yéni
cheher, au sud. Mais Tair de Nicée est (i)PliD., lib. X, lettre XLV III.

1
ASIE MINEURE. 101

vons observé, les remparts sont beau- mètres de largeur, et l’intérieur des
coup plus modernes, et renferment de murailles est un béton composé de gros
nombreux débris de monuments an- sable et de cailloux. Généralement,
ciens le système de défense, un des
-, l’appareil des murailles est eu assises
plus complets et des mieux conservés réglées ; mais, soit caprice des ouvriers,

de toutes les villes de l’Asie Mineure, soit pour donner plus de solidité à
est encore presque entier; il se com- certaines tours, on en remarque quel-
pose d’une enceinte fortifiée, flanquée ques-unes dont les assises sont ajustées
de tours demi-circulaires, c’était le obliquenrent pour former une espèce
itiœniiim ou rempart des Latins. En d'épi ou d'ajustement bizarre. Dans
avant du mœnium et à une distance de plusieurs endroits la muraille est ap-
,

seize mètres s’élève une deuxième en- pareillée avec trois assises de moellous
ceinte également flanquée de tours, dis- et deux assises de briques alternant. Il
posées en échiquier devant celles du n'existe point d'inscription qui nous
rempart, et qui défendaient les abords apprenne à quel règne remonte la cons-
du fossé. C’était Vaqqer des fortifica- truction des murailles , mais le sys-
tions anciennes qui, dans le principe, tème général de défense est tellement
était tout simplement composé des semblable à celui de Constantinople,
terres du fossé rejetées du côté de la qu’on doit penser que ces deux villes
ville. Plus tard, l'ag"er fut une fortifi- ont été fortifiées à la même époque,
cation construite , défendue par des c’est-à-dire, dans le courant du qua-
tours qui correspondaient aux inter- trième siècle.
valles des tours du mœnium. Enfin, le Du côté de l’orient, les murs suivent
fossé, vallum, dont la largeur est au- une ligne droite dirigée du nord au
,

jourd’hui indéterminée par suite des sud , depuis l’angle sud jusqu’à la
ébouiements, complétait la défense de porte principale, qu'on appelle encore
la ville. Des canaux communiquant aujourd'hui porte de Lefké ou de Leucæ.
avec le lac servaient à inonder le fossé Cette muraille est défendue par vingt et
dans les cas d'attaque. Les tours et les une tours.
murailles de l’agger sont moins élevées La tour de l'angle sud-est est fendue
que celles du mœnium, afin que les dans toute sa hauteur ; elle ne porte
machines placées sur le sommet des néanmoins a l'extérieur aucune trace
tours du mœnium puissent agir aussi de l’effet des machines. A la hauteur
près que possible de l’enceinte des mu- du rempart contient une grande
elle
railles. Les tours de Nicée, engagées chambre voûtée et éclairée sur la ville.
dans le rempart de la largeur d'uu dia- On peut facilement cheminer sur le
mètre, ont une saillie égale à ce même parapet dans toute la longeur des
diamètre , c’est-à-dire qu’elles sont murailles. Le chemin de ronde est
formées par un cercle tangent aux mu- pavé de grandes dalles de marbre, ex-
railles et relié par deux plans perpen- traites des monuments anciens. On re-
diculaires. Ces tours ne sont cependant marque surtout un grand nombre de
pas toutes égales ou semblables, car ou piédestaux de l'",!!» de hauteur sur
eu voit quelques-unes qui n’ont de o,hG de large, et qui portent tous des
saillie que les deux tiers d’un diamètre, bases de colonne attenant au même
et d'autres qui sont carrées mais ces
;
bloc, et, de part et d’autre, des arrache-
dernières sont d’une époque plus ré- ments de marches. Il est évident que
cente. Elles ne sont pas également es- tous ces piédestaux ont appartenu à un
pacées; il y en a qui n’ont que dix mè- même monument, qui devait être cons-
tres d’intervalle d'axe en axe, d’autres truit dans la forme d’une basilique. On
ont jusqu’à vingt-cinq mètres. compte soixaute-quatre piédestaux d’é
La construction générale des mu- gale dimension ,
qui proviennent évi-
railles est eu briques, qui ont de trente demment du même heu. Les autres
à quarante centimclres de longueur sur blocs sont des morceaux d’architrave,
une largeur de vingt-cinq à trente. Le. des stèles sépulcrales et d’autres débris
ciment qui les relie est très-épais; le lit sculptés. .Sur ce chemin de ronde était
de mortier a de deux à trois centi- placé le parapet avec le.s créneaux. Une
102 L’UNIVERS.
tours df celte muraille est surtout re-
dt's On arrive à la plate-forme supérieure
marqualile la grande chambre avait été
;
de la tour par un escalier pratiqué
murée il
y a plusieurs siècles, et n’a été dans l'intérieur de la muraille. Cette
ouverte ([lie vers l’année 1834. Elle of- plate-forme est défendue par des cré-
frait dans toute leur intégrité les disposi- neaux qui subsistent encore. Au dehors,
tions intérieiireset la décoration. Dans les tours de Nicée sont complètement
de la tourest une ro-
la partie inferieure unies , sans ressaut ni mâchicoulis. La
tonde voûtée, nui servait sans doute de ligne qui joint la porte de Leucæ à la
magasin pour les machines. Ou arrive porte du Nord ou de Constantinople
sur le rempart , par un escalier ex- (Stamboul-Kapou-Sou) suit une ligne
térieur, dans une salle des gardes de sinueuse, dont la direction générale
plain-pied avec le chemin de ronde, et est nord-est et sud-ouest. Il
y a dix-
également circnilaire et voûtée. Elle est neuf tours dans cette partie, et une po-
éclairée par deux fenêtres fort étroites terne de marbre donne accès dans l'in-
ou harbacanes, qui communiquent avec térieur de la ville. Vers la pointe nord
deux cellules ménagées dans l’intérieur on remarque une longue portion de
des murs (I). Chacune de ces cellules a muraille dans une longueur de deux
deux niches avec un banc pour les ve- cent quatre-vingt-quatorze mètres, toute
dettes. Ce qui donne à celte tour un bâtie en marbre blanc. Elle est défen-
intérêt tout particulier, ne sont les due par trois tours carrées également
peintures qui décorent la salle des gar- en marbre, et ornées d’une corniche à
des; elles sont exécutées à l’encaustique denticules. La muraille porte onze as-
nir le stuc qui recouvre les briques. sises de 0“’,50 de hauteur, et la tour
Ces peintures représentent des prêtres vingt assises. La hauteur de la corniche
ou des saints, oont la tête est ornée est de 0“,56, et supporte un rang de
d’un nimbe d’or, et qui portent des créneaux. L’appareil de cette construc- |

costumes en usage dans l'ancienne li- tion est fait avec soin , aussi quelques
turgie. Quelques-uns avaient leurs voyageurs ont-ils regardé, cette portion
noms écrits, selon l’usage byzantin, en des murs comme un de la Nieée de
reste
colonne verticale. Une grande figure Lysimnque ; mais du côté de la ville cet
de saint George, monté sur un cheval appareil est infiniment moins soigné;
gris, était trop endommagée pour qu’il on voit une inscription dont les carac-
soit possible de la retracer; le cheval tères taillés en relief à la manière des
portait aux jambes des anneaux ornés inscriptions arabes , attestent une épo-
de pierreries. La voûte de la salle est que de décadence; elle est tracée en cinq
peinte en bleu avec des étoiles en rouge. lignes sur une table de marbre de l"',80
Ces peintures portent tous les carac- de longueur, et placée à sept ou huit
tères de l’art du douzième siècle; mais mètres au-dessus du sol. Un jardin
on sait que les peintres byzantins ont nouvellement planté et entouré de murs
plus que tous les autres cherché à con- attenant aux remparts intercepte la cir-
server un type déterminé dans leurs culation sur le chemin de ronde inté-
figures religieuses, et que même à rieur. Il faut entrer dans le jardin pour
notre époque les tableaux des Grecs voir l’inscription.
.sont copiés sur ceux du moyen ,'ige. Il
Ici est le trophée de mort des euneoiis et
serait aonc difficile de dire positive-
des Sarrasins couverts de honte;
ment à quelle époque remontent ces
nos empereurs fidèles au Christ , Léon
Ici
peintures. A
peine cette tour fut-elle
et Constantin,
ouverte, que les Grecs s’y transpor-
Ont réparé la ville, et, à cause du mauvais
tèrent eu foule, et couvrirent les mu- état de l'ouvrage.
railles d’inscriptions qui détruisaient Ont élevé depuis les fondements la tour
ces curieuses peintures ; il est à crain- des Centeniers,
dre que d’ici à quelques années elles ne Qu’ils ont achevée dans l'espace de sept
deviennent tout à fait méconnaissables. ans. Panéus, fifs du patrice Flavius Kuro-
palale , a (présidé).
(i)X'ojer Asie Mineure, t. 1'*', plan-
che X. De la porte de Constantinople à celle

Die .
,

ASIE MINEURE. 103

du Lac, la ligne des murailles se dirige Au nord 42


au sud-ouest; il y a seize tours, dont A l’est 58
quelques-unes sont carrées. La porte de Au sud 74
Constantinople se trouve donc au som- A l’ouest 64
met d’une espèce de grand triangle. De- Total. . . 238 tours.
puis la porte du Lac jusqu’à celle de
Veni cheher, au sud , les murailles sui- Quant à disposition indiquée par
la
vent une série d’angles rentrants et Strabon , bien que les quatre portes se

saillants qui donnent une grande force trouvent encore placées vers les quatre
'

à la défense. C’est le côté le plus fort points cardinaux , on ne saurait retrou-


de la place. Vers la porte de Yeni ver ni la forme carrée, ni la mesure du
cheher, elles enveloppent ,
en formant périmètre qu’il a indiquée; en effet,
une saillie rectangulaire, une enceinte Strabon donnant seize stades au péri-
assez étendue. Cette enceinte rappelle mètre, on trouve, en mesurant le
parfaitement le Castrum ou camp des pourtour des murailles (I) :

soldats qu’on observe dans les murailles


de Rome. Les fouilles que l’on fait dans
De la porte du Sud ou de Yeni
les champs qui occupent une partie de cheher à celle de Lefké. . . 1 125 m.
l’intérieurde Nicée mettent souvent à De la porte de l’Est ou de
découvert les fondations de divers édi-
Lefke à celle du nord. . . 1119

fices.Les débris qu’on trouve en ce lieu, De porte du Nord ou de


la

uniquement composés de briques de Stamboul à celle du Lac. . 1119


differentes sortes, indiquent que les De la porte du Lac à celle de
constructions qui l’occupaient étaient Yeni cheher 1064
faites dans un but d’utilité plutôt que Total pour le pourtour de la

de luxe. ville 4427


Depuis la mrte du Lac
jusqu’à l’an-
le. sud-est de la ville, la muraille est Les seize stades de Strabon équiva-
féfendue par vingt-trois tours , et ou- lent à deux mille neuf cent cinquante-
verte par deux poternes. La tour de neuf mètres. Ainsi , la circonférence ac-
l’angle sud-ouest est carrée, et forme tuelle de la ville , qui est presque de
une saillie considérable , tant en dedans vingt-quatre stades, est de moitié plus
qu’au dehors des murs. A la hauteur du grande que celle indiquée par Strabon,
chemin de ronde il y ,
a une grande c’est-à-dire que pour arriver à la me-
chambre voûtée, dont les murs sont sure de Strabon , il faudrait prendre le
presque entièrement construits avec des carré formé par les lignes qui join-
fragments antiques. Une tour voisine, draient les quatres portes deux à deux ;
dont la construction n’a rien de remar- ce qui donne un carré de trois mille
quable , porte sur une tablette de mar- deux cents métrés de pourtour, ou dix-
bre l’inscription suivante ; sept stades et demi. Mais , en examinant
les portes, nous verrons qu’elles ont
Tour de Michel été construites après l’époque où Strabon
grand roi
le écrivait, et nous devons en conclure
empereur eu Jésus-Christ. que la ville a été augmentée sous les
empereurs Hadrien, Claude II et Léon.
Depuis la porte de Yeni cheher jus-
qu’à l’angle sud-est de la ville la mu- ,
CHAPITRE XVI.
raille suitune ligne qui est à peu près
dans la direction du nord-est. Elle est LES FORTES.
défendue par quinze tours dont la cons-
truction ne diffère en rien de celles de Les quatre portes principales de la
l’est. ville de Nicée subsistent encore dans un
On compte aujourd'hui aux murail- état de conservation suffisant pour qu’on
les du Mœnium cent huit tours et à
i’Agger cent trente, qui sont disposées (i) Voyez Desc. de tAsie Mineure, plan-
ainsi : ches V et VI.

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104 L’UNIVERS.
puisse juger de leur ancienne disposi- mais chaque membre se pourtourne
tion. Mais, lorsqu’on a construit les pour venir former sur le chapiteau du
murailles actuelles, on a cru devoir ren- pied-droit une espèce d’architrave. Le
forcer les portes antiques par des ou- couronnement des portes latérales est
vrages qui, au premier coup d’œil, en orné de denticules; l’entablement est
altèrent les proportions. Deux tours d’ordre liorique , et la frise porte une
massives ont été ajoutées à droite et à inscription; il ii’a pas été possible de
gauche de chacune de ces portes, et déterminer les dimensions de l’attique ;

sur l’attique de marbre on a construit il


y a même lieu de croire qu’il a été
une salle communiquant avec le che- démoli. Dans la frise et dans l’archi-
min de ronde supérieur, et servant de trave qui regarde l’extérieur de la ville
corps de garde aux vedettes. Toutes ces on voit une longue inscription qui est
annexes étant de briques , se distinguent assez fruste et dont les caractères de
,

parfaitement de la construction ro- bronze étaient incrustés dans le marbre.


maine, qui est de marbre. La porte de On ne peut donc lire aujourd’hui que
Lefké et celle de Stamboul sont tout à d’après la trace des crampons et d’après
fait semblables. Nous nous contente- les entailles très-peu profondes qui
rons d’en examiner une en détail. avaient été faites pour maintenir les ca-
En entrant dans la ville du côté de ractères.
l’orient, on franchit d’abord une porte
de peu d’apparence, flanquée de deux
A la maison impériale et à l’empereur
César Hadrien la très-illiistre métropole de
tours, et près de laquelle sont encas-
Nicée a élevé res murailles, sous la surveil-
trés quelques bas-reliefs mutilés ; c’é-
lance et la direction de Cassiiis Chrestus.
tait la porte de l’Agger. On passe ensuite
dans une petite cour qui se trouve à Et sur l’architrave :

droite et à gauche sur le prolongement


du chemin couvert dont la communi- A
l'empereur César, fils du divin Hadrien,
,
petit-filsdu divin Trajan, à Titus Ælius Ha-
cation est interceptée par deux fortes
drien. auguste, l’annee de sa puis.saïu-e
murailles. Un arc de triomphe en mar-
tribnnitienne, la ville a élevé cette porte en
bre , engagé entre deux tours, et écrasé
conséiinence des fonds donnés par le trésor
par une massive construction de bri- des empereurs.
ques , sépare cette cour d’une seconde
orte de construction byzantine qui Ce monument , élevé par l’empereur
onne accès dans la ville. A droite et à Hadrien, remonte probablement à l'an-
gauche de celte porte, du côté de la née 120 de J.-C. 11 est remarquable eu
ville, étaient deux tours massives en ce que, contrairement au caractère im-
briques et en pierres , dont l’appareil est primés à l’architecture de cette époque,
formé de différents dessins (1). I^a tour sa structure est excessivement sitnple.
de gauche communique avec un château Les moulures sont d’un bon style, et se
d’eau , dépendant probablement de l’a- ressentent de la finesse du ciséou grec.
queduc construit par l’empereur Justi- Les deux niches pincées à droite et à
nien. L’arc de triomphe se compose gauche du grand arc ne font pas un
d’une grande arcade de 4“.23 d’ouver- bon effet , parce qu’elles écrasent les
ture; à droite et à gauche étaient deux proportions des petites portes. Du côté,
petites portes carrées qui donnaient droit, l’archivolte et la partie spliérique
passage aux piétons. Au-dessus de ces de la nielle sont d’un seul bloc de mar-
portes sont deux niches construites sur bre.
un plan circulaire , et dont la partie su- L’inscription placée sur la porte de
périeure est cintrée. L’entablement de Stamboul était egalement île bronze,
l'arcde triomphe est soutenu par deux mais 011 n’avait pas eu soin d’entailler
de peu d’importance.
pilastres doriques le marbre pourinscruster les caractères;
1/archivoltc du grand arc ne vient pas il s’ensuit qu’elle est devenue à peu près

poser d’aplomb sur les supports (2), illisible.


La partie supérieure de l’arcade est
(i) Voyez plaiirlic 40 . ouverte pour donner passage à la herse,
(a) Voyez les |i|.inrliea SS el 3y. qui servait, en tombant, à fermer une
, ,

ASIE MINEURE. 106

(orte à deux ventaux , en madriers de de 11“65. Les murailles de l’agger for-


chêne et garnie de fer ; ce système de ment en ce lieu des angles rentrants et
ciêture était fort usité dans les fortidca- saillants qui défendent d’abord l’entrée
tions romaines. On en voit des traces du chemin couvert, car il faut passer entre
nombreuses en France et en Italie. deux tours très-rapprochées de l’agger
pour arriver à la première porte, la-
POETE DE CONSTANTIKOPLE. quelle ne se trouve pas dans l’axe de la
grande porte de la ville, mais s'ouvre
A la porte du Nord, indépendam- perpendiculairement sous les traits de
ment de la double clôture qui existe à la tour de l’Ouest. Ce passage franchi
l’est, on voit encore les traces d’une en- on devait encore faverser une porte
ceinte de dix-neuf mètres de long sur fermée par une forte herse, et on se
vinut mètres de large et qui commu-
, trouvait dans une espèce de cour carrée,
nique avec la ville par trois portes qui semblable n celle de la porte de Stam-
sont à moitié ruinées. Les pilastres sont boul ; cette cour communiquait par trois
en marbre. portes avec la ville.
Les murailles de l'agger avaient dans
L'empereur Céiar Marc-.4urèle Claude
l’intérieur de grandes casemates, mais
pieux, heureux, auguste.
qui sont trop ruinées pour qu’on puisse
Grand puntifu, seconde année de sa
la

puissance Irihunitieiine, consul, père delà


en lever le plan. Ces ouvrages étaient
|ialrie.
de briques comme les grandes tours du
Proconsul (a fait élever) les murs de la rempart, et l’intérieur était en béton.
Nicée, sous la direclion de Vel-
Irès-illuslre Les fondations des grandes tours sont
lius Marriniis, très-illustre légat consulaire faites avec des blocs de marbre enlevés
et propréleur de l'empereur, et de Salliiis aux anciens monuments, et avec des
Anionius, le très-illustre logiste. colonnes couchées horizontalement
comme des morceaux de bois dans un
Marcus-Aurelius Claudius, qui est chantier. L’architecture de la porte ne
plus généralement connu sous le nom présente rien de remarquable; mais du
de Claude II , fut appelé à l’empire l’an côté de la ville, des deux pilastres qui
268 de J.-C. Il devint consul l’année fermaient la cour carrée, il y eu a en-
suivante, et mourut l'an 270. Cette ins- core un qui existe dans toute sa hau-
cription a donc été placée l’année de sa teur, et qui porte dans sa partie supé-
mort. rieure un morceau d’architrave sur le-
quel on lit un fragment d’inscription.
POETE UE YENI CHEHEE. Plusieurs pierres éparses sur le sol por-
tent également des fragments d'inscrip-
Au sud de la ville , il existe une troi- tions que des voyageurs ont copiées à
sième porte souvent réparée par les Ot- différentes époques , et qu’on a recon-
tomans, car c’est celle qui a souffert nues au bout d’un siècle seulement ap-
les plus nombreux assauts. C’est par là partenir à l’inscription du pilastre.
que les musulmans introduisirent les
troupes d’Alexis, plutôt que de rendre La Irès-ilhistre, très-grande, et Irès-iiohle

ville aux croises , et par là encore ville de Nicée a élevé les murailles et le.s a

quele sultan Orkliaii entra en triompha- eonsacrées à l'empereur César Marc-Âuréle,


Claude, pieux, heureux auguste, la .seconde
teur dans Nicée. Il paraît que quelques
,

année de sa puissance trihiinitienne, procon-


indices avaient fait comprendre aux in-
sul, père de la patrie, et au sacré sénat et
génieurs qui ont construit les remparts
peuple romain, sous la direction de l'itliistie
que ce point devait être principalement 'Velliiis Macrinus, légat consulaire et propré-
en butte aux attaques des ennemis, car teurde l'empereur, et de Salliiis AiUoniiius,
il est fortifié d'une manière toute parti- le irés-illusIre logisic.
culière. Deux énormes tours, se ratta-
cliant a un avant-corps quadrangulaire, Quoique cette inscription soit de la
sont construites obliquement en avant même année que celle de la porte du
du rempart. Ce.s tours ont 10"', 03 de semble devoir être postérieure
I.ac, elle
diamètre et sont séparées par un espace de quelques mois, puisque l’empereur

''
eû D; ogle
,

106 L1JNIVERS.
Claude n’y est pas nommé eu qualité de grande partie, et cependant inachevé,
consul. Ce sont les mêmes magistrats a déjà absorbé, m’a-t-on dit, plus de
qui ont présidé à l’érection de ces deux dix millions de sesterces (1,937,600
ortes, râi n’avaient rien de remarqua* francs); et je crains que cette dépense
le sous le rapport de l’architecture. ne soit inutile. De grandes fentes se
sont manifestées par suite des affaisse-
IHTÉRIEUR DE LA VILLE. ments, soit à cause du terrain qui est
humide et mou, soit à cause de la nnau-
En entrant dans
l’intérieur de la ville, vaise qualité de la pierre, qui est mince
on de l’aspect de tristesse et
est frappé et sans consistance. Il y a lieu de déli-
de désolation répandu sur ces lieux. bérer si on l’abandonnera ,
ou même
L’espace compris entre la porte de s’ilfaut le détruire, car les appuis et les
Yeui cheher et le bourg moderne d’is- constructions dont ou l’étaye de temps
nik est occupé par des jardins, du mi- en temps me paraissent peu solides et
lieu desquels s’élèvent c,à et là quelques fort coûteux. Des particuliers ont pro-
masuresappartenaut à d’anciennes cons- mis nombre d'utiles accessoires, des
tructions turques, l-n se dirigeant un basiliques autour du théâtre et des ga-
peu vers le sud, on aperçoit quelques leries dans la partie supérieure (por-
arcades élevées sur un tertre entouré de ticus supra caveam ); mais ces tra-
broussailles. Ce sont les ruines d’un vaux sont ajournés depuis qu’on a sus-
théâtre antique qui est aujourd’hui pendu la construction du théâtre. >
presque entièrement enfoui sous terre. L’empereur répond à Pline « Cestà:

Il est du petit nombre des théâtres de vous qui êtes sur les lieux d’examiner
l’Asie qui ne sont pas adossés à une et de régler ce qu’il convient de faire
montagne; lacaoea que forment
aussi, relativement au théâtre de Nicée Le
les gradins, n’étant soutenue que par théâtre achevé , n’oubliez pas de ré-
des voûtes , s’est-elle affaissée en plu- clamer des particuliers les accessoi-
sieurs endroits. La courbure du théâtre res qu’ils ont promis. » Ce n’est pas se
regarde le nord ; la scène a soixante- jeter dans des conjectures très-hasar-
dix-neuf mètres de diamètre ; mais il ne dées que de regarder les ruines qui
reste plus rien de cette partie de l’édi- existent comme celles du théâtre bâti
lice. Les vomitoires, dont la voûte sup- par les soins de Pline. L’appareil étant
portait les gradins , sont bâtis en gros en pierre de taille , il est à croire que
Llocs de pierre calcaire , unis sans ci- l’ancienne construction a été démo-
ment, et paraissent remonter à une lie pour faire place à celle que nous
époque assez reculée. Dans ce qui reste voyons.
de la construction générale de cet édi-
fice , on n’observe rien qui ne rentre MONUMENTS MUSULMANS.
dans les dispositions connues. Aussi,
dans un pays où les théâtres antiques Le sultan Orkhan, pour répandre et
sont si nombreux et si bien conservés, affermir les principes de l’islamisme,
celui-ci mériterait-il peu d’attention, avait fait construire dans la ville plu-
s’il ne rappelait des souvenirs histori- sieurs édifices religieux, que nous nous
ues, car il est probable que le théâtre sommes contentés de mentionner,
ont nous voyons les ruines est le même parce qu’ils sont ruinés et ne présen-
que celui qui fut. commencé par les ha- tent que peu d’intérêt sous le rapport
bitants de Nicée pendant que Pline de l’art. Pour imiter l'exemple du sul-
était préteur de Bithynie , et qu’il de- tan, plusieurs de ses lieutenants éta-
manda l’autorisation de réparer ou d’a- blirent aussi des fondations pieuses, et
chever. Il est certain que si ce n’est pas créèrent des waUoufs pour leur entre-
le même l’emplacement, du
édifice, tien. Chacun croyait faire une action
moins, n’a pas changé. Pline s’exprime agréable à Dieu en consacrant une part
eu ces termesdanssa letlreàTrajan(l) ; du buliu, soit au culte de l'islam, soit
« Le théâtre de Nicée, bâti en très- au soulagement des pauvres. Ainsi
outre \^stnédrécés (écoles religieuses),
(i) C. Plinii Epist., lib. X, XLVIII. où les jeunes gens étaient instruits gra-
,

ASIE MINEURE. 107

tintement ou moyennant une faible re- cades latérales sont formées par des
devance, il y avait des cuisines publi- barrières de marbre , découpées à jour
bliques ( imarets ) et des bains entre- avec une délicatesse extrême. Au-dessus
tenus aux frais d’un fondateur, qui de la porte , on lit cette inscription
étaient ouverts aux pauvres à certains dont les caractères sont gravés en re-
jours et à certaines heures. Ce zèle re- lief, selon l’usage des musulmans :

ligieux ne se ralentit pas sous les suc-


Au nom du Dieu clémeut et miséricor-
cesseurs d’Orkhan ; la ville de Broussa
dieux ce noble imaret a été bâti et consacré
fut richement dotée de monuments pu-
,

dans un esprit de piéié sous le règne du


blics par le sultan Mourad. Nicée ne grand prince Cheub*Eddin Mourad fils
fut pas oubliée par les lieutenants de d'Ourkhan.,.. Khayr-Eddin, fils d’Ali Al-
ce prince, et le plus gracieux monument djiudéré, que Dieu fasse miséricorde à tous
d’architecture arabe, qui existe encore deux, dans l’année sept cent quatre-vingt.
à Nicée, le temple appelé vulgairement Louange au Dieu unique.
laMosquée verte ( Yechil-üjamy) est
une des fondations de Khayr-Eddin pa- Sur la porte du portique on lit cette
cha, grand vizir de Mourad Ce autre inscription , tracée sur une seule
ministre, célèbre dans l’histoire otto- ligne :
mane par la prise de Salonique, dont a Cette mosquée, asile des oulémas,
il s’empara après un siège sanglant, a été bâtie par le vizir Khayr-Eddin-
laissa dans l'histoire une brillante répu- Pacha, l’an 775 (1373-1378). . La dif-
tation de sagesse etde bravoure. Il mou- férence de ces deux dates indique sans
rut à Yeni cheher, en Europe, en 1386, doute l’époque de la fondation et l’é-
peu de temps après la prise de Salo- poque de la consécration. Quant au mot
nique. imaret employé dans la première , il est
L’obligation où sont tous les musul- usité ehez les Arabes pour désigner in-
mans de faire au moins une fois dans distinctement toute fondation pieuse.
leur vie le pèlerinage de la Mecque peut Chez les Turcs, il désigne un hospice
être rachetée par des aumônes propor- où les pauvres reçoivent chaque jour
tionnées au rang et à la fortune des une distribution de* vivres.
croyants. C’est pour payer leur dette Dans l'intérieur d’un des gros murs
de pèlerinage que les sultans ont élevé est pratiqué un escalier qui conduit au
dans Constantinople ces mosquées qui minaret. Au fond du sanctuaire se trouve
font l’omenient de la ville. Le grand vi- la niche vers laquelle tout musulman
zir Khayr-Eddin, constamment engagé doit se tourner en faisant sa prière , et
dans des guerres qui ne lui laissèrent qui indique la direction de la Mecque;
pas le loisir d’accomplir ce pieux de- c’est ce qu’on appelle le Mirhab. Près
voir, fonda la mosquæ de JNicée, con- de là , a la droite de l’assistant , se
formément à cette sentence du Coran : trouve une chaire , dont la forme est la
« Celui qui élève une mosquée en l’hon- même dans toutes les mosquées musul-
neur du Seigneur notre maître, Dieu manes et qui consiste en un escalier
,

lui élève une maison dans le Paradis. » très-rapide, conduisant à une espèce de
L’édihce que nous décrivons a cela de pavillon, où se place le mollah pour
remarquable qu’il doit être regardé, les instructions religieuses; cette chaire
non comme une œuvre des artistes turcs, porte le nom de Minnber.
mais comme le dernier vestige des arts
des Seidjoukides dans l’occident de l’A- ÉGLISE GRECQUE.
sie Mineure.
L’édifice est quadrangulaire; il a Malgré tous tes efforts des musul-
26 mètres de long sur 12 ™,74 de mans ,
ils ne parvinrent pas à anéantir

large. En avant du temple, il existe la religion chrétienne dans la ville de


un porche en marbre blanc composé, Nicée. La nation grecque s’y est perpé-
sur la façade , de trois arcades ogivales, tuée fidèle à son culte , et entretient de
portées par deux colonnes de granit ses offrandes l’unique église que les
rouge , et en retour de deux arcades que vainqueurs ombrageux leur aient laissée.
sépare une seule colonne. Les deux ar- Elle est située dans la partie raéridio-
,

108 L’UNIVERS
n:)le du quartier grec ,
et ,
malgré les du lac, ou se trouve sur l’ancienne voie
nombreuses réparations qu’elle a subies, qui traversait toute l’Asie, et allait des
il est facile de voir que sa construction côtes de la Propontide aux confins de
remonte au delà du douzième siècle. la Syrie. Cette route francJiissait le
La nef est couverte par une coupole qui Sangariu.s sur le grand pont de Sa-
était ornée de mosaïques, aujourd'hui bandja; elle passait par Pessiiiunte, et
en partie détruites; mais l’hémicvle du delà s'inclinait nu sud pour aller gagner
fond conserve encore toute sa décora- la Pisidie, en traversant la Cappadoce.
tion primitive. Dans la demi-coupole C’est encore la voie la plus fréquentée
qui le couronne, on voit une figure de par caravanes qui viennent de Bag-
les
la Vierge portant l’enfant Jésus ; de part dad et de la .Syrie ; mais depuis long-
et d’autre sont des anges revêtus d’un temps on ne songe plus h l’entretenir
riche costume orné, de pierreries et de ou a la réparer. L’état de dégradation
perles, et qui portent un étendard. où se trouvent les routes de l’empire ot-
Le premier vestibule ou narthex con- tonian est une des marques les plus
serve aussi quelques tableaux en mo- évidentes de l’incurie et de l'impré-
saïque. Au-dessus de la porte principale, voyance de radministration des pro-
on remarque une figure de la Vierge vinces, qui se trouvent forcées de con-
les mains étendues, et vêtue d’un inan- sommer sur place leurs produits, et ne
teau bleu. Cette mosaïque est à fond peuvent tirer qu’à grands frais les den-
d’or, et dans le champ du tableau on lit rées du dehors. C’est surtout en voyant
ces mots : le soin que mettaient les anciens à" ou-
vrir des communications faciles et di-
.Soigneur, secours ton serviteur Nicépliore,
rectes entre tous les points de l'empire,
palricc, préposé au vestiaire, et grand été-
riar<|uc.
que l’on peut juger du contraste entre
les deux époques et de la déchéance où
On sait que charge de vestiarius ,
la ce pays est tombé. Dès les premiers
qui correspond à ceHe de chambellan, temps de la conquête , les Romains ou-
était une des hautes fonctions de la cour vrirent une voie de communication entre
de Byzance. La charge d’étériarque,qui les villes d’Apamée et de Cius. places
s’exprime en latin par comitum dux, maritimes assez importantes et l’inté-
appartenait aussi à un des grands offi- rieur du pays. Elle fut réparée par
ciers du palais. Le nom de Nicéphnre, Néron, qui fit trancher un rocher dont
inscrit sur la principale porte de l'église, le prolongement interceptait la route.
est probablement celui du fondateur; Ce rocher est connu des habitants sous
mais on a négligé d’inscrire la date de le nom de Sari-Kaïa (la pierre jaune);

la construction. c’est un calcaire jurassique, jaunâtre à


On remarque dans l’église de Nicée la surface, mais gris à l'intérieur, lise

un sarcophage très-précieux en pierre présente en plusieurs mamelons , et ap-


spéculaire, dont la face antérieure
et partient à l'un des contreforts des mon-
est décorée d’ornements dans le goïlt tagnes qui encaissent le lac.
byzantin, d’une bonne exécution. Ce La base des collines est composée de
monument ne porte pas d’inscription. grès rouges, mais dans la partie su-
On peut supposer, d’après le caractère périeure on retrouve le calcaire juras-
de la sculpture, qu’il remonte au qua- sique avec ces roches .nbruptes qui sur-
trième siècle. Kn mettant des cierges gissent du sol en formant des pitons
allumés dans l’intérieur, la pierre laisse aux fiattes déchirés. Cette formation se
passer une lumière douce et uniforme, continue pendant trois heures de route,
et les ornements se découpent en noir jusqu’à un vallon environné de rochers
sur le fond qui est plus éclairé. Cette qui s’avancent jusque dans le lac. C’est
pierre se tirait de Galatie. la que les travaux ont été les plus consi-
dérables.
VOIE nOMAINE. Une inscription bilingue, tracée en
grands caractères , atteste que ces tra-
En sortant par la porte de Yeni vaux sont dus h l'empereur Néron , qui
cheher, et en suivant la rive méridionale les fit faire la quatrième année de sa

<
ASIE MINEURE. 109

puissance tribunitienne, par conséquent et 4"’ 35 de longueur et est taillé dans


l'an (le J. -G. 68 ou 69. Voici cette ins- un seul bloc de pierre calcaire. Sa
cription : forme est celle d’un ædicule ; la fa-
çade se compose d’un fronton soutenu
Néron Claude, fils du divin Claude, petit- aux angles par deux pilastres d’ordre
GU de Geriuanicus César, arriére-petit-fiU dorique, la corniche est ornée de denti-
de Tibère (iésar Auguste, arrière-petit-GU du cules. Dans l’intérieur sont taillées, à
divin César Auguste , César Auguste Germa- droite et à gauche, deux banquettes
iiicus, grand pontife , la ([uatriéine année de
pour déposer les corps. La forme et la
sa puissance tribunitienne, empereur pour dimension de ce mausolée ont déjà at-
la deuxième fois, ifonsul pour la troisième
tiré l’attention de quelques observa-
fois, a fait réparer la roule du Nicce à
teurs. Pococke a cru reconnaître sur
Apaméc, détruiin par le temps, par les soins
l’une de ses faces une inscription hé-
de Caiiis Julius Aquila, procurateur impé-
rial.
braïque dont il n’y a pas de vestiges ;
car on ne peut prendre pour tels quel-
ques traits informes dus au caprice des
CHAPITRE XVII .
passants. Les alternatives des saisons
ont déjà contribué à la ruinei'de ce mo-
I.A PYRAMIDE DE CASSIUS ASCLÉPIO- nument ; des fissures se sont ouvertes et
DOTUS. l’ont fendu dans toute sa hauteur.
II est certain que cette masse de
I.es environs de Nicée, aujourd’hui pierre, qui présente un volume de près
presque déserts, étaient certainement, de dix-huit mètres cubes, a été trans-
dans les premiers siècles de notre ère, iortée à cet endroit car le sol sur
;

couverts de nombreux villages et de fequel elle repose est de toute autre na-
maisons de campagne ; tout cela a dis- ture ; c’est un banc de schiste.
paru, ruiné par les sièges et les guerres La route de Bech tasch quitte les
civiles. On ne reconnaît aucun vestige collines pour se diriger au milieu des
de la nécropole. 11 e.xisle cependant au cultures de vignes et de mûriers; la vé-
nord, et à quatre kilomètres de la ville, gétation est magnifique dans cette ré-
un monument qui date du règne de Tra- gion comme dans tous les environs de
jan et qui mérite d’étre vu ; c’est la pyra- Nicée.
mide de Cassius, connue dans le pays sous Bientôt on retrouve les montagnes,
le nom de Bech tasch (les Cinq pierre.s). mais arideset pelées. Un grand soubas-
On trouve facilement à Nicée des guides sement sur lequel on arrive par un es-
(jui connaissent ce monument. calier de quatorze marches est entière-
La route suit d’abord les rives du lac ment taillé dans le roc; c’était sans
et se rapproche des collines qui bornent doute l’emplacement de quelque petit
l’horizon du côté du nord-est. Elles temple ou d’un autel de carrefour.
sont de formation jurassique, entre- En cet endroit la montagne est com-
coupées par les lits de schiste la roche ; posée de roches (le marbre blanc, mais
est un calcaire gris blanc compacte et d'une qualité médiocre; il est imprégné
un peu cristallin ; elle se présente en de particules cuivreuses qui forment
niasses non stratifiées, s’élevant en fa- des taches verdâtres. On arrive bientôt
laises presque verticales. C’est la meme dans une grande plaine au milieu de
formation que, l’on rencontre déjà à Ak laquelle est la pyramide, ou plutôt l’o-
serai et qui paraît ss prolonger sur bélisque de Cassius. Ce monument est
toute la côte nord du lac. construit en calcaire gris de la contrée.
On a employé cette roche qui est Il se compose d’un soubassement carré,
presque aussi belle et plus dure que le couronné par une corniche, sur lequel
marbre dans presque tous les monu- s’élève l’obélisque, de forme triangulaire;
ments anciens de la ville. ce qui n’est pas d’un goût très-pur. La
A une demi-heure de distance hors hase porte une mouluredans le style atti-
des murs, sur les flancs de la colline, ue.L’obélisqueétaitcomposédesix blocs
se trouve un sarcophage antique de e pierre; mais le couronnement est
grande dimension ;
il a 2*" 60 de large tombé; il ne reste plus que cinq assises.
I ,

110 L’UNIVERS.

Voila pourquoi les Turcs appellent ce mes. La chaîne du sud, qui est comme
monument Bech tasch. la première ceinture d’un des plateaux
Le côté qui regarde le couchant est de l’Olympe, est couverte d’une végé-
parallèle à la face du piédestal , au- tation alxmdante et alpestre qui donne à
dessus de la plinthe de l’obélisque, on cette région un aspect des plus riants.

lit la courte iiiscriptioii suivante


: I.elac Ascanius, d’après les anciens géo-
graphes, appartenait à la Mysie et fut
C. Ca«ius, fils d’Ascléplodolus, a vécu qiia- ainsi nommé de la région Ascania dont
Ire-vingt-lrois ans. il faisait partie. Le bourg d’Ascanie
était bâti sur les bords du lac dont les
Asclépiodote de Bithynie était ami eaux s’épanchaient dans la mer en for-
intime du poète Valérius Soranus qui mant le fleuve Ascanius. La contrée
vivait du temps de Cicéron et de César. était aussi appelée Dolionide (1). I..a si-
Lorsque ce poète fut mis en accusation, tuation et la raison d’être de ce lac sont
Asclépiodote lui témoigna toujours le parfaitement indiquées par la nature
même attachement; ses biens furent même du pays. La grande vallée cou-
confisqués et lui-même envoyé en exil ; rant est et ouest et qui se termine à
Soranus fut condamné à mort (I). Si l’est par les montagnes de Ak serai (2),
l’on ajoute à la date de ces faits les deux chaînes parallèles au nord et au
quatre-vingt-trois ans de la vie de Cas- sud, et enfin à l’ouest une barrière de
sius, on arrive à la fin du premier siècle, collines peu élevées qui donne passage
c’est-à-dire au temps où Pline était pré- au trop plein des eaux du lac.
teur de Bithynie. On est donc à peu Toutes les eaux pluviales ne pour-
près certain de la date de ce monu- raient cependant suffire à l’entretien, à
ment. l’évaporation et à l’épanchement de
cette nappe d’eau ; il faut de plus sup-
CHAPITRE XVII poser des sources souterraines qui en-
tretiennent son niveau.
ROUTE DF. NICÉE A CIÜS, GHIO, PAR Si l’on examine bien la rive nord, on
LA RIVE SUD DU LAC. LE LAC ASCA- verra que de ce côté les eaux tendent
NIUS. PYTHOPOLIS. à se retirer. Ce n’est que la conséquence
des atterrissements formés par les
Nicée se trouve en communication pentes du mont Katerli. Les eaux du
avec la mer par deux routes, la pre- lac sont très-saumâtres. Aristote attri-
mière que nous avons indiquée plus bue au nitre qu’elles
cette particularité
iiaut (2) par Hélénopolis et la vallée du tiennent en dissolution et non pas au
fleuve Draco, la seconde par la rive mé- sel marin Les eaux du lac nourris-
(3).
ridionale du lac et le port de Cius ; c’est sent plusieurs espèces de poissons qui
cette route que nous allons suivre. ne sont pas encore étudiés ; il y en a qui
ont plus de soixante centimètres de lon-
LE LAC ASCANIUS. gueur et qui ressemblent au sterlet;
mais il est très-diflicile de s’en pro-
Les murailles de Nicée du coté de curer ; à peine peut-on trouver un ba-
l’ouest plongent dans les eaux mêmes teau sur le lac de Nicée. Toute la partie
du lac, qui s’étend dans une direction d’histoire naturelle du lac, coquilles
moyenne de l’est à l’ouest, et dont le mollusques et poissons, est encore à
grand axe a environ vingt-deux kilomè- étudier.
tres de longueur, tandis que le petit axe Peu de plantes aquatiques croissent
nord et sud n’en a pas plus de dix. 11 est sur ses bords qui sont neanmoins fré-
,

encaissé entre deux chaînes de monta- uentés par de nombreuses troupes


gnes; celle du nord, qui n’est autre que ’oiseaux, parmi lesquels on remarque
le mont Arganthonius, aujourd’hui Ka-
terli dagh, offre des ligues assez unifor- Strabon,XlV,68i ; XII, 564. Homère,
(1)
//., b. 86a, n. 79a.
(i)Tacit., y4nnaL, XVI, ch. 33. (a) Voy. pl. haut.
(a) Voy. pase 69. (3) Aristote, de lUirat., ch. 54.

(.
,

ASIE MINEURE. m
les hérons, les cigognes et les pélicans des eaux stagnantes. Dans tout ce long
appelés par les Turcs Saka Kouch parcours à peine traverse-t-on quelques
(l’Oiseau porteurd’eau).Ungrand nom- ruisseaux qui portent au lac un maigre
bre d’échassiers, l’avocette, la spatule tribut. Bientôt cependant on rencontre
prennent leurs ébats sur la plage, sans un cours d’eau qui va se jeter dans l’an-
s’elTrayer de la présence de l’homme cien fleuve Ascanius, qui sans ce sup-
qui les laisse jouir en paix de cette na- plément courrait risque d’être à sec une
ture sauvage. La végétation des collines partie de l’année; en effet, d’après les
n'est pas moins intéressante que la renseignements fournis par les habi-
faune; les arbres des pays méridionaux, tants,le fleuve qui sort du lac, autre-
l’arbousier, le myrte, le laurier, attei- ment dit la rivière de décharge, ne
gnent des proportions inconnues dans coule qu’à certaines époques, environ
nos contrées. L’agnus castus, arbuste six mois de l’année, quand les pluies
jadis consacré à Junon , commence à ont exhaussé la surface du lac. Cela se
faire son apparition il couvre des ré-
;
conçoit vu la rareté des affluents qui sont
ions entières dans le sud et dans l’ouest sur la rive sud.
e la province. Sa petite fleur bleue et On l’a vu rester à sec pendant plus
d’une odeur de poivre sert à purifier d’une année.Voilà pourquoi il n’y;a pas
l’atmosphère ; les anciens lui donnaient de moulins sur ses bords quoique son
le nom d’agnus castus, parce qu’ils cours soit assez rapide.
croyaient que ses petits fruits, pris en Ces deux cours d’eau peuvent être
infusion, entretenaient la chasteté. Les facilement identifiés avec leurs an-
branches servaient pour fouetter les en- ciennes dénominations. La rivière du lac
fants. est sans aucun doute le fleuve Asca-
On traverse de temps à autre de niiis et l’autre serait le fleuve Cius, ce
grandes plantations de mûriers et d’o- qui donnerait raison à Pline (t) qui
nviers ; plus loin c’est un vallon planté fait des fleuves Cius et Ascanius deux
en haute fûtaie de châtaigniers et de cours d’eau différents.
platanes les sentiers serpentent sous les
-,

arbres. PYTHOPOUS.
Mais les villages ne paraissent pas ;
ils sont situés loin de la route et à mi- C’est dans cette région d’Ascanie
côte; c’est tout le contraire de l’Eu- qu’il faut placer la ville de Pythopolis,
rope où les habitations se rappro- fondée par Thésée mais il est dinicile
;

chent le plus possible des voies fré- d’en déterminer la position à moins
quentées. qu’on ne la mette sur l’emplacement
Le lac parait encaissé dans un bassin même de Nicée qui n’existait pas en-
de poudingue dont les couches, peu in- core. Si l’on s’en rapporte à Plutar-
clinées, plongent sous les eaux. Avec que (2), qui emprunte ce fait à Méné-
moins d’attention on pourrait se croire crate, historien de Nicée, Pythopolis au-
sur la trace de quelque voie romaine ; rait été fondée par Thésée dans le voi-
c’était en effet la ligne qu’elle suivait. sinage du lac Ascanius dans les circons-
Les montagnes s’avancent peu à peu tances suivantes Soloïs, ami de Thésée,
:

jusqu’au bord du lac ; c’est là que des s’étant jeté dans la rivière voisine par
travaux furent exécutés par ordre de suite d’un désespoir amoureux, Thésée
l’empereur Néron pour ouvrir un pas- désespéré donna au fleuve le nom de So-
sage ; la roche est dure et compacte loïs ; c’est le fleuve Ascanius. De plus,
comme dans les montagnes de l’est. pour obéir aux conseils de la Pythie, il
Après vingt kilomètres de route, la londaen cet endroit une ville qu'il nom-
chaîne qui encaisse le lac s’en éloigne; ma Pythopolis. D’après ce récit il fau-
les eaux ont moins de profondeur et drait chercher cette ville dans le voisi-
commencent à laisser croître des joncs et nage du Uc. Pline (3) la met au nombre
d’autres plantes aquatiques. Le terrain
est uni et marécageux ; mais comme le
(1) Liv. V, ch. 3a.
.sol estcomposé d^un sable fin, la route (aj Plutarque, Pïe de Théeét.
est encore praticable même au milieu (3) V, 3a.
113 L’UNIVERS.

des villes détruites. « Les villes dePy- Cependant le nom de Cius subsista
thopolis, Parthénopolis, et Coryphaiite toujours, et l’on peut dire que c’est celui
ont péri. • On doit en conclure que cette qui a prévalu ; car le nom moderne de la
ville et celle que le.s historiens byzan- ville que les Grecs appellent Ghio n’est

tins nomment Pythia sont deux places que l’altération de l'ancien nom Kios.
tout à fait différentes. Nous parlerons Les croisés, qui avaient fait de ce port
de cette dernière an sujet des bains de leur principal point de débarquement
Brnussa. en Asie, lui donnaient le nom deQvilot,
Étienne de Byzance, qui mentionne et pour compléter la multitude de noms
les deux places (1) , Tlierma et Pylho- que cette petite ville a reçus depuis l’an-
polis, en fait deux villes différentes, tiquité, les Turcs l’appellent Guemlek,
puisqu’il place celte dernière d.ansla My- ce qui veut dire cJiemise, parce que c’est
sie. Ce canton appartint en effet primi- de cette ville que viennent par transit les
tivement à la Mysie. chemises de soie que l'on fabrique à
Broussa.
CHAPITRE XIX. La position de la moderne Cius est

I
des plus heureuses ; le beau golfe de
.Moudania développe ses flots bleus
ClUS, GIIIO.
devant les maisons bâties en amphi-
théâtre, et derrière la ville s’élève le
La petite ville de Gbio, l'ancienne
mont Arganlhonius, célèbre dans l’anti-
Cius, est située au bord de la mer sur
quité par la du jeune Hylas, favori
fable
le revers oriental d’une colline dépen-
dant du mont Katerli; elle n’occupe d’Hercule, qui, au moment où la flotte
qu’une très-petite partie de la ville an- des Argonautes était mouillée dans le
port , descendit à terre pour puiser de
tique; l’ancien port est aujourd'hui
l’eau et fut enlevé par les nymphes.
comblé et converti en jardins ; mais le
port moderne offre un excellent mouil- Nous avons rapporte la tradition con-
un arsenal où l’on cons- servée par Apollodore qui attribue à
lage et contient
de grands navires. Polyphénie la fondation de Cius; celle
truit
Cius est une des pins anciennes villes de Strabon est différente; c’est l’Argo-
de la contrée, puisqu’elle passe pour
naute Cius , autre compagnon de Jason,
uni, revenant de la Colchide, s’arrêta
avoir été fondée par Cius, l’un des Ar-
gonautes à son retour de (iolcbide (2). dans ce port et fonda la ville à laijuelle
Cette ville, placée à l’entrée d’un golfe
il a donné son nom (I). Les Grecs ai-
bien abrité, en communication avec le maient beaucoup celte fable d’Hylas (2),
et le souvenir de cet événement se per-
lac Ascanius par la rivière du même
nom , devint bientôt un lieu d’entrepôt pétua parmi les habitants de Cius, qui
instituèrent une fête nocturne appelée
considérable , attira dans sou sein de
nombreux colons grecs. C’est pour cette Oribasie, pendant laquelle on courait
raison qu’elle fut aussi regardée comme par la montagne en portant des flam-
uue colonie des Milésiens. On connaît neaux et en appelant Hylas.
peu de chose de ancienne de
l’histoire Le nom d’Hylas fut donné à la source
et au ruisseau "près duquel on suppose
Cius qui paraît n’avoir jamais été qu’une
place de commerce. Philippe, fils de Dc-
quele jeune Argonaute avait disparu. Ce
métrius, après avoir détruit Cius et Myr-
cours d’eau, qui est qualifié fleuve par
la plupart des géographes anciens, est
léa, ville voisine, les donna toutes deux à
Prusias, fils de Zélas qui rebâtit la ville
encore ignoré aujourd’hui (3).
et lui donna le nom ae Pruse. Pour la Le mont Arganlhonius qui domine la
ville fut ainsi appelé d’Arganlhonis,
distinguer de celle qui existait au pied
de l’Olympe, en l’appela Pruse sur mer femme de Rhésus (4); c’est une monta-
Prusa ad mare. Les habitants de Pru- gne , boisée et découpée par de longues
siade vécurent en paix avec les Romains
et en reçurent quelques privilèges. ([I Stral)., XII ,
loc. rit.
(a) 'Viig., Kcl., 6.
(i) Kl. Byz., V. Tlicnua, Pylhopoliv. (3) Pliiic, V, 3a. .Sliab., loc. cit.
(») Sirab., XII, 563. (4) Et. Byz., j4rgmUhon!t.
ASIK MllSEtJRË. US
vallées
,
qui s’étend le long de
la Pro- BOUTS DE onio a-bboussa.
(lontide. La
de Ghio forme une
rivière
ligne de séparation bien tranchée entre La route de Ghio à Broussa se dirige
les deux natures de roches qui consti- droit vers le sud ; du moment qu’on a
tuent ces montagnes ; celle qui domine passé la rivière, on commence à monter
la villede Ghio ofhre de nombreux gi- et l’on ne quitte plus le pays monta-
sements de serpentine et de marbre gneux. I-a route est belle et très-prati-
cipolin dont on faisait des colonnes. cable, parce qu’elle est fréquentée par
Les restes d'antiquité les plus re- les chars qui portent des bois de l’O-
marquables dans l'ancienne Gins sont lympe à l’arsenal de Ghio. Le transport
les murailles, qui datent certainement se fait au moyen d’attelages de qua-
de In fondation de la première ville ; torze à seize bœufs ; lorsqu’on emploie
elles s'étendent depuis l'acropole , où les buffles on n'en met que six. Ces
est aujourd'hui la demeure de l’agha , animaux sont en Asie beaucoup plus
jusqu'à la baise ville; leur construction grands et plus forts qu'en Italie ; leurs
en blocs assemblés à joints irréguliers cornes sont un objet de commerce con-
dans le style pélasgique est des plus sidérable à Constantinople.
remarquables. I.es dimensions de cha- Sur toute cette partie de la route, la
que pierre ne dépassent pas un mètre nature est tout à fait à l’état sauvage.
carré; la face de la pierre est à bossage On franchit des collines rocheuses cou-
et les joints sont régulièrement aplanis vertes de végétation. A dix kilomètres
au ciseau. environ de la ville, on descend dans un
On doit faire observer que cet appa- vallon qui était autrefois coupé par une
reil seul n’est pas une condition de très- énorme muraille d’appareil pélasgique ;
hautc antiquité , car il a été pratiqué le milieu a été démoli pour faire passer
iar les Romains; mais de leur temps la route; cette muraille se prolonge à
f'intérieur du mur était rempli en blo- droite et à gauche jusqu’au sommet de
cage uni avec du mortier; tandis que chaque colline ; elle est bâtie en pier-
dans la haute antiquité il n’y a jamais res de grande dimension assemblées à
de mortier employé dans la construction joints irréguliers, et porte tout le cachet
des murailles. Pour nous conformer à d’une haute antiquité. Placée ainsi loin
l’expression reçue, nous appellerons pé- de toute ville, on ne peut que supposer
lasgiques les constructions à joints irré- qu’elle a été élevée pour séparer deux
guliers que nous aurons à décrire, mais peuplades, peut-être les Doliones et les
sans attacher à cette expression une Mysi. Ces murs frontières, Ænw ou do-
autre idée que celle de la forme des suræ. sont assez dans les habitudes de
pierres et non pas d'antiquité. ces temps, et la muraille qui existe en
Les monuments romains sont presque cet endroit ne parait pas avoir eu
tous détruits. C’est ce qui a lieu dans d’autre destination. Il serait intéressant
toutes les villes qui ont conservé leur de savoir où sont les points d’attache ;
population. Mais les fouilles faites pour peut-être en suivant son parcours se-
ta construction des maisons mettent rait-on conduit à quelque découverte.
souvent à découvert des fragments d’ar- Après avoir franchi un second col, on
chitecture. On a retrouvé dans un descend dans la vallée du INiloufer, que
de la ville moderne
jardin en dehors l’on passe sur un pont de hois. Les
remplacement d'un temple dont les sommets de l’Olympe se développent à
colonnes entières mais couchées sur le la vue dans toute leur majesté; le pay-
sol sont en marbre cipolin; elles ont sage de Broussa, vu du côté du nord,
6™ 64 de longueur; les chapiteaux corin- est des plus magnifiques qu’on puisse
thiens sont en marbre blanc. Malheu- imaginer.
reusement les habitants s'empressent
d’utiliser dans leurs constructions tous
BOUTE DE HOUDANIA A BROUSSA.
les fragments d’architecture qu’ils ren-
APAHEA MYBLBA.
contrent. Voilà pourquoi les inscriptions
sont si rares à Ci us.
Myriea était située au fond du golfe
du même nom et à peu de distance à
8* Livraison. (Asik Minkure.) t. II. 8
.

114 L’ülsrVEBS.

une colonie de
l'ouest de Cius; c'était sous celui de Seguino comme celui de
Colophon qui prospéra pendant quel- Moudania sous celui de Montagnac
ques années comme indépendante.
ville On trouve à Moudania une maison
Mais elle fut prise et détruitepar Phi- de poste assez mal administrée, où l’on
lippe, roi de Macédoine, fils de Dénié- peut prendre des chevaux pour se rendre
trius, père de Persée, et qui donna son à Broussa ; la route n’est que de vingt
territoire à Prusias, roi de Bithynie, son kilomètres. On commence à monter
gendre. Ce prince la rétablit et lui donua au milieu des jardins qui bordent la
le nom d’Apamée, sa femme. côte; le pays n’est pas très-accidenté, et
Myriéa prit sou nom de Myrlus, chef quoique la terre paraisse propre à toute
de la colonie des Colophoniens; enfin sorte de culture, le pays est a peu près
Étienne de Byzance (I) dit que c’était désert et la terre en friebe. Ën descen-
le nom d’une amazone. Le nom d’A- dant la dernière colline, on arrive au
iamée fut le seul qui subsista pendant bord de la rivière Niloufer, qui sépare
fa période romaine. la plaine de Broussa des terres des
T.,es habitants conservèrent le droit Apaméens.
d’administrer leurs affaires (2) ; dans La rivière Niloufer, qui traverse la
quelques circonstances seulement ils le plaine de Broussa , prend sa source sur
remettaient entre les mains du procon- le versant est de l’Olympe et entoure
sul. comme d’une ceinture tout le pied de la
La ville de Moudania, qui occupe montagne, recevant tous les cours d’eau
l’emplacement de l’ancienne Apamee, qui en descendent, et notamment le
est située au bord de la mer. Ses mai- Gœuk déré, qui est le plus considéra-
sons blanches s’élèvent sur le penchant ble ( I ). Le cours de cette rivière est très-
d’une colline et sont entourées de jar- encaissé et souvent dangereux ; elle va
dins d’oliviers et de vignes. On ne trouve se jeter dans le Rhyndacus, à huit kilo-
aucun vestige d’antiquité , et l’ancien mètres au-dessus de son embouchure en
port est complètement détruit. Mouda- longeant au sud le lac Apollonias. Nous
nia est le principal point de débarque- ne connaissons le nom ae cette rivière
ment des navires qui font le transit qu’à partir du quatorzième siècle, et
entre Broussa et Constantinople ; il est nous eu sommes réduits aux conjectures
préféré à celui de Ghio parce que la sur son nom ancien. Cependant les
route qui conduit à Broussa est plus géographes modernes sont assèz d’ac-
praticable. cord pour l’identifier avec le fleuve
Les principales ressources de Mou- Odryssès, d’après ce passage de Stra-
dania consistent eu huile, blés et fruits ; bon (2) tiré d’Hecatée. • Après la ville
il n’y a aucune industrie. d’Alazia est le fleuve Odryssès. Il Vient
Les bâtiments mouillent pour ainsi de l’occident, du lac Duscylitis, traverse
dire en pleine côte ; le golfe, qui fut la plaine de Mygdouie ët va se jeter
successivement appelé de Cius , de Myr- dans le Rhyndacus. >
lén, portait dans le moyen âge le nom De tout ce passage le Niloufer ne
de golfe de Polimeur; il est diftlcile de remplit réellement qu’une seule con-
savoir pourquoi, car aucune ville de ce dition , c’est de se jeter dans le Rhyn-
nom nA jamais exi.sté. dacus. « Il vient de l’occident » est
Un peu à l’ouest de Moudania, sur
(i) La belle Niloiirer, remmedii cummaiidant
la côte , se trouve le village de Siki (des
de Biledjik, (omba an pouvoir d'Osman, qui
figues), ainsi nommé à cause des nom-
a’était emparé de re ehiteau. Dans le partage
breuses plantations de figuiers qui l’en-
du butin la captive fut donnée par le ndtan à
tourent. C’était jadis une petite ville
.son fils Orkban, lequel, charmé de sa. beauté,
avec une église grecque dédiée à saint l'épousa, et en eut un OU, qui fut Mourad 1*’.
Michel. Près du rivage est une belle Kn souvenir de ce mariage , les compagnons
source qui arrose quelques jardins. Sur d’Osman donnèrent le nom de Niloufer (Né-
les cartes anciennes ce nom est défiguré nuphar) au petit fleuve qui Uaverse la plaine
de Broussa , et son nom byzantin est reste
(i) V. Myrloca. ignoré.
(a) Pline, t.eii., liv. XtVI. (a) Strab., XII, 5&o.

ogie
ASIE MINEURE. 115

une expression vsfnie qui n’est que re> de cette villé à cinq cent cinquante ans
lative;
mais surtout
il ne sort du environ avant notre ère. Ce document a
lac Dascylitis puisqu’il descend de l’O- été contesté non sans raison par tous les
lympe. Cependant comme aucun cours écrivains modernes gui ont traité cette
d’eau notaole ne vient dans ces parages nestion. Il est ainsi conçu. « La ville
se jeter dans le Rhyndacus, tout en con- e Prusa, située au-dessous de l’Olympe
sidérant le passage de Strabon comme en Mysie, aux frontières de cette contrée
teu exact, on s’est accordé pour donner et de la Phrygte a été fondée par Pru-
Îe nom d’Üdryssès au Niloufer d’au- sias, qui lit la guerre contre Crésus.
jourd'hui. C’est une ville bien gouvernée -Étienne
Nous traiterons cette question plus de Byzance attribue la fondation de
en détail eu parlant du »c Dascylitis. Prusa à un roi du même nom qui fut
contemporain de Cyrus, ce qui ne di-
CHAPITRE XX. minuerait en rien l’antiquité de la ville
de Pruse.
BBOUSSA. PBUSA AO OLYMPUH. Pline lui assigne une autre origine.
I Selon cet écrivain , elle fut fondée par
>

Pbuse bomaine. Nous ne saurions Annibal, lorsque, vaincu et fugitif, ce


trouver dans les anciens vestiges de la général se retira à la cour de Prusias.
ville de Broussa aucun monument qui La fondation de Prusa ne remonterait,
nous permette de suppléer aux lacunes selon cette tradition, qu’à deux cent
que présente l’histoire de la capitale de cinquante ans environ avant notre ère.
la Bithynie. Précisément parce que cette Nous pouvons avoir une idée de l’an-
ville arriva, pendant la période du cienne capitale de la Bithynie en voyant
moyen âge , à un haut degré de splen- l’enceinte du château de Broussa , qui
deur et de développement, les édifices occupe évidemment Remplacement de
|ui pouvaient subsister à cette époque l’ancienne ville.
?urent détruits pour faire place à des On pour établir une
choisissait alors
constructions nouvelles. Pour l’histoire ville un élevé et d’une facile dé-
lieu
de l’ancienne ville, nous eu sommes fense; était dominé de loin par
s’il
donc réduits à nous en rapporter aux quelque hauteur, on s’en inquiétait peu,
laconiques mentions qu’en font deux ou les mojectiles d’alors n’ayant quune
trois écrivains romains. portée très-limitée. L’antique Prusa
L’assiette de cette ville sur le pen- étaitde forme carrée et abondamment
chant du mont Olympe, dominant une irvue d’eaux excellentes. Elle ne jouit
vaste plaine et commandant d’impor- longtemps de son autonomie , car
tantes vallées comme celles du Rhyn-
dacus et du Macestus , devait lui donner
E ;que Lucullus eut battu Mithridate à
Cyzique , Prusa fut assiégée et prise par
une importance qui n’a été comprise Triarius. Elle devint possession ro-
qu’au moment où les tribus turques 'maine;et'dans l’organisation des pro-
sont venues attaquer l’empire byzantin. vinces, elle fut soumise à la juridiction
Pendant la période romaine , l’ancienne de Nicomédie. L'influence de Prusa sur
Prusajoua toujours un rdle secondaire; les affaires de Bithynie était si peu im-
la ville de Cyzique était alors le point portante que Tite Live n’en fait pas
militaire le plus important de la con- même mention dans la campagne de
trée. 'Manlius contre les Gaulois. Sous le
Les rois de Bithynie du nom de règne de Téajan, Prusa jouissait encore
Prusias fondèrent dans différentes ré- d’une apparence de droits municipaux;
gions de leurs États trois villes aux- , elle était en possession d’un sénat dont
quelles ils donnèrent leur nom. Prusa, les décisions, si l’on en juge par la lettre
surnommée ad Olympum , fat, selon de Pline le Jeune à Trajan (1), étaient
Strabon p), fondée par un roi du nom subordonnées à celles du gouverneur
de Prusias, qui fut contemporain de romain.
Crésus; ce qui ferait remonter l’origine Pendant le règne de cet empereur.
/ .
.
I

«.ItT .1 / C)
(i) XII, 564, J. .
(i) X, 85.

St.
,

116 L’UNIVERS
Prusa paraît avoir atteint le plus haut sion , à condition toutefois que le ter-
degré de prospérité, grâce à la bonne rain n’ait pas reçu la consécration re-
administration du gouverneur de la ligieuse à laquelle il était destiné.
Province , qui n’était autre que Pline le Il résulte de cette correspondance
Jeune. Il était assisté dans l’exécution qu’il n’est nullement question des eaux
de ses grands projets par Nymphydius thermales , dont les sources sortent de
Rufiis lé primipilaire (1), son ami et son terre assez loin de la ville. Il faut arriver
ancien compagnon d’armes. Tous les à l’époque byzantine pour en trouver la
soins du gouverneur, après avoir réglé première mention dans les écrivains an-
les affaires d’administration et de G- ciens.
nance , avaient pour but de faire cons- Il ressort des lettres de Pline, que la
truire des édiOces somptueux et d’utilité ville de Prusa était décorée de tous les
publique. Nous avons au sujet d’un bain monuments qu’on retrouve habituelle-
construit à Prusa une suite de lettres ment dans les ruines des villes romaines
intéressantes de Pline à Trajan, qui peu- d’Asie, un gymnase, des thermes , un
vent donner une idée des précautions agora, et des portiques publics. Par
irises par le gouvernement au sujet de une autre lettre (I) nous apprenons que
fa construction des édiGces municipaux. la ville possédait une bibliothèque
« Les Prusiens, écrit Pline à Trajan, renfermant la statue de Trajan, placée
ont un bain vieux et en mauvais état. probablement au milieu d’un portique.
Ils voudraient le rétablir, si vous le per- A partir de cette époque, il existe une
mettez. Je crois, après examen, qu’il est lacune de six cents ans dans l’histoire
nécessaire d’en construire un nouveau de Broussa.
et il me semble que vous pouvez leur
accorder leur demande. Les fonds PYTHIA.
pour le construire se composeront , d’a-
bord : des sommes que j’ai obligé les
St les eaux thermales paraissent avoir
particuliers à restituer, et puis de Par-
été négligées par les Romains, elles at-
lent qu’ils avaient coutume d’employer
tirèrent l’attention des souverains de
a l’huile du bain, et qu’ils ont résolu
de consacrer à la construction. C’est ce Byzance, et une petite ville du nom de
que, d’ailleurs, semblent demander, et Pythia fut fondée dans leur voisinage
la beauté de la ville, et la splendeur de
immédiat. C’est au village de Tcbékir
votre règne.Trajan accorda la permission
guéh qu’jl faudrait placer l’ancienne
Pythia. Étienne de Byzance en fait
de rebâtir le bain, pourvu que cet ou-
vrage n’imposât aucune charge nouvelle mention en parlant des eaux chaudes
aux habitants. Dans une autre lettre (3) de l’Asie en même temps que de Do-
rylée (3). » II y a également un Therma
Pline annonceà l’empereur qu’il a choisi
pour rebâtir l'ancien bain l’emplace- en Bithvnie qu’on apjielle aussi Pythia ;
ment d’une maison qui avait été léguée ce sont les bains royaux de Prusë. «
à l’empereur Oaude dans le but de Procope mentionne en ces termes la
ville de Pythia sans dire quelle était
construire à cet empereur un temple
sa position à l’égard de Prusa « Dans
environné de portiques. Ce monument
:

n’ayant pas été exécuté, Pline écrit à un endroit de la Bithynie qui s’appelle
Trajan : > Si vous daignez, seigneur, ou Pythia, il y a des sources d’eau chaude
donner maison ou la faire vendre
la
dont plusieurs personnes et principale-
aux Prusiens, ils en seront reconnais- ment les habitants de Constantinople
tirent un notable soulagement dansleuis
sants. Je me propose de construire le
bain sur le même terrain, et de l’en- maladies. Justinien a laissé en cet endroit
tourer de portiques et d’exèdres ou de des marques d’une magniGcence toute
royale en faisant bâtir un superbe pa-
sièges. Cet ouvrage sera , par sa magni- y
lais et un bain pour l’usage du public
Gcence, digne de la splendeur de votre ;

règne. «Trajan accorde enGn la permis- de plus il y a fait conduire par un ca-

(0 '»• (0 X. «5.
(») X, 7®. (i' V. Therma.
,

ASIE MINEURE. 117

nal des eaux fraîches a6n de tempérer la gire, les princes de la dynastie seld-
chaleur des autres. » joukide avaient envahi plusieurs pro-
Du temps de Constantin Porphyro- vinces de l’empire grec. ToghruI bey
génète Pythia avait pris le nom de So- petit-GIs de SeIdjouk, contracta une al-
teropolis (la ville du Sauveur). liance avec le calife successeur de Mah-
Selon Zonare, c’est là que Constan- moud le Ghaznévide , et mourut en
tin est tombé malade il se fit trans-
: laissant le pouvoir à son neveu Alp
porter dans sa ville d’Ancyron, où il Arsian, qui, le premier, étendit au delà
mourut. de l’Euphrate la renommée des tribus
Les souverains comme les patriciens turcomanes.
de Byzance continuèrent dans la suite L’empereur Romain Diogène régnait
de fréquenter les eaux thermales, et ces à Byzance, lorsque les Turcs se ruè-
voyages étaient pour eux l'occasion de rent pour la première fois sur les villes
déployer tout le luxe de leurs équipages. de l’Asie Mineure. Césarée fut prise et
L’impératrice Théodora, femme de Jus- pillée, et l’avant-garde des futurs pos-
tinien, alla, en l’année 525, prendre les se.sseurs du Bosphore s’avança jusqu’au
eaux chaudes de Prose avec une suite mont Olympe. Seifed Dewîet, prince
de quatre mille serviteurs. de la dynastie de Hamadan , assiégea
Broussa en 924, la prit par capitulation,
BHOliSSA BYZANTINE. et la Gt démanteler, mais non pas raser
entièrement; car plusieurs tours et une
Mais les années s’écoulaient. Au luxe grande partie des murailles portent le
et a l’indolence des Byzantins devait caractère d’une époque antérieure.
bientôt succéder le bruit des armes, les Une heureuse expédition, entreprise
cris de guerre ; une nation dédaignée et pendant le règne d’Alexis Comnène en
presque ignorée de ses maîtres superbes 1097, amena de nouveau les musul-
avait vu naître un homme qui devait mans sous les murs de Broussa , qui
changer la face de l’Asie romaine. fut prise et pillée; mais les musulmans
Mahomet, vainqueur des empereurs se retirèrent de nouveau.
byzantins en Arabie et sur l’Euphrate, Lorsque les Latins se furent emparés
avait révélé à tant de tribus insoumises de Constantinople, les princes byzan-
le secret de leur force. Chaque ville prise tins, pour repousser ces nouveaux en-
était pour se.s guerriers l’occasion du nemis, n'hésitèrent pas à faire alliance
p.artage d’un butin considérable. Il n’en avec les princes musulmans. Théodore
fallait pas davantage pour appeler au- Lascaris, despote de Remanie, s’étant
tour du nouveau prophète toutes ces liéavec le suit.ui d’Iconiurn, s’empara
peuplades disséminées dans les steppes de Broussa, qui fut en vain assiégée par
de l’Asie antérieure. Aux Arabes qui les Latins.
avaient ravagé l’Osrhoëne et la Mésopo- Le château, qui passait alors pour
tamie succédèrent les tribus turques, une place imprenable résista à toutes
dont le nom était à peine connu des les attaques, et la place resta entre les
Byzantins. C’est alors que commença mains des Grecs jusqu'à la paix en
ce duel de trois siècles qui devait linir 1214.
par l'anéantissement de Pempire de By- La mollesse que les habitants .avaient
zance. montrée dans leur défense contre les
musulmans excita la colère de l’em-
CHAPITRE XXI. pereur Andronic. Il punit les principaux
iiabitants en livrant leurs biens au pil-
INVASION MUSULMANE. lage, et Gt périr ou exiler un grand nom-
bre d’entre eux. C’est par cès moyens
Dans la série d’événements qui s'ac- violents qu’il se maintint à Broussa Jus-
complirent pendant la période du qu’à ce qu’il eût reconquis son empire
dixième au quinzième siècle, nous ne sur les Latins.
mentionnerons (|ue ceux qui se ratta- Nous sommes arrivés aux derniers
chent directement à l’iiistoire de jours de la Prusa byzantine. Les musul-
Broussa Dès le troisième siècle de l’hé- mans vainqueurs voüt régner en mal-
IIR L’UNIVERS.
1res sur la plus belle ville de la ermtrée, autre monastère auquel il donna son
et en faire la base de leurs attaques nom.
eontre la capitale des Byzantins. Orkhan, une fois maître du trône,
Vers l’an 1300, Krthogrul laissa le songea à poursuivreses conquêtes ; c’est
gouvernement entre les mains de son alors qu’il entreprit la campagne contre
(ils Osman, qui ne perdit pas de vue les Nicée et Nicomédie. Son zèle religieux
grandes destinées de sa race. A peine s’accroissant en proportion de ses vic-
eut-il mis ses troupes en état d’entre- toires, il ordonna la construction de
prendre de nouvelles expéditions, qu’il plusieurs mosquées, et appela dans son
reprit avec vigueur le siège de la ville nouvel État des artistes persans qui in-
( 1307 ).
Deux de ses généraux, Ak Ti- troduisirent à Broussa la fabrication des
mour, qui était le propre neveu du sul- fa’iences émaillées. A la mort du sultan,
tan, et Balnban, reçurent l’ordre d’é- son corps fut déposé dans la chapelle fu-
lever deux forts dans la plaine pour in- nèbre où reposait son père ; la voûte, dé-
tercepter les communications de la place corée de lames d’argent , était désignée
avec la mer. Ak Timour établit le sien sous le nom de Gumuschli Koubhé.
du côté des bains, c’est-à-dire vers Mourad l*', successeur d'Orkhan, fut
l’ouest ;
Balaban occupa les bords de la déclaré sultan en 1360. Il se montra aussi
rivièreNiloufer,qui coule dansla plaine. zélé que ses prédécesseurs à élever des
Pendant prés de dix années, les garni- monuments publics.
sons de ces forts se bornèrent à inter- Le palais qu’il fit construire sur la
cepter tout commerce entre la ville et colline qui domine la plaine de Broussa
la mer, jusqu'à ce qu’entin Osman, de- est aujourd’hui complètement ruiné.
venant vieux résolut de diriger toutes
,
Mais au milieu des décombres on peut
ses forces contre Broussa. encore reconnaître les dispositions pre-
Ils’empara en 1317 delà ville d’É- mières. Les habitations n’étaient pas
drenos,la démantela, et alla placer son groupées en un seul corps de biiti-
camp à Bounar bachi, en resserrant la ments ; c’était une suite de kiosks plus
ligne du blocus. ou moins étendus disséminés dans des
Le commandant de la ville se pré- jardins. Le palais du sultan Sélim à
iarait à une vigoureuse résistance, Andrinople est disposé de la même ma-
forsque l’empereur Andronic lui envoya nière, et lorsqu’on visite le palais des
l’ordre de capituler. Il obtint un sauf- schah de Perse à Téhéran et a Ispahan,
conduit pour les habitants, qui se ren- on ne peut s’empêcher d’établir une
dirent à Gbio, une autre Prusa, qui de- comparaison avec l’en-semble du palais
vait aussi devenir la proie des musul- de Darius à Persépolis, et de conclure
mans. que, chez les monarques d’Orient, la
Osman, le fondateur de la dynastie coutume d’avoir des habitations clair-
des Osmaiilis, ne jouit pas longtemps semées dans des jardins est restée la
du fruit de sa victoire; il mourut en ap- même depuis l’antiquité. De somp-
prenant l'entrée de son fils Orkhan tueux jardins arrosés d’eaux courantes,
dans les murs de Brussa en 1326. Le dont il ne reste plus que les rigoles des-

corps du premier sultan fut déposé séchées, entouraient les élégantes ha-
dans la chapelle de l'ancien château de bitations du palais de Mourad. Les his-
Brou.ssa, qui fut convertie au culte de toriens ottomans nous ont laissé les
l’islam. Il avait reçu du sultan Ala Ed- plus brillantes descriptions de cette ré-
dyn l’investiture ae la principauté de sidence, que les successeurs de Mourad
Karadja hissar, et mourut sultan des se sont plu h embellir et à augmenter.
Ottomans. En 1380 eurent lieu dans ce palais
A l’ouest des thermes de Kaplidja, les noces de Bayazid lldirim, (ils de
on voit encore le monastère et le tom- Mourad avec la iille du prince de Ker-
beau de santon Abd-ul-Mousa qui mian. Les ambassadeurs de tous les
avait accompagné Orkan dans toutes princes de Aïdin, Mentesche, Gasta-
ses expéditions. Lalaschin, un des meil- mouni, Karaman apportèrent a la jeune
leurs généraux du sultan, et qui servit mariée de riches présents en châles et
sous Mourad U’, fonda en 1330 un en chevaux. Édrenos bey, rénégat grec,
,

ASIE MINEURE. 119


1

offrit cent esclaves grecsdes deux sexes, du sultan Mourad, Djem, frère du sul-
les plus beaux de sa nation. Dix d'entre tan Bayazid, se déclara comme un com-
eux portaient des assiettes d’or remplies pétiteur au trône des Osmaulis. Bayazid
de ducats, des vases de parfums, des ai- était en Europe , et le prince Djem
guières d’or d'un travail précieux. La aidé de quelques partisans , put facile-
jeune mariée apportait en dot les clefs ment s'emparer de Broussa. Le sultan
des villes d’Erzinghani, Taoucbanli, Si- ne daigna pas marcher en personne
maul et Kulayab. contre sou frère rebelle. Une faible ar-
Le Gis de Mourad, étant monté sur mée attaqua les troupes de Djem dans
le trône en 1389, Qt entourer la ville de les plaines du Yéni cheher et les mit
firoussa de nouvelles fortilications; en déroute. Peudant ce temps les ja-
mais la suitede son règne fut loin d'étre nissaires se livraient au pillage de
d'accord avec ses brillants débuts. Broussa. Djem, poursuivi par Bayazid,
Après la bataille d’ Angora, Broussa fut alla demander asile au prince, d’fco-
envahie, en 1402, par les troupes de niuin ; mais, ne se trouvant pas assez en
Timour; les écoles et les mosquées sûreté dans celte ville, il se relira près
furent saccagées et lorsque les géné-
, du grand maître de Rhodes. La suite
raux eurent partagé les trésors qu'ils des aventures du prince Djem est
avaient trouvés dans la ville, ils la li- étrangère aux événements de l’Asie ; il
vrèrent aux flammes. A la prise de la mourut à Naples en 1495. Une am-
ville les trésors de Bayazid turent dis- bassade ottomane fut envoyée à Naples
tribués aux soldats ; les objets précieux pour demander les restes mortels du
étaient innombrables; les soldats mesu- prince Djem ;
ils furent apportés à
raient au boisseau les perles et les Broussa et déposés dans un tombeau si-
pierres précieuses. tué dans l’enceinte des souverains, (,'e

Après la mort de Bayazid, Moham- monument existe encore intact, et donne


med , fils de ce sultan, qui régna dans une idée du luxe bizarre des monu-
la suite sous le nom de Mahomet ments funèbres de celte époque. L’autre
quitta la ville de Tocat, et vint prendre sépulture, voisine de celle de Djem, est,
possession de Broussa en 1404. Isa dit-on, celle d’Isa bey, son frère, qui
bey, un de ses frères et son compéti- ne fut pas plus heureux dans sa révolte
teur, se présenta devant Broussa, et contre Bayazid.
somma les habitants de lui ouvrir les
portes; mais le plus grand nombre se CHAPITRE XXII.
retira dans le château et se défendit
avec tant de fermeté, qu’Isa bey, ne BBOUSSA MUSULMANE.
pouvant l’emporter de vive force, se re-
tira après avoir fait briller la ville, qui L’ensemble de la ville de Broussa se
venait à peine d'être rebâtie. compose de la ville proprement dite, du
Broussa fut encore exposée aux at- château et des faubourgs; le tout forme
taques du Karaman, sultan d'Iconium, une suite de constructions ayant en
qui la prit et la pilla en 1413. Il fit dé- longueur quatre kilomètres environ et
terrerjes os de Bayazid et les fit brû- en largeur uu kilomètre, placée sur un
ler publiquement pour se venger de ce des penchants de l’Olympe, dont les
que ce prince avait fait couper la tête sommets encadrent un riche et majes-
à son père. Ce siège désastreux fut le tueux paysage. Les faubourgs s’étendent
dernier que Broussa eut à souffrir ; mais à droite et à gauche, et le château , so-
les incendies qui
y éclatèrent à plu- lidement assis sur une roche élevée,
sieurs époques , et notamment le grand domine la ville, et forme une enceinte
désastre qui ravagea les vingt-cinq ré- crénélée flanquée de tours massives.
gions de la ville en 1490, ainsi qu’un Trois portes donnent accès dans la
incendie non moins cmiisidérable qui ville, celle du nord, appelée Tabak Ca-
éclata en 1804, et qui n'épargna ni les poiisi (la Porte des assiettes), celle de
mosquées, ni les tombeaux des sultans, l’est, Yer Capou si (la Porte de terre),
ont été aussi funestes à Broussa que et celle de l’ouest Kaplidja Capou si

plusieurs sièges consécutifs, A la mort (la Porte des bains).


130 L’UNIVERS.
Deux autres petites portes, appelées les nombreuses et intarissables sources
l’une Sindan Capou si (la Porte de la thermales qui ont une si grande célé-
prison), et l’autre Sou Capou si (la brité dans tout l'Orient. Deux magni-
Porte de l’eau), conduisent du chAteau fiques mosquées forment le centre de
sur les penchants de l’Olympe; mais ne chacun de ces faubourgs et paraissent
sont fréquentées que par ûn petit nombre avoir motivé leur création; celle de
d’habitants de la campajrne qui appor- l’est a été bâtie par le sultan Bayazid,
tent des provisions. L’ancienne ville, et celle de l'ouest par le sultan Mourad.
qui est encore entourée de murs, est Entourées l’une et l’autre par des bos-
établie sur un rocher à pic du côté du quets de cyprès et de platanes, elles
nord. Les portes sont bâties de briques restent encore aujourd’hui comme le
et revêtues dedalles de marbre. Pococke lieu de pèlerinage et de promenade le
cite une inscription qui mentionne plus fréquenté par les habitants. Dans
l’empereur Théodore Lascaris comme d’autres quartiers , et surtout dans celui
un des constructeurs de ces murailles. des eaux chaudes, de nombreuses plan-
Du côté de l’ouest, le soubassement tations, disposées d'une manière pit-
des murs est antique; il est construit en toresque, forment d’agréables prome-
grands blocs de travertin posés en pa- nades qui contribuent à faire de Broussa
rement et en boutisse. Le chemin qui une ville délicieuse entre toutes celles
conduit de cette porte à la vallée voi- de la contrée. On distingue surtout la
sine est taillé au ciseau dans le roc et promenade du Tchamiidja dont les sa-
parait remonter à une haute antiquité. pins séculaires offrent une ombre im-
La côtedusud,c’est-à-diredansla partie pénétrable; la nature seule fait les frais
qui fait face à la montagne, la ville est des embellissements de ces lieux cham-
défendue par une fortification complète, iétres: il faut cependant en excepter
lamuraille l’Agger et un large fossé. fe kiosk d’Abdoui-Mumin, qui s'élève
Les tours sont espacées d’environ vingt à l’entrée d’une des gorges de l’Olympe.
mètres ; elles sont carrées et construites Un café, placéprèsd’un ruBseau, réunit,
en travertin et en blocs de marbre pro- les jours de fête, une foule nombreuse;
venant en grande partie de monu- mais la, comme partout ailleurs, chaque
ments détruits. On remarque quelques classe, chaque religion, a sa place
fragments de sculpture d’un bon style. choisie. Les Grecs ne se mêlent pas aux
Au delà des murailles sont les ci- Turcs, les Arméniens aux Grecs. La pipe
metières , plantés de hauts et magni- et le eherbet sont les délices que Von
fiques cyprès. Les fossés sont occupés vient chercher dans ce paradis, que
maintenant par des plantations de nul- parfois les lazzis d'un boutfon turc ren-
riers. Cette enceinte parait occuper l’as- dent plus bruyant que de coutume.
siette de l’ancienne Pruse, qui, au dire Les voyageurs devront aussi faire
des auteurs contemporains , était une une excursion a la source appelée Aïn-
ville de peu d’importance. Cette partie Assa , située à une demi-heure de la
de la ville est habitée uniquement par les ville sur le penchant de l'Olympe ; c’est
Turcs; les habitants chrétiens , armé- un bois de vieux châtaigniers dont les
niens et juifs résident dans les faubourgs. fruits sont célèbres par leur grosseur;
Du côté du sud il existe trois portes, une source abondante et limpide coule
mais toutes du moyen âge. Près de celle sous les ombrages au milieu des ro-
du milieu, il existeune ancienne prison, chers de granit. Ce lieu est aimé des
remarquable par un puits carré, large et musulmans parce que le vieux derviche
profond, dans lequel on renfermait au- Emir sultan venait souvent s’y asseoir
trefois les prisonniers. Le rocher sur et méditer. Il avait l'habitude de rester
lequel la ville est bâtie est un tuf cal- longtemps appuyé sur son bâton de
caire déposé par les nombreuses sources, derviche. C’est en souvenir de ce fait
et qui forme un véritable travertin. Le que la source a pris le nom de Aïn-
faubourg de Émir sultan est situé sur Assa (la Source du bâton). I.’autre forêt
la route de Nicée; celui de Tcbékir- de châtaigners, non moins célèbre à
guëh est traversé par la route de Mou- Broussa, porte le nom de Sobran. Là il
dania; c’est de ce côté que surgissent n’y a ni kiosque ni légende; mais une
ASIE MINEURE. 131

admirable nature, dans toute sa sauvage métropolitain de leur culte qui egt su-
majesté, dédommage amplement celui bordonné au patriarche de Constanti-
qui a tenté cette excursion. nople. Le sort de l’Église chrétienne à
Les habitants jouissent avec calme Broussa est dés plus misérables. Privés
mais avec un plaisir extrême de toutes de tous les monuments religieux qui .

les beautés que la nature a répandues avaient été construits par leurs ancê-
autour de la ville, il n'est pas un des tres, les chrétiens ne jouissent aujour-
versants de l’Olympe qui n’offre aux d’hui que de pauvres églises qui au
yeux quelque point de vue euchanteur. dehors se distinguent à peine des mai-
Toutes les essences de la plaine et delà sons particulières.
montagne, Içs cèdres et les cyprès, le Le quartier turc occupe la partie cen-

chêne et le platane, le châtaigiier et trale de la ville ; c’est là que sont situés


le hêtre s’y multiplient avec une abon- les caravanseraïs ,
le bezestein et les
daiieo et une sève incroyables. Il est rare bazars.
de voir des forêts présenter réunis tant Tout le versant inférieur de l’Olympe
d’arbres d'une si belle venue, et chaque est couvert d’épaisses plantations de
pas que l’on fait donne lieu à une sur- mûriers qui servent à la nourriture des

prise nouvelle à la vue d’arbres gigan- vers à soie ; c’est surtout le mûrier mul-
tesques qui portent plusieurs siècles ticaule qui est préféré. Les habitants
sur leurs cimes altières. Le pied de ces regardent sa feuille comme plus nour-
forêts est entouré d’une large ceinture rissante et ils signalent cet avantage
de verdure plus sombre et plus épaisse; articulier, c’est que pour la nourriture
ici ce n’est plus la nature seule, c'est es vers, on n’arrache pas lafeuille, qui
l’agriculture et l’industrie qui veillent à arrive toujours un peu flétrie dans la
la production de ces arbres exotiques. magnanerie; mais on coupe les jeunes
tiges qui atteignent quelquefois la lon-
CHAPITRE XXlll. gueur de deux ou trois mètres. T.a
feuille arrive alors fraîche et intacte ,
ÉTAT MODEKNE. —INDUSTBIE. — avec toute sa sève et tout son parfum ;
COMMEBCE. elle nourrit mieux le ver, et lorsqu’il est
prêt à monter, il trouve dans la tige qui
Les maisons de Broiissa sont bâties fui a servi de nourriture un appui tout
dans le genre de celles de Constanti- prêt pour y établir son travail.
nople, c’est-à-dire que le bois domine On ne compte pas moins de sept espèces
dans la construction. Les rez-de-cbaussée de mûriers dont un botanisteseul pourrait
sont ordinairement bâtis en moellon et en faire la distinction; toutes ces variétés
brique; mais les façades sont extrême- prospèrent également aux environs de
ment simples. L’intérieur se compose Broussa. Les mûriers couvrent de leur
d’un vestibule donnant accès à un es- ombre les bords des ruisseaux, et for-
calier ordinairement de marbre; c’est ment les haies du chemin. Ils semblent
au premier étage que sont les apparte- avoir retrouvé là leur climat natal;
ments d’habitation ; ils donnent tous sué aussi, par la beauté et l'abondance de
un vestibule ouvert appelé kayat, sorte ses soies, Broussa est-elle devenue une
de salon d’été où se tient la famille pen- ville renommée dans le monde entier.
dant les beaux jours. Au milieu est uA Les soieries qu’elle fabrique se répan-
bassin d’eau vive, la ville étant en pente dent dans tout l’empire turc, mais sont
vers le nord. Quelle que soit la direction peu connues en Europe. Les velours de
dans laquelle s’ouvre la grande fenêtre soie forment au.s.si une branche impor-
du vestibule, les maisons de Broussa tante d’industrie que la concurrence
jouissent toutes d’une vue magniOque, d’Europe finira bientôt par anéantir.
soit des gorges sauvages de la mon- L’industrie des soies, qui a rendu
tagne, soit des vastes horizons de la Broussa si célèbre, n’occupe aucune
plaine. grande manufacture; les ouvriers,
Le quartier des chrétiens occupe la comme ceux de Lyon , travaillent en
régiou de l’est. Les Arméniens et les chambre. Les fabricants lenr donnent
Grecs sont placés sous la juridiction d'un un poids donné de soie, qu’ils doivent

fXt by i^iOOglc
,

L’UNIVERS.
reudre ouvrée, avec la différence que il
y a cinquante ans, on remarquait une
comporte le tissage. On fabrique aussi hausse considérable dans le prix des
luie étoffé de soie que nous connaissons suies; aujourd’hui, malgré 1a concur-
sous le nom
de brocard ; c’est un ma- rence des soies de Lyon et de celles de
gnilique tissu orné de Heurs d’or. Les Chine, les prix se maintiennent. On es-
^
* time à cent mille pièces le montant de
Turcs l’appellent du sélymieh parce
qu’il fut inventé du temps du sultan l’exportation de la soie ouvrée.
Sélim 11 ne se vend guère que pour l’u- 11 y a aussi à Broussa quelques fa-
.sage des harem de Constantinople. On briques d’étoffes de coton, et notam-
sait qu’il n’y a pas de nation au monde ment de serviettes et de peignoirs pour
ui fasse plus de dépenses pour le luxe le bain. Les serviettes sont d’un tissu
e leurs femmes. de peluche extrêmement commode pour
Ces étoffes de soie blanche, alternati- sécher la peau ; les foutha ou serviettes
vement rayées de bandes opaques et bleues dont on s’entoure le corps sont
claires et qui sont assez répandues à composées de larges bandes iie soie
Paris maintenant, sont aussi de la fa- rouge et jaune sur un tissu de coton.
brique deBruussa. Elles servent pour L’usage des bains est si général en
faire les chemises des femmes, et des Orient que ces deux seuls articles sont
gandoura ou chemises pour la sortie du l’objet d’un commerce considérable.
bain. Les coussins pour les sofas sont
aussi l'objet d’une industrie considé- CHAPITRE XXIV.
rable; on peut en avoir une idée eu son-
geant que dans tout l’empire musul- LES EàDX.
man le sofa est le seul meuble en usage ;
c’est la chaise, la table et le lit des Orien- Un des caractères les plus saisissants
taux. de la ville, celui qui frappe d'abord le
Les soieries de Broussa sont peu con- nouvel arrivant, c’est la variété et l’a-
nues en France, où elles ont été long- bondance extrême des eaux qui sur-
temps prohibées; elles jouissent de cet gissent de toutes parts , eaux froides
avantage qu’elles peuventselaver comme eaux tièdes, eaux glacées de l’Olympe,
des foulards. Le dessin est assez uni- eaux bouillantes des sources minérales.
forme; il consiste en grandes bandes de Les possesseurs byzantins comme leurs
diverses couleurs entremêlées de petites successeurs les musulmans se sont plu
guirlandes de Heurs. La rayure est le à les aménager de la manière la plus
fond du dessin le plus goûté en Orient; agréable pour l’u.sage des habitants.
c’est ce qu’on appelle pour les étoffes Les fontaines ne se comptent pas et
Tchiboukieu (en nâtons) ; on n’aime pas chaque maison a dans son vestibule un
les jeux de fond comme nos fabricants bassin avec un jet d’eau courante et
ont l’habitude d'en faire; dès longtemps limpide pour l’usage de la famille. Ce
cette observation a été faite à la cham- n’est pas seulement pour les usages do-
bre de commerce de Lyon, qui s’éton- mestiques que les eaux de l’Olympe
nait du peu de débit des étoffes de fournissent aux habitants le cristal de
Lyon en Orient. Depuis que les fabri- leurs ondes, les rui.sseaux descendant
cants ont adopté les dessins orientaux de la montagne sont divisés en mille ca-
)our leurs cotonnades comme pour naux divers dans les jardins de la ville
feurs soieries ,
le débit en est plus con- et contribuent à leur donner cet aspect
sidérable. Pour les châles de rlnde, le verdoyant et riche qui frappe d’abord
dessin rayé est aussi très-godté; on ap- les regards. Malheureusement, de nos
pelle ces châles Fermaïch ; les châles Fer- jours, l’entretien de ces canaux laisse
niaïcli sont très-connus à Paris ; on les a désirer, et les eaux se répandent sur
confond pour le nom avec les châles de les routes et dans les parties déclives du
Cachemire. sol et forment souvent des lagunes ma-
La soie brute fut de tout temps l’ob- récageuses.
jetd’un grand commerce d’exportation. On compte à Broussa trois cours
On estime à plus de trois mille quintaux d’eau principaux; c’est plus que des
métriques la quotité de la récolte. Déjà, ruisseaux , ce ne sont pas des rivières.
,

ASIE MIJNEURE. 123

r,e premier s’appelle Bounar bachi (la l’Olympe, et coule vers la ville par une
tête de la source), le second Ghoeuk déré large vallée, la seule de la montagne qui
(la valléecéleste), et le ruisseau de Akts ait son ouverture vers le nord-est. Il
chaghlan. forme de nombreuses et abondantes
Bounar bachi est situé dans le voi- cascades qui, au moment de la fonte des
sinage immédiat de la vieille ville. Les neiges, présentent un spectacle pitto-

eaux sortent de terre avec assez d'abon- resque et imposant. Un pontd’une seule
dance pour former un ruisseau rapide arche, et surmonté d’une galerie cou-
qui coule dans un bassin entouré de verte comme certains ponts de la Suisse,
platanes et de hêtres. C’est le lieu de est jeté sur la vallée, et joint le quartier
rendez-vous le plus fréquenté pendant arménien au quartier turc. (Voy. pl. 41.)
la belle saison ; plusieurs échoppes de
café étalent à l’entour leurs divans de CHAPITRE XXV.
nattes et leurs escabeaux bariolés , où
les habitants viennent s’aæeoirpour sa- LES EAUX THEBMALKS.
vourer la pipe et le narguileh ; les bouf-
fons de toute sorte , les jongleurs de Toutes les eaux thermales auxquelles
toutes les nations font de ce lieu le Broussa doit sa renommée surgissent
théâtre de leurs tours, et à certains jours, d’un des contreforts inférieurs de l’O-
le soir, la promenade s’illumine, et aux lympe dans la région occidentale de la
réjouissances du matin succède les re- ville. Le terrain dans lequel elles
pren-
présentations théâtrales, c’est-à-dire des nent naissance est composé de calcaire
marionnettes dont le langage plus que de schiste et de grès tertiaire. Rien à la
libre n’effraye cependant pas la grave surface du sol n’annonce qu’à aucune
société qui les écoute. époque des phénomènes volcaniques se
Les eaux du Bounar bachi étaient soient manifestés dans cette région;
du temps de la splendeur de Brous», mais aujourd’hui l’on sait que la chaleur
conduites par des canaux souterrains interne du globe est la seule cause de
dans le palais du sultan Mourad, et là, la haute température de certaines eaux,
rendues à la lumière , elles circulaient et les sources qui sont conduites entre
dans des canaux de marbre au milieu de les couches gémogiques à une certaine
jardins enchanteurs dont il ne reste profondeur dans le sein de la terre en
plus que le souvenir. sortent infailliblement à une tempéra-
Un grand pilier de maçonnerie, situé ture élevée sans que pour cela la con-
non loin du palais , est regardé par les trée où elles apparaissent ait jamais
habitants comme le premier Sou -Térazi présenté un caractère volcanique. Si
qui ait été construit en Turquie. Cette quelques sources thermales d’Auvergne
méthode de conduire les eaux a été, se- et d’autres contrées ne sont pas dans ce
lon leur opinion transportée d’Égypte
, dernier cas, on peut en citer une infinité
où les Arabes la pratiquent de temps d'autres qui surgissent de terrains
immémorial. Les eaux sont conduites crayeux ou calcaires dont la formation
par des tuyaux de poterie jusqu’en haut n’est nullement dueaux terrains volcani-
de ces piliers , qui sont creux , et elle ques. On compte à Broussa sept sources
reprend alors une nouvelle impulsion principales, quatre dans la plaine au
pour arriver à son but (1). Malgré l’é- pied de l’Olympe, et trois sur le dernier
tat d’abandon et de ruine où se trouvent contrefort de la montagne. Les quatre
aujourd’hui la plupart des édifices pu- remières sont Eski Kaplidja (l’ancien
:

blics, le système d'hydraulique est le ain chaud), Yeni Kaplidja (le nouveau
seul qui paraisse intéresser la ville et le bain chaud), Keukurdli (le bain sulfu-
seul qui soit encore bien entretenu. reux), et celui de Kara Mustafa qui porte
Le ruisseau de Ghoeuk déré prend le nom de son fondateur.
sa source dans les hautes régions de Les thermes sont divisés en trois par-
ties; la première, qui sert de salle (ren-

(i) Osystème d'hydraulique a été décrit trée dans laquelle oh quitte ses vête-
ments et l’oii se prépare au bain s’ap-
eu détail par le général AndréoMy (Cont- ,

laniinople ancienne et moHeme). pelle Djamégan ; la seconde, qui est ta


12-1 L’UNIVERS.
Snlle tiède où l’on stationne avant d’en- issue aux eaux chaudes; d’autres robi-
trvr dans l’étuve pour ne pas être fa- nets sont placés dans les murailles au-
tigué par la trop grande chaleur; enfin tour de la salle pour l’usage des bai-
le liainproprement dit, où se trouve la gneurs.
source principale, qui répand la chaleur Tout l’intérieur de l’edifice est décor •

dans tout l’édiQce. Autour de cette salle de plaques de marbre de diverses cou-
sont disposés des cabinets ou cellules leurs. Les niches sont surmontées de
dans lesquelles on peut prendre son bain coupoles sculptées dans le godt oriental.
en particulier; mais la généralité des Le bain de Kski Kaplidja, le plus an-
•baigneurs se tient dans la grande salle. cien de tous, est certainement celui qui
La salle d’entrée forme un grand carré est mentionné par Etienne de Byzance
couvert par une voûte en pendentif, comme un des bains royaux de la By-
éclairée par de nombreuses fenêtres. Au tbynie. Les eaux sortent de terre à la
milieu une fontaine de marbre composée température de 80 degrés; elles sont re-
de plusieurs coupes répand une nappe nommées parleurs vertus curatives. Le
d’eau fraîche ù fusage des baigneurs. grand dôme est un ouvrage du sultan
C’est un des charmes de ces établisse- Mourad I", qui embellit la ville de
ments de trouver l’une à côté de l’autre Broussa de tant de monuments magni-
et avec la même abondance l’eau cbaude fiques.
et l’eau froide sortant presque des Sous la grande salle sont des souter-
mêmes tuyaux, elles nouveaux arrivés, rains voûtés par le.squel; les eaux sont
qui ne se rendent pas bien compte de distribuées dans les différentes parties
la nature des eaux thermales, s’étonueut de l’édifice.
d’un phénomène dont l’explication est Elles arrivent dans la grande salle par
si simple. des canaux qui les déversent dans des
Dans l’avant-salle le baigneur ne man- coquilles de marbre et de la circulent
que pas de trouver, comme en tous les pour l’usage des baigneurs Dans cha-
lieux de réunion en Orient, lecafédjï, qui cun des angles de la salle sont des cel-
lui présente à son arrivée sa pifie et le lules destinées aux baigneurs de distinc-
café, et à sa sortie le miroir incrusté de tion.
nacre dans lequel le tchilébi, l’élégant Le bain de Yéni Kaplidja ou le nou-
Turc, donne un dernier coup d’œil à sa veau bain est le plus riche et le plus re-
toilette. C’est sur le miroir que le bai- marquable de tous; il est situé sur la
gneur dépose la modeste rétribution que pente inférieure de la montagne entre
touchent les baigneurs; car les bains la ville et l’ancien bain. Les salles sont
sont dotés d’une fondation pour que le couvertes par des coupoles recouvertes
public en puisse jouir gratuitement. de plomb. Toutes les voûtes intérieures
Tout autour de la salle sont disposées sont revêtues de faïences et de plaques
des estrades garuies de rideaux et de de marbre percées de polygones qui lais-
coussins sur lesquels s’installent les bai- sent tomber dans l'intérieur une lu-
gneurs ; etilest curieux de voir le calme, mière douce et uniforme. Une inscrip-
le silence et le recueillement qui rè- tion tracée sur une plaque émaillée ap-
gneut daus cette enceinteoù les baigneurs prend que ce bain a été construit par le
se réunissent souvent par centaines. grand vizir de Soliman le Grand, qui
La salle tiède est aussi de forme car- éprouva le bienfait de ces eaux. Il se-
rée; elle est chauffée par des tuyaux rait oiseux de rapporter tous les contes
souterrains qui portent au dehors les qui se débitent au sujet des cures opé-
eaux de la source principale. Au milieu rées dans les thermes de Broussa ; mais
est une estrade de marbre sur laquelle nous ne pouvons nous empêcher de
s’asseoit le baigneur avant d’entrer mentionner un fait curieux dont nous
dans l'étuve. La troisième salle, dans la- fûmes témoin. Le bain de Yéni Kap-
quelle sont les sources chaudes, est cou- lidja possédait, au dire des Turcs, la
verte par une coupole éclairée par un pierre à renfoncer les douleurs ; c’était
grand nombre de polygones fermés par un bloc de trente centimètres environ
des verres convexes. Un robinet de de diamètre en pierre de serpeutine, et
bronze, placé en face de l’entrée, donne ayant à peu près la forme ovale d’une
ASIE MINEURE. 13S

demi-pa<tèque. Il était plat en dessous de toute la population agglomérée au-


et bombé en dessus. Sur la partie con- tour des bains ; c’est là qu’il paraît con-
vexe était un trou avec un reste de scel- venable de placer l’ancienne Pytliia. Ce
lement de plomb. Pour ceux qui ont vu qui prouve que dans les temps byzan-
des poids antiques dans les collections, tins cette petite ville avait une certaine
nul doute que cette pierre n’ait servi à importance, c’est que le sultan Mourad
cet usa);e. Les Turcs étaient persuadés y fit bâtir une mosquée impériale, ce
ue cette pierre placée sur une partie que les sultans ne font que dans les lieux
u corps affectée d’une douleur quel- où ils ont résidé.
conque, avait la vertu de la dissiper ;
aussi chaque baigneur entrant dans le CHAPITRE XXVI.
bain avait-il soin de s’inscrire, pour
ainsi dire, afin de jouir du bienfait de LES MOSQUÉES DE BBOUSSA.
la pierre merveilleuse; il n’^ aurait la
qu’une croyance en uu remede chimé- Si l’on s’en rapportait au dire des
rique, comme nous en voyons journelle- habitants, la ville de Broussa compterait
ment en Europe; mais les habitants au delà de trois cents mosquées ; mais
avaient soin d’ajouter, qu’un jour, cette dans ce nombre ils comprennent les
pierre ayant été dérobée par une main petites chapelles ou mesjid les sébil-
,

inconnue, elle était revenue d’elle-méme khun, où résident des derviches. Il n’y
se réintégrer dans le bain. a pas en réalité plus de douze grandes
On dit que le milieu de la grande mosquées qui aient un caractère monu-
salle était autrefois décoré de fîgiires de mental ; elles sont toutes l’ouvrage des
lions en marbre qui répandaient l’eau sultans de Broussa, et depuis la prise
par des conduits placés dans leur gueule ; de Constantinople, aucun, nouvel édi-
mais cette imitation de la fontaine des fice religieux n’a été construit.
lions de l’AI-Hambra est aujourd’hui
détruite. CABACTÈBE DE LA MOSQUÉE TUBQUE.
Le bain de Keurkurdii est d’une cha-
leur intense (90” centin.) et ses eaux Il y a longtemps qu’on l’a dit ; les Os-

sont essentiellement cnargées de sul- manlis n’ont pas d’architecture particu-


fates alcalins. Il est surtout fréquenté lière à leur nation ; tribus de la tente, ils
our la guérison des maladies de peau. sont restés étrangers à l’art de bâtir, et
f,es autres bains sont situés à mi-côte leurs édifices publics sont l’ouvrage d’é-
dans le petit village de Tchékirgué, dont trangers, d’architectes arabes ou per-
les eaux atteignent jusqu’à .50" centi- sans d’abord, et d’architectes grecs en-
grades. Ils sont divisés en cellules des- suite. Aucun genre d’édifice ne peut
tinées aux malades qui veulent se soi- mieux que les monuments du culte don-
gner loin du tumulte des grands bains. ner la preuve de ce fait.
Ues baignoires de marbre sans aucun Mahomet, qui dans son livre a réglé
ornement sont placées dans chaque ca- les plus intimes détails de la vie pu-
binet ou kiosque, quiavecuu petit jardin blique ou privée, n’a, pour les monu-
composent l'ensemble de rétablisse- ments religieux , rien prescrit que la
ment, dont un médecin du pays est le condition de se tourner vers la Mecque
directeur. Les eaux sont ainsi disper- en faisant sa prière, et l’ablution avant
sées dans le village,
où un grand nom- de la commencer. Tout lieu qui offrira
bre de maisons jouissent du privilège de l’eau dans son voisinage et qui per-
d’avoir des bains particuliers qui sont mettra de se tourner vers la Mecque
à la disposition des malades moyennant pourra donc être un lieu convenable
une très-modique redevance. pour la prière. Le minaret, qui se pré-
Il n'y a autour des grands bains qui comme
sente le type le plus connu
sont dans la plaine aucun vestige d’an- de l’édifice religieux musulman, n’est
cienne ville. Mais le village de Tchekir- pas de prescription rigoureuse, et l’i-
gué, situé sur la hauteur voisine , est man peut remplir son emploi même sur
abondammeut pourvu de sources chau- la place publique. Seulement, comme les
des, et forme pour ainsi dire le centre chrétiens avaient pour usage d’appeler
126 L’UNIVERS.
aux offices au moyen d’instruments de truites dans l'empire Ottoman furent
boisou de bronze, il voulut que la voix imitées de l’église de .Sainte-Sophie, ou
humaiue fût seule employée pour con- plutôt prirent le type de l’Église grecque
voquer ses croyants. de l’époque de Justinien c’est-à-dire,

Les premiers lieux de priere chez les une salie quadrangulaire décorée ou non
Arabes furent simplement des enceintes de colonnes à l’intérieur, mais toujours
carrées sur un côté desquelles était uue couverte par une voûte ou pendentif
pierre debout qui indiquait de quel edté éclairée par de nombreuses fenêtres. Le
I fallait se tourner pour faire une prière harem précède la mosquée, et les nom-
valable. f./>rsque les Arabes, devenus breuses fontaines coulent aux alentours
maîtres des villes, voulurent construire de l’édifice pour l’usage des croyants.
des Djami (lieu d’assemblée), ils Orent Cette loi de l’architecture musulmane
de vastes portiques entourés de pilas- est générale et absolue, et on ne peut
tres ou de colonnes; au milieu était uue citer aucune mosquée postérieure à la
cour qu’on appela harem , c’est-à-dire prise Constantinople qui soit bâtie
rie

lieu fermé. I.a niche qui indiquait la en portiques; et réciproquement toute


direction de la Mecque fut appelée mosquée dont le dôme est éclairé par
mihrab. Ils imitaient ainsi les portiques des fenêtres est certainement bâtie après
des temples de l’Égypte et les ajiora, qui 1453 .

étaient nombreux dans les villes ro- Jje minaret, cette haute tour qui s’é-
maines ou byzantines. L’imam ou plu- lève devant la mosquée et qui donne
tôt le muezzin montait sur la terrasse aux villes d’Orient un cachets! original,
et convoquait le peuple aux heures de n’â rien dans sa construction ni dans sa
la prière. forme qui permette d’établir sur l’édi-
Un grand nombre de mosquées arabes fice auquel il appartient aucune donnée
et turques, bâties sur ce plan, subsistent chronologique.
encore daus le monde musulman. Les Les plus anciens minarets, ceux du
musquées du Caire, celles d’Adana, de Caire, ont la forme des tours carrées di-
Tarsous, la grande mosquée d’Alger, minuant d’étage en étage; ceux du Ma-
celle de Tlemcen en sont des exemples. roc et de l’Algérie sont aussi des tours
Toutes sont antérieures à la prise de carrées sans aucun ornement. Il faut
Coustautinople. Plus lard, les Arabes aller vers l’Orient pour rencontrer les
ayant converti en édifices religieux quel- premiers minarets en forme de colonne
les églises byzantines, on construisit ronde et élancée comme ceux qui ac-
es mosquées sur le modèle de ces compagnent les mosquées de Constan-
églises ,
c’est-à-dire que la grande salle tinople. Cette forme paraît avoir été im-
de prière fut couverte d’une coupole et portée chez les Turcs par les architectes
le harem forma uue cour en avant de persans qui eux-mêmes l’avaient imitée
l'édiilce. Dans les mosquées de cette des minarets de l'Inde. C’est, divent les
époque, qui commence avec l’empire des Thaleb, Mahmoud le Ghaznévide qui
Seljoukides , le pendentif n’est pas en- est l’inventeur de cette forme de mina-
core bien accuse. La coupole est basse ret. Les Mongols et le prince Djihan
et n’est pas éclairée par des fenêtres, et schah, qui bâtit à Tabriz cette magni-
les ornements sont encore de style arabe. fique. mosquée émaillée , l’ont transMr-
On peut citer comme exemples de ce tee en Perse, où elle est d’un goût géné-
genre d’édiiiee quelques mosquées d’I- ral. En effet rien n’est plus élégant que
conium, 1a mosquée du sultan Mourad ees colonnes surmontas d’un léger
et celle du sultan Bayazid à Broussa. kios(|ue, qui enupent les ligues horizon-
Chose curieuse, la ville de Constantinople tales des villes musulmanes, ('.ette forme
se contient pas un seul modèle de ce de minaret a si bien été adoptée par les
genre. Mais lorsque la capitale de l’em- Turcs qu’ils n’en ont jamais bâti que
pire byzantin tomba entre les mains sur ce modèle ; quelques minarets des
des Osmaulis, Mahomet II, comme l’ou mosquées de 'Tarsous et d’Adana sont
au culte de l’islam la ca-
sait, convertit des imitations de ceux du Caire.
thédrale de Sainte-Sophie. Dès ce jour Telle est la règle générale qui peut
toutes les mosquées qui furent cons- permettre à l’observateur de classer au

1. '.O
ASIE MINEURE. 137
premier coup d’œil un monument reli- lève à hauteur d’appui un bassin de
gieux des musulmans. Nous pourrions marbre alimenté par une fontaine per-
entrer dans d’autres détails sur la forme pétuelle, et des poissons privés nagent
de l’arc et la décoration mais ce serait
, avec sécurité dans cette eau limpide.
étranger au sujet de ce livre. Pour empêcher les oiseaux d’entrer dans
Nous devons cependant faire cette le temple, l’hypètre est couvert par une
remarque pour ceux qui s’attachent à grille ae bronzé. Les murailles du pour-
l’étude des monuments orientaux, c’est tour sont percées, à hauteur d’imposte,
que l’arc aigu des Turcs , n’est pas une de fenêtres qui correspondent à chaque
ogive comme nous l’entendons, c’est-à- travée ; elles sont ^lement fermées par
dire formée par deux arcs de cercle, mais des grillages.
c]est_un arc plein ceintre dont la partie La forme générale de l’édifloe est,
aiguë est formée par deux tangentes. comme on le voit, d’une grande sim-
Il est une dernière observation a faire plicité et dénote un art tout primitif.
sur l'architecture des Turcs, c’est qu’ils La niche appelée raihrab est tournée
ont rejeté complètement l’arc en fer à du côté du sud -sud-est, puisque c’est
cheval, c’est-à-dire à centre surhaussé dans cette direction que se trouve la
qui fut pratiqué par les Byzantins et Mecque.
adopté par les Arabes , parce que cette Les mollahs parlent avec admiration
forme d’arc manque de solidité. Tous de la décoration première de l’intérieur
ceux qui ont étudié les monuments de de ce temple; tous les piliers étaient,
l’Espagne et du Maroc savent combien disent-ils, oorésjusqu’à l’imposte, et sur
cette forme d’arc a été généralement em- cette dorure serpentaient des arabes-
ployée. ques entrelaçant les sura (chapitres) les
plus renommés du Koran. La chaire à
OULOn DJAMI. rêcher, que l’onappelle minnber, était
f œuvre a’un sculpteur arabe très-re-
La grande mosquée, Oulnu DJami, est nommé. Aujourd’hui ce luxe a disparu ;
élevée, sur le plateau central de la ville; un badigeon blanc recouvre tous les pi-
elle domine tous les quartiers envirou- lastres et des chiffres formés de lettres
uants, et forme comme le centre de pers- mystérienses, qui représentent les di-
pective du tableau pittoresque que pré- verses vertus d^Allah, sont les seuls or-
sente l’ancienne capitale des Osmanlis. nements qui peuvent distraire l’œil du
Les mosquées sont ordinairement dé- dévot musulman.
signées par le nom de leur fondateur ; Deux grands minarets s’élèvent à
mais celle-ci ayant été construite par droite et à gauche de la porte principale;
trois sultans n’â reçu que l’appellation ils ont la forme de colonnes cannelées;
vague de Ouloii Djami. le chapiteau est remplacé par une ba-
Elle fut fondée par le sultan Mou- lustrade à laquelle on arrive par un es-
rad 1"', continuée par Bayazid, fils de calier intérieur. On voit encore sur la
Mourad, et terminée par Mohammed I''', balustrade du minaret de droite le
neveu de ce dernier prince, ce qui ne ihon qui, partant du penchant de l’Ô-
les a pas empêchés de bâtir en leur fympe, amenait les eaux Jusqu’à cette
propre nom trois mosquées qui subsis- plate-forme pour l’épancher ensuite en
tent encore. Oulou UJami forme iin gerbes dans l’intérieur du temple.
large quadrilatère d’environ cent mètres
Outre la porte principale, la mosquée
de cAtè, divisé à l’intérieur en vingt- a deux autres portes, celle qui est des-
cinq compartiments, formés par autant tiuée au sultan quand il vient faire sa
de piliers. Chacun de ces comparti- prière, et celle qui porte le nom de
ments est couvert par une coupole , à Mékéméh Capou si la porte du tri-
(
l’exception de celui du milieu, qui reste bunal ).
à ciel ouvert pour donner de l’air et de
la lumière à tout l’intérieur. C’est ce qui
représente, dans les anciens édifices de
ce genre, l’hypètre ou harem. Au mi-
lieu de cette petite cour intérieure s’é-
138 L’UNIVERS.
CHAPITRE XXVII zantine. La façade a un certain rapport
avec celle du vieux palais à Venise.
MOSQUÉE DU SULT.iN BAYAZID. Au rez-de-chaussée cinq arcades ogi-
vales donnent accès à un long portioue
La mosquée du sultan Ildirim ^ya- ou iiarthex. Des barrières de marbre
zid est située dans le faubourg oriental sculptées à jour ferment les quatre ar-
au milieu d’un bosquet de cyprès et de cades latérales.
platanes ; elle est remarquable par la Le premier étaçe, .qui s’ouvre égale-
niasse de sa structure autant que par la ment sur un portique est aussi éclairé
simplicité de sa forme. L’entrée est pré- par cinq grands arcs en ogive divisés
cédée d’uii vestibule couvert par une par des fenêtres géminées dont les arcs
toiture de charpente On entre ensuite
sont supportés par une colonne unique.
I.e chapiteau est dans le goût byzantin ;
dans une avant-salle peu éclairée, à
les ornements des frises sont sculptés
droite et à gauche de laquelle sont des
cellules pour les lampes et les différents en feuilles de vigne et de lierre qui
ustensiles de la mosquée. Il n'y a qu’un rappellent tout à fait le ciseau grec.
seul minaret d’une forme extrêmement
L’intérieur de la mosquée présente
simple. une disposition unique en Orient. On
mosquée se contruisait en arrive dans la iief par un vestibule obs-
Celte
même temps que la grande mosquée cur; de sorte que l’on est frappé de la
impériale ; aussi les travaux furent-ils lumière qui règne dans l'intérieur. I.Æ
sou vent interrom pus. Sur ces entrefaites, centre de la nef est couronné par une
le sultan lui-même tomba entre les coupole surbaissée. Le vestibule d’en-
mains de Timoiir à la bataille d’An- trée donne par un double escalier accès

gora.et l’édifice religieux resta inachevé. au premier étage, où sont disposées des
Cependant la grande nef couverte par cellules pour les desservants et les étu-
diants de la mosquée. Le même édifice
une coupole et deux salles contiguës
out été entièrement terminées et sont sert ainsi de temple et d’école.

consacrées au culte. Le plan de cette Le plein ceintre est employé con-


mosquée est tracé dans le style de tran-
curremment avec l’ogive dans l’intérieur
sition dont nous avons parlé, c’est-à- du monument; tout enfin y dénote un
dire quela coupole repose sur le plan
rudiment de l’art byzantin.
carré de la nef et n’est pas éclairée par Les historiens du temps, et notam-
des fenêtres. ment Khatib Tchelébi, rapportent en
effet que le sultan Mourad employait
Près de la mosquée on a élevé le
tombeau du sultan Bavazid. Ce monu- des ouvriers et des artistes chrétiens à
ment rappelle aussi la simplicité des la construction des nombreux monu-
ments qu’il lit élever dans sa nouvelle
premières constructions des Osmanlis ;
capitale.
il contient deux grands et deux petits
sarcophages; l’un d’eux renferme le
corps du sultan dont la destinée se ter- LA MOSQUÉE DE MOHAMMED l'L

mina d’une manière si lamentable.


Aupointdevuede la perfection du tra-
MOSQUEE DE MOUnVD l’’’’
du soin avec lequel tous les orne-
vail et
A TCHÉKtHOIlÉ. ments sont sculptés, cette mosquée est
sans contredit la plus remarquable de
Outre mosquée qui porte son nom,
la peut être citée comme un des
la ville et

le sultan fit encore bâtir dans le


Mourad monuments les plus parfaits de l’art
faubourg de Tchékirgué une mosquée osmanli; mais on doit ajouter que c’est
appelée ''Ghazi Unkiar Djami si (mos- une imitation des édifices de l’Inde mu-
quée du conquérant). Cet édifice diffère sulmane.
tellement par ses dispositions générales Le harem ou l’avant-cour qui devait
et surtout par le caractère de sa façade précéder l’édifice n’a pas été achevée;
des autres monuments des Osmanlis, elle est remplacée par un perron eu
qu’on est tenté au premier abord de le marbre blanc qui conduit directement à
prendre pour une ancienne église by- l’entrée.
ASIE MINEURE. 139

Les marbres les plus variés, refouillés généralement désignée, par les habi-
avec une délicatesse sans égale, ornent tants, sous le nom de Yechil Djami
les murailles extérieures. La porte est ( la
mosquée verte ), à cause de la cou-
entourée d’une longue inscription mélée leur verte des faïences qui la décorent.
d’entrelacs et de feuillages qui contient Jadis le minaret et la coupole brillaient
le premier sura du Koran. Trois années aussi des couleurs de l’émeraude ; mais
entières ont été employées à la sculp- le temps et le manque d’entretien ont
ture de cette porte ; chaque lettre est effacé peu à peu cette brillante parure,
en haut relief et la plupart des carac- et là, comme dans tous les édifices mu-
tères et des rinceaux sont entièrement sulmans, la décadence et la ruine sem-
dét.'ichés du fond. blent présager à l’Orient de nouvelles
Une inscription qui fait partie des destinées,
ornements de celte frise rappelle en ces
termes nom du fondateur Sultan
le : CHAPITRE XXVIII.
Mohammed 1% fils dusiiltan Bayazid
fils du sultan Mourad I"'. TOMBEAUX DES SULTANS.
L’intérieur du monument se compose
d’une double nef couronnée par aeux Dans le quartier de l’ouest, près de la
coupoles. Les murs sont revêtus de mosquée du sultan Mourad, se trouve
faïences émaillées qui donnent beau- l’enceinte consacrée à la sépulture des
coup d’éclat et de richesse à cet en- premiers sultans osmanlis. Ce sont des
semble dont les lignes sont cependant chapelles sépulcrales construites sur un
fort simples. L’ameublement d’une plan carré, octogone ou hexagone et
mosquée ne comporte que la chaire de généralement couvertes de coupoles.
l'imam à laquelle on arrive par un es- Elles sont au nombre de huit, et renfer-
lier de douze marches ;
c’est le minnber, ment les dépouilles mortelles du sultan
la tribune du muezzin ou mahlil, sorte Mourad, Mehemet Mouradi Sounni
d'estrade supportée par des coloonettes ; Mourad I*''(I389). C’est un monument
le mihrab ou niche centrale est en mar- fort simple dont la coupole est soute-
bre rouge entourée d’une frise sculptée. nue par quatre colonnes byzantines.
Dans chaque mosquée turque, on re- Les mollahs chargésde la garde du tom-
marque à droite et à puche du mihrab beau montrent encore avec orgueil son
deux énormes chanoeliers de bronze casque de bataille, entouré d’une mous-
supportant des cierges d’une grosseur seline en forme de turban, et dont le
et d’une hauteur exceptionnelles. Le poids est tel que bien peu d’hommes
grand soin des imams est de conserver pourraient le conserver longtemps sur
ces cierges (tout en les allumant le la tête. Le seul signe extérieur qui in-
vendredi} depuis l’époque de la fonda- dique la sépulture est une grande bière
tion de la mosquée ; aussi dès qu’ils sont de marbre ouverte et remplie de terre,
brûlés jusqu’au tiers inférieur, on refond aux quatre coins de laquelle sont placés
la cire qui reste avec d’autre cire pour quatre cierges de cire d'une hauteur
en fabriquer un nouveau cierge avant que remarquable et entretenus religieuse-
le précédent n’ait été entièrement con- ment.
sumé ; c’est ainsi que se perpétue le Le sultan Mourad fit aussi construire
flambeau qui fut allumé par le premier un médrécé ou école avec une fondation
fondateur. pour entretenir un certain nombre de
Du sommet de la coupole pen- docteurs.
dent des chaînes de bronze qui sou- La même enceinte renferme au.ssi les
tiennent des lustres de difiéreiites for- cendres de DJeni sultan, plus connu
mes et des œufs d'autruche rapportés sous le nom de Zizim, les peintures de
par des pèlerins de la Mecque. Le lu- cette chapelle et les étendards qui déco-
minaire est des plus simples ; il consiste rent la sépulture du fils de Bayazid,
en godets de verre dans lesquels l’imam sont soigneusement conservés. L’autre
entretient une mèche avec un peu sépulture, renfermée dans le même
d’huile. tombeau, est celle du sultan Moussa,
La mosquée de Mohammed 1*''
est qui disputa le trône à son frère.
Liwaüon. 'Asie Minecbe )t, II. 9
, .

130 L’ÜNIVERS.
Les autres chapelles sépulcrales sont CHAPITRE XXI\.
consacrées à Aïnischa et à Courloii,
deux GliesdeBayazid,etau sultan Mous- l’olympe de MYSIE.
tafa.
Dans le fond de l’enceinte sont les Pour l'étranger qui arrive par mer
tombeaux du derviche Kalgourlou, d’une sur les côtes de la Bithynie, te mont
princesse Mariam, fille d’un sultan et de Olympe présente le plus impo''ant spec-
deux Qlles de Moussa. Le sultan .Maho- tacle. Couvert de neige une grande par-
met II et ses successeurs sont enterrés tie de l’année , entouré d'une ceinture
à Constantinople. de forêts sombres et séculaires, cette
montagne apparaît comme un colosse
TOMBEAU d’OSHAN. qui écrase le pays d’alentour ; aussi les
Le tombeau d'Osman, appelé par les anciens n’en ont-ils jamais parlé qu’a-
Turcs Daoud Monnstir (le monastère vec une sorte d’admiration respectueuse.
de David , est une ancienne église Il est généralement désigné, par les écri-
grecque dédiée à saint Elle. L’édilice vains grecs et romains, sous le nom
est circulaire comme tous les monu- d'Olympe de Mysie. Du côté du nord
ments consacrés à saint Élie. La nef cen- c’est-à-dire de la mer, il se présente
trale est surmontée d’une coupole sou- comme une montagne à double som-
tenue par quatre colonnes de marbre met. Sa hauteur, qui parait considéra-
gris. Un narthex formant galerie pré- ble., ne dépasse pas en réalité 2,235 mè-

cède la nef; toute la décoration inté- très d’altitude absolue. Le plateau de la


rieuse consiste en revêtements de mar- ville est à 305 mètres au dessus de la
bre gris séparés par des filets denticu- mer. Le sommet de l’Olympe n’est qu’à
lés L’emplacement de f autel est éclairé 1,930 mètres au-dessus de la ville.
par trois fenêtres divisées chacune par Sur le revers sud, les acrotères de la
des meneaux de marbre gris formant montagne forment de nombreux pla-
des petites colonnes dont les chapiteaiLX teaux dont l'altitude atteint jusqu’à
portent des croix. 800 mètres; on conçoit qu’elle perde
On entre par une porte latérale ; car beaucoup de sou aspect imposant, d'au-
le narthex de l’église a été converti en tant plus que ses ramifications se ratla-
salle sépulcrale renfermant les tom- chent, à l’ouest, à la chaîne de l’Ida et,
beaux de princes et princesses aujour- à l’est, au Katerlidagh, qui est le mont
d’hui inconnus. Le grand incendie qui Arganthonius.
a détruit une partie de la ville, en 1804, Si l'on ne jugeait la constitution géo-
a considérablement endommagé ce mo- logique de l’Olympe que par les nom-
nument. La coupole s'est écroulée et a breuses sources chaudes qui sortent de
été réparée depuis; mais aucune des ses contreforts inférieurs, on croirait
inscriptions qui faisaient connaître ces que la nature volcanique domine dans
tombeaux n’a été conservée. Il
y a une sa formation; il n’en est rien, et la masse
cbafielle attenante au monastère oui de la montagne est principalement for-
renferme aussi les tombeaux de plu- mée de granit, de gneiss et d’autres
sieurs personnages. Elle a 8, 30 de lar- roches à base de feldspath. Sur cette
geur et est divisée en huit parties par masse primordiale s’appuient des for-
huit niches circulaires qui sont sépa- mations géologiques plus récentes; ainsi
rées par une couple de colonnettes ados- dans les vallées de l’oiu st, on remarque
sées a la muraille. de grands gisements de marbre blanc,
C’est dans ce tombeau qu’étaient dé- et üu géologue a observé ce singulier
posés les symboles d'investiture du phénomène au sommet de la montagne ;
premier sultan des Osmanlis qui lui il a reconnu le granit recouvrant la for-

avaient été envoyés par Ala-Eddin, sul- mation calcaire de marbre blanc. Ce
tan d’Iconium ils consistaient en un
; qui au premier coup d’œil lui parut une
tambour et un chapelet, tous deux de anomalie géologique, lui fut bientôt ex-
dimension peu ordinaires. Ces reliques pliqué par un examen des terrains en-
turques ont été consumées dans l’incen- vironnants. Il reconnut (|u’à une époque
die de 1804. très-ancienne ,
ces terrains avaient été

Lk^gle
,

ASIE MINEURE. 131

bouleversés par quelque commotion sou> pourrez imaginer de quelle fertilité doi-
terraine et que le granit qui recouvrait vent être les vallées, et comment les
la formation calcaire n’étaitautre chose forêts peuvent s’y multiplier avec une
qu'une masse énorme déplacée par ce luxuriante majesté.
tremblement de terre. I.es vallées orien- Aussi on peut dire que peu de forêts
tales de la montagne sont en partie teuvent être comparées à celles de l’O-
granitiques et en partie composées de fympe pour la richesse des essences et
trapps, dont les formations acquièrent la belle venue des arbres. Le chêne et
une grande étendue. Du côté de l’ouest le hêtre y acquièrent des proportions
011 reconnaît, surtout aux abords des inusitées ; le châtaignier y réussit moins
eaux chaudes, des grès rouges tertiaires bien quoiqu’il se multiplie avec abon-
dont quelques-uns offrent des teintes dance. Mais le hêtre offre à chaque pas
entremêlées de veines plus pâles , et qui au voyageur qui veut s’aventurer dans
pourraient être employés dans les cous- ces solitudes presque impraticables des
tructioiis, s'ils étaient susceptibles d’ac- sujets d’une merveilleuse beauté. Ce
quérir uu certain poli. En somme cette fait est très-remarquable an point de vue
masse énorme ne présente que très- de la persévérance des espèces végétales
peu de ressources comme carrière de dans les régions qui leur sont propices.
pierres à bâtir. Les pierres employées En effet il y a deux mille ans déjà que
dans la construction des mosquées sont c’était une observation antique on pré-:

apportées du bord de la mer ; le sol n’of- tendait que les Mysiens qui étaient ve-
fre qu'un travertin de qualité médiocre, nus s’établir en Bithynie, alors terre
ui est employé pour les remplissages phrygienne, avaient donné à la contrée
es murs, et il est peu d’édifices publics le nom de Mysie, parce qu’en leur lan-
pour lesquels on n’ait emprunté le se- gue mysos simulait un hêtre.
cours de la brique, comme offrant plus Parcourons maintenant la montagne ;

de durée et sans doute plus d’économie visitons ses vallées, ses pâturages et ses
que toutes les pierres que produit le sauvages habitants.
pays. Broussa étant située sur le penchant
Le marbre même quia servi à la cons- même de l’Olympe , on ne peut sortir
truction de plusieurs mosquées n’est pas de ta ville du côte du sud sans se trou-
tiré des vallées de l’Olympe ; il est ap- ver immédiatement dans ime des val-
porté de nie de Marmara, carrière iné- lées, qui remonte presque jusqu’au som-
puisable qui a servi déjà à bâtir plusieurs met. Cependant il n’y a qu’une seule
villes et qui servira encore pendant plu- route fréquentée pour arriver au som-
sieurs siècles. metde la montagne, c’est celle de Gœuk-
La forme générale de l’Olympe se déré (le vallon céleste), qui coupe la
présente topographiquement comme un ville en deux parties du côté de l’est.
cône à base elliptique couronné par un Après être sorti de ce côté, à peine
double sommet. a-t-on fait une demi-heure de marche
Du côté du sud les contreforts s’a-
, qu’on se trouve au milieu d’un majes-
planissent pour former de vastes pla- tueux amphithéâtre de rochers caché
teaux où se réunissent les eaux de tous par l’ombre épaisse d’arbres séculaires,
ces versants, pour former deux fleuves parmi lesquels on distingue le noyer,
et plusieurs lacs. De ce côté, les acro- le châtaigner, le hêtre et le chêne. Le
,

tères de la montagne sont beaucoup chemin serpente le long d’un ravin pro-
plus prononcés ; la nature avait besoin fond et dangereux ; c’est la dépression
de soutenir cette immense masse grani- supérieure du Gœuk-déré, la vallée la
tique; ce sont autant de petites chaînes plus célèbre de l’Olympe , celle dont
qui descendent du sommet dans la l’aspect est le plus grandiose, surtout
plaine et forment dans leur intervalle au moment de la fonte des neiges lors-
des vallées arrosées par des cours d’eau ue les torrents roulent avec les blocs
perpétuels, dont la source est dans les e granit les troncs des arbres déra-
neiges de l’Olympe. Couvrez ce sol cinés. En continuant à monter environ
vierge de l’humus des végétaux accumu- une heure , on arrive à un plateau ou-
lés pendant des milliers de siècles, vous vert de trois côtés ,
et dominé au sud
».
133 L’UNlVKftS.

par une immense muraille de ruchers. nos tentes d’Europe ; les autres présen-
De ce point on peut d’un coup d’œil tent l'aspect des huttes des Indiens;
Rompter les vallées de l’Olympe ; à droite elles sont rondes et couvertes par un
le Cœuk-déré; à gauche, dansuuepro- toit bombé comme une coupole. Ces
tbndeur incalculable, les contreforts qui dernières sont couvertes de peaux de
s'étendent jusqu’au mont Argantho- chèvres ou de vaches; elles sont par-
nius, et au loin la mer, qui forme l’ho- faitement closes, mais d’un transport
rizon du tableau. difficile. La muraille est faite d’un treil-
lis de roseaux qui se replie sur lui-
CHAPITRE XXX. méme et se roule; la calotte est d’un
grand embarras pour les changements
LKS NOMADES DK l’OLYMPR. de yaëla; elle s’emporte tout d'une pièce.
La première station que l’on fait sur
C’est sur ce plateau que commencent le plateau de l'Olympe a lieu chez le
les habitations d'été des Turcomans ap- kéhaya ou chef des 'Turcomans ; il est
pelées yaéla. Le yaëla Joue un grand là au centre de ses administres, qui oc-
rôle dans la vie des nomades d'Asie ; cupent les différents versans de la mon-
chaque tribu a sa demeure d’eté déter- tagne. Chaque yaëla se compose d'une
minée, et aucune autre ne viendrait l’en viugtaine de familles, qui ont leurs
déposséder. Ce sont des pâturages placés troupeaux eu commun. Le chef de tous
sur les versants des montagues, dans ces nomades, qui porte le titre de Yuruk
des endroits frais et bien arrosés. Cha- Agha-si (Tagha des nomades), faitsa ré-
cun s'y bâtit une hutte, ou y dresse une sidence à Muhalitch, oit il vit entouré de
tente. L'hiver on descend dans les ré- ses rustiques courtisans.
gions chaudes, ou guermesir. Chacun Ces nomades habitent la région
cultive un petit coin de terre et fait moyenne de la montagne depuis les fo-

paître ses troupeaux. Nous avons vu rêts de hêtres jus(iu’à la région des sa-
dans diverses régions de l’Asie un bien pins. lis s’élèvent rarement au-dessus
grand nombre de ces tribus turcoinanes, de ce niveau quoique la montagne soit
et nous pouvons aflirmer que partout couverte d'un gazon fin comme le ve-

nous avons trouvé l’aisance et le con- lours; ces pâturages ne paraissent pas
tentement. Aussi quelle sérénité sur convenir à leurs troupeaux. Cette popu-
ces visages, quel accueil sympatique est lation, qui anime le paysage pittoresque
fait à l’étranger qui arrive. Ils ne con- et sauvage de l’Olympe, ne laisse pas
naissent d'autre autorité que celle de que de causer des dégâts notables que
leur Ak-sakaI ( barbe blanche) ou an- Tineurie du gouvernement de Broussa
cien ; ils payent très-peu de chose au ne songe pas a empêcher. L’exploitation
gouvernement, et l’on peut dire que pas des bois se fait sans aucune méthode,
un d'entre eux ne changerait sa tente et pour abattre un arbre les bûcherons
pour la plus belle habitation de la ville. en détruisent plus de dix. Quant aux
Ces tribus lurcomanes sont très respec- nomades, comme ils jouissent du droit
tées des Turcs des villes, parce qu elles d’usage, de pacage, d’abattage sans
sortent de la noble souche de la tribu aucune restriction, on les voit couper à
du mouton noir, dont faisaient partie les plaisir les plus beaux troncs pour en
princes seldjoukides. tandis (|ue les tirer un profit minime; de plus cette
Turcs Osniaulis sont de la tribudu mou- habitude, invétérée chez la plupart des
ton blanc, qui fut longtemps feudataire montagnards non-seulement de la Tur-
des Seldjoukides. quie mais du monde entier, d’incendier
Les Tourouks, c'est-à-dire Turcomans les jeunes plants pour récolter du gazon
nomades, se construisent au yaëla des Tannée suivante, fait qu’une partie
cabanes de bois et de branchages. C'est notable des forêts de l’Olympe a subi
ce que les Algériens appellent des gour- l’épreuve du feu , et alors les arbres qui
bis; ils ont aussi deux sortes de tentes, ont été sauvés végètent rabougris et
lesunes en laine noire, faites de poil de chétifs. Les troncs carbonisés, au con-
chèvre ou de laine de mouton ; celle-ci traire, résistent à tout agent naturel de
se plante au moyen de piquets comme destruction, et l’on parcourt de vastes
,

ASIE MINEURE. 183

espaces couverts de ces pieux noirs et en liberté ; car on peut facilement arri-
cbarbonnés qui ont un aspect lugubre. ver à cheval jusqu’à cette hauteur. Des
L’exploitation régulière des Imis se broussailles de pin et de genévrier que
fait de préférence sur les pentes orien- les guides ont apportées servent à allu-
tales de l’Olympe, qui sont moins abrup- mer le feu où se prépare le repas cham-
tes, et où les transports sont relative- pêtre qui doit précéder l’ascension. Il
ment plus faciles; mais quelle industrie ne faut pas plus d'une heure pour arri-
primitive I Des chars dont les roues sont ver au sommet, et si l'on a été favorisé
des ais mai joints , et à peine arrondis par un ciel serein , la majesté du spec-
crient sur des essieux de bois auxquels tacle qui se déroule aux regards sufBt
tient un timon d’une longueur démesu- pour faire oublier les fatigues de la jour-
rée. Dix à douze paires de bœufs tirent née. Une grande partie de la carte de
avec lenteur une bille de hêtre qui de- l’Asie Mineure se développe sous les
mande cinq ou six jours pour être des- yeux du spectateur; la vue s’étend au
cendue dans le pays plat. Les fondriè- sud jusqu’aux vallées supérieures du
res formées par les roues et les pieds Rhyndacus, à l’ouest jusqu’à la ïroade,
des animaux arrêteut journellement la et au nord l’azur de la mer découpe la
marche du convoi. côte en mille golfes profonds dont les
Ces bois sont généralement transpor- échancrures sont rendues encore plus
tés jusqu’àNicomédie, où ou les embar- sensibles par la perspective. Les îles de
que pour Constantinople. Cependant, .Marmara , de Besbicus se de.ssinent
sur la pente occidentale, il s'est fait comme des points dorés sur le bleu de
une grande exploitation ; mais les forêts la mer. et à l’horizon du tableau on
de ce côté sont fort apauvries. Le seul aperçoit à l’aide d’une lunette les dômes
souvenir de res travaux subsiste dans le et les minarets de Constantinople.
nom d’un village qui s’appelle Odunli Ceux qui ne voudraient pas organiser
keui c'est-à-dire le village du bois; c’é-
, une caravane spéciale pour taire l’as-
tait l’entrepôt des bois coupés dans les cension de la montagne pourraient se
forêts. joindre aux convois qui partent presque
La région des prairies qui succède à toutes les nuits de la ville pour aller
celle des sapins n’a rien qui là dis- chercher la neige au sommet. La neige
tingue des sommets alpins des autres est coupée en grands blocs dont deux
montagnes. Une quantité de ruisseaux, font la charge d’un mulet, et le convoi
alimentés par la fonte des neiges, tra- redescend en ville vers neuf heures du
cent leurs méandres sur le gazon ténu. matin.
I.es habitants appellent ces ruisseaux Le sommet de l’Olympe se divise,
Kerk bounar (les quarantesources). Déjà comme nous l’avons dit, en deux pitons
à cette hauteur la neige reste dans les qui forment un plateau de plusieurs
anfractuosités pendant la plus grande hectares d’étetidue.
partie de l’été. Sur celui de l’est, on voit les ruines
Les rochers verticaux qui semblent d’un édilice en pierres sèches qui parait
supporter le sommet de la montagne af- avoir étéune chapelle ou un monastère;
fectent les formes les plus bizarres. Ce mais rien dans sa construction ne per-
sont de hautes falaises de granit qui se met de lui assigner une époque déter-
dessinent en murs crénelés, eu colonnes minée.
prismatiques qui présentent la silhouette Du temps des empereurs byzantins,
de murs écroulœ et de châteaux en las vallées de l’Olympe devinrent le re-
ruine. fuge d’une foule d’anachorètes qui
Ici commeuce l’ascension du dernier fuyaient le tumulte de la capitale. Là,
mamelon de la montagne; partout la comme au mont Athos, les cellules ac-
neige remplit les crevasses; mais le che- compagnées de chapelles se. multi-
min ne présente aucun danger. C’est or- plièrent à l’iiiGni. L’empereur Constan-
dinairement au pied du dernier pic que tin Porphyrogénète fit un pèlerinage a
les guides turcomans font arrêter les l’Olympe , et y répandit d’abondaiites
voyageurs qui tentent l'ascension de la largesses. On citait parmi les plus cèle
montagne. Ou laisse les chevaux paître bres monastères l’abbaye de Medice,
iS4 LTJMVERS.
fon<lee sous Constantin Copronvnie par quer que les habitants de l’Olympe, qui
l'al)l)ésaint ISicéphore sous l’invoca- vinrent demander du secours à Crésus
tion de saint Serge et sous la règle des contre les ravages du sanglier, étaic nt
Acœiiiites (qui ne dorment point). Ce des pasteurs comme ceux que nous
noiiastèrc devint le refuge de plusieurs voyons aujourd’hui. Si l’on s’en tient
prélats orthodoxes durant les persécu- au récit de Strabon (t), les brigands
tions des iconoclastes. de l’Olympe n’étaient pas gens de peu ;
Moins heureux que leurs frères du ilsavaient des châteaux forts situes au
moût Athos, les moines de l’Olympe milieu d’épaisses forêts, et les Romains
furent chassés ou exterminés par les eurent plus d'une fois à compter avec
Turcs, qui s’emparèrent de Broussa. eux, témoin ce Cléon qui, deson village
Néanmoins la montagne conserva le natal, Gordiu Cômé, faisait une ville
souvenir de ses anachorètes et encore sous le nom de Juliopolis en l’honneur
eujourd’hui le fier Olympe est connu de son ami Jules César. Il posséilait
des Turcs sous le modeste nom de dans l'Olympe un château nommé Cal-
Chéchirh dagh^a montagne du Moine). lydium et son pouvoir était assezétendu
Lorsque l’islamisme se fut établi dans la pour faire pencher la victoire du côté
contrée, les dévots musulmans reprirent du parti qu'il embrassait. 11 quitta fort
les traditions des cénobites chrétiens et à propos le parti d'Antoine pour se
fondèrentdans la montagne des santons mettre dans celui d'Auguste qui l'en
qui attirèrent de nombreux visiteurs. récompen.sa en lui donnant la grande
I..e sultan Orklian bâtitau lieu appelé prêtrise de Comana, et l’investiture du
Goetik binar un couvent pour le der- gouvernement de la province de Mo-
viche appelé Kéïkii Baba (le père du rena dépendant de l'Olympe et de la
cerf). Cette retraite, encore très-tréquen- Mysie Abrettene.
tée par les pèlerins, s’élève à l’est de la Dans aucune des vallées de la mon-
ville. tagne un ne trouve de vestiges de haute
Plusieurs sultans ne dédaignèrent antiquité ; les seules ruines que Ton ob-
pas d’aller en personne y faire un pèle- serve sont des temps byzantins. I.es
rinage et la tradition cite de préten- sangliers de.^ceudant du sanglier my-
dues prédictions faites par de célèbres sien errent en paix au milieu des forêts
derviches qui se seraient accomplies où ils trouvent une nourriture abon-
de point en point. Là comme dans bien dante dans les châtaignes, les faînes et
d’autres lieux de l’Asie les religions adop- les glands qui jonchent le sol. et comme
tent les endroits célèbres des religions les musulmans n’ont garde de les tou-
ennemies. Le christianisme remplaça cher ni même de les chas.ser, ils mè-
par des églises les temples des païens, nent dans ces lieux la vie la plus pai-
et l’islamisme planta son croissant sur sible.On ne cite aucun animal féroce
les ruines chrétiennes. Partout le culte faisant son séjour dans TOlympe; quel-
nouveau cherche à remplacer le culte ques chats sauvages, le loup cervier
aboli. L’antiquité n’eut pas moins de fort rare et un petit léopard que les
respect pour la reine des montagnes Turcs appellent Caplan, sont les seuls
d’Asie; cependant le mont Ida était animaux destructeurs dont il soit fait
plus spécialement désigné pour y placer mention ; aussi le gibier abonde-t-il dans
le séjour des dieux. les vallée.s.
L’Olympe passait alors pour être ha- Le bétail de TOlympe comme celui
bité par des tribus féroces et des ani- de bien d’autres pays montagneux offre
maux redoutables. C’est dans les vallées un aspect peu satisfaisant. Nous voulons
du sud que le sanglier mysien, célèbre parler des bœufs, car les moutons s'y
dans l’histoire de Lydie, avait son re- reproduisent avec une grande abon-
paire; c’est là que s’accomplit la tra- dance et leur chair est d’une excellente
gédie de la mort d’Atys, (ils de Crésus, qualité. La laine est fine et sert à fabri-
tué par Adraste, neveu du roi Midas. quer ces tapis célèbres en Europe sous
Le récit d’Hérodote (I) semble iudi- le nom de tapis de Smyrue, quoiqu’on

(i) !.. XU (i) Sirab.. XII, 575.


W

ASIE MINEURE. 1

n'en fabrique pas un seul en cette CHAPITRE XXXI.


ville. La plupart des voyageurs célèbres
ui visitèrent Broussa dans les deux l’ile de besiiicus (Calolimuo).
erniers siècles ont effectué l'ascension
(le l’Olympe. Voici la relation qu’en
Le fleuve Rhyndacus qui traverse le
lac Apollonias forme la limite occiden-
fait Tournefort; nous la reproiluisonsici
tale de la Biihynie; tout le pays situé
parce que, comme botaniste éminent,
sur la rive gaui-he appartenait aux ha-
il fait connaître en peu de mots la
bitants de Cyzique et antérieurement
flore de la montagne ( I ).
» Nous laissâmes tout ce jour-là le
aux Doliones.
mont Olympe à notre gauche. C’est une A quatorze milles (1) du rivage et
horrible chaîne de montagnes sur le
daus le méridien de l’embouchure du
fleuve s’élève un îlot qui porte aujour-
sommet desquelles il ne paraissait en-
d'hui le nom de Calolimno (2); c’est
core que de la vieille neige et en fort
l’ancienne île de Besbicus. Pline ('’,) lui
grande quantité. En approchant du
mont Olympe, on ne voit <jue des chênes, donne dix-huit milles de circuit;
Étienne de Byzance l'indique comme
des pins, du thym de Crete, du cyste à
étant voisine de Cyzique; il rapporte
laudanum et une autre lielle espèce de
cette fable touchant son origine. • Les
cyste à larges feuilles. L'aune, l’ièble,
éants, dit-il, arrachant de gros blocs
le cxirnouiller mâle et femelle, la digitale
à dent ferruginée, le pissenlit, la chi- U rivage , les jetaient dans la mer et
tâchaient ainsi de fermer l’embouchure
corée, le petit houx, la ronce sont com-
muns aux environs du mont Olympe. du Rhyndacus; mais Proserpine, crai-
La montée de cette montagne est assez gnant pour nie de Cyzique, affermit ces
douce ; maisaprès trois heures de marche rochers et en fit une île qui fut ensuite
à cheval, nous ne trouvâmes que des sa-
nommée Besbicos par un des Pélasges
pins et de la neige; de sorte que nous
qui l’habitèrent; Hercule y détruisit le
fûmes obligés de nous arrêter près d’un reste de ces géants. » Selon Apollonius,
petit lac dans un lieu fort élevé pour
on voyait en ce lieu le tombeau du
aller de là au sommet de la montagne
géant Ægœon (4). Pline croyait qu’an-
qui est une des plus grandes de l’Asie;
ciennement Besbicus n’était pas une
Ile; mais elle tenait au continent et en
semblable aux Alpes et aux Pyrénées, il
fut détachée par un tremblement de
faudrait que les neiges fussent fondues
terre.
et mareher encore pendant toute une
Cet îlot partageait avee les îles des
journée. Les hêtres ,
les charmes, les
trembles, les noisetiers n’y sont pas Princes le privilège de servir de lieu de
rares. Les sapins ne diffèrent pas des
délassement aux seigneurs de Byzunee.
Besbicus, dit Pachymère (5), célèbre
nôtres. »
par sa fécondité et la beauté de ses
C’est près du mont Olympe que les
Gaulois furent défaits par Manlius, qui,
campagnes, fut exposée aux ravages (les
sous prétexte qu’ils avaient suivi le Turcs (jui arrivaient avec trente vais-
seaux et dévastèrent le pays. Les habi-
parti d’Antiochus, voulut se venger sur
tants furent massacrés à l’exception
eux des maux que leurs pères avaient
faits en Italie. Les Grecs ont autrefois
d’un petit nombre qui se jeta dans la
donné à l’Olympe le nom de montagne forteresse ; d’autres s’embarquèrent
des Caloyers parce (|ue plusieurs soli- avec leurs familles et firent naufrage
taires s’y étaient retires. Cette montagne
devant l’île de Skyros (Syra).
était célèbre au huitième siècle par di-
Besbicos faisait partie du territoire de
vers monastères où la discipline se Kéié (6); elle fut conquise en 1308 par
trouvait dans un état florissant.
(i) kilom.
() Le bon port.
(f) f'oy. du Levant, t. II, p. t86. V, XXXII.
(3) Liv. cil.

(4) Apoll., drg., I, 1164.


(5) Liv. VI, 17.
() KaToixia de Pachyoïèrc ,
t. II, liv. V,
ch. p. aS;,
,

1S8 LTINIVERS
Kara Ali, filsd'AlKOuldap.Osinaïulonna aujourd’hui ; on ignore d’où ils ont été
«n mariage au vainqueur une fille grcc- tirés (t); peut-être en cherchant hieil
(|ue qui faisait partie du butin de Ca- Irouvertwt-on que Maignine est la cor-
lolimuo. ruption de Vagnitis, village qui est situé
Ou mouille, dans la petite baie de à la pointe sud de l’île.
Calolimno par dix brasses de fond; les
rivaRes de File sont eu effet irès-accores CHAPITRE XXXII.
et plongent rapidemeut sous les eaux,
l.a région nord est formée par une
LA VILLE DE DASCYLIU.M ET LE LAC
montagne escarpée qui se relie à celle
UASCYLITIS.
du sud par une crête très-étroite. La
majeure partie des terrains est formée
d'argile sableuse dans laquelle sont in-
Il
y a dans la détermination positive
tercalés des couches de grè.s friable.
du lac et de la ville de Dascyliuin un
Le village du même nom que File est curieux problème de géographie et
d’histoire à résoudre. Les écrivains de
assis sur la corne nord d'une baie peu
étendue; il a un aspect de propreté et l'antiquité n’ont laissé qu'un calios dans
les documents qu'ils ont recueillis sur
d'ai.sance peu ordinaires dans les villes
d'Orieiit ; les maisons sont blanchies a ces lieux; l’examen du pays n’a encore
la chaux et bâties en pierre ; Fîlot ne
mis aucun observateur moderne sur la
produit d'autre bois que quelques oli- trace de la vérité, ün ne peut cependant
viers. douter que la ville de Dascyliuin n’ait
Le terrain de File se compose de existé puisqu’elle était le chef-lieu d'une

couches de calcaire argileux verdâtre grande satrapie sous l’empire de Da-


inclinées de 37° à 45° et courant de rius. Quant au Inc, il est inentioniié tant

Fest a l'ouest; cette roche au sommet de fois par les historiens de l’époque
des monlagues est fortement colorée en romaine qu’on ne peut douter de son
ro.se. Le calcaire est recouvert par une existence. A-t-il disparu ou faut-il le

couche de grès d'une décomposition confondre avec le lac d’A|)ollonias, c’est


la question à résoudre. Dans l'état des
facile.
Une crête aiguë traverse File dans connaissances géographiques de la con-
toute sa longueur et forme deux pentes trée, il n’y a que deux lacs, celui d’A-

de falaises élevées ducs à l’érosion de boullonia et celui de Manyas. Si le lac


la mer; elles plongent rapidement sous Dascylitis a disparu, on doit trouver au
les eaux; aussi ne trouve-t-ou de mouil- moins sa place; nous allons résumer
lage qu'en deux points à l’est près de
:
les renseignements que les anciens
Calolimnoet au sud-ouestprès du bourg nous ont laissés sur la ville et le lac de
de Vagnitis ahandonué aujourd'hui. On Dascyliuin (2).
trouve dix brasses à une encablure de La satrapie de ce nom comprenait la
terre. Mysie et la Kithynie. Du temps de Cy-
riis, Mitrobate, satrape de Da.scylium,ftJt
L’île a viugt-huit kilomètres de lon-
gueur sur environ quatre kilomètres de mis à mort par ordre d’Oretès, gouver-
large; elle renferme une population de neur de .Sardes, pour lui avoir fait des
deu.x mille âmes tous Grec.s. reproches de l'enlèvement de Poly-
L’examen des leirains de cette île, crate(3). Plus tard, après la soumission
comparés avec ceux du continent, prouve de l'Ionie, Dascylium était gouvernée
qu’il n’y a aucune concordance et qu’il par OEbarès, fils de Mégabize, Fauteur
faut la considérer comme étaut dans du bon mol contre les Chalcédoniens (4).
l'état où nous la voyons depuis la pé- Hérodote lui donne le titre d’éparque.
riode géologique actuelle. C’est entre les mains d'OEbarès que les
Dans la manie qu’avaient les naviga- habitants de Cyzique vinrent faire leur
teurs de donner aux lieux d'Orieut des
noms de leur invention, ils avaient ap- (i) Vny. Eaiidi-aiicl en 1705.
pelé Rcshicus File de Maignine, située, (a) Voy. plus haut p. Su.
disaient ils, dans le golfe de Polimeur. (3) Hérod., liv. lit, cli. lao-iiO,
Aucun de ces deux noms n'est connu (4) Vuyi’x page 7a.
,

ASIE MINEURE. 137

du lac Artynia (I). Or comme ce fleuve


soumission avant l’arrivée de la flotte
traverse le lac d’.Aboullonia, on serait
des Phéniciens, qui s’emparèrent de
tentéde conclure, en suivant fidèlement
toutes les villes de la Chersouncse (1), a
les textes, que le lac d’Apollonias
l’exception de celle de Cardie (2). Cette
Abotillonia ) n’est autre chose que le
deruiere ville était voisine de Dascylium (

qui lac Dascylitis.


et célèbre par ses eaux chaudes
Cependant un passage de Strabon (2),
étaient aussi douces que du lait (3). Or
Pausanias donne à cette dernière ville
citant en même temps trois grands lacs
de Bithynieet de laMysie, nomme le
le titre de xiapiri, c’est-à-dire de tourg.de
la
lac Dascylitis le lac Apollonias et le
village; ce qui prouve qu’elle était bieu
lac Miletopolis. « Au-dessus du lac Das-
déchue de son temps. De son côté,
cylitis il a deux autres lacs consi-
Étienne de Byzance (4) mentionne la y
ville de Brvilis « dans le territoire de
dérables : on nomme fun Apolloniatis,
l'autre Miletopolis.
laquelle était la petite ville de Dascy-
est la ville de
« Près du lac Dascylitis
liuni » ; il est, de plus, disposé à identi-
Dascylium; près du Miletopolis celle
fier Bryllis avec la ville de Cius- Tout
ceci peut mettre sur la voie de l’empla-
de Miletopolis et près de fApolloniatis
est la ville d’Apollonia sur le Rhyn-
cement de Dascylium. Cette ville était
dacus. »
sur la rive droite ilu Rhyndacus et
Voici uu autre passage de Strabon (3)
d’après Mêla , colonie des Colophoniens
qui augmente encore la difficulté;
comme Myrléa. On connaît une médaille
portant l'inscription AaoxuXlTcav. S’il n’é-
après avoir dit quelques mots du siège
tait question que de la ville, il n’y aurait de Cyzique, il ajoute que les C^zicé-
)
niens possédaient « une partie du lac
rien de surprenant qu’elle ait été ruinée
Dascylitis, dont le reste appartient aux
de fond en comble et qu’elle eût disparu
du sol ; mais le lac dont il habitants de Byzance, une portion du
de la surface
est si souvent question dans les auteurs pays des Doliones jusqu'aux lacs Mi-
même sort sans leiopolis et Jpolloniatisyi. Il n’y a donc
ne peut avoir eu le
laisser de traces.
pas moyen de supposer que l’un des
principaux ici les deux lacs eût jamais eu deux noms;
Nous rassemblons
de plus, le lac Dascylitis était assez
passages des auteurs anciens qui trai-
étendu pouravoir été partagé entre deux
tent de ce lac; peut-être une explora-
de province pourra- peuples différents.
tion plus assidue la
Maintenant, si nous reprenons le pas-
t-elle conduire à débrouiller l’obscnrité
sage d’Hécatée que nous avons cité
qui l'environne.
Aphnéens dit plus haut (4), le fleuve Odryssès,que l’on
Strabon en parlant des :

sont nommés Aphnéens, nom qui regardecommele Niloufer actuel, vien-


. Ils
Aphnitis, car c’est ainsi drait du lac Dascylitis; or ce petit
vient du lac
fleuve, comme nous f avons dit, ne sort
qu’on appelle le me Dascylitis (5) ». Si
(5) d’aucun lac. Le passage d’Hécatée, qui
nous prenons le texte d’Etienne de By-
« Aphneioii, rappelle le culte particulier renduà Apol-
zance (6), nous y lisons ;

lon par les habitants de cette partie de


ville de Phrvgie près de Cyzique et de
la contrée, serait en faveur de l’opinion
Miletopolis. Le lac aux environs de Cy-
de ceux qui veulent assimiler les deux
zique s’appelle Aplmitis; il portait au-
lacs sans la difficulté que présente le
paravant le nom d’Artynia. »
texte de Strabon. Un passage de Plu-
Pline ajoute encore à la confusion,
tarque, dans la vie de Lucullus IS), n’est
puisque suivant lui le Rhyndacus sort
pas propre à éclaircir la question. « Il
de Cyzique
y a assez près de la ville
(i) Hcroilole, comme Slraboii, voy. plus
un lac qui s’appelle Dascylitis, et qui est
haut page 8, ne couiiait l’Asie Mineure
cpie sous le nom de ('.hersonnèse.
ch. 33. (O l-iv.V. ch. XXXII.
() Hérodote, liv. X'I,
(i) Liv. XII, p. 575.
(3) Pausanias , liv. IV, ch. 35.
3 ) Slrahoil, XII, 676.
( 4 Verbo Hryltium. (

XIH, 5*7. (4) Voy.page


Slrah., liv. , „
LucuUut.
5 ) Siège de Cyzique, rie
() Verb. jiphntium. (
S

138 L’UMVERS.
navigable à d'assez grands bateaux. Lu- de roiympc, à environ quinze kilo-
cullus fil tirer à terre un des plus mètres de la mer. Sa forme est trian-
grands, et le fit traîner sur iin cbariut gulaire et son pourtour estimé de
i

jusnu’à la mer et y fit embarquer des trente-sept à quarante kilomètres. La


soldats, etc. » Ce lac ne communiquait côte sud-est accuse une ligne assez
donc pas avec la mer. T'n autre passage régulière, c’est celle qui regarde la
prouve que tous ces événements se pas- montagne, et le terrain est formé des
saient sur la rive gauche du Kliyndaeus, alliivions charriées par les eaux. La
c’est-à-dire en Mysie. Un corps de côte nord, au contraire, est fortement
troupes de Mithridate, qui était sorti découpée et remarquable par une pres-
pour faire (les viv res (t), fut surpris par qu’île rocheuse devant laquelle est assise
Lucullus et taillé en pièce. « Uucullus la ville d’Aboullonia, l'ancienne Apol-
les atteignit près de la rivière du lonias.
Rbyudacusel en fit un carnage que
tel La partie occidentale du lac reçoit
lesfemmes même de la d’ApoI-
ville une rivière qui n’est autre que le fleitve
lonia sortirent et allèrent dépouiller ceux Rliyndacuset qui en sort pour aller se
ui revenaient chargés de vivres. I.es jeter dans la- Propontide.
eux villes et les deux lacssontdonc par- Le lac est en outre alimenté par les
faitement distincts. fontes des neiges de l'Olympe qui au
La ville de Ilascylium a cependant printemps inondent tout’ le territoire
subsisté sous l'empire byzantin ; elle d’alentour. Il est à remarquer que le
était épiscopale sous l’archevêque d’A- courant qui entre dans le lac en sort
pamée ; voilà tout ce qu’on en sait. Ce presque avec le même volume d’eau, ee
qui a été écrit sur ce sujet dans les qui semble indiquer que le fond du lac
temps modernes n’est qu’un tissu d’er- n'est pas alimenté par des sources alion-
reurs. Selon fiaudraud (2), celte ville daiites.
existe encore sous le nom de Diasebilo ; Une exploration bydrOgrapliique du
« elle est assez bien entretenue par les fleuve, etdu lac fut faite en avril 1835
Turcs et située sur un cap du même par la goélette de l'État /a Mésange
nom entre Pruse à l’orient et Cyzique à qui vint mouiller au port de Calolimno
l’occident ». Enfin une note de itl. Gos- dans la petite île voisine. Une fois le
selin, l'un des traducteurs de Strabon, bâtiment en silreté, le commandant fit
ajoute à la confusion (3). • Dascylitis, armer un grand canot, et en compagnie
dit-il, est une langue à l’embouchure de quelques officiers, nous nous apprê-
du Nénufar (le Niloufer); elle con- tâmes à remonter le fleuve dont le
serve le nom de Diaskillo. » Cette note cours à celte époque était à jieu près
a été copiée par tous ceux qui dans ces inconnu.
derniers temps se sont occupés de la Le fleuve débouche dans la mer par
géographie de cette province; mais il une belle vallée qui forme une solution
n’y a aucun endroit moderne du nom de continuité dans la chaîne de mon-
de Diaskillo , et l’emplacement de la tagnes de la Mysie : cette vallée a
ville et son lac sont encore à re- cinq cents mètres environ de large;
trouver. les bâtiments d’un fort tonnage peu-
vent remonter à environ dix kilo-
CHAPITRE XXXIII. mètres dans l’intérieur et stationnent à
un village qu’on appelle Iskélé (l’É-
tA V1U.E ET LE LAC d’ APOLLONIA chelle ) c’est là qu’est établi le bureau
;

(ABOULLONIA). — LE HHYiVDACUS. de péage. Des balises placées de dis-


tance eu distance indiquent les bancs
Le lac d’Apollonias est situé entre la mobiles dans lesquels les bâtiments
Propontide et les pentes septentrionales pourraient s’engager. Après avoir re-
monté environ six kilomètres, on laisse
(i) Cf. .Sirab., XII, 763. sur la rive droite (orientale) l'embou-
(a) Ed. i63i. chure du Mloufer qui n’a pas plus de
(3) Stiabon, traduction française ,
t. V, quarante mèitres de large. Le fleuve se
p. ia5. resserre bientôt entre deux chaînes de
ASIE MINEURE. 1$S
montagnes et sou cours devient plus fourrure etniiut; graude vesu^de peau,
rapide. Nos matelots mirent pied à de longues bottes leur montant jus-
terre pour haler la barque, et nous ar- qu'aux genoux. Ces hontmes nous ap-
rivâmes le soir même au village d'Is- prirent qu’ej» eft'ct ils étaient Russes.
kelé. Il d'une mon-
est situé à la base Établis depuis plusdeeeut ans en Asie,
tagne (le marbre
; cette roche pa-
gris ils avaient formé une petite colonie
rait constituer chaîne qui court de
la qui vivait en bonne intelligence avec les
l’embouchure du lleuve jusqu'à Cy- Turcs et jouissant de tmelques im-
nique. Notre intention était d'entrer munités , notamment de pratiquer
dans le lac d’Apolloiiias en remontant sans contrainte leur religion. Ils sont
le lUiyndacus; nous naviguions tou- adonnés à la pêche , et se rendaient à
jours poussés par une forte brise du l’embouchure du fleuve pour pè.cher
nord, et loin de trouver aucun con- l’esturgeon , dont ils fabri(|uent le ca-
fluent, le fleuve nous paraissait s'é- viar.Ce genre de poisson est en effet
largir toujours; enliu nous aper^(umes, très-abondant dans ces parages, à tel
sur une hauteur, la ville de Muhalitch. point qu’on n’utilise, que les œufs et
N(tus avions navigué plus de trente ki- que la chair est délaissée. Ces Russes
lomètres sans savoir sur quelle nappe habitent un village qu’ou appelle Kosak
d’eau nous étions; le courant qui .se keui, et qui est situé près du lac de
confondait avec ce prétendu lac, était Manyas. Ils possèdent quelques ba-
souvent embarrassé par des lianes et teaux longs qu’ils placent sur un train
des troncs d’arbres ; nous n’aperce- de quatre roues, mettent dedans leurs
vions la trace d’aucun être humain ; enfants et leurs ustensiles de pêche, et
lorsqu’enGn nous pâmes mettre pied à vont ainsi, selon la saison, pêcher dans
terre et envoyer aux renseignements les différents lacs et cours d’eau de la
vers quelques indigènes que nous aper- contrée. Ils ignorent à quelle occasion
çûmes. Nous apprîmes que nous avions ils sont venus dans ce pays; les Turcs
depuis longtemps dépassé le cours du disent qu’ils se recrutent de déser-
Rhyndacus et que nous naviguions .sur teurs et de matelots russes qui vien-
le Sou sougherlé (la rivière des bulles) nent à Constantinople. Sout-ce d'anciens
qui vient de Siinaul. prisonniers amenés dans ces parag'es
Il n’est pas rare de voir cette vaste par les Turcs ce<û est plus probable.
.’

inondation se reproduire au printemps Le lac d’Apolionias fut aussi appelé


au moment de la fonte des neiges de lac Artynia ; mais il liait par prendre
L’Olympe, et les habitants la regardent le nom de la ville principale, construite
comiïie le signe d’une année d’abon- sur ses bords et qui devint célèbre par
dance. L’inondation couvrait tout le le culte que l’on rendait à Apollon.
terrain de la plaine de Mubalitch et 1/6 Rhyndacus portait aussi le nom
confondait les rives du lac avec celles de Lycus, que les Grecs donnaient à
du Sou sougherlé, de sorte que la petite tous les fleuves sujets aux déborde-
ville de Loupad se trouvait presque ments.
cernée par les eaux. L’année précédente nous avions ex-
Après un court séjour à Muhalitch, ploré le cours supérieur du Rhyn-
nous redescendîmes le lleuve sous la dacus, dont nous donnerons ici une
conduite d’un homme du pays, et nous courte description pour n’avoir plus à
allâmes mouiller sous les murs de nous occuper du régime de ce fleuve.
Loupad. Le Rhyndacus prend sa source dans
Le lendemain, après avoir reconnu le voisinage de la ville d’Aizaui (1),
lepont qui indique l’entrée du lac, nous aujourd’hui nommée Tchafder hissar
allâmes mouiller dans les environs d’A- (lé château du seigle). Ce territoire
bonllonia. faisait partie de la Phrygie Épiclète. Il
Notre guide nous avait quittés à sort d’une montagne calcaire apparte-
l’embouchure du Rhyndacus pour re- nant au groupe du mont Dindyniène à
joindre un convoi de' paysans qui pa- une hauteur de 1,085 mètres au-dessus
raissaient étrangers au pays ; ils avaient
le costume des Russes, ’nn bonnet th' fl) Sirob., XII, 57fi.
140 L’UNIVERS.
de la mer, traverse la plaine d’Aizani Cet événement se passait sous le règne
dans la direction du sud au nord et de Claude le Gothique (1).
après une course de vini^ kilomètres, Dans toute l’étendue de son parcours,
contourne un col peu élevé près de depuis sa source jusqu’à sa sortie du
Sofon keui, qui sépare la plaine de lac , le fleuve ne reçoit aucun affluent
Tchafdèr de celle de Taouchanli ( la iii porte un nom historique mais, ;

ville des lièvres ), petite ville assez po- ans son cours inférieur, il reçoit de
puleuse adossée au revers méridional l’ouest une rivière considérable qui
du Toumandji dagh, un des contre- s’appelait Megistus ou Macestus, et au-
forts sud-est de l'Olympe. La plaine de jourd’hui .Sou sougherlé. Nous n’avons
Taouchanli est bien cultivée et ren- pas parlé du nom moderne du Rhynda-
ferme plusieurs villages. En traversant ciis; on peut à peine dire qu’il en a un,
cette plaine le fleuve prend son cours c’est-à-dire qu'il en change à chaque
vers l'ouest et le nord-ouest, pour village. Dans les hauts plateaux on l’ap-
contourner le massif de l’Olympe, dé- telle rivière de Thafdère; plus loin c’est
bouche dans la plaine aux environs du fa rivière de Taouchanli ; enfin au petit

village de Kirmasii, et va se jeter bourg d’Edrenos le Rhyndacus preud le


dans le lac Apollonias vers l’angle sud- nom d’Edrenos tchal jusqu’au lac Apol-
ouest. Pendant la saison des hautes lonias.
eaux où nous nous trouvions, il ne Ce n’est pas tout. A sa sortie du lac,
nous fut pas possible de reconnaître les habitants le confondent aveu le Ma-
dans le lac aucune espèce de courant ; cestus et l’appellent, jusqu’à la mer.
mais l’inondation étant causée par la Sou sougher li (la rivière des buffles
fonte des neiges, le volume du fleuve ou des Itoeufs d’eau). Il faudrait dire lit-
n’en était pas augmenté dans son cours téralement sou segher li, seg/ier, bœuf,
supérieur. tou segher, bœuf d’eau, sou segher li
L’accumulation des neiges dans ces tchaï, la rivière des hœufs d’eau ; voilà
régions et les rudes hivers de la Bilhy- pourquoi la géographie des Turcs est
nie se représentent assez fréquemment; un cahos.
aussi les orangers et les plantes des Celui qui n’a pas quelques notions
contrées méridionales ne croissent-ils de la langue ne saurait s’y reconnaître;
pas dans cette province. Plutarque (I) il
y a cependant un avantage, c’est que
rapporte que pendant le siège de Cyzi- tous les noms de ville, de montagne ou
que Lucullus ayant fait une sortie pour de fleuve ont une signiQcatioii prise de
se mettre à la poursuite des soldats de leur caractère saillant et cela se fixe
Mithridate « trouva les neiges si abon- très-hien dans la mémoire.
dantes, le froid si âpre et le temps si
rude que plusieurs des soldats, ne pou- LS MACESTUS SOU SOUGHEBLE
vant le supporter, moururent par le TCHAÏ.
chemin ».
Nous n’avons, cependant, aucune « Le Rhyndacus prend sa source dans
preuve historique d’un froid continu de l’Aizanitidé, après s’étre grossi des eaux
dix degrés centigrades qui eût infailli- de plusieurs fleuves de la Mysie Abret-
blement gelé le lac d’ Apollonias; de tène, entre autres de celles du Macestus,
mémoire d’homme la surface du lac n’a qui vient d’Ancyra de l’Ahasitide, se
été entièrement gelée. décharge dans la Propontide près de
Mais l’inondation dont nous fûmes nie de Besbicus (2). » Ce court passage
témoin et qui au dire des habitants se
,
de Strabon, d’une exactitude parfaite,
renouvelle fréquemment , fut terrible nous a aidé à retrouver les sources du
en l’année 268. Les Goths, qui faisaient Rhyndacus et nous permettra de suivre
le siège de Cyzique , furent surpris par sans difficulté le cours du Macestus, qui
un débordement des lacs et des fleuves ; porta aussi le nom de Megistus (3), sans
une partie de l’armée fut engloutie et le
reste fut obligé de battre en retraite. (i) Zon«re, XII, lï^.
(») .Strab., XII. 57 B.
(t) Fit! de LueuUtu, (3) Pline, liv, V, ch, 3»,

1'
.
ASIE MINEURE. 141

doute parce qu’il était le cours d’eau le quai en solide maçonnerie qui s’élève de
plus considérable de la Mysie Abrettèue. plus d’un mètre au-dessus de l’eau ; la
Le Macestus prend sa source dans le forme de l’Ilot est un rectangle terminé
lac de Siinaul, près du village du même par un liémicycle. Les restes qu’on re-
nom et dans le voisinage duquel M. Ha- marque dans son enceinte se composent
milton a déterminé la positiou d’Ancyre de colonnes et de pans de murailles qui
de Phrygie ; ce qui constate l’exactitude ont sans doute appartenu au temple
de Strabon, le lac est alimenté par des d'Apollon ou peut-être de Diane ; l’ilot
sources abondantes. Au nord du village s’appelle aujourd’hui Kiz-Ada si (l’îlot
de Kilissé keui se trouve une gorge de la fille ou de la vierge). Est-ce un
étroite par laquelle l’eau du lac s’é- souvenir de la divinité grecque ?
chappe avec impétuosité et forme une On cite un grand nombre de médailles
cascade au milieu des rochers, (^e ruis- de cette ville , tant autonomes qu’impé-
seau est la source du Macestus. Dans riales; le revers porte quelquefois la
toute cette région, il porte le nom de figure du fleuve Rhyndacus couché et
Simaul tchaï, arrose les plaines volcani- appuyé sur une urne; c’est le symbole
ques où sont situés de nombreux vil- aÀpoUonia ad Rhyndacum, epithète
lages. En passant près de la petite ville donnée à cette ville pour la distinguer
de Sou sougberlé, il en prend le nom, des autres du même nom. D’autres
u'il conserve jusqu’à Muhaliteh ; enfin médailles portent au revers la figure
e cette ville à la mer, après la Jonction d’Apollon près duquel est un trépied.
des deux rivières, le fleuve prend les noms Le temple d’Apollon dont nous avons
de Muhaliteh tchaï et de Sou sougherlé. parlé est représenté sur une médaille
Tout le territoire arrosé par le Maces- de Caracalla ; il est à quatre colonnes,
tus appartenant à la Mysie Abrettène et ce qui s’accorderait assez bien avec la
à la Phrygie Épictète, nous les décrirons nature des ruines que l’on observe dans
en même temps que cette dernière pro- nie.
vince. Il faut que les habitants de la ville

moderne se soient attachés à détruire


APOLLONIAS. les inscriptions; car les anciens Apol-
loiiiates mettaient le plus grand soin
La petite Ile sur laquelle la ville est à confier au marbre les faits nota-
bâtie est située dans la partie nord-est bles de leur cité. Dans plusieurs villes
du lac ; elle a environ cinq kilomètres de d’Asie et notamment à Éphèse on ob-
circonférence. On y arrive au moyen serve des inscriptions votives dédiées
d’un pont de bois en mauvais état. La par les habitants d’Apollonie sur le
ville, quoique séparée du continent, était Rhyndacus; et Arundell cite une ins-
défendue par une forte muraille flan- cription de cette ville copiée à Dinaire
quée de tours dont quelques spécimens l’ancienne Colossæ , votée par les Apol-
restent encore en place ; mais toutes ces loniates.
constructions ne datent pas de la pé- i<Le peuple des Apolloniates sur le
riode hellénique; on peut reconnaître « Rhyndacus honoreXibériusClaudius,
certaines parties construites avec des « fils de Tibérius Cyréna Mithridate,
matériaux antiques et qui datent de la « grand prêtre d’Asie , leur protecteur
période byzantine. Il ne reste dans l’in- « et leur bienfaiteur, et en reconnais-
térieur de cette bourgade qui a rem-
,
« sance de ses services lui ont élevé
placé l'ancienne Apollonias, aucun « une statue par les soins d'Apollo-
monument digne d’être observé ; ce fut « nius, le plus distingué de leurs con-
un lieu de refuge , pendant le temps « citoyens (1). »
de l’invasion musulmane , pour les Du temps des empereurs romains,
malheureuses populations chrétiennes, tout ce territoire appartenait à Cyzi-
chassées de Pruse ou d’Apamée. que (2). A l’époque byzantine, la ville
Au nombre des petites îles qui éinaih était épiscopale sous la métropole de
lent la surfacedu lac , il en est une qui
porte des traces évidentes de construc- (i) Arundell, Srven ehurches.
tions helléniques ;
elle est entourée d’un (u) Siral)., Xli, SyS.
,

Mcomédie; ce privilège a maintenant leva cette place, qui ne fut jamais re-
passé à Ghio. Il n'y a à Apollonie prise par les Byzantins.
u’une pauvre église’à peu près aban- Il ne parait pas que dans l’antiquité

3 onnée. romaine il y ait jamais eu en ce lieu


quelque ville importante; les voyageurs
CHAPITRE XXXIV. du dernier siècle (!) citent un assez
grand nombre de ruines entre cette ville
LOUPAUIUM. — LOl'PAD. et Mubalitch; elles ont dû appartenir à
Miletopülis, qui était dans le voisinage.
La route d’Apollonias à Loupadium Aujourd’hui la population a presque to-
suit la côteuord du lac à travers une talement abandonné Loupad à cause
contrée déserte et marécageuse. Les oi- de la mal aria qui devient de plus en
seaux a<|uati(|ues aboudent dans ces plus redoutable. On n’y trouve plus
parages qui sont fréquentés à de rares pour habitants que quelques familles
intervalles par des pasteurs nomades. grecques et un monastère abandonné, où
Le seul édifice que l’on rencontre sur vit avec sa famille un pauvre papas qui
cette route est un vieux kban aban- fait leservice religieux des chrétiens de
donné appelé Kirsiz klian , le c.ara- Loupad.'^
vanseraï des voleurs c’est une construc-
;

tion du moyen dge, mais un ouvrage HADBUm ÉDBBNOS DANS LA VALLÉE


turc. DU BHYNDACUS.
On franchit le Rbyndacus sur un
pont de bois en très -mauvais état pour Le cours du Rhyndacus, à travers les
arriver à la petite place de Luupad défilés de l’Olympe, offre des alterna-
bôtie sur la rive gatudie du fleuve, et tives de défilés et de plaines qui rea-
juste à son point do sortie du lac. fermaient quelques villes importantes et
Loupadium fut kUie par Alexis qui aujourd'hui sont peuples de nom-
Comnène pour défendre les abords de breux villages. Tous ces districts ontété
Broussa contre les Sarrasins. C’est à l’époque byzantine le théâtre des
plutôt une forteresse qu’une ville; elle luttes entre les Sarrasins et les Grecs.
reçut cependant un contingent de po- Aussi les passages des vallées étaient-
pulation qui a pu s’élever à deux mille ils défendus par de nombreux châ-
âmes dans le temps de sa plus grande teaux dont ou voit encore les ruines,
prospérité. Ixiupadium est bâtie en mais dont les noms ne peuvent être
forme de rectangle, selon l’usage des restitués que par conjecture, car les
Byzantins ; la muraille est de briques inscriptions monumentales de cette
parmi lesquelles on a mêlé une foule époque sont extrêmement rares.
de fragments antiques et de débris de En remontant le Rhyndacus à partir
colonnes. De dix mètres en dix mètres, de son entrée dans le lac Apollonias,
la muraille est flanquée détours rondes on arrive, après douze heures de mar-
et poligonales. Mcétas Choniates, qui che, au petit bourg d’Édrénos qui con-
écrivait dans le treizième siècle, appelle serve encore les vestiges de l’ancien
cette ville Loupadium (I) elle est éga-
;
nom de la ville dont il occupe la place.
lement citée parAnne Comnène (2j. Iladriani, ville fondée par l'empereur
Loupad défendait l’entrée du lac Apol- Hadrien, était en effet située sur le
lonias aux
barques des Sarrasins et bord du Rhyndacus ; c’était la place la
commandait en même temps le cours plus considérable de la province. Pour
du Macestus; de sorte que comme point la distinguer d'une autre ville du même
stratégique, sa construction est assez nom, située dans le centre de la pro-
bien entendue. Loupad tomba entre les vince, on l’appelait Uadriani près de
mains des Turcs en 1330. Orkban, s’é- l’Olympe. Du temps de l’empire by-
tant ligué avec l’émir Toursoun pour zantin elle devint épiscopale et était
aller attaquer le princede Karasi, en- comprise dans la province de fHelles-
pout. L'emplacement d’Uadriani fut dé-
(i) Nie. Chou., p. i86.
{‘i) Aun. Cunin., p, 177. fi) Lucas, 1 . 1, 179.
ASIE MINEURE. M3
terminé d’abord par Sestini au village tatives pour arracher du sol les frag-
d’Édrétios, et les ruines de cette ville ments qui s'y trouvent et qui nuisent
antique ont été décrites par M. 11a- à leurs cultures, et ils ont accumulé
niilton. près des murailles existantes une quan-
La route de Broussa à Éd rénos tité de corniches et de colonnes bri-
remonte la vallée du Rhyndacus de- sées d’une belle exécution.
puis le point où il entre dans le lac Le grand édifice dont les ruines sont
Apollonias. On arriveaprès vingt-quatre encore conservées parait avoir été un
kilomètres de marche à la petite ville gymnase; les murs de fondation peuvent
de Kerinasli, dans le voisinage de la- encore être parfaitement distingués.
quelle s’élève un château byzantin. Rir- C’était ud édifice carré d’environ
inasli est bâtie sur les deux rives du soixante-six mètres de large; sur qua-
fleuve et contient environ huit cents rante-huit de profondeur; mais à 1 ex-
maisons dont la majeure partie est ha- ception du côté sud-ouest, les murs ne
bitée par des Turcs. Les ruches qui en- s’élèvent pas à plus de trois ou quatre
vironnent la ville sont de nature vol- pieds au-dessus du sol ; les murailles
canique, entrecoupées par les marnes de l’ouest ont environ vingt mètres de
calcaires. A huit ou dix milles de Kir- hauteur et peuvent être aperçues d’une
niasli, ou passe une rivière qui va se très-grande distance ; elles sont magnifi-
jeter dans le Rhyndacus et qui formait quement construites en grandes assises
la limite de la.Mysie Abrettèue. On fait de marhre;l epaisseur du mur est d’en-
encore vingt-quatre kilomètres de. Kir- viron un mètre et toute la construction
masli jusqu’à Kesterlek, petit village est appareillée sans ciment; ce qui
de quarante ou cinquante maisons. Peu montre avec quel soin l’édilice a été
de temps après avoir quitté ce village, construit.
un remarque un château byzantin dont Les fondations des pièces de l’in-
les murailles sont bâties de briques et térieur sont seules visibles, et il est diffi-
de pierres; cette construction paraît cile de connaître leur di-position.
être du même âge que le château de Près du gymnase sont les vestiges de
Loupad. deux autres édifices qui, si l'on en juge
La route se prolonge ensuite à tra- par les colonnes brisées qui sont dans
vers une contrée boisée et presque dé- le voisinage, paraissent avoir été des
serte; on passe plusieurs petits cours temples, l’un d’ordre dorique, l’autre
d’eau qui vont se jeter dans le Rhyn- ionique. De belles volutes et des frag-
dacus, et l'on arrive, après huit heures ments de corniche sont là gisant à
de marche ou quarante-huit kilomètres, terre. Trois colonnes de petite dimen-
au village d’Édréuos, situé dans le voisi- sion et encore eu place indiquent sans
nage des ruines d’Hadriaui. doute remplacement d’un portique ; et
Le bord de la rivière est défendu par les murailles voisines sont remplies de
un ancien château byzantin mais les
;
fragments de toute .sorte. Les inscrip-
ruines d’IIadriani sont à deux milles tions sont rares à lladriani; mais on
plus loin. en découvre quelques-unes au village
L'édilice qui frappe d’abord les re- de Beyik; elles paraissent avoir été
gards, est une ancienne porte de ville transportées de la ville.
composée de trois arcades ; mais on ne La ville d'Hadriani est le lieu de
trouve aucune trace de murailles; l’ar- naissance de l’orateur Aristide, qui dans
chitecture de cette porte est d’un style ses écrits a laissé quelques passages
assez médiocre. Un peu plus loin sont relatifs à son pays natal. Ou comp-
les ruines d’un édilice considérable qui, tait cent soixante stades (I) entre. Ha-
avec tous les débris d’architecture qui driani et Poemaninus et deux jours de
l’entourent , indiquent parfaitement marche entre Cyzique et la première de
remplacement d'une ancienne ville, et ces deux villes.
la concordance des noms ne permet pas Au-dessus du village d’Édrénos le
de douter que ce ne soient les ruines fleuve se trouve de plus en plus res-
d’Hadriani.
Les habitants ont fait bien clés ten- (() Vingt-neuf kilomètres et demi.
144 L’UNIVKRS.
Tou-
serré par les défliês que forme le pendant deux heures et demie, nous
mandji da^h; mais ou rencontre de arrivâmes à Yeui cheher. La ville est
distance en distance quelques villages petite mais jolie; tous les vendredis il
bâtis sur les pentes. Rniin l’on arrive à s’y tient un grand bazar ; on y vend
un ruisseau qui va se jeter dans le presque de tout; mais le principal com-
Rliyiidacus en venant de l’est et qu’on merce est celui des chevaux que les
appelle Toumandji sou ; c’est la li- Tarlares y amènent (t). > Yéni cheher
mite entre la Phrygie et la Bithynie. était le centre des opérations de Soli-
man lorsqu’il attaquait Nicée. Bilédzik,
autre village à l’est de Yéni cheher, est
YÉM CHEHEB, SUGUUD ET QUELQUES regardé comme l’ancienne Belecoina;
VILLES DE l’INTÉKIEUB. on n’y remarque aucune ruine intéres-
sante.
Les versants est et sud de l’Olympe, A la jonction de la rivière Poursak
quoique moins peuplés que le versant et du Sangarius se trouve la ville de
nord, renferment cependant quelques Sughud, qui a joué un grand rôle dans
villes qui méritent d’étre mentionnées. l’histoire ottomane, puisque c'est le
La région est forme un bassin parti- premier fief que posséda le chef des
culier au centre duquel est un petit tribus turques lorsqu’elles arrivèrent
lac qui porte le nom de Yéni cheber en Asie Mineure. Auparavant elles n’a-
comme la ville bâtie sur sa rive ; il est vaient été que des hordes à la solde des
alimenté par quelques sources et par sultans d'iconiutn. Ala Kddin fit pré-
les eaux de la montagne. Sou canal d’é- sent de ce territoire a ErtoghruI , qui
coulement se rend dans la rivière d’Ak fit de ce lieu le centre de ses opéra-
sou qui va au Sangarius en se joignant tions contre Broussa. I.e site de Sug-
au Uéré tcliai qui prend aussi le nom hud, dont le nom turc signifie l’otter,
de Bédré tcliai; c'est la rivière de correspond, selon Hanimer, à celui
Lefké. La ville de Yéni cheber (nou- de Thebazion, ville byzantine de peu
velle ville ) est regardée comme de fon- d’importance; mais aujourd’hui on n’y
dation musulmane; elle était autrefois observe aucune ruine antique. Elle est
le lieu de cantonnement d’une orta de célèbre parmi les Turcs, comme le lieu
janissaires; on sait que cette milice de sépulture du sultan ErtoghruI, dont
fut créée a Broussa et composée de le tombeau s’élève aux environs de la

jeunes chrétiens convertis a l’isla- ville i|ui elle-même est située à l'en-
misme. Si l'on compare son état actuel trée d'une vallée et entouree de nom-
avec le tableau qu’en fait un ancien breuses plantations de mûriers.
voyageur, on doit convenir qu’elle est Le tombeau du sultan est une cha-
bien déchue aujourd’hui, car le lac pelle sépulcrale dans le genre de celles
n’est plus qu’un marais et les maisons qui furent depuis construites à Broussa,
tombent en ruine. et que les Turcs appellent Turbé. Ce
Paul Lucas décrit en ces termes la genre de .sépulture, qui n'est ni romain
route qu’il lit pour se rendre à Yéni ni chrétien, a été importé dans l'Asie
cheher. « Nous partîmes de Nicée le Mineure par les Seidjoukides qui eux-
25 au matin: nous eûmes le lac à main mêmes en avaient pris le modèle chez
droite et nous le côtoyâmes pendant les Mongols. Le tombeau du chah
une bonne heure et demie; ensuite nous Koda Benda à Sultanieh, en Perse, en
commençâmes à monter de fort hantes est un des plus beaux exemples. Dans
montagnes; le chemin nous en parut la plaine de Césarée et aux environs
des plus rudes et nous dura prés de d'Iconium on observe un certain nom-
deux heures; au plus haut sommet bre de ces tomlieaux du temps des .Seid-
nous nous reposâmes environ une joukides et qui sont comme le type des
heure dans un village appelé Uerbent Turbés des Turcs. Le tombeau d’Erto-
défilé ) qui n’est habité que par des glirul s’élève au milieu d’une planta-
( le

Grecs ; enlin nous descendîmes par une tion de cyprès et de platanes et offre
pente fort douce dans une plaine des
plus agréables, et après y avoir marché (i) l.ucu, t. I, p. 7a.
ASIE MINEURE. I4i

un tableau pittoresque des sépultures L’empereur Romain Dii^ne régnait


de l’Orient. à Byzance lorsque les Turkomans se
Unautre fief fut donné à ErtoghruI ruèrent pour la première fois sur les
par prince des SeIdjoukides après
le villes de l’Asie Mineure. Ils passèrent
une grande victoire remportée contre l’Euphrate et s’emparèrent de la ville
les Grecs. Ala Kddin fit présent à Erto- de Césarée, capitale de laCappadoce;
ghrul pour lui et ses descendants de l'église de Saint- Basile fut mise au pil-
tout le territoire situé au confluent du lage. Le trésor renfermait les offrandes,
Pours.'ik et de laSakkaria (le Sangarius) ; accumulées pendant plusieurs siècles,
il de
voulait ainsi fortifier ses frontières des princes fils de Constantin et des in-
l'ouest contre son plus grand ennemi, nombrables fidèles venus de toutes les
l’empereur de Byzance. Ce territoire fut contrées de l’empire pour honorer les
appelé Sultan œuni(le front du sultan), reliques du saint; c’était le but de l’ex-
et cette possession s’étendait jusqu’au pédition des tribus turkomanes : toutes
pied de l’Olympe et dans le Toumandji ces richesses tombèrent entre leurs
un de ses embranchements.
dagli, qui est mains. Les portes enrichies de perles
La nature du terrain, qui, entre Ni- du reliquaire furent enlevées c’est tou-
:

cée et Lefké, est de grès et de calcaire, jours chez les peuples orientaux le sym-
change complètement dans les parages bole de la conquête.
de Sultan auni. On commence à ren- L’empereur byzantin s’avança jus-
contrer les roches volcaniques qui an- qu’au centre de la Phrygie pour repous-
noncent le pays brillé de la Catacecau- ser au delà du fleuve ces hordes qui
inène. menaçaient d’envahir ses États. Les
Grecs, qui menaient avec eux comme
CHAPITRE XXXV. auxiliaires plusieurs corps de troupes
étrangères, remportèrent des avantages
LES TURCS s’établissent EN ASIE. marqués; ils reconquirent plusieurs
laces fortes déjà occupées par les Tur-
Boghra Khan, chef des tribus de la omans. L’armée, qui comptait plus de
grande Bucharie, fil alliance avec les cent mille hommes, n’avait à combattre
tribus turkomanes, et leur permit de que des tribus qui connaissaient à peine
s’établir sur son territoire. Leur chef, la discipline, mais chez lesquelles le
du nom de Seidjouk, s’appliqua pendant courage indomptable tenait lieu de toute
une période de trente années à intro- tactique. La victoire fût sans doute res-
duire l’organisation militaire parmi ces tée du côté des Byzautins, si les corps
peuples qui étaient primitivement pas- auxiliaires n’eussent commencé à faire
teurs. Ils s’engagèrent sous les ordres défection. Alp Arsian accourut lui-même
de plusieurs princes de l'Asie centrale, au secours de ses tribus menacées , et
et contribuèrent à de nombreuses ex- se précipita à la tête de quarante mille
péditions jusqu'à ce qu’ils se sentissent cavaliers sur l’armée byzantine, qui
assez forts pour tenter par eux-mémes éprouva une défaite complète. L’empe-
la conquête des régions de l'occident reur Romain Diogène fut fait prison-
déchirées par des dissensions intestines. nier, et racheta sa liberté par une ran-
Cet esprit de conquêtes fut soigneuse- çon de cent mille pièces d’or et la pro-
ment entretenu par les dynasties seid- messe d’un tribut de cent soixante mille
joukides, qui pendant un siècle acqui- livres d’or.
reutsuccessivemeut les contréesdu Fars, C’est ainsi que les Turcs apparurent
de Damas et d’Alep et y répandirent la en Asie Mineure eu conquérants avides,
religion de Mahomet. portant partout le carnage et la destruc-
Toghrul-bey, petit-fils de Seidjouk, tion et ne songeant au peuple qui habi-
contracta une double union avec le ca- tait ces riches contrées que pour le ré-
life successeur de Mahmoud le Ghaz- duire en esclavage.
uévide, et mourut en laissant le pouvoir Alp Arsian mourut en laissant le pou-
à son neveu Alp Arsian, qui le premier voir a son fils Melek-Sebah. Ce prince
étendit au delà del’Euphrate la renom- abandonna à son cousin Suleiman, ar-
mée des tribus turkomanes. rière-petit-fils de Seidjouk, la domination

UvraUon. (Asie Minku&b.) T. II.


146 L’UNIVERS.
de tous pays situés au delà d'Antio-
les Mineure, réduites sous la domination
che, c’est-à-dire le pays de Roum ou ottomane, perdirent leur nom. Byzance
l’Asie Mineure. C'est de ce moment que n’avait plus de possession au delà des
s’établit une séparation entre les Sdd- versants de l’Olympe, et tout le reste de
joukides de Perse et ceux de l’Asie Mi- la presqu’île était divisé en autant de
neure. La race des premiers s’éteignit en gouvernements qu'il avait eu d’émirs
y
la personne de Sandjar, petit-flis de Alp pour attaquer Ala Edidin. La Bithynie
Arsian. restait encore aux empereurs de Byzance
Les fils de Suleiinan, üaoud et Kilid- avec une partie de la Troade.
jiArsian, fondèrent à Iconium le si^e La Mysie devint l’apanage et prit le
d’une souveraineté indépendante, qui nom du prince. Karasi, Sarou-Khau eut
conserva pendant deux siècles la supré- la Mœonie, l'émir Aïdin prit possession
matie sur tous les autres petits Etats des rives du Méandre, et la ville de
musulmans. Tralles perdit son ancien nom pour
Kilidji Arsian enleva aux princes voi- prendre celui de son nouveau maître.
sins la Cappadoceet la Karamanie (1171), La Carie échut à Mentesche. La Lycie
et reconquit Nicée sur les croisés, qui et la Pamphylie furent réunies sous la
s’en étaient emparés depuis dix ans. domination de Tekké. La Pisidie et l’I-
Le successeur dece prince, Azeddin Ki- saurie échurent à l'émir Hamid, qui
lidji Arsian, reconquit les provinces qui donna son nom à ces deux provinces.
avaient été enlevées à son frère, mais La Caramanie reçut le nom de Ka-
bientôt après, partagea son empire en- raman, qui avait fondé un Etat indépen-
tre ses nombreux enfants, et par cette dant dont le chef-lieu, placé à Laranda,
mesure prépara le triomphe des armées fut daus la suite transféré à Konieh,
chrétiennes qui, sous la conduite de l’ancienne capitale des Seidjoukides.
Frédéric Barberousse, traversaient l’A- La Phrygie septentrionale perdit son
sie Mineure. Le prince croisé s’empara nom pour prendre celui d'une ville du
d’Iconium et de Tarsous. second ordre qui s’appelait Forum Cera-
Les villes grecques de Phrygie et de morum, et devint la province de Ker-
Citicie, attaquées paries musulmans, ré- mian.
clamèrent les secours des croisés , mais Les provinces limitrophes de la mer
ne pouvant s’accorder avec ces auxi- Noire, l’ancienne Paphlagonie et le
liaires, préférèrent se soumettre aux royaume de Pont restèrent sous la do-
musulmans; c’est ainsi que la place d’A- mination de Gazi Tchélébi , dernier prince
dalia fut incorporée à l’empire seldjou- de la race seidjoukide.
kide d’Iconium; cependant cette ville Pendant que les princes ottomans se
ne resta pas longtemps entre les mains disputaient les débris de l’empire des
des musulmans; elle fut prise par les Seidjoukides, l’organisation de toutes
Francs de Chypre qui la gardèrent Jus- les tribus turques en corps de peuple
qu’en 1214. Attaquée par le sultan Keï- prenait de jour en Jour plus de puis-
kaous, la ville fut définitivement réunie sance, et au commencement du trei-
au domaine des princes d'Iconium. zième .siècle , l’empire ottoman fut dé-
I.a puissance seidjoukide touchait à finitivement fonde.
sa fin ; les beys turkomans du nom de Ertoghrul, chef des tribus turques,
Karaman, Kermian, et Mentesche avait obtenu du sultan seidjoukide
s’étaient emparés des provinces qui por- Ala Eddin un territoire étendu aux en-
tent encore leur nom aujourd’hui. Au virons d'Angora. A peine en possession
nord les armées mongoles démembraient, de cette contrée, Ertoghrul entreprit
par leurs conquêtes, cet empire chan- contre les Grecs habitant les provinces
celant, et les tribus turkomanes éten- voisines plusieurs expéditions heu-
daient leurs puissances sur toutes les reuses. Il reconnaissait alors la supré-
provinces dédaignées par les Mongoles. matie des sultans d’Iconium, et ces pre-
La mort d’Ala Éddin III, vaincu et tué miers combats furent plutôt livres à
ar le sultan mongole Ghazau , mit tin titre d’auxiliaires des sultans pour dé-
l’empire d’Iconium en 1307. fendre leurs frontières. Les Turcs s’a-
Les anciennes provinces de l’Asie vançaient rapidement vers l’ouest, c'est-
ASIE MINEURE. 147

:•dire vers la capitale de l’empire by- et rendu impossible, cette lutte entre
zantin. Tout le territoire conquis par deux races rivale<; renaissait avec plus
Ertoghrul aux environs de Broussa, les d’acharnement et allait se résoudre
plaines de Yéni cheher, d’Aineh gheul et cette fois en faveur des tribus asiati-
de Sughud lui furent données en lief par ques la question posée à la guerre de
;

le sultan. Ce fut le berceau de la puis- Troie dure encore et les générations


sance ottomane. Ertoghrul ne poussa pas présentes ne la verront pas finir.
plus loin ses conquêtes, et mourut en
laissant le pouvoir à son tils Osman.
A cette époque l’empire byzantin
CHAPITRE XXXVI.
avait perdu la plus grande partie de BOLl BT SES ENVIRONS. — CLAUDIO-
l’Asie Mineure ; il possédait encore les POLIS. — HODBE.NÆ. — CHATIA.
provinces occidentales et quelques villes
isolées de la côte sud. L’empire seld- Indépendamment de la voie militaire
joukide s’étendait dans tout le centre ui passait au pont de Sabandja et qui
de l’Asie jusqu’à l’Euphrate, et uue esservait les régions du littoral, la
partie des provinces de la mer Noire partie orientale de la Bythinie était tra-
étaient sous le pouvoir de Ghazi ïché- versée par une autre voie romaine qui
lébi, un des derniers rejetons de la race franchissait le Sangarius à Leucæ,
de Seidjouk. Lefké et se dirigeait vers la Phrygie
Pendant un demi-siècle la puissance Épictète. Tout le territoire compris
d’Ertoghrul ne fit que s’affermir sans entre ces deux routes avait une forme
s’étendre ni diminuer; les châteaux et presque triangulaire dont la ville de
les petites places des environs de l’O- Dadastana formait le sommet vers le
lympe et des rives de la Propontide fu- sud. Cette dernière ville était située,
rent prises et reprises plusieurs fois par selon Zonare, à une journée de chemin
les Byzantins et par les Turcs. d’Ancyre, et d’après Ammien Marcel-
Le fils aîné d’Ertoghrul, le jeune Os- lin (I) était sur la frontière de la Bithy-
man, préludait dans ces expéditions aux nie et de la Galatie. Son nom moderne
grandes entreprises qu’il lui était donné est inconnu.
d’accomplir. Combattant tantôt pour Dadastana n’a d’autre célébrité dans
défendre les possessions de son suzerain l’histoire que d’avoir été témoin de la
Ala Eddin, tantôt pour étendre les con- mort subite de l’empereur Jovien, qui
quêtes de son père, on le voyait tou- fut enseveli en toute hâte et transporte
jours à la tête de ses troupes et au plus à Constantinople pour être déposé dans
fort du danger. Les Scheik et les San- le tombeau des Au^stes, pendant que
tons qui acconapagnaient l’armée pro- Valentinien marchait sur Nicée pour se
clamaient déjà sa grandeur future an- faire élire empereur (2).
noncée par les songes et les prophéties. Le territoire situé à l’est du Sànga-
Ala Eddin confirma la puissance d’Os- rius appartenait primitivement aux
mau en lui envoyant les insignes du Caucones (3). Cette province est arrosée
pouvoir suprême (i:t89). par deux petits fleuves , l’Hypius près
Pendant qu’avaient lieu tous ces évé- duquel était la ville de Pruse, et le
nements, dont l’influence devait être si Bilfœus, le Billis de Pline (4) qui porte
fataleâux destinées delachréticnté, l’Eu- aujourd’hui le nom de Filias tchaï. Ce.
rope, fatiguée de luttes saus issue, res- fleuve, après avoir fertilisé le territoire
tait inattentive aux dernières angoisses de plusieurs villes antiques, sort des
de l’empire byzantin; bieu plus, on frontières 'de la Bithynie et va se jeter
voyait des États chrétiens faire alliance dans la mer Noire près de Tium. Il prend
avec les musulmans contre les princes sa source dans la chaîne de montagnes
grecs. Cette lutte de l’Asie contre l’Eu- qui, de l’Olympe mysien, se dirige vers
rope que l’instinct national des Grecs
avait soulevée et résolue en faveur de
(i) Liv. XXV, cb. X.
l’Occident, deux mille ans auparavant, (a) En février 364. ' ''

oe conflit que la valeur et la profonde Voyez page 4g.


(3)
politique d’Alexandre avait ressuscité (4) Liv. V, ch. XXXn.
to.
148 L’UNIVERS.
Tout ce pays est couvert de forêts
l’est forme les groupes dont les
et
dagh
,
épaisses. Le petit village de Khan
noms modernes sont: Elmalu dagh et des
est situé au milieu des jardins et
Karmalu dagh. Cette chaîne secondaire
arbres forestiers; la route qui conduit à
correspond au mont Orminius de Pto-
Dutché passe au milieu de la forêt
lémée (1). Le Billoeus, dans son cours (1)
portait
et laisse de côté un aqueduc qui
supérieur, se compose de deux branches
sans doute l’eau à cette ville. Ue Sa-
principales; l’une, qui prend sa source
est appelée baudja à Khan dagh ou compte vinçt-
a l’est de la ville de Boli,
quatre kilomètres et de cette dernière
Boli sou jusqu’à son embranchement a
à Dutché vingt-huit. Boli est située
avec le cours oriental , appelé Soghanh
der- vingt-quatre kilomètres de Dutché ; la
sou (la rivière des oignons). Cette
route est des plus pittoresques, entre-
nière branche prend sa source dans
les

la Galatie. coupée de monticules et de ravins; tout


montagnes de
ce pays est couvert d’une abondante vé-
gétation mais est très-peu peuplé.
modhenæ, muddblu. ,

BOLI.
L’ancienne voie militaire franchissait
la montagne dans le
voisinage de la
Boli a remplacé l’ancienne ville de
occi-
ville de Tourbali , sur le versant Bithynium qui fut depuis appelée Clau-
dental du Tchourounlou dagh (2), h peu diopolis c’est la dernière syllabe de ce
de distance de la petite ville de Mu-
;

nom qui a formé celui de Boli. Slrabon


durlu, qui occupe l’emplacement de l’an- faitmention de Bithynium et dit qu elle
cienne Modrenæ. Cette ville, qui faisait est située au-dessus de Tium ; ce
ren-
était
partie du thème des Bucellaires seignenient n’est pas inutile, les ueu*
épiscopale; elle est ordinairement men- sur la même riviere.
dic- villes étant situées
tionnée sur les cartes et dans les Pausanias nous apprend que les habi-
tionnaires géographiques (3) awc le
tants de Bithynium étaient des colons
surnom de Coniopoiis Comopolis sive
:
d’Arcadie et Mantinéens d’origine, et
Modrenæ ; cette erreur provient d un lorsqu’Hadrien eut divinisé son favori
ancien contresens du traducteur des Antinous, natif de Bithynium, les habi-
thèmes, qui a pris Comopolis pour un tants de Mantinée s’empressèrent
de
nom de ville, tandis que c’est tout sim- lui élever un temple comme à
l’un de
plement l’union de deux mote grecs (4) leurs compatriotes, et instituèrent en
son
qui signiOent ville-bourg, petite ville (5) ; honneur des jeux qui se célébraient
précisément l’épithète que
c’est
tous les cinq ans (2). Nombre de statues
M. Tchihatcheff (6) donne à la ville de étaient élevées en mémoire du
jeune
Mudurlu. gui a pris la place de l’an- Bithynien ; il n’est pas surprenant qu il
cienne Modrenæ. On voit que depuis s’en trouve aujourd’hui dans presque
villen’a ni aug-
C. Porphyrogénète, cette tous les musées de l’Europe, ^us
les
menté ni diminué. Toutes ces régions empereurs le nom de Bithyniuin fut
ont bien peu attiré, jusqu’à ce jour, les remplacé par celui de Claudiopolis,
et
voyageurs archéologues, attendu que les ville continua d’être placée
au
cette
anciennes villes ne présentent que des plus florissantes de la pro-
nombre des
ruines éparses; mais il y aurait encore des privi-
vince. Elle reçut d’Hadrien
de bien curieuses recherches à faire sur Mantinee;
lèges non moins grands que
l’étendue et l’assiette de ces mêmes vil- la capitale
et plus Urd Théodose en fit
les, dont le nom seul est aujourd’hui Mais un
géographie comparée. de la province d’Honoriade.
consigné dans la
de ces terribles tremblements de
terre

qui ravagèrent si souvent la contrée


tut

(i) Li». V, I, 17. fatal à Bithynium ; elle fut presque en-

() Tchihalcheff, Asie Mineure, p. 167. tièrement détruite et un grand nombre


(3) Lapie,
Asie Mineure ancienne, i838. la vie.
de ses habitants perdirent
Lamartimère, V, Comopolia.
(4) Kûp.11, bourg,
itôXi;, ville.
ap Banduri, I, p. lo. (i) Voy. chapit. X.
(5) CoHst. Porpfi.
t.
(a) Pausanias, liv. VIH, ch. IX.
() Asie Mineure, loc. cit.

(. '.oogle
ASIE MINEURE. 149

Bithynium était située dans le canton commerce avec la Perse, qui jadis pas-

de Salone, dont le chef-lieu était une saitpar l’intérieur, prend maintenant la


petite ville appelée Salonia par Étienne voie de mer par Trébizonde, depuis l’é-
de Byzance (1), Ce pays était célèbre tablissement des bateaux à vapeur.
par ses excellents pâturages, qui nour- Non loin de la ville
y il a un petit lac

rissaient quantité de ctos bétail ; il et deux sources qui jouissent de vertus


réduisait une espèce de fromage que toutes différentes. L'une a la propriété
f on expédiait jusqu’à Rome. Pline (2) incrustante au plus haut degré ; l'autre
nous fait connaître les qualités qui le au contraire dissout les pierres de telle
distinguaient ; il se conservait longtemps sorte qu’on ne peut la conserver que
et acquérait un goûtsalé qui se passait dans des auges de bois. Ce dernier fait
quand on tremper dans du vi-
le faisait aurait besoin d’être vérifié.
naigre avec du thym. Il reprenait alors
le goût qu’il avait étant frais. CHATIA ,
GHÉBÉDBH.
Aujourd’hui on ne prépare en ces
contrées d’autre fromage qu’une espèce De Boli à Ghérédeh on compte
de cajilé appelé misitra, qui se conserve vingt-cinq à trente kilomètres ; la route
dans la saumure. L’usage du fromage est magnifique et passe au milieu des
sec est presque inconnu des popula- forêts et des vallées. Ghérédeh, qui a
tions. conservé quelques rudiments de son
Les ruines de Bithynium ne sont ancien nom, est l’ancienne Cratia, qui
pas précisément sur l’emplacement de s’appela ensuite Flaviopolis,sans doute
fa ville moderne de Boli, mais dans un comme une distinction accordée par
lieu distant de trois ou quatre kilomè- l’empereur Constantin. Ptolémée (1)
tres vers l’est, qui porte le nom de Eski lui conserve les deux noms, la plupart
hissar. 11 n’y a aucun monument an- des médailles également. Sous jes em-
tique debout; mais on y a découvert un pereurs byzantins elle était épiscopale
certain nombre d’inscriptions et des et comptait parmi les principales villes
fragments d’architecture. de la province ; elle était soumise à la
l.a ville moderne de Boli est située juridiction du patriarche de Constanti-
au milieu de cette plaine qui est tou- nople. Épiphane, évêque de Cratia, as-
jours riche et fertile, entourée de mon- sista au concile d’Éphèse. Cette an-
tagnes du côté du nord et de l’est. Elle nexion au diocèse de Constantinople
ne contient aucun monument remar- quand Cratia était bien plus voisine de
qualiie quatre ou cinq mosquées à mi-
:
Nicomédie, qui était aussi le siège d’un
naret et quelques caravanseraï. Mais on patriarche, prouve que ces répartitions
cite ses sources chaudes comme jouis- étaient tout à fait arbitraires.
sant de propriétés curatives. Elles sont La division de l’Asie en patriarcats
situées au sud de la ville et portent le ne fut d’abord soumise à aucune au-
nom de lllidja. torité politique. Les évêques qui gou-
Boli renferme une population «j’envi- vernaient les chrétiens répandus dans
rod vingt-cinq mille âmes répandue l’empire s’en tinrent longtemps aux cir-
dans des quartiers entourés de jardins; conscriptions déterminées par les pre-
elle n’a jamais été une plane de guerre miers apôtres. Mais le concile de Nicée,
ni une cassaba ; il n’y a pas de château, en approuvant la discipline ecclésias-
et ses murailles, s’il y en a eu, sont com- tique de l’évêque d’Alexandrie, cons-
plètement détruites. Comme ville de titua d’une manière régulière les patriar-
transit entre Constantinople et Angora, cats de l’Asie. Ces prélats ,
qui , sous le
Boli fait un assez grand trafic au mo- nom de patriarches, gouvernaient l’E-
ment de la récolte des laines et de la glise d’Orient, étaient supérieurs aux
graiue jaune pour teinture (3J, les cara- métropolitains qui résidaient dans cha-
vanes se succèdent sans interruption Le . que ville importante, et un patriarche
avait la plupart du temps plusieurs mé-
(i) V. Sainnia. tropolitains sous ses ordres. I>a limite des
(») liv. V, ch. XLIl.
(S) RhamoMS linctoriut. (i) Liv. V. ch. I",

jig;'.ij2d yA.,OOglf
, , , ,

150 L’UNIVERS.
province.*, encore moins celle des dio- Cette partie orientale de la Bithvnie
cèses politiques, n'avait rien de commun ne le cède à l’autre ni en fertilité ni en
avec celle des patriarcats et cette di-
,
beauté du territoire ; les forêts n’en sont
vision du pays resta longtemps ren- ias leseul ornement; les arbres fruitiers,
fermée. dans les limites du pouvoir ec- fes innombrables vergers qui entourent
clésiastique. Mais l’empereur Andronic produisent une
les villes et les \illnges
Paléologue, ayant donne une déclaration heureuse diversité. Tous les fruits de
pour regler le rang des métropoles sou- l’pAirope V réussissent à merveille, et
mises au patriarcat de Constantinople, quelques fruits des climats plus chauds,
établit entre les villes une sorte de hié- comme le pistachier, sont cultivés
rarchie qui subsista jusqu’à la ruine dans les jardins, mais tous les arbres
complété du pouvoir chrétien eu Orient. de ce genre, qui bordent les chemins
Ces écrivains ecclésiastiques ont soi- et les collines, peuvent tromper un œil
gneusemeut conservé les noms des évê- peu attentif; cVst le faux pistachier,
ques, des métropolitains et des pa- qui se multiplie à l'infini dans pres-
triarches qui ont régi l’Eglise sous que toutes les régions de l’Asie Mi-
l’etnpire de Byzance; et les documents neure.
u’ils nous ont transmis .sur les villes I,a hauteur moyenne de tous ces
’Asie sont d’un grand secours pour la plateaux, qui varient entre cinq cents et
géographie de cette époque. mille mètres au-dessus de la mer, n’est
Ca déclaration de l’empereur An- pas favorable à la végétation de l’o-
dronic est conservée dans l'ouvrage de ranger ni du citronnier. L’olivier ne s’y
Codin , et nous aurons occasion d’y re- montre qu'à un état peu prospère;
courir quand nous décrirons les an- mais la pêche, la poire, l’abricot et la
ciennes villes. cerise prouvent par leur belle venue
Les neuf premières métropoles d’Asie qu’ils sentent l’air de leur pays natal.
étaient : Les frontières de l’ancienne Bitliyiiie
passaient entre le Billœus et le Par-
Césarée . Ancyre 4.
thenius.
5. Si l’on continuait sa route
Éphése , Cyzique 6. l’est, on arriverait à la ville des
vers
7.
Nicomédie, Sardes,
Nicée, Chalcédoine.
Hammamiu
8. ( des bains ),
située sur ce
dernier fleuve. Nous étudierons la partie
Héraclée
orientalede l’Honoriade quand nous
La moderne ville de Ghérédeh offre parcourrons le royaume de Pont.
le tableau d’une assez grande activité
industrielle et commerciale. Le grand SYNECDÈME DE HIÉBOCLÈS.
nombre de troupeaux de chèvres qui
sont nourris dans la province lui four- La section du syneedème de Hiéro-
nissent la matière première du maro- clès,comprenant la Bithynie Pontique,
quin, qui s’exporte en quantité notable ; sous le gouvernement d’un consulaire,
la mégisserie des peaux de mouton est contient seize villes, classées de la ma-
aussi assez active. La ville est entourée nière^uivante :

de jardins et se trouve toujours com- 1 . Chalcédoine, 9. Pruse


prise dans ce territoire boisé qui serait si 2. Nicomédie, 10. Cœsarée,
magnifique si l’on y perçait des routes. .3. Prænetus, 11. Apollonias,
Une rivière du nom de Oulou sou, et Helenopolis, 12. Dascylion,
qui est la branche orientale du fleuve Nicée, 13. Neocæsarée,
Billœus, arrose le territoire de Ghé- Basilinopolis, 14. Hadriani,
rédeh ; il y a en outre deux petits lacs ; Ciiis, 16. Regetatæos,
l’un est salé et s’appelle Touzia Gheul ; Apamée, 16. Regodoviæ.
l’autre porte le nom de Kara Gheul.
Les ruines que l’on observe aux en- Sur ce nombre il y en a six dont
virons consistent plutôt en fragments remplacement reste à déterminer Pne- :

épars qu’en monuments ; c’est le sort netus, qui était située sur le golfe de
des antiquités dans les pays qui n’ont Nicomédie, non loin du cap Posidium
pas été complètement abandonnés. et à vingt-huit milles de Nicée. Cette

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ASIE MINEURE. I.ll

ville est souvent mentionnée par les manière conjecturale ; Regodoviæ n’est
écrivains byzantins. Étienne de Byzance cité que par Hiéroclès et reste tout à fait
la regarde comme une colonie phé- inconnue ; quant à la ville de Regetatæos,
nicienne. Elle fut renversée par un nous n’hésitons pas à l’identilier avec la
tremblement de terre et il n'en est plus Totæum de l’étinéraire d’Antonin.
question depuis cette catastrophe (I). Ce préfixe Rege, qui dans Hiéroclès
Basilinopolis qui était sur le versant
,
précède les noms d’un grand nombre
méridional de POlympe et qui occupait de villes comme Regesalamara (1), Re-
peut-être l’emplacement de Biledjik ou gemnezus ,
Regemauricium , Regetro-
Beleconie. chada (2), Regedoara (3), etc., est un
Cæsarée et Neocæsarée sont deux annexe qui ne s'explique par aucun
surnoms honorifiques donnés à un si mot grec et dont les auteurs antérieurs
grand nombre de villes qu’on ne sau- aux byzantins n’ont point connaissance.
rait en retrouver la trace quand elles Il faut le regarder comme une altéra-

ne sont pas autrement distinguées par tion du mot Kegio que les copistes
les auteurs. grecs ont confondu avec le nom de la
Nous avons appelé l’attention des fu- ville
turs observateurs sur le site de Dascy-
lium qui a toujours été déterminé d’une (i) Pamphylie.
(a) Galatie.
(i) Cedrenus , 45;. (3) Cappadoce.

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ASIE MINEURE. fU
des Tencriens sur les penchants de fondant aucune ville et aucun centre de
rida et du Gargare, et s’ils ne sont plus population.
nommés dans les traditions plus ré- Nous avions sous les yeux un tableau
centes , sont confondus
c’est qu’ils se de ce genre de vie nomade des peuples
avec les populations plus nombreuses. du Nord lorsque nous rencontrâmes
,

Voilà tout ce qu’on peut recueillir de cette tribu russe établie aux bords du
probable sur les Mysiens primitifs. Il Rhyndacus (1). Cette existence se com-
n’est pas certain qu’ils aient bâti des prend dans une contrée abondante en
villes, au moins n’en est-il pas fait pâturages, couverte de forêts, fournis-
mention durant toute la période où ils sant avec abondance le gibier et le pois-
sont les seuls maîtres du pays. Autant son. Il faut qu’en définitive cette contrée
les Pélasges et les Léièges étaient cons- soit bien propice à la vie nomade pour
tructeurs hardis et actifs, autant les qu’elle y reparaisse après dix siècles
Mysiens paraissaient-ils peu disposés à de domination grecque ou romaine. Si
s'enfermer dans l’enceinte des murailles. les Turcs demeurent dansdes villes, c’est
Leur costume sauvage consistait en un qu’il les ont trouvées toutes faites; mais
bonnet de peau de renard et eu une tu- toutes leurs aspirations sont pour le
nique recouverte d’ane espèce de surcot, grand air et la vie de la tente. A vec quelle
appelé zéira, les jambes garnies de bottes joie les voit-on aux approches de la
de peau de daim, une courte sagaie celle saison abandonner les villes pour
et une lance à la main , pour arme dé- aller s’installer au bord des fleuves sous
fensive, un petit bouclier, tel est le ta- la verdure des arbres et vivre là au mi-
bleau qu’en fait Hérodote (1). On y lieu de leurs chevaux et de leurs mou-
reconnaît plutôt le type du guerrier tons, tantôt sous des tentes de peaux,
nomade que celui d’un cultivateur et tintôt sous des huttes construites à la
d’un colon sédentaire. hâte, mais qu’ils préfèrent aux habi-
Le Mysien s’est mélangé avec les tations des villes. Le yaela, la demeure
races habitant avant lui la tJiersonnèse fraîche, est le temps heureux de la vie
d’Asie. Le peuple lydien, confondu du Turc. L’étranger qui arrive dans une
sous le nom de Méones ou Moeones avec ville pendant cette saison croit entrer
les Mysiens, finit par acquérir la supré- dans une nécropole ; toutes les maisons,
matie sur cette race inculte, et par la tous les bazars sont fermés; à peine
soumettre à sa domination. Sous le trouve-t-on un seul individu auquel
régne d’Alvatte, père de Crésus, la est confié la garde de la ville. Cela n’a
puissance lydienne s’étendait sur la pas lieu surJe littoral où le commerce
Mysie , et du temps de Gygès, les rois retient la population; mais plusieurs
de Lydie régnaient sur le territoire de villes de l’intérieur et surtout le plus
Troie. Si nous devons assigner une date grand nombre des villages ont conservé
à la première invasion mysienne en cette habitude. H n’y a pas tant de chan-
Asie Mineure, nous avons pour base la gement qu’on le croit entre la haute
colonie conduite par ïeucer, qui vint antiquité et les temps actuels de l’Asie;
s’établir dans la Troade vers le com- la civilisation grecque y a porté l’éclair
mencement du quinzième, siècle avant de son génie ses arts et sa poésie , la
,

notre ère, et qui fit alliance avec les puissance romaine sous sa main de
Mysiens pour aller subjuguer la fer y a maintenu une sorte de gouver-
Thrace. nement à la surface; mais l’Asiatique
Antérieurement à cette époque, cette de pur sang dédaignait toutes ces splen-
partie de la presqu’île soumise de nom deurs et n’aspirait qu’à vivre en con-
aux rois d’Assyrie, était de fait ouverte tact avec la nature sauvage et superbe,
aux incursions de tous les peuples voi- sans autre souci qu’une indépendance
sins et notamment des Scythes, qui la de fait qu’il a conservée sous U despo-
parcouraient avec leurs femmes et leurs tisme de ses brys ou de ses sultans.
troupeaux , exerçant leurs déprédations
sur les peuplades sans défense , mais ne (i) Voy. cil. XXXIV.

(i) Ul). VII, cap. L%xv,


,

fS4 L’UNIVERS
CHAPITRE II. lympe, les troupes d’Orkhan s’emparè-
rent de neuf principautés appartenant
TOPOGBAPniB ANCIENNE. aux sultans d’Iconium. L’un des fils de
Karasi, nommé Aldjan-bey, régnait en
Pour étudier la Mysie telle que les Ro- Mysie; l’autre, nommé Tourtoum , se
mains la trouvèrent constituée, nous sui- ligua avec Orkhan, à condition que celui-
vrons les indications du géographe grec; ci lui donnerait le canton d’Adrainytte;
nous ne considérerons comme Mysie pro- cette convention fut conclue. C’est ainsi
prement dite que le pays compris entre que la Mysie tomba sous le joug otto-
les deux fleuves Rhyndacuset Æsepus; man.
la l’est conservera le
contrée qui suit a Les îles de la Propontide qui appar-
nom de Troade; la Mysie Pergamène tiennent à cette province ne tardèrent
et l’Elaïtide formeront le royaume de pas à subir le même sort, et les Byzantins
Pergame. Le territoire conquis par les se trouvèrent complètement expulsés de
colonies æoliennes, qui fut aussi déta- ces parages.
ché de la Mysie, conservera le nom d'Æo- Si l’on fait exception de Cyzique, la
lide. Dans la haute antiquité tout ce province de Mysie ne posséda sur le
territoire était soumis aux monarques continent aucune ville remarquable , et
troyens ;
car Homère fait commencer dans les temps modernes les habitants
la Troade au fleuve Æsepus,
et la pro- ne se distinguent par aucune industrie
longe Jusqu'au Caïcus (1); cette région particulière. La vigne, comme au temps
s’appelait aussi la grande Mysie (2), et des Romains, est touiours la culture
subsista dans cet état jusqu’à l’arrivé privilégiée parmi leshwitants. L’olivier
des Æoliens en Asie (3). ne réussit (jue médiocrement sur les
L’Æolide s’étant formée d’un démem- côtes, et sa culture est à peu près nulle
brement de la Mysie, cette dernière dans l’intérieur; les pâturages nombreux
province se trouva resserrée dans les et variés sont la plus grande ressource
bornes que lui donne Strabon. des tribus; c’est là ipie commence à se
A la chute de la monarchie lydienne, développer cette belle race de moutons
les Perses s’emparèrent de la Mysie
,
et a large queue, indigène en Asie, et qui
Darius la lit entrer dans la troisième fournit avec une extrême abondance la
satrapie, qui comprenait les llellespon- laine, la graisse et la chair. Cette queue
tiens, les Phrygiens, les Thraces d’Asie, est comme un appendice de la peau du
les Paphlagohiens, les Maryandiniens dos ; elle se compose d’une masse de
et les Lydiens ; iis payaient soixante ta- graisse qui pèse plusieurs kilos. File
lents. Dans la division de la Mysie sous est employée en concurrence avec le
les rois asiatiques, la Mysie hellespon- beurre pour préparer les aliments. On
tique échut à Antiochus et fut annexée a soin ae la battre dans l’eau courante,
à l’empire de Syrie; après les guerres et d’en ôter les filaments charnus; elle
entre les rois de Bithynie et ceux de prend tout à fait l’aspect du beurre.
Pergame, les Romains firent remettre
à ces derniers princes toute la région MONTAGNES ET EtEUVES.
occidentale; enfin sous l’empire elle fit
partie de l’Asie proconsulaire. Du temps Toutes les chaînes de montagnes qui
d’Héraclius, elle fit partie du thème Op- traversent cette province vont se rat-
timatum et fut soumise au métropoli- tacher au groupe principal de l’Ida
tain de Cyzique. (Kazdagh), qui donne naissance aux
A la chute de l’empire seldjoukide, nombreux cours d’eau de la Mysie. Les
Orkhan, vainqueur en Bithynie, attaqua fleuves Æsépus et Granique descendent
le fils du prince de Karasij Turcoman du mont Cotylus qui appartient au sys-
qui régnait en Mysie. Partant de l’O- tème de rida, et qui est situé à cent
vingt stades au-dessus de Scepsis. L’Æse-
(i) Sirabon, XIII, 58i, pus doit être, par conséquent, le pre-
(a) Plol., liv. V, ch. a. mier fleuve oue l’on rencontre à l’ouest
(3) Pomp. Mêla., liv. I, i8. — Pline, de la presqu'île de Cyzique. Il est .sou-
liv. V, ch. XXX. vent cité par Strabon lorsqu’il s’agit de
ASIE MINEURE. 155

déterminer les limites des Etats de la LB GBANIQUE, DKMOTICO ,


KODJ \
Troade ou de la Mysie. Homère est le tchaT.
premier qui indique l’Æsepus comme
frontière de cette dernière province (I). Le Granique arrosait la plaine d’A-
De nos jours le mont Cotylus est con- drastée, ainsi nommée d’une petite ville
fondu par les indigènes avec l’ensemble qui, selon la tradition (1), avait été bâtie
de riaa; le nom moderne du fleuve par Adraste üls de Mérops, qui lui donna
Æsepus est Kaz dagh sou; la situa- son nom et fit élever un temple à Némé-
tion de ses sources est très-bien déter- sis. Elle était située entre Priapus et
minée par Strabon, ainsi que la longueur Parium, et était voisine de la mer (3).
de son parcours. Démétrius de Scep- Le nom moderne du fleuve Granique
remarque fort exacte que
sis (3) fait la est, comme celui de presque toutes les
les fleuves Granique et Æsepus sont autres rivières du pays, très-diflicile à
produits par plusieurs sources, et pren- déterminer; il s’est appelé longtemps
nent leur cours vers le nord. Démotico tchaï, du nom de la principale
La branche occidentale du fleuve ville de la contrée. Ce nom paraît ou-
Æsepus sort d’une montagne graniti- blié aujourd’hui et ce fleuve s’appelle
que appeléeAtKaïa si (la Roche du che- Kodja tchaï, maîtresse rivière (3),
la
val). Plusieurs sources pareilles se réu- c’est-à-dire bras principal du fleuve.
le
nissent pour former un cours d’eau Le Granique se compose de trois
d’un volume assez variable ; pendant la affluents qui ont été observés par
saison d’été, il est presque complètement M. Tchihatcheff. La branche principale
à sec. Il faut q^uc son régime ait bien prend sa source dans cette partie de
changé depuis rantiquité , car aujour- l’Ida qu’on appelle Aghy dagh, et qui
d’hui Homère, ne pourrait plus dire : doit nécessairement faire partie du mont
« LesTroyens aphnéens...qui buvaient Cotjlus et n’être pas éloigné de l’At
les eaux profondes de l’Æsepus.... (3) » Kaia si dagh. Cette branche coule direc-
La branche orientale du fleuve prend tement du sud au nord après avoir tra-
naissance dans la montagne de Adjenl versé la plaine de Tchan, qui n’est autre
Dirai! dagh, et près du village de Tcha- que la plaine Adrastée.
ouch Keui. 11 passait aux environs de La seconde branche, qui s’appelle Elt-
la ville de Scepsis. Son parcours est es- chi tchaï (la rivière de l’ambassadeur), se
timé à cinq cents stades, ce qui équivaut 'ette dans le Khodja-tchaï, environ six
à quatre-vingt-douze kilomètres ou iLÜomètres au nord de la petite ville de
vingt-trois lieues de France; c’est la Riga. Le pays est entrecoupé de plaines
même longueur de parcours, détermi- et de montagnes trach)ttiques, au milieu
née par M. Tchihatcheff (4) ; cet accord desquelles les eaux se sont tracé un
entre les deux géographes est remar- lit sinueux.
(2) beau
quable (5). Le
(3)
pont antique de trois arches,
Les écrivains byzantins ont laissé très- mentionné par plusieurs voyageurs, était
peu de documents touchant cette con- sur la route de Démotico à Gunedgé
trée. Le fleuve Varenus venant du mont et sur le cours de l’Eltchi tchaï, non pas
Ibis, mentionné par AnneComnène(6), sur la branche principale du fleuve.
ne peut être que l’Æsepus sortant du La branche orientale qui porte le nom
mont Ida , et qui prend sa source vers de Ivirk agatch tchaï ( la rivière des qua-
le nord. rante arbres), va se jeter dans le Kodja
tchaï, quatre kilomètres environ avant
(i) Ap Strabon, XII, 565. son embouchure dans la mer.
() -Strabon, XIII, 6oa. Le travail des alluvions s’est fait à
(3) Iliad. II, V. 8a4, 827. l’embouchure du Granique comme à
(4) Mineure^ p. au. celui de plusieurs autres fleuves dont
(5) Cf. Slrab., XII, 565, 58 1 ; XHI 60».
() Anne Comnène, XIV, 43g.
(i) Slrab., xm, 588.
LucuUm.
Plutarque, P7e de
Le Xanthua en Lycie s’appelle aussi
Kodja tchaï, voy. page >8,
lati L’UNIVERS.
le cours manque de rapidité. Pline aussi au commerce et à la production
constate qu'il s’est opéré un changement de la soie.
notable dans la direction du fleuve (1). La ville se compose de quinze cents
« Le Granique, s’écartant aujourd’hui de maisons, ce qui peut former une popu-
son ancien cours, va se jeter dans la lation de neuf mille âmes; il y a plu-
Fropontide.a sieurs mosquées à minarets et des ca-
De tous les récits qui nous sont restés ravanseraïs avec un bezestein pour la
de la première victoire d'Alexandre au vente des soies.
passage du Granique, il n'en est pas un On ne trouve à Mubalitch aucun ves-
qui nous mette à même de déterminer tige d’antiquité ; mais d’après son voisi-
remplacement de cet événement mémo- nage du lac de Manyas et sa distance
rable; les rives du fleuve sont tantôt du fleuve, on ne peut douter qu’elle oc-
pintes, tantôt escarpées; les historiens cupe sinon remplacement immédiat, du
ne font aucune mention des trois bran- moins le territoire de l’ancienne Mile-
ches qui concourent à former le Kodja topolis, dont aucun vestige n’apparatt
tchaï. Ce point de géographie historique ailleurs dans le canton ; on sait aussi que
reste donc indéterminé. tous les débris d'architecture ancienne
La ville de Biga est un peu plus con- qui sont employés dans les murs de Lou-
sidérable que Démotico ; elle était autre- padium ont été apportés des environs
fois le centre d'un grand commerce de de Mubalitch ; c’est sur ces seules don-
transit; mais aujourd’hui elle est dans nées que l’on peut identilier les deux
un état complet de décadence et de places.
ruine. L’élève du bétail et la culture des Une des preuves de l’état florissant de
céréales et de quelques champs d'o- Muhalitch sous les règnes des anciens
)ium sont la seule occupation des ha- sultans nous est donnée par le grand
{ntants, qui n’exercent aucune industrie nombre de travaux publics qui ont été.
particulière. faits pour le bien-être de la ville. Ce
Biga est citéepar Anne Comnène sous genre de conduite d’eau particulier à
le nom de Pigas (les sources) ; c’est dans l'Orient et qu’on appelle Sou térazi, y
la plaine de Biga qu'eut lieu une terrible rivalise presque avec celles de Constan-
bataille, dans laquelle une armée tar- tinople. Les environs sont couverts de
tare fut taillée en pièces par les troupes vignoMes et d’arbres fruitiers, et les ci-
d’Ala Ëddin ; le nombre des morts fut metières entourés de hauts cyprès qui
si considérable, que le farouche vain- contribuent avec les minarets à donner
queur fit faire des tentes avec les peaux aux villes d’Orient leur cachet original.
d, sennemis tués (2). Les maisons , comme celles de Cons-
tantinople, sont généralement peintes
en ocre rouge ; cette couleur est reservée
CHAPITRE 111.
aux musulmans; les Grecs et les Armé-

LA CYZICiNB. —
MILETOPOLIS. — niens sont autorisés à peindre leurs mai-
sons en ocre jaune ou en brun.
HUHALITCH. Il
y a quelques années le gouverne-
ment turc voulut faire de Muhalitch
La ville de Mubalitch est située sur une sorte de chef-lieu de division mili-
une hauteur voisine de la rivière Sou taire, en y réunissant plusieurs corps du
Sougherlé;elle se distingue par un air Nizam Djedid (les troupes régulières] et
d’aisance qui est la conséquence de l’ac- le Rédili-Mansouré(la garde nationale);
tivité industrielle et commerciale de descasernes et uuparc d’artillerie étaient
ses habitants; il est vrai de dire que sur le point d’être installés sous l’auto-
lamajorité appartient aux communions rité d'un mouchir ( général de division ).
chrétiennes des Grecs et des Arméniens; Toutes ces inovations marchent ordinai-
mais cet exemple n’est pas sans in- rement très-lentement ; la création des
fluence sur la nation turque, qui se livre mouchirats ou divisions militaires pa-
rait être restée en cours d’exécution.

(x) Pline, 1. V,ch. XXX.


(a) Hammer, But, ottom., 1. 1*',

s(j Î5V Google


ASIE MINEURE. 1S7

LAC HANYAS. — FLEÜTB TABSIUS. Tasch kapou (la porte de pierre); on lui
donne aussi le nom de Demir kapou (la
Le lac de Miletopolis, qui portait aussi porte de fer). Ce nom est extrêmement
le nom d’ÂpImitis, appartenait au pays répandu dans les pays musulmans. On
des Apbnéens ; il estsituédans l’intérieur le retrouve en Algérie comme dans le
des terres et à plus de douze kilomètres Taurus ou dans les Balkans.
de la mer. Nous avons vu qu’il ne peut
être assimilé avec le lac de Dascylium. POEMANINUS, MANYAS.
Il reçoit les eaux d’une petite rivière
venant de la vallée de Kara déré et qui Le village de Manyas occupe le site
peut être assimilée avec l’ancien Tar- d’une aucienne ville qui parait, d’après
sius. En effet cette rivière ne pouvait se les Judicieuses observations de M. Ha-
rendre à la mer puisque tous les cours inilton, être l’ancienne Pœmaninus.
d’eau qui se Jettent dans la Propontide Cette dernière ville est en effet portée
sont connus et identifiés avec leurs sur la carte de Peutinger sous le nom
noms antiques. On pourrait peut-être altéré de Phemenio, lequel a été converti
considérer le Tarsius comme une an- en Manyas d’après rhabitude qu’ont
cienne branche du Granique. Son cours les Turcs de tronquer les noms anciens.
était extrêmement tortueux. Strabon re-
I.a situation s’accorde également avec
marque en effet qu’on le passait jusqu’à les itinéraires qui placent Pœmaninus
vingt fois sur la même route; il le com- sur la route directe entre Cyzique et
pare au fleuve Draco qui arrose le ter- Pergame; ce qui convient à cette lo-
ritoire de Nicée (I). Toute cette partie
calité.
de la Mysie n’offre pas un aspect aussi L’acropole de la ville antique est si-
riche que la contrée voisine. Mais les
tuée sur une colline qui se rattache par
grandes plaines couvertes de gazon sont un col fortifié aux collines voisines , une
particulièrement fréquentées par des forte muraille dout la construction ne
tribus nomades qui nourrissent de gran-
peut être antérieure h l'époque byzan-
des quantités de bestiaux. Les collines tine défend les appruclies du côté du
sont généralement boisées , et si les es- sud ; les murs sont composés d’une
sences n’ont pas la merveilleuse beauté quantité de débris antiques de piédes-
des forêts de rOlympe, leur exploitation taux et d’architraves. On voit des co-
n’en est pas moins fructueuse, et la ma- lonnes placées horizontalement comme
rine turque y recherche les bois courbes
dans les murs de Mcée. Cette disposi-
que produisent différentes variétés de tion en effet très-remarquable, suffit
chênes Qt surtout le chêne à Valonée (2), pour mériter à cette place le titre de
qui est répandu dans les vallées du ville très-bien défendue que lui donnent
mont Ida.
les Byzantins.
La petite ville de Sou Sougherlé, qui Le pays environnant s’appelait comme
donne son nom à la branche occidentale Pœmaninum (1) ; elle est men-
la ville
du Macestus, est tombée aujourd’hui à tionnée comme ville de garnison. Le
de simple village. On peut encore y
l’état
culte d’Eisculape, qui dans toutes ces ré-
admirer les ruines de deux belles cons- gions était pratiqué simultanément avec
tructions seldjoukides; ce sont des ca- celui d’Apollon (2), était surtout en
ravanseraïs dans le genre de ceux qui
honneur à Pœmaninus. L’orateur Aris-
jalonnaient les routes du temps des
:

tide mentionne le temple d’Esculape


princes d’Iconium.
comme un des édifices remarquables de
La route qui conduit de Sou Sougherlé la ville. Pœmaninus devint épiscopale;
à Mandragora passe par un défilé autre-
son évêque est nommé dans le sixième
fois défendu par un ancien château
concile de Constantinople sous le nom
byzantin. La route est tellement étroite
de Pœmatietinus.
que deux cavaliers peuvent à peine y Toutes les notices géographiques et le
passer de front, ce passage est appelé

(i) Strabou, XIII, 587. Yoy. p. 6 p. (<) Et Byz., Pcananinum.


(a) Quercui Kgilopt. (a) Yoy. Uv. II, ch. 3a.
. .

158 L’UNIVERS.

catalof^e des villes donné par Pline (i) en Afrique, forment-elles des dépôts
citent la ville de Pœinnninus. Sous les considérables de concrétions calcaires
premiers sultans, ce territoire faisait Les indigènes ti’en font point usage pour
partie des domaines du prince de Karasi, boisson ;
ils se contentent de se tremper

et Manyas parait avoir sous son gou- dans ce bain rustique qu’on a bâti loin
vernement joui d’unu certaine impor- de la source, car la chaleur de ces eaux
tance. Une mosquée et un ancien cou- est très- voisine de l’eau bouillante et elles
vent de derviches existent encore dans sortent de terre avec une extrême abon-
un état d’ahandon; ces deux édilices ont dance et en formant plusieurs jets au-
été construits avec les matériaux de mo- dessus du sol. Les dépôts calcaires
numents plusanciens. Les débris de mu- augmentent en hauteur et en étendue,
railles et quelques fragments d’inscrip- à mesure que les eaux s'élèvent; le pont
tions sont les seuls vestiges de rancieune naturel comme celui de Saint-Allyre et
cité. celui de Hierapolis n’a pas manqué de
se former par-dessus le cours d’eau
LES SOUBCBS CHA.UDES. produit d’une autre source encore plus
abondante. La formation de ces phéno-
La petite ville de Singherli est voi- mènes naturels est facile à comprendre :
.sinede sources thermales remarquables à mesure que les concrétions calcaires
et par leur volume et par leur chaleur s’avancent au bord de l’eau, le courant
exceptionnelle; elles se trouvent à la la- emporte toutes celles qu’il peut attein-
titude du lac Manyas et sur la route dre, tandis que les concrétions supé-
d’Edreuos à Cyziquê. On ne saurait dou- rieures s’ax’ancent insensiblement pour
ter que ce ne soient les mêmes sources atteindre l’autre rive.
mentionnées par l’orateur Aristide (2). Les montagnes d’où sortent ces sour-
I.orsque le pays est couvert de neige, ces bouillantes sont de formation vol-
la vapeur d’eau s’élève en colonne blan- canique, mais d’une époque voisine des
che, et le sol d’alentour tranche par sa trachytes c'est-à-dire de première pé-
,

couleur noire avec les terrains environ- riode. Cette petite rivière minérale, après
nants. avoir circulé autour de ses nombreuses
Les Turcs appellent ces sources Illidja ; collines, prend son cours vers l’ouest et
c’est un nom qu’ils donnent assez com- va se jeter dans le (leuve .Esepus
munément aux eaux thermales. Un petit
bain creusé dans le sol et une salle de CHAPITRE IV.
construction rustique composent tout
l’établissement. Les eaux sont amenées l’Ile de pbocownèse.
d’une distance de près d’un kilomètre
par un canal de dérivation qui circule Les observations des géologues mo-
le long des flancs de la vallée et qui est dernes ont sufGsamment prouvé que
assez considérable pour faire tourner cette tradition qui attribue l’ouverture
plusieurs moulins. du Bosphore et des Dardanelles a l’ac-
Les sources sortent de terre en plu- tion des eaux de la mer Noire est entiè-
sieurs points et forment une atmos- rement dénuée de fondement ; nous
phère de vapeurs qui aide facilement à avons parcouru dans toute leur étendue
les trouver. Les eaux, douces au toucher ces deux célèbres détroits, et nous avons
et légèrement salées et piquantes, ren- reconnu que l’apparition des roches
ferment des principes de magnésie et volcaniques à l’embouchure de la mer
surtout un excès d’acide carbonique Noire a plutôt contribué à rétrécir l’en-
qui s’évapore au contact de l’air et trée du Bosphore. La constitution des
laisse à nu les parties calcaires qu’il îlesde la Propontide que nous ynons
tenait en dissolution. Aussi les sources d’observer, et celle de la pres^’île de
d’illidja, comme celles de Broussa, de Cyzique, dont nous parlerons oientôt,
Uierapolis et de Uammam Meskoutim démontrent que ces terrains sont con-
temporains des premières révolutions du
(i) Liv. V, ch. 3a. globe ; enfin , dans les roches tertiaires
(a) Arùlid., Sacr. Orat., IV, p. S69. et crayeuses qui constituent les bofds
,

ASIE MIINKURE. 159

du détroit des Dardanelles , on ne re- clature des îles et îlots qui entouraient
connaît aucune trace de rupture appa- la grande Proconuèse (1). « Les îles
rente qui permette de supposer que ces devant Cyzique sont d’abord Elaphon-
terrains ont jamais été réunis. Cétait nesus, nommée aussi Neuriset Procon-
une sorte de manie chez les anciens de nèse, d’où se tire le marbre de Cyzique,
supposer des catastrophes de ce i^enre, ensuite les îlesOphiusa (des Serpents)^
pour expliquer la présence des îles dans Acanthus , Phoebe, Scopele, Porphy-
les environs des continents, et par con- riones, Halone, avec un château, Del-
séquent la formation des détroits : phacie, Polydore; Artacæon avec une
la même cause est assignée aux dé- ville; K cette dernière n’appartient pas
troits de Gibraltar et de Messine , et à l’archipel de Marmara , mais est voi-
comme nous l’avons vu plus haut (1), sine de la presqu’île de Cyzique.
à la formation de i’ilot de Besbicus. Les Il est impossible de pouvoir identifier
observations du général Andréossi (2) toutes ces îles, dont quelques-unes ne
sont parfaitement d’accord avec l’état sont que des rochers nus, avec les
actuel des connaissances géologiques; noms donnés par l’auteur latin. Trois
on ne peut expliquer le récit de Diodore îles seulement sontaujourd’hui habitées.
de Sicile que par cet amour du merveil- La grande île de Marmara, l’île de Rab-
leux qui dominait toujours dans les tra- bi, et la troisième, qu’on appelle Pacha
ditions des anciens. liman, le port du Pacha.
L’Hellespont, aujourd’hui détroit des Pour expliquer le passage de Strabon,
Dardanelles , a dû son nom à la fille il faut supposer que l’ancienne Procon-

d’Athamas; Hellé, qui se rendait en nèse est l’île de Rabbi et la nouvelle,


,

Colchide avec son frère Phryxus , périt la grande île de Marmara, qui s’appelait
dans les flots. La longueur de TUelles- d’abord Elapbonnèse.» Dans celle-ci, on
pont est de douze lieues marines , et trouve une ville et une vaste carrière
dans sa partie la plus étroite il n’a pas qui fournit du marbre blanc fort estimé,
plus de quatorze cents mètres. Toute la car les plus beaux monuments de ce
côte d’Asie qui est baignée par ses eaux pays, surtout ceux de Cyzique, sont faits
appartient a la petite Mysie, et a reçu de ce marbre. » Il en est en effet trans-
des Grecs le nom de province de l’He‘l- porté sur tous les points de la côte où
lespont. Des villes nombreuses et riches existaient des villes grecques. Les Milé-
peuplaient ses rivages, et l'entreprise siens qui avaient établi une colonie dans
de Xerxès , qui le traversa sur un pont cette île (2) étaient sans doute en pos-
de bateaux, est à jamais célèbre dans les session de ces exploitations fructueuses.
fastes de l’antiquité. Nous savons par Vitruve (3) que le pa-
I.’ile de Proconuèse, la plus grande lais de Mausole à Halicarnasse était
de la Propontide, est située au nord-est construit en briques etrevétu de dalles de
de la presqu'île de Cyzique et dans le marbre de Proconnèse. Les débris du
méridien du fleuve Æisepus ; connu d’a- tombeau de ce prince qui ont été décou-
bord sous le nom d’Elaphonnesus , l’île verts récemment et qui sont aujour-
des Cerfs, elle fut colonisée par les Phé- d'hui déposés au musée britannique,
niciens; les Grecs, qui vinrent ensuite sont en marbre blanc qui nous paraît
s’y établir, distinguèrent deux îles du ideutique avec celui de Marmara. Les
même nom , l'ancienne et la nouvelle frises représentant des combats d’ama-
Proconuèse. La plus grande de ces îles zones qui sont restées longtemps encas-
est celle qu’on appelle aujourd’hui Mar- trées dans les murs du clikeau de Bou-
mara, et lu plus petite porte le nom de droum sont aussi du même marbre.
Rabbi ; la nouvelle Proconuèse était si- C’est par erreur que les écrivains qui
gnalée comme ayant un bon port (3;. se sont occupés de lithoiogie ancienne
Pline se contente de donner la uomen- ont signalé le marbre de Proconnèse

(i) Voy. cbap. XXXI.


(î) Constantinople et le Bosphore, \\Ato- (i) Liv. V, chap. 3a.
duclion. (a) Sirabou, XIII, S87.
f3) Scylax., Périple, p. 35. (3) Liv. Il, ch. VU.
16C L’UNIVERS.
comme étant blanc veiné de noir (1) ce : enfants ,
sans qu i! soit permis d invo-
marbre estd’une blaiiclieur éclatante quer laprescription en leur faveur.
qui le dispute aux marbres aiiiéniens. Indépendamment des granits, qui sont
Du temps d’IIérodute, il existait déjà très-abondants sur ces rivages , les lies
dans l'iie une ville du nom de l’rocon- de la Propontide et de l’Hellespont four-
nèse, qui fut la patrie du poète Aris- nissaient un grand nombre de marbres
téas, auteur des Arimaspées. Elle fut de qualité supérieure , et dont l’exploi-
brdiée par une flotte pliénicipime qui tation pourrait être facilement reprise
agissait sous les ordres de Darius. Plus de nos jours.
tard, cette ile fut conquise par les habi- Dans le courant d’avril 1835, nous
tants de Cyzique , qui forcèrent 1a |h>- fîmes une exploration de cette Ile avec la
pulation de venir demeurer dans leur goélettede l’État la Mésange. A cette
ville, et enlevèrent une statue de la epoque les cartes étaient si incomplètes
mère des dieux qui était à Procoii- que le commandant hésitait à s’appro-
iièse (2). On a peu de détails sur l’orga- cher de nie pendant la nuit; le jour
nisation intérieure de file du temps des venu nous mouillâmes au port de Gali-
Komains il est probable qu'elle fut lu
: mi, au S.-O. de l’Ile, après avoir opéré
résidence d’un procurateur impérial plusieurs sondages.
chargé de surveiller l’exploitatiou des L’aspect de cette Ile est des plus sau-
carrières, car les marbres en œuvre vages. I.es montagnes s’entrecoupent
devaient payer au lise un dixième de leur sans ordre, et ne forment, pour ainsi
valeur, d’après la loi Julia; il est pos- dire, qu’un seul mont à plusieurs som-
sible que l’effet de celte loi ait été un mets ; les bois sont rares, et le sol, gri-
moment suspendu, car Cicéron (3) écri- sâtre et sans verdure, offre le plus triste
vait à son ami « Je pense que je ne
: tableau. Cette lie sera cependant à ja-
« vous dois rien pour les colonnes, car mais célèbre pour avoir fourni des ma-
« il me semble avoir entendu dire que tériaux à toutes les villes delà Propontide
Clcette loi a été abolie. » Sous l’empire, et de l’Ilellespont depuis les temps les
le goût des ouvrages de marbre se ré- plus reculés.
pandit tellement, que les écrivains se Le calcaire marbre cristallin, d’un
faisaient une sorte de point d’honneur blanc éclatant, constitue la majeure
de déplorer les excès de ce luxe qui ,
partie de l’Ile. Le granit gris ne se mon-
menai^it de ruiner les familles (4). Plu- tre que dans la montagne qui domine
sieurs lois furent promulguées à ce su- le port de Galimi. Les couches de mar-
jet. tant pour régler le sort des ou- bre sont bien accu.<«ées, plongeant à 24°
vriers (.5) que pour établir les droits du N. sous un angle de 37°. Le cap le plus
trésor. Mais la plus dure de toutes ces N. -U. est une dépendance de la petite
conditions était celle qui assujettissait chaîne granitique sur laquelle s’appuie
les ouvriers carriers à rester éternelle- toute la formation calcaire de l’tle.
ment attachés à la carrière (0). Une loi Cependant le système général d’incli-
de l’empereur Theodose «lisait Les ou- : naison des couches n’est pas uniforme.
vriers carriers, hommes
et femmes, qui Dansquelques endroits on voit une épais-
abandonneront pays qui les a vus
le seur de huit ou dix mètres sans aucune
naître , et auront émigré sous quelque trace de lit ou de Gssurc; et sur la côte
prétexte que ce soit, seront reconduits orientale , où sont étabUes les carrières
dans leurs foyers , ensemble avec leurs modernes , les couches de marbre sont
généralement horizontales.
Galimi est un village d’une cinquan-
(i) Blasius Cariopiiyllus, üe iVarm. aiitit/.
taine de maisons. Les côtes environnan-
Corsi, DcUe pietU anticht.
tes sont très-accores. Nous mouillâmes
() Pausanias, 4d. II,
par quinze bras.ses à deux encablures
(3) Ad XIII, cpisl., VI.
Atliciim, lib.
de terre. Une encablure plus au large,
(4) Ovid. De art. amaiidi, lib. II, ia5;
Pliii», Hisl., lib. XXVI, ch. VI
on sonda à vingt-huit brasses sans trou-
ver de fond.
(5) Cod. Justin., lib, VI; Cud., de Mclal-
lariis, lib. Il, t. VI. Nous prîmes des mulets à Galimi
() Loc. cit. avec quatre guides pour faire le tour

Di
, ,

ASIE MBIΆRE. 161

de rtle. Nous gravîmes la montagne ; quadrangnlaires; mais ceci ne parait


dans la direction N. -O. elle forme une etre qu’un accident de la roche.
croupe E.-O. entièrement granitique
depuis son sommet jusqu’à sa base;
mais arrivés à 250 mètres environ de
CHAPITRE V.
hauteur, nous commençâmes à aper-
LES CABBIÈBES DE MÀBBBE.
cevoir les couches inférieures du cal-
caire marbre, qui présentent la tranche.
A ce point il existe une fontaine qui sort Après plus d’une heure de marche
à l’intersection du marbre et du granit. nous pûmes jouir, en arrivant au som-
Avant franchi le sommet, nous des- met, de l’aspect de la plus grande partie
cendîmes dans une vallée qu'on appelle de nie. Aussi loin que la vue peut s’é-
Kodran ova-si ( la vallée du Gouaron ), tendre , on voit le terrain couvert de
parce qu’on avait établi des fabriques monticules composés uniquement de
au milieu d’une forêt qui existait alors. recoupes de marbre. Plus oe mille car-
Aujourd’hui cette forêt est presque en- rières partielles ont été ouvertes à dif-
tièrement détruite. férentes époques. On saurait difficile-
Sur le flanc de cette vallée , on trouve ment dire quelles sont celles qui datent
un lambeau de terrain de transport du temps des Grecs et des Romains,
cailloux calcaires dans du sable jau- car le même système d’exploitation a
nâtre. Il repose sur le calcaire grossier été suivi, et il est encore en usage au-
excavé par des grottes peu profondes. jourd’hui.
Je n’y ai point aperçu de coquilles. Ce n’est pas l’aspect imposant des
Cette roche ne se montre que dans la carrières de Synnada dont les flancs
,

vallée de Kodran. A la naissance du val- sont taillés à picdans une hauteur de


lon , il sort une fontaine qui forme une plus de cent mètres, comme un mur
petite rivière dont les eaux, même dans d’une seule pièce et la montagne di-
,

cette saison, vont jusqu’à la mer; des visée en vastes salles, où l’écho se joue
platanes nains couvrent ses bords. Une de mille façons. Ici chaque carrière ne
multitude de plantes et d’arbustes en parait pas avoir fourni plus de vingt à
fleur donnent quelque agrément à cette trente mètres cubes, après quoi elle était
vallée, dans laquelle, cependant, il n’y abandonnée ; et cependant, depuis le.s

a pas d’habitation. temps les plus reculés, cette île est en


Sur le sommet d’une montagne coni- exploitation. Nous fîmes une lieue au
que qui domine la vallée , on aperçoit milieu des pierres tranchantes et des an-
un château fort. Aucun des guides n’avait ciennes carrières; tantôt le marbre a
jamais pensé à monter jusque-là. Nous été tiré des flancs de la colline , tantôt
étant assuré, au moyen de la longue- ce sont de grands trous à fleur de terre,
vue, que ce n’était qu’une construction d’où la pierre a été extraite.
du moyen âge, nous renonçâmes à cette La côte de l'ile est peu accidentée.
course. A l’embouchure de la rivière Une langue de roches et quelques Ilots
nous trouvâmes des fours à chaux qui plus au large forment une espèce de
s’alimentent des recoupes des anciennes port à la pointe N.-E.; mais du haut de
carrières. C’est en ce lieu qu’on com- lamontagne où nous étions, les eaux
mence h apercevoir les premières ex- nous paraissaient trop profondes pour
ploitations antiques. Le marbre est u’on pût y mouiller. Nous redescen-
tranché par bancs de cinq à six mètres de îmes sur la côte E. de l’ile, dans un
longueur, sur un mètre de hauteur. On village appelé Palatia, sans doute à
voit des espèces d’emmarchcments qui cause d’un antique édifice qui est encore
sont les dernières traces de l’exploita- debout. Je suis porté à croire que ce
tion antique. Nous gravîmes dans la village est sur l’emplacement de la nou-
direction S.-E. une autre montagne velle Proconnèse, résidence habituelle
très-haute et très-escarpée, toute cou- du procureur impérial. Ije monument
verte de blocs de marbre éboulés. On antique de Palatia se compose de deux
aperçoit cà et là d’autres blocs de cal- épaisses murailles construites en moel-
caire spatnique, qui se casse en prismes lons de marbre, avec plusieurs rangs de
W Livraison. (Asie Mineuke.) T. n.

ogle
163 L’UmVERS.
briques intercalées (I). Une seule fe- marbre fut appelé par les anciens ê/ar- ;

nêtre, dont le cintre est en briques, mor Thasium. Pline (1) dit que le mar-
existe encore. On n’v voit aucun ornement bre de Thasos était d’une couleur moins
sculpté.Il est diflicile de dire si c’est un bleuâtre que celui de Lesbos; les sar-
palais ou une forteresse. De grands ra- cophages que j’ai observés en grand
deaux atUicbés sur la plage servent à nombre dans l’ile de Thasos sont d’iin
embarquer les marbres que l’on porte marbre statuaire blanc , d’excellente
à (Constantinople. qualité, moins pailleté que celui de Mar-
En continuant la route vers le sud, mara et ressemblant à celui que les
,

on arrive aux carrières que l’on exploite antiquaires sont convenus d’appeler
actuellement elles sont entourées de
: ijrechetto, expression qui n’offre au-
collines de recoupes, au milieu desquel- cun sens la pâte de la roche est assez
:

les sont établies quelques cabanes de compacte. Il est certain que ce marbre
forgerons, qui font et réparent les outils était en grande estime chez les Romains,
des ouvriers. Ces carrières sont situées puisqu’il est souvent cité par les au-
à NO mètres environ au-dessus du ni- teurs (2). Pausanias (3) assure qu’il
veau de la mer ; ou a établi une grande n’avait pas moins de prix aux yeux des
pente avec des débris de marbre. Les Athéniens qui en tirent faire deux statues
blocs sont portés jusque-là sur des rou- en l’honneur de l’empereur Hadrien,
leaux, après quoi on les abandonne à et les placèrent dans le temple de Jupi-
leur propre poids. On y exploite en ce ter Olympien.
moment des blocs peu considérables, Le inarbre de Lesbos, mannor Les-
des dalles et des pierres de tombeaux hium, était d’une couleur plus plombée
pour Constantinople. Le marbre est (|ue celui de Thasos. Les carrières doi-
d’un blanc éclatant, saccharoïde, à cas- vent être cherchées dans la partie sud
sure franche et sonore. Ou détache au de l’ile, vers le lieu appelé vort Olivier;
ciseau le bloc de la montagne , après c’est là que se trouvent les gisements
(luoi on l’enlève de son lit par le moyeu calcaires tout le reste de l’île est vol-
:

tic coins de fer. canique. Philostrate (4) observe que la


Les îlots qui entourent l’île de Mar- couleur de ce marbre est la plus obs-
mara appartiennent tous au même sys- cure de tous les marbres blancs; les
tème de terrain de transition calcaire- , anciens en firent un grand usage pour
marbre, reposant a nu sur le granit; la construction des tombeaux, et les
mais les cotes sont beaucoup plus dé- statuaires l’employèrent avec succès,
coupées , et offrent d’assez bons mouil- car on cite comme étant de ce marbre
lages aux barques; celui «[ue l’on ap- la statue de Julia Pia et la Vénus du
pelle Pacha-limau appartient à l’île Capitole.
Elaphonnesus. Ce nom paraît usurpé,
car l’îlot est trop découvert et eu même CHAPITRE VI.
temps trop exigu pour avoir pu nourrir
des cerfs; peut-être y trouvait-on des ITINÉBAIBE DE UUHALITCH A CV-
chèvres sauvages et des mouflons, ou ZIQUE.
de ces moutons sauvages semblables à
ceux que l’on voit dans plusieurs îles de (.luoique le cabotage de la mer de
l’Archipel, comme Autimilo, ISicaria Marmara soit aujourd’hui réduit à très-
et Lipsi. Dans tous les cas, je regarde peu de chose, il est toujours possible de
cette question des deux Proconnèse louer une barque pontée pour aller vi-
comme étant encore inexpliquée. Les siter les ruines de (A zique ; on peut re-
anciens exploitaient encore des marbres lâcher dans les différentes îles de la
dans d’autres îles du voisinage.
L’île de Thasos fournissait un mar- surtout admiré celles qui furent découvertes
bre statuaire dont les carrières furent par les Pliénicieiis. » (Hérodote, liv. VI, 47-)
découvertes par les Phéniciens (2), et le (i) Pline, liv. VI, cil. VI.

(ï) Seiiec., Epiit. LXVIII.


(i) Voyez la planche 43- (3) Liv. !«', ch. i8.
(a) «J'ai vu luoi-méme ces carrières, elj'ai (4) Vies des Sophistes, Ub. II,

D«.
,

ASIE MINEURE. 163

PropoDtide, et aller mouiller à Artaki, précipite par une gorge rocheuse dans
petite ville située sur la côtesud-ouestde le lac Manyas. Ce cours d’eau prend
l’île de Cyzique. Quand on veut s’y ren- sans doute naissance dans les collines
dre par terre, il faut .remonter jusqu’à qui bordent la mer de Marmara , qui
Muhalitch et de là faire route vers le sud font face à l’extrémité orientale de la
La petite ville de Aïdindjik est éloi- presqu’île de Cyzique.
gnée ae huit heures de marche de Mu- Dès qu’on à quitté Deblé keui, la
halitch ; on commence à descendre le route prend une direction plus nord. On
Macestus jusqu’à sa Jonction avec le continue de monter graduellement sur
Jlhyndacus; la route se dirige d’abord un terrain couvert de gazon, dont la
ouest-nord-ouest à travers une riche pente est au sud. De hautes collines
plaine couverte de plantations de mû- s’élèvent du côté du nord et du nord-
riers ; on traverse ensuite sur uu bac ouest, au-dessus desquelles on aperçoit
une petite rivière assez profonde mais les moutagnes de Cyzique. Bientôt la
peu rapide, appelée Kara déré sou qui nature des roches change; on a aban-
sort du lac Manyas, éloigné d’environ donné le terrain volcanique, et l’on ar-
quatre heures de marche. Le petit vil- rive sur le terrain de marbre cristallin
lage de Kara-Keui est situé sur la rive qui compose les collines de droite, mais
droite de la rivière; le coup d’oeil de qui est recouvert par plusieurs bancs
cette plaine est champêtre et pittoresque d’argile diversement colorée.
et offre le tableau d’une riche végétation. On arrive enfin , après huit heures
La vigne sauvage est suspendue en de marche, dans les jardins et les ver-
festons aux branches des arbres et le sol gers d’.àïdinjik et l’on entre dans une
est couvert des fleurs les plus variées. vallée bien cultivée qui descend douce-
La route continue dans cette direc- ment vers la mer dans la direction du
tion jusqu’àce qu’on rencontre une ligne nord-nord-ouest.
de collines, après avoir franchi quelques Aïdinjik est située sur les collines de
cours d’eau descendant des moutagnes l’est et contient environ cinq cents
boisées qui sont dans l’éloignement. maisons presque toutes turques. C’était
On traverse ensuite une vallée étroite autrefois le chef-lieu d’un district ap-
qui s’étend au loin à droite, et l’on ar- partenant à un (les émirs compagnons
rive au village appelé Doughau hissar, de Toursonn. Cette petite ville avait à
(le château du faucon). Une tour cons- cette époque une certt^ine importance.
truite sur une éminence s’eleve au mi- On y voit encore six mosquées et des
lieu du village. En continuant dans la bains publics. Dans presque >^ous ces
même direction, ou traverse une autre édifices on a employé comme matériaux
ligne de monticules qui forment la côte bruts des fragments d’architecture
orientale du lac Manyas. tirés des ruines de Cyzique. Aujour-
Un cimetière turc, qui se trouve sur d’hui les transactions commerciales et
la droite, contient quelques fûLs de surtout le trafic avec l’intérieur ayant
colonnes brisées. La route passe sous pris une autre direction, cette petite
un arc surbaissé, construit en pierre, et ville est tombée daus un état d’abandon
l’on observe quelques restes d’une et de pauvreté.
chaussée qui indique le passage d’une Un village appelé Erméni keui est
ancienne route. Les collines jusqu’à situé tout à fait sur la côte, et daus le
Acha bounar sont généralement dénu- voisinage de l’isthme se trouve le vil-
dées et stériles. Le village d’Acha lage de Panormo. Mais ces deux en-
bounar contient une vingtaine de mai- droits n’offrent aucune ressource et les
sons , et autour de la fontaine on re- étrangers sont obligés d’aller demeurer
marque un amas de marbres brisés et dans la petite ville d’Artaki, située sur
quelques belles corniches. Si.x kilo- la côte occidentale de l’ile de Cvzique-
mètres plus loin, au pied d’une autre La route d’ Aïdinjik à Artaki longe
ligne de collines se trouve le village de les bords de la mer. Toute cette région
Deblé keui, dans le voisinage duquel on est couverte de vignobles et de grands
traverse un ruisseau qui coule du nord arbres fruitiers. On traverse ensuite
au milieu d'un terrain accidenté et se risthme sablonneux qui joint Cyzique
,

Its4 L’UNIVERS.

au continent, et en remontant vers le pu y jeter un pont, et plus tard les re-


nord on entre dans le territoire de mous des deux golfes ont amoncelé des
J'Ile.Tous les versants des montatjnes algues et des galets qui ont fini par
sont cultivés en vignobles et produi- combler ce détroit, et parle changer
sent le vin d’Artaki, qui s’exporte à en un isthme quia aujourd’hui un mille
Constantinople. La fertilité de ce terri- et demi de large.
toire est due .i la nature granitique du Strahon (I) paraît insister singulière-

sol qui renferme une notable quantité ment sur cette particularité que la mon-
de feldspatli décomposé. Iæ vigne est tagne qui forme’ le centre de l’île n’a
soignée avec beaucoup d’intelligence; qu’un sommet. Vue du côté de la ville,
elle est taillée chaque année contraire- elle se présente en effet comme un
ment aux usages de presque tous les cône légèrement aplati sur ses flancs;
pays méridionaux, qui laissent pendre mais, dans sou travers, ce cône se divise
la 'vigne en festons le long des arbres en plusieurs groupes, dont l’un domine
et chaque taille du cep est couverte par la ville d’Artaki. Le sommet de la mon-
une petite couche de bitume tiède qui tagne est couvert de bois, ou plutôt de
empêche l’évaporation des sucs de la broussailles, parmi lesquelles se re-
plante; mais la qualité du vin ne ré- marque l’arbousier, térébinthe
le le ,

pond pas à celle du raisin, les habi- chêne, le laurier et l’olivier sauvage.
tants n’usant que de procédés impar- Nous avons vainement parcouru les
feits, les tonneaux sont presque inconnus vallons supérieurs ,
et questionné tous
et la récolte est vendue l’année même les bergers que nous avons rencontrés ;
de la production. nous travons obtenu aucun indice de
ruines qui auraient pu exister dans les
ARTACE. CVZIQUE. lieux élevés de la montagne, où les an-
ciens plaçaient le temple de la Mère des
L’île de Cyzique appartient au petit
dieux. Partout nous avons retrouvé le
archipel qui occupe le milieu sud ue la
granit comme base du sol ; le marbre
mer de Marmara. Toutes ces îles ont calcaire gris n'apparaît que dans les
été formées dans la même période géo- contre-forts du côté du village d’Artaki,
logique Le soulèvement du granit a compose presque entièrement les
et
fait surgir le marbre blanc, et en
deux rochers , dont l’un porte spéciale-
quelques endroits le calcaire schisteux ; ment le nom de l'île d'Artaki.
c’est-à-dire que ce soulèvement appar-
Indépendamment des deux grands
tient à l’époque de transition. Le granit
ports formés par le golfe d’Artaki et
et le calcaire se retrouvent dans les
celui de Panormo, à l’est et à l’ouest
montagnes de la côte, et paraissent du nouvel isthme, l’île de Cyzique en
se rattacher aux contre-forts inférieurs
a deux autres , l’un appelé Tarrliodia
du mont Ida. Les versants septentrio- ou plutôt RIiMlia (và P(i)8ii) (les Gre-
naux de cette montagne sont de gneiss
nades), où peuvent se réfugier les pe-
et de micaschiste ; les volcans n’appa-
tits bâtiments pendant les orages, si
raissent que sur son revers sud. Mais
fréquents sur la Propontide. Nous y
ces crêtes sont la limite du terrain pri-
avons mouillé avec la Mésange pen-
mordial , car toute la côte de l’Hel-
dant les coups de vent de l’équinoxe
iespont, ainsi que les de la
terrains
de 1835. Le fond est de bonne tenue;
plaine de Troie jusqu'au promontoire
mais les cartes marines étaient alors
Lectum (Baba), appartiennent au sys-
fort inexactes ; on ne pouvait trouver ce
tème tertiaire très-récent ; il en est de
port qu’à l’aide d’un bon pilote. L’autre
même des atterrisements considérables
port, situé à l’est de la presqu’île, por-
qui ont changé la forme des côtes , et
tait anciennement lenomdeParnormo,
qui peuvent être rangés parmi les ter-
qui lui est commun avec un grand
rains contemporains. Le détroit qui sé-
nombre d’autres ports en Asie et en Eu-
parait du continent l’ile de Cvzique a
rope. Aujourd’hui les bâtiments n’y
d’abord été assez considérable ; mais
mouillent plus. Le nouveau village
peu h peu les terres charriées des mon-
tagnes de part et d’autre ont rétréci cet
espace , de manière que les Grecs ont ;j)XII, 575
, ,

ASIE MINEURE. 165

porte le nom de Erméni keui; on y s’enrichir des débris qu’on en tirerait.


trouve quelques antiquités. Dans une vigne qui domine la petite
Artaki l’ancienne Artace, est voi-
,
ville moderne, on peut observer un
sine de Cyzique , et en était comme l'a- beau mur en blocs irréguliers et bâti
vant-port; cette ville remonte à une tout en marbre blanc ce vestige peut
;

très-grande antiquité ; elle est mention- être considéré comme un des plus
née deux fois par Hérodote (t) et no- beaux restes de l’ancienne Artace
tamment dans la guerre des Perses. peut-être antérieur à l’invasion des
Les Phéniciens , dit-il, après avoir mis Phéniciens. Il parait dès lors constaté
le feu dans tous les lieux qui avaient que cette ville était bien dans l’ile
été abandonnés par leurs habitants , se même de Cyzique , mais non pas dans
ortèrent sur Proconnèse et Artace, et rilot qui commandait la rade, et qui
rûlèrent ces deux villes (2). La mon- d’ailleurs est seulement capable de con-
tagne qui domine le port et l’ilot voisin tenir un château.
portaient aussi le nom d’Artace (3). Dans un autre Ilot, qui n’est à vrai
C'était, dit-il, une colonie des Milé- dire qu’un rocher, il
y a une source
siens; elle était distante d’un stade de vénérée- des Grecs, qui lui attribuent
Cyzique (4). Cette distance est trop différentes vertus ; on l’appelle Ayasma
courte nous comptons sur notre carte
: (la Fontaine sainte). Il est question dans
du golfe 9,375 mètres jusqu'à la pointe quelque auteur ancien d’une fontaine de
de Cyzique appelée Bal-Kiz. Pile de Cyzique, qui avait une certaine
La ville d’Artace était sur un cap s’a- célébrité (1); peut-être est-ce l’origine
vançant vers le sud-ouest, et l’îlot du de la renommée que celle-ci a conservé
même nom n’en est séparé que par un jusqu’à nos jours parmi les Grecs su-
étroit canal. Pline (5) mentionne eu perstitieux.
même temps cette ville et ce port, Le golfe d’Artaki est aujourd’hui
mais comme n’existant plus de son complètement abandonné de nos na-
temps. Il est possible qu’à une certaine vires, qui ne trouvent plus aucune
période , la -prospérité de Cyzique ait sorte de chargement à faire dans cette
absorbé complètement ces petits postes, contrée déserte.
qui avaient dd souffrir horriblement En suivant les sinuosités de la côte,
pendant la guerre de Mithridatc. Ce- on traverse plusieurspetits cours d’eau
pendant sous les empereurs byzantins, qui descendent de la montagne sur le
et même avant cette époque , Artace penchant de laquelle est bâtie Cyzique,
acquit une certaine importance, et et que les Grecs appelaient Arcton-
pouvait présenter quelques monuments Oros (la Montagne aux Ours), peut-être
de marbre. Les fortifications qui sont avec autant de vérité que le rocher Ela-
dans i’tle, et qui ont été décrites par phonnesus.
Pococke et Lucas comme des restes
magnifiques d’ouvrages grecs, ne sont CHAPITRE VII.
que des tours byzantines, si ce n’est
génoises , faites avec de riches débris BUINES DE CYZIQUE.
d’architecture provenant sans doute de
Cyzique. On y voit des colonnes can- Les ruines de Cyzique sont aujour-
nelées à la grecque , des blocs de cor- d’hui tout à fait inhabitées ; au delà des
niches encore intactes, employées murailles et sur la hauteur, il existe
comme matériaux bruts. I.es tours un village d’une douzaine de maisons,
sont à bossages, et ont bien résisté; appelé Hammamii, qui possède en com-
mais les courtines sont en démolition munal la de l’enceintc de la
totalité
complète, et plus d’un musée pourrait ville. On
peut suivre le pourtour des
murailles depuis la grande tour octo-
(r) Liv. IV, fh. XtV. gone, située à l’angle sud-ouest, jusqu’à
(i) Liv. VI, ch. XXXIIL l’extrémité orientale, qui est très-voisine
(3) Strahoii, XII, 576 ,
(4) Sleph. Byz. V. Ariace. (i) Fons Cupioidinis, Pline, liv. XXXI,
(5) Liv. V,ch. XX.XII. ch. II.
166 L’ÜNIVKRS.
de l'isthme. Une source limpide et de s’étendaient jusqu’au fleuve Æsepus;
très-bonne eau sort de dessous un mur l'île portait alors le nom de Dolionis.
antique ; un plataiie l'oinbrage de ses I.orsque les Argonautes
y abordè-
rameaux vigoureux c’est l’endroit
: rent (I), Cyzicus en était roi; il possé-
que les indigènes appellent Ral-Kiz- dait la contrées située, entre les fleuves
^ra'i (le Palais de la Fille du Miel ). Ce Æsepus et Rhyndacus jusqu’au pays
nom de Bal-Riz est fort répandu en des Dascyliens. Ce prince avait donné
Asie; il paraît que les légendes musul- son nom à l’île et à la ville il était fils;

manes appellent ainsi la reine de Saba. de Cyzicus venu de Thessalie (2), et


On le retrouve à Aspendus, à Sagalassus avait épousé Ænète, fille d’Euphorus,
et dans d’autres lieux encore. roi de Tlirace. Cyzicus fut tué par Ja-
On reconnaît, près de la tour deBal- son. Une autre tradition fait de Cy-
Kiz, les vestiges d’une porte; toutes zique une colonie de Milésiens ; elle est
les murailles sont faites en grands citée avec Artace au nombre des villes
blocs de granit posés alternativement fondées par les habitants de Milet (3);
de front et en parpaing, et ornés de mais comme les auteurs ancienssontd’ao-
bossages; les parpaings ne traversent cord pour admettre que les premiers ha-
pas toute la muraille. L’intervalle des bitants furent des Pélasges, on doit croire
deux parements est composé d’un blo- quelesDolionsappartenaientàcetteraci.
cage, ae recoupes de granit, de sable ma- I.es Argonautes construisirent sur le
rin, de chaux et déciment; la hauteur mont Üindyme un temple à la grande
des assises est de 0"‘52, et la longueur mère Idaî'que, qu’on adorait à Cyzique
des blocs varie entre 1 “20 et t “28. On ne comme à Pessinunte. Le .Scythe Ana-
trouve aucune partie des murailles com- charsis arriva à Cyzique au moment où
plètement conservée ; mais on peut les l’on célébrait les mystères , et fit vœu,
suivre dans tout leur développement, s’il retournait heureusement dans sa
et la plupart des soubassements sont patrie , d’établir une veillée religieuse
intacts. Les tours sont carrées; elles en l’honneur de la déesse Cybèle. Pro-
sont pincées à des espaces inégaux, qui serpine et Jupiter avaient aussi des
varient de 30“ à 50“ ; elles ont 10“ de autels à Cyzique ; d’après une tradition
front, et le mur 4“ d’épaisseur. 11 est fabuleuse, ce dernier dieu passait pour
hors de. doute que cette même muraille avoir donné en dota l’épouse de Plutoii
a dû défendre Cyzique des attaques de la ville de Cyzique.
l’armée de Mith'ridate, et qu’elle fut Les Phéniciens , qui avaient ravagé
témoin des efforts désespérés du roi de ces côtes, ne se portèrent à aucune hos-
Pont pour s’emparer de la clef de 1a tilité contre Cvziqiie , parce que, avant
Propontide. C’est le seul monument de leur arrivée , les Cyzicéniens avaient
l’ytsie encore existant qui ait pesé d’une traité des conditions de leur soumission
manière puissante et directe sur les avecOKbarès ,
fils de Mégabaze, satrape
destinées de ce noble ennemi des Ro- de Dascylium (4).
mains; et, comme telles, ces vénérables Dans les révolutions qui suivirent la
ruines produisent sur le spectateur une bataille de Mycale et les désastres des
impression profonde. L’isthme, qui Athéniens en Sicile, Cyzique partagea
rappelle un grand ouvrage d’Alexandre, la bonne et la mauvaise fortune des
a disparu sous les terrains récents. Ces villes de l’Hellespont, tantôt tributaire
vastes remises, où l’on renfermait les d’Athènes , tantôt soumise aux Lacé-
galeres(N£6<jo'.xoi), toutes les construc- démoniens ou aux Perses. Après la
tions maritimes qui pouvaient dater de victoire du Granique, Alexandre s’em-
la ville grecque n^ont pas laisse de
, para de Cyzique et joignit l’île à la
,

vestiges ; il faut nous en tenir à la des- terre, fermé par deux ponts (-5).
cription des monuments romains, ou
plutôt chercher à les retrouver dans les (i) Appollodore, liv. II.
débris informes qu’ils pr^entent au- (a) Pline, liv. V ch. xxxtx.
;

jourd’hui aux yeux attristés. (3) Strabon, XtV, 635.


Le territoire de Cyzique fut dans (4) Hérodote, liv. VI, ch. xxxiv,
l’origine habité par les Dolions, qui (5) Pline, liv. V, ch. xxxii.
,

ASIE MINEURE. I'i7

Le gouvernement de cette ville était taient à partir de l’époque de leur en-


pour les anciens un objet de constante trée en charge ; ces macistrats étaient
admiration ; le luxe de sesédiOces, la les Prytanes, dont le collège était de
richesse de ses ports la plaçaient au six cents membres élus à tour de rôle
premier rang des métropoles de l’Asie. dans toutes les tribus qui, dans le cours
Cyzique, ville noble par sa citadelle, de l'année , arrivaient successivement a.
ses murailles , son port et ses tours de la Prytanie. On sait ,
d’ajirès une ins-
marbre, fait honneur à la côte d’A- cription, que cinquante Prytanes étaient
sie (1). Son administration ressemblait en fonctions dans un mois. Eu sortant
à celle des Rbodiens et des Marseil- de ce collège, les Prytanes passaient
lais; le soin de ses principaux bâti- dans celui des Cailles magistrature
.

ments était remis entre les mains de qui est particulière à la ville de Cyzique.
trois architectes qui avaient l'inten- Les Cailles étaient aussi au nombre de
dance des armes , des machines et des six cents. Chaque collège était pré-
greniers. Après la mort d’Ale.xandre sidé par un andionte qui prenait le titre
elle tomba sous le pouvoir des rois de d’Épistate, et quelquefois de Boularque,
Pergame mais ;
elle conserva ses pri- ainsi que le témoigne une inscription.
vilèges et son gouvernement, et les Les Phylarques , présidents de tribus ;
marbres nombreux qui sont parvenus l’Asiarque, chargé de présider aux
jusqu'à nous nous lont connaître en jeux communs de l’Asie; le Gramma-
détail toutes les magistratures qui teus ou chancelier, étaient des charges
composaient son administration. Le ue l’on retrouve dans les monuments
gouvernement était entre les mains du e la plupart des villes asiatiques.
sénat et du peuple ; et pour suivre les Mais ici les souvenirs d’.Athènes sont
coutumes d’Atheues, première métro- plus nombreux que dans aucune autre
pole des Cyzicéniens le peuple s’était
,
colonie. Tel était le système d’adminis-
divisé en six tribus, dont quatre por- tration au moment où éclata la guerre
taient les noms des tribus athéniennes, de Mithridate.
lesGéléontes, les OEnopes,les Argades, Ce prince attachait une importance
les Hoplètes, les Ægicores et les bores; extrême à se rendre maître d’une ville
elles parvenaient successivement, dans et d’un port qui commandaient l’Ilel-
des temps réglés, au gouvernement et à lespont et tout le pays inysien. Il arriva
la Prytanie (2). à l’improvi.'.te devant la ville avec une
Dans le principe, les habitants de armée de cent cinquante mille fantas-
Cyzique supputèrent le temps d’après sins et une nombreuse cavalerie, et
l’année ionienne, divisée en mois lu- occupa d’abord la montagne Adrastée,
naires; un peu plus tard ils prirent située en face de la ville, là où est
l’année macédonienne , et finirent par situé le temple d’Adrastée (1). Ce mo-
adopter l’année solaire des Romains. nument est également mentionné par
On remarque dans leurs mois plusieurs Strabon (2), et d’après ses paroles on
noms identiques avec les noms des pourrait croire qu’il était, sinon dans la
mois athéniens. On pense que l’année ville même, du moins dans le faubourg.
des Grecs asiatiques commençait à l’é- Il est probable que Mithridate occupa
quinoxe d’automne. L’année 'civile de. les collines qui s’étendent parallèlement
Cyzique était compo.sée de mois io- à la côte sur le continent.
niens, athéniens et macédoniens, et Les Grecs avaient déjà perdu trois
(le (|iielques autres qui lui étaient par- mille hommes et dix galères dans une
ticuliers. rencontre qu’ils avaient eue devant
Indépendamment des corps du sé- Chalcédoine f3). Mithridate , voulant
nat et du peuple , la ville Je Cyzique profiter de sa victoire, divisa son armée
avait plusieurs magistrats dont les noms en dix camps, et bloqua la ville par
étaient communs avec plusieurs autres terre et par mer. C’est alors que Lucul-
villes de l’Asie. Les fastes se comp-
(1) Philarch. in Lucullo.
(1) rlonis, III, 5. ( 2 ) XIII, 258.

(
2 ) Cayliis, marhres de Cyzii/ue, t. II, r. (3) Vüv. piiRc 73.
,

168 LTINIVERS.
lus transporta des barques du lac Das- Cependant Cyzique eut a passer
cylitis dans Propontide, et parvint
la quelques moments terribles sous le
à faire entrer quelques soldats dans la règne de Tibère. Ayant négligé le ser-
ville pour soutenir le courage des as- vice du temple d’Auguste, et condannné
siégés. Mithridate avait fait construire aux ceps quelques citoyens romains ,
des balistes et des tours mobiles pour elle fut dépouillée de ses privilèges (1 ) ;
attaquer les remparts. Les péripéties mais sous le règne suivant, ils lui furent
de ce siège ont une ressemblance frap- restitués; elle fut nommée N’éocore
pante avec celui que soutint Nicée di.\ Hadrienne Olympienne, et les grands
siècles plus tard. jeux de l’Asie furent célébrés dans son
Une violente tempête s’étant élevée, enceinte. Le titre de Néocore n’appa-
détruisit tous les apprêts de l’assaut, et ralt pas sur les monuments de Cyzique
notamment une tour de cent coudées avant le règne d'Hadrien : une inscrip-
de hauteur, qui était l’ouvrage d’un tion de 'I hyatire fait mention d’un Ari-
Thessalien nommé Niconides : néan- gnotus, néocore de la très-illustre
moins ces pertes ne décidèrent pas Mi- métropole de Cyzique. Le second néo-
thridate à lever le siège. On chercha à corat lui fut clécerné par l’empereur
pratiquer des mines , dans l’une des- Marc-Aurèle Autonin Caracalla ; elle
quelles Mithridate lui-même faillit pé- prit alors le titre de Philosébaste. La
rir. La prévoyance de Lucullus parait ville était dotée d’un prytanée, d'un
à toutes les éventualités son armée
: gymnase, d’un théâtre, de plusieurs
était bien approvisionnée , tandis que la temples, parmi lesquels s’élevait le
famine exerçait ses ravages dans celle temple bâti en l’honneur de l’empereur
de Mithridate. Plusieurs tentatives Hadrien et qui passait pour un des
,

malheureuses flnirent par épuiser sa plus vastes temples de l'Asie; les co-
iatience, et Lucullus le força de lever lonnes avaient quatre aunes de circuit
fe siège et de se retirer dans le royaume et cinquante de hauteur (2) ; il portait
de Pont. pour inscription Au dieu Hadrien ;et
:

La conséquence de ces événements est mentionné sur les marbres sous le


fut une alliance durable et sincère entre nom de Nab? ’AoIoî. Xiphiliu le dé-
les Romains et les habitants de Cy- crit comme le plus beau de tous les
z.ique. Tous les monuments qui sont temples ; ses colonnes étaient d’un seul
parvenus jusqu’à nous attestent que bloc de marbre. On ne sait pas précisé-
pas une ville de l’Asie ne reçut de la ment comment finit cet édifice : les
part des empereurs des marques plus uns prétendent qu’il fut renversé par un
constantes d’amitié et de protection. tremblement de terre sous le règne
Elle conserva sa liberté et son autono- d’Antonin Fie suivant Malala
;
le ,

mie , et reçut dans le continent une tremblement de terre arriva sous le


adjonction importante de territoire, règne d’Hadrien , avant la construction
non-seulement une partie de ce lac du temple. Le rhéteur Aristide en
Dascylitis dont il est si souvent fait parle comme d’un monument prodi-
mention dans l’histoire de cette ville gieux, qui, par sa hauteur, servait de
mais encore une portion considérable phare aux pilotes qui voulaient aborder
de la Troade et du pays mysieu , jus- a’ Cyzique. Ceci prouve que, l’an 167
qu'au lac de Milétopolis (Manyas)et de J.-C., le monument existait encore.
Apollooiatis (1). Dans ce passage de Il est probable que les colonnes men-
Strabon , le lac Dascylitis est nommé tionnées par les historiens ont été trans-
encore une fois avec les deux autres ortces à Constantinople pour servir à
lacs de la Bithynie. Ou il faut supposer P édification de la mosquée du sultan
que le premier a disparu, ou qiril y a .Soliman ,
en 1515.
quelque grave erreur chez les géogra- Parmi les monuments qui sontencore
phes anciens touchant ces lacs. Nous conservés, ou distingue un vaste am-
avons déjà traité cette question plus phithéâtre , monument très-rare en
haut.
(i) Tacil., //«ho/., liv. IV, cli. 36.
[
(i) SiraboD, \II, 576. (a' Dion Cassiiw, f'U d’ Hadrien.
ASIE MINEURE. 189

Asie, où ies peuples se piquaieut d'ai- ruines, il eut un songe à la suite du-
mer les jeux plus littéraires. Il n'existe quel il se décida à entreprendre une
que deux amphithéâtres en Asie, l’un campagne en Europe.
à Cyzique , et l’autre à Pergame. Marc-
Antoine faisait exercer dans la première CHAPITRE VIII.
de ces villes une troupe de gladiateurs
qu’il se flattait d’offrir en spectacle à ÉTAT ACTUEL DES BUINES.
Rome aux jeux de la victoire. Après la
victoire d’Oetave , ces gladiateurs res- La grande tour de Bal-Kiz paraît
tèrent attachés au parti d’Antoine ; ils avoir commandé la tête d'un des ponts
se retirèrent en Syrie, où iis périrent qui étaient jetés sur l'étroit canal de
tous (I). Diverses inscriptions men- Cyzique; ou remarque un grand mur
tionnent des troupes de gladiateurs qui qui se rattache à la tour, et qui se di-
combattaient dans les jeux de Cy- rige à angle droit vers l’est. Il ne paraît
zique (2). Nous savons que de sembla- ias que les murailles se soient étendues

bles fêtes furent célébrées à la dédicace Îe long de l’isthme; on n’en trouve du

du temple d’Auguste à Ancyre. moins aucune trace. La ville étant as-


Nous voyons bientôt ces usages dis- sise partie sur le penchant de la mon-
paraître par l'introduction du christia- tagne, qui forme trois mamelons, partie
nisme. Constantin, en arrivant à By- dans la plaine, c’est là nu’on retrouve
zance. fait enlever de Cyzique la statue le plus grand nombre dV.difices. Une
de la Mère des dieux, et la fait trans- rivière, qui prend sa source dans un
porter dans le Forum de Constantino- des acrotères du Dindymon , forme à
ple pour être livrée à la risée des l’ouest une vallée assez profonde, sur
,

nouveaux chrétiens. Des édits de Tliéo- laquelle est placé l’amphitliéâtre, qui
close et de Justinien ordonnaient la s’appuie sur les deux mamelons infé-
démolition des temples du paganisme. rieurs. Il n’est guère possible que dans
Sous le règne de Gallien, les Hérules l’antiquité ce ruisseau ait eu un autre
pillèrent Cyzique; plus tard, les Scy- cours ; par conséquent , il passait sous
thes et les Goths y exercèrent leurs l’arène de l’amphithéâtre , ce qui me
ravages. porte à penser qu'elle était construite
Après la division des grandes pro- en bois. Les découvertes nouvelles jus-
vinces, faite par Dioclétien , Cyzique tifient chaque jour cette opinion, et l’on

fut métropole de la province d’Helles- finira par reconnaître que les arènes
pont, qui comprenait trente-trois villes. ont toutes été construites de la sorte.
Des empereurs de Constantinople y Les vomitoires sont au nombre de
établirent un hôtel et une fabrique de trente-deux; la plupart de ceux du rez-
monnaies. Mais en 943 elle fut pres- de-chaussée sont encore conservés ; ils
que entièrement détruite par un trem- sont construits eu blocs de granit à
blement de terre. Cependant elle con- bossage ; mais cet ouvrage est très-peu
serva encore un certain nombre d’ha- soigné , et annoncerait plutôt l’époque
bitants. de Gallien que celle des Antoniiis. Tous
Le fils du sultan Orkhan, gouverneur les massifs aes voûtes sont faits en blo-
de la province de Karasi , l’ancienne cage; les impostes sont à peine indi-
Mysie, fut saisi d’admiration à l’aspect quées par des pierres en encorbelle-
des ruines de Cyzique. Les colonnes ment ; en un mot, cet édifice est indigne
brisées, les marbres épars sur le gazon de la renommée de Cyzique. Il n'y avait
lui rappelèrent les débris du palais de pas de portique extérieur; les vomi-
la reine de Saba, Bal-Kiz (3), élevé par toires conduisaient directement aux
Salomon, et les restes d’Istakar et de précinctions. S’il reste encore quelques
Tadmor. S’étant endormi dans ces vestiges de ce monument, comme des
murailles, 011 doit l’attribuer unique-
(il Dion Cassius, lib. U, p. 447 .
ment à la nature de.s matériaux, qui
(•i) Caylui, /éntiqiiilés, Ionie U, aiy. n’étaient pas propres à être utilisés , soit
(3) Hanuner, Histoire de t em/jire otlo- pour les constructions modernes, soit
num, loin, I. pour fabriquer des boulets.

I' .iii. ed by V.,OOglf


LITTSIVERS.

Kn descendant le vallon de l'amphi- galeries souterraines. Ce monument a


théâtre, on aperçoit bientôt, au milieu passé parmi les écrivains du temps
d’un massif inextricable de lauriers et de pour une des merveilles de l'architec-
térébinthes, remplacement du théâtre, ture romaine. Il est bien difficile déju-
ce monument paraît être de la même ger aujourd'hui de l’ensemble des cons-
époque que l'amphithéâtre; deux ou tructions; mais, d’après les débris épars
trois (iraains de marbre sont encore en de corniches et de chapiteaux, on peut
place , mais le proscenium a presque en- être assuré que la finesse de la sculp-
tièrement disparu ; il était bâti en blo- ture ne répondait pas à la majesté de
cage , avec des revêtements de marbre ; l’ensemble; ce temple était dédié à
l’empereur Hadrien, qui avait accordé
son diamètre était de cent mètres ; les
murs qui soutenaient la cavea étaient pa- aux habitants de Cyzique différentes
rallèlesau proscenium. Comme il était immunités, mais ce qui fut le plus
fatal aux ruines de Cyzique ce fut le
appuvé sur le penchant d'une colline,
il n’âvait pas été nécessaire de cons- voisinage de Constantinople, qui con-
truire des murs de soutènerneiil pour vertit l’ancienne colonie des Milé-
appuyer les gradins. siens en une carrière d’où l’on tirait
On ne peut juger de la richesse de tout faits les colonnes et les entable-
l’architecture de cet édifice par les ments ; cet enlèvement méthodique n’a
ruines toutes rustiques qui subsistent cessé que lorsqu’il n’est plus resté dans
encore, les colonnes et les moindres l’enceinte de la ville un seul débris de
débris de marbre ont été enlevés pour marbre. Les voyageurs du dernier
être employés dans des constructions siècle ont encore àécrit comme subsis-
modernes; mais d’après une inscription tant de leur temps plusieurs édifices
qui a écliappé à cette destruction mé- dont il ne reste plus de trace.
thodique, le théâtre de Cyzique ne le Au nombre des curiosités que ren-
cédait pas en magnificence à ceux des fermait fa ville de Cyzique. Pline cite
autres villes de l'Asie, et selon l’usage ï’échode la Porte Trachia, qu’il compare
presque général dans les villes grecques aux plus remarquables échos connus de
les sculptures décoratives étaient
dues son temps ; il cite aussi la pierre fuyante
à la munificence des magistrats ou de qui retournait d'elle-même à sa place
quelque citoyen opulent ; l’inscription toutes les fois qu’on la dérangeait; elle
suivante en est la preuve : avait été laissée par les Argonautes,
et pour la conserver les habitants
honore constructeur,
La ville Cyeicii», le de Cyzique avaient été obligés de la
nous archontes collègues de Julius Seleu-
lot sceller avec du plomb.
cus, fils du grand prêlre, qui ont présidé à Il est curieux de voir cette croyance
l'exécution et à rétahlisscnieut des .statues et fabuleuse, rapportée par Pline (1), se
des ornements du théâtre sous l’archontat de renouveler de nos jours au sujet d’une
Julius Scleucus et d’Aurelius Facidianus, fils
pierre antique conservée dans les bains
d’Agatlioinerus.
de Broussa (2) : on pourrait presque y
voir une continuation de la même lé-
D’après la disposition du théâtre, cet
édifice devait se rattacher à un grand
gende (3).
ensemble comprenant l’Agora, un por- Comme place de guerre et comme
ville de commerce Cyzique continua
tique et un temple avec son enceinte.
Le temple était bâti en blocage revêtu de jouir, sous les derniers empereurs,
de dalles de marbre, les colonnes étaient de tous les avantages de sa position.
Elle devint épiscopale et fut déclarée
de marbre blanc veiné de violet, les fûts
métropole de la province d'Hellespont
des colonnes de l’enceinte étaient en
(Hiéroclès, Syneedéme ) enfin une
marbre rouge. 11 est probable que nous -,

retrouvons dans ces tristes restes le dernière catastrophe dont elle ne s’est
forum et le temple mentionnés par l’o-
rateur Aristide, qui a laissé de ces mo- (i) Pline, üv. XXXVI, ch. i5.

numents une magnifique description. (t) Voy. pag. 24-


Le temple, dit-il, occupait un espace (3) Sur les manœuvres d’Aristée à Cyzique,
immense et s’élevait sur de vastes voy Hérodote, liv. IV, i4.
ASIE MINEÜRÏ. 171

pas relevée, un tremblement de terre Toutes les entraves mises à l’agricul-


plus terrible que les autres, qui eut lieu ture sont pour un État une mauvaise
un milieu du dixième siècle, la réduisit mesure; l’intérêt du gouvernement
en l’état où nous la voyons aujour- turc serait , au contraire , d’appeler du
d’hui. dehors des cultivateurs pour suppléer à
Au point de vue de l’histoire de l’art la population qui manque; mais, avant
etderarchiteclure,Cyzi(|ue ne remplit tout, il faudrait abolir cette loi qui in-
pas les espérances que faisait naître sa terdit à l’étranger le droit de posséder
renommée, il n’existedanssesriiines au- des biens fonds en Turquie.
cune trace de monuments antérieurs à
la conquête romaine, et les monuments CHAPITRE IX.
romains eux-mêmes attirent peu l'atten-
tion dans un pays si riche en ruines de E13INES DE CYZIQUE d’APBÈS d’AH-
tous les âges. CtENNES DESCBIPTIONS (I).

La population actuelle de la pres-


qu’île de Cyzi(|ue est composée de Turcs Aumilieu des ruines s’élève un ma-
et de Grecs. Les premiers habitent les gnifique platane qui ombrage une fon-
villages dissémines dans l’intérieur; taine vmpide qui est peut-être la fontaine
I

mais la population grecque, plus active de l’oubli fons Cupidinis , mentionnée


et plus commerçante, occupe exclusi- par Pline, qui avait pour vertu de
vement les villes et villages de la côte. guérir les tourments de l’amour (2).
Artaki, petite de dix-huit cents à
ville Cette fontaine est voisine de deux tours
deux mille âmes, peut être considérée massives entre les murailles et un ter-
comme la capitale de ce district. Le rain marécageux qui formait autrefois
mutzellim y réside ; il a pour toute garde le port occidental. A
deux cents mètres
quelques cawas. Les habitants sont vers le nord-ouest et dans un fourré
presque tous propriétaires de biens ru- d’arbustes se trouvent quelques passages
raux, et la culture de la vigne est souterrainsen partie obstrués; mais avec
y
poussée à une perfection rare. A la fin le secours d’un flambeau ils peuvent
de l’hiver, lorsque les sarments sont être parcourus dans une longueur d’une
coupés ,
on a soin d’entourer, avec un trentaine de mètres en ligne droite ; ils
pinceau, le pied de la vigne d’un cercle communiquent les uns avec les autres,
de bitume chaud pour empêcher les
,
et semblent être les substructions d’un
insectes d’y monter. Il paraît que jamais grand édifice, peut-être des greniers
les propriétaires n’ont eu à souffrir des publics ou des magasins pour lesquels
ravages de la pyrale et des autres en- Cyzique était célèbre avant comme
nemis de la vigne. Le vin d’Artaki est après la domination romaine. La cons-
blanc et léger. Pendant le séjour de la truction est presque toute hellénique;
flotte russe à Constantinople, un in- mais en certains endroits les murs sont
dustriel eut l’idée de fabriquer, avec en blocage de pierre. Au sommet d’une
les raisins d’Artaki , du vin de cham- des voûtes il y a une ouverture carrée
pagne, dont le débit eut assez de suc- fermée dans une seule pierre qui forme
cès pour enrichir l’inventeur. Cette in- une espèce de clef. Tout cela fait partie
dustrie , qui aurait pu devenir profitable de la construction primitive. D’un autre
à la population, a été abandonnée côté , on observe un passage étroit qui
quand l’auteur s’est retiré. Les Grecs monte dans l’intérieur de la muraille;
n’osent pas se livrer à des spéculations c’était sans doute l’entrée du souter-
qui pourraient les faire passer pour rain. Peut-être faut-il voir dans ces ruines
riches. les substructions du temple décrit par
La fabrication du vin n’est pas fa- Aristides (3), qui mentionne les souter-
cultative dans les États du sultan ; rains du temple comme aussi dignes
il préalablement obtenir de l’au-
faut d’admiration que le reste.
torité une permissionspéciale qu’on
appelle Bérat, et qui détermine la quan- (i) Sestini, Pococke, Hamilton, etc.
tité d’oques (1"'-, 250) qu’il est permis (a) Pline, I. 3o, ch. i6.
de fabriquer. (3) ArUtid., 4 oral. Cyr

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,

m LTJNIVERS.
Cet orateur vivait sous le règne d’Ha- de l’arène. D’après le caractère des
drien ;
il a laissé un discours composé constructions supérieures aussi bien
uniquement en l’honneur de la ville de que de la direction des eaux, on peut
Cyzique, et ses expressions peuvent naturellement conclure que cet édifice
donner la plus haute idée de la richesse a été dans certaines circonstances con-
et de la prospérité de cette ville. verti en naumachie. Les fondations de
« Son étendue, dit-il, pouvait suffire l’amphithéâtre sont faites avec des ma-
non seulement pour une ville mais en- tériaux presque bruts ; mais il reste suc
core pour une nation. —
Les rivières , les murailles plusieurs traces qui indi-
les lacs , les étangs qui couvrent son quent qu’elles étaient revêtues de pla-
territoire sont si nombreux que si l’on ques de marbre.
voulait s’établir sur leur rivage, on n’au- Le village de Hammamli (des bains]
rait pas moins de villes sur les bords est situé dans l’angle supérieur de l’an-
des lacs que sur le rivage de la mer et rientie ville; la plupart des maisons
dans l’intérieur des terres. » sont construites avec des blocs de marbre
Le forum était consacré à tous les et des fûts de colonnes arrachés aux édi-
dieux, et au milieu s’élevait uu temple fices antiques.
qui parait avoir été un des plus magni- En descendant du côté de l’est, on
liques édifices de fantiquite. L’orateur suit pendant quelque temps la ligne
continue ainsi « Ce temple s’élève au-
: des murailles; mais il est difficile d’eii
dessus des bâtiments d’alentour, et il reconnaître le pourtour exact. Enfin
n’est besoin ni de phares ni de signaux par une route tortueuse et difficile , on
pour guider les navires qui entrent dans arrive aux ruines du théâtre, presque
nos ports. Ce monument, qui absorbe entièrement couvertes par des arbustes
toute l’attention, montre en même temps et des broussailles qui forment des
la richesse de la ville et le noble esprit masses de verdure Cet édifice, selon
deses habitants. On peut direquechaque toute apparence de construction grec-
pierre dont il est iiâti est égale â uu que , est dans un tel état de destruction
temple et que le temple lui-même avec que remplacement du proscenium , la
son péribole est égal à une ville. forme de la cavea et quelques substruc-
« Les constructioiisqui sont au-dessous tions informes sont seuls visibles ; il
du sol sont aussi dignes d'être admirées ne reste pas un seul bloc de marbre en
que le reste; il y a des souterrains avec place. On reconnaît ça et là de longues
des galeries qui circulent tout autour murailles et des fondations diverses;
de féditice et qui font partie de ce bel mais tout cela est tellement caché par
ensemble. • les broussailles qu’il est impossible de
Pline (1) fait mention d’un temple déterminer leur forme primitive.
de Cyzique dont les Joints des pierres Le terrain, composé d’alluvions, qui
étaient tous ornés d’une couronne d’or, jointl’îleau continent est bas et maréca-
et un milice iilet d’or cachait la jonction geux ; la lagune couverte de roseaux
des blocs de marbre. Uu tremblement qui s’étend a l’est occupe probable-
de terre a renversé tous ces édilices dont ment remplacement du principal port
il reste à peine aujourd'hui quelques de Cyzique, séparé du bord de la mer
vestiges. par une ligne de collines de sable ac-
L’amphithéâtre est situé au nord de cumulées par les efforts combinés des
ces substructions, à cheval sur une vallée vents et des vagues. A son extrémité
boisée au nord de la plaine où sont les nord il y a uu long fossé dirigé de l’est
principales ruines de la ville. Un cer- à l’ouest et rempli d’eau, et un mur
tain nombre des piliers et des contre- de construction très-solide fortifié avec
forts a cédé sous l’action du temps; mais des tours sur sa face nord.
il
y en a encore sept ou huit debout à La communication avec la mer est
l’ouest de la vallée. La forme elliptique interceptée par des sables accumulés;
de l’édifice est encore bien dessinée. il est à croire que c’était là l'entrée des

Un petit cours d'eau coule dans l’axe galères qui devaient être conduites dans
le port intérieur. Immédiatement au
(i) l.lv. XXXVI, «11. ij. nord de ce port, il
y a une in^sse de.
,,

ÀSIË MINEURE. 173

ruines qui sont probablement les ves- dépouillées et si elles sont moins visitées
tiges d’ediflces publics. par les voyageurs archéologues que
On reconnait les traces d’un aqueduc celles du littoral est et sud de la pres-
entre les collines inférieures et rextré- qu’île.
inité sud de l’isthme et de la ville ; le
petit ruisseau qui coule dans la vallée CHAPITRE X.
de l’amphithéâtre était insufüsant pour
les besoins de la population. Les col- CÔTES DE l’bELLESPONT.
lines granitiques sont de nature à
fournir peu de sources., et les habitants Non loin de l’embouchure de l’Æsé-
ont été contraints d’aller chercher celles pus , il
y a une colline au sommet de la-
qui sortent des terrains calcaires , la quelle s’élevait le tombeau de Mem-
végétation ne pouvant être entretenue non, et dans le voisinage était le bourg
que par d’abondantes irrigations. de Memnon.Les faits relatifs à ce héros
Lorsque Pocoke visita les ruines de étaient déjà controversés par les écri-
Cyzique, il reconnut encore l’emplace- vains de l’époque romaine ; les uns le
ment de l’Agora ; c’était une place de font venir d’Egypte, les autres de Perse.
cent pas de large et de quatre cents pas Pausanias (1) semble vouloir accorder
de long. On y voyait les ruines d un les deux opinions en disant qu’en effet
grand édifice avec un portique d’ordre Memnon était de race étliiopienne, mais
corinthien et plusieurs galeries souter- qu’il vint au secours de Troie en par-
raines. Toutes ces constructions sont au- tant de Suse après avoir soumis toutes
jourd’hui dépouillées de leurs marbres. les nations qui étaient sur sa route.
Cette destruction méthodique qui a Hérodote fait évidemment allusion à
étonné presque tous ceux qui ont vi- ces événements lorsqu’il dit à 'propos
sité les ruines des villes de l’Hellespont du monument de Nymphi (2) : « 11 y en
est due à une ancienne habitude du a quiconsidèrent ces monuments
gouvernement turc, qui approvisionnait comme des portraits de Memnon
avec des boulets de marbre les châteaux mais ils se trompent étrangement. »
des Dardanelles. Les batteries des châ- Memnon, qualifié de fils de l’Aurore,
teaux d'Europeet d’Asie sont armées d’é- n’était autre qu’un prince assyrien qui
normes pièces de canon dans lesquelles vint au secours de Troie et ne put ar-
un homme peut entrer. On les appelle river que vers la fin du siège.
Bal-yeme^ (qui ne mange pas de miel); Les oiseaux de Memnon qui, selon
les bal-yemez étaient chargés avec des la fable, venaient tous les ans donner
boulets de marbre de plus de soixante- des soins au tombeau de Memnoti et
dix-centimètres de diamètre; les pièces l’arroser avec leurs ailes après les avoir
d'un moindre calibre étaient également trempées dans les eaux de l’jEsépus
approvisionnées de boulets de marbre. les oiseaux de Memnon continuent de
Pour suffire à une pareille consomma- voler le long des rivages de l’Helles-
tion, des ateliers étaient établis dans pont. A une certaine époque de l’an-
les ruines de presque toutes les villes née, des troupes d’une espece d’alcyon
anciennes de la côte ; on voit encore à parcourent avec la rapidité de la flèche
Alexandrin Troas des boulets qui ont l’Hellespont et le Bosphore. Jamais on
été abandonnés comme défectueux, au ne les a vus se poser ni sur terre, ni
milieu des masses de recoupes demarbre. sur les eaux ; les marins et les habitants
Peut-être s’étonnera-t-on que ces ate- du rivage appellent ces oiseaux les âmes
liers n’aient pas été établis dans l’ile de en peine. •
Marmara, qui aurait pu fournir du La ville de Priapus était située à
marbre à tous les canons du Bosphore; quinze milles environ de la presqu’île
mais les Turcs préféraient utiliser de de Cyzique et à l’ouest de l’embouchure
vieilles ruines inutiles et ménager leurs du fleuve Granique ; elle fut fondée par
carrières pour les constructions de la les Milésieus-ou selon d’autres témoi-
capitale.
Il ne faut pas s’étonner après cela si (() Liv. X, cil. 3i.
les villes de l’Hellespont sont tout à fait ta) Liv. II, io6.
.

174 L’UJSIVERS.

gnages par les habitants de Cyzique. dateur souvent décerné dans les ins-
Priapus était renommee comme sta- criptions à des proconsuls ou à d’autres
tion navale (I) ; elle se rendit a Alexan- magistrats. On admirait à Parium un
dre après la bataille du Granique (2). autel d’une forme siu^lière , dont cha-
Un village du nom de Karaboga occupe que côté était long d'aune stade ; il était
le site de l’ancienne ville ; mais on n’y du genre appelé Bomos, c’est a-dire
rencontre aucun vestige d’antiquité. Le en forme pyramidale. C’était l’ouvrage
cap Karaboga abrite le port contre les d’IIermocréon, qui avait décoré ce mo-
vents du nord, et la presqu’île le défend nument avec magnificence. Aujourd’hui
du côté de l’est. Le dieu des jardins, il n'en parait pas de vestiges ; mais
Priape, dont le culte fut transporté peut - être des recherches attentives
d’Ornéae, ville voisine de (’^rinlhe, mettraient-elles à même de reconnaître
donna son nom à la ville asiatique. remplacement de ce monument unique.
Si la ville de Priapus n’a pas subsisté Les ruines de Pariuin se reconnais-
Jusqu’à nos Jours, nous pouvons du sent encore au lieu nommé Kamarès (les
moins nous faire une idée de la fertilité Voûtes); les murs étaient construits
de son territoire et de la richesse de ses en blocs de marbre sans mortier. Un
campagnes ; car toute, la côte depuis Cy- grand nombre d’édifices enfouis, des
zique jusqu'à Lampsaque est cultivée restes d’aqueducs et de citernes témoi-
en vignobles qui pourraient donner un gnent qu’elle Jouit d'une certaine im-
vin excellent mais les Grecs et les
;
portance jusqu’à la chute de l’empire.
Israélites, qui ont conservé le privilège
de la)
fabrication , emploient des procé- CUAPlfRE XL
dés tellement imparfaits qu’il n’est pas
possible d'en obtenir de bons produits ; Lampsaque. abydos.
ce sont les vignes de Priapus qui avaient
été données en usufruit à Thémistocle Lampsaque commandait l’entrée de
pour l'usage de sa maison (3). La l’Hellespont; elle était pourvue d’un
premièrecause de la décadence de Pria- bon port et renommée par la fertilité
pus doit être attribuée à la prospérité de son territoire. La fondation de
deParium, qui fut colonisée par les habi- Lampsaque remonte aux temps fabu-
tants de Milet, d’ Kry thrae et de Paros (4) leux antérieurs aux premières migra-
Pline (5)pcnseque la ville de Parium tions curojiéennes ; son premier nom
même quecelle qu’Homère nomme
est la était Pityæssa. Les deux frères Pbo-
Adrastée. Strabon place cette ville sur bus et Blepsus, nés à Phocée et descen-
le promontoire qui sépare Priapus et dants de Coilrus, pendant leur séjour à
Parium. Lorsque les rois de Pergame Parium rendirent service au roi Man-
,

obtinrent du peuple romain cette partie dron, qui régnait à Pityæssa. Ce prince
de la Mysie , en dédommagement des engagea les deux frères à envoyer daus
conquêtes que les rois de Uithyuie ses Etats une colonie grecque, qui vint
avaient faites sur eux, ils prirent soin en elfet s'établir sous la conduite de
de fortifier le port, qui était plus vaste Phobus. Menacés d’une trahison de la
que celui de Priapus, et les habitants part des Bebryces, ils furent sauvés par
de cette dernière ville furent trans- Lampsucé, fille du roi, et en recon-
férés à Parium. Deux inscriptions re- naissance de cet événement, ils don-
cueillies par Spou donnent à cette ville nèrent à la ville de Pityæssa, dont ils
le titrede colonie romaine (6). L’em- s'étaient rendus maîtres , le nom de
perenr Marc-Aurèle y lit de grands Lampsaque (I). La population de cette
travaux ; ce qui lui valût le titre de fon- ville s’était augmentée des ruines de
Pœsus, située entre Lampsaque et Pa-
(i) Thucyd., VIII, 107 ;
Slrab.. XIII, 587 . rium. Le culte du dieu Priape y était
(
3 Arrien,£f^. Alex., I, i3. aussi répandu qu’à Priapus même et, ;

(3) Slrab., loc. cil. • en effet, toutes ces villes Jouissaient de


(4) Strabon, XIII, 588. l’abondance des fruits de la terre. Les
(5) Liv. V, ch. 3a.
(6) Spon, Fojagei, I, p. 173 . (1) Plutareb., de Firl. mul,, 18.
ASIE MINEURE. 17 à

coteaux étaient couverts de vignobles , velles et les navires des Vénitiens ou


et cette culture s’est perpétuée jusqu’à des Génois. Mais sous le règne d’Ach-
nos jours. Le soulèvement des Ioniens metll, en 165G, le détroit des Darda-
attira sur Lampsaque la vengeance nelles fut témoin de la plus grande
des Perses ; conquise par Crésus , elle défaite qu’ait soufferte la flotte otto-
parvint à conserver sous ses descen- mane depuis la bataille de Lépante.
dants une sorte d’autonomie. Après la Le grand amiral Kénaan-Pacha, à la
bataille de Mycale , elle devint tribu- tête d’une flotte de soixante-dix-neuf
taire d’Athènes , et malgré les tenta- voiles, voulut s’opposer à l’entrée de
tives de ses habitants pour recouvrer la flotte vénitienne ; le commencement
leur indépendance, elle resta en cet du combat fut en faveur des Turcs;
état jusqu’au moment où Alexandre les vaisseaux ottomans brûlèrent deux
vint attaquer l’empire des Perses. Son des plus fortes galères vénitiennes;
heureuse situation lui permit de con- l’amiral Moncénigo ne tarda pas à ré-
server un rang distingué parmi les villes tablir l’avantage du côté des chrétiens ;
d’Asie jusqu’au déclin de l’empire. toute la flotte turque fut détruite;
Le territoire situé entre Parium et lus de cinquante bâtiments furent
Lampsaque était possédé par plusieurs rûlés ou pris, et Moncénigo amena
petites villes dont le sort fut toujours triomphalement à Venise un nombre
soumis aux événements qui mar- considérable de prisonniers turcs. La
quèrent les dernières années de l’indé- flotte vénitienne, quittant les Darda-
pendance de la Grèce ancienne elles ;
nelles, s’empara des îles de Ténédos,
se gouvernaient par leurs propres lois ; de Lemnos et de Samothrace. La nou-
mais cet état prospère était souvent velle de cette défaite apportée à Cons-
troublé par les attaques du dehors ou tantinople par quelques navires qui
par des séditions intestines qui met- avaient échappé au désastre y répandit
taient le pouvoir entre les mains de la consternation.
quelque tyran improvisé. C’est l’his- Cependant le gouvernement turc ne
toire de toutes les villes de ces parages, songea pas à faire augmenter les for-
de Lampsaque comme d’Abydos ou tifleations des Dardanelles; ce grand
d’Assos. ouvrage ne fut entrepris qu’en 1659,
Presque toujours ces maîtres d’un sous le grand visir Kœupruli. Il est
jour finissaient par tomber dans quel- vrai que la sultane Validé, mère de
que piège tendu par les partis ennemis, Mahomet IV, avait déjà songé à ces nou-
et la ville retrouvait son indépendance. veaux moyens de défense mais elle
;

C’est ainsi qu’Herméias, tyran d’Assos, n’avait pu réussir à se procurer les


Ëvagon, tyran de Lampsaque, termi- fonds nécessaires. Les réclamations des
nèrent leur carrière, villages environnants, qui redoutaient
La mort d’Alexandre, protecteur de le voisinage des garnisons furent le
Lampsaque, livra cette ville aux atta- prétexte que l’on mit eu avant pour ne
ques d’Antiochus ; elle finit par ob- rien changer à l’ancien état de choses.
tenir l’alliance des Romains et suivit Mais les derniers événements avaient
le sort des villes de l’IIellespont quand tardivement ouvert les yeux du grand
elles furent réunies à l’empire ro- visir, qui donna l'ordre à la flotte
main. d’hiverner aux Dardanelles. Des ou-
Pendant toute la période du moyen vriers furent mis en réquisition et tra-
âge, cette contrée resta dans l’oubli ; les vaillèrent sous les ordres de l’architecte
événements militaires étaient concen- Mustafa-Aga et sous l'inspection de
trés autour de Constantinople. Mais à Frenk Ahmed Pacha commandant des
mesure que la mariue des États chré- Dardanelles. Les deux châteaux furent
tiens prenait de l’extension, les Turcs, élevés sur le plan d’un quadrila-
maîtres de l’Hellespont, comprirent la tère régulier de trois cents archines
nécessité de fortifier le détroit. ( 460 mètres ) carrés, et reçurent les
Les châteaux d’Europe et d’Asie noms de Kilidol Bahr (la clef de là mer)
furent armés d’une artillerie formi- et de Seddol Bahr (la digue de la mer).
dable qui arrêtait au passage les cara- Koum Kalé, le château du Sable , est
176 LTJNIVERS.
un ouvrage de Mahomet II. Presque Gergitho fut prise et détruite par At-
tous ces travaux furent exécutés par taie, roi de Pergame, qui construisit
des corvées imposées aux riverains ; les aux sources du Calque une autre ville
lus mauvais traitements forçaient les du même nom pour y établir les anciens
abitants à aller travailler aux tran> Gergithiens.
chées; le sultan vint souvent les visiter; L’ancienne ville des Teucriens était
enfin les redevances de plusieurs émirs située dans l’intérieur des terres et sur
qui tenaient leurs flefs ues anciens sul- les pentes du mont Ida (l);cela ré-
tans furent modifiées et ils se trou- sulte du récit d’Hérodote lorsque :

vèrent chargés de fournir les garnisons Xerxès marchait de Pergame sur Aby-
de ces nouveaux châteaux. dos, il avait à sa gauche les villes de
On a cherché en vain dans la mo- Rhœtée et de Dardania et à sa droite
derne Lampsaki quelque monument les Teucriens Gergithiens.
qui attestât son ancienne magnificence. Percote, mentionnée plusieurs fois
Dans le commencement du dernier siè- par Homère, était située sur le fleuve
cle, on y voyait cependant encore quel- Practius et à trois cents stades de Pa-
ques antiquités, et Wheler a observé rfum ; elle était voisine de la mer, et
des ruines qui n'existent plus de nos paraît avoir subsisté jusqu’aux der-
jours; il trouva plusieurs colonn&s nières années de l’empire romain. On
de marbre et des inscriptions qui identifie l’ancienne Pcrcote avec la pe-
dataient du temps des Antonins. L’u- tite ville turque de Bergan Kalé si.
sage de faire des boulets de marbre, La ville d’Arisbé était au sud de
qui s’est perpétué pendant trois siècles Percote ; elle appartenait aux Milylé-
chez les Turcs , a été plus pernicieux niens (2) ; mais il est à croire qu’elle
pour les villes de la Propontide que tous doit sa fondation aux anciens Darda-
les ravages qu’elles avaient subis anté- uiens ; car elle était déjà florissante au
rieurement. Aujourd’hui depuis Mou- ,
temps de la çuerre de Troie. Deux vers
dania, l’ancienne Apamée jusques y ,
de l’Iliade reunissent les noms de ces
compris Alcxandria Troas, il n’existe villes autrefois célèbres. « Les guer-
pas un bloc de marbre ancien. Cepen- riers qui cultivaient les champs de
dant les Turcs avaient sous la main Percote et du Practius, qui habitaient
l’île de .Marmara et ses inépuisables Sestos Abydos et la noble Arisbé sui-
carrières; on ne comprend pas qu’ils vent (3) Asiiis, le fils d’Hyrtacès. •
aient préféré établir avec beaucoup Celte ville, dont l’emplacement est au-
de peine des ateliers partiels dans vingt jourd’hui inconnu, subsista jusqu’à la
localités différentes. fin de l’empire romain elle est men-
;

En suivant sur la côte la nomencla- tionnée par Pline, qui la place sur la
ture des villes donnée par Strabon, côte (4). •< En dehors du golfe s'étend
nous devons rencontrer au nord de la côte de Rhœtée où sont les villes de
Lampsaque le port et la ville de Pœ- Rhœtée, Dardanie et d’Arisbé. »
sus, déjàcitéedans l’Iliade (I). Ces deux Abydos, la plus célèbre de toutes le.s
villes étant l’une et l’autre colonies villes de ces parages, ne subsiste plus;
de Milet finirent par réunir leurs po- mais on est autorisé, d’après les détails
pulations et Pœsus disparut. Colonæ, topographiques donnés par divers au-
petite ville située dans l’intérieur des teurs, à placer cette ville près de Bogliaz
terres, était aussi colonie ionienne. bissar sur le cap qui s’avance dans le
Le territoire situé au sud de Lamp- détroit.
saque appartenait à la ville de Ger- La position d’ Abydos relativement à
gitlia, fondation des anciens Teu- Sestos est bien déterminée par ce pas-
criens (2). Elle était bien fortifiée et sage de Str abon (5) « La distance qui
;

l’acropole construite sur une éminence


dominait la ville au milieu de laquelle (i) Hérodote, liv. VH, 43.
s’élevait le temple d’Apollon Gergithien. (a) Et. Byz. V. Arisbé.
(3) //., II. 835.
(i) //., V, 6tî. (4) l’line, liv. V, ch. 3a.
(a) Hérodote, liv. V, laa; (5) Strab., liv. 3UIX, Spi.
ASIE MINEURE. ITT

Sépare ces deux villes d’un port à l’au- certainement quelques-uns qui n’ont
tre est d’environ trente stades (.5,520 pas une destination funèbre.
mèt. }, le zeuçma ( passage) est du côté L’armée perse mit sept jours et sept
de la Propontide (au nord) par rapport nuits à franchir le détroit ; ce tableau ae
à Abydos et du côté opposé (au sud)
,
l’invasion des Perses en Europe, con-
par rapport à Sestos. Près de cette der- servé par Hérodote, fait passer sous nos
nière, il y a un lieu nommé Apobathra yeux toutes les populations de l’Asie oc-
où était attachée l’une des extrémités du cidentale avec leurs noms, leur costume
pont. et les détails les plus précis sur leur
Si l'on s’en rapporte à l’opinion de origine; c’est sans contredit un des
Strabou, Abydos aété fondée par les Mi- plus brillants passages et un des plus
lésiens, du consentement de Gygès, roi instructifs que nous ait transmis ce
de Lydie, qui était maître de tout le père de l’histoire (1).
pays ; mais on ne doit entendre par là Abydos eut grandement à souffrir
qu'une reconstruction de la ville, puis- de l'avantage de sa position dans le
qu’elle existait déjà du temps de la voisinage de l'Europe; Darius, de
guerre de Troie. Abydos était à égale retour de son expéuition contre les
distance entre Ilion etLampsaque,é^oi- .Scythes, fit brûler cette ville en même
Rlléede cent soixante-dix stades, environ temps que quelques autres villes de
31 kilom., de l’une ou de l’autre de ces rUellespont, de crainte que ces peuples
deux villes. ne fissent à leur tour une expédition en
Lorsque Xcrxès passa d’Asie en Asie et ne proGtassent des avantages
Europe, il choisit Abydos comme le que ces villes auraient pu leur offrir
lieu le plus rapproché du continent comme base d’opérations (2).
européen. Cette distance n’étant que Peut-être faut-il accueillir avec ré-
de sept stades, le point de jonction fut serve ce fait mentionné par Strabon
désigné dans la suite sous le nom de et qu’Hérodote passe sous silence.
Heptastadium et le passage sous celui L’incendie d’Abydos aurait dû avoir
de Zeugma. lieu au retour de Darius dans la Cher-
Xerxès, voulant contempler l’en- sonnèse d’Asie ; or, au moment de la
semble de son armée, fit élever par révolte des Ioniens, Dercylildas de
les habitants d’Abydos un tertre sur Sparte, avec un faible contingent d’in-
lequel on plaça un trône de marbre. fanterie, fut envoyé dans la province
Du haut de cette éminence, le roi de d’Hellespont pour engager les Abydé-
Perse assista à un combat naval dans niens à Ibire défection (3) ; mais il fut
lequel les Phéniciens de Sidon rem- devancé par Daurisès, lieutenant de
portèrent la victoire (1). Darius, qui, avec une promptitude peu
Nous devons faire remarquer ici l’u- habituelle aux Perses, se rendit maître
sage répandu chez les princes et les rois des villes de Dardanie, Abydos, Per-
de l’Orientde faire élever des tertres pour cote , Lampsaque et de Pœsus ; cha-
indiquer le centre de leurs camps,faire cune de ces villes fut prise en un
danter leurs étendards et comme dans jour (4).
fa circonstance présente, pour passer la La possession d’Abydos , constam-
revue de leurs troupes. Ces éminences, ment disputée pendant les guerres entre
qui sont assez communes en Assyrie et les Perses et les Grecs, échut tantôt aux
en Perse, sont connues des habitants Athéniens tantôt aux Lacédémoniens ;
sous le nom de trône (Tact ) ; les Turcs mais cette ville résista avec énergie aux
les nomment tépé. Nous les appelons forces de Philippe, fils de Démétrius,qui
tumulus d’après la dénomination ro- ravagea les côtes de la Propontide et in-
maine. Le fait que nous signalons ici cendia la plupartdes villesqui refusèrent
prouve que tous les tumulus que l’on de se soumettre. Les plus terribles me-
observe en Asie n’ont pas été des tom-
beaux et parmi ceux qui sont répandus (t) Hérod., 1. VII, 60.
dans la plaine de Troie, il s’en trouve (3) Strabon, XIII, Sgt.'
(3) Thucidide, liv. VIII.
(i) Hérodote, I. VII, 44. (4) Hérodote, 1. V, 117 .
12° Livraison, (Asib Minsdbe.)
, ,

178 L’tlNlVERS.

naces ne purent décider les habitants distinguer des peuplades voisines par
d’Abydos à ouvrir leurs portes à rcn- quelque caractère spécial, mais nul ne
nemi déclaré des colonies grecques, et peut compter combien de périodes de
ils préférèrent périr jusqu’au dernier
siècles se .sont écoulées avant que ce

plutôt que de se rendre. moment soit arrivé. De tous les signes


Les femmes et les enfants furent propres à faire reconnaître la parenté
massacrés chacun dans un genre de des diverses familles humaines, l'étuda
mort différent, « vario mortis genere des langues est celui qui offre les
occiderunt », dit Tite-Live (1). Cette moyens de contrôle le plus rationnel, et
conduite ne prouverait pas, comme le celui qui dans ces derniers temps paraît
(lit Étienne (le Byzance, que les habi-
avoir acquis chez les hommes d’obser-
tants d’Abydos étaient des gens effé- vation le plus grand degré de probabi-
minés et de mœurs dissolues ( 2 ). lité pour reconstituer les rapports de

Tant de catastrophes n’empêchèrent iarenté entre les peuples qui ne sont


jusqu’au riés par aucune tradition historique.
pas Abydos de subsister
temps (les empereurs byzantins ; elle .Ainsi la langue grecque étant recon-

élaitépiscopale dès le cinquième siècle. nue comme appartenant à la famille


Hermeias, son évêque, souscrivit au con- des langues indo germaniques ou arien-
cile de Chalcédoine et à la lettre sy- nes, on s’est cru autorisé à regarder les
nodale de la province de Cyzique à euples qui en font usage comme une
l’empereur Léon. Depuis’ ce moment E ranclie de cette grande nation qui, à
les destinées de cette ville restent à peu une époque inconnue, habitait les pla-
près ignorées ; elle ne participa eu rien teaux de la haute Asie, et d’où sortirent
aux grands événements qui signalèrent les Indiens, les Perses , les Grecs, les

le commencement du douzième siècle ; peuples italiques, les Allemands , et les

il est probable qu’elle s’éteignit obs- Celtes.


curément sous gouvernements des
les Cette souche arienne ne s’est pas tout
émirs, qui ravagèrent les côtes de la à, coup séparée en différentes tribus;
Propontide et formèrent des princi- mais, prenant, comme les branches d’un
autés éphémères qui se fondirent dans même tronc, un développement idio-
P empire des sultans (3). syncrasique, chaque peuplade en se déta-
chant du centre prit son courant vers les
CHAPITRE XIL contrées les plus propres à favoriser son
développement et son établissemeut en
rUOADE. — ÉLÉMENTS DES POPULA- corps de nation.
Ce n’est pas sans raison qu’on a
TIONS PRIMITIVES.
pensé que les Celtes, qui se sont le plus
avancés vers l’ouest, sont les premiers
Pour ceux qui cherchent à porter
qui ont quitté les hauts plateaux asiati-
quelque, lumière dans la confusion des
ques pour se diriger vers l’Europe. Les
origines des nations , l’histoire n’offre
Celtes, les Germains et les Slaves for-
que des éléments qu’il s’agit de mettre
ment en effet le fond de la population
ensuite en œuvre par la comparaison
du nord de l’Europe et parlent une
raisonnée des différentes populations
qui ont contribué à faire entrer une
langue de même souche (I).

contrée dans le cycle historique. Cela


Il
y eut un second courant de popu-
lation qui dans des temps moins anciens
ne peut avoir lieu que lorsque ces fa-
prit sa direction vers les côtes de la
milles humaines ont pris une physio-
Méditerranée, tandis (lae les Médo-
nomie particulière, qu’elles ont su se
perses et la famille indienne, restant

(i) Tite-Live ,
liv. XXX , eh. 17 . yoyez .m
aussi Polylip, H'ialor.^ tiv. X'V. (i) Voy. Curtius Griesische Gesiehte,
(a) Siep. Byz., V. Abydi. tome I*’. Les Gaulois en Asie, par Texier,

(3) yoy. aussi sur Aky Jos Tourneforl, Revue des Deux Mondes, août 1841. Cari.
Letl. XI; Lucas, Trtfiaiime Voyage, lomel*'', RitleTf Brdkunde, tome IX, 1 8* partie ( Die
|i. lâtCharlos de.Sl'nt-1'Wil, dragy, ^Sacrée Gatîicr in Kleinasien, dans lequel cet article
est traduit et développé.)
P-

n I
ASIE MINEURE. 179

étrangers aux influences de l’Occident, héros grecs, et' le'centre pélasgique de


s’enfoncaient dans les régions de l’Asie Dodone peut être considéré comme le
centrale". berceau de la Uetlade (I).
Les deux principales branches de cette Les Pélasges ne sont pas on peuple
race, qui sont venues s’établir sur les nomade et chasseur; c'est une nation
côtes de la Méditerranée et qui, en égardà qui se livre à l’agriculture et construit
la proximité de leurs établissements, se les premières demeures fixes pour les
sent de nouveau confondues à l’origine hommes et des lieux de refuge pour la
des temps historiques, les Hellènes et communauté. I.es sommets des mon-
les Italiques, si l’on en juge par la con- tagnes sont les lieux sacrés réservés
formité de leurs langues et par l’intime our le séjour de la divinité que les
rapport qu’elles ont entre elles, se sont si ommes n’abordent qu’avec une reli-
bien mêlés que nous pouvons les con- gieuse terreur. Cette tradition se per-
sidérer comme formant une même race >étue chez les Grecs ; les sommets de
qui a toujours conservé le sentiment f’lda, l’Olympe, et les nombreuses mon-

instinctif de son origine asiatique et par tagnes qui portent le nom de Dyndimène
conséquent son droit naturel à l'oc- sont consacrés aux divinités que les
cupation totale ou partielle des terres Grecs aussi bien que les Pélasges ont ho-
de l’Asie. norées comme dieux nationaux. l,es fils
Si les Grecs n’avaient conservé au- des Pélasges se sont établis en Attique
cune tradition au sujet de leur pre- en méme’temps qu’ils occupaient les
mier établissement dans la contrée à la- côtes de la Chersonnèse d’Asie ; rien ne
quelle ils ont donné leur nom, il ne leur s’oppose donc à ce que l’on considère
restait non plus aucune notion de leur les Pélasges et les Grecs commeun seul
séjour dans un autre pays; bien plus, et unique peuple, comme une même
ils se regardaient comme autochtones, famille sous deux noms différents;
tout en admettant que leurs prédéces- mais le côté saillant du caractère des
seurs avaient commencé par défricher Pélasges, cette activité qui les pousse à
les forêts,
détruit les bêtes féroces et former des établissements dans tous
desséché leurs marais. Ces prédécesseurs les lieux où leur race peut se développer,
ils les appelaient Pélasges ; c’étaient les finit par s’effacer sous l’influence pure-
premiers habitants de la Grèce ; il n’y ment hellénique, et lorsque l’histoire
avait aucun lieu du continent ou des commence à recueillir quelque tradition,
îlesoù le nom des Pélasges ne fût pro- les écrivains grecsne trouvent qu’un jeu
noncé comme celui du premier peuple de mots pour nous peindre cette race
venu dans ces parages ; or les Hellènes puissante, ils ne nous laissent pour tout
se trouvaient lies à leurs prédécesseurs renseignement que ce mot :« Nous les
autant parleurs croyances que par leurs appelons Pélasges parce qu’ils sont er-
mœurs. S’il n'est pas possible de démon- rants comme les Pél argues (2) ».
trer cette parenté à l’aide de documents C’est cependant cette race d’origine
historiques, toutes les traditions con- arienne qu’il faut regarder comme
duisent cependant à regarder les Grecs les ancêtres des Grecs. Partout où
comme uue branche de cette race qui les Pélasges se sont établis en Asie
s'étendit à l’occident dans l’Italie et la comme en Europe nous voyons la race
Sicile et à l’orient sur toutes les côtes et grecque s’asseoir et prospérer; leurs
dans les lies de la Chersonnèse d’Asie. Ce migrations commencent pour ainsi dire
que les Grecs disaient des Pélasges se lie avant l’origine des sociétés et avant que
tellement aux origines de leur propre les peuples se soient formés en nations
race qu’on peut considérer l’une et l’autre distinctes. Les terres d’Asie étaient
nation comme une seule famille et non livrées au premier occupant ; aussi dès les
pas comme deux races distinctes. En premiers temps les Pélasges vont-ils oc-
effet il n’y a aucune tradition pélasgique, cuper la Thrace , les rivages de la Pro-
aucune divinité pélasgique que l’on
puisse mettre en opposition avec les (i) Strabon, liv. V, a»i.
traditions helléniques. Le Jupiter, le (2) Cigognes. Strabon, I. V, p. •»< et

Zeus pélasgique est invoqué par les liv. IX, 337.


IS.
180 LUNIVERS.
pontide et les côtes de l’Asie Mineure. sous la protection du Zeus pélasgique,

Ils s’attachent à la terre par le labou- elle avait fondé la ville de Dardanie.
rage et l’élève des troupeaux, cons- L’époque de l’arrivée de Dardanus
truisent des villes et deviennent les sur les côtes d’Asie est trop reculée
ancêtres de cette race d’où sortirent les pour qu’il soit possible de la déterminer
trois branches de la famille hellénique. d'une manière tant soit peu probable,
Les Pélasges , comme leurs ancêtres llomèrc (I) estime qu’il s’était écoulé
ariens, rendaient un culte à une divinité cinq générations entre Dardanus et
incorporelle sans templeet sans statues ; Priam, et Platon marquait l’arrivée des
ils l’appelaient et la regardaient
Zeus Dardaniens dans la seconde période
comme les sommets des mon-
habitant après le déluge (2), lorsque la race hu-
tagnes. Quand voulaient la représenter
ils maine commençait à peupler les som-
en rapport avec les hommes, elle recevait mets élevés des montagnes, faisant
le nom de Dypatros ou Jupiter, et le Ju- ses demeures dans les cavernes des ro-
piter pélasgique inspirant une sainte ter- chers et dans les antres creusés par les
Cyclopes. Dardanie fut bütie « lors-
reur était honoré dans les forêts et fai-
sait sa demeure dans un chêne sacré. Ce qü’llion avec son peuple immense n’était
premier vestijje du culte des nations pas encore, et qu’on habitait au pied
ariennes se répand aussi bien dans les de rida arrosé de sources (3) ».

forêts de la Germanie que dans celles


de Grèce ; le chêne des druides est
la CHAPITRE XIII.
de mêmesouche que celui de Dodone.
Le mont Ida et les hauts sommets des PHÉNICIENS.
montagnes de la Crête deviennent des
centres religieux autour desquels se Une partie de ces Dardaniens s’était
réunissent les peuplades disséminées; établie dans le haut pays, l’autre habi-
mais leurs relationsavee les autres races tait la côte, qui, bien que privée de ports,
qui apparaissaient sur ces rivages leur offrait encore des retraites suflisantes
apprirent à rendre sensible l’image de aux faibles barques qui venaient aborder
leur divinité, et ils ne tardèrent pas à dans ces parages. Elles appartenaient à
adopter celles des peuples sémitiques un peuple navigateur et commerçant
établis sur les côtes méridionales de qui de temps à autre venait apporter
l’Asie et dans l’île de Crête. Là il y avait sur ces côtes les produits de son indus-
une population kenanite ou syrienne trie; ce peuple innommé était connu
qui aaorait la reine du ciel sous le nom des autres nations sous une désignation
d’Astarté et le Jupiter Pélasgique sous vague et arbitraire.
le nom de Baal; cette race syrienne Les Assyriens les connaissaient sous le
n’était jamais parvenue à chasser ni à nom de Aharri, c’est-à-dire « gens du
(3)
s’incorporer complètement la popula- pays de derrière (4), eu égard à leurposi'

tion non sémitique de la Crête; ce tion à l’occident de l’Assyrie et compre-


mélange forma la souche des popu- nant les pays de Tyr et de Sidon .Les Ahar-
lations non helléniques qui s’établirent rites étaient partis de l’Asie trans-Eu-
dans les régions sud-ouest de l’Asie, phratienneet s’étaient avancés par l’Ara-
et dont les Carieus forment le type le nie J usqu’à la mer Rouge où ils résidèrent
plus saillant. pendant plusieurs générations (5). Les
Avec la famille pélasgique on remar- Phéniciens,dit Hérodote,sont ceux q ui au-
trefois habitaient vers la mer Rouge ;
ils
quait sur ces côtes les tribus actives
qui, sous le nom de Gergéihiens et de sont venus de là s’établir sur les rivages
»
Cébreuniens , exploitaient les mines et maritimes de la Syrie jusqu’à l’Égy^pte.
les forêts de l’Ida, et vénéraient la grande C’est-à-dire qu’ils occupaient la région ap-
mère Idéenne. Les Dactyles étaient leurs
maîtres dans cet art qui passait pour (t) II., V, î3o.
surhumain; entre ces populations, on (a) Ap Strab., liv. Xtll, 5 ga.
distinguait la belle race des Dardaniens, //io</., XX, ai5.
qui racontait avec orgueil comment, sous (4) J. Menant elOpperl, tnsc. ciincif.

la conduite de son chef Dardanus, et (


5 ) Hérodote, VII, 89.

Dw:'r,o; V
,

ASIE MINEURE. 181

pelée lepays des dattes. Chez les peuples ils s’établirent dans la Cilicie, et, tan-
de l’ouest, ces marchands navigateurs, tôt comme pirates, tantôt comme tra-
qui apportaient sur les marchés les fruits fiquants, ils s’emparèrent de plusieurs
du dattier et surtout le vin de palme ports de la Lycie. Il en résulta dans
récoltés dans leur pays , étaient gé- cette contrée une population mélangée
néralement appelés < les hommes du de deux races qui , sous le nom de .So-
pays des dattes ». —
Les Pélasges et les lymes, apparaît aux premiers âges de
Hellènes, qui connaissaient lo palmier la poésie épique.
sous le nom
de Phœnix , ont donné le Sans s’étonner de voir les Iles et les
nom de Phéniciens à ce peuple, qui ven- côtes occupées par une race blanche,
dait des dattes, et qui venait du pays des les Phéniciens lièrent avec ces incon-
dattiers. Cettedénomination estdevenue nus des relations commerciales , et en
générale et est restée en usage chez les étrange de cette amitié, ils obtenaient
Romains et chez les modernes, elle est la faculté d’établir sur les côtes des pê-
purement grecque, et n’a rien de sémiti- cheries du coquillage qui fournit la
que. Quelques historiens modernes assi- pourpre. On peut faire remonter l’ori-
milent le nom des Phéniciens à celui de gine de ce commerce aux temps les plus
Philistins, et vont Jusqu’à les confondre reculés.
avec les Pélasges, en faisant dériver l’un Hérodote commence son histoire
nom du sanscrit yalakska
et l’autre par un vivant tableau des origines
(hommes) blancs (i). Le langage d’Argos (1), où les navires étrangers
comme les mœurs des Phéniciens prou- apportaient les produits des manufac-
vent d’une manière évidente qu’ils tures phéniciennes, assyriennes, et de la
étaient de race sémitique; ils avaient basse Égypte; les marchandises étaient
puisé éléments de leur civilisation
les exposées sur la place pendant cinq ou
dans pays de Babel et d’Assur et lors-
le six jours ; c’était la semaine du marché,
qu’ils atteignireotles rivages de laMédi- qui était clos le septième jour selon
terranée, ils étaient déjà initiés aux pre- les habitudes des peuples sémitiques.
miers éléments de la navigation, connais- Mais aux relations pacifiques se mêlaient
sant, d’après les Cbaldéens, la position de souvent des faits de piraterie qui exci-
l’étoile polaire, ils avaient parcouru en taient des troubles passagers. Les
tous sens cette mer sur laquelle ils ne Phéniciens n’avaient pas tardé à com-
recotitraient pas de rivaux; mais en prendre que le bénéfice le plus clair
abordant dans les îles et sur les côtes, u’ils pouvaient rapporter des marchés,
ils trouvaient là une population agglo- e l’Orient, les marchandises de re-
mérée avec laquelle ils établissaient des tour, comme on dit aujourd’hui , con-
relations commerciales. sistait dans le trafic des esclaves , des
Resserrés dans leur pays entre la mer jeunes gens et des jeunes filles amenées
et la côte, les Phéniciens n’avaient du pays des races blanches. Aussi, au
trouvé d’autre développement de ter- commerce licite de cette nature ils
ritoire que dans les contrées d’outre ajoutaient quelquefois la ruse et la vio-
mer; ils avaient bâti Byblos, Sidon et lence. Les marchandises exposées sur
'fyr; c’étaient leurs dépôts de marchan- le tillac des barques attiraient à bord les
dises et le siège de leurs fabriques; mais curieuses filles des îles, et le bateau fai-
des rivages de la Phénicie on apercevait sant force de rames s’éloignait de la côte.
les sommets des montagnes de Chypre, Cependant l’arrivée des marchands de
et dans la belle saison le trajet était fa- dattes était pour les peuples de la Cher-
cile avec leurs barques légères qu’ils sonnèse le signal d’un grand mouve-
appelaient leurs chevaux (3). Chypre, ment commercial; ils livraient le pro-
où ils avaient porté leurs dieux et leur duit de leur sol ,
les métaux exploités
commerce, devint comme le centre de dans mines de l’Ida par les mysté-
les
leurs expéditions vers les pays de l’ouest ; rieux Dactyles , les fers du Gargare
l’airain deTautalis, les noix de teinture,
(i) Cf. Schœinaun, Griechiscke Àlttrlltu- la valonuée dont abondent les forêts de
mer, lome l*', p. 4.
(a) Hippi, StraboQ. (i)Hérod.,liv, I,cb. t,
L’UNIVERK
' I

l'ida, le rhamnUs dont la graine donne première invasion est antérieure a celle
la teinture jaune. Kn compensation, des Dardanieiis, puisque ces derniers
les marchands phéniciens échangeaient n’arrivèrent dans la Chersonnèse que
les produits manufacturés de l'Egy'pte deux cents ans environ avant la fonda-
et Je la Phénicie les vêtements de tion de Troie. I>es Teucriens sont les an-
pourpre qui ont conservé le nom de cêtres des Pœoniens, tribu nombreuse ré-
couleur phénicienne », les casques à pandue sur une grande partie des deux
aigrettes q^ui plaisaient tant aux Darda- continents; ils ont occupé les bords du
nieus, les ooucliers et les cnémides ou- Pont-Kuxiuet les côtes de la Cberson-
vrages des Cariens et des Cabalès on ; nèse d’Asie, l’illyrie, la Macédoine, où on
leur concédait en outre le droit de pêche les désignait sous le nom de Macédo-
sur la côte, et par suite le droit de foudçr niens Pœoniens ; ils furent au nombre
des factoreries, qui devinrent des villes des alliés de Priam, mais ne furent pas
phéniciennes. C’est ainsi qu’ils fondèrent soumis à son empire; ils appartenaient
Proneelus dans le golfe Astacène, con- à cette grande nation tbrace ou pelasge
voitant déjà les heureuses situations de qui fournit à l’Asie mineure toute sa po-
Proconnèse et de Cyzique , qu’ils rava- pulation non-sémitique. Aussi peut-on
gèrent plus tard quand la guerre fut dé- regarder les Teucriens et les Dardanieiis
clarée entre les Perses et les Grecs. comme appartenant à ces tribus des bords
Avec le goût du luxe et des vêtements du Danube qui, venues séparément s’éta-
de pourpre, lès Phéniciens transpor- blir en Asie, se sont retrouvées et réu-
taient sur ces rivages le culte de leurs nies plus tard . Les Teucriens ont précédé
dieux. L’Hercule phénicien est parent les Dardaniens en Asie, et lorsque ces
de l'Hercule grec, et le culte d’Apollon derniers arrivèrent, il se forma une al-
Lycien, institué d’abord à Patare, est liance intime des deux races qui retour-
pratiqué sur les côtes de la Propontide nèrent en Europe pour y faire les ex-
dvec le concours des populations des péditions dont Hérodote nous a con-
deux races. servé le souvenir.
L’exploitation des forêts de l’Ida et
de l’Olympe attirait toujours un con- , CHAPITRE XIV.
cours nouveau de navigateurs; ils trou-
vaient dans les forêts de la Chersonnèse CAKIENS. — LÉLEGES — EYCIENS.
des éléments qui leur manquaient dans
toutes les autres colonies pour l’entre- Les Cariens, peuple mélangé , étaient
tien de leur marine. Tout en traQquant navigateurs et pirates comme les Phéni-
avec les peuples non-sémitiques, non- ciens ; ils se rattachaient par eux aux fa-
seulement il ne s’opérait aucune fu- milles sémitiques de la Crète et par leur
sion entre les deux races, mais des ini- parenté avec les Pélasges et les Léléges ;
mitiés s’accumulaient qui devaient dans ils tenaient aux races établies dans
les âges suivants se manifester par des l’ouest, les Mysiens et les Lydiens. De
hostilités ouvertes. Partout, pendant la ce mélange était résulté une langue bar-
guerre des Perses , on voit les Phéni- bare, qui n’était pas comprise des Grecs,
ciens les plus actifs auxiliaires des en- répandue dans la presqu'île
et qui s'était
nemis des races grecques, et leur marine de Lycie. Chez les Grecs des âges sui-
innombrable est mise au service de Da- vants, les Cariens passaient pour au-
rius pour ravager les villes des côtes (1), pratiquaient le culte de

E
tochtones. Ils
’a ce qu’enün les victoires d’A- J upiter, qui était celui des Pélasges, et le
dre délivrent les colonies grecques culte d'Apollon, auquel ils se disaient

de tyrannie des villes phéniciennes.


la redevables de leur existence en cor|is
La race des Teucriens, établie en Asie de peuple et même de leur langue. Les
par leur chef éponyme Teucer, estcon- Grecs de l’occident confondaient les
Ibndue par Virgile avec celle desTroyens, Cariens avec une race qui se montre
mais n’est pas mentionnée par Homère. dans le monde hellénique contempo-
Ils étaient originaires de ïbrace, et leur raine des Pélasges ; ce sont les Léléges,
qui comme ces derniers colonisent les
(i) Hérod'ile, liv. V!, 33. vallées de l’Ida et les pentes du Gar-

ü h
ASIK MINKURK. 18i

gare el se retrouveut sur les rivages lie conditions de colons temporaires, et ce


la Carie et de la Doride, où les restes de formé un noyau de
n’est qu’après avoir
leurs constructions colossales fout l’é- population qu’un chef se présentait pour
tonuement des écrivains de l’âge ro- les réunir en société politique.
main. Les Léiéges jouent un rôle im- Quand les écrivains grecs nous di-
portant dans le inonde héroïque; ils ap- sent que telle ville fut fondée, ils ex-
paraissent à Troie comme en Lycie ils priment seulement que la communauté
occupent le pays où devait se construire qui existait déjà s’est trouvée assez
Milet et Éphèse et sont unis de parenté nombreuse et assez forte pour se don-
avec les monarques troyens. Priam ner un chef et des lois. La métropole
prend pour épouse une femme lélége, participait à ces créationsd’outre-mer
et sur le continent de la Grèce ce nom en créant avec la nouvelle colonie dea
n’est pas moins répandu ; mais à l’en- relations commerciales qui faisaient
contre des Pélasges, qui ont marché de pour ses marchands un comptoir de
l’ouest à l’est, les Leléges sont censés plus. La plupart de ces établissements
partir de la tarie et de la Crète, et se ré- se formaient sur les côtes ou à peu de
pandirent dans le nord et dans l’ouest. distance de la mer; l’intérieur du pays,
Les Grecs, qui rapportent toute origine placé sous le pouvoir plutôt nominal
à leur propre nation, les personiflent que réel des rois d’Assyrie et parcouru
dans le héros Lele.\, premier roi de La- par des tribus de race sémitique, n’of-
cédémone, qui régna dans le dix-hui- frait aux colons isolés qu’un séjour plein
tième siècle avant notre ère. Ces peuples de dangers; mais l’établissement de la
finirent par se fondre dans la colonisa- monarchie phrygienne, qui précède de
tion ionienne qui vers le même temps plusieurs siècles les temps historiques,
commence à se répandre sur les côtes créa une barrière entre les sémites el
de la Chersonnèse d’Asie. les races occidentales; les premiers ac-
De cette puissante race pélasgique ceptèrent le fleuve Ualys comme limites
qui couvrit toutes les côtes de l’Asie de leur territoire. Dès ce jour l’inimitié
Mineure de la Thrace et de la presqu’île entre les deux races fut jurée de part
hellénique sortirent presque tous les et d’autre, et trente siècles ne l’ont pas
peuples non-sémitiques de la Cherson- vue s’affaiblir.
ilèse d’Asie. C’est de cette période qui Les Phrygiens appartenaient à la race
précède encore de plusieurs siècles les thracique et avaient apporté en Asie
temps historiques que date l’introduction les éléments de civilisation des Pélasges.
dans la famille grecque des dieux de Le peu de mots que l’on connaît de
l’Orient sémite mêlés aux traditions lé- leur langue suffit pour faire reconnaître
gendaires qu’ils allaient recueillir sur qu’elle appartient à la souche arienne;
toutes les cotes où les Phéniciens étaient leurs caractères sont les mêmes que les
établis. De la période carienne et lé- caractères Grecs les plus anciens, et ils
lége date l’introduction du culte de avaient l’habiludo d’écrire successive-
Poséidon et du grand centre religieux ment de gauche à droite et de droite à
des Branchydes. C’est de cette époque gauche. , méthode appelée Boustrophé-
de transition entre la civilisation don, que les plus anciens Grecs prati-
pélasgique ou lélége et l’état helléni- quaient à l’origine de l’écriture et qui
que que datent les premières no- a toujours été ignorée des peuples sé-
tions de géographie, presque toutes ba- mitiques ; cela suffirait pour faire éta-
sées sur des traditions légendaires. La blir la parenté entre les deux races. La
plupart des fleuves et des montagnes monarchie phrygienne devint avant la
leçoivcnt leurs noms de quelque divi- fondation de Troie une des plus puis-
nité typique ou d’un caractère saillant santes de l’Asie occidentale, et déjà à
reconnu de tous. Les premières mi- l’origine de l’histoire grecque la Phry-
grations des peuples hellènes sur les gie avait des traditions qui attestaient
côtes d’Asie n'ont pas eu pour résultat une grande individualité passée. Elle
immédiat la fondation de villes et de avait eu ses rois indigènes; son culte,
centres de population. Pendant bien qui était conforme h celui des autres
longtenqis ils se sont établis dans les nations pélasgiques, était organisé d’une
184 L’UNIVERS.
manière puissan le ; c’était de cette souche Les I.yciens Crétois s’étaient étendus
ue devait sortir la nation Iroyeiine des bouches du Xanthus jusque dans
cstinée à subir le premier choc armé l’intérieur du pays, et le culte d’A-
de l’Occident. I.esTroyens, en effet, se pollon, qu’ils avaient établi, se répand
regardaient comme Phrygiens. Lorsque rapidement sur la côte d’Asie, est trans-
dans VHécube d’Euripide Agamemnon porté eu Grèce, et la légende du jeune
parle de ses ennemis vaincus et de leur Ion, fils d’Apollon, auquel la pithye
ville détruite, il les désigne sous le nom présage une race illustre sur les terres
de Phrygiens. • Si nous savions que les d’Asie , cette tradition montre l’intime
tours des Phrygiens sont tombées sous parenté qu’il y avait entre les primi-
nos coups, ce bruit étrange nous edt tifs Ilcllenes et ces races envahissantes
remplis de frayeur. Misérables Phry- des Lyciens et des Crétois « au temps
giennes! ô monstres! quelle retraite les marqué par la destinée, leurs enfants
dérobe à ma fureur ? s’écrie Polymes- peupleront les îles des Cyclades et les
tor aveuglé par les Troycnnes. » Il y a côtes voisines, de villes 'riches et flo-
pour le peuple troyen une double pa- rissantes qui feront la puissance de
renté avec les Phrygiens et les Uarda- mon peuple. Ils s’étendront au loin sur
niens. La famille de Tros forme une les deux continents opposés de l’Eu-
nouvelle branche par les frères llus et rope et de l’Asie et celui-ci prendra le
Assaracus. Capys, le fils d’Assaracus, nom lie l’Ionie en mémoire du fils d’A-
porte un nom phrygien ainsi que Dymas, pollon ». C’est ainsi que Minerve ré-
un des gendres de Priam. C’est par cette vèle au jeune Ion les destinées futures
alliance des peuples déjà établis dans de sa race; Ion lui-méme est le fils du
la Chersonnèse d’Asie que la puissance dieu de la Lycie (I). Dans la ville de
des Dardaniens se développe, et le l’atare s’élevait lepremier grand tem-
royaume de Troie s’étend sur les con- ple et l’oracle d’Apollon Lycien qui
trées où les Phrygiens, les Pélasges, reçut dans la ville même d'Athènes le
les Assyriens, les Phéniciens et les Hel- culte le plus suivi.
lènes s’étaient tour à tour établis. Si l’on Ainsi se formait en I.vcie comme en
compte les peuples alliés ou tributaires Troade une puissante alliance de peu-
de Troie, on voit que le pouvoir d’ilion ples de races diverses, qui, excitées les
s’étend sur toute la côte occidentale. unes par les autres, voyaient s’éveiller
Le peuple lycien , dont l’origine re- en elles le génie de la civilisation et de
monte aux temps priiidtifs de la Grèce, la religion^ mais l’esprit historique
était aussi uni aux Troyens par une n’était pas encore né ; les oracles des
étroite parenté. Aussi les noms de dieux et les mythes religieux absor-
villes et les dieux de la Lycie se re- baient toute autre tradition.
trouvent en Troade comme si ces deux Le culte rendu au fils de Latone
Etats n’en eussent formé qu’un seul. avait naître chez le peuple ly-
fait
Les Phéniciens, maîtres du Taurus cien un
respect de la femme iiui n’exis-
comme de la Cilicie et les peuples sé- tait pas chez les autres races pélas-
mitiques venus de Syrie', s^étaient ré- giques. De jeunes prétresses attachées
pandus dans la presqu’île de Lycie, et aux autels d’Apollon paraissaient
avaient formé la population des So- comme les organes de la volonté du
lymes. dieu, et la race des matrones était si
D’un autre côté, les tribus crétoises honorée que c’est à leur nom que s’at-
appelées Termiles ou Tramiles ho- tach.aient les titres de famille. Après
noraient Sarpédon comme leur héros, l’art de la guerre, le génie des Lyciens
s’avançaient de la mer jusque dans le s’est surtout développé dans la science
iiaut pays, fondaient leurs places fortes, des constructions, et la Grèce elle-
et. retranchées derrière leurs solides même demande aux enfants de Ly-
murailles, donnaient un puissant essor
à l’esprit guerrier qu’elles avaient puisé origiiiairr.v de Crète appelés jadis Termiles,
chez les Crétois (I). irireiit ensuite leur nom de Lycus, fds de
’Atliénien Paiidiuii.
(i) Ilérudote, Ijv. Vit, 9a. Lei Lyciens, (i) Euripide, Ion à la fin.
,

ASIE MINEURE. ISS

caon des artistes pour élever les monu- l’Asie un empire florissant qui se con-
ments les plus sacrés. Les villes de Lycie fondit avec le royaume de Priam.
formaient autant d’Etats confédérés, et Cet empire c’est la Phrygie, dont les
c’est dans le développement de cette traditions religieuses et historiques se
science politique que se manifeste le perdaient dans les obscurités du passé;
mieux l’esprit du peuple lycien. aussi les historiens grecs regardaient-
La conformité des noms lyciens ils les Phrygiens comme la plus an-

que l’on rencontre à chaque pas dans cienne nation de l’Asie. V


Iliade, le pre-
le territoire de la Troade et dans les mier livre qui réunisse les traditions
récits de la grande épopée troyenne recueillies dans l’esprit etau point de vue
vient encore fournir la dernière preuve hellénique , nous montre Dardanus
de la parenté intime qui exi.ste entre le chef des Dardaniens, comme un fils
les Troyens et les Lyciens. Les deux de Jupiter, c’est-à-dire de la famille
pays sont liés par une commune ori- des Pélasges; d’autres traditions my-
gine ; ils honorent les mêmes dieux thiques le faisaient passer pour origi-
comme Zeus Triopas et Apollon, les naire de .Samothrace fl). La tradition
mêmes héros comme Pandarus et Bel- troyenne le représentait comme fonda-
lérophon ; ont les mêmes fleuves, les
ils teur de Dardanie, dans les hautes ré-
mêmes noms de montagnes ; une partie gions de l’Ida ; cette contrée devient le
de la Troade portait le nom de Lycie, berceau de la race troyenne. Tros donne
>ris du nom de ses habitants; de même son nom aux Troyens. Il est père d'I-
fes Lyciens dans leur propre pays por- lus qui fonda Ilion aux rives du Sca-
taient le nom de Troyens. Cela ne peut inandre.
dater de la dispersion de la nation Laomédon , Gis d’ilus, bâtit la cita-
trovenne, mais avait déjà lieu du temps delle du Pergama avec le secours d’A-
de la splendeur du royaume de Priam. pollon et de Neptune, dieux lyciens,
Cette parenté date des temps anté- qui fut détruite une première fois par
historiques; elle s’unit avec celle des Hercule, dieu phénicien.
Cretois par la famille de Sarpédon, ce Priam, fils de Laomédon, réunit dans
frère de Minos qui le premier alla son alliance tous les peuples de l’occi-
coloniser la Lycie avec les Crétois et dent de l’Asie jusqu’à la Lycie. les
marcha au secours de Troie. Vaincu Phrygiens et les Mysiens, Leshos et
et tué par Patrocle, son corps est en- l’Hellespont. Il est également l’allié des
levé du champ de bataille par les soins monarques d’Assyrie puisque l’Assyrien
d’Apollon lui-méme, qui le fait re- Mamnon vient au secours d’Ilion et
porter en Lycie, où il reçoit sa sépul- meurt avant d’avoir pu effectuer son
ture. retour.
Il résulte donc de cette coucordance Il ressort de ces traditions quel-
des faits qu’à l’époque primitive de ques faits très-intelligibles lorsqu’on
l’établissement des Européens sur cette les compare aux récits qui avaient
terre d’Asie, lesPélasges d’abord, puis cours dans la haute antiquité asia-
les Phéniciens formèrent un noyau tique. Le nom d’Ilion parait n’avoir
de population qui s’augmenta des Dar- u’une signification toute locale, tan-
daniens venus de Mysie et des Crétois is que le nom de Troie représente la
venus des lies, et forma avec le con- capitale ou plutôt le berceau de la race
cours de la Plirygie ce peuple troyen des Troyens, des Dardaniens et des
qui le premier ouvre le cycle des faits autres branches, comme celles des Teu-
historiques. criens et des Lyciens, qui n’ont formé
La création du royaume de Priam qu’un même peuple. Les Lyciens de
réunit en une seule nation les tribus Pandarus ne font qu’un corps de nation
déjà puissantes qui s’étaient établies avec les Troyens d’Ilion.
sur les côtes ; mais il ressort du récit Assaracus, pèrede Capys (2) et grand-
même d’Homère et de toutes les tra- père d’Anchyse, porte un nom assy-
ditions qui avaient cours dans la haute
antiquité, qu’avant la formation de ce (i) Pau.sanias, VII, ch. 8.
royaume il avait existé au centre de (a) IL, XX, aSg.
186 L’UNIVERS.
rien et le uom de Capys a un caractère qu’on voit se dessiner dans l’histoire
phrygien; Hécube, la’ ülle de Dynias, les noms nouveaux des Achéens, des
est née en Phrygie aux rives du San- Æoliens, des Ioniens et des Doriens,
garius, et le nom même d’Hector parmi lesquels les Achéens, au temps
parait n’être qu’une traduction du nom d’Homère, étaient les dominateurs et
phrygien de Darius. C’est du moins les chefs aussi bien dans la Hellade
l’opinion d’Hesychius « Darius, chez
; que dans le Péloponnèse. Tant qu’ils
lesPerses, signifie homme prudent, chez peuvent se développer sur leur terri-
les Phrygiens il signifie Hector. » toire européen, ils restent en relations
Toute la Phrygie, le pays des I,é- pacifiques avec les Asiatiques; mais
léges, la Teuthranie, r.Eolide et la Ly- l’heure de l’expansion étant venue. Père
cie ne formaient qu’une seule con- des colonies asiatiques commence. Les
fédération dans laquelle les Cariens Æoliens sont les premiers qui aient
étaient enclavés. On conçoit que les imprimé ce mouvement; ils sont les
premiers colons grecs n’avaient d’ar.tre plus anciens entre ceux qui ont occupé
choix que de se soumettre aux lois des les côtes d’Asie; ils' se sont établis
Troyens ou de combattre cette puis- dans les contrées memes où florissait le
sance, qui devenait formidable. Aux royaume de Priam et sont partis sous
alliés asiatiques de Triam il faut en- laconduite de chefs qui se regardaient
core joindre ses alliés d’Europe et sur- comme les descendants de Ménélas et
tout la Tlirace, qui h cette époque re- d’Agamemnon.
gorgeait de population. Déjà les pre- On a déjà remarqué que cette grande
miers Brygès, sous la conduite de Mi- épopée troyeune résumait l’histoire de
das, avaient franchi le détroit, et d’au- ces établissements des Grecs sur les
tres tribus étaient toujours prêtes à en- ruines de l’empire de Priam, et que la
treprendre des expéditions à la solde de chute d’ilion doit être considérée bien
ceux qui pourraient les nourrir ; les moins comme un fait local que comme
Teucriens étaient de ce nombre. Il le résumé d’une grande tradition his-
faut aussi compter les anciennes al- torique. . .

liances des Minyens avec Lemnos, ceux La ruine de Troie arriva avant l’é-
des Thébains Cadmiens avec la Sa- tablissement des colonies ioniennes ;
mothrace, et par-dessus tout l’alliance cependant il y avait bien longtemps
dePersée, fils de Danaë, prince d’Argos que les Ioniens étaient en relation de
et de Corinthe, avec la Lycie, pour commerce et de politiqueavec les Phé-
comprendre les intérêts variés et con- niciens et les Egyptiens; mais ils n’a-
traires gui agitaient ces populations. vaient sur les côtes d’Asie que des éta-
Aussi proioadément qu’on peut pé- blissements précaires. Le développement
nétrer dans les origines de l’histoire que prit la race grecque donna nais-
du peuple grec, on acquiert la convic- sance aux profondes inimitiés qui exis-
tion que la différence entre les temps tèrent de tout temps entre les Grecs et
pélasgiques et helléniques résulte de les Asiatiques; les premiers de pacifi-
ce fait les premiers sont dominés
: ques Péla^es sont devenus les belli-
par les infiuences extérieures et ne sa- gueux Hellènes et les envahisseurs de
vent pas résister à l’absorption lors- ; I Asie Mineure. Le souvenir de la guerre
que la nation grecque commence à de Troie entretient chez eux cet esprit
se constituer, l’esprit d’individualité de conquête, et le récit des hauts faits
et d’autonomie devient tellement do- de leurs ancêtres ravive d’âge eu âge
minant que les Grecs se plaisent à le sentiment de leur valeur personnelle
croire que le monde entier sort de et de leur autonomie.
leur race et n’existe, pour ainsi dire, Quoi de plus grandiose que ce ta-
que par leur bon plaisir; c’est alors bleau de la chute de Troie qui aux
,

u’ils cherchent à secouer toute in- traditions les plus vivaces réunit les
uence étrangère et tout pouvoir qui beautés tragiques les plus émouvantes.
n’émane pas d’eux-mémes; ce qui ne Puissance, gloire et richesse se réunis-
peut se faire sans des luttes incessantes saient dans cette race dardaniennedout
et de sanglants combats. C’est alors l’origine remontait à Jupiter. Quel spec-
ASIK MINEURE. 187

d'une royauté patriarcale que ce


L'emplacement de la citadelletroyenne
taele
étant une fois bien déterminé, le cours
Priam, avec ses nombreux enfants, ses
trésors remplis et ses mines inépuisables
des fleuves, les collines célèbres, et
enfin le camp des Grecs se sont joints
qui faisaient l’envie de tous les peuples,
et près de lui la féconde mère Hécube,
comme un corollaire à cette première
découverte, dont la gloire revient au
l’enfant béni des plaines de la Plirygie,
dont l’époux dans sa jeunesse avait savant Lechevalier ; et ses travaux ont
parmi ses fait ressortir ce fait bien curieux et
combattu les Amazones, et
enfants le noble et valeureux Hector, aujourd’hui généralement admis que ,

les écrivains grecs et romains ont com-


chéri d’Apollon entre tous les héros.
Tout s’est évanoui et changé en désert mis de graves erreurs sur la topogra-
quand les dieux ont détourné leurs re- phie homérique. On doit en conclure
gards de cet empire florissant; lorsque que, lorsque la ville fut ruinée, les
les Achéens, conduits par les Atrides
peuplades æoliennes perdirent complè-
et les Ürecs par Achille, ont posé leurs tement la tradition de ces événements.
pieds sur la terre d’ilion, Les noms des fleuves furent con-
fondus, et la place même d’ilion resu
ignorée.
CHAPITRE XV.
Lorsque les vaisseaux des Grecs ar-
TROAJJE — TOPOGRAPHIE ANCIENNE rivèrent sur les côtes de Troie, ils
vinrent mouiller dans un golfe de
ET MODERNE.
l’Hellespont situé entre deux caps.

Lorsqu’à la renaissance des lettres


Les eaux réunies du Simoïs et du Sca-
mandre venaient se jeter à la mer en
les savants de l’Europe voulurent re-
cet efidroit, et fournissaient aux Grecs
trouver sur les rivages de l’Asie le
l’eau douce qui leur était nécessaire.
théâtre des hauts faits de Yllia'de, il
Les vaisseaux furent tirés à terre, ran-
leur restait un jalon pour les guider
gés sur une double ligne; Achille
dans ces recherches. L'île de ïenédos
commandait une des extrémités, et
avait conservé son nom, et la plaine de
Ajax avait le commandement de l’autre.
Troie se développait sur le continent
Aujourd'hui le golfe n’existe plus;
voisin aux regards du voyageur ar-
mais le travail des atterrissements,
chéologue. Les ruines imposantes d’A-
que nous avons démontré être plus
lexandria Troas, qui, au seizième siècle,
actif sur les côtes d’Asie que sur au-
étaient encore mieux conservées qu’au-
cune partie du continent européen, a
jourd’hui, attirèrent d’abord l’attention
suffi pour combler ce golfe, et la petite
des navigateurs ; les capitaines génois
ville turque qui s’est élevée sur ces
et vénitiens avaient donné le nom de Koum-
terrains récents a été appelée
palais de Priam à l’édifice qui domi-
Kalé (le Château du .Sable), comme
nait la vaste étendue des ruines. L’in-
pour perpétuer lesouvenir de ce fait
certitude sur la position réelle de la
géologique. Aucun des voyageurs qui
de Troie subsista Jusqu’à ce qu'un
ville
ont examiné la côte n’en a contesté la
voyageur fran^is eût déterminé d’une
possibilité, et le colonel Leake, dans
manière positive l’emplacement de
Pergama et des autres monumenU son Assai sur la plaine de Troie, a éta-
bli, par une esquisse topographique,
dont le souvenir se rattache à l’épopée
la surface des atterrissements qui ont
homérique. Les sources du Scamandre
furent egalement reconnues et les dé- pu se former depuis trente siècles.
couvertes de Lechevalier formeHt la Les deux caps qui formaient les
extrémités du golfe ont été appelés par
base du travail le plus complet qui ait
les Grecs cap Sigée et cap Rhœtée
été fait sur les ruines de Troie. On peut
'PoIteiov ), des deux villes qui furent
être assuré aujourd’hui que tout coin- (

fondées plus tard dans leur voisinage.


ineulaire des textes anciens, toute re-
cherche géographique ne. pourront
Ce lieu est désigné par les auteurs
grecs sous le nom de Naustathmus (1).
apporter aucune modification notable
aux conclusions des travaux an-
térieurs. (i) Strabon, X.I1I, SgS.
,

188 L’UPIVERS.
Lechevalier a reconnu que la distance pour un des plus anciens monuments
entre ces deux caps était de six mille èpigl'aphiques de la langue grecque. Au-
mètres ou trente-deux stades, mesure jourd’hui tous ces débris sont dispersés,
conforme au texte de Pline, mais qui et il est difficile de reconnaître même
est double dans Strabon. C’est une remplacement du temple.
erreur du géographe. Déjà les atter- La ville d’Achilleum était située dans
rissements étaient sensibles du temps le voisinage de Sigée, et non loin sans
d’Uérodote, car il les compare à ceux doute du lieu où fut enterré le héros
du Delta d’Pgypte. La majeure partie qui lui donna son nom.
du Delta est une conquête que les Le tombeau d’Achille, ou plutôt le
Égyptiens ont faite sur les eaux. L’es- tertre que d’un commun accord les an-
pace entre les montagnes qui domi- ciens ont regardé comme tel, s’élève
nent Memphis parait avoir été un sur le cap Sigée, à l’endroit indiqué
golfe de la mer, à peu près comme a par Homère, et le tombeau d’Ajax est
pu l’être le pays qui existe entre Ilium, placé à la pointe opposée sur le cap
Teuthrania, Éphèseetles campagnes du Rhœtée. Si l’opinion de quelques anti-
Méandre (1). » quaires tend à ranger ces deux monu-
A la pointe sud de l’embouchure de ments dans la classe des constructions
l'Hellespont, dans la mer Égée, s’élève æoliennes, il n’en est pas moins vrai
un cap qui fut dans l’antiquité occupé qu’ils occupent la place des tombeaux
par la ville de Sigée , cité æolienne et que daus les anciennes traditions ils
fondée après la ruine de Troie par Ar- sont toujours considérés comme cou-
chæanax de Mitylène. Les nouveaux vrant les cendres des héros de V Iliade [i).
colons prirent les pierres de l'ancienne L’embouchure du Simoïs, qui forme
Troie pour construire leur ville, et aujourd’hui une lagune marécageuse,
allèrent chercher leur marbre dans l’ile séparait autrefois le golfe en deux par-
de Proconnèse, qui était déjà peuplée ties. Dix stades environ avant d’ar-
et puissante. Peu de temps après leur river à la mer, ce petit fleuve recevait
établissement, les Mytiléniens furent les eaux du Scamandre, dont les sour-
chassés par les Athéniens conduits par ces étaient voisines des portes de ia
Phrynon. Les Sigéens étaient com- ville.

mandés par Pittacus, l'un des sept Les bien accentués de cette
traits
sages de la Grèce. Les deux peuples topographie n’ont pas suffi pour con-
terminèrent la guerre en prenant pour server intacts les souvenirs des lieux.
arbitre Périandre de Corinthe (2); Les Le cours du Scamandre a été détourné,
Athéniens s’étant de nouveau emparés et ses eaux vont aujourd’hui, par un
de Sigée, Pisistrate en donna le gou- canal creusé de main d’homme, se
vernement à son fils Hégésistrate. Cette jeter dans la mer Égée. Son nom fut
ville était célèbre par un temple de Mi- transporté au Simoïs. Il en résulta une
nerve qui subsista longtemps, quoi- confusion inextricable dans les tradi-
qu’elle eût été abandonnée de ses ha- tions et dans 1a topographie de cette
bitants :In promontorio quondam Si- contrée.
geum oppidum (3). Il est à croire que Cependant, en remontant le cours do
cette destruction doit se rapporter au plus grand de ces fleuves, on reconnaît
temps de Lysimaque, qui voulut donner l’exactitudede la peinture du poète et
à la nouvelle Ilium une population nom- l’erreur des écrivains romains qui ont
breuse. copié Déinétrius de Scepsis. Les marais
Les voyageurs Chandler et Revett qui existent encore dans la plaine, et qui
trouvèrent encore à Sigée de nombreux sonrformés par les eaux du Mendéré
débris du temple, et copièrent l’ins- les hauts rochers de trachyte dont il
cription du pilastre (4), qui passe baigne la base, les vallées profondes et
ascendantes qui conduisent jusqu'à ses
Hérodote, liv. Il, chap. lo. sources, tout révéla à la sagacité des
f i)
(a) Strabon, liv. \II, 599.
(3) Pline, liv. V, chap. 3o. (i) yoyet Lechevalier, tome II; Choi-

( 4 ) Chishull,
Inscriptiones anlÎQUai, seul Gouffier, Voyage de ta Grèce, tome II.
ASIE MINEURE. 1S9

voyageurs Chaudler et Lechevalier que courent à prouver que ce sont bien les
ce' petit fleuve ne pouvait pas être ie sources du Scamandre décrites par
Scainaudre, maigre la conformité de Homère , et près desquelles se réunis-
son nom moderne Mendéré avec le saient les dames troyenues.
célèbre fleuve troyen. Le Scamandre se jetait dans leSimoïs
à peu de distance de la ville d’Ilium
CHAPITRE XVI. Recens , et dans l’antiquité cette place
n’était éloignée de la mer que de douze
PLAIRE DE TBOIE. ILIUH BECENS. stades ; on reconnaît encore aujourd'hui
le point de jonction des deux fleuves à
Avant d’entrer dans la plaine de Troie, un affaissement de terrain assez sen-
où son cours forme de nombreuses sible ; bien plus, des voyageurs attestent
sinuosités, leSimoïs se trouve resserré que dans la saison pluvieuse le nouveau
entre deux collines escarpées. Sur le canal déverse une partie de ses eaux
versant ouest de l’une d’elles est bâti dans l’ancien lit du Scamandre. Quel-
le village de Bounar-Bachi. Ce déOlé ques auteurs se sont appuyés sur un
communique à une autre plaine dans passage de Pline, qui cite le vieux Sca-
laquelle sont de nombreux villages, qui, mandre (Palæ-Scamander), pour sup-
selon les géographes de la Troade, oc- ioser que ce canal était antérieur à
cupent presque tous des positions an- f'époque romaine et font remonter à là
,

tiques. Au delà de cette plaine sont les séparation des deux affluents la trans-
contre-forts inférieurs de l’Ida et ie position de noms oui a trompé les écri-
mont Cotylus, dont les noires forêts de vains de l’antiquité. Hérodote lui-même
pins ombragent les sources du Simoïs. semble avoir confondu les deux fleuves
En remoutaut le cours du véritable en parlant du passage de Xerxès et de
Scamandre, on ne tarde pas à arriver son armée dans la plaine de Troie. I.a
aux sources du fleuve, situées au pied plupart des critiques conviennent que
de la colline de Bounar-Bachi, dans un tout ce qui est relatif à ce passage se
bouquet de bois de tamaris, de Oguiers et rapporte à la ville d’ilium Recens, et
de saules. Les eaux sortent d'une masse non pas à l’ancienne Troie , qui était
de poudingue calcaire, et forment un ruinée et déserte (1).
bassin dont les bords sont entourés de A partir des sources du Scamandre,
fragments de granit et de marbre. Ces la colline sur laquelle est bâti ie village
eaux sont chaudes en hiver, et exhalent de Bounar-Bachi s’élève par une pente
une épaisse fumée. Il ne peut exister rapide jusqu’à une hauteur de plus de
aucune incertitude sur l'identité de ces cent mètres au-dessus du cours du Si-
sources avec celles décrites par Homère ; mols. Les rochers sont à pic du côté
elles déterminent parfaitement l'empla- de la vallée, et forment une défense na-
cement d'Ilion, et les observations faites turelle. Voilà l’emplacement d’Ilion,
sur la colline de Bounar-Bachi n'ont reconnu d’un commun accord par tous
faitque conflrmer l’exactitude du poète. les critiques. Il n'est aucune partie de

Les eaux, sortant du rocher par une ce terrainaccidenté qui ne réponde


multitude de filets, ont été retenues parfaitement à toutes les descriptions
dans leur parcours parun mur' élevé de d’Homère. Cette découverte de Le-
trois pieds. Il est revêtu d’un enduit chevalier, la plus importante sans con-
très-dur, mais qui n’a pas le caractère tredit de toutes celles que les voya-
d’une haute antiquité (il a toute l’ap- geurs européens aient pu flaire sur le
parence du mortier deKoraçan, employé continent de l’Asie Mineure, a été com-
par les fonteniers turcs). En longeant ce plétée quelques années plus tard ; on a
canal, les eaux se réunissent en un bas- retrouvé sur le Pergama des vestiges
sin. La position de ces sources, leur importants de murailles et d’escaliers.
température au-dessus de 16 degrés, le Plusieurs assises de murailles subsistent
ruisseau quelles forment et qui allait se encore, et sont appareillées dans le style
joindre au grand cours d’eau de la que les Grecs appelaientpseuefisoefomo»,
plaine, avant qu’il eût été détourné dans
un canal, toutes ces circonstances con- (i) Hérodote, liv. TII, 43.
100 [/UIWVERS.
c’est-à-dire dont les lits étaient horizon- Throsmos, colline célèbre dans l’Iliade.
taux et les joints obliques. Le même ap- Lechevalier opine pour transporter plus
areil a été employé dans les ruines de au nord la co.line et le tombeau ; mais
ipylus, qui appartiennent à la même puisqu’on est obligé d’admettre, à
période archaïque l’époque troyenne, un golfe près du cap
La connaissance du bassin des sour- Sigée, en suivant son hypothèse, le
ces permet de déterminer la situation tombeau et la colline auraient été tout
de la colline ^rinéos et des parties basses à fait sur le rivage de la mer.
de la ville , qui se trouvait assise sur La ville d’Ilium Recens, qui a hérité
une déclivité r^rdant le nord-ouest. de la gloire et des privilèges de l’ancienne
En suivant le contour du rocher du Troie fut bâtie a trente stades de cette
,

côté de l'est St du sud-est, il existe en- dernière, et un peu au-dessus du con-


core environ cent mètres de fondations fluent des deux fleuves, par les Astypa-
de murs ayant trois ou quatre assises læens, qui s'étalent d’abord retirés près
de hauteur, et quelques-unes de trente du cap Rhœtée, et avaient bâti un bourg
ou quarante centimètres. Plus loin, sur qu’ils nommèrent Polium. Cependant
une sorte d’éperon formé par le rocher, la nouvelle llion n’acquit pasune grande
une rampe pratiquée dans la roche des- importance. Les habitants avaient soin
cend en serpentant jusqu’au bord du de propager la croyance qu’elle occupait
fleuve. Cette partie du système de dé- l’emplacement de l’ancienne Troie. Ces
fense, qui n'a point encore disparu, prétentions s’affermirent avec le temps,
est tout à fait conforme à ce qu’on et dans la suite nul ne songea à Tes
observe dans les fortifications des plus leur eontester; bien plus, les rois de
anciennes villes. Indépendamment des Lydie les couvraient de leur protection,-
portes principales, on retrouve les traces et lorsque Alexandrearrivaen Asie, il se
des poternes, qui permettaient d’intro- rendit dans le bourg d'Ilium, qui n’était
duire dans la ville ou d’en faire sortir alors composé que de quelques maisons
des denrées ou des émissaires. entourant un temple de Minerve. Il offrit
I,a première découverte de cès ves- un sacrifice à la déesse, et voulut élever
tiges du Pergama est due à M. Amb. cette petite place au rang d’une ville (1).
Firmin-Didot, qui visitait les ruines de Il institua des fêtes en l’honneur de
Troie en 1817 (i). 11 remarqua deux as- Minerve ; mais la mort le surprit avant
sises de grosses pierres posées les unes que ses autres projets fussent mis à
sur les autres à la manière des cons- exécution. Cependant Lysimaque vou-
tructions appelées cyclopéennes ou pe- lut accomplir les volontés d’Alexandre :

lasgiques; en creusant le sol il aperçut il entoura la ville d'un mur de quarante

une troisième assise. Ces vestiges se stades , et augmenta la population en


trouvent à l’extrémité du Pergama vers appelant dans son enceinte les habitants
la partie qui fait face à l’ouest. Un peu des bourgs voisins. Tous les princes
plus bas il rencontra une muraille à ras grecs et les généraux romains qui met-
de terre au sud-ouest de la citadelle, ;et tent le pied dans la Troadeveulentsigna-
non loin de là se voient plusieurs pierres 1er leur arrivée par un pèlerinage a ce
taillées qui indiquent positivement un temple qui avait usurpé la renommée
,

ancien escalier. du temple troyen (2). C’est là oue furent


En suivant le cours du Scamandre on reras par les Romains les députés des
arrive, après deux heures de marche, villesd’Élée, de Dardanieet de Rhœtée.
au village de Udjek-Keui, situé sur une Une amitié sincère s'établit entre les
colline, et de là on aperçoit un des plus Romains et les Iliens. Les plus grands
grands tumulus de la plaine , désigné privilèges leur furent accordés; mais
par les Turcs sous le nom de Udjek- aucun de ces avantages ne put donner
Tepé. C’est là que M. de Choiseul place à cette ville les éléments d’une prospérité
le tombeau d’Ilus, et par conséquent le durable. Elle commença de nouveau à

(
i) Nous ttün voyage Jait dans U Lsvant (i) SIrahon, Xnr, 5gî.
en i8i6 et 1817; Paris, Firinin Oidot, in-8°, (a) Tite-Live, liv. XXXX^, ch. 43;
)>. lat. XXXVH, eh. g.
,

ASIE MINEURE. 191

déchoir; ses marailles s’écroulèrent, comme les murs de Lysimaque, mais


et elle fut dédaignée par les Gaulois. comme un commencement d'exécution
Malgré la création d’une autre ville du projet de Constantin (I). Quoiqu’elle
voisine et rivale , elle n’en subsista pas n’ait pas été appelée à prendre le rang
moins jusqu’à la chute de l’empire. de seconde capitale du monde romain
Démétrius de Scepsis, qui la visita, en elle n’en conserva pas moins une certaine
parle comme d’un endroit peu prospère. importance sous les empereurs byzan-
Cependant les murailles furentrelevées, tins, et fut érigée en évêclié de la pro-
et la citadelle mise en état de défense à vince d’Hellespont, avec Abydos, Troas
l’époque de la guerre civile entre Sylla ( Alexandria ), Dardanum' et Assos.
et Cinna. Fimbria l’assiégea , la prit, et Quoique la ville de Scamandria ne soit
les habitants furent cruellement traités. pas nommée dans cette liste , elle reçut
Par suite des vicissitudes de la guerre, aussi un métropolitain. D’après la po--
ils trouvèrent dans Sylla un protecteur sition qui lui est assi^ée par les géogra-
zélé, qui adoucit leurs malheurs et effaça phes, on reconnaît les ruines d'ihum
les traces du siège (1). Lucullus, apres près du village de Tchiblak, au lieu ap-
avoir délivré Cyziqiie, vint aussi rendre pelé par les Turcs Eski Kalafatli. Elle
visite aux lliens; enfin le plus célèbre était éloignée de cent soixante-dix sta-
des Romains vint payer son tribut aux des d’ Abydos et de douze du port des
souvenirs de la triste Ilion, en comblant Achéens.
de faveurs ceux qui se disaient ses en- En descendant vers le cap Lectum, on
fants. Déjà les lliens avaient reçu un de Chrysa , dans la-
arrivait à la ville
accroissement de territoire à l’occasion quelle était le temple d’Apollon Smin-
du traité de paix entre le roi Antiochus tnien. La statue était l’ouvrage de Sco-
et les Romains. Les villes de Rliœtée pas, le dieu étant représenté le pied
et de Gergetha leur avaient été con- posé sur un rat. Strabon (2) raconte que
cédées. Jules César les exempta de tou- les Teucriens, partis de l’île de Crète,
tes les charges des travaux publics, s'établirent dans ce pays d’après l’avis
et leur conserva l’autonomie. Ces fa- de l’oracle. Ce sont eux qui out donné
veurs excitèrent dans Rome une inquié- à la montagne voisine le nom d’Ida qui
tude générale , et le bruit se répandit est celui d’une montagne de Crète.
que le dictateur voulait transporter en Le temple d’Apollon Sminthien était
Asie le siège de l’empire (2). Sous le d’ordre dorique ; les ruines de ce monu-
règne de Tiuère, Ilium concourut avec ment forent découvertes, il y a quelques
plusieurs autres villes de l’Asie pour années, non loin du village de Baba.
avoir l’honneur d’élever un temple à La ville de Chrysa était bâtie sur une
Tibère. Du temps de Trajan, elle jouis- éminence à peu de distance de la mer.
sait encore d’une certaine célébrité, et Sous Tibère, ce territoire appartenait
plus tard Constantin songea sérieuse- aux habitants d’ Alexandria Troas, qui
ment à y transporter le siège de l’empire. avaient élevé dans leur ville un autel
O Arrivé dans un lieu situé entre Troas à l’Apollon de Chrysa, car j’ai trouvé
et l’ancienne Ilion, qui lui parut propre l’inscription düivante dans les ruines
à ses desseins, il jeta les fondements de d’Alexandrie :

cette ville, et éleva jusqu’à une certaine


A la bonne forlune!
hauteur cette partie des murailles que A. Claudius Phloionius Macriniis a élevé
peuvent encore apercevoir aujourd’hui de scs propres deniers cet autel, et l'a dédié
ceux qui naviguent vers l'Hellespont; à .Xpolluii Smintbien, à Esrula|>e sauveur et
mais bientôt il changea d’avis et se ren- aux Moxynites.
dit à Byzance dont Ta position le frappa
d’admiration (3). Les restes de murailles
(r) Sozomène, II, cb. 5.
que l’on observe aux alentours ont été (a) Liv., XIII, p. 604 .
regardés par quelques voyageurs, non

(i) Strabon, XIII, 594 .


liv.

(aj Suétone, Vie de César.


\i) Zosime, I.I1,§38.
I») L’UNIVERS.
CHAPITRE XVII. mun des Grecs était proche du camp ;
ceux d’Achille, de Patrocle et d’Anti-
TOPOGnAPHIK ANCIENNE DE LA loque étaient sur le haut rivage de l’Hel-
TBOADE. lespont; celui d’Ajax était dans la plaine
de Troie. Le Thrusmos, qui était sans
Le de ITIiade, communément
tliéàtre doute aussi quelque ancien tombeau , était
appelé de Troie, se compose du
la plaine près desruisseaux; la vallée de Thymbra,
territoirecompris entre le cap .Sigée ou où les alliés des Troyens étaient campés
Jénitzer et le promontoire de Lectos, pendant qu’Ilector tenait conseil sur le
aujourd’hui cap Baba; en largeur il s’é- tombeau d’Ilus, ne pouvait pas être fort
tend jusqu’aux versants inférieurs du éloignée de cc tombeau et était par con-
mont Ida. séquent située entre les ruisseaux et la
Nous allons résumer ici les observa- ville. La colline appelée Callicoloné s’é-
tions de tous les voyageurs qui depuis tendait en face de la ville sur les bords
un siecleont étudié cette plaine célèbre; du Simoïs.
les stuils documents nouveaux que l’on Lu plaine dans laquelle on voyait tous
pourrait espérer ne peuvent être que le ces objets remarquables s’élevait par
résultat de fouilles méthodiques entre- degrés depuis le rivage de la mer jus-
prises, soit sur remplacement même qu’à la ville, et elle était arrosée par le
soit dans les nombreux tu-
(le la ville, Simoïs et le Scamandre; le premier de
mulus qui couvrent cette plaine. Mais ces deux fleuves était un torrent impé-
pour ce qui touche à la topographie tueux ; les rives de l’autre étaient claires
de ses alentours, le sujet nous
d’Ilion et et limpides comme du cristal. Ces deux
parait aussi clairement interprété qu’il fleuves embrassaient la plainedans toute
est possiblede l’espérer (I). son étendue et réunissaient leurs eaux
Entre les deux caps Sigée et Rhœtée vers la partie inférieure. Le chemin qui
s’étendait une plage unie où débar- oonduisait des portes Scées ou des portes
quèrent les Grecs à leur arrivée sur les du couchant au rivage de la mer pas-
rivages de l’IIellespont; c’est là qu’ils sait près de l’Krinéos, des sources du
établirent leur camp eu communication Scamandre et du tombeau d’ilus; il fal-
avec la mer. lait nécessairemeut traverser le .Sca-
La ville de Troie était au sud-est du maudre pour aller de la ville au camp
cap Sigée et construite sur une éminence des Grecs et pour en revenir (i).
entourée de rochers. Elle n’était atta-
quable que du côté de l’Erinéos ou de CHAPITRE XVHI.
la colline des figuiers sauvages. Près de
cette colline on voyait les jardins de ITINF.nAllIE DE LA PLAINE DE
Priain et les sources duScamandre dont TItOIE.
l’une était chaude et fumante et dont
l’autre était froide en été. Le Pergama Pour faire l’explorationcomplète de
était un lieu élevé dans la ville et qui do- la plaine de Troie, il convient d'orga-

minait sur la plaine. Le tombeau u’ilec- niser son excursion dans la ville des
tor, couvert de pierres, devait se trouver Dardanelles, résidence des consuls; on
dans l’enceinte ou dans les environs de peut V trouver facilement des guides et
la ville ; celui de Mvrina était en face et des chevaux.
tout près des murailles; celui d’Æsietès Cette ville , que l’on assimile à Tan-
était à quelque distance de la ville, et cieiine Dardania , a complètement
assez à portée du camp des Grecs pour perdu son ancien nom chez les indi-
que de son sommet on pût en distin- gènes; les Turcs l’appellent Tchaiïak
guer les mouvements. Le tombeau d’I- Kalési (le château des assiettes), à
ius se trouvait sur la route qui condui- cause d’une fabrique de poteries assez
sait du camp à la ville : le tombeau com- renommée dont les produits s’expor-
tent dans presque toutes les fies. Ils
(i) Voy. Li'chevalier, Voyage delà Troade. se distinguent par la forme et par le
Cliuiseul Goiiflier, yoyage f>ittoret<)iie de la
Grèce, Leake, Geogr, oj Ana Sltnor, etc. (i)LecLevaliei', Voy.de la Troade, 1. 11,63.

J
ASIE MINEURE, lU
vernis ; il y a des modèles qui ne man- bois, et après avoir visité le site de
quent pas d’élégance. l’ancienne Troie, on va faire halte à
Halil Elly, premier village où Fou Beyrhainitch , résidence d'un mut-
fait halte, est éloigné d'environ trente- zelüm.
sept kilomètres des Dardanelles. Il Cette petite ville est située sur une
est situé au milieu d’une plaine cou- colline qui domine une vaste plaine
verte de débris d'antiquités ; mais au- bien cultivée au milieu de laquelle ser-
cun éditice n'est debout. La distance pente le Scamandre.
entre Halil Elly et Enal est de qua- En remontant le cours du lleuve,
rante-trois kilomètres ; on passe par le on arrive au village de Eiïvadjik, situé
village de Giaour Keui, et l'on arrive à sur les pentes de l’Ida. Les sources
ïchibl.ic. du Scamandre sont à une distance
Tchiblac, gros bourg éloigné d'en- d’environ dix kilomètres de ce village ;

viron treize Kilomètres de ce dernier l’eau surgit avec impétuosité d’une ou-
village, est sur la rive droite du Sca- verture carrée que présente le ro-
mandre ; il passe généralement pour cher, et forme une cascade au milieu des
être situé sur l'emplacement d'Ilium blocs éboulés. D’autres sources, qui
Recens. sortent de terre dans le voisinage,
Au milieu d'un terrain boisé sont viennent encore augmenter le volume
dispersés de nombreux vestiges de des eaux. Cette partie du mont Ida
monuments, des colonnes et des ruines n’offre pas les beautés sévères de l’O-
de temples. lympe de Mysie , mais elle mérite ce-
Les murailles, dont on suit faci- pendant d'étre visitée. De ces pla-
lement le pourtour, sont regardées teaux élevés on aperçoit d’un seul
comme des ouvrages de Constantin. coup d’œil toute la contrée et les lies
Dans le cimetière turc se rencontrent voisines ; il n’est pas d’autre lieu d’où
de nombreux fragments d’architecture, l’on puisse si bien se rendre compte
mais aucune inscription. Le tumulus de cette topographie de la plaine de
qui s’élève dans le voisinage du bourg Troie.
est regardé comme le tombeau d’ilus. La formation volcanique dominante
De Tchiblac on se rend à EnaT, grand sur tonte la côte sud de la Troade
villagede deux cents maisons où l’on commence à se montrer sur les pentes
trouve des bains, un caravanseraï, et de l'Ida, et se prolonge presque dans la
une mosquée. plaine. Au village de Arabler Keui et
Enaï occupe la position de l’an- de Sarmousaktclii Keupri, on remar-
cienne Neandria , colonie æolieone que des piliers de basalte de formes
dont le territoire renfermait la plaine très-régulières; les indigènes emploient
de Samonium. Cette ville était située ces colonnes naturelles pour faire des
entre i’Uamaxitus et la nouvelle llion, pierres tumulaires.
ce qui s’accorde bien avec la position d’E- Le mont Gargare, qui s’étend au sud-
naî. Au sud de ce village et sur la rive est de la chaîne de l’Ida, renfermait
gauche du Mendéré se trouvent les dans ses nombreuses vallées quelques
ruines d’un château que les indigènes villes anciennes qui ne sont pas encore
appellent Tcliigri ; il occupe l’emplace- bien déterminées.
ment de la ville de Cenclireæ, où l'on Cette partie de la montagne s’appe-
croit qu’Homère séjourna pour étudier lait région cébrenienne ; la ville de
la topographie de la Troade. La for- Cébrène était la capitale. Le fleuve Sca-
teresse Cenchreæ fut destinée par les mandre formait la limite entre ce terri-
empereurs byzantins à renfermer les toire et celui de Scepsis.
prisonniers d’État; elle fut prise par Sur un des contreforts du mont
f’émir ïoursoun et réunie aux do- Gargare, appelé Kourchounlou tépé
maines de ce compagnon d'Orkhan. ( colline de plomb ), on retrouve les
On voit encore les ruines de ce châ- ruines d’une grande ville qui est do-
teau. minée par un ancien hiéron, lieu
Pour se rendre à Bounar-Bachi on sacré, formé par une enceinte rectan-
passe le Scamandre sur un pont de gulaire, composée de grosses pierres
iZ* Livraison. (Asie Mineubb. 1 T. II. I*

igitized by Googie
,

194 L’UNIVERS.
assemblées sans ciment et sans le se- haute parüedel’Ida(l). • Cébrène n’était
cours du ciseau. Un cercle de pierres donc pas en plaine; voilà pourquoi l’on
l>rutes rappelle les monuments drui- peut supposer que les ruines de cette
diques de l’ancienne Gaule, et des ville peuvent se trouver dans le Kour-
clidiies séculairesqui ombragent ce.s vé- chouiilou tépé.
nérables restes de l'antique religion font
penser a la similititude du culte qui CHAPITRE XIX.
unissait tous ces peuples primitifs.
l>tte enceinte était sans doute consa- ALBXXNDBIA TBOAS. ESKI STAM-
crée il la grande-mère idéeniie si vé- BOUL ( 2 ).
nérée dans ces régions. Les vestiges de
la ville, situées mi-côte dutépé, datent Les successeurs d'Alexandre vou-
presque tous de l’épuque romaine; on lurent a l’eiivi répondre à reiitliousiasnie
y remarque d’anciens bains et plusieurs de leur prince , et imiter sa générosité
salles couvertes de stucs assez bien con- à l'égard des descendants des Troyens.
servées. Des fragments d’arcbiteclure Antigone, à l’exemple de Lysimaque,
et une foule de débris de poteries, de fonda uue ville dans la Troade, au bord
tuiles et de terres cuites couvrent le sol. de la mer Égée, et l’appela Aiitigo-
Cette ville est-elle l’antique Cébréne? nia (3); mais, au partage de l’empire
Aucune inscription n’est encore venue d’Alexandre. Lysimaque lui donna le
en donner la certitude. nom d’Alexandria et elle reçut le sur-
,

Nous savons par Xenoplion que nom de Troas, pour la distinguer des
cette place était très-bien fortifiée, et autres villes qui portaient le nom d’A-
qu’elle résista a l’attaque de üercil- lexandrie. Selon l’usage des anciens fon-
lydas, général lacédemonieii. Une pe- dateurs des villes, on peupla la nouvelle
tite rivière, nommée Cébrenia, allait se colonie avec les habitants de Néaudria (4),
jeter dans le Scainandre. C’est sans de Cébrene (5), Sigée (e) et autres villes
doute le Kaz dagli tcbaï qui coule au de la plaine de Troie, l.ysimaque y
pied de ce mamelon. transporta les habitants de Ténedos
On peut ensuite redescendre le qui demandèrent c« changement comme
mont Ida par Clietme et se rendre a une faveur (7). Dans la guerre d’Aiitio-
Adramytte; cette excursion exige un peu chus, elle se distingua par sa fidélité
plus de quatre jours. aux Romains , qui lui accordèrent tous
Les limites de la Cébrénie sont assei les privilèges dont jouissaient les villes
difficiles à déterminer d’après les an- d’Italie une des plus flo-
et elle devint
,

ciens géographes; car les uns la bornent rissantes colonies de l’Asie Mineure (8).
au Scainandre, les autres l’étendent Les villes de la Troade se convertirent
jusqu'à la Dardanie. Si l’on s’en rap- de bonne lieure au christianisme, sous
(1)
porte à Pline (1), la ville d’Alexandria l’influence directe de la parole de saint
Troas aurait fait partie de la Cébrénie. Paul, qui visita presque toutes les places
Il est préférable de s'en tenir à la cir- importantes de la Mysie. Cette ville est
conscription donnée par Strabon(2). La désignée dans l’Écriture sous le nom de
Cébrénie commençait au-dessous de la Troas ( 9 ). Saint Paul, étant venu à
Dardanie et s’étendait jusqu'à la .Scepsie, Troas en l’an 52 de l’ère vulgaire , eut
c’est-a-dire jusqu’au mont Cotylus (3), une vision pendant la nuit un homme :

dont elle est séparée par le fleuve Sca- lui apparut , et le supplia de venir se-
mandre. Les Cébréuiens furent eu
guerre perpétuelle avec les Scepsiens Stralwu, XIII, 607.
(1)
jusqu’à ce qu’Antigone les établit les
(2) I/anciemie Coustantiuuple-
uns et les autresà Alexandrie de Troade. Pline, liv. V, ch. 3 o.
( 3)
Palæcepsis était située au-dessus de (4) Enaï.
Cébrène près de Polichna « vers la plus ( 5)
Kourcbouulou tépé. . ,,i

(6) Jénilier. ,

Pline, liv. V, eli ïo. (7) Pauaanias, liv. X, cb. 14.


(a) Siraboii, liv. XIII, p. spô. (8) Strabon, Uv. XIII, p. 598 _

(
3 ) Voyez page. (9) Jet. Jp., XX, 5 , 6.

Il

Digii^
ASIE MINEURE. 19i

(^rir les cbrétieosde Macédoine. Saint les voyageurs. Il est fâcheux de voir un

Paul s’embarqua donc à Troas, et passa si beau monument enseveli sous les
dans cette province. Il avait demeuré buissons, quand on pourrait à peu de
sept jours à Alexandrie, et y avait si- frais eu faire l’ornement d’une place pu-
gnalé sa présence par la résurrection Ûiqne.
d’Eutycbus. A son départ, il avait laissé Les carrières d’où ont été tirées les
chez un nommé Carpe quelques babils colonnes d’Alexandrie sont situées à
et quelques livres qu’il pria Timotbée huit kilométras de cette ville et dans le
de lui apporter à Rome en l’an 6ô. La voisinage du village de Gaïkii. Au mi^
mort de saint Paul arriva en 66 (I). lieu d’une vallée sauvage on reconnaît
Il est peu de villes anciennes qui aient encore les traces des anciennes exploi-
été aussi souvent visitées par des voya- tations, et l’on voit gisant sur le sol sept
geurs européens, et c’est pour ainsi dire colonnes de la même dimension que
la première sur laquelle se soit exercée celles que nous avons signalées dans le
la sagacité des antiquaires. Pierre Relou voisinage du port; le diamètre à la base
la visita dans le seizième siècle, et l^ie- estde l'"6*et la longueur du fût est de
tro délia Valle le suivit de près. Ces dix mètres, i

deux célèbres voyageurs observèrent une Pendant de vingt années, les


^plus
grande quantité de colonnes brisées et marbriers turcs ont été installés dans
ide revêtements de marbre qui ont dis- ces ruines ,l pour fabriquer des boulets
paru. On remarquait alors, près du de marbre aussi ne reste-t-il plus un
:

port , le mur d’un portique, aujourd’hui seul rooreeau de cette matière.


entièrement ruiné. « Un peu plus bas, Spon et VVheler ont observé un canal
on voyait une grande et épaisse mu- long, étroit <et pcofood, par lequel des
raille sur la côte; elle était sans doute barques étaient conduites jusqu'à la ville.
ornée de plusieurs colonnes de marbre Aujourd'hui iLn’yi a plus d’apparence
qui sont à présent toutes brisées sur la de cet ouvrage. Ils Vil observèrent un
terre, et dont les pieds, qui restent au- théâtre, des iondemènts de temples et
tour, font juger que le circuit du port de palais, et jun petit temple rond avec
était d’environ quinze cents pas (2) > une corniclie de! manbre en- dedans. Ils
Un peu au delà du port les voyageurs
. recueillirent quelques inscriptions ro-
virent divers tombeaux de marbre, avec maines. 'Les. monuments de l'epoque
la tête d’Apollon sur auelques-uns , et grecque, et.surtout des successeurs d'A-
sur les autres des boucliers. lexandre, commençaient à devenir rares.
Le sultan ottoman Mahomet IV Le ai février 183 Ss^'ie vins pour la
'

(1693) lit enlever d’Alexandrie une troisième fois mouiller sur la côte de
grande quantité de colonnes pour orner Teoici pour observer en détail les ruines
la cour intérieure de la mosquée de d’Alexandria Troas et tenter de lever ,i

Validé sultane, sa mère. On y remarque uni plan, général de la. ville. '

les marbres les plus précieux, entre l'La goè'lettc Va .Mésange mouilla dans
autres ce jaspe varié qui est appelé par le voisinage de l'ancien port; mais cette
les lapidaires brèche universelle d’É- station , e.vpesée à: tous les vents du
'

gypte. Ces deux colonnes, d’un prix ines- large, oe ipouvaiti être que de peu de
timable, sont placées à droite et à durée. .iq

gauche de l’entrée de la mosquée. Il est * fS-r.» t .;(J f

probable que c'est à cette époque qu’on CHAPITRE XX.’


a traîné près du port les deux grandes
colonnes de granit de dix mètres de fût. ‘
'
INTBHtJsUB i>B LA VILLE.
L’une est parfaitement intacte; mais
l’autre est brisée en trois morceaux. Il
semble que la rupture d’une des deux Nous nous hâtâmes de descendre à
colonnes a motivé l’abandon de l’autre ; terre, et nous pûmes nous assurer que
cette dernière attire les regards de tous les difficultés qu’ont rencontrées les
autres voyageurs pour lever le plau de
(i) Act.,Ttyi, 8. la ville ne .sont pomt exagérées. Une

(•) Spon et Whelei-, yajagti^ .li forêt de chênes occupe toute l’étendue
13 ,
.

196 L’ILMVKKS.
des ruines; des arbres vigoureux crois- quelconques ; de sorte qu’il a sufH de
sent dans les inlersiices des pierres, et l'action de la végétation pour renverser
des buissons inextricables couvrent toute les plus épaisses murailles.
l'étendue du sol. Le monument qui attire le plus les
Le port, vers lequel je me dlriiteai regards s'élève au-dessus des ruines de
d'abord, était composé de deux bassins, la ville et présente de loin l’aspect
,

l’un pour les batiments, l’autre pour le d’une arcade immense; mais, en appro-
radoub. Les dispositions de cet établis- chant, un reconnaît que ce u’est qu'une
senient inaritime m'ont paru avoir été petite partie d’un édilice considérable
prises avec un certain art, comme dans sur la destination duquel les antiquaires
la plupart des ports romains. Deux sont partagés les uns le regardent
:

môles, dont les vestiges existent encore, comme des thermes, les autres comme
s'étendaient vers le large; ils étaient un gymnase. Il me semble que les uns
couverts de portiques , et l’on voit en- et les autrespeuvent facilement être mis
core les deini-coloniies deslinéesà amar- d'accord ; car un gymnase renferme né-
rer les navires. Les môles sont en blo- cessairement un apodyterium, un hypo-
cage; les revêtements ont sans doute caiistum, des salles chaudes et tièdes,
disparu. Au fond de ce premier bassin enlin tout ce qui constitue un bain (I).
est une large ouverture qui conduisait Les eaux jouaient un grand rôle dans les
d.ms In darse: mais les broussailles exercices de la jeunesse romaine, et
épaisses (|ui l'entourent ne permettent iiellequefdt sa destination, cet édilice
pas de reconiiaitre les traces des remises evait recevoir une dérivation de l’a-
des galères, des magasins et des autres queduc.
dispositions usitées dans les ports an- L’entrée principale paraît avoir été
ciens. tournée du côté de l'est, c’est-à-dire vers
Pour entrer dans la ville, nous sui- la terre. Une vaste galerie occupe toute
vîmes la ligne des murailles, qui sont la longueur du bâtiment; elle est d'un

construites en grands blocs de calcaire côté garnie de pilastres, devant les-


coi|uillieravec des blocages de béton quels j’ai sufiposé des colonnes, pour
dans l'intérieur. De distance en dis- régulariser l'urdonnance. Cette salle
tance, il y avait des tours carrées de était voiitée en berceau; elle commu-
meme construction; mais elles sont ni<|iie, à droite et à gauche, à deux
presipie toutes ruinées jusqu'au niveau autres galeries en é<|uerre : l’une était
du sol. au sud, et l’autre au nord. Les exer-
Le terrain de la ville s’élève en forme cices du corps pouvaient avoir lieu dans
d'aiii|ibitliéàtre, et vers le milieu de ces trois salles.
l'eiiceiiile on rcmar<|ue une ligne trans- Les ruines qui sont au centre appar-
versale de murs qui forme terrasse, et tiennent à quatre salles intérieures, qui
(|ui est également defendue parties tours étaient décorées de colonnes et de cor-
carrées, ^ous nous dirigeômes vers une niches de marbre. Une arcade de 10“ 15
fouille iiouvellciiient faite par les indi- de largeur conduisait dans une salle
gènes; elle avait mis a découvert trois carrée nui elait couverte par une voûte
ftUs de colonnes cannelées (|iii sont en> en penaenlif.
corc en place. Ils sont de pierre, et pa- Du côté de la mer, il v avait aussi
raissent avoir a|>parieiiu à des colonnes une entrée; c'est àgauche de cette entrée
d’ordre dorique grec. que s'élève la grande arcade qui domine
Les siibstructions du tlicôtre existent toutes ces ruines; elle a 5“,40 de large.
encore. Let édilice était apptiyé sur le La grande ligne des arcades de l’aque-
versant de la colline; mais il ne nous duc vient joindre cet édilice a son angle
offrit aucune particularité digne d'iii- nord-est. La salle du nord est ainsi ler-
téréi. Toutesles constructions particu- mée parut! portique d’arcades à jour qui
lières sont faites en moellon calcaire de n'a pas son parallèle de l’autre côté;
moyenne dimension ; les revêtements et
mais la on ne trouve qu’une masse de
stucs de tonte espèce ont complètement décombres qui ne permet pas de recon-
disparu. I.es appareils des édiliees pu-
blics étaient faits sans murtier ni liens (i) Vitruve, liv. V, ch. ii des Xystes.

Digifc -, :
ASIE MINEtlRE. 197

naître la disposition primitive (I). Les dans la terre, et revêtu de maçonnerie


Turcs flésigneiii ce palais sous le nom de grossière; la cabane est couverte de
Bul-Kiz-Seraï. J’ai déjà eu occasion de feuillage. Près de la est un autre bain
dire mou avis sur ce mot en parlant des un peu mieux établi, dans lequel nous
ruines de Cyzique. Toutes les ruines qui n’entrâmes pas, parce qu’il était occupe
portent ce nom sont attribuées par les par des femmes. La serpentine , qui
indigènes à Bal-Kiz, reine de Saba. constitue toutes ces collines passe sous,

Il serait intéressant de reconnaître la le calcaire tertiaire delà plaine de Troie,


prise d’eau de l’aqueduc qui vient du et va s’appuyer sur les contre-forts gra-
pied de l'Ida, en franchissant une dis- nitiques de l’ Ida. Il sort plusieurs sources
tance de plusieurs milles. Les habitants de ces rochers; mais deux seulement
en durent la construction à la généro- sont utilisées. En descendant la vallée,
sité d’Hérode Atticus, gouverneur des on voit quelques ruines antiques d’une
villes libres d’Asie, qui , ayant reçu de construction grossière, qui paraissent
l'empereur Hadrien une somme de trois avoir appartenu à d'anciens bains. Le
millions de drachmes pour amener les Simoîs coule derrière ces collines, apres
eaux dans la ville, lit faire cet ouvrage avoir traversé la plaine où est située la
avec une telle magniflcence, que la dé- petite ville d’Énaî. La ville de Scaman-
pense se trouva monter à plusdu double; dria, qui a été épiscopale sous la métro-
il voulut contribuer por ses propres pole de Nicomédie, étaitsituéedans cette
trésors au surplus de la dépense. Les plaine. Son évêque Antliemius résidait à
écrivains de cette époque ont eu à signa- Assos,où il a bâti une église qui subsiste
ler des actes semblables de la part de encore.
ce riche citoyen , non • seulement en En descendant vers le sud, on ren-
Asie, mais à Athènes même. On attri- contre un ruisseau qui va se jeter dhrec-
buait l’origine de sa fortune à la décou- lement dans la mer, après avoir arrosé
verte qu’il avait faite d’un trésor dans la plaine qui est au nord d’Assos, et qui
sa maison, et dont l’empereur Nerva porte le nom de plaine de Baîramitch.
lui avait abaudonué la jouissance en- Le ruisseau est appelé par les Turcs
tière. La plupart des monuments d'A- Touzia-Tchaî (rivière salée). Les géo-
lexandria Troas paraissent dater de la graphes modernes sont d’accord pour
même époque; on y voit peu de ruines placer à l’embouchure de celte rivière,
byzantines, et nuis vestiges d’églises; non loin du cap Baba ( Lectum ), les sa-
cependant elle est porté.e au nombre lines Tragasées {Traganææ salinæ)(.i),
des évêchés dans le Synecdème. exploitées par les habitants de la Troade.
A trois milles au sud-est des ruines, il Le sel s’y formait naturellement pen-
vents étésiens. Sur le cap
y a une source thermale qui jouit d’une dant les
assez grande célébrité dans le pays. même, on voyait un autel de< douze
^ous franchîmes plusieurs collines qui dieux. Le commerce du sel était libre

sont toutes couvertes de débris et occu- pour les habiiaiits de la Troade (2);
pées par une végétation vigoureuse; et mais Lvsima(|ue l’ayant frappé d’un
après une heure de marche, nous arri- impôt, le sel cessa de se former. Ce
vâmes sur le penchant d’une vallée au changement ayant étonné Lysimaque,
fond de laquelle coule un ruisseau dont il abolit l’impôt, et le sel commença à
les rives sont incrustées de dépôts salins. se former de nouveau. On peut expli-
Les sources thermales sortent d'un ro- quer ce fait sans admettre un prodige ;

cher de serpentine; leur température les habitants de la côte auront su y


est de 54 degrés 1/10; elles sont fer- pourvoir adroitement.
rugineuses, et contiennent une quantité
notable de sulfate de magnésie. Les (i) SIrabon, XIII, 6o5. Slepli. Byi., Tpa-
Turcs font usage de ces eaux en bains yadai-Tpayacâio;.
et en boisson ; elles sont très-purgatives. (ü) Pliiu', liv. X.XXI, ch. 7.
J,e bain consiste en un trou creusé

(i)Cf. Chandler, T'oyagf en Asie, I. 1,

cb. 4.
lüf) L’UNIVERS.
aiAPlTRfc X\i pas du même avis ; car selon son opi-
nion lee Cariens sont autoclithones.
LE GOLFE o’aOBAMVXTIUM. Ce serait vainement qu’on voudrait
tirer de tous ces récits une conclusion
Le promontoire de Lectos et la crête qui ne fût pas démentie par d’autres
de l’idu qui vient y aboutir forment la uits. Un mot de Strabon me mit sur la
limite naturelle entre la Troade pro- voie de recherches à faire eu Carie, qui
prement dite et les proeinees du sud ont été couronnées , je crois , d'un
qui ont ete soumises >aux l'royens du plein succès aussi, dans la descrip-
:

temps de leur puissance, mais qui, de- tion de cette province, aurai-je a re-
puis la chute de leur capitale, ont été venir sur les établissements que les
considérées comme incorporées à l’Æo- Lél^es ont formés en Asie, et dont les
lide. I vestiges auraient subsisté jusqu'à nos
Avant l'arrivée des colonies {grec- jours.
ques, ce pays appartenait aux Lélé^es, Tout belliqueux et barbares que les
peuple sur lequel les écrivains anciens anciens Léiéges aient apparu aux pre-
nous ont laissé- assez de documents miers colons grecs, il n'en ressort pas
pour exciter vivement la curiosité ; mais moins de leurs traditions que ces peu-
malbeiirensement ces notions sont si ples ont construit des villes et des châ-
incomplètes, qu’on peut à peine suivre teaux redoutables, et que ces construc-
ces peuplades guerrières dans leurs tions remontaient à la plus haute anti-
nombreuses migrations. Pausanias (1) quité.
nous apprend qu’un prince du nom Le canton qu’ils habitaient à l’épo-
de Lelex régna sur la Laconie à une que de la guerre de Troie était situé
époque très-reculée; il est considéré sur les versants de l’Ida. Leur ville
comme enfant de la Terre, autrement principale, nommée Pédasus, s’élevait
dit autocbthone. C’est lui qui donna sur les bords du fleuve Satnioeis, qui
son nom aux peuplades léléges, qui paraît être le même que le Touzla-
apparaissent à différentes époques de Tchaï (I). Elle était déserte au temps
rhistorre, tantôt en Thraee, tantôt en de Strabon, et son emplacement même
Troade, et sur les autres points de la était ignoré. On sait cependant qu’elle
côte d’Asie. Hésiode, cité par Stra- était dans les hautes régions de l'Ida.
bon <2), attribue a Locnis la gloire » Il habitait la ville élev^ de Pédasus,
d’avoir réuni en une peuplade les Lé* sur les rives du beau Satnioeis (2). » En
léges, • que la sagesse infinie de Ju- suivant littéralement la géographie d’Ho-
piter tira du sein de la terre pour en mère , on doit placer les Léiéges immé-
taire lessufets de Deucalion ». Ces tri- diatement après le cap Lectos.
bus errantes sont assimilées parStrabon On donne aussi au golfe d’Adramyt-
aux Cancones, dont l’origine remonte tium le nom de golfe d'Ida, parce que
également aux premiers temps de l’his- la colline qui remonte, du cap Lectos
toire asiatique. vers lemont Ida se trouve au-de.ssus
Aristote l.'i) avait écrit sur les mi- du commencement de ce golfe, où, sui-
grations de ces peuples, sur leurs mé- vant Homère, habitaient d’abord les
ianses avec les Cariens; il est d’accord Léiéges. (iette topographie est.très-
avec Pausanias pour admettre qu’ils exatde. Les Giliciens auraient été plus
ont habité pendant quelque temps le reculés vers l'intérieur du golfe , s’ils
continent de la Grèce européenne ; ce- ont en habité la ville d’Antan-
effet
pendant Strabon, précisément dans le dros, place d’une certaine importance,
même pas.sage, nous fait connaître que située sur la côte, et dont l’origine est
dans antiquité certains auteurs ont
I incertaine (3). Elle aurait été fondée
regardé les Léiéges comme le même par les Pélasges ou par les Æoliens.
peuple que les Cariens. Hérodote n’est Elle a été, suivant d’autres historiens,

(i) Liv. X, cb. I. (i) .Strab., Xin, p. tioS.


(a) Liv. VII, p. 3ï«. (a) Itiad., liv, XIV, vers44a-44S.
*3) Slrnïïon. Hhi suprti. (V) Héi'Oifnt,.. iiy. VII. 4*.
ASfK WWKIJRE. 19»

occupée pendant cent ans par les dm- divisent en plusieurs groupes de mon-
inériens d'où elle prit le nom de
, tagnes, dont les caractères sont parfai-
Cinimeris (1). Cette ville a été un siés;e tement tranchés. Le plus célèbre et
épiscopal, et Zosime, sou évéque, sous- le plus important est le mont Gargare,
crivit au concile de Constantinople , situé immédiatement au-dessus de
sous Agapit et Ménas. Pline (3) nous l^ctos. Nous avons vu les terrains vol-
apprend qu'elle fut primitivement ap- caniques commencer aux sources
pelée Édonis. Antandros, Edonisprius chaudes de la Troade; l’action des
rocata, deiiide Cinimeris. feux souterrains a soulevé toute la côte
Le port Aspaneus était dans le voi- du golfe. Partout ce sont des scories
sinage ; c’est là qu’on apportait les bois et des dépôts de laves très-abondants,
de la montagne pour la construction recouvrant les terrains ignés plus an-
des navires (3). I^s ruines d’Antan- ciens, les trachytes et les porphyres.
dros se trouvent dans l’angle nord-est Ces éludes appellent encore l’attention
du gol^; on y a découvert plusieurs du géologue : il est intéressant de dé-
inscriptions (4). Toute la côte nord du terminer quel est le centre de ces
golfe d’Adramytte est presque en ligne épanchements qui s’étendent depuis
droite; à peine avons-nous trouvé un ce cap jusqu’au centre de l’Asie Mi-
mouillage pour la Mésange; il n’y a neure, et dont 011 retrouve des trace.s
pas d'apparence d’ancien port ni d'ar- dans tout le nord de l’tle de Méiéliii.
senal pour y placer Aspaneus; rien La minéralogie de cette contrée fut
n’indique Astyra , bois et temple de dans l’antiquité l’objet de recherches
Diane. Bien plus, Adramyttium, qui, importantes et variées. Sans parler des
selon Strabon, est placé tout près de ce mines d’or d’Astyra, dont le gisement
lieu : jtXrjolov ÿ £Ù0ù{ ’ASpapiTtiov, avec était déjà perdu du temps des Ro-
un port et un arsenal, est bien loin mains, bn trouvait dans les environs
dans les terres. Tous ces terrains ont d'Assos une pierre qui était particu-
changé d’aspect, sans doute par suite lièrement employée pour faire les cer-
des atterrissements du fond du golfe ; cueils, et qui avait la propriété de con-
maintenant les navires mouillent en sumer les chairs, d’où on lui donna le
pleine côte, et l’Adramytte moderne est nom de pierre sarcophage. Il était bien
située à plus d’une lieue dans l’intérieur. naturel de penser que parmi les tom-
Après avoir parcouru toute la lon- beaux antiques, qui sont nombreux
gueur du golfe pour bien reconnaître aux environs de la ville, j’aurais re-
la topographie générale, la Mésange trouvé un échantillon de cette pierre.
vint mouiller dans une. petite crique Or tous les tombeaux d’Assos sont en
appelée Sivridji Liman. La côte est pierre volcanique, et particulièrement
tellement accore, que le capitaine fut en trachyte. 11 existe, en effet, cer-
obligé d’envoyer une amarre à terre; taines laves imprégnées de substances
il n’est pas probable que le port d’As- salines, qui pourraient avoir une action
sos, dont il est souvent fait mention, sur les corps qu’elles renfermeraient.
ait été situé en ce lieu. Nous étions à J’ai observé à Milo des laves conte-
l’ouest de la montagne d’Assos, et je nant une notable quantité d’alun (sul-
descendis à terre avec les officiers, fate d’alumine); mais la vertu de ce
pour me rendreà cette ville, qui dominait sel est précisément de conserver les
le petit port à plus de trois cents chairs plutôt que de les anéantir. Les
mètres. sels vitrioliques et arsénicaux ont la
Les versants méridionaux de l’Ida sè même propriété ; je ne puis reconnaître
dans les trachytes des tombeaux d’As-
sos la pierre sarcophage, et j’avoue qui
(«) Cf. Ptol., liv. V, ch. a.
(a) Liv. Il, eh. 96. sur ce sujet mes recherches n’ont eu
(3) Virgile, Æii., III, 5. Strabou, 3C.III,
aucun résultat satisfaisant, car l'obser-
606. vation me conduit à un résultat diamé-
(4) roy. choi'ieul,f'oyage de la Grèce, tralement opposé, savoir, la conserva-
tome II, p. 79. Boêckh, Corpus Jiucriptio- tion des corps dans des pierres volcani-
sum, Ionie III [Addendn), ques imprégnées d’alim.
200 L’UNIVERS.
J’ai le filateau de la ci-
observé, sur couverts de verdure. De temps à autre
tadelle d'Assos, de grandes quantités j’aperçus des fondrières dont les parois
de scories ferrugineuses dont j’ai rap- sont .soutenues par des blocs de basalte
porté de nombreux eebantillons. Il est verticaux, qui tendent à la forme pris-
clair qu'à une époque inconnue il a été matique.
établi en ce lieu des fourneaux de J'arrivai bientôt à un grand chemin
forge. J’avais d’abord pensé que ces pavé qui n’est autre chose qu’une des
,

nomades connus sous la dénomina- nombreuses voies antiques qui exis-


tion générique de Tehinganeh , /.in- tent encore à Assos. Les longues et
gari, ou bobétniens, et qui parcourent belles murailles de la ville se décou-
l'Asie en faisant le métier de for- vrent à nos regards ; il nous semble
gerons, avaient pu s’établir eu ce lieu voir des ouvrages commencés plutôt
et exploiter uiielques minerais de fer que des ruines, tant la netteté des li-
trouvés dans les environs; mais le pas- gnes est parfaite. En arrivant au som-
sage de Stralwn éveilla mon attention, met, il faut bien répéter, avec tous les
et Je cherchai à en donner une explica- voyageurs qui ont escaladé cette mon-
tion satisfaisante. Voici le pas.sage de tagne, le vers de Stratonicus :

la traduction française (1).


« Aux environs d’Andira on trouve Si lu veux avancer le mnnient de ta mort, en-
une espère de pierre qui se change en [sayede monter à Assos (r).
fer par l’action du feu. Ce fer, mis en
fusion avec une certaine terre, produit Strabon dit que le port est formé par
le zinc; du mélange de ce dernier
un grand môle; mais qu'elles qu’aieut
avec du cuivre résulte ce métal qu’on été nos recherches le long de la côte,
appelle oricbalcum. » Les lois de la nous ne pûmes reconnaître même l’em-
cliimie ne sont nullement observées placement du port; partout la profon-
dans ce passage. J'aumis voulu ren- deur de l’eau est telle, qu’on ne peut
contrer dans les environs quelques gi- jeter l’ancre ; il faut s’ambrrer au ri-

sements de calamine ou seulement de vage.


fer pyriteux; mais le terrain volca-
nique de fusion et d’épanchement se COAPITRE XXII.
montre partout, au bord de la mer et
sur le versant de l’Ida. On rencontre ASSOS.
la serpentine avant d'arriver aux inica-
seliistes, qui formeut les régions su- Assos passe pour avoir été fondée
périeures. par les habitants de .Méthymne. Ephore
La montagne d’Assos , plateau dé- place cette ville dans le voisinage de
taché de la chaîne principale, est for- Gargara. Elle reçut une colonie æo-
mée par différentes natures de laves, lieiine et posséda une grande partie,
,

qui lui donnent un aspect sombre et de la contrée environnante; on connaît


sévère. Les dentelures des ruines qui la peu de chose sur l’hiStoire primitive
couronnent se dessinent sur l’azur du de cette ville. Lorsque la Mysie fut
ciel ; il est peu de tableaux qui puis- soumise aux rois de Lydie î^v 5i u:rà
sent donner une idée plus grandiose AuSot; Muola, elle devint la place la
de ces villes æoliennes, dont la fon- plus forte et la plus importante de la
dation touche à l’époque héroïque. Troade. Lorsque la province fut tom-
Le chemin que l’on suit pour arriver bée sous le pouvoir des Perses , ces
au sommet du plateau est tracé au mi- princes désignèrent le territoire d’Assos
lieu des blocs de trachyte éboulés et pour la fourniture de leur blé; leur
vm était apporté de Syrie, et l’eau de
XIII, page 6io. "Eitti l’Eulée. Strabon (2) nous a conservé
(i) Siratxjn, livre
và "Avéïipa, ôç xaiépievo; l’histoire curieuse , mais nou sans
ôè '*i6ot ittpi
<ii5r,po; yivvtxi elx* pstà Yti; tivo; *apit-
v£u?£li; ànooxâîei iJnuéïpYopov, v| «poa- (i) Parodie d'un ver.» de l’/liad„ liv. VI,
'/.aCovaa x6 xaXoûjjievov ytvexai 143.
xpâpa S xivec ôpctx>^’vov xgtXoüai, b) XIII, 6io.
,

ASIE MINEURE. 201

exemple, de l'euDuque Hermias, qui pale, et son évêque Maximus assista


exerça pendant quelque temps le pou- eu 431 au umciic d’Ephèse. Les cons-
voir stipréine dans Assos. 11 était at- tructions militaires qui ont remphicé
taché à la maison d’un banquier. Dans sur l’acropolis les anciennes tours æo-
un voyage qu’il fit à Athènes, il suivit liennes attestent que dans le moyen
les leçons d’Aristote et de Platon. A âge cette place ne cessa pas d’être un
son retour, il s’associa à son maître, poste important. Du plateau de la cita-
qui venait de s’emparer par force d’As- delle on domine, en effet, tout le golfe
sos et d’Atarnée, et lui succéda dans la d’Adramytte, le canal de Métclin, et la
possession de ces lieux. Il fit venir vue s’étend en mer presque jusqu’à
près de lui Aristote et Xénocrate, et Chio. Aucun navire ne peut a[ prucher
eut pour eux les plus grands égards ; de la côte sans qu’il soit signalé du
il donna même en mariage, à Aristote, haut de la montagne; malheureuse-
une fille de son frère ; mais Memnon ment, comme je l'ai dit, les mouillages
le Rhodien , général au service des sont très-périlleux.
Perses, feignit de l’amitié pour Her- Aujourd’hui, le village qui a succédé
mias, et l'attira chez lui. Dès qu’il fut à cette importante cité porte le nom
maître de sa personne, il l’envoya au de Beyrhani keui. Cest sans doute le
roi de Perse, qui le fit mourir. Quel- nom de quelque émir qui aura régue
ques années plus tard, l’eunuque Phi- sur cette petite partie de la Troade.
letère devint de la même manière Tous les noms turcs des provinces
maître de la ville de Pergame. Plus ont été pris des émirs, compagnons
habile qu’Hermias , dont sans doute d’Orkhan, qui ont établi leurs liefs sur
l’exemple lui avait profité, il sut con- les débris de l’empire de Byzance.
server son pouvoir, et devint chef de
dynastie, eu laissant sa couronne à £u- CHAPITRE XXIII.
mène, son neveu. Si Hermias fût mort
sur le trône, son neveu Aristote avait de LES MUES.
grandes chanoes pour lui succéder et
pour devenir, lui aussi, chef d’une J’ai souventeu occasion de regretter,

maison royale; mais le philosophe et en décrivant les ruines des villes, que
son ami Xénocrate quittèrent prudem- les ouvrages des premiers habitants
ment Assos et l’Atarnée, et les Perscsy aient été défigurés ou remplacés par
rentrèrent en vainqueurs. des constructions mesquines des temps
Assos suivit la destinée de toutes postérieurs. La ville d’Assos n’offre
les villes de ces parages du gouverne-
:
pas ce désavantage , et Ton peut étu-
ment de Lysimaque elle passa sous,
dier dans ses murailles le plus bel
celui des rois de Pergame, et les Ro- exemple de construction hellénique
mains en prirent possession à la mort que les siècles nous aient conservé. La
d’Attale. III. Cette ville a produit quel- ^rfection de cet ouvrage est telle
ques hommes célèbres dans les let- comme art et comme genie militaire
tres Strahon nous a conservé leurs
;
ancien , que les Romains n’ont rien
noms. A côté de la statue d’Aristote, trouvé à y ajouter ou à en retran-
on montrait dans le temple d’OIympie cher.
la statue de Sodamas, citoyen d’ Assos, Tous les murs sont construits en
le premier des Æoliens,” dit Pausa- grands blocs de trachyte, sans mortier
nias (I ), qui ait été couronné aux jeux ni ciment (I).

olympiques.
(i) Je parle souvent du trachyte dans la
Assos reçut la visite de saint Paul
description des villes. Je dois dire aux per-
et de saint Luc , lorsque ces apôtres
sonnes étrangères à la géologie que le Ira-
vinrent prêcher dans la Troade. Une chyleest une roche seaiblab'e au porphyre;
église des premiers siècles atteste que le elle eu a l'aspeci et la dureté, et ne s’en
christianisme s’y établit de bonne disliugiie que par des caractères niiuéraio-
heure. Assos devint une ville épisco- giques |>eu apparents. Il n’y a pas longtemps
que les géologues ont séparé les uarhyles et
(i) Lit. VI, oh. i. les porphyres.

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,

303 L’UNIVKRS.
En commençant le tour des mu- ai pas retrouvé de traces. On remonte
railles par l’angle nord
on observe , vers le nord , jusqu’à une porte encore
d'abord un petit bastion carré d’une assez bien conservée , mais qui n’avait
construction différente des murs. Il est ni le luxe ni l’importance de la pre-
bâti, partie a joints irréguliers (cyclo- mière. Çette porte est aussi placée au
péens), partie en assises régulières, fond d’un angle rentrant ; ce qui
mais en gros blocs à bossages; il a prouve que cette disposition a été
0"',G0 de large sur tl™, 10 de long. prise par système, et en effet cela s’ex-
La tour qui en e.st voisine est demi- plique.
cimilaire ; son diamètre intérieur est Les murailles du nord-est ont com-
de 7“,20, et le mur est épais de plètement disparu; je pense qu’elles
L’appareil de ces murailles est unique auront été employées dans la construc-
dans l’antiquité. Elles sont composées tion des tours du moyen âge qui cou-
de deux parements reliés par des par- ronnent la citadelle.
paings ; mais l’intervalle entre les Un mur. d’une épaisseur moindre
deux parements est creux. L’entrée de que les remparts extérieurs, joint le |

la tour est une arcade en plein cintre, pied de l’acropolis et l’angle rentrant
'

qui parait un ouvrage tout a fait de l’ouest du côté de la grande porte.


romain. C’est la seule qui soit demi- Il avait sans doute pour but de diviser
I

circulaire; toutes les autres sont car- la ville en deux quartiers distincts.
rées. C’était un usage chez les Perses, qui
Le piton de l’acropole forme en ce lieu se retrouve encore dans les villes per-
une croupe autour de laquelle on a fait sanes modernes. Il y a certaines par-
tourner les murailles. Toutes les tours ties de la ville où les remparts forment
sont construites dans le même sys- terrasse. Ils sont alors percés de dis-
tème ; un fortin domine l’angle nord- tance en distance de canaux de l".30
est de la ville ; ensuite les murailles de hauteur etde0™,20 de largeur, pour
reviennent vers le sud jusqu’à la po- donnerissue aux eaux. Toutes les pierres
terne. sont à bossages et appareillées avec le
Le grand chemin qui est tracé le plus grand soin.
long de ce mur est le seul qui soit La longueur totale du périmètre de
sur un plan horizontal aussi a-t-il
: la ville est de 3,103 mètres.
été choisi pour y placer les tom- Les mesures sont prises à partir de
beaux. De nombreux sarcophages, l’angle nord-ouest de la ville, à la brè-
tous du style grec, c’est-à-dire avec un che qui se voit dans le rempart.
couvercle à oreillettes, sont encore en
ilace. Iis ont tous été ouverts ; mais CHAPITRE XXIV.
fes couvercles rompus sont restés sur

place. LES PORTES.


Les murailles forment en ce lieu un
angle rentrant très-prononcé, au fond Le système de défense des portes de
duquel est une petite poterne. I-agrande villes peu varié chez les anciens.
a'

porte de la ville est a l’extrémité de la Tantôt les portes étaient au fond d’une
voie des tombeaux. Je la décrirai plus enceinte carrée ou circulaire , dont les
bas. cornes étaient défendues; tantôt la

A partir de ce point, le terrain com- muraille se trouvait de front avec la


mence hdescendre rapidement; mais porte, et les tours faisaient saillie sur
partout les murs sont construits avec la ligne des murs ; c'e.st ainsi que sont

le même soin, et sont prescfue partout disposées les portes d’Assos. La porte
conservés, excepté dans la partie basse principale est au nord-ouest de la ville;
de la ville , où l’action inces.sante des elle se compose, en plan, de deux tours
eaux de la montagne les a emportés. carrées formant une saillie égale à leur
Un autre fortin, diagonalement opposé épaisseur, entre lesquelles s’ouvre la baie
au premier, mais plus étendu, défend de la porte. Une petiteenceinte, dont le
la pointe sud de la ville. J’ignore s’il mur ne s’élève que de quelques mètres
existait des portes de ce côté : je n’en existe encore au côté de la ville. On
.

ASIE MINEURE. 208

remarque dans la baie que le cham- qu’on disposées pour ré-


les avait ainsi
branle n’a pas de feuillure ; de sorte sister aux efforts du ne por-
bélier, qui
que la porte venait tout simplement taient ainsi que sur un seul parement
battre contre le parement (1). du mur.
En élévation, la partie du mur en A côté de la grande porte, on voit
saillie est couronnée, en dehors de la une poterne d’une conservation par-
ville, par un arc en ogive, dont les faite. La voussure de la baie est faite
pierres sont appareillées en encorbelle- en encorbellement, et une pierre de
ment, c’est-à-dire par assises horizon- de S*” de long couronne la petite porte.
tales formant saillie les unes sur les On voit très-bien les trous de scellement
autres. La baie de la porte est carrée, et des gonds du vantail.
couronnée par une architrave com- La troisième porte est située tout à
posée de deux pierres. Aux angles des fait à l’est de la ville; le couronne-
pilastres sont deux coussinets sculptés ment en est ruiné ; elle ne présente pas
en cul-de-lampe. d’autres caractères que ceux que j’ai
Du côté de la place, la baie de la décrits. On remarquera que les tours,
porte est couronnée par une arcade en dont la face est à bossages, sont en ap-
plein cintre, mais dont l’appareil est le pareil lisse et sans refends sur les par-
même que celui de l’ogive, c’est-à-dire ties latérales.
en assises horizontales. C’est , sans
contredit, le cachet d’une haute anti- l’acbopous. lb temple.
quité, et on doit penser qu’à cette épo-
que l’appareil en voussoirs tendant L’acropolis occupe tout le sommet
au centre était encore inconnu aux d’un rocher élevé et inaccessible qui do-
Grecs. mine l’enceinte de la ville. Il est com-
La forme ogivale, qui a été si peu iosé de grands prismes basaltiques dont
employée par les Romains, se retrouve Ïes parois sont verticales. On y arrive du
en Asie , du huitième au cinquième côté du sud par un sentier tracé au mi-
siècle avant Jésus-Christ, tant dans ces lieu des roches; du côté du nord il forme
constructions que dans celle du tom- un véritable précipice qui défendait la
beau du Tantale et dans les tom- ville contre toute surprise.
beaux lyciens. On estime que les co- Au centre de l’acropolis s’élevait un
lonies æoliennes sont venues s’établir temple d’ordre dorique grec qui, par son
dans la Troade peu de temps après la caractère archaïque, se distingue de tous
guerre de Troie. Plusieurs autres mi- les temples de même style connus, et
grations eurent lieu de la Grèce en dont les ruines subsistent encore en
Asie ; mais lorsque les Perses vinrent Italie, en Sicile ou en Grèce; ses colonnes
conquérir ce pays, les Æoliens étaient courtes et massives n’ont pas sept dia-
fort répandus, et leur gouvernement mètres de hauteur.
avait déjà subi plusieurs révolutions. La hauteur de la colonne étant de
Quelques bas-reliefs d’Assos, que nous 4'°70, l’entrecolonnement est de 2°'45 ;
aurons l’occasion d’examiner, ont un les entrecolonnements d’angle sont de
caractère plus égyptien que grec. 2'"20 ; les colonnes très-galbées sont or-
C’est tout ce qu’on peut dire sur la nées de dix cannelures; le chapiteau,
date de ces monuments, car les fonda- dont on peut voir un spécimen au mu-
teurs ont été assez avares d’inscrip- sée du Louvre, est très-évasé.
tions, sans doute à cause de la nature Le temple d’Assos était hexastyle et
rebelle de la pierre. Supposer que ces avait treize colonnes sur le côté; il ré-
murailles ne remontent pas au delà du sulte de cette disposition que la cella
cinquième siècle avant Jésus-Christ, était fort étroite. La couverture était
c’est leur assigner la limite la plus rap- en tuiles à rebord dont on a retrouvé
prochée qu’il soit possible. quelques fragments dans les fouilles.
Pour expliquer singularité de
la Ce qui disti nguait ce temple entre tous
construction des murailles, j’ai pensé les autres temples grecs, c’est que l'ar-
» chitrave, qui estordinairement lisse dans
( i) Toyez la planche 1 7 les édifices de ce genre était décorée
204 L’UNIVERS.
d’une suite de bas-reliefs qui sc sont re- temple dans son état primitif ; car on
trouvés presque intacts dans les ruines ;
trouve parmi les décombres plusieurs
ils ont été en grande partie transportés pièces appartenant au fronton.
au musée du Louvre à Paris, cès bas- Le temple est bâti avec la pierre vol-
reliefs, formant une longue bande , re- canique qui. forme le sol de la ville; on
présentent différents sujets du plus an- ne trouve nulle part un seul fragment
cien style etdont quelques-uns sont très- de m.irbre, et tous les édifices qui sub-
faciles à e.xpliquer; les deux extrémités sistent encore portent le cachet de la
de la façade étaient ornées de deux cou- plus haute antiquité.
iles de taureaux dans l’attitude du com- A une époque inconnue, mais qui
flat. Au milieu de l'architrave était un paraît voisine des temps byzantins, il
groupe de sphinx couchés et oppuscs a été élevé dans l’acropole d’Assos une
face a face. forteressecomposée de plusieurs tours
L'un des bas-reliefs représente la massives qui subsistent encore et pour
lutte de Ménélas et de Protee sur les on a pris la plus grande partie
lesquelles
rivages de l’Égypte. Ce sujet tout troyen des matériaux du temple. Le petit vil-
rappel e les anciens rapports entre les lage de Reyrham s'est construit à l’abri
rois d’Égypte et ceux de la Troade. Hé- de ces fortifications ; il se compose d’une
rodote a conservé, le souvenir de cette vingtaine de familles turques.
aventure do Ménélas « I.esucce.sseiirde En dehors de l’acropole et sur la pre-
Phéron, fils de .Sésostris, fut un citoyen mière terrasse de la ville s’élève un vaste
de Memphis dont le nom dans la langue théâtre dont les sièges sont encore en
des Grecs est Protée (1). Hélène, fuyant place; mais le pro.scenium est en grande
de Sparte avec Pâris, se rendit à Troie, partie écroulé. Non loin de là est un petit
lorsque les vents contraires la portèrent temple, et les ruines d’autres édifices
en Égypte, où elle, vécut prés de Pro- complètement écroulés jonchent le sol.
tée. » Ménélas vint lui-même à la cour Il est probable qu’en écartant ces dé-
de ce prince pour redemander Hélène. combres on ferait des découvertes inté-
On reconnaît Ménélas à son carquois et ressantes. Les inscriptions sont rares
à son casque. Protée tente en vain de se à Assos; la pierre volcanique se prête
dérober à la poursuite de Ménélas ; les peu à l’épigraphie; on a retrouvé un
nymphes de la mer semblent fuir le fragment qui prouve que dans la ville
lieu du combat (2). d’Assos il existaitun temple d’Auguste
Le sujet d’un autre bas-relief repré- semblable à celui d’Ancyre; cette ins-
sente les noces de Pirithoüs; les convives, cription incomplète est ainsi conçue :

couchés et appuyés sur des coussins, re-


çoivent dans des coupes le vin qui leur A oesar Auguste et au peuple (romain). Le
est verse par des esclaves ; tout ces bas- prt'Ire du Dieu César Augiisle et lui même
reliefs sont traités avec un sentiment descendant des rois de sa patrie, et le prêtre
Jupiter qui préside à la concorde, et le gyni-
tout primitif. On peut les comparer aux nasiarque Quintus...
plus anciennes peintures retrouvées
dans les tombeaux de l’Étrurie. Cette La petite église byzantine qui existe
conformité ii’arien d’anormal; car il est encore dans l’acropolis n’a rien de re-
aujourd'hui un fait généralement ad- marquable que l’inscription de la dédi-
mis que les Étrusoues sont originaires cace. Elle a été élevée par Anthimus,
d’Asie. Le récit a’Hérodote, dont on évêque tie Scamandria ; ce qui prouve
avait contesté le témoignage, est au- que cette ville existait encore entre le
jourd’hui regardé comme très-veridique. huitième et le neuvième siècle.
La frise du temple est décorée de tri-
glyphes, et les métopes sculptées repré- CHAPITRE XXV.
sentent des centaures, des harpies et un
s. nglier. ADBAMYTTIIIXI.
Rien ne manque pour restituer ce
Adrainyttium, qui a donné son nom
(i) Hérodote, liv. II,cb. ÿi. au golfe voisin, est au petit nombre
(a) Voyez les planche* i5, i6 et 48. des villes qui depuis la plus haute anti-
,

ASIE MINEURE. 3U&

quité ont conservé et leur nom et une geance des Perses; ils furent tous massa-
population nombreuse. crés par Arsace, lieutenant de Tissa-
La moderne Adramytte compte en- pherne (I). Les rois de Pergame héri-
core aujourd'lini plus 'de huit mille ha- tèrent du territoire d’Adramyttium qui
bitants ; elle est le chef-lieu d'un sand- leur fut concédé par les Romains après
jak et fait un commerce considérable la défaite d'Antiochus. Adramyttium,
avec les autres villes et les Iles voisines. de gré ou de force, s’attacha au parti
Son territoire, largement arrosé par des de Mithridate, et pour obéir à l'ordre
sources et de nombreux cours d’eau, qu’il avait donné, aans un accès de dé-
produit de l'huile, du blé, des ligues, mence, d’égorger tous les citoyens ro-
de la soie des laines et du tabac. Les
,
mains, son lieutenant Diodore Gt as-
familles grecques et turques y sont sassiner tout le sénat des Adramyltiens,
dans des proportions à peu prés égales. et pour éviter la vengeance des Romains
La ville est situéeen plaine; elle n'a Gnit par se laisser mourir de faim dans
oint de murailles ; les maisons sont la ville d'Amasie. Les Adramyttiens,
âties en bois selon la mode de Cons- accusés d’avoir trempé dans ce crime,
tantinople et de Smyrne et sont pres- envoyèrent à Rome Xénoclès, un de
que toutes situées au milieu de jardins leurs plus célèbres orateurs , pour plaider
où la vigne se mêle aux autres arbres leur cause devant le sénat
fruitiers. Des oliviers d’une hauteur pro- Quoique la ville d’ Adramyttium n’ait
digieuse bordent le chemin qui conduit jamais été citée comme place de guerre,
de la ville à la mer et donnent à tout néanmoins, du temps (les Ro-
elle avait
le pays l’aspect le plus champêtre. Adra- mains,
)
un port et un arsenal dont il ne
inytte n'oifreaucun vestige de monu- reste plus de vestige. est à croire qu’à
Il

ment ancien ni moderne, les mosquées cette époque elle était beaucoup plus voi-
s'y distinguent à peine des autres ha- sine de la mer qu’elle ne l’est aujour-
bitations ; en un mot de tous les sou- d’hui ; les torrents et les alluvions ont
venirs des temps passés Adramytte n'a^ formé une partie du territoire qui la
conservé que son nom ; elle passa dans' sépare de la côte. Une petite rivière ap-
une obscurité profonde toute la période pelée Ak-sou charrie une quantité de
du moyen âge, et n'éprouva qu'un léger limon qui se dépose sur le rivage. Si en
contre-coup des événements sinistres effet Adramyttium occupe l’emplace-
qui désolèrent cette côte au moment de ment de l’ancienne Pédastis , cette ri-
la révolution grecque. vière représente le Satnoeîs souvent
La fondation de la ville d’Adramyt- mentionné par Homère (3).
tium remonte à une antiquité très- Dans le fond du golfe et non loin
reculée. et selon la tradition conservée d’Adramyttium nous devons mention-
par Pline (I), elle serait antérieure à ner la ville d’Astvra avec un temple de
celle de Troie, si en effet on doit l'i- Diane Astyrène situé dans un bols .sacré
(3)
dentiGer avec l'ancienne Pedasus, ville propriété des habitants d’Antandrns.
et (4)
des Léléges. Lorsque tout ce terri- Ce lieu est aujourd'hui inconnu; on
toire fut soumis aux rois de Lydie, iourraiten retrouver l’emplacement sur
un frère de Crésus, nommé Adramys fa côte nord du golfe. Près d’Asiyrn
rembellit de monuments et lui donna il
y avait un lac nommé Sapra plein
son nom. C’est ainsi qu’elle passa pour de gouffres et dont les eaux se déchar-
avoir été fondée par les Lydiens. Adra- geaient dans un endroit du rivage hordé
inytte reçut une colonie d’Athènes et de rochers; toutes ces indications per-
re.sta dans l’alliance des villes de la mettraient de retrouver le site d’A,s-
Propontide, dont elle suivit presque tyra (4).
toujours la fortune. T.es Athéniens y Le promontoire de Pyrrha opposé à
transportèrent les habitants de Délus Lectum formait la corne sud du golfe
lorsque cette lie fut soumise à la puri-
Geation. Mais la révolte d’Athenes (i) Paiii^anias. V, 27 .

attira sur les nouveaux venus la ven- 2 Sirab., XIII, p. 614 .


(

//.. XXI , 86.

(i) Pline, T, 3s. Strab., 1. Xin,6x3<ôt4>

ogie
30S L’UNIVERS
d'Adramyttium ; il était éloigné de cent tout ce pays fut le théâtre des premières
vingt stades ou vingt-deux kilométrés expéditions d’Achille.
de ce dernier cap et se distinguait par
un temple de Vénus. Le cap Canæ ou CHAPITRE XXVI.
ACgæ, qui donna son nom à la mer
Egée, formait la du
golfe Elaï-
limite HECATONNÈS8. PITANB.
tique. Canæ était une petite ville des
Locriens ; elle était située au pied d'une Dans le détroit entre Lesbos et le
montagne entourée au midi et au cou- continent il a un petit archipel
qui
y
chant par la mer (I). offre un excellent mouillage; ou l'appe-
La cdle du golfe Ëlaïtique était con- lait dans l'antiquité Hécatonnèse qui
est interprété de deux manières par les
nue sous le nom de Acté (rivage) des
Mityléniens, la plupart des villes de écrivains anciens. H tenait son uom
cette région ayant été fondées par les d’Apollon Hécatéus, ou ce nom signi-
habitants de cette Ile. fiait tout simplement les cent lies. Il est

Pline mentionne plusieurs autres rii connu des marins modernes sous le nom
yières qui des hauteurs du Gargara se deMosco Nisi (les Iles aux veaux). .Atar-
jettent dans le golfe d’Adramytte no- née, dont l’emplacement estaujuurd'hui
tamment les rivières Astron, Carmalus, inconnu , donnait son nom à un terri-
Eryannus, etc.; mais il estimpossible, à toire étendu dont la fertilité était pro-
défaut d’autres renseignements, d’en verbiale. Cette ville a conservé quelque
déterminer la position exacte. Il eu est célébrité parce qu’elle fut le lieu de ré-
de même du fleuve Evenus qui sidence d’Aristote pendant que sou oncle
four-
nissait de aux habitants d’Adra-
l'eau Hermias gouvernait le pays. Elle fut
niyttium (2), sur les bords duquel
et ensuite donnée aux habitants de Cbio
de Lyrnessus,
était située l’antique ville pour les récompenser de leur trahison
détruite pendant le siège de Troie; ce envers Pactyas, qui fut livré par eux
dernier fleuve venait du sud , puisqu’il entre les mains de Cyrus. H est vrai que
coulait prés de l’ancienne Pitane. dans la suite ces insulaires eurent hor-

Le territoire d’Adramyttium reur de leur action ; l’orge et le blé de


était
habité par les Ciliciens, sujets d'Eétion, l’Atarnée étaient proscrits des cérémo-
père d^Andromaque, qui possédait la nies religieuses; tout ce qui naissait
ville de Thébé, au pied au mont Plancus, dans ce territoire était maudit (1). Ce-
et qui fut ruinée par Achille, a Ëétion pendant cette malédiction n’arréta pas
qui habita Thébe dans la verte Hypo- Hystiée, tyran de Milet, qui, étant à Les-
piacée et gouverna les Ciliciens bos, passa sur le continent pour faire
(3) ; •>

telle était la puissance de la poésie ho- des vivres et enlever les moissons de
mérique sur l’esprit des peuples grecs, l’Atamée ; mais ce pays était occupé par
que le nom de ces deux villes resta tou- Harpagus, général perse, qui livra un
jours attaché au territoire qu’elles ont combat dans lequel Hvstiée fut pris et
occupé, et ces contrées ne furent Jamais mis à mort dans la ville de Sardes (2).
désignées que sous le nom des plaines Malène, qui fut témoin de la défaite de
de Thébé et de Lyrnessus, Strabon ce général, était située au sud d’Atarnée
croyait que de son temps il existait en- et sur la rivedroitedu Calque. Ici s’ouvre

core quelques vestiges de ces deux une grande vallée courant de l’est à
villes; il place la première à soixante l’ouest qui sépare la Mysie de l’Æolide.

stades au nord et la seconde à quatre- Toutes les villes placéesau nord du fleuve
vingts stades au midi d’Adramyt- appartiennent à la première de ces pro-
tium. vinces; mais sous le règne des rois de
Selon Strabon, les deux villes de Pergame ces frontières furent confon-
Chrysa et de Cilla étaient situées dans dues ; nous conserverons l’ancienne ex-
le voisinageimmédiat d’Adramyttium ; pression géographique.
Un peu au nord de l’embouchure
(i) Strab., XIII, 6i5.
(a) Strab., XHL 614. (i) Hérodote, liv. I, ch. 16 1.
(3) //., VI, 4i5. (a) Hérodote, liv. VI, ch, a8.
,

ASIE MINEURE. 107


<lu Caïque et abrité par l’archipel de dèrent pas à voir leurs entreprises pros-
•Mosco-Nisi et par l’îlede Lesboss’ouvre pérer, et la population de Kidonia dé-
legolfe deTclianderli qui est le premier passait vingt-cinq mille habitants. Les
mouillage que l’on rencontre en allant primats de la ville, parmi lesquels il faut
vers le sud. On y reconnaît l’emplace- citer au premier rang Jean OEconomos,
tuent de l’ancienne Pitane à des carac- fondèrent des écoles et des établisse-
tères^ non équivoques, mais qui tiennent ments publics, autour desquels se grou-
plutôt à la topographie qu’à des restes pait la jeunesse des îles et du continent
d’antiquité. de la Grèce; aussi dès les premiers
Pitane, ville æolienne,avaitdeux ports, symptômes du soulèvement de la na-
elle était située sur une lansue de terre tion grecque, les Cydouiates prirent-ils
devant laquelle s’élèvent quelques îlots les armes pour s’opposer à l’action des
volcaniques. Le fleuve Evenus, qui va se Turcs. Cernés dans leur ville par des
jeter dans le golfe d’Élée, coule à quel- forces supérieures, ils furent presque
que distance. L’aqueduc qui portait les tous massacrés en juin 1821, et la ville
eaux à Adramyttium prenait naissance de Kidonia fut livrée aux flammes.
dans le voisinage. Il ne paraît pas que Aujourd’hui elle n’est plus qu’un
dans l’antiquité les deux ports de Pi- amas de décombres habité par quelques
tane aient reçu le moindre système de familles de marins qui échappèrent au
défense, car on les retrouve dans l’état massacre.
de pure nature. Les îlots qui les pro-
tègent sont composés d’une roche grise TBUTHBANIE, CAÏQUlt.
et compacte. On fabriquait à Pitane des
briques qui avaient la propriété de sur- La grande vallée arrosée par le fleuve
nager sur l’eau (1). C'était sans doute Caïque faisait partie de la région de
quelque terre à base de ponce que four- Teuthranie, qui reçut son nom de Teu-
nissaient les terrains volcaniques. On thras, flis deTelèphe, qui régna sur les
tirait de de Rhodes des briques
l’ile Cilicieus. La ville deTeuthrania, aujour-
d’une nature semblable qui furent em- d’hui inconnue, était à soixante -dix
ployées dans la construction de la cou- stades ( environ 13 kilom.) des villes de
pole de Sainte-Sophie (2). Pitane etdePergame. Trois fleuves arro-
La petite ville de 'Fchanderli, qui a sent la plaine de Teuthranie. Le Caïque,
remplacé l'ancienne Pitane, fut à son ui se jette dans la mer aux environs
tour renversée de fond en comble en U port d’Elée, à trente stades environ
représailles des atrocités que les Turcs du sud de la ville de Pitane, prend
avaient commises à Kidonia; les Psa- sa source dans le montTeranus, un des
riotes vinrent avec des corsaires débar- embranchements sud de l’Ida et près
quer dans le port, massacrèrent les Turcs du village de Bakir. Le ('.aïque porte au-
et incendièrent les habitations. jourd’hui plusieurs noms à sa source
:

Ces mouvements étaient le prélude c’est le Bakir tchaî (rivière de cuivre) ;


de la révolution qui devait détacher la on l’appel e ensuite Ak sou (l’eau blanche)
I

Grèce du joug des Ottomans. Lesbos et et après avoir reçu les eaux du fleuve
Cliio, qui ont payé de leur sang ces pre- Sélinus qui vient (|u mont Pindasus et
mières tentatives d’affranchissement passe à Pergame, on l’appelle Bergamo
attendent encore l’heure de leur déli- tchaï . 11 reçoit encore les eaux de deux
vrance. petites rivières, le Mysins venant des
Kidonia, dont le nom turc est Aïvali montagnes au nord de Pergame et le
(la ville des Coings) fut fondée dans
,
Cetius qui prit son nom des Cétiens,
nie voisine, mais à une époque inconnue. sujets de Télèphe (1). Une partie du
Les habitants, presque tous Grecs, se bassin inférieurdu Caïque portait le nom
transportèrent sur le continent et bâ- de plaine Apia, célèbre autrefois par sa
tirent une ville du même nom. Adonnés fertilité. La route de Pitane (Tchan-
à la marine et au commerce, ils ne tar- derli) à Pergame suit les bords du
Caïque ; elle est bornée au nord par une
(i) Sirab.,XIII, 614 .
(») Banduri, Anonyme de Comt.\ u I". (i) StraboD, XIII, 6i5.
::08 L’UNIVKRS.
chaîne trachytique qui forme les der- semblance frappante. IVouscroyons donc
niers échelons du moût Gargare; la dis- sans forcer en rien les traditions his-
tance entre Tchauderli et Pergame est de toriques que ces deux tumulus doivent
viugt kilom. La montagne du chAleau être cousidérés comme les tombeaux
domine toute la vallée et s'aperçoitd’une d’Augé et d’Andromaque. C’est une
distance de plus de vingt kilomètres. tout autre question de savoir si en réa-
lité ces deux héroïnes ont reçu leur
CHAPITRE XXVIl. sépulture en ce heu ; nous voulons seu-
lement dire t|ue ces deux tertres sont
PEBOAME. ceux que du temps de Pausanias on
considérait comme leurs tombeaux.
A de la ville de Pergame
l'entrée Si l’on s’eu rapporte à la citation de
s’élèvent deux monticules couverts de Pausanias, Pergame a été fondée par
verdure et qu’au premier coup d’œil on le héros, lils d’Andromaque, nommé
reconnaît pour être deux tumulus éle- Pergamus, et la veuve d’Hector retrouva
vés de main d'homme. Ils sont en tout dans ce nom un souvenir de la citadelle
scmblaliles a ceux de la plaine de Truie ; troyenne. Mous |>ouvons croire cepen-
ils n’offrent à l’extérieur aucune trace
dant que ce nom de Pergame a uue
de construction. L’un d’eux porte le racine étrangère à la langue grecque,
nom de .Maltépé; il a environ soixante Perg ou Rerg, qui siguiGe montagne.
mètres de haut et cent quarante mètres Il sê retrouve aussi dans le nom de
de diamètre ; l’autre est d’une dimension Perga, ville de Pamphylie qui est situee
un peu moindre. Ces monuments, qui exactemem de la même manière que le
datent de l'âge héroïque, nous parais- Pergama de Troie, et la ville de Per-
sent avoir été clairement désignés par game. Rien longtemps avant que le site
Paiisanias et se rattacher au nom et à la de Perga fût retrouvé, un critique avait
fondation de Pergame. soupçonné que cette ville devait occu-
Après la mort d'Hermione, Pyrrhus per un lieu élevé, et cette conjecture
épousa Andromaque, dont il eut trois s’est vériüee (I). Les premiers siècles de
). Après la mort de Pyrrhus, ses
lils ( 1
l’existence de Pergame se perdent dans
se séparèrent, a Pergamus, accompa-
lils les ténèbres de l’antiquité; la première
gné de sa mère Andromaque, alla cher- meniiou, qui remonte aux temps histo-
cher fortune en Asie, et s’étant arrêté riques, se trouve consignée dans le récit
dans la Teuthranie, où régnait Arius, de Xéiioplion (2). Ge général trouva
il tua ce prince dans un combat singu-
chez les frères Gorgion et Gongyleune
lier, se mit à sa place et donna son nom généreuse hospitalité, et partit de Per-
a la ville. On voit encore, car Andro- game pour faire une excursion chez les
maque l’avait accompagne, leurs tom- Perses , maîtres de la contrée.
beaux dans la ville. « Le même auteur (2)
fait au.ssi mention du tombeau d’Augé, CHAPITRE XXVIll.
mère de Tèléphe, qui se voyait à Per-
game. La description qu’en fait l’auteur OJtteiNK nu ROYAUME DE PERGAME.
grec est aussi explicite que possible — PHILÉTÉHE. — EUME.NK.
et se rapporte parfaitement au tu-
La position formidable du château de
mulus qui s’élève à l’entrée de la ville.
Pergame avait été remarquée par Lysi-
•t Et encore aujourd’hui le tombeau
maque, qui le choisit pour y déposer
d’Augé se voit à Pergame, qui est au-
ses trésors, estimés 9,000 talents ou
dessus du Calque; c'est une butte de
47,000,000 de francs; il en conGa la
terre (/.wfra YÏ?) entourée d’un soubas-
garde à Philétere de Tium en Paphla-
sement de pierre. « Ce sont presque les
gonie (3). Ce personnage, qui d’un poste
mêmes paroles qu’Hérodote emploie
pour décrire le tombeau d’Alyatte et en
(i) Voy. Pline, éJ. de 1770, Irad. de
effet les deux monumeuts ont uue res-
Poiminel, liv. V, cli. 3 a.
(a) Anal)., X'II, 8, 4.
(i) Paiisanlas, liv. I, eiiap. m. ( 3 ) Siraboii, XIII, 6t3, dit qu'il naquit à
(aj PaiiMiiias, liv. Vlll, cb. 4 . l'yaua en Cappaduce.
,

ASlIi MINEURK. V 209

subalterne devait bientôt s'élever à la d’une grande partie de l’Æolide (1).


souveraine puissance, était fils d'une Plus heureux qu’Hermias le maître
danseuse et courtisane noinntée Boa. d’Assos, Philétère légua legouvernement
Il avait éprouvé dans son enfance un de Pergame à son neveu Lumène, et ce
accident à la suite duquel il était resté prince, qui brillait par des qualités so-
eunuque; cependant, guidé et protégé lides, sut défendre vigoureusement
par Docime, officier de" l’armée d’Anti- l'héritage qu’il venait d’acquérir. An-
tigone, il commença à prendre part tiochus exigeait toujours l’exécution du
aux affaires publiques. Docime étant traité signé par Philétère; les deux
passé au service de Lysimaque emmena princes finirent par se déclarer la guerre,
avec lui Pliilétère, qui captiva Lysimaque et les environs de Sardes furent encore
par son esprit d’ordre et d’économie le champ de bataille où se décida le
et ce prince le choisit pour son tréso- sort du futur royaume de Pergame. An-
rier et lui donna le commandement du tiochus fut vaincu et mourut peu de
château de Pergame, où était renfermé temps après sa défaite. Eumène régna
le précieux dépôt. Pendant quelque vingt-deux ans et mourut l'an 241 avant
temps le prince grec n’eut qu’à se louer notre ère.
dé la fidelité de son intendant; mais
ce dernier, menacé d’une disgrâce pro- ATT.XLE l'L
chaine par suite des intrigues d'Arsi-
noë, femme de Lysimaque, n’imagina Attale l'^ cousin et successeur d’Eu-
d'autre moyen de se sauver que de se mène, était fils d’Attale et d’Antio-
rendre indépendant. Tout dessein de ce chide, fille d’Achæus. C’est lui qui fut
genre trouvait infailliblement un appui le premier proclamé roi, après une
parmi les princes grecs rivaux ou ja- grande victoire qu’il remporta sur les
loux les uns des autres. Séleucus appuya Galates (2). Aucun prince n’était venu
les projets ambitieux du ministre de à son secours ; les Gaulois, dont le nom
Lysimaque, et ce prince ayant péri dans seul était un épouvantail pour les peu-
une bataille qu’il livrait à Séleucus aux ples de l’Asie, marchaientsur Pergame,
environs de Sardes, Philétère se vit en et l’armée d’Attale était glacée de ter-
possession du rang suprême, sans avoir reur; c’est alors que le prince s’avisa
eu à combattre ses ennemis autrement d’un stratagème qui a été regardé de
que par le moyeu d'intrigues habile- nos jours comme la première tentative
ment ourdies, et qui lui permirent de d’un art qui ne devait se produire que
jouir pendant vingt ansd’un pouvoir peu bien des siècles plus tard ; il écrivit a
contesté. Le traité passé avec Séleucus l’envers sur le creux de sa main le mot
pour lui restituer les trésors de Lysi- Nika (victoire) et l’imprimant sur le
niaque n’avait pas été observé, et les foie d’une victime que l’on immolait,
deux alliés étaient devenus des ennemis il montra aux soldats étonnés le viscère

irréconciliables ; mais le sort fut encore portant lisiblement le nom de la vic-


favorable à Philétère ; car après sept toire Les soldats, convaincus de la pro-
mois d’hostilités Séleucus mourut vic- tection des dieux, reprirent courage ; un
time de la trahison de Ptolémée Cérau- combat acharné eut lieu , et les Gaulois
nus. furent mis en fuite. Cette victoire, rem-
Le maître de Pergame était trop po- portée sur un peuple que l’on avait re-
litique pour laisser de nouvelles inimi- ganlé jusqu’alors comme invincible, ex-
tiés se développer autour de lui; il lit cita dans toute l’Asie un enthousiasme
redemander le corps de Séleucus et indicible; des tableaux représentant
après lui avoir rendu les honneurs fu- cette bataille furent exécutés et déposés
nèbres, il le renvoya à Antiochus, fils et dans les temples, l’un à Pergame, l’autre
successeur de ce prince. A partir de ce à Athènes (3).
moment Philétère put jouir tranquille-
ment du gouvernement de l’État qu'il (i)Slral)on, XIII, 6x3.
avait constitué; contracta des alliances
il
(ï) Siral)., XIII, 6x4.
avec les princes voisins et put réunir (3) Polyoen., Strab., PausaDÎas, liv. Y,
sous son pouvoir gouvernement
le ch. 9.

I4‘ LioraUon. (Asts MtNF.UBB. T. II. H


, .

21U L’UNIVERS.
La puissa nce d’Âttale, accrue par cette EUHÈNE II.
\ictoire, le mit à même
de se mesurer
de nouveau avec les rois de Syrie, ses Euliiène II , fils d'Attale et d’Apollo-
ennemis naturels. Séleucus Céraunus nis de Cyzique, succéda à son père, et
marcha contre le roi de Pergame ; mais demeura l’allié des Romains dans la

ce dernier sut adroitement se défaire guerre contre Antiochus et contre Per-


de ce nouvel ennemi. Séleucus mourut sée. A ehaque victoire il recevait du
assassiné dans les défilés du Taurus peuple romain un accroissement de ter-
et dans le même temps les Pisidiens ritoire; il reçut de plus d’Antiochus la

soulevés firent une irruption en Syrie somme de quatre cents talents tant pour
et forcèrent Achæus, qui marchait con- ce qui lui était dû que pour le blé qu'il
tre Pergarae, de revenir sur ses pas. avait fourni aux rois de Syrie. Mais
Dans ces conjonctures la plupart des tant de prospérité finit par faire naître
villes de l'Æolide et de la Mysie firent le soupçon de la part de ceux mêmes
leur soumission ; les habitants de Téos qui avaient comblé de faveurs le roi de
et de Colophon envoyèrent les clefs de Pergame ; il fut accusé de favoriser en
leurs villes ; Cymé, Smyrne et Phocée secret l’ennemi des Romains, et comme
furent annexées au nouvel État, et le un ii’avait aucune preuve certaine, on
prince Attale fut proclamé roi. Il fit al- envoya Tib. Gracenus en Asie comme
liance avec la république de Byzance commissaire pour examiner la conduite
et sut également acquérir l’amitié des de ce prince. Aucune charge ne s’étant
Ahodiens. Cette ligue des deux répu- élevée contre lui, sur le témoignage fa-
bliques avec le nouveau roi avait pour vorable que le commissaire Gracchus
but de s'opposer à la tyrannie des princes adressa au sénat, les Romains rendirent
grecs, qui s’emparaient de toutes les à Eumène leur ancienne amitié.
côtes et imposaient des charges intolé- Les mauvaises dispositions de la ré-
rables au commerce maritime. Les rois publique avaient motivé un décret du
de Bithynie avaient pris part dans ce sénat en vertu duquel toutes les statues
conflit, et remportèrent d’abord quel- de ce roi seraient enlevées de la place
ques avantages sur le roi de Pergame; qu’elles occupaient dans les lieux pu-
mais comme ce dernier avait fait alliance blics. Attale, frère du roi, fit un voyage
avec les Romains contre Philippe de à Rome, et obtint la révocation du décret
.Macédoine (I), il se trouva en mesure Sous le règne de ce prince une ambas-
de résister à tant d’ennemis, et put se sade du peuple romain débarqua au
faire restituer les provinces qui lui iort d’Élée, et se rendit à Pergame dans
avaient été enlevées. fe but d’obtenir la permission de trans-
Philippe, qui faisait la guerre en bar- orter à Rome la statue de la mère des
bare plutôt qu’eu prince civilisé, dirigea ieux, qui se trouvait à Pessinunte.
un corps d’armée contre Pergame. Tous La ville de Pergame dut à Eumène
ses efforts dans l’attaque de cette ville un accroissement considérable ; il ré-
ayant été inutiles, il tourna sa rage para les ravages des dernières guerres,
contre les dieux ; il ne se contentait pas et construisit des monuments magni-
de briller les temples, il brisait les sta- fiques, qui existaient encore du temps de
tue.s ,
renversait les autels et arrachait Strabon; il fit planter et décorer le Ni-
jusqu’aux pierres des fondements. Les céphorium bâti par Attale. Polybe (I)
Ætoliens ayant fait la *paix avec Phi- et .Strabon (2) se contentent de men-
lippe, ce prince retourna en Macédoine, tiout)er ce lieu comme un ensemble de
et le roi Attale accomplit en paix un temples, de statues et de portiques sans
règne de quarante-quatre ans. Il réunit dire quelle était sa destination. Une ins-
sous ses lois tout le territoire qui s’étend cription que nous avons retrouvée sur
jusqu'à Adramyttium et Jeta les pre- le peuchaut de l’acropole de Pergame
miers fondements de la bibliothèque de nous fait connaître que le Nicéphoiium
Pergame. était un temple consacré à Minerve Po-

(i) Voyez les rois de Bylhiiiie, p. 3i. li) Uv. XVI, cil. I".
(i) Uv, xill, 6»4,
ASIK MiNEimt:. 1>11

liade et Nicéphore , auquel était attaché miniaturiste, qui mettait les titres, les
un collège de prêtresses (1). Nous pou- ornements arabesques; le corps
et les
vons présumer que cette inscription se des copistes turcs, appartenant à la classe
trouvait sur l’emplacement même de des oulémas, s’est opposé longtemps à
l’enceinte sacrée qui par conséquent dé- la propagation des livres imprimés.
pendait de l’Acropolis. C’est une erreur de croire que le Coran
Eumène fut réellement le fondateur contienne rien qui soit contraire à l’a-
de cette bibliothèque de deux cent mille doption de l'imprimerie.
volumes dont la perte est depuis tant Il est singulier que les Uomains, qui

de siècles regrettée de tous ceux qui ai- ont connu rem|>loi des cylindres, des
ment les lettres (2). Afin de donner aux sceaux, et des tessères gravées, n’aient
copistes les moyens les plus faciles pour jamais eu l’idée delà reproduction mé-
reproduire les œuvres littéraires, il créa canique de l'écriture; le manque de pa-
des fabriques de peaux préparées pour pier les a arrêtés dans cette voie plus
recevoir l’écriture, et qui depuis ce que toute autre cause.
temps-là ont conservé le nom de la ville
où cette industriea pris naissance, Ver- ATT A LE II.
gamenæ ckartx, dont nous avons fait
le mot parchemin. Le papyrus, dont on Eîumène mourut après un règne de
avait fait usage jusque-la', était cher et quarante-neuf ans, laissant la régence
d'une fabrication difficile. Les princes à son frère et le trône à son jeune fils,

grecs, maîtres de l’Égypte, qui produi- qui régna sous le nom d’Attale III. Il
saitseuleeetteplante, mettaient des obs- était fils de Stratonice, fille d Ariarathe,
tacles sans nombre à la sortie d’un pro- roi de Cappadoce. Attale II, Philadel-
duit dont la consommation allait tou- phe, frère d’Eumène, exerça en réalité le
jours grandissant; la fabrication du par- pouvoir suprême, mais peu s’en fallut
chemin acquit en peu de temps un dé- qu'il ne fût chassé du trône par Prusias,
veloppement considérable et aujour- roi de Bilhynie. Ce prince s’était em-
d’hui encore la ville de Pergame se dis- paré de Pergame et avait renouvelé les
tingue par l’habileté de ses maroqui- scènes de destruction qui avaient eu
niers. Les bords du Selinus sont cou- lieu du temps de Philippe. Mais les Ro-
verts de fabriques de tanneries et de mains forcèrent Prusias à faire la paix
mégisseries, et cette modeste industrie, avecle roi de Pergame et à réparer tous
qui dans le principe fut si utile aux let- les dommages qu’il avait fait souffrir à
tres, pourrait plus qu'aucune autre ré- la ville.
clamer des titres de noblesse, eu égard Attale, pour se venger de cet ennemi
à l’antiquité de son origine et à un implacable, suscita contre lui son propre
exercice non interrompu pendant plus fils Nicomède, qui le tua.
de vingt siècles. Attale devint alors assez puissant
On voyait encore il y a quelques an- pour rétablir sur son trône (1) Aria-
nées à Constantinople le bazar des co- rathe, son beau-père, roi de Cappadoce.
pistes, qui pouvait donner une idée de Il fut maître de la Pbrygie et de la

cette industrie dans l'antiquité et faire Pamphylie, et bâtit les villes d’Attalia
comprendre comment un livre en re- etde Philadelphie, auxquelles il donna
nom pouvait être reproduit avec une ra- son double nom d’Attale Philadelphe.
pidité relative assez grande. Les copistes Dans sa vieillesse il négligea les affaires
du Coran étaient si bien habitués au publiques, s’en rapportant à son favori
caractère et au format de ce livre que Philopœmen. Il finit par mourir empoi-
pas une ligne, pas un mot ne dépassait sonné par son neveu Attale Philumétor.
la page.
T.e livre écrit brut passait entre les ATTALE III.
mains du satineur, de là entre celles du
Le règne de ce prince n'est qu'une
. »•

(i) Voy. Deseription tit l'Asir Mineurt-. suite de cruautés et d’extravagances ; il


t. II, p. »oo. .

Slrabou, XllI, 614. ( i) SiraboD, XUl, p. 6i',.

1 4 .
,

•-1J L’UKIVERS.

fitavec le secours et la protection des Attale 1" 2tl — 198


Hoiiiains quelques guerres heureuses à Eumène II 198 — l.'.T

ses ennemis, les Bithyiiiens, et vainquit Attale II Philadelphe. . 157 — 187


Nicomède, qui ne fit plus aucune ten- Attale lli Philométor. . 137 — l„g
tative contre le royaume de Per- Aristonic prétendant. . . 132 — 129
game.
L’ancien royaume de Pergame, réduit
Attale II passa la fin de son règne
en province de l’empire romain, forma
dans une retraite souvent troublée par
le déparlement qui fut particulièrement
le remords, et avant de mourir fit un
désigne sous le nom de province d’.\-
testament signé par tous les rois de l’A-
sie, et l’administration du pays fut su-
sie, en vertu duquel il instituait le peuple
bordonnée aux lois de la métropole. On
romain son légataire universel Popu-
laissa cependant subsister cette appa-
lus romanus bonorum meorum hxres
rence de libertés municipales dont ces
esta. A ce moment le royaume de Per-
avait commencé par le terri-
anciennes villes étaient si jalouses, et
game, qui
comprenait toutes les sous le nom de communautés des villes
toire d'une ville,
d’Asie (t) elles conservèrent certains
provinces centrales de l’Asie jusqu’au
privilèges. Les cérémonies religieuses
mont Taurus.
et les jeux publics furent présidés par
Cependant la puissante république
n’entra pas sans combat en possession
un magistrat qui portait le titre d'A-
siarque, et les personnages les plus puis-
de son héritage; Aristonic, fils naturel
armes sants briguèrent cet emploi. Des temples
du dernier des Attales, prit les
furent élevés en l’honneur de cette com-
pour reconquérir le trône de son père.
Deux consuls entrèrent successivement munauté; on les appelait les temples de
l’Asie (2) et la plupart des villes ne tar-
en campagne contre lui, et pendant trois
dèrent pas à suivre cet exemple; car ils
années la guerre se prolongea sans re-
étaient dédiés en même temps à l’em-
lâche; plusieurs villes se déclarèrent
pereur régnant. Les jeux publics étant
en faveur du prétendant. Ce dernier
armée qui presque toujours donnés à l’occasion
se vit bientôt à la tète d’une
remporta d’abord de grands avantages.
de panégyries étaient présidés par l'A-
siaroue et le temple était placé sous La
Thyatireet \pollonis furent prises, et le
juridiction du grand prêtre. Une ins-
danger parut assez grand aux Romains
cription mentionne Diadochus comme
pour qu’ils Jugeassent nécessaire de don-
ner le commandement de l’armée à un
grand pontife des temples de l’Asie à
per.sonnageconsulaire. PubliusCrassus,
Pergame (3). Les villes de Sardes,
Smyrne, Cyzique eurent aussi des tem-
qui entra le premier en campagne, fut
ples de- l’Asie, et les jeux publics pre-
tué à Leiicæ, place d’armes d’Aristonic
naient le nom de jeux d'Asie.
située aux environs de Smyrne; il eut
pour successeur M. Perperna, qui mit
Dans le concours qui eut lieu entre
onze villes d’Asie qui briguaient l’hon-
fin .à la guerre, mais qui mourut au mo-
neur d’élever un temple à Tibère, les
ment où il terminait la seconde cam-
prétentions de Pergame furent écartées
pagne. Aristonic, vaincu et prisonnier,
parce qu’elle devait être satisfaite d’a-
fut traîné à Rome où il trouva la mort
voir déjà dans ses murs un temple
pour prix de l'audace qu’il avait eue de
d’Auguste et de Rome; des jeux sacrés
disputer cette riche proie à l’avarice des
avaient été institués en l’honneur de
allies de son [lère (I). Tous les trésors
l'empereur. Divus Augustus sibi atque
des rois furent emportés à Rome, et un
proconsul vint prendre possession du
w'bl /<omæ templum a/ml Pergamum
territoire an nom du peuple romain.
sisti non prohibuU disait Tibère au
l a dynastie des rois de Pergame
sénat (4) . Le gouvernement de Pergame
donnée par Strabon est comprise dans
la jicriode suivante Av. .I.-C.
(1) Kotvov
:
’.-tci'a;.

Philétère l’eunuque. . . 283 — 263 (


2) N«oî TÏi; ’Aut»;.
Kumène I", premier roi. 263 — 241 (3) Wlieler,
II.
t.Rr, »4o, ap. Caylus, An.
t'uf,, I.

(i).Stral)on, XIV, 646. (4) Tacit., Annal., I. IX, ch. 3y.


,

'ASIE MI^KURE. 213

avait aussi élevé un temple en l’hon- u’aux temps chrétiens ;


elle eut cepeii-
neur de l’empereur Claude. ant un effet réel, ce fut de créer à Per-
Parmi tant de divinités auxquelles les game une école de médecins dont
habitants de Per^ame rendaient hom- Claude Galien est l’expression la plus
mage la plus vénérée était sans contre- célèbre. Leur principale étude consistait
ditEsculape, précisément parce qu’elle à recueillir toutes les observations con-
était plus souvent en rapjwrt avec les signées dans les archives du temple et
mortels. Son culte avait été apporté en à les réunir en corps de doctrine.
Asie par Archias, fils d’Aristechmus, Pergame fut une des premières villes
et son temple, avait droit d’asile. La d’où partit la lumière de l’Évangile pour
grande célébrité de ce temple était due s'étendre sur toute l'Asie. C’est ainsi
aux cures merveilleuses qui s’accom- qu’il faut entendre le titre d’une des
plissaient sous les auspices d’Esculape ; sept églises d’Asie qui lui est donné dans
les malades étaient admis à coucher la l’Apocalypse. Elle devint ensuite le siège
nuit sous les portiques, et ils appre- d'un évêché qui fut siiffragant de
naient en songe l’usage des remèdes qui Smyrne, mais qui plus tard prit le titre
devaient les guérir. On remarquait dans de métropole. Dans la division des pro-
l’enceinte un trépied orné de trois sta- vinces faite par Constantin Porphyro-
tues en or, celle a’Esculape, de Coronis génète, Pergame fit partie du tliême
et de Télesphore. Obsequium. Cette ville échappa pour
Le temple était situé hors la ville, toujours aux Grecs en 1306, lorsque
dans le quartier de l’ouest et près du les Seidjoukides firent une irruption
théâtre (t). L'emplacement de ce der- dans l’ouest de l’Asie. L’émir de Ka-
nier édifice étant connu , il serait pos- rasi devint maître de la province , et
sible de retrouver celui du temple. Pru- lui donna le nom de Karasi lli. Quel-
sias II, roi de Bithynie, forcé d’aban- ues années plus tard, en 1336, Karasi
donner le siège de Pergame, dépouilla ?ut assiégé dans Pergame par le sultan
le temple de ses plus riches ornements. des Turcs, Orkhan. La ville fut prise, et
L’asile d’Esculape était célèbre dans Karasi fut assassiné; c’est ainsi que les
toute l’Asie et ouvert à toutes les infor- Osmanlis s’établirent à Pergame. Le fils
tunes; mais dans les temps de trouble d’Orklian, nommé Soliman, aimait Igs
ilne fut pas toujours respecté ; plusieurs lettres et les arts;admirait ces ruines
il

citoyens romains s’y réfugièrent pen- merveilleuses qui embellissaient sa


dant la persécution ordonnée par Mi- nouvelle conquête; il avait épousé une

thridate et furent néanmoins massacrés belle Grecque, de Jean Vatatzès;


fille
au pied des autels. Caius Fimbria mais le sultan mourut d'une chute de
proconsul, abandonné de ses troupes et cheval eu 1360, et les monuments an-
voyant dans Sylla un ennemi irrécon- ciens continuèrent à être livrés à la
ciliable, se réfugia à Pergame, et, déses- destruction (I). Orkhan, en mourant,
pérant d’échapper à Sylla, entra dans le donna le gouvernement de Pergame à
temple d’Escuiape et se perça de son Stileiman-Pacha; depuis ce temps, elle
épée. faitpartie du sandjak de Khodawen-
Les empereurs romains firent de Pér- kiar.
imé la capitale et la plus belle ville
de leur nouvelle province d’Asie; elle CHAPITRE XXIX.
reçut en outre le titre de Néocore (gar-
dienne des temples), qui est inscrit sur INTÉHIEUR DE LA VILLE, LES MORS,
un grand nombre de médailles impé- l’acropole.
riales. La célébrité du temple d’F.scu-
lape ne souffrit aucun préjudice du La description de Strabon suffit pour
nouveau gouvernement, et des empe- apprendre que, sous les rois grecs, la
reurs vinrent en personne demander la ville de Pergame ne sortait pus de l’en-
santé au fils d’Apollon. Cette confiance ceinte qiïi devint plus tard l’acropolis.
dans la puissance du dieu subsista jus-
(i) Haniiiitr, HUloiie îles UUomans,
(i) Arislid., Oral, sacr.^ lit. loin. r. Lcchcvalicr, Tromte, Inm. II.
214 L’UMVKRS.
Défeudue an uurd pui ua rociu'i' in- de soulciienieut d une admirable cons-
franchissable, à droite et à gauche par truction. f.’uii d’eux est légèrement en
deux ruisseaux torrentueux, elle n’était talus; chaque assise est en retraite sur
accessible que du côté du midi. Des l’assise inférieure. Le mur tourne au
chemins pavés de larges blocs de lave sud-ouest est à bossages; il formait le
conduisaient aux Propylées, et le tem- soubas.sement du grand temple. On voit
ple de Minerve Poliade s’élevait ma- eiicoredes voûtes quiviennents’appuyer
lestueuseinent au-dessus de remparts sur la face principale, et qui empê-
qui ne furent jamais pris d’assaut. chaient tout affaissement.
Presque tons les murs qui entourent Le grand temple s’élevait au milieu
d’un double circuit le sommet de la cita- d’une aréa magnifique, et dominait ma-
delle datent des rois grecs, et sont de la jestueusement toute la vallée du Cui’que;
plus helleépoq ue de l’art. La matière n’est comme le Parthénon et le temple d’ Assos,
pas épargnée, et l'appareil est exécuté signalait au loin la situation de la ville.
avec une magnificence toute royale. Les colonnes cannelées avaient l“',42
En commençant l’ascension de l’a- de diamètre; elles étaient corinthiennes
cropole, le premier édiUce qui frappe et de marbre blanc. Le voyageur an-
les reganjs est une sorte de palais dont glais Dallaway, qui visitait Pergame
les murailles sont dépouillées d'orne- il
y a soixante'ans, trouva ce temple as-
ments; elles sont construites en pedits sez bien conservé pour pouvoir en don-
moellons; on voit encore une enceinte ner les dimensions, et nous sommes
percée de fenêtres, et deux uiclies qui d’accord sur la seule partie que j’aie été
se correspondent. Cet édifice était en- à même de mesurer (2).
touré des portiques à colonnes d’ordre Tout ce que j’ai pu retrouver ii’a fait
ilorique grec,; mais les décombres sont que confirmer les conclusions de ce
tellement accumulés , qu’il est difficile bon observateur. En descendant du côté
lie reconnaître la première disposition. du sud-ouest, on voit plusieurs murs
A partir de cet endroit, le chemin de de soutènement que l’on ne peut se las-
l’acropole subsiste encore en entier; il ser d’admirer. Tant d'art et de luxe
e.st pavé en grandes dalles de lave, et employés dans des travaux de simple
de |iart et d’autre on aperçoit les sou- terrassement doivent donner la plus
bassements des édiGces qui le déco- haute idée des monuments qui déco-
raient. On suit ce chemin, dans une raient Pergame. Mais tous les murs de
longueur de 600 mètres, jusqu’à la porte l'acropolis ne datent pas de la même
du château ; construction du moyen époque; les Romains y ont ajouté des
âge, dont les murailles et les tours ouvrages qui sont remarquables par
sont uniquement composées de colonnes l'allianc.e de la pierre et du marbre,
de différents diamètres, presque toutes dans des bâtiments purement militaires.
de marbre. Quelques-unes sont à can- Du côté de l’ouest, les murs des tours
nelures demi-cylindriques, comme les et les portes sont bâtis en pierres de pe-
pratiquaient les Romains; d’autres sont tit appareil, alternant avec de grandes
cannelées à la grecque ; d’autres enfin assises régulières, de marbre blanc.
ne sont que des cylindres à pans cou- L’identité de construction avec l’édifice
p^, tant les cannelures sont peu évi- que j’appelle la basilique, et dont je
dées. A côté de l’entrée est un four à
chaux, gouffre où ont été s’engloutir (3) The whüle Iciglb of tbe Cell was
les derniers débris des temples et des lliii'ly-roiir feel, of llie complété grouiid plan

palais qui ornaient l'acropolis; car fnrly-nine, and of llie Porlico twenly, (lie
le
sol de Pergame est volcanique, Pillais of which were four feel in diaraeler.
et la
Itis, liüwever, worlhy nf reniark, lhat lhe
pierre à chaux rare aux environs.
tori of the colnmns are .seniptured wilh
Le château de Lysimaque (I ) occu-
wrralhs oflanrel, and tlie Frizes bave deep
fiait le point culminant. Toutes les fon-
fesloons of the same, witb eagle.i, a mode of
dations existent encore, et dans cer-
décoration cbaractei'ising many édifices erec-
taines parties on voit encore des murs
ted in tbe days of Trajaii, who, it is ibere-
fore a fair supposition, was bnnoured by tbia
'
i) Slrd.nn, liv. XHt, |i. édifice.
,

ASIK MLNEUKK. ità

parlerai bientôt me prouve que tous


,
pour plupart caches a tous les yeux,
la
ces ouvrages sont de la même époque. et qui cependant sont exécutés avec le
Les i.'iiernes sont aussi de construction même soin que les plus beaux édiûces ;
romaine ; elles sont vastes et bien con- les quais de Pergame méritent sous ce
servées. Dans tout le quartier qui était rapport une meutioii spéciale, et les
appuyé à la pente de la montagne du ,
ponts qui les relient, d’un caractère
côté du sud-ouest, on trouve de grandes moins pur et moins sévère , offrent
vodtes btlties en pierres détaillé, qui sans contredit plus de grandiose et d’o
ont certainement servi à établir les ni- riginalité.
vellements des rues, et des ponts soli- Le .Selinus traverse la ville dans un
dement construits joignaient les deux lit fort encaissé ; et comme il est sujet
rives du Selinus. Mais, du côté du sud à des dehordeinents considérables , ou
on ne trouve point de traces de mu- a exhaussé les quais pour contenir les
railles; il est même assez difficile de eaux. Tous ces ouvrages sont faits en
dire comment le théâtre et l’amphi- grandes pierres de taille à bossage , et,
théâtre avaient été reliés à l'ancienne de distance en distance, des égouts s’ou-
ville. Une église byzantine d’ancien vrent pour donner issue aux eaux de la
style, c’est-à-dire antérieure au règne ville.
de Justinien, s’élève sur la rive droite Le parcours du Selinus dans la ville
du Selinus. Elle a été convertie en mos- de Pergame est de 867 mètres. On le
quée par les Turcs, mais conserve tou- traverse sur cinq ponts, tous de cons-
jours son nom de Sainte-Sophie (Aia truction romaine. Le pont qui est eu
Sophia). Elle se compose d’une nef à amont de la ville a été réparé à diffé-
deux coupoles, divisée par un grand rentes époques; sa construction paraît
arc, le tout en pierres de taille bien ap- postérieure à celle des autres.
pareillées; mais il n’y a aucun orne- I.e pont appelé pont du Mousiouk
ment ni aucune sculpture qui puisse (de l’abreuvoir) est un ouvrage romain
guider sur l’époque de b fondation de sur des fondations grecques. U se com-
cet édifice. Sur la rive gauche du .Seli- pose de deux arches fort inégales, l’une
nus, et dans l’alignement du pont ap- de 9"‘,10, et l’autre de 12“, 60 de dia-
pelé Mouslouk kouprou xoii , sont les mètre. La rive gauche du Selinus étant
ruines d’un grand palais byzantin , ou beaucoup plus élevée que la droite,
ui du moins ne remonte pas au delà tous les ponts vont racheter ces deux
u règne de Gallien. Tout un côté de niveaux. Le pont de Mouslonk était
la rue est occupé par la fai;.ade , qui est décoré à son extrémité sud de deux co-
percée de fenêtres , et décorée de pilas- lonnes de marbre dont l’une est encore
,

tres de marbre incrustés dans la ma- couchée près du quai.


çonnerie. Un portique y attenait, et les A côté de ce pont est un ouvrage des
colonnes sont encore couchées çà et là plus remarquables; c’est un véritable
le long de la rue. Quelques colonnes tunnel de 196 mètres de longueur,
étaient engagées dans la muraille ; on construit sur la rivière. Quel ct.nit le
voit par les arrachements des chapi- but de cet ouvrage? Sans nul doute
teaux qu’elles étaient d’ordre conn- c’était pour former le terre-plein d’un
thien. Plusieurs revêtements des fenê- quartier de la ville. Deux vodtes paral-
tres, les corniches et un petit entable- lèles, ayant l’une 12"*, lü et l’autre
ment dorique sont encore en place. Un 12“,42 de diamètre, ont été construites
Grec, qui a quelque notion des anciens sur la rivière. Elles existent encore dans
édifices de la ville, regarde ce palais leur entier, et un vaste édifice antique
comme ayant appartenu à l’agora. occupe une partie du terre-plein qu’elle.s
forment ; cet emplacement est couvert
LE SELINUS. LES PONTS. par des maisons très-serrées. Ce quar-
tier s’appelle .Vé Yerdéwé néCoeukdê
Il n'est rien qui puisse mieux prou- (ni sur terre ni dans le ciel); les murs
ver combien les anciens étaient com- de soutenementde ces voûtes sont cons-
pletsdans leurs constructious , que ces truits eu grands blocs de traebyte, ap-
ouvrages d’utilité publique qui étaient pareillés avec soin, et posés alternatit
216 I.’UNIVERS-
venient de front et en boutisse. Les fond, à droite et à gauche duquel sont
parpiiiniisde l'assise supérieure, qui deux cages d’escalier qui conauisaient
lorine imposte, sont composés de deux dans les parties supérieures du bâti-
pierres , en corbeaux ou
et ressortent ment. Les niches latérales sont répé-
consoles. Les voûtes sont en blocage, tées au premier étage par des fenêtres
reliées de sept mètres en sept métrés exactement de même forme; et des
par des arcs de pierre de taille. La voûte arrachements de marbre, qui se voient
qui se trouve sur la rive droite du Seli- encore, indiquent que devant ces ni-
nus a été percée dans son centre, et la ches il existait, à droite et à gauche,
lumière, pénétrant au milieu des capil- un portique de huit colonnes , dont
laires et desscolopendres, produit un l’entablement form:iit tribune au pre-
tableau d’un agréable effet. mier étace. Deux petits massifs de ma-
çonnerie, qui se trouvent au-devant de
CHAPIÏRK XXX. l'entrée, et un arrachement vertical qui
parait dans le mur latéral, prouvent que
LA BASILIQUE. ce portique se pourtournait devant
l’entree.
A l’extrémité sud du tunnel cons- Dans la partie du mur latéral plus
truit sur le Selinus s’élève un vaste voisine de l’hémicvcle,on voit des ar-
monument qui attire les regards de tout rachementsde marbre, au premier étage
voyageur entrant dans la ville. De comme au rez-de-chaussée; la restitu-
hautes murailles de brique avec des tion de cet intérieur est donc des plus
assises de marbre intercalées, des fûts faciles. C'étaient deux étages de porti-
de colonnes de différents marbres cou- ques l'un au-dessus de l'autre. Celui
chés dans le voisinage , tout indique qui occupait la partie antérieure ( voi-
un des monuments les plus importants sine de la porte ) était éclairé au pre-
de l’ancienne Pergame. D’après une mier, l’autre ne l’était pas.
tradition que le docteur Spon trouva Au milieu de l'hémicyle était un
établie parmi les Grecs, cet édifice était massif sur lequel était placé une tri-
l’ancienne église de Saint-Jean, qu’ils ap- bune. Eu dehors du mur latéral on
pellent Aghios Theologos, et qui fut rui- voit aussi quelques arrachements qui
née par les Turcs. Tous les écrivains qui paraissent provenir d'un portique ex-
ont parlé de Pergame ont accepté sans térieur, et plusieurs colonnes de
contrôle la tradition grecque, et pas un -
marbre cipolin sont encore couchées
n’a eu l’idée de tracer sur le papier le aux environs Les fenêtres du premier
plan de l’édiflce, pour voir si, en effet, il étage sont décorées d'assises de mar-
a été primitivement construit pour en bre; mais tout ce qui est sculpture,
faire une église. ornements frises ou architecture , a
Cet édifice se compose d’un grand complètement disparu. On ne peut
rectangle de 56“ de long sur 26“ de juger de l'époque de la cgnstruction
large hors œuvre. Une porte de 7“,55 que par les matériaux et l'appareil, qui
donne accès dans l’intérieur; à droiteet sont aussi bons que possible.
à gauche de l’entrée, il y a une niche de Sans pousser plus loin la description
3™, 38 de large. de cet édifice, il est évident qu’il n’a
La nef, dont la longueur totale est pas été construit pour eu faire une
de 42 mètres jusqu’à la naissance de église. On ii’y trouve point les disposi-
l’hémicycle, est divisée en deux parties tions usitées chez les premiers chré-
dans sa longueur. T..a première partie tiens, quand ils élevaient une église.
est décorée , à droite et à gauche de ,
Si l’on compare, au contraire, ce plan
cinq niches carrées , semblables à avec la description de la basilique par
celles du mur de face. A 15 mètres de Vitruve, on y trouve une convenance
distance de l’hémicycle, on voit sur le parfaite de toutes les parties.
terrain la trace d’un soubassement, et La largeur de la basilique, dit-il (I),
le mur n’est pas orné de niches. Vient doit être au moins de la troisième
ensuite l’hémicycle, de 10“,52 de dia-
mètre, et complètement ouvert dans le (i) Vitruve, liv, V, rliaj». I.
ASIE MINEURE. 21T
partie (ie sa longueur, ou de la moitié deux petits temples circulaires dédiés
tout au plus. Nous avons ici 42"' de aux divinités protectrices du commerce,
long sur 21'", 40 de large. Le fond de ou deux temples d’Esculape et d’Hygic.
la nef est occupé par un massif qui sup> Le culte de ce dieu était très-répandu
portait le chalcidique ; les deux étages à Pergame; mais il faut reconnaître
de colonnes, l’escalier qui dessert les qu’aucune indication ne peut appuyer
tribunes, toutes! d’accord avec les exi- ces conjectures. Ce qui est évident,
gences de Vitruve. c’estque i® l'édifice appelé église d’A-
* Mais la description que nous venons ghios Theologos faisait partie d’un en-
de donner n’est pas complète et la , semble qui est parfaitement déterminé
grande nef n'était qu’une partie d’un dans le plan : les deux rotondes en
tout que l'on retrouve avec un peu d'at- sont incontestab ement des annexes ;

tention. Sur la plate-forme qui est de 2° toutes les dispositions exigées par
chaque cdié du chevet de la basilique Vitruve pour les basiliques romaines
s’élève un édiGce circulaire, ayant sont parfaitement observées dans le plan
Il '",7 2 de diamètre, et des murailles de celui-ci; 3° il est possible que les
d'uue épaisseur de 2”“, 50 environ. chrétiens et les musulmans l’aient, à
Ces deux salles sont également bien une certaine époque, converti en un
conservées; elles .sont faites identique- temple de leur religion; mais sa cons-
ment sur le même plan. Au fond de truction , sinon antérieure aux temps
la rotonde est une retraite quadrangu- chrétiens, est faite du moins pour une
laire de même dimension que la porte destination toute romaine.
d’entrée, et deux autres portes de 2'", 60
de largeur sont percées sur l’axe per- CHAPITRE XXX.
pendiculaire à l’entrée. Une coupole
en maçonnerie couronne cette salle, l’amphitbbaxbe.
dont là hauteur totale est de I5'",82
jusqu’à la naissance des vodtes. Il ne Dans la partie ouest et en dehors
parait pas que dans l’intérieur il y ait de la ville actuelle, il existe une ruine
jamais eu de plafond pour diviser la étendue que les habitants appellent
salle en deux étages. Les portes prin- Gun-ghel-mess (ie 'jour n’y vient point),
cipales sont terminées en voûte qu’on à cause des galeries souterraines, dans
appelle anse de panier, et des blocs de lesquelles on peut encore pénétrer. Ce
marbre, encastrés dans le pourtour ex- monument , qui est souvent décrit
térieur, semblent accuser une décora- comme un cirque, est un amphithéâtre
tion qui a disparu. (1) dont les dispositions méritent d'être étu-
A la naissance des voûtes , en de- diées.
hors, était une ligne de modillons, et Il est établi sur un ravin profond,
la saillie qui apparaît au-dessous est dans lequel coule un ruisseau qui
un tore de marbre orné d’entrelacs. La forme un des affluents du Selinus ; et
rotonde de gauche , la plus voisine du toutes les dispositions que l'on ob-
fleuve ,
communique avec une salle serve encore dans l'édifice prouvent
souterraine, par le moyen d’un escalier que, dans certaines circonstances, les
en hélice. Cette salle est soutenue par eaux du ruisseau étaient arrêtées,
des piliers carrés; était-ce une prison et que l’arène, de l’amphithéâtre était
ou une citerne.’ subitement convertie en un vaste
On pourrait hasarder des conjectures bassin.
sans nombre sur la destination de ces Dans toutè l’Asie Mineure on ne
deux rotondes; mais leurs plans sont trouve que deux ruines d’amphithéâtre,
tellement en dehors des édiflces connus, l’une à Cyzique, et l’autre à Pergame.
qu’il est impossible d’en trouver une Il n’en exi.ste pas une seule dans le
seule tout à lait satisfaisante. I.es Grecs Péloponèse, et Athènes se refusa tou^
de Pergame appellent ces édifices 01 jours à élever un semblable édifice. Si
BQMOI, les autels; ce sont peut-être l’on met en parallèle les ruines de théâ-
tres qui se retrouvent dans chaque ville
(i) Vojfer, la planche 3o. ancienne, on sera convaincu que les
218 L’UiSiVEHS.
Romains out trouvé puiiout une répul- ou en suppliant réclamer de.s secours
sion extrême pour ces sortes de diver- du peuple romain, étaient toujours con-
tissements. Les stades, assez nombreux viés à ce spectacle ; et l’on vit un roi
en Asie, suflisaient pour les spectacles d’Arménie , Tiridate , descendre lui-
ui exigent de l'agilité, de l'adresse et même dans l’arène, et tuer de sa main,
U courage. Mais ce qu’on aura de la en présence de Néron, deux taureaux
peine à comprendre, c’est que ces furieux (1).
mêmes peuples , qui repoussaient les aujourd’hui démontré que tous
Il est
Jeux de ramphitliéâtre, ne se faisaient les atnphithéâtres de pierre sont pos-
pas scrupule de former des gladiateurs térieurs au règne des Césars, et on
pour aller vendre aux Romains. On
les pourrait aller même plus loin, et dire
appelait ces troupes familles de com-
: que le plus grand nombre de ces édiGces
battants. Marc-Antoine en lit exercer a été construit dans une période assez
avant de les envoyer à Rome, où il limitée, et que l’on pourrait renfermer
voulait les faire combattre aux jeux de en trois siècles.
la victoire npbs vobç èjiivfxiüuî iYûvaç. Le système d’appareil est le seul
Une inscription de Plie de Cos fait men- moyen déjuger l’époque de la construc-
tion de la troupe de gladiateurs qui tion d’un édifice sur lequel il n’existe
avait paru aux spectacles, sous l’ar- aucun autre renseignement; et dans
chontat de Lucius Paconianus. An- toutes les provinces de l’empire romain,
térieurement à l’établissement de la les amphithéâtres offrent entre eux une
puissance romaine en Asie , existait-il plus grande ressemblance qu’aucun
des confréries de gladiateurs qui fai- autre genre d’édilice.
saient leurs exercices aux funérailles En comparant un grand nombre
ou aux panégyries , ou bien les Ro- d’amphithéâtres, notamment ceux de
mains ont-ils transporté en Asie ces Nîmes et de Fréjus, de Cimiez (Cerae-
jeux qui faisaient partie de toutes les nelium), l’amphithéâtre Castrense de
grandes cérémonies (t)? On ne peut Rome, et celui de Rusicada en Afrique,
répondreàces questionsque par des con- on verra que les dispositions générales
jectures; mais tous les documents four- sont partout les mêmes, et la construc-
nis par les historiens tendent à prouver tion n’indique pas une différence d’un
que les premiers amphithéâtres de siècle entre eux.
pierre sont des ouvrages tout romains, L’amphithéâtre de Pergame peut
et dont l’orimoe ne remonte pas beau- être rai^é dans la même catégorie ; et
coup au delà du règne de Titus. Au- quoiqu’il soit eu grande partie dé-
guste avait eu le projet de faire cons- truit, il en reste suffisamment pour
truire un amphithéâtre en .pierre (2) ; qu’on en retrouve toutes les disposi-
mais ce projet ne fut jamais exécuté. tions.
Nous savons, au contraire, que plu- S’il est une chose qui prouve com-
sieurs amphithéâtres de bois s’écrou- bien les combats de gladiateurs étaient
lèrent ou furent incendiés, et causèrent peu goûtés en Asie , c’est la petite di-
de nombreuses catastrophes.' mension de cet amphithéâtre, dont l’a-
La construction des théâtres, au con- rène a les mêmes proportions que celle
traire, remonte presque aux temps hé- de Cimiez, petite ville ignorée de la Li-
roïques. Du moment que les combats gurie. Plusieurs auteurs, et notamment
d’athlètes furent organisés, la construc- Tacite (2), disent néanmoins que les
tion d’un édiGce pour jouir de ce spec- Romains ont pris des Étrusques les
tacle fut la conséquence de celle des combats de gladiateurs. Il ne reste en
théâtres; il n’est pas étonnant qu’aucun
Asie aucun monument écrit ou figuré
auteur n’ait pensé à signaler celte in- qui prouve que ces jeux aient été en
novation. Les rois d’Asie, allant en amis usage avant l’invasion romaine.
L’amphithéâtre de Pergame est dans
(i) foy. l’inscr. du la dédicace du tem- une position qui mérite a’étre étudiée,
ple d’Auguste à .\ucvre, Jsie Mineure,
t. 1". (i) Dion Cavsius.
.Suéliiue, ïn l''rsnnsiar:t>, cap. X. i'i) AunnUs, liv. XtV, ch. ïo.
ASIE AHiNEl'RE.
jj^icu (ju’il toucourt à prouver que quera dans le plan que les ga s du • i

les spectacles aquatiques faisaient né- grand axe ne sont pas semblables. Ce
cessairement partie des divertissements qui prouve que ces galeries ont donné
que l'on offrait au peuple avec les chas- de tout temps issue au ruisseau, c’est
ses et les luttes d’hommes et d’ani- qu’il existait à droite et à gauche de’
maux. chacune d’elles des couloirs qui con-
Le grand axe de l’arène a seulement duisaient dans l'arène. Il n’est pas pos-
51 mètres de longueur, et le petit axe sible que cette arène, convertie en nnu-
37 mètres. L’épaisseur des construc- machie , ait présenté assez de surface
tions est partout de 43 mètres de large, pour y donner des joûtes ; on devait se
ce qui donne 136 mètres et 138 pour contenter d’y faire combattre des ani-
les axes extérieurs. La différence n’é- maux amphibies, des crocodiles, des
tant que de 8 mètres, le monument hippopotames, que d’habiles nageurs
devait paraître circulaire ; et le grand allaient attaquer au milieu des eaux.
nombre de gradins , qui , déduction Quelquefois des troupes de nymphes,
faite des précinctions , devaient s’é- jouant de la conque marine , venaient
lever au moips à trente, diminuait en- varier les exercices nautiques.
core pour l’œil les dimensions de l’arène.
Les constructions du portique d’en- LE CHXTÈBR BE MABBRE.
ceinte sont extrêmement massives, et
les galeries se trouvent hors de propor- On conservait dans la grande salle
tion avec les épaisseurs des pilastres. d’un bain turc un vase de marbre de
La galerie du grand axe offre au con- grande dimension dont les sculptures
traire un développement inaccoutumé, avaient de tout temps attiré l’attention
tant dans sa longueur que dans sa lar- des voyageurs. Spon estun des premiers
geur. Cet axeest oriente, à peudechose qui aient signalé ce monument. Nous le
près, nord et sud ; la galerie du nord retrouvâmes en 1837 et vers cette épo-
(celle qui est à droite) se trouve pour ue le sultan Mahmoud lit hommage
ainsi diresuspenduesurl’abime. ra- Un e ce vase au gouvernement français ;
vin tres-encaissé, et dont les rives sont à il est aujourd’hui conservé dans uiie des
pic, se prolonge dans toute
direc- la galeries du Louvre. Ce vase est de forme
tion de l’axe, il est indubitable que ce ovo'ide sans base ni col ; il est entouré
large fossé était couvert par un plan- d’un bandeau sur lequel sont sculptés
cher de bois, car il n’existe aucun arra- douze cavaliers courant au galop. Des
chement de maçonnerie. cannelures et des entrelacs complètent
En pénétrant avec beaucoup de difû- la décoration, qui ne manque pas de
culté sous le sol de cette galerie, on ar- grâce. Les opinions se sont partagées
rive à une porte qui donne dans le sur la destination autant que sur la
vide. 11 fallait encore là un système d’es- forme première de ce monument. On
caliers ou de plans inclinés en bois. Il voit sur certaines médailles de Pergame
est probable que les gradins étaient de un vase d’une forme presque sphérique
même matière. contenant des palmes destinées aux
La
largeur des arcades est égale à vainqueurs des jeux. On a pensé que
celle des piliers, ce qui donnait à l’édi- tel avait été l’usage du vase de Pergame.
lice un aspect assez lourd. Toute la D’autres ont imaginé que le monument
première précinction était en contre- était incomplet et qu’il avait autrefois
lins du sol extérieur ; les galeries com- une base, un col et des anses; en un mot
muniquaient de deux en deux à cette que c’était un véritable cratère monu-
précinction. Les autres arcades don- mental comme les anciens avaient l’ha-
naient accès aux escaliers qui condui- bitude d’en dédier dans les temples ou
saient dans la partie supérieure. Il y d’en offrir en présent comme symbole
avait dans le pourtour de l’édiQce d’une alliance contractée. Les Lacédé-
quarante arcades, plus celles qui com- moniens, ayant accepté l’alliance pro-
muniquaient aux axes; mais les ar- posée par Crésus, Orent faire un cratère
cades du petit axe n’étaient aucune- d’airain orné jusque sur les bords de
ment distinguées des outres. On remar- figures sculptées, et voulurent en faire
LIVRE IV
ÆOLIDE — LYDIE.
CIIAPIÏRK PREMIER. ayant succédé à celui des princes troyei'.»
dans toute la contrée qui avait été ra-
!:T tBLISSEMBMT SES ÆOLIE.NS SUR vagée par les Grecs il est à croire que
,

LA. CÔTE D'aSIK. les nouvelles colonies s’établirent avec


le consentement des monarques ly-
« Les A'iolieos à leur arrivée eu Asie diens, ou que du moins leurs comptoirs
pos.séilaient les terres qui entourent le furent tolérés par ces princes, qui u’.'i-
^olfe jusqu'à la montagne sur laquelle vaient pas la marine en grande estime.
Srnvrne est assise; et à cette époque le Quelques familles æoliennes avaient re-
golfe était appelé golfe de l’Ilermus. » monté l’Hellespont et s’étalent arrêtées
Ce passage de la vie d’Homère (1) par dans le territoire de Cyzique ;
les Phé-
Hérodote détermine clairement les li- niciens occupaient déjà* plusieurs comp-
mites sud du territoire de l'Æolide ; il toirs sur ces côtes. D’autres familles
s’étendait au-delà du fleuve Herinus Ténédos et dans la
s’étaient fixées à
et comprenait la montagne du Sipyle. grande Hécatonnèse (I). Mais ce fut
Au nord l’Æolide était horiiée par la surtout nie de Lesbos qui devint le
Teutlirauie; elle était limitropue de la siège de la puissance æolienne. Elle
Lydie du côté de l’est. Tout ce [lays étendait sa protection sur les différents
était occupé par les Pélasges, maîtres du centres de population épars sur la côte
pavs depuis le mont Mycale Jusqu’au d’Asie sans avoir rien a redouter des
golfe d’,A.dramyttium. Cé peuple avait peuplades barbares et inhabiles à la
aussi occupé les Iles de Lesbos et de Chio. navigation, les Trèreset lesLéléges, qui
Depuis la chute de Troie toute cette occupaient aussi ces rivages. Mais à la
contrée était exposée à des guerres con- faveur d’une communauté d’origine (2),
tinuelles. Les üls de Tantale, chassés les nouveaux colons obtinrent de la
de Sipyle, avaient passé en Grèce et nation pélasge quelques districts situés
avaient appris aux populations du Pé- entre le Gaïque et rHermus ces der-
;

loponnèse qu’il existait non loin de niers possédaient des châteaux et des
leurs côtes un pays accessible aux tri- villesfortiQés, notamment Larissa; mais
bus aventurières. Les compagnons ils avaient été fort affaiblis par la
d’Agamemnon n’étaient pas tous re- guerrede Troie (3). Les Grecs parvinrent
tournés en Grèce après la ruine de à les dominer, et les incorporèrent
Troie, après avoir erré sur ces côtes dans leurs nouveaux centres de popu-
inconnues , ils avaient fondé plusieurs lation. Les écrivains grecs remarouent
villes; Mnesthée et les Athéniens qui que le peuple pélasge finit par dispa-
l’av.-iient suivi sur la côte d'Asie avaient raître à l’époque où les Æoliens et
fondé la ville d’Élée. Les Æoliens, les Ioniens vinrent s’établir en Asie.
chassés de leur pays par les Thessa- Nous devons en conclure qu’il s’opéra
liens venus de Thesprotie (2), n’arri- une fusion entre les peuples de même
vaient donc pas dans un pays tout à race. Les I.éléges, au contraire, furent
fait étranger. Leur première migration repoussés vers le sud, et s’établirent sur
remonte à soixante ans après la guerre les frontières de la Carie, où on les re-
de Troie; elle est contemporaine du re- trouve dans les siècles suivants.
tour des Héraclides dans le Pélopon-
nèse. Le pouvoir des rois de Lydie (i) Hérodote, liv. I, ch. i5i.
(i) Hérodote,VIII, 176. Strabon, XIII,
(i) Hérodote, T'ila Homen. 6o3.
(i) Hérociolo, Vlï, t7<î. (H) Sirabon, XIII, Saa.

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222 L’UNIVERS.
Les premiers .Eoliens qui s'aven- eux le commerce était libre, et aucuu
turèrent sur les côtes étaient conduits droit ne grevait les navires à l’entrée
par l'entliile, fils d’Oreste.roi d’Argos. ou à la sortie du port. Ce premier essai
Ils s’étal>lirent dans l’ile de Lesbos, et de libre échange, tenté ily a plus de deux
cette île fut considérée comme la ca- mille ans, n’était pas du goût des autres
pitale des villes æoliennes (I). Les villes grecques. Aussi les Cyméens,
autres Grecs arrivèrent quelques années loin de trouver des imitateurs, étaient-
plus tard sous la conduite de Gras , pe- taxés de béti.se et d’ignorance par
ils
de Pentliile (2) et s’établirent
tit-lils leurs voisins, et on inventait sur leur
sur cette partie du continent située compte cent histoires absurdes. Les
entre l’Ionie et la Mysie, à laquelle ils Grecs railleurs allaient jusqu’à dire
donnèrent le nom d’Æolide. qu’ils ne connaissaient pas un âne, et
Dans le dénombrement des villes æo- que la voix de cet animal retentissant
liennes donné par Hérodote (3), il en y pour la première fois avait fait fuir les
a une seule, Pitane, qui est au nord du habitants de Cymé (I). Cet état de li-
Caïque, c’est-à-dire en dehors du terri- berté du commerce maritime n’endura
toire de l’Æolide; les douze villes pas moins pendant trois cents ans. Les
æoliennes sont: Cymé, Larisse, Néon- frais nécessités par les guerres le firent
tycbos, Temuos, Cella, Notium, Egi- sans doute modifier.
rressa, Pitane, Ægæe, Myrina et Gry- Le sol de l’Eolide était d’une ferti-
nium. Une seule ville, Sniyrne, fut dé- lité extrême; les auteurs anciens van-
tachée de la ligne æolienne pour être tent aussi le sol de la plaine Apia ou
jointe h l'Ionie ; aussi ces deux pays de Pergame; mais le climat était moins
furent-ils en hostilité jusqu’au mo- sain que celui de l'Ionie, sans doute à
ment où les Perses firent une irrup- cause des nombreux marécages qui se
tion dans le.s Etats de Crésus. Alors les formaient déjà et qui ont été l’objet des
{leuples grecs se réunirent; les Eoliens remarques des historiens (2).
et les Ioniens envoyèrent à Sardes des La soumission volontaire des E2o-
députés pourofl'rir à Cyrus de se recon- liens à l’empire des Perses épargna à
naître ses sujets aux mêmes conditions leur contrée les désastres que souffri-
que les Lydiens ;4). rent à la même époque plusieurs villes
Le pays occipé par la confédération des côtes.
æolienne était en réalité renfermé Ils furent compris dans la première

entre l’Hermus et le Caïque et com- , satrapie dite hellespontine et contri-


prenait certain nombre de petites villes buaient pour leur part aux quatre cents
issues de la population de Cymé. Stra- talents que payaient les sept peuples
bon en jiorte le nombre jusqu'à trente; réunis sous ce gouvernement. A la
mais déjà de son temps elles étaient chute de la monarchie perse, les Eo-
iour la plupart réduites à l’état de vil- liens furent soumis à Antiochus, et
fage. après la chute de ce prince, ils furent
Les côtes de l’E'olide, qui présentent annexés aux possessions d’Kumène et
aujourd'hui une ligne de plages maré- suivirent en tout point le sort du
cageuses, étaient alors pourvues de royaume de Pergame.
ports excellents; aussi le commerce
maritime s’y était-il développé avec une CHAPITRE II.
grande activité. Le plus sûr revenu
des villes æoliennes consistait dans VILLES DK l’,«OLIDE. — KLKB.
les droits perçus à l’entrée et à la sortie
des navires. Les habitants de Cymé sui- La ville d’Élée était située à douze
vaient des règlements contraires ; chez stades au sud dé l’embouchure du Caï-
que ; c’était déjà uue mauvaise condi-
XIII, 6i6. Paiisanias, V, tion topographique. Ku effet tous les
(i) Slrabon, I.

ports de mer placés à l'embouchure des


rh. IV.
(u) Paioanias, liv. 111, ch. ii.
t Réroilntc, liv. I, ch. 149 . (i) .SIrahou, XIII, 6aa.
)
. Hérodote, liv. 1 ,
ch. 1*1. , M.. xm, « 91 .
ASIE MINEURE. 223
ri\ières sont sujets à l’ensablement. seconde fois, envoyé dans le Pont et la Bi-
Elée était le port et l’arsenal de Per- lliyuie; Eiiphratus Marcellus Epiilon ( ho-
^ame; lorsque nous visitâmes bes côtes, nore )
le bienfaiteur el le constructeur de 1 1

leur ancien état était tellement changé ville.

que nous eûmes de la peine à péné-


trer au milieu des marais jusqu’aux
Dans la conviction ou étaient les
lagunes qui formaient autrefois le port. Éléens que le nom de leur ville ue pé-
Les alluvions du Laïque se sont avan- on a négligé de l’inscrire
rirait jatnais,

cées de plusieurs milles dans la mer. sur ce marbre. C’est le seul monument
Une barre rte sable eucombre l’entrée épigraphique que nous ait offert la Sa-
du fleuve. Toute cette côte est absolu- line aux oies.
ment déserte, sans doute à cause de l’air Les Éléens croyaient que l’air du
pestilentiel qui émane de pays était tout à fait impropre à la
ces marais.
Il est difficile de se peindre l’aspect de
production des mulets ; ils envoyaient
ruine et de désolation que présente leurs juments dans un autre district
cette côte de l'Æolide; pas un bâti- pour les faire féconder par des ânes (1).
ment ne vient mouiller dans ces pa- Adéfaut d’autre raison, on attribuait ce
rages. fait à une malédiction particulière ; car,
selon la remarque d’Hérodote, il n’y
Jugeant impossible d’aborder par
mer, nous nous rendîmes à Pitane et là avait aucune cause apparente ni dans la
nous primes des chevaux pour aborder température ni dans aucune autre cir-
du côté de la terre.
coustance locale.
Une ferme turque où nous ne trou- Kitché keui , le village le plus voisin
vâmes que deux ou trois habitants, qui d’Élée, est abondamment pourvu de
même n’y passent pas sources et de fontaines; mais les mon-
la nuit ,
est la
seule construction de la moderne Elée ; tagnes environnantes sont arides et peu
peuplées; les habitants se procurent de
des forêts de joncs etdesouchet.s servent
l’eau au moyen de puits et de ci-
d'abri à une multitude d'oiseaux aqua-
ternes.
tiques des races les plus variées.
Il fallait pourtant fixer le nom mo-
A une lieue au sud de Ritché keui
derne de cette ville, qui vit si souvent on passe une rivière appeiée Kondoura
tchaï dont le lit a environ cent cin-
les vaisseaux romains apporter d’in- '

nombrables légions, qui fut témoin de quante mètres de large; il prend certai-
la richesse des Attalesct de la lutte dé-
tainement sa source dans la contrée
sespérée deMithridate. C’est à Élée que
volcanique de la Lydie; car les cailloux
qu’il roule dans son cours sont de na-
Scipion, resté malade au moment nu il
ture volcanique; ii nourrit une grande
entreprenait la guerre contre Antiochus,
quantité de tortues aquatiques. Ce
reçut de ce roi un présent bien cher, la
liberté de son jeune fils qui avait été
cours d’eau ne peut être que le fleuve
fait prisonnier en naviguant dans les
Xanthus à l’embouchure duquel était
située l’ancienne Myrina.
mers d’Eubée.
Tout souvenir de ces temps s’est La topographie des villes de l’Æo-
lide est exactement déterminée par.Stra-
évanoui. Elée s’appelle aujourd’hui
iion (2); on peut la résumer dans le ta-
Toiizia Kazleu (la saline aux oies) Quel- .
bleau suivant :
ques pignons de murs sont lee seuls Stnd. KÜom.
vestiges visibles de l’ancienne ville. de Pitane, embouchure
Nous découvrîmes cependant au milieu du Ca'ique 30 5,520
des joncs un bloc de marbre grisâtre Éléc 12 4,208
sur lequel nous lûmes cette inscrip- Grynium 30 5,520
tion ;
Myriiia 40 8,360
Le sénat et peuple ont honoré Titus
le
Cymé 40 8,360
Julius Qiiadratus, consul, proconsul de Neontychos 30 5,520
Crète et de Cyréne, envoyé de l'empereur Larisse 70 12,880
dans la province de Cappadoce, envoyé de
l’empereur et lieutenant général de Lyrie et (i) Héroilnle, liv. 1\, lo.
de Pamphylie , envoyé en Asie pour la '» XIU.

C.UU^It
324 L’UNIVERS.
La ville de Grvniutn fut d’abord jours restée au pouvoir des Perses.
fondée dans une ]le qui s'est trouvée La ville maritime de Myrina avait
par la suite réunie au continent. Elle un port et un arsenal dont les vestig.s
était célèbre par un temple d'Apollon ont disparu sous les alluvions. Selon P.
bâti en marbreblancetqui jouissait du Mêla cette ville a été fondée par My-
privilège d’avoir un oracle, comme la rinus, un des premiers chefs de colons
plupart des sanctuaires de ce dieu. Le qui arrivèrent sur cette côte. Strabon,
temple d’Apollon Grynéen était cé- plus attaché aux traditions homéri-
lèbre dans tout le monde grec; il est ques (I), prétend qu’elle fut fondée
cité par Virgile en deux passages dif- par l’Amazoue Myrina, qui est enterrée
férents (1). La ville deGryulum apparte- dans la plaine de Troie. Elle prit le
nait aux habitants de iMyrina, et du surnom de Sebastopolis (2), sans doute
temps de Pline, elle était déjà déserte. parce qu’elle fut reconstruite par la
Xénophon nous apprend que le roi de libéralité de Tibère (3) après le grand
Perse Artaxerxès lit présent de ces tremblement de terre qui ravagea
deux villes à Gongyle Erétlirien qui douze villes d’Asie et principalement
avait été banni de son pays pour avoir cellesde l’Æolide. Il a été remarque
favorisé les intérêts du roi de Perse (2); qu’aucune médaille ne mentionne ce
ce même Gongyle était déjà maître de surnom.
Pergame. Non loin de Myrina se trouvait un
Gryiiium fut prise par Parménion, et autre mouillage appelé Portus Arclii-
depuis ce temps échappa à la domina- vorum près duquel était un autel de
,

tion des Perses. douze dieux


Les ruines de cette ville ont complè- La table de Peutinger marque douze
tement disparu de la surface du sol ; milles pour la distance entre ces deux
mais il y a quelques années les Grecs villes, soit 17 kil. 748. Ce qui s’accorde
de Méuimen, qui construisaient une avec les distances données par Strabon.
église, entreprirent des fouilles sur l’em-
placement du tempfe et parvinrent à CHAPITRE III.
extraire de grands blocs de marbre
blanc qui furent employés dans la cons- CYMK.
truction nouvelle.
I.’emplaceinent de Grynium est au- Deux chefs æoliens, Clévas et Ma-
jourd’hui un terrain vague et sans nom ;
laiis, étaient partis en même temps que
il est situé sur la route directe de Per- Penthile pour aller s’établir sur les
game àSmyrne; les distances sont don- côtes d’Asie. Ils fondèrent Cymé, qui
nées par le tableau précédent. devint la plus célèbre et la principale
Si l’on doit s’en rapporter à une note ville de confédération, et pour se
la
insérée dans la traduction française de rappeler leur ancienne patrie, ils don-
Strabon (3) , les ruines de ce temple nèrent à la nouvelle ville le surnom de
(3)
étaient encore visibles au commence- Phriconis, du mont Phricium en I.o-
ment du dernier siecle. Une inscription cride (4). Suivant .Strabon et Mêla, le
copiée sur la porte est ainsi conçue., nom de Cymé lui fut donné par une
« A Apollon Fatidique, Philætère fils Amazone (5). A cette époque, la tradi-
d'Attale » Ceci concorderait avec les tion mythique des Amazones était dans
faits consignés dans Hérodote que les toute son expansion, et un grand nom-
anciens temples de l’Asie furent brûlés bre des villes de ces côtes, Sniyrne,
par Xerxcs;on ne peut donc y rencon- Ephèse, .Myrina, sont censées 'avoir
trer à [leu d’exceptions près que des mo- reçu leur nom de quelques-unes de ces
numents religieux postérieurs à Alexan- héroïnes. Cymé fut fondée vingt ans
dre. Si le temple d’Assos fait exception,
l’est que cette ville est presque tou- (i) XIII, fiï3.
(i) Pline, V, 3a.
(i) Virg., £«/., VI, 7 J. Mn., IV, 31.5. (3) Tacil., .-tanal., 11,4;.
(a) Xciiopliaii, llell., III, I, 1, (4) Sliid)., XIII, fiao.
T. IV, pag. a3fi. (5) Mêla, I, i8.

-4
ASIE MINEURE. 225

après que les Æoliens furent établis à trape de Lydie Artapherne marcha
Lesbos , et Sniyrne fut bûtie dix-huit sur l’Æolide et soumit toutes les
ans plus lard. Le commerce que fai- villes (1). Celte campagne était surtout
saient les peuples pélasges avec les entreprise contre Hystiée, qui avec ses
Phéniciens profita aux nouveaux colons, Lesbiens faisait des descentes sur les
qui étendirent leurs possessions au delà côtes de l'Æolide pour se procurer des
des limites de l’Æolide. Ils allèrent vivres. Cymé resta soumise aux Perses
exploiter les mines de fer du mont Ida jusqu’à la chute de Darius, et c’est dans
et fondèrent Cébrène (l"). Les Cy- son port que se retira le reste de la
méens étaient principalement adonnés flotte de Xerxès après la bataille de
au commerce et se rangèrent volon- Salamine (2). Pendant toute la période
tairement sous l’autorité des rois de qui suivit les sanglantes batailles contre
Perse. Us trouvaient dans cette nouvelle les Perses, jusqu’au moment où la ré-
position de grands avantages à se faire sistance de Mithridate et le soulève-
les courtiers du commerce intérieur ment d’Aristonic suscitèrent de nou-
de l’Asie avec les contrées de l'Oc- velles guerres, « les Cyméens restèrent
cident. tranquilles (3J. » Ce mot de l'historien
Cette soumission à la Perse ne les Ëphore, rapporté par Strabon comme
empêchait pas de conserver une cer- une raillerie, montre la grande diffé-
taine indépendance dont les Cyméens rence qui existait entre le caractère des
donnèrent la preuve dans une circons- Æoliens et celui de leurs voisins les Io-
tance importante. Le Lydien Pactyas, niens.
poursuivi par le satrape Mazarès, Successivement soumise aux rois de
après la prise de Sardes, vint cher- Syrie et à ceux de Pergame , Cymé
cher un refuge à Cymé Mazarès fit
: passa sous la domination romaine avec
demander le fugitif ; mais apres avoir ce dernier royaume; mais elle conserva
consulté l’oraclc des Branchydes, les toujours une apparence de liberté. Le
habitans refusèrent de livrer leur hôte, tremblement de terre qui ravagea
et lui facilitèrent les moyens de passer l’Æolide, sous le règne de Tibère, se
à Mitylène et de là à Chio; c’est dans fit également sentir à Cymé; elle fut

cette île que Pactyas fut livré aux Per- restaurée par la libéralité de l’empe-
ses, après avoir été arraché de l’asile reur. Apres la division des provinces
qu’il avait cherché dans le temple de faite par Dioclétien , elle fut compri.se
Âlinerve Poliade. dans la province d’Asie sous la métro-
Sous le règne de Darius Cymé fut pole d’Kphèse (4). Quelques inscrip-
complètement incorporée à la satrapie tions, tirées des ruines de Cymé, attes-
hellespontique et gouvernée tyranni- tent qu'elle était organisée aaministrati-
quement par des satrapes. Pendant les vement comme la plupart des villes
troubles fomentés par Aristagoras, fils d’Asie elle avait les conseils du sénat
;

d’Héraclide, tyran de Milet, les Cy- et du peuple , et les magistratures se-


méens,satisfaits de l’indépendance dont condaires. Les temples, le gymnase, les
ils jouissaient, se contentèrent de dé- portiques sont mentionnés dans eps
poser Aristagoras et de l’envoyer en inscriptions. Au cinquième siècle elle
exil. avait le titre de ville épiscopale. Maxi-
Les Æoliens pripent une part indi- mus. son évêque, assista au concile
recte à la révolte d’Aristagoras, et les d’Épnèse. Le voisinage de Phocée et
vaisseaux lesbiens, au nombre de surtout de Phocée-la-Neuve , bâtie par
soixante-dix, se trouvaient en ligne de les Génois, fut aussi fatal à la ville de
bataille devant l'île. de Ladé. Us pou- Cymé que les alluvions qui comblaient
vaient faire pencher la victoire du côté peu à peu .son port. Le commerce de
des Grecs ;
niais au premier engage- transit, qui pendant plusieurs siècles s’é-
ment prirent la fuite et rentrèrent à
ils
Lesbos. Cette velléité d’indépendance (i) Hérodote, YI, i4-3o.
fut remarquée par les Perses, et le sa- (aj Hérodote, Yllt, i.So.

(3) Strabuii, XIII, Ci3.


(i) Hérodote, </7/o<nèr<’, »o. (4) Hiéroclès Wesseling, p. 66i.

Livraison. (A.sie Mikeobb.) '. II, 16


326 LUINIVEHS.
tait fait par cette voie, avait pris une LARISSA. — TEMHOS,
nouvelle direction. Cependant on sait
que Cymé jouissait encore au commen- Plusieurs villes de l’Æolide situées
cement du quinzième siècle d’une cer- dans l’intérieur des terres n’ont pas
taine prospérité ; elle était tombée entre laissé de vestiges appréciables nous
;
les mains de Djouuéïd, énnir rebelle, qui devons seulement chercher à déter-
.s’était emparé de la plus «rande partie miner leur emplacement. La plus cé-
de r.4Colide, et qui faisait la guerre à lèbre de ces villes, Larissa, fondée par
Mahomet r'. Le sultan vint assiéger les Pélasges, était à 70 stades à l’est de
Cymé en 1413, s’empara d’assaut de la Cymé. Les Æolienss’enemparèrentaus-
forteresse, qui fut démantelée; la gar- sitôt après leur débarquement, et can-
nison fut égorgée, mais le vainqueur tonnèrent dans le pays nouvellement
laissa la lilterté aux habitants, qui se conquis les Pélasges qui avaient sur-
répandirent dans les villes voisines. Le vécu 5 la prise de Larissa. Cette der-
commandant était un Albanais, qui se nière ville reçut comme Cymé et pour
retira près de Djouaéïd pour continuer la même raison le surnom de Phri-
la Mahomet l"' le poursuivit,
guerre. conis.
s’empara de Ménimeuetde INymphæum, Larissa prise, les Pélasges n’étaient
et annexa toutes ces villes aux posses- pas encore soumis, et les Æoliens cons-
sions ottomanes. Depuis cette époque truisirent à mi chemin de Cymé la
la ville de Cymé est demeurée complète- ville de Neontychos, destinée à mettre
ment oubliée. La population, chassée par la côte à l’abri des incursions des Pé-
lemauvais air que répandent les ma- lasges. Ces deux places étaient bien for-
rais environnants ,
s’est éloignée peu à tifiées, et en observant avec quelque at-
peu, et ce qui restait debout de l’an- tention le pays tel qu’il est aujourd’hui,
cienne ville a fini par tomber en ruine. on peut retrouver l’emplacement de
On cite parmi les hommes célèbres qui Larissa dans les montagnes au nord de
naquirent à Cymé le père du poète Hé- Guzel hissar. On ne doit pas y décou-
siode et Mélanopus, père deCrithèis, qui vrir de ruines romaines, car sous le
fut la mère d’Homère. Hérodote rapporte règne de Tibère cette ville était dé-
que le nom du grand poète est tiré de serte.
la langue des Cyméens , chez lesquels Ces deux villes étaient situées sur
le mot Homéro's signifiait aveugle (I) la route qui mène de Cymé à Sniyrne
;
L’historien Kphore, disciple d’Isocrate, c’est celle qui fut suivie par Homère
était aussi natif de Cymé. dans sou voyage à Cymé (t). Aujour-
Tout le territoire de cette ville et d’hui on ne suit plus cette routé ; on
les contours de l’ancien golfe de Cymé continue au bord de la mer par Guzel
ont été tellement modifiés par les al- hissar et Menimen.
luvions, qu’il est impossible aujourd’hui Après avoir franchi le Kondoura
de se rendre compte ni de la disposi- Tchaï, on aperçoit dans l’éloignement
tion du port ni de la position de la ville. de Guzel hissar, bâti au som-
le village
On ne peut avoir cependant aucune in- met d’une colline rocheuse. Tout ce
certitude sur son emplacement, attendu terrain est bien arrosé ; aussi est-il
que les terrains qui avoisinent une fréquenté par les tribus nomades. Une
^inte de terre près du village de Na- de ses fontaines est située près d’une
mourt ont fourni plusieurs inscriptions enceinte consacrée a la prière des mu-
et des décrets des habitants de Cymé. sulmans; on y trouve plusieurs frag-
Il est probable que le voisinage de la ments d’architecture eu marbre blanc
mer a facilité l’enlèvement des ruines. et quelques débris d’inscriptions; l’une
Les habitants du pays sont encore dans d’elles rappelle la consécratiun d’un
l’usage de considérer les anciennes autel par la prêtresse Anthis; de grands
villes comme des carrières ouvertes blocs de pierre équarris sont les indices
pour leurs constructions. de constructions plus importantes éle
vées en cet endroit. Il convient d’y re-
(i) Hérodote, Fie it Homère, ao.
(i) Hérodote, ibid.
,

ASIE MINEURE. 2U1


counoltre la place de la ville d’Ægæ CHAPITRE IV.
iAi'joà) qui était dans la partie monta-
ïtneuse de l'Æolide, et située sur la SIPYLUS TANTALIS.
route de Cyiné à Sinyrne.
Teninos, la dernière des villes de la Si nous avons fixé le fleuve Hermus
confédération æolienue, était située, comme limite méridionale de l’Æo-
d’après la table de Peutinj^er, à trente- lide pour nous conformer à la géogra-
trois milles de Cymé, c'est-à-dire à phie romaine, nous .-savons cependant
48 807. Cette distance nous mène- par Hérodote que l’ancien territoire
rait au delà de Méuiriien ; il est à croire s’étendait Jusqu’à Smyrne, et que cetie
u’elle exagérée. Le village de
est dernière ville lit même partie de la con-
a uzel lussar, près duquel on trouve dif- fédération. Nous devons donc regarder
férents vestiges d'antiquité, et qui est le versant du mont Sipylus comme
place sur une colline escarpée, ré- compris dans l’ancienne .Eolide, d’au-
pond bien à l’idée qu’on doit se faire tant plus que les ruines qu’on
y ren-
de la ville de Temuos. Strabon nous contre appartieunent toutes à l’époque
donne à ce sujet une indication topo- archaïque et sont même antérieures à
graphique qu’on peut regarder comme l’arrivée des Æoliens.
décisive pour l’emplacement de Tem- La partie du mont Sipylus dont nous
nos et d^Ægæ. « Ces deux villes, dit- nous occupons «st bornée au nord et
il ( 1 ), sont situées sur
hauteur qui
la à l’ouest par le cours de l’ Hermus, à
domine le territoire de Cymé, celui des l’est par la rivière de Kara sou, qui
Phocéens et celui des Smyrnécns, et le asse à Nympbio et va se Jeter dans le
long de laquelle coule l’Uermus. » 11 est S euve, et au sud par la mer et par la
donc impossible de songer à mettre grande vallée de Boumabat, qui est le
Temnos sur l’emplacement de Meui- nrolongement du golfe de Smyrne. Sur
inen , puisque cette dernière ville est le versant sud de cette montagne, dans
sur la rive gauche du fleuve. L'indi- la partie qui domine le fond du golfe,
cation de Pausanias n’est pas moins s’élèvent d’antiques murailles qui ont
positive ; il part de Smyme en décri- appartenu à une ville importante elles ;

vant la côte et ajoute : « Quand on a offrent le caractère le plus archaïque,


passé rUermus, on voit une statue de et rien dans ces ruines ne présente la
Vénus à Temnos (2). » Les Temnites moindre trace de la civilisation hellé-
c’est ainsi que les nomme Etienne de nique. On y reconnaît au contraire tout
Byzance , avaient certains droits sans le style de cet art asiatique dont on re-
doute de ^age sur le fleuve Hermus, trouve les vestiges dans les plus an-
car il est figuré sur leurs médailles avec ciennes villes de la Cappadoce et de la
ces mots TllMNEITÛN EPMOS, l’Her- Phrygie. Des tombeaux en forme de
mus des Temnites. Il faut bien distin- tumuTus sont irrégulièrement placés
guer cette ville de la montagne du sur les pentes de la montagne, dont le
même nom qui se trouve dans Ta Teu- sommet est couronné par une acro-
thranieet dans laquelle le Calque prend pole et sillonné par les anciens rem-
sa source, (iette chaîne prend naissance parts.
aux versants nord du mont Sipylus et Parmi les tiimulus que l’on observe
forme la limite orientale de laucien encore, il en est un qui a depuis long-

royaume de Pergame. Au nord le mont temps attiré l’attention des antiquaires.


Temnos se rattachait à l’Olympe My- Une tradition qui a fini par s’accré-
sieu. diter le signale comme le tombeau de
Tantale, cité par Pausanias, et l’examen
(i) Liv. III, 6ai. des lieux aussi bien que la comparaison
(a) Pausanias, liv. Y, ch. i3. des textes n’ont fait que confirmer cette
opinion.
Strabon (l)est le premier auteur qui
parle des tremblements de terre de Si-

(i) Uv. I, p. 58.

l.‘>.
,

228 L’UNIVERS.
pylus et du lac qui surfit à sa place. soit que l’on place cette ville à Menimen
«'Et Sypilus fut englouti .sous le règne où à Guzel nissar, comme je l’ai pro-
de Tantale, et les marais ont formé des posé plus haut.
lacs. » Il revient sur ce sujet une se- L’emplacement du Hiéron est on ne
conde fois (t), et dit qu’il ne faut pas peut mieux déterminé, « sur le som-
regarder comme une fable ce qu'on ra- met de la montagne ; » enlin le lieu
conte du mont Sipylus et de son bou- de Pélops » se reconnaît
dit « le trône
leversement. Pline (2) fait allusion aux dans une localité voisine.
mêmes événements en ces termes : Pausanias (li revient encore sur le
« Ont été englouties les villes de Daph- sujet de la sépulture de Tantale, fils de
nus et d'Hermésia, et Sipylus, qui s’ap- Jupiter, en visitant les tombeaux d’Ar-
pelait autrefois Tantalis, capitale de la gos. « J’ose assurer, dit-il, que ce tom-
Wœonie. C’est là que se trouve aujour- beau n’est pas celui de Tantale, lils de
d’hui l’étang Salé. » Il est à remar- Jupiter; car j’ai vu son tombeau au
uer que Pline vient de décrire le golfe mont Sipylus, et c’est un monument
e Smyrne et Clazomène ; ces lieux remarqualile ( Otà; iÇiov ). » C’est pres-
n’en étaient donc pas éloignés, et c’est que la même expression dont se sert
de là qu’il reprend la suite de sa des- Hérodote en parlant du tombeau d’A-
cription : « En revenant de douze lyatte, qui était aussi un tumulus.
milles en arrière... » Le tremblement de terre de Sipylus
Dans un autre passage (3), il re- et le lac qui s’est formé sur l'emplace-
vient sur ces phénomènes géologiques : ment de la ville sont des faits trop gé-
« La terre en s'affaissant a englouti la néralement attestés, pour qu'il soit pos-
haute montagne de Cihotus avec la ville révoquer en doute. Pline( 2 )
sible de les
de Curis. Sipylus dans la Magnésie, et dit que l’étang {stagnum, bien dif-
antérieurement, dans le même endroit, férent de lacu.1 )
avait été nommé Salé.
la célébré ville qu'on appelait Tanta- Pausanias ,
après avoir développé sa
lis. » Le de Magnésie s’éten-
territoire théorie des tremblements de terre (3),
dait en effet jusqu’au Sipyle (4). ajoute Idée, ville située sur le mont
:

Paiisanias donne plus de détails sur Sipylus, fut abîmée de la sorte; l’eau
la topographie de Sipylus, et ces dé- qui sortit de la montagne engloutit la
tails sont tout à fait conformes a celle ville, et forma un lac (X(p.vri) que l’on
de la ville ruinée qui domine le golfe nomme Saloë.
de Smyrne (5). « Il y a plusieurs Il est une autre observation à faire
preuves du séjour de Tantale et de Pé- sur le texte de ce passage. Pour dési-
lops dans notre pays; on voit le port gner le lac Saloë, Pausanias se sert du
( Xi|jLijv) de Tantale, qui a reçu le nom mot At’pLVT), c’est le marais dont parle
de ce roi, et son tombeau, qui est re- Strabon; c’est aussi le lac Salé de
marquable. On voit aussi le trône de Pline.Ne doit-on pas en conclure que
Pélops dans le mont Sipylus; sur le dans un passage précédemment cité
sommet d’une montagne est le temple Pausanias a voulu parler d’autre chose
(lEpév ) consacré à la mère des dieux, ue du stagnum Sale. Gédoyn a tra-
Plastène. En passant le lleuve Hermus, uit le port de Tantale. En effet, dans
on voit à Temnos une statue de Vé- tous les lexiques, le mot Xipijv signifie
nus... » etc. un port; c’est le mot Xipv») qui veut
La de.scription de Pausanias est des dire un étang, un lac. On ne conce-
plus conformes, non-seulement à la to- vrait pas pourquoi Pausanias se serait
pographie des lieux, mais encore à la servi de deux mots qui ont un sens si
c.arte générale ; car de ce point, en sui- différent, pour désigner la même
vant la carte, on va droit sur Temnos, chose. D’ailleurs l’étang s’appelle .>7a-
gnum Sale ou Saloe mais non pas
(i) Liv. XII, p. 579.
stagnum Tantali. En disant Atp.T]v T«v-
(a) I.iv. V, ch. ag.

( 3)
Liv. II, cil. 41. i) Liv. Il, ch.ai.
(4)
.Sirahoii, XII, p. 571. i
a) Liv. V, ch. ag.
15 ) Liv. V, ch. i 3 .
( 3) Pausanias, Liv. 'VII, ch. a 4 .
,

ASIE MINEURE. 229

TiXou ,Pausanias a donc voulu en ,


environ des dernières maisons de
effet, parlerd’uu port de mer l’ins- ; Smyrne. Le tombeau principal se voit
pection seule de la carte suffit pour en de tous les points des quais, sur le ma-
convaincre. Le port de Tantale était melon inférieur de Sipylus; le plus
placé entre les deux caps qui s’avancent haut mamelon porte l’acropole.
au sud. N’est-il pas évident, pour tous JNous débarquâmes au nord du golfe,
ceux qui ont la moindre notion de la relevant au sud la pointe du Moulin
langue grecque, que le même auteur, (marquée sur toutes les cartes). Je
en disant TavrdlXou Xipiijv, et Aljjivr] Sa- commençai monter sur des collines en
il

iôr), a voulu parler de deux choses dif- pente douce voyant déjà à fleur de
,

férentes? Je crois donc, d’après l’ins- terre des traces de murailles. Cette pre-
pection des lieux, comme d’après le mière colline s’avance dans la plaine
texte de Pausanias, qu'il faut traduire : de Bournabat, et formait un cap avant
le port de Tantale. La position deTan- que les atterrissements eussent comblé
talissur la rive norddugolfede Smyrne le golfe. Près de cette colline, au sud,
expliquerait naturellement pourquoi s’élève dans la plaine une petite mon-
Pline, dans son chapitre 29, si sou- tagne'oblongue, jadis un îlot, qui fer-
vent cité, après avoir mentionné Cla- mait le port du côte de l’est. Tous ces
zoinène et les villes de la rive sud terrains sont encore marécageux, mais
passe iinniédialemcnt à la description de se dessèchent chaque année davan-
Tantalis. tage. En nous dirigeant au nord, nous
perdons bientôt les traces des mu-
CHAPITRE V. railles au milieu des rochers. Nous fai-
sons un demi-mille toujours en mon-
TOPOGRAPHIE DE SIPYLUS. tant, et nous arrivons sur un plateau
où nous trouvousies deux premiers tu-
Pococke est le premier voyageur qui mulus. •

ait parlé des ruines de celte ville et Le tumulus n° 1 est à fleur de terre,
des tombeaux qui l’avoisinent. Chandler entouréd’une assise circulaire, de pierres
les meiitioune d’après lui, mais ne leur brutes de 0'",80 de longueur sur 0“‘,60
a pas restitué le nom de Tantalis. J.e de hauteur quelques-unes sont en
;

tombeau de Tantale est cité par M. de saillie dans l’intérieur, et forment bou-
Sainte-Croix (I), qui rapporte ce fait tisse en dehors. Le diamètre est de
d’après Athénée « Les tumulusontété
: 18 mètres, il a été fouillé à une époque
transporiés en Grèce par les Phrygiens reculée; au centre, une dépres.siou de
qui avaient accompagné Pélops (2). » terrain indique la place de la chambre.
Est-il étonnant de trouver tant de tom- Le tumulus n“ 2, 12 dvgres à l’est
beaux de ce genre dans la ville de Pé- du précédent. Une assise a fleur de
lops? Un trait de plus distingue ces tu- terre en pierres brutes à joints régu-
mulus de ceux des Grecs c’est que les : liers. Dans l’intérieur, un amas de pe-
Grecs brûlaient les corps; les Phry- tites pierres ; dépression au centre; dia-
giens, suivant la mode é^ytienne , les mètre, 9“.
mettaient dans des sarcophages. Le tumulus n“ 3, à 1 10 mètres à l’est
Vers la lin de novembre 1835, l’a- du précédent. Il est sur le rocher nu.
miral Massieu de Clerval, commandaut L’intérieur, rempli de terre, s’élève à
la station , mit à ma disposition vingt 3 mètres environ. Une assise en
matelots du vaisseau le SuJ’fren, avec pierres brutes. Il est relié au suivant
des instruments et tous les apparaux par un mur en pierres sèches. Diamètre,
nécessaires pour faire des fouilles com- IT™.
plètes, et pour lever la carte de l’an- Le tumulus n° 4, semblable au pré-
cienne ville, distante de trois kilomètres cédent; diamètre, 17™.
Nous cheminons avec peine, au mi-
(i) Mém. de P Acad, du Inscr., t. II, lieu des rochers éboulés, pour arriver
p. 53a. à un plateau supérieur ; nous y voyons
(a) Athénée, Deipnos., lib. XIT, p, 6aS. trois tumulus de différents diamètres.
U. Acad., t. Il, p, 53i. Tumulus n° 5, assis sur le rocher.
230 ,
I. UNIVERS.
l’cii l'uil (iél>laypr l'interieur jiisnii'ii la front; preuve irrécusable que l’appa-
roche, dans laquelle un üarco|)iiage a reil isodomoH était employé dans la
été taillé. Dianlétre, 21 mètres. haute antiquité, en même temps que
Tumiilus u° 6. Deux assises en joints l’appareil en joints irréguliers. La
réguliers, parfaitement a|>pareillées ; il chambre est à petites pierres. Diamètre
reste des traces de la porte et du cou- du l\imulus, 13”',40.
loir qui conduisait à la chambre celle- : Tumulus n» 12, voisin du premier,
ci était voûtée en ogive, et faite de d’une construction analogue. Au milieu
petites pierres longues posées à sec. de la chambre est un sarcophage creuse
Diamètre, 16 mètres. dans le roc. Diamètre, 11 mètres.
Tumulus n® 7. Il est entouré d’un
double revêtement qui, d’un côté, a CHAPITRE VI.
sept assises régulières. Ce revêtement
paraît complet. Nous trouvons au pied TOMBEAU DE TANTALE (1).
des morceaux d’une doucine peu éviilee,
(|ui servait au couronnement du sou- Enfîn, à deux milles et demi du point
bassement (xprjzrSoç) sur lequel repose de débarquement et à moitié de la hau-
le tumulus ( xh )• La pointe était teur de la montagne, nous arrivons
couronnée par une pierre en forme de sur un plateau couvert de débris de
pomme de pin (ou par un phallus, constructions ce sont des amas de
:

selon quelques antiquaires ). Le dia- pierres formant différentes lignes qui


mètre est ae I3“,80. ont MUS doute appartenu aux murailles
Tumulus n“ 8. Il est d’une construc- et à quelques autres édilices. Une
tion différente; il n’a pas de soubas- éminence qui domine ce plateau porte
sement c’est un monceau tout com-
: deux tombeaux; ce sont les plus consi-
posé de petites pierres arrondies et je- dérables du lieu. Le plus grand et le
tées seulement les unes sur les autres. mieux conservé est connu sous le nom
Le centre est creux, parce qu’il a été de tombeau de Tantale; ce tumulus
fouillé. I-a porte de la chambre sub- forme un cercle parfait ; il a 33"',C0 de
siste encore; elle est d’une seule pierre. diamètre, et par conséquent 105'", 537
Diamètre , 32 mètres. de circonférence c’est donc un monu-
:

Tumulus n® 9. Il a une enceinte so- ment important, où* d^avr;; il est

lide .1 double revêtement (j’appelle construit tout en pierres seches de


ainsi deux murs circulaires appliqués moyenne dimension. Au centre est une
l’un sur l’autre et parementés, sans chambre rectangulaire de 3"',55 de long
liai.son entre eux ). La chambre a 5 mè- sur 2”', 17 de large, et 2"’,85 de hauteur
tres de longueur sur 2 mètres de large ; sous la voûte. Cette chambre est voûtée
le tertre a 2“,60 de haut. Diamètre ex- en ogive, dans le genre de la porte
térieur, 28 mètres; diamètre du revê- d’Assos; les assises des côtés sont ho-
tement intérieur, 21'".50. rizontales ; les murs en retour ne sont
Tumulus n" 10. Soubassement de pas reliés avec ceux des grands côtés ;
trois assises.Diamètre, 9 mètres. Nous il n’y a pas de clef à la voûte; la pierre

suivons un chemin taillé dans le roc; supérieure soutient tout l’appareil. Ce


il traversait toute la nécropole; dans tombeau diffère des autres en ce qu’il
quelques endroits il est soutenu par n’y a pas de couloir pour entrer oans
un perré ; il nous conduit à un autre la chambre; elle était parfaitement
tombeau. close. Cette chambre est au centre d'un
Tumulus n® 11. Trois assises, d’ap- ouvrage en pierres sèches de 3'". 60 de
pareil pélasgique, du côté de la porte; rayon. Huit murs, formant un octo-
cinq assises du côté du levant. Les gone, relient cette partie circulaire
pierres sont à léger bossage , les joints avec un autre mur plus excentrique;
faits avec soin ; le couloir qui conduit leur longueur est de 2"',70. Le mur
à la chambre a cinq mètres de lon- circulaire estcomposé de deux pare-
gueur ; les revêtements du couloir sont ments de pierres sèches avec remplis-
en appareil régulier, composé de cinq
pierres, deux en houtisse, et deux de (i) VovM la plHiielie il.
,

VSIf, MINKURK. 231

sage; son épaisseur est de 2™,70. Seize serait là l’étang SaJoë, bien diminué,
murs rayonnant du centre à la
,
cir- il est vrai ,
atterrissements ;
par les
conférence , relient ce second mur cir- mais il en a tant d’autres plus grands
culaire à un troisième , dont l’épais- qui ont complètement disparu.
seur totale est de 3“,70, et qui forme INous gravissons, pourarriverà l’Acro-
le revêtement du monument. Pour pole, des rochers volcaniques verticaux
plus de solidité, ce mur est composé et aigus. ISous avons toujours marché
de deux parties, l’une intérieure, de au nord-ouest. Cette enceinte, bâtie
1"', <0 d'épaisseur, paremeutée des deux de pierres sèches de petit volume , s’ap-
côtés, Pt l'autre de 2"', 30, composée puie au sud sur une crête de rochers
de pierres d’un plus fort échantillon à pic ; elle a 5 mètres de hauteur. A
dont le parement extérieur forme le 100 mètres de là, toujours eu montant,
soubassement de l'édifice. Cette cham- on arrive aux propyltes de la citadelle;
bre est orientée nord et sud; toutes c’est la partie la mieux conservée de
les autres sont orientées est et ouest. l’édiGce. La porte a été entièrement
Il est impossible d’imaginerune cons- dégagée par les matelots; elle a 1“’,30
truction mieux entendue pour résister dans la partie inférieure; elle est in-
à l’action des siècles. Le dehors du clinée en pylône. Les quatre assises
cône était en grande partie conservé qui restent ont 2™, 35 de hauteur. L’ar-
quand j’ai commencé mbs opérations. chitrave, d'une seule pierre, a 2">,20 de
J’ai été obligé de le démolir, ainsi que long ;
l’épaisseur du rempart est de
la majeure partie du soubassement, 3 mètres ; il est composé de deux pa-
pour bien saisir ce système ingénieux rements de 1">,30 d'épaisseur chacun.
de construction. Tous les murs dont Après avoir passé la porte, on arrive
j’ai parlé sont noyés dans un remplis- dans un couloir oblique, au fond du-
sage en petites pierres, toutes à peu quel était sans doute un escalier pour
près de la même dimension et parfai- monter sur l’esplanade ; mais de grosses
tement réunies , quoiqu’elles n’aient pierres éboulées empêchent de voir cet
aucun ciment. Ayant la direction de endroit. Ce couloir était couvert par un
la pente et le diamètre:, il m’a été facile plafond de pierre. Dans une partie obs-
de déterminer la hauteur, et j’ai trouvé cure, on aperçoit un puits, sans doute
27">,60 pour la hauteur totale. Ce mo- le puits de quelque oracle.
nument sépulcral est certainement un L’esplanade de l’Acropolis est un ro-
des plus considérables de tous ceux de cher uni de 50 mètres en tous sens;
l’Asie Mineure ; il ne le cède qu’à celui c’est le point culminant de la montagne.
d’Alyaite, qu’Hérodote comparait aux On trouve dans les fouilles un grand
pyramides. nombre de fragments de tuiles à re-
A partir de ce tombeau jusqu’à la bord, mais aucun ouvrage d’art.
mer, on suit une longue muraille oui On voit encore en place un soubas-
se prolonge en serpentant par tous les sement rectangulaire de 30 mètres de
détours des rochers. Elle est composée côté, composé d’une assise de pierres
de deux parements en grosses pierres bien appareillées et taillées à bossage
posées a sec, avec un remplissage en qui a dû former le soubassement d’un
petites pierres; elle n’a que l"’,16 d’é- temple. Ces assises sont régulièrement
paisseur : c’était peut-être l’enceinte de orientées; tout porte à penser qu’elles
la nécropole. L’Acropolis est au cou- ont fait partie du temple de CyMle, de
chant, sur un rocher presque à pic, la mère Plastène. De l'autre côté de
et qui forme à peu près le tiers de la r Acropolis, le rocher a été taillé en talus
hauteur totale de la montagne. rapide , et un large fossé a été creusé
Au milieu d’une petite plaine qui pour défendre les abords du lieu sacré.
domine le tombeau de 'fantale se Il serait difdcile de réunir en un
trouve un lac qui a environ 100 mè- même lieu tant d'éléments divers un :

tres de diamètre, et qui parait alimenté lac, un tombeau une citadelle sur le
,

par des sources sortant de divers en- sommet d’une montagne, éléments qui
droits du rocher; tout le reste de la concordent trop bien avec les textes
montagne est d’une aridité extrême. Ce grecs pour que ces lieux ne sojent pas
.

339 L’UNIVERS.
It’s mêmes qui ont été décrits par les Mæoniens en Asie, n’oublie pas de dire
auteurs cités plus haut. chez les écri-
qu’il a puisé ces traditions
Pausanias les a vus ; ce n’est pas par v.iins nniionaux Xanthus de Lydie, et
,

oui dire qu’il en parle, et il est impos- Ménécratc d’Élée, dont le témoignage
sible de trouver plus d'accord entre la est d’un grand poids; il s’ensuit que
description et la réalité. la souche de la nation lydienne est ori-
Indépendamment des ruines que nous ginaire d'Europe.
venons d’observer, il existe encore des Ces migr.'itions eurent lieu longtemps
traces de murailles toutes bâties .sans avant la guerre de Troie, et d’après la
ciment et qui paraissent avoir appar- marche ordinaire de ces migrations, on
tenu à des édifices publies et à des mai- doit penser que les Mæoniens ont pré-
sons d’habitation. Dans toutes ces en- cédé les Mysiens dans leur installation
ceintes les angles sont arrondis et les sur le continent d’Asie. A défaut de
murs .semblent disposés de manière à renseignements plus précis sur l’arrivée
pouvoir être couverts en pierres et des Mæoniens, les chronologistes pla-
former des voûtes comme dans les an- cent cette migration dans la première
ciens monuments phéniciens de Malte. moitié du seizième siècle avant notre
Dans toute l’enceinte de cette an- ère. Déjà les Pélasges et les Léièges oc-
cienne cité on ne trouve |ias un seul cupaient certaines parties de la côte
fragment qui ait pu appartenir au se- occidentale, et les régions du sud étaient
cond âge de l'antiquité grecque; c'est habitées par des familles de race pbéni-
encore une preuve que cette ville est cienne qui étaient venues dans l’intérieur
restée inhabitée depuis la catastrophe par les ports de la Lycie.
qui l’a ruinée. Les Carieus, sujets de Minos, étaient
maîtres du sud-ouest de la presqu’île.
CHAPITRE VU. Il se fit une lusion de ces diverses po-

pulations, qui, n’ayant pas d’intérêts op-


LYDIE. —
MÆONIE. —
MIGRA'riOs:S posés , vécurent en bonne intelligence ;
DES LYDIEÎSS EN ASIE. TlllBlIS— unis par une communauté de religion,
MÆONIKNNES. iis fiidrent par se regarder comme de
même race. Les Cariens étaient cepen-
Lorsque les tribus thraces passèrent dant venus de la Crète , mais cette mi-
le détroit pour aller s’établir dans la gration était si ancienne que du temps
Chersonnèse d’Asie, ces hordes, alors d'Hérodote ils se regardaient comme
sans nom se distinguèrent entre elles par autochthones.
quelque caractère saillant tiré, soit de Au nombre des tribus qui s’allièrent
leur langage (I), soit de leur campement avec les Mæoniens il faut compter les
primitif (2), soit enfin du nom de leurs Cabalès, qui ont occupé la région nord
chefs (.3). Ceux des Thraces qui furent de la Lycie, à laquelle ils ont laissé le
dans la suite appelés Lydiens arri- nom de Cabalie Ces Cabalès étaient
vèrent en Asie avec les Mysi, et comme originaires d’Afrique; Hérodote (I) les
ils étaient sous la conduite d’un chef décrit ainsi :« Les Cabalès demeurent
du nom de Mæon on les appela Mæo-
,
vers le pays des Auschises ils s’éten-
:

niens. Ils parlaient la même langue que dent sur les côtes de la mer vers Taus-
les Mysi ; laissant ces derniers s’établir chires, ville du territoire de Barka. »
sur la côte, les Mæoniens pénétrèrent Les Mæoniens s’unirent avec ces peu-
plus avant dans l’intérieur du pays, et plades, qui furent appelées Cabalès-
s’installèrent dans un canton fertile entre Mæoniens, ou I.azoniens ; on les retrouve
les fleuves Uermus et Méandre. Ce can- sous ce nom dans le dénombrement de
ton prit le nom des nouveaux habitants l’armée de Xerxès(2). Ces faits, qui ue
et fut appelé Mæonie. sont contestés par aucun des torivains
Strabon, qui expose la marche des anciens , servent à faire comprendre l’al-
liance intime qui existait entre les peu-
(i) Sliaboii, XIV, 66a.
(») Id.,XII, 57 ». (1) Hérodote, IV, 17 I
(3) HéruJule, VU, 74. (a) Hérodote, VII, 77.
ASIE MINEURE. 333

pies de la Carie et ceux de la Lydie, et fut appelé ensuite Coloé, existait au


quelle influence cette alliance eut sur temps de la guerre de Troie il ne peut ;

le sort des villes ioniennes lorsque donc avoir reçu son nom de Gygès, le
l'empire de T.ydie échut à la race des premier roi Mermnade, qui vivait à la
Mermnades. fin du huitième siècle avant notre ère.
Du temps d’Hérodote Cabalie était
la Aux des Pylémène s’était joint un
fils

habitée, par ces IMéoniens Calmiès qui ,


antre chef de Méoniens, Iphition, fils
se distinguaient, par quelque différence d’Otrynthe, né « dans la ville opulente
de langage, des Lydiens et des Cariens, d’Hyda, au pied du Tmolus, couvert de
desquels ils étaient limitrophes (t). neige(I); » (cette épithète homérique est
Strabon, qui mentionne aussi le petit conservée par les Turcs au mont Tmo-
district de Cabalie, ideiitilie ces habi- lus, qu’ils appellent Bouz-dagh, la mon-
tants avec les Solymes d’Homère (2) : tagnede la glace). Bavait vu le jour près
c’est assez dire qu’il les considère du lac Gyg%. aux bords du poissonneux
comme de race phénicienne. La langue Hyllus et île THermus impétueux.'
dont usaient les Méoniens est sans au- La Méonie était donc bornée au sud
cun doute d’origine thracique ; on lui ar le mont Tmolus; elle s’étendait à
donnait aussi le nom de langue my- f est jusqu'aux montagnes de la Cata-
sienne; elle était parlée par les Ly- eécaumène, au nord jusqu’au Caystre,
diens (3) ; les Cibyrates Cabaliens par- et .1 l’ouest elle était bornée par les pos-
laient la langue lydienne (4) ils fai.saient
: sessions des Pélasges, où s’établirent les
aussi usage de la langue grecque et de Æoliens et les Ioniens. A l’époque de
celle des Solymes (qui était satis doute l’invasion des Cimmériens, la .Méonie
d'origine sémitique ). « Les Méoniens portait aussi le nom d’Asie (2), qui selon
« possédaientaussi la ville de Termessus, quelques écrivains aurait été donné par
« habitée, dit-on, par les descendants les Grecs à tout le continent.
« de ces Lydiens qui vinrent occuper Ca- La Méonie s’étendait au sud jusqu’au
« balis (5). • Caystre , « dans la prairie asienne près
La partie occidentale de la région des bords du Caystre; » au nord elle
qui fut dans la suite appelée Lydie était baignée par lé fleuve Cogamus. La
était située dans le voisinage de la cote. ville de Méonia, capitale du pays, était,
A cette époque les colonies ioniennes selon Pline (3), près de ce fleuve,
n’étaient pas arrivées, les Pélasges et les puisque les Mæonii étaient voisins des
Léléges y possédaient quelques villes. TripolUani, dont la position est connue.
On ne saurait cependant assigner de li-
mites positives à cette province; les CHAPITRE VIII.
historiens anciens .se taisent sur ce su-
jet. Ou peut cependant être certain que DYNASTIES LYDIENNES.
le nom des Lydiens était inconnu du
temps de la guerre de Troie, car Ho- Méon passe pour être fils de Jupiter
mère ne fait jamais mention de ce peu- et de Tellus, c’est-à-dire que son ori-
ple, mais compte Méoniens au
les gine est inconnue; il institua en Méo-
nombre des alliés de Priam. « Les fils nie le culte de Cybèle qui fut commun
de Pylémène, Antiphus et Mesthlès, qui aux Lydiens et aux Phrygiens.
reçurent le jour près du lac Gygée. gui- Méon ou Manès (4) fut le père de
dent les Méoniens, nés au pied du Tmo- Cotvs et l’aïeuld’Atys, roi desMeoniens,
lus (6). » Cette région est celle qui plus et fut chef de la dynastie des Alyades,
tard forma le cœur de la Lydie, et on voit ui régna pendant trois siècles ; Atÿs était
d’après ce passage que le lac Gygée, qui ?rèrede Lydus, qui donna son nom aux
Lydiens. • Sardes fut la résidence de ces
(i) Hérodote, III, 90; VII, 77.
() XIII, fi3o.
Slralioii, (1) Hoin., lliad., XX,385.
(3) Strabon, XII, 571. (a) Oémétriiis de Scepsis. —
Strabon, XII,
(4) Strabon, XII, 63i. 6*7.
(5) Strabon. XIII, 63o. (3) Pline, liv. V, 3g.
() Uomère, lliad., II, 864. (4) Hérodote, liv. !•', 94.
2S4 I/UTSrVKRS.

rois lydiens qu’Hoinère appelle Méonès, les ruines se voient encore au nord est
et auxquels ceux qui sont venus après de la Pbrygie; Adramys, un des Dis d’A-
lui donnent le nom de Mæonès; les lyatte, père de Crésus, fonda la ville
uns pensent que ces Méonès et les Ly- (l’Adramyttium. Pylémène, le dernier
diens sont la même nation-, d’autres en souverain de cette dynastie, régna vers
font deux peuples différents la pre-
: l’an 12!iO avant notre ère; il est contem-
mière opinion me paraît la meilleure( t) o porain de la guerre de Troie et est cité
Un autre nis d’Atys.nomméCar, soumit par Homère dans l’Iliade (I).
et gouverna les Léiéges et les Cariens : Hérodote est le seul historien de la
c’est ainsi qu’on explique ce mot d'Hé- Lydie qui soit arrivé jusqu’à nous Xan- ;

rodote , « à cause de l’aflinité qui existe thus et iMénécrate ne nous sont connus
entre les Lydiens et les Cariens (2) » que par des fragments épars dans les
Comme chaque règne qui flnissait don- écrivains moins anciens, et nous pouvons
nait un dieu nouveau à ces peuples, les considérer comme véridiques, tant
nous voyons Car, le Dis d’Atys, adoré qu’ils ne sont pas en désaccord avec la
sous le nom du dieu Carus et associé au marche naturelle des événements histo-
culte du dieu Men, dans la ville de Ca- riques; mais souvent la fable se mêle aux
roura,sous le nom de Men Carus (3). La récits du père de l’histoire, et nous en
ville deCaroura était située sur les fron- sommes réduits à enregistrer les faits
tières de la Carie et de la Lydie, et fut qu’il mentionne .sans pouvoir discerner
célèbre sous les Romains par son école la plupart du temps ce qui est caché

de médecine. sous le voile de la mythologie.


Sous le règne d’Atys une grande fa- Les relations d’Hercule avec la Lydie
mine, qui dura plusieursannées, affligea sont au nombre des événements qu'il
la Lydie, et une partie de la nation se nous est impossible de contrôler, mais
décida à s’expatrier. On tira au sort par qui certainement se rapportent à des re-
ordre du roi, et ceux qui furent destinés lations antérieures entre les Lvdiens et
à quitter le pays partirent sous la con- les peuples de l’Asie centrale, les Assy-
duite de Tyrriiénus, troisième Dis d’A- riens, et sans doute aussi les Phéni-
tvs (4); ils allèrent aborder sur les côtes ciens.
d’Italie, et prirent le nom de Tyrrhé- Sous le règne de Jardanus, un des

niens : c’est l’origine de la nation étrus- princes atvades. Hercule fut amené cap-
que. Cette parenté entre les Lydiens et tif en Lydieet vendu àlareineOmphale,
les Italiques fut revendiquée devant le par ordre de l’oracle. Ce Ivéros rapporta
sénat, lorsque les villes d Asie sollicitè- de son expédition contre les Amazones
rent l’honneur d’élever un temple à Ti- une hache à deux tranchants qu’il avait
bère (5). Ce fait est aussi attesté par Ti- conquise sur Hippolythe, et la légua à
mée. Les Lydiens, dit-il, ayant passé ses descendants, qui la conservèrent
d’Asie en Europe s’établirent dans l’É- comme un signe de puissance. Ce sym-
trurie. On ne doit donc pas être sur- bole passa après la mort de Candaule
pris de retrouver dans l’un et l’autre entre les mains des Mermnades, Cariens
pays une certaine analogie dans les mo- d’origine, et on le retrouve sculpté sur
numents des arts; les tumulus de Cor- les monuments de la Carie, et surtout
neto sont des imitations de ceux de la sur le temple de Jupiter, Labrandéus,
plaine de Sardes, et les sculptures du comme le signe de la fraternité qui unis-
temple d’Assos représentent des sujets sait les Cariens et les Lydiens.
qui se trouvent reproduits dans les pein- Hercule eut d’une esclave de Jarda-
tures des monuments de l'Étrurie. nus un Dis nommé Alcée, dont lesde.vcen-
Le roi Manèseut un Dis, nommé Ac- dants régnèrent sous les Lydiens, paror-
mon, qui bâtit la ville d’Acmonia, dont d re de l’oracle , et furent la souche de la
dynastie des Héraclides, qui régna sur la
(r) SIrabon, X.III, 6a5. Lydie pendant vingt-deux générations,
(a) Hérudole, liv. I, rjS. dans l’espace de cinq cent cinq ans.
(3) Straboii, XII, 58o. Agron, Dis de Minus, petit-fils de Béliis,
(4) Hérodote, ibid.
(5) Tacili-, IV, (i) Homère, Iliad., XX, 3.35.

é.c: ;
1(
,

ASIE MINEURE. 235

arrière-petit-Ols d’Alcée, fut le uremier se trouvait en vigueur sur les rives de


roi des Héraclides. Le dernier fut Can- l’Euphrate, chez les Biaby Ioniens (I).
daiile,qui régna de T35 jusqu’à 708
avant notre ère. CHAPITRE IX.
Ttnolus, époux d’Oraphale, ayant été ETENDUE. —
FBONTIÈBES DU BOYAUME
tué par un taureau, fut enterré dans la DE LYDIE. MONTAGNES. — —
montagne voisine, à laquelle il donna FLEUVES.
son nom. Celui de Sipylus autre prince
héraclide fut donné à la montagne qui Au tempsde leur plus grande puis-
domine le golfe de Smyrne. sance, les rois de Lydie ont possédé
Ce n’est pas sans raison que les écri- toute l’Asie en deçà du fleuve Halys.
vains modernes qui se sont occupés de Le royaume de Plirygie était anéanti
l’histoirede Lydie ont témoigné leur et tous ces peuples, autrefois divisés,
étonnement de voir les noms des rois obéissaient au pouvoir de Crésus il faut :

assyriens Bélus et Ninus à la tête de en excepter cependant les Lyciens et


la dynastie des rois de cet empire. Hé- les Ciliciens.
rodote étant le seul historien qui en Nous ne devons considérer ici le
fasse mention, nous en sommes réduits royaume de Lydie qu’à son point de
à supposer que dans ces temps reculés vue géographique, et ne tenir compte
la Lydie et l’Assyrie formaient deux que du territoire qu’il a occupé, soit à
parties d’un vaste empire, qui s’étendait son origine, soit même comme province
depuis les rives du Tigre jusqu’aux li- romaine. Pline est l’auteur qui déter-
mites occidentales de l’Asie Mineure. mine le plus clairement les limites de
Quelques fragments épars dans les la Lydie sous l’empire romain. Il tient
historiens postérieurs a Hérodote, pui- compte du territoire de l’Ionie, qui sous
sés dans des livres perdus pour nous, les rois lydiens était complètement in-
nous montrent les Lydiens en relation corporé a leur empire.
avec les peuples sémitiques et fondant La Lydie est au-dessus de l'Ionie elle :

des villes dans la Syrie, la Palestine, pré- est arrosée par le Méandre; ses bornes
cisément dans un temps où la puissance à l’est sont, la Phrygie; au nord, la
assyrienne était dans tout son dévelop- Mysie ; au sud, la Carie. On l’ap-
pement. pelait jadis Méonie : elle est traversée
Quelques écrivains, se basant sur les par le mont Tmolus ou Timolus, cou-
traditions orientales, de préférence à vert de vignobles, qui donne naissance
celles des Grecs, ont supposé que les au Pactocle. (2). Le mont Messogis, pa-
Lydiens, enfants de Lud,sont sortis de rallèleau Tmolus, fait aussi partie de la
la Mésopotamie pour venir s’établir Lydie il forme le revers nord de la
;

dans la presqu’île ; c’est dans leurs rap- vallée du Méandre. » Du côté de l’est,
ports avec les Égyptiens qu’ils auraient nous savons avec certitude que la pro-
pui.sé l’idée d’honorer les grands hom- vince s’étendait jusqu’au fleuve Lycus,
mes en élevant des monuments compa- qui coulait à rouest de Colossæ et
rables aux pyramides cette opinion ne
: formait les limites communes de la
saurait être soutenue du moment que Lydie, de la Plirygie et de la Carie (3).
les Grecs sont d’accord pour regarder Il faut peut-être
y comprendre les villes
la langue lydienne comme étant d’ori- de Nysa, de Tralles et de Magnésie sur
gine européenne ; mais on ne saurait Méandre ; mais les auteurs ne sont pas
nier que dans leurs rapports avec les d’accord sur ce point. La Lydie est tra-
peuples sémitiques les Lydiens n'aicnt versée de l’est à l’ouest par le cours
subi une influence orientale, qui pour de l’Hermus qui reçoit le fleuve Hyl-
,

la dépravation des mœurs les assimile lus, appelé aussi Phrygius. La pro-
aux Babyloniens. Chez eux les jeunes vince de laquelle sort l’Hermus et qiK, à
lilles étaient autorisées à faire le métier cause de sa nature volcanique, reçut le
de courtisanes pour se procurer une
dot, et le continuaient jusqu’à ce qu’elles (i)Hérod., I, y3.
trouvassent à se marier :cet usage si [i) Pline, V, 3g.
étranger aux peuples de race européenne (St Kérodoip, VII, 3t.
336 L7JN1VERS.
nom de Catacécaumène, est considérée CHAPITRE X.
comme ayant fait partie de la Phry-
gie Épictete. Strabon (I) exprime son MONUMENTS.
embarras pour s'expliquer à ce sujet :

« Vient ensuite le pays connu sous le Malgré la renommée de puissance et


nom de Catacécaumène, soit qu'il ap- de richesse qui s’est attachée au souvenir
partienne à la Mysie, soit qu'il dépende des rois de Lydie, cette province n’otfre
de la Méonie, car ces deux opinions ont pas à l’étude de l’archéologie des monu-
leurs partisans. » Toute la Lydie était ments aussi nombreux et aussi remarqua-
traversée de l'est à l'oue.st par une bles que la province voisine, l'Ionie. On
grande route qui conduisait de la côte ne saurait aujourd’hui citer un seul mo-
jusqu’à Suze ; elle était divisée en sta- nument qui fût évidemment l’ouvrage
tions, à chacune desquelles on trouvait d’un prince lydien il faut cependant
:

des maisons royales et des lieux de re- en excepter les tombeaux de la plaine
posa l'usage des voyageurs ; ces ét.ablis- de Sardes; mais, jusqu’à ce que ces mo-
semeutsexistent encore dans toute l’Asie numents aient soumis à une inves-
été
et la Perse, sous le nom de caravan- tigation spéciale, ils se présentent à nos
serai(palaisdes caravanes): les voyageurs yeux comme des tertres naturels.
y sont reçus gratuitement. La route pas- La destruction des monuments de la
sait continuellement par des lieux ha- Lydie s’explique facilement par les
bités;on comptait pour traverser la Lydie guerres acharnées et incessantes qui
et la Phrygie jusqu’aux rives du fleuve ravagèrent ce pays. C’est en effet sur ce
Halys vingt stations, qui comprenaient plateau central que se sont décidées la
quatre-vingt-quatre parasanges et demi plupart des grandes batailles d’où dépen-
de trente stades chacun, ce qui fait deux dait le, sort de ces contrées. La bataille
mille cinq cent trente-cinq stades; mais de Thymbrée, comme celles d’Ipsus et
on n’est pas d’accord sur la mesure du de Magnésie, et, dans le moyeu âge, celle
stade employé, les uns l’estiment à cent de Dorylée entre les croisés et les Mu-
quarante-sept mètres soixante-dix-huit. sulmans.
Le stade olympiqueétantdecent quatre- La constitution du pays , composé
vingt-quatre mètres quatre-vingt-quinze de larges vallées et de montagnes gra-
cent. nitique.s, n’offrit jamais aux Lydiens les
Le territoire de la Lydie
d’uneest éléments de cas constructions gigantes-
extrême fertilité, et la réputation de la ques ou de ces ouvrages taillés dans le
contrée se soutient encore malgré l’ctat roc par lesquels se distinguèrent d’au-
de décadence on est tombée l’agriculture. tres peuples. La brique était l’élément
Les vallées du Méandre produisent principal employédans les constructions.
presque touteslesliguesqui sous le nom Hérodote, qui ne manque pas d’observer
de figues de Smyrne paraissent sur tous les monuments desartsdans les pays qu’il
les marchés du monde, et si les vignes décrit, dit à propos de ce royaume (t) :

du Tmolus ne fournissent plus les vins « La Lydie n’oftre pas, comme certains
qui faisaient les délices du roi Pha- autres pays, des merveilles qui méritent
næus (2), les raisins secs de Lydie place dans l’histoire, sinon les paillettes
sont aussi un objet d’exportation con- détachées du Tmolus par le Pactole. >•

sidérable. Le coton des plaines de Kirk Il semble que le génie artiste des Lydiens

Agatch, les huiles d’olive et de sésame s’est plutôt porté sur l’exécution des
sont aussi des objets de commerce qui, objets fabriqués en matières précieuses.
joints aux articles de droguerie et de Les étoffes et les bijoux, les trônes et
teinture, faisaient de la ville de Smyrne les cratères d’or étaient le luxe qu’ils
unç des places de commerce les plus affichaient le plus volontiers ; mais pour
importantes de l’Orient. contenir ces somptueux mojtiliers le
palais de Crésus était bâti de briques
638. recouvertes de dalles de marbre, et les
(1) Sli-abon, X.III,
(2) Virg., Géorg., II, 97.
maisons des habitants de Sardes étaient

(i) Hérodote, 1, 93.


ASIE MINEURE. 387

couvertes de chaume. Il faut cependant de Celænæ fournissaient des flûtes


rendre justice à ce peuple, qui eut une mélodieuses, et Orphée lui-même ne
influence marquée sur les progrès que dédaigna pas de chanter sur le mode
les Grecs firent dans les arts : c'est chez lydien. Marsyas, Amphion, Mélampide
les Lydiens que les artistes grecs trou- sont les compositeurs les plus célèbres
vèrent à étudier et à pratiquer leur art. dont l’antiquité nous ait conservé les
La disposition naturelle des premiers noms. I.a musique Ivdienne charma les
pour l'art de la musique fut tellement peuples d’Ionie pendant toute la période
appréciée par les Grecs, que la musique hellénique.
Ivaienne fut introduite non-seulemeut Les intérêts et les goûts des Lydiens
dans les représentations scéniques, mais les portaient principalement à tourner
accompagnait aussi les cérémonies re- leurs vues du cûté de l’Asie centrale.
ligieuses. Ils n’attachaient aucun prix aux affaires
Hérodote, qui se plait souvent à don- maritimes; ce n’était cependant pas l’in-
ner une tournure dramatique à ses en- telligence du commerce qui leur man-
seignements historiques , nous montre quait si on leur doit l’invention des
les Lydiens inventant les jeux dans le monnaies d’or et d’argent et l’ouver-
hut de se soustraire aux ennuis d’uue ture des premiers bazars (I), institution
famine qui dura pendant dix-huit ans : commerciale qui fleurit encore en Asie
de nos jours on aurait peut-être pensé après trois mille ans, et que l'Europe ne
à cultiver la terre avec plus de soin. s’est jamais assimilée que par exception.
Ils inventent les des , les osselets, et la Les premiers navigateurs hellènes
paume (1). Les Romains paraissent qui abordèrent sur les côtes d’Asie
avoir ratifié le mot d'Hérodote, puisque ne trouvèrent que des tribus éparses,
à ces divertissements ils donnèrent le au milieu desquelles ils s'étalilirent
nom de Ludi ( Lydi). Le vêtement des sans peine ; c’est ainsi qu’ils avaient
Lydiens, qui se rapprodiait des modes occupé la plupart des îles de la Méditer-
orientales, n’était pas du goût des Grecs, ranée. Tant qu’ils ne portèrent point
qui ont toujours regardé les peuples de ombrage aux États constitués qui
la Lydie comme efféminés : ils eurent existaient dans l’intérieur de la pres-
cependant à compter avec eux lorsque qu’île, ils purent développer sans con-
les Mermnades pensèrent à envahir trainte leur commerce et étendre leurs
l'Ionie; mais ces princes avaient dans possessions territoriales. Mais cet état
leurs armées les contingents des Cariens, de liberté ne pouvait durer longtemps.
qui de leur cété passaient pour le peu- Les peuples d’Asie finirent par recon-
ple le plus guerrier de la Péninsule. Ils naître que tout le profit du commerce
combattaient principalement à cheval, maritime était entre les mains des
armés de lances très-longues, et excel- étrangers. Cet état dechoses ne tarda pas
laient dans la cavalerie (2). Mais à la à donner naissance à un antagonisme
suite d’une révolte contre Cyrus il fut qui dura pendant plusieurs générations
enjoint aux jeunes gens de cesser de et qui finit par une guerre dans laquelle
porter des armes, de se revêtir de longs l’Europe et l’Orient engagèrent toutes
manteaux et de chausser des cothurnes. leurs forces.
Chez les Lydiens le costume royal con- Les Lydiens, cernés de tous côtés par
sistait dans le diadème le sceptre et le
, des contrées montagneuses, n'avaient pas
manteau de pourpre (3) c'est ainsi que
: senti encore le besoin de s’étendre vers
les Grecs ont représenté Crésus sur son la mer; leurs plus grands intérêts les
liûcher. portaient vers rOrieot, et le commerce
La musique et la danse remplacèrent des caravanes les mettait en relation
alors l'exercicedes armes, et l'éducation avec les pays d’Assyrie ,
de Bahylone
de la jeunesse fut plus spécialement et de l’Inde. La navigation de l’Euphrate
portée vers l’étude des arts. Les roseaux et les rapports maritimes avec les pays
limitrophes du golfe Persique étaient
(i) Ilérodole, I, 94. entre les mains des indigènes ; mais tout
(a) Ihid., 93, i 54 .

(
3 ) Uion. Holic., III, tÿS. (1) Uérod., I, 94.
sas L’UNIVERS.
le commerce d'exportation de l’Occident où les Grecs ne savaient encore fabriquer
se faisait par l’Intermédiaire d’étran- que de grossiers ouvrages de bronze.
gers, les Phéniciens et les Hellènes, qui Dans le huitième siècle avant notre
eu retiraient un profit eonsidérable. ère, Gygès envoyait à Delphes six cra-
Les Lydiens avaient laissé ces derniers tères d'or, du poids de trente talents.
peuples fonder des comptoirs sur la côte D’autres offrandes en argent furent en-
d’Asie leur avaient laissé acquérir de
,
voyées par le meme prince, et les Del-
l’importance; les colons de race hel- ph'iens les appelaient les Gygéades, du
lénique s'étaient reunis en confédéra- nom de celui qui les avait consacrées.
tion ils avaient ouvert des relations avec
;
Les artistes grecs initiés à la fabrication
les États voisins ; ils visitaient les mar- des objets en métal savaient donuer à
chés, achetaient les produits et s’instal- leurs produits un caractère plus délicat;
laient au milieu des indigènes pour mais c’est, à n’en pas douter, dans leurs
transporter les marchandises sur les rapports avec la nation lydienne qu’ils
marelles de la côte. piii.sèreut les premiers éléments d’un
L’ancieu peuple phrygien avait été art dans lequel ils ont excellé.
repoussé par i’mvasion' sémitique qui On est même en droit de supposer
venait du sud-est en Asie. Mineure et que les Grecs ont emprunté quelques-
ui s'établissait sous l’autorité des rois unes de leurs lois à l’empire de Lydie.
'Assyrie; il fut soumis à Ninuset dans Hérodote constate que les Lydiens
la suite aux rois de Lydie. étaient gouvernés par des lois qui dif-
Les Lydiens, malgré leur origine eu- féraient peu de celles des Grecs; il n’est
ropéenne , étaient plus étrangers aux pas probable que le grand empire de
Grecs des côtes que les Phrygiens mais
;
Lydie, qui florissaitdaiisun temps où la
cher, eux la culture des arts était bien Grèce était encore plougée dans la bar-
plus avancée que chez ce dernier peuple; barie, ait emprunte des lois à une nation
aussi les Grecs encore ignorants et in- qu’il connaissait à peine.
cultes puisaient chez les peuples d’O-
rient le germe de leur civilisation. CHAPITRE XL
Les Lydiens, qui avaient reçu de la
nature des dispositions remarquables CHUTS DES BOIS HERACLIDES DK
pour la poesie lyrique , enseignaient LYDIE. — AVENEMENT DBS MERM-
aux Grecs ces mélodies populaires qui NADES.
furent l'origine de l'élégie grecque, et le
mode mélodieux de la musique ly- Pendant les premières années de la
dienne fut transporté à Delphes et dans dynastie des Héraclides la puissance as-
le reste de la Grèce. syrienne n’avait fait que s’accroître , et
L’influence de la civilisation lydienne sous les descendanst de Ninus et de
sur celle des Grecs se fit sentir dès le Bélus la Lydie était sinon tributaire, du
temps des Héraclides, qui régnaient de- moins une alliée fidèle de cet empire.
puis Agron, fils de Ninus, petit-fils de L’influence des Assyriens sur les royau-
Bélus. Les Orientaux étaient déjà, comme mes de l’Occident, de l’Asie Mineure
ils le sont encore, très-experts dans l’art s’était manifestée au moment de la prise
de fabriquer les étoffes, de tisser la de Troie, puisqu'ils avaient envoyé le
laine et de travailler les métaux ; la fa- prince Memnoif eu secours du roi
brique des armes de luxe, les broderies Pnam. Les rois de Lydie, autant pour
kl’aiguille étaient dès les temps les plus se mettre en garde cofilre les Assyriens
reculés l’occupation principale des que pour veiller à leur sûreté person-
hommes et des femmes d’Orient; mais nelle , appelaient a leur service les
la découverte de mines de métaux pré- Grecs, qui commençaient à devenir nom-
cieux donna à l'industrie des Lydiens breux sur les côtes d’Asie , et ces der-
une impulsion inconnue avant eux. niers savaient profiter de leur position
Les trépieds et les cratères d’or et de dans le royaume pour gagner une in-
bronze sortis des ateliers de la Lydie al- fluence qui mettait entre les mains de
laient faire les ornements des templesles leurs chefs tous les ressorts du gouver-
plus renommés delà Grèce, à une. époque nement. Les Cariens étaient puis.saiUs
ASIK MlNKURi:. 239

à la cour de Candaule, et Gygès, fils de était communaux Ëoliensetaux Ioniens,


Dascylus. Carien d’origine, commandait complétait', comme centre religieux, le
les troupes les plus aguerries. panionium de Mycale, et réunissait sous
Les récits d'Hérodote nous montrent ses portiques les alliés des Ioniens,
la chute de Candaule, motivée par une comme le centre religieux de Labrauda,
vengeance de sa femme, la reine Nysida. portant à son frontispice la double ha-
Mais l’historien veut être fidèle aux che d’Ueicule, réunissait les confédérés
prémisses de son récit ; il veut que dans lydiens, cariens et mysiens.
les principaux événements de l'histoire L’antagonisme entre les Ioniens et les
une figure de femme soit toujours là Cariens ne venait pas seulement du sou-
pour dominer les événements. Si la venir des cruautés que les Ioniens
chute de Candaule n’eût pas déjà été avaient exercées en Carie, en assassi-
arrêtée dans les conseils des gardes ca- nant les hommes pour enlever leurs
riennes, la révolte de Nysida contre l’é- veuves. Il y avait encore une rivalité
trange idée du roi Candaule n’aurait d’intérêt qui avait pris naissance sur les
pas eu pour résultat de changer la dy- bords du Nil, où les deux peuples avaient
nastie des rois de Lydie, et le chef des formé des établissements sous la pro-
milices sans autre appui que celui de tection des rois d’Lgypte. Pendant tout
la reine ne serait pas monté sur le le temps que les peuples de Carie furent
trône. Ce qui irrita • les Lydiens mécon- exclus de la participation aux affaires
tents » (i), ce fut surtout l’attitude des publiques, ils s'appliquaient à la fabri-
Cariens et le secours que le nouveau roi cation et au métier des armes ; leurs
attendait de sa nation. Avec Gygès les mercenaires allaient servir chez les prin-
Cariens avaient le pied sur les marches ces étrangers; leurs négociants faisaient
du trône de Lydie , et la double hache, connaissance avec les rivages inconnus,
symbole de la puissance des Héracli- et comprenaient tout ce que les entre-
des, fut aussi l’emblème adopté en Carie. prises maritimes pouvaient assurer de
La puissance lydienne s’étendit alors jouissance à un Etat; aussi dès qu’ un
jusqu’à la côte occupée par les Grecs. soldat carien fut devenu roi de Lydie,
Mais la haine des Cariens contre les toutes ces pensées se formulèrent autour
Ioniens subsistait toujours, et dès que du nouveau roi, et les villes ioniennes
les princes d’origine carienne furent comprirent aussitôt que leur liberté et
montés sur le trône de Lydie, la pensée leur existence même se trouvaient me-
de soumettre l’Ionie devint le point de nacées par la nouvelle politique des
mire de toute la politique lydienne. Mermnades.
Du côté du nord, le pouvoir de ces rois En effet toutes les aspirations des
s’étendait jusqu’à la Propontide; plu- rois de Lydie les portaient à créer une
sieurs villes avaient été fondées par des nouvelle puissance maritime carienne
princes lydiens, et portaient leur nom. et lydienne , et à incorporer par la
Le souvenir d’une origine commune conquête les villes florissantes ues Io-
avec les Mysiens avait facilité l’union de niens dans les limites de leur royaume.
ces provinces; une communauté reli- C’est ainsi que la chute de Candaule
gieuse resserrait encore ces liens; on fut pour les Grecs d’Asie le signal d’une
voyait donc d’un côté la ligue des trois guerre prochaine, qui devait ruiner
peuples , les Mysieus, les Lydiens et les pour longtemps leur commerce et leur
Cariens contre les peuples grecs de puissance, et finalement les réduire sous
la côte; ces derniers ràssédaient, il le joug des rois de Lydie. Ces princes
est vrai, plusieurs places fortes, des villes étaient maitres de toute la Mysie jus-
maritimes dont la prospérité faisait en- u’au Rhyndacus. La riche principauté
vie à leurs ennemis, ils avaient pour e Dascylium les mettait eu communi-
soutien Athènes, dont l’alliance pouvait cation avec la Propontide et l’Uelles-
leur être d’un grand secours en cas pqnt, mais du côté de l'ouest le terri-
d’une guerre déclarée ; et sur le conti- toire ionien les séparait de la mer, les
nent d’Asie, le temple deDidyme,qui Grecs étaient maîtres de l’embouchure
des fleuves de la Lydie. Smyme com-
(i) Héroi.lotP, 1"^ XIII. mandait l’Hennus, Éphèse le Caystre,

L'igmzod 'jy L-’COgle


240 L’UNIVERS.
Milet le Méandre, et les troupeaux des tance héroïque. La chute de cette
des Milésiens allaient paître sur le ter- place partait un coup mortel à la ligue
ritoire des Cariens. IVautre part les ionienne , et la contrée tout entière fut
moyens de défense des Ioniens étaient tombée au pouvoir des rois de Lydie
en partie paralysés par la jalousie qui s’ils n’eussent été obligés eux-mêmes

divisait les principales villes. Éphèse et de veiller à la sûreté de leurs propres


Milet suspendaient toute action com- provinces en résistant à l’invasion des
mune; les éléments divers de popula- Ciminériens.
tion dont se composaient ces villes for-
maient des partis hostiles, qui pen- CHAPITRE XII.
chaient les uns pour la soumission,
les autres pour la résistance. Dans de INVASION DES CIMUÉ6IENS.
pareilles circonstances il était impos-
sible de sonjjer à former une armée les ,
Déjà ces hordes nomades parties
petites villes contenaient des habitants des bords de la mer Caspienne avaient
de races diverses, Pélasstes, Léléges et entrepris des expéditions sur les côtes
Cariens qui ne faisaient pas cause com- de la mer Noire. Elles .s’étaient emparées
mune avec les Grecs. de Sinope et avaient fuit une irruption
La race carienne dominait dans les en Lydie. Leurs troupes arrivaient à
villes situées à l'embouchure du Méandre l’improviste au milieu des campagnes,
Milet, Priène et Myus. Les Lvdiens livraient tout au pillage, et se retiraient

étaient mêlés aux Grecs dans les villes de au milieu des camps retranchés qu’ils
la côte depuis Ephèse jusqu’à Phocée. avaient établis au moyen de leurs cha-
Chio et Érythræ formaient un autre riots; une autre troupe de nomades, les
groupe, dont les citoyens se reconnais- Trères, accompagnait les Cimmérieiis:
saient au dialecte, toutes ces popula- les premiers ont laissé dans la mémoire

tions étaient loin de vivre en parfait ac- des écrivains anciens une réputation
cord et les hostilités s’étaient souvent
.
de férocité incomparablement plus
manifestées par de sanglantes guer- grande que les Ciminériens ; ils ont tra-
res civiles, soit au sujet de l’élection versé la Lydie, et ont ravagé de fond en
de magistrats, soit par des tentatives de comble la ville de Magnésie sur le Méan-
tyrannie que voulaient imposer les par- dre (1); leur apparition en Asie causait
tis puissants. Les alliances que les chez les populations une profonde ter-
Grecs avaient contractées avec leurs na- reur, et a peine osait-on leur résister.
tionaux du continent, n’avaient au- Iæs Cimmériens s’emparèrent de la ville
cune valeur dans cette occurrence, et de Sardes; mais incapables de se rendre
rionie resserrée dans ses étroites li- maîtres de la citadelle, ils abandonnèrent
mites sur le bord de la mer ne devait leur conquête. Quelques voix cependant
compter que sur le courage de ses s’élevaient pour conseiller la résistance;
vaillants colons. Les villes dorieniies, Callinus à Ephèse composa des hymnes
resserrées par les Cariens, ne pou- pour réveiller le courage des citoyens.
vaient donner aucun subside; c’est dans Au même moment les Cimmériens fai-

des circonstances aussi défavorables saient irruption dans la ville ; mais, par la
pour la liberté des Ioniens que Gygès protection de la déesse, le temple fut
entra en campagne, il marcha contre préservé. Les Orientaux donnaient le
Sinyrne, la ville la plus détestée des Ca- nom de Sakai aux tribus scythes qui
riens; mais le courage de ses habitants habitaient les montagnes { Koh ) de la
sut faire face à un aussi pressant danger, Crimée ,
et ces hordes étaient connues

et les Lydiens furent repoussés. Colo- sous le nom de Kôh-Sakai, Scythes des

phon fut plus maltraitée, la ville tomba montagnes, d’où les peuples moscovites
au pouvoir de l’ennemi, et les habitants ont fait le nom de Kosaques.
ne conservèrent que la citadelle. I>es Cimmériens arrivés en Asie sous

L’expédition contre Milet n’était qu'à le règne d’ Ardys y séjournèrent pen-

son début lorsque Gygès mourut. Ardys dant les douze années du règue de Sa-
son successeur (670) continua la guerre
et s’empara de Priene , après une résis- (t) Straboii, XVI, 647.
ASIE MINEURE. 341

dyatte , ils fiirent expulsés par Alyatte, combat; la guerre se prolongea pendant
pere de Crésus, vers l’année 606 avant cinq années, et finit par un événement
notre ère. Sadyatte, fils d'Ardys, monta qui a eu un grwd retentissement dans
sur le trône en 631 , il régna douze an- rhistoire , et qui a causé bien des soucis
nées. Pendant toute cette période l’his- aux savants.et aux astronomes. Au com-
toire ne mentionne aucun fait remar- mencement de la sixième année, au
quable, c’est assez dire qu’il conserva moment où les deux armées étaient
les conquêtes faites par ses prédéces- au plus fort de la mêlée, une éclipse de
seurs, la Phrygie jusqu’au fleuve Halys soleil vint changer en nuit la lumière
était au pouvoir des Lydiens, et déjà on du jour, les Mèdes frappés de terreur,
pouvait écrire Halys amnis qui Ly-
: suspendirent le combat. C’était un usage
diam terminât (1). chez ces peuples de ne combattre qu’en
Lorsque Alyatte fils, de Sadyatte, plein jour; enrayés, par ce qu’ils regar-
monta sur le trône , la ligue ionienne daient comme un prodige, les Modes
était pour ainsi dire rompue; Milet res- songèrent à conclure la paix ; les princes
tait seule, mais sa puissance était telle de Mésopotamie furent chargés de la
que les Lydiens, inhabiles à la mer, ne négociation, et Alyatte en garantie du
pouvaient s’en rendre maîtres. Fidèles traité donna sa fille Arienis en mariage
aux vues de ses prédécesseurs, Alyatte à Cyaxare (1).
recommem^ la guerre contre les Ioniens, L’éclipse de soleil qui donna lieu à
s’empara de Smyrne, et entreprit la con- la paix entre les deux peuples a été le
quête de Milet. sujet des observations ae plusieurs sa-
Pendant onze années consécutives vants qui ne sont pas tombés d’accord.
Milet sut résister aux attaques des rois de Il doit en ressortir une date précise, qui
Lydie; enfin un secours inattendu arri- fixerait astronomiquement le règne
vait aux Grecs, et forçait les Lydiens de d’Alyatte et celui des princes qui ont
faire la paix avec eux. concouru au combat ; elle avait été pré-
L’apparition des Mèdes en de<^ du dite par Thalès de Milet. Pline place
fleuve Halys mettait en danger lexis- cette éclipse dans la quatrième année
tence même de l’empire de Lydie. Les de la quarante-huitièmeolympiade, soit,
Mèdes étaient maîtres de toute la haute selon Curtius (2), le 28 mai 585 avant
Asie, Ninive était tombée. en leur pou- notre ère alors Thalès aurait été dans
:

voir. En 606 Cyaxare , fils de Pliraorte sa cinquante-quatrième année; mais


et petit-fils de Déjocès, avait fait alliance comme Cyaxare est mort en 595, il fau-
avec Nabonassar, roi de Babylone, et drait supposer que le roi des Mèdes
Ifô princes d’Ecbatane se regardaient était alors Astyageet non pas Cyaxare,
comme les successeurs des rois d’Assy- et que le roi de Babylone ét.iit Nabu-
rie; la Cappadoce était devenue vassale codonosor. Les cbronologistes moder-
de la Médieet,sous prétexte de réclamer nes hésitent entre le 3 février 625 et
quelques scvthes transfuges, Cyaxare 603 avant notre ère, mais alors se pré-
avait déclaré la guerre à Alyatte. Mais sentent d’autres difficultés, qui n’ont
le royaume de Lydie, qui s'étendait de pas encore été résolues (3).
de la Mysie au Taurus, pouvait opposer Alyatte avait épousé deux femmes,
aux Medes des peuples aguerris ces ; l’une de race carienne, l’autre de race
derniers avaient pour alliés les peuples ionienne : il eut plusieurs enfants. Cré-
de l’Iran et de la Mésopotamie. Le prince sus, fils de la carienne, avaitété élevé dans
de Cilicie Syennesis, le roi de Babylone les honneurs du commandement. Il avait
Labynete étaient au nombre des alliés, été nommé gouverneur de la Mysie ; ce
tous d’accord pour abaisser la puissance fut lui qu’Alyatte désigna pour son
lydienne. Alyatte avait son armée com- héritier. Alyatte avait eu de sa femme
iosée des Mysiens et des troupes éo-
fiennes, et surtout de ces audacieux Ca- (i) Hérodote, ilnd.
riens, dont la vie était un perpétuel (o) Curtius, griechÎMbe Getehicble ,
t. I,

p.
(i) Lettre de Darius à Alexandre, ap. (
3) Voy. Hérodote, trid. de Miot, t. I;

Q. Cuit., liv. IV, 1 1. p. 191, 193.

Livraison. (Asis Minsuax.} T. II. 16


,

242 .r>’UMVKhS.
iouieune un autre fils, nomméPantaléon ; ne fut pas oublié dans cette profusion
à peine arrivé sur le trône, Crésus le fit d’offrandes; le temples de Delphes et
mettre à mort avec ses partisans ainsi : d’autres oracles fameux avaient dans
se perpétuait dans la famille royale ces libéralités une part proportionnelle
cette haine des deux races qui fut la à la superstition du nouveau roi. Or-
perte des Grecs de l'Asie. gueilleux et craintif, comme les despo-
Alyatte mourut après un règme de tes d’Orient, Crésus étourdissait les
cinquante - sept ans. Il laissait un oracles de ses questions réitérées ; à peine
royaume florissant, dont la richesse sur- avait-il exerce quelque vengeance qu’il
passait celle de tous les peuples voisins. en demandait pardon à toutes les di-
Le peuple lui éleva un tombeau et chaque vinités , même à celles dont il savait à
classe de la population y concourut : à peine le nom cette faiblesse de caractère
:

cette œuvre les courtisanes lydiennes devait le conduire à sa perte. Les villes
y apportèrent la plus grande part. I..e grecques avaient vu d’un œil tranquille
tombeau d’Alyatte fut élevé en forme de l’avénement du prince lydien ; l’or de
tumulus; ce monument existe encore : ses mines s’écoulait lentement, mais
nous l’examinerons en étudiant la plaine sdreinent, entre les mains des Grecs
de Sardes. maîtres (le tout le commerce de ces
régions. Lphèse étant arrivée au plus
CHAPITRE XIH. bautdegréde prospérité, l’alliance royale
de Mêlas attirait sur elle la faveur du
BÈGNE DE CBÉSnS. monarque. Pandarus, son neveu, était
l’homme le plus influent dans les con-
Crésus succéda à son père Alyatte; ce seilsde la ville mais cette ville était
:

prince avait laissé cipq enfants : Ariénis, toujours libre, elle traitait d’égal à égal
sa première fille, mariée à Cyaxare ; la avec Crésus. Sa soumission pacifique
seconde était mariée à un des pre- . étant devenue impossible , Crésus pour
miers citoyens d’Éphése, nommé Mêlas. soumettre les fiers Epbésiens n’eut plus
Un de .ses filsc Adramys, fondateur de de ressource que dans la guerre.
ta ville d’Adramyttium, et dont il n’est L’expédition contre les Greosd’Éphèse
plus fait mention dans l'histoire ; et enfin fut la première entreprise de Crésus;
deux fils, issus de deux femmes d'Alyatte ; malgré les partisans qu’il avait dans la
le premier, Pantaléon, était fils de la ville , il fut obligé de l’assiéger, et déjà
femme ionienne; déjà du vivant de son les murailles cé(laient sous l’effort du
père il avait' réuni autour de lui un bélier , lorsque Pandarus eut la pensée
arti qui le portait vers le trône Crésus, : de mettre la ville sous la protection de
Is dela femme carienne, fut désigné Diane en reliant par une longue corde
,

par Alyatte pour lui succéder. Porté par le temple avec fa partie de la ville
le parti carien, il renversa facilement son contre laquelle l’attaque était dirigée :
compétiteur, et le premier acte du nou- cette distance était de sept stades. La
veau roi fut d'anéantir le parti ionien et ville n’en fut pas moins prise et Crésus
de confisquer les biens des principaux se contenta d’emporter un large tribut,
conspirateurs. Pour effacer l’impression mais laissa les Éphésiens se gouverner
fâcheuse que cette vengeance avait pro- par leurs lois. Toutes les autres villes
duite , il envoya de riches présents dans ioniennes tombèrent successivement au
les principaux centres religieux, et réta- pouvoir de Crésus ; mais , loin de leur
blit plusieurs colonnes du temple d’É- faire sentir un joug pesant , le prince
pbèse, qui avait souffert du temps des lydien s’efforçait d’éteindre les ancien-
Scythes. Il consacra des taureaux d’or, nes haines entre les différents peuples.
monuments dontncus pouvons avoir une Les artistes grecs étaient appelés à sa
idée en voyant les taureaux de Persépo- cour et travaillaient les métaux précieux,
lis et de Ninive. La beauté et la ricliesse que les mines du Tmolus'et d’Astyra
(le ces offrandes donnent la plus haute lui fournissaient avec abondance; ce
idée des progrès des arts dans cet empire court moment du règne de Crésus fut
de Lydie. •
:... la plus brillante période de l’Asie Mi-
Le temple ionien des Branebydes neure; les villes grecques étaieàtsoumi-
.11 T
ASIE MINEURE. Ui
ses, le commerce avec l'intérieur s’éten- sur le trône à la suite d’une révolution
dait jusqu’aux confins de la Babylonie et soutenue par les troupes grecques. Ces
delà Perse; toutes les richesses naturel- trois Etats comprenaient déjà que l’em-
les du pays étaient mises en valeur, et les pire de Perse prenait une attitude me-
Grecs profitaient de tout ce concours naçante à leur egard une ligue offensive
:

de circonstances pour faire leur éduca- et défensive pouvait seule les sauver.
tion de peuple intelligent; les arts de la Les Perses n’étaient pas seulement
musique et de la poésie puisaient à la les ennemis politques de ces trois
source asiatique des inspirations nou- royaumes et Cyrus ne s’annonçait pas
,

velles et sur les rives du Marsyas on seulement comme un conquérant, mais


disait toujours : C’est ici que le roi Midas comme un réformatenr religieux. Les
a invente l’élégie. Perses ne reconnaissaient qu’un dieu
Crésus par sa politique autant par ^e unique et invisible; ils sacrifiaient à Ju-
ses présents habilement distribues avait piter sur lessommets élèves des mon-
su mettre fin à l’antipathie qui existait tagnes (I) comme faisaient les Pélasges,
entre les Grecs et les nations de l’est mais n'élevaient ni temples ni statues;
qu’ils appelaient barbares. I^icédémone ils avaient autant 'd’horreur que de

avait été sensible au présent fait par le mépris pour le ciulte anthropomor-
roi de l’or nécessaire pour élever la phique des nations de l’ouest, et la des-
statue d’Apollon ; aussi la proposition truction drs idoles était pour eux un
d’alliance faite à cette répunlique fut- acte méritoire : voilà pourquoi dans la
elle accueillie avec sympathie. suite de cette guerre ue la Perse contré
Crésus, maître de l’Asie d’une mer à l’Asie grecque Xerxès déploya sa rage
l’autre Jusqu’aux rives de l’Halys, avait autant contre les temples des Grecs que'
fondéun royaume plus vaste etplus glo- contre' leS Chertés des villes.
rieux que celui de Priant. Les villes d’Io- L’allianeé de ces troi^ peuples aidée
nie, actives, élégantes et industrieuses, de celles des Lacédémoniens aurait peut-
formaient comme sa couronne maritime ; être suffi pour arrêter le torrent des
mais cette loi fatale qui veut que rien ne peuples d^' l'Iran, si' Crésus dans son
reste stable dans les institutions humai- orgueil n’eût commis une faute irrépa-,
nes poussait Crésus , depuis qu’il pos- rable motivee.par la réponse ambiguë dé
sédait une marine, à convoiter les pays l’oracle.
d’outre-mer. Chypre, qui avait échappé à
'

Nous arrivons ici àü’'dénonemeni de'

la puissance assyrienne, était alors au cette histoire de t-ydîe, qui. malgré ïé'ê'
pouvoirdes Phéniciens enfin, entre l’Ha-
; lacunes qu’elle présente, nous offre en-
lys et l’Euphrate il y avait un vaste pays, core le tableau réuni de tout ce qui
qu’on appelle la Cappadoce, et qui était peut foire la glqiréd'un peuple, richesse,
sous la suzeraineté de la Perse le roi de
: puissance et pbésie.
Lydie songeait à conquérir l’une et Crésus, persuadé qu’il aurait bon mar-
daus Sardes
l’autre contrée et l’on criait : ché de l’armée perse, marcha éontre Cy-
« A Mazaca avec Crésus. » rus avec son armée lydienne et 'ses bbn^.
Les oracles interrogés s’étalent bien tingents de Grecs d’Asie.' Parvèn U aux
gardés de faire une réponse négative à rives de l'IIalys, il traverse ce fleuve avec
une question accompagnée de si riches son armée soit sur des ponts, comme le
présents. Crésus conçut le projet d'en- croit Hérodote, soit en divisant le fleuve
vahir la Perse, et en trouva facilelnent en plusieurs canaux faèiles "à passer à
le prétexte dans le désir de délivrer gué. La marche qu’il suivait en partant
son parent, Astyage, retenu captif par de Sardes était le nord-est ; il arriva au
Cyrus. bord du fleuve en longeant les monta-
Crésus songea d’abord à se créer des ges qui furent plus tard les limites sud
alliés ; il pouvait compter sur le secours de la Gàlatie dans la région où l’Halys
dés Babyloniens avec lesquels son forme un grand coude pour couler de
père Aly.qtie était déjà en bons rapports l’ouest au nord, et l’armée gagna la vallée
d’amitie; il avait aussi recherché l’al- du fleuve d’aval en amont; c’est ainsi
lianced’ Amasis,roi d'Égy ptç, qui comme
le dernier des Mermnacies étaff nionlté (i) Hérodote, I, i3i,

IS.
,

244 L’UNIVERS,

qu’il faut entendre les mots d'Héro- comme dit Hérodote, et non pas dans
dote (1). Thalès imagina de détourner leschamps de la Ptérie , car cette ré-
sur !a droite de l’armée le fleuve qui gion montagneuse n’offre pas de plaine
coulait à sa gaurhe. LUalys franchi, où puisse se développer une armée.
l’année lydienne se trouva dans la ré- Le combat fut sanglant, mais sans ré-
sion appelée Ptérie, pays montagneux sultat , et les deux armées se retirèrent
(]ui s’étend jusqu’à Sinope. On recon- chacune dans ses cantonnements.
naît sans peine le district situé entre la Crésus rentré à Sardes licencia ses
ville moderne de Youzgatt et les rives troupes, et songea à réclamer le secours
du fleuve, et dans lequel le village de de ses alliés pour la campagne pro-
Boghaz keui, le village du défilé, forme chaine ; mais, par une marche rapide,
le point culminant. Crésus s’y établit Cyrus fit entrer son armée en Lydie, et
ravagea les terres des Syriens (Cappa- la capitale même était menacée avant

dociens), et s’empara de la capitale des que les Lydiens fussent rassemblés


Ptériens, dont il Ot les habitants esclaves. sous les armes.
Hérodote ne dit pas le nom de cette ca- Crésus, obligé de résister avec les
pitale , mais Étienne de Bypnce la seules troupes disponibles, et dont la
nomme Ptérium , ville des Mèdes (2), cavalerie formait la majeure partie,
c’est bien la capitale de la Ptérie. Cré- marcha contre les Perses; les deux ar-
sus prit de meme toutes les villes de mées se rencontrèrent dans la vaste
l’intérieur et de la frontière, et finit par plaine de l’Hermus, non loin d’une pe-
transporter en entier la nation syrienne. tite ville appelée Thymbrée et peut-
:

Voilà donc la ville de Ptérium située être la cavalerie lydienne eut-elle dis-
sur la rive droite de l’Halvs, dans un persé l’armée de Cyrus , sans un strata-
pays montagneux, ruinée, dépeuplée et gème qui est resté célèbre.
complètement abandonnée. Depuis cette Harpagus,généxul mède, sachant com-
époque aucun historien ancien ne fait bien la \ue et l’odeur des chameaux ins-
plus mention de Ptérium ; néanmoins pire d’effroi aux chevaux, fit placer au
dans la table de Peutinger on trouve une premier rang de l’armée perse , une
ville du nom de Ptérami, située entre troupe de chameaux montée par des ca-
Néocésarée (Niksar) et Tavium (Nefes valiers. L’effet de cette tactique ne se
keui), précisément à la place qu’occu- fit pas attendre ; les chevaux de la ca-

pait Ptérium ; Hiéroclès mentionne cette valerie lydienne, effrayés à l’aspect des
même ville sous le nom de Pteamaris, chameaux , se ruèrent en désordre les
il est permis d’y voir le nom corrompu uns sur les autres, et prirent la fuite ;

de Ptérium. On doit ajouter que si les l’armée lydienne malgré des prodiges de
ruines de cette ville existent encore, il courage lut obligée débattre en retraite,
ne doit s’y trouver aucun monument et se retira dans les murs de Sardes.
postérieur à cette époque reculée , mais L’armée victorieuse investit la ville,
que tous au contraire doivent porter le qui fut prise après quatorze jours de
cachet de l’art oriental. Nous avons re- siège, et Crésus tomba prisonnier entre
trouvé ces ruines dans le territoire du les mains du vainqueur.
village de Boghaz keui, et nous les dé- Cest ainsi que s’écroula l'empire de
crirons quand nous serons arrivés dans Lydie, après une seule bataille perdue;
la Cappadooe (3). les peuples divers qui le composaient
Cyrus après avoir rassemblé son ar- ne firent aucune tentative pour s’oppo-
mée* envoya des émissaires dans l’Ionie, ser à la domination perse ; loin de là,
pour essayer de la détacher de l’obéis- les Éoliens et les Ioniens, à la première
sance de Crésus ; mais les Ioniens se re- nouvelle des victoires de Cyrus, s’em-
fusèrent à ses propositions les deux : pressèrent d’envoyer à Sardes des dépu-
armées en vinrent aux mains aux en- tés, pour offrir au roi de se reconnaître
virons de Ptérium ( Iv tj) iteTpIrj x“Pîl )i ses sujets, aux mêmes conditions que
leur avait accordées Crésus ; mais le roi
(i) Hérodote, liv. I"', yS. de Perse refusa , et les villes se prépa-
(a) Steph. Uyz., voyez Plérion. rèrent à la guerre pour défendre leur
(3) f'ajr. Ptérium et Boghaz keui. propre liberté
,

ASIE MHVEURE. 245

CHAPITRE XIV. Roger, gendre de l’empereur de By-


zance.
FIN DE l’EHPIBB de LYDIE. En 1310 elle tomba en partage au
prince seidjoukide Sarou-Khan, qui lui
La chute de Sardes fut un événement donna son nom ;
la région sud appar-
terrible pour le peuple grec. Sous la do- tint à l’émir Aidin cost la province
:

mination pacifique du dernier roi de qu’on appelle encore auiourd’bui Aïdin


Lydie, il s'était fait une fusion entre Guzel Hissar, le beau château d’ Aïdin.
les différentes races ; les haines de peu- Sous le règne de Mahomet !", le re-
ple à peuple s’étaient assoupies. Les belle Djounéid s’était emparé de toute
Grecs étaient au milieu des T.ydiens la Lydie, et avait établi à Pergame le
comme leurs compatriotes, et les ateliers siège de son gouvernement. Mahomet,
royaux de Sardes étaient ouverts aux qui avait été retenu en Europe par d’au-
artistes grecs, dont les œuvres déco- tres expéditions, fit sommer l’émir re-
temples et les palais du
raient les belle de rendre les places qu’il avait
royaume. La domination des Perses irises. Sur son refus , le sultan entra
renversait cet état florissant; un grand fui-méme en campagne après S’étre em-
;

nombre de familles., et surtout celles des paré de Cymé, il marcha sur Nym-
artistes, étaient forcées de s’expatrier, ihæum, commandé par l’Albanais Adu-
et rentraient en Europe, où elles por- fas,gendre de l’émir; cette petite ville
taient le goût et les connaissances fut prise aprèsune courte résistance,
qu’elles possédaient dans les différents etMahomet se présenta devant Smyrne,
arts. L’émigration se répandit en Grèce, que Djounéid avait fait fortifier.
dans les iles, en Italie, et jusque dans Le grand maître de Rhodes, qui pos-
les Gaules. sédait le château des chevaliers, vint se
La Lydie devint une satrapie ou dé- présenter au sultan pour concourir à la
partement du vaste empire de Perse, prise de la ville. En effet, après dix
et désormais nous n’avons plus à enre- jours de siège, Smyrne lui fut remise.
gistrer que l'histoire de son territoire. Mahomet fit raser les tours et les murs,
Dans la division de l’empire faite par et la tour même que le grand maître
Darius, la Lydie et la Mvsie furent com- avait fait bâtir à l’entrée du port fut
prises dans la seconde satrapie, et rasée en une nuit. Le sultan motivait
payaient au trésor royal cinq cents ta- cet acte d'hostilité , sur ce fait que les
lents. Sardes fut le lieu de résidence chevaliers favorisaient la fuite des es-
du satrape, qui était plutôt un lieute- claves des Musulmans. Mais il assigna
nant du roi qu’un simple gouverneur. aux chevaliers un autre territoire dans
Alexandre, maître de Sardes, laissa aux la province de Mentesche pour y cons-
habitants les privilèges dont ils jouis- truire une autre forteresse (i403).
saient encore après la mort de ce prince. Djoiméid ne s’en maintint pas moins
La Lydie tomba sous le pouvoir d’An- dans le pouvoir qu’il avait usurpé, pos-
tiochus , et après la bataille de Magné- sédant plusieurs villes importantes dans
sie , elle fut annexée au royaume de l’intérieur des terres, et notamment
Pergame , et finalement devint une pro. Thyatire, dont il avait augmenté la dé-
vince romaine quand les États d’Eu- fense. Attaqué de nouveau, en 1424, par
mène furent légués au peuple romain. le sultan Mourad, il leva une armée
Pendant toute la période de l’empire qu’il n’eut pas le temps d’équiper, pour
romain et de l’empire de Byzance , la opposer une résistance suffisante aux
Lydie fit partie de la province proconsu- forces du sultan. Les deux armées en
lalre; elle fut enfin conquise par les vinrent aux mains dans les plaines de
hordes musulmanes. Thyatire. Battu dans cette rencontre,
Ala Eddin III fit une expédition en Djounéid se retira dans le château fort
Lydie, et la capitale fut soumise pen- d’Hvpsili Hissar, sur la côte d’Ionie,
dant quelque temps, moitié aux Grecs, en face de Samos ; les ruines de ce fort
moitié aux Musulmans, jusqu’à ce que existent encore, et portent toujours le
la garnison turque fut expulsée par les même nom.
Grecs , avec le secours des troupes de L-e général ottoman Chalil traversa
246 .ViJ^WVERS.
1 Hertnus, s'empara de, nouveau de sotmolitæ : la ville portait le nom de
Nymphæum ,
et rétablit sous l’autorité Mesotmolus ; elle est mentionnée dans
du sultan toutes les vilits de la cote, lanotice de Hiéroclès,; son emplacement
jusqu’à Éplièse. La défense d'ilysili estinconnu. Sur un des sommets de la
H.issar était confiée à Bayazid, père (te montagne, Strabon signale comme un
î)jounéid; pendant ce temps le uey re- monument digne d'être vu une vedette
belle était allé solliciter le secours du ou corps de garde en marbre blanc (I),
prince de Karamanie, qui ne lui accorda avec une exhèdre, sorte de galerie pour «
que cinq cents hommes, avec lesquels il s’asseoir. C’était un ouvrage des Perses.
revint dans sa forteresse , alors assiégée De cet endroit on découvrait les plaines
par liauisa-bey. Les troupes ottomanes d’alentour, et surtout celles du Caystre.
étaient hors d.état de livrer un assaut, Strabon détermine si bien la positiou de
la place étant constamment ravitaillée ce poste avancé, il est si probable qu’il
par mer; c’est alors que le sultan Mou- fut elevé après l'invasion ionienne et sur
rad sollicita le secours des Génois de la route suivie par les Grecs qui vinrent
Phocée, qui vinrent bloquer la place avec attaquer Sardes, qu’on peut espérer de
trois navires. Djounéid , à bout de res- découvrir les vestiges de ce monument.
sources, consentit à une capitulation L’armée ionienne avait pris des guides
avec Clialil, qui lui garantit la vie sauve à Éplièse, et remontant le Caystre elle
;
mais à peina se fut-il livré entre les franchit le Tmolus et vint tomber sur
mains des Ottomans , qu’il fut étranglé Sardes (2) : le poste d’observation aura
avec toute sa famiHe par les ordres de été construit après cette expédition pour
Hamsa-bey. Djounéid avait tenu sous garder le passage de la montagne ; il aura
son pouvoir, pendant vingt ans, toute dû par sa (losition élevée se trouver ga-
la Lydie et l'Ionie. 11 avait su, parla ranti d'une destruction complète.
ru.se et par la force des armes , tenir en Nous entreprîmes sans succès de re-
échec les armées des sultans. Ce nom, trouver ce monument en franchissant
presque oublié aujourd’hui, faisait trem- la montagne dans le méridien de Sardes
;
bler toute l’A-natolie, et les autres émirs cette course nous conduisit aux sources
étaient devant lui comme de simples du Pactole, qui n’avaient pas encore été
vassaux; enfin il périt en 1425, et tout observées, et sur le versant sud du Tmo-
le pays resta désormais soumis au pou- lus nous visitâmes les ruines encore
voir des sultans. ignorées de la ville d’Hypæpa.
En quittant la ville de Smyrne nous
CHAPITRE XV. fîmes route au sud pour gagner la val-
lée du Caystre, et nous Hmes notre pre-
BOUTE A THAVEBS LE TMOLDS.— VILLE
d’hyPJEPA. TAPOE. —SOURCES — mière halte au village de Fortouna, et
le lendemain nous partîmes pour Bain-
DU PACTOLE. dèr afin de gagner le haut Caystre. Cette
Le partie de la plaine est ineulte, sans on-
territoire de la Lydie, quoique fer-
tile etbien arrosé, était néanmoins dé- dulations, et couverte de buissons. De
pourvu de forêts et de grands arbres ; distance en distance sont elevés de pe-
aussi les satrapes avaient-ils clioisi de tits corps de garde couverts de feuillage

préférence les versants de l’Olympe, à cornposés de deux chambres, la pre-


Dascylium, les bords du Méandre à Cé- mière sert ordinairement d’abri pour les
lænes, pour y établir leurs maisons de voyageurs ; ils sont confiés à la garde de
plaisance. Le mont Tmqlus, qui forme quelques zéibeks , milice irrégulière. A
la principale chaîne de la Lydie pouvait un kilomètre de la ville s’étend un vaste
dépendant faire exception
cimetière turc, dans lequel se trouvent
: ses jardins
étaient renommés ses vignes produi- de nombreux fragments de marbres an-
,

èaient un vin estimé. tiques ; un grand sarcophage trouvé dans


Dims la ré^on supérieure du mont ce lieu a été porté à Baïndir. Aucune
Tinolus, habitait une population que inscription n’a fait connaître encore le
Pline (t) désigne sous le nom de Me-
(i) strabon, Xltl, 6a5
(i) Pline, liv. V. qq. (a) Héroiiole, V ^ ro*.
,,,

ASœ.^INElJRE. Î47

dont ices ruines sont elle donne encore d’abondantes mois-


nom de la yille
extraites : on peut supposer que ce sont sons et des produits variés. Un peu plus
'celles de Larissavqni étqit à vingt-deux haut était la prairie Asleiine ineutiounée
milles d’Éplièse dans la plaine du Cays- par Ilomère (1). Cest là que le héros
tre. Celte ville était célèbre par un
i
Asius était lioiioré (2)'.
d'Apollon Larissæus. Un peu avant d’arriver au fleuve, que
La ville de Baïndir est toute moderne; nous laissons toujours à notre droite,
elle s’élève dans une situation pittores-
on aperçoit quelques ruines ce sont des
;

que, sur la partie sud d’un des ver^ani® constructions byzantipes qui ont appar-
au ïmolus; les maisons sont bâties en tenu à une église et à un monastère. La
argile rouge et en bois. Il y a environ petite église a la forme d’une basilique

dix mo8(|ué8s, mais deux surtout seule- ce qui caractérise les constructions an-
ment sont toutes en pierre; la plus im- térieures à Justinien.
portante est couverte en dôme et en- Le bourg de Caloé lieu de naissance
tourée d’un portique qui se détache sur de l’historien byzantin Léon le Diacre,
un rideau de cyprès. De nombreuses était situé dans'le voisinage d’Hypæpa
fontaines anrosent les rues. Le quartier et l’auteur grec le décrit comme une
turc est le plus populeux : il compte admirable r&idence, au pied du mont
plus de sept mille maisons ; les Grecs Tmolus.
sont au nombre de quaire-cents famil- Léon le Diacre était né en 930, et fut
Arméniens et l’historiographe de l’empereur Basile II.
les: il
y a aussi quelques
peu de Juifs. Le commerce des matières On peut, sans craindre de se tromper
premières, du grain, de l’huile, des grandement, identifier avec Caloé cette
peaux, est assez florissant. localité, dont nous n’avons pu savoir le
y
Le coton est la principale culture qui nom moderne; ces ruines ne sont pas
occupe les habitants de Baïndir. Celte éloignées de Yaka keui. Caloe a dll être
même année , ils en envoyaient au mar- embellie de monuments religieux d’une
ché de Smycne cent quarante-cinq bal- certaine importance :c’était un siège

les , l’agha ou mutzellim en ayant pré- épiscopal , et les noms de plusieurs


levé la dixième partie comme impôt. évêques sont mentionnés dans les actes
Cet impôt se perçoit sur place l’agba : des conciles. Hiéroolès mentionne cette
envoie dans les champs des agents qui petite ville sous le nom de Colose après
:

estiment la quotité des produits. Le avoir traversé le village de Yaka keui


quintal, qui pese cinquante-deux oques, on arrive à celui de Bourounjik.
ou soixante-cinq kilos, se payait brut La plaine du Caystre tourne ensuite
soixante-cinq piastres, c’est-a-dire 0,25« légèrement au nord; nous franchissons
le kilo. La récolte du coton se fait en un des petits acrotères du Tmolus ce :

octobre; il se sème en mai ; il faut pour sont des roches de gneiss très-micacé;
sa réussite des terres Itères et faciles le mica y est mêlé de parcelles très-
à arroser. Baïndir envoie aussi à Smyrné menues. Nous arrivons enfin à Demich,
de la soie, des figues et un peu de laine. grande ville éloignée de six lieues E.-
Nous apercevons enfin une petite ri- N.-E. de Baïndir, Demich coutieut un
vière couverte de roseaux c’est le
: peu plus de huit mille habitants; il y a
Caystre. Les anciens appelaient cet en- douze cents maisons turques, sept cents
droit la plaine Cilbiane; elle passait maisons grecques, et une quarantaine
pour très-fertile, et en effet de nos de maisons arméniennes. D'après cette
fours elle n’a pas perdu sa réputation ( 1 ) ;
tuperiores, H parle encore ailleurs des Cil -

(i) Eusiathe, dans son commentaire, vers biani y4gri. Strabon (liv. XIII, p. 619) dit
839, p. t4g, édition d’Oxford, sur Denys que la plaine Cilbiane (xi KtXStaviv vteiKov)
le Périégfte. était entre le Tmolus et le Caystre. C’est
Pline ( V , ch. ag ) met les sources du dans cette région qu'étaient situées les mines
Cavstre dans les montagnes qu’il appelle Cil- de cinabre qui appartenaient aux Éphéaiaus
liiana Jnga, et le même auteur nomme Cil- (Vitrave, liv. VII, ch. 8).
hiaui le peuple qui habitait aux environs. (i) Illiade, liv. II, 461.
Ou le distinguait en CUbiani iiiferioret et (a) Strabon, liv, XIII, p. 6x7.
, ,

248 L’UUrVERS.
estimation, elle est égale en étendue à CHAPITRE XVI.
celle de Baïndir. Un grand torrent des-
cendant duTmolus traverse la villedans HYP45PA.
toute sa largeur, et sert à l’irrigation
des rues. Kn 1840 on a bâti une grande Iji ville moderne qui remplace l’an-
église grecque, d’une assez belle appa- cienne Hypæpaest appelée par les Turcs
reuce ; une cotisation de 500,000 pias- Tapoè; mais les Grecs lui ont conservé
tres, produite par la nation grecque, son nom, eti’appellent aujourd’hui selon
pourvoyait aux principaux frais. La plus leur prononciation Hypipa.
grande partie des matériaux étaient tirés On ne saurait du reste avoir de doute
de la ville d’iiypæpa , qui n’en est éloi- sur sa situation , car elle est bien déter-
gnée que d’uné lieue. Les Grecs don- minée par Strabon (t). Il dit qu’en des-
naient une partie de leur temps pour cendant du Tmolus vers la plaine du
l’extraction des matériaux ; l’argent ne Caystre, on trouve la ville d’Uypæpa.
servait que pour payer la décoration, Cette petite ville est à une lieue N. -O.
une partie des bois et les ouvriers venus de Demich. Elle est souvent citée par
du dehors. Aussi l’aspect de l’édifice an- les auteurs anciens, qui lui donnent
nonce-t-il une dépense plus forte que toujours l’épithète de petite.
celle qui a été faite en réalité. « Le Tmolus, escarpé et d’une ascen-

Les ruines d’Hypæpa eurent beau- « sion pénible, s'abaisse en deux ver-
coup à souffrir de ces, constructions « sants;d’un côté vers Sardes, de l’autre
nouvelles, car ce qui restait d’édilices « il se termine à la petite Hypæpa. »
antiques fut complètement dépouillé Ovid., Métam., XI, 150.
de ses marbres pour décorer la nouvelle Hypæpa était célèbre par la beauté
église ; et tout ce qui n’a pu être trans- de ses femmes , qui se distinguaient sur-
porté, soit à cause de son poids , soit à tout entre les Lydiennes par la grâce de
cause de sa forme, a été brisé ou con- leurs danses (2). Le culte de Diane per-
verti en chaux, attendu que Demich est siuue ou d’Astarté s’y était perpétué
sur un terrain de gneiss, et que la pierre meme du temps des Romains. Pausanias
calcaire y est fort rare. Toutes les ins- raconte avec étonnement la jonglerie
criptions d’Hypæpa ont été employées d’un mage (3) , qui allumait sur un au-
comme dallage et comme revêtement tel du menu bois sans le secours du feu.

et aucun des prêtres n’a eu la curiosité Parmi les habitants d’Hypæpa il y avait
d’en copier une seule. une tribu qu’on appelait les Lydiens
On trouva dans les fouilles une statue persiques , sans doute à cause du culte
de Vénus, qui a été transportée à De- qu’ils avaient embrassé. Toutes les invo-
mich, et qui sert .à soutenir l’escalier de cations se faisaient en langue barbare
l’école grecque. Ce morceau de sculp- et inconnue aux Grecs. Hypæpa est
ture date des beaux temps de l'art. La placée sur la pente du Tmolus, aux
tête et le cou manquent, et l’on voit par abords d’une plaine élevée et entourée
la coupe des épaules que la tête avait de. montagnes ; son enceinte est coupée

été rapportée. Dans une muraille voi- par un ravin profond , dans lequel il
sine, on lit deux inscriptions qui vien- n’y a de l’eau qu’une partie de l’année.
nent aussi d’Hypæpa ; ce sont les deux Cinq ponts antiques étaient jetés sur ce
seules qui n’ont pas été dénaturées : ravin ; on eu voit trois qui subsistent
encore. En suivant la pente de la mon-
Nicopnlis, fille d’Arléniidore , avec
tagne du côté du nord, on reconnaît une
sou mari Hermolaüs , a élevé ce mo-
grande partie des murailles; elles sont
nument à sa fille Apliia.
construites en petits moellons de gneiss,
Cette autre inscription est des temps et ne paraissent pas remonter a une
chrétiens; elle sert de dallage dans la haute antiquité. La ville d’Hypæpa a
cuisine de l’école : été florissante, même sous l'empire

Marlyrius le Irès-nolable sclinla.slique


et le plus illustre des légats, reconnais- (i) Strabon, liv. XIII, p. fiay.
sant de la bonne inspiration de saint (o) Étienne de Byzance, siib. voc. Hipmpa.
Théodore, a fait embellir cet ouvrage. (3) Pausanias, liv. V,cbap. XXXVII.
,

ASIE MINEURE. 949

byzantin. On trouve quelques débris des Romains; l’espacement des colon-


d'^architecture chrétienne; et l'ingcrip- nes et le soubassement sont tout à fait
tioii citée plus haut prouve qu’il y avait en dehors des règles de leur architec-
des monuments assez importants. Pour ture. C’est peut-être là que se trouvait
examiner la ville, je partis du pont qui le temple dédié à une divinité persique,
se trouve au milieu du village de Tapoè; et dont Pausanias a parlé.
c’est le plus large et le mieux construit. Ce temple avait été fondé par Ar-
Il n’a qu’une seule arche, tant soit peu taxcrxe; les Lydiens s’en firent toujours
ogivale. Le parapet est de marbre blanc. honneur comme d’un des principaux
D’un côté du pont, on voit par terre un centres de la religion des mages , et ré^
chapiteau corinthien d’un travail ordi- clamèrent à ce sujet des immunités au
naire; de l’antre est un torse de marbre peuple romain. La Lydie ayant été sou-
qui parait avoir appartenu à une Muse. vent désolée par des tremblements de
Cette statue est d’un travail analogue à terre, il serait possible que les arcs de
celui de la Vénus. décharge dont la construction parait
Dans le voisinage du pont, on remar- postérieure à celle des colonnes , aient
que l’entrée d’un souterrain taillé dans été établis pour consolider l’édifice.
le roc, qui conduisait sans doute hors Le théâtre est situé sur la colline de
des murs; mais aujourd’hui les ébou- l’autre côté du pont. La scène n’a que
lements empêchent de le parcourir dans 65" de diamètre; les gradins, qui
toute son étendue. Je remontai le ravin étaient de marbre , ont été enlevés, et
jusqu’au second pont, que je traversai, les restes d'un four à chaux attestent
et j’entrai dans un vaste champ planté ue les Grecs ont employé jusqu’aux
d’oliviers d'une grosseur prodif^ieuse. a emiers débris de cet édifice ; il ne sub-
C’est dans cet endroit que l’annee pré- siste aujourd'hui que le mur de soutè-
cédente on avait opéré des fouilles pour nement des gradins qui étaient en petits
l’extraction des marbres ; en effet , un moellons de granit. Les ruines du pros-
des plus grands édifices de la ville se cénium ont fourni environ vingt voitu-
trouvait placé en ce lieu. Il existe encore res de marbre pour l’église des Grecs.
une longue galerie souterraine , et qui, La statue de la Vénus a été trouvée dans
par sa construction, parait avoir appar- l’angle a droite de l’orchestre. Les ruines
tenu à un grand temple. J’y pénétrai d’un édifice composé de plusieurs salles
avec quelque difficulté, et j’observai avec existent encore au bas de la colline.
étonnement un genre de construction Plus loin, on aperçoit un soubassement
qui parait tout à fait étranger à l’art de bonne construction sur lequel était
,

romain. Cette galerie se compose de un petit temple dont les colonnes sont
deux corridors parallèles de 4'°,30 de cannelées en spirale ; les murailles sont
largeur; le mur de séparation a l'°,70 bien conservées. Dans cette partie, on
d’épaisseur, renfermant dans sa cons- aperçoit encore une petite poterne.
truction plusieurs fûts de colonnes de L’étendue de la ville d'Uypæpa ne m’a
granit. Leur diamètre est de l‘°,30; ils pas paru différer beaucoup de celle d’un
sont bruts à la surface et espacés de grand nombre de villes anciennes; il
3"',92. Ces fûts de colonnes sont reliés faut croire qu’elle a été beaucoup aug-
par une muraille également en granit mentée depuis le temps d’Oviae. Je
mais faite de petits moellous avec des quittai ces ruines avec le regret de ne
arcs de décharge formant une sorte de pas les avoir visitées une aunee plus tôt,
jniche; les colonnes entrent dans le sol, car j’aurais trouvé ces édifices d’un meil-
qui est couvert de décombres, et pé- leur état de conservation.
nètrent par le haut dans l’épaisseur des Comme les voyageurs qui ont exploré
voûtes de la galerie. C'est évidemment cette région avaient toujours supposé
la substruction d’un portique dont les que Birghé était l’ancienne Hypæpa , ie
colonnes correspondaieiit aux fûts qui voulus visiter cette ville , éloignée lUe
sont dans la galerie ; D’après la dispo- deux lieues à l’est de Tapoè, afin de
sition du lieu , il est à croire que cette m’enquérir si elle n’était pas en effet
alerie appartenait à un temple, mais sur le site de quelque antique cité.
'une construction différente de ceux Les ruines d’Uypæpa ont aussi fourni

üigmzcd Dy ^JOOglt
a

3^0 L’UNIVERS.
à Birghé des colonnes, des chapiteaux teurd’homme. Cet arbre est, il est vrai,
et d’autres fragments de sculpture qui beaucoup plus jeune que celui de Cos,
sont enaployës dans les édiflces publics. mais il est infiniment plus beau ; tout
Mais la ville de Birghé ne renferme au- le corps du bois est sain , et ses bran-
cune construction antique ; elle est si- ches s’élèvent à une hauteur prodigieuse.
tuée sur un torrent qui descend rapide- Le gneiss se présente en rocs volu-
ment du Tmolus. Un pont d’une struc- mineux; le quartz est très-abondant :
ture pittoresque réunit les deux parties on en rencontre de nombreux morceaux
de la ville ; de beaux arbres ombragent épars sur la montagne. Après avoir
ses rues et ses maisons, peintes de diver-
: monté encore une heure, nous nous ar-
ses couleurs , lui donnent un aspect de rêtons près d’un café abandonné. J.
richesse et de gaieté que n'ont pas com- chaleur est très-forte, malgré la saison
munément les villes musulmanes. La avancée.
grande mosquée est couverte par une cou- Le paysage que nous avons devant
polede plomt) ; elle aun portique avec des les yeux est des plus magnifiques ; tout
colonnes de granit, dont les bases sont le Caystre se déploie à nos regards.
des chapiteaux antiques. Un voyageur Les nombreux villages de la plaine sont
anglais a pensé que le nom de Birghé cachés sous des bois d’oliviers, et de
avait été donné à cette ville à cause des l’autre côté la chaîne du Messogis, qui
tours (;:ûpYat) qui s’y trouvaient; mais commence à prendre une teinte violâtre,
il n’existe autour de la ville aucune termine l’horizon.
trace de fortification. Les beaux arbres dü mont Tmolus
Le 4 octobre, je quittai la ville pour forment un premier plan d’une riche
franchir le Tmolus. L’agha de Birghé couleur. Nous restons longtemps à con-
m’envoya des chevaux et mit à ma dis- templer ce magnifique tableau ; mais la
position plusieurs hommes de sa maison crainte de nous trouver de nuit dans
pour m’enseigner la route, car ces pas- la montagne nous fait presser le pas.
sages sont peu fréquentés , et passent Nous sommes dominés ^r un sommet
dans le pays pour offrir peu de sécurité conique et dépouillé de verdure; de
aux voyageurs. l’autre côté, la crête de la montagne,
paiement aride, se prolonge jusqu’à
CHAPITRE XVII. ierte de vue. Je promène en vain ma
funette sur tous ces sommets; c’est
PASSAGE DU MONT TMOLUS. pourtant en ces lieux que devait se trou-
ver cette vedette de marbre blanc bâtie
Nous nous dirigions au nord, en sui- par les Perses. Strabon indique assez
vant le cours du torrent qui traverse bien sa position , en disant que de ce
Birghé. Outre le grand pont de pierre, point on jouit du coup d’œil de la plaine
on a établi plusieurs petits ponts de bois de Sardes, et principalement de celle
|ui s’enlèvent lorsque les eaux sont trop du Caystre.
?ortes. Les montagnes qui dominent la Après avoir monté pendant une lieue,
ville sont plantées de noyers et de châ- nous arrivons sur un plateau formant
taigniers. Les cailloux du torrent sont un col de deux lieues de tour .N. -S., sur
des blocs de gneiss détachés de la pre- lequel est situé le village de Téké ; nous
mière montagne, qui n’est composée q^ue sommes arrivés au point de partage
de terrains d’atterrissements , de sable des eaux du Caystre et de l’Hermus.
rougeâtre et de cailloux de gneiss. Noos Le faible ruisseau qui arrose cette haute
tournons à droite dans un vallon qui vallée roule ses eaux sur un sable mêlé
sépare cette première montagne du de mica , qui ressemble à des paillettes
mont Tmolus , et nous commençons à métalliques. Des Isources coulent de
monter rapidement. Des fontaines abon- tous côtés, portant Wr tribut à ce ruis-
dantes et nombreuses coulent de tous seau ignoré aujourd’hui , et dont les ri-
côtés. Après une heure et demie de mar- clies.ses ont été bien souvent convoitées.

che , nous faisons notre première halte Nous sommes aux sources du Pactole,
sous un énorme platane, dont le pied a qui avant d’aller arroser la capitale de
douze mètres de circonférence à hau- la Lydie donne la fertilité à toutes les
,

ASIE MINEURE.
campagnes environnantes et anime un ne .'pouvions sopger à nous rendre à
paysage sévère et majestueux. Nous Sardes ce jour-la; nous avions encore à
avons fait pea de chemin, que déjà le traverser une vallée 'E.-O., formée par
ruisseau devient abondant, et peut four- une suite d’acrotères parallèles à la
nir de l’eau à des moulins dans un par- chaîne du Tmolus etdbOS fonués de ter-
cours de deux lieues. Jusqu’au bout du rains d’atterrissements. La lumière de
col de Téké, j’ai compté douze sources la lune ne pouvait pénétrer l'épaisseur
ou ruisseaux qui arrivent dans le lit du feuillage ; nous marchions dans une
du Pactole; tous ont de l’eau, même obscurité complète. Enfin nous nous
en été; pendant l’hiver et le printemps, trouvons au bas du Tmolus ; nous tra-
ce petit fleuve doit former un torrent versons un petit ruisseau qui va se jeter
considérable. dans le Pactole, dont les eaux bruis-
En quittant la plaine de Téké, il com- sant au loin troublent seules le silence
mence à tomber en cascade sur des blocs de ces solitudes.
de granit, et s’enfonce rapidement au Nous arrivons à Alectiane, hameau
fond d’un ravin étroit et profond. La de quinze maisons. Les poutres qui ser-
route quitte ici le lit du fleuve et monte
, vent de plafond à notre chaumière sont
en serpentant sur le flanc de la monta- noires comme de l’ébène. Nous allu-
gne. Les deux pentes de la vallée portent mons un cierge de cire jaune, seul lu-
encore les dernières traces des forêts qui minaire dont nous nous soyons pourvus
couvraient jadis la montagne ce sont ; à relise grecque de Baïndir. Les habi-
des chênes antiques, presque dépouillés tants sont meuniers et bûcherons ; ils
de feuillage etclair-semés au milieu des vont travailler à Sm^e et à Magnésie.
rochers. Ce sont les seuls indices de Cet endroit a toute fa fraîcheur des ha-
végétation qui subsistent dans ces meaux de la Suisse. Nous étions encore
lieux, car les rochers sont dépouillés de à mille mètres environ au-dessus de la
mousse et de broussailles. Derrière la plaine , qui était séparée de nous par
crête que nous avons au nord se trouve une chaîne inférieure parallèle au Tmo-
un petit lac qu’on appelle Gazocleu lus , et toute composée de terrains d’at-
lac aux oies; il donne naissance à un terrissements formés de sable rouge et
ruisseau qui va se joindre au Pactole. de cailloux de quartz. Cette montagne
Toute la structure de la montagne secondaire est complètement dépouillée
que nous avons parcourue est de gneiss de verdure. Nous la franchissons avec
et de granit, mais la formation de gneiss une certaine difficulté, et nous'nous
occupe la plus grande partie du versaut trouvons enfin sur le versant qui domine
méridional. la plaine de Sardes. Une partie déta-
La constitution géologique du Tmolus chée de cette montagne forme un cône
n’est pas en désaccord avec la tradition isolé sur lequel sont encore des cons-
de l’existence des mines d’or dans ces tructions antiques. Les Turcs donnent
parages. En effet, tout le versant sep- à cet endroit le nom de Kiz-konlé-si
tentrional de la montagne est composé (la tour de la fille). On sait qu’il ne faut
de terrains d’atterrissements formés d’é- attacher aucune importance à cette dé-
léments primitifs, le quartz et le gneiss nomination , qui se trouve appliquée à
qui servent de gangue à l’or. En suivant un nombre innni de vieux édinces. Ces
lecours de la rivière, j’ai examiné s’il ruines appartiennent à la citadelle de
ne restait pas quelques traces de ces Sardes, qui pouvait en effet paraître
anciens gisements, et j’ai consulté les imprenable à une époque où l’art de la
paysans pour savoir s’ils n’avaient ja- balistique était encore si peu avancé. En
mais découvert quelque pépite inétalli- tournant le mamelon du côté de l’Est,
que; mais j’ai descendu la montagne, nous rejoignons le. cours du Pactole,
convaincu que ces mineS du Tmolus qui a repris sa tranquillité première et
sont complètement épuisées , et qu’un coule lentement jusqu’à l’Hermus. Il
hasard inattendu pourrait seul mettre faut que le cours de ce dernier fleuve se
sur la trace d’un nouveau dépôt auri- soit considérablement rapproché de la
fère. ville de Sardes, car Strabon estime
La nuit était tout à fait arrivée, nous qu’il en était séparé par une distance de
,

9fi3 LTJISIVKRS.

TÎQj't stades, tandis qu’aujourd'hui il le poète, Hyda était au pied du Tmolus


n'y a pas trois kilomètres. et voisine du lac Gygée.
Étienne de Byzance (tj confirme le

CHAPITRE XVIII.
même fait; d’après Apollonius, histo-
rien de la Carie, Hyda était la résidence
d’Omphale , reine des Lydiens et fille
SABDBS. de Jordanus ; mais, poursuit cet auteur,
Léandre, surnommé Nicanor, lui donne
Lorsque nous descendions les pentes le nom de Sardes.
du Tmolus, éclairées par un resplendis- La citadelle occupe une colline d’un
sant soleil d’automne, nous avions de- accès difficile, mais dont nous ne pou-
vant les yeux une plaine vaste et nue, vons aujourd'hui connaître la forme
sans ondulations, sans la moindre cul- primitive c’est une branche avancée des
;

ture, et de loin en loin quelque pan de contreforts du Tmolus, toute composée


mur, quelque monceau de ruines venait des terrains de transport, cailloux et
seul rompre la stérile uniformité du sol. sable, d’une désaggrégation facile. On
C’était l’emplacement de la ville de Sar- doit attribuer à cette circonstance la
des. Aucune ville, à l’exception de Ba- démolition complète de la citadelle, dont
bylone, ne peut offrir on plus triste ta- il reste à peine quelques vestiges appré-

bleau de l’anéantissement de toute puis- ciables; encore sont-ils postérieurs à


sance humaine. On a peine à comprendre l’époque des rois de Lydie.
que de tant d’édifices somptueux, de Le roi Mclès, qui passe pour être pré-
tant de murailles amoncelées pour dé- décesseur de Candaule, bâtit la citadelle
fendre ceUe ville qui passait pour la sur un rocher inaccessible , qui com-
reine de l’Asie, il ne reste que quelques mandait la vallée de l’Hermus. Non con-
pierres. Les différentes dominations qui tent de l’avoir entourée de fortes mu-
ont succédé aux Lydiens n’ont pas laissé railles, il voulut encore consulter les
plus de vestiges; on se reporte involon- devins de Telmissus ; les prêtres lui an-
tairement aux menaces faites par l’ange noncèrent que la ville ne serait jamais
des chrétiens aux habitants de la ville prise si l’on promenait autour des mu-
de Sardes, et l’on est forcé de se dire railles un monstre à tête de lion qui
que jamais prophétie ne fut mieux ac- avait été engendré par une de ses fem-
complie. mes. Mêlés avait exécuté ce que les de-
L’époque de la fondation de Sardes vins prescrivaient pour toute l’enceinte,
est restée ignorée; selon Strabon elle à l'exception de ce côté de la citadelle
est postérieure à celle de Troie; mais en face du Tmolus et qu’il avait négligé,
avant la création de Sardes il existait au comme naturellement défendu.
pied du Tmolus et sur le même empla- L’ascension à l’acropole ne peut être
cement une ville nommée Hydée c’est :
facilement exécutée que du côté du sud-
du moins ce qu’on peut conjecturer du ouest, les terres friables des autres cô-
passage de Strabon, aussi bien que des tés rendant les chemins assez difficiles;
citations empruntées à Homère et à on n’y trouve du reste que quelques
Pline. Le premier de ces auteurs (1), muraiiles, mais aucune disposition spé-
après avoir cité les vers d’Homère ciale ; les autres
explorateurs qui avant
ajoute : Il n’existe point de lieu nommé comme après nous ont tenté cette as-
Hyda chez Lydiens, et quelques li-
les cension n’ont pas eu à constater d’au-
gnes plus bas il
y en a qui pensent
:
tres résultats. Hamilton (2), qui a donné
qu'Hyda est Sardes même, d’autres (]ue à ces observations un coup d’oeil de géo-
c’était la citadelle de cette ville qui se logue, constate que « le traitée plus
nommait Hyda. Pline (2) ne met pas saillant de l’acropole, ou plutôt de ce
en doute que Sardes et Hyda ne soient qui fut l’acropole de Sardes, est la des-
la même ville; ceci du resté est d’accord tructiou rapide du sol causée par l’éro-
avec le passage d’Homère, puisque, selon sion des eaux et des torrents. "Toute Té-

(i) Strabon, XIII, 6x6. (i) Et. By/.., voy. Hyde.


(x) Pline, V, xp. (x) Research in Asia Minor, t. I, p. 148.
ASIE MINEURE. US
tendue de l’ancien sommet est détruite, blanc mais sa contexture est cristalline
;

à l'exception d’un étroit sentier élevé, et teinte légèrement grisâtre. Le


sa
défendu par un double mur et des mont Tmolus ne contient aucun gise-
précipices verticaux, et quelques pans ment de marbre , et les montagnes au
de murs soutenus seulement par les delà de l’Hermus sont toutes volcani-
fragments accumulés au pied. <• ues ; il faudrait rechercher les carrières
La décomposition des collines qui s’é* U temple de Cylièle dans le groupe
lèvent au sud de la ville a tellement montagneux calcaire situé entre Sardes
exhaussé le sol que les derniers vestiges et Smyme, mais on ignore aujourd’hui
des monuments ne tarderont pas à dis- le véritable emplacement de ces car-
paraître. rières.
Pour s’orienter dans les ruines de Le monument est orienté de l’est à
Sardes il est nécessaire de suivre le l’ouest, la face orientale tournée vers
cours du Pactole c’est le ruisseau qui
;
l’acropole, l’autre est parallèle au cours
coule près du temple. On sait qu’il tra- du Pactole.
versait l'agora (1) et de plus qu’il bai- Aujourd’hui deux colonnes seule-
gnait l’enceinte du temple de Cybèle. ment restent debout; nous avons pour
• Le chœur: ômèredeJupiterlui-même, ainsi dire assisté à la destruction d’une
terre montagneuse nourrice du genre
,
partie de l’édifice, qui depuis des siè-
humain (Cybèle), honorée sur les rives cles est la seule carrière où les Turcs
du Pactole chargé d’or (2). » On sait de viennent prendre du marbre pour faire
plus que l’agora était au centre de la des tombeaux. Nous avons vu à Sinyrne
ville, c’est de ce point qu’on peut se un dessin de ce temple fait à la fin du
rendre compte des principaux monu- siècle dernier : il restait encore six co-
mcL's qui existent encore. lonnes debout avec des fragments d’ar-
chitrave. Thomas Smith (1) a encore
CHAPITRE XIX. vu ces colonnes; M. Cockerell en a vu
trois ; lorsque nous avons visité Sardes,
LE TBUPLE DE CYBÈLE. il n’eh restait plus que deux , plusieurs

chapiteaux, d’énormes morceaux d’ar-


Cybèle « déesse indigène de lu Ly- chitrave gisent sur le sol , mais ne pa-
die » (3), avait dans la ville de Sardes un raissent pas destinés à y rester long-
temple, qui fut incendié au moment de temps.
la prise de la ville par les Ioniens. C’est Les deux colonnes encore debout ap-
pour se venger de cet attentat que les partieanent à l’ordre extérieur de la fa-
Perses incendièrent par la suite les tem- çade orientale, elles sont reliées par leur
ples de la Grèce ; on est donc assuré architrave. Les dimensions de l’édifice
que le monument d’ordre ionique qui ne le cèdent point à celles du temple
subsiste aujourd’hui est postérieur au des Branchydes ; mais les colonnes sont
quatrième siècle avant notre ère; on enterrées de plus du tiers de leur hau-
peut même admettre, d’après le carac- teur. Elles n’avaient pas moins de vingt
tère de l’architecture, qu’il date du règne mètres de haut , il faudrait donc pour
d’Alexandre. Ce prince ayant ordonné retrouver les dispositions principales de
la construction de plusieurs temples, l’édifice faire des fouilles tres-profondes.
celui de Diane Coloène (4) et celui de Néanmoins plusieurs portions de fût
Jupiter Olympien, il est probable que la s’élèvent encore au-dessus du sol et per-
reconstruction du temple de Cybèle date mettent de se rendre compte du style
de la même époque; mais il ne fut j'a- de On voit aussi une ligne de
l’édifice.
mais terminé, et les cannelures des co- blocs qui ont dû appartenir au mur de
lonnes ne sont achevées qu’en partie. la Cella. Les chapiteaux sont d’ordre
Le temple est construit en marbre ionique ont cela de remarquable que
; ils
les coussinets sont ornés de rinceaux,
(i) Hérodote, V, loi. de feuillages d’une grande délicatesse.
(o) Sophocle, PéiYoc/., 391. Tous ceux qui ont vu ces fragments ont
(3) Hérodote, T, io«.
(4) Quiot. Curl. (i) Septem Asiv ecclesiarum uotitia,p. a?.
'
]«4 tUNlVERS;
etprimé leur admiration pour la beauté micycle ; elle a environ cinquante mètres
du style et la perfection du travail , ces de tour sur quinze de large. L’ouvrage
chapiteaux nous semblent trop décorés de brique est bien exécuté, mais les frag-
pour être d'une haute antiquité. ments de marbre introduits dans la
En se rendant bien compte de la dis* construction indiquent une époque voi-
position des fûts de colonne qui sont sine du quatrième siècle. Il n'en est pas
encore en place, on acquiert la certitude moins positif que ces ruines appartien-
que ce temple était octostyle et diptère ; nent à un édifice public, peut-être à un
il avait donc huit colonnes de front et gymnase.
'
sur les côtés deux rangs parallèles, Près d’un petit cours d’eau qui coule
chacun de seize colonnes, formant deux le long du théâtre, on voit d’autres rui-
portiques. Le modèle de ce temple ne nes, toutes de brique, mais qui ne pré-
différait sans doute pas beaucoup de sentent que peu d^ntérêt au point de
celui d'Éphèse. vue architectural. La domination by-
De l'autre côté de l’acropole, dans la zantine écrasée sous l’invasion musul-
partie nord-est, sont les ruines du théâ- mane, n’a laissé que de faibles vestiges
tre , qui ne présenteut qu’un très-mé- des monuments religieux qui devaient
diocre intérêt. La scène est entièrement s’élever au centre de cette rivale d’É-
détruite ; la forme de la caoea reste avec phèse. Près du moulin construit sur le
quelques gradins et les murs de soutè- Pactole on voit les restes d’une grande
nement, qui sont en pierre de taille. Le église aujourd’hui abandonnée, mais
diamètre extérieur du théâtre, pris à la qui au commencement du siècle était
hâte, dépasse cent dix mètres ; l’intérieur encore desservie par quelques prêtres.
de la cavea était de cinquante mètres. Elle est construite selon le mode byzan-
En jugeant d’après d'autres théâtres, tin , avec des fragments d’édifices lus
mieux conservés, celui de Sardes pou- anciens. Loin d’être un monument con-
vait contenir plus de dix mille specta- temporain de l’établissement du chris-
teurs. Ce qui reste parait être de cons- tianisme dans la ville, on peut être as-
truction romaine ; mais comme il est suré qu’elle n’est pas antérieure au
&it mention de cet édifice dans la guerre dixième siècle.
d’Antiochus , H est certain que déjà à C’est sans doute cet édifice qui est
cette époque un théâtre grec existait à mentionné parThomas Smith (l)comme
Sardes. l’église catliédrale. Une autre petite
Le stade s’étend parallèlement à la église, remarquée par le même écrivain,
montagne; la branche nord est soute- contenait d’anciennes colonnes et était
nue par un rang d’arcades de pierre, les alors convertie en mosquée.
stades d’Éphèse et de Smyrne sont dis- La disparition complète des murailles
posés de la même maniéré. Le genre du côté de la plaine ne perimt pas d’ap-
de eonstruction est tout à fait romain. précier l’étendue de Pancienne ville;
Entre le théâtre et le temple, mais mais elle devait, selon les habitudes des
ilus près de la rive de l’Hermus, s’é- peuples d’Orient, être plus étendue que
Îève le seul édifice qui présenté une fa ville romaine La citadelle ne la dé-
sorte d’ensemble. 11 est de forme quar- fendait qu’imparfaitement, voilà pour-
rée à l’extérieur et construit en briques quoi l’histoire de Sardes nous montre
et en fragments de marbre ; il n’en a si souvent la ville prise et pillée sans
pas fallu davantage pour faire supposer ue les ennemis paraissent s’inquiéter
a quelques antiquaires que c'était un c la forteresse.
reste du palais ae Crésus fl), converti
par les Romains en salle du sénat, appe- CHAPITRE XX.
lée chez les Gtecs gérousia. On y re-
marque plusieurs salles, avec des débris BSSUMB DE L’HtSTOIBE DE SABDES.
de route, et d’autres chambres plus pe-
tites; la plus grande des salles est ter- Hérodote nous a laissé ignorer l’ori-
minée à ’^que extrémité par un hé- gine du nom de la ville de Sardes ; ceux

(i) Vitruve, n, 8. (i) Loc. cil.


,

ASIE MINEURE. Ki
uipensent que l’inflnence orientale a révolte que sur un ordre de Cyrus tous
ominé chez les premiers rois de Lydie les Lydiens furent désarmés. Il leur fut
pourront y retrouver quelque analogie ordonné de porter des tuniques et des
arec les noms de certains rois assyriens, cothurnes; on n’enseigna aux enfanta
comme Sardan^-Apal. Ceux qui s’atta- d’autre art <|ue celui de la musique, et
chent de préférence aux traditions grec- tout fut mis en oeuvre pour anéantir
ques pourront se rapporter au mythe l’esprit guerrier de la nation. Les Ly-
a’Hercule , dont la fille Sardinie donna diens qui avaient suivi le parti de Pac-
le nom à l'iie de Sardaigne. tyas furent vendus comme esclaves et
Sous le rème d’Ardys, les Cimmé- Pactyas lui-méme fut livré aux Perses.
rieos, d^à maîtres d’une partie de l’Asie, Cette insurrection eut de funestes con-
s’emparèrent de la ville de Sardes ; la séquences pour les villes d’Ionie : Priène
citadelle senle leur résista ils restèrent
: fut prise et les habitants vendus à l’en-
en possession du pays jusqu’au règne chère.
d’Alyatte (1). Gygès augmenta le sys- Sardes u’en resta pas moins le prin-
tème de défense, mais depuis Candaule cipal siège de la puissance perse en
jusqu’au dernier des Mermnades, la Asie et la résidence du premier satrape.
ville royale des Lydiens put jouir des Sous le règne de Darius, Artapl»erne,
douceurs de la paix. frère du roi, fut nommé gouverneur de
Après la bataille deThymbrée Crésus, Sardes (1). Pendant la révolte suscitée
vaincu par Cyrus, se relira dahs sa ca- par Aristagoras, les Ioniens, aidés des
pitale, qui après une résistance héroïque forces athéniennes, partirent d’Éphèse,
tomba au pouvoir des Perses. La cita- franchirent le Tmolus et s’emparèrent
delle se défendait encore après qua- de Sardes, qui était toujours sous le
torze jours de siège, lorsqu'une circons- gouvernement d’Artapheme. La ville,
tance fortuite la fit tomber au pouvoir située en plaine , fut prise et incendiée;
des Perses. les maisons, qui n’étaient autre chose
La montagne de l’acropole avait paru que des cabanes, de roseaux, communi-
du cdté du Tmolus, et l’on
inaccessible quèrent le feu aux édifices publics, qui
avait négligé' d'étendre les fortifications n’avaient que des couvertures de bois
versle sud. 11 existait cependant un sen- léger; le temple de Cybèle, situé sur la
presque impraticable, par lequel un
tier, rive du Pactole , fut aussi la proie des
soldat lydien avait pu descendre et re- flammes. De ce moment date la destruc-
monter pour aller cnercher son casque tion complète des monuments de la
tombé par hasard. Sarde lydienne. Les habitudes des Perses
Ce mouvement n’avait pas échappé à de demeurer dans des maisons faites en
un soldat de Cyrus , nommé Héreade iisé ne durent pas changer beaucoup
qui suivit lés pas du lydien ,
et remon- fa physionomie de la ville pendant le

tant accompamé d’une troupe de Perses règne des Achéménides. Il faut ajouter
s’empara la citadelle. La ville fut
(le que la religion des Perses n’admettait
prise et livrée au pillage et à l’incendie. la construction d’aucun temple et d’au-
Depuis ce moment la ville de Sardes cune statue quelques Pyrées bâtis dans
;

devint le théâtre de révolutions sans le voisinage des ruisseaux étaient tous


nombre. Cyrus fit réparer une partie des leurs édifices religieux ;
il faut donc se
ravages de l’incendie. En quittant la représenter la Sardes (le cette époque
Lydie pour se rendre à Ecnatane , il comme un vaste camp avec des bazars
laissa le gouvernement de la ville au pour entreposer les marchandises une ,

Perse Tabalus, et chargea le lydien Pac- ville en un mot comme celles qui exis-
tyas de porter en Perse les trésors de tent de nos jours dans le bas Euplirate,
Crésus. Pactyas, loin de s’acquitter de daus lesquelles les gourbis arabes revê-
sa mission, souleva les Lydiens contre tus d’argile forment la plus belle partie
Tabalus , s’empara de la ville de Sar- des habitations (2).
des, et assiégea la citadelle, où Tabalus Xerxès avant d’entreprendre son ex-
s’était retiré. C’est à la suite de cette

(i) Hérodote, V, o5.


16.’'' '
[i) Hérodote, I, i 5 , Hérodote, V, loe.
356 L’UNIVERS,
péditiun contre la Grèce, rassembla ses se maintenir'contre l’armée du roi (1),
contingents dans la ville de Sardes; en Cependant un officier crétois nommé
partant de cette ville il traversa la My- Lagoras, ayant remarqué les vautours
sie et la Troade pour gagner l’Helles- et les oiseaux de proie planant au-dessus
pont. d’un lieu désert et voisin du théâtre,
Le goût particulier des princes d’O- reconnut que cet endroit, où l’on jetait
rient pour les grands parcs et les chas- les eorps des animaux et les issues
ses monstrueuses pouvait trouver toute de la ville, dominait un précipice, et
satisfactiondans les vastes plaines de que la muraille n’était point gardée,
la Lydie; le jeune Cyrus possédait à tant on redoutait peu une attaque de
Sardes un paradis avec de somptueux ce côté, prit avec lui une poignée
jardins, qui faisaient l’admiration de d’hommes résolus, et tandis qu’Au-
Lysandre (1). tiochus faisait une fausse attaque de
La ville et la citadelle de Sardes se l’autre côté , comme pour s’emparer
rendirent sans résistance à Alexandre d’une des portes, Lagoras entra dans
après la bataille du Graniuue ; ce prince la ville par le quartier nommé Prion,
vint camper au bord de rHermus, qui voisin du théâtre, et la place tomba au
coulait à vingt stades ( 3 kilom.) de la pouvoir d’Antiochus. Sardes fut encore
ville; il visita la citadelle , défendue par une fois incendiée et pillée; Achæus
une triple muraille, et ordonna de bâtir fut mis à mort.
un temple à Jupiter Olympien. Comme Antiochus put jouir pendant trente
il cherchait la place qu’il assignerait au ans du fruit de ses victoires ; mais vaincu
monument, le tonnerre vint à gronder à la bataille de Magnésie , il dut aban-
par un ciel serein, et une pluie abondante donner les conquêtes qu’il avait faites
tomba sur l’emplacement même de l’an- en Asie Mineure; la capitale de la Lydie
cien palais des rois de Lydie. Alexandre se rendit sans coup férir aux deux
crut que le dieu lui-même désignait sa Scipions et devint le chef-lieu d’une
,

place , et il fit bâtir le temple sur le des préfectures d’Asie.


terrain, du palais ; il Ut également élever Après tant de catastrophes causées
un temple à Diane Coloène. En quit- par la guerre , Sardes eut à souffrir
tant la ville, qu’il laissa sous la garde de encore d’un fléau qui ravagea trop sou-
Pausanias (2), un de ses plus fidèles vent l’Asie. Sous le règne de Tibère, un
généraux , il rendit aux Lydiens leur terrible tremblement de terre renversa
autonomie et leur permit de se gou- la majeure partie des édifices publics.
verner par leurs propres lois. Sardes dut à la générositéde l’empereur
A la mort d’Alexandre la Lvdie échut une reconstruction partielle ; mais les
à Antigone , et après la défaite de ce secousses du sol furent si violentes, que
prince, à Ipsus elle devint le partage des la plupart de.s voyageurs croient en
Séleucides. reconnaître encore de nos jours les
Séleucus Céraunus ,
ayant péri par la traces dans les larges fissures qui se
main d’un assassin, Actiæus, beau-père remarquent dans la montagne de l’a-
d’Attale l"", qui gouvernait alors la Ly- cropole.
die, maintint cette possession au nom La ville se releva cependant de cet
d’Antiochus; mais bientôt, se sentant échec ;
c’est à la beanté de son territoire
soutenu par les rois de Pergame, il se que .Sardes dut son rétablissement, au
crut assez fort pour se faire proclamer point que dans les premières années du
roi , en 2l9 avant notre ère. premier siècle de notre ère elle ne le
A la nouvelle de cette rébellion, An- cédait à aucune des villes voisines (2).
tiocbus passa le Taurus, entra en Lydie Au moment de l’établissement du
avec son armée, et marcha contre Sardes, christianisme en Asie, Sardes se dis-
où Achæus s’était renfermé; n’osant tingua par l’ardeur avec laquelle elle
pas entrer en campagne contre le roi adopta la foi nouvelle; aussi mérita-
de Lydie, il sut pendant une annéeentière t-elle le titre d’une des sept églises

(i) Xénoph. OEconnm., eh. IV, p. ai. (i) Polybe, VU, 4, 7.


(a) Arrieo, Sxp. Alex.,I, iS. (a) Straboo, XIII, 617.
ASIE MINEURE. UT
d'Asie. Sen zèle toutefois ne se soutint CHAPITRE XXL
pas toujours; les nouveaux chrétiens
méritèrent une sévère réprimande de
la part de l’ange de l’Ap<K»lypse.
TOMBBàUX des bois de LYDIE.
Je
connais vos œuvres, et je sais que vous
dites que vous êtes vivant , mais vous La plaine de Sardes est bornée au
êtes mort (I). » nord par le cours de l’Hermus, qui coule
L’empereur Julien, dans ses tentatives de Test à l’ouest, dans un lit peu en-
de restauration de l’ancien culte des caissé, composé de terrains sablonneux
païens, nomma pontife de Lydie Cbi^- et friables. Au moment de la fonte des
santhius, citoyen de Sardes et d’une fa- neiges dans les montagnes de la Phry-
mille patricienne. Des ordres furent gie épictète, le fleuve est sujet à des
donnés d’élever des autels et de réparer débordements qui inondent toute la
les anciens temples ; mais on sait quelle plaine ; aussi les Lydiens avaient-ils
fut la conséquence de ces velléités éphé- creusé un canal qui conduisait les hautes
mères. eaux dans le lac Gygée. C’était pour
Nous avons vu les Goths porter leurs Sardes une imitation du lac Mœris de
ravages sur les côtes de la Bithynie et l’Egypte. La vaste nécropole des rois de
de la Troade ; ils pénétrèrent jusqu’en Lydie apparaît au loin, sur la rive droite
Lydie, et en l’an 400, sous la conduite du fleuve, comme un groupe de mon-
de Tribilgid et de Caïanas, officier au ticules.
service de l’empire, qui s’était révolté En
quittant les ruines de Sardes, on
contre l’empereur^Arcadius , les hordes fait route vers le nord-ouest jusqu'à
des Goths prirent et pillèrent Sardes. l’Hermus, qui n’est éloigné que de six
Les incursions des tribus musulma- kilomètres. Là se trouve un gué d’un
nes ne laissaient aucun repos aux ha- passage assez difficile. Autrefois il exis-
bitants, qui commencèrent à quitter la tait un bac triangulaire, mais à mesure
ville et à se retirer dans la montagne. que les années s’écoulent, les routes de
Dans leonzième siècle les Seljoukides 'Turquie, loin de s'améliorer, se détério-
poussèrent leurs expéditions jusqu’en rent. Sardes est pourtant située sur la
Lydie, mais n’y séjournèrent point. Eu grande route qui de Césarée conduit à
1304 les Turcs eurent la permission Pergame; c’était la grande voie mili-
d’occuper une partie de la citadelle; taire qui traversait obliquement toute
enfin, dans la seconde année du quin- l’Asie Mineure pour aller aux passages
zième siècle, Timour s’empara de cette du Taurus. Les derniers musulmans
malheureuse ville, èt la détruisit de fond ui ont habité Sardes reposent dans le
en comble jamais elle ne s’est relevée
:
eruier cimetière qui borde la rive de
d’une pareille catastrophe. rUermus.
Aujourd’hui l’emplacement de l'an- Quand les eaux sont hautes, les cara-
cienne capitale conserve encore le nom vanes sont obligées de remonter le cours
de Sart. Les distances de cette ville à du fleuve pendant plusieurs milles pour
différents points de la côte sont estimées trouver un passage ^éable.
par les auteurs anciens de la manière Après avoir passe l’Hermus, on fait
suivante ; de Sardes à Ëphèse, 540 sta- environ six kilomètres dans la direction
des (2) ou 99 kilométrés; à Pergame, du nord-est, au milieu d’une plaine lé-
600 stades ou lll kilomètres (3); à Tri- gèrement ondulée et couverte au prin-
polis, 61 milles ou 93 kilom. (4); et de temps de verdure où les Turcomans
Srayrne , 80 de kilomètres. viennent planter leurs tentes.
Le groupe des tombeaux est placé au
(0 Âpocalypie, III, i, 5. milieu d’un plateau qui domine les
(») Uérodolr, V, 54. plaines environnantes; cette situation
(3) Sinbon, XIII, 6a5. ressemble beaucoup au célèbre tumu-
(4) Table de Peiitenger. lus de la plaine d’Alger, connu sous le
nom du Tombeau de la Chrétienne.
L’attention se porte d’abord sur le plus
grand de ces tombeaux, qui au premier
17* /.tnraiao». (Asie Mineukb.) T. II. l»
3A8 L’UNIVERS.

coup d’œil ne parait être autre chose d’hommes pour recevoir les eaux lors
,

qu'une petite montague ; mais on re- du débordement des Qeuves (t). »


connaît bientôt que cette mas^ de terre Le tombeau d’Alyatte est en effet
au sud de la grande nécropole
est élevée de main d’iiomme, et de plus situé
que par ses dimensions elle est tout à des rois. Aujourd’hui la circonférence

fait d’accord avec la description qu’en de sa base est entourée d'un épais gazon
a feite Hérodote, et qui nous fait con- et de terres éboulées qui ne permettent
naître ce monument comme le tombeau pas de reconnaître le soubassement.
d’Alyatte, père de Crésus. • On voit eu Du côté du nord le tombeau repose
Lydie, dit Hérodote, un monument qui sur un lit de calcaire marneux. La
ne le cède en rien par sa grandeur à masse du cône est composée de sable
ceux des Égyptiens et des Babyloniens; et de gravier, qui a été en partie en-
tombeau d’Alyatte : la base est
<^’est le traînée par les eaux, de manière à dé-
formée par un soubassement élevé, sut- former assez profondément le côté sud.
mouté d’un cône de terre amonwiée. On peut assez facilement arriver jus-
Il est l’ouvrage d’artisans, d’ouvriers, u’au sommet, où l’on trouve une fou-
etde courtisanes. » Au sommet de ce ation en pierre , et une des stèles dé-
monument on avait élevé cinq bornes crites .par Hérodote, mais tellement
de pierre sur lesquelles étaient gravées rongée qu'on n’y remarque plus le
des inscriptions qui indiquaient le tra- moindre caractère. Cette stèle a la

vailde chaque classe d’ouvriers (1). forme d’un phallus, ou d’une pomme
I.a circonférence du monument est de de pin semblable à celle qui surmontait
six stades deux plèthres, sa largeur de le tombeau de Tantale. Nous n’avons

treize plèthres. En traduisant en mètres du reste fait qu’un examen très-super-


les mesures données par Hérodote, nous ficiel de ce monument , dans la persua-

avons pour la circonférence 1172 mè- sion où nous étions qu’un jour nous
tres (2); le diamètre d’un cercle de cette viendrions y opérer des fouilles. L'opi-
dimension est de 373 mètres, tandis nion de tous ceux qui ont examiné ces
que les treize plèthres de largeur don- tombeaux est que des fouilles archéolo-
nent 408 mètres il y a donc une erreur
:
giques y seraient très-fructueuses.
de 30 mètres sur le rapport des mesures Un très-grand nombre de tumulus
données par Hérodote aujourd’hui il est
: entourent celui d’Alyatte ; il en est ulu-
impossible de vérifier cette mesure , à sieurs qui sont aussi d’une grandeur
cause des terres accumulées à la base gigantesque; les autres, dont le nombre
du monument. dépasse cinquante, se présentent comme
des éminences couvertes de gazou. Les
y a dans le voisinage un grand
Il lac
toujours rempli ; les Lydiens lui ont Turcs appellent ce lieu Bin tépé, les
donné le nom de lac Gygée. La des- mille collines. On n’observe pas ici,
cription de Strabon ajoute peu de chose comme à Tantalis, les traces de recher-
à celle d’Hérodote « A quarante stades
: ches faites dans les temps anciens pour
(7 kil. 40) de la ville est le lac Gygée, dépouiller ces tombeaux; ou sait d’ail-
dont parle Homère, et qu’on a depuis leurs qu’à cette époque reculée les re-
nommé Coloé; près du lac on voit le cherches faites dans les tombeaux n’a-
temple de Diane Coloënne qui est en vait pour but que d’enlever les objets
,

grande vénération. Autour du lac Coloé d’or, mais tout ce qui consistait en va-
sont les tombeaux des rois ; du côté de ses , sarcophages et inscriptions était
Sardes est celui d’Alyotte c’est un
: abandonné dans la fouille même. L’im-

grand cône de terre surmontant un haut posant effet produit par l’ensemble de
soubassement de pierre. 11 fut construit cette vaste nécropole est bien d’accord
par le peuple de la ville , et eu grande avec ce que l’histoire nous dit de la puis-
partie par les courtisanes. Selon la tra- sance et de la richesse des rois de Lydie,

dition , le lac Coloé fut creusé de main qui pendant quinze siècles gouvernèrent
cet empire. Cependant cette pensée ne
(i) Hérodote, liv. I, y3.
paraît pas sufQsante au voyageur anglais
(*) Le slade étant de i8$ métrés, et le

plélbre loo pieds grecs, métrés, (i) Slrabun, XIII, (>a6,

tl '
.11 - .
- Î1
ASIE MINEURE 259

AruQcÉ«ll, qui émet l’opioion que celte sieurs remontent très-certainement à


nécropole avait sans doute uu caractère l’époque de la domination seythe.
particulier de sainteté, et que les popu- r Le lac Gygéeest situé à l’Ei-N ,-E. de la

lations des autres villesapportaientaussr nécropole : il est entouré dans presque


leurs morts dans ce lieu funèbre, comme tout son pourtour par une levée de terre
dans les grands hypogées d’Égypte, et qui serait le résultat des fouilles foites
même de nos jours, comme dans les cen- pour creuser le bassin. Du côté du sud ,
tres religieux de Kerbéla et de Méohed, est un ruisseau qui paraît couler alter-
où l'on apporte les morts de toutes les nativement du lac au Qeuve ou du fleuve
parties de la Perse. Les petits tumulus au lac, selon la. hauteur des eaux. Le
paraissent également intacts, mais ils ne lac est Irès-aboodaoteu poissons.; il est
mrtent à leur sommet aucun ornement couvert de roseaux et de snuebets,
de pierre. Chandler, qui a visité les tom- qui en se séchant forment des Ilots
beaux de Lydie, termine sa descrip- sur lesquels des hommes peuvent se te-
tion (1), en invitant lus futurs explora- nir. Le passage de PÜae relatif aux Iles
teurs à tenter l’ouverture de ces monu- Calamines doit certainement s’impliquer
ments mystérieux. aux iles du lac Gygée: cleét d’ailleurs le
La hante antiquité des tombeaux en seul lac qui soit en Lydia.'«i(Les 11»)
forme de tumulus ne saurait plus être qu’on nomme Calamines en Lydie non-
mise en doute, et leur origine asiatique seulement flottent- au.. gré; .des vents,
n’est plus même contestée. C’est avant mais ou les fait aller où. l’on.veut avec
leur migT.-ition en Europe que les peu- une p«x;lie; plusieurs Romains durent
ples de race indo-germanique ont con- la vie à la retraite assurée, qu’ils y-trou-
tracté l’habitude de marquer l’emplace- vèrent dans la guerre de Mithridate (1) .

ment de leurs sépultures par des terres Ces Iles flottantes se retrouvent sur cer-
amoncelées : c’est du reste le genre de tains lacs et dans lesmêmes conditions :
monument qui se rapproche le plus de ce sont des roseaux agglomérés avec les
la nature primitive. Les Lydiens, chez autres détritus; nous avons vu des Iles
lesquels les Scythes et les Cimmériens de ce genre sur le lac SMfatare.près de
ont fait un long séjour, auront sans Tivoli, sur lesquelles plüsieiurs hommes
doute emprunté ce mode de sépulture pouvaient se promener ; c’étaieot en
à leurs sauvages conquérants. Hérodote, réalité de grands radqaux. Alexandre
après avoir décrit les cérémonies funè- pendant son séjour à Sardes fit recons-
bres chez les Scythes, ajoute « On élève: truire le temple de Diane Goloënne, situé
•fosuite sur le tout un tertre que l’on dans le voisinage du lac, et loi conféra
travaille à l’onvi à porter le plus haut en outre le droit d’asile;. Une' tradition
possible (2). » Les tumulus se retrou- faboleusè disait qu’aux fêtes de la déesse
vent dans toutes les parties de l’ancien on voyait les paniers danser (ti). Var-
monde; les races phéniciennes les ont ron (3) parait attacher aussi quelque
portés en Afrique, où l’on voit encore, créance à cette fable; il parle des ileades
sous le nom de Tombeau de la Chré- Nymphes, en. Lydie, qui s'agi taient .au
tienne le tombeau commun des rois
,
sonde ht "flûte et tournaient «n rond.
de Numidie, et dans le sud de la pro- Une inscription eftpiée par PeysoQ-
vince de Constantine le tombeau , non nell mentionne les dignités dont était
moins remarquable, connu sous le nom revêtue la prêtresse du temple aujour-
de Médracen. Les plaines de l’Assyrie d’hui l'emplaceihent de l’édifiee est in-
et de la Mésopotamie offrent un très- connu.- iii:,.';

grand nombre de ces tertres, dont plu-


r y ' .

(i) Pline, liv. II, y5 .

(
i) > But that, and perhaps a considérable (î) Straboii , /uc. c/(. ,

treasure, might be discovered, if tbe barrows (I) VarroD, ûe rc rusuca, I. UI, cb- ty-
H’ereoftfxeà.» {Clmndltr, I, a6.) Et Uaniillnn :
r . ...
“ An undertaking, however, wbieb would
.
.

,I . - - •>>. - ' ’
probablv richly reward tbe speculator or ,

tbe antiquary. - Raearchet, t. I, p. 146.}


(
(a) Hérodote, IV, 17. .je, V .vil (y)

J7.

.‘C I
y Canylc
,

260 L^]N1VERS.
CHAPITRE XXII. phio était-il célèbre à l’époque Byzan-
tine comme lieu de plaisance des empe-
DE SUVBNB A SABDBS.
ITINSBAIfiB reurs. Andronic le jeune fit construire
— VILLAGE DE NYMPHIO, ANCIEN à Nymphæum un palais, qui existe en-
NYUPUÆUM. —
STÈLE DE SÉSÛS- core c’est un grand édifice carré, sans
:

TBIS. ornements d’architecture, bâti en assises


alternantes de moellons et de briques ;
l^a plupart des voyageurs qui visitent il avait trois étages d’appartements; le .

les rumes de Sardes prennent une route premier est percé de six fenêtres. Sur
opposée à celle que nous avons suivie la face de côté est un grand espace vide,
et partent de Smyme en suivant la val- qui paraît avoir été occupé par une tri-
I^ de l’Hermus.Nous donnerons la des- bune ouverte. La construction et la dis-
cription de cette route, qui est plus di- position de cet édifice ont une grande
recte, et nous aurons occasion d’exami- analogie avec le palais de Constantin à
ner près de Nympbio le seul monument Constantinople. (Voy. pl. 51.)
anté-hellénique de la Lydie. L’autorité des princes byzantins lit
La route directe de Smyrne à Sardes place à celle des latins pendant une par-
est la même qui était suivie dans l’an- tie du quatorzième siècle, quand ces der-
tiquité; elle remonte la vallée du Mélès niers étaient maîtres de toute la partie

n u’à la ville moderne de Bournabat,


Irigeant sur la petite ville de Nym-
pbio, l’ancienne Nymphæum situee à
occidentale de l’Asie Mineure c’était le
beau temps de la puissance génoise.
sarcophage byzantin encastré dans la
:

Un
vingt-buit kilomètres a l’est de Smyrne. fontaine de la place publique contient
Après avoir remonté dans toute sa lon- un bas-relief héraldique contenant des
gueur la plaine de Bournabat , on fran- paons, des fleurs de lys et un griffon
chit le col qui forme la ligne de partage passant: une inscription grecque endeux
entre les bassins du Mêles et de l’Her- vers mystiques n’est pas propre à donner
raus. La chaîne du Sipylus appelée Ma- quelque renseignement sur l’origine de
nisa dagh teste au nord , le Tmolus au ce bas-relief (1).
sud. Le col de Nif dagb relie les contre- Mais ce qui rend la ville de Nympbio
forts inférieurs des deux chaînes. Le un lieu de pèlerinage obligé pour tout
village de Nymphio, appelé Nif par les antiquaire qui veut connaître les monu-
Turcs, est sur le versant oriental du ments de l’Asie, c’est le bas-relief sculpté
col, dans une vallée qui reçoit les eaux dans le roc qui se trouve à quelques
de ce bassin et les porte à l’Hermus. kilomètres de distance de Nympbio dans
C’est le Nif tchaî, oui prend source la vallée de Kara bell. 11 üit découvert
à quelques milles à l’ouest de Nympbio, en 1839 et Immédiatement signalé à
suit son cours à l’est et va se jeter l’attention des savants.
dans l’Hermus. Nous n’avons aucun La première impression que produit
moyen d’identifier ce cours d’eau avec ce monument est sa ressemblance avec
quelque rivière ancienne, à moins d’y les bas-reliefs assyriens sculptés, près
voir le Qeuve Cryos ( froid) de Pline (I), de Beyrout, dans la vallée du Nahr el
qui était un des afQuenis de l’Hermus ; Kelb.
la limpidité des eaux du Nif tcbaï, ali- Il est taillé dans un rocher calcaire

menté par la fonte des neiges, convien- gris très-dur, à une hauteur de quarante
drait assez bien au fleuve Cryos. La mètres au-dessus du torrent.
vallée de Nympbio est couverte d’une Une niche en forme de pylône et
riche végétation. Les arbres à fruit s’y surmontée par un fronton sert de cadre
mêlent aux essences forestières, et for- à la figure. Sa hauteur est de 2“ 50 ;
ment des groupes d’une luxuriante ver- sa largeur en bas est de 2™ 50 et eu
dure; les cerises de Nympbio sont les haut de 1“ 90.
plus célèbres des environs de Smyrne; Le bas-relief représente un person-
les platanes et les sycomores atteignent nage armé, scupitéde profil, et regar-
des proportions inusitées : aussi Nym-
ni) Il a été gravé dans la Hetiue arcliéo-
(i) Piint, liv. 'V.aQ. togii/uc, auuèe i845.
,

ASIE MINEURE. 361

dant du côté de l'OriStit. Sa coiffure Pour ceux qui voudraient objecter que
est conique et porte sur le devant un l’ajustement de cette figure n’est pas
ornement qui rappelle l’urœus des coif- tout à fait égyptien, Hérodote a soin de
fures égyptiennes; il' tient une lance faire observer que le costume du roi
dans sa main gauche et dans la main était moitié égyptien et moitié éthio-
droite un arc; dans sa ceinture est pas- pien. I.,es chaussures à pointes relevées
sée une sagaye; il porte pour tout vôte- ne sont pas en effet de style purement
Vnent une courte tunique striée obli- égyptien ; mais on en a retrouvé de sem-
quement ; sa chaussure est recourbée à blables dans des tombeaux d’Égvpte.
la mode asiatique. Tout cet ouvrage Du temps même d’Hérodote , l'opinion
est taillé en méplat sans modelé, et l’ac- ue cette figure pouvait être le portrait
tion des pluies a fortement agi sur le e Memnon était assez accréditée pour
rocher, qui présente une surface rabo- qu'il ait cru devoir la combattre; il la
teuse. En face de la figure et à la hau- repousse comme étant bien loin de la
teur dela tête sont quelques emblèmes, vérité.
parmi lesquels on distingue un oiseau Cette sculpture serait donc un ou-
et d’autres signes disposés comme des vrage du quinzième siècle environ avant
hiéroglyphes. Jésus-Christ, c’est-à-dire un des plus
Ce monument est situé sur l’ancienne anciens monuments de l’Asie Mineure
route qui conduisait de Sardes à Smyrne, qui aient encore été découverts. Un sa-
et tous les savants qui ont visite cet vant allemand, M. Kiepert, a visité ce
antique ouvrage, comme ceux qui en ont bas-relief en 1843, et a publié à ce sujet
examiné le dessin , ont été d’accord pour un mémoire (1), dont j'extrais les pas-
reconnaître le monument décrit par sages suivants, qui confirment mon opi-
érodote en ces termes « On voit
: nion :

aussi dans l’Ionie deux figures de Sésos- « Hérodote rapporte, comme on sait,
tris sculptées en pierre, l’une sur le d'après les récits des prêtres égyptiens
chemin qui va d’Éphèse à Phocée, l’au- sur les guerres de Sesostris , que ce
tre sur celui de Sardes à Smyrne. Cha- prince parcourut toute l’Asie anterieure
cune représente un homme de quatre jusqu’à la Thrace, et laissa dans le pays
coudées plus un spithame , tenant une des peuples vaincus des monuments
lance dans sa main droite et un arc portant son image, et des monuments
dans la main gauche , avec le reste de qui rappelaient son nom , sa patrie, et
l’habillement répondant à cette armure, le fait de la conquête. On sait aussi que
c’est-à-dire, moitié éthiopien et moitié quelques-uns de ces monuments sub-
égyptien. Sur la poitrine de la figure, sistaient encore du temps de l’historien
et allant d’une épaule à l’autre, on lit grec en Thrace, où lui-même les vit,
une inscription gravée en lettres égyp- un en Syrie, Palestine, et deux en Ionie,
tiennes, et dont voici le sens ; C’est moi sur le chemin q^ui conduit d’Éphèse à
que ces puissantes épaules ont rendu Phocée, et sur celui de Sardes à Smyrne.
maître de ce pays (1). ” Le spithame Il décrit ces derniers en détail. Ce récit
ayant la longueur d’une demi-coudée, de l’historien grec devait naturellement,
la figure décrite dans ce passage aurait malgré toute la véracité que l’on recon-
une hauteur de six pieds et demi c’est : naît à Hérodote, et qui s’est encore aug-
précisément la. hauteur de la sculpture mentée de nos jours, recevoir plus d’au-
de Kara bell. 11 y a cependant une va- torité quand les monuments mentionnés
riante : l’arc est placé dans la main par lui, du moins ceux qui subsistent
droite du roi , et la lance dans la main encore, seraient retrouvés , et qu’on se-
gauche ; mais à l'inspection de cette rait en état de porter un jugement sur
figure (2), on verra combien cette erreur l’authenticité de leur origine égyptienne,
est facile à expliquer. L’inscription pla- en s’aidant des travaux mooernes sur
cée sur la poitrine ne se voit plus; elle l’archéologie de ce pays.
aura été effacée par l’action du temps. « On ne saurait douter qu’à des épo-

(i) Hérodote, livre 11, io6. (i) Journal archéologique de Gherard, en


(a) Voyez la planche • allemand.
263 L’UNIVERS.
ques les rois ésypliens
irès-re(^ulées quatre ou cinq kilomètres de large; elle
n’aient des conquêtes en îîyrie, a
lait est bien arrosée et bien cultivée en lé-
cause de la proximité et de l’importance gumes, que les jardiniers portent à
de cette contrée pour l’Égypte , à la- Smyrne. A l’extrémité de cette plaine
quelle elle sert de rempart contre l’Asie se trouve la petite ville de Cassaba, dont
antérieure. Il était beaucoup plus inté- le nom en turc signifie une forteresse,
ressant de savoir si , dans les contrées quoiqu’elle ne. soit rien moins que for-
septentrionales 'plus éloignées, des mo- tifiée. Elle est habitée par des agricul-
numents d’origine égyptienne répon- teurs, car en Turquie la sécurité des
draient aux descriptions d’Hérodote et villageois n’est pas assez assurée pour
attesteraient sa véracité. ,Iæ découverte qu’ils puissent habiter des fermes, ni
d’un tel monument était donc d’une surtout des maisons de campagne iso-
grande importance historique, et celui- lées. Nous avons remarqué a Cassaba
ci, placé a sept lieues de Smyrne, à des volailles d’une très-belle venue , et
une demi-lieue du chemin de Sardes, surtout des dindons magnifiques, qui ont
répond parfaitement, tant par sa forme motivé pour nous le nom anglais de cette
que par l’emplacement où il se trouve, volaille (I). Ce sont surtout les melons,
a un de ceux qii’Hérodote a décrits. les pastèques et les tomates de Cassaba
’VI. Lepsius en fit le sujet d’un mémoire qui ont à Smyrne la plus grande répu-
a l’Académie de Berlin , et reconnut tation; il s’en fait une consommation
y
que le monument appartenait à Rham- énorme. Les Grecs, comme les Turcs,
sès Sésostris. » ont un goût particulier pour les petits
Cependant M. Kiepert, comparant le concombres, qu’ils mangent crus avec les
costume de ce personnage avec ceux des pépins. Lorsque la moindre industrie
bas-reliefs de Ptérium près de Bogaz vient aider la rare fécondité de cette
keui, incline à penser que c’est un ou- terre, l’agriculteur est récompensé au
vrage assyrien et non pas égyptien nous : centuple de son travail : il est triste, de
ne combattrons pas cette opinion, nous penser qu’un sol aussi fertile reste en
insistons seulement sur ce fait que le grande partie en friche.
monument de Kara bell est bien cer- I.e village de Dehrent est éloigné de
tainement celui qui a été vu et décrit deux heures de marche de Cassaba ; il
par Hérodote. est situé sur une hauteur au pied de
La route actuelle de Nymphio à Sar- laquelle passe un torrent qui n'est pas
des ne passe plus par le délilé de K.ara guéable au moment de la fonte des
bell ; elle suit le cours de la rivière jus- neiges. On traverse ensuite un grand
qu’à sa rencontre avec la vallée de cimetière abandonné, dans lequel plu-
PHermus; tout le pays présente un sieurs fragments d’architecture sont
aspect de richesse et d'aisance dd aux employés en guise de monuments fu-
industrieuses cultures pratiquées dans le nèbres. On remarque sur la route des
pays; l’irrigation des jardins, la greffe parties encore bien empierrées , et des
des arbres fruitiers sont pratiquées ici débris de murailles indiquent qu’il y eut
aussi habillement qu’en Europe. là un centre de population. En appro-
La vallée va toujours en s’élargissant chant du territoire de Sardes , on com-
vers l’est; elle prend alors le nom de mence à reconnaître aux abords de la
Kavakli-déré- Toute la formation des route un certain nombre de tumulus
montagnes est de calcaire compacte, qui dans lé genre de ceux de Bin tépé ; ces
fournit d’excellentes pierres de cons- monuments appartiennent sans doute à
truction : cette formation appartient à la la même période historique que les pre-
partie supérieuredu terrain de transition. miers. Le village de Achmetdji, situéà dix
A la sortie delà vallée il y avait sur la ri- kilomètres de Sardes, est environné de
vière un pont de six arches, aujourd’hui jardins, et dans une situation pitto-
à moitié ruiné; il est d’ouvrage musul- resque; depuis ce lieu jusqu’à Sardes la
man , et fut sans doute construit lors- plaine est occupée par les youronk, ou
que Magnésie dn Sipyle était la résidence turcomans nomades, chez lesquels on
de la famille des sultans.
I.a plaine dans laquelle on arrive a (i) Turkey.
, .

ASlfi MINEURE. 2Ç3


trouve, en fait de provisions, du laitage, mais sa pospérité commerciale s'en ac-
de la farine et des moutons. La seule crut d’autant. Sous le règne de Tibère,
habitation dans les ruines de Sardes est elje fut du nombre des vij|es qui souf-
la maison du meunier du Pactole. frirent le plus des suites du grand trem-
blement de terre : elle participa comme
CHAPITRE XXIH. les autres à la libéralité de l’empereur.
Magnésie, étant située sur la route
VILLBS DE LYDIE SITUÉES AU NOBD directe de Symrne à Pergame, fut tou-
DE CAYSXBE. jours un lieu de transit important , et
les riches plaines de la Teuthranie ali-
Au moment de la migration æolienDe, mentaient ses marchés elle fut toujours,
;

d'autres tribus helléniques, qui connais' dans l’ordre politique, subordonnée à


Baient déjà les rivages d’Asie, vinrent Smyrne ; cependant elle est aujourd’hui
coloniser l’ancienne Mysie.. Au nombre le chef-lieu d’un sandjak. Sous l’empire
de ces tribus il faut compter les Ma- ’
byzantin elle était épiscopale, mais on
guètes, qui furent conduits à la guerre ne trouve aucun vestige des monuments
de Troie par Prothoüs (t). De retour des temps chrétiens. Magnésie fut ce-
dans leur patrie ils entreprirent une
,
pendant, au commencement du treizième
nouvelle expédition, passèrent en Crète, siècle, la capitale de l’empire byzantin.
et de là en Asie, où ils fondèrent la ville Pendant que les Latins étaient maîtres
de Magnésie, sur le Méandre. Une por- de Constantinople, Jean Ducas, succes-
tion de cette tribu remonta plus au nord, seur de Théodore Lasearis attaqua les
,

et s’établit dans les terres du moût luitins dans l’Asie, reprit sur eux les
Eipylus c’est de là qu’ils prirent le
: Iles de Lesbos et les ports de l’Æolide
nom de Magnetes a Sipylo (2). Les his- établit à Magnésie le siège de son gou-
toriens se taisent sur l’origine de la ville vernement, et le conserva pendant trente-
de Magnésie du Sipyle ; elle ne com- trois ans, jusqu’en 1255. Déjà les tribus
mença à devenir célèjtre qu’après la musulmanes poussaient leurs incursions
mort d’Alexandre aucun temple au-
; ,
jusqu’aux confins de l’Asie Mineure ;
cune grande communauté reli^euse ne l’empereur Audronic II avait peine à
la signalait à l’attention des géogra- leur résister ; il réclama le secours de
phes. La victoire remportée par Lucius Frédérie,roi de Sicile, qui lui envoya des
Scipion contre Antiocbus, roi de Syrie, troupes catalanes sous les ordres de
força ce prince à abandonner toutes Roger de Flor, amiral de Sicile.
ses possessions en deçà du Taurus et ,
Les musulmans furent repousses ;
mit l’Asie Mineure sous la dépendance la discorde ne tarda pas à naître entre
des Romains ; mais ils ne s’emparèrent les Grecs et leurs auxiliaires. Les habi-
déGnitiveraent du pays qu’après la des- tants de Magnésie, irrités des violences
truction du royaume de Pergame. et des désordres que commettaient les
La bataille se donna entre Magnésie Catalans, se soulevèrent et égorgèrent la
et le fleuve Hyllus, sur la route de cette garnison. Ce fut en vain que Roger vint
ville à Thyatire. Antiocbus avait ras- en 1306 mettre le siège devant Magné-
semblé ses forcesdans cette dernière sie ; la résistance de la place fut telle
ville, et venait camper autour de Ma- qu’il se vit contraint de se retirer.
gnésie ; Scipion, en apprenant ce mouve- Dès l’année 1313, Saroukhan le Seld-
ment, Gt passer la rivière à son armée, joukide, qui donna son nom à la pro-
et obligea les ennemis de sortir de leurs vince, devint maître de Magnésie et de
retranchements et d’engager le combat. toute la côte d’Ionie : ce fut seulement
La position de Magnésie est telle en 1398 que la contrée devint posses-
qu’elle ne peut être en état de supporter sion ottomane. Le sultan Bayazid
un long siège ; elle se rendit aux Romains acheva de soumettre les villes de Lydie;
après la bataille, et depuis lors elle a eu mais après la batailléd’ Angora, en 1402,
une destinée politique assez obscure; Timour envahit la province. Les villes
de Smyrne, de Saraes, de Thyatire fu-
(t) Hum., //., II, 756 .
rent mises au pillage, et Timour ras-
• (a) Tacite, Annal., II, 47. sembla à Magné.sie toutes les richesses
,

964 LTJNIVERS.
qu'il avait accumulées. Après la retraite Le sultan Mourad III, en 1591 , fit
de Tiniour, Magnésie resta sous le élever à Magnésie un grand nombre d’é-
pouvoir ottoman ; mais de nouveaux difices d’utilité publique, un imaret, ou
soulèvements, les uns religieux, les au- hospice des pauvres, un Dehli hané, ou
tres politiques, mirent souvent en échec maison pour les fous, un bain, un cara-

la domination des sultans- vansérai, qui existe encore aujourd’hui


La plus dangereuse de toutes ces sédi- et un médrécé, école religieuse ; il com-
tions fut suscitée en 14I!) pf>r un fana- pléta ces embellissements par l’érection
tique nommé Brededdin, qui attaquait de deux grandes mosquées impériales
non-seulement la puissance civile, mais avec deux minarets.
encore l’essence même de l’islamisme ; Ces édifices existent encore. La grande
il appelait à lui les musulmans aussi bien mosquée est précédée d’une cour carrée,
que les Grecs et les juifs mécontents, et ou harem, et couverte par une grande
en peu de temps il réunit une véritable coupole ; l’intérieur est entretenu avec
armée, dans laquelle les derviches figu- beaucoup de soin, et de riches peintures
raient comme prédicateurs et comme d’arabesques décorent les murailles. Du
combattants; une armée ottomane en- haut du dôme pendent des lampes et
voyée contre eux fut anéantie dans une des ex-voto, consistant pour la plupart
rencontre, et cette victoire réunit autour en œufs d’autruche, rapportés par des
du sectaire de nouveaux adhérents. Les pèlerins de la Mecque.
émirs d’Aïdin ne furent pas plus heu- Les jardins de Mourad II rivali-
reux. Enfin Mahomet 1'" envoya contre saient avec ceux de Broussa; dans l’un
les rebelles son fils Mourad, à peine et l’autre palais , les sépultures de la
âgé de douze ans ; ce fut la première famille sont situées dans le voisinage
victoire du futur sultan. Pendant qu’on des jardins; plusieurs turbés, ou cha-
attaquait dans ses retranchements le pelles funéraires, abritent les cendres des
corps d’armée de Brededdin, un de ses femmes et des enfants de Mourad elles
:

principaux sectaires , juif converti à sa étaient renfermées dans une enceinte


doctrine et nommé Torlak, attaquait le plantée de cyprès. Aujourd’hui tous ces
pacha de Magnésie, et succombait avec monuments tombent en ruine ; l’an-
trois mille derviches sur le même champ cienne mosquée, ouvrage d’Ischak tché-
de bataille où Autiochus avait été lébi, prince d’Aïdin, existe encore, mais
vaincu par Scipion. Toutes les forces dis- u’offre rien de remarquable.
ponibles en Anatolie marchèrent contre Les autres mosquées, presque toutes
Brededdin , qui après des prodiges de. entourées de plantations, sont au nom-
courage, fut pris et emmené à Et’l'fse, bre de vingt on compte aussi quelques
:

où il périt dans les tortures. Mais sa mesjid, ou chapelles sans minaret.


secte subsista encore longtemps en Asie Le mont Sipylus, qui va s’amortir
Mineure , et son nom n’est pas oublié dans le golfe de Smyrne,se rattache du
dans les récits des montagnards. côté de l’est au montTmolus par un col
La doctrine de Brededdin consistait à travers lequel rilermus s’ouvre un
en trois mots, pauvreté, égalité, usage passage ; toute la partie de la montagne
commun de tous les bieps. voisine de Smyrne est volcanique et a
Le sultau Mourad II après son abdi- sans doute été le centre de violents
cation se retira à Magnésie, et laissa le tremblements de terre qui ont ébranlé
trône à son fils Mahomet II; il fit cons- la contrée, et dont Magnésie et les au-
truire un palais, qu’il n’habita pas long- tres villes du voisinage ont eu tant à
temps , rappelé à la tête de ses armées, souffrir. La montagne qui domine
que le futur conquérant de Constanti- Magnésie du côté du sud appartient au
nople, Mahomet II, était encore trop système calcaire crétacé le plus haut
;

jeune pour commander. I-es sultans sommet est au sud-est de la ville; au


continuèrent de résider à Magnésie, nord et à l’ouest s’étend une grande
même lorsque Broussa fut devenue plaine marécageuse, où se ramassent les
la capitale de leur empire Soliman II
: nombreux cours d’eau qui descendent
y demeura jusqu’à la mort de son du revers delà moiüagne ; c’est dans cette
père. plaine que Chanaler et après lui Ha-
,

ASIE MINEURE. S65

milton (I) supposent que la ville de nom de Buyuk suret, la grande statue.
Tantalis était située.; nous avons montré La même montagne renferme un cer-
combien cette supposition est inadmis- tain nombre de chambres taillées dans
sible (3), puisque près de Tantalis était le roc, qui paraissent avoir servi de tom-
le port et le tombeau de Tantale. beaux.
La chaîne calcairese rattache à la for- Magnésie vue de la plaine offre tout
mation volcanique. A peu près au passage à fait l'aspect d’une grande ville; les
de la route entre Magnésie et Smyrne, nombreuses caravanes qui parcourent
une source assezabondante coule au pied les environs, le grand mouvement com-
de la montagne ; c'est dans le voisinage mercial qui se fait entre Smyrne et cette
de cette source, à vingt mètres environ au- ville donnent une grande animation au
dessus du chemin , que se trouve une paysage, et la montagne du Sipylus, qui
statue tailléedansleroc, et qui paraît re- s’élève verticalement au-dessus de la
monterà une très-haute antiquité. Tous ville, forme un fond de tableau d'une
les antiquaires sont d'accord pour y voir rare beauté aussi le panorama de Ma-
:

la statue deCybèle mentionnée par Pau- gnésie a-t-il été souvent mis en paral-
sanias,et qui passe pour être rouvrage lèle avec les plus beaux sites de l’Asie
de Brotée fils de Tantale (3). « Les Ma- Mineure. Sur un mamelon peu élevé se
gnésiens qui sont au nord du mont Si- trouve l’ancienne forteresse, qui aujour-
pyle ont chez eux sur la roche Codine d’hui tombe en] ruine. L’intérieur de la
une statue de la mère des dieux qui ville ne répond' pas à l’idée qu’on peut
est la plus ancienne de toutes. » s’en faire avant d’y entrer ; les bazars
Cette flgureest sculptée dans une sorte sont mal tenus; on a cependant cons-
de niche ; elle représente une femme truit il y a quelques années un vaste
assise et dans l’attitude de la méditation; caravau^raï qui répond à toutes les
mais les détails sont tellement corrodés exigences du commerce. La population
par le temps qu'on ne peut aujourd’hui s’élève à vingt-cinq mille âmes environ :

saisir que l’ensemble de l’œuvre ; les les Grecs comptent pour quatre mille et
eaux qui suintent du haut du rocher les Arméniens pour quelques centaines.
sur la tête de la figure, et qui donnent Les cimetières, comme dans la plupart
naissance à une foule de plantes, con- des villes musulmanes, sont des lieux
tribuent encore à en déformer l’en- de promenade l’ombre des cyprès at-
:

semble. Cette figure est de taille colos- tire le soir de nombreux visiteurs.
sale , et au premier coup d’œil on peut
l'estimer à six ou sept mètres de haut. CHAPITRE XXIV.
Pausanias et Strabon (4), qui placent
dans ces lieux la^fablede Niobe, croyaient PLAINE HYBCANIENNE.
peut-être voir dans cet antique ouvrage
la transformation de la fille de Tantale. Le champ de bataille entre Antiochus
11 semble que ces vers d’Ovide ont été et Scipion se trouve entre les deux villes
inspirés par la vue de cette statue : de Magnésie et de Thyatire. Tite-Live (1)
en marque la place en disant « Le con- :

Fict tamen, et validi circumdata turbine vciiti


sul , apprenant que le roi était à Thya-
In patriam rapta eat. Ibi Cxa cacumine monlis tire , marcha à grandes journées , et
lacrymas etiamiium raarmora ma-
l.iquilur, et le cinquième jour arriva dans la plaine
[nanl. hyrcanienne. » Strabon donne en ces
(Ovid., Métam., VI, 3«o.) termes la division du grand plateau
intérieur de la Lydie (2) : « A la plaine du
La position de cette figure ne peut être Caystre, située entre leTmolus et le Mes-
indiquée avec précision , mais les ha- sogis, succèdent immédiatement à l’o-
bitants du pays la désignent sous le rient la plaine Cilbienne, Cilbiana Jugn
de Pline, pays étendu, fertile et ien l

peuplé, puis la plaine hyrcanienne, ainsi


(i) Hamillon, Researches^ t. 1'^, p. 5o.
(a) Ko;-, page aag.
(3) Pausanias, liv. III, ch. aa. (i)Tit.-Liv,, XXXVII, 3S.
Strabon, XIII, S 79 , (a) Slral)on, XIII, 6ag.
( 4)
,

26G [,’UJNIVBRS.

nommée parles Perses, qui y envoyèrent CHAPITRE XXV.


une colonie (l'Hyrcanieus,'et la plaine
de Cyrns, ainsi nommée par les mêmes. BOUTE DE SARDES A PRRGAME PAR
Étienne de Byzance , d’après Erathos- THYATIRE ET NACBASA.
tène , place aussi la plaine hyrcanienne
dan.s la Lydie. La juridiction de Smyrne L’ancienne voie romaine qui con-
réunissait, outre la plus grande partie de duisait de Sardes à Pergame laissait à
l'/Eolide ,
les Macraoniens Hyrcaniens droite Thyatire et à gauche (ouest)
et les Magnètes du Sipyle. Les Ma- Apollonis cette dernière ville était à
;

cédoniens Hyrcaniens, ou Mostènes, moitié route entre les deux capitales,


furent compris dans les libéralités de c’est-à-dire à trois çents staues (56
Tibère, qui leur fit remise de cinq an- kilom.) de l’une et de l’autre.
nées d’impôts à la suite du tremblement Il faudrait donc en chercher l’em-

de terre; des envoyés du sénat vinrent placement à l’ouest de Thyatire et dans


en Asie pour consoler et ranimer les la vallée de l’Hyllus. Attale roi de Per-
populations (1). Il résulte de tous ces game avait donné à cette ville le nom
documents que la plaine hyrcanienne de sa femme, Apollonis deCyzique;
est celle qui est comprise entre Magnésie Pline se contente de la nommer avec
etTliyatire etqui estarrosée parle fleuve d’autres villes de peu d’importance (1):
Lycus. C’est la rivière de Thyatire qui se on voit cependant que sous l’empire
jette dans l’Hyllus; ce fleuve est un des byzantin elle était épiscopale.
principaux tributaires de l’Hermus (2); I-a grande vallée de l’Hermus est
il prend sa source dans la Phrygie épic- bordée au nord par une rangée de mon-
tète, non loin de celle du Rhyndacus tagnes basses, qui séparent son bassin
et se joint à l’Hermus , dans le voi- de celui de l’Hyllus ; on fait halte à Mar-
sinage de Magnésie. L’Hyllus est con- mora, villemoderne, de trois ou quatre
fondu par quelques géographes avec le mille habitants, où se trouve un cara-
fleuve Phrygius, qui séparait la Lydie vanseraï. On trouve çà et là aux en-
de la Phrygie. L’hydrographie de cette virons assez de fragments antiques
contrée a généralement été assez mal pour qu’on soit assuré qu’elle occupe
connue par les anciens. remplacement d’une ville romaine ; son
Le nom de l\tosteni, donné par Tacite nom seul de Marmora ne paraît motivé
aux Macédoniens Hvreaniens, s’appli- que par l’abondance des marbres an-
que aux habitaiitsde la ville de Mostène, tiques : aucune inscription n’a encore
située sur leur territoire et dont l’em-
, fait connaître le nom de la ville dont
placement est aujourd’hui inconnu son ; Marmora occupe l’emplacement.
nom est inscrit sous celui de Masteiia ou
Justinianopolis dans les actes du sixième THYATIRE.
concile de Constantinople; elle a été
épiscopale, et son évêque Julianus sous- Thyatire est située à l’extrémité nord
crivit au concile de 448 peut-être peut- de la Lydie, et si voisine des frontières
on l’identifier avec la ville Hyrcania ou de la Mvsie qu’à une certaine époque
Diahyrcania, qui est citée par Eusèhe elle a été comprise dans cette dernière
dans sa chronique. Il n’est fait aucune province (2). Étienne de Byzance at-
mention de cette ville dans Strabon ni tribue sa fondation à Séleucùs Nicanor,
dans Pline; mais elle est connue par qui pendant la guerre contre Lysimaque
ses médailles.
y installa une coloniedeMacédbnien$(3).
Pline nous apprend qu’elle s’appela
(i)Tacit., Annal., U, 4-. d’abord Pelopia, c’est-à-dire ville de
(a) Hcrodole, 1, 80. Péiops. On doit voir dans ce nom un
souvenir du temps où les fils de Tan-
tale. régnaient sur cette région; cela

(i) Pline, V, ag.


(a) Sirabon, XIII, 6a5.
(3) Et. Byz. Foy. Tliyatira.
ASIE MUNEURË. 5«7

donnerait lieu de croire que Séleucus lièrent la conversion des Gentils et des
augmenta la ville de ïhyatire et lui Juifs, qui s’unirent pour pratiquer la
donna son nom , mais n’en fut pas réel- foi nouvelle. Sept villes principales de
lement le fondateur. On l’appelait aussi la Lydie méritèrent dès le premier
Kuhippa, c’est-à-direqui fournit de bons siècle le titre d’églises chrétiennes ;
ce
chevaux la:Mysie aux temps ho- sont Pergame, Éphèse, Sardes, Thyatire,
mériques était en effet célèbre par ses Philadelphie , Iliéropolis et Laodicée.
haras; ses prairies nourrissaient les Le livre de l’Apocalypse s’adresse à
innombrables cavales de Diomède. l'ange, c’est-à-dire à l’évêque de chacune
Selon Pline (1), le fleuve Lycus ar- de ces villes, et leur envoie les éloges
rosait les murs de Thyatire ; lès autres ou les malédictions que mérite tour à
géographes se taisent sur le nom de tour la conduite des nouveaux chrétiens.
cette rivière, qui parait n’étre autre Thyatire demeura fidèle au christia-
chose qu’un affluent de l’Hyllus. nisme ; mais depuis la chute de l’empire
Après la mort d’Alexandre, les Ma- de Byzance le nombre des chrétiens a
cédoniens vinrent en grand nombre toujours été en diminuant, et les écoles
coloniser ces régions , et chaque groupe grecques ont disparu l’une après l’autre.
.se distingua par le surnom du canton On doit penser que Thyatire fut con-
qu’ils occupaient. On compta donc les sidérée comme une place forte d’une
Macédoniens Hyrcaniens, les Macédo- certaine importance, du moment qu’An-
niens Nacraséens, les Macédoniens Ca- tiochus en Ut sa ligne d’opération contre
duènes (2) et ceux de Thyatire. Cette l’armée romaine; mais lorsque cette
ville après la défaite d’Antiochus fut ville fut réunie au royaume de Pergame,
réunie au royaume de Pergame. Pen- elle fut complètement effacée par cette
dant la périodie romaine sa destinée fut capitale, qui en effet présentait des
assez obscure; elle renfermait cependant moyens de défense infiniment plus puis-
dans son sein un corps de gouvernement sants.
complet, et les inscriptions font men- Dans le treizième siècle , l’empereur
tion du « très-puissant sénat et du Andronic, chassé de Pergame par
peuple de Thyatire ». L’empereur An- l’invasion musulmane, s’ébiit rétiré à
tonin Caracalla fit faire àes travaux Thyatire, et de cette place menaçait
y
importants, qui lui valurent le titre de Pergame, qu’il ne put jamais reprendre.
bienfaiteur et de restaurateur de la ville. Depuis que l’Asie Mineure est au pou-
Pendant son dixième consulat l’em- voir des Ottomans, Thyatire, comme
pereur Vespasien fit ouvrir aux environs point stratégique, a perdu toute son im-
plusieurs voies publiques. Il ne reste portance. La forteresse qui s’élève sur
plus aujourd’hui que des débris infor- une colline près de la ville, et que les
mes des monuments dont cette ville Turcs appellent le château blanc, Ak
était ornée, et parmi les inscriptions hissar, est aujourd’hui abandonnée et
qui ont été copiées par les anciens tombe eu ruine faute d’entretien. On a
vovagenrs Spon, Ricaut, il en est un été longtemps incertain sur la position
bien petit nombre qui n’aient pas été de l’ancienne Thyatire. Ricaut, consul
détruites. On voit encore dans le bazar d’Angleterre, et peu de temps après loi
quelques fûts de colonnes de marbre, le voyageur Spon sont les premiers qui
mais on ne saurait dire à quel édifice aient identifié cette ancienne ville avec
elles ont appartenu. la ville moderne de Ak hissar plusieurs
:

La grande célébrité de Thyatire vient inscriptions portant le nom de Thyatire


de la place importante que cette ville ont été lues et copiées par eux. La ville
a prise au moment de l’établissement moderne est située au milieu d’une plaine
du christianisme en Asie. Les prédica- bien cultivée; les niaisons sontbâties en
tions de saint Paul à Éphèse , ses terre et sont de chétive apparence ; les
pérégrinations en Lydie et en Troade mosquées, au nombie de six , n’offrent
portèrent des fruits précoces, et ame- rien de remarquable; mais la ville est ar-
rosée par de nomlireuses fontaines , et
(i) Pline, liv. ’V, ïg. les monuments publics sont entourés de

(
3) Id., ibid., 3o. plantations , qui donnent à la ville un
,

368 L’UNIVERS.
aspect des plus pittoresques. Le com- hautes montagnes ; on y remarque un
merce de cette ville consiste principale- assez grand nombre de fragments an-
ment en coton, qui est cultivé dans les tiques, parmi lesquels sontquelques ins-
plaines d’alentour, et en laine, tirée des criptions. Chishull a déterminé l'iden-
nombreux troupeaux que nourrissent les tité de Bakir et de Nacrasa, conOrmée
Turcomans de la montagne ; la popu- par une inscription commentant par ces
lation est estimée de huit à dix mille mots « Le sénat et le peuple des Ma-
:

habitants, dont les deux tiers sont mu- cédoniens Nacraséens. .


sulmans, le reste grecs et arméniens ; De Bakir à Souma la route passe par
ces derniers, comme dans la plupart un pays montagneux et bien boisé jus-
des villes turques, sont en possession qu’au village de Souma, dont la situation
du commerce avec l’intérieur, et font s'accorde bien avec celle de l’ancienne
le trafic des tissus de la Perse. Les Germa, de l'itinéraire d’Antonin : cette
Grecs commercent de préférence avec de Thyatire et à
villeétait à trente milles
Smyrne. I.æs environs de la ville sont vingt-cinq milles de Pergame.
couverts de jardins remplis d’arbres A quelque distance du village on re-
fruitiers il est rare qu’on n’y rencontre
; marque les ruines d’une forteresse
pasquelque fragment de marbre antique byzantine qui couronne un rocher
on quelque sarcophage servant d’auge à élevé;
ses murailles, descendant sur le
un puits ou à une fontaine. penchant du ravin, appartiennent à l'en-
ceinte de l’ancienne ville. Le pays en-
CHAPITRE XXVI vironnant est très-accidenté, et la roule
de Pergame est tracée le long d’un ra-
BOUTE nK THYATIRE A PERRAME vin ombragé par de hauts platanes et
PAR NACRASA. par de vieux noyers. La distance entre
Souma et Pergame peut être facilement
D’après les indications de Strabon parcourue en nuit heures de marche, ce
la ville d’Apolloiiis était située à l’ouest qui équivaut à moins de vingt-cinq
de Thyatire et dans la vallée d’Hyllus. milles romains.
Le village de Bullana, qui est situé à Sur le revers oriental de la montagne,
muf kilomètres environ du cours de qui appartient à la chaîne du Temnus,
l’Hyllus, occupe une position qui s’ac- s’étend une immense plaine couverte de
corde bien avec celle d’Apollonis ; le cultures. La ville moderne de Kirk
cimetière renferme quelques fragments agatch, les quarante arbres, est placée au
antiques, et sur une stèle M. Arundell pied de la. montagne; c’est une des
a lu le nom AlIOAAON... Il y aurait lieu villes les plus commerçantes de la pro-
d’étudier plus en détail cette localité : on vince. Les plaines produisent la plus
pourrait facilement compléter ces in- grande partie des cotons qui sont exportés
dications. Cette ville appartenait au par les échelles de Smyrne. Malgré sa
conventus juridicus de Pergame. position avatageuse et la fertilité de
Au nord de Thyatire, les tables géo- son territoire, Kirk agatch étaitautrefois
graphiques placent la ville de Nacrasa (1), une des villes de l'intérieur où les
nommée Acrasi dans la notice de Léon, épidémies de peste se manifestaient le
Ocrasus chez Hiéroclès. ilus fréquemment; les habitants ne s’en
En quittant Thyatire , Arundell flt fivraient pas moins à leurs occupations
route vers le nord , traversant un pays commerciales, et leurs rapports avec la
deplaines biencultivé; après deux heures ville de Smyrne ne cessaient pas d’étre
de marche, il entra dans un pays mon- journaliers sans que la contagion se
tagneux , et sur le versant nord de la propageât dans cette dernière ville. Les
montagne, il lit halte au village de Bakir, plaines de Kirk agatch produisent outre
irès duquel le Calque prend sa source ; le coton une grande quantité de céréales,
fadistance entre ce village et Thyatire du sésame et des fruits qui sont exportés
est estimée trois heures de marche, ou après avoir été séchés. Le miel est aussi
dix-huit kilomètres. Bakir est entouré de l’objet d’un grand commerce. Mais si
l’antiquaire ne trouve rien à glaner
(i) Ptolémér, Itin, dans cette ville, elle n’eu mérite pas
ASIE MINEURE. 369

moins l’attention de l’observateur qui sur un tel terrain (f). » Dans un autre
veut se rendre compte des ressources passage Strabon a déjà fait la même
agricoles du pays. La majeure partie de observation : « Dans Philadelphie, les
la population, que l'on estime à vingt murailles mêmes des maisons ne
mille âmes, est composée de Turcs les: sont pas sûres , car elles se crevassent
Grecs ne comptent que pour deux mille, presque tous les jours par l’elïet des
et les Arméniens sont en nombre in- secousses, en sorte que les habitants
signifiant. Les mosquées et les écoles sont attentifs à remédier par un maçon-
sont nombreuses, mais tous ces édifices nage continuel aux accidents causés par
sont d’une coustruction très-simple. la nature du sol (2). > Il est juste de dire
que Strabon écrivait sous le règne de
CHAPITRE XXVII. Tibère, et c’est précisément a cette
époque que l’Asie Mineure fut ravagée
PHILADELPHIE. par de terribles tremblements de terre,
qui se sont renouvelés, il est vrai, mais
Philadelphie est située à l’extrémité à de rares intervalles. Philadelphie fut
orientale de la Lydie, à vingt-huit mil- fondée versl’an 130 avantnotre ère ; elle
les de Sardes, non loin des versants du avait donc à peine 160 ans d’existence
Tmolus, dont elle est séparée par 'une quand Strabon écrivait; il y a 1830 ans
plaine vqui va eu s’élevant jusqu’au de cela, et Philadelphie existe encore.
pied de la moutague. Elle fut fondée par Le système de construction des
Attale Philadelphe, roi de Pergame, qui murailles et des monuments qui sont
,

lui donna son nom. composés d’un béton solide, revêtu d’un
La fondation de Philadelphie a été parement en petits moellons de gneiss,
motivée par sa position strat^ique elle
: a peut-être été choisi dans le but de
commande en effet l’^imbrancheinent des parer aux secousses du sol ; mais la
routes qui de l’orient conduisent d’une constitution géologique du pays laissait
part dans la vallée du Méandre et d’autre peu de choix dans la nature des ma>
partdans celle de l'ilermus, et les sièges tériaux; on ne trouve dans le mont
nombreux que Philadelphie eut à sou- Tmolus aucune de ces belles carrières
tenir prouvent que la position était bien dont on peut tirer des colonnes et d’au-
choisie. Un autre motif de créer en ce tres grandes pierres de constructiuii. Il
lieu un vaste centre de population était s’en suit que les ruines des anciens mo-
dû à l’extrême fertilité du pays , qui numents qui existent encore ne présen-
aujourd’hui même ne dément pas son tent que de grandes masses, aujour-
ancienne réputation. d'hui à peu près informes, et qui n’of-
Mais à part ces avantages de position, frent qu’un intérêt médiocre au point
Philadelpliie occupait un sol plus sujet de vue architectural.
qu’aucun autre à l’effet des tremble- La ville est bâtie sur plusieurs col-
ments de terre. Aussi Strabon et tous lines, et l’enceinte des murailles a la
les auteurs qui ont parlé de cette ville forme d’un grand rectangle preMue
paraissent s’étonner que les habitants régulier. L’ensemble des murailles
persistent à y demeurer. subsiste encore presque eu entier; il y a
• Philadelphie, dit Strabon, est on ne cependant du côté du nord une large
peut pas plus sujette aux tremblements breche qui forme l’entrée de la ville les
:

de terre, et les murailles des mai- anciennes portes sont dans un état de
sons s’entr’ouvrent à chaque instant; ruine complet. La muraille était défen-
c’est^ tantôt un quartier de la ville, due par des tours rondes , espacées de
tantôt un autre qui éprouve quelque vingt à trente mètres.
accident; aussi ne comprend-elle qmun A la seule inspection des ruines qui
petit nombre d’habitants il y a même
: subsistent encore, on peut conclure que
lieu de s’étonner que ce peu d’ha- jamais Philadelphie ne s’est distinguée
bitants aiment à rester dans une ville par la richesse et la beauté de ses mo-
où les maisons ne sont pas sûres,
et il est encore plus étonnant que les (i) Strabou, Xlll, 6i8.
fondateurs de Philadelphie l’aient bâtie (a) Id., XU, 579. '

-.1
270 L’UNIVERS.
Duments. Il y a lieu de croire que ses clergé est nombreux , et les cérémo-
murs de moellons bruts étaient re- nies religieuses s’y font avec un certain
vêtus de stuc et d’euduits qui ont dis- apparat.
paru; mais dans leur forme actuelle ou Les monuments musulmans sont
pourrait difficilement reconnaître leur aussi modestes que les monuments chré-
destination primitive il n’est pas éton-
: tiens ; on compte une vingtaine de mos-
nant que chaque voyageur ait pu les quées, dont les minarets blancs s’élèvent
attribuer selon sa fantaisie à d’ancien- au-dessus de la verdure qui les entoure,
nes églises ou à des temples romains. A etdonnent de loin à Philadelphie l’aspect
l’orient s’élève une colline, séparée de la d’une ville orientale par excellence.
ville par un ravin et couronnée par un La ville moderne est bâtie partie en
système de murailles appartenant à bois, partie en terre; les maisons sont
l’ancienne acropole. En examinant le couvertes en tuiles, et malgré leur pau-
système de fortifications , ou doit re- vre apparence elles renferment une iio-
connaître qu’il est bien inférieur à celui pulation active et riche. I.’extrême fer-
de plusieurs autres places de la même tilité du pays, les troupeaux nombreux,
importance, car en réalité Philadelphie et l’industrie des tisserands y répandent
était la clef de la Lydie. une grande aisance. La population , qui
Elle avait, il est vrai, un double mur était estimée il y a un siècle de sept a
en avant du front de la place
,
mais il huit mille habitants, ne paraît pas avoir
n’était pas, comme à Nicée, défendu par varié. La ville ne s’est pas étendue , et
des tours alternant avec celles de la dans l’intérieur des murs tous les quar-
muraille ; on voit encore en avant de la tiers sont suffisamment peuplés. Si les
ville des traces de murailles au niveau habitants de Philadelphie paraissent être
du soi, qui ont peut-être fait partie du très-négligents pour l’embellissement
système de défense. et l’entretien de leur ville, ils ont en
Philadelphie fut au nombre des villes revanche un luxe intérieur qui surprend
romaines d’Asie qui acceptèrent avec l’étranger admis dans l’intimité des fa-
empressement la foi chrétienne, et si milles. Le vêtement des femmes grec-
l’on en juge par les actes des martyrs, ues est des plus riches et des plus
les chrétiens de ces régions purent pra- légants il diffère de celui des femmes
;

tiquer leur culte avec assez de liberté. de Smyrne, en ce qu’il a un cachet plus
Elle mérita d’être mise au rang des oriental ; celui des femmes musulmanes
sept églises de l’Asie, et saiut Jean vint ne le cède pas, dit-on, en richesse à celui
lui-même pour
y révéler la parole de des chrétiennes.
Dieu. La conduite méritoire des chré- Les Grecs ont conservé à ceMe ville
tiens de Philadelphie est citée comme le nom de Philadelphie les Turcs Pap-
,

un exemple aux autres communautés pellent Ala-cheher, la ville blanche. La


chrétiennes. ressemblance du mot Ala, blanc , avec
D’après la rareté des marbres dans celui de Allah, dieu , a motivé une mé-
les ruines de cette ville , on peut penser prise dans laquelle sont tombés l’un
que les inscriptions y sont en petit après l’autre tous ceux qui ont écrit sur
nombre on en cite cependant quelques-
; Philadelphie ils ont cru que Ala-cheher
:

unes, qui nous apprennent que les jeux de Dieu, et ont conclu
signifiait la ville
communs de l’Asie se célébraient à que ce nom lui était donné en souve-
Philadelphie. nir de l’établissement du christianisme.
Les monuments de l’époque byzan- Les orientalistes, et notamment M. de
tine sont aussi pauvres que ceux de l’an- Hammer, n’ont pas commis cette er-
tiquité; lesGrecs comptent à Philadel- reur.
phie plus de vingt églises, mais il n'y Pococke commet une erreur sembla-
en a pas plus de cinq dans lesquelles le ble au sujet des truites de l’Olympe
culte soit pratiqué : ce sont les églises (en turc Ala-balouk, poisson blanc) :

de la Panagia , de Saint-Dimitri , de il croit que les Turcs leur donnent le


Saint-Théodore et de Saint-Michel. Les nom de poisson de dieu.
chrétiens sont au nombre de trois mille; L’histoire de Philadelphie depuis le
ils sont administrés pgr un évêque ; le onzième siècle est vraiment lamentable ;
ASIE MINEURE.
(lès la première apparition des hordes ce rebelle elle éentra dans les posses-
musulmanes en Asie Mineure, cette sions des suluiiis.
ville fut le point de mire de leurs plus La position de Philadelphie , au col
furieuses attaques. Prise d’abord par les de partage des eaux de l’Hernius et du
Seidjoukides, elle tomba quelque temps Méandre, correspond assez bien avec
après au pouvoir des Latins; reprise celle de la ville lydienne Callatébus, par
par le sultan Ala-Eddin, en 1300. elle laquelle se dirigeait l’armée de Xerxcs
tut comprise dans le partage de l'émir lorsqu’il marchait sur Sardes; aussi
Karaman. Le duc Roger de Flor réunit quelques géographes (1) ont-ils été
Philadelphie et Sardes à la principauté tentés d'identifier les deux villes, la rai-
dePergame, que gouvernait Jean Vata- son d’ôtre de l’une et de l’autre ayant
tzès. En 1806 elle fut assiégée par Alisu- été commandée par le même motif, la
ras, qui s’empara des ouvrages avancés, défense des deux vallées.
mais fut obligé de battre en retraite On fabriquait à Callatébus (2) une
devant l’armée byzantine; enfin en 1391 sorte de miel tiré du Myrica et du fro-
elle tomba sous le pouvoir ottoman, ment. Les commentateurs ont été em-
dans des circonstances qui méritent barrassés pour bien définir cette com-
d’étre rapportées. position; ils ignoraient qu’elle se con-
La dissension s’était mise dans la fectionne encore en Orient, et sous
maison impériale de Byzance; Andronic le nom de halva fait les délices des en-
avait fait renfermer dans une prison fants tqrcs, comme le pain d’épice celui
d’État l’empereur Jean et sou fils Ma- de nos enfants. Du temps d’Hérodote
nuel, qui étant parvenus à s’échapper, la base de cette composition était tirée
s’étaient retirés près du* sultan des du tamarisc manniferu ,
arbuste qui
Turcs Bayazid Ildirim. Sur ces entre- croit encore en Orient, et dont les con-
faites le sultan résolut de s’emparer de fiseurs persans retirent une sorte de
Ala-cheher, la seule ville byzantine qui gomme blanche sucrée et agréable au
restât en Asie; elle se trouvait resserrée goût ; on y joignait du miel et de la
entre les États de l’émir Aïdin et ceux farine.
des sultans de Broussa : il réclama le Aujourd’hui les halvadjl, fabricants
sec(»urs des troupes de Byzance. de halva, joignent de la farine de
y
Les Grecs méprisaient cette attaque, sésame et (Ju sucre; tout ce mélange,
attendu qu’une tradition disait que ja- battu dans un mortier, compose une
mais la ville chrétienne de Philadelphie iâte jaunâtre qui s’exporte jusque dans
ne tomberait aux mains des Turcs. Le fes lies de la Grèce. Le halva de Phi-
commandant de la citadelle répondit ladelphie et celui de Aïvali sont renom-
avec fierté aux sommations qui lui més en Orient. —
Le beau platane dont
furent faites de rendre la place ; alors la Vue attira l’attention de Xerxès e.st
l’assaut fut ordonné, et pour comble de encore une preuve que la ville de Cal-
honte les troupes grecques comman- latébus était dans ces régions : aucune
dées par Manuel furent les premières autre contrée de l’Asie Mineure ne pro-
à monter à l’assaut. On raconte que duit aujourd’hui de si beaux platanes.
Bayazid, furieux de la résistance des Le petit fleuve Cogamus, qui arrose
Philadelphiens, fit faireun trophée avec le territoire de Philadelphie, coule au
les cadavres des prisonniers. La place, nord-est de la ville; il est souvent à sec
grâce à son énerpque résistance, obtint nne partie de l’année : il va se jeter dans
une capitulation honorable, et les chré- l’Hermus, à quelques milles a l’est de
tiens attribuaient à cet événement les Sardes. Son nom moderne est Couzou
privilèges dont ils ont continué à jouir tchaï la rivière de l’agneau.
sous les sultans.
Après la chute de Bayazid, Timonr (i) Maiiiiert, I. YIII, 366; Hamraer, UUt.
s’empara de Philadelphie, mais la ville Oit., TI.
liï.
écliappa à une destruction complète. (a) Hérod., liv. VII, 3i.
Elle fit ensuite partie des domaines
de l'émir Djounéid, qui posséda toute
la Lydie ; enfin, après la destruction de

'*
eo D. Ogle
xn L’UNIVERS.
CHAPITRE XXVlll. ments le quartz hyalin, dont les cris-
:

taux forment deux pyramides renver-


LÀ. CATACÉCAUMÈNE. sées, et l’amphibole, qui est tantôt amor-
phe, tantôt sous la forme d’aiguilles
Lorsqu’on a franchi le fleuve Coga- très-ténues. Ces trachytes s’approchent
mus, en se dirigeant vers le nord on , davantage de la classe des porphyres,
entre dans une contrée dont l’aspect dénomination sous laquelle ces ruches
diffère totalement de celle qu'on vient ont été connues jusqu’à ce que la géo-
de parcourir ; ce ne sont plus des ter- logie les ait classm plus positivement.
rains d’alluvion dans lesquels dominent L’épanchement de ces roches a duré
les cailloux de gneiss et du quartz; les pendant plusieurs siècles ; elles ont cou-
montagnes prennent une teinte rou- vert une vaste région, et formé des mon-
geâtre et sombre, la végétation arbo- tagnes considérables. Elles se sont éle-
rescente devient plus clair-semce, les vées en cônes et en pyramides , mais
sources disparaissent; on reconnaît bien- sans jamais laisser de traces de ce que
tôt les traces des feux souterrains qui nous appelons un cratère. Souvent l’ac-
à une époque ancienne ont ravagé la tion de ces laves a été si puissante,
contrée et ont été l’agent principal de u’on a vu des parties de montagne,
sa constitution actuelle- Quoique l’ac- es roches d’une époque primordiale,
tion volcanique ait cessé depuis un grand soulevées par l’action du feu, leurs cou-
nombre de siècles, les anciens, malgré ches déplacées, et prendre la direction
le peu d'attention qu’ils portaient à la verticale, en laissant partout des traces
science géologique, avaient fort bien de l’effort immense qui s’était produit.
compris Ta nature ignée de ces terrains, Les trachites, en se refroidissant, ont
>ersiiadés qu’ils étaient que les trem- éprouvé dans leur retrait des fissures
{)lements de terre ne se manifestaient analogues à celles qui se manifestent
que par l’action interne du feu. Aussi dans un terrain argileux qui sèche.
avaient-ils donné à la contrée qui s'é- L’infiltration des eaux, la désagrégation
tend depuis Kadi jusqu’à Laodicée d’une de la roche , ont bientôt augmenté ces
part, et depuis Sipy lus Jusqu’à Synnada fissures, qui sont devenues des vallées.
de l’autre, le nom de Catacécaumèue C’est la première période des feux de
(KaTaxExaupévi)), OU contrée brûlée. Les la Phrygie. Il semble, d’après l’inspec-
produits volcaniques déposés à diffé- tion des terrains, qu’il y eut une sorte
rents âges présentent des caractères as- de repos dans les phénomènes volcani-
sez variés pour que l’œil du géologue ques, pendant lequel l’action du temps
puisse facilement discerner leur âge re- et celle des eaux agirent seules sur ces
latif. Les plus anciens volcans de l’Asie roches nouvelles. Mais une seconde pé-
se sont manifestés par épanchements riode de l’activité des feux se manifesta ;
plutôt que par irruption. La substance les roches trachy tiques furent elles-mê-
qu’ils vomissaient était d’une nature pâ- mes soulevées, fendues, brisées, par
teuse plutôt que fluide; elle parait être l’action des laves plus récentes, et leurs
sortie de terre par de larges fissures, et débris, entraînés par les flots ignés qui
couvrait toute une contrée d’une nappe sortaient des montagnes, se trouvent
ignée, qui n’a pu qu’au bout d’un très- aujourd’hui mêlés dans les courants de
rand nombre de siècles devenir propre lave de fusion, comme les cailloux d’un
f la végétation. La substance ainsi reje- fleuve SC retrouveraient iiiéiés à ses
tée par ces volcans primordiaux est eaux glacées. Il est rare que l'éruption
d’une nature assez uniforme sur toute de la lave de fusion n’ait pas été pré-
la surface de l’Asie Mineure. Elle se cédée d’une éruption de cendres; car
compose d’une pâte homogène, qui va- presque toujours des couches assez
rie du rouge-violet foncé jusqu’au bleu épaisses se trouvent entre le lit trachy-
clair, et qui contient un nombre variable tique et le courant des scories.
de cristaux blancs plus ou moins par- C’est à cette seconde époque qu’il faut
de feldspath ; ce sont des trachytes
faits rapporter la formation de ces monta-
proprement dits. Dans quelques-unes gnes coniques, véritables volcans, aua
de ces roches, on observe d’autres élé- logues à ceux de l’Auvergne et de Tl-
,,

ASIti: MINEUBK. 2/8

talie, et doDt les produits sont identi- terrains trachytiques ; mais les villes de
ques; ce sont taotot des cendres conte- la Lydie se sout élevées au milieu de vol-
nant des fragments de ponce noire et cans qui portent tous les caractères des
blanche, quelques cristaux de pyroxène volcans contemporains, et dont les érup-
et d’autres roches cristallines ignées, tions, quoique tout à fait effacées de Ta
qui, s'agglomérant par la suite des mémoire des hommes, ont dû avoir lieu
temps, ont formé ces bancs de roche à une époque assez rapprochée de nous ;
tenare, d’une épaisseur quelquefois con- car on trouve dans différentes direc-
sidérable, dans lesquels les peuples pri- tions des coulées de lave traversant,
mitifs , manquant sans doute d'autres dans la longueur de plusieurs milles,
moyens de construction, de chaux et de des territoires que la végétation re-
bois, se sont plu à creuser des demeu- couvre, et ne laissant dans toute l’éten-
res, des tombeaux et des temples. C’est due de leur cours que la désolation et
une chose qu’on peut observer a priori lu stérilité. Le territoire de Koula est
dans ces régions; les peuples qui ont surtout remarquable par plusieurs cô-
construit en appareil que nous appelons nes volcaniques, dont les parties consti-
pélasgique sont ceux qui vivaient dans tuantes ne diffèreut en rien de ce que
les régions calcaires; les peuples qui nous connaissons de plus moderne dans
habitaient des régions couvertes de tuf les coulées de lave.
volcanique ont, au contraire, creusé d’in-
nombraoles cellules qui , après tant de CHAPITRE XXIX.
siècles, sont encore l’étonneineut du
voyageur qui parcourt l’Asie. Tout le VOLCAN OE KABA SBVLIT.
pays qui citez les anciens portait le nom
de Catacécaumène n’est cependant pas La ville de Koula est bâtie au pied
entièrement couvert de produits volca- d’une montagne nommée Karadéviit,
niques. La vallée supérieure de l’Her- l’encrier noir, qui est le centre d’une
mus , en descendant de Kadi , offre çà éruption considérable, dont les épan-
et là des formations de roches crétacées chements se sont fait jour au sud dans
qui surgissent au milieu des trachytes toute la vallée , et passent sous le sol
et qui sont comme des Ilots s’élevant de la ville actuelle, qui est bôtie toute en
sur une vaste étendue de terrains ignés. lave noire, identique avec la lave de
On rencontre de plus , entre le bassin Volvic en Auvergne. La surface de ce
de l’Hermus et la vallée du Cogamus courant est composée de quartiers de
dans laquelle est située Philadelphie roche, dont quelques-uns cubent sept
des landes et des collines arides qui ou huit mètres ; ils sont quelquefois ac-
sont formées de terrains trappéens, cumulés et jetés les uns sur les autres
d’une constitution antérieure aux épan- comme les glaçons d’une rivière. On
chemeuts trachytiques , mais dont Vas- voit que l’action du feu a brisé des ro-
peot terreux et desséché les a fait con- ches déjà refroidies, et les a entraînées
fondre par les anciens avec les terrains nageant sur un nouveau torrent, qui
purement volcaniques. s’est Ggé comme une masse de scories
La province qui fut appelée par les sortant d’un fourneau ; ces laves con-
habitants Catacécaumène était située sur tiennent de petits cristaux de pyroxène
les frontières de la Lydie et de la My- et des filons d’obsidienne. Le refroi-
sie; il n’est donc pas étonnant que les dissement de la substance ignée a formé
anciens l’aient attribuée tantôt à l’une des fissures qui s’enfoncent sans doute
tantôt à l’autre de ces deux provinces; à une profondeur considérable , et qui
elleoccupeune partie notable de la Phry- ont donné naissance, dans l’intérieur de
gie épictete, tout l’orient delaPhrygie la roche, à des dédales et à des cavernes
salutaire. Jusqu’à la vallée calcaire de que l’on peut parcourir dans une cer-
Synnada , la ^inte septentrionale de la taine étendue. Ces fissures communi-
Lydie , en un mot tous les affluents su- quent entre elles par des conduits inac-
périeurs de l’Hermus et du Méandre, cessibles , qui sont parcourus par des
'foute la partie orientale de ce territoire courants d’air qui dans l’été sont extrê-
est presque entièrement composée de mement frais. Cette particularité est

18’ Lioraison. (Asie Mineube.) t. U. 18


L’UMVKKS.
bien connue des habitants, qui dans basaltique que dans les terrains qui
l’été déposent dans ces Assurés des am- sont baignés par les eaux sur la cote
:

phores d’eau pour les faire rafraîchir, asiatique du Bosphore, aux environs
La rupture de la roche dans une assez des lies Cyanées, dans la vallée de Der-
grande hauteur, observee dans ces ca- men-tchai, près de Trébizonde, et dans
vernes. fait voir que cette roche était la vallée de l’Iialys, en faisant
homogène; elle est d’un aspect gras et route
vers Césaree. Il
comme miroitant, semblable à du laitier ^ a aux environs dp
Kouin d'autres cônes volcaniques, l’un
de forge , parsemée çà et là de globules appelé Sandal et l’autre Dopos-Kal^
d’ebullitiou, noire, sonore et à cassure
au sommet desquels se voient des traces'
vitreuse. Du côté de la ville on observe
de cratère et des courants de lave qui
très-peu de cendres. Il ne parait pas que paraissent contemporains des coulees
ces laves se soient fuit jour par le cratere de Koula.
du sommet, qui est fort échancré, et qui I.e éône qui se trouvé près du village
semble beaucoup plus ancien que la de Sandal paraît avoir vomi des cendres,
coulée, car les flancs du cône sont cou- qui se sont converties en tuf, et qui
verts d’une végétation qui commence à
couvrent une assez grande surface de
poindre. Du côté du uoi^, les éruptions pays. En un mot, tout le terrain situé
ont été beaucoup plus considérables, et entre la rivière qui passe devant Phi-
ont eu lieu à des périodes très-distinc- ladelphie, et (|ui est rancien Cogamus,
tes. On suit avec intérêt, pendant plus
et le fleuve Hermus, est d’une forma-
d’un myriamètre, les traces de ces érup- tion volcanique analogue aux volcans
tions, qui, du point culminant d’où elles
existants; mais les terrains ignés s’é-
sont parties, se sont toutes diriges par tendent fort au delà vers l’est, jusqu'à
une pente rapide jusqu’au bassin de la ville
d’.Vfloum-kara-hissar ; là, ils
l’ilermus. Là, arrêtées par les eaux, appartiennent à la formation trachvti-
elles ont reflué, en formant une falaise qne. Cependant près d’Ousclïak,
qui surplombe au-dessus du fleuve, , dans
I endroit appelé,
llessler-kaia-si , on ob-
phénomène facile à expliquer ; car le serve un grand cratère, dont l’orbe est
contact de l'eau et des lavés bouillantes composé de lave violâtre, contenant du
brisait la masse, et entraînait les débris. feldspath décomposé, et roulée elle-
Les iaves ont été arrêtées par les col- même dans une pâté de cendre et de
lines de gneiss qui formaient la vallée
scories c’est Ce qu'au Vésuvè pn appelle
;
naturelle dans laquelle elles se sont ré- rapilH. La masse de ces dejéctions est
pandues; les crêtes de laves forment assez étendue, et s’élève à une hauteur
des blocs siabrupts, qu’il est impossi- d’environ 40 mètres; les couches for-
ble de traverser les coulées. Il n’y a pas
mées par les cendres sont horizontales,
une plante sur ce terrain , et les traces et les rocs du côté de la vallée ou du
du feu ont conservé toute leur aridité. cratère présentent une surface abso-
La hauteur du cône de Kaia déviit lument verticale. Au delà de l’Her-
est d’environ 500 mètres au-dessus de mus, la formation volcanique continué
la plaine, et la hauteur absolue deKoula ;
mais on ne trouve plus de lave de fu-
est de 803"‘, baromètre marquant
6, le sion Ce sont des tufs d’un gris jaunâ-
,
0,“‘70l, le thermomètre du baromètre tre, et qui s'élèvent en collines
29", 10, et le à parois
thermomètre libre 28,10, abruptes.
la hauteur du baromètre au bord de la A part les choses fabuleuses què
mer étant O", 760. La coulée qui s’é- Strabon se plait à rapporter, d’après,
tend jusqu’à l’Hemiu.s est roèmée dans
d’anciennes traditions (Ij, Strabon décrit
sa partie supérieure de lave* analogues en peu de mots la région catacécàuuiène
à la coulée du sud; màis, en suivant
d’une manière fort exacte; il luj, donne
le cours du fleuve, on aperçoit
çà et là en longueur cinq cents stades suc quatre
de.s traces de la formation nasaltique,
cents de large, soit_ quatre-vingt-douze
phénomène qui, selon quelques géolo- kilomètres et demi sur sbixante-qua
gues, est dil au refroidissement subit torze, c’est-à-dire qu’elle s’étend jusqu’au.
des laves. Je dois dire ici qu’en effet
je n’ai jamais observé de cristallisation
(ijSliak., XIII, (n6, 6i8,
ASIE MINEURE. 276

territoire de Kara hissar, où l’on ob-' noire, mais presque toutes les maisons
serve en effet , des phénomènes volca- sont ombragées par quelques arbres;
niijues très remarquables. Cette région les rues sont propres, et la population,
étaitdépourvue d’arbres, mais produi- active et industrieuse, paraît jouir d’uiie
renommé, connu sous le nom
sait un vin certaine aisance.
de Catacécauménite. Le canton était Koula est une ville de quatre a cinq
couvert de cendres et de scories noires. mille âmes la population grecque est en
;

Strabon rejetant toute explicaliou possession de presque tout le. commerce


suruaturelle dfe ces phénomènes ignés, local, qui consiste en laine, coton, opium
n’hésite pas à les regarder comme et céréales on compte environ deux
:

l’effet des volcans dont les sources sont mille Grecs. Les Turcs , outre le com-
épuisées, il en donne pour preuve les merce de caravane , partagent avec les
trois gouffres distants les uns des au- Grecs une industrie qui a de l’avenir;
tres de quarante stades, et que l’on c’est à Koula que commence la fabri-
nomme les souflleLs , et au-dessus des- cation des tapis dits de Smyrue , et qui
quels on voit les cônes formés par des s’exportent jusqu’en Amérique. Les fem-
amas de laves. Dans les galeries natu- mes des Youronk en fabriquent aussi
relles formées par le refroidissement sous leurs tentes ce sont de petits tapis
;

circulent des courants d’air frais qui de L’abondance des laines jointe
prière.
soufllent au dehors. à laculture des plantes tinctoriales, la
Vitruve (t) connaissait bien cette ré- garance, le rhamnus, qui donne la
gion comme pays volcanique : un en ex- graine jaune, la valonnée et la noix de
portait de la pierre ponce. Les trois galle, qui donnent lenoir, et l’indigo,
cratères dont parle Strabon s’identident qui arrive par caravanes, telles sont les
parfaitement avec les trois cônes volca- matières premières qui ont permis de
niques des environs de Koula, le premier faire de la fabrication des tapis une in-
dominant la ville, le second observé dustrie toute locale. Il est curieux de
par M. Hamilton à sept milles à l’ouest remarquer que crtté région^ est restée
du premier, entre les villages deSandal et depuis les temps reculés en possession
de Megné. Le cratère est complet, et plu- d’un art qui faisait la célébrité de Lao-
sieurs autres cônes d’une période plus dicée.
ancienne s’élèvent aux alentours; le S’il ne reste â'Koùia aucun débris
troisième cône, d’une date plus récente, de monument’ d'architecture , la ville
est située à sept milles à l’est de Sanilal : abonde en fragments dè marbre de toute
ou l’appelleCaplaii alan, la dent du tigre ;
sorte, et dans plusieurs maisons grec-
il est composé de cendres et de scories. ques on conserve des bas-reliefs et des
Son cratère est le mieux conservé de sculptures en marbre qui ne sont pas
,

tous; il a un demi-mille (800 mètres) sans mérite. 11 en est un surtout qui


de circonférence: son élévation au-des- représente le dieu Lunus ou Men et ,

sus de la mer est de 780 mètres. qui contient une Inscription relative au
culte de cette divinité.
CHAPITRE XXX. « Le hiércdule Demas ayant institué
uné prière au soleil Ehala'tès, au Meii
KOULA. Tiaiuos et au Men roi, ordonne de s’y
conformer, sous j^eiue de reconnaître
La ville de Koula est agréablement l'effet de la puissance de Jupiter. » Cette
située, à la naissance d’une longue vallée ordonnance porte la date dé l’an 256
qui, de la base du volcan de Kara dévlit, ( desSéleucides), qui correspond à cin-
s’étend vers le sud. De nombreux mi- quante-six ans avant notre ère.
narets s’élancent au-dessus de la ver- D’après sa position sur les routes de
dure sur laquelle se détachent quelques Philaaelphie a Pruse, et de Cotyæuifi à
mosquées, dont les murs blanchis con- Pergame, il est à croire que Koula oc-
trastent avec l’aspect lugubre de la ville, cupe l’emplacement d’une ancienne ville,
qui est toute bâtie en pierres de lave mais aucun monument nautorise à l’i-
dentider définitivement avec quelque
(ï) Vitruve, liv. U, rh. 6. nom connu. Le nom de Koula kmué, :

18 .
•2l(i L’UNIVERS.
tour) est turc et assez moderne; il en d’où sort la source est entouré d'un mur
est question dans l’itinéraire du grand- composé de pierres de grand appareil,
duc Roger comme d’une forteresse. La réunies sans ciment : des murs de même
position de Clanuddn, marquée dans la style forment une enceinte qui suit les
table de Peiitinger sur la route de Phi- pentes du rocher.
ladelphie à Cntyæum et à vingt-huit Dans l’enceinte du bain moderne on
milles de la première, pourrait convenir trouve aussi plusieurs fragments d'ar-
à KjQula. chitecture; V/irea où se trouvent réunies
toutes ces ruines ii'a pas une centaine
CHAPITRE XXXI. de mètres d’étendue; elle est fermée
au sud par un rocher vertical, sur le
VILLES DE IA LYDIE AD NORD DE flanc duquel ont été sculptés plusieurs
l'hebmus. bas-reliefs,qui ont tous un caractère
religieux.Le plus grand et le mieux con-
La Lydie comprenait vingt-sept servé est sculpté dans une niche qui a
évéchés ou villes principales, qui sont environ I” SO de hauteur ; l’archivolte
mentionnées dans la notice de lliéroclès représente une guirlande de feuillage;
et dans celle de l'emijereur Léon. Quoi- au centre de la niche est sculptée une
que plusieurs des noms anciens soient figure semblable à celle du bas-relief
altérés, on les reconnaît facilement sous de Koula , représentant le dieu Lunus
leur forme nouvelle, ^ous avons à faire ou Men, coiffe du bonnet phrygien , et
connaître maintenant un certain nom- ayant derrière lui le croissant, attribut
bre de ces villes, qui occupaient la ré- de cette divinité. Le style de ce monu-
gion nord de la Lydie, et à appeler ment n’accuse pas une haute antiquité;
l'attention des géographes sur des rui- nous sommes porté a le considérer
nes qui ne sont pas encore classées. comme de la même époque que le bas-
Knula se trouve sur la route de ca- relief de Koula. qui porte sa date. Plu-
ravane qui va de Smyrne à Kutayah, à sieurs bas-reliefs, mais d’une plus petite
vingt-six heures ou cent cinquante ki- dimension, sont sculptés dans le même
lomètres de la première , ou remonte rocher on ne distingue plus que la
:

ensuite vers le nord pour gagner Oiis- masse des figures; l’un d’eux représente
chak l’ancienne route ne devait pas
;
un personnage couché, autour duquel
différer beaucoup de celle-ci , attendu sont réunies plusieurs figures d’hommes.
que cette région renfermait un certain Au nord de l’enceinte sont des restes
nombre de villes qui étaient forcément de voûtes , et sur la rivière un pont a
desservies par une route dirigée du sud- demi ruiné, qui paraît être des temps
ouest au nord-est. byzantins. Si Émir-Hammam occupe
En suivant cette direction on ren- remplacement d’une ville, elle doit
contre, à onze kilomètres au nord-est avoir été extrêmement petite : nous som-
de Koula, une localité qui mérite d'être mes plus disposé à y voir un établisse-
observée. Des sources chaudes mar- ment thermal et religieux comme ceux
quant 59 degrés centigrades sortent de de Caroura et de Charonium (I).
terre à quelques pas de la rive de l’Her- L’ancienne Silandns, siège épiscopal
mus, et forment un bain naturel connu de Lydie, occupait l’emplacement du
dans le pays sous le nom de Émir Ham- village moderne de Selendi , situé à
mam, le bain de l'émir. uarante-cinq kilomètres au nord-est
On y observe des restes de construc- e Koula, sur un des affluents de l’Her-
tions qui ont le caractère d'une haute mus, qu’on appelle Selendi-sou et plus
antiquité, mais l'emplacement paraît loin Aïneh-tchai; on trouve à Selendi
avoir convenu moins à une ville qu’à quelques inscriptions, mais aucun ves-
un de ces centres où la religion s'u- tige de monument ancien. Le pont jeté
nissait à la médecine pour la cure des sur l'Hermus à Émir-Hammam, servait
maladies , et dans lesquels les prêtres à établir une communication entre ces
étaient investis d’un double ministère: deux places.
les établissements de ce genre étaient
nombreux dans la contrée. Le bassin (i) .Slr»bon, KHI, 675; XIV, 349.
ASIE MINEURE. 37T

Nous avons particulièrement re- taine analogie de noms, à l’assimiler


marqué une inscription gravée sur une avec l’ancienne Daldia , citée dans les
belle plaque de marbre, commémorative notices ecclésiastiques.
d’une statue décernée à Uermogène par Tabala, autre ville de la même pro-
Thrasybule, fils de Pythodore, et par vince, occupait remplacement du village
Glyco'n le 5 du mois Gorpiæus de de Davala, aux environs de Koula.
l’an 145. — 267 ans avant notre ère. Adala, village turc situé sur la rive
gauche de l’IIermus, remplace l’an-
CH APITRE XXXII. cienne Attalia ; mais on ne trouve aucun
vestige de la ville fondée par Attale : un
HUEONIA. — BLAUNCÜS. — SAÏTTÆ. château en moyen âge bâti sur un rocher
a rempbeé l’ancienne acropole.
La partie nord de la Catacécaumène Les coulées de lave qui s’étendent
formait au delà de l’Hermus un grand jusqu’à l'Hermus appartiennent à la
triangle, enclavé entre la Mysie à l’ouest même formation que cellesde Koula, et
et la Phrygie à l’est ; c’était la Mœonie prouvent que les volcans ont été en
proprement dite, dont le nom s’étendit activité pendant la même période. Lesla-
ensuite Jusqu’aux versants du Tmolus. ves ont coulé jusqu’au fleuve, entraînant
La ville de Moeonia était au centre de dans leur cours les débris de laves plus
cette province. On fut d’abord disposé anciennes. La végétation ne s’est pas
à l’identifier avec la ville moderne de encore développée sur ces terrains, qui
Koula, d’après une inscription portant présentent un aspect de désolation.
le nom des Moeoniens; mais il fut cons- La ville de Blaundus, dont la position
taté qu’elle avait été transportée d’un a été déterminée par MM. Hamilton et
village nommé Maigné, situe àseptkilo- Arundell au village de .Suleimanli, à une
mètres au nord de Koula, et M. Hamil- heure de marche de Gœubek, était un
ton, qui a visitécette localité, a eonstaté siège épiscopal suffragant de la métro-
qu’elle occupait l’emplacement d’une pole de Smyrne, inscrit dans les notices
ancienne ville; il a de plus copié une ecclésiastiques sous le nom de Balandiis.
autre inscription portantlenom MAIÛ- Elle doit sa fondation aux successeurs
NÛN, encastrée dans le mur de la mos- d’Alexandre, qui amenèrent dans ces
quée : divers fragments d’architecture contrées une nombreuse population
epars dans les rues sont tout ce qui sub- macédonienne aussi les habitants se
:

siste aujourd’hui de cette ancienne ville. le nom de Macédo-


désignaient-ils sous
Mototiia est mentionnée comme une niens Blaundéens. Blaundus est située
ville de Lydie dans la notice de Léon et sur la grande route de Philadelphie à
dans le Sÿnecdème de Hiéroclès. Pline Dorylæum, à l’extrémité du triangle
indique sa position sur le fleuve Coga- formé par cette enclave de territoire
mus et au pied du Tmolus, tandis qu’elle dont nous avons parlé, et la ville s’élève
est à plus de vingt kilomètres au nord sur une colline entourée de part et
de ce point (I). Dans le voisinage de d’autre par deux profonds ravins. La
Maigné, et à six kilomètres au nord- pone principale est située sur le col
ouest de Koula, il existe une carrière de qui joint à la plaine cette sorte de pres-
marbre près d’un village du nom de qu’île, et qui n’a pas plus de soixante
Ghiuldiz ; on y observe de nombreux pas de large. Les flancs de la vallée ont
fragments de sculpture, des fondations été creusés pour y établirde nombreuses
d’édifices qui ont dfi être des temples et chambres sépulcrales ; il en est quelques-
des monuments publics. Quelques ins- unes qui conservent des traces de pein-
criptions de différents âges ont été co- ture.
piées, mais aucune ne fait connaître le Le théâtre est construit au pied de
nom de la ville, qui est resté indéter- la colline. La scène est aujourd’hui
miné. Cependant le major Keppel, à qui entièrement détruite, mais un grand
l’on est redevable de la découverte de, nombre de sièges sont encore en place.
cette ville, est disposé, d’après une cer- Iji porte était défendue par deux tours
carrées qui sont encore presque entière-
(i) Pline, liv. V, ap. ment conservées; elles sont en pierres
.

378 L’UNTVERR.
de grand appareil, réunies sans ciment; Léon relleappartenait au canton de Mœo-
i'Uue d’elles est couronnée par une nia et était située sur le bord du fleuve
frise àtriglyphes d’ordre dorique, chose Hyllus. Les ruines de Saïttæ ont été re-
inusitée dans les constructions nii iitaires. trouvées par Hamilton au lieu nommé
La baie de la porte est carrée et sur- Sidas-kale-si, à trente-trois kilomètres
montée d'une architrave; au-dessus est au nord de Koula près du village de
un arc de décharge ce système de cons-
: Injicler.
truction n’est pas d’accord avec l'archi- En partant de Koula on va droit au nord
tecture des temps helléniques; aussi jusqu’à la vallée de l’Hermus. on fran-
Arundell regarda-t-il cette porte comme chit le fleuve , et douze kilomètres plus
un ouvrage byzantin. Ce n’est pas l’o- loin ou traverse la rivière Ainelitcliaî.
pinion de M. Hamilton; les deux ob- La route suit une vallée latérale,
servateurs pourraient être d’accord en qui a quatre kilomètres de longueur;
admettant que ce monument a subi les ruines de Sidas-kalé-si s’étendent
quelques modilications à l’époque ro- sur un plateau ondulé entouré de,

maine. Les restes de monuments sont collines basses denombreux sarcopha-


:

nombreux et remarquables; il serait à ges annoncentl’entréedela ville. En des-


désirer qu’ils fussent relevés et mesurés cendant dans la plaine on reconnaît les
par un architecte archéologue. Dans ruines d’un stade dont une partie a dis-
l’axe de la porte sont les ruines d’un paru, mais dont l’autre moitié, appuyée
magniflque temple ; on retrouve toutes sur le flanc d'une colline, est bien con-
les frises, les architraves et les fûts de servée le podiumet une partiedes sièges
;

colonnes amoncelés les uns sur les au- sont encore en place. La plaine est cou-
tres, ce qui suppose l’effet d’une chute verte de débris de monuments et de
soudaine plutôtqu’une destruction suc- fragments d’architecture d’une bonne
cessive; les ornements de cet édifice exécution ; plusieurs fûts de colonnes et
sont comparés par M. Hamilton à ceux des architraves de marbre jonchent le
de l’Erechteum d’Athènes (1). Au sud sol ; dans la partie orientale de la plaine
du temple sont les ruines d’un portique on reconnaît de grandes substructions
d’ordre dorique, avec des pilastres car- voûtées qui paraissent avoir appartenu
rés, dont quelques-uns portent encore à un temple : le tout est construit sans
leur architrave. Un peu plus loin un ciment. Le village voisin, nommé Inji-
autre portique est composé de deux cler, offre suffisamment des ressources
demi-colonnes accouplées à un pilastre pour l’antiquaire qui voudrait séjourner
carré : il en reste encore six en place. quelques jours au milieu de ces ruines.
Un édifice construit en f^ands blocs Unegrande rivière, du nom de Démirdji
de pierre s’élève à l’extrémité de l’acro- tchaï (la rivière des forgerons) coule
pole ; on reconnaît aussi l’emplacement près des ruines de Sidas-kale-si, et vase
d’un stade. Les restes de trois autres jeter dans l’Hermus. Or, comme il est
temples occupent une partie de l’cs- reconnu que la ville de Saïttæ étaitsituée
lanade en dehors de la porte. Cette entre l’Hermus et l’Hyllus, l’existence
rêve description suffit pour faire voir de cette rivière fait naître sur le véritable
que les ruines de Blaundus constituent cours de l’Hyllus une difficulté qui avait
un bel ensemble de ville gréco-romaine, déjà été pressentie par Mannert.
qui mérite d’attirer l’attention des ar- I.a bataille entre AntiochusetScipion
chéologues architectes. ayant eu lieu entre Magnésie etThyalire,
comment aurait-elle pu se passer près du
CHAPITRE XXXHI. fleuve Hyllus, qui est si loin de la. Ceci
tend à donner raison au passage de
SAÏTTÆ. — FLEUVE HYLLÜS. Pline qui fait du Hyllus et du Phrygius
deux fleuves différents, contre Strâbon,
Saïttx, comprise parmi les villes de
qui n’en fait ou’un seul(l).
I.ydie dan.s la notice de Hiéroclès, est
Le cours de l'Hyllus baignait les murs
inscrite sous le nom deSitæ dans celle de
(i) Hainilloii, lifsearches in >4sin (i) Mannert, Oco^raphietler Griechen nnd
t. I, p. 1 3^. Pâmer, t. II, ch. VIII, 376 Pline, liv. V,
. .3i
. ,, -

ASIE MINEURE. 379

de deux autres villes de Lydie dont la et les villes dé l'intérieur, a dd être


position est encore indéterminée ; la pre- de tout temps favorable au commerce
mière est HiérocéSarée, qui se distin- de transit, qui était entre les mains
guait par un temple de Diane Persique. des Grecs aussi Tralles fut-elle renom-
:

AÜ sujet de la réduction du droit d’asile mée par la richesse de ses habitants.


déërété sous Tibère, les habitants Pythodore, l’un d’eux, qui était revêtu
d’Hiéroc^arée exposèrent que le temple de la dignité d’Asiarque, possédait une
'dè^-Dîàrie'Pèrsiqüe, construit du temps fortune estimée par Strabon à deux
ifè;’Cyrus , jouissait dé ce privilège mille talents ; apres la bataille de Pbar-
et que ‘les décrets impériaux l’avaient sale il fut en butte aux persécutions de
étendüjusqu’à deux milles pas aux alen- César, qui conGsqua ses biens , attendu
tours du temple (l). Les cérémonies que Pythodore passait pour avoir été
qu'on y pratiquait étaient semblables à l’ami de Pompée. Pythodore parvint ce-
celles du temple d'Hypæpa. Les tables pendant à les racheter, et lestaissa à ses
géographiques placent Uiérocésarée dans enfants , du nombre desquels était Pi-
la vallée d’Hyllus, à l’est de Thyatire, thodoris, reine de Pont qui vivait du ,

sur les frontièresde la Mysie. Ptolémée (2) temps de Tibère.


la met dans le voisinage de Philadel- Ménodore, autre citoyen de Tralles,
hie, ce qui s'accorderait mieux avec qui vivait du temps de Strabon , rem-
F hypothèse qui admettrait le Demirdji plissait les fonctions de prêtre de Ju-
tchai comme le véritable Hvllus. piter Larissæus; il fut accusé de sédition
La position de cette ville n’a pas devant Doniitius Ænobarbus, qui le fit
encore été déterminée mettre à mort.
Les historiens de César rapportent
chapitre XXXIV. un prodige arrivé à Tralles avant la
bataille de Pharsale. Dans l’aréa du
TBALtBS. — AÏDIN 6DZKL-HISSAB. temple de la Victoire on avait élevé
une statue à César; quoique cette
Tralles, une des villes les plus floris-
. enceinte fût pavée de marbre il s’éleva
santes de Lydie , étaft située dans la tout à coup une palme qui entoura le
vallée supérieure du Méandre , sur un piédestal de la statue.
des versants du mont Messogis elle est : Le roi Attale s'était fait bâtir dans
remplacée par la ville moderne de Aïdin cette ville un palais magnifique, dont
Guzelliissar. les ruines ne sont pas éloignées de cel-
Strabon en détermine clairement la les du gymnase ;
mais l’activité que
position dans la plaine du Méandre, mettent les habitants à détruire les an-
commune aux Lyoiens aux Cariens et ,
ciens monuments eu aura bientôt fait
aux Ioniens de Milet I..a ville occupait, disparaître le dernier vestige.
sur le penchant de la montagne, un ter- Le théâtre et le stade n’offrent plus
rain de flgure trapézoïde: la citadelle pour ainsi dire que leur moule; le pro-
‘passait pour très-bien fortiüée. On at- scenium et tous les gradins ont disparu.
tribue la fondation de cette ville aux Ar- I.C territoire de Tralles, comme celui
giens, ainsi qu’à quelques Thraces, qui de toutes les villes de cette vallée, était
lui donnèrent le nom de Tralles c’était : sujet aux tremblements de terre, qui
celui d’une peuplade thrace, qui avait ruinèrent souvent les plus magnifiques
pour coutume de s’engager au service édifices ; mais les habitants les rele-
étranger. Elle portait aussi les noiiis de vaient avec une constance inébranlable.
Ëvantliéia , la fleurie, et de Érymna Agathias (1) rapporte qu’un paysan
la forte. La rivière Eudon arrosait les nomme Chérémon , atiligé de voir sa
muraillés, et une fontaine, du nom
de ville natale renversée de fond en comble,
Thébaîs , coulait dans l’intérieur de la entreprit d’aller trouver l’empereur, qui
ville. Sa position entre le port d’Épbèse faisait une expédition chez les Cantabres,
et le supplia de rétablir la ville ; ce qui
'il Tacil., /ènna/.,!!!, 6a. Pausanias, liv’. fut accordé.
V, a-.
(a) Plol., I, V,ch. a. (
t) Agalhias, fif Je yiu/inie», liv. II, ch. 8,
380 L’UNIVERS.
D’autres catastrophes ignorées ont terminée. Les premiers observateurs, et
dans le cours des siècles causé do nou- notamment Pococke , avaient pourtant
veaux ravages. Les invasions musulma- recueilli dans ces ruines des inscriptions
nes, les incendies et les tremblements portant le nom de Tralles , mais, domi-
de terre avaient concouru pour faire de nés par une idée préconçue , ils n’en
l’ancienne Tralles un monceau de ruines. avaient pas tenu compte.
L’empereur Andronic, tils de Paléologue, La ville moderne a’Aïdin Guzel-his-
s’étantrendu dans cette ville, fut si sar n’occupe pas exactement l’empla-
charmé de sa position, qu’il résolut delà cement de l’ancienne Tralles; elle s’est
rebStir et d'y réintégrer les habitants, portée plus à l’est, et se trouve aujour-
qui s’en étaient éloignés. Les ouvriers d'hui à cheval sur une petite rivière,
trouvèrent dans les fouilles une ins- qui n’est autre que le fleuve Eudon.
cription qui prédisait le rétablissement L’ancienne ville occupait un plateau
de Tralles et une longue vie à son nou- à l’est, et qui a en effet la figure d’un
veau fondateur. quadrilatère; la surface du sol est cou-
Une fois les murailles rétablies, les verte des débris de murailles qui ont
habitants accoururent en foule, et la appartenu aux anciens édifices ; on re-
ville reprenait sa physionomie première marque surtout trois grands arcs, qui
lorsque les tribus musulmanes vinrent ont été considérés par les uns comme
en faire le siège. Les Turcs coupèrent un arc de triomphe, et par les autres
le rnisseaudei’Kudon,etlaville, privée comme un reste du gymnase :cetteopi-
d’eau, n’en persista pas moins dans sa nion nous parait plus probable. On voyait
rési^tance héroi'que. Les Turcs finirent encore il y a quelques années des stucs
ar l’enlever d’assaut, et tous les ha- couverts de peintures les amorces de
:

itauts furent massacrés. murs qui se reliaient avec ces arcs prou-
Andronic se tenait pendant ce temps vent qu’il y avait d’autres dépendances.
dans son palais de Nymphæum, et ne La ruine et l’abandon de l’ancienne
fit aucune tentative pour porter du se- ville sont dues à des causes qui sont
cours à Tralles. restées ignorées , peut-être à quelque
Lorsque les Seidjoukides furent une tremblement de terre. Pendant long-
fois maîtres de la Cappadoce , toutes temps les débris des monuments ont
leurs vues se portèrent sur l’occident jonché le sol ; mais le voisinage d’une
de l’Asie Mineure pour se mettre en ville populeuse est toujours funeste
relation avec la mer; les villes comman- aux anciennes ruines peu a peu tous ces
:

dant les grandes vallées tombèrent suc- fragments ont été enlevés, et mainte-
cessivement en leur pouvoir; Tralles ne nant on opère des fouilles pour extraire
put être défendue par les faibles empe- les blocs de marbre qui sont encore en-
reurs de Constantinople , et fut prise fouis. Les monuments de Tralles va-
par l’émir ATdin, qui la reçut en fief du riaient beaucoup dans leur système de
sultan d'Iconium, et lui donna son pro- construction ; les uns sont faits en petits
pre nom. moellons qui étaient recouverts de pla-
Comme position est en même
sa ques de marbre. On a enlevé le marbre,
temps forte et agréable, ou lui donna le mais les murailles sont restées, les ma-
nom de beau château; depuis ce temps tériaux n’étant bons à aucun emploi.
l’ancienneTralles s’appelle Aïdin Guzel- Ceux qui étaient bâtis en pierre de grand
hissar. —
Cachée sous ce nom, toute appareil ont été l’objet d’une exploita-
trace de la ville romaine fut perdue tion régulière, et les pierres ont été
pendant cinq siècles; et lorsque les voya- employées dans la construction des mos-
geurs modernes tentèrent d’en retrou- quées d’ Aïdin. Pour les débris de mar-
ver les ruines, ils se trouvèrent dans un bre, les Turcs les emploient ordinaire-
extrême embarras , résultant de l’incer- ment pour faire des tombeaux.
titude des itinéraires. On donna succes- Pendant bien des années, des fouilles
sivement à Guzel-hissar les noms de ont été opérées dans le but de recher-
Magnésie, du Méandre et de Nysa ce . cher d’anciennes sculptures et d’autres
n’est pour ainsi dire que de nos jours objets d’antiquité, et les fragments re-
que la position de Tralles fut bien dé- trouvés étaient presque toujours de la
, .

ASIE MINEURE, 381

belle époque de l’art. Aujourd’hui on émirs d’Othman avaient, en recevant


ne voit plus une seule colonne dans leurs Gefs, pris le nom de Déré bey ;
l’enceinte de Tralles il est impossible
: sous ce titre ils devaient fournir au sul-
de retrouver l’emplacement des temples tan un certain nombre de cavaliers et
d’Ësculape cité par Vitruve. Les colon- de fantassins ils étaient chargés de l’en-
;

nades étaient cependant nombreuses à tretien des routes et de la sécurité pu-


Tralles , car sur toutes les routes qui blique. Aujourd’hui ces anciens feuda-
avoisinent la ville, on remarque des taires sont réduits à la condition de
puits dont la margelle est faite d’une pacha , et reçoivent tous les ans leur in-
Base de colonne évidée. vestiture aujourdu Bayram
Tralles n’était pas immédiatement La population d’Aïdin s’élève à
sur le bord du Méandre, elle en est éloi- soixante mille âmes environ ; on compte
gnée de plus de quatre kilomètres, et est en tout douze mille maisons il n’y en
:

bâtie sur un monticule au-dessus du a pas plus de quatre cents occupas par
sol de la vallée , ce qui contribuait à la les Grecs. La ville s’étend en partie dans
pureté de l’air. la plaine, en partie sur les deux versants
La ville moderne d'Aïdin est une des de la vallée de l’Eudon , que l’on tra-
plus considérables de la province, elle versé sur deux ponts de pierre le quar- ;

est le rentre d’un très-grand traGc en tier de l’est est occupé par des tanneries
matières premières, comme en tissus de établies sur le bord delà rivière, et qui,
toutes sortes venant de l’intérieur ses: n'étant soumises à aucune surveillance
bazars sont vastes et bien achalandés. de salubrité, abandonnent leurs résidus
Dans la crainte des tremblements de au milieu de la ville, corrompent les
terre, les habitants ont construit leurs eaux de la rivière, et répandent l'infec-
maisons en bois ; mais ils s’exposaient tion au milieu de la population.
à un autre Héau qui a bien souvent ra- Au sud de la ville s'étend la plaine
vagé leur ville, sans pour cela les faire du Méaudre, dans uue largeur de vingt
revenir à des constructions mieux en- ou vingt-cinq kilomètres ic fleuve coule
:

tendues les incendies sont fréquents et


: au milieu et forme la frontière entre
terribles dans cette ville, surtout quand la Carie et la Lydie.
la chaleur de l’été a desséché toutes ces Laplaine est dans un état de culture
frêles constructions. des plus florissants ; la vigne, l’olivier,
Il
y a un grand nombre de mosquées le Gguier fournissent des produits qui
dont' les minarets s’élancent au-dessus font l’objet d’une exportation très-con-
de la cime des arbres, mais il n’y a pas sidérable; outre l’industrie de la tan-
un seul monument digne d’intérêt ; nerie Aïdin possède des manufactures
jamais Guzd
hissar n'a été le centre de cotonnades; il faut entendre sous
d'un pouvoir politique ou religieux ce nom des métiers en chambre, car
stable et puissant. Les émirs d'Aïdin, les grandes manufactures dans le genre
presque toujours en lutte sourde, sinon de celles de France sont inconnues en
en guerre ouverte avec les sultans, ne Orient.
songèrent jamais à élever des monu-
ments durables; leurs habitations, leurs CHAPITRE XXXV.
konacs de bois barbouillés de peintures
grossières sufGsaient à leur luxe. La fa- POPULATIONS MUSULMANES. USA- —
mille desKara-Osman-Oglou, qui a pos- GES SUPEBSTITIONS DES MONTA-
,

sédé pendant plusieurs siècles toute la GNABnS.


vallée du Méandre ,
jouissait d'un pou-
voir souverain ;
elle n’a rien laissé Dans presque toutes les villes de la Ly-
comme souvenir, routes, ni fon-
ni die que nous venousde décrire on remar-
taines, ni aqueducstout leur luxe con-
: que des habitants qui, pour le costume
sistait à entretenir des bandes d’irrégu- et les habitudes diffèrent complètement
liers, qui étaient un fléau pour les villa- du reste de la population ; on les nomme
ges environnants. les Zeibeks. Ils forment une sorte de
En 1833 le sultan Mamhoud mit fln corporation qui a ses chefs et sa règle;
à cette puissance féodale. Les anciens ils se distinguent surtout par un cos-
282 L’UNIVERS.
tiime qu’ont souvent reproduit les pein- prédictions qui les portaient à se soule-
tres qui ont visité l'Orient ; c’était le ver contre le gouvernement.
type favori de Deeamps , qui en a fait Kara Osman Ogiou était le protec-
le sujet de ses plus eharmants tableaux. teur de celte milice qui Jouit encore
l.es Zeibcks portent uo turban d'une hau- près des gouverneurs d^une certaine in-
teur excessive , une large ceinture qui lluence, mais à la chute de ce bey, lors-
est tout un arsenal, contenant pistolets, que Tahir pacha vint occuper le pacha-
yatagans, onngiars, auxquels on joint lik d’Aïdin, il ordonna aux Zeibeks de
encore la pipe et les pincettes. Leur cu- quitter leur costume distinctif. La fer-
lotteordinairement en toile blanche ne mentation qui couvait dans la popula-
descend qu’aux, genoux ; elle est serrée tion se traduisit par uue sédition formi-
sur les cuisses, et porte une brayette dable. Tahir pacha fit marcher le corps
lacée comme les chausses du moyen des Nizam contre les Zeibeks; on en
âge. massacra un certain nombre dans Aï-
Les Zeibeksne sont pas uniquement din. Ils rentrèrent dans la soumission ;
militaires, ils sont marchands et .surtout mais ils ont toujours conservé leur cos-
bons caravancurs. Il est impossible de tume.
tirer d’eux aucun éclaircissement sur L’amour du merveilleux, qui a tant
leur origine ils ignorent complètement
;
d’attrait pour les musulmans et surtout
pourquoi ils sont nommés Zeiheks; mais pour les peuplades des montagnes, a
ilest certain, d’après leurs traits et leurs multiplié dans ces régions les confré-
habitudes, qu’ils ne sont pas de race ot- ries de derwiches voyageurs ou de
tomane; ils n’habitent que les villages marabouts, qui traversent les tribus en
du mont Tmolus et du Mussogis; on distribuant des amulettes et en donnant
peut les considérer, sans crainte de se des talismans. Il y en a qui jouissent
tromper grandement, comme les restes d’un grand crédit, sans qu’on sache de
des races aborigènes qui habitaient ces quelle puissance il émane ; ce n’est pas
montagnes. On se rappelle volontiers ces seulement un pouvoir religieux ; la qua-
Thraces fondateurs de Tralles qui s’em- lité de marabout peut être acquise non-
ployaient au service de ceux qui vou- seulement par des hommes, mais encore
laient les solder pour commettre des par des choses, comme des arbres et
assassinats (1). Les anciens Tralliens, des pierres.
quand ils n’étaient point engagés au Les arbres marabouts sont nombreux
service de quelque prince, exerçaient le en pays musulman ; on les rencontre
brigandage et poussaient l’iusolence au nord des routes ou dans quelques
jusqu'à rançonner les conducteurs des endroits sauvages et déserts Ce sont
armées ; si lés Zeibeks d’aujourd’hui ne ordinairement des buissons souffreteux
vont pas jusque-là ils sont encore re- et de mauvaise mine ; l'arbre marabout
gardés comme les plus hardis détrous- jouit de la propriété de s’emparer des
seurs de caravanes, et les Grecs trem- maladies et des maléfices , que le pos-
blent à leur nom. tulant lie à l’arbre avec un morceau de
Il est un fait généralement observé, son propre vêtement. On va près de l’ar-
c’est que dans les paysde montagnes bre; on lui fait une invocation, et, au
les mœurs locales sont plus constan- moment où l’on pronouce son vœu, on
tes que dans les pays de plaines. Les le lie fortement à une des branches au
Zeibeks pratiquent assez mal l'isla- moyen d’un chiffon. C’est pour cela que
misme, mais sont attachés à toutes l’on rencontre sur toutes les routes des
sortes de superstitions ils ont surtout
:
buissons qui, pour tout feuillage, sont
des voyans auxquels iis obéissent aveu- couverts de chiffons liés à leurs bran-
glément. On cite un illuminé de ce ches.
genre, nommé Kcl Mehemet, qui s’était Quand on questionne un Turc sur
associé à un derviche mal famé, dont l’origine de ce singulier pouvoir des ar-
il se servait pour faire à ses affiliés des
bres, il ne sait que répondre des bana-

lités mais rien ne saurait ébranler sa


,

(i) Slrabon, liv. XTV, 3i4de la trad. fran- confiance dans ces agents muets d’un
que. pouvoir supérieur.
,

ASIE MINEURE. 283

L’arbre marabout, selon les Turcs, des pierres n’bnt pas lieu seulement chez
jouit par lui-même de ce pouvoir tantôt lesmusulmans ; Borlage, auteur anglais,
protecteur, tantôt redoutable; ce ne raconte qne les anciens monuments
sont pns des esprits, des Djinn qui sont allois de l’Angleterre jouissent aussi
ses ministres; ce ne sont ni le suc de scs e ce privilège. Dans quelques localités,
fruits, ni sa sève, ni ses feuilles, c'est on fait passer les enfants dans des pier-
un pouvoir immatériel, venu on ne sait res trouées, pour les empêcher de de-
d’ou, et finissant on ne sait comment. venir rachitiques, et les hommes de tout
On voit souvent près de ces arbres âge pratiquent avec confiance le même
une enceinte de pierres sèches, avec un remede pour la guérison des douleurs.
mirhab pour faire la prière ; quelquefois (Caumoht, cours d’archéologie, t. 1,
ces arbres privilégiés croissent non loin 119.)
de la koubba d’un santon. On pourrait T..a capitale de l’Islam n'est pas plus

croirequeces derniers arbres ont acquis à l’abri de cette superstition uue les
leur pouvoir du saint près duquel ils plus humbles villages il y a, clans la
;

ont poussé, mais la plupart du temps on mosquée de Sainte-Sopbie, un pilier


les rencontre dans des lieux inhabités, marabout, qui jouit de facultés cura-
sur le bord des routes désertes , et les tives;il est situé à gauche, près des
chiffons qui couvrent leurs branches in- grandes urnes d’ablution. A force de
diquent qu’ils n’ont pas une clientèle le toucher, les croyants ont fini par
moindre que les arbres voisins des cha- creuser la pierre , et comme c’est une
pelles. espèce d’albâtre froide, la pierre est
Les pierres maraboutes jouissent de toujours couverte d’humidité c’est à
,

la même propriété ; c'est principalement cette sueur de la pierre qu’on attribue


le rétablissement de la santé qu'on leur toutes les vertus on l’a vainement en-
;

demande , mais on compte aussi sur tourée d’une plaque de bronze, les at-
elles pour écarter les malelices. Comme touchements multipliés des adeptes ont
les arbres , elles ont un pouvoir tout à usé le bronze et usé la pierre.
fait abstrait; on ne leur demande pas de Une autre colonne maraboute se
remède en les prenant en poudre ou eu trouve dans la mos<quée de la sultane
potion , c’est une action toute morale Validé, qu’on appelle Yéni-Djami : c’est
qu’on attend d’elles. A Angora il y a la colonne qui soutient la loge du sultan.
une pierre maraboute contre les maux Elle est en marbre brocatelle jaune, et
de dents. du diamètre de 0,30 c., au plus; elle
Ce sont quelquefois des rochers na- ne se distingue ni par son antiquité, ni
turels, quelquefois de vieux monuments ;
iar sa matière :son office est de guérir
il en est de ces pierres privilégiées comme fes rhumatismes. On la tient embras-
des arbres: nul ne dit de qui elles tien- sée pendant quelques moments en fai-
nent leur pouvoir ni eommentil s’exerce. sant une oraison.
On y croit, on pratique et l’on ne s’in- A côté d’un pouvoir occulteet secou-
quiète pas du reste. Or, on peut voir rable qui se rencontre dans des objets
que dans quelques localités d’Asie cer- matériels, les montagnards de l’Asie re-
taines pierres jouissent de cette réputa- doutent un pouvoir contraire dont l’effet
tion depuis plusieurs siècles. ne se manifeste que par des maléfices :
Il y a à Tyane, au pied du Taurus, c’est le pouvoir du mauvais oeil ; les villes
une colonne qui est maraboute au pre- comme les campagnes y ont une foi
mier chef ; on vient de très-loin y faire absolue, et chacun croit à son effet sur
des pèlerinages, et comme c’est le pays les choses comme sur les hommes. 11
du fameux thaumaturge Apollonius est aussi impossible d’obtenir sur cette
qui sait si cette propriété magique de la superstition plus d’éclaircissements que
colonne ne date pas du temps de ce sur l’autre; on ne sait à quoi l’attribuer,
singulier personnage? La colonne de mais onest convaincu de son effet. Le
Tyane est surtout réputée pour arrêter mauvais œil peut avoir pour résultat
la fièvre; comme on ne peut y lier des de faire périr les troupeaux, de dessécher
chiffons, on les cloue dans les joints. la moisson ou de donner des maladies.
Ces pratiques superstitieuses au sujet Heureusement , il y a des moyens de
,

284 L’UNIVERS.
déjouer ce genre de maléfice c’est d'at-
; ces ne participent pas de ce pouvoir
tirer sur un objet indifférent le premier surnaturel, tandis que les habitants du
regard de celui qui jouit de la faculté nord ont peuplé de génies et de sylphes
du mauvais œil. Voilà pourquoi il n’est laplupart des sources situées dans les
pas uu champ, pas un jardin qui n’ait régions agrestes. Le christianisme n'a
dans un lieu apparent quelque objet in- pas mis fin à cette croyance populaire,
solite pour attirer le premier regard ; et il est plus d’une fontaine dont les
ordinairement c’est un crâne décharné eaux passent pour avoir plus d’effica-
de bœuf, de cheval, ou de chameau. Au cité lorsqu’elles sont distribuées par la
coin du toit d'une maison neuve on main du prêtre. Ce sont les fontaines
suspend un paquet de gousses d'ail ou que lesGrecs appellent Ayasma.
des feuilles de cactus ; au cou d'un cheval La classe et les pratiques des mara-
de prix on suspend une dent de lion ou bouts se trouvent répandues sur toute la
uelque amulette renfermée dans un terre de l’Islam, maislenom restespécia-
tui de marocain; les enfants portent à lement appliqué aux personnages reli-
leur turban, au milieu des sequins et des gieux de la terre de Mogreb, de l’Occi-
médailles qui leur servent de parure, dent. EnTurquie, ces hommes portent le
un petit étui d'argent dans lequel sont nom de derviches; eu Perse, le nom
renfermés des versets du coran c'est la
; de saïd ; mais il n'y a que cette différence
bulle, des temps antiques, et ici comme entre les uns et les autres.
autrefois les moyens d’exorcisme sont Les ziaretou lieux de pèlerinage étant
entre les mains des marabouts et des^ presque toutes le siège de l'habitation
derviches. ou le lieu de la sépulture d'un santon
Il est une autre singularité dont l’ex- célèbre, ces édifices religieux doivent
plication est encore à trouver, c’est que nécessairement avoir leurs analogues
chez les Grecs comme chez les musul- dans le reste de l’Orient ; en Perse, ou
mans, le nombre cinq est uconvenant, et
i les nomme imam zadé. Les institutions
ou ne le prononce pas sans demander auxquelles ils sont consacrés sont les
une sorte d’excuse les Grecs n’y man-
: mêmes dans toutes les régions. Leziaret
quent pas. A Smyrne surtout étendre la est un lieu de pèlerinage, dont la
main avec les cinq doigts ouverts c’est célébrité s’étend souvent fort au delà du
un signe de malédiction, on a soin d’a- territoire où il est situé. Il contient or-
jouter en étendant la main e 2« xà paxla- dinairement une école ou médrécé, où
oou, voilà pour les yeux; lesfemmes les jeunes gens de l’endroit font des
grecques abusent de ce moyen de études que nous pouvons comparer nu
coërcition envers leurs servantes, et droit et à la théologie chez nous; les
quand cela ne suffit pas elles les battent jeunes enfants sont admis dans le mek-
avec leurs babouches. toub ou école élémentaire , où on leur
Ou observe un usage qui est répandu, enseigne à épeler la langue du coran.
non-seulement dans toutes les contrées Dans la dépendance de l'édifice prin-
asiatiques,mais aussi en Europe et dans cipal, qui est toujours un tombeau ou
les Iles : c’est l’usage de jeter une une mosquée, imaret, ou hospice pour
pierre, en passant, sur le lieu où un les pauvres voyageurs. Il diffère du ca-
nomme a péri ; cet usage existe en Corse ravanséraï en ce que, dans le premier
comme en Bretagne, enTurquie comme établissement, 1rs nouveaux venus
en Perse. Les pierres accumulées par reçoivent gratuitement une ration de
les passants finissent par former des nourriture.
monceaux assez considérables. On ne Les dépenses occasionnées par ces
peut pas dire que ces pratiques, répan- frais de charité et d'instruction publique
dues dans tant de contrées diverses sont couvertes par les revenus des biens
ont une origine commune ; mais elles attachés à l’établissement, qui sont ap-
doivent avoir entre elles un rapport que pelés vacouf en Turquie. Les biens va-
nous ne saisissons pas. couf naissent, soit de donations, soit
Il est singulier que, dans ces contrées d'hypothèques non remboursées ; ce
où l’eau est une chose si précieuse et dernier système d’acquisition est celui
souvent si rare , les puits et las sour- qui profite le plus aux mosquées. L’ad-

vio< jIi
ASIE MINEURE. 3SS

ministration des vacouf est, en effet, au- pour modèle que des dessius découpés
torisée à prêter de l’argent aux pro- aux ciseaux, car c'est là le secret de
prétaires , moyennant un très - modi- tous ces dessins d’écharpes de mousse-
que intérêt, dont le payement n’est pas line et de couvertures de coussins qui
même exigé avec rigueur; mais si, à sortent des maisons turques pour pas-
la mort du débiteur, la créance n’est pas ser dans les bazars de Smyrne. Tous ces
amortie, le bien du défunt devient va- dessins fantastiques ,
qui plaisent tant
couf, c’est-à-dire propriété de la mos- à Paris, sont, disons-nous, découpés
quée. aux ciseaux dans du papier ou des mor-
Il
y a dans cette institution qui date ceaux d’étoffe, et brodés ensuite sur les
de plus de dix siècles quelque chose qui fonds au crochet, au plumetis, ou sim-
ressemble à celle du Crédit foncier. plement à l’aiguille. Les vêtements de
Mais, chez nous , la dette n’est pas uni- fêtedes femmes sont ordinairement ren-
quement attachée à la tête du débiteur fermés dans un grand bahut de bois de
et ne se liquide pas forcément à sou thuya ou de cèdre, fabriqué dans le
décès. pays et historié par des ciselures faites
Si les osmanlis déploient toujours au couteau.
un grand luxe dans ce qui se rattache à
leur sépuitu re,soi t que l’on construise des CHAPITRE XXXVI.
Turbé ou de simples tombeaux portant
les insignes du aéfunt , nous trouvons VILLES DE LVDIE AU SUD DU CAYSTBE.
chez les montagnards beaucoup plus de
simplicité dans la construction de leurs La ville de Tripolis, située sur la
dernières demeures ; ils ont à peine frontière orientale de la Lydie, était sans
quelques signes extérieurs que le temps doute une fondation des rois grecs qui
ne tarde pas à enlever; cependant les réunirent en un centre de population
terrains des cimetières sont toujours res- les habitants de quelques bourgs voi-
pectés et nulle construction profane ne sins (I). Pline est le premier auteur qui
saurait y être élevée. fasse mention de Tripolis : il la place
Les montagnards turcs aiment les dans le bassin supérieur du Méandre.
couleurs voyantes : néanmoins il y a Cette ville subsista jusqu’au déclin de
chez ces peuples un instict de l’harmonie l’empire, elle devint épiscopale et eut
qui n’existe pas chez les occidentaux ; une certaine célébrité dès les premiers
quel que soit l’assemblage des couleurs temps du christianisme; elle eut la vi-
et les formes d’ornement qu’ils adoptent sitede l’apôtre saint Barthélemy et de
pour leurs broderies et leurs tapis , on saint Philippe qui prêcha dans la Ly-
est étonné de ne pas retrouver ces tons comie.
criards et choquants dont nos tapis et Tripolis dut sa fondation aux mêmes
nos étoffes nous donnent trop souvent motifs stratégiques qui firent créer Phi-
le spectacle. ladelphie et fut comme cette dernière
Il faut croire que cette science de la l'objet des attaques réitérées des hordes
juxtaposition des couleurs est une fa- musulmanes; la ville tomba lorsque le
culté tout à fait instinctive chez ces peu- pays fut conquis, et la population survi-
ples, car, lorsque nousvoulonsles imiter, vante se répandit dans des lieux plus
nous n'arrivons qu’à fabriquer desobjets favorablement situés comme centres
choquants. Ainsi, depuis quelque temps, de commerce. Les villes de ces contrées
l’imitation des tapis de Smyrne est de- ont toutes dû leur fondation à l’une de
venue une industrie à la mode ; quelle ces deux conditions, leur avantage com-
différence entre le modèle oriental et mercial ou leur position militaire. Tou-
la copie française ! Les tapis d’Orient tes celles qui durent leur création à cette
sont cependant le produit d’une inven- dernière cause sont aujourd’hui détrui-
tion toute primitive; ils sont fabriqués tes et abandonnées, les premières jouis-
par des femmes qui ne gagnent pas plus sent encore après tant de catastrophes
de cinquante à soixante centimes par
jour; elles n’ont pour métier qu*un (i) Nysa fui créée dans les mêmes conds-
grand cadre où sont fixés les lisses et lions; Streb., XIT, 610.

sd ûv ogif
,

286 L’UmVERS.
des avantages qu’elles avaient au mo- les plus anciens sont en pierres de haut
ment de leur création. appareil.
Lu contrée étant soumise sans retour A l'est de la ville s’étcud une étroite
au pouvoir musulman, les habitants de vallée qui servait de nécropole ; les tom-
Tripolis allèrent s'établir dans des cen- beaux étaient de deux sortes, des cham-
tres plus en rapport avec leur e.\i.stence bres sépulcrales taillées dans le roc ou
nouvelle ; la petite ville de Bullada au des sarcophages de pierre avec des cou-
centre d’un territoire bien arrosé suc- vercles à oreillettes, le tout portant le

céda à Tripolis, et le village de YeniiJjé caractère romain le plus accentué.


s’établit dans le voisinage des ruines
dont les habitants ne savaient que faire. CHAPITRE XXXVIl.
Yenidjé, le nouveau village, est situé à
dix minutes des ruines de Tripolis. La NOZLI. — SULTA.V UISSAil, NYSA.
topographie de ce canton est bien ac- MASTAUHA.
centuée, c’est le point où le Méanrire,
franchissant un étroit défilé, entre dans Dans la vallée supérieure du Méandre
la grande vallée qui s’étend jusqu’à la les pentes du mont Messogis sont peu-
mer. lées de nombreux villages dont les ha-
Les ruines de la ville s'étendent au itauts sont entièrement livrés à l’agri-
pied d'une colline qui domine la plaine, culture. Le coton, les céréales, le maïs et
et étant situées sur la graude route le sésame sont successivement récoltés
de Sardes à Laodicée, elles ont été vi- dans les plaines et les peutes de la mon-
sitées par presque tous les voyageurs tagne, et toutes les vallées aboutissant
qui ont parcouru l’Asie. On en a plu- à la plaine sont couvertes d’immenses
sieurs descriptions sommaires; mais plantations de figuiers; aussi ce canton
aucun plan, aucun dessin de ses monu- est-il désigné sous le nom de Injir bazar,
ments n’ont encore été publiés. La ville le marché aux figues. Trois grands villa-
occupait un terrain en pente qui, aujour- ges très-voisins l’un de l’autre réunis-
d’hui encore,est couvert de ruines,de mu- sent la population rurale; ils portent
railles et d’édifices publics. Le théâtre tous trois le nom de Kozli, on les dis-
était orienté à l’ouest
,
les sièges de la tingue parles épithètes de : Kozii buyuk,
cavea ont été enlevés, mais on pourrait le grand Nozii, habité par les familles
parfaitement reconnaître les dis^itions musulmanes, et Xozli bazar, habité par
du proscénium. Le diamètre de l’édifice les Grecs. Les nombreux cours d’eau
est d’environ soixante mètres, les murs ui descendent du Messogis permettent
de soutènement de la cavéa sont paral- 'arroser les jardins et les vergers
lèles à la scène; deux vomitoires con- aussi est-il peu de contrées qui présen-
duisaient à la première précinction. On tent un aussi riche et aussi brillant as-
ne reconnaît aucune trace du portiquesu- pect.
érieur ; mais si l’on en juge par les dé- A la fin du mois d’aodt, des cara-
ris amoncelés, on peut supposer qu’il vanes composées chacune de plusieurs
en existait un. La:s chapiteaux et les fûts centaines de chameaux appiortent a
de colonnes, les fragments d’architraves Smyrne la récolte des figues, qui sont
et de frises que l’on rencontre çà et là déposées en grands tas dans les khans,
portent le caractère de l’architecture du dans les bazars et jusque dans les
second siècle. Le stade est voisin du rues. A ce moment , des femmes de
théâtre ; il n’en reste pour ainsi diré que toute race et de toute couleur sont re-
le moule : tous les sièges ont été enle- crutées dans la ville et les environs pour
vés. parer les figues et les mettre en boîte
Dans le quartier sud-ouest s’élève pour l’exportation. Toute l’opération se
un grand bâtiment qui peut avoir été le fait eu pleine rue on arrose légèrement
:

gymnase ou la gérousie il est bâti eu


;
les figues, on les détire, on les étale avec
grands blocs de pierre. Aucun temple le pouce dans le creux de la main , et
n’est resté debout. Les murs de la ville on les case dans des boîtes. Pendant ce
sont en grande partie conservés; ibi da- 1rs petits négrillons tettent
t,enips-là,
tent de plusieurs époques différentes ; leurs mères, se roulent sur la denrée ;
ASIE MllNEURE. 287

tout cela forme un tableau aussi pitto- Atbymbrus comme leur fondateur (f).
reraue que peu attrayant. Nysa était ornée de nombreux monu-
Toutes ces campagnes d’une irrigation ments publics elle avait un théâtre
, .

facile sontoultivées avecune intelligence adossé à l’une des collines, un gymnase


rare. La récolte du coton ne le cède pas en pour la jeunesse, un agora et une gé-
importance à celle des figues et les pro- rousia, salle d’assemblée pour les vieil-
duitsdesvalléesdu Méandre etduCaystre lards.
>assent à Smyme pour être d'une qua- L’amphithéâtre était bâti à cheval éur
fité supérieure à ceux de Kirk agatch les deux côtés du ravin, de manière que
et de Pergame. Les cultivateurs des les eaux du torrent passaient sous l'a-
vallées mettent un plus grand soin à réne. Cette position de l'édifice est iden-
l’irrigation et à la récolte ; le coton est tique avec celle des amphithéâtres de
égrené à la main au moyen d’une petite Cyzique et de Pergame, qui existent en-
machine fort simple qui ressemble à un core (2).
petit rouet ; c’est l'occupation de toute Nysa se distinguait surtout par ses
fa population féminine de la contrée écoles et par les littérateurs illustres
dans l'arrière-saison. Les produits en qu’elle a produits. Strabon dans sa jeu-
soie sont nuis. Les habitants savent bien nesse y suivit les cours du professeur
se tenir au courant des besoins de -
Aristodème, dont le cousin, nommé de
l’Europe, et dans un temps où les huiles même Aristodeme fut instituteur du
,

manquaient en Occident ils se sont li- grand Pompée.


vrés a la culture du sésame : l’année Chandler reconnut à Sultan hissar les
suivante les ports de Smyrne et de ruines du théâtre ou de l’amphithéâtre
Scala Nova en emportaient de nombreux et celles de quelques autres édifices ;
chargements; aujourd’hui qu’un che- mais ces monuments, construits eu pe-
min de fer de Smyrne a Aïdin traverse tits moellons, n’offrent aucun intérêt
ces contrées, ce sera un nouvel essor sous le rapport de l’architecture, peut-
donné à l’agriculture ,
dont tout le pays être dâns l'origine étaient-ils revêtus de
profltera. plaques de marbre comme à Cyzique ;

Nysa était située sur le penchant du la description sommaire qui en a été


mont Messogis ,
à l’est de Tralles , et faite par l’auteur anglais ne peut être
avait au sud la plaine du Méandre. La complétée que par un levé topographi-
ville s’étendait sur les deux penchants que.
d’une vallée arrosée par un torrent , elle Mastaura, citée par Strabon comme
était divisée en deux quartiers qui lui une place voisine de Nysa, se retrouve
donnaient l’aspect de deux villes diffé- encore sous son même nom au village
rentes : ces caractères topographi- de Mastauro à quatre kilomètres environ
ues donnés par Strabon permettaient à l’est de Nozii. Cette ville était arrosée
e retrouver l’emplacement de cette par un cours d’eau nommé Chrysor-
ville. rhoas. Ses ruines ont été visitées par
Le village de Sultan hissar, situé à Pococke et Hamilton, ce dernier auteur
trois kilomètres à l’ouest de Nozii, ré- en fait la description suivante: « Environ
pond à toutes ces conditions. Chandler, un mille au-dessus du village de Mas-
qui l’a visité le premier, a retrouvé des tauro , on rencontre d’anciennes rourail-
ruines considérables , qui indiquent -les et des substructions voûtées, à moitié
remplacement d’une ville importante, ensevelies sous un abondant feuillage
et a reconnu les vestiges des principaux de chênes verts et d’oliviers. Plus loin
édifices. est une enceinte circulaire d’environ
Trois frères lacédémoniens nommés cent pieds de diamètre : c’était sans doute
Athymbrus, Athymbradus et Hydrelus, un théâtre ou un amphithéâtre; à l'est
étant venus s’établir en ces lieux, y du ravin se trouve une voûte bâtie de
fondèrent trois villes auxquelles ils don- grands blocs de pierre dans le style
nèrent leurs noms la population de
: grec à moitié enterrée au milieu des
ces villes ayant été diminuée, elles se
réunirent en une seule, celle de Nysa ; (i) Sirab., XIV, 65o.
aussi les Nyséens reconnaissaient-ils (a) Voyez page 169, a; aip, a.
388 L’UNIVERS.

décombres; au sommet de la colline, certain nombre de villes dont le site

dont l’accès est des plus difUciles, sont reste inconnu.


les vestiges d’édiüces du même style, La liste de Ptolémée contient les villes

qui marquent sans doute l’emplace- suivantes ;

ment de la citadelle; le reste des monu- Juliogordus,


Pepere,
ments est bâti eu petits moellons. Enfin
Mosteni, Ægara,
du liane du ravin sort une belle et abon-
Hiero-t’æsarea, Hypœpa,
dante source, qui est celle du Chrysor-
Nacrasa, Sardis,
Mastaura subsista sous l’empire
rlioas. •
Thyatira, Philadelphia,
byzantin, elleétaitépiscopale. Ausixieme
Magnesia ad se- Jovis Fanum.
concile de Constantinople il est fait
mention de Mastauri, dans la province pylum,
Metropolis , qui
d’Asie; cet évêché est également men-
appartient à
tionné au troisième concile d’Epbèse.
rionie.
La ruine de toutes ces petites villes qui
n’étaient point places de guerre doit La table de l’empereur Léon le Sage.
dater des incursions de Timour et des
Sardensium, Mœoniæ,
guerres entre les émirs. Les tremble-
Philadelphiæ, ApollinisFanum,
ments de terre et la peste auront achevé
Tripoleos, Arcanidis,
l’œuvre de destruction.
Thyatirorum, Mustines,
Entre Tralles et Nysa, non loin de
Settorum, Acrasi,
cette dernière ville, se trouve le bourg
Aureliopoleos, Apolloniadis,
d’Acharaca où était le Plutonium, bos-
Gordorum, Attaliæ,
quet magnifique au-dessus duquel on
'l’roallorum, Rages,
voyait l’antre Charoninm, sorte de grotte
Salorum, Balandi,
méphitique o était établie une confré-
Silandi, Mesotimoli.
rie de prêtres médecins; tous ces lieux
ont été tellement bouleversés par les table de Hiéroclès.
tremblements de terre que la grotte a
Sardis, Uermocapelia,
pu se trouver obstruée. Jusqu’ici cet
Philadelphia, Ocrasus,
emplacement est resté inconnu, et dans
Tripolis, ApollinisFanum,
le pays nulle mention n’en est faite
par les habitants. Thiatera, Talaza,
Les villes de Lydie dont nous avons Sitæ, Bagis,
donné la description et déterminé l’em- Mœonia, Cerase Meso,
placement ne sont pas les seules qui JuUanopolis, Tymellus,
peuplaient cette province, une des plus Tralles, Apolloiies,
Aurelianopolis, Hierocastellia,
riches de l’empire romain. Les tables
géographiques contiennent encore un Attalia, Mysterie.
LIVRE V

IONIE.

CHAPITRE PREMIER. comme barbares méritent à peine d’étre


mentionnées, et les héros grecs n’appa-
PRBUIÈBES UIORATIORS IONIENNES. raissent dans leur contrée que pour les
soumettre ou les détruire.
Lorsque les historiens grecs nousmon- L’Asie occidentale n’était pas la seule
trcDt les tribus ioniennes se rassemblant contrée vers laquelle les Ioniens dirigè-
sous la conduite de Nélée et quittant rent leurs expéditions ; émules des Phéni-
l’Attique pour aller coloniser les côtes ciens, ils entreprennent de faire concur-
de l’Asie Mineure, cette contrée leur rence à ce peuple maritime jusque dans
était déjà connue par les navigateurs de son propre pays, les Hébreux connais-
leur nation qui, dès les temps les plus saient les Ioniens sous le nom de Javan,
reculés, trafiquaient isolément avec les les Perses sous celui de luna, les Égyp-
peuples de ces parages et avaient déjà tiens sousceluidelJinim, les monuments
formé des établissements d'outre-mer. des Ptolémées mentionnent les Uinim
La migration des Ioniens s'est établie sous les Tuutmosis III et IV au seizième
comme celle de tous les peuples mariti- et au quinzième siècle avant notre ère.
mes, en s’iclielonnant d’île en tie jusqu’à Le commerce entre la Grèce et l’Égypte
ce ou’ils aient atteint le continent op- avait pris une extension considérable;
pose à la Grèce. Les plus anciennes les monarques égyptiens accueillaient
traditions nous montrent les Ioniens avec faveur une population qui leur four-
comme trafiquants et guerriers, se créant nissait en même temps des mercenaires
par la force des établissements au milieu pour leurs armées et les denrées de
des faibles tribus qui ne peuvent leur l’Asie pour leurs peuples; aussi les Io-
résister, et se mettant à la solde des niens obtinrent-ils des terres à cultiver
États puissants pour avoir la faculté de et la permission de fonder des établis-
se créer des comptoirs. sements dans le Delta à côté de ceux
Les côtes de l’occident de l’Asie sont des Phéniciens. Les antiques rapports
surtout le point de mire, le centre de entre les Ioniens et l’Égypte sont prou-
toutes leurs attractions; c’est là qu’ils vés par Hérodote ; les faits qu'il men-
fondent leurs principaux établissements, tionne ne sont pas relatifs à des person-
leurs mœurs et leur langue se répan- nages isolés, c’est une sorte de synthèse
dent parmi les indigènes, et tout ce ethnique qui résume en un seul tableau
territoire finit par être considéré comme ce qui concerne les Grecs asiatiques
colonie attique. L’Ionie asiatique de- dans les parages de l’Égypte. Ces rela-
vient le lien naturel entre la Grèce con- tions entre les deux peuples ont une
tinentale et les peuples de l’extrême influence extrême sur le génie actif des
orient. Les historiens grecs font à peine Grecs ; la religion comme les arts de la
mention de ces migrations partielles an- Grèce encore à l’état rudimentaire em-
térieuresaux traditionshistoriques. Dans pruntent à l’Égypte et des dieux et des
l'habitude où ils sont de dramatiser formes architectoniques. Les Phéniciens
tous les événements de leur nation , ils subissent la même influence; mais le
se sont plu à grouper dans un même développement de leur génie artistique
cadre la série d’evénementsqui se ratta- s’arrête dans une imitation très-peu éloi-
chent à cet important mouvement de la gnée du style égyptien , tandis que le.s
population hellénique. Pour eux d’ail- arts de l’Égypte, transportés sur le sol
leurs les populations qu’ils regardaient de la Grèoe'continentale et asiatique, y
19* Livraison. (Asie Mineure.) T. II. 19

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29.) L’UNIVERS.
puisent une sève nouvelle et une régéné- devaient rester ennemis jusqu'à ce qu’un
ration que les Grees cherchent en vain .
pouvoir étranger leseût soumis au même
ù faire passer pour un essor spontané .|oug.
de leur génie. Les dieux de la Grèce ne D’ailleurs cette antipathie contre les
sont eux-mémes qu’une transformation races étrangères n’avait pas encore pris
des dieux de l’Égypte et de la Phénicie chez les Grecs ce développement qu’elle
transportés sur le sol de la Grèce. acquit au temps des luttes avec les Per-
Aphrodite apportée en Grèce n'est plus ses. Les poésies d'Homère mentionnent
Mylitta ou Astarté, c’est une flgure ré- toutes les peuplades asiatiques en pa-
générée qui a dépouillé tout ce qu’elle rallèle avec les Grecs, et ne les désigne
avait de sauvage dans son culte oriental. jamais sous le nom de barbares, il n'ap-
Ces combats incessants entre les na- plique ee nom qu’à la froction des Ca-
tions nouvelles qui tendaient à se former riens qui parlent un langage inintelli-
tirent naître entre les Ph'^niciens et les gible.
Grecs une haine implacable; aussi les
Phéniciens se montraient-ils toujours CHAPITRE 11.
les alliés des monarques qui faisaient
la guerre aux Grecs. Cet antagonisme SECOND AGE DES HIGBATIORS
s’éleva à son apogée sous le règne de IONIENNES.
Darius, au point qu'Hystiée put lui prê-
ter la pensée de donner l’Ionie aux Phé- Toute cette période des premiers éta-
niciens et de transporter les débris de blissements ioniens sur la côte d’Asie
la nation ionienne en Phénicie (I). n’a pour ainsi dire qu’une histoire, celle
Pendant toutes ces luttes entre les peu- de quelques troupeaux volés ou de fem-
ples navigateurs, les paisibles habitants mes enlevées; il faut arriver au temps
des côtes SC retiraientdans l’intérieur. Les où la métropoledes peuples ioniens prend
aventuriers grecs arrivaient dans le pays un intérêt politique à la colonisation de
sans femmes ni enfants, ils liaient avec l’Asie alors ce ne sont plus quelques
:

les indigènes des relations, fondaient enfants perdus de la Grèce qui vont à
de petites villes qui devaient recevoir leurs risques et périls tôter un terrain
plus tard un contingent de population incounu, ce sont les magistrats les dieux
nouvelle. Les premiers colons épousaient mémesqui présidentau départ des Grecs;
de gré ou de force les femmes indigènes les oracles parlent, et des ce moment
et il s’ensuivait des combats dans les- l'histoire recueille les faits et gostes
quels les Asiatiques avaient presque tou- des nouveaux colons, nomme leurs chefs
jours le dessous; les Cariens et les Lé- et enregistre les fastes des villes nou-
léges opposèrent une vive résistance aux velles. Éphèse et Milet, villes des Cariens
Ioniens quand ces derniers voulurent et des Léiéges oublient leur ancienne his-
s'établir sur cette côte mais le mélange
;
toire, et deviennent des villes grecques.
des races s’effectuait peu à peu, et les Les antiques sanctuaires des aborigènes
enfants des femmes cariennes enlevées dépouillent peu à peu leur physionomie
aux indigènes formaient un nouveau asiatique pour revêtir la forme et le ca-
germe de population dans lequel domi- ractère hellénique; les petits centres de
naient le génie et les in.stincts grecs. population, qui n’étaient comme chez
Les Ioniens arrivant en Asie n’y appor- les peuples primitifs qu’un abri pour
taient aucune croyance religieuse hos- renfermer en cas d’attaque les troupeaux
tile aux indigènes; bien plus, ils con- et les biens de la peuplade , deviennent
sentaient à reconnaître pour dieux grecs des villes populeuses et commerçantes
les divinités indigènes. Cette conformité auxquelles les colons grecs donnent les
de culte qui permettait aux Ioniens de noms qui leur rappellent leur ancienne
s’incorporer les populations asiatiques patrie.
u’empéchait pas les haines des vaincus Si nous avons eu quelquefois à déplo-
de se manifester quand l’occasion se rer le manque absolu de documents ori-
présentait les Cariens et les Ioniens
: iiiaux pour déterminer l’emplacement
es villes et les noms des fleuves ou des
(i) Réri’dote, liv. VI, .1. montagnes , nous n’éprouvons pas la
,

ASIE MINEURE. !t91

même diiliculté pour la géographie de leur contact constant avec les États grecs
rionie. Le texte de Strabon est en ce acheva de mûrir; mais des ter-
il fallait
genre un modèle de précision et d'exac- res aux nouveaux colons, et les anciens
titude ; aussi les voyageurs qui , avant possesseurs furent contraints de leur eu
nous, ont parcouru l'Ionie , ont déter- céder ; bien plus, ils allèrent jusqu’à en-
miné sans peine les villes et les lieux les lever les femmes de Carie, dont ils avaient
plus importants. Il restait une ou deux fait périr tous les parents dans la ville
lacunes nous avons tenté de les com-
: de billet (11.
bler en suivant pas à pas les indications
du géograplie grec. La première est re- CHAPITRE 111
lative à la positiond’Ortygie, l'autre à
remplacement de l’ancienne Smyrne. LEUBS BAPPOBTS AVEC LES BOIS
J’ai la persuasion que quiconque, con- • ]>B LYDIE.
naissant le pays, voudra lire attentive-
ment le texte de Strabon, se rangera de La puissance des rois de Lydie s’é-
cet avis. tendait alors jusqu’à la mer, et les peu-
I.es travauxde Chandler et de Cliishull plades que nous venons de nommer vi-
ont beaucoup abrégé les recherches géo- vaient, sinon sous la juridiction directe
graphiques qui restaient à faire de notre de ces monarques, du moins sous une
temps; mais comme ces savants, dont suzeraineté peu onéreuse. Les dynastes
le programme était tracé par la Société de Carie étaient particulièrement dans
des Dilettanti de Londres, affectaient un ce cas. Mais les rois de Lydie ne mirent
certain mépris pour les monuments an- aucune opposition à l'établissement des
té-helléniques, il y a encore à recueillir Grecs en Asie, sachant bien que c’é-
sur ce sujet bien des documents précieux taient autant de sujets qui leur arri-
pour l'histoire archaïque. vaient. Crésus soumit les peuples situés
Avant l'arrivée des Ioniens en Asie à l’occident de l’Halys, à l’exception des
toute cette côte était occupée par trois Lyciens et des Ciliciens (3).
peuples, qui ont joué chacun un rôle Malgré les facilités qui furent laissées
différent vis-à-vis des nouveaux colons. aux colons grecs par les puissants maî-
Les Pélasges, sans être absolument no- tres du pays rien ne donne une preuve
,

mades, étaient cependant répandms dans plus éclatante de l’esprit' politique du


plusieurs parties des continents d’Asie peuple grec, que eette facilité avec la-
et d’Europe. Ils avaient eu, dès les temps quelle il couvre de coloniés tous les ri-
les plus reculés, des points de contact vages de l’Orient. Ce n’-était pas, comme
multipliés avec les Hellènes , si même le firent plus tard tes Romains, une par-
ces deux peuples n’étaieut pas d’une ori- tie de la nation choisie et envoyée ex-
gine commune (1). Ils se sont soumis près dans une contrée soumise et dési-
après une faible résistance , et ont été gnée d’avance, soutenue dans tout de
incorporés dans les nouveaux centres cours de son installation par l’appui et
de population. Les Léiéges ont résisté les secours de la métropole ; c’étaient
également, mais ont fini par succomber, des fàmilles plutôt bannies qu’envoyées
et ont été anéantis. Aussi leur nom de la mère patrie , qui arrivaient dans
n’est-il prononcé par les historiens ^ecs des contrées sauvages et à peine cou-
que conime celai de peuples hardis à nues, sans autres ressources que le gé-
la guerre et ennemis ne la civilisation.
nie de leurs chefs; et, à peine installées
Enfin les Cariens qui passaient cepen-
, sur la côte d’Asie, nous les voyons éle-
dant pour avoir une teinture des lois de ver des monuments splendides, non-
Minos, mais qui, aux yeux des Grecs, seulement ceux qui sont nécessaires aux
n’en avaient pas moins conservé un ver- premiers besoins et à la première dé-
nis de barbarie assez prononcé. Leur fense d’une société, mais encore ceux
soumission aux rois de Lydie ou plutôt ui peuvent contribuer aux délassementt
leur fusion avec le peuple lydien déve- e l’esprit et au développement dea for-
loppa des germes de civilisation , que 1 . I

'
. - 1 , - -.il (i) HérodiBe, Ii«. 1, ch. 95..»
(ij Voy. chap. la. (a) Hérodote, liv. I, cb.

19 .
.

293 L'UNIVERS.
ces et de la beauté : les gymnases , les eux dans leur migration, et s’étaient
théâtres, les palestres. De pareils résul- mariés à des femmes de Carie, dont ils
tats ne s’expliquent pas seulement par avaient fait périr la famille; aussi les
la facilité que ^uvait présenter la main- Cariennes conservaient dans le cœur le
d’œuvre esclave ; comment parvenaient- souvenir de ce crime et refusaient de
ils à surmonter les difUcultés d’un pre- manger avec leurs maris et de les ap-
mier établissement, et les déceptions peler pnr leur nom (I). Cet événement
d’une mauvaise récolte , les épidémies, eut lieu à Milet, ville des Cariens, qui fut
les orages, les sauterelles, en un mot les occupé par Kélée;^ces derniers se reti-
mille fléaux qui attendent l’homme qui rèrent de l’autre côté du Méandre. Cy-
veut féconder une terre nouvelle.’ Il drelus, fils naturel de Codrus, bâtit la ville
faut reconnaître que , malgré toutes les de Myus, Andropompe celle de Lebedus
recherches des savants , il y a dans la dans un lieu nommé Artys; Andremon
civilisation antique un problèmequi n’est de Pylos celle de Colophon. Priène fut
pas encore résolu , et avouer que les fondée par Æpytus, fils de Nélée ; Teos,
Grecs nous surpassent infiniment sous fondée par Athamas, fut peuplée par les
ce rapport. Ioniens qui s’établirent'sous la conduite
de Nauclus elle reçut plus tard d’autres
:

CHAPITRE IV. contingents de population. Erythrée, qui


devait sa fondation au Crétois Érythrus,
CSBATION DES DOUZE VILLES fils de Rhadamante, fut occupée par Cno-
IONIENNES. pus flls naturel de Codrus.
La ville de Phocée fut fondée par les
l.es premiers Ioniens qui quittèrent la Athéniens, conduits par Philogène.
mère en Asie Mi-
patrie pour s’établir Paralus bâtit Clazomène; Chios et Sa-
neure vinrent sous la conduite d’Andro- mos furent peuplées par Egestius et
clus, fils légitime de Codrus, roi d’A- Tembrion.
thènes. D’autres tribus grecques se joi- Le premier soin des colons grecs fut
gnirent aux Ioniens , et se confondirent d’instituer la fête des Apatouries, qui se
avec elles. Ce sont les Abantes d’Eubée, célébrait dans toute l’Ionie , excepté ce-
les Myniens d’Orchomène, les Cad- pendant chez les Ephésiens et les Colo-
méens, les Dryopes, quelques Phoci- honiens, qui en étaient exclus à cause
diens, les Molosses, les Arcadiens Pé- ’un meurtre non expié qui avait eu
lasges, et les Doriens Épidaurieus (t). lieu sur leur territoire (2).
Ils décidèrent que l’association se com- Les Ioniens se sont donné des rois ;
poserait de douze cités, parce qu’ils il les ont pris chez les Lyciens, et les
étaient divisés en douze petits Etats autres chez les Caucones Pyliens qui
quand ils habitaient le Péloponnèse. sortent de Codrus, ces faits consignés
Androclus et les siens allèrent s^établir à par Hérodote montrent que des rela-
Éphèse; et comme il était de race royale, tions antérieures existaient entre les
cette ville conserva une sorte de supré- nouveaux colons et les anciens peuples
matie, et les descendants de ce prince de la presqu’île.
continuèrent de jouir des honneurs
royaux. Ils portèrent le sceptre, et la CHAPITRE V.
présidence , npoeSpla , dans les cérémo-
nies et les jeux puulics leur fut décernée CONFÉDÉRATION IONIENNE.
à perpétuité (2). Les tribus nouvellement
établies en Asie se disputaient le droit I>a confédération avait fixé son lieu
de suprématie; les Ioniens sortis du pry- d’assemblée générale au Panionium, lieu
tanée d’Athènes se regardaient comme sacré situé dans le territoire de Mycale,
les plus nobles de tous ; cependant leur et dédié par l’assemblée générale des
race s’était mêlée à la race asiatique ils :
villes ioniennes à Neptune Héliconius,

n’avaient point emmené de femmes avec on y célébrait la fête des Panionies.

(i) Hérodote, liv. I, rb. 146 . i) Hérodote, liv. I, 146.


(a) SiraboD, liv. XIV, p. 36a. > a) Hérodote, liv. I, 148.

ogle
, ,

ASIE MINEURE. 293

Toutes de la confédération
les affaires Hérodote a soin de faire remarquer que
étaient traitées devant cette assemblée, ce genre de vêtement vient de la Cane :

qui fut imitée depuis par la confédéra- il fut sans doute introduit chez les Grecs

âon renouvelée des peuples hellènes quand ils eurent épousé les femmes ca
sous le nom dePanhellenium, dont l'em- riennes.
pereur Hadrien se déclara protecteur. Les peuples de la Lydie, qui n’avaient
Aux douze villes de l’Ionie vint s'ad- pas plus que les Perses, l’esprit des gran-
joindre celle de Smyrne,qui sollicita cette des entreprises commerciales , voyaient
faveur, comme étant un démembrement sans jalousie se développer la civilisa-
de celle d’Ephèse; elle appartenait d’a- tion grecque sur les confins de leur
bord aux yEoliens, mais les Colopho- pays. Ils n’avaient jamais eu de rela-
niens s’en emparèrent par stratagème, tions d'outre-mer, qu'avec les Phéni-
et les anciens habitants deSmyrne Rirent ciens et les navigateurs ioniens leurs
répartis dans les onze autres villes io- rivaux. Tant que régnèrent les rois de
niennes dont ils devinrent citoyens (U. Lydie, l’Ionie jouit d'une période de
H n’est pas un auteur qui ait parlé prospérité assez longue. Les rois faisaient
de l’Ionie sans vanter la beauté du ciel, de temps à autre quelque expédition
et les charmes du climat; c’est, en effet, contre les villes trop Hères pour payer
de toute l’Asie Mineure la contrée la tribut; mais à part ces orages passagers,
plus favorisée; les étés brûlants comme les Grecs se gouvernaient par leurs pro-
les hivers rigoureux y sont également pres lois et s’accommodaient de cette do-
inconnus. Le pays , entrecoupé de plai- miuatiou plutôt nominale que réelle.
nes et de montagnes, est arrosé par une
multitude de sources et de ruisseaux CHAPITRE VI.
qui portent partout la fertilité, l'oran-
ger et l’olivier semblent se trouver dans l'IOMB sous LES PEBSES.
leur terre natale et acquièrent des pro-
portions inconnues en d'autres pays. Il n’en fut pas de même lorsque les

Les dispositions de cette partie du con- Perses eurent renversé le royaume de


tinent qui s’avance en presqu’île si- Lydie. Les peuples ariens avaient con-
nueuse, forment une quantité de ports tre les Grecs une haine et un mépris
et de mouillage où les bâtiments trou- fondés sur l’extrême différence de
vent des abris certains. mœurs etde religion. Le monde lydien
Le golfe de Smyrne sans rival pour et grec s’écroula quand Cyrus l’Àché-
la beauté de ses rives, par le caractère ménide établitson pouvoir sur l’Iran
mâle et accusé des montagnes qui l'en- aussi bien que sur l’ Asie occidentale. Il se
tourent, était comme un vaste port en- regardait comme l’héritier de tous les
touré d'une multitude d'autres ports. rois ses prédécesseurs. Les propositions
Clazomène, Smyrne ,
Tantalis, Leucæ, que Cyrus avait faites aux Ioniens de se
formaient une riche ceinture de villes joindre à lui pour faire la guerre àCré-
maritimes dans le sein meme du golfe; sus avaient été repoussées; à son tour
aussi les Ioniens jouissaient-ils avec dé- Cyrus refusa de les recevoir dans son
lices de la nouvelle patrie qu’ils s’étaient alliance lorsqu’ils vinrent la solliciter.
créée, et dans cette vie facile, s’ils ou- Les Ioniens comprirent qu’ils n’avaient
bliaient trop le maniement des armes plus qu’à songer à la défense; mais
ils ne perdaient rien de leur activité Milet manquait à la nouvelle alliance :

commerciale (2). Les arts, les lettres, les Milésiens avaient traité avec Cyrus
les jeux de la scène devinrent leurs plus comme ils l’avaient fait avec les Mer-
chères occupations. La toilette des da- mnades.
mes ioniennes régla la mode des athé- Le parti national avait Phocée pour
niennes, qui adoptèrent la tunique de centre de ralliement, ce fut un citoyen
lin attachée sur l’épaule sans aiguille (3b de cette ville qui porta la parole dans le
sénat de Sparte pour demander l’al-
(i) Hérodote, liv, I, i 5 o. liance des Lacédémoniens. Ces derniers
(
3 ) Hérodote, liv. I, i53. envoyèrent a Phocée des ambassadeurs
(S) Hérodote, liv, I, 87, chargés de déclarer à Cyrus que Lacé-
,

!:!)4 L’UNIVERS.
Itimoiie se regarderait comme offensée avaient affaire à un peuple autre que
de toate attaque dirigée contre les villes les Lydiens.
grecques de l’Asie. Cynis ne parut pas Harpagus surveillait avec soin l’orga-
effrayé de ces menaces; d’autres interets nisation de son armée ; il avait réuni un
l’appelaient en Urient. 11 laissa à Taba- corps d’habiles archers et fait construire
lus, lin de ses généraux, la conduite de toutes les machines nécessaires pour
l’expédition contre les Ioniens; on n’avait les sièges. Il cernait les villes par terre
pas encore vu sur la côte un seul soldat et par mer et montrait dans la pratique
de Cyrus : sa grande armée s’était portée des mines une intelligence consommée.
sur Bactres. 'Foute l’Asie Mineure était Les bas-relie& de Ninive nous mettent
en fermentation ; la population des à même de juger aujourd’hui à quel
côtes était en révolte ; c’est en cet état point de science militaire l’art de pren-
de choses que Pactyas crut pouvoir se dre les places était poussé chez les peu-
rendre maître de la Lydie et de l’Ionie, ples de l’Asie anténeure ; plusieurs ma-
à peine soumises. La première, résis- chines, telles que le bélier, que l'on
tance ébranla sa résolution, et il s'enfuit croyait d’invention grecque, leur étaient
dans l’île de Cvmé. connues, et la réputation de Démétrius
Le seul résultat de cette révolte fut Poliorcète perd bien de son éclat, quand
de donner naissance à des hostilités on voit avec quel art les Assyriens, les
entre les Perses et les populations de la Mèdes et les Perses savaient prendre
côte. les villes.
Poursuivi d’Ile en île, Pactyas fut livré Au milieu de ce cataclysme des co-
par les habitants de Cbio , en échange lonies ioniennes, les citoyens des deux
d’un territoire situé enMysie. Les Perses villesTéos et Phocée aimèrent mieux
tirèrent un entre avantage de cet événe- aller chercher d’autres terres que de
ment : ce fut d’entrer en relation avec se soumettre à la tyrannie des Perses.
les habitants des Iles, auxquels ils étaient En effet, tout ce qui était grec était traité
jusqu’alors tout à fait étrangers. avec un mépris sans égal ; les hommes
Mazarès ayant rempli son but de pu- éminents étaient déportés, les autres
nir ceux qui avaient pris part aux siège attachés à la glèbe , ou forcés de servir
de Sardes, se tourna contre les com- dans les armées des Perses. Au siège de
plices de cette révolution. Les habitants Téos, Harpagus lit élever des terrasses
de Priéne furent réduits en esclavage à la hauteur des murs de la ville; les
etvendus à l’encan. Il fit une excursion habitants voyant que tout moyen de
dans la vallée du Méandre, qu’il ravagea ; résister était impossible, montèrent sur
la ville de Magnésie, qui se relevait à leurs vaisseaux, et abandonnèrent la
peine de ses ruines, fut livrée au pillage ville. Phocée, qui avait été le centre de
de l’armée. .Mazarès mourut à la suite la résistance ionienne et æolienne , reçut
de ces expéditions; Harpagus, allié du de la part d’Harpagus des propositions
roi , fut investi du commandement en de capitulatiou, qui furent rejetées , et
chef de l’armée de la côte. En faisant les Phocéens préférèrent quitter leurs
choix d’un tel homme, Cyrus indiquait foyers (1). Ces deux peuples furent les
qu’il attachait une grande importance seuls qui abandonnèrent leur patrie
à la guerre d'Ionie. pour se soustraire à la servitude; les
Les Ioniens montraient en effet au autres villes résistèrent, et tombèrent
roi qu’ils étaient autre chose qu’un peu- l’une après l’autre sous le joug des
ple de marchands, et qu’ils savaient re- Perses.
trouver de l’énergie quand la liberté Les révolutions dont l'Ionie étaient
était au bout de la lutte. Tant que l’in- le théâtre avaient presque entièrement
térêt seul de leur commerce fut en ruiné le commerce avec l’intérieur , et
question, la résistance fut médiocre; les Ioniens se voyaient dans l'obligation
mais en face du fanatisme des Perses de reprendre avec plus d’activité le
il n’y avait aucune transaction possible, commerce d’outre-mer. Amasis , roi
chaque ville devint une forteresse d’Égypte, avait épousé une femme grec-
qu’Uarpagus fut obligé d’assiéger et de
prendre : les Ioniens voyaient bien qu’ils (i) XToy. plus bas Phocée.
ASIE MINEURE. 295
i i

ue nommée Ladice ; il accueillit avec par des dissensions intérieures, fut pour
istinction les colons ioniens qui ve- la nation ionienne un temps de repos
naient dans son royaume soit pour s'é- pendant lequel elle put réparer les pertes
tablir, soit pour tratiquer. Il leur concéda qu’elle avait faites, fortifier de nouveau
la ville de Naucratis pour y fonder des ses villes, et relever les monuments
comptoirs , et des terrains pour élever détruits. Mais l’arrivée de Darius, fils
des monuments religieux. Les villes d’Hystaspe , au trône des Achéménides
confédérées d'Ionie et de Doride contri- ressuscita tous les dangers que courait
buèrent chacune pour sa part à l'érec- la liberté, ou plutôt l’autonomie des
tion d’un temple magnifique qui porta villesgrecques.
le nom d'Helleuium. Darius commença par établir une
Les villes d'Ionie, Cliio, Téos, Phocée nouvelle division de son empire en sa-
et Clazoniène avaient contribué à la trapies, dans lesquelles le territoire de
dépense; Milet, qui avait fait alliance l’Ionie fut incorporé; les tributs qui,
avec les Perses, et Priène, qui avait été auparavant, étaient payés sous forme de
ruinée, n’y participèrent pas. Amasis présents, furent dès lors exigés en ar-
régna de 569 a 526. La prise de Sardes ent, aussi les Perses, qui souffraient
eut lieu en 545 et la mort de Cyrus en e cet état de choses aussi bien que les
530. Très-probablement l’érection de Grecs, avaient-ils coutume de dire que
l'Hellenium eut lieu dans la période de Cyrus avait gouverné son empire comme
545 à 530 (1). un père, Cambyse comme un maître, et
Amasis avait en outra accordé aux Darius comme un usurier.
villesioniennes un privilège qui a quel- Il était de l’intérét de Darius de
que analogie avec celui qui fut accordé laisser grecques se remettre
les villes
aux compagnies françaises du Levant; des maux qu’elles avaient soufferts ; il
elles avaient seules le droit de fournir en tirait des soldats et des matelots.
les chefs des comptoirs de commerce C’est à ce moment mie la révolte d’A-
en Egypte. La nation phénicienne voyait ristagoras attira sur l’ionie la fureur du
cette concurrence avec d’autant plus roi. Cet événement capital dans l’his-
de jalousie que, sous le règne d’Amasis, toire de l’Ionie est soigneusement ra-
nie phénicienne de Chypre fut soumise conté par Hérodote.
par l'Égypte et rendue tributaire. A la sollicitation d’Aristagoras, les
Athéniens envoyèrent vingt vaisseaux
CHAPITRE VII. au secours des Ioniens la prise de:

Sardes fut un succès éphémère , bien-


BÙONES DE CAKBYSS ET DE DABIUS. tôt suivi des plus cruels revers. Aban-
donnés par les Athéniens les louiens ,

Le règue de Cambyse ne pesa sur se trouvent sans alliés en présence de


l’Ionie que par une demande incessante toute l’armée des Perses. Les f;énéraux
de recrues pour ses expéditions contre Daurisès et Hymées dispersèrent les
les rois d’Assyrie et d’Égypte. Les con- derniers contingents ioniens, et rava-
tingents tirés de Samos étaient surtout gèrent les villes grecques. Dès qu’une
d’tin grand avantage pour Cambyse ; il ville était prise, les enfants môles étaient
trouvait dans cette population autant enlevés pour en faire des eunuques, les
de matelots habiles que de vaillants plus belles filles étaient envoyées an
soldats. Samos était en effet, comme roi (1).
Milet sur le continent, le centre du gou- L’Ionie eut un moment de paix après
vernement des Iles Grecques. La plu- la mort de Miltiade. Artapherne, fils
part de ces Grecs furent emmenés dans d’Hystaspe et frère de Darius, convoqua
l’expédition contre l’Éthiopie. De re- prèsde lui les députés de toutes les villes,
tour à Tlièbes, Cambyse les congédia, et les obligea de signer une convention
et ils revinrent chez eux par mer (2). par laquelle ils s’engageaient à faire
La fin du règne de Cambyse, agitée juger par les tribunaux les procès qui
pourraient s’élever entre les difTérentes
(i) Hérodote, liv. II, 178.
(») HcroJole, liv. Jil, ch. af). fi) Hérodote, VI, cli. ta.
,

296 LTJNIVEBS.
villes, et à cesser de recourir à la force. l’on en Ht une sorte de camp retranché.
Un cadastre des terres il’lonie fut en- La flotte grecque s’avança après avoir
suite établi , d’après lequel on régla les dépassé le temple des Euménides, de My-
contributions à payer au trésor du roi. cale jusqu’à l’embouchure du Scolopéis,
Cette division du territoire, telle qu’elle près de lanuelle est le temple de Cérès-
fut établie par Artapherne, subsistait Kleusine, liôti par Philiste, lils de Pasi-
encore du temps d’Hérodote; le mon- clès, qui avait suivi Nélée, Qls de Codrus,
tant de l’impôt était le même qu’avant lorsqu’il vint fonder Milet.
la rébellion (1). Léontichydès Ht en vain un appel
L’Ionie faisait partie de la première aux Ioniens pour les détacher du ser-
satrapie, qui s’étendait jusqu’à la Cilicie vice des Perses ; celte tentative eut pour
au sud, et jusqu’à la Troade au nord ; résultat de faire désarmer les Samiens,
elle payait quatre cents talents d’argent. que les Perses croyaient être d’intelli-
Le uanger commun avait fait taire les ;enceavec les Grecs. Sur ces entrefaites,
ressentiments des Ioniens et des Cariens ; fe bruit de la victoire de Platée se ré-
l’un et l’autre peuple s’étaient réunis pandit dans le camp des Grecs ; celte
our combattre l’ennemi des villes li- nouvelle ranimant leur courage, ils at-
res de l’Asie, et dans plusieurs rencon- taquèrent avec succès les Perses, qui
tres les Perses avaient éprouvé des dé- furent mis en désordre. Les Athéniens
faites sérieuses de la part des troupes ainsi que les troupes qui se trouvaient
ioniennes et cariennes. Un événement à leurs côtés ^ et qui formaient à peu^
mémorable, la bataille de Mycale, aurait irès la moitié de l’armée, s’avancèrent

mis lin à la puissam* des Perses si la ,


fe long du rivage par un terrain uni

jalousie des villes grecques n’eût fait tandis que les Lacédémoniens et le
naître des dissensions qui rappelèrent reste des forces qui les suivaient immé-
encore une fois les barbares sur les diatement , marchèrent par les monta-
terres ioniennes. gnes et le lit des torrents.
Les Samiens et les Ioniens qui avaient
CHAPITRK VIII. été désarmés attendaient l’occasion fa-
vorable pour abandonner l’armée perse.
l’iome sous xebxès. Dès que le camp retranché fut attaqué,
ils se précipitèrent au milieu des Grecs,
Les Ioniens avaient envoyé des dépu- qui les armèrent, et ils contribuèrent
tés à Léontycliydès, roi de llacédémone, au succès de la bataille. Les Milcsieus,
pour les prier de venir délivrer les villes de leur côté, sur qui les Perses avaient
grecques de la servitude des barbares ; compté pour les guider dans cette ré-
ce secours ayant été accordé, la Hotte gion inconnue pour eux , au lieu de fa-
grecque vint mouiller à Samos vers la ciliter leur fuite, ramenèrent les Perses
pointe de l'ile appelée les 'Calames, où par les défilés du Mycale sur l’armée
se trouvait un temple, de Vénus, et non des Grecs, et les Milésiens eux-mêmes,
loin du temple de .lunon. Il reste encore attaquant les Perses avec acharnement,
aujourd’hui une colonne et d’autres achevèrent la destruction de l’armée des
vestiges de ce temple, qui fut épargné barbares.
dans la destruction des édifices sacrés, Xerxès, en apprenant cette défaite,
ordonnée par Xerxès en souvenir des abandonna Sardes pour se retirer à
services que Polycrate avait rendus aux Suze ; mais avant de partir il donna
Perses. Ces derniers ayant en connais- l’ordre de démolir et de brûler tous les
sance de la Hotte grecque , mirent aussi temples des villes grecques d’Asie, ce
leurs vaisseaux en mouvement et vin- qui fut exécuté. Il en usa ainsi à l’ins-
rent, à l’exception des Phéniciens, mouil- tigation des mages, ennemis déclarés
ler au promontoire de Mycale pour se des temples et des simulacres.
rapprocher d’une armée de terre cam- La mort de Xerxès et la défaite de l’ar-
ce en eet endroit pour la défense de mée des Perses pouvaient offrir à l’Io-
P Ionie. On tira les vaisseaux à terre, et nie une occasion favorable pour secouer
à jamais la domination iranienne,
(i) Hérmlolc, liv. Vt, mais les dis.sensions qui s’élevèrent
,

ASIE MINEURE. 297

donnèrent au successeur
entre, les alliés ordre comprit qu’il était tombé dans
de Xerxès l’occasion de recommencer un piège doré. Il lui était aussi impos-
la guerre. de faire la guerre à ses compatriotes
sible
que de refuser de défendre un prince
CHAPITRE IX. qui l’avait comblé de bienfaits; dans
cette cruelle alternative , il eut recours
BÈGNB n’ABT.iXBBXE. au suicide, et se donna la mort en bu-
vant du sang de taureau (f).
Artaxerxe monta sur le trône en 465 ; Thémistocle mourut en 461, la qua-
le fait le plus important de son règne, trième année du règne d' Artaxerxe ; c’est
(lui se rattache aux événements de l’opinion de Thucydide, adoptée par Roi-
ITonie, est l’arrivée de Thémistocle à la lin et par Curtius (ii). On lui éleva un
cour de Perse. Banni d’Atliènes, il cher- tombeau dans l’Agora de. Magnésie (3),

cha vainement un asile en Europe, et se mais plus tard ses os furent transportes à
vit forcé de passer en Asie pour se Athènes.
mettre à l’abri des poursuites des Athé- La jalousie et la rivalité, sans cesse
niens. Le roi de Perse avait mis sa tête renouvelées entre les villes grecques
à prix, et promis deux cents talents à d’Asie, donnaient aux Athéniens et aux
celui qui la lui livrerait. Nicogène, ami Lacédémoniens de continuelles occa-
de Themistocle, lui offrit un asile dans sions d’intervenir dans leurs querelles.
la ville æolienne d’Ægès, et lui facilita Samos et Milet se disputaient la posses-
les moyens de se rendre à Suze, caché sion de Priène , c'est-à-dire du grand
dans une de ces voitures couvertes ou centre religieux des villesd’ Asie. Athènes
kafèz dans lesquelles les orientaux, intervint en faveur de Milet, et Périclès
même de nos jours , ont l’habitude de vint assiéger Samos, qui fut prise après
faire voyager leurs femmes. Artaxerxe une résistance vigoureuse.
montra dans cette circonstance autant Pendant toute la durée de la guerre
de sagesse que de générosité : il fit à du Péloponnèse , les Athéniens tirèrent
Thémistocle un accueil distingué, le re- des villes grecques d'énormes subsides,
tint à sa cour, et lui 6t épouser une jeune qui , en appauvrissant le pays, nuisaient
fille appartenant à la plus haute no- a sa prospérité. Aucun développement
blessedu pays. n’était donné à la colonisation qucun ,

L’intérft de la politique d’ Artaxerxe édiGce célèbre ne fut construit en Asie


exigeaitque la pianière généreuse dont pendant cette période, qui occupe une
Thémistocle avait été traité par lui fût nelle page dans les historiens grecs, mais
connue de tout le monde grec. Le roi qui pour les villes d’Asie fut a peu près
assigna pour résidence au banni d’A- stérile.
thènes laville de Magnésie, sur le Méan- Les Lacédémoniens, de leur côté,
dre, qu’il luidonna en toute propriété avaient conclu un traité avec le roi de
et lut permit de jouir des revenus de Perse, en vertu duquel ils abandonnaient
cette ville, qui s’élevaient h cinquante au roi tout le territoire et toutes les
talents. Lampsaque, renommée par ses villes qui appartenaient antérieurement
vignobles , lui fut donnée pour la four- à ses ancêtres; les alliés devaient en
niture de son vin, et Myus, dans la val- outre arrêter les subsides, soit en ar-
lée du Méandre , fut chargée de fournir gent, soit en matériel de guerre que ces
le pain de sa maison. Thémistocle put villes envoyaient à Athènes.
jouir pendant plusieurs années de cette
splemlide hospitalité. (i) « Quelques-uns racontent que Tlié-
Les Grecs n’avaient pas mis lin à mistocle cl Midas ont bu du sang de tau-
leurs attaques contre le pouvoir des Per- reau. .. de Quintus, Flaminius,
Pliilarqire vie

ses; c’est alors qu’ Artaxerxe songea à chapitre ao, p. 706.


envoyer Thémistocle dans l’AUique à Plutarque affectionnait ce genre de mort,
Quoi-
latête d’une armée nombreuse, ne vou- qu’il prête à plusieurs de ses héros.

lant pas renouveler en personne les que le sang de taureau ne soit pas un poison,
malheureuses expéditions de ses prédé- (a) Thucydide, liv. I, ch. 1Î7, i38.

cesseurs. Thémistocle en recevant cet (3) Thucydide, liv. I, i38.


, ,,

298 I/ITNIVERS.
Les efforts des Athéniens pour résister session où elles étaient de leur liberté.
à cette double alliance ne furent pas Les troupes de Xénophon étaient de
sans résultat; Alcibiade, vainqueur à retour de leur expédition de Perse.
Abvdos et à Cyzique, détruisit la flotte Dercellydas fut chargé du commande-
du Péloponnèse et battit sur terre l’ar- ment; il commença par déclarer la
mée commandée par Pharnabase. guerre à Pharnabaze, et entra dans
Les Lacédémoniens, alarmés des suc- l’Æolide.
cès d’Alcibiade, cbercbèrent à lui op- Zenis, grec de Dardanie, avait gou-
poser un chef capable de lui résister ; verné ces provinces scus les ordres du
Lysandre fut choisi, homme de mer satrape ; à sa mort, sa veuve Mania con-
autant que çéuéral d’armée. Lysandre serva le pouvoir, et sut maintenir sa pro-
se rendit à Éphèse, qu’on trouva dispo- vince sous l’autorité de la Perse.
sée favorablement à l’égard de Sparte; Pharnabaze traitait cette femme guer-
mais le satrape Tissapherne f.ivuri.sait rière avec la plus grande distinction.
en secret les Athéniens et leur procu- Elle paraissait à la tête de son armée
rait des subsides. montée sur un char, et accompagnait
Aussitôt que Cyrus le jeune, nommé Pharnabaze dans toutes ses expéditions.
gouverneur de l'Asie, ftit arrivé à Sardes, Mania futassa.ssinéepar .Midias, son gen-
Lysandre se rendit près de lui pour se dre, oui tomba lui-même bientôt après
plaindre du satrape ; il obtint du nou- sous les coups de Dercellydas.
veau gouverneur une augmentation de
paye pour les matelots mesure qui at-
, CHAPITRE X.
tacha les gens de mer au parti de Sparte
et qui jeta la consternation parmi les AGESILAS EN IONIE.
Athéniens. Lysandre ayant déposé le
commandement fut remplacé par Cal- L’anivée d’Agésilas en Asie vint ra-
licratidas, dont la science militaire éga- nimer le courage des Grecs ; ce prince
lait celle de Lysandre, et qui par sa con- réunit son armée à Éplièse, et pendant
duite privée s’était acquis l’estime de quelque temps fut uniquement occupé
l’armée et des citoyens. Lysandre ja- à l’exercer pour entretenir la discipline.
loux de sou successeur, renvoya a Saraes Les promenades militaires se termi-
les sommes qu'il avait reçues de Cyrus naient par des fêtes en l’honneur de
pour payer les matelots. Diane. I..es prisouniers per.ses étaient
En vain le général laoédémonien vendus à vil prix. Un jour Agésilas
fit-il le voyage de Sardes pour réclamer étant sur le marché montrait à ses sol-
la paye de éconduit de la cour
la flotte; dats les prisonniers dépouillés de leurs
du roi, Callicratidas revint sur la côte riches vêtements, et en présence de ces
pour reprendre le commandement de corps délicats, toujours enfermés dans
ta flotte. LTn suprême effort pour vain- leurs amples vêtements, il disait à ses
cre les Athéniens était la seule ressource soldats : voilà ce que vous combattez
ui lui restât. Le combat eut lieu près et indiquant leurs riches dépouilles,
es Iles Arginuses, combat célèbre, voilà pourquoi vous combattez.
dans lequel toutes les forces navales Le printemps venu ,
Agésilas publia
d’Athènes et de I.acédémone étaient u’il marcherait vers
la Carie, résidence
engagées. Callicratidas fut tué dans l’ac- e Tissapherne mais il avait préparé se-
;

tion, et Athènes remporta une victoire crètement une expédition contre Sardes.
complète. Tis.saphe.rne arriva trop tard au secours
Pendant les années qui suivirent cette de la place, les troupes grecques s’en
défaite des Lacédémoniens, le jeune emparerent , et ravagèrent toutes les
Cyrus avait entrepris son expéaition possessions des Perses. Le palais de Tis-
contre son frère Artaxerxe. Les villes sapherne fut incendié, et ses jardins dé-
grecques avaient pris partà cette révolte, truits. Ces événements expliquent pour-
et après la mort de Cyrus, craignant le quoi, malgré le long gouvernement des
ressentiment du roi, elles implorèrent Perses dans l’ouest de l’Asie , on ne
l’intervention des Lacédémoniens pour trouve aucun vestige des monuments de
le prier de les maintenir dans la pos- cp.s- peuples.
aSIE mineure. 399
'••Il
Agésilas, en qiiittaut l'Asie, fut regretté des temps meilleurs. Le gouvèrnement
de tous les peuples grecs, il emmena des Perses se contentait de lever des
Xénophon, qui laissa à Ëphèse chez le recrues et des impôts, et il laissait
Mégabyze, prêtre chargé de prendre soin aux Grecs tout l’essor du génie national.
du temple de Diane, la moitié de l’or Les arts et le commerce captivaient
qu'il avait rapporté de son expédition tous leurs instants; les monuments dé-
avec Cyrus, et en cas de mort, pour le truits se relevaient peu à peu, et le luxe
consacrer à Diane. inouï des satrapes était entretenu par
Une rencontre décisive entre les La- l’industrieuse imagination des artisans
cédémoniens et les Athéniens alliés aux grecs , habiles a travailler l’or, l’argent
Perses eut lieu près de Cnide ; la flotte et l’ivoire. Cette dernière matière était
des Lacédémoniens était commandée alors d’une extrême abondance en Asie;
par Pisandre , celle des Athéniens par l’usage constant d’entretenir à la suite
Conon. Ces derniers battirent les Lacédé- des armées de nombreuses troupes d’é-
tlémoniens et leur prirent cinquante ga- léphants, le commerce actif des Phéni-
lères; le reste se sauva à Cnide. A la ciens et des Grecs avec les peuples de
nouvelle de cette victoire, tous les alliés l’intérieur de l’Afrique, apportaient sur
de Sparte passèrent du côté des Athé- les marchés de Milet et de Smyme des
niens; plusieurs villes se rétablirent quantités d’ivoire que les Grecs tra-
dans leur ancienne liberté, et la puis- vaillaient avec habilité. On peut affirmer
sance de Lacédémone fut complètement que la galère d’ivoire aux voiles d’or,
anéantie en Asie. présent d’Ataxerxe, n’était pas faite par
Sparte, vaincue dans les combats, ne un artiste perse, ces derniers n’ayant
voulut pas laisser Athènes jouir tran- aucune idée de la construction des vais-
quillement du fruit de sa victoire, ni les seaux. Néanmoins nous devons consi-
villes révoltées de la liberté qu’elles dérer le travail de l’or et de l’ivoire
avaient recouvrée ; elle résolut de faire comme d’origine orientale, puisque ces
la paix avec Artaxerxe. matières étaient communes dans ces
.Antalcidas fut envoyé nu satrape Té- régions avant que les Grecs en aient
ribaze pour lui faire les propositions les connu l’emploi. C’est dans leurs rela-
plus avantageuses pour le roi. L’article tions avec les Perses qu’ils ont puisé ces
qui concernait les villes d’Asie portait connaissances , et cet art de faire des
que les lies seules jouiraient de leur li- figures d’ivoire dans lequel ils ont ex-
berté; toutes les villes grecques d’Asie cellé.
demeureraient soumises au roi, et toutes Le contact des Perses introduisait
les autres villes non helléniques joui- aussi chez les Grecs les modes orienta-
raient de leur indépendance. les ; on voyait dans Athènes les jeunes
Le roi retenait en outre la possession gens vêtus à la persane avec des robes
de nie de Clazomène La nouvelle d’un
. traînantes , entourés d’un cortège d'es-
pareil traité fut accueillie avec indigna- claves. Les Perses agissaient sur les
tion par toute la nation grecque ; mais, Grecs comme ces derniers ont agi plus
affaiblies par tant d'années de guerre, tard sur les Romains : c’est ainsi que, de
les villes u’Asie ne se jugèrent pas ca- roche en proche, l’art sérieux comme
pables d’opposer la moindre résistance, P art éphémère des vêtements précieux
Pt le traité d’.Antalcidas reçut son exé- se propageait d’orient en occident.
cution.
CHAPITRE XII.
CHAPITRE XL
l’abt ionien.
l'ionie apbès la paix d’ antalcidas.
La cour de Polycrate, qui se distin-
Les villes ioniennes , réduites à l’état guait surtout par son affectation d’orien-
de soumission où les avait placées la talisme , eut une grande action sur le
trahison des Lacédémoniens, abîmées et changement des modes grecques. Cos
ruinées paries révolutions intérieures, fournissait des tissus d’une finesse in-
n’eurent plus qu’à attendre patiemment comparable, et les tapis de Milet étaient
,

300 L’UNIVERS.
dans Athènes l’objet le plus convoité; satisfasse l’œil et l'esprit tout ensemble.
aussi, quand, sur le théâtre, un pauvre L’idée de couronner une colonne par
diable voulait parler d’un luxe impos- un chapiteau orné de volutes a été rnn-
sible, il souhaitait des tapis de Milet et testée aux Ioniens il est vrai que dans
:

des manteaux de Phrygie. les plus anciens monuments de la Perse,


L’exportation des fruits, des laines, de l’Assyrie et de l’Égypte on trouve
des cuirs de l’Asie, jointe à celle des ob- quelques' rudiments de cei ordre, non pas
jets fabriqués, entretenait le commerce traité comme l’ont fait les Ioniens, mais
et faisait vivre ces populations. Les droits enfin on peut déjà distinguer la colonne
frappés à i’entréeet à la sortie n’entraient à volutes.
pas tout entiers dans le trésor du satrape, Les Grecs ont su donner à ces pre-
ils étaient votés par les villes; la preuve, miers essais une forme acceptable et
c’est que Cyme pendant quatre cents pour ainsi dire une âme, et tous les
ans n’a pas voulu de ces droits. Hors peuplesont applaudi à cette création. L'é-
des côtes, les navires des villes d’Ionie cole d’architecture ionienne ne s’est pas
reprenaient le pavillon grec, et les (lot- bornée à finventioii d’un ordre ; les pre-
tes d’Athènes, qui surveillaient les mers, miers Grecs ne savaient employer que le
les escortaient jusqu’au fond du Pont- seul dorique pour la construction de leurs
Euxin. La vie ne s’était pas retirée des temples, c’est-à-dire que les proportions
villes d’Iunie en même temps que la li- de l'rdilice, subordonnées aux règles de
berté, et Milet, par sa fidélité aux satra- l’art dorique, ne pouvaient s’écarter des
ies, montrait plus tard qu’elle avait vo- trois principes de cet art. L’invention
fontiers changé le gouvernement de ses d’Hermogène en créant le style pseudo-
tyrans contre celui de Darius. périptère a donné à l’architecture des
Les Grecs du continent étaient les temples une plus libre carrière, et cette
premiers à rendre hommage au génie invention a été louée par les Grecs comme
inventif des Ioniens, qui se manifestait une ère nouvelle pour l’architecture.
dans toutes les branches des sciences et Dans les pays étrangers à la Grèce
des arts. La liste des grands poètes et les altistes ioniens étaient en honneur ;
des grands artistes qu’elle a produits les villes de Chio, Téos, Clazomène,
peut se placer avec avantage à côté des Phocée contribuèrent à l’érection de
noms les plus illustres de l’Attique et fHelienium, temple admirable que le
du Péloponnèse. Homère et Hérodote roi d’Égypte Amasis, ami des Ioniens,
ont laissé dans leur patrie unenombreuse leur avait permis de construire.
postérité de poètes, de littérateurs et de Les citi(|iiante années écoulées depuis
philosophes, et dans les arts nulle con- la paix d’Antalcidas .
jusqu'à l’arrivée
trée ne peut le disputer à l’Ionie pour d’Alexandre comme libérateurde l’Asie,
le goôt et la noblesse des monuments ne furent pas perdues pour l’Ionie la fu- :

qu’elle a produits; le temple d’Éphèse sion des races s’était opérée, les Cariens,
était, à l’exclusion du Partiiénon, placé leurs anciens ennemis, avaient combattu
au nombre des merveilles du monde. à leur côté contrôles Perses, et si la ville
Ce n’est pas un mince honneur pour les cariennede Milet se soumettait plus vo-
Ioniens d’avoir inventé un ordre d’ar- lontiers au gouvernement des satrapes
chitecture qui, depuis trente siècles, est ses colonies restaient amies des Grecs et
regardé par toutes les nations civilisées recevaient la protection d’Athènes.
comme le plus élégant des ordres c’est : Un lien plus fort unissait les villes
le seul qui ne souffre pas la médiocrité, grecques. Deux grands centres religieux,
et lès artistes modernes peuvent avouer le temple d’Éphèse et celui des Bran-
combien il est difficile d’imiter la ma- chydes attiraient une foule d’adorateurs,
jestueuse simplicité de la colonne ioni- non-seulement des pays voisins mais du
que. Les préceptes de Vitruve suivis continent et des îles. Le luxe des cé-
scrupuleusement ne suffisent pas pour rémonies religieuses, les statues et les
arriver à un résultat satisfaisant; les offrandes qui s’augmentaient sans cesse
Grecs seuls ont eu le secret de cet art, et stimulaient le zèle et le génie des ar-
parmi les monuments de l’art ionien qui
nous restent, il n’en est pas un qui ne (i) Hérodote, liv. II, 177. .
,

ASIE MINEURE. 301

listes qui sortaient peu à peu des liens L’arrivée de Manlius fiit le signal
hiératiques pour donner à leurs divini- d’une domination nouvelle et encore
tés des formes plus en harmonie avec inconnue en Asie; mais jusqu’à ce que
le sentiment du beau. cette province vit fleurir l’époque tran-
Les jeux de la scèue qui accompa- quille et prospère des règnes d'Uadrien
naient les fêtes religieuses exigeaient un et d’Antonin, elle devait passer encore
éveloppement d’ouvrages d^art d’un par des épreuves cruelles. La guerre
autre genre , les poètes composaient des d’Aristonicus, dernier prétendant au
hvmneset desdytnyrambes, et les artistes trône des Attales, eut pour théâtre le ter-
élevaient des monuments où le peuple ritoire de rionie ; car Aristonicus avait
pouvait commodément s’assembler pour conservé plusieurs places fortes , et no-
assister à ces fêtes dans lesquelles la po- tamment Thyatire.
litique comme la religion faisaient les Les Éphésiens combattirent contre lu i

princi paux frais. Le théâtre dans les villes soit à la solde des Romains , soit à celle
grecques était pour ainsi dire une an- de Nicomède , roi de Bithynie qui
,
nexe du temple. Il n’était pas une seule voyait son royaume s’agrandir de ra-
petite ville qui n’eût soin d’élever l’un moindrissement de celui de Pergame.
et l'autre édiBce. Ce goût pour les 'mo- EnGn Aristonicus fut vaincu et envoyé
numents splendides était soutenu par la à Rome; les deux consuls moururent à
nature même du pays qui fournissait la suite de cette guerre.
des marbres varies de couleur, mais On par les efforts réunis des
voit,
armi lesquels les carrières de marbre Romains des Ioniens et des deux rois
,

lanc se présentent avec une extrême de Cappadoce et de Bithynie (t), que le


abondance l’ile de Proconnèse était en-
: dernier Gis d’Attale n’était pas un pré-
core là pour suppléer au manque de tendant si méprisable. C’est le dernier
matériaux. Les forets du Mycale et du événement remarquable qui se passe en
Messogis produisaient les bois néces- Ionie avant l’établissement déGoitif de
saires aux constructions terrestres et la puissance romaine.
maritimes; en un mot, les Ioniens sa- Tibère , en organisant ses États d'O-
vaient avec une rare intelligence mettre rient, donna pour ainsi dire la supréma-
en valeur toutes les richesses que pro- tie à l’ionie sur les autres départements,
duisait leur pays d’adoption. en la décorant du titre de province d’A-
sie, comme si elle était le centre et le
chef-lieu de toutes les autres. Cependant
CHAPITRE XIII.
il en étendit les limites un peu au delà

l’iome sous les bois gbecs. de l’Ionie, et à cette province se joignait


une partie de l'A^olide et de la Lydie.
C’est en cet état que le vainqueur du Le grand nombre de villes fondées par
Granique, qu’Alexandre trouva les villes les Grecs sufGsait pour recevoir un grand
grecques lorsqu’il vint leur rendre la accroissement de population sans qu’il ,

liberté, relever leurs temples abattus et fût nécessaire d’en créer de nouvelles ;
les appeler à l’expulsion du dernier aussi nous ne trouvons pas dans l'Ionie de
Perse de l’Asie Mineure. villes portant un nom purement romain,
A partir de cette époque jusqu’à la comme il s’en présente en Phrygie
réunion de l’Asio à l’empire romain, l’Io- et en Bithynie. La généralité des noms
nie ne marque plus comme une région de villes d’Ionie est d'origine grecque ;
à part dans la presqu’île. Réunie selon le celles même dont
fondation est at-
la
caprice ou la politique des princes grecs tribuée aux aborigènes ou aux barbares
tantôt à la Lydie, tantôt à PÆolide ou à n’ont pas conserve leur première déno-
la Carie, les villes, libres dans leur gou- mination. Étienne de Byzance nous a
vernement intérieur, sont aujourd’hui conservé plusieurs variantes des noms
rangées sous le pouvoir d’un prince, des villes d’Asie. Ils sont surtout très-
demain sous celui de son compétiteur. multipliés dans la Carie et la Lycie.
Elles n’arrivent à faire partie d'un gou-
vernement stable et régulier qu’après la (i) StraboD, liv. XIV, p. 645.
constitution du royaume de Pergame.
. y

302 L’UNIVERS,

CHAPITRE XIV, Samos et Chio étaient les capitales


des lies du même nom.
SOOS LES RMPEHEUHS BOMAINS. Au nord, l’Ionie se terminait à Phocée :

le golfe de lassus formait la frontière du


Sous les empereurs romains, l’Ionie sud.
ne cessa de prospérer et d’élendre ses Hérodote divise les villes d’Ionie en
frontières et du temps de. l’empire de (juatre dialectes grecs : Milet ,
Myus et

Byzance elle était incomparablement la Priène en Carie usaient d’un même lan-
plus riche province. gage; Éphèse, Colophon, I.ébédos, Téos,
Dans la province d’Asie, la notice des Clazomene et Phocée usaient d’un autre
Patriarcats place quarante-cinq villes dialecte; Erythræ et Chio se servaient
dont voici la liste :
' d’un même idiome; Samos en avait un
particulier (I). Ce passage de i’historicn
Éphèse. Thymbria.
grec montre que l’Ionie sest formée d’un
Hypatpa. Clazomène.
Magnésie du Sipy-
démembrement de la Lydie et de la Cane.
Tralles.
L’émigration régulière des Ioniens
Magnésie du Méan- lus.
130 avant J.-C. Les Lé-
Smyrne.
commença l’an 1
dre.
léges habitaient les territoires de Smyrne
Elæa.
et de Phocée, lesCariens occupaientcelui
Adramytium. Euaza.
de Milet et d’Éphèse : ces deux peuples
Assos. Arcopolis.
furent expulsés par les Ioniens, et allè-
Gargara. Algiza.
rent s’établir dans d’autres parties de la
Pitane. Auréliopolis.
Carie.
Myrrlnna. Valentinianopolis.
Après Tavénement de Constantin.
Teranos. Aninctum.
l’Ionie fut soumise à une nouvelle dé-
Nysa. Anæa.
marcation, et les villes furent classées
Métropolis. Arcadiopolis.
par évéchés sans cependant cesser d’ap-
Pergame. Nova-Aula.
partenir à la province d’Asie. L’Ionie
Priène. Ægea.
renfermait huit évêchés classés par ordre
Claros. Andera.
de préséance de la manière suivante :

Colophon. Fanum Jovis.


Smyrne , Éphèse , Téos , Phocée , Ery-
Lébâlus. Pepere.
thræ , 'Priène , Colophon , Clazomène.
Téos. Aulium.
Les évêchés de Milet et d’Héraclée appar-
Erythræ. Naulochus.
tenaient a la Carie.
Antandros, Bargara.
Mastaura.
La navigation le long des côtes de
Cvmé.
l’Ionie était d’environ 3,430 stades, ou
Pliocée. Brullena.
98 lieues géographiques (2), en con-
Cette circonscription s’étendait donc tournant la grande presqu’îled’Erythræ.
au nord jusqu’au golfe d’Adramyttium La largeur de la base de cette presqu'île
et au sud jusqu’au Méandre, elle était entre Smyrne et Éphèse n’est oue de
bornée à l’est par les montagnes où ce 120 stades en ligne droite, soit l2kilom.
fleuve prend sa source, c’est-à-dire un quart.
qu’elle renfermait l’Æolide, l’Ionie et Nous n’avons rien à rabattre des éloges
une partie de la Lydie. que fait Hérodote du climat de l’Ionie.
L’Ionie proprement dite ne couteuait C’est toujours le ciel le plus pur daus le
dans l’origine que dix villes principales climat le plus heureux, mais combien
et deux lies. Strabon (1) lui assigne les l’aspect du pays a changé; il n’y a plus
villes suivantes dans la terre ferme. guère aujourd’hui que Smyrne qui soit
Miiet. Ephèse. une ville hahitable , tout le reste a été
Ervthræ. Clazomène. converti en marais pestilentiels ou en
Pri'ène. Lébédos. déserts arides.
Téos. Colophon. Éphèse , Milet et Téos ne sont plus
Myus. Phocée.
(i) Hérodote, liv. ch. 140.
I,

(i) Sirabon, XIV, p. t>S3. Ælieii, Vaiiar. (9) 3 , 43 o stadei de 700 au de^ré font 4,
llist., liv. VIII, ch. 5 degres ou 98 lieue.^.

À
,

ASIE MINEURE. 308

que des marécages où les habitants hé' dispersés dans les villages pendant l’es-
.sitent à passer une nuit; Erythræ est pace de quatre cents ans.
un désert rocheux Claros, Lébédus et
;
On célébrait à Smyrne une fête an-
Colophon sont absolument déserts, mais nuelle qu’on appelait les Éleuthéries,
cette situation si pittoresque dominant en commémoration dé la délivrance de la
la mer de Samos ne demanderait qu'à ville par le dévouement des servantes.

être habitée par une population agri- Les Lydiens assiégeaient Smyrne, et,
cole. Cet état désastreux des villes ne au moment de s’en emparer, ils contrai-
s’applique nullement à la fertilité du gnirent les habitants de leur envoyer
sol, qui est toujours la même les gras : leurs femmes. Ceux-ci, étaient sur le
pâturages des vallées du Méandre et du point de souscrire à cet ordre, lorsque
Caystre nourrissent encore de nombreux les servantes se dévouèrent pour leurs
troupeaux , et nous avons dit combien maltresses, et agirent de telle sorte dans
sont fertiles les vallées supérieures de le camp des Lydiens, que ceux-ci fini-

ces fleuves. rent par tomber entre les mains des


Smyrnéens. Ce trait nous est conservé
CHAPITRE XV par Oo.sitbée, qui avait écrit l’iiistoire
de Lydie.
Les auteurs que nous venons de citer
SUYKNB.
donnent peu de détails sur remplace-
ment de la ville atoiienne ; ils ne nous
La fondation de Smyrne remonte disent pas si elle était en plaine ou sur
aux premiers temps de la migration une montagne
ionienne; dans le principe elle ne lit Strabon, en deux passages diffé-
pas partie de cette confédération parce , rents fixe à vingt stades la distance
,

que la population était un démembre- entre la ville ancienne et celle qui exis-
ment de celle d'Êphèse : c’est du moins tait de son temps « il
y a le golfe de
;

la tradition que Strabon nous a con- Smyrne et la ville. Ensuite un autre


servée d’après Callinus. Les Épbésiens, golfe, dans lequel esl l’ancienne Smyrne,
ui habitaient le quartier nommé a vingt stades de celle d’aujourd’hui. Le
myme , vinrent attaquer les
Léiéges géographe insiste particulièrement sur
les chassèrent, et construisirent une les deux golfes; c’est dire suffisamment
ville à laquelle ils donnèrent le nom de que l'ancienne Smyrne était dans l’anse
Smvrne. Attaqués à leur tour par les aujourd’hui comblée qui allait vers
Æotiens , les Smyrnéens furent chassés Bournabat. En observant l’étendue des
de leur pays, et se retirèrent à Colo- atterrissements du Mêlés , il est clair
phon ; mais , aidés des Colophoniens qu’à une époque antérieure la mer en-
ils reprirent leur ville. trait plus avant dans les terres qu’elle
Hérodote regarde la première Smyrne ne le fait de nos jours; il faut infailli-
comme une ville æolienne , qui tomba blement placer l’aucieiiDe Smyrne dans
par stratagème entre les mains des un autre golfe que celle d’aujourd'hui.
Ioniens (l). Plus tard , cette ville ayant Tout le monde à Smyrne connaît, au
refusé de se soumettre aux rois de sud-ouest de Bournaoat, une localité
I.ydie, eut à résister à plusieurs inva- couverte de ruines , dans lesquelles on
sions , et finit par succomber. a découvert beaucoup d'inscriptions,
Gygès entreprit une expédition contre dont quelques-unes ont été encastrées
Smyrne, maisellen’eutaucun résultat(2). dans le mur de la mosquée de Bourna-
Dans la suite, Alyatte, fils de Sadyatte, bat ; ce lieu s'appelle encore aujourd’hui
chassa les Cimérieus d’Asie, et prit la Palæa Smyrna, l’ancienne Smyrne.
ville de Smyrne, désignée alors par Hé- La Smyrne dont on voit les ruines
rodote comme une colonie des Colopho- sur la montagne qui
domine la ville mo-
niens. A la suite de ces événements , les derne est un ouvrage des rois grecs (1).
habitants quittèrent la ville , et restèrent Pausaiiias en attribue la fondatiou à-
I ; Alexandre , qui , à la suite d’un songe
,
(i) Héro^te, liv. I, «h. t«9, ^pi;
(ï) Id., liv. I, chap. <4. (i) Strabon, liv. XIY, p. 646.
,

304 L’UWIVERS.
inspiré uar Némésis, résolut d'établir Smyrne, passe pour avoir souffert le
une ville sur le mont Pasus où il , martyre dans le stade en l’an 166. Une
s'était endormi. L’orade de Claros, petite église grecque bâtie en ce lieu est
consulté h ce sujet, engagea les Smyr- aujourd’hui abandonnée.
néens à aller habiter la ville nouvelle, De tous les ouvrages exécutés par les
qui prit le nom de leur ancienne pa- rois grecs , il ne reste qu’une partie de
trie (I). l’ancien château ; c’est le soubassement
Mais le roi de Macédoine ne fut pas des tours du côté sud-ouest, qui est à
appelé à exécuter son projet. La cons- joints irréguliers , et la tour sud-ouest
truction de la nouvelle ville fut entre- jusqu’au tiers de sa hauteur. Elle est
prise par Antigone et accomplie par construite en bel appareil de trachyte
Lysimaque. rouge, qui lui donne l’apparence d’une
Smyrue fut donc fondée au nord du tour de porphyre. Le reste du château
mont Pagus, partie sur la montagne et est un ouvrage byzantin. Les autres
partie dans la plaine. Le fleuve Mêlés monuments sont en partie détruits;
que l’oracle avait nommé, coule dans mais on en reconnaît parfaitement les
la partie orientale de cette montagne, et ruines. Le stade s’étend de l’est à l’ouest
la ville s’étendit dans la plaine entre le un peu plus bas que le château. Les gra-
fleuve et la mer. Les plus somptueux dins étaient de marbre ; ils ont été em-
édifices ne tardèrent pas à être cons- ployés dans les constructions modernes.
truits, et les rues alignées et coupées à Toute la partie gauche du stade est
angle droit , et même décorées de por- soutenue sur des contre-forts qui exis-
tiques. La mémoire d'Homère, qui pla- tentencore ; il y ades niches demi-circu-
nait sur les rives du Mêlés, fut honorée laires et des cellules dont l’appareil est
,

par un temple appelé VHomerium. en petites pierres, ouvrage évidemment


D'autres édifices sacrés , le temple de romain.
Némésis, celui de la Mère des dieux, Le théâtre a eu le sort du stade; il

furent construits dans la plaine. L’a- ne restait en 1836 que les deux parties
cropolis ,
le stade , le théâtre et les por- qui soutenaient jadis les gradins, avec
tiques s’élevèrent sur le penchant de la lés galeries qui conduisaient aux pré-
montagne. Le port, dont l’emplacement cinctions. Les gradins furent détruits
est occupé aujourd’hui par des habita- au milieu du dix-septième siècle; mais
tions, était un bassin que l’on fermait on voit encore très-bien le gall» du mo-
au moyen d’une chaîne. nument, et probablement ferait-on quel-
Mais la partie inférieure de la ville, ques découvertes de fragments dans les
établie sur des terrains d'atterrisse- maisons qui occupent le proscenium.
ments, presque au niveau de la mer, Mais ces ruines , qui attireraient encore
pour les eaux plu-
n’avait pas d’égouts les regards dans une ville d’Europe,
viales et les immondices; aussi, en sont laissées de côté en Asie, où tant
temps d’orage, les rues étaieut-elles de monuments mieux conservés ou plus
inondées et malpropres. Il semble que anciens rappellent l’investigation des
Strabon fasse en ce |>as$age la descrip- voyageurs.
tion de la ville moderne. Un peu plus bas que le théâtre, sur
Smyrne est une des villes qui concou- la limite du quartier juif, il y a dans la
rurent devant le sénat romain pour ville un espace vide gui est occupé par
avoir l’honneur d’élever un temple à un cimetière et plante de grands arbres.
Tibère, et elle l'emporta sur ses rivales: Tout autour de cette enceinte, il v a
il ne reste aucun vestige de cet édifice. des fragments de colonnes et de pilas-
Dès les premiers temps du christia- tres couchés dans la ma^nnerie, et deux
nisme, Smyrne se distingua par son ou trois pilastres carres et isolés sont
zèle pour la foi nouvelle, aussi, mérita- encore debout. 11 est probable que ce
t-elle le titre d’une des sept églises de sont les ruines d’un ancien agora, avec
l’Asie. Saint Polycarpe, son premier le portique quadrilatère qui l’entourait.
évêque et le patron des chrétiens de Les colonnes sont en marbre brèche
veiné de rouge et de blanc.
(ij PaiiMuias, liv. VU, ch. 6. I^es aqueducs et tous les restes de la
,

ASIK MINEÜRE. 30S


villesromaines ont été ou démolis ou CHAPITRE XVI.
renouvelés. On voit encore dans la
plaine et sur le chemin de Bournabat SMGRNF. BYZANTINE.
un petit lac qui est une des sources du
Mêles, avec quelques ruines. On appelle Les empereurs grecs, menacés par
cela les bains de Diane. Le temple les Musulmans,firent réparer les forti-
d’Eisculape , qui se voyait sur le versant fications de la ville et celles du château.
ouest du mont Paeus, est aussi entiè- Une inscription byzantine, qui se voyait
rement détruit. En faisant des fouilles encore sur la porte en 1760, a disparu
au-dessus du cimetière juif, en 1836, depuis ce temps. Elle a étéconservée par
on a découvert un long soubassement Chandler, et nous apprend (|ue les res-
de grosse maçonnerie , avec quelques taurations du château ont été faites par
blocs de marbre : c’était peut-être le l’empereur Jean Comnène : c’était la fin
reste du temple. Toutes ces conjectures de l’empire de Byzance. L’empereur
peuvent être discutées ; elles n’ont rien Alexis , son successeur, se retira à
d’impossible , mais aucune autorité ne Trébizonde, où il établit un empire. On
les appuie. a douté qu’il eût pris le titre de roi (I) ;
Les inscriptions trouvées à Smyrne mais une inscription placée au-dessus
dans ces derniers siècles sont assez nom- de son portrait, peint a fresque, lui donne
breuses; mais malheureusement elles le titre de roi et empereur de toute l’A-
n’ont pas été recueillies avec soin, et il natolie ; c’est-à-direqu’il conserva tou-
en a péri un grand nombre qui ont été jours des prétentions sur Smyrne. Mais
employées à des constructions nouvelles. alors cette place était entre les mninE
Spoii et Wheler en ont recueilli quel- des Turcs depuis l’an 1084.
ques-unes qui sont importantes, et no- La facilite qu’avaient les Grecs de
tamment une lettre des empereurs Sé- recevoir des secours du dehors donnait
vère et Antoniii, adressée aux habitants à Smyrne une importance particulière ;

de Smyrne, dont la rédaction est à peu aussi cette ville fut-elle le théâtre des
près la même que celle adressée par luttes acharnées entre tous les pouvoirs
Antonin aux Aizamens. qui tentaient de s’établir en Asie. Smyrne
Il serait difficile de déterminer d'une était au pouvoir d’un bey nommé Tz.i-
manière précise le périmètre de l’an- chas ,
qui était maître de toute.s les
cienne Smyrne, les murailles ayant été places du golfe. Lorsque Jean Ducas
détruites depuis longtemps ; mais sa plus vint l’assiéger, elle se rendit , mais fut
grande étendue ne pouvait pas dépasser bientôt reprise par les Turcs, et les ha-
a l’est le vallon Saint-Anne, où sont les bitants furent massacrés.
aqueducs; à l’ouest, le versant du mont Aïdin émir qui donna son nom à la
.

Pagus, où est le cimetière juif. Le ville de Tralles, reconstruite par lui,


château était, je pense, sa limite méri- laissa son fils, Amir(Omar), possesseur
dionale ; car au delà la montagne est de Smyrne, en 1332. Andronic le vieux
tellement abrupte et aride, qu'on n’a régnait à Constantinople; mais déjà les
jamais pu y établir de maisons ; d’ail- Grecs laissaient aux autres nations le
leurs il n’y en a pas de vestige. Du côté soin de défendre celte terre contre l’in-
du nord , c’est à-dire vers la plaine vasion mu'ulmane. Les chevaliers de
rien ne peut déterminer la limite de la Rhodes s’étaient emparés du château
ville; on n'y rencontre aucune trace de et l’avaient mis en bon état de défense.
monument tous ont disparu.
: Amir, de retour à Smyrne , se mit en
Indépendamment des ravages causés devoir de chasser les chevaliers ; mais il
parles guerres civiles, Smyrne a éprouvé fut tué pendant les premiers travaux
de grands désastres par suite des trem- du siège.
blements de terre. Tibère et Marc-Au- Les Latins étant devenus maîtres de
rèle y firent faire de grands travaux Smyrne y envoyèrent, au nom du pape,
pour réparer ces malheurs. C’est encore le patriarche nouvellement élu de Cons-
un motif de l’anéantissement complet des tantinople, pour y rétablir les affaires
monuments antiques ; ceux qui n’ont pas
été détruits à dessein ont été renversés. (i) Hhtoire univertellc, Trébiionde.
30* Livraùon. (Asie Mineure.) r. U. 30
soft LUNIVKRS.
de l’Église; mais pendant qn’il disait de lui céder la forteresse. Sur le refus

une messe dans principale église, les


la des chevaliers , le siège commença im-
troupes d’Amir, i|ui n’a'aieal pas été médiatement, et fut poussé avec une
anéanties, revinrent attaquer la ville, vigueur peu commune. La ville fut in-
et tous les chrétiens furent massacrés. vestie de trois côtés ; le port formait le
Cependant les Génois , que l’intérêt quatrième. L'attaque par le feu grégeois
du commerce attirait vers le Levant, et les machines ordinaires n’ayant pas
faisaient des traités tantôt avec les Turcs, réussi, Tiraour fit dresser un mur de
tantôt avec les Latins et avec les Grecs, circonvallation pour arrêter tout se-
et moyennant de légers tributs on leur cours. Mille mineurs, protégés par de
ermetiait de s’établir transitoirement hautes tours roulantes, sapaient les
S ans d anciennes Échelles, où ils ne murailles qu’on soutenait par des pilo-
tardaient pas à se renilre respectables. tis, et l’on mettait le feu aux bois
Les Vénitiens suivaient la même poli- quand on Jugeait la brèche assez large.
tique ; mais , plus puissants et plus or- Ce moyen lui avait déjà merveilleuse-
gueilleux , ils voulaient souvent devoir ment réussi au siège de Sivvas (Sé-
à des victoires ce que les Génois obte- baste). Le port ayant offert aux assiégés
naient par leurs ducats; aussi ces der- quelques moyens de communiration
niers, moins redoutés des Turcs, purent avec le dehors, Timour ordonna à
construiie dans tous les États des sul- chacun de ses soldats d’y jeter une
tans des comptoirs fortifiés qui étaient pierre, et le port fut comblé en un jour.
de véritables citadelles. Ces établisse- Sans secours, sans moyens de se ra-
ments furent si nombreux, qu’après vitailler, les chevaliers ne purent op-
cinq ou six siècles, la tradition en a poser une plus longue résistance; la
conservé le souvenir parmi les Turcs , ville fut prise, et tous les assiégés
ettoutesles ruines importantes, à quel- furent massacrés Timour eut la barbare
ue âge qu’elles appartiennent, sont idée de faire maçonner leurs têtes dans
3 ésignees par eux sous le nom de une tour (i;.
Djinéoise halma, Diinévise kalési,
ruines génoi es, château génois. Les CHAPITRE XVll.
Génois sont leurs Léiéges et leurs Pélas-
ges; au delà de cette époque, I histoire SUYRNE MUSULMANS.
est pour eux le chaos des temps.
Les Génois obtinrent ainsi par traité Après la retraite des Tartares, Smyrne
Smyrne, Chio et Phocée. Ils gardèrent resta au pouvoir de Djounéid ; c’est le
cette dernière place; mais l’anarchie même qui est appelé Cinéis dans les
qui régnait dans le reste de l’Ionie ne relations modernes : il était difficile de
leur permit |ia$ de rester longtemps à reconnaître sou identité. Les Osman-
Smvrne. Orkhan.qui possédait Magnésie lisrevinrent pour conquérir une place,
du Sipyliis, s’empara de Srhyrne et y qui leuréchappaitconstamment. Malgré
construisit une forteresse. Les cheva- son alliance avec les sultans d’Iconium,
liers de Rhodes lui reprirent la ville, et
Djounéid n’eut que des Succès passa-
d’une manière redou-
s’y fortilièrent gers, et il finit par être assassiné dans
neanmoins pouvoir expulser
table, sans sa tente. C’est ainsi que le pouvoir turc
complètement les Musulmans. Il est s’établit dans Smyrne.
probable qu’un armistice avait été con- Mais les chrétiens de Rhodes n’a-
clu; mais d’autres désastres menaçaient vaient pas abandonné leurs prétentions ;
une flotte, commandée par Pietro Mon-
encore la malheureuse ville. Tiinour,
vainqueur à Angora, apprenant que la cenigo, revint, en 1375, pour reprendre
capitale «le l’imiie était possédée par cette place. La ville fut envahie et
deux pouvoirs rivaux et ennemis, quitte brfilée ; mais l’amiral abandonna sa
1" décembre 1402, tra- conquête pour aller sur les côtes de
la Galatie le
verse la ville de Kutavah, s’avance à Caramanie.
marches forcées, et fait sommer les Les Vénitiens vinrent à leur tour as-
chevaliers de Rhodes, qui depuis cin-
quante-sept ans étaient établis à Smyrne, (i) Qiicai, Hisl., ch. Vit.

ed ogif
, ,

ASIE MINEURE. 307

siéger Smyrne; la ville fut prise, pillee le théâtre pour bâtir un khan ou bezes-
brûlée , les mosijuées détruites ;
la fu- téin (marché aux étoffes), long de
reur et le carnage u'épargnèrent per- quatre cents pas et tout voûté en pier-
sonne : femmes et fille.s ,
hommes et res de taille-, on trouva dans les fonde-
enfants, subirent leur part d’outrages. ments du théâtre un pot de médailles
On payait trois ducats pour diaaue de l’empereur Gallienetde sa famille;
prisonnier. Ln population , décimée , d’autre part on découvrit aussi une ins-
anéantie , se retira dans les masures qui cription qui fait mention de fempereur
étaient au pied du chSteau et la ville , Claude. Le. cirque était aussi bien con-
tombée dans le plus profond degré de servé que le théâtre; il avait deux Cent
misère, resta cependant la proie des cinquante pas de long et quarante-cinq
Turcs dont , le pouvoir grandissait in- de large; un autre caravanscral non
cessamment- moins somptueux que le bezp.stéin a été
DepuiscetteépoquelcGrand-Seigneur bâti dans le voisinage ; il est destiné aux
est maître de Smyrne , mais non sans marchands du Levant: on l’appelle Ma-
contestation , car à plusieurs époques la dama khan.
sédition et la révolte, fomentées par les
émirs, appelèrent dans cette ville les '
CHAPITRE XVIll.
troupes de l'empire. A part quelques in-
cendies et quelques têtes coupées , cela SMYRNE MODEBNE.
ne changeait rien à la physionomie de
la ville. La Smyrne d’aujourd’hui, étant la
Le
port, qui n’était qu’une petite premièreville d’Orieni où aliordent
darcepour lesgalères, avait été comblé d’ordinaire les voyageurs qui arrivent
parTimoiir; ce ne fut cependant qu’un d’Europe, présente aux yeux des nou-
événement de peu d’importance pour veaux arrivés le spectacle le plus animé
Smyrne ; son vrai port , c’est le vaste et le plus inattendu, tant est grande la'
golfe, qui offrirait une retraite à toutes variété des tableaux qui s'offrent aux
les Hottes du monde. Une si heureuse regards ; mais le premier moment d'en-
position ne pouvait rester aliandonnée : chantement passé, on est étonné de ne
peu à peu le commerce appela de nou- trouver aucun site qui mérite une se-
veaux liabitants ; on descendit dans la rieuse attention : la banalité de l’archi-
vallée; mais, par malheur, aucune pré- tecture moderne des Orientaux se révèle
voyance de l’autorité ne réglait les aligne- tout d’abord. Les mosquées et les au-
ments et les dispositions des quartiers. tres édiOces publics sont d'une construc-
De la montagne on se précipita sur le tion des plus médiocres: il n’y a pas une
bord de la mer, sans avoir la sagesse d’y petite ville de l’intérieur qui ne renferme
laisser un quai, dont le développement des monuments plus intéressaiirs.
eût fait de Smyrne la plus belle ville de Dan^ un autre ordre île recherches
l’Orient. les bazars sont des établissements qm
Tournefort, qui visitait la ville de méritent d’être visités; le quartier
Smyrne il y a plus d’un siècle, mentionne franc, qui est construit le long de la
plusieurs édifices qui n'existent plus de mer, renferme toute la population eu-
nos jours. Il signale un grand mur qu'il ropéenne de Smyrne; les Turcs demeu-
appelait le pomat’ium, et le temple de rent dans le quartier qui occupe la base
Cynèle ou selon lui l’Homerium, monu- de la montagne, les Grecs dans l’est de
ment carré qu’il compare au temple la ville ; une petite rivière qui prend sa
de Janus à Rome : cet édiGce était près source dans les bains de Diane, et qu’on
du Mêlés. C’était un petit bâtiment appelle pivièredesTeinturiers(ôoÿ(7(//ï),
carré, d’environ cinq métrés de côté, sé|>are le quartier frSDC de celui des
avec deux portes et au milieu une consuls. Les maisons sont- dans une
niche « où pouvait être l’efûgie d’Ho- situation agréable, ayant vue sur la mer.
mère ». Il y a tout lieu de croire d’après Ce sont ue légères constructions de
cette description que c’était un tom- bois, que l’incendie force de temps en
beau ; c’est peu de temps avant l’arrivée temps à renouveler. Les habitants ont
de Tournefort, en 1703, qu’on a démoli pris le parti de construire de la sorte
(I iiir.ti 11 t,
, ,

308 L’UNIVRnS,
pour se mettre à l’abri des tremblements sont construits en planches tellement
de terre de manière que pour se garantir
: minces, qu’il sufDt d'une étincelle pour
d’un fléau ils sc sont jetés volontaire- allumer un incendie.
ment dans un autre. La population Les alignements sont la chose dont
de Snivnie s'est fort accrue depuis on a le moins de souci , et chacun a le
un siècle Tournefort l’estimait à cent
: droit, selon son caprice, d’intercepter la
milleâmes, aujourd’hui elle dépasse cent voie publique par des.baraques, des amas
cinquante mille, dont la moitié est de de bois et des bâtisses de tous genres.
race turque, quarante mille Grecs, quinze Une des choses les plus nécessaires à
mille Juifs et dix mille Arméniens ; la la ville de Smyrne serait un beau quai,
population européenne est variable, et qui donnerait des facilités pour le débar-
tend toujours à s’augmenter sous un
: quement des marchandises et qui as-
gouvernement stable, et qui autoriserait sainirait ce quartier, appelé à juste titre
les étrangers à acquérir des biens-fonds, Tais Copriuls (les ordures), où sont
Smyrne serait une ville de trois cent construites cependant les plus belles
mille habitants. maisons des négociants et des consuls
Du temps de Tournefort, en 1702, les européens.
habitants de Smyrne conservaient le Ce quai est déjà construit dans une
souvenir de six tremblements de terre partie parallèle à la rue Franque, et
qui avaient causé de grands ravages ; le avec peu de dépenses, en achetant quel-
nombre d'inoendies est bien plus con- ques naraques de cafés, on aurait pu le
sidérables il n’est pas d’année où l'on
: coutinuer dans toute l'étendue de la
n'ait à déplorer qiieb|ue malheur de rade. Mais un habitant a imaginé de
ce genre. Le déplorable incendie de 1841 bâtir une maison assise au bord de la
a ravage la majeure partie des quartiers mer, et qui intercepte à tout jamais la
turcs et des bazars. Le quartier franc prolongation du quai ; car ni le gou-
a été épargné, il est vrai; mais en 1834 vernement ni les particuliers ne vou-
il avait été consumé en grande partie dront faire les frais d'acouisition de
de sorte qu’on peut dire qu’en l’es- cette maison pour la démolir. Le ter-
pace de six ans toute la ville a été rain dans cette localité coûtait en 1833
détruite par l’incendie. Ou ne peut con- S piastres (1 fr. 25®) le pick, c’est-
cevoir comment les habitants ne pren- à-dire quatre pieds carrés; il coûte
nent pas plus de précautions pour se aujourdtiui 20 piastres (4 fr. 50®).
garantir d'un fléau qui les menace sans C’etait un excellent calcul pour lus négo-
cesse et qu’on semble perpétuera plaisir ciants établis à Smyrne ; c’en était un
par les constructions les plus vicieuses. également pour le'gouveruement, car
Ainsi, dans un pays où le terrain est le bord de la mer étant ainsi occupé
presque pour rien, on s'obstine à cons- par des maisons et des baraques, la sur-
truire des rues tellement étroites, qu’un veillance de la contrebande devient im-
chameau chargé peut à peine y passer, possible. Les constructions qu’on avait
et de plus l'usage des chah-nichin , commencées il y a quelques années au
espèce de balcons ou fenêtres en sur- nord de la ville se sont multipliées ra-
lotnb , rétrécit tellement la rue par le pidement. Le quartier qu’on appelle
aut. que bien souvent le jour y pénétré Gut-Makallé (la rue des Roses) n’est
à peine, et les toitures .se touchent d'un plus le plus beau quartier de Smyrne,
travers de la rue à l'autre. L'autorité et la population européenne se trans-
turque ne se mêle en rien de la police porte peu à peu vers le quartier de
dis constructions, qui sont abandon- l’hdpital français, quiétaitautrefois isole
nées aux caprices des kalfats, espèces au milieu des jardins, et qui est aujour-
d’architectes grecs et arméniens qui d'hui entouré de maisons.
vivent dans la plus affreuse routine, et
qui au fond ne sont pas féchés de voir
de temps en temps le feu leur donner
occasion d’exercer leur industrie.
Tous les bazars que l’on était occupé
à rebâtir au moment de notre arrivée
ASIE MINEURE. 309

CHAPITRE XIX. A 12 kilomètres de Smyrne on tra*


verse une petite rivière qui va également
ÉPHËSE. se jeter dans le (iolfe de Smyrne : ce sont
les eaux du versant septentrional de la
BOUTE DE SMYRNE A .tïASALOUK. chaîne centrale; elles sont peu abondan-
tes, par suite des ondulations du ter-
La route qui conduit de Smyrne à rain, qui ne forment pas un bassin très-
l’aiicienue Epnèse traverse le vieux ci- étendu. La route remonte pendant
nietière qui occupe le versant occidental six kilomètres cette rivière, qui coule
du moiit PaRus; c’est une route qu'on dans une terre sablonneuse et calcaire,
peut faire plusieurs fois sans jamais se Le terrain volcanique finit à la première
lasser d'admirer la perspective magni- rivière.
figue qui se développe à l'horizon. Du Tout ce pays est inculte, la présence
côté du nord, les sonimets découpés du de l’homme ne s’y reconnaît qu’aux tra-
raont Sipylus encaissent le rivage du ces d’incendies allumés dans les buis-
golfe ; sur la gauche, les ruines du châ- sous. On arrive bientôt au col qui forme
teau dominent le chemin, tandis que la la ligne de partage entre les eaux du
chaîne centrale de la presqu’île de Téos golfe de Smyrne et celles du golfe d’É-
et d’Érythrée se perd dans les vapeurs phèse; tout ce terrain appartient ausys-
du golfe en formant des ondulations de tème calcaire. 11 faut parcourir ainsi 14
veruure. Dès qu’on a quitté les portes kilomètres sans trouver une habitation ;
de la ville, on entre dans une campagne ou arrive ensuite dans un défilé fort res-
qui est presque inculte. Quelques petits serré, que les habitants appellent le
vallons bien arrosés sont occupés par de Chemin du Sang, à cause des nombreux
chétives habitations; le pays n’est pas assassinats qui y sont commis chaque
assez sûr pour que l’on ait pris l’habi- année. Ce sont généralement des Samiens
tude de se construire des maisons de qui s’associent avec des paysans du lieu ;
campagne isolées. Toute la montagne on emporte le butin à Samos, et il est
du château est de formation trachyti- partagé, quelques mois après, quand
que; ces productions volcaniques s'éten- l’affaire est assoupie,
dent fort au loin dans la plaine. Après avoir pas.sé le défilé, nous nous
A trois kilomètres de Smyrne on fran- trouvons dans une vaste plaine. Toutes
chit la ligne de douanes. Toutes les les eaux des différents vallons prennent
marchandises qui sortent doivent payer leur cours vers le sud. 11 n'y a nas un
un droit qui entre dans la caisse du village dans tout ce district. A dix heures
gouverneur, et est affecté à l’entretien nous traversons un gué à dix heures
;

de la ville. Ensuite on passe un pont trente minutes nous passons une autre pe-
jeté sur un torrent qui esta sec dans tite rivière; enfin, à onze heures, nous ar-
rêté; c’est un des afOuents du Mêlés, qui rivons à Trianta, station où se trouvent
va se jeter dans le golfe de Smynie. un corps de garde et quelques khans.
Unclargevallée, qui a peu de longueur, Un grand platane ombrage la cabane
longe la plaine au milieu de laquelle est de feuillée où nous passons la nuit. La
situé le joli village do Boudja, où les rivière de Trianta ne se jette point dans
familles anglaises résident de préfé- le Caystre; elle a un cours particulier,
rence. Les habitants de Smyrne appel- et va se perdre dans la mer, entre Lia-
ient val Sainte-Anne cette dépre.ssion ros et Éphèse. L’ondulation de terrain
de terrain qui sépare du côté de l’est le qui sépare le bassin du Caystre de celui
mont Pagus de la plaine de Boudja. de la rivière de Trianta est presque in-
Un aqueduc du moyen âge, dont les sensible. Le lendemain, nous quittons le
arcades sont en ogive, traverse cette campement à six heures trente minutes,
vallée; les eaux qu’il porte à Smyrne L’horizon est borné au nord par la chaîne
sont très-chargées de sels calcaires, qui du Tmolus, au pied de laquelle sont si-
ont formé, de part et d’autre de l'aque- tuées les villes de Baïndir et de Démich.
duc, de grosses masses de stalactites. Nous suivons pendant quelque temps le
Cet endroit est très-pittoresque et sou- cours de la rivière, faisant route à 120 ° du
vent visité par les étrangers. compas, au milieu de buissons touffus.

/ Google
5lO L’UNIVERS.
Toute cette plaine est trè.s-marécageuse ; lianes perpendiculaires paraissent de
un a établi une chaussée au milieu des loin avoir été taillés par la main des
marais. Nous avons au N.-N.-E. un hommes.
grand village entouré d’arbres, nommé Après avoir dépassé le château, on
Fortouna; un peu plus au sud, quel- découvre au loin les montagnes qui en-
ques habitations forment le village de tourent la plaine d’Éphèse. I..a route est
Gourgoul. pratiquée le long du Caystre ; on rencon-
Nous prîmes un sentier qui mène tre dans une anfractuosité de rochers
un mamelon que nous
droit au sud vers une construction appliquée à la monta-
apercevions depuis le matin. On trouve gne, dont une partie a été travaillée de
dans son voisinage quelques débris d’ar- main d’homme. On voit les traces d’une
chitecture et un grand aqueduc en ruine, salle taillée dans le roc, et une niche assez
ui indique qu’une ville antique a existé grande; les ruines d’un aqueduc et quel-
ans cet endroit. Sur le revers S.-E. du ques murailles revêtues de marbre com-
mamelon, on voit un grand tumulus. plètent cet ensemble. Ces débris peuvent
Nous finies halte dans un café au bord avoir appartenu à un nyniphée ( Nup.-
d'une petite, rivière nommée Bounar- facav), qui fournissait ensuite de l’eau à
Sou (l’Eau de la Source), parce qu’elle l’.iqueduc; maintenant la source est tarie.
sort tout entière d’un rocher situé à Suivant toujours le cours du Caystre,
deux milles au nord. C’est cette source on arrive a un pont formé de débris de
qui alimentait Taqueduc. Nous n’avons monuments romains. Les arcades sont
l>as suivi la ligne directe qui mène de en ogive, l’n aqueduc était appliqué
Trianta à Éphèse, parce que les marais contre le pont. Ici le Caystre commence
formés par le Bonnar-Sou et les eaux à devenir plus large. Après avoir passé
de la plaine la rendent impraticable. le fleuve, nous nous trouvons dans la
On contourne la chaîne de montagnes plaine même d'Éphèse. Le courant tend
qui borne la plaine du côté de l’ouest. toujours à se porter au nord, en sui-
A neuf heures cinq minutes nous nous vant la chaîne des montagnes ; mais en-
trouvons encore au bord du Bounar-Sou, suite il traverse obliquement la plaine,
que nous passons à gué dans cet endroit. et, après s’être divisé en deux branches,
Non loin de là se trouve un ancien ci- il va se jeter dans la mer, près de la
metière, dans lequel on remarque des montagne du sud. La branche nord est
tronçons de colonnes, des corniches et de peu d’importance; on la passe faci-
d’autres fragments d’architecture, le lement à gué près de sou embouchure.
tout en marbre blanc. On voit claire-
ment tous les débris d’un éditice dori- CHAPITRE XX.
que.
A partir de ce point, nous marchons AÏASALOUK.
sur la pente, du coteau, pour éviter les
marais. Nous faisons une halte de quel- Aïasalouk est un petit village habité
quels instants au bord d’un ruisseau; par quelques familles turques, logées
et en continuant à suivre la chaîne des iour la plupart dans la partie sud de
collines , nous tiuissons par arriver au fa colline du château, au milieu des
bord du Caystre , qui coule dans une ruines et des buissons. Les ruines de
vallée d’un mille de largeur; les terres l’ancienne ville d’ Aïasalouk s’étendent
en sont assez bien cultivées. Nous aper- à l’entour; elles se composent d’un cer-
cevons de temps à autre de beaux champs tain nombre d’édidees couverts par des
de doura. Le côté gauche de la vallée dômes, qui ont été jadis des bains et des
est également formé par une chaîne de mosquées. Les pierres sépulcrales qui
collines calcaires. Nous marchons droit les enlonrent portetit presque toutes
au sud pendant une heure, jusqu’à un des inscriptions en caractères coufiques,
château ruiné, bâti sur un des sommets et toujours en relief, selon l’usage arabe.
les plus escarpés de la montagne ; les I-e château ,
la mosquée et l’aqueduc
habitants l’appellent Kiz kalé si (le suffiraient seuls pour donner une idée
Château de la Fille). Ici , les rochers de l’importance et de la grandeur de

prennent un aspect grandiose; leurs l’ancienne ville. Le château dont la


,
ASIE MINEURE. 311

construRtioD indi(|üti un temps de bar- de tous ces orne-


criptibles. L’execution
barie, est flanqué de tours carrées ; on- ments est d’une correction de ciseau
V monte eu fraiicliissant des monceaux dont on a lieu d'être étonné; mais,
tie pierres mélées à des fra}jmeuts de comme dans beaucoup d’édifices du
marbre un ouvrage extérieur qui défend
; moyen âne, on a sacrilié a la décoration
les approches consiste en une porte flan- la solidité : les fondations manquent
quée de deux murs latéraux au corps en quelques endroits , et une des cou-
de la place, et soutenue de chaque côté poles s'est écroulée.
par deux lourds arcs lioutauts construits Au-dessus de la porte .s’élève un mi-
principalement avec les sièges du stade naret de briques, qui paraît un ouvrage
et du théâtre et marqués presque tous moins ancien que la mosquée. On ne
avec des lettres grecques ; on y remar- trouve point dans les inscriptions le n^iii
que un certain nombre de fragments du prince qui l'a bâti : mais ou peut
d'iuscriptioas. Au-dessus de l'entrée être certain que cei édifice n’est pas
s,.Dt incrustés différents bas-reliefs an- l'ouvrage d’uti sultan, car toute mosquée
tiques, d'une bonne facture; la porte du impériale est orné« de deux minarets :

château fait face à la mer. Dans l’inté- les princes chéiks ou émirs, n’ont le
.

rieur du château il n’y a que de misé- droit d’en dresser qu’un seul.
rables cabanes, une vieille mosquée et En montant le perron , on arrive dans
des monceaux de décombres. une cour au milieu de laquelle il y a une
La grande mosquée est située en &ce fontaine pour les ablutions. Du côté du
du Château, du côté de l'ouest; le côté nord il y a une autre porte, non moins
qui fait face au château est bâti de ornée, qui conduisait au château, et la
ierre, mais la façade est en marbre porte d’entrée du temple est placée dans
lanc. Les deux dômes étaient couverts l'axe perpendiculaire à celui des deux
en plomb doré et portaient à leur som- autres; mais elle est sans ornements.
met le croissant de l’Islam. Devant l’en- C’est une triple arcade mauresque, avec
trée se trouve une cour avec une fon- des colonnettes; il ne paraît pas qu'elle
taine et une vasque pour les ablutions; ait jamais été close par un vantail en
autour des mursseremarquent plusieurs buis.
fûts de colonnes brisées, qui sont les res- Dans une plinthe, de marbre, tout
tes d'un portique. Les trois portes qui près du pavé, on lit le nom d'un des ar-
couduiseiit dans la cour et les fenêtres tistes qui ont travaillé à l’édifice, mais
de la façade sont ornées de moulures il n’y a pas de date :

dans le style arabe, avec des inscriptious « Ce miiinber a été fait par le fakir
tirées du Koran en caractères arabes ri- « 'pauvre) serviteur de Dieu Ali, fils de

chement sctilptés. Les fenêtres ont des « Daoud, natif du pays de Chant ( Da-
châssis de bois, et sont closes par un treil- « mas). »
lis de fil d’archal. To .te la cour de la mosquée était en-
Toute cette mosquée a été construite tourée de colonnes de granit. Les quatre
avec d’anciens matériaux; les colonnes grosses colonnes de l’interieur n'ont pas
de grauit égyptien et tous les marbres d'égales dans les ruines d'Éphèse. On
qui décorent l'iniérieur ont été enlevés voit seulement quelques tronçons du
aux moiiumeiits antiques. même diamètre autour du monument
Le plan général de la mosquée est un qui passe pour être l’église de Saint-
grand rectangle coupé en deux parties Jean. Les deux colonnes qui séparent
égales, dont l’une forme la cour ( harem ), les pendentifs du centre sont de granit
et l’autre la nef {djami ). La façade, qui gris; les deux autres sont de granit
est encore intacte, est bâtie tout en mar- rouge; mais, par malheur, celle de gau-
bre blanc; la porte, a laquelle on arrive che n’est pas d'une seule pièce. On a
par un perron de ilix marches, est ornée employé par exception un cliapiteau an-
d'arabesques et d’inscriptions et cou- tique, d'ordre composite : tous les autres
ronnée de créneaux découpés dans le soin de style arabe.
genre de ceux des mosquées du (Jaire; Le voyage d’Ibn-Batuta (1) contient
les fenêtres qui éclairent la net sont car-
rées et surmontées d’arabesques indes- (i) Traduction de M. Reiiiaud, page :to8.
L’univers.
un passade assez curieux sur Éplièse il the
: car il y a solution de continuité
,
semblerait que l’église de Saint-Jean dans presque fous les groupes d’édifices,
aurait encore existé de son temps. Vers
et l’on peut à peine déterminer d’iice
la fin du seizième siècle, « nous
partîmes manière précise le périmètre de la ville
pour la ville d’Aya Solouk, cité grande, du côté de la plaine; les murs de Lysi-
ancienne et vénérée par les Grecs. Ici maque existent presque en entier sur la
il
y a une vaste église, construite en montagne du coté du sud. C’est préci-
pierres énormes; la longueur de chacune
sément à cause de ces difficultés que
est de dix coudées et au-dessus elles ;
chacun veut apporter son tribut de do-
sont travaillées de la manière la plus
cuments dans l’efude de cette ville,
admirable. La mosquée de cette ville
quitte à répéter ce que ses
ÿt une des plus merveilleuses mosquées prédéces-
seurs ont dit avant lui.
ou monde elle n’a pas sa pareille en
:
Aux tribus anté-helléniqnes qui ha-
beauté.
bitaient ces rivages avant l’arrivée
des
" C’était jadis une église appartenant Ioniens, nous devons ajouter les Ama-
aux Grecs; elle était * fort vénérée zones, qui se retrouvent dans les tra-
chez eux ils s'y rendaient de divers
:
ditions grecques depuis les temps les
pays. Lorsque cette ville eut été coii-
plus reculés jusqu’à l’époque d’Alexan-
ouise, les Musulmans firent de celte
dre; c’est-à-dire bien avant dans les
église une mosquée cathédrale. Les
murs temps historiques de la Grèce. Leur
sont en marbre de différentes couleurs,
première patrie était sur les bords du
et son pavé est de marbre blanc; elle
Pont-Euxin, et non loin des tribus no-
est couverte en plomb et a onze coupoles,
mades des Scythes et des Sarmates.
de diverses formes au milieu de cha- :
Toutes les recherches faites sur ces fem-
cune d’elles s’élève un bassin d’eau. » mes guerrières n’ont amené les savants
Il est possible que l'église de t-aint- qu’à l’aveu de leur impuissance d’expli-
lean ait encore existé à l’époque du
quer d’une manière satisfaisante ces
voyage de Ibo-Batuta, mais l'inspection
traditions grecques, et l’on est convenu
.seule des plans de la mosquée
prouve de les rejeter dans le domaine
de la
une c’est un monument musulman bâti fable. Mais la fable môme est presque
de fond en comble sous le régné du sul- toujours fondée sur quelque tradition
tan Sélim l’inscription du mirhab que
:
historique; il faut donc en arriver à
nous avons rapportée plus haut le admettre en Asie la présence d’une peu-
prouve suffisamment. plade qui aurait motivé chez les Grecs
le mythe des Amazones. Leurs
com-
CHAPITRE XXI bats avec les Grecs font le sujet des
chefs d’œuvre des sculpteurs les plus
BPHÈSE. renommés de la Grèce et de l’Asie et
;
c’est surtout dans cette partie de l’Ionie
La
plus ancienne ville et la métropole
que la statuaire s’est plu à célébrer leurs
de Ephèse. a bien souvent attiré
l’ionie,
hauts faits.
les regards des archéolosues et des
voya- Les Léléges et les Cariens habitaient
geurs; mais de bouleversement
l’état
le territoired’Êphèse lorsque Androclus
dans lequel se trouvent .ses ruines, les
monuments de tous les âges et de tous y conduisit ses colons ; déjà ce lieu était
vénéré comme le centre d’un culte très-
les cultes , formant des couches
super- répandu en Asie. Une statue de Diane,
posées, ont offert assez de difficultés
qui passait pour un présent de Jupiter
pour que l’étude de cette ville ait en-
lui-méme ( 1 ), avait été consacrée par
core besoin de nouveaux développe-
l’Amazone Smyrna dans un temple
ments. Les atterrissements et les marais ,

rustique qui n’était autre qu’un tronc


formés par lo Caystre ont r6ndu ces
d’arbre.
parages essentiellement malsains, et les
I-es deux Amazones Smyrna et Si-
fouilles dans les anciens monuments
syrbé conquirent Ephèse sur les Lydiens
présenteraient les plus grands dangers.
et les Léléges, et donnèrent leur nom
On se trouve en outre privé d’un guide
certain pour chercher dans ce labyrin-
(•) Act. Apost., XIX, 35.
,

ASIE MINEURE. S13

à la ville. Le culte de Diane était déjà de richesses , et jeta dès lors les fonde-
répandu parmi ces peuples lorsque les ments de cette grandeur et de cette ma-
Grecs arrivèrent; et selon Pausanias gniGcence qu’on y vit dans la suite (i;.
il était beaucoup plus ancien , car les Le territoire d’Éphèse forme une
Amazones vinrent y sacriGer quand pande vallée, qui s'étend de l’est à
elles furent vaincues par Hercule (i). l'ouest; elle est parcourue dans toute
Le temple selon Pausanias avait été sa longueur par le Caystre, qui entre
fondé par Crésus et Éphésus ; ce der- dans la plaine par l'angle N.-E. de la
nier avait donné sou nom^ la ville. Un vallée, tandis que l'angle S.-E. est oc-
certain nombre de femmes de race ama- cupé par la petite montagne que les
zone se joignit aux Léiéges et aux Ca- Grecs appelaient Lépré, et plus tard
riens. Une partie de ces derniers fut Prion. Le mont Corissus ferme la vallée
expulsée par Androclus; l'autre, lui du côté du sud , et se prolonge à l’est
ayant promis Gdelité, r'-sta dans la ville. jusqu’au mont Messogis. Du cdté de
L'ancienne Êphèse, qui portait le l'ouest, la vallée présente une large ou»
nom de Smyrne, était placée sur la verture,oùse développent aux regards la
pente du mont Prion, dans un endroit mer de Samos, les Iles , et les monta-
nommé Trachéia, qui se trouvait voisin gnes de Claros.
du gymnase. La ville qui fut fondée Sur la rivedroite du Caystre on voyait
par Androclus était près du temple de de vastes marais , qui existent encore
Âlinerve et de la fontaine Hypélée (2). aujourd'hui, et qu'on appelait les étangs
Après que les Ëphésiens eurent été Sélinusiens. Ces étangs produisirent de
soumis aux rois de Lydie , la ville d’É- grands revenus au temple de Diane. Il
phèse fut encore déplacée. On la cons- en fut dépouillé par les rois de Per-
truisit près du temple de Diane qui game; mais Artémidore, ayant été dé-
,
avait été bâti par les Ioniens, c'est-à-dire puté à Rome, obtint du sénat la res-
dans la plaine, et non loin des rives du titution de ces privilèges en faveur du
Caystre. temple.
Vers la Gn de la guerre du Pélopo- De cette immense ruine d’Éphèse il

nèse les généraux perses avaient établi


, ne reste aujourd’hui qu’une chose c’est :

leur quartier général à Éphèse, et leur la ferme des étangs du Caystre. La jetée
suite nonfbreuse de jeunes persans, ri- des Anales est à présent bien avant
ches et aimant le plaisir et le faste, ré- dans les terres par suite de l'ensable-
,

pandaient dans la ville le goût des ment du port, qui se continue sans in-
mœurs asiatiques. Le jeune Cyrus était terruption depuis vingt siècles. Des
à Sardes, afGchant un luxe éblouissant. barrages en roseaux mobiles sont instal-
I.es Grecs, soumis et traités avec dou- lés à l’embouchure du Geuve, et sont
ceur par les Perses , se laissaient aller ouverts à des époques déterminées pour
à cette vie de mollesse. C'est en cet état donner passage à des myriades de pois-
que Lysandre trouva la ville d'Éphèse; sons et surtout de mulets qui viennent
,

quand il vint comme amiral pour com- frayer dans les eaux douces. On ferme
battre les Athéniens, il trouva la ville alors le barrage, et la pèche s’effectue:
très-affectionnée pour Sparte, mais l’es- on prépare la poutargue avec des œufs
prit guerrier manquait aux habitants et de mulet. Cette pêche est affermée
les travaux publics étaient délaissés. quarante mille piastres au mutzellim de
Ayant conduit son armée à Éphèse, il Scala-Nova.
commanda qu’on y assemblât tous les Le changement notable qui s’est
vaisseaux de charge, y Gt un arsenal pour opéré dans la figure des terrains offre
la construction des galères , en ouvrit la plusgrande difGculté à l'antiquaire
les ports aux marchands, en abandonna pour reconstruire l’ancienne Éphèse,
les places publiques aux ouvriers, mit ou plutôt une des villes de ce nom
tous les arts en mouvement et en hon- car elle fut déplacée et reconstruite
neur, et par ce moyen il remplit la ville jusqu'à sept fois. Les ruines de tous les
âges sont répandues dans une vaste
(i) Pausanias, liv. Vit, cli. a.
(•) Strabon ,
liv. XtV ,
p. 640. (i) Plutarque, vie de Lysandre.
nii > L’UlSIVERS.

etendue de terrain, (ielles qui se recon- la fontaine Halitée ou Hypélée ,


ce se-
uaissent le mieux ,
et aussi les mieux rait beaucoup donner au hasard que de
conservées, sont les murailles de Lysi- la placer en cet endroit, d’autant plus
maque, que l'on peut suivre dans une quelle paraît avoir été voisine du tem-
lonf;ueurdeplusde douze cents mètres, ple. Un chemin de ceinture taillé dans
sur la crête du Corissus. C’est à peu le roc conduit jusqu'aux crêtes du Co-
près le seul reste de cette époque. rissus , qui sont couronnées de cette
Androclus ayant péri dans un com- magnifique muraille ouvrage du prince
bat contre les Cariens, son corps fut grec. Des tours carrées flanquent de
rapporte par les Éphésiens, et enterré distance eu distance la muraille, dont
dans le territoire d'Éphese. Pausanias l’appareil est tantôt en assises réglées,
décrit scn tombeau, qui se voyait en- tantôt en pseiidisodumon. On sait que
core de son temps ; il était situé sur le les Perses ont affectionné particulière-
chemin qui menait du temple de Diane ment ce genre d'apparril Les tours ont
à celui de Jupiter Olympien, près de la des portes carrées, couronnées par des
porte de Magnésie. Or. comme la route architraves; les poternes sont à double
directe entre Éphèse et Magnésie part baie; elles sont en encorbellement, af-
de l'angle sud-est de la ville, et passe fectant la forme demi-circulaire tron-
sur le mont Corissus, c’est en cet en- quée par une ligne droite.
droit qu’il faut placer le tombeau d’An- Cette muraille s’étend dans une lon-
droclus. Le temple de Jupiter Olympien gueur de deux kilomètres en suivant les
n'était pas éloigné de l'Agora, lequel est crêtes de la montagne; elle relie le
situé dans l’üpistho- Lèpre. mont Prion au mont Corissus dans la
partie est du gymnase. La plupart des
CHAPITRE XXII. tours sont dans un bon état de conser-
vation, et l’appareil des murailles est
LES MUES DE LA VILLE. un des plus beaux exemples de l'archi-
tecture militaire de cette époque. La
Si l’on commence à gravir le Corissus principale tour est d'une construction
dans la partie sud-est de la ville , on a solide et d’un appareil qui ressemble à
devant soi un édiGce carré, qui domine celui des murailles d’Assos; cette mu-
toute la vallée d'Éphèse c'est celui qui
: raille se perd en descendant vers la
attire le plus les regards ; il est vulgai-
plaine il est probable que les pierres
:

rement connu sous le nom


de Prison de ont été enlevées pour servir à des cons-
Saint-Paul, quoique ce soit uniquement tructions plus modernes.
une tour faisant partie du système de Les habitants d’Éphèse ne s’empres-
défense du Corissus. Toute la crête de saient pas de venir demeurer dans l’en-
la montagne est couronnée par une lon- ceinte préparée par Lysimaque ils pré-
;

gue muraille, d'une magnifique cons- féraient rester dans la plaine aux envi-
truction en pierres de taille. On recon- rons du temple de Diane. Lysimaque
naît dans cet ouvrage le mur bâti par usa d un stratagème, gravement consi-
Lysimaque, lorsqu'il réunit les habitants gné dans Strabon il profita d’une pluie
:

d’Éphèse dans une seule enceinte. a verse pour faire boucher les égouts,
Le mur de Lysimaque est flanqué de de façon que la ville fut complètement
distance en distance de tours et de po- inondee (t); comme il ne trouvait pas
ternes, dont l'appareil est d'une excel- encore son enceinte de ville assez rem-
lente construction. Ce $ont les carrières plie, Lysimaque dépeupla la ville de
du mont Corissus qui ont fourni les Lebedus pour transporter les habitants
matériaux. Ils s’étendent de la partie à Éphèse, dans les nouveaux quartiers
ouest, dont je viens de parler, jusqu’au qu’il avait bâtis; aujourd'hui il ne reste
gymnase et au théâtre; c’est là, comme absolument rien des édifices de la ville
je l'ai dit, que devait se trouver la porte grecque tous les monuments qui exis-
:

de Magnésie. Un cours d'eau, qui est a tent datent de l’époque romaine.


sec pendant l’été , parait avoir servi à
alimenter un petit aqueduc. Dans l’igno- (l) Strabon, XIV, 640.
rance où l’on est sur l’emplacement de
ASIE MINEURE. SU
MONUMENTS ANTIQUES. porte est construite avec des pièces de
marbre qui ont appartenu à d'autres
KPHÈSK ROKA.INB. édifices.

Éphèse était située près des monta- LE THEATRE.


gues qui bordent la plaine au sud , et
renfermait dans ses murailles une partie Le Théâtre était placé au sud du
du mont Prion et du mont Corissus. Stade; conservation de l’enceinte ré-
la
Le Corissus est une chaîne élevée, qui servée aux spectateurs est complète:
s’étend au nord à partir du mont Pac- le proscéiiium n’est plus qu’un monceau
tyas , en s'approchant du Prion, et fait de décombres. Il était bâti en grands
ensuite un coude , d’où il se prolonge à blocs de pierre de taille, réunis sans
l’ouest vers la mer. ciment. Cette destructiom a été sans
La ville grecque fut bâtie par Lysi- doute causée par quelque secousse de
maque, qui y établit un sénat et re.gla tremblement de terre, l/architecture du
son gouvernement civil ; mais aujour- Théâtre est purement romaine , on n’y
d’hui les ruines qui existent appartien- trouve aucun souvenir de l’art grec. Il
nent toutes à l’Éphèse romaine. reste de nombreuses traces de restaura-
En entrant dans la ville du côté d’AIa- tions faites dans lés temps de décadence,
salouk, on aperçoit à gauche un énorme Chandler cite une inscription dans la-
massif de ruines entourant un mame- quelle l’architecte invite les spectateurs
lon; c’est la partie la mieux conservée à tenir compte de l’art qu’il a mis dans
de l’ancienne Éphèse. Ce sont toutes l’exécution de cette œuvre.
constructions romaines du premier et Il
y avait longtemps que les jeux de
du second siècle de notre ère, le Stade, l’amphithéâtre étaient prohibés en Asie,
le Théâtre , les Thermes , tous monu- quand les Théâtres et les Stades étaient
ments dont la fondation remonte peut- encore fréquentés par une foule im-
être à une époque antérieure , mais qui, mense. La destruction de cet édiHce,
refaits et réparés successivement, n^of- l’enlèvement des pierres et des gradins
frent pas aujourd’hui de vestiges plus de marbre sont louviage. des émirs
anciens. musulmans qui sc sont établis à Éphèse
et qui ont construit le château d’Aïasa-
CHAPITRE XXIII. louk.
Près du Théâtre était un portique ou
LE STADE. promenoir public qui , selon le précepte
de Vitruve, devait accompagner tout
Le Stade est supporté dans sa partie édiGce de ce genre. La plupart des pié-
droite par des substructions composées destaux sont encore en place.
de grandes salles , qui ont sans doute Dans l’axe du Stade, qui est orienté de
servi à renfermer les agrès nécessaires
l’est à l’ouest, on voit une éminence
pour les Jeux, et formaient peut-être les qui a sept ou huit mètres de hauteur et
stabulaoix les chevaux de course étaient
qui était entourée d’un mur en maçon-
déposés. nerie. Le sommet, qui est de roc ou
L’intérieur du Stade ne présente pas revêtu degros blocs de pierre, est aplani
de dispositions différentes des autres et présente une surface circulaire au-
hippodromes; l’arène est encombrée tour de laquelle sont des piédestaux aux
de débris ; on ne voit aucune trace de nombre de douze. C’éùiit sans doute un
la Spina. Le côté gauche du monument
petit temple aptère ou un autel de car-
était appuyé sur la montagne, dans le
refour, comme on en voyait dans les
m.issif même où est creusée la ravéa du villes anciennes: un escalier de marbre
théâtre. I.es gradins étaient de mar-
conduisait sur l’esplanade.
bre : ils ont été employés dans la cons-
truction de la mosquée. L’extremité ou
ilutôt l’entrée du Stade où se trouvaient
Ïes carceres se termine par une arcade
donnant entrée à un escalier. Cette

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,,

SI6 LIJNIVERS.
CHAPITRE XXIV. On peut supposer que cet aqueduc ap-
portait à Ephèse les eaux de la fontaine
LES THERMES, LE GYMNASE. Halitée, mais il n’est pas le seul qui
approvisionnait Ephèse. On observe sur
l.es portiques qui entouraient le la route de Scala-Nova un autre aque-
tliéâtre et le stade conduisaient aux duc , dont les conduits sont à fleur de
Thermes et à l’Agora. C'est au bout d’un terre et qui apportait sans doute a
(le ces portiques qu'on voit les débris Éphèse les eaux d’Ortygie. Une autre
d’un grand temple d’ordre corinthien partie d’aqueduc reste dans un vallon
il était prostyle et tétrastyle il a été ; a trois kilomètres de distance d’Ephèse,
gravé dans l’ouvrage de M. de Choiseul. et est composée de deux étages d’arcades ;
Les grandes salles des thermt s sont on y lisait une inscription qui fait con-
aujourd’hui à ciel ouvert toutes les
: naître que cet aqueduc fut dédié à Diane
voûtes sont tombées; cet édilice était d’Ephèse, à l’empereur César Auguste, à
construit en pierres de jtetit appareil Tibere César, son fils, et au peuple d’E-
les murs étaient revêtus de stuc et de phèse : il fut construit par l’oilion.
peintures; non loin des thermes est un Les sépultures des Éphésiens étaient
petit odéon dont il reste encore en place placées le long duCorissus: ellesconsis-
quelques sièges, mais toute l’architecture taient pour la plupart en sarcophages,
extérieure est détruite. dont on voit de nombreux vestiges, mais
Le gymnase, qui appartient aussi au aussi en hypogées creusées dans le flanc
groupe d’edifices que nous avons décrits, de la montagne; ce ne sont pas des
est, il est vrai, dépouillé de ses marbres chambres sépulcrales, ce sont de lon-
et de ses ornements d’architecture; mais gues cases disposées de manière à y
il présente un ensemble complet, et peut glisser des cercueils; plusieurs de ces
lasser pour un des édifices de ce genre sépultures portent encore des ins-
fes mieux conservés. La décoration de criptions; elles sont très-voisines des
plusieurs salles consistait en peintures grands édifices dont nous avons parlé,
sur le stuc ; on en peut voir quelques et sontcomprises dans l’enceintede l’an-
traces , mais il était possible de discer- cienne ville.
ner encore quelques sujets lorsque les Le mont Prion contient des carrières
voyageurs Chandler et Chisliull ont de marbre, d’où furent tirés les maté-
visite ces ruines. Ils ont remarqué plu- riaux qui ont servi h l’embellissement
sieurs torses de statue qui sont aujour- d’ïiphèse. lA>rsque les Ephésiens son-
d'hui enlevés ou enfouis sous les décom- gèrent à construire le temple de Diane,
bres ; tous ces édifices sont situés autour leur première pensée fut de faire venir
du groupe du thé.^treet dustade; il
y en des marbres de Thasos, de Proconnèse ou
a quelques-uns appuyés sur la mon- de Paros; mais la dépense pour le trans-
tagne. port leur paraissait incalculable. Pourles
En suivant les traces d’une grande carrières du Prion, la grande distance où
rue bordée jadis de portiques on arrive de la ville, jointe à la
elles se trouvaient
à un marais qui fut une partie du port difficulté deschemins, présentaient un
d’Éphèse. Un peu plus loin est l’em- obstacle presque insurmontable. Pen-
houchure du Caystre; on voit une longue dant que les Éphésiens délibéraient sur
jetée en maçonnerie d’un bel appareil, cet objet, un berger faisait paître son
qui est saps doute la jetée du roi Attale. troupeau sur la montagne; deux béliers
Le long de la montagne voisine sont luttaient ensemble, lorsque l’un d’eux,
1rs remises des anciennes galères et voulant frap|ier son adversaire, alla
des barques de pêche. heurter avec sa corne le rocher voisin,
L’aqueduc est sur le côté opposé au dont il se détacha un éclat ; c’était un
château il part de la montagne, traverse
; marbre blanc d’une beauté incompa-
la plaine à l’est, et va jusqu’au mont rable. Le berger courut à la ville faire
Pactyas. Il est soutenu par un certain part de cette découverte; il y fut ac-
nombre de piles carrées, construites cueilli avec des transports de joie, et
avec d’anciens matériaux, parmi lesquels pour le récompenser les Éphésiens chan-
se trouvent de nombreuses inscriptions. gèrent son nom de Pixodore en celui
,

ASIE MINEURE. tl7

d’Evancceius. Des sacrifices mensuels gaine couverte par de nombreuses ma-


furent célébrés surfe lieu même où cette meJlcs , la tête était couronnée d’un
découverte avait été faite, et les magis- modius, les bras seuls étaient détachés
trats d'Épbèse étaient tenus d’y assis- du corps ; à droite et à gauche de la statue
ter (1). étaient deux ligures de cerf ce symbole
:

Les carrières du mont Prion méritent est représenté tant de fois sur les
d’être visitées : quelques-unes sont tail- médailles antiques que l’on ne peut
lées à ciel ouvert, d’autres sont creusées avoir aucun doute sur sa forme. Chacune
dans la montagne à une grande pro- de ses mains était soutenue par une
fondeur ; le sol est couvert de recoupes barre.de métal pour empêcher la statue
de marbre qui prouvent qu’elles ont été de vaciller. La déesse était couverte de
exploitées pendant un grand nombre vêtements somptueux, et devant elle
de siècles on voit aux alentours plu-
: était suspendu un voilé qui tombait du
sieurs blocs équarris, disposés pour être haut en bas de l’enceinte sacrée pour
enlevés. dérober la statue aux regards du pu-
blic, excepté pendant la durée des cé-
CHAPITRE XXV. rémonies.
LB TEMPLE. Le premier temple de Diane fut un
tronc d’arbre, dans la cavité duquel la
Le culte d’Apollon et celui de Diane, statue fut déposée ; ce sanctuaire date
dieux indigènes de l’Asie, était pratiqué d’une époque inconnue ; il fut recons-
en Ionie depuis les temps les plus recu- truit jusqu’à sept fois (I).
lés, et ces divinités avaient déjà des Le service religieux était fait par des
temples élevés en leur honneur long- prêtres tirés de divers pays, et qu’on ap-
temps avant l’arrivéedcs colonies ionien- pelait mégalobizes, nom' perse dont on
nes sur ces côtes, c’est-à-dire dans le dou- Ignore l’origine. Ces prêtres étaient eu-
zième siècle avant notre ère. Déjà les nuques; ils étaient assistés dans le ser-
Amazones vinrent des rives du Ther- vice du temple par un collège de prê-
modon pour sacrifier à Diane d'Éphèsê tresses, jeunes filles appartenant aux
dans son temple peu de temps après plus hautes familles et qui faisaient voeu
avoir été vaincues par Hercule, ce qui de célibat; elles pa.ssaient par trois de-
reporte cet événement aux premiers grés d’initiation avant d’arriver au titre
temps des Héraclides de Lydie (2). Le de iéréia prêtresse en titre. A leur re-
temple fut bâti par Crésus et Éphésus : traite, on leur assurait une pension et
ce dernier donna son nom à la ville, elles jouissaient de certains privilèges, si
qui fut peuplée par un mélange de l’on en croit Strabon (2).
Léiéges, de Cariens et d’Amazones. Le col lége de prê tresses survécut à celui
l.a statue de la déesse remontait à la des mégalobizes : en effet, une inscription
plus haute antiquité. Le consul Mucianus, de la Gn du premier siècle prouve qu’à
qui avait écrit un traité sur cette sta- cette époque le collège des prêtresses
tue, disait qu’elle était de bois de vigne; existait encore; elle est ainsi conçue ;
le sculpteur qui l’avait faite se nom- « En l’honneur d’Ulpia Evodia Mun-
mait Pandémius ; il vivait avant que les diané, prêtresse d’Artémis, Glle de Mun-
dieux Bacchus et Minerve ne fussent dianus et d’Evodia, petite-fille de Stra-
connus. On avait soin d’entretenir l'hu- ton et de Dvonisius, famille de laquelle
midité du bois en l’arrosant d’huile de sont issues des prêtresses et des cosmé-
nard, au moyen de trous creusés à cet tères, soeur d’Ulpia Straton, cosmétère,
.

effet : on voulaitempêcherque les joints a fonctionné en exécutant les mystères


ne se désunissent. La forme de la statue et en faisant tous les frais à Taide de
était des plus rudimentaires; elle passait ses parents. >
chez le vulgaire pour être tombée du La cosmétère était sans doute la prê-
cieJ : ses pieas n’étaient pas séparés l’un tresse chargée de disposer les vêtements
de l’autre, le corps formait une sorte de et les ornements de la statue. Le eosmé-

(i) Vilriive, liv. X,ch. 7. (i) Hist. Aug. 78; JornaDdès,cb. 30.
(3) PausaDiBS, liv. VU, cb. 3. (3) SiraboD, XIV, 640.
,

SIS L’UNIVERS,
tère StratOD était chargé de la garde de dans cette œuvre par Métagene, et ils
ces ornenieuts.Une autre inscription, qui construisirent le temple d’ordre ionique.
se trouve comprise dans les matériaux de Pour le nom de celui qui construisit le
(ueduc (1). fait mention d'un dona-
l’a nouveau temple, Straoon le nomme
taire, parent de Lucius Pbœnias Faustus, Chirocrate et Vitruve (1) Dinocrate (2) :
qui a institué pour tout le mois qui ilssont d’accord l’un et l’autre pourdire
j^rte le nom de la déesse (2) , une fête que le même architecte bâtit la villed’A-
immunité et repos, uui a établi un con- lexandrie d’après les ordres d Alexandre.
cours en l’honneur d'Artémis, qui a aug- Abu d'éviter l'effet des tremblements
menté les prix dans les jeux publics, de terre, on choisit pour l’emplacement
qui a toujours consacré des statues en du temple un terrain marécageux et au
l’honneur ues vainuueurs. Mais tous ces lieu d’un béton, ce qui eût été bien pré-
honneurs sont rendus à Diane par des férable, on assit les fondations sur un
citoyens romains. lit de charbon pilé recouvert de peaux de

Il faut revenir à la construction du mouton. La longueur de tout le temple


temple. Le premier édifice consacré à était de quatre cent vingt-cinq pieds, sa
Diane par les Épliésiens était un monu- largeur de deux cent vingt. Les colonnes,
ment splendide. Les rois de l’Asie et no- au nombre de cent vingt-sept (sans
tamment Crésus s'étaient empressés d’y doute 128 ), présents d’autant de rois,
envoyer des offrandes ; mais nous avons étaient hautes de soixante pieds il
y :

peu de renseignements sur ce premier en avait trente-six de sculptées dans


temple , qui fut incendié par Éroslrate toute la longueur du fût (3). Ce fut Péo-
le jour de la naissance d’Alexandre le nius d’Éphese et Démétrius Hiérodule
Grand; nous savons seulement que son de Diane qui achevèrent l’édiQce, dont
premier architecte se nommait Chersi- la construction dura deux cent vingt
pbroo (3) et qu’il fut agrandi par un autre années.
architecte. Tous les détails que nous Le temple était octostyle et diptère,
trouvons dans les écrivains romains sont c’est-à-dire qu’il y avait huit colonnes
construction de ce nouveau
relatifs à la de front et un double portique latéral ;
temple, qui fut, comme l’on sait, classé voilà pourquoi il fallait absolument qu’il
parmi les merveilles du monde. edt un nombre pair de colonnes.
Après l'incendie du premier édiGce Pour élever à hauteur d’œuvre les
les Èphésiens se mirent sur-le-champ à énormes pièces de marbre composant
l’œuvre pour en bâtir un autre, plus l’entablement, Chersiphon employa un
magniGque, à la construction duquel moyen tout primiiif ; il fit un plan in-
ils consacrèrent les ornements de leurs cliné, au moyen de sacs de sable qu’il
femm s, leur propre bien et le prix qui éleva josqu’a la hauteur des colonnes.
leur revint de la vente des colonnes de Lorsque les pièces étaient parvenues à
l’ancien temple. Alexandre étant venu leur place portées sur ces sacs de sable,
à Êph^ prop<»a aux habitants de se il n’avait plus qu’à les vider pour qu’el-

charger de la dépense, à la condition les vinssent s’asseoir sur l’assise.


d’être déclaré fondateur du temple; les Pline raconte que pour poser l’énorme
Èphésiens refusèrent ,
et un citoyen de architrave qui couronnait la porte d’en-
la ville dit à ce sujet : • Il ne couvient pas trée, un prodige fut nécessaire, Diane
à un dieu de faire construire des tem- elle-même l’opéra pendant le sommeil
ples pour les dieux. » de l’architecte, et à son reveil il trouva
On n’est pas certain du nom des ar- la pierre en place. Vitruve a recueil i la
chitectes qui ont concouru à l’éreetiun méthode employée par Tarcliitecte Cté-
de l’un et de l’autre monument. Stra-
ton nomme le plus ancien Chersiphrun,
Vitruve le nomme Ctésiphou; il fut aidé (1) Vilruve, liv. II, pref.
(2) Plutarque le iioimne Slasicrale , Eus-
(i) Toy. Detc. de l'Asie Mineure, in-fol., talhe, Diociès : ou est cunveau de l'appeler
t. Il, 280. Diuacrate.
(a) Le mois ArlémUius. (3) Il faut lire Seapo et non pas Seopa,
(3) Streboo, XTV, 640. Pline, liv. XXXTI, 14.
ASIE mineurp:. 319

siphon (l)poiir transporter de la car- d’Éphèse jouissait du droit d’asile :


rière à pied d’œuvre les énormes maté- Alexandre etendit ce droit à un stade
riaux du temple. Il résulte de ce cha- aux alentours Mithridate l’avait fixé
;

pitre que les colonnes de soixante pieds à la distance d'une flèche tirée d’un
de long étaient d’un seul morceau, tan- des coins du toit, ce qui faisait un peu
dis que celles d’Apollon Didyme sont plus qu’un stade. Marc- Antoine doubla
composées de tambours de marbre. 11 la mesure de celte distance , de sorte
en est ainsi du temple de Junon îi Sa- qu’une partie de la ville y était aussi
mos, ce qui diminue énormément la dif- comprise ; mais cette extension du pri-
ficulté de construction. Ctésiphon avait vilège ayant paru dangereuse fut sup-
renfermé ses colonnes dans un cliâssis primée par Auguste.
de bois, et comme le chemin des carriè- Malgré tant de détails donnés par les
res au temple était parfaitement aplani, historiens et les énormes dimensions
il n’avait plus qu’à les faire rouler c.omme de cet édifice, les vestiges ont tellement
les cylindres qui servent à aplanir les disparu que l’on en cherche vainement
allées. Les architraves étaient envelop- la trace ; aucun repère n’est donné pour
pées dans des bâtis ou cages cylindri- être guidé dans ces ténèbres, et le ter-
ques, et roulaient de la même manière. rain de la ville ayant été singulièrement
Le temple s’élevait sur un soubasse- modifié par les alîuvions, il arrive à quel-
ment de dix marches; au-de.ssous ré- ques observateurs de chercher l’era-
gnaient de vastes souterrains, où étaient ilacement du l'édifice là où jadis était
déposés les trésors de la déesse , et où fa pleine mer.
les familles déposaient leurs objets les
plus précieux, comme dans un endroit CHAPITRE XXVI.
inviolable. Les portes étaient de bois de
cyprès ; l’an 75 denotrt ère, lorsque Mu- SAINT P.AUL A ÉPHÈSK.
cianus visitait Éphèse, elles paraissaient
comme neuves , quoiqu’elles durassent Le séjour de saint Paul à Ëpbèse et
depuis près de quatre cents ans. Avant la lutte qu’il soutint contre les secta-
de les poser on avait eu soin de laisser teurs du culte de Diane sont sans
le bois sécher pendant quatre années contredit les faits les plus remarquables
pour qu’il ne. conservât point d bu- de l’histoire de cette ville. Le gouver-
midité (2). Le plafond et la charpente nement romain y était établi dans toute
étaient de bois de cèdre, et les marches la plénitude de sa puissance, et le culte
de l’escalier conduisant dans les com- de cette déesse, moitié grec moitié asia-
bles étaient de bois de vigne. tique, attirait des visiteurs de tous les
L’autel était presque entièrement rivages voisins.
rempli de sculptures de la main de Au milieu de ce grand concours des
Praxitèle (3). peuples divers qui venaient à Éphèse,
Le péribole du temple, comme celui les uns pour trafiquer, les autres par
de Junon à Samos (t), renfermait un dévotion à Diane, se trouvaient quel-
grand nombre de salles, dans lesquelles ques juifs qui avaient reçu le baptême
étaient les tableaux les plus précieux : de saint Jean-Baptisteet qui pratiquaient
on y admirait un portrait d’Alexandre un christianisme imparfait. C’est à ce
par Apelles. Les sculptures sans nombre moment que Paul arrive à Ëphèse, et
ni décoraient les portiques, les offran- ayant réuni quelques-uns de ses dis-
es de tous les princes de l’Asie accu- ciples, il ne tarda pas à reconnaître
mulées en ce lieu- devaient former un qu’ils étaient d’une grande ignorance
des plus beaux ensembles que l’imagina- touchant les mystères de la foi nouvelle.
tion puisse rêver. Paul les baptisa au nom de Jésus-Christ,
Déjà (ftrtemps des Amazones letemple et commença ses prédications dans la
synagogue sans que ces assemblées de
(i) Vili uve, liv. X, cli. 6 .
nouveaux convertis portassent ombrage
(a) Pline, liv. XVI, 3g. à l’autorité romaine. Le sujet de ces
(3) Siraboii , XI V, 64 t. instructions était toujours le même la :

(4) Id., ibid,, 636. révélation d’un Dieu unique et les verv.
S20 L’UNIVKRS
tus quedevaieut pratiquer les nouveaux certainnombre qui faisaient profession
chrétiens. de christianisme, et qui , effrayés des
Les Grecs comme les Juifs allaient anathèmes qui frappaient les pratiques
entendre la parole de l’Apôtre imgrand
: de sorcellerie, portèrenteux-mêrnes les
nombre d’entre eux se repentaient et se livres mystiques de magie et de nécro-
convertissaient, et cette abjuration du mancie sur la place publique et les
culte des idoles produisait dans Éphèse brûlèrent en présence du peuple. On fit
une grande sensation. ensuite l’inventaire des livres qui avaient
Paul fonda de la sorte une grande été brûlés; quelques-uns étaient rares
Église cbrctienne; des prêtres furent et d’un haut prix les manuscrits étaient
;
choisis et institués par lui pour la sur- alors peu répandus, et ceux surtout
veiller et la présider; celle Église ne qui contenaient des doctrines secrétes:
resta pas circonscrite aux murs du la aussi le montant de l’estimation s’éleva-
ville; les Juifs et les Gentils nouveilemeut t-ilà ciuquante mille pièces d’argent.
initiés répandaient la doctrine de Jésus- Cet événement eut un grand retentisse-
Christ dans toute la province dont ment dans Lphèse c’était une preuve
:

Éphèse était la métropole, et qui portait de la conviction des anciens agents de


par excellence le nom de province la sorcellerie et le triompfiede la parole
d’Asie. .Sept Églises furent successive- de Paul.
ment fondées dans d’autres villes, et L’intention de l’.4pôtre était de se
furent connues dans le monde chrétien rendre à Rome, mais il resta encore à
sous le nom des Seplï^lises d’Asie, aux- É;ihése pendant une saison. Il y avait
quelles s’adresse l’Angedel’Apocalypse. un certain Démétrius, orfèvre, dont le
Paul prêcha de la sorte pendant deux métier était de fabriquer de petites châs-
années consécutives, et le nombre de ses d’argent et des figures de IJiane. et
ses disciples allait toujours s’augmen- qui faisait dans ce commerce de grands
tant ; c’est alors qu’il parut doué ou don bénéfices. Un jour il assembla autour
des miracles. de lui tous les ouvriers de la même
La population d’Éphèse, habituée de profession, et leur fit entendre par ses
longue date aux pratiques de la magie, discours que les prédications de Paul
ne contesta pas le pouvoir de l’Apôtre, et portaient un grand préjudice à leur com-
admit sur-le-champ qu’une puissance merce. Cela n’a pas lieu seulement dans
surhumaine pouvait investir un homme Éphèse , leur dit-il, mais encore dans
de cette faculté surnaturelle. Les Juifs toute l’Asie (I). C’était en effet une cou-
se rappelaient Moïse et Aaron devant les tume dans les cérémonies païennes de
magiciens de Pharaon, de sorte que ni faire des processions, dans lesquelles on
Juifs ni Gentils ne trouvaient rien promenait en ville des temples portatifs
d’exorbifcint dans le pouvoir de faire et des images des dieux. Au temple de
des miracles, et les miracles de Paul, Comana, ces processions s’appelaient
inspirés par le Saint-Ksprit, étaient les sorties de la déesse
admis sans contestation. Pline dit que cet usage avait lieu à
11 y avait à Épbese une classe d’exor- Cnide. Ces châsses [lortatives étaient
cistesjuifs, qui s’occupaient spécialement de bois, d’or ou d'argent : on en portait
des pratiques de la magie, malgré les lois dans les camps lorsque les troupes se
sévères qui les interdisaient. Ils avaient mettaient en campagne. La plupart des
imaginé d'invoquer le nom de Jésus- pèlerins qui venaient faire leurs dévo-
Christ pour chasser le malin esprit, et ce tions à la Diane d’Éphèse remportaient
nom était regardé comme un charme. Il y des images de la déesse, dont la matière
avait dans ce nombre sept Qls de Scéva, variait depuis l’or jusqu’à la terre cuite :
Juif qui était chef des prêtres , dont les c’est ainsi que les Phocéens au mo-
pratiques d’exorcisme consistaient à in- ment de quitter leur patrie emportèrent
voquer le malin esprit au nom de Jésus. avec eux un simulacre delà Diane éphé-
Ces faits étaient connus de tous; les sienne, qui fut consacré à Marseille (2).
Juifs et les Grecs qui habitaient la ville
en faisaient le sujet de leurs entretiens. (i) Aci., XIX,
Parmi ces exorcistes il y en avait un (a) Slrabon,liv. IV, i;y.
ASlt<: MllSEURË. 8)1

Il le commerce des ex-


y avait de plus tant ces paroles , et criait : Grande est
veto, anathemata, qui devait être con> la Diane des Ëphésiens. La ville était
sidérable, si nous eu iu^eons par le pleine de tumulte et de confusion.
grand nombre de ces ot>jets que l’on Deux hommes de Macédoine, Caïus et
rencontre constamment dans les fouilles Aristarchus ,
compagnons de Paul dans
faites autour des temples. Plus on avan- ses voyages, furent entraînés au théâtre ;
çait vers l’orient, plus le godt de ces c’étaitdans l’enceinte de cet édifice que
amulettes était répandu : les différents les populations des villes grecques
cultesde l’Inde en fabriquent à profu- avaient coutume de s’assembler; te
sion, et le bouddhisme chinois en inonde théâtre n’était pas uniquement réservé
l'univers. aux représentations scéniques: nous en
Les grandes fêtes de Diane avaient voyons un grand nombre d’exemples
lieu pendant le mois qui portait son nom, dans les auteurs.
le mois d’Artémisius. Tous les travaux Paul voulait suivre et se présenter au
étaient suspendus, et le peuple se livrait peuple; mais ses disciples l’en dissua-
a des fêtes et à des banquets dont les dèrent, et quelques-uns des asiarques,
frais étaient faits par des citoyens opu- qui étaient de ses amis, l'envoyèrent
lents. Plusieurs inscriptions que nous prier de ne pas se présenter au théâtre.
avons rapportées mentionnent des fon- La foule continuait à crier, sans trop
dations semblables ces panégyries con-
: savoir ce qu’elle voulait; les uns deman-
cordaient avec de grands marchés, daient une chose, les autres une autre.
comme les foires modernes concordent Alors Alexandre voulut se justifier de-
avec les fêtes patronales. Les Lydiens vant le peuple ; mais quand ils eurent
chantaient des hymnes en l’honneur de reconnu qu’il était Juif, ils se mirent à
la déesse ; tous les jongleurs, les magi- crier pendant deux heures Grande est :

ciens et les exorcistes de l’Asie se ren- la Diane des Ëphésiens. Alors apparut
contraient dans ces réunions , qui de- le greffier de la ville, le grammateus,
vaient présenter le tableau le plus varié. magistrat attaché au temple , qui tenta
Le mois d’Artémisius correspondait à de calmer la foule , et par conséquent
la saison du printemps toute la ville; parla dans le même sens que les plus
était jonchée de fleurs ; les magistrats rands crieurs. Citoyens d’Ephèse, leur
nonimés cos métère et néocore étaient it-il,
y a-t-il quelqu’un qui ne sache
chargés, sous la prfeidencede l’asiarque pas que la ville d’Éphèse rend un culte
d’organiser ces cérémonies. Les courses particulier à la grande Diane, dont l'i-
du stade et les représentations scéniques mage est tombée des mains de Jupiter ?
formaient des intermèdes, où le peuple Puisqu’on ne peut nier cela , vous devez
se précipitait avec avidité. C’était contre demeurer en paix et ne rien faire incon-
toutes ces cérémonies que tonnait sidérément. Les hommes que vous avez
l’Apôtre des Gentils , et c’était pour les amenés ici ne sont ni des voleurs ni des
soutenir que Démétrius assemblait ses blasphémateurs de votre déesse. Si Dé-
ouvriers et ses confrères ; le commerce métrius et tous ceux qui sont avec lui
de Démétrius et des autres orfèvres de- ont quelque plainte à faire, les tribu-
vait être d’une certaine importance et , naux sont là pourrecevoir leurs plaintes;
|es prédictions de Paul étaient de nature mais il faut que tout cela se passe lé-
à les inquiéter. galement. Ces paroles apaisèrent le
Paul disait au peuple : Ce ne sont pas tumulte ; peu de temps après, Paul prit
des dieux, ces idoles que vous faites de congé de ses disciples, et partit pour la
vos propres mains ; et Démétrius ajoutait Macédoine.
pour ameuter les ouvriers contre l’en- Ce passage des Actes des apôtres noos
nemi de leur culte Ce n’est pas seule-
: représente au naturel une de ces émo-
ment votre industrie qui est en péril, tions populaires qui se renouvelaient
c’est le temple de la grande déesse si fréquemment dans les villes grecques;
Diane qui est tourné en mépris; celle et le lieu de la scène est tellement d’ac-
qui est adorée dans toute l’Asie verra cord avec les faits mentionnés dans le
su magnificence foulée aux pieds et son
culte aboli. La foule s’agitait en écou-
récit, qu’on m saisi du caractère de
vérité en même temps que d’exactitude
91« Livraison. (Asie Minechb.) T. II. 11
322 L’UNIVERS.
Pas un des personnages
qu’il présente. il s’empara de toutes les richesses con-
qui sont en scène n'y .ipparait hors de tenues dans 1 upistliodônie, et les Ut
propos tous les nngisirats qui parlent
: transporter à Rome. Cet exemple fut
sont bien, comme un dit aujourd'hui, fatal au temple d'Éphèse. Les Scythes
dans l’exercice de leurs fonctions. le inllcrent en 263, les Coths firent une
L’orfèvre Démétrius, à la tête de ses irruption eu Ionie sous le règne de Gai-
ouvriers mène l'émeute. I.es asiarques, lieu, et le temple fut ravagé.
ces magistrats électifs, dont les fonc- Lorsque la religion chrétienne eut
tions étaient toutes municipales, font été proclamée religion de l'empire, tous
dire secrètement à Paul de ne pas se les temples du paganisme, abandonnés,
mêler dans le tumulte; ils sont loin de sans entretien tombèrent peu à peu en
.

lui éire hostiles ; peut-être parmi eux y ruine. Le temple d’Ephèse était particu-
avait-il quelques chrétiens. Enfin parait liérement odieux aux chrétiens, car
le greflier de la ville ;
e'est encore un c'est là qu’ils avaient rencontré la plus
magistrat que nous retrouvons men- vive opposition de la part des prêtres ;
tionné dans une fouh* d’inscriptions aussi dès qu'il fut permis de dé nolir
grecques. La charge de gramniateus les édifices de l'ancien culte pour s’en
était éminente, elle se cumulait dans approprier les matériaux, tout ce qui
les temples de Diane avec celle de put être enleve, colonnes, statues, dalles
grand-prêtre (I). Legrammaleus apaise de marbre, fut arrache pour êtreemployé
le tumulte, et menace les récalcitrants aux usages civils; les empereurs eux-
de les traduire devant les tribunaux : mêmes douiiaient l'exeinpie, et Cons-
c’est ainsique finit cette sédition, basée tantin faisait main basse sur toutes les
sur une accusation grave, une atteinte œuvres d’art de l’Asie pour orner sa
portée à la majesté de la Diane Ephé- capitale. Lorsque Justinien fit cons-
sienne. C’était le premier symptôme truire Sainte-Sophie, Ephèse fut comme
de réaction contre le paganisme, qui de- une où l’un trouva des maté-
c.irrière
vait cependant durer encore pendant riaux tout prêts; les douze colonnes de
plusieurs siècles. marbre vert qui décorent la nef de
Sainte-Sophie furent prises au temple
CHAPITRE XXVII. d'Ephèse ; mais d’après leur dimension
I elles ne pouvaient appartenir qu’au pé-
DBSTBUCTION DU TEMPLE. ribole les colonnes du grand temple,
;

de soixante pieds de haut, ne pouvaient


Dans second siècle de notre ère,
le être transportées qu'en morceaux.
malgré les assauts que le polythéisme Tant de tremblements de terre ont
avait reçn.s de la part des chrétiens , Je ravagé ces contrées, depuis que l'histoire
temple d'Éphè.se était encore le centre a cessé d’enregistrer les annales des
religieux le i^lus fréquenté de l’Asie. Un villes on peut imaginer que la splen-
!

sophiste nommé Damianus fît faire un dide construction de Diiiocrate a subi


portique de marbre, qui conduisait de le même sort que le temple voisin, de.s
la porte de Magnésie au temple il avait ; Brachydes, et le voisinage de la mer a
un stade de long à partir de cette porte. favorisé l'enlèvenient des matériaax :
Le même citoyen fit construire une salle peut-être même, par esprit de réaction
pour les banquets qui devaient se don- contre l'ancien culte, le vieux temple
ner dans le temple ; elle était d'une rare a-t-il été démoli à dessein jusqu’en ses
magnificence , et les murs étaient re- derniers fondements.
vêtus de dalles de marbre de Phrvgie ou
de Synnada, qui était encore un grande CHAPITRE XXVm.
rareté a cette é|ioque (2).
Néron n’imita fias ses prédécesseurs LES TU&CS A EPHÈSE.
dans le respect dtl à la Diane Éphésienne; I

Les Turcs maitres d’Eplièse ont aussi
(i) Voy. De.icrip. del'As. Min. in-f'.I.IH, einpiové une grande quantité de maté-
p. 95. e / riaux de mnrbre. Ce n’eSt .pa.s moins
(a) Pj^otlrale, Vie des «opbisles. une chose curieuse et inexplicable, que
,

ASIE MINEURE. 833

le plus célèbre monument de l’Asie ait tares fut réduit en cendres. Karasupasi
disparu au point qu’on ne peut même en s'étant retirédans la citadelle en soutint
retrouver la place. le siège jusqu’en automne; mais ne pou-
Kphèse était une ville trop considé- vant être secouru par son fils, il se ren-
rable pour n'étre pas exposée à son dit à Meolesché, qui remit le pays d’É-
tour aux ravastesdes maliométans. Anne phèse à Amir, et fit enfermer dans le
Comnène rapporte i|ue le» iiilidèles s’éiant château de Mamalus, sur les côtes de
rendus les maîtres d'Kphese, .sous le Carie. Karusap.isi , et ses principaux
règne de son père Alexis, il y envoya officiers.Alors Djounéid partit de
Jean Uucas, son beau-pere, qui délit Smyrne avec une galère, et fit savoir à
Tangriperme et Marace, uéuéruux des son père son arriiée à Mamalus. Les
mahométans. I..a bataille se donna dans prisonniers firent tant boire leurs car-
la plaine au-dessous de la citadelle; ce des, <|u’ils les enivrèrent; et, profitant
qui fait connaître que l.i plus belle de eetle ruse, ils desceudireiit avec des
partie de la ville était déjà détruite cordes, et se sauvèrent à Smyrne. Au
alors. Les chrétiens eurent tout l’avan- commeucement de l'hiver, ils entrepri-
tage :on lit deux mille prisonniers ; le rent le siégé d’Éphèse. Amir, à son tour,
gouvernement de lu place fut donné à se relira dans la citadelle. La ville fut
Petxeas. Il y a apparence que la cita- livrée aux soldats ; on y commit toutes
delle dont parle Comnène était l’ancien sortes de crimes et de cruautés. Au mi-
château de marbre abaiidomié. Théo-
, lieu de tant de malheurs, Djounéid se
dore Lascaris se rendit le maître d’É- réconcilia avec Amir, et lui donna sa
phèse, en I20B. Les maliométans y re- fille en mariage. Éphèse ensuite tomba
vinrent sous Anilronic Paléologue, qui entre les mains de Mahomet I, qui, ayant
commença à régner en 1283. Meiitescbé, vaincu tous ses frères, et tous les prin-
un de leurs princes, conquit toute la ces mahnmétaus qui l’embarrassaient
Cane; et Aniir, Ois d’Asin, prince de resta paisible possesseur de empire.
I

Smyme, lui succéda. Timour, après la Dejiuis ce temps Éphèse est restée aux
bataille d’Angora, ordonna à tous les Turcs ; son commerce a été trausporté
petits princes d’Anatolie, de le venir à Smvrne et à Scala-Nova.
joindre à Éphèse, et s’occupa pendant L’église de Saint-Jeau, bâtie par Jus-
un mois à Liire piller la ville et les en- tinien, n’était pas dans l’enceinte d’É-
virons. Après le départ de ce conqué- plièse; Procope(i)en détermine l’em-
rant, Djouiiéid, grand capitaine turc, placement sur use colline en face de la
fils de karasupasi
,
qui avait été gouver- ville, c’est-à-dire sur la colline d’Aïa-
neur de Sinyrne sous Bayazid , dé- salouk , ou sur celle de la mosquée. « Il
clara la guerre aux enfants d’Asin, qui y avait éii face d'Éphèse une colliue
s’étalent venus établir à Éplièse. Il ra- abrupte dont le sol était rocailleux, et si
vagea d’abord la campagne à la tête de stérile qu’il ne portail aucun fruit: les
cinq cents hommes ; ensuite il se pré- habitants y avaient autrefois bâti une
senti devant la citadelle avec un plus église en l'honneur de Saint-Jean l’a-
grand nombre de troupes, et l’emporta pôtre, surnommé le Théologien. Cette
facilement; mais, qtielque temps après, église était trop petite et presque ruinée
un autre Ois d’Asin, qui s’ap^lait par le temps; Justinien Va fait abattre
Amir, du même nom que son frère, entièrement pour en élever une autre,
qui venait de mourir, se joignit à Men- qui est si grande et si magnifique qu’elle
tesché, prince de (larie, qui l'accompa- peut être comparée à celle qu’il avait
gna à, Ephèse avec une armée de dix D'iiie auparavant à Constantinople «n
mille hommes. Karasupasi père de ,
l'honneur de tous les apôtres. »
Djounéid , commandait dans la ville où
ce même Djounéid , qui était dans (i) De ÆdificVa, Uv. V, ch. I",
Smyrne, n’avait ,lais.«é que trois mille
hommes. Malgré'la vigoureuse défense
des Éphésiens , les assiégeants mirent le
feu a la ville , et dans deux jours tout
ce qui était écliappé à la fureur des Tar-
M.
in L’UNIVERS.
CHAPITRE XXIX. culaire. Cette tour, enclavée des deux
côtés dans la muraille, faisait certaine-
BDINES DE PYGÈLE ; NÉAPOLIS- ment partie du rempart. Il faudrait re-
cberch:!r l’emplacement du temple de
Ea sortant de la ville d’Éphèse pour üiane Munychie(l) sur l’esplanade for-
se rendre à Scala-Nova, la route longe mant le point culminant de la ville, et
l’embouchure du Caystre et la jetée où l’on trouve de nombreux débris de
d'Attale ; elle tourne eiisuiteau sud, sans poteries et de tuiles ayant appartenu à
quitter le bord de la mer. des édifices publics. L’étendue de cette
Le Caystre se partage en deux bran- ville ne peut être bien appréciée, parce
ches pour sortir de la plaine d’Éphèse : que la colline où sont les ruines actuel-
l’une au nord , près clés étangs sélinu- les est prolongée par la grande route
siens, et l’autre au sud , vers les collines de Smyrne à Scala-Nova, et que tous
du Corissus. Celle-ci ne peut-être tra- les abords en ont été bouleversés. De
Tersée à gué ; il y a un bac. l’autre côté de la route, on trouve aussi
Le fleuve est assez près des montagnes quelques débris de poteries ; mais il n’y
pour que le passage entre la rive et les a pas de constructions hors de terre.
roches offre quelques difficultés; on se Pygèle fut fondée par quelques compa-
trouve ensuite sur une grande plage, qui gnons d’Agamemnon, qui furent onli-
va jusqu’à la mer. La route se dirige gés, à la suite d’une maladie contractée
vers le sud jusqu’aux montagnes qui dans une longue navigation, de descen-
sont les derniers contre forts du mont dre à terre, et y fondèrent une ville.
Corissus. On fait une demi-lieue sur Agamemnon consacra un temple à
le sable. Le pays est complètement Diane Munychie (2).
aride et désert. Après avoir fait une Pygèle n’ayant pas de, port n’a pas
lieue environ, on entre dans une vallée tardé à être abandonnée, et sa popula-
parallèleà la mer. On rencontre là tion a été absorbée par Éphèse et N'ea-
quelques ruines. Un grand aqueduc, polis.
dont la prise d’eau est ignorée, longe Ce territoire est encore, comme du
le flanc de la montagne. A gauche, il temps de Dioscoride, célèbre parla qua-
se sépare en deux branches ; l’une d’elles lité de son vin (3).
traverse la route sur un mur fort épais A une lieue plus loin , on descend
et d'assez mauvaise construction. On sur le bord de la mer, et on arrive
a employé, dans la partie supérieure, bientôt à Scala-Nova, l’ancienne Néa-
de vieux tuyaux de terre engorgés par polis.
le dépôt des eaux. Cette branche four- Néapolis était une ville qui apparte-
nissait de l’eau à la ville, dont on voit nait d’abord aux Éphésiens, mais qu’ils
les vestiges, que l'on regarde comme échangèrent avec les Samiens, contre la
ceux de l’ancienne Pygèle. ville de Marathésium Néapolis est re-
:

Il
y a en avant dans la mer un petit présentée par la ville moderne de Scala
cap, qui peut avoir formé jadis un port, Nova.
et quelques constructions byzantines Située au fond d’une baie et abritée
qui ont appartenu sans doute à des re- par un Ilot qui forme un excellent mouil-
mises de galères ; mais sur le continent lage, Scala-Nova a hérité de tout le
les ruines de la ville grecque sont plus commerce de la côte. L’île voisine est
considérables. On aperçoit une grande appelée par les Turcs CoucA ada si,
portion de mur longeant la mer et tour- nie de l’oiseau : c’est aussi le nom de la
nant à angle droit vers l’est. Ce mur ville. Les fortifications ne sont pas an-
est en gros blocs de marbre blanc à bos- ciennes c’est une simple muraille, qui
:

sages et a certainement appartenu à la


,
va se rattacher à un château bâti sur
ville grecque. Il est fondé sur le rocher, le cap qui ferme la baie du côté du sud.
et l’on peut suivre ses contours pendant
plusieurs centaines de pas, jusqu’à une (i) .Strabon, liv.'XIV, p. 6»g.
grosse tour qui formait l’angle nord-est, (a) Straboii ,
XIV, 63o. Plinr, lib. V, 99
et au’un antiquaire allemand a con- Mêla, liv. I, 17.
fonaue avec les ruines d’un temple cir- (3) Dioscoride, liv. V, 11.
ASIE MNEURE. S25

Les maisons s’élèveot eu amphithéâtre tes parts et les terres de la vallée ap-
et font face à la mer : la population partiennent à un monastère grec. Deux
grecque y est nombreuse , et habite le ou trois caloyers nous reçoivent à la
liaut quartier. Elle a une église assez descente de cheval, et nous apportent
bien entretenue qui est dédiée à Saint- des fleurs et des fruits. Ou ap^lle ce
Georges. Les juifs sont nombreux et lieu Dermen-dérè-si (la Vallée du
dans Taisance : ce sont les courtiers de Moulin).
tous les capitaines qui viennent à Scala- En s’enfonçant plus avant dans la
Nova charger du vin , de l’huile et des gorge, on aperçoit une église rustique
figues. Autrefois ce commerce était in- récemment construite. Un moulin à
terdit à la ville de Scala-Nova, pour ne eau fait entendre son bruit monotoue :

pas nuire à celui de Smyrne. Les compa- on se croirait dans quelque vallée de la
gnies commerciales du Levant y entrete- Suisse. torrent qui descend de la
naient cependant des agents consulaires ; montagne roule avec fracas au milieu
iis réclamèrent près de la sultane Validé, des débris des rochers, parmi lesquels
qui avait Scala-Nova dans son apanage, on remarque d'énormes blocs gro.'^sière-
et la ville fut autorisée a trafiquer de ment équarris. En effet, la profoudeur
quelques articles, tels que feves, haricots, du vallon a été autrefois occupée par
peaux brutes, que dédaignait Smyrne : une construction dont il reste des ves-
voilà comment les Turcs savaient en- tiges imposants ; ce sont trois assises de
courager le commerce. pierre de taille ou plutôt de fragments
de rocher qui formaient sans doute les
CHAPITRE XXX. fondations d’une grotte ou d'un nym-
ihée. On voit encore une partie circu-
OBTYGIE ET QUELQUES LIEUX ANTÉ- faire qui terminait le fond du uymphée.
HELLÉNIQUES DE LA COTE d’IONIE. Les eaux passaient sans doute par
quelque issue souterraine aujourd’hui
Quelques habitants de la Scala-Kova détruite. Ce qui reste de cet édifice
m'avaient informé qu'il existe, non rappelle les plus anciennes constructions
loin de cette ville, des ruines reqiar- des premiers Grecs. Près de l’église,
quables vers lesquelles nul voyageur on voit une colonne de granit qui ap-
n'a encore dirigé ses pas. Le 5 juin. J’or- partient évidemment à uneépoque moins
ganisai une caravane pour aller les ob- ancienne; en effet, les caloyers l’ont
server. trouvée sur la partie supérieure de la
Kous suivons d’abord route de
la montagne, et l’ont roulée jusque-là.
Seukié; au bout d’une demi-heure, nous I.es trois assises de pierre reposent
tournonsau nord, et nous franchissons sur un soubassement en saillie d’en-
plusieurs collines assez bien cultivées, viron 2 mètres et de même construction.
et pour la plupart couvertes de vignes. C’est là tout ce qui reste de cet antique
Tout ce pays est agréablement coupé. édifice. Il paraît que dès les premiers
Nous entrons ensuite dans une grande temps du christianisme quelque ana-
vallée, qui a son embouchure dans la chorète vint habiter ces lieux, et y vécut
mer de Samos, précisément eu face de en paix. C’ est du moins ce que men-
l’île. Cette vallée est arrosée par une tionne l’inscription placée sur la porte
petite rivière; sur le flanc est s’ouvre de l’église, qui fut bâtie en 327 , re-
une gorge de rochers très-pittoresques. construite en 1812 :
On aperçoit des fabriques nouvelle'* Une autre inscription, plus longue,
ment bâties ; de gros noyers et d’énor- mentionne les restaurations qui ont été
mes platanes forment des masses de faites récemment. Au-dessusde la porte
verdure au milieu desquels s’élèvent, on lit;
à droite et à gauche, des groupes
Cette éfitise, ensevelie sous terre depuis plu-
de peupliers ; les rochers taillés à pic sieurs années, a été dérouverle et déblayée
semblent défendre l’entrée du val- par un liouinie pieux, a lu suite d’un songe
lon : on ne saurait voir d’endroit plus qn'il eut en 1812. et dans lequel lui apparut
en ce même endroit la .Uere de Dieu.
sauvage , plus frais et plus agréable.
Elle a été rebâtie, depuis les fondements sous
Les constructions qui s’élèvent de tou- l’inspection et ladireclion du véi.éralile eféque
326 L'UNIVKRS.
mailre de la source, aux frais et par le se- ouvrages modernes. On y voit Latone
cours de pieux souscripteurs et sous les or-
dres d'Anthymui, Uls de Brueis? célèbre tenant un sceptre, et Ortygie , près d’elle,
parmi leu moines (rie ce mona>lère). un enfant dans chaque main (1)
A ceux qui approcheront avec piété on « On célèbre tous les ans à Ortygie
rrnroet la délivrance des âmes et des corps.
Mois de février 1814. une fôle ; la jeunesse, par un usage par-
ticulier, se pique surtout d’y donner
En remontant le cours du torrent, on des repas magniliques. Le collège des
trouve à gauche uue route taillée dans Curètesdonne aussi des repas, et célèbre
le roc au milieu des hroiissailles qui aussi quelques sacrifices secrets, u
,
conduit à une grotte profonde d’où Il ne reste plus rien de tous ces édifl-

s'échappe une source abondante. Une ces ; seulement on voit près de la porte
partie de la grotte a été excavée de main du monastère un débris de cymaise de
d’homme , et sur le flanc du rocher style grec parfaitement sculpté, et orné
s’ouvre un conduit d'aqueduc qui re- d'une tète de lion presque lirisée.
cevait la majeure partie des eaux de la Toute la topograpliie correspond par-
source. Ces eaux étaient portées à Rplièse faitement à la description de Strabon.
par le grand aqueduc, qui suit la si- Le ruisseau est le Cenchrius. Il va se
nuosité des mootagnes , et dont nous jeter dans la mer en face de Sanios. La
avons observé les débris dans la vallée montagne qui domine est le mont Sol-
de Pygèle. Depuis la prise d’eaujusqu’à missus. En ligne droite, ce lieu n’est
Epitese , les eaux parcouraient uu espace pas éloigné d’un myria mètre de la mer
de 6 myriamètres, toujours soutenues d’Éphèse et dans l’antiquité il portait
,

à 3& ou 40 mètres au-dessus du niveau une partie de ses eaux à cette capitale.
de la mer.
ne reste aucun document qui puisse
Il CHAPITRE XXXI.
apprendre quel était le nom de ce lieu
dans l’antiquité; mais la description de CHATEAU DE ITCHAKIB-ALY.
la côtepar Strahon contient le nom d’un
endroit qui n’a pas encore été déterminé, Pendant que nous prenions quelques
arre qu'on l’a toujours cherché sur le rafraîchissements sous une treille du
Eord de la mer. monastère, uu paysan s’approcha de
Le géographe grec s’exprimeainsi (1) : moi, et me dit qu’il connaissait dans
« Sur cette côte et un peu au-dessus le voisinage un ancien château qui n’a-
de la mer est Ortygie: c'est uu bois vait jamais été visité par des etrangers.
magnifique planté de tontes espèces d’ar- Après quelques questions qui me firent
bres, mais principalement de cyprès. penser qu’il s’agissait d’un ouvrage an-
Il est traversé par le Cenchrius
,'
dans tique, nous montâmes à cheval, et, fran-
lequel, dit-on , Latone se lava après ses chissant la iiiontaimequi s’élève au sud,
couches, a Or, c’est dans ces lieux que nous marchâmes pendant trois quarts
la fable place l'accouchement de ceite d'heure vers le sud-est par des chemins
déesse, l’antre où cet accouchement eut presque impraticables; enfin nous ar-
lieu, la nourrice des enfants ( nommée rivâmes au pied d'im pic isolé et aride,
Ortygie), et l’olivier à l’ombre duquel sur les flancs duquel ou aperçoit encore
Latone se reposa après le travail de des restes de construction grecque.
l’eufantement. Au-de-sus de ce bois est Une portion de murailles en gros blocs
le mont Solmissus, où l’on dit que les de pierre à bossage Joint deux parties
Curètes étourdirent (lar le bruit de leurs de rocher, et forme au pied du pic
armes Junon, qui épiait par jalousie les une sorte d’enceinte, dans l’intérieur
couches de l.atone , et par ce moyen de laquelle se trouve uu fragment de
parvinrent à les lui cacher. Il y a dans rocher qui a été taillé en escalier. C’est
ces lieux plusieurs temples, les uns an- par là que l’on monte à la partie su-
ciens, les autres construits plus tard. périeure du pic. Il se divise en deux
Dans les premiers se trouvent d’antiques pointes couronnées par des plates-for-
statues de bois; dans les derniers, des
(i)Voy. les médailles de Magnésie sur
(Ol.iv XIV, p. 639 . e Méandre.

iM O; ogie
,

ASIK MINEURK 827

mes. T/escalier a environ quarante mar- volonté aux habitants de la ville d’Uciice.
ches. La plate-forme inferieure n’offre en Achaïefl).
rien de remarquable. La plate-forme Tous les ans les députés de la con-
supérieure, à laquelle on arrive avec fédération se réunissaient au Panioniiim,
assez de peine, à cause d’une coupure et y discutaient les intérêts généraux de
naturelle du rocher, est en'ironnée par l'Ionie (2).
une construction. La muraille enluurait En sortant de la ville, je gagnai le
tout le sommet, et forme dans la partie bord de la merdans le golfe de Samos,
nord une es| èce de tour circulaire, au et je marchai longtemps sur le sable,
milieu de laquelle se trouve une exca- qui eu cet endroit éta'.I alors tin et
vation assez profonde, taillée dans le brûlant. J’apereevaisau loin une grande
rocher. Était-ce tout .'iinplement une foule sur le rivage, et je m’avançais
citerne ou le puits de queli|ue oracle ? tranquillement, suivi du cawas Méné-
Cette excavation est presque carrée, niet, lorsque cette foule se mit à pous-
plate-forme supérieure n’a pas plus ser de grands cris, qui ne m’arrêtereiit
de dix mètres en tous sens. Lorsqu’on pas , car je n’en connaissais pas le but.
est sur le sommet, on distingue fort Nous hâtâmes au contraire le pas de
bien trois lignes de fortilications qui nos chevaux , et nous nous trouvâmes
faisaientdece rocherun château presque au milieu d’une troupe nombreuse de
imprenable. Il ne reste aucune ins- femmes , les unes à moitié habillées , et
cription ni aucun fragment d’architec- les autres complètement nues. Il y en
ture. Toute cette ruine parait dater de avait de Juives, il’Annéniennes et de
la plus haute antiquité. Les bergers ap- Turques. Méhémet, s’apercevant du
pellent ce château Tichakir-Aly. INous désordre que nous apportions voulait ,

retournâmes à Scala-INova en suivant la rebrousser cliemiu mais nous étions ;

valléedu Cenchrius, que nous passâmes trop avancés, et nous préférâmes con-
un peu au-dessus de son embouchure. tinuer. La plupart des femmes se blot-
Les aqueducs qui portent de l’eau à tirent dans le sable, et celles qui étaient
Scala-Nova traversent la route. La prise vêtues les couvraient de sable et de
d’eau a une source differente de celle manteaux. Quand nous fûmes un peu
de Dermen-dérè-si , où sont les ruines loin, et que la confusion fut apaisee,
d’Ortygie. je demandai à une vieille negresse dans
quel but tout ce nioiide était réuni. Elle
m'expliqua que pendant le cours du
CHAPITRE XXXII. mois de septembre on vient de tous
les environs prendre des bains de sable
PANIOMUU. — LES BAINS DE SABLE. sur la plage de .Scala-Nova « C'est :

dit-elle, un excellent remède contre les


Panioniuni était ainsi nommée parce rbumatisines et les relâchements des
que c’était le lieu d’assemblée des dé- muscles. Les malades se font enterrer
putés des villes de la confédération dans le sable brûlant , et y restent
ionienne. du
ex|)osésà l’action soleil. » Il y a un
Le Panioniuni, d’après Straboii, était règlement tacite qui détermine les jours
situé au cap Trogile, à trois stades du qui sont choisis pour les hommes et
rivage. Il était placé sur le versant du ceux laissés aux femmes, et il ne parait
mont Mycale, et faisait face au nord. pas que. les uus ni les autres enfreignent
Ce n’élait pas une ville , c’était un lieu ce règlement, car nous n’aperçûmes pas
d’a.ssemblée, au milieu duquel se trou- uu seul homme sur toute la plage.
vait le temple de Neptune Héliconius.
Les habitants de Priène
duisirent en
,
qui intro-
Ionie le culte de ce dieu,
(i) Strahon, liy. XIY, p. 619, — Héro-
dote ,
liv. I, rh. 14S.
avaient demandé aux Achéens une statue (-j) FausauUs, liv. 'VU, cb. 34.
de Neptune avec un plan de son temple,
parce qu’ils voulaient en élever un sur
lemême modèle. Ce plan leur fut en-
voyé après que le dieu eut manifesté sa ,
.'I ' (.. . t
r^38 L’UNIVERS.
VINCIENNK VlLLi. DKü LELbUKS. quérantes ,
qui ne se mêlèrent jamais
avec les populations, et qui finirent par
A une lieue de 1j, on
une source
voit être chassées par des conquérants nou-
minérale, dont la température est de 18 veaux, comme les Lél^es le furent par
à 19 dcfirés, et dont les eaux sont alca- les Cariens. Il faudrait de longues re-
lines. Elle sort du pied d’un monticule cherches et de plus longues années pour
entouré d'antiques coustructions, et éclaircir l'histoire de ces temps héroï-
forme jusqu’à la mer un marais où crois- ques de l’Asie, qui, effaces par la civi-
sent des plantes aquatiques. J’avais dans lisation grecque , laissent encore assez
d’autres voyages examine les fortilina- de vestiges pour que les p.itientes re-
tions de cette montagne, mais je n’avais cherches d'un érudit puissent les coor-
jamais gravi jusqu'au sommet. Avmt donner.
mis pied à terre, je visitai toute l'éten- En suivant le contour de la côte, on
due de l’enceinte. On retrouve daus ces arrive à l'embouchure du fleuve Ceu-
constructions tous les caractères des chrius, près duquel est un château fort
mouuinents des premiers âges; elles sont du moyen âge et de construction très-
appareillées a joints irré^liers, et ne médiocre, dont les Turcs attribuent la
portent pas de traces d ornementation fondation aux Génois c’est une espla-
:

dans les faces des portes ni dans les nade massive entourée de douze tours
tours. La muraille suit toutes les sinuo- demi-circulaires. Le même terrain offre
sités de la montagne, et peut avoir 1 ,000 ainsi au voyageur deux châteaux cons-
ou 1,200 mètres de développement. Je truits à deux mille ans de distance, qui
ne trouvai la aucun vestige de l'art ro- sont là comme pour attester que le sort
main ni d’une époque postérieure. Aussi invariable de ce pays est d’être soumis
j’ai été longtemps disposé à regarder à une domination étrangère.
ces ruines comme celles de Pvgèle,
dont les historiens grecs attribuent la SITE nu FANIONIUH.
fondation aux soldats d’Agamemnon (I) ;
car, de toutes les ruines que l’on trouve Après ce château, on entre dans le
sur cette côte celles-ci sont certaine- territoirede Tchangli c’est une vaste
:

ment les plus anciennes; mais il vaut plaine, bien cultivée, située au pied du
mieux s'en référer à la topographie de mont Mycale et dans laquelle sont
,

Strabon, qui place Pygèle entre Ephèse plusieurs fermes et deux villages du
etScala-Nova,corre$pondantà l’ancienne même nom, dont le plus important est
Néapolis. Il resterait à déterminer le le Tchangli turc; l'autre est appelé
nom de cette place; nous sommes là- le Ojiaour-Tchangli , ou Tchangli des
dessus sans aucune espèce de rensei- Grecs.
gnement. Il est certain qu’antérieure- Chandler a bien déterminé la position
inent à toutes les villes dont les noms du Panionium à Tchangli, et depuis lui
subsistent encore, cette partie de l’Asie sir W. Gell a publié une inscription
a été conquise et habitée par des nations dans laquelle est mentionné le Panio-
qui ne nous sont plus connues que par nium.
leur nom , et par quelques exploits qui Le cap Trogile, près duquel il se trou-
pour les anciens Grecs étaient déjà per- vait, est aujourd'hui appelé Boudo :

dus dans la nuit des temps. Les Treres nord du canal de Samos
c’est l'extrémité
et les Lél^es ont ravagé ce pays , s’y du côté du continent. En parcourant
sont établis militairement, et Strabon les environs du village de Tchangli, si-
atteste que déjà de son teinj» on voyait tué dans la plaine, j^aperçus à mi-côte,
des fortifications abandonnées, que l'on au milieu des broussailles, une longue
attribuait aux Léiéges. Ces châteaux iso- muraille en appareil irrégulier, que je
lés, coustniits presque tous sur des ma- regarde comme le mur d’enceinte du
melons inaa'essibles , représentent le Panionium. C'est au milieu de cette en-
siège des garnisons de ces bordes con- ceinte et du côté de la mer que devait
se trouver le temple de Neptune Héli-
(ijPline, liv. V, >p. --Strabon, Uv. XIY, conius, qui aujourd’hui est complète-
(1. 169. ment renversé, et dont il ne reste plus
ASIE MINEURE. 329

de vestiges. Rieu n’aunoace aux alen- Milet ayant été comblée , il s’est formé
tours qu’il y ait eu des constructions. un lac, connu aujourd'hui sous le nom
Il faudrait rechercher dans la partie sud de lac Bail. A mesure que les éléments
si l'on ne trouverait pas des édifices des- de prospérité diminuaient, la population
tinés à loger les envoyés. C’est derrière se transportait dans d'autres villes , et
la montagne qu’est située la ville de les contrées environnantes devenaient
Priène, dont ce territoire était tout à fait désertes. La destruction du port d'É-
indépendant. phèse a amené la dépopulation de la
Les renseignements donnés par les vallée du Caystre ; et lorsque le com-
indigènes m’apprirent que dans le mont merce maritime de Milet fut ané.-inti , la
Mycale il existait plusieurs châteaux vallée du Méandre redevint déserte et
forts qui n’avaient jamais été visités par stérile, comme avant l’arrivée des pre-
les Européens. Sans compter faire là miers Grecs. Les monuments anciens
des découvertes imprévues, je me déci- ne furent pas démolis pour être em-
dai à parcourir cette partie de la mon- ployés dans de nouvelles constructions ;
tagne, qui jusqu’à présent était tout à ta solitude régna partout, et nous ver-
fait inconnue. Je me dirigeai d'abord rions peut-être encore debout ces beaux
vers un monastère situé sur un des pics édifices des plus belles époques de la
les plus élevés du Mycale, et éloigné Grèce si des phénomènes volcaniques
de toutes les routes frayées. En partant ne fussent venus compléter la destruc-
de Tchangli la route suit la pente de la tion et le bouleversement de ces con-
montagne, toujours ombragée par une trées.
épaisse forêt. Le sommet du Mycale L’Asie Mineure fut, plus qu’aucune
forme un plateau assez étendu où sont autre contrée de l’Occident, exposée aux
tes ruines de plusieurs petites églises tremblements de terre, et ces phéno-
byzantines; une seule est habitée par un mènes se sont renouvelés assez souvent
caloyer, qui vit au milieu de quelques de nos jours pour que nous ayons
familles de bûcherons. une idée des ravages qu’ils causaient
Les nomades vivent dans cette mon- quand la contrée était couverte de
tagne comme dans l’Olympe ; ils sont villes nombreuses et de monuments
occupés de la coupe des bois. magnifiques. Les anciens écrivains, tout
en conservant la mémoire de sembla-
CHAPITRE XXXllI. bles événements ont aussi cherché à
expliquer la cause inconnue qui leur
TBBMBLEHENTS DE TEHBB EN ASIE. donnait naissance, et parmi les phéno-
OESTBUCTION DES VILLES d’IONIB. mènes extérieurs qui les accompagnent
on doit dire que les observations des
Les plus grandes et les plus belles anciens ne manquent pas de justesse.
villes de la confédération ionienne, Pausanias s’étend longuement sur ce
Priène et Milet, étaient situées sur les sujet dans son septième livre. Les trem-
bords de la mer, et devinrent par la blements de terre, dit-il, sont annon-
suite des temps des ports considérables cés par certains pronostics, comme de
et florissants; mais les changements longues sécheresses, par des vapeurs ijui
survenus dans la configuration du pays, obscurcissent le soleil la lourdeur de
,

plus encore que les guerres et les in- l’atmosphère , des tourbillons de vent
vasions , privèrent peu à peu ces diffé- qui déracinent les arbres, et le dessè-
rentes cités de leurs éléments de pros- chement des fontaines, ce dernier symp
périté, et des douze villes de la con- tême est surtout exact , et nous l’avons
fédération ionienne il n’y a plus que observé nous- même. Ceux qui ont ob-
Smyme qui ait conservé son importance servé les tremblements de terre comme
cothroerciale. Tous les ports situés à Pausanias, en distinguent de plusieurs
l’embouchure des fleuves ont été com- sortes. Le plus doux (1) de tous, s’il y
blés, et les sables se sont accumu- a rien de doux dans un si grand mal, est
lés en si grande quantité , que le golfe celui dont l’effet est de faire pencher
d’Ëphèse a été converti en un marais
pestilentiel ; et l’entrée du golfe de (i) doux.
,

830 L’UNIVERS.
uii r.dilice d’un côte, oi decle\er par
lu constances que des fontaines augmen-
une seeoU'Se contraire. On
vu des co-
a taient leur débit, tandis que des fontai-
lonnes prèles à tomber se remettre sur nes situées a quelque distance taris-
leurs bases, des murs prêts à s’érrouler saient, que des puits débordaient, tandis
se redresser, et des poutres .se déplacer que o’autres puits étaient mis à sec: ceci
et reprendre leur position. La seconde s'explique par le mouvement d'ondula-
sorte est celle où les secousses sont si tion qui se manifeste dans les couches
continuelles et si violentes, que les intérieures de la terre la nappe aqui- ,

plus solides édifices s'écroulent comme fère se trouve en quelques lieux telle-
s’ils étaient battus par des m chines ment re.vserrée que les sources n’ont
de guerre. Il signale comme le plus plus d’écoulement, et celte contraction
dangereux de tous le. tremblement de la même nappe peut projeter au-
de terre qui se manifeste par des se- dehors l'eau des puits. Les vapeurs
cousses verticales, auxquelles rien ne sortant des fissures de la terre sont en-
résiste ; il compare assez bien ce mou- core un phénomène que quelques géo-
vement nu travail des taupes (i), qui logues ont révoqué en doute ; mais il
creusent sous la terre, l'enlèvent et la est attesté aujourd’hui par de nombreux
font boursoufler. Les villes maritimes témoins competents.
ont un autre danger à craindre , c’est
l’irruption des eaux de la mer. CHAPITRE XXXIV.
Dans le tremblement de terre d'Ué-

lice en Achaïe la mer innonda la ville


,
PBinCIPAUX TBEMBLKMENTS DETEBKE
et tout le pays d’alentour. Nous avons EN ASIE.
cité d’après Pausanias et Pline le trem-
blement de terre qui engloutit la ville de Le grand tremblement de terre qui
Sipylus(v). Les exemples cités par Pline ravagea l’Asie sous le règne de Tibere
sont plus nombreux encore ; et il n’est a laissé des souvenirs néfastes chez tous
pour ainsi dire aucun écrivain qui ait les écrivains du temps (I); douze villes
parlé de l’Asie Mineure sans mention- populeuses furent englouties dans une
ner de pareils désastres. seule nuit. Depuis celte époque les évé-
Les phénomènes qui selon Pline ac- nements de ce genre se sont renouvelés
compagnent les tremblements de terre de siècle eu siècle ; nous mentionnerons
ne different pas de ceux qui sont décrits les principaux dont ^hi^tuire a conservé
par Strabou. Il ajoute que le phénomène le souvenir, mais combien d’autres ont

s'opère de la même manière que la passé, iguorés des générations sui-


détonation dans une nuée orageuse vantes.
c'est-a-dire que l'électricité joue un Sous règne d’Auguste la ville de
le.

grand rôle dans ces mouvcmeuts du Tralles fut entièrement détruite (2).
globe :les puits et les fontaines modi- Sous règne de Trajan, l’an tl5 de
le

fient leur débit. Phérecyde ayant goûté notre ère, la ville d'Antioche fut ren-

l'eau d’un certain puits annonça qu’il versée, le consul Pédon y périt, et Tra-
jan lui-même n'échappa que par mira-
y aurait en cet endroit un tremblement
de terre (3). cle; une énorme multitude périt sous
Agatbias explique res phénomènes les décombres ; trois villes de la pro-
terrestres ,
de la même manière que scs vince d’Asie et deux de Galalie, peut-
prédécesseurs; il tut témoin du grand être Pessinunte , furent renversées. En
tremblement de terre qui ravagea l’ile 146, sous le règne d’Aiitoniii l’ile de,

de Los, sous le règne de Justinien, dans Rhodes et le continent d'Asie furent


l’année 538 ; il atteste que la mer enva- ébranlés En 238, 244
d'autres tremble-
hit les bas quartiers de la ville de Cos, ments de terre eurent lieu ; en 262, sous
et que l'eau des puits devint salée. le régné de Gratieu, Rhodes, la Lydie
Ou a remarqué dans certaines cir- et l’Asie souffrirent cruellement. En

(it Pline, liv. Vil, ch. a4- (i) Voy. Tacite, y/nna/«, liv. Il; Strabou.
(a) Voy. page aaS. MI; Pline, liv. Il, cb. 9 t.

(3) Pline, liv. Il, 9 $. (») Vuy, page * 79 .


ASIE MINEURE. . S8I

Ian 300, sous le rèfme de Uionlétien, n’est pas étonnant que les historiens
Tyr et .sidon furent détruites; en 354, aient négligé d’enregistrer la ruiue de
365, Nicomédie; en 400, Constantinople quelques monuments abandonnés ; on
et les villes de la côte d’Asie. En 527, il ne saurait dire à quelle période il faut
V eut de grandes secousses à Antioche. rapporter leur destruction, mai» il est
Agalhias (i) atteste que Beryte fut tota- certain qu’ils furent ruinés par des trem-
lement détruite en 538; une incroyable blements de terre.
quantité de citoyens furent écrasés sous Si nous ne pouvons préciser l’époque
les ruines; la population survivante où eut lieu la destruction des temples et
émigra à Sidon. Alexandrie d'Égypte, des villes antiques nous pouvons du
qui n’avait jamais éprouvé de pareil phé- moins déterminer la direction qii’nsuivie
nomène, fut ébranlée; l’île de Cos ri-s- la secousse qui a renversé les plus beaux
senlit d'horribles secousses ; il n’y eut temples de l’Ionie, et la largeur de la
qu'une petite partie de la ville qui fut zone ébranlée. Les villes de Téos, (tia-
pre.servée la mer fit irruption dans les
:
res, Priène, Branchyde et ülagnésie
maisons, et enleva les meubles et les du Méandre sont situées sur une ligne
habitants. Agathias ajoute « Passant : dans la direction de l’esl-nord-est et
d’Alexandrie à Constantinople, j’abordai ouest-sud-ouest; toutes ces villes étaient
dans cette lie , et je fus témoin de ce ornées de temples de marbre blanc,
pitoyable spectacle on ne pouvait plus : presque tous d’ordre ionique. Tous ces
reconnaître l’emplacement des rues et monuments gisent aujourd’hui étendus
des places publiques. » sur le sol mais on voit que leur des-
:

En 544 un tremblement de terre truction n’est pas l’ouvrage des hom-


ébranla les deux continents; il dura mes , car toutes les colonnes sont tom-
quarante jours Constantinople fut en
:
bées ensemble et du même côté. Les
partie détruite; en 557 un autre, dans chapiteaux et les frises sont dans leur
les parages du Bosphore, dura dix jours position resoective; et comme les frag-
'
et dix nuits. ments de fûts ont recouvert la partie
En 742 il
y eut un tremblement de qui est ordinairement décorée , il s’en-
terre universel : six cents villes furent suit qu’on retrouve dans les décombres
renversées et une quantité prodigieuse toutes les frises et les corniches par-
d'hommes périrent; entre le huitième siè- failement intactes.
cle et notre temps, les mêmes phénomè- I,e temple d’Apollon Didyme, près de
nes se sont renouvelés en Asie, et à des Milet, se trouve dans le même, état , et
époques presque périodiques; enfin, de en glissant sous les blocs étoulés, on
uos (ours^ en 835, la ville de Césarée, du
1
remarque de magnifiques fragments de
mont Argée, fut presque totalement dé- sculpture.
truite nous pûmes recueillir de la part
;

des habitants survivants quelques détails CHAPITRE XXXV.


sur cette catastrophe; ils attestent que
des vapeurs méphitiques sortaient des FONDATION DE MILET.
fentes de la terre, que des puits étaient
mis à sec, tandis que d’autres détor- En aucun lieu de la côte d’Asie les
daient, enfin que le régime des sources alluvions des fleuves et des torrents
était complètement troublé. Le grand n’ont modifié la physionomie du terri-
tremblement de terre de Broussa, qui toire d’une maniéré plus complète que
eut lieu en 1852, est encore présent à dans la vallée du Méandre. La ville de
toutes les mémoires; celui ci est extraor- Milet avait été fondée à l’embouchure
dinaire , attendu que le pays est de na- de ce fleuve, dans le but de profiter d’une
ture granitique. Les principaux édifices double voie de communication, de la voie
de la ville ont été ou ruinés ou gravement maritime par ses navires, et de la voie
endommagés. terrestre en remontant, au moyen de
Au milieu de si lamentables catas- ses caravanes, la vallée du Méandre
trophes, qui ont englouti des villes, il iusi|u’au cœur de la Phrygie. C’était tout
le secret de la puissance commerciale de
(i) Agathias, fie de Justinien, liv. II, ch. 8, cette capitale de riottie; elle conserva
,

3S3 T.XTNIVERS.

sa suprématie maigre les guerres qu'elle lespont et les fies de la Grèce ont vu
eut à soutenir avec ses puissants voisins ; en même temps fleurir une multitude de
vaincue et soumise, ils étaient encore tri- villes fondées par cette métropole. Pline
butaires (le son active population et de en porte le nombre à quatre-vingts :

son commerce immense; mais quand les Strabon se contente de citer learos et
forces de la nature, quand les sables Leros; dans l’flellespont, Liinure, Ahy-
charriés par le fleuve arrivèrent à dos, Arisbé et Pæsos ; sur la côte d’Asie;
combler ses ports, la richesse de Milet Artacé, Cyzique nous devons ajouter Si-
:

commença à décbeoir; son territoire ne nope, qui devint la métropole du royaume


présente plus aux yeux qu'une steppe de Pont.
fangeuse, et de tous les monuments qui
ornaient cette ville il reste à peine quel- MILET sous LES BOIS DE LYDIE.
ques débris.
On ne saurait déterminer, mêmed’une On place l’arrivée de Nélee à Milet
manière approximative, l'époque de la vers le dixième siècle avant notre ère;
fondation de Milet. Ce territoire était d’autres villes ioniennes, Éphèse et
occupé par le peuple lelége, bien avant Phocée, se distinguaient surtout par leur
l’arrivée des Ioniens, et la ville qu’il ha- activité commerciale; mais pendant trois
bitait se nommait Léiégéis. Elle était siècles Milet conserva lasuprématie, jus-
située sur la rive gauche du Méandre, et u’au jour où les rois de Lydie tentèrent
par conséquent dans le territoire de la e l’asservir. Ils commencèrent par nouer
Carie (i). I.es forêts de pins entouraient des intrigues avec quelques citoyens, en
la ville, qui fut aussi appelée Pityussa; leur promettantle pouvoir, maisla guerre
les habitants avaient coutume de porter ne tarda pas à éclater ; elle fut commen-
une branche de cet arbre dans les Thes- cée parSadyatle, qui mourutsans avoir
mophories, et le fruit était offert dans accompli ses projets contre Milet.
les sacrifices àCérès. I..esCariens venus Alyatte,-son fils, continua la guerre con-
de nie deCrète, étant débarqués sous la tre les Milésieus, mais comme il voulait
conduite de Sarpedon, chassèrent les Lé- les soumettre sans détruire leur ville, il
léges, et bâtirent une ville à laquelle ils faisait chaque année une expédition , au
donnèrent le nom de Milet, ville de Crète. temps des récoltes; son armée venait au
Plus tard les Ioniens conduits par ^'élée son des instruments camper sur le ter-
s’emparèrent de cette place, et fondèrent ritoire de Milet. Il respectait les habita-
une ville du même nom dans le voisi- tions éparses dans les champs, au lieu
nage de la première. l.a Milet ionienne de les livrer aux flammes; il n’en faisait
était située à l’embouchure du fleuve. pas même enlever les portes ;mais il
Les quatre ports étaient formés l'un par détruisait totalement les récoltes et ies
le golfe, aujourd'hui comblé, près duquel fruits, et se retirait ensuite. Les Milé-
est la ville d’Héraclée sous le Latmus siens étant maîtres de la mer, ii était
l’autre par une petite île du nom de inutile de tenter un siège régulier de la
Lade, aujourd’hui jointe au continent, et ville avec une armée de terre. Du reste,
les deux autres dans les terres à droite en empêchant qu’on n'abattit les mai-
et à gauche de la ville, de sorte que la sons, son but était d’y rappeler les habi-
ville elle même était bâtie sur un is- tants, afin qu’ils pussent travailler à la
thme (2). Il n’en reste plus de vestige : terre et l'ensemencer. Eu revenant l’au-
les alluvions ont tout comblé. La popu- uée suivante il trouvait ainsi quelque
lation, vouée principalement au com- chose à ravager de nouveau. La guerre
merce maritime, avait des relations avec fut ainsi conduite pendant onze aiiuées,
tous les peu[des du bassin de la Médi- pendant lesquelles les Alilésiens essuyè-
terranée, et connaissait mieux qu'aucune rent deux grandes défaites, une près de
autre les points de la côte où des comp- Liménéium, l’autre dans la plaiuc du
toirs pouvaient être établis avec avan- Méandre.
tage. La mer Nuire, la Propontide.l’Hel- Dans la douzième année, l’armée ly-
dienne ayant mis comme de coutume le
(i) Él. de Byzao., V. Milelns. feu aux maisons, la flamme, poussée par
(a) Thucydide, Uv. VIII, s5. un vent violent, atteignit un temple con-
ASIE MINEURE. 383
sacré à Minerve Assessiène, et il fut en- administrer la république les proprié-
tièrement consumé. Alyatte étant rentré dont ils avaient trouvé les champs
taires
à Sardes tomba malade ; la Pythie ayant en bon état, ce qui fut accepté (1).
été consultée à ce sujet refusa de rendre
aucun oracle tant que le temple de Mi- CHAPITRE XXXVI.
nerve près d’Assessos ne serait pas ré-
tabli. BÈGNE DE DABIUS.
Thrasybule, étant alors tyran de Milet,
fut informé par Périandre de la réponse Darius avait emmené un grand
de la Pythie ; il prépara un stratagème nombre d’ioniens dans son expédition
qui amena la fin de la guerre. Alvatte contre les Scythes, et l’échec qu’avait
ayant envoyé des députés aux Milésiens éprouvé l’armée perse ne manqua
avec la mission de conclure une trêve pas de donner l’éveil aux peuples
pourrétablir le temple, Thrasybule ima- grecs qui tentèrent, eux aussi , de se
gina de faire porter sur la place publi- délivrer du joug des Perses. Milet, la
que tout ce qu'il y avait dans la ville de place la plus florissante et en même
provisions de bouche appartenant à lui temps la plus facile à défendre suivit ,

ou aux particuliers, et ordonna aux Mi- les conseils d’Aristagoras, et se mit à la


lésiens dès qu’il en donnerait avis de tête de la révolte. Nous avons vu les
les consommer en repas ou ils s’invite- Ioniens marcher en vainqueurs sur
raient tour à tour. Lorsque le Hérault Sardes, prendre et brûler cette capitale;
fut arrivé à Milet,fut surpris de la
il mais les alliés des Ioniens ne répondi-
uantité de vivres qu’il voyait, et en ren- rent pasà cet élan, et Milet se vitpresque
it compte à Alyatte, qui, au lieu d’une seule exposée aux attaques de l'armée
simple trêve, conclut la paix avec les Mi- des Perses.
lésiens,persuadé qu’il était de ne jamais Darius en apprenant la révolte sus-
pouvoir les réduire par la famine. citée par Hystiée prépara contre Milet
Les condi tions de la paix furent que une expédition formidable ; les généraux
les Lydiens et les Milésiens jouiraient perses avaient réuni toutes leurs troupes
réciproquement entre eux des droits de pour en former une seule armée, qu’ils
rtiospitalité et seraient alliés. Alyatte dirigeaient sur Milet, laissant de coté la
au lieu d’un temple en éleva dans As- conquête des autres villes. Les Phéni-
sessos deux à Minerve. ciens, jaloux de la puissance maritime
Les Milésiens vécurent en paix avec de Milet avaient mis leurs connais-
leurs puissants voisins pendant tout le sances de la navigation et des côtes au
règne de Crésus, et, après la chute du service des Perses les marins de Chypre,
:

royaume de Lydie, ils s’empressèrent de les Cilicieiis et les Egyptiens servaient


conclure avec Cyrus un traité qui les aussi comme auxiliaires.
mit à l’abri des attaques des Perses. Il De tels préparatifs étaient de nature
y eut ensuite une suite de suspension à inquiéter les Ioniens, qui se réunirent
des maux de la guerre ; elle dura peu, et au Panionium ; il fut décidé que Milet
de nouveaux malheurs causés par les
,
serait chargée de défendre seule ses
villesdeNaxos et de Milet, vinrent fondre murailles, mais que la confédération
surles Ioniens. Milet était à cette époque réunirait le plus de vaisseaux qu’elle
plus florissante qu’elle ne l’avait jamais pourrait pour défendre la ville par mer,
été. I^s séditions qui avaient troublé et les vaisseaux reçurent l’ordre de se
son intérieur pendant deux générations réunir dans le plus court délai au port
étaient apaisées ; la paix avait été conclue de Ladé , petite île située en avant de
entre les différents partis hostiles, grâce Milet. La bataille navale, restée célèbre
à l’intervention des Pariens que les Mi- dans l’histoire sous le nom de bataille
lésiens avaient choisis pour arbitres. de Ladé, est décrite par Hérodote dans
Les commissaires envoyés pour con- toutes ses péripéties; les fautes des Io-
trôler l’administration publique, après niens, les défectious des alliés y sont
avoir examiné l’état des propriétés parti- mises au jour avec une netteté qui ne laisse
culières, convoquèrent une assemblée
générale du peuple, et désignèrent pour (i) Hérodote, liv. V, eb. ag.
S»4 L’UNIVERS.
aucun doute sur les vices de cette con- une occasion de secouer le joug des
fédération ionienne ,
qui pouvait com- Perses ; mais ce fut pour tomber sous
mander à l’Asie. La flotte grecoue fut celui des Athéniens, qui pendant toute
dispersée, et Darius commença le siège la guerre du Péloponèse conservèrent
de Milet par terre et par mer. i.es Perses le gouvernement de d’Ionie et de la
mirent en usage toutes les machines de Carie. Les Milésiens Gnirent par se ré-
guerre dont ils étaient en possession ; volter; les Athéniens s’apprêtaient à
ils Gnirent par s'emparer de la ville et de assiéger la ville, mais à l'approche de
la citadelle, dans la sixième année de la la flotte du Péloponèse Phrynicus,
défection d'Aristagoras. Tous les habi- l’amiral athénien, jugea opportun d’a-
tants de Milet furent faits esclaves. Les bandonner l’entreprise.
Grecs croyaient que ces événements s’é- Mille hoplites d’Athènes et quinze
taient accomplis selon la prédiction d'un cents Argiens, et mille alliés partis d’A-
oracle qui avait prononcé ces paroles : thènes, sur quarante huit vais-eaux,
« Pour toi , ô ville de Milet, artisan de abordèrent àSamo$,et passèrent en-
tant de maux, tes richesses serviront de suite à Milet, où ils campèrent. Les Mi-
récompense à bien des gens ; tes femmes lésiens étaient sortis au nombre de huit
laveront les pieds d’un grand nombre cents hoplites, accompagnés des Pélo-
d’hommes aux longs cheveux , et mon poupsiens et de Tissapherne lui- même
temple de Didyme sera conGé à d’autres avec toute sa cavalerie. Dans le combat
soins. » qui eut lieu, les Argiens furent vaincus
Les captifs de Milet furent traités par les Milésiens, et les Péloponésiens
avec douceur par Darius, qui se contenta furent vaincus par les Athéniens ; ces
de les expatrier; il les conduisit a Suze, derniers, ayant érigé un trophée, se pré-
les envoya habiter prés de la ville parèrent a enceindre d’une muraille la
d’Ampé, « près de laquelle le Tigre, qui ville de Milet, dont le territoire formait
la traverse, a son embouchure dans la un isthme; leur flotte se tenait dans le
mer ». Le Tigre se jette dans l’Euphrate, le port de Ladé, voisin de Milet, et
et non pas dans la mer nous pensons
: de lit les Athéniens faisaient de fré-
qu’Hérodote (1) a voulu parler du Geuve quentes descentes sur le territoire de
Pasitigris, qui coule non loin de Suze, Milet : c’est alors que la flotte pelopo-
et se jette dans le Golfe Per.vique, et nésienne, arrivant au secours de la ville,
non pas dans la mer Lrythrée. força les Athéniens de battre en re-
I.e territoire de Milet fut partagé : les traite (I).
Perses gardèrent toute la plaine, et la
partie montueuse fut don née aux Cariens CHAPITRE XXXV IL
de Pedase. Il ne resta aucun Milésien
dans la ville de Milet (2). MILET SOUS LES GBEeS.
I.es Athéniens, qui avaient aban-
donné cette ancienne alliée à ses propres Milet montrait autant d’attachement
forces, ressenti rent à la nouvelle de la pour le culte d’Apollon qu'Ëphèso pour
destruction de Milet une douleur sans celui de Diane. Outre le grand centre
bornes; le poêle Phrynicus ayant fait religieux des Branchydes, les Milésiéns
repré.senter une tragédie avant pour avaient une vénération spéciale pour
titre la prise de Milet, tous les specta- Apollon Oulius. c’est-à-dire guérisseur;
teurs fondirent en larmes, et l’auteur on attribuait à cette divinité le pouvoir
fut condamné à une amen,de de mille de répandre les épidémies, et c'est à la
drachmes pour avoir rappelé aux Athé- suite de semblables événements que fu-
niens des malheurs domestiques; on rent construits les temples d’Apollon
défendit en outre de faire représenter Epicurius à Bassæ et celui de Delos (2).
jamais cette pièce (3). L’arrivée d'Alexandre en Asie fut le
La bataille de Mycale fut pour Milet signal de la délivrance des villes grec-
ques; mais elles n’accueillirent pas toutes
(i) Hérodote yi, oo.
(a) Id., ibid.,,cli. aa, i
{, ,{i) Thucydide, VIII, a5,»7.
(3|Strabon, XIV, 635. XIV, 635.
{i) Siraboii, liv.
ASIK MINEURE. z:is

avec le même empressement leur nou- fut celui d’une ville commerçante et
veau libérateur. Milet, qui n'nferniait paisible; enfla, sous l'empire byzantin
dons ses murs upe forte garnison perse, elle fut, comme toutes les autres villes
refusa d'ouvrirses portes, et Alexandre, du littoral, l'objet des attaques réitérées
ne voulant pas laisser derrière son armée des tribus turques; mais déjà à cette
une place Wtile, se décida à en faire époque elle avait perdu toute impor-
le siège. Meinnon le Rliodieiiet le Grec tance maritime ses deux ports s'étaient
:

llégésistrate commandaient la défense : comblés, et les navires mouillaient dans


Alexandre s'empara de la ville exté- le Méandre.
rieuredu côté de la terre, pendant que
sa flotte bloquait les ports. Alors l'as- CHAPITRE XXXVIII.
saut fut donné ; plusieurs brèches ou- MILET sons LES TUBCS. i

vertes par l'action du bélier donnèrent


accès dans la place, qui fut prise aprèsuiie On voyait encorey a un demi-siècle
il

vigoureuse résistance. Alexandre traita un village nommé


Pulatcha, construit
les Milésiens avec douceur, incorpora sur les ruines de Milet ; aujourd'hui tout
les Grecs mercenaires dans sou armée, ce lieu est a peu près desirt quelques :

et continua sa marche triomphante (I). uinisons, faites avec des claies, sont ha-
Sous la régne de Ptolémée Phila- bitées pendant une partie de l'année
delplie,qui, outre l'Égypte, possédait par des pasteurs; mais une fois que les
aussi toutes les proviuers méridionales dioleurs se font sentir tout le pays de-
de l'Asie .Mineure, un gouverneur de vient désert.
la Carie, nommé Timarque, s’était em- Milet il l'époque où Aiasalouk était
paré de la ville de Milet et y exerçait la une. place de guerre doit avoir été une
tyrannie. Les habitants implorèrent le ville inusulmaiiü assez peuplée il reste :

secours d’Antiorhus, roi de Syrie, qui encore un certain nombre de petites


marcha contre. Timarque, le déUt et le mosquées en ruine, ainsi qu'un vieux
tua ; pour le remereier de ce service, les caravauséral abandonné; l'architecture
Milésiens décernèrent à Autiochus le de ces monuments turcs est du même
surnom de Théos, Dieu, sous lequel ce style que celle des mosquées d’A'iasa-
prince fut toujours distingué sa femme : louk elles sont du milieu du seizième
:

Laodice et sa mère Stratonice ont donné siècle.


leur nom à deux villes de l'Asie Mi- Onclierclie en vain la trace des mu-
neure. raillesanciennes; le seul édilice antique
C’est pour ainsi dire le dernier évé- qui attire aujourd'hui les regards et qui
nement nu’on ait à signaler dans l'his- marque l’emplacement de la ville est
toire de Milet comme ville indépendante ; un théâtre construit tout en blocs de
sous les successeurs d’Alexandre, les marbre mais qui est dépouillé de tout
,

événements dont elle fut le théâtre ap- ce qui pouvait le rendre intéressant; la
partiennent à l’histoire géuérale'de la masse entière du proscenium a été en-
contrée. Aucun monument remarquable levée, les colonnes, les chapiteaux et
ou célèbre ne fut jamais construit dans toutes les décorations ont disparu.
son enceinte; Pausanias se contente de Ce qui le distingue des autres théâ-
citer le tombeau de Nélée, qu'on voyait tres de l’Asie, généralement établis sur
à gauclie de la porte, sur le chemin qui le penchant d'une colline, c'est qu’il
oiene à Didyrae (2). Néanmoins les arts est isoléde tous côtés comme le théâtre
et l’industrie étaient arrivés à un degré deMarcellusa Rome; malheureusemeut
de perfection remarquable ; Pompoiiius la dëcoratiou extérieure a été enlevée
Mêla la mentionne « comme la ville la comme le reste, mais une grande partie
plus distinguée de l'Ionie par les arts des vomitoires et de la galerie circulaire
de la paix et de la guerre • (3). Pendant subsistent encore, mais sont remplis de
toute la période romaine le sort de Milet terre; plusieurs inscriptions ont été re-
cueillies dans le courant du siècle der-

(i) Arrieii, Exp. Alex., l, 18, ao. ’nier par les voyageurs qui ont vi.sité

(aj Pausanias^ 'VU'; a. Milet ; aujourd’hui ou n’en trouve plus


(3j P. MeU, 1. I, 17 . de vestiges.
,

336 LTJNIVERS.
Comme rette place est située sur la traversait la ville de Célenæ , arrosait
route qui d’Éphése ou de Scala-Nova lesdistrictsd’Apamée(l),d'Euménia (2),
conduit dans sud de l'Asie Mineure,
le de Bargylia (3), et du temps de Pline
on de la traverser; mais elle
est obligé venait se jeter dans la mer, a dix stades
n’offre aujourd'hui qu’un très-faible de Milet.
intérêt sous le rapport de l’antiquité. Plutarque , dans son livre des riviè-
L’action prompte et puissante du res (4), dit que le Méandre s’appelait an-
christianisme sur l’esprit mobile des ciennement Anabsnon, c’est à-dire qui
Grecs se lit sentir à Milet comme à retourne sur ses pas. C’est, dit-il, le seul
Kphése, et dès les premiers siècles de tous les Oeuves qui de sa source re-
l’Eglise nouvelle eut des adhérents nom- vient vers les lieux d’où il est parti. Il a
breux ; mais les schismes et les hérésies été ainsi nommé, poursuit cet auteur, à
y trouvèrent d’aussi fervents disciples. cause de Méandre, fils de Cercaplius et
Toutes ces luttes, obscures et aujour- d’Anaxibie,quidurantune guerrecoutre
d’hui oubliées, n’ont pas peu contribué la ville de Pessinunte promit à la mère
a la ruine^de cette ville. des dieux que s’il remportait la vic-
Sous les empereurs byzantins, elle toire, il lui sacrifierait la première per-
eut encoreun reste d’importance; car sonne qui viendrait le féliciter. Le
nous voyons les ruines de quelques hasard voulut qu’à son retour les pre-
dans le style de celles
églises grecques mières personnes qui se présentèrent à
d’Éphèse. Mais exposée comme elle lui furent Archélaüs son fils, sa sœur
l’était à toutes les attaques des hordes et sa mère. Malgré les liens du sang il
qui débouchaient par la vallée du voulut les faire immoler, et ensuite,
Méandre; en proie aux miasmes qui agité de trouble et accablé de douleur,
s’exhalaient de ses marais nouvellement il se précipita lui-même dans l’Anabæ-

formés, sa population se dispersa de plus non, qui fut ensuite appelé Méandre, à
en plus. Milet devint dans le douzième cause de lui. C'est ainsi que Timolaüs
siècle la propriété de l'émir Aïdin , qui raconte le tait, au dixième livre des Af-
résidait à Guzel-hissar ;
elle passa plus faires de Phrygie. .Agatocle le Saniien
tard dans l’apanage des Kara-Osman- en parle aussi dans sa république de
Oglou ; et aujourd'hui qu’elle est entrée Pessinunte. Mais Démostrate d’Apamée
dans les domaines de la Porte , ce n’est dit que Méandre ayant été choisi de
plus qu’un amas de huttes abandonnées nouveau général , dans la guerre contre
pendant une grande partie de l’année la ville de Pessinunte , et ayant vaincu
a cause du mauvais air, et qui ne pré- contre son attente, il partagea au.x sol-
sente plus rien qui puisse appeler l’at- dats les offrandes consacrées à la mère
tention. des dieux. La déesse permit qu’il perdit
En sortant de Milet du côté du sud , l’esprit, et que, dans un accès de sa
on marche longtemps dans un terrain manie, il tuât sa femme et son fils. Étant
nu et sablonneux; une petite éminence, revenu en son bon sens , il se jeta dans
également de sable, indi<;ue peut-être la rivière, qui en prit son nom.
l’emplacement de l’ile de Ladé, qui A l’époque romaine Milet n’était
avait un port, puisque c’est là que les déjà plus à l’embouchure du Méandre,
confédérés grecs s’étaient donné rendez- et une autre ville célèbre ,
Priène , qui
vous ce n’est qu’une conjecture, car
: fut fondée au bord de la mer, en était
on n’y retrouve aucune roche qui in- éloignée de 40 stades quand Pline écri-
dique que ce fut une lie. Ce fait seul vait. Le golfe de Milet se fermait peu à
peut donner une idée de la transforma- peu , et finit par être converti en un
tion qu'a subis ces rivages. lac d’ean saumâtre, qui porte aujour-
d’hui le nom de Oufa-Bali ; sa longueur
LE MÉANDRE. est de deux lieues environ.

Le Méandre prend sa source dans un


lac qu’on appelait Aulocrène, situé sur (i) Tite-Live, liv. XXX'VIII, cbap. i3.

une montagne du même nom (1); il


(a) Isehckli.
(3) Geuverginlik.
(i) Pline, liv. 'V, rhap. ag. (4) P. 3i, àit. 1. Sfauttae,
, ,

ASIE MINEURE. 387

CHAPITRE XXXIX. le rapportent à deux jumeaux aimés


d'Apollon (AIoupoi); d’autres à une mon
TEMPLE DES BRANCHVDEK. tagne du nom de Didyme , parce qu elle
avait deux sommets , et qui n’est pas
Lorsque les Ioniens arrivèrent sur la éloignée du cap Posidium. L'oracle
côte d’Asie , ils trouvèrent le culte des établi par Apollon fut accepté par les
dieux de la Grèce répandu dans la habitants, et des jeux didyméens fureut
contrée et le secours des oracles an-
,
institués et se célébrèrent à Milet pen-
tioues ne leur fut pas inutile pour s'é- dant plusieurs siècles. L’héritage du
tablir dans leur nouvelle patrie. Apollon pouvoir prophétique ne resta pas dans
et Diane étaient particulièrement ho- la famille de Branchus. Léodamas , Mi-
norés dans le pavs , et les plus célèbres lésien de race royale, ayant été faire la
temples de l’Asie étaient cousacrés à guerre aux Carystieus,' rapporta, avec
ces deux divinités. Claros, Ephèse , Ma- les offrandes qu’il consacra à Apollon
gnésie, Ortygie, Milet, rivalisaient une femme captive nui était mère.
pour orner leurs temples des plus riches Branchus adofita cet entant, et lui con-
offrandes, des objets d’art les plus pré- féra le don de prédire il l’appela
:

cieux. L’antiquité de ces oracles se per- Évangélus. C'est de lui que descendait
dait dans les ténèbres de la fable, et tous la famille milèsieniie des Évangèlides.
les peuples de l'Asie se soumettaient à Toutes ces traditions remontaient à une
leurs decrets. antiquité très-reculée; mais comme ce
Le temple des Brancliydes , consacré sont des mythes purement grecs , il est
au culte d^Apollon, Didyinéen , était un douteux qu'elles soient antérieures à la
des plus célèbres de la contrée; il do- guerre de Troie. Macharéus vivait 1171
minait celui Je Claros, et ne le cédait ans avant Jésus-Christ. La réputation
en importance qu’à celui de Delphes. de cet oracle s'était étendue jusqu’en
Il étaitétabli sur la côte d’Ionie, non Égypte, et le roi Nécliao üt hommage
loin du cap Posidium, à vingt stades de à Apollon d’une partie du butin qu’il
la mer, et appartenait au territoire de avait conquis sur la ville de Cadytis en
Milet ; il étai t éloigné de cent quatre- Palestine, 616 ans avant Jésus Christ (l ).
vingts stades de cette ville (I). Crésus envoya au trésor des Bran-
Les Grecs font remonter l’établisse- chydes des offrandes aussi magnifiques
ment de cet oracle au héros Branchus que celles qu’il avait envoyées à l’oracle
favorid’Apollon, qui avait reçu de ce de Delphes; elles s’étaient déjà telle-
dieu des témoignages non équivoques ment accrues au moment où les Milé-
descendait de Macharéus
d’affection. Il siens se révoltèreut contre les Perses
le üelphien , qui avait tué Néopto- qu’elles pouvaient seules sufhre pour
lème (2). La prêtrise du temple était équiper une flotte. Hécatée de Milet,
restée dans cette famille ; de là que
c’est après avoir énuméré le nombre et la
l’oracle a pris le nom de Branchyde, puissance des nations que Darius pou-
sous lequel il était connu. La mère de vait leur opposer, proposa d’employer
Branchus ayant eu pendant sa gros- les richesses du temple pour armer des
sesse un soiïge dans lequel le soleil lui vaisseaux ; mais sa proposition fut re-
était apparu et lui était entré dans le jetée (2). Après la soumission des Mi-
sein , donna à son
Gis le nom de Bran- lésiens , Darius donna l’ordre d’incen-
chus (ppiyyoî, la gorge). Étant devenu dier ce temple. Peut-être fut-il restauré
jeune homme, il rencontra dans un à cette époque; mais sa ruine complète
bois Apollon, qui lui donna un baiser fut consommée par ordre de Xerxès,
et lui accorda le don de prophétie ; il Gis de Darius qui incendia tous les
,
éleva à ce dieu un temple, qui fut appelé temples de l’Iome. Les Brauchydes li-
Branchyde. Quant au surnom donné à vrèrent à Xerxcs les trésors du temple;
Apollon , les historiens ne l’expliquent et pour se dérober à la vengeance des
pas d’une manière très-chaire : les uns Grecs, ils s’enfuirent en Perse. I.e roi

(i) Pline, liv. V, ch. xxvi. (i) Hérodote, II, iSg.


(x) .Sirabon, DL, 4a i. (») Hérodote, liv. V, cbap. xxvi.
32‘ Livraison. (Asie Mineure.) T. II. 22
;

S8K L’UNIVERS.
les établit dans la Sogdiane; mais par ses dimeusions (Méyiurov veùv tcSv
Alexandre les punit dans la personne K jvTcjiv); mais les Milésiens furent
de leurs descendants, en détruisant la obligés de le laisser sans couverture, à
ville où ils demeuraient, et en faisant cause de cette énorme grandeur (t). Ces
massacrer tous les Branchydes (I). paroles rie Strabon méritent d'être dis-
La fuite des prêtres d’Apollon ne cutées. Il est certain que le temple était
paraît pas avoir été fatale a l’oracle ;
sans toit; mais n'était-ce pas une dis-
car les Milésiens se mirent eu devoir position particulière à ce monument,
de construire un autre édiGce, qui comme à celui d’OIympie? C’est une
surpassât en grandeur et en magnili- uestion que nous examinerons eu étu-
cence tous les autres temples de la iant le plan de l'édifice. Pausauias se
Grèce. C’est ce monument qui e.st par- contente de dire Non terminé; oùx:

venu jusqu’à nous, non pas tout entier, IÇEipYaapÉvo;.


mais dans un état tel , que nous pou- L’enceinte sacrée du temple, ornée
vons en reconnaître les principales dis- en dehors et en dedans d’un bois ma-
positions. On peut le considérer comme gnifique pouvait contenir la popula-
,

contemporain des temples d’Ephèse et tion d’un bourg; il y avait d’autres sécos
de Magnésie du Méandre; car le pre- ou édicules où se rendaient les oracles
mier, préservé par les Perses, n’avait et où se faisaient les cérémonies (2).
pas échappé à l'incendie. La construc- Dans le téménos s’élevaient des monu-
tion simultanée de tels édifices donne ments de tous genres , dédiés par la
la plus grande idée des richesses que piété des plus puissants princes; on y
possédait encore l’Asie, qui sortait ce- remarquait surtout un autel érigé par
pendant de crises si violentes. Hercule de Thebes , et construit avec
du mortier délayé dans le sang des
CHAPITRE XL. victimes. Mais sous les Romains , cet
,

autel était devenu moins célèbre; les


CONSTKUCTION UE TEMPLE. .sacrificesavaient diminué, et l’autel
étaitmoins bien entretenu (3). il était
Il est difficile de déterminer l’époque élevé sur plusieurs marches , et sem-
précise où ce monument fut commencé. blable à celui d’OIympie.
Il fut construit par deux architectes, La statue d’Apollon était l'ouvrage
Daphnis de Milet , et Péonius d’Èphèse de Canachus de Sicyone ; elle était de
comme ce dernier est le même qui ter- bronze et faite sur le modèle de l’A-
mina le temple de Diane, sur lequel ollon Isménien de Thèbes, quiétaitde
Alexandre voulait inscrire son nom, ois de cèdre (4). Cet artiste vivait dans
on doit en conclure que le temple d’A- la 95' olympiade; il était élève de Po-

pollon date du règne de ce prince. lyclète d’Argos (5). Le dieu était de-
Vilruve mettait ce temple au nombre bout, sa chevelure nouée et rejetée par
des quatre plus magmliques ouvrages derrière; il tenait à la main une lyre.
qui existassent dans la Grèce; les trois Un grand nombre de petites statues de
autres étaient le temple d’Éphèse, celui bronze, faites à l’imitation de l’Apollon
de Gérés à Eleusis, et le temple de Ju- Didyméen , étaient vendues aux adora-
piter à Olympie. Ces édifices, dit-il, teurs qui venaient consulter l’oracle,
mériteraient d’être admirés même dans comme à Éphèse ou vendait des figu-
le conseil des dieux (2). Mais un si bel
ouvrage ne fut jamais terminé; aujour-
(1) .Strabon, liv. XIX', p. 634.
d'hui même nous en avons la preuve. Sirabon rniploiaiil le niênie mol,
(2 )
Cela n’empêcha pas le culte d’Apollon (sécos)pour exprimer celle partie du temple
de fleurir de nouveau dans cés parages, que les Romains appelaicnl Cella , et les lieux
et les offrandes des rois vinrent encore réserves où se midaieni les oracles; c’étaient
enrichir son trésor. autant de petits temples dont il ne reste plus
Le temple surpassait tous les autres de trace».

(3) Pausauias, liv. V, cbap. xiv.


(i) .SIraboii, liv. XI, p. .iiS. (4)
Pausauias, liv. IX, cb. x,
(a) Vilrave ,
liv. A'M, Préface. (5) Pline, XXXX'I, 14 .
,

ASIE MINEURE. 339


rines de Diane. Il en existe quelques- marbre il est probable
inscrits sur le ;

unes dans les collections modernes; qu’on en trouverait encore des débris
mais le plus bel exemple connu est importants; mais chaque jour ces pré-
cette statue qui est exposée dans une cieux documents disparaissent, et
salle du Musée du Louvre, et qui a été presque toutes les inscriptions recueil-
trouvée dans la mer, près de Livourne, lies par Sherard , Chishull et Wheler
Il existe aussi au cabinet des antiques sont aujourd'hui détruites.
une petite figure d’Apollon Didyméen Les inscriptions relatives au personnel
d’une grande antiquité ; elle est mas- du temple sont nombreuses ; le prêtre
sive, mais très-endommagée. Les Bran- principal était le stéphanophore, qui
cliydes en fuyant avaient emporté la portait une couronne d’or dans les sa-
statue du dieu ; elle avait été déposée crifices, le prophète, qui donnait la ré-
à Ecbatane , en Médie; mais elle fut ponse de l’oracle. La garde du trésor
restituée par Alexandre; c’est peut-être était confiée à un préfet et à deux as-
seulement à cette époque que l’oracle sesseurs, les hydrophores, chargés de
retrouva sa voix. porter l’eau destinée aux sacrifices.
En effet pendant qu’.Alexandre était On voit dans les bas-reliefs du Par-
a Memphis, les députés Milésiens ap- thénon une scène d’hydrophorie sacrée,
portèrent quantité d’oracles annonçaut qui fait connaître comment cette partie
qu’Alexanare était fils de Jupiter et du sacrifice était pratiquée. Ces ministres
prédisant la victoire d’Arbelles, la mort du culte demeuraient dans le témén^os-
de Darius , et les mouvements qui sur- cependant la fonction d’bydrophorè
vinrent à Lacédémone. L'oracle de n’était pas permanente , et souvent
des
Didyme était muet depuis le pillage du offrandes étaient données au temple
temple par les Branchydes; la fontaine pour l’accomplissement de cette partie
Biblis avait disparu, mais elle se mon- des cérémonies.
tra de nouveau lorsque l'oracle reprit Le terrain qui avoisinait ce temple
ses prédictions (1). était considéré comme appartenant
à la
On ne saurait douter, d'après le té- divinité ,
etdans le traité entre les Ro-
moignage des deux écrivains que j’ai mains et Antiochus il fut rendu aux
cités, que ce temple ne soit resté ina- Milésiens, qui l’avaient abandonné
( 1 ).
chevé; mais comme les cérémonies re- La faveur dont Jouissait l’oracle
ligieuses y ont été célébrées pendant du temps des villes grecques ne se
plusieurs siècles, il est probable que maintint pas sous les Romains; cepen-
toute la masse de la constructiou était dant on retrouve encore l’empereur
faite. Hadrien honoré comme bienfaiteur et
De nombreuses inscriptions recueil- fondateur de ce lieu sacré.
lies eu ce lieu ont fait connaître l’orga-
uisation du personnel du temple; elles A Apollon Didyméen et à l'empereur César
Hadrien Auguste , olympien , sauveur et fon-
out été analysées par le docteur Chand- dateur.
1er, le premier qui ait mesuré ces
ruines célèbres (2). Il en est plusieurs Cette autre inscription , en associant
qui mentionnent les riches offrandes Apollon aux divinités d”Esculape et
en statues coupes d’oE, vases sacrés
,
d’Hygie, rappelle que les Milésiens
qui étaient données par les rois asia- avaient élevé des autels à Apollon Ou-
tiques. Les grands actes politiques, les lius, ou guérisseur.
traités, les victoires, étaient pour ces
\ Apollon Didyméen et à Ëaculape sauvenr.
princes des occasions de montrer leur et à Hygie.
munificence. Prusias Cynægus, roi de
Bithynie, y consacra également des of- L’empereur Julien, en essayant de
frandes. L’auteur anglais observe avec rétablir l’ancien culte, n’oublia pas le
raison que des registres réguliers de temple des Branchydes , et cet oracle
tous les dons faits au temple étaient reprit son ancienne célébrité. Il fit dé-
truire les chapelles chrétiennes qui
(i) Straboii, XVII, Siy.
'
(a) Antiquités iouicniu», iii-l'ul. (ij Tile-I.ive, XXXVIII, Jy.

22 .

ogle
,

340 L’UNIVERS.
étaient établies dans le voisinage (I); parait qu'il est de nouvelle fondation
mais le christianisme ne tarda pas à car du temps de Chandler, en 1765, les
triompher la ville de Milet se dépeu-
: ruines du temple étaient inhabitées, et
plait de plus en plus , et ce célébré le voyageur était obligé de coucher au
oracle rentra dans le silence et l’obs- villa^ de Ura, qui en étaitéloigné d’une
curité. demi-lieue.
La plaine qui sépare les ruines de la
CHAPITRE XLI. mer est couverte de broussailles et de
rochers à fleur de terre, qui rendent le
ETAT ACTUEL DU TEMPLE. chemin presque impraticable. 11 n’y a
aucun sentier tracé du village à la cote.
Les premiers voyageurs qui obser- Nous allâmes le soir même au village
vèrent ces ruines, dans les temps mo- avec les ofliciers de la Mésange. Tous
dernes, les trouvèrent complètement les habitants sont Grecs : il y a environ
écroulées. Spon et Wheler, en 1672, quarante familles; mais il y a quelques
tracèrent une esquisse du monument; années le village était plus considérable.
'une très-petite partie de la cella .subsis- Le temple s’élève au milieu du village
tait encore , avec un des pilastres dont comme une montagne de décombres
nous voyons aujourd’hui les magnifiques ou plutôt d’énormes blocs de marbre
chapiteaux ; mais tout le reste du temple renversés les uns sur les autres. Il est
n’élàit qu’un amas de décombres. Je facile de pénétrer sous ces marbres ac-
crois avoir établi que tous les temples cumulés; on peut alors observer de
de l’Ionie ont été renversés par un trem- beaux fragments sculptés qui se sont
blement de terre , dont les effets sont conservés intacts.
encore plus marqués dans celui des Iæ mur de la cella du temple existe
Branchydes , puisqu’il était plus colos- dans tout le pourtour; il a une hauteur
sal. Or, comme Julien consulte l'oracle moyenne de trois mètres; le parement
avant de partir pour sa campagne contre de fa cella est brut ; les pierres portent
les Perses, nous savons que le temple les boutons d’attente qui ont servi à les
existait encore au commencement du mettre en place. Le temple était diptère,
cinquième siècle. C’est donc dans la pé- et par conséquent décastyle. Il est
riode de 400 à 1,600 qu’il fut renversé; orienté est et ouest, mais avec une dif-
mais comme il se trouvait dans un pays férence de trente degrés au nord , si
désert, loin des grandes routes, il j’ai bien pris l’azimut.
s’écroula sans que la tradition ait re- .Sur l’emplacement du pronaos, la
cueilli le moindre détail sur cette ca- masse des décombres est plus considé-
tastrophe. rable: cela se conçoit, puisque le fron-
Le 15 juillet 1835, après avoir visité ton et toutes les colonnes du portique
les ruines de Téos, je vins mouiller avec doivent être accumulés en ce lieu. Trois
la goélette la Mésange au cap Arbora , colonnes sont encore debout deux au
:

l’ancien cap Posidium. Il n’y a aucun nord , voisines l’une de l’autre ; elles
ort dans les environs; la 'mer étant sont cannelées et réunies par une archi-
elle, capitaine mouilla en pleine
le trave; elles sont d’ordre ionique; les
câte, abrité par le petit cap qui forme chapiteaux sont bien conservés. L’autre
l’ancien port Panormus, aujourd’hui colonne est isolée du côté du sud ; celle-
impraticable. pas terminée, les tambours sont
ci n’est
Le temple est éloigné d’une lieue de bruts, et le chapiteau n’est pas fini.
la côte ; mais ses colonnes s’aperçoivent Toutes les autres colonnes sont ren-
du large , et servent de reconnaissance versées et tombées obliquement les unes
aux navigateurs. Cet endroit s’appelle sur les autres; on voit qu’une même
aujourd’hui Hiéronda, c’est-à-dire lieu secousse les a renversées, et qu’elles
sacré; il y a un village composé d’une n’ont pas été dérangées depuis; cepen-
vingtaine de maisons de pierre, un dant il manque sur le terrain toute la
moulin à vent, et quelques cultures. Il corniche et tous les chapiteaux.
Je n’imagine pas comment ces mor-
(i) So/omèoe, V, 639. ceaux ont pu disparaître; ils ne sont

Di<
,

ASIE MWEDRE. 341

pis enterrés ; car le sol actuel est de plus cet ajustement se présente si naturel-
de deux mètres en contre-bas du ni- lement pour le plan comme pour les di-
veau des bases ; et de tous les morceaux mensions, qu'on ne peut douter que ce
du temple , les chapiteaux sont ceux qui temple n’ait été de la classe de ceux que
peuvent le moins être employés à d’au- l’on nomme Hypèthres, ayant au mi-
tresouvrages. lieu une cour ouverte et (les galeries
Il fallut donc prendre les moyens latérales. « L’hypèthre, dit Vitruve (1)
pour mesurer les seuls chapiteaux qui est décastyle devantet derrière; du
existent, c'est-à-dire ceux qui sont en reste, il est comme
le diptère. » Or,
place, à une hauteur de vingt mètres comme octostyle, le tem-
le diptère, est

au-dessus du sol. J’éprouvais d'autant ple d'Apollon doit différer de ce dernier


plus de difflculté pour mesurer la co- genre. Vitruve cite pour exemple de
lonne, que sa base est entourée de blocs l'hypèthre le temple de Jupiter Olym-
éu^ornies de marbre. Je fus obligé de pien ir.Vthènes on sait que ce temple
:

prendre avec un niveau une hauteur est décastyle. J’explique ainsi les paroles
correspondante sur une des colonnes de Strabon » On fut obligé de le lais-
:

voisines dont la base est dégagée. Il


, et ser sans toit, « c'est-à-dire qu’on fut
n’y avait dans le village ni échelle, ni contraint de disposer l’intérieur en
aucun moyen de monter sur les colon- forme d’hypèthre. On ne peut pas ima-
nes-, mais le commandant lit venir quel- giner que la statue du dieu soit restée
ques matelots avec une chaise volante pendant plusieurs siècles exposée aux
et des agrès ; on lança avec une pierre intempéries, sans qu’on ait pris des me-
une petite corde par-dessus l’architrave; sures pour la mettre à couvert. La res-
elle servit pour en monter une plus titution que je propose n’offre aucune
forte, et bientôt un matelot, eu s'aidant difficulté de construction, puisque le
des cannelures, fut en haut de la co- pronaos pouvait être couvert par des
lonne, au grand étonnement des Grecs, solives de 10“, 20, placées sur les pentes
qui ne pouvaient comprendre une telle du fronton, en forme de pannes. Il en
agilité. Une fois sur l’architrave, il est de même de l’opisthodome ou pos-
amarra un palan auquel fut attachée ticum. dans lequel je suppose qu’était
la chaise, et je m’élançai à mon tour placée la statue d’ .Apollon. Quant aux
dans l'espace. Je mesurai les hauteurs portiques latéraux intérieur.-^, ils étaient
de tous les tambours et les détails du couverts en atrium la pente du toit ,

chapiteau ; mais ses dimensions sont si en dedans.


énormes, que j’éprouvai de grandes dif- Il est une particularité qui distingue
ficultés. ce temple de
disposition indiquée par
la
Il
y a autour du temple deux rangs Vitruve c’est que le mur du pnsticuni
:

de colonnes ; mais on retrouve la plu- n’a point d'antes; il vient s'ajuster à


part des bases en place ; de sorte qu’il angle droit avec les murs latéraux.
est facilede reconnaître les dimensions Comme cette partie est bien conservée,
du portique. Le parement du mur de on ne peut avoir de doute à ce sujet.
la cella était fait de grands blocs de mar- Le temple n’avait pas de porte du côté
bre grisâtre ; mais l’intérieur de la cons- de l'ouest (2).
truction était en roche. L’épaisseur de En sortant du village du cote du nord,
ce mur est de 2“,73. D’autres fragments, onarrivedansunchampoù setrouveune
plus ou moins ornés sont épars autour rangée de statues de style très-antique;
de l'édifice; mais il en est qui ont été elles représentent des personnages assis
vus en 1764 et qui n’existent plus au- dans l’attitude d’une statue égyptienne ;
jourd'hui. Je veux parler du chapiteau le siège est simple il imite un fauteuil
:

corinthien publié par Chandler, et dont de bois ; ces figures sont vêtues de tu-
l'emplacement est déterminé par lui à niques plissées et relevées sur leurs ge-
l'entrée de la cella. I.e mur de la cella noux ; il y en a six sur la même ligne ;
offre, de distance en distance, des sail- les têtes ont été brisées.
lies qui paraissent avoir appartenu à des Une dépression de terrain semble in-
pilastres intérieurs ; cela indiquait un (i) I.iv. lit,
ordre de colonnes , et en effet , tout (a) l'or. pl. l8.
342
L’ÜNTVERS.
diijiierfjii en cei.
endroit il y avait un avoir eu d’autre illustration dans l’anti-
uide ; mais on ne Noiiaurune
trace ce quité que sa qualité de ville sainte ; elle
^(^üdlns^ou d'au'.re construction.
n'a jamais eu d'existence politique indé-
pendante, et son sort a toujours été lié
CHAPITRE XLII. a celui des autres villes d'Ionie. Lot»
que les rois de Lydie tournèrent leurs
PBIÈNE.
armes contre les villes grecques, Prièae
La fondation de Priène remonte ne put résister, et fut prise par le roi
à
Tppoqiie où les Cariens, les Léiéftes et Ardys. .Sous le règne de Cyrusla guerre
les Lyciens, étaient seuls maîtres du recommença contre les Ioniens; une as-
pays; cette partie de la côte était alors semblée générale eut lieu au Panio-
occupée par les Cariens, qui reçurent une nium ; Bias de Priène ouvrit un avis
colonie de Cretois et ne firent plus qu'un qui ne fut pas écoute p.ir les Priéniens,
peuple avec eux. Les Ioniens , sous la mais que d’autres villes, Téos et Phoçée,
conduite d’Audroclus, étant abordés sur mirent à exécution. Bias proposait aux
cette côte se rendirent maîtres de Milet, Ioniens de s’embarquer avec leurs famil-
et s’y établirent à demeure. Quelques les et leurs objets les plus précieux, et

années après, Androclus alla secourir d’aller s’établir en Sardaigne, où ils fon-
les habitants de Priène, qui étaient en deraient une cité unique qui compren-
guerre avec les Cariens. Ce chef fut tué drait toute l'Ionie. Les Grecs préférèrent
dans le combat, et les Ioniens rapportè- la guerre à l'abandon de leurs foyers.

rent son corps à Éphèse. Les Ioniens Thalès de Milet, qui descendait d’une
s’établirent ensuite à Priène et à Myus; famille phénicienne, avait ouvert un au-
ils étendirent leurs conquêtes et dépouil- tre avis :il proposait de n’avoir qu’un
lèrent peu à peu les Cariens de toutes seul conseil général, qu’ils établiraient à
leurs villes. Comme il y avait des Thé- Téos, ce qui n’empêcherait pas que les
bains parmi les Ioniens, Philotas Thé- autres villes ne continuassent à se gou-
bain et Æpylus Athénien, fils de Nélée, verner par leurs lois particulières. Aucun
furent les chefs de la colonie de Priène (I). de ces avis ne prévalut (I ).
Strabon regarde Æpytus comme le fon^ Priène resta soumise aux Persesjusqu’à
l'arrivée d’Alexandre, non sans avoir ses
dateur de Priène les colons thébaîns
:

conduits par Philotas ne seraient arrivés dissensions intestines et ses tyrans do-
que plus tard ; ces colons auraient donné mestiques , comme Milet et Éphèse. Elle
à Priène le nom deCadmé, par la raison souffrit cruellement sous le gouverne-
que Philotas, second fondateur de cette ment de Tabatès, général perse, et plus
colonie, était de Cadmée en Béotie. (2). tard de la part de Hiéron, un de ses
Priène, soit à cause de son voisinage du propres citoyens. Lorsqu’elle eut repris
Panionium, soit à cause de la noblesse son autonomie, elle resta attachée a la
de son origine, était en droit d’élire le confédération ionienne.
président des fêtes panioniennes, en La situation de Priène sur les pentes
l'honneur de Neptune Uéliconius. On abruptes du mont Mycale était trop in-
choisissait pour roi du sacrifice un jeune grate pour que cette ville fût jamais ap-
homme de Priène qui se chargeait du pelée à prendre un grand développe-
soin de la fête. ment, même quand elle était place ma-
On sacrifiait un taureau à Neptune : ritime. Dès (|ue les alluvions du Méan-

les Ioniens croyaient que le mugisse-


dre eurent fermé ses ports, la ruine de

ment de la victime au moment du sacri- fut consommée; il serait impos-


la ville

fice était agréable au dieu (3). On sup- sible aujourd’hui de reconnaître l’em-
pose que le nom du mont Mycale se placement des deux ports de Priène. L’un
rattache aux sacrifices qui se fai.saient des deux était disposé de manière à
dans les environs (4). Priène ne paraît ouvoir être fermé. Du temps de Stra-
on. Priène était déjà devenue une ville
(i) Pausanias, I. II, a. méditerranée (2) ; elle était à quarante
(a) Id., XIV, 636.
(31 Id., VIII, 3»4. (i) Hérodote, I. I, 170.
(4) Du mot guxâopat, mugir. (a) Sirabon. XII, 679.
ASIK MINEITRE. H43

stades (7 kil. ) delà mer; aujourd’hui la concile de Chalcédoine par Étienne,


distance est presque doublée. métropolitain d’Éphèse (acte 6 du con-
Les ruines de Priène , telles qu’elles cile de Chalcédoine); Étienne, évêque
subsistent aujourd’hui, démontrent clai- d’Éphèse, pour Isidore, évêque de Priène;
rement que cette ville ne fut jamais et pour les autres évêques de la province
u’un centre religieux comme étaient les d’Asie (t); le troisième est mentionne
eux Comana. Le commerce, l'indus- sous ce titre Paul, évêque de la ville
:

trie et la puissance maritime étaient con- de Priène de la province d’Asie. Il est


centrés dans les murs de Milet, sa voi- fait mention d'un quatrième évêque,
sine. nommé Démétrius , qui avait donné
Les monuments de Priène sont tous vingt écus d’or pour la construction
consacrés au culte et aux jeux publics, d’une église. Il nVst pas nécessaire de
qui faisaient partie des fêtes religieuses, rappeler que ces églises primitives étaient
Pausanias cite le temple de Minerve avec des édiGces de très-petite dimen.sion;
une statue très-antique delà déesse (I). d’après les ruines qui subsistent encore
Les ruines de cet édifice formant un on pourrait les appeler de simples cha-
monceau de décombres peuvent encore pelles.
être étudiées; on retrouve aussi les ruines D’après l’aspect des ruines de Priène,
d'un théâtre et d’un stade; tous ces on peut être assuré que cette ville fut
monuments réunis sont du goût le plus renversée tout à coup, par un tremble-
pur et formaient un splendide ensemble ment de terre dont le souvenir s’est
qui s’élevait sur les terrasses de Priène perdu; les temples, les portiques et
et dominait la vallée et la mer. Richard toutes les murailles sont écroulées et
Chandler, qui étudia ees ruines il y a un forment des monceaux de décombres,
siècle, recueillit une inscription en grands où on voit que. uile temps ni la main des
caractères qui était gravée sur une des hommes n’ont contribué en rien à cette
antes du temple et qui est ainsi conçue : destruction. La plupart des temples de
rionie se présentent ,à nos yeux dans le
Le roi Alexandre
même état, et la manière dont ils sont
a dédié ce temple à Minerve Poliade.
abattus ne laisse aucun doute sur la
La brièveté de cette inscription con- cause de leur destruction.
traste avec l’étendue des inscriptions C’est à cette époque que les habitants
dédicatoiresdefépoqueromaine. Alexan- de Priène auront anandouné leur ville,
dre était sans doute occupé au siège de pour se retirer à Smyrne ou à Éphèse ;
Milet lorsque les Ioniens, moins jaloux le retrait de la mer avait déjà, comme
que les habitants d’Éphèse, prièrent nous l’avons dit, porté un grave préju-
Alexandre d’inscrire son nom au fron- dice à cette ville.

tispice de leur temple.


On ignore complètement à quelle CHAPITRE Xmi.
époque Priène fut tout à fait aban-
donnée par sa population. Durant toute BCINES DE PBIÈNE.
la période romaine elle eut une exis-
,

tence assez obscure ; sa déchéance com- L’antique Priène est connue aujour-
plète fut consommée par l’établissement d’hui sous le nom de Samsoun hâte si :
de la religion chrétienne dans ces con- elle est absolument déserte. La ville
trée. Néanmoins on y observe quelques était bâtie surune des pentes abruptes
ruines d’églises, et plusieurs des évéques du mont Mycale, ayant au sud-ouest la
sont nommés dans les notices ecclésias- plaine du üîéandre, et h l’ouest la mer.
tiques. Les murailles, qui sont encore d’une
Priène appartenait à la province conservation parfaite, sont un bel exem-
d’Asie ; elle était sous la métropole d’É- ple de l’appareil hellénique connu
phèse ; son premier évêque, Théosébius, sous le nom de pseudisodomon; quel-
souscrivit au concile d’Éplièse ; .son se- ques parties sont en assises réglées et à
cond évêque Isidore fut représenté au
(i) Lequien, Oriens C.hri9tiaiiu.s ,
t. III,

(t) P.nisanias, liv. Vin, ch. 5,


J).
717.
,

344 L’UMVERS.
bossage. La pente de la montagne étant peu convenable pour la construction
très-rapide , l’intérieur de la ville est des temples ; il partageait cet avis avec
disposé en terrasses sur lesquelles s'éle- les architectes ’rharchésius et Hermo-
vaient les principaux édinces; la ligne gène. Aussi lit-il d'ordre ionique le
des murailles forme un grand triangle, temple de Priène (1). »
dont l'acropole occupe le sommet et Le temple qui s’élevait au milieu de
dont la base est parallèle à la plaine. l’aréa était périptère et hexastyle; il

La partie supérieure de l'acropole e.st avait six colonnes de face et onze sur
défendue par un grand ravin qui sépare les côtés; l’ordre était du style le plus
cette forteresse du reste de la montagne. pur, et ne brillait pour ainsi dire que
On est étonné de voir le sol tout hérissé par ses proportions : ce n’est que dans
de rochers comme si Jamais ces chemins les temps de décadence que la profusion
n’eussent été fréquentés par des hom- des ornements est venue altérer la pu-
mes; des escaliers rustiques, taillés dans reté des lignes.
le roc, conduisaient à l’enceinte, mais La frise était lisse et la corniche or-
ne sont pas beaucoup plus praticables. née de denticules et de palmettes ; au-
Cette partie haute de la ville ue pa- tour de l’édifice le terrain est Jonché de
rait Jamais avoir été occupée par des débris de colonnes et d’architraves qui
maisons. appartenaient sansdouteaii péribolo. De
En descendant de la citadelle, ou ar- la terrasse où est situé le temple, on
rive sur une grande esplanade où s’éle- descend par une pente rapide, qui por-
vait le temple de Minerve. Malgré l’état tait sans doute un escalier, sur la terrasse
de destruction où se trouve cet édifice, inférieure où était le stade et l’agora.
comme tous les morceaux sont encore Le stade, est parallèle au mur de la ter-
sur le sol, et que ce sont des blocs de rasse ; il n’a qu’un rang de sièges du côté
marbre de grande dimension, il est pos- quiregarde la plaine; la plupart dessiéges
sible de rétablir l’édifice dans 'toutes sont enlevés, mais on peut bien juger
ses parties. L’enceinte sacrée du temple de l’ensemble. L’agora ne se distingue
de Diane est dirigée de l’est à l’ouest; lus que par une enceinte Jonchée de dé-
on y arrive par des propylées de mar- ris, il n’y a pas une seule colonne de-
bre, dont le plan diffère peu des propy- bout dans Priène. Le reste de la ville
lées d’Athènes ; une façade avec quatre était occupé par des habitations; on ne
colones d’ordre ionique donnait accès à voit pas comment la ville communiquait
un vestibule soutenu par deux rangs de avec le port quand la mer était voisine.
pilastres, et du côte de l’enceinte un On encore lesyestiges d'un théâtre;
voit
autre frontispice, de quatre colonnes c'est le monument
le plus ruiné de tous.
faisait face au temple. 11 suffit de constater que Priène n’était
Le caractère d’architecture de cet pas privée d’un genre d'édifice qui se
édifice ne dément pas l’époque indiquée retrouve invariablement dans toutes les
par l’inscription, c’est-à*dire le temps villes de l’Asie, grandes ou petites.
où les arts de la Grèce étaient à leur L’ensemble des murailles qui presque
apogée. partout soutenaient des terrasses est ce
Le temple était l’ouvrage de Pythius, qu’il y a de mieux conservé ; des tours
l'un des architectes les plus savants de carrées s’élèvent de distance en dis-
l'antiquité. Vitruve (1), après avoir énu- tance. On compte aujourd’hui trois por-
méré les connaissances multiples que tes; il y en avait sans doute une qua-
doit avoir un architecte, ajoute ><:Py- trième dans le haut de la ville ; elles sont
thius, cet ancien architecte qui s’est toutes dans un état de ruine qui ne per-
rendu illustrepar la construction du tem- mettrait de bien les reconnaître qu’en
ple de Minerve dans la ville de Priène, faisant des fouilles.
avaitécrit un ouvrage surl'architecture, Les ruines de Priène ont été bien étu-
dont la perte est bien regrettable. Il diées par les architectes envoyés en Asie
était au nombre des architectes grecs par la Société anglaise des dilettanti;
(|ui pensaient que l’ordre dorique était mais cette mine précieuse d’architecture

(i) Vilruvp, liv. t, cli. I. (i) Vitruve, liv. IV, ch. 3.

,• Google
ASIK MINEURE.

grecque est loin d’être épuisée, et l’on aurait lieu de croire qu’il s’agit de deux
serait certain de faire des découvertes rivières différentes (1).
bien intéressantes si l’on visitait Priène
avec des moyens de remuer cette masse LRS BUINES np, PRIÈNE u’APRÈS
de blocs accumulés. MXNNEBT (5).
T. es tombeaux des Priéniens situés
dans le voisinage de la ville ont par leur Sur la rive nord et près de l’embou-
,

style une grande ressemblance avec ceux chure du Méandre, s’élevaifla ville de
des Éphésiens. Ce sont des excavations Priène, dont le territoire s’étendait jus-
faites dans le flanc de la montagne, dans qu’au fleuve. Priène n’a pas été long-
lesiîuclles on introduisait les cercueils; temps une ville maritime. Du temps de
un petit nombre d’inscriptions a été Ptolémée et de Strabon elle était déjà
copié par Chandler, le reste est iné-
éloignée de la mer; cependant Hérodote
dit. fait mention de la flotte que cette ville
Sanisoun kalé si est situé à quatre ou envoyait au secours des Ioniens (3), et
cinq kilomètres de Kélibesch, gros vil- Scylâx nous apprend qu’elle avait deux
lage uniquement habité par des Grecs ; ports, dont l’un pouvait être fermé. Les
un peu plus bas est un autre village du nombreux détours du Méandre du côté de
même nom, habité par les Turcs. Kéli- Myus devaient aussi se porter vers le
besch est à douze kilomètres de. Soukeui teiritoire de Priène.
ou Seukieh, gros bourg où réside l’agha Un enfoncement du golfe de Milet
qui commande le district. Ceux qui vou- s’étendait encore jusqu’à Myus à l’é-
draient visiter Priène feraient bien de poque romaine, et devait se prolonger
se munir d’un cawas a Seukieh, attendu jusqu’au voisinage de Priène; mais les
que les Grecs de Kélibesch sont assez marécages qui se formaient rendaient
hostiles aux étrangers. ces parages impraticables aux navires,
Un ruisseau considérable descend et peu à peu le fleuve portait son em-
du mont Mycale, et va se jeter dans bouchure plus au large vers l’ouest. Les
le Méandre. Plusieurs géographes sont ruines de Priène sont aujourd’hui con-
disposés à identifier ce cours d’eau avec nues sous le nom de Samsoun knié si,
le fleuve Gœsus, cité par Pline et par situées au pied d’une haute montagne, à
Mêla ; mais Hérodote en décrivant la ba- un mille environ du Méandre et un peu
taille de Mycale dit positivement (I) que plus de la côte maritime.
• la flotte perse quitta sa position, et s’a- Un petit fleuve qui s’appelle Kéli-
vança après avoir dépassé le temple des besch tchaï, et qui la plupart du temps
Euménides, de Mycale jusqu’à l’embou- est 0 sec-, coule de la ville vers le Méan-
chure du fleuve Gœson et du Scolopéis, dre; ce ne serait autre choseque le fleuve
près de laquelle est le temple de Cérès Gœsus de Mêla (4) , qui aurait eu sou
Éleusine, bâti par Philiste Gis de Pasi- embouchure dans la mer; mais aucun
' dès.» Or, comme la bataille de Mycale se observateur ne l’a encore reconnu.
donna sur le revers nord de cette mon- Priène était une colonie des Ioniens (5);
tagne, dans la plaine où était le Panio- elle faisait partie des douze villes de l’al-
nium (Tchangli), le Gœsus ne peut cou- liance ionienne, mais d’après Hérodote
ler dans la vallée du Méandre; c’est un elle appartenait à la Carie.
des cours d’eau qui se jettent dans la mer, Priène ne fut jamais une ville puis-
entre Scala-Nova et Mycale. sante Pt considérable; en 1230 les Turcs
Pline, qui décrit la côte en allant du s’emparèrent de la province.
sud au nord, mentionne d’abord le cap
Trogilia(2). Sur la partie de la côte nom-
mée Trogilia (le promontoire de My- (i) Voy. Mêla, liv. I, 17.
cale) est l’embouchure du fleuve Gessus, (1) Géographie der Grerchen und Rômer,
ensuite la Panionie. Le fleuve Gœson l. lit, î64.

selon Ephore se jetait dans un lac. Il y (3) Hérodote, liv. VI, 8.

(4) Mêla, liv. I, 17.


(5) Pausanias, liv. Vil, 1.
(i) Hérodote, IX, 97.
{
1 ) Pline, liv. V, 09.
,

346 I/ÜNIVERS.
CHAPITRE XLIV. Téos, fut mis à mort par le gouverneur
perse. 11 fallait qu'elle surpassât en ma-
MAGNÉSTK Dü MÉANDRE. TEMPLE — gnificence toutes les autres villes d’Io-
DE DIANE LEOCOFHRYNE. nie, de Lydie et de Phrygie, puisque le
satrape lui avait donne la préférence.
La ville de Mai^nésie était'située partie Réunie au royaume de Pergame, après
la chute d’Antiochiis elle reçut quel-
en plaine ot partie sur le penchant du ,

mont Thorax ; ses murailles, composées ques embellissements de la part des


de blocs de pierre de grande dimension, princes Altale. Tibère étendit son droit
sont presque entièrement conservées. d'asile; et les empereurs Kerva, Ha-
On peut du moins en suivre les con- drien etTrajan firent faire des construc-
tours dans toute leur étendue, ün a tions dont les ruines subsistent encore.
emplové pour leur construction la pierre Dans les temps chrétiens Magnésie fut
,

tirée du lieu même c'est une espèce


:
épiscopale, comme nous le voyons d’a-
de travertin ; mais les édifices publics près leSynecdème d’Hieroclès.
étaient en marbre blanc, tiré du mont L’édifiée était orienté de l’est à l’oue.st.

Pactyas, la même montagne d’où les Le temple proprement dit, ou naos,


Éphèsiens avaient extrait le marbre des- était entouré d'une place (area) et d’un
tiné à la construction du temple de portique ( stoa), qui formait l'enceinte
Diane Éphésienne. Parmi les édifices sacrée. Ce portique était lui-même en-
situés dans la plaine , on remarque un touré d’une autre enceinte, qu’on ap-
stade ou hippodrome , d'une conserva- pelait le Téménos; c’est la disposition

tion presque complète, et un édifice générale de tous les grands temples de


considérable, probablement le gymnase, l'antiquité. L’enceinte du Téménos est

dans les ruines duquel se trouvent plu- jonchée de débris de marbre sculptés,
sieurs beaux fragments d’architecture. de corniches provenant du portique
L’édifice qui avait donné à la ville de d’enceinte.
Magnésie toute sa renommée, le temple Le sol du temple proprement dit est
de Diane Leucophryne était situé non également couvert de décombres, pro-
,

loin du gymnase, dans une enceinte venant de la chute des fûts de colonnes.
quadranguiaire, tout en marbre blanc. C’est sous cette première masse de dé-
Les anciens se sont plu ù faire tant de bris qu’il fallut chercher les frises tom-

descriptions de cet édifice , que les di- bées et englouties dans un sol argileux
mensions en étaient connues avant et tendre, qui a préservé les sculptures

même qu’il ne fût retrouvé; il était d’une rupture complète.


octostyle (c’est-à-dire à huit colonnes de Les colonnes du prouaos sont tom-
face), périptère (avec un portique), et bées dans la direction du sud-est. On
pseudo-diptère. C’était le premier exem- voit, en fouillant un peu la terre, que
ple d’un édifice construit sur ce plan, tous les morceaux d’architrave cor-
et ttitruve le cite comme le modèle des respondent parfaitement à la place qu'ils
temples pseudo - diptères , c’est-à-dire devaient occuper quand l’édifice était
dont les portiques ont une largeur dou- debout. Les chapiteaux sont encore assez
ble des portiques ordinaires. nombreux à la surface du sol.
Les offrandes portées à ce temple, de La largeur de l’édifice est d’environ
tous les points de l’Asie, le disputaient trente mètres ; sa longueur de soixante
en richesse à celles du temple d’Éphèse. en comprenant les emmarchements qui
Mais le temple de Diane Leucophryne doivent exister; ce qui donne pour la
fut pillé et brûlé par les Perses : c’est surface du temple à déblayer 900 mè-
probablement de cette époque que date tres.
fa décadence de la ville de Magnésie.
Artaxerxès la donna à Thémistocle pour ROUTE DE SCALA-ROVA A MAGNÉSIE
que les revenus lui .servissent à subve- DU méandre; INEK-BAZAR.
nir aux frais de sa table. Oretès , gou-
verneur de Sardes pour Cyrus , habitait Lorsque nous fîmes l’expédition de
Magnésie ; c’est dans cette ville que le Magnésie, en 842, nous reçûmes des fir-
1

célèbre Polycrate , l’ami d'Anacréon de mans pour faciliter notre voyage. Nous
ASIE MINEURE. »4T

donnons ici de ces deux


la traduction res. Dans vous pren-
les lieux périlleux,
linnans, (]ui font connaître en même drez toutes les mesures pour leur par-
temps et l'état du service des postes faite sécuritédurant le trajet, et les ferez
dans l’Asie Mineure, et le soin que pre- passer rapidement à leur destination,
nait leEtouvernement de la Porte pour sans qu’ils aient à se plaindre de votre
garantir la sécurité des voyageurs. mauvaise volonté. Vous éviterez aussi de
les arrêter, sous le vain prétexte qu’d
TRADUCTION D’tlN FIRMÂN DE ROUTE. leur faudrait attendre les montures. En-
fin, vous pénétrant bien de ce point,
« Très-illustres docteurs orthodoxes, qu’il est contraire à notre volonté su-
mouftis et administrateurs, i|ui êtes en prême que vous exigiez d’eux la moindre
fonction dans les districts des pays qui chose au delà du tarif stipulé, vous vous
s’étendent de Scutari à Sjiiyrne,’Aïdin conformerez strictement à nos injonc-
et jusqu’à Denguizli, et vous, primats tions, et vous vous appliquerez, de tout
desdites localités, à la réception de ce votre pouvoir, à remplir ponctuellement
commandement suprême, sachez qu'in- nos ordres. Sachez-le ainsi , et ajoutez
cessamment occupés à doter l’empire pleine foi à ce signe impérial.
d institutions qui développent sa pros- « Donné à Constantinople la bien gar-

périté progressive, nous avons arrêté dée, le dernier jour du mois de djémazi-
que le service des postes serait eonlié à oul-ewel 1258 (1842).
nos Moucliirs, qui nous rendraient
compte des recettes et des dépenses, ou X Pour traduction conforme,
a des particuliers qui offriraient de s’en K Le premier drogman du Consulat
charger par spéculation, eu déposant général del’rauce à SmyTne,
une somme proportionnée à l’impor- baron de Nerciat. »
tance de l’entreprise , de, manière que
le pays dem eurât libre de toute charge
TRADUCTION DU FIRMAN DF. VOYAGE
sous ce rapport. Ce genre de service est DE SMYRNE A SCALA-NOVA.
maintenant delinitivement organisé de
Scutari a Sniyrne, et de Constantinople « Très-illustres docteurs orthodoxes
jusqu’il Aiidrinople. Sur ces deux lignes, qui vous trouvez placés en qualité de
le tarif du clieval de poste est de deux juges, mouftis sur la route de Smyrne
piastres et demie par heure de route. Au aux lieux désignés ci-après, et vous,
delà de Smyrne et d’Andrinople jusqu’à administrateurs, membres des conseils
l’extrême limite de leurs territoires, le municipaux, etc., sachez que, l'ambassa-
prix de chaque cheval est de quatre- deur de France nous ayant exposé, dans
vingts paras par chaque heure de che- une note officielle, que M. Texier, bey-
min; et dans tout le reste de l’empire, zadé français , escorté de quelques com-
où les règlements nouveaux n’ont pas pagnons et de quelques serviteurs, dé-
encore reçu d’applicntion le tarif du
,
sirait voyager de Smyrne à Couch-Ada
cheval sera , comme par le passé, d’une Magnésie du Méandre, Aïdin et Den-
seule piastre h l’heure telle étant notre
: guizli, et qu’il demandait, en consé-
volotité suprême. Maintenant que cinq quence, un flrmau qui garantît la sécu-
voyageurs français de distinction vont rité de ces voyageurs , nous avons bien
se mettre en route de ma Sublime Porte voulu leur accorder le présent firman.
pour les lieux désignés plus haut, dans A son exhibition dans tous les districts
quelque district de vos juridictions qu’ils de vos juridictions respectives, vous au-
arrivent, vous aurez à leur fournir rez soin de les, faire voyager avec les
vingt-quatre forts chevaux , que vous plus grands égards, de les pourvoir des
leur ferez payer au taux des nouvelles vivres et des montures pour leur argent,
ordonnances," et vous leur délivrerez un au prorata de leurs besoins, et d’exercer
récépissé de ce qu’ils vous auront payé ; envers eux les lois de la révérencieuse
et vous vous garderez bien de faire" le huspitalité. Sachez-le ainsi , et gardez-
contraire. Vous éviterez également de vous bien d’y contrevenir, car nous en-
rançonner les indigènes nos sujets en tendons que’nos ordres soient exécutés
numéraire, comme en autres fournitu- sans la moindre infraction.
;

348 L’UNIVERS.
« Oonné à Constantinople, au com- vage. Les lianes qui se mêlent aux ar-
Miencemeiit du mois de djéinazi-oul- bousiers et aux chênes-lièges forment
eweJ 1258 ( 1843). • des berceaux de verdure impénétrables
Pour se rendre de Seala-Nova à Ma- au soleil. Arrivé au sommet de cette par-
gnésie, on peut suivre deux routes la : tie de la montagne, on reconnaît que la
première par Senkié; c’est celle qui est roche change de nature de longues stra-
:

nraiicable aux voitures; ou peut l’appe- tifications (le marbre blanc apparaissent
ler la route du sud; la seconde, pas- sur le liane de la vallée, qui réunit les
sant par Dernien-déré ou Ortygie, est eaux de tous les plateaux supérieurs,
à peine praticable aux cavaliers, il faut et donne naissance au Léthéus (1). On
franchir une des crêtes les plus élevées n’est pas, en ligne droite, h plus de six
du .Mycale pour aller chercher les sour- kilomètres d’Éphèse. C’est dans cette di-
ces du lleuve Léthéus, dont le cours .se rection qu’il faudrait chercher les car-
dirige vers la plaine de Maunésie. Cette rièies de marbre blanc découvertes par
dernière route n’a pas plus de douze à le berger Pixodore. Peut-être pourrait-
quatorze kilomètres de parcours qua- ; on y trouver l’autel d'Évangelus. qui
tre kilomètres jusqu’à Dermen - déré fut élevé par ordre des Éphésieus(2). Le
on monte ensuite, à travers des rocs cours du Léthéus s’augmente rapide-
élioulés , jusqu’à la partie haute d’une ment du tribut d’une foule de ruisseaux
vallée appelée Atchiova. au milieu de qui coulent de ces montagnes. Un peu
laquelle est un grand village. I..e som- avant l’arrivée dans la plaine de Magné-
met du col dont je viens de parler est sie, il traver.-e un village turc aban-
occupé par des constructions qui se con- donné, où sont de nombreux débris de
fondent tellement avec le rocher, qu’on colonnes, d’entablements, et tout ce qui
a peine h y distinguer le travail des constitue une station ancienne assez
hommes; ce sont des pans de murs importante. Mais il n’y a point d’ins-
composés de pierres hrutes, de dimen- criptions elles ont sans doute été, selon
:

sion colossale, et qui sont contempo- l’habitude, employées dans le cimetière


rains duNymphée d’ürtygie(t). Ce sont turc; peut-être faut-il voir dans cet en-
sans doute d’anciens ouvrages des abo- droit remplacement de l’ancienne Hylé ;
rigènes. Au village de Atchiova, on re- nous dirons en décrivant la plaine en
marque plusieurs fûts de colonnes de quel lieu fut situé l’Antre d’Apollon.
marhre cannelées, de 0,80 à 0,90 de I.a! fleuve Léthéus, une fois qu’il a

diamètre. Comme cet endroit est com- gagné la plaine, forme des marécages,
plètement cerné par les montagnes, il dont l’étendue s’augmente chaque année,
n’est pas probable que ces antiquités et a Uni par chasser tous les habitants
aient été apportées d’ailleurs; néan- de ces districts.
moins, on ne saurait dire d’après la seule La route de Scala-Nova à Magnésie
inspection des lieux à quel ediGce elles par Seukié est établie sur une grande
ont appartenu, ni déterminer le nom dépression de terrain qui existe entre le
antique de l’endroit. Il y avait aux en- mont Mycale proprement dit et la par-
virons de Magnésie un temple très vénéré tie que fes anciens appelaient Pactyas.
de Dindymène ou Cybèle, dans lequel L’est véritablement le grand passage des
la lille de Thémistocle avait exercé la caravanes entre la vallée du Méandre
prêtrise. Ce temple n’existait plus du et le port de Scala-Nova.
temps de Strabon ; les ruines que l’on En quittant cette ville on contourne
,

voit près du village pourraient faire sup- le mamelon sur lequel est établi le châ-
poser que l’ancienne Magnésie (2) était teau, pour gagner le bord de la mer, en
située dans cette vallée. face dé l’île de Samos. On marche en-
Après le village on commence à mon- suite droit à l’est, jusqu’à une fontaine
ter de nouveau, marchant toujours sur d’eau minérale tiède, qui sort du pied
un sol de pierre calcaire, couvert de la
végétation la plus riche et la plus sau- liranche
(1) (feül iiicoiileülalilenieiit celle
(lu Mycale qui chez les anciens portait le

(i) Voyez page ï» 5 Ortygie.


,
iium de mont Pactyas.
(a) SIraboD, XIV, 647. (a) Strabon, XIV, p. 646.
ASIE MINEURE. 349

d'une colline Isolée. Cette colliue est CHAPITRE XLV.


couronnée de constructions archaïques
de style pélasgique. Nous avons décrit MAGNÉSIE DU MÉANDBE.
cette construction dans le chapitre sur
Urtygie. Un examen plus approfondi de La chaîne du Pactyas forme un groupe
ces ruines nous porte à croire qu’on montagneux qui s’étend de l’ouest à
pourrait les identiûer avec celles de la l’est, depuis la mer jusqu’à la vallée du
ville d'Anéa, qui, suivant quelques au- Méandre. Elle est bornée au nord par
teurs, appartenait à la Lydie ou à laCarie. la vallée du I.éthéus, dont le cours se
Étienne de Byzance et Scylax émet- dirige vers l’est, et au sud par la vallée
tent à ce sujet des avis oppo.sés. Mais le de Atchiova. Au moment de joindre la
tremier de ces deux géographes dit que plaine de Magnésie, cette vallée se ré-
fa ville d’Anéa était située à l’opposite trécit, et forme un col dont le prolonge-
deSamos; elle est donc plutôt comprise ment portait dans l’antiquité le nom
dans la limite de la Lydie. Hiéroclès, de mont Thorax Le^ revers oriental du
dans le Synecdème, place cette ville dans mont Pactyas, du côté du Méandre, se
la province d'Asie. C’est encore une rai- prolonge en ligne droite nord-sud , de
son pour la regarder comme une ville sorte que la plaine de Magnésie se trouve
de Lydie. Thucydide mentionne souvent encadrée, au sud et à l’ouest, dans une
la ville d’Anéa comme ayant été occupée enceinte carrée.
par quelques exilés de Samos dans la En entrant dans la plaine par la val-
première partie de la guerre du Pélopon- lée du Léihéus, on voit à gauche un vil-
nèse (t). Suivant cet historien, c’était une lage composé de quelques huttes, re-
place maritime, ou au moins accessible marquable par une source très-abon-
par mer; car les habitants de Cbio y dante qui forme un beau bassin entouré
tirent une descente , et de là se mirent de platanes. Des débris d’architecture
en relation avec les Milésiens. Il résulte assez nombreux couvrent le sol. En sui-
de l’examen d’un autre passage , qu’un vant la pente de la montagne vers le
officier athénien,nommé Lysiclès, étant village de Gumuch , on aperçoit à mi-
descendu à Myus avec douze barques, côte une vaste grotte ouverte vers le sud.
marcha par terre à travers la plaine du On ne trouve dans ces ruines aucune
Méandre; mais il fut attaque par les inscription qui mentionne l’ancien nom
Cariens et les habitants d’Anéa, près du village; mais cette grotte est un in-
d'un endroit qu'on appelait Saudius dice suflisant pour y reconnaître le vil-
Collis, et fut mis en déroute. Il parait lage de Hylé, qui, selon Pau.sanias,
donc, d'après cela, que les Anéites étaient était voisin de Magnésie (I), et se dis-
établis dans le voisinage du Méandre, tinguait par une grotte consacrée à Apol-
entre Magnésie et Priène, dans le groupe lon, et dans laquelle on conservait une
inontagueux qui sépare ces deux villes ; très-antique statue de ce dieu.
et leur territoire s'étendait Jusqu’aux Un passage de Xrnophon, relatif au
bords de la mer de Samos. Étienne de site de Magnésie, nous mettrait sur la
Byzance dit que celte ville avait pris son voie pour reconnaître l’emplacement de
nom de l’amazone Anéa. cette ville, quand même il ne resterait
Le reste de la route est tracé à tra- pas d’autres preuves dans les ruines de
vers les terrains accidentés du mont ses édifices. Avant que la ville actuelle
Mycale, jusqu’à Seukié, ville moderne, ne fût fondée, il existait dans cette plaine
où l’on trouve quelques fragments an- une petite ville du nom de Leucophrys,
tiques, mais qui sont apportés de Sam- qui était voisine d’une source thermale
soun, l’ancienne Priène. très-abondante, formant un lac d’un
Seukié est située dans la plaine du stade d’étendue, et dont l’eau était po-
Méandre de là aux ruines de Magné-
: table. Elle était célèbre par un temple
sie, le parcours n’offre aucune difficulté. de Diane (2). Cette localité se reconnaît
La distance est d’environ douze kilo-
mètres. ( r) Piuisanias, Phoridr, llv. X, cliap. 3 a.

(a) L’armée des Grecs campait à Lciico-


(i) 1 hucyiliile, IV, 73; III, "î?. phrys, lieu remarquable par le temple de

ogle
,,

350 L’ÜNIVERS.
aujourd’hui près du village de Guniuch. être comparée à celle d’Ëphèse. Toute
11 y a des sources chaudes, prés des- la crête du mont Thorax est courounée
uuelles existent encore des ruines d’un par une muraille en pierres de taille,
àlilice romain. Les habitants viennent ouvrage des rois grecs ; elle est defendue
de fort loin y prendre des bains. Ces de distance en distance par des tours
sources n’étant plus entretenues s’é- carrées. Les murailles descendent en-
panchent daus la plaine , et forment la suite dans la plaine et vont rejoindre
,

majeure partie des marécages qui la le lit du Léthéus, où on les retrouve


rendent si malsaine. Autrefois les eaux encore presque intactes. Les piles, cons-
étaient portées à Magnésie par un truites eu pierres de grand appareil,
aqueduc que l’on observe encore dans que l’on retrouve dans le lit du fleuve,
un parcours assez étendu. Il est couvert donnent a penser qu’à une certaine
d’épaisses couches de stalactites ; et époque il a été en partie renfermé dans
comme la source n’est pas fort élevée l’enceinte. Du côté des eaux chaudes un
au-dessus du niveau de la plaine , cet voit un stade entièrement conservé.
aqueduc forme un canal de deux mètres Tous les gradins sont encore en place,
environ de hauteur. Cet endroit reçut et l’on observe quelques piédestaux qui
sans doute le nom de Leucophrys à ont supporté des statues.
cause des rochers blanchâtres qui cou- Le versant du mont Thorax était taille
ronnent les crêtes du Pactyas, et qui en terrasses formant plusieurs étages
sont de calcaire crayeux. Le surnom de sur lesquels s’élevaient divers monu-
la divinité qu’on y adorait est un sur- ments. Le Gymnase est dans la plaine.
nom local , auquel il ne faut pas cher- C’est un vaste édifice, entièrement con-
cher d’autre signilication. Kous voyous servé, mais qui a tous les caractères de
dans la même contrée .\pollou Clarieu, l'âge romain. Il se compose d’une grande
— Diane Éphésienne, Diane Pergée,— salle, entourée d’autres salles, plus pe-
tous surnoms qui désignent des dieux tites eA disposées comme au gymuase
topiques. d’Alexandria-Troas.
£n parlant du bourg de Leucophrys, Le temple s’élevait au milieu d’une
Xénophon ne fait aucune mention du enceinte de muraille, encore parfaite-
nom de Magnésie. Cette ville existait ment conservée et située dans la partie
,

pourtant alors, car sa fondation remonte la plus basse de la ville.


a une antiquité bien plus reculée. Elle Les colonnes de chacune des faces
dut sa création à une colonie de Ma- étaient tombées, en conservant leur dis-
gnésiens des environs de Dotium en tance respective. L’entablement formait
Thessalie (I), et arriva bientôt à un cer- au milieu des joncs (car les marais ont
tain degré de puissance (|ui lui permit envahi l'aréa) une ligne de blocs de
d’entrer en lutte avec Ëphèse elle-même. marbre très-réguliere. Sur les façades,
Mais à l’époque de l’invasion des Trères les frontons tombés sans ordre formaient
en Lydie elle fut prise et presque en- deux monceaux de décombres. Enfin,
tièrement détruite. C’est à l’époque de les pierres de la cella s’élevaient au
son rétablissement qu’elle fut transpor- centre.
tée au lieu où nous la voyons aujour- Le pourtour de l’édifice était couvert
d’hui. Elle fut repeuplée par les Mile- de débris de toutes espèces chapiteaux,
:

siens et pnrquelqueshabitantsd’Ëphèse. statues brisées, colonnes d’un module


Aujourd’hui les ruines couvrent une différent de celui du temple , et enfin ,

étendue de terrain considérable , depuis du côté de l’ouest , un massif séparé


les bains chauds jusqu’au delà du mont ui paraissait avoir appartenu à un édi-
Thorax; la situation de cette ville peut ce distinct.
La petite mosquée est bâtie sur les
ruines d’un autre édifice, et dans l’an-
Diane, qui est eu grande vénération, et par
un étang de plus d’un stade, dont le fond est gle sud-ouest de l’enceinte est une
.sablonneux , l'euu vive ,
bonne à boire ,
et grande salle divisée en travées par des
rbaude. (Xénopbon, HelUnicn, liv. tll,ch. 2, arcs décorés par des revêtements de
p. 24 1, (îail.) marbre. C’était peut-être la Gérousia.
(i) Strabon, liv. XIV, page 647. Les différents morceaux de rentable-
,

ASIK aiLNKUUt;. 351

ment étaient reliés ensemble par des Strabon entend par le mot Eu ’ÿthmia.
ancres de fer scellées eti plonin Une Les colonnes extrêmes 1 et 8 s’ajustent
barre de fer entrait dans le chapiteau et avec les colonnes du portique latéral ;
l’architrave; des tenons étaient scellés l’entre-colonnement était de 2 mètres ;
dans chaque pierre de la frise , et les celles qui suivent , 2 et 7, sont placées
corniches étaient reliées de même. J’ai dans l’axe A\iptéroma; les deux au-
rapporté au musée du I^ouvre plus de tres, 3 et 6, sont dans l’alignement des
cent kilogrammes de fer et de plomb antes ; et enfin les deux colonnes du
tirés des ruines du temple. C’est ce sys- milieu, 4 et 5, s’alignent avec les deux
tème d’armature qui empêcha l’enta- colonnes qui étaient placées entre les
blement de se disjoindre lorsque l’édi- antes. Cet entrc-colonnement était plus
fice tomba, renversé par le tremblement large que tous lesautres, il était de 2'°25.
de terre; mais nous eûmes une peine Les deux frontons étaient tombés
infinie pour tirer les morceaux à mesure sans se disloquer. Mous n’avons pas
qu’ils se présentaient. trouvé de bas-reliefs dans celui de la
Il résulte de cet état de l’édifice, que façade. Celui du posticum offrait une
toutes les parties de l’entablement étaient particularité qui se rencontre rarement
contemporaines de la fondation , et que dans les temples antiques il avait dans
:

nulle pierre n’a pu être placée après le milieu une fenêtre, dont le pourtour
coup comme restauration. Chacune des était décoré d’un bandeau architravé;
pierres porte, comme repère, une lettre elle était destinée à donner de l’air dans
gravée sur le lit supérieur. La série les combles. Cela prouve, à mon avis,
commence à l’angle S.-E. par la lettre que le temple n’était pas bypèthre, car
A. Mous nous sommes assuré qu’aucune les combles, dans ce cas eussent pris
des pierres de la frise n’a été dérangée ; leur jour sur la cour intérieure.
de forts crampons de fer, scellés en Dans l’alignement du temple et du
plomb, tenaient le ehapiteau à l’archi- côté du posticum, on voit un massif de
trave et toutes les pièces de l’archi- maçonnerie de marbre, qui est trop
trave entre elles. La présence du fer ruiné pour qu’on puisse en reconnaître
dans un pareil édifice pourrait donner l’ordonnance. Les eaux des marais sont
quelques doutes sur l’âge de sa cons- plus profondes en ce lieu que partout
truction ; mais au Parthénon d’Athènes ailleurs. Mous y opérâmes cependant
les différentes pierres étaient également quelques fouilles , qui mirent à décou-
reliées en fer. Ou trouve des traces de vert une jambe d’une figure plus grande
scellement de fer dans des tambours que nature, en bas-relief: elle avait ap-
de colonnes qui n’avaient jamais été dé- partenu à un homme nu. On découvrit
placés. également le pied d’une statue defemme,
Presque toutes les bases, qui sont de chaussé d’un cothurne, et différents
style attique , restaient à leurs places débris de torses de marbre. Ce petit
respectives ; elles sont composées d’un édifice était carré. Les inscriptions en
seul bloc de marbre, et le tore est orné l’honneur de Nerva et de Marc-.\urèle
d’un rang de feuilles ou de rais-de- et une inscription impériale que je n’ai
cœur. Ces ornements varient sur chaque pu lire prouvent que cet édifice était
base. élevé en l’honneur de quelque empereur ;
Les fûts sont cannelés la colonne,
les autres inscriptions que j’ai copiées
composée de trois à quatre blocs de dans les différentes parties de l’enceinte
marbre. Les chapiteaux sont ioniques, sont toutes de consuls ou de pontifes.
etdu galbele plus parfait ; les ornements Dansles fouilles qu’on a faitesàAthènes
des coussinets sont variés sur les divers autour du Parthénon, on a trouvé,
chapiteaux. dans l’axe de l’édifice du côté de l’est,
I,a façade du temple était composée les débris d’un petit temple circulaire
de huit colonnes, dont les entre-colon- avec une inscription en l’honneur d'un
nements n’étaient pas égaux mais étaient
,
César. Ce temple occupe précisément la
espacés dans dos rapports qui s’accor- même place que le massif de maçon-
daient parfaitement avec les proportions nerie qui est dans le Téinénos de Ma-
(le la largeur de la cella ; c’est ce que gnésie.
352 [/UNIVERS.

L’inscription suivante est gravée sur les Amazones sont tantôt à clieval

piédestal en forme d’autel, à droite, tantôt à pied elles ont pour armes la
un :

c'est-à-dire à l’angle N. -K. : sagaye ,


l’arc et l’épée, et portent des
boucliers qui, d’après la disposition de
A. IVinpereur Nerva César Auguste, père
de
l'armature intérieure, devaient être de
la patrie, grand puntife, revêtu de la puissance
Irihunilienne, constd pour la truislème fois, le cuir.
sénat plillosébaste et le peuple ont élevé ( cette Le caractère le plus saillant de cette
statue ), ,
œuvre est la composition, qui décèle
Par les soins de Titus Flavius Democnares,
tils de Cvrena Uémochares, grand préIre et un artiste consommé dans son art. Tous
écrivain du peupie. les pleins et les vides sont calculés avec
unesavante recherche. Les mouvements
L’autre inscription est gravée sur une des figures sont justes et vivement ac-
stèle semblable; il est évident que les centués ; toute la partie sud est exécutée
deux .statues des empereurs faisaient avec un nerfetunebabiletéquin’a point
face au frontispice du temple. d'égale dans les monuments de l’art
romain. L’anatomie de chaque ligure est
Al’empereur César, maître <le la terre et
de lamer, Marc Auréle Aiitonin, pieux, heu- exacte et il y a certains ajustements
,

reux. auguste, Marcus Aurelius .Stralonicps, de guerriers grecs qui ne seraient pas
et Silicion Hiéroclés, et Marcus Aurelius déplacés dans une figure destinée à être
Ophelilus et Aurelius. (Daph^ ilas, grands urè-
tres et écrivains, ont élevé (cette slalue). Cris- i.solée. Cependant il ne faut pas oublier
pas étant logiste et asiantue. que cet ensemble comprenait plus de
quatre cents sujets; il n’est donc pas
U ne inscription des plus importantes, étonnant que, vus à terre, examinés de
au point de vue de l’étude de l édilice, près l’un après l'autre, on trouve dans
se trouve gravée sur un fragment d’au- quelques parties des négligences de des-
tel; elle e.st malbeureusement incom- sin qui paraissent étrangères à l’école
plète; mais elle prouve d’une manière grecque. Il faut convenir que la counais-
incontestable que ce monument est sance de la sculpture monumentale des
bien réellement le temple de Diane édifices grecs d’Asie en est à son début.
Leucopliryne, bâti par Hermogène. Tous ceux qui ont pu comparer la frise
de Magnésie du Méandre avec celle de
Sous la stéphanophoried’Hécalodore, Apliro- Pbigalie ont été d’accord pour y re-
dise.... fille de Démocliarés, élalt devenue
prêtresse de Diane Leucophryne... connaître une grande analogie dans la
composition et dans l’exécution ; celle
Une autre inscription, sur laquelle se de Magnésie est à plus haut relief, car
trouve inscrit le nom de Diane Leuco- il
y a des ligures qui se détachent
com-
pbryne, a été rapportée par la Com- plètement du fond ; et l’on ne peut nier
mission, et est déposée dans les galeries >,ue certaines d’entre elles sont traitées
du Louvre. avec entente de la sculpture monumen-
tale, qui les place au premier rang
A la bonne Fortune... était devenue prêtresse
parmi les œuvres d’art de ce genre.
de Diane Leucopliryne...
Nous devons cependant signaler dans
Ces deux stèles étaient placées devant certaines parties une faiblesse d’exécu-
l’entrée du temple. tion qui déparerait un semblable édi-
Le sujet de ces sculptures représente fice, si elles étaient placées près de

le coiiibat des Atbéniens contre les l’œil du spectateur. 11 y a des ligures

Amazones. dont l’incorrection dénote une main


L’action commençait au frontispice peu exercée; mais vouloir s’attacher à
du temple, pour se continuer sur les de tels détails pour juger l’ensemble
deux faces latérales et se rejoindre au d’un édifice qui passait pour un des plus
posticum. I>e morceau central représente remarquables de l’Asie, c’est faire des-
Hercule vêtu de sa peau de lion et cendre le grand art de l’architecture au
combattant contre deux femmes guer- niveau des figurines de cabinet. Félici-
rières: la mêlée est confuse; les che- tons-nous qu’un hasard inespéré nous
vaux, luttant d’ardeur, prennent part ait permis de retrouver presque entier

au combat ; tous les Grecs sont a pied ; un monument que l’on croyait à tout
ASIE MINEURE. 353

jamais anéanti, et nous ait permis de tours carrées, placées de distance en


contrôler ainsi le jugement d’un écri* distance, défenoaient l’édifice contre
vain célèbre, chose si rare dans l’étude toute tentative de rapine. Des portiques
de l’art. d’ordre dorique grec régnaient dans le
J’ai cité la frise du temple de Phi- pourtour ; ils étaient d’une grande sim-
galie, parce que ce monument est gé- plicité, et ornés dans l’intérieur d’une
néralement connu des artistes; mais peinture unie. Sur le devant du temple,
j’ai aussi observé, dans les murailles du et un peu à gauche, était une enceinte
château de Boudroumet dans celles de en forme de basilique, et qui a pu sér-
ia citadelle de Cos des fragments de
, vir de salle d’assemblée du conseil su-
frises représentant des combats d’Ama- prême.
zones, et qui , très-probablement, pro- On voitque les murailles de l’enceinte
venaient du tombeau de Mausole. Ces ont été reconstruites parles Romains,
fragments, exposés depuis tant de siècles mais aveedes matériaux primitifs ; c’est,
à toutes les causes de destruction, sont je pense, à l’époque où le droit d’asile
loin d’étre aussi bien conservés que fut augmenté par Tibère (I).
ceux de .Magnésie; mais je remarque Les inscriptions ne permettent pas de
une telle analogie dans la composition déterminer d’une manière positive
et l'exécution, que je suis conduit à re- l’époque de la construction de cetédifice ;
garder ces sculptures comme de la même maison sait que tous les temples de
école. . l’Asie, à l’exception de celui d’Ephèse,
Lorsque les artistes seront plus fa- furent brûlés par ordre de Xerxès (2).
miliers avec la sculpture des Grecs II n’est donc pas antérieur à l’inva-

d’Asie, lorsque des monuments qui sion barbare. On sait, de plus que les
ont été si rarement observés par des principaux monuments religieux n’ont
hommes compétents seront plus con- commencé à se relever de leurs ruines
nus, on reconnaîtra cette vérité, que je qu’à l’époqued’ Alexandre. Cette œuvre
lègue à d'autres temps. de restauration s'est continuée sous ses
Le passage, de Strabon n’est pas le successeurs, et les princes Attales ont
seul qui nous mette à même d’apprécier donné aux arts un essor que les Rô-
le jugement des anciens sur le temple mains n’ont fait que suivre. Comme
de Magnésie. Vitruve en parle avec un nous connaissons la date de la recons-
sentiment d’admiration assez rare chez truction des temples de Priène, et que
cet auteur, et il n’hésite pas à placer l'architecture de Magnésie a des rap-
l’architecte Herraogène au nombre des ports très-évidents avec ces derniers,
artistes les plus célèbres de sou temps, ilest naturel de regarder ces édifices
« Dans la de Magnésie , on
ville comme à peu près contemporains ; et
voit le temple de Diane Leucophryne. l’on peut, sanscrainte d’erreur, admettre
Si l'on en excepte le temple d’Ephèse, que le temple de Diane fut construit
ce monument par sa grandeur, par la
, dans la période de 330 à 300 avant J.-C.
richesse des offrandes par ses justes , On ne doit pas douter cependant que
proportions et l’art avec lequel il est l’ensemble des édifices sacrés de Ma-
coustruit , par l’ornementation du lieu gnésie n’ait été sujet à quelques chan-
sacré, surpasse, tous les temples d’A- gements, ou n’ait reçu des offrandes ,
sie ; et par sa grandeur il les surpasse dont quelques-unes consistaient en co-
aussi tous, excepté deux, celui de lonnes, autels, ou ornements d’architec-
Didyme et celui d’Éphèse. • C’est assez ture.
dire à quel point cet édifice était célèbre
en Asie ; or, s’il fût resté sans être ter- villes d’ionie au Sud du kbandre.
miné, Strabon n’aurait pas manqué de
le remarquer, comme il l’a fait pour le Toutela région de la vallée duMéandre
temple de Didyme. au sud de Milet formait, à l’arrivée des
L’enceinte ou le téménosdu temple Ioniens,un vaste golfe parsemé dlles;
était formé par une grande muraille en
pierre de taille , à bossages , qui se rat- (t) Tacite, Annales, liv. iii, ch. 67 .

tachait aux remparts de la ville; des (i)Sirabon, liv. XIT, p, 634 .


23* Uvraivraison. (Asie Mineube.) t. 11 . 28
,

.3.->4 L’UNIVERS.
aujourd'hui ce ne sont plus que des placement de ce bourg dans les marais
plaines marécageuses où les habitants qui bordent, au nord, le lac de Bafi.
construisent des huttes temporaires en Le mont Latmus (1) dont la base est
brandies de tamarisos. Les villes de baignée par les eaux du Méandre, a
iMyus , de Pyrrha , et d’Héraclée étaient donné son nom à la ville de Latmus,
des ports de mer, qui se sont trouvés qui fut ensuite appelée Héraclée. Elle
ensablés par des alluvions|etdéjà cette est brièvement mentionnée par les géo-
action du fleuve se faisait sentir dès graphes, mais n’a jamais joué un rôle
les premiers siècles de notre ère puis- marquant dans l’histoire. Les ruines
(ju'elle fut cause de la ruine de Myus. sont encore remarquables , et leur po-
On ignore aujourd’hui où fut placée la sition près du lac de Bafi est des plus
ville de Myus; elle occupait au pied du pittoresques.
mont Latmus un petit golfe, ou plutôt
une crique dépendant du golfe de Milet, à BUINES d’hÉBACLEE DO LATHOS.
trente stades environ de l’embduchure du
Méandre.Tûut ce territoirefut enlevé aux Héraclée est située à la base même
Oariens , cependant les Grecs regardent de la montagne, et le pied de ses mu-
Cydrelus comme le fondateur de Myus. railles baigne dans les eaux du lac.
Cette ville fit partie de la confédération Elles sont construites en pierres de
ionienne, et fut donnée à Thémistocle grand appareil , mais ont été en grande
par Artaxer.vc. L’existence de Myus ne partie restaurées sous l’em pire byzantin
tut pas de longue durée; les sables alors nue déjà Héraclée ne communi-
charriés par le fleuve ayant converti le quait plus avec la mer. L’édiflce le mieux
golfe en un vaste marais, les moustiques conservé est un théâtre, adossé à la
et d’autres moucherons s’y multiplièrent montagne , et dont le proscenium fait
de telle sorte que les habitants furent face au lac.Les gradins ont été enlevés ;
forcés de l’abandonner ; ils se retirèrent ilsformaient deux précinctions auxquel-
a Milet emportant avec eux leurs meubles les on arrivait par des escaliers à ciel
et les statues de leurs dieux. Du temps ouvert.
de Pausanias il ne restait plus à Myus I.a pente du terrain de la ville était
qu’un temple de Bacchus en marbre rachetee par des terrasses comme à
blanc. Pausanias ajoute que les habi- Priène; elles communiquaient entre
tants d’.\tarnée près de Pergame eurent elles par des escaliers taillés dans le
un sort pareil ceci explique pourquoi
: roc. Sur l’une des terrasses était située
les ruines d’Atarnée ont complètement l’Agora, sur l’autre sont les ruines
disparu (1). d’un petit temple prostyle, qui a été
A quatre stades de Myus se trouvait converti en église.
le bourg de Thymbria appartenant aux Les tombeaux de la nécropole d’Hé-
Cariens , on voyait dans le même raclée sont de deux genres différents ;
canton la caverne Æornuni consacrée les uns sont des caveaux taillés dans le
à Charon , du fond de laquelle s’exha- roc , les autres des sarcophages de pierre
laient des vapeurs pernicieuses (2), ou de marbre. La plupart des monu-
Les distances données par Pausanias ments d’Héraclée sont de l’époque ro-
et par Strabou seraient suflisautes pour maine, il faut en excepter quelques
faire retrouver toutes ces localités si parties des murailles, et les terrasses
l’on avait une base quelconque; mais de l’Agora. Héraclée participa aux luttes
comme elles sont comptées de l’em- soutenues par la confédération iouienne
bouchure du Méandre, on ne peut contre les rois de Perse ; elle secoua le
savoir d’où partaient les stades comptés. ioug de Xerxès après la bataille de Sa-
Le petit bourg de. Pyrrha était dis- lamine ; mais elle retomba peu de temps
tant de cent stades d’Héraclée du après sous le gouvernement d’Artémise,
Latmus „il était au Iwrd de la mer, reine d’Halicarnasse, qui enleva la ville
c’est-à-dire qu’on doit chercher l’em- par surprise. Elle, fit ensuite partie des
possessions de la reine Ada, qui fut
(i) Pmisaiiias. liv. VHjcli. a.
(a) SIraboii ,
XIV, (i) f'oy. liv. I", ch. 111, p. 35.
,,

ASIE MINEURE. S6ô

investie du pouvoir suprême par A- CHAPITRE XLVl.


lexandre. Héraclée fut alors incorporée
à la Carie , et c’est sans doute à cette LE LATMICUS SIMJS OU LAC DE BAFI.
époque que Latmus prit le nom d’Hé-
raclee Héliogabale lui décerna le titre
.
Nous avons vu que le golfe de Latmus,
de Néocore. ensablé à son ouverture , avait été con-
Poniponius Mêla (1) place dans verti en lac c’est ce lac que les Grecs
:

l'Ionie le Latmus qui dominait Héra- et les Turcs appellent Oufa Bafi Ka-
dée ; Cicéron (2) le met en Carie : l’un poumoula. Il a six milles géographiques
et l’autre rappellent la fable d’Endymion de longueur, sa largeur est de d^eux
et de Phébé. Le Latmicus sinus prenait milles; il s’étend du nord au sud,
aussi son nom de cette montagne. borné d’une part par le mont Latmus
Les prédications de saint Paul à É- et de l'autre par un prolongemeut du
plièseet à Milet attirèrent dans la contrée inout Grius; il est très-abondant en
un grand uorabre de cénobites, qui poisson, et les habitants du village de
choisirent le mont Latmus comme lieu Bafi entretiennent quelques barques
de leur retraite. Chandler visita une pour la pêche. Ce sont de mauvais
chapelle située dans la partie la plus Bateaux plats composés de planches
inaccessible de la montagne; c’était clouées ensemble. Lb rive occiden-
un vaste rocher creux, dans Pintérieur tale du lac est plate et marécageuse,,
duquel était peinte, par compartiments, la rive opposée est au contraire bordée
l’histoire de Jésus-Christ. D’autres ta- de rochers de granit, qui descendent
bleaux religieux ornaient l’intérieur de jusque dans l’eau, et forment plu-
cette grotte. On lui signala un grand sieurs lies presque toutes couronnées
nombre d’églises dispersées dans plu- de fortifications byzantines. Vers la
sieurs endroits de la montagne; ces partie moyenne du lac est une lie plus
monuments n’ont jamais été visités grande, sur laquelle se trouvent les
par des Européens. Dans le moyen âge ruines d’un monastère \ avec une petite
le nom de Latmus disparaît complète- église ; il y a aussi quelques pierres an-
ment de l’histoire; il est remplacé par tiques. Enfin, sur le continent et tou- ,

le nom de mont Latros dans Curopalate jours sur la même rive , se trouve une
et dans Cédrenus c’est sous ce nom
:
série de vodtes de briques qui parais-
que la ville et la montagne sont inscrites sent avoir servi de remises de galères.
uans les notices ecclésiastiques. Toutes ces constructions militaires da-
En 862 les cénobites du mont Latros tent du temps oà le lac de Bafi eom-
étaient quelquefois les conseillers des muniquait avecla mer. Aujourd’hui il ne
empereurs, et plus tard Alexis Com- communique plus que par des lagunes
nèiie autorisa Cnristo-Doulos, abbé de impraticables; aussi les passagers qui
Latros . à bâtir un monastère dans l’ile abordent par eau dans ces parages
dePatmos. sont-ils! obligés de franchir avec beau-

Cet évêque avait sous sa juridiction coup de danger des marais fangeux qui
une vingtaine de monastères en Asie; les séparent du seul village existant
mais peu à peu ces couvents se fer- sur cette côte, le village de Sertchinn
maient dans la crainte des Turcs, qui composé seulement de gourbis de bran-
commençaient à devenir redoutables (3). chages; c’est cependant la demeure
d’un aghai De là à Milet on n’a plus à
parcourir qu’un espace de six kilomè-
-

(i) Mêla, 1. I, ch. 17 .


(a) Cicéron, rHicn/.,l. I, ch. 38. tres : ee sont les trente stades qu’il y
Barbié du Bocage, Noies sur ChandUr, avait entre Pyrrha et Milet.
(3)
'•I. KK-s. Là le Méandre s’épanche lentement
dans la mer en formant plusieun
delta. Quelques éminences éparses
dans la plaine représentent sans doute
les îles qui s’élevaient à l’entrée de
l’ancien golfe, parmi lesquelles était
nie Tycbiusa, mentionnée /lar Thucy-
23 .

7 en e ioglc
S5G L’UWIVERS.

dide, le lieu nommé Glaucé, par le naissance; ils le font naître à Délos ou
même historien, etGlaucia par Etienne a Ortygie, près d'Éphèse. Latone de-
de Byzance (t). Il en est de même venue mère va laver ses enfants dans
de Dromiscus (2) et de Perné la pre- r le fleuve Xanthus, qui coule en Lycie,

mière est sans doute la même que chez les peuples qui s’appelaient alors
Drymusa d’Étienne et de Thucy- Termiles. Latone dédia ce fleuve à
dide (3). Au nombre des villes inconnues Apollon et donna à la contrée le nom
de ces parages il faut nommer Thébæ de Lycie à cause des loups qui l’infes-
qu’Étieune de Byzance place au voisi- taient. Le loup devint le symbole d’A-
nage de Milet. pollon comme emblème de la nature
Au nord du Méandre était l’île de productive, et l’arc du dieu avait le re-
Ladé, célèbre par sa bataille navale , et doutable privilège d’envoyer aux mortels
le cap Trogilium dépendanldu Mycale, les maladies pestilentielles , attribuées
à la pointe duquel étaient trois îles, par les premiers peuples à la force
Trogilis, Pison et Argennuni. expansive du soleiL
Apollon est surtout regardé comme
CHAPITRE XLVIL le dieu qui répand les oracles : c’est la
cause de l'extrême popularité de son
VILLES DE LA PRESQU’ILE ERYTHRÉE. culte et des innombrables sanctuaires
lOLOPHON. — CLAROS. — LBBÉDDS. que fondèrent ses sectateurs dès la plus
haute antiquité.
Colophon,ville ionienne, dont les Pausanias, en parlant de l’origine de
ruines ont presque entièrement disparu, Claros , confirme que ce sanctuaire fut
tirait sa plus grande célébrité du voi- créé par les Crétois, et antérieurement
sinage du temple et du bois sacré d’A- ce pays était occupé par les Cariens.
pollon Clarius. L’antiquité de ce centre L’oracle deDelphes ayant décidé que
religieux devance les premiers temps les prisonniers thébains devaient être
de la civilisation hellénique. Il était embarqués pour aller chercher de nou-
déjà célèbre parmi les Grecs au temps v.elles terres , ces derniers vinrent
de la guerre de Troie; le culte d’Apollon, aborder à Claros; les Crétois voyant
pratiqué dans toute cette contrée, se arriver ces étrangers, les arrêtent et
rattawe à l’ancienne alliance entre les les mènent à Rhacius, chef de la colonie,
Lyciens et 1rs Troyens ; de là il s’est qui les accueille et les associe aux
répandu dans tout le monde grec en colons crétois.
passant par les lies. Nous voyons trois Rhacius épousa Manto, fille de Ti-
contrées d’Asie où le culte d’Apollon résias ; il fut père de Mopsus , qui chassa
est pour ainsi dire indigène : sur les les Cariens de la côte d’Ionie. A peine
côtes de la mer Égée , dans 111e de Crête les Grecs furent-ils débarqués sur la
et dans la Lycie. C’est une preuve de côte d’Asie , que l’oracle de Claros fut
plus que ces peuples avaient une ori- pour eux le but de pèlerinages religieux;
gine commune ; et l’on peut en inférer le devin Calchas s’y rendit à pied avec
que le culte d’Apollon a pris naissance Amphiloque pour lutter de science avec
en Crète et est passé sur le continent Mopsus (1); les traditions helléniques
avec les premiers colons crétois. Là il varient singulièrement sur l’histoire de
fut associe au culte d’Artémis, qui avait ce dernier. Quelques poètes placent en
été apporté des contrées d’Orient par Cilicie toutes ses aventures avec Cal-
les Amazones. C’est ainsi que ces deux chas; le poète Callinus (2) dit que
divinités se sont partagé l’adoration Calchas finit sa vie à Claros, et que ses
des peuples de la presqu’île. Cette va- compagnons s’en allèrent avec Mopsus
riété de traditions sur la naissance d’A- s’étaolir dans la Pamphylie. Sophocle
pollon prouve que las Grecs ignoraient attribue à Mopsus la fondation de
dans quel pays cette fiction avait pris Mallus en Cilicie, et dit qu’on voyait
près de cette ville le tombeau de ce
(i) EI.Byz., voc. 0/aucia.
(a) Pline, liv. V, 3i. (i) .Sirabon, liv. XIV, 64>.
(3) Et. Byz., vot, Drymusa. (a) Strab., XIV, 668.

I.'

J
,,

ASIE MINEURE. 337

devin. T.a ville de Mopsuestia dans la Dans , Claros


l’origine son temple
,

nidme contrée aurait été fondée par et même sa population , paraissent avoir
lui. été complètement sous la dépe.ndance
L’art de la divination n’était pas de Colophon, qui faisait partie de la
héréditaire à Claros; on prenait ordi- confédération. L'origine de cette ville
nairement un citoyen de Milet, homme remonte à l'arrivée de Codrus; elle
.simple et sans éducation ; on se bornait était à deux milles de la cdte, et son port
à lui dire le nom et le nombre des per- de mer, Notium, était relié à la ville par
sonnes (|ui venaient le consulter; il de longs murs. Colophon Joue un rôle
descendait alors dans une grotte où important dans les premières années
coulait une source d’eau pure dont il de l’établissement des Grecs en Asie :
buvait ; il répondait ensuite en vers elle fut assiégée et prise parles rois de
analogues au sujet qui intéressait cha- Lydie, et prêta son concours aux ha-
cun de ceux qui le consultaient. Virgile, bitants de Smyrne pour entrer dans la
Ovide et d’autres poètes ont chanté la confédération.' L'armée des Colopho-
brillante Oaros, abondante en vignes niens se distinguait surtout par sa ca-
le trépied prophétique rival de Del- valerie, aussi le proverbe : « Il a ajouté
phes (1). la cavalerie de Colophon, » signifiait
L’oracle conserva sa clientèle pen- il a employé tout ce qu’il faut pour le

dant tout le temps de l’empire romain. succès. Pomponius Mêla attribue à


Tacite rapporte que Germanicus ayant Mopsus la fondation de Colophon ; mais,
consulté le devin de Claros, celui- selon Strabon, cette ville fut fondée par
ci lui prédit une mort prochaine (2); Andremon, qui y conduisit une colonie
et nous pourrions peut-être assurer que de Pythiens.
les successeurs de Mopsus continuent La marine des Colophoniens a con-
a rendre des oracles aux hommes in- servé une certaine célébrité , mais elle
cénus qui vont les consulter. .Stra- n’a jamais pu être très-nombreuse, car
bon (3) et Pau.sanias (4) ne mention- cette partie de la côte n'ofl're aucun
nent que le temple et le bois sacré port étendu.
d’Apollon au pays des Colophoniens. Colophon fut détruite par Lysimaque,
Pausanias vante les frênes du Dois sacré parce que , de tous les Grecs, les Colu-
deColophon mais Claros cMit une ville
;
phoniens furent les seuls qui prirent les
complète avec ses fortifications , ses armes contre les Macédoniens. Lysi-
monuments publics. Le seboliaste d’A- maque transporta le reste, de la popu-
pollonius de Rhodes (5) dit que la ville lation à Ëpiiese, qu’il venait de recons-
de Claros est voisine de Colophon, et truire (1). Pendant leur guerre contre
Servius , au su jet des vers de Virgile (6) Antiochus, les habitants de Colophon
mentionne aussi la ville de Claros sur refusèrent d’ouvrir leur port à la flotte
les confins des Colophoniens; la mon- du roi de .Syrie aussi les Romains leur
:

tagne voisine de cette ville était aussi accordèrent-ils divers privilèges. Cette
nommée montagne de Claros : elle est ville n’était pas encore déserte dans le
comprise sous cette dénomination dans huitième siècle ; elle était épiscopale.
le catalogue des montagnes de Vibius Les Grecs prétendent que Tychicus,
.Sequester. Ælien parle de Claros ville qui fut compagnoi) de saint Paul fut ,

des Colophoniens. Toutes ces incerti- évêque de Colophon après Sosthène.


tudes des bistoriens anciens ont beau- Les notices ecclesiastiques citent Eii-
coup embarrassé les géographes jus- tbalius, qui souscrivit au concile d’Ë-
qu’au Jour où les ruines de Claros ont phèse, et Alexandre, évêque des Colo-
été bien déterminées. phouiens. Le fleuve Halésus, qui coulait
près des murailles deCotopbun, passait
(i) Ovide, Sfetani., I, 5i5. Æh.,III, 339
pour la rivière la plus froide de toute
.

l’Iouie (2).
(î) Tadt., Ann., Il, 54.
(3) Loe. cit,
(4) I.iv.VII, ch. 3, 5.
(5) Ad lib. I, v. 3o8. (
1
)
Sirabcm ,
loc. cit.
(d) Æ'ieid., iiv, III, 300. (î) P.iii-aiiias, VII, ch. 3.
3Â8 L’UNIVERS.
La de Scyppium appartenait au
ville tent des temps byzantins ,
les vesUges
lerritoire des (k)lophonieus; elle fut d’une église et des murs de soutèiu-
fondée, selon Pausanias (1), par les ment d’une terrasse.
Clazoméniens, qui s’en étant dégoû- ,
Vitruve est le seul auteur qui fasse
tés, allèrent se fixer dans le pays où mention de la ville de Mélite , qui fut
ils bâtirent Clazoïnène. La chaîne des remplacée par Smyrne dans la confédé-
montagnes qui borde le lit du fleuve ration ionienne. Mélite fut ruinée par
Halésus était connue sous le nom de toutes les autres villes, qui se liguèrent
mont Cercaphus; il est cité par le scho- contre elle et lui déclarèrent la guerre
liaste de Lycophron un autre sommet ; à cause de l’arrogance de ses habitants.
portait le nom de mont Coracius (2). Quelque temps après, la ville de Smyrne
Lébédus, autre ville ionienne, était fut reçue à sa place par les villes ionieo-
à vingt milles géographiques â l'ouest nes, par une grâce particulière du roi
de Coloplion Strabon marque cent
: Attale et de la reine Arsinoë.
vingt stades (3). Cette ville était le lieu Le premier temple construit par les
de réunion de tous les acteurs de i’Iouie Ioniens fut dédié à Apollon Panionius;
jusqu’à l’Hellespont; on appelait cette il était d’ordre dorique , mais bientôt
confrérie la compagniedes Dyonisiaques. cet ordre fut abandonné pour faire
Bacchus étant considéré comme l'in- place à l’ordre ionique' dans toutes les
venteur et le protecteur des jeux de constructions de temples (1).
la scène , on célébrait tous les ans à
Lébédus des fêtes en l’honneur de ce CHAPITRE XLVIII.
dieu. Les entrepreneurs de spectacles
venaient à Lébédus pour former leurs BOUTE ÜE SMYBNE A CLABOS PAB
troupes; les réunions se faisaient pri- MÉTROPOLIS.
mitivement à Téos Attale les étanlit :

au promontoire de Myonnèse, entre Après avoir passé les contreforts du


Téos et Lébédus. Les Téiens craignant mont Pagus, qui enveloppent la ville
que Myonnèse ne devint une place forte, de Smyrne, la route se dirige droit au
s'adre^èrent aux Romains, qui trans- sud par Sédi keui. On arrive ensuite
portèrent ces confréries d’acteurs à dans la plaine appelée Djumaha ova si.
Lébédus. Le village ruiné de Djumaha était autre-
Ils furent d’autant mieux reçus, que fois une place d'une certaine importance;
cette dernière ville avait été presque qn y voit les ruines de plusieurs mos-
dépeuplée pan Ly.simaque , lorsque ce quées, et d’autres constructions civiles.
prince voulut peupler Éphèse. D’après Citte plaine est arrosée par un cours
la nature de sa population, LébMus d’eau qui prend sa direction vers le
était déserte une grande partie de l’an- sud-ouest. On arrive ensuite au bourg
née. Horace fait allusion à cette ville (4j, de .Mahaladji, bâti au pied des collines
iiand il dit Voudriez-vous séjourner
: qui ferment la plaine au sud. Mahaladji
ans quelques villes des Attales... Savez- qui est aussi appelé Bourboudja , a été
vous que Lébédus est plus désert que une ville turque d’une certaine impor-
Fidènes et Gables ; cependant je voudrais tance on y voit encore plusieurs mos-
:

y vivre. » quées et un ancien caravanséraï. Ici le


Il
y avait à I,ébédus une source cours d’eau prend le nom de rivière de
therniale et des bains qui attiraient Mahaladji; elle va se jeter à la mer
un grand concours de visiteurs. Cette dans une crique appelée Kumydoura.
source, qui existe encore , permet de Mahaladji est éloignée de cinq heures
reconnaître avec certitude le site de ou trente kilomètres de Smyrne , c’est
l’ancieime ville; mais on n’y trouve plus un lieu de halte.
que quelques ruines informes qui da- De Mahaladji jusqu’à Tratsa, où sont
les ruines de Métropolis, il y a trois
(i) Pausanias, liv. VII, cli. .1, 8.
heuresde marche. Le pays est montueux
(a) Pline, liv. V, 29. et couvert de boLs; les montagnes sont
(.î) .Slrabuii, XIV, «43.
",) Horace, liv. I, Saisi, ii. (t) Viiruve, liv. IV, chap. i.

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.

ASIK MINKÜRE. 35»

di' compacte grise, res-


lierre calcaire ,
située sur la rive gauche du (biystrc
semiilant au marbre. Cette petite chaîne dans une plaine fertile et bien arrosée
se nomma Saras t^é. Les ruines de mais ne renferme aucun monument ni
Métropolis sont assises sur le versant ancien ni moderne qui soit digne d’at-
nord de la montagne, faisant face à une tention.
vaste plaine qui prend son nom de la En quittant Métropolis, on commence
ville commerçante de Tourbali. Presque à monter les contreforts du mont Gal-
tous les voyageurs ont cru reconnaître lesus, qui sépare la plaine de Tourbali
dans le nom de cette ville une corrup- de In m’er. Ces montagnes sont bien boi-
tion de l’ancien nom de Métropolis et , sées et d’un aspect majestueux. Bientôt
quelques-uns ont été JusquM identiOer la mer se découvre aux regards ; la côte
ces lieux villes. Tourbali est un nom pu- d’Ephèse , l’île de Sainos et le mont
rement turc, il vient du mot Tourba, Mycale , forment un tableau d’une rare
sac; parce que la principale industrie beauté.
des habitants est de. fabriquer des sacs Un petit couis d’eau qui prend nais-
de laine ou de crin à l’usage des cara- sance dans les sommets du Gallesus,
vaneurs (1). arroge une grande vallée qui se dirige
Les ruines de Métropolis sont aujour- droit au sud, c’est le fleuve Halesus qui
d’hui désertes; le canton où elles se baignait les mur de Claros.
trouvent s'appelle Tratsa. t

Métropolis fut connue par ses mé- CHAPITRE XUX.


dailles longtemps avant que l’emplace-
ment de ses ruines n'ait été déterminé. BUINES DS CLABOS.
Le voisinage de Tourbali lui a été fatal;
toutes les pierres qui ont pu être enle- A mi-côte de la montagne, sur le
vées ont servi à la construction de la versant sud, se trouve le village de Zillé
ville turque. 11reste cependant une qui est encore a huit kilomètres de la
grande partie de l’enceinte, bâtie en côte. Le village le plus voisin de Claros
pierresde grand appareil. Le théâtre, s’appelle Djuwar; c’estun amas de quel-
quoique dépouillé de ses sièges, est en- ques huttes de pécheurs.
core assez bien conservé-: Te tout est Apres avoir suivi jusqu’à son embou-
couronné par l’Acropole dont les murs chure neuve Halésus, on voit
le petit
sont de construction hellénique. sur gauche un liant rocher do-
la rive
En parcourant l'enceinte de la ville minant mer de plus de quarante
la
qui est aujourd’hui couverte d’oliviers, mètres, et formant un large plateau ;

on trouve à chaque pas des fragments c’est là que sont les ruines de Claros.
de colonnes d’architraves et de cor- Les murailles, bâties en grands blocs de
niches qui attestent l’ancienne impor- calcaire gris, sont encore en partie con-
tance de cette place. servées ; au milieu de la ville s’élève le
il
y a un chemin qui de Tourbali va soubassement du temple d’Apollon. On
droit sur la vallée du Caystre , c’est la peut juger de la magnificence de l’édifice
grande route de Smyrne à Konieh ; le iar les vestiges qui subsistent encore ;

lieu de halte est à Tyriah, grande ville fe temple était construit sur une espla-
commerçante et qui contient environ nade ae rocher taillé au ciseau ; il était
dix-huit mille habitants i presque tous orienté de Test à Touest. On peut sup-
turcs. Us étaient autrefois renommés poser, d’après sa dimension, qu’il était
par leur goût pour la guerre et for- , diptère et octostyle: Pausanias dit qu’il
maient les meilleurs contingents du ne fut jamais terminé.
.Sandjak d'Aïdin. Timour avait fait de Ce monument présente une particu-
Tyriah l’entrepôt de tout le pillage que larité, c’est qu’on n’arrivait au pronaos
ses troupes avaient effectue dans les que par un grand escalier place sur la
autres villes de la province. La ville est partie antérieure du temple, entre deux
acrotères.
(i)Oii dit de même ; Hanunamii, l’endroit En avant de Tacrotère droit il v a un
>iù il
y a des bains ; t anuehanlj, le pays où il puits très-profond, au fond duquel il n’y
y a des lièvres, etc. a pas d’eau.

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300 L’UNIVERS.
Au sud du temple est remplacement CHAPITRE L.
d’un théâtre dépouillé de ses sièges, et
(le nombreux débris d'autres moiui- RUINES DE LEBÉDUS.
nients.
T.es ruines de Lébèdus étaient à eent
GHOTTB DE MOPSUS. vingt stades à l’ouest de Colophon, et
à égale distance de Téos. L'emplacement
Sur la rive droite de l’Halésus, et dans de Lébédus comme nous l'avons dit

le voisinage immédiat de la mer, s'élève plus haut, est facile à retrouver, puis-
un haut rocher, à la base duquel est qu'il est signalé par la présence d'une
une grotte qui est, sans aucun doute, la source thermale. En quittant la vallée

grotte du devin Mopsus. Elle est assez de Zillé, on suit le bora de la mer à une
spacieuse pour être habitée par sept ou distance d’un kilomètre, on arrive au
huit personnes; dans l'angle du côté de lit d'une rivière qui est sans doute celle

la mer, on voit une masse énorme de de Mahaladji, et sur la rive gauche est
stalactites formée par la source qui a une source chaude dont les vapeurs
coulé pendant des siècles , et qui est s’élèvent dans les airs. Ces eaux sont
aujourd'hui tarie. Au fond de la grotte connues dans le pays sous le nom de
est un escalier naturel qui mène dans Ilidja, qui est commun à toutes les eaux
la partie supérieure; la nous avons thermales. La source forme un petit
trouvé avec étonnement un autel rusti- ruisseau qui va se jeter dans la rivière
ne, et un caloyer qui nous offrit de voisine. Deux salles rustiques, bâties
ire des prières pour notre heureux avec de l’argile , ont remplacé les an-
voyage. Un jeune enfant grec assista ciens thermes, qui réunissaient un si
le caloyer dans ses prières , en brûlant grand concours de visiteurs. Ces ther-
force encens sur l’autel. mes ont cependant laissé quelques ves-
Tout est solitaire aux environs de tiges, mais ce ne. sont que des pans de
Claros la foule des visiteurs ne vient
,
murailles informes. I.ébàl us paraît avoir
plus apporter d’offrandes au dieu du occupé la presqu’île qui forme l’angle
jour; mais quelques pêcheurs grecs, oriental de cette baie. On y remarque
qui cumulent quelquemis avec la pro- plusieurs murailles antiques, et le sol
fession de pirate, viennent de temps en est couvert de débris d’édiflees. Ces
temps mouiller sur cette plage, et le ca- ruines, comme celles de Claros. sont
lo^er de l’antre de Mopsus, tout en leur complètement désertes, à peine ont-elles

offrant les ressources de son ministère, un nom dans le pays.


peut leur donner aussi des nouvelles En continuant la route vers l’ouest

des choses terrestres. 11 y a des aghas si on arrive au cap Hypsili , où se trouve


ridicules! le petit bourg de Hypsili hissar, dernier
La fumée denotre cuisine avait attiré refuge de Djounéïd (êTry. p. 245).
quelques bateaux de Samiens qui sont ,
Ce promontoire s'appelait autrefois
connus pour les plus hardis détrousseurs Myonnésus ; il appartenait aux Téiens.
de caravanes que puisse offrir cette La description qu’en a faite Tite-Live
côte ; aussi n’étions-nous pas très-ras- (liv.xxxvii, 27) suffirait pour le faire
le dépeint comme
un
surés sur notre séjour dans un lieu désert reconnaître ;
il

et loin de toute habitation. Le lende- cap avancé entre Téos et Samos, for*
main, au moment de notre départ, le mant une montagne conique , qui n est
que par
caloyer lit encore un sacrifice , auquel accessible, du côté de la terre,
assistèrent les Samiens. I.’enfant qui un isthme étroit. Du côté de la mer ce
remplissait les fonctions de thuriféraire sont des rochers inaccessibles et cons-
encensa Méhémet, les pirates, les voya- tamment battus par les vagues. Myoi>"
geurs, et nous dîmes adieu à Mopsus nèse est célèbre par le combat naval
la
et au divin Apollon , après avoir tou- qui eut lieu dans ces parages entre
Ro-
tefois rendu une dernière visite aux flotte du roi Antiochus et celle des
ruines de son temple. mains (190 ans avant notre ère),
dans lequel Antiochus fut vaincu.

c
ASIE MINEURE. &61

Il avait sur ce promontoire une pe- de se rendre ilsmontèrent sur leurs na-
y
tite ville où furent exilées les compa- vires et quittèrent le pays ; mais peu à

gnies d’acteurs qui avaient excité des peu les anciens habitants revinrent en
troubles dans Téos; mais la construction Ionie, et lorsqu’ Alexandre eut chassé les
du-cliâteau moderne de Hypsili bissar Perses, Téos devint une des villes les
a utilisé tous les matériaux antiques. plus riches et les plus florissantes de la
Non loin du promontoire d’Hypsili, contrée. Les ruines qui existent encore
est une île appelée aujourd’hui Pontico attestent que les Téïens étaient arrivés
Nisi; c’est juste la traduction en grec à un éminent degré de perfection dans
moderne du nom de Myonnèse l’un et ; la pratique des beaux-arts. Le nom seul
l'autre mot signilie en français l’ile d’Anacréon suffirait pour illustrer une
des Souris. C’est sans doute cette île ville, etdans le grand nombre de litté-
que Strabou désigne sous le nom de rateurs que Téos a produits, Apellicon
éspis, serpent, ou de Arconnèse, i’ile est celui qui a rendu le plus eminent
aux ours. Le territoire qui s’étend à service en conservant les œuvres d’A-
l’ouest de Myonnèse appartenait aux ristote.
Téiens; nous le décrirons en parlant de Fêtes Dionysiaques. Il n’est pas
Téos. étonnant que le culte de Bacchus eût été
en honneur à Téos plus <]ue dans aucune
CHAPITRE LI. autre ville d’Ionie. Pour les Grecs let-
trés celte divinité ne représentait pas
TÉOS. — ARBIVÉE DE LA COLONIE seulement l'abondance des récoltes et
GRECQUE. des produits de la vigne., c’était encore
le père et le propapteurdu dithyrambe
Téos était une ville earienne ; elle exis- et de la tragédie lyrique. Les fêtes de
tait avant l’arrivée des premiers colons Bacchus étaient accompagnées de céré-
hellènes, mais les habitants, moins om- monies poétiques auxquelles prenaient
brageux que leurs compatriotes, se mon- part une foule d’initiés. On ne peut met-
trèrent hospitaliers envers les Myniens tre en doute que la tragédie uttique n’ait
d’Orchomène, qui débarquèrent à Téos pris naissance dans le dithyramlie dio-
sous la conduite d’Alhainas. Cet accueil nysiaque. Le uomdedithyrambe comme
pacifique ne tarda pas à être connu eu fête en l’honneur de Bacchus est d’ori-
Grèce et attira dans la contrée des co- gine si ancienne, qu’on peut imaginer
lons ioniens qui vinrent sous la conduite qu’il est arrivé chez les Grecs avec la
d’Apœcus s’établir à Téos. Cette seconde connaissance et le culte de cette divi-
migration fut suivie, quelques années nité; il semble que le nom de dithy-
après, par une troupe d’ Athéniens et de rambe a été créé pour rappeler la dou-
Béotiens conduits les premiers par Nau- blenaissancedu dieu Bacchus; et lorsque
clus et les seconds par Hérès. Ces der- le peuple la célébrait par des chants et
niers venus furent reçus avec amitié des danses, les rhapsodes sont venus ajou-
par Apœcus. La popula'tion earienne se ter l’élément épique à ces fêtes popu-
trouva absorbée parla population derace laires, ils ont entremêlé les chants de
européenne et, à partir de ce temps, dialogue et de musique. Ce mélange de
Téos devint une ville grecque qui acquit cérémonies religieuses et de joie popu-
un rang important dans la confédération laire s’est ensuite formulé sous une
ionienne (1). forme plus poétique et non moins émou-
Téos était située sur une presqu’île vante; les initiés couverts de masques
faisant face à l’île de Samos. Elle acquit de fantaisie, vêtus en satyres et en silè-
bientôt assez d’importance pour être une nes accompagnaient les cortèges diony-
des premières villes que les Perses at- siaques en chantant et en dansant. Le
taquèrent dans la guerre acharnée qu’ils dithyrambe devenait alors une sorte de
firent aux villes d’Ionie. L’exemple des récitatif accompagné de gestes. Dans
habitants de Phocée fut suivi par les l’attente de la naissance du dieu, le poète
Téiens, et lorsque la ville fut sur lu point exprimait tous les sentiments d’espé-
rance et d’incertitude, qui se termi-
(i) Pausuias, Vil, 3. naient par des chants d’allégresse quand
362 ff’UNIVP:RS.
la naissance du dieu était proclamée.
de cité à Téos; plus tard ils allèrent s’é-
Jusqu’au poète Arion, le dithyrambe tablir à Lébédus. Les entrepreneurs de
fut mêlé d'improvisations qui étaient
spectacles, les asiarques et tous ceux qui
laissées aux inspirations des initiés, vin-
étaient chargés de présider ou d’organi-
rent ensuite les poètes dithyrambiques,
ser des fêtes publiques s’adressaient aux
qui mirent plus d’ordre dans ces com-
chefs de cette corporation qui envoyait
positions; ils inventèrent la forme anti-
des troupes d’acteurs dans toutes les
slrop'hique, qui était chantée tour à tour
parties du monde romain. Nous voyons
par deux moitiés du chœur. Le poète
les
a Vienne en Dauphiné une inscription
Tisias perfectionna cette forme poétique
qui constate que ces troupes venaient
enfaisantsuivrerautistrophe de l’épode, jusqu’en Gaule; elle e.st ainsi conçue.
qui était chantée par le chœur au repos, « Les acteurs d’Asie et tous
ceux qui
ün appela ce poète Stésichore parce qu’il appartiennent à la même corporation se
avait appris au chœur à se tenir tran-
sont élevés à eux-mêmes ce monument
quille. Le dithyrambe était accompagné de leur vivant (I). Telles furent les ori-
dans son exécution par l’harmonie phry-
gines du théâtre antique ; on ne doit
gienne, qui était surtout en usage dans
donc pas s'étonner de retrouver des
ces fêtes à cause de sou caractère émi-
monuments destinés aux jeux de la scène
nemment noble. Le mode lydien, plus mê.ine dans les plus petites villes, puis-
passionné, était réservé pour les céré-
qu'ils faisaient pour ainsi dire partie
monies qui s’accomplissaient autour des des cérémonies du culte.
temples ; c’est le poète Sacadas qui avait
posé les lois du chant épodique, dont
trois stances se mettaient après trois
CHAPITRE LU.
stances de l’harmonie originale.
SOULÈVEMBiNT DBS TÉIENS CONTBB
Telle est l’origine de la tragédie, qui,
aux
ATHENES.
de Baccbus, où l’on conduisait
fêtes
un bouc tragos ), a commencé par des
( Après désastres de Sicile les
les
poésies religieuses chantées en l’hon-
Té'iens tentèrent de secouer lejougd’A-
neur du dieu. Après les poètes dithy- lhéne.s en prenant parti pour les Pélo-
rambiques vinrent les poètes scéniques, ponésiens. Les Athéniens avaient bâti à
dont le plus célèbre est Thespis, qui doit
Téos une longue muraille qui séparait
s’étre inspiré des rhapsodes ou récita-
la ville du reste du continent; Stroin-
teurs des dithyrambes.
byochides, amiral de .Sparte, arriva de
Avec Thespis l'action devient moins .Samos et invita les habitants à se tenir
bruyante, les rôles sont plus tranchés tranquilles. Ceux de Téos ne voulaient
et les récitatifs du choeur mettent le
pas d’aliord accueillir l’armée de terre
spectateur en relation plus intime avec mais à la nouvelle de la fuite des Athé-
;

le rôle principal ; en un mot Thespis in-


niens, ils lui permirent d'entrer. La
vente la représentation théâtrale, la
multitude abattit la muraille que les
tragédie est créée, mais elle reste toujours
Athéinens avaient élevée du côté du
une des grandes cérémonies des fêtes continent. Tagcs , héparque de Tissa-
de Bacchus, les représentations publi- pherne, aida les Téïens, a démolir ce
ques ne sont données qu’à l’époque des
mur. Tissapherne lui-même acheva de
fêtes dionysiaques,qu’on appelait a Athè- |létruire ce qui restait des murs de
nes lénéennes ou anthésteries a cause Téos, et après que l’armée de terre eut
du mois où elles étaient célébrées. quitté Téos, il s'en retourna (2). Ces évé-
Une ville toute consacrée au culte de nements marquent bien la date de la
Bacchus devait attirer dans ses murs
construction des murs de Téos ; en effet,
tous ceux qui par leur goût ou leur ta-
Athènes, ayant reconquis sa supériorité
lent pouvaient concourir à l’éclat de ses
sur les villes d’Asie, fit rétablir les mu-
létes. Aussi Téos était-elle devenue le
railles détruites ce sont celles dont on
:

point de réunion de tous les comédiens,


qui avaient formé une confrérie sous le
(i) Scenici asialioani et qui in eodemcor-
nom de Dionysiastes ils étaient savam-
; |K)re suDt vivi 'sibi feceruoL
ment organisés et avaient obtenu le ^oit (a) Thucydide, Ht. VUI, i 8, au
,

ASIE M|;»EURE. 363

voit les vestiges, et qui datent du qua- mode pour embarquer les denrées Le
trième sièele avant notre ère. C’est aussi camp a’Autioclms était sur le continent,
pendant cette période que se construi- etun Rbodien avait fait voir le danger
sirent les temples dont on voit aujour- que présentait le mouillage de la flotte.
d'hui les ruines : Hermogène allait ou- Dès qu’on fut arrivé dans l’autre port,
vrir une ère nouvelle pour l'architecture soldats et matelots quittèrent leurs na-
ionienne , les arts et la poésie s’unis- vires pour embarquer les provisions
saient pour faire de Téos la ville la plus lorsqu'un paysan informa le préteur que
distinguée de l’Iouie. la flotte Je Polyxénidas était en vue.
Dans la guerre contre Antiochus les On sonna sans retard le retour à bord;
Téïens rendirent à la flotte romaine un la confusion fut extrême, chaque vais-
éminent service et la sauvèrent pour seau faisant force de rames pour sortir
ainsi dire d’une destruction complète. du port; la flotte romaine finit par ga-
Régulus, le préteur, qui commandait gner le large et put échapper à un im-
avec quatre-vingts vaisseaux dans ces mense danger.
mers,ayantapprisque la ville avait fourni Après la défaite d’Antiochus, Téos
des provisions à la flotte royale et avait avec toute l’Ionie passa sous le pou-
promis de fournir cinq mille amphores voir des rois de Per^ame ,
et sous l’em-
de vin pour son usage , fit voile pour pire romain ; elle ht partie de la Pro-
Téos, et vint mouiller avec toute sa flotte vince d’Asie. Lorsque le christianisme
dans le port qui est derrière la ville; il se répandit en Asie , les habitants de
envoya ensuite des troupes de débarque- Téos furent des premiers à se convertir,
ment avec ordre de ravager tout le ter- et du temps de Polycarpe, évêque et
ritoire desTélens. Les habitants, effrayés martyre à Smyrne , Oaplmus était déjà
des dommages que leur causaient les évêque de Téos. Selon les notices ecclé-
troupes, envoyèrent aux Romains à titre siastiques, on compte cinq évêques de
de suppliants des orateurs le front cou- Téos jusqu’au temps de Romain Argyre ;
vert et vêtus de longues robes. Mais le ce sont .Maxime, Gennadius, Cyrïll'e, et
;

préteur refusa de recevoir les députés à Sisinnius, qui fut évêque de Téos pen-
moins que les citoyens ne consentissent dant vingt-quatre ans (ij.
à donner aux Romains le même secours D’après l’état des ruines de cette ville,
qu’aux ennemis. on peut être certain que presque tous les
Pendant que les magistrats délibé- monuments antiquesontetérenversés par
raient avec le peuple, Polixénidas, un tremblement de terre; ils forment
amiral de la flotte royale, ayant fait des monceaux de décombres accumulés :

voile de Colophon avec quatre-vingt- ce n’est pas ainsi que les édifices se dé-
neuf navires et ayant été informé des
, truisent sous l’action lente des siècles.
propositions du préteur et de la position
que sa flotte occupait dans le port, CHAPITRE LUI.
conçut l’espérance de réduire la flotte
romaine, comme il venait de faire pour RDinES DE XBOS — STO.XDJIR. —
la flotte rhodienne à l’entrée du port SEVRI HISSXB.
Panorme à Samos. L’entrée du port de
Téos était si étroite que deux vaisseaux Téos était située sur la côte sud de la
pouvaient à peine y passer de front. Son presqu’île Érythrée. dans la partie la
Dut était de s’établir dans le détroit plus étroite entre le golfe de Smyrue
pendant la nuit, et avec dix vaisseaux de et la mer de Samos. La ville était elle-
s’assurer le promontoire pour inter- même bêtie sur un isthme formé d’une
dire la sortie aux navires, et avec des trou- part par la baie de Sigadiik à l’ouest,
pes de débarquement, d’attaquer l’en- et d’autre part par un golfe aujourd’hui
nemi par terre et par mer ; ce plan eut presque comblé qu’on appelait golfe de
réussisi les Télens, conformément à la Téos, à l’est de la ville : cesontees deux
demande du préteur, n’eussent consenti portsqui faisaient la puissance maritime
à embarquer les vivres et n’eussent fait
venir la flotte dans le port qui est en
avant de la ville et qui était plus com- (i) Lequieii, Urieris clir., I. III.
364 L’UNIVERS.
deTéos. Le port de Sigadjik est l’ancien lesantiquités ioniennes paraissent des
portus Gæresticus, dont nousavons parlé plus satisfaisants.
plus haut; c’est un des plus sûrs de la Le temple était hexastyleet périptère;
côte, mais son entrée est difficile. Ce avait six colonnes de front et onze
il

port fut primitivement occupe par les sur les côtés ; les colonnes étaient can-
ChalcidienS) qui vinrent s’établirsous la nelées : Hermogène en fut l’architecte.
conduite de Gérés ; c’est celui que les Le temple était au milieu d'une area
Romains appelèrent Gæresticus portus, entourée de portiques c’est du reste la
:

et que Strauun nomme Cherrœïdæ (I), disposition commune à tous les grands
il était situé au nord et à l’ouest de temples de l’Asie; les fondations du
Téos et distant seulement de trente portique sont à fleur de terre, très-peu
stades de la ville. de travaux seraient nécessaires pour
La ville moderne de Sigadjik est reconnaître complètement ce bel en-
hStie dans la partie orientale du golfe et semble d’un monument classique.
sur l’isthme où était Téos. Tous les ma- Le second édifice qui appelle l’atten-
tériaux de l’ancienne ville ont été em- tion est le théâtre, assis sur une des col-
ployés dans construction de la ville
la lines qui entourent la ville et dont la
moderne, elle est entourée de murs face est tournée vers le sud, contraire-
et défendue par un château délabré. ment aux prescriptions de Vitruve. Tout
Cette ville quoique moderne a été pour le proscénmmost détruit, et du haut du
les antiquaires une mine riche en monu- dernier gradin on jouit d’un magnifique
ments antiques. La plupart des ins- panorama; mais c’est une erreur que
criptions des Téiens ont été encastrées d’imaginer que les anciens spectateurs
dans les murailles, et se sont trouvées avaient pour fond de tableau la cam-
ainsi sauvées d’une ruine complète. L’a- pagne voisine et l’immensité de riiorizun :

bondance des carrières de marbre dans que serait devenue la voix des acteurs
le voisinage de Téos permettait aux ha- dans ce vaste espace? Il est démontré
bilans d’étre prodigues en monuments d'ailleurs par une foule de monuments
épigraphiques aussi peu de villes ancien-
: existant, que la partie qu’on appelle
nes de l’Asie en ont produit un aussi proscénium s’élevait jusque la hauteur
grand nombre, et il est certain qu’on fe- du dernier gradin, et de plus que le
rait encore des découvertes précieuses théâtre était couvert par un vélarium
en ce genre si l’on pouvait remuer les qui s’étendait sur l’orchestre et toute
énormes blocs des temples écroulés. Les la cavea. Cependant presque tous les
inscriptions de Téos méritent d’autant voyageurs qui visitent les théâtres anti-
plus d'intérét qu’elles contiennent pour ques s’extasient sur le panorama dont
la plupart des actes politiques et des jouissaient les spectateurs assistant aux
traités conclus avec les autres États. représentations. A Catane, c’est l’Etna
L'ancienne Téos est séparée du ter- qui est censé composer les intermèdes,
ritoire de Sigadjik par une légère émi- et sur la côte d’.Asie, ce sont les Spora-
nence qui enclôt presque toute la pres- des et le Taurus. Que l’on soit bien per-
qu’île. Les ruines du temple de Bac- suadé que le spectateur grec était dans
chus forment une masse énorme de la salle de spectacle presqu’aussi bien
décombres. Il est facile de retrouver clos que lus modernes dans les leurs, et
tous les membres principaux de l’ar- que les distractions du dehors ne ve-
chitecture de l’édifice. Les architraves et naient pas troubler les émotions de
les morceaux de corniche n’ont pu être la représentation.
enlevés ; les cimaises sont ornées de têtes Nous ne parlons du théâtre de Téos
de lions et de palmettes, les chapiteaux, que pour mémoire, car ce monument
d’ordre ionique, sont du plus beau style est dépouillé de ses sièges et de tous ses
et d’une grande simplicité; cet édifice a ornements ; son étude n’apporterait au-
été étudié eu détail par les architectes cune lumière nouvelle à ce que nous
anglais Chandler et Pars, et les plans savons déjà par l'examen des théâtres
qu’ils ont publiés dans leur ouvrage sur de la Pamphylic.
L’intérieur de la ville occupé par
(i) Str»bon, XIV, 643. des jardins et des plantations d’oliviers
ASIE MUIEURE. 865
est difficile à parcourir : on ne peut murailles ayant été détruites par Tis-
examiner un de ces murs en pierres sapherne, ont été reconstruites quand les
sèches qui séparent les propriétés, sans Téiens sont revenus habiter leurville : on
y découvrir une quantité de fragments a de plus réparé la grande muraille qui
d’architecture qui trouveraient leur séparait du continent le petit isthme
place dans un musée. sur lequel la ville étaitassise ; elle défen-
C’est une source de regrets pour l’a- dait le quartier de l’invasion des eaux
venir ces modèles de la plus pure ar-
: d'un petit ruisseau qui se jetait dans le
chitecture ionienne disparaissent l’un port du sud et qui a contribué à l’en-
après l’autre ; s’ils étaient recueillis dans sabler cette partie des murs est la mieux
:

un musée d’Europe leur étude ne pour- conservée.


rait que former le goût des jeunes ar- D'après une inscription qui existe en-
tistes. Qu’on n’imagine pas que des core près de là , cette partie de la mu-
plâtres moulés sur les monuments rem- raille et les tours adjacentes auraient
plissent le même but: le coup de ciseau été reconstruites par Apollodore et Eu-
donné sur le marbre, le faire de l’ar- cratès dont les fonctions ne sont pas in-
tiste, ses moyens pratiques ne se trans- diquées. Toutes les murailles sont bâties
portent pas avec un froid modèle. en blocs de pierre de taille poses en
Un autre édifice moins considérable assises réglées: ou ne voit plus les ve.s-
que le temple de Bacchus, mais d’une tiges que d’une seule porte ou plutôt
perfection de travail non moins égale, d’une poterne qui conduisait au port.
existait vers le centre de l’isthme ; il est Elle est sans ornement, la baie est sur-
couvert de buissons et d’oliviers sau- montée d’une architrave.
vages on peut considérer ce fait comme
; Le port du sud, celui que Tite-Live
une preuve que ces ruines n’ont pas été distingue par les mots ante urhem,
fouillées depuis plusieurs siècles. tandis que le port de .Sigadjik était
Avant de terminer l’examen de l’in- désigné comme étant a tergo urlnx, est
térieur de la ville, nous devons mention- aujourd’hui converti en marais. On voit
ner un monument signalé par M. Ha- les vestiges d’un môle au milieu des
iiiilton à l’attention des futurs explora- alluvions, mais rien de ce qui peut cons-
teurs. tituer un arsenal maritime.
Il est situé au nord-est, et à la dis- La petite ville de Sévri hissar est à
tance d’environ un mille du môle an- quatre kilomètres au sud -est de Téos sur
cien; il se compose d'une base pyra- la route de Smyrrie; elle ne mériterait
midale construite sur une éminence et aucune mention spéciale si on n'y eût
supportant les ruines d’un édifice de transporté connue a Sigadjik un certain
petite dimension, mais richement orné ; nombre de débris des monuments de
rien ne peut égaler la délicatesse des Téos. Elle est située dans un vallon où
.sculptures des comiches qui sont éten- prend naissance le ruisseau qui va se
dues sur le sol l’édifice était construit
; jeter dans le port; ce qui attire surtout
en grands blocs de marbre jaune. On y l’attention , ce sont de grands blocs de
arrivait par des escaliers dont la longueur marbre dont l’usage n’a pas encore été
de l’est à l’ouest est de quarante-cinq deviné; les plus grands ont environ trois
pieds et du nord au sud de trente-huit. mètres en tous sens , les autres ont
I>e monument était entouré d’une co- moinsde deux mètres ce sont des grands
:

lonnade qui peut encore être reconnue cubes taillés à facettes prismatiques
sur trois côtes; elle se compose de huit formant autant de tablettes ou de
pilastres eu marbre gris placés à dis- on ne saurait mieux les
petits escaliers,
tances égales, avec des demi-colonnes en- comparer qu'à d’énormes cristaux de
gagées dans les deux côtés opposés le: sulfate de soude; ils portent presque
côté nord est long de cent quarante et tous des fragments d’inscriptions latines
un pas et le côté de l’ouest de cent inintelligibles, on y lit surtout l’indica-
soixante. tion Loco 1111 jusqu’ici ceux qui ont
:

Les murs de Téos ont environ six voulu expliquer l’usage de ces blocs
kilomètres de circuit, on peut les suivre n’ont abouti qu’à des conjectures peu
dans tout leur parcours. Les anciennes satisfaisantes.
866 L’UWIVEBS.
Les grandes carrières d’où ont ètè côte sud de la presqulle. Il se terminait
extraits les marbres de Téos sont dans au promoutoire Corycéon, aujourd’hui
le voisinage de Sevri hissar, elles four- le cap Blanc à l’entrée du canal de Cbio ;
nissent tme rociie grisâtre et cristalline le port de Casyste était au nord de ce
ui appartient à la formation calcaire cap sur la côte occidentale de la pres-
e la presqu’île Érythrée. qmîle: Tite-Live(l) le nommeCorycua
Portus.
CHAPITRE LIV. Comme entre Érythræ et le cap
Corycus il n’y a que le port et la rade
LA presqu’île ERYTHREE. de Tchechmé^, on doit en couclure que
le port Corycus ou Casyste était à
La cdte qui s’étend de l’est à l’ouest Tchechmé.
depuisTéos jusqu’au cap Blanc est décou-
ée par un certain nombre de petites ÉRYTHRÆ.
aies peu connues même de nos jours,
dans lesquelles les colons grecs s’étaient La population primitive d’Érythræ
bâtis des places fortes de ce nombre: se composait de plusieurs fractions des
était Eræ, qui appartenait aux Téiens; divers peuples qui habitaient le sud de
vient ensuite le territoire des Oialcidiens, l’Asie Mineure; ils se joignirent aux
qui fut d’abord sous la dépendance des Crétois qui, sous la conduite du fils de
Téiens, passa ensuite sous la domination Rhadamante , vinrent coloniser cette
de la ville d’Érythræ, et la troisième partie de la presqu’île. On comptait dans
tribu des Érytliréens prit le nom de ce nombre : des Lyciens , peuple d’ori-
Cbalcitis ( ). Le cap le plus avancé vers
I mne crétoise ; des Cariens, anciens alliés
l’tle de Cbio est dominé par une mon- du roi Minos; des Pamphyliens, d’ori-
tagne peu élevée qui se. rattache à la ine grecque, mais qui après la guerre
chaîne du mont Mimas. La montagne e Troie avaient longtemps erré avec
s’appelait Corycus et le cap Argennum, Calchas, enfin d’un contingent d’habi-
Strabon estime à soixante stades la lar- tants venus de chaque ville d’Ionie sous
geur du détroit entre ce cap et l’tle de la conduite de Cnopus.
Cbio. Cette réunion, hétérogène en appa-
A partir de ce point la côte de la rence ne tarda pas à former un corps
,

presqu’île Érythrée tourne droit au de nation, qui s’établit promptement


nord et forme deux golfes bien abrité, dans la contre. Il est à remarquer qu’au
le premier, le golfe de Tchechmé, le se- milieu d’éléments disparates on ne voit
cond, le golfe d’Êrythræ. jamais se mêler de peuple d’origine
L’intérieur de la presqu’île est mon- araméeiine ; les Phéniciens, pourtant si
tagneux et inculte, plusieurs villages de voisins de la Crète, ne participent en
bergers sont bâtis dans les gorges, et rien à la fondation des colonies, dont la
assoient autrefois pour être dœ repaires population était de race indo-germani-
e pirates. La montagne dans laquelle que.
ils se retiraient portait le nom de Co- Il est à croire cependant qu’à cette
rycus, et les pirates avaient le nom de époque les fondateurs d’Érythræ étaient
C’orycéens ; ce sont eux qui ont inventé en relations pacifiques avec les peuples
ce moyen si souvent employé depuis
, de la Phénicie, puisqu’ils adoptèrent le
par les corsaires, d’envoyer des aradés culte d’Hercule, divinité qui leur fut
qui prenaient des renseignements dans envoyée de Tyr et qu’ils disputèrent
les ports de mer, s’engageaient avec les aux babhantsde Chio. Selon la tradition,
marchands et renseignaient les corsai- conservée par Pausanias , la statue
res sur la route que devait suivre le na- d’Hercule était placée sur un radeau qui
vire. fut apportée par mer de Tyr en Phéni-
Le mont Corycus s’étendait depuis le cie. Quand le radeau fut entré dans la
Mimas au sud-ouest de Clazomène jus- mer Ionienne, il s’arrêta au cap Messatv.
qu’à la pointe occidentale et formait la Les efforts des habitants pour le tirer a

(i) Fauumias, liv. Vif, 4. (i)Tite-Liv., XXXVI, 44.


ASIE MINEURE. 367

terre restaient sans effet, lorsqu’un pé- ioniennes contre le pouvoir des Perses ;
cheur nommé Phormion fut averti dans elle fut souvent en guerre avec la ville
un songe que le radeau serait facile- voisine de Chio; mais la marine de
ment conduit à terre, si les femmes cette dernière ville était bien supérieure,
d’Érythræ voulaient le tirer au moyen et pendant un temps les Chiotes pré-
d’une corde tressée avec leurs cheveux. tendirent à l’empire oe la mer (1).
Pas une des Érythréennes ne se mettait Pendant la guerre entre Athènes et
en devoir de se conformer aux prescrip- Lacédémone, Érythræ tenta d’échapper
tions de ce songe lorsque les femmes
, à la domination d'Atliènes, mais sa si-
thraces qui hanitaient la ville sacri- tuation ne changea qu’à l’arrivée des
fièrent leur chevelure, et la statue du Romains en Asie. Elle embrassa le parti
dieu fut amenée dans Érythræ. On lui de Rome contre Antiochus, et reçut
éleva un temple dans l’intérieur de la d’éclafants témoignages de satisfaction
ville, et les femmes thraces avaient seules de la part du gouvernement de Rome.
le droit d’y entrer. Pausanias à sou Les monuments épigraphiques et nu-
voyage à Érythræ, vit la corde faite de 'mismatiques prouvent que cette ville
cheveux qui était conservée précieuse- continua de sunsister jusqu’aux derniers
ment. 11 décrit la statue d’Hercule temps de l’empire byzantin. Elle est
comme un ouvrage dans le goût des comprise dans les notices ecclésiasti-
anciennes statues ^yptiennes. ques au nombre des évêchés de la pro-
On voyait aussi à Érythræ un temple vince d’Asie. On ignore les causes de
de Minerve Poliade; la statue de la l’abandon de sou territoire, qui passait
déesse était de bois, et d’une grandeur pour fertile et abondant en vin. La po-
extraordinaire, assise sur un trône, et iulation moderne s’est agglomérée dans
tenant une quenouille des deux mains. Ïa petite ville de Tcheclimé, dont la
La têtu de la statue était surmontée de rade est aussi sûre, que celle d’Érythrœ,
l’étoile polaire. et qui est mieux placée pour les navires
Cette statue était l’œuvre du sculp- que les vents retiennent à l’entrée du ca-
teur Endæus, de même que les statues nal de Chio. Cet inconvénient était
des Heures et des Grâces de marbre moins grave dans l'antiquité quand la
blanc qui étaient exposées dans l’hy- navigation se faisait à la rame.
pœthre, c’est-à-dire dans la partie du r.a baie d’Éiythræ est défendue des
temple qui était découverte; c’est là vents d’ouest par l’île de Chio , et son
que Pausanias vit ces œuvres d’art. On mouillage était abrité par un groupe
doit conclure de ce passage de l’auteur d’îlots, que les anciens appelaient Hippi,
grec (11, que le temple de Minerve Po- les chevaux. Une petite rivière a son
liade était du genre que nous appelons embouchure dans cette baie, c’est l’an-
hypœtlire comme ceux d’Apollon Di- cien fleuve Aleus, qui, selon Pline avait
dÿme et d’Apollon Épicurius. la faculté de faire pousser la barbe.
La sybille d’Érythræ n’était pas moins
célèbre que les oracles de Branchydes CHAPITRE LV.
et de Claros ; mais elle se distinguait
de ces derniers en ce qu’elle prédisait UUIIXES n’ÉBYTHBÆ. — BHITBI.
l’avenir par inspiration , sans aucune
cérémonie préalable ; Strabon distingue Les ruines d’Érythræ conservent en-
l’ancienne sybille , et celle qui vivait du core le nom de Rhitri, qui est celui d’un
temps d’Alexandre, et qui fit connaître petit village grec bâti en dehors de l’en-
l’illustre origine du roi de Macédoine. ceinte de l'ancienne ville. Deux routes
Strabon ne dit pas si les prédictions de conduisent à Érythræ, l’une par A’ ourla
ces deux sibylles avaient lieu dans quel- et l’autre par Tenechmé : cette dernière
que sanctuaire (2). est la plus praticable.
La ville d’Érytliræ prit part à tous Tchechmé est une petite ville mo-
les soulèvements tentés par les villes derne qui tire ses revenus des bâtiments
qui viennent mouiller dans sa rade,
(i) Pausanias, liv. Vit, S.
(a) Strabon, XIX', 645; XVII, 8 s 4 . (i) Strabon, XFV, 645,

? on O loglc
,

368 L’UNIVERS.
lorsqu’ils sont retenus à l’entrée du ca- mètres. Du côté de l’est on entre dans
nal de Chio. Toutes les maisons sont la ville par une brèche où l’on recon-
bâties en pierres, blanchies à la chaux naît les vestiges d’une porte, mais un
et couvertes en terrasses. Quelques dat- montant seul est en place.
tiers plantés çà et là achèvent de lui Les murailles descendent ensuite
donner un aspect tout à fait oriental. dans la partie plane de la ville, et re-
On peut facilement trouver des che- montent une seconde ligne de collines
vaux pour se rendre aux ruines d’Éry- pour arriver à l’acropole , bâtie au nord
thræ, situées à vingt-deux kilomètres au sur sommet d’un mamelon.
le
nord de en longeant le bord de
la ville, I.erocher entaillé par banquettes ser-
la nier ;
route est très-accidentée, en-
la vait de fondation aux murailles dont
trecoupée de collines et de ravins for- la construction rappelle celle des murs
més par les contreforts du mont Mimas. d’Assos, c’est-à-dire que ces murs da-
En sortant de Tchechmé on con- teraient du cinquième siècle avant notre
tourne un mamelon assez élevé qui dé- ère près de l’acropole est une autre
:

fend la ville et la rade de l’action des porte tout aussi ruinée. L’acropole a
vents du nord; on descend ensuite dans été en grande partie réparée à l’epoque
un vallon où se trouvent des eaux ther- byzantine : on reconnaît dans les mu-
males avec un établissement rustique railles un grand nombre de fragments
fréquenté par les habitants de lu pres- antiques et quelques inscriptions.
qu’île; ces bains n’ont jamais été men- Avant de rechercher les derniers ves-
tionnés par aucun auteur moderne; ce tiges de l’ancienne Érythræ , nous de-
sont certainement les bains cités par vons nous arrêter un moment pour ob-
Pausanias comme existant près du
<• server la singulière conformation du sol
promontoire Macria , les uns creusés de cette ville, qui appartient à la masse
naturellement dans le roc au bord de la du mont Mimas, et qui représente en
mer, les autres faits de main d’homme moindres proportions la formation gé-
et fort ornés (I). » Un ruisseau qui nérale de la montagne.
n’a pas de nom aujourd’hui arrose la Érythræ est entourée de collines de
vallée des bains ; on est là à moitié route calcaire, marbre bleu , mais l’acropole
entre Tchechmé etÉrythræ on a encore
: et les bases de toutes les collines sont
à franchir deux ou trois côtes assez toutes composées de trachytes rouges ;
abruptes. En contournant les sinuo- on les retrouve a l’acropole sous forme
sités du rivage, on a sur sa gauche d’un mamelon isolé qui a surgi du mi-
la mer du canal de Chio et une inhnité lieu de la plaine. Non loiu de la ,
les ro-
de petites Iles qui se détachent comme ches calcaires apparaissent à la surface
autant de points lumineux sur le som- du sol, de sorte que l’expansion des tra-
bre azur delà mer. Quelquefois la route chytes de dessous lus roches calcaires est
domine de véritables précipices ;
enfin si visible, qu’on assiste pour ainsi dire à
on arrive aux ruines d’Érithræ qui pré- l’expansion des roches ignées, comme si
sentent l’aspect de la plus complète dé- elle avait lieu de nos jours; ce sont ces
solation. trachytes (lui ont servi à bâtir les mo-
L’assiette de la ville était très-forte : numents a’Érythræ. Tous les édifices
on peut encore suivre dans tout son étaient rouges, et le nom du fondateur
pourtour la ligne de circonvallation. Érythrus était on ne peut mieux en
Les murailles formaient presque un harmonie avec la couleur de la ville (I).
demi-cercle qui comprenait la largeur Du pied des collines de l’est sort une
de la baie d’Érythrœ; elles ont le carac- source abondante qui forme un petit
tère de la plus haute antiquité, .sont cours d’eau c’est le fleuve Aleus cité par
:

bâties en grands blocs de trachyte rouge, Pline ; un autre cours d’eau arrose le
entremêlés çà et là d’assises de pierre pied des collines du nord.
calcaire. Elles sont défendues par des Au centre de la ville est un exhaus-
tours carrées de très-solide construc- sement de terrain taillé en rectangle et
tion, espacées de vingt-cinq à trente formant une grande terrasse soutenue

(r) Pausinins, livre TII, ch. 5. (i) Erythros, ruuge.

Digià-
ASIE MINEURE. 369

de tous côtés par un soubassement de tures propres à être placés dans les
construction archaïque, partie en assi- musées. Mais l’étude de ces ruines faite
ses réglées, partie eu blocs à joints irré- au point de vue architectonique serait
guliers. Ou arrive sur cette terrasse par intéressante, attendu qu’elles surpassent
un ébouleineut du côté de l’est, où il y en antiquité celles de toutes les autres
avait peut-être un escalier. villes de l'Ionie.
I>a surface de l'esplanade est cou- La presqu'île Érythrée se termine au
verte de décombres, au milieu desquels nord par le cap Mêlas aujourd’hui le
on reconnaît les traces d’un édifice cap Kara bournou, cap noir, ainsi
carré et un morceau de frise dorique, nommé à cause de la couleur noire
des tambours de colonnes cannelées à des laves qui entourent la base. Au
la grecque ; on voit qu’on est sur l’em- nord de la rade d'Érythræ les na-
placement d’un temple, mais il ne sub- vires trouvent encore un refuge dans
siste pas assez de documents pour le une crique appelée aujourd’hui Egri
restituer comme celui d’Assos. Liman, le port oblique , bon mouillage
Tout porte à croire que sur cette ter- mais qui manque de fond, c’est l’an-
rasse s’élevait le temple d’Hercule cité cien Portus Phoeuicus. Lé cap Mêlas est
par Pausanias. On ne peut que soup- formé par une montagne abrupte et ro-
çonner à quel ordre il appartenait, puis- cheuse quelques villages modernes sont
;

que l’architecture ionienne ne date que dispersés autour de sa base, mais il ne


a’Hermogène, et qu’avant cet architecte reste dans cette région aucun vestige
tous temples d’Ionie étaient d’ordre
les d’antiquité.
dorique. On peut en inférer, vu la haute
antiquité à laquelle Pausanias fait re- CHAPITRE LVI.
monter l’arrivée de la statue d’Hercule.
que le temple était d’ordre dorique; eOLFE DE SUYENE.
enfin une dernière considération , c’est
que le seul temple d'Hercule, connu de Après avoir parcouru l’Ionie nous
nos jours , celui de Cori en Italie, est rentrons dans le golfe de Smyrne en lon-
d’ordre dorique. geant la côte méridionale ; la base du
Nous n’avons observé aucun empla- mont Mimas est marquée par une pro-
cement qui pdt, avec quelque apparence fonde échancrure appelée par les marins
de probabilité , être attribué au temple baiedcKaragatcb, parce que les navires
de Minerve Poliade. Les temples de peuvent se mettre à l’abri du vent du
cette divinité étaient ordinairement nord appelé Karagatch. Les cartes le
élevés dans la citadelle même des villes désignent sous le nom de golfe de Ghiil-
comme à Athènes et à Pereame, or baghthé, jardin des roses, à cause d’un
nous avons vu que l’acropole d'Erythræ petit village du même nom.
avait été presoue entièrement rebâtie Vient ensuite le golfe de Vourla, au-
par les Byzantins : le temple aura été dessus duquel est bâtie la petite ville de
rasé à cette époque. Vourla, qu’on est porté à identifier avec
Le théâtre était établi sur le flanc la première Clazomène; on n’y trouve
nord du rocher de l’acropole ; il pré- aucun vestige d’antiquité; le pays d'alen-
sente peu d’intérêt au point de vue de tour et très-montagneux : les Grecs y cul-
l’art; les détails les plus importants, tivent la vigne avec succès.
c’est-à-dire le proscenium et la décora- Devant la baie de Vourla est situé le
tion extérieure, ont presque entièrement petit archipel connu des marins sous le
disparu. Quelques gradins sont encore nom d’iles d’Ourlac c’est le meilleur
:

en place, mais la plus grande partie mouillage du golfe, et les flottes euro-
qui pouvait servir comme pierres de péennes ont l’habitude d’y stationner en
taille a été enlevée; le château qui do- hiver il
:
y a une source abondante
mine la colline eu a absorbé une grande qui fournit une eau excellente.
partie.
I.es fouilles faites à Erythræ mettaient
à découvert un certain nombre d’ins-
criptions, et peu de morceaux de sculp-
24° Uoraiton. (Asie Miheubs.) '

. II. 24
37Ü L’UNIVERS.
CLAZOMÈNB. cents mètres de longueur elle est sou- :

tenue du côté de l’ouest par un mut


antique qui est presque couvert par le
Une petite île déserte reliée au con-
sable. L’île de Clazomène est aujour-
tinent par un isthme sablonneux, c’est
d’hui déserte il n’y reste aucun vestige
:

tout ce qui reste de l’ancienne Clazo-


important de ses anciens édifices , et des
mène. De toutes les tribus d’Ionie, il n’y
fouilles entreprises il y a quelques an-
en eut pas de plus voyageuse. Quand
nées par un des commandants de la sta-
les Clazoniéniens arrivèrent en Asie la
tion française ne produisirent aucun ré-
grande migration ionienne s’était déjà
sultat important on s'est assuré seule-
:
effectuée ; ils se dirigèrent vers le nord
ment que le sol de l’île était couvert de
de l’Æolide et bâtirent auprès du mont
fondations d’édifices.
Ida une ville qu’ils abandonnèrent pour
Clazomèue s’associa à la révolte des
se rapprocher des Colopboniens, aux-
Téiens contre Athènes; mais elle fut
quels ils avaient demandé un chef. Étant
bientôt forcée de faire sa soumission. Elle
arrivés dans la presqu’île Érythrée ils
prit parti pour les Romains dans la
fondèrent Scyppiura sur le versant sud
guerre contre Antiochus, aussi reçut-
de la presqu’île.
elle de la part du sénat le privil^e* de
Mécontents de ce territoire ils s’avan-
conserver son autonomie on lui fit en :
cèrent au nord-est et s’établirent à Cby-
outre présent de l’ile de Drymusa. Au-
trium, plus tard ils fondèrent Clazo-
guste y fit faire des travaux qui lui
mène dans la terre ferme, et s’y main-
méritèrent le titre de nouveau fonda-
tinrent jusqu’à l’arrivée des Perses.
teur.
Ils se défendirent vaillamment contre
La situation de Clazomèue dans le
Alyatte, roi de Lydie, et lui firent éprou-
voisinage des îles qui offraient aifx pi-
ver des pertes sensibles (I); la paix se
rates des repaires si favorables, fut sou-
fît cependant et pendant tout le règne
vent exposée à leurs attaques soudaines ;
des Mermuades. cette petite république
les pirates de Cilicie s’en emparèrent
put développer son activité commerciale.
du temps deSylla, etdans le moyen âge
Elle était restée en relation avec le con-
toute cette presqu’île était infestée de
tinent de la Grèce et avait à Delphes
chefs qui mettaient le pays au pillage :
son trésor particulier. Crésus avait en-
c’est sans doute la cause de la ruine
voyé au temple d’Apollon des cratères
totale, de cette ville. Les musulmans, en
d’or et d’autres en argent, ouvrages
guerre avec les nations maritimes de
précieux et célèbres; apres l’incendie de
l’Europe , ne voulurent pas laisser sub-
Delphes ils furent déposés dans le trésor
sister une place qui pouvait leur servir
des Clazoméniens , où on les voyait
de base d’opérations contre Srayrne. Au-
encore du temps d’Hérodote le cra- :

jourd’hui on ne eounaît dans cet ar-


tère d’argent pouvait contenir dix am-
chipel que la grande et la petite Ourlac.
phores, plus de cent cinquante litres. La
Pline nomme huit îles dans le golfe de
ville de Clazoraène était alors arrivée à
un certain degré de prospérité; elle fai- Smyrne : il les ajipelle îles Péristérides.
Mégalé est certainement la grande Our-
sait partie de la confédération , et ses
navires sillonnaient les mers depuis le
lac; les autres, nommées, C^rteria,
Elæussa, Alopèce, Pystira, Crommyone-
Pont-Kuxin jusqu’à l’Égypte.
sos, ne sauraient être identifiées avec
A la chute des rois de Lydie, lesClazo-
celles qui existent, faute d’indications
ménicns, pour se mettre à l’abri des at-
suffisantes.
taques des Perses, se retirèrent dans un
flot voisin du continent. Alexandre joi-
A l’ouest d'Ourlac s’étend une langue
de terre avec un château moderne ap-
gnit cetteîle à la terre ferme par une jetée
pelé le fort Sandjiak il marque l’an-
:
que l’on retrouve encore; c’est cette
cienne limite entre les territoires de
indication qui a guidé les premiers ex-
plorateurs qui ont déterminé le site de
Clazomène et de Téos il est dominé par
;

la montagne à deux sommets connue


Clazomène. La jetée a environ quatre
sous le nom des Mamelles, au pied de
laquelle sont les bains chauds appelés
(i) Hérodote, liv. I*’, i6. bains d’Agamemnon. D’après la tra-
ASIE MINEURE. 371

dition, conservée par Pausanias (1), on mis eu Phocide, et faisaient partie du


voit encore les restes de plusieurs cons- grand conseil des Amphictyons; mais,
tructions byzantines formant une .salle accusés de s’être livrés au pillage du
d’étuve ou tépidarium ; la température temple d’Apollon, ils soulevèrent contre
des eaux dépasse 60“ centigrades ; elle.s eux les autres peuples grecs. La guerre
sont très-abondantes et forment un phocique fut la conséquence de cet at-
petit ruisseau qui va se jeter dans un tentat. que les Phocéens rachetèrent en
cours d’eau voisin près de ces bains
;
défendant le temple de Delphes contre
était un temple d’Apollon en marbre les Gaulois. Ils furent rétablis dans
blanc. Strabon mentionne brièvement leurs anciens privilèges (I ). Mais on doit
ces lieux « après Clazomène on trouve
: croire qu’il restait un levain d’hostilité
un temple d’Apollon, des eaux thermales entre eux et leurs compatriotes grecs,
et le golfe de Smyrne i,2). puisqu’ils finirent par abandonner leur
La côte nord du golfe dépendait de pays. Le succès des Ioniens dans leu.rs
l’Æolide, mais l’entrée du golfe du côté projets de colonisation appelait sur les
du nord était défendue par une ville côtes d’Asie toutes les peuplades grec-
célèbre entre les villes ioniennes, la ville ques mécontentes de leur sort en Eu-
de Phocée dont le nom seul est resté. rope. Les Phocéens arrivèrent en Æô-
lide , et, du consentement des habitants

CHAPITRE LVII. de Cymé, ils purent s’établir sur la côte


voisine ; mais les Ioniens ne voulurent
PHOCÉE. ni faire alliance avec eux, ni les admettre
dans la confédération, que sous la condi-
L’entrée du golfe de Smyrne est si- tion qu’ils oléiraient à des rois du sang
nalée aux navigateurs par deux caps de Codrus. Érythræ et Téos qui étaient
flevés;
celui de droite Kara bouroun , déjà constituées en États, leur fournirent
le cap noir, appartient à la presqu'île trois princes de cette lignée, et Phocée,
Ërythrée, celui de gauche Kizil bou- admiseau nombre des villes ioniennes ne
roun, le cap rouge, fait partie du terri- tarda pas à se distinguer par l'esprit d’en-
toire de l’Æolide; mais à l'arrivée des treprise qui animait ses habitants. Les
Phocéens en Asie il fut annexé à l’Io- Phocéens sont les premiers Grecs d’Io-
nie. Ce cap doit son nom moderne à la nie qui se soient adonnés à la navigation
couleur rouge des terrains volcaniques. de long cours, ils construisirent des
Le groupe de monticules dont il est vaisseaux à cinquante rames et parcou-
formé se rattache au continent par des rurent!’ Adriatique, la merThyrrenienne
terrains d'alluvion d'une origine ré- et les côtes d’Ibérie.
cente, aussi n'est-il pas étonnant que les Dans leurs voyages à Tartessus , ils
écrivains du premier siècle aient regardé avaient acquis l’amitié du roi Argantho-
ce territoire comme relié au continent nius, qui leur offrit de quitter l’Ionie et
par des relais de la mer. Pline affirme de venir s’établir dans la partie de ses
que la ville de Leucæ, voisine de Phocée, États qu’ils voudraient choisir. La faci-
fut primitivement fondée sur une île. lité avec laquelle les anciens peuples
La ville de Phocée et les ports qui recs s’expatriaient pour aller chercher
faisaient sa puissance et sa richesse 'antres demeures aurait lieu de nous
étaient situés sur 1a mer Égée, nu nord surprendre , si à tontes les époques de
de la presqu’île de Kizil Imurouu , elle l’histoire ancienne, nous n'en trouvions
est représentée pur la petite ville de de nombreux exemples. Les Phocéens
Phokia. refusèrent néanmoins les offres du roi.
Les Phocéens arrivèrent en .\sie Arganthonius, pour leur témoigner toute
sous la conduite de deux chefs athéniens sa sympathie, leur fournit des subsides
Philogène et Damon , ils habitaient pri- pour entourer leur ville .de murailles ,
mitivement les environs du mont Cné- et se mettre à l’abri des attaques des Mo-
des, qui commençaient à devenir puis-
(r) Paiisiiias, liv. VI, S. sants. Ces murailles, dont le pourtour
(a) Sirab., X.1V, 646.

(3) Liv. 5, 39 . (i) Pauuniai, X, 8.

U.
372 L’UNIVEttS.

était de deux cents stades ou deux mille rcut ;ils formèrent le projet de se rendre

cinq cents pas romainsselonTite-Live(I), dans nie de Cyrnos, où la ville d’Alalia


furent construites en pierres de grande avait été .fondée par eux vingt ans au-
dimension parfaitement jointes (2); paravant. Avant de prendre cette route,
elles formaient, en se resserrant, une ilsretournèrent à Phocée, où, étant dé-
sorte de coin large de douze cents pas barqués inopinément, ils massacrèrent
nommé I>ampter. De là, sur une lon- la garnison perse qu’Harpagus avait
gueur de mille pas, s’avançait dans la laissée dans la ville. Ils prononcèrent
mer une langue de terre qui coupait le ensuite des imprécations solennelles
golfe par la moitié. contre ceux d’cntie eux qui abandonne-
De chaque côté de la gorge étroite par raient la Hotte, et ayant jeté dans la
laquelle elle tenait au continent se trou- mer une masse de fer rougie au feu, ils
vait un port, chacun dans une exposi- firent serment qu’aucun d’eux ne re-
tion différente. Celui qui était situé au tournerait à Phocée avant que cette
midi s’appelait Naustathmus : c’était l’ar- masse de fer ne reparut sur l’eau ; mais
senal des bâtiments de guerre; l'autre au moment où la flotte mettait à la voile
était à côté du Lampter. Devant l’en- pour Cyrnos , plus de la moitié des ci-
trée était la petite île Baccliciou , ornée toyens attendris par l’aspect des lieux et
de temples et de splendides construc- le souvenir des anciennes habitudes,
tions (.t). Les alluvions ont totalement entraînés de nouveau par l’amour de la
changé l’état de cette côte les ports out
; patrie, devinrent parjure, retournèrent
été comblés. Les prévisions du monarque en arrière, et rentrèrent dans Phocée. Les
ibérieii furent bientôt réalisées, Phocéc autres, fidèles à leur serment, s’éloignè-
fut une des premières villes assiégées rent des îles OEnusses et continuèrent
par Ilarpagus, la ville fut investie du leur navigation.
côté de la terre ; le général perse pour ,
Arrivés dans l'île de Cyrnos, iis y vé-
abréger la résistance , lit dire aux habi- curent pendant cinq années avec les
tants que Cyrus se tiendrait pour satis- premiers habitants d'Alalia,et se cons-
fait, s’ils voulaient consentir à démolir truisirent des temples dans la ville.
un seul créneau, et à consacrer une Mais s’étant mis à ravager les côtes
maison au roi. Les Phocéens demandè- voisines ,
les Tyrrhéniens et les (Car-
rent un armistice d’un jour, afin de thaginois se réunirent contre eux.
délibérer, et obtiurent eu même temps Vainqueurs, mais fort maltraités dans
du général ennemi que l’armée perse un combat naval ,
les Phocéens quittè-
s’éloignât des murailles. Le projet des rent Alalia avec leurs familles, et firent
Phocéens était connu d’IIarpagus; il voile pour Khegium. Ceux d’entre eux
consentit néanmoins. Dès qu’il eut fait qui avaient été faits prisonniers par les
éloigner son armée, les Phocéens se hâ- Carthaginois furent conduits à terre et
tèrent de mettre à la mer leurs galères massacrés sans pitié. Ceux qui purent
à cinquante rames, y firent eutrer leurs s’enfuir débarquèrent à Rhegium et
familles et embarquèrent leurs meubles, fondèrent la ville d’Hyéla , après avoir
les images de leurs dieux, et les monu- pris l'avis d’un habitant du Possido-
ments consacrés ,
à l’exception de ceux nium , qui leur expliqua le sens d’un
qui étaient peints sur les murs ; ils s’em- oracle mal interprété par eux (I).
barquèrent eux-mêmes, et firent voile
pour nie de Chio. Lorsque les Perses CHAPITRE LVIIl.
entrèrent dans la ville ils la trouvèrent
complètement déserte. FONDATION DE UÀESEILLB.
Les Phocéens proposèrent aux habi-
tants de Chio de leur vendre les lies Ici s’arrête le récit d’Hérodote ; mais
OEuusses; maisceux-cin’ayantpas voulu Strabon le complète en nous apprenant
yconsentir, les Phocéens se rembarquè- que l«s Phocéens, continuant leurs pé-
régrinations, vinrent sur les côtes méri-
(i)Tile-Live, liv. XXXVII, 3r. dionales de la Gaule, et fondèrent Mas-
(a) Hérodote, liv. I*% i63.
(3) Tite-Liv., Ur. XXXVU, aa. (i) Hérodote, liv. I*',i65, i66.
,,

ASIE MINEURE. 378

salia,où ils s’établirent définitivement. marchands, qu’il coula à fond, et ayant


Avant de quitter l’Ionie , ils avaient rassemblé un butin considérable, il fit
consulté l’oracle, qui leur prescrivit de voile pour la Sicile, où il continua le
prendre de Diane d'Éphèse un conduc- métier de pirate, donnant la chasse aux
teur pour le voyage qu’ils se propo- vaisseaux carthaginois ou tyrrhéniens.
saient de faire. Ce guide se manifesta Il vengea ses concitoyens massacrés au

en la personne d’Aristarché, une des début de la guerre des Perses (t).


femmes les plus considérées d’Éphèse, Ij révolte d’Ionie étant comprimée
qui partit avec les Phocéens, emportant Phocée subit le sort commun aux autres
avec elle une des statues de Diane con- villes; mais ue perd pas son rang de
sacrées dans le temple. En arrivant place maritime du premier ordre. C’est
dans la nouvelle colonie, ils fondèrent le toujours sa possession qu’ambition-
temple Éphésium consacré à Diane (I). nent tous les princes ou les cheft de
C’est ainsi que le culte de Diane éphé- parti qui se disputent le territoire de
sieime fut apporté en Gaule et la tète , l’Ionie.
de la déesse figura sur les monnaies des Dans la guerre, contre Antiochus,
Massaliotes. Phocée reprend son rang de grand ar-
Hérodote ne dit pas comment furent senal maritime. Antiochus étant parti
traités par les Perses, les Phocéens qui pour la Plirygie, laissa sou fils Seleu-
restèrent en Asie. Le besoin où étaient cus en Æolide pour surveiller les places
les Perses d’avoir avec eux des hommes maritimes qu’Éumène et les Romains
de mer dut adoucir la colère du satrape, voulaient détacher de son parti. Eu-
et sans doute ils purent rentrer en pos- mène était maître de Phocée; mais les
session des maisons qu’ils avaient quit- citoyens, surchargés d’impôts, commen-
tées. Phocée continua d’exister sous le çaient à se mutiner. La ville avait été
gouvernemeut des Perses; mais tou- taxée à la fourniture de cinq cents toges
jours impatiente de recouvrer sa liberté, et de cinq cents tuniques; il y avait de
elle prit une part active à la grande lus la disette de blé qui irritait les ha-
révolte de l’Ionie, et le Phocéen Denys itants. La multitude était ramenée au
fut élu général des confédérés réunis parti d’Antiochus malgré le sénat, qui
autour de l'ile de I.adé. voulait rester fidèle à Eumène; mais les
Le discours qu’il prononça conquit factieux l’em portèrent (2).
tous les suffrages ; mais les mesures Après la levée du siège d’Abydos, la
actives qu’il prit pour organiser son ar- flotte romaine revint joindre celle d’Eii-
mée navale Kitiguèrent au bout de sept inèue à Canœ. Livius lit voile pour
jours cette multitude inhabile à la mer. Phocée; mais, apprenant que la ville
Les Ioniens commencèrent à murmu- était défendue par une forte garnison
rer, et comptant les navires confédérés, et que le camp de .Séleucus n’était pas
ils tournaient en ridicule les Phocéens, éloigné, il dévasta la côte, fit un grand
qui n’avaient amené que trois vaisseaux. nombre de prisonniers, et se remh.irqua
Dans ces conjonctures, le combat contre avec tout son butin , ne s’étant arrêté
les Perses, ne pouvait être que désas- que pour donner à Eumène le temps
treux. La flotte ionienne fut détruite de rejoindre son escadre.
malgré le courage des citoyens de Cliio, Quelque temps après, .Séleucus reprit
qui tinrent tête a l’ennemi jusqu’au der- Phocée par la trahison des gardes, qui
nier moment. lui ouvrirent les portes, et la terreu-r
Le Phocéen Denys voyant les affaires de ses armes obligea Cymé et d’autres
des Ioniens complètement ruinées , et villes de la même côte à se déclarer en
prévoyant bien que Phocée serait ré- sa faveur.
duite en esclavage comme le reste de
l’Ionie, fit voile vers la Phénicie avec
(i) Hérodote, VI, 17.
ses navires et avec trois vaisseaux qu’il
(ï)ïitc-Liv., XXXVII, 9.
avait pris aux ennemis. II trouva sur la ti.
(
3 ) Id., ibid., rh.
côte un grand nombre de bâtiments

(i)Slrabon, liv. IV, 179.


,

374 L’UNIVERS.
CHAPITRE lAX. mains intercéda pour cette ancieune
alliée, et la iniix fut rétablie.
SIBGB DF. PHOCEF. Lorsque les Romains furent tran-
quilles possesseurs de l’Asie, toutes les
Le.sKomaiiis se décidèreat enfin à villes furent soumises à l’administra-
faire siège eu règle. Le préteur Éini-
un tion proconsulaire et perdirent leur
liiis Regillus coniinundait la flotte en physionomie originale; leur histoire sa
personne; il s’empara des deux ports confond avec celle de l’empire. Phocée
1 189 ans avant J. C.), et lan^a dans la dut se contenter du rôle de ville mar-
ville une proclamation pour inviter les chande, et son nom est a peine men-
Phocéens à se rendre. La réponse fut tionné pendant toute la période ro-
la même qu’au temps d’Harpagus : ils maine. Les ports se comblaient lente-
refusèrent. Le consul fit commencer les ment, et sa population l’abandonnait.
attiques des deux côtés du Lampter;
ce quartier était dégarni de maisons, CHAPITRE LX.
et des temples en occupaient presque
tout l’espace. On approcha le bélier, qui
FONDATION DF. PHOCÉE LA NECTB.
battit les murailles; mais les assiégés
.Sous les empereurs byzantins, Pho-
se défendaient avec acharnement les :
cée n’était plus qu’un 6ourg dont les
breches étaient réparées à mesure
murailles étaient détruites; la position
qu’elles étaient ouvertes.
était cependant importante , et une cir-
De nouvelles propositions de capitu-
constance fortuite y appela les Génois,
lation leur furent adressées; ils deman-
qui fondèrent à côté de l’ancienne ville
lierent cinq jours pour délibérer et ou-
une place forte qu’ils appelèrent la
vrirent enfin leurs portes. Les Komains
nouvelle Phocée.
entrèrent en ville, non pas en vain-
quenrs , mais en vertu de la capitulation.
Il
y avait dans le voisinage de cette
ville une montagne renfermant une
Aussi les soldats, qui comptaient sur
mine très-riche en alun, qui avait été
le pillage, commencèrent-ils à murmu-
découverte sous le règne de Michel Pa-
rer, ot plusieurs d’entre eux , malgré la
léologue, et dont l’exploitation était
défense de leurs chefs, se mirent à dirigée par des Italiens. Ils payaient
piller les maisons. Le préteur Émilius
à l’empereur grec une redevance an-
ras.semble autour de lui sur la place pu-
nuelle pour droits d'exploitation et
blique les citoyens de condition libre d’exportation. Lorsque cette contrée
et après avoir arrêté le sac de la ville,
fut en butte aux attaques réitérées des
il ordonna que toutes les propriétés pu-
émirs turcs , la sûreté des mineurs fut
bliques ou privées fussent respectées et compromise, et les Latins, de concert
rendit à Phocée son territoire, son gou-
avec les Grecs, élevèrent un château au
vernement et ses lois (1). iied de cette montagne, lui donnèrent
Après la défaite et l’expulsion d’An- fe nom de nouvelle Phocée et les maî- ;
tiochus, l’Æolide fut réunie aux États
tres de cette place, les nobles Génois,
du roi de Pergame. 11 est à croire que Andrea et Jacob Cataneo, conclurent
Phocée fut détaché de l’Ionie; elle est avec Sarukhan, émir de Lydie, moyen-
en effet comprise dans l’Æolide par le
nant un tribut de cinq cents ducats, un
géographe Ptolémée, qui ne pouvait traité qui fut exécuté pendant cent
ignorer que cette place avait fait partie quatre-vingts ans (1). La ville dePho-
de ITonie. cæa-Nuova, devenue une place impor-
Pendant la guerre contre Aristonic, tante , était gouvernée par un podestat
Phocée avait pris parti pour ce préten- génois, qui, au nom de la république,
dant, et s’était de nouveau mise en état jouissait d’un pouvoir illimité. C’est
d’hostilité contre Rome. Les consuls
ainsi rpTétaient organisées toutes les
qui avaient vaincu Aristonic marchaient colonies génoises sur les côtes de l’Asie
contre Phocée; mais la colonie de Mar- Mineure.
seille, alors puissante et amie dos Ro-
(i) DiiCiis, livre XXV, p. 90, ap. Haœ-
(i) Til-Liv., XXXVII, rh. ti. iner. Mut. ottomant.

Digitizt : t
,

ASIE MINEURE. Z^6

Lorsque Mahomet I*' vint assiéger nommé Tachos, qui s’était révolté contre
Cyiné (1) le podestat Jean Adorno con- Artaxerxe et s’était retiré dans une île
clut avec le sultan un traité qui laissait voisine de la côte d’Æolide. Le ter-
aux Génois la libre possession de Pliocée ritoire de Leucæ était en effet une lie
la neuve , moyennant le paiement d’une qui fut dans la suite réunie au continent
somme de vingt mille ducats, qui de- par suite des alluvions. Les habitants
vait être effectué en dix années. Le sul- de Cymé et ceux de Clazomène se dis-
tan mourut sans que cette redevance putèrent la possession de cette ville,
fût soldée , et la république de Phocée et ils convinrent de s’en rapporter à la
fit avec le sultan MoUrad un nouveau décision de l’oracle de Delpties. Leucæ
traité , non pas en argent, mais en ma- serait restée une ville ignorée de l’his-
tériel de guerre. Les Génois donnaient toire ,
si elle n'eût été choisie comme
à Mourad six mille ducats sur l’arriéré place de guerre par Aristonic dans la
de l’ancien traité, et mettaient leurs guerre contre les Romains. (1) On en
bâtiments à la disposition du sultan reconnaît l’emplacement au village qui
pour transporter ses troupes en Europe, a conservé le nom de Lefké, mais il n'y
se faisant ainsi les auxiliaires des hor- a aucun vestige d’antiquité.
des musulmanes qui allaient ravager les Le territoire situé entre ce village et
terres des chrétiens. Les faits de ce l’Hermus appartenaità l’.Eolide,il a été
genre, qui se renouvellent fréquemment compris dans la description de cette
dans le cours de l’histoire ottomane province.
sont autant de taches à l’honneur des Telle est aujourd’hui cette terre
peuples qui s’en rend irent coupables. On d’Ionie autrefois si riche eu monuments,
voyait souvent des chrétiens se mettre couverte de villes nombreuses et uis-;

à la solde des Turcs jamais on ne vit


: santes. La plus grande partie de son
d’armée turque se mettre à la solde des territoire est maintenant abandonnée
chrétiens. aux nomades; les anciennes villes ne
Les souffrances des populations sont plus que des amas de décombres ;
chrétiennes en Orient ne sont pas dues Sinyrne seule a survécu a tant de nau-
seulement au fanatisme et à la barbarie frages Une seule cond ition pourrai t rap-
.

des musulmans, elles ont aussi à repro- peler sur cette terre l’activité et le tra-
cher à leurs ancêtres l’abandon dans le- vail, ce serait l’appel fait à la colonisa-
quel ils ont laissé les intérêts chrétiens. tion européenne ; maiselle ne pourrait
La petite ville de Phokia occupe l’em- se faire avec sécurité que si les Euro-
placement de Phocée la neuve; elle con- péens pouvaient devenir propriétaires en
tient une population de quatre à cinq Turquie au même titre que les étran-
mille âmes, qui est presque entièrement gers peuvent être propriétaires dans
adonnée à la marine ; les Turcs y sont les divers États de l’Eurojæ.
en majorité; on compte à peu près Pour compléter le chapitre des trem-
trois cinquièmes de race turque et deux blements de terre, nous insérons ici
cinquèmes de race grecque. Ces der- un fait signalé par le Précurseur d’A-
niers ont une petite église, les Turcs ont thènes, qui justine les observations faites
plusieurs mosquées délabrées. Les cime- par Pline et par Procope sur l’irruption
tières, qui sont hors la ville, renferment de la mer au moment des tremble-
plusieurs fragments d’architecture an- ments de terre (2) :

cienne ; mais nous n’avons observé au- <1 Le 26 décembre 1861, à huit heu-
cune ruine qui méritât une étude par- res trois quarts du matin , une se-
ticulière. cousse assez violente de tremblement
de terre, d’une durée de deux secondes
LEUCÆ. environ , et dont les oscillations parais-
saient venir de la direction sud-ouest,
La de Leucæ était sur le bord
ville a été ressentie à Athènes, où des crain-
de la mer, à l'ouest de Phocée. Elle tes sérieuses se sont immédiatement ré-
doit sa fondation à un général perse
(i) Voy. pag. * 1 ».
(tj Voy. pages aa5-3>6. (a) Voyez i)iii|i. \XXII,

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,

37« L’UNIVERS.
pandues au sujet d’autres localités plus élévation de deux mètres , menaçante
d’une fois déjà, et il y a peu d’années eu consétjuence , pour la basse ville.
encore , si désastreusement éprouvées. « L’ancienne Corinthe a vu dispa-
« A Fatras, la toiture de fa caserne, raître nombre de ses anciennes habita-
dans l’intérieur du fort, s’est effondrée, tions, abandonnées depuis le tremble-
sans entraîner toutefois d’accidents. ment de terre de 1852. Beaucoup de
Une maison à deux étages de la ville constructions, à la nouvelle Corinthe
liasse, située près du port, s’est écrou- ont été lézardées, et Calamaki n’a pas
lée entraînant dans sa chute quelques été préservé des mêmes épreuves.
magasins y attenant ; plusieurs autres a A Galaxidi et à Itea, sur la rive

habitations ont souffert, mais on n’a eu nord du golfe de Lépantc, la mer a


à déplorer aucune victime. fait irruption et entraîné un magasin
« Aégion (Vostizza) a été plus isolé, outre d’autres dommages que le
sérieusement éprouvée, car une quin- défaut de renseignements ne nous per-
zaine d’édifices ont été renverses de met pas de préciser, car aucun rap-
fond en comble, et plusieurs person- port officiel (après sept jours !) n’ayant
nes ensevelies sous leurs décombres. encore été puiilié , nous devons nous
La majeure partie des maisons ont été borner à ces renseignements particu-
plus ou moins endommagées, et le liers, sous la reserve de les compléter
niveau de la mer indiquait une sur- plus tard. »

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, ,

LIVRE VI
PHRYGIE. — GALATIE.

CHAPITRE PREMIER. des historiens sont d’accord pour re-


garder les Phrygiens comme étant d’o-
HI 6 BATI 0 NS PHRYGIENNES. rigine européenne ; ils ne diffèrent d’o-
pinion que sur l'époque où eut lieu
Il résulte de l’examen des auteurs cette grande migration. Elle s’effectua
qui ont traité de la géographie et de pour ainsi dire, en sens contraire du
l’histoire ancienne de l’Asie Mineure, mouvement des peuples primitifs, qui
que le peuple phrygien fut un des pre- étaient venus d’Orient en Occident.
miers ne ceux qui vinrent des contrées Hérodote est le seul qui laisserait cou-
environnantes former des établisse- cevoir quelques doutes sur l’origine
ments fixes dans la presqu’île; mais, européenne des Phrygiens; car dans le
en examinant sa constitution géologique recensement qu’il fait de l’armée de
et géographique , on voit q^u’à une épo- Xerxès, il dit que ces peuples et les Ar-
que relativement récente , a une époque méniens étaient armés de la même ma-
assez rapprochée des temps historiques, nière, ces derniers étant les colons des
les phénomènes volcaniques et le tra- premiers (1). Le même historien avait
vail des atterrissements rendaient cette dit autre part que les Phrygiens étaient
contrée presque inhabitable. Pendant originaires de la Macédoine, où ils ha-
la longue période des siècles suivants, bitaient sous le nom de Brygès , et c’est
les villes de l’Asie Mineure furent expo- en passant en Asie qu’ils prirent le
sées aux ravages des tremblements de nom de Phrygès. Il est à remarquer
terre, et l’on vit les habitants lutter de que les géographes moins anciens qu’ Hé-
patience et de courage contre une na- rodote n’ont pas même discuté sa pre-
ture rebelle qui leur offrait, en échange mière assertion, mais qu’ils ont, au
de dangers constants, un sol admira- contraire, adopté les derniers faits
ble de fécondité, un terrain vierge qui comme authentiques. Quant à l’époque
payait avec usure les travaux de ses où cotte migration s’effectua, on a
premiers colons. Mais on ne doit pas toutes les preuves possibles qu’elle eut
s'étonner, malgré son voisinage de PU- lieu avant la guerre de Troie. « Les
rienl, malgré sa proximité du grand Phrygiens de Thrace , dit Strabon (2).
foyer de population qui s’est épanché après avoir fait prisonnier le prince de
sur les contrées occiaentales , de voir la Troade et du pays voisin , s’établi-
l’Asie Mineure déserte, ou seulement rent en Mysie, dont les habitants al-
parcourue par quelques peuplades er- lèrent demeurer au delà des sources
rantes ,
pendant que la Thrace et les du Caïcus. Cette migration des Phry-
rives septentrionales du Pont-Euxin giens et des Mysiens dut avoir lieu avant
avaient déjà une surabondance de po- la guerre de Troie. » Strabon critique
pulation à verser sur d’autres pays. Xanthus de Lydie, pour avoir avaucé (8)
C’est donc longtemps après que les que les Phrygiens passèrent en Asie
formé un Etat constitué,
Tliraces eurent après la guerre de Troie, et qu’ils
que les Brygès, sous la conduite d’uu étaient venus de la côte occidentale du
chef du nom de Midas, qui demeurait Pont-Euxin, sous la conduite de Sca-
près du mont Bermius , en Macédoine mandrius , qui les avait amenés du pays
vinrent s’établir dans les provinces cen- des Bérécynthes ; ils auraient, suivant
trales de la presqu’île (i). La plupart
(i) Hérodote, 'VU, 73.
(i)Hérodote, VIII, 1 38; Cf. Athénée, XII, (3) Liv. XII, p. 573.
et Xanllins fragm. v. éd. Muller. (3) Liv. XIV, p. 680.

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3T8 L’UNIVERS.
cet auteur, donné leur nom à la contrée générale sur l’antiquité des Phry-
voisiue du Sangarius et à la montagne giens(l), mais qui, au total, n'a aucun
qui la domine. « Mais , dit Strabon , si rapport avec la date de leur émigration,
la transmigration des Phrygiens d’Eu- Les différentes contrées de la Mysie,
rope en Asie était postérieure à la guerre de là Lydie et de la Phrygie se trou-
de Troie , et que les Phrygiens qu’Ho- vèrent donc peuplées par des tribus
mère fait venir au secours des Troyens dont la souche commune était en Eu-

fussent arrivés du pays des Bérécynthes rope, et qui , par conséquent, se trou-
et de l’Ascauie d’Europe, quels sont valent naturellement disposées à se
donc ces autres Phrygiens qui avaient fondre entre elles,
campé sur les rives' du Sangarius, et On peut difficilement comprendre
auxquels Priam avait joint des troupes que les auteurs de l’époque romaine
en qualité d’auxiliaires.’ » Servius pa- aient mis en doute que l’émigration
raît partager le sentiment de Strabon : phrygienne ait précédé la guerre de
car il dit nue le mont Bérécynthe fut Troie, puisque les Troyens eux-mêmes
consacré à la mère des dieux, en mé- se qualifiaient de Phrygiens, et qu'il y
moire du premier prêtre de cette avait alliance entre eux et les princes
déesse (1). Nous savons, d’ailleurs, que de la Phrygie (2).Mygdou, qui condui-
le royaume de Phrygie était constitué sit en Asie une colonie de Thraees, était
longtemps avant la guerre de Troie, frère d’Hécube et père de Corcebus (3).
puisqu’à la suite d’une guerre entre Son tombeau existait encore du temps
Hyllus et Tantale, trisaïeul d’A^mem- de Pausanias (4) sur la frontière des
non, qui régnait à Tantalis, dans le Phrygiens et des Teetosages. C’est de
mont Sipylus (2), les descendants de ce ce chef que les Phrygiens ont pris le
prince, bannis de leurs États, allèrent nom de Mygdoniens.
chercher un refuge dans la Hellade, Nous pourrions lions étonner qu’Hé-
qui reçut de leurs compagnons le nom rodote ait songé à faire les Phrygiens
oe Péloponèse cent vingt ans avant la descendants des Arméniens, lorsqu’il at-
guerre de Troie. En dépouillant cette teste dans un autre passage que les
époque des circonstances fabuleuses Phrygiens étaient la plus ancienne na-
quila rendent obscure , en examinant tion du monde,
les monuments qui subsistent encore,
et dont l’identité est attestée à diffé- CHAPITRE II.
rentes époques par Strabon, Pline et
Pausanias , nous voyons que les ancê- invasion de sésostbis. — culte.
très d’Agamemnon
régnaient en Phry-
gie longtemps avant que la Grèce eût Longtemps avant l’arrivée des Pbry-
reçu les éléments de la civilisation, et giens, Sésostris avait conquis l’Asie Mi-
que les États de ces princes s’étendaient neure et était arrivé jusqu’aux rivages
depuis l’Halys jusqaà la mer Égée , et du golfe de Smyrne ; c’est là qu’il fit
jusqu’au golfe de l’Hermus c’est le
: graver cette stèle que nous voyons en-
nom que l’on donnait au golfe de Smvme core après vingt-cinq siècles. Dans le
avant que cette ville fût bâtie (8). Il est cours de ses conquêtes, il laissait
facile, du reste, d’accorder entre eux comme colons un certain nombre d’E-
les historiqns , en supposant qu’à des gyptiens qui se mêlaient avec la popu-
époques différentes, des tribus thraees lation du pays. Sésostris passa ensuite
sont venues se joindre aux premiers d’Asie en Europe, soumit les Thra-
colons , et augmenter ainsi le corps de ces et les Scythes ; c’est peut-être à la
la nation phrygienne. Hérodote rap- suite de cette invasion égyptienne que
porte un fait qui, tout en attestant la les peuples de race européenne, agités
naïveté de l’historien, n’est pas inutile dans leur propre pays commencèrent
pour faire voir quelle était l’opinion
(i) Lib. Il, a.
(r) In Ub. IX. Æneld. (a) Voyez pages 184, 186.
(2) Strabon, Hv. XÏI, p. 571, ( 3 ) II. III, 186.
3 yita Homeri, c. 2, ap. Herodot.
( ) (4) Fausaoias, I. X, ay.

--..-U )

i
,

ASIE MUS EURE. 379

leur mouvement de migration en Asie; nité fut aussi surnommée Agdistis, et


ce qui est certain, c’est que l’irruçtion laissa son nom à la montagne qui do-
des Scythes en Asie suivit de près la mine la ville de Pessinnnte. On peut
conquête de Sésostris , et que ces peu- voir dans Amobe (1) l’origine de ce sur-
ples re.stèrent maîtres du pays pendant nom ,
et la fable de Nana, fille du fleuve
quinze cents ans. Sangar, qui fut la mère d’Atys. Le
Sésostris en revenant dans ses États culte de la mère des dieux acquit une
conduisait avec lui un grand nombre telle importance en Phrygie, que les
d’habitants des pays qu’il avait conquis; surnoms de la déesse sont toujours pris
le vide qui se faisait en Asie était rempli de quelque localité de la contrée, et que
par les migrations venues d’Europe. les galles, ses ministres, furent ainsi
!\ous avons exposé plus haut (I) les appelés du fleuve Gulliis, l’un des af-
rapports qui pouvaient exister entre la fluentsdu Sangarius. Strabon nous ap-
race des Phrygiens et celle des Pélas- prend (2) que les mystères de la déesse
ges ; mais rélémeut purement asiatique pratiqués en Phrygie ne diffèrent pas
venait modifier la population phrygienne de ceux des Cjibifes, usités eu Samo-
et lui donner une physionomie diffé- thrace. et croit que les Cabires, les
rente de celle des Lydiens leurs voisins. Dactyles et les Curètes tenaient à une
Le règne du premier Midas remonte même confrérie. Le surnom de Dindy-
aux époques fabuleuses, dans lesquelles mène fut également donné à plusieurs
l’histoirepourrait difficilement s’aven- montagnes, au sommet desquelles se
turer sans se perdre; mais il existe en- trouvaient des temples de la mère des
core des monuments qui prouvent dieux. Ce culte fût pratiqué dans la
qu’une ancienne dynastie de ce nom Phrygie Brûlée aux environs de la ville
,

régna sur la Phrygie antérieurement de Cadi, et dans l’île de Cyzique. A


aux conquêtes de’Oyrus. 11 n’est pas l’époque des secondes migrations, les
prohahie, éanmoius, que les premiers
i Phrygiens se trouvèrent repoussés vers
Phrygiens qui vinrent s’établir sur le le sud, et les Bitbvniens s'emparèrent
grand plateau intérieur de la presqu’île de cette partie de la Phrygie qui fut ,

aient trouvé une contrée complètement appelée Épictète. Les Mysiens prirent
déserte mais l’histoire est muette sur
;
les rivages de la Propontide et de la
les aborigènes qui ont occupé le pays mer Égée jusqu’au golfe Adramytte;
avaht les Phrygiens. Les peuples de la les colonies éoliennes s’établirent sur la
Rlésopotamie’et de la Syrie avaient ce- côte occidentale, de sorte que les rois
pendant envoyé des colons dans la de Phrygie se trouvèrent relégués sur
partie orientale de l’Asie Mineure. Les le grand plateau central qui s’étend
Médes étaient établis dans unedes vastes d’une part jusqu’à l’Olympe, et de l’autre
provinces de ce territoire, et lesLeuco- jusqu’aux montâmes de la Pisidie. Ce
syriens occupaient une partie de la fut là le royaume héréditaire des princes
Cappadoce et du Pont. Ces peuples de la dynastie de Gordius et de Midas.
avaient transporté en Asie le culte de Il comprenait une partie de la Lydie
plusieurs dieux syriens et persiques, la Phrygie Brûlée ou Catacécaumène,
ui se répandirent promptement jusque l’ancienne Mœonie, les sources du
ans la Phrygie. La Venus des Phé- Méandre et ses affluents , et le versant
niciens , adorée sous l’emblème d’une septentrional du mont Cadmus. A l’est
pierre conique, eut bientôt sa rivale du Sangarius ,
les Phrygiens s’étendirent
dans la pierre de Pessinunte , que l’on le long des frontières méridionales de la
disait tombée du ciel. On éleva aux Paphlagonie jusqu’aux bords de l’Halys.
dieux Men et Mithra des temples qui Au moment de leurs premières mi-
rivalisèrent de richesse et de grandeur grations ,
les Phrygiens, pressés par la
avec les centres religieux les plus célè- nécessité de se créer des demeures, pro-
bres. Cependant, la divinité qui fut fitèrent des éléments que la nature leur
principalement honorée par les Phry- offrait dans leur nouveau pays. Les
giens était Cybèle ou Rhéa. Cette divi-
(i) Adversùs gentes, lib. V.
(i) P. i8a, cb»p. XIV. (a) Lib. X, p, 470.
.

380 L’UNIVERS.
grandes falaises volcaniques, composées tiens, siûdèles à leurs usages nationaux,
de tufs tendres et faciles à travailler, auront certainement transporté dans
furent creusées pour y établir des cette partiede l’Asie le mode de sépul-
demeures , des temples et des tom- ture usité dans leur pays, aussi ne de-
beaux. Les premiers Phrygiens devin- vons-nous pas nous étonner de retrou-
rent en un mot peuple troglodyte, et ver dans ces antiques monuments des
après tant de siècles nous sommes éton- caractères qui rappellent ceux de l’É-
nés de In variété et du nombre infini de gypte, comme les colonnes courtes avec
grottes, de labyrinthes taillés dans le des chapiteaux en corbeilles et les por-
rocher, et dont la conservation est par- tes en pylônes, forme qui certainement
faite. Vitruve (1) suit la marche ascen- a été empruntée aux Égyptiens par les
dante de l’art de bâtir chez les Phry- Grecs.
giens. Ils se creusèrent d’abord des
sortes de tanières dans le sol friable ; CHAPITRE III.
ensuite ils surmontèrent ces demeures
d’un toit conique ; plus tard, le bois fut INFLUENCE OBIKNTALK. — MYTHE UE
employé dans les constructions^ mais MIDAS.
avec économie, car un des caractères de
la contrée est d’étrc totalement privée L’art de sculpture dut se rattacher
la
d’arbres ; les vallées du Sangarius sont forcément à l’École orientale assyrienne.
ombragées d’une maigre végkatiou on : L’emblème de la force, le Lion, si sou-
ne rencontre les forêts que dans la vent reproduit dans les monuments de
chaîne de l’Olympe phrygien. l’Assyrie et de la Perse, fut multiplié
Deux villes fârent fondées par les rois à l’infini dans le royaume de Phrygie,
Midas et Gotdius ; mais l’usage de con- et cette représentation, devenue popu-
fier aux rochers les souvenirs nationaux laire, fut imitée plus tard par les Grecs
ne fut pas abandonné, et nous retrou- et les Romains; chaque ville était dé-
vons aujourd’hui plusieurs de ces grands corée à profusion de tant de figures de
monuments conservés au milieu des lions que les ravages des siècles, la
solitudes. haine que les musulmans portent à toute
Les Phrygiens n’avaient pas apporté représentation d’hommes et d’animaux,
des contrées de la Thrace l’habitude de toutes ces causes de destruction n’ont
creuser dans les rochers la sépulture des pas pu tout anéantir, et l’on est encore
morts: ce mode d’inhumation fut, de- étonné du nombre de figures de lion en
puis la plus haute antiquité, pratiqué en marbre et eu pierre que l’on rencontre
Égypte; il est bien probable qu’il fut dans les anciennes villes de la Phr}'gie.
transporté en Asie par les colons qui Les autres branches de la sculpture, la
suivirent les armées de Sésostris. Ce ne décoration des vases et des meubles
sont pas d’ailleurs les seuls colons égyp- vinrent aussi d’Assyrie. Midas, fils de
tiens qui aient été établis eu Asie Mi- Gordius, se fit faire un trône, ouvrage
neure: plusieurs villes étaient surnom- d’un prix considérable, qu’il envoya eu
mées villes ég^'ptiennes, parce que l’an- présent au temple de Delphes (I), et qui
cien Cyrus y établit des Egyptiens qui, plusieurs siècles après, était encore un
étant venus pour les intérêts du roi objet d’admiration pour les Grecs.
d’Assyrie, passèrent au service de sou Il ne reste aucun monument de la
vainqueur; après la bataille, Cyrus leur statuaire phrygieune du temps des rois.
donna des villes dans le haut pap, les- On est porté à croire qu’elle avait puisé
quelles, pour cette raison ont été appe- ses inspirations à l’école d’Assyrie. Le
lées villes des Égyptiens ; il leur donna symbolisme oriental était répandu dans
encore Larisse et Cyllène dans le voisi- toute l’Asie antérieure, nous en avons la
nage de Cymé, et toutes ces villes, du preuve dans les monuments qui exis-
temps de Xén ophon, étaient encore pos- tent encore. Les Grecs cependant ne
sédées par leur postérité (2). Les Éq^yp- tentèrent jamais de l’expliquer et res-
tèrent, autant que possi ble, étrangers au.x
(i) Liv. <5 , cil. 1

(a) Xénophon, Cyro/».,liv. VII. (I) Hérodole, liv. t*', 14.

C
,

ASIE MINEURE. 381

représentations formées de parties portait un diadème orné de cornes


d'hommes et d’animaux , et quand ils de cerf (1). Dans l’Ecriture, les cornes
introduisirent dans leur panthéon ces signifient tantôt la prospérité, tantôt
divinités exotiques, ils les revêtirent de la force, souvent l’orgueil. Il est dit
l'ormes nobles et gracieuses ; mais la dans l’Exode (2) que le visage de Moïse
plupart du temps ils ne songèrent même était cornu.
pas à expliquer ces symboles asiatiques : L’histoire et la fable nous représen-
c’était une langue morte pour eux. tent le personnage de Midas sous deux
Les colosses d’Eiiyuk les ligures
, aspects si différents, que les recherches
monstrueuses de Ptérium avaient chez d(^ mythographes et des antiquaires
les Mèdes et les Assyriens une signifi- ne sont pas encore parvenues à les ac-
cation populaire : ils étaient placés aux corder.
portes des Palais pour en garder l’en- Nous voyons, d’un côté, le chef d’une
trée; elles ont le corps du taureau, pour grande nation thrace passant l’Helles-
,

exprimer la force ; les ailes , pour ex- pont, conduisant eu Asie les Brygès,
primer la promptitude ; la tête humaine, qu’il établit au bord du fleuve Sangarius ;
pour indiquer la sagesse. Mais cette tête mndant plusieurs villes, initiant ses su-
humaine ne suffit pas il a fallu l'affu-
; jets aux mystères des dieux de la Thrace,
bler de longues oreilles pour indiquer et laissant à sa mort un royaume flo-
l’attention soutenue, et de cornes pour rissant qui continue de prospérer sous
sa propre défense. une dynastie de dix rois dont Midas
Voilà donc, dans la même figure, les fut la souche.
cornes d'Alexandre le Grand et les La au contraire, nous le mon-
fable,
grandes oreilles de Midas qui apparais- tre comme un prince vivant dans la mol-
sent comme les symboles des qualités lesse, en compagnie des nymphes et des
que doit posséder un monarque. faunes et recevant d’Apollon une puni-
Les colosses de Ninive et de Persé- tion grotesque qui fait de ce roi la risée
polis étaieut-ilsconsidérés comme les de la postérité.
portraits du prince? C’est ce qu’il est Il
y a dans les deux phases de la vie
difficile d’affirmer; mais on peut dire de ce prince une contradiction qui n’a-
avec assurance qu’ils étaient le symbole vait pas même échappé à certains écri-
de royauté admis chez les Asiatiques,
la vains grecs , et qui tournaient la diffi-
aussi bien à Babylone que dans les au- culté en disant que les oreilles d’âne
tres villes d’Asie. Quoique nous n’ayons données à Midas étaient un emblème
pas dans cette dernière ville des monu- du caractère soupçonneux de ce prince,
ments aussi imposants , nous pouvons qui avait l’habitude d’entretenir beau-
citer un certain nombre de cylindres et coup d’espions. Mais je vais plus loin
de pierres gravées portant la figure d’un et je vais démontrer que la fable de
taureau à tête humaine que les Grecs
,
Midas est complètement apocryphe
ont aussi reproduit sur leurs médailles c’est-à-dire purement grecque et qu'elle
coiffé de la tiare et orné de cornes et a pris naissance longtemps après l’ex-
de longues oreilles. tinction du royaume de Phrygie, chez
C’est-à-dire enfin que, loin d’être un des Grecs ignorant les symboles de
emblème du ridicule et de la sottise, l’ancienne Asie, qui auront vu des sta-
les cornes et les longues oreilles ont été tues de l’ancien roi de Phrygie repré-
chez les Asiatiques l’emblème de la pru- sentées sous les attributs de la puissance
dence et de la force. C’est ce que les royale.
Grecs n’ont pas compris le moins du Gne statue du Musée britannique re-
monde; et il est curieux de voir les lon- présente, à n’en pas douter, la figure du
ues oreilles du roi de Phrygie devenir roi Midas (3).
ans les temps modernes l’emblème de
la sottise; c’est-à-dire qu’ils ont fait (i) Liv. t, cil. 7.
exprimer aux emblèmes asiatiques tout (a)XiXIV, ïg.
le contraire de ce qu’ils signifient. Ku- salle n° 35. Voyez aussi
(3) Troisième
sèbe, dans sa Préparation évangélique, Midas roi de Phrygie dans la Revue orien-
atteste que la reine de Phénicie, Astarté, tait et américaine, t. U, page aig.
,

382 L’UNIVERS.
Le roi de Plm’gie est couronné d’un Telle est,' à notre avis, l’origine du
diadème, et vêtu d'une tunique à larges mythe des oreilles d’âne du roi Midas.
manches ,
comme les portent les rois Les cornes et les longues oreilles ne
d’Assyrie et de Persèpolis. Sa figure est sont pas, chez les anciens asiatiques, des
calme et noble ; il est occupé à moduler signes de critique et de raillerie, mais
sur la fuite une de ces élégies dont il étaient considérées commedes emblèmes
était l’inventeur, et qu’il avait ensei- de puissance, de force et de sagesse.
gnées à son |)euple. Ce n’était pas pour Enfin, avec le génie léger et versatile
de vains plaisirs que le disciple d’Or- des Grecs, il ne faut pas s’étonner de
phée avait rendu la musique populaire voir une tradition ou un mythe dévier
chez les Phrygiens, il avait consacré de sa légitime signification, et être ex-
son art au culte des dieux et à l’apo- pliqué par une époque d’une manière
théose de sa mère. complètement différente de l’époque
« Ou rapporte que Midas, fils de Gor- antérieure.
« dius, pendant son règne, consacra
« le jeu de la flûte aux autels et aux CHAPITRE IV
« sacrifices ,
quand il voulait faire l’a-
« potltéose (le sa mère lors(|u’elle fut
, DYNASTIES PHBYGIKNNES.
« morte. » Suidas ,
suh v. IXEyo«.
Est-ce dans une occupation aussi Le premier chef de ces tribus phry-
grave, aussi solennelle que le sculpteur giennes auquel les historiens donnent
aurait eu la pensée de faire de ce prince le titre de roi fut , selon Suidas , un

une ignoble caricature, en le dépouil- ceitain Nannacus qui régna avant le


,

lant de tout ce qu’il pouvait avoir de déluge de Deucalion. Mais le pouvoir


respectable pour le spectateur ? de ces princes ne s’étendait que sur une
A l’époque où cette ligure fut faite partie de la Phrygie; car l’autre partie
il devait exister encore eu Phrygie un fut possédée par les Saces, qui s’étaient
grand nombre de statues de ces rois rentlus maîtres de l’Arménie et de toute
fondateurs d’une longue dynastie. la partie de la Cappadoce voisine du

C’est dans les rapports qu’ont eus in- Pont-Euxin, et vinrent s’établir à l’ouest
failliblement avec l’Asie orientale les de l’Halys (1), sous la conduite d’un
premiers Phrygiens qui se sont établis chef nommé Aemon, fils de Man ou
sur le Sangarius, que la civilisation Men. Cet Aemon fonda une ville de son
s’est introduite dans cette contrée aupa- nom , Aemonia , et après sa mort , il
ravant barbare. fut déifié. Cette ville subsista long-
Les Assyriens et les Mèdes l’avaient temps ; car elle est mentionnée par
occupée antérieurement et longtemps ,
Ptolémée, qui la place entre Juliopolis
après l’extinction de la monarchie phry- et Euménia , et par Étienue de Byzan-
gienne , le culte des mages s’était per- ce (2), qui cite deux places de ce nom.
pkué dans certains lieux et il était en- Mais les Saces ayant été expulsés par
core pratiqué du temps des Romains (1). les Perses (3), les descendants d’ Aemon
Il n’est pas surprenant que, dans la repré- se retirèrent nu delà de l’Arménie.
sentation de la royauté, les artistes phry- Le second roi de Phrygie porta le
giens aient adopté un symbole ()ui était nom de Midas ; il passe pour avoir régne
admis chez les peuples del’Asie centrale. à Pessinunte; ce qui assignerait une
L’artiste grec, auteur de la statue, très-haute antiquité à cette ville. Il
aura reproduit le type tel qu’il lui était donna sa fille la en mariage à Atys.
transmis par les plus anciens artistes ; Les princes Midas faisaient leur rési-
mais peu a peu la tradition est tombée
dans l’oubli, et les Grecs ont pris liltle about lUe real origin of nations , or re-

comme une critique un emblènae dont ceived withoul disrriminalion .such traditions
ils ne connaissaient pas la significa- as reached tliem on tbis bead. Cramer, Jm
tion (2). minor, t. II — 5.
(i) Strab., XI, 5i t.

(i) Pausaoias, liv. V,37 .


cli. (a) Siib voce ’.Aii|i.ovt«.

(a) The Greeks coocemed themselves but (3) Strab. Id., ibid.
,

ASIE MINEURE, 383

(Jence dans la ville de Midæum, sur les Il est bien difGcile d’établir la généa-
rives du Saiigarius, et les Gordius, logie des princes de ce nom , après le
dont le premier est célèbre par le char peu de documents qui nous restent; le
qu’il consacra dans le temple de Jupiter, dernier souverain indépendant fut Mi-
demeuraient à Gordium. Le premier das IV, qui se donna la mort, en voyant
Gordius était un laboureur, qui fut ses États envahis par les Cimmériens
nommé roi par le peuple pour obéir qui ravagèrent aussi la Paphlagonie.
aux dieux. I>es Phrygiens, voyant leur Son Gis Adraste, à la suite du meurtre
pays troublé par les séditions, eurent de son frère , se retira à la cour de Cré-
recours à l’orade, qui leur répondit de sus, et Gnit par s’y donner la mort,
prendre pour roi le premier homme désespéré d’avoir tué par mégaede Atys,
qu’ils verraient aller au temple de Ju- le Gis du roi (1).
piter monté sur un char. Le choix
tomba sur Gordius , qui consacra son CHAPITRE V.
char dans le temple de Jupiter; il at-
tacha au timon im nœud si artistement DOKINATION ÉTBA>GÈBE.
fait, que nul ne pouvait songer à le
délier, et qui fut tranché par Alexandre. A la mort de ce prince, l’empire
Midas , Gis de Gordius , régna sept cent tomba entre les mains de Crésus , qui
cinquante ans avant l’ère chrétienne. On ayant porté la guerre chez les peuples
raconte aussi ime foule de fables sur la qui habitent en deçà de l’Halys par- ,

jeunesse de ce prince , qui passait pour vint à les subjuguer tous , à l’exception
un des plus riches de la terre ; Strabon des Lyciens et des Ciliciens. A l’époque
dit qu’il possédait des mines d’or dans de l’invasion de Cyrus , ce prince gou-
le montBermius (1). On prétend que ce vernait la Lydie, la Phrygie, la Mysie
fut lui qui institua la coutume des et les côtes de l’Hellespont , jusqu’à la
chants funèbres, en renouvelant an- Carie (2), c’est-à-dire toute l’Asie cen-
nuellement ses lamentations à l’occa- trale. Lorque les Perses envahirent
sion de la mort de sa mère C’est en- l’Asie Mineure, l’armée de Xerxès,
core lui dont les richesses proverbia- après avoir franchi l’Ualys , entra en
les firent croire qu’il avait la faculté de Pnrygie , et alla camper a Céteuæ. De
tout changer en or. Ce prince laissa là elle marcha vers Sardes, qui fut
trois fils, Gordius, Anchorus et Otreus. rise et pillée, et la Phrygie réunie à
Ce fut de son temps, suivant Plutarque, F empire persan Gt partie, de la satrapie
qu'une partie de la ville de Célænæ fut de rUellespont. A cette époque, la ville
engloutie par un tremblement de terre. de Célænæ seule parut jouir de quelque
Le gouffre se referma lorsque, pour renommée; les autres capitales, Mi-
obéir à l’oracle , Anchorus s’y fut pré- dæum et Gordium , tombent peu à peu
cipité. Le même fait se retrouve beau- dans l'oubli , et Gnissent par être com-
coup plus tard attribué au Romain Cur- plètement ignorées. Pessinunte, comme
tius. Un autre prince de la dynastie de centre d’un culte répandu dans toute la
Midas régnait à Célænæ, qui fut pen- contrée , conserve toujours sa richesse
dant longtemps une des principales et sa population.
villes de la Phrygie. Ce fut Midas II qui La Pnrygie, une fois réunie à l’empire
réunit sous son empire toute la Phrygie. de Lydie , perdit toute importance po-
On ne sait rien de son r^e, ni de litique, mais conserva toujours son nom,
celui de son successeur. Midas III, Gis et ce nom auquel ne s’attachait plus
de Gordius, est mentionné par Héro- l’idée d’une nation,- a traversé toutes
dote (2) comme étant célèbre par les les révolutions qu'a subies la contrée
dons qu’il avait envoyés à l’oracle de pendant vingt-cinq siècles ; il a résisté
Delphes. On remarquait parmi ses pré- à toutes les divisions territoriales qu’ont
sents un trône qui passait pour un chef- imaginées les gouvernements de Rome
d’œuvre de sculpture. etde Byzance. Mais une fois la Phrygie

(i) Strabon, liv. XIV, p. 68o. (i) Hérodote, lib. I, rap. 4t et 4$-
(a) Lib. I, cap. XIV. (>) Lib. I, cap. XXXVO.

Googl
,

384 L’UNIVERS,
conquise, la nation tomba peu à peu Scopas, que l’on traversait sur un pout;
dans un complet discrédit. L’agricul- Procope nous apprend que Justinien le
ture était son unique occupation , les fit réparer (1).

troupeaux sa seule richesse. Les rois de Antigone venait de vaincre Eumène


I.ydic avaient mis la main sur les mines, dans la Cappadoce au moment où il
sur les carrières précieuses, et les Phry- apprit la mort d’Antipater ; il avait battu
giens restaient attachés à ces travaux dans la Pisidie Alcetas et Attale, et
pénibles ne pouvant pas même récla-
: avait réuni sous ses ordres les trois
mer la qualité d’hommes libres, ils se corps d’armée de ses compétiteurs;
mirent à perfectionner l'industrie des enfin il s’était fait nommer comman-
tissus i les matières tinctoriales abon- dant général de l’Asie avec une autorité
daient dans leur pays ils surent tirer
,
suprême, et distribuait des satrapies à
partie de ces ressources ; et quand C 5Ttis ses lieutenants , Léonnatus obtint la
arriva eu vainqueur des Lydiens, aucun petite Phrygie en 521.
effort ne fut tenté pour reconquérir une Arrhidée qui avait tenté vainement
sorte d’autonomie, aussi le nom de ce de prendre Cyzique perdit la partie du
peuple ne fut-il prononcé que comme gouvernement dont il était investi;
celui d’une pépinière d’esclaves, et sous enfin après lu mort d’Antigone, Lysima-
les Romains, le nom des monarques que réunit, en 301, les deux Plïrvgies
Phrygiens était donné aux esclaves ache- sous sa domination ; il possédait ega-
tés dans cette contrée : on les appelait lement la Lydie, et sous son gouver-
Manès ou Midas. nement ces deux provinces arrivèrent
Dans le partage de l’empire d’Alexan- à un haut degré de prospérité. C’est
dre, la Phrygie échut à Antigone, dont pendant le règne de Lysimaque qu’on
le règne ne fut qu’une suite de combats vit arriveren Asie les tribus Gauloises,
contre tous les autres princes de l’Asie. depuis lors jouent un si grand rôle
ui,
(^ux-ci, fatigués de la guerre, s’uni- ans riiistoire du pays.
rent contre lui , et la célèbre bataille La Phrygie change encore de phy-
d’ipsus fut le terme d’une lutte qui sionomie , ses divisions sont modifiées
n’avait pas duré moins de vingt ans, et et elle est de nouveau partagée. Après
à laquelle les rois de Pergame et de Bi- la bataille de Magnésie, Eumène 11 ob-
thynie avaient pris une part active ; tint toute la partie occidentale de la
aussi , au moment du partage des dé- Phrygie ,
qui porta depuis le surnom
pouilles ,
une partie de la Phrygie leur d’Épictète, c’est-à-dire ajoutée (au
fut-elle concédée ;
cette province reçut royaume des Attales); enfin après la
dans la suite le nom d’Épictète; elle leur suppression du royaume de Pergame
fut arrachée par les rois de Bithynie elle fut de nouveau partagée eu diocèses
mais les Romains la firent restituer aux ou juridictions (2)
roisde Pergame.
Pendant les guerres qui ont successi- CHAPITRE VI.
vement ravagé la Phrygie, plusieurs
chefs de la contrée s’étaient créé une BKVOLTE DE FBOCOPE (3).
sorte d’indépendance, et traitaient
même avec le pouvoir établi. Strabou La révolte de Procope coutro les em-
nous a conservé (I) l’histoire d’un cer- pereurs Valentiniens et Valens excita
tain Cléon, qui, retiré dans la ville de grands troubles dans la Phrygie et la
abandonnée de Gordium , en releva les Bithynie; ces deux provinces furent le
murailles , et la replaça au rang des théâtre de combats qui mirent eu dan-
cités. Gordium fut depuis appelé Ju- ger le pouvoir impérial.
liopolis, et resta l’entrepôt des mar- Procope était né en Cilicie; il appar-
chandises qui étaient transportées de tenait à une famille illustre, et sa pa-
l’intérieur dans la Bithynie (2). Elle
était située près d’une nvière nommée (x) De JEdi^ciis,
(a) Voy. page lo.
(0 Lib. XII, p. S 71 . (3) Ammien Marcellin, liv. XXVI, cb.
(a) Pline, lib. X, Epiu 8. 7-8-
ASIK MINEURE. 385

renté avec Julien lui ouvraitl'accès aux parut devant les cohortes, et leur pro-
plus hauts emplois. Il servit d’abord mit en même temps dipités et riches-
comme secrétaire et tribun , mais à la ses. Il marchait entoure de soldats qui
mort de Constance, la révolution gui se élevaient leurs boucliers sur la tête du
fit dans les affaires éveilla son ambition ; nouvel empereur, de crainte que du
depuis ce moment il mit tout en œuvre haut des toits il ne fut accablé de tuiles
pour la satisfaire. et de morceaux de pierre. Le peuple ne
Lorsque Julien entra en Perse, Pro- témoigna ni joie ni répugance, cepen-
cône fut chargé à la tête d’un corps con- dant la pensée de la chute du ministre
sidérable, de la garde de la Mésopota- Pétronius réunit encore quelques nou-
mie; peu de temps après la mort de Ju- veaux partisans; aussi lorsque Procope,
lien, des émissaires répandirentadroite- monté sur le tribunal eut terminé sa
,

ment le bruit que Julien expirant avait harangue, il fut accuelli par les acclama-
désigné Procope pour son successeur. tions du peuple et proclamé empereur.
Les mesures rigoureuses prises par Pendant ce temps Valens était sur le
Jovien, le nouvel empereur, arrêtèrent point de quitter Césarée de Cappadoce
pour un moment toute tentative de pour se rendre à Antioche ; à la nou-
révolte; Procope lui-même recherché velle de ce soulèvement, il revint sur
et poursuivi par les émissaires de Jo* ses pas et se dirigea vers la Galatie.
vien, en fut réduit à se cacher dans les Procope, de sou côté, mettait tout
lieux les plus inaccessibles. Il parvint en œuvre pour asseoir sa domina-
cependant à gagner les terres de Chal- tion; les partisans de Valens étaient
cédoine, et s’y cacha chez son ami Stra- envoyés en exil; le prétendant savait
tégius, sénateur, qui lui facilitait les mettre à profit la présence dans son
moyens de se rendre secrètement à camp de la petite-hlle de Constance,
Constantinople. Il trouvait là un centre dont on vénérait la mémoire ; il faisait
de résistance aux ordres de l’empereur, promener en litière Faustine, mère de
il rassemblait les mécontents qui se cette enfant, et faisait valoir l’honneur
plaignaient des exactions de Pétronius, qu’il avait d’être parent de l’empereur
beau-père de Valens. Si la crainte arrêtait Julien. Les largesses qu’il distribuait
toute manifestation publique, les vœux aux soldats se composaient de pièces
secrets de la majeure partie de la popu- d’or frappées à l’effigie du nouveau
lation de Constantinople étaient de voir prince.
tomber un régime abhorré. A son retour en Galatie Valens fut
L’empereur Valens se disposait à se consterné des nouvelles qu’il recevait
rendre en Syrie ; déjà il était sur les de Constantinople, il osait à peine con-
frontières de la Bithynie, lorsqu’il ap- tinuer sa route, et était sur le point de
prit, par les relations de ses officiers, se dépouiller de ses vêtementsimpériaux
que les Goths étaient prêts à tomber comme d’un poids insupportable ; mais
sur les frontières des Thraces. Il or- il en fut empêché par ceux qui l’en-

donna sur-le-champ d’envover un corps touraient, et qui lui conseillèrent de


suffisant d’infanterie et de cavalerie marcher droit sur les rebelles. L’em-
sur la frontière pour arrêter cette in- pereur fit prendre les devants à deux
vasion. corps de troupes nommés les Joviens
C’est alors que Procope parvint à et les Victoriens avec ordre de com-
gagner deux cohortes qui étaient de pas- mencer l’attaque du camp ennemi. A
sage à Constantinople pour .se rendre leur approche, Procope abandonna
en Thrace. Dans une assemblée tenue, Nicée devant laquelle il se trouvait , et
pendant la nuit, aux bains d’Anasta- se hâta de venir à Mygdonie ville de ,

sie, il fut arrêté que Procope serait Phrygie que l’on croit être la même que
déclaré empereur. Le nouveau préten- Midœum. Le fleuve Sangarius baigne
dant, maigre et décharné, et vêtu, faute cette place.
d’avoir, pu trouver un manteau impé- Lorsque les légions furent sur le
rial, d’une robe brodée d’or, dans le point d’en venir aux mains, Procope s'a-
goût de celles des officiers du palais, vança seul entre les deux armées, haran-
et portant une chaussure de pourpre, gua les troupes, et se présentant comme
livraüoH. (Asie Minbubb.)
386 L’UNIVERS.
légitime héritier de l’empire il rappela qui s’étaient vaillamment défendus^ et
aux soldats les serments qu’ils avaient nomma à un poste qui équivalait à celui
prêtés à leur souverain. Les troupes at- de préteur Uormisdas, descendant des
tendries par les discours de Procopc, rois d’Arménie, dont la famille avait
baissèrent leurs enseignes en signe de été amenée
à Constantinople. Procope,
soumission ,
se rangèrent de son enté, éblouipar cette victoire, perdait son
et le reconduisirent au camp au milieu temps a ranger sous son pouvoir des
des acclamations eu le nommant em- tetites villes d’Asie, pendant que Va-
pereur. fens, aidé des forces que lui avait ame-
Pendant séjour de Valens en Bi-
le. nées Lupicin, marcha sur Pessinunte,
thynie, le tribun Rumitalca , qui était qu’il fortifia sans délai contre toute at-
passé au parti de Procope, vint par mer taque imprévue. Il se disposait à mar-
à Drepanon , qui s’appelait alors flélé- cher sur la Lveie pour y attaquer Go-
nopolis, et de là s'empara de Nicée plus moaire ; mais les conseils de ses officiers
vite qu’on n’aurait osé l’espérer. le détournèrent de cette entreprise ils
:

Valens envoya Vadomaire, ancien roi agissaient incessamment sur l’esprit des
des Allemands pour faire le siège de cette partisans de Procope; Gomoaire lui-
place, et continua sa route vers Nico- même vint spontanément se réunir aux
médie. Il en sortit ensuite pour pousser troupes impériales.
avec vigueur le siège de Chalcédoine ; Valens, satisfait de ces renforts, passa
mais les assiégés résistaient vigoureu- en Phrygie pour attaquer Procope; la
sement. Valens, découragé et manquant bataille eut lieu aux environs de Na-
de vivres, se disposait à se retirer, lors- coleia.Le succès était encore incertain,
que ceux qui étaient dans Nicee, en lorsque le tribun Agilon passa avec ses
ouvrirent tout à coup les portes, détrui- troupes du côté de Valens. Toute es-
sirent la plus grande partie des ouvra- pérance de vaincre devenait illusoire :

ges, et .se hâtèrent, sous la conduite de Procope prit la fuite, et se cacha dans
Rumitalca, de prendre à dos et d’enve- les bois et dans lesmontagnes; il était
lopper Valens. L’empereur, prévenu à suivi de Florence et du tribun Barchalba.
temps, se sauva par le lac Sunoo (So- Sur la fin de la nuit, Procope, errant et
phon ) et les détours du fleuve Gallus ; découragé , fut saisi et garrotté par les
la Bithynie entière tomba au pouvoir gens de sa suite, et conduit , lorsque le
de Procope. jour fut venu, dans le camp de Valens,
Valens avait fui jusqu’à Ancyre; là qui lui fit trancher la tête.
il apprit que Lupicin arrivait de l’O- Les événemeuts qui mirent fin au
rient avec un corps considérable ; il en- formidable soulèvement d’une partie
voya Arinthée, habile général, pour ar- de l’Asie contre le pouvoir de Valens, se
rêter les ennemis. Cet ofQcier, parvenu terminèrent dans la contrée bornée au
à Dadastane, se trouva en présence nord par le cours du Sangarius, la
d’un corps commandé par Hypéréchius, villed’Eski cheher ouDoryléeà l’ouest,
qui jusque-là n’avait eu dans l’armée et Pessinunte à l’est. C’est dans cette
n’un poste subalterne. Arinthée dé- r^on que nous devrons rechercher les
aigna de combattre ce partisan , par- villes de Mideeum et de Nacoleia.
vint à le faire arrêter par ses propres Le pays désert et boisé où se sauva
soldats, qui le conduisirent garotté au Procope est le groupe montagneux où
camp d’Arinthée. nous avons retrouvé les tombeaux des
Pendant ce temps, Procope qui vou- rois de Phrygie; nous verrous si nous
lait s’étendre à l’occident, avait envoyé pouvons accorder la géographie mo-
un corps d’armée pour attaquer Cyzique, derne avec les faits historiques dont
qui tenait encore pour Valens. Les as- ce pays fut le théâtre. ,

siégés avaient fermé les ports au moyen


d’une chaîne , le tribun Alison parvint CHAPITRE VIL
à la rompre en employant un moyen DIVISIONS GÉOOHAPHiqORS.
d’attaque aussi ingénieux que nouveau,
et Cyzique tomba au pouvoir de Pro- Les grandes divisions de la Phrygie,
oope. Il traita avec douceur les habitants quand la Galatie eu fut distraite, doi-

Uigitizc -^.OO^lc
,

ASIK MINtTJRE. 387


vent être classées de la manière sui- dans l’origine, appartenaient à des peu-
vante : ples différents. La Lycaonie, l’Isaurie
La PhrygieHellespontique elleforma : et une partie de la Pisidie sont dans
d’abord une seule province, qui com- ce cas.
prenait une partie de la Mysie et de la La Phrygie Salutaire, ainsi nommée
Troade ; c’est uu démembrement de des nombreuses eaux thermales qu’elle
l’ancienne et grande Pbrygie. I.a notice fournit, et en même temps, ajoute Ni-
de Hiéroclès y place trente quatre villes céphore (1), à cause des miracles ac-
principales, qui appartiennent toutes à complis par saint Michel, qui rendit
la Mysie et à la Troade nous , les avons plusieurs citoyens à la santé. La notice
décrites avec ces deux provinces. de Hiéroclès y met vingt-deux évêchés.
La petite Phrygie ou Phrygie Lpictète : I.,a région appelée Phrygie Parorée,
Strabon y place seulement six villes, qui forme la frontière sud et longe les mon-
sont Aizani, Nacoleia, Cotyaeum, My- tagnes de la Pisidie.
dæum, Dorylæum etCadI, auxquelles Nous avons relevé dans les auteurs
on doit en ajouter deux autres dans la grecs et latins deux cent quatre-vingts
région occidentale : Ancyrede Phrygie noms de villes, villages, montagnes
et Synnaus. ou lieux célèbres, appartenaot au ter-
La Phrygie Pacatiana la notice de : ritoire formant rancicii royaume de
Hiéroclès,' compte trente-huit villes y Phrygie; sur ce nombre il y en a le quart
compris celles de la Phrygie Épictète', à peine dont la position soit déterminée,
et plusieurs villes de la grande Phrygie; on voit qu'il reste eucore un beau champ
mais dans ce nombre on n’en compte ouvert aux futurs explorateurs.
pas plus de dix dont la position soit Bien que les frontières de la Phrygie
connue. aient été aussi variables que celles des
La Phrygie Pacatiana, ainsi appelée autres provinces de l’Asie Mineure, ce
d’un certain Pacatianus qui, sous Cons- pays a été généralement considéré dans
tantin , était préfet du prétoire en Orient, l’antiquité comme renfermé dans ces li-
renfermait les plus riches cantons, et se mites au nord , la Galatie ; au midi
;

trouvait arrosée par des rivières nom- la Lycaonie, la Pisidie et l’Isaurie; à


breuses. Mais les tremblements de terre l’orient, laCappadoce; et à l’occident,
l’ont souvent désolée , quoique son ter- la Mysie. Sous les satrapes de Perse, la
ritoire ne soit pas généralement de for- BithWiie et la Mysie portaient le nom
mation volcanique. T,es sources du de phrygie Mellespontique; la Mygdonie
Méandre sortent du milieu même de la fut appelée Phrygie Kpietète lorsque
ville de Célænæ, et une foule d’autres cette province fut réunie an royaume
petits fleuves, tels que le Marsyas. le des Attales. I.ere.ste du pays futsépari'
Catarrhactes elle Lycus, lui portent le en deux parties, dont la plus méridio-
tribut de leurs eaux. On pourrait donner nale fut désignée sous le nom de Phry-
pour limite à cette province la haute gie Parorée; celle-ci s’étend du levant
vallée del’Hermus; mais les géographes au couchant, le long d’une chaîne de
anciens ne nous ont rien laissé de positif moiitagues, de chaque côté de laquelle
à ce sujet. Le canton de Célænæ, qui il
y a une grande plaine avec une ville (2).
n’est plus peuplé aujourd’hui que. par Ces deux villes sont Philomelium d'une
de misérables villages, était autrefois part, et Antioche de Pisidie de l’autre;
un des plus riches de la contrée , et fut elles ne .sont pas . a proprement parler,
longtemps gouverné par Lytersés fils , séparées'' par une montagne mais bien ,

de Midas, dont Hercule punit les crimes par un pays accidenté , et en' ecoupé de l

en le jetant dans le Méandre (I). vallons et de plaines. La Phrygie Paro-


La partie méridionale fut appelée rée est souvent confondue .ivcc la Pi-
Phrvgia Salutaris et Synnada en fut
,
sidie, et au nord elle ii’a pas de limites
déclarée capitale ; mais cette dernière bien tranchées avec la Grande Phrygie.
province comprenait des annexes, qui, Lorsque les Gaulois se furent installes

(i) Athénée, lib. X, c. i. Suidas sub voce (i) Liv. VTI, 5o.
Alvepirnt- (i) Strabon, lib. XII, p. 5:7-
388 L’UNIVRRS.
dans la partie de la Phrygie à laquelle cachet particulier de la contrée. Cest
ils donuèreiit leur nom , les frontières en Phrygie que l’on aperçoit ces pre-
de cette grande province reculèrent vers miers travaux où l’homme primitif s’at-
le sud il’environ un degré, et ce qu’on taque à la montagne elle-même, pour
appela Phrygie Épictète se trouva être y creuser une demeure ou des tombeaux.
l’enclave comprise entre le cours du Les roches tendres des environs de Ku-
Sangarius au nord, la pointe sud de la tayiah furent très-propres à propager
Galatie à l’est, et le royaume de Lydie cet usage ; il en est de même des tufs
au couchant. Cette contrée, très-mon- volcaniques de la Phrygie centrale, qui
tagneuse, est aussi la plus boisée, et se présentent en grandes masses verti-
contenait un certain nombre de villes cales et homogènes, assez tendres |>our
qui n’ont pas complètement disparu. La être facilement attaquées par le ciseau.
chaîne qu’on appelle aujourd’hui Mou- Les premiers essais de ce genre remon-
rad dagh représente le mont Dindy- tent certainement à une antiquité très-
mène des anciens , sur lequel Cybéie reculée; néanmoins, au temps des chré-
avait un temple, et qui était surtout tiens, soit par suite des persécutions,
célèbre par une grotte que Pausanias soit à cause de la grande pauvreté du
appelle l’Antre de Steunos, et également peuple, on a la preuve qu’un grand
consacrée à cette déesse. Sur le versant nombre de familles ont vécu dans ces
septentrional de cette montagne se demeures souterraines, et y ont laissé des
trouve une grande plaine arrosée par le traces de leur cidte et de leurs sépultures.
fleuve Khyndacus, et qui n’est autre Quelques monuments de la haute anti-
que la contrée Aizanitis, dont la ca- quité, sculptés avec un art particulier
pitale était Aizani. Le cours du fleuve au pays, ont conservé des inscriptions
ipogele versant occidental de l’Olympe, en langue phrygienne, qui n’ont pas été
traverse une partie de la Bithynie, et parfaitement expliquées jusqu'à présent.
va se jeter dans la Propontidë en tra- On voit, néanmoins, que la langue des
versant le lac Apollonias. Sur le ver- Phrygiens sortait d’une même souche
sant septentrional du mont Uindymène que le grec.
était la ville de Cadi, aux sources de Le pays qui renferme le plus de mo-
l’Hermus, et dont le territoire, ra- nupients de ce genre s’étend du nord
vagé par les volcans, porte des traces au sud, depuis Cotvoeum , Kutayiah,
évidentes de nombreux tremblements jusqu’au .Méandre, sur une largeur d’en-
de terre. Ce sont ces phénomènes vol- viron dix lieues. Les grottes les plus
caniques qui ont fait donner à la con- curieuses se trouvent dans le territoire
trée le nom de Phrygie Brûlée. Cepen- de Nacoléia , 'près de Seid el Ghazi, et
dant, toute la contrée n’est pas com- occupent les flancs de plusieurs grandes
plètement volcanisée, et sur la rive vallées, aujourd’hui désertes et ombra-
gauche de l’Hermus on remarque des gées par de belles forêts de pins. C'est là
terrains de schiste noir qui donnent au que les habitants actuels établissent
sol un aspect encore plus désolé que les leurs demeures d’été, et construisent
volcans , puisque la végétation y est à des maisons qui sont en tout point .sem-
peu près nulle. blables à celles dont Vitruve (I) nous a
donné la description, et qui étaient com-
CHAPITRE VIII. munes en Asie. Après avoir couché
iarallclement deux arbres à terre, les
MONUMENTS FBIMITIFS. flabitants posent sur leurs extrémités
deux arbres égaux à l'espace qui sépare
Le versant oriental du mont Dindy- les premiers formant ainsi quatre cloi-
,

mène, près duquel étaient situées les sons dont les angles sont soutenus par
villes de Cotyœum et de Dorylée, est deux arbres verticaux. II remplissent
un terrain crétacé, complètement dé- les intervalles avec de la terre grasse;
pouillé de verdure. Aussi, les premiers la couverture se fait avec des pièces de
habitants ont-ils cherché à remplacer le bois posées horizontalement et paral-
bois qui leur manquait, par des cons-
tructions qui sont toujours restées le (i) Vitruve, lib. 11, cap. i.
ASIE MINEURE. 389

lèlemeut aux diagonales , formant ainsi blir leur demeure des tertres naturels.
une espèce de pyramide , qu’ils recou- Ne semble-t-il pas que ces habitudes
vrent avec des feuilles et de l’argile. se soient perpétuées dans l’antiquité, et
Au nord de la ville d’Ouschak, dans aient conduit les habitants à s’établir
le lieu nommé llesler kaïa si ,
qui dans les cônes naturels de la Cappadoce,
paraît correspondre à la position de l’an- qui seront l’objet d’une étude particu-
cienne Acmonia on voit un vaste cra-
,
lière ? Il y a encore beaucoup de villa-
tère, dont le fond est rempli par des ges qui ne sont pas construits avec plus
scories et des cendres, et dont les flancs d’art ; les maisons sont à moitié enfouies
intérieurs sont composés de tuf grisâtre, dans la terre ; mais les perches qui les
exactement semblable à celui de la recouvrent sont posées horizontalement,
campagne de Rome. I.a partie supé- et forment une espèce de terrasse faite
rieure du sol est recouverte d’une lave de terre battue.
violette contenant quelques cristaux de Le plateau central de la Phrygie s’é-
feldspath, et mélangée avec une pâte de lève à plus de douze cents métrés au-
cendres et de scories. Cette formation a dessus du niveau de la mer ; aussi, mal-
une hauteur de plus de trente mètres ; les gré sa latitude méridionale , l’oranger,
rocs du côté de la vallée pré.sentent une l’olivier et le figuier ne croissent-ils
surface absolument verticale, qui repose nulle part dans le pays. Strabon cite
sur une couche inférieure de cendres ag- un petite plaine (I) qui produisait des
;lomérées. C’est dans cetufquesonttail- oliviers; mais aujourd’hui on n’en
Îées certaines grottes, qui, à une époque trouve plus dans ces cantons. L’hiver y
reculée, ont dû servir d’habitations, car est quelquefois assez rigoureux, et on
on n’y trouve rien de ce qui est néces- voit la neige rester plusieurs semaines
saire pour les sépultures. Elles sont or- sur la terre.
dinairement composées de plusieurs La partie centrale du pays est occu-
pièces qui se communiquent entre elles, pée par un lac salé d’une grande éten-
et qui sont éclairées par des fenêtres. due, et que les anciens connaissaient
On voit aussi dans le voisinage des sous le nom de lac Tatta (2); ses eaux
chambres sépulcrales qui renferment sont tellement chargées de sel, que
des sarcophages. pendant l’été il se dépose sur les bords
Les montagnes du sud, qui dépendent sous la forme d’une croûte blanche. Il
de la Phrygie appelée plus tard Saiii- n’a pas une grande profondeur, car on
faris, et d'ans lesquelles se trouvaient remarque encore une chaussée cons-
les villesde Beudos, de Synnada et de truite sans doute au moyen âge et qui ,

Docimæum, .sont également volcani- est aujourd’hui complètement couverte


ques ,
renferment des milliers de
et par les eaux. Il est au sud de la contrée
grottes et de catacombes, qui prouvent appelée Haïmanah par les Turcs, et qui
qu’à une époque reculée une population appartenait à la Galatie.
considérable couvrait cette contrée. Les Au midi du royaume, plusieurs au-
chaînes de montagnes qui traversent la tres lacs d ’une étendue moins considé-
Phrygie catacécaûmène et la Phrygie rable se trouvent dans la partie mon-
Salutaire soutiennent, en quelque sorte, tagneuse et reçoivent les faibles ruis-
,

les grandes plaines, à peine ondulées seaux qui arrosent la contrée car le ;

par quelques collines, qui forment la terrain , formant des ondulations irré-
Phrygie centrale, dont la ville princi- gulières, laisse épancher dans des di-
pale était Laodicée. Tout ce pays est rections différentes ses eaux, qui s’éva-
sans bois; aussi, dans l’antiquité, les porent pendant l’été.
Phrygiens avaient-ils l’habitude de creu-
ser leurs habitations dans de petits ter-
(i) Strabon, lili, XII, p. 577.
tres naturels , et d’y pratiquer des che- 568
(1) Strabon, lib. XII, p. .

mins voûtés. Vitriive (I) remarque par-


ticulièrement cette manière de bâtir des
Phrygiens , qui choisissaient pour éta-

(i) Vilruve, id. ibid.


,

390 LTJNTVERS.
CHAPITRE IX. tater ce fait avec plus de soin que je ne
l’eusse fait moi-même (1).
Après avoir franchi du sud au nord
SANGARIUS — SAKKARIA. branche méridionale du fleuve , mon
la
étonnement fut grand de me trouver
deux jours après sur la rive gauche
Ije ÿ'rand fleuve phrygien celui qui
, d'une grande rivière, q^ue les indigènes
dans son parcours réunit les eaux de nommaient encore SakKaria, c’est alors
tout le plateau de la grande Phrygie le , seulement que le mystère géograpiiique
.Saugarius. appelé aujourd'hui Sakkaria, me fut expliqué. Depuis ce temps plu-
est resté jusqu’à notre âge un des cours sieurs voyageurs ont fait connaître dans ,
d’eau les moins connus de l’Asie Mi- tout ses détails, le cours singulier de
neure. Dans l’ignorance ou l’on était ce fleuve qui reflète la conformation
de la constitution de ses nombreux exceptionnelle du pays.
affluents, la géographie historique ne .Strabon détermine d’une manière
pouvait faire un pas sans s’égarer; les assez exacte la position de la source du
villes anciennes placées dans le bassin
.Sangarius. « Entre Héraclée et Clialcé-
de ce fleuve restaient inconnues; nul doine coulent plusieurs fleuves, du
ne pouvait imaginer que le cours su- nombre desquels sont le Psillis, le Cal-
périeur se composât de trois branches pas et le Sangarius. Ce dernier prend
priucipales. l.es anciens géographes sa source dans un bourg nommé San-
avaient gardé le silence sur ce fait im- gla, à environ cent cinquante stades,
portant, et jiarmi les modernes, plus 27 kil. 70, de Pessinunte; il traverse la
d’un voyageur érudit avait longé le cours plus grande partie de la Phrygie ftpic-
du .Sangarius, sans se douter qu’il fût tète, et une partie de la Bifhynie, de
sur le bord d'une branche de ce fleuve. sorte qu’il n’est guère éloigné de Nico-
I.a géographie de cette partie de l’Asie
médie, de plus de trois cents stades,
Mineure restait dans une obscurité com- -âi kilomètre 50, à l’endroit où il reçoit
plète, que ni l’esprit judicieux de Dan- le Gallus (2), qui a sa source à Modra
lillc, ni lescombinaisons de Rennel ne dans la Phrygie Hellespontique. Le San-
pouvaient parvenir à dissiper le pre- :
garius devenu navigable borne la Bi-
mier faisait tomber dans un lac le cours tliynie vers la côte où il se décharge et
.supérieur on rivière d’Angora; le se- devant laquelle est l’île deThyuia(3). •
cond, au lieu de mettré la ville de Pes- Pline, qui parle plusieurs fois du .San-
sinunte dans la grande vallée près des garius ôl), ne dit jamais que ce fleuve
sources du fleuve , plaçait cette ville au est formé de plusieurs branches; il en
nord dans une vallée transversale. Le résulte ce fait, que, pour les anciens, le
colonel Leake, dérouté par les itiné- Sangarius n’avait qu une seule source
raires, plaçait Pessinunte sur la rive au bourg Sangia, et que les autres cours
uord du Sangarius, dans le voisinage de d’eau avaient des noms différents qu’ils
Bevbazar, et Gordium dans les régions n’ont pas mentionnés. Les modernes au
inférieures du plateau de Galatie. Voilà contraire, ne donnaient le nom de San-
où en étaient les connaissances géogra- garius qu’au cours d’eau stipérieur. Les
phiques de ces régions, lorsqu’on juin indigènes l’appellent en effet Sakkaria,
1834, je déterminai pour la première mais négligeaient la branche méridio-
fois l’identité de cette rivière avec le nale, qui est le vrai .Sangarius ; de la
Sangarius. Le résultat de ces oliserva- toutes les erreurs et les incertitudes des
tions fut d’abord la découverte de Pes- géographes.
sinunte, et l’explication d’une foule de Le Sangarius a porté différents noms
passages d'auteurs anciens qui jusqu’a-
lors étaient restés inintelligibles; eu un (i) Cari Kilter Erdkuiide, t. IX, p. 43o,
mot on pouvait dresser la carte de la 458-588. Haiiiilluii, Kescarrhes iu Asia Mi
Phrygie sur des bases toutes nouvelles. iior, I. I, 438.
I.e savant Cari Ritter, qui, dans ses ou- (ii 'Voyez page gt.
vrages, tient à rendre a chacun la justice (3) .Strabon, XII, 543.
qui lui e,st due, s’est attaché à cons- (4) Uv. V, 3a.
,

ASIE MINEURE. Sîl'i

dans l’antiqnité’, les Grecs l'appelaient d’eau qui va se jeter dans le Sangarius
Sagaris ou Sangaris (1). Uésychius le il peut être identifié avec le fleuve Alan-

nomme Sagarius, Plutarque, le géo- der, près duquel campa Manlius.


graphe, dit qu’on l’appelait primitive-
ment Xerabate, parce que dans les CHAPITRE X.
grandes chaleurs de l’été il est très-sou-
vent h sec, il ajoute la fable suivante ITINKBAIBE DE BBOUSS.V A KUTAYAH
Sagaris, fils de Myndon, ayant souvent’ COTYGEUM.
méprisé les mystères de Cyhèle, iujurià
les prêtres de cette déesse, qui, pour se La grande route de Broussa à Ku-
venger, lui envoya des accès de fureur à tayah suit une direction moyenne vers
la suite desquels il se Jeta dans le fleuve le'sud-est, mais en sortantde la ville elle
Xerabate, qui changea alors de nom incline h l est jusqu'à la petite ville
pour prendre celui de Sagaris. Il vaut d’Aineh gheul. Nous commençons par
mieux s’en rapporter au document trans- suivre la vallée de Ghœuk déré,’et nous
mis par Strabon et croire que le mot faisons ainsi douze kilomètres sur un
Sangarius dérive tout simplement du terrain de cailloux roules détaches de
bourg Sangia, où était située sa source. l’Olympe. Après trois heures de marche
Tite-Live Sangarius dans
fait naître le nous taisons halte dans une forêt de
le mont Adoreus, dont la situation est châtaigniers, nous franchissons ensuite
inconnue; peut-être veut-il parler d’un ilusieurs collines où nous retrouvons
des sous-affluents descendant des mon- fa formation calcaire ; c’est un marbre

tagnes qui séparent les deux branches jaune qui, poli en quelques places par
principales de la Sakkaria (2). le pied des chevaux, présente les plus bel-
Sans pouvoir déterminer d’une ma- les couleurs ce calcaire forme des stra-
;

nière positive la situation du bourg San- tifications inclinées de 35 à 40 degrés

gia, nous pouvons la fixer approxima- au nord. On monte continuellement


tivement aans le groupe montagneux pour aller de Broussa à Kutayah, et toute
qui longe la plaine de Rare bissar, et la région est composée d’un calcaire

qui forme la ligne de partage des eaux crayeux.


entre les deux mers. Nous avons suivi, Après avoir traversé un plateau élevé
en quittant les carrières Synnada et en où l’on trouve deux puits pour les ca-
nous dirigeant vers le nord par Bayat ravanes, on descend dans la vallée de
et la vallée de Doghanlou près de Kbos- Ak sou (l’eau blanche), pauvre village
rew pacha khan, un cours d’eau qui qui ne boit que des eaux crétacées et
va se jeter dans la Sakkaria à Tchandir, blanchâtres. 11 se fait dans son voi-
village situé à vingt-huit kil. sud de sinage de grandes exploitations de bois.
Sevri bissar; on y remarque un pont de Ou fait ensuite vingt kilomètres jus-
pierre de construction byzantine qui est qu’à Aineh gheul sans rencontrer une
sans doute le pont deZompus souvent cabane ; on marche sur un terrain d’ar-
mentionné par les historiens byzan- gile blanche qui. en été, produit une
tins (3). Les affluents principaux du poussière incommode et en hiver des
fleuve sont au nord, la rivière d’Angora
:
boues affreuses.
Knguri sou; au sud, la rivière de Seïd el La formation crétacée est très-répan-
Ghazi, le Thyrabrius ou Poursak, le due dans ces régions ; on commence à
Gallus ou Bédré tchaï (4). la rencontrer àdouzekilomètresd’Aineh

Sur le versant nord des montagnes de gheul, et on peut la suivre dans toute la

Bayat prend naissance un petit cours Phrygie Épictète jusqu’à Cadi ou Ghe-
diz a l’occident, et jusqu’au delà d'Eski-
cheher à l’est. Elle est cernée par les
(i) Plol., liv. V, ch. I. Arrieu de Ezp.
terrains volcaniques de la Catacécau-
Alex., liv. I.

(î) Til-Liv., XXXVIII, i8.


mèue et du Haîmanah (fl.
Aineh gheul est abondamment pour-
(3) Ann. Cotniiine, p. 47*. Nicéphore Bry-
t-nnius, II, 5a.) vu d’eaux courantes et possède plusieurs
Voy. pour plus de détails Ritter Erd-
kiiitde, t. IX. Système du Sangarius. 1 1) Vuy. page col.
,
393 L’UNIVERS.
mosquées l'une d’elles fut bâtie par le
,
compte vingt kilomètres ; il faut franchir
sultanMourad;cesontdes monuments encore un col de i’Ak dagh, dont l’al-
sans intérêt ; les maisons sont bâties de titude dépasse douze cents mètres ; mais
terre et couvertes en tuiles. à partir de ce point la plaine deKutayah
Ensortantd’Aineli gheul on franchit, se déroule aux regards dans un im-
après une heure de marche, une chaîne mense développement; elle est entourée
de montagnes assez élevées courant de de montagnes. Du côté du sud, c’est la
l’est à l’ouest, qui va se rattacher à l’O- chaîne du Mourad dagh, le mont Din-
lympe. Toute eette formation est de gneiss dymène du pays Aizanien. La constitu-
de syenite ou de mica-schiste, et par tion des montagnes inférieures de l’Ak
conséquent fait partie du système géo- dagh est étrange; elles sont formées
logique de l’Olympe. de plateaux stratifiés composés alterna-
Les forêts qui couvrent ces mon- tivement de roches dures et de roches
tagnes sont de la plus belle venue; elles plus tendres. La décomposition de ces
se composent d’essences de hêtre, de dernières laisse comme suspendues les
chêne et de châtaignier : il
y a des assises plus solides, ce qui forme degran-
billes de vingt mètres de haut et de des falaises dont les flancs surplombent
deux mètres de diamètre. On arrive le sol et produisent un effet singulier.
bientôt à la région des arbres verts; La rivière Poursak serpente dans cette
alors, plus de route tracée, on suit le plaine, se dirigeant vers le nord pour
lit des ruisseaux en passant au milieu aller joindre la Sakkaria aux environs
des lianes et des épines ; on n’entend d'Eski cheher.
aucun être vivant, seulement dans Kutayah s’étend au pied d’un haut
le lointain le bruit du torrent vague rocher; les nombreux minarets des mos-
comme un écho se mêle au frôle- quées, les jardins qui lesentourent con-
ment du feuillage. Nous fîmes ainsi courent à lui donner l’aspect d'une
vingt-quatre kilomètres dans la forêt; grande ville. Il n’ya pas de murailles; les
sur le versant méridional de la mon- faubourgs et les maisons de campagne
tagne, que les indigènes nomment Ak se confondent avec la ville même.
dagh (montagne blanche], la nature de La distance entre Nicomédie et Ku-
la roche change ; on commence à ren- tayah est évaluée delà manière suivante,
contrer du calcaire , marbre lamellaire. sur le pied de six kilomètres par heure
Cette formation calcaire couvre une de marche.
grande étendue de pays et se ratta-
che à l’ouest au Touniandji dagh, au Nicomédie à :
pied duouel est la petite ville d’Inn
Sabandja .. . . . 6 heures. 36
(Kuni, bâtie immédiatement au-dessous Geiveh .... . . 6 36
d’un haut rocher où se remarquent plu- Ak serai’ . 3 18
sieurs chambres sépulcrales taillées aans
Nicée . 9 54
le roc.
Ghio . . 13 73
Broussa 6 36
Le village de Tchoukourdji est situé
. .

sur un mamelon au milieu de ce vaste pla-


Aineh gheul. . . . 8 48
teau , dont l’altitude est d’environ six
Kutayah. ... . . 30 130
cent cinquante mètres. La distance d’Ai- 70 430
neh gheul est de soixante kilomètres :
c’est là qu’est située la maison de poste. CHAPITRE XI.
Les forêts s’étendent encore au sud
de Tchoukourdji; elles sont habitées par ITIKÉBAIBB DE BBOUSSA A AIZANl
de nombreuses tribus de Yourouk, dont PAB TAOUCaAJVLI.
l’occupation est de couper les bois: on
retrouve alors les routes plus pratica- Nous avons déjà indiqué la route de
bles. Tous les villages de ces cantons Broussa à Aineh gheul ; a partir de cette
sont très-misérables; ils ne sont habités ville on remonte le Déré tchaï ou Bédré
que pendant l’hiver par les familles de tchaïjusqu’à Orta keui, le villagedu mi-
bâcherons qui passent l’été dans les lieu ; a partir de ce village , la route se di-
forêts. De Tchoukourdji à Kutayab on rige droit au sud vers Cavourla, on com-
ASIE MmEURE. S93

mence à monter un des contre-forts de Taouchanli est la résidence d’un voî-


i'OIyrope, qui se rattadie au Toumandji vode; sa population s'élève à six mille
dagn; ou traverse successivement les âmes environ ; les Grecs y sont pour plus
villages de Cozourdja, Guidjak , Kara d'un tiers ; la culture des céréales, du
keui jusqu’à la rivière Toumandji sou, tabac et l'élève des bestiaux occupent
ui se jette dans le Kliyndacus, à peu la majeure partie de la population.
e distance de la route. A partir de ce Broussa est le principal débuché des
point on ne quitte plus la vallée du fleuve produits de ces cantons.
jusqu'à Aizani ; cette route est des plus La plaine de Taouchanli, qui doit son
fatigantes pour les chevaux , mais on nom à l'abondance des lièvres qui s'y
traverse un pays magnifiquement boisé, rencontrent, est d’une extrême fertilité;
et la vallée du fleuve offre les points de elle est peuplée de nombreux villages
vue les plus variés. l.«s défilés dans les- composéschaeun de cinquante à soixante
quels serpente le Rhyndacus s’élargis- maisons. A gauche, c’est-à-dire à l’est de
sent tout à coup, et l’on déliouche dans Taouchanli, sur la pente du Tékir dagh
la vaste plaine deTaoucbanli. Plusieurs se trouve Tchoukour keui, le village en-
bourgs ou villages sont bâtis sur le peii- foncé; plus loin sur une masse d’épanche-
chaut de la montagne, à l’entrée de la ment volcanique, K.ei keui. Quand on a
plaine ; ce sont les villages de Mousu, franchi le Rhyndacus on trouve sur
Bey keui et Dédéier. Ce dernier offre la rive gauche du fleuve les villages de
dans son voisinage quelques grottes sé- Kourou tchaï, la rivière desséchée,
pulcrales taillées dans le tuf volcanique. Tebardakieu , village de la tente , Té-
LapctitevilledeMoliiinoul,distante seu- pédji keui , village du monticule , Don-
lement de quatre kilomètres de Taou- daeh et Grubel.
chanli , est a l’entrée du défilé dans le- La nature des roches qui composent
quel coule le Rhyndacus. On y trouve la rangée decollinesausudde la falaise
quelques fragments d’architecture an- appartient à une tout antre formation ;
tique et des pierres sépulcrales, indices ce sont des trapps schisteux verdâtres
suffisants d’un ancien centre de popu- qui s’étendent jusqu'au village de Cos-
lation dont le nom est inconnu. Mohi- moudja, placé dans un vallon près d'un
moul est encuresur le terrain de craie, ruisseau affluentdu Rhyndacus. Au-delà
mais la masse de la montagne voisine, du ruisseau on entre sur le terrain de
qui porte le nom de Tékir dagh, la mon- calcaire lacustre, qui entoure toute la
tagne du prince , est de tuf volcanique. laine de Tchafdèr ; un autre village
Taouchanli est une ville moderne as- 8 U nom de Tépédji keui est situé sur
sise sur la pente du Tékir dagh et do- le revers sud ducol,dansla plaine même ;
minantunegrandcplainedirigéedu nord- le bourg d’Orandiik est à l’ouest, en-
est au sud-ouest, dontia longueur est de touré des villages de Chikjar, Agari, Cal-
six kilomètres et la largeur de quatre le
-, falar. Un ruisseau passe à Orandjik et
Rhyndacus la traverse dans toute sa va se jeter dans le fleuve ; la ville d’Ai-
longueur et coule dans un lit très-en- zani s’élève au milieu de la plaine et
caissé. On le passe sur deux ponts ; l’un, les plantations qui l’entourent forment
à l’ouest, sur la route d'Orandiik, est un agréable point de vue au milieu de
en pierre; l'autre, à l'est, sur La route ces terrains dénudés.
directe d’Aizani,est en bois.

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.'3'J4

L’UNIVERS. '

I.. M. •
.n. '

PHRYGIE ÉPICTÈTE.

CHAPITRE XII. |)our offrir une route facile à une ar-


mée; Kutayah est d’ailleurs un point
r.OTVŒüM — KÜTAYAH. stratégique important. Quoique le
jeune Cyrus ne fOt pas encore eu
Cotyœum, dont le nom s’est conservé guerre déclarée, il devait faire mar-
avec tres-peu d'altération sous celui de cher ses troupes dans les meilleures
Kutayah, est citée par Strahon parmi conditions de sécurité , et- les pays de
les villesde la Phrytçie Épictete(l). Le montagnes ne sont pas dans ce cas.
fleuve Thymbrius, Poursak, qui arrose La ressemblance au nom de Ceramo-
son territoire marque la limite orientale rum Agora avec celui de Kermian est
de cette province. La fondation de cette tout à fait fortuite; ce nom est celui
ville remonte à une haute antiquité si , d’une famille d’émirs qui gouverna la
en effet, elle est le lieu de naissance contrée du temps des premiers sultans
d'Ésope, dans le sixième siècle avant et qui le transmit à son fief.
notre ère i,2). C’est a peu près tout ce ^us les empereurs byzantins Kutayah
qui nous est révélé de l’ancienne his- fut une place forte importante. Un châ-
toire de Cotyœum, il ne reste dans la teau fut construit sur la colline escarpée
ville moderne aucun monument antique de toutes parts qui domine la ville; il
di(<ne de lixer l’atteution; Cotyœum tut est fortifié par une double euceinte flan-
cependant classée parmi les villes épis- quée de tours.
copales, et SI l'on en juge par l’état assez Ce château occupe sans doute l’em-
florissant de la ville moderne , elle fut placement de l’ancienne Cotyœum. La
toujours le centre d’un grand com- plupart des villes antiques étaient en
merce et conserva une population con- effet assises sur des hauteurs; de plus,
sidérable ; c’est toujours dans de sem- on trouve aux alentours du chkeau
blables conditions (jue les monuments plus de vestiges d'antiquité que dans
antiques disparaissent. aucun autre quartier ; nombre de fâts
En 1390, .sous le règne du sultan de colonnes, de chapiteaux et d'archi-
Bayazid, elle était reconnue comme la traves sont encastrés dans les murs; on
métropole de la Phrygie; mais en 1402, remarque un lion de marbre brisé en
apres la bataille d’Ancyre, elle fut prise deux et extrêmement mutilé, mais dont
et saccagée par les troupes de Timour le mouvement indique une bonne épo-
et les habitants emmenés comme es- que. On commence ici à entrer dans la
claves. région des lions de marbre; elle s’étend
Du nom de Kermian, qui est celui de jusqu'au delà de Konieh, et au nord jus-
la province de Kutayah, M. de Hammer qu’à Ancyre : il est peu de villes où l’on
conclut que cette ville était située dans ne rencontre plusieurs figures de ces
la célèbre plaine appelée Céramorum animaux.
Agora, le marché des Céramiens, ou des Au milieu de l’enceinte du château
potiers , et qui fut traversée par l’armée est une église byzantine ruinée, mais
du jeune Cyrus (3). pas assez ravagée cependant pour qu’on
Rennel accepte cette hypothèse. Nous ne distingue plus les peintures qui la
ne pensons pas, en effet, que cette plaine décoraient. Au-dessous est un caveau
soit bien éloignée du site de Kutayah, dans lequel on enterrait les personnages
la région nord de la province entre Ku- de haut rang, un sarcophage d’une con-
tayah et Ouschak est trop montagneuse servation parfaite en avait été récem^
ment tiré au moment de notre séjour à
(i) Sirabon, XII, 57<i. Kutayah. Nous ne pourrions affirmer
{l'i Suidas, Cotyueuin. qu’on le retrouverait encore en place,
(3) Xt-noph., Annal., i
,
a, lu. car les Turcs ne remuent pas les mo-

-- -

n;-
ASIE MINEURE. 395

nunients par pur intérêt historique : il tospathaire était sans doute gouverneur
est probable que le tombeau du sou- de la province ;

verueur byzantin était destiné à faire « S’est endormi le serviteur de Dieu,


une belle auge de fontaine. « Grégoire, protospathaire (impérial)
Ce sarcophage est de marbre blanc; « et général d'Asie , le 31 août de la
sa face antérieure est divisée en quatre « dixième indiction. L’an 6579. »
parties par des arcs et des pilastres or- Cette année correspond à l’année
nés d’un treillis réticulé. Les deux arcs commune 1071.
extrêmes ont leur partie centrale ornée L’aigle sculpté sur l’autre comparti-
d’une croix grecque, entourée d’une ro- ment indique que le défunt occupait
sace formée par huit cercles qui se cou- une haute charge à la cour des empe-
pent. Un des arcs du centre présente reurs. Kn effet, le protospathaire (porte-
un bas-relief d’un travail assez médio- épée) était une des grandes fonctions à
cre, mais dont le sujet se perpétue, la cour de Byzance.
pour ainsi dire, sans lacune depuis les L’aigle des Paléologues se retrouve
temps les plus reculés. Un lion nrons- encore sur plusieurs monuments à Cons-
trueux dévore un daim ou une gazelle. tantinople, et notamment sur la porte
Les plus anciennes représentations de du bazar appelé le Bezesleln.
ce type, purement asiatique, se ren- F.n montant au château, on voit, en-
contrent sur les cylindres babyloniens, castrés dans les murs, quelques frag-
sur les monuments de Persépolis, sur ments de sculpture antique et une se-
lestombeaux de la Lycie. Plusieurs mo- conde figure de lion en marbre d’un
numents grecs, phrygiens et romains très-mauvais travail. Dans la cour inté-
nous en offrent la répétition , sans autre rieure, inch kalé, nous avons remarqué
variante que la nature de l’animal dé- une pièce d’artillerie qui est une vénta-
voré par le lion mais qui est toujours
, ble curiosité elle est composée de ban-
,

un herbivore , un taureau, une anti- des de fer juxtaposées et reliées entre


lope, un daim, et même un lièvre. Les elles par de.s cercles de fer. Cette pièce
chrétiens ont adopté ce type, comme le est sans doute une des premières qu’aient
prouve ce monument. fabriquées les Osmanlis de 1430 à 1450.
Il est probable que le principe de Sous les émirs de Kermian, qui étaient
cette représentation a été d'abord un de race seidjoukide, la ville de Kutayah
emblème tout astronomique, qui a réunit une population considérable et
change de signiQcation par la suite des s'embellit d’un certain nombre de mo-
temps, jusqu’à représenter aux yeux numents; elle comptait sept grandes
des peuples la lutte du bon et du mau- mosquées, autant de bains, parmi les-
vais principe. quels on distinguait Baloukii hammam,
11 est rare de trouver sur les monu- le bain aux poissons, parce que dans le
ments des dates aussi précises que celle centre était un bassin d’eau froide
que l’on peut lire sur celui-ci. L’ortho- rempli de poissons
graphe de l’inscription, horriblement Les monuments de Kutayah quoique
défectueuse , est cependant d’accord bâtis par des artistes seidjoukiaes sont
avec la prononciation de la langue grec- loin d’égaler comme art et comme goût
que telle qu’elle est parlée en Grèce. ceux de la capitale Iconium Konieh ;
Nous avons publié jadis le dessin de l’art des faïeuces émaillées n’y fut ja-
ce monument dans la Revue archéolo- mais pratiqué qu’avec une médiocre
mw ( 1 ). intelligence; en un mot Kutayah offre
Nous nous bornons à reproduire ici fort peu d’intérêt sous le rapport des
la traduction
de l’inscription grecque du monuments.
tombeau d’un protospathaire ; elle est Les maisons sont bâties partie en
curieuse en ce sens qu’elle prouve qu’en
bois, partie en briques; elles sont toutes
lan 1071 les Byzantins étaient tran-
couvertes en tuiles.La résidence du pa-
quilles possesseurs de Kutayah. Ce pro-
cha est un composé de grands bâtiments
qui ne s’élèvent que d’un étage, et qui
Revue archéologique, i345, tombeaux ne se distinguent que par leur mauvais
«U moyen ige a Kutayab.
état d’entreüen

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SM LUinVERS.
Aucun vestige des monuments de Les femmes ne sortent que voilées;
l'ancienne Cotyoeum ne subsiste plus, ellesne mangent jamais avec les hom-
les pierres ont été employées pour élever mes, et ont leur appartement séparé, où
les édifices modernes: cependant, dans elles reçoivent leurs visites. Les famil-
les cimetières et les lieux abandonnés, les arméniennes catholiques n’ont pas
on trouve çà et là quelques pierres tu- un genre de vie différent. (Voy. PI. 46.)
inulairesdont le style se rapproche des
monuments d’Aiza'ni. CHAPITRE Xlll.
Au commencement de l’année 1833,
Kutayah ,
sortant tout à coup de son DE KUTAYAH A AIZANI.
obscurité séculaire, devint le point
de mire de toute la diplomatie euro- La ville d'Aizani occupe un des pla-
iéenne, et fit trembler sur son trône teaux les plus élevés de la Phrygle
fe sultan Mainhoud. Le fils de Mé- Epictète presque au point de partage
hémet-Ali, Ibrahim pacha, vainqueur des eaux qui se jettent , au nord dans
à Konieh des troupes du sultan avait la Propontide, et au sud dans le golfe
suivi sa marche triomphante jusqu'à de Smyrne, le Khyndacus d'une part
Kutayah; mais Ibrahim manqua à sa etl’Hermusde l’autre. Quand même le
fonune le jour où il fit halte dans cette baromètre ne viendrait pas apprendre à

ville. Il fallait qu’il vînt occuper les l’observateur qu’il se trouve a plus de
hauteurs de Broussa, qu'il fortifiât le mille mètres au-dessus du niveau de la
passage de Ak serai. A celte époque, le mer, la végétation du pays, la nature plus
secret de sa faiblesse n’était pas encore line et plus serrée ries graminées suf-
connu ; la Bussie n’eût pas osé l’atta- firaient pour le lui indiquer.
uer. I,es flottes réunies de France et La grande plaine qui s’étend à l’ouest
'Angleterre se tenaient prêtes aux de Kutayah est presque entièrement
Dardanelles, et le premier mouvement dépourvue de végétation ; cette région
des Russes aurait été le signal d’une sans bois s’étend sur la majeure partie
collision que tout le monde était d’ac- de la Phrygie et de l’Arménie, cette rir-
cord pour éviter. Ibrahim faisant halte constance est due sans doute à la haute
à Kutayah fut bientôt enlacé dans les altitude de ces plateaux.
filets de la diplomatie, qui elle-même La route de Kutayah à Aizani est
ne savait pas au juste ce qu’il fallait lui peu pittoresque, mais est des plus in-
demander. téressantes au point de vue géologique.
Ibrahim avait établi son camp à deux En sortant de Kutayah on se dirige au
lieues de la ville, dans le voisinage de sud-ouest en contournant la montagne
sources thermales ; à côté du camp s’était du château ; on franchit trois crêtes peu
formé le quartier des diplomates, qui élevées, et l’on traverse autant de plaines
venaient aussi prendre des bains. Ibra- qui paraissent avoir été autant de bas-
him donnait déjà des ordres dans toute sins lacustres, tandis que les monta-
l’Asie pour commencer des réformes gnes sont composées de roches d’une
urgentes; mais bientôt, obligé de battre nature schisteuse, formées de lames ei-
en retraite, il se retira avec son armée trêmement minces, suivant des ondula-
sur Konieh , et la diplomatie crut avoir tions variées, et roulées sur elles-mêmes
triomphé parce qu’elle avait prolongé comme les feuillets d’un livre. La rwhe
le chaos dans ce malheureux pays. contient de nombreux noyaux ovoïdes
La population de Kutayah dépasse de chalcédoine grossière; la marne
uinze mille âmes: les deux tiers sont crayeuse et le calcaire d’eau douce oc-
e la religion musulmane, l’autre tiers cupent l’étendue de tous les bassins.
est composé de chrétiens, arméniens ou On a encore une montagne à franchir
grecs. avant d’arriver au plateau d’Aizani;
Les premiers sont en possession de elle est composée de roches talqueuses
tout le grand commerce; leur vie res- qui donnent au terrain une couleurverte
semble en tout point à celle des Turcs ; et chatoyante; de nombreux rognons
les seuls ameublements de leurs maisons de jaspe sont répandus dans cette roche
se composent de divans et de coussins. C’est la dernière formation primordialf

' d by Coogh
,

ASIE MINEURE. 887

dite éocène qu'on rencontre avant d'ar- probable, que pour rassembler ici le
river à Aizani; on retrouve ensuite le petit nombre de documents que nous
calcaire lacustre , dont les roches ont ont laissés les auteurs anciens. « Les
servi à la construction de certains mo- habitants d'Azanion.dit Hermogène (1),
numents d’Aizani. ayant vu leurs prairies inondées et frap-
Le plateau de Tchafder est bien cul- pMS de stérilité , et souRrant de la di-
tivé ; il produit surtout de l’orge : voilà sette , s’assemblèrent pour sacrifier aux
ourquoi les Turcs ont donné à la mo- dieux , qui restèrent sourds à leurs
erne Aizani le nom de Tchafder his- prières. Euphorbe, de son cdté, sacrifia
sar, le château de l’orge. Ce territoire aux génies un renard ( ouanos ) et un
est possédé par six villages placés à peu hérisson {exis), et il les apaisa si
près à égale distance les uns des autres ; bien , que la terre recommença à pro-
uatre sur la rive droite du Rhyn- duire des grains et des fruits en abon-
acus , qui traverse cette plaine du sud dance. Les habitants , en reconnais-
au nord ; ce sont les villages de Aoucher, sance de ce fait , choisirent Euphorbe
Hadji Méhémet keui
,
et Hadji keui ;
, pour leur prêtre et pour leur chef, et ce
Tchafder hissar à cheval sur le fleuve, fut à celte occasion que la ville prit le
et sur la rive gauche Sofou keui. nom d'Extianum, qui veut dire héris-
son-renard. Il semble que le mot Aza-
CHAPITRE XIV. nion soit venu de ce nom. »
D’après un passage de Pausanias, il
AIZA.NI. semblerait que les Azaniens de Phrygie
fussent originaires de l’Arcadie (2) ; ce
En citant Aizani parmi les prin- ui concorde encore avec toutes les tra-
cipales places de la Phrygie Épictète, itions, qui font peupler ces contrées
Strabon (I) ne donne aucun détail sur par des étrangers venus d’Europe ;

la position ni sur l'histoire de cette « Areas, dit-il, eut trois fils, Azan,
cité,
et les itinéraires anciens en indi- Aphidas et Élatus, qui se partagèrent le
quaient à peine la situation. Cependant, royaume de leur père. La part qui échut
la villedes Aizaniens est comprise dans au premier reçut le nom d’Azanée, d’où
les évêchés de la Phrygie Pacatienne au l’on dit que soVtirent parla suite les co-
cinquième concile de Constantinople. lons qui allèrent s'établir en Phrygie
Mais jusqu’à ces dernières années elle rès de l’antre appelé Steunos et du
Alt complètement oubliée par les his- euve Pencala. » Pausanias ajoute (3) :

toriens, les géographes et les antiquaires; « Ces Phrygiens, qui habitent les bords
on la rangeait parmi ces stations de peu du fleuve Peucella (sic), et qui sont
d'importance qui avaient complètement originaires d’Azanée, montrent la grotte
disparu de la surface du sol. Les vova- appelée Steunos, qui est circulaire et
geurs modernes qui avaient traversé la d’une grande hauteur. Ils en ont fait
Phrygie n’avaient recueilli aucun ren- un temple de la mère des dieux où la
seignement sur cette ville , dont les déesse a sa statue. »
ruines auraient une célébrité égale à La ville d’Aizani était la métropole
Mlle des plus beaux monuments anti- d’une contrée que l’on appelait Aizani-
ques, si elles étaient dans un pays plus tide. Quant au fleuve Peucella, il n’est
accessible et plus souvent visité. point connu, et tout porte à croire que
Hérodien. cité par Étienne de By- c’était le nom d’un affluent supérieur
zance (3), affirme qu’Aizani fut fondée du Rhyndacus. Les médailles les plus
par Aizen , fils de Tantale, et appelé communes de la ville d’Aizani portent
Azanoï, et par quelques autres, Azanion. la tête de Jupiter, coiffé du modius , et
Le même géographe rapporte une his- au revers un aigle les ailes étendues,
toire puérile recueillie par Hermogène, avec cette exergue lEPA BOVAH AIZA-
:

que nous citerons moins pour la don-


, NEITÜN. Le nom de la ville, écrit
ner comme une tradition tant soit peu
(i)Apml.Ste|iliaiiumBysanl. voce ’AC«vo(.
(i) Lib. Xia, p. 176. (-j) VIII, r.

(a) Voce ’Aîavof. (3) l.ib. X c. Si.


. ,

398 . -t
LTJNIVERS.
’Aïavoi dans le texte de Strabou, avait Il est à remarquer que cette ville,
fait penser au savant Mannert que ces dont l’étendue a uû être considérable,
médailles étaient fausses; mais la décou- et qui conserve tant de splendides ves-
verte des inscriptions et d'un grand tiges n’a gardé aucune trace de son sys-
nombre de médailles impériales rap- tème de défense ; on ne voit pas le
portées par différents voyageurs prouv e moindre débris de murailles ni de dis-
que l’orthographe du texte grec est position qui puisse ressembler à une
fautive. LesGrecs écrivent aiz/inoi (t). acropole. Mais l'usage de clore les vil-
et les I..atins ÆZAm. Nous avons adopté les était si général et en même temps
l’orthographe grecque. si important dans l’antiquité, qtt’on ne

Après avoir franchi les collines au saurait croire qu’une place qui a été le
pied desquelles est assise la ville deRu- centre d’une grande association reli-
tayah, on arrive sur un plateau qui est gieu.se , et qui certainement renfermait
le point culminant de cette partie de des ricliesses considérables en offran-
l’Asie Mineure, et qui d'après les ob- ,
des et en dépôts soit restée ouverte
,

servations barométriques (2) , est à aux incursions des bandits qui descen-
1085 mètres au-dessus du niveau de la daient de temps à autre dans les villes
mer. Une chaîne de montagnes court de Phrygie, et dont les chefs résidaient
de l’est à l’ouest dans la partie méri- danc lés châteaux de l’Olympe Mysieu,
dionale du plateau : c’est le Mourad où ils commandaient plusieurs villages.
dagh, autrefois le mont Dindyniène, C’est une remarque que l’on a fréquem-
dont lesdeux versants donnent naissance ment occasion de faire, da ns les ruines
à des fleuves qui vont arroser de vaste.s des cités antiques : quelquefois les mu-
bassins. Au sud coule l’Hermus, et au railles seules subsistent encore, comme
nord le Rhvndacus, qui traverse la ville à Antioche, Halicarnasse,Érythræ ,etc.,
d’Aizani. C'est dans les vallées supérieu- d’autres fois , les monuments les plus
res du mont Dindymène qu’il faudrait délicats ont traversé les siècles, et les
chercher cette grotte de Steunos , dont murailles ont disparu complètement.
il serait possible de retrouver les traces.
La destruction des remparts d’Aizani
Le plateau d’Aizani est composé d’un est un fait d’autant plus singulier, qu’il

sol crayeux, recouvert par une couche n’y a dans le voisinage aucune ville,
épaisse de terre végétale qui produit en aucun village important qui ait pu s’ap-
abondance toutes sortes de grains. roprier ses débris , et il n’est pas pro-
L’édiQce qui attire d’abord les regards able qu’il en ait été transporté à Ru-
est un temple de marbre blanc qui tayah, située à vingt-sept milles de là.
s’élève sur une vaste terrasse, et qui, Si l’on enjugeparles monuments qui

comme le Parthénon d’Athènes, s’a- subsistent encore , les murailles d’Ai-


perçoit d’une distance considérable. On zani devaient être construites en grand.s
franchit le Rhvndacus sur un pont de blocs de calcaire d’eau douce , qui sont
marbre , et l’on marche pendant long- employés dans les libages de tous les
édiflce's, et qui sont extraits des mon-
temps au milieu des débris d’architec-
ture accumulés. tagnes environnantes tl).
Après avoir longé le péribole du
temple, on trouve, un peu plus loin
ne faut pas onblier que la diphthoii-
(i) Il vers le nord-ouest, les ruines d’un
gue oi se pronon^il i. édifice carré qui peut avoir servi de
(a) Les observations que j’ai faites à
Âizani
basilique ou d’agora; puis, en tournant
3 juillet iSSg avec deux
baroincü'es
le vers le nord, on remarque les ruines
m’ont donné les hauteurs suivantes ;
d'un hyppodrome et d’un théâtre qui
Thermomètre libre -j- ao", ae.
y est contigu. Ce dernier édifice
est
5 heures du .soir, temps couverl, vent du
adossé à une colline au sommet de la-
nord.
a“,ao. quelle il y a un grand nombre de tom-
l"' B. o'“, 67»,8S Tli. B.
-1-
beaux, ce qui indiquerait que la ville
a* B' o"’,f>7a,34 Th. B' -j-
La moyenne de ces deux observations, da-
coinmandaut Uel- (i) La coquille caracléristiqiio de ce cal-
près le.» e.ilculs de M. le
caire est la plaDorbe.
cros ,
donne io85“,a.
ASIE MIJVKURE. 3»9

ne s'étendait point de ce côté ,


si , au gnifique soubassement au vaste temple
lias et le lonf; des quais, qui
du fleuve qui couronnait la terrasse. Les parties
étaient évidemment dans l’intérieur de latérales de ce Témenosélaientsoutenues
la ville on ne trouvait également une
,
par un mur épais dont il reste encore
sorte de voie des tombeaux avec de une partie à l’angle nord-ouest. Il ne
nombreux monuments. re.ste dans le pourtour aucune trace de
Au sud de la grande terrasse du construction , mats il est très-probable
péribole on observe encore une colon- ue des fouilles faites en quelques en-
nade 'd’ordre dorique qui a peut-être roits mettraient à découvert des por-
appartenu au gymnase; la largeur du tiques et des habitations destinées
temple est de 45 mètres, et sa longueur pour jes prêtres. C’est cette vaste en-
de 75; les colonnes sont de marbre ceinte qui est généralement désignée
blanc et d’une seule pièce, mais dans par les anciens sous le nom de Témenos,
l’enceinte on ne trouve point de traces lieu fermé elle était décorée de jar-
:

de constructions ,
ni de débris de mu- dins, d’exèdres et de statues , qui se
railles. Deux ponts de marbre tra- trouvent mentionnés à chaque instant
versent le fleuve ; ont cinq arches à
ils dans les descriptions de Pausanias. Le
plein cintre. La richesse des parapets qui temple lui-même, Aaos, était entouré
longent les quais n’a point d’égale dans d’un portique, Sfoa, généralement ou-
une autre ville antique; chaque pierre vert sur le Téménos, et qui séparait ce
porte des sculptures représentant , soit dernier emplacement de l'Area propre-
des faunes et des mascarons, soit des ment dite, où se faisaient les sacrifices.
chasses d’animaux sauvages. Lethéâtre, C’est au milieu de cette place que s’éle-
qui se trouve dans la partie septentrio- vait l’édifice sacré, iSaos, Sêeos, dont
nale de la ville, quoique d'une conser- l’entrée n’était permise qu’aux initiés et
vation remarquable , est loin cepen- aux prêtres. Le temple était lui-même
dant d’être un des plus beaux de l’Asie entouré de portiques, Peribolos, qui,
Mineure; la partie moyenne de l’hip- suivant le caractère du temple, étaient
podrome était ornée de deux Puleinar, plus ou moins larges. Cette disposition
ou pavillons destinés aux personnes de des grands édifices religieux n'est pas
distinction. Les gradins étaient de seulement pariiculière aux Romains et
marbre blanc, et les deux extrémités du aux Grecs ; on la retrouve dans les
stade étaient carrées. grandes pagodes de l’iiide dans les,

temples de la Perse, au grand temple


CHAPITRE XV. de .Salomon.
Le temple d’Aizani e.st établi sur un
LE TEMPLE. soubassement de :i6“9ri de longueur
sur 21 “962 de largeur. Au-dessous de
Le grand temple, d’ordre ionique et la Cella se trouve une grande salle sou-
de marbre blanc, s’élevait, dans la terraine, formée par une voûte à plein
partie centrale de la ville, sur une ter- cintre, dans laquelle on descendait par
rasse quadrilatère , taillée dans une col- un escalier pratiqué dans le Fosticum.
line naturelle qui formait le Téménos. Cette voûte est éclairée par des sou-
La partie antérieure de cette terrasse piraux qui prennent leur jour au pied
est décorée de vingt-deux arcades sépa- de la moulure inférieure de la Cella
rées dans leur milieu par un grand es- sous le portique. I..a longueur de la
calier de 30 mètres de large. Dans leur salle est de 16“157 sur une largeur de
état actuel, on ne voit que des arcs en 9“I20; elle servait à renfermer les
pierre grossièrement tailles; maison re- richesses du temple, et, dans certaines
trouve,dans les saillies et dans les angles circonstances , était offerte t»mme un
de la maçonnerie, des arrachements lieu sûr aux citoyens pour y déposer
du revêtement en dalles de marbre blanc leurs objets précieux.
qui la recouvrait. Devant chacun des Le posticiim était composé de deux
pieds-droits., il y avait un pilastre qui murs parallèles, entre lesquels était
soutenait un entablement. L’ensemble placé l’escalier. Cette .salle était, à pro-
de cette construction formait un ma- .pmneut parler, l’opisthodome qui.

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400 L’UNIVERS.
dans certains temples périptères, est deux colonnes, et l’arrachement du
placé au fond de la Cella. La largeur du mur de refend donne la distance exacte
soubassement comprend le Naos et le entre l’extrémité de l’ante de la porte.
portique. Il reste aujourd’hui sur la Malheureusement, toute cette partie de
race occidentale six colonnes debout, l’édifice est ruinée, etil n’a pas été pos-

et douze sur la face septentrionale, il sible de retrouver le moindre débris de


est évident, d'après l’inspection du plan, la porte ;
les quatre antes sont couron-
que les deux petits côtés avaient cha- nées par un chapiteau composé; l’in-
cun huit colonnes de front; pour la térieur de la Cella ne porte aucune es-
face latérale, on est assuré qu’il y en pèce d’ornement, et le marbre des mu-
avait quinze. En effet, la colonne railles est profondément altéré par l’ef-
d’angle de l’occident porte, selon la fetde l’incendie. Dans l’angle gauche
règle, un chapiteau d’angle, c’est-à- du temple on avait pratiqué une porte
dire , dont la volute extérieure fait avec communiquant à une cellule qui avait
la face un angle de quarante-cinq une issue sur le Posticum. Il est clair
degrés, tandis que la colonne extrême que ces portes étaient destinées au ser-
du côté de l'est a un chapiteau dont les vice particulier du monument; elles
deux volutes sont sur le même plan. communiquaient sans doute derrière la
De plus , le soubassement de ce côté statue. Cette disposition se retrouvedans
se prolonge au delà de l’axe de la co- un très-grand nombre de temples an-
lonne de 3“240 , c’est-à-dire , qu'il y a ciens, et l’on est tenté de croire , quelle
juste la place pour ajouter une colonne. que soit la grossièreté de l’artifice, que
On sait, d'ailleurs, que, dans les tem- les prêtres faisaient quelquefois paner
ples périptères, le nombre de colon- la statue. Peut-être aussi était-ce sim-
nes du côté était égal au double de celui plement pour le service du temple et
de la face, moins une. L’entre. colon- pour revêtir la statue de vêtements et
nement d’axe en axe était de 2'°536. Le de voiles offerts par les villes et les
temple était de la classe de ceux que citoyens. En dehors du Posticum on
Vitruve appelle pseudo-diptères. Sur la voit'encore les deux colonnes placées
face principale il y avait deux rangs de entre les antes, et qui sont d’im ordre
colonnes parallèles. composé. Un grand soupirail commu-
Pourarriverà l’aréa sous le portioue, niquant avec l’opistbodome prenait jour
il y avait un escalier, qui aujourd’hui entre les deux colonnes, dont les bases
n’existe plus , et le mur du soubasse- n’ont pas de plinthes; mais les bases
ment s’élève verticalement à un mètre des colonnes du portique portent des
au-dessus du sol dans tout le pourtour plinthes carrées.
du temple. Cela prouve qu’un escalier La solidité de cette construction au-
était disposé delà même manière sur les rait défié les siècles,
si l’ignorance ab-

quatre faces , comme' il arrive au Par- surde des habitants ne les eût poussés
tliénon et à la plupart des autres tem- àdétruire cet édifice; les colonnes, étant
plus grecs périptères. On sait que cette d’une seule pièce de marbre blanc,
sorte de temple était rare en Italie , et étaient regardées par eux comme de la
du temps de Vitruve il n’en existait pierre fondue , et , pour le plus grand
point à Rome; l’invention du genre est malheur de l'éidifice; on croyait qu’elles
attribuée à Hermogène d’Alabande son : étaient pleines d’or. Pendant longtemps
but était de donner plus de largeur le vieux temple fut attaqué parles moyens
sous le portique pour les processions ordinaires , la pioche et le marteau ;
qui se faisaient autour de la Cella. rien ne transpirait des richesses qu’il
La Cella est assez bien conservée devait contenir, losqu’un Turc eut la
pour qu’on en retrouve toutes les dis- fatale idée de le démolir d’un seul coup.
positions particulières. Tout le mur Pendant bien des jours , les habitants
septentrional est intact , une partie du furent occupés à charrier du bois des
mur méridional et tout le Posticum. montagnes environnantes ; on en rem-
On voit, en examinant le mur du Pro- plit la Cella ; on entoura de fagots les
naos, que la Cella se terminait pardeux colonnes du portique, et l’on mit le feu
antes , entre lesquelles étaient placées à cette masse accumulée. Le marbre ne
ASIE MINEURE. 401

résista pas à l'intensité de la chaleur ;


partie du fût attenant au chapiteau jus-
tout le portique méridional, le mur de qu’à l’astragale lu hauteur du fât est
,

la Cella et la façade s’écroulèrent avec de 8'"705 et la hauteur totale de la co-


fracas , et les sauvages habitants furent lonne Cette proportion est plus
à peine détrompés en voyant la preuve élancée que celle des antres ordres de
manifeste de leur stupidité: ils restèrent riouie, mais elle a beaucoup de rapport
convaincus qu’un génie malfaisant déro- avec celle du temple d’Érechthee, à
bait les trâors à tous les regards; et Athènes. Le fût delà colonne a des can-
aujourd’hui même, le Turc qui me nelures qui sont formées par un demi-
racontait ce fait, me disait, en montrant cercle, et il est remarquabV en ce que,
les inscriptions : « Celui oui parviendra dans la partie supérieure, chacune des
à déchiffrer ces signes aeviendra pos- cannelures est décorée d’un petit vase
sesseur des biens qui nous échappent. » en relief, ajustement qui ne se trouve
Laf tradition de cet incendie est restée dans aucun autre édifice. Les propor-
parmi les Turcs, mais ils ne peuvent tions du chapiteau ne le cèdent point à
pas bien en préciser l’époque ; elle est celles des beaux temples del'Iouie; il
antérieure à la naissance des plus vieux est décoré dans le cavet supérieur,
habitants. En examinant la masse de entre le quart de rond et le filet des vo-
décombres qui entourent l’édifice, et lutes , d’un fleuron en haut-relief qui
qui, aujourd’hui, est recouverte par garnit cette partie du chapiteau. L’ar-
une terre végétale assez épaisse, on est chitrave est très-haute selon les pro-
;

porté à croire que cet événement eut portions des temples grecs , elle est
lieu vers le commencement du dernier décorée d’un cavet et' d’uu quart de
siede. Du reste, la trace d’un feu vio- rond, et chacune des faces porte à sa
lent est restée empreinte sur l’iutérieur partie supérieure un rang de perles. La
des murs de la Cella , et prouve que frise, qui est d’un caractère particulier,
l'édifice n’a péri qu’à la suite d’uu in- est ornée de grandes consoles en forme
cendie. Il manque au temple, aujour- de volutes, soutenues par des feuilles
d’hui, trente et une colonnes ; les deux d’acanthe. Cet ajustement a tout à fait
qui étaient à l’angle sud-ouest gisent le caractère ionique et produit un
au pied de l’édifice ; deux autres qui très-bel effet. Pour ceux qui doute-
manquent à la face septentrionale se raient que le fragment trouvé près de
retrouvent également en avant du por- l’escalier appartint bien à la frise du
tique; mais des vingt-sept autres on n’en temple, il y a uuc preuve convaincante :

voit pas de vestiges. Or, ces colonnes, c’est que la distance d’axe en axe entre
étant d’une seule pièce , n’ont pu évi- les volutes est de 0"'C3-t, et que cette
demment être anéanties que par le feu. distance correspond positivement à la
D'après l’état actuel des ruines du tem- distance d’axe en axe de six des den-
ple d’Aizani
,
il est à croire cependant ticules de la corniche; d’où il suit que
qu’il n’était pas parfaitement complet chaque volute porte un denticule et se
loisqu’il a été incendié, car rien n^ex- trouve d’aplomb au-dessous d’un modil-
pliqueraitla chute de la corniche et de lon. L’intervalle entre chaque volute
la frise des faces du nord et du couchant. est orné de fleurons variés et se trouve
Aujourd’hui, les colonnes sont seule- également à l'aplomb de l’autre mo-
ment couronnées par l’architrave, et il dillon. Le même ajustement se retrouve
ne reste en place aucun morceau de dans l’architrave, l’axe d’un ove est à
frise et de corniche. J’ai la conviction l’aplomb de chaque volute.
que des fouilles opérées au pied de l’édi- La base de la colone est d’ordre io-
lice mettraient à découvert de nom- nique elle porte deux scoties séparées
:

breux fragments de sculpture. Tout le par un double filet et un gros tore dont
fronton occidental est probablement la courbure n’est point un arc de cercle
enseveli sous le sol voisin. comme aux bases romaines , mais une
,
I.e temple est d’ordre ionique, le courbe dont la rentrée est beaucoup
lût de la colonue est composé d’une plus forte en bas qu’en haut. La formede
seule pièce de. marbre de 8“520 de cette courbure est sans doute motivée
longueur; mais en
y comprenant la sur ce que la perspective déforme les
36< Livraison. (Asi« Minedbk.) r. ii. 2«
,

402 L’UJVIVERfî.

courbes engendrées par un arcde cercle. nom de l’empereur sout effacées, mais
On voit quelques colonnes couchées il résulte de l’inscription grecque que ,

dans l’esplanade qui entoure l’édifice ; c’est bien l’empereur qui écrit à Quiétus.
elles appartenaient au péribole, et
Copie d’une lettre d'Hadrien à Uuiétus.
avaient S"'440 de longueur sur O^OSO S’il ne parait pat que le champ dédié par les
de diamètre; elles avaient 24 canne- rois à Jupiter A.izaiiien toit divisé en autant de
lures, qui étaient remplies par un fuseau parcelles qu’on appelle cléros, il vaut mieux
observer, ainsi que tu le penses toi-méme, ce
cylindrique jusqu’à l°'84 au-dessus de qui se passe dans les villes voisines ; et si Met-
la base. Les colonnes étaient d’ordre Uus Modeslus en ordonnant qu’un impét fût
corinthien; elles formaient un portique levé sur ces parcelles, a déterminé quels élaient
les champs divisés en cléros. Il est juste qu'à
qui entourait le temple de toutes parts partir de ce temps ils payent l’Impôt. 11 a donc
ét fermaient l’espace que les anciens été ré||lé depuis ce temps qu’il iallait payer
appelaient Area. C’était une cour dans l’impôt ; mais si t’on cherche des retards...,.
laquelle se faisaient ordinairement les
Il est probable que l’expression dédié
sacrifices et les processions. Dans l’état
de ruine où il se trouve , le temple d’Ai-
par les rois, « dicatus à regibus, » dé-
signe les rois de Pergame, car les em-
zani est encore d’un grand intérêt, car
pereurs romains ^nt désignés dans ces
on sait combien les édifices d’ordre ioni-
inscriptions par les mots Imperatores
que sont rares dans toutes les contrées.
Il reste à déterminer l’époque à la-
Ou AÙTOXpdTOOEÇ (1).
quelle cc temple fut construit et la 4i-
Quiétus, au reçu de cette lettre, écrit
vinité à laquelle il fut dédié, question
au sénat et au peuple d'Aizani pour
faire connaître la uécision de l’empereur
facilement éclaircie par la lecture des
huit inscriptions grecques et latines
qui ordonne qu'un nouveau cadastre de
la contrée soit fait par un corps de géo-
tracées sur cette portion du mur de la
Cella que le temps a respectée. L’élé-
mètres et d’après lequel on déterminera
la cote de l^impôt des Cléri. C’est le
gance des colonnes , la légèreté de la
sujet de la seconde inscription, qui est
structure, donneraient à croire qu’il a
placée à l’extérieur du temple. Quiétus
été dédié à quelque divinité féminine
si les inscriptions n’étaient là pour at-
anuouce aux archontes qu’il a envoyé
tester qu’il fut élevé au plus sévère des
à Hespérus une copie de cette lettre.
dieux, à Jupiter Panhellenien, et tout le Avidius Ouiétua aux archontes au séoat et ,

territoire qui entourait la ville était an peuple d’AIxant salut , :

La contéstaiioD élevée au sujet du territoire


dédié à Jupiter A'zanieu- sacré dédié autrefois à Jupitar, durant depuis
Il résulte de l’examen des inscriptions plusieurs années, a été terminée par la sagesse
qui sont placées sur la plate-bande, forr de notre très-grand empereur. Après que Je
Int eus écrit pour lui expliquer clairement tonie
mant le couronnement du soubassement l’affaire etlui demander la décision qu'il fallait
de la Cella, sur le mur extérieur du tem- preudre, principalement sur deux points qui
ple et sur la face intérieure de l’Ante du vous suscitaienl ce différend et qui consti-
tuaient la partie difliclle et introuvable de Taf-
côté du Pronaos, que des contestations faire, il a Joint au sentlaient philanthropique
graves s’étaient élevées entre les habi- les sentiments de justice qui président a ses
tants et' les membres du sénat, sur la Jugements, et il est parvenu à mettre lin à la
longue constestation qui pétait élevée et aux
quotité de l’impôt à payer pour les ter- sonpqoos qui vous divisaient depuis longtemps,
res appelées Cleri, et qui étaient dédiées comme vous l’apprendrez d’apres la lettre qu’il
à Jupiter Aizanien. Quiétus, qui sur m’a envoyée et dont Je vous ait fait passer copie.
J’ai de pins écrit à Hespéros, procurateur Im-
les inscriptions ne prend aucun titre, périal aha qu’organisant un corps de géomè-
mais qui était sans doute préteur de tres, il fasse mesurer le terraiu et vous en fasse
l’Aizanitide, écrivit à l'empereur Ha- connaître l’étendue ; et , d’après les lettres sa-
crées de l’empereur, Je vous ait déjà fait con-
drien pour lui demander son avis. Cette naître la cote de l'impôt de chaque (partie
lettre n’existe pas sur les murs du appelée ) Cléros, dans le territoire sacré. A
temple ; il est probable qu'elle a péri partir du Jour où vous aurez reçu la lettre,
vous payerez ce tarif dans chaque' district con-
dans la destruction des murs du sud. sacré a Jupiter, alln que de nouvelles contesta-
L’empereur Hadrien répoud à Quiétus tions n’empéchent pas la ville de Joniç, trop
une lettre dont nous avons une partie
notable. Dans le titre de cette lettre, (i) Voyez plus bas la lettre de Quiétus à
les deux premières syllabes h^dui du Hespérus,

J


/» - , .1 .' < <:
ASIK MI^EURE. 403

tsrd des effets de la sagesse de l’empereur .... encore le privilège d’avoir sa statue et
rai eijvoyé h Hes^rus une copie decette lettre.
son portrait ( ’AvSpidvToj xat Eîxdvoç ) ex-
Portes-vous bien.
posés dans Athènes et dans le lieu qu’il
ehoisirait Ces inscriptions se compo-
La seconde inscription latine est la
sent d’une déclaration de l'archonte
copie d’une lettre de Quiétus à IJespé-
par laquelle celui-ci est chargé de
Jason, d’une lettre écrite aux archontes
itis.
d’.Aizani, par !Nummius Menés, au nom
rendre compte de l’état des Cléri dans
le territoire sacré :
de l'aréopage , d’une autre lettre de
Titus, archonte des Panhelléniens, et
Copie d*uoe lettre de Qaiétos à H^pêrns. enfin d’une lettre de l’empereur Hadrien
Ayant appris que lamesuredes Cléros D*étalt
pas éf»i)e , et notre divin empereur ayant or-
lui-même, qui atteste les vertus d’Eu-
donné, diaprés sa consÜluUon, qu'il u’y eût ryclès. Ces inscriptions sont placées à
ni plus grande ni plus petite mesure dan» cette côté de celles que nous avons citées plus
région, qui est due dédiée a Jupiter Aizaoien,
va, mon cher Uespérus, informe-toi quelle e»t
haut, sur le nandeau du mur de la
la plus grande et la plus petite mesure dans Cella. INous ferons remarquer en pas-
cetie même région , et fais«le-moi connaître. sant que cette disposition architecturale
paraît être faite pour recevoir le-s actes
La troisième inscription latine est la de l’autorité publique. La traductiou
copie de la réponse d’Hespérus à Quié- grecque du testament d’Auguste à An-
tus, par laquelle le premier fait con- cyre est également placée eu cet endroit
naître les mesures qu’il a prises pour
d'ans l’Augusteum.
se rendre compte de l’état du territoire.
Le temple d’Aizani ne présente aucun
Otte inscription est malheureusement document qui fixe positivement l’époque
incomplète :
de sa construction, quoique les inscrip-
Copie d’une lettre de Quiétus a Hesperus. tions de ses murs soient toutes romaines
Ortaines affaires. Seigneur, ne peuvent être et du milieu du deuxième siècle de Jé-
unenées a leur fin que lorsque leur valeur a
sus-Christ; il y a encore dans son ar-
de fixée par la pratique, ('«inme vous m'aviei
rDiuinl de vous faire connaître la mesure des chitecture trop de reflet de l’art grec
Cleros dans le pays d’AUani, J’ai envoyé à ce pour croire que ce monument ne date
titjet des géométrea...
que de cette époque.
Les vastes constructions du péribole,
La plupart des inscriptions décou-
les ponts de marbre, l’eueaissement du
vertes dans les ruines d’Aizani ne font
Rhyndacus , tous ces travaux , dans
mention que du dieu Jupiter. Il n'est
lesquels l’art et l’utilité se prêtent un
pas probable que ia ville n’ait contenu
mutuel concours, exécutés d’un .seul
qu’un seul temple , mais tous les outres
jet et d’après une pensée unique, ne
se sont effacés devant la majesté de
paraissent pas devoir être attribués aux
cet édifice , et leurs vestiges inmnes ont
Romains, qui n’ont jamais eu de grands
disparu.
intérêts dans cette partie de la Phrygie.
Il existe près du fleuve Rbyndacus
une stèle sépulcrale qui était probable-
En effet, lorsque la bataille de Mâgiie-
sie eut fait tomber l’empire de l’Asie
ment dans le péribole du temple et qui
entre les mains des Romains, le terri-
était consacrée à un certain Ménophiie,
toire de la Phrygie était déjà fondu dans
prêtre de Jupiter.
les autres petits royaumes. Mais lorsque
Le séual et le peuple ont honoré Ménophiie les rois Attales s’emparèrent de (xdte
Hlsde Nicostrate, prêtre de Jupiter pour la rovince, l’adjonction de ce territoire
dixième fols , lequel s'est rendu utile à sa pa-
irie.
la monarchie de Pergame était pour
»(

ces princes d’une immense importani-e;


Le mur dela Cella contient en outre aussi durent-ils ne rien négliger pour
quatre inscriptions grecques, toutes s’attadber le j^uple phrygien. C'est alors
relatives à un certain Euryclès , natif que- se seraient élevees ees gr.iiides
d’.Vthènes, qui avait exercé la dignité constructions dont le caractère s’accorde
d’archonte, et qui obtint par décret, assez bien avec l’époque de transition à
non-seulement des remerciements pu- laquelle elles auraient été faites , la fin
blicsde la nart de ses concitoyens d’Ai- des monarchies asiatiques et le com-
zani et de l’empereur Hadrien, mais mencement de la puissance romaine.

26 .
404 ltjnivkes.
CHAPITRK XVI. milieu de ces tombeaux sont aussi des
autels funèbres décorés de sculptures
LKS PONTS BT LA VOIE DES TOH- plus ou moins riches, et qui étaient
BEAOX. sans doute destinés à porter des statues.
D’autres inscriptions tumulaircs se
Tousles monuments importants de trouvent en grand nombre, soit dans le
d’Aizani sont situés sur la rive
la ville cimetière turc, soit dans les champs
gauche du fleuve ; cependant, on trouve qui environnent le fleuve; elles ont
des restes assez nombreux pour être toutes été publiées (f ).
convaincu que la cité occupait les deux Le Théatbe. —
Il est situé dans la
du Rhyndacus; aussi pour com-
rives ,
partie méridionale de la ville , en partie
muniquer d’un quartier à l’autre, avait- creusé dans une colline et faisant face
on construit deux ponts de marbre au sud-sud-ouest; son grand diamètre
blanc ,
qui servent encore à la circula- est de 56 mètres, et la courbe de la
tion. Dans l’intérieur de la ville, le cavea forme plus d’un demi-cercle. Le
fleuve était encaissé entre deux quais mur qui contient les gradins est de
de solide maçonnerie, dont les parapets, marbre blanc, et forme avec la face de
comme nous l’avons dit , étaient en la scène un angle de six degrés et demi.
marbre blanc et sculpté. De l’autre côté On sait que les théâtres d’Asie diffèrent,
de la voie étaient placés des tombeaux dans leur construction, de ceux d’ Eu-
dont le caractère est particulier à la rope, eu cela que le mur de la cavea
Phrygie, qui trouvent leurs analo- est parallèle à la scène dans les théâ-
gues dans les grands monuments taillés tres latins. On ne trouve que deux
dans le roc , et qu’on suppose dater des exemples de cette dernière construction
monarques phrygiens. Les deux ponts en Asie ce sont le théâtre de Nicée et
;

sont construits sur le même plan; ils celui d’Aspendus. Les théâtres cons-
ont cinq arches de largeur inégale ; celle truits d’après le système grec sont néan-
du milieu a 6“ 50, les deux arches de moins presque tous postérieurs à la con-
culée 5“ 15; mais les terres de la rive quête romaine , et il en est bien peu qui
ont presque entièrement comblé ces soient antérieurs à l’époque d’Alexandre.
dernières, qui forment aujourd’hui des La salle nu cavea du théâtre d’Aizani
espèces de caves ; de plus , les barrages est assez bien conservée dans sa partie
établis sur le Rhyndacus ont exhaussé inférieure. Il y a seize rangs de gradins,
le cours de l’eau , qui monte jusqu’au- tous de marbre, dans la première pré-
dessus des impostes, et ne permet que cinction ; mais tout ce qui appartient a
difficilement de prendre ces relève- la précinction supérieure est complète-
ments. La largeur du pont est de 4“ 10, ment détruit.
et il reste de chaque côté 0" 70 pour Les gradins de la précinction supé-
l’épaisseur des parapets. Ou voit sur rieure s’avançaient jusqu’au droit du
l’extrados des voûtes, qui forme le seul parement des cellules, et le podium
dallage de ce pont , des traces de roues formait alors une sorte d’architrave. Le
de chars , qui datent certainement de rayon de l’orchestre, relevé avec le plus
l’antiquité , car les Aizaniens d’aujour- grand soin, nous a donné une longueur
d’hui ne font point usage de voitures. de 20® 480 ; et la largeur totale du théâ-
Les tombeaux aizaniens représen- tre est de 103® 52. Aux deux extrémi-
tent généralement un ædicule qui a tés du demi-ccrcle , il y avait deux
dans Te centre une porte à deux van- portes qui conduisaient de plain-pied eu
taux fermée par un cadenas. Il semble dehors de l’édifice, et qui correspon-
que ee soit la porte du séjour des daient à un escalier des cunei, partie
morts qui s’est à tout jamais refermée de gradins comprise entre deux esca-
sur le défunt. La partie supérieure de liers. Tout ce qui est relatif au jeu de la
ces ædiculcs est ordinairement compo- scène est assez bien conservé pour ex-
sée d’une espèce de fronton qui donne citer vivement l’attention d’un homme
à la silhouette du monument une res-
semblance frappante avec ces curieuses (i) f'ovi'Z Descr. île l'.-ls. Min., t. 1" i lo
sculptures de la vallée de Nacoleia. Au (-1 siiiv.
,

ASIE MINEURE. 405

qui n'a vu que les théâtres de l’Europe; pagne, comme l’ont souvent dit dis
on peut excepter celui de Pompéi ; mais voyageurs et des antiquaires. Il semble-
la scène, il taut le dire, est bien rui- rait que le théâtre lies anciens ne se
née, si l’on compare cet édifice aux au- composât que de sièges pour les specta-
tres du même genre en Karamanie. La teurs, devant lesquels les acteurs ve-
partie de l'édifice consacrée aux jeux a naient réciter leurs pièces tout cela
,

peu d’importance ; elle est complètement en plein air, avec les distractions du
détachée du corps du théâtre. Le mur dehors, et exposé aux intempéries des
du proscenium est bâti en grands blocs vents et de la pluie. La salle de spec-
de pierres calcaires, et il était revêtu de tacle ,chez les anciens était au con-
,

dallesde marbre blanc. traire close , et toutes les précautions


La façade intérieure était décorée de possibles étaient prises pour que la voix
sixcouples de colonnes d’ordre ionique, des acteurs ne se perdit pas dans l’es-
supportant une frise de la plus grande pace. Les murs du proscenium s’éle-
richesse. Il n’entrait dans la construc- vaient à la hauteur de la précinction ,
tion niciment, ni crampons de fer; et le vélarium couvrait toute la salle ; de
toutes les pierres se soutenaient par sorte que les spectateurs n’étaient pas
leur propre poids; aussi un léger af- même distraits par la vue du ciel. Dans
faissement dans le terrain occasionné , les deux salles extrêmes du postscenium,
par l’accumulation des eaux dans cet on voit deux cages d’escaliers circulaires
endroit, a-t-il amené la destruction de qui conduisaient aux étages supérieurs ;
toute la façade. Mais rien n’a été em- la étaient les salles de l’administration
porté et l'on trouve dans l’orchestre
, du chorége, et les dépôts des costumes.
un monceau de décombres composé de M. Hamilton, qui a examiné les ruines
chapiteaux, de fâts de colonnes, d’ar- d’Aizani en 183tt, pense que le pros-
chitraves et de piédestaux accumulés , cenium est d’une construction posté-
dans un désordre effrayant. Le mur du rieure à celle du théâtre. Il a été frappé
Thymélé se trouve aujourd’hui enterré de la rudesse des grosses pierres, des
sous les décombres, mais on voit par- libages qui forment les murailles de la
faitement le soubassement qui suppor- scène; mais quand l’édifice était entier,
tait les colonnes, dont la plupart des ces libages ne paraissaient point; ils
hases sont restées en place. Les diffé- étaient cachés dans l'élégante décoration
rentes salles du proscenium, au nombre de marbre qui est accumulée dans l’or-
de cinq, communiquaient avec la scène chestre. Tout ce théâtre porte le cachet
par autant de portes la porte trauique,
: de l’art de transition entre le grec et le
qui était au centre, la porte comique romain.
et la porte satirique, qui en étaient voi-

sines, .et les portes du chœur, qui CHAPITRE XVll,


étaient aux deux extrémités. A côté de
celles-ci s’en trouvent encore deux au- LB STADE.
tres qui, d’après leur disposition dans
la façade, paraissent avoir été dissimu- En avant du théâtre et dans la di-
léespar quelque boiserie , car elles se rection du sud-est, âe trouve le stade,
trouvent derrière un groupede colonnes, qui conserve encore une partie de ses
et elles communiquent chacune avec gradins. Vers le milieu, il y a , à droite
deux salles du proscenium. Ces portes et à gauche, deux grands pavillons
servaient évidemment pour les jeux de dans lesquels se trouvaient le pulvinar
la scène , comme des évocations ou des ou loge consulaire , et la loge des juges
tmparitions. Toute la partie supérieure des jeux. La façade du pulvinar se com-
du proscenium, au-dessus de l’ordre pose de sept arcades de 2"’ 60 de large,
ionique, est aussi détruite; mais on et dont les pieds droits avaient 1"* 62.
voit dans les décombres de nombreux Un corridor de 6” 70 séparait cette
vestiqes du premier étage. On ne sau- rangée d’arcades d’une autre rangée
rait trop répéter, d’ailleurs, que dans d’égale dimension , et qui donnait en-
les théâtres antiques les spectateurs ne trée immédiatement au-dessus des gra-
jouissaient pas du coup d’œil de la cam- dins; mais il y avait deux étages d’ar-

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406 L’UNIVERS.
cades. Tout cela est maintenant telle- exposées, aussi la ville des Kédiz n’esl-
ment couvert par les décombres que ,
ellc intéressante qu’au point de vue de
nous n’avons pas jugé le plan que nous la géographie comparée.
en avons tracé assez complet et assez Laroute d’Aizani à Kédiz, tronçon de
satisfaisant pour le publier. Le stade , la grande route de Kutayah à Smyrne
dans son état actuel, offre une particu- est encore suivie par les caravanes, et
larité remarquable ; car, aux extrémités, Tchafdcr hissar est un lieu de halte.
on ne voit aucun vestige de construc- La roule de Kédiz suit la direction
tions, comme dans quelques hippo- du sud-ouest; on remonte pendant
dromes d’Italie. Depuis le pavillon jus- quelques kilomètres la rive droite du
qu’au théâtre , le stade a 98 mètres ; la Rhyndacus, en franchissant les collines
largeur du pulvinar est de 26™ 30, et calcaires qui forment le plateau deTchaf-
de l’autre part le stade se prolonge en- der, le pays prend un caractère plus
core dans une longueur de 98 mètres, agreste , ôn commence à rencontrer
ce qui lui donne pour longueur totale quelques clairières, et bientôt après une
221“ So. La largeur totale du stade est forêt de pins et de chênes verts; tout ce
de 46“ 40, et celle des pavillons de terrain appartient encore à la formation
18“ 32. Il avait départ et d’autre dix calcaire, mais les rochers ont un aspect
rangs de gradins , ce qui donne de la schisteux. Près du village de Sousouse
place pour 12,760 spectateurs en comp- (sans eau), la craie renferme de nom-
tant 0“ .60 par place. Il m’a été impos- breux rognons de silex recouverts d’une
sible de m’assurer si le milieu de l’a- croûte jaunâtre; ils sont abondants et
rène était séparé par une épine. On ne diposés par lits comme dans les falaises
trouve non plus aucune trace des metæ, de Normandie ; entraînés par les eaux,
ou bornes extrêmes. Tout porte a ils forment la majeure partie des cail-

croire cependant que cet édifice a servi loux dans lelitdestorrehs La vallée qui
pour des courses de chevaux et même donne naissance au Rhyndacus est de
de chars, comme tous les autres hip- schiste terreux gris, de la consistance du
podromes. trapp ; à droite et à gauche sont des es-
carpements couverts de pins, et d’où sor-
tent un grand nombre de sources c’est
CHAPITRE XVm. là que le ruisseau commence à prendre
,

un cours coutiuu , plus haut ce. ne sont


GADl — KF.UIZ. ITINBRAlnn D’AIZANI A que les eaux des pluies ou des neiges
CADI. réunies accidentellement pour former
un petit torrent qui est à sec une par-
L’ancienne Cadi, située aux sources de tie de l’été. La vraie source du Rhyn-
l’Hermus, occupait l’emplacement de la dacus est une fontaine qui donne un
ville moderne de Kédiz, mais le sort des volume d’eau considérable où vont s’a-
deux villes fut bien différent. Tandis breuver les nombreux troupeaux qui
qu’.Aizani placée au centre d’une vaste sont au Yaëla pendant l’été.
plaine avec des débouchés difGciles était Quelques pas plus loin on se trouve
complètement abondonnée par sa po- sur la ligne de partage des eaux des
pulation, Kédiz, bâtie à cheval sur un deux mers.
torrent, presque au fond d’un précipice, Le massif du Mourad dagh, le mont
est toujours restée une ville d’une cer- Dindymène, s’élève à l’orient, les replis
taine importance, parce que la vallée de de ses vall^s sont ombragés par de
l’Hermus la mettait eu communication belles forêts, et dans les nuits d’été les
avec Smyme et tous les pays peuplés et campements des nomades sont indiqués
commer(^auts chez lesquels les produits par les feux des Douars. Cest dans
de ses champs et de son industrie trou- cette montagne que se trouve Tantre
vaient un écoulement assuré. Tous ces Steunos, « grotte magnifique remarqua-
avantages de position, l’état prospère de ble par son étendue et son élévation (i). »
la ville ne peuvent promettre à l’archéo- H est très-probable que cette grotte
logue qu’une maigre moisson par des
raisons que nous avons plusieurs fois (i) Pau.saiiias, liv. X, 3a,
ASIE MINKÜRE. 451?
•/!

existe encore daus quelque esuarpeiuent La ville est dominée par une monta-
de la montagne. gne volcanique et pointue sur laquelle
Apres avoir passé la ligue de par- un château, et plus aucienne-
était jadis
tage des eaux , ou commence à descen- ment saus doute l’acropole de CadI:
dre; au milieu de la forêt, une grande les habitants appellent cet endroit Raie
vallée venant de l'est est arrosée par un lechâteau. Qu voit quelques traces d’es-
faible ruisseau qui deviendra l’Hcrmus. dans le roc ; cette situation
caliers taillés
La nature du terrain change pour ressemble a celle de Cotyæum.
ainsi dire en même temps que la direc- Cadi est du nombre des villes qui fu-
tion des eaux ; on a laissé derrière soi rent peuplées par les colonies mAjédo-
les terrains calcaires, et l’on entre dans niennes. Pline (1) nomme les Macédo-
la région volcanique. Le pays qui se dé- niens Cadueni, c’est-à-dire habitants de
ronle aux regards appartient à la Phry- Cadi; sous les princes byzantins Cadi
gie catacécaumèue ; la forme des mon- fut épiscopale , Philippe son évêque
tagnes change en même tempe que la souscrivit au coucile quinosexte.
nature du terrain. Le pont sur TUermus en amont de la
La route contourne un grand cène ville passe chez les habitants pour une
volcanique dont les laves basaltiques construction très-antique ; mais c’est un
très-duree ont une cassure vitreuse et ouvrage du moyeu-âge avec un arc en
brillante; on ne reconnaît pas de coulée ogive. On a encastré dans le parement
de laves bien tranchée, mais le chemin des assises deux statues saus tete, l’une
passe au milieu de blocs dont la di- de femme vêtue de la stola , l’autre de
mension varie depuis -un mètre cube personnage consulaire.
{usqu’à trente mètres. Vn peu plus bas Le territoire cultivé est au-dessous
on reconnaît une véritable coulée dont de la ville dans la vallée de l’Hermus
on suit la direction jusqu’au bas de la ni s’élargit subitement et est couverte
OMotagne, là on retrouve l’argilo et le ’une abondante végétation; le fleuve
terrain calcaire qui existaient avant l’é- n’a pas en aval de la ville, plus de vingt
niptioa volcanique. , mètres de largeur, on le passe sur un
De ce point jusqu’au Kédiz, ce n’est pont d’une seule arche pour suivre la
qu’un chaos de monticules argileux et route de Smyme. Vue de ce pont, la
volcaniques. L’Hermus reçoit à son ville présente un aspect singulier ; elle
passage dans la ville le nom de Kédia est dominée à droite par deux hauts
tcfaaî, qu’il conserve dans tout son par- rochers qui surplombent et qui sont
cours. réunis par un édilice à arcades. Le mi-
Les montagnes sont noires et les naret de la mosquée se dessine sur le
maisons de Kédiz sont bâties d’argile ciel, et toutes les maisons basses et uni-
noirâtre et couvertes en terrasses; à formes se groupent sur les deux pentes.
peine peut-on, du haut de la montagne, Mais dans tout ce tableau il u’y a pas
faire une distinction entre les maisons un seul arbre : c’est bien vraiment l’en-

et les terrains environnants; aucune trée de la Catacéoaumène, du pays brûlé.


verdure ne vient égayer ces tristes cou-
leurs, jamais villa n’a présenté un plus
CHAPITRE XIX.
sombre aspect.
Le seul monument qui attire les re- SINADS. — AHCYBE.
gards est une mosquée moderne bâtie
dans le style de celles de Constantinople Deux autres villes appartenant à la
;
mais tout ce qui restait de monuments Mysie Abbaïtis, qui est devenue la Phry-
anciens a été employé dans les cons- gie Épictète, doivent être notées dans
tructions modernes; maisons sont
les la partie orientale de cette province : ce
perchées sur des pointes de roc et n’ont sont les villes de Sinaus et d’Ancyre de
de communication entre elles que par Piirygie, situées sur le cours supérieur
des seutiers tortueux le palais du Mut- du Macestus (2). Ancyre étàit la capi-
;
zellim est sur la rive droite de la ri-
vière; il se distingue
à peine des autres (i) Pline, liv. V, ag.
maisons. (a) Strabou, XII, 576.
, ,

408 L’UNIVERS.
taie des Mysiens Ahbaïtes. Strabon(l) criptions grecques sont encastrées dans
la désigne comme une petite ville voi- les murs de la mosquée et des maisons
sine de Blaundussur les frontière de la du village, mais on n'observe aucun
Lydie. Elle est comprise par Hiéroclès vestige de monument. Synnaus ne doit
parmi les évêchés de la Phrygie Paca- donc plus être noté que comme point
tienne. I.a position de cette ville a été géographique; mais la connaissance de
déterminée par M. Hamilton (2) près cette position est importante, en ce
du village de Kilissé keui , à trois lieues qu’elle complète la connaissance de.s
au nord-ouest et près du lac qui donne villes anciennes de la Phrygie Épictète.
naissance au Simaul sou, sur une colline
voisine de l'extrémité sud-ouest du lac. CHAPITRE XX.
Cette colline est en partie entourée de
marais qui en rendent les abords diffi- TILLES A l’ouest DU THYMBBIUS.
ciles. Prés d’une fontaine située au pied DOBYLOEUU. —
ESKI CHEHEB. '

de la colline il remarqua deux grands


blocs de trachyte grossier qui, d’après I,a rivière Thymbrius ou Tcmbro-
leur forme, doivent avoir appartenu aux gius prend sa source dans les contre-
sièges d’un théâtre. forts inférieurs du mont Dindymène
La colline sur laquelle est située l’a- le Mourad dagh, à soixante kilomètres
cropole forme une sorte de presqu’île environ au sud de Kutayah et dans le
qui se rattache aux montagnes formant voisinage du village de Altoun tasch ; son
la limite orientale de la plaine. parcours est de cent quatre-vingts kilo-
Un mur épais de pierres brutes en- mètres environ. Avant d’entrer dans la
toure le sommet do la colline vers l'ouest, plaine de Kutayah, il coule dans une
où il atteint sa plus ^ande élévation vallée resserrée, et franchit on étroit
on observe sur la colline d’autres tra- défilé. Le^Thymbrius est le plus grand
ces de murailles et des fragments de affluent dû Sangarius; il va se jeter dans
poterie. le fleuve un peu au-dessus de la ville
En descendant de l’acropole vers le d’Eski cheher ; mais avant d’arriver à
village de Kilissé keui, on remarque son embouchure, il se divise en plusieurs
près de la route une excavation qui branches qui sont presque à sec pen-
paraît être l’emplacement d’un théâtre, dant l’été.
divers fragments d’architecture, des La ville d’Eski cheher, l’ancienne Do-
blocs de murs helléniques sont répan- Mœum, est située sur la rive orientale
dus çà et là et servent de clôture aux Su 'Thymbrius. C’est une ville dont la
champs, des fdts de colonnes d’ordre fondation remonte aux dynasties phry-
dorique, quelques piédestaux avec des giennes; elle est citée par Démos-
inscriptions à demi effacées sont les thèno (1) et par presque tous les géo-
seuls vestiges de monuments qui sub- graphes anciens, Pline, Ptolémée. l.’é-
sistent encore, le tout était taillé dans poque la plus florissante de la ville de
le trachyte qui est la seule roche du Dorylœum fut la période byzauline;
pays, un bas relief de marbre avec deux elle avait été adoptée comme lieu de
génies grossièrement sculptés a échappé plaisance par les empereurs, qui y firent
a la destruction. construire des thermes et des palais.
Synnaus, autre siège épiscopal de la La beauté du climat, l’abondance et la
Phrygie, était voisine d’Ancyre, et il salubrité de ses eau;, en faisaient un lieu
parait qu’à une certaine époque les de délices; mais ces beaux Jours furent
deux évêchés ont été réunis en un seul. troublés par l’arrivée des hordes tur-
On retrouve le nom de Synnaus avec ques. Doryiée, mal défendue.Tut sacca-
peu d’altération dans celui de Simaul gée de fond en comble. L’empereur
petite ville située à huit milles au sud- Manuel la restaura en quarante Jours.
est du lac du même nom, plusieurs ins- Elle finit par tomber entre les mains
des Turcs, qui changèrent son nom en
(i) Slrabon.XII, 56-. celui d’Eski cheher, la vieille ville, sans
(a) Hamilton. Resrnrcltes in j4sia Minor,
IMI). 1
1, iq5. (il Ét. Byi., V. Dorylœimi.
ASIE MINEURE. 409

doute à cause des ruines qu’ils y trou s’opposer à l’ennemi , dont la cavalerie
vèrent. montait à cent cinquante mille hommes.
Les notices ecclésiastiques donnent à Après avoir éprouvé de grandes pertes
Dorj'lée le titre de ville épiscopale sous les Croisés virent arriver à leur secours
la métropole de Syiiuada, et mention- la réserve, qui était restée au camp,
nent Eusèbe évêque, et Athénodore qui l’ennemi fut alors rais en fuite, leur
souscrivit au concile de Nicée. camp tomba au pouvoir de Godefroid,
Sur carte de Peutinger, Dorylée est
la et les Croisés y firent un imniens." butin.
placée la route de Nicée a Amorium,
sur Les eaux thermales d’Eski cheher sont
passant par Pessinunte; c’est ce qui encore célèbres en Asie, mais la ville
nous a aidé à déterminer la position de est loin d’être dans un état prospère.
cette dernière ville. I.es distances don- Les mosquées ont de loin une belle
nées par cette carte sont suflisamment apparence ; les sept ou huit minarets qui
eiactes, et fixent les positions des villes s’élèvent au-dessus des maisons rom-
de Nacoleia, de Midœum et de Trico- pent l’uniformité des lignes. I,a ville
niia. est divisée en deux quartiers, celui des
habitations et celui du commerce où
Nicæa. Doryleo.
sont situés les bazars et les bains; ce
AgrilloxxivM.p. Cocfeo XXX.
quartier est relié à l’autre par une lon-
Doryléo xxxv. Aemonia xxxv.
gue levée en maçonnerie. La ville fait
Mideo xxviii.. Alydda xxv.
encore un petit commerce de transit
Tricomia xxi. Clâmydda xxx.
entre Brotissa Smyrne et les villes de
Pessinunte X XIII. xxxv. ,

l’intérieur, ellen’a aucune manufacture:


Abrostola xxiii. Philadelphia
la seule industrie qu’on y remarque est
Le voyageur Jouvin de Rochefort la fabrication des fourneaux de pipes en
décrit ainsi en 1680 la ville d’Eski écume de mer, dont les mines sont si-
chelier ; Elle est bien peuplée, et très- tuées sur la rive droite du Sangarius
agréable à cause de sa situation dans dans les régions de Kahè et de Muha-
un pays très-fertile en blés et en arbres litch.
fruitiers ;
un petit ruisseau qui coule là, Quoique ces
districts appartiennent à
le fleuve Bathys,
y fait de belles prai- la grande Pbrygie, ils sont réunis au-
ries que bordent de grands cyprès. 11 y jourd’hui au gouvernement d’Eski
a beaucoup de bains chauds dans cette cheher, et nous en donnerons ici la des-
etite ville; et comme on
y nourrit cription géologique et géographique.
E eaucoup de bétail, on y trouve du lait
en abondance : c’est le grand ragoût CHAPITRE XXL
des Turcs. On y voit plusieurs khans et
un grand bazar, qui n'est point couvert, EXPLOITATION DE l’KCUME DE MER
avec d’assez belles marchandises.
La ville de Dorylée est célèbre dans Le Sangarius, après avoir réuni les
l’histoire des croisades par la grande eaux du Tchibouk sou et de la rivière
victoire remportée par les Croisés le d’Angora, coule dansun lit d’argile dont
1" juillet 1097, sous le commandement les bords sont constamment rongés par
de Godefroid de Bouillon , sur l’armée les eaux ; la rive gauche est bordée par
musulmane ,
commandée par le sultan des collines peu élevées appartenant au
Kilidji Arslan. L’armée des Croisés s'é- terrain du calcaire grossier marin ; toute
tait avancée en deux marches de Nicée la rive droite, depuis le confluent des
jusqu’à Dorylée, et avait campé dans la deux rivières jusqu’à l’embouchure du
vallée de Gorgone, arrosée par leTliym- Poursac, est composée d’un immense
brys. Les chevaux trouvaient une pâ- banc d’argile qui suit les ondulations du
ture abondaute dans les riches plaines terrain et qui est lui-méme formé de
des environs; mais le lendemain matin, plusieurs couches superposées toute.s
un innombrable essaim de Turcs seldjou- variées dans leur composation. La cou-
kides vint assaillir les Croisés, en les che supérieure est formée d’argile plas-
couvrant d’une grêle de traits. Les Croi- tique contenant çà et là des marnes
sés se mirent en ordre de bataille pour calcaires, elle ne se distingue que par
410 LTllNIVl-aLS.

ses mauvaises qualités végétatives, aussi contredit la plus belle , la plus homo-
tout le pays est-il dénudé et presque gène et la plus blanche. Cette matière
sans arbres, les habitants ne. recueillent ne forme pas de couches continues et
que de maigres moissons d’orge et de régulières; on l’exploite par le moyen
blé. de puits qui ont de quinze à vingt mè-
La seconde couche, dont l'épaisseur tresde profondeur; elle se trouve dis-
n’est pas très-considérable, et qui se séminée en rognons dans l’argile smec-
trouve de dix à douze mètres en con- tique ; il est rare qu’on en retire des blocs
tre-bas du sol, est une argile d’un blanc qui atteignent un pied cube ; les blocs
verdâtre, d’un grain fin et homogène, bruts sont couverts d’une gangue tendre
qui est l’objet d’exploitations étendues ; et terreuse qu’il faut enlever; ils sont
c’est l’argile dite smectique ou terre à ordinairement de forme très-irrégu-
foulon elle est employée dans toute la
; lière.
contrée en guise de savon dans les bains L’exploitation par le moyen de puits
et pour les usages domestiques. Elle est répandue sur une surface de plus
sert généralement pour laver le linge et de cent kilomètres de longueur et d^ine
pour dégraisser les laines. De nombreux largeur variable, mais sur toute la rive
convois formés de petites charettes à droite du Sangarius ; il y en a plusieurs
deux roues et traînées par une paire de dans les plaines au nord-est d’Eski
bœufs partent de la ville de Muhalitcb, cheher, au village de lu eughi, à qua-
chef-lieu de l’exploitation, et se répan- rante-huit kilomètres d’Eski cheher.
dent dans toutes les villes de l’intérieur. D’autres puits sont creusés au village de
Arrivés la les caravaneurs vendent leur Septidji , vulgairement nommé Tasch
chargement, leurs bœufs, démolissent la odjaha à cause de la pierre qui s’y
chai cite et ramènent les deux roues à trouve; ce village est sur la route de
dos de mulet. Kahé à Eski cheher. Ici les puits ont une
Cette argile est portée jusqu’à Smyrne, profondeur de vingt mètres; ils sont
où les femmes turques en font usage moins profonds à In eughi. Les habi-
comme cosmétique dans leurs bains et tants ignorent si le même banc se pro-
h leur toilette. Préparée et purifiée, elle longe sous toute la surface de l’argile.
était revêtue d’un sceau et était trans- Muhalitch, qui concentre l’exploita-
portée jusqu’en Europe sous le nom de tion des deux produits, est une petite
terre cimolée de Smyrne ;
elle était ad- ville singulièrement située; elle est dé-
ministrée dans l’ancienne médecine pécée en cinq ou six groupes de mai-
comme sédatif et absorbant. Nous igno- sons dispersées sur trois collines. 11 y a
rons si premières magnésies em-
les un voïvode qui concentre les recettes
ployées dans la pharmacie ont suivi la du miri ou régie de l'écume de mer.
même voie, et si elles ont pris leur nom L’argile smectique est connue dans le
de la ville de Magnésie près de Smyrne, pays sous le nom de Kil et l’écume de
,

mais nous n’avons trouvé dans le pays mer sous celui de Istifé-lulési , pierre à
aucune trace de l’exploitation de la loulés (fourneaux dt‘s pipes).
magnésie médicinale. L’écume de mer est exploitée eu ré-
Au-dessous de cette couche d’argile gie par le gouvernement, c’est-à-dire
smectique, dont l’épaisseur n’a pas plus que les mineurs sont obligés de porter
d'un mètre, se trouve un autre gise- leurs produits au gouverneur, qui les
ment plus riche et plus productif : c’est expédie à l’entrepôt général à Eski
la pierre connue vulgairement sous le cheher. Là des marchands d’Allemagne
nom d'écume de mer et en minéralogie et de Russie viennent chercher le
sous celui de silicate de magnésie. meerschaum, l’écume de mer ; ils l’a-
L’emploi de cette substance est bien chètent par caisses contenant cinquante
connu en occident pour la fabrication morceaux, dont les plus gros n’ont pas
des fourneaux de pipes ; on ne connaît un demi- pied cube, et payaient cette
u'un très-petit nombre de gisements caisse, en 1834, 2, âOO piastres (625 fr.).
e celte matière, l’un en Hongrie, l’au- Le commerce de cette substance en
tre dans la Grèce près de Thèbes. Mais dehors des mains du gouvernement est
l’écume de mer de Muhalitch est sans sévèrement défendu ; on ne trouve pas
ASIE MINEURE. 411

un seul morceau a acheter en dehors descendant le revers de la montagne,


()u gros. Les Turcs, qui savent si bieu on marche pendant une heure sur le
exploiter cette substance pour les fu- terrain de craie en franchissant deux
meurs étrangers , n’en font aucun cas petites vallées dirigées suivant le rayon
pour eux-mêmes ils préfèrent les loulés
; de soulèvement de Sevri hissar c’est le
:

;
fourneaux ) de terre ; en général, ils ap- groupe qui s’étend jusqu’au mont Din-
portent dans leur manière de fumer plus dymène, aujourd'hui Gunesch dagh. On
de propreté et de recherche que les arrive, au bout d'une heure de marche,
Occidentaux ; jamais une pipe n’est fu- sur le calcaire marbre blanc et cristal-
mée deux fois sans être nettoyée de tou- lin; c'estdans cette région qu’ont été
tes pièces; ils sont bien différents eu ouvertes les carrières de Pessinunte.
cela des Allemands, qui ue connaissent La route se poursuit au nord à tra-
de bonnes pipes que celles qui sont im- vers un pays découvert et inhabité ; le
prégnées du jus de nicotine. terrain est'de formation argileuse et
Une sommaire que nous
analyse très-montagneux. On arrive bientôt à la
avons faitede la magnésite nous a donné vallée du Sangarius, qui est ombragée
0,70 carbonate de magnésie et 0,25 de , de quelques arbres. Le fleuve a en cet
silice,
y a des traces d’argile.
il endroit douze mètres de largeur, son lit
Cet ouvrage n’est pas un livre de on ne peut le franchir
est très-encaissé,
controverse, aussi nous abstenous-nous qu’avec beaucoup de difficulté en dé-
généralement de critiquer les opinions chargeant les chevaux et les faisant
que nous n'adoptons pas;, mais nous passer à la nage. Le lit du fleuve est
devons nous étonner de voir M..Ains- très-fangeux; en hiver on ne saurait
vorth (1), qui fait preuve de tant de tenter ce passage. Le village de Ak kaia
connaissances en géologie, assimiler (le rocher blanc), est situe dans le voisi-
cette substance au kaolin, qui est du nage du gué ; il est distant de huit heu-
feldspath décomposé et appartient par res de marche de Sevri hissar. De Ak
conséquent au terrain granitique, et dire kaia à Kahé, village situé sur la rive
en outre qu'elle appartient à la forma- droite du fleuve, la distance est de trois
tion plutonienne. La magnésite appar- heures de marche ; le pays est si difficile
tient géologiquement à la partie infé- qu’on ne saurait estimer autrement les
rieure du terrain de transition et aux distances.
argiles anciennes. Kahé, que les anciennes cartes indi-
Nous devons faire connaître ici la quaient comme occupant remplace-
route que nous avons suivie pour aller ment de Pessinunte, est situé à mi-côte
de Sevri hissar à Muhalitch, car depuis d’un entonnoir de montagnes et éloigné
plus de vingt ans il ne paraît pas qu’elle de tout chemin fréquenté Nous avons
ait par un autre Européen, et
été suivie compté de Kahé à Sevri hissar dix-huit
toutes ces régions restent en blanc heures, et de Kahé à Eski cheher qua-
même dans les cartes les plus moder- torze. La ville de Muhalitch est à qua-
nes, autrement dit elles sont remplies tre heures à l’est de Kahé.
par des hachures artistement conduites, Nous avons pu établir ainsi la dis-
mais qui en apprennent moins que le tance d’Eski eheheraux villes suivantes :

plus maigre itinéraire. à Seid-el-Ghazi , 9 heures; à Sevri his-


sar, 18 heures; à Muhalitch, 18 heures.
EOUTE DE SEVKI HISSAR A RSKI
CHF.HER PAR MUHALITCH. CHAPITRE XXII.

Sevri hissar (2) est située au pied d'un NACOLÉIA.


haut rocher granitique isolé au milieu
des formations calcaires. La route de Nacoléia était une des grandes places
Muhalitch suit la direction du nord. En fortes de la Phrygie Épictète ; elle est si-
tuée, d’après la table de Peutinger, à
(i) TraveU in Asia Minor^ t. I, Eski vingt milles , 29 kil. 58, au sud-est de
fheber. Dorylæum Étienne de Byzance, qui a re-
.

(a) Yoy. plus bas Grande Phrygie. cueilli avec soin les origines fabuleuses
412 LTJMVERS
des villes, dit qu’elle sou nom de
prit criptious avec le nom de cette ville ont
la nymphe Nacola ;
il que Naco-
ajoute pu être transportées dans celle de Séid
léia fut fondée par Nacolus iils de Dus- el ghazi. En effet, celte dernière ville est
cylus qui fut père de Gygés (1). Le col. en communication avec la première au
Leake plaçait Kacoléia a Pismich kalé moyen de cet enfoncement de la vallée,
si , dans le groupe montagneux au sud et on l'aperçoit facilement dans un éloi-
de Séid et ghazi. Il a été reconnu de- gnement de cinq quarts de mille à un
uis que ce lieu ne pouvait convenir à mille et demi, placée d’une manière pit-
P emplacement d’une ville. Dans la ville toresque au pied nord d’une chaîne de
même de Séid el ghazi, situee à huit collines ou plutôt de la pente d’un
heures de marche au sud-est d’Eski plateau. On sait que les Osmanlis ne se
cheher, distance qui concorde avec celle gênentpas pourtransporterlesancienues
que les tables assignent à Nacoléia, j’ai inscriptions d’une grande distance pour
lu, en 1834, une inscription portant le décorer leurs habitations. Certainement
nom deNacoléia (2); en 1858, M. Barth nous n’avons trouvé en ce lieu aucune
a découvert deux autres inscriptions inscription portant le nom de Nacoléia
portant le nom de la même ville , il y et on pourrait être incertain si cette ville
aurait là des motifs suffisants pour iden- ne peut avec plus de raison être identifiée
tifier Séid el ghazi avec ^acoléia; avec une des villes ruinées du voisinage ;
mais d’autre part le baron de Wolf mais elle était voisine de Prymuessiis
rapporta de Séid el ghazi une inscrip- et placée à la gauche de la grande route
tion qui existe encore gravée sur un pi- qui était à l’ouest. I.e fait notable d'a-
lastre, et portant les mots « Le sénat et
; voir trouvé ici deux inscriptions votives
le peuple des Prymnésiens », ce qui au- dont l’une est consacrée a Jupiter ton-
torise a regarder Séid el ghazi comme nant, nous permet de croire que c’était
l’ancienne Prymnessus(3).M. Barth es- un grand centre religieux; mais c’était
time que les inscriptions portant le nom aussi le cas avec l’autre groupe de
de Nacoléia ont pu être apportées d’un ruine.s (I). »
autre lieu(4) ; voilà où en est la question. 11 résulte de ces observationsque rem-
M. Barth a bien indiqué la place dans placement de Nacoléia n’offre dans ses
son itinéraire près d’un village ruiné et inscriptions aucun vestige du nom de
sans nom ; il traverse cette localité peu cette ville , tandis qu’on le trouve répété
de temps après avoir quitté la vallée des quatre fois dans des inscriptions de Séid
tombeaux phrygiens et faisant route vers el ghazi que l’on regarde néanmoins
le nord, » après avoir parcouru un pays comme l'ancienne Prymnessus. On ne
accidenté, coupé par diverses vallées. » saurait chercher les ruines de Nacoléia
Il ajoute : « Notre route, était N. 15“ dans un pays montagneux, puisque la
K. ; en même temps nous traversons une bataille entre Valens et Procope eut
vallée, et nous passons près d’un cime- lieu dans une grande plaine voisine de
tière avec d’antiques ruines et des débris cette ville (2). Nous laissons donc à Seid
de colonnes. Tout nous dit Ojan Naco- el ghazi le nom ancien de Prymnessus,
leïa était située dans cet endroit, et cela en attendant que les futurs explora-
explique facilement comment les ins- teurs donnent la solution de cette diffi-
culté géographique.
(i) EI.Byz. V. Nacolei.i, Hérodote i", 8 .

(ï) X'oy. descr. Asie Min., in-fol., I. i,


CHAPITRE XXIII.
p. «Sg.
(3) Franz fünrinscliriften iind fünf Stadle
MIDOEUM.
in Kleinasien, p. 5.
(/ijlchkopirle mehrere nnbedeii-
niclil
Uside Inseliriflrn , su die in einen grosseu
Midoenm était sur le fleuve Sangarius
Plleiler eingegrabene, welche den Naineii
à vingt-huit milles sud-est de Dorylœum ;
Prymnessos aut'bewabrt bat und weniger cette place était donc très-voisine de Na-
werden konnie, als
leiclit liierher gesebafft
die beiden kleinen Sieine, die den Nameii (i) Karlh, Reise von Trapeznnt nach Scu-
Nacoleia entballen. {Reise von Traptzuni tari, p. 97.

iiac/i Scutari von If Barth, />. 89 cot. a). , (a) Voy. page 384 et âuiv.
,
,

AStK MlNEURK. 413

coléia. Midoeuro dut sa fondation au roi nom du village, qui signiGe, les ruines
Midas comme Gordium à Gordius. Pla- dévastées, indiquent qu’il occupe l’em-
eéfssurla grande route qui rie lu Pro- lacement d’une ville considérable de
pontide conduisait dans la Cappadoce P ancienne Phrygie. On y rencontre un
ellfs ont toujours conservé une certaine grand nombre de petites inscriptions
importance Jusqu’à ce que les Osman- grecques, principalement dans le cime-
ils aient coupé ces communications; tière néanmoins on n’en trouve aucune
;

alors Midoeum fut abandonnée de sa qui contienne le nom de la ville; on


population , et son nom même fut ou- peut être assuré cependant que l’on est
blié. C’est dans cette ville que Sextus sur remplacement de l’ancienne Mi-
Pompée tomba entre les mains des lieu- docum (1). Au nord du village le pays ,

tenants de Marc-Antoine, qui le mirent parait bien cultivé ; à une demi-lieue de


à mort , sans doute par ses ordres distance on voit à gauche de la route le
quoique celui-ci n’en soit jamais con- village de Tchukur agha, avec quelques
venu (35 ans av. J.-C.) (I). D’après ruines et une inscription. Un peu avant
la notice de Hiéroclès, Midceum futepis- de passer la rivière de Harab euren, oh
copale, et comprise dans les évêcbés de voit à droite un tombeau ou turbé de
la Phrygie Salutaire. Selon Mannert la forme octogone, qui date du temps des
ville de MidŒum est la même queMyg- Seidjoukides; les monuments de ce genre
donie d’Amniien Marcellin; cette der- sont nombreux dans la Cappadoce; on
nière place était aussi baignée par le reconnaît dans sa construetion quelques
Sangarius ; c’est dans son voisinage que débris d’inscriptions grecoues et d’au-
se voyait le . tombeau de Mygdon.cbef tres matériaux antiques. G est une er-
des .^lygdoniens; elle était sur la fron- reur de croire que les Seidjoukides re-
tière de la Galatie. Procope donne à jetaient par esprit de fanatisme les ma-
celte ville le nom de Mygdus. Mannert tériaux qui avaient servi à des monu-
place dans le voisinage la station de ments païens, les murs de Konieh sont
Santabaris, qui était à l’est de Dory- remplis de fragments d’architecture et
lœum. de sculpture encastrés avec .soin, des 6-
Une inscription portant le nom de gures même d’hommes et de lions
Midœum a été copiée par SI. Wadiiig- sont placées comme ornement dans
ton (2) dans le village de Harab eureii, plusieurs tours de la ville.
qui SK trouve sur la rive gauche de la
rivière de Séid el gbazi, a huit milles CHAPITRE XXIV.
géogr. à l’est de cette dernière ville,
ce qui concorde avec la table de Peu-
LjX gbande phbygie.
tinger (3). Le village de Harab eureii, dit
l.es rois de Phrygie fondateurs de la
M Bartb, présente un caractère particu- dynastie de Midas et de Gordius avaient
lier ;plupart des maisons ont au de-
la
établi leur résidence dans le pays mon-
hors un escalier de bois conduisant au
tagneux nui forme le centre du grand
premier étage, qui est spécialement des-
plateau , borné au nord par le Sanga-
tiné à l’habitation; le rez-de-chaussée
rius , et à l’est par les terres des Ga-
sert d’étable pour les bestiaux et de
lates. Il s’étendait dans l’origine jusqu’à
grange ; il est bâti en pierres , parmi
Pessinunte, qui fut une des capitales du
lesquelles on observe beaucoup de frag-
royaume phrygien avant l’arrivée des
ments ayant appartenu à des construc-
Gaulois. La chute de la monarchie
tionsantiques. Le village est composé phrygienne entraîna la ruine de pres-
d’environ cent maisons; la population se
que' toutes ces petites villes, et dès le
livre avec activité aux travaux de l’agri- premier siècle de notre ère elles étaient
culture.Les nombreux fragments d’ar- tombéesà l’état desimples villages même
chitecture et les fûts de colonnes d’une
tout à fait déserts.
certaine dimension aussi bien que le men-
Le passage de Strabon (2) qui

(i)Dioii CassiiM, XI.IX, p. 4o3. (i) Barili, Heise -von Trapezunt nach Soii-

(v) Maimei't, grogiapliie iii, 94- lari, p. S-;, l'ulleclioii de IVIeimann.


(3)Carl Ritler Erdkiinde, I. IX, 6ia. (») .Strabon ,
XII, 578.
414 L’UNIVERS.
lionne les anciennes liabitations des Sangarius, depuis le village de In œughi,
Phrygiens est certainement relatif à où nous avons signalé les premières,
cette région. « Près de Pessinunte coule jusqu’au delà de la ville de Belouadoun,
le ileuve Sangarius , sur lequel on re- ancienne Polybotum et au sud jusqu’à
,

trouve les anciennes habitations des la Phrygie Pârorée, il est remarquable


Phrygiens, celles de Midas et avant lui qu’on n'en trouve point au nord du
de son père Gordius et de quelques au- Sangarius. Nous les observerons encore,
tres princes. Klles n'ont pas même con- mais avec un autre caractère, dans le
servé de traces de villes ; ce ne sont plus sud de la Cappadoce. On peut dire d’une
que des bourgs un peu plus grands que manière abslolue que les pays volcani-
les autres. De ce nombre sont Gordium, ques ont été les seuls qu’on ait choisis
résidence de Castor, (ils de Suoconda- pour exécuter de pareils travaux, car
rius ; celui-ci fut égorgé avec sa femme lestombeaux d’Âmasie diffèrent essen-
par son beau-père Déjotarus, qui rasa tiellement des monuments phrygiens.
aussi le fort et détruisit la meilleure On ne saurait fixer de limites chro-
partie de l’habitation. » A cette époque, nologiques à ces monuments divers ils ,

c’est-à-dire sous le règne de Tibère tout portent tous le caractère d’une très-haute
ce pays était désert ; il est à peine men- antiquité, et lorsque l’art de bâtir fut
tionne pendant toute la période byzan- connu, la facilité et l’économie avec les-
tine : les Turcs l’ont trouvé trop peu ac- quelles on pouvait construire des mo-
cessible pour y avoir fondé aucun cen- numents ne pouvaient plus être miles en
tre de population ; il est resté pour ainsi parallèle avec le labeur exigé pour creu-
dire ignoré de l’histoire jusqu’au com- ser à la masse et au poinçon des habi-
mencement de ce siècle ; alors un voya- tations et des tombeaux dans le eœur
geur anglais, le colonel Leake, reconnut des rochers. Ce qui est certain , c’est
le premier monument de l’art phrygien que du temps deStrabon, c’était déjà un
qui s'était conservé dans la solitude de souvenir presque oblitéré.
ces montagnes. Les dernières observa- La fable et l’histoire se mêlent si in-
tions sur ces vestiges remarquables d’un timement dans tout ce qui est relatif à
art oublié datent de 1858; il a donc l’histoire primitive et surtout au culte
fallu plus d’un demi-siècle à l’Europe des Phrygiens, que la critique ne saurait
savante et avide des souvenirs du temps débrouiller ce chaos autrement que par
passé, pour connaître à peu près com- des conjectures.
plètement cette région, qui au total n’a Atys ou Atès est le premier person-
jamais été inabordable. nage mythique qui apparaît en Phrvgie
La branche occidentale du Sangarius pour établir le culte de Cybèlc, la divi-
prend sa source dans une grande vallée nité nationale. Les anciens faisaient un
courant presque nord et sud , à l’entrée de mystère des circonstances de sa vie;
laquelle est bâtie la ville de Seid el gazi; Atys passait pour être fils de Calaüs; il
cette vallée porte le nom de Doghan- se rendit en Lydie, et y enseigna le culte
lou déré, la vallée du faucon ; elle est en- de la mère dès dieux , ce qui le rendit
gendrée par une double chaîne de mon- cher à cette déesse ; mais la jalousie de
tagnes de moyenne hauteur bien om- .Tupiter suscita un sanglier qui se jeta
bragées par des forêts de pins, et qui sur Atys et le tua. Selon Pausanias les
portent le nom de YapuI dagh. C’est Galates de Pessinunte regardent AWs
dans cette région que se trouvent, dans comme engendré par une nymphe fille
un état de conservation parfaite , de du fleuve &mgar. Ses parents fenvoj'è-
nombreux monuments commémoratife, rent à Pessinunte pour épouser la fille
des chambres sépulcrales, des habita- du roi. Agdistis, éprise au jeune Atys
tions taillées dans le roc , et enfin plu- lui inspira un accès de fureur à la suite
sieurs centres fortifiés qui répondent duquel le beau-père et le futur gendre
arfaitement à la description de Stra- a’entre-déchirèrent ; c’est en commémo-
on. Les habitations troglodytes des ration de cet événement que les Galles,
premiers Phrygiens ne se bornent pas prêtres de Cybèle se mutilent eux-mê-
seulement à cette région montagneuse, mes pour conserver leur chasteté. Selon
ellesoccupent toute la contrée au sud du la tradition mythique, Atys fut changé
,

ASIE MINEUR t. 415

eo Pin, et nous retrouvons les régions CHAPITRE XXV.


aimées des anciens Phrygiens ombra-
gées par des forêts de pins séculaires VALLÉE DE NACOLÉIA, TOMBEADX
qui rappellent le héros fondateur du DES BOIS DE PHKYGIE.
culte de Cybèle (I). Ce roi de Pessinuute,
que Pausanias ne nomme pas , était un Toute la partie centrale du plateau
Midas dontle nom se rattacheàl'établis- de Phrvgie, couverte de montagnes peu
sement du culte de la mère des dieux, à élevées et de forêts étendues, a été, à
tel point qu’il passait pour 6lsde Cybèle. une époque reculée, le séjour d'un peu-
Gordius, au contraire, représente le ple primitif, qui a donné des preuves
travail agricole ; il s’adonne à la culture nombreuses de son goût pour les arts
de la terre, et c’est en revenant de con- et de la durée qu’il désirait imprimer
duire sa charrue qu’il est proclamé roi aux monilmeuts qui sortaient de ses
et qu'il fait dans le temple la dédicace mains. Rien, dans ce qui nous reste de
de son char à deux roues. Or ce souve- cette époque, n’indique l’inlluence d'un
nir du roi laboureur ne s’est pas effacé art étranger, et les précieux monuments
en Phrvgie ; le char à deux roues s’est que nous allons observer sout aussi
conservé dans toute
cette région: nous éloignés des principes de l’art grec que
l’avoDS retrouvé dans la vallée du San- de l’ancien style perse ou de la curieuse
garius (2), et deux voyageurs allemands origiualité du lycien. Ces monuments
sont frappés d’étonnement en voyant sont propres à la Plirygie ;
la langue
les paysans de l’antique Midœum con- même de leurs inscriptions reste renter-
duire des chars à deux roues pour ren- raée dans les limites de cet ancien
trer leurs denrées (3) ; en effet, autant royaume; et dans la vaste etendue de
les voitures de ce genre sont rares dans territoire qui existe entre Synnada et
les autres régions de l’Asie, autant elles Nacoléia on ne veât que de rares dé-
,

sont communes dans la Phrygic. bris de monuments romains. Il semble


La culture de la vigne introduite dans que les conquérants de lu contrée nient
le pavs est personniOéc par l’amitié de ignoré ces valbees solitaire.s, où plus tard
Bacenus et de Midas; les richesses de des familles chrétiennes vinrent cher-
ce princetirées des mines de son royaume cher un refuge contre les persécutions
augmentent encore sa puissance et les ,
du paganisme, |ieut-étre aussi contre
présents qu’il envoie à Delphes répan- l’invasionmusulmane. Le caractère spé-
dent sa renommée au delà des frontières cialde ces rochers est d’être constitués
de l’Asie. Le Midas premier du nom au- eu niasses compactes, formant des col-
rait régné, selon la chronique d’Eusèbe, lines abruptes qui offraient un vaste
dans l'olympiade X, 4, ou 738 ans champ aux sculpteurs des premiers âges
avant J.-C.; il passe pour ie fondateur pour y placer leurs monuments.
de la monarchie. Rien U 'est sévère et majestueux comme
Le monument célèbre qui porte le ces solitudes que la nature embellit
nom de ce prince est le plus important d’une verdure perpétuelle. Ici , l’œil se
d'un groupe de monuments semnlables repose sur le gazon frais des vallées il ;

sculptés daus le rocher à très-peu de contemple plus haut, le sombre feuillage


distance les uns des autres. Us sout eu- des pins qui étendent leurs branches
tourés d’une innombrable quantité de séculaires ondulées et tordues , au mi-
caveaux, de gtottes, de tombes ayant lieu des rochers, comme la faible tige
chacuue un style particulier, plus ré- des arbrisseaux. Rien aux alentours ne
cent peut-être que les monuments mi- trahit le séjour de l'homme. A certaines
daïques, mais d’après l’avis des hommes é|)oques de l’année, les Turcomans no-
compétents tous antérieurs au siècle mades, traver.sant le pays, viennent
d’Alexaudre. planter leurs tentes auprès des vieux
mouumeuls phrygiens ; mais nul ne peut
(0 Pausauias, VU, cb. 17 . Oviil, Mélaw., indiquer leur po.sition exacte, car ces
f. 3. vallées sont sans nom; et la patience du
(a) Voyez page 4 ao. voyageur peut seule les découvrir après
(3) Barth, I. c. p. 87,001. i". de longues recherches.

d by VjOOgIc
416 L’UNIVERS.
Les chambres sépulcrales de Seïd vent les demeures d’été des habitants
el ar sont les premiers indices de cette de Bayat. Partout dans les rochers les ,

architecture taillée dans le roc, qui est anciens ont creusé des habitations et
caractéristique de cette contrée, et dont des tombeaux. Le terrain se compose
les nionuinenis se multiplieut sous tou- d’aj^glomérats volcaniques, blancs, faci-
tes les formes, laissant dans l'esprit une les a tailler. A six milles de là, on re-
idée confuse de la grandeur d'uu peuple connaît la formation calcaire qui s’étend
oublié, qui n'a laissé sur lu teri^ que jusqu’à la vallée nommée Ak kilissia,
rempreiiite de ses tombeaux. i’égiise blanche, dans laquelle sont quel-
A une lieue au nord du village, en ques ruines d’un village et d’une cha-
suivant la route de Bayat, on arrive à pelle byzantine. Après avoir franchi un
un lieu nommé Kirk liinn, les Qua- col bien boisé, on arrive à la demeure
rante Chambres. (On sait que le terme d’été ( Yaéla) des habitants de Kosrew-
quarante est employé chez les Orientaux Pacha-K.han, située dans une grande
pour désigner un nombre indéGni.) En vallée dont le sol est toujours vert et
effet, une longue suite de rochers for- bien cultivé. C’est dans scs environs que
més d’un tuf volcanique d'un blanc se trouve la vallée des tombeaux des rois
jaunâtre, sont percés d’une infinité d’ex- de Phrygie, tous taillés dans le roc et
cavations, formant tantôt des cellules d’une surprenante conservation.
séparées, tantôt des chambres commu-
niquant les unes avec les autres, et si- TOMBEAU DE MIDÀS.
tuées à différents étages, quelquefois
même fort élevées au-dessus du sol, de Le principal monument, connu dans
sorte qu’elles sont devenues aujourd’hui le pays sous le nom de Yasili kaïa,la
inaccessibles. La plupart de celles dans pierre écrite, à cause de la longue ins-
lesquelles on peut arriver portent des cription qui le décore, est situé a l’ouest
traces du car, depuis plusieurs siè-
feu ;
du Yaéla, à environ trois milles, et dans
cles, elles servent de demeures d’hiver une grande vallée courant nord et sud,
aux Yourouks (aux Turcs nomades), et dont toutes les hauteurs sont cou-

qui, pendant l’été, vont chercher des vertes de bois. Il est difficile de peindre
pâturages sur ces plateaux. On peut l’impression que produit sur le spectateur
une certaine époque quel-
s’assurer qu’à ce rocher qui semble préparé par la
ques-unes de ces chambres ont servi de nature pour conserver l’empreinte des
tombeaux ; mais leur nombre est trop antiques caractères que la philologie
considérable, leur construction a trop n’a pas encore expliqués. Tout est en
de rapports avec certaines villes troglo- harmonie dans les environs, et l’austère
dytiques observées dans la Colchide aspect des lieux, et lu forme pittoresque
pour qu’elles n’aient pas été faites dans des rochers, et leur couleur brillante
le but d’être habitées. Ceci se trouve qui se détache sur la verdure de la
d’ailleurs confirmé par l’absence totale plaine. Ce principal monument est dé-
de monuments construits, qu’on puisse signé sous le nom de Tombeau de .Mi-
raisonnablement faire remonter à la das, expression que rien ne contredit,
même période. Douze milles plus loin, après un examen attentif.
marchant toujours vers le nord on ar- ,
Le rocher sur lequel il est sculpté
rive près d’unemontagne abrupte au ,
est isolé de tous les autres , et présente
le château de Bayat,
pied de laquelle est une surface de quatre cents mètres car-
du moyen âge, qui tombe
fortification rés environ, sur laquelle sont sculptés
en ruine. des méandres, dont le relief est de
Entraversant une vallée déserte, nous 0“*,0tS, et qui entourent une uiche
remarquons un rocher creusé; mais là d’une forme particulière. La largeur
ce sont des sépulcres ; les chambres sont de la surface sculptée est de
de
couvertes par unedouble pente en forme et sa hauteur de 11”, 74. La largeur

de toit. Ce lieu porte le nom de Inn ba- la niche est de 5”, 57.; la profondeur

zardjik. Les chambres sont nombreuses totale est de 1“44 ; mais la profondeur
et lie différentes formes. de la retraite n’est que de 0”,84; ce
Dans le haut de cette vallée se trou- qui en réalité est bien étroit pour y pla-
,

ASIE MlNEUtlE. 417

cer un corps. J’imagine toutefois que père. Ce n’est pas l’avis deM. llarth ; Je
dans l'état primitif, cette niche était ca- pense avec cet auteur qu’il faut y re-
chée aux regards par une grande dalle connaître le nom phrygien du père de
de pierre sur laquelle se continuaient les Mydas tout en conservarit la lecture Ga-
méandres dont les contours déguisaient fartaei, quej’ai aussi dans mon texte (I),
les joints de la roche. Dans le fond de et Je propose de lire :

la retraite, on trouve quelques restes Ates arkiaefas akenanotafos Midai


'

d’inscriptions pavées en creux, ()ui sont Garfataei Fanaktei edaes.


devenues ind^hiffrables par suite de Atys grand-prêtre a dédié ce cénota-
la décomposition de la roche. phe au roi Midas fils de Gordius.
A droite et à gauche de cette surface du moins l’a-
Cette interprétation a
sont deux espèces de pilastres dont la vantage de n’emprunter ses synonymes
largeur est de 1™,0S, et qui supportent qu’à Ta langue grecque, du moment
une frise, si l’on peut appliquer ce nom qu’on admet pour le mot Fanaktei la ,

à un pareil ajustement. Les pilastres et traduction de roi.


la frise sont ornés de losanges en creux, Le mot Edaes se trouve ainsi dans la
dans l’intervalle desquelles sont de pe- langue lycienne ,
il termine un grand
tits quadrilatères. Le monument est nombre d’inscription.s sépulcrales et se
couronné par un fronton, orné aussi de rencontre aussi sur l'obélisque de Xan-
différents ajustements de losanges en thus, il semble représenter complète-
creux et en relief. Au sommet du fronton ment le mot grec ’aveéijxc , il a dédié
sont deux sculptures circulaires, que et parait dériver de quelque verbe pri-
l’on prendrait pour des boucliers, si les mitif Satü, le mot Edaes aurait donné
autres monuments de ce genre n’indi- plus tard le radical Ædes.
quaient que c’est un ajustement parti- Le mot BABA, qui commence la se-
culier dans le genre des volutes. Deux conde inscription, est regardé par le
longues inscriptions gravées dans le colonel Leake conune un surnom de
pourtour donnent à ce monument un Jupiter, d’après une inscription décou-
intérêt majeur. verte dans ces parages, et qui fait men-
^'ous ne pouvons reproduire ici le tion de Jupiter Pappæus , nom usité
fac-similé de l'inscription du monument, chez quelques poètes. Le dernier mot
mais elle est suflisamment lisible dans de cette inscription est le même que
la planche qui accompagne ce texte (1). le dernier mot de la première; Je lis
Nous hasardons ici une traduction qui Edaes.
nous parait tout à fait d’accord avec la A 5™, 30, à gauche de ce monument,
destination du monument. se trouve une grotte grossièrement
Nous devons faire remarquer préala- taillée dans la roene , et dans laquelle
blement que le nom Atès est employé est placée une inscription en caractères
par Pausanias pour désigner le person- de plus de O*", 30 de hauteur, et creusés
nage mythologique Atys (2), et que ce d'uii centimètre.
nom est tout à fait phrygien; la lec- L’épaisseur de ce rocher n’a pas plus
ture du mot qui suit le nom de Midas de trois ou quatre mètres , et en mon-
est due à M. Lassen. Dans l’inscrip- tant par derrière , on arrive avec assez
tion du tombeau de Midas il y a un de facilité sur la partie supérieure. Il
mot entre le nom de Midas et son titre ne parait pas que cette espèce de vide
royal. M. Lassen le lit d’après la copie qui existe entre les deux volutes ait été
de Leake , « Lavaltaie « et d’après Ste- fait à dessein; mais peut-être, parla
wart, Gavaltaei ou Gavartaei; il sup- suite des siècles, ce morceau de roche
pose que ce mot a sa racine dans le est-il tombé naturellement. Pour arriver
sanscrit et signifie la paix, d’où il faut au pied du rocher, il faut monter une
conclure que ce n’est pas le tombeau de colline de quatre à cinq mètres de hau-
ce prince mais un monument commé-
,
teur, dont la pente est très-rapide;
moratif de son règne, qui fut long et pros- mais là, ni dans les environs, on ni

(i) Voyez planche n. (i) Voy. Dew. Asie Min., in-fol., t. I,

(a) l’ansanias, liv. VII, cil. i-. page iS5.


37° Lioraison. (Asie Mineuse.) t. ii. 27
418 L’UNIVERS.
trouve de trace de construction. Le ro- rocher, toujours une petite niche au-
cher est composé d’un tuf d’un jaune dessus destinée sans doute à placer
,

orangé, pnrseiné de petites aiguilles une lampe. D’autres tombeaux n’offrent


noires , sans doute de pyroxène et d’am- dans leur intérieur que des lits funèbres
pbibole, et d’agglomérats blancs oui sur lesquels étaient déposés les corps.
participent de la pierre ponce. Tous les L’un et l'autre système de sépulture se
tufs de cette vallée varient peu dans retrouve dans la plus haute autiquitc;
leur nature ; seulement, la couleui; jaune mais il parait que l’usage de déposer les
s’affaiblitun peu dans certaines roches, corps sur des banquettes dans les ca-
et les agglomérats de pierre ponce de- veaux funèbres ne s’est pas perpétué
viennent plus nombreux. aussi loagtemps que l’usage des sarco-
Immédiatement à côté du grand mo- phages.
nument se trouvent de nombreuses
chambres sépulcrales variées de gran- „ MONUMENTS PHaVOIENS.
deur et de forme et qui confirment la
,

pensée que cette importante sculpture À un demi-mille de cet endroit, on


avait quelque chose de sépulcral. On ne remarque un autre monument, sculnté
saurait décrire la forme bizarre et ac- tout à fait dans le caractère de celui
cidentée de ces rochers ponceux, dont que nous venons de décrire, mais qui
les sommets représentent des tours et malheureusement ne porte pas d’ins-
des forteresses qui paraissent sculptées cription.Il est situé à huit mètres au-

par la main des hommes. Leurs parois dessus du sol , et àa base repose sur uu
sont percées d’une infinité de cellules rocher vertical dont l’accès est difflcilk
communiquant à des chambres plus ou Le centre du monument est occupé
moins ornées, mais qui ne portent pas par un tableau uni, entouré d’une bor-
d’une manièreévidente lecaractèred’une dure qui se compose de carrés dans les-
même époque. La plus grande de ces quels sont inscrits quatre petits carrés
salles se trouve maintenant ouverte par en relief et disposés suivant leur diago-
l’effet de la chute du mur de face. Son nale. Au-dessus de cette bordure règne
plafond était décoré de solives : ce sont une frise d’une sculpture élégante,
les seuls ornements qu’on y rencontre. composée de palmettes renversées, qui
Plusieurs de ces chambres sont voûtées alternent avec des espèces de glands ou
en plein cintre ; il v en a d’autres dont de pommes de pin. Les rampes du
tes toits forment deux appentis; mais fronton sont également ornées de petits
on n’y trouve point les indices d'une carrés en relief, et le sommet se ter-
sculpture contemporaine des grands mo- mine par une double volute, dont le
numents. Une inscription grecque , la dessin parait tout à fait particulier aux
seule qui se remarque au milieu de ces Phrygiens. Dans l’intérieur du fronton
ouvrages curieux, ne parait pas remon- sont des ligures quadrangulaires dont
ter au delà des temps chrétiens. On ne le but et l’emblème nous échappent
peut lire que les mots suivants : complètement. I.a largeur totale de
cette sculpture est de 8"*,26.
Salut, heareux, riche, parmi les dieux élevés
dans le ciel t car nous t’aimons, excelient chef
En remontant environ un mille au
de la patrie , tu habites en ces lieux ma pa- nord de la vallée , on découvre au mi-
trie lieu d’une forêt de pins un troisième
monument semblable , mais d’un tra-
Uuelques-uas de ces tombeaux rap- vail plus Qu, et portant dans sa frise,
pellent la haute antiquité grecque ; les ainsi que sur tout le rocher coviron-
portes sont généralement taillées d’une nant, une inscription écrite dans le sys-
manière assez rustique, et surmontées tème appelé boustrophédon; les lettres
toujours d’un fronton ; ce qui, pour la ont 0'°,25 de hauteur, sont profondé-
forme générale , les fait ressembler aux ment entaillées et d’une conservation
tombeaux des Aizaniens et aux grands parfaite.
monuments phrygiens. Quelques-unes On ne saurait contester la hante an -
de oes chambres'renferment des sarco- tiquité de ces caractères, qui ont la plus
phages taillés dans la masse mên^e du grande analogie avec les lettres grecques

ti.’ I J.' / t' «t^ t


I
f'.
ASIE MIREURK. 4t9

les plus archaïques , et surtout avec le nous bornons a les décrire , en appelant
monument appelé pierre de Sigée (1). l’attention des savants et des voyageurs
Le système d’éeriture employé dans sur un art qui reste encore tout u fait
cette inscription était déjà abandonné inexpliqué. Lorsque le voyageur anglais
plus de six siècles avant J.-C.; et la lan- qui le premier pienétra dans cette val-
gue dont il nous reste un si faible spé- lée donna quelques indications topo-
cimen était, selon toute probabilité, graphiques pour guider ceux qui vien-
celle qui était parlée dans le royaume draient après lui, il appela cette vallée
de Pbrygie avant que cet empire fût Dogbaiilou, pensant qu’il y avait quel-
envahi par les Perses. S'il est dimcile que village de ce nom dans les envi-
de tirer un sens précis des inscriptions rons ; mais nous avons acquis la certi-
précédentes, la difliculté est encore bien tude que les naturels ue donnent le nom
plus grande pour celle-ci, car presque de Doglianlou qu'à un lieu-dit, où se
tous les mots ont une terminaison trouvent également de grands rochers
barbare complètement étrangère au percés de chambres sépulcrales.
grec et appartenant à un dialecte pure-
ment asiatique. Il est cependant pos- GHERDEK KAIA SI.
sible de discerner quelques mots qui
ont leurs analogues dans la langue
LE BOCBEB DES ÉPOUX.
grecque. On lit tres-distinctement Kyr-
saneson Chersonnèse c’est le nom que
;

les anciens donnaient à la presqu’île En remontant la vallée vers le nord,


avant qu’elle reçrtt le nom d’Asie Mi- toujours dans une solitude complète,
neure, et dont la signification est sans nous aperçûmes un tombeau qui porte
doute la même qu’en grec. Les lettres tous les caractères de l’art grec. Sa
X, H, Q, n’étaient pas encore inven- façade se compose de deux colonnes do-
tées. Le substantif M.iteres et l’accusatif riques portant un entablement orné do
Materan paraissent aussi avoir leur cor- triglypliHS, et surmonté d’un fronton.
respondant dans le mot dorien Matipts; Les filets du fronton et du larmier por-
mais la signification de c.es mots épars tent des traces de couleur rouge; mais
ne tend qii’à rendre encore le sens de en général, dans tous ces moiiumcnts,|
cette inscription plus obscur. La mot' je n’ai trouvé aucune trace de décora-,

Akenanolatos, qui se lit deux fois, est tion polychrôme. i.

le seul indice qui puisse faire soupt^on- En avant des chambres, qui sont
ner qu’une même destination était ré- complètement taillées dans le roc, on
servée à ces trois monumentsdont le style a placé un portique de 4" ,035 de lar-
est resté unique ; mais on doit avouer geur, mesurée du uu du mur jusqu’à
que s’il est possible de regarder la ni-i l’axe de la colonne. Deux portes sans
cite centrale du premier comme ayant ornement conduisent dans deux cham-
pu servir de tombeau rien de sembl'abJe'
,
bres contiguës , et dans lesquelles on
ne se présente dans les deux autres. remarque les deux systèmes de sépul-
Le dernier monument, disposé comme ture; oar l'une renferme uu triclinium
les précédents, offre le champ d’un ta- funèbre, et l’autre des sarcophages, il
bleau uni , entouré d’une bordure com- paraît qu’à une certaine époque des fa-
posée de petits carrés renfermés quatre milles c.hrétipnùes se sont ijtstallées
a quatre dans des carrés plus grands. dans ces tombeaux ; car on y trouve
Le champ du fronton est également des croix pcintes^en’rouge' et d’autres
orné de ce quadrilatère , qui n’cst pas emblènii-s chrétiens.
un ornement de fantaisie, mais repré- L’entne-coloDueraent du milieu étant
de 3®,70, et les eutre-colounemcnts la-
seute eeriaineraent quelque objet qui
téraux de 2“*, cette différence donne a
est inconnu.
R'ayant aucun analogue connu dans l’arcliitecturequelque chose de mou qui
l’antiquité qui puisse nous guider sur ne plaît pas au premier coup d’œil,
la destination de ces monuments, nous parce que l’imagination comparant cette
façade à celle des monuments cons-
(i) Chiiball, Ofiat. truits, n’est pas satisfaite de voir tant
27 .
,

430 L’UNIVERS.
de lon^eur dansTarchitraTedu milieu, au-dessous du sol une suite de salles
ui a deux métopes et deux triglyphes rondes et de construction presque sphé-
e plus que les architraves latérales; rique , dans lesquelles on pénètre par le
mais II ne faut pas oublier que ce mo- sommet, et, dans le premier moment,
nument est monolithe, et les artistes j’avais pris ces excavations pour des
qui l'ont exécuté ont pu se livrer à cette catacombes dont la forme me paraissait
innovation, sans craindre d’affaiblir la néanmoins singulière, n’y trouvant point
portée de l’architrave. Ceci concourt à de sarcophages. Mais en parcourant les
rouver que ce que nous appelons villes de Lycie, et notamment Aspen-
eauté dans l’arrhitecture n’rst que dus et Antipheilus, j’ai observé dans
l’heureux rapport de la solidité des ma- les Agora un grand nombre de ces ex-
tériaux avec la forme donnée à chaque cavations , quelques-unes même avec la
partie. pierre circulaire (|ui couvrait l’orilice,
Ce monument est excavé dans un ro- et jeme suis assuré qu’elles ne sont au-
cher isolé de toutes parts et qui ren- tre chose que des silos destinés à serrer
ferme différents sépulcres de moindre le grain. Cet usage , si commun parmi
dimension. Il n’existe aucune inscrip- les Arabes, était usité dès la plus naute
tion qui puisse guider sur la détermina- antiquité chez les peuples asiatiques.
tion de l’époque ; mais le caractère de Quoiqu’on ne trouve pas de traces de
l’architecture se rapporte à un temps ville dans ces lieux, on a donc la cer-
postérieur aux sculptures décrites pré- titude que la vallée de Doghanlou a
cédemment. Le nom de Gherdek kaia nourri a une certaine époque, une nom-
si ,
donné par les habitants ,
vient sans breuse population, et peut-être parmi
doute de ce qu’on remarque deux les excavations pratiquées dans les ro-
chanibres sépulcrales antiques , dans chers s’en trouve-t-il quelques-unes qui
lesquelles, selon leurs idées, auraient ont servi d’habitation à ce peuple pri-
été enterrés le mari et la femme. Le mitif.
tuf dans lequel ce monument est sculpté I.a vallée est commandée par un roc
renferme une quantité notable de pierre isolé sur lequel s’élève une antique
ponce , et est d'une couleur beaucoup construction appelée Pismich kalé si.
plus blanche que dans la partie sud On y arrive avec quelque difliculté ou
de la vallée. I..a face de ce tombeau est par un chemin à peine tracé au milieu
orientée à l'est. La colonne qui est .à des rochers qui semblent avoir été tail-
droite se trouve aujourd'hui en partie lés de main d'homme pour augmenter
rompue; mais le chapiteau et toute la Les intervalles que
la difficulté de l’accès.
partie supérieure tiennent encore à présentait la conformation de la mon-
l’architrave, ce qui produit un effet tagne ont été remplis par des construc-
bizarre. L’ordonnance générale est d’ac- tions en maçonnerie faite avec des blocs
cord avec les règles de l’arcbilecture irréguliers. ‘Un escalier taillé dans le
grecque , et décèle un temps assez pri- roc conduisait de la plate-forme jus-
mitif. peu éloigné sans doute de l’épo- que dans la vallée et pouvait servir pour
que de l’invasion des Perses. apporter des provisions dans la place.
Aucune trace de citerne n’est apparente
mais on doit croire que ce château a
CHAPITRE XXVI. été habité à l’époque musulmane parce
qu’on peut observer des restaurations
PISUICB KALé SI. laites à la hâte et en petits matériaux.
Pismich kalé si est sans doute un,
En suivant la pente de la vallée dont de ces bourgs des Phrygiens qui étaient
la direction est au nord on arrive au déjà presque abandonnés au commen-
lieu nommé Doghanlou on n’y voit
,
cement de notre ère. Toutes les monta-
pas de monument important; mais, ges environnantes sont couronnées par
dans toute la vallée , les rochers sont des forêts de pins et leurs flancs sont
perforée par des milliers de chambres. perforés par d’innombrables chambres
Il
y en a dont l’intérieur est orné de sépulcrales; la vallée est arroséependant
quelques caissons. J’avais remarqué riiive.r par un ruisseau dirige vers le
,

ASIE MINEURE. 421

nord et qui est une des sources de la deur, l’une est voûtée, le plafond de l’au-
ririère de Séid el ghazi. tre est eu forme de fronton. Le rocher
dans lequel est taillé ce tombeau est
CHAPITRE XXVII. couronné par une plate-forme où l’on
remarque des traces du travail de
l’homme, et qui donnent à supposer
TOHBEAUX DE YAPUL DAGH. — COM- qu’il était fortifié de la même manière
BETT.
que Pismich kalési. Aux endroits où le
rocher est brisé on a établi une sorte
Nous remonterons maintenant la de parapet; cette plate-forme, qui a une
vallée de Doghanlou jusqu’au monu- largeur suffisante s’élève à cent vingt
ment de Miuas, pour suivre la route pieds environ au-dessus de la rivière.
tracée par M. R. Stewart dans le yaè'la de La disposition du rocher, qui est acces-
Yapul dagh, jusqu’au village de Com- sible de l’autre côté, ne permet pas de
bett où il a découvert plusieurs monu- penser qu’il y ait eu là un château fort,
ments importants de cette même pé- mais un lieu de résidence d’été des rois
riode phrygienne. Après avoir rejoint le de Phrygie, nui avaient leur demeure
tombeau de Yasili kaïa ,
on fait route d'hiver dans la plaine de Yasili kaïa.
vers le sud ju.squ’à Yapul dagh keui, On remarque des magasins taillés dans
éloigné de sept kilomètres de Yasili le roc et un conduit souterain pour le
kaïa. service des eaux , qui descendait jusqu’à
Sur le flanc du rocher, et à une hau- la rivière.
teur considérable, on aperçoit un mo- Dans l’antiquité phrygienne, ce groupe
nument funèbre dont la porte est dé- de rochers avait certainement été dis-
corée de sculptures. La vallée est très- posé dans un but de défense, mais il ser-
irrégulière, elle a environ huit cents pas vait ausside lieu de sépulture la der-
:

delarge, un tombeau d’une époque moins nière destination a été peut-être la


ancienne, taillé dans le rocher est situé conséquence delà première, quand le
un peu plus loin vers le sud-ouest en château fut abandonné, car on n’aurait
descendant la vallée, mais il ofl're un pu transpercer d’outre en outre le ro-
médiocre intérêt. cher pour établir le tombeau dont nous
Du côté de la vallée le tombeau venons de parler, quoique l’escarpement
principal est d’un accès difficile ou plu- du rocher ait concouru à la sécurité.
tôt presque inaccessible ; mais en faisant D’ailleurs l’ouverture pouvait être faci-
le du rocher par un chemin un peu
tour lement fermée.
plus long, oa peut arriver de plain- Sur la même face de rocher ont été
pied au soldu tombeau, devant lequel taillées différentes grottes sépulerales
on a laissé une petite plate-forme do- dont quelques-unes sont ornées de fa-
minée par la façade décorative, mais çades d’une style original. Les ruines
en ré.iliié l’entrée du tombeau était de
que l'on rencontre aux alentours de ces
l'autre côté de la roche. Ce monument, tombeaux indiquent que ce lieu a été
d'après l’avis de M. Barth (I), est d’un habité dans des temps moins ancieus.
très-grand intérêt au point de vue de I.Æ village, de Combelt occupe la
l'art, et certainement d'une haute anti-
pente nord d’une colline a l'ouest de
quité; mais les sculptures qui sont sous laquelle la rivière forme un marais. Ce
letympau au-dessus de la porte ontbeau- village se compose de soixante maisons
coup souffert et sont assez difficiles à habitées une partie de l'année par des
reconnaître. M. Stewart a cru voir deux familles Youroukes. Il offre un grand
chevaux dans l'attitude de l’adoration intérêt archéologique par le nombre de
un autre observateur M. Mord manu dis- monuments taillés dims le roc qui se
tingue un bonnet pltrygien surmontant rencontrent aux environs.
un pilastre placé entre deux figures de
M. Barth a observé un monument d’un
L’intérieur du rocher ofl're trois style particulier auquel il donne le nom
lions.

chambres sépucrales de moyenne gran- de Niche à offrandes (1) ; une ouverture

(i) Lac, cit,, gS. ([) Gebet oder Opfer-Niiche.

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432 L'UNlVEItS.
f;ii forme’ de "cheminée eommaniqiie dans l'intérieur est gravée en caractère-:
!.vec l'intérieur. La hauteur du monu- semblables à ceux du tombeau de Mi-
ment est d’environ sept pieds, et de das ce tombeau est taillé dans un tuf
;

cliaque côté la face du rocher est scul- dur semblable a ceux de la vallée de
ptée avec art; la façade représente une Doghanlou.
porte cintrée couronnée par un fron- Ce même monument a été visité, eu
ton sur lequel sont sculptées des urnes 1858, par MM. Barth et Mordmanii;
de différentes formes : c’est du moins ces deux observateurs n’ont pas vu les
ce qu'on peutconjecturer(l). Toute cette mêmes choses que M. Stewart; les têtes
vallée du temps de la splendeur de la de Méduse ne sont plus que des Ixiu-
monarchie phrypenne devait présenter cliers; les figures de lions et de bœufs
un magnifique coup d’œil cette excava- ; sont à très-haut relief; l’ensemble de
tion en forme de cheminée qui paraît l’édifice présente la forme d’un petit
surprendre \1. Barth se retrouve dans temple; les deux aigles qui sont dans
un grand nombre de monuments taillés le fronton ont beaucoup souffert. Au
dans le roc en Cappadoce, en Lycie et sujet de l’inscription, les deux voyageurs
en Phrygie; son usage n’est pas encore émettent une opinion tout à fait inat-
bien défini, on peut conjecturer qu’elle tendue c’est qu’elle n'est qu’une imita-
:

était destinée à fairedes libations. tion de l’écriture archaïque tracée par


nous reste à décrire le monument
Il
un visiteur d’une époque assez récente,
le plus remarquable de ce groupe, dé- et l’un deux va jusqu'à dire qu’elle ne
couvert par M. Stewart et publié dans remonte pas plus haut gue le temps de
son ouvrage, sur les monuments Phry- Julien l’Apostat. Dans le Turbé voisin
giens (2). L’auteur a donné à ce monu- de la maison de l’Agha de Cornbett se
ment le nom de tombeau de Solon, à voient quelques sculptures de marbre
cause de ce nom qui se trouve
au com- qui sont de f'epoque romaine.
mencement d’une inscription. Sur la .Malgré les divergences d’opinion des
face voisine de l’entrée est sculpté un observateurs qui nous ont transmis des
bœuf avec une bosse comme le zébu documents sur ces remarquables ou-
de rindp(S);ilsetrouve ligurésur quel- vrages, il reste un fait acquis à l’his-
gues médailles phrygiennes. Sur l'autre toire, c’est que la vallée de Doghanlou
lace à droite de la porte est un médail- est bien la région où vécurent les rois
lon représentant une tête de Meduse ; de lu dynastie phrygienne, et qui était
dans le fronton au-dessus de l’entrée est nientioimée par Stralion comme déserte
figuré un bouclier ayant deux aigles de et abandouuée de son temps.
chaque côté, enfin un cartouche carré
qui surmonte la porte est orné d’une CHAPITRE XXVIIl.
sculpture représentant deux lions se
regardant face à face, et entre les deux ITINERAIRE UE KÉDIZ A KABA HISSAB.
est une urne. Cette composition rappelle
avec une autre mouvement les deux De Kediz à Ouschak. 48 kil.
lions de la porte de Mycènes. Sitchanli. 108
Ce tombeau se trouve au village de Kara hissar. 30
Combett et dans le voisinage de la mai-
son de l’Agha. L’inscription qui se lit
Tse kil.
Le Menzil hané, la Poste, compte huit
heures de marche de Kédiz à On.^chak.
(i) Bartb Rèùe, I. c., p. gS.
La route suit la direction du sud, puis
(t) Jolm Roherl Stewarl, Description of
du sud-est. Après une heure de marche
Borne uiicient aïoiiiiineiils, witli in.srriptions
on arrive près d’une rivière qui porte
Btill exisling in Lydia and Fhryliia, illualra-
ses eaux à l’Herinus , elle prend sa
ted wiib piales fruiu skelclies niade on lhe
spot., London, fol., 184a. source dans le Mourad dagh, et s'appelle
Mourad tchaï. C’est celte rivière que
(3) Cel animal est aussi eprodiiil dans les
l

bas-reliefs dn théilre d’Aizani;il était sans .M. Hamilton regarde comme le vérita-
doute répandu dans la contrée à cetle époque ble Hermus. Le pays est bien cultivé,
reculée. quoique les Turcs aient encore en usaae

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,

ASIE MINEUKE. dsd.

le système des jachères, les terrains cul- artésien, mais il u’y a point de culture
tival)les sont si étendus, que cette mé- pour utiliser ces belles eaux ; elles for-
thode a moins d'inconvénient ici que ment un ruisseau qui va se jeter dans
dans les autres pays. La récolte consiste la rivière d’Ousebak, qui est encore un
en blé et en orge. Le terrain est argi- des affluents de l’Hermus. C'est là que.
leux et propice à la culture du pavot, se fait le partage des eaux entre l’Her-
qui fait une des richesses de cette' pro- nius et le Banas teliaï ; cette rivière est
vince., Les montagnes sont de nature une branche du Méandre.
schisteuse, couvertes d’une maigre forêt En quittant Ouschak on a dix-huit
,

de pins. Après deux heures de marche, heures de marche à faire jusqu’à Sit-
00 arriveau sommet de la montagne, chanli , sans traverser aucune ville ; le
qui est un des embranchements du pays est cependant bien peuplé et sur-
Mourad dagh, qu'on aperçoit au nord tout bieu cultivé. Les nombreux vil-
avec ses sommets couverts* de neige. De lages, entourés d’arbres et pourvus d’a-
ce point on jouit d’un spectacle aussi bondantes fontaines, varient agréable-
beau qu’inattendu une grande nartie du
: ment l’uniformité de la plaine, qui se
pays SC développe aux regards; oun côté termine par un bel horizon de mon-
tes hauts sommets de l’Olympe se con- tagnes. La culture du pavot occupe
fondent arec le ciel; de l'autre, le Tau- la plus grande partie du terrain, le reste
rus étend ses longues chaînes bleuâtres. est semé en blé et en orge; on y fait peu
A l'ouest la vue s'étend jusqu’à Aïdin et detabac, et la récolte de la soie est nulle.
presque jusqu’à Smyrne; on a sous les Les moutons à grosse queue, dits cara-
pieds le pays qu'on vient de traverser, mauli, forment la totalité de l'espèce
ondulé comme une mer furieuse; pas ovine. 11 estextrémementrare de rencon-
une trace d’habitation ne s’offre à la trer la variété à longue queue en effet, la;

vue solitude etnature sauvage rien qui


:
;
masse de grnisse produite par la queue
rappelle la présence de l’homme ; ce col des caramauli est pour les indigènes une
est à une altitude de deux mille cent récieuse ressource: elle remplace le
mètres au-dessus du niveau de la mer. curre dans presque toutes les prépara-
La route descend ensuite dans un tions culinaires; aussi, malgré l’aoon-
beau et frais vallon, où les caravanes dance du laitage, le beurre en Asie
de l’intérieur ont coutume défaire balte. Mineure est-il d’une très-médiocre qua-
Les inontapmes qui forment le revers lité, mal fait et presque toujours rance,
oriental sont de nature volcanique, mais attendu que pour le faire on se con- ,

d’une époque plus ancienne que les vol- tente de secouer une peau de Itouc, une
cans de Koula. La lave est de nature ba- outre remplie de lait, suspendue entre
saltique, cassante, presque vitrifiée; les trois perches.
pentes de la montagne sont couvertes de Après trois heures et demie de mar-
grands blocs accumulés sans ordre ; plus che, on franchit une montagne argileuse,
loin , le terrain est recouvert d’une cou- et l’on redescend dans une pliiine qui a
che épaisse de feldspath fondu: c’est ce environ six kilomètres de large et qui
qu’on appelait autrefois la roche de est peuplée de nombreux villages. Le
corne. On y trouve de l’obsidienne village de Abat keui , l’ancienne Tra-
noire(l). Au milieu de tousces terrains, janopolis, estsitué sur la pente des mon-
on n’observe aucune trace de cratère. tagnes qui bordent cette, plaine au nord,
Ce qui prouve la haute antiquité de ces et à trois heures de la route de Kara
formations, c’est que presque partout hissar.
la végétation est abondante. Le terrain En suivant la vallée, on arrive au vil-
volcanique est remplacé par le grès, à lage de Osman keui bâti au pied de la
l’origine de la vallée d'Ou.scbak ;
une pente nord. Ici la vallée se resserre con-
belle source prend naissance entre les sidérablement ; elle n’a pas un kilomètre
conciles du grès ; elle arrive à la surface de large. Sur la pente opposée est une
du soi en bouillonnant comme un puits source d’eau minérale chaude; les in-
digènes un font usage, mais leur établis-
(tf Voy. Haïuiltou ,
Jletearclies, etc,, 1. 1'^, sement est tout rustique les baignoires
:

!'• 'O'.». sont des trons creuses dans la terre, e|


434 L’UNIVERS.
la salle des bains est formée par des mons présentent des phénomènes géo-
branches d’arbres plantées en terre et logiques qui ne se retrouvent en aucun
tissées en forme de claie. Tout ce pays autre lieu du globe. La nature de ces
est abondamment pourvu de sources; trachytes est assez uniforme ; la couleur
mais la plupart n’ont pas un écoule- change du violet au bleu ; leur dureté
ment facile et forment des marécages dépend du plus ou moins de couserva-
aux environs. tion du feldspath , qui se décompose à
On fait balte au village de Kara keui, l’air. Ces formations singulières sont
aprèsune journée fatigantede dix heures surtout remarquables aux environs du
de marche; le lendemain on a encore village de Tchakeu, le dernier que l’on
huit heures de poste à faire avec les rencontre avant d’arriver à Kara hissar
mêmes chevaux jusqu’à Sitchanli, vil- ici la culture du pavot absorbe toutes
lage où se trouve le Menzil hané. les autres : nous arrivons en effet au
Sitchanli est située dans une vaste centre de la culture de cette plante ; aussi
plaine où les anciennes armées se sont les indigènes appellent-ils la ville :

souvent rassemblées ; sa position corres- Aphoum kara hissar, le château noir de


pond au Campus mctropolitanus. A la l’opium.
suite de ces plaines on rencontre un Maintenant que nous avons traversé
terrain marécageux d’une étendue de la Ph^gic dans sa plus grande largeur,
plusieurs kilomètres, de l’est à l’ouest; nous ferons halte anus lus principales
en hiver il est impraticable, il faut faire villes que nous avons rencontrées.
un long détour au nord pour le fran-
chir; en été, la terre argileuse est fen- CHAPITRE XXIX.
dillée en tous sens : il est couvert d’uiie
végétation d’iris blancs, dont la fleur est SBID EL GHAZI. — PRYHNESIA.
assez agréable Deux villages s’aperçoi-
vent sur une hauteur ; ils sont abandon- La plaine d’Eski cheher, ou de Do-
nés.en été, sans doute à cause du mau- rylée, est bornée au sud par une rivière
vais air. Les habitants ont pour habitude qui coule de l’ouest à l’est et qui n’est
de disposer leurs récoltes en grandes autre chose que branche suit du San-
la
meules, qu’ils recouvrent d’une couche garius, dont le cours est obligé de sui-
de terre glaise ; les foins se conservent vre la ligne des collines qui servent de
ainsi presque toute l’année à l’abri des contrefort au plateau central de la
pluies et de l’humidité. Phrygie.
Cette plaine de Sitchanli se termine Ce pays offre toutes les conditions
à l’est par un col montagneux qui la désirables pour recevoir une population
sépare de celle de Kara hissar. Ici l’on nombrouse, un terroir fertile et des
commence à retrouver le terrain trachy- eaux abondantes; aussi dans l’antiquité,
tique dont la conformation est des plus les villes étaient nombreuses dans cette
intéressantes; ce ne sont pas des cou- région. Les voyageurs qui l’ont traver-
ches horizontales plus ou moins acci- sée ont reconnu presque de lieue en
dentées, mais les abords de la route Ueue des vestiges d’anciennes villes dont
sont couverts de blocs énormes de tra- les noms ne sont pas encore déterminés,
chytes superposés et appuvés les uns et les auteurs mentionnent plusieurs
sur les autres. Il y a des bfocs dont la villescommeSantabaris, Massissa,Zom-
base n’a pas plus d’un mètre carré et pus, etc., dont il faut retrouver la place.
qui s’élèvent à une hauteur de sept ou La seule ville qui ait survécu à la ruine
huit mètres; ils sont entourés de blocs de toutes les autres est l’antique Piym-
plus petits. On ne peut expliquer cette nesia, qu’on appelle aujourd’hui Séid el
singularitéqu’en supposantque les épan- Ghazi ; elle est bâtie sur la pente sep-
chements trachytiques se sont refroidis tentrionale d’une colline, et offre, il est
dans un agglomérat de tufs plus tendres vrai, bien peu de vestiges de la haute
qui auront été enlevés ensuite par l’ac- antiquité'; mais elle est demeurée célè-
tion des eaux. Nous arrivons dans un bre ^rmi les Musulmans comme lieu
pays où les faits de ce genre sont de de sépulture d’un des héros de leur
plus en plus multipliés, et ces ré- histoire , de Sidi el Battal, Cid le Mau-
ASIE MINEURE. 43S

vais, dont changé en celui


le nonri a été cet édifice étaitun couvent byzantin ;
de ^id el Ghazi, Séid
le Conquérant. les Seidjoukides
y
ont ajouté une école,
Il était né à Malatia et fut tué dans
. et les Mewlevis derviches de Konieh y
une bataille contre les Grecs en 739, ont établi un couvent. Le tombeau de
sous lerègnedu calife Aroun-al-Rachyd. Séid el Ghazi est au milieu d’une cha-

On peut être assuré que le caractère re- pelle ou turbé ; il se compose d'un grand
ligieux de l’antique Prymnésie l'a sau- sarcophage couvert de tapis et de ten-
vée de la destruction. Cette ville était tures dans le genre des tombeaux de
célèbre par le culte qu'elle rendait à la Broussn un autre tombeau placé à côté
;

mère des dieux et au roi Midas déilié ; du premier, renferme les cendres d’une
c'estdu moins l'induction qu'on peut rincesse désignée sous le nom de Kral
des anciennes médailles de Prym-
tirer iz si, la Dlle du roi. Les Turcs don-
nésie. Au temple païen a succédé' un naient le nom de Kral aux souverains
monastère byzantin avec une église ; de Moscovie et de Servie c’est sans :

cet édifice qui a servi de sépulture


c’est doute quelque fille d’un de ces souve-
à Séid el Ghazi, et qui depuis le hui- rains qui aura épousé un émir mnsul-
tième siècle a toujours été soigneuse- man. Il est impossible de tirer d’autre
ment entretenu. renseignement du vieux gardien de ces
La ville de Séid el Ghazi n’offre par sépultures (I).
elle-même aucune espèce d'intérêt; elle Pour parcourir la vallée de Nacoléia
est dans un état de décadence qui prouve et le YapuI dagh, il vaut mieux partir
que les pèlerinages des pieux Musul- de Séid el Ghazi que de faire un long
mans ne sufflsent plus à faire vivre sa détour par Kara hissar on est plus cer-
:

population. Nous avons trouvé dans tain de trouver des guides.


cette ville une inscription portant le
nom de Nacoléia; MM. Barth et Mord- CHAPITRE XXX.
mann ont constaté dans la même loca-
lité d'autres inscriptions portant éga- OUSCHAK. — ACMOiUA.
lement le nom de Nacoléia ; mais ils es- La ville d’Üuschak est située au pied
timent qu’elles ont été apportées d’un d’une colliue tournée vers le sud et ,
lieu voisin. Enfin une inscription por- commande une grande plaine qui s’é-
tant les mots « I.e sénat et le peuple des
;
tend de l’est à l'ouest; on y compte
Prymnésiens ont honoré Publius Alia- quinze cents maisons, sur lesquelles il
nus Niger, mort encore jeune , » a dé-
y a deux cent cinquante maisons grec-
cidé la question, et l’on s’accorde pour ques ; la ville offre un aspect d’aisance
identifier Séid el Ghazi avec l’ancienne et de propreté dues à l'esprit industrieux
Prvmnesia. Cette ville n’est citée ni par de ses habitants. Les maisons sont bâ-
Strabon ni par Étienne de Byzance; ties en briques crues ; cette méthode de
Ptolémée la met au nombre dés villes construction n'est pas due au manque
de la Phrygie centrale c’est à peu près
:
de pierres, c'est un usage qui date de la
les seuls 'documents que nous offrent
plus haute antiquité, et toutes les villes
les auteurs anciens. que nous allons rencontrer vers l’est,
Aujourd’hui Séid el Ghazi est le lieu même jusqu’au fond de la Perse sont
de résidence d’un voïvode qui est sous construites de la même manière les ,

les ordres du gouvernement d’Eski édifices publics sont seuls bâtis de pierre
cheber. Les habitants sont pour la plu- et de briques cuites.
part livrés à l'agriculture, et vont passer Ouschak et Koula deux autres
et
une partie de l’été au Taëla. petites viiies des environs ont hérité de
Le tombeau de Séid el Ghazi s’élève cette belle industrie qui fit la célébrité
sur la pente de la colline, et domine la de la Phrygie la fabrication des tapis
:

ville. C’est un ensemble de bâtiments


s’estperpétuée dans ces pays depuis les
qui contient une mosquée à minaret, temps les plus reculés, grâce à l'abon-
un couvent de derviches et le tombeau dance des laines et des matières tinc-
du guerrier musulman. On y reconnaît toriales.
des constructions de différentes épo-
ques : il est probable que primitivement (i) Vuyei la plaurhe 44.
42 ^ L'UWVERS.
La fabrication des tapis est presijue tres et demie le pic; ainsi un tapis d<-
exclusivement entre les mains des fem- 3 mètres sur 1",65 coûtait 21 francs
mes grecques ; les moyens d'exécution à Constantinople, et à Smyrne on les
sont extrêmement siii)ples un grand : vendait alors quatorze piastres le pic.
châssis vertical porte la chaîne, qui est En 1837 ils étaient à vingt piastres, et
tendue par une traverse de bois; un cy- la qualité diminuait; aujourd’hui ils
lindre placé dans le bas sert à rouler le ont presque doublé.
tapis a mesure qu'il est exécuté , les On voit que c’est une erreur que de
femmes sont à genoux devant la trame; donner à ces produits le nom de tapis
le dessin du tapis se compose d'une de Smyrne il ne s’en fabrique pas dans
;

quantité de fils de laine qui sont noués cvtte ville. Il est une autre espèce de
à la trame par un nœud coulant la ,
tapis appelée dans le pays sédjadé,
chaîne se passe ensuite à la main , et petits tapis de prière qui passent en Eu-
les fils sont serrés au moyen d'un grand rope pour être des tapis de Perse, lis
peigne de bois, on tond ensuite le tapis sont aussi fabriqués en Asie Mineure, et
avec une paire de ciseaux. On ne sau- sont connus dans le pays sous le nom
rait se faire une idée de l'agilité avec de tapis de Glicrdess. Nous ignorons les
laquelle les femmes choisissent leurs détails de leur fabrication ; ils sont re-
couleurs et nouent leurs laines ; la ma- marqu.ibles par la finesse diu tissu et la
nière de travailler est si simple qu'en beauté des couleurs, mais leur prix est
peu de jours une ouvrière peut être quatre ou cinq fois plus élevé que celui
formée ; mais il n’en est pas ainsi de des tapis d’Ouschak.
l'exécution du dessin qui est presque La population représente environ
toujours exécuté de mémoire par l'ou- quinze mille habitants, dont les deux
vriere, voilà pourquoi les tapis d'orient tiers sont de race turque; les Arméniens
présentent souvent des incorrections de ii’y comptent que pour deux ou trois
dessin. Chaque ouvrière n'exécute d'or- cents familles , le reste se conipose de
dinaire qu'un seul dessin, elle sait de familles grecques, presque toutes adon-
mémoire le nombre de ses fils et com- nées au commerce et à l’induslrie.
bien il en faut pour chaque couleur. Les Turcs sont les propriétaires fon-
Lorsqu’on veut exécuter quelque dessin ciers.
nouveau ou de commande on étend ,
La forteresse qui domine la ville pa-
derrière le châssis une toile sur laquelle raît tout à fait disposée comme une an-
est dessiné le modèle les ouvrières atta-
: cienne acropole. Vers la liii du siècle
chent les laines sur chaque couleur cor- dernier, un déré bey, du nom de Hadji
respondante. Mourad Ogtüu, tenta de se rendre indé-
Dans cette méthode de fabrication pendant, et fortiGa le château, qu'il avait
le tapis ne présente sous les pieds que approvisionné de vivres et de munitions ;
lestâtes des laines, la chaîne et la trame mais Kara Osman Oginu d’Aïdin vint
sont préservées; on comprend alors l'assiéger, et comme il ne pouvait s'en
que la durée de pareils tapis soit indé- rendre maître ouvertement , il pratiqua
finie. des intelligences dans la place, et le bey
Les ouvrières ne gagnaient en 1834 fut livré à Kara Osman, qui envoya sa
que douze francs par mois, six ouvrières tête à Constantinople.
travaillant à un tapis de quatre mètres On ne voit dans la ville d’Ouschak
de long font par jour cinq centimètres aucun débris de grand monument, mais
d’ouvrage. des fragments d’architecture en marbre
Kn 1834 le fabriquant vendait le tapis blanc sont extraits journellement du
velouté dix piastres 2 f. 70 c. le pie sol, encastrés dans les murs des maisons
f0“,63 centi. ) carré, ainsi un tapis de ou transportés dans les cimetières.
6“,30 sur 6®,30 coûtait mille piastres M. Wagener, professeur de l’univer-
ou 270 .francs. Ces tapis veloutés sont sité de Gand , a trouvé près d’une fon-
ceux de première qualité; on en fabri- taine uii monument intéressant c’est
:

quait aussi à points carrés, dans le un bloc de marbre percé de cavités


genre de la tapisserie au cannevas , qui sphériques de différentes dimensions, et
sont vendus par le fabriquant six pias- qui ne paraît être autre chose qu’un
.

ASIE MINEURE. 127

«‘talonde inesureK pour les liquides (1). vert de terres végétales qui sont en par-
Quelques inscriptions, presque toutes tie cultivées.
tuniuiaires ont été copiées par des voya- La nécropole compose d’une in-
se
geurs; ces monuments suffisent pour finité de chambres sépulcrales août
qu’on puisseconsidérer Ouschak comme quelques-unes sont inaccessibles , les
occupant l’emplacement d’une ville an- plus grandes ont une sorte de vestibule
tique. M. Letronne l’assimilait à l’an- ou de portique ouvert, une porte en
cienne Eucarpia (1); cette ville appar- pylône conduit dans l'ititérieur.
tenait à la juridiction de Synnada. Ces chambres sont pour la plupart
carrées , il y eu a plusieurs qui se com-
CHAPITRE XXXI. muniqueut et qui sont séparées par un
mur percé de fenêtres. Une de ces
ILESLER KAÏa. SI, NÉCROPOLE. grottes a la forme demi-circulaire, et
tout autour sont creusés des trous pour
A douze kilomètres au nord-est y mettre les corps ; quelquefois le sol
d’Ouschak se trouve une nécropole
,
est creusé en forme de petits bassins
composée d’un grand nombre de cham- comme pour v déposer des urnes. On
bres sépulcrales creusées dans le flanc ne trouve nulle part la moindre trace
des rochers, qui paraissent n’être autre de décoration ou de moulure, rien qui
chose que le cratère d’un ancien vol- puisse mettre sur la voie de l’époque où
can. Ce lieu s'appelle lleslcr kala si, le cette nécropole a dû être créée.
rocher d’Ilesler. Si l’on a recours aux tables itiné-
On suit, pendantune heure de mar- raires, on voit que l'ancienne Aemonia
che, la route de Kara hissar, on tourne était sur la route qui va de Dorylée à
ensuiteau nord par des collines d'abord Philadelphie, à soixante milles de la
peu élevées mais qui prennent succes- première , au sud de Cotyœum. Ptolé-
sivement plus de nauteur. ün arrive, mée (1) nomme cette ville entre Julio-
après une heure de marche, au bord pulls (qui était sur la rive du Sanga-
d’un précipice qui a environ cent mè- rius) et Euméuia, aujourd’hui Ichékli,
tres de profondeur, c’est la vallée des position qui convient très-bien à Ilesler
sépulcres dan.s laquelle on descend au kaia si. Aemonia était une ville de Phry-
milieu des rocs éboulés. La forme du gie dont la fondation est attribuée au
terrain et la nature des laves indiquent roi Acraon; elle est mentionnée par
suffisamment que ce lieu est un ancien Cicéron dans son discours pour Flac-
cratère ; la partie supérieure du sol est cus (2). Elle existait sous l’empire ro-
un composé de laves violâtres englobées main et appartenait au district d'Apa-
dans des masses de cendre compactes; mée. M. Franz (3) était disposé a identi-
la masse de ces déjections est assez éten- fier avec Aemonia le village de Abat
due, et a une hauteur de trente-trois keui; mais il a été démontré depuis que
mètres. Les rochers du côté de larvallée c’est l’ancienne Trajanopolis il est :

présentent une surface absolument ver- d'ailleurs trop à l’est pour s’être trouvé
ticale; c’est dans ce tuf que sont taillées sur la route de Philadelphie. Nous som-
les grottes ; la couche inférieure est un mes disposé à considérer les catacombes
agglomérat de cendres grises. On peut (l’ Ilesler kaia si, comme la nécropole
arriver plus facilement au fond du cra- de l’ancienne Aemonia, quoique nous
tère en faisant un détour pour gagner n’ayons pour établir cette opinion que
une grande fente dans lequelle coule la concordance des dislauces géogra-
un ruisseau. phiques.
Du côté du couchant les tufs sont
plus compactes et se décomposent moins (i) Liv. ni, a.
facilement, le fond de la vallée est cou- (a) § i5-i6.
(3) Franz fünf Insclirifteii und fünf Slâdle
(i) Monument
reproduit et interprété [wr in Kleinaîieu, p. «i.

M. Egger dans le tome XX.V des roém. de


la soc. des ant. de Fr.

(i) Kœckh corpus, n* 386a

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,

ASIE MINEURE 439

APBIOUlC KABA HISSAB. qui voyageait peu d’années après Lu-


cas , ne dit pas un mot de ces ruines,
La région méridionale de la Phrygie dont on ne saurait aujourd’hui discer-
est le centre de la culture du pavot à ner le moindre vestige. Le voyageur
opium ,
et la ville principale est dési- anglais mentionne une inscription qui
gnée par les indigènes sons le nom de porte le nom de Prymnesia (I). Mais on
Aphioum kara hissar, le château noir est plus disposé à regarder Kara hissar
de l’opium ; elle est située à l'origine comme occupant remplacement de
d’une grande vallée qui s'étend à T'est Synnada.
jusqu’à Belouadoun, et qui déverse ses Au nombre des antiquités qui exis-
eaux dans le lac de Tchaï gheul , au sud tent encore, il faut citer une statue de
de Belouadoun , Kara hissar est située femme drapée à laquelle manque la tête,
au pied d'un haut rocher qui s’élève à et une figure de lion en marbre blanc,
plus de quatre cents mètres au-dessus ces deux morceaux de sculpture sont
de plaine, et sur lequel est construit
la sur le chemin du château. Il existe dans
un château du moyen âge. On y arrive différents quartiers de la ville, un cer-
par un chemin taillé dans le roc, et tain nombre d’inscriptions presque tou-
dont l’accès était jadis défendu par une tes mutilées , une seule paraît contenir
infinité de tours et de bastions. Aujour- un décret émanant de l’empereur.
d’hui toutes ces fortiGcations tombent M. A. Antonin, les autres inscriptions
en ruine, et les pierres éboulées dans sont tumulaires. C’est à Kara hissar que
|e chemin rendent cette route presque nous avons observé pour la première
impraticable. La
porte du château s’ou- fois des fragments de ce beau marbre
vre vis-à-vis d’un énorme rocher qui blanc, veiné de violet connu sous le
barre le passage ; de sorte qu’il y a à nom de marbre de Synnada, et dès lors
peine assez de place pour faire passer nous eûmes l’espoir de retrouver ces
lin cheval ou deux hommes de front. célèbres carrières.Un des blocs de ce
L’intérieur de la place n’est plus qu’un marbre sert de seuil à la porte d’un
monceau de décombres; on n’y trouve bain. Ces carrières sont distantes de
aucun vestige qui prouve que ce châ- K.nra hissar de plus de trente kilomè-
teau soit antérieur aux temps byzantins. tres.
Trois citernes profondes aeuviron huit Les monuments modernes n’offrent
mètres, et larges de cinq mètres, sont aucun intérêt historique il ne reste rien
;

creusées dans le roc. Dès l’an 1200, les du temps des Seidjoukides.
Seidjoukides s’étaient rendus maîtres La ville, qui s’étend depuis le pied du
de cette province, à laquelle ils donnè- rocher jusque dans la plaine, est bâtie
rent le nom de Kcrmian ;
le chef Othmao en briques crues recouvertes d’argile
lareçut à titre de (ief, dans le partage et les maisons sont couvertes en ter-
que ht le sultan Ala Eddin des provin- rasses; chaque maison se compose d'une
ces nouvellement conquises, et à la véranda ouverte, derrière laquelle sont
mort d'Othman elle devint la possession situés les appartements. On fabrique
de son fils Orkhan. dans le pays des feutres imitant ceux
A défaut de grands monuments an- de Perse, la laine employée est d’une
tiques, on rencontre à Kara hissar qualité supérieure; elle se vend toute
d’assez nombreux vestiges d'antiquités, préparée dix piastres, 2 f. 70 c. l’oque;
pour être assuré qu’elle occupe l'empla- on ne la carde pas, mais on la met eu
cement d'une ville antique. Si l’on pou- flocons au moyen d'un arc dont la corde
vait s'en rapporter à la relation de Paul passe au milieu de la toison ; on frappe
Lucas, il aurait trouvé à Kara hissar sur la corde dont la vibration frise la
« quantité de ruines de temples et de laine et la rend légère comme une
palais où les colonnes étaient prodi- mousse.
guées (1). » La fabrication des armes est une autre
11 est bien difficile de croire qu’il n’a industrie qui avait jadis une certaine
pas été le jouet d’une illusion. Pococke, renommée mais qui
;
aujourd’hui, est en

(i) Lucas, y orages, I. icf,ch. ig, p, i43. (i) Pncocke, Travels,cïi. ttV, p. 3.
,

430 L’UNIVERS.
grande décadence ; elle ne se distingae CHAPITRE XXXUI.
plus que par l’extrême bon marché de
ses produits, fusils et pistolets, qui sont SVNNADA.
achetés par les nomades; pour vingt-
cinq francs on peut se procurer un Synnada était le chef-lieu de la
fusil. Phrygie centrale, et réunissait sous sa
La culture de Fopium est la grande juridiction un grand nombre de petites
occupation des habitants de Kara his- que üocimia.Reudos, Ana-
villes, telles

sar toute la grande plaine qui s’étend bura et Euménia. Elle devait sa fonda-
;

en avant de la ville est semée en pavots. tion à un certain Acamas, qui après la
Les semailles se font à la fin de l’hiver, guerre de Troie vint s’établir en Phry-
mais on peut faire une récolte d’automue gie, et appela autour de lui de nom-
en semant à la fin du printemps. breux colons de Macédoine. l.a ville
On cultive généralement le pavot fut d’abord appelée Synnaia, nom dont
blanc à fleurs simples. Lorsque les fleurs le sens impliquait une assemblée de

sont tombées, des hommes et des fem- colons, puis par corruption .Synnada (1).
mes vont dans les champs, et fendent Etienne de Byzance fait remarquer que
horizontalement la tête du pavot; il en le bourg Docimia était très- voisin de

sort une liqueur blanche qui se fige aus- cette ville. Strabon ajoute quelques
sitôt et qui n’est autre chose que l’o-
renseignements géographiques utiles
pium. Le lendemain on va récolter cet pour bien déterminer la position de
opium en grattant la plante avec un cou- cette place. « Synnada, petite ville, est
teau ; on en fait des boules de la gros- située à l’extréniité d’une plaine longue
seur du poing, et on l’enveloppe dans d’environ soixante stades, onze kilo-
des feuilles de pavot c’est en cet état
:
mètres, et plantée d’oliviers. Au-delà
qu’il est livréau commerce. de cette plaine on trouve le bourg Doci-
Depuis 1832 le commerce de cette mia et la carrière de marbre synnadi-
drogue est un monopole du gouverne- que, comme le nomment les Romains,
ment, qui l’achète sur le pied de cin- car chez les indigènes il se nomme Do-
quante piastres les 250 drachmes. 11 cimite ou Docimée. Dans le commen-
est revendu au commerce sur le pied cement , on ne tirait de cette carrière
de cent quatre-vingts à deux cents pias- que des blocs de médiocre grandeur;
tres. Les habitants ne se plaignent pas
mais aujourd’hui le luxe des romains
de ce monopole, parce qu’ils trouvent en tire des colonnes d’une seule pièce,
sans peine un débouché certain. qui se rapprochent de l’albâtre pour
Le grand cône volcanique qui do- la variété oes eouleurs , et quoiqu’il y
fort loin pour voiturer de tels far-
mine la ville est le résultat d’un sou- ait

lèvement trachytique très-remarquable, deaux jusqu’à la mer , on ne laisse pas


dont les effets se sont étendus à plu- de transporter à Rome des colonnes
et des tables d’une grandeur et d’une
sieurs kilomètres aux environs. 11 forme
comme le centre d’un épanchement qui beauté surprenantes (2). »
a engendré autour du grand cône une Cicéron désigne cette ville sous le nom
série de monticules de même nature ro- de Forum syunadense (3) ; il traversa
cheuse, ces montagnes n’atteignent pas cette ville lorêque partant d’Ephèse il se

la moitié de la hauteur du grand rendit en Cilicie , en passant par Laodi-


cône; l’examen de la planche représen- cée, et Apamée.
tant le rocher de Kara hissar fera faci- Manlius traversa Synnada , en mar-
cilement comprendre la disposition res- chant contre les Gaulois; nous la re-
pective de ces éruptions (1).
trouvons, ensuite nommée parmi les
évêchés de la Phrygie salutaire son :

nom rentre peu à peu dans l’oubli, dès


(i) Voyez U vue de Kara hiisar.Pl.
qu’on cesse d’exploiter ses carrières

(i) Ét. Byz., voc. Srnnada.


(a) Strabon, XII, p. 577.

(5) Ad Ait, V, ai.


\SIE MINEURE. 481

lions ne le retronvois pins men- me lave ; l’arcbe>est de- forme ogivale. Un


tiouné par Paul Silentiaire, à l’occasion retrouve dans la ville un certain nombre
,

'de la description de Sainte-Sophie (I). d’inscriptions, mais aucune ne men-


Bien des tentatives infructueuses tionne le nom ancien. Il v a près d’une
avaient été faites par les précédents ex- maison une grande cuve de marbre mo-
plorateurs de l’Asie, pour retrouver ces nolithe, ayant dans l’intérieur plusieurs
..carrières; nous filmes plus heureux que gradins; les croix sculptées aux deux
nos devanciers et le 5 juillet 1834 nous ,
extrémités indiquent que c’étaient des
retrouvions le gissement de ces mar- fonts baptismaux à l’usage des Grecs,
bres^ et les traces des immenses exploi- qui baptisent par immersion. Ce qui
tations qu’y entreprirent les Romains. tend à prouver l’ancienne importance
Nous savions par les itinéraires an- d’Eski kara hissar, c’est que nous y
ciens que Synnada était située sur la trouvons une inscription hononorifique
route de Do'ryléeà Apamée cibotos (2); dédiée à l’empereur S. Sévère Pertinax :

nous savions de plus qu’elle était voisine La ville honore le grand, le divin em-
des carrières de marbre; il suffisait de pereur, César Lucius Septiinus Sévérus
retrouver soit dans la. nature calcaire Pertinax Auguste, Arabique, Adiabé-
des montagnes, soit dans les ruines des iiiqiie , Partbique, très-grand, maître de
villes de ces parages, quelques indices la terre et de la mer. Les anciens n’a-
de ce marbre facile à reconnaître entre vaient pas l'habitude d'élever de pareils
tous les autres. monuments dans les villages.
Nous avions retrouvé à Kara hissar Cette autre inscription appartenait à
un bloc de marbre blanc, veiné de vio- un monument d'une certaine impor-
let ,
provenant de ces carrières ; et tance réparé par Eumonius. Cette ins-
nous avions appris, en outre, que la cription n'i>st pas antérieure au troisième
petite villede Eski kara hissar, l’ancien siècle de notre ère.
Kara hissar, contenait une quantité de
Voici, voyageur, le monument élevé à la mé-
ruines. Nous mimes à profit ces ren- moire d’un excellent pasteur et prédicateur de
seignements. la parole divine. Maximioii l’avait bàli avec un
Traversant dans la direction du nord grand labeur; mais par l’effet du temps il ar-
rivait a la decadence qui accompagne le temps
la plaine de Kara hissar, dont la largeur comme une servante. Alors F.umunius, renou-
est de neuf milles; nous atteignîmes les velant la construction comme un savant et
collines qui bordent la plaine, et nous noble médecin rétablissait le
,
monument
comme il était Jadis, à cause de la gloire de
fîmes encore neuf milles pour arriver son aïeul, dont il a volontiers hérité.
a Eski kara hissar; cette dernière ville
est donc éloignée de dix-huit milles D’après tous ces indices, nous étions
géographiques, ou de trente trois kilo- disposé à assimiler Eski kara hissar
mètres de Kara hissar; les environs de à l’ancienne Synnada ; les carrières que
la ville sont jonchés de débris de mar- nous allons décrire n’en sont qu’à douze
nre, parmi lesquels on reconnaît le kilomètres, et le village de Séid el ar re-
marbre de Synnada ; on en trouve des présentait pour nous le bourg Docimia.
blocs bruts non équarris, dans les clô- Cette détermination n’a pas été ac-
tures des champs. Eski kara hissar est ceptée par Cari Ritter. Il regarde Kara
située sur le penchant d’une colline vol- hi.ssar comme l’ancienne Synnada, quoi-

canique ; c’est un bourg de très-peu que cette ville soit éloignée des car-
d’importance; mais elle occupe l’empla- rières d’une distance de trente-cinq
cement d’une ville qui a dd être assez kilomètres. Eshi kara hissar est Doci-
considérable, car ou en retrouve les mia, et Séid el ar reste innommé.
vestiges sur trois mamelons qui sont sé- 11 faut convenir que la plaine de
parés par une vallée , au fond de la- Kara his.sar, représente mieux la plaine
quelle coule une rivière assez forte pour « de soixante stades » de .Strabon ; mais

avoir motivé la construction d’un pont. le haut rocher est un caractère telle-

Il est bâti partie en marbre , partie en ment tranché qu’on s'étonne qu’il ait
été passé sous silence par le géographe
(i) Deuxième partie, vers »o5. grec. Aujourd’hui la grande plaine ne
(a) Table de Peutinger. . produit plus d’oliviers ; il est reconnu
433 L’UNIVERS.
dans le pays que cei arbre ne croit pas à celle du marbre de Synnada, et l’em-
à une distance de vingt lieues de la mer. ploi qu’en firent les riches patriciens,
dès les premiers temps de sa décou-
CHAPITRE XXXIV. verte, fit que les poètes citèrent le mar-
bre phrygien comme l’emblème du luxe
LES CASalÈBES DE SYNNADA. et de la richesse (1).
Cette partie dela Phrygie Salutairt
La plaine qui communique avec la portait anciennement le nom de Myg-
vallée dans laquelle sout situées les car- donie ; aussi le marbre de Synnada ést-
rières est fermée au nord et au sud par il quelquefois appelé marbre mygdo-
des collines volcaniques, dout la forma- nien. Étienne de Byzance (2) et Stra-
tion est remarquable; elles sont compo- bon [3) disent qu’on lui donnait le nom
sées de globes sphériques et concentri- de Docimia , parce que ce bourg était
ques qui, par leur rupture et leur dé- dans le voisinage des carrières. Clau-
composition, formentsur le sol deslignes dien (4) l’appelle marbre de Synnada,
courbes qu’on ne saurait comparer et Juvénal (5) marbre phrygien. D’au-
qu'aux ondulations de la moire. Il y a tres poètes ont à l'envi chanté les beau-
quelque.s-unes de ces sphères qui attei- tés du marbre phrygien. Pour eux les
gnent un diamètre de trois a quatre taches de pourpre'dont il est parsemé
mètres, et sont composées de feuillets sont les traces du sang d'Atys , dont
d’une épaisseur variable ; dans d’autres Cybèle déplore le trépas (6).
endroits elles ne sont pas parfaitement La description qu’en fait Strabou ne
sphériques, mais affectent la figure laisse aucun doute sur l’identité des car-
ovoide ; c’est ce qui donne aux sections rières que nous décrivons. En effet, la
sur le sol cette forme ondulée qui est variété de la roche fournit indistincte-
très-remarquable. Après avoir franchi ment et en quantité considérable un
cette éminence, quiappartient à la croupe marbre d’un blanc jaunâtre, d’un grain
méridionale de la colline d'Eski kara- lin et très-cristallisé, qui cependant
bissar, on arrive dans une plaine arro- n’offre pas de résistance à la taille, et
sée par un ruisseau , et qui n’est autre qui répond à toutes les qualités qu’on
chose qu’un embranchement de la val- exige dans le marbre statuaire et dans
lée de Syunada. Les carrières apparais- le marbre de construction. La situation
sent sur l’autre flanc de la vallée, et la de la carrière et le gisement de ce cal-
hlancheurdu marbre forme un contraste caire sont très-remarquables ; il est
singulier avec les laves noires des envi- cerné de tous côtés par les laves c’est :

rons. Toutes les collines qui précèdent comme un îlot de marbre au milieu des
l’entrée des carrières ne sont compo- volcans. La roche n’est pas stratifiée;
sées que de recoupes de marbre; cela elle est très-compacte, mais traversée
seul donne une idée de l’immense éten- par de grandes fissures verticales, ducs
due des exploitations. La plus grande sans doute à l'action du feu, qui ce-
et la plus belle carrière est ouverte au pendant n’a pas altéré la roche. Géné-
couchant; elle est large d'environ vingt ralement, c’ist la surface de la roche
métrés, et pénètre à plusieurs centaines ui donne le marbre blanc. Eu entrant
de mètres dans l’intérieur de la monta- ans le cœur de la montagne on en ,

gne. On n'a aucun indice delà profon- trouve qui est veiné de bleu de lilas et ,

deur des travaux qui se sont exécutés de violet foncé. D’autres parties ont un
eu contre-bas du sol, car il est entière-
ment couvert par des monceaux de re- XV.
(i) Hor., lib. III, od. a. Ovid.,ep.
coupes. L’exploitation s’est continuée
Tibiill., eleg. 3, tib. XIII.
sous les empereurs byzantins; mais
() Aoxîjjuov.
alors l'administration de ces carrières (3> Ubi suprà,
n’étant plus aussi régulière on a laissé
,
(4) Lib. II, ht Eutr,, V, a-i.
encombrer peu à peu par les débris les (5) Sa!., XIV, 307.
voies de communicatiou. () Martial, 1. IX, cp. 76, Stacc, I. I,
Il est peu de marbres, chez les au- Sylvar. Garni. 5, v. .36 liv. II, Carui. »,
cieus, qui aient eu une célébrité égale V. 87.
, ,

ASIE MINEURE. 433

aspect de brèche bien caractérisé; mais la roche ou le prix de revient; car j’ai
ce ne sont pas les gisements les plus trouvé dans les ruines du port d'Ostie
étendus, bien qu’ils fussent les plus es- des blocs de marbre brut sur lequels
timés; car c’est cette espèce que Paul étaient inscrits un certain nombre de
Silentiaire (I) décrit lorsqu’il dit que la sesterces.
teinte générale était d’un blanc lucide L’exploitation se faisait par le moyen
avec des taches presque circulaires, des esclaves, dont le régime était réglé
d’une couleur rose et violette. Une .si par une loi (I). Il existe également un
grande quantité de ce marbre a été édit de Constantin qui, après l'abolition
transportée en Europe par les Romains des Jeux de l’amphtthéâtre , condamne
qu'il en reste encore dans les villes d’I- aux carrières les criminels qui primi- ,

talie un grand nombre d'échantillons. tivement étaient condamnés aux bêtes.


Les colonnes de l’intérieur de la basi- Le Code Théodosien contient un pas-
lique Saint-Paul hors les murs à
de. sage curieux d'une loi des empereurs
Rome étaient de ce nombre; elles Arcadius (2) et Honorius qui faisait
,
avaient été tirées du tombeau d’Hadrien. grâce aux débiteurs des provinces d’O-
Ce fut probablement ce prince qui donna rient de tout ce qu’ils devaient en na-
à l’exploitation des carrières de Synnada ture , en espèces de cuivre, d’argent et
un si grand développement; car, sous d’or, excepte toutefois les entrepreneurs
Tibère, elles étaient à peine entamées. des carrières de Docimia, de Proconèse
Hadrien lit aussi construire à Athènes et de Troas, auxquels la dette ne fut
un temple commun à tous les dieux as remise sans mute parce que l’état
,

remarquable par cent vingt colonnes orissant de ces établissements indus-


de marbre phrygien , et entouré de triels leur permettait d’acquitter ce qui
portiques dont les murs étaient de même était dû au fisc.
matière ; c’étaient probablement des re- Toutes les voies antiques étant entiè-
vêtements (2). La statuaire employait rement détruites en Asie Mineure, il
aussi ce marbre pour les statues poly- de dire par quel chemin
est bien difficile
chromes, et Pausanias cite également les produits étaient portés à la mer. Il
comme des chefs-d’œuvre les statués des
y a environ vingt lieues de ce point
Perses soutenant le trépied de bronze , jusqu’à la vallée du Méandre, et, pour
y
et qui étaient eu marbre de Phrygie. arriver, il faut traverser un pays hé-
L'exploitation de ce marbre a toujours rissé en tous sens de montagnes plus ou
eu lieu à ciel ouvert comme dans la moins rudes. I>e Méandre , d’ailleurs
plupart des carrières anciennes; la n’est pas navigable, et à peine pourrait-
pierre était taillée en banquettes à la il, au moyen d’un barrage, porter des

masse et au poinçon ; et l’on voit en- radeaux un peu considérables. C’est un


core sur la ^roi verticale, des traces sujet constant d’étonnement pour le
du ciseau formant des lignes parallèles, voyageur qui parcourt ces contrées de
en épis ou en arêtes de poisson. Lors- voir dans des bassins entourés de tous
que le bloc était détache, on refendait côtés par des montagnes , des mines si
les plaques en traçant une rainure et en étendues avec des monuments de mar-
faisant de distance en distance des trous bre, des blocs d’un poids incalculable,
dans lesquels on introduisait des coins. et transportés de régions aujourd’hui
Cette exploitation n’est pas la seule tout à fait ignorées. Quant aux alen-
qui ait été pratiquée dans ces roches ; tours il n’existe plus aucune trace de
,

on trouve dans la partie supérieure quel- grande route ni de voie de communica-


ques excavations qui ont dû fournir tion.
aussi du marbre. Il y a encore plusieurs La position de ces carrières étant dé-
de ces morceaux sur place. Les inspec- terminée d’une manière positive, il s’a-
teurs des carrières faisaient mettre un de retrouver le bourg de Doci-
gissait
chiffre qui indiquait ou le volume de mia.

(i) Description de Sainte-Sophie ,


ubi su- (i) Cod. -Tbeod., Be metoUariis.
pra, (») Leg. IX, Cod. Tbeod., Dt indulgenlia
il) Pausanias, Attique, lib. I, c. i8. tlehitorum.

28° Livraison. (Asib Mineure.) T. II. 28


484 L’UNIVERS.
En se dirigeanl vers le sud, la vallée avoir été enchâssée dans une muraille.
commuDique avec la grande vallée de Il parait que le rez-de-chaussée de l’é-

Kara hissar, et partout dans les villages dilice avait été bâti primitivement, et
on trouve des débris de ce marbre; ue la partie supérieure appartenait à
mais rien ne parait répondre à la posi- S[ésychus ,
qui avait placé cette inscrip-
tion de Docimia, qui devait être dans tionpour constater sa propriété :

le voisinage immédiat des carrières de


A. partir de la place de cette ioacripUen, tout
Synnada. Le village de Seïd el ar, situé
ce qui s'élève en haut, a été bèU par moi Hé-
à une lieue de là vers le nord, reiderme ^chus rainé, avec mes entants, Pismatius et
d’assez nombreux débris d’architecture, Epiphanius, de notre propre avoir.
et les habitants sont presque tous logés
dans d'anciennes chambres sépulcrales; CHAPITRE XXXV.
les plus grandes servent d’écuries. Il
est hors u^e doute que dans ce lieu il a BEUnoS VETUS. — ARABUBA.
existé quelque ville ancienne , car les I

habitants attestèrent que tous les frag- Eu continuant à marcher vers le


ments sculptés que l’on voyait dans le nord après avoir quitté Séid el ar, on
,

cimetière et dans les maisons étaient ex- entre dans la ré^on des grottes taillées
traits du sol même. Beaucoup de blocs dans le rocher il n’est pas un vtllsge,
;

de marbre brut sont épars dtins ce lieu. pas une vallée où elles ne se rencontrent
D’après toutes ces considérations, il en nombre infini; à six kilomètres de
était naturel de regarder Seid el ar Séid el ar on arrive dans la vallée de
comme l’ancienne Docimia. Kirk inn , dont les flancs sont perforés
Un grand rocher qui s’élève sur la d’une quantité de grottes ; elles sont sans
route est tellement transpercé par des ornement et servent de demeures d’hi-
cellules sépulcrales que la partie exté- ver aux Yourouk. On s’enfonce ensuite
rieure s'est écroulée, et que chaque an- dans des solitudes sauvages, cheminant
née il s’eu éboule quelque partie. Les presque au hasard par des chemins non
chambres sont sans aucune espèce d’or- frayés. Après avoir marché ainsi vingt-
nement ; elles renferment ordinairement quatre kilomètres droit au nord, on
trois cercueils taillés dans la masse même arrive au pied de la montagne que cou-
du rocher, et au-dessus est une petite ronne le château de Bayat, Deudos vê-
niche, sans doute pour poser une lampe. tus. Ce château u’est intéressant que
Quoique toutes les parties de l’ou- comme point géographique , car toutes
vrage ne contiennent aucune inscrip- les constructions sont byzantines ou
tion , et que la sculpture soit sans or- musulmanes. Le village de Bayat en est
nement, tout portes croire, par l’ana- iroche; il est inhabité pendant l’été,
logie qui existe entre ces monuments fes paysans vont au Yaëla.
et d’autres mieux caractérisés, qu’ils Le village de Inn bazardjik est situé
sont fort antérieurs àl’invasion romaine, dans une belle vallée ombragée par une
et peu éloignés de l’époque des rois de forêt de pins et de génevriers, on y voit
Phrygie. de nombreuses chambres s^uleratcs.
Le sol de la contrée prête merveillen- Ici les portes sont décorées de frontons,
sement à ce genre de travaux ; c'est un les chambres sont couvertes en forme
tuf assez compacte, n’ayant point de de toit. Il y a plus d'art dans la manière
lits, de
sorte qu’on peut exécuter dans dont le rocher est travaillé, mais aucun
la masse des ouvrages aussi étendus que indice ne peut mettre sur les traces de
l’on veut. Cette formation d’agglomé- l’époque où elles ont été creusées.
rats volcamques s’étend indéliniment à Inn bazardjik est voisin du Yaëla,
l’est et au nord, jusqu’au village de des habitants de Bayat les voyageurs,

Seïd el Ghazi, rahéienne Prymnesia. qui visiteraient ces cantons pendant l’été
L’inscription süivante Se voit près feraient bien de se diriger sur ce pre-
d’une fontaine située sur chemin qui
le mier village. Rien ne représente mieux
mène du village d’Eski kara hissar aux l’aisance de la vie patriarcale, que ces
carrières de màrbre. Elle est grossière- demeures d’été où tous les habitauts
ment traetVsur Ulie plaque qui semble d’un village, rtciies comme pauvres ont

•II, A ,
1 .) .
'V.,

. ;lc
ASIE MINEURE. 435

leurmaison de campagne, faite des ar- sur Mazaca , passait aussi par Philome-
bres abattusdans la forêt voisine. Les linm(l); toutes ces conditions topogra-
troupeaux de bœufs et de chevaux er- phiques permettent d’identifier la ville
rent à l’aventure, et le soir tout cela d’Ak checher avec l’ancienne Philome-
vient se grouper autour de l’enceinte qui liuni. Il ne reste des' ruines de l’an-

leur est réservée. cienne ville que des débris informes de


Les cabanes sont composées d’énor- murailles, et quelques fragments d’ar-
mes pins entiers couchés les uns sur les chitecture épars dans les rues, on a ce-
autres, et couvertes en planches légères. pendant recueilli quelques inscriptions,
Tous les rochers des environs sont des mais aucune ne mentionne le nom de
tufs volcaniques propres à creuser des la ville ancienne.
grottes. Ak cheher est construit au pied d’une
Après avoir douze kilomètres au
fait montagne; occupe une grande
la ville

nord, on arrive dans la vallée de Ak étendue de terrain et est entourée de


kilissé, l’église blanche; ce lieu ne vastes jardins. Les rues sont étroites et
renferTe aucun monument de haute encombrées de ruines; les mosquées
antiquité, mais il est très-important mêmes ne sont pas entretenues. Le
comme point géographique, attendu tombeau du Santon Khodja Nour Eddin
qu’il marque la place d’Anabura, où
est situé dans le faubourg de l’ouest.

campa Manlius après avoir uuitté Beu- C’est un turbé ou chapelle sépulcrale
dos vêtus. La vallée est ombragée par entouré d’une colonnade qui supporte
une magnifique forêt, et dans un élar- la toiture: lescolonnes ont été prises à
gissement formant une sorte de cirque d’anciens monuments. Le cimetière,
s’élèvent les ruines d’un édifice, byzan- voisin est rempli de débris d’architec-
tin, que les nomades appellent l’église ture antique qui prouve que l’ancienne
blanche, Ak kilissé. 11 se compose d’une Ak cheher était une ville d’une certaine
'
vaste salle voûtée, et au-aessous se importance.
trouve un caveau rempli de décombres; A six milles au nord de la ville est
plusieurs vestiges d’autres édifices, qui un grand lac dont la position concorde
mériteraient un examen plus détaillé, avec celle du lac des quarante martyrs,
sont épars aux environs quelques dé-
;
mentionné par Anne Comuène comme
bris d’inscriptions témoignent que ce placé entre Polybotum au nord et Phi-
lieu un centre de population avant
a été lomelium au sud.
l’empire byzantin. .Sa distance de Bayat,
qui est d’environ seize kilomètres et ,
CHAPITRE XXXVI.
surtout la direction de la route, la seule
par laquelle on puisse se rendre sur les BUMÉNU— ICdBKLl.
I

frontières de la Galatie, donnent la cer-


titude que ce lieu ne peut être qu’A- Euménia était une des principales

nabura. Une belle source coule dans la villes de la grande Phrygie; elle fot
vallée; elle va rejoindre à deux milles
fondée par Eumène, roi de Pergame,
de là un ruisseau sans nom aujourd’hui, qui lui donna son nom. Les auteurs an-
qui est sans doute le fleuve Alander.
ciens (2) se contentent de la mention-
Les montagnes qui sont au nord for- ner ; elle est comprise par Hiéroclès dans
la notice des villes épiscopales. Ce sont
ment la frontière de la Galatie. Il en
sera question quand nous serons arrivés tous les renseignements que nous four-
icette province. nissent les auteurs ; mais les ruines d’En-
menia ont été retrouvées au village
PBILOMKUDH. — AK CHEHBB. d’ichékli , et le grand nombre d’ins-
criptions qu’elles ont produites supplée
Philomelium était une petite ville de largement au silence des historiens.
la Plirygie Parorée sous la juridiction Comme toutes les grandes villesd’Asie,
de Synnada. La carte de Peutinger la
met au sud de cette dernière ville sur (i)Strabon, XII, 576; £utrop,üv. IV, cb.
la grande route de Cappadoce. Uneautre
a; Pline, liv. V, cb. 39.
route partant d’Éphèse et se dirigeant (•j) Sirabon, XIV, Il ,

2 ».

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,

436 L’UNIVERS.
Euménia était administrée par un dou- plaine bien cultivée à laquelle succède
ble conseil du sénat et du peuple; elle une lande pierreuse et diserte, bornée
avait reçu le titre de Sébaste , et des au sud par une chaîne de collines ro-
jeux publics étaient célébrés le jour de cheuses.
la naissance d'Auguste, sous la prési- Du haut de ce col on jouit d’un vaste
dence du proconsul d’Asie, à l’imita- panorama qui s’étend sur les plaines
tion des jeux augustaux de Rome. Les d’Euménia à l’est, etd’Apaméeàrouest;
courses aux flambeaux présidées par on descend ensuite dans la plaine
un Lampadarque sont mentionnées dans d’ichékii à deux heures au sud de cette
une autre inscription en même temps colline. Le village est situé au pied
que 1a prêtrise de plusieurs temples de d’une montagne rocheuse sur laquelle
Diane , d’Esculape et de la mère des était construite l’acropole; cette monta-
dieux, Agdistis. gne est séparée des hauteurs voisines par
Les habitants d’Euménia ,
comme une vallée étroite qui donne naissance
ceux de Phocée, avaient pour usage de à plusieurs sources dont les eaux su
compter les mois par un simple nu- réunissent en un torrent qui forme des
méro d'ordre. La pdpulation était divi- marécages avant d’aller se jeter dans le
sée en tribus. M. Hamilton a rapporté Méandre.
l'inscription du tombeau d’un semeio- M. Hamilton considère cecoursd’eau
graplie (est.>ce un libraire ou le graveur comme le Glaucus mentionné par Pline,
des inscriptions municipales ) nommé et tranche la question controversée par
Actiacus, de la tribu Athénaïde, qui le colonel Leake,qui regardait le Glaucus
s’était fait construire de son vivant un comme une rivière de Carie (1). En fait
tombeau avec un monument commé- de monuments dignes d’être observes,
moratif au-dessus (I). il ne cite qu’une excavation taillée dans

L’empereur Marc-Aurèle fit faire de le roc, devant laquelle sont les ves-
• grands travaux d’utilité publique dans tiges d’un portique. Un grand nombre
la ville d’Euménia, et les habitants le de colonnes et de piédestaux sont répan-
remercient de ce bienfait par une ins- dus dans la ville et dans le konac de
cription honorifique. l’aga ; le village contient deux cciit
Les ruines d’Eüménia ont été obser- cinquante ou trois cents maisons dont
vées pour la première fois par Pococke le plus grand nombre est occupé par
au village d’ichékii, mais elles n’ont été des Turcs.
bien déterminées qu’après les recherches
faites par Arundeli, qui rapporta plu- CHAPITRE XXXVII.
sieurs inscriptions contenant te nom de
la ville. LAODICÉE SUB LE LYCUS. — ESKI
Ichékli est située à onze heures de HISSAS.
marche, au sud-sud-est d’Ouschak; on
faitd’abord trois heures de marche dans Antiochus Soter, en fondant une
une plaine nue, jusqu’au village de ville nouvelle sur les bords du Lycus
Yapal une heure apres on franchit la
;
lui donna le nom de Laodicée en l’hon-
rivière Banas tchaï, et l’on fait halte au neur de sa femme Laodice. Ce fut d’a-
village de Sedjikier; on a fait depuis bord une place de peu d’importance;
Ouschak six heures et demie de marche mais l’excellence de son territoire et
ou trente-neuf kilomètres. D’après une l’esprit industrieux de ses habitants ac-
inscription encastrée dans le mur de la crurent insensiblement la fortune de
mosquée de ce village, M. Hamilton a Laodicée, qui , sous le règne de Tibère
constaté qu’il occupait l’emplacement était devenue une des plus belles villes
de l’ancienne Sébaste. Il ne signale en de la Phrygie (2). Plusieurs citoyens
ce lieu aucune autre ruine importante. opulents lui firent des donations impor-
De Sedjikier on fait une heu re de marche tantes; Strabon cite Hiéron, citoyen de
jusqu’à Bourgas, village situé dans une
(i) Hamilton, I. C. T. Il,- 164; Arundeli,

(:) Mviiptiov vùv TÛ ^bipü, Hamilton, Seven Chiirchrt, p. a37, liotep. 3 ay.
Retearehet, t. II, iaic. n" 356. (i) Strabon, XII, 578.
,

ASIE MINEURE. 437

Ijodicée ,
qui embellit la ville de plu- debout; une inscription placée sur la
sieurs monuments , et lui fit en outre porte principale gravée en grands carac-
présent de deux mille talents. tères est ainsi conçue :

L'orateur Zénon et son fils Polémon A l’empereur Titus César Auguste


furent du nombre des bienfaiteurs de Vespasien, consul pour la septième fois,
natale ; le dernier fut proclamé
leur ville fils du divin Vespasien et au peuple,
roi sous Auguste, et régna sur cette Nicostrate, le plus jeune des fils de Lu-
partie du Pont qu’on appela Pont Po- cius Nicostrate , a élevé ce théâtre de
iémoniaque. Pendant la guerre de Mi- marbre blanc , à ses propres frais ; son
thridate, Laodicée fut exposée à tous héritier Nicostrate a fait achever ce qui
lesmalheurs d’un siège, et fut en partie manquait à ce monument. Marcus Ul-
détruite;aussi la plupart des monu- pius Trajan proconsul l’a dédié.
ments dont on peut encore observer les Cette inscription se rapporte à l’an
ruinesne sont-ils pas antérieurs à l’é- 79 avant notre ère. Le procônsul d’Asie
poque romaine. Il en est de Laodicée était le père de l’empereur Trajan. Plu-
comme de la plupart des villes fondées sieurs observateurs ont confondu ce
par les rois grecs : c’étaient d’anciens monument avec on amphithéâtre c’est ;

centres de population dont on chan- une erreur que l’on commet souvent.
geait le nom. Selon Pline, Laodicée Le monument est bien un stade ou hip-
s'appelait primitivement Diospolis et podrome destiné aux courses de che-
Rolia, sans doute à cause des nombreu- vaux.
ses rivières qui l’entouraient: les fleuves Les autres édifices consistent dans un
Asopus et Caprus se réunissaient sous gymnase dont le plan pourrait être re-
ses murailles et allaient tomber dans le levé presque en entier, deux théâtres
Méandre. dont l’un peut être considéré comme
Les ruines de Laodicée, appelées un odeum ou théâtre de musique. I.es
aujourd’hui Eski hissar, le vieux châ- alignements des rues sont marqués par
teau sont situées à six kilomètres au
, des portiques et de.s colonnades dont on
nord de Denizli. Ses monuments sont peut suivre les différentes directions.
presque tous dépouillés des marbres La surface de la ville est couverte de
qni en faisaient la beauté ; ils sont de constructions parmi lesquelles ou re-
temps immémorial exploités comme connaît plusieurs temples avec leurs
carrière par les villes et villages des en- soubassements , et les bases des colon-
virons. L’ensemble des monuments de nes encore en place.
Laodicée porte le caractère de l’archi- Les murailles, les portes, et enfin la
tecture du deuxième ou troisième nécropole couverte de nombreux sar-
,

siècle. Il n’y a dans leur style rien d’o- cophages , tout cet ensemble concourt à
riginal ou dfe spontané qui attire l'at- faire de Laodicée le sujet d’un très-beau
tention de l’antiquaire ; si l’on ajoute travail de restitution. Mais la descrip-
à cela l'état de ruine et de désolation tion de ces monuments, sans qu’on
dans lequel ils se trouvent, on compren- ait préalablement reconnu leurs dispo-
dra que celte ville n’ait pas encore été sitions particulières serait sans profit
l’objet d’une étude spéciale, et que ceux pour l’étude.
ni l’ont visitée n’en aient fait qu’une La ville était pourvue d’eau potable
3 escription sommaire. Presque tous les par le moyen d’un long aqueduc posé
voyageurs qui ont parcouru ces régions sur des arcades qui prennent naissance
ont passé par Laodicée et ne s’y sont ar- à la colline voisine. La source avait au
rêtés que peu d’heures. plus haut degré la propriété incrustante,
Le premier monument qui attire les aussi d’énormes stalactites se sont-elles
regards en venant de Denizli est le formées par l’épanchement des eaux
stade, qui est encore en bon état de hors de leur canal , et ont-elles oblitéré
conservation; il est à l’extrémité sud presque tous les conduits.
de la ville. Les gradins reposent sur le Les ruines de Laodicée datent pres-
flanc d’une colline qui offrait une base que toutes de l’époque romaine, et con-
naturellepour asseoir le monument. tiennent peu de vestiges de l’art chré-
Les arcades des carcères sont encore tien. CeHe ville fut cependant comptée
,

43R L’DNIVERS.
nu nornbre des sept églises d'Asie, et parable, mais l’étranger qui arrive est
elle est iiieiitioniiée dans de
l'épitre loin de s’accommoder de cette vie cham-
saint Paul aux Colossiens. pêtre; pendant la belle saison les ha-
Elle fut un des principaux sièges bitants couchent sous des berceaux de
apostoliques de l’Asie, mais n’oUrit feuillage au milieu de leurs jardins,
qu’une faible résistance à l’invasion mu- les maisons sont désertes, et la ville
sulmane. Les Turcs en étaient maîtres de pierre, la Cassaba, n’est plus habitée
en 1097, lorsque Kutayali était encore que par les chiens errants.
entre les mains des Byzantins; l’empe- Les eaux de la plaine de Laodicée
reur Jean Comnène la reprit en lIZO, sont maintenant assez bien étudiées :

et fit réparer ses murailles. Après avoir le Lycus prend sa source ilans le mont
été pendant près d'un siècle soumise à Cadmus, qui sépare la Phsygie de la
toutes les vicissitudes de la guerre, Carie ; il est plus éloigné de Laodicée
Laodicée finit par tomber sous la domi- que ne semble le. dire Strabon. Après
nation musulmane. On ignore les cau- avoir coulé quelque temps à l’air libre,
ses de l’abandon de cette ville; la po- il se précipite sous terre aux environs

pulation chrétienne, maltraitée par les de Khonos, l’ancienne Colossæ, reparaît


Turcs, vint s’agglomérer dans la petite cinq .stades plus loin (I) , et après un
ville de Denizii. La fertilité du sol de cours de vingt kilomètres, il va, sous le
Laodicée , le grand nombre de trou- nom de Tchorouk sou et de Sultan Emir
peaux de moutons qu’on y élève , peu- tcha'i, se jeter dans le Méandre non
vent donner une idée de ce qu'était ce loin de la montagne de Hiérapolis. Il
pays sous le gouvernement romain. coule dans un terrain meuble; ses rives
Les eaux des rivières voisines passaient sont très-encaissées ; on le passe sur un
pour être très- favorables à la finesse de mauvais pont de bois en allant d’Eski
la laine des brebis , aujourd’hui ces hissar à Hiérapolis.
laines, sont principalement employées La disparition du Lycus a été l’objet
dans la fabrication des tapis. de plusieurs observations qui n’ont pas
amené de résultats bien satisfaisants;

DEMZI.I. — LK r.YCUS.
.M. Hamiltoii qui a visité dans ce but
spécial les ruinesde Colossæ, émet une
opinion qui présente un côté plausible,
Denizii est la ville la plus voisine mais qui n’est encore qu’une conjec-
de Laodicée, et paraît s’être formée de ture.
la population de cette ville, qui a peut- Après avoir quitté le village de Kho-
être été chassée par quelque catastrophe nos, M. Hamüton va droit au nord
subite. Ce fut d'abord une petite place pour reconnaître les cours d’eau qui ar-
entourée de murs. Mais au commence- rosent ia plaine ; il retrouve le véritable
ment de ce siècle, un tremblement emplacement de Colossæ à trois milles
de terre renversa presque toutes les au nord de Khonos la il traverse sur
;

maisons , et les habitants se dispersè- un pont un cours d’eau considérable


rent dans la campagne, où il^ s’instal- qui coule vers l’ouest c’est le Tchorouk
:

lèrent au milieu des Jardins. Il s’est sou ou Lycus, ce cours d’eau reçoit un
formé ainsi une ville agreste qui a un peu au-dessus du pont, un cours d’eau
cachet tout particulier; les mosquées nommé Ak sou, qui jouit au plus haut
sont de grands bâtiments entourés degré de la propriété incrustante. L’au-
de colonnades, le tout en bois et bar- teur suppose que du temps d’Hérodote
bouillées de dessins fantastiques, re- les incrustations de l’Ak sou avaient
présentant des villes, des navires et des formé sur la rivière , une sorte de pont
forteresses; toutes les couleurs de l’arc- ou de couverture de tuf sous lequel dis-
en-ciel, sont employées pour peindre paraissaient les eaux. Cette grotte qui
ces édifices, qui ont plutôt Tair de pa- couvrait la rivière, se sera écroulée par
godes indiennes que de mosquées. suite d’un tremblement de terre, d'où
La beauté des jardins de Denizii M. Ilamilton conclut qu’aujourd’hui on
l’abondance des fruits de toute sorte,
donnent à ces lieux un charme incom- (i^ Hérodote, liv. VII, ch. .to.
ASIK MINEllRK. 4i9
chercherait eu valu la diaparition du dès les temps les plus reculés , autour
Lycus (I). de ces sources de nombreux malades
I^es fleuves Asopus et Caprus sont les et une population toujours croissante :
deux petits ruisseaux, presque toujours car là, plus qu’ailleurs, les anciens
à sec qui circulent aux abords de Eski
,
voyaient une manifestation de la volonté
hissar. Une autre rivière prenant sa des dieux pour soulager les douleurs de
source à la base du mont Cadnius sé- rhumaiiite.
pare le territoire de Choiios, Colossx, Quoiqu'un grand nombre d’écrivains
de celui de Denizli ; ou lui donne le aient mentionné la ville d’Hiérapolis,
le nom de Geeuk bounar, la source ilsse sont tous attachés à décrire les
céleste, c'est sans doute le fleuve Cad- phénomènes de scs sources; mais pas
inus , qui est un affluent du Lycus. un ne nous a laissé de documents sur
LorK|u’on a quitté les ruines de Lao- Tous les monuments que
sa fondation.
dicée et qu'on sAvance au nurd-est dans nous voyons aujourd’hui sont à peu
la plaine du Méandre, l’horizon est près de la même époque, c’est-à-dire,
borné à l'est par une montagne blanche postérieurs à l’invasion romaine, et l’on
dont la forme et la couleur ont quelque conçoit , en effet qu’un sol aussi mo-
,

chose d'étrange; les indigènes appellent bile , qui s’exhausse constamment, en


ce lieu Pambouk kalé si, le château du ensevelissant à tout jamais dans un roc
coton, parce qu'en effet la moutague est qui se forme sans cesse, les monuments,
composée d'une roche dont la blaucheur les arbres et les plantes, a dil couvrir
le dispute à la neige, et dont les formes jusqu’au dernier débris des monuments
indécises peuvent être comparées à des d’un âge reculé que le temps avait ren-
masses de coton. versés. La ville d’Hiérapolis, telle qu’elle
C’est remplacement de l’ancienne se présente aujourd’hui aux regards de
Hierapolis, dont les monuments^ tous l’antiquaire, observée du haut de la
de l’àge romain méritent l'attention de moutague qui 1a domine , offre l’aspect
l’antiquaire et de l’artiste, niais dont de désolation et de la solitude ; pas
la
l’intérêt est bien affaibli par le voisinage un arbre ne s’élève sur cette terre frap-
des sources thermales, uniuues eu Asie pée de stérilité, et sur ce sol qui s’étend
et peut-être dans le monde entier, et au loin comme une grande plage cou-
qui ont valu à Hierapolis une renom- verte de neige. L’illusion est d'autant
mée qu’elle conserve encxire parmi les plus frappante, que l'on voit çà et là de
indigènes, malgré l’état de destruction vastes bassins d’eau bouillante recou-
où se trouvent les édifices qui contri- verts d’une épaisse vapeur, d’où sortent
buaient à sa célébrité, et parmi lesquels de petits ruisseaux, sur les bords des-
se trouvaient des thermes sans pareils quels croissent des algues et des fucus.
dans le monde romain. Ce qui avait surtout attiré l’attention
des anciens était une espèce de grotte ou
CHAPITRE XXXVIH. puits, d’où s’exhalait une vapeur mor-
telle pour les hommes et les animaux ;

HIÉBAP0L1S. — PAMBOUK KALB SI.


les dépôts calcaires de ces eaux étaient
surtout pour les anciens un sujet d'ad-
miration. Voici ce que dit Strabon (l)à
Des sources minérales très-abondan- ce sujet « Près du Messogis , en face
:

tes, sortant des flancs d’une montagne


de Laodicée, est Hiérapolis. On y voit
aride et s'épanchant dans le Lycus, ont des eaux chaudes et le Plutonium, deux
formé,*parla suite des siècles, une lon- ihénomènes qui tiennent du rnerveil-
gue colline entièrement composée d’ag- feux. Les eaux sont tellement disposées
glomérats calcaires déposés par les eaux, à .se pétrifier, qu’en les faisant couler
et qui s'élève graduellement d’âge en dans des rigoles pi;atiquées autour des
âge. La confiance que les anciens ont champs on en obtient des enceintes
toujours eue dans le traitement des ma- d’une seule pierre. Le Plutonium, situé
ladies par les eaux minérales a appelé,
sur une colline basse de la montagne

(i) Ilamilton, Ruearches, tome i", iii. (i) Strabon, liv. XIII, p. (>19.
440 LUJNIVERS.
voisine, est une petite ouverture, large bouique s’évaporant, les sels calcaires
autant qu'il faut pour qu’un homme y se déposent naturellement sur tous les
puisse passer; elle est entourée d’une corps avec lesquels l’eau est en contact,
balustrade carrée d’environ un demi- et particulièrement sur les petites aspé-
plèthre de circonférence ( 15"',40‘ ). Une rités qui se trouvent dans son lit, comme
espèce de brume, tellement épaisse qu’on les menues tiges de plantes, les cailloux
peut à peine y apercevoir la terre rem- et les algues mortes. Le frottement des
plit l’espace compris dans cette balus- eaux sur les bords du canal donnant
trade; elle ne cause aucune incommo- lieu à un plus grand dégagement de
dité à ceux qui s’en approchent, lorsque gaz, le dépôt s’augmente dans une bien
le temps est assez calme pour empêcher plus grande proportion sur les bords
qu'elle ne se communique à l'air exté- que dans le tond; aussi voit-on les ri-
rieur; mais si l'on y fait entrer uu ani- goles d’eau minérale s’exhausser en peu
mal, il expire sur-le-champ; les taureaux de temps , former de petites murailles
mêmes introduits dans cette enceinte qui s’élèvent jusqu’à ce que l’eau ait
tombent à l’instant, et on les éh retire atteint le niveau de la source ; elles s’é-
morts (1). J’ai léché des moineaux qui coulent alors de part et d’autre , aug-
y tombèrent et expirèrent immédiate- mentant l’épaisseur de la muraille, jus-
ment. Les Galles seuls, qui sont eunu- qu’à ce que leur cours, se trouvant
ques, y entrent sans danger; ils s’op- totalement intercepté, s'épanche dans
procbent de l’ouverture, ils y penchent toutes les directions, et forme sur le sol
même la tête jusqu’à un certain point, cette crodte calcaire d’un blanc parfait,
mais c’est ordinairement en retenant |ui aujourd’hui recouvre toute la sur-
leur haleine, comme nous l’avons re- ?àce de la ville. Mais les eaux des sour-
marqué par les signes de suffocation qui ces sont si abondantes, qu’elles ne dé-
paraissent sur leur visage. .Te ne sais si pouillent pas leurs sels calcaires avant
cela est commun h tous les eunuques, d’avoir atteint l’extrémité de la colline;
ni si les eunuques qui desservent le tombant avec impétuosité de roc en roc,
temple en qualité de prêtres sont les elles ont formé dans une hauteur de
seuls jouissant de ce privilège, et si trois cents pieds, les jeux de la nature
c’est l’effet d’une protection divine, ce les plus bizarres ce sont des cascades
;

qui serait probable pour des hommes écornantes, dont la mousse, resplendis-
qui se trouvent dans un état d’inspira- sant aux rayons du soleil , n’est autre
tion, ou s’ils font usage de quelques an- ue le dépôt pétrifié ; dans d’autres en-
tidotes avant d’approcher de la grotte. roits, tombant avec moins de force sur
Quant à la péirification des eaux , ce les aspérités des rochers, elles ont formé
phénomène, dit-on, a aussi lieu dans les des bassins d’une forme parfaitement ré-
fleuves de Laodicée, quoique leurs eaux gulière, ronds et ovales, superposés les
soient potables. Celles d’tliérapolis ser- uns aux autres, comme ces vasques des
vent encore merveilleusement a la tein- cascades que l’on faisait au dix-hui-
ture, au point que les laines qu’on y tième siècle. La ressemblance est d’au-
teint avec des racines le disputent aux tant plus grande, que leurs bords sont
teintures faites avec de la graine d’é- recouverts de stalactites d’une régula-
carlate ou avec la pourpre. Au reste , rité telle, qu’elles sembleraient être l’ou-
l’abondance de ses eaux est telle, que la vrage du plus adroit sculpteur. Et ce
ville est pleine de bains naturels. « n’est pas uu accident particulier; cela
Ces phénoincnes reçoivent une expli- se répète dans un nombre infini d'en-
cation des plus siinpîes; en effi-t, les droits, et toujours avec la même régu-
eaux minérales d’Hiérapolis, qui sont larité. Vers le nord-ouest de la ville, ces
alumineuses et légèrement sulfureuses, cascades pierreuses ont un aspect beau-
contiennent des sels calcaires qui se coup plus désordonné; mais leur cou-
trouvent dissous par un excès d’acide leur jaune et noirâtre indique que ces
carbonique ; lorsque les eaux ont coulé dépôts sont plus anciens que ceux de la
quelque temps à l’air libre, l’acide car- région sud; en effet, depuis le temps
que les eaux s’écoulent, elles se sont
(i) Slrabon, liv. XIII, p. RBo. bien souvent fermé le passage et ont ,
,,

ASIE MINEURE.
erré dans toute l'étendue de la colline, de ce Plutonium près d’un ancien
en laissant partout des traces de leur théâtre ( 1 ) :

marche. éprouvé les effets du Plutonium


< J’ai
Aujourd’hui , la source principale sur les oiseaux, et, en me penchant an-
surgit au milieu de la ville, et précisé- dessus du trou, j’ai vu cette exhalaison
ment au pied du théâtre, construit sur qui sort d’un puits ou citerne, environné
une colline qui domine les sources ; le tout alentour d'une muraille; au-dessus
thermomètre centigrade, plongé dans il
y a un édifice qui était anciennement
ce bassin , s’élève à plus de 80 degrés ; un théâtre. Tout animai vivant exposé
la vapeur qui s’en exhale n’est sensible à la vapeur de ce puits meurt incon-
que le matin dans les temps froids ; en tinent; les eunuques seuls ont la fa-
sortant de la source, les eaux sont d'une culté de respirer cet air sans en être in-
limpidité parfaite ; elles sont bonnes à commodés. Je ne saurais expliquer un
boire , ayant une saveur légèrement sa- tel phénomène ; mais j’en ai été témoin,
lée et piquante, qui décèle parfaitement et je puis le certifier. »
l’acide carbonique qu’elles contien- Ammien- Marcellin mentionne si

nent. brièvement ce phénomène, qu’il avait


Le Plutonium, mentionné par Stra- déjà de son temps beaucoup perdu de
bon, était un phénomène tout aussi son merveilleux.
simple que le dépôt calcaire des eaux, Quelques auteurs , entre autres le
qu’il faut bien se garder de confondre colonel Leake (2) et Arundell, men-
avec toute espèce de pétrification tionnent la découverte du Plutonium
expression impropre, qui est appliquée par M Cockerell entre le théâtre et les
.

en Europe à un grand nombre d'eaux sources minérales mais tous ceux qui
;

minérales qui sont très-probablement ont visité Hiérapolis depuis ce dernier


dans le même cas que celles d’Hiéra- voyageur, et Arundell lui-même, n’ont
polis. La description que nous laisse pas retrouvé ce gouffre; et j’avoue que
le géographe ancien nous représente le moi -même, connaissant tout ce qui
Plutonium comme un puits entouré était écrit à ce sujet, je l’ai vainement
d’une balustrade ;
il est tout simple que cherché. Peut-être depuis le voyage de
le gaz acide carbonique qui s’exhale en Cockerell ce puits a-t-il été comblé par
quantité de ces eaux, puisqu’il est plus les paysaus.
lourd que l’air, se soit trouvé contenu Le prestige dont les eaux d’Hiérapolis
entre les margelles de ce puits ; de là étaient entourées chez les anciens n’a
la vertu asphyxiante que contractait pas cessé avec le culte des dieux, et a
l’air renfermé entre ces murailles; il survécu h la ruine de la ville ; de toutes
n’est pas besoin de citer tous les lieux parts, dans la belle saison, les habitants
de l’Europe où ce même phénomène se de la contrée viennent en caravanes
manifeste, et n’excite aucune surprise. s’installer dans les ruines désertes; les
Quant à la faculté que possédaient les uns choisissent pour demeure quelque
Galles de plonger la tête dans cette at- salle d’un vieux bâtiment, les autres se
mosphère pestilentielle sans en ressen- logent sous des tentes; des rigoles
d’effet, c’est une de ces jongleries si
tir partant de la source portent les eaux
communes chez les prêtres asiatiques dans des l>assins particuliers; où elles
qu’il n’est pas nécessaire d’en chercher arrivent un peu plus tièdes ; c’est là où
1 explication . Ainsi, la description de l’on se baigne pêle-mêle, et chacun à ses
Strahon fait bien compreudre que la heures. Un canal assez grand conduit
démolition de la balustrade aurait donné une portion des eaux dans un ancien
eoursàracidecarbonique,et eût détruit édilice. qui est regardé par les uns
les phénomènes. Puisque les auteurs comme des thermes, et par les autres
qui ont parlé du Plutonium ne font pas comme un gymnase. Je pense que les
mention de mauvaises odeurs, il pa- deux partis peuvent avoir raison; là,
raît bien certain que l'acide sulfureux dans des salles voûtées , se trouvent de
n’y jouait aucun rôle. Uion Cassius
répète à peu près les mêmes paroles que (0 Diu Cass., LXVIII.
Strabon, et marque bien la position (») Journal p. aS3.
,
,

442 L’UNIVERS
grands bassins qui , en,
ont faii
réalité léger, facile a tailler, et qui a la propriété à
de ce monument thermal le
l’édilice de se durcir à l’air.
t
plus curieui qui existe. C’est en sortant En arrivant sur
plateau supérieur,
le
«
de là que les eaux tombent du haut de on aperçoit quelques traces des mu-
la eolline dans la plaine, et vont se railles antiques ; mais la porte princi- il
jeter dans le Lycus. Il parait que ces pale est ruinée. La légèreté du tuf em- i
eaux étaient autrefois employées avec ployé dansles constructions et l'épaisseur I
avantage pour la teinture (I). Ceci tien- des bancs que l’on pouvait tirer des ù
drait, sans doute, aux principes alu- carrières, permettaient aux architectes I
mineux que je crois avoir reconnus d’employer dans les monuments des
<1
dans la source; mais j’avais avec moi pierres d’un appareil considérable; aussi
un trop petit nombre de réactifs pour voit-on daus les édifices dTliérapolis il

pouvoir déterminer positivement les des blocs qui peuvent lutter de grosseur 1
principes constituants de ces eaux , que avec tout ce que nous connaissons de
j’ai éprouvées pendant plusieurs fois en plus colossal dans les monuments pé-
bains et en boissons, et que j’ai trou- iasgiques.
n
vées très- bonnes.
n
La situation de la ville est des plus CHAPITRE XXXIX
pittore.sques , et, du haut de la colline
I
sur laquelle, elle est construite, la vue LES THERMES. I
s’étend dans toute la vallée du Lycus

et du Méandre jusqu’aux montagnes de Ce qui frappe surtout l’étranger qui
,
a
rionie. A gauche s’élève la chaîne du arrive dans ces ruines , c’est l’exhaus-
I
mont Cadmus, qui donne naissance au sement du sol , qui a enterré la base
neuve de Laodicée. Du côté de l’est, de tous les édifices h une hauteur de
a
les montagnes très-voisines de la ville plus de deux mètres. Le vaste mo-
a
forment les affluents supérieurs du nument qui se trouve à gauche de l’en-
I
Méandre ; c’est dans ces cantons que se trée a souvent été décrit. La hauteur
a
trouvaient les villes de TIrémisouium de ses voûtes, qui ne sont soutenues
I
Colossæ et Célænæ, aujourd’hui détrui- que par l’appareil , sans l’emploi d’au-
t
tes , et dont la situation seule peut être cun blocage ni de crampons , montre
I
déterminée. Cette position était forte quel soin et quelle habileté avaient pré-
I
comme point militaire, puisque la ville sidé à leur construction. La grande
n’était accessible que par deux extrémi- salle qui donne parfaitement l'idée
,

tés. On y arrivait par des chemins tor- d’une salle de thermes communique
.
»
tueux. niais ce qui protégeait particu- avec d’autres pièces moins élevées, et
I
lièrement lliérapolis, c’était son titre de dans lesquelles sont des canaux où l’eau
1
Vi7/e sain/e, qu’elleavait reçu à causedu minérale coule avec rapidité. Le moyen,
I

grand nombre de temples qui décoraient en effet, d’empêcher le dépôt do se for-


I

son enceinte. Parmi les inscriptions dé- mer serait, s’il de les
était possible,
couvertes dans ses ruines, on en trouve faire couler à l’abri du contact de l'air.
une où il est fait mention d’Apollon Ar- L’extrados de la voûte n’est formé que
chégète; mais elle est incomplète. par l’épaisseur des voussoirs, et était
En montant du côté de l’est , on ob- probablement couvert par une terrasse.
serve, à droite et à gauche de la rampe Leschambres qui avoisinent cette grande
très-rapide qui conauit à la ville , un salle sont totalement dépourvues d’or-
certain nombre de tombeaux ayant la nements d’architecture; mais on voit
forme d'ædicules ou chapelles ; quel- dans les murailles un grand nombre de
ques-uns ont leur façade ornéede (quatre crampons indiquant que des dalles de
pilastres d’ordre dorique, et l’interieur marbre recouvraient ces grossiers li-
est éclairé par de petites fenêtres, closes bages. Cette salle conduit à une avant-
de treillis ou croisillons de pierre. Tous cour ornée à ses deux extrémités de
ces édiGces sont construits avec le tuf deux hémicycles, qui sont séparés de
formé par le dépôt des eaux , qui est l’enceinte principale par deux rangs de
six pilastres carrés avec des chapiteaux
(i) Sinit)., \III, p. 65o. corinthiens. C’est une particularité dans
,

ASIE MINEURE. 44S

l'architecture antique. Partout ailleurs entre les thermes et le théâtre sont au-
on aurait mis là des colonnes. En effet, jourd’hui ensevelis dans le sol. Il parait
le pilastre vu en perspective est tou- qu’à unecertaine époque de notre âge il
jours d’une forme désagréable, puisque y avait encore un peu de population dans
sa grosseur varie entre la diagonale et ces ruines, car on trouve une multitude
le côté du carré , selon l’angle sous le- de petits murs faits avec des débris anti-
quel il est observé. Cet inconvénient n’a ques, et qui semblent avoir été cons-
pas lieu pour des colonnes rondes ; aussi truits pour enclore des héritages; mais
dans la bonne architecture ancienne, le tuf calcaire gagnant toujours a réduit
les pilastres n’qnt jamais été employés ces pauvres champs à une stérilité com-
qu’engagés dans quelque construction. plète. En allant des thermes au théâtre,
Les pilastres sont d’une seule pièce; nous passons près du bassin que nous
ils sont faits d’une brèche de tuf d’une avons décrit, laissant à droite et à gau-
couleur assez agréable, mais qui n’est che des murailles sans forme et sans
susceptible d’aucun poli; il
y a quel- nom , et d’une époque indéterminée.
ques-uns de ces filts qui se sont courbés
sureux-mémes, comme une poutre mal CHAPITRE XL.
séchée; c’est un phénomène extrême-
ment curieux dont la cause est due
,
LR THF.ATRR.
sans doute, à la présence d’une grande
quantité d’eau de carrière dans cette Éln avançant dans l’intérieur de la
roche. Il ne de la cou-
reste plus rien contrée, on marche de surprise en
verture des deux hémicycles, qui cer- surprise, en observant les nombreux et
tainement n’étaient pas à ciel ouvert magnifiques théâtres qui décoraient les
comme la cour. La destination de ces villes de ces riches provinces. Là, tout
hémicycles paraît se rapporter à ce que est disposé pour une vie de plaisir et de
Vitruve appelait scholæ (I) dans les repos. De nombreux portiques qui
thermes anciens ; c’est là que se rassem- abritaient les citoyens , des fontaines
blaient, pour converser, les philoso- ui tempéraient l’ardeur du climat, et
phes et les oisifs. Il n’est plus humaine- es ombrages frais sur ces montagnes
ment po.ssible de rendre compte de la aujourd’hui dépouillées, voilà le tableau
nature du sol de cet édiGce, ni de voir que présentent à l’imagination les rui-
s’il
y avait des baignoires des bassins ,
nes austères de ces cités désertes. On
et autres dispositions usitées dans les est d’autant plus surpris en entrant
thermes. est , d’ailleurs
Il inutile de ,
dans l’enceinte du théâtre deHiérapolis,
contester sérieusement l'opinion de que rien n’y retrace le ravage de
ceux qui veulent voir dans ces ruines l’homme. On voit que les décombres
les débris d’un gymnase car il y avait : qui remplissent l’orchestre se sont ac-
toujours des bains dans ce dernier édi- cumulés là par l’effet du temps; mais
fice, et dans les bains il
y avait toujours l’œil n’estpas affligé de l’aspect de ces
des salles destinées aux exercices du êabanes, de ces tristes masures qui,
corps et aux jeux de l’esprit. On ne doit dans nos villes d’Europe, enlèvent aux
pas être surpris de retrouver dans un ruines tout leur intérêt poétique. Quoi-
même édifice les dispositions de l’un que Hiérapolis ait été bien souvent vi-
et de l’autre établissement. Il est peu sitée et décrite il n’y a pas encore un
,

important de s’attacher à déterminer voyageur, cependant, qui ait eu la cons-


l’âge de ce monument; car toutes les tance d’en mesurer les ruines d’une
villes de ces contrées ont été presque manière complète. Il y a, en effet un ,

entièrement renouvelées à l’époque des obstacle majeur; c’est que ces lieux
Antonios, par suite des tremblements sont complètement privés d’eau douce ;
de terre, et aussi par l’introduction des on en trouve à peine dans un puits situé
mœurs et de la civilisation romaines à une demi-lieue de là, au pied de la
parmi les peuples de l’Asie. colline, et dont
les familles turcomanes
Tous lesrqonuments qui se trouvaient défendent l’approche avec une jalousie
peu commune. 11 est donc extrême-
(') vitruve, liv. V, c«p. lo. ment difficile de séjourner dans la ville
444 LTJmVBRS.
nvec des chevaux et des domestiques on peut la regarder comme un des très-
nombreux. anciens temples du christianisme. 8a
La disposition de la scène du tliéâtre construction est analogue à celle de
est identiquement la même
que celle du tous les autres monuments ; ce sont
théâtre d^Aizani; on y remarque cinq des blocs énormes placés les uns sur
portes de front ; plus, deux petites portes les autres , et soutenus par leur propre
déguisées ,
qui conduisaient dans les poids. On ne voit dans cet édifice au-
salles du postscénium. Les chambranles cun autre ornement qu’une croix grec-
des principales portes sont encore en ue sculptée sur chacun des pieds-
place; ils sont décorés de festons et de roits.
rinceaux, et, parmi les innombrables Tout l’espace entre cette église et le
fragments de l’architecture de la scène, côté du nord est occupé par des tom-
on voit des fûts de colonnes cannelées beaux de différents styles , et qui ont
en spirale , des bas-reliefs de style ro- presque tous porté des inscriptions ;
main , dont l’un offre le triomphe de mais la nature poreuse de la pierre ne
Bacchus, légèrement mutilé. La grande permet pas de les lire avec facilité.
salle du postscénium est ornée de colon- Parmi ces tombeaux, il y en a, comme
nes ioniques en tuf; elle était proba- je l’ai dit, qui ont la forme d’un petit
blement voûtée; quant à la cavéa, elle temple; ce sont ceux que les anciens
n'a rien de remarquable. La diazoma appelaient Mvîîpa. Mais la forme la plus
ou la précinction du premier étage n'est générale est un soubassement massif
qu’un mur uni sans escaliers. A droite dans lequel est pratiquée une chambre,
et à gauche de la façade , dans le mur et qui est surmonté d'une sorte de cé-
de soutènement des gradins, sont des notaphe, qui est appelé Bupof dans
vomitoires qui conduisent à la précinc- les inscriptions. 11 y avait un autre
tion du premier étage. genre de tombeau qu’on appelait "Hpuov,
et qui surtout était destiné aux vain-
ÉGLISE. — AGORA. queurs des jeux et aux hommes de d is-
tinction. Le Tdlço; était ordinairement
Pour aller du
théâtre aux autres rui- un tombeau souterrain mais l’expres-
;

nes, il faut franchir un grand espace sion générique est Iwayttlïw pour ex-
dans lequel s’élèvent çà et là des fûts primer l’action de déposer dans le tom-
de colonnes disposés sans ordre. On beau.
arrive ensuite à deux tours rondes qui
flanquent une porte triomphale percée CHAPITRE XLI.
de trois arcades, se rattachent à une
muraille , et forment comme une vaste THEMISONIUM. — TÉFÉNÉ.
enceinte dans l’intérieur de la ville.
Cette enceinte parait avoir renfermé des D’après la table dePeutinger, Thenii-
portiques et l’Agora. On observe encore sonium était située à trente-quatre mil-
une colonnade dorique surmontée de les au sud de Laodicée; Strabon la
quelques pilastres d’ordre ionique; nomme après Colossæ : la courte nomen-
mais ces restes sont d’une médiocre ar- clature qu’il donne des villes de Phrygie
chitecture ,
extrêmement ruinés. Du
et descend du nord au sud. Etienne de
côté du nord les murs vont se ratta-
,
Byzance se contente de dire que c’était
cher à un vaste édifice quadrangulaire, une ville de Phrygie. Le texte de Pau-
qui était une église de style primitif ; la sanias soulève cependant une certaine
nef se compose d’un grand arc à plein difficulté au sujet de l'emplacement de
cintre, dont la retombée porte sur trois Themisonium et de l’antre Steunos.
arcs latéraux qui formaient comme des Nous avons vu que selon le même au-
chapelles. Le fond de l’église est formé teur cette grotte était située dans le pays
par un hémicycle; ce^ie architecture d’Aizanieetdans le mont Dindj'inène ( I ).
est tout à fait primitive , et sans oser Dans son voyage de Pbocide il revient
dire qu’elle remonte aux premiers chré-
tiens qui se déclarèrent partisans de la (i) Paiisanias, liv. VIII, ch. 4; liv. X, ch.
foi après les prédications de saint Paul, 8a. Strabon, XII, 576.'Voy. pag. 897,
, , -

ASIE MINEURE. 445

sur le même sujet, et ajoute ces Phry-: mités des ruines en brique et en pierres
iens, qui sont originaires d'Aizanie, ont de taille, elles indiquent que ce lieu est
fans leur pays l’antre Steunos, ils en sur remplacement d’une ville ancienne,
ont fait un temple de la mère des dieux. mais par ce qui reste de ces ruines, on
Themisonium, au-dessus de Laodicée, eut juger qu’elle était peu considéra
est une Tille qui appartient aussi aux le (1). La plupart des cartes modernes
Phrygiens. Ces peuples disent que du placent en effet Themisonium au bourg
temps que les Gaulois exerçaient leurs de Téféné, sans tenir compte de cette
brigandages en Ionie, les archontes de distance de trente stades, qui est certai-
Tliemisonium furent avertis par un nement une erreur ou de l’auteur ou
songe qu'ils attribuèrentaux dieux Her- d'un copiste.
cule, Apollon et Mercure, de l’existence
d'un antre où les habitants seraient en CHAPITRE XLll.
sûreté eux , leurs femmes et leurs en-
,

fants, c’est en mémoire de cet événe- CBLÆNÆ. — APAMÉE CtBOTOS. —


ment qu’on voit encore devant l’entrée DIN'AIRR.
de la grotte de petites statues de ces
dieux qui sont connues sous le nom de Celænæ plus ancienne ville
était la
Spilœïtes , on dit que cet antre est à de la Phrygie, antérieure peut-être à
trente stades de la ville, il est arrosé de l'arrivée des Phrygiens dans la contrée.
plusieurs sources. J.es historiens se taisent sur l’époque de
Ainsi d’une part, Themisonium était à sa fondation , mais la fable y place un
trente-quatre milles romains ou cin- événement qui a bien sa signification.
quante kilomètres, au sud de Laodicée, Apollon dieu des ïremiles et des Lv-
,

ft d'autre part il ne serait qu’à trente ciens, vainqueur de Marsyas, ne repré-


stades ou cinq kilomètres et demi d’un sente-t-il pas les Cretois subjuguant les
lieu de L’Aizanitide ou du Mourad satyres ou hommes sauvages qui habi-
dagh. taient la contrée avant toute période his-
L’emplacement deThemisonium n’est torique. (2) Les Cabales , les Pisidiens,
pas encore déterminé par des inserip- les Solymes, peuples qui étaient entrés
tious ou quelque témoignage irréfuta- dans là Chersonèse par la côte méri-
table ; ou est disposé à placer
cette ville dionale, se trouvèrent en présence de
à Teféoé qui appartient au territoire sud peuplades aborigènes qui furent succes-
de la Phrygie. M. de Corancez dans sa sivement absorbes par les deux inva-
course à travers la Lycie , décrit ainsi sions du nord et du sud. Celænæ , par
Téféné et ses environs. sa position exceptionnelle, l’aliondance
• Nous mîmes plus de deux heures de ses eaux et les hauts rochers qui pré-
à descendre le revers du Taurus, et nous sentaient une défense naturelle, fut cer-
nous trouvâmes enfin dans la vallée de tainement un des lieux préférés des po-
Téféné, qui a une largeur de trois lieues ; pulations primitives. Le souvenir des
elle est aoininée à l’ouest par la chaîne premiers combats entre les indigènes
que nous venions de franchir. au nord . . et les peuples mieux armés se perpé-
la vallée s'étend à perte de vue, et elle tuait jusqu’à Hérodote, qui crut voir
s’élargit à mesure que l’on avance dans dans le palais de Celænæ , la peau de
cette direction. 11 parait que cette val- Marsyas gonflée comme une outre et
lée communique avec celle du Lvcus à appendue aux murailles (3). I.e fils du
l’orient de l'ancienne Colossæ ; c'est au roi Midas Lytersès faisait de Celænæ
,

moins ce qu'annonce le courant de la sa résidence favorite.


rivière qui en arrose le fond. Ce cou- Lorsque l’armée de Xerxès eut fran-
rant se dirige vers le nord ; ainsi elle chi l’Halys, elle entra en Phrygie, et vint
communique avec le Méandre par les à Celænæ , où sont les sources du Méan-
eaux du Lycus, et la vallée du Méandre dre et celles d’un autre fleuve qui ne lui
doit se rattacher à celle de Téféné.
Le village est construit au pied des (i) Corancez, lùntraire p. 4n.
montagnes ; il domine toute l’étendue de (a) Voy.Pauwnia ,
liv. 1, cb. a3.
Vil, 36.
la vallée, il y a vers l’une de ses extré- (3) Hérodote, liv. cli.
446 L’UNIVERS.
est pas inférieur, que l'on nomme le Le lac d’ Aulocrène se trouve dans la
Catarrhactès , il prend sa source dans vallée de Donibai; le nom d’ Aulocrène
la place publique de la ville, et va se je- était donné à une montagne, à une val-
ter dans le Méandre, Fithyus, Lydien de lée et au lac.
naissance , üls d’Atys , reçut à Celænæ Pline mentionne près de la source
Xencès et son année, et traita le roi du Marsyas deux fontaines qui Jouis-
avec plus grande maguillcence (1).
la saient d’une singulière propriété, et
Xénopbon donne sur l'uncien site de auxquelles les Grecs avaient donné des
Celænæ des détails conformes à ceux noms caractéristiques. In premières’ap-
d’Hérodote, mais il varie sur les noms ,
pelait Klœon, et la seconde Gelon.(l),
des rivières qui arrosaient cette ville. c’est-à’dire, que les eaux de la première
Cyrus étant entré en Phrygie et ayant faisaient pleurer, et celles de la seconde
fait huit parasanges, vint à Colossæ, qui provoquaient le rire (2>. Le Marsyas
est une grande ville riche et peuplée et était, pour les Phrygiens l’objet d'un

y séjourna sept jours, de là on lit vingt véritable culte ; ou lui offrait des sacri-
uarasunges en trois jours de marche, et fices, et les offrandes étaient jetées dans
l'on vint à Celænæ autre grande ville la source, qui les engloutissait sous
de la Phrygie, dans laquelle Cyrus avait terre.
un palais et un parc rempli de bêtes Alexandre, vainqueur des Pisidieus,
sauvages, où il prenait le plaisir de la se présenta devant Celænæ. Le cliâteau
chasse. Le Méandre y prend sa source, gardé par une garnison de mille
était
et passe de là dans la ville. Au-dessous Cariens et de cent Grecs , commandés
de la citadelle est le palais du roi, qui par Atizyès satrape de Phrygie. La po-
renferme les sources du Marsyas, petite .sitiou formidable de la citadelle arrêta
rivière d’environ vingt-cinq pieds de un moment la marche d'Alexandre : il
large, qui va se jeter dans le Méandre; craifpiait d’étre obligé d’entreprendre
c’est là que Xerxès se retira après sa un siège difficile; mais la garnison lui
défaite et bâtit le palais et la forte- envoya des parlementaires, qui promi-
resse Les eaux du Mursyas sortaient
(2). rent de rendre la place si elle n'était
de terre avec une telle impétuosité, que secourue à une époque déterminée, ce
souvent elles jetaient des pierres au- qui fut accepté. Les secours n'étant pas
dehors. Ce fait attesté par Théophraste, arrivés, Alexandre remplaça le satrape
a été recueilli par pfiue (3|. Strahou par Antigone son lieutenant, et y laissa
fait une description differente des sour- lUne garnison de quinze cents Macédo-
ces du iMarsyas ; selon uct auteur le Mar- niens, c'est pour nous le dernier évé-
syas prenait sa source dans un lac nement notable dans l’existence de Ce-
nommé Aulocrène; selon Pline, ce lac lænæ. Peu d’aunees après, la création
était à dix milles d’Apamée. Cette der- d’une ville grecque, planæ dans sou
nière ville était située au confluent du voisinage et dans des conditions com-
Méandre et du Marsyas. « Il a sa source merciales plus favorables, porta à la
dans une colline appelée Celænæ, sur ville phrygienne un coup dont elle ne
laquelle est une colline du même nom. » se releva pas.
Jüt quelques lignes plus bas Au- : <>
La fondation d’Apamée fut la cause
dessus il y a un lac où croissent des de la ruine de Celænæ ; cette ville con-
roseaux iiropres à faire des embouchu- tinua cependant de subsister sous l’em-
res de flûtes; c’est, dit-on, de ce lac que pire romain ; Strabon la cite comnie
partent les sources du Marsyas et du existant encore en même temps qu’A-
Âléandre (4). » Il s’ensuit que le Marsyas pamée (3).
prenait sa source dans le lac d’.'Vulo- Antiochus Soter fonda une ville au
crène, disparaissait sous terre et ressor- confluent du Marsyas et du Méandre,
tait au milieu de la citadelle de Celænæ. et l’appelaApamée, du nom de sa mère

(.) Hérodote, liv. V, ch. a8.


(i) Pline, iW, là.
(i) Xénophon, Anabas, liv. !•', ch. a. (9) Dm verbes xXoîca, je pleure, et ytXü,
( 3)
Pline, liv. XXXI, cil. a. je ris.

(4) Strabon, XII, 577. 1 (3) XU, 577.

v..oogle
,

ASIE MINEURE. 447

Apama, fille d’Artabaze. Il y transféra c’est , à n’en pas douter, le Marsyas


les habitants de Celænæ; Apamée reçut qu’Hérodote appelle Catarrahactès ; il
le surnom de Cibotos, un coffre, parce paraît qu’autretois il sortait d’une
que son importance commerciale s’ac- grande caverne qui a fini par s’écrouler.
crut au point qu’elle devint la seconde Tous ces rochers sont m
nature cal-
rille de la province d’Asie, et la rivale caire et n’ont rien de volcanique.
d’Ephèse.Le fleuve Marsyas continua Toute la topographie de ces lieux,
d'étrehonoré par les habitants d’A pâ- examinée tour à tour par de nombreux
mée, et sa fi^re est représentée sur observateurs, ne laisse pas que de présen-
leurs Apamée devint le chef-
médailles. ter encore quelques obscurités qui ne
lieu de province , et sa juridiction
la seront levées que le jour où une bonne
s'étendait jusqu’à Acmonia. Suivant carte topographique des plaines de
Pline (t), Apamée
était située au pied Dombai et de Dinaire aura été dressée.
du mont Signia, et était arrosée par les Arundell qui a visité les ruines de Celæ-
rivières, Marsyas, Obrimas et Orgas, qui næ, en 1828, en fait la description sui-
se Jettent dans le Méandre. Le Marsyas vante (1). Nous trouvâmes dans la partie
reparaissait près de cette ville après s’é- nord-ouest de la ville un grand nom-
tre perdu sous terre, non loin d’Aulo- bre de fragments d’architecture et des
crène, où il prenait sa source. Ce lieu murs à demi enterrés; d’autres avaient
était à dix milles d’Apamée sur la route été mis à découvert par de recentes
de Phrygie. Étienne de Byzance reg.arde excavations et par des éboulements na-
Cælæue et Apamée comme une seule turels. De semblables catastrophes n’é-
ville, la première était sans doute tout taient pas rares dans cette région. Nico-
à fait abandonnée de ses habitants. Les las de Damas rapporte qu’un lac tout
notices ecclésiastiques ne mentionnent entier disparut dans les environs d’A-
que la seule ville d’Apamée, qu’elles at- pamée, et que d’autres lacs et des fon-
tribuent à la Pisidie. taines surgirent dans les lieux où l’on
Apamée fut souvent ravagée par les n’en avait jamais vu.
tremblements de terre , le premier eut Une petite rivière prenait sa source à
lieu du temps d’Alexandre. Pendant le la base de la colline. En montant à l’A-
règne de Mithridate, elle éprouva une cropolis nous trouv.âmes au sommet un
terrible secousse, et le roi de Pont donna théâtre avec des gradins encore en
cent talents pour réparer les édifices. place; au-dessus était une grande area
Sous le règne de Claude, elle eut le sort couverte de poteries, sans doute l’a-
commun à tant d’autres villes d'Asie, cropole. En descendant nous vîmes une
remise lui fiit faite par l’empereur de rivière coulantdans la vallée au-dessous
cinq années d’impôts (2}. de l’acropole du côté du sud-est, et
Lesite de Celænæ a été reconnu au faisant tourner plusieurs moulins ; elle
village de Diuaire parPococke d’abord, rejoint dans la plaine d'autres petites
et plus tard par Cnandler et par d’au- sources et va se jeter dans le Méandre.
tres voyageurs. Le village de Dinaire Un certain nombre d’inscriptions ont été
est situé au pied d’une colline rocheuse, copiées par Arundell , mais aucune ne
on trouve partout dans les rues un grand contenait le nom de la ville. La région
nombre de ruines, mais pas de monu- dusud-ouest est remplie de fragments de
ments complets. comiches et de colonnes et des fonda-
Une rivière rapide sortant d’une val- tions de plusieurs édifices antiques qui
lée étroite coule au milieu du village vers attendent un plus ample examen de la
le nord-est, et traversant la plaine va part des futurs e.xplorateurs.
se jeterdans le Méandre à peu de dis-
tance. La seconde rivière prend sa (i) Seven Churehes, p. loS.
source à la base d’une colline rocheuse
distante d’un mille du village et coule
avec rapidité dans un canal étroit,

(i) Pline, liv. V, ig.


(a) Tarit, aou. XII, 5S.

rd by Googl
448 LUNIVERS.
CHAPITRE XLIII. cophages indiquent la position de li
nécropole ; sous l’empire byzantin Co-
LAC ANAVA. — TCH4BDAK GHEOL. lossæ fut complètement abandonnée et
une ville du nom de Chonæ fut bâtie
Lorsque Xerxès quitta Celænæ pour un peu au sud au pied d’une colline.
se rendre à Colossæ, il passa près d'une C’est cette ville qui a été remplacée par
ville de Phrygie nommce Anava et d’un le village moderne de Khonos.
lac duquel on retirait du sel (I ). Le lac L’historien Nicetas, surnommé Chot
Tcharcfak situé près du village du même niatès, donne quelques détails sur sa
nom est le même Anava. Ses
que le lac ville natale; sous les empereurs byzan-
eaux sont très-saumâtres, le poisson ne tins elle étaitdans un état florissant, et
peut y vivre; il s’étend dans uue lon- renfermait une nombreuse population.
gueur d’environ vingt kilomètres au La grande église était dédiée à saint
ied des montagnes qui séparent le Michel ; cet édifice fut brûlé par les
istrict d’Apamée de celui de Cibyra ; Turcs lorsqu'ils s’emparèrent deChonæ.
sa longueur est de cinq kilomètres, il est Aujourd’hui le village de Khonos se
alimenté par quelques sources qui sor- compose de deux cents maisons et tend
tent d'un terrain de poudingue calcaire. encore à se dépeupler. La terre est ce-
Ce lac porte aussi le nom de Hadji iendant de bonne qualité , bien arrosée;
glieul, le lac du pèlerin, et comme il fc village est entouré de beaux arbres,
est situé sur la route de Diuaire a Kho- la culture du tabac réussit bien dan.s
nos, c’est-à-dire d’ A pâmée à Colossæ, on ce terrain.
ne saurait mettre en doute l’identité du
lac de Tchardak avec celui d’ Anava.
CHAPITRE XLIV.
Colossæ était une des principales
QUELQUES VILLES DE LA PHBYGIE
villes de Phrygie ; Xer.xès y passa avec
PABOBÉE.
son armée lorsqu’il quitta la Cappadoce
pour se rendre à Sardes; le jeune Cyrus De Kara hissar la grande route de
y passa quand il marcha contre son Konieh se dirige sur Belouadoun, l’an-
frère.Sous le règne de Néron, Colossæ cienne Polybotum, ville d’origine peu
fut renversée par un tremblement de ancienne, car elle n’est mentiounée que
terre c’est sans doute de cette époque
; par des écrivains byzantins ; il ne reste
que date la décadence de cette ville. La que très-peu de ve.siiges d’antiquités à
religion chrétienne, qui s’était rapide- Belouadoun cette ville est éloignée de
,

ment propagée en Cappadoce, s’éten- quarante kilomètres de Kara hissar. On


dit,sous l’influence des prédications de compte trente kilomètres entre Beloua-
saint Paul, dans toute cette partie de doun et Ischakii. petite ville d’environ
la Phrygie. Laodicée, HiérafKilis, Co- deux cents maisons, qui paraît avoir
lossæ formèrent des églises qui se été assez florissante du temps des sul-
mirent en relation avec les populations tans Seldjoukides, on remarque lês rui-
d’alentour. Les épîtres de saint Paul nes d’un médrécé ou école religieuse
étaient lues dans les assemblées des chré- dont les habitants attribuent la fonda-
tiens ; saint Paul écrit aux Colosséens :
tion au sultan Ala Eddin.
« Saluez de ma part nos frères de Lao- A seize kilomètres au sud-est d’Is-
dicce et lorsque celte lettre aura été lue chakli, on traverse un défilé nommé
parmi vous, ayez soin qu’elle soit lue Olou bounar derbend, le déOlé de la
aussi dans l’église de Laodicée. » grande source. Le flanc du rocher voisin
Les ruines de Colossæ se voient à donne naissance à une source très-abon-
trois milles au nord du village de Kho- dante qui forme un ruisseau considé-
nos ; elles consistent en quelques rable. M. Hamilton considère avec rai-
fragments d’architecture répandus ça et son (I) cette source comme « la fon-
là dans les jardins, et en un théâtre an- taine de Midas » mentionnée par Xé-
tique dont les gradins subsistent encore nophon dans sa route de Sardes à Ico-
en partie; de nombreux débris de sar- nium.

(i) Hérodute, liv. Vil, ch. 3o. (i) BesearcfieSf (te., \. II, 184.
,

ASIE MINEURE. 44Ü


D'IscliakIi àAk ciieher on compte APOLLONIA UE PHHYUIK —
.<eize kilomètres ; on trouve dans cette OULOU BOUHLOII.
ville de nombreux fragments d'antiqui-
tés, mais aucune ruine importante. Dans le sud-est de la Phrygie il faut
Toutes les places de la Phrygie ont citer Apollonia, aujourd’hui Oulou bour-
été tellement ravagées pendant les guer- lou, située à vingt kilomètres à l’ouest
res byzantines et les soulèvements des du lac d’Egdir, dans une plaine bien
Emirs contre les Seidjoukides , que ce cultivée. Apollonia était à vingt-quatre
ne sont plus que des amas de décom- milles au sud-est d’ Apainée, sur la route
bres. Ak clieher occupe remplacement d’Antioche de Pisidie;elle s'appelait pri-
de Philomelium, ville de la Pnrygie Pa- mitivement .Vlargium. Strabon ne fait
rorée, placée sur la route de Métropolis ue mentionner le nom d’ Apollonia; on
à Iconium. I.a juridiction de Synnada oit croire cependant qu’elle a tenu un
s’étendait Jusque-là. rang distingué parmi les villes phry-
Pour se rendre de Ak chelier à La- giennes. Au nombre des inscriptions
dlk, l’ancienne Laodicée, on doit passer [u’on y a trouvées, on a reconnu de longs
par llgoun, petite ville presque deserte, ?ragments du testament d’Auguste, qui,
qui occupe l'emplacement de Tyriœum; par les ordres de cet empereur, avait été
ou compte quarante kilomètres d’Ak inscrit à Rome sur des tables de bronze,
cheher à Ilgoun et cinquante de cette
, et dont la copie complète se trouve à
ville à Ladik. La route est presque tou- Ancyre. Il est probable que les habi-
jours en plaine. tants d’Apollonia avaient, comme ceux
Laodicea Combusta était la ville la d’ Ancyre, élevé un temple à la mémoire
plus orientale de la Phrygie ; son empla- de l’empereur; mais aucun vestige de
cement est occupé aujourd’hui par la cet édifice n’existe plus. D’autres ins-
petite ville de Ladik, appelée aussi Yor- criptions ont été recueillies dans le vil-
gan Ladik , Laodic^ aux couvertures lage d’OIou bourlou, et plusieurs d’entre
parce que la fabrication des tapis et des elles mentionnent le nom des Apollonia-
feutres est la principale industrie des tes : ou ne peut donc avoir aucun doute
habitants. Les ruines de l’ancienne ville sur l’identité des deux endroits.
occupent une immense étendue de ter- La détermination du site d’Apollonia
rain aux environs de Ladik. Il y avait est due à M. Arundell. Au milieu du
encore en 1834 un reste d’aquéduc que village s’élève un rocher abrupte au
l’on était en train de démolir. La quan- sommet duquel était l’acropole , d’où la
tité de fûts de colonnes, de chapiteaux vue s’étend sur toute la plaine envi-
et de piédestaux de marbre que l’on ronnante, admirablement cultivée, et
rencontre à chaque pas montre combien l’une des plus fertiles de ces districts,
d'édilices somptueux embellissaieutl’an- qui pourraient nourrir une nombreuse
tique Laodicée; mais on comprend bien population. Il ne reste de l’ancienne
que Grecs n’ont pas mis la main a
les ville que des ruines presque sans forme,
tous ces ouvrages. 11
y a dans le style les plus beaux fragments des monuments
de ces monuments une désolante uni- ont été employés successivement pour
formité, qui montre qu’une pratique construire les maisons modernes.
banale avait succédé aux inventions in- Nous avons réuni dans les chapitres pré-
génieuses des Grecs. Presque tous les cédents les documents qui font connaître
édiflces des villes de ces régions datent les villes anciennes dontia position est dé-
du second ou du troisième siècle de no- terminée ; si l’on compare la liste de ces
tre ère. Laodicée est construite sur un villes avec celle que donne le synecdême
terrain calcaire marbre, qui a fourni tous de Hiéroclès , on verra combien de la-
les matériaux dont la ville e.st bâtie; cunes présente encore la carte ancienne
c’est donc par erreur qu’on dit que le de la Phrygie ; il reste encore parmi les
surnom de Laodicée, « la brûlée », lui a emplacements antiques un grand nom-
été donné à cause de la nature volca- bre de lieux innommés , et des doutes
nique du pays qu’elle occupe (1).
,
existent sur l’identité de deux ou trois
villes : la tâche des futurs explorateurs
(0 Voy. Hatnilloii, Rech., I. II, ig3. consiste à éclaircir ces questions et à
29* Livraison. ( Asie Minbuhb. ) . H. J»
, ,

4S0 L’UNIVERS.
ajouter encore quelques noms à la liste phie Cette ville n’existait pas encore ;
(1).
des villes connues. Bien des routes sont du il n’avait pas à traverser son
reste
encore à suivre, qui mèneront certaine- territoire, puisque sa marche inclinait
ment à la découverte de monuments au sud. met trois jours pour traverser
Il
ignorés. la Lydie, et fait 22 parasanges. Arrivé
au bord du Méandre, il passe le fleuve
CHAPITRE XLV. sur un pont de sept bateaux , et après
une marche de S parasanges, il va faire
MARCUB DU JEUNE CVKUS DE SABDES halte à Colossæ, ville de Phrygie. Il avait
A TABSB. parcouru 30 parasanges ou 140 kil. 610.
Colossæ, dont la position est connue,
Le jeune Cyrus, nommé gouverneur est repr&entée par la ville moderne de
de la Lydie, apprenant que son frère Khonos; cette ville était une des plus
Artaxerxe a été désigné par leur père florissantes de la Phrygie Parorée ; elle
Darius pour lui succéder au trône, était généralement un point d’étape des
forma le projet de le renverser et de se armées perses.
substituer à sa place. Cet événement Cyrus fit une halte de sept jours dans
commun dans les aunales de l’Orient cette ville, où il fut rejoint par un corps
eut un immense retentissement dans de quinze cents vétérans et scutaires
l’histoire, parce qu’au nombre des Grecs sous les ordres de Menon. Partant de
enrôlés sous les enseignes de Cvrus, Colossæ, il fait une marche de 20 pa-
se trouvait Xénophon, qui, après la dé- rasanges jusqu’à Celænæ; soit 93 kil.
faite du jeune prétendant commanda 740 m. Cyrus possédait à Celænæ un
la retraite des Dix Mille. Nous nous bor- palais et un parc rempli de gibier; il
nerons dans ce chapitre à suivre les séjourna trente jours dans cette ville
étapes de Cyrus depuis son départ de pour s’y livrer au plaisir de la chasse,
Sardes, et nous ferons en sorte d'iden- peut-être aussi dans le but de dérouter
tifier les points remarquables de ses hal- le roi Artaxerxe sur ses projets ulté-
tes avec les localités modernes, confor- rieurs, ut laisser son armée dans l’igno-
mément au récit de Xénophon. rance de ses desseins. Celænæ était si-
Cyrus, sous prétexte de s'opposer aux tuée à la jonction de la rivière Orgas
empiétements du satrape Tissapberne, et du Méandre ; elle est remplacée par
enrôle des troupes grecques , et quitte la petite ville moderne de Dinaire. Au
sa résidence de Sardes, en l’année 404 bout de trente jours, Cyrus se remit en
avant notre ère. Xénophon a eu le soin marche ; il fit 10 parasanges, 46 kil. 870,
de noter presque toutes les distances en jusqu’à Peltæ. La position de cette ville
parasanges entre les principales villes, n’est pas parfaitement déterminée, mais
traversées par l’armée d'invasion. elle doit se trouver dans le voisinage du
La longueur de la parasange ancienne villagede Ischekii, l'ancienne Eumenia.
est estimée en milles géographiques Peltæ était à un jour de marche de
à 2 milles 455 ou à 2 milles 608. &ns Celænæ et dans le bassin supérieur du
entrer dans la discussion entre ces deux Méandre; la table de Peutinger met
mesures nous en prendrons la moyenne, Peltæ à vingt-six milles d'Apamée ou de
soit 2 milles 531, et comme le mille Celænæ. Iæ Campus Peltenusqui envi-
géographique vaut 1852 mètres, il s’en- ronnait la ville faisait partie de la Phry-
suit que la moyenne de la parasange gie.
est de 4 kilomètres 687 mètres. Les ruines de Peltæ ont disparu ; cette
Cyrus partant de Sardes se dirige ville a sans doute été remplacée par
vers la Pisidie, pendant que Tissapberne, Euménia, comme Celænæ par Apamée.
avec une escorte de cinq cents chevaux, L’armée séjourna trois jours à Peltæ,
se rend à Suze (1). Cyrus suit une route où l’on célébra la fête des Luperealia,
parallèle au fleuve Cogamus, que nous au milieu des jeux et des sacrifices.
savons être le Couzou tchaï (la rivière En quittant Peltæ, Cyrus se dirige
de l’agneau) qui passe devant Philadel- vers Ceramorum Agora, et fait 12 para-

(i) Auab., lib. I, ch. ii. (i) Voy. p. ays.


,

ASIE MINEURE 4(1

sauges, 56 kil. 244. Cette localité est ré- appelait la TpniGs. Elle était très-riche
galée par M. de Hatnmer comme le et très-peupiM ; on en reconnaît l’empla-

centre de la province de Kermian, doiû cement au village d’Iftyankas. C’est en-


le nom a quelque rapport avec le nom core le nom d’un district comprenant
ancien. La plaine de Kermian est au sud- le village de Ketch hissar. La distance,
est de la ville moderne d’Ouscbak, à de cette place à Kara bounar, est de
31 milles géographiques d’Iscliekli. quarante-neuf à cinquante milles. La
L’armée tourne ensuite au sud, et fait mstance de Tyane aux portes de Cilicie
une marche de 30 parasanges, 140 kil. n’est pas marquée dans l’itinéraire de
610, à travers le pavs montagneux de Xénophon ; elle est en réalité de soixante-
Beudos, par AGoum kara hissar, et at- cinq milles géog., puisqu’on peut la par-
leint la {daine de Caystropediuin, ville courir en dix-huit heures ae marche,
bien peuplée, Cyrus y resta cinq jours. 107 kil. 801. Cyrus passa ce déGlé qui
Cesl dans cette ville qu’il reçut la vi- porte aujourd’hui le nom de Kulek bo-
site d'Épyaxa , femme de Syennesis gaz, le déGlé du Moucheron. Il a été
roi de Cilicie. rendu très-praticable |)ar Méhémet Ali,
Accompagné d’Ëpyaxa, il fait en deux qui y Gt exécuter de grands travaux.
marches 10 parasanges, 46 kil. 87, pour Ayant passé le déGlé, Cyrus eut à
arriver à Thymbrium, où se trouvait la franchir une distance de 20 parasanges
fontaine de Midas. Ce lieu est marqué pour arriver à Tarse, capitale de la CG-
par une source abondante et limpide licie. S’étant mis en relation avec Syen-
appelée Olou bounar derbent, le défilé de nesis, roi de Tarse, Cyrus pas.sa vingt
la grande source, entre les villes de Is- jours dans cette ville | dans le repos.
chekli et de Ak cheher. Thymbrium Il Gt ensuite 10 parasanges, 46 kil.
serait plus rapproché de cette dernière 870 en deux jours, et arriva au Geuve
rille. Sarus au sud de la ville d’Adana , et,
C}Tus vint ensuite à Tyriæum en deux par une marche de 5 parasanges, 23 kil.
jours de marche, il Gt encore 10 para- 435, il arriva au Geuve Pyramus , qu’il
sauges, 46 kil. 870 ; c’était une ville im- passa aux environs de Mu|>suestia, au-
portante. Il y demeura trois jours dans jourd’hui Missis, ville presque abandon-
une grande plaine voisine de la ville. née. Enfin Cyrus Gt 15 parasanges,
Cyrus passe la revue de son armée; 70 kil. 305, en deux marches, et arriva
Épyaxa accompagne toujours le prince à Issus dont les ruines se voient au
perse. 11 fait opérer la paye de son ar- nord de la jietite montagne de Kara
mée avec les sommes que la reine lui kaia, la pierre noire. 11 séjourna trois
avait apportées. Tyriæum occupait rem- jours à Issus, et Gt ensuite 5 parasanges,
placement de Ilgoun petite ville dis-
,
23 435, {)our gagner le déGlé qu’on
kil.
tante de 54 kil. nord-ouest de Ladik, appelait portes Syriennes , et que les
ancienne Laodicée. Turcs nomment Démir kapou, la (lorte
CvTus fait ensuite 20 parasanges, de fer. On y voit des restes de construc-
93 kil. 740, en trois marches pour ga- tion antique.
Rner Iconium, Konieh, la dernière ville ÏJB route de Cyrus à travers l’Asie
de Phrygie, où il séjourna trois jours. Mineure se résume donc dans le ta-
En cinq jours il traversa la Lycaonie bleau suivant :

et Gt 30 parasanges, 140 kil. 610, jus-

qu’à Barathra il mit cinq jours à par-


;
courir cette distance. Les habitants de
la Lycaonie ayant tenté de s’ojiposer
à sa marche, Cyrus permit à son armée

de mettre le pays au pillage. Épyaxa


quitta Cyrus en cet endroit et retourna
en Cilicie en franchissant le Taurus.
Cyrus traversa la Cappadoce et Ht 25 pa-
rasanges, 117 kil. 175, en quatre jours,
jusqu'à Dana ou Tyane. Cette ville était
le chef-lieu d’un vaste district qu’on
29 .

Digilized by GoogI
. ,

453 L’UNIVERS.
I^aritanges. Klloméiret. il marche sur Halicarnasse,
Milet prise,
De Sardes : que rarmée emporte après un long
Colossæ 30 140,610 siège.
Celænæ 20 93,740 Alexandre entre en Lycie, s’empare
Pellæ 10 46,870 d’Hyparna, ville forte, détruit le fort
Ceramoruin agora. .. . 12 56,244 Pliænix , et vient occuper Telmissus
Caystropedium 30 140,610 Xantlius etPatare.
'rhymbriuin 10 46,870 Côtoyant la Lycie, l’armée d’Alexan-
Tyriæum....' 10 46,870 dre franchit le passage difficile du mont
Iconium 20 93,740 Climax par Phasélis, entre en Pamphy-
Barathra 30 140,610 lie, prend la ville de Perga. Les dépu-
Dana 25 117,175 tés de la ville d’Aspendus viennent faire
Portes de Cilicie 23 107,801 leur soumission. De Perga Alexandre
Tarse 20 93,740 marche sur Sidé Syllœum, remonte la
,

Sarus, fl 10 46,870 vallée du Cestrus, franchit le Taurus,


Pyramus, fl 5 23,435 s’empare de Sagalassus , et soumet la
Issus 15 70,305 PLsime.
Portes syriennes 5 23,435 Il marche ensuite sur la Phrygie;

Total 275 1288,925 Celænæ se rend sans combat; Alexandre


marche sur Gordium, où il tranche le
nœud Gordien, soumet la Paphlagonie
PBÉCIS DE Là. UABCHE d’aLEXAN-
Cappadoce il entre dans la Cilicie,
et la
DHE LE GHAISD A TBAVEBS L’ASIE ;

séjourne à Tarse , et va livrer à Darius


MINEUBE.
sa dernière bataille dans les plaines
d’issus.
Alexandre traverse l’Hellesponl, de La marche d’Alexandre dans l’Asie
Sestos à Abydos, et se rend directement Mineure peut se résumer ainsi :

à Ilium, où il fait des sacriGces à Minerve


Iliade. Il se met en marche, rejoint son Mllin 1 KlIoiUftreii
( ).

armée à Arisbé, et vient camper au bord De l’Hellespont :

du Practius. De là il se dirw par Co- Granique ,


fl .. 52. 76,960
lonnes , et arrive à Hermote; Ilium ... 75 I 1 1,000
L’armée des Perses était campée aux Sardes ... 139 205,720
environs de Zélia, sur la rive droite du Éphèse . . 56. 82,880
Granique. Le 21 mai 334 avant notre Halicarnasse . .. 80 1 18,400
ère, Alexandre attaque les Perses. Après Alinda, Telmissus ... 122 180,560
avoir remporté sa première et plus Xanthus Patare.. ... 140 207,200
brillante victoire, Alexandre se dirige Clima.v Phasélis . ... 64 94,720
sur Sardes par Ilium ; il passe par An- Sagalassus ... 67 99,160
tandros, Adramyttium, Pergame et Celænæ . .43 . 63,640
Thyatire. Gordium ... 133 196,840
Arrivé à Sardes, il délivre les citoyens, Ancyre ... 49 72,520
et Élit des sacrifices; de Sardes il se Cyri- castra ...198 293,040
rend en quatre journées à Ëphèse, Tarse ... 199 294,520
chasse les tyrans et rétablit la démo- Cilicie Trachée. . ... 16.Ï 244,200
cratie. Il reçoit les députés de Magnésie Tarse à Issus ... 120 177,600
etdeTralles, qui venaient offrir de ren-
Total 0 2518,960
dre leurs villes à Alexandre.
Après avoir accompli des sacrifices
(i) Mille roaiaiii 1480 mèlrei
à Diane, Alexandre se met en route
pour Milet,qui refusait de se soumettre.

1
I

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,

ASIË MINEURE. 46t

GALAXIE.

CHAPITRE XLVI. réunie à leur empire , s’est relevée puis-


sante et active, lorsque l’empire romain
ABBIVÉE DES GAULOIS. s’est écroulé; les Latins ont renouvelé
en Orient les exploits des Gaulois. C’est
Le pays qui reçut le nom de Gallo- la France qui conduisait et poussait les
Grèce ou de Galatie était un démem- essaims de croisés à travers les monta
brement de deux grandes provinces, le et les plaines de l’Asie, et, dans les
Pont et la Phrygie. Déjà, sous les rois temps modernes , c’est sous l’égide de
grecs, plusieurs parties notables de ces François !" et de Louis XIV que les
régions avaient subi des inodiGcations, nations chrétiennes commencèrent à
soit sous le rapport des gouvernements, commercer sans crainte avec les nou-
soit sous celui des frontières. Les rois veaux vainqueurs de l’empire byzantin.
de Pont avaient possédé une partie de Il n’est donc pas sans intérêt d’exa-
la Phrygie, les rois de Bithynie s'étaient miner sur quelles bases s’est constitué
empares de plusieurs villes du Pont et l’empire des Gaulois en Asie, comment
de son territoire; c’est en cet état de ils sont parvenus à s’établir au milieu
démembrement politique que se trou- de royaumes qui, à cette époque, étaient
vaient ces provinces lorsque les Gau- à l’apogée de leur puissance. Cette fu-
lois arrivèrent en Asie c'est aussi ce
: sion si prompte et si facile des conqué-
qui favorisa leur établissement dans le rants européens avec les peuples asia-
centre de l’Asie Mineure. tiques n’est pas un des phénomènes les
Les rois de Pergame, s’appuyant sur moins curieux de cette expédition. Tous
l'amitié des Romains, faisaient la guerre les princes décorés des titres pompeux
aux rois de Bithynie. de rois de Pergame, de Pont et de Bi-
Nicomède , qui avait à se défendre thyiiie, s’empressèrent de concéder à
flon-seulement contre leurs attaques nos barbares ancêtres autant de terres
mais encore contre l’alliance occulte de qu’ils en voulaient pour former celte
la république romaine, résolut d'appeler république des Galates que la puissance
à son secours un peuple dont la renom- de Rome se garda bien u’anéantir, mais
mée avait déjà franchi les mers. qu’elle respecta plus que l’héritage
Les Gaulois , campés aux portes de a’Alexandre
Byzance, menaçaient cette république Lor^ue les Gaulois arrivèrent en
d une amitié onereuse. Ils furent appe- Asie, ils se trouvèrent en rapport avec
lés par Nicomède, et entreprirent cette des peuples étrangers comme eux et ,

brillante expédition qui eut pour ré- comme eux venus d’Europe , les Grecs,
sultat laconquête de la Phrygie centrale. les Phrygiens, les Mysiens , les Bi-
Pour nous, nous ne devons pas nous thyniens. Nous avons vu dans quel état
rappeler sans un sentiment il’orgueil se trouvait le royaume de Bithynie a
uatioual
,
que les Gaulois ont pénétré cette époque. Deiix compétiteurs’, sou'
pisqu’au centre de l’Asie Mineure, s’y tenus l'un et l’autre par des alliés puis-
sont établis
,
et ont laissé dans ce pays sants, et excités par de perfides conseils,
des souvenirs impérissables. Si le nom étaient en présence : Nicomède et Zipœ-
de Francs est le terme général sous le- tès étaient sur le point d’en venir aux
quel les Orientaux désignent les habi- mains.
tantsde l’Europe, c’est que nos ancêtres Le nom des Galates commençait à se
ont influé d’une maniéré notable sur répandre en Orient; les exploits des
lesdestinées de l’Orient dès les pre- tribus guerrières qui, sous la conduite
iniers sièclesde notre histoire. Celte de Brennus (l), avaient ravagé la Grèce
mfluence, confondue avec celle des Ro-
mains, quand la Gaule elle-même fut •Slral)., lil>. V, 187.
, ,,

4Ô4 L’UNIVERS.
l't parcouraient la 'l'iirace eu rançon- trembler les peuples amollis et habitué-
nant portaient la terreur au
les villes ,
au joug. Nicomède appela en Bitbynir
milieu des populations. Eu abandon- le corps des Gaulois de Léonorius, qui
nant la (iiéee après la mort de Bren- était resté près de Byzance, et, fort de
nus, les Gaulois se séparèrent en deux ces auxiliaires , il eut bientôt réduit les
corps ; l'un resta dans la Uardauie rebelles.
l’autre traversa, les armes à la main, la Le traité signé entre Nicomède et les
Ttiessalie et la Macédoine, vivant de Gaulois nous a été conservé par Plio-
pillage et de contributions levées sur les tius.
liabitants. Ce dernier corps , fort de « l.es Gaulois demeureront toujours
vingt mille hommes, reconnaissant unis par les liens de l’amitié avec Ki-
pour chefs Léonorius etLéontarius (1), comède et sa postérité.
arriva jusqu’à Byzance , rendit tribu- « Ils ne pourront Jamais, sans le con-
taire toute la côte de la Propontide, sentement de Nicomède, former aucune
et, devenu maître de Lysimacbie, dont alliance; ils resteront toujours les amis
il s’était emparé par surprise, il s’éta- de ses amis et les ennemis de ses en-
blit dans la Cbersouèse , et descendit nemis.
l’Ilellesponl. I.a vue des riches cam- « Ils donneront des secours aux
pagnes de l’Asie, dont ils n’étaient sépa- Byzantins toutes les fois qu’ils en se-
rés que par un détroit, donna à ces ront requis.
Gaulois le désir d’y former un établis- « Ils se porteront bons et Bdèles al-
sement. Ils députèrent quelques-uas liés des villes de Tios, Ciera, Chalcé-
des leurs vers Antipater, qui comman- doine et iléraclée. >>

dait sur cette côte. Le bruit de leurs C’est à ces conditions que le roi leur
exploits les précédait en Asie, et An- ouvrit l’entrée de ses États, et fournit
tipater, n’osant pas leur résister ou- des armes à ceux qui en manquaient.
vertement, suscita de continuelles dif- Le passage des Gaulois en Asie s’ef-
ficultés pour gagner du temps. C’est à fectua sous l'archontat de Damoclès,
cette époque qu’il faut rapporter la l’an de Rome 476, A. C. 278 (I|.
tentative que firent les Gaulois pour Dans le principe, le corps des Gau-
s’emparer de la Troade (2) , mais cette lois venus eu Asie se composait de trois
province avait été tellement ravagée tribus principales les 'l'olistoboiens
:

par la guerre, qu’ils ne trouvèrent pas l’une des plus puissantes tribus gau-
une place susceptible d’étre mise en loises qui fondèrent des établissenienis
état de défense. La ville d’Alexandria- dans Germanie, dans l’Italie et dans
la
Troas n'était alors qu’un bourg avec un rillyrie. Les Boiens, souebe de cette
temple de Minerve ; elle dut son ac- tribu, habitaient la Lyonnaise et l’A-
croissement aux bienfaits d’Hérode At- quitaine; leurs premières migrations
ticus. Lorsque les Gaulois arrivèrent, remontent à plus de cinq cents ans
ils trouvèrent cette ville sans murailles, avant notre ère. Le second corps, celui
et ne voulurent pas s’y établir. des Tectosages, qui devint le plus puis-
Les négociations entamées avec An- sant des trois peuples établis eu Asie
tipater ne recevant aucune solution, les faisait partie des Volces de la Narbon-
tribus commandées parLéontarius s’em- naise. Il est à croire qu’ils furent sou-
parèrent de quelques barques, et pas- vent les compagnons des Boiens dans
sèrent en Bithynie (3). C’était au mo- leurs expéditions lointaines, car César
ment où Nicomède s’apprêtait à faire la nous apprend qu’ils avaient aussi formé
guerre à son frère Zipoetès. Le roi de des établissements en Germanie (2).
Bitbynie les reçut plutôt comme des Cette tribu était la plus nombreuse et la
alliésque comiiie des ennemis, heu- plus illustre, et les Romains la com-
reux de pouvoir compter sur le se- blèrent de témoignages d’estime quand
cours d’étrangers dont la valeur faisait ils furent maitres detoute l’AsieMiueure.
Le troisième corps, celui üesTroemieus,
(j)Til. Liv.,lib. XXXVIU, ch. i6.
(a) SIral)., lib. XIII, Sgt. (i) Pausanins, lib. X, aS.
(3) Mciinoii, ap. Pliotiimi, 7ao. (a) Cresar, Comni., lib. VI, a4.
ASIE MINEURE. 4Ô5

avait formé son nom de celui de son les Gau lois se retirèrent au delà du fleuve
chef Trocraus. 11 paraît avoir toujours Sangarius. Cependant, ils ne cessèrent
été dominé par les Tectosages, et n’a pas de jouir d’une assez grande influence
pas laissé dans l’histoire le souvenir de sur les princes de rAsie Mineure ,
grands exploits. prêtant leur secours intéressé dans les
pays concédé par le roi de Bithynie
I.e dissensions nombreuses qui divisaient
à CSS nardis guerriers ne pouvait suffire ces princes souverains, et qui préparaient
à leur ambition. Ils entreprirent bien- le succès des armes romaines. Ils en-
tôt des expéditions contre leurs voisins, voyèrent un corps nombreux comme
qui tremblèrent, et offrirent de leur auxiliaire à Antiochus le Grand ; mais
payer tribut. Ils étaient entrés dans ces les conseils d’Annibal et la coopération
provinces comme les alliés d’un prince des Gaulois ne le sauvèrent pas d’une
asiatique, et, tout barbares et illettrés défaite. La vengeance de Rome s’atta-
qu’ils étaient , leur politique fut assez cha bientôt aux alliés du roi le consul
:

sage, assez habile, pour attirer à eux M. Manlius, jaloux de surpasser les
tous les Grecs Phrygiens, délicats
,
les exploits de Scipion , marcha contre les
et frivoles habitants de ces villes som- Gallo-Grecs sans attendre les ordres du
ptueuses. Ceux-ci acceptèrent la rude sénat. L'expédition de Manlius eut lieu
amitié des Gaulois, et formèrent avec l’an 565 de Rome (A. C. 189); il y
eux une alliance assez intime pour que avait quatre-vingt-neuf ans que lesGau-
le pays reçût des Romains eux-mémes lois étaient établis en Asie. En voulant
le nom de Gallo-Grèce. Toutes les na- accomplir son projet d’invasion dans la
tions de l’Asie Mineure menacées de ,
Galatie ,
le général romain fut assez
loin ou attaquées de près, se soumirent habile pour décider les princes Attales
à la domination gauloise , et l’Asie en à lui servir d’auxiliaires. Aidé des trou-
deçà du Taurus ne fut plus qu'un pays pes de Pergame, et guidé par des alliés
tributaire qu’ils se partagèrent à leur qui connaissaient le pays et les popula-
gré. Les Trocmiens eurent en partage tions, il n’hésita pas a se mettre en
les côtes de i’Hellespont, la Paphlago- campagne. Néanmoins, au lieu de mar-
nie et une portion de la Cappadoce; cher directement sur la Galatie , il fit
l'Æolide et l’Ionie échurent aux Tolis- un long circuit en suivant la chaîne du
toboiens, qui allèrent s’établir au delà Taurus.
du fleuve Sangarius et les Tectosages
,
Les Gaulois, vaincus malgré des pro-
prirent toute la portion septentrionale diges de valeur, firent leur soumission,
de la Phrygie et deCappadoce. Ils
la aux Romains.
donnèrent à leur nouvelle conquête le Le consul , qui s'était montré si exi-
nom de la mère patrie, et la Galatie geant et si avide envers les peuples de
asiatique fut placée au premier rang la Carie et de la Pisidie , accorda aux
des puissances indépendantes de l’Asie Gaulois une paix honorable, ne leur
Mineure. imposa aucun tribut, maintint leurs lois,
C’est vers cette époque que les Ro- et se contenta de leur défendre de faire
mains songèrent à porter leurs armes des incursions chez les alliés des Ro-
danscettecontrée.Fidèles à une politique mains. Le sénat confirma par un décret
qui leur avait toujours réussi, ils com- l’indépendance des Gaulois. Cette faveur
mencèrent à exciter contre les Gaulois, si rarement accordée aux peuples con-
la seule nation qu’ils redoutassent, les quis , les attacha définitivement à la for-
princes de Phrygie et de Bithyuie ; mais tune de Rome. Établis au milieu des mo-
la présence d’Annibal dans ce dernier narchies nées de la succession d’Alexan-
royaume suffisait pour déjouer leurs in- dre les Gaulois conservèrent la forme
trigues. Ce fut Attale, père d’Eumèue, de gouvernement usitée dans les Gaules.
qui le premier déclara la guerre aux Gau- Chacun des peuples formant la con-
lois (t), sous prétexte de s’affranchir de fédération gauloise fut divisé en quatre
l’impôt que payaient les rois de Per- tétrarchies ;
chaque tétrarchie avait un
game, et cette guerre fut heureuse, car tétrarque un juge, un général, subor-
,

donné au tétrarque, et deux lieute-


(i)Tit. Liv., lil). XXXX'III, t6. nants subordonnés gu général. Les états
456 L’UTSIVERS.
se tenaient dans un lieu nommé Dryne- par des propréteiirs, dont les noms nous
inetuin, situé sans doute au milieu sont également conservés dans un grand
d’une forêt de chênes qui leur rappelait nombre d’inscriptions. Nous ne pouvons
le culte de leurs pères (I), et le grand révoquer en doute un fait attesté par
douze tétrarques
conseil qui assistait les saint Jérôme (I) de l’usage de la langue
réunis se composait de trois cents per- gauloise en Asie. Les noms gaulois
sonnes. l/cs Romains, en modiliant ce d’Albiorix, Ateporix, etc., conservés
gouvernement . lui conservèrent l’ap- dans les inscriptions, prouvent que la
parence d’un État républicain Jusqu'à ,
nationalité gauloise ne s’était pas ef-
ce que la souveraineté fût réunie sur la facée après un séjour de deux cents ans
tête de Déjotare, le dernier prince qui en Orient. Mais un fait qui est com-
Jouît de l’apparence d’un pouvoir na- plètement en faveur de ceux qui pen-
tional (2). sent que le gaulois ne fut Jamais une
Les Gâtâtes se montrèrent les fidèles langue écrite c’est que parmi les in-
,

alliés des Romains dans les guerres nombrables inscriptions oui ont été re-
contre Persée. Us eurent beaucoup à dans l’an-
cueillies depuis trois siècles
souffrir pendant la guerre de Sy lia contre cienne Galatie, pas une seule n'est
Mithridate ; la Galatie fut envahie par écrite en gaulois. Les actes émanant du
le roi du Pont; les principaux habitants conseil général des Galaçes sont tous
furent massacrés, et le pays, réduit eu en langue grecque ; les actes publics
province, reçut des gouverneurs par- émanant du pouvoir impérial, les ins-
ticuliers. Après la défaite de Mithridate criptions relatives aux magistratures
par Pompée, la Galatie rentra sous la militaires, aux légions, aux routes,
domination romaine ; mais on ne lui sont tous en latin; on avait soin quel-
rendit plus ses tétrarques. Déjotare, quefois de mettre une traduction grec-
prince galate , reçut le titre de roi. Il que à côté de l’inscription latine.
eut pour successeur son secrétaire Le même sénatus-consulte qui ins-
Amyntas, qui dut cette faveur à un crivit la Galatie au nombre des provin-
caprice de .Marc-Antoine» On ajouta à ces , déclara Ancyre métropole de toute
son royaume plusieurs parties de la la Galatie. Les deux autres capitales des
Pisidie'et de la Cappadoce ; mais tous Galates, Tavium et Pessinunte, com-
ces nouveaux royaumes , sans force par mencèrent à déchoir à partir de cette
eux-mêmes, n’avaient qu’une existence époque. La destinée de ces deux villes
précaire. Amyntas mourut après un fut tellement uniforme , que l’une et
règne de douze ans et ses enfants
, l’autre sont restées pendant des siècles
n’héritèrent pas du trône de leur père. englouties dans un oubli complet, et
La Galatie fut réduite par Auguste eu leur position même était ignorée. Pessi-
province romaine (A C. 25) (3). Nous nunte peut aujourd'hui déployer aux
retrouvons plus tard le fils d’Amyntas, yeux du voyageur les faibles débris de
Pylæmèues. aux fêtes de la dédicace sa grandeur passée mais Tavium la: ,

du temple élevé à Auguste par les peu- capitale des 'Troemiens ,


ville grande et

ples de la Galatie, et sa Ulle Carachylæ commerçante, célèbre par un temple de


exerçant la charge de grande prêtresse Jupiter qui avait droit d’asile, Tavium,
de Cérès (4). Lorsque la Galatie eut été cachée au milieu des montagnes .sur la
réduite en province, elle n’en conserva rive droite du fleuve Halys, n’a Jusqu’ici
pas moins tout l’appareil d’un gouver- été l’objet que d’investigations super-
nement indépendant ;
les lois et actes de ficielles de la part des archéologues (2).
l'autorité furent toujours promulgués au Depuis le jour où le titre de métro-
nom du sénat et du peuple en réalité,
: pole de toute la Galatie fut décerne a
cependant , la Galatie tut administrée Ancyre, l'Iiistoire de la province se ré-
sume dans celle de la ville. Les autres

(() Strab., XII, 46". peuples partagent la destinée des Tec-


(a) .Slral»., XII, 567. tosages, et se trouvent complètement
(3) Dind., lib. LUI.
(4) D'après des inscripliuiu Irouvées à (i) Episl. ad Gai.
Ancyre, (a) Voyez la description de Pleriuni.
,

ASIE MINEURE. 4&7

confondus avec eux dans la période qui ciles de Nicée et de Chalcédoine. Deux
suivit le règne des césars. conciles furent tenus, en 314 eten 338,
Telles sont donc les conséquences des dans la capitale de la Galatie. Les No-
événements que nous avons rapidement tices ecclésiastiques divisent la Galatie
retracés. Deux peuples braves et entre- en seize évêchés sous deux dénomina-
prenants viennent i’un après l’autre as- tions, la Galatie-Salutaire et la Galatie-
seoir leur puissance sur une des plus Consulaire. Ancyre appartenait à œtte
belles parties de l’Asie Mineure, et tous dernière province.
deux réussissent sans de grands efforts Malgré tant de ravages et de guerres
à établir leur autorité d’une manière désastreuses , la Galatie , par la fertilité
durable. On ne peut se lasser d’admirer de son sol et la richesse de ses produits
cette grande et sage politique des Ro- agricoles , est encore une des provinces
mains, qui partout s'annonce par l'éclat les plus heureuses de l’Asie Mineure,
des victoires et s’impatronise par les car les vieux Gaulois, guerriers intré-
arts de la paix. Après avoir préparé l’af- pides , peu soucieux des arts , et com-
faiblissement des États quelle redou- ilétement étrangers aux lettres , avaient
tait, Rome frappe un grand coup sur f'agriculture eu grande estime, et ce
la nation gauloise ; mais à peine vain-
, n’est pas le hasard qui les dirigea dans
cue, elle lui tend la main, loi conserve le choix qu’ils tirent de ces provinces
ses princes et son gouvernement, n’an- pour s’y fixer de préférence à d’autres
nonce sou pouvoir dans la capitale des cantons de l’Asie Mineure. climatUn
Galates que par la sagesse de ses lois , sain et tempéré , un pays coupé de mon-
les prodiges de ses arts et la pompe de tagnes et de plaines, où les troupeaux
ses fêtes. trouvaient une nourriture abondante et
Les Gaulois n’avaient pas suivi une choisie, un grand lac au sud de la pro-
marche différente. Sans pitié pour les vince qui fournissait du sel au delà des
ennemis qui leur opposaient des obs- besoins pour les troupeaux et pour les
tacles, ils se montrèrent voisins secou- hommes , et des hivers assez froids pour
rables pour les princes qui réclamaient leur rappeler les frimas de leur patrie,
leur appui. Ils conservèrent aux villes qui retrempent les forces abattues par
qui étaient tombées en leur pouvoir leurs les chaleurs de l’été, tels étaient les élé-
lois, leurs croyances et meme leurs su- ments de prospérité sur lesquels ils
perstitions. Sous la domination gauloise, avaient compté.
la foule des pèlerins n’en accourait pas

moins aux panégyries de Pessinunte , et CHAVITRE XLVn.


les prêtres de la déesse purent venir

processionnellement annoncer aux Ro- ÉTAT DE I.’aGBICULTUBE.


mains que le jour de leur domination
prédit par les oracles, était arrivé (1). Les troupeaux nombreux qui se sont
Le secret de ces doux peuples, marchant perpétués dans ces contrées avaient at-
au même but, se cachait sous les mêmes tiré leur attention ;
on sait que dans l'an-
moyens: vaincre d’abord mais conser- tiquité il n’y avait pas de meilleurs ber-
,

ver leur dignité aux peuples vaincus, et gers que les Gaulois. Aucun peuple ne
leur faire oublier, par un gouvernement savait si bien gouverner les troupeaux ,

conforme à leurs besoins , le joug qui soigner les brebis, préparer les laitages
en réalité pesait sur eux. et recueillir les produits. Ils estimaient
Lorsque saint Paul parcourut l’Asie u’un bergerne peut bien gouverner plus
Mineure pour prêcher le christianisme e quatre-vingts moutons. Ils avaient
les Galates furent de ceux chez qui la soin de frotter les brebis fraîchement
parole de l’apôtre fructida le plus vite. tondues avec de l’huile et du vin, et cou-
L'élise d’Ancyre fut une des premières vraient d’une peau les toisons les plus
qui s’élevèrent en Orient; aussi reçut- précieuses.
elle le nom d’Église apostolique. Les Les anciens pensaient que le sel fos-
évêques d’Ancyre figurèrent aux con- .sile doit être choisi de préférence pour

saler les fromages et Strabon nous at-


,

(i)Tit. Liv., uhi supra. teste que l’Asie Mineure en exportait


158 L’UNIVERS.
jusqu'en itilie. L’usage îles prepuiatioiis chez les Asiatiques, de quelque religion
diverses du lait s'est perpétué en Gala- qu’ils soient. Sans chercher à se faire
tie; les Turcomans et les Nomades font illusion, on reconnaît quelquefois , sur-
du lait base de leur nourriture. Ils
la tout parmi les pasteur.s, des types qui
estiment particulièrement le lait aigri et se rapportent merveilleusement à cer-
à demi caillé , qu’ils appellent youhourt. taines races de nus provinces de France.
Varron nous apprend que la substance On voit plus d 'hommes blonds en Ga-
laiteuse qui sort de la feuille d’un figuier latie qu’en aucun autre royaume de l’A-
fraîcbement coupée servait, chez les sie Mineure ; les têtes carrées et les yeux
Grecs, pour faire cailler le lait. Les bleus rappellent le caractère des popu-
moutons de la Galatie sont de la même lations de l’ouest de la France. Celte
race que ceux de la Cappadoce; ils por- race de pasteurs est répandue dans les
tent une queue large et pesante qui villages et les yaela camps des noma-
forme une masse de graisse du poids de des des environs de la métropole.
vingt livres et au delà. Ce sont ces trou-
peaux oui faisaient la richesse du roi CIlAPlTKfc; XLVIII.
Ariarathe. Ija laine de ces brebis est
touffue mais n’est pas assez belle pour
, LES CHÈVRES d’ANGORA.
être employée en tissus un peu lins.
Les anciens bergers étaient dans l’usage Il a bien longtemps que la belle
y
d’arracher la toison des brebis et non race des chèvres d’ Angora a déjà attiré
pas de la couper ^de là le mot vellera) -,
l’attention des voyageurs qui ont par-
c’est sans doute a cause de cette habi- couru la région très-limitée qu’elle ha-
tude cruelle et malsaine que l’on était bite. Dès l’année I5.'î4, Busbek, ambas-
obligé d’appliquer un apozème sur les sadeur de Hollande, proposait à son
brebis fraîchement tondues. Mais il pa- gouvernement d'en transporter quel-
raît que cette habitude n’était pas gé- ques sujets en Europe. Les voyageurs
nérale en Galatie, car Varron en a fait la géographes ont tour à tour émis, dans
remarque (1). leurs ouvrages, quelques idées su r les
La toison des brebis, soit naturelle, moyens de transporter hors l’Asie, et
soit travaillée, servait de vêtement aux surtout de multiplier en Europe, cette
bergers gaulois. Varron les représente race de chèvres. L’auteur de ce livre a
vêtus du diphtère ou peau de brebis. lui-même, dans diverses publications,
Les dipbtères les plus fins étaient en traité cette question d’une manière in-
peaux de chèvres. Ce vêtement est en- cidente; nous allons résumer ici les
core usité dans la Bretagne et dans les renseignements les plus précis recueillis
Landes. Ce sont deux peaux de chèvres jusqu’à ce jour.
cousues, formant une espèce de sagum 11 un fait généralement reconuu
est
ou sac avec des orifices pour passer la c’est que cette race de chèvres est ren-
tête et les bras. On voit encore aujour- fermée dans un district très-peu étendu,
d’hui le berger galate vêtu de la sorte, et malgré les avantages que procure
et portant le pedum ou bâton recourbé cette belle toison soyeuse, le commerce
qui sert à arrêter la brebis lorsqu’on et la manufacture de poils de chèvres se
veut la traire. Une tunique de coton ou sont toujours renfermés dans la seule
de laine blanche lui descend jusqu’à mi- ville d’Angora , malgré les tentatives
jambe, et le pied est revêtu d’une peau faites par d’autres villes, pour attirer
de chèvre attachée avec des courroies. sur leur territoire des sujets de cette
Mais on ne voit plus ces cheveux d’un espèce.
blond ardent qui donnaient aux Gau- L’écrivain turc Ewlia vante la beauté
lois un air si redoutable. L’usage si gé- et la qualité des races de moutons du
néral de se raser la tête (2) a prévalu plateau delà haute Phrygie, et il ajoute:
« Mais rien ne saurait donner une idée
(i] Yarron, ap. Dureau de la Malle, Eco-
nomie poUiiyue <ies Bomains. trcs-anliqucs représeiilant des figures avec la

(a) Usage qui u’est pas d’oiigine lausid- télé rasée et la houppe de cheveux sur le

inane, car on loit en Uycie des bas-reliefs sunimel du crâne.


,

ASIE MINEURE. 459

de belle toison soyeuse des chèvres


la les premiers troupeaux vers Sevri his-
d’Angora; on ne saurait trouver ail- sar. Ainsworth ne trouva pas la race
leurs rien de comparable, u de ces chèvres répandue vers l’ouest
Le voyageur Busbeck , partant de au delà de la jonction des deux bran-
Nicée pour se rendre à Aniasie, ne com- ches du Sangarius.
mença à rencontrer ces chèvres à toison Aucher Éloi , venant de l’orient, ren-
soyeuse qu’à l'est du Sangarius , dans contra des troupeaux de chèvres blan-
les environs de la ville de Bey bazar ches , dès son entrée en Galatie , vers
qui n’est éloignée que d’une journée de Nally khan.
marche d’Angora. Les moutons à large Paul I.ucas estime que cette race est
queue étaient également très-nombreux. renfermée dans un cercle de huit à dix
La toison des chèvres est, dit-il, pres- jours de marche dont Angora occupe
,

que aussi belle que la soie , d’une ex- la partie supérieure. Cette province
trême finesse , brillante et longue jus- porte le nom de Haïmanah. Il attribue
qu’à traîner sur le sol. Les bergers n’ont aussi à la finesse du gazon la qualité de
pas l’habitudê de la tondre, mais de la toison. Lucas avait pris soin d’en-
l’arracher. On
lave souvent les chèvres voyer, en Angleterre et en France,
dans les ruisseaux d’eau courante et , quelques échantillons de ces toisons,
on les mène paître dans des cantons pour en faire des perruques, les grandes
qui produisent une herbe verte et mai- perruques étant de mode alors; mais
gre, ou un court gazon qui est très- son projet de commerce ne put avoir
lavorable à la finesse de la toison. Il de suite, l’exportation des peaux brutes
est généralement reconnu que tout chan- et des toisons étant prohibée.
gement de territoire ou de nourriture La filature et le tissage des poils de
est défavorable à la toison. chèvre est encore aujourd’hui renfermé
Le produit des troupeaux de chèvres dans la seule ville d’Angora, et les
est porté à Angora, où les femmes le étoffes qu’on y fabrique ont conservé
filent, le tissent, le teignent, et en fabri- leur haut prix.
quent une étoffe soyeuse et brillante, La qualité la plus inférieure du poil
qu’on appelle cymatilis, et qui est em- de chèvre coûte , à Angora, de douze à
ployée pour les' vêtements des sultanes. quinze francs l’oke (I kil. 25); la plus
Touraefort, en 1711, donna, le pre- belle va jusqu’à soixante-dix francs :
mier, le portrait des chèvres d’Angora ; aussi est-ce la richesse des habitants
il avait traversé la province de Galatie, d’ .Angora.
etaffirme, comme l'a fait Busbeck, que Macdonald Kinneir, qui a traversé
lecourt et fin gazon de ces contrées est plusieurs fois l’Asie Mineure, a ren-
très-favorable à la finesse et au brillant contré , à l’est de l’Halys, de nombreux
soyeux de ces toisons , qui pendent en troupeaux de chèvres , mais pas une
flocons frisés , et acquièrent une lon- seule de la race d’Angora. Il regarde
gueur de sept ou huit pouces. Ces toi- ce fleuve comme la limite orientale de
sons ne sont jamais exportées brutes, la race d’Angora.
mais elles sont filées et travaillées dans Ainsworth, venant de l’Halys, ren-
le pays
,
pour ne pas priver les habi- contra pour la première fois les chèvres
tants de cette branche d’industrie. d’Angora dans un campement de Tur-
A l’orient du fleuve Halys , Tourne- comans appelé Hassan-Oglou, à l’ouest
fortn’a trouvé aucune chèvre d’Angora ; de la chaîne de montagnes , à une pe-
mais tous les troupeaux qu’il a rencon- tite journée de marche d’Angora. Quant
trés étaient composés de chèvres com- au développement de cette race, du
munes de ,
la race de Koniah (chèvres nord au sud , elle ne dépasse pas les
rousses , à très-longues oreilles pcn- montagnes de Kalatjik au nord, et au
dautes), donnant beaucoup de lait, sud celles de Seid el ghazy, c’est-à-dire
mais dont la toison ne sert que pour la qu’elle est renfermée dans la plaine ap-
fabrication des feutres. A l’ouest au ,
peléeHaimanah,
contraire, il ne put rencontrer les chè- Lorsque Uamilton visita la ville d’An-
vres d’Angora au delà de Bey bazar. gora ,
en 1836, il trouva le commerce
Vers le sud-ouest, l’ococke rencontra et l'industrie du poil de chèvre dans un
, ,

460 L’UNIVERS.
étatde décadence relativement aux an- chèvre d’Angora et c’est à tort que les
,

ciens temps ,
narce que la jalousie des traducteurs de Strabon ont cru recon-
Turcs à l’égard des Arméniens, qui sont naître cet animal dans les Aopxl; dont
les plus grands détenteurs de trou- arle Strabon. Il est probable que les
peaux, avait porté les premiers à éta- opxl; étaient les moutons sauvages qui
blirun monopole sur le poil de chèvre, sont encore répandus dans les monta-
et le droit d^exportation était réservé gnes de la Cappadoce et du Pont.
aux seuls Musulmans. Mais peu de Il devient à peu près certain que
temps après , un ordre de la Porte ren- dans l’antiquité cette race de chèvres
,

dit de nouveau ce commerce libre. Le était inconnue à l’ouest de l’Halys, et


nombre des troupeaux de chèvres allait u'elle s’est répandue dans les parages
en décroissant. ’Angora à la suite des excursions des
Tout le montant des exportations ne tribus turcomanes qui sont les plus
,

dépassait pas vingt mille okes , et il parfaits éleveurs de troupeaux. Aucher


y
avait très-peu de fabriques en activité a Éloi recueillit quelques documents à c.e
Angora même. Cependant, en 1839, sujet, pendant son séjour à Angora, et
Ainsworlh calcule que le montant des son voyage contient le passage suivant :

exportations est beaucoup supérieur au « T,es races d’animaux remarquables


chiffre que nous venons d indiquer ; par la longueur du poil tels que chè-
mais d’après une remarque de son com- vres , chats, ne s’étendent pas dans un
patriote , peut-être fait-il entrer dans rayon de plus de vingt-quatre lieues au-
son compte l’exportation de la laine de tour d’Angora, elles ont été apportées
brebis. datis le treizième siècle. A cette épo-
Iæ géographe turc Ewlia, écrivait en que, Soliman Schah, tige de la maison
1648 ; « La récolte de leur toison se des Ottomans, .lyant voulu se soustraire
fait d’une manière particulière ; les à la domination de GengisKhan, quitta
chèvres ne sont pas tondues comme on le pays de Kharizme ou des Twreo-
tond les brebis, on prétend que cela mans , à l’est de la mer Caspienne,
nuirait à la finesse de leurs soies; mais chassant devant lui à petites journées les
on arrache la toison brin à brin. Cette troupeaux de chèvres, dont la horde ti-
cruelle méthode fait pousser aux pau- rait sa principale nourriture, pour ve-
vres chèvres des cris lamentables. I.es nir dresser ses tentes dans l’Asie Mi-
bergers ont l’habitude de laver leurs neure. Il pénétra jusqu’à l’Euphrate;
corps avec de l’eau de chaux et de la mais, s’étant hasardé à passer ce fleuve
cendre ; le poil tombe naturellement à cheval, il s’y noya. ErtoghruI , son fils,
et le corps de l’animal reste nu. » Il — s’avança davantage dans l’Anatolie, où
semble qu’une semblable méthode doit régnait alors Ala Eddyn, sultan d’Ico-
être plutôt nuisible qu’utile, car la ra- nium et de la dynastie des Sedjoukides.
cine du poil étant tombée, il ne re- Il se soumit â ce prince avec quatre
pousse point. On ne peut nier cepen- cents familles turques qui lui obéis-
dant que l’habitude d’arracher la toison saient, et rendit au sultan des services
des animaux n’ait été en usage chez les signalés 11 en reçut pour récompense
anciens , puisque le nom latin des toi- le territoire de .Sugud et étendit en-
,

sons , reliera, vient du mot arracher, suite sa domination sur le pays situé
vcllere, et Terreritius Varo ( üe re rus- entre Angora et Césarée.
ttea, liv. III, II) dit positivement que Ces chèvres seraient donc de la race
les bergers de son temps arrachaient trans-caspienne, et si elles se sont ac-
la laine des brebis, pour qu’elle repous- climatées dans ces régions, ne doit-on
sât plus fine. D’après cet écrivain , la pas espérer qu’elles pourraient l’être
tonte des brebis aurait passé de Sicile également dans des pays qui jouissent
en Italie; mais il atteste en même d’un climat analogue.
temps qu’elle était usitée chez les bergers Elles auraient été transportées dans
de Cilicie et qu’elle fut introduite dans
,
ces régions au treizième siecle. mais on
la grande Phrygie. ignore sur quelle base ceitainc cette
Les anciens écrivains, Strabon, Pline tradition est fondée; seulement nous
et Yarrun, ne connaissaient pas la rappellerons que les chèvres d'Angora,
ASIK MINEURE. 461

d'après leur origine chorasmienne et compose non-seulement des poils soyeux


leur vie errante, se sont trouvées un de l’animal, mais encore du duvet doux
jour dans les plaines de la Galatie et fin qui croit à la racine des poils.
comme dans leur propre climat elles : Coraucez, pendant son séjour dans
ont eu des bergers suivant la même l’Asie antérieure, de 1800 a iSia, a
méthode, et se sont trouvées en un mot fait, des chèvres d’Angora, l’objet d’un
comme une colonie isolée , qui n’a pas mémoire important, et Tchihatcheff a
rencontré du côté de l’ouest un pays qui fait aussi d’excellentes recherches sur
offrit les mêmes analogies, ce qui l’a le commerce d’Angora et des autres
empêché de se développer de ce côté. villesde l’Asie IMineure.
Au contraire, on a observé que ces Les pasteurs de l’Asie Mineure for-
chèvres, avec leurs longues tresses soyeu- ment une grande partie de la popula-
ses et pendantes, se sont étendues fort tion du pays, soit comme bergers de
au loin vers l’est, dans un grand cercle brebis, soit comme gardiens de chèvres.
de contrées de l’Asie antérieure, et que, Il y a deux espèces de chèvres selon
dans un grand nombre de localités , il Corancez; la chèvre ordinaire {capra
y a encore des troupeaux indigènes, hircm), qu’on appelle kara-ketji, et la
dont la toison , comparée avec celle des chèvre d’Angora, appelée chèvre kem-
chèvres d’Angora , paraît être tout à mel ou teslik-ketji. On les rencontre
fait semblable. Le professeur Peter- souvent paissant ensemble , mais elles
mann a acheté à Bagdad des gants de ne se mêlent jamais. Les premiers trou-
cérémonie faits dans le Kurdistan orien- peaux que l’on rencontre en venant du
tal, qui sont tout à fait semblables aux nord se trouvent dans la vallée de
tissus d’Angora. Tchibouk ova, où ces deux races pren-
Ainsworth a trouvé en Assyrie, dans nent ensemble leur pâture. La chèvre
les montagnes à l’est de l’Euphrate, au d’.Angora n’est pas seulement une va-
milieu d’une grande variété de chèvres, riété plus noble de la race générale des
une espèce qui, à part sa couleur brune, chèvres, c’est plutôt un genre particu-
est tout à tait semblable à la chèvre lier de cette même race. I.a première
d’Angora. Elle a, comme elle, de gran- est répandue dans toute l'Asie Mineure;
des tresses soyeuses et frisées, et des cor- la seconde a un canton déterminé , qui
nes jaunes. ne s’écarte pas du cercle de l’ancienne
A côté de celles-ci , il y a de grands Galatie, à l’occident de i’Halys, ou
troupeaux de chèvres, dont la toison est Kizil irmak, du groupe de montagnes
aussi soyeuse et frisée, mais dont la d’Angora et de leurs environs les plus
couleur est noire. Ces races s’étendent proches. I.,a chèvre commune d’Asie
de proche eu proche vers l’est jusqu’à est très-voisine de la chèvre domestique
la belle espèce connue de Bokara. On d’Europe. Cet animal se trouve en
en rencontre aussi dans le Djebel- Syrie, en Égypte, dans la Natolie et
Djermak dont la beauté n’est pas in- dans tout l’Orient. Sa toison est noire
férieure à celles d’Angora. ou d’un brun foncé ; le poil en est
On en fabrique des tapis et des étof- droit, long, assez fin vers le bout qui
fes, qui sont connues sous le nom de s’implante dans le cuir, plus noir et
camelot ; non pas du nom du chameau, raide à l’extrémité contraire. Ijx chèvre
dont le poil ne donne qu’une étoffe sans noire se tond tous les ans; son poil est
brillant, mais du nom de Seil-el-Kem- grossier et ne s'exporte pas. Il se tra-
mel, qui est celui de la chèvre. C’est vaille sur les lieux ; on en fabrique des
ainsi que Tournefort appelle les étoffes étoffes rudes, des tentes, des sacs sem-
tissées à Agora. blables à nos sacs de crin. Celui d’An-
A mesure ou'on s’élève dans les hauts gora n’est pas plus estimé que celui des
plateaux de l’intérieur de l’Asie, dans autres parties de l’Orient, et vaut, sur
des climats secs et froids , l’espèce des les lieux, I fr. 30 c. le kilograme.
l'hèvres s’améliore comme en Perse , à Sous ce poil et sur la peau même de
t^nchemyr et au Thibet, et fournit cette l’animal est un autre poil plus court et
célèbre matière du schall de poil de plus fin; on l’obtient en frottant avec
chèvre, Sa-Ha-I.a des Chinois, qui se de l’eau de chaux la peau de l’animal
463 L’UNIVERS.
encore garnie de ses poils après quel-
: soyeux est particulière au sol d’Angora
ques instants , le poil et le duvet se dé- et des environs. Au
delà , la race s’a-
tachent du cuir et se séparent aisément bâtardit, devient plus grossier,
le poil
l'un de l’autre. on ne trouve plus l’espèce, qui, seule,
Le duvet de la chèvre noire est connu fait la richesse de la ville qui lui a
sous le nom de poil de chevron. Il est donné son nom.
employé dans diverses manufactures et Le territoire d’Angora est à plus de
particulièrement pour la fabrique des huit cents mètres au-dessus du niveau
chapeaux. C’est surtout pour cet usage de la mer, il est formé de montagnes
que iMarseille en tirait une grande quan- qui sont couvertes de neige pendant
tité. Le duvet des chèvres de Syrie est deux mois de l’année; aussitôt que la
peu abondant et la qualité n’en est pas belle saison arrive on y conduit les
estimée, celle qu’on tire d’Angora, chèvres, qui y restent jusqu’à l’hiver
d’Erzeroum et du nord de la Perse l’est changeant constamment de pâturages.
beaucoup plus. Engénéral toutes ces
, Les troupeaux sont composa de detix
laines sont expédiées à Smyrne par les cents à huit cents têtes. Les mâles sont
caravanes de. chameaux qui partent plus hauts que les femelles, leur toison
d’Erzeroum ; de Smyrne, elles sont en- est également blanche et frisée , mais
voyées en Eiurope par mer. les poils sont plus rudes.
En Asie Mineure , le duvet de chèvre Aujourd’hui, l’usage général est de
sert principalement pour faire des feu- les tondre avec des ciseaux, après les
tres; cette industrie, qui est d’origine avoir lavés dans l’eau courante. La toi-
persane , est en grande activité à Ispa- son des femelles dépasse ordinairement
han, où l’on fabrique des tapis de feutre le poids d’un kilogramme. I..a totalité
de couleur grise ornés de fleurs. On fait de la récolte est filée sur les lieux mêmes ;
aussi des manteaux tout d’une pièce, l’exportation en est interdite, on ne
qui servent dans les tribus nomades, peut exporter que les étoffes fabriquées.
et surtout chez les bergers qui passent Lorsque la toison est coupée, on la
les jours et les nuits à la garde de leurs peigne avec un peigne à longues dents ;
troupeaux. elle est ensuite livrée à la filature, qui
La chèvres blanche (tnlik gueschi ) se fait toujours à la main : c’est l’occu-
est la plus belle espèce des animaux que pation journalière et constante de toutes
l’on trouve à Angora. Buffon l’a dé- les femmes du pays , depuis celles d’un
crite sous le nom de chèvres d’Angora : rang élevé jusqu’aux simples bergères.
sa toison est d’une blancheur éclatante ; Le rouet est pour ainsi dire inconnu,
les poils qui la composent sont longs , la quenouille seule est en usage, tantôt
déliés, soyeux et frisés naturellement; fixée sur un pied ,
elle sert quand la
leur fines.se est extrême. Tandis que la fileuse est assise sur son divan , tantôt
chèvre noire a le poil aussi dur que le passée à ceinture, elle accompagne
la
crin, celui de la chevre gueschi est aussi la fileuse dans ses promenades et pen-
.souple que la laine la plus précieuse dant son séjour aux champs.
des mérinos d’Espagne. Ces poils, longs Les fils de trois brins sont les plus
et frisés , composent seuls toute la toi- lins et les plus estimés , ils se venaent
son du tislik gueschi. Aussi déliés à jusqu’à vingt-quatre francs le kilo. La
leur extrémité supérieure qu’à leur finesse du fil, aussi bien que sa blan-
racine , ils ne sont mêlés d’aucun duvet cheur et son égalité, en constitue la
étranger. Ainsi la laine de chevron ap- valeur ; les plus gros sont vendus au
partient exclusivement à la première même poids infiniment meilleur mar-
race , et ce duvet est entièrement étran- ché.
ger à la toison de la chèvre d’An- M. de Corancez, qui a longtemps sé-
gora. journé en Orient, et qui, dès le com-
Cette différence fournit seule un ca- mencement de ce siècle, a appelé l’at-
ractère constant qui distingue les deux tention des agronomes de France sur
espèces; il y en a beaucoup d’autres : l’utilité qu’il y aurait à y transporter
tandis que la chèvre noire se multiplie la race des chèvres d’Angora, aussi bien
dans tout l’Orient, la chèvre à poils que celle qui fournit le duvet, ne jiar-
,

ASIE MINEURE. 463


l3ge pas l’idée, assez répandue, que tes aromatiques de la Galotie se re-
ces chèvres ne sauraient quitter leur trouvent dans ces régions.
pays sans dégénérer ; il cite, à ce sujet,
la race des mérinos d’Espagne, qu’on Florentem citysam et salioes carpetiu manu.
CVlBC., £ct., I, 79.)
croyait tellement attachée au sol, qu’elle
disparaissait complètement au dehors
de son pays natal. CHAPITRE XLIX.
La ville d’Angora n’est distante de la
mer que de trois journées de marche ;
BACES BOVINE ET CHEVAMMB.
nous avons dit, d’ailleurs, que ces
troupeaux de chèvres étaient toujours chèvres et les moutons offrent
Si les
en mouvement. Rien ne serait plus fa- en Galatie d'admirables produits, la
cile que d’en embarquer plusieurs ; on race bovine est loin de présenter un as-
les amènerait par étapes ù la mer Noire pect aussi satisfaisant. Les bœufs sont
;

on leur ferait descendre le Bosphore d'une espèce petite et généralement mal


et on
les ferait reposer pendant une coiffée. Jut grand liétail exige pour la
uinzaine de Jours dans les pâturages reproduction et l’entretien beaucoup
e la Thrace, dans la baie de B^ika. plus de soins et de frais que les mou-
On pourrait leur faire faire un second tons et les chèvres; il n’est pas étonnant
repos dans l’île d’Anti-Milo, que les qu’il ait dégénéré. La Galatie nourris-
Grecs appellent présentement l’ile aux sait des troupeaux d’onagres qui occu-
chèvres, et de là aux parages de la paient les steppes des environs du lac
Napoule l’étape ne serait pas fatigante. Salé. Ces onagres erraient dans le sud
Une chèvre d’Angora ratait, il y a de la Galatie , dans la Lycaonie et dans
Quelques années, de quinze à vingt la Cappadoce. Il ne reste plus de trace
Inncs. Les propriétaires, qui sont en de ces animaux à l’état sauvage en Asie
grande partie des Arméniens , ne se re- Mineure. Les derniers sujets de cette
fuseraient pas d’en vendre. Ce serait race ont été refoulés jusejue dans les
peut-être, du reste, un moyen de con- vallées désertes de la Perse- Mais les
server cette race, qui va d’année en mules de Césarée de Cappadoce, issues
année en diminuant, le commerce de des ânes de la Lycaonie et des juments
ces régions étant depuis longtemps en du Kurdistan, rappellent, par leur vi-
décroissance. gueur, leur légèreté et la beauté de leurs
Après avoir parlé des avantages que formes, toutes les qualités que les an-
l'on pourrait retirer de l’introduction ciens historiens prêtaient aux onagres
en France des chèvres d’Angora, il de l’Asie Mineure. Quant à la race che-
faut bien dire un mot de leur inconvé- valine , on peut la considérer comme
nient. La chèvre est un animal essen- nulle en Galatie. Les Gaulois ont tou-
tiellement ennemi des cultures : rien ne jours été très-peu portés pour l’équita-
lui est sacré; les plus jeunes et les plus tion. Dans les combats, ils mettaient
tendres bourgeons sont ce qu’elle re- l’agilité au-dessus de tout autre moyen
cherche de préférence. Bien plus vive de défense et d’attaque et Tite Live
,

et plus agile que le mouton ,


elle fran- fait une remarque qui se trouve parfai-
chit les fossés et les haies ; aussi, elle tement d’accord avec ce que nous voyons
cQt peu répandue dans les pays où la dans les bas-reliefs antiques « Les:

étendue et soignée. Mais les


culture est Gaulois, dit-il, avant de combattre, se
montagnes du département du Var, les dépouillaient complètement de leurs
Pyrénées, et surtout les vastes Makies vêtements , et ne conservaient que leur
de la Corse , lui offriraient un terri- épée courte et leurs longs bouchers. »
toire peu différent du sol natal. Les Ce n’est que dans la province de You-
montagnes de Vizzavone, du Vescovato ; zgatt, ancien pays des Troemiens, que
profondes vallées du Monte-Ro- l’on commence à trouver la race des
tondo , seraientpour elles d’autant plus chevaux indigènes, appelés chevaux
favorables, qu’elles y retrouveraient kurdes. Ce sont les anciennes races mède
presque la végétation de l’Asie : les et assyrienne. Leur tête est osseuse,
tystes, le myrtne, la plupart des plan- l’encolure courte, les jambes nerveuses
;

464 L'UNIVERS.

et pelues. Adroits sur les rochers, et été distraite, fut appelée le Pont Gala-
infatigables à la course, ces chevaux, tique. Honorius reprit cette province,
comme le bétail de la Galatie, reçoi- et en fit un gouvernement à part, sous le
vent une quantité notable de sel mêlée nom d’Uonoriade. Lorsque l’empire
à leur nourriture journalière; il y a d’Orient fut divisé en départements
même des propriétaires qui laissent, près militaires appelés thèmes, la Galatie
du lieu ou le cheval est attaché, de vit encore varier ses frontières; mais
grands blocs de sel fossile, que le cheval tous ces changements n’entamèrent ja-
lèche en mangeant son orge. mais la province centrale où s’étaient
L’usage de l’avoine étant presque in- primitivement établis les Gaulois. Dans
connu en Asie Mineure J’orge ,
fait la rétat actuel, la Galatie occupe les gou-
base de la nourriture des chevaux. Cet vernements d’Eski chelier Dorylée, de
aliment, plus azoté que l’avoine, et Sevri hissar, d’Angora, dcTchouroum,
susceptible d’une fermentation plus Castamouni et Youzgatt, au delà du
lente, donne un peu moins d’ardeur fleuve Halys, Kizil-irmak. Toute la par-
aux chevaux, mais offre une nourriture tie septentrionale est montagneuse, ren-
lus soutenue. Les chevaux nourris à ferme des mines, des volcans éteints et
P orge sont sujets à prendre du ventre des carrières de marbre.
et de l’embonpoint , défaut assez com- Le grand lac salé, que les anciens
mun aux chevaux de ces contrées. appelaient Talta Palus, produit natu-
Les produits de l’agriculture étaient rellement du sel blanc très-pur; les
abondants et magniQques; la plupart eaux de ce marais sont tellement char-
des fruits, et meme l’olivier, qui ne gées de sel que les plantes et les
,

croît plus dans celte province, y étaient menues branches qui se trouvent sur
cultivés dans l’antiquité il est vrai que
: ses bords sont eu peu de temps cou-
plusieurs districts étaient privés, conime vertes d’une croûte épaisse. Ce lac n’a
ils le sont encore, d’un élément bien pas de profondeur; c’est plutôt un
utile. Le bois ne croît pas dans la partie grand marais salant; une chaussée le
méridionale de la province ; aussi les traverse. Dans le sud de la province, on
anciens avaient-ils donné à cette contrée trouve de vastes steppes habitées seu-
le nom de Axylon (sans bois). Pendant lement par des nomades. L’orient de la
les froids, qui sont assez rigoureux, Galatie offre un pays admirable comme
les habitants se chauffent avec les rési- nature et comme végétation ; on clier-
dus des bestiaux (1). cberait en vain, dans le reste de la
contrée, des sites comparables aux
TEBBITOIBE. — FBONTIÈBES. bords de l’Halys, tantôt sauvages et
sombres , tantôt fertiles et gracieux.
Pour achever l’esquisse que nous ve- Les forêts de chênes y sont nombreuses
nons de tracer, il nous reste à dire quel- et étendues; le grain donne de magni-
ques mots de l’état de la Galatie, de fiques produits.
son commerce et de son gouvernement. Les Turcs, en s’emparant de la Oa-
Nous avons vu que, dans l’antiquité, latie se trouvèrent en contact avec
un
,

les frontières Galatie ont varié


de la peuple dont l’origine et la civilisation
avec la puissance des tribus gauloises, étaient tout européennes; Gaulois,
et selon le caprice des empereurs ro-
plus
Grecs et Romains ne formaient
mains qui ajoutaient et retranchaient
,
qu’une seule famille. Autant la
politi-

des provinces en proportion de l’amitié que des conquérants occidentaux avait


qu’ils portaient aux tétrarques, aux été favorable aux véritables
intérê^des
princes ou aux proconsuls. Sous les em- peuples , autant la politique des Turcs
cinq
pereurs byzantins, les limites de la Ga- rut fausse et désastreuse. Après
sont
latie furent portées , vers le nord, jus- siècles dé possession , les Turcs
de
qu’aux bords de la mer Noire, ei cette aussi étrangers aux anciens maîtres
partie du royaume de Pont, qui en avait la contrée, que le jour où le
sabre du
sultan Mourad conquit la ville
d’Anci re.
(i) Cf. Xéilupbon, Anabasis
XXXVIII ;
Siral)., Cappadoce.
ASIE MINEURE. 465

CHAPITRE L. forcée de quatorze mille hommes et de


onze cents chevaux. Elle partait pour un
HiBCHE DE MANLIUS PENDANT LA pays inconnu, sans approvisionnements,
CAMPAGNE DE GALAXIE. et sans avoir établi de base d’opératon ;
elle'ue pouvait donc subsister qu’en met-
T, a marche de Manlius en Asie a été tant les villes au pillage. Manlius, parti
pour les anciens commentateurs de Tite d'Éphèse, va passer le Méandre à la hau-
Lire et de Polybe un problème presque teur de Priène; c'est là seulement qu’il
insoluble, les contrées que parcourut Par- put trouver des bateaux, dans le voisi-
mée romaine étant alors trop peu con- nage du port de Milet ; plus haut, le
nues aujourd’hui, les explorations des
; Méandre n’est pas navigable à cause des
voyageurs modernes ne laissent plus bas-fonds et de ses nombreux détours.
que de légères incertitudes sur la po- Pausanias cite, il est vrai, Mélésandre,
sition des villes anciennes. Nous allons général athénien, qui avait remonté le
présenter ici un résumé de cet itinéraire. Méandre avec ses barques (1) pour pas-
Il est bien évident que la campagne de ser dans la haute Carie (2) ; mais ce fait
Manlius contre les Galates ne tut dans est unique dans l’histoire ancienne : Mé-
le principe qu’une expédition destinée à lésandre mourut vers l’an 414 avant
reconnaître les provinces sud de l’Asie notre ère. L'armée passe le fleuve entre
Mineure qui venaient d’être évacuées Kélibescli etSerteninn, précisément à
par Antiochus. Si le but du consul eût l’endroit où est aujourd’hui le bac du
été uniquement d’aller soumettre lesGa- Méandre.
lates, il se fût dirigé au nord est, et Elle remonta le fleuve en longeant les
n'aurait pas pris une route diamétrale- entes du mont Latmus, et vint au
ment opposée vers le sud-est. ourg de Hieracomé, lieu inconnu, et
La marche de Manlius dans l’Asie sans doute complètement anéanti par
Mineure, la direction oblique qu’il prit les atterrissements du Méandre, qui,
pour arriver chez les Galates, prouvent, depuis cette époque, a formé un nouveau
comme on le lui reprocha dans le en lac le golfe de
territoire, et converti
sénat (1), «rue son but était autant de Milet. De Hieracomé, l’armée arriva en
piller les villes et d’affaiblir les gouver- deux jours à Uarpasa en Carie. Ce lieu
nements de l’Asie que d’attaquer les a conservé son nom, et s'appelle aujour-
Gaulois car sa route était par la Phry-
: d’hui Harpas kalé si. Les ruines de
gie Brûlée, c’est-à-dire de Smyrnc à Ku- la forteresse existent encore , et elle est
tayah; il devait passer le Sangarius au- située sur une montagne dont la base
dessous de 'Lefké, à peu près au même est défendue par une rivière, qui était
endroit où il n’arriva qu’après un circuit le fleuve Harpas, et qui a également
considérable. conservé son nom Harpa tchai.
Manlius étant arrivé à Éphèse, L. Sci- L’armée a marché quatre jours pour
pion lui remit le commandement de faire environ soixante milles. Pendant
l’armée , à laquelle on joignit un ren- la halte au bord de l’Harpasus, le con-
fort de quatre mille hommes d’infan- sul reçoit des députés d’Alabande, Arab
térie romaine et de deux cents cavaliers llissar, ville voisine, qui lui demande du
romains, plus huit mille fantassins et secours, il envoie quatre mille hommes
quatre cents cavaliers latins. pour réduire un enâteau des Alaban-
L’armée était déjà en route lors qu’ At- diens.
tale vint rejoindre le consul avec un Enquittant ce château, l’armée alla
renfort de mille fantassins et de deux camper à Antioche du Méandre, ville
cents cavaliers ; enfin aux environs d’A- aujourd’hui déserte, et dont les ruines
labande, l’armée romaine reçut encore offrent peu d'intérêt. Le bourg voisin
d’ Athénée frère d Eumènes et d’Attale porte le nom de Yeni cheher ( nouvelle
un renfort de mille hommes d’infanterie ville), parce qu’il a été bâti avec les
et de trois cents chevaux . L’ancienne ar- débris ae la ville ancienne.
mée de L. Scipion se trouvait donc ren-
(i) Nauffiv.
(0 Tile Liv., lib. XXXVIII, 6. (a) Eausauiaj, liv. I*', ap S 6
30” Livraison. (Asie Mineure.)

gle
466 L'UNIVERS.
Les habitants de Tabæ de Pisidie, au village de Horzoum ; tout y annonce
ville populeuse et forte, qui comman- Texislence d'une grande ville un stade :

dait une plaine étendue et appuyée aux presque entier, des temples, des édifices
contre-forts septentrionaux du Taurus, publics de tout genre, couvrent un es-
ne voulurent pas permettre le passage pace considérable. Cibyra, en effet, n’a-
aux armées coalisées. Us marchèrent vait pas moins de cent stades de tour.
contre les Romains, et attaquèrent en Moagète, tyran de cette ville , envoya
plaine des ennemis qui avaient une ca- des députés pour faire sa soumission.
valerie bien montée. Les Pisid ieus furent Manlius envoya sur le territoire de
mis en déroute, et la ville de Tabæ en Cibyra, Helvius avec quatre mille hom-
fut quitte pour payer vingt-cinq ta- mes et cinq cents chevaux. C’est alors
lents (110,000 francs) et dix mille que Moagète, pour prévenir le pillage
médimnes (cinquante mille boisseaux ) du pays, vint en personne au camp de
de blé. Tabæ est remplacée
L’ancienne Manlius pour demander l’aman; il en
ar la moderne de Daouas. La
ville fut quitte pour payer ceut talents et dix
de Daouas produit en abon-
elle plaine mille medimues de blé.
dance du blé et du coton. Ces cantons Après avoir quitté le territoire de
sont peu peuplés, mais le territoire Cibyra, l’armée mareha sur Syllæum,
est fertile cl bien arrosé. Les villages )lace inconnue et différente de la Syl-
environnants sont presque tous situés sur fæum voisine de Perga.
TcmplaceniPiit de quelque station an- En quittant Syllæum, on marcha sur
cienne. Le fort appelé Gordio-Teicbos se Alimna, dontle nom indique le voisinage
trouvait sans doute au village de Kiziigi d’un lac ou d’un marais Limné. Aiimua
buluk ; au moins les distances données est représentée aujourd'hui par Bazar
par des tables géographiques sont- Khan, petite ville située à la base d’une
elles assez d’accord avec cette position. montagne, et dont les abords sont dé-
On ne saurait mettre en doute l'iden- fendus vers le sud-ouest par un vaste
tité de Daouas et de Tabæ, cette der- marais c'est aujourd’hui le marché
:

nière ville avait pris son nom du mot central du district. Au milieu de la
pisidien Taba, qui veut dire une émi- une place assez régulière ; il y a
ville est
nence (I). Or, au milieu de lu ville de troismosquées à minaret. A une petite
Daouas il y a précisément un monticule distance de la rive du lac s’élève une île
sur lequel est bâti le Konac de l’Agha. rocheuse reliée au continent par une
On trouve de plus aux environs de nom- jetée, et sur l’île se voient les ruine.s
breux débris d'architecture ancienne. d’une villeimportante on retrouve à peu
:

De Tabæ, le consul se porta en trois près tout le circuit du mur d’enceinte.


jours de marche sur le fleuve Chaos, Dans le village on observe aussi quel-
aujourd’hui la rivière deKarudjik tchai, ques ruines.
et s’empara de la ville d’Eriza qui ne Une petite rivière qui passe à l’est de
fit aucune résistance. Eriza, est repré- Bazar Khan et se dirige au nord pour
sentée par la petite de Kara liissar.
ville aller se jeter dans le Dalamon tcliaï, re-
Manlius nu, de prendre sa route
lieu présente le fleuve Caularès, que l’année
vers le nord, appuya encore au sud-est, passa pour attaquer Sinda, placée au vil-
entra dans les montagnes, etallaattaquer lage de Tengliir au pied du Rabat dagh,
les châteaux de Tbabusiou et de Cibyra, la montagne du repos. Cette riiière est
dont les gouverneurs connaissaient à une branche orientale de l’Indus ou
peine les Romains. Dalamon. Tengliir est un village de deux
La première de ces places comman- cents maisons, situé à l’entrée d’une large
dait le fleuve Indus, auquel on avait vallée et arrosé par une rivière qui coule
donné ce nom parce qu^uii Indien
y vers le nord une mosquée avec minaret
;

avait été précipité par l’élephant qu’d est situéedans le voisinage d’une belle
montait. Le Qepve Indus est le Dalamon source. Tengliir est à cinq heures ou
tcbaï, qui sépare la Lycie de la Carie. trente kilomètres de Hour/oum (l)*
Les ruines de Cibyra ont été reconnues
vol.
(i) TraveU in Ljrcia, by Sprall., in-S"!

(i) Çl. hyz., V. Tué». I, p. a53.
ASIE MINEURE. 467

Le lendemain l’armée cdtoya le ma- Taurus, au nord ouest d’Adalia, et sur


raiscaralitique. On reconnaît,'en effet, la route de Sagalassus. Le pays est
dans cette région un grand lac maréca- presque désert ; 6n n’y trouve qu’un ca-
geux dont les bords sont couverts de ravanséraï et une citerne. Ce heu s’ap-
roseaux et appelé aujourd’hui Sourt pelle Gulik khan.
gheul. Les terrains voisins abondent en Termessus était uue des villes les
déliris d'architecture-, des hlocs écjuar- plus riches et les plus populeuses de la
ris , des colonnes doriques et quelques Pisidie. Manlius se fit allouer cinquante
sculptures mutilées se retrouvent en talents, et termina la guerre entre les
différentes places. deux peuples.
On marcha ensuite par un chemin . A la nouvelle de cette intervention,
montagneux etdiflicilesur .Mandropolis, les autres villes de la Pamphylie jus-
désignée par Étienne de Byzance comme qu’à celle d’Aspendus, située à l’extré-
une ville de Phrygie. La position de mité orientale de la province, au village
Mandropolis, dont le nom signifie ville moderne de Bal kiz serai, traitèrent sur
des étables, est facile à reconnaître dans le même pied avec le général romain ;
la grande plaine au nord d'Istenez, où c’est alors seulement ,
et sur l’injonc-
les habitants nourrissent encore de nom- tion des dix commissaires charges de
breux troupeaux. Les ruines de Mandro- surveiller ses mouvements, qu’il songea
polisn’ont cependant pas encore été à opérer sou retour et à commencer la
déterminées d’une maniéré certaine. campagne de Galatie.
L’armée fit halte à Mandropolis; on A la fin de la première marche, il
s’avança jusqu’à Lagon , ville très-opu- campa près du fleuve Taurus, un des
lente,dont tes habitants prirent la fuite, affluents gauches du fleuve Cestrus ou
et au pillage. Lagon est si-
qui fut livrée Ak sou, près de Perga; et le lende-
tuée dans la plaiued’Adalia,au pied même main il arriva au bourg deXyliuo Corné,
du ïaurus, et est réprésentée par un seul dans la montagne. Deux jours après il
édifice, le caravanseraï d’Kvdir, où font arriva à Corniasa, dont les habitants
halte les cara vannes d’Adalia. Les ruines avaient pris la fuite, et profita de cet
de Lagon ne démentent pas la renom- incident pour piller la ville et faire un
mée dé richesse de cette ville, elles immense butin. 11 vint ensuite à Uorsa,
couvrent une grande étendue de terrain qui fut traitée de même; et, marchant
et renferment de nombreux monuments. toujours au nord, l’armée arriva près
Le lendemain, l’armée se porta aux d’un petit lac sans nom qui ne peut
sources du I.,ysis, petite rivière qui sort être que le lac Kestel gheul, où Manlius
du lac Kirk "gbeiil et va se jetei; dans reçut des ambassadeurs de Lisinoë, qui
le Calarrhactès, le Douden, dont l’em- vinrent faire leur soumission. Cette ville
bouebure est à huit kilomètres à l’est étaitau nord de Cormasa; mais son
de Adalia. emplacement est encore inconnu. Le
Au moment où l’armée romaine ar- il marcha sur Sagalassus,
traité conclu,
rivait en Pamphylie les habitants de grande ville des Pisidiens, dont les
,

Termessus assiégeaient Isionda, place ruines considérables occupent un plateau


forte située sur le versant méridional du et plusieurs vallées au pied du village
Taurus, au village de Istenez, qui con- Aglasoun.
serve encore de nombreuses ruiues. La Les environs furent d’abord livrés
ville d’Isionda était prise mais la cita-
,
au pillage ; bientôt après , une députa-
delle résistait encore tous les citoyens
: tion des Sagalassiens vinrent traiter de
s’y étaient retirés avec leurs familles et la soumission de la ville qui paya cin-
leurs biens. Ils envoyèrent” à Manlius quante talents, vingt mille mediranes de
nue députation pour 'lui demander du blé et vingt mille d’orge.
secours ; le consul
y consentit , et re-, La route entre Sagalassus et Celænæ
'enani sur ses pas, il marcha sur Ter- n’est pas détaillée dans l’itinérairede l’ar-
messus, dont la position n’était pas mée, tout le pays avait été soumis peu de
moins forte que celle d’Isionda. temps auparavant! L’armée dut mettre
Les ruines du Termessus occupent cinq jours pour arriver aux sources de
un vaste espace Sur un des plateaux du rObninas ; elle traversa la vallé de Dom-
80 .
468 L’UNIVERS.
trouver Manlius; leur ville d’Oroanda
bai pour aller camper au bourg Acaridos
était située sur la frontière nord de
la
Corné. Séleucus Vint d’ Apamée le len-
Pisidie; leur nom seul indique qu’ils
demain pour rendre visite au consul. Il
habitaient un pays montagneux au nord.
se chargea des malades et de tout le ba- reconnues
Les ruines d'Orôanda ont été
gage inutile, qui furent conduits à Apa-
mée Cibotos, et fournit des guides pour au villagedc Arvan keui, situé près d’un
traverser les montagnes de la Pbrygie. petit lac entre deux montagnes eu nord

La station d’Aearis ne pouvait être de Sidi chéri. Manlius leur accorda la


éloignée d’Apamée ou Dinaire , et la paix moyennant deux cents talents.
réunion des deux chefs alliés dut avoir L’armée traverse ensuite la contrée
lieu dans la plaine de Sandoukii , ce sans boisnommée Axylon c’est l’im-
,

mense plaine qui de Seid-el-Ghazi


nom signifie, le village du cofire, comme
s’étend jusqu’à Sévri bissar.
Apamé Cibotos veut dire Apamée du
coffre. L’Obrimas serait le cours d’eau On trouve presque à chaque station
appelé Sandoukii tcbaï. dans cette plaine d’anciens cimetières
Le même jour, l’armée romaine mar- contenant des débris de colonnes et des
cl'.a Jusqu’au Campus Metropolitanus,
fragments d’architecture. Tous ces vil-
afin d’éviter les montagnes qui sont au
lages ont le même caractère ; il est dif-
ficile de les identifier avec d’anciennes
sud de Kara hissar. Cette plaine de
cités. L’armée marchait au nord est
Métropolis était traversée par la grande
route qui d’Ephèse conduisait dans la
pour atteindre la branche sud du Sau-
Cappadoce; elle est représentée par la garius ; elle traversa la ville de Tyscon,
plaine de Sitchanli. Métropolis était du passa par Plitende pour aller camper à
gouvernement d’Apamée; Diniaeest un Alvatti. I.e lendemain , elle campa à

bourg inconnu dont il n’est fait men- Cùballiim, où elle fut attaquée par un
tion que dans cet itinéraire.
corps de Gaulois.
L’armée alla ensuite camper à Syn- Le château de Cuballum était sur
l’emplacement de Tchandir, sur le San-
nada, que l’on place à Kara liissar ; tou-
garius ; ce lut de tout temps la route
tes ces villes étaient abandonnées et
suivie par les armées. On y voit un pont
furent livrées au pillage ; les soldats
Paient tellement chargés de butin qu ils byzantin qui paraît être le pont de Zam-
milles, pus mentionné par les historiens (I).
pouvaient à peine faire cinq
.Mais ce pont n’existait pas alors.
7 395, en un jour. Nous avons
kil.,
compté cinq heures de marche, 30 kilo- M anlius s’étant avance jusqu’au fleuve,
mètres, de Sitchanli à Kara hissar. De reconnut qu’il n’était pas ^uéable; il y
lit jeter un pont, et l’armée
franchit le
cette ville à Eski kara hissar encore
30 kilomètres, de là à Bayat, qui est Beu- Sangarius. Pendant qu’elle suivait la rive
dos vêtus, 18 kilomètres, et enfin 8 ki- du Meuve, les Galles, prêtres de Cybèle,
envoyés de Pessinuute, vinrent au de-
lomètres jusqu’à Eski Kilissia ou Ana-
bura, toutes localiiés que nous avons vaut des Romains, et annoncèrent que
la déesse leur accordait sa
protection.
décrites (I) ainsi que la rivière Alander.
On voit en effet, d’après ces distan- Pessinunte est le village de Bala hissar,
ces, que l’armée romaine marchait très- au sud-est deSevri hissar. Manlius, pour
gagner le pied de l’Olympe, tourna en-
lentement.
suite à l’ouest, pour se rendre à Gor-
Abassus. que l’armée atteignit le troi-
dium, nui était proche du Sanga-
sième jour après avoir quitté Beudos,
ville

étaitsur le territoire des Tolistoboiens, Quoique remplacement ne soit


rius (2).
mon- pas encore positivement déterminé,
on
et par conséquent hors du pays
tagneux de la Phrygie. peut sans se tromjier grandement, la
La position de Geumek keui où 1 on mettre dans le voisinage de Nally khan,
petite ville de Bithynie sur la
route
trouve quelques restes peut convenir
d’Aiigora. Gordium était célèbre par
à Abassus. On fit en ce lieu une lialte
de plusieurs jours.
Les députes des Oroandiens vinrent (i) Anne Comnène, page 47»î Nicéphore
Bryenn., II, p. 5a.
(t) Voyei page 434. {,) Strabon, XII, 568.
,

ASIK MINEUaE. 469

son oracle, son nom fut ensuite changé du chauffage au moyen de la fîente des
en celui de Juliopolis. Manlius trouva bestiaux.
la villepleine de marchandises, et fît un Le Ilaïmanah se compose d’un vaste
riche butin : la place était déserte (i;. plateau élevé en moyenne à sept cent
Manlius apprit ue son allié Eposogna- cinquante mètres au-dessus de la mer,
tus (]ue les Gaulois refusaient tout ar- bien arrosé par le Sangarius, dont le
rangement, et que les Tolistoboiens cours forme un grand arc de cercle
s'étaient retirés dans
hautes vallées
les ouvert vers le nord, et d’une intinité de
de l’Olympe. Les Tectosages occupaient sources abondantes.
le mont Magaba ; cette montagne était Aussi, malgré la pénurie de bois,
à d’Ancyre, et paraît être identique
l’est cette province était-elle, dans l’anti-
avecl’Elma dagh. Le reste de la nation, quité , couverte de villes dont on re-
les Troemiens s'étaient retirés dans
, trouve à peine les vestiges. Les prin-
des camps retranchés ou des Oppida cipales villes de la Galatie Salutaire qui
à l’abri desquels ils croyaient pouvoir devinrent plus tard des évêchés sont
braver les armes romaines. les suivantes ;

Ces trois peuples avaient alors pour Pessinus, Tricomia, Plitendiis, Tys-
fchefsOrtiagon, Coinbolamare et Gau- con. Germa, Amoritim, Abrostola et
lotus. Plusieurs de ces Oppida ont été Orcistus. De ce nombre il
y en a trois
retrouvés dans les montagnes au-dessus dont l’emplacement est encore inconnu ;

d’Ancyre, et notamment àKizil euren. elles sont toutes situées au sud de la


Les Gaulois ne pouvaient croire à une route qui joint Séid el Ghazi à Sévri
attaque des Romains; ces derniers hissar.
avaient reconnu que du côté du midi la Il est presque impossible de détermi-

montagne était accessible, tandis que du ner les limites de cette province du
côté du nord les rochers étaient coupés côté du sud, attendu que depuis la con-
à pic. quête romaine jusqu’à la fin de l’em-
L’attaque des Romains fut aussi vi- pire byzantin, elles ont été très-va-
goureuse que bien combinée ; les Gau- riables, et se sont étendues jusque dans
lois , forcés dans leurs retranchements la Phrygie Parorée la Galatie, sous le
;

après une résistance héroïque, furent gouvernement d’Amyntas, a même en-


contraints de faire leur soumission. Cet clavé dans ses frontières la Pisidie et
effort suprême pour conserver leur in- Tisaurie.
dépendance coûta aux Gaulois quarante Si les études qui ont été faites dans
mille des leurs tombés sous les coups ces dernières années laissent encore
des Romains, et dix mille prisonniers. quelques lacunes dans la liste des an-
ciennes villes, la détermination du cours
CHAPITRE LI.
du Sangarius et du site de Pessinunte a
permis d’établir un réseau géographi-
que plus exact conforme aux données
VILLES DE LA GALATIE S-ALUTAIBE.
,

historiques. Les sites d’Amorium et


de Germa complètent les traits les
On a donné le nom de
Galatie Salu- plus saillants de cette topographie, et
taire, Galatia Salutaris, à la région sud
aujourd'hui les voyageurs géographes
de cette province, à cause des sources
peuvent s’établir sur une base plus
thermales qui abondent dans certains certaine pour retrouver les anciennes
cantons; c’est la contrée qu’on appelle villes restées inconnues.
aujourd’hui Haïmauah ; son caractère
La distance entre Séid el Ghazi et
principal est d’être à peu près com-
Sevri hissar, est de seize heures de
plètement privée de bois, aussi les
marche d’après le tarif de la poste, mais
Grecs la désignaient-ils sous le nom de
en réalité elle n’est que de quatre-
A.vylon. Les habitants alors comme vingts kilomètres. La route, qui suit la
aujourd’hui se procuraient les éléments direction de l’est, n'est variée par aucun
accident de terrain c’est toujours une
:

(i) Voyez pa n- 405. daine nue plus ou moins ondulée, dans


(»)Tit.-Liv., Ut. XXXVllI.ch. la-aa. faquelle de nombreux torrents d’hiver
470 L’ÜNIVERS.
jiortent |furs eaux au Sanuarius; mais thermales qui faisaient la renommée
pendant l'été toute la contrée est d’une de raniiqiie Germa.
aridité désolante. Plusieurs petits cen- Ce fut d’abord une colonie romaine ;
tres de population sont epars sur la sous les empereurs byzantins elle fut
route on trouve dans chaque cime-
: erigée en siège épiscopal, et faisait
tière des déhris d’architecture tirés de partie de la Galatie Salutaire. D'ajirès
quelque ville détruite et oubliée. la chronique de Théophanes elle reçut
Le de Keimaze est à sept
village de Justinien le nom de Myriangélos , et
heures de marche de Seid el Ghazi. Il l’empereur y fit construire des thermes
a été reconnu par Macdonald Kinneir et un hospitium pour les malades.
pour occuper l’emplacement de l’an- Le village moderne de Yerma con-
cienne Tricomia (1); il est situé au serve quelques restes de ces anciens
bord d’un ruisseau et ombragé de quel- édifices, et le nom même de pa-
la ville
ques arbres, chose rare en ces cantons. rait dériver du mot sanscrit Charma,
Les habitants sont tous pasteurs et agri- bains, d’où les Grecs auraient pris celui
culteurs. Le village se compose d'une de rhenna, dont la signification est la
soixantaine de maisons , dans la cons- même.
truction desquelles on aperçoit quelques Un grand nombre de sources pren-
vestiges de monuments antiques ; plu- nent naissance sur les flancs d’une
sieurs IVagments d’inscriptions attes- vallée fertile, et se réunissent pour aller
tent qu’à l’époque byzantine c’était en- se dans le Sangarius. Quoique
jeter
core une place d’une certaine impor- tout indique dans ces lieux un état de
tance. Le nom de Tricomia n’apparait décadence et d’abandon, on voit cepen-
dans aucune d’elles; mais sa position dant qu’à une époque antérieure, une
sur la route de Germa , ville détermi- population nombreuse a dù habiter ces
née par le même observateur; et sa dis- vallées , et cultiver ces plaines aujour-
tance de Dorylœum , ont suffi pour d'hui en friche ou laissées à la vaine
faire admettre l’identité de ces deux pâture. La population chrétienne a
places. Dans une nouvelle visite aux presque entièrement disparu, et est
ruines de Tricomia faite par M. Barth, remplacé par des tribus turcomanes qui
il a remarqué près de la mosquée un sont en partie nomades ; l’élève des bes-
grand sarcophage et une inscription re- tiaux, des chevaux et surtout des chè-
lative à un proconsul de Phrygie. vres forme leur principale richesse ;
La connaissance de la position d’A- quoique ces plaines soient brûlantes
brostola nous manque pour rétablir pendant l’été, l’iiiver ne laisse pas que
complètement la route entre Dorylœum d’y être assez rigoureux. M. Barth, qui
et Amorium, en passant par Pessinunte : voyageait pendant l’hiver de 1858, ne
elle est donnée par la table de Peutinger nous a pas laissé de documents sur la
de la manière suivante. hauteur du thermomètre, mais la tem-
pérature de ses doigts indique assez
Dorylœo. Pessinus XXL qu’il ne faisait pas chaud, ce qui l’cni-
Midœo XXVIII. Abrostula XXIII.
échait de dessiner et de faire d’aussi
Tricomia XXVIII. Germa XXIII.
elles triangulations qu’il l’eût désiré.
On est glacé rien qu’en lisant son itiné-
CHAPITRE LU. raire. « La nuit fut extraordinairement
froide, dit-il, en quittant Sévri hissar,
VERMA —GERMA. et le 13 décembre , la nuit fut de nou-
veau très-froide ». En effet les habitants
Germa une des ,
principales stations de la Galatie attestent que l’hiver la
sur la grande voie militaire qui tra- neige reste quelquefois plusieurs semai-
versait l’Asie , était située sur la rive nes sur la terre, ils n’ont pour se
du Sangarius. Macdonald Kinneir en chauffer que quelques épines ramassées
a déterminé l’emplacement au village pendant l’automne , et que l’on garde
de Yerma, où il a retrouvé les sources précieusement pour allumer la fiente
des bestiaux séchée, le seul combustible
(i)Carl. Rilter Erükunde, XVIII, 573. connu dans ces cantons. Il est curieux
,

ASIK AUNRUKE. (71

de voir tous les enfants dressés à re- tériaux antiques arrachés aux ruiues en-
cueillir in situ les éléments de leur vironnantes, on
y remaroue quelques
chauffage, qui sont d’abord colles sur vestiges d’inscriptions et ne fragments
les murailles du village, ensuite mis en de bas-reliefs le nom ancien de Tchan-
:

réserve dans de grandes fusses pour dir est Cuballum.


achever de sécher, et enfin convertis Alékian, qui est à peu de distance et
en mottes à brûler en y mêlant un peu au sud du fleuve, est liabité par des fa-
de paille hachée. milles turcomanes qui passent la belle
On ne saurait se faire une idée de saison aux pâturages.
l’odeur que contractent tous les objets Au nombre des inscriptions qui exis-
d'uD village chauffé de cette manière: tent encore dans le cimetière et que
les hommes comme les femmes, les M. Hamilton a copiées, il en est une
meubles comme les animaux portent ni contient un décret des habitants
avec elles ce parfum musqué remartiué 'Orcistus en l’honneifr de l’empereur
par les voyageurs, chez tous les peuples Hadrien. Siu* un piédestal on ht une
de haute Asie, et qui chez les Chinois,
la autre inscription contenant le nom du
est porté à l’extrême. Tous les villages et peuple OPKlilTHNOI, les ürcisleniens :

toutes les villes de la Galatie et de la ces inscriptions ont été apportées d’une

a adoce font usage du même procédé


auffage : on conçoit quelle précieuse
ressource est enlevée à l’agriculture
localité voisine distante de trois ou
quatre milles d’Alékian.
Là se trouvent les vestiges d’une ville
ar la combustion des ftimiers; les ha- importante; les fragments de colonnes,
liants ne peuvent remédier à cette pé- les piédestaux , les pierres tumulaires
nurie que par le système des Jachères couvrent le sol on Veconnaîl parfaite-
:

et des terrains laissés à la vaine pâture, ment les fondations de plusieurs grands
mais les bestiaux sont assez nombreux édifices, des temples ou des églises
dans ces régions pour suffire aux be- construits en blocs ne marbre et de pierre
soins de la population, qui vit très-so- calcaire.
bremeiit. Les bœufs et les moutons sont La charrue passe aujourd’hui sur tout
rarement envoyés à la boucherie ou ne : le sol cultivable, et la levée d’un mou-
mange dans le pays que la chair des lin à eau est faite avec des pierres an-
chèvres, ces coutumes s’étendent de- tiques parmi lesquelles on remarque un
puis les bords du Sangarius jusqu'à piédestal couvert d’une inscription la-
ceux de l’Euphrate , et au nord jus- tine, la même qui fut copiée par Pococke.
qu'à Erzéroum.
Orcistus, ville et siège épiscopal de la
Galatie Salutaire, n'est plus aujourd'hui
AMORIUM.
qu'un amas de
ruines situées à quelques
milles au sud-est du village d Alekian; Amoriura sur la route de
était située
de ces ruines a été reconnue
l’identité Doryixum à Archelaïs passant par Pes-
ar Pococke, et M. tlamilton a retrouvé sinuute:elleappartiutd’abordàlagrande
es inscriptions qui lèvent tous les Phrx'gie et plus lard elle fut comprise
doutes qui pouvaient exister à cet dans Ta province de la Galatie Salutaire.
égard. Pendant toute la période romaine cette
Alékian est située à quatorze milles villeu’arquit aucune célébrité elle com-
:

18 kilomètres, au sud de Sevri hissar. mence à devenir une place importante,


La route suit une vallée étroite et bien lorsque l’empire byzantin fut menacé
cultivée , qui se prolonge pendant cinq par les hordes musulmanes. Placée sur
milles ; huit milles (1) plus loin, on des- lu frontière des possessions se.ldjoukides,
cend dans la plaine du Sangarius. Le défendue par une rivière qui ne pouvait
village de Tchandirest construit sur la être francliie à gué, et dominée par une
rive gauche du fleuve, qui en cet endroit montagne sur laquelle on avait établi
est profond ; on le passe sur un vieux une forteresse , Amorium devint la
pont de pierre construit avec des ma- principale place forte de la province,
et couvrait Ancyre et la route de la Bi-
(i)le mille anglais, 1609016!. thynie. L’empereur Zenon l’Isaiirien y
,

472 L'UNIVERS.
fît faire d’importants ouvrages ; selon dans la ville, et un pareil nombre fut
Cedrenus, il la reconstruisit presque en- épargné parce qu'on espérait en tirer
tièremeut. rançon ; quarante des principaux prison-
L’emplacement d’Aniorium a été dé- niers furent d’après les ordres du ca-
terminé par M. Hamilton au village de life envoyés à Bagdad, jetés dans les fers
Assar keui, dominé parun vieux château et décapités après une longue détention.
que 1rs indigènes appellent Hergankalé. L’Église grecque honore le souvenir do
Une colline isolée, d’un demi mille de ces victimes par la fête des quarante
circonférence, s’élève presque au centre martyrs d’Amorium.
de la vallée, dans laquelle se trouvent les La domination musulmane ne par-
ruines de l’ancienne ville l’acropole qui
: vint pas cependant à s’établir sur ces
la domine était construite en pierres contrées les Grecs restèrent maîtres de
:

brutes dans lesquelles sont encastrés de la Galatie, et Amorium se releva de ses


grands blocs de marbre encore en place. ruines sans cependant reprendre le rôle
On retrouve les débris des tours qui important qu’elle remplissait au neu-
défendaient la muraille, mais dans l’in- vième siècle. En l’année 1068, l’empe-
térieur ce n’est qu’un amas de ruines reur Romanus Diogène se mit en cam-
inextricables qui laissent à peine voir la pagne contre les tribus seldjoukides qui
direction des rues. Le quartier prin- s’avancèrent jusqu’à Amorium. L'em-
cipal de la ville était au sud de la cita- pereur Alexis Comnène partit de Nicée
delle , et se distingue par un amas de en 1 1 10'- traversa les villes d’Armeno
débris, de corniches, de colonnes et Castrum et de Leucæ, et arriva à Dory-
d’architraves de marbre. Dans la région lœum. De là il marcha sur Santabaris,
sud-est s’élèvent les ruines d’un grand où il divisa son armée en deux corps;
bâtiment rectangulaire , peut-être le le premier marcha contre Polybotum,
Gymnase, et à un quart de mille de et le second sous les ordres de Sty peotes,
,

l’acropole se trouvent deux grands édi- fut envoyé pour attaquer Amorium alors
fices qui peuvent avoir été ocs églises. au pouvoir des Turcs, et qui furent bat-
Dans la première on voit encore plu- tus par les Grecs.
sieurs arcades debout , et dans l’autre Le petit nombre d’habitants qui res-
seulement les piliers. A l’est de l’acro- taient dans cette ville, sans cesse en butte
ole s’étend une petite vallée dont les aux attaques des tribus turques et seld-
ancs rocheux ont été en partie exca- joukides, se retira sous la protection des
vés, et sur la pente de l’ouest on re- émirs de Sevri hissar, qui avaient formé
trouve plusieurs chambres sépulcrales autour de leur cassaba un centre de po-
taillées dans le roc vif. pulation, et la ville byzantine tut com-
Lorsque le calife Haroun al Rachyd plètement abandonnée. Il ne parait pas
marcha sur Angora à la tête de son ar- que sous la domination des sultans elle
mée, il laissa son lieutenant Almalik ihn ait jamais eu la moindre importance,
Salih faire le siège d’Amorium. Sous le car on n’y observe aucune ruine de mos-
règne de Théophile, en 849, cette ville quée ou de bains, les premiers monu-
arriva à son plus haut degré de prospé- ments qui signalent l’établissement des
rité ;elle devint la principale place de musulmans dans une ville (1).
commerce du pays. L’empereur y lit Au nombre des affluents du Sanga-
construire un palais et d 'autres édiGces ; rius qui arrosent ces régions ,
il en est
mais cet état de prospérité fut constam- un plus célèbre que les autres, et qui a
ment troublé par les incursions des été mentionné par plusieurs auteurs,
tribus arabes. Assiégée et prise par le mais dans des termes qui laissent plus
calife Motassem, Amorium fut réduite d’une difficulté à résoudre, nous vou-
en cendres , et ses habitants vendus lons parler du fleuve Gai lus.
comme esclaves. Les derniers survivants Nous avons placé ce fleuve d'après
des valeureux défenseurs de la ville Strabon et d’après l’avis de plusieurs
,

s’étaient fortifiés dans une église où ils éographes modernes, dans le voisinage
furent faits prisonniers. Le siège coûta e Leucæ, I.éfkc , où il passe sous le
la vie à soixante-dix mille musulmans
trente mille chrétiens furent massacrés (i) Voy. Cari. Kiltcr, I. I, 449.
ASIE MINEURE. 4»8

nom de Bédré tchaï, mais Pline (1) met CHAPITRE LUI.


expressément le Gallus au nombre des
fleuves de Galatie il ajoute que c’est du
; PESSINUNTE.
Gallus que les prêtres de Cybèle ont
pris le nomde Galles , Hérodien (3) est Les trois peuples galates, en s’établis-
plus explicite « Autrefois les Phrygiens,
: sant dans la Phrygie, choisirent la meil-
dit-il , célébraient à Pessinunte les or- leure partie de cette contrée , dont ils
gyes sur le bord du fleuve Gallus, qui formèrent trois districts. Les 'frocmiens
coule près de la ville, et duquel tirent s’engagèrent plus avant vers l’est, et
leur nom les prêtres de la déesse qui allèrent .s'établir aux environs du fleuve
sont eunuques. i 11 est certain que ce Halys. Taviuni fut leur capitale. Les
ne peut être le même fleuve qui appar- Tectosages occupèrent le territoire d' An-
tient à la Bitliynie, et qui va se jeter cyre. et les Tolistoholens se fixèrent sur
dans le Sangarius, près de Leucæ. Stra- les bords du Sangarius, et choisirent
boD seul autorise la supposition d’un pour métropole Pessinunte, la ville la
fleuve Gallus, prenant naissance dans plus importante et la plus célèbre de
les vallées de l'Olympe; mais comme la coutrée. Il nous reste peu de docu-
d’autre part nous avons reconnu un ments sur les événements qui se passè-
grand nombre d’affluents du Sangarius, rent au moment de l'établissement des
qui n'ont d’autre nom que celui du vil- Gaulois dans ce pays. Ces provinces
lage où ils passent, nous sommes dis- étaient déjà soumises aux rois de Per-
posé à croire que celui de ces affluents game, et paraissent néanmoins s'étre
ui prend naissance dans les montagnes résignées facilement à la dominaliou
e Sévri liissar etde Pessinunte, et qu’on nouvelle, car les Gaulois, par une poli-
appelle aujourd’hui Gunesch dagh, la tique bien entendue, ne portèrent au-
montagne du soleil, pourrait bien être cuneatteinteaux prérogatives desprêtres
le vrai Gallus de Pline et d’Hérodien. et du temple de la mère des dieux , qui
Ajoutons qu’on peut admettre deux fleu- jouissait d’une célébrité immense dans
ves Gallus, comme on reconnaît deux toute l'étendue du monde ancien. La
monts du nom de Dindymène, tous mythologie, comme l’histoire, s’accorde
deux consacrés à Cybèle et par consé-” , pour montrer que le culte de Cybèle
quent fréquentés par les Galles. Etienne est originaire de Plirygie , et qu’il fut
de Byzance met aussi le Gallus au nom- trausportésous différents noms chez les
bre des montagues de Phrygie et dit , divers peuples de l'Europe. Selon la
qu’il s’appelait d’abord Tcrias. Ovide tradition, le culte de Cybèle ne serait
dans ses fastes nomme aussi le Gallus pas antérieur à l’arrivée des Phrygiens
comme faisant partie de la même pro- dans la contrée, car les mythologues
vince (3). Les prêtres de Cybèle, en bu- placent la fable d’Agdis sous le règne
vant de ses eaux, entraient en fureur et de Miüas, qui habitait à Pessinunte (I).
portaient sur eux-mêmes une main sa- Cybèle, dans un accès de jalousie, vint
crilège. Le fleuve de Bithynie était trop troubler les noces d’Agdis et de la lille
éloigné du centre religieux des Galles ; de Midas, et força les portes de la ville
on est donc en droit de supposer deux pour arriver dans la salle du festin. C’est
fleuves du même nom, le dernier cou- depuis ce temps que les Phrygiens la
lant près de Pessinunte alors la diffi- : représentaient avec une couronne de
culté soulevée par les auteurs, cités plus tours. Son culte se répandit dans toute
haut, serait résolue. la Phrygie, et particulièrement dans les
monts Bérécynthe, Dindymène et Ida,
(0 Üv. V, 3». qui donnèrent en même temps leurs
(ï) Liv. I, ch. a. noms à la déesse. Midas lui bâtit dans
(3) Ovid., liv. IV, 363. Pessinunte un temple magnifique, et
institua des sacriQces qu’on offrait an-
nuellement à la mère des dieux (3). Atys,

(i) Arnobe, Adversm gentu, lib. IV.


(3 ) Diod. Sicul., III, V.
•17J L’UNIVERS.
pIpurR par Cyhèle, reçut aussi les lioii- sainteté, demanda et obtint la statue
neurs divius dans Pe'ssinuiite; ou lui qui, d’après les livres sibyllins, devait
éleva un temple, et on institua des sa- donner au peuple romain un pouvoir
crifices en son honneur. On voit par res formidable.
traditions que l'origine de Pessinunte Hérodien raconte d’une manière dif-
remontait même, selon l’opinion des férente de Lite Live le prodige qui s’ac-
Grecs et des Phrygiens, à une antiquité complit au moment de l’arrivée de la
très-reculée; mais on ne cite pas le déesse dans les eaux du Tibre (1) dans
nom de son fondateur, et plusieurs son récit il n’est pas question do Se ipion
grammairiens font dériver son ndm du Nasica.
mot grec qui signifie tomber (nhon'i). " Lorsque les Romains eurent jeté
Les uns disent qu’elle fut ainsi nommée les fondements de cette grandeur où
à cause de la pierre qui tomba du ciel, ils sont depuis parvenus, iis apprirent
et que l’on regarda comme une ligure par un oracle que leur empire se sou-
de la mère des dieux; c’est l’opinion tiendrait et irait toujours en augmen-
d’Hérodien, qui l’exprime en ces ter- tant s’ils faisaient venir à Rome la
mes (1) « La statue de la déesse vient
: déesse de Pessinunte. On députa alors
du ciel si l’on veut s’en rapporter à la vers les Phrygiens , et l’on obtint sans
tradition. On n’en connaît pas l’ouvrier, peine ce qu’on demandait. On mit la
et l’on est persuadé qu’aucun homme déesse sur un vaisseau qui, étant ar-
n’y a mis main. On raconte qu’elle
la rivé à l’embouchure du Tibre fut ar-
tomba en Phrygie dans la ville de Pes- rêté soudain par une force invisible et
sinunte, qui a tiré son nom de cet évène- insurmontable; tous les efforts que l’on
ment. » Selon Étienne de Byzance, elle put faire furent inutiles, lorsqu’une
fut ainsi nommée à cause de la chute vestale qui était sur le point d’êtru con-
de la colline où étaitenterré Marsyas(2). damnée pour avoir violé sou vœu de
I.e même écrivain prétend que cette virginité demanda qu’on s'en rapportât
lace s’appelait primitivement Ara- au jugement de la déesse. Ayant attaché
yza. sa ceinture à la proue du navire et fait
Antérieurement à l’invasion des Ga- une invocation à la déesse, le navire
lates, Pessinunte avait suivi le sort de suivit comme de lui-même au grand
toute la Phrygie, et avait passé succes- étonnement du peuple, qui reconnut la
sivement sous la domination des Assy- puissance de cette nouvelle divinité. »
riens, des Lydiens et des Perses. Il ne La fête de la Translation fut renou-
paraît pas que cette ville ait joui dans velée annuellement à Rome, et Denys
toute cette période d’un pouvoir poli- d’Halicaruasse rapporte que tous 1rs
tique autre que celui qui dépendait du ans, le 6 des calendes d’avril, uu homme
culte de la déesse. La vénération qui phrygien et une femme de la nation y
s’attachait à la statue mystérieuse tom- faisaient l'office des prêtres, et portaient
bée du ciel, suffisait pour donner à la la déesse par la ville, en ramassant des
ville une existence brillante, à cause des aumônes pour les besoins du temple et
offrandes que les peuples et les rois de des ministres qui le desservaient. Il est
l’Asie y apportaient à l’envi ; et les rui- très-difficile d’éclaircir ce qui est rela-
nes que l’on observe aujourd’hui , sont tif à la tradition touchant cette divinité
là pour attester qu’elle n’avait point phrygienne. Plusieurs peuples de l’an-
d’égale pour la niagniOcence de ses tiquité ont adoré les dieux sous le si-
temples et de ses édifices publics mulacre de pierres plus ou moins in-
L'ancien temple de la mère des dieux formes. La Vénus des Phéniciens était
fut renouvelé par la munificence des une pierre conique. Il ne paraît pas que
Attales; mais la jalousie de Rome, qui la pierre de Pessinunte ait porté la
voulait posséder dans son sein tout ce moindre trace de travail; et si nous en
qui était propre à en imposer aux peu- croyons Arnobe, témoin oculaire, elle
ples, soit comme puissance, soit comme était noire, irrégulière, et avait par con-
séquent tous les caractères d’un aéroli-
(i) Hcrodieii, fiv. i, ch. a.
(a) Vcrbo neoo-ivoûc. (i) Hérodien, loc, cit.
,

ASIE BilNEURE. 475

the; ce qui expliquerait le sentiment de j'étais moi-même disposé à suivre le


crainte et de respect de ces peuples pri- grand cours du Sangarius, en négli-
mitifs pour un phénomène encore si geant les affluents méridionaux , dont
peu expliqué, et ôterait à ce fait son les voyageurs n'avaient pas assez tenu
caractère absolument fabuleux. compte. Lorsque j’explorai la plaine
Voici la description qu’en donne qui sépare Seid el Ghazi de Sevri hissar,
l’auteur chrétien : « Ce n’est pas autre je reconnus les ruines de plusieurs
chose qu’une pierre noire de petite di- places , dans lesquelles on remarque de
mension apportée de Phrygie et cjui ne nombreux fragments antiques, mais
porte aucune trace du fer ou du travail j’avais négligé d’en déterminer le nom,
de l’homme ; elle est d’une couleur fon- préoccupe que j’étais de la recherche de
cée et noire, d’une forme inégale avec Pessinunte, dont la topographie est
des angles proéminents, et nous l’avons donnée par Strabon, en ces termes :

vue nous-méme fixée à la place de la « Pessinunte est la place de com-


bouche de la statue, ce qui nuit à l’ex- merce la plus considérable de ce canton ;
pression de la ligure ( 1 ). » Cet usage d’en- C’est là où est le temple de la mère des
chSsser la pierre dans le visage d’une dieux , qu’ils nomment Agdistis et
statue, pour y tenir lieu de bouche, est pour laquelle ils ont une grande vénéra-
confirmé par deux vers de Prudence. tion. Les grands prêtres de ce temple
Il faut peut-être voir l’image de cette étaient anciennement des espèces de
lierre mystérieuse dans les bœtyles que souverains , qui jouissaient de revenus
fes prêtres de Cybèle gardaient sur la considérables attachés à la prêtrise. Au-
poitrine et dont quelques-uns étaient
,. jourd’hui leur autorité est beaucoup
gravés et portaient la figure de la
,
diminuée; mais le commerce de Pes-
)
déesse , ainsi qu’on le remarque dans sinunte subsiste toujours. I.« temple et
un dessin donné par Montfaucon (2). les portiques de marbre blanc, dont la
Ce simulacre, conservé précieusement construction est dne aux rois de Per-
à Rome, fut transporté par l’empereur game , ornent le bois sacré d’une ma-
Héliogabale, ainsi que le feu de Vesta nière digne de la sainteté du lieu ; et
et le palladium , dans un temple qu’il les Romains en ont augmenté la célé-
avait fait élever au dieu dont il portait lifité en transportant ae Pessinunte à
le nom (3). Rome, d’après les oracles de la Sibylle,
Quoique Pessinunte eût été, très-célè- la statue de la déesse , de même qu’ils
bre dans l’antiquité par le culte de la mère avaient fait pour l'Ksculapc d’Épidaure.
des dieux , qui attirait des adorateurs Au-dessus de Pessinunte, s'élève le mont
de toutes les parties du monde connu, Dindymum ,ce qui a fait donner à la
nous la voyons disparaître dans les déess’ele surnom de Dindymène, comme
premiers siédes du cliristianisme, et elle a été nommée Cybèle des monts
tomber dans un oubli si profond, que Cybèles. Près de la ville coule aussi le
(2)
de nos jours son emplacement même fleuve Sangarius, sur lequel on retrouve
était inconnu. Les voyageurs qui par- les anciennes habitations des Phrygiens,
courent l’Asie dans les deux siècles der- savoir celles de Midas, et avant lui de
niers la cherchent vainement sur les son père Gordius et de quelques autres.
bords du Sangarius, sans s’écarter de Elles n’ont même pas conservé de traces
quelques milles du fleuve, pour retrou- de villes ; ce ne sont plus que des bourgs,
ver la route qui joignait Nicée à Amo- un peu plus grands que les autres (1). »
ritim, sur laquelle la ville était située, Pessinunte n’était pas, comme nous le
d’après les tables et les itinéraires. C’est voyons par l’itinéraire d’Antonin , sur
à cette persistance à trop s’approcher le chemin d’Ancyre à Dorylée, d’Eski
du fleuve qu’ils durent le peu de succès cbeber à Angora, mais se trouvait à une
de leurs explorations. petite distauee de cette route, et à seize
En cherchant les tracesde Pessinunte, milles de Germa. Strabon, en mention-
nant le bourg de Sangla, où se trouvait
(i)Arnobe, lococilalo. la source du Sangarius , et en évaluant
Montfaucon, Dessin tf un arckigalle,
(3
Lampiidius. Hisl. Aug. (i) Strabon, liv. XII, p. 567.

Joc^lc
,

4i(; L’UNIVERS.
à ccat ciiujuante stades, In dislaiurc de ouT ses bains, ses fontaines et ses lom-
ce lieu à Pessinunte, ue dit pas que eaux. Ce lieu n’avait jamais été visité;
cette dernière ville fiit sur le bord du ilestseulement mentionné par Pockocke
fleuve (tl. Il fallait donc trouver, pour en ces termes (1) » 11 y avait autrefois
satisfüre au* données de la question dans la plaine deSevri hissar quantité de
une ville située au pied d’une montagne, villages, et même de villes , dont une
et dans les conditions itinéraires men- pouvait être dans l’endroit appelé Bala-
tionnées ci-dessus. Rien de tout cela ne azar ou Bala hi.ssar, quatre milles au
se rencontrait dans les ruines nom- sud-est où l’on m’a dit qu’il y avait plu-
breuses qui couvrent la plaine de Sevri sieurs ruines. »
hissar. Je me dirigeai donc vers cette Ce hameau est éloigné de trois lieues
ville pour me rapprocher du bassin du de la ville ; il est situé sur un terrain
fleuve. de craie qui s’étend sous tout le bas-
sin de la plaine; mais, dans quelques
CHAPITRE 1,1 V. endroits, ce dépôt crétacé est percé
par des soulèvements des trachytes.
SKVHI HISSAn. Tout le pays situé entre Bala his-
sar et la ville est absolument inculte.
On aperçoit le château de Sevri bissar Le terrain est accidenté et coupé
douze fleures avant d’y arriver. Dans par des torrents qui sont à sec pendant
toute notre route, nous ne rencontrâmes l’été. En arrivant en vue des ruines,
qu’un seul village appelé K.aïmaze nous ; je fus frappé de l’étendue de terrain
en passâmes à une lieue. Après neuf u’elles occupaient et de l’importance
heures de marche, nous fîmes liaite près es édifices dont on voyait çà et là les
de quelques cabanes, dans le hameau de débris. Je n’eus pas plutôt examiné la
Tchifleler. Quebiues familles e.vploitent disposition des beux, que je demeurai
une ferme du gouvernement. Eu sor- convaincu que j’étais sur l’emplacement
tant de ce village, on traverse un ruis- de Pessinunte. Les collines qui s’avan-
seau qui va se jeter dans la Sakkaria ; cent dans la plaine sont les contre-forts
un autre cours d’eau du même nom d’une grande montagne calcaire et dé-
coule du sud au nord ; mais ce n’est pas iouillée de verdure, C|ui représentent
le Sangarius. Les babitanis ont donné fe mont Dindymène; il est difOeile de
le nom de Sakkaria à tous les affluents se faireune idée de l’aspect aride et
du fleuve qui arrosent cette plaine. désolé que présentent ces ruines. I..a
C’est sans doute la cause de plusieurs terre, d’une blancheur éclatante, re-
erreursgéographiques que l’on remarque flétait les rayons d’un soleil ardent. Trois
sur les cartes. ou quatre pauvres cabanes, bâties avec
Sevri bissar commande une vaste des débris de monuments, sont les
plaine , qui s’étend en tous sens h plus seuls indices qui annoncent la présent»
de dix-huit milles la ville est dominée
-, de l’homme. Les cailloux decraie, polis
iar une montagne, formée par un sou- iar les eaux, montrent que dans l’hiver
Îèvement de syénite, sur laquelle est fa principale vallée est sillonnée par un
bâti un châteaii ; mais on n’y trouve torrent rapide qui, à trois niilles de là,
pas les traces d’une grande cité antique. va se jeter dans le Sangarius.
Quelques débris de marbre épars dans
les cimetières sont, au dire des habi- BAL.4 HISSAB. — PBSSlNtlHTE.
tants apportes d’un lieu voisin, et je
,

cherchais en vain ces temples et ces por- En arrivant du côté de l’ouest, on se


tiques de marbre blanc, ouvrages des At- trouve de plain-pied avec le sol de 1 a-
tales. Les renseignements qui me furent cropole, dont il reste encore de nom-
donnés m’apprirent qu’à vingt-quatre breux vestiges. Cet ensemble d’édifices
quar-
kilomètres au sud il existait des ruines était complètement bâti en gros
l’appareil
étendues qui, depuis un temps immémo- tiers de marbre blanc, dont
rial , fournissaient à la ville du marbre
176 de la tra-
(i) Voyage, Uim. V, p.

(i) Slrabon, XII, p. 54 a. duction fran^aiae.


ASIE Mineure. 477

rappelle tout ce qui s’est fait de pins tE TBUPLE.


beau en constructions de ce genre. La
plupart des pierres n’étaient pas à bos- En descendant de l’acropole, et se di-
sage, comme les Grecs ont l’habitude de rigeant un peu vers l’est , on arrive à
le faire dans les constructions militaires ; un vaste ensemble de ruines qui, toutes
mais les murs étaient lisses et polis, et bouleversées qu’elles sont, ne permet-
les joints des pierres étaient évidfe dans le tent pas de douter qu’on est sur l’em-
milieu, pour que l’appareil présentât une placement du célèbre temple de la mère
plus grande régularité. Malheureuse- des dieux. Il était du genre qu’on ap-
ment , le
voisinage de Sevri hissar fut, pelle Téménos, c’est-à-dire , renfermé
dans le moyen âge, fatal aux monu- dans une enceinte, et comme il est
ments de Pessinunte , et l’acropole qui bâti sur lé penchant de la colline ap-
se présente d’abord offrit la carrière la partenant au mont Dindymène , toute
plus facile à exploiter, puisqu’on en ti- la partie sud est soutenue par un grand
rait des blocs équarris et de grand ap- soubassement de marbre blanc q^ui for-
pareil. La solitude et l’abandon de ces mait une magnilique terrasse. Il reste
lieux ne me permettaient pas d’espérer encore aujourd’hui en place une portion
d’y prolonger mon séjour. Il eût fallu de ce mur, qui est renforcé d’espace en
organiser un campement, prendre de espace par des contre-forts de marbre.
nombreux ouvriers, et faire venir de la Il est construit en assises réglées, et l’ap-

ville toutes les choses nécessaires; et pareil est formé par des blocs posés al-
les ressources dont je pouvais disposer ternativement de front et en boutisse,
étaient trop limitées pour que je son- genre de construction tout à fait hel-
geasse à une semblable entreprise. Je lénique. L’intérieur del’édifice présente
fus obligé de me contenter d’un relève- une série de fûts de colonnes cannelées
mentgéuéral, pour établir une esquisse et rompues, qui appartenaient sans
topographique du terrain , car les mas- doute au portique du péribole. Quant
ses accumulées de décombres qui cou- au temple, sa place est indiquée par
vraient remplacement de chaque édiQce des monceaux de débris et par des exca-
m’empêchaient de faire un travail régu- vations multipliées, faites dans le liut
lier. Ce fut sur le plateau de l’acropole d’en extraire les derniers vestiges. Je
que j'établis rapidement la base de ma doute que des fouilles exécutées en cet
triangulation. D’après l’inspection des endroit puissent jamais être prolitables
ruines, je crus reconnaître que l’acro- aux recherches archéologiques. Ce qui
pole était divisée en deux parties , une reste de ce monument suffit pour mon-
enceinte irrégulière autour de laquelle
, trer que ce ne sont pas les ruines du
paraissaient avoir été placés quelques premier temple des Pessiuuntiens, car
édifices, et une seconde cour rectangu- il porte tous les caractères de l’architec-

laire, dans laquelle je trouvai quelques ture des Attales, telle qu’on la retrouve
fûts de colonnes. Un chemin encore à Pergame et dans les autres lieux de
assez praticable conduit dans la vallée; leur domination. Parmi les rares débris
c’est ce qui m’a donné à penser que les de chapiteaux qui jonchent le sol, je n’ai
propylées de la citadelle donnaient ac- rien trouvé qui pût m’indiquer positi-
cès dans cette première enceinte. L’es- vement quel était l’ordrede ce temple(l).
quisse que je présente ii’est rien moins Les plus grosses colonnes qui se trou-
qu’une chose positive, c’est une opinion vent en place n’ont pas plus de l“, to
basée sur l’inspection rapide des lieux. de diamètre, et les colonnes que je sup-
La colline de l’acropole s’étend de l’est pose avoir appartenu au portique ont
à l’ouest; j’avais à ma gauche un cime- un diamètre de O®, 932, et un entre-
tière turc, dont les nombreux tombeaux colonnemeut d’axe en axe de 2"*, 562.
étaientpresque tous marqués par des Au nord du temple se trouvent encore
tragments d’architecture. de nombreuses ruines plus ou moins

(i) Les rhapiteaiix antiques sont très-


recherchés par les Turcs pour faire des mor-
tiers k piler le grain.

1 bv
,

478 L’UNIVERS.
indéterminées , et que j'ai restituées se trouvent rassemblés dans la partie
comme ayant appartenu à ces différents centrale , et les versants de toutes les
temples que les princes asiatiques
'
collines, particulièrement de celle qui
avaient élevés dans Pessinunte. dépend du mont Dindyméue , sont sil-
En s’avançant plus vers l’est, on trouve lonnés par des routes en ligue droite et
une rangée ne colonnes, dont quelques- aplanies, qui, à mes yeux, ne sont autre
unes sont enterrées jusqu’à l'astragale. chose que les anciennes rues de la
Elles appartenaient à un portique qui ville. Sur le versant occidental de cette
conduit à une masse de ruines dont il dernière colline se trouve un théâtre
est diflicile de reconnaître la disposition qui est dans le même état de dégrada-
première. Au-dessous du temple, on re- tion que les autres monuments. La
marque un grand mur de marbre qui scène est entièrement détruite, mais
se rattache aune partie circulaire ornée il
y a encore un grand nombre de gra-
de pilastres. J’ai pensé que ces débris dins en place. Devant le théâtre , le
occupaient la placte de la basilique. terrain , aplani dans une largeur d’eu-
Au fo:id d'une fouille assez profonde, viron deux cents mètres, indique qu’il
j’aperçus quelques Turs occupés patiem- y a eu là un hippodrome dont tous les
ment a débiter, avec de mauvais outils, gradins ont été enlevés. En traversant
un bloc de marbre qui cubait environ la vallée, on aperçoit presque eu face
trois mètres. La destination la plus or- du théâtre une assez grande masse de
dinaire que l’on donne aux beaux échan- blocs de marbre d’uue couleur plus gri-
tillons , est de les transformer en pier- sâtre, et qui ne paraissent pas avoir été
res tumulaires ; les blocs sont refendus remués. Quelques débris d’architraves
dans leur largeur par le moyen de coins ; et de colonnes font voir que cet édiQce
opération dont les modernes Pessinun- était orné avec assez de soin. Je copiai
tiens s’acquittaient avec beaucoup d’a- sur une stèle l’inscription suivante
dresse. Les blocs sont ensuite dégros- ce qui m’autorise à croire que ces ruines
sis .sur place, et chargés sur des cha- ont appartenu à un temple d’Esculape:
meaux, pour être envoyés à Sevri his-
A Esculape sauveur, remerciment des Pes-
sar. Voilà l’opération qui depuis trois sio un tiens.
siècles s’exécute incessamment dans les
ruines de Pessinunte, et , chose singu- Dans toutes les villes antiques, quel-
lière, il n’est jamais venu dans l’idée que ruinées qu’elles soient, on voit tou-
d’aucun de ces ouvriers, de rechercher jours des traces de monuments chrétiens,
la carrière qui servit à la construction d’églises ou de monastères, qui indi
de la ville; cette question leur parut quent que la cité n’a pas péri en un seul
aussi étrange que si le marbre eut dû jour, mais s’est détruite peu à peu par
se trouver naturellementdans ces ruines. la force des choses; mais ici, après les
Néanmoins, vu la grande quantité de ruines romaines, on ne voit plus rien,
marbre employée dans les monuments, il semble que la propagation de la re-
il n’est pas à présumer que les carrières ligion chrétienne ait sufiS pour anéantir
soient très-éloignées. Ce marbre est en très-peu de temps la ville et le culte
d’un beau blanc, mais d’une qualité de la déesse.
assez médiocre pour la sculpture, parce Les rares tombeaux qui s'y trouvent
qu’il est pailleté, et que sa cassure n’est encore portent les caractères des autres
pas très-homogène. Les affleurements monuments funéraires de la l’iirygie.
de calcaire cristallin que l’on remarque J’en ai trouvé un assez remarquable. Il
au nord de la montagne de Sevri his- représente deux portes sculptées avec
sar conduiraieut infailliblement à la dé- leurs panneaux, et à droite et à gauche
couverte des carrières tout voyageur s’élèvent deux stèles ornées de têtes de
oui voudrait consacrer quelques jours à béliers, .-luxquelles sont suspendues de
rétude de la géologie de ce district. lourdes guirlandes. Tout cela est d’un
Il ne reste aucune trace des murs de très-bon travail, mais d’une époque
la ville; on ne saurait donc en déter- évidemment romaine. La formedu sigma
miner l’étendue d’une manière tant soit indique que ce monument est postérieur
peu probable. Tous les édifices publics aux Antonins.
ASIE MINEURE. 479

Tous les autres tonibeau.x et les ins- primeen ces termes:» Julien sc rendit
criptions ,se trouvant sur des blocs fa- par Nicée sur les frontières de la Gallo-
ciles à soulever, ont été transportés à Grèce ; de
là, prenant à droite, il lut
Sevri hissar, où l’ou eu remarque un à Pe.ssinunte pour y voir l’ancien temple
grand nombre dans les cimetières, ainsi de Cybèle, dont Scipion Nasica, con-
que des lions de marbre, qui sont trés- formément aux ordres de la sibylle,
multipliés en Galatie, et qui avaient transporta le simulacre Rome. > La
sans doute une destination sépulcrale. Bletteric ajoute (I), sans citer l’auteur
Malgré la certitude que j'avais d’avoir . dans lequel il prend ce fait , que Julien
découvert Pessinunte , d’après les con- fut choqué de l’indifférence des Pes-
sidérations rapportées ci-dessus ,
j'étais sinuntiens pour leur ancienne protec-
cependant préoccupé de la pensée de trice, et déchargea sa colère sur deux
retrouver le nom de la ville , qui n’est chrétiens qui avaient abattu l’autel de
inscrit nulle part dans ses ruines ; car la déesse.Ce fut a Pessinunte même,
dans l'inscription précédente, le nom etapparemment pour ranimer le zèle
de Pessinunte n’est pas complet ; mais du ikuple, qu’il composa en l’honneur
cette lacune fut comblée Taunée sui- de la mère des dieux le discours que
vante par M. Ifamilton , qui copia à nous avons encore.
Sevri liissar une inscription où sont re- C’est depuis ce temps que la renom-
latés le nom et les titres des Pessinun- mée de commence à dé-
Pes.sinunte
tienslolistoboïens. Os
peuples avaient croître, et elle suit la destinéede toutes
reçu, comme les Galates d’Ancyre , le les villes qui ne tenaient leur rang que
surnom de Sébasténi , regardé par d’une prospérité factice, due à leur im-
quelques auteurs comme ethnique, mais portance religieuse chez les anciens.
cette épithète ne me paraît qu'une dis- Ainsi, Éphèse, Magnésie et Perga, ont
tinction honorifique qu'on pourrait
,
eu leurs temples de Diane ; les deux
traduire par /iugustaux. Gomana, qui honoraient le dieu Men,
Le sénat et le |Mupte des Totislobolens Au- et enfin, Tavium, Pessinunte et Aizani,
tustaux de Pessinunte bonoreut Théodote. toutes ces villes sont aujourd’hui, déser-
lits de Théodote (surnommé) le tvran, qui a tes ou à peu près ignorées. L’agriculture
exercé ia charge d’Agoranome, cette d'Irenar-
«lae lionorabtement, et très-souvent celle d’As-
et le commerce ont pu seuls sauver
tynonie. quelques autres villes , qui ont encore
aujourd'hui une sorte de prospérité.
On ne trouve rien de positif dans
sur la décadence et la ruine
l’histoire,
de Pessinunte. 11 est certain que la pro- CHAPITRE LV.
vince d’Ancyre absorba peu à peu les
autres
ANCYBE.
peuples galates et leurs métro-
,

poles. par conséquent


, commencèrent Les légendes auxquelles a donné lien
a déchoir quand les Romains eurent
la fondation d’Aucyre ne permettent
institué un pouvoir central à Aneyre.
guère de discerner lés faits historiques
Le sort de Pessinunte fut le même que
qui peuvent nous éclairer sur ce sujet.
celui de Tavium, qui était également
Ilressort cependant de toutes ces tra-
célèbre par un grand temple de Jupiter
ditions fabuleuses que cette ville était
avec droit d’asile (1). Jusqu’à présent,
déjà renommée du temps de la Phrygie
il n’y a aucun
indice certain de la po-
indépendante; selon Pausanias, Aneyre
sition de Tavium.
fut fondée pdr Midas, fils de Gordius,
Dans la nouvelle division des pro-
et l’ancre qui se voyait dans le temple
vinces, Constantin le Grand fit de Pes-
de Jupiter passait, du temps de l’histo-
sinunte la métropole de la Galatie Sa-
lutaire (2). La dernière mention qu’en
rien grec, pour avoir été découverte par
lassent les historiens
ce prince (2).
anciens se trouve
dans Apollonius historien de Carie donne
Ammien-Marcellin (3), qui s’ex-
une origine plus reculée à l’ancre d’An-
(i) Slrabon, XII, p. 65;
Hiéroclès, p, 697.
(») ! (,) («) Vie iie Julien ^ p. 9 x 9 .
(3) Livre XXII. (a) Pausanias t Uv, lo*, cb.
48Û L’UNIVERS.
cyre (1). Les Gaulois, au moment de comme capitale romaine. Les trois capir
leur arrivée en Asie, eurent à combattre taies delà tétrarchie des Galates étaient
Milhridate et Ariobarzane. Ptolémée Tavium, Pessiuuntc, et Ancyre cette der-
avait aussi envoyé contre eux une armée nière ville reçut le nom
de Sébaste, en
d’Égyptiens, qui fut battue et repoussée l’honneur de l’empereur Auguste; sous
jus(|u’a ses vaisseaux ; les Gaulois em- Néron elle obtint le titre de métropole,
portèrent les ancres comme trophée de et les habitants reçurent le nom de
leur victoire, et les déposèrent dans Tectosages Augustaux, que l’on retrouve
leur ville qu’ils appelèrent Ancyre. sur leurs monuments , Ancyre elle-
Mais déjà du temps d’Alexandre la même fut appelée Sébaste Ancyre des
ville d’Ancyre existait sous le même Tectosages.
nom, le roi de Macédoine venant de Le symbole de la ville fut représenté
Gordium et marchant vers la Syrie, par une ancre: les médailles comme les
s’arrêta devant cette ville pour recevoir monuments attestent que le même signe
les députés des Paphlngoniens, et con- fut conservé sous lesempereurs romains.
naître leurs dispositions à son égard. Les villes Galates de la Phrygie
Sous les successeurs d’A lexaudre, A n- orientale furent les premières en A’sie,
cyre fut soumise au roi Antioehus III, qui ajoutèrent à leur nom primitif un
qui avait eu les Galates pour auxiliaires surnom romain, et cet honneur ne fit
à la bataille de Magnésie. que resserrer les liens qui les unissaie it
I^ nom de cette capitale paraît pour à l’empire des Césars.
la première fois daus les historiens ro- La situation de ces villes de Galatie,
mains, au sujet de la campagne de heureusement placées sur la grande
Manlius; Strabon (2), n’en jarle que route de Byzance à la Cilicie et la Sy-
comme d’une forteresse des Galates. rie vers le sud, et dans la direction d’Er-
Dans le principe, la ville d’Ancyre zeroum en Arménie sur le chemin de
occupait le sommet d’une colline qui la Perse vers le nord en fit bientôt le
,

s’étend de l’est à l’ouest. C’est un grand centre de tout le grand commerce entre
rocher volcaniq ue dont les flancs sont l’orient et l’occident, et le lieu de jonc-
très-abrupts, l’ acropolis couronnait ce tion des légions romaines dans leurs
rocher, et les murailles descendaient marches à travers l’Asie. Déjà sous Au-
jusqu'à mi-côte. Au nord, l’Engurisou gusteelles reçurent plusieurs bienfaits de
défend les abords de la montagne, et, l’empereur, qui leur permit, comme il
coulant vers l’ouest, il va se jeter dans l’avait fdit antérieurement pour les
le Sangarius. habitants de Pergame (1), de lui éle-
Dans la suite des temps le pays suivit ver un temple de son virant.
le sort des Romains dans les combats Lorsque les Romains eurent réduit
u’ils eurent à soutenir contre Mithri- la Galatie en province , il n’est pas de
ate. Pompée donna ce royaume à son travaux et d’établissements qu’ils n’aient
allié Dejotare, c’est de là que prit nais- faits daus leur nouvelle conquête. I.es
sance la tétrarchie des Galates. . murailles furent prolongées jusque dans
Après la mort de Dejotare, Amyntas la plaine , et les-quartiers situés sur la

son secrétaire, reçut de Marc-Antoine montagne fortifiés de nouveau, afin


le titre de roi, et cette dignité lui fut de former une vaste citadelle. On re-
confirmée par Auguste. connaît encore dans la plaine des cons-
Amyntas mourut cii Cilicie (25 ans tructions qui ont appartenu à des ther-
av. J.-C.). .Son fils Pylæniènes n’obtint mes ;
ces ruines sont situées hors de la

pas la royauté, et la Galatie fut réunie ville moderne. La double enceinte flan-
en une seule province avec la Lycao- quée de tours subsiste encore aujour-
nie (3). d’hui; mais les différents sièges que la
C’est à partir de cette époque que ville eut à subir ont laissé des traces
commence la période brillante d’Ancyre nombreuses , et plusieurs parties des
murailles ont été réparées avec des dé-
(i) Et. Byz., Àncyra. brisde monuments antiques, des autels
?i) Strabon, XII, Stj,

(
3 ) S'raboii, XII, 567. (1) Tacite, IV, 37.
ASIK MI^EUR^:. 481

et des pierres sépulcrales. Un vaste sou- au premier rang des chefs-d’œuvre de


terrain qui règne sous la plate forme l’architecture romaine.
du château servait à contenir les ma- Les ruines du temple d’Ancyre se
chines de guerre. Suivant le système composent de deux murs latéraux de lu
de défense usité à cette époque, la cita- cella, avec les antes ou pilastres qui les
delle occupant le point culminant de lu terminent. Ces murs sont construits en
ville, les murailles n'avaient pas de gros quartiers de marbre, reliés par
fossé extérieur; elles suivaient les on- des crampons de bronze comme on
,

dulations du rocher, et s'élevaient ainsi peut s'eu assurer dans les parties bri-
en quelques endroits à plusieurs cen- sées. I.es chapiteaux des pilastres repré-
taines de mètres au-dessus du niveau de sentent des victoires ailées, qui s^ap-
la plaine. L’enceinte de l'acropole était puient sur des enroulements de feuillage.
occupée par des habitations particu- Ces ligures s’ajustent avec une conve-
lières; et, dans le moyen âge, les chré- nance parfaite dans des rinceaux d’a-
église que les canthe , qui forment la frise extérieure
tiens
y construisirent une
Turcs" ont toujours respectée. du mur de la ‘cella. La largeur et la
Les plus be.’iu.v édiliccs construits hauteur des pilastres font connaître les
ar les ilomuius étaient dans la partie dimensions des colonnes absentes ; l’an-
asse de la ville; les inscriptions qui tiquaire peut ainsi reconstruire dans
subsistent encore nous apprenneut son imagination un des plus beaux mo-
qu'Ancyre avait un hippodrome, des numents d’Anc 5Te.
bains, des aqueducs et plusieurs tem- La façade du temple élait ornée de
ples. Si l’on en juge par les débris que six colonnes d’ordre corinthien, qui
l'on voit répandus çà et là, la magni- portaient un entablement et un frontdn.
iiceuce de ces édifices ne le cédait en Des débris épars qui ont appartenu à
tien à ceux de Home même. Les artistes l’édifice font voir que les colonnes
grecs employés par les vainqueurs don- étaient cannelées. L’ajustement du mur
nèrent à ces coustructions un cachet de la cella indique qu’elle était entourée
de finesse et d'élégauce que n'avaient d'un portique; ainsi le temple d’Ancyre
pas les moauments d’Italie. était hexastyle et périptère, disposition
généralement adoptée par les Romains
i’aucusteum. pour les édifices religieux de grand
style. Il existe une médaille d'Ancyre
Les ravages du temps et des hommes portant d’un côté l’effigie d’Auguste
ont détruit la plupart des édifices anti- avec les attributs du dieu Luiius, et sur
ques; un
seul temple, élevé par les le revers un temple hexastyle avec cet
priuce.s galates en l'honneur d’Auguste exergue : Communauté des Calates
et de Rome, subsiste encore, pour attes- Augustaux. Il est probable que ce
ter à quel degré émineut les arts étaient temple, est le même que celui dont les
parvenus en peu de temps dans la ca- ruines existent encore.
pitale de la Galatie. Ce monument oc- Dans la partie antérieure de l’édifice
cupait le centre de cette partie de la est une sorte de vestibule ouvert, ou
villequi fut l'ouvrage des Romains. ironaos. On entrait du pronaos dans
Précieux sous le rapport de l'art, il est Îa cella (partie réservée pour les prêtres)
lus remarquable encore par les nom- par une porte richement ornée d’un en-
reuses inscriptions placées sur ses mu- tablement porté sur deux consoles de
railles,qui nous ont ainsi conservé des marbre. Il est rare de voir dans les tem-
documents historiques très-importants. ples antiques , les portes assez bien
Nous avons à regretter des portions no- conservées pour qu'on puisse en étudier
tables de l’architecture , les colonnes et les proportions. Dans toute l’Italie, on
les chapiteaux, l’entablement extérieur; ne cite que deux portes de temple, et,
nais dans ce qui reste, tous les détails pour la beauté des détails , elles ne sau-
de construction et d’ornements sont raient être comparées avec la porte du
exécutés avec tant de goilt et de préci- temple d'Auguste.
sion, que le temple d’Ancyre s’il était
,
L'intérieur de l’édifice était fort sim-
plus connu, serait sans contredit placé ple. Une eorniche, de laquelle pen-

3t' iiaraison (Asie Mimeübk t. i •I


,
,

4-i-2 L’UNIVERS.
liaient des guirlandes de fruits, régnait ces de Galatie dont les noms sont con-
U l’entour. Au-dessus de la corniche servés dans l’inscription grecque tracée
s'étend une partie complètement lisse, sur ie pilastre, et qui rapporte toutes
qui dans l’origine, fut sans doute desti- les ceremonies et fêtes qui eurent lieu
née à recevoir des peintures. au moment de la dédicace. Cette ins-
Dans le mur de la cella, à droite en cription avait , à plusieurs reprises
entrant, on remarque trois fenêtres cin- attiré l’attention des savants. Chishull,
trées, destinées à éclairer l’intérieur. Tournefort, et après eux Moutfaiicon
Comme les temples anciens ne rece- en ont publié des fragments plus ou
vaient de jour que par la porte, Pococke moins incomplets. Je dois faire observer
et Tournefort avaient douté que le nio- que ce dernier, en donnant, dans sa
miment d’Ancyre fût réellement un Paléographie, une copie de l’inscription
temple, et étaient portés à le regarder de l’ante, a été induit en erreur sur la
comme un prytanée mais , en exami-
;
forme du caractère. Celui qu'il reproduit
nant de près ces fenêtres, on voit qu’elles appartient tout à fait aux bas temps de
ont été percées après coup, et que le l’empire byzantin. Il faut croire qu’il a
cintre est taillé au milieu des assises copié une transcription faite par quelque
horizontales des pierres de la cella. Ces prêtre grec. Le caractère tracé sur le
fenêtres ont été percées lorsque ce monument est au contraire du meilleur
temple fut converti en église; c’est alors style, et appartient évidemment à l’épo-
qu’on abattit le mur du posticum , et que de la dédicace du temple. Chishull,
qu’on ajouta' des constructions qui se qui a publié les mêmes fragments que
rattachent aux antes. Dans la partie Montfaucon, croit que chaeunc des
antérieure du temple , on se contenta fêtes mentionnées daus ce monument
d’enlever les colonnes qui se trouvaient eut lieu aux différents anniversaires de
entre les antes, pour former le narlliex la consécration. Je donne aujourd’hui

ou portique qui précède toutes les égli- cette inscription complète, qui per-
ses byzantines. mettra aux savants de décider le fait.
Vers le milieu du dix-huitième siè- Rien, dans ie caractère de l’inscription,
cle,un pèlerin de la Mecque, du nom ne porte à croire qu’elle a été écrite à
de Hadji-Baïram, lit élever une mos- plusieurs époques différentes. Je suis
quée contiguë à l’église, que les mu- au contraire disposé à penser que toutes
sulmans avaient détruite. On emplop ces fêtes ont eu lieu au moment de la
pour cette construction une quantité consécration du temple, sans doute à
de fragments de marbre provenant la mort d’Auguste, quand on a inscrit

de, la démolition des portiques du tem- sur les parois de la cella une copie de
ple , et l’église byzantine fut conver- son testament en latin et eu grec.
tie en cimetière pour les musulmans. Ce futPylæinèneSjfils d’Amyiitas.qui
Quelque déplorables pour les arts dédia le temple. L'inscription contient
que soient les dégradations commises aussi les noms de plusieurs autres prin-
dans le temple d'Auevre, on ne sait ces galates sur lesquels l’histoire nous
si l’on doit eu blâmer les auteurs, car, apprend peu de chose. Le marbre
sans tml doute, aucune partie de ce rongé par le temps en plusieurs en-
bel édifice' ne serait parvenue jusqu’à droits ,
laisse quelques lacunes assez
nous. La ville d’Angora étant située sur faciles à remplir. Cette inscription est
un terrain volcanique, le marbre et la d’autant plus intéressante , que c’est le
-pierre calcaire sont apportés de loin, seul document aussi complet que l'on

et tout ce qu'on a pu arracher des mo- possède sur les cérémonies des dédica-
numents antiques pour l’employer à ces chez les anciens.
d’autres édifices, ou même pour faire
de la chaux, a été enlevé sans scrupule. Le peuple des Galates, après avoir fait les
sacritices d’iiiauguration, a dédié ce tempie au
J, a mosquée a protégé le temple, et, divin Auguste et à ia déesse Rome [ sous l'au-
quoique cet édifice soit aujourd’hui lofité de Lollianus, consulaire et propréleut
a donné des spectacles, et a fait
sans destination, il a été respecté comme impérial]
comliatire (rois cents paires de gladiateurs;
dépendance d’un monument religieux. a donné une cliasse de taureaux et de héles
Ce temple fut inauguré par les prin- feruces, plus un fesUn publie; a donné des
ASIK MiiSEÜKÉ 48ü

^pe^Ucles et une cbabse M. ;


Lollius (
présidail Un public aux deux peuples; il a sacrifié une
a CO» fiHes '
| ) .
liécatombe, et fait combattre trois cents cou-
Fvlcmèaes, Amvntas, a dunné
lils du roi ples de gladiateurs ; il a fourni [Thuile pendant
lieux lois un r«stlu public, a donné deux fois toute Tannéo.]
( Les deux dernières lignes sont
trop
dca spectacles, a donné un aimbut ;;yinnique
de chars el de cavaliers; il a donné également frustes pour être traduites.)
des coinl>ats de taureaux el une chasse. I) a Par cela [ils ont] honoré. ....
consacré près de la ville le terrain ou a>t cons-
truit le Sebpsteuni (le temple d’Auguste;, ou
ont lieu les réunions publiques el les courses Cei acte public, inscrit sur le frontis
(l’hjp;>odroine ). pice d’un temple, est un document du
AIniorix, Uls d’Atéporix, a donné un festin
public, et a dédié les statues de César el de Ju-
plus grand intérêt historique, tant par
Üa Augusta l’authenticité des faits que par les noms
Ainvntas, HIs de «tssatodiaslcs, a donné des princes qui ont concouru à celle dé-
deux fois des festins publics, a sacriüé une hé-
catombe, a donné des spectacles, a distribué dicace. Tout en reconnaissant que le
une mesure de cinq boisseaux de l)lé à chaque peuple d'Ancyre a toujours reçu de la
citoyen. (He^D]eia^. tils de Uiognétès ( a pré-
part des Romains les témoignages d’une
sidé a fêtesœs
Albiorix, Üls d’Aléporix, adonné pour la se- haute estime on doit être frappé du
,

conde fois un festin public (qui fut présidé) soin que prit le magistrat suprême, sans
par Fronton. doute le proconsul, de faire présider
Mélrodore, (ils adoptif de Ménémachus, et de
la laniille de Dorylaüs, a donné un festin pu- par un commissaire romain dont le ,

blic>et a (oumi de t’huile pendant quatre moi». nom est inscrit à côté de celui des prin-
Musious, Üls d'.Arlicous, adonné un fe.stin
ces galates , les fêtes et les cérémonies
public.
[Séleu]cu6, fils ile Séleu(‘U.^, a doniié un fes-
dont ces derniers firent les frais , et
tin public; lia fourni l’huile pendant quatre qu’ils sont censés avoir ordonnées de
mois. leur propre mouvement.
Pylftmènes, fils du roi Aniyntas. a donné
deux fois un festin puidlc aux trois neiiples; |
Cette longue énumération de festins,
[

iia également sacrifie une hécatombe dans de spectacles et de combats, donne


Ancvre îl a donné des spectacles et une pro-
; mieux que tout oe qu’on pourrait dire
cession, il a donné également un combat de

taureaux, a fait de.s puriücation.s, et fait com-


une idée de la richesse de cette ville
battre vingt-deux couples de gladiateurs ; il a d’Ancyre et de cette Galatie, devenue
fourni l’huile pendant toute l'annee aux trois
province romaine depuis moins de six
peuples ; il a donne un coinimt de hêtes fé-
roces. M. Loliianu» (a présidé A ce.< fêtes). années. Les Romains avaient trouvé une
Phil^aiios a donné a Pessimmte un fe.stin administration et un gouvernement
public el un combat de viniÿl-cinq couples. Il qu’ils avaient conservés; les Gaulois,
a fourni aux deux peuples à Pessinunle l’huile
ipour ies Jeux] pendant toute l'année; il a uniquement occupés d’expéditions guer-
consacré des statues dans Hessiniintc. rièi'es n’avaient guère songé à doter
,

Séteucus, fils de Phtlodaüus, a donné deux leurs villes de monuments superbes.


fois des fésUns aux deux villes; U a fourni
l'huile aux deux peuples pendant toute Tan-
Des châteaux élevés sur la pointe des
née, et a donné des spectacles, rochers et (juelques huttes a l’entour;
tJu]lius Hooticiis a donné un festin publie; c’était à peu près tout ce qui composait
a s:icrilié une hécatombe; il a donné l’huile
pendant [toute] l’année. l’ensemble de leurs cités ; c’est encore
U a donné l’huile aux peuples pen- ce que l’on voit dans toutes les parties
éant toute Tannée, sous....,
de l’Orient. Les Romains portèrent
QuiutMÀ Cîallius, 1)1.'^ de Murcien. a donné
*^nxMiaii fesliu oublie; a sacrtllé a Tessi- chez les Galates le godt des théâtres,
rfp fàd’oecasiou uum* victoire) ; il a donné des jeux et des courses, qui se ranimait
«I bM'c aux peuples. à Rome avec plus d’intensité à mesure
... fils de Fhiion, a donné un Tes-
*
*

tbi ]>(i! sacrifié une hécatombe ; a fourni


1
-
i
ue les rapports entre Rome et l'Orient
l’bqile ne*. :anl toute Tannée. evenaieiit plus fréquents.
X a mis un autel qu'il & cousacré Ce qui rend l’Augusteum d’Ancyre
à I

Pylsmènes, fila de Ménas, a donné] un fes-


un monument des plus précieux pour
[
les antiquaires, c'est qu’il nous a con-

(i) On dans Eutrope, lib. VII : «


lit
servé une copie du célèbre testament
latb Augiisto provincia facta est, cuoi
.siil)
d’Auguste inscrit par ses ordres sur
antea rrgiifim fuisset, priinusque eani M. Lol- deux tables de bronze, et confié à 1»
lius proprvtore adminisiravit. w C'est bien garde des vestales à Rome. Un exem-
cérfsitiemenrie même Lüll«iis(|iii présidait à plaire de ce testament fut envn\é à
U dédicace du temple. Ancyre, selon la volonté de l’empereur
31 ,
L’UINIVEIIS.

et gravé dans l’intérieur du pronaos du situation du monument, et mon but fut

temple qui lui était dédié. Ce beau do- rempli, car l'année suivante ayant ren-
cument liistorique a été rapporté pour contré .à Smyrne M. Ilamilton, je lui
la première fois en Europe, eu 1551, signalai la situation de l’édilice, et il fit
par Antoine Wrandis, Dalmale, évéque les travaux nécessaires pour dégager la

d’Agria, et Guillaume Busbeck, ambas- majeure partie de l’inscription. Dans ces


sadeur d’Allemagne près la Porte Otto- derniers temps une mission composée
mane. Un autre exemplaire, rapporté de trois personnes a été chargée d’aller
en 1689, copié avec soin, a été publié dégager complètement les restes de l'ins-
vers la même époque. 11 fut trouvé cription grecque, plusieurs rapports ont
dans les papiers de Daniel Cosson, mar- été publiés à ce sujet jusqu’ici ils n’out
chand hollandais qui explora les envi- fait que confirmer les faits déjà mis en

rons de Smyrne, où il fut assassiné. lumière dans ma première publication.


Tourneforta copié, en 1701, cette même On ne sait pas parfaitement à quelle
inscription, qui depuis a beaucoup souf- époque le temple d’Auguste fut converti
fert de l’injure du temps et des hom- en église; mais, comme le christianisme
mes, car, en Asie comme en Italie, les s’établitde bonne heure dans la ville
monuments antiques ont été l’objet d’in- d’Ancyre, il est à croire que le culte des
vestigations entreprises par l’ignorance emijcreurs y fut aboli dès les premiers
pour chercher des trésors imaginaires, temps de la foi nouvelle. Lorsque la

et souvent, faute de mieux, les avides et Galatie fut conquise par Haroun-al-
patients dévastateurs des monuments se Kaschid, ce prince vint jusqu’à Ancyre,
sont bornés à faire des trous dans les et enleva comme trophée de sa victoire
murs pour retirer quelques crampons la porte du temple qui fut transportée
de bronze ou de fer qui retenaient les à Bagdad. Une inscription grecque était
pierres. L’inscription d’Aucyre présente gravée sur les battants et nous a été
aujourd’hui des lacunes assez notables, conservée dansie Djihan-.\uma(lj. Elle
l'in collationnant les copies publiées avec est ainsi conçue ;

l'e.vemplaire original, je m’assurai qu’el- O Au nom


de Dieu, ô enfant de ce
les offraient toute l’exactitude désirable « monde, prompt à choisir focca-
sois
|)our l’époque où elles ont paru. « sion; à choisir toujours
apprends
Depuis cent cinquante ans ce inonu- » l’homme qui convient suivant les lieux

ment épigraphique dormait, oublié des « et les temps. I.a joie se change eu

savants de fEuropc; on s’était à peine « deuil lorsqu’on en abuse. Ne. charge

rendu compte du contenu de l’inscrip- n pas ton présent des soucis de l’avenir.

tion grecque de la face latérale.Lorsque « Ne suis pas l’exemple des insensés, et


j’arrivai a Ancyre, le monument était « garde-toi de t’enorgueillir des trésors
sur le point d’être démoli par le Mollah <•que tu as pu rassembler. »
Hadji-Baïram. Il faut avouer que le sens de cette

L’inscription grecque était en grande inscription n’est pas conforme à l’esprit


partie cachée par des maisons moder-
nes construites en briques crues et qui diKpiel est gravé le d'AugusIe,
listamcnt
pour la plupart étaient dans un état de ii'rst point qu’au l’a dit,
uii prylaiiée, ainsi

destruction avancée. Il m’eut été facile niais un Innple consacré par la vtne fia nié-
inoire de cet empereur, I inscriplioo grecque
dès cette époque d'en obtenir la démo-
gravée sur l’anle lève tous les doutes à cet
lition, les dernières colonnes restées
égard.
visibles et parfaitement conservées,
A l’extérieur du temple, il existe des ins-
m’avaient donné la certitude que l’ins-
criptions grecques , dont une partie est ca-
cription grecque n’était autre chose que mais j'en ai copié siif-
cliée par les maisons,
la traduction de l’inscription latine gra-
fi.saminentpour me convaincre que ce n’est
vée dans le pronaos. Dans le rapport qu'une jiaraphrase de l’inscription latine.
que j’envoyai au ministre de l’instruction Rapport au ministre de l'instruction publi-
publique, et qui fut inséré au Moniteur que, Moniteur du ig décembre i834, col.
du 24 décembre 1834 (I), j’exposai la aa34.
(i) Djihan-Numa, f>43, apud Hammer, I,
(i) Le monmnenl d'Ancyre, sur les imirs 399.

1 b> CjOOO
ASrE MINEURE. 48i

de l'épigraphie grecque, tandis qu'on y lois s’étaient identifiés avec les Romains,
reirnuve tout le mysticisme des écri- comme plus tard les Romains se con-
lains orientaux.Mais, quand même fondirent avec les Grecs sous l’empire
cette inscription serait apocryphe, il est byzantin. Le gouvernement de la Gala-
curieux de comparer ce fait historique lie était remis entre les mains d’un pré-
arec ce qui se passait dans l'Inde à peu teur; elle fut aussi régie par un procon-
près dans le même temps, quand Mah- sul, mais on sait que dans les provinces
moud le Ghaznévidc prenait, et envoyait ces magistrats jouissaient des mêmes
à Caboul, les portes du temple de .Som- privilèges. Les ordonnances municipales
mauth. Le dernier trophée de ce genre étaient né.anmoins promulguées au nom
est aujourd’hui entre les mains des Rus- du sénat et du peuple des Galates.
ses, qui, lors de la conquête de l’Arménie, Detoutes les villes d’Asie Ancyre
,

en 1828, enlevèrent les portes du tom- est sans contredit une de celles qui ont
beau d'un santon célèbre à Krzeroum. fourni au monde savant le plus grand
L’ancien temple est aujourd’hui en- nombre d’inscriptions et de documents
touré de constructions modernes, et historiques. Il est fâcheux que la plu-
une mosquée bâtie sous le règne de So- part des monuments découverts jour-
liman le Grand par Hadji-Baïram, est nellement aux environs de la citadelle
appuyée sur sa face méridionale. Des soient pour la plupart mutilés ou dé-
terres transportées occupent l’entrée du truits avant qu’un antiquaire ait pu en
proaaos, et sont couvertes de pierres recueillir une copie. La disette de pierre
sépulcrales. Otte mosquée fut bâtie par calcaire est la principale cause de la
le célèbre architecte Sinam, qui cons- destruction des monuments. Tnurnefort
truisit les mosquées de Soliman à Cons- a cité comme une singularité l’escalier
tantinople, et de Pertew-Pacha à Nico- d’une mosquée qui est en entier com-
médie. Hadji-Baïram, pèlerin de la posé de bases de colonnes en marbre.
Mecque et d’une des illustres familles Cette construction, aussi barbare qu’in-
de la renommé par
Galatie, est encore commode, existe encore, et toutes le,s
sa piété et r.iustéritéde sa vie. Il est maisons environnantes sont remplies de
le fondateur de l’ordre des derviches fragments plus ou moins défigurés d’ar-
Bairaniy, et mourut en 07 de l’hégire chitecture romaine. C’est là tout ce qui
(1220).' Sa famille existe encore à An- a échappé à la consommation active des
gora, et c’est un de ses descendants qui fours à chaux, qui , en Asie comme en
eut, au commencement de l’année 1834, Italie, ont été les moyens les plus actifs
la malheureuse idée d’entreprendre la de destruction.
démolition de ce qui restait du temple Les murailles du château sont pres-
d’Ancyre pour en faire un bain dans sa que entièrement construites en frag-
villa. Âlais ce projet n’eut heureusement ments extraits de monuments antiques.
pas de suite, et l’on sc borna à l’enlève- Les stèles commémoratives et honorifi-
ment de quelques pierres sur la face ques s’y trouvent en abondance; mais
méridionale. c’est le hasard seul qui fait que les ins-
Non contents d’avoir élevé un temple criptions qu’elles contiennent sont ap-
h Aiigu.ste. qui était regardé comme le parentes pour nous; on doit cette bonne
nouveau fondateur d’Ancyre, les Gala- fortune au seul caprice, de l’ouvrier, qui
tes en firent construire plusieurs autres n’a pas craint de trop défigurer la mu-
en l'honneur des empereurs Nerva, Tra- raille en laissant paraître les inscrip-
jan et Caracalla. Une inscription, qui se tions des Génoia : c’est ainsi que sont
trouve dans le cimetière arménien, pa- désignées par les Turcs toutes les an-
raîtprovenir d’une des statues élevées ciennes nations de. l’Asie.
dans l’area d’un temple d'Antonin. Depuis la base jusqu’au sommet des
I.es médailles et les inscriptions que murailles, on découvre partout des par-
decouvertes en si grand nombre
l'on a ties plus ou moins conservées des actes
que le goût des jeux
à Ancyre, attestent administratifs de la ville; et ces inscrip-
devenu très-populaire sous
publics était tions réunies nous servent à compléter
lesAntonius. A cette époque , en Asie le peu de documents que nous ont lais-
comme dans l’ancienne Gaule, les Gau- sés les écrivains anciens.
t.'T^NIVFRS.

i-.i plupart (1rs grandes villes de l’ein- comme celles de Rome; mais nous lu;

îmv nmiain, oalles surtout qui avaient .saurions, d'après inscriptions, cil
h-s
Un simulacre de gouverneiueat iiidépen- établir le nombre il paraît cei-
exact;
cœur que de
(iant, u'avaieiii rien tant à tain, néanmoins, qu’il n’était pas moin-
modeler leur adiuiuistration sur celle dre (|ti' douze. Les inscriptions qui
de Home même ; elles les divisaient en nous restent sont au nombre de quatre :

régions comme la capitale, et les habi- une relative à la biiitième tribu, deux
tants se partageaient en tribus. Quoique à la neuvième, et une à la onzième.
cet usage se trouve généralement ré- Ces inscriptions ont toutes appartenu à
pandu chez les diverses populations du des stèles qui .supportaient des staliies
monde ancien, il y a beaucoup de villes honorifiques. Quand on pense que dans
(|uin’en ont conservé aucune trace. toute cette ville il n’existe pas le plus
cité comme provenant de Pessi-
,I’ai petit fragment de statue antique, quels
nunte une inscription mentionnant les regrets u’éprouve-t-on pas de voir ces
Gaulois Tolistoboîens , qui habitaient contrées livrées à un peuple ignorant
Cette partie de la Galalie. Je n’ai trouvé qui mutile avec, rage toutes les repré-
aucun monument lapidaire relatif aux sentations de figure humaine que sa
Trocmiens. L’inscription suivante men- main peut atteindre!
tionne les Tcctosages comme habitant La plupart des statues élevées par
la province d’.'tncyre. décret, étaient placées dans l'aréa des
Le sénat et le peuple des Tectosages augus- temples, ou enire les colonnes dw por-
taux ont honoré .U. Cnceéius Alexandre leur ,
tiques. C’est toujours aux environs de
(»ncitojen, homme Juste et lréa ri‘inar(|uahle ces édifices que l’on retrouve le plus
par la pureté de ses rareurs.
grand nombre d’inscriptions.
Le de métropole, qui était donné
titre
A la bonne fortune.
à Anc.yre dans les actes officiels, se
Philotas (?), (ils de Diodore, ayant rempli les
trouve reproduit dans ces deux inscrip- fondions d’aslynome et de phylarque, avec
tions : m.'ignilicence et sans orgueil, et ayant été Juge
dans les assemblée.s publiques, par le sénalet
A. L Futvius Rnstlcus Æmllianus, légat Im- le peuple, digne d’une statue et d’autres hon-
périal, trois fois consul. Le sénat et le peuple neurs, la huitième tribu claudienne lui a. pour
de la métropole d’Ancvre honorent leur bien- son honneur et a cause de sa blenveillanee en-
tailcur par h s .soins de Tréhius Alexandre. vers elle, élevé cette statue de ses propres fomis,
par les soins de Claudius Anlhimus, le sénat
Le sénat et honorent] Caracylée,
le peuple [ ayant donné la place.
gramie. prêtresse issue du sang des rois, lille
adoplive de la métropole, femme de Julius Se-
verus, le premier des Grecs. Le protocole de dédicace des statues
honorifiques étant généralement le
Dans la plupart des grandes villes de même dans tous les monuments, il est
l’antiquité, la division des citoyens en facile le premier tiers de
de restituer
tribus paraît avoir été tout à fait ar- l’inscription qui manque dans toutes les
bitraire.Le nombre des tribus sc mo- lignes. Les litres des magistratures
difia sur accroissement de la popula-
I
d’astynome et de phylarque sont si sou-
tion de chaque peuple; il n’y a que les vent répétés dans les inscriptions d’An-
tribus juives qui soient toujours restées cyre, que cette restitution présente toute
au nombre de douze parce qu’elles ti- , espèce de certitude.
raient leur origine de cliacun des fils de Ces deux inscriptions, relatives à la
Jacob. T.es citoyens d’Athènes furent neuvième tribu, se complètent l’une par
d’abord divisés en quatre tribus ; mais, l’autre; mais aucune n’a conservé le
dans lu suite, on fit des adjonctions nom du citoyen auquel la statue était
nombreuses qui portèrent les tribus au dédiée.
nombre de dix. La population de Rome
La oeuvième sacrée
tribu, la sénalorifiuie,
était divisée en trente-cinq tribus créées
a honoré ( ), revêtu
des dignités
a differentes époques, a mesure que le d’archonte et d'astynome, qui a été deux fols
nombre de citoyens prenait de l’accrois- pontife de la déesse Cérèi, honoré plusieurs
sement. I,es monuments qui subsistent îois dans les assemblées publiques, son bien-
faiteur.
encore à Ancyre, nous apprennent que Iji neuvième Irtbu sénalorienne a élève a ses
chacune des tribus portait un litre frais, et par reconnaissance ce (monument «-•
\.SIK MINEURE. 487

..... I, qui a été proclamé phylarquc iIuiid dans ce lieu qiu n a pas encore etc par-
rassemblé publique , par le smat et le peuple. faitement déterminé.
NIcépliore Alexandre (a présidé.^
Les deux inscriptions suivantes men-
relative à la onzième
L'inscription tionnent des magistratures exercées tant
tribu estplus connue, et a été reproduite en Asie qu’en Europe par un Tectosage
plusieurs fois; elle se trouve dans le descendant des tétrarques , nommé ’n-
cimetière des Arméniens, à ileux kilo' bérius Sévérus, qui avait probablement
mètres de la ville ; les autres ont été co- pris le nom de quelque patron romain.
piées dans le château. La place de cette Déjà, sous le règne d'Hadrien, les noms
inscription ( car il est probable qu’elle gaulois s’effacent. Il est probable que la
n’a pas été apportée de la ville) permet langue galate qui était pariée par le
,

de supposer que Le quartier ou déme peuple, ne fut jamais employée dans les
appelé Comocetium était dans cet en- affaires publiques, car il ne reste aucun
droit. monument lapidaire qui nous en pré-
Indépendamment de l’hounenr d’une sente le moindre débris.
statue, Zoticus Rassus avait reçu les
A Tilwrias sévérus, descendant des rois et
bienfaits de l’adoption ,
uLov euXfj; la',
des tétrarques, .iprès toutes ses largesses envers
comme Caraeylée ,
qui était déclarée le peuple, élevé an tribiinat par le divin Ha-
bile de la métropole. Il existe plusieurs drien nommé légat en Asie d’après les rescrlts
;

et ordonnances du divin Hadrien, ctief de la


inscriptions qui mentionnent cet hon-
quatrième légion scyllnque et administrant le*
neur rendu par des villes asiatiques. afLiires de Syrie, quand Pulilicns Marcellus
Ceux qui en étaient investis jouissaient quitta la Syrie à cause de la révolte judali|ue,
roconsul à’Achaie à cinq faisceaux, envoyé en
sans doute , de la part des villes , des
g ilbynie comme censeur par le divin Hadrien ;

mêmes faveurs que les SpEicxoi de Bi- préfet du trésor du temple de .Saturne, consul,
thynie, de la part des citoyens qui les pontife pour la cinquième fois, inspecteur des
travaux pubilcs de Rome, général, légat de
avaient adoptes.
l’empereur César Tilus .ïliiis Hadrien Anlonin,
K Zoticus fils de Bassos , homme honorable, Auguste, fieux, dans la Germanie inférieure
enfant de la onzième tribu, ayant exercé la Marcus Julius Éuschémon à son bienfaiteur.
charge de phylarque avec zèle, et avec intégrité
celle d'astynome; avant (ait construire a ses On peut classer ainsi, d’après les mo-
frais un batiment trés-coùteux dans le Como-
celium, et rendant chaque jour de nouveaux
numents, les magistratures galaies exer-
services à sa tribu dans les asseml>lées et dans cées à Ancyre:
ie sénat. La onzième tribu (dite) la nouvelle Communauté des Galates.
I.a
ol\ mpienne [ fait élever ce monument ] par les
oins de (jaius Bassus et d’Athénée Seogamus, Le Sénat.
la place étant donnée par le très-illastre sénat. î.e Peuple.
La Tribu.
Les inscriptions suivantes sont rela- Le I.égat impérial.
tives aux légions qui fixèrent leur rési- I.e Préfet de la distribution des grains.
dence à Ancyre : c’étaient la troisième,
I.es Sextiimvirs. '

la quatrième et la sixième. premier O Le Grand-Prétre.


monument est enclavé dans les murail- I.e Galatarque. • i

les du uns grande hauteur.


cliiitcau , à
I.e Phylarque.
Les caractères indiquent une époque L’Ast^ome.
ancienne. T.’lrénarque.
" La légion auguste (élève ce monument)
lit» L’Agoranome.
à questeur, édile du peuple, Toutes ces dernières magistratures
préleur, proconsul de Pont et de Bilhynie,
étaient électives et temporaires. C’est
de la distribution des grains, légat de la
iréfet
fégion VI ferrée, légat des empereurs, propre, pour cela que plusieurs citoyens sont
leur du peuple romain dans la province de cités comme les ayant exercées plu-
Galalie et dans la province de Cilicie, homme
rare et pieux. sieurs fois. Le grand nombre de stèles
élevées en Thouneur des phylarques,
La légion macédonienne auguste des agoranomes et des astynomes, me
était cantonnée à dix-huit milles d’An- porte à croire que le peuple était très-
l'vre et à vingt-cinq de Gangra, près du disposé à voter uu monument à cha-
village nommé aujourd’hui Kalatgik. Il que sortie t|e magistrature.
y a de nombreux fragments d’antiquités Lorsque la Galatie fut convertie au
.11 i t - •
II / '

Diqilizod hy Google
488 L’ÜNIVF.RS

clirifitianiMiie, de nombrnises églises nation des khalifes. Mais le pouvoir des


s'élevèrent dans la capitale. Ancyre enqiercurs byzantins était nul d.ms ces
resta métropole de la première Oalaiie, contrées, qui étaient devenues les ex-
et Pe.ssiiiunte de la seconde. Il ne reste trêmes frontières de leur empire; les
aiijourd'liiii qu’une seule église de cette prinees seidjoukides fondèrent à Ico-
époque ;
elle estdédiée à saint Clément nium un royaume qui s’étendit jusqu’au
d'Ancyre. Ce plan et la construction Sangarius; Ü.S s’emparèrent facilement
générale de cet édifice indiquent qu'il d’Ancyre, et en firent une ville, mu-
est postérieur au règne de Justinien. sulmane. Key-Kohad, seidjoukide per-
Il était orné de peintures et de mosaï- san, fut assiégé en 1213 dans Angora
ques qui ont été presque toutes détrui- par Key-Kawouss, qui s’empara de la
tes par les Turcs. ville. Le prince fut envoyé à Malatia,
L'histoire d’Ancyre pendant la pé- mais les émirs persans eurent la barbe
riode byzantine se résume en quelques coupée et furent promenés par la ville
faits pe'u importants C’est dans cette sur des ânes.
ville que l’empereur Jovien prit la pour- Pendant la m.albeureuse expédition
pre impériale, qu’il ne porta que peu de Frédéric Barherousse, les sultans
de jours , car il mourut avant d’arriver seidjoukides avaient feint de conclure
à Constantinople. Julien fut accueilli une alliance avec ce prince; mais lors-
avec de grands honneurs à son passage qu’il arriva dans les plaines du lac Salé;
à Ancyre. On a pensé que la colonne pays désert et sans eau potable, les
triomphale qui subsiste encore a pu croisés furent attaqués par les musul-
être élevée eu l’honneur de cet empe- mans. Ces derniers avaient, moitié par
reur. Klle est certainement de l’époque force, moitié par persuasion, décidé les
byzantine; cependant, comme elle ne chefs grecs, qui se trouvaient répandus
porte aucune inscription, on ne peut dans les bourgades éloignées, à ne porter
que faire des conjectures sur le person- aucune provision aux Latins, à retirer
nage ou l’événement qu’elle fut destinée les troupeaux dans les montagnes, et
à célébrer. surtout à ne fournir ni armes ni ncchcs
Laville d’Ancyre , après avoir sub- aux croisés. L’armée n'eut à résister, en
sisté pendant plusieurs siècles dans un réalité, qu’à des escarmouches; mais
état constant de richesse et de prospé- bientôt des privations sans nombre vin-
rité , vit son étoile pâlir, et des malheurs rent assaillir cette multitude qui s’et.ait
sans nombre vinrent assaillir sa popu- engagée dans des contrées inconnues.
lation. Si les invasions venues d’Occident L’historien arabe Ibn-Al-Aiir (l)fait un
avaient apporté à ces contrées la pros- effrayant tableau du désastre de cette
périté et la civilisation, les hordes qui armee , qui se dirigeait vers Antioche
commençaient à s’agiter sur les pla- pour rejoindre le corps de l’expédition
teaux de la Tarlarie leur préparaient de des chrétiens. Les soldats, exténués de
rudes épreuves. Les premières attaques soif et de faim , jetaient leurs armes et
que la ville d’Ancyre eut à souffrir lui mouraient de fatigue. C’est ainsi que les
vinrent du côté des Perses. Sous le Latins, sans cesse harcelés par les
règne d’Héraclius , elle fut prise par princes d'Iconium, gagnèrent la Cilicie
Chosroës (1). Rendue aux empereurs en franchissant les défilés sauvages du
après la défaite du prince sassanide, mont Taur’us; mais, arrivé près du
elle eut quelques années de paix, qui fleuve Cydnus, qui avait failli être fatal
luipernfirent de réparer ses malheurs; à Alexandre, le prince croisé, faible et
mais les Arabes, qui avaient envahi la blessé, tenta le passage a gué, et fut
Perse (2) et renversé le trône de Chos- emporté par les eaux. T.’armèe sans
roës , firent une irruption en Asie, pri- chef se dispersa et périt en détail ; bien
rent et ravagèrent Ancyre (3). Cette ville peu de croisés arrivèrent au camp d'An-
néanmoins ne resta pas sous la domi- tioche. Selon des croisa-
l’historien
des (2), la ville d’Ancyre aurait été, à
(i) A. 1). 6a5.
(a)A. D. 63i. (i) Tradiirlinn de M. Reynaiid.
(3) A. D. 664. (ï) Gesta Dei per Fiaiicos, ALiraT, Aqu.
ASIE MlMp;URE. 489

cette époque, entre les mains des croi- d’ean, de livrer bataille. Le combat
sés, commandés par Bohémond, qui eut lieu dans la plaine de Tchiliouk-
s'en étaient emparés après la bataille Abad, sur le terrain même où Pompée
de Dory lée ; mais l’armée de Barberousse avait autrefois battu Mithridate. L’armée
ne reçut d’eux aucun secours. Les turque fut dispersée, et Bayazid tomba
Latins i qui avaient pour ennemis les entre les mains de Timour. Cette mé-
Grecs et les musulmans, ne purent morable bataille eut lieu le 2 juillet
conserver la ville d’Ancyre; ils la pos- 1402.
sédèrent néanmoins pendant dix-huit
années , y bâtirent quelques églises, et CHAPITRE LVI.
réparèrent le château. La période qui
s'écoula entre la chute des princes LF. CHATEAU.
seldjoukides et la conquête définitive
d’Ancyre par les musulmans, fut un Le château d’Anevre passait à cette
temps tellement rempli de désordres, époque pour une des plus formidables for-
de guerres entre les émirs chefs de dis- teressesde l’Asie .1 l’égal decelle de Van.
trict, que l’histoire de cette province se Il est situé sur le sommet d’uue colline

trouve absorbée par celle des malheurs ni commande la ville et entouré d'un
sans nombre qui affligeaient toute l’Asie oubic rempart. L’intérieur, qui est
.Mineure. Les Turcs, sous la conduite aujourd’hui complètement abandonné,
du sultan Mourad, Gnirentparse rendre renfermait les casernes, les magasins et
maîtres d’Ancyre et réunirent cette
, une mosquée dont on attribue la fonda-
villeaux conquêtes d’Othm.'in, qui s’é- tion au sultan Achmet l'c. Comme dans
tendaient sur toute la cote de la Pro- toutes les forteresses turques, il y a en
pontide. Mourad, après avoir pris An- outre un certain nombre de mai.sons
gora, maria sa Glle Ncüdé avec Ala- qui étaient affectées à la demeure des
Mdyn 111, sultan d’Iconium, sur lequel tamillcs des janissaires et des soldats au
il conquis la ville. Il divisa ses
avait temps de sa grande prospérité, on com-
en cinq sandjaks, qui fu-
(lossesslons ptait à Angora cent soixante-dix sources
rent gouvernés par des .Sou-bachi. Il y naturelles,trois mille fontaines, soixante-
avait déjà longtemps que ISicée et seize mosquées, quinze couvenlsde der-
Broussa étaient entre les mains des viches avec des mosquées dont la plus
Ottomans. La puissance qu’ils avaient célèbre est celle de Hadji Rai'ram ; trois
acquise en Asie ne résista pas aux atta- mille derviches de son ordre et de celui
ques de ce fléau de l’Orient, qui après des Mewlevi peuplaient les couvents
avoir conquis la Bactriaue et la Perse, ou Tékés; trois établissements publics
venait fondre sur l’Asie occidentale, en étaient consacrés à la lecture du Koran;
conduisant ses hordes innombrables. Ti- on comptait cent quatre-vingts écoles de
mour avait hâte d’en venir aux mains garçons, deux cents bains, soixante-dix
avec les sultans ottomans; il avait déjà palais avec des jardins, six mille six
saccagé plusieurs villes appartenant aux cent soixante maisons, un bezestein ou
sultans, lorsque Bayazid vint au-devant marché couvert, et un grand nombre de
de lui à la tête d’une armée qui avait bazars peuplés d'une infinité de cafés,
battu les chrétiens et qui s’était aguer- d’écboppesde barbiers et de marchands.
rie par le .siège
de Constantinople. Les rues et les places étaient pavées de
Après le siège de Sivas Tiniour ap-
, pierres blanches et les maisons bâties
prit que Bayazid, Gis de Mourad, mar- en briques. On remarquait dans la popu-
chait contre lui, suivi d’une nombreuse lation un grand nombre d'hommes dis-
armée. Il alla au-devant du sultan jus- tingués, de savants, de poêles et d’hom-
qu’à Angora, et sont ma Yacoub, qui coin - mes de loi et de religion parmi lesquels
mandait la place, de lui ouvrir les por- le pèlerin Hadji Baïram a laissé un re-
tes. Sur son refus, Timour commença nom qui est arrivé jusqu’à uos jours; sa
le siège de la ville. Il Gt détourner le famille, qui dit- on se rattache à la souche
cours de la rivière de Tcliibotik-Aiiad, des princes Galates existe encore au-
cl Gt miner
les murs d’Ancyre. Bayazid jourd’hui et jouit d’un grand crédit dans
arrivant, se trouva forcé, par le manque le pays.
490 LUMIVERS.
Après tant de siècles d’occupation à la plus haute antiquité, puisque les
que la popula-
clraiiKère , il est évident villes de Baliylone et de Ninive .sont
tion primitive a dû subir une altération bâties de la sorte, est répandu dans-
notable par mélange du sang osmanli;
le toute la Perse, l’Assyrie et la Cappa-
néanmoins tous les Européens qui ont doce. Il n’est point douteux que ce ne
séjourné à Angora ont remarqué qu'elle soit la tradition qui ait conservé cet
conserve un caractère particulier. Le usage dans des contrées où la pierre est
sang gaulois se reconnaît chez un grand commune; mais le bitume qui dans la
nombre de sujets qui ont une barbe Mésopotamie, forme le ciment de ces
blonde et des yeux bleus. Cette obser- constructions ne se trouvant point en
,

vation faite en 1700 par Tournefort est Phrygie, il s’ensuit que, malgré la
encore vraie de nos jours, et si le ca- grande épaisseur des murailles, les
ractère gaulois de la population n'est maisons n’ont aucune solidité. De plus,
pas aussi vivace et aussi tranché que du comme on ne se donne aucun soin pour
temps de saint Jérôme, on ne peut nier orner l’extérieur, les rues de la moderne
(|u’il nesoit encore le type dominant sur- Ancyre ont un aspect de tristesse que
tout chez les habitants de la campagne. n’ont pas les villes plus modernes.
La langue celtique elle-même s’était La population se compose de Turcs,
conservée dans la colonie gauloise plu- d’Arméniens et de Grecs, et d'un cer-
sieurs siècles après son établissement, et tain nombre de familles arméniennes
dans le quatrième siècle saint Jérôme catholiques, qui ont obtenu la per-
constatait que l’idiôme national de la mission d’ouvrir une église. On évalue
population d'Ancyre était le mémo que toute cette population à 2.S.OOO âmes;
de Trêves, quand la
celui des habitants mais la ville est assez grande pour en
plupart des autres peuples de l’Asie contenir un bien plus grand nombre.
Mineure parlaient la langue grecque.
Cette observation de saint Jérôme tend CILAPITRK LVll.
à prouver cependant que jamais le Cel-
tique ne fut une langue écrite ; on a en LA VILLE MODEBNE ET LES HABI-
effet retrouvé dans les ruines d’Angora TANTS.
un grand nombre d’inscriptions grec-
(|ueset latines, mais on n’a jamais ren- Les murailles d’Angora du côté de la

contré le moindre monument épigra- plaine sont bâties avec des matériaux
phique en langue celtique. tirés des anciens édiliccs et reliés avec
Ancyre devint la proie des hordes tar- de terre ; une partie de ces murs a
la

tares Broussa, Smyrne, Sébaste, eurent


: été relevée pendant la courte domina-
le même sort; mais les Ottomans re- tion de Mehemet Ali en 1833 le gou- :

prirent l’offensive quelques années plus vernement Turc ne parait avoir aucun
tard, et .Mahomet I" réunit Ancyre au souci de l’entretien des villes de l’in-

patrimoine des enfants d’Uthman. térieur.


Malgré tous ses malheurs la ville
,
Le château qui domine la ville et qui

moderne d’Angora est une des plus occupe certainement l’emplacement de


peuplées de l'Asie Mineure. Elle doit la l’ancienne forteresse galate n'offre plus
prospérité relative dont elle n’a cessé aujourd’hui qu’un amas de construc-
de jouir, à son heureuse situation , à tions incohérentes. Il est composé
un climat admirablement sain , à un d’une enceinte de murailles flanquées
sol fertile, cl surtout à ses innombra- de tours dans lesquelles on a employé
bles troupeaux de chèvres, dont la une quantité, de matériaux antiques,
toison, d’une beauté unique, suflirait une secoiideenceinteappelée Ineh Kalé,
pour enrichir une population double de le château intérieur, était pendant notre
celle de la province. séjour à Angora tout à fait inaccessible ^

Quoique le pays ne manque pas de on avait barré la porte en dedans et


pierre à bâtir, l'usage général est de l’on était sorti en franchissant le mur
construire les habitations avec des bri- avec une échelle; ce fort ne renfermait
ques crues formant une espèce de pisé. disait-on, que des vieux affûts et des
Ce genre de construction, qui remonte armes hors d’usage. Mais les souter-
AâlE MINEURE. 491

raiDS servant de prison pouvaient être disaient ; l’impôt sur le vin est fixe, les
usités. ()D y avait conduit pendant la chrétiens doivent annuellement 25,000
ifuerre d’Egypte un certain nombre de piastres : si la récolte est abondante ils
Français prisonniers de guerre. payent peu, si elle est mauvaise l'impôt
Cette prison forme une. longue ga- est en effet onéreux.
lerievoûtée qui ne reçoit l’air que par l.a dette de 85,000 piastres, objet de
des soupiraux étroits ; le long des murs la contestation datait de l'arrivée des
,

sont rangés de longues poutres ser- troupes de .Meliemet Ali il iTy avait;

vant de ceps pour passer les pieds des pas de caserne pour les loger, le gou-
prisonniers qui sont forcés de rester verneur fut obligé de les loger chez les
toujours étendus sur le dus. 1,'anti- habitants; mais les rayas ne voulant
chainbre de la prison est en harmonie pas recevoir ces musulmans dans leurs
avec l’appartement c’est une salle
: maisons proposèrent de s’exonérer de.
carrée et haute ménagée dans le mas- eetle charge en payant une somme au
sif d’une tour, au milieu est un poteau gouverneur qui né refusa pas de leur
avec un escabeau, c’est là qu’on étrangle donner un reçu , mais dont il ne se
les criminels. reconnaît pas debiteur, puisqu’ils pou-
On remarque dans lechàteau plusieurs vaient se dispenser de cette charge en
de marbre, d'un travail grossier;
lions logeant les musulmans.
d’animaux sont aussi très-ré-
ces ligures I.’assiette de. Timpôt est générale-
pandues dans la ville on en compte : ment mauvaise, les terres ne sont im-
plus ils ont presque tous la
de quinze
;
posées que sur le produit, de sorte
même attitude, ils sont assis sur leur qu’une terre en friche ne paye rien.
croupe. Pour les propriétés urbaines, l’impôt est
Il est très-difOcile de connaître d’une minime une maison dont la surface est
:

manière exacte la population des villes de vingt-quatre mètres carrés paye


musulmanes : les recensements sont vingt-sept franes. La culture du tabac
très-incomplets surtout pour le sexe est Timpôt du sel n’est que de
libre,
féminin. Les chrétiens forment le tiers quelques paras par kilos un para est :

lie population qui est estimée en


la aujourd’hui la huitième partie ^un cen-
gros a vingt-huit mille habitants; tout time.
le grand commerce est entre leurs A mort d’un chef de famille, chez
la
niains. La ville envoie annuellement cent les Musulmans, le Mollah et le Kadi
cinquante mille piastres comme cadeau sont chargés de liquider la succession :

au Séraskier paena ; cette somme était la veuve a droit à un huitième, la part


en grande partie prélevée sur la popu- des filles est moitié de celle des gar-
lation chrétienne. On sc plaignait neau- çons ; s’il reste un frère, dans sa première
coup de la hausse des farines, le pain ènfaiice il e.st élevé aux frais communs
.se vendait alors quinze paras Toque, en de la famille sans préjudice de ses
d’autres termes pour ijuatre francs on droits.
pouvait avoirquarante-six kilos de pain ; Pour ses fonctions d'officier public
a K.ara hissar dans le même temps le leMollah prélève au nom du gouver-
même poids de pain coûtait deux francs nement deux paras par piastre ou cinq
soixante-dix centimes (1). pour cent. Les Turcs et les Grecs doi-
I>es griefs des rayas ne se bornaient vent en outre l’impôt urbain pour Ten-
pas là ils se plaignaient de ce que
: Iretien de la cité et de la police. Il n’y
le MutzeTiim augmentait chaque année a pas de pays où Ton parle moins de
l’impôt sur le vin et sur les marchan- voleurs; les maisons sont à peine closes,
dises à Tinsu du sultan de ce qu'ayant et pendant un long séjour dans cette
;
emprunté aux rayas 85,000 piastres, il ville, je n’entendis jamais parler d’un
n’en payait pas Tiniérêt, mais de plus il méfait de ce genre.
refusait de les rendre. La grande charge, Timmense. diffi-
De leur côté les agens du Mutzellim culté qui arrête tout progrès industriel
est cette horreur des iiiuovations qui
(i) t'oy. le Comf/e renf/ti de C Académie tient aussi bien les chefs que les admi-
d« ieteiices, » mai s i835. nistrés ;
personne n’aurait l'idée d’éta-
(!)2 i;nNivKRs,
blir une manufacture ; les chutes d’eau ragamous, à l’est de Muhalitch. Quel-
sont magnifiijucs aux alentours de la ques débris d’antiquités épars dans le
ville ; on pourrait y fabriquer des étoffes cimetière et autour de la mosquée in-
de toute sorte, le" coton la laine et le
,
diquent que ce dernier village occupe le
lin abondent dans le pays, tout cela est site d’une ville antique dont le nom
travaillé à la main nu exporté brut. Il n’est pas encore déterminé; la route est
tracée dans une plaine bornée par de.s
y avait dans le siècle dernier plusieurs
"maisons européennes établies dans le collines couvertes de pins et de chênes
pays, aujourd'hui il n’y a pas un seul verts. Mais toute cette végétation est

apênt; ou exportait alors plus de vingt- de chétive apparence ; preuve de la stéri-

cinq mille balles de chalys, de bas et du sol.


lité

d'antres étoffes de laine, aujourd’hui La vallée de la Sakkaria est évidem-


l’exportation ne s’élève pas à cinq mille ment formée par l’érosion des eaux qui
balles. tendent toujours à l’élargir, et entraî-
Le Uhamnus ïinctorius, arbrisseau nent ce limon d’argile qui va former à
plus connu sous le nom de Paliure, son embouchure ces bancs formida-
a été cultivé avec avantage dans les en- bles qui forcent la rivière à changer son
virons d’Angora, c’est cette plante qui cours.
donne la graine pour la teinture; elle se l,es petits ruisseaux qui affluent dans
vend huit piastres l’oqiie(2 fr. 70, 1 kil. son cours sont chargés de sels gyp-
25h.): la récolte totale dépassaiten 1835 seux et alumineux. La roilte suit la
quatre cent cinquante mille piastres. même direction jusqu’à Bey bazar tout ;

Le pacha d’Angora a dans son Kpar- le terrain est d’argile subordonnée à la

rbie cent quatre-vingts villages, qui réu- craie. De temps à autre on voit s’ou-
nissent quatre-vingt-cinq mille habi- vrir quelque large vallée où paissent
tants, c’est donc m e population très- les belles chèvres d’Angora et de nom-
nomades ne comptent
clair-semé.e, les breux troupeaux de moutons dont la
nas. La force armée est très-peu nom- toisonestd’uue blancheur remarquable,
breuse, cependant le pacha disait qu'au indice certain des soins dont ces trou-
moyen de ses communications avec les peaux sont l’objet de la part de leurs
Voivodes on pouvait réunir dans le cen- bergers.
entre
tre la Phrygie une armée de trente
de Il
y a douze heures de route
millehommes. Ces chiffres qui nous ont Muhalitch et Bey bazar cette petite
:

clé donnés par les autorités, montrent ville est bâtie sur la pente de tr ois col-

combien est faible la population du lines dans la vallée de la Sakkaria, on


rentre de l’Asie Mineure. rcmaripie plusieurs maisons à deux
y
Nous quittons avec regret cette ville étages construites tout en bois sur la
tl’Ancyre dont l’histoire pourrait four- pente de la colline les couverturessont
:

en-
nir la matière d’un volume. Mais le faites en bardeau. Bey bazar
temps nous presse, nous avons encore tourée de jardins cetté ville est célébré
:

de vastes provinces à visiter, nous re- |>ar ses fruits et surtout par ses poires
trouverons encore plus d’une fois le qui sont vendues à Constantinople sous
le nom de poires d’Angora. On y
cultive
nom des Gaulois, cité, avec honneur
lagunes
dans les guerres que les Romains et les le riz avec succès dans des
Byzantins ont eu à soutenir sur les préparées exprès pour cette culture.
la
frontières orientales de l’Empire. Comme point de halte de caravanes
et a
ville offre un tableau très-animé
'U‘|
CHAPITRE LVm. un aspect presque européen ; on y
descharrons et des maréchaux ferrants

les hreufs de travail sont ferrés


comme
MLLES DE GAL.'VTIE DANS LE BASStN
SUPÉBIEUR DU SANOABIUS. les chevaux. .

La branche du .Sangarius qui P?-'*®


La grande route de caravane entre Bey bazar porte dans son cours diltcren
Ai'gora et Broussa passe par les villes noms pris des divers villages ou e ^
la m
de Ak sou, Kally khan , et vient gagner passe, elleprcnd sa source dans
la vallée du Sangarius au village de Ca- tagnede Goeuk dagh au nord d AHo
ASIE MINEURE. 493

et s’appelle Kéréniis sou


;
plus bas, vers CUAEITRELIX.
d’Istanos, elle change de
la petite ville

nom pour prendre celui de la ville ; ISTANOS. — LES OPPIDA DES RALA-
on conçoit quelles diflicultés devaient TES. — LES RROÏTES HABITABLES.
éprouver les premiers explorateurs au
milieu de ce dédale géographique. Pendant notre séjour en Galatie, nous
La ville d’Ayasch est éloignée de qua- avons cherché vainement deux souve-
rante-deux kilomètres de Bey bazar on ; nirs (le nos ancêtres les traces de la
:

Sakkaria,une fois sur


passe (leux fois la langue celtique dans les nombreux mo-
un pont de bois, une autre fois à gué. numents épigraphiques dont le pays
Ayasch est très-heureusement située à abonde et les vestiges des monuments
nn-côte d’une montagne assez élevée du culte druidique, les dolmen et les
appartenant au système calcaire juras- tneubir de l’ancienne Gaule, répandus
sique. C’est dans cette ville que com- non-seulement dans les provinces du
mence le commerce du poil de chèvres, nord, mais encore dans les régions mé-
mais le Ul d’Ayasch est moins fin quece- ridionales. Nous en avons signalé un
lui d’ Angora. Les troupeaux de cliévres dans un jardin de Draguignan, dépar-
et de moutons à grosse queue sont très- tement du Var; et sur la côte d’Afrique,
nombreux dans les campagnes envi- aux environs de La Galle, au village de
ronnantes ; le baromètre marque sept Tarf, sur la rive droite de l'Oued el Ké-
cent vingt mètres au-dessus du niveau bir, il a été observé de véritables dol-
delà mer; les hivers sont froids et il men et un Cromlek dont Indisposition
est rare que chaque année la neige ne ressemble au Stone Hciige de l’Angle-
reste pas quelques semaines sur la terre. terre (I). Il est donc certain que par-
D’après les renseignements donnés tout où les peuples gaulois ont sé-
par le Voïvode ou compte à Ayasch journé, ils ont élevé des monuments du
cùKj mille maisons, ce qui donnerait une même genre, mais nous n’en avons pas
population moyenne de vingt-cinq mille trouvé un seul en Galatie , malgré
habitants bien des courses faites sur de vagues
Ayasch est distant d’Angora de cin- indications des indigènes. Nous en con-
quante-quatre kilomètres: la route fran- cluons que les mominients de ce genre
chit un col assez élevé et désert, on re- out été détruits, soit pendant la pé-
descend ensuite dans la grande plaine riode romaine, quand les Galates se
dépendant du Haimanah dans laquelle sont soumis aux lois et à la religion de
serpente la rivière d’Angora. Rome, soit sous les empereurs chrétiens
C’est surtout parmi les bergers de qui faisaient plus que les Ro(nains la
ces régions que l’on remarque des traits ^erre à toutes les religions étrangères.
analogues à ceux de nos paysans de 11 n’en est pas ainsi des refuges na-
France, les barbes blondes ne sont pas turels ou fortifiés où les Gaulois en Asie
rares et la forme de la tête est plus ar- comme en Europe avaient l’habitude
rondie que celle des races turcoinanes. de se retirer avec leurs biens et leurs
Le souvenir des anciens Gaulois, en- faniilles dans les cas d’une alerte sou-
tièrement effacé parmi le peuple est daine; ces lieux choisis dans des con-
cependant resté chez les lettres du pays, trées d’une défense facile, ordinaire-
et la famille de lladji Baïram se vante ment sur les plate,aux élevés des mon-
dedfseendre des princes qui ont autre- tagnes les plus inaccessibles, se retrou-
fois gouverné le pays. On fait halte à vent encore dans plusieurs régions de
dans un petit café prèsd’un
moitié route, la Galatie, et les premiers observateurs
marabout bSti au bord de la rivière, et qui les ont retrouvés n’ont pas hésité à
bientôt après on voit se dessiner à l’ho- reconnaître des camps retrancliés des
rizon un rocher long et cambré c’est le
; Gaulois, des Oppida comme César les
château d’ Angora, qui domine la ville. nommait. Les grottes naturelles qui se
Ilressemble à la montagne qui domine rencontrent dans le flanc des monta-
Constantine et que les arabes appellent
Serdj el Aoud,la selleducheval,à cause (i) Vov. lU'cbèrcs et Kuiiyle.^, Baviic orieit~
de sa cambrure. taie et américaine, t, IV, p. a44, i8bo
49-1 L’UMVERS.
giies ont été agrandies et disposées de village. Dans le voisinage immédiat, et
manière à être rendues habitaldes. En dans une muraille de rochers qui se
remontant la rivière d’ Angora, depuis prolonge jusqu'au sommet, ou aperçoit
Avasch jusciu’à la petite ville d’istanos, de loin l’entrée d’une vaste grotte qui
oii traverse un pays montagneux, coupé doit avoir servi à compléter le système de
j)ar de nombreuses vallées dans lesquel- refuge gaulois dont le camp retranché
les les tribus gauloises ont dil ebereber formait la principale defeuse. Un nom-
à prolonger la résistance aux armées bre considérable d'habitants pouvait
romaines après la défaite qu’elles ont s’y tenir caché, son étendue est de cin-
éprouvéedans roiympe. quante pas de large et vingt pas de pro-
Istanos est bâtiêà l’entrée de la vallée fondeur et elle offre plusieurs issues.
et sur le bord de la rivière Tchar sou, que Elle est creusee dans la pierre calcaire
l’on traverse sur un pont. Sa population avec de grands liions de calcaire spa-
secompose de’furcset d’Arinéniens; ces thique. Une grande muraille défeudait
derniers y sont en grande majorité. Les l’entrée principale; cette grotte ne sert
mai.sons s’élèvent enampbitbéâtre sur la plus aujourd’hui qu’aux bergers du
pente de la montagne, qui est couronnée Yaéla, qui s'y retirent à l’abri du mau-
par d’anciens édiüces. Les jardins sont vais temps.
sur la rive orientale de la rivière, et au En continuant de remonter la vallée,
milieu des arbres s’élève la nouvelle on arrive à la montagne de Glicrmceli
église bâtie par les soins de la popula- dagh. couronnée par le château de Gher-
tion chrétienne. mech kalé, au pied duquel coule la ri-
On remarque dans la partie supé- vière d’Angora. Dans l’été, cen’estqu’un
rieure de la montagne un certain nom- mince filet d’eau saumâtre, mais au
bre de grottes et de cavernes. L’une de printemps et en hiver le passage offre
ces grottes a 3 mètres de long et 2"‘50de quelque difficulté; une source thermale
large; une seconde a ll'"30de long et prend uaissauce sur la pente nord de
3™30de large; une troisième secompose la montagne du château; elle alimente

de trois étages superposés, qu’on ne peut un bain de construction -ancienne, l’é-


atteindre qu’en montant sur les rochers difice est couvert par une coupole et
éboulés et eu franchissant une espèce de passe dans le pays pour un édifice gé-
pont vermoulu. On peut alors pénétrer nois, Djinévise Raima, c’est le nom que
dans d’autres grottes et dans un couloir l’on donne à tous les bâftiments dont
étroit qui a cent quarante-cini( pas de l’origine est ignorée. Selon M. Aiiis-
long ; on y trouve des conduits sembla- worth ( 1 ), le château de Ghermecli est
bles à des ebeminées et des séparations de construction romaine, et les thermes
qui font supposer que ces grottes ont peuvent être de la même époque. L’a-
été habitées par plusieurs familles; on nalogie entre le nom de cette munlagne
ignore dans le pays quelles gens vivaient et celui de la ville de Germa est à re-
dans ces repaires et à quelle époque marquer ces deux noms ont leur r.iciiie
:

ils ont été habités ou creusés on n'y


; dans le mot sanscrit Ghariiia, chaleur.
trouve rien qui puisse guider dans ces La vallée de la rivière d’Angora offre à
recherches. I^es habitants de la ville chaque pas des sujets variés d’observa-
montrent une certaine répugnance à tion pour l’antiquaire ou le géoloeue;
accompagner les étrangers dans la vi- entre les deux villages de Yokara Tm-
site de ces singuliers monuments. kali et .\châa Turkali, Turkali d'cii
En continuant de remonter la vallée, haut et d’en bas, la moutagne prend
on atteint les pentes du Goeuk dagh, plus d’élévation et donne naissance a
dans les hauteurs duquel on remarque une autre source thermale. Dans la par-
une enceinte construite en grands blocs tie supérieure de la vallée, à une hau-
de pierre, qui offre une certaine régula- teur de cent cinquante mètres, s’ouvre
rité dans ses dispositions. On ne saurait une grotte spacieuse avec une défense
douter que ce soit l'ouvrage des Galates. fortifiée qu’on iieut apercevoir de loin.
Un peu au-dessus de cette enceinte se
tinuvele village de Gazokleu, et dans la (i) Aiiiswoi'lli, TraveU ami rfiearclifii

moutagne est le Yaéla des habitants du in y4 iia Minor, t. 1, 187.


,

ASIË MINEURE. 495

Ce s’appelle Kirsiz Magharasi, la


lieu sous le nom de Karu Viran, les ruines
grottedes voleurs. Il semble que cette noires.
construction a été faite pour la défense Une unique muraille, bâtie de pierres
du passage. colossales sans mortier ni ciment, en-
Unoppidum gaulois très-remarquable clôt une enceinte de quarante mètres
a été observé’ ^r M. Hamilton sur la environ de diamètre, et près de là sur
route d’Angora à Sevri hissar, au vil- une croupe de rochers s’élève un petit
lage de Assarli keui, situé à trente-deux fort de ia même constructiou.
kilomètres au sud-sud-ouest d'Angora. C’est seulement dans les régions qui
En partant de cette ville on fait douze ont été occupées par les Galates que
kilomètres et demi jusqu’à une étroite l’on trouve de ces réduits fortiGés ; ils
vallée au fond de laquelle coule une ri- diffèrent en tout point des autres ves-
vière dans la direction du nord, on fait tiges antiques observés dans les autre.s
halte au village de Ualouk Kouyoum- provinces, et sont situés dans des lieux
ji (I) situé à vingt-neuf kilomètres d' An- élevés où les populations pouvaient
gora. Une colline qui domine le village transporter en cas d’alerte leurs familles
est couronnée par une fortitication qui et leurs biens.
a tout le caractère d’une haute anti- I^s habitants d’Angora ont observé
quité. Elle consiste en une enceinte cir- dans un rayon de trente à quarante ki-
culaire dont les murs ont plus de trois lomètres de leur ville un certain nombre
mètres de haut et sont construits en de grottes et de réduits semblables à
grands blocs de trachyte de différentes ceux que nous venons de décrire. On ci-
dimensions. Un autre mur intérieur tait aussi au village de Kerbetcbenek
s’étend du côté du sud-est, tout l’inté- à trente kilomètres sud d'Angora, une
rieur de l’enceinte est divisé en un cer- grotte spacieuse dont l’entrée était mas-
tain nombre de chambres ou de cellules quée par d’énormes rochers et dans la-
qui forment un véritable labyrinthe, de quelle était un puits. En descendant au
manière qu’il n’y a ni issues ni pas-
, tond du puits on arrivait dans une se-
sages pour aller de l’une dans l’autre : conde grotte où se trouvait un lac. Rien
cet ensemble d’ouvrages est désigné dans ce récit ne paraissait eu dehors
par les paysans sous le nom de Assarli des limites du possible: nous résoldtnes
kaïa, la pierre d’ Assarli; ce genre de de tenter cette excursion, le 26 juillet
construction ne porte aucun indice de 834. Partis d’Angora à dix heures du
l’art romain ni byzantin, il est tout à matin, nous traversons une région aride
fait eu dehors des usages civils ou guer- qui commence à donner une juste idée de
riers des peuples musulmans. On ne la province de Uaimanah, et après cinq
peut y recoiinaitre qu’une de ces forte- heures de marche nous arrivons à Ker-
resses bâties par les Gaulois, peut-être betchenek, gros village situé au pied
les Troemiens lorsqu’ils prirent sons d’une colline marneuse dans laquelle
leur protection les familles des guer- est effectivement une grotte spacieuse,
riers qui allaient combattre Manlius. mais qui ne présente nen d’intéressant
Ou haut de cette colline la ville s’étend au point de l’antiquité ou de ia géologie ;
snr toute la contrée environnante, et les au fond de la grotte coule uu maigre
maîtres de cette fortere.sse pouvaient Glet d’eau mais le puits ni la grotte
,

longtemps d’avance faire leurs prépara- souterraine n’existaient pas. C’est la der-
tifs pour repousser l’ennemi. nière observation que nous eûmes lieu
Au nord et dans la vallée de la rivière de faire avant de quitter les euvirous
d’Angora, M. Ainsworth a observé un d’Aucyre, qui offriront encore long-
autre oppidum non moins remarquable temps des sujets nouveaux d’observa-
que les précédents ; il est voisin des tion aux voyageurs qui voudront y pro-
sources chaudes uoiiimées Al-Kbatoun, longer leur séjour.
la dame, et domine la montagne de
Sgtiilir. Ce lieu est désigné dans le pays

(ijLc villuKe de Assarli keui est à quatre


kiloiiiélres plus au sud.
4i)(> L’UNIVERS.
CHAPITRE LX. sous l’inscriplion suivante « Aur. Ué-
:

lius F. de Domnus du bourg des Clos-


«’akcvbe au pays des trocmiens saméniens Néocore (du temple) de Ju-
KALADJIK. piter Bossouritius s’est élevé ce monu-
ment de son vivant (f]. > Aucun histu-
On compte six heures de marciie rien ne mentionnant ni la ville ni le dieu
d’Angora à Tchibouk, etautant de Tchi- topique, tout ce qu’on pourrait ajouter
boiik à Kaladjik. ne serait que pure conjecture.
La d’Angora, appelée par les
rivière D’après les extraits que nous avous
indigènes Enguri sou, avait déjà été re- faits des différents auteurs jusqu’à la
connue par Pococke pour un affluent chute de l’empire de Byzauce, nous
de la Sakkaria; elle coule de l’est à comptons en Galatie cent trente-cinq
l’ouest dans une grande vallée qui reçoit noms de villes et de bourgs on voit :

d’autres affluents, notamment le Tcbi- combien il en reste encore à déterminer.

bouk sou, ainsi nommé d’un village Kaladjik est une petite villeassez heu-
situé au nord-est d’Angora. Cette der- reusement située ; elle s’élève en pente
nière rivière prend sa source dans la autour d’une colline rocheuse couron-
montagne d’Aïdos, arrose la grande née par un chAteau une muraille en
;

plaine de Tebibouk ova si dans laquelle partie crénelée forme l'enceinte; les
eut lieu la bataille entre Timour et maisons sont bâties en briques crues
Bayazid, le 2 juillet 1402 , et se jette récrépies avec de l’argile jaune; les
dans la rivière d'AngOra uu peu au-des- rues sont étroites, mal pavées et en
sous de cette ville. pentes rapides ; mais les jardins qui en-
Le village de Tchibouk est composé tourent la ville lui donnent un aspect
de soixante-six maisons; il est assis au pittoresque. La population est de trois
bord de la rivière de Tchibouk sou, qui mille Ames et sc compose de Turcs, de
traverse la plaine; plusieurs campements Grecs et d' Arméniens. A mesure qu’on
dé Yourouk y sont installés pendant l’été. avance vers l’est, cette dernière popu-
Les Youroux possèdent un grand nombre lation devient de plus eu plus nombreuse
de chameaux et conduisent les caravanes dans les villes.
entre'focat, Alep etSmyrne; leur pro- La colline du cbAteau est uu épan-
bité est connue dans le pays on leur
; chement trachytique , qui s’arrête à la
confie les marebandises les plus pré- vallée voisine ;'tout le reste est calcaire.
cieuses, sans crainte de voir un ballot Le chAteau est un amas de construc-
s’égarer. Le bassin de Tchibouk sou est tions de différents Ages , la plus grande
peuplé de nombreux villages parmi les- partie a été réparée par les Turcs; ou
quels on en compte un certain nombre trouve dans les murs quelques frag-
qui renferment des débris d'architec- ments antiques et plusieurs pans de
ture, preuve certaine qu’ils occupent murailles encore en place sont certai-
l’emplacement de quelque ville antiuue. nement de construction romaine. Best
De ce nombre, il faut compter Akdjah hors de doute que l’on est sur l’empla-
tasch à trois heures nord-ouest de Ka- cemeut de quelque ancienne ville. Le
ladjik et au nord de la plaine. cimetière arménien abonde eu fragments
Une colline composée de roches cal- antiques; cinpes funéraires, deux lions
caires qui s’élève au-dessus du village de marbre (Je travail byzantin, corni-
parait avoir servi de base à l’Acropole. ches et colonnes brisées, tout cela n’a pu
Les murs des maisons renferment un étreapporté de loin. Ou remarque cepen-
grand nombre de monuments antiques dant deux bornes milliaires, dont l'une
et plusieurs fragments de sculpture. On porte une inscription en l’bonueur de
remarque une stèle sépulcrale de pierre l’empereur Hadrien et le numéro XXXy.
portant une inscription, et le buste d’un nom de la ville manque. Il estdifü-
sénateur romain. Une autre stèle encas- cile de savoir quel est le point de de-
trée dans la muraille d’une maison re- part de cette borne milliaire, le treule-
présente deux figures, et au-dessous une cinquième mille, qui représente SI kil.,
autre ligure à mi-corps avec la toge et
entourée d’une couronne ; ou lit au-des- (i) Haiiiilloii, I. I, 4'i’

by Goo'jlf
ASIË MINEUaK. 4» 7

76 ne concordant ni avec la distance CHAPITRE LXl.


d'Aucyre à Kaladjik ni avec celle de
KaladjikàGangra, aujourd’hui K.iangari. TAVIUH. — NEFM KBUl.
Une grande vallée arrosée par une
rivière détend au nord de la ville , les Dans le partage des provinces d’Asie
eaux sont aménagées pour l'irrigation la partie occidentale de la Galatie qui
des jardins, qui sont nombreux et bien s’étend à l’est du fleuve Halys échut aùx
entretenus. Trocmiens, c’était selon Strahon la ré-
La route de Songourlou suit la direc* gion la plus fertile, et de nos jours elle
tion de l’est par un pays désert et mon- peut encore soutenir son ancienne répu-
tueux; on arrive après une heure et de- tation, elle est surtout célèbre par les
mie de marche dans la vallée de l’Halys. fruits de ses vergers. Les Troêmiens
Le fleuve roule ses eaux rougeâtres possédaient trois villes principales, Ta-
dans un lit très-encaissé; un pont vo- vium grande place de commerce où
lant soutenu par quelques piliers chan- l’on voyait un colosse d’airain repré-
celants est la seule voie ouverte aux ca- sentant Jupiter et un bois sacré ayant
ravanes; il n'a pas plus de trois mètres droii d’asile. Pline se contente de men-
de large, le tablier est à six mètres au- tionner cette place dont l'importance
dessus^ du niveau de l’eau, et n’a pas commerciale est indiquée par le grand
même une balustrade pour arrêter l’é- nombre de routes qui y convergeaient.
rart d'une bête de somme. On ne peut Aussi tous les savants qui se sont oc-
pas dire cependant qu’il manque d’en- cupés de la géographie de l’Asie Mi-
tretien, car deux ans après mon passage, neure ont-ils cherché, à défaut de ren-
i\I. Humilton trouva les trous des plan- seignements positifs, à établir la position
ches pourries réparés avec des pierres de Tavium d’après lesilinérairesanciens;
qu'on avait traînées sur le pont. mais quand ces documents ne sont pas
Songourlou est une petite ville de appuyés sur des observations locales,
deux cent cinquante maisons ; sa distance ils peuvent conduire à des erreurs no-

d’Angora en ligne directe est de trente tables. Il en a été de Tavium comme de


heures de marche; elle est à six heures Pessinunte la capitale des Trocmiens
:

du pont de l’Ilalys. Une grande partie a été .successivement placée dans des
du pays est en friche, mais dès que les régions bien éloignées l’une de l’autre.
vallées ont un filet d’eau les cultures Danville regardait Tchoroum comme
reparaissent et les vergers donnent des satisfaisant aux conditions cherchées. Le
fruits renommés. col. Leake et le d' Cramer (I) sont
Uiekbass est un joli village de ccnt disposés à l'identifier avec Youzgatt.
cinquante maisons, distant de cinq heu- M. Uamilton a publié deux Mémoires
res de Songourlou on peut observer dans
; pour prouver que Boghaz keui n’est au-
le cimetière quelques fragments d’ar- tre chose que l’ancienne Tavium ; nous
chitecture ancienne. Toutes les maisons n’avons jamais été de .sou avis et dès
sont séparées par des jardins; les ver- l'année 836 nous avons appelésou atten-
1

gers couvrentles collines environnantes, tion sur le village de Nefez keui, dont la
(liekbass est la dernière station avant position à l’égard d’Angora s'accorde
d’arriver au village de Boghaz keni, qui avec celle de Tavium, et les monuments
occupe remplacement de Pterium, et romains et byzantins prouvent que cette
dont le territoire appartenait au royaume ville fut habitqe dans les temps chré-
du Pont Galatique Nous décrirons cette tienscette preuve manque absolument
;

ville avec la province de Pont. Il en est pour Boghaz keui. Depuis vingt ans
de même des autres villes qui ont été cette dernière ville a été visitée par un
tour a tour annnxées à la Galatie et en grand noinbrede voyageurs érudits, et la
ont été détachées pour faire des États question est aujourd’hui jugée.
séparés sous les gouvernements d’A- Nefez keui est située à vingt-quatre
myntas de Déjotare et de Bogadiatare. kilomètres au sud de Boghaz keui tout ,

ce district est habité par les Turcomans

(i) Asi» Minor, I. 11, p. loo.

S2‘ üvrahon. (Asie Mineubu. ) t. ii. 33


..

49S L’UNIVERS.
i^uiabandonnent leurs maisons pendant descriptions ne puissent convenir à l’an-
1 pour aller demeurer sous la tente.
été cienne Taviuni. L’un des deux tem-
Les ruines de la ville sont situées à un ples a pu être celui de Jupiter; la
kilomètre et demi à l’ouest du village, position de Nefez keui dans un pays
mais déjà dans le cimetière on trouve ouvert et acce.ssible convient mieux a
des fûts de colonnes et des fragments la ville des ïroemiens que celle
de
d’architecture. La première chose que Boghaz keui dont le nom seul, le village
remarqua M. Hamilton en visitant les du défilé, indique un pays montagneux
ruines, où il reconnut l’emplacement et difficile. Or, d’après lestables, Taviuni
d’une ancienne cité, ce fut un grand était une ville où convergeaient sept
bâtiment dont les f^ondations avaient grandes routes allant du nord au sud et
été touillées depuis peu dans un espace de l’est à l’ouest.
de huit mètres; le fossé était rempli de La distance d’Ancyre à Tavium est
grandes pierres de taille, appartenant au donnée par deux documents anciens.
mur extérieur, qui étaient reliées par des La table de Peutinger est incomplète,
crampons de fer. Deux colliues qui s’é- la distance entre les deux dernières sta-
lèvent a peu de distance de la ville sont uoiis manque; elle n'est cependant pas
désignées sous le nom de grand et de pe- inutile comme point de comparaisou.
tit château ; à uue petite distance vers le
nord on trouve encore un certain nom-
bre de grandes pierres calcaires qui
Table de Peutinger.
marquent l’emplacement d’un temple Anevre. MîIIps. Kilomèfrcs.
ou de quelqu’autre édilice important Acitorîhiaco . . . .36 53,244
parmi lesquels on reconnaît des parties Eccobriga . . . . . 3;a 48,807
d’architraves et de riches cormcties;
Lassora 37,975
plus loin M. Hamilton observa unepièce
Stabiu . t7 25,143
de marbre portant des lettres de sept
ou huit pouces de haut et qui paraissent m 165,169
avoir fait partie de la dédicacé d’un
temple. Plusieurs inscriptions presque Itinéraire d’Autonin.
toutes byzantines ont été copiées, mais
Ancyra. -M. R, Kil. M.
as une ne contient le nom de la ville (I ).
I. Brant, consul anglais, visita aussi le
Boleslasgus. . . 24 3.'i,496
Sarmalius. . . . 24 35,496
viilagedeNefez keui venant de Youzgatt
Kcobrogis . 20 29,580
et allant à Boghaz keui. Il
y trouva de Adapera 24
nombreuses pièces de marbre employées
. 35,496
Tavio 35,496
dans la construction des maisons mo-
dernes, un certain nombre d’inscrip- 116 171,564
tions et de nombreux fragments de co-
lonnes et d’autres restes d’architecture. Il faut donc compter environ cent
Sur la colline qu’on appelle le château, quatre-vingts kilomètres depuis Aiicyre,
des fouilles avaient mis à découvert les cette distance convient parfaitement à la
restes d’un bel édifice antique dont les position de Nefez keui.
murailles étaient revêtues de plaques Cette question de la position de Ta-
de marbre. Sur l’autre colline on avait viuin a été examinée avec maturité par
aussi fait des fouilles dans le but d’ex- Cari Bitter, qui en définitive est disposé
traire des marbres qui devaient être à se ranger de notre avis. « Il reste la
transportés à Y^ouzgatt pour construc-
la possibilité de l’exactitude des conjec-
tion d’une mosquée. Les médailles tures de Texier, lequel considérant que
trouvées dans ces fouilles avaient été la ville de Tavium fut florissante pen-
fondues sans que la science en tirât au- dant la période chrétienne et pendant
cun profit (2). On ne saurait nier que ces les temps byzaiitius comme cela est
prouvé par les actes des conciles, pense
(i) Hamilloo, Researehes, lom. 1"', 3g i. que cette ville devait se trouver au vil-
(a)Cai'l. Hilter Erdkiiuüe, t. IX, part, i”', lage voisin de Nefez keui, tandis que les
page 3jo. ruines de Boghaz keui nereiiferiiieiitque
AilE MINEÜRE, 4»9
des vestiges d’une haute antiquité (1). SUdt T*™ vielmehr in den der byianlinis-
chen Zeil an|>ehdri^n Kuinen des benach-
(i) Und bliebe immer die Moglicbkeit der barten Nefes Kjoi iinden môchte. Karl Rit-
RichligkeitfbrTexiers Yermiithung, der die terErdkunde, tome]X,Tbeil r, in-8°, i85*,
uoch in cfaristlicber Zeil, nacli dem Zeu- l‘“g« 3g4-
guiss der Coiicilien-Unterschriften bliibende

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.

LIVRE VII.

CAPPADOCE.

CHAPITRE PREMIER. le caractère particulier des ouvrages


des Cappadociens a plus d’analogie avec
ORIGINE DU ROYAUME DE CAPPA- ceux de l’Arabie et de la Syrie supé-
DOCE. rieure qu’avec aucun autre peuple de la
presqu’île.
Si l’origine des peuples qui occupaient Ce sans doute été remarqué
fait avait
les provinces occidentales de l'Asie Mi- par perpétué l’idée
les anciens, et avait
neure laisse à la critique quelques points de qui avait dû exister en-
la fraternité
(jui ne sont pas encore complètement tre ces Leur culte d’ailleurs
peuples.
éclaircis, on a du moins, pour appuyer portait une empreinte manifeste de la
les hypothèses que nous avons présen- théogonie orientale; et si l’on trouve les
tées , des données historiques suffisan- noms des dieux de la Grèce répandus
tes et faciles à rassembler. Il n'en est dans le pays, c’est qu’ils étaient appli-
pas de même des nations établies à l’o- qués parles Grecs et les Romains à des
rient du fleuve Halys ; soumises a des divinités cappadnciennes (1). Le culte
vicissitudes sans nombre, formées d'ag- du feu, qui se perpétua eu Cappadoce
glomérations de peuples divers dont longtemps après l'àgo romain (2), a été
l’origine inconnue, nous n’avons
est introduit par des peuples étrangers,
pas même, pour nous guider, les monu- avec celui de la déesse Anaitis. Strabon
ments anciens, dont le caractère in- atteste que de son temps les pyrées éle-
dique les différentes phases d’une civi- vés dans la plupart des provinces atti-
lisation. Des grottes taillées dans les raient encore une foule d’adorateurs;
rochers, voilà les seuls vestiges que la mais la vénération de tout le peuple
Cappadoce antique offre à l’observation cappadocieu était acquise à des divini-
Les anciens ont regardé les Cappa- tés indigènes, dont les temples effa-
dociens comme une race composée d'un çaient par leur inagnitlcence toutes les
mélange de Syriens et de peuples par- cérémonies du magisnie. Ces temples de
lant un lançage barbare, dernier reste Men, et de Mâ qu’il a plu au.x Romains
peut-être des aborigènes de la partie de nommer Bellone (3), étaient de vé-
occidentale, repoussés par les migra- ritables centres de gouvernement dont
tions d’Europe. Le caractère de la con- les pontifes étaient les rois. Tous ces
trée eut certainement une influence dieux ont été par la suite appelés dans
notable sur la physionomie des habi- le panthéon romain, en qutUant leurs
tants. Jamais le goût des arts ne se ré- noms asiatiques pour prendre ceux de
véla chez eux ; vivant dans de grandes Vesta , de
Vénus-Uranie et de Lunus.
plaines sans arbres, occupant des villes Le mot Men ne reparaît dans la langue
sans murailles, adonnés uniquement à latine que pour former la racine du mot
des travaux d'une agriculture ingrate, Mensis, parce que la lune déterminait
on les voit seulement prospérer comme la division des mois comme cela a en-
,

pasteurs, et c’est l’éleve du bétail de core lieu chez tous les peuples orien-
toute espèce qui fait la principale ri- taux.
chesse de leurs princes. Ce trait les rap- Les royaumes situés à l’est de l’Eii-

proche des Syriens du sud , et à défaut


de documents historiques qui attestent (i) Strabon, XII, 535.
l’introduction de la population syrienne (a) Slrab., XV,
eu Cappadoce, nous devons avouer que (3) César, fie Heli. civil.

500

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,

ASIE MINEURE, 501

plirate,l’Arménie et l’Assyrie, étaient document ancien ne nous porte à soup-


déjà parvenus à un très-haut dçgré de çonner que ces peuples franchirent
prospérité.
que la Cappadoce sortait à rHalys. Les Phéniciens s’établissaient
peine du chaos; car à cette époque cette sur ies côtes de la Cilicie, ils ne péné-
contrée ne pouvait être, par sa consti- trèrent point au delà du Taurus, et se
tution physique , qu’un pays inculte et conteutèrent de négocier sur les côtes.
presque désert, abandonné aux ravages Mais c’est surtout de la part des conqué-
des feux souterrains, qui ont laissé par- rants assyriens que la Cappadoce devait
tout des traces de leur action. La popu- recevoir le plus grand élan vers la ci-
lation éparse qui tentait de s’agitlomé- vilisation.Les exploits de la grande Sé-
rer pour former un peuple, reçut par miramis sont encore célèbres dans ces
ses rapports avec les Mèdes et les Ar- régions ; ici c’est un fleuve, là un châ-
méniens les premiers éléments de civi- teau qui porte le nom de cette reine.
lisation, et 11 est naturel de penser que Depuis le sud de la Médie, qu’elle dé-
le culte du feu, déjà répandu dans l’Ar- fendit par une muraille, encore debout,
ménie et surtout dans t’Acillcéné, fut entre rEuplirate et le Tigre, Jusqu’aux
transporté de cette dernière province plateaux cleves de l’Arménie , où elle
en Cappadoce, longtemps avant l’arri- fonda la forteresse de Chdh Miram
vée des Perses. On iftnore complètement glierd, tous les pays soumis à son em-
à quelle époque et sous quelle influence iire furent couverts de mouuments qui
les Leuco-Syriens firent cette irruption fultaient de grandeur avec ceux de l’É-
vers le nord.' Est-ce à l’époqueWes con- gypte , et qui surpassaient eu utilité
quêtes de Sésostris? On ne saurait assi- tous ceux du monde entier. C’est a elle
gner .à ces migrations une antiquité plus que l’on doit les premiers grands ehe-
reculée; car il n’est pas probable que minsqui ouvrirent des communications
la contrée fdt habitable antérieurement au milieu de montagnes inaccessibles et
à cette époque. de marais impraticables. Que tant d’ex-
Il ne faut pas s'étonner qne nous fas- ploits de tout genre soient regardés par
sions si souvent intervenir les phéno- quelques auteurs comme l’ouvrage de
mènes géologiques comme éléments de plusieurs princes, il n’en est pas moins
discussion dans des questions purement vrai que, chez les Orientaux, le nom de
historiques. On est tenté de croire en Sémiramis partage avec ceux de Salo-
effet qu’il n’y a rien de plus rare que mon et de la reine de Saba, Bal-Kiz,
ces terribles tremblements de terre, ces l’honneur d'avoir élevé tous les grands
convnlsions du globe qui font glisser monuments dont on voit encore les
les unes sur les autres les couches des ruines.
montagnes et viennent parfois inter-
rompre un cours d’eau pour le transfor- CHAPITRE II.
mer eu lac. Mais, sans remonter à ces
temps dont les annales sont perdues DOMINATION ASSYBIENNE.
poumons, nous pouvons nous rendre Réunie au royaume d’Assyrie avec ce
compte des changements opérés depuis
qui forma depuis l'empire des Mèdes
les temps historiques, sur certaines côtes
la Cappadoce comprenait à cette époque
de l’Asie, dans presque tous les golfes
la partie de la presqu’île qui s’étendait
et aux embouchures des fleuves. Par
de l’une à l’autre mer. Nous connais-
suite des frémissements continuels du
sons peu les villes dont l’origine remonte
sol les terres ébranlées ont été empor-
,
à cette époque. On peut cependant citer
tées par les eaux dans une proportion
Mélitène, comme une des créations de
dont ou ne peut apprécier le rapport
Sémiramis, et Anchialé comme rési-
avecles attérissemeiits actuels.
dence aimée de Sardanapale, qui l’avait
L’expédition de Sésostris, qui enva-
bâtie et qui voulut y être inhumé. Les
hissait l’Asie2700 ans avant J. C., fut Grecs eux-mêmes se taisent sur les
sans doute la principale cause du dé- temps antérieurs, et Hérodote (1) nous
placement des populations du groupe
atteste que les Assyriens sont les plu.s
araméen, qui mirent remonter l’Eu-
pntate à la suite de ses armées. Aucun (i) Liv. l, ÿï.
. ,,

503 L’UNIVERS.
anciens des peuples qui ont étendu leur dans l’itinéraire d’Antonin, tantôt .Sac-
domination sur ces provinces. En effet, cacoena, était bien loin des limites de
il
y avait cent vin^-cinq ans qu’ils étaient .Saccacéné, entre Nyssa et Césarée, à
maîtres de l’Asie supérieure , lorsque soixante mille pas de Nyssa et vingt-
|es Médes commencèrent à se rendre cinq mille de Cesarée. Nyssa étant Nem-
indépendants. Nous avons déjà vu que cbeher selon la carte du Père Cyrille,
les Médes reculèrent jusqu'au fleuve et d’après tout le clergé grec de Césarée,
Halys les homes de leur empire. L’Iiis- qui donne à l’évêque de Nemcheber le
toirê de la (iappadoce jusqu’au temps titre d’évêque de Nyssa , Sacocna devait
des successeurs d’Alexandre ne peut occuper la position de logé sou, village
donc être isolée de celle des Médes, où l’on remarque un grand nombre
des As.syriens et des Perses. Les rois de grottes taillées dans le roc. Une
d’Arménie, vaincus par Sémiramis, au- autre Sacœna est mentionnée sur la
raient, d’après les chroniques armé- route de Tavium à Césarée, à trente-
niennes, secoué le joug des Assyriens neuf milles au nord de cette ville. Ce
et reconquis leur empire, et, pendant sont, je pense, d’anciens châteaux oc-
toute cette période anté-hcllénique, se cupés par les Saces , dont le nom s'est
seraient maintenus, tantôt comme sou- perpétué jusqu’à l'époque byzantine;
verains indépendants, tantôt comme sa' mais je n’ai trouvé dans ce pays aucune
trapes des rois perses (t). Nous voyous trace ni aucun souvenir de la seconde
dans le monument d’Ancyre comment de ces places.
les Romains, mus par un pur caprice, Les Saces, vaincus par Cyaxare, aban-
donnent ou enlèvent les provinces d’Ar- donnèrent aux Médes les pays qu’ils oc-
ménie et de Cappadoce. Il semble que cupaient ; mais les conséquences de cette
pendant toute cette longue période victoire furent une déclaration de guerre
l'Armenie n’ait jamais joui que d’une na- entre la Lydie et les Médes. Pendant
tionalité précaire. C'.r pendant les Tigranes cette guerre, qui dura plusieurs années,
elendirent leur puissance dans toute la les Médes étaient maîtres de tout le
Mésopotamie et régnèrent sur la Cappa- pays situé au delà de l’Hal ys,- et y trans-
docp. Césarée, la capitale, fut longtemps portèrent le culte de la déesse Ânaïtis,
soumise aux princes arméniens, car c’est qui fut honorée ju.sque dans la Lydie.
sur la dynastie arménienne que cette Il est à croire que cet état de choses
ville fut conquise par Sapor. La pro- subsista jusqu’à la destruction de l’em-
vince qui porta le nom d’Arménie Mi- pire d’Assyrie; et lorsque Cyrus réunit
neure fut un démembrement de la Cap- les deux empires sous un même pou-
padoce; mais il serait difficile de tracer voir, cette révolution apporta peu de
les variations de frontières qu'éprouva changements dans les moeurs du peuple
cette province pendant toute la période capp.adocien.
assyrienne, depuis les conquêtes de L’Asie entière, avant d'être réduite
Phraorte (2), qui acquit la Cappadoce sous le joug des Perses, fit cependant
650 ans avant .l.-C., jusqu'à la cbute de des efforts pour conserver son indépen-
Niuive. Lorsque les Scythes envahirent dance. Les peuples qui avaient du sang
l'Asie, ils étendirent leurs ravages dans grec dans les veines résistèrent avec vi-
tout l’empire des Médes; il semblerait gueur; les Lyciens les imitèrent, et ai-
que le cours de l’IIalys, qui coule de mèrent mieux incendier leurs villes que
l’est à l’ouest au-dessus du plateau de de les voir retomber entre les mains des
Césarée, ait dü former la limite de leurs satrapes ; mais les Cappadociebs s'a.'^si-
invasions; maison reconnaît des traces milèrent facilement a leurs nouveaux
de leur séjour au sud de cette ligne maîtres, et l’histoire ne nous a conservé
dans le nom d’une petite ville qui se le souvenir d’aucune tentative de révolte.
trouvait sur la route d’Ancyre à C.ésa- L’observation que nous avons faite re-
rée. Ce nom, écrit tantôt 'Sacœna (3) lativement à la fusion facile qui s’établit
entre les Gaulois et les Romains avM ,

(i) Cyrop., lib. Il, p. 58 - 6 i. les peuples de la Phrygie et de la Bi-


(i) Hérodote, 61-101. thynie, parce que l'Europe était leur pa-
(
3 ) lier ah ^ncyra Casaraam usifut trie commune, peut aussi s’appliquer
ASIF/MINEURE. ‘ .)03

aux Cappadociens et aux Perses, et prou- visée en deux gouvernements, dont l’un
verait , a défaut d’autre document , que futappelé par les Grecs grande et l’autre
les premiers étaient d'origine orientale. petite Cappadoce.
Tous les auteurs ne sont par unanimes Sous le régime des Perses, la Cappa-
pour regarder les Leuco-Syriens comme doce fut assimilée à ces vastes parcs,
uopeufile originaire de Syrie; il estcci> ces paradis où les rois entretenaient du
tain qu'ils ont été mattrêsdes côtes du gibier et du bétail de toute espèce. L’o-
Pont-Kuxiu à une époqne très-ancienne, nagre, qui était indigène, donnait par
puisqu'on sut)pose qu’ils ont été réduits son croisement avec les ravales, des
sous le pouvoir des Amazones M). Leur mulets dont la renommée s’étendait
nom, dans cette hypothèse , leur aurait jusqu’en Babylonie , et quoique cette
été donné partiu uls d’Apollon et de race d'onagre, aujourd’hui considéra-
la nymphe Sinopé, appelé Syrus, qui blement diminuée, ne se retrouve plus
transmit son nom à la Syrie. Ce serait que dans les montagnes dn Farsistan, les
donc, au contraire, de ceux de Cappa- mulets de Cappadoce ont conservé leur
doce que les Syriens auraient reçu cette réputation, et se vendent sur les mar-
dénomination.' Quant au nom de Cap- chés de l’Orient aussi chèrement que
padoce il serait superflu d’en recher-
, des chevaux. Si le pays est aujourd’hui
cher l’origine, car les auteurs anciens trop pduvre, si l’administration est
ne sont pas d’accord à ce sujet; les trop ignorante pour que l’élève des che-
uns (3) le font dériver du fleuve Cappa- vaux soit aussi fructueuse qu’autrefbis,
dos,qui est un des affluents de l’Halys; on rencontre encore cependant tous les
lesautres (3) prétendent qu’il est em- éléments qui avaient permis aux Cap-
prunté à la langue perse. padoeieus de pousser cette industrie
agricole à une si grande perfection. Les
CHAPITRE III. vastes plaines des environs de Cesarée
et de Nigdé fournissent abondamment
tous les fourrages nécessaires, et l’orge,
POPULATION DE LA CAPPADOCE.
de Cappadoce est particuliérement es-
timée. Le sel, dont l’agriculture fait
Sous la domination des Perses un usage si général et si utile, existe
crtte province était administrée par en abondance, non-seulement dans le
deux gouverneurs; elle se trouve en
lac Tatta, niais encore dans des car-
effet divisée par la nature en deux par-
rières d’où on le tire sous la forme de
ties complètementdifferentes, l’une blocs Les anciens dominateurs de la
aride et sans eau, l’autre couverte de
contrée savaient que c’était là qu’il
forêts et arrosée par des rivières sans fallait chercher la richesse du pays, et
nombre c’est celle qui fut appelée de-
:
les impôts étaient payés, non pas en
puis la province de Pont; la première numéraire, mais en clievanx de course
retint toujours le nom de Cappadoce. et de char, car les rois de Cappadoce
Cyrus, pour récompenser Pharnabase
ont toujours passé pour avoir un trésor
qui l’avait délivré des attaques d’un
as.sez maigre (I).
lion, lui donna tout le pays que l’on Les innombrables troupeaux de chè-
apercevait du haut de la montagne où vres et de chevaux couvraient les par-
l’événement s’était passé. C’est la pre-
ties montagneuses, où la beauté des
mière mention qui soit faite d’un roi de
pâturages était entretenue par les sels
Cappadoce (4). volcaniques. Mais il paraît que la belle
Darius, en organisant les provinces
race de moutons qui fait aujourd’hui
de son vaste empire, attribua la Cappa-
la richesse du pays, était alors peu ré-
dnee à la dixième satrapie elle resta di-
; pandue, et la laine était chère en Cap-
padoce (2) ; tous les vêtements du peu-
(i) Strab.,XII, 544. ple étaient tissus de poil de chèvre;
(’) Pline, lib. VI , ch. 3.
(3) Coml. Porphyrogénète, àe T/iimoli6us (ijMancip'iis loniples, eget æris Cappado-
in Tltenuite A rmeniaco, CUDI rcx. (Horaf.', <•£. I, 6, 3g.)
(4) tonst. Porphyr. , ibid, •
<
(») Strab., XII, W.
504 L’IJNIVKRS.
celte industrie se perpetue encore dans fauts imaginables. Tertullien disait,
le pays. pour exprimer le peu d’estime qu’il
Sous de pareils traits, on peut se avaitpour le caractère de ces peuples :

faire une idée du peuple cappadocirn. Il V a trois CCC


détestables, les Cap-
Dans premiers âges, pasteurs igno-
les padociciis, les Ciliciens et les Cretois.
rants et a peu près barbares, vivant On leur reconnaît encore d’autres vices,
dans des champs, où l'on ne trouve qui prouveraient qu’à l’ignorance les
pas une pierre pour bâtir, ou dans des Cappadociens joignaient aussi la ruse;
vallées resserrées par des roches ten- c’était surtout chez eux qu’on trouvait
dres de nature volcanique; les uns les gens les plus habiles à rendre un
nomades sous des tentes, vêtus du ci- faux témoignage. On se rappelle à
lice de laine, qui fait encore, sous le cette occasion l’épigramme de Mar-
nom de haba, l'unique vêtement des tial (I) :

Cappadociens de nos jours. Les au- En un mot, aucun peuple de l’Asie


tres, abrités d’abord dans des cavités n’a éprouve davantage la verve satiri-
naturelles, ont été portés à les agran- que des Romains et des Grecs, qui ac-
dir et à les régulariser. C’est l’ori- cusaient les Cappadociens de tous les
gine des habitations qui présen- se vices engendrés par la stupidité et l’i-
tent innombrables aux yeux des voya- gnorance. Cependant, dans les annales
geurs. A mesure que la famille s’aug- de cette nation que l’on regardait
mentait, on creusait une nouvelle comme la dernière, entre les peuples
chambre, et peu à peu les rochers se asiatiques, loin de trouver quelque
sont trouvés percés comme des ruches trait de férocité, on la voit toujours se
d’abeilles. On a aussi voulu trouver soumettre avecré^ignatiun à ses maîtres
place pour la demeure des morts, et divers, et lorsque, par un caprice di-
cette matière volcanique, ces tufs pon- gue de Rome, le sénat veut lui donner
ceux, qui reçoivent si facilement l’em- la liberté, elle envoie bien humblement
preinte du ciseau, ont été taillés en sé- prier qu'on lui reprenne un bien dont
ulcres , en sarcophages ou en coltnn- elle ne .-aurait que faire, et redemande
aria, selon le rite ou la richesse du le gouvernement monarchique qui la
défunt. Car parmi ces pasteurs, comme régi.ssait depuis des siècles. Avec un
chez les Arabes de nos Jours, on en pareil peuple, l’histoire de l’art est une
voyait qui avaient amassé de grands science incertaine, car pour lui tous les
biens témoin ce Pampalus qui possé-
: siècles se ressemblent, et tout en se
dait une riche villa près de Tyane. Mais creusant des tanières impérissables, il
l’habitude si répandue de demeurer n’a jamais songé à écrire une ligne sur
dans les ro' bers ne fit pas naître chez ses murailles, pour que ses descendants
les Cappadociens le goût d’orner leurs puissent avoir au moins une idée (|uel-
habitations. Nous avons vu sur les conque de la langue qu’il parlait. Nous
bords de l'Ilalys des grottes formant de savons seulement qu’e.le était peu ré-
véritables villages ; on y trouve des ci- pandue, et que le cappadocien pur
ternes et des cheminées. Tous les en- n’était parlé que dans certains dis-
vironsde Césarée,de Nazianze, deSoan- tricts.
dus, de Nyssa, offrent des myriades de Le grand nombre de langues qui se
tombeaux d'habitations, et même de
, parlaient dans le Pont et la Cappadoce,
chapelles, car la Cappadoce chrétienne prouve mieux que tous les raisonne-
n’a pas abandonné cet usage de creuser ments, que ces provinces furent peu-
des grottes. Mais nulle part je n'ai plées, comme celles de la partie occi-
trouvé les rudiments d’un art quelcon- dentale, par des tribus d’origines dif-
que, ou même le sentiment de cet ins- férentes ; les princes même ignoraient
tinct si naturel qu’on appelle la symé- tant de dialectes divers, et Lucien nous
trie, et qui flatte également l’enfant et a conservé un trait qui peint trè.s-bieu
le sauvage. Aussi les Romains policés,
les Grecs él^ants, ont-ils toujours (tjVipera Cappaiiucem iioriUir.-i inomor-
traité le Cappadocien avec un profond dit ; al ilia

mépris, et lui ont-ils prêté tous les dé- Oiiilato parût sanguine Cappadoris.
AStE MINEURE. 605

1.1 confusion de langues qui existait découvre pas une ville, pas un monu-
dans ce pays. Un environs du
roi des ment qui aide à rétablir quelque fait
l’ont-Eu.xin, assistant à une représen- nouveau relatif au gouvernement de
tation de pantomimes, disait à Néron cette contrée.
qu’il désirait prendre un de ces acteurs Les preiqiers princes qui régnèrent,
pour interprète, aGn de pouvoir entre- ou plutôt qui exercèrent un pouvoir
tenir commerce avec ses voisins, qui souverain , reçurent leur autorité des
parlaient plusieurs langues différentes. rois de Perse, qui les établirent sons le
Le grand Mitliridate, au contraire, fa- nom de satrapes. Cyrus, pour récom-
miliarisé dès son enfance avec fous ces penser les conjurés qui avaient tué le
idiomes asiatiques, dut plus d’un de ses faux Smerdis, les éleva à la plus haute
succès à la facilité qu’il avait de parler fortune ; Anapha reçut le gouverne-
dans leur propre langue à la plupart ment de la Cappadoce , et ce pouvoir
des peuples qu'il réunissait sous sa paraît être reste héréditaire dans sa fa-
loi. Il connaissait vingt -quatre idiomes. mille jusqu’au moment où Alexandre
Non-seulement il ne reste aucun ves- s’empara de l'Asie Mineure (I).
tige de la longue cap|>adocienne sur les Nous n’avons aueiiii document qui
monuments tumulairesque l'on compte, nous fasse connaître en quel lien les
par milliers, mais les inscriptions grec- satrapes faisaient leur résidence ; il est
ques sont excessivement rares; il sem- a croire que, comme le roi de Pont, ils
ble que les princes et les artistes aient menaient une vie presque errante, de-
regardé un semblable soin comme inu- meurant dans les nombreux châteaux
tile chez un peuple ignorant et à demi qui couronnaient les sommets des ru-
suivage. chers, se livraient à l’exercice de la •

chasse dans des parcs immense.s, qui


furent de tout temps un des grands
CHAI> 1 TKE IV.
luxes et en même temps le plaisir le
plus constant des seigneurs orienlaux.
BOIS DE CAPPADOCE.
Tout ce que nous pouvons discerner de
cette époque, à travers les nuages de
de Lappadoce ont cepen-
Les rois
l’antiquité , nous montre ces princes
iLiut joué un rôle, sinon brillant, du
vivant dans des habitations qui seraient
moins assez actif sous les successeurs
plutôt à nos yeux des tentes lixes, c'est-
d'Alexandre et pendant la guerre de
à-dire des kiosques ouverts de toutes
ülithridate. C’est aux rapports cons-
parts et défendus seulement de l’ardeur
tants de ce prince avec ce pays qu’ils
du soleil par des bosquets touffus. C’est
doivent leur plus grande illustration.
ainsi que vit encore le roi de Perse, et
Les alliances contractées avec les rois
les pachas de l'Asie Mineure regar-
de Syrie, de Bithynie et de Pergame,
dent comme une cruelle sujétion, l’o-
ont fait paraître plusieurs princes rap-
bligation de passer quelques mois
padociens sur la scène politique, mais
dans des maisons closes, à l’abri de la
ordinairement au second plan , et se
neige.
présentant presque toujours comme des
On ignore complètement l’époque de
embarras pour leurs alliés, qui se virent,
la fondation de Mazaca, qui devint la
dans plus d’une circonstance, réduits à
capitale de la contrée. Quelques au-
regretter une amitié onéreuse.
teurs croient retrouver dans ce mot un
6 n a lieu de s’étonner que Strabon, souvenir du culte de la déesse de Co-
qui mentionne plusieurs membres de maiia ; d’autres, se fondant sur les chro-
sa famille comme ayant pris une part niques arméniennes, prétendent que
lus ou moins directe aux affaires pu- cette ville ftit fondée par un roi d’Ar-
liques, soit si laconique sur un pays ménie nommé Mazaeli. Il est à croire
qui l’avait vu naître. Tout ce que nous
que les rois du nom d’Ariaratbe choi-
savons sur les rois de Cappadoce se
sirent cette ville pour leur résidence or-
trouve mêlé <i l’histoire des successeurs
d’Alexandre ou des guerres de Mithri- (i) IVérct, iirm. sur la Cappadoce,
(late; mais, en parcourant lepays, on ne Mém. de r Àcttdémie, XIX,
I. p. 4.

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506 L’UNIVERS.
dinaire; mais l’un d’eux eut aussi une que ces moutons aient été transportc.s
demeure de plaisance dans l'Ile d’É- en Cappadoce par les Musulmans, car
lœussa (t), non loin de Séleucie. les Seldjotikides arrivant en Asie Mi-
Le premier prince du nom d’Ariara- neure venaient de la Bactriaiie et du
the fournit un contingent de troupes sud de la mer Caspienne. C’est sans
au roi de Perse et l’accompagna dans
,
doute à eux que l'oti doit l’introduction
sou expédition d’Egypte ; de retour do buffle en Asie Mineure; mais il est
dans son gouvernement, il termina plus naturel de penser qu’ils n’ont fait
tranquillement sa vie, et laissa le pou- qu’entretenir la race de moutons qu’ils
voir a son fils. L’invasion d’Alexandre ont trouvé à l’ouest de l’Euphrate. Cette
en Asie ne se lit point sentir dans ses dernière race est répandue en Perse,
États, qui se trouvaient loin du théâtre mais n'existe pas en Egypte ; on peut
de la guerre mais la chute de Darius
;
regarder les moutons de Perse comme
entraîna celle de tous les princes qui les descendants de ceux que les Cappa-
étaient ses tributaires sinon ses lieu- , dociens envoyaient au grand roi dans :

tenants, car ils payaient à la Perse des tous les cas, là contradiction n’en est pas
impôts de différente nature. Indépen- moins dans le texte de Strabon.
réelle
damment d’un faible tribut eu argent, Jusqu’à mort d’Alexandre, Aria-
la
la Cappadoce fournissait chaque année rathe 11 resta tranquille possesseur de
au roi de Perse quinze cents chevaux, la province; mais il se vit bientôt me-
deux mille mulets et cinquante mille nacé par les successeurs de ce prince,
moutons (2). qui préludaient au partage de ses États,
Strabon, qui pourtant connaissait et convoitèrent la Cappadoce comme
bien le pays (3), avait dit que la Cappa- une portion de l’empire du grand roi.
doce manquait de laine. Cette contra- Obligé de résister à Perdiccas qui ve-
,
diction parait encore plus grandequand nait à la tête d'une armée nomoreuse
on parcourt le pays. Les moutons de réclamer au nom d’Eiimène le pays qui
Cappadoce sont aujourd'hui renommés lui était échu, Arinrathe n’hésita pas à
dans toute l’Asie; cette race est carac- accepter la bataille. Vaincu et prison-
térisée par une queue énorme, qui est nier, il fut mis à mort avec les princi-
comme un appendice de toute la peau paux de la nation. Son fils, qui portait
du dos , et qui forme un volume de le même nom, s’était sauvé en Armé-
graisse de six kilogrammes et quelque- nie, où il attendit l’occasion de repren-
foisdavantage. Or ce mouton est ori- dre le pouvoir.
ginaire d'Arabie les moutons d’Ara-
: Ije roi d’Arménie Ardoate, qui régnait
bie, dit Hérodote (4), portent une queue sans doute au même titre que les rois
qui n’a pas moins de trois coudées de de Cappadoce, puisque la .Médie tout
long ; les bergers les placent sur des entière avait été, ainsi que l’Arménie,
petits chariots en bois. Cet usage est réduite sous la puissance des Perses,
encore pratiqué dans quelques trou- craignant pour iui-méme le sort des
peaux pour des moutons d’une belle princes ses voisins, aida le prince exilé
venue, j’en ai souvent observé aux en- a rentrer dans ses États. Perdiccas étant
virons de Konieh.Ne serait-il pas éton- mort, les autres généraux faisaient la
nant qu’après les rapports constants guerre en .Syrie; il n’eut pour ennemi
qui ont existé entre la Syrie et la Cap- à combattre qu’Amvntas, général des
padoce, les habitants de ce pays , qui Macédoniens, dont il demeura vain-
faisaient consister les principales ri- queur. Mais pour ne pas rallumer des
chesses en troupeaux, eussent négligé guerres continuelles avec les princes
une branche aussi importante de re- grecs, le roi de Cappadoce lit niliancu
venu ? On ne peut guère soupçonner avec Antiochus Tbéos, roi de Syrie ; al-
liance qui se resserra par la suite , lors-
que Ariamnès, fils et successeur d’Aria-
rathe, maria son fils à Stratonice, fille
(1) Strabon, XIV, 675.
(2)
Slralion, XI, 52.Ï. du roi.
(.1) ynr. plus liant. La politique d’Ariarathe lll avait as-
Strabon. XII, 5 ;(). suré à la Cappadoce de longues années

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,

ASIE MINEURE. .ÎOT

d« tranqnillité , car, pendant les deux grâce demandée d'une manière si hon-
règnes suivants, c’est-à-dire jusqu’à l’a- teuse.
vénement du prince qu’on regarde C’est sans doute pendant cette guerre
comme le cinquième du nom, l’histoire u’Antiochus assiégea la ville de Soan-
n’a conservé aucun fait remarquable. us, qui était une des places les plus
Depuis la mort de Perdiccas, il s’éiait fortes de la Cappadoce et la plus ilifli-
,

écoulé cent vingt-cinq ans, pendant les- cile à enlever par un sié^e en forme, la
quels la Cappadoce resta stationnaire. nature ayant fait les frais de toutes les
Les autres Ltats de l’Asie, la Bithynie, fortifications; et la place étant assise
la Mysie et tous les gouvernements grecs sur le roc, il était impossible de creuser
s’étaient Jetés avec ardeur dans la cul- un retranchement pour aborder les mu-
ture des lettres et des arts. C’était le railles aussi le général eut-il recours
:

temps brillant de l’Asie Mineure. Les à un stratagème qui nous a été conservé
temples brûlés par les Perses se rele- par Frontin (1). Antiochus ayant in-
vaient de toutes parts; et Alexandre, vesti la citadelle de Soandus, s’empara
pour stimuler un si beau zèle, prenait des bétes de somme qui en étaient sor-
une part directe à la renaissance de tant ties pour chercher les provisions , et
de chefs-d’œuvre. Nous avons vu ce que ayant tué les conducteurs, il lit revêtir
faisaient les rois de Bithynie pour tenir de leurs habits ses propres soldats, qui,
leurs Etats au niveau dé la civilisation sous ce déguisement et à la suite de ces
nouvelle. Au commencement du second bêtes de somme chargées, entrèrent
siècle avant l’ère chrétienne, le royaume dans la citadelle en trompant les gardes,
de Pergame, à peine constitué, s’élevait et la livrèrent à Antiochus. Cette ville
au rangdesplus Hori.ssants, et ses princes offre encore d’imposantes ruines, dans
paraissaient moins rechercher la gloire une vallée qui porte le nom de Soanli
des armes que le titre de protecteurs déré. Nous nous y arrêterons en décri-
des beaux-arts. Les rois de Cappadoce, vant les places de la Cappadoce.
unis d’amitié avec tous ces monarques, L’alliance d’Antiochus avec Eumène,
ne parais-sent donner aucune impulsion beau-frère d’Ariarathe, avait éveillé des
au génie de leurs sujets, qui demeurent, soupçoas dans le sénat. On envoya un
aux yeux des autres Asiatiques, comme commissaire chargé de faire sur Eu-
le type de la stupidité, qu’on ne pouvait mène une enquête qui n’eut aucun ré-
faire marcher que par le bâton Cnp- : sultat. Le sénat ayant envoyé l’année
padox rerheratus melior. Pendant que suivante T. Gracchus (2) , il fut reçu
de toutes parts on réunit les chefs- par les deux rois d’une manière qui de-
d’œuvre de l’esprit humaiu, on transcrit vait lever toute espèce de doute sur leurs
les ouvrages d’Aristote. d’Hippocrate et intentions. Mais il était chargé en même
d’Hérodote pendant qu’on restaure les
;
temps d’examiner la conduite du roi de
temples d’Ephèse et de Magnésie, que Cappadoce, qui avait secouru Antio-
faisaient les Cappadociens? Ils s’exer- chus. Une pareille démarche de la part
aient à supporter patiemment les du sénat ne troubla pas l’amitié que le
preuves de la question pour servir, dans prince cappadocien affectait pour le
l’occasion, de faux témoins, sans que le peuple romain; et, lorsque la guerre fut
métier leur parût trop dur. Il ne faut déclarée entre le Pont et la Cappadoce,
pas croire que les princes donnassent de les Romains s’empressèrent d’envoyer
meilleurs exemples à leurs sujets. Aria- des secours à Ariarathe, car la monar-
ralhe* V, marié à la fille d’Antiochus le chie qui s’était établie sur les bords de
Graud, élève des enfants supposés, que la mer Noire commençait à porter om-
lui apporta sa femme stérile. brage au sénat. Avec ae pareils alliés,
Allié un moment avec son beau-père le roi de Cappadoce obtint des avan-
AntifK'hus, dans sa lutte contre Rome, tages coutinueis sur le roi Pharnace, et
Ariarathe attend à peine que la victoire le força h demander la paix.
se .soit déclarée pour les Romains; il Ariarathe mourut tranquille posses-
envoie à Rome des ambassadeurs pour
demander pardon, et cousentit à payer (ij Strntngèmfs, liv. III, chap. a,
une somme énorme pour obtenir une (a) A. C., 164,
508 L’UNIVERS,
seur de son loyaume, et eut pour suc- devaient devenirla proie du peuple ro-

cesseur un Ois qui régna sous le nom main. Sa politique fut invariable avec
d’Ariaratlie Phiiopator. Mais il ne sut tous les princes asiatiques secourir le :

pas conserver son royaume intact une : plus faible pour affaiblir le plus puis-
intrigue du roi de Syrie Dénietrius lui sant, telle était la marche qui était sui-
suscita comme compétiteur Holoplieriie, vie à l’égard des autres États, il faut
qui réclama l'assistance des Romains, dire que les crimes de tout genre, les
olitint le gouvernement d'une partie de agressions injustes dont chacun de ces
la (iappadoce , et l’opprima d’une ma- rois SP rendait coupable, donnaient aux
nière cruelle. Les hiens des hommes Romains le beau rôle, celui de protec-
les plus puissants furent conli.squés le ,
teur de l’opprimé.
temple de Jupiter (sans doute celui uui Mithridate Kupator, qui régnait alors
était près de Tyane) fut impitoyame- sur le royaume de Pont, pensa que la
iiieiit pillé; et, pour mettre ses trésors mort dAriarathe serait pour lui une oc-
a l'abri d'un revers, Holopherne les casion d’ajouter la Cappadoce à ses
conlia, sous le sceau du serment, aux États. Sa sœur I.aodice avait eu effet
habitants de Priène, qui refusèrent de épousé Ariarathe, et en avait eu deux
les remettre à Ariarathe vainqueur, enfants. La régence arrivant naturelle-
uoiquece prince eût réclamé le secours ment à la mère, d’après l’usage des Cap-
’Attale pour rentrer dans tous ses padociens, Mithridate espérait que sa
biens. Ce prince était lils de Stratonice, sœur favoriserait ses desseins ultérieurs;
sœur du roi Ariarathe; une si étroite mais événements trompèrent son at-
les
parenté l'unissait d’intérêts a'ec le roi tente. Nicomède, roi
I.aodice épousa
de tiappadoce; il déclara la guerre à de Hithynie ,
qui envoya sur-le-champ
Holo|iherne, le chassa de ses États, et des garnisons pour occuper les cliAteaux
rétablit Ariarathe sur le trône. Quel- de la Cappadoce. C’était le momeut le
ques années plus lard il eut occasion
,
plus brillant du royaume de la Bitliy-
de recevoir de son oncle un semblable nie; une partie de la Rhrygie était sou-
service, (ihassé de son royaume par mise à ses lois les deux'compétiteurs.
:

Aristonicus, Attale, à son tour, implora Mithridate et Nicomède, se trouvèrent


le secours des Romains. Ariarathe prit donc en mesure de s'opposer des forces
une part active à cette guerre et y fut tué. égales. Mais l’ambition de Mithridate
Un de ses lils, ic seul qui échappa à commençait à se développer, et son
la cruelle ambition de sa mère Laodice, génie poussait à réunir sous un même
le
régna sous le nom d’ Ariarathe VU. La sceptre tous les royaumes de l’Asie Mi-
,

conduite de son père lui mérita l'amitié neure, qui, trop faibles et trop jaloux
du'peuple romain. Grèce à ces puissants pour vivre séparément , tendaient tous
alliés, il n’eut rien à redouter de la ven- à un esclavage commun, la souniission
geance de Laodice, qui ne tarda pas à à la puissance de Rome.
recevoir le prix de ses forfaits. Les pro- Il se manifestait alors en Asie un fait

vinces de Cilicie et de Lycaonie furent qui s’est renouvelé depuis dans tous les
ajoutées à la Cappadoce ,Vt doublèrent Etats composés de peuples d’origines di-
ainsi son étendue et ses richesses. Mais verses chacun préféra le joug étranger à
;

ce royaume était constamment convoité la domination d’un de ses rivaux. Mais


par les rois de Perganie, de Pont et de s’il eût été possible à un prince de l’Asie
Bithvnie. Toute l’Iiistoire de l’Asie, à Mineure, de réunir dans une seule main
cette époque, n’est qu’un tissu d’intri- tant d’éléments disparates, Mithridate
gues ourdies par les alliés de la Cappa- était le seul qui pouvait accomplir ce pro-
doce, pour s’introduire dans son gou- jet héroïque. Les temps n’étaient pas ve-
vernement et acquérir des droits à la nus, et la monarchie d’Orient, abattue
couronne. par Alexandre, ne devait se relever que
Mithrid.ite, comme le plus puissant sur les dchris de l’empire romain, et a
et le plus voisin ,
pesa d’une manière In faveur de dissensions non moins vio-
bien plus directe sur les destinées du lentes que celles qui éclataient à l’époque
pays dont le sort était déjà arrêté ; car, dont nous traçons le tableau.
en peu d’années , ces quatre royaumes 11 n’avait pas manqué de prétextes au

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ASIE MINEURE. 609

roi de Pont pour colorer sa rupture monarque riche et puissant, et qui, par
avec Nicoinède. Le fils de sa sœur, le sou orgueil, continuait les rois de Perse.
jeune Ariarathe, s’était retiré dans le Il avait pris le titre de ChaMn-Chah
Dord de la Cappadoce. Mithridate le re- (roi des rois), se laissa facilement per-
plaça sur le trône de Mazaca ; mais ce .suader que la Cappadoce n’était qu’une
n'était que pour un temps, et bientôt province distraite de son royaume (1),
son désir d’être maître de la Cappadoce qu’il fallait rappeler à l’obéissance.
devenant plus impérieux que jamais, il Ariobarzane avait été deux fois dé-
poignarda lui-même le fantôme de roi trôné et s’était vu rappelé au pouvoir
,

qu’il avait tiré de sa retraite. Une telle par la protection des Romains , lorsque
action suscita dans le pays un soulève- Tigrane envahit son royaume. Jusque-là
ment universel. Les Cappadociens mon- les habitants avaient été comme les té-
trèrent enfin que le désespoir peut tenir moins de l’instabilité de leur monarchie,
lieu de courage , les lieutenants de Mi- car les rois étaient renversés presque
thridate furent chassés, et le frère du sans coup férir; mais l’invasion de l’ar-
jeune roi fut établi sur le trône. Les mée arménienne fut pour eux le signal
Romains voyaient sans déplaisir ces pe- de malheurs sans nombre. Indépen-
tits Étals s’épuiser par des guerres in- damment des tributs considérables qui
testines. Mithridate, aux prises avec la furent exigés, Tigrane fit transporter
Bithynie et la Cappadoce, se sentait en- en Arménie une multitude de familles,
core capable de résister à un autre en- et les habitants de Mazaca furent spé-
nemi. Chassé de nouveau de son trône, cialement destinés à aller peupler la
le jeune Ariarathe disparait, et Nico- nouvelle ville de Tigranocerte (2). C’est
mède se trouve seul en présence de son ainsi qu’en ont toujours usé les vain-
redoutable rival. Mais, pendant que la ueurs asiatiques, sans que la différence
guerre se préparait, Nicomède ne négli- es temps ait modifié des usages qui
geait pas l’intrigue et la ruse. Un enfant ravalent à nos yeux la dignité de
inconnu fut présenté comme le succes- l'homme, eu l’assimilant au bétail, que
seur légitime des deux frères infortunés ; le caprice du maître transporte d’un bout
et le roi de Bithynie appela les Ro- à l’autre de ses possessions.
mains pour prononcer sur le différend. Les princes byzantins en usèrent de
La reine Laodice était allée à Rome même à l’égard de la population de cette
réclamer la royauté pour son fils sup- province lorsque Constantin Copro-
:

posé. Mais tant de peines et tant d'in- nyme eut démoli la ville de Malatia, il
trigues n’eurent qu’un résultat négatif transporta à Constantinople lesbabitunts
pour Nicomède. Mithridate reçut l’ordre arméniens et géorgiens Dans le moyen
de renoncer à la Cappadoce. Nicomède ôge, les vainqueurs musulmans, pour
en fût également exclu, et les Romains augmenter le nombre des habitants de
tentèrent vainement de constituer en ré- la capitale , réduit par la guerre et la
publique un État qui ne pouvait exister peste, transportèrent en bloc les habi-
comme monarchie. Les Cappadociens tants de la ville de Ak-Sera'i (l'ancienne
n’acceptèrent pas l’offre qui leur était Arclielaïs), et les établirent dans le quar-
faite, et leurs ambassadeurs allèrent à tier de Constantinople, qui porte depuis
Rome montrer au sénat l’étrange spec- ce temps le nom de Jk-Serai. Les siè-
tacle d’un peuple qui refuse le don de la cle.s passent sur ces contrées, et les
liberté (I). usages restent invariables. Il n'v a pas
C’est alors que le sénat élut Ariobar- de meilleur livre pour lire dans le passé
zane{2), prince d'origine ca|ipadocieiine; que l’étude des habitants actuels: indus-
mais l’appui de Rome ne le init pas à trie, commerce, u.sages, tout est sta-
l'abri di s attaques réitérées de l’ennemi tionnaire. Si le roi Schah-Ablias trans-
le plus actif de la f’.appadoce. Mithri- porte en Perse la population de la ville
date avait acquis un nouvel allié dans de Djoulfa pour peupler sa capitale, ne
la personne de Tigrane, roi d’Arménie,
(ï) Voy. I-i-êrct, l/,w. ,/c r tUs
(itStraboij, XII, 54<j. hue., I. XIX.
Jmliii lil). XXXA'lIt, cap. 2. (2) Appicii, l/l- llell. Vilrliit/nl., cap. 67.
,
no L’ÜNWERS.
voyons-nous pas de nos jours des mil- main d’apprécier avec connaissance de
liers de familles arméniennes suivre les cause le génie de la nation , et le ju-
armées russes et aller peupler sur les gement qu’il en porte ne dément aucu-
frontières de la Turquie, la ville de nement l’opinion des autres écrivains.
Geumri, créée comme pur enchantement En effet, de retour à Rome, comme il
à la voix de l’empereur de Russie? parlait contre le consul Cæsonius Cal-
ventius, il ne trouva pas d’autre ex-
CHAPITRE V. pression pour définir la mine stupide
du consul, que de le comparer à ces
INFLUENCE DE BOUE. Cappadociens qu’il venait de voir de
près. O Vous le prendriez, disait-il,
Chaque fois que les Romains rétablis- pour un Cappadocien tiré d'un trou-
saient sur son trône un roi de Cappadoce, peau d’esclaves qui est à vendre (1). »
ils lui donnaient, comme Gchede conso- Cicéron fait ailleurs un triste tableau de
lation, quelque province nouvelle. Ario- la pauvreté de la l^appadoee (2) ; a Je
barzane avait fui jusqu’à Rome, au mo- ne connais , dit-il rien de plus dé-
,

ment de l’invasion de Tigrane. Pompée nué que ce royaume, rien de plus pau-
l’avait ramené dans ses États, et lui vre que sou roi. « En effet, la diffi-
avait douné les deux Cilicies. Cette an- culté de se procurer du numéraire
nexion rendait presque à la Cappadoce était extrême ; les troupeaux si nom-
les frontières qu’elle avait du temps des breux produisaient le bétail à vil
Perses. La guerre de Mithridate était prix ; aussi l’impôt était-il toujours
terminée; Lucullus, eu prenant Tin-a- perçu en nature. Lorsque Lucullus
nocerte, avait rendu la liberté aux Cap- en Cappadoce, un bœuf ne s’y ven-
était
padocieus, qui purent rentrer dans leur dait qu’une drachme (3), et un homme
pays. Mais ces événements n’amenaient quatre drachmes. Voilà pourquoi les
pas la tranquillité. terrains les plus estimés étaient ceux
Arioburzane II nebtquemontersur le qui pouvaient être mis en pâturages ;
trône; il fut tué avantmémeque les Ro- et l’assiette des villes, leur sûreté, la
mains pussent lui porter le moindre se- commodité des habitants, étaient sou-
cours ; ils réunirent toute leur sollitude mises à cette condition (4). Il est vrai
sur son fils, qui hérita du trône de son que les villes étaient rares, puisqu’on
père, grâce à la coopération active du' gou- n’en comptait que deux dignes de ce
verneur delà Cilicie, quin’était autre que nom. Le reste était ou des bourgades, ou
Cicéron. des châteaux, vrais repaires de brigands,
Malgré toutes les épigrammes que qui' donnaient beaucoup de peine aux
les historiens et les poetes ont lancées gouverhéurs romains.
contre les Cappadociens, il n’en est pas
moins constant que le peuple romain BEUOION..
lui a porté une amitié réelle, en recon-
naissance de la fidélité avec laquelle les fais Cappadociens, mélange de peu-
rois et la nation avaient conservé leur ples orientaux, et notamment d’Arnié-
alliance (t). uiens et de Syriens, avaient admis chez
Pour obéir à la volonté du sénat, Ci- eux le culte de differents dieu.v venus
céron témoigna le plus vif intérêt au presque tous du dehors. Le culte du feu
roi Ariobarzane, et usa de son in- kait pratiqué selon le rit des Mages;
fluence pour déjouer les complots tra- il ne parait pas qu'il ait éprouvé aucun

més contre lui, et grâce à ses soius, le changement depuis son introduction
monarque conserva sa vie et récupéra chez les Cappadociens. On observe en-
son trône (2). core, dans quelques provinces situées à
Les rapports fréquents qui s'éta- l’ouest de l’Euphrate , de ces anciens
blirent entre Cicéron et le peuple cap-
padocien, permirent à l'illustre Ro- (i) Cic., Oral., c. 6.
[i)AdAtt., bb. VI, rpist.
(i) Slrali., XII, 540- (J) Plulai'i'b. lu LucuUo.
(a) Cic., ri>isl, ao, lib. V, ad AU. (4) SU'sbui), Xli, 539 .

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ASIE MINEURE. 511

pyrées, qui sont des autels sans orne- Sébaste. Elle était appelée par les Ro-
ment, ayant au milieu un trou peu pro- mains Lunus, Agdistis, Cybèle : c’est
fond, dans lequel était entretenu le sans doute la même que l’Anaitis des
feu sacré. Le plus beau de ces pyrées a Perses. La ville de Comana était la
été découvert en Paphlagonie, mès du plus célèbre de toute la Cappadoce ; et
village de Gorim, par M. Eugène si elle n’en était pas la capitale, c’est

Boré (I). C’est une enceinte parfaite- que le pouvoir des pontifes ne pouvait
ment circulaire, ayant dix mètres de pas se trouver effacé par le voisiuage
diamètre, et formée par des blocs énor- des rois. Lg population, quoique com-
mes de granit poli, superposés avec art posée de Cataoniens sujets du roi, était
et assemblés sans ciment. Ce soubasse- toute dévouée au pontife qui, étant lui-
ment n’avait d’autre ornement qu’une même du sang royal, avait un pouvoir
ciselure creusée en forme d’anneau, presque souverain, et exerçait une in-
près du rebord supérieui'. Le centre de fluence majeure sur les affaires de l’État.
cette enceinte était occupé par un ca- Le pouvoir romain, prenant un ac-
veau vodté. Près de la glt un obélisque croissement sans bornes, portait cer-
triangulaire en granit; ce monolithe a tainement ombrage au pouvoir sacer-
une longueur de dix mètres. dotal. Chez les Orientaux, tout ce qui
Quoique les habitants de la Cataonie tient au culte et au rit, a toujours
n’eussent pas de villes proprement passé avant les intérêts de la politique ;
dites, ils possédaient un temple célèbre mais, dans les circonstances présentes,
dédié à l’Apollon Cataonien. Les sta- les pontifes marchaient avec l’intérêt
tues et les temples de ce, dieu étaient du peuple cappadocien. Ils avaient <vn
multipliés dans la province (3); mais on les rois soumis sans murmurer à la
ne peut qu’établir des conjectures sur puissance de Rome. .-Vriobarzane, mon-
le culte de cette divinité, qui avait été tant sur le trône avec l’appui de Ci-
certainement transporté daus la Cappa- céron, leur parut avoir dépouillé com-
doce à une époque postérieure à l’ex- plètement l’indépendance du pouvoir.
pulsion des Perses, car on sait que le C’était pour le grand prêtre de Comana
magisme supportait avec peine le culte une circonstance favorable pour s’em-
des statues. Deux divinités du nom parer de la couronne. Comana, située
grec de Jupiter étaient également au centre des montagnes, sur le versant
adorées. L’une, nommée seulement par septentrional du Taurus, était défen-
les auteurs Jupiter (3) D.icius, parait due par la nature encore plus que par le
avoir été principalement dans la ville fanatisme. On voit aujourd'hui ses rui-
de Tyana. Près de son temple était un nes dans le lieu nommé Chert kalé si,
lac qui , encore aujourd’hui, en mar- ausuddeEl Bostan,sur le fleuve Sarus,
que remplacement. Il jouit de la pro- comme l’indiqne Strabon. Elle est à
priété d’avoir un écoulement souter- deux journées sud-ouest de Césarée.
rain ; de
sorte qu’il n’est pas sujet aux C’est là que se trouvait le centre du
débordements. Le temple de Jupiter, parti qui voulait s’opposer à l’élection
élevé par les Vénasi en Moriméué, d’/Vriobarzanc. Cicéron, informé de ce
jouissait de revenus considérables en qui se passait, et craignant que le pon-
terres et en argent. Il avait en outre un tife, qui commandait un corps de cava-
personnel nombreux : aussi le pontife, lerie et une infanterie nombreuse, ne
qui était nommé à vie, jouissait d’un voulût tenter le sort des armes, le dé-
^uvoir incontesté dans toute la pro- cida à se retirer et à laisser Ariobar-
vince ;
mais il était inférieur à celui du zane paisible possesseur du trône. Tran-
temple de Bellone à Coniana. Cette di- quille du côté des Romains, le roi de
vinité avait, sous le nom de Meu ou de Capp.idoce voyait, sans pouvoir s’y op-
Mâ, un autre temple dans la ville de poser, le roi de Pont faire des incur-
sions dans ses États, lever des tributs,
(i) yojr, Eug. Boré, Corrapondance, t. I, et ravager les campagnes.
p. aS.y.

(j) Sirabon, XII, 536.


(3j Aœ, Marcellin, lir, XXIII, 19 ,

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,

&f3 L’UNIVERS,
CHAPITRE VI. mentionné cet acte de l’autorité su-
prême de César, Hirtius ajoute « Cum :

LA. CAPPADOCE SOUS l’EMPIBE « propius Pontum Hnesque Gallo-


ROHAIIV. « græciæ accessisset; comme il appro-
« chait du royaume de Pont et des

César, venant de terminer la guerre « frontières de la Galatie.... » Ce n’é-


d’Alexandrie (1), était venu en Cilicie tait donc pas dans le temple de la se-
où il avait tenu les états. Celte pro- conde Comana qu’il était allé. D’ail-
vince étant paciliée et organisée, César leurs la situation de cette ville est à plu-
avait pensé a venger la défaite de Do- sieurs journées à l’est de Zéla, près de
mitius Calvinus (2), et <à faire rentrer laquelle César livra la bataille a Phar-
sous l'autorité du peuple romain les nace; et, après la victoire, ayant aban-
provinces que Pharnace avait conqui- donné à ses troupes les trésors de ce
ses. 11 était parti d’Alexandrie au prin- prince, il partit le lendemain pour l’I-
temps de l’an 707 de Rome, 47 av. Jé- talie.
sus-Christ. Ayant appris qu’un dif- Toute cette narration est très-claire.
férend s’était élevé entre Ariobarzane et La topographie de ces lieux, mainte-
son frère Ariarathe, et voulant main- nant bien connue, est tout à fait d’ac-
tenir au pouvoir ces deux princes qui cord avec les faits rapportés par l’his-
avaient bien mérité de la République, il torien. en résulte que Lycomède fut
Il

assura au premier le trône qu’il occu- nommé grand prêtre de Bellone, sans
pait, et, alin qu’Ariarathe, qui était sou doute place de cet Archelaüs qui
à la
héritier, ne fût pas tenté de lui susciter avait fomenté une sédition contre Ario-
des embarras, il le mit dans la dépen- barzane.
dance absolue de son frère. César avait Strabon, qui s’est contenté de dire
séjourné deux Jours à Mazaca pour ré- quelques mots du temple de Comana en
gler cette affaire. Il avait voulu faire Cappadocc (I). est beaucoup plus ex-
une visite a l’ancien et vénérable tem- plicite touchant celui du royaume de
ple de Bellone, qui est à ('omana en Pont ; il nomme plusieurs des pon-
Cappadoce (ce sont les termes propres tifes) entre autres cet .Archelaüs , de la
du texte). Ici nous allons rencontrer une famille des rois, auquel il donne pour
contradiction, qui ne peut s’expliquer successeur ce même Lycomède , qui
aussi facilement qu’on l'a cru (3). a été placé par César eu Cappadocc.
César, arrivé à Comana, investit du Les auteurs de la' traduction fran-
titre de grand pontife, Lycoinede, Bi- çaise ont cru expliquer cette contra-
thyiiien, qui était originaire de Cappa- diction, en disant que l’on donnait in-
dôce, et issu du sang des rois. On ne distinctement à ces deux temples le nom
saurait douter que cet événement n’ait eu de Comana de Cappadocc parce
lieu dans le temple de Comana de Cap- qu’ils étaient construits sur le même
padoce, et non dans celui de Pont; car modèle , ou parce que le royaume de
le premier de ces temples est à deux Pont n’étail qu’un démembrement de
Journées de caravane sud-est de Ma- la Cappadocc. Mais à l’époque dont il

zaca, et sur la route de Cilicie en Cap- est ici que.slion, ces deux États étaient
padoce. Que César soit revenu sur ses non-seulement séparés, mais encore
pas pour aller de Mazaca au temple, ennemis, puisque les incursions de Phar-
ou qu’il ait réglé cette affaire en arri- nace en Cappadocc ont motivé la vi-
vant dans la capitale, c’est un point qui goureuse diversion de César.
est peu important. Mais il est certain On doit ajouter, néanmoins, que les
ne ce Lycomède exerçait la prêtrise quatre grands temples de ces pays, ce-
e Bellone en Cappadocc et non dans lui de Comana de Cjippadoee, de Ju-
le royaume de Pont; car, apres avoir piter des Veuaci , de .Men-Pharn ik ,n

Cabyra, et eiilin de Comana de Pont,


(i) Hirl., Hrll. .Iles., in fine, étaient entourés d’un territoire com-
(a) Ici., iliitl, plètement indépendant, qui venait en-
(3) 7^'oj. llv. X.II, p.
6fi, de la Iradiiclion
fraiiçai.se de .Straboii. (i) Liv. XII, 535.

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.

ASIE MINEURE.
core d’étre étendu de cinq lieues (qua- Orient, ne se montra pas moins hostile
tre schœnes) pu César. Dans tous ces au prince Ariarathe X, successeur dé-
temples, les cérémonies différaient peu signé par César. Le triumvir accueillit
les unes des autres. La principale fête les prétentions du fils aîné d’un grand
consistait en une procession à laquelle prêtre du nom d’Arehelaüs. Il se voyait
participaient des adorateurs venus de d’autant mieux placé pour faire valoir
toutes les campattnes environnantes. les droits de son fils, qu’il était petit-
En pariant de Vun et l’autre temple, fils d’un autre Archelaüs qui, ayant

les auteurs anciens n’oublient pas d’a- abandonné le parti deMithndate pour
jouter que le pouvoir du souverain se réunir au consul Muræna, avait li-
pontife ne le cédait qu’à celui du roi, vré aux Romains la ville de Comana (1).
sans jamais mettre en parallèle les pou- Le filsde ce pontife, portant aussi le
voirs des deux grands prêtres de cha- nom d’Archelaüs, avait épousé Béré-
que temple. Pour expliquer cette con- nice, reine d’Égypte (2); il reçut de
tradiction du texte latin et du texte Pompée l’investiture du pontificat de
grec, je crois qu’il n’y a qu’un moyen, Comana, qu’il laissa en héritage à son
c’est d’admettre que le culte de cette filsdu même nom que lui, et qui était
divinité persique, adorée en Cappa- père de Sisinna, le compétiteur d’ Aria-
doce dans deux temples différents, n’é- rathe, et d’un autre prince du nom
tait régi que par un pontife suprême, d’Archelaüs. Sisinna, par ses ancêtres,
sous rautorité duquel était placé le se voyait donc allié à tout le parti ro-
gouvernement de toutes les affaires re- main; et l’inimitié de Marc- Antoine
ligieuses. Nous allons voir sous le rè- coutre Ariarathe lui assurait la faveur
gne suivant Archelaüs, qui est cité par du triumvir. Aussi lorsque, selon l’u-
Strabon comme un grand prêtre du sage, le différend entre les deux prin-
temple de Pont (1), renouveler ses in- ces fut porté devant le tribunal des Ro-
trigues contre Ariarathe, pour feire ar- mains, Marc- Antoine n’hésita pas à dé-
river au trône son fils Sisinna , et jouir pouiller Ariarathe, pour mettre sur le
du succès de son entreprise,; toutes cho- trône Sisinna. Mais le roi reconquit le
ses qui n’étaient possibles qu’à un prince pouvoir, et fut plus tard définitive-
qui avait son centre d’action dans la Cap- ment détrôné par Marc-Antoine, qui
padoce. mit sur le trône Archelaüs, second fils
César, noti content d’avoir assuré le du grànd prêtre.
pouvoir à son protégé, ajouta à ses Le règne d’Archelaüÿ, le dernier des
Etats une partie de la Cilicie et de rois de (^ppodoce, fut aussi un des plus
l’Arménie. Néanmoins cette dernière longs de cette monarchie. Reconnais-
province ne fut jamais complètement sant envers Marc-Antoine, il lui envoya
incorporée. Les rois d’Arménie, réta- un corps d’armée pour la guerre du
blis sur le trône par Tibère, récupé- triumvirat, mais sut, eu même temps,
rèrent cette partie de leurs États, lors- se concilier l’amitié d’Auguste, qui aug-
que la Cappadoce fut réduite en pro- menta encore les annexes ajoutées par
vince; et, dans la plupart des villes an- César. Archelaüs obtint le gouverne-
ciennes, on voit encore des châteaux ment de toute la petite Arménie et de
portant de nombreuses inscriptions en la Cilicie jusqu’à la mer (3). Archelaüs
langue arménienne, tandis que laCap- établit sa résidence dans l’tle d’Elæiissa,
padoce est absolument dépourvue de tout pendant que Tibère vivait retiré dans
monument en langue cappadocienne l’Iie de Rhodes. Les honneurs qu’il ren-
Ariobarzane était resté fidèle à C.ésar dit à Caius César, nommé gouverneur
après chute du dictateur. Il avait né-
la d’Orient, excitèrent la jalousie de Ti-
gligé du moins de faire acte d'adhésion bère, qui, arrivé au faite du pouvoir,
au triumvirat. Aussi fut-il traité en en- fit sentir au roi tout le poids Je sa co-
nemi par les conjurés ; et (^ssiusl’ayant
attaqué et vaincu, le lit mettre à mort. (t)A|>|tian., /if//. Mitltr.
Marc - Antoine tout - puissant en
,
(i) Dion, l'ib. XXXIV.
(3) Suet., in Tih., c. VllI. .Slraboii, lib.

(t) Xir, 558. XIV, 671 ;


XII, 556.

3S« Livraison. (Asib MinEUBE.) T. U. 33


,>

ASIE MlNEriRE. 6lS

pasien, pour opposer une barrière aux nuelles , le peuple le plus misérable de
incursions des barbares, mit la province toute l’Asie Mineure, se livrèrent avec
sous l’autorité d’un consulaire et y en- frénésie à ces recherches sacrilèges , où
voya plusieurs légions (1); mais elle fut, leur cupidité trouvait une ample satis-
plus tard , remise sous l’autorité d’un faction. Quoiqu’ils s’adressassent prin-
président, car, sous Constantin, un voit cipalement aux tombeaux des païens,
un Præses Cappadociæ du nom d’Ku- saint Grégoire de Nazianee voulut met-
tychius. tre un frein à des dévastations qui s'é-
Valens, qui avait embrassé l’aria- tendaient jusqu’aux monuments mêmes ;
nisme, voulant déplacer plusieurs sièges mais il ne parait pas que ses paroles
épiscopaux pour les donner aux Ariens, aient été beaucoup écoutées. Le saint
fit une uouvellü démarcation, et forma, évéque s’en venge par de nombreuses
comme dans l’origine, deux Cappa- épigrammes qui nous ont été conservées
doces, avec deux métropoles la pre- ; au nombre de plus de quatre-vingts;
mière ou l’ Ancienne, qui eut Césarée elles paraissent avoir été composé.-s
pour capitale; et la seconde, celle du vers l’au 372 de J.-C. (I)
Taurus , qui eut pour capitale Tyanu. La destruction d’un tombeau remar-
A voir de si nombreux évéques char- quable excite surtout la colère du pré-
gés du gouvernement spirituel du pays, lat ,
et il lance contre ses paroissiens
on serait tenté de penser qu’il Jouis- l’épigramme suivante ;

sait alors d’une sorte de (.rospérité.


Le tombeau de Mauaole est énorme, inala
On en comptait alors cinquante-cinq, respecté des Carlens. LÀ. nulle tr.ice de iiuiiu
Mais un de ses plus célèbres apô- violatrice. El moi , fort êlt vé au^ilessus des
tres, Grégoire de ?lazianze, évéque Cappudooiena . vous voyez ce que J'énruuve ;
vous écrirez donc sur. moi, assassins des
de Sasimes, nous montre les Cappa- morts (’i).
dociens comme abrutis par la mi-
sère et adonnés au trafic honteux des Cette épigramme est peut-être le seul
dépouilles des morts. Dès que le paga- document qui nous apprenne l’exis-
nisme se fut éteint en Asie, et que les tenoe d’un monument un peu remar-
paysans ne craignirent plus ni les me- quable; cependant, il est h croire que
naces des dieux infernaux, ni les amen- la capitale a été ornée de temples plus
des auxquelles étaient condamnés ceux ou moins somptueux, car elle porte sur
qui violaient les sépultures, il se créa les médailles le titre de Néocore. .Sons
une industrie qui ne manqua pas d'étre les empereurs Pertinax, Septime-Sf-\en'
productive dans les premiers temps. elles Antonins, la Cappaduce fut suc.
Chacune des innombrables grottes sé- cessivement administrée par des propré-
pulcrales dont les rochers sont perforés tenrs et des légats. Ou trouve dans les
contenait, avec les cendres du mort, inscriptions asiatiques un grand nombre
quelque offrande à la divinité protec- de personnages qui ont été investis de
trice de la tombe, et eu même temps ces magistratures diverses souvent ils :

des bijoux, des armes précieuses, dépo- sont mentionnés comme ayant rempli
sés aux pieds des guerriers, ou comme ces fonctions dans plusieurs provinces;
dernières parures des femme.s. Il paraît mais on ne dit pas si elles ont été exer-
démontré que les bijoux de toilette que cées en même temps, ousi c’est parsuite
l’on retrouve avec les («ndres étaient , de nominations successives.
fabriqués exprès pour cet usage fu- On voit à Éphèse une inscription qui
nèbre, mais que ce n'étaient pas ceux mentionne un proconsul de Bithynie,
qui avaient servi au défunt pendant sa de Pont et de Cappadnee. Une inscrip
vie; il n'en était pas de même des armes. tion de l'ile de (àis attribue à un seul
Peut être même, dans ces caves sépul- citoveii ,
Julius Qiiadratus, des charges
crales, les familles cachaient-elles leurs beaucoup plus nombreuses; il était pro-
trésors, menacés dans ces
toujours cousul de Crète et de Cyrène, légat
temps de troubles. Les Cappadocieus
devenus, par suite des exactions conti- (ij Sainie-Oroix, Mim. de Fdcad., a*sér.,

L II, 55,i.

(i) Tranquillus in VespaSMiio, S. (a) Greg. N»z., Kpigr,, CXVII, p. i46.


516 L’UNIVKRS.
impérial de la province (Iwap-^Elai) de pliquer une pareille singularité. La ré-
Cappadoce, légat et lieutenant général ponse qu’il me lit montre combien,
(le Lyeie et de Pamphilie , légat (lu Pont chez ces Orientaux, l’esprit est toujours
et de Bitliynie. Ce mode d'administra- disposé à saisir le côté romanestiue et
tion paraît avoir subsisté pendant tout merveilleux des faits. Lorsque les in-
le temps de l’empire- Othon, en 69, se fidèles ont fait une irruption dans ces
propose, il est vrai, de le modifier; mais pays qui étaient autrefois chrétiens, me
d ne parait pas qu'il ait donné suite a dit-il , voulant abolir la pratique de la
ce projet (1). religion chrétienne, ils ont compris qu'il
fallait commencer par rendre impossible
CHAPITRE VII. l'usage de la langue grecque, (lui était
le moyen par lequel tous les chrétiens
RÈGIVK DE CONSTANTIN. communiquaient entre eux. Par ordre
du roi de Perse on coupa la langue à
Sous le règne de Constantin, la Cæd- tous les enfants ; une génération entière
padoce avait été réunie au diocèse de fut muette ;-la génération suivante ne
Pont; son Église avait cependant con- parla plus que la langue des infidèles.
servé sa primauté, et le christianisme Notre petit village échappa par miracle
s’étendit avec tant (le rapidité que, sous à la proscription générale ; il fut peut-
Valens, en 366, elle comptait cinquante être oublié voila pourquoi vous nous
;

évéchés, et, parmi ses évêques, les trois retrouvez tous ici parlant la langue de
prélats les plus célèbres de toute l’Asie. nos pères. »
Saint Urégoire Thaumaturge était natif Quelque incroyable que soit cette
de Cappatloce; il vécut dans la seconde histoire, elle n'en conserve pas moins
moitié du troisième siècle. Le commen- la tradition d’une persécution exercée
c«ment du quatrième siècle vit fleurir par les infidèles sur les chrétiens. Tant
une famille (le saints dont la renommée d’invasions eurent lieu pendant la lon-
est arrivée jusqu’à nous, à travers de gue chute de l’empire d’Orient, qu’il
telles révolutions, que l’histoire de cette serait difficile de dire a laquelle le vieux
époque n’est plus qu’un chaos inextri- prêtre voulait faire allusion; mais il est
cable. Saint Basile, évéque de Césarée, naturel de penser que les plus cruelles
sainte Macrine sa sœur, et saint Grégoire persécutions qu’éprouvèreut les chré-
de Nysse, ont porté au plus hautclegré tiens d’Orient vinrent de la part des
la gloire du christianisme, et depuis eux Perses. Ce n'était pas seulement contre
il n’a fait que déchoir dans ce pays. les chrétiens qu’ils nourrissaient une
Sainte Macriiie avait fondé un couvent haine implacable : toutes les religions de
de filles, qui fut ruiné par Sapor. Elle l’Occident étaient |H>ur les mages l’ob-
prêcha dans toute la Cappadoce, et son jet d'une exécration que le mahomé-
tombeau est encore pour les Grecs un tisme a héritée et nourrit encore, quoi-
lieu de pèlerinage. Il est placé dans le que d’une manière moins apparente.
chœur d’une petite église du village de Eu 344, Sapor ordonna une persécution
Melehulii, dans la partie la plus deserte qui amena un soulèvement général des
delà province. Les Grecs ne conservent chrétiens. Les chroniques arménien-
aucun souvenir, aucune tradition de nes (I) nous apiirennent que le roi finit
l’ancien nom de cet endroit; mais on cependant par accorder aux chrétiens
y observe une particularité très-cu- une trêve, moyennant un tribut qui fut
rieu.se, c’est que les habitants grecs ont religieusement payé par les Arméniens
Conservé l’usage de leur langue mater- et les Grecs. Mais ce n’était pas seule-
nelle, tandis que dans tout le reste de ment contre les Perses (lue les chrétiens
la province leurs coreligionnaires l'ont avaient a défendre leur foi. L’empereur
complètement oubliée, et à peine est-elle Julien, prenant dans tout l’empire des
cultivée par le clergé. mesures énergiques pour ressusciter le
demandais au prêtre gardien du
-Te culte des dieux de Rome, avait fait sen-
tombeau de la sainte s’il pourrait ex-
(i) Voy. Soulèvement de rjrménie clin-

(1) Taeit-, flif/., I, ni. tienne iii-8°, 1844.

J
I, ou by Goggli
ASIE MlNËURh. il7

tir aux Itabitants de Césarée le poids de CHAPITRE VIII.


sa colère, de sorte que les clirétiens
persécutés tantôt par les mages, tantôt SCHISME D'aBIUS.
ar les pontifes, sévirent forcés d’a-
andonner leurs églises, dont les tno- Voilà les chrétiens dont les évêques
destes richesses devenaient la proie du ont laissé, dans l’histoire de l’Église,
fisc. C’est à cette époque, c’est-à-dire une renommée immortelle. Grégoire
dans la période du troisième au cin- de Nazianze, évêque, de Sasimes, ne
uième siècle, qu’il faut faire remonter gouvernait pas un diocèse plus opulent.
exécution dccesinnombrableschapelh s Le bourg de Sasimes est aujourd’hui
creusées dans le roc, que les chrétiens inconnu; mais celui de Nazianze, dont
fondèrent dans les vallées les plus sau- les vestiges se retrouvent au village de
vages et les plus ignorées de la Cappa- Viran cheher, nous montre quelle était
doce. Des districts entiers ravagés par l’humble position de ces premiers évê-
les feux souterrains, n’offrant pas un ques, qui marchaient sur les traces du
arbre pour abriter contre les rayons du premier des apôtres. Le schisme d’A-
soleil , des sources chétives sortant d’un rius vient en 366 troubler encore ce
rocher volcanique, et taries dès que les troupeau de finèles, qui commençaient
ardeurs de l’été se faisaient sentir, voilà à respirer. L’empereur Valens, irrité de
les lieux qui étaient abandonnés à la ne pouvoir convertir le pieux évêque de
piété des lidèles, et l’on peut se faire ^sarée, et métropolitain de Cappadocé,
une idée du zèle et de la ferveur qui opéra un changement notable dans l'ad-
animaient ces néophytes, quand on ministration de cette province, et la di-
pense que c’est par milliers que l'on visa de nouveau en deux gouvernements,
compte ces chapelles , qui atteignent comme avant l’arrivée des Romains.
parfois les dimensions d’une église, et Césarée fut la capitale delà première,
qui sont pour la plupart ornées de pein- et Tyane, de la seconde. Basile conserva
tures d’une exécution satisfaisante. le siège de Césarée, et l’évêque Anthy-
Combien je regrettais que dans ce voyage mus fut pourvu de celui de Tyane. Va-
de Cappadocé, des motifs impérieux lens avait exilé, plusieurs évêques ortho-
m’empêchassent de retracer l’un après doxes et attribué leurs revenus à la
l’autre ces monuments d’une foi nou- métropole de Tyane. Mais tous ces soins
velle qui devait envahir le monde. furent inutiles, et Césarée demeura la
Les chrétiens bannis et persécutés capitale de toute la province. La Un du
envahirent des lieux où Jamais être hu- cinquième siècle se passa en querelles
main n’avait pénétré ; autour de la cha- intestines entre les chrétiens des diffé-
pelle se groupa la famille des nouveaux rentes sectes; mais sous le règne de
catéchumènes, qui d’une grotte natu- Léon I", l'Orient subit un fléou plus
relle lit bientôt une habitation com- cruel encore que tous ceux qui avaient
mode pour des hommes à mœurs sim- affligé les âges précédents ; les peuples
ples et primitives. C’est l’origine de ces nomades des bords de la mer Caspienne,
villages troglodytes si multipliés, et qui les Huns que les Arméniens np|)ellent
,

ont conservé chez les Turcs les noms Cochuns, fondirent sur l’Arménie et la
de Mille et une églises. La carte du réduisirent en cendres. Ces peuples ca-
P. Cyrille,que j’examinerai en détail, valiers apprirent bientôt que la Médie
m’a fourni de précieux renseignements et la Cappadocé avaient d’innombrables
pour retrouver ces innombrables habi- troupeaux de chevaux célèbres à la
tations. On ne comprend pas comment course. Il n’en fallut pas davantage pour
des familles ont pu vivre dans ces lieux; tracer leur itinéraire ; ils fondirent sur
il fallut que, comme à Césarée, les la Cappadocé, province, sans défense,
choses nécessaires à leur subsistance pillèrent les bourgs, traversèrent le Tau-
fussent apportées du dehors , car aux rus et allèrent mettre le siège devant
environs il n’y a pas une acre à cultiver. Antioche. Non contents de ravager ce
pays, les habitants parqués avec le l)é-
,

lail , furent entraînes hors de leur pa-


trie. I-es uns ,
incorporés aux hordes
L’UNIVERS.
nomades, trouvèrent une exUteiiee as- princes d’ Arménie et la cour de Byzance,
surée dans l;j vie de rapines qu’exer- donnaient aux musulmans un avantage
«jaient les nouveaux conquérants, hom- inespéré. Le sultan Alp-Arsian, neveu
mes sans reliuion, qui s'accommodaient de Togrul-Bey, s’était emparé d’Erze-
tacilement de toutes les croyances. roum et marchait contre Césarée. En
Tous ceux qui, trop faibles pour accep- 1024, il s’empara de cette ville; mais
ter cette vie de fatigues, refusaient de son emplacement ne parut pas conve-
.s’enrôler, étaient impitoyablement mas- nable pour en faire une capitale Les
sacrés, ou envoyés avec les femmes et nouveaux conquérants s’étant emparés
les enfants pour garder les troupeaux d’Iconiiim, métropole de l’Isaune,
du pays au delà de Djihoun. y
Il ne fallait plantèrent leur sandjak, et commencè-
pas renouveler souvent de semblables rent à doter la contrée d’un grand nom-
invasions pour dépeupler complètement bre de somptueux édifices.
une province ; cependant les Perses agis- Sivas, l’ancienneSebaste.devintla ré-
saient de même, et les empereurs les sidence de savants oulémas, qui fondè-
imit' ient en coloraut leurs mesures ty- rent des écoles célèbres. Césarée ne fut
ranniques du nom de déplacement de point déshéritée du mouvement de civi-
la population. lisation qui s’opérait dans toute la con-
trée; mais les merveilles de l’architec-
CHAPITRE IX. ture arabe étaient réservées pour la
ville d’Iconium. Ce qui nous reste de
INVASION DES SELDJOUKIDES. ces princes , nous les montre comme
les émulés des califes de Cordoue qui
,
I.e règne de Justinien, les victoires régnaient à la même époque. I.es ar-
de Bélisaire et de Narsès donnent quel- tistes byzantins se Joignirent aux mu-
ques années de répit à cette malheu- sulmans pour décorer les villes, et le gé-
reuse province. Justinien, pour arrêter nie inventif des Perses était mis à con-
les invasions des Perses, fonde plusieurs tribution pour rehausser de l’éclat des
places fortes, auxquelles il donne une émaux les temples et les écoles dont la
garnison aguerrie. Melitèue est élevée structure était de brique.
au rang de métropole, et Anazarba, A aucune époque, l’art des musul-
grande place de l’Arménie seconde, est mans ne s’est montré sous un aspect
reconstruite avec tout le luxe de dé- plus brillant. Malgré leur qualité de
fense que l’art militaire pouvait em- musulmans orthodoxes, les Seidjou-
ployer. Mais, d’une part, les Huns kides ne rejetèrent pas complètement
avaient montré le chemin aux Tatars; les représentations d’hommes et d’ani-
de l’autre, les rois sassanides, maîtres maux. Je suis porté à croire que l’af-
de l’Arménie , con.servaient la domina- fection que les Persans ont toujours
tion de la presqu’île. Aucune paix du- montrée pour cette branche des beaux-
rable ne pouvait être promise à ce pays arts, a été la cause de cette antipathie
que par l’établissement d’un pouvoir qui tient de l’exécration. Il sulit qu’un
central. Les successeurs de Gengbis- Schyte soutienne une doctrine pour
Khan s’approchèrent peu à peu de l’Oc- qu’un Sounni la tienne pour abomina-
,

cident; déjà le sceptre de l’Iran leur ble. Un laps de sept siècles n’a pas
était échu Cétait l'aurore d’un pouvoir complètement anéanti les chefs-d’œu-
tout asiatique, qui allait fonder une vre de l’art des Seidjoukides, et c’est le
dynastie en Cappadoce. I.es rois ou principal sujet de nos études sur les
Manbans d’Arménie avaient acquis monuments de la Cappadoce.
par échange quelques places de la Cap- A côté de l’architecture impérissable
padoce; mais sons le règne de l’empe- creusée dans les rochers, il est curieux
reur Basile, en 880, les derniers de ces d’observer les monuments dont la déli-
princes furent égorgés par les Grecs. catesse étonne le regard.
C'est contre l’empire de Constantinople 11 résulte, de la comparaison de ces
que les Seidjoukides curent à combattre deux genres de monuments , un fait
pour l’établissement de leur empire. Les q^ui me parait parfaitement démontré ;

distensions qui avaient éclaté entre les que la nature des matériaux qua
ASIE MINEURE. 519

fournissait un rpays, dictait aux ar> comans qui, plus tard devaient for- ,

listes les priucipas jde l’art qu’ils de- mer la puissante famille des Oa-
vaient suivre. Sans bois, et par consé- manlis.
quent sans charpente, les constructeurs Les filsdeMalek-Schah avaient con-
n’avaient que la construction des voûtes quis depuis quelques anuées la pro-
à appliquer A la couverture de leurs édifl- vince de Bithynie et s’étaient solide-
ces. Aussi irien n’eat-il plus varié que ment établis dans Nicée. Toute la par-
les coupoles des monumeuts ; le pen- tie orientale de l’Asie Mineure se trou-
dentif et la voûte d’arête s’y mon- vait au contraire livrée à une anarchie
trent avee des connbinaisons les plus in- sans égale par suite des rivalités qui
génieuses. Tout ceci nous donne une s'établissaient entre tous les princes
idée parfaite de l’aidiitecture des mo- musulmans issus d’une même lamille,
numents publics mais qui préteudaieut tous à un pou-
Quant aux maisons des simples ha- voir indépendant. Jusqu’au commen-
bitants, tout porte à penser qu’elles cement du onzième siècle , les sultans
étaient ce qu’elles sont encore aujour- de Perse avaient été regardés comme
d'hui des nuttes carrées couvertes en
; les chefs de la dynastie seidjoukide, et
terrasse, dont 'la charpente est faite en aucun de ces princes n’avait jusqu’alors
branches de tamarisc , les briques ne refusé de payer un tribut au souverain ;
sont que de la terre mêlée de paille ha- mais à la mort de Seiffeld-Dewiet,
chée et séchée au soleil. Dans les villes prince de Mossoiil, la guerre civile
d’Orieut tes plus riches en carrières s'alluma. Le sultan .Soliman de Nicée,
de pierres de toute espèce , les habi- tnt tué dans un comliat, et les émirs
tations des particuliers étaient égale- qui commandaient pour lui se révol-
ment en terre et en bois. L’Asie n’a tèrent. La Cappadotie fut envahie par
pas cliangé depuis de Baby-
les siècles Pulchas, frère d’Aboulcasem ; mais le
lone; et quand le voyageur cherche sultan envoy.i son fils aîné KilidJ-Ars-
dans cette ville célèbre les ruines des lan pour soumettre cet émir; il fut
immenses quartiers qui étaient cou- proclamé sultan de Cappadoce , et w
verts de maisons, il ne faut pas qu’il dirigea aussitôt vers Malatia, dont il
s’étonne de n’en pas trouver de ves- Gt le siège pendant que ses principaux
tiges : le vent les a dispersés avec, le sa- émir.s ravageaient les terres des Grecs
ble du désert. (1092) (I).

Les maisons des villageois de Cappa-


doce sont généralement composées de '
CHAPITRE X.
deux corps de logis, l’un pour les fem-
mes et l’autre jrour les hommes; la
EXPÉDITION DBS CROISES.
pièce principale est ouverte et soutenue
Les armées des Croisés qui étaient
par deux piliers de bois ; des niches
venues faire le siège de Nicée, et qui
pratiquées dans le pourtour servent à
traversèrent l’Asie Mineure, se trou-
déposer les ustensiles de ménage; les
vèrent bientôt aux prises avec des
autres chambres sont à peine éclairées,
fléaux plus redoutables que les arm^
car le verre à vitre est encore rare en
des émirs, la faim et la soif. Kilidj-
ce pays; un treillage arrête les re-
Arslan avait perdu la bataille de Do-
gards!
rylée, et, se fiant désormais aux dé-
Rien n’est plus simple que ees habi-
tations mais remplacez le soliveau
:
serts qui séparaient Iconium, capi-
^
tale, des plaines de la Phrygie, il donna
par des colonnes sculptées, l’enduit de
l’ordre à tous ses habitants d’éloigner
chaux par des glaces et des peintures,
les troupeaux du chemin que suivait
vous avez pour les plus somptueux pa-
l’armée. Les Croisés, exténues de fati-
lais une disposition identique. Rien n’é-
gue , arrivèrent à leonium , où il es-
gale la simplicité du plan des habita-
péraient trouver des vivres , mais les
tions en Orient.
L’i'lablissenient de la domination Turcs, instruits de leur marche, avaient
musulmane dans la Cappadoce amena ù
H»ns, liv, IX.
(a suite les irlbus nomades des Tur* (i) De Guignes, fliit. (If s

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no I.’IINIVERS.

abandonné celte ville, et s’étaient re- les villes de Phiniminis et de Terma;


tires, avec leurs femmes, leurs enfants celte dernière place faisait partie de ai
et toutes leurs richesses, dans les mon- Cappadoce (1). Attaqués par Kilidj-
tagnes voisines. Les chrétiens ga- Arsfan, ils furent détruits jusqu’au der-
gnèrent Héraclée (Érégli), et mar- nier. Ces victoires ne rendaient pas ce-
chèrent sur Marasch. Tancrède, quit- pendant le pouvoir du sultan plus as-
tant alors le gros de l'armée, entre eu suré. Les émirs construisaient dans les
Cilicie, et. laissant malgré lui Tarse sous montagnes des châteaux forts, qui de-
le pouvoir de Baudouin , marche sur venaient bientôt des centres de popu-
Mamistra et sur Adana, où il fait un lation et même des villes populeuses.
grand butin. Le peu de sécurité que les nabitanis
Cependant il est à croire oue ce ne chrétiens etmusulmans trou valent dans
fut pas sans une lutte des plus vives, les campagnes, les forçait bientôt
car il est certain qu'un grand nombre d'aller demander protection à l’émir le
de Croisés périrent dans cette dernière plus voisin; elle était accordée moyen-
ville ,
et furent enterrés avec leurs ar- nant tribut. C’est ainsi que la puis-
mes. Pendant mon séjour à Adana, en sance de ces beys des montagnes s’est
1836, les Arméniens avaient fait fouiller perpétuée jusqu’à nos jours. Les défilés
une grande étendue de terrain pour du Taurus sont hérissés de casbah, au-
construire uue nouvelle église, à la jourd'hui sans noms et sans souvenirs,
place de l'ancienne qui existait eu ce dans les ruines des(|uelles il faudrait
lieu de temps immémorial. Chaque chendier cette multitude de petites
Jour les ouvriers mettaient à découvert places fortes, prises et reprises par les
des ossements humains avec des dé- musulmans et les chrétiens , et qui
bris de casques et de cottes de mailles ; sont mentionnées par les auteurs orien-
on exhuma en même temps un nom- taux.
bre très-oonsidérable de croix en bronze Les provinces de l’est étaient le
de différent module, mais ayant toutes théâtre d’événements non moins im-
à peu près la même forme, celle d’une portants. Gabriel, gouverneur de Ma-
croix de Malte ; elles étaient générale- iatia, pour les Marzbans d’Arménie,
ment faites d'un seul morceau de craignant de voir cette place tomber
bronze avec une bélière et quelques or- entre les mains des musulmans, avait
nements grossièrement gravés sur le appelé à son secours Bobè'mond, déjà
champ. I, évêque arménien qui recueil- maître d'Antioche, lui offrant de la
lait ces reliques, possédait aussi une remettre entre ses mains. Danisch-
croix de même forme, mais plus grande mcnd Oglou, émir, qui venait de fon-
que les autres ( environ 0,26 cent, de der un petit État dans les vallées de
longueur), qui était soudée à une douille l’Anti-Taurus, vint à la tête des Turco-
propre à être emmanchée : c'était .sans mans s'opposer à la jonction de l'ar-
doute quelque débris d’étendard. Tous mée des Croisés avec celle des chré-
ces ossements , jetés pêle-mêle dans tiens orientaux. Bohëmoiid ayant passé
cette terre, ne paraissaient pas avoir ja- l’Euphrate, fut attaqué par les Musul-
mais reçu les honneurs d’une sépulture mans, vaincu et fait prisonnier. Da-
pacifique ; leur accumulation en un lieu nischmend Oglou alla mettre le siège
qui est sans doute depuis des siècles devant Malatia ; mais les débris de l’ar-
consacré à la religion chrétienne, s’ex- mée de Bohëmond s’étaient sauvés jus-
plique naturellement ; ils auront été qu’à Édesse, et avaient informé de ces
transportés autour de la chapelle pri- événements le comte Baudouin, qui
mitive qui existait là.
Les désastres qu’éprouvèrent les chré- (i) C’éUit un lieu où se trouvaient des
tiens dans cette campagne ne furent
sources thermales; je pense qu’il doit se
pas les derniers. Une armée de Danois, trouver au.\ eiiviroos de Ladik ( Laodicaea
sous les ordres du roi Suenon, s’avança abonde eu
Conibiista } : toute cette contrée
dans l’intérieur de l'Asie Mineure en sources chaudes. Phiniminis est PhiUrmélium
suivant la même route que celle de Alt-Cheher), ville souvent prise et reprise
(
Tanorède ; ils vinrent camper entre par les Croisés.
,

ASIE MINEURE. 531

accourut avec des forces suflisnntes, forcées de venir passer en cet endroit,
obligea Dauischmeiid-Oglou de lever le ui se trouvait sur la route des portes
siège et prit possession de Malatia. e Cilicie. Les Croisés vainqueurs à
‘ Tant
que les Croisés se tinrent dans Erégli, devaient nécessairement trouver
les montagnes, ils furent toujours en une autre armée au passage du Taurus,
étatd’opposer une résistance énergique daus les défilés du Kulek Boghaz. Ce
aux bordes seidjoukides. Mais on ne n’était donc qu’au prix de fatigues infi-
cite pas une seule armée qui ait pu nies qu’ils arrivaient dans les plaines
traverser la Cappadocesans éprouver de de la Cilicie, où Tancrède et Baudouin
sanglants revers. Il était si facile à la possédaient Tarse et Adana. Mais
population nomade de s’éloigner des quand on voit les immenses difficultés
routes battues, que les niaibeureux que la nature seule du pays offrait aux
chrétiens éprouvèrent dès leur entrée
,
armées chrétiennes, on ne peut s’empê-
dans cette fatale contrée, toutes les cher d’admirer, non-seulement le cou-
horreurs de la famine. En fuyant, les rage. indomptable, mais encore la force
habitants fermaient les puits et com- physique dont il fallait que ces illus-
blaient les citernes; il ne restait plus tres guerriers fussent doués pour ac-
aux Croisés que des sources salées qui complir leur tâche périlleuse.
étaient un objet de dégoût pour les Le duc de Bavière et Guillaume
hommes et les animaux. comte de Poitou, vinrent comme leurs
L’expédition du comte de Nevers ne devanciers se présenter au pas d’Ërégli.
fut pas plus heureuse que les précéden- La route qu’ils avaient suivie en Asie
tes, unoiqu’il eût pris soin de se diriger est indiquée par lesdeux villes de Phi-
vers l’est, en suivant les montagnes de niminis (Philomelium ) et deSalamia;
la Piirygie et de la Galatie, et de pren- mais cette dernière place est ineonuue.
dre le château d’Anevre. Mais l’indisci- Souffrant de la soif, l’armée se pré-
pline et la barbarie de ses compagnons senta à la rivière d'Érégli ; tous les
lui turent aussi fatales que les armes puits et les citernes avaient été comblés
musulmanes. La population d’une pe- sur leur route. Les Tureomans, pré-
tite ville de la Galatie, dont Albert venus de l’arrivée des chrétiens, les
d’Aix ne dit pas Id nom, ouvrit ses por- attendaient de l’autre côté de la rivière
tes aux Français, et s’avança au-devant en ordre de bataille. Une grêle de llè-
d'eux, portant processionnellement les ches les repoussait loin du ruisseau qui
croix et les évangiles ; ce qui n’empécha coule dans un terrain argileux et dont
pas la ville ne fût pillée.
que les bords sont très-escarpés. Les che-
fallut tourner vers le sud
Lorsqu’il vaux, bravant les projectiles, cherchent
et daus les steppes qui sont au-
entrer à se précipiter daus le fleuve pour se
delà de l’Halys, les chrétiens commen- désaltérer. I.e désordre commença à se
cèrent à être harcelés par les Turcs de mettre dans cette foule de cent mille
Kilidj-Arsian, qui s’était joint à Da- combattants, et fil naître la terreur;
nischmend-Oglou. Ils pénétrèrent ce- bientôt chacun chercha son salUt dans
pendant jusqu’à l’i-ndroit qu’Albert une fuite inutile. Poursuivis et massa-
d’Aix appelle Stancon, et souffrirent crés par les Turcs, les chrétiens pé-
considérablement de la soif pendant trois rirent presque tous, et ceux que le fer
'ours pour se rendre à Héraclée. Affai- musulman épargna allèrent mourir
par tant d’obstacles, ils furent at-
iilis dans les montagnes desséchées de la
taqués par le sultan. Il n’y eut que sept Lycaonie.
cents Croisés qui se sauvèrent à Germa- Le lieu où s’est passée cette action,
nicopolis ; le reste fut tué ou fait pri- mémorable dans les fastes des Osmaulis
sonnier. est parfaitement reconnaissable aujour-
Le même lieu fut, peu de temps d’hui ; j’en ai fait, pendant mon séjuur
après, témoin d’une autre victoire de à Érégli, l'objet d’un examen particu-
Kilidj-Arsiansurles Croisés, remportée lier. Cette rivière, que les anciens
dans les circonstances analogues. voyageurs s’étaient accordés pour re-
Toutes les armées qui se dirigeaient garder comme uu des affluents de l’Ha-
vers la Syrie étaient en quelque sorte lys, coule de l’est à l'ouest dans une

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&22 L’UNIVERS.
vallee encaissée, ei va se jeter dans un serveaitencore des souvenirs de celte
lac peu éloigné de la ville. Érégli, que brillante epoque. L’architecture des
les Osmanlis appellent aussi Krkié, et Seidjoukides offre un caractère telle-
dont les historiens des Croisades ont ment tranché, que l’artiste qui a ob-
fait Héraclée, n’est point une ville an- servé les monumeuLs d’icouium, peut
cienne; on n’y trouve d’autres anti- difficilement se méprendre sur l’epo-
quités que des monuments musulmans, que de la fondation de tant d’autres
un medreeé, que l’on attribue au sul- édifices qui subsistent encore dans le
tan Ala-Kddyn le Seidjoukide et de
, Kurdistan et dans l’Arménie.
vastes caravanseraïs, construits, dit- Tout zélés musulmans que fussent
on, par le sultan Ahmed U'', quand il ces princes, ils ne proscrivirent pas
marchait à la conquête de Itagdad. Ces complètement les représentations d’hom-
souvenirs sont aujourd’hui tellement mes et d’animaux en peinture et eu
confus dans l’esprit des habitants, qu'il sculpture, et ils avaient conservé le
est peu de villes de l’Asie Mineure où godt de ces beaux-arts que les Seid-
l’on ne montre des châteaux ou des joukides persans ont toujours fa-
klvans attribués au même sultan, allant vorisés.
conquérir la capitale de l’Irack. Le lac Unprince de cette race, Kouraa-
d’Érégli reçoit les eaux provenant de rouïa, sultan de Damas, avait fait faire,
la fonte des' neiges du Taurus, et au dans son palais du Kaire, une salle qui
printemps son etendue est telle, que renfermait son portrait et celui de
les routes sont interceptées. Les eaux toutes ses femmes, eu bois peint. Cés
se sont ouvert une issue souterraine, statues portaient sur leurs têtes des
connue en Grèce, où ce phénomène est couronnes d’or enrichies de pierreries;
très-multiplié, sous le nom de Katava- elles avaient des pendants d’oreilles, et
throD. étaient habillées des plus riches étoffes
Il ne parait pas que les guerres des du pays (I). Plusieurs monuments an-
musulmans contre les Grecs fussent tiques de l’Asie Mineure ont été con-
aussi sérieuses et aussi meurtrières que servés par les soins des Seidjoukides;
celles qu’ils avaient soutenues contre mais la jalousie des imans sunnis con-
les t>oisôs. L’empereur de Byzance tre les Schiites arrêta dès sa naissance
faisait bien quelques tentatives pour re- cet essor vers les arts du dessin. Il fut
prendre Iconium, qui restait toujours interdit aux sultans de faire graver leur
le centre de la puissance musulmane; portrait sur les monnaies; on toléra
mais il se contentait d’assiéger, de seulement quelques représentations
prendre et d’abandonner plusieurs pe- d’animaux. Le sultan des Turcs porte
tites place.s de la Phrygie et de la Cap- encore aujourd’hui la figure en relief
padoce. Iconium s’embellissait de tous d’un paon sur l’avant de son calque.
les chefs-d’œuvre de l’art des Sarrasins ; Le vautour fut adopté par les princes
toutes les anciennes murailles étaient seidjoukides comme le symbole de la
réparées et la ville agrandie etfortiliée. puissance suprême; ils imitaient en
cela les Byzantins, qui avaient con-
CHAPITRE XI. servé sur leurs enseignes l’aigle ro-
maine. Le vautour Houma'i ( royal ) est
SULTANS SBL1XIOUKIDE8 d'iKONIUH. sculpté sur un grand nombre de monu-
ments de style arabe, en Asie Mineure
Ala-Eddyn Xey-Khosrou, frère de et en Perse ; on peut être assuré, à dé-
Kilidj-Arslau, est regardé par les üs- faut d’autres renseignements, que les
manhs comme le fondateur de la dy- monuments qui portent cet emblème*
nastie seidjoukide d’Iconiuin ( II92). sontde l’époque des Seidjoukides, c’est-
C’est à lui qu'ils attribuent la plupart à-dire dans la période de 108B à 1390.
des superbes édifices que l'on admire Les historiens orientaux attribuent à
encore dans les principales villes de son Ala-Eddyn Key-Kobad l’idée première
empire. Sons son règne, les académies,
les moaquées, les écoles se multi- (i) De Ouigiiei, Hist, i;én. dei Huai, L U,
plièrent Amasie, Sivos, Nigdé con-
: liv. IX, 140 .
ASIE MINEURE. 633

de l’adoption du ciMissant aseeiulajit .Ala-Eddyn Key-Kobad 1 22ii


( c’e«t-à*clire dont la courbure est tour- Key-Kosrou II 12:10
née à droite) sur le.s eDseif>nes mili- Key-Kaous II 1317
taires ; c’était le svmbole de la ftrandeur KilidJ-Arslan 111 1201
D.ai.ssantc de l’islainisme. M. de Haro* Masiiud II 1292
mer est tenté d’y voir un reste de la Rhokiiedilin KilidJ-Arslan. . . 1 29.5
superstition du dieu Meu, dont les au- Ala-Eddyn III 1304
tels n’étaient pas encore complètement
déaerLs. La lune fut toujours, en effet, L’invasion des Mongols persans fut
pour les Asiatiques un astre aux vertus le signal de la ruine du pouvoir des
secrètes et à la puissance occulte, et Seidjoukides. Césarée tomba entre les
l’on encore aujourd’hui , dans le
voit mains des conquérants tartares; toute
rentre de la province, une peuplade l’Arménie et l’AderbaïdJan obéissaient
dont eu forme de crois-
la coiffure, déjà au sultan Houlagou, et sa passion
sant, semble un souvenir de ce culte si pour une princesse arménienne valut
répandu. aux chrétiens de ces contrées quelques
Nous ne pouvons nue retracer d’une années d’un gouveriicment tolérable.
manière sommaire l’iiistoire ou plutôt L'empire des .SeliIJoukides fut divisé
la chronologie des monuments de cette en dix parties indôfiendantes. Kara-
époque, qui est regardée à bon droit man, (ils de Noiir-Soli, avait épousé la
comme l’ère la plus brillante de la ci- Allé d’Ala-Eddyn III; il eut en par-
vilisation des Musulmans. Us ne se tage une province composée d’une par-
montrent dans la suite <[ue des co- tie de l’ancienne Tyanitis et d’un dis-
pistes où des plagiaires des Byzantins. trict de la Lycaonie, où se trouvait la
L’art arabe décline, et disparaît vers la ville de Laranda. Il y fouda une ville à
fin du dix-septième siècle. Chacun des laquelle il donna son nom, qui passa
monuments élevés par les princes seld- La dynn.stie
bientôt à toute la province.
jouJtides porte de nombreuses inscrip- des Karaman régna pendant un siècle
tions, qui sont, il est vrai, pour la plu- et demi sur la Cappadoce. Mais toute
part, des versets du Koran; niais il de cette époque n’est plus
riiistoire
s’en trouve dans le nombre qui sont qu’uue succession de guerres civiles
commémoratives. Espérons que les fu- entre les différents émirs. On ne cite
turs voyageurs s’attacheront à éclaircir que quelques forteresses élevées pen-
cette partie de l’histoire du moyen âge, dant toute cette période, et les arts des
et que bientôt cette multitude d’ins- Seidjoukides commencent à tomber
criptions sera traduite et commentée. dans I..a famille d’Orkhan s’é-
l’oubli.
La dynastie seidjoukide qui régna ,
tait solidement établie dans le nord de
sur toute la Cappadoce pendant trois l’Asie Mineure; Mourad I", voyant i’af-
siècles environ, se compose de qua- faiblissemeiit successif des principautés
torze princes, dont la chronologie est du sud, résolut de conquérir la Cara-
ainsi établie par de Guignes (1) et adop- manie. Une grande bataille fut livrée
tée par M. de Uammer (S) : par les Turcs au prince karaman Ala-
Eddyn, qui s'enfuit à Konieh. Mourad
DYNASTIE SELMOUKIDE d’iCONIUM- vint’fairo le siège de cette ville ; Ala-Ed-
dyn parvint à éloigner le sultan , en
.Soliman fils de Koutoulmisch. 1081 faisant avec lui un traité qui rendait les
KilidJ-Arslan l" 1092 Turcs maîtres d’une partie de ses États.
Saisnn 1109 Mais en 1394, Bayazid Ildirim atta-
Masoud I" 1120 que de nouveau le sultan de Karaman,
KilidJ-Arslan II 115.5 s’enfuit dans les gorges du Taurus.
Key-Klinsrou l" (Ala-Eddyn). 1192 Ce prince est le dernier qui règne sur
Alà-Elddyn Key-Kaous 1212 la Cappadoce. Ses descendants se main-
tiennent cependant à Karaman et à
{i) De Guignes. Hiil.des Huns, Iconium, Jusqu’à l’année I486. Maho-
(i) Haiiinici', Hist, de tempùre ollomaii ,
met II, après line campagne qui lui
ooilla peu de monde, s'empare de ces

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634 L’UNIVERS.
deux villes, et les réduit sous le pouvoir bre d'années sous le plus dur esclavage,
des Osmanlis. Néanmoins les émirs étaient, pour ainsi dire, une population
vaincus conservèrent toujours l’ombre vouée à la misèreet au malheur : c’était

de la souveraineté sur leurs anciens la pépinière des esclaves de Rome, aussi


États c'est l’origine de ce pouvoir féo-
: peut-on facilement imaginer avec quelle
dal des Déré-Rey, dont les derniers joie ces infortunés qui n’avaient d'es-
vestiges furent anéantis par le sultan iérance ni dans ce monde ni dans
Mahmoud, dans les familles des Tcha- f’autre accueillirent l’annonce d’une ré-
pan Ogiou et des Kara Osman-Oglou. demptiou. Que de respect, que d’eu-
thousiasme pour l’apôtre qui , les rele-
CHAPITRE XII. vant à leurs propres yeux, leur conférait
la dignité du baptême.
LA CAPPADOCE CHRÉTIENNE.
I«i Cappadoce venait d’ailleurs d’être
.A mesure que nous avançons vers réduite en province romaine, et les ha-
l’orient de l’Asie Mineure nous voyons bitants refusant l'autonomie qui leur
le caractère des monuments changer était offerte, avaient spontanément de-
en même temps que la physionomie du mandé à suivre la loi de l'empire. Il y
pays Du moment qu’on a franchi le avait dans le pays un moment de tran-
llàlys, les traces de l’art grec sont à peu sition très-favorable à la doctrine nou-
près effacées, la Phrygie nous a déj.i of- velle.
fert les indices d’un art autochtone, les A côté des Cappadociens se trouvaient
monuments de la Cappadoce diffèrent les Isaures, ces implacables ennemis des

autant de ceux delà Phrygie que ceux-ci Romains. Pour eux, adopter lechrhti:-
de l’art des Ioniens. Dans toute l’éten- nisme, déclarer la guerre .aux
c'était
due de la province nous ne trouvons idoles et guerre aux idoles, c’était la
la

aucun vestige de ces temples et de ces guerre à Rome même, et dès ce jour ils
théâtres qui sont comme le cachet in- couvaient déjà ce roi chrétien dont la
délébile des villes greco-romaines, à religion farouche ou plutôt le .sombre
peine trouvons-nous quelques débris fanatisme, porta le ravage parmi 1rs
qui avaient pu appartenir à l’époque où œuvres d’art que païens et chrétiens
la Cappadoce était régie par des rois. avaient conservés depuis des siècles. Il
Mais en revanche les monuments des suftit de nommer Léon l’Isauricn. La

premiers âges du christianisme abon- Lycaonie et l’Isaurie, provinces limi-

dent et sont pour l’observateur érudit trophes et presque toujours confondues,


une source inépuisable d’observations accueillirent favorablemcjit r,ipôtre.
aussi neuves qu’instructives. I.a première Église fut bientôt fondée

Le débarquement à Pergn de l’a- à Ly.stra ,


les villes d'Iconiuni^ et de
pôtre Paul et de ses compagnons fut Derbé ne tardèrent pas à suivre l’exem-
pour ces contrées le signal d'une révo- ple de Lystra, et la religion du Christ
lution sans pareille. Il est de prime fut répandue en Asie. I.a ville d’Ico-
abord une cho.se qui frappe dans la nium, qui fut pendant trois siècles la ca-
marche de saint Paul en Asie. Nous ne pitale d'uii empire musulman ne coa-
voyons pas le citoyen de Tarse arriver serve aucune trace du christianisme,
timidement dans cette patrie des dieux mais les noms des deux bourgades de
païeus, se glisser dans des villes igno- Lycaonie qui furent témoins des pre- ^

rées pour y prêcher sa doctrine secrè- mières prédications de l'apôtre, Lystra


tement. Il débarque dans une ville qui et Derbé (1), ont survécu au naufrage
^

était un des plus grands centres reli- des villes, et sous les empereurs bytan-
gieux de l’Asie, et pénètre hardiment tins un nombre considérable de mi^
dans l’intérieur du pays, faisant con- nastères s’éleva dans les montagnes voi-

connattre à tous l’objet de sa mission siues de Derbé. Aujourd’hui cw ruines


divine. qui occupent une partie des versants
Le pays que Paul avait choisi était du Kara dagh, sont connues desTuics
plus qu’aucun autre disposé à recevoir sous le nom des mille et une éfflis'f-
^

la doctrine chrétienne. l,es habitants '

de la Cappadoce, courbés depuis nom- (0 Actee XIV, 5i,XIV-6.

J
,

ASIE MINEURE. Ô3A

CHAPITRE XIII. c’est ce <]u’il est difOcile de décider;


mais après tant de siècles il est surpre-
LES ANACHORÈTES. nant de voir combien sont nombreuses
les habitations pratiquées dans les ca-
Pour les chrétiens des premiers jours, vernes, et l’immense majorité porte des
la vie religieuse se passait dans la traces évidentes du séjour des cnrétiens.
prière et la méditation sur la grandeur Ces grottes taillées dans le rocher
du dogme qui leur était révéle. Les couvrent une surface de |iays qui s’é-
pompeuses cérémonies de l’Eglise n’é- tend, du nord au sud, depuis la vallée
taient pas encore instituées, la confes- de l’Halys jusqu’aux versants septen-
sion et la communion étaient les seules trionaux du Taurus, et de l’est à l’ouest,
pratiques ostensibles, le secret était depuis la chaîne qui borde la plaine de
gardé par les initiés. Mais les plus fer- Césarée jusqu’aux montagnes de la
vents d'entre devaient supporter
eu.\ Flirygie.
avec peine le voisinage des cérémonies On ne saurait Gxer positivement la
païennes. La solitude était le seul re- date de l’établissement de ces premières
mède qu’ils pussent opposer à ces souf- demeures ;i mais on peut être cerlain,
frances morales, et bientôt, moins pour d’après des caractères d'architecture non
échapper aux dangers de la persécu- équivoques, qu’elles étaient dès le qua-
tion, que les chrétiens regardaient plu- trième siècle l’objet de pieux souvenirs,
tôt comme une faveur du ciel, que pour car plus d’un anachorète termina par le
méditer en paix sur les vérités nou- matyre une vie consacrée à Dieu,et sa cel-
velles, le désert commença à se peupler lule se transforma en un lieu sanctiGé
de chrétiens qui abandonnaient les villes qui devint un but de pèlerinage pour les
pour aller vivreau milieu des rochers, chrétiens.
loin des bruits et des tentations du
monde. Ce ne sont pas seulement les CHAPITRE XIV.
déserts de l’Êcypte et les solitudes sur
le Liban qui offrirent un
asile aux nou- LES DEMEURES DES ANACHORÈTES.
veaux chrétiens-, si en juge par les
l’on
traces des demeures qui restent encore Pendant toute la durée du premier siè-
dans les rochers de la Cappadocc, il fut cle, l’église d’Asie répandait parmi les
un temps où ces contrées furent habitées populations les doctrines du christia-
par une véritable population de céno- nisme. Les assemblées des Gdèles for-
bites, et ce ne fut pas sans fruit pour la mulaient en silence les principes qui de-
religion, car c’est de la Cappaduce que vaient guider les constructeurs des tem-
sont sortis les premiers et les plus bril- ples. Pour les nouveaux couvertis, l'é-
lants confesseurs. Naziance, Nysse, Ce- vêque était le pasteur, et les néophytes,
sarée, resteront à jamais célèbres dans les brebis; cet emblème était comme le
les fastesdu christianisme par les grands trait d’union qui servait aux chrétiens
hommes qu’elles ont produits. à se reconnaître entre eux. La colombe
Cette contrée singulière était plus oue et l’oiseau mangeant des raisins avaient
toute autre bien propice à la vie asceti- également une signiGcation , le Saint-
ue. Formant un vaste plateau au centre E'prit était représente par le premier
e l’Asie Mineure, son territoire fut , à emblème, la communion par le second.
une époque reculée, ravagé par les feux C’est bien plus tard que le poisson,
volcaniques qui en ont pour ainsi dire avec son nom symbolique, fut aussi ad-
labouré la surface. mis parmi les emblèmes chrétiens, mais
Les premiers chrétiens en venant se ou le trouve souvent répété sur les tom-
retirer dans ces demeures troglodytes beaux de l’église d’Afrique. Les chré-
suivirent-ilsun usage déjà général dans tiens avaient coutume de creuser dans
la contrée, parmi ces Cappadociens que le marbre de petites coupes qui conser-
l’histoire nous montre si malheureux vaient la rosée ou l’eau de pluie pour
ou furent-ils les premiers qui creusè- abreuver les oiseaux.
rent de leurs mains ces retraites pour se Le mystère qui enveloppait les pre-
mettre à l'abri du contact des païens? mières cérémonies du culte ne contri-

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526 LTNIVERS.
buait pas moins que le désir de méditer une volonté ferme peut dompter la na-
eu paix , à pousser vers la solitude les ture.
nouveaux élus. Ceux surtout qui se seu -
Saint J acques de Nisibe vivait couvert
tant de la vocation pour l’apostolat et le d’un diphtère de peau de chevreau et
martyre, voulaient , dans la solitude, se nourrissait de racines sauvages. Saint
recueillir des forces pour aller ensuite Kphrem fait l’éloge des Thérapeutes de
catécLilser les gentils, et choisissaient de la Mésopotamie, qui sous le nom de
,

préférence les régions les plus inacces- Rosci ou moines broutants, allaient
sibles. dans les champs paître avec les trou-
Voilà les éléments de la population peaux (I). Ils couchaient dans les re-
qui vint dans les trois premiers siè- traites d’où ils chassaient les bêtes sau-
cles peupler les rochers arides où nous vages.
voyons encore leurs demeures. Le plus célèbre d’entre les cénobites, le
Dans le nord de l’Asie Mineure le pâtre Siméou Stylite vivait sur une mon-
pays est pour ainsi dire trop agréable , tagne voisine d'Antioche. Les déserts
de belles forêts, des ruisseaux lim- situés entre cette ville et celle de Césa-
pides, circulant au milieu des prairies, rée servirent de refuge pendant les per-
tout cela rappelait trop les biens ter- sécutions ariennes aux Athanase et
restres, et d’ailleurs était trop acces- aux Chrysostome : mais lorsque ce der-

sible à la vaine curiosité du vulgaire. nier fut arraché de son siège épiscopal
Saint Kasile a laissé un riant tableau de pour être conduit en exil dans la pelile
la retraite qu’il s’était ménagée sur le ville de Cucusus , représentée aujour-
bord de l’Iris, dans le royaume de Pont ; d’hui par le bourg de Geuksunn sur le
mais l'ancien évêque de Césarée avait bord de l’Kuphrate, la douleur des
fait sa première retraite dans les soli- cénobites fit place à un sentiment d’in-
tudes du mont Argée, où les moines dignation et ils tentèrent de l'arracher
arméniens du couvent de Surp Garabed aux mains des soldats de Théodose (405)
montrent encore sa demeure. deJ.-G.
Il faut ajouter que, dès le premier Le costume adopté par les anacho-
siècle la vie contemplative n’était pas rètes se retrouve encore parmi certaines
une nouveauté pour les peuples d’O- peuplades de la Syrie et du Liban e’é- :

rient, les fakirs de l’Inde la pratiquaient tait le manteau de laine noire, qu’ils
de temps immémorial, les sto'icieus et portaient sur la peau, et le cucullus,qui
les gymnosoplùstes la regardaient sert encore sous le nom de bournous
comme un acheminement à la vertu. du vêtement à toute la population arabe.
La mortilication de la chair et le mépris Il faut remarquer que dans les plus
de la douleur étaient chez les philo.so- anciennes représentations des Apétres
phes d’Orient un symbole de sagesse, Ils sont toiqours vêtus de la toge ro-

et nous voyons le brachmane Calanus maine.


se brûler vif en présence d'Alexandre Si les monuments construits nous
le Grand dans la ville de Pasargades. font défaut pour toute cette période des
Cette retraite des premier s chrétiens trois premiers siècles du christianisme,
n'avait donc rien de singulier, ni pour nous sommes assurés cependant que
les populations ni pour l’autorité impé- sous Marc-Aurèle l’église d’Orient était

riale. Ils y trouvèrent un repos qui ne florissante, et aue dans presque toutes
pouvait être troublé que par les visites les villes les clirétiens se comptaient
'des catéchumènes, apportant a de rares par milliers. Les comme les
lecteurs
intervalles la frugale nourriture des diacres, comme les évêques, voulaient
reclus, et remportant la manne céleste sans doute faire au désert , un noviriat
qui alimentait leur zèle pieux. La vue qui parais.sait impossible dans les villes.
seule des retraites où vivaient les céno- Partout on cherchait des retraites inac-
bites de la Cappadoce peut donner une cessibles, Pt à mesure que le temps mar-
idée des rigueurs de la vie ascétique. chait et que l’éloquence chrétienne en-
I,a viede ces solitaires était une renon-
ciation continuelle aux besoins les plus (i) .Sa/.omèiie, I. VI,cli. 33. Tillemonl,
impérieux et montre jusqu’à quel point .Vê/w. f cct^siasrtijnes, \ome y \\l, p. «ga.
ASIE MESEURE. 527
(lammait les âmes , ceux mêmes qui fitune longue station à Césarée, et, se-
pnriaient aux fidèles et qui avaient fait lon la tradition des Grecs, elle fit bâtir
aussi leur retraite au désert, enga- le couvent de Taxiarque ( ), et
geaieiitleursfrèresàles imiter, et comme l’on montre encore la chapelle dont elle
nous l'avons vu, nul pays n’était plus posa la première pierre. Ce fut, dit-on,
propice que la Cappadoce. à la suite d’un songe dans lequel lui ap-
Le cours de l’Halys, qui sépare le parut l’archange Michel, qui lui ordonna
royaume de Pont de celui de Cappadoce de bâtir une église en ce lieu. En creu-
forme également une ligne de sépara- sant les fondations on trouva une pierre
tion marquée entre deux contrées par- singulière et transparente, qui Rit pla-
faitement disparates, autant la première cée dans une desenapeiles. Cette pierre
est boisée et riante, autant l’autre est n’est autre chose qu’un morceau de
austère et aride. marbre spéculaire. On sait que cette
En entrant dans la Cappadoce, il est espèce de pierre fut découverte en (’jip-
impossible de résister à un sentiment padocc sous le règne de Piéron (1). Do-
de tritesse à l’aspect de cette région niitien avait fait construire dans son pa-
qui semble présenter sous un cadre lais une salle dont les murailles étaient
réduit le tableau des plus terribles faites avec ce marbre aBnque personne
convulsions de la nature. Les mon- ne put rapprocher même par derrière
tagnes composées d’une roche noire et sans être vu (2). Les indigènes nomment
poreuse ne sont couvertes que d'une cette pierre anar tasch, la pierre brû-
végétation chétive. De grandes crevasses lante.
dont l’œil a peine à mesurer la profon- Au sujet du voyage de sainte Hélène
deur attestent les ravages des tremble- en Cappadoce, on doit faire une remar-
ments de terre, de hautes falaises vol- que qui ne manque pas d’importance :

caniques formas de faisceaux de ba- cette princesse partant de Constantino-


salte s’offrent aux regards comme de ple pour se rendre a Jérusalem, entre-
bizarres formations qui n’ont rieu de prenait son voyage dansun but de dévo-
commun avec les roches des autres con- tion; si elle traverse péniblement toute
trées; tantôt elles forment de hautes l’Asie Mineure, si elle séjourne à Cé-
colonnes, tantôt elles s’épanchent en sarée, c’était sans doute parce que cette
faiseaux rayonnants comme si les laves région était déjà célébré comme grand
du volcan s’étaient figées ,à l'instant centre chrétien ; c’est dans le même or-
même, au commandement d’une vo- dre d’idées qu’elle fonde l’église et le
lonté puissante ces tableaux sombres
;
monastère de Taxiarque les mêmes
:

et grandioses des convulsions de la na- motifs de piété la portent à fonder


ture étaient bien propres à captiver l’i- des églises eu Palestine sur les lieux
inagination des nommes qui venaient mêmes qui se recommandent aux
au désert pour méditer sur les œuvres souvenirs des chrétiens par quelque
de Dieu. Dans ces temps primitifs où grand fait religieux elle bâtit l’église
:

la science était encore au berceau, tous de Bethléem sur le berceau du Christ et


les phénomènes naturels étaient pour une église sur l’emplacement où fut
les chrétiens des sujets d’admiration ou trouvée la vraie croix. A défaut de mo-
d'effroi (1). numents chrétiens subsistant encore de
nos jours, on pourrait donc affirmer
CHAPITRE XV. ue déjà sous Constantin cette région
e Cappadoce était célèbre dans les
TOTÀOE DE SAINTE HÉLÈNE. fastes du christianisme.
Pour répondre d’avance à l’objection
Dès letemps de Constantin ces lieux qui pourrait être faite, (gueles tombeaux
avaient une certaine célébrité comme et leschambres habitables que l’on ob-
grand centre clirétien.Sainte Hélène serve dans ces régions ont pu être l’ou-
(|uitraversa l’Asie INlineure pour se vrage des païens et accommodés plus
rendre de Constantinople à Jérusalem,
(r) Pline, Hisl. nal., XXXVI, eh, «a,
(l) Constantini oralio, ch. VII, ad Euseh, (a) Snélune, In Demilnino.

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520 L’UNIVERS.
tard à l'usage des chrétiens, nous ferons cropole chrétienne en Asie , surtout
observer que durant tout le temps de quand nous ne trouvons dans aucun de
la loi païenne les tombeaux étaient ces tombeaux la moindre trace du sé-
sacrés et placés sous la garde de l'au- jour des païens.
torité civile. Des peines etdes amendes
étaient infligées à tout violateur de CHAPITRE XVI.
tombeaux, la malédiction de.s dieux
devait les poursuivre au-delà de la LES SÉPliLTlMlES CHBÉTIEINNES.
vie, et pour ceux qui ne se seraient pas
effrayés de ces menaces, il y avait le Ce qui fit de la religion chrétienne la
bureau du fisc et l’administration du religion de tous les peuples civilisés,
Chréophylax (1), qui surveillait la con- c’est qu’elle rejeta tous les préjugés,
servation des monuments. Les noms toutes les pratiques singulières ou ty-
des propriétaires des tombeaux, la con- ranniques des autres cultes, non-seule-
tenance du terrain étaient inscrits dans ment du paganistne et de l'idolâtrie,
des registres déposés au chréophyla- mais encore du mosaïsme. Elle laissa
cion, qui paraît avoir eu beaucoup d’a- toute la latitude au développement de
nalogie avec notre bureau de l’enregis- la vie civile, elle n’eut ni pour la vie,

trement (2); tout individu convaincu d’a- ni pour la mort aucune de ces pres-
voir porté atteinte à une propriété sé- criptions absolues qui ont arrêté le pro-
pulcrale soit en l’achetant, en la ven- grès de la science chez les peuples an-
dant ou en y faisant enterrer quelque ciens. Le Christ fait cadavre réhabilita,
personnage autre que les ayant d roit était pour ainsi dire, le cadavre humain qui
condamuéaune amende quivariesurles passait pour impur chez tous les peu-
monuments de mille à dix mille drach- ples anciens, meme chez les Grecs et
mes laquelle était payée au très-sacré les Romains, qui se piquaient d’être
Tamion(lefisc). philosophes.
11 eu est de même des cérémonies
L’office du chréophylax se bornait à
constater la propriété; la plupart des ti- des sépultures, et des croyances que les
tres (jue nous venons de mentionner se autres peuples attachaient à ces céré-
retrouvaient répétés sur l’inscription monies. La raison de la religion chré-
du tombeau. La sépulture païenne tienne a fait justice de toutes ces er-
avait donc toutes les garanties de durée reurs. Le corps n’est que l’enveloppe
et de conservation ; elle n’a commencé de l’àine et cette émanation divine n’est
à être en butte à la dévastation que lors-
jamais esclave du sort de la matière ;

que toutes ces administrations protec- un chrétien laissé sans sépulture n’a
trices ont été anéanties et remplacées rien à redouter pour son salut étemel,
par l’administration chrétienne, c’est- et les âmes ne sont plus à la merci

a-dire quand les lois de Constantin ont d’un ennemi, d’un accident, ou de |ia-
été répandues dans toute cette partie de rents indifférents. Toute latitude est
r.\sie. laissée aux chrétiens pour le mode de
Nous devons ajouter que si l’on ad- sépulture qu'ils adopteront, on ne leur
met l’existence d’une communauté défend ni l’embaumement usité en
chrétienne en Cappadoee, il faut bien égypte, ni bûcher des Grecs et des
le

admettre un lieu de sépulture; et si Romains tombe taillée dans le


,
ni ta

nous voyons au milieu de Rome païenne rocher, ou l’humble sépulture le long


une nécropole chrétienne recevoir les du chemin. Le temple mêineadmetdans
corps d’une multitude innombrable, les profondeurs de ses fondemeuts les

pourquoi n’admettrait-on pas une né- corps des chrétiens morts. Il faut lire
les prescriptions que saint Auguslin
fait aux fidèles de son temps pour les
(i) Lilléralemeiit gardien de la chair.
Corpus Inscript. AtVii'tKWt, éclairer sur leurs doutes à ce sujet (1).
(a) r'oj-eadans le
t. II, depuis la p. 537, jusqu’à la p. 646,
Il est donc vrai que la terre n’a pas

une foule d’Inscriplioiis qui |iruuïeiH que


le chréophylacion était les archives des biens (i) Sailli Augiistiii Cite de Dieu, livre l,

liypolhcqués ou susceptibles de l’être. page i 3 . Ibid. liv. I,i-h. 13.


ASlli MINEURE. â29

couvert les corps d’uo grand nombre de qu’on observait chez les Romains, et
ohrétieos, mais personne n’eu a re- chez les Hébreux; chez ces derniers
tranché un seul du ciel ni de la terre... le mode de sépulture ne varia pas dé-
Le psalmiste dit bien • Ils ont exposé
: nis la plus hante antiquité. Les tom-
les corps de vos serviteurs pour servir eaux, clans la Palestine , étaient de
de pâture aux oiseaux du ciel et aux plusieurs sortes les plus communs
:

bâtes de la terre ; ils ont répandu leur étaient dans les champs et en pleine
sang comme l'eau autour de Jérusalem, terre ; d’autres étaient dans les rochers
et il n'était là personite pour les ense- au sein des montagnes ; les derniers
velir... Aussi tout le reste, c’est-à-dire étaient dans des grottes creusées, où
le soin des funérailles, le choix de la l’on pratiquait plusieurs niches dans
sépulture, la pompe des obsèques, tout lesquelles on plaçait les corps. Quelque-
cela est destiné ^utot à consoler les fois on enterrait les corps dans des jar-
vivants qu’à soulager les morts. Si de dins voisins de la ville.
riches funérailles profltaientà l’impie, Les sépultures du peuple étaient
une sépulture commune ou le défaut de hors de la ville. Samuel fut enterré
sépulture nuirait à l’homme pieux ; » et dans sa maison, Saül sous des arbres, et
chapitre XIII « Ce n’est pas une raison
: Rachel sur le chemin de Bethléem. Les
pour abandonner les corps de ceux qui étrangers qui mouraient à Jérusalem
sont morts surtout des justes et des étaient enterrés dans la vallée du Cé-
fidèles. » Saint Augustin fait ensuite le dron.
tableau des funérailles aux anciens Tous ces usages des Hébreux se sont
iours ; il rappelle les ordres donnés par perpétués ;
mais il est à remarquer que
les patriarches à leurs enfants d’inhu- cette idée de l’impureté des corps morts
mer leurs corps ; mais la privation de est tout a fait rejetée par les chrétiens,
sépulture ne peut troubler le repos des taudis que diez les Hebreux tous ceux
morts. qui se trouvaient dans la maison du
« Aussi, ajoute-t-il, lorsque pendant le mort contractaient une souillure qui
sac de cette grande ville ou dans d’au- durait sept jours ; tous ceux qui tou-
tres places, la srâulture manqua aux chaient le cadavre ou son sépulcre con-
chrétiens, ce ne fut pas la faute des vi- tractaient la même impureté , qui ne
vants qui ne purent la leur donner, ce pouvait être lavée que par la cérémonie
ne fut pour les morts aucun préjudice suivante :

puisqu’ils ne peuvent le sentir. > On prenait la cendre d’une vache


Si la loi nouvelle permettait aux rousse immolée par le grand prêtre.
chrétiens d’adopter ou de rejeter les cé- Au jour de l’expiation solennelle, on en
rémonies des autres cultes, ils ne s’en 'était dans un vase rempli d’eau, et un
tinrent pas moins dans une juste ré- lomme exempt de souillure trempait de
serve, qui consiste à honorer la dépouille l’hysojie dans cette eau et en arrosait la
mortelle de ceux qu’on a aimés ou ré- chambre, les meubles et les personnes
vérés, sans entourer la pompe funèbre souillées ; on faisait cette cérémonie le
de vaines pratiques. troisième et le septième jour. Celui qui
Les tombeaux somptueux n’exci- avait été souillé se mettait au bain, la-
tèrent que leurs dédains, et parmi les vait ses habits, et était ainsi purifié (1).
restes innombrables de sépultures que L’inhumation dans la terre ou dans des
l’on peut encore observer, on n’en trouve grottes fut généralement pratiquée pen-
pas une qui ne soit marquée au cachet dant toute f antiquité hébraïque. On voit
de la sagesse ou de la raison. Abraham acheter pour sa femme Sarah
un tombeau avec une caverne destinée à
CHAPITRE XVU. sa famille.
Cependant on cite également le roi
Asa, qui fut brûlé avec une quantité
QRBÉHOrnBS DBS FUNÉRAILLES.
d’aromates ; mais la coutume d’embau-

I.es cérémonies qui accompagnent (i)Léon de Modène, ym/r,


les funérailles ne diffèrent pas de celles i part., ch. 8.

34° Livrauon. (Asie Mineubb.) t. ii. S4


,

630 L’ÜmVERS.
mer les corps ne fut jamais n! générale CHAPITRE XVIII.
ni fort commune.
Les pleureuses à gage qui étaient MODES DE SBPÜLTUBE.
convoquées aux funérailles des Ro-
mains comme à celles des HÀreux Deux méthodes de sépulture ont
furent aussi usitées chez les premiers prévalu parmi les chrétiens celle de
.

chrétiens, et cet usage est encore ob- déposer les corps au sein de la terre
servé dans tout l’Orient. On invite les pour que la poussière retourne à la
prents et les amis à venir pleurer sur poussière, ou de les ensevelir dans des
le défunt; ce sont ordinairement des sarcophages de pierre soit isolés , soit
femmes seules qui remplissent de de- taillés dans le roc. Nous ne trouvons
voir. Nous avons observé de tes céré- nulle part l’indication de l’incinératioii
monies funèbres à Sniyrnô et dans plu- des corps, qui, à vrai dire, ne fut ja-
sieurs villes d’Orient. maW d’un usage général dans l’anti-
Lorsque la société est rassemblée quité , puisque même à l’époque où
dans la maison mortuaire', oh com- eenecoutume fut pratiquée avec le plus
mence à parler tranquillement du dé- d’éclat nous voyons même pour les
,

funt, puis peé ÿ peu la douleUr se fait personnéd illustres la sépulture ou l’in-
jour, on parle avec des sanglotsétouffés, cinération pratiquées indistinctement.
et souvent la cérémonie se termiüe par Alexandrè fait brûler avec de somp-
des cris et des lamentations qui reten- tueuses cérémonies le corps de son ami
tissent dans tout le quartier. Il est d’u- Épbestion ; les généraux et les amis du
sage de lacérer ses vêtements et même nponarmé macédonien préfèrent la pra-
de s’arracher des cheveux ; il y a même tique de Tembaumemeut, pour la sé-
une sorte de règle fiour dééhirer ses pulture de leur chef. Il en fut de même
habits; ils sont accommodés d’avance chez les Grecs, chéz les Romains et
pour cette opération, et les prêtres grecs chez les Etrusques ; partout on retrouve
comme les rabbins ont établi des rè- à une époque donnée la sépulture dans
gles B ce sujet. On peut ne dédiirer des sarcophagés, pratiquée en même
que le bas de sa robe tnême de la lar- temps que l’incinération; voHà pourquoi
geur de la main. On déchire les man- nous devons regarder cette dernière
ches longues de sa tunique. On peut re- pratique plutêt comme une mode, que
coudre la déchirure au bout de trente comme un usage univérser de l’anti-
jours, si elle u’af pas été faite à la mort quité. ‘

d’un proche parent ; mais si c’est pour Les caves sépulcrales d’Urguh offrent
un parent, 'Oh ne la recoud point. un exemple unique de sépulture les :

Ou voit aussi 'dans les cimetières les sarcophages tailles dans le roc. On ne
femmes ou les mètés venir pleurer àur trouve ni le columbarium, ni le Ut fu-
les tombeaux de leurs maris ou «je
' nèbre sur lequel le corps ctqit déposé ;

leurs enfants; elles ont les cheveux dé- cet usage si général chez les Lyciens et
faits et chantent o'es stances versifiées chez les Étrusques paraît tout à fait
,
en souvenir de ceux qu’elles regrettent; rejeté par les chrétiens. On sait que la
elles s'arrachent des cheveux et met- Lycie offre aussi une multitude de
tent leurs habits eh lambeahk. ^ tombeaux monolithes une banquette
:

Avant de mettre le mort ddhk soii ayant la forme d’un lit de repos était
cercueil, les anciens chrétiens, les prê- pratiquée le long des parois. Cette cir-
tres mêmes baisaient le défunt, cè qui constance qui distingue les tombeaux
ftitdéfendh par le éoncile d’'Auxerre. d’Urgub des tombeaux évidemment
Ünd'Céutume reçue parmi les na- païens de la Lycie, est à notre avis une
tions asiatiques, l’orientation dés sé- preuve de plus derieuri <origine chré-
paltares aétééomplétenleniàbàndonilée tienne ; mais nous devons surtout faire
parrÉglise. '
remarquer que dans les plus/ impor-
tants de ces niouumeitts, le signe du
christianisme se trouve ordinairement
' 'H
‘SVS 1 .
• 1

en évidence.
ll'i
Au milieu d’un certain nombre de
i

ASIE MINEURE. 531

tombeaux de ce ^ebre que nous avons la forme du monument n’avait rien de


recueillis, nous citons un seul exemple particulier, ni pour sa décoration , ni
qui peut être regardé comme type. pour son orientation.’ Cette analome
Dans un des cônes volcaniques est creu- des sépultures est telle que pour ré-
sée une grotte de six meires environ poque de transition, des archéologues
de longueur sur trois mètres de large, exercés ont été quelquefois embarrassés
trois niches sont pratiquées le long des pour décider si tel mdnument funèbre
parois; elles sont carrées daus leur plan appartenait à un chrétien ou à un
et de forme circulaire dans la partie païen.
supérieure, chacune d’elles contenant Cet usage si général daiis l’antiquité,
un sarcophage ; trois sarcophages sont de déposer dans le cercueil il’un guerrier
aussi creusés dans le sol, et Ton voit ses armes et sa cuirasse; a été constam-
qu'on avait méUagé la place pour un ment suivi par les asia^ues et surtout
quatrième, les parois de la grotte sont par les barbares convertis, les Germains,
sans ornement. les Gaulois et les Ibères. C’est le cachet
Mais au plafond est sculptée une de l’art, le style de l’éb^Ae q|ul tait plu-
croix en relief qui en occupe presque tôt reconnaître la religion du défunt
branches su-
tonte la surface, les trois que le style de la sépulture ; combien de
périeures sont réunies par un arc de tombeaux chrétiens, même des temps
cercle.
’ ' '
mérovingiens contiennent des poteries,
Pour le caractère de la porte de ce des francisques, et même des débris
tombeau , qui est surmontée d’un arc

de repas funèbres.
surhaussé en forme de fer à cheval,* Les amuletlesi chrétiennes sont rela-
nous aurons bientôt occasion d’en dé-l tivement rares dans les tombeaux; il
montrer l’origine chrétienne. Un très-' faut pour ainsi dire arriver aux temps
grand nombre d'ouvrages monolithes carlovingiens pour trouver dans les
d'ilrgub sont décorés de portes et de' tombeaux des "symboles Certainement et
portiques du môme caractère. uniquement chrétiens ;eneffet, est-il un
Nous avons recueilli sur la route de emblème plus pa'ien que la lampe vo-
Césarée à Ingé sous un groupe de tom- tive déposée dans une sépulture ; c'est
beaux qui oib'ent un aspect des plus' l'embième destiné à éclairer l'âino dans
pittoresques; dans l'un d'eux nous sa descente '^autt 'eitfbrb.' Les' vbûfs de '
voyouségalement la croix sculptée dans parfums ne 'sont autre chose qU'une
un cercle. offrande aux dieux raâues. La loi ebré-
Enfin pour ceux qui conserveraient tieune jugeait de plus haut la religion
quelque doute sur l’origine chrétienne nouvelle; elle ne voülmt pas trancher
de ces mouumeuts, nous devons ajouter tout d’un’cdnp entre les deux civilisa-
une dernière considération. 'C'est (|ue tions, et laissait aux habitndes intimes,"^
nous avons rencontré d'innombrables aux usages familiers toute liberté,
témoigaages du christianisme et pas un prête à interdite ce pouvait porter
seul qui puisse faire soupçonner que ces attelute à la pureté du dogme.
tombeaux ont été exécutés par les secta- Pour un obserriteÀrsàpêrUeiel, la te- 'i

teurs du polythéisme. nue du chrétien dibs la vie et les usages


La liberté que la foi chrétienne lais- civils n’avait 'rien 'dé '(bfHérent de c^e'l
sait à ses adeptes pour tout ce qui avait d’un païen ;énaiatm»8èisEion profonde
rapport à la sépulture des corps, a per- se niarüfeétaitdiiniOfbentquVin deman-
mis aux chrétiens de contiuuer pour dait au premier quelque acteqoi put in-
ainsi dire les usages des païens ; toutes firmer sa croyance en Un' dieu «nique.
les petites cérémonies' inoffensives en. Nous' avons "dit que les ’ amulettes
usage dans l’autiqiiité se pratiquaient d’uü'icaracAère exclusiventent' chrétien
aux funérailles ehrétiemies. On admet-
'

étaient très-rures dans les tombeaux ;


tait pleureuses à gages, comme les
les onyrémionwe etpéadafitdes suicts-bi-s'
vasesde parfums oq les lampes déposées' bliques, soit sur les lampes sépulcrales,
dans les tombeaux. Les Joÿaux aiibés soit sur des tessères ou des sceaux de
des défuntes , paraient leur cadavre verre. Le pOissonV'Ié bon pasteur et les
oomme ils aralent orné leur corps vivant t ' brebis offrent de très-nombreuses em-
M.
532 LtNlVERS.
preinles. Mais, chose singulière, la croix montagnes sont de craie marneuse et
ne se trouve que très-rarement sculptée la végétation très-chétive; le cours des
sur les monuments funèbres jusqu’au eaux se dirige à l’ouest vers l’Halys. Le
cinquième siècle; les sarcophages, cons- village de Kaïdjik, distant de cinq kilo-
truits et décorés tout à fait dans le mètres de Youzgatt, est situé sur un pla-
style des sarcophages païens des trois teau qui domine une grande étendue de
premiers siècles, ornent des sujets de la pays ; i’horizon est borné au sud par la
vie du Christ ou des sujets bibliques ; chaine du Tchitcbek dagh, la montagne
mais très-rarement l'image de la croix. des fleurs.
Après le règne de Constantin, le la-
barum se multiplie sur les monuments YOUZGATT.
du culte, et devient l’ornement obligé
des autels comme des monuments fu- Il avait dans une de ces vallées un
y
nèbres. simple village turcoman demeure d’été
des Yourouk; c’est là que naquit Ach-
CHAPITRE XIX. met pacha, de la famille des Tchapan
Ogiou. Dès qu’il fut arrivé au pouvoir,
ITINia^inE DE TAVIUM A CBSABÉE. sa pensée fut de fonder une ville sur
l’emplacemeutde son ancien Yaêla. C’est
Le territoire des Trocmiens confinait ainsi que fut créée la ville de Youzgatt,
à la Cappndoce , mais les auteurs an- vers la findu siècle dernier.
ciens ne nous disent pas s’il s’éten- Le fils d’Achmet, le célèbre Tchapan
dait jusqu’à l’Halys, qui eût formé une Ogiou fut un des derniers Déré bey ou
frontière naturelle; de plus, les anciens princes indépendants de l’Asie Mineure.
itinéraires sont très-défectueux quand Il a pendant toute sa vie exercé la puis-

il s’agit de route allant du nord au sance souveraine, et son pouvoir s’é-


sud (I), et les ruines éparses que l’on tendait jusqu’à Césarée, et au nord jus-
rencontre ne mettent pas à même de qu’à Amasie.
combler ces lacunes. Il avait eu l’intelligence d’attirer dans

Youzgatt est le point de jonction des sa nouvelle ville une quantité d’habi-
routes de caravane qui vont de l’est à tants sans distinction de culte, et la po-
l’ouest et du nord au sud ; elle remplit pulation s’était promptement élevée à
sous ce rapport le râle de Tavium dans quinze mille habitants.
le monde ancien, mais c’est là que se A sa mort, qui eut lieu vers 1805, ses
borne la ressemblance. parents et son frère héritèrent de son
La ville de Youzgatt est située à pouvoir, et continuèrent d’attirer dans
vingt-deux kilomètres à l’est-sud-est de leur province des colons grecs et ar-
Nefez keui; M. Brant l’estime à trois méniens. Lorsque le sultan Mamhoud
lieues géographiques; et M. Hamilton eut formé le projet d'anéantir la puis-
marque quinze milles anglais. Il a par- sance des Dere bey, Tchapan üglou fut
couru cette route en venant de Youz- le premier en butte aux attaques du
gatt à la recherche de Tavium. gouvernement de la Porte, qui souleva
La vallée de Nefez keui est bornée, à contre lui les pachas ses voisins en leur
l’est, par une chaîne de collines peu éle- donnant l’espoir de partager ses riches-
vées que traverse la route de Youzgatt. ses. Les revenus du bey montaient à
On passe auprès du village de Kenek douze millions de francs dont le quart
keui, demeure d’hiver des Turcomans. à peine arrivait dans les caisses du gou-
Les maisons sont à moitié enfouies vernement.
sous terre ; trois kilomètres plus loin est A la chute de cette famille puissante,
de Hassandji, composé d’en-
le village la désorganisation ne tarda pas à se
viron quarante maisons avec une mos- -mettre dans le pays; Youzgatt ne fut
quée. Tout ce pays est très-accidenté; les pas même conservée comme chef-lieu
de Sandjak , et son territoire fut admi-
(i) Die Kopie (1er Peul. Tafel zwar nistré par un simple Mutzellim.
hier sehr Narhiâuig. Mannert, Géographie, Le palais qu’avait fait construire le
tom. 8, p. 55. bey a été incendié et tombe en ruine;
ASIB MINEURE. â3d

niiiis les édifices d’utilité publique, les fait halte une heure plus loin, à Giauur
bains et la mosquée , sont encore bien keui, habité par des Arméniens. Le Dé-
entretenus. lidjé sou, un des aflluents de rHaly.s,
La mosquée, ouvrage de Soliman bey, passe près de ce village, venant de l’est;
date de la fin du dernier siècle; elle est ce n’est encore qu’un ruisseau, et la
bâlie sur le modèle des mosquées de source ne peut être éloignée. On fait
Constantinople , c’est-à-dire dans ce ensuite dix heures de marche jusqu’à
mauvais style turco-italien ; la niche Boaslian, village de trois cents maisons,
centrale ou minnber, est ornée de co- situé dans la plaine. Tout ce pays est
lonnes de jaspe etdechaux fluatée, trans- sans arbres , mais parfaitement propre
parente, sorte de jade que l’on trouve à la culture des céréales. Les tribus Tur-
dans le pays. comanes et Kurdes s’y établissent pen-
L’aspect de Youzgatt contraste avec dant l’été.
celui de toutes les autres villes de la pro-
vince; les maisons sont couvertes en
tuiles : elle a tout à fait l’aspect d'une
CHAPITRE XX.
ville européenne. Les fruits abondent
dans ses jardins, et l’abricotier surtout VALLÉE DE l’HALVS.
donne des produits superbes; on voit
qu’il est voisin de son pays natal. On arrive enfin au bord de l’Halys.
La population s’élève a quinze mille Alors le pays change d’aspect ; ce ne sont
âmes environ ; un peu plus du tiers pra- plus des plaines argileuses plus ou moins
tique le christianisme. Les Arméniens ondulées; l’action des feux souterrains a
sont plus nombreux que les Grecs ; mais laissé partout des traces grandioses; les
tous les cultes divers paraissent vivre en rochers à pic, les falaises de tuf grisâtre
bonne intelligence. et les torrents de laves portantsur leurs
Les maisons des chrétiens ne dif- ondes durcies des blocs de rochers
ferent pas de celles des Turcs, et la vie comme les rivières portent des glaçons,
intérieure est la même chez les uns et tel est le spectacle qu'offre la vaste
les autres les femmes ne mangent pas
: plaine de Césarée depuis la vallée de
avec leursinaris; ily apour le chef de la
famille un respect qui se manifeste en On franchit le fleuve sur un pont de
toute occasion ; malgré l’usage si ré- dix arches nommé Tchok Gheuze Kou-
pandu de la pipe , un (ils ne se permet- prou sou, le pont à beaucoup d’yeux.
trait jamais de fumer devant son père. Les arches à plein cintre indiquent une
La ville est abondamment pourvue de construction antérieure à la domina-
toutes les choses nécessaires, et les mon- tion musulmane; elles sont bâties en
tagnes voisines fournissent, pendant pierre volcanique et les remplissages
l’été, de la neige pour rafraîchir les sont en tuf rouge, qui lui donnent de
boissons. loin l’apparence d’une construction de
Une muraille de moellons reliés avec briques.
de l’argile entourait autrefois la ville; elle Le fleuve est profondément encaissé
servait moins pour
la défense que pour dans une vallée basaltique qui présente
arrêter lacontrebande. AujourdMiuitout des phénomènes très-vari4 ; la plus
s’écroule, et il semble que les gouver- grande partie des prismes repose sur
neurs eux-même mettent volontiers un tuf tendre de couleur grisâtre ; les
la main à la destruction de tout ce qui prismes ont la forme hexaèdre; ils ne
peut rappeler le gouvernement de l’an- sont pas réguliers et sont quelquefois
,

cien bey. tournés sur eux-mêmes de manière à


La route de Youzgatt à Césarée suit présenter une sorte de spirale. Dansune
la direction du sud-est, traversant des vallée voisine du fleuve on peut ob-
steppes dans lesquels les tribus Kur- server un épanchement basaltique très-
des des Afchars viennent faire paître remarquable ici les prismes paraissent
:

leurs troupeaux
; on fait huit heures de émaner d’un centre commun ; ils s’élan-
marche jusqu’à Pacha keui, gros bourg cent en rayonnant comme si nne érup-
habité uniquement par des Turcs, et l’on tion se fut immédiatement figée dans sa
,

534 LlINIVKRf?.

inarche; les prismes sont aplatis, oblonfts cette roche rappellent complètement
et en forme de fuseau on ne peut mieux
: celles de certains villages d’Auvergne.
comparer leur aspect qu’à un bouquet La plaiue de Césarée est arrosée par
de feu d’artiflce. de Sarmoussacii, et est
la petite rivière
Cette falaise se trouve à moins d’un peuplée de nombreux villages presque
kilomètre du pont et sur la rive droite tous occupés par des familles chré-
du neuve. tiennes, grecques et arméniennes; ces
Dans la même falaise volcanique, dernières habitent les villages de Sar-
dont le pied est baigné par les eaux moussac, Surp Garabed et Surp Daniel ;

on aperçoit a divers étages des trous les Grecs ceux de Zenzidéré, Talas et
qui paraissent des retraites pour les oi- Taxiarque.
seaux de proie; ce sout les fenêtres de La campagne de Césarée peut être
larges grottes taillées dans le massif comparée à celle de Rome, tant pour la
de la montagne et auxquelles un arrive nature du sol que pour celle des cultures
par un sentier pratique dans la roche qu'on y pratique. Une faible couche de
même. terre végétale recouvre un banc très-
L’entrée de ces grottes n’a rien qui étendu de laves; de distance en distance
appelle l'attention ; c’est une porte basse on observe des monticules dont le som-
qui donne accès dans une avant-salle met est couronné par des roches volca-
carrée et plafounee ; plusieurs portes niques qui plongent sous la terre végé-
s'ouvrent dans cette salle et conduisent tale. Dans les régions où elle manque,
par des galeries latérales dans d’autres on chemine sur iiii terrain rocheux, plat
pièces toutes plafonnées, carrées ou rec- et fendu eu tous sens de manière a for-
tangulaires. Les salles qui sout voi- mer de grands polygones irréguliers;
sines du fleuve sont éclairées par de pe- mais la route est souvent interceptée
tites fenêtres donqant sur la vallée de par des fondrières larges et profondes,
l’Halys. On observe dans les parois des dont les flancs sont verticaux ; elles sont
niches peu profondes, rectangulaires et a.ssez larges pour que des villages aient
qui n’ont aucun caractère sépulcral. iu s’y établir ils ne paraissent pas de
:

Dans toutes les maisons modernes de foin, de sorte que la campagne semble
l’Orient on voit de ces mêmes niches déserte.
qui servent à déposer les objets mobi- Ces vallées ne paraissent pas avoir été
liers; toutes ces chambres communi- creusées par les eaux ; elles sc sont sans
quent entre elles, et l’on y trouve simul- doute formées par le retrait des laves de
tanément les traces de l'occupation des fusion, et se sont élargies par l’effet de
morts et des vivants. Certains réduits la décomposition des laves. Les villages
récèlent des sarcuphages, d’autres cham- sont généralement remarquables par la
bres éclairées par une ou deux fenêtres propreté et le goût des maisons, qui sont
renferment comme des alcôves et des toutes bâties en pierres volcaniques fa-
cheminées, et peuvent très-bien avoir ciles à travailler; ils sont presque tous
servi à des familles de troglodytes, il accotés sur le flanc d'une colline, et les
n’y a pas l'ombre d'un art quelconque chambres sépulcrales, les églises tail-

oui puisse faire soupçonner à quelle lées dans le, roc sont nombreuses aux
epoque ont été creusées *ces grottes, qui, environs. Nous en examinerons quel-
de nos jours, ne servent pas même de ques-unes.
retraite aux bergers des environs.
Après avoir traversé le pont, on suit CHAPITRE XXL
une route qui s’élève sur deux plateaux
successifs, complètement arides et dé- MONASTÈRE DE SURP GARABED,
serts. Sur le revers sud du contrefort ÉGLISES TAILLÉES DANS LE ROC.
qui domine la plaine se trouve le ha-
meau de Kmmiler éloigné de quatre Le monastère arménien de Surp Ga-
heures de Césarée, et une heure plus loin rabed, Saint .lean précurseur, est situé à
le gros bourg d’Herkilet, établi sur un dix-huit kilomètres à l’èst de Césaréca
banc puissant de lave fondue, compacte l’entrée de la chaîne de montagnes qui sé-
et noire ; toutes les maisons hâties avec paré le bassin de l’Halys de celui de
A.sië MWeure.
Tokma sou. C.et établissemoiit dont la CHAPITUK X^lf.
foudatiou remonte aVi treizienie siècle est
égal comme importance religieuse à ceux GLISE TA,ILttE DANSLE BOC PBÉS
d'Etchmiazin et de Sis; l’évéque a le DS'SÜHP GABABBD.
rang de métropolitain'de Césarée. L’en-
semble des bâtiments du monastère est Cette petite église est creusée dans
entouré d’une forte muraille, et l'inté- un tuf jaune très-homogène, compose
rieur contient, outre les églises et les)id- de cendres volcaniques aggToménies ;
bitations des moines plusieurs corps de elle n’a souffert aucune dégradation,
bâtiments destinés à loger des pèlerins mais tout l’ouvrage est fait avec la plus
qui de toutes les parties de l’ancienne grande simplicité. Le plan a de l'ana-
Arménie afHiiebt dans ce monastère à logie avec celui des basiliques.
'
certaines fêles de l’année. La nef a six mètres de long sur trois
Nous assistâmes à la fête de saint mètres de large; les ihui;S latéraux pa-
Jean, qui se célèbre arec la plus grande raissent soutenus par des pilastres por-
pompe, nous pûmes admirer la
et ri- tant des arcades; mai^ tout l'édifice
chesse des vêtements de l’évêque et étant monolithe, cette décoration n'est
des prêtres, qui ont conservé tous les là que pourrappeiér les monuments cons-
usages de l'ancienne Église. Les costu- truits.
mes des assistants n’étaient ni moins Au fond de la nef se trouve l’abside,
riches ni moins curieux; la coiffure qui est de forme circulaire , au milieu
des femmes est des plus variées ; leurs s'élève l’autel , qui fait partie de la ro-
cheveux pendent en longues tresses che même, et qui n’est aujourd’hui
ornées de glands d’argent, de pièces de qu’un simple massif.
monnaies et de coquillages. Leur front La voûte de l'église est en ceintre
est orné d’un petit diadème de sequins surbaissé ; toute cette construction est
et leur tête est surmontée d'une coif- de la plus grande simplicité, aucun or-
fure qui tantôt prend la forme d'un nement, aucune peinture ne la décore ;
vase, tantôt d’un kalpack ou d’un sim- une porte pratiquée dans la seconde ar-
ple turban. Leur taille est soutenue par cade du côté droit conduit dans une
une large ceinture d'argent, dont les autre chapelle, qui est à peu prés de la
agraffes en ronde bosse sont artiste- même forme que la basilique, et dans
ment ciselées; leur vêtement consiste la petite abside on a ménagé aussi un
en robes de drap presque toutes de cou- autel.
leurs voyantes et ornées de broderies. Ces chapelles ne recevant de jour
Les environs du monastère offrent ue par la porte sont assez obscures ;
I es points dé vue les plus agrestes et les ans la chapelle du fond on ne pouvait
plus pittoresques; des cascades tombent officier qu’à la lumière des cierges.
du haut des rochers couronnés de ver- Il serait difficile d’assigner l'âge po-

dures; le lieu nommé Pacha tchesmé sitif de ce monument que nous sommes
si, lafontaine du pacha, peut être com- disposé à regarder comme un ouvrage
paré à un vallon de la Suisse. Mais ce de troisième siècle.
qui donne un intérêt particulier à cette A une distance de trois kilomètres
vallée ce sont les églises et les innom- environ de cette église, dans une vallée
bles chambres sépulcrales taillées dans dont il serait difficile de déterminer la
le roc la tradition est ici d’accord avec
: position exacte, car elle ne porte dans
la nature des lieux. Dès les premiers te pays aucune désignation spéciale, on
temps du christianisme, les anachorètes observe un autre groupe d’églises qui
se sont retirés dans ces lieux inaccessi- est le plus important de cette région.
bles, et c’est en souvenir de ces céno- Tous ces monuments n’ont dans le pays
bites que le couvent de Surp Garabed aucune dénomination particulière ; on
fut fondé. les connaît sous le nom général de Ma-
hara, les grottes, kilicé,des églises.
Ce monument, qui a une importance
/ réelle , déjoue toutes les suppositions
que l’on pourrait faire à son sujet, car il
5S« L'UNIVERS.
est clair qu’il a dû être fréquenté par A l’extrémité de la nef, dans un en-
une nombreuse société chrétienne et ,
foncement qui a deux mètres environ
cependant il n'existe aucun emplacement de large, on creusa un puits qui s’élève
possible de village ou de ville dans les jusqu’à la surface externe du rocher, et
alentours, et rien ne peut faire con- qui forme un canal de ventilation, on
naître par quelle population il était fré- établit ainsi dans cette grotte un courant
quenté. d’air, au moyen duquel les assistants pou-
L’entrée de l’église s’annonce par un vaient y séjourner indéfiniment.
large portique de trois arcades à plein Les églises de ce genre sont assez
ceintre supportées par deux colonnes nombreuses dans la contrée, mais elles
massives. Les chapiteaux , bien que présentent toutes à peu près le inénie
très-ruinés, se rapprochent de la forme aspect. Une raison assez plausible nous
du dorique. fait pencher pour placer leur exécution
La corniche est composée d’un sim- dans la période du troisième au qua-
ple bandeau. Ce portique a cinq mètres trième siècles , alors que le christia-
environ de long sur trois métrés de nisme, bien que répandu et déjà flo-
profondeur. A
droite et à gauche du rissant en Asie, n’avait pas encore une
portique, sont deux chambres carrées, existence légale, et était traversé par de
dont la destination n’est pas indiquée. Il terribles persécutions.
faut voir dans ce portique un principe A partir du règne de Constantin les
du Narthex, qui fut plus tard une annexe édifices de ce genre n’avaient plus de rai-
indispensable des églises byzantines. son d’être ; les chrétiens maîtres du pou-
C’est là que se tenaient les catéchu- voir n’avaient pas besoin de cacher leurs
mènes et les pénitents auxquels l’entrée temples dans les entrailles de la terre.
de l’église était temporairement inter- Ces ouvrages dont le caractère chré-
dite. tien est incontestable, nous servent
Une porte carrée placée au milieu aussi de base pour établir que tous les
du portique donne accès dans une pre- monuments monolithes de cette partie
mière chapelle ; à sou extrémité est un de la Cappadoce sont dûs aux travaux
abside circulaire avec un autel ménagé des chrétiens. D’abord parce qu’il y en
dans la masse du rocher. Cette chapelle a un grand nombre qui portent la mar-
est voûtée en berceau, les parois sont que du christianisme, ensuite parce que
ornées de quatre pilastres. Pon ne saurait supposer que les disci-
La masse de rocher qui sépare cette ples du Christ aient été s’établir au mi-
chapelle de la grande église a une épais- lieu des tombeaux des païens.
seur de l'°55. Le côté droit de la cha-
pelle est percé par une porte et deux CHAPITRE XXIII.
fenêtres à hauteur d’appui qui donnent
de l’air plutôt que du jour à la grande CHAMBRES SÉPULCRALES ET MABTV-
église. RlUin.
Cette église a sept mètres de lon-
gueur, un autel de la forme des autels Nous ne saurions décrire à l'appui de
modernes est indiqué par la masse de cette opinion tous les édifices qui nous
roc qui s’élève dans l’abside. La hau- ont conduit aux conclusions que nous
teur sous la voûte est de 4°'50, on peut avons adoptées ; mais les plans que nous
se faire une idée du travail qu’exigea un avons recueillis peuvent être regardés
pareil monument. comme des types choisis au milieu de
Si cette église n’eût été fréquentée centaines de monuments semblables.
que par quelques religieux solitaires. In La seconde classe d’ouvrages taillés
quantité d’air qu’elle recevait par la dans le roc n’offre pas un caractère si
porte eût été convenable ; mais avec une tranché que les églises, nous regardons
assistance nombreuse elle devenait tout ces monuments comme ayant servi de
à fait insuffisante; aussi ou imagina un demeures à des cénobites, soit isolés,
ingénieux moyen deveutilation, mais qui soit réunis en communautés de troisou
à lui seul représente un prodigieux tra- quatre personnes. Nous avons vu une
vail. multitude de chambres isolées ayant

i.
ASIE MINEURE. M7
tout ce qu’il faut pour passer la vie ma- CHAPITRE XXIV.
térielle. Dans l’intérieur, une excava;
tion formée par une arcade contenait LES PBÉFBCTUHB8 DB LA CAPPADOCE,
uu litde repos que le solitaire couvrait DIVISIONS DU PAYS DANS L’aNTI-
d’une natte; quelques chambres présen- QUITÉ.
tent même les traces de véritables che-
minées. La destruction de la puissance perse
On sait que le climat de la Cappa- en Asie Mineure ne fut pas tellement
doce est remarquable par sa rudesse, complète que tout ce qui rappelait les
et le tyran Basiliscus exilé au milieu de dominateurs orientaux fût en même
l'hiver avec sa femme et ses enfants y temps proscrit ou abandonné. Les ma-
mourut de froid , ces infortunés n’ayant ges avaient su conserver leur pouvoir
d’autre ressource que de se serrer les au milieu des révolutions qui signa-
uns contre les autres pour se ré- lèrent le partage de l’empire d’Alexan-
chauffer (1). dre, et les formes de l’administration
Lorsqu’un cénobite avait vmu de de Darius furent en grande partie con-
longues années dans une pareille re- servées par les nouveaux rois. Le par-
traite, que la renommée de sa sainteté et tage de la Cappadoce en dix stratégies
de sa vertu s’était répandue dans la ou préfectures ordonné par les prédé-
contrée, après la mort du solitaire sa cesseurs d’Archelaüs et adopté par ce
demeure restait encore comme un sou- prince est une imitation delà division
venir cher aux chrétiens ; cette demeure du grand empire des Perses en satra-
étaitconvertie en chapelle funèbre, que pies.
les historiens ecclésiastiques des pre- Strabon nous a conservé les noms de
miers siècles désignent sous le nom de ces dix préfectures et nous fait con-
Martyrium ou église consacrée à un naître leur position respective.
martyr. Si le corps du saint avait pu 11 en place cinq près du Taurus, la

être recueilli, il était pieusement ense- Mélitène, la Cataonie, la Cilicie, la


veli dans la grotte meme, et bien sou- Tyanites, et la Garsauritis (l), et cinq
vent cette grotte devenait pour d’au- dans l’intérieur :la Laviniasène, la
tres chrétiens un lieu de sépulture dé- Sargarausène, la Saravène, la Chama-
siré. nène, et la Morimène. Ces préfectures
On reconnaît dans les chambres voi- furent ensuite portées à douze par l’ad-
sines de l’entrée des dispositions pro- jonction des districts de Castabala et
pres à l’habitation ,
mais au fond est de Cibystra, qui s’étendaient jusqu’à
creusée une petite chapelle, qui a Derbé en Lycaonie et une portion de la
changé cette demeure en un lieu de Cilicie-'Trachée aux environs de l’île
prière et de sépulture. Dans un enfon- d’Elœussa.
cement en forme d’arcade était déposé La plus grande et la plus florissante
le corps du défunt le plus révéré, au- de ces provinces était la Cilicie, au mi-
dessus et à l’entour sont creusées des lieu de laquelle était la ville de Mazaca,
niches ou couloirs destinés à recevoir capitale de toute la Cappadoce ; il faut
des corps. Si nous n’avions que ce niq- la distinguer des deux provinces mari-
iiumeut pour appuyer notre opinion, il times du même nom; elle fut néan-
serait possible de la contredire, mais moins peuplée parles anciens Ciliciens.
nous retrouverons dans d’autres lieux Du temps d’Homère et même, au qua-
de la Cappadoce une infinité de grottes trième siècle avant notre ère , les Cili-
semblables portant évidemment le ca- ciens étaient maîtres de toute cette con-
ractère d’ouvrages chrétiens. trée, qui échappa à la domination assy-
rienne à la suite des révolutions suc-
(i)PrüCope, Bell, f'ant/al.f ch, VII, ^ 5, cessives, suscitées entre les Scythes, les
ceci se passait vers l’an 478. Mèdes et les Perses.
La préfecture de Cilicie est bomee

(i) Strsbon, liv, XII, p. 534.


'sis L’UNÎVKRS.
;ui nord par le fleuve Halys, à l’ouest vers le nord ;
sa rive droite baignait les
pur la préfecture de Garsauritis et au districts de Diacopène et de Piinoli-
sud par les plaines de la Cataonie. Le ’sène, deux cantons trèvfertiles qui
caractère principal de laCilicieest d’ap- étaient contigus à la Ximène. Cette ré-
parieuir au plateau le plus élevé de gion correspond au district de Youzgatt ;

l’Asie centrale, qui sert comme de base elle renfermait des mines de sel fossile
au côue gigantesque du mont Argée d’où, selon Strabon, le fleuve Halys (1)
regardé par les anciens comme la plus tiraitson nom (2).
haute montagne de l’Asie Mineure ; Ces mines, qui sont encore exploitées,
comme caractère géologique, la Cilicie fournissent du sel à toute la province
appartient tout entière à la formation et leurs produits s’exportent sous forme
ignée, et les nombreux volcans qui en- de grands blocs dans presque tous les
tourent la base de l’ Argée ont donné villages de l’Asie; elles sont situées
issue à des masses de scories et de cen- à quarante-huit kilomètres au nord
dres qui ont formé de hautes falaises, de Youzgatt près du village de Sarek
tandis que toute la région au nord de Hamisch dans des roches de grès
l’Halys appartient au système argilo- rouge. Les argiles et les marnes qui
calcaire, qui s’étend jusqu’aux monts couvrent le sol sont d'une couleur rou-
Olgassus. geâtre, et au moment des grandes pluies
les eaux .s’écoulant dans l'Halys don-
LK PLEUVE HALYS. nent au fleuve une couleur rouge, d’où
est venu le nom turc de Kizil Irraak.
L'Halys, appelé aujourd’hui Kizil Ir- Ses principaux affluents sont, sur la

inak, leileuve rouge, était célèbre chez rive droite : le Delidjé Irmak, le Hacliar
les anciens non-seulement par les sou et le Dehli Devrent; et sur la rive
grands faits historiques dont il fut té- gauche : le Kara sou,
Sarimsacii sou,
le
moin, mais parce qu’il formait une li- qui arrosent la plaine de Césarée. Dans
mite déterminée entre les peuples d’o- la plus grande partie de son cours l’üa-
rigine asiatique et ceux qui étaient ve- lys coule dans un lit très-encaissé;
nus d’Europe. Hérodote suppose (I) mais arrivé dans les environs de Bafra,
que le fleuve prend sa source dans une ses eaux gagnent en étendue ce qu'elles
montagne d’Arménie, traverse la Cili- perdent en profondeur, et au moment
cie, et,tournant au nord, forme la liipite d'entrer dans la mer Noire la largeur
ehtre la Paphlagonie et les Syriens Cap- moyenne du fleuve est d’environ quatre-
padociens. vingts mètres.
Strabon place plus correctement les
sources de l’Ualys entre la Cappadoce CHAPITRE XXV.
et le Pont, dans la province de Cami-
sène. OBSABÉB.
Cette montagne, dépendant de la
chaîne de l'ülgassus , est aujourd’hui Une qui a été saccagée tant de
ville
connue sous le nom de Kouzé dagh ; le fois et qui n’a jamais été dans l’anti-
fleuve suit une direction générale au quité que l’asile momentané de prince
sud-sud-ouest, jusqu'à ce qu’il atteigne barbares, dont toute lu sollicitude était
les contreforts du plateau de Césarée. de se mettre à l’abri des brigands qui in-
Il redresse alors son cours directe- festaient leurs États, ne peut présenter
ment vers l’ouest à travers le pays ap- aux observations de l’artiste que bien
pelé par les Grecs Champ de Sainte-Hé- peu de monuments dignes d’étre étu-
lène, la longueur de son parcours est diés :c’est la condition dans laquelle
estimée par les caravaneurs turcs à qua- se trouve Césarée. Mais elle offre en
rante heures de marche. cela de l’intérêt; c’est que, depuis les
Le fleuve Halys poursuit son cours temps les plus reculés, sa physionomie
directement vers l’ouest jusqu’à la ville n’a pas changé, et que c’est toujours la
de Memciieher pour remonter ensuite
(1) ’AXùç, sel.
'

(i) Hérodblè, liv. I, chap. ja. (2) Stral)., liv. XII, S6i.

I
ASIE MINEURE.
villesans murailles, dont le château prévu, ils pussent 'au moins préserver
teidjoukide a été démantelé par les leur vie par une fuite prompte et fa-
sultans turcs, de peur t|ue les pachas, cile.
dans une velléité d’indépendance, ne se L’empereur Tibère, après avoir con-
retranchassent dans son enceinte, pour verti la Cappadoce en province, donna
se livrer, eux aussi, aux brigandages à la capitale le surnom de Césarée (1),
qui, de tout temps, ont désolé la Cap- en mémoire d’Auguste; le nom d’Eu-
padoce. sébia, près de l’Àrgée, qu’elle portait
Comme chacun des anciens peuples pour la distinguer de 'Tyane, est là
qui ont établi leur pouvoir en Asie pour prouver que. le culte des dieux lui
avait la prétention de rattacher à ses donnait de l’importance. Tyané aussi
annales les origines obscures des villes était célèbre par son temple de Jupiter.
et des nations, les Arméniens n’ont pas Etienne de Byzance prétend que le nom
manqué à la loi commune, et préten- grec de Césarée était Édesse la Parthé-
dent que la ville de Césarée, dont le nienne. Avait-elle eu quelques rapports
nom primitif était Mazaca, doit sa fon- avec l’antique Rhoa , de l'Osrhoèue ,
dation à l’un de leurs princes (1). Des qui fut lou^emps soumise aux princes
écrivains modernes out cru v recon- u’Assyrie ? Mais du temps de Strabon,
naître le nom de la grande déesse des le nom de Mazaca était le plus em-
Cappadociens, et la ville ne devrait son ployé, et cette ville était regardée poli-
origine qu’à l’agglomération des tribus tiquement comme la capitale de la Cap-
autour d’un centre religieux qui existait padoee (2).
là depuis les premiers siècles. Josè- « Elle est située, dit-il, sur un sol
phe (2) en attribue la fondation à peu convenable pour le placement
Hésech fils de iaphet. Philostorgus d’une ville ;
elle manque d’eau, et elle
prétend qu’elle s’appela d’abord Maza, n’a pas été fortifiée par des murs, soit
du nom de Mozcudi, chef cappado- par la négligence des souverains, soit
cien. de peur que les habitants, se confiant
Il ne nous reste d’ailleurs pour trop aux murailles comme à une re-
édaircir ces faits aucun texte positif, et traite sûre, ne se livrassent aux brigan-
la première mention qui soit faite de dages, favorisés par leur pc»ition sur une
Mazaca se trouve dans Strabon , qui plaine parsemé de collines, d’où ils
écrivait précisément à l’époque où la peuvent lancer des traits. »
Cappadoce fut réduite en province, et Les antiques éruptions du volcan de
où l’antique capitale avait déjà perdu l’Argée ont couvert à différentes re-
son nom, pour prendre une dénomina- prises la plaine de Césarée de masses
tion romaine. La singularité de la po- de cendres qui se sont agglomérées, et
sition de la ville , et les nombreux qui ont formé un sol composé de tufs,
phénomènes volcaniques qui se mani- sur lesquels une végétation chétive n’a
Kstent aux environs, avaient assez pu prendre racine qu’après l’espace de
intéressé l’écrivain grec, pour qu’il con- plusieurs siècles ; c'est ce qui fait dire à
sentit à faire de cette ville une des- Strabon « Le terrain qui environne
;

cription détaillée et remplie d’intérét Mazaca est stérile et peu propre à être
an point de vue géologique. Strabon ex- cultivé ;
quoique ce soit une plaine. Le
plique , selon son opinion , l’absence fond en est pierreux et couvert de
complète de murailles; mais, 'après .sable. «
avoir considéré coinbien la contrée était Les tufs, qui sont d’une couleur grise
exposée à l’action des feux souterrains, et renferment des fragments de pierre
il semble naturel de penser que la sé- ponce et d’autres minéraux, sont re-
curité personnelle des habitants devait couverts, dans quelques endroits de ,

les porter à ne pas s’enfermer dans une laves de fusion sillonnées par des fentes
enceinte fortifiée, pour qu’au moment profondes, dont les parois sont verti-
d’un tremblement de terre , toujours
(i) Eutrope 'VÎI, 2. Fesluv Rufus, Breyta-
(0 Moisede Choren,'!, XUI. rium, î.
(») j4iu. juiL, I, «hapi xri. (ï) Slrab., liv. XIV, A63. •
,

MO L’UNIVERS.
cales, et dont la largeur varie jusqu’à rien par Sapor, en 268, Césarée renfer-
leur donner l’aspect de véritables val- mait une population de quatre cent
lées; ce sont, je pense, ces fissures qui, mille habitants. Le roi de Perse ayaut
dans l’antiquité,donnaient naissance à pris Malalia, marcha droit sur Césarée,
des gaz inflammables; ce qui leur valut après avoir pillé toute la Mésopotamie
le nom de gouffres enflammés (1), et de et la Cilicie.
plaines brûlantes. Ces vallées, donton ne Tarse fut réduite en cendres, et la
saurait expliquer la formation que par le cavalerie perse, franchissant le Taurus,
retrait opéré par le refroidissement de vint avec le reste de l’armée mettre le
ces grandes masses fondues , affectent siège devant Césarée. Démostbène en
des directions indéterminées, et ont avait été nommé gouverneur par Va-
quelquefois plusieurs kilomètres de lérien. Ce brave citoyen organisa une
longueur ; mais le terrain supérieur est défense qui suspendit pendant long-
beaucoup moins stérile que dans l’an- temps la ruine de la place, et les Perses
tiquité, et le travail de quinze siècles a eussent été infailliblement repoussés
couvert la plus grande partie de la plaine si un traître ne leur eût offert les
d’une mince couche de terre végétale, moyens de vaincre la garnison coura-
qui produit de chétives moissons. geuse (I). Déniosthène se fit jour au
Soumise à la puissance romaine, milieu des Perses, qui avaient ordre de
Césarée voulut, comme les autres villes ne rien négliger |K>ur s’emparer de sa
de l’Asie, se distinguer par son zèle personne ; mais tandis qu’il échappait
pour le culte des empereurs et des avec un petit nombre de braves, plu-
dieux de Rome des temples nombreux
; sieurs milliers de ses concitoyens furent
s’élevèrent, et Césarée sollicita et obtint enveloppés dans un massacre général (2).
de Néocore, qu’elle inscrivit avec
le titre Les corps de ceux qui avaient été tués
orgueil sur ses monnaies. I.es historiens remplissaient des vallées profondes, et
parlent d’un certain nombre d'édilices les prisonniers emmenés en esclavage
publics, d'hippodromes et de porti- périssaient par centaines sur la route.
ques, qui prouveraient qu’on chercha Décidé à ne laisser derrière lui qu’un
aussi à introduire les mœurs romaines, désert, Sapor ravageait les villes, trans-
et, sous Ariarathe, elle devint un lieu portait dans ses États tous les habitants
de séjour pour les savants (2). des villes conquises(3), et il serait venu
Néanmoins, sous toute la période à bout de ses .sinistres projets, s’il était
romaine, Césarée resta sans importance possible de dépeupler une province et
et toujours en lutte avec la nature in- d’anéauiir une ville. Il y aurait lieu de
grate de son territoire. Le christia- croire au contraire à l’exagération de
nisme apporta dans ces provinces un l’historien grec.
peu de la vie politique qui leur avait Constantin, dans sa nouvelle division
manqué jusqu’alors. Les évêques se fai- de l’empire en diocèsés, avait voulu don-
saient un nom dans la chaire, et les ner à chacune de ces provinces un gou-
temples anciens étaient détruits avec verneur du sang impérial ; la ville de Cé-
ardeur pour faire place aux églises nou- sarée fut choisie, en 326, pour la rési-
velles. dence d’Annibalianus. Le Pont, laCap-
.Mais l’empireromain chancelant n’é- padoce et la petite Arméniecomposèrent
tait pas assez fort pour défendre ses l’étendue de son nouveau royaume ; il
villes frontières contre les invasions eut des gardes, des légions et des auxi-
des Barbares. Les Perses , dont Bj’- liaires en proportion de sa dignité.
zance était le point de mire , franchis- Avant d’arriver à l’empire, Julien
saient sans crainte des frontières mal (363 de .I.-C.), associé avec Gallus,
défendues, et les villes de la Cap|»- fonda la belle église de Saint-Mam-
doce supportaient toujours le premier mas, qui fut dotée d’un clergé nom-
choc, qui s’annonçait par le pillage et breux, et les deux princes s’entrete-
le massacre. Après la défaite de Valé-
(i) TillemonI, III, 45x.
(i) Sirabon, XII, 538. (i) Zonar, liv. XII, 53o.
(a) Photius, lib. II, 59. (3) Zozinie, Uv. I, p. a5.
.

ASIE MINEURE. £41

naient avec les ermites et les religieux ques du dehors et surtout des Perses
qui avaient introduit dans la Cappadoee qui pendant tout le règne de Justinien
les rigueurs de la vie ascétique (1). Les menaçaient et souvent attaquaient les
chrétiens étaient alors asses nombreux villes frontières de l’empire.
à Césarée ; et lorsque, dans son esprit Dominée par une suite de monticules
de réaction, Julien voulut s’opposer dépendant du mont Argée, la ville était
aux progrès de la religion chrétienne, incessamment exposée aux traits d’une
les habitants, qui avaient montré en- armée d’invasion.
vers le nouveau culte un zèle assez ar- Justinien prit soin d’établir un sys-
dent pour que les païens et les héréti- tème de défense qui est décrit en ces
ques eussent abandonné son enceinte, termes par Procope(l) • Il y avait plu-
:

montrèrent une vive opposition , qu’il sieurs hauteurs fort éloignées les unes
ne put vaincre que par des mesures des autres, que ceux qui ont bâti la ville
cruelles. ont voulu enfermer, de peur que les as-
L’empereur prit le prétexte de la siégeants n’en tirassent de l’avantage, et
destruction d’un temple de la Fortune ainsi ils ont augmenté le péril en pen-
pour faire subir à la ville entière un sant pourvoir à la sûreté. Ils ont enclos
traitement des plus rigoureux ; elle fut des rochers, des jardins, des pâturages,
effacée du catalogue des cités, quoi- qui sont depuis demeurés dans le même
qu’elle fût la métropole de la province ; état, et dans lesquels on n’a point cons-
il lui enleva le nom de Césaree, qu’elle truit d’habitations ; de sorte que les mai-
teuait de Tibère, et voulut qu’elle reprit sons sont éloignées les unes des autres
celui de Mazaca ; Julien fit enrôler les et ne peuvent se porter mutuellement
prêtres dans la milice du gouverneur, secours. De plus, la garnison était
et les autres habitants, avec leurs fem- toujours insuftisante eu égard à l’é-
mes et leurs enfants, furent inscrits tendue, et les habitants manquaient
pour payer un tribut comme dans les de moyens d’entretenir leurs nmrailles.
villages.' Ordre fut donné aux chré- Justinien fit abattre une partie de ces
tiens de rétablir le temple détruit, et la murs afin d’en réduire l’enceinte à une
colère de l’empereur ne se fût pas ar- juste grandeur, qu’il a fait bien forti-
rêtée là, s’il n'eût dû songer à des soins fier et où il a établi uue bonne gar-
plus importants qui l’appelaient sur la nison. »
frontière (ü). Ce passage de Procope devient en-
Sous le règne de Valence , Césarée core plus clair après l’inspection des
eut encore à souffrir des mesures ty- lieux : chacun des monticules qui en-
ranniques de l’empereur, qui voulait tourent la ville, et notamment la mon-
propager en Cappadoee les doctrines de tagne de Saint-Basile, que les Turcs ap-
l’ariauisine. Basile, alors métropolitain pellent Ali dagh, était couronné par
du diocèse, prêcha avec véhémence, et un fortin , on y voit encore des traces
soutint les vrais principes de la foi chré- des anciennes fortifications ; mais cette
tienne adoptés au concile de Nicée. ligne de forts détachés formait un cir-
L’empereur, ne pouvant vaincre la géné- cuit de plus de dix kilomètres; c’est ce
reuse obstination de l’évêque, s’en vengea système de défense que Justinien chan-
sur toute la province en la divisant en gea radicalement.
deux parties, et en donnant à Tyane le Il résulte du document rapporté plus
titrede métropole de la seconde Cappa- haut que la fondation du château ac-
doce. tuel de Césarée doit être attribuée à
La situation de Césarée comme Justinien, et non pas aux Seldjouki-
grande place de commerce attirait de des ces princes n’ont fait que le ré-
:

toutes les régions de l’Asje une popula- parer.


tion nombreuse, mais la ville était hors L’antique Césarée n’existait pas posi-
d’état d’être défendue contre les atta- tivement à la place de celle d’aujour-
d'hui elle était bâtie à un quart de
:

(i) Tilicinoiit, Mém. cccles. ,


t. IX, mille à l’ouest de la ville moderne, et
page 66 i
(») Sozomène, liv. V, chap. IV. (i) Procope, de Ædepciis, liv. V, chap. 4-
,

542 LTJNIVERS.
ar conséquent plus rapprochée de Ces églises étaient tombées sous la
P Argée. On observe quelques ruines main dévastatrice des Turcomans, qui,
appelées par les habitants Ëski-Kai- sous la conduite de Alp-Arsian, neveu
saria, l’ancienne Césarée. Les murailles, de Togrul-Beg, s’emparèrent de Cé-
q^ui ont tout le caractère de construc- sarée en 1024; les richesses que conte-
tions byzantines, sont faites en blocage, nait l’église de Saint-Basile furent dis-
avec une alternance de lits de briques; persées ,
et tous les objets d’art furent
le principal édifice a sans doute appar- détruits. On remarquait particulière-
tenu à des thermes, si j’en juge par les ment la châsse du saint, chef-d’œuvre
nombreux conduits d’eau en terre cuite d’orfèvrerie, avec des émaux incrustés
qui sont engagés dans la muraille. de perles; l’historien Mirkhound en a
Au sud des ruines, on voit, entre laissé la description (1). Le trophée le
deux éminences, ou pour mieux dire sur plus recherché des cotiquérants asiati-
la pente de la colline, une dépression ques, les portes, n’échappèrent pas a la
de terrain longue d’environ deux cents rapacité d^Alp-ArsIan; les deux battants
mètres, couverte de gazon, et préparée furent enleves et envoyés au sultan de
eu quelques endroits pour recevoir des Perse. Ou ne peut s’empêcher de se
plantations qui en changeront entière- rappeler l’Écriture sainte, dont toutes
ment la physionomie (1). Il est hors de les traditions se perpétuent en Asie,
doute que ce sont les vestiges de l’an- même chez les musulmans, qui re-
cien cirque de Césarée. Je trouvai aux connaissent aussi l’Ancien Testament;
environs quelquesfragments de marbre, il semble que Samsun, en enlevant
ui furent pour moi comme un indice les portes de Ghaza , ait toujours été
es causes de la destruction totale de le héros modèle de ces conquérants,
ce monument. Que les temples aient qui l’imitent encore après trente siè-
complètement disparu sous la vindicte cles (2).
des'nouveaux chrétiens, cela se conçoit Si l’on en juge par l’état d'ek monu-
d’autant plus qu’ils avaient été plus per- ments, la ville actuelle a été transportée
sécutés pour leur foi nouvelle; mais il au lieu qu’elle occupe aujourd'hui dès
faut attribuer un autre motir à la des- les premiers temps de l’occupation mu-
truction d’un monument qui, au point sulmane. Le château est assez vaste ,

de vue du goût des Cappadociens pour pour offrir uu asile' à un assez grand
tout ce qui tient à l’équitation, devait nombre de familles. Tous les bazars, les
être assez fréquenté. Mais si le marbre khans et les tekés sont groupés à l’en-
était employé dans cet édihce, sa des- tour ; c’est le centre dé la ville musul-
truction s’explique naturellement par mane. défaut de matériaux légers se
l’emploi qu’ont fait les modernes d'une fait sentir dans les constructions qui ne
matière rare en ce pays. Le soubasse- sont pas destinées à une durée ^rpé-
ment d’un ædicule daiis la mosquée de tuelle. Les bazars et les boutiques sont
Houen est en marbre blanc tiré des rui- bâtis eu moellons de laves rénuis par un
nes de la vieille ville. Tout ce qui est mortier d’argile ; le tout est couvert en
en marbre à Césarée provient des 'mo-
numents antiques ; voilà le véritable
(i) Voyez Wiener Zeitschrift f'itr d(i Jahr
tSiS, page 5 ï9.
motif de la disparition de tout ce que
(a) Hiiilièine siecle : les portes dlAo-
les anciens avaient laissé de remar-
cyre ont été enlevées pur Harouii-al-Ha-
quable.
cliyd.
J’ai vainement cherché, dans l’em-
Dixième siècle. : les portes de Somiiiauth
placement de l’ancienne ville, quelques par Mabiuoud le Gbaziiéwide
vestiges de la célèbre église de Saint-Ba- Treizième siècle les portes de la niusquee
:

sile ou de Saint-Mammas; eu un mot, de Curdoiie par les Maures, qui les ont trans
Césarée n’offre à l’observateur aucun portées à Méqiiiuez ;

monument antérieur au douzième siè- Quatorzième siècle : les portes de Saiut-


cle , si Ton en excepte la masse informe Basile par Alp-ArsIan ;

du château. Dix-neuvième siècle : les portes d’une


mosquée d'Erzérouiii par le général rusM
(t) 1834. Paskewitch
ASIE MINEDAE. 543
terrasse d’argile battue. Cette manière oondes. Depuis le marabout, composé
de bâtir donne à la ville un aspect de d'un ddme supporté par quatre co-
misère qui constraste avec rélégauce lonnes, qui abritent tes restes d’un
des quartiers où demeurent les négo- scbeik du désert ,
jusqu’à la chapelle
ciants. Le palais du pacha n’offre pas de marbre, enrichie de grilles dorées et
une plus grande régularité : c’est une d’ornements peints à l’italienne, dans
grande cour entourée de portiques don- laquelle le sultan Mahmoud a reçu la
nant accès aux différents bureaux et à sépulture, on voit successivement s’in-
la salle de réception (1). troduire l’influence persane , armé-
nienne et b;^ntine, qui se plie, il est
CHAPrfRE XXVI. vrai , aux exigences de romemeiitation
arabe, mais n’en conserve pas moins
MONUMENTS RELIGIEUX son type primitif. Une grande vallée,
qui s’étend de la ville jusqu’à la mon-
tagne appelée Ali dagh, offre encore un
Non loin de ce palais, se présente un
certain nombre de ces chapelles sépul-
vaste emplacement occupé par les mo-
crales ; il en existe aussi dans la ville
numents religieux et parles cimetières. :

elles ont tontes la forme octogone , et


Les musulmans ont conservé une cou-
sont couronnées par une pyramide d’un
tume invariable due à leur loi reli-
gieuse, celle de conGer les morts à la
même nombre de cétés. Ce style n'a
rien en lui-méme d’arabe ni de turc;
terre, et de disposer la sépulture per-
aussi les habitants de Césarée, dans l’i-
ndiculairement à l’axe delà mosquée,
gnorance où ils sont de l’origine de ces
tête à l'Orient. Aussi ne voit-on ja-
mais ^iCces, les attribuent atix monarques
les Turcs emprunter d’anciens
persans. C’est tout ce que Pococke
tombeaux ou imiter les sépulcres taillés
dans le roc. La sépulture le plus en lui-méme a pu savoir touchant ces
tombeaux. Les Turcs avaient sans
usage est une simple dalle de pierre,
doute dans l’idée d’en faire remonter la
aux extrémités de laquelle sont plan-
fondation aux Sekljoukides persans, car
tées dès colonnes, portant généralement
des inscriptions en langue arabe. Les
il
y a bien longtemps que la mémoire
des Sassanides est tout à fait effacée.
sépultures de Césarée offrent cette par-
Mais cette hy'pothèse n’est pas satis-
ticularité, que le tombeau est ordinai-
faisante, et rien dans l’art des Seldjou-
rement couvert par un soubassement
kides persans n’a pu les conduire à
en forme de sarcophage , et que les ex-
cette construction, sinon leurs rap-
trémités sont circulaires. On rencontre
ports avec les peuples arméniens ; cir-
beaucoup de monuments de ce genre
constance qui, à cette époque, m’était
dans la haute Arménie et dans les val-
complètement étrangère, comme elle
lées basses de l’Araxe; ils sont sans
l’était à Pococke. Mais dans mon voyage
doute empruntés aux Arméniens, mais
d'Arménie , observant l’archilerture
il est hors de doute que c’est la plus
des monuments de Kars, d’Ani et d’Er-
ancienne forme de tombeaux musul-
zéroum, je fus singulièrement surpris
mans que l’on rencontre dans ces con-
de retrouver dans l’architecture des
trées.
rinces Pagratides le type de ces tom-
Les princes, les oulémas et les per-
eaux cappadociens qui sont restés cir-
sonnages célèbres par leur sainteté ou
leur bravoure , obtiennent ordinaire-
conscrits au payssoumispour un temps
à la puissance arménienne.
ment le privilège d'une chapelle sépul-
crale. Le caractère de ces petits monu-
ments varie singulièrement dans tous CHAPITRE XXVll.
les Etats soumis à l’islamisme ils pré- :

senteraient à eux seuls une série d’é- HOSqUÉE ET TOMBEAU DE BOUEN.


tudes des plus nouvelles et des plus fé-
'I.
La grande mosquée de Césarée, qui
(i) Vo)ez la plam-lie rOpréseBlaiit |a ville remonte au milieu du quatorzième siè-
de Césarée et le mont Argée. (Pi. 5.,'.^ cle, a été élevée à ia mémoire d'un
,

544 L’UNIVERS.
saintdu nom de Hoiien ; il était com- chesse de décoration a été réservée
pagnon de Hadji-Baïram et fondateur pour la porte et pour le tombeau du
d’un ordre de derviches. C’est au re- fondateur, placé dans une petite cour
tour de la Mecque qu’il donna les plans à l’angle du portique. Cette chapelle
de cette mosquée, dont le caractère u’a ou turbé est élevée sur uu soubassement
pas d’analogue dans l’Asie Mineure, formé par des encorbellemeuts de style
mais qui a des rapports extrêmement arabe, qui n’ont pas de nom dans notre
frappants avec celles de l’Egypte et de architecture ; ils sont engendrés par une
l’Arabie. L’édifice est de forme carrée, suite de polygones dont les projections
entouré d’un mur épais et flanqué de forment une infinité de petites niches
tours circulaires ; une porte d’une rare variées à l'infini, mais toutes soumises à
élégance conduit dans la partie appelée une loi géométrique assez simple.
par les Turcs harem, ou lieu fermé : Les huit faces du tombeau sont for-
c’est le pronaos des anciens temples mées par des arcades ogivales, et les
le cloître des églises chrétiennes. Ce angles sont renforcés par des colonnes
vaste portique a une cour intérieure soutenant un entablement du même
disposée tout à fait comme l’atrium des style que le soubassement; l’édifice est
Romains les arcades sont tant soit peu
; couronné par une pyramide. A côté de
surhaussées en forme de fer à cheval. la mosquée s’élève un medrecé formé
Cet arc dont l’origine a été souvent
, d’une cour intérieure, autour de la-
cherché par les hommes qui s’occupent quelle sont les chambres des étudiants.
de l'histoire des constructions, a été Cet ensemble d’édifices est le seul qui
fréquemment employé en Espagne par ait un caractère monumental.
les khalifes de Cordbue, et se retrouve La population de Césarée se compose
dans l’architecture moderne de tous le de Turcs et d’Arméniens, les familles
pays de Moghreb, le Maroc et l’Al- grecques sont peu nombreuses. D’après
gérie, tandis qu’il est délaissé depuis le un recensement qui se faisait penaant
seizième siècle, dans la Turquie, où il a mon séjour à Césarée pour établir un
été remplacé, soit par l’arc ogival à nouvel impôt on comptait ;

tiers-point, soit par l’arc plein-cintre


Maisons Turques 10,000
surhaussé par le moyen de tangentes. — Arméniennes... I,500
Cette observation superflcielle a suffi
pour faire donner à l’arc en fer à che-
— Grecques 400

val le nom d’arc mauresque. Néan- Maisons 11,900


moins, une église du dixième siècle, Ce qui représente une population de
qui se trouve au village de Dighour, soixante mille Urnes.
porte dans sa façade des arcades en fer
à cheval ; or, ce monument est anté- CHAPITRE XXVII.
rieur à tous ceux que nous connaissons
dans le midi de l’Europe et en Afrique. LE MONT AROÉE. ERUPTIONS VOLCA-
Il faudrait donc s’assurer si, dans la NIQU ES.
haute Asie, des monuments antérieurs
à cette époque n’ont pas douné aux Le mont Argée était considéré par
chrétiens primitifs l’idée de ce mode de les anciens comme la plus haute mon-
constructions mais dans tous les cas il
;
tagne de l’Asie Mineure; ils connais-
a été employé par ceux-ci avant que les saient en outre son origine volcanique,
Arabes l’aient adopté. et les observations des voyageurs mo-
L’arc des portiques de la mosquée de dernes n’ont fait que confirmer l'exac-
Houen porte ce double caractère , qui titude des phénomènes signalés par
participe de l’arc surhaussé et de l’arc Strabou, qui résume en peu de mots
aigu musulman. La cour de la mos- la description de cette montagne. • La
quée est séparée du temple proprement cime de l’Argée est toujours couverte
dit par une muraille percée d’un grand de neige et ceux qui y montent, et ils
nombre de fenêtres. sont en petit nombre, prétendent que
Le plan de la mosquée est aussi sim- dans un temps serein, on peut décou-
ple que celui du portique ; toute la ri- vrir de cette hauteur les deux mers,
ASIE MINEURE. .'14.')

celledu Eont-Euxin et celle d’issus. » laves, sans donner lieu à des éruptions :

Les gouffres ignés que Strabon si- cela tient aux forces élastiques de l’in-
gnale dans (Haine de Césarée n’é-
la térieur du globe, qui trouvent une ré-
taient que conséquence de la nature
la sistance dans la hauteur où elles de-
volcanique de cette montagne qui, dans vraient élever la matière éruptive.
le premier siècle de notre ère, donnait 11 arrive alors que des commotions

encore naissance à des feux souter- terribles fendent les flancs de la mon-
rains. tagne, et les liquides enflammés se font
L’Argée était couvert de forêts où jour par ces fissures pour former, sur
venaient s’approvisionner les habitants les flancs de l’ancien cratère, d’autres
de Césarée, mais non sans courir cer- volcans secondaires. C’est ce qu’on peut
tains risques, le sol delà montagne étant observer sur les flancs de l’Etna, et c’est
susceptible de s’affaisser sous le poids ce qui a eu lieu récemment dans l’érup-
des hommes et des bêtes de somme, tion du Vésuve.
qui tombaient dans des gouffres en- Ce phénomène géologique est bien
flammés; mais ceu.x qui connaissaient apparent au mont Argée; le grand
le pays prenaient les précautions néces- cône s’élève d’une manière régulière;
saires pour éviter ce danger. son .sommet est composé de basaltes,
Au-dessus de la couche ignifère il y de trachytes , et de roches ignées an-
avait uu terrain imbibé d’eau froide, ciennes.
produit sans doute de la foute des Ses flancs supportent une quantité de
neiges, qui entretenait un gazon abon- monticules réguliers qui sont eux-
dant, et les eaux se réunissaient en la- mêmes autant de volcans secondaires
gunes ou marais, d’où il sortait des qui se sont formés quand la hauteur du
flammes pendant la nuit (!}. grand cône a opposé un obstacle à l’é-
Les volcans de Césarée sont, pour ruption des laves par le sommet. Deux
ainsi dire, la limite du grand phéno- de ces volcans secondaires ont formé de
mène de la rupture de l’écorce de la véritables montagnes : c’est Ali dagh
presqu’île d’A sic , qui commence à d'une part et Ilan dagh la montagne ,

Koula, passe parKara hissar, et se ter- des serpents, de l’autre.


mine à Césarée. Kn allant plus avant La croîlte solide du globe n’étant que
vers l’est jusqu’à l’Euphrate, ou trouve de quarante cinq kilomètres, et le des-
encore des indications d’épanchements sous étant formé de matières en fusion
ignés, mais aucun de ces soulèvements pâteuse, on conçoit que cette masse
remarquables comme ceux que nous énorme de matières qui forme le massif
avons eu occasion de signaler. de l’Argée ait d(l diminuer considéra-
La rupture du sol de la plaine de blement l’épai.sscur de la ermite solide ;
Césarée a donné naissance aux roches aussi le territoire de Césarée fut-il de
volcaniques, qui sortaient sous forme de tout temps exposé aux tremble-
pâteuse et coulaient lentement sur le sol, ments de terre, et de nos jours, la ville
où elles se refroidissaient. de Césarée éprouva de notables dom-
Le volcan du mont Argée avait un mages à la suite d’un pareil événement.
tout autre caractère; il a certainement Cependant l’Iiistoire moderne ne men-
été le centre de véritables éruptions qui tionne aucun fait relatif à une éruption
ont vomi des laves, des pépérites ou cen- ignée, quoique les laves de la plaine pa-
dres , des trachytes et des basaltes. On raissent d’une nature semblable aux la-
sait aujourd’hui que la force expansive ves du Vésuve.
des éruptions volcaniques n’est pas il- Le dernier tremblement de terre eut
limitée, et qu’elle cesse lorsque la masse lieu le 1” août 1835, deux heures avant
de substances accumulées a formé une le lever du soleil ;
la terre trembla; plu-
montagne d’une certaine hauteur ; en sieurs minarets etun grand nombre de
un mot, il n’y a que les volcans jeunes maisons s’écroulèrent; six à. sept cents
qui donnent naissance à des éruptions. personnes furent tuées; les villages des
L’Etna ne laisse plus épancher que des environs souffrirent également.
Le massif du mont Argée couvre une
(O Strabon, liv. XII, p. 538. surface de dix myriamètres carrés, soit
35< Livraison. (AsiB Minbube.) T. II. SS
SIC L’UNIVERS.
trente-deux kilomètres d’Âli dagh à une pleurésie dont il mourut. Il est en-
Ingé sou , et Irente-six kilomètres de terré dans l'église grecque du village
Césarée, à Éverek. d’Endourlouk. Mais les Grecs restaient
Vu du côté de Césarée, le mont Ar- convaincus uu’il était mort étouffé par
gée, Krdjiscl) dagh, se présente comme le manque d’air, et nul n’aurait voulu
une montagne à double sommet, dont le m’accompagner, quand ineme ma santé
tiers supérieur est couvert de neiges m’eût permis de tenter l’entreprise. Je
éternelles. I.a base est formée par des me contentai d’examiner la nature des
tufs et dos laves tendres. roches à la base du volcan, et de re-
Mais du moment que l’on commence cueillir quelques fragments détachés du
à monter, on aperçoit dans les ravins sommet et roulés dans les eaux du tor-
des fragments de basalte et de por- rent. Les laves de fusion proprement
phyre qui annoncent que les régions dites, celles qui forment de véritables
supérieures ne sont pas formées de ro- coulées, ne dépassent pas le tiers infé-
ches aussi récentes. rieur de la montagne; elles alternent
Du côté du nord, la moutague d’Ali avec les tufs et les scories terreuses qui
dagh est séparée de l’Argée par une composent la surface de quelques dô-
largo vallée ; son élévation au-dessus de mes. Les tufs atteignent une hauteur
la plaine ne dépasse pas quatre ecuts encore moindre, et, dans les parties
mètres, la roche de porphyre qui la qui présentent des ruptures verticales,
compose est tellement compacte que la on reconnaît au-dessous des roches le
plus chétive végétation peut à peine s’y basalte noir, identique avec eelui d’Al-
attacher au commencement du prin- bano , qui est employé pour paver la
temps ; toute la pente septentrionale du ville de Rome, l-in remontant le ruis-
mont Argée est dépourvue de bois, quoi- seau nommé Uélitchai, qui passe à
qu’elle att été couverte de forêts dans Zinzidéré, on ne trouve plus dans son
l’antiquité. Ce qui les a détruites, ce lit que des rochers, qui forment des
n’est pas le manque de terre végétale, masses compactes sans coulée appa-
mais ici comme partout eu Asie Mi- rente, comme les trachytes et les por-
neure le mauvais aménagement des bois phyres.
et l’incurie des habitants ont anéanti En1837, M. Hamilton (1) parvint à
cette source de richesses. Toutes les exécuter l’opération difficile de l’ascen-
eaux de cette partie de la montagne se sion de l’Argée. Traversant les contre-
réunissent en un ruisseau qui arrose la forts orientaux de la moutague, il s’é-
plaine de Césarée et se jette dans la ri- leva insensiblement jusqu’au village
vière de Sarimsac; son afdueut su- d’Everek kcui , situé sur la côte méri-
périeur passe à Surp-Garabed, et s’ap- dionale du mont Argée, et; à six heures
pelle la rivière du Pacha. La première de marche de Césarée, où il prit des
région des dômes est séparée ou corps guides et une escorte. Déjà à cette hau-
de la montagne par des escarpements teur les blocs de trachyte étaient très-
qui rendent diflicile toute ascen.sion de abondants, et plus il avançait, plus la
ce côté; bien plus : les Grecs et les Ar- nature de la roche paraissait indiquer
méniens de Cesarée m’avaient témoigné des éruptions anciennes. I.e premier
une répugnance invincible à m’accom- plateau au pied du pic, à deux milles
pagner jusqu’au sommet. La mort d’un et demi d’Everek, est supporté par des
missionnaire américain qui avait tenté collines de basalte noir. Il observa de
l’excursion était encore récente. Le ce côté une colline conique formée de
supérieur du monastère de Zinzidéré sable et de cendres, avec une portion
lui avait donné un guide inexpérimenté, de_ cratère, provenant d’une éruption
qui le quitta pendant la route; parvenu qui s'est ouverte sur le plateau basal-
au pied du pic, réiraiiger ne put aller tique.
plus loin, et, eu revenant sur ses pas, Dès que l’on commence à monter le
il roula longtemps sur la neige; des- véritable pic de l’Argée, on ne trouve
cendu dans une région moins froide,
il fut surpris par la pluie tant de fâ- (i) Hamilton,
:
Researclics, voluiae II,
cheux contre-temps lui occ.asionnèrent page 370,
.Il -,

L'igilizcd by Gi '
ASIE MINEURE. 647

plus que des roches trach^iques et du CHAPITRE XXIX.


porphyre. La neige qui, du cdté de Cé-
saree, descend au mois d’aodt jusqu’au INGÉ SOU. — LE MBLA.S.
pied du cône, se présente du cdte du midi
en moindre abondance, et toute la pente
Le voisinage des eaux courantes est
si important pour l’agriculture dans ces
de la montagne est l)eaucoup moins
contrées brûlantes, que malgré l’insalu-
abrupte. La hauteur calculée baromé-
brité de la plaiue de Césarée de nom-
triquement par M. Hamilton est de
396 1 mètres. Du côté de l’ouest, la
breux villages sont groupés sur les
bords des rivières qui l’arrossent. Elles
montagne présente une déclivité beau-
coup plus rapide ; et en franchissant
prennent toutes naissance sur les ver-
sants septentriouaiK du mont Argée,
les pentes inférieures pour se diriger
et sont alimentées principalement par
vers Ingé sou , on laisse à sa gauche
la fonte des neiges c’est assez dire qu’el-
:
de hauts rochers, dont la surface est
les ont le caractère des torrents, s'en-
tout à fait verticale, et qui de loin pa-
flent considérablement pendant l’été et
raissent inaccessibles. La coupe du mont
s’épanchent en marais qui engendrent
Argée, envisagée ducôtédu nord-ouest,
à l’automue des fièvres lutennittentes.
se pré.sente comme une suite de cônes,
dont la hauteur diminue successive-
La rivière de Sarimsak, de l'ail (1), prend
sa source prèsdu village du même nom,
ment jusqu'au niveau de la plaine. De
traverse la plaine dans toute sa lon-
ce côté, on observe beaucoup de laves
de fusion qui recouvrent les tufs. Les
gueur, et reçoit avant d’atteindre l’Halys
eaux du versant occidental du mont
un cours d'eau secondaire appelé par
les turcs Kara sou, l’eau noire. C’est l’au-
Argée se réunissent pour former un
cieu Méla.s, dont le nom grec a la même
ruisseau qui coule au milieu de vallons,
signiticatiou.
tantôt riches et cultivés, tantôt sau-
vages et incultes. Dans ces vallées, les
Un passage de .Strabon relatif à cette
rivière a dans ces derniers temps attiré
rochers s’élèvent verticalement et sem-
l’attention des géographes, et donné
blent avoir été rompus par un trem-
lieu à d’intéressantes discussions. 11
blement de terre.
est bien démontré aujourd’hui que le
Une seconde ascension du mont
Mélasou Kara sou se jette dans l’Halys,
Argée fut exécutée le I5 août 1848 par
et non pas dans l’Euphrate; c’est une
M. P. de ïchiluitcheff, qui alla camper
erreur qu’il importe de rectilier dans
au bord même du cratère et put ob-
le texte de Strabon.
server le singulier phénomène que pré-
I.e Mêlas prend sa source au pied de
sente la fonte de la neige au moment
la montagne, à quarante stades ou sept
du lever du soleil. Les blocs du por-
kilomètres et demi à l’ouest de Césarée.
phyre entraînés dans l’abîme roulent
avec fracas et ces avalanches île roches
Strabon ajoute « Comme ses sources
:

sont au-dessous du niveau de la ville,


n’étaient pas sans danger pour l’obser-
il devient inutile à ses habitants, il leur
vateur. Il constate que la seule route
est même préjudiciable parce qu’il cor-
praticable pour arriver au sommet de
la montagne est par Rverek keui, c’est
rompt l’air pendant l’été en se répan-
la route qu’avait suivie iM. Hamilton.
dant en marais et en étangs. Les eaux
nuisaient à l’exploitation d^une carrière
Les observations barométriques faites
par M. de Tchihatcheff lui ont donné
de pierre à bâtir voisine de Mazaca. »
3841 mètres pour hauteur absolue de
Le roi Ariarathe ayant eu l’idée de
faire boucher une issue étroite par la-
l’Argée, la plaine du Césarée étant à 1084
quelle passait le Mêlas pour aller se
mètres (1).
jeter dans l’Halys (2), convertit en un lac
toute la plaine de Césarée. Ce prince y
() Tcbibalclieff, yisie iJiiieiire, Géogra- avait fait pratiquer des lies dans les-
phiephyüque, p. 48 ».

i) Ou dit : SariBisak et .Sarinousak.


Le texte porte par erreur ri'.upliiale.

Slnbou,XII,538.
33 .
,

648 L’ÜNIVERS,
quelles il se livrait au plaisir de la SOU coupc la route de Césarée à Ingé
chasse ; mais le Mêlas ayant rompu ses sou ; il est à peu près praticable pen-
digues inonda une partie du territoire, dant l’été. Son étendue est de huit kilo-
et en grossissant outre mesure le fleuve mètres de l’est à l’ouest et de quatre du
Halys, causa de notables dommages nord au sud.
aux Galates , qui citèrent Ariarathe oe-
vant les Romains, et se firent allouer DE CESAREE A INOÉ SOU.
une indemnité de trois cents talents (1).
La nature des lieux est parfaitement La route de Césarée à Ingé sou suit
d’accord avec le fait mentionné par les pentes du mont Argée, et à douze ki-
Strabon, et les observateurs qui ont visité lomètres de cette ville rencontre le
les bords de l’Halys ont reconnu l’issue grand marais de Saizik engendré par
étroite dont il est fait mention et qui les deux rivières ; de nombreux trou-
peut être fermée par une digue. peaux y paissent pendant l’été, mais il
Les sources memes du Kara sou ou est impraticable quand la fonte des
Mêlas ont été reconnues par M. de Ci- neiges grossit les rivières ; c’est dans ce
vrac dans les collines situées à la base marais que le Mêlas rejoint le Sarim-
septentrionale du mont Argée; l’une sak ; une antique chaussée traversait
sort de terre avec abondance, les autres ce marais c’était la grande route de Cé-
:

sont plus éloignées et étaient inacces- sarée à Iconium.


sibles à cause des marais qu’elles for- Les pentes occidentales du mont Argée
ment; ces marécages, presque tous cou- sont moins abruptes que celles du nord ;
verts de roseaux, setendent à plusieurs elles servent, comme ces dernières , de
kilomètresdans la plaine; uncancienne base a des monticules arrondis qui ne
chaussée a été pratiquée au milieu. Près sont autre chose que des volcans se-
du village d'Ambba, situé au nord-ouest condaires. On remarque à la base de lar-
de Césarée, on trouve une route pavée ges coulées do laves de fusion; la plaine
et successivement trois ponts en pierre est couverte, comme celle de Césarée,
construits sur les marécages. Le Kara d’une couche épaisse du tuf volcanique
sou reçoit un nouvel affluent, qui grossit qui peut être exploité comme pierre à
considérablement le volume de ses eaux, bâtir.
et passe sous un pont de sept arches La petite ville de Ingé sou est à trente-
preuve de l’importance de la rivière à cer- six kilomètres sud-ouest de Césarée,
taines époques de l’année, et va se jeter elle est construite, au fond d’une en-
dans l’nalys. Les eaux de cette rivière ceinte de rochers et u’a que deux en-
entraînent avec elles une quantité de li- trées par une vallée étroite; les flancs de
mon noirâtre qui motive le nom qu’on la montagne sont à pic, et l’on voit l’é-

lui donne, et après avoir reioint le cours paisseur de la couche de tuf volcanique
de i’Halys, les eaux de ce dernier fleuve qui a quatorze mètres. 11 repose en
étant jaunâtres, les deux courants con- quelques endroits sur un calcaire blanc,
servant leursteintes respectives forment mais pluk généralement sur l’argile.
pendant longtemps une ligne tranchée La ville d’Ingé sou, le filet d'eau, a
très- remarquable (2). A partirdu pontà pris son nom d’un petit cours d’eau
sept arches, le .Mêlas s’engouffre au qui arrose la vallée; elle commande
nord dans une gorge resserrée, qui est tout le districtjusqu’à Urgub; une mos-
sans doute l’issue étroite fermée par quée d’assez belle apparence a été bâtie
Ariarathe, et parcourt un espace deseize par un ancien bey du nom de Sélim :
kilomètres depuis le pont jusqu’à son elledatedu siècle dernier; la population
embouchure dans l’Halys. «ecque paraît être dans l’aisance. Les
Cette embouchure est en ligne droite femmes ont un goût prononcé pour les

à trente-six kilomètres de Césarée. bijoux d’argent ;


elles portent sur leur
Le grand marais formé par Je Kara tète des turbans ornés d’une quantité de
pièces de monnaies; leurs épaules en
(i) Strabou, XII, p. 538, sont chargées ; elles ont à leurs bras de
(a) Vuy. aass. Bulletinde ta société de pesants bracelets, et à leurs jambes des
Géographie, mai i84a. anneaux d’argent que les Turcs appel-
,

ASIE MINEURE. 549

lent carcals et qui étaient déjà en u^age on retrouve une région aride et déserte ;

dans l'antiquité sous le nom de péris- on fait ainsi vingt-quatre kilomètres


célides; Horace nous peint une courti- jusqu’à Urgub.
sane qui pleure sa chaîne et ses péris-
célides qu’on lui a volées (li. CHAPITRE XXX.
Dans l’enceinte même de la ville, on
ne rencontre que de faibles débris de UBOOB.
monuments byzantins; mais les collines
voisines renferment de nombreuses ex- La grande route de Constantinople à
cavations qui prouvent que ce lieu fut Antioche par Eski cheher ou Dory-
habité dans l’antiquité. Ces cavernes læum passait par les villes que nous
sont de plusieurs sortes les unes sont
: avons mentionnées, de Nyssa, Saçæna
évidemment d'anciens tombeaux conte- et Césarée. En se dirigeant donc de
nant ou des lits funèbres ou des sarco- Test à l'ouest, à partir de cette ville,
phages ; les autres se composent de plu- on est presque certain de ne pas s’é-
sieurs chambres , et ont certainement carter de l’ancienne voie de communi-
servi d’habitation. Si dans quelques- cation , et , en effet, chacun des points
unes d’elles on trouve quelques faibles de cette route est signalé par quelques
indices de l'art grec, la majeure partie débris antiques qui méritent plus ou
n’offre aucun caractère qui permette moins d'attirer l'attention. Après avoir
d’en déterminer l'époque. I.es portes de iiitté la ville d'Ingé sou, on se trouve
ces grottes sont presque toujours pla- ans les terrains vagues formant des
'cées sans symétrie à des hauteurs indé- collines quelquefois assez élevées, et
terminées; elles sont presque toutes en qui sont d’une nature volcanique, con-
forme de pylônes, c’est-à-dire plus larges temporaine de celle des montagnes
d’en bas que d’en haut, et précédées d’Herkilet. En effet, à quelque distance
d’un vestibule ouvert couronné par un d’Ingé son, en suivant le cours du ruis-
arceau. Tous les observateurs qui ont seau qui traverse la ville, on perd
parcouru la Cappadoce depuis plusieurs bientôt de vue les rochers de pierre
années sont d’accord sur ce fait qu’une ponce et de tuf dont la formation est
population nombreuse a, dans une pé- si bien caractérisée.
riode qui ne peut être déterminée, ha- Nous marchâmes pendant un certain
bité des réduits taillés dans le roc. Ce temps dans un pays accidenté et com-
sont sans doute ces tombeaux que les plètement désert, jusqu’au moment où
Cappadociens fouillaient pour recueillir nous atteignîmes upe grande vallée ou
les dépouilles des morts-, nous n’avons plutôt une vaste dépression de terrain
jamais pu obtenir aucune notion sur la sillonnée par des ravins profonds; c’est
découverte d’un tombeau intact faite ce qu’on appelle le territoirè d’Urgub.
de nos jours; jamais nous n’avons vu Jamais la nature ne se présenta aux
un objet, vase, armure ou médaille qui yeux d’un voyageur sous un aspect plus
ait pu mettre sur la trace des popula- étrange. La petite ville qui donne le
tions qui ont creusé ces tombeaux les ;
nom à ces vallées, est elle-même en-
peintures chrétiennes, les croixsculptées sevelie entre les lianes verticaux d’un
dans quelques chambres sont les seuls banc puissant de pierre ponce, et
indices que nous ayons rencontrés et semble dénuée des-ressources les plus
qui nous autorisent ’à conclure que ces indispensables à une population quel-
grottes sont les ouvrages des chrétiens. conque, l’eau et la verdure. Mais l’a-
La route d’Ingé sou à Urgub suit les bondance des matériaux, qui sont d’un
liprds de la petite rivière qui prend la travail si facile, supplée en quelque
direction du nord pour aller se jeter sorte à tant de privations, et cette petite
dans le marais Saizik c'est une des
: ville , contrairement à toutes celles de
sources du Mêlas. De nombreux jardins la Cappadoce, présente une certaine ap-
remplis d’arbres fruitiers égayeut cette parence de prospérité. Avant de des-
valice mais en remontant sur le plateau
; cendre du plateau qui domine son ter-
ritoire, je m’arrêtai étonné du spec-
(i) Horace, Épit., I, 17 , 56. tacle qui s’offrait à mes yeux. Je ne
,

M3 L’UNIVERS.
enfin quelques inscriptions qui me fe- I.a colonne Dikili tash avait en effet
raient reconnaître les premiers fomia- porté une inscription tracée sur un
teurs de ces monuments, qui, certes, petit bloc de marbre incrusté dans le
sont pour la plupart antérieurs à l'épo- fût; malheureusement, une partie de
(jue byzantine. l'inscription est mutilée, et le reste est
Cette colonne est appelée dans le tellement fruste, qu’il m’a été impos-
pays, Dikili tash , c’est-à-dire la pierre sible d’en saisir la moindre partie. En
debout; elle est formée de blocs de quittant le village de Martchiane, je dis
pierre volcanique et porte un chapiteau pour toujours adieu à cette contrée, que
dorique d'assez bon style. Ce monu- je regarde comme renfermant un des
ment est sépulcral comme tous ceux phénomènes naturels les plus curieux
de la vallée d’Urgub, mais il est atte- de toute l'Asie Mineure. Je partais sans
nant au tombeau le plus vaste et le avoir trouvé une explication satisfai-
plus complet que j’aie observé dans les sante des ouvrages prodigieux que je
environs. Le style égyptien domine venais de voir. A quelle ville avaient ap-
dans les dispositions du plan. Devant partenu les générations dont les os sont
le tombeau est une aréa, dans laquelle venus se consumer dans ces lieux dé-
on voit, à droite et à gauche, deux serts? Césaréc est trop éloignée elle est;

masses ou blocs monolithes qui parais- distante de douze lieues en ligne droite;
sent disposés pour supporter des co- d’ailleurs, les nécropoles qui se trouvent
lonnes ou des obélisques mais la partie
; dans les montagnes de l’est paraissent
supérieure est tellement ruinée par l’ac- avoir pleinement satisfait aux besoins
tion lies eaux , qu'il est diflicile de re- de l’époque. Pour hasarder une hypo-
connailre la disposition première. thèse sur le nom encore controversé
La façade du tombeau est ornée de d’Urgub, il me semble qii'e, d'après les
deux colonnes dans le style égyptien distances donnéès d’après les itinéraires,
et de deux pilastres portant des chapi- sa position s’accorde assez bien avec
teaux dans le même caractère. La porte celle d’Osiana, lieu, du reste, assez peu
est en forme de pylône , et l’intérieur connu.
renferme trois sarcophages , placés Un énorme rocher qui s'élève sur un
chacun dans une grande niche; mais plateau a été choisi comme point de réu-
le tout est monolithe. Il n'y a pas de nion de queh|ues maisons qui forment
traces de peinture dans le tombeau. un village, dont le nom est Touzesar. Ce
Tous les ornements peints que j'ai ob- rocher est également percé d’une iufinité
servés ailleurs ne remontent pas au- de grottes sépulcrales; cello qui attire
delà des temps chrétiens. le plus l’attention est une vaste salle
Les seules précautions qu'avaient ornée de colonnes doriques qui suppor-
prises les anciens pour mettre ce tom- tent la voôte; on ne saurait dire si elle
beau à l’abri des outrages des passants, a été creusée pour en faire une église
avaient été île le tailler à une assez ou un tombeau, la forme du plan n’ac-
grande hauteur dans le flanc de la col- cuse aucune de ces deux destinations.
line; mais on ne voit pas de traces de I.’ouvrage parait tout à fait romain; on
clôture (jui en défende l’approche; la n’y remarque ni trace de peinture ni
porte était fermée par nue simple dalle aucun ornement particulier. T.a note
de pierre. jointe à cette localité dans la carte du
Il n'est pas étonnant, ifuand on voit P. Cyrille indique qu’il regardait ces
l'usage si généralement répandu de dé- ruines comme celles d’un palais (I). La
poser les morts dans des hypogées, qu’à carte du P. Cyrille éditée par ce prélat
l’époque critique de la chute du paga- en 1812 est un monument très-rare et
nisme, les Cajipadociens aient trouvé très important de géographie ancienne.
un ample profit à dépouiller les tom- Elle a été tirée à un petit nombre d’exem-
beaux des vieux pai'ens. C’est en vain plaires, pour les seuls souscripteurs, et
que l’on chercherait à compter le il parait qu’aucun exemplaire ne se
nombre de ces sépultures il n'est pas ;

un coin des montagnes de ces vastes (i) AaSupiv6wSci( fliYgol xgii épi'nut na-
régions qui n’en soit criblé. Xaviou.
AS!K MINEURK. 553

trouve plus en Europe elle était tout à


;
par une plate-forme élevée sur laquelle
faitinconnueàM. KiepertetàM. Rilter, est bâtie une (lelite mosquée avec un
auxquels j’ai eu le plaisir d’offrir l’exem- minaret.
plaire que j’avais reçu de l’évéque de Les maisons n’ont jamais plus d’un
Césarée. Ces deux célèbres géographes étage au-dessus du rez-de-chaussée;
en ont fait usage dans leurs travaux mais il n’est pas d’habitant qui n’ait à
sur l’Asie Mineure (1). sa disposition quelque grotte ancienne
Une dissertation sur cette carte a ce- pour lui servir de magasin. La chaux
pendant été publiée dans Vf/ermés, étant très-rare dans le pays, les mai-
Journal philologique, in-8“ ( en grec), sons sont bâties en pierre blanche à
page 340 sous le titre suivant : base de ponce, et cimentée avec de l’ar-
'
Carte chorographique de la grande sa- gile. C’est aussi l’argile qui forme le
trapie d’Iconiuni avec les sept stratégies sol des terrasses. Or, dans un pays où
appelées en turc Sandjak , qui fut d’a- les pluies et la neige tombent pendant
bord rédigée en manuscrit et publiée plusieurs mois d’hiver, ce système de
aux frais des amis, de la race grecque, couverture est extrêmement défec-
par l’évêque Cyrille, métropolitain d’An- tueux; mais le bois de chauffage est
drinople, autrefois archevêque de l’E- tellement rare dans ces régions, qu'il
parchie d’Ieonium, éditée par Anthyme n’existe pour les habitants aucun moven
Cazy, Vienne 1812, en deux grandes de fabriquer de la brique et des tuiles.
feuilles. L’auteur de la dissertation s’é- La charpente des maisons delà
est faite
tend longuement sur les documents nou- tige de maigres sapins apportés à grands
veaux de géographie ancienne donnés frais des cantons du sud.
par cette carte. Il faut, pour que les eaux de pluie ne
traversent pas le sol artificiel de la

CHAPITRE XXXI. couverture, que les propriétaires veil-


lent constamment à l'entretien de leurs
LA VILLE d’uKGUB. terrasses. Aussi, après chaque ondée, a-
t-on soin de passer sur le toit un rou-
Le plan général des terrains coniques leau de pierre très-lourd qui tasse la
,

se compose d’une grande vallée princi- terre sans secousse. Dans les pays qui
pale, qui vient s’amortir à angle droit renferment quelques débris de iiionu-
contre les collines formant les contre- inents, les fûts de colonnes antiques
forts de la plaine, et communiquant sont généralement employés à cet
dans tout son parcours avec des an- usage. On ne saurait dire combien de
fractuosités qui ne sont autre chose que colonnes ont été détruites pour cette
des vallées secondaires, ébauchées par destination.
la nature , tendant insensiblement à Il semble que toute idée de décora-

s’accroître par l’effet do l’érosion des tion arcbitecturale soit restée étrangère
eaux. A son extrémité sud-ouest, la aux constructeurs de la ville d’Urgub.
grande vallée se bifurque; elle gagne On ne trouve en aucun lieu un monu-
en largeur, et remonte ensuite sur les ment portant la moindre trace de dé-

plateaux supérieurs. coration. L’intérieur des maisons est


La ville d’Urgub est située à l’entrée aussi pauvre et aussi dénué d’ornements
de grande vallée du côté de l'est ;
la que l’extérieur; et au milieu des peu-
elle aucune régularité ;
est bâtie sans dades de la plaine, qui mettent dans
mais dans le centre il y a quelques feurs vêtements tout fe luxe que com-

rues alignées et des places spacieuses porte leur fortune, les habitants d’Ur-
ménagées à de.ssein. Elle est dominée gub ne sentent pas même ce besoin de
la toilette qui est si vif chez tous les

Karic dos Pasolia-


(r) Er/bisclinf Kyrillos
Asiatiques chrétiens ou musulmaus. Il
lik-Koiiia von Kiepert in de.sson
rediiciit est évident que l’aspect mélancolique de
moinnir ziir Karle von KIcinasien iiarh déni ces lieux a influé sur le caractère des
Original dor ini I, iSii zii Wieii edirlen habitants. On n’y voit point, dans les
Kai tc das ioh der güligcn MillIieiliiDg des bazars, ce mouvement incessant qui
Hrii Ch Texier vrrdanke. s’observe dans les villages d’une impor-

by Google
554 LTJNIVERS.
tance beaucoup moindre. J'attribue mane. Les bases sont très-épatées et
cette mouotouie à l’absence presque affectentla forme attique, celle qui a
complète de chevaux dans l’intérieur de lemieux surmonté toutes les vicissitudes
la ville. qu’ont subies les moulures de toutes les
Les habitants sont divisés en trois époques (l).
classes comme dans toute la Cappadoce.
Les Musulmans sont peu uombreux et CHAPITRE XXXII.
occupent les environs de la place éle-
LA VALLÉE DE KEDREMÉ.
vée qu’on appelle Kalé (le château). La
forteresse , qui défendait Urgub dans Chacun des sites que le voyageur
le moyen âge n’est pas cependant en cet rencontre sur la route offrant en soi-
endroit; elle occupe la crête d'une émi- même un sujet -inépuisable d’observa-
nence du côté du nord. La buse de ses tions, j'aurais voulu recueillir tous les
murailles parait d’une construction qui détails de structure naturelle de cha-
n’est pas éloignée de l’époque romaine. cun des cônes avec tout l’ensemble des
Les Arméniens habitent le quartier monuments qu’ils renferment; mais
nord de la ville ; ils sont plus nom- comment songer, dans un tel pays, à
breux que les Turcs et vivent en assez un travail semblable, sans avoir une ex-
bonne intelligence avec ces derniers. pédition préparée tout exprès? Je laisse
Leur église â peu d’apparence. Pen- ce travail à d'autres, et j’ai dû me bor-
dant mon passage à Lrgub, ils se pré- ner à réunir les sites les plus curieux,
taraient à en faire construire une dans les points de vue les plus inattendus.
fe genre de celle des Grecs. Tous les La vallée de Keurémé, par le grand
habitants d’Urgub sont cultivateurs; ils nombre d’églises taillées dans le roc,
récoltent du blé, des fruits, et culti- la hauteur
et le désordre des cônes qui
vent un .peu de tabac. Les troupeaux la remplissent, passe aux yeux des ha-
fournissent la laine , qui est travaillée bitants pour un des endroits les plus
dans le pays même par les femmes. On célèbres de ces mille et une églhes sur
fait aussi quelques étoffes de coton. lesquelles roulent la plupart des lé-
Les Grecs forment la majeure partie gendes qui se content sous la tente des
de la population. Le caractère de cette nomades ; et vraiment on est en droit
race aiftère essentiellement des Grecs de défendre le voyageur Paul Lucas,
de Smyrne et de la côte occidentale ; il qui, à une époque où la science géolo-
n’y en a pas un qui connaisse la lan- gique était si peu avancée, prit ces
gue grecque, et leurs prêtres même nombreuses pyramides pour des ou-
n’eu font guère usage que dans la li- vrages faits de main d’homme, et toute
turgie. Je considère cette population cette vallée pour remplacement d’une
comme très-mélangée avec la race ar- grande ville détruite; il soupçonna ce-
ménienne, ou même comme des Ar- pendant, à son second voyage, que ce
méniens d’origine, qui sont restés pourrait bien être une nécropole, et re-
fidèles à la religion grecque et ne se vient sur ce sujet pour convaincre les
sont point reunis au schisme d’Euty- incrédules qui avaient accueilli sa pre-
chès. L’église, bâtie par les soins des mière découverte avec toutes les mar-
chrétiens de la communion grecque, a ques de la plus grande défiance , sans
lu forme d’un rectangle, entouré d’un s’inquiéter combien ces doutes étaient
portique de colonnes soutenant des ar- injurieux pour le caractère du voyageur.
cades. Il est impossible de s’éloigner J.ucas s’exprime eu ces termes à sou
davantage de toutes les traditions de second voyage :

l’école byzantine; mais dans ces con- « Je n’ai rien à dire de mon voyage
trées l’art de bâtir est tombé, chez les de Konieh à Césarée, sinon que les
Turcs comme chez les chrétiens, à un maisons pyramidales dont j’ai parlé ail-
degré inouï d’abaissement; il ne reste leurs et dont aucun auteur avant moi,
plus le moindre vestige d’un art na- ni ancien ni moderne, n’a parlé, sont
tional. Les colonnes du portique sont
surmontées de chapiteaux qui se rap- (i) Voyez. 1.1 plaui'iio représentant la ville

prochent du dorique de l’époque ro- d’Urgiili. (l*l. 5i>.)


ASIE MINEURE. 5i>5

encore en bien plus ^rand nombre que Lucas vient d’Angora; il traverse
jene l’avoisdit; et l’on m’assura même l’Halys près du village d’Àvancss (I).
que, de l’autre côté d’une montagne « Nous partîmes de Hadji-Becbtascli a
que l’on me fit apercevoir, il y en avoit onze heures du soir, et cette même nuit
plusdecent mille. Étoit-ce le cimetière nous fûmes attaqués trois fois par des
de la villede Césarée et de tous les en- voleurs. Au lever du soleil, nous en-
virons, ou plutôt une ville d’une cons- trâmes dans Avaness, village sur TEr-
truction particulière, et la seule de cette maq (Kizil Irmak). Dans les monta-
espèce qui soit dans l’univers? Je le gnes auprès de l’Ermaq, on voit partout
demande aux savants. Ce que je sais quantité de grottes. Nous nous repo-
bien, c’est qu’il est difficile de trouver sâmes là une heure; ensuite nous pas-
un monument plus singulier et plus sâmes la rivière à gué. La beauté de ces
inconnu à toute l’Europe que celui-là. grottes m’avoit surpris; mais j’entrai
" Comme cette découverte parut fort dans un étonuement incroyable à la vue
extraordinaire lorsqu’elle fut publiée des monuments antiques que j’aper-
dans mon dernier voyage, la Cour us... de l’autre côté en sortant de l’eau,
donna ordre à M. le comte Desalleurs, e ne puis même y penser à présent
ambassadeur à la Porte, de s’en infor- sans en avoir l’esprit frappé. J’avois fait
mer exactement , et l’on rapporta que déjà beaucoup de voyages, mais je n’a-
la chose étoit non-seulement comme je vois jamais vu ni même entendu parler
l’avois dite dans ma relation, mais que de rien de semblable. Ce sont une quan-
lenombre de ces maisons pyramidales tité prodigieuse de pyramides qui s’é-
que les Turcs appellent des' miuarcts, lèvent les unes plus, les autres moins,
parce qu'elles sont foites en pointes mais toutes faites d'une seule roche et
comme les tours des mosquées, étoient creusées èn dedans de manière qu’il y
en bien plus grand nombre que je ne a plusieurs appartements lesuns sur les
Pavois cru, et qu’il y en avoit plus de autres, une belle porte pour y entrer,
deux cent mille. M. Cherac, consul pour un bel escalier pour y monter, et de
la nation d’Angleterre, reçut le même grandes fenêtres qui èn rendent toutes
ordre, et son information a été conforme les chambres très-éclairées. Enfin, je
acellede M. Desalleurs, ce qui rend la remarquai que la pointe de chaque py-
chose aussi incontestable qu’elle est ramide étoit terminée par quelque
étonnante. » figure.
C’était la seconde fois que le voya- « Je rêvai longtemps sur la structure

geur français venait dans ce pays. L’u- et principalement sur l’usage que l’on
sage était alorsde considérer comme des pouvoir avoir fait de tant de pyramides,
voleurs tous les paysans que l’on ren- car il n’y en avoit pas pour deux ou
contrait, etleur paisible allure n’était trois cents, mais plus de deux mille de
aux yeux dep voyageurs prévenus que suite à quelque distance les unes des
le signe manifeste de la terreur ins- autres. Je crus d’abord que ce pouvoir
pirée par la caravane armée jusqu’aux être la demeure de quelques anciens er-
dents. Tournefort n’est pas exempt de mites, et ce qui m’en donnoit la pen-
cette faiblesse,mais il est moins mata- sée , c’est qu’au haut je voïuis ou des
more que notre ami Lucas. Celui-ci, capuchons, ou des bonnets à la mode
malgré sa bravoure , redoute d’appro- des papas grecs, ou même des femmes
cher des vallées d’Urgub, afin de con- qui portoient un enfant entre les bras,
sidérer de près cette ville incroyable. et que je pris tout d’uii coup pour des
Les contes qu’il recueille sont encore images de la Vierge A travers les
répandus parmi les paysans de nos murailles, je vis comme des restes d’an-
jours.J’aime mieux remettre sous les ciens portraits, de sorte qu’il sembloit
yeux du lecteur le récit naïf du voya- qu’il y eût eu des peintures, mais cela
geur, en certifiant qu’il ne diffère de étoit trop effacé pour y rien connoî-
Pexacte vérité que par l’exagération si tre. »
naturelle et si permise à un homme qui La crainte d’une attaque de la part
n’abordait ces contrées qu’a travers
mille difficultés. (i) Tome I, p. 157, éd. 171a.
566 L’UNIVERS.

des Turconians empêdia le voyageur cents mètres, et en même temps se sont


d’observer avec soin cesformations qu’il trouvés isolés par la destruction spon-
eûtparfaitement reconnues comme dues tanée de ceux qui renfermaient des vei-
à un phénomène naturel. nes tendres ou quelques fissures, et
L’exagération naturelle à son carac- qui , s’écroulant naturellement , finis-
tère, et l’amour du merveilleux, qui est sent par se dissoudre dans les eaux
un des cachets de son livre, se retrou- ou par s’écraser sur les routes. Ces
vent dans tout le reste de cette descrip- débris composent le sable fin des val-
tion (1). « Cest, dit-il, la chose la plus lées , qui conserve sa blancheur primi-
admirable qu'un mortel puisse voir de tive.

ses yeux. » Il porte à vingt mille le Aux abords des terrains cultivables,
nombre de cônes qui se trouvent dans on commence à trouver quelques
ces vallées. « Ou en voit h perte de groupes d’habitations,
car on peut à
vue, h peu près comme de grandes quilles peine donner à ces endroits le nom de
que l’on auroit arrangées à plaisir. » village.
Cette e.xpression rend assez bien l’effet Le hameau de Klartchiannc est un des
que produit la partie de la vallée Keu- plus intéressants comme beauté des li-
rémé. gnes et sévérité du site, et en même
Depuis Paul I.ucas jusqu’à l’époque temps comme le plus propre à donner
de mon voyage, je ne sache pas qu’un une idée de la counexion des deux ter-
écrivain européen ait rien publié tou- rains ponceux et volcanique, car il se
chant les cônes d’ürguh; aussi, ce pas- trouve positivement à cheval surla ligne
sage du livre de Lucas reste-t-il comme de démarcation.
uu témoignage des mille fables qu’il a I.a colline de laves de fusion, à gau-
débitées, l’effet que produisit son rap- che, est composée de blocs juxtaposés,
port n’étant pas affaibli après un siècle mais tous détachés les uns des autres
et demi. l a nouvelle de cette décou- par des fissures, suite du retrait de la

verte rencontra en France beaucoup roche. Les montagnes noires qui occu-
d’incrédules; les gens envieux de Lucas pent le dernier plan sont composées de
avaient saisi cette occasion pour l’atta- tufs et de laves remaniées par les érup-
iicr près de M
de Pontchartrain, et tions ; mais, dans toute la vallée d’Ur-
emandaient qu’on leur donnât la sub- gub, on ne rencontre |lSs un atome de
vention de Lucas pour aller constater pierre traebylique ces deux formations
:

l’authenticité de .sa relation. Ils faisaient sont tout à fait distinctes. Il me sérail
publier, dans le Mercure du teinjis, des difficile d’établir des bases certaines
articles dans lesquels le voyageur était pour décider laquelle des deux forma-
peint comme un inutile touriste, et tions est la plus ancienne. C’est une
allaientjusqu’à dire que ses voyages question qui ne peut être résolue qu’a-
n’étaient ([ue lefruit de son imagina- près une étude plus complète du terrain
tion. D’autresvoyageurs furent en effet ponceux, et après qu’on aura déterminé
envoyés, mais leur relation ne parut ja- son périmètre.
mais. Les cônes du village de Martchianne
sortent, par leur disposition, de la loi
CHAPITRE XXXIII. générale que j’ai signalée pourloutes les
autres vallées. Ces cônes, en effet, ne sc
VILLAGE DE MAHTCHIANNE. trouvent point encaissés dans une vallée
étroite, ils sont répandus sur une sur-
La confusion inextricable qui existe face assez étendue et se prolongent pres-
dans la formation de la vallée centrale, que jusqu’au village de Touzesar.
ne se rencontre pas dans les extrémités, L’un de ces cônes renferme une
où les cônes ayantsubi, depuis une plus grande chapelle sépulcrale qui est en-
longue période , l’action des éléments, core dans un état parfait de conserva-
ont ac(|uis une hauteur plus considéra- tion.
ble; il y en a qui s’élèvent jusqu’à deux [,p plafond est orné d’une croix en
relief, avec un demi-cercle qui est tan-
(i) Tome I, p. i6o, 171». gent aux bras et à la tête de la croix ; le
ASIK MINEURE. S57
solde la chambre est creusé , et ren- rique est d’une forme correcte ; il y a
ferme six sarcophages disposas paral- une petite palniette sculptée au-dessous
lèlement ; ils étaient recouverts de dalles de abaque. Cette colonne a toujours
I

de pierre et ne gênaient en rien le ser- été isolée et ne fait point partie d’un
vice de la chapelle. On n’y découvre monument plus considérable ; elle a
aucune trace d'inscription.” tous les caractères d’un monument fu-
En remontant vers l’ouest, sur le nèbre peut-être a-t-elle été élevée sur
:

phiteau voisin, on aperçoit au loin une un caveau qui est encore intact (i).
colonne isolée : c’est le monument que Le tombeau voisin taillé daus le roc,
les habitants appellent Dikili tascli. en contre-bas de la colonne est un ou-
vrage beaucoup plus étendu que tous
CHAPITRE XXXIV. ceux que J’ai décrits On a saisi cet em-
^
placement parce que la roche présente
BIKILI TASCH, MONUMENT SÉPUL- un plus grand degré de dureté.
CBAL. Un atrium à ciel ouvert précède l'en-
trée du tombeau. On remarque quatre
Un ravin qui conduit du haut du blocs aujourd’hui informes , mais mo-
plateau vers le ffhid île la vallée est le nolithes avec le rocher, dont la de.stiua-
seul chemin praticable; partout ail» tion peut être expliquée de plusieurs
leurs il faudrait se diriger de rocher en maniérés ils peuvent avoir servi de
;

rocher et s’exposer à un danger cer- soubassement à des sphinx ou à des G-


tain. Im colonne qui domine le pla- gures symboliques; ils peuvent avoir
teau. et qui est appelée par les Turcs supporté des obélisques, monuments
Dikili tasch , pierre levée, a donné son aujourd’hui détruits, qui motiveraient
iioin au ravin et aux iiionumeuts qui la dénomination du tombeau (2).
l'accompagnent. Rien n’e.st plus triste Cette cour, dont les parois sont tail-
que ce lieu, car il n’offre pas même aux lées verticalement, précède un portique
regards l’étrangeté des lignes, qui ab- dans le caractère tout à fait égyptien.
sorbe l’esprit dans les autres parties; il Deux grosses colonnes courtes et” à cha-
n’a d'autre caractère que l’aridité et la piteaux campaniformes occupent le mi-
solimde les plus absolues. lieu du portique; deux piliers carrés
Les quatre fenêtres que l’on aperçoit isolés et deux autres engagés terminent
sur le flanc droit du ravin éclairent la série des supports; le tout est sur-
une chambre sépulcrale, vaste et sans monté d'une architrave fort simple,
ornements. Tous les autres ouvrages sur laquelle est à peine indiquée, dans
ont le même caractère ; ils n’indiquent le rocher brut, la trace d’un fronton
aucune époque déterminée. Le tom- e.xcessivement bas, puisque sa longueur
beau situe dans la partie supérieure ap- est de td^SG et sa hauteur seulement
pour dé-
pelle seul l'attention, et sutlit de 1™35, c’est-à-dire le douzième de sa
uoinmager des détours sans fin qu'il base. Le diamètre des colonne^ à la
faut faire pour l’aborder. base est de 0,980, et au sommet, de
(juoique la même désignation soit 0.940. Ce porche est très-étroit, il est
appliquée aux deux monuments, il est couvert en vo'lte plate; au milieu est
certain qu’ils sont parfaitement dis- une porte en pylône qui donne accès
tincts ; ce sont deux tombeaux différents directement dans le tombeau. La cham-
et construits à des époques assez éloi- bre, qui a seulement 2"’50 sur 3“‘40 de
gnées l’une de l’autre. haut, est voûtée en berceau. Trois sé-
La colonne est composée de quatorze pultures sont disposées sur les trois fa-
tambours qui ont une hauteur de ces de la chambre : ce sont des sarco-
8"45. Sur le huitième tambour on a phages creusés au fond d'une cellule
incrusté une plaque de marbre qui suit qui pouvait aussi recevoir un çorps, ce
la courbure de la colonne. Cette
pla-
que portait une inscription grecque
(i) M. Bartii a coiiMaté que colonne
celle
trop altérée pour être lue. a élé renversée par les indigènes en i85S.
Les trois socles sur lesquels elle re- (a) L’obélisque de l’Al-Meidan à ()on.stan-
pose sont de trachyte. Le chapiteau do- linople est appelé par les Tnres nikili tasch.
658 L’UNIVERS.

qui porterait à six le nombre des per- est graude et d’une architecture mo-
sonnes qui peuvent y avoir été inhu- derne qui ne manque pas d'élégance,
mées. Tout ce monument, quoique sans mais elle ne saurait être comparé à la
ornement, est sculpté avec une pureté nouvelle église d’Urgub.
de ciseau remarquable; les formes Vers 1763, Ibrahim Damat, pacha,
lourdes accusent un ouvrage tout à fait fit bâtir à Nemclteher une mosquée as-

asiatique; mais pour en déterminer l’é- sez importante, afin d’y réunir un
les moyens de critique
poque précise, noyau de population musulmane. Ce
manquent absolument, car on ne peut fut toujours le souci des beys ou gou-
pas même, comme pour la plupart des verneurs musulmans, d’inspirer aux
autres monuments, citer les analogues. populations nomades le goût de la vie
sédentaire; car il n’y a que ce moyen
CHAPITRE XXXV. de pouvoir compter sur la rentrée ré-
gulière de l’impôt. Les plus habiles
NEMCHEHEB ( 1 ). sont parvenus à leurs tins, et l’on cite
plusieurs petites villes qui doivent leur
Dès que l’on est remonié sur le pla- existence à la politique bien entendue
teau qui entoure la vallée d’Urgub, de quelques beys.
toute la contrée se présente sous un La mosquée a un dôme et un mina-
aspect moins sauvage. Il semble que ret; elle est bâtie sur le modèle de celle
cette nature si extraordinaire ne s’est de Sélim l" à Constantinople. Dans la
offerte aux regards que comme un ef- partie sud de la ville, qui tout entière
fet de mirage. Le nivellement des ter- occupe le point d’intersection de deux
rains indique parfaitement la marche grandes vallées, une colline élevée,
qu’a suivie la génération des cônes. La couronnée par un château, domine les
composition particulière de la roche a habitations, qui s’étendent dans tout le
contribué à former ces vallées auxquel- pourtour. Le nom de Nemcheher lui a

les les Grecs donnent le nom de Pha- été donné par les Turcs; mais les Grecs
ran^æ (2), qui exprime assez bien leur lui conservent celui de Nyssa , qu’elle
origine. Au delà de Touzesar, les ter- avait dans l’antiquité; et l’êvêque, avec
rains volcaniques ne cessent pas de cou- qui j’eus de longues conférences tou-
vrir la surface du sol, mais les ponces chant la géographie ancienne de la Cap-
ont tout à fait disparu. Ou voit des col- padoce, me confirma dans l’opinion
lines à peine ondulées et tout à fait que la Nyssa de l’Itinéraire d’Antonin
incultes se prolonger vers l’ouest, elles était en cet endroit. Il faut avouer que
indiquent le cours du Kizil-Irmak, qui l’on trouve peu de traces de monuments
atteint le point le plus méridional de antiques dans cette petite ville ; mais
son parcours au village d’Avaness, re- les environs sont riches en monuments
nommé par ses carrières de pierres à troglodytes; et un petit village des en-
bâtir, qui sont toutes formées de ponces virons, que l’on appelle Nar, offre un
dures. Poursuivant ma route vere Nem- grand nombre de sépultures.
cheher, la ville la plus importante de Je ne serais pas étonné que plus tard
ce canton, j’y arrivai après cinq heures on ne parvînt à constater l’identité entre
de marche. Nar et Nyssa il
:
y a à peine deux
La population de cette petite ville milles de distance entre les deux places;
est composée presque entièrement de cette différence est inappréciable au
familles grecques sous la juridiction point de vue des itinéraires anciens. 1^
d’un évêque ; c est un des sièges les plus population grecque de Nyssa se serait
importants de la Cappadoeê. L’église transportée dans la nouvelle Nemcheher
vers fa fin du douzième siècle, quand
l’autorité des princes seldjoukides aura
(i) 1.CS habitants disent Nemchelier, 11a-
niiton Neiiikcheher, Ainswoi tli Neweheber,
pu donner un peu de repos à ces con-
liarlbNefchrbcr; la carte de Cyrille Neoi- trées.
rbidier, c’e.st je pense, le vrai nom de cette L’évêque m’invita à assisler à une cé-
ville. rémonie qui devait avoir lieu le 24 août
(a) Excavation, abime. 1834. Un grand nombre de chrétiens

- .
O O/
,

ASIE MINEURE. 559

(levaient communier, et le métropolitain l’ivoirepour la blancheur, et dont on


(leCésarée était venu pour assister l’é- faisait (lesmanches de couteau. La du-
véque. Tout le clergé était présent en reté du balgami varie, en raison, je
riche costume byzantin, et les chrétiens crois de la quantité de silice qu’il con-
en habits de fête. Les pompes de l’É- tient celui dont la teinte tire sur le
;

glise grec(|uc, dans cette modeste église, verdâtre est tout à fait semblable au
et au milieu d’une population turque, jade. I.e père Cyrille fait observer dans
me parurent encore plus solennelles. une note que,
le balgami des environs
Tout en rendant justice à l’esprit de de Nemcheher et de Sinason est de dif-
tolérance du gouvernement d’alors je ,
férentes couleurs, ’Ex tCiv -Ipif Titipo)-»,
ne pouvais m’empêcher de reconnaître SouXtuETott tb MTEiX-faii.! 3i*;pôp«üv xp<^-
que l’Église grecque s’appuie sur un piiTuiv. Ce de Sinason passe,
village
protecteur caché , devant lequel s’in- parmi les Grecs, pour être l’ancienne
cline le front même du sultan. métropole de Sasimes, où Grégoire de
L’évêque me donna de nouveaux Kazianze fut évêque. On y trouve quel-
renseignements sur la ville ruinée de ques ruines byzantines et des grottes
Kazianze et sur la localité de Mimi
, taillées dans le roc.
sou , dont le nom semble emprunté à Plus on avance vers le sud, plus le
la langue turque , mais qui n’est en pays paraît inculte et désert. Le relief
réalité qu’une altération presque insen- du terrain présente des ondulations
sible du nom de Momoasson, de l’itiné- mal coordonnées pour la formation des
raire, de .lérusalem, petite ville située cours d’eau ; les eaux s’épanchent et se
entre Naziaiize et Archelaïs, et dans le perdent en mille petits ruisseaux qui ,

voisinage de la première. sont presque aussitôt desséchés que for-


Près de Nemchcher est un petit lac més. La terre fortement imprégnée de
dans lequel vient se Jeter un ruisseau nitre, n’est fertile qu’en plantes grasses
qui coule au milieu des roches volca- ou épineuses , qui plaisent au bétail ;
niques recouvrant un gisement calcaire, mais les arbres ne viennent que dans
d’albâtre ou de gypse. I..es montagnes les endroits arrosés.
des environs fournissent aussi une ro- Une des industries du pays est la ré-
che d’un aspect agréable , qui est em- colte du nitre, que l’on extrait du sol
ployée dans la décoration des édifices au moyen du lessivage. La terre est
et des petits meubles. Les Turcs comme mise dans de grandes trémies percées
les Grecs lui donnent le nom de Bal- de petits trous. Les eaux-mères sont
garni; elle a l’aspect du jade chinois, versées plusieurs fois sur des terres nou-
mais n’en a pas la dureté ; on eu fait des velles, et l'on évapore ensuite, en chauf-
manches de poignard, des coupes et fant dans des cliaudiéres avec de la
des placages. Le mirhab de la mosquée fiente de chameau. L’exploitation du
de Youzgatt est orné de deux colonnes salpêtre est mi.se en régie; la totalité
de balgami, qui ont de hauteur plus des produits doit être remise au pacha,
de 1 mètre 65 centimètres. Tout l’in- qui renvoie au gouvernement. Les ha-
térieur de la niche est plaqué de cette bitants sont obligés de laisser prendre
substance , que je crois être de la chaux dans leurs propriétés les terres qui sont
Ouatée. Tantôt elle est d’un hianc lai- estimées les plus propres à être lessi-
teux, tantôt elle est tant soit peu veinée. vées.
Les marchands de Constantinople en Le village de Méiéhubi est à six lieues
font des takim (embouchures de pipes), sud de Nemcheher. On y observe plu-
dont le prix est bien inférieur à celui de sieurs églises byzantines, les unes rui-
l’ambré. Je ne doute pas que le balgami nées, les autres encore desservies par
ne soit la pierre dont parle Strabon(l) quelques prêtres. La population de ce
ni se tirait des carrières de la Cappa- village est, comme je i’ai dit plus haut,
oce. Il
y avait, dit-il, un endroit d'où composée de Grecs qui rendent un
l’on tirait une pierre grosse comme de hommage particulier à sainte Maerine,
petites pierres à aiguiser, semblable à la patronne du district, car l’évêque de
Nazianze saint Grf’goire est pres(|ue
, ,

(i) XII, 539. oublié du peuple. Cependant le corps de


6CÔ LUNIVERS.
sainte IMacrine repose dans un village Les lacs de Van et d’Ouroumia, qui
peu distant de Méiéhubi, qui porte le sont salés et sans communication avec
nom turc de Kassa keui ; c’est aussi la la mer, sont dans les mêmes conditions.
dénomination d’un quartier ou Mahallé De Méiéhubi à Touz gheul un fait
de Constantinople , celui sans doute où trente-cinq kilomètres Jusqu’à Ak serai
furent transportés les Grecs de cc pays en franchissant une plaine aride et dé-
du temps de Constantin Copronyme (1). serte. Ak serai occupe la position de
l’ancienne Archelaïs, elle fut florissante
CHAPITRE XXXIV. au commencement du seizième siècle,
alors que la population de ces provinces
LE LAC TATTA. — TOUZ GHEUL. était plus iiomWuse. On y voit encore
les ruines de quelques édiflees des sel-
Au centre de la Cappadoce il existe djoukides, une mosquée, un médrécé et
une large dépression de terrain occupée un bain.
par un marais que les anciens appelaient La petite rivière de Béias sou, l'eau
Taltæa Palus; les eaux de ce marais blanche, passe au sud-ouest de la ville,
sont tellement salées que tous les objets et va se jeter dans le lac après un par-
qu’on y plonge sont immédiatement cours de trente kilomètres, en traversant
recouverts d’une croûte de sel. Comme une plaine aussi nue et aussi unie que
caractère géologique cette vaste éten- celle de Méiéhubi sujette eu hiver h des
due d’eau ressemnle moins à un lac inondations dangereuses pour les cara-
qu'à ces lagunes si nombreuses en vanes.
Perse et dans l’Afrique septentrionale, Koclihissar, l’heureux château, est un
où elles sont connues sous le nom de village situé à quatre kilomètres de la
Scliütt ou de SebUa. Ce sont, comme le rive occidentale du marais et distant de
Tatta Palus , de grands terrains inon- soixante kilomètres d’Ak serai. Tout ce
dés, qui se dessèchent presque entiè- pays est complètement privé d’eau po-
rement après l’époque des chaleurs, table ; les tribus turcomanes pourvoient
et laissent sur leurs bords des concré- à leurs besoins au moyen de puits très-
tions blanches qui ne sont autre chose profonds, et la charité musulmane a
qiiedu sel. dressé de distance en distance de pe-
Ces Sebka se rencontrent fréquem- tites huttes de broussailles dans les-
ment dans le nord de la Perse et dans quelles sont déposées des jarres pleines
le voisinage de Schiraz. Ce Tatta Pa- d’eau, cette prévoyance des musulmans
lus diffère essentiellement de tous les leur est comptée dans leur religion
autres lacs de l’Asie Mineure; la pro- comme l’accomplissement d'un voyage
fondeur moyenne de ses eaux ne dé- à la Mecque.
iasse pas un mètre et demi, et après Les rivages du lac que l’on côtoie
,

fes chaleurs de l’été sa surface diminue pendant une heure, sont bas et maréca-
considérablement. Les Turcs l’appel- geux. Koch hissar au contraire est cons-
lent Touzgheul,le lac salé. Le sel qu’on truit sur une éminence et coiniuaude
en extrait est du chlorure de sodium toute la plaine et le lac. M. Hamiltoii
très-pur, qui peut sans aucune autre our atteindre le rivage fit encore dix
préparation être livré au commerce. Il ilomètres jusqu’à la chaussée qui tra-
ne sort aucune rivière de ce marais; verse le lac de part en part dans la di-
il reçoit au contraire plusieurs petits rection de l’est à l’ouest; c’était sans
cours d’eau", et l’on peut constater une doute un tronçon de la grande roule
fois de plus ce fait géologique, que tous qui allait de DÔrylée à Iconium, et qui
les lacs intérieurs n’ayaut aucune com- est marquée dans l’Itinéraire d’Antonin.
munication avec l’Océan, sont de véri- Les habitants en attribuent la créjition
tables mers, et sont nécessairement sa- au sultan Sélim Rf; elle n’est soumise a
lés, tandis que les lacs qui donnent nais- aucun entretien et dans les hautes eaux
sance à des rivières sont d’eau douce. elle est entièrement submergée et tout
à fait impraticable. Le fond du lac n’csi
(i) Les églises, selon le P. Cyrille, oui été pas à plus d’un demi-mètre en con-
bâties par Jean ZImiscès en 970. tre-bas.
ASIE MINEURE. Afii

Toutes les pierres qui sont au-dessus ment volcanique, qui commence a
du niveau de l'eau sont couvertes d'une Smyme, traverse la Catacécaumène, re-
croûte de sel très-blanc; mais celui paraît à Kara hissar, et vient aboutir au
qu’on exploite sur les bords est mêlé mont Argée. Les géologues ont reconnu
d’argile et a une couleur rouge de partiellement ces deux formations dans
brique. de nombreuses localités, et c’est aujour-
La forme du lac est très-irrégulière et d’hui un fait acquis dans la constiiu-
change, pour ainsi dire, selon la saison. tion géologique de l’Asie occidentale.
Son grand axe dirigé du nord-ouest au
sud-est a seize kilomètres environ de CHAPITRE XXXVll.
longueur; sa plus grande largeur n’a pas
plus de cinq kilomètres. PBÉFECTURE DE GABS4VRITIS.
Les règlements pour l’exploitation SOATBA. SOANDUS. —
du sel ont beaucoup varié dans l’espace
de quelques années il fut d’aboro af-
: L’eau est rare dans la province,
si
fermé à des particuliers au dixième du que les habitants n’ont d’autre res-
revenu ; plus tard, il fut mis entre les source que des puits d’une profondeur
mains du pacha de Konieh moyennant considérable (t). Ce caractère du pays
une redevance de quatorze mille pias- 'est appliqué spécialement par Slraltôn
tres. I.e pacha d’Angora en a joui pen- à la Lycaonie et à la Garsauritis. On
dant quelques années; mais tous ces peut donc en inférer que la frontière
droits n’augmentent guère le prix réel occidentale de la préfecture de Cilicic
du sel, qui se vend sur les marchés du se trouve entre Nemcheher et Méléhubi.
centre au prix de dix paras Toque. Sur ün remarque dans ce dernier village
place il ne se pèse même pas, on le vend un puits dont ia construction remonte
à la charge; une piastre pour une voi- certainement à une très-haute antiquité,
ture à deux colliers, dix paras pour un car il serait au-dessus des forces de cette
cheval , et six paras (t ) pour nu âne ; aussi misérable population d’en creuser un
les habitants font-ils un grand usage pareil il est carré, a trois mètres de
:

de sel naturel ils en distribuent des


: côté et soixante-six mètres de profon-
quantités considérables à leurs bestiaux. deur; un système de treuils est installé
Ce n’est pas seulement comme aspect pour descendre des barils, faits en cuir
que le marais de Tatta ressemble aux et en bois. La corde qui s’enroule sur
Sebka de l’Algérie; leur constitution le treuil est en peaux d’animaux. Au-
géologique est identique, lesgrands gise- tour du puits sont placées des auges
ments de sel sont dans les deux contrées en pierre volcanique, avec un couvercle
en rapport intime avec les gypses. Les également en pierre, qui a un oriQce
Sebka de Biskra ont dans leur voisinage pour les remplir. Chaque famille pos-
de grandes formations gypseuses on : sède une de ces auges ; les plus pauvres
remarque la même nature de roclie dans s’approvisionnent à un réservoir com-
la plaine de Kotch Hissar cette roche
; mun. Aucune tradition ne put me faire
reparaît selon une ligne dirigée de connaitre l’origine de ce puits il n’y a :

Touest-nord-ouest à Test-sud-est, dans pas d’inscription. Autant qu’on peut


une longueurde plusde millekilomètres, voir dans
l’intérieur, il est parfaite-
toujours en rapport avec des gisements ment construit en pierre de taille. J’en
salins; on la retrouve au bord de l’Eu- ai obtenu facilement ia profondeur en
phrate, aux villages de Kourou tchaï et mesurant un (jes côtés du treuil carré,
de Gherdjanis; dans la Mésopotamie, sur lequel s’enroule la corde.
aux dépôts gypseux de Mossoul et en Il est difficile de rencontrer une. ana-
Perse dans les gypses du mont Pira- logie plus frappante entre Tétat actuel
zoun. de ce village et la description oue nous
C’est toujours la même formation sa- fait Strabon de la petite ville de Soatra
lifere, suivant pour ainsi dire une di-
rection parallèle .à la ligne d’épanche- I
) 'rüTtuv TE o;:àvi; ênou 8à maX
(
Eviptïv S'jviTèv, paSÙTaT* 9pé«To tüv «otv-
(i) o,i5 cent., o,o5 cent., o,o3 cent. Tuv. (Strabon Xtl, 568.)
36' lAoraison. (Asiü Minfuhiî.) t. ir. J6
562 L’UNIVERS.
en Garsauritis, où l'eau se vendait que sans ondulations, qui s'étend jus-
nomme elle se vend à Méiéhubi. Ce qu’au pied de l’Argée; mais lesvallée.s,
n'est pas seulement en ce lieu que les comme celle d’Urgub, sont en contre-
puits étaient en usage : on en rencontre bas de la plaine , et on ne les aperçoit
dans toute la province , et leur profon- que lorsqu’on arrive dans leur voisinage
deur diminue à mesure qu'on se rap- immédiat. J’ai souvent observé ce ca-
proche du sud. On ne peut rien con- ractère topographique dans les pays
clure de ce fait sur la p*mte générale asiatiques, jamais en Europe.
de la Cappadoce, car il n'est pas dé- I.orsque l'automne arrive, les no-
montré que la nappe d’eau qui passe mades quittent les plaines, où les pâtu-
sous la contrée soit horizontale; mais rages sont depuis longtemps brûles, et
elle a une étendue considérable. Au se retirent vers le Taurus ; de sorte que
moment du tremblement de terre de pendant le jour la solitude est com-
Césarée l’effet de ce phénomène s’est
,
plète. Le soir, les gardiens des trou-
fait ressentir dans la plupart des puits peaux de chameaux paraissent à l'hori-
de la province; il y en a qui ont été zon , et de rares caravanes d’Arméniens
mis à sec et d’autres au contraire ont
,
ou de Grecs, se rendant à Césarée ou
vu leurs eaux s’élever au-dessus du ni- à Kara hissar, viennent tant soit peu
veau habituel. Ces faits m’ont été attes- animer le paysage. Les tufs grisâtres
tés par divers habitants, et sont, en ef- commencent a reparaître, et sont pres-
fet, d’accord avec l’action souterraine que toujours recouverts par des agglo-
des couches terrestres. mérats de trachytes, de laves do fusion
Le peu de dureté des roches volca et d’obsidienne. Les dépressions de
niques, qui sont presque toutes compo- terrain servent de lit pendant l’Iiiver à
sées de scories et de cendres agglomé- des torrents formés par la fonte des
rées, permettrait d’opérer à peu oe frais neiges. Leur cours paraît se diriger à
des sondages de puits artésiens dans l’est, mais ils sont à sec pendant l’eté.

toute l’étendue de la province, et d’aug-


menter considérablement la richesse ou
SOANLl DÉBÉ.
1
— SOANDÜS.
sol. Il s’agirait de déterminer la ligne Oo entre bientôt dans une vallée aussi
d’absorption des eaux ; il est probable aride que celle d’Urgub, et dont la for-
qu’il faut la chercher dans les pentes mation parait due également à l’action
septentrionales du Taurus, et dans les des eaux; mais la nature de la roche
couches calcaires des collines inférieu- est plus sablonneuse, et les pitons co-
res qui plongent sans doute sous les
, niques^ne se présentent ^ue comme une
tufs volcaniques de la plaine. exception; ils sont innniment iiioios
Non loinde Méiéhubi est le village réguliers que ceux d’Urgub; leurs an-
turc de Sou ver mess, dont le nom si- gles sont saillants, et on remarque
gnifie « qui ne donne point d’eau; » u’ils sont composés de plusieurs lits
c’est une allusion de plus à la pénurie 3 e sédiment. La vallée s’élève de part
d'eau qui se fait sentir dans la contrée ; et d’autre comme une haute muraille,
aussi je ne saurais trop recommander découpée par des accidents bizarres, et
aux voyageurs ^ui visiteront la Cappa- chacun des plans est perforé par une
doce , de ne pas s’aventurer dans ces multitude de chapelles, de chambres et
steppes inhospitalières , depuis le mois de caveaux qui méritent une étude spé-
d'août jusqu’au moment où les pluies ciale. Mais ceux qui voudront l’entre-
de l'équinoxe de septembre ont un peu prendre devront choisir la saison où les
ravivé les citernes, s’ils ne veulent s’ex- nomades sont encore dans leurs cam-
poser eux et leurs gens aux plus insou- pements d’été.
tenables privations, qui engendrent des Deux ans plus tard, M. Hamilton vi-
embarras sans tin. sitait en détail cette vallée, et reconnais-
La vallée de Soaiili est à douze kilo- sait remplacement de l’ancienne Soan-
mètres au sud-est de Méiéhubi ; elle est dus, dont le nom, en effet, n’a subi
indiquée sur la carte par ces mots : qu’une très-faible altération (I).
SoaXt Se(îeo( 5"ou 1000 'K*x).r,olai. Ici le
terrain forme une plaine élevée et pres- (i) Afin iViaoi-, tom. Il, aaS,
,

ASIE MmEUEE. 563

L’aocienne nécropole est située an rieure, pour que de pieuses libations


point de jonction de deux vallées arro- uissent arroser les cendres des morts;
sées par un petit ruisseau; plusieurs es niches isolées pour mettre les ur-
terrasses s’élèvent successivement et nes ; les sarcophages isolés , accouplés
sont couvertes de débris de construc- creusés dans le sol ou exhaussés sur des
tion en grands blocs de pierre, de so- estrades; des cellules pénétrant hori-
lides murailles encore en bon état de zontalement dans la roche pour y glis-
conservation; un tombeau assez re- ser les corps, comme dans les tombeaux
marquable, composé d'une chambre des environs de Jérusalem et d’Alexan-
avec un porche couronné d’une voûte drie, mais peu ou point d'inscriptions.
demi-circulaire, a été excavé dans le ro- Les seuls ttebris que la roche friable
cher. Laissant ces monuments et se di- offre aux yeux de l’antiquaire sont des
rigeant vers la branche ouest de la val- lettres grecques et quelques mots vides
lée, .M. Hamilton arrive à un passage de sens.
étroit entre de hauts rochers de tuf vol- Ce qui parait constituer un caractère
caniaue, qui conduit à un piton isolé à commun entre tous ces monuments qui
gauche de la route, dans lequel mille couvrent laCappadoce, c’est de corres-
tombes et grottes ont été excavées. Ce pondre entre eux par des puits et des
rocher indique l’entrée de la vallée de conduits intérieurs ; et si la forme sé-
Soanli. pulcrale et religieuse n’était pas si évi-
De chaque côté de la vallée, les ro- dente, je hasarderais la pensée que quel-
chers sont perforés par une multitude ues-unes de ces grottes ont pu servir
de cellules taillées jusqu'à une hauteur e magasins ou de .silos.
de soixante mètres dans le tuf; mais Une nouvelle bifurcation de la vallée
le plus grand nombre est inaccessible forme un autre acrotère de rochers, sur
du dehors. lequel s’élève une église byzantine de
Après avoir fiianchi un passage pra- très-ancien style; elle est dominée par
tique sous une arche taillée dans une un rocher perforé d’une autre myriade
autre masse de rocher, on entre dans la de grottes de toutes formes; quelques-
vallée des tombeaux, dont l’aspect offre unes conservent des traces de peinture
un tableau saisissant et imprévu, même et d’autres débris de décoration inté-
après le'grand nombre de monuments rieure. 11
y a en cet endroit des grottes
du même genre qui, chaque jour, se assez spacieuses, communiquant en-
présentent aux yeu.x de l’observateur. semble par des passages étroits , dont
Deux hauts rochers, à faces vertica- quelques-uns paraissent avoir été élar-
les, sont criblés jusqu’au sommet de gis assez récemment. Cette même dis-
milliers d’excavations , dont quelques- position qui s’observe près de Césarée
unes sont ornées de façades monumen- et d’Urgub, ces lignes de trous de pe-
tales , avec des pilastres , des frontons tite dimension, tantôt carrés, tantôt
sculptés et des portes ornées de cham- ayant la forme d’un trapèze, se retrouve
branles et de coupoles. Le caractère de aiissi dans les grottes dé l^anli déré.
cette architecture est assez indécis pour La plupart de ces petites excavations
qu’il soit difficile de lui assigner de prime sont aujourd’hui habitées par des fa-
abord une époque certaine. Ou peut milles de pigeons sauvages ; mais on ne
dire que les géuératious se sont éver- saurait supposer que telle ait été leur
tuées pendant des siècles à sculpter cette destination dans rantiquité. Ces trous
oeuvre gigantesque, car depuis la cha- sont placés sur deux ou plusieurs li-
pelle byzantine jusqu’au lit funèbre, gnes , et creusés tantôt les uns au-des-
sur lequel les Grecs et les Perses fai- sus des autres, tantôt en échiquier.
saient reposer leurs guerriers , tous les Les communications entre les chambres
genres de sépulture se trouvent réu- sont établies dans l’intérieur du rocher
nis. Certains tombeaux ont une dimen- ar des conduits creusés parallèlement
sion si exiguë, qu’ils n’ont pu ser- la face extérieure, de sorte qu’on peut
vir qu’aux cendres d’un enfant. Puis circuler et arriver à une assez grande
viennent les columbaria romains, les hauteur, en passant de chambre en
tombeaux perforés dans In partie supé- chambre; elles sont pour la plupart
36 .
&S4 L’ÜNIVERS.

éclairées par des fenêtres de dimension centrique gui peut lutter avec ce que
moyenne. l’imagination des sauvages de la mer
Des restes d’aqueducs et les ruines du Sud a inventé de plus bizarre.
d’une seconde église byzantine, taillée La coiffure des femmes d’In-Eughi
presque entièrement d'ans le roc, té- cousiste en un bonnet en tormc de cas-
moignent que cette vallée a nourri une que, armé de deux grandes cornes,
population assez nombreuse. D’après la formant un croissant complet; ce bon-
disposition des lieux , il est facile de se net est en outre orné d’oripeaux et de
rendre compte de l’extrême difficulté verroteries suspendues aux cornes et
qu’éprouvait une armée dMnvasion pour autour de la coiffe. Un rabat de soie
^emparer d’une place si facile à dé- noire est accroché derrière le bonnet et
fendre. Le stratagème dont Antiochus ead jusqu’aux jarrets; il est orné de
fit usage devenait un des moyens les
ordures gauffrees et d’une multitude
plus assurés de succès (1). On trouve de petits émaux , comme les chemises
dans les itinéraires deux places du nom des momies égyptiennes ; un rabat sem-
de Soandus ou Soanda l’une sur la
: blable est noué sous le menton , et va
route de Tavium à Césarée dont l’em-,
passer dans la ceinture, qui est ordinai-
placement n’est point connu, et l’autre rement composée de deux grosses pla-
placée sur la route directe de Laodicée ques d’argent ; le tablier est en drap
a Césarée (2), position qui correspond brodé de différentes couleurs; la tu-
parfaitement à celle de Soanli aéré, nique ou robe de dessus est rouge avec
opinion émise d’abord par M. Uamilton de grands parements en soie bleue ; un
et qui paraît tout à fait conforme à la charvar, pantalon blanc et brodé et des
vérité. babouches jaunes complètent le cos-
tume (1). Je décris là rhabillement des
CHAPITRE XXXVin. femmes que je voyais travailler aux
champs lier les gerbes et les charger
,

m - EUOHI. — S1N6UL1EH COSTUME sur de lourds chariots traînés par des


DES FEMMES. buffles. Ceux des femmes riches sont
encore plus somptueux, dit-on, et leurs
J’arrivai pendant la nuit à In-Eugbi, cornes sont d’une grandeur démesurée,
et je campai au milieu des meules de tandis que celles des pauvres sont très-
blé, car nous étions à l’époque de la petites et sans verroterie. Les femmes
moisson. Jusqu’ici je n’avais trouvé vieilles, qui devraient être plus sensées,
chez les habitants de la Cappadoce que s’affublent également de cette coiffure
peu de variété dans les costumes, quel- üiaque. Les jeunes filles portent le tur-
ques détails d’ornements eommuns aux ban jusqu’à leur mariage, et laissent
chrétiens et aux Turcs. Mais quelle fut pendre en tresses leurs beaux cheveux
ma surprise, en m’éveillant à In-Eughi, ornés de pièces de monnaies, et allongés
de voir une troupe d’êtres cornus et ar- quelquefois par des ganses de soie, ar-
més de fourches, se rendant à l’ou- tistement mélangées. Le costume des
vrage en chantant une hymme sur un ton hommes est semnlable à celui de tous
mélancolique 1 J’eus peine au premier les paysans d’Asie et d’une grande sim-
abord à discerner si j’avais devant les plicité.
yeux des hommes ou des femmes, si je Dans l’état d’ignorance où est plongé
n’assistais pas à quelque cérémonie par- le clergé grec de ce village , il est im-
ticulière d’une peuplade païenne; mais possible d'en tirer le moindre éclaircis-
j’appris bientôt du papas, que les habi- sement, et je n’obtins du prêtre que
tants d’In-Eughi étaient tous chrétiens cette réponse banale : roroj rjÇEucEi,
et appartenaient à la communion grec- qui sait? laquelle correspond au AUak
que. bil-ihr, Dieu sait, des Turcs.
Nul ne put me dire l’origine de cette Les monuments et les traditions man-
coiffure singulière et de ce costume ex- quent complètement pour suivre l’his-
toire d’un usage qui certainement n’est
(t) Voyez ci-deuui, page Soy.
(a) Strabon, XIV, 663. (
I
)
Voyn U plaiiclie. Cnstmiies à In -Eagbi.
,

ASIE MINEURE. 565

pas le résultat d’un caprice de femme, événements qui précédèrent l’établisse-


au milieu d’un pays où le dieu Phar- ment du christianisme, il est plus pro-
nace fut si longtemps adoré (I). Peut- bable qu’elle a remplacé une ville cap-
être, malgré les efforts du christianisme, padocienne tout à fait détruite ; Nazianze
est-il resté dans le pays quelque rite de est citée en effet par les géographes an-
cette religion dont nous connaissons si ciens comme une très-petite ville, et ne
peu les détails, et la figure du dieu doit son illustration et son agrandisse-
s’est-elleperpétuée comme une parure ment qu’à son premier évêque, le cé-
de la tête des femmes, quoique depuis lèbre Grégoire.
longtemps ses autels soient abattus et Un passage étroit entre deux hauts
oubliés. rochers conduit de la vallée de Halvar
Je regrette que depuis mon passage déré sur une plate-forme, couverte de
en ce lieu, en 1834, nul voyageur n’ait débris de murailles, d’appareil cyclo-
traversé cette peuplade pour en rappor- »éen de premier style. L’Acropolis s’é-
ter quelque document qui m’aura peut- fève entourée de murailles de même
être échappé. construction , qui ont encore jusqu’à
La préfecture de Garsauritis est celle sept mètres de hauteur. On reconnaît
pour laquelle la nature s’est montrée les traces des rues avec de nombreux
le plus ingrate. Il n’y avait certaine- vestiges de tombeaux et de maisons.
ment qu’un mépris complet des biens M. Hamiltona observé l'appareil de ces
de ce monde qui pouvait y retenir les murs, qui parait en quelques endroits
populations de nouveaux chrétiens qui dériver de la nature des matériaux
la couvrirent d’églises. Les anachorètes employés dans la construction. La base
trouvaient dans les cellules des rochers, de la roche étant un trachyte brun,
des habitations qui les séparaient du qui tend à se déliter en parties prisma-
reste du genre humain; aujourd’hui, tiques de la longueur d’un mètre en-
que les memes motifs ne peuvent plus viron, les murs bâtis avec ces matériaux
prévaloir, la province est presque entiè- tendent à une sorte de régularité; mais
rement déserte. il ne faut pas oublier que c’est un usage

constant des Grecs et de tous les cons-


CHAPITRE XXXIX. tructeurs dans la période archaïque
d’avoir soin de toujours relier leurs
VIBAN CHEHEB. — AC SEBAÏ. murs par des pierres qui traversent de
part en part, et qu’eu construction on
Les deux principales villes du dis- appelle parpaing.
trict étaient Archelaïs, qui, d’après son Les constructeurs de Viran cheher
nom, doit sa fondation à un roi de Cap- avaient donc un double intérêt à em-
padoce, et Nazianze,qui ne fut célèbre ployer les prismes de trachyte que leur
ue sous l’empire byzantin. Cependant, fournissait la montagne. A l'ouest de
ans la vallée de Halvar déré, au pied l’acropole , on aperçoit les restes de la
du Hassar dagh, et dans le voisinage porte de ville, dont l’architrave est d’une,
des ruines que l’on regarde comme seule pièce ; elle a deux toure solides
celles de l’ancienne Nazianze, ruines de chaque côté. Une autre colline,
chrétiennes qui consistent en une église voisine de celle de l’acropole , est éga-
byzantine, des chapelles et des tom- lement couverte de constructions qui
beaux, on observe des restes de monu- s’élèvent à une grande hauteur.
ments qui portent tout le caractère Un grand nombre de portes et des
d’une é^que primitive. Cet endroit est galeries de communication sont encore
appelé parles Turcs Viran cheher (ville dans leur état primitif. Toutes les ar-
détruite); c’est une désignation com- chitraves sont formées d’un seul bloc
mune à plusieurs cités antiques, qui ne énorme de roche. Un peu plus à l’est,
peut donner aucune indication sur leur se trouvent quelques constructions sou-
origine. Comme le nom de Nazianze terraines qui semblent avoir servi de
ue se trouve jamais mêlé au récit des tombeaux à l’époque grecque. L’in-
térieur del’une d’elles présente unesalle
(i) .Slralwn, \II, 556. voûtée avec une estrade de pierre tout
,

566 i;UNIVKRS.
autour :c'est en effet le genre de sé- tente,que je regrettais de n’avoir un
pulture le plus usité à l’époque l.i peu de temps à consacrer à l’élude de
plus florissante de la civilisation hellé- demi-nomade, soumise ainsi à
cette vie
nique. des conditions qui nous paraissent con-
Tant de monuments divers, cha- traires à toute administration régulière.
pelles, églises, tombeaux et citadelles, La ville désertée ne touche plus d’oc-
présentent des systèmes de construc- troi, ou du moins tant de moyens faciles
tion trop disparates pour être l’ouvrage se présentent à l’habitant pour s’y sous-
il’une même période de cixilisatiou. Il y traire, que le trésor du gouverneur sc
aurait a examiner si ces ruines ne peu- trouverait fort amoindri, s'il n’inveii-
vent pas dater de l’époque où les rois tait des moyens, la plupart du temps
de Cilicie gouvernaient la contrée ; il illégaux , pour rétablir réquilibre. Le
faudrait préalablement , pour résoudre gouverneur, soit mutzellim, -soit pacha,
cette question, des plans et des dessins n’est payé que sur les rentrées qu’il se
de tous ces monuments. procure, et sur lesquelles il remet au
L’itinéraire de Jérusalem place Ar- gouvernement la reilevaiice des impôts
chelaïs à XXIV. M. P. de ^azianze, et publics dont la quotité est fixée chaque
Andabilis à XL. M. P. de cette der- année au ba'iram. L’impôt se perçoit,
nière ville ; ces distances sont parfaite- dans les villes à demi nomades, sur
ment conformes aux positions resjiec- toutes les marchandises importées par
tives des trois endroits précités. Ak caravane, sur les fruits des cultures ;

serai, dépeuplée au commencement du toute terre qui n’est pas mise en pro-
seizième siècle, reçut cependant de nou- duit ne p.iye rien ; enfin sur les troii-
veattx habitants dans l’enceinte de ses ieaux, qui sont enregistrés par le kya-
murailles. De nombreux monuments flia, chaque tête de bétail payant une
musulmans, aujourd’hui en ruine, sont somme déterminée qui ne dépasse p.".s
là pour attester que cette place tint un une demi-piastre. La vente des laines,
rang distingué parmi les petites villes des peaux de chèvres et de bœufs, est
de la Cappadoce musulmane. Les cons- aussi soumise à un tarif. Le nitre, qui
tructions qu’tn y observe ont beaucoup s’exploite dans toute lu province, e.st
d'analogie avec les mosquées en ruine une régie du gouvernement ; mais le sel
d’Aïasalouk, qui remplaça Épbèse, gemme, ou le sel tiré des eaux du lac salé,
c'est-à-dire qu’elles peuvent être attri- ne doit au gouvernement que la dîme
buées à un de ces émirs, compagnons en nature, comme les salines qui sont
de Saronkban, qui capitulèrent avec situces sur le bord de la mer. Le tabac,
les sultans, et conservèrent dans leurs dont l’usage est général, ne paye qu’un
familles quelques débris du pouvoir droit modère, qui ne dépasse p;is une
dont les Seidjoukides avaient été dé- demi-piastre par kilogramme.
possédés. Le culte, dans les provinces, s’entre-
La plupart des édifices importants tient par hii-niême comme dans les
sont réunis sur une éminence qui oc- grandes villes. Les mosquées possèdent
cupe le centre delà ville. Des mosquées, des vvakoufs, des biens inaliénables,
décorées dans le style arabe, un nié- dont les re.'tenus servent à payer les
drecé, plusieurs tombeaux ou turbés, desservants iiiians, muezzin et soflas.
et des bains, mériteraient d’attirer l’at- Souvent la portion do revenu du vra-
tention de l’artiste. kouf d’un territoire a été affectée eu
Pendant les trois quarts de l’année, piastres par le fondateur : tel établis-

les habitants demeurent campés dans sement religieux était dans l’origine

leurs Jardins; iis ne rentrent en ville doté de quelques milliers de piastres


que lorsque l’hiver devient trop rigou- qui, à cette époque, valaient plus de
reux; l’instinct nomade dominera tou- six francs de notre monnaie, et les sof-
jours dans ces contrées. Pour nous. tas, entretenus par la mosquée, ton*
Européens, c’est une chose si de
insolite chaient, au maximum, une demi-ptislfe'
voir toute une population, riches, pau- d’autres dix paras et quelques aspres
par
vres ou artisans, abandonner coinpléte- par jour. Mais depuis que la piastre,
inent une ville pour aller vivre sous la suite de la dépréciation de la monnaie,
ASIE MINEURE. «67

e^t tombée à la valeur de viu{^t cen- une prtie de l’année. Aussi un lac mh-
times, le para vaut un demi-centime, et sin de Tyane, qui, par une cause natu-
l’aspre (la vingtième partie du para) relle, ne se trouve pas soumis à cette loi
n’est plus qu’une valeur inappréciable. générale, a été chez les anciens regardé
Les janissaires, dans l’origine, avaient comme un bassin privilégié, et comme
une solde lixe de trois aspres par jour. tel, consacré à Jupiter.
On conçoit uue, dans ces provinces, le Dans l’état normal, c’est-à-dire quand
clergé musulman, qui depuis bien long- l’hiver n’a pas accumulé sur les monts
temps ne reçoit plus de wakoufs nou- uue masse de neige inaccoutumée, les
veaux, ni de terres conquises, soit ré- petits ruisseaux sont a sec dès le mois
duit à un état de pauvreté extrême; les d’août. Passé ce temps, les habitants
donations volontaires sont aujourd’hui n’ont plus que les ressources des citernes
presque nulles ; et les revenus des bains, et des puits.
des bazars et des caravanséraïs , qui Plus on approche des montagnes du
en temps ordinaire pouvaient compter sud, plus on voit diminuer l’épaisseur
pour quelque chose, sont tout à fait an- de la couche terrestre qui recouvre la
nulés, quand toute la population va cou- nappe d'eau souterraine. Les soixante-
cher sous la tente. six mètres du puits de Méiéhubi se ré-
I.e clergé turc ne recevant aucun duisent à trois ou quatre aux approches
traitement de l’État, il fallait, pour les deNigdé; aussi dans toute cette région
mosquées à élever, qu'un édit Gxât la le système usité pour puiser de l’eau est-
position des desservants. D après une il lé même que celui qui est employé
décision des oulémas, nul village ne dans les champs de France et d’Italie,
peut élever un mesjid (chapelle), ou un une perche fixée sur un poteau de ma-
djami (mosquée à minaret), s’il n’a nière à former une bascule; la corde est
réalablement constitué une rente sur remplacée par un long sarment de vi-
iens-fonds, pour le payement du per- gne. Cette diminution de la croûte ter-
sonnel du clergé. restre. indique que la prise d’eau, c’est-
Quelques ondulations de terrain au à-dire l'affleurement des couches per-
sud de la plaine de Méiéhubi sont les méables du sol, se trouve à la base du
seuls indices d’une frontière entre la Taurus, et, si elle suit la conformation
préfecture de Garsauritis et celle de présumée des terrains, la nappe d’eau
Tyane. On conçoit qu’il serait dificilede passe sous la couche volcanique, peut-
déterminer plus positivement une ligne être sous le lit de l’Halys, et va se pro-
de démarcation, qui, chez les anciens, longer Jusqu’à la ligne des terrains cal-
est toujours restée arbitraire. caires, dans le royaume de Pont, où
elle donne naissance à une multitude de
CHAPITRE XL. petits ruisseaux qui prennent leur cours
vers l’Halys. Le lac près de Tyane, qui
PBBFECTUBE DE TYARITIS. a un écouiement souterrain. Joue le rôle
d’un entonnoir avec un puits d'absorp-
La physionomie générale de cette tion. Ce système des eaux de la Cappa-
suite de plateaux parait d’autant plus doce me semble si clair, que je ne sau-
singulière à un observateur européen, rais mettre en doute le succès du forage
que par leur conformation les vallées des puits artésiens dans toute cette con-
ne paraissent pas être la conséquence trée.
des soulèvements qui ont exhaussé le Quand même le terrain argileux t|ui
terrain à mille mètres au-dessus du ni- forme des affieurements dans le nord,
veau de mer, mais semblent devoir
la depuis Youzgatt Jusqu'au delà de Son-
leur origine à des cours d’eau formés gourlou, ne se prolongerait pas sous le
par les pluies et les fontes des neiges. sol dans toute l’étendue du plateau,
Ces torrents temporaires vont se perdre nous avons vu combien les couches vol-
dans une multitude de bassins parti- caniques sont coordonnées d’une ma-
culiers, formant des lacs d’une étendue nière régulière ; tantôt des terrains tuf-
médiocre, sujets à diminuer, ou même facés, tantôt des laves de fusion. En
à se dessécher complètement pendant l’absence d’une couche imperméable
568 I-’UNIVKRS.

(l’argile, les eaux souterraiucs n'cprou- plus considérables de ce groupe-, il est


veraient aucun obstacle pour établir un habité par des familles grecques char-
courant entre ces couches vocanitiues. gées de l’exploitation de certaines mi-
Mais tant d'obstacles s’opposent à l'exé- nes de plomb qui existent dans un en-
cution de travaux si simples, que de droit appelé Courciiouni-Maden (la
longtemps encore les Cappadociens en mine de plomb); c’est une mine de
seront réduits n l’eau de leurs ci- plomb sulfuré, contenant sans doute
ternes. quelques parcelles d’argent, comme ce-
Cette partie de la Cappadoce a dans lui de Gumuch hané ; mais la connais-
l’origine appartenu à la Cataonie ; elle sance de la métallurgie dans ces con-
en fut plus tard détachée sous le nom trées est encore trop peu développée
de Tyanitis, lorsqu’on subdivisa le pays pour qu’on songe à en tirer profit. Il se
en préfectures. La ville principale, ou trouve d’ailleurs à quelques lieues de là
plutôt la seule place digne de ce nom, un gisement plus riche en métal d’ar-
Tyane, occupait la partie méridionale, gent qui est en voie d'exploitation. La
non loin des contre-forts septentrio- mine de plomb est à dix lieues est de
naux du Taurus. Strabon cité avec .Misthi ; elle est affermée par le gouver-
Tyane les deux bourgs de Castabala et nement soixante-quinze mille okes de
de Cybistra (1), dont la position con- métal ( 93,000 kil. ) ; cependant la ra-
corde avec celle d’Érégli. La ferti- reté du combustible y cause des chô-
lité de cette partie de la Cataonie mages fréquents. La mine d’argent
était renommée dans l’antiquité ; mais (plomb sulfuré argentifère ) est affer-
aujourd’hui elle ne produit plus que de mée trois cents okes (450 kil. ) de mé-
l’orge et des pâturages. Les endroits tal : le produit ne couvrant pas les frais,
susceptibles d’irrigation, et ils sont peu les fermiers l’avaient abandonnée ré-
étendus, sont cependant plantés en jar- cemment (1834), et le gouvernement
dins, qui donnent des fruits en abon- les tenait pour le moment quittes de leur
dance. Dans tout le reste du pa^s, les redevance.
montagnes calcaires , dépouillées de Un autre petit village, nommé Se-
terre végétale, indiquent les abords de mentra, jouit aussi du privilège d’une
cette province de Lycaonie, unique- exploitation. Les collines qui bornent
ment célèbre par l’aspect austère qu’elle l’horizon a l’est, et qui contiennent ces
a de tout temps présenté au voya- mines, se prolongent jusqu’à la route
geur. tracée entre Nemchehèr et Nigdé; elles
On voit de temps a autre des grou- fournissent quelques ruisseaux dont les
pes de huttes carrées , et à demi en- bords se couvrent immédiatement de
terrées ; ce sont des villages qui ne sont verdure. Le village de Bouiiarbaclii
habités que jicndant la saison d’hiver, est bâti sur la source du ruisseau qui
lorsque la neige couvre la contrée. La passe à Migdé, mais il est bientôt tari
plupart de ces villages sont tout à fait par les irrigations. Dans le voisinage,
modernes; mais il en est quelques-uns on remarque le village de Oulou
qui conservent les traditions de l’épo- agatch (le grand arbre), et un ha-
que byzantine ce sont des chapelles
: meau, qui a conservé le nom d’Auda-
renfermant des corps de martyrs. On val ; précieux document pour la géogra-
cite saint Paeôme et saint Constantin, jihie ancienne; car cette localité est
partageant avec sainte Macrine les mentionnée dans YIHmraire A’Au-
liommages de la population chrétienne, tonin, et sert par sa position à contrôler
qui dans ces districts est assez nom- jilusieurs villes du voisinage. Le géo^
breuse ; il est vrai i^ue dans la saison graphe ancien a ajouté une note qui
d’été les Turcs vont a la montagne et ,
apprend que le riche éleveur de che-
que les Grecs restent sédentaires. vaux Pampalus avait là sa maison de
Le village de Misthi (3) est un des campagne. « Ibi est villa Pampali
« undè veniunt equi curules. • Cétait,
(i) Sirabon, XII, S37. en effet, ce canton de la Cappadoce qui
(a) Mislhi est placé diins les tables parmi était en possession de fournir les che-
les villes de Lycaonie. vaux les plus estimés.Aujourd’hui, le
ASIE MINEURE. 569

bétail est encore uombreuK; mais l’é- nu portique, avec des colonnes de mar-
lève des chevaux exige trop de soins et bre blanc et des chapiteaux arabes, sup-
d’avances pour que les habitants puis- portant des arcades mauresques. La
sent se livrera cette branche de l’indus- porte, disposée comme celle de la mos-
trie agricole. quée de Césarée, est surmontée d’une
Les eaux de toutes les sources réu- niche en pendentif, couronnée d’encor-
nies en un seul cours forment le ruis- bellements ornés de coques. L’intérieur
seau qui passe à Nigdé, capitale du sand- est occupé par une cour carrée ayant
jah ou district du même nom. sur chacun de ses côtés un portique
de trois arcades qui communiquent à
CHAPITRE XLI. autant de chambres pour les softas. La
décoration intérieure se compose de
NIGDK. méandres ou bâtons rompus, comme le
couronnement du tombeau de Houen.
N igdé a été longtemps regardée comme Une frise d’ornements très-élégants
ayant succédé à l’ancienne Tyane. La règne sous le portique , au rez-de-
distance entre ces deux villes est seu- chaussée et au premier étage.
lement de 12 kilomètres; on compte L’histoire de Nigdé se rattache à celle
sur les cartes anciennes seize milles delà plupart des petites villes de ces
d’Andavilis à Tyane. Nigdé est à trois cantons, qui formaient le chef-lieu des
milles sud-ouest de la première de ces possessions de tous ces émirs, tantôt ré-
places. On n’observe dans l’enceinte voltés et indépendants, tantôt soumis
de Nigdé aucun débris d’architecture aux sultans turcs ou seidjoukides. I.e
antique , tandis que les monuments mu- château offrait un refuge assuré aux
sulmans y sont nombreux , et d’après le chefs qui cherchaient à se soustraire à
style on peut les regarder comme con- l’autorité des sultans. En 1460, Issak
temporains de ceux que nous avons dé- Pacha, gouverneur de la Caramanie
crits, c’est-à-dire delà période du trei- pour Mahomet II, Ut construire les
zième au quinzième siècle. murailles de la ville et tenta d’établir
,

Un château, aujourd’hui en ruine, un gouvernement indépendant. Les


couronne une éminence autour de la- projets du sultan attiraient toute son
quelle la ville est bâtie. Toutes les ha- attention vers les affaires deRoumélie,
bitations sont groupées sur les bords Constantinople était tombé entre ses
d'un ruisseau et entourées de jardins. mains depuis quelques années ; il fit
Plusieurs faubourgs , qui sont comptés peu d’attention a la révolte d’un vassal,
comme des villages séparés , occupent qu’il devait réduire a la première, ten-
les collines environnantes. L’un d’eux, tative. Issak Pacha conserva le pouvoir
appelé Kaiabachi (tête du rocher), (lendant plusieuh années et finit par
,

est renommé par des sépultures seld- payer un tribut au sultan.


joukides, qui offreut un grand iutérêt La révolte des pachas résidant aux
par le mélange d’art arménien et arabe. extrémités de l’empire ne se manifeste
Dans l’intérieur de lu ville. J’ai égale- jamais par des actes d’une hostilité ou-
ment observé les ruines d’une mosquée verte; ils cherchent d’abord à se créer
du auinzième siècle de notre ère, et un des partisans parmi les délégués de la
inénrécé qui aurait mérité une descrip- Porte qui exercent des fonctions autour
tion détaillée ; mais la saison avançait, d’eux , retiennent une partie des im-
et mille circonstances, au nombre des- pôts sous prétexte de les employer à
quelles je dois bien compter les fati- des ouvrages indispensables, et peu à
gues et les privations que j’éprouvais peu lèvent des troupes , fabriquent des
depuis huit mois, me forçaient de songer armes; c’est alors que la Porte com-
à me rapprocher des pays jilus pratica- mence à soupçonner l’esprit de rébel-
bles. lion. Les fonctionnaires étant soumis
Le médrécé est bâti sur le même directement au pacha, qui exerce un
plan que tous les édifices de ce genre; pouvoir militaire et civil, toute espèce
il estremarquable, en ce que la tà(^de de contrôle est impossible au gouver-
est ornée , au |>temier étage, d’une loge nement de la Porte ; dans le cas de
570 L’UNIVERS.
non obéissance il est obligé d’envoyer
, nouvelle à l’Orient, par le commerce
des délégués, qui arrivent rarement, et plus intime avec les nations européen-
pour cause, ou qui finissent par entrer nes ;
relations qui ne peuvent s’établir
dans les intérêts du pacha. Les guerres que le jour où l'Europeen pourra de-
des émirs n’avaient pas d’autre motif venir en Turquie propriétaire foncier.
u’un refus d'iinpdt; aussi voyons-nous Ce sont les oulémas oui seront toujours
ans l'histoire ottomane un grand le plus grand obstacle a cette iunova-
nombre de paclias révoltés pendant plu- tiou, jaloux qu’ils sont d’acquérir par
sieurs années, faire leur soumission à le moyen des wakoufs la totalité de la
la Porte, et vivre ensuite tranquillement, terre cultivable.
soit dans leur gouvernement, soit pai- Aujourd’hui Nigdé est sous la dépen-
sibles ridjals à Constantinople. T.a ré- dance d’un simple mutzellim , soumis
volte de Daoud, pacha de Bagdad, en au pacha de Césarée. La distance entre
1825, et celle de Mohammed, pacha ces deux villes est de cinquante-quatre
de Mossoul, en 1840, se sont termi- heures de caravane ou 324 kilomètres.
nées de la manière la plus paeilique. Le De tous les monuments que renferme
premier s’était cependant arrogé un des le village de KaTa bachi , celui qui at-
droits dont les sultans sont le plus ja- tire le plus l’attention a reçu, selon
loux celui de faire battre monnaie.
; l’opinion des habitants , les cendres
Chez les princes seidjoukides, chez les d’une fille dusultan Achmet 1’''', qui
sultans mamelouks et turcs, c’est le mourut en cette ville versl’an 1610,
signe imprescriptible de leur souverai- pendant le pèlerinage do la Mecque
neté. Il fut exercé par quelques princes qu’elle accomplissait , se rendant à Se-
de la Caramanie , qui s’en prévalurent lefké , dans le but de s’embarquer pour
comme d’un droit héréditaire. la Syrie. Cette princesse était très-su-
La défaite du sultan Bayazid, vaincu perstitieuse ; il existe à la Bibliothèque
par Timour, avait, pour ainsi dire, impériale, au supplément arabe de
rendu la liberté à tous ces petits princes Saint- Germain des Prés, un manus-
issus du démembrement de l’empire crit contenant des instructions de, magie
seidjoukide. Nigdé éloignée de toutes
,
et de chiromancie, avec des ligures co-
les grandes villes, resta comme la ca- loriées, qui faisait partie de sa biblio-
pitale de ce district, et les monuments thèque.
musulmans qu’elle renferme indiquent
que les sciences y furent cultivées; car CHAPITRE XLll.
les médrécés à cette époque llorissante
,

de l’islamisme, n’étaient pas de pauvres TYANE.


établissements dont les écoliers, dotés
,

de 20 paras par jour (12 centimes et Malgré son titre de capitale d’un dis-
deini ), vont épeler le Coran, pour le trict considérable, Tyane ne fut dans
redireensuite sur les tombes des grands, l’antiquité qu’une place forte de second
seule fonction dont la plupart des softas ordre, que relevait à peine le culte de
soient aujourd’hui capables. Les plus Jupiter Asmabéeu; aussi est-elle briè-
savants d^entre les docteurs étaient ap- vement mentionnée par Strabou, qui
pelés des extrémités de l’Islam ; Uukara, rappelle en même temps un des ou-
Kachan , Bagdad , envoyaient dans les vrages attribués à Sémiramis, la chaus-
provinces occidentales des oïdémas qui sée qui traversait la Cappadoce, et dont
venaient expliquer la loi, et dont la pa- les restes apparaissent sans doute dans
role ardente savait prédire la victoire. les marais de Kara sou. Depuis que la
Aujourd’hui, dans tout l’empire otto- position de Tyane est bien déterminée,
man, on ne cite pas un seul homme I est une foule de questions de géogra-
auquel la science donne la moindre au- phie ancienne qui se trouvent résolues;
torité. Le corps des oulémas, sapé par il est hors de doute aujourd’hui que la

le sultan Mahmoud , ne se maintient ville de Dana, citée par Xénoplion, est


plus que par cette force d’inertie qui identique avec Tyane, qui se trouve, en
soutient toute ruiue. C’est sa destruction effet, située à quatre jours de marche
complète qui peut seule ouvrir une voie d’Iconium , et voisine des défilés du
,

ASIE MINEURE. 671

Tiuiiis. Le nom de Dana lui vient, selon des maisons modernes. Le chaos qui
.Arrien(l), du nom de Tlioas, roi des existe aux alentours , les hlocs de pierre
Scythes, qui eu fut le fondateur, et qui appartenant à des édifices divers, les
iVppela Thoaiia. constructions de toutes les époques, ac-
Oéja , dans son foijaye en Asie, le cumulées et ruinées tour à tour, dérou-
colonel Leake avait fixé la position de tent un peu les recherches de l’anti-
ïvaue à trois milles sud de Nigdé, près quaire pour retrouver la citerne ou le
du village de Keteli hissar. La carte du château d’eau qui servait de réservoir
père Cyrille, quoique dénuée de toute antique, et qui, a en juger par la hau-
certitude sous le rapjiort des positions, teur des arches, devait être situé dans
m’a guidé d’uue manière infaillible dans la partie supérieure de la colline, afin
l’exploration de cette place, dont le ter- que tous les quartiers de la ville pus-
ritoire est occupé par deux petits vil- sent jouir également de la distribution
lages, l'un du nom de Klissesar ( sans de l’eau. Mais cette construction, ca-
doute le Ketch hissar du colouel chée sans doute par des décombres, est
Leake ), indiquant un souvenir de mé- aujourd’hui ignorée des habitants , et
tropole ecclésiastique (2), l’autre ap- à côté de l’imposante ruine coule au-
pelé Iphtyankas ,
situé au centre même jourd'hui le ruisseau, qui serpente sous
des ruines, et dans lequel ou retrouve des bnis-sons A'agnus castus l’arbre
tout le nom de Tyane. La occupe
ville dédié à Junou.
le versant nord d’une colline calcaire et Kn suivant l’aqueduc dans la direc-
une partie de la vallée attenante. On tion du nord-est, qui est celle de la
ne reconnaît que de faibles vestiges des prise d’eau, la hauteur des piles diminue
murailles et de l’acropole; mais uue rapidement, et bientôt le canal seul ser-
imposante ligne d’arcades, bâties en pente sur le penchant des collines ro-
grands blocs de pierre calcaire à bos- cailleuses. On le jierd de temps à autre ;
sages, se dessine sur l’azur du ciel et mais son parcours est si bien indiqué,
sur la verdure de peupliers plantés près qu’il serait possible d’en tracer la carte
d’un ruisseau c’est l’aqueduc qui al-
; sans la moindre erreur. L’eau était
lait prendre à deux milles de là les eaux fournie par une source, très-remar-
d’une source abondante, pour les porter quable dans ces régions desséchées, qui
à Tyane. Il reste eucore environ cin- sort du calcaire grossier, et forme un
quante arcades debout-, et Tou suit sans bassin de quarante ou cinquante mètres
interruption la ligne des canaux jusqu’à de longueur. Cette eau ne tarit jamais.
la source ancienne. Les arebes voisines On voit près du bassin quelques frag-
de là ville sont supportées par des pieds- ments taillés , qui peuvent avoir appar-
droits qui ont de sept à huit mètres jus- tenu à un Nymphée, et aujourd’hui ils
qu’à la hauteur de l’imposte. L’ouver- servent à former une digue pour ex-
ture de l’arcade est de 3™ô0', et la lar- hausser le niveau des eaux.
geur des piles l"' 20'. L’archivolte, Je u’ai pas visité les grottes sépul-
dont l’épaisseur est de O"* 60', ne porte crales situées à quelque distance de
pas de moulures ,
et est composée de cette source, sur la routede Bor. Tant
neuf voussoirs. Une assise réglée , de de monuments de ce genre m’avaient
0"' âO' d’epaisseur,
supporte le con- passé sous les yeux, qu’il fallait un
duit, dont la construction ne diffère motif impérieux pour me décider à en-
en rien de celle des autres aqueducs treprendre une excursion dans ce but,
connus. Les arches les plus élevées et et, d’après les renseignements que l’on
les mieux conservées sont dans le voi- me donna , elles ne doivent présenter
sinage immédiat de la ville ; il
y en a aucune particularité qui n’ait été ob-
quelques-unes auxquelles on a adossé servée dans les autres grottes. J’ai ce-
pendant regretté de ne pas être en me-
(0 Pcripl. Eux., p. 6. sure de faire cette excursion, pour
(ï) Kn tous 1rs villages nommes
'l'iirqiiie. m’assurer si elles sont, en effet, tail-
hilicé keiii, Kilicé hissar, L’Ich kilicé. lées dans de la roche calcaire. Nul ha-
Ile., ont pris ce nom d’une église nioiiu- bitant nu fut en état de me le dire et,

iiiriiiale. M. Hamilton. qui les visita plus tard^


,

572 L’IJMVEllS.

se tait à ce sujet. J'ai lieu de supposer n’auraient pas pu résister à une se-
que les grottes voisines de ïyane sont cousse de tremblement de terre. Lue
comme toutes celles de Cappadoce, seule colonne est aujourd’hui debout:
taillées dans le tuf volcanique , et je ne elle est d’ordre dorique, de 7“ 15' de
pense pas que Jamais cc peuple ait hauteur, cannelée à la grecque, c’est-à-
dérogé à une méthode si antique. Ré- dire que les cannelures sont peu évi-
ciproquement, dans les contrées où dées , et séparées par des filets très-
l'usage fut de consacrer les rochers cal- étroits. Le filt est composé de quatre
caires à recevoir les sépultures, comme blocs, et la colonne a une base; un sou-
dans la province d’Aniasie et dans la bassement continu supporte la colon-
Lycie, toutes les roches d'une nature nade, dont on retrouve de nombreux
différente sont toujours restées sans fragments dans les maisons voisines,
emploi. Il que dans le Taurus
est vrai qui empêchent de reconnaître la moindre
et dans l'OIgassus, a côté du calcaire, partie du plan de l’édifice.
on ne trouve que de la serpentine et Il reste cependant chez les habitants
des schistes d'un travail plus ou moins une tradition qui attribue à ces pierres
difficile. la vertu merveilleuse de guérir de la
Parmi les débris de monuments dont fièvre ( I ).
est couvert le sol de l'ancienne ville Les autres édifices ne présentent qu'un
on ne reconnaît aucun fragment de monceau de décombres ; mais le peu
roches volcaniques; mais les variétés de fragments sculptés que l’on rencontre
de calcaire y sont nombreuses. J'ai ob- prouve que l’ornementation des édifices
servé, 1“ un marbre blanc cristallin et était soumise à des règles sévères (jui
d'une qualité médiocre, dont les car- rappellent le style grec. En effet , nous
rières sont situées au nord-est de la apprenons par Philostrate que la popu-
ville , selon la earte grecque ; 2® un cal- lation de Tyane était composée de Grecs.
caire compacte, blanc, sans fossiles, L’on sait peu de chose de l'histoire de
extrait des environs de la ville; 3® une cette ville ;
elle suivit le sort du reste de
roche de la nature du travertin, qui a la Cappadoce.
servi pour les fondations de la plupart Le temple de Jupiter, surnommé
des édifices. La carrière doit se trouver Amasbéen du nom d'un petit lac qui
,

dans des vallées qu'arrosent les ruis- en était proche, lui valut une certaine
seaux dont la ville est , pour ainsi dire, célébrité, comme centre d’un culte as-
entourée ; peut-être dans la vallée de In sez répandu. Mais ce fut sous le règne
rivière Basmadji , qui , réunie avec les d'Iladrien qu’elle acquit le plus haut
eaux de la plaine , forme la petite ri- degré d’illustration, par la naissancede
vièreKilidJé sou. La plupart dessources l’habile jongleur Apollonius, dont l’es-
en Asie ont la vertu pétrifiante à un prit pénétrant avait compris quel parti
plus haut degré qu'en Europe il n'est ;
l’on peut tirer de cette passion du mer-
point d’aqueduc qui n’ait été mis hors veilleux qui est toujours le côté sail-
d’usage par les dépôts énormes formés lant du caractère asiatique. Combien
par les eaux. Quelques fûts de colonnes d’hommes dans ces contrées ont acquis
de brèche jaunâtre sont extraits du pen- un pouvoir non moins extraordinaire,
chant septentrional du Taurus. J’ai et auxquels il n’a manqué qu’un histo-
trouvé dans les cimetières turcs, dans rien comme Philostrate pour jouir d’une
toute la route que j’ai suivie, en lon- égale célébrité !
geant la montagne, des blocs bruts de Lors des troubles suscités par les
différents marbres colorés, parmi les- trente tyrans, Tyane tomba au pouvoir
quels se fait remarquer une belle qua- de la reine Zénobie. Reprise quelque
lité de portor et d'autres marbres à fond temps après par Aurélien, elle fut mise
noir. Le plus grand nombre des monu- au pillage, mais conserva néanmoins le

ments de Tyane a été bâti en calcaire titre de colonie romaine, et celui d’Eu-
blanc. L'état de bouleversement dans sébia du Taurus, dû, sans doute, au
lequel ils se trouvent ne me paraît pas culte de Jupiter.
dd uniquement au ravage des hommes;
tous ces édifices construits sans ciment ([) Voyez |«ge x83.
ASIE MINEURE. 673

T.es géographes modernes attachaient et purger la contrée des voleurs qui


(ine grande importance à la détermi- l’infestaient (I).
nation du site de Tyane, qui, se trou- Aux environs de Tyane il existe deux
vant au point de jonction de plusieurs petits lacs, dont l’un est saumâtre, et
routes, aidait à fixer la position de plu- dont l’autre fournit de l’eau douce.
sieurs autres villes moins connues. On premier est marqué sur la carte grecque
commentait principalement le texte de sous le nom de Idl(aXat, et distingué
Strabon, qui la plaçait au pied du Tau- dans la légende par ces mots 'Atcoto; :

ms, tout en faisant remarquer que les diKpiXtlTi;;. En effet, son bassin , qui
villes de Castabala et de Cybistra, si- n’a pas plus de vingt mètres de diamè-
tuées sur la route des Portes de Cilicie, tre, est rempli d’une eau saumâtre, qui
étaient plus proches de la montagne. surgit du centre en bouillonnant comme
La distance de Tyane à Cybistra, ville un puits artésien , et rentre dans le sol
encore mal connue , était de trois cents par un conduit inapenju ; phénomène
stades ou sept milles et demi. La carte qui avait frappé les anciens, et que l’art
de Peutinger donne de Mazaca à Tyane moderne est parvenu à expliquer et à
une distance beaucoup trop courte; imiter. Quoique l’eau soit froide, ce
aussi, ju^u’à l’année 1812 les géogra- bouillonnement perpétuel, ainsi que l’é-
ilies hésitèrent entre les villes de Rara mission des globules gazeux, lui don-
flissar, Nigdé et d'autres points moins nent l’apparence d’uneeau chaude. Il est
importants , lorsque la carte de (!}appa- très-probable que ce lac était attenant
doce leva toute incertitude. Cela prouve au territoire du temple de Jupiter
combien cette capitale déchut du rang Amasbéen cité par Philostrate (2) et par
qu’elle occupait dans la contrée, car il Ammien Marcellin(3). «Près du temple
n’en est fait aucune mention dans toute de Jupiter Amasbéen, dit cet auteur, il
la période des croisades et dans les y a un petit lac dont les eaux, quelque
guerres des émirs. Il est vrai que Nigdé, onllées qu’elles soient, s’absorbent
qui u’en est pas éloignée, avait réuni f ’elles-mémes, sans jamais passer les
nn centre de population assez considé- bords. » Strabon, dans la description
rable. Tyane avait pourtant, daus la d’un lac qui a des propriétés identique-
période byzantine, acquis en quelque ment semblables, ne mentionne pas la
sorte une importance plus grande que ville de Tyane, et dit que le Jupiter
dans l'antiquité, pui^u’elle était deve- adoré dans le voisinage portait le sur-
nue métropole ecclésiastique (1). D’a- nom de Dacius.
près V Itinéraire (CÂnlonin, Archélaïs
était éloignée de Tyane de soixante- CHAPITRE XLIII.
quinze milles. Cette distance s’accorde
bien avec celle de Kara hissar à Iph- ÉTAT MODERNE.
tyankas.

La position de Cibystra est indiquée La population de la Tyane moderne
par un voyageur allemand au village de se compose presque entièrement de
Pasmakteiu, sur la route de C.ésaree au Turcs et de Turcomans, qui sont réunis
KulcKlioJ'az- (les Portes de Cilicie). Il depuis peu sous l’autorité d’un agha
en est souvent fait mention dans les arabe, dont je demeurai l’hdte pendant
lettres de Cicéron. C’est à Cibystra quelques jours. Appelé depuis peu dans
qu’il avait établi son quartier général ce gouvernement, comme ennemi dé-
pour protéger la Cappadoce contre les claré de Méhémet ali, il avait attiré à sa
Arméniens, qui se soulevaient en faveur suite des montagnards du. Taurus, oue
des Parthes. Voulant en même temps le gouvernement de la Porte voulait

être en mesure de défendre la Cilicie, convertir en paysans stables; mais je


en cas d’une attaque imprévue, il resta doute qu’il y ait réussi. J’ai vu par la
quinze jours à Cibystra, et s’avança vers suite renouveler ces ordres impériaux
le mont Amanus pour attaquer l’ennemi
(^t)Ep. art. Fam., XV, a, 4 •,«(! /Ht., 3', a.
(ï) Fie tt Appotonius, liv. I, cliap. 6.
(i) Grég. Nai., Ep. lî. Oral. XX, p. 355. (3) I.iv. XXIII, ch»p. (>.

uigilizod by Google
574 L’TÎNIVERS.
qui prescrivaient aux nomades de bâtir deux pays ; aussi, toute la politique du

ries vilbigps ;
comme s’il suffisait d’une vice-roi d’Égypte tendait-elle à s’en em-
parole d’un sultan. A l’ignorance ex- parer, et déjà des reconnaissances étaient
trême de toute idée d’économie politi- faites par des ingénieurs européens,
que, les conseillers de la Porte joignent pour y établir des fortifications sur les
celle, bien plus inexplicable, du carac- ruines de celles que les anciens avaient
tère des peuples qu’ils sont appelés à élevées dans ces parages.
gouverner. On a lieu de s’étonner que Nous nous arrêtons sur les crêtes éle-
des gens issus des nomades de la suite vées du Taurus. Tout le pays situé au
de Togrul-Keg, qui ont mis quatre cents delà fait partie de la Cilicie.
ans à s’habituer à demeurer dans des La route deTvane àKaramau, capi-
maisons, puissent s’imaginer que des tale actuelle de la province , est tracée
tribus errantes , n'ayant pour toute for- au milieu de contrées incultes et arides.
tune que des troupeaux, vont, sans se- Toute l’industrie des habitants, qui y
cours aucun, renoncer à une vie qu’ils sont temporairement établis, consiste
aiment ,
à une existence forcée ,
puis- dan^ la récolté du nitrate de potasse,
qu’il n’y aque la vie vagabonde qui leur qui abonde dans les terrains.
permette de nourrir leur bétail.
C’est dans cette zone que l’on com- CHAPITRE XLIV.
mence à observer une certaine modifi-
cation dans les races musulmanes. Plus
ÉBÉGLI.
ou avance vers le sud, plus le sang
arabe se trouve influer sur le caractère La ville d’Érégli est sur la lisière du
des races. Les chrétiens qui habitent pays cultivable; les nombreux ruisseaux
les pentes du Taurus, quoique divisés qui l’arrosent changent tout à coup la
en deux communions, Parménienne et face du p.iysage. S’il faut chercher à
la grecque sont tous de race armé-
, identifier cette petite place avec une
nienne. Le type des Grecs de l’Ionie et station antique, il suffit de rappelerque
des provinces occidentales s’efface long- les géographes sout assez d’accord pur
temps avant qu’on arrive dans ces dis- la regarder comme occupant l’emplace-
tricts. Il faut lire ces caractères sur les ment de Herculis Viens, mentionné par
traits des habitants; car on ne saurait Cedrenus mais, aujourd’hui, il ne reste
;

s’attendre à rencontrer chez aucun d’eux aucun vestige d’antiquité, et les monu-
la moindre connaissance d’une généalo- ments de l’école arabe sont dans un état
gie. Lcpasséest,en effet, si triste pources complet de délabrement. Les jardins qui
pauvres gens, qu’ils trouvent une grande entourent la ville ne s’étendent pas à
cousolationà l’oublier, etàse forger pour plus d’un mille de ses murailles. Tant
l’avenir désespérances aue l’état actuel de que l’irrigation put alimenter la végéta-
l’Europe éloigne pour bien longtemps. tion, le sol parait d’une fertilité extrwnc,
Méhémet Ali occupait alors(septembre et les habitants croient que la nature sa-
1834) toute la Cilicie et les versants mé- line du terrain, loin de nuire à la pro-
ridionaux du Taurus. Les nomades de duction, lui est au contraire favorable.
ces contrées avaient été incorporés dans Toutes les eaux qui entourent la ville
l’armée régulière, et l’on commençait à se réunissent dans un petit lac, qui o'a
fortifier d’une manière redoutable le pendant l’été qu’une médiocre étendue
passage du Taurus qui conduit de la Ci- (on l’appelle Ak ghcul); mais au prin-
licic en Cappadoce. temps, quand la fonte des neiges vient
C’est à ce lieu qu’aboutirent toutes apporter un nouveau tribut aux terres
les marches des croisés dans l’Asie Mi- déjà saturées par les pluies d’automne,
neure. Avant eux, toutes les armées alors les eaux s’étendent indéfiniment
qui avaient combattu en Orient, l’ex- sur ce désert uni, et engendrent des
pédition du Jeune Cyrus , comme celle inondations qui n’ont pour limites que
d’Alexandre, avaient franchi ces défilés, les collines de l’Elma dagh, au nord de
lie les anciens ont appelés les Portes Konieh. Des voyageurs européens at-
e la Cilicie. Toute armée maîtresse de testent que, certaines années, cette
ee passage domine en même temps les contrée présente l’aspect d’une mer, et
}

.ASIE MINEURE. 575

que les villages se trouvent pendant Cinq dans l’intérieur des terres :

quelque temps privés de toute commu- La Liviniasène.


nication entre eux. Les eaux, en se re- La Sargarausène.
tirant, laissent à la surface du sol une La Chamanène.
efflorescence saline, qui blanchit sur La Saravène.
terre comme une gelée blanche (I). Ce La Morimène.
phénomène est général dans toute l’A-
Ptolémée réunit dans sa description
sie orieutale, et plus on avance vers
la Cappadoce avec le royaume de Pont.
l’est, plus il est caractérisé.
Il lui donne pour bornes la Galatie,
Les communications entre Érégli et
une partie de la Pamphylie; la Cilicie,
les villes du sud deviennent très^ifG-
au midi, depuis le Taurus jusqu’au
files vers la lin de l’été , parce que les
mont Amanus, et de l’Amanus à l’Eu-
habitants des rares villagesque l’on ren-
pbrate ;
enfin, 'au nord-est, la Grande
contre sur la route sont tous retirés
Arménie, depuis le coude de l’Euphrate
dans les yaëlas du Taurus. Les ruis-
à l’est.
seaux sont taris, et le peu d’eau cou-
rante que l’on rencontre acquiert une Les provinces se trouvent ainsi di-
saveur saumâtre et désagréable. visées :

La limite qui sépare la préfecture I.e Pont, trois provinces :

de Tyanc des provinces d’Isaurie et de Pont Galatique.


Lycaonie ne saurait être déterminée géo-
Pont Polémoniaque.
graphiquement , car ces districts ont
Pont Cappadocien.
considérablement varié en étendue pen-
dant la domination romaine. Sous l’em- La Cappadoce propre, six provinces :

pire byzantin , elles ont reçu de nou- La Chamanène.


veaux accroissements, et plus tard, on La Sagarausène.
en détacha une province qui prit le nom La Garsauritis.
particulier de la principale ville, appe- La Cilicie.
lée Homonada. Quelques tables géogra- La Lycaonie.
phiques prolongent jusqu’à la mer les I/Antiochiane.
possessions des Isauriens; mais il ne Sous l’empire romain, le Pont et la
parait pas qu'ils aient jamais franchi les Galatie avant formé des gouvernements
steppes qui séparent Karaman de Tyane. séparés, la Cappadoce a été réduite à
Cette dernière ville est toujours restée deux provinces ; la Grande et la Petite
annexée à la Cappadoce. Au sud d’Éré- Cappadoce, ou Cappadoce première et
gli, le pays est cotnplétement nu jus- seconde.
qu’aux montagnes; il forme la frontière Hiéroclès classe de la manière sui-
naturelle entre les deux provinces.
vante les villes principales :

CBAPIÏRE XLV. Éparchie de la Cappadoce /" sous un


consulaire. IC villes.
TABLE DES PBBFECTURES ET DES
VILLES DE CAPPADOCE A DIPFÉ-
Césarée. Césarée.
BENTES ÉPOQUES.
Nvssa. Nemcheher.
Sous Archélaüs , la Cappadoce Tfierma. (Inconnu.)
est di-
visée en dix gouvernements
Regepodandus. ( Inconnu.
:

Cinq près du Taurus Cappadoce


:
Éparchie de ta II* sous un
La Mélitène. consulaire. CI H villes.
La Cataonie.
La Cilicie. Tyane. Ketch-Hissar.
La Tyanitis. Faustinopohs. [Inconnu.)
L’Isaurique. Cybistra. Pasmaktchi.
ÎSaziance. Virau-Cheher.
(i) Voyez Leake, j^sia Wmor, et la carte. Sasime. Sinasoii.

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S76 L’UNIVERS.
Parnasos. (
Inconnu. ) Seconde Cappadoce.
Regedoara. ( Inconnu. ]

Regecucusus. (Geuksunn.) Doara (I).


Sous Trajan , l’Annénie seconde fut Cyhistra.
réunie à la Cappadoce. Elle comprenait Faustinopoiis.
six villes. Sasimi.
.lustinopolis.
Èparchie de C Arménie JI”, l'I villes. Asuna.
Mocissus (2).
Mélitène. Malatia.
Area. Area.
Arabissos. Gurun. Troisième Cappadoce.
Boucousos. Gheuk sunn.
Coinana. Cliert kalé si. Naziazum.
Ariaralhia. (Inconnu.) Colonia( Archelaïs).
Sous Constantin, la Cappadoce fit Parnassus (3).
partie du diocèse d'Orient, et lorsque Doara.
Constantin Porphyrogénète eut divisé Sebasta (4).
l’Asie en thèmes pour y installer ses
légions, elle fit partie du second thème, Métropole de la seconde Arménie.
dit d'Arménie, avec les limites des pro-
vinces mentionnées ci-dessus. Area. \

Lorsque l’empire fut divisé en cinq Comann. (


Villes connues au-
patriarcats, les évêchés d'Asie furent Arabissus. i jourd’hui.
suffragants de celui de Constanti- Cocusum . ;

nople. Ariarathia (5). 1

La Cappadoce comprenant les mé- Amasa. I


Ville.s inconnues au-
tropoles suivantes : Zelona. >
jourd’hui.
Sophène. i

Première Cappadoce. Drosponthium. /

('.ésarée. Mélitène fut rangée dans rArinénie


Thermæ (I). première.
Nyssa.
Camuliana (2). (i) Doara estégalement mentionnée py
Ciscissa. Grégoire de Na/ianze. Anchrius, son évê-
Théodosiopolis. que ,
souscrivit à la lettre adressée à l'eai-

'l’yana. pereur Léon . Dans la dixième lettre desaiot

Itasile, il est fait mention de George, évéq»<


(r) Thermæ est placée, dans l'itinéraire de cette vilte.
d’Anloniii, sur la roule de Tavimn à Césarée, (a) Mocis,sus est cité par Procope, dr
à dix-iieul milles de Tavium. Il n’est pas Ædif., liv. V, ch. 4, comme un fort étiHi
prohahie que ce soit celle qui est mentionnée en rase campagne près de Césarée. Il l“l
dans l'Hisloire des Croisades, puisque les complètement démoli et rehiti par JustinieOi
croisés venaient de l’ouest. Voyer. ci-dessus qui construisit une forteresse sur la colline
|>age a6. voisine.
(a) Ou lit dans la notice du V' concile (3) Parnassus, placé dans
rilinéraired’An-
général, Hasilius Jiutiaianopolilaniii Camii- tonin immédiatement àl'oiiest de Nyssairoa'e
lianurum prasut, ce ipii a donné lieu à quel- d’Ancyre à Césarée.
ques critiques de pttnser que Camuliana est p*nie
(4) Sehasta, aujourd'hui Sivas, fait

la même ville que Justiiiianopolis. La men- du royaume d'Arménie.


tion de cette ville parmi les métropoles de (5) Cette ville est mentionnée
dam H'
la seconde Cappadoce ne serait pas une oli- tinéraire d’Anlonin et dans Étienne de hj-
un
jeclion , puisque Doara se trouve citée en zance. Constantin Porphyrogénète ]>arle d
même temps dans deux provinces, L'une— lac de même nom, dont les barbares tirsieni
et l’autre de ces deux villes sont aujourd’hui du sel. On croit qu’elle appartenait à la se-
inronniie.s. conde .Arménie.
.

LIVRE Vlll.

AHMÉXIE. — POXT. — PAPHLAGONIE,


rilAPlTUi: PREMIER rAcilic*ène, des temples renommés,
dans lesquels les jeunes filles des pre-

ARMÉNIE. mières familles, vouées au service de la


déesse, faisaient trafic de leurs charmes
avec les étrangers , sans que ce com-
Le cours de l’Euphrate, qui forme la merce portât atteinte à leur réputation.
limite naturelle de l’Asie Mineure du
Ces mœurs étranges, qui étaient pour
côté de l’orient, séparait l’Arménie en
les Grecs un sujet constant de surprise,
deux régions inégales; celle de l’est, la
prouvent mieux que tous les autres
grande Arménie, s’étendait jusqu’à l’A-
faits combien était grande la différence
raxe; la petite Arménie comprenait le
des races entre les peuples habitant les
ays situé entre la rive occidentale du deux rives de l’Halys. Ici il ne reste pas
eûve jusqu’à la Cappadoce (1) et au
un vestige des arts des Grecs; nous sa-
royaume de Pont (2); au sud elle s’é- vons bien, par les historiens, que les
tendait jusqu’au mont Taurus elle ap- :
successeurs d’Alexandre et plus tard
partenait donc a la presqu'île de l’Asie
les Romains, maîtres du pays, ont fait
Slineure.
leur possible pour assimiler ces na-
L’origine du nom d’Arménie re-
tions à celles qu'ils gouvernaient déjà ;
monte, selon les traditions grecques, mais ce fut sans succé.s, et ces pays sont
jusqu’au temps de l’expédition des Ar-
toujours restés barbares.
gonautes. Au nombre des compagnons
Les Arméniens furent pendant long-
de Jason se trouvait un Tliessalien
temps sujets des Mèdes; ces derniers,
nommé Armémis,de la ville d’Armé-
après avoir renversé l’empire d’Assyrie,
niuip. Il s’établit avec d’autres colons
au huitième siècle avant notre ère, do-
dans les provinces de l’Acilicène et de minèrent sur toute l’Asiejiisqu’au règne
l’Adiahène. et donna son nom au pays
d’Astyage tl). Il n’est donc p.is surpre-
d’Arménie. 1a:s Arméniens, dans leurs
nant de voir dans les régions situées à
chroniques, n’admettent nullement ces
l’ouest de l’Euphrate et à l’orient de
traditions d’origine purement grecque;
l’Halys.des monuments de l’art des Mè-
ils regardent leur nation comme ayant
des, des palais , des temples et des for-
occupé ce pays de toute antiquité. Les teresses qui datent du temps de leur
mœurs des Arméniens différaient peu domination.
de celles des Mèdes leurs voisins (3) ces :
L’Arménie conlinait à l’orient à la
derniers passaient même pour avoir Médie Atropatène, et à l’occident à la
transmis leurs usages aux Arméniens ; Cappadoce c’était de toute l’Asie Mi-
,
les vêtements étaient semblables chez
neure le pays le plus fécond eu che-
les deux peuples, ils portaient degrandes
vaux. La race des Msæi se di.stinguait
robes traînantes et se coiffaient d’une par sa taille et sa force les Grecs les
;
tiare soit droite, soit en forme de
comparaieut aux chevaux partîtes, c’est-
casque. .à-dire à la race actuelle ae Khoraçan,
La religion était la même; l'une et qui est la plus grande de la Perse. I..es
l’outre nation avait reçu des Perses le
rois de Perse recevaient de l’Arménie
culte de la décs.«e Anaïti's, qui avait dans
un tribut annuel de vingt mille pou-
plusieurs provinces, et notamment dans lains nisæi, et quand Marc Antoine
entreprit la campagne de Médie , Arta-
(i) .Strahon , XII, 5 %-. vasde, outre les autres corps de cavalerie
(a) Id. lliiJ., 532.
(3) Strahmi, XII, 5iâ. (i) Siralmn, XI, 5ïi.
37” Uvraison (.Asik Minf.i'RK. T. 11. 37

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,

L’UMVIiRS,
(|u il amenait, déploya une force de six tetrarque de Galatie; cette province
mille chevaux cuirassés (1). passa ensuite sous le pouvoir de Polé-
Le nom de la petite Arménie ne com- raon, qui en mourant laissa legoiivenie-
mence à être connu que du temps d’An- ment a sa veuve Pythodoris, lille do
tioclius; avant cette époque, les Grecs Pythodore de Tralles. Des deux tils de
n’avaient pas pénétré dans cette région eette reine le premier partagea avec
;
sa
elle comprenait tout le pays situé sur le
mère les soins du gouvernement. Le
littoral de l’Euphrate, et s’étendait au
second fut nommé roi de la grande Ar-
nord jusqu’au territoire dus Tibareiii ménie ; Pythodoris épousa en secondes
des Chaldæi et des Chalybes , occupant noces Archélaüs, auquel eilesurvécut(l).
par conséquent le territoire de Tré- L’Arménie avant été constituée en mo-
bizonde Jusqu’à Pharnacie (2). L’Armé- narchie par Tibère, fut d’abord gou-
nie fut d’abord possédée par les Perses, vernée par Cotys et ensuite donnée par
ensuite par les princes macédoniens Néron à Aristôbule,
; petit-fils d’IIérode
plus tard elle fut partagée entre Arta- le Grand.
xias et Zadriaris, généraux d’Antiochus,
Après les conquêtes de Trajan, la se-
sous l’autorité duquel iis gouvernaient; conde Arménie reçut une nouvelle ex-
mais à la chute de ce prince ils furent tension de territoire, et les limites fureut
déclarés rois par les Romains. Tigrane,
portées jusqu’aux rives du Tigre
parvenu au trône d’Arménie, réunit les (2), et
jusqu’au temps de Justinien celte pro-
deux provinces sous son pouvoir mais vince fut administrée par des ducs. Oa
;
avant détruit plusieurs villes grecques comptait sept villes principales dans la
alliées des Romains pour peupler la
seconde Arménie Mélilène, la capitale.
;

ville de ïigranocerte, qu’il venait


de Area, Arabissus , Ariarathia, Coiuana,
londcr, il s’attira leur inimitié et Lu-
, Cucusus et Petræa, niais les itinéraires
ciillus le chassa des provinces dont il
en contiennent un plus grand nombre.
s’était emparé.
Lorsque Jnsliiiien eut repoussé l'iu-
Arlavasde succéda à Tigrane et se vasion des Perses et donné un peu de
maintint au pouvoir tant qu’il fut l’allié
sécurité à ces provinces, il divisa l'Ar-
de Rome; mais, accusé de trahison par ménie eu quatre provinces. La première,
IWarc-Aiitoine, il fut détrôné et nus à
située à l’orient, contenant sept villes;
mort dans Alexandrie. elle s’étendait jusqu’à l’Euphrate.
A|ithridate Eupator, devenu puissant,
La seconde, formant une pcntapole,
se lit céder la petite Arménie par Au-
comprenait les villes qui autérieureiiicnt
tipater Sisis, et fit construire soixante- appartenaient à la province de Pont; Sc-
quinze châteaux dans lesquels il déposa
baste et Zéla étaient de ce nombre.
ses trésors. La plupart de ces forte-
La troisième, celle qui avait eu jusque-
resses étaient situées dans le mont Pa-
là le tilrede seconde Arménie, tonna
rvadrés, couvert de forêts et coupé par
une iiexapole, dont Mélitène fut déclarée
des ravins et des précipices. Lorsque ce
capitale; les autres villes étaient Arabis-
prince fut poursuivi par Pompée, il se
sus. Area, Ariarathea, Comaua et Cu-
relira dans l’Acilicene sur une mon-
cusus. Elle fut placée sous le gouver-
tagne pourvue d’eau et voisine de l’ Eu-
nement civil et militaire d’un comte.
phrate qui sépare l’Acilicène de la petite
Justinien investit de ce gouverueiiieiit
Arménie. Chassé de cette position par
piomas, personnage consulaire quiavait
Pompée, le roi de Pont s’enfuit en Col-
chide, et le général romain fonda en
été questeur du palais impérial.
La quatrième Ariiiénie fut formée de
cet endroit la ville de Nieopoüs dans la
provinces appartenant à divers peuples
petite Arménie. Cette ville subsistait
situés à l’est de l’Euphrate elle mt gou-
encore du temps de Strabon et était ;
vernée par uii Præsès.
bien peuplée.
Après la défaite de Mithridate, Pom-
pée donna (OSlraboii, XII, 55.5.
la petite .Arménie à Uéjotare,
(a) Nolitia
imp. Uiieul, lya.
p.

(i) Stiabüii , XI, 5a5, 5ay.


fî) Strabon ,
Xll, 55i.
ASIK MINEURE. 67 »

CHAPITRE U. béas, qui commandait les gardes du


Præsès de l’Orient, réunit cinq mille
LES PAULICIENS. Pauliciens, et se ligua avec l’émir des
Sarrasins ; fort de cette alliance, il s’em-
Les victoires de .lustiriien remportées para de la ville de réphrice, aujourd’hui
sur les peuples de i’Isaurie avaient valu Devrighi, située à l’est de Sivas sur un
à l’Asie orientale quelques années de affluent de l’Euphrate. Les Pauliciens,
tranquillité ; mais si la paix régnait dans occupant les montagnes des environs,
le monde politique, la guerre régnait se maintinrent pendant plusieurs an-
dans le monde moral. La Cappauoce, nées , soutenus par les armées musul-
qui avait embrassé avec ardeur les doc- manes. Basile le Macédonien marcha
trines du christianisme, était devenu le en personne contre les Pauliciens; mais
centre des controverses théologiques les uand il fut arrivé devant les murs de
plus acharnées; toutes les sectes s’é- éphrice, il n’osa pas tenter une attaque,
taient donné rendez-vous dans cette et revint à Constantinople. Vers le mi-
province et, par une singulière coïnci-
. lieu du huitième siècle, Constantin Co-
dence, c’était la petite Arménie qui était pronyme entreprit une dernière expé-
choisie comme lieu d'exil des évéques dition contre les Pauliciens qui occu-
proscrits par la cour de Byzance. Le paient Mélitèue et Théodosopolis.
plus célèbre de ces prélats, Chrysos- Il passa avec eux un traité par lequel

tome, fut exilé en 41.^ à Cucusus, ville un grand nombre de familles allèrent
de la petite Arménie , sur les bords de s’établir à Constantinople et dans la
l’Euphrate. Depuis le règne d’Aicadius Tbrace, où on les retrouve florissantes
jusqu’à l’invasion musulmane, chaque au treizième siècle.
année était troublée par quelque sédi- Les fortifications des places frontières
tion fomentée par les sectes religieuses, ordonnées par Justinien n’arrêtèrent
parmi lesquelles surgirent les Pauli- pas un moment les hardis musulmatis
ciens, dont le chef Silvanus prétendait qui, sous les ordres de .\lp-Arslan, en-
suivre la doctrine religieuse enseignée vahirent l’Armétiiesans s’arrêtera faire
par saint Paul. Les Manichéens d’Ar- le siège des villes. Césarée, mal défen-
ménie se convertirent à la voix de ce due, tomba en son pouvoir, et fut li-
sectaire. Il prêcha avec succès dans le vrée au pillage. Le sultan acheva la
Pont et la Cappadoce. La nouvelle secte conquête de l’Arménie et de la Géorgie;
se répandit dans les provinces situées à les orthodoxes de Constantinople virent
l'orient de l’Euphrate; la ville de Colo- sans chagrin les populations des bords
nia, dans le Pont, fut le centre auquel de l’Euphrate tomber sous le joug des
aboutissaient les six sections qui por- musulmans. Cette brillante campagne
taient les noms des villes auxquelles des sectateurs de Mahomet se termina
saint Paul avait adresse des épitres; par la défaite de l’empereur Romamis
mais leurs doctrines étaient trop voi- Diogène. Mais les princes de la haute
sines de celles des Manichéens pour Arménie, les Pagratides d’Ani, ne lais-
trouver grâce devant les orthodoxes, et sèrent pas sans rambat une contrée
Justinien II commença la persécution qu’ils regardaient comme l’héritage de
qui mit les armes à la main à toute leurs ancêtres; ils occupaient plusieurs
cette population fanatisée. Michel 1*''
et châteaux dans leTaurus, où ils se main-
Léon l’Arménien poursuivirent, par es- tinrent jusou’ù l’arrivée des croisés. Les
prit d’orthodoxie, une secte qui prenait chefs des chrétiens, appelés par les prin-
tous les jours de plus grands dévelop- ces arméniens, s’étabi iront dans le sud de
pements. l’Arménie, occupèrent Marasch, Tarse,
Au neuvième siècle, les Pauliciens, et Malmistra. Vers le même temps, Beau-
chassés de toutes les autres provinces, doin, franchissant l’Euphrate pour aller
se réfugièrent dans les montagnes les secourir un prince arménien, s’empara
plus inaccessibles de l’Arménie et de de la ville d'Edesseet fonda la première
la Cappadoce. Cachés dans les grottes principauté des Francs, qui subsista pen-
qui avoisinent le mont Argée, ils médi- dant un dcini-sièclc.
taient leurs projets de vengeance. Cor- üuranttoutc cette période detroubles,
87 .
580 L’UNIVERS.
les Arméniens, maîtres de petites places, les qualités que nous avons reconnues
se maintenaient à la faveur de la neu- chez elles, etsi parfois des voyageurs ont
tralité qu’ils avaient adoptée ; mais la éprouvé de leur part de mauvais procé-
puissance turque s’étant solidement dés ou des mécomptes, nous devons
assise dans ces contrées, les Arméniens supposer qu’ils avaient peut-être iuvo-
se virent forcés, pour conserver leurs loutairement blessé les usages ou la sus-
possessions, d’accepter la condition de ceptibilité de ces montagnards indépen-
Rayas. C’est dans cet état que nous les dants.
retrouvons aujourd’hui, n’avant de ter- Les étapes de notre route depuis Tarse
ritoire libre que l’intérieur de leurs mo- jusqu’à Trébizonde ne peuventétrccalcu-
nastères. iées sur le même pied, de six kilomètres
à l’heure, que les autres routes, le pays
CHAPITRE ni. est trop difficilepour obtenir des mon-
tures une marche régulière. Nous don-
ITINEBAIBE DE l’aBMÉNIE. nerons donc ici notre itinéraire d’après
les heures de marche que nous avons
Les frontières de la petite Arménie faites. Il faut ajouter que dans ces con-
ne restèrent pas fixes pendant toute trées l’adnnnistratiou des postes ou du
cette période; sous le règne d’Archélaûs, menzil hané ne fonctionne pas.
auquel Marc-Antoine avait donné cette
province, elles furent portées jusqu’à Hinéraire de Tarse à Trébizonde,
la mer et comprirent la région de la par la petite Arménie.
Cilicie orientale située à l’est du Pyra- De l’échelle de Kazanli, au bord de la

mus. mer :

Nous décrirons cette province telle heures, heures.


qu’elle était au premier siècle de notre
Torsous . . . 3 lieport. 70 . 1

ère, c’est-à-dire en y adjoignant les ter-


Adana. . . 9 Pinia .... •>

ritoires des villes de Sis, autrefois Fla-


Sis . 18 Kourou icliaï. 8
viopolis, et d’Anazarba, qui fut pendant
Yaëla de Sa Gherdjanis . 7
le moyen âge une des places les plus mour bev . 16 Chairam . . 14
importantes des rois d’Arménie.
Hadjinn. . . (> Gumuchhané 20
Lorsqu’au mois de juin 1835 nous
Dalar . . . . 6 Trébizonde . 18
partions de ’farse pour traverser de part
Gœiiksnnn. . 10
heures 242
en part la presqu'île de l’Asie Mineure 10
Gueben. . .

en longeant le cours de l’Euphrate,


Marasch. . ,. 10 tîette distance
aucun voyageur européen n’avait encore
Nadjar. . . . 10 calculée sur la carte
tenté cette entreprise, une partie du
Pelveren. . . 10 donne environ 260
pays était occupée par les troupes de
Pavreleu. . . 8 milles, ce qui ne
Mehémet-Ali,les Kurdes faisaient leurs
Herkenet . 8 ferait pas plus de
incursions dans les vallées du Taurus ,
.

Surju . . . . 4 deux kilomètres


enfin plusieurs beys avaient secoué l’au-
Guezeneh . 8 par heure deiiiar-
torité du sultan. Ces conditions ne pa-
Harpouz. . . 8 che; mais il faut te-
raissaient pas favorables pourl’entreprise
Malatia . . 2 nir compte
des dé-
que nous méditions-, cependant nous
.

Déré keui. . 8 tours sans nombre


avons traversé toutes ces contrées avec
Arabkir. . . 8 que font les routes
la plus grande sécurité, accueillis avec
Rtfuine . . 8 dans les défilés des
la même hospitalité sous les tentes no-
.

reporter 170
montagnes.
mades ou dans les châteaux des heys . /
révoltés. Nous avons souvent abandonné
nos bagages sous la conduite des mon- CHAPITRE IV.
tagnards pour faire des excursions dan.s
les hautes vallées du ’faurus, et toujours ANAZARBA.
ils nous ont fidèlement rejoint au ren-
dez-vous indiqué, quelle que soit l’idée Le nom de cette ville nous indique
([u’on se fasse du caractère de ces po- une origine orientale les anciens écri- :

pulations, nous ne pouvons qu’attester vains ne nous donnent cependant aucun

Dt G(|»gle
ASIE MINEURE. 581

renseignement sur la fondation d’Ana- dernière catastrophe «ut lieu sous le


znrba, Ptolémée et Pline se contentent règne de Justin ; l’empereur Gtde gran-
de la mentionner, Étienne de Byzance des dépenses pour la restaurer, et en sa
suppose qu’elle prit le nom de la mon- ualite de nouveau fondateur il lui
tagne voisine ou celui de son fondateur. onua le nom de Justinopolis. L’an-
Les orientalistes pensent que ce nom cien nom prévalut ; il est encore connu
est composé de deux mots sémitiques, des indigènes, qui disent tantdt Ain-
Ain zarba, la fontaine jaune. Cette ville varza, tantôt Anavarza. La table de
fut la patriede Dioscoridc et d'Appien, Peutinger marque Anazarba, à onze
poète grec du second siècle qui com- milles de Mopsuestia,surla grande route
posa un poème sur la chasse, l’empe- de Césarée en Syrie passant par Cueusus
reur Caracalla fut si charmé de cet ou- et Flaviopolis et à dix-huit milles de
vrage qu’il lit présent à l’auteur d’un cette dernière ville, ce qui permet de l’i-
écu d’or pour chaque vers. dentifier avec la ville moderne de Sis.
Anazarha est située au pied d'un Anazarba est aujourd’hui complète-
grand rocher calcaire, isolé au milieu ment déserte; la ville s'étend dans la
de la plaine du Pyramus. La situation de plaine au nord du grand rocher ; ses
cette villo est exactement semblable à muraillesquisubsistent encore en entier
celle de Van ; c’est pour nous un indice trompent de loin le voyageur, qui croit
certain d’une origine commune. Nous avoir devant lui une ville populeuse;
retrouvons dans le grand rocher d’A- elles forment une enceinte qiiadrangu-
nazarba des ouvrages creusés au ciseau laire défendue par cinquante-six tours
pour assurerles murailles, comme ceux carrées, espacées de trente- cinq mètres
quenousavonsremarquésà Van: l’uneet d’axe en axe, c’est la mesure d’une demi-
l'autre ville nous paraissent de fondation portée de trait elles ont dix mètres de
;

assyrienne. côté. En avant des murailles est le


existe encore dans le pays une tra-
Il fossé; le mur de l’agger est défendu
dition qui attribue à Sémiramis la cons- par des tours, mais celles-ci sont pres-
truction de plusieurs chiteaux et no- que tontes tombées. Les murailles et
'miment celui qui porte
t, le nom de Cha- les tours sont bâties en grandes pierres
mihram kalé si, le château de Sémîra- de taille, elles sont intactes, mais nous
mis.Satrabon mentionne dans la Catao- n’y découvrîmes aucune inscription
nie (1) plusieurs ouvrages attribués à grecque. La porte de l’est, qui se com-
cette reine, qui fonda la ville de Van. Ceux pose d’une arcade fort simple, est aujour-
qui voudront examiner les plans de ces d’hui murée, on entre par une poterne
(leux villes, la nature des lieux, la per- qui est attenante.
fection des forteresses et en un mot tout L’intérieur de la ville n’est plus au-
le système de défense, trouveront iden- jourd’hui qu’un vaste champ couvert
tité parfaite entre les deux villes, et de gazon on ne voit pas
dfans lequel
comprendrontqu’ellesdoivent avoir une même les éminences formées par des
origine commune. édifices détruits. De loin en loin quel-
Les souvenirs delà domination assy- ques lignes de colonnes brisées indi-
rienne .se retrouvent dans la province. quent la trace d’un portique qui formait
Le baron de Moltke au vil-
a observé une large rue ; les colonnes sont en pierre
lage d’Isoglou, sur la rivegauchedel'Eu- calcaire. Le seul débris d’édifice qui
phrate, une inscription cunéiforme, de existe dans l’intérieur de la ville, con-
(juarante lignes, gravée sur un tableau siste en une église du moyen -âge, dont
de deux mètres de hauteur et un mètre la construction ne remonte pas au delà
de largeur. du douzième siècle, à cette époque la
Anazarba fut si souvent exposée aux ville étant entre les mains des princes
ravages des tremblements deterre qu’on arméniens.
ne peut s’étonner de n’y trouver aucun La
ville avait quatre portes, l’une à
reste des monuments du temps archaï- deux autres font face au nord-est
l’est,

que ; quatre fois la ville fut renversée. La etau nord-ouest; la quatrième porte,
qui fait face à fouest, a un caractère
(t) XX StraboD, Xn, 537. monumental c’est un arc de triomphe
;
682 L’UNIVERS.
ù trois portes dont la façade a 22™, 64 côtés il se compose de. deux enceînte.s,
;

de lnrf;e mais dont l’épaisseur n’est


,
dans la promière on voit une petite église
lie de .5™ 58, la grande arcade a 3™ 75 arménienne dont la frise est ornée d'une
3 e large, les arcades latérales ont 3™50. longue inscription qui fait tout le tour
Une galerie transversale règne dans de l’édifice ; les peintures sont encore
l’épaisseur de l’édiüce sa largeur est
,
conservées dans l’intérieur. L’enceinte
de 2™ 1 0. Les massifs entre les portes du château est d’une conservation par-
sont décorés de colonnes accouplées faite, on peut parcourir les ebcinins de
en granit et d’ordre corinthien portées ronde, l’intérieur des tours et la plate-
sur un soubassement qui règne tout au- forme des créneaux. A l’extrémité est
tour de l’édifice. La hauteur de l’ordre de l’enceinte, la montagtic est coupée ,i

est de f)™48. L’entablcmentest composé pic, on ne peut arriver dans la seconde


d’une friseornée de rinceaux de feuillage partie du château qu’au moyen d’un
et d’une corniche avec des modillons. pont-levis ; il est donc inaccessible au-
Tout reulahicment se profile autour du jourd’hui. Sur la tour opposée au fossé
grand arc et forme l’archivolte; cet est une longue inscription en langue
exemplecst unique dans les monuments arménienne dont j’ai copié quelques
antiques. Au dessus de l’ordre règne un lignes. Le
patriarche arménien de Sis
massif de tnaçonnerie qui composait m’en donn la traduction ; ce château
i

l’attique, mais (“lont la décoration a dis- fut construit en 1075 par un prince du
paru. Le style de cette architecture est nom de Theurench ou Thoras descen-
du second siècle, de notre ère, aucune dant des Pagratides d’Ani. Il est à re-
inscription ne fait connaître le nom marquer que CCS édifices se construi-
du fondateur. Deux murs eu retour, or- saient en même temps que les églises ar-
nés de pilastres conrinthiens cannelés, méniennes d’Ani (I).
forment devant la porte un large parvis, Auazarba était à peu de distance du
qui donnait un caractère grandiose à Pyramus, mais n’était pas pourvue d’eaux
cette entrée monumentale de la ville. potables; les maîtres de la ville y sup-
A droite de l’are de triomphe et pléèrent par la construction de deux
adossés à la montagne sont les restes ligues d’aqueducs dont le premierprend
d’un théâtre et d’un stade , ce dernier les eaux d'une belle source située au
édifice longe une grande, muraille de milieu de la route de Sis. Le second
rochers et h une certaine hauteur ou allait chercher sa prise d'eau sur les
voit des trous de scellcmentqui ont reçu flancs du Taurus à une distance de trente
les solives formant k couverture d’iîn kilomètres. Ces deux aqueducs sont
portique. conservés presque en entier ; d’après b
La partie ceintrée du stade était tail- nature de la construction , ils sont évi-
lée dans le roc; la spina est apparente demment l’ouvrage des Romains, leur
dans toute la longueur de la piste. La construction est antérieure au cin-
nécropole domine le stade et le thé.âtre; quième siècle ; les piles et les arcades
elle se compose de sarcophages fort sont en pierres de taille bien appareil-
simples, dont la plupart sont taillés dans lées, les remplissages sont en moellon,
le roc, quelques-uns portent à leur che- ün peut se faire une idée de l’aspect
vet un petit autel circulaire. grandiosede ces ouvrages, qui traversent
A l’est de la ville on voit aussi quel- une plaine unie comme une table dans
ues tombeaux et des bas-reliefs taillés un désert où pas une maison , pas une
ans le roc. L’un d’eux représente une tente ne révèle la présence de l’homme.
scène funèbre composée de trois per- Le ch.âteau et la ville d'Anazarba
sonnages. Une autre représente les trois commandaient la plaine du Pyramus,
Parques; l’une tient le fuseau. Ces fi- aujourd’hui le fleuve DJihoun, et défen-
gures ont un large vêtement flottant, daient l’entrée de la Cilicie champêi re.La
les cheveux en désordre comme des bac- .place tomba ù la fin du douzième siè-
chantes. cle entre les mains des Musulmans, tl
I,e château d’Anazarba couronne le ne paraît pas qu’ils s’y soient établis;
rocher qui défend la ville du cfilé du
sud, il est presque inaccessible par trois (i) Voy. do.sriipllon de It. Perse, t, I.

, .:oü by C.cv
ASIE MINEURE. uni

de rares débris, on ne trouve


car, saut terrasse.On voit encore parmi les restes
aucun ouvrage arabe , ni mosquée, ni de l’ancienne ville un castrum de belle
bains, b s premiers édifices qui indi- construction, et des tours à bossage
quent une prise de possession ; on ignore ayant appartenu à un grand édifice. Les
à quelle époque la population a aban- maisons s’élèvent en amphithéâtre sur
donné la ville; la rupture de l’aqueduc la pente de la montagne, qui forme iiu
a suffi pour chasser les habitants, l’in- piton inaccessible de trois rdtés. Cette
salubrité du climat a dû être la prin- montagne est de calcaire marin et for-
cipale cause de cette désertion. mée de couches tout à fait verticales ;

elle est couronnée par nn château on


sis. — FLAVIOPOLIS. ruines qui date du temps de l’Arménie
indépendante. Cette ascension n’offre
La ville arménienne de Sis est éta- d’autre intérêt qu’un magnifique coup
blie sur la pente nord d’une montagne d’œil sur les plaines environnantes, dans
rocheuse, isolée dans la plaine comme lesquelles circulent les affluents du
le rocher d’Anazarba; elle est située à Djihoun jusqu’à la mer, et au nord s’é-
trente-six kilomètres au nord de cette tend la chaîne du Taurus, qui termine
dernière ville, des ruines romainesencore l’horizon.
importantes prouvent qu’une ville exis-
tait déjà cette place du temps de l’em-

CHAPITRE V.
pire romain, si l’on en juge par les dis-
tances données par les itinéraires. Cette
ancienne ville devait être Flaviopolis. ITiniBAIBE DE À MABASCH
SIS

On ignore complètement l’origine du ANTIOCRIA AD TAUBIIM.


nom de Sis, mais dans le onzième siècle
eile était le siège des princes Koupé- Le Pyramus,qui traverse la plaine de
niens de la race des Pagratides, et avait Sis, descend du Taurus par une grande
le litre de capitale de la seconde Armé- vailée nord et sud. Il n’y a aucune
nie. route tracée dans la montagne les ca- ;

Le nom de Sis apparaît pour la pre- ravanes se fravent des sentiers sur la
mière fois dans l’histoire à la fin du dou- pente des vallées l’administration des
,

zième siècle, elle tomba entre les mains postes ne fonctionne pas dans le. pays ;
des Turcs lorsque cette faible dynastie on prend des chevaux chez les paysans,
arménienne des Roupéniens fut anéan- sur le pied de deux piastres par heiire de
tie; cependant les Arméniens conservè- marche. Ces réquisitions, qui se font en
rent toute leur organisation civile et vertu d’un ferman de route, sont extrê-
religieuse, et à la place du palais des mement désagréables aux habitants. La
princes s'éleva un vaste monastère qui route suit la vallée du Pyramus jusqu’à
est lui .seul une petite ville, c’est là
.1 sa source près du camp de Samour
que réside un grand patriarche qui bey chef des Turcomans. Ce pays était
prime celui de Césarée et qui porte le autrefois gouverné par le bey Cozan
titre de Catholicos. L’intérieur du cou- Ogiou, qui défendait contre Ibrahim pa-
vent renferme des églises des biblio- , cha les défilé.s du Taurus. Samour bey,
thèques et des b.àtiments d’habitation parent du premier, livra par une trahi-
dans lesquels les étrangers sont reçus son largcmentrécompenséeCozanOglou
avec la plus cordiale hospitalité. ‘Le entre les mains d’ibrahim, à condition
couvent, e.spèee de forteresse, est bâti qu’on lui assurerait le gouveruement de
sur une terrasse entourée de murs et ees montagnes. C’est chez ce bey que
llanquée de tours. La façade du monas- nous devions faire notre première halte.
tère se compo.se d'un grand mur au mi- Le pacha d’Adana avait insisté pour que
lieu duquel s’avance une tribune tous ; nous prissions une escorte on nous :

ces bâtiments sont modernes et datent donna une demi-douzaine de Crétois


du siècle dernier. irréguliers qui égayaient la route en ti-
La ville de Sis ne renferme pas plus rant force coups de fusils.
de trois mille habitants; les maisons Les montagnes entre Sis et lladjinn
sont bâties en pierres et couvertes en présentent les sites les plus grandiose.s,
584 r-’umvERS
le Pyrainus,qui n’est encore qu’un ruis- sont en bon état, mais n’ont rien de ca-
seau, tombe en cascades du haut des ractéristique.
rochers. Les montagnes sont couronnées La ville de Hadjinn elle-même est
de forêts de cèdres et de pins; elles of- complètement privée d’édifices publics;
frent aux nomades les plus riantes re- toutes les maisons sont de la plus grande
traites pendant les chaleurs de l’été. Le simplicité.-et co.uvertcs en terrasse. Les
camp ou yaëla de Samour bey est situé pentes des montagnes voisines sont cou-
sur un des plateaux élevés du Taurus, vertes de vignobles et d’arbres à fruit.
immédiatement au-dessus des sources Les habitants sont presque tous Armé-
du fleuve; il se compose d'un villa^ie niens; ils se livrent à l’industrie, sont
rustique avec des cabanes faites de troncs bons forgerons et vont travailler dans
d’arbres. La demeure du be.y ne se dis- les grandes villes. Ici la race armé-
tingue pas des autres, mais il y a dans nienne se présente sous un jour tout
les pâturages de nombreux troupeaux autre qn'à Constantinople. Elle a dé-
de bestiaux et de chevaux , c’est la ri- ouillé son caractère craintif et sait fort
chesse de ces montagnards- Samour ien montrer le yataghan au Kurde qui
bey (1) était un homme obèse et de ma- voudrait imposer sa loi ; l’aspect d 'S

nières très-douces; rien ne trahissait Arméniens de ces montagnes ne diffère


dans son extérieur un caractère astu- nullement de celui des Turcomans, ils
cieux. Il nous fournit tout ce qu'il fal- s’en distinguent seulement par leur an-
lait pour ravitailler notre caravane, re- tipathie pour la vie de la tente. Le pla-
nouvela notre escorte ou plutôt nos gui- teau qui domine Hadjinn donne nais-
des. et nous partîmes pour Hadjinn. sance à une antre rivière appelée Ma-
Le yaëla de Samour bey est situé sur ghara sou, la rivière des grottes, qui sc
la ligne de partage des fleuves Sihoun, joint au Uemirdji sou, rivière des forge-
le Sarus et Djihoun le Pyramns ; la route rons; ce sont autant d’affluents du Sarus.
de Hadjinn, si l'on peut donner ce nom Cette dernière vallée conduit au campe-
à des sentiers à peine tracés, continue ment des ïurcomans de Dalar ; e’est en
de monter le col qui sépare les deux cet endroit que l’agba nous signala, à
bassins; les montagnes sont mieux boi- trente kilomètres au nord-ouest de son
sées, et peuplées de tribus turcomanes. camp, de vastes ruines qu’il désigne sons
En descendant sur le revers nord on ar- le nom de Chert kalé si, sur le bord du
rive dans une vallée où coule une rivière Maghara sou. On y trouve les ruine.s de
rapide ; c’est le Sarus, qui va se jeter à plusieurs châteaux , d’églises et de pa-
la mer au-dessous d’Adana. lais, tout porte a croire que ce sont les
On passe cette rivière sur un pont ruine.s de Comana de Cappadocc; mais
formé de troncs d’arbres; les chevaux les circonstances ne nous permirent
traversent à gué ; cette vallée court est et pas de les visiter. I.e site de Comana
ouest, la rivière suit cette dernière direc- reste encore ignoré (l).
tion. De beaux platanes formenten ce lieu Cette ville ayant été abandonnée de
un épais rideau de feuillage la pente ; bonne heure doit conserver de nom-
de la montagne est couverte de pins. breux vestiges des monuments qui l.i

La ville de Hadjinn est bâtie sur la décoraient (2). Mais jusqu’ici aucun
»ente de la montagne, à la naissance de voyageur érudit et surtout en état de
fa vallée. Les voyageurs trouvent l’hos- lever les plans d’un édifice antique n'a
pitalité dans un antique monastère dé- parcouru ces régions.
tendant de celui de Sis et construit sur Le village de Dalar est composé de
fe versant de la vallée opposé à la ville. buttes à moitié enfoncées dans la terre
Ce monastère est défendu comme une et qui ne prennent de Jour que par la
forteresse, cependant les moines armé- porte; les habitants ne s’y retirent que
niens attestent qu’ils ne furent jamais pendant les neiges de l'Iiiver.
l’objet d’aucune violence de la part des Tous ces pays sont presque dans l’é-
musulmans. Le supérieur du monastère tat de nature, il n’y a aucune route tra-
porte le titre d’évéque ; les bâtiments
(i) Karl. Hitler Krükiindc, t. IX, iSa.
(i) Samour, zibeliuc. (a) .SlraboD, Xt, 5a ;
i
XII, S35.
,

ASIK MINEURE. S8S

eée, et l'on va droit devant soi par monts permettaient pas de fermer l’oeil ; il fal-
^
et par vaux. Du camp de Dalar on fait lut aller de nuit réveiller l’agha, et le*
six heures de marche jusqu’à Goeuk- sommer de nous donner un autre gite.
sunii, oui par sa position aussi bien que Le pauvre homme, précédé de son
par l’identité des noms remplace l’an- chaouch, allait fouiller toutes les mai-
cienne Cucusus. Cette ville ne com- -
sons; mais chaque famille, accumulée
mence à être connue que du temps des dans la même chambre, n’avait pas un
Byzantins ; elle est surtout célèbre coin à nous donner. Enfin une heureuse
comme lieu d’exil de saiut Jean Chry- idée vint à l’agha au nom du sultan
:

sostome, qui y passa trois années de sa il fit déguerpir d’un poulailler les pou-

vie, de 404 à 407. Cette sentence inique les et les moutons, et nous offrit leur
fut accomplie avec toutes les rigueurs logis. Pendant ce temps, nous étions as-
d’une persécution religieuse ; Chrysos- sis au foyer de la famille; elle occupait
tome avait demandé à passer le temps une seule chambre dans laquelle étaient
de son exil à Nicoméaie, Eudoxie le entassés six enfants i|ui avaient presque
lit transporter à Cucusus. Le vieillard tous la coqueluche ; l’aînée des filles
dut supporter une marche pénible berçait le plus jeune; la grand’mère,
de soixante-dix jours pendant les plus idiote , accroupie presque nue sur un
grandes chaleurs de l'eté; il ne fut pas tapis, murmurait de voir des étrangers
relégué dans la ville de Cucusus, mais il s’installer chez elle. Enfin nous primes
avait la faculté d’aller jusqu’à Arabissus, possession de notre bergerie ; mou com •

aujourd'hui Arabkir. Son absence aug- pagnon de voyage, épuisé, passa au lit
menta dans la capitule la haute estime les deux jours que nous fdmos retenus
qu’on avait pour le caractère du prélat, à Gocuksunn faute de chevaux. Voilà le
et quand on parcourt ces lieux, l'esprit lieu où saint Chrvsostome écrivit ses
se reporte vers cette grande époque où immortelles homélies; on peut être cer-
les peres de l’Église remplissaient leur tain qu'il n'était pas mieux installé que
mission divine malgré les persécutions les familles turcomanes.
|es plus odieuses. Si l’on veut avoir une l.a plus grande difficulté que rencon-
idée de la méchanceté de l’impératrice trent les voyageurs qui parcourent ces
Eudoxie, il faut se rendre compte de ce régions est de trouver des chevaux. Le.ÿ
qu’était ce bourg de Cucusus une plaine
: habitants qui en possèdent ne les prê-
basse entourée de montagnes argileuses tent qu’avec difficulté; et dans leurs
et complètement dépouillées de verdure, changements de yaëla, ce sont les bœufs
une bourgade assise sur un tertre d’ar- et les vaches qui servent de bêles de
gile où pas un brin d’herbe ne peut somme. Ils ont aussi quelques lourdes
pousser. Pour compléter le tableau, nous voitures, desarabas, qui sont traînés par
placerons ici une page de notre journal des bœufs, c’est le seul moyen de trans-
de voyage ; port qu’on puisse employer pour les ba-
Notre séjour à Gœuksunn fut des plus gages. Il est curieux de voir quels che-
tristes logés dans une hutte faite de
; mins impossibles peuvent franchir ces
troncs d’arbres, entourés de marécages, chariots qui vont droit devant eux sans
nous ne pouvions faire un pas hors de s’inquiéter des rochers ni des fon-
l’enceintedu village, dont le sol, composé drières.
d'un amas d’immondices accumulées La route de Gœuksunn à Marasch
depuis des siècles, est aussi fangeux que traverse un admirable pays, aujourd’hui
les marais euvironnants. Nous sommes presque désert, mais qui dans le moyen
arrivés le soir (28 juin I8:i5), et l'agha âge était bien gardé par de nombreux
n’avait d’autre logis à nous donner châteaux, dont Tes ruines diversifient le
qu’une cabane où gisait un moribond. paysage la plupart de ces châteaux sont
:

On traîna dans un coin de la cabane la construits par les princes arméniens.


natte sur laquelle il reposait, on l’en- Nous avons surtout remarqué le Tchin-
toura de paniers pour lui faire un ap- chin kalé, construit sur le revers Orien-
partement à part, et l’on nous fit une tal du Taurus. Nous ne pouvons arrê-
espèce de litière dans l’autre coin. Mais sur tous les lieux remar
ter le lecteur
les gémissements du malade ne nous quables de cette région peu connue;
,

586 L’UNIVERS.
chacun d’eux offre un souvenir ;
ici nous Marasch est bâtie sur la pente sud
retrouvons les traces des croisés com- de l’Achyr dagh, dépendant de l’.Anti-
mandés par Bohémond ; là ce sont les Taurus.'et arrosée par de nombreux
fortifications des princes roupéniens cours d’eau qui sont des affluents du
d’Armïnie, alliés des Français. Mais Pyramus. La population est de cinq a
nous avons encore de longues étapes à six mille âmes, dont le tiers est com-
faire, et notre temps est limité (i). posé d’Arttiéniens. Il
y a à Marasch
Le village de Gheiben est situé à l’en- une industrie active ; ou y fabrique des
trée des défilésdu Taurus. D’après une haba, manteaux ou vestes de laine or-
remarque de M. Kiepert, ce nom est nés de broderies d’or ou de soie ; les
identique avec le mot arménien Gaban, cotonnades teintes à l’usage des femmes
qui signifie un défilé. turcomanes sont aussi l’objet d’un com-
Gheiben est divisé en deux centres de merce étendu. De beaux et riants ruis-
population formant deux viilages sépa- seaux ombragés de platanes traversent la
rés et commandés par le même agba; ville en tous sens, et les chutes d’eau
dans l'un résident les Turcs, l’autre est sont utilisées pour faire tourner des
habité par les Arméniens. moulins construits avec intelligence.
La route de Gheiben à Marasch fran- Mais sous le rapport de l’art, Marasch
chit plusieurs côtes et plusieurs vallées n’offre pas un seul monument digne
du Taurus; tout ce pays est bien boisé d’être remarqué; les mosquées et ce
et offre de magnifi()ue's points de vue. qu’on appelle le vieux séraï sont des
édifices de maigre apparence ; les mai-
MABASCH. sons particulières sont bien disposées
pour un pays chaud. LTti bassin d’eau
Marasch occupe, suivant les géogra- vive alimenté par un jet d’eau se trouve
phes, remplacement d’Antiochia ad toujours au milieu du jardin ou de la
Taurum; elle est citée la sixième dans cour autour desquels s’ouvrent les ap-
la liste des dix villes du môme nom partements.
donnée par Étienne de Byzance sons le
titre : Antioche de Ciliciê sur le Pyra- CHAPITRE VL
mus. Mais on n’y trouve aucun vestige
d’antiquité. Marasch ayant été de tout BASSIN DB L’EUPHBATE. — LA MÉ-
temps le centre d’une population nom- LITÇNE.
breuse et active, tous les édifices an-
ciens ont été détruits. Le bassin du Pyramus est sépané de
Sous l’empire d’Alexis, Marasch était celui de l'Euphrate par une cliaiiie de
la résidence d’un patrice,dont l’autorité montagnes courant de l’est à l’ouest et
s’étendait jusqu’à Antioche et à Édeskse. ui forme la frontière sud de la provinre
A la fin du onzième siècle elle était au e Mélitène. Après dix heures de marche
pouvoir des princes arméniens, et son on fait halte à Nadjar, village situé au
territoire faisait partie de la troisième fond d’une vallée, et par une route tout
Arménie. Les croisés, commandés par aussi difficile on fait encore dix heures
Godefroid de Bouillon marchant de de marche pour arrivera Pclverch, pciit
Konieh par Érégli, s’égarèrent dans les bourg habité par des Arméniens et des
hautes vallées du Taurus, et arrivèrent Turcs. Rcnnel et Ainsworth ont judi-
à Marasch. Les Seidjoukides s’emparè- cieusement identifié cette petite ville
rent de cette ville en 1 147, et la puis- avec l’ancienne Perré, qui était située .sur
sance ottomane s’y est établie depuis la grande route de Cappadocc en Mé-
celte époque. sopotamie, h travers la petite Arménie.
Cette ville fut épiscopale Athanasr,
;

(i) Voyez pour plus de dclails imire iti-


évêque de Perré, assista au concile de
néraire publié in cxttnso dans le livre de Chalcédoine. Il ne reste à Pelvereli au-
Kai'I. Ritlrr, VvrgleicUcnHe Erdkunde des cun vestige d’antiquité.
Halbirnellandes Kiein^jdsiens loni. IX, La carte de Pentmger marque en dé-
part. II, pag. 140, i5». — ^

/leeiie française tail la route de MéliièneàSamosale;c’i'.d


I. VI, p. 32-. 336. celle que nous suivons nous traversons
;

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,

ASIE MINEUI^E. 587

les vîllaçes de Pnvreleu , et, remontant ment l’aspect de la ville , et en fit , au


la vallée du Greuk sou, nous arrivons dire de Procope, la sauvegarde , le bou-
au délilé d’Herkenet. Nous mentionnons levard et l’ornement de l’Arménie. Mais
seulement les villages de Surju ,
Buyuk tant d’ouvrages magnifiques eurent le
Balanieh , Geuzeneh et Balanieh, qui se sort de la plupart des constructions de
trouvent sur la routede Malatia. Toutes ce prince, aujourd’hui il n’en reste pas
ces régions sont encore peu connues. de vestiges. Les seuls monuments qui
Nous avons remis nos itinéraires à existent encore datent de l’ère seldjou-
M. Ritter pour les insérer dans sa carte kide , et sont presque entièrement rui-
d’Asie. nés. Malatia devint la capitale de la
petite Arménie, et fut longtemps sou-
MALATIA. mise aux princes arméniens, tantôt
alliés, tantôt ennemis des empereurs
I.a province de Mélitène est située grecs ; mais on n’y trouve aucun monu-
entre fa Cappadoce et la rive droite de ment des dynasties arméniennes.
l’Euphrate ; elle est bornée au sud par la Malatia fut prise par les Arabes,
principauté de Commagène et au sud- lorsque, sous le règne d’Aroun-al-Ra-
ouest par la Cataonie. Les anciens chyd, ils s’emparèrent du royaume de
avaient remarqué combien la tempéra- Pont. Reprise par l’empereur Constan-
ture de cette contrée différait de celle tin Copronyme, elle fut entièrement
de Cappadoce c’est qu’en effet cette
la -, démantelée, et c’est de cette époque
dernière province forme un plateau que date la destruction des monuments
très'éleré tandis que la grande vallée
, byzantins. Tous les habitants grecs et
(le l’Euphrate n’est pas dans cette ré- arméniens furent envoyés à Constanti-
gion à plus de trois cents mètres au-des- nople pour repeupler celte capitale.
sus du niveau de la mer. Le pachalik Vers l’an 140 de rhégire, le calife El-
de Malatia occupe aujourd’hui tout le Mansour envoya son neveu Abderrha-
territoire de l’ancienne Mélitène. Plolé- man, fils de l’imam Ibrahim, avec
mée comprend celte province dans .soixante-dix mille hommes pour re-
l’Arinénie seconde. prendre Malatia; elle retomba de nou-
Mélitène, aujourd’hui Malatia, était la veau entre les mains des Grecs , qui la
capitale. Pline lui donne le nom de Mé- gardèrent jusqu’à ce que les sultans d’I-
lita, et nous appreudque cette ville fut conium en fissent la conquête défini-
fondée par Séiniramis, à peu de distance tive. Tous les efforts que firent les
de l’Euphrate (1). Jusqu’au règne de princes d’Orieiit pour établir dans ce
Trajan, Mélitène fut l’unique ville de lieu une capitale n’ont pas été couron-
cette province. L’empereur
y cantonna nés de succès. Si la contrée offre toutes
une légion romaine, qui reçut le nom les ressources qui peuvent être néces-
de Mélitène , et de laquelfe sortirent saires à une population nombreuse, si
quarante soldats qui moururent mar- des eaux abondantes portent la fertilité
tyrs ; leurs reliques sont encore hono- dans les immenses jardins qtii s’éten-
rées dans une petite église grecque aux dent comme une vaste forêt au milieu
environs de la ville. Sous le règne de de In plaine , ces avantages ne suffisent
Marc-Aurèle , cette même légion qui , pas pour une ville frontière , dans une
était toute compo.sée de chrétiens , ob- contrée qui a été exposée de temps
tint par l’intervention divine que les immémorial aux incursions de peupla-
ennetnis fussent écrasés par la fou- des barbares. Sous le. point de vüe mi-
dre (2) ; elle prit de là le surnom de Ful- litaire , il était impossible de choisir
minatrix. une position plus désavantageuse. En-
L’empereur Justinien , qui avait fait tourée d’une enceinte de montagnes
les plus grands efforts pour fortilier les élevées, la ville n’est défendue au nord
frontières de .son empire contre les at- que par la rivière de Tokma sou
taques des Perses changea compléte-
,
guéable une partie de l'année mais du
;

côté du sud , rien ne peut la garantir


(i) Pline, liv. VI, eh. 3. des attaques d’ennemis qui trouvent un
G) Eieéhe ,
Hisl. eccl„ liv. eh. 5. refuge assuré dans les montagnes. Ces
588 L’UNIVERS.
iucouvéïiients , joints à la chaleur in- ture, l’olivier n'y réussit point; on
tense qui se fait sentir dans la ville pen- pourrait croire que la hauteur du pays
dant rété , l’ont fait abandonner par ses au-de.ssu8 du niveau de la mer est un
habitants, qui préfèrent camper aux obstacle à la reproduction de cet arbre,
environs, au milieu des jardins. si les anciens ne citaient pas l'olivier au

En 1335, Malatia tomba au pouvoir nombre des arbres fruitiers qui embel-
des Mongols, dont le pouvoir s’élevait lissaient cette résidence de Sémiramis.
sur la ruine de l’empire seldjoukiiJe. Les C’est au milieu de ces vergers que les
nombreuses églises qui se trouvaient habitants actuels ont transporté leurs
toutes sous la juridiction du patriarche demeures ; des maisons de bois et de
d'Antioche, et qui étaient régies par un pisé, construites avec une certaine élé-
évéque, furent livrées au pillage; le gance, des mosquées rustiques, ombra-
plus grand nombre fut démoli ou brû- gées par des arbres séculaires, donnent
lé Cl). En 1396, 1e sultan Bayazid, vain- â cette ville champêtre un aspect des
queur des princes de Karamanie , vint plus singuliers. Lekonaedu pacha s'é-
s’emparer de Malatia. Cette ville tomba lève au milieu d'une place; les artisans
en 1401 entre les mains de Timour. ont leur quartier désigné; l’ancienne
Ce qui restait debout du château et des ville est complètement abandonnée
mosquées fut de nouveau livré aux pendant les trois quarts de l’année.
flammes ; et lorsque le sultan Sélim I"'' Les murs, qui , selon l’usage antique
réunit sous le sceptre ottoman toute des villes de Orient étaient faits de
I

cette partie de l’Asie, il ne trouva plus briques séchées au soleil, n’offrent plus
qu’un amas de décombres qu'on ne que des lignes de circonvallation en
put jamais relever au rang d'une ville. forme de tertre, sur lesquelles pousse
Le voisinage des tribus kurdes noma- un gazon chétif. Les mosquées, con-
des, qui ne reconnurent jamais le pou- fiées à la surveillance de quelques sof-

voir de la Porte , fut un obstacle cons- tas , n’ont pas reçu la moindre répara-
tant à la renaissance de la prospérité tion depuis l'avénemcnt du sultan turc.
de Malatia , malgré la position avanta- Le caravansérai désert les bazars vides
,

geuse qu’elle occupait comme entrepôt, et les maisons à demi écroulées, sout
et en même temps malgré l’incroyable abandonnés à des gardiens qui succom-
fertilité du territoire , si heureusement bent à l'insalubrité de cette enceinte,
arrosé par des sources nombreuses et dont l’atmnspbère est viciée par l’aceu-
intarissables, qui forment le Sultan mulatiou d’immondices séculaires. Ce
sou, l’un des affluents du Tokmasou. tableau n’est pas sans intérêt pour re-
Elles prennent naissance à une lieue lui qui ne considère pas seulement les
environ au sud de la ville, dans une villes sous l’aspect monumental mais ,

vallée composée d’agglomérats calcaires qui cherche encore à étudier toute.s 1rs
et à plus ue cent mètres au-dessus du causes d’accroissement et de pros-
niveau de la plaine. Conduites par des périté.
canaux artistemeut dirigés, ces eaux Le petit nombre de masures qui reste
alimententdes jardins d’arbres fruitiers, encore debout reçoit quelques habi-
dont la beauté et la vigueur ne démen- tants pendant les grands hivers mais ;

tent pas l’ancienne réputation de ferti- on peut prédire avec ccrlitinlc que Ma-
lité que ce pays possédait dès les temps latia cessera bientôt d’exister comme
les plus reculés. La vigne donne des ville, et qu’elle aura de tant
le sort
grappes d’une grosseur presque incon- d’autres places que la population mo-
nue dans les autres provinces; était-ce derne a abandonnées, comme hey,
avec ces raisins qu’on fabriquait le vin Sultanieh, Ctesiphon et tant d’autres.
Monarite , mentionné par Strabon.’ L’a- Les jardins réunissent plusieurs groupes
bricotier, originaire d’Arménie, se plaît d'habitations, qui ont chacun un nom
en ce lieu comme dans son pays natal; différent, la localité porte le nom géné-
mais malgré la douceur de la tempéra- ral de Harpouz les pastèques-
,

Il est bien difflcile de déterminer


le

(i) Alitiirarailj ,
Hist. ilyiiasliaruni ,
3i8, chiffre d’une population si éparse, qui
333. était, pendant mon séjour, augmentée
,,

ASIE MINEtIRE. 58!)

d’une population flottante, composée de la légion fulminatrix. Saint Po-


de plusieurs régiineuts de Nizam et lyeucte, qui passe pour le premier
d'artillerie, auxquels il fallait ajouter martyr de l’Arménie y fut mis à mort
,

les femmes et les enfants, et les innom- en 257. C’est le lieu ue naissance de
lirables parasites qui accompagnent les saint Mélèce dit le Grand qui était
,

armées turques; aussi je ne crois pas évêque d’Antioche au quatrième siècle,


exagérer en la portant à 30,000 âmes. et de saint Euthyme, archimandrite en
Les chrétiens forment à peu près le Palestine ; il eut la conduite de tous les
tiers de la population totale ; ils sont monastères de la ville et du diocèse de
généralement de la communion armé- Mélitène, sous les évêques Acace et Sy-
nienne; on peut en porter le nombre à nade, qui avaient été ses maîtres. Les
t,üOO ou 1,200 familles, qui sont sous églises et les monastères étaient con-
la juridiction de l’évéque arménien de struits avec une grande simplicité. La
Césarée. Les familles grecques habitent plupart de ces monuments sont aujour-
particulièrement le village de Hordeuz, d'hui détruits.
situé h un quart de lieue de la ville. On Depuis la ville jusqu'à la rivière ,
le

montre une église très-révérée dans terrain s’abaisse prune pente continue,
y
le pays , où sont conservées , dit-on et forme une vallée très-large et de peu
des reliques des quarante martyrs. Mais de profondeur, au milieu de laquelle les
l’inscription que j’ai lue sur la porte ne eaux du Tokma sou circulent avec un
confirme pas cette tradition. Saint Eu- cours très-lent. Les eaux, précipitées
doxe dont il est questiou u’a pas ap-
, ,
des vallées supérieures et arretées a leur
partenu à cette légion célèbre. confluent par le cours rapide de l'Eu-
phrate , s’accumulent dans cette plaine,
L’an G475 (I), Indiction première, au mois de
et forment des marécages, qui contri-
mai, ont été trouvées les reliques de saint £u-
doxe; son église a été renouvelée par U*s soins tribuent à l’insalubrité de la ville. On
(tu métropolitain Solomon. passe le Tokma sou sur un pont de
pierre appelé Kirk gheuz (le pont aux
Cet Eudoxe, porté au martyrologe quarante yeux), dénomination appliquée
avec saint Romiilus, également martyr en Asie à tous les ponts qui ont un cer-
de la foi à'Mélitèue, était chef d’une tain nombre d’arches. Une chaussée de
légion sous l’empereur Trajan Dèce. Il pierre, en très-mauvais état, est établie
fut envoyé en Gaule sommé de sacrifier
; entre la tête du pont et le terrain qui ne
aux idoles, il s'y refusa avec tous ses peut être atteint par les inondations :
soldats, qui étaient également chrétiens. cette route, qui suit la direction du
Envoyé en cantonnement à Mélitène, nord au sud, traverse la Mélitène, et
ilparvint à convertir Romulus, cham- conduit, à travers l’Arménie , dans le
bellan de l’empereur, qui le premier royaume de Pont.
l’avait dénoncé. Maximien ayant été Après avoir traversé la plaine de Ma-
proclamé empereur, ordonna a tous les latia , le Tokma sou a encore un cours
proconsuls de faire périr les chrétiens de deux lieues, et va se joindre à l'Eu-
qui refuseraient de sacrifier. Eudoxe phrate. Une montagne conique et dé-
ayant persisté à rester fidèle u sa foi pouillée de verdure indique au delà de
eut la tète tranchée , après avoir été livré l’Euphrate le point de réunion.
aux tortures. On croit qu'il a été mis à Il n’est pas plus facile de déterminer
mort le 6 septembre 252 de J. C. la limite uordde la province de Mélitène ;
I.e nom barbare de Hordeuz , qui n’a pour aller chercher ses frontières natu-
aucune significalion dans la langue turelles nous devons nous transporter
turque , cache sans doute la station dé- jusqu’au Gozdouk sou, qui coule au
signée sous ie nom de Ad-Aras , dans delà d'Arabkir. Cette ville, une des plus
l’Itinéraire d'Antonin; elle était, en importantes de la contréie, se trouve
effet , peu éloignée de Mélitène. aujourd’hui dans la même position que
Mélitène a fourni un grand nombre Malatia , c’est-à-dire que les habitants
de saints au martyrologe, outre ceux sont venus, d’un commun accord, s’é-
tablir au milieu des jardins plantés dans
(i) 96C de J. O. une large vallée qui s’étend entre deux

>gle
690 L’UNIVERS.
pics volcaniques d’uno hauteur considé- CHAPITRE Vil.
rable. La population compose d'Ar-
se
méuiens et de Turcs en nombre à peu ÉGUINE. L.^ VALLÉE DE l’EUPHHATE.
près égal ;
les chrétiens se livrent au
commerce de caravanes, et ont l’habi- La route d’Arabkir à Eguine traverse
tude d'émigrer à Constantinople une ;
un pays montagneux et boisé on passe
;

autre partie exerce l'industrie de tein- la rivière Gozdouk sou, qui va se jeter
turiers ou de fabricants d'étoffes de dans l’Euphrate, et peu de temps après,
coton. en vue du village de .Schipik, on traverse
La présence de ces volcans au milieu le Mirant tchaî; une heure plus loin la
de terrains généralement calcaires , et à vallée de l'Euphrate, Apre, montagneuse
une hauteur de plus de 1800 mètres et dénudée, s’ouvre dans la direction du
au-dessus du niveau de la mer, paraît nord-est ; la route, trac ’e sur l,i pente
d’autant plus remarquable, que les laves des rochers, est des plus périlleuses pour
qu’ils ont épanchées ont un caractère les hêtes de somme; mais aux environs
extrêmement récent ; on y trouve des de la petite ville d'Éguine la natun' du
coulées de lave noire et ferrugineuse j pays devient moins sauvage. Les mon-
il
y en a qui sont recouvertes par une tagnes se couvrent d’une végétation
épaisse couche de scories mélangées de luxuriante, les vergers bien arrosés an-
cendres , comme on en voit de nos jours noncent une population active et intel-
au Vésuve. Ces terrains sont d’une ferti- ligente.
lité extrême, qui est entretenue par l’a- Eguine est située sur un plateau qui
buudance des eaux et l’humidité per- domine le cours de l’Euphrate, la vue
manente d'un terrain toujours couvert de la ville prise du bord du fleuve rap-
d’ombrage. pelle par les lignes grandioses du paysage
La ville d’Arabkir, d’après l’Itinéraire les tableaux du Poussin; dans l’éloi-
d’Autonin ,
peut être identiûée, comme gnement, les sommets du Musur d.igli,
position, avec l’ancienne Dascusa(l); qui appartient à la chaîne de l’Anti-
mais il faut avouer que les lieux iuter- 'Taurus, montrent un fond de tableau
inédiairesnommcs dauscet itinéraire (2), d’une rare magnilicence, qui contraste
excepté la ville de Sébaste sont encore à
, avec les pays stériles qu’on vient de
peu près tous inconnus. C’est en vain traverser; des pins parasol et des pins
que l'on chercherait dans Atabkir quel- d’Alep ombragent un petit pont de
ques monuments historiques; il n’y a pierre jeté sur le fleuve, qui eu cet en-
pas même une mosquée, puisque la po- droit n’a pas plus de vingt mètres de
pulation fixe de ce lieu n’est pas ins- largeur en été.
tallée depuis plus de quinze ans ; nous Le nom d’Eguine vient de l’.Arméiiien
savons doiileurs que dans la Cappadoce Agn et signifie une source. Cette ville
on ne trouve pas d’autres antiquités dépend du pachalik de Sivas ; elle fut
que des grottes taillées dans le rocher. fondée dans le onzième siècle par une
Le Gozdouk sou , qui prend le nom colonie d'Arméniens, et appartenait à
d’un petit village bâti sur sa rive , coule l’Arménie seconde; elle est à égale dis-
dans une vallée très-étroite et dont les tance, 1C5 kilomètres, de Sivas et
flancs sont presque verticaux ; il reçoit, d’Arabkir. La population d’Eguine
avant de se Jeter dans l’Euphrate , une est répandue dans plusieurs groupes
autre petite rivière appelée Mirain ichaï. d’habitations qui ressortent tous de la
L’Euphrate eu ce point décrit une vaste ville centrale; ils demeurent au milieu
courbe vers le sud, et ne reçoit point de jardins dlarbrcs fruitiers ; la popu-
d’autre affluent qui mérite ce nom, lation musulmane a une mosquée avec
jusqu’au Tokiua sou. un minaret et d'autres temples de
moindre importance les musulmans oc-
;

(i) her a Aicopoli Arabuso, M. P. XX. cupent environ deux mille maisons et
Wessctiiig. I. lesArméniens sept cents.
(a) Voyez les Itinéraires anciens, par le L’industrie d’Eguine est principale-
marcpiis de l'orlia d’Urbaii, iu-'4°, au mut ment entre les mains des Arméniens,
Dascusa, qui fabriquent des cotonnades bleues
,

ASIE MINEURE. 691

pour l’usage des baios; ees serviettes appelée Comana mais comme l’oracle
;

uu pcchkir servent aussi de voiles auK metait pas satisfait, Oreste continua de
femmes. parcourir le pays et arriva dans la Cap-
Cette petite ville est un agréable lieu padoce, où il trouva une montagne sem-
de halte pour ceux qui parcourent ces blable à celle de la Taurique. Procope
régions d’un accès ditticile. ajoute : « Je l’ai plusieurs fois considérée
U’Eguine la route suit la vallée de avei^tonnement et je m’iinagiuais être
l'Euphrate jusqu’à Pinia, grand village dans la Tauride. Il y a une montagne
à cheval sur l’Euphrate, un pont de toute semblable au mont Taurus, et un
bois d’une construction ingénieuse relie fleuve nommé Sarus tout semblable à
les deux quartiers. l’Euphrate. » C’est la Comana de Cap-
Avant d’arriver à Pinia, on franchit padoce, dont nous supposons les ruines
le Tchalta tchaï, qui vient de Dev- a Chert kalé si, sur le Sarus.
righi. Oreste bâtit dans la Comana de Pont,
Devrighi est située à l’entrée d’une une très-belle ville, et y construisit deux
vallée large de cinq kilomètres et do- temples, l’un en l’houneur de Diane,
minée par un haut rocher ; les Armé- l’autre eu mémoire de sa sœur Iphigénie ;
niens l’appelaient Uivrig ; c’est en ce lieu ils furent convertis en églises par Jus-

que Pompée vainquit Mithridate, et en tinien, qui ne changea rien au plan ni à


souvenir de cette victoire il bâtit la ville la disposition des édifices.
de jNicopolis. Ces montagnes dépen- Procope décrit le cours de l’Euphrate
dent du mont Paryadrès, dans lequel dans ces régions; le fleuve passe par
Mithridate avait fait construire soixante- des défilés très-serrés, et dans certains
quinze châteaux, où il déposa scs tré- lieux les bancs de roseaux s’accumulent
sors (I). Strabon décrit cette montagne et forment sur les eaux une espèce de
comme étant coupée par des précipices pont sur lequel les cavaliers et les pié-
et des ravins et couverte de forêts. Ce tons peuvent passer; ce pays porte le
tableau convient parfaitement au bassin nom d’Acilicène. >

supérieur de l’Euphrate; Divrig des Ar- L’Euphrate arrose cette partie de l’Ar-
méniens, qui devint Nicopolis sous les ménie, reçoit tous les affluents dont
empereurs, a conservé le nom de Thé- nous avons cité les principaux, et qui
phrice chez les Byzantins Justinien . sont tous situés sur la rive droite. 11
lit réparer les murailles et les fortili- passe dans la Leucosyrie, appelée main-
cations de cette ville en même temps tenant Arménie Mineure, dont la capi-
que celles de Sébaste. tale est Mélitène. Il va à Samosate, à
D’Eguine, deux routes conduisent à Hiérapolis et jusqu’en Syrie, où il se
Trébizonde; la première, à l’est, con- joint au Tigre (I).
tinue de suivre le cours de l’Euphrate I.a seconde route dont nous avons
ou < Kara sou jusqu’à Erzinghan , où parlé est celle de l’ouest; elle passe par
elle va rejoindre la route de l'ouest. On Kourou tchaï, la rivière sèche ; cette
ne trouve dans cette dernière ville vallée est remarquable par les formations
aucun vestige d’antiquité ;
elle passe gypseuses qui concordent avec tous les
cependant pour occuper l’emplace- terrains salifères que nous avons men-
ment de Comana de Pont, qui fut bâ- tionnés, et s’arrête à Gumuch hané, la
tie par Oreste après qu’il eut quitté la maison d’argent, petite ville où sont des
Tauride en compagnie de sa sœur Iphi- mines de plomb argentifère mises en ré-
génie. gie par le gouvernement turc et qui don-
Procope raconte qu’Oreste, fuyant de nent de médiocres produits. De Kourou
la Tauride, emportant l'image de Diane tchaï on fait septheuresde route jusqu’à
arriva dans 'ces lieux où il construisit,
, Gherdjanis, par un pays presque désert;
d’après les ordres de l’oracle, un temple de cette ville à Chaïram le [iays est
à la déesse, et lui consacra sa propre moins accidenté, 1& villages plus nom-
chevelure. En mémoire de cette action, breux.
la ville qui s’éleva autour du temple fut
(i) Procope, Guerre des Perses, livre X,

(i) Slrabou, XU, 555.


'
di. 17.
592 L’UNIVKRS.

La route se détaille ainsi jusqu’à Ou- sans doute à la suite des années de Sé-
nnirli liané ; sostris. Cette persistance des historiens
Oliairam : anciens à donner à ces peuples le nom de
Terwai 2H5 Edima â^ilO Syriens montre que personne Redoutait
Zimo 2 50 Guimicli liané. 5 alors de la conformité de race qui exis-
Caravanséraï. 4 15 Tréhizonde. . 18
tait avec ceux de la Syrie ; bien plus, les

Toute cette route est au nord du bords du Pont-Euxin sont souvent re-
compas. gardés comme faisant partie de l'Assyrie,
Uft Gumucli liané on rejoint la route et le nom de Cappadoce lui fut donne
parcourue par les Dix Mille , qui mar- par les Mèdes. Hérodote rapporte que les
chaient sur Trébizonde. La montagne de Leucosyriens pratiquaient la circonci-

Kara kapoii est le mont Thechès, d'où sion, et qu’ils avaient pris cette habitude
l’armée de Xénophon aperçut la mer et des Egyptiens. Toutes ces concordances
se précipita encourant jusqu’au rivage, prouvent le rapport intime qui existait
où elle fut reçue par les habitants de entre les peuples de ces rivages et ceux
Trébizonde. des côtes de la Syrie et de la Phénicie.
Sésostris soumit toute l’Asie jusqu’au
CHAPITRE Vlll. Pont-Euxin, et imposa aux peuples vain-
cus un tribut qui devait etre payé en
ROYAUME DE PONT. Égypte. La domination de Sésostris lut
anéantie par la première invasion des
Les montagnes qui séparent la petite Scythes, qui à leur tour imposèrent à
Arménie du royaume de Pont, et qui ces peuples un tribut qui fut payé pen-
portaient dans' l’antiquité le nom de dant quinze cents ans. .Mais si. pendant
Scvdissès (I) « montagne très-rude, » une si longue période, ces peuples no-
étaient Itabitéespar le peuple des Hepta- mades ne fondèrent aucune ville dans
comètcs, nation féroce qui n’avait d'au- leur nouvelle conquête, ils purent, par
tres habitations que les arbres des forêts leurs rapports avec les populations sé-
ou des biokaus de bois, mosyni,du haut mitiques, laisser en Asie les éléments
desquels ils s’élançaient sur les passants ; d’une race mêlée, qui tenait des Sémi-
les Grecs les nommaient Mosynœc.i. tes par leurs mères , et par leurs pèrw
Les Chalybes, qu’Homère appelle Hali- de la race, caucasique.
zones, occupaient le pays au-dessus N inus chassa les Scythes, et affranchit
des iMosymi’ci «OdiusetEpistrophius,
: l’Asie du tribut qui leur était payé, mais
conduisaient les Halizones d’Alyhé, de il ne rendit pas ces peuples à leur gou-

ce pays lointain d’où naît l’argent. » vernement naturel. La puissance des


C’est assez dire qu’ils occupaient les rois d’Assyrie s’étendit sur la côte delà
montagnes de Gumuch hané, où les mer Noire,' et toutes les recherches faites
mines de plomb argentifère sont à (leur sur l’origine des villes de ces parases
de terre et exploitées de toute antiquité. conduisent àce (ait qu’elles doivent leur
Nous devons aussi mentionner les Tao- fondation aux Assyriens, qui commer-
(|ues et les Carduques, uui sont les cèrent avec les Phéniciens avant que les
Kurdes d’aujourd’hui, malgré la simi- navires grecs eussent encore apparu dans
litude nom avec le mot kourd,
de leur CCS mers. Toutes ces régions étaientsous
qui signifie un loup. le gouvernement direct de princes in-
La contréequi fut connuedes Romains digènes. dont le sort dépendait de leurs
sous le nom de royaume de Pont appar- puissants suzerains.
tenait dans les premiers âges à la Cap- A la domination assyrienne succéda
padoce, et avant la constitution de ce celle des .Mèdes, qui' sous Phraortc,
royaume les peuples qui l’habitaient s’emparèrent de la Leucosyrie. Ces
étaient désignés sous le nom de Leuco- derniers peuples avaient l’esprit colo-
syri, ou Syriens blancs. C’étaient des nisateur des Assyriens et le godt des
races sémitiques de la côte de Syrie qui constructions grandioses; ifs sétal'h-
étaient venues .s’établirdans ces contrées rent principalement dans la région de
la Pterie , située nu sud de .Sinope.
(r) Slrüiioii, XII, 548 . où l’on retrouve encore aujourd'hui

uy Goc^le
ASIE MINEURE. .593

d'imposants vestiges de leur séjour. On de race syrienne. Non-seulement ils se-


ne doit donc pas s^étonner de rencontrer couèrent le joug des Perses , mais ils
dans ces contrées des monuments qui finirent par se mêler avec les Leucosy-
rappellent en même temps le style des riens et acceptèrent leur gouvernement.
monuments égyptiens etde ceux de l’As- Mithridrate Ctistès soumit tous ces
syrie et de la ^erse. peuples ; il porta les conquêtes à l’est de
Les Scythes revinrent de nouveau en l’Ualys et mourut à l’âge de quatre-
Asie Mineure |>endant la domination vingt-huit ans, après un règne de trente-
mède ;
ils y séjournèrent vingt-huit ans, six. Il fut assassiné à Cius par ordre
en furent expulsés par Cyaxare (f), et d’Antigone. La race de Mithridate ré-
leurs méfaits suscitèrent la première gna sur le Pont pendant plusieurs gé-
guerre entre Cyaxareet les Lyaiens (2). nérations ; le nom de ces princes est mêlé
Lorsque la Cappadoce fut constituée à tous les événements qni agitèrent ce
en royaume, la plupart des princes pays jusqu’à la mort du grand Mithri-
de la Leucosyrie obtiureul chacun le date. A cette époque le royaume de Pont
gouvernement d’une province. C’est s’étendait de l’Halys Jusqu’à l’Arménie,
en cet état que Xénophon trouva ces et comprenait encore en deçà de ce fleuve
contrées quand il les parcourut avec tout le pays qui s’étend jusqu’à Amas-
l'armée des Dix-Mille. Ces divers peu- tris. Pompée divisa ce royaume en onze
ples étaient tous indépeudanisles uns gouvernements qu’il réunit à la Bithy-
des autres, mais également soumis à nie ; il donna quelques cantons paphfa-
l’empire des Perses. goniens à des rois descendants de Py-
Le premier prince qui dans l’histoire læmène. Mais sous les empereurs, d’au-
a porté le nom de roi de Pont était un tres divisions furent effectuées, et ces
descendant des sept Perses qui avaient peuples furent soumis à des princes ou à
renversé le faux Smerdis; il se nommait des rois, d’autres furent déclarés libres.
Mithridate, et comme fondateur d’un Marc-Antoine préluda aux divisions
royaume, il reçut le surnom de Clistès. nouvelles en donnant le Pont à Darius,
Il prit le parti a’Eumène dans sa guerre fils de Pharnace (!) ; ensuite ce royaume

contre Antiochus, et se créa de puis- échut à Polémon, mari de Pytbodoris.


santes inimitiés qui éclatèrent apres la Cette princesse régnait du temps de
mort d’Eumène. Forcé d’abandonner Strabon; elle possédait tout le pays au-
ses possessions, se retira en Paphlago-
il dessus de Trébizonde, le territoire de
nie, dans de Cimiata ; c’est de là
le fort Pliarnacie la plaine de Thémiscyre et la
,

qu’il partit pour faire la conquête du vallée dePhanaræa, qui passait pour un
Pont. Ce fort de Cimiata était situé dans des meilleurs cantons du Pont. I>a Pha-
les déQlés du mont Olgassus, à l'ouest narée est arrosée par le Lycus, qui vient
de l’Halys et sur les frontières de la Si- de l’Arménie, et par l’Iris, qui sort des
nopide, « où l’on voit partout des tem- défilés d’Amasie. Pythodoris possédait
ples érigés par les Papniagoniens > (3), en outre toute la Zélitide et le pays de
et traversée par le fleuve A mnius Ce Mégalopolis, Cabira était située à cent
pays est encore tout à fait inexploré au cinquante stades plus au midi, au pied
pomt de vue archéologique ; il renferme du Paryadrès on voyait dans cette ville
;

certainement de nombreux vestiges des un moulin à eau et le palais de Mithri-


monuments papblagoniens. Ces derniers date, et dans le voisint^e le parc et les
peuples s’allièrent avec Xerxès et four- mines. Pompée avait changé le nom de
nirent des contingents à ses armées ; Cabira eu celui de Diopolis , Pythodoris
mais leur soumission aux Perses ne fut l’agrandit et lui donna le nom de Sé-
que temporaire, il se forma une dynas- baste. Elle possédait encore le temple
tienouvelle, à laquelle se soumirent les de Men dans grand bourg d’Améria.
le
Papblagoniens, qui sont considérés par Ce temple était dédié au dieu Men Phar-
quelques écrivains anciens comme étant naceon Lunus; il étaitdesservi par un
grand nombre d’esclaves sacrés ou hié-
(i) Hérodote,!, lo^, ki3. rodules. Caligula rendit ce royaume à
(a) Hérodote, I, 37 .

(3) Strabon, XII, 56i. (i) Appien,0e/. eiv,, 1. V.


38' Livraison. (Asie Minbübb.) T. II. 88
&94 L’UINIVERS,

PoléinoD, fils de cette princesse (1) ; ciennes, mais elles ont tout le caractère
mais il conserva toujours le nom de Pont d’ouvrageS byzantins.
Polémoniaque ; il comprenait sur la côte Trapezus ou Trapézunte était une co-
l’embouchure du Thermodon, Polémo- lonie de Sinopc ;
elle reçut un nouveau
nium et Colyore ; dans les terres Néo- : contingent de population , lorsqu’après
césarée,Zéla,Sébaste etMegalassus. la construction de Megalopolis en Ar-
Le Pont Galatique comprenait la cadie, les villes de cette province allè-
ville de Thémiscyre, et dans les terres rent peupler la nouvelle eapitale. Les
Sébastopolis Amasia et Comana Pontica. Trapézuntieus furent les seuls qui ré-
Le Pont Cappadocien comprenait sistèrent; ils aimèrent mieux abandonner
sur la côte Pharuacie Cérasus, Trapezus le Péloponnèse et aller habiter la Tta-
et d’autres lieux peu connus. pézunte d’Asie, où ils devaient retrouver
Nicomède s’était emparé d’une partie des compatriotes (I). Lorsque Xénopbon
du royaume de Mithridate ; mais à sa fit son entrée dans celte ville à la tête

mort tous ces royaumes furent réunis des huit mille six cents héros, reste de
aux possessions romaines en Asie sous la cohorte des Dix-Mille, il y fut ac-
le nom de Province de Pont. Auguste cueilli avec toutes les marques de sym-
ajouta à cette province la Paphlagonie athie que méritait son entreprise. On
lorsque la race de ces rois fût éteinte t à cette occasion des sacrifices à Ju-
en la personne deDéjotare Philadelphe. piter et à Hercule, et des jeux publics
Les Notices ecclésiastiques ne recon- furent célébrés. Xénophon pay^ la dette
naissent que deux provinces du Pont ; de l’hospitalité en faisant connaître à
la province du Pont ou de fiithynie, et la postérité l'accueil qu’il avait reçu;
le Pont Polémoniaque. Cette dernière c’est la première fois que le nom de
division ne comprend que cinq villes, Trapezus apparaît dans l’histoire. I .0
Néocésarée, Comana, Polémonium, Cé- monument qu’avaient élevé les [Dix-
rasus et Trapezus. Mille sur le mont Théchès en souvenir
du succès de leur retraite a depuis
CHAPITRE IX. longtemps disparu , mais les écrits de
Xénophon subsisteront encore dans la
TRÉBIZONDE-TBAPBZCS. suite des siècles.
La création du comptoir milésien de
Tous les écrivains qui ont parlé de Trébizonde s’explique par les raisons
Trébizonde répètent l’un après l’autre que nous avons développées dans le pré-
que cette ville prit son nom de Trapezus cis historique du royaume de Lydie. Le

(une table), de la forme carrée qui ^and commerce de l’intérieur de l’Asie


avait été donnée à l’ensemble de ses était entre lesmains des Grecs; Sinone
murailles. Il faut que depuis l’anti(]uité était en relation avec les peuples eu
jusqu’à la fin de l’empire byzantin la Bosphore cimmérien l’échelle de Tré-
,

forme de ces fortifications ait été gran- bizonde leur ouvrait des débouchés plus
dement modifiée, car le plan de Trébi- rompts avec les riches contrées de la
zonde est bien moins ré^lier que celui aute Arménie, de la Médie et de la
d’un grand nombre de villes anciennes. Perse.
Dans la ville basse, les murailles ont On pourrait, pour les temps moder-
en effet la forme d'un quadrilatère ir- nes, faire des rapprochements analo-
régulier ; mais dans la pærtie sud , qui gues et montrer que la prospérité ac-
est la plus élevée, s’étend un grand quar- tuelle de Trébizonde tient au grand
tier où étaient la forteresse et les palais. commerce de transit qu’elle fait avec
Cette partie de la ville n’est rien moins l’Arménie et la Perse, tandis que Sinojic,
que routière ; les murailles suivent tous sa métropole, serait depuis longtemps
les accidents du rocher, et le château réduite à l’état de simple village si clic
s’élève sur le point culminant. n’avait pas sa belle rade pour offrir un
Les murailles actuelles ont peut-être point de relâche assuré aux navires qui
été élevées sur les fondations des an- font le cabotage de la mer Noire,

(1) Suétone, Néron, ch. 18, (i) Pausanias, Uv. VJIf,.ch. 37.
ASIE MINEURE. &95

T.es querelles des successeurs d’A- ter à Trébizonde des travaux de défense
lexandre ne portèrent aucune atteinte et d'utilité publique. Il construisit un
à la prospérité commerciale de Trébi- aqueduc dans le but de suppléer au
zonde. Alexandre n'avait pas paru dans manque d'eau qui se faisait sentir, et
le royaume de Pont ; il avait voulu aller lui le nom de Saint-Eugène, mar-
donna
frapper sonennemi au coeur, et toutes tyr. Procope se contente de mentionner
les du nord devaient tomber
provinces- cet ouvrage (I).Une grande inscription
d’elles-mémes quand l’empire de Perse placée sur la porte du château nous
serait anéanti. U’histoire du royaume de apprend que cet empereur a construit
Pont au moment de l’établissement des plusieurs autres édinces; mais ils ne
Romains en Asie est renfermée dans sont pas mentionnés. Cette inscription
celle de MithridateEupator; Trébizonde contient les noms de tous les peuples
n’ayant pris qu’une part tout à fait vaincus par Justinien (2). Sous Cons-
passive à ce grand conOit, n’excita pas tantin Porphyrogénète, Trébizonde était
contre elle la vengeance des Romains ; la métropole'du septième thème, dit de
iis lui laissèrent le titre de ville libre. Chaldée (3). Ce titre de capitale lui avait
César s’était contenté de détruire la été enlevé du temps de Justinien pour
puissance de Pharnace sans rien cons- le donner à Néocésarée.
en Asie. Lucullus et Pompée lais-
tituer
sèrent leur libertéaux anciennes colo- CHAPITRE X.
niesgrecques (1); c’étaient pour les Ro-
mains autant de lieux d’étape et de ra- SOYÀUHE DK TBBBIZONDB.
vitaillement. L’empereur Hadrien donna
un soin particulier à l’embellissement David et Alexis Comnène, fils et petits-
de Trébizonde ; il fit construire des pa- fils du tyran Andronic, furent les fon-
lais , des portiques et des basiliques.
dateurs du royaumede Trébizonde. Ces
Comme le mouillage était dangereux il ,
princes s’étant sauvés de Constantino-
creuser un port artificiel, dont on re-
tit
ple s’emparèrent de la Galatie et du
trouve remplacement près des rochers Pont ; mais ils ne prirent à cette époque
ui s’avancent dans la mer au-dessous d’autre titre que celui de dnc. Baudoin
es rochers de Guzel serai , où est au-
fit alliance avec eux ; ils ne prirent le
jourd'hui la quarantaine; tout ce port
titre d'empereur qu’en 12(>4, en même
est ensablé et ne sert plus que comme
temps que les princes de Nieée. Alexis
débarcadère.
Comnène, surnommé le Grand, s’em-
La ville était bien peuplée; une double para du Pont, de la Cappadoce et des
enceinte de muraille semblait défier
côtes jusqu’à Héraclée. Dufresne ne
toutes les forces ennemies. Cependant,
donne le titre d’empereur qu'à Jean
sous le règne de Valérien Trébizonde
,
Comnène; il classe la dynastie de ces
fut prisepar les Goths; la garnison princes de la manière suivante :

venait cependant d’être renforcée de dix


Alexis Comnène, duc.
mille hommes, qui tremblèrent à rap-
Jean Comnène, empereur.
proche de l’ennemi. Pendant que les
Alexis II, né en 1282.
Goths escaladaient les murailles, après Basile P', fils du premier.
avoir accumulé dans le fossé des mas-
Basile II, épouse Irene Paléologine, et
ses de fascines , la garnison se sauvait
meurt en 1339.
par une autre porte. La ville fut mise au
'Alexis III et Eudoxie Comnène ont
pillage, un butin immense fut embar-
été frère et sœur.
qué sur les navires des Goths ; les ha-
Jean II, dit Calojean.
bitants qui ne purent être emmenés
David Comnène,troisièmefilsdeJean,
comme esclaves furent massacrés: le usurpe la couronne. Il donna des se-
reste, entassésurles galères, fut conduit
cours a Uzun hassan. Mahomet 11 as-
pour être vendu dans les villages du
siège Trébizonde; le siège dure plus
Bosphore cimmérien.
Justinien songea aussi à faire exécu- <U Ædif, ch. 7.
(1) Procope, liv. III,

(2) Voyez TourneforI, t. II, Trébizonde.


(i) Pline, liv. VI, 4. (
3) Voyez pages iS-ip.
59Ü L’UNIVERS.
d’un mois. David est pris par surprise seaux de Gourgoura déré et de Issé,
et envoyé à Constantinople, et de là à sur lesquels il y a deux ponts. La ville
Andrinople, où il est assassiné , et toute entière, entourée de murs, s’appelle le
sa famille est massacrée, l’empire de château, Kalé; les chrétiens et les arti-
Trébizonde,qui avait oommeJic.é en 1 204, sans demeurent dans le faubourg: c’est
est détruit en 1462. la partie la plus agréable de Trébizonde,
Trébizonde est aujourd’hui le chef- parce qu’il y a de nombreux jardins.
lieu de résidence d'un pacha à trois Tout ce quartier est en amphithéâtre, et
queues, ayant le nouveau titre de niu- les maisons jouissent du bel horizon de
chir. Il commande à l’est jusqu’à Gu- la mer. ün y compte huit mille mai-
much hané, et a l’ouest jusqu’à K éra- sons cinq cents arméniennes , quinze
:

soun. La ville est située immédiatement cents grecques, et six mille turques.
au bord de la mer, il n’y a de ce côté Les chrétiens sont divisés en huit
ni plage ni port; une étroite bande de mahalié ou quartiers, les Turcs en vingt-
sable, presque toujours submergée, s’é- huit maliallé. Les habitants disent que
tend le long des murs , c’est là que les du temps du sultan Achmet, Trébizonde
marins de Trébizonde tirent leurs na- avait dix-huit mille maisons.
vires à sec. A l’angle nord de la ville Les Arméniens ont quatre églises et
il
y a une sorte de cap formé par des lesGrecs vingt-quatre, dont sept seu-
rochers volcaniques; l’anse située entre lement'sont consacrées au culte. Le fau-
ces rochers et la côte était l’ancien port, bourg contient six mosquées, dont l’une,
aujourd’hui ensablé. Sur oe cap s’éle- Imaret Djami si, est construite sur le
vaient encore en I83G les ruines incen- tombeau de la mère de Sélim 1". L’i-
diées d’un château moderne ou l’appe-
: maret ou hospice pour les pauvres est
lait Guzel séra'i, le beau palais ; le pacha complété par une ecole et un caravan-
Achmetoglou, qui le faisait construire, sérai.
étant tombé en disgrâce, on envoya un Ortasar djami si, mosquée située au
capidji bachi qui lui coupa la tete et centre de la ville, est une église byzantine
mit le feu au château. Ceci se passait du temps des Comnènes; aucun chan-
en 1740, sous le règne du sultan Mah- gement n’a été fait dans les dispositions
moud I"; depuis ce temps, nul n’avait primitives de l’édifice.La façade a une
osé s’installer dans les murs de ce châ- longueur de seize mètres ; elle se com-
teau maudit (I). Près du port comblé, pose d'un portique donnant accès dans
appelé Goulé, est l’arsenal; au-dessus, l’exonarthex et dans le narthex. La nef,
le petit édifice à double coupole qui s’é- dont la largeur est de six mètres est ,

lève à l’horizon est le tombeau de Da- accompagnée de deux bas côtés formés
vid ; à gauche, le consulat de France. par des pilastres; une coupole éclairée
La basse est habitée par les
ville ar douze fenêtres s’élève au-dessus de
Turcs, les chrétiens demeurent dans le P abside. Toute cette construction est
faubourg du nord-est. Il faut une heure d’une extrême simplicité, mais le plan
pour faire le tour de la ville. La cita- est bien entendu l’eglise se termine par
;

delle, situéedans la partie haute, est une abside circulaire avec deux cha-
défendue par un fossé; le fort du mi- pelles latérales.
Orta hissar, a quatre portes,
lieu, appelé La longueur totale de l’église, y com-
deux etablissements de bains et le pa- pris lesdeux portiques, est de trente-cinq
lais du pacha. La forteresse inférieure, mètres.
Aschoglù hissar, a également quatre A trois kilomètres de la ville, et sur
portes et forme une enceinte séparée du une colline qui domine la mer, s’élève
fort intérieur au moyen de deux portes l’église de Sainte-Sophie, Aghia Sophia,
en fer; c’est la demeure des principaux convertie en mosquee par les Turcs. Cet
Turcs. Lesmurssont construits en quar- édifice, d’un caractère original et sévère,
tiers de rodie et épais de deux mètres ; est d’une conservation parfaite (t); les
un fossé profond entoure les deux forts. dispositions du plan sont les mêmes que
Dans la vallée voisine coulent les ruis-
(i) Voyez la planche 3i ,
Vue d’une égliie

U) Voyez la vue deTrébiroade. l’I. 63. à Tréhizoïide,


ASIE MINEURE. S97

celles d’Urtasar djami si, et la dimen- de la montagne de Bouz tepé, montagne


sion de l’édiQce est un peu plus petite. de la glace. A l’extérieur il présente
La largeur de rédiüce est de treize mè- l’aspect d’une forteresse, au fond de la
tres. La longueur de la nef est de dix- première cour s’élève un haut rocher
neuf mètres ving^sept centimètres , le dans lequel a été creusée une chapelle :
narthex et l’exonartnex ont ensemble elle est précédée d’un porche ouvert,
dix mètres soixante-cinq centimètres de également taillé dans le roc. Toute la
longueur. surface du rocher est couverte de stuc
La coupole centrale est soutenue par sur lequel ont été peints a fresque divers
uatre colonnes de granit supportant sujets religieux qui rappellent les pein-
es arcs surhaussés dans le style by- tures du Campo Santa de Pise.
zantin. L’intérieur de l'église était orné La muraille à gauche représente des
de peintures représentant des saints et scènes du Nouveau Testament; les ta-
des souverains de Byzance , mais edes bleaux montent jusqu’à la voûte, qui est
ont été en partie effacées par les Turcs. elle-même couverte de ligures. Au-des-
Le dallage est sans contredit le plus sous des tableaux sont des portraits de
beau spécimen de marqueterie byzan- saints debout et portant leurs noms et
tine qui existe. Il est composé de mar- leurs attributs. Une ligne de médaillons
bres précieux de différentes couleurs couronne toutes ces figures.
formant une série de médaillons réunis Le mur du porche faisant office d’i-
par des entrelacs, sur un fond en mo- conostase, en avant de la chapelle, est
saïque. décoré de six grandes figures debout.
A droite et à gauche de l'église sont Trois représentent la Vierge, le CJirist
deux portiques extérieurs formant une et saint Jean ; trois autres appellent par-
triple arcature dans le tympan de la- ticulièrement l’attention par les inscrip-
quelle sont des sujets de l’Ancien Testa- tions qui les accompagnent. Ce sont les
ment; au sommet du grand arc est portraits d’Alexis III Comnène, de sa
sculpté l'aigle byzantin à une seule tête. femme Théodora et de sa mère Irène.
Nous devons nous arrêter ici dans la des- Ces peintures sont noircies par la tumee
cription de cette église qui pour être
,
des lampes et des cierges, mais on peut
complète devrait être accompagnée de avec de l’attention reconnaître le bril-
plans. A quelque distance en avant du lant costume des princes de Trèbizonde.
porche s’élève un clocher quarré, dans I.a ligure du milieu, l’empereur Alexis,
l'intérieur duquel sont de nombreux ta- est coiffée de la tiare et porte le sceptre.
bleaux peints à fresque et très-bien con- L’inscription peinte sur le mur ne
serves, représentant des sujets reli- permet pas de douter du nom du |>er-
gieux. sonnage; on lit en caractères grecs :

Aucune inscription ne fait connaître Alexis croyant en Jésus Christ, roi et


à quel prince est due la construction de empereur de toute l’Anatolie, le grand
cette église mais la comparaison des
;
Comnène.
peintures avec celles qu’on observe dans A sa droite est la ligure d’une prin-
un couvent situé dans lu montagne au cesse coiffée d’un diadème encore en
sud de la ville permet d’aflirmer que usage chez les princesse russes et qu’on
Sainte-Sophie a été construite par appelle kacochnik ; elle porte entre les
Alexis III. Les peintures de la tour mains un édifice qui paraît la désigner
sont du premier quart du quinzième comme la véritable fondatrice du monas-
siècle. tère. Son costume est de la plus grande
richesse ; on lit à côté l’inscription sui-
CHAPITRE XL vante Irène, par la grâce de Dieu , mère
:

de l’aigle très-pieux roi et seigneur,


KIZLÀR MONASTIBI. Alexis le grand Comnène.
A la gauche du prince est un autre
Le couvent de la Mère de Dieu, Pa- portrait de femme portant d’une main
naghia Thcotocos est éloigne d'environ le sceptre et de l’autre un distjne. Sa
quatre kilomètres de Trébizonde; il est coiffure et son costume ne sont pas
bâti dans l’enfoncement d’une vallée moins riches que ceux d’Irène. L’ins-
— ,

598 L’UNIVERS.
cription placée près de la figure est ainsi in ense concours d’hom mes et de
femmes,
conçue ; Théodora, par la grâce de sans parler de cæux qui venaient en tout
Dieu, très-pieuse maîtresse et impéra- temps pour accomplir des vœux et pour
trice de toute l’Anatolie. offrir des sacrifices à la déesse.
(les titres sont peut-être un peu am- Il V avait dans la ville un
grand nom-
bitieux quand on pense à quelle étendue bre de courtisanes , dont la plupart ap-
se bornait cet empire, mais ces tableaux partenaient au temple.
prouvent qu’à cette époque les arts Les desservants du temple, qui por-
étaient encore en faveur dans cette li- taient le nom de hiérodules, demeuraient
mite extrême de l’empire d’Orient. dans la ville ; leur condition éuit celle
de serfs sacrés. Le grand pontife avait
CHAPITRE XII. sur eux un pouvoir absolu ; mais il lui
était interdit de les vendre. Ils étaient
LES GRANDS SANCTDAIBES d’anAÏTIS au nombre de six mille, et Pompée avait
DANS LE BOYADMB DE PONT. donné la prêtrise à Arcbélaüs son Gis
COHANA. —
ZELA. PTERIÜM. — hérita de la même dignité, et le succes-
;

seur de ce dernier fut I.ycomède, aut


Le nom de Comana est un souvenir possessions duquel on ajouta uii ter-
du séjour d’Oreste en Asie Mineure; rain de quatre schœnes. Les rois de
ce héros ayant dédié un temple à Diane Pont étaient maîtres du territoire de
Taurique y consacra sa chevelure (coma) Comana mais la dignité du grand prê-
;

et la ville fut appelée Comana. Cette tre égalait celle du prince, et lorsqu’il
légende grecque est conforme à toute araissait en public sa tête était ornée
cette histoire apocryphe d’Asie écrite S U diadème. Mithridate souleva toute
par les Grecs. Il est certain que les cen- cette population fanatique contre le pou-
tres religieux du royaume de Pont et voir des Romains. Dorylaus, parent de
de la Cappadoce, dans lesquels il était Strabon l’historien et ms de Pnilætère,
rendu un culte à la déesse Anaïtis, exis- avait été élevé par Mithridate à la prêtrise
taient avant qu’aucun Grec eût paru du temple de Comana. Ilconçutle projet
60 Asie Mineure. Nous ignorons quels de faire passer le royaume de Pont sous
noms portaient ces villes du temps de le pouvoir des Romains; mais cette ten-
l’empire assyrien la dénomination
, tative lui fut fatale. Le grand-père ma-
grecque ayant prévalu. ternel de Strabon, voyant que les affaires
Comana de Pont, était située* sur le du roi allaient mal dans la guerre qu’il
bord de l’Iris ; si l’on en croit les tradi- soutenait contre Lucullus, voulut ven-
tions romaines, elle aurait été fondée er la mort de ses parents, que Mithri-
avant la Comana de Cappadoce (1). ate avait tous fait périr avec Lucullus;
Procope, qui a visité les deux villes d’A- mais Pompée refusa de reconnaître au-
sie , s’étonne de la ressemblance qu’il a cune convention faite par les Asiatiques
trouvée entre elles Tune et Tautre
: avec ce général, et le grand-père de Stra-
sont adossées à une montagne; celle de bon en fut quitte pour ses frais de
Cappadoce est près du Sarus, et celle trahison (1).
de Pont près de l’Iris. La même divi-
nité, Vénus-Uranie ou Anaïtis, était CHAPITRE XIII.
adorée dans les deux sanctuaires, et
tout ce qui regardait les sacrifices, ainsi
LE CULTE D’ANAÏTIS. I

que la manière de rendre les oracles


était identique dans les deux pays. Bérose, dans le troisième livre de l'his-
Du temps de Strabon Comana de toire des Chaldécns, dit que les Perses
Pont était une bien peuplée, et un
ville à une certaine époque avaient commrncc
des centres de commerce les plus im- à adorer des idoles sous forme humaine,
portants de rAnnéiiie; ou y célébrait et qu’Artaxerxe, fils de Darius et frère
des paiiégyries, qui s’appelaient les sor- d’Ochus, avait importé pour la première
ties de la déesse, et qui attiraient un ini- fois la statue d’Aphrodite Anaïtis à

(i) Proeope, b«ll. P«rs., 1,17. 558


(1) Slraboii, ibid., .

.^Ic
.

ASIE MINEURE. 599

Rabylone , Suse et Ecbatane, à Damas de Byzance confirme ce fait au mot Zéla,


et à Sardes (sans doute à Hypæpa), l’y ville d’Arménie :« C’est, dit-il, un lieu
avait consacrée et avait enseigné aux où se célébrèrent les sacées en l’honneur
Perses et aux Bactriens à lui rendre des d’Anaïtis. Il y a, ajoute-t-il, une se-
honneurs. Polybe mentionne en deux conde Zéla dans le royaume de Pont. »
endroits des sanctuaires des Perses etC’est sans doute la même ville les autres :

ensuite un temple d’Artémis dans l’E- auteurs ne font mention que de la der-
lymals (1). nière. Strabon dit positivement que Zéla
Autiocbus, obligé de payer aux Ro- dans le pays de Pont est bâtie sur la
mains une indemnité de guerre, avait levée deSémiramis on y voit un temple :

tenté de piller le temple d’Élymaïs; •d’Anaïtis, divinité également adorée


mais les habitants n’ayant pas voulu par les Arméniens (1). Le temple de
souffrir cet outrage, retourné
il était Bellone à Comana était aussi nommé
en Perse et y mourut dans un étàf de temple de Ma le culte de cette dernière
;

folie, causé, disait-on, par son impiété (2) déesse était semblable à celui de Diane
Au moment de l'arrivée d’Antiocbus Tauropole. Les cérémonies pratiquées
le temple d’Ainé avait des colonnes dans les temples d’Anaïtis consistaient
dorées ; les tuiles étaient d’argent; il fit dans la combustion du feu sacré sur des
enlever le tout et le fit passer dans le autels appelés pyrées ou pyræthées, où
trésor royal la somme ne se monta pas
: les mages entretenaient un feu inextin-
à moins de quatre mille talents. guible. Pausanias raconte comment un
Isidore de Charax mentionne dans mage allumait des menues branches sur
la métropole de la Médie un temple un autel sans le secours apparent du
d’Anaïtis avec un trésor; le même gM- feu (2). Les mages portaient une tiare
graphe signale dans ses Statlimi Partliici de feutre dont les oreilles descendaient
un autre emplacement du temple d’A- des deux côtés de manière à leur couvrir
naïtis <à Concobar, Kanguevar, près de les lèvres.
Hainadan ville de la Médie supérieure.
, Les grandes fêtes consistaient en
Strabon atteste que le culte de la divi- processions dans lesquelles on prome-
,

nité médo-perse d’Anaïtis s’étendait nait les statues des dieux Anaïtis et
aussi dans l’Asie occidentale, dans l’Ar- Omanus. Strabon (3) emploie pour dé-
ménie et la Cappadoce. Il rapporte que signer ces statues le mot Xoanon nui
les Saces ayant fait une irruption dans le signifie une figure de bois. Les médailles
pays (3) furent attaqués par les généraux de Perga eu Paniphylie où était un
Perses, et exterminés. En souvenir de grand sanctuaire d’Artemis pergéenne
cette victoire, les Perses après avoir représentent dans un temple à six
accumulé des terres, autour d’une roche, colonnes la figure de la déesse .«ous la
y formèrent comme une colline qu’ils forme d’un cône, c’est-à-dire sous la
entourèrent de murs ; ils élevèrent deux même forme que la Vénus de Paphos.
temples, l’un à la déesse Anaïtis, l’autre Toutes ces divinités s’incarnaient les
aux divinités perses Omanus et Anan- unes dans les autres aux yeux de popu-
date, qui partagent ses autels. Les pos- tions qui étaient livrées à toutes les
sesseurs de Zéla célébraient encore du jongleries des mages fanatiques et des
temps de Strabon une fête commémo- pontifes absolus.
rative qui avait lieu dans tous les sanc- Au pied du mont Taurus et non
tuaires d’Anaïtis. Zéla n’était alors loin de Comana de Cappadoce, étaient
qu'une bourgade, peuplée presque uni- les bourgs de Castabaia et de Cybistra :
quement par les desservants du temple. dans le premier était le temple d’Ar-
Celte tradition prouve que le culte d’A- temis Perasia c’est-à-dire apportée
,

naïtis existait avant Cyrus, qu’il était na- de loin; c’était la même divinité que l’A-
tional dansle pays.etquece prince n’a fait naïtis des Arméniens, elle avait été
qu’instituer une nouvelle fête. Étienne
(1) .strabon, XII, 535
— Voyez
.

(i) Polyhc, XXX.I, 2. (2) Pausanias, liv. V, chap. 37.


(-•) Josiplie, Jut.jud., 5i,XII, g-t. |iage 348.
Çi) Stialioii, XII, pud. a. (3) Strabon, liv, XV, 733 .
,

600 L’UNIVERS.
apportée par Oreste en Asie Mineure, culés jusqu’à celui de Justinien, qui
le culte se répandit ensuite en Lydie et transforma en églises les temples de
en Cappadoce, c’est-à-dire enfin, que l’A- Comana.
naîtis, Vénus-Uranie, Mylitta, Bellone, 1.41 première statue ne date que du
Diane et Ma n’étaient qu’une seule et temps des Grecs. Artaxeree n’a rien in-
même divinité incarnée sous différents nove tous les dieux de l'Asie antérieure
;

noms suivant le génie ou le fanatisme étaient changés par les Grecs. Belus
des peuples qui l’acceptaient. devint Zeus, Sandone, Hercule, et Anaï-
La figure d’Anaïtis, transformée en tis Aphrodite ou Artémis.
Diane , fut représentée sous forme hu- Cette dernière divinité fut particu-
maine; c’était, selon Pline (I), la plus lièrement honorée par les Mèdes; aussi
ancienne statue connue. < La plus an- c’est dans les lieux de leur domination
cienne statue d’or massif sans aucun quesontgroupés les plus nombreux et les
creux et antérieure à toutes celles du plus célèbres sanctuaires. La ville de
même genre en airain qu'on nomme Pterium, leur capitale dans l'Asie occi-
holosphyrates a été celle du temple dentale, nous fait voir encore les ruines
d'Anaïlis, statue qui était en grande importantes d’un vaste cdilicc religieux
vénération parmi ces peuples »; elle fut et des bas-reliefs d’une haute antiquité
brisée, et un soldat eut une cuisse pour retracent des scènes et des cmblcnies
sa part. Avec une parcelledeson butin, il religieux qui ont des rapports certains
offrit un festin à l'empereur Auguste avec ces Mythes archaïques.
dans la ville de Boulogne (2). Cette
statue fut brisée dans l’une des années CHAPITRE XIV.
35 à 31 avant J. -C.; elle avait été dédiée
par Artaxerxe Memnon elle était âgée
: VILLES DU FONT POLÉUONIAQUE :

de trois cents ans. TOCAT. —


GUMENEK. COMANA. —
Plutarque dans la vie de Lucullus
nous apprend que certains temples de Les géographes qui ont identifié la
Diane entretenaient des troupeaux de ville moderne de Tocat avec l’ancienne
vaches sacrées qui portaient à l’épaule Comana Pontica, d’après les distances
le signe d’un flambeau; était-ce pour données par les itinéraires, n’ont pour
rappeler que cette divinité est la même ainsi dire commis aucune erreur, car
u’ Artémis Men ou Lunus? On ne doit les ruines de cette antique cité se re-
onc pas s’étonner de voir des figures connaissent au village de Geumenek
de vache dans les bas-reliefs qui rap- situé à six kilomètres à l’est de Tocat,
pellent le culte d’Anaïtis. Pausanias (3) on peut mêmey retrouver les vestiges de
parle d’Artémis, Diane Taurique ou l’ancien nom de Comana. Cette ville est
Anaïtis. Les Cappadociens et les peuples située sur le fleuve Iris, aujourd’hui lo-
du Pont se disputaient l’honneur d’avoir cal sou, ou, pour mieux dire, Yecliil
chez eux la statue originale. irmak le fleuve vert, nom donné à l’Iris
,

Les Athéniens croyaient que les Mèdes dans l’ensemble de son parcours (>).
l’avaient transportéede Braura à Suse, On aperçoit au bord de la rivière
de Laodicée,
et qu’ensuite les habitants quelques débris de ruines helléniques,
de Syrie l’avaient reçue en présent du des fragments d’architeeture et des
roi Séleucus. frises de marbre enclavées dans les
C’est sans doute ce trophée qui murailles des maisons, un édifice plus
transporté en Perse, a donné au roi considérable bâti de briques et de moel-
Artaxerxe l’idée de consacrer une statue lons s’élève au-dessus des autres ruines,
à la déesse Anaïtis, qui primitivement et est composé .d’un certain nombre de
était adorée sous la forme d’un cône. salles voûtées. Cet édifice parait être
Le culte de cette déesse a été pratiqué d’une époqueassez récente. Au pied de la
en Asie depuis les temps les plus re- un pont romain dont le milieu
colline est
est rompu et réparé avec des solives, les
(i) Pline, Xmill, 34.
(1) Id., ib. (i) Voy. Kerporlcr, Travels, ai i, 701, Po-
(3) Pausanias , lu , 16. cocke, Voyaget.

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ASIK MINEURE. 601

arcs des culées sont encore en bon état, lui donnaient le nom de Jevtogia ou
c’est tout ce qui reste de ce célèbre Eudoxia. I.es chrétiens avaient aban-
sanctuaire de Comana; mais sa position donné l’antique Comana, célèbre par un
est bien indiquée par Strabon comme culte qui leur était odieux ; de tous les
étant au-dessus de la plaine de Phana- dieux du paganisme la divinité de Vénus
roea dans la fertile plaine arrosée par était celle qui était le plus en horreur
riris. aux chrétiens à cause des cérémonies li-

A un kilomètre et demi à l’ouest cencieuses dont elle était l’objet (I).
de Guemenek est un énorme bloc de Les Pères de l’Église, etsurtout Kusèbe,
marbre cubant environ deux mètres prêchaient dans leurs écrits la destruc-
qui parait détaché de la montagne voi- tion de ces sanctuaires mal famés, et
sine et a été excavé pour en faire un Comana passait pour une petite Co-
double tombeau. La façade représente rinthe. Il n’est pas étonnant que les
la grossièreimage d’un temple il a été: chrétiens aient abandonné cette ville
décrit rapidement par 'f avernier et plus maudite pour aller s’établir dans un lieu
en détail par M. llamilton (t); un des- vierge de traditions païennes. Tocat,
sin pourrait seul faire connaître à quelle comme nous l’avons dit, est à une très-
époque il appartient ; les chrétiens du petite distance de Coinaua il est pro-
:

pays disent qu’il servit de retraite à saint bable que les matériaux des édifices an-
Chrysostome. Les collines voisines sont tiques ont servi à bâtir la ville nouvelle.
composées de pierre calcaire comme Dans les premiers temps de l’empire
toute cette chaîne centrale. byzantin elle parait avoir conservé son
Ün passe l'Iris et l’on franchit un col nom primitif, caries notices ecclésiasti-
pour gagner la vallée dans laquelle est ques mentionnent Comana comme un
située Tocat. siège épiscopal.
Il n’y a pas de ville plus extraordinaire Tocat est le grand entrepôt des mines
s’écriait Pococke, lorsque pour la pre- decuivredeKeban Maden : le métal est
mière fois il aperçut Tocat. Ses maisons transporté brut dans celte ville pour être
couvertes en tuiles dans un pays où tou- raffiné ; un grand
nombre d’habitants se
tes les toitures sont en terrasses lui livrent à la fabrication des ustensiles
donnent de loin l’aspect d’une ville de cuivre, chaudrons, braseros et vases
européenne. de cuisine et de caravane : ils exportent
Deux hautes montagnes couronnées jusqu’à Constantinople.
par d’antiques châteaux donnent au pro- Au nord-est de la ville il y a un pont
Gl du paysage un aspect étrange la ; de cinq arches jeté sur l’Iris, mais il
ville s’étend sur la croupe de ces ro- est rare qu’on en fasse usage, la rivière
diers et dans la vallée qui les sépare; est toujours guéable, excepté dans les
toutes les maisons sont bâties en bri- grandes pluies d’hiver. Dans toute cette
ques crues, mélange de terre et de paille vallée de l’Iris, dont saint Basile a fuit un
hachée, sur un terrain où la pierre cal- si riant tableau, l’abondance des eaux
caire abonde n’est-ce pas une preuve de
: entretient une fertilité admirable. Les
plus que les habitants se conforment à arbres fruitiers, qui se trouvent là dans
un usage établi dans ces contrées de leur pays natal, les abricots, les pêches et
toute antiquité, mais c’est là que se bor- surtout les poires, embellissent des jar-
nent les avantages de Tocat ; entrez dans dins qui forment un magnifique cadre à
la ville, vous voyez uu dédale de rues la ville. Les raisins de toute sorte abon-
étroites et mal tenues ; quelques mos- dent, mais la fabrication du vin laisse
quées avec leurs minarets sont les seuls beaucoup à désirer. Ilestdouteux qu’il
édifices qui attirent les regards; les deux ait satisfait le palais des voluptueux ha-
châteaux qui couronnent les montagnes bitants de l'antique Comana.
sont du moyen âge et complètement
abandonnés. (i) Strabon, XI! , 55g.
La fondation de Tocat ne remonte pas
au delà du moyen âge : les Arméniens

(i) Hamilton, t. i, p. 35o,


,

603 L’UNIVERS.
CHAPITRE XV. petite Arménie etdans le Pont. Gazioura
était une ancienne résidence des rois de
TUaKAL. — GAZIOUBA. — ZKLA. Pont ; toutes ces forteresses furent
démolies par Pompée , qui transforma
L’Iris, prenant sa source dans les le pays en fondant des villes nouvelles,
montagnes du Pont, traverse la ville et du temps de Strabon le château de
de Coraana et la fertile plaine de Daxi- Gazioura n’était déjà plus qu’une ruine.
monitis de l’està l’ouest , tourne vers Kala keui, le village du château à six
le nord près de Gazioura, ancienne rési- kilomètres à l’est d’Amasia, est remar-
dence des rois, mais aujourd’hui déserte, quable par quelques grottes sépulcra-
retourne encore une fois vers l’orient, les qui ont déjà été vues par plusieurs
reçoit les eaux du fleuve Scylax, Tcho- explorateurs, mais qui n’ont pas encore
tcrlck sou , et plusieurs autres rivières été décrites. M. Barth (1) a tenté vain^
et passant le long des murs d’Amasie il ment une ascension, mais pour arriver
entre dans la Phanarœa ; là, joint par au niveau deswenuments il lui aurait
le Lycus, qui vient de l’Arménie, il tra- fallu une échelle et des cordes, les ha-
verse la plaine de Thémiscyre pour al- bitants eux-mêmes ne paraissent pas con-
lerse jeter dans le Pont-Euxin (1). Cette naître de chemin pour y arriver. On
description de Strabon est tout à fait commence à gravir les rochers avec
conforme à la topographie actuelle et beaucoup de peine en s’accrochant aux
permet de déterminer d’une manière buissons et aux aspérités du rocher ;

positive les sites de Gazioura au village les monuments sont à cent mètres
de TurkaI , situé au coude, de l’Iris et environ au-dessus du sol de la vallée;
bâti au pied d’un haute montagne iso- mais arrivé aux deux tiers de la route le
lée et rocheuse couronnée par un château rocher devient aplani et glissant, et
fort. l’on ne peut aller plus loin. Ces cham-
TurkaI est un bourg de deux ou bres sépulcrales sont au nombre de
trois cents maisons situé à quarante- trois ; d’après l’esquisse qu’en a don-
huit kilomètres à l’ouest de Tocat, née M. Barth, elles n’ont aucun orne-
dans la plaine de Kaz ova si, la plaine ment d’architecture, et se rapprochent
des oies, et entourée de jardins et de ver- par leur simplicité des tombes d’Ama-
gers la montagne voisine forme un pic
: sie qu’on appelle tombes royales.
isolé de cent cinuuante mètres de haut Zéla est a vingt-quatre kilomètres à
et d’un accès difncile. l’ouest de TurkaI ; ou passe l’Iris sur un
La plupart des constructions du pont de bois et Ton traverse la plaine
château datent du moyen âge. 11 y a de Daximonitis, séparée de celle de Zéla
cependant quelques parties (]ui imitent par un col peu élevé. Lci ville moderne
le cachet d’une haute antiquité. Les de Zileh est bâtie au pied d’un monti-
montants des portes comme les archi- cule conique; elle contient environ deux
traves sont faits d’une seule pierre. mille maisons turques et cent cinquante
Il v a de plus dans l’enceinte des mu- arméniennes; les maisons, comme
railles un souterrain quidescend dans le celles de Tocat, sont couvertes eu tuiles.
centre de la montagne. L’entrée est as- Les habitants cultivent principalement
sez praticable, mais à mesure qu’on le coton dans leurs vastes plaines et ont
avance dans ce couloir dont la pente quelques métiers qui fournisseut des
est rapide, le sol devient si rocailleux tissus à la population des environs. Il se
u’il est impossible de descendre plus tient chaque année un grand marché
'une cinquantaine de pas (2). Cet ou- qui réunit, selon M. Ainsworth, qua-
vrage parait être une de ces galeries tail- rante ou cinquante mille visiteurs, cela
lées dans le roc , pratiquées par ordre rappelle les grandes foires religieuses
de Mithridate dans les châteaux où il ou panégyries qui avaient lieu autour
cachait ses trésors, châteaux qui sont ^es temples d’Aualtis.
au nombre de soixante-quinze dans la Au milieu de la ville s’élève lamontagne
quecüuronne le château etqui domine les
(i) Strabon, XII, 54^.
(a) Hamiltoii, Rcstarches, t. i, 35g. (i) Keise, p. i8.
ASIE MINEURE. 603

vallées environnantes, les murailles sont tion seule des lieux fait comprendre tout
modernes on observe seulement quel- l’avantage de la position des troupes
ques débris d’architraves et de comi- romaines.
ces, mais rien qui porte le cachet d’une Cette action s’étant passée hors de
haute antiquité. Au milieu de la ville la ville, n’a
donné à l’historien aucune
il
y a une fontaine qui s’épanche dans occasion d'entrer dans quelques dé-
un large bassin de pierre d’ancienne tails sur les monuments célèbres; nous
construction. Les habitants iguorent où ignorons aujourd’hui où était situé
est la source ils prétendent que dans
;
le temple d’Anaïtis; il est probable
l'intérieur du château se trouve une qu’il a eu le même sort que tous les
galerie souterraine qui conduit du som- Mifices du même genre il a été ruiné
:

met jusou’à la source. M. Hamilton jusqu'au sol par les chrétiens. Le gou-
pense qu’elle est alimentée par un ruis- vernement ou l’administration de ce
seau qui coule près de la vHIe et dont sanctuaire ne différait pas de celui de
les eau.v filtrées dans un terrain sablon- Comana ; le pontife suprême avait un
neu.v viennent ressortir au pied du pouvoir royal, et Zéla était considérée,
monticule. non pas comme une ville sous la dépen-
Zileh , l’antique Zéla , était un des dance des rois, mais comme un temple
centres les plus célèbres du culte d’A- consacré aux dieux persiques et gou-
naïtis. Strabon dit que cette ville fut vernée par le pontife même.
bâtie sur un tertre élevé par Sérnira- Zéla était le chef-lieu do la région
mis (1). Hirtius (2), Mi parle de Zéla Zélitide ; c’est Pompée qui lui donna le
longtemps avant Strabon, n’est pas du titre de ville et y joignit plusieurs autres
même avis. « Zéla, ville aussi forte qu’elle cantons tout ce pays devint plus tard
;

peut l’être dans une plaine, car elle est l'apanage de la reine Pythodons.
située sur un tertre naturel qui parait
un ouvrage de l’art et qui sert à sou- CHAPITRE XVI.
tenir les murailles de toutes parts ».
Les environs de Zéla sont célèbres AHASIE.
par deux batailles dans lesquelles les ar-
mées romaines furent tour à tour vain- Amasie est une des plus anciennes
cues et triomphantes la première eut
: villes du royaume de Pont; elle appar-
lieu entre Mithridate, Eupator et Tria- tint d'abord à la Cappadoce, et formait
rius, lieutenant de Lucullus
;
la seconde une partie de la troisième satrapie sous
donna lieu ,i César, vainqueur de Phar- Darius Hystaspe. Les anciens auteurs ne
nace , d’écrire cette célébré missive : nous donnent aucun détail sur sou ori-
Je suis venu , j’ai vu, j’ai vaincu. Le gine, elle devint capitale d’un royaume
champ de bataille où eut lieu cette ac- à lachute de l’empire de Perse.
tion mémorable, si bien décrite par Hir- Les princes de la dynastie de Mithri-
tius (3), se trouve dans un vallon si- date Ctistès y faisaient leur résidence;
tué à huit kilomètres au nord-ouest de elle subit le sort commun à toutes les vil-
Zéla. On reconnaît sans peine la colline les de la contrée lorsque les Romains dé-
où était campé du Bosphore; la
le roi clarèrent à Mithridate Eupator une
colline plus haute séparée par un vallon guerre sans merci ; elle tomba entre les
de quinze cents métrés est celle où mains de Pompée qui rasa les murailles
César établit son camp. L’armée de de l’Aeropoleen même temps qu’il faisait
Phamace en voulant attaquer César,
,
détruire tous les forts que ce prince avait
fut obligée de descendre le monticule fait construire sur les rochers les plus
u’elle occupait, de traverser la vallée et inaccessibles. Lorsque le Pont fut ré-
3 e remonter la colline sur laquelle les duit en province , Amasie ne perdit pas
troupes de César étaient occupées à son titre de capitale de Pont; elle porta
creuser leurs retranchements. L’inspec- sur ses monnaies le titre de métropole.
Grâce à son heureuse situation comme
(i) Slraboii, XII, 55g. place de transit et à la fertilité de sou
(a) Hirtius, Bell. Alex in fine. territoire, elle ne cessa de jouir d’une
(J) Id., ihid. certaine prospérité, taudis que toutes les
004 LTJNIVERS.
autres places fortes étaient abandonnées plus ancien, encore moins à quel per-
et leur nom oublié. Sous les Comnènes de sonnage il a été consacré: un seul porte
Trébizonde, Amasie devint une des prin- une inscription ; c’est le tombeau d’un
cipales villes de ce royaume , et comme grand prêtre, peut-être d’un de ces pon-
telle fut en butte aux premières attaques tifes q^ui exerçaient un pouvoir égal à
des émirs musulmans ; elle fut arrachée celui des rois.
aux Grecs par les princes de la dpas- Dans l’impossibilité où l’on est d'éta-
tie de Danischmend qui la donnèrent blirun ordre chronologique dans les
ensuite aux Seidjoukides. Le sultan monuments d’Amasic, nous nous bor-
Ala Eddyn KeïKobad, qui la possédait nerons à leur description matérielle, en
au commencement du treizième siècle, maintenant cet aveu de l’impuissance
y fit construire des mosquées et des où l’on est aujourd’hui de dire si ces
écoles qui sont encore l’ornement de la monuments sont antérieurs ou posté-
ville A la chute du pouvoir des Seid- rieurs au siècle d’Alexandre.
joukides, Amasie tomba sous celui des Amasie est située dans une vallée
Osmanlis; sous le rr.gne du sultan longue et profonde, traversée par l’Iris.
Bayazid, cette ville fut assiégée par Ti- Une montagne à double sommet, qui
mour, alors vainqueur du sultan des domine le cours du fleuve, est couronnée
Turcs , la citadello résista pendant sept par une Acropole à laquelle viennent se
mois, mais le pays d’alentour fut ravagé, rattacher les murailles d’enceinte ; elles
les habitants des campagnes massacrés. descendent dans la vallée, suivent le
Ce n’est pas la dernière attaque sérieuse contour de l’Iris, et remontent la pente
que cette ville ait eu à repousser; en de la montagne pour aller se rattacher
1472, l’armée de Uzun Hassan, scliah au second sommet; de distance en dis-
de Perse, s’était emparée de Tocat, et s’a- tance elles sont défendues par des tours.
vançait sur Amasie, lorsque Mustapha, L’enceinte de la ville comprend les pa-
fils de Mahomet II, qui commandait la lais et les tombeaux des rois. Les déni
place, marcha contre l’armée persane, sommets ont de chaque côté une gorge
et la mit en déroute dans les plaines de fort étroite, et, dit Strabon, haute de
la Cappadoce. Sélim sultan des six ou sept stades, soit onze à treize
Turcs, naquit à Amasie, et fonda des cents mètres , par laquelle on monte
écoles d’où sortirent plusieurs savants. en venant des bords du fleuve et des
Aujourd’hui , comme place de transit faubourgs de la ville. De cette gorge, aux
entre la Perse et les ports de la Mer sommets reste encore un stade cent ,

Noire, cette ville jouit encore d’une cer- quatre-vingt-cinn mètres à monter, par
taine prospérité, son climat est un des un chemin si roide qu’il est impossible
plus sains et des plus agréables de la à aucune force de le franchir.
contrée. L’eau est portée dans la ville par deux
De toutes les descriptions du site conduits taillés dans le roc le premier
:

d’Amasie, c’est toujours celle de Stra- le long du fleuve , le second dans le dé-
bon qui est la plus complète et la plus filé. Le fleuve est traversé par deux ponts,
intelligible. On peut entrer dans quel- l’un conduit de la ville au faubourg;
ques détails sur les ruines qui existent l’autre du faubourg dans la campagne.
encore , mais elles sont muettes pour C’est à ce pont que finit la montagne
l’archéologue; le car.ictère simple et située au-dessus de la Roche (I).
sévère de ces monuments ne porte
avec lui le cachet d’aucune époque LA VILLE MODERNE.
déterminée; il n’y a pas un seul orne-
ment , pas une moulure qui permette La plaine de Turkal est séparée par

d’établir une base de comparaison. On une haute chaîne de montagnes ro-

répète avec Strabon « ce sont les tom- cheuses qui déterminait la frontière
beaux des rois », mais de quels princes? entre le Pont galatique et le Peut cap;
est-ce la dynastie des rois de Pont, qui a padocieu. La route traverse un défilé
duré depuis l’an 306 jusqu'en l’an 64 dont l’entrée n’a pas vingt mètresde lar-
avantnotre ère? Dans les monumentsqui
subsistent, on ne saurait dire quel est le (i) Strabon, XII, 56i.
,

ASIE MINEURE. 606


geur, et qui est dominé de part et d'autre CHAPITRE XVII.
par deux hautes murailles de rochers.
Ce passage ou derbend parait avoir été l’acbopole et les tombeaux des
élargi de main d’homme. Il est séparé BOIS.
par une petite plaine d’un second déOlé
ou plutôt d’une déchirure entre les ro- La ville moderne occupe exactement
cbe.rs, dans laquelle la route s’engage. l’emplacement de l’ancienne Amasie;
Les flancs de la montagne sont si rap- elle est complètement enveloppée, du
prochés qu’on aperçoit a peine le ciel. côté du nord, par le rocher de l’Acro-
Un cours d’eau rapide descend en pole, dans les flancs duquel sont creu-
bouillonnant des vallées supérieures et sés les tombeaux des rois, visibles de
va se jeter dans l’Iris. En sortant du tous les quartiers de la ville et disposés
déflléon arrive dans la plaine d’Ama- à peu près comme ceux de Persépolis
sie.qui présente aux regards le plus au-dessus du palais.
magnifique tableau. La ville, dominée Le chemiu qui conduit à la citadelle
par les hauts rochers de l’Acropole, pa- traverse l’Iris sur un pont de pierre
rait engloutie sous la verdure de ses d’antique construction, l’un de ceux
immenses jardins. T.a rivière du défilé, que Strabon mentionne. La largeur de
divisée en plusieurs canaux, va porter l'iris est d’environ cinquante mètres,
partout l’abondance et la fertilité. Des de nombreux fragments d’architecture
restes d’aqueduc, que l’on peut suivre sont encastrés dans les murs des
pendant plusieurs kilomètres, indiquent quais ; à partir de la porte de la ville,
qu’ancienuement cette eau était portée la route contourne le rocher de l’Acro-
jusqu’à la ville. Une légende populaire pole en formant plusieurs lacets , c'est
en attribue la fondation à un prétendant sans doute en calculant cette pente que
amoureux de la fille d’un prince d’A- Strabon estime la hauteur de l'Acropole
masie; c’est depuis ce temps que la à sept stades . Les premières murailles
montagnede l’Acropole s’appelle Ferhad que l’on rencontre sont rasées presque
dagh. '
au niveau du sol ; ou peut cependant
La ville est bâtie dans la partie la suivre la lirae de circonvallation et
plus étroite de la vallée, et forme un reconnaître Tes bases des tours.
contraste frappant entre la luxuriante Trois tombes sont excavées à mi-côte
végétation de la vallée et l’aride et sé- dans la partie nord de la montagne ; il
vère nature de la montagne, dont les y en a deux autres au sud.
flancs récèlent les tombeaux des rois. En continuant de monter, on arrive
Amasie n’est pas seulement intéressante à un passage taillé dans le roc, dont la
pur ces vénérables restes d’antiquité, de longueur est de six ou huit mètres; là
tout_ temps elle a conservé son prestige se trouvait le premier obstacle, consis-
de ville royale, et les monuments de style tant dans une grille dont les scelle-
arabe qui existent encore prouvent que ments se voient encore dans le rocher.
dans le moyen âge elle conserva une En sortant de ce couloir obscur, on ar-
certaine illustration. Iji ville moderne rive sur une étroite plate-forme qui n'a
n’est pourtant pas en harmonie avec pas plus de deux mètres de large et
cette splendeur passée : des rues étroites toute taillée dans le roc. Sur le côté
et à peine pavées, des maisons élevées voisin du précipice, on a ménagé un pa-
avec des avant-corps qui interceptent la rapet dans la roche même , et l’on a en-
lumière, offrent l’aspect le moins sédui- taillé des marches dans les parties les
sant. Les principaux habitants n’y font plus rapides de la montagne.
qu’une résidence passagère; ils demeu- La première tombe est à vingt mètres
rent de préférence dans les maisons environ de cette première montée; c’est
de campagne éparses sur les collines une simple excavation de la profondeur
environnantes, au milieu des jardins. de cinq à six mètres et de cinq mètres
de haut, à laquelle on arrive par quel-
ques marches pratiquées au bas d'une
plate-forme. Ljntérieur du tombeau
consiste dans une chambre voûtée,
606 L’UNIVERS.
sans aucun ornement avec l’emplace- craies à l’abri de toute humidité et de
ment nécessaire pour y mettre un sar- toute infiltration de la roche.
cophage. Devant la porte on remarque Un des tombeaux du second groupe
dans le rocher des trous qui retenaient porte sur sa façade plusieurs rangées
sans doute une grille pour protéger le de trous carrés évidemment destinés à
monument. retenir des plaques de marbre ou de
Un second tombeau semblable est métal.
creusé à vingt mètres environ du pre- Loin de la ville et sur la rive gauche
mier il est sans ornement et ne diifère
-, de l’Iris s’élève le plus remarquable et
pas du monument voisin; les tombeaux le mieux conservé de tous les tombeaux
du nord ont la même simplicité. On d’Amasie; il est composé d’une niche
arrivait à ces monuments par un large voûtée, taillée dans le roc, avec deux
escalier dont il reste des vestiges. pilastres eu saillie. La pierre a reçu un
Le tombeau situé à l’extrême droite poli qui s’est conservé jusqu’à présent ;

est le seul qui ait un soubassement; la aussi les habitants appellent- ils ce tom-
façade est creusée avec plus de soin , et beau Aineh maghara si, la grotte du
il est dans un meilleur état de conser- miroir. La muraille du fond porte en
vation que les autres; la chambre inté- grands caractères grecs l’inscription :

rieure est plus vaste. Mais tous ces mo- TUS APXIEPEYS « grand prêtre de Cj-
numents sont en général si ruinés qu’il bèle », les lettres qui sont dans la partie
est impossible de reconnaître quelle fiit inférieure n’ont pas été déchiffrées.
leur décoration primitive. Ker Porter, L’Acropole qui domine ces différents
qui visitait les tombeaux d’Amasie à groupes de monuments n’a plus que de
son retour de Perse fut frappé de la
,
faibles vestiges des constructions an-
ressemMance de ces tombes arec celles tiques ; on retrouve cependant sur la
de Persépolis. Il émet l’opinion assez partie la plus élevée de la montagne
plausible que dans l’origine ils avaient quelques pans de murailles et le soi^
leur façade ornée d’un portique ; cette bassement d’une tour d’appareil hellé-
opinion est appuyée chez lui sur l’exa- uique à bossage admirablement exé-
men de frises et de colonnes dont les cutés.
débris étaient alors épars autour des M. Hamilton a observé dans l’Acro-
tombeaux (1). pole d’Amasie un conduit souterrain,
Un des pitons de la montagne, au- qu’il compare aux syringes, passages
dessus de la rivière, contient deux étroits mentionnés par Strabon. Pres-
tombes, dont l’une porte des traces que tous les anciens châteaux de
évidentes d’une décoratiori architectu- ces contrées avaient des communica-
rale; il y en a deux autres un peu tions secrètes avec le dehors de la
lus bas, ce qui complète le nombre de place ; on en retrouve à Pismich kalé
uit tombeaux. Ker Porter ajoute judi- si , à Tocat, à Turkal à K.ars même,
:

cieusement que le temps de leur cons- qui n’est pas d’une si haute antiquité,
truction ne peut être que conjecturé, mais U y a une poterne voûtée qui descend
par la comparaison de leurs plans on jusqu’au bord du fleuve. Le château
peut conclure qu’ils sont de beaucoup d’Amasie avait deux galeries souter-
antérieurs au christianisme; ils sontcon- raines. La première, partant du soinmet,
formes aux modes de sépulture usités suit la direction de Vest; celle-ci n’est
dans les premiers âges de la Perse. pas taillée dans le roc, mais solidement
M. Barth divise les tombeaux d’Ama- construite et cachée aux regards la ;

sie en trois groupes chacun de trois seconde descend obliquement dans le


sépulcres; les deux premiers sont creu- cœur du rocher. M. Hamilton y descen-
sés côte à côte et séparés du rocher par dit à l'aide de flambeaux, et, à une pro-
un couloir qui fait le tour des caveaux. fondeur de cent mètres, il trouva une
Le but de cet isolement était certaine- source d’eau limpide, qui devait éti'C
ment de mettre les chambres sépul- plus considérable autretois ; le bassin
était en partie comblé par les décom-
bres. Dans les parties faibles de la roche
(i) S. R. Ker Porter, Travels, t. If ,
7to.
la voûte de la galerie est soutenue par
ASIE MINEURE 607

une solide maçonnerie; les murs du bas- La situation de Ptérium est déter-
sin sont de la même eonstruction. minée par Hérodote dans les monta-
En sortant d’Amasie, la vallée de l’I- gnes voisines de l’Halys. > Crésus après
ris s’élargit et forme la plaine de Chi- avoir franchi l’Halys' arriva dans cetto
liocomon ; les cantons de la Diacopène partie de la Cappadoce que l’on nomme
et de la Pimolisène s’étendent jusqu’à la Ptérie ; c’est une contrée d’un très-
l'Halys. La partie septentrionale du difficileaccès, qui s’étend jusqu’à Si-
territoire d’Amasie, a cinq cents stades nope. Crésus s’y établit, ravagea les
environ de longueur ou quatre-vingt- poussions des Syriens ( Cappadociens
douze kilomètres, sa largeur du nord au Pontiques) et s’empara de la capitale des
sud s’étend vers la province de Zéla et Ptériens, dont il fit les habitants escla-'
la grande Cappadoce jusqu’aux Troc- ves. Il prit de même toutes les villes de
miens, c’est-à-dire jusqu’au territoire de l’intérieur et de la frontière, et finit par
l’ancienne Ptérie, que nous avons déjà transporter en entier la nation syrienne
abordé en décrivant la Galatie.

CHAPITRE XVIII.
n i qu’il H’en eut reçu aucune of-
le. »

Cest là tout ce que l’histuire nous


dit de Ptérium , il n’est pas étonnant
VILLES DU PONT GA.LÂTIQUE. — que les écrivains d’une époque plus
PTÉBIÜM. — BOGHAZ KEUI. —
EUYUK. récente se taisent sur le nom d’un pays
qui n’existait plus. Ptérium est entière-
Cyaxare, roi des Mèdes , après avoir ment ruinée par Crésus, et n’est pas
expulsé les Saces de l’Asie, étendit ses rebâtie; il est clair que dans les ruines
possessions jusqu’au fleuve Halys ; il de- de cette ville on ne doit trouver au-
vint maître de la r^ipn de Pterie. dont
le territoire.,

nopc

s’étendait jusqu'à Si-
était habité par la nation des
,
cune trace de monuments grecs ou ro-
mains, tout doit être archaïque, et de
style ou de construction mede. C’est
Leucosyriens. Ils possédaient plusieurs dans ces conditions que nous avons
villes ; Ptérium , la capitale , située
et retrouvé dans le village de Boghaz kcui
dans les montagnes à l’est de l’Halys, le 28 juillet 1834, des ruines imposan-
était fortifiée par la nature autant que
tes qui satisfont complètement à la
par l’art. Crésus, roi de Lydie, s’en ren- question. Depuis ce temps l’obscur vil-
dit maître, la détruisit, réduisit les habi- lage turc est devenu célèbre parmi les
tants en esclavage, et les transporta dans érudits; ses ruines ont été visitées par
d’autres contrées. un grand nombre de voya.geurs, de
Hérodote est le seul historien qui nombreuses dissertations ont été écrites
nous ait conservé le souvenir de ces faits sur les sujets représentés dans les bas-
dans sa relation de la campagne de reliefs merveilleuse ment conservés après
Crésus contre Cyrus ; il est le seul qui tant de siècles; nous avons accompli
mentionne le nom de la Ptérie et de la notre tâche, nous avons remis en lumière
capitale des Ptériens. Les autres histo- une ville oubliée depuis vingt-cinq
riens, Slrabou même, qui s’étend si siècles. Xje nom de Ptérium a d’abord
longuement sur l’histoire de la Cap- été contesté; on voulait voir dans ces
padoce pontique, ne prononcent pas une ruines l’ancienne Tavium des Troc-
seule fois le nom de la Ptérie 1 ). Etienne aujourd’hui cette question nous
( miens ;
de Byzance comble cette lacune sans tarait hors de discussion et le nom de
dire à quelle source il a puisé ses docu- ville inède est généralement ac-
fa
ments " Ptédum ville des Mèdes, quel-
:
cepté. (1)
ques-uns disent au neutre Ptera, l’acro- Nous exposerons simplement l’état
^le de Babylone; il y a aussi Pteria des ruines de cette ville telles que nous
ville de la province de Sinope l’ethnique
; les avons observées, sans discuter les
mède est Pterienus, celui de Sinope est opinions qui ne sont pas conformes
Pterius(2). »

(i) "Voyez Car. Rilter, Erdhunde, tom. IX,


(i) "Voy. plu3 haut pages i4i, a43, 5oa. 377-395-1019. — Barth Reise, p. 44 i Ha-
(ï) Et.Byz., Pleriim, milton, Retearches, tom. I, 394, etc.
608 L’UNIVERS.
aux nôtres et qui, nous le reconnaissons, CHAPITRE XIX.
sont remplies d’érudition ; mais un vo-
lume ne suffirait pas pour réunir tout LE TEMPLE.
ce qui a été écrit sur ces monuments,
q^i à leur apparition dans le monde Deux esplanades ont été pratiquées
savant, ont excité un si unanime intérêt. sur la croupe de la colline inférieure ;
Leur existence révélait une Asie en- elles sont superposées l’une à l’autre de
core inconnue, ouvrait une ère nouvelle cinq mètres, et communiquaient par un
aux études orientales c’était, selon l’ex- grand escalier dont on ne trouve plus
pression d’un académicièn, « la source que la pente. L’esplanade inférieure a
de découvertes dont nul ne pouvait 11 0 mètres de large sur 1 -10 de longueur.
prévoir la portée. » Ce n’était en effet Elle est soutenue par un mur en sou-
que le prélude à des découvertes d’une bassement qui a environ 6°',50 de haut,
uien autre importance qui se sont faites dont la partie inférieure est formée par
dans ces derniers temps. des pierres brutes posées en assises
Le village de Boghaz keuT est situé réglées, et la partie supérieure, en
dans une vallée qui s’étend de l’est à pierre calcaire, appareillée en blocs ir-
l’ouest, arrosée par deux' ruisseaux dont réguliers. Le terrain est couvert d’un
les eaux coulent dans cette dernière gazon Gu et uni; il ne paraît pas qu’il
direction. Le plateau qui les sépare est ait jamais supporté d’ édifice. Un peu à
couvertde débris qui portent le caractère gauche et en montant vers la seconde
de la plus haute antiquité ; il est do- esplanade, se trouve une disposition de
miné par une montagne dont le som- chambres ou de cellules qui sont au-
met estdéféndu par des murailles d’une jourd’hui raséesjusqu’au niveau du sol.
épaisseur considérable qui ont plusieurs de sorte qu’on ne reconnaît pas les tra-
milles de circuit. Différents mamelons ces des portes. L’étendue de ces büü-
de roches s’élevant çà et là sur le pen- mentsa .'i8"’,80 de longueur; les cham-
chant de la montagne sont couverts de bres ont dans œuvre 12“ de long sur
fortifications solidement construites. 4“,30 de large. L’épaisseur des murs
Sur le plateau inférieur, on remarque est d’environ 2“; ils sont faits de pier-
aussi des pointes de rochers qui portent res sèches et d’un appareil irrégulier.
toutes les traces du travail de l’homme ; Le corps de l’édifice prfeente une masse
enfin, au milieu, et comme abritées de ruines qui a environ 46“ de large
par cette ligne de défense , sont les sur 65“ de long ; le temple est construit
ruines d’un grand temple qui , dans son avec des pierres de très-grand appareil
plan, n’a aucun des caractères de l’ar- et taillées avec le plus grand soin.
Il

chitecture grecque ou romaine. La ne reste plus aujourd’hui qu’une ou


construction de ces différents édifices deux assises de ce vaste édifice, qui
est généralement en appareil irrégulier, diffère tellement de tout ce que nous
mais de genres différents, car tantôt les connaissons dans l’architecture an-
blocs portent des bossages exécutés au cienne , que nous ne pouvons établir
marteau , et les joints sont lissés avec aucune conjecture sur son ordonnance
soin ; dans d’autres parties , les pierres primitive (1).
sont employées brutes et comme sor- On entrait dans l’édifice par trois

tant de la carrière. portes inégales : elles conduisent dans


I.e plateau sur lequel se trouvent les une sorte de Prothyron , sous lequel se

ruines du temple est borné au nord par trouvait la grande porte, qui avait
une montagne calcaire couvertede buis- de large. On entre ensuite dans une
sons, et qui reste dans l’état d'une na- enceinte carrée qui a 22“,97 de large
ture sauvage et inculte. Du côté du sur 27“,03 de long. Tout le pourtour
sud, le terrain cultivé par les habitants du temple est fait de gros blocs de
forme quelques ondulations de peu d’im- pierre calcaire ayant deux mètres de
portance. large sur à peu près un mètre de hau-

(i) Voyez la planche n“ 6, Tem/'lr ifj’


iiailis à Pterium.
ASIE MINEURE. 60d

leur, et de cinq à six mètres de lon- I U^OS de largeur ; au fond du temple,


gueur ;on ne connaît guere dans les au couchant, était le lieu très-saint, qui
constructions anciennes que les pier- avait 11 ”',08 de long et autant de large.
res des pyramides d’Égypte qui attei- La cella et le secos étaient entourés
gnent ces dimensions. A droite et à de trois côtés, au sud, à l’ouest, et au
gauche de l’entrée sont deux portes qui nord, d’un corridor et de cellules à trois
mènent dans les parties latérales du étages qui s’appuyaient contre l’intérieur
temple; celle de droite, dans deux sal- du temple(l).INous ne pouvons pousser
les contiguës; celle de gauche, dans un plus loin la comparaison des deux édi-
corridor qui longe la partie latérale du fices,mais quand on voit avec quel soin
temple et qui a une issue à son extrémité les pierres colossalesdu temple de Pté-
nora. Ije mur attenant à ce corridor est rium sont appareillées, ou ne peut s’em-
mitoyen avec huit chambres ou cellules pêcher de songer à la description qui
qui ont de deux à trois mètres de lar- est faite de la construction du temple
geur sur une longueur de sept mètres; de Jérusalem , nous pouvons ajouter
et de l’autre côté de la grande enceinte que ces deux édiflces peuvent être re-
dont nous avons parlé se trouvent aussi gardés comme contemporains.
cinq autres cellules de la même forme
et de la même dimension ; les murs de CHAPITRE XX.
séparation sont formés d’une seule pierre
de sept mètres de longueur, et toutes les ACBOPÜLES, PALAIS.
murailles extérieures de l’édilice sont
faites de pierres semblables, qui s’a- Continuant l’examen de ces lieux,
justent non pas par des joints unis et guidé par les habitants du village, je
comme dans les autres constructions an- portai mon attention sur les rochers qui
tiques, mais sont enchâssées les unes entourent le temple, et je vis qu’ils con-
dans les autres comme des pièces de bois ; servaient tous plus ou moins de traces
ceci est un des caractères de l’arcliitec- du travail de l’homme. Celui qui est le
lure persépolitaine. plus à l’ouest a été tranché de part en
Le plan supérieur des assises est percé part de manière à présenter un passage
de distance en distance par des trous dont les parois sont bien aplanies et
parfaitement circulaires qui ont sans verticales. En descendant quelques pas
doute servi à relier les pierres entre dans le lit du petit ruisseau voisin, on
elles par des crampons de métal. Toute trouve l’entré^d’un souterrain dans le-
cette partie du temple est en pierre cal- quel je me glissai, non sans peine, mon
caire ; mais les constructions adhéren- guide refusant obstinément de me pré-
tes à l'extrémité de l’édilice sont faites céder. Le souterrain était à moitié
avec une pierre réfractaire de la nature comblé par les terres charriées par les
de la serpentine, d’une dureté extrême, iluies , cependant il me fut possible de
et dont la couleur est verdâtre. La fe parcourir dans une longueur d'en-
chambre principale a 7°‘,78 de large sur viron 100 mètres, et de m’assurer qu’il
10"',20. .Elle est éclairée par deux fe- se dirige vers l’esplanade du temple. La
nêtres, entre lesquelles se trouve taillée construction de ce conduit a tous les
dans le roc au niveau du sol une espèce caractères de la plus haute antiquité;
d’auge de 2°’,80 de long. Cette pièce il est bâti de pierres brutes, et la
est entourée de plusieurs cellules comme courbe de la voôle a la forme d’une
la grande enceinte. Il est clair que dans ogive très-aplatie , au point qu’en quel-
cette dispositionil ne se trouve rien qui ues endroits les murs ont l’aspect de
rappelle les temples construits par les eux plans inclinés. Les éboulements
Romains ou les Grecs; mais on doit survenus dans l’intérieur m’empêchèrent
reconnaître l’analogie qu’il y a entre le de pénétrer plus avant, avec le guide,
plan de ce monument et le temple de qui marchait un fanal à la main. La
Jérusalem; seulement, les dimensions de croupe du plateau sur lequel est cons-
ce dernier édifice sont un peu plus pe-
tites. Le temple de Jérusalem avait (i) \oy, Uanuel de fanhiteeture de J. P,
intérieurement 33'”,24 de longueur et Ramée, p. 376.
39« Livraison. (Asie Mineuse. 1 T. II. 89
,

610 L’TNIVERS.
trait letemple présente encore d’au- LBS HUBSILLBS.
tres tracesde raines , et notamment de
substructions qui sont toutes de travail Nous arrivons maintenant aux mu-
pélasgiqueet de différents caractères. railles proprement dites et au ^stème de
F!n se dirigeant vers le sud-est , on fortifications continues qui entouraient
arrive à un monticule isolé , couronné une vaste étendue de terrain. Ces rem-
par une construction qui aujourd’hui parts ont généralement de cinq à six
même est dans un parfait état de con- mètres d’épaisseur; on peut les parcou-
servation. Cette enceinte, presque car- rir à cheval dans le pourtour de la ville.
rée, a vingt-six métrés quatre-vingts cen- Ils sont formés d’un revêtement de
timètres de large, et est formée par des pierres sèches d’appareil polygonal, avec
murs d’une grande épaisseur. Les fon- un remplissage de moellons et de pe-
dations sont établies sur le roc vif, et tites pierres; la porto la mieux conservée
composées de pierres de grand appareil ; et qui parait être la plus importante
la construction est en assises réglées étaitau sud de la ville. Toute cette par-
et les pierres forment des bossages. tiede la muraille, construite en appareil
Un chemin taillé dans le roc conduit pélasgique d’une exécution parfaite,
au sommet; quant aux constructions domine un glacis dont la pente a vingt
qui couvraient l’enceinte, elles sont indi- mètres de longueur et est inclinée de
quées par diverses excavations faites dans 39°. CiC glacis est revêtu d’un perré en
le rocher, parmi lesquelles on distingue pierres sèches , qui le rendait tout à fait
une petite citerne ; ces raines peuvent impraticable. Un chemin oblique à la
avoir appartenu à une Acropole ou à muraille est tracé dans le glacis, de
un palais. On n’v trouve aucune trace sorte que quiconque voulait monter jus-
de sculpture ni d’ornement. qu’à la porte, se trouvait pendant tout
Une seconde citadelle, dont les murs le temps exposé aux traits de la place.
de revêtement entourent le sommet La muraille, en cet endroit, forme une
d’un rocher, domine le vallon de Kiz retraite de trois mètres de profondeur,
kaïa. Tous les parements des murailles au fond de laquelle est la porte, qui
sont démolis, et dans l’intérieur on re- n’est pas d’une conservation complèle;
marque, les traces d’un bouleversement on voit encore en place deux jambages
dont les autres monuments ne donnent en marbre brèche d’une très-grande
point d’exemple. Il semble que ce point dimension, du milieu desquels sortent
des fortifications a été particulièrement deux têtes de lions qni ont quatre-vingt-
en butte aux attaques des ennemis. dix centimètres de saillie, décoration
En continuant de monter sur le inusitée dans tout ce que nous connais-
plateau , on arrive à une esplanade plus sons des Romains et des Grecs. La par-
vaste, qui a très-probablement servi tie supérieure de celte porte était cou-
d’Acropole, et qui est située sur un ro- verte par un linteau droit, mais qui
cher presque inaccessible de trois côtés. avait été évidé pour former un plein-
L’appareil est moins soigné que dans ceintre.
le monument précédent, et toutes les A trente mètres environ , à droite de
pierres de l’intérieur ne paraissent pas la porte, il
y a une poterne qui com-
avoit subi le travail du ciseau. Ces cons- munique avec un souterrain d’une cons;
tructions si incohérentes ont certaine- truction entièrement semblable à celui
ment été élevées pour former la dé- |ui avoisine le temple ; la voûte est en
fense inférieure 'de la ville. Néanmoins, ?orme d’ogive, et les pierres sont posées
au-dessous du temple, on observe des sans avoir été travaillées. Elle peut être
traces de fortifications oui venaient se parcourue dans une étendue de cent
rattacher aux deux grands rochers ; tout cinquante mètres. En suivant sur le sol
l’ensemble paraissait alors divisé en la direction prise à la boussole, je lus
ville haute et en ville basse : dans la conduit dans la forêt, remplie de liuis-
partie supérieure étaient les habitations sons inextricables , mais parmi lesquels
et le grand système de défense, dans la on trouve , çà et là, des traces de cons-
ville basse étaient le temple et les habi- truction.
tations des nombreux desservants.
ASIE MINEURE. 611

CHAPITRE XXI. pide et régulière. Le bas-relief est


taillé dans un rocher calcaire cristallin
VASILI KAÏA. et d’une dureté extrême ; il est placé à
environ un mètre nu-dessus du sol, et
L’intérêt qui s’attachait pour moi à était couvert d’une vaste croûte de li-
l’existence de ces ruines devint encore chen, qui prouvait que depuis longtemps
plus grand quand j’appris qu’à environ il était oublié des humains. La dégra-
deux milles de la ville il existait une dation qu’il a subie e.st due plutôt à l’ef-
enceinte taillée dans le roc, et autour fet du temps qu’à des atteintes volon-
de laquelle sont sculptés des bas-reliefs taires de la part des habitants.
représentant un sujet qui se rapporte Le second bas-relief représente trois
à des événements complétemeut oubliés figures barbues portant la même coiffure
aujourd’hui, mai.s qui doit avoir été ueles précédentes, et vêtues, indépeu-
d’une grande importance dans l’histoire amment de la tunique, d'un manteau
de ces peuples. qui les envoloppe presque en entier ;
Le chemin qui conduit à cette en- c’est lesüyrnos des Mèdes. Le person-
ceinte est frayé au milieu de terrains nage qui marche devant, a exactement
incultes; ou n’observe aux environs au- le même costume que les figures du
aine trace de construction ; il ne parait premier tableau; quant à la pose, elle
pas qu’anciennement ce lieu ait jamais est lamême dans tous les groupes.
été habité. Aujourd’hui il est également Les deux tableaux qui suivent repré-
désert, et les paysans craindraient de sentent une procession composée d'hom-
s’y trouver à la tombée de la nuit. Rien mes armés et portant des emblèmes ou
aux alentours ne peut indiquer l’exis- des présents ; les deux premières figures
tence d'un monument de cette impor- sont barbues, sont coiffées du casque
tance (t). Le monument de Yasili kaïa assyrien (1), légèrement recourbé sur
( la pierre écrite), c’est
ainsi que le dé- le devant, et vêtues d’une robe rayée
signent les habitants, est d’une conser- obliquement et reliée par une ceinture.
vation parfaite; jamais il n’a eu d’ac- Le second tableau, sculpté sur un autre
cessoires autres que ce qui existe main- plan du rocher, continue le sujet que je
tenant. Une enceinte disposée par ia suis disposé à appeler la pompe des
nature a été agrandie et régularisée par Dorophores. La plupart des acteurs de
la main des hommes. Elle forme une cette scène sont armés, et portent en
salle presque rectangulaire, et sur les outre des objets dans lesquels on re-
rorliers taillés à pic se. trouvent sculptés connaît cette croix ansée du tableau pré-
les bas-reliefs disposés en différents cédent. Un seul des personnages est arnté
tableaux qui l’entourent à hauteur de la massue; un autre porte une faux,
d’homme. trois autres ce sabre recourbé sur son
-A gauche, en entrant, le premier ta- tranchant, qui fut d’abord eu usage .

bleau représeute onze figures, toutes chez les Orientaux et que l’on nomme
dans la même pose et dans le même chim-chyr (2), dont nous avons fait le
costume. Chacun des personnages est mot cimeterre. I>e milieu du bas-relief
coiffé du casque conique , vêtu d’une représente un sujet assez difficile à in-
tunique légère, et porte, des chaussures terpréter; mais d’après la disposition
assyriennes dont rextrémité est très- des figures, on est porté à le regarder
relevée (2). U n,peu en avant dece groupe, comme allégorique , car il se compose
marchent deux personnages semblables de deux figures monstrueuses , vues de
et exactement dans la même pose Je , face et montées sur un socle; elles sup-
bras gauche tendu en avant, et le bras portent au-dessus de leur tête une es-
droit légèrement fléchi dans le mouve- pèce de barque. Toutes les figures de
ment d’un tireur d’arc. ; cependant on ces bas-reliefs marchent dans le même
doit remarquer qu’ils sont sans armes; sens ; c’est-à-dire se dirigent vers le
ils semblent exécuter une marche ra- fond de la salle.
.Ol:
(i).'Voy. Hamilton, Researches, 1. 1, .'(oo. (i) HcTiHlot., lib. 'Vil, 6Î.
(a}Cf. Hérod., lib. I, loi. (a) Griffe de lioo.
-.1 e
3 ^ ...

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,

612 L’UNIVERS.

Le cinquième tableau représente évi- Cette grande scène semble continuer


demment des personnages d’un rang les deux processions retracées à droite
supérieur à ceux que nous avons dé- et à gauche. Un homme plus grand
que nature, coiffé du casque conique,
crits. Un homme barbu, coiffé de la cyr-
bazie et couvert de la robe médique, et portant une longue barbe, fait un
précède une femme entièrement vêtue échange de présents avec une femme
et portant derrière les épaules des ap-
coiffée de la tiare cylindrique et vêtue
pendices qui sont sans doute des ailes comme les femmes décrites précédem-
grossièrement représentées. On ne saurait ment. Ils portent l’un et l’autre une croix
dire positivement si les deux flgures qui ansée au milieu d’une fleur de lotus;
suivent sont des hommes ou des fem- l’homme barbu est armé d’une massue,
mes mais il est suffisamment indiqué une sagare est passée dans sa ceinture;
,

que ce sont des prêtres et des prêtresses ; sa tunique est courte et sa chaussure
elles portent une faucille et une grande
extrêmement relevée; j’ai surtout re-
patère, et sont coiffées d’un casque marqué une queue recourbéequi est près
sphérique semblable à ceux des Grecs. de son coude, et qui paraît venir de der-
Elles sont suivies par un vieillard barbu rière la tête, parce que ce même appen-

et ailé , coiffé du casque conique, au- dice se retrouve aux figures qui portent
la barque, et au personnage mâle qui est
quel sont ajoutées deux appendices qui
lui donnent une forme particulière (I). parmi les femmes. Quoiqu’on ii'observe
Telle est la disposition du sujet re- dansson costumeaucun des attributs de
la royauté, on ne saurait se méprendre
tracé à la gauche de l’eneeinte ; c’est
une procession à la tête de laquelle sur le rang élevé de ce personnage; il
s’avance le souverain, puis les Doro- est porté debout par deux hommes qui

phores, puis enfin le peuple sans armes, sont coiffés de la cyrbazie recourbée
et dans l’attitude de gens qui se livrent et vêtus de la robe traînante. Auprès

à l’exercice de la danse. de chacune des deux flgures principales


Du côté droit de l’enceinte, deux ta- on a sculpté le taureau unicorne, comme
bleaux seulement se rapportent au sujet pour indiquer un sujet religieux. A
que nous décrivons. Le premier com- gauche du tableau se trouvent encore
posé de dix flgures, toutes dans le même deux figures portant le costume décrit
costume, représente évidemment des précédemment; l’une est sans armes,
l’autre porte une massue et une épée;
femmes ; elles sont coiffées de la tiare
elles s’avancent en marchant sur des
cylindrique, portent des cheveux longs,
et sont vêtues de robes à grandes man-
montagnes.
ches, liées à la ceinture et formant des plis La droite du bas-relief est occupée
variés. Il n’est pas facile de dire si ra- par un groupe du plus grand intérêt :

justement qu’elles ont devant elles fait reine ou déesse, la grande ligure de
partie de leurs vêtements, ou si c’est femme que nous avons décrite , tient
un objet qu’elles transportent avec elles. de sa main droite un sceptre, et est
Dans une petite anfractuosité du ro- montée sur un lion qui descend fière-
cher sont trois flgures dans le même ment du sommet des montagnes; scs
costume, et qui paraissent conduire les cheveux pendants sont retenus dans u
dix femmes qui les suivent. Il est à ceinture, et derrière elle est sculptrà

remarquer que tout le groupe d’hommes une figure indéfinissable, dont la partie
sculpté à l’entrée se compose de treize supérieure, semblable à l’ornement
individus, nombre égal à celui des quelle tient dans la main, est terminée
femmes qui sont placées à droite et par deux jambes d’homme. Le person-
ui marchent également vers le fond
nage qui la suit immédiatement porte
le même costume que les autres figu-
e l’enceinte où est figurée la scène
principale, et qui parait attirer l’atten- res d’hommes. Il tient dans sa main
tion de tous les j^rsonnages sculptés une bipenne ou plutôt la sagare des
,

alentour. Saces (t), de l’autre uu bâton noueux;


il s’avance avec le groupe de femmes,
Voyez Planches a, 3,4. Kas-relicfs taillés

dans le roc à Pterium. (i) Hérod., I. Vît, 63. Siraboii.XI, 5i3.

Digi; . L.
,

ASIE MINETiaE. 613

monté sur un lion mais il est d'une


. d’un lion. Cette figure est là comme
plus petite dimension que les autres pour garder un passage étroit formé par
liÿcures : derrière lui marchent deux fa nature, qui conduit dans une galerie
femmes coiffées de la tiare et portant à ciel ouvert, dans laquelle on observe
une fleur de lotus; au-dessus est deux bas-reliefs d’un caractère unique.
sculpté un aigle bicéphale, les ailes éten- Elle a deux mètres soixante centimètres
dues ,
et qui parait avoir des pieds de de largeur, les parois en sont aplanies
cerf. avec soin, et les tableaux sont sculptés au
Tous ces bas-reliefs appartiennent niveau du sol, dont l’exhaussement est
évidemment à un même sujet, retracent d’environ un mètre au-dessus de celui
un grand événement politique ou reli- de l’autre salle.
gieux, célèbre dans les annales de ces La première de ces figures, dont la
peuples. Mais ce ne sont pas les seuls tête est de grandeur colossale, repré-
ouvrages de ce genre qui s’offrent aux sente un homme coiffé de la mitre co-
regards, plusieurs tableaux sont sculp- nique; son nez est très-arqué; l’œil est
tés dans d’autres parties de cette en- de face, comme dans toutes les sculp-
ceinte, et ne paraissent pas se rattacher tures orientales de style archaïque ; le.
d’une manière aussi directe au motif caractère du profil rappelle tout à fait
principal du grand bas-relief. les idoles de l’Inde; à son oreille énorme
La procession des femmes ne com- est suspendue une boucle d’oreille dont
mence que vers la seconde moitié de la le centre représente une étoile; la poi-
paroi de droite. Depuis ce point jusqu’à trine paraît couverte d’une sorte de
l’entrée, le rocher forme plusieurs re- cuirasse : au moins est-elle divisée par
traites qui ont été disposées pour rece- une ligne médiane dont l’exemple n’est
voir des bas-reliefs. Sur une saillie ver- oint dans la nature. A la place des
ticale qui fait face à la grande scène ras, cette singulière figure a deux
on voit une ligure colossale représen- avant-corps de lions grossièrement scul-
tant, suivant toute probabilité, le même ptés ; elle se termine au buste, et est
personnage royal sculpté dans la (iro- supportée par deux animaux mons-
cession. Il est vêtu d’une grande chla- trueux, dont la tête est profondément
myde , coiffe d’un casque spbéri(|ue, enfoncée dans le sol. Tout porte à croire
tient dans sa main gauche le .sceptre re- que cet ensemble barbare, composé de
courbé, et dans Li main droite un a*di - parties d’hommes et d’animaux, repré-
cule, au milieu duquel se trouve la sente quelque divinité; mais on reste
représentation d’une divinité, non pas dans le doute lorsqu’il faut prononcer
marchant sur un lion comme dans le le nom du dieu dont ces peuples ont
bas-relief, mais dans le repos, et posée retracé l’image. Est-ce le dieu Omanus
sur un socle. Le personnage qui sou- qui partageait les autels de la déesse
tient ce temple marche sur deux cônes, Anaïtis.’ (’.’est une conjecture qui pour-
comme pour indiquer qu’il règne sur rait devenir probable, si l’on parvenait
un pays de montagnes. La sculpture, h prouver que les monuments religieux
quoique incorrecte, est exécutée avec un que nous avons décrits sont relatifs au
très-grand fini, et le rocher a reçu un culte de cette divinité persique.
poli précieux. lin autre bas-relief voisin du premier,
Dans la même enceinte se voient en- représente une figure dont la partie in-
core deux petits bas-reliefs, qui sont férieure est également recouverte par
presque entièrement détruits par l’effet l’exhaussement du sol ; derrière sa tête
«lu temps, le rocher étant moins so- est un æilicule, dans le centre duquel
lide dans cette partie droite. L’un des est sculptée l’image d’un Phallus. Cet
sujets se compose de deux ligures, as- ædicule est, dans toutes ses autres par-
sises face à face et coiffées de la mitre ties, semblable à celui qui est porté par
comme les dieux égyptiens; l’autre re- le pontife-roi. Le bras gauche de cette
présente une figure monstrueuse qui femme est passé autour du cou d’un
a les bras étendus et est vêtue d’une jeune enfant dont le corps est caché
tunique. Son corps est semblable à ce- par le sol ; elle soutient sur sa main
lui d’un homme ,
et sa tête est celle droite un embryon de figure humaine.
,,
.

ftl4 L’UNIVERS.
qui rappelle peut-être que cette divinité brement de l’armée oe Xcrxès (1),
préside à la fécondation de la nature. «....les .Saces,peuples de la Scythie :

Le terrain, quis’est beaucoup exhaussé ils portent sur leur tète un bonnet
dans cette partie, cache certainement qu’ils nomment cyrbajie, terminé en
d’autres bas-reliefs, car j’ai remarqué pointe très-aiguë , et qui se tient droite
plusieurs têtes de petite dimension qui Leurs jambes étaient revêtues de chaus-
sont gravées au niveau du sol , et sont ses. Indépendamment de l’arc n la ma-
très-endommagées par le temps; il est nière de leur pays et de poignards, Ils
probable que ce qui est dans la terre est étaient encore armés d’une espèce de
mieux conservé. On voit aussi des exca- hache appelée sagare. » Rien ne manque
vations taillées avec soin dans le rocher, à la ressemblance, ni la hache à deux
et qui ne peuvent avoir servi de tom- tranchants , ni la coiffure haute et co-
beaux, parce qu’elles sont d’une dimen- nique. Les Assyriens portaient au con-
sion beaucoup trop petite; d’ailleurs, traire des casques légèrement courbés
l’ensemble de ces bas-reliefs est bien et des massues de bois garnies de clous
plutôt religieux que sépulcral. en fer. Cette arme se retrouve entre les
Un e.\ainen attentif de ce monument mains de plusieurs de ces ligures.
démontre qu’il n’est pas l’œuvre d’un Or, on sait que les Scythes n’ont ja-
des peuples qui ont habité l’Asie occi- mais cultivé les arts. Toute la .Médic,
dentale. La ressemblance de cette figure qui fut soumise à leur puissance, fut,
montée .sur un lion , avec des sculptu- au contraire, bouleversée par leur.s ex-
res babyloniennes , porte à conjecturer cès (2) ; ce n’est donc point aux Saces
(lu’elle représente une des principales qu’il faut attribuer ce monument; mais
divinités révérées chez les peuples mèdes il est certain qu’il a un rapport direct

ou assyriens. avec fhistoirc de ces peuples. Hérodote


Le culte d’Anaïtis, répandu et cé- et Strabon nous fournissent quelque
lèbre dans toute cette partie de la Cap- lumière à ce sujet. Après avoir men-
padoce, était toujours entouré d’une tionné les ravages des Saces (3) , Héro-
pompe toute royale. 11 n’y avait pas de dote .ajoute « Mais Cyaxare et les
:

temples plus imposants que ceux de .Modes finirent par en égorger le plus
cette déesse, dont les autels étaient des- grand nombre, qu’ils surent attirer
servis par une multitude d'esclaves. Ce dans un repas où ils les enivrèrent. C’est
qu’on sait du temple de Comana peut par ce moyen que les Mèdes parvinrent
s’appliquer à ceux de Concobar et dUy- a ressaisir la puissance et à dominer en
œpa. Les faits les plus importants de Asie (4). »
P histoire médo-perse se rattachent à la Le passage de Strabon est plus ex-
vénération que tous les peuples avaient plicite ; il est clair que l’un et l'autre
pour la plus célèbre de leurs divinités. nistorien font allusion au même fait
Originaire de l’Asie orientale, le culte les Itièdes écrasant les Saces à la suite
d’Anaitis a été transporté de la Baby- d’une orgie. La seconde version de Stra-
lonie dans ces contrées , et s’est répandu bon n’infirme pas la première; elle
à une époque plus reculée chez les prouve seulement que les fêtes des Sa-
Mèdes et les Arméniens (1). La grande cées étaient célébrées dans toute l’éten-
scène du fond n’est-elle pas relative au due de l’empire des Mèdes.
culte de la déesse, qui, arrivant de l’O- <t Les Saces, dit cet historien, se
rient montée sur un lion , est accueillie sont emparés d’une partie de l’Armé-
par les Cappadociens, qui lui apportent nie , qui a porté d'après eux le nom de
des offrandes? Sacacene ; ils ont pénétré jusque dans
On doit surtout tenir compte d’un fait
incontestable, c’est que les Ggures (i) Lib. VII, C4 .
d’hommes représentées dans ces bas- (a) Hérod., lib. VII, io6 .
reliefs portent toutes le costume des Sa-
(3) Les Saces sont des Scythes Amyrgiem:
ces. En effet, comparons avec la des- mais ils étaient désignés ainsi parce que les
cription d’Hérodote ,
dans son dénom- Perses donnent indistinctement le nom de
Saces à tous les Scythes.
(i) Strabon, XI, 53a. (4) Lib. VII, 104 .
,,
, ; ,

ASIK MINEURE. blb

Ib pays des Cappadociens , surtout dans reliefs tous les détails des événements
le pays de ces Cappadociens voisins du rapportés ci-dessus. Le sujet du fond
Pont-Euxiii, que Von distingue aujour- représentant le culte d’Anaïtis trans-
d’hui par le nom de Pontici ; mais là orté dans ces contrées le tableau de
,

tandis qu'ils se tenaient rassemblés entrée ne serait autre chose que les
pour le partage du butin, les généraux habitants vêtus à la manière des Saces,
perses qui commandaient dans ces con- et se livrant à des danses en commémo-
trées les attaquèrent de nuit, et les ex- ration de cet événement, qui était célé-
terminèrent. Pour éterniser le souvenir bré dans tous les lieux où se trouvait
de ces événements , les Perses , après un temple d’ Anaitis.
avoir accumulé des terres autour d^me Les fêtes des Sacées étaient célébrées,
roche Isise dans la plaine où s'était non-seulement dans cette partie de la
passée l’action), y formèrent comme Médie, mais à Babylone même. La
une colline qu’ils entourèrent de murs description qu’en fait Athénée , d’après
et où ils élevèrent deux temples , l’un Berose, ne ressemble pas à celle que
à la déesse Anaitis, l’autre aux divini- Strabon nous a transmise ; mais le nom
tés persiques Omanus et Anandate, est le même. Il est possible que les cé-
qui partagent ses autels. Puis ils fondè- rémonies se soient modifiées en s’éloi-
rent la fête annuelle dite les Sacæa gnant des pays où ces fêtes ont été ins-
que célèbrent encore maintenant les tituées. Voici le passage d’Athénée :

possesseurs de Zéla ainsi appelle-t-ou


, Berose écrit liv. 1 de ses histoires de
,

le lieu dont je parle.... Tel est le récit Babylone, que tous les ans, le 16 du
de quelques auteurs concernant l’ori- mois Loüs, on fait une fête appelée
gine des A'acæa,- selon d’autres, elles Sacée, qui dure cinq jours entiers. Il
ne datent que du règne de Cyrus. Ce est alors d’usage que les esclaves com-
prince, disent-ils ayant porté la guerre
, mandent à leurs maîtres; on en sort un
dans le pays des Saces , y perdit une de la maison , vêtu d’un habit semblable
bataille. Contraint de fuir, il regagna à celui du roi , que l’on appelle Zogane.
les lieux où il avait établi ses magasins, Ctésias rappelle cette fête livre II de
,

abondamment pourvus de provisions et ses Persiques.


surtout de vins. Après s’y être arrêté le Cela prouve que l’institution de ces
peu de temps nécessaire pour faire re- Cyrus et quand
fêtes était antérieure à ,

poser son armée , il en repartit sur le on voit l'importance extrême que les
soir, feignant de continuer sa fuite, et peuples mettaient à leur célébration
laissant ses tentes pleines de vivres on ne doit pas être surpris qu’ils en
mais il lit seulement la marche conve- aient perpétué le souvenir par quelque
nable à son dessein. Les Saces , qui le monument.
poursuivaient arrivèrent dans ce camp
, Le sujet traité dans le bas-relief de
abandonné, et le trouvant rempli de Ptérium se rapporte à des événements
victuailles, se livrèrent sans ménage- sipeu connus de nous, qu’il a dû né-
ment à la débauche. Cyrus alors , re- cessairement donner matière à des ex-
venu sur ses pas, surprit les barbares plications bien différentes. M. Kiepert,
ivres et hors de sens Ils furent tous faLsant complètement abstraction du
massacrés. Le prince vainqueur attri- séjour des Mèdes dans la Ptérie, ne voit
buant son succès à la protection divine, dans ce bas-relief qu’un sujet purement
consacra ce jour à la déesse honorée Assyrien, relatif au culte des dieux de
dans sa patrie, et voulut qu’il s’appelât cet empire (1). M. Barth croit
y recon-
le jour des Sacées. Voilà pourquoi, naître un traité de paix et d’alliance
clam tous les lieux où il se trouve un entre Cyaxare et Alyatte, après la cé-
temple de cette divinité , on célèbre an- lèbre éclipse de soleil qui eut lieu sui-
nuellement la fête des Sacées. C’est une vant le D' Zech, le ^8 mai 584 avant
espèce de bacchanale ; les hommes et notre ère (2). La figure coiffée de la
les femmes s’y réunissent vêtus à la
Scythe , et passent ensemble vingt-qua- (i) Voy. Karl. Erdkunde t. IX,
tre heures a boire et à folâtrer. » p. loig, Erklârung dcr Kupferlardu.
ün retrouve dans cette suite de bas- (ï) Barih-Hcise, p. 45. « .Sonderii \vir
,

616 LTNIVF.RS.
cyrbasie ou bonnet conique représen- lier de Persépolis. Les piliers de la porte
terait à ses yeux Astyage et sa liaucée. sont décorés de deux sphinx en relief
Le point le plus important, c’est que ces ui ont le caractère tout à fait égyptien,
deux questions géographiques contro- ur le revers du pilier est sculpté un
versées pendant plusieurs années , la aigle à deux têtes, symbole qui rattache
position de Ptérium et celle de Tavium, comme style et comme époque le pa-
soutaujourd’hui résolues :1a preiiiièrede lais d’Euyuk aux bas-reliefs de Ptérium ;
ces villes étant placée à Boghaz keui, la e» d’autres termes ce palais est très-pro-
seconde à Néfes keui. bablement une résidence royale comme
les princes d’Orient en faisaient cons-
CHAPITRK XXII. truire dans ces parcs ou paradis si sou-
vent décrits par Xénophon, Hérodote et
EUYUK. — PALAIS MÈDE. d’autres auteurs. La question de savoir
à quel peuple on doit ces constructions,
La
capitale des Ptériens oubliée de- se résout d’elle-même quand on sait
puis tant de siècles n’est pas le seul que la Ptérie était une province de
souvenir du séjour des Mèdes eu Asie l'emnire des Mèdes. Il faut supprimer
Mineure; les recherches de iU. Hainil- les laits dont le souvenir est conservé
ton ont fait connaître dans le voisinage par Hérodote, ou admettre que les
de cette ville au village d'Euyuk un souverains d’Ecbatane ont dû avoir
monument qui date de l’empire de Dé- dans les contrées frontières de leur
jocèset dont les sculptures forment, au empire des palais où habitaient leurs
point de vue de l’histoire de l’art, un représentants surtout dans le voisinage
:

complément précieux du bas-relief de d’une capitale comme Ptérium ; on ne


Ptérium. doit pas non plus s’étonner de voir des
KujTik est un village turc situé à souvenirs de l’Égypte renaître dans ces
vingt kilomètres au nord de Boghaz constructions, les conquêtes de Sésostris
keui dans le bassin du Tchoterlek sou, avaient porté dans ce pays les coutumes
le (leuveScylax,undes aflluéittsde l’I- égyptiennes, et vingt-ciuq siècles avant
ris. Ce village bâti sur une éminence notre ère, l’Égypte avait envoyé des co-
occupe remplacement d’un antique édi- lonies sur le Pont-Euxin. Les Colches
lice dont l’entrée s’annonce par deux pratiquaient la circonsion, ils avaient
colosses adossés h des pilastres et for- pris cette coutume des Égyptiens, qui
mant l’entrée du monument. l’avaient également répandue chez les
Les murs, qui formeut une terrasse Syriens habitant sur les rives du Ther-
carrée, sont composés de blocsénormes. modon et du Parthénius (I). Trop de
Il n’a été publié aucun plan de cet souvenirs de l’Égvpte restaient encore
édifice, mais les descriptions qui en ont dans les contrées de la Cappadoce et
été données suffisent pour faire recon- du Pont au huitième et dixième siècle
naître que ce monument n’est autre avant notre ère, pour que l’on puisse
chose qu’un vaste palais qui peut être s’étonner de trouver chez les artistes
comparé à celui de Persépolis. de ces temps reculés, des souvenirs des
Une grande terrasse carrée s’élevait arts de l’Égypte. Le royaume des Mèdes
dans la iilaine, le soubassement était a commencé sept cent dix ans avant
sur la façade, orné de sculptures re- J.-C. (2); il s’était établi un commerce
présentant des joueurs d'instruments, incessant entre les nations du sud et
des prêtres vêtus de longues robes, des cellesde la mer Noire; il n’en faut pas
béliers et un taureau menés au sacrifice, plus pour que les mêmes idées se soient
c’est-à-dire une procession dans le propagées dans les deux régions.
genre de celle qui orne le grand esca- Nous avons déjà cité, entre autres
monuments qui portetit le caractère
baheii hier scU>st eiiie Peisoiiinkalioii dvr égyptien, le tombeau de Dikili tascli,
soiinenliiisternisa vor uns. » — Voyez plus
haut p.S|;e a4 1 les oltsurvatioiis sur l’éclipse (t) HÎTodole, II, 104. Voy. |>liiv I1.1UI,

de soleil et page 411 col. 1 sur les questions page 380.


de critique, (») l''rerel, mémoires.
ASIE MINEURE. 6ir

près d’Urgub. Un tombeau du meme zid, et demeura deppis ce temps incor-


style a été observé par Hamilton près porée aux domaines du sultan.
d'Aladja, au sud-est d'Euyuk, et à huit Les habitants se partagent deux sortes
heures de marche au nord de Youz- d’industrie , ils sont tisserands, et tra-
gatt. Un portique soutenu par trois co- vaillent le cuivre avec une certaine habi-
lonnes d’ordre dorique, courtes et mas- leté: ce sont leschaudronniersde Casta-
sives , donne accès à une chambre sé- mouni qui envoient à Constantinople les
pulcrale taillée dans le roc ; le style de ustensiles de ménage en cuivre, tels que
cette architecture rappelle plutôt les mangals, espèce de braseros , séfer tass,
monuments égyptiens que ceux de la écueiles de voyage, et une grande quan-
Grèce. tité de ces bouilloires connues en Europe
sous le nom de cafetières du Levant.
VILLES DES CALÂTES. La population s’élève a plus de qua-
rante mille habitants.
Kiangari , l’ancienne Gangra, est si- Bloucium, autre résidence royale des
tuée au pied du mont Olgassus, elle ap- princes galates, a été reconnue par
partint à la Paphlagonie, puis au M. Ainsworth dans la petite ville d’Is-
royaume de Pont et ensuite à la Gala- kelib, sur la rive gauche de l’Halys. Dans
tie. Le roi Déjotare v faisait sa rési- les jardins situés au pied de la colline
dence. Selon Étienne de Byzance le nom du château, on voit encore quelques
de Gangra, qui en langue paphlagonienne colonnes avec leurs chapiteaux, et
signiGe une chèvre, a été donné à cette quelques bas-reliefs ; mais le tout est
ville a cause des nombreux troupeaux très-ruiné. Déjotare, Gis de Castor, fai-'
de chèvres qui su trouvaient dans le sait aussi sa résidence à Bloucium.
pays. Ces ammaux se plaisent toujours Néocesarée, aujourd’hui Niksar,faisait
dans cette contrée agreste , qui est à partie du Pont Polémoniaque et était si-
plus de huit cents mètres au-dessus du tuéesur le bord du Lycus. Cette ville n’est
niveau de la mer. pas nommée parStrabon, maisest men-
La moderne Kiangari est principale- tionnée par Pline; on est porté à en con-
ment peuplée par les Turcs; sur une clure qui! l’époque de sa fondation doit
population de seize mille âmes, il n’y a être placée dans le siècle qui sépare ces
pas plus de quarante familles grecques, deux écrivains, sans doute sons le règne
la ville ne renferme aucun édifice re- de Tibère. Précisément au moment où
marquable et cette ancienne ville royale le nom de Néocésarée apparait dans
n’a conservé aucun vestige appréciable l’histoire, le nom d’Armeria qui était
des palais du roignlate. situéedans le même canton , oispar.iît
Gangra fut assiégée et prise par Jean complètement, il est probable que cette
Comnène, qui venait de reconquérir dernière ville n’a fait que changer de
Castamouni, ville natale des Comnènes, nom.
tombée au pouvoir d’un émir persan. M. Hamilton est plus disposé à iden-
La ville de Castamouni est situéedans liGer Néocésarée avec l’ancienne Cabira
la vallée du Kara sou ; l’un des affluents où Mithridate possédait un palais. La
de l’Halys. Son nom ne se trouve men- situation du château qui commande la
tionné par aucun auteur ancien ; elle plaine a donné de tout temps une grande
ne commence à être connue dans l’his- importance militaire à cette place.
toire qu’à la Gn du onzième siècle. Un La ville de Niksar s’étend au pied
rocher élevé qui domine la ville est cou- d’une colline couronnée par un château
ronné par un château byzantin dont on du moyen âge ; on peut observer de
attribue la fondation aux Comnènes. nombreux restes de monuments ro-
Castamouni compte plusieurs mosquées mains : un portique de trois arcades
remarquables par leur architecture lé- appartenant a un grand édiGce est en-
gère et capricieuse , et qui datent de core debout. Plusieurs mosquées bâties
l’époque des Seljoukides. Les Turco- dans le style de l’architecture des Seld-
mans commandés par l’émir Danis-
,
joukides méritent d’être étudiées.
mend, restèrent maîtres du château; la Entre Néocésarée et la côte du Pont-
ville tomba ensuite au pouvoir de Baya- Euxin s'étendait la plaine de Phanaroea
618 L’UNIVERS,

( aujourd’hui Tach ova si, la plaine de ces villes populeuses. Mais les colons
pierre ) signalée par Strabon (1) comme grecs de ces contrées donnaient plus
le meilleur canton du Pont. Elle pro- d’attention au commerce qu’aux beaux
duisait de l’huile , du vin et des céréa- arts, les rudes populations indigènes
les; elle s’étendait entre deux chaînes s’intéressaient peu aux jeux du cirque
de montagnes, et formait une large val- ou de la scène, et dans toute la période
lée dans laquelle se réunissent le Lycus qui suivit le règne d’Alexandre justju’à
et l’Iris. La ville d’Eupatoria avait été la soumission complète du pays a la
fondée par Mithridate Eupator, au con- iuissance romaine , aucune région de
fluent des deux rivières ; Pompée s’é- f'Asie ne fut exposée à des guerres plus
tant emparé de cette ville ,
lui donna le désastreuses. Amisus fut brûlée par Lu-
nom de Magnopolis. Toute la topogra- cullus, Trébizonde et Sinope ravagées
phie ancienne de cette plaine est très- par les invasions des Gotlis et des
exacte; mais au confluent des rivières, 'Turcs. Aussi dans l’exposé rapide que
on n’observe aucun vestige de Magno- nous allons faire de Tétat de ces villes,
polis. peu de monuments arrêteront notre at-
A cent cinquante stades, dix-sept ki- tention ; nous rappellerons brièvement
lomètres plus au sud, était située la ville Tbistoire des principales places, pour
deCabira, où Mithridate avait un palais, nous hâter de retourner dans les pro-
un parc et un moulin à eau. A deux vinces du sud, où les souvenirs de la
cents stades, trente-sept kilomètres de belle antiquité se montrent de la ma-
Cabira, était le Cœnochorion, château nière la plus grandiose.
neuf de Mithridate, bâti sur une roche Nous suivrons dans cet itinéraire de
escarpée, au sommet de laquelle était la côte le périple d’Arrien ; Strabon et
une source abondante. Les abords du Pline seront nos guides fidèles pour
château étaient défendus par une forte l’histoire du pays.
muraille et par une rivière qui coulait Arrien cite la place de'Hermonassa,
au pied de la roche. mentionnée aussi par Strabon ( 1 ),comme
Ce pays est encore peu connu, il n’a étant voisine de Trapezus , il est na-
été visité par aucun Européen ;
c’est la turel d’en rechercher la position aux
p<irtie la plus sauvage de la province environs de Platana, le seul bon mouil-
comme du temps des Romains. lage de la côte dans ces parages.
L’ancienne Cérasus de Xénophou
était située dans la vallée de Kerasouu
CHAPriRE XXIII.
déré, et le château de Kereli kalé oc-
cupe l’emplacement de Coralla. Tout ce
PÉBIFLE DU PONT-EUXI^.
pays était habité par les Chalybes. Tri-
polis, aujourd’hui Tireboli est situé à
Si toute la côte asiatique du Pont- cinq kilomètres à l’ouest d'une rivière
Euxin est, pourles navires, dangereuse
du même nom , le Tireboli sou. C’était
et inhospitalière, le territoire qui forme dans l’antiquité une place de peu d’im-
le littoral offre aux yeux d’un Européen portance , avec une forteresse pour pro-
des sites qui lui rappellent les régions téger les navires (2) ; la ville moderne
les plus favorisées de son pays natal,
commande trois petits golfes avec bon
une végétation abondante et riche, des fond ; mais le mouillage n'est pas sûr, à
rivièresnombreuses et des pèches abon- cause des roches cachées sous l'eau. Le
dantes aux embouchures. Tous ces avan- château du moyen âge tombe en ruine;
tages recommandent le pays à l’atten-
une autre forteresse abandonnée s’é-
tion des explorateurs. Mais aucune con-
lève sur une éminence voisine deux ;
trée de l’Asie n’est plus pauvre en
petites églises byzantines sont les seuls
monuments antiques tant de colonies
;
monuments qui peuvent arrêter un
grecques, filles de Milet et de Sinope, moment l’attention. La population de
ont pourtant couvert ces rivages, qu^on Tireboli se compose de quatre cents
devrait apercevoir quelques vestiges de

(0 .Slrab., XII, 548.


(i) Strabon, XU, 556. (ï) Pline, 1. VI, ch. 4 .
ASIE MINEURE. 6ld

tiiaisohs turques et de cent maisons Déjà dans les montagnes des environs
grecques (1). de Trébizonde, ou reconnaît au milieu
La rivière de Tripolis prend sa source des forêts le merisier et le cerisier sau*
dans les montagnes de l’Arménie près vages ;
ces arbres sont encore plus
de la ville de Gumucli hané, où sont abondants aux environs de Kerasunt;
les mines d’argent; toute la chaîne qui leurs fruits, sans être très-sueculents,
forme le bassin de cette rivière est riche ont une saveur parfumée. Les habitants
en minerai de plomb argentifère. Il en fabriquent une sorte de vin.
e.xiste à quatre kilomètres à l’est de la Colyore, ville grecque, colonie de
ville, distance qui correspond aux Sinope, était du temps de Xénophon
vingtstades d’Arrien, d’anciennes exploi- un port de mer d’une certaine impor-
tations d’argent, qui indiquent l’empla- tance; c’est là que les Dix*.Mille s’embar-
cement d’Argyria. quèrent pour se rendre a Héraclée. La
Zeffreh bouroun, à seize kilomètres à population de Cotyore ayant été em-
l’ouest de Tripolis, marque remplace- menée pour peupler Pharnacie , la pre-
ment du cap et de la ville de Zephy- mière de ces villes tomba à l’état de
rium. Ce pays appartenait au Pont simple village et ne paraît jamais s’être
Cappadocien (2), l’ile d’Arétias, aujour- relevée dans" la suite; il ne reste aucun
d'hui Kerasuut ada si, à trente stades de vestige de cette ancienne ville aux lieux
Pharnacie, était célèbre dans l'antiquité où l’on présume qu’elle a existé, soit à
par le souvenir des deux reines des Ordou, qui présente quelques restes d’un
amazones Otrère et Antiope, qui avaient ancien port, soit à Bozouk kalé, qui n’est
consacré un temple au dieu Mars. Au- qu’une construction byzantine.
jourd’hui cet îlot est couvert de brous- Le fleuve Balama ou Pulemon ichaï
sailles et n’offre aucune trace d’anti- marque la place de l’ancienne Polémon,
uité. Après l'île Arétias le périple qui donnait son nom à la province ; le
’Arrien marque Pharnacie ancienne- petit villagede Pulémon offre encore
ment appelée Cérasus. les restes d’une église octogone et de
Cérasus fut reconstruite par Pharuace, uelques épaisses murailles. Le château
grand-père de Mithridate, qui lui donna e Pnatisane était un peu à l’ouest de
le nom de Pharnacie; cependant le Pulémon; c’est l’échelle qu’on appelle
nom de Cérasus reparut dans la suite aujourd’hui Fatsa.
des temps, et se retrouve aujourd’hui Unieh , l’ancienne Oenoë est située
,

avec peu d’altération dans celui de la à trente-six kilomètres à l’ouest de


ville moderne de Kerasunt. Personne Fatsa ; la petite rivière Djevis déré sou,
n’ipore que Lucullus fut le premier que l’on traverse avant d’arriver, re-
qui transporta en Italie le cerisier, présente l’ancien fleuve Phigamus d’Ar-
originaire de Cérasus :la renommée du rien. Ce pays des anciens Chalybes est
roi de Pont pâlit bien auprès d’un tel encore abondant en mines de fer, et les
fait, il n’est pas surprenant que la re- habitants, comme leurs ancêtres, s’adon-
connaissance de la postérité ait conservé nent à l’exploitation et au travail du fer.
le nom de Cérasus et oublié celui du Le village de Kalé keui, situé à huit kilo-
roi Pharnace. Kerasunt la ville turque
,
mètres au sud d’Unieh , est voisin d’un
occupe aujourd’hui l’enceinte des mu- ancien château bâti sur une roche
railles de la ville grecque; la plupart élevée et presque inaccessible. Un mo-
des fortifications antiques sont d’une nument sépulcral ayant la forme d’un
belle époque et bieu conservées. On temple tétrastyle a été creusé dans la
peut observer aussi quelques restes face la plus abrupte do la roche; il est
d’églises byzantines; mais dans toute la aujourd’hui impossible d’y arriver; pro-
ville on ne retrouve pas une seule co- bablement les ouvriers qui Tont exécuté
lonne debout, pas un ediDce qui rappelle étaient descendus par le moyen de
les beaux temps de l’architecture an- cordes depuis le sommet de la montagne.
tique. Les anciens pour creuser ces sortes de
grottes avaient coutume de faire des-
(i) Hamillon, lomel, n. xSj. cendre les ouvriers du haut du rocher
(») Ploleméc; liv. V, ch. 6. par le moyeu de longues cordes. Pline
,

f.20 L’UNIVERS.
décrit très-bien ce genre d’ouvrage ville qu’ilaurait voulu sauver. D’après
quand il parle de l’exploitation de l’or : le tableau que fait Plutarque de la des-
« Ceux qui taillent ces rochers sont truction d’Amisus, on conçoit qu'on ne
suspendus à des cordes; en sorte qu’en pourrait y trouver aucun débris de la
voyant de loin cette étrange opération ville grecque. Amisus avait été fondée
on est tenté de croire qu’on voit des iar les Milésieus lorsqu’ils occupèrent
oiseaux d’uue nouvelle espèce (I). » fa Cappadoce; les Athéniens y envoyè-

Le tableau que fait Strabon de la rent ensuite des colons sous la con-
campagne de ïliémiscyre est encore duite d’Athéclès; elle fut ensuite an-
vrai de nos jours rien n’égale la beauté
: nexée au royaume de Pont. Sous l’empire
des pâturages, la richesse de la végétation elle jouit d’une certaine tranquillité,
de ces plaines où l’on voit errer d’in- mais elle fut toujours obscurcie par le
nombrables troupeaux bien supérieurs, voisinage de Sinope: cependant sous les
comme race, à ceux du reste de la Comuènes de Trébizonde, Amisus
contrée. Themiscyre était à soixante comptait comme une des principales
stades d’Amisus. La petite ville de villes de leur empire. Dans le synec-
Tbermeh, bâtie sur la rive gauche du dème d’Hiéroclès, Amisus est comptée
Thermodon, n’est composée que de au nombre des villes épiscopales de
quelques maisons de bois avec une l’Hélénopont, province détachée du Pont
mosquée et un bazar; il n’apparaît aux Polémoniaque par l’empereur Justinien.
alentours aucun vestige de l’ancienne Sous l’empire des Seidjoukides , la ville
ville. Aujourd’hui ce territoire appartient n’était plus connue que sous le nom de
à la province de Djanik ; les voyageurs Samsoun, qui n’est qu’une corruption
anglais l’ont souvent comparée aux du nom d’Amisus. Les cartes pisaues
districts les plus beaux de l’Angleterre. la désignent sous le nom de Simiso; la
Le Thermodon, séparait la province de carte catalane, sous celui de Sinuso.
Gadiloii de celle de Sidène ; vient en- Assiégée et prise par le sultan Bayazid,
suite le neuve Iris où Yechil irrnak, qui Ildirim, Samsoun fut depuis ce temps
passe pour très-pois.sonneux. La petite incorporée à l’empire des Osmanlis.
ville de Tharchembeh est à dix-huit La baie offre aujourd’hui un médiocre
kilomètres de l’emhouchure du fleuve. mouillage aux navires qui font le ca-
Le pays d’alentour est un vaste jardin botage de la mer Noire , aussi les ba-
où croissent toutes les variétés des fruits teaux du Bosphore ne s’y arrêtent que
de l’Europe. pour déposer leurs marchaudises et
Samsoun n’occupe pas exactement leurs passagers.
l’emplacement de l’ancienne Amisus; la Le docteur Schmidt a examiné en
ville grecque, dont il reste quelques détail les ruines de l’ancienne Amisus.
vestiges, est sur un cap à trois kilomètres Surle sommetdela colline de r.\.cropole,
au nord-ouest de la ville turque; l’an- il a retrouvé des restes de mnraillos et

cien port est aujourd’hui comblé et à de tours demi-circulaires, de nombreux


peine peut-on retrouver les traces de fragments de marbre blanc et de terres
l’ancien môle. Amisus est une des villes cuites; à une demi-lieue du rivage, il
qui ont le plus souffert pendant les a retrouvé les ruines d’un temple avec
guerres de Mithridate. Ce prince l’avait des colonnes et des bas-reliofs au milieu
agrandie et ornée de temples; mais d'un épaisfourrédebuLssons. Le gouver-
lorsqu’elle fiit assiégée par Lucullus, neur de la ville avait fait trausporter
Callimaque,qui la défendait vo5'ant, que dans son palais plusieurs colonnes et
tonte résistance était impossible fit des bas-reliefs (t). Arrien marque entre
mettre le feu aux principaux édifices. Amisus et le fleuve Hnlys , les stations
En vain Lucullus, maître de la place, d’Eusèue, Gonopéium et Naustathmus ;

voulut arrêter l’incendie; les soldats la première de ces places est eucoro
altères de pillage, mettaient eux-mêmes inconnue. LeConopéium était un marais
le feu^aux maisons, et Lucullus n’eut qui existe encore sous le nom de Koum-
qu’à déplorer la destruction totale d’uue jougas , le bec de sable ; c’est un petit

(O Pline, xxxm, ch. 4. (i) Rilter, Erdkunde, (. IX, p. So5.


ASIE MINEURE. 621
port (|ui sert de débarcadère pour la ville jusqu’à la côte, fondèrent plusieurs villes
de Bafra; le pays d’alentour est très-boisé maritimes, qui furent plus tard occupées
et entrecoupé par des prairies où pais- parles colonies grecques; lerestedu pays
sent de nombreux troupeaux. Un grand était morcelé en différents gouverne-
marais salant qui est en communication ments. Les descendants de Pylæmène
avec la mer parait occuper l’empla- conservèrent un pouvoir indépendant
cement du Naustathmus, qui était à jusau'à l’établissement du royaume de
quatre-vingt-dix stades de l'Halys etqui Lydie. Alors la Paphlagonie formait la
marque la frontière entre le royaume limite orientale des Etats de Crésus ;
de Pont et la Paphlagonie. sous le rè^ne de Darius, elle fit partie
de la troisième Satrapie. Le roi Mithri-
CHAPITRE XXIV. date, fondateur du royaume de Pont,
ne tarda pas à étendre ses possessions
PAPHLAGONIE. au-delà du fleuve Halys; il s’empara de
toute la côte jusqu’à Héraclée, et après
La Paphlagonie est bornée à l’orient la chute de sa dynastie, le pays continua
par l’Halys, a l’ouest par le fleuve Par- à être gouverne par des princes parti-
thénius, au sud par la Phrygie et la Ga- culiers.
latie fl). Les auteurs anciens ne sont Sous les empereurs Dioclétien et
pas d’accord sur l’origine des Paphla- Constantin les limites de la Paphlagonie
goniens; ils étaient déjà établis dans le furent soumises à une nouvelle réparti-
pays au temps de la guerre de Troie, et tion : la partie ouest du territoire fut
parlaient la même langue que les Cap- annexée à la Bithynie, et le reste con-
padociens ; on les regarde comme ayant tribua à former la province d’Héléno-
eu des liens de parenté avec la popula- pont, dont Amasie fut déclarée capitale.
tion des Hénètes, qui habitaient les en- Le territoire de la Paphlagonie n’est
virons d’Amastris et qui sont comptés ps moins fertile que celui qui s’étend
parmi les peuples d’origine scytbe (2). à l’est de l’Halys; il est surtout remar-
Ces derniers, après la chute deTroie, al- quableparses immenses forêts, qui four-
lèrent s’établir dans le golfe de l’Adria- nissaietit aux Romains les éléments de
tique, où ils formèrent la soucbe des Ve- leurs flottes. Ces forêts se rattachent à
neti, or, il n’a jamais été dit que ce celles de la Bithynie, et forment la ré-
peuple fût de race sémitique. gion appelée Agatch denisi, la mer des
Il résulte de ces faits que le peuple
arbres , qui se prolonge jusqu’à l’O-
paphlagonien était, comme tous ceux qui lympe.
nabitaient à l’ouest de l’Halys, d’origine Quand on a franchi l’Halys, le che-
thracique. Nous avons déjà parlé des min est très-praticable le long de la côte,
Caucones (3) et des Maryandiniens, qui qui est bordée de collines et par con-
furent tour à tour annexés à la Bithynie séquent exempte de marécages. La petite
et au Pont : telles était les populations ville de Zalecus ou Zaliscus était dis-
ui occupaient la partie ouest de la côte tante de deux cent dix stades de l’Halys.
e la mer Noire. Le villaged’Âlatcham , situé au bord de la
La Paphlagonie était renfermée dans mer, offre dans son voisinage un ancien
des limites trop étroites pour avoir ja- château byzantin dont les ruines sont
mais joué un rôle important dans l’his- au milieu d’un massif épais d’arbres et
toire du pays; elle fut d’abord gouver- débroussaillés; cetendroit indique sans
née par des princes indigènes, qui con- doute remplacement de Zalecus. Entre
servaient leur autorité en allant servir cette petite ville et Sinope, Arrien cite
comme alliés les États plus puissants; les deux places de Zagora à moitié che-
c’est à ce titre qu’ils vinrent au secours min entre l’Halys et Sinope , et la ville
de Priam. grecque de Carussa , dont l’emplace-
Les rois d’Assyrie, maîtres du pays ment est encore indéterminé.

(1) SiraboD, XII, 544.


( 2 ) Straboa» XII, 543,
(3) Voy. p. Ap.

L.ooglc
.

622 L’UNIVERS.

CHAPITRE XXV. aussi boisés et aussi fertiles qu’autrefois;


son territoire présente en un mot tous
SINOPE-AMASTRIS-HÉBACLÉE les éléments necessaires à une popula-
tion commerçante , cependant elle est
La situation exceptionnelle de la pres- tombée presque à l’état de village. La
qu’île de Sinope sur un rivaqe qui offre presqu’île qui défend le port est entourée
sipeu d’abris aux navires, dut aux pre- d’un banc de roches coquillières d’uue
miers âges de la navigation attirer l’at- singulière contexture; ce sont ces roches
tention des [leuples commerçants de ui, selon Straboii, contribuaient à la
l’antiquité. Avant que les Grecs eus- 3 éfense du port, en empêchant les dé-
sent pénétré dans le Pont-Eiixin , les barquements. La pêche des pélamides,
Phéniciens venaient sur ces côtes com- qui faisait une des richesses de l’an-
mercer avec les Assyriens (1). cienne Sinope , est aujourd'hui presque
I.es Grecs attribuent la fondation de nulle; elle est presque entièrement con-
Sinope à l’Argonaute Autolycus. Plus centrée dans le Bosphore.
tard, les Milé.«iens, ayant" remarqué Harmène était une petite ville grec-

l’Ireureuse position de ce lieu et la lai- ue située à cinquante stades à l'ouest


blesse de ceux qui l’habitaient, s’en ren- e Sinope. Elle avait un port qui fut
dirent maîtres, et y envoyèrent des co- toujours peu fréquenté; aussi les anciens
lons. Hérodote compte les Cimmériens avaient-ils un proverbe qui attribuait
au nombre des peuples qui fournirent un la fondation des murailles d’Harmène, à

contingent de population à ces parages ; quelque désœuvré. La position de cette


<1Les Cimmériens, fuyant en Asie l’inva- place est aujourd’hui inconnue.
sion des Scythes, envoyèrent des colonies Aboni Teichos, petite ville à l’ouest;
danslaChersonnèse,où estâctuellement avait un port meilleur qu’Harniène, et
la ville de Sinope » (2). La ville grecque conserva toujours sa population ; c’était
reçut en peu d’années un développe- le lieu de naissance de cet imposteur,
ment considérable; les forêts voisines la nommé Alexandre, dont nous avons déjà
mirent à même de se créer une marine parlé (1) et qui jouait le rôle d’Esculape;
respectable, et elle en profita pourfonder ilavait obtenu de l’empereur que le nom
d’autres colonies sur la même côte, uo- d’Aboni Teichos fût changé en celui de
tammeiit Trapezus et Cerasunte. Jonopolis, ce qui fut-accordé; on le re-
Sinope fut prise par Pharnace, qui l’in- trouve avec peu d’altération dans celui
corpora à ses États; elle resta sous la do- de la ville moderne d’Ineboli.
mination des rois de Pont jusqu’à la Nous retrouvons sur la côte le cap
chute de Mithridate.Ce prince avait pris Carambis, qui porte aujourd’hui le nom
soin d’embellir sa ville natale de mo- de Kérembe. Les trois petites villes, Se-
numents magnifiques; il y construisit same, Cytorus et Cromna, coiicourureM
des temples, des portiques et des arse- à former la population d’Ainastris bâ- ,

naux de marine, dont il ne reste plus de tie sur remplacement de l’ancienne


vestiges. Sinope était bâtie sur l’isthme Se.same; elle est mentionnée par les
ui sépare les deux ports. La ville mo- anciens géographes comme une colonie
erne de Sinub, construite avec les dé- de Milet. Ce territoire appartenait à Hé-
bris des anciens monuments, n’offre au- raclée, ville puissante qui était gouver-
cun de l'art; elle
intérêt sous le rapport née par des Dynasles. Amastris, prin-
de
fut pourtant une des principales villes cesse du sang des Darius , épouse
de l’empire de Trébizondc; mais ni tes Denys tyran d’Héraclée, réunit en une
ue
Byzantins, ni les Turcs n’y ont élevé un seule ville les diverses populations
et
seul monument digne d’étre remarqué. Sesame, Cytorus, Cromna et Teiuni,
Sinope est aujourd’hui la principale sta- donna le nom d’Amastris à cette nou-
tion des bateaux à vapeur qui font le ser- velle colonie. ,

vice de la nier Noire; ses environs sont Amastris fut placée successivemen
sous la domination d’Arsinoé,

Sinope ciii hi.tlnriscb-antiipiarisclier


(i) de Lysimaque, et sous celle d’Ariohsr-
l'mriss von Tli. Sirriibe.' Ba?el iS5ô, p. i5.
(») Hérodote, IV, u. . (i)Toy. p. 73.

'“d by G-
ASIE MINEURE.
zane, de Mithridate. Prise par Tria-
fils de servage; on avait le droit de les ven-
de Cotta, elle tomba au
rius, lieutenant dre, pourvu que ce ne fût pas hors des
pouvoir des Romains et à la chute de
,
frontières. Heraclée se gouverna long-
l’empire byzantin, elle devint un des temps par ses propres lois; cependant, à
comptoirs de la république de Venise. la suite d’une séd!tion dont le but était
Elle fut prise en 1460, par Mahomet II, une nouvelle répartition des terres, elle
auquel ellese jendit à la première som- appela Cléarque, un de ses citoyens, qui,
mation. l.es Génois y établirent des à raide du peuple, dont il embrassa lu
entrepôts de leurs marchandises ; mais cause. Unit par devenir tyran d'iléraclée,
depuis plus de deux siècles cette ville qu’il gouverna pendant douze ans. Le
esttombée dansiinecomplètedécadence. pouvoir suprême fut exercé de la sorte
Amasserai! est située .à peu près pendant plus de soixante ans. Au nombre
comme .Sinope sur un isthme entre des tyrans d’Héraclée se trouvait Denys,
deux ports. On y observe encore de lemari de la reine Amastris, qui, par
nombreux vestiges d’antiquités, notam- son union avec. Lysimaque, donna oc-
ment les murailles de la citadelle qui ,
casion aux successeurs d’Alexandre de
sont construites en grands blocs de s’immiscer dans les affaires de cette an-
ierre, des ruines d’aqueduc et les dé- cienne république. Les habitants d'Hé-
ris d’un palais que l’on regarde comme raclée, pour mettre obstacle à ces intri-
celui d’Amastris., gues, firent alliance avec Mithridate,
Amasserai! n’cst plus aujourd’hui roi de Pont, et avec les républiques de
qu’un bourg maritime qui contient à Byzance et de Chalcédoine. Lorsque
^ine deux cents maisons. les Romains arrivèrent en Asie, la ville
Vient ensuite le Parthenius aujour- d’Héraclée signa avec eux un traité d’al-
d’hui Bartoun tchaï; en général les liance dont une copie fut déposée dans
noms géographiques dans ces contrées le temple de .lupiter capitolin.
se sont mieux conservés que dans Cependant la neutralité qu'elle voulut
les régions du sud; mais, en revanche, conserver pendant la guerre contre Mi-
les monuments ont presque tous dis- thridate lui fut fatale; elle fournit se-
paru , car dans toutes les villes de la crètement des navires à ce prince; aussi,
côte, on ne peut en citer un seul c^ui ait après la défaite du roi de Pont, Lucul-
résisté à la destruction. Le caractère de lus ordonna a son lieutenant Cotta de
ces villes est plutôt militaire que civil; faire le siègede la ville. Il parvint à s’en
ce sont des places toujours prêtes à ré- emparer, et la réduisit en cendres.
sister aux invasions du nord, et, en effet, Héraclée, étant tombée au pouvoir de
c’est par des attaques venues de ce Rome, ses murailles furent recons-
côté, qu’elles ont toutes péri. truites, et elle rei^ut une colonie romaine
Héraclée, colonie de Mégare, apparte- qui s’établit dans son territoire.
naitau pays des Mariandyn!cns; elle était Antoine avait donné cette ville à
bâtie sur la presqu’île achérusienne , à Adiatorix, télrarque des Galates, qui ne
deux milles et demi du Qeuve Lycus, on conserva pas longtemps le pouvoir; elle
montrait dans le voisinage une caverne fot alors annexée à la province de Pont.
par laquelle Herculedescénditaux enfers La caverne Acherusia a été retrouvée
our en tirer le chien Cerbère. Les ha- pr M. Boré au milieu des jardins, vers
itants croyaient que leur ville avait le nord ; on y observe les ruines d’un
été fondée au commandement d’un ora- aqueduc et de deux temples qui ont été
cle, et la regardaient comme un présent convertis en églises. Elle s’ouvTe sur la
de l’Hercule Argien, aussi ce dieu pnte d’une cmline rocheuse au pied de
était-ilen grande vénération, et lorsque laquelle coule un ruisseau qui nourrit des
Cotta s’en fut emparé, il trouva dans tortues; là il trouva cachée sous le feuij-
l’agora une statue d’Hercule dont tous lage l’entrée d’un souterrain qui était
les attributs étaient d’or. rarement visité. La grotte Aclierusia
Héraclée, grâce à son avantageuse avait, au dire des anciens, plus de deux
situation, devint une des principales cent cinquante pas de profondeur (1).
villesde ces parages. Les colons grecs
avaient réduit les Mariandyniens à l’état (i) XénopboQ, Anaboi,, 1. VI, 574-575.
,

624 fUMVERS.
La ville moderne d’Éregli occupe l’em- fut le lieu de naissance de Philætère
placement de l’ancienne Héraclée. Les souche de la race des Attales.
habitants se livrent au cabotage et à la Plusieurs villes de l’intérieur du Pont
fabrication des marocains. On ren- et de la Paphlagonie mériteraient en-
contre dans les rues de nombreux dé- core une mention particulière; nous ci-
bris d’architecture ancienne, mais au- terons Pompeiopolis, aujourd’hui Tasch
cun monument antique n’est resté de- kouprou, Apollonie de Pont, Germani-
bout. copolis, Osmanjik, remarquable par -le
La ville de Tieium qui termine la sé- plus beau pont musulman qui ait été
rie des villes de la côte du Pont-Euxin, construit en Asie, Safranboli, chef-lieu
occupait remplacement de la ville mo- de la culture du safran.
derne de Filias, on reconnaît encore Mais tous ces lieux qui peuvent offrir
quelques débris des murailles de sou un certain intérêt comme étude de l’é-
Acropole. Tieium du temps de Strabon tat moderne, ne conservent aucun ves-
n’avait déjà plus la moindre importance, tige d’antiquité qui puisse fournir des
cet écrivain ne le cite que parce qu’il données historiques nouvelles.

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, ,

LIVRE IX
CARIE. — LYCAONIE. — ISAURIE.

OlAPITRE PREMIER. Gygès avait appelé à son secours Ar-


sélis de Mylasa, et pour le récompenser
OaïQINE DSS CABISnS. des services qu’il en avait reçus , lui fit
présent de la hache d’Hercule , qui,
Le territoire qui s’étend de la rive gau- depuis le règne d’Omphale, était tou-
che du Méandre jusqu'à la ehatnela plus jours restée entre les mains des rois de
élevée duTaurus a été, dans l'antiquité, Lydie. De retour dans sa patrie , Arsé-
envahi par des tribus venues du dehors, lis fonda le temple de Jupiter Labran-
qui s’incorporèrent dans des hordes detis, à Mylasa, et orna cette ville de
aborigènes pour former une des nations monuments magnifiques.
les plus guerrières et les plus turbulentes Les Cariens vinrent débarquer en
de l’Asie Mineure. Le pays fut d’abord Égypte, sous lerègne de Psammétichus,
appelé Pbœnicie (1), et ensuite Chry- en compagnie de quelques Ioniens.
saoris (2), de Clirysaor, petit-fils de Si- Leurs armures de bronze, leurs casques
syphe. Il appartenait aux Léiéges, qui surmontés d'une haute aigrette, surpri-
dominaient au delà du Méaudre jusqu’à rent d’abord les Égyptiens ; mais bientôt
Ephèse. Une autre tribu, plus nom- le roi, se rappelant le sens d’un oracle
breuse et plus forte, arriva sous la con- qui lui promettait la victoire s’il pre-
duite de Car, et se rendit maîtresse de nait des coqs pour auxiliaires, fit aux
la contrée, qui reçut alors le nom de Ca- étrangers un accueil favorable , et les
rie. On prétend que les Cariens étaient retint dans son pays(l); on leur donna
ainsi appelés parce qu’ils sont les pre- un quartier spécial dans la ville de
miers qui ornèrent leurs casques d’une Memphis, qui fut désigné sous le nom
aigrette, qui s’appelait Kdipz (tète). Ils de Kaptxbv, c’est-à-dire quartier des
inventèrent aussi la double poignée du Cariens (2). Déjà à cette époque reçu -
bouclier. lée les Cariens passaient pour habiles
Si l’on veut s’en rapporter aux tra- navigateurs et pour aventuriers intré-
ditions helléniques, les Cariens passè- pides. La plupart des villes qu’ils oc-
rent des Iles dans le continent, et s’ap- cupèrent sur le continentd’Asiedevaient
pelaient aussi Léiéges ; ils obéissaient leur origine à des tribus pélasges ou lé-
a Minos (3), et après avoir longtemps léges; mais les chefs des Cariens en
couru les mers sous les ordres de ce roi fondèrent un grand nombre d’autres
ils allèrent se fixer en diverses contrées auxquelles ils donnèrent leur nom.
du bassin de la Méditerranée. Us atta- Alabandus bâtit Alabande, Hydriée fut
quèrent l’ile de Rhode.s, qui appartenait le fondateur d'Hydrias. Les Lyciens,
aux Phéniciens, et s’en eniparerent; ils sous la conduite de Bellérophon, fon-
SC rendirent maîtres de Délos et de dèrent Chrysaor, qui fut ensuite appelée
toutes lesCyclades, mais en furent, dans Stratonicée. C'est dans cette ville que
la suite, expulsés par Minos. se tenaient les assemblées générales des
La renommée des Cariens s’était Cariens. Les anciens ne sont pas tout à
étendue jusqu'au royaume du Lydie. fait d’accord sur l’idiome dont on fai-
sait usage en Carie ; ces peuples étaient
(i) Athénée, liv. IV, p. 174. généralement connus, chez les Grecs
(z) Étienne de Ityzeme, Kapia-Mù>gt(va, sous le nom de Cariens barbaropho*
«le.
(3) Hérodote, liv. I,chap. 171; etSlrahon, (1) Hci'oJote, liv. II, ch. lî».
liv. XIV, p. 661. (2) Ktier.ni' île Byzance, Kaptxov.

40 ' livraison. (Asie .Mineure.) . II. 40


(> 2G L’UNIVERS.
nés (I). Cette dénomination est expli- gines de ce peuple, la plupart des au-
quée de diverses maniérés par les his- teurs grecs les font venir du dehors;
toriens. Apollodore pensait que les mais Hérodote nous apprend qu’eux-
Grecs l’employèrent comme terme de mémes se regardaient comme autoch-
mépris pour un peuple ennemi ; d’au- thones (tl. Nous devons en conclure
tres écrivains, et notamment Strabon, qu’ils se trouvaient au nombre de ces
combattent cette opinion et attestent tribus chez lesquelles le sang s’était
que In langue caricnne n’était pas plus tellement mêlé, qu’elles avaient peine
rude que le grec, et que l’une et l’autre elles-mêmes à se rattacher à une sou-
langue avaient beaucoup de mots com- che unique.
muns. Ce n’était donc qu’une différence Le peuple carien était établi en Asie
de prononciation qui valut aux Cariens longtemps avant la guerre de Troie; et
une épithète sur laquelle dissertent lon- comme on le voit figurer au nombre des
guement les plus graves auteurs, tandis alliés de Priam on pourrait penser
(2),
qu’à côté d’eux nous trouvons un peuple u’il tenait plus de que
la race asiatique
entier, les Lyciens, dont la langue est e la race grecque. Mais il est à croire,
complètement différente du grec, et pas au contraire , que dans l’origine ils te-
un des anciens auteurs n’en fait la re- naient de près à la souche thrace,qui
marque il faut aller chercher quelques
; vint s’établir d’Europe en Asie.
lambeaux de phrases dans les commen- Les Mysiens , les Lydiens et les Ca-
tateurs pour savoir que certaines villes riensétaiënt unisparuneétroitealliancc.
portaient deux noms, un grec et un ly- On montrait, aux environs de Mylasa,
cicn. .l’avais pensé un moment que un ancien temple de Jupiter Carien
cette langue devait être celle dont nous qui était possédé en commun par les
retrouvons tant de vestiges en Lycie (2) ; trois peuples (3).
mais le fond de la langue des Cariens Cent trente ans après la guerre de
était hellénique, ear Psammétichus Troie, Nélée, fils de Codrus, arriva à
donne à ceux qui habitaient ses États la tête des tribus helléniques qui vinrent
la charge d’enseigner la langue grecque s’établir sur la côte d’Asie. Les Grecs
à des enfants égyptiens (3). Cependant, ne tardèrent pas à déclarer la guerre
Étienne de Byzance nous a conservé aux Léiéges et aux Pélasges, qui furent
quelques mots cariens, qui paraissent de proche en proche repoussés de l’.Eo-
tout à fait étrangers à la langue grecque ; lide au sud du Méandre. Androclua
ala, cheval, soua, tombeau, cara, léte, s’empara d’Éphèse; mais le territoire
banda, victoire, géla, roi. Ce sont au- conquis ne suffisant plus aux nouveaux
tant de contradictions. colons, ils franchirent le fleuve après
Les Cariens, après avoir porté l’épou- avoir occupé Milct et Priène, et aidè-
vante dans toutes les îles de la :\lcdi- rent les Doriens à conquérir le promon-
terranée, éprouvèrent à leur tour de toire où fut fondée la ville de Cnide. Ces
nombreux échecs. Chassés de Crète par derniers se divisèrent en trois corps : le
Minos, ils ne tardèrent pas à être expul- premier occupa la Crète ; lesecond s’em-
sés de toutes les Cyclades, et lorsque les para de rîleue Rhodes; et le troisième,
Athéniens, dans le butde purifier Délos, sous la conduite d’Authès, devint maître
enlevèrent tous les tombeaux qui se trou- de Cos et de la côte voisine. Ces colonies
vaient dans eette île, on remarqua que demeurèrent à jamais maîtresses des
le plus grand nombre des sépultures pajs qu’elles avaient conquis, et les ins-
avaient appartenu à des Cariens (4). criptions que l’on y trouve encore aujour-
On éprouverait de grandes difficultés d’hui prouvent que le dialecte dorien
si l’on voulait faire concorder les tra- s’y conserva dans toute sa pureté (4).
ditions qui nous sont restées sur les ori- Ce qui peut prouver qu’il existait une
certaine différence entre les Cariens et
(i)Slrabun, liv. XIV, i>. fi6i; Iliad., îl,
867. (i) Hérodote, liv. I, rh. 171.
(a) ïd., ihid., p. 069-^75. (a) Iliad., II, 867.
(
3 ) Hérodole. liv. li, cliap. i »,. (3) Hérodote, liv. I, ch. 171.
(4) Tliurydide,
liv, I, oli, 8, i4) Strabon, liv, XIV, p. $75,
,

ASIE MINEUBE. 627

les Léiéges proprement dits , c'est que fournissant des auxiliaires qu’elle com-
ces derniers furent assez maltraités au manda en personne, et ce prince lui eu
moment de la migration ionienne; les témoigna sa reconnaissance en l’inves-
Cariens néanmoins n'hésitèrent pas à tissant d’un pouvoir souverain (1) qui
faire cause commune avec les Ioniens s’étendait sur les iles voisines.
pour déclarer la guerre aux Perses. I.es Ligdamis, fils d’Artémise, lui suc-
deux peuples se donnèrent rendez-vous céda sur le trône de Carie, ou plutôt
près du fleuve Marsyas ; c'est là qu’était comme prince tributaire des Perses. Il
le temple de Men Carus. I.ies Grecs eut à lutter contre les envahissements
trouvèrent dans les Cariens de fidèles d’Athènes, devenue maîtresse de toutes
alliés, qui ne démentirent pas dans les les côtes (2). A la faveur des dissen-
combats la réputation de bravoure qu'ils sions interminables qui ébranlaient le
s'étaient acquise. Vaincus dans une pouvoir des Grecs, les princes de Carie
première rencontre avec les Perses, les avaient su se créer, dans ces pays, un
alliés,sur le conseil des Cariens, dres- parti assez puissant pour leur permettre
sèrent à l’armée perse une embuscade d’aspirer à l'indépendance. Uécatom-
sur la route de Pédasus les Perses
: iius , qui avait commandé les armées
furent défaits , et leur chef Daurisès y navales d’Artaxerxe Mnémou, secoua
fut tué (I). le joug de la Perse, soumit ses alliés
et s'établit a Halicarnasse, où il parvint
CHAPITRE II. à se maintenir en payant un tribut aux
Perses. Ce prince eût trois fils,Mau-
BOIS ET DYNASTKS DE CABIE. solc, Hydriée et Pixodare, et deux filles,
Artémise et Ada, qui épousèrent leurs
Alyatte, roi de Lydie, avait étendu frères. Mausole succéda à son père ;
il étendit son pouvoir au delà des limi-
son empire jusqu’aux limites de l’Asie
Mineure; à la chute de l’empire de tes de la Carie, et porta la guerre chez
Crésus, les Cariens tombèrent, avec les les peuples de la Phrygie. Il assiégea

autres peuples grecs, sous le pouvoir Assos et Sestos avec cent vaisseaux, et
des Perses, et la Carie fit partie de la s’éloigna de ces places moins par la
première satrapie, qui comprenait l’Æo- force que par la persuasion. Il prit part,
lide, l’Ionie, la Lycie et la Pamphylie. avec Chio, Byzance et Rhodes, a la
Milet, subjuguée, devint la résidence guerre contre les Athéniens, et les força
du gouverneur, qui prit le nom de sa- d’abandonner leurs prétentions à la do-
trape de Carie. Une partie des autres mination de la mer. Mausole entreprit,
villes se rendit bientôt volontairement; pendant son règne, des travaux consi-
le reste fut soumis par la force (2). dérables qui eussent ruiné son trésor
Ilarpagus, le plus célèbre des satra- s’il n’eût inventé mille moyens de se
pes , était parvenu à soumettre les Ca- procurer de l’argent; il réunit à Halicar.
riens , en incorporant dans son armée nasse les habitants de plusieurs villes
quelques Grecs œoliens. Il marcha léléges, qui furent abandonnées. Maître
contre Caunus et contre les Lyciens. de la Lycie, il écrasa ce pays d’impôts,
Nous le retrouverons bientôt devant et tout , jusqu’aux lonmes chevelures
Xanthus, la capitale de la Lycie (3), des Lyciens, fut taxé par lesgouverneurs.
Sous l’autorité des Perses, les Ca- Mausole régna vingt-quatre ans; il
riens étaient administrés par des gou- mourut la quatrième année de la 1 06”
verneurs de leur uation, qui peu à olympiade, S-SS avant notre ere, et laissa
,

peu, reconquirent une sorte de puis- le iMuvoir à la reine Artémise, sa veuve

sance. Arténiise , fille de Ligdamis, ty- et sa soeur, qui ne lui survécut que peu
ran d’Halieamasse , reçut le titre de de temps, et mourut du chagrin qu’elle
reine de Carie. Cette princesse rendit ressentit de la mort de sou mari (3).
à Xerxès les plus grands services en lui Artémise eut pour successeur Hydriée,

(i) Hérodote, liv. V, cliap. nr, (il Hérodote, liv. TQ, ch. 99.
(a) Id., liv. VI, chap. laS. (*) Thucydide, liv. II, p- 9 .

Ç3) Id.; liv. I, cb. iSi. (3) SlruhoD, hv. XIV, p. 656.
^

40,

gle
, ,

C28 L’UNIVERS.
qui laissa le royaume à son ^use
Ada. Stratonicée, d’Alabande, d’Alinda et de
Pixodare, le dernier des nls d’Héca- lassus, la majeure partie n'est pas anté-
tomnus , dépouilla cette princesse , et rieure au temps des empereurs romains.
chercha à aonner plus de force à son
autorité en appelant un satrape des CHAPITRE III.
Perses, nomme Orontobatès, pour gou-
verner avec lui. Ce dernier avait épousé HALICARNASSE.
Ada, fille de Pixodare. C’est h cette
époque qu’Alexandre arriva en Carie La plus grande et la principale ville
et- mit le siège devant Halicarnasse. de Carie , Halicarnasse , est située au
Ada, fille d’Hécatomnus, alla demander fond d’un vaste golfe, faisant face à
le secours du prince grec pour rentrer de Cos ; elle fut fondée par Antbès,
l’île
dans ses Etats , s’engageant en même qui arriva à la tête de colons de Træ-
temps à marcher contre les cantons zéniens (1). Cette troupe fut bientôt
révoltés, chose d’autant plus facile pour augmentée dequelques Argieus conduits
elle, que ceux qui les occupaient étaient par Mêlas (2); elle reçut d’abord le
ses parents (I). Alexandre y consentit; nom de Zéphyria, d’une petite île qui
Ada fut déclarée reine d’Halicarnasse ; en était voisine , et qui, par la suite
et depuis ce temps la puissance des des temps, fut jointe au continent. Eu
Grecs y fiit établie sans partage jusqu’à égard à son origine, Halicarnasse fit
l’invasion romaine. d’abord partie de la confédération do-
Cependant cette province fut souvent rienue; mais Agasiclès, citoyen d'Ha-
divisée en gouvernements séparés, et licarnasse, ayant emporté cnez lui le
les Rhodiens en occupèrent toute la trépied qu’il avait obtenu comme prix
côte sud, qui prit le nom de Peræa. dans les fêtes célébrées en l’honneur
Au partage de Pempire d’Alexandre, la d’Apollon Triopéen , au lieu d’en faire
Cane fut soumise à la domination hommage au dieu ,
Halicarnasse fut ex-
d’Antiochus Jusqu’au jour où les États clue de la confédération. Vitruve nous a
de ce prince furent annexés à l’empire laisséune description de la ville d’Ha-
romain. Le territoire de la Carie pré- licarnasse qui peut nous guider d’une
sente, en abrégé, les variétés de plaines manière a peu près certaine pour re-
et de montagnes que l’on trouve dans trouver certains monuments ; mais d’au-
l’ensemble de la presqu’île. Des monta- tres dispositions, et surtout celles du
gnes richement boisées, des plaines port secret et du palais de Mausole,
sans arbres, et l’imposante chaîne du resteront encore dans le doute, malgré
Taurus se divisant en plusieurs bran- les commentaires de plusieurs savants
ches, forment tantôt de hautes mu- qui en ont étudié sur les lieux la topo-
railles de rochers inaccessibles, tantôt graphie. Ce passage est remarquable, en
des vallées sinueuses au milieu des- ce qu’il mentionne les principaux mo-
uelles serpentent des rivières. Ainsi numents qui décoraient cette ville et ,

isposé, ce groupe montagneux se pro- notamment le plus célèbre de tous, le


longe jusque dans la mer, et forme des tombeau de Mausole, dont l’emplace-
caps et des golfes où toutes les nations ment peut être déterminé avec une cer-
maritimes de l’antiquité sont venues taine probabilité.
tour à tour se disputer des établisse- Legrand port d’Halicarnasse, ainsi
ments. Les ruines des différentes villes que nous le voyons aujourd’hui était ,

de cette province ne nous font pas con- situé au fond du golfe de Boudroum
naître le peuple carien sous un aspect et entouré par un cercle de montagnes
différent des autres Grecs. Il existe peu qui se dessinent comme un amphithéâ-
de monuments dont l’origine puisse tre ; c’est là que Mausole , qui habi-
être attribuée à la Carie indépendante, tait primitivement la ville de Mylasa
et de tout ce qui nous reste des villes de ayant remarqué qu’Halicariiasse était
un lieu naturellement fortifié , propre
(i) Strabon, liv. XrV, p. 6S6. Airien,
Exp. Alex., 1. I,'p. i3. Diodore, liv, XYII, (i) Strabon, liv. XIV, p. 656.
p. ai. (a) Vitruve, liv. II, cb. VIII.
,,

ASIE MINEURE. 639

au commerce, avec uii port conve- sont- ce lesdeux points auxquels s’atta-
nable, résolut d’y établir sa royale ré- chent lesmôles antiques que l’on ob-
sidence. « Ce lieu, dit Vitruve, s’arron- serve encore, ou les deux caps que forme
dit en forme de théâtre. Dans la partie la côte au point où la baie commence
la plus basse près du port ,
était placé à se contourner.’ 11 est à croire que le
,
lelorum au milieu de la courbure était
;
port désigné par Vitruve n’est autre
une grande place formant une sorte de chose que celui qui est extra muras
précinction au milieu de laquelle était dans la ville turque; car, pour les an-
construit le mausolée, réunion de tant ciens, cette grande rade foraine ne
de chefs-d’œuvre, qu’on le plaçait au pouvait être regardée comme un port.
nombre des merveilles du monde. Au J’ai cherché avec le plus de soin pos-
milieu de la citadelle du sommet se sible, soit par des dépôts de calcaire
trouvait le temple de Mars , contenant d’eau douce, soit en interrogeant un
une statue colossale du ^enre appelé grand nombre d’habitants de la ville
Axp6>.i0o;(acrolithe) ouvrage sorti des
, de Boudroum s’il existait une fontaine
,

mains du célèbre Léocharès. Sur le som- ou si l’on n’avait pas connaissance de


met à droite, à l’extrémité de la courbe, quelques sources aujourd'hui taries;
se trouvait le temple de Vénus et de aucune réponse satisfaisante ne me fut
Mercure, tout auprès de la fontaine faite. La plupart des monuments dont
Salmacis, de sorte qu’on avait à droite on retrouve les vestiges sont beaucoup
le temple de Vénus et de Mercure, et à plus ruinés que dans aucune autre ville
gauche, à l’extrémité de la courbe, était antique de la côte. On ne trouve d’in-
le palais que le roi Mausole établit se- tacte que la grande ligne de murailles
lon ses desseins. En effet, de là on qui couronnent 1rs crêtes de la monta-
aperçoit à droite le forum, le port et gne ; mais du moment que l’on appro-
tout le développement des remparts; che de la plaine, les murailles se per-
et à gauche le port secret, caché par dent, et l’on ne saurait dire comment
des montagnes, de sorte que personne elles venaient se rattacher à la mer.
ne pouvait voir ni connaître ce qui s’y En examinant la nature du terrain,
faisait lorsque le roi de son palais
, on est porté à conclure que l’emplace-
même, pouvait, sans que personne s’en ment sur lequel s’élève le château ac-
aperçut, commander à la flotte et aux tuel de Boudroum était jadis détaché du
soldats. » 11 est évident, d’après cette continent et formait l'tle appelée Zé-
description , que le moindre vestige de phyria. Quand on voit combien peu
monument nous mettrait sur la voie d’espa ce occupaient certai ns ports çrecs,
pour reconnaître d’abord de quel côté on peut sans beaucoup dediiGculte ima-
l’auteur romain se supposait tourné giner que le palais de Mausole était
pour déterminer sa droite et sa gauche situé à l’angle oriental de la ville, et que
soit qu’il regardât la mer, soit que de le petit port secret est aujourd’hui en-
la mer il regardât la ville. sablé. Il y aura toujours la difficulté
Malheureusement le principal carac- d’expliquer comment ce port pouvait
tère topographique qui eût éclairci tous être caché à la ville par des exhaus.se-
les doutes, fa situation de la fontaine ments de terrain; mais si l’on veut
Salmacis est elle-même un problème aller chercher le port secret, soit dans
pour nous, car nous ne reconnaissons l’île d’Orak, soit de l’autre côté de l’is-
à droite ni à gauche, à l’est ou à l’ouest thme, à l’occident d’Halicarnasse, la
aucune source vive à laquelle on puisse difQculté est encore bien plus grande
attribuer cette dénomination. Nous ne tour expliquer comment de sou palais
sommes donc certains que pour deux fe roi pouvait commander en un point
localités : ce sont la citadelle supérieure si éloigné. Rien dans les ruines de la
et le milieu de la courbe du port ( per ville ne paraît se rapporter à l’ancien
mediam altitudinis curvaturam), parce palais de Mausole, qui était construit,
que le centre ne change point. Il est nous le savons, eu briques revêtues
une autre difQculté qui se présente d’un enduit poli comme du verre et de
quand on examine la carte du golfe : plaques de marbre. P2n faisant le tour
ce que Vitruve entendait par cornua du port moderne, nous trouvons çà et
f)80 L’UNIVERS.
là divers fragments qui ont appartenu ques écrivains byzantins en parlent d'iiuC
à des édifices d’architecture grecque : manière plus ou moins abrégée, mais
des chapiteaux ioniques de différentes tous avec éloges. Lucien fait dire à
dimensions, des autels, et surtout un Mausole (1) «J’ai dans Halicarnasse un
:

grand nombre de chapiteaux d’ordre tombeau immense, tel qu’aucun autre


dorique en marbre blanc. Dans un des mort ne peut se vanter d’en avoir un
jardins qui entourent la ville moderne, semblable H est construit du plus
:

s’élève une colonnade d’ordre dorique beau marbre et orné défigurés de guer-
grec qui a été décrite par M. de Choi- riers et de chevaux. «
seul. D’après les arrachements qu’on Pausanias (2), en citant les tombeaux
observe sur la partie opposée à la façade, remarquables n’oublie pas celui d’IIali-
on voit que ce débris d’architecture n’a carnasse. « Il a été fait sous le règne
pas appartenu à un temple , mais que de Mausole, roi d’Halicaruasse. Il est
c’est le reste d’un portique. Cette convic- remarquable par sa grandeur immense
tion tient à ce que, dans le temple grec, et l’art avec lequel il est construit aussi ;

l’architrave transversale qui sup(K>rte les Romains dans leur admiration sans
le soflite vient s’engager dans la partie égale donnent-ils le nom de Mausolée
iostérieure de la frise ; ce qui n a pas aux tombeaux remarquables. »
fieu dans cet édifice. Deux autres auteurs parlent du Mau-
En remontant un peu plus vers le solée; le premier, Hygin, écrivain du
nord, on remarque un grand soubasse- temps d’Auguste, décrit en peu de mots
ment carré, formé par des pierres à lecélébré tombeau. « Le tombeau du roi
bossage et qui sont d’ouvrage grec. Ce Mausole bâti eu marbre lychnite est
soubassement peut avoir appartenu à haut de quatre-vingts pieds et a trois
un temple. L’acro|iole supérieure ( arx cent quarante pieds de tour (3). »
xumma) , celle qui sans doute reçut Dans V ibius Sequester (4), nous trou-
le principal assaut lorsque Alexandre vons ce passage « Le Mausolée qui est
:

s’empara de la ville, n’est pas conservée en ('.arie est haut de cent quatre-vingts
d’une manière assez complète pour pieds et a quatre cents pieds de tour.
qu’on puisse bien reconnaître où était C’est là qu'est placé le sépulcre du roi
situé le temple de Mars. Dans l’état des en marbre lychnite. » Ces deux passages
choses, il n’est pas impossible que cer- permettaient bien de supposer que le
tains ouvrages de défense, dans la par- tombeau de Mausole était circulaire.
tie inférieure, aient été détruits. Nous trouvons dans un passage de Pline
Ilne reste donc, de tous les édifices des détails plus précis sur la forme et
qui ont à peu près conservé leurs for- les dimensions de cet édifice, c’est sur-
mes, que le théâtre, qui ne présente tout ce passage qui a guidé les archéo-
aucune particularité digne d’intérêt. loques dans les essais de restitution qui
Toute la ville grecque ayant été rasée ont été tentés Jusqu’à ce Jour(5).
par Alexandre, nous ne pouvions, dans
aucun cas , espérer de trouver des mo- (i) Lucien, Dialogues des morts, Dial.
numents antérieurs à cette époque. XXIV.
(i) Pausanias, liv. VIII, chap. i 6.
CHAPITRE IV. (.1 ) Hygini, Fab. CCXXXIII.
(4) Vibius Sequester, de Gentibus, p. 37,
LE TOMBEAU UE MAUSOLE. in- 8 ",i
778 .
5 Les auteurs qui ont publié des essais
( )
de restitution du tombeau de Mausole sont
Il est peu de monuments de l’an-
au nombre de neuf :
tiquité qui aient excité à un plus haut
Caylus, 1753, Mémoire de littérature de
degré les efforts et la sagacité des ar-
l'Académie des inscriptions et belles-lettres,
tistes et des archéologues. Les nombreux
tome XXVI, p. 33 i ;
fragments des auteurs anciens qui sont Auguste Kode, s 9 oo, frontispice de l'édi-
parvenus Jusqu’à nous présentent ce tion de Vitruve. Berlin, in- 4 “;
tombeau comme l’objet de l’admiration r.boiseiil Goiiffier, 1814, Foyage pittores-
universelle ; Vitriive le mentionne plu- ejue de la Grèce, tome I, in-fot,;
sieurs fuis, Pausanias, Strabon et quel- Weinbrenner, i 8 a 5 ,
dans Kaercher,
;

ASIE snNEURE. 631

Le passage de Pline (l) est ainsi peu moins et dont tout le pourtour se-
conçu :
raitde quatre cent onze pieds, ce qui
Scopas eut en même temps pour ri-
« est impossible ;
aussi les commentateurs
vaux Bryaxis, Timotliée et I^ocharès. ont-ils imaginé d’appliquer cette der-
Une faut pas les séparer ici, puisqu'ils nière mesure à une place ou area qui
employèrent ensemble leur ciseau pour entourait l’édiflce ; reste encore la dif-
Mausole, petit roi de Carie, qui mourut ficulté d’ajuster trente-six colonnes sur
la seconde année de la cent sixième olym- le périmètre donné.
piade : ce sont les ouvrages de ces ar- La difficulté a été simplement dimi-
tistes qui tirent placer ce monument au nuée par les récentes découvertes faites
rang des merveilles du monde. Les parM. Newton sur l’emplacement même
fbces exposées au midi et au nord ont du mausolée.
soixante-trois pieds; il est plus court Ces recherches faites, avec une grande
sur les fronts. Tout le pourtour est de intelligence de la topographie ancienne
quatre cent onze pieds; il s’élève sur de la ville d’Ualicarnasse, ont eu ppur
une hauteur de vingt-cinq coudées ; il résultat de faire retrouver les débris
est entouré de trente-six colonnes , et du mausolée dans un tertre quadrangu-
l’on a donné à cette colonnade le nom laire qui s’élève au sud-est de la colon-
de ptéroti. Scopas travailla du côté du nade vulgairement appelée temple de
levant, Bryaxis du côté du nord, Timo- Mars.
thée au midi, et lyéocharès au couchant. lies rapports qui ont été adressés au
La reine Artémise, qui avait fait élever gouvernement anglais et qui ont été en
ce tombeau à la mémoire de son époux, partie publiés, font connaître que le
mourut avant que ces artistes eussent mausolée reposait sur un soubassement
achevé leur ouvrage ; mais ils voulurent quadrangulaire qui était entouré d'une
le terminer pour leur propre gloire et mse représentant des combats d'A-
pour l’honneur de l’art leurs ouvrages : mazcmes; ce soubassement était sur-
se disputent encore le prix. Un cin- monté d’une colonnade d’ordre ionique
quième artiste se joignit à ceux que j’ai avec un entablement complet, dont la
nommés, car, au-dessus du pléron on frise était ornée de combats entre les
éleva une pyramide dont la hauteur Grecs et les Amazones. L’architecture
était égale à la partie inférieure, et qui de ce monument est comparée par l'au-
était composée de vingt-quatre gradins, teur de ces découvertes ù celle du
se terminant en forme de meta. Sur le temple ionique de Priène : les deux édi-
sommet on plaça un quadrige de mar- fices sont contemporains.
bre, ouvrage de Pythis, et qui, ajouté Cette colonnade était surmontée du
au reste, donnait à l’édifice une hauteur la pyramide composée de vingt-quatr.i
totale de cent quarante pieds. » degrés de marbre blanc , ajoutée après
L’édifice présenterait donc un plan la mort d’Artémise par un cinquième
rectangulaire dont deux côtés auraient artiste dont le nom est resté inconnu.
soixante-trois pieds, les deux autres un Ces gradins de marbre étaient entés
les uns dans les autres de manière à
JJaudceichnungeu zt/r MYtUülo^U und Ar-
chàologie, Carlsruhe, tecliou IV, planche
empêcher toute infiltration des eaux ;
enfin le quadrige, ouvrage de Pythis, qui
VIII ;
couronnait toutl’édifice, aété en grande
Qualremère de Ouincy, i834. Estai de
partie rétrouvé on a des portions de In
dissertations archéologiques. Xu- 4 ®; ;

Hirt, Geschichte statue de Mausole, la roue du char et


der Baukuust atlas,
pl. X, t4, etpl.XXX, plusieurs fragments des chevaux du
i 4 ;

Caiiina, 1840 , Architectura


anllca. grandeur colossale. Les fouilles ont mis
tume II, lav. 1 55, d’après une médaille (a/io- à découvertun grand nombre de figures
cryphe) de la reine .irtcmise; de lions en marbre qui paraissent av,iir
CockercII, 1846 dans la dissertation sur
,
été placées dans les entrecolonnement.s ;
ce mausolée par Charles Newton. Extrait du on a de plus trouvé un fragment do
Classlcat Muséum, part. XVI, p. iS ; Dal statue équestre de grandeur colossale ;
Slanpier., cilé par Cauina. le poitrail et une partie du corps du
(.) Pline, liv. XXXVI, ch. 5, cheval ipdiquent que l’animal éijijt
63? I.TNIVERS-
lancé au galop. Les jambes du cavalier près à être employés dans la construction
existent encore; elles sont vêtues du du château (1).
pantalon ou anaxyrides que les sta-
tuaires mettent volontiers aux statues CHAPITRE V.
des Amazones. Nous voyons souventdes
i.assL's.
figures de ces femmes guerrières accom-
pagner décoration d'un tombeau.
la La côte de la Carie s’étend depuis
Tous ces fragments qui appartiennent le cap Posidium jusqu’à la partie la
au plus beau temps de l’art grec, ne p^lus méridionale de l’Asie -Mineure.
démentent pas les témoignages d’admi- Elle est caractérisée par deux grands
ration que les anciens auteurs ont pro- golfes qui se subdivisent en plusieurs
digués a cet édilice. petits ports, dans chacun desquels les
il résulte des restitutions sommaires anciens avaient formé des établisse-
ui sont la conséquence des fouilles ments. Celui qui est le plus au nord
’Halicarnasse, que le tombeau de Muu- s’appelait dans l’antiquitc golfe île las-
sole ressemblait au petit monument sus, au fond duquel était la ville du
funèbre qui existe encore aux portes de même nom. Sur la côte méridionale du
Mylasa, et que ce dernier ouvrage est même golfe se trouve caché par un îlot
une réminiscence du célèbre mausolée. un autre golfe qui, jusqu’à nos jours,
Divers souterrains ont été fouillés fut en vain cherché par les explorateurs
dans soubassement de l’édilice. Dans
le de l’Asie je veux parler du golfe de
;

l’un d’eux on a découvert une urne Bargylia que l’on croyait définitive-
avec une inscription en caractères cu- ,

ment comblé par quelque accident géo-


néiformes. logique. Il était important de détermi-
Les auteurs des découvertes faites ner, par une expédition nouvelle, le
récemment sur l'emplacement du tom- véritable périmètre du golfe d'Iassus
beau de Mausole, pensent, d’après la et ses sundivisions. Apres avoir ex-
nature des fragments de sculpture dé- ploré la côte d’Ionie , nous partîmes
couverts dans leurs fouilles, que le mo- du cap Arbora ou Posidium le 18 juil-
numeutfut renversé parmi tremblement let 1835, avec la goélette la Mésange.
de terre, et que l’enlèvement des maté- La première ville qui sc présentait à
riaux opéré par les chevaliers de Rhodes l’entrée du golfe, l’ancienne Tychiussa,
n’eut lieu qu’après la destruction du était une forteresse appartenant aux
monument. Le procès-verbal des décou- Milésiens. On reconnaît encore la petite
vertes faites en 1522 par le commandeur crique où le port devait être situé; mais
de la Tourette, ne dit pas, en effet, que sur remplacement de la ville, nous ne
le tombeau était entier, quand on eu
trouvâmes aucune trace de monuments
prit les matériaux ; nous avons publié qui méritât de nous arrêter longtemps.
cette relation d’après Guichard (i); les
A la fin du siècle dernier l'ancienne
chevaliers ne trouvèrent d’abord que
lassus contenait encore quelques habi-
« certaines marches de marbre blanc
tants, et la ville s’appelait Asseni kalé
qui s’élevaient eu forme de perron au le château d’Assem. Chandler n’y
si,
milieu d’un champ prés du port. » La trouva plus que quelques familles grec-
grande masse de matériaux de marbre ques placées sous l’administration du
fut extraite des fondations; c’est au
bey de Melasso; aujourd'hui ces ruines
milieu de ce massif qu’ils découvrirent sont tout à fôit désertes et pendant un ,

le tombeau du roi, qui fut violé pendant


séjour de plus d’une semaine nous n’a-
la nuit avant qu’on n’en eut fait une
perçumes ni dans la ville ni dans les
reconnaissance régulière. Tous les frag- environs aucun habitant pour nous don-
ments de sculpture trouvés par M. New- ner le moindre renseignement sur les
ton dans ses fouilles ont été abandon- localités voisines. Nous longions avec
nés par les chevaliers comme impro- la Mésange la côte nord du golfe, qui
se présentait à nous sous I aspect le

(i) Guichard, PuiiémiUes dei Grecs et des (i) f'oy. pl. 33, Pue du elidleau de Bau-
Romains, in 8<>, Lyon, i58i, l. III, p, 878, droum.

Dv;' - - J ij/ Lit)* »-;lc

t; -
,

ASIE MINEURE. 683


plu8 sauvage ; aucune trace d'habitation contraire, pour stérile et maigre. Stra-
ni de culture ne s’offrait à nos regards. bon raconte une plaisanterie touchant
Nous avions déjà doublé plusieurs la vente du poisson à lassus. Je doute
ra|)s , et la sonde indiquait que nous que jamais coup de Glet des Grecs ait
approchions dufond du golfe; il e>lt été produit une masse de poisson plus con-
dangereux de rester de nuit dans ces sidérable. Il est vrai que, depuis plu-
parages inconnus . Le capitaine donna sieurs siècles, le poisson, dans ces pa-
l’ordre de virer de bord, et je désespé- rages, est tout à fait à l’abri des pour-
rais de rencontrer les ruines d’Iassus , suites des pêcheurs. Pendant notre sé-
lorsque le navire , en virant, découvrit jour à lassus, les matelots renouvelaient
une pointe couronnée de fortiflcatious. chaque soir des pêches aussi fructueu-
Bientôt l’ensemble des murailles, écla- ses ; ils amenaient souvent des mollus-
tantes de blancheur se déploya à nos ques aux formes les plus incroyables,
regards : c’était lassus; et nous allâ- aux couleurs les plus brillantes; mais
mes jeter l’ancre, à l’est de la ville, où nous n’avions à bord aucun moyen de
nous trouvâmes un bon foud par six les conserver. Pendant le jour, la cha-
brasses d’eau. leur était intense, à peine pouvait-on
On ignore les causes de l’abandon toucher les garnitures de cuivre qui se
de cette ancienne ville ; le pays d’alen- trouvaient sur le pont.
tour est bien arrosé et les plaines voi-
sines seraient propres à recevoir la cul- CHAPITRE VI.
ture des céréales.
Le commis aux vivres de la Mésange LES MUBAILLES.
fut un peu désappointé, car il espérait
trouver dans une si belle ville un peu Nous commençâmes par examiner
de viande fraîche pour l’équipage. Pour lepourtour des inurailles. La ville est
parer à cet inconvénient, le capitaine sur un îlot qui est environ deux
assi.se
ordonna une grande pèche aux Glets ; fois aussilong que large. Le centre est
en un instant les c.anots furent mis à occupé par une colline élevée, au som-
la mer ; la nuit était venue , on mit le met de laquelle est située l’acropole, de
feu aux oliviers sauvages qui couvraient sorte que la majeure partie des mai-
la rive; aucun garde champêtre n’ap- sons était bâtie sur un terrain en pente
parut pour dresser procès-verbal. Les entrecoupé par des terrasses. T..es mu-
voix glapissantes des chacals troublè- railles qui entourent toute l’île sont
rent seules le silence de la nuit, comme Ganquées de tours carrées ; elles sont
ioiir protester contre l’invasion de construites en grands blocs de marbre
feurs demeures. Les canots avaient dé- blanc à bossage, de 0“,70c de hauteur;
crit un long circuit, entraînant avec l’intérieur du mur est rempli par des
eux un long Glet qu’on appelle seine. blocages reliés avec du mortier. Toutes
Bientôt la résistance devint telle, qu’on ces murailles sont d’une belle conserva-
craignit que le Glet ne fût arrêté dans tion ; l’air de la mer empêchant les li-
quelque roche ; l’agitation des eaux fit chens de croître sur le marbre, elles
bientôt reconnaître qu’une quantité sont d’une blancheur éclatante. On
immense de poissons, atGrés par les voit quelques restaurations qui datent
lueurs de l’incendie, étaient venus se du temps des Romains. Dans le moyen
prendre dans 1a seine. Nous tirâmes âge, les Vénitiens ou les Génois ayant
des monceaux de dorades, de pécunes eu des comptoirs dans cette place, on
et plusieurs genres de torpilles. La remarque quelques constructions faites
tuer d’Iassus conserve encore sa vieille avec des débris de monuments anciens.
réputation. Toutes les portes sont détruites : il

Les habitants d’Iassus (1) tiraient la n’existe aujourd’hui qu’une petite po-
plus grande partie de leur subsistance terne qui s’ouvre à la pointe sud de
de la mer, qui en cet endroit est très- nie. Contrairement à l’usage des au-
poissonneuse. Le terrain passait, au tres villes
.
j’ai remarqué à lassus plu-
sieurs grands édiOces complètement
(i) Slrabon, liv. XIV, p. 658. adossés aux murailles de sorte qu’on
,
,

634 L’UNIVERS.
ménager un pomérium
avait négligé de de gros quartiers de pierre à bossages.
ou chemin de ronde cela tenait sans: Un bandeau lisse, placé à la hauteur
doute à la position isolée de la ville. du quatrième gradin, contient l’ins-
Dans quelques endroits il y a des case- cription suivante :

mates pour mettre les soldats à couvert Zopatros nia d’Epicrale, ayant Cté chorége,
des machines. Il ne reste aucune trace et agonüthéte, et stépbanophore a dédie a ,

des créneaux. Bacclius et au peuple cette muraille tappelée


analemme J, les groupes de gradins ( en latin
Les tours sont massives jusqu’au cunei ) et la scène.
tiers de leur hauteur ; on y arrivait par
des escaliers extérieurs appliqués contre Si j’ai bien compris les trois mots te-
la muraille. L’épaisseur du mur varie chniques de cette inscription, iis m'expli-
de deux à quatre mètres ; elle est moin- quent la singularité de construction que
dre du côté du port. Les quais de la j’ai signalée plus haut, c'est-à-dire que
ville sont construits en grands blocs de la partie du mur de soutènement qui
marbre blanc ; mais les fourrés de brous- porte l'inscription , s’étant écroulée, a
sailles sont tels, qu’on ne peut les par- été réparée par le magistrat chargé
courir dans toute leur longueur. Au- pour l'année ue présider aux jeux de la
jourd'hui nie de lassus est jointe au scène.
continent par une langue de terre fort Les murs de la scène existent encore
étroite , au milieu de laquelle on voit en partie, mais s’élèvent peu au-dessus
des constructions qui ont peut-être ap- du sol. Ils sont faits en petites pierres,
partenu à un pont. Cepenaant l’ile fut et paraissent d’une construction bien
toujours séparée de la terre ferme par plus moderne que le reste de l’édifice.
un canal. Elle a, à l’est, la petite anse Dans le voisinage de l’orchestre, j’ai
dans laquelle la Mésange a mouillé aperçu une longue inscription composée
et à gauche l’ancien port. 11 est formé de cinq tabieaiix. Elle est tracée sur un
naturellement par l’île et la terre pilastre de marbre, écrite en caractères
ferme ;
à l’entrée ont été établis deux très-menus. Je la fis dégager des terres
môles l’un est aujourd’hui sous l’eau,
: et des broussailles qui la couvraient,
et celui de l’est est encore complet. Sa mais le temps me manqua pour la co-
longueur est de cent mètres, et à sa pier.
pointe s’élève une grosse tour carrée, Le théâtre est établi sur un terrain
ouvrage du moyen âge. La passe entre très-incliné; y avait sur le devant
il

les deux môles est de 50 mètres. Sur la une terrasse bâtie en pierres schisteuses,
rive du port, du côté de la terre ferme, qui ne me paraît pas d’une construction
sont de nombreux tombeaux faisant très-ancienne. On arrivait aux diffé-
partie de la nécropole. rentes terrasses par des pentes douces
ou des escaliers. Un peu au nord du
théâtre , il existe une construction qui
lISTKBIEUn DE LA VILLE.
me parait avoir appartenu à une maison
particulière. C’est une salle voûtée , en
I^e théâtre est l’édifice le plus ancien partie creusée dans le roc, et deux
et le mieux conservé qui existe à lassus. chambres latérales. Non loin de là est

Le pourtour de cavéa est bâti


la en un portique dont quelques colonnes
grandes pierres de taille à bossage et sont encore en place. En descendant
sans mortier; la porte qui conduit en vers le nord , on arrive sur l’isthme , le
haut de la précinction est bâtie en seul terrain plat de l’intérieur de la
pierres appareillées dans le genre de ville; c’est là que se trouvent les prin-
celles d’Assos. Tous
gradins sontles cipaux monuments publics, le palais ou
en marbre blanc et décorés de griffes castrum, la palestre, le xystc et le
de lion. Le mur en pente des gradins stade. Ce dernier édifice est complète-
est oblique à l’axe du théâtre. Les gra- ment adossé aux murs de la ville ; il se
dins sont encore presque tous en place ;
compose d'une partie circulaire avec
on compte vingt et un rangs de sièges. quatre rangs de sièges, et do deux li-
Le mur de gauche n’est pas semblable gnes de gradins qui s’étendent en ligne
à celui de droite ; ce dernier est fait droite, parallèlement à l’axe.
ASIE MINEURE. «â5

L’extrémité du stade se trouvant en- tie supérieure de la ville étaient alimen-


terrée sous des monceaux de sable, il tées par des citernes qui n’étaient point
m’a été impossible d’en avoir la gran- voûtées, mais recouvertes par des aalles
deur exacte. de schiste de plusieurs mètres de lon-
Le palais est un amas confus de gueur. L’extérieur de la ville du côté
salles qui se croisent en tous sens , et de l’isthme présente une muraille par-
dont toute la décoration de marbre a faitement conservée et toute de marbre
disparu. L’enceinte était occupée par blanc. On remarque près d’une tour
line véritable forêt de térébinthes et une porte avec une corniche de style
d’oliviers sauvages, entrelacés avec des grec, sur le jambage de laquelle est
lianes nui formaient comine autant de inscrit un décret des habitants d’Iassus.
réseaux ; la hache ni la cognée n’avaient En dehors des murailles et dans la
d’action sur cette végétation compacte. plaine se voient les ruines de quelques
Nous résoldines d’y mettre le feu; édifices qui ont été considérables, mais
pour cela on envoya chercher à bord qui sont d’une époque de décadence.
du goudron et des étoupes dont les Je ne saurais dire précisément quelle
matelots entourèrent les pieds de quel- était leur destination. A un kilomètre
ques arbres; ou réunit des broussailles de là et dans le fond de la baie, on re-
sèches, et on
y mit le feu. L’incendie marque une source extrêmement abon-
dura une partie de la nuit, et le lende- dante qui sort du pied d’un rocher
main les matelots purent commencer tour se jeter presque immédiatement à
quelques fouilles ; mais le terrain en- fa mer. Près de la source s’élève un

tremêlé de racines offrait tant de dif- tombeau composé d’un soubassement


ficultés, que je lis cesser le travail, les surmonté d’un tétrapyle, c’est-à-dire
dispositions de c«s différentes salles de quatre arcades .supportant une cou-
n’offrant rien de particulier au point de pole en pendentif. Les premiers voya-
vue de l’architecture. geurs européens qui ont visité ces ruines
Deux édifices carrés, composés cha- avaient cru retrouver en ce lieu le tom-
cun de trois salles, étaient reliés par beau de Mausole.
un double rang de portiques, dont nous
voyons encore les colonnes placées se- CHAPITRE VH.
lon des lignes parallèles. La salle qui
est à l’ouest est complètement conser- NÉCROPOLE.
vée ; il n’y manque que
sa décoration
architecturale. Elle est bâtie en petites Nous avons vu que la côte septen-
pierres de schiste, et d’une construction trionale du golfe est formée par une
très-médiocre; mais cet édifice offre suite non interrompue de collines qui
un certain intérêt par l'inscription pla- viennent en se contournant former le
cée dans sa partie supérieure : fond de la baie d’Iassus. A partir de
l’entrée du port jusque vers la plaine,
K Diane AsUade, et à l'empereur César Marc ont occupé
Aurèle(k)moile Antonin Auguste, Germanique, les différentes nations qui
Sarmatique, Dioclès a dédié les deux exèdres ces lieux ont établi leurs nécropoles sur
et le toit du portique, qu'il a fait construire ,à le penchant de ces coteaux, et les tom-
ses frais, en souvenir de son fils défunt, parvenu
à la dignité destéphanopliure. beaux de toutes les époques et de tous
les styles nous montrent quelle diver-
Ces exèdres étaient les salles où s’as- sité de conception une meme pensée
semblaient les gens de lettres. L’espace peut engendrer au point de vue de l’art.
compris entre les portiques était la pa- Vue à distance, la nécropole d’fas-
lestre.Un enclos voisin de l'agora ren- sus parait une oetite ville, tant les tom-
ferme encore plusieurs monuments beaux ressemblent à des habitations. Je
bien conservés, mais presque inaccessi- n’ai aucune donnée positive pour les
bles, à cause des broussailles. J’ai re- classer par ordre chronologique, les pier-
connu plusieurs citernes qui recevaient res schisteuses dont ils sont construits
leurs eaux d’un aqueduc dont il reste n’ayant pas permis d’y placer des ins-
encore quelques arcades. Toutes ie.s criptions. On peut les diviser en trois
maisons qui étaient situées dans la par- époques.
,

636 L’UNIVERS.
PBEMIÈHE EPOQUE. —
TOMBEAUX TBOISIÈHE ÉPOQUE. — TOMBEAUX
DES LÉLÉGES. BOMAINS.

Repoussés d’abord au sud du Méandre La troisième classe de monuments


par l’invasion ionienne, les Léiéges se compose de chambres sépulcrales
s’établirent dans la contrée d’iassus et voûtées et bâties en pierres schisteuses,
d’Ilalicarnasse. Les exploits d’Achille réunies par un mortier rougeâtre, et se
les avaient forcés primitivement de se composant souvent de deux ou trois
retirer dans le sud de l’Asie, où ils compartiments assez grands pour avoir
avaient fondé la ville de Pédasus, et ils servi à l’habitation. Les chambranles
occupaient la Carie jusqu’à Mindus et des portes et les architraves sont d’un
Bargylia ; et dans tous ces districts on très-fort appareil. Généralement, les
montrait aux étrangers des tombeaux cintres des voûtes sont apparents au
des forts et des vestiges d'habitations dehors.
des Léiéges. Un de ces tombeaux , situé près du
Les sépultures , portant le caractère port , est complètement conservé. Il se
delà plus haute antiquité, rappellent compose d’une première cour dont la
par leurs formes les monuments celti- porte est formée de trois énormes pier-
ques que nous trouvons en France. Ce res ; elle donne accès à deux pièces voû-
sont (ICS chambres formées par de lon- tées, et indépendantes l’une de l’autre :

gues pierres placées dans l’état où elles dans chacune d’elles sont des compar-
se trouvent à la sortie de la carrière, et timents en forme d’alcôve. Un mur de
recouvertes par un plancher du même division sépare la grande cour d’une
appareil en pierres plates. Elles sont autre plus petite qui donne accès à une
ordinaireraeut à moitié enfoncées dans troisième pièce voûtée. Cest certaine-
le sol. Il y en a de différentes dimen- ment dans ce tpmbeau qu’a demeuré
sions, destinées à recevoir un ou plu- Chandler quand il est venu à lassus. Il
. sieurs corps. Aucun de ces monuments était alors décoré de peintures. Je n'y
ne porte ae traces d’inscription ; toutes ai trouvé aucune trace d’inscription;
les pierres qui les composent sont telles mais il semble que le propriétaire ait
qu’elles sont sorties de la carrière. Ce voulu, après sa mort, conserver les di
genre de tombeaux est généralement visions qui existaient dans sa famille,
placé sur la pente orientale de la chaîne iendant sa vie : la grande salle pour
de collines, et non loin de la grande fui, celle d’à côté pour ses serviteurs ou
muraille dont je parlerai tout à l’heure. ses affranchis , et la troisième pour sa
femme.
SECONDE ÉPOQUE. — TOMBEAUX
GBECS. CHAPITRE VIII.

Le second ^enre de sépultures, qui LA GBANDE MUBAILLE.


porte le caractère de l’époque grecque,
se compose de stèles de marbre avec des Aux environs de la Nécropole s’élè-
inscriptions, et de sarcophages qui sont vent quelques constructions d’un appa-
plus ou moins décorés. reil colossal,qui ne se rattachent au-
Voici le caractère des inscriptions cunement aux murailles de la ville ; elles
que l’on rencontre : consistent en plusieurs tours massives
et en remparts bâtis avec des pierres
C« tomiwau est (»1ui de Claadius Eitharus. de très-grand appareil sans l’emploi du
Je veux qu’il n’y soit mis aucun autre, excepté
ceux de ma race. Si quelqu’un fait violence
ciment. En suivant la pente des collines
pour y enlerrer, il payera au sénat cinq cents du côté du nord, on retrouve la grande
deniers. muraille dont les tours voisines de
Ce tomiveau est celui d’Hécatée de Stralées.
Celui qui leniera de l’ouvrir donnera au Use
lassus ne sont que les amorces, et on
cinq cents deniers, et sera cité en Justice pour peut la suivre pendant plusieurs kilo-
V iolatioD des tombeaux.
mètres sans perdre un moment sa
trace. La hauteur de cette muraille va-
rie entre cinq et huit mètres au-iîessus
ASIE MmEURE. 637

du sol, elle est défendue de distance en ceux qui après moi sont allés à lassus,
distaiiee par des tours demi-circulaires, malgré toutes les notes et les recom-
prés de chacune d’elles s’ouvre une pe- mandations que j’ai multipliées pour
tite poterne qui établissait autant de compléter la connaissance u’un des ou-
communications entre l’intérieur et vrages les plus antiques, et certaine-
l’extérieur de la muraille qui se pro- ment des plus curieux que j’aie rencon-
longe à perte de vue à travers un pays trés en Orient. Je n'avais pas le loisir
désert et dont nous n’avons pu déter- de perdre beaucoup de temps pour
miner ni l’étendue ni la raison d’étre. rechercher par moi-même les points de
Toutes les tours sont tournées vers départ et d’arrivée de cette muraille.
l'est. C’est donc la partie ouest du ter- Je levai les plans d'une partie, pour
ritoire qui devait être défendue , or ce faire connaître les dispositions de la
terrain n’offre partout qu’une nature poterne (l). Un plan levé à vue fut fait
agreste et primitive où la présence de ar les officiers, et je l’aurais publié si
l'homme ne se décèle nulle part. Par- P espace ne m’eôt manqué ; mais il ne
tout le terrain est couvert de rochers m’apprend rien sur la destination de
qui s’élèvent en pivot, et dans tout cet cette fortification, qui parait antérieure
espace on n’aperçoit pas une seule aux migrations helléniques. Je ne doute
pierre taillée. Il est donc impossible de pas néanmoins que ce ne soient les
définir pour quel usage a été bâtie cette constructions dont parle Strabon dans
muraille, puisque jamais elle ne put le passage que j'ai cité plus haut.
servir d’enceinte à une ville. Les murs lassus passe pour avoir été fondée
ont trois mètres d’épaisseur ; la hauteur par des colons d’Argos; mais les guerres
moyenne des assises est de plus d’un désastreuses qu’ils eurent à soutenir
mètre. Les tours sont percées de cinq contre les indigènes diminuèrent telle-
fenêtres étroites et couronnées par des ment leur nombre, qu’ils furent obligés
plates-bandes. Elles sont éloignées les de demander du renfort au fils de Nélée,
unes des autres d’environ cent mètres. fondateur de Milet. lassus fut assiégée
Dans cet espace, le mur forme entre par les Lacédémoniens, et plus tard par
chaque tour deux ressauts , dans les- Philippe, roi de Macédoine, qui s'eu
quels s’ouvrent des poternes qui pren- empara ; mais il ne conserva pas long-
nent la courtine en enfilade. Dans l’es- temps le pouvoir. Polybc donne à la
pace de mille mètres. J’ai compté dix- ville dix stades de circonférence (2).
sept poternes, qui sont toutes tournées Paul Silentiaire, dans sa description
du côté du sud, ce qui prouve qu’il y de Sainte-Sophie , dit qu’aux environs
avait de fréquentes communications d’Iassus se trouvaient des carrières de
entre l’intérieur et l’extérieur de l’en- marbre employé dans la décoration, et
ceinte. Dans tout le parcours que j’ai ui était de couleur rouge. Les environs
suivi, je n’ai vu qu’une seule grande e la ville produisent, il est vrai, plu-
porte placée dans un angle rentrant du sieurs sortes de marbre, mais il est gé-
mur. A côté de la porte sont des ou- néralement blanc-, et j’ai à regretter de
vertures longues et étroites, destinées n’avoir pas pu déterminer le gisement
à donner issue aux eaux.- {,Fig. r”.) de ces carrières de marbre rouge.
Les tours sont massives jusqu’à qua-
tre mètres de hauteur, niveau des fe- CHAPITRE IX.
nêtres. La plus grande hauteur actuelle
des murailles ne dépasse pasdix mètres ; BAROYLIA. — CYNDIA. — HYRDDS.
des escaliers en partie conservés con-
duisaient sur les plates-formes, et enfin Après un court séjour à lassus , la
de grandes portes donnaient accès dans Mésange appareilla, le 24 juillet 1835,
l’intérieur des tours. Nous n’avions dans pour compléter l’exploration du golfe.
l'endroit aucun indigène pour lui de- Vainement j’avais cnerché de quel côté
mander des renseignements sur le par- pouvait se trouver le BargylUicm Si-
cours de ce gigantesque ouvrage , qui
avait échappé a tous mes prédécesseurs, (i) Voye* jilanclie g, fie. let ».
et qui est resté inconnu à la plupart de (») Polybe, liv. XVI, cliap. II.
, ;

638 L’UNI vï:rs.

nus, au fond duquel était la ville de dans des conditions analogues; une
Bargylia. Les cartes ne nous donnaient villeantique est située non loin de sa-
aucune indication qui pût me le faire lines qu’on appelledans le pavs Touzia
soupçonner. D’apres Strabon, cette c’est aussi le nom qu’on a donné à la
ville devait se trouver sur la côte sud ville antique. Elle se trouve disposée
du golfe (1). La ville de Myndus est en amphithéâtre avec un quai, où l’on
assez bien déterminée par un cap qui trouve encore des amarres de navires.
fait partie de la presqu’île nord du golfe La plupart des édiQces qui subsistent
de Boudroum, à l’endroit qu’on appelle paraissent avoir été destinés au com-
aujourd’hui Mentescha. Myndus, qui merce ; j’y ai observé les ruines d’une
eut une certaine célébrité, est aujour- église et un petit théâtre d’une cons-
d'hui complètement détruite, et l’on truction médiocre. Bargylia, que sans
n’est pas tout à fait d’accord sur sou aucun doute j’avais retrouvée dans ces
assiette réelle. Elle fut fondée en même ruines, était la ville la plus enfoncée
temps qu'Halicarnasse, par les Træzé- dans le golfe. Elle se di.stinguait par un
niens. temple dédié à Diane Cyndiade, et qui

Caryande est bien déterminée par jouissait du privilège d’éloigner la

une petite île située en face d’une baie pluie (1). Près de Bargylia est le temple
qui formait le port. Ces deux places de Diane Cyndiade ; on croit que toutes
avaient été déjà reconnues dans les les fois qu’il pleut, l’eau tombe tout
opérations hydirographiques du capi- autour de ce temple sans qu’il en soit
taine Beaufort; mais Bargylia restait mouillé. Le passage de Polybc, qui
à découvrir. s’applique uniquement à la statue, sem-
Après avoir quitté le mouillage d’Ias- blerait faire croire que le temple était
sus, nous faisions route vers l’ouest hypæthre. Je ne trouvai rien dans la
lorsque nous aperçûmes par tribord du ville qui pût s’appliquer à cet édifice,

navire une barque grecque sortant de mais a une lieue de Jà, dans la plaine
derrière un rocher. Les cartes ne mar- située de l’autre côté des collines, je
quaient en cet endroit aucun mouillage, trouvai, au milieu des broussailles, un
et nous avions peine à expliquer d’où édifice de marbre blanc orné de colon-
venait cette barque. Ce n’est que plus nes cannelées, qui paraît avoir été un
tard que j’en ai eu l’explication. temple à cella ouverte, comme le temple
Ayant débarqué à Boudroum, je vou- de Vienne en Dauphiné. Il est ruiné jni-
lus me rendre à Mélasso. Je sortis de qu’à un mètre 5o cent.au-dessus dn sol,
la ville par une brèche faite à l'ancien et fort enterré par les décombres. Cestée
rempart, à l’endroit sans doute où la l’architecture de l’époque romaine, sans
ville fut attaquée par Alexandre. Je doute du temps des Antonins. D’autres
joignis bientôt, à travers un pays acci- ruines éparses à l’entour me représen-
denté, une voie antique d’une parfaite tent le Murg de Cyndie. Bargjliaest
conservation , et que je ne perdis plus une ville dont la fondation remonte •
pendant deux jours de marche. Elle une très-haute antiquité, puisqu'ew
longe la côte du golfe , franchit les ra- passe pour avoir été fondée par Achille
vins sur des substructions d’un travail ou par Bellérophon (2).
solide, et passe sur l’emplacement de Elle fut prise par Philippe dans la
plusieurs stations antiques. Nous ne guerre de Carie, et son armée y passa
lardâmes pas à arriver dans un golfe, l’hiver. Si toutes les ruines de cette
au fond duquel est un village appelé époque ont complètement disparu, nous
Geuverglnlik ( le pigeonnier). Il y a devons en conclure que la ville conti-
sur la côte une ville antique dont les nua d’être très-peuplée pendant toute
au-
constructions sont semblables à celles la période byzantine. Je n’y trouvai
d’Iassus une petite île en masque l’en-
;
cune inscription; néanmoins, la MO'
trée aux navigateurs qui sont dans le cordance des distances et des auteurs
grand golfe. Un terrain montagneux que je ne pouvais douter de
était telle,
sépare ce golfe d’un autre qui se trouve
(() l'otybe, liv. XVI, cliap. XII.
(t) Strabon, liv. XIV, p. 658. (ï) Steph. Byi., S, voc. liapyûb*.
ASIE MINEURE. 639

son identité. Depuis ce temps les relè- mais oompletement composé de roches.
vements de cette côte ont été faits par I.es Cnidiens,désespérant de résister à
le navire Anglais JSeacon, et la carte du leurs ennemis, se rendirent au satrape.
golfe de Bargylia a été publiée par l'a- La ville de Cnide était située à la
mirauté. pointe la plus orientale du cap, et voi-
sine d'une petite île qui fut jointe au
CHAPITRE X. continent par des ouvrages, de manière
nue le canal qui la séparait de la terre
cmoE. ferme se trouva transformé en deux
ports, qui furent clos au dehors par des
L'extj'émité orientale du golfe de jetées. La majeure partie de la ville était
Boudrouni présente un cap plus allongé située sur le continent ; dans l’île voi-
et plus découpé que tous les autres sine il y avait des constructions nom-
promontoires de cette côte. Le petit ter- breuses de maisons particulières, mais
ritoire qui le compose , a conservé le pas d'édifices publics. Strabon s’exprime
nom spécial de Doride (1), et la pointe aiusi eu parlant de cette ville (I): « Vient
la plus avancée portait le nom de cap ensuite Cnide avec ses deux ports, dont
Triopæura, en mémoire de Triopas. Ce l'un, destiné pour les trirèmes , peut
héros conduisit dans le pavs une colonie être fermé, l'autre avec une darse qui
lacédémonienne , et fonda la ville de peut contenir une vingtaine de vais-
Cnide (2), qui devint métropole de la seaux. Devant Cnide e.st une île d’en-
confédération dorienne. Triopas avait viron sept stades de circuit, élevée en
consacré au dieu Apollon toute la Cher- amphithéâtre et jointe à la terre ferme
sonèse; mais en même temps des tem- par un môle qui fait de Cuide une
ples furent élevés à Neptune et aux double ville, car une partie des Cni-<
nymphes, et des jeux api^lés jeux d’A- diens habite l’île qui abrite les deux
pôllon triopécQ ou jeux Dorieiis, furent ports. » Il est impossible de donner en
institués par la confédération dorienne, si peu de mots une idée plus précise de
composée d’abord de six villes, Cnide, de la topographie de cette ville, qui se
Coi, Halicarnasse, et trois villes rho- présente encore à l’observateur dans le
diennes, Lindus, lalyssus et Caniirus. même état où elle se trouvait à la chute
Cette association prit le nom d'IIexa- de l’empire romain. Elle n’était pas ap-
pole; mais depuis l’exclusion d’Halicar- paremment placée dans des conditions
nasse, la confédération fut appelée Peu- telles, que son existence pilt se pro-.
tapolis, c'est-à-dire des cinq villes. Ces longer après l'etablissement du christia-.
assemblées, imitées de celles de la con- nisme ;
son territoire était affreusement
fédération ionienne, se tenaient dans la nu et rocailleux; elle ne vivait que de
presqu'île triopéenne. cette existence factice qu'entretenait le
Cnide était déjà florissante au septième culte de Vénus, et une fois qu'il fut
siècle avant notre ère
;
elle envoya des tombé, rien ne put rappeler dans ses
colonies en Italie, en Sicile et dans murs le commerce et le mouvement.
l'Adriatique, et fonda la noire Corcyre Les murailles qui entourent la ville
liiXtv»Kipxupa, aujourd’hui Mélida (3). paraissent un ouvrage des plus anciens ;
Lorsque le satrape Uarpagiis fit une in- cependant , dans
la dernière année de
vasion en Carie, les Cnidiens, se sen- la guerre du Péloponnèse, les Athé-
tant hors d'état de résister par la force niens s'emparèrent de cette ville sans
des armes , songèrent à se défendre en résistance, parce que, dit Thucydide (3),
séparant par un fossé leur presqu’île du elle était sans murailles. Mais dans la
continent (4). même année les deux flottes larédémo-
La longueur du territoire que l’on niennes se réunirent à Cnide après avoir
voulaitcouper était de cinq stades, battu les Athéniens, et Lacédémone
resta maîtresse du pays. Sous le gou-
(t) Pline, liv. V, eh. aS. vernement des Perses, les peuples de
(a) Hérodote, liv. I, ch«p. 174 .
(3) Pline, liv. III, cliap. ali. (t) Slmbnn, liv. XIV, p. 656. XV.
(4) Voyei page 3g. , , (t) TliiicydiJe, liv. VIH.

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640 L’UNIVERS
la Carie ne souffrirent que médiocre- était porté l’enthousiasme des admira-
ment de la domination étrangère, et nous teurs de cette statue :

ne voyons pas dans les ruines de la « Nous nous déterminâmes alors à


ville que les gouverneurs perses aient débarquer à Cnide pour voir la ville , et
jamais élevé quelque ouvrage particulier y admirer le temple de Vénus , célébré
dont la destination eût un but religieux par la statue de cette déesse, chef-
ou politique. Tout dans ces ruines est d’œuvre de Praxitèle. Nous atteignîmes
grec ou romain. le rivage sans accident, comme si la
A côté du gouvernement monar- déesse elle-mêmeedt guidénotre barque.
chique d’Halicarnasse , les Cnidiens Pendant que les matelots s’occupaient
conservèrent la démocratie, mais ne aux préparatifs ordinaires, je fis le tour
^mirent aucune opposition aux projets de la ville ayant avec moi deux de mes
'd’Alexandre , et dans la marche de ce apéables compagnons. Nous nous amu-
conquérant sur Halicarnasse , il n’est sâmes des figures de poterie, bizarres
pas question des Cnidiens. Lorsque les et lascives, dont cette ville, consacrée à
Romains furent maîtres de ces provin- Vénus, abonde. Quand nous eûmes vi-
ces , Cnide ne tarda pas à sentir les ef-
portique de Sostrate, et que uous
sité le
fets de la munificence de Jules César, eûmes vu tout ce qu’il y avait d’intéres-
en considération de la divinité dont sant, nous nous dirigeâmes vers le
César descendait. En effet, le culte de temple de Vénus, Cbariclès et moi,
Vénus avait acquis une célébrité qui avec une vive curiosité....
effaçait celle des autres divinités , et la « En approchant de l’enceinte sacrée,
Vénus cnidienne, chef-d’œuvre de Pra- les parfums les plus délicieux nous
xitèle, était un objet d’envie et d’admi- enivrèrent;
car au-dedans il n’y a pas
ration pour tous les princes de l’anti- de pavé poli, mais l’aréa est disposée
quité (t). comme il convient à un sanctuaire de
Pline surtout s’étend longuement sur Vénus, et abonde en arbres odoriférants
la merveilleuse beauté de cette figure, qui parfument l’air de leurs senteurs.
et dit que de toutes les parties du monde Le myrte, qui fleurit sans cesse et se
on venait pour l'admirer. Nicomède, couvre d’une profusion de fruits, honore
roi de Bitbynie, proposa aux Cnidiens de surtout la déesse; aucun des arbres
leur faire remise de la totalité de leur n’y souffre de la vieillesse ; ils sont
dette , qui était considérable, s’ils vou- toujours jeunes, et poussent toujours
laient lui céder cette statue ; mais ceux- de nouveaux rejetons. Ceux qui ne pro-
ci refusèrent en disant qu’ils ne pou- duisent pas de fruits se distinguent par
vaient pas donner la gloire de leur ville. leur beauté ; tels sont le cyprès élancé,
Il
y avait à Cnide des ouvrages d’au- le grand platane et le laurier. Le lierre
tres sculpteurs célèbres, mais ils étaient embrasse amoureusement tous ces ar-
à peine remarqués en présence de la bres, pendant que la vigne montre
Vénus (2). En un mot, Vénus était de- l’heureuse union des deux divinités.
venue la divinité principale des Cni- Sous les épais ombrages se trouvent des
diens; elle avait trois temples, et était lieux de repos destinés à des repas
adorée sous les noms de Dorienne, joyeux, qui, quoique rarement fréquen-
Acræenne et Euplœenne
, et c’est sous tés par le peuple de la ville, reçoivent de
ce dernier nom que
la statue de Praxi- nombreuses visites des autres habitants
tèle était à l’admiration des
offerte du territoire cnidien.
adorateurs (3). Un passage d’un auteur Après nous être avidement rassa-
n

ancien nous donne quelques détails siés des beautés de la nature, nous en-
sur les dispositions du temple, et nous trâmes dans le temple. Au milieu est la
fait voir en même temps à quel degré divinité, en marbre deParos, ouvrage
splendide. Un .sourire à demi retenu
(i) CicéroB, in Verrem, IV, n. — Pline, est sur sa bouche. Aucun voile ne ca-
l.V, ch. aS. che sa beauté , aucune partie de son
(a) Pline, liv. XXXYI,cb. 4; liv. VU, corps n’çst cachée, excepté celle que
ch. 3g voile la main gauche légèrement fléchie.
(3) PauMiiias, AHica, ch, I. L’art du sculpteur a été tel, que le
,

ASIE MINEURE. 641

marbre dur et rebelle représente parfai- on fut obligé d’ar-


été pris par le calme,
tement la forme délicate de chaque mer lesavirons pour entrer dans le
membre. Chariclès, dans un moment port. Deux grands môles, ouvrages des
d'extase, s’écrie • Heureux parmi les
: Grecs, en abritent l’entrée. Celui de
dieux celui qui fut enchaîné partoi; »et droite est en partie détruit ; mais celui
.s'élançant, le cou tendu autant que pos- de gauclie. composé d’un amas de ro-
sible, il embrassa la statue à plusieurs chers roui» de l’île dans la mer, donne
reprises. Callicrathlès se tenait dans une l’idée des puissantes machines dont les
admiration humble et silencieuse. anciens faisaient usage dans ce genre de
« Le temple a une entrée à chaque travaux. Le port où nous entrâmes est
extrémité (amphiprostyle ) (1), de sorte situé au sud; c’est le seul où peuvent
qu'on peut aamirer la déessse de tous mouillerlesbâtimentsd’un fort tonnage;
côtés; la seconde porte est particulière- il est petit, mais il a beaucoup de fond
;

ment destinée à laisser voir le dos de la ce port est encore dans l’état où l’ont
statue. Nous tournâmes autour du pos- laisse les derniers Romains; tous les
ticum ,où, le gardien de la porte nous revêtements des quais sont presque in-
ayant ouvert, nous fûmes frappés d’un tacts, et les môles ont résisté aux efforts
étonnement subit à la vue du chef- incessants de la mer qui vient du large.
d’œuvre. Nous ne pûmes nous empêcher La forme du port est celle d'un Ira-
de manifester à plusieurs reprises notre èze et le petit côté est occupé par
admiration (2) >• s P isthme qui séparait les deux ports. Un
Le temple de la déesse était situé dans voit les traces d’un canal qui les joignait
du port. Il restait autrefois
le voisinage l’un à l’autre, et qui pouvait se fermer
de nombreux débris de rédiüce mais, ; par une écluse. Le petit port avait la
depuis quelques années , les bâtiments forme d'un hexagone irrégulier ; les quais
européens qui viennent dans ees mers sont aussi bien conserves que dans le
ont l’habitude d’enlever des marbres, premier; on remarque à rentrée une
et il ne reste aujourd'hui que fort peu tour circulaire à bossage, qui est un
de chose pour le rétablir d'une manière des plus beaux exemplesde construction
a peu près certaine. grecque qu’il soit possible de voir.
Ce temple était d’ordre corinthien, Sur' la gauche du petit port sont quel-
c’est assez dire qu’il aurait été construit ques voûtes en maçonnerie de briques
sous la période romaine. Le passage et qui ont servi de remise de galères.
de Lucien, dont j'ai cité un extrait, Un certain nombre d’édifices pu-
contient une description qui ne s’accorde blics, et notamment le temple corin-
pas parfaitement avec un un tel empla- thien, étaient placés sur l’isihme; mais
cement; mais ces jardins sacrés dont ce sont les plus détruits, parce qu'ils
il est fait mention étaient généralement étaient les plus voisins des bâtiments
peu étendus. Nous voyons, dans la vie qui embarquaient des marbres.
d’Apollonius , que de son temps la Toute la partie gauche des deux ports
statue existait encore à Cnide. Trans- est occupée par la petite Ile, formée
portée à ('.oustantinople par Théodose, d’une seule mnntagne calcaire, et sur
elle fut placée dans le palais qu’on ap- laquelle un vaste quartier était bâti Les
pelait I.ausus. et futconsumée par un rues étaient soutenues par des terrasses
incendie , en 475, avec tout le palais.
construites généralement en appareil
24 juillet 1835, je quittai la rade
t.-e pélasgique. Il y a , dans le voisinage
de Cos avec la goélette la Mésange du môle, un petit édiCce construit
pour me reodreau cap Crio (cap froid) :
également dans le style pélasgique,
c’est le nom moderne, que les Grecs mais qui offre une particularité que
donnent au promontoire Triopæum et je trouvai plusieurs fois répétée dans
aux ruines de Cnide. Le soir meme nous ces ruines. La porte est formée par
arrivâmes en vue du cap ; mais ayant une arcade, circulaire extradossée, et
tout l’édiRce était voûté. On avait tou-
(<) L« temple a deux portes, Lucien, eic. jours regardé le style pélasgique comme
— Pliii, XX.XVI, 5. caractéristique de la plus haute anti-
(i) Lucien. De Amoiilnis, cli. XI, i8. quité; quelques monuments, que je
41' Livraison. (Asik Mimburb.) 41
()4J L’UMVKRS.
signalerai par la suite, prouvent que ce comme on peut le voir dans la figure, d’un
abaque et d’un talon. Dans sa partie su-
genre de construction a été pratiqué sur périeure, il est percé de quatre trous qui
la côte d’Asie à toutes les époques de ont sers i a sceller un objet de hronze, qui était
l'empire romain. évidemment un trépied. Ces trous sont dis.
posés exactement comme sur le fleuron du
La plus grande partie de la ville de monument choragique de Lysicrate à Athènes.
Cnide était assise sur le continent; Tout le pourtour de la terrasse est formé par
elle était entourée par une solide mu- un mur de construction pélasgique d’un magni-
fique appareil ; dans l’angle nord est une petite
raille, bâtie partie dans le système po-
porte qui n'a que l~,30de large, et qui don-
lygonal, partie en assises réglées elle :
nait accès dans l’enceinte sacrée elle est sur-
:

suit toutes les sinuosités de la mon- montée de son linteau de pierre. La terrasse
forme, dans l’intérieur, un parapet a hauteur
tagne , se double en quelques parties
d’appui, qui est couronné par des dalles de
pour former l’acropole, et va redes- pierre. Tout le monument, en un mot. est par-
cendre du côté du petit port, ayant faitement intact, et l’on voit que tes culunnes
suivi une ligne à peu près parallèle à la ont été renversées a dessein pour enlever les
trépieds. Il n’existe aucune inscription qui i

crête de l’Ile. Le terrain, qui dans l'in- noos fasse connaître la destination de cet |

térieur de la ville formait une peuté ra- édifice. Le trépied joue un si grand rôle dans .

les villes de la Penlapole, que nous ne devoas


pide , était soutenu par des terrasses |

pas liésiter à regarder cet édifice comme cons-


parallèles qui subsistent encore dans truit dans un but politique et religieux. Nous
leur intégrité savons que les assemblées Irlopéennes se te-
Sur la deuxième terrasse du côté du naient en ce lieu même. En l’absence de tout
document écrit, ne peut-on pas supposer que
nord s’élevait un temple de marbre celle enceinte était destinée a ia réunion des
blanc dont il reste encore toute la frise députés des villes qui s’assemblaient sous la
et les frontons; il était entouré d'un protection d’Apollon ? J’ai dit quelques moU
de reiiceinle du Panionium que J’ai observé
portique dorique grec en marbre blanc, a Tcliangli près de Prieur. J’ai donné, dans la
r.es grosses constructions étaient faites planche, les deux colonnes rétablies sur leurs
en roches calcaires. bases; mais celle restitution ne peut-être
l’objet d’aucun doute. Voyez, planche 7, le
Hiéron de Cnide.
HIÉBOIV DE CRIDB.
CHAPITRE XI.
Au milieu de la nécropolis sVIève un édifice
qui diftére par son style de tous les monu-
ments que j’ai renounlrés jusqu'à ce Jour. Il se APRBODIS1AS.
compose d’une grande plate-forme orientée
de l’est à l'ouest, et sonleniie do côté du nord I,a région nord-est de la Carie est
par une terrasse de Slf.tto de longueur; la lar-
geur de la plate-forme est de I3*‘,sn. Dans occupée par un vaste plateau qui donne
cette enceinte sont deux massifs carrés ayant naissance à une foule de ruisseaux cou-
6 mètres de côté, et séparés par une distance lant, les uns vers le Méandre, les au-
de Chacun de ces massifs est composé
de trois assises qui forment une hauteur totale tres vers la mer de l.ycie. I.,e mont
de elles sont en assises réglées. Le li- Cadmus, appelé aiiiourd’hui Babadagh,
bage qui remplit ces massifs est en grosses pier- forme le point culminant de celte ^
res de taille de forme quadrangulaire. Au
centre de chacun de ces massifs s’élève une gion, qui était occupée dans l'antiquité
ba.se hexagonale qui a de edté l*,2l ; chacune par plusieurs villes et par des bourgs
d’elles supportait une colonne triangulaire au- d’une certaine importance. On y remar-
jourd’hui renversée, mais dont toutes les as-
sises sont disposées sur le sol selon l’ordre quait la ville Tauæ, qui donnait son
qu’elles occupaient quand l’éditice était entier. nom à la région Tabæa Plarasa , dont
;
Le triangle du plan de la colonne n’est pas l’emplacement est indéterminé, mais
complet, les angles sont abattus ; et en étudiant
le rapport de ses faces avec les grands côtés, qui fut absorbée par la ville d’Aphro-
on volt que la projection s’est effectuée suivant disias, la plus riche et- la plus célèbre
la règle suivante. Il a été tracé on cercle avec de la contrée, et qui conserve encore
no rayon de l'v.gl, on a inscrit dans ce cercle
un hexagone dont le côté a par conséquent aujourd’hui de nombreux monuments,
l*',31 (le côté de l’hexagone est égal au rayon). dont quelques-uns appartiennent à la
Dans le même cercle on a inscrit un triangle plus belle époque de l'art grec.
équilatéral dont les trois côtés sont parallèles à
trois côtésde l’hexaguiie, et toute la partie du I,a foudation de cette ville remonte à
triangle qui sortait en dehors du polygone l’époque où les Léiéges et les Pélasges
inscrit a été supprimée. Chacune des colon- occupaient seuls cette partie de la Drie.
nes a été composée de onze assises, en y oom-
prenant la base et le chapile.iu. Elle fut d’abord appelée Lél^opolis,
Lerhapitenu est triangulaire; Use compose. Niiioë, et enfin Aphrodisias. .Si le nom
ASIE MINEURE. «4S

de Ninoë se rapporte en effet à celui de sous lesquelles la ville d’Aphrodisias


Ninus l'Assyrien, il faut supposer gue fut connue par les anciens. Lorsque la
cette ville existait déjà au treizième siècle religion chrétienne se répandit dans la
avant Jésus^Christ. Le culte de Vénus, province de Carie, le nom d'Aphrodi-
qui, à cette époque reculée, partageait sias, qui rappelait un culte abhorré, fut
avec celui de Diane la vénération des supprimé définitivement , et remplacé
peuples asiatiques, acquit à cette ville par celui de Stauropolis, qui veut dire
une célébrité qui a duré Jusqu’au ren- Ville de la croix, et qui rappelait celui
versement des autels du paganisme. de Tauropolis que la ville avait déjà
La ville était située dans une plaine porté.
fertile, au pied du mont Cadmus, et ar- Ce ne fut cependant qu’à la fin du
rosée par aes sources nombreuses, dont quatrième siècle qu'elle obtint de l’em-
quelques-unes prennent naissance daus pereur Léon I" le titre de métropole de
renceinte même de la ville. De magni- Carie. Ce fut à peu près vers ce même
fiques carrières de marbre blanc four- temps qu’elle fut érigée en évêché, sous
nis.>-'aient les matériaux des riches mo- le titre de ’E^<£p)(^£ia Kaoiaî. C’est du
numents élevés par les contributions mot Carias que les Turcs auront fait le
volontaires de la plupart des villes li- nom de Gheyra ,
que cette ville porte
bres de. l’Asie, qui Paient appelées à aujourd'hui.
participer aux jeux et aux pauégyries Le droit d’asile était un des princi-
qui se renouvelaient sans cesse. Le nom paux privilèges dont jouissait le temple
seul de Vénus, de laquelle la maison de Vénus; il était, dans le principe, borné
de César avait la prétention de descen- au Temenos ou enceinte sacrée. Mi-
dre, valut à la ville d’Aphrodisias la thridate, maître de ces provinces, aug-
protection et l'amitié des empereurs; menta l'étendue de l'asile, Marc-Autoiue
aussi, dans une série de plusieurs siè- la doubla. Lorsque ce droit fut remis
cles, nous ne connaissons pas de ville en question sous le règne de Tibère, les

B
en Asie qui ait joui d'un destin plus
're. Il n'en est point non plus dans
Iles les monuments d'épigraphie
se soient conservés jusqu'à nos jours,
aussi nombreux et aussi intacts , de
députés d'Aphrodisias firent valoir un
décret rendu par le dictateur César, qui
témoignait des efforts faits par les
Aphrodisiens pour soutenirsa cause(i).
Ces privilèges furent renouvelés dans
sorte que l'on pourrait, sans peine, la suite comme l’atteste une inscription;
écrire l'histoire administrative a’Aph- mais le nom de l’empereur n’est pas
rodisias et celle de ses principaux ci- mentiouné.
toyens.
Dans un temps où la plupart des CHAPITRE XII.
villes de l’Asie subissaient le joug de
Rome, Aphrodisias avait vu consacrer LA VILLK, LSS MDBS.
ses libertés municipales par un décret
d'Auguste, en reconnaissance des ser- La moderne Aphrodisias conserve
vices que le peuple lui avait rendus, encore une enceinte fortifiée, qui paraît
ainsi qu’a Jules César. construite sur les bases de l’ancienne mu-
La plupart des inscriptions qui datent raille grecque, mais à une époque plus
du temps du triumvirat assimilent les récente. Vers le troisième ou le quatrième
noms d'Aphrodisias et de Plarasa, ce siècle, cetieenceintefutpresque entière-
qui ferait croire que les habitants de ment rebâtie, et l’on y entassa, comme
cette dernière ville auraient été réunis matériaux ,
les innombrables monu-
à la comniun.vuté des Aphrodisiens, à ments qui portaient les actes du pa-
condition de ne pas perdre leur nom. ganisme détruit. Les inscriptions de
La ville de Tauropolis parait avoir tout genre furent accumulées comme
eu un destin pareil à celui de Plarasa, matériaux, et quoiqu’il yen ait un grand
et nous voyons les Aphrodisiens ap- nombre qui soient aujourd’hui appa-
pelés Tauropolites dans quelques ins-
criptions de la ville; mais toutes ces (ijTacile, Annal., III, 6 »; Boi-c-kh, 5Î75,
dénominations ne sont pas les seules vol. II.

41 .
644 L’üWlVEftS.
rentes sur le parement des murs , nul proviennent tous de monuments plus
doute qu’il ne s'en trouve davantage anciens. L’architrave sur laquelle est
cachées dans les massifs des tours et tracée l’inscription vient du temple de
des remparts. Vénus.
Le périmètre des murs suit une ligne La baie inférieure est carrée; elle a
irrégulière formant un grand nombre d’ouverture 2™, 60"^, et de hauteur
d'angles et de soubresauts. Les tours 2™,85‘=. Elle n’a que ce passage. Au-
sont en petit nombre et partout on,
dessus est une arcade décorée de cais-
reconnaît l’emploi de matériaux ayant sons, qui a de large Tout l’é-
déjà servi. Dans la partie sud de la ville difice est surmonté d’un fronton qui a
est une série de bas-reliefs ayant ap- été enlevé au péribole du temple.
partenu à un petit temple, et d'une Les murailles du côté du nord sont
très-bonne exécution. moins bien conservées qu’au sud, mais
Les portes elles-mêmes ont subi des on remarque quelques parties qui da-
transformations considérables; celle tent de l’époque grecque.
du sud se compose d'une accumula-
tion de matériaux curieux et informes. CHAPITRE XIII.
On y observe une frise composée d’a-
vant corps de taureaux, comme au LE TEMPLE.
temple de Balbeck, et des chapiteaux
corinthiens dont le module ne concorde Nous avons souvent remarqué que
nullement avec l’ensemble de la cons- les villes anciennes où le christianisme
truction. s’était établi sous l’inlliience de la pa-
Les portes de l’est, de l’ouest et du role des premiers apôtres s'étaient at-
sud sont construites avec des débris de tachées spécialement à la destruction
matériaux anciens; celle du sud n’a des édifices destinés au culte des dieux
pas d'inscription; celle de l’ouest, qui de Borne. Les communes ne faisaient
paraît avoir été rebâtie avec plus de en ce'a que suivre la teneur d'un décret
soin, porte l’inscription suivante. des empereurs, qui ordonnait la des-
truction de tous les monuments du
A la bonne Tortune, an inlul, à la aanlé, aux
paganisme. Il est extréhiement rare de
honneur:» et à la pulssai.ee et a la durée eter>
nelie de nos Sfijsneurs Flaviu.i, Julius Oms* trouver en Asie, comme on en voit en
tanoe^plrux, vainqueur, aufoisie, el le Irès- Italie et en .Sicile, des temples anciens
brillanl -et excellent césar Flavius Qulnlus
convertis en églises.
£ros Monaxius (). le trés-disMngué gouver
nenr. un des magistrals crêloi.x..., a élevé Le temple d’Aphrodisias, quoique
celle porte, à ses propres dépens, pour la consacré a une divinité qui inspirait
splendide cité des Tauropolitains.
aux chrétiens plus d’horreur peut-être
Le sénat et le peuple ont honoré le trés-ll-
lustre Flavius Constance, qui. indépendamment que tous les autres dieux , a échappé
des autres ouvrages, a reconstruit les murailles. à cette destinée commune et a été trans-
our le bien de la splendide métropole des
Ç auropolitains. formé en sanctuaire chrétien ; mais son
Autre. ordonnance extérieure a été modifiée ;
Les travaux de la porte ont' été renouvelés et par une combinaison très-ingénieuse
sous Flavius Ampelius. noire illustre patron,
pour ces temps de barbarie, il a pris la
la huitième année de rindiclion.
forme intérieure d’une basilique. Toute
Cette date correspond aux années de la colonnade extérieure du péribole est
rère chrétienne 349, 350. Sur un pied- devenue, sans changer de place , colon-
droit non loin de cette porte , on lit nade des bas côtés de la nef, tandis que
l’inscription suivante, tracée en carac- les murs de la cella, démolie et rasée,
tères byzantins très incorrects : sont vends envelopper l’ancien portique
extérieur. A l’extrémité ouest, on a
Seigneur, porte secours au inonde aujour-
d'hui el toujours. (?) bâti un bêma ou hémicycle; il n’a fallu
pour cela que démolir les colonnes du
La porte de Constance est bâtie en pronaos et du posticum , qui ont servi
marbre blanc avec des matériaux qui
, à allonger un peu les deux lignes de
colonnes des bas côtés. Mais ce mur
(i) Préfet de la ville. de revêtement n’étant qu’un mince

>:ilc
asik mineurk. 64Ô

placnge s’est trouvé détruit dans la suite toyens qui ont inscrit sur un cartouche
des temps , et le temple de Vénus se leurs noms et le but de leur offrande.
présente aujourd’hui sous l’aspect de Le nom de Philocæsar indique que cette
deux lignes parallèles, composées cha- construction est postérieure à fa domi-
cune de dix-nuit colonnes, et distantes nation romaine :

de 18”,30'=(I). Eiim.irtms, lilis d’Alliénaaore, flis d'Kuma-


Aujourd’hui il y a seize colonnes en- cluis, Dinpciie Fltildca-sar, tt Ainniias, lils de
tières; la plupart des autres bases sont Denvs. iiKils de lu rare d'AdriisIe, lil> clt- Mo-
loii.dlympias, ont dédié celle culunne il la
à leur place, mais il ne reste pas le déesse Vénus et au peuple.
plus petit débris de la frise ni des fron-
tons, qui ont été détruits et employés Cette inscription est répétée sur trois
dans maçonnerie byzantine. Aujour-
la colonnes seulement.
d'hui reste la masse demi-circulaire
il
Vénus, de ses propres revenus, a consiruit
de l’hémicycle, et du côté où fut l’en- les niehes des statues et les peliles portes avec
trée, trois pieds-droits de marbre, qui leurs ajustements (leuil frontons ), qu i lle a
fait Iranspo.ver, élever et peindre en couleur
indiquent les trois portes de l’église. blanche étant rliarpés de ce soin /.énon lils
:

Il s’.ngit de retrouver, d'après ces de Zenon, Ménandre Apollonius, troisième du


données , le plan primitif du temple de nom. l’Iléus Epénélo- lils d'Allale, Héraelide
lils de l’ilia, Pélopide fils d’Eunus, conslruo-
Vénus. Si nous prenons les distances leurs des temples.
d'axe en. axe, entre les colonnes,
nous trouvons que quatorze entreco- Cette inscription se rapporte sans
lonnements égalent 36'", 41*. La doute aux niches destinées à recevoir
moyenne est donc de 2"',60"; et si tes statues qui décoraient l'enceinte sa-
nous divisons par 2“’,6n<', la distance crée.
de 18'",30, qui séparé les deux lignes Ia! terrain qui environne le temple
de colonnes, nous trouvons le nombre couvert dedébris d’architecture, tous
e.st

7 c’est-à-dire que la façade du temple


; de marbre blanc, lesquels ont appar-
était octostyle ou composée de sept tenu à uue enceinte rectangulaire qui
entre-colonnements. Maintenant nous entourait le temple de toutes parts.
savons que dans tout temple périptère Elle était décorée de couples de eoloiines
le nombre des colonnes de côté est dé d'ordre corinthien, portant alternative-
deux fois plus un celui de la façade; ment des frontons circulaires et trian-
nous devons donc avoir dix-sept colon- gulaires. Chaque couple est .séparé par
nes de côté c’est justement le nombre
: une. niche décorée de pilasfres. Il n’y
qui nous est donné. La largeur de la a aucune difRenIté pour la restitution,
cella se détermine par l’alignement des t.ant lesfragments sont nombreux.
colonnes de front; il en resuite que le Devant la faça<le du temple il y a un
temple d’Aphrodisias était périptère, rang de petites” eolonnes eorinihieunes
octostyle, amphiproslyle avec des an-
,
dont je ne m’explique pas la destination,
tes Il était d’ordre ionique. Les colonnes si ce n’est pour former un avant-por-
avaient 10'“, 40 de hauteur; elles étaient tique ou une uula séparée du grand té-
composées de cinq blocs de marbre et niénos. Il y a encore , en avant de eet
cannelées. ordre , un rang de tout petits piédes-
Le style de ce monument est d’une taux auxquels sont attenantes des bases
pureté qui permet de le mettre en pa- de colonnes. Dans oelte partie réservée
rallèleavec les plus beaux monumcivts sont, à droite et à gauche de l’entrée,
de l’antiquité, sans en excepter celui deux grandes vasques de marbre blanc,
de Magnésie. Nous ne savons rien sur de 4"', 80 de diamètre, et un peu en
l'époque de sa fondation. Bien que plu- avant une statue de lion couché qui
sieurs écrivains fassent mention du semblait garder l’entrée.
culte de Vénus, aucun ne parle de son Ce téraénos, décoré avec une richesse
temple. Quelques-unes de ces colonnes peu commune, diffère de ceux que j'ai
ont été données en offrande par des ci- déjà décrits en ce qu'il parait beaucoup
plus exclusif si l'on peut parler ainsi.
(i) Voyez, planche 19, temple de Vénus à En effet, il n'a ni portique, ni emplace-
Aphrodisias. ment pour l’habif.ntion des prêtres;;.
,

(iir, L’U.NIVKKS.

en un mot, c’est un lieu parfaitement paux fragments sont couchés sur le


clos et fermé comme pourrait l’être un sol. La frise, sculptée dîune manière
camp retranché. assez incorrecte, était ornée de rinceaux
et de figures d’enfants.
CHAPITRE XIV. Le chapiteau est décoré de feuilles
d’acanthe, et le fût est cannelé en spi-
LRS BDIFICBS PUBLICS. rale, genre d’ornement assez rare dans
les monuments antiques, et qui cepen-
Non loin de ce monument s’élève le dant a été beaucoup plus usité qu’on
frontispice d’un édiGce corinthien, qui, ne le croit généralement. Il a été sou-
quoique d’une époque beaucoup plus vent employé dans la décoration des
récente que le temple, paraît avoir été théâtres, on le trouve employé dans des
par sa destination rattaché à ce dernier monuments dès l’époque des Antonins.
édifice. On peut supposer que c’était le Les colonnes du portique ont de hau-
collège des néocores, l’habitation des teur G"‘,25; le piédestal esta demi en-
prêtres, en un mot , le palais dans le- terré; à gauche et à droite du frontis-
quel étaient installés les bureaux de pice sont des murs de marbre qui vont
l’administration du temple. Nous avons se perdre dans des constructions mo-
en effet des preuves sans nombre que dernes.
ces grands centres religieux de l’Asief I), Sur la partie gauche du temple, on
indépendamment du service religieux, voit une grande place entourée d’une
avaient encore certains droits et privi- colonnade ionique, mais qui est aujour-
l^es qui participaient de l'administra- d’hui interceptée par des fossés, des
tion civile. J’ai aéjà fait voir que, dans murs et des haies. On finit cependant
l’ordonnance et l’administration des par reconnaître que cette place formait
mosquées musulmanes, on trouvait de un grand rectangle de plus de 100 mè-
nombreuses analogies avec certains faits tres de côté. La colonnade, qui subsiste
relatifs à l’administration des temples encore, se compose d'environ quarante
de l’antiquité. Le privilège de con- colonnes, et l’on trouve des groupes
server en dépôt les objets précieux et de cinq à six colonnes contiguës. Il
les trésors des citoyens était particuliè- n’y a derrière aucune apparence de
rement dévolu aux temples, comme il murs ni d’habitations, tout est détruit.
l'est aujourd’hui aux mosquées. La di- L’ordre ionique p.araît un ouvrage à
vinité avait son bien particulier, dont peu de chose près contemporain du
elle usait à sa guise, comme on le voit temple. La frise est ornée de génies
par les inscriptions conservées dans la qui soutiennent des guirlandes; tout le
ville. Elle avait aussi ses immeubles, reste des moulures est .sans aucun or-
qui étaient donnés à ferme, eumme le nement. I^e fût de la colonne est can-
vacouf ou habous ries Musulmans, qui nelé depuis le haut jusqu’au tiers infé-
sont des terres devenues inaliénables rieur. Une masse de constructions, au-
comme propriétés de mosquées. jourd’hui informes, qui s’élèvent sur
Le temple de Vénus se trouvait cer- l’un des côtés , parait avoir été la basi-
tainement régi patries règlements sem- lique.
blables à ceux du temple de Jupiter Le théâtre sé reconnaît au milieu
Aizanien puisqu’il avait pour seul et d’un groupe de maisons modernes qui
,
même administrateur Apuléius Eury- occupent les vomiloires et une partie
clè.v. des gradins. Cependant il y en a en-
L’édifice où se tenaient ces diverses core un certain nombre en place ; on
administrations devait être voisin du y voit aussi les deux murs sur lesquels
temple; nous croyons en trouver les s’appuyaient les gradins, et qui, d’a-
vestiges dans le portique corinthien. Il près riiiscription de lassus, s’appelaient
se compose aujourd’bui de quatre co- analentma; l’inscription suivante, qui
lonnes portées sur des piédestaux , et est relative à une construction sem-
soutenant un fronton dont les princi- blable, a été trouvée près du théâtre :

A déeste Vénus,.aux Dieux augustes: Iles


la
(i) Slrahon, liv. XIV, p 640. colonnes et let murs d'appui det gradins onl
|
,

ASIE MINEURE. «47

«lé faits par ArUtocIés fils d'Artémidore Mo- ges. S’il a existé quelque monument tu-
lotsus, ami de la gloire el de la patrie. Ayant
mulaire important, il a été détruit.
préaidé à l'ouvrage Hermas ttls d' Aristoclès, dis
d’Artémidore, couformémeDl au lesUimeut de Quelques inscriptions mentionnent le
Molossus, qui l'a nourri et élevé. genre de tombeau eu forme d’autel ap-
pelé BQ.MOI qui comportait les cons-
Il
y a, prés du théâtre, des construc- tructions de quelque étendue. Un sar-
tions de pierres de taille qui peuvent cophage portant deux médaillons avec
avoir appartenu à la citadelle ; mais on des portraits contient une inscription
doit dire que ces murailles sont si peu qui fait connaître que ce tombeau ap-
importantes, que la conjecture est tout partient à Adraste Polychronius, fils
à fait hasardée. de Glycon. Le tombeau entier se com-
Le stade est situé dans la partie nord- posait d’un eaveau avec plusieurs com-
ouest de la ville la conservation de ce
: partiments. L’inscription 'contient une
monument ne laisse rien à désirer. Il défense formelle, à quiconque n'est pas
offre une singularité que j’ai déjà ob- de la famille d’Adraste, d’y ensevelir
servée dans Y Amphitheatrum cas- aucun corps (1).
trense à Rome c’est de se trouver
: Les contrevenants sont quelquefois
englobé dans les murailles de la ville, menacés d'une amende qui peut s'élever
et de faire en quelque sorte partie de à plusieurs milliers de drachmes. En
la drfen.se.Mais je crois que l’un et l’au- voici un exemple :

tre édifice furent primitivement cons-


truits hors la ville, et par suite de l’aug- I
Le sarcophage, l'autel funèbre, les caveaux
el tout l'eiilouragt sont la propriété d'Erméro-
mentation successive du périmètre , ils tus, ainsi qu’il est allealé par I arrêté ilu cbréo-
se trouvèrent encastrés de la sorte. phylax. Dans le sarcophage sont ensevelis le |

Le stade d’Aphrodisiias se compose susnommé el Ælia Anluiiia Nice, appelée aussi


Talia , sa tille. Nul autre n’aura le droit d'y
d’une arène de 227'”,74 de longueur ; ensevelir ou d'exhumer les susnommés; dans
elle est arrondie à chaque extrémité, et le cas contraire, qu'il soit déclaré impie, profa-

là s’ouvre une grande porte ou vomi- nateur et violaieur de tombeaux, il payera au


Ires-vénéré Use la somme de deux mille cinq
toire dans la direction de l’axe. L’arène, cents deniers d’argent, dont le tiers sera donne
dans tout son pourtour, est garnie de BU dénonciateur.
vingt-six rangs de gradins, divisés de Ceux qui ont droit aux caveaux placés sous
le sarcophage sont • AuréliusTliésee, ülsd'Er-
chaque côté en trente cunei ou sections, mérolus. et Auréitana Hédémis , la mère de
séparées par de petits escaliers. La Thésée.
partie supérieure forme une galerie qui Copie de cet acte a été déposée aux archives
du chrénphylax, sous le sléphanophore Hyp-
a 5°'..50 ne large, et était decorée d’un siclès, iils de Ménandre.
portique à arcades dont il reste encore
de nombreux fragments. Je n’ai observé CHAPITRE XV.
dans l'étendue de l’arène aucune trace
de spina mais à l’une des extrémités VILLES DE l’iNTÉBIBUB DE LA
on voit à fleur de terre un mur circu- CABIE.
laire qui parait avoir formé un petit
amphitliéâtre, dont la construction est L’intérieur delà Carie comprenait tut
du temps de la décadence. Je ne men- grand nombre de villes dont la plupart
tionne ce fait que parce que j’ai trouvé ne sont connues que de nom; Strabon
de semblables constructions dans deux en cite un certain nombre qui doivent
autres stades que j’ai mesurés sur les leur fondation aux Léiéges. La plus cé-
côtes d’Asie, celui de Perga et celui lèbre est Pedasus,capitaie d’un district
d’Aspendus. Je n’ai vu aux environs qui comprenait huit villes et qui s’é-
aucune construction qui ait pu servir Myndus et Bargylia <2).
tendait jusqu’à
de carceres, d'écuries ou d.e dépendan- Les Pedasiens furent le seul peuple de
ces d'aucune espèce. la Carie qui résista à i’armée d’tlarpa-
Les sépultures des Aphrodisiens n’of- gus , ils s’étaient retirés dans le mont
frent aucune p.irticularite qui les fasse
distinguer de celles des autres villes (i) Voyez, planche ag, sarcophage de
grecques. Ce ne sont en général que marbre à Aphrodisias.
des stèles sépulcrales et des sarcopha- (a) Slrabon, >111, 6i i.
648 i;ünivers.
Lida, où ils avaient élevé des retran- D’autres ruines de peu d’importance
chements; mais ils Unirent par être sont éparses dans la ville moderne; on
soumis (I). Les Péilasiens ne restèrent y remarque une colonne d’ordre corin-
pas cependant tranquilles tributaires des thien élevée en l’honneur d’Euthydême.
Perses, et lorsque Daurises, gendre de On peut encore observer sur une col-
Darius (2), voulut envahir la Carie, ils line au sud de la ville un monument
trouvèrent sur le territoire de Pédasus sépulcral qui jusqu’à ce jour a échappé
une résistance inattendue. L’armée à la destruction. Il est sans inscrip-
perse fut taillée en pièces , et les prin- tion, mais d’après la forme de son en-
cipaux chefs , parmi lesquels était Dau- tablement on peut être assuré qu’il n’est
risès, furent tués. Les Pcdasiens ren- pas antérieur au second siècle de notre
daient un culte particulier à Minerve; ère. La frise bombée en forme de con-
Hérodote raconte un prodige qui se sole caractérise les monuments posté-
manifestait toutes les fois que la ville rieurs au règne de Titus.
était menacée de quelque malheur : Ge tombeau du genre appelé dis-
alors la grande prêtresse du temple voyait tega, à deux étages, se compose d’un
son menton se couvrir d’une barbe soubassement dans lequel est la cham-
épaisse; ce phénomène s’était renouvelé bre sépulcrale; il est surmonté d’un
trois fois (3). aedicule quadrilatère dont chaque face
Syagela, ville lélége, voisine de Peda- est ornée de deux colonnes à chapiteaux
nommée parce qu’elle
sus. avait été ainsi campaniformes à feuilles d’acanthe. Les
iossédait le touibeau de Car ; dans la angles sont formés de quatre pilastres
faiicue des Cariens le mot Soiia signirie carrés.
tombeau, et Gela un roi (4). La position Un listel qui règne le long des fdts
de ces deux villes n’a pas été déter- des colonnes indique que cette partie
minée; elle doit se trouver dans le du tombeau était fermée par unegrille (1 ).
territoirequi sépare Halicarnasse de Ce monument offre un certain inté-
Bargylia au nord-est de Cindye. rêt en ce sens qu’il paraît être une copie
Mylasa longtemps regardée
fut simplifiée du tombeau de Mausole.
comme la de la Carie, c'était la
capitale Le temple de Jupiter Labrandeus, un
patrie de Mausole et le lieu de rési- des plus vénérés de la Carie, était dans
dence des dynastes avant qu'ils ne se 1.1 ville de Labranda, à soixante stades
fussent emparés d’Halicarnasse. Mylasa de Mylasa. Il était ainsi nommé de la
conserva toujours sa suprématie sur les hache" à deux tranchants, Labrys en
autres villes, comme centre du culte de langue carienne, qui avait été transpor-
Jupiter Carius, qui était pratiqué en tée de Lydie en Carie et dédiée à ce
commun par les Cariens, les Lydiens et dieu. Une voie sacrée pavée de marbre
les Mysieiis. conduisait de Mylasa à Labranda, les
Mylasa, aujourd'hui Melasso, est si- irêtres de ce dieu étaient choisis parmi
tuéeau centre d'une vaste et fertile plaine fes plus illustres familles (2).
entourée de montagnes dans lesquelles Kuromus. autre ville du ressort de
se trouvent de belles carrières de mar- Mylasa était située sur la route de My-
bre blanc aussi, peu de villes pouvaient-
; lasa il Milet, on en retrouve les ruines
elles se vanter de posséder de si ma- près du village de Kâziidjik appelé par
gnifiques édifices. A la fin du siècle der- les Grecs Mendalia. Un temple d’ordre
nier on pouvait encore admirer un corinthien existe encore dans un état de
temple périptère d’ordre corinthien qui conservation suffisant pour en recon-
a été dessiné par Pococke ; cet édifice naître l’ordonnance primitive, il a été
a été démoli par un gouverneur et le publié dans l’ouvrage de M
de Choiseul ;
.

marbre a servi à la construction d’une chacune des colonnes porte une tablette
mosquée. indiquant le nom du donateur. Les rui-
nes d’F.uromus s’élèvent sur la colline
(i) Hérodote I*'', 175.

( 9 ) Id. ,
V, I i6-I99. (i) ’Voyet, pl. 97, tombeau près de Mylasa,
(î) Hérodote, liv. t''. (9) Voy., pl. 99, temple de Jupiter à I.a-
(4 ) Ht. Byt., v. Soingela, brand.'.
ASIE MINEURE. 649

qui domine le temple, on y retrouve CHAPITRE XVI


lesvestiges d’un théâtre et de plusieurs
autres édiflces. ILE DE COS.
Stratonicée, aujourd’hui Eski liissar,
a été fondée par Antiochus Soler, qui L'île de Cos, une des Spor.ades; si-
lui donna le nom de sa femme Strato- tuée à l'entrée dti golfe d’H ilicaruasse,

nice; cette ville était, comme Mylasu, cette île a fait partie de la Pentapole
ornée de somptueux édifices de marbre triopéenne; elle était célébré par son
blanc, qui ne sont plus aujourd’hui temple d'Ksculape, et par le génie de
qu’un amas de ruines. ses artistes.
Un monument d’une certaine impor- L’île, vue du large, paraît monta-

tance au point de vue épigraphique gneuse et aride; mais à mesure qu'on


existe encore; il est renfermé dans une approche, une plaine fertile et cou-
enceintede marbre blanc désignée gé- verte des plus beaux jardins se devc-
néralement sous le nom de tombeau de lo ’pe aux regards. La \ille moderne est
Philoetère. Cette inscription , qui date située a la pointe nord-est de Tîle, et une
du temps de Dioclétien , détermine le forteresse, qui paraît encore bien en-
pris des denrées sur les marchés du tretenue, defend l’ancien port, atijour-
pays. Lagina , petite ville sous la juri- d’iiui comblé.

diction de Stratonicée, était célèbre par L’arrivee des Grecs dans celte île re-
son temple d’Hécate ou Trivia qui réu- monte à Tépoqtie des plus anciens éta-
nissait chaque année un grand con- blissements doriens sur la côte d’Asie,
cours de peuple. Lagina occupait l’em- si même elle n’est pas antérieure à la

placement de la petite ville moderne de prise de Troie; car Homère parle de


Lakina. Cos comme d'une ville occupée par les
A deux cent cinquante stades au nord lleraclides. Une partie des Doriens de
de cette dernière ville, et non loin de la Mégare ayant quitté cette ville, vinrent
vallée du Méandre se trouvait le district en Asie, et fondèrent les villes rie Rho-
des Alabandiens dont la ville priiici- des , de Cos, qui s'appelait alors Asty-
ale était Alabande, aujourd'hui Arab palæa, et d'Ilalicarnasse (1).
E issar; on y observe lin assez grand Le gouvernement de ces Doriens
nombre d’édifices antiques parmi les- avait une grande ressemblance avec ce-
quels il faut citer un théâtre et un por- lui des Ioniens. Ils vivaient sous l'auto-

tique dépendant d’un grand palais; rité de princes qui jouissaient d’un pou-

Étienne de Byzance fait dérher le nom voir souverain (2). Cette île suivit dans
de cette ville des motscariens Ala, che- toutes les grandes circonstances la même
val, et Banda victoire, en commémora- politique que les Rhodiens. deuxOs
tion d’une victoire équestre. lies se liguèrent contre Athènes pour

Le territoire de la Carie coupé par faire reconnaître leur indépendance. A


de nombreuses chaînes de montagnes l’arrivée des Romains en Asie, elles

est loin de jouir des mêmes avantages .s’unirent étroitement avec la république,
que la contrée voisine l’Ionie; les villes et cette amitié dura jusqu’à la fin de
modernes qui s’élèvent sur les ruines l’empire.
des anciennes cités sont pauvres et peu Plu.sieurs auteurs que la
attestent
peuplées, et le naturel des montagnards ville de Cos s’appelait anciennement
a passé jusqu’à ces dernierstemps pour Astypalæa Strahon (3) ajoute qu’elle
être presque indomptable. Au partage occupait un autre lieu également voi-
de l’empire byzantin la Carie échut à sin de la mer. C’est à la suite d’une
Ternir Meiitesche, dont elle prit le nom, guerre civile que les habitants d’Astv-
qu’elle conserve encore sous le gouver- paltca furent obligés de se transporter
nement des Osmanlis. près du cap Scandariutn, où est la ville
actuelle. Elle est distante de 15 milles

(i) Straboii, liv. XIV, p. 653.


(») Hérodote, liv. VII, ch. 64.
rr) .Slralioii, liv. XfV, p. 657.

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.

65C L’UNIVERS.
romains d’Halicarnasse (1), et opposée ne se plaise à perpétuer celte ingénieu.se
au cap Termerium de Carie. fable grecque. On aime en effet a se
Lorsque les Lacédémoniens vinrent représenter, sous cet ombrage séculaire,
débarquer à Cos, pendant leur campa- Hippocrate entouré de disciples, et
gne sur les côtes de C.arie , ils trouvè- préparant ses immortels ouvrages.
rent la ville ruinée par un tremblement Le platane d’Hippocrate occupe le
de terre des plus violents, elles habi- centre d'une place qu’il couvre entière-
tants avaient fui dans la montagne (2). ment de son ombrage. Le tronc a 9“,80
La ville de Cos, dit Strabon, n’est pas de circonférence; il est presque ellip-
grande; mais elle se distingue par sa tique, mais creux. Il s'élève sur un
nombreuse population, et présente un soubassement en maçonnerie qui a
aspect on ne peut plus agréable à ceux été fait dans le dessein de recouvrir
qui viennent du côté de la mer. L’Ile les racines, ou peut-être parce qu’on
est fertile en bons vins, et célèbre par les a abaissé le sol de la place. Le tronc
tissus, ouvrage des femmes du pays ^3). n’a que 2“,80 de hauteur ; mais, à
Le temple d’Esciilape était situé dans partir de ce point, il se divise en
le faubourg. Il était célèbre dans toute quatre branches qui s’élancent hori-
la Grèce, et rempli des plus riches of- zontalement à une distance de dix mè-
frandes. On y voyait V Àntigonus, d’A- tres; leur circonférence est de trois mè-
pelle, et la t énus anadyomine, portée tres ; c’est seulement à leur extrémité
à Rome par Auguste, qui accorda en que commencent les branches portant
compensation la remise d’un tribut de le feuillage. Pour soutenir les grosses
100 talents auquel la ville avait été im- branches dans leur position horizon-
posée. Mais c’est surtout comme la pa- tale, on a placé de distance en distance
trie d’Hippocrate que l’île de Cos est à des colonnes de marbre, et, depuis ce
jamais célèbre. De tous les grands temps, le bois du platane les a tellement
hommes de l'antiquité, c’est peut-être englobées , qu’il fait corps avec le mar-
le seul dont le nom soit encore popu- bre. Une fontaine mauresque rafraî-
laire dans son pavs natal le souvenir
: chit la terre, et des centaines de tour-
de cet homme iflustre est presque le terelles ,
vivant constamment dans ce
seul monument qui reste de l’ancienne feuillage, animent ce tableau. On ne
civilisation de cette île; mais il est pro- saurait voirun endroit plus pittoresque.
fondément gravé dans le cœur de tous On dans la ville et hors des murs
voit
les Grecs. Hippocrate est regardé non- quelques fragments d’architecture, mais
seulement comme le bienfaiteur de aucun monument. J’avais cependant ap-
l’humanité; mais encore comme l’au- pris qu’à deux lieues de la ‘ville il exis-
teur de tous les agréments dont la ville tait une source qu’on appelait la fon-
jouit encore aujourd’hui , de l’eau et de taine d’Hippocrate. Cette source, qui
l’ombrage. Esculape est aussi ignôré fournit les eaux à la ville, est située à
que remplacement de son temple; les mi-côte d’une montagne élevée; j’y re-
Grecs vous montreront avec orgueil le connus une construction fort ancienne
platane sous lequel le père de la méde- qui mérite d’être décrite.
cine donnait ses leçons; c’est-à-dire, La source , qui sortait à une assez
dans leur pensée, que ce platane était grande profondeur, a été mise à décou-
déjà dans toute sa croissance du temps vert par une tranchée dans le roc vif.
d’Hippocrate, 460 ans avant Jésus- Un canal de 31 mètres de longueur a
Christ il aurait plus de
: deux mille été creusé pour donner issue aux eaux ;
trois cents ans! Il est inutile de réfuter le tout a été revêtu d’une maçonnerie
une pareille tradition; mais cette mer- solide de pierres de taille. Le canal est
veille du règne végétal porte avec une en partie voûté, et en partie recouvert
certaine majesté le nom du plus grand de plates-bandes; la prise d’eau se
homme du pays, et il n’est personne qui trouve dans une petite salle ronde voû-
tée en cône, de 10“,33 de hauteur et
(i) Pline, liï. Vi ch. 36. de 2™,80 de larççe, dont la partie supé-
(a) Tluicjdide, liv. VIII, ch. 4i rieure est percee , et forme par consé-
{3)l il)«ll., VI, 35. quent un puits en dehors.
,,

ASIE MINEURE. 6âl

A moitié de la hauteur de la salie est et de Perse , ont été complètement en-


une autre galerie qui n’a que 11 mètres vahis par les peuples de sang grec,
de longueur ; elle est voûtée en plate- qui venaient des îles ou du continent
bande. s’établir sur les côtes de l’Asie; car il
I.a montagne dans laquelle est taillée qe reste aucune trace de leur nom pri-
la fontaine appartient à la formation de mitif. Les premiers historiens les dé-
craie; les eaux sont portées à la ville par signent sous la dénomination purement
des canaux de poterie à fleur de terre ; grecque qu’ils ont conservée , et la plus
cette eau est naturelle et de très-bonne importante de leurs places, Iconium,
ualité. Il faut croire qu’elle jouissait, portait déjà du temps de Xénophon ce
ans l’antiquité, de quelques vertus tbé- nom , que l’on fait dériver d’une fable
rapeuthiques; car on lit près du canal grecque. Il est possible de rattacher
cette inscription : quelques lambeaux de l’histoire ou de
la religion de cette contrée à la période
HemerefiDent a tout les dieux Sérapis par
Alexandre Apollonide, qui a été guéri.
phénicienne ou assyrienne; mais les
Grecs et les Romains , se taisent sur les
La ville actuelle est située exactement temps archaïques de ces provinces, et
sur remplacement de l’ancienne; elle nous les laissent deviner comme le re-
est bien bâtie et défendue par des mu- paire inaccessible de tribus féroces et
raillesen bon état. Les jardins qui l’en- avides qui ne connaissaient d'autre loi
,
tourent sont bien entretenus et ample- que le pillage. Les vastes espaces qui
ment arrosés par des puits et des n»> séparaient chaque bourg; les gorges
rias; quelques-uns de ces puits sont du Taurus , qui offraient une retraite
carrés et paraissent remonter à une assurée en cas d’attaque, étaient de»
époque fort ancienne. moyens de défense suffisants contre un
La forteresse est entourée pav la mer pouvoir qui ne devenait actif que
de trois côtés, et séparée de la ville par lorsque son autorité était mise en ques-
un fossé profond. On reconnaît dans tion.
cet ouvrage la main des chevaliers chré- Du temps de Strabon ,
la Lycaonie et
tiens. Plusieurs bas-reliefs sont encas- risaurie avaient été réunies sous un
trés dans le mur extérieur, et paraissent seul et même gouvernement. Ces deux
avoir appartenu à un même monument : provinces sont géographiquement cons-
ce sont des combats d’amazones. Ce tituées de la même manière. Bornées
fort-futbâti par les chevaliers de Saint- l'une et l’autre au sud par les mon-
Jean de Jérusalem , au commencement tagnes du Taurus, elles se fondent au
du quatorzième siècle, peu de temps nord dans la Galatie et la Cappadoce
après qu’ils eurent été mis en posses- par des plaines sans fin.
sion de nie de Rhodes. Dans la partie La première de ces deux provinces
nord, il y a une lagune qui peut avoir limitrophe de la préfecture de Tyanitig
servi de port du temps des Grecs. à l’est s'étend au nord jusqu’aux fron-
,

La montagne d’où sort la source tières de la Galatie, et enveloppe au


d’Hippocrate forme une sorte d’amphi- sud risaurie , dont le territoire propre
théâtre tourné vers la ville. L’affluence a beaucoup moins d’étendue , mais qui
des eaux pluviales dans le même point parait, du temps des empereurs grecs,
a causé l’ensablement du port, dont les avoir absorbé une graude partie des
eaux stagnantes causent annuellement provinces voisines.
quelques fièvres. Le peuple lycaonien n’a pas laissé
dans l’histoire une renommée com-
CHAPITRE XVII. parable à celle des Isaures. Le pays
dépouillé de végétation , et à peine
LYCAONIE.— ISAUBIE. — GÉOGRAPHIE ondulé par des montagnes de peu de
ANCIENNE. hauteur, n’était pas propre à former un
Etat indépendant. La seule occupation
faut croire que les aborigènes de
Il ossible des Lycaoniens était l’éleve du
ces contrées, qui obéirent pendant plu- étail. Les auteurs anciens recherchent
sieurs siècles aux royautés d’Assyrie en vain l’origine du nom Lycaonie. Les
,

661 L’UNIVERS.
uns pensent que ees peuples l’ont pris Sanjak de Raramau. Elle a pour prin-
du fleuve Lycus ; d’aulres prétendent cipale ville Iconium, place fort an-
qu’ils l’ont reçu de l’Areadien Lycaon, cienne, mais de fondation grecque, et
qui conduisit une colonie dans ces qui, dans l'antiquité, n’a jamais été
contrées (I). 11 .suffit de constater que qu'une forteresse de peu d'importance.
déjà, pour les anciens, le nom de Ly- Toutes les autres places mentionnées
caonien, qui est purement grec, se. dans la Notice d'Hiéroclès ont à peine
perdait dans la nuit des temps, et qu’il laissé des vestiges. Ce pays était, à la
n’e.xistait pas pour eux la moindre tra- vérité, le plus dénué de ressources
dition qui mentionnât un peuple abo- pour tout ce qui touchait au culte des
rigène ou sémitique , comme dans la arts , et à la construction des monu-
Cappadoce. La première mention qui ments. Les Cappadociens avaient trouvé
soit faite de la Lycaonie se trouve dans dans les roches tendres de leurs mon-
Xénophon (2) ; mais rien n’est déter- tagnes un vaste champ à exploiter, et
miné sur ses frontières, jusqu’au temps ils avaient imaginé d'établir leurs mo-

des guerres entre les Romains et les numents dans la carrière elle-même.
rois grecs. Les Lycaoniens n’avaient pas même
La Lycaonie fut alors incorporée à cette ressource; les roches de leurs
la province nommée par les Humains montagnes sont composées de calcaire
Asie propre, et dont Ephèse fut la mé- d’une mauvaise qualité, qu’il est im-
tropole. Le traité signé avec Antiocluis, possible de travailler. L’usage d’élever
qui cédait au peuple romain toutes les des constructions en terre et eu briques
provinces situées en deçà du Tanrus, fut certainement usité chez eux; mais
depuis ses versants occidentaux jus- il n’acquit une certaine importance, il
(|u’au fleuve Halys, y comprenait la ne s’éleva au rang d’un art véritable
Lycaonie, qui fut ensuite cédée à Eu- qu’entre les mains des peuples musul-
mène , par suite de la paix signée avec mans, qui avaient étudié sur le sol
Prusias, roi de Bitliynie. 11 reçut, en même de la Perse et de la Babylonie
outre, les deux Plirygies, la Mysie, et qui transportèrent en Asie l’art
la I.ydie, et le Milyas (3). L’Asie en oriental, tout autre avec ses coupoles
deçà du Taurus, ayant sa limite déter- élancées, ses ricins couleurs et ses
minée par les crêtes des monts , com- émaux merveilleux.
prenait naturellement tout le versant Les laines grossières, mais abondan-
septentrional , les Lydiens les Cariens tes,des troupeaux étaient pour les Lycao-
et les Lycaoniens. Uans ce cas, il est niens une source de revenu considé-
vrai, ou ne fait pas mention de l'Isau- rable, et composaient même unqjrart
rie, et Strabon ajoute à la confusion qui notable des biens du roi Amyntas(l);
existe dans la détermination des deux mais un ne dit pas que l’art de fabri-
territoires, quand il dit (4) « : On y voit quer des tissus de laine, dos tapis et
« aussi deux lacs; le pins grand est appelé des étoffes, ait jamais prospéré parmi
« Coralis, et l’autre Trogitis : » l’un des eux. Les témoignages do l’antiquité
deux a conservé son nom de Kéréli; nous permettent de croire que chez
l’autre est le lac de Sidi chéri ; or, ils eux la rapine et le brigandage n’étaient
.sont tous les deux au centre de l’Isaurie. pas devenus une habitude générale, et,
La Lycaonie, touche à l’est à la Cappa- eu cela, ils se distinguent encore de
doce; au nord et au nord-ouest, à la la petite peuplade, leur voisine, dont
Galatie et à la Phrygie; elle ne se les rapines tinrent en suspens toutes

trouve limitrophe du Taurus que dans les forces des royaumes civilisés de
son extrémité orientale , où l’on place l’antiuuité; car depuis Tcpoqiie d’A-
les villes de Deibe et Laranda, c'est-à- lexanare jusqu’à la prise de Rome,
dire le district appelé aujourd’hui le nous voyons les Isauriens résister à
toutes lés tentatives faites pour les
(i) Eiistalli. ad Dioiiys. Porieg., v. 85-.
soumettre; renaître de leurs cendres,
(a) Ezped. Cyr. liv., a. pour porter l'effroi dans tout le coni-
(3) Strabon, XII, 568.
(t) n’Aniille, /tsie flinriirr. (i) .Slralion, XII, 568.
,

ASIE MINEURE. 653


merce d'Asie ; ne souffrir, en un mot saurie une partie de la province de Ly-
aucune domination que celle des bri- caonie de son temps, en effet c’était
; ,
gands qu’ils se donnaient pour chefs, un p.irti convenu d’.iiinuler, autant que
et qu’ils assassinaient pour peu que
,
possible, la province d'Isaurie. Pline
l’intérêt de leur vengeance ou de leur répare cette omission géographique, et
cupidité les portât à une trahison. Le mentionne en détail toutes les villes et
tableau de ce petit peuple ne manque les châteaux de la contrée : Ciliciæ
pas d’un certain intérêt dramatique; Pamphyliatn omnes jimxere neglecia
et quand on parcourt les contrées gente /saurica, etc (1). Il cite les villes
théâtre de sa r&istance opiniâtre , on d’Isaure, Clibanum et Lalasis, repro-
comprend que Rome même ait été chant aussi aux écrivains de son temps
embarrassée pour le soumettre. de passer sous silence la nation des Ho-
Les Lycaoniens et les Isaures se dis- monadiens , qui confinait à la nation
tingurnt des Cappadociens en ce qu’ils
, isaurique, et qui avait pour capitale
ne paraissent pas attacher aux idées Ilomona, dans l’intérieur des terres.
religieuses la même importance que Strabon (2) fait de l'Isaurie une annexe
ces derniers, qui prouvent, par là , leur de la Lycaonie. « A la Lycaonie appar-
parenté avec les peuples de l’Asie tient encore l’Isaurique, située près
du
orientale. Il est peu de villes impor- ïaurus. »
tantes en Cappadoce qui n’aient à offrir Ces écrivains nous laissent ignorer
au peuple la protection de quelque l’origine du nom d'Isaurie, qui pa-
divinité plus ou moins célèbre. Chez les rait être de souche grecque. Les an-
Lycaoniens et les Isaures, on ne voit ciens ont souvent donné aux peuples
rien que des châteaux; le pillage, la un nom de leurs habitudes ou de
tiré
guerre, voilà la vie des uns; l’agricul- leurs qualités; le nom d’Isaure ne
ture et la soumission aux maîtres qu’ou viendrait-il pas de l’habileté que mon-
leur donne, voilà le type des autres. traient ces montagnards dans le manie-
Abstraction faite ”des idées reli- ment du Javelot î] S*up(a, jaculum (S).
gieuses, le caractère pillard des peuples Pline cite également une peuplade
isauriens pourrait faire su ppo.ser qu'ils de Lycaonie, qu’il nomme Peiieni, de
appartenaient à cette race leuco-sy- l’usage, sans doote, adopté par elle de
rieone qui avait envahi le nord de 1a porter un petit bouclier (pelta), contre
Cilicie. On doit les regarder comme l’habitude générale chez les peuples du
foncièrement nomades; ils n'avaient sud de l’Asie de porter des boucliers
,

des châteaux forts que pour conserver très-grands, ainsi que cela nous est
le produit de leurs rapines. Ils étaient
attesté par les bas-reliefs. Une figure
pasteurs comme les Arabes, et , comme incrustée dans les murailles de Konieh,
eux, disposés à souvent changer de repré.sente peut-être un de ces Pelteni
chefs qui étaient choisis par voie d’é- lycaoniens (4). Il tenait en même temps
,

lection. Les Isaures ont aussi ces traits le javelot isaurien. Zozime (5) dit que
de ressemblance avec les Arabes , qu’ils le peuple des Isaures demeure toujours
ne craignent pas de s’adonner à la na- dans les montagnes escarpées et inac-
vigation ; en cela ils diffèrent de tous cessibles du Taurus; mais Pline (6)
les peuples. Perses, Mèdes et Assyriens,
étend leurs frontières jusqu’à la mer
qui ont toujours montré pour la mer
une aversion profonde ; caractère en-
(i) Pline, lib. V, chap. 27
core saillant chez les Arméniens et .

1) Lib. XII, 568.


Pékans modernes. Alliés aux pirates (

(3) Selon M.
Kieperl le nom des Isaures
, les Isaures devinrent le
ciliciens fléau
esl d'origine araméenne, et vient des lelilri,
des mers; Rome, à l’apogée de sa
mol prouoni'é par les Hébreux le.srhnri et
puissance , est obligée de leur déclarer par les Grecs Isaiiri ; il signilie: un peuple
une guerre en règle, et leur défaite valut qui habite les muntagnes. Hitler, Erdkunde,
au général Publius Servilius un surnom t. IX, 4aa.
qui le plaçait à côté des vainqueurs de
(4 ) Voyez pl. 5 , bas-relief à Konieh.
Carthage et de Numancc. (5) Zozime, liv. V, chap. aS,
Strabon semble vouloir faire de l’I- (
6 ) Pline, liv. V, chap. ay.
,

65<4 L’UNrVERS
de Cilicie,dans le voisinage d’Anemu- Cette campagne avait duré trois ans,
rium. et le trophée le plus important qu’eu
Il ne nomme aucun port appartenant rapporta le général romain fut la dé-
à l'Isaurie ; c'est , sans doute , ce qui faite du peuple isaurien car la piraterie
:

amena ces peuples pillards à taire al- reparut Lieutôt, et ne fut comp.létcmoiit
liance avec les Ciliciens. anéantie qu'après la campagne de
Leur capitale, qui portait le nom Pompée.
d’Isaure, existait antérieurement à l’é-
poque de l'invasion d’Alexandre (I); -et
déjà ils se signalaient par des actes qui
CHAPITRE XVIII.
mettaient en évidence leur courage in-
domptable. I.a révolte des Pixidiens, BEGION PEBÆA.
réunis aux Isaures, souleva contre ces
peuples une réaction terriWe de la part La région Perœa s’étendait sur la

des princes grecs. Perdiccas et le roi côte sudd’Asie, depuislecapCynossenia


Philippe résolurent de détruire les deux au sud de la presqu'île Triopéei ne, jus-
principales villes. Isaura fut investie. qu’au mont Cragus de Lycie, elle était
Une défense acharnée repoussa l'année ainsi nommée parce qu’elle appartenait
grecque, après deux jours d'assauts aux Rhodiens, elle leur fut enlevée par
inutiles. Mais la place ne recevant aucun Philippe de Macédoine, mais les Ro-
secours du dehors , et les combattants mains forcèrent ce prince à la restituer
voyant a chaque instant diminuer leurs à leurs alliés. La petite ville de Loryma
forces et leur nombre, résolurent de dont l’emplacement est inconnu était
s’ensevelir .sous les ruines de leur ville. distante de vingt milles de Rhodes et
L’incendie ravagea tout, et les Grecs, confinait au territoire des Cauniens.
en entrant dans les murs d’Isaura , ne La chaîne de montagnes qui horde
trouvèrent qu’un monceau de cadavres la côte forme un golfe profond qui dans

et de cendres, sous le.squels ils allèrent l’antiquité était le centre du commerce


chercher les trésors que les Isauriens des Cariens de Mylasa, des Éphesienset
avaient défendus jusqu’au dernier ins- des Rhodiens ; c'est le golfe de Merme-
tant. La ville fut abandonnée; mais la ridjéou de Marmarice, dont nous avons
nation ne fut point détruite. tracé les principaux contours (I). Il est
Les longs soulèvements que suscita divisé en deux parties par une grande
en Asie la lutte entre les Grecs et les lie rocheuse. Le port Physcus où avaient
Perses permirent aux Isaures de se lieu les transactions entre les Rhodiens
livrer à leur instinct. Leur alliance avec et les Ëphésiens est situé à l'est ; c’est
les Ciliciens augmenta leur puissance encore le mouillage de la ville de Mer-
qui s'accrut encore par la protection meridjé (2). On ne saurait dire si elle
tacite que leur accorda Mithridate. Ce- occupe l’emplacement d’une ville an-
pendant , quand la puissance romaine cienne on n’y observe aucun reste d'an-
:

se fut établie sur ces côtes ; quand les tiquité; le seul monument un peu im-
navires d’Ostie , qui venaient commercer portant est un caravanséraï bâti par
avec les ports d'Asie , se virent assaillis le sultan Séliui I"'.

par des corsaires, que l’impunité ren- Mais depuis la base de la montagne
dait de jour en jour plus redoutables, qui entoure la rade du côté du nord,
il fallut entreprendre contre eux une jusqu’au sommet d’un plateau élevé de'
expédition en règle. Servius,àla tfte mètres environ au-de.ssus de
iiuit c-ents
d’une flotte , eut peine à remporter les la plaine, on remarque une série de

remiers avantages ; mais il s’en vengea constructions qui porlent le cachet d’une
ientôt , eu ruinant de fond en comble haute antiquité, et qui forment comme
Phaselis et Olympus, deux grandes les ouvrages avancés d'une vaste cita-
villes de la Lycie , et , franchissant le delle. Ces murs sont tous bâtis en
'J'aurus, il marcha contre la ville d’I-
saura, qu’il prit après un siège difficile. (1) Voyez page Î 3 .

(a) Voyez û plauche 61, vue de Mainia-


(i) Uiodoi<‘drSii'ilr,liv, XVIII, clia|). nce.
,

ASIE MINEURE. 665

pierres polygonales qui relient les dif- gage de l’autre (1) ; les usages des Cau-
férents pitons de rochers. On ne trouve niens différaient de ceux des Cariens;
dans l’enceinte aucun débris qui ait ap- ils avaient rejeté le culte des dieux
partenu à quelqu'édifice romain, au- étrangers, et adoraient des divinités lo-
cun morceau de sculpture ou d'orne- cales. Caunus était une ville maritime
ment ces ruines, en un mot. ont ap-
; et les flottes grecques trouvèrent sou-
partenu à un système de défense qui vent un refuge dans son port. Le terri-
commandait et la rade et la vallée toire, malgré sa passait pour
fertilité ,

voisine. Le plateau supérieur est cou- très-malsain, et l’insalubrité de l’air se


ronné par une acropole, défendue par manifestait sur le visage même des ha-
des tours carrées. La situation de cet bitants (2) ; la rivière Calbis, qui coule
ouvrage peut s’accorder avec celle du dans le voisinage, formaitdes marais pes-
fort Phoenix bâti sur la montagne du tilentiels. Les ruines de Caunus avaient
même nom. été reconnues au village de Dalian par
Les ruines de l’ancien château domi- plusieurs navigateurs ; mais c’est à
nent toute la rade; elles couronnent un M. Hoïkyn que l’on doit la découverte
piton isolé défendu à sa base par de d’une inscription qui contient le nom
larges murailles bâties en blocs ir- de la ville et qui lève toute incertitude.
réguliers, l’acropole est construite en Il est probable que l’ancienne ville
assises réglées; une tour plus moderne était beaucoup plus rapprochée de la
a été bâtie sur un versant du mame- mer que celle d'aujourd’hui, mais les
lon: c'était dans le moyen âge un poste alluvious du Dolaman tchaï ont changé
destiné à surveiller les montagnards la forme du terrain.
qui faisaient des descentes dans la Le port est en forme de croissant ; il
plaine. était défendu des vents d’ouest par de
Les sépultures des habitants étaient hauts rochers. Les ruines de Caunus
disposées autour du piton, elles con- sont sur la rive gauche du fleuve ; on
sistent en sarcophages taillés dans le peut suivre la ligne des murailles dans
roc. On ne trouve aux alentours au- tout leur parcours depuis le port jus-
cun vestige de théâtre ou de stade qu’à l’acropole. Le théâtre est situé à
preuve que ces constructions n’ont pas mi-côte de la montagne de l’acropole.
appartenu à une ville mais à une for- Le proscenium est détruit; mais ou
teresse. compte encore environ trente rangs de
Toutes les montagnes environnantes gradins divisés en deux précinctions.
sont composées de marbres de dif- Près du théâtre est un grand édiBce
férentes couleurs; les brèches variées, le quadrangulaire avec des fenêtres ; uue
marbre veiné de rouge et le marbre croix tracée sur la porte indique une
blanc forment des couches d’une ex- destination religieuse. L’enosinte de la
ploitation facile à cause du voisinage ville contient un certain nombre d’édi-
de la mer. Il n’est pas douteux que fices antiques, des temples, un bain, un
ces riches matières n’aient été employées aqueduc, qui sont tous des ouvrages ro-
par les Romains , et le voisinage de mains. Les tombeaux des Cauniens
ces gisements explique la profusion de sont de deux sortes ; les uns sont tail-
monuments de marbre que l’on ren- lés dans le roc formant des chambres
contre dans des villes maritimes où les avec des banquettes et très-peu décorés
carrières de ce genre font complètement à l’extérieur, les autres sont des sarco-
défaut. phages dans le style romain.
Caunus, une des villes les plus ancien- Le port communique avec la petite
nes de ces parages, passait pour être baie de Keughez, où nous avons mouillé
habitée par un peuple différent des Ca- avec la Mésange. On ne reconnaît au-
riens, quoi qu’il se dise aussi originaire cun ouvrage de défense antique ; cepen-
de Crète. Hérodote le regardait comme dant il était disposé de manière à pou-
un reste des indigènes de la Cherso- voir être fermé avec une chaîne.
nèse qui s’était fondu avec les Cariens.
On ne pouvait dire cependant leauel (i) Hérodote, I, 17a.
des deux peuples avait adopté le lan- XIV, 63 i.
(1) Sirabon,

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,

GÔG L’UNIVERS.
Le village moderne de Dalian se Derbéetde Laranda(l). Les Boniain.s
compose de sept ou huit maisons ap- lui avaient cédé les deux bourgs du nom
partenant à des pécheurs qui rentrent d’isaura. Il en détruisit un, et commença

leurs har(|ues dans la rivière. Il y a une la construction d’une ville nouvelle du


roule qui l'ranchit la montagne et qui même nom. Ces travaux n’arrêtaient
conduit à Mogla, l'ancienne Alinda. pas Amyntas dans ses projets de con-
La haie de Karagatch est l’ancien quête. Sous prétexte ne protéger les
port Panorimis, et la petite île qui se petits Etats limitrophes, Amyntas dé-
montre à rembouchure du Dolaman clara la guerre aux dites, nation cili-
tcliaï est la Rhodussa de Pline. cienne qui habitait le Taurus (2), ceux-
là même qui , plus tard , se révoltèrent
contre Archélaüs, lorsqu’il voulut les
CHAPITRE XIX. soumettre à un recensement comme
les citoyens romains. Amyntas s’em-
HOVAUME U'aMYNTAS. para de Cremna, château fort situé
dans les montagnes, à une Journée de
Afin de soumettre ce pays à une au- chemin d’Apamée Ciboios, binaire, et
torité régulière, les Romains, qui ve- au nord de Seigé; de là il battit les
naient de constituer le royaume de Uomonadiens tua leur roi et ravagea
, ,
Cappadoce, jeterent les yeux sur Amyn- tous leurs repaires; mais il périt lui-
tas qui avait été secrétaire de Déjoiare.
. même, attiré dans une embuscade par
Il de Galatie par Marc
fut établi prince la femme du roi des Homonadiens.
Antoine. C'est , sans doute , cet Amyn- Telle fut la lin d’un État créé parla
tas. Mis de Gæsatodiastès, qui est volonté du peuple romain , mais qui
mentionné dans l’inscription de la dé- n’offrait aucune condition de duree.
dicace du temple d'Ancyre. Marc An- Formé par des provinces qui avaient
toine annexa a cette principauté une des habitudes peu compatibles entre
portion de la Lycaonie et de l’Isaurie, elles, il était impossible de faire naître
et donna au chef le titre de dynaste l’uniformité de principes et de mœurs,
que portèrent les princes asiatiques nécessaire dans une principauté qui n’a
tributaires. Bientôt après, Amyntas pas plus de .soixante lieues dans sa plus
reçut le titre de roi (Ij, et, ayant passé grande dimension. Le royaume d’A-
du parti d’Antoine à celui de César, myntas se composait de la Galatie,
le non-seulement
nouveau dictateur, d’une portion de la Pnmphylie, de la
coniirma Amyntas dans les posses- Lycaonie , de l’Isaurie et de toute la
sions qu'il avait reçues d’Antoine, Cilicie Trachée.
mais encore lui donna une partie de Ce royaume avait duré onze ans; il
la Cilicie Trachée Cependant, il fallait avait commencé l’an de Rome 717. Au-
prendre cette province qui, depuis guste n’institua pas le fils d’Ainyiitis
longtemps, se trouvait dans un état héritier de son père La Cilicie fut
d’anarchie épouvantable Plusieurs donnée à Archélaüs, qui recommença
villes de la côte avaient proMté de une campagne contre les dite--. Ceux-ci,
l’industrie des pirates; Sidé était l’en- sous la conduite d'un chef du nom de
trepôt principal des esclaves que l'on Trasobar, se retirèrent dans les monta-
transportait à Délos, pour, de là, les gnes, et se constituèrent en bandes,
envoyer eu Italie Les brigands de l’in- qui attaquaient les marchands .
les la-
térieur avaient repris leurs courses , et boureurs et les matelots (3). Le reste du
un certain Antipater, que l’on a appelé pays d’Amyntas fut converti eu pro-
le Derbien , pour le distinguer du grand vince romaine. Sous Tibère , le gouver-
général d' Alexandre, avait pris une nement provincial était également im-
forteresse commandant les sommets du posé à la Pisidie. La Galatie était
Tatirus; il fallait le déposter. Amyntas soumise à un même officier (f,Tîp<*)v)
l’attai|ua, et le tua; par cette victoire,
il se rendit maître des deux places de (i) Strahon, XII, 569.
(a) Tacil., Annal., liv.VI, cba|».
(i) Appirn, C.ivil., Mb. V, 75. (3) T«cit., Annal., li». XII, cli»P-
ASIE MINEURE. 6â7

romain qui gouverna tout le pays ap- avec le et pendant lon^mps


dehors ,
,
artenant autrefois au roi Amyntas(l). le siège aucun progrès. L^ pro-
ne fit

E.es villes de Painphylie qui avaient a^ visions entraient dans la place par une
iia)tenu à ce prince" recouvrèrent leur issue secrète. Lorsque cette ressource
lil)erté. Ce nouvel état de choses n’a- eut été retirée aux assiteés, la défense
doucit cependant pas le caractère in- devint de plus en plus difficile; mais les
domptable des Isaures. Leur capitale, moyens féroces qu’employait Lydius lui
non terminée , n’était plus propre à les permettaient de compter encore sur un
mettre à l’abri des atteintes des gou- secours du dehors. Lorsque la détresse
verneurs romains ; mais les cavernes et augmenta ,
les femmes, les vieillards
les châteaux perchés sur les rochers et toutes les bouches inutiles furent
leur offraient encore quelques retraites impitoyablement livrés aux Romains,
sûres; aussi n’étaientils soumis aux ou précipités du haut des rochers qui
Romains que de nom. entouraient Cremna, le dessein de Ly-
dius étant de s’ensevelir sous les ruines
CHAPITRE XX. de la place. Mais un archer habile , qui
avait été cruellement traité par le chef
VILLES DES ISAUBES. barbare, parvint à gagner le camp des
Romains. Instruit des mouvements de
Sous le replie de Gallien, Trébellien, Lydius, qui venait observer les ennemis
isaure de nation ,
s’empara de l’autorité par une fenêtre du rempart, l’archer
suprême, et se fit décerner le titre l’attendit avec patience, et le tua d’un
d’empereur; attaqué par les généraux coup de flèche.
de Gallien, il se retira dans les mon- Les barbares , sans chef ne soutin- ,

tagnes , et sut s'y maintenir pendant rent pas longtemps le siège. Malgré les
quelque temps. Cerné par les troupes avis que leur avait donnés Lydius en
romaines, il fut pris et tué; mais les mourant, ils se rendirent aux Ro-
Isaures n’en continuèrent pas moins mains (1). La place ne fut point dé-
leurs courses. Ils sortaient de leurs re- molie, et vainqueurs y établirent
les
paires, allaient piller les villes sans dé- une garnison. Par les ordres de l’em-
fense, attaquaient les caravanes, et ren- pereur, Isaures qui habitaient la
les
traient chargés de butin. Rien ne montagne furent traqués et dispersés ;
pouvait mettrê un terme à leurs pira- mais on ne parvint pas à les anéantir;
teries, et dès que le gouvernement et , sous Constantin , ils exerçaient en-
proconsulaire se trouvait ébranlé par un core leurs déprédations (2). Enfin, nous
changement de règne ou par quelque retrouvons le nom des isaures mêlé aux
sédition on les voyait reparaître plus
, derniers jours de Rome. La porte Asi-
hardis que jamais. naria confiée à leur garde fut ouverte .

L’empereur Probus ayant pacifié aux soldats d’Attila, qui se précipitèrent


l’Occident, marchait contre les Perses; dans commencèrent le pillage.
la ville, et
il se trouva arrêté dans son passage du Ceci porte à croire que les Romains
Taurus par quelques partis des Isaures. n’eurent d’autre moyen de pacifier le
L’empereur, ne voulant pas laisser sur pays que d’incorporer les Isaures dans
ses derrières une peuplade hostile , ré- tes troupes de l’empire.
solut de l’anéantir. l..a ville de Cremna, L’étendue de l’Isaurie varia singuliè-
qui avait été assiégée et prise par Aria- rement pendant toute la période an-
rathe , avait été depuis longtemps re- cienne; mais on ne saurait reconnaître
mise en bon état de défense. Elle était comme appartenant à cette province les
en ce moment commandée par un chef vingt-quatre villes citées par Hiéroclès,
isaurien du nom de Lydius, qui s’y et qui faisaient partie de la Cilicie. Les
était renfermé avec une armée résolue. villes appartenant à l’Isaurie propre
Le lieutenant de l’empereur soifgea sont au nombre de six, et non pas de
d’abord à investir la place. Les Isaures vingt-quatre Isaura , la capitale ;
:

s’étaient ménagé des correspondances


(r) 'Vopiiciis, c. 'VII.
(i) Sirabon, ihid. (a) Amniieu Marcellin, XIT.
43' Livraison. (Asie Mineobe. ) t. II. 43

^.OOÿlc
,

658 L’UJNIVERS.

Cremna, la place forte du Taurus; quelques centaines de mètres au-dessus


Seigé et Sagalassus , qui sont aussi dans au niveau de la plaine. Mais ce sont des
les montagnes , sur les frontières de la lieux particulièrement froids, à cause de
Pisidie,et Lystra; enfin, Derbé, La- leur hauteur absolue , qui atteint plus
randa, Séleucie, Celendera, et toutes de dix-huit cents mètres au-dessus ae la
les autres villes maritimes citées par mer. La montagne appelée Kara dagh
Hiéroclès appartiennent à la ('ilicie. et qui n’est pas nommée dans les au-
La circonscription indiquée par Am- teurs anciens , surpasse seule celte hau-
mien Marcellin est à peu près la même teur ; mais c’est un volcan isolé
que celle de Hiéroclès. L’isaurie, diMl, Les ruines byzantines que l’on observe
est remarquable par la richesse de sa dans la montagne du Kara dagh, au
végétation. Elle est traversée par le norddeCaraman,ontétélongtempscon-
fleuve Calycadnus , et indépendamment sidérées comme occupant l’emplace-
de plusieurs autres villes, elle en a deux ment de l’ancienne Derné, la forteresse
qui sont très- remarquables Séleucie,: d’Antipater; mais pour la concordance
fondée par le roi Séleucus , et Claudio- des deux positions, il faudrait retrouver
polis. L’empereur Claude v établit une dans le voisinage un lac qui n’existe pas.
colonie. Ses rébellions frequentes ont Strabon dit, en effet : Derné, forteresse et
attiré surl'lsaurie de justes vengeances; lac d’isaurie. Ces conditions se retrou-
de sorte que celte province ne peut vent dans le village de Divley situé dans
montrer que des vestiges assez nom-
,
une des vallées transversales du Taurus,
breux, il est vrai, de son ancienne au sud-ouest d’Érégli.Elle est arrosée par
splendeur (I). une petite rivière qui sort du lac de Ak
Justinien fit commander la province gheul ; les flancs de la vallée conservent
par un préteur, qui avait également encore quelques unes des grottes men-
autorité sur la Pisidie. tionnées par Strabon (I). On remarque
Le costume habituel des Isaures était à Divley les murailles d’un vieux château
une chlamyde bordée de rouge. Nous et une église byzantine encore bien con-
ne connaissons aucun bas-relief qui servée etdont rintérieurestornéde pein-
nous retrace le caractère physique de tures ; la position de ce village, à la nais-
cette peuplade. On voit , par la multi- sance d’une vallée, en fait un point stra-
tude d’inscriptions relatives au gouver- tégique dont l'importance ne peut être
nement proconsulaire , que les circons- méconnue et pouvait convenir à la for-
criptions variaient presque à chaque teresse d’Antipater; ce prince possédait
élection. Banduri cite comme ayant été aussi Laranda le pays était donc cou-
:

trouvée à Smyrne une inscription qui vert par deux places qui défendaient les
range sous la juridiction du même passages du 'Faurus. La ressemblance
préfet toutes les provinces qui ont ap- des noms de Divley et Derbé, que les
partenu à l’Asie centrale. Grecs prononcent Dervé vient encore
ajouterà la présomption d’identité entre
Publius, proconsul, préfet de l’Ionie, de la
Phryeie, de l'iEolide, de la Méonle, de la Lydie, les deux places. Les apôtres Paul et
de rUellespont, de la Mysie, de la Billiynie, Barnabe se réfugièrent a Derbé après
de la province de Tarse , de la Galatie , des
avoir étéchassés d’Iconium, l’an de notre
Mary andyniens , du Pont, de la Paplilaaonie,
de la petfle et de la grande Cappadoce, de l’i- ère 41 ; cette ville était la métropole de
saurie et de la Lycaonie, et des pays Jus- l’évêché de Derbé (2),
qu’aux conlins du Taurus et de la petile Ar-
ménie.
La route de Derbé à Caraman est ma-
récageuse pendant une partie de l’année,
La frontière naturelle de la Lycaonie parce que les eaux versées par les pen-
est indiquée par la première chaîne de tes septentrionales du Taurus ne trou-
montagnes calcaires que l’on rencontre vent qu’un écoulement difficile au mi-
à l’est de la route , entre Eregli et Ca- lieu des plaines sans pentes bien ac-
raman. Strabon en a exagéré la hau- cusées.
teur (2); elles dépassent rarement Caraman, ville de trois à quatre miHe

i) Ad NoKtiani imp.
Orient., p. 176 .
(1) strabon, XII, 56g.
a) Slrabon, XII, 538. (>) C.h. de Sl-I'aul, géojjr. .'aicr.
,

ASili MINEURE. 6&9

âmes ,
se trouve au jwint de réunion A l'ouest de Caraman s’étend le
des eaux de toute la plaine il y a au ; pays montagneux de l’Isaurie dont la
milieu de la ville un étang qui exhale capitale Isaura fut longtemps ignorée.
des miasmes délétères. Cette ville, qui Les limites occidentales de l’Isaurie
selon la tradition acceptée par les géogra- sont formées par une chaîne de mon-
phes, occupe remplacement de Larauda, tagnes calcaires, qui va se rattacher au
s’étant trouvée en butte à la ven- Taurus; elle sépare le bassin du lac
geance de Philippe et de Perdiccas, à d’Egdir du bassin des deux lacs de Bey
cause du meurtre commis par les La- chéri et Sidi chéri ; le dernier est ali-
randiens sur la personne de Balacris menté par les eaux de l’autre lac, et la
gouverneur, fut attaquée et prise après rivière d’écoulement se dirige vers la
une courte résistance ; tous les hom- plaine de Konieh.
mes adultes furent passés au fil de La ville de Bey chéri est située sur
l’épée; le reste de la uopulation dis- Ja rivière qui joint les deux lacs, elle
ersé et la ville ruinée ne fond en com- est la résidence du mutzellim ou gou-
le (1). Elle fut rebâtie dans la suite et verneur du district.Un tombeau mu-
est souvent citée par les auteurs an- sulman , un medrécé et quelques mos-
térieurs à l’époque byzantine. quées à minarets sont les seuls mo-
Après la chute des sultans d’Iconium, numents qui attirent l’attention. Ces
le territoire de Laranda resta au pou- deux petites villes, doivent leur fondation
voir de Karamau ogiou, qui donna son aux émirs seidjoukides sous le règne de
nom à la province Caramanie, et fut le Ala Eddyn. Le lac Bey chéri représente
fondateur de la dynastie des Karamau, l’ancien lac Trogitis, et le lac de Sidi
qui cominen(^ en'iasd. Un des descen- chéri le lac Caralitis ; on retrouve ce nom
dants de cet émir Ut, en 1386, une in- dans le petit bourg de Kereli aujour-
vasion dans les États du sultan Mou- d’hui presque abandonné ; il est situé
rad U' son beau-père, qui le vainquit à trente six kilomètres au nord de Bey
et lui accorda son pardon ; une seconde chéri.
tentative faite sous le règne de Bayazid A vingt-quatre kilomètres de cette
n’eut pas plus de succès, mais Karaman dernière ville, sur la route d'ilgoun et
ogiou fut dépossédé; enfin, en 1464, la au village d’Eflatoun, M. Hamilton a
Caramanie nit incorporée à l’empire observé un monument archaïque qui
Othoniau par Mahomet 11. mérite d’être remarqué. Du pied d’un
Le Kara dagh, la montagne noire, à rocher calcaire sortent plusieurs sour-
une journée au nord de Caraman est ces qui se réunissent dans un bassin.
remarquable par un ensemble de ruines Au milieu de l’enceinte des rochers
connues dans le pays sous le nom de s’élève une stèle d’une grande dimen-
Biubir kilissé ce sont de nombreux
: sion sur laquelle sont sculptées, dans
couvents du moyen âge auiourd'hui divers compartiments, des ligures dans
abandonnés et en ruines, et dont l’ar- le style assyrien ou mède ; la stèle a une
chitecture ne porte le cachet d'aucune hauteur d’environ trois mètres. Ce mo-
époque déterminée. nument paraît avoir quelque analogie
Le Kara dagh est un ancien volcan avec l’enceinte sacrée ne Boghaz keui ;
dont les laves trachytiques sont de cou- des dessins précis pourront seuls mettre
leur sombre c’est de là que les Turcs
: à même de déterminer à quelle époque
lui ont donné le nom quelle porte remonte l’exécution de ce monument,
aujourd'hui. Le village turc nommé qui depuis 1836 n’a pas encore été des-
Kilystra, voisin de Caraman, est porté siné (I).
sur la carte grecque avec cette légende
Kilystra ou Lystra, où saint Paul a (i) Voy. jésie-Uineurc, I. II, p. l 'tp, Karl
guéri le boiteux, ce qui prouve que Ritter, Erdkmde, t. IX, 435.
l'évêque de Cappadoce regardait Kilystra
comme identique avec la ville où saint
Paul a prêché.

(i) Diod. de Sic., liv. XVUI, ch. aa.

43 .

-
Di>. -
tv
660 L’UNIVERS.
. CHAPITRE XXL boutisse. Du cdté du sud-ouest, où la
pente est moins rapide, les tours sont
ISAUBA. — ZENGBIBAB. très-muiti pliées. La porte principale du
côté du sud est défendue par deux tours,
L’antique Isaura, démolie et rebâtie bâties dans le même style que le rem-
par Amyntas sous le nom d'Isaura part. L’arcade formant la porte est
nova, est située près du village de Zeng- supportée sur des pieds-droits en
bibar. marbre. On a sculpté des boucliers sur
Les ruines s’élèvent sur une colline l'imposte près de la tour à gauche de
qui s’étend dans la direction du nord- l’entrée.
nord-ouest au sud-sud-est, ayant au De là on peut suivre plusieurs pentes,
nord la plaine de Konieh , au sud le qui s’étendent dans différentes direc-
Taurus, à l’est les montagnes de Kara tions; celle de droite conduit aux car-
dagh et d’Ala dagh, et à l’ouest celles rières et à l’acropole. En se dirigeant à
qui encaissent le lac de Sidi chéri. Une gauche , à cent mètres de la porte, ou
nécropole, couverte de sépultures de aperçoit le soubassement d’uii temple
genres variés, précède l’entrée de la ville bâti dans le même style que les autres
au sud-sud-est. Les tombeaux du genre édifices , et élevé sur une éminence de
bûmos sont élevés sur quelques mar- rochers dont l’étendue est de quarante-
ches taillées dans le roc vif. On re- trois mètres sur vingt-six. On reconnaît
marque des hexèdres destinés aux repas là une de ces terrasses sacrées , comme
funèbres, genre de monuments assez celles d’Aïzani ou de Perga, qui sup-
répandus en Lycie. Les pierres qui ont portaient le principal temple de la ville.
appartenu à ces tombeaux, détruits pour Une rue bordée d’un portique de
la plupart, sont ornées de griffes de colonnes couduisait de la porte prin-
lion, ne médaillons et de fleurs. U’au- cipale à l’Agora, située vers le centre
tres ruines, situées en dehors de la ville, de la ville; le terrain voisin est couvert
entourent une magnifique source, dont de débris de toute espèce de maisons et
les eaux limpides font le tour de la ville, d’édifices. On y distingue les débris
et coulent vers le village ; elle a reçu d’un canal qui paraît avoir commu-
le nom de Bal bounar, la Source de miel. niqué au caldarium d’un bain. Une
I.a nécropole s’étend aussi vers le sud, inscription indique la construction d’un
et l’on distingue plusieurs sarcopha- portique avec des boutiques et une
ges dans leur position primitive, mais partie voûtée. Cette disposition, dont
les couvercles sont jetés brisés à côté. on pourrait retrouver les principaux
La croix sculptée sur quelques-uns de traitsen faisant d^agcrle terrain, était
ces tombeaux atteste que, sous l’empire particulière aux villes d’Asie. grand Un
bvzantin, cette ville était encore peu- monument s’élève non loin du Forum,
plée. Un Aëtius, évêque d’Isauropolis c’estun arc de triomphe encore presque
assistait au concile de Chalcédoine, et entièrement conservé et qui porte dans
llluaire, autre évêque de ce même si^e, l’entablement l’inscription suivante ;
se rendit au concile de Constantinople.
On peut suivre la ligne des murailles A l’empereur César, le divin Hadrien Auguste
Fils du divin Trajan, pelil-Uls du divin Nerva :

dans tout le pourtour de la ville excepté Le sénat et fe peuple des Isauriens.


le long des collines abruptes qui s’élèvent
au nord-ouest et au nord. L’appareil de On ne saurait donc moindre
plus avoir la
ces murs indique une époque voisine de incertitude sur l’emplacement de l’an-
l’art grec, et est exécuté avec un soin cienne Isaura, qui fut vainement cher-
remarquable. Les tours, qui sont toutes chée par plusieurs explorateurs. Cette
octogones ou hexagones, rappellent, au découverte est due à M. Uamilton.
contraire, les constructions des temps Du côté du nord le rocher sur lequel
byzantins; maisil paraîtqu’ellessont de la ville est assise offre à peine un sentier
là même date queles murailles; celles-ci, iraticable; aussi, la ligne de circonval-
bâties en grands blocs de marbre sont,
fation est-elle interrompue entre chaque

composées d’assisesalternativement hais- tour ; elles ne sont reliées que par des
en
tes et basses, avec des parpaings posés pierres levées qui marquent le pourtour
ASIE MINEURE. 661

de La ville. Une tour plus haute que les ville.Les Grecs racontent que Persée,
autres parait avoir servi à la cohoter étant venu en Lycaonie, suspendit à
(les gardes ; du haut de cet édifice la une colonuela tête de Méduse ; le bourg
vue détend sur toute la contrée voisine fut appelé dans la suite la ville de l'i-
et domine la plaine de Konieh dont on mage. Il acquit bientôt une étendue
aperçoit les minarets dans le lointain. considérable, et devint célèbre plus tard
pr le passage des Dix Mille (1). Stra-
CHAPITRE XXII. bon (2) en fait mention comme d’une
ville petite, mais bien habitée, située
ICONIUM — KONIKH. dans une contrée fertile , au nord de la
Lycaonie, elle devintsous Tibère la pro-
Le versantdes plateaux qui s'appuient priété de Polémon (3).
sur le contre-fort septentrional des mon- Les titres honorifiques de l’ancienne
tagnes de risaurie est dirigé vers la Iconium sont relatés dans l'inscription
grande plaine de Konieh, dont la dispo- suivante encastrée dans la muraille du
sition en bassin sans issue n’offre aucun château :

écoulement aux eaux hivernales. En Les habitants de la ville claudienne d’Iconium


reprenant la route de Cassaba, et se di- ont bunoré Lucius Pupius, lils de Lucius Saba-
rigeant vers Ismil, on traverse plusieurs tious Prëseus, chillarque commandant la cava-
lerie de l’aile vicentine, commissaire impérial
ruisseaux dont le plus considéraLle porte, pour les quais du Tibre, proconsul de Tibère
le nom de Pe.rchembeh sou (1). La plu- Claude César Auguste Cermanicus, et de Claude
part de ces petits torrents sont à sec pen- Néron César Auguste . dans la province de Cala-
tie: leur bienfaiteur et restaurateur do leur vifle.
dant l’été ; mais, a l’époque de la fonte
des neiges, ils roulent un volume d’eau Sous Trajan la ville
,
d’Iconium
considérable, qui se réuuit au fond de la avait acquis une grande importance ;

plaine, et forme un lac que tous les elle était, en effet, la résidence d'une
voyageurs désignent sous le nom de lac multitude de Juifs et de Grecs : aussi,
de Konieh mais dont l’étendue, selon
, lorsque saint Paul vint répandre le
eux, varie, depuis une lagune de peu christianisme dans la Cappadoee, il s’ar-
d'importance, jusqu’à un lac de plusieurs rêta à Iconium, où il prêcha les Gentils.
lieues carrées de surface. Les Actes des apôtres (4) nous appren-
Cest qu'en effet, selon la saison, la nent que saint Paul et Barnabé , chas-
plaine de Konieh est complètement inon- sés par un soulèvement des Juifs de la
dée, ou seulement humectée par un petit ville d’Antioche de Pisidie, se retirèrent
marais où un troupeau de buffles trouve à Iconium. Là, ils prêchèrent dans la
à peine l’espace suffisant pour se vautrer. synagogue et s’exprimèrent dans le
,

Les bourgs d'istnil et de Schoumra, langage du pays. Ce passage prouve que


entourés de grands arbres, ont conservé la langue indigène n’avait pas été com-
quelques habitants fixes; mais toute la plètement remplacée par la langue grec-
plaine ne présente au loin qu’une prairie que. Obligés de se retirer, ils continuè-
sans fin, où le mirage maniieste ses phé- rent leur mission dans les autres villes
nomènes trompeurs. de la Lycaonie. Ces faits, importants
On comprend que ,
dans celte vaste pour l’histoire de la primitive flglise,
étendue de pays, les anciens aient choisi, attirèrent bientôt dans les murs d’Ico-
pour y établir une ville, le seul point où nium un grand nombre de néophytes.
s'élèvent des collines qui donnent nais- Érigée en patriarcat, elle commandait
sance à quelques sources. Elles forment aux quatorze principales villes de la
un ruisseau qui va se perdre dans les Lycaonie. Néanmoins on trouve peu de
-steppes, et qui coule à proximité de la monuments de cette époque glorieuse
ville. On pouvait, en cas de siège, s’en pour l’Église chrétienne, et la ville ac-
servir pour remplir les fossés. tuelle n’appelle l’attention de l’anti-
Le nom d’Iconium, qui s’est conservé
presque sans altération , remonte aux (if Cjrrop., liv. 1 .
temps fabuleux de la fondation de cette (a) Xir, 568.

( 3 ) Pliue.liv. V, chap. 37.


(i) L’eau dii jeudi. (4) XIV, i. a

^oo^Ic
,

(iüi L’UNIVERS.
(juaire c^ue par les mosquées élevées ont été soigneusement encadrés dans
sous le rVne du sultan Ala-Eddyn dans les murailles; on remarque dans une
ledouzième siècle. des tours du sud un magnifique sarco-
Depuis rétablissement de la dynastie phage, qui a fait l’admiration de plus
ottomane, on vit successivement dé- d’un voyageur européen. La face est di-
croître la licliesse et le luxe des édifices visée en huit compartiments en forme
de Konieh. Le sultan Sélim 1"' y fit d’arcades, et représente l’épisode d'A-
élever une mosquée avec un couvent, chille à Scyros.
où il installa le cheik des derviches Mél- Le plan de la ville est un rectangle
veléwi ou tourneurs , lequel commande dont les angles sont arrondis. La face
à tous les couvents ou Téké de l’em- sud est défendue par un petit château
pire ottoman ; c’est lui qui a le privilège que l’on appelle /ncA-A'a/é ( le château
de ceindre aux sultans le sabre d’Os- intérieur); il forme, en effet, dans l’in-
man, et de leur donner ainsi l’investi- térieur de la ville, une enceinte parti-
ture. culière, défendue par huit tours ou don-
Quant à la ville elle-même, réduite au' jons. Il est habité aujourd’hui par quel-
raug de simple chef-lieu de pachalick, ques familles auxquelles la garde en est
elle a été peu à peu oubliée des histo-- confiée. Le faucon, symbole des sultans
riens, et l’on ne cite pas un fait mémo- Seidjoukides est sculpté au-dessus de la
rable qui lui soit particulier, dans toute grande porte, cet emblème fut ensuite
la période qui s’est écoulée depuis le empreint sur les médailles des sultans
règne de Soliman le Grand jusqu’à nos Orthokides.
jours. L’établissement de l’autorité mu- Il est difficile de dire quel était le but
sulmane ne parvint pas à détruire com- des anciens, en fabriquant cette innom-
plètement le christianisme; cette ville brable quantité de figures de lions de
fut de tout temps la résidence d’un ar- marbre que l’on retrou^fe encore dans
chevêque grec ; les chrétiens et les Ar- presque toutes les villes de la Galatie,
méniens y sont encore nombreux. de la Phrygie et de la Cappadoce. A
Les murailles bâties par Ala-Eddyn Konieh, on en compte encore plus de
sont encore conservées dans leur inté- vingt ; elles ont été pour la plupart en-
grité; elles sont défendues par cent castrées dans quelques murailles. Du
huit tours carrées, éloignées l’une de côté de l’occident trois statues colos-
,

l’autre de quarante pas , et défendues sales de lions surmontent des consoles


par un fossé qui est comblé dans une qui sont ajustées dans une des tours.
partie du pourtour de la ville. Chaque L’une d’elles est d’un travail tellement
tour a dix mètres environ de front , sur barbare, qu’on serait tenté de la regar-
huit mètres d’épaisseur; la face est or- der comme un ouvrage musulman. Au-
née d’un grand tableau terminé en ogive, dessus de la porte du palais du pacha,
et qui a de sept à huit mètres de hau- on eu voit une autre dans la même
teur; le champ de ce tableau est en pose, c’est-à-dire assise, et tenant entre
marbre blanc, et contient une inscrip- ses griffes une statuette dont l’ajuste-
tion en relief et en caractères semblables ment est tout à fait égyptien (1).
à ceux qui sont gravés sur les autres .Tusqu’ici nous avons examiné les de-
monuments de cette époque. hors de la- ville ; il nous reste à parcou-
La construction des tours et des mu- rir les faubourgs, la partie la plus peu-
railles est faite en belle pierre de taille, plée et la plus commerçante de la mo-
et renferme d’innombrables fragments derne Iconium.
de monuments plus anciens, comme En effet, l’habitude constante où sont
des inscriptions byzantines, des fdts ou les mu.sulmans de laisser les ruines
des chapiteaux de colonnes. s’accumuler sur les ruines sans jamais
,

Ce qui distingue
les Seidjoukides des songer à réparer un édifice, a converti
Osmanlis ,
ne professaient
c’est qu’ils la ville en un monceau de décombres,
ias, commeces derniers, l’horreur de où l’on ne trouve plus que quelques
fa représentation des figures humaines.
Tous les fragments de sculpture an- (i) Voyeî la planche 67. Lions et Faucon.'
cienne qui ont été décotverts par eux. dans le château de Konieh.
ASIE MINEURE. CÜ3

pauvres familles d’ Arméniens et de en ont fait une carrière, où ils allaient


Grecs encore ces derniers ont-ils leurs
: chercher les matériaux de toute esp^
maisons de campagne dans un bourg pour réparer les casernes et les habita-
distant de deux lieues , et appelé Zillé. tions des pachas. Ce qui reste aujour-
Kouieh, se trouvant sur la ligne des d’hui peut cependant laisser apercevoir
caravanes qui vont de la Mésopotamie quelques traces de l’art qui a présidé à
à Smyrne, devrait offrir un assez grand sa décoration.
commerce de transit ; mais les caravan- La colline est entourée par un mur
sérails bâtis par le sultan Mourad s’é- de briques, et la porte s’ouvre du côté
croulent, comme tout le reste, et le du sua. A droite et à gauche , à une
pays ne fabriquant rien , ne peut man- hauteur de sept ou huit mètres au-
quer de tomber de jour en jour dans dessus du sol , se prolonge une grande
une misère plus profonde. galerie, dont les arcades sont soutenues
Le milieu de la ville est occupé par par des colonnes de marbre accouplées.
une colline, sur laquelle s’élevait autre- Les décombres que l’on trouve en en-
fois le brillant palais des princes d’Ico- trant étaient sans doute les casernes, les
nium (I). Pendant longtemps les Turcs cuisines et les habitations des serviteurs;
à gauche on voit encore une chapelle
(i) Voy.pl. 3a. Ruines d’un palaU de» couverte d’un toit conique , dans 4e
sultans SeIdjoukides à Konieh. genre de l’architecture de Césarée.

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.

LIVRE X.

LYCIE. — PAMPHYLIE. — CILICIE

CHAPITRE PREMIER. dans le mouvement des antiques popu-


lations de ces côtes, si l’on ne cherche
LYCIE. le point de départ dans les relations qui
se sont établies entre la Crête et le con-
L’histoire de Lycie commence avec tinent, et les historiens comme les poètes
celle (lu monde grec. Nous avons vu se conforment à cette tradition (t).
lesLyciens alliés aux Troyens dès les Ainsi les anciens ne connaissaient dans
premiers temps de la civilisation asia- ces pays aucune population pure de tout
tique U). Nous allons retrouver en mélahiîe étranger. Les Phéniciens s’é-
Lycie les mêmes noms de héros, de taient emparés du Taurus aussi bien
fleuves et de villes; Thèbes et Lyrnes- que de la Cilièie, et les peuples d’origine
susont existé en Lycie comme en Troade sémitique venus en I.ycie s’établirent
Tlos ou Tros fonde une ville de son dans ce pays, et formèrent les peupla-
nom et les eaux jaunes du Xanthus des de Cabalès et des Solymes. Les
arrosent les plaines de la Lycie comme Crétois débarqués aux bouches du Xan-
l’autre Xanthe les campagnes d’ilion. thus, se répandirent dans le pays et
Sarpéilon Pandarus, Bellérophon, les
, se mêlèrent aux tribus qui habitaient
héros honorés des Lyciens, ont combat- ces montagnes; il en est résulté une
tu dans les armées de Priam ; c’est le population qui , par ses mœurs , ses
.

sang des Léleges, des Crétois et des Ca- arts et son langage diffère essentielle-
rieiis qui coule dans leurs veines, aucun •ment des autres habitants de la pres-
historien ne mentionne en Lycie un qu’île. On ne peut dire cependant qu’elle
peuple aborigène antérieur à ces peu- était complètement étrangère à la race
ples. I.«s Phéniciens pénétrant dans grecque ou pélasgique ; car dès le temps
l'intérieur delà Lycie y introduisent une de la guerre de Troie, nous voyons la
population qui garde son type particu- langue grecque comprise par les chefs
lier et sa langue nationale, ce sont les lyciens, et les hymnes qui étaient chan-
Solymes, le seul peuple de l’occident que tées aux fêtes de Délos avaient été
les Grecs regardent comme d’origine sé- composées par Olen, poète lycicn (2).
mitique. La Troade etla Lycie sont deux

E liés par une commune origne ; ils


>rent les mêmes dieux, comme Ju-
piter et A pollon ; les mêmes héros, comme
CHAPITRE
POPULATIONS LYCIENNES.
II.


Pandarus ; ils ont les mêmes fleuves et MONUMENTS.
les mêmes nomsde montagnes. Une par-
tie de la Troade portait le nom de Sous le nom général de Lyeie, le.s
Lycie d’après celui de ses habitants ; de historiens comprennent trois provinces
même les Lyciens se donnaient le nom distinctes; au nord la Cabalie, au
Troyens, Troès. L’un et l’autre pays se centre les Solymes qui occupaient les
prêtent un mutuel secours dans la plateaux du Milyas; ces peupla-
bonne comme dans la mauvaise fortune. des parlaient la même langue phéni-
Les Lyciens,les Crétois et les Cariens se cienne, et au sud les Termiles, qui
rencontrent sur la côte occidentale jus- avaient pris le nom de leur chef Tré-
qu’aux bouches du Méandre et dans la milus. C^étaient des tribus crétoises qui
Troade. On ne saurait mettre de l'ordre
(ijCurliiK, Greschische G«/c/i(c, 1. 1, 63.
(i) Voy. livre HT, p. 84- (i) Hérodote, liv. IV, cl). 35.

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ASIE MINEURE. (!C.S

nvaicnt passé de l'ile de Rhodes en Asie ; les qui étaient alors absentes. Cepen-
d’autres rameaux de ces tribus, con- dant malgré tant d’efforts la Lycie fut
duits par les fils deTrémilus, Tloüs, soumise au joug des Perses jusqu’au
Xanihus et Pinarus, bâtirent des villes jour où Alexandre lui rendit sa liberté
du même nom et formèrent des popu- en dirigeant en personne sou armée à
lations distinctes. (1). Ne semble-t-il pas travers la province. Darius dans l’or-
qu’on assiste à la formation des tribus ganisation de son empire avait rangé
arabes qui, arec le titre de (2) Ouied la Lycie dans la première satrapie;
ou de Béni se groupent sous le nom
,
néanmoins le pouvoir intermédiaire des
d uii chef qui distingue la tribu. Les rois de Carie s’étendit jusque sur cette
ïermiles conservèrent leur nom jus- province, qui eut à souffrir des tributs
qu’au rème de Sarpédon. Lorsque etdes exactions imposés parles généraux
Ljicus, fils de Pandion fut chassé d’A- du roi Mausole, dans le but de satisfaire
thènes |Mr son frère Égée, il alla se réfu- aux dépenses faites par ce prince aux
gier près du roi des Termiles ; il leur embellissements de fa ville d’Halicar-
lit adopter des lois empruntées en nasse.
partie aux Crétois, en partie aux Ca- Après l’expulsion des Perses, la Lycie
riens (3). et depuis ce temps ces peu- fut pendant un temps soumise au pou-
ples prirent le nom de Lyciens. voir des Rhodiens ; mais elle prit peu
La Lycie était la patrie du dieu Apol- de part à In guerre du Péloponnèse.
lon, et l’existence du sanctuaire de Pa- Les trois nations de la Lycie formaient
tare est antérieure à tous les temples une confédération, gouvernée par une
du même dieu élevés dans le reste du assemblée qui prenait le nom de Corps
monde grec : la diversité des fables Lyciaque ; il était composé des dépu-
relatives à Latone et à la naissance de tés envoyés par les vingt-trois villes de
Diane , montrent bien que ce mythe a la confédération , qui décidaient en as-
été apporté chez les Grecs par des peu- semblée publique dans quelle ville le
ples dï)utre-mer. congrès serait tenu. Les principales
La constitution civile des Lyciens dif- villes,Xanthus, Patara, Pinara , Olym-
fère aussi de celles des autres peuplades pus, Myra et Tlos, avaient chacune
d’Asie; la femme était honorée plus trois voix, les moyennes deux et les au-
qu’en aucun autre pays grec, et les tres une seule voix ; elles contribuaient
Lyciens ne connaissaient d’autre généa- dans la même proportions aux dépenses
logie que celle qui les rattachait au lien et aux charges publiques.
maternel. Le premier soin des Lyciens fut de
Les Lyciens se montrèrent toujours choisir pour assiette de leurs villes le.s
guerriers intrépides et jaloux de leur lieux les plus inaccessibles. L’âpreté
liberté. Lorsque les rois de Lydie eurent de leurs montagnes est déjà leur pre-
soumis tout l’occident de l’Asie Mineure, mière ligne de défense, les murs sont
les Lyciens avaient su conserver leur construits avec une solidité qui est en-
indépendance ; mais ils ne purent résis- core pour les hommes de notre temps
ter aux attaques de Cyrus qui envoya un sujet d’étonnement. Les blocs les
contre eux une armée nombreuse. Lors- plus énormes sont transportés par les
que Harpagus se présenta dans les cam- chemins les plus abrupts, pour cons-
pagnes du Xanthus, les Lyciens mar- truire les murs de l’acropole; les mai-
chèrent à sa rencontre et quoique in- sons des habitants, bâties en pierres et
férieurs en nombre ils combattirent couvertes en terrasses, s'abritent der-
avecune grande valeur. I.cs habitants de rière ces remparts que de vaillants guer-
Xanthus s’enfermèrent dans leur cita- riers sont décidés à défendre.
delle et refusèrent unanimement de se A près avoir songé au salut des vivants,
rendre. T^a ville ayant été prise d’assaut los Lyciens n’oubliaient pas le culte
tous les habitants furent massacrés, il des niorts; des tombeaux aussi variés
n’y eut de sauvées que quelques famil- de forme que de structure, sont bâtis,
sculptés, creusésdans les rochers autour
(0 Ët. Byz., voc. Tremilc.
de la ville on cherche en vain à quel
:
(s) FiU de...
art se rattachent ces singuliers ouvra-
(3) Hcrotloîe, liv. I,
666 L’UTOVERS.
ges. Sur le flanc des rochers on observe autres que les Mèdes et les Perses. Cette
des tombeaux dont la façade représente opinion s’est confirmée chez l’auteur
une frêle construction de bois ; les pou- par l’inspection des monuments de
tres, les poteaux et les branches rondes, Xantlius, qui, selon lui, ont tout le ca-
juxta-posées pour former le toit, sont ractère des sculptures des Perses.
sculptées dans la pierre, ües sarcopha- Sans entrer dans le fond de cette con-
es monolithes représentent une caisse troverse philologique, il nous semble
e bois couverte par une autre pierre u'il s'élève une objection au sujet de
imitant une chaloupe renversée avec sa falphabet de ces inscriptions si elles sont
carène en l’air, ou bien une voûte ogi- réellement écrites eu langue perse. En
vale dont l’exemple ne se retrouve pas effet, du temps deCyrus et de Darius les
ailleurs. Perses faisaient usage de l’écriture en
caractèrescunéiformes, l’inscription de
CHAPITRE 111. Pasargade, qui date du règne de Cyrus
en fait foi, et les savants anglais qui
LANGUE LYCIENNE. ont opéré des fouilles sur l’emplacement
du tombeau de Mausole ont découvert
Ce n’est pas le seul problème que ces un vase portant une inscription en ca-
monuments présentent à l’observateur, ractères cunéiformes qui est attribuée
si nous ne pouvons nier le fait d’imitation au roi Artaxerxe.
d’ouvrages en bois, il nous serait possible Il faudrait donc supposer que les
de répondre que c’est un caprice de l’art. Perses, abandonnant leur système d’écri-
Mais quelle est cette langue inscrite ture nationale, ont inventé un nouvel
sur ces tombeaux en caractères qui res- alphabet pour écrire en Lycie les actes
semblent pourtant aux caractères grecs, du gouvernement dans une langue qui
mais dont le sens est rebelle à toute n’était pas comprise par le peuple in-
explication ? d’où vient que nul entre digène.
les historiens qui nous ont parlé de la Nous ignorons complètement à quelle
Lycie n’a insisté sur cette particularité, époque la langue dite lycienne a cessé
tandis que nous trouvons dans les au- d'être en usage. On voit à Telmissus un
teurs un grand nombre de mots de la tombeau dans le style lycien qui porte
langue carienne qui sont tout à fait le nom de Tibérius' Claudius ; à Anti-
étrangers à la langue grecque. Héro- phellus, un autre tombeau, sur lequel est
dote ne fait aucune mention de cette gravée une longue inscription lycienne,
diversité de langage usité en Lycie, et est consacré à une femme romaine du
jusqu'à ce jour aucun texte ne nous met nom de Claudia Regelia Herennia. On
sur la voie de son origine probable. Les peut bien dire que ces personnages ont
tentatives faites pour expliquer les ins- été ensevelis dans d’anciens tombeaux
criptions lyciennes n’ont amené aucun lyeiens , mais ce n’est qu’une conjec-
résultat bien satisfaisant (1) ; les philo- ture ; les lois qui protégeaient les sépul-
logues ne sont pas même d’accord sur tures, les malraictions et les amendes
la souche d’où cette lanmie est sortie. dont étaient menacés ceux qui s'empa-
Dans la pensée deM. Forbes (3), aucune raient d’un tombeau qui ne leur appar-
des inscriptions en langue différente du tenait pas étaient alors en vigueur.
,

grec n’est antérieure à l’invasion perse Toutes ces questions sont loin d’être,
dans la Lycie. Toute la nation des Xan- résolues, il est raisonnable d’attendre
thiens ayant été détruite, à l’exception de nouveaux éclaircissements à ce sujet.
de quelques familles qui étaient absen- Si le territoire de la Lveie est resté
tes, fut remplacée par des étrangers qui jusqu’à DOS jours complètement inex-
occupèrent les villes des vrais Lyeiens ploré, on doit dire que l’étude des do-
d’origine, et ces étrangers ne seraient cuments laissés par les aheiens auteurs
avait mis les géographes modernes à
(i) Voy. C. Ritler, Erkunde, I. IX, pages même de fixer aune manière satis-
io38, 1040. faisante la position de la plupart des
(a) Travelt in Lycia by Spnilt and Forbes, grandes villes. L’expédition du capitaine
t. II, p. 37. Beaufort sur la cdte de Caramanie en
ASIE MINEURE. 667

1613 avait révélé l’existence de ruines Alexandre le Grand, arrivant à Telmis-


nombreuses et rentarquables dans les sus après siège d’Halicarnasse, se
le
auciennes villes maritimes ; le comte de confiait, pour connaître le secret de son
Clioiseul avait publié les luonuments de avenir, aux jongleries du devin Aristan-
Telmissus, mais aucune des villes de dre (l).II ne paraît pas cependant que le
l’intérieur n’avait encore été étudiée, lors- culte d’aucune divinité locale ait été
qu’eu 1834 je traversai le Taurusiycien pratiqué par les habitants.
pour me d’Isbarta à Adalia.
rendre C’est à Telmissus qu’on observe les
Deux autres expéditions furent entre- premiers monuments de cette architec-
prises avec le secours des bâtiments de ture monolithe qui fut pratiquée dans
l’État en ISS-S et 1836, et dans les excur- plusieurs villes de la Lycie, on en re-
sions que je Os dans l’intérieur je pus trouve des vestiges, à l’est jusqu’au
me convaincre que les explorateurs qui fleuve Arycandus près de Myra, au
me suivraient trouveraient chez les ha- nord jusqu’au plateau du Milyas. La
bitants l’accueil le plus hosuitalier. Le nature et la lorme des rochers du
premier voyage eu Lycie ae M. Ch. Taurus composés d’un calcaire com-
Fellows, en 1838, provoqua de la part pacte et formant des falaises de plu-
du gouvernement anglais l’envoi d^ine sieurs centaines de mètres de hau-
mission scientiüque pour rapporter au teur provoquaient le génie des artis-
Musée britannique les monuments de tes lyciens; fart grec et l’art indigène
Xanthus;une carte de la Lycie fut levée étaient pratiqués simultanément ; il n’est
ar M. Spratt. Les voyages de M. Schœn- pas facile de dire quel est celui qui sub-
Eorn ont fait connaître plusieurs villes sista le dernier ; les tombeaux couverts
du Milyas et de la Pisidie encore igno- en nacelle ont été imités par les Ro-
rées. mains (2) , mais jamais ils n’ont été
1836
11 reste aujourd’hui peu de lacunes à transportés en dehors des limites de la
combler, et la connaissance de la Lycie Lycie.
ancienne est entrée dans le domaine L’ancienne Telmissus était bâtie dans
de l’archéologie. Cari Ritter donne la la partie la plus reculée du Glaucus
listesuivante des explorateurs de la Sinus, aujourd’hui golfe de Macri (3),
Lycie depuis le commencement du ui recevait les eaux d’une petite rivière
siecle (l) : U même nom le Glaucus amnis (4),
elle était resserrée entre la côte et les
1812 Beaufort. 1840 floskyn-For-
versants occidentaux de I' Anti-Cragus,de
Texier. bes.
sorte qu’elle s’étendait toute en lon-
1837 Broke. 1841 Schoenborn.
gueur-; un mamelon isolé servait d’as-
1838 Fellows-Gra- 1842 Daniel-Spratt
siette à l’acropole, qui existe encore, en-
ves. 1846 Tchihatcbeff.
tourée' de fortes murailles, mais qui da-
tent des temps modernes; elles ont été
CHAPITRE IV.
relevées par les chevaliers de Rhodes
et par les Génois. On y trouve quelques
TELUISSUS. — HACBI. inscriptions encastrées dans la maçon-
nerie. Cette acropole devait occuper le
Telmissus est une des plus anciennes centre de la ville ancienne on observe,
:

villes de la Lycie. Dès la plus haute an- sur la côte, les ruines d’un castrum.
tiquité elle était déjà célèbre par un Le théâtre est construit au sud-ouest à
cmiége de devins, qui furent souvent l’extrémité de la ville, à l’issue d’une
pris pour arbitres dans les plus solennel- vallée étroite ; l’ensemble du monument
les occasions. Crésus, au moment de présente un imposant aspect, tous les
déclarer la guerre à Cyrus envoya en murs de soutènement et les gradins
Lycie une députation pour consulter
les devins (2) ; les rois de Phrygie eurent (i) Arrien, Exp. Al. Liv. i, a6.
aussi recours à leur science occulte, et (a) 'Voyez planche a6, fig. ii. Tombeau
de Ptolémée à Ântiphellus.
(i) Erkunde, IX, 987 . (3) StraboD, XIV, 65i.
(a) Hérodote, liv. I, 78. ( 4) Pline, V, ag.
668 L’UNIVERS.
Bont construits en jjierres de grand ap- CHAPITRE V.
pareil et sont entièrement conservé.
La scène seule, qui était construite en TOMBEAUX.
murs moins solides est presque détruite,
mais les portes avec leurs linteaux mo- La ville lycienne s’étendait Jusqu’à
nolithes, les piédestaux des colonnes ces rochers près desquels on remarque
existent encore ; cette partie de l’édifice plusieurs sarcophages du style lycien.
offre une particularité qui ne peut être L’abaissement du sol dans cette partie
observée dans d’autres théitres, c’est du territoire de la ville est tellement
la disposition inférieure de la scène, évident, qu’il a frappé la plupart des
riiyposcenium , qu’il est rare de retrou- navigateurs qui ont abordé sur cette
ver, parce qu’elle est ordinairement côte (I). On obsefve au nord-est un
enterrée sous les décombres. On voit grand sarcophage onié de sculptures ;
les traces des corridors souterrains et il est complètement entouré d'eau, et

les amorces des solives de la scène qui ou ne peut l’approcher qu’au moyen
montrent clairement que chez les an- d’une nacelle.
ciens, la scène était en bois et disposée Du pied de ces rochers sort une source
de manière à pouvoir faire jouer les limpide et abondante ,, mais dont les
machines. eaux sont saumâtres; cependant les
La cavea ou salle, avait vingt- huit animaux en boivent volontiers. La ville
rangs de gradins divisés par le bal- moderne de Macri est au nord ; la mon-
teus ou précinction ;
les petits escaliers tagne forme une enceinte de rochers
dans le mur du podium servaient
taillés dans laquelle s’élèvent plusieurs pitons
de communication entre les deux pré- isolés, c est là que fut établie la Nécro-
cinctions ;
gradins étaient desservis
les pole avec ses grands tombeaux taillés
par neuf escaliers formant huit cunéi dans le roc, les plus remarquables de
ou divi.sions. Il n’y a pas de vestiges toute la contrée. Ils sont muets pour
du portique supérieur. Deux vomitoires nous, car ils ne portent aucune ins-
latéraux communiquaient directement cription qui nous mette à même de con-
à la première précinction, et le mur de jecturer à quelle époque ils furent cons-
soutènement des gradins était oblique truits. Les grands tombeaux sont au
à la scène comme dans tous les théâtres nombre de trois; ils sont faits sur le
grecs on n'a pas encore bien défini l’a-
; même plan et paraissent être de la même
vantage que présentait cette disposition, épo(|ue ; la description de l’un peut s'ap-
qui n’a Jamais été adoptée par les Ro- pliquer aux deux autres.
mains. Le plus grand et le mieux conservé
La mer vient presque baigner le pied de ces monuments est taillé dans la
du mur d’avant-scène; on voit au fond face occidentale de la montagne.
des eaux plusieurs murailles qui appar- 11 se compose d’un portique d’ordre
tenaient aux dépendances de cet édifice. ionique formé de deux colonnes et de
A droite et à gauche les rocliers sont deux antes supportant un entablement
coupés verticalement et sont creusés orné de denticules, et un fronton décoré
our former dos grottes et des cliam- de palrnettes (2).
res qui selon le D'^ Clarke, étaient ha- La porte du monument est dans le
bitées par la corporation des devins. style grec avec des consoles, et les van-
Quelques-unes de ces chambres sont en taux simulent une porte véritable avec
maçonnerie ; elles communiquent entre ses clous et ses serrures. Chacun des
elles par des portes à chambranles dé- pilastres est orné de trois patères ; sur
corés de crossettes ; on voitdans la roche celui de gauche on lit l’inscription ;

des conduits avec des tuyaux de terre AMVNTOÎ EPMAniOV. (tombeau)


cuite qui permettent de supposer que d’Amyntas fils d’Hermapius. l..a porte est
CCS grottes faisaient partie d’un ancien divisée eu quatre panneaux simules un ;

bain.

(i)Voy. C.KUleT, £rdhmde, t. IX, p. g45.


(i)Toyez pl, i5. Tombeau d'AmynIas à
Telniissiis.

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.

I
ASIE MINEURE. 669

seul est ouvert; il était jadis fermé par ronnent quelques-uns de ees tombeaux
une dalle; U donne accès dans une sont tout à fait dans le style grec sur :

chambre sépulcrale dans laquelle sont l’un d’eux ou lit l’inscription ( Tom-
disposées des banquettes pour déposer beau ) de Tibérius Claudius Pergamus.
les corps. C’est une règle invariable dans Ce personnage était évidemment un Ro-
tous les tombeaux de la Lycie., taillés main. Faut-il penser qu’il a été inhumé
dans le roc. Aucun ne contient de sar- dans un tombeau plus ancien.’ ou le mo-
cophage, les corps étaient déposés sur nument a-t-il été creusé et sculpté pour
des banquettes qui sont ordinairement lui? Questions encore indécises sur
sculptées en forme de lits funèbres en : l’âge des monuments dits lyciens.
cela ils sont semblables à ceux des
Etrusques, qui étaient aussi un peuple CHAPITRE VI.
asiatique.
Les deux autres tombeaux sont d'un HXCBI.
moins fini que celui dont nous
travail
donnons la description mais ils sont
, La ville moderne de Macri a pris son
en tout point semblables. Nous ne pou- nom de l'tle qui se trouve à l’entrée du
vons que par comparaison arriver à golfe et qui dans l’antiquité s’appelait
déterminer l’épooue approximative de Macris. Les portulans de la Méditerranée
la construction ae ces monuments et ont traduit ce nom par Isola Longa :
nous croyons qu’elle remonte à la fin du on l’appelle aujourd'hui l’Ile des Che-
quatrième siècle avant notre ère, c'est- valiers. Macris, le nom grec ,
est resté
à-dire au temps d’Alexandre- Ces mo- au Glaucus sinus et à la ville qui a
uuments sont certainement de l’école remplacé l’ancienne Telmissus. Cernée à
grecque, mais dans les rochers voisins l’est par les pentes abruptes de l’Anti-
on a creusé une autre nécropole dans Cragus, Macri n’a de communication
le style lycien, c’est-à-dire imitant par- facile avec le continent que du côté
faitement la construction en charpente ;
du nord, elle n’a pas de murailles ni
on y voit les solives, les bernes, les pou- de forteresse, une petite mosquée cou-
tres qui couronnent la porte et la toi- verte par une couple est entourée de
ture imitant des bois ronds non travail- maisons de pierre couvertes en terrasse,
lés. Ces monuments qui sont nombreux c’est là toute la ville. En 18,'îG, elle a
en Lycie ne diffèrent entre eux que été fort endommagée par un tremble-
par les détails, nous nous contenterons ment de terre qui a encore dispersé
de les mentionner sous le nom
de tom- une partie de la population au jour- :

beaux lyciens. Les portes de ces tom- d’hui on y compte à peine mille âmes.
beaux sculptées sur les rochers représen- L’extrême fertilité du pays ne suffit pas
tent toutes les armatures dont on peut pour attirer de nouv'eaux habitants, les
garnir une porte, les clous, les ser- marais environnants exhalent au prin-
rures les heurtoirs pour frapper, et
,
temps des miasmes délétères; mais
à côté du tombeau on voit quelquefois comme tableau il est impossible de
la représentation d’un chien couché ; il voir un lieu plus attrayant, car les
faut remarquer que sur les peintures beautés de la nature se réunissent à
des vases grecs de l’ancienne école, dans celles de l’art pour captiver l’atten-
les sujets funèbres qu’on appelle Con- tion Il est triste de penser que ce petit
.

clamation, la figure d’un chien est sou- pays est destiné à devenir un désert.
vent représentée sous le lit du mort. Vers le milieu de juin les habitants aban-
Le groupe des tombeaux lyciens qui se donnent la ville pour aller demeurer
trouve au pied de l’acropole donne une dans les hautes régions de l' Anti-Cragus.
idée la plus parfaite de ces monuments Il ne reste à Macri qu’un douanier, un

singuliers, qui n’ont d’analogue dans boulanger et le cafédji, le premier et le


aucune autre partie du monde ancien (1). dernier citoyen d’une ville turque.
Les ornements et les palmettes qui cou- Derrière le rocher de l’acropole de

(i) Voy. pl. i4, Nécropole de Telmbsui. plan est beaucoup trop haute eu proportion
La plante d’Eiiphorbe mise sur le premier des figures qui ont été ajoutées au tableau
«70 L’UNIVERS.
Telmissus s’ouvre une vallée étroite et l’eau du Xanthus est claire et«pnre ; elle
bien boisée qui s’étend jusqu’à la mer ;
ne prend que dans la plaine cette cou-
c’est à l’entrée de cette vallée qu'était leur jaune et boueuse qui lui a valu
située la ville de Carmylessus dont son nom (1 ) ; dans la partie inférieure de
remplacement n’est pas encore retrouvé ; son parcours, les habitants appellent cfi
elle était bâtie dans un enfoncement de fleuve Etcben tchaï. Du temps de Stra-
la montagne (i;. bon les barques pouvaient mouiller à
La ville moderne de Levissi est à son embouchure aujourd’hui une barre
:

quarante kilomètres de Macri sur la de sable la rend impraticable.


côte; elle se compose de cinq cents La vallée du Xanthus est le premier
maisons environ habitées principale- territoire où aient abordé les colons cré-
ment par des Grecs. C’est le plus grand tois , c’est là qu’ils ont fondé leurs prin-
centre de la population de ces parages ;
cipales villes Tlos, Pinara, Xanthus, et
:

il dépend du pachalik de Mogla. Le dans les vallées supérieures Balbura,


cap voisin, appelé aujourd’hui Cavo Araxa et Bubo. La vallée du Xanthus
Anghistro, est l’ancien capCarmylessus. résume l’histoire et la mythologie des
La petite Ile San-Nicolo, qui appartenait Lyciens. Latone après avoir enfanté
aux chevaliers, est à l’entrée de la baie Apollon et Diane vint se baigner dans le
de levissi. fleuve, escortée par des loups, un temple
nommé le Latoum lui fut élevé près de
CHAPITRE VII. la ville.
Le fleuve reçut son nom de la couleur
VILLES DE Lit LYCIE DaNS LA VAL- jaune de ses eaux, comme le fleuve de la
LEE DU XANTHUS. Troade. Dans la langue lyciemie on l’ap-
pelait Sirbé, mot qui a la même signifi-
Le Xanthus Ak
,
tchaï des indigènes, cation. Aujourd’hui, la plaine où s’é-
rend sa source dans les hauts plateaux panchent les eaux du Xanthus avant
e la Cibyratis, au pied du mont Cragus d’arriver à la mer, est peuplée par quel-
ou Ak dagh ; il coule ainsi vers l’ouest quespauvres villages dont le plus impor-
jusqu’à la rencontre de la grande vallée tant est Fournas, résidence du chef du
formée par le versant occidental du district. Kounik est le village le plus voi-
mont Massiscytus; là il reçoit un af- sin des ruines deXanthus ; on n’y trouve
fluent venant de l’ouest dans le Pernas aucune ressource.
dagh. Le fleuve prend alors le nom de
Khodja tchaï , la maltresse rivière. Les CHAPITRE VIH.
habitants placent vraie source du
la
Khodja tchaï auxen virons d’Orhan, l’an- XANTHUS. — ABNA. — TLOS. —
cienne Araxa. M. Spratt décrit en ces DEUWAB.
termes ce lieu remarquable. Nous sui-
vîmes le pied des montagnes qui s’élè- La ville de Xanthus capitale de la
vent au-dessus de la plaine à une hau- Lycie est située sur la rive orientale du
teur de huit mille pieds. Notre but était fleuve à deux lieues environ de son em-
de visiter un énorme précipice au pied bouchure. L’acropole s’élève sur un ro-
duquel les habitants placent les sources cher de forme carrée, dont la hauteur
du Xanthus. Nous reconndmes en effet est d’environ soixante-dix mètres. La
une source abondante sortant de terre ville basse s’étend autour de l’acropole,
au pied d’un vieil arbre, et tout à l’en- mais les monuments qu’elle renferme
tour l’eau sortait de terre par jets au sont tous de l’époque romaine : on a
milieu des fleurs et du gazon. I.e Xan- donc lieu de penser que la ville lycienne
thus sa naissance est déjà une forte
il
occupait seulement le sommet de la
rivière ou plutôt un torrent infranchis- montage.
sable ; il reçoit bientôt après un cours Pendant son voyage sur les côtes de
d’eau venant d’une gorge voisine qui Caramanie le capitaine Beaufort avait
s’ouvre dans la montagne. A sa source, recueilli divers renseignements sur le

(i) Strekon, XIV, 665. (i) TtaveU in Ljcia, t, I, iç).


ASIE MINEURE. 671

site et les monuments de Xanthus, mais Les principaux sarcophages sont si-
ces ruines étaient restées inexplorées tués sur la pente sud-ouest; ils sont de
lorsque M. Fellows les visita pour la style lycien avec des couvercles de forme
remièrefois le 20 avril 1838. Le uoni- ogivale le plus remarquable de ces mo-
:

re et l'importance des monuments qu’il numents, orné de sculptures représen-


observa excitèrent au plus haut degré tant une course en char, a été brisé
l’intérét du monde savant, et l’année lorsqu’on a voulu le déplacer.
suivante le gouvernement anglais char- Une plate-forme de roc immédiate-
gea une mission scientifique d’aller re- ment au-dessus de la plaine était cou-
cueillir les principaux monuments de ronnée par un groupe de temples dont
sculpture de Xanthus pour les trans- les frises ont été emportées en Angle-
porter au Britisch muséum. MM. Spratt terre.
et Forbes ont rendu compte de cette Les monuments de Xanthus sont en
expédition, pendant laquelle ils détermi- calcaire blanc compacte, qui abonde sur
nèrent le site de plusieurs autres villes les côtes de Lycie ; mais les bas-reliefs
encore inconnues (1). et les autres sculptures sont en marbre
La route de Macri à Xanthus se di- blanc cristallin.
rige au nord-est en suivant le rivage Un des monuments les plus remar-
marécageuxdu golfe; on commence apres quables de l’ancienne Xanthus est dési-
une heure de marche à monter les pen- ré sous le nom de monument des
tes de l’Anti-Cragus, et du sommet de la Harpies ; il était situé près des rochers de
première colline on découvre la grande l’acropole et non loin de l’obélisque
chatnedu Massiscytusdont les nombreux portant les inscriptions lyciennes. Il se
sommets sont couverts de forêts de pins. composait d’un soubassement carré con-
On descend ensuite dans la vallée de tenant une chambre sépulcrale , et au-
Xanthus entrecoupée par des collines dessus un édicule dans le geure du
argileuses dont le sommet est couvert tombeau de Mylasa. Les sculptures qui
de dépôts de calcaire d’eau douce, res- décorent ce tombeau représentent la
tes d^un lac qui a dû occuper une par- fable des Harpies et sont regardées
tie de la vallée , et l’on fait halte au comme un des plus magnifiques pro-
village de Minara. Le lendemain un con- duits de l’école lycienne antérieurs à la
tinue de descendre la vallée, peuplée de irise de l’acropole par Harpagus. Non
plusieurs villages et entrecoupée de
' foin de ce monument s’élève un obé-
oollines boisées. Bientôt on découvre la lisque carré dont les quatre faces sont
plaine de Xanthus, qui s’étend jusqu’à couvertes par des inscriptions en carac-
la mer ; le fleuve est extrêmement rapide tères lyciens,on croit y reconnaître quel-
et ses eaux sont chargées d’argile jau- ques noms des villes de Lycie et notam-
nâtre. ment celui de Arna, nom lycien de la
Le rocher de l’Acropolis ne manque ville de Xanthus.
pas de caractère, mais il est loin d'of- Tous les monuments archaïques sont
frir l’aspect étrange et pittoresque des autour de l'acropole et dans son en-
autres citadelles lyciennes. La plaine ceinte ; on en conclut que c’était le véri-
en cet endroit est marécageuse, le fleuve table emplacement de l’ancienne Arna,
roule ses eaux au pied de la seconde et quela ville basse a été bâtie quand
acropole sur le revers de laquelle est les Romains ont été maîtres du pays.
construit le théâtre et d’autres monu- Aquatre milles au nord de la ville,
ments, principalement l'Héroum à pi- M. Hoskyn a reconnu une longue mu-
lastres carrés, orné de bas-reliefs repré- raille qui coupe toute la vallée; elle a
sentant l’histoire de la fille de Pindarus. sept ou huitpieds d'épaisseur sans tours,
Près de là est une seconde colline sur et construite en pierres non taillées,
laquelle est construite l’acropole supé- assemblées à joints irréguliers, elle a
rieure,' dont l’enceinte est occupée par tous les caractères d’une haute anti-
les ruines d’un monastère byzantin. quité, et l’on ne peut douter qu’elle n’ait
été construite par les Xanttiiens pour
(
i) Travels in Lyria Milyas and Cibyratis se mettre à l’abri des incursions des
by Spratt and Forbes-Loudon, 1847. habitants des montagnes, peut-être les
672 L’UNIVERS.
Tloës où les Solyines. C’était un de ces mes que par les secousses des tremble-
murs de défense, fines ou closuræ ments de terre.
comme on en rencontre dans quelques La religion chrétienne, sous l’influence
mitres provinces. La construction de ce de la parole de saint Paul, se répandit
mur ne peut être postérieure à la con- de bonne heure dans les villes de Lycie,
quête perse, puisque depuis ce temps et de grands monastères furent fondés ;

toute la Lycie a été réunie sous le même il n’est pasde ville où l’on ne retrouve
gouvernement. les vestiges d’anciennes églises byzan-
Après la conquête de la Lycie par les tines.
Perses, la population de Xantbus se Il ne parait pas que les musulmans

eomposa moins de Lyciens que de Ca- se soient jamais établis à demeure dans
riens et de Grecs amenés par les nou- la ville de Xanthus. Les alluvions for-
veaux maîtres. La citadelle paraît avoir mées par le fleuve ont depuis bien des
été conservée uniquement comme poste années rendu ces parages presque inha-
militaire nouvelle Xanthus fut
et la bitables; les populations rurales descen-
construite dans la plaine au pied du dent dans la plaine pour faire leurs se-
rocher. mailles, et quand viennent les chaleurs
La plupart des tombeaux, taillés remontent dans les hautes vallées du
dans le roc, paraissent antérieurs à cette Taurus. A partir du mois d’août ce pays
époque ; mais pour les sarcophages et devient complètement désert, c’est dans
pour les sculptures représentant des cet état que nous l’avons trouvé en août
faits de guerre, des prises de villes et 1836. Nous projettions un nouveau
d'autres sujets qui se rattachent au sé- voyage en 1837, mais cette expédition
jour des Perses en Asie Mineure, il y a n’eut pas lieu (1).
dans la composition de ces œuvres une L’antique cité de Tlos, bâtie par le
influence orientale bien marquée qui héros CIs de Trémilus, était une des
fut modiQée par les œuvres de l’école principales villes de la Lycie (2). On
grecque pendant la période macédo- savait qu’elle était située sur la route de
nienne. Cibyra dans la vallée supérieure du
Les Perses avaient complètement Xanthus ; sa position a été déterminée
évacué le pays, et avaient été remplacés par M. Fellows au village de Deuwar,
par des Grées. La population de race nom turc qui signifie , Jes murailles. Il
lycienne était de plus en plus clairse- est situé à six heures de marche au
mée mais
;
les modernes Xanthiens ne nord de Xanthus et à une journée au
répudiaient pas le souvenir de leurs nord-est de Macri , sur une montagne
prédécesseurs, et pendant la guerre civile dépendant du Massiscytus; c’est le chef-
qui suivit la mort de César, les Xan- lieu d’un aghalik appartenaut au pacha-
Aiiens refusèrent d’ouvrir leurs portes lik de Mogla.
à l'armée romaine commandée par Bru- Deuwar est situé dans une adntirable
tus. La ville fut investie, et les habitants, position au milieu de l’ancienne acro-
repoussant toute proposition de capitu- pole élevée à trois cents mètres au-des-
lation, préférèrent s’ensevelir avec leurs sus de la vallée voisine, entourée de
femmes et leurs enfants sous les ruines profonds précipices dont les flancs for-
de leuir ville en Oammes (I). ment des murailles inaccessibles. La
Les Romains ne traitèrent pas les vue domine toute la vallée du Xanthus
Lyciens avec trop de rigueur, et admi- jusqu’à lamer et de l’autre côté les
rent sous le contrôle prooonsulaire la sommets du Cragus et du Massiscytus
confédération des villes lyciennes. C’est terminent l’horizon.
pendant cette période romaine que fu- Les rochers de l’acropole du côte du
rent construits presque tous les monu- nord sont criblés de centaines de tom-
ments publics dont on observe encore beaux creusés au ciseau, et qui pour la
les ruines en Lveie, comme les théâtres, plupart sont inaccessibles. Les plus au-
les stades et pfusieurs temples qui ont
1R|
été ruinés moins par la main des hom- (i) Voy, Descr. tle l'Asie Mweuret l.

documents officiels.

(') Appien, Bell. c/e. IV, i8. (a) Slrakon XIV, 665.
,

Digilized by VjOOgle
,

ASn-: MINEURE. 673

ciens sont semblahles à ceux de Tel- Les anciens habitants de Tlos avaient
missus, quelques-uns portent des inscri* conservé précieu.sement les souvenirs de
itions grecques parmi lesquelles on lit l’âge héroïque. Le personnage de Bellé-
fPS noms du sénat, du peuple et de la rophon est resté Mpulaire; c’est à lui
géroiisie des TIoéens. Le plus remar- que les Termiles, fils de Tlos, doivent la
quable de ces tombeaux a la forme d’un sécurité de leurs vallées; il repousse
temple avec un fronton supporté par dans les montagnes inaccessibles les
des colonnes de style égyptien et des féroces Solymes, regardés par Homère
chapiteaux massifs , dont le fût est comme les plus anciens habitants de la
beaucoup plus large a la base qu'au I.ycie; il détruit les bêtes féroces, et va
sommet, ce monument paraît être resté combattre la Chimère, cause incessante
inachevé. d’effroi pour les populations ; il règne
Sous le portique est sculptée l’imita- enfin sur les Termiles, qui allèrent, con-
tion d'une porte avec ses clous et sa ser- duits par Sarpedon, au secours de Troie :
rure, et sur le côté on voit un bas-relief la Tlos de Lycie donne la main à la
représentant Belléropbon monté sur Tlos d’Ilion ; mais plus tard l’histoire
Pégase au galop sur une montagne ro- devient muette sur les destinées de Tlos.
cheuse qui représente le mont Cragus. Les nombreux monuments de l’âge ro-
I.e héros attaque un énorme léopard main prouvent qu’elle continua à tenir
sculpté sur une des entrées du tombeau un rang distingué parmi les villes de
à droite de la porte. Un ornement de I.ycie, et les somptueux tombeaux qui
rinceaux décore un des côtés de la porte siibsisteot eneore montrent assez que
près du léopard et est répété sur le cette population fut riche et nombreuse;
panneau correspondant. Sur le panneau mais, depuis l’établissement de l’empire
près du tombeau sont sculptées des byzantin, la vie se retirait peu à peu de
ligures de chiens. Ce bas-relief, qui méri- cês provinces d’un accès si difficile. Le
terait une description plus étendue, pa- commerce était nul dans ces parages, et
raît avoir été peint (1); près de ce mo- les voyageurs redoutaient de traverser
nument est gravée sur le roc une ins- un pays que l’on disait habité par une
cription en caractères lyciens d’une rare indocile et sauvage; aussi, dans tou-
grande dimension. tes les relations des campagnes des Vé-
Dans la plaine, àquelque distance, nitiens , des Génois ou dés Francs , il
M. Spratt a découvert un piédestal sur n’est pas une fois question des villes
lequel est sculptée la représentation du anciennes de la I.ycie. Le nom du vil-
siège de Tlos; on reconnaît le rocher de lage actuel, Deiiwar, lui a été donné à
l’acropole, les murailles et les tombeaux cause des nombreuses murailles en
taillés dans le rocher; on voit à l’entour ruine qui entourent l’acropole.
des guerriers dans diiïérentes positions.
Le théâtre est appuyé sur le flanc de CHAPITRE IX.
la colline; on y compte trente-quatre
rangs de sièges, et les angles des cunei PINAHA— MINABA.
sont ornés de griffes de lions. Près du
théâtre est un groupe de grands édifices Les anciens écrivains ne sont pas
romains, sans doute le gymnase et la d’accord sur l’origine dunom de Pinara ;
gérousie,dont les fenêtres ceiiitrées com- cette ville passait pour avoir été fon-
mandent la perspective de toute la vallée. dée par Pinarus, un des filsdeTrémilus,
L’hôte chez lequel demeurèrent les qui débarqua avec les premiers Crétois.
voyageurs anglais les reçut avec une ex- C’est toujours l’habitude des Grecs de
trême politesse; son habitation présen- donner aux villes comme aux peuples le
tait l’aspect d’une maison patriarcale; nom d’un héros tondateur, il parait plus
les étables sont installées dans un cha- naturel de s’en rapporter à la tradition
letqui « parait avoir été transporté d’In- conservée par Étienne de Byzance, qui
terlaken. » fait dériver le nom de cette ville de sa
position près d’une montagne élevée et
(
I
)
.Spratt and Forbei ,
Tranla in Lycia extraordinaire; le mot Pinara en langue
I. I", 33. lycienne signifiait montagne. En effet,
43* Livraixon. (Asie Min>:i'rr.| . II. 43
,

971 L’DMVKKS.
le site de l’autique Piaara est tout à voyageurs les figures sculptées sur les
fait conforme à cette interprétation. bas-reliefs. Bien que musulmane, il est
M Feilows a retrouvé au village deMi- bien probable que toute cette population
nara,situé a cinquante-quatre kilomètres de la Lycie n’est pas de race turque
(au sud-est) de lelmissus cette même les conquérants de l’Asie Mineure se
montagne d'une forme particulière qui sont très-peu répandus dans ces mon-
a donné le nom à la ville. Ce nom s’est tagnes et l’ancienne population indi-
conservé avec très-peu d’allératiou chez gène du massif montagneux de ta Lycie
les indigènes, le mot turc Minara, Mi- et de la Pisidie a dd se perpétuer avec
iiareh, tour, clocher, ayant une signili- peu de mélange. Ceux qui ont visité ees
cation qui s’appliquait également à la régions, y compris l’auteur de ce livre,
situation du village. parlaient trop superficiellement la lan-
L'histoire de Piuara est des plus gue turque pour distinguer s’il y a dans
brèves ; elle était au nombre des six ce pays quelque variété de dialecte dans
principales villes de la confédération ly- lequel ou pourrait retrouver quelques
cieuue, et ses habitants rendaient un lambeaux de l’ancienne langue du pays.
culte au héro.s Pandarus, peut-être le Ce sont des observations qui, jointes à
même dont Homère vante les exploits. tant d’autres, devront appeler l’atteution
•Si l’on s’en rapporte à une autre tradi- des futurs explorateurs.
tion, le premier nom de rette ville était Une roche colossale ayant la forme
Artymnessus ;
elle fut colonisée par les d’une pyramide tronquée domine un
Xantliiens (1). Dans toute la période profond précipice, elle est couronnée de
liellénique il n’est pas fait mention de t'ortilieations et percée de milliers de
cette ville, et elle paraît être restée tout tombeaux. Dans le fond du ravin on
à fait en dehors des affaires politiques aperçoit les monuments de la ville et de
sous l’empire romain. Oubliée de la nomïireux sarcophages ; les soniinets
sorte, ses ruines se sont conservées pres- ombreux du Cragus se découpant en
que intactes au milieu d’un peuple qui lignes accentuées, occupent le fond du
est peu destructeur, et représentent en- tableau ; tes ruines de la ville s’étendent
core aux yeux du voyageur le tableau sur les pentes des deux autres collines
d’une grande cité lycienne avec ses iiio- rocheuses sur lesquelles s'élevaient des
numeuts publics entourés de tous côtés monuments grandioses de différents
par les tombeaux des générations pas- styles. Aussi loin que la vue peut s’éten-
sées. Les esquisses de cette ville ,
pu- dre, les rochers environnants sont per-
bliées par les membres de l’expédition forés d’une innombrable quantité de
anglaise, donnent le désir de connaître tombeaux ; en un mot, tout concourt à
plus en detail cette cité remarquable prouver que l’ancienne Piuara était une
dont M. Spratt fait le plus intéressant des villes les plus populeuses, les plus
tableau. Malgré les rapports pompeux puissantes de la Lycie.
qui lui avaient été faits des ruines de Le théâtre est le premier édifice qui
cette ville, la réalité surpassa encore attire lesregards ; ses substructions sont
son attente. construites en pierres polygonales et
Les ruines de l’ancieone ville sont si- portent le caractère d’une haute anti-
tuées à une petite demi-lieue du mo- quité ; il est situé sur la pente d’une
derne village, où les voyageurs anglais colline boisée qui fait face à la ville. Au-
trouvèrent le meilleur accueil. Cette jourd’hui l’on jouit du haut de l’édifice
population vivant loin de toute relation d’une admirable perspective, qui s’étend
avec le monde moderne a conservé dans ju.squ’à la mer ;
mais nous ne saurions
ses mœurs et dans ses costumes plus trop répéter que les anciens spectateurs
d’une empreinte de l’antiquité; le vêle- n'avaient pas cet avantage (I) : voiles ou
ment des femmes, leur Uere tournure et murailles fermaient les anciennes salles
la grâce de leurs mouvements eu ac- de spectacle comme les nôtres ; le prosce-
complissant les actes les plus simples nium s^élevait en face de la salle. Que
de la vie domestique, rappelaient aux seraient devenues les voix des acteurs

(i) lUenecrate ap. RiUer, t. IX, <j05. (i) Spratt, Travets in Lycùt, t. I, page
ASIE MINEURt. 675
parlant ainsi an milicii de rimmensité
de l’espace.
Près du théâtre est une construction
C au centre des montagnes et
'tion
des routes suivies par les armées a
échappé aux révolutions qui boulever-
moins ancienne, avec des colonnes ioni- saient les populations plus accessibles.
ques dont quelques-unes sotit accouplées Cependant la religion chrétienne y fut
et cannelées; plus loin sont de beaux pratiquée.
sarcophages avec leurs couvercles en Les ruines d’une église s’élèvent au
ogive; ils sont situés au pied de l’acro- pied de la seconde acropole, à l’entrée
pole inférieure, qui elle-même est cou- d’un profond ravin dont les flancs recè-
verte d'une masse de constructions dans lent de nombreux et remarquables
le genre cyclopéen. On y trouve un petit tombeaux de style lycien.
théiâtre ou odeum et un grand portique Les causes de l’abandon de cette ville
renversé, sans doute par un tremble- sont faciles à déduire de sa position
ment de terre. Sur le chemin qui con- même; elle, n’a jamais été une place forte
duit à l'acropole supérieure on rencon- et comme telle son existence dans les
tre un groupe remarquable de sarco- temps modernes n’avait aucune impor-
phages disposés autour d’un énorme tance ;
son territoire rocheux était impro-
tombeau bâti en forme d’héroum, c’est- ductif, le commerce et l’industrie de ses
à-dire avec un soubassement .suppor- habitants étaient nuis; elle était donc
tant un monument carré ; la chambre fatalement vouée à la décadence et à
sépulcrale contient des banquettes pour l’oubli.
déposer les corps.
l,es inscriptions sont rares à Pinara,
parce que les monuments
sont cons-
CHAPITRE X.

Œ
truits avec celte brèche lycienne (1) peu
à être gravée aussi les anciens

décorer finement.
:

]ts avaient ils l’habitude de revêtir


de'Stuc les monuments qu’ils voulaient
8IDYMÀ.

ÎÆ
— CBAOUS. —
de Sidyma, citée par Pline (I)
ville
comme étant voisine de Patare, est si-
CADYANDA.

On remarque cependant un tombeau tuée sur la rive droite du Xantbus, dans


taillédans le roc dont la façade est dé- cette partie de l’ Anti-Cragus appelée au-
corée de mascarons, et dans* l'intérieur jourd’hui Yédi bouroun, à quarante-
du portique on voit un bas-relief re- deux kilomètres au sud de Minara au
présentant une ville aven ses monu- village de Dourdonrkar.
ments, ses murailles garnie.'^ de cré- De Minara la route suit une succes-
neaux. Les sarcophages à couvercle en sion de vallées et de collines boisées
ogive sont souvent décorés de scènes jusqu'à Dé ré keui, où l’on observe les
de combat, comme on en voit un à Tel- restes d'un monument antique consis-
missus. Ritter remarque avec raison tant en huit eolotines debout au milieu
que ces sujets représentent des jeux fu- des arbres. Ce village est distant de
nèbres exécutés en mémoire du défunt. trente-six kilomètres de Minara. Six ki-
La plupart des tombeaux taillés dans lomètres plus au sud, se trouve le vil-
le rôc sont inaccessibles ; ils présentent lage de Dnurdourkar, où M. Schœn-
l’aspect de simples grottes dont le som- born recueillit une inscription tumu-
met est ceintré. Il est certain que pour laire gravée en mémoire d’un habitant
les creuser on suspendait les ouvriers de Sidyma ; il retrouva aux environs les
à un système de cordages, comme le dit traces d’une ville peu étendue avec plu-
Pliue (2). sieurs tombeaux de marbre blanc et
Le caractère des monuments de Pi- quelques sculptures.
nara présente cette singularité qu’ils Le nom de Sidyma éSt inconnu dans
paraissent tous construits dans la pé- la numismatique mais les géographes
,

riode qui précéda l'établissement des anciens placent dans res parages la
Romains en Lycie. Cette ville, par sa ville de Cragus,qui est aussi connue par
ses médailles. Il n’est pas improbable
1

(i) Voyez cbap. XI. p. 27.


(a) Voy. page 619, col. a. '(i) Pline, V, a*
43 .
676 L’ÜNIVERS.
que ce ne soit qu'une seule et même nue. Hérodote (1) rapporte que Caunus
ville. colonel Leake remarque avec
Le était voisine des montagnes des Calyn-
juste raison que plusieurs villes de la diens. Pline (-2) nomme Calynda comme
Lycie portaient au moins deux noms : une ville de Carie voisine du golfe de
Xanthus et Arna, Patara et Satarns, Pi- Teliiiissus Cadyanda est peu éloi-
; or,
nara et Arty mnessus. I .e nom de Sidyina gnée du de Caunus il s’en-
territoire ;

serait de l’époque romaine. suit que géographes sont disposés


les
Cadyanda , vi le l^'cienne d’une origine à identifier la ville lycienne avec celle
inconnue, est siluee sur la pente occi- de Calynda, c’est-à-dire qu’on trouverait
dentale du mont Cragus, au village de là un double nom comme dans presque
Ouzoumiou (des raisins) a une Journée
, toutes les villes de In Lycie. A quelque
de marche au nord*nord-est de Macri. distance du village d’Ouzoumlou, on re-
M. Fellows, à qui l’on doit la décou- marque une stèle quadrilatère dans le
verte de cette ville, a observé un certain genre de celle qui existe à Xanthus ; elle
nombre de tombeaux remarquables les a trois mètres vingt-cinq centimètres
uns en sarcophages ornés de sculptures, de haut et un mètre vingt centimètres
les autres taillés dans le roc et portant sur chacune de ses faces ; elle repose sur
des inscriptions lyciennes. Les ruines de un socle d’un mètre de hauteur. Oo
la ville oci-upent le sommet d’un pla- rencontre plusieurs monuments du
teau qui commande la plaine et a'où même genre dans d’autres villes de la
l’on Jouit d’un admirable panorama, Lycie; celui-ci parait avoir été couvert
line grande rue bordée de temples et de caractères qui sont tout à fait effacés.
d’édilices publics traverse la cité de Le village d’Ouzoumlou est assez consi-
part en part ; le théâtre encore en bon
, dérable; il y a quatre mosquées; on y
état de conservation, est situé sur la trouve quelques provisions. Le retour
pente de la colline. Il a dix-huit rangs d’OuzoïimIou à Macri s’effectue en une
de gradins; mais le proscénium, la seule Journée, en suivant la rive d’un ruisseau
partie intéressante dans ces sortes d’é- qui descend dans la plaine. Avant d'ar-
difices, n’est plus qu’un amas de dé- river à Macri, on passe près d’un cime-
combres ; cependant les portes latérales tière où se trouvent quelques inscrip-
sont encore debout. tions portant le nom de Cadyanda.
Le stade t)aralt être d’un style primi- Le village d’Orban situé à une Jour-
tif ; il est sans sièges à l’entour. L’agora née au nord-est d’Ouzoumlou occupe
est rempli de ruines de tout genre, pié- remplacement de l’aqcienne Araxa; ce
destaux et portiques gisent les uns sur lieu a été déterminé par M. .Spratt d’a-
les autres renversés par une secousse su- près une inscription qui contient le nom
bite. Le gymnase est sans doute ce grand d’Araxa (3).
édifice voûté dont parle M. Uoskyn, et
ue les habitants désignent sous le nom CHAPITRE XI.
e Yédi kapou, les sept portes. La ville
est «iitoiiree d’une ligne de murailles PATABE. — PHGENICUS PORTUS. —
de construction polygonale; on observe KALAHAKI.
cependant quelques réparations faites
par les Romains en assises réglées. Enquittant le golfe de Macri, Le 7
La nécropole renferme des tombeaux août 1836, nous fîmes route vers le sud,
de trois styles différents, les sarcopha- doublant le cap montagneux qui forme
ges lyciens qui sont ornés de sculptures le contrefort occidental de l’ A nti-Cragus.
remarquables, les tombeaux grecs en Le lendemain, ta Mésange se trouvait
forme de bdmos supportant un piédes- eu travers du cap Yédi houroun, les sept
tal, et tes tombeaux romains. De nom- caps, qui forment en effet sept pointes
breuses inscriptions eu langue grecque rocheuses très-avancées dans la mer.
subsistent encore iquelqucs-unes portent Mais bientôt ia côte devient plate et
le nom de la ville aes Cadyandiens plu-
sieurs fois répété. (0 I. >7»-
Un doute s’est cependant élevé sur (a) Pline, V, ag.
l’identité de cette ville presque incon- (3) Travels in Lycia, !. I, p. 4®*
ASIE MINEURE. 677

sablonneuse c'est la vallée du Xanlhus


: dans un grand nombre de monuments.
dont la largeur n’est pas moindre de Ces roches compactes et homogènes les
trente kilomètres; on voit clairement invitaient à travailler la masse même
qu’en des temps plus anciens il a dû de la montagne; aussi l’art de sculpter
exister là un golfe dont la montagne de des monuments monolithes est- il de-
Patara formait la corne orientale ; la venu le caractère distinctif des Lyciens,
ville de Xantlius était alors plus rappro* qui surpassaient infiniment sous ce rap-
chée de la mer. port les habitants de la Cappadoce.
Il est impossible aux navires de Pendant notre ascension à la mu-
mouiller sur cette côte, toujours exposée raille, nous trouvions au milieu des buis-
aux vents d'ouest et constamment bat- sons de larges morceaux de poterie très-
tue par la houle dans l’antiquité, les
: épaisse, ouvrage évidemment antique
navires trouvaient un refuge dans le dont nous ne pouvions comprendre ni
port de Patara, aujourd'hui inabordable. l’origine ni l’usage.
Mais le cap de Patara forme à l’est un Nous arrivâmes enfin au pied de la
petit golfe profond et bien abrité, qui a muraille; elle est fondée sur le col qui
été souvent fréquenté par les flottes ro- deux versants de la montagne;
divise les
maines et par 1rs pirates Ciiiciens. On sa longueur est de deux cent trente et
rappelle aujourd’hui la baie de Kala- un mètres, son épaisseur de trois mè-
inaki. tres. La hauteur est de neuf mètres
L'entrée est signalée par deux petites soixante centimètres dans sa plus grande
îles rocheuses, portées sur les cartes dimension ; elle est bâtie en blocs irré-
sous le nom de Volo et Okendra ; elles guliers de grande dimension, et percée
correspondent aux îles Xenagoræ mar- de deux portes dont les pierres se réu-
quées sur Sfadiasmus mari magni.
le nissent en encorbeillement et sont cou-
La baie de Kalamaki est le Phœnicus ronnées par une plate-bande : c'est le
portus mentionné par Tite-Live(.], où cachet d’une haute antiquité. Le couron-
la flotte romaine alla mouiller avant nement du mur est complet; il est formé
d’attaquer Patara. Les Phéniciens par une assise de pierres équ.irries et
avaient peut-être choisi cette calanque réunies par des joints très-serrés.
pour abriter leurs navires quand ils ve- En examinant une partie détruite
naient trafiquer avec les Lyciens ; nous nous reconnûmes que cette assise était
y observâmes en effet des traces de mo- percée par un canal circulaire dans le-
numents d’une haute antiquité. quel étaient encastrés des tuyaux de
La baie de Kalamaki est entourée de terre cuite soigneusement reunis les
tous côtés de hautes montagnes couver- uns aux autres, en un mot que ce mo-
tes de buissons ; la mer a vingt brasses nument n’est autre chose qu'un aque-
de fond, et l’on mouille presque à tou- duc fondé sans doute par les premiers
cher terre derrière la roche qui marque colons de Patara ; on peut le regarder
l’entrée, de sorte qu’on se croirait dans comme le plus ancien aqueduc qui
un lac; ce lieu est d’un très-difflcile existe. Ce monument offre cette parti-
accès par terre, attendu que du côté du cularité remarquable, c’est qu’à cette
nord les montagnes sont presque im- époque reculée les lois de l’hydraulique
praticables à cause des broussailles. étaient déjà connues ; on savai't que l’eau
A peine arrivés au mouillage nous introduite dans des tuyaux fermés re-
songions aux moyens de nous rendre à prend .son premier niveau. Ce conduit
Patara, en cherchant un chemin sur la est un véritable siphon ,
qui prend les
montagne. Nous reconnûmes alors que eaux sur la montagne, descend en for-
tout le sommet était couronné par une mant un angle de cmt soixante degrés
longue muraille eu appareil pélasgique, avec l’horizon, et remonte sur la mon-
et nous nous mîmes eu route pour la tagne en face en faisant un angle de
vi.siter. I,a montagne est composée d’uii cent cinquante degrés ; le travail du
calcaire blanc laiteux, compacte et so- siphon, consistant en un canal de. pierre
nore, qui a été employé par les anciens dans lequel on avait introduit des
tuyaux de terre cuite, est très- remarqua-
fi)Tile-Livc, XXXVII, iG. ble. Au-delà de cette vallée raquediic est
«7« L’UNIVFRS.
lormé par un canal a fleur de terre que pales villes se soumirent à lui sans
nous suivimes pendant plusieurs kilo- résistance. La dure punition infligée
mètres et que nous perdîmes dans les à la ville d’Halicarnasse fut une leçon
buissons, presque certain qu’il por-
il est pour les peuples de la contrée et la
,
tait ses eaux à Patara dont les ruines ne marche victorieuse du roi macédonien
sent distantes que de trois ou quatre ne trouva plus d'obstacles que dans les
milles. La prise d’eau nous est aussi montagnes de la Pisidie. Après la
restée inconnue; ne serait-ce pas cette mort d'Alexandre, la côte d’Asie de-
source appelée Fous Telephi, qui était vint le théâtre de la guerre entre ses
à sept stades de Patara, selon Ëtienne principaux successeurs (1).
de Byzance. Kn revenant à bord nous Patare finit par rester au pouvoir de
apprîmes qu’à l’est du mouillage on Ptolémée, qui la répara, lui donna le
avait trouvé un ruisseau de bonne eau ; nom d’Arsiuoë sa femme. ; mais le pre-
il est possible que ce ruisseau ait servi mier nom subsista toujours. Dans la
à alimenter l’aqueduc. dernière lutte que soutint la pui>sance
grecque en Asie, et qui se termina par la
CHAPITRE XII. chute d'Antiochus, Patare était le prin-
cipal arsenal du roi grec, quoique dans
PATABB. le voisinage il
y eût une grande baie
propre à contenir un certain nombre de
La fondation de Patare remonte aux vaisseaux ; mais elle se trouve entourée
premiers temps de la civilisation helléni- de montagnes et sans communication
ue; le culte d’Apollon y fut transporté avec l’intérieur; c’est la baie de Kala-
e Crète avec les premiers colons, et l’o- maki.
racle qui s'établit acquit une célébrité La ville est située dans une large
qui ne le cédait qu’à l'oracle de Uel- vallée séparée de la côte par une col-
pbes(l). Le dieu reçut le nom d'Apollon line élevee Le port, qui s’avançait jus-
pataréen et les peuples de l’Asie le con- qu’à deux milles dans l’intérieur, est
sultaient sous le nom d’Apollon lycien; au nord-est de cette colline, sur le
son culte fut transporté jusqu'en Troade. flanc de laquelle est placé le théâtre.
Selon le mythe lyeien, Apollon serait La vallée du port se prolonge jusqu'au
né sur ce rivage; Latone, conduite par delà des montagnes qui entourent la
des loups, vint se réfugier en Lycie pour ville , et devient marécageuse au point
enfanter ses deux jumeaux ; Ils furent que le passage est impraticable. Il se-
aigués dans le fleuve Xanthus et abri- rait possiblequ’une brauchedu Xanlhiis
tés dans la chaumière de la vieille fût venue déboucher dans le port de
Suessa. Palare ,
et ait contribué à l'ensabler.
Latone était honorée à Xanthus et Les vents d’ouest , qui régnent pres-
son fils Apollon à Patare, voisine de ue constamment, ont formé, à l'entrée
l’embouchure du fleuve. Cette ville U port, une barre fort large qui s’étend
passe pour avoir été fondée par Pata- tous les jours, en même temps que les
rus, fils d’Apollon et de la nymphe ruisseaux de la montagne , qui ne trou-
Lycia (2), tradition commode qui n’ex- vent plus d'issue , alimentent les eaux
plique rien. Les ruine.s de Patare ne des marais et submergent-les ruines qui
présentent pas la physionomie archaïque restent.
des autres villes de Lycie, c’était un
port trop fréquenté du temps des Ro- CHAPITRE XIII.
mains pour qu’on ait laissé subsister
les monuments des premiers colons ; ils LE THÉATBE. — LE TEMPLE.
ont été remplacés par des édiGces plus
en rapport avec les besoins du temps. Le théâtre est composé de deux pré-
Lorsoue Alexandre traversa la Lycie cinctions , chacune de quinze rangs de
pour aller attaquer Darius, les princi- gradins (2). Le proscénium est presque

(i) P. Mrii, liv, I, i5. (i) niodore, liv. XIX, ch. 74.
(a) Pline. V, ap; .Stralinn, XTV, 666. (») Voy. pl. 514, ihéilrr 8 P»tarc.

/
ASIE .MINEURE. 679

entier; la façade extérieure, dont les déplacées par quelque tremblenaent de


deux étages sont complets, est d'un terre, UD escalier en ruine conduit jus-
;;odt simple et cliaimaiit; un entable- qu’au fond. Une statue était peut-être
ivient très-onié couronne le rez-de- placée sur ce pilastre. Les conjectures
chaussée, qui est d’ordre dorique. Le les plus probables s'accordent pour re-
premier étage est percé de fenêtres cein- garder ce puits comme le siège de l'o-
trées,et terminé par un entablement racle d’Apollon. Ce monument a été
plus simple. Les pierres de cet édifice, d’abord signalé parle capitaine Beau-
exposées à la friction continuelle des fort et visité ensuite par M. Spratt ; l’uu
sables marins, sont blanches comme et l’autre observateurs sont du même
le jour où elles furent posées. avis.
La salle des mimes est encore entière ;

mais les divisions, qui étaient de bois, CHAPITRE XIV.


lie sont plus indiquées que par les évi-

dements des solives. On entrait sur la PETIT TEMPLE.


scène par cinq [lortes, comme dans tous
les théâtres anciens. Au-dessous de Dans l’axe du théâtre, et à trois cents
chaque porte de la scène il en existe une mètres environ à gauche de l’édifice, on
correspondante pour le service des ma- aperçoit au milieu d'un épais massif de
chines; au dehors, ces portes sont au roseaux et de broussailles le sommet
niveau du soubassement de l’édifice. (l’un édifice de marbre blanc dont l’ac-

Sur la partie orientale, on lit une cès est des plus difficiles; mais nous
longue inscription grecque, qui nous ap- nous trouvâmes bien dédommagés de la
prend que cet édifice a été bâti par peine que nous prîmes pour y arriver.
Quintus Vélius Tilianus dans la qua- Nous reconnûmes que ce monument
trième année du consulat de l’empereur était un temple in antis, c’est-à-dire
Aiitonin. Sa fille Yélia Procla a fait n’ayant de colonnes que sur la façade
présent d’une vêla, y a fait placer des entre les antes; la porte, entièrement
statues et d’autres ornements. conservée, estnn des plus beaux exem-
Les murs de soutènement des gra- ples d’arcliitecture greco-romaine, elle
dins sont conservés. bandeau obli- rivalise avec celle du temple d’Ancyre,
que qui les soutient est encore en place, à laquelle elle ressenible. Deux belles
la scene était entièrement détachée de consoles soutiennent la comiche , et les
la salle. chambranles sont ornés d’oves et de pal-
Ce théâtre est bâti avec un grand metles.
luxe de matériaux. Les gradins sont sou- La cella de l’édifice est intacte, les
tenus par une triple muraille fort épaisse, chapiteaux des antes sont ornés de
et qui n’est apparente que parce que le feuilles d'acanthe , mais ne sont pas
parement est démoli dans un eudruit. d’ordre corinthien ; c’est un composite
Le mur extérieur est en grandes as- campaniforme dont on retrouve plu-
sises réglées , à bossage ; le second est sieurs exemples en Carie. L’entable-
en gros quartiers de libage, aussi en ment de l’édifice était sans ornements,
assises réglées ;
enfin le mur intérieur la frise était bombée, c’est un caractère
qui soutient le massif des gradins est en que l’on remarque dans presque tous
pierres sèches et à joints irréguliers. Le les monuments romains de la Lycie et

diamètre est de soixante-dix mètres. meme des autres villes d’Asie. On est
Les broussailles ont crû sur les gra- certain d’après des inscriptions de date
dins et autour du proscéiiium, de sorte certaine que ce genre de décoration fut
que la circulation est très-difficile ; mais en usage pendant toute la période des
c’est le seul obstacle qu’on rencontre Antonins.
dans les villes de Lycie, aujourd’hui Les antes portent sur des piédestaux
absolument désertes. dont la base n’est qu’un talus s, ms
Dans la colline qui domine le théâtre, moulures; ceci n’est pas eu harmonie
on remarque un puits circulaire d’une avec la riche.sse de la porte. Les pilas-
solide construction au centre duquel est tres du posticuin ont des chapiteaux
un pilastre carré dont les assises ont été d’une espèce de dorique qui ne resrem-
,

68») L’ÜNIVERS
bleut pas a ceux des autes. Tout le faire supposer ;
mats il remplit toutes
temple est composé de blocs de pier- les conditions d’un temple.
res de taille ; il est assis sur uu soul)as- En continuant' de marcher au nord,
semeiit baigné par les eaux du marais. on arrive à l’extrémité du port. Nous
La porte monumentale de Patare remarquons une grande prairie, où sont
consiste dans une sorte d’arc triomphal, plusieurs campements de Yourouks
avec trois portes ceintrées. Au-dessus abandonnés. Les nomades ne viennent
sont trois fenêtres carrées ; chaque pied- dans ce pays que dans le printemps;
droit est orné de deux grosses consoles ils le quittent du moment qu'ils ont
en saillie, qui paraissent destinées à sup- fait la récolte, les sources coinmençaiu
porter des bustes. L'entablement est à se tarir dès les premières chaleurs de
dorique avec triglyphes ; l’architecture l’été ; eu effet, ce n’est pas la saison
est lisse et la corniche sans mutules. pour visiter ces contrées. La végétation
Ce mélange de tous les ordres indique a pris son plus grand développement
assez un monument d’une décadence les buissons deviennent impénétrables,
avancée; cependant l’inscription men- les lianes sont de véritables lacets dans
tionne encore la confédération lycienne lesquels il est inutile de s’engager;
et fait connaître que cette porte a été enfin tous lesanimaux immondes et dan-
construite par le peuple en l’honneur de gereux pullulent avec la chaleur brûlante
la ville de Patare, métropole de la d’un terrain humide. Les maladies me-
Lycie (1). nacent incessamment les voyageurs;
l’infection des marais, les eaux croupies
CHAPITRE XV. au milieu desquelles il faut vivre, font
toujours quelques victimes.
NÉCBOPOLK. Nous nous engageâmes cependant
sous un massif d’arbustes où la lumière
La nécropole était située hors de la énétrait à peine ; mais après plus d’une
ville dont les nombreux sépulcres sont eure d’efforts, pendant laquelle nous
encore en place on en remarque quel-
:
avions peu avancé nous revînmes sur
,

ques-uns du même style que ceux de nos pas bien heureux de rencontrer
,

‘Telmissus; le plus grand nombre des quelques grappes de raisin sauvage qui
autres est de laiorme grecque ordinaire. calmèrent pour uu moment notre soif.
Cette nécropole est fort étendue; elle Nous avions aperqu, en montantsur
suit la rive orientale du port. Nous un rocher, un défile marécageux entre
voyons plusieurs soubassement.s de deux montagnes à pic, qui commu-
mausolées ornés de pilastres et d’enta- niquait avec la vaste plaine de Xan-
blements. Un peu plus loin , au milieu thus. Quelques bœufs paissant au mi-
du feuillage, s’élève un petit temple lieu des joncs étaient l’indice du voisi-
resque entier; il se compose d’un sou- nage des maisons ; mais nous fîmes de
assement avec deux acrotères et six vains efforts pour franchir le défilé.
marches, d’une grande porte carrée Nous allâmes tomber de fatigue sous
entre deux autes doriques , et d’une quelques caroubiers, dont les fruits,
cella au milieu de laquelle est encore pendant en longues grappes, représen-
le piédestal de la statue. La cella est tent les palmettes des ornements grecs.
voûtée ;
l’entablement est à denticules De l’autre côté du port, qui forme
et bombée. On trouve par terre
frise un marais pestilentiel, nous aperçûmes
les ruines de grands édifices dont
uu I
les deux angles extrêmes du fronton,
atout l’aspect d’un palais; mais il nous
et plusieurs morceaux de colonnes.
du-
L’enceinte de ce petit temple est à joints fut impossible d’y parvenir. Il est
plus
irréguliers. ficile de dire quelle saison serait la
Pa-
Sous le soubassement il existe un favorable pour visiter les ruines de
et les
caveau. Peut être cet édiOce n’est-il tare; dans l’hiver, les jours courts
doivent
autre chose qu’un tombeau. Sa position hautes eaux, les pluies tropicales
au milieu de la nécropole pourrait le compenser en inconvénients
«te.
les miasmes et les moustiques de
I

o
(i) Voy. Miir Uineitre, I. III, Patare. D'après le caractère tout romain

Google
..

ASIK MINEURE. ' («^1

monuments, nous ne pensons pas que petite crique d’Antiphilo ou port Vathy
de nouvelles recherches faites dans Toutes ces montagnes sont de nature
cette ville puissent donner des résul- calcaire; c’est ce genre de roche qui
tats bien satisfaisants. compose les plus belles falaises. C’est
que commence cette découpure extra-
ici

CHAPITRE XVI. ordinaire de la côte de Lycie, dont la


formation parait être le résultat d’un
POBT SBVBDO. — CA.STELLORIZO. chaos inextricable, tantil a engendré de
ports, d’îleset de caps qui n’ont entre eux-
Toute la région du Cragusqui s’étend aucune connexion. Un voyage de circum-
entre Patare et Antiphellus est la plus navigation dans ces parages, depuis
abrupte et la plus impraticable de toute Antiphilo jusqu’au golfe d’Adalia sera
la contrée. La montagne vient plonger toujours d’^un extrême intérêt, même
à pic dans la mer; c’est un avantage pour ceux qui ne s’occupent pas d’étu-
pour les navires, qui peuvent ranger la des spéciales de monuments.
câte de très-près . mais les voyages L’entrée de la baie d’Antiphellus, ap-
par terre sont des plus pénibles, le pays pelée généralement port Sévédo, est si-
n’offrant aucune ressource. En 1834 gnalée par l’île de C-astellorizo, que les
et 1836 nous avons fait l’un et l’autre anciens appelaient Mégiste, parce qu’en
trajet : la voie de mer est infiniment effet elle est la plus grande de ce groupe
préférable. Il est toujours facile de trou- d’iles qui forment la ceinture de la
ver soit à Lévissi soit à Castellorizo Lycie.
des bombardes grecques qui, moyen- Castellorizo, capitale et unique ville
nant un prix raisonnable, parcourent la de l’île, est habitée par de nombreuses
côte de,)uisMacri jusqu’à Tarsous, pro- familles de Grecs qui se livrent à la
fitent uu vent de terre pour marcher pêche et au commerce de cabotage. Ils
de nuit, et le jour mouillent dans les font les transports entre Rhodes et le
ports anciens. Un pareil voyage offre continent. Ces rapports entre les deux
toutes les variétés de plaisir ét d’étude; Iles datent de loin; car dans l’antiquité
l’on n’est pas exposé à la maigre Mégiste, que l’on appelait aussi Cysténe,
chère des nomades et au danger de appartenait aux Rhodiens. On dit qu’il
rouler dans les précipices. Ces moyens y a quelques antiquités dans l’tle, restes
de transport deviennent d’autant plus de la ville de Mégiste, qui déjà du temps
nombreux et plus faciles que côte
la de Pline n’existait plus, mais les récits
de Caramanie tend à changer de physio- qu’en ont laits ceux qui les ont visitées
nomie la population y revient, au grand
: se bornent à la description de quelques
avantage du pays et au grand détriment murailles sans forme. Au temps où ces
des monuments antiques ; ce sont tou- mers n’étaient pas encore abandonnées
jours ces vénérables restes du passé que des navigateurs, sous les républiques de
les nouveaux débarqués attaquent pour Gênes et de Venise, les chevaliers de
se bâtir des demeures ; ce ii’est pas Rhodes avaient fait de ces Iles des
seulement sur la côte d’Asie que nous points de relâche et de ravitaillement,
avons vu ce triste spectacle. ils avaient bâti une forteresse à Castel-
Le trajet par terre de Lévissi à Xan- lorizo.
thus se fait en trois jours de marche; Le 21 avril 1836 nous sommes ve-
de Xanthus à Fournas, petit chef-lieu nus, avec le brick de l’État te Dupetit-
de district, la route est marécageuse et Thouars, mouiller au port Sévédo, qui
complètement déserte; en été on va fait face à l’île, et à l’entrée duquel se
coucher à Razirian keui ( le village des trouvent les ruines de l’ancienne Anti-
marchands ), situé sur le revers de la phellus; ce lieu porte encore le nom d’An-
baie de Kalamaki ; on y trouve quel- tiphilo. Ce n'est pas même un village,
ques provisions. De Razirian keui à c’est tout simplement un poste dédouané
Sedek, route très-difficile, a plus de cin- our l’embarquementdes plancheset du
quante mètres au-dessus du niveau de ois. Il y a un café et cinq ou six fa-
la mer ; Isna, misérable gîte de quelques milles grecques ou turques qui sont ve-
maisons. On descend ensuite dans la nues de ('astellorizn. Le bétail est abon-
683 .L’UWrVERS.
dant; on trouve du laiti des XEufs, des port, suivent les sinuosités du rivage,
poules et de la farine. C'est un endroit remontent ensuite vers le point culmi-
de ressource eu comparaison des vil- nant où est située l’acropole du côté du
lages de l'intérieur. nord-ouest , et reviennent vers l’est re-
Ce petit hameau, qui naissait en 1836, joindre le rivage. La ville forme ainsi
est devenu plus considérable ; il occupe un triangle très-allongé dont là pointe
l'entrée de la .ville d’Aiitiphellus à la est à l’est.
naissance de l’ancien môle. Les murailles sont fondées sur le roc;
Le continent décrit en cet endroit elles sont bâties en assises réglées for-
de la côte une courbe demi-cir- mées de blocs de grande dimension ;

culaire coupée en deux par un cap du côté de la mer elles ont six à sept
très-étroit qui forme deux ports ; ce- mètres de hauteur. Toutes les portes
lui de l’est, le plus grand des deux, sont détruites ; la pente du terrain, dans
s’appelle port Sévéôo, il est bien abrité, l’intérieur de la ville, est rachetée par
c’est un excellent mouillage; celui de la construction de plusieurs terrasses
l’ouest n’est qu’un canal long et étroit sur lesquelles s’élevaient les principaux
entre le cap et le continent, ou l’appelle édifices, qui, vus de la mer, devaient
port Vathy, profond. 11 y a bon fond, produire un effet grandiose avec les
mais il est tellement étroit qu’un navire sommets sourcilleux du Taurus dans le
ne peut y virer de bord ; il reste désert fond du tableau.
et inutile. L’acropole est presque entièrement
L’ancienne Antiphellus occupait tout détruite; on voit encore dans l’enceinte
leterrain.quis’étend entre les deux baies, une grande salle qui était tailléealans le
et les monuments qui subsistent encore roc. La montagne descend à pic dans
méritent un examen détaillé. les eaux du port Vathy.
Le théâtre est assis sur la pente de
CHAPITRE XVII. l’acropole faisant face à la mer; il est
de petite dimension et tout le prosce-
ANTIPHELLUS. nium, qui était peut-être bâti en bois,
n’a laissé aucune trace. La cavéa est
L’ancienne histoire d’Antiphellus est entièrement conservée , il y a vingt-six
des plus brèves Strabon et Pline se
; rangs de gradins, en une seule preci’ic-
contentent de nommer cette ville (I); le tion. Les murailles de soutènement sont
dernier nous apprend qu’elle s’appelait lisses et d’un beau travail, la partie
d’abord Habessus. Elle se nomma Aii- circulaire de l’édifice est à bossages très-
tiphellus parce qu’elle est en effet en saillants.
avant de la ville de Pbellus, située dans L’agora s’étend sur une terrasse au
la montagne. Les inscriptions sont pied de la colline de l’acropole; les
nombreuses, mais elles sont toutes sé- murs d’enceinte sont en appareil po-
pulcrales; on n’a pas trouvé une seule lygonal; les colonnes des portiques sont
inscription honorifique eu mémoire ça et là couchées par terre. Au centre
d’un empereur ou de quelque magis- s'élève un piédestal rectangulaire sup-
trat. Antiphellus paraît avoir été seu- porté sur trois marches en pierre de
lement une place oe commerce et d’en- taille, la faee supérieure est percée de
trepôt, surtout pour les grains. Les quatre trous qui retenaient une sta-
habitants suivant l’usage du peuple tue de bronze. On observe au nord de
Lycien, mettaient un grand luxe dans l’agora plusieurs salles taillées dans
leurs sépultures, on comptait dans la lé rpc ,
qui dépeudaient des magasins
vallée de Vathy plus de cent tombeaux souterrains ; en avant de res cliainbres
la plupart remarquables. sont six silos creusés dans le sol, ce
La dont l’origine remonte à la
ville, sont des greniers de forme ovoïde, de
Lycie indépendante , est bâtie en am- sept mètres de haut sur cinq de large :

phithéâtre sur une longue colline re- c’estune preuve que cette ville faisait
gardant la mer. Les murailles partent du un grand commerce de grains.
Sur la terrasse inférieure on voit un
(i) Strab., XIV, 666; Pline, V, .l». grand édifice circulaire dont le mur
ASIE MINEURE. es3

extârienr est soutenu par des contre> tué près du port Vathy, porte une inscrip-
forts. Ce monument rappelle l’église de tion en langue grecque et en lycien ; mais
Saint-Étienne-le-Rond à Rome; il avait jusqu’ici cette circonstance a été d’un fai-
dans l’intérieur un rang de colonnes. ble secours pour interpréter cette der-
Nous le regardons comme une de ces nière langue, .l’avais, dès 1836, levé par
anciennes églises circulaires qui furent empreinte cette inscription qui était très-
construites sous le règne de Constantin, bien conservée; je l’avais, de plus, colla-
et dont Eusèhe a laissé la description ; tionnée SUT place, elle a été envovée à
le plus beau modèle de ce genre existe plusieurs savants qui s’occupent de ces
encore à Thessalonique. recherches , mais cette langue lycienne
Enfin, en revenant près du port, on est restée impénétrable (i). Un autre
arrive à un édifice dont la destination tombeau d’un style un peu différent est
n’est pas très-précise; il est bâti tout en sculpté dans la partie nord de la ville;
marbre blanc ;
il forme une vaste salle l’entrée de la chambre sépulcrale re-
pres<iue carrée de dix mètres sur onze; présente une décoration en bois avec
la muraille extérieure est eu assises ré- ses poteaux, ses solives et la pièce ho-
gléa^, qui ont 0,60' de hauteur et dans rizontale nommée sablière par les
l'inférieur de l’édifice cette même mu- charpentiers. Ce soubassement est sur-
raille. est en appareil polygonal. Le rem- monté d’une décoration en ogive dans
plissage entre les deux faces est un béton l’intérieur de laquelle sont simulés des
de sable et de cailloux. panneaux (2). La plate-bande supérieure
La grande salle est sans fenêtres ; elle porte une inscription de cinq lignes en
est précédée d’un vestibule qui n’a pas caractères Ivciens, et sur le filet au-des-
de porte centrale, mais deux petites sous (3), l'inscription latine « Claudia
;

portes latérales. La façade se compo- Regelia Herennia à sa soeur aînée, mo-


sait de deux antes et de deux colonnes nument de piété et de souvenir. « Les
cannelées. On voit que ce plan ne se caractères sont de la fin de la république,
rapporte nullement à celui d’un temple : c’est-à-dire du temps que Cicéron était
ce pouvait être la salle d’assemblée des gouverneur de Cilicie. Un grand nombre
marchands ou des magistrats. de familles romaines étaient déjà ins-
tallées dans le pays, et en même temps
LÀ NÉCROPOLE. les lois qui protégeaient les sépultures
étaient exécutées dans toute leur éten-
IjCS tombeaux d’Antiphellus sont sans due. Peut-on imaginer ^ue cette dame
contredit les monuments qui méritent romaine se fût emparee d’un ancien
la plus sérieuse attention, car ils soulè- monument? ce n’était pas un acte d’une
vent un problème qui n’est pas encore si haute piété que de déposer le corps de

résolu , sur l’époque où la langue ly- sa sœur dans un tombeau usurpé, dans
cienne fut en usage et sur celle où on
,
un tombeau d’occasion. D’après cc
a cessé de la parler. Ces tombeaux se simple énoncé, il n’est pas possible de
composent de deux classes les sar- ; décider que les deux inscriptions ly-
cophages et les monuments taillés dans cienne et latine sont contemporaines,
le roc. Les uns et les autres imitent des mais c’est une question qui mérite
constructions de bois ; où donc les Ly- examen (4).
ciens ont-ils imaginé ce genre d’orne- Au-dessus de la maison de l’agha
ment pour l’appliquer à quoi? à des d’Antiphilo, on voit s'élever un sarco-
rochers. Il est probable qu’ils voulaient phage colossal avec un couvercle ogival
rappeler le souvenir de leurs demeures
terrestres : on voit encore dans les vil- Spratl. and Porhe», Travets in tycia,-
(j)
lages modernes des maisons bâties en t. II, î3ï, ï35.
bois non équarris qui ressemblent à ces (a) Voy. Planche a6, Tonibe iu de Clau-
tombeaux (t). Un de ces monuments, si- dia Regelia.
(3) Claudia Regelia Herennia sorori sus
(i) Voyez planche lo, maison» de U vallée primigenitai pielali» et memoriœ causa.
du Xammis ;
Planche ii, tombeaux lyeiena (4) Voy. Dtsc. de Fdtie Mineure, in-fol.,
taillés dans le roc. t. III, où cea inacriptiuiis sont publiées.
,

684 L’UWIVERS.
décoré de chaque côté de deux avant- posé à y reconnaître le site d’Acroté-
corps de lions. Le soubassement est sur- rium, marqué sur le stadiasmus à cin-
monté d’une corniche ornée d’oves;ii quante stades d'Antiphellus. Nous avons
porte une très-longue inscription en reconnu, après avoir effectué notre as-
caractères lyciens. que j’ai aussi relevée cension a Phellus, en marchant droit au
par empreinte, il n’y manque que quel- nord par des chemins impratiquables,
ques lettres (1). que la route ancienne qui reliait les
La du port Vathy contient des
vallée deux villes venait aboutir en ce lieu, qui
centaines de sarcophages du môme ne serait alors qu’un entrepôt mari-
style, qui ont été imités par les Romains; time dépendant de la ville de Phellus.
nous donnons pour exemple le tom- Nous n’y avons observé aucun vestige
beau de Ptoléniée (2), monument de de l’époque romaine.
marbre blanc, qui ne serait pas dé- Les premières questions que nous
placé dans un musée. Knlin nous devons adressâmes aux indigènes sur la situa-
aussi signaler un tombeau de style grec tion des ruines de Phellus reçurent
formé d'un seul bloc de rocher équarri immédiatement une réponse satisfai-
et séparé du reste de la colline par une sante plusieursd’entreeux connaissaient
:

petite aréa. Ce monument plus remar- ces ruines sous le nom de Philo, et nous
quable à lui seul que tous les monu- proposèrent de nous y conduire ; je
ments royaux d’Ainasie, est du plus pense que les voyageurs qui ont visité
pur dorique; la frise est ornée de tri- ces parages depuis 1836 n'ont pas dü
glyphes, la porte à crossettes est en- éprouver plus de difGculté que nous,
tourée d’un chambranle arcbitravé, la ce qui ne les a pas empêchés de <se
chambre sépulcrale contient trois ban- donner l’innocent plaisir « d’une de-
quettes sculptées en lits funèbres, et couverte • (l).
à la hauteur du plafond est une frise Le 26 avril 1836, l’agha d’Antiphilo
composée de danseuses qui se donnent nous Gt préparer des chevaux et nous
la main tel est l’ensemble des ruines
: donna des guides pour pénétrer dans
de l’obscure cité d'Antiphellus; nous l’intérieur du pays, où Jusqu’alors aucun
passons encore sous silence bien des européen ne s’était aventuré. L’accueil
monuments qui mériteraient d'étre dé- que nous avions re^u sur toutes les
crits. arties de la côte ou nous avions dé-
arqué, la compagnie des gens de l’agha,
CHAPITRE XVIH. et lu teneur de nosFermans, tout nous
promettait une e.xcursion sansdifliculté,
PHELLUS. et en effet, nous trouvâmes partout une
réception amicale. Le inutzellim de
Dans la partie la plus reculée du port Cassaba, sachant que. nous avious à
Sévédo, et sur la côte nord, on aperçoit bord un docteur, envoya plusieurs des
au milieu des buissons plusieurs pans gens de sa maison pour le prier de lui
de murailles eu appareil pélasgique, qui faire une visite; il s^établit, en un mot,
paraissent avoir appartenu à un fort entre les habitants et l’équipage du
ou à un arsenal. On peut suivre pen- brick, des relations toutamicales. L’aglia
dant deux ou trois cents mètres la ligne vendait au commis aux vivres pour la
des murailles, qui va rejoindre dans la somme de vingt à trente francs les bœufs
partie haute un réduit fortiGé; quelques dont il avait besoin pour l'équipage,
sarcophages dans le style lycien se mais il fallait aller les tuer dans la
trouvent aux alentours, les uns encore montagne, où ces bestiaux restent
en place, les autres brisés. Cette place, presque à l’état sauvage. Il s’organi-
qui n’est pas à plus de quatre kdomè-
tres d’Antiphellus, doit avoir appartenu
(i) Et in recessu Phellus, ne veut pas dire
à la ville. A défaut d'un emplacement « et dans lui golfe Phellus; mais: en arriére
plus satisfaisant sur la côte , on est dis- d'Anliplielliis (dans la uionlagne) est Phel-
his,ce contre sens du traducteur de Pline
(i) ilineure, I. c. mis en défaut plus d'un explorateur (cf.
(ï) PI. a6, fig. a. Pline, liv. V, ch. a8. Ed. Panckoucke).
,

ASIE MINEURE. (>8â

sait aloi's une chasse qui u’était pas Nous montons au milieu des roches
sans danger. Un incident se ma-
seul les plus arides : le temps est couvert;
nifesta : les matelots avaient tué un les nuages sont de.scenous jusque sur le
énorme sanglier, qu’ils ne pouvaient sommet de la montagne. Longtemps
transporter à bord : non-seuleiiient les avant d’arriver au sommet, nous voyions
indigènes refusèrent leur concours des traces de constructions gigantes-
mais ils refusèrent même de prêter un ques : ce sont des murs de soutène-
àue pour porter la bête immonde ; on meut des terrasses qui aplanissaient la
fût obligé de la dépècer sur place les : pente. l.a route est encore tracée au
Turcs ne font aucune distinction entre milieu des rochers. Le brouillard est
le sanglier et le cochon, proscrit par épais; ou n’aperçoit les objets çu’à
Mahomet. travers une petite pluie fine et péné-
Nous partîmes du port d’Antiphellus, trante. Enfin nous entrons dans la ville.
attaquant la montagne droit au nord. Ce n’est (ju'un chaos de murailles et de
C'était le chemin oes piétons, mais il rochers éboulés, du milieu desquels
était atroce pour les chevaux. sortent des restes de monuments pélas-
Nous franchîmes la montagne qui giques et grecs. La ville de Phellus s’é-
borde la baie de Sévédo. Au Imut d’une tend nord-sud sur toute la crête d’une
demi-heure nous descendîmes au fond
, montagne fort élevée. Nous arrivons à
d’une profonde vallée, pour remonter la nécropole. Nous sommes dans l’ad-
immédiatement sur le flanc opposé. miration en entrant dans une enceinte
Nous nous trouvâmes bientôt sur la crête carrée toute taillée dans le roc, au
d'une chaîne nord -sud, que nous par- milieu de laquelle s’élèvent deux édi-
courûmes dans une assez grande éten- fices monolithes taillés dans la masse
due. Nous commençâmes dès lors à même du rocher. Ce ne sont plus des
jouir du coup d’oeil général de la l.ycie : colonnes et des frontons ; c'est un art
un vaste horizon de montagnes, cou- tout à fait en dehors de ce que nous
ronné par les sommets couverts de connaissons de l’antiquité, car il est
neige du Cragus, se développait à nos re- aussi éloigné de l’égyptien que du grec.
gards. Nous voyions çà et là sous nos , Un de ces grands tombeaux a trois
pieds, des plaines couvertes de verdure; portes; son entablement ressemble à
mais aucune habitation ne s'offrait à des charpentes posées de front, et sur
nos yeux. Nous avions repris la direc- les faces latérales , ce sont d’énormes
tion de l’est pour contourner une haute solives recourbées repré-seiitant des becs
montagne sur le penchant de laquelle d’ancre; tout cela taillé dans le rocher.
sont trois vastes citernes où se désaltè- Deux autres tombeaux du même style
rent les caravanes. Nous arrivons au s’élèvent près du premier; quoique d’une
composé de cinq maisons.
village d'Agli, dimension moiiiare, ils ne sont pus des-
Au bout d'une heure, nous commen- sinés avec moins de recherche. L’un
çons à nous diriger au nord , et après d’eux s’est écroulé sous l’influence des
une demi-heure de route, nous nous gelées et des neiges; l’autre, encore de-
trouvons dans une vallée étendue, bout, est composé de deux chambres
formant un plateau bien cultivé. C'est contenant des banquettes ou lits funè-
là qu’est situé le village de Tchou- bres.
àourba, appelé aussi Orta keui, le vil- Pendant que nous étions occupés à
lage du milieu ,
parce qu’il est le centre examiner cette architecture si bizarre,
d’une communauté de cinq hameaux le brouillard se dissipait; le soleil laissa
tous du même nom : nous insistons sur tomber quelques rayons à travers la
ce détail, parce que nous retrouverons rosée humide; nous jouîmes alors d’un
bientôt l'ancienne communauté lycieime des plus beaux spetdacles qu’il soit
de Cyaueæ divisée en différents groupes. possible d’imaginer sur le premier
:

Nous nous reposons un moment dans plan , la nécropole avec ses tombeaux
ce village et nous prenons des guides toujours plongés dans les nuages , et
,

pour nous rendre aux ruines de Phellus qui ont contracté une couleur verdâtre;
sur la montagne qui domine; il
y a une sous nos pieds, un précipice sans fond.
iieurc do route. Les sommets des plus grands arbres
,

686 ' 1,’UmVEBS.

formaient comme ub tapis de verdure, traverse; de Bounar bachi elle coule

et en dernier plan l’admirable chaîne droit au nord et vient recevoir bout à


du Cragus, avec ses forêts, sa neige bout un autre cours d’eau coulant du
et ses nuages. Autour de nous, un nord au sud et qu’on appelle la rivière
désert immense et un absolu silence. d’irnési; à partir de ce point, la rivière
A mesure que les nuages se dissipaient, tourne subitement à angle droit, se
nous osions nous aventurer plus bas précipite dans une gorge étroite près
sur les lianes à pic du précipice des ; d’une montagne conique, et entre dans
arbres de toute espèce y forment des une grande vallée (|ui va justpi’à Myra,
barrières impénétrables, et sur sa pente, appelé par les Turcs, Déméri; on la
nous voyons avec surprise un tombeau nomme alors Déméri déré tchaï, la ri-
d’un seul bloc cubant plus de 75 mètres, vière de la vallée de Myra.
qui s’est détaché de la montagne et L’agha de Cassaba, connaissant le
chemine insensiblement dans l’abîme but de notre voyage, s’empressa de
entraîné par les pluies et la fonte des réunir les notables pour nous faire
neiges. donner les renseignements que nous
I.es murailles de la ville ,
du côté de désirions.
cette vallée, sont bâties avec des pierres
énormes, assemblées à joints irrégu- CHAPITRE XIX.
liers dits pélasgiques cubent cha-
cune plusieurs mètres; le
;
elles
sommet de CANDYBA. — CYANBÆ. — AKNÆA.
la montagne est de craie assez dure.
Nous observons plusieurs de ces sar- Du balcon de la maison de l’agha on
cophages couverts en ogive et quel- ,
nous montra plusieurs villages qui ren-
ues-uns taillés dans le roc , du style fermaient des ruines antiques EsH
e ceux de Macri. En descendant plus katma : à peine eut-oii prononcé le nom
bas dans la vallée , j’arrivai à un ravin de Kandyva, que nous reconnûmes le
profond intercepté par une masse de
,
nom de'Candyba, ville lycienne citée
tombeaux, de sarcophages et de débris par Pline et voisine de la forêt OEnium.
accumulés par les eaux sans être rom- Ce village est sur la pente orientale de
pus. Les lianes se sont fait jour au mi- la montagne sur la roule de Boimar

lieu de ces monuments entassés , et de bachi; il s’ensuit que cette forêt qui du
vieux arbres les couvrent de leur haut des ruines de Phellus nous parais-
sait impénétrable est la même forêt
ombre.
Nous redescendons vers le nord pour OEnium qui s’étend jusqu’à Cassaba.
gagner le village de Bounar bachi, où Aux ruines de Kandyva nous observâmes
nous arrivons au bout d’une heure. quelques restes de tombeaux lyciens
Nous passons au milieu d’une masse mal conservés mais les savants Anglais
;

d’arbres sans apercevoir une seule qui ont parcouru, en 1840, cette contrée
maison. Ce village se trouve sur la ligne inexplorée ont retrouvé sur un sarco-
directe de Phellus à Cassaba, chef-lieu phage le nom de Candyba. , ,

L’ancienne. Cyaneæ paraît avoir ete


de ce canton et la demeure de l’agha.
A Bouuar bachi la tête des sources,
,
composée de plusieurs centres de popu-
existent plusieurs sources très-abon- lation qui occupaient cette région de-
dantes formant un ruisseau qui prend puis la vallée de Cassaba jusqu’à la
son cours vers le nord c’est une des
;
mer, c’est-à-dire le groupe montagneux
dont la base forme la baie Hassar,
le
sources de la rivière de Myra.
Nous descendons en suivant le cours port Tristomo, jusqu'à l’île de Kakava.
de la rivière dans une large vallée di- Ou a du moins retrouvé dans inté- I

rigée nord et sud au centre de laquelle rieur et sur la côte quatre anciennes
villes portant toutes le nom de
Cyaneæ.
s’élève le bourg de Cassaba , demeure
du mutzellim qui commande le canton; Nous reconnûmes, en 1836, le Pre-
mier centre du nom de Cyaneæ au
yii-
il nous fait installer dans le caravan-
tonines
seral. iage de Teussa, où existent des
grecque
La change de nom, selon la
rivière lyciennes et une inscription
biode turque , à chaque village qu’elle portant le nom de Cyaneæ.
ASIE Ml>EUHh. 687

Eu 1840, M. Spratt détermina au vil- cle;nous en jugeons par sa ressemblauee


lage de Yarvou un autre centre de po- avec des églises du même genre porlaut
pulation antique avec plusieurs inscrip- leur date.
tions du nom de t'.yaneæ, Yarvou paraît A droite et a gauche de l’église sont
avoir été le chef-lieu de tous ces bourgs, deux édifices circulaires qui ont certai-
que les Grecs appelaient Kü)|jii|. On y nement servi l’un de baptistère, l'auiic
voit en effet les ruines d'édiiices publics descævophylacion : sacristie pour <iépu-
dont il ne reste pas de traces dans les ser les vases sacrés; eu cela le plan res-
autres, comme un théâtre, une citadelle semble beaucoup à l’église d’Alexis
et des tombeaux plus ornés. Coinnène à 'J'rébizonde.
Le troisième bourg du. même nom a A partir de cette jonction des deux
été observé à Giaouristanlik, le petit rivières, nous remontons le cours de
séjour des infldèles; il y a quelques l’eau, tout en suivant la même direc-
ruines de tombeaux avec inscriptions. tion. Nous atteignons la région boisée,
Entiu,en 1812, M.Cockerell avait des- et la marche du convoi devient de plus
siné au bord de la mer, près du port en plus difficile. Quoique nous soyons à
Tristomo,des tombeaux que nous avons temps est toujours plu-
la lin d'avril, le
retrouves en bon état, il y avait copié vieux, des orages éclatent et rendent la
des inscriptions relatives aux Cyanéens. route presque impraticable c'est l’alter-
:

Les auteurs anciens sont si concis sur native (jue présentent les voyages dans
cette partie de la Lycie, que nous ne ces régions, ou une chaleur intense et
pouvons avoir plus de renseignements le manque d'eau partout, ou des déluges
sur l’ancien état municipal de ces de pluie.
bourgs. Nous arrivons enfin au sommet; nous
L’habitant de la vallée supérieure du avons devant les yeux l'enceinte d’une
De.meri déré nous apprit que son vil- ville grecque. Les murailles ont des
lage s'appelait Irnési, qu’il était voisin tours disposées à intervalles irréguliers ;
de vastes ruines avec des palais et d’au- elles sont bâliesà assises réglées et à bos-
tres mnnuments. Le jour suivant, 27 sages ; mais une partie a été restaurée
avril, nous partîmes pour Irnési en re- sous l’empire byzantin. Des buissons
mniitant la rivièredu même nom. Après touffus ont crû au milieu des édifices,
une heure de marche nous faisons et ne permettent pas de les examiner à
halte près d’unè montagne conique dont loisir. Des tombeaux lyciens sont les
larivière baigne le pied. C'est la quelle indices d'une ancienne cité; mais cette
prend son cours à l’est dans la vallée de ville fui habitée par des chrétiens et
Myra; on appelle ce défilé, Déré agit zi contient entre autres édifices une grande
(peut-être variante de Boghazi, le défilé église eu forme de basilique.
de la vallée). I.es tombeaux ne portent pas d’ins-
Cette montagne est couronnée d’une cription; la pierre s'est délitée sous
enceinte fortifiée, en très-bon état de rinllueuce du climat. Les ruines d’Irnési
conservation. On
voit auxalentoursquel- sont à mille deux cents mètres au-des-
lies tombeaux lyciens
; mais sus de la mer.
les forti-
2 cations sont plus modernes : elles ont Nous ne trouvons rien dans les mo-
dû appartenir à une ville chrétienne. numents d’Irnési qui mérite une repro-
Aucune conjecture satisfaisante n’a duction spéciale~, les travaux de cent
encore été émise sur le nom de cette graveurs ne suffiraient pas pour faire
place. A l’entrée de la vallée s’élève une connaître cette contrée singulière,
vaste église byzantine presque entière- restée pendant tant d’années fermée
juent conservée et dont nous avons levé aux investigations des savants, qui s’en
le plan. Le tranceps est couvert par une éloignaient, chassés parla mauvaise ré-
Coupole de huit mètres soixante de dia- putation qu’on avait faite aux habi-
mètre ; tout l’intérieur était revêtu de tants.
marbre; les corniches seules existent en- Il n’est pas difficile de déterminer le
core.^ La nef est précédée d’un narthex nom de l'ancienne Irnési, dont la res-
et d’un exonarthex. Le caractère de semblance avec le nom d’Aruæa frappe
celte architecture est
du huitième siè- au premier abord. Amæa petite ville
«S8 L’UNIVERS.
de Lycie dit Etienne de Byzance. C’est
, ble ; les insulaires se plaisaient, comme
tout ce qu’on sait de son histoire; leurs voisins les Lyciens, à tailler les
elle est assez étendue pour avoir con- rochers pour y établir des habitations.
tenu douze mille habitants. On à peine à comprendre que dans un
Du villa^'e d'Irnési une route conduit lieu où la pierre détaille aûmde, où le
dans les hauts plateaux, où se trouve la sol est encore vierge de toute habita-
ville moderne d’Almahi, la vraie Lycie tion , ces populations aient imaginé le
archaïque s’arrête à ces régions. genre le plus difficile et le plus dispen-
Le retour à la côte peut s’effectuer dieux d’installer leurs demeures.
de deux manières, ou par la roule déjà Les constructions de l’tle Dolichiste
indiquée on y rencontre quelques
; sont presque toutesdes bâtiments civiis;
villages-, ou par la vallée de Démeri on : ceux qui sont au bord de la mer, pa-
suit le cours de la rivière Jusqu’à Myra ; raissent avoir servi de remises de ga-
six heures de route. lères, Néoxiki des Grecs, et Kaik hané
Dans le triangle forme par ces deux chez les Turcs. Aujourd'hui encore les
routes, on laisse sur la côte deux villes eaux de la mer entrent dans de grandes
anciennes une lie qui méritent d’être
et salles où l’on pourrait rentrer des canots.
visitées. Nous ignorons commenton peut J’avais douté, dans une première explo-
les atteindre par terre : le pays étant ration,que cette partie de l’île et du
complètement rocheux et désert. continent voisin eussent subi un mouve-
ment de dépression ; mais dans un se-
CHAPITRE XX. cond examen du terrain que je fis en
APEBLÆ. — CYANEÆ. — ILE DOLI- 1842, je me range du côté des observa-
CHISTE. teurs qui m’ont précédé, et je reconnais
ue plusieurs de cesmonumentsont dd
Les difficultés que présente la con- tredes habitations avant d’être envahies
formation du massif montagneux de la par les eaux.
Lycie, entre la rivière de iMyra et le port Les innombrabes maisons de l’Ile, bien
Sevédo, nous décida à nous rendre par que construites en pierres assemblées à
mer aux ruines d’Aperlæ et de la Cyaneæ joints irréguliers, dits pélasgiques , ne
maritime, qu’on appelle aujourd’hui Ca- paraissent pas remonter à une haute anti-
camo. quité. On remarque des voûtes en béton;
Le 30 avril l836,nousquittâmesleport le mortier est généralement employé,
Sévédo à neuf heures au matin , avec peu soigné,
et l’appareil des pierres est
une brise d’ouest; le soir, le navire mit on voit dans le voisinage de ces maisons
en travers, c’est-à-dire stationna en d’autres constructions évidemment by-
pleine mer sans faire de route; nous zantines ; mais il y a absence complète
étions au sud de la grande baieHassar: d'inscriptions, de signes ou de caractères
c’est ainsi que la nommait notre pilote, quelconques, comme si les gens qui ont
dans laquelle il y a un mouillage à l’a- bâti ces édifices avaient ignoré l’usage
bri de tout vent, mais qui est complète- de l’écriture.
ment déserte. Cette baie doit être celle Les constructions que nous venons
d’Acroterium,qui étaità cinquante stades de mentionner s’étendent tout le long
d’Antiphellus. Le lendemain, nous jet- du port, c’est-à-dire du canal quisépare
tions l’ancre sous le château de Cacamo, nie du continent; nous n’y avons pas vu
entre l’île et le continent Ce port est le de tombeaux, la nécropole était sur la

plus beau et le plus sîlr de toute la cote terre ferme.


de Caramaniemaisil manque d’eau douce Le canal quisépare l’île du continent
Uneîle longue et rocheuse s’étend de a cinq cents mètres environ de large;
l’est à l’ouest parallèlement à la côte; le fond est de roche, et l’ancrage 1 res-
c’est l’ancienne Dolichiste, appelée au- solide. 11 n’y a pas de port mieux abrite;
jourd'hui Kakava ada si, l’ile des per- il a une sortie à rest et l’autre a
drix ; ce sont en effet les seules êtres l’ouest (I).
vivants que nous y rencontrâmes.
Dolichiste fut cependant le siège d’un (i) Voyei la plaiirbe 5g, comtrucliom
centre de population assez considéra- daii.s nie de Kakava.
, ,

ASIE MINEURE. 680

Sar le continent s'élèvent les fortîG- réunis sans ciment c’est en tout point
;

cations modernes qui ont appartenu <â la déGnition de ce système de construc-


la petite ville turque de Cacamo, pres- tion; cependant les fondateurs de cet
queaussi déserte aujourd’hui qu’une ville édiGce vivaient du tempsde Vespasien,
antique. Si l’on en Juge par ce qui sub- et pour éviter toute incertitude à la
siste encore, cette forteresse a dîl être postérité, ils ont eu soin de dire dans
d’une certaine importance dans le l’inscription qui existe encore au-des-
moyen âge ; elle défeudait en même sus de la porte, que cet édiGce avait été
temps la côte et le mouillage, et d’a- bâti depuis les fondements EK BA-
près l’appareil très-soigné de certaines 6PQN il n’y a pas moyen de discuter.
:

murailles (1), il est à croire qu’elle s'é- Nous avons publié in extenso le texte
lève sur l’emplacement d’une ancienne decette inscription, qui n’a pas été assez
acropole. remarquée : elle est ainsi conçue :

Nous donnons (2) une vue de ce château « Le sénat et le peuple desAperlitaius


et des tombeaux lyciens qui subsistent ont construit ce bain (P«Xaviiov) depuis
encore. Ce lieu réunittous les genres les fondements, et l’ont dédié à l’em-
d’intérêt, la beauté des lignes du pay- pereur Titus Ælius Vespasien (1). » Une
sage maritime, les souvenirs de l’anti- salle de cet édiGce se termine en hémi-
quité, et ceux du moyen âge. cycle couronné par une partie de sphère,
De nombreux tombeaux lyciens s’é- tout cet appareii'est à voussoirs, indice
lèvent de toutes parts sur les aspérités d’un travail romain (2).
des rochers. Sur lespentes du terrain La même inscription nous apprend
on voit ç.i et là des restes d’édifices donc que cette ville est l’ancienne Aperlæ
antiques parmi lesquels il faut remar- et non pas Aperræ, ni Apyræ comme
quer des maisons d’habitation cons- l'ont écrit Hiéroclès et Etienne de
truites en appareil irrégulier, des tom- Byzance, et de plus, que dans le second
beaux avec he xèdre, et au pied du château siècle on bâtissait encore h joints irrégu-
un petit théâtre ou odeum entièrement liers.
taillé dans roc-, tous les sièges subsistent A de l’île Kakava s’étend un
l’ouest
encore. Ce singulier monument est au vaste estuaireou u ne crique marécageuse
milieu des rochers ; on est frappé du que paysans grecs nomment port
les
contraste de cette nature sauvage et 'fristomo, nom tiré de l’italien, dont nous
d'un monument qui atteste une civilisa- ignorons l’origine. Tout, aux alentours,
tion raffinée (3). est désert et sauvage; l’air est empesté
La mosquée s’est installée dans un pendant l’été, elles habitants se sauveut
petit temple antique ; ici comme ailleurs, à la montagne ; ceux qui restent pour
le culte appelle le culte, une inscription garder les demeures se font des écha-
en caractères archaïques mentionne des faudages qu’ils couvrent en roseaux, et
donations en argent faites par divers couchent à l’abri des émanations du sol.
citoyens, le sol de la mosquee est une Un rocher isolé, qui s’élève au nord
mosaïque antique. du port Tristomo , est couronné par
Nous devons maintenant rechercher une acropole antique bâtie en assises
à quelle ville appartiennent les ruines réglées et à bossage. Dans l’angle ouest,
que nous venons de parcourir : un mo- ui forme une petite presqu’île, s’élèvent
nument isolé sur le rivage doit nous 'autres rochers dans lesquels sont
l’apprendre. Cet édiGce est carré; il est creusés des tombeaux' de style lycien ;
composé à l’intérieur de plusieurs salies. nousen avons remarquéundont la façade
Sa construction, selon les partisans de est oméed'un bas-relief représentant un
ce qu’on a appelé l’école pélasgique, de- homme ou, sans doute le défunt, armé
yrait dater des temps héroïques, car il d’une fronde. Le même tombeau con-
il est
bâti en blocs à joints irréguliers tient une inscription qui apprend que
ce monument appartient à un habitant
(O PI. i3.
(i) PI. 58. (i) Voyez Description tie CJsie mineure
(5) 'Voyez plaiiclie a3, odeoin taillé dans in-fol.,t. III, Lycie, explic.ition des planrlirs.
W ror à Âperlœ. (a) Voyez page roi. i.

4C lÀoraUon. (Asib Mineure.} •M


690 L’UNIVERS.
de Cyauea- :ou doit eu conclure qu’eu parer une chaloupe avec douze hommes
celie'u était une ville du même nom. On et des provisions , nous partîmes avec
sait si peu de chose touchant la cons- le commissaire et un officier du brick,
titution des communautés lyciennes, pour continuer notre exploration de la
qu’oii doit se borner à constater les faits cête. Nous primes un pilote à Aperlæ
que l'on observe cette Cyanæ maritime
: our aller mouiller au port Andraki,
ne peut-elle pas être le port ou l’échelle f ancienne Andriace, à (pintrc lieues
des Cyanéens comme Antiphellus était marines à l'est de Kakava. Il faut pour
âes Phellitains. Andraki faire l’est-nord-est

S
celle aller à
’à la baie Yali; là on découvre
CHAPITRE XXL ée du port Andraki indiquée par
une tour hellénique, la Pointe Pyrgo des
ANÜBIACE. — SlIHA. — MVBA. portulans. Il faut ranger la côte à droite
iour entrer dans la rivière, à .cause de
Derrière l’acropolis de Tristomo nous fa barre qui existe à l’emlKmchure. Les
allâmes examiner les ruines très-con- canots mouillent dans une crique où se
sidérables d'une ville du moyen âge jette un cours d’eau abondant , petite
dont nous n'avons pu retrouver le nom. rivière qui n'a qu'un mille et demi
Il y a plusieurs églises , des bains, des de parcours, alimentée par des eaux
citernes ; mais tout cela est d’une cons- sulfureuses froides et Icgèrement sa-
truction grossière, en petits moellons lées qui sortent des rochers. Ce cours
reliés par un mauvais ciment Simena,
: d'eau est noté par les anciens géographes
citée par Pline et par Étienne de By- comme la rivière d'Andraki ;
c’est là que
zance, étant placée, dans le stadiusmus, mouilla la flotte de Brutus et de Len-
à soixante stades d’Aperlæ, la position tulus dans leur campagne contre la
de cette ville inconnue ne peut lui con- Lycie. La rivière d’Andraki est fré-
venir; ces ruines sont cependant anté- quentée par d’énormes poissons qui pa-
rieures ü toute invasion musulmane, et raissent attirés par la saveur des eaui.
ne peuvent avoir été habitées que par L’antique Siira, célèbre par un oracle
des Grecs. qui se rendait au moyen des poissons,
Pour donner une idée de la difficulté était à peu de distance du golfe d'An-
([ue présente le parcours de cette région, draki cette ville est mentionnée par
;

soit a cause des solitudes, soit à cause Pline (I) à Myra en Lycie; les« poissons
de sa conformation compliquée, un de la fbntaine d’Apollon Curien arrivent
jeune officier de marine partit du bord après trois appels donnés au son de la
pour nous rejoindre par terre à Myra, fldte, et disent l’avenir. Se jeter sur les
qui n’est éloignée que de vingt-quatre viandes qu’on leur donne, c’est de bon
kilomètres ; il perdit sa route dans les augure; le contraire arrive s’ils les re-
montagnes, erra pendant deux jours poussent avec la queue ». Comme il n’y a
sans nourriture et sans eau, et dans la pas de fontaine dans les ruines de Sura,
matinée du troisième il atteignit un on doit regarder les sources saumâtres
campement de Yourouks qui le con- up j’ai mentionnées comme la fontaine
duisirent à Myra. INous devons ajouter à 'Apollon Curien. On doit noter que
ces difficultés l’extrême confusion des Pline place cette fontaine à Myra et non
noms entendus de diverses manières pas à Sura (2).
par les voyageurs européens. Ainsi, les Les ruines de Sura ont été rer'onnues
Anglais écrivent tous Cassabar, chef- par M. Spratt à une heure et demie de
lieu de la Lycie inférieure, tandis que le marche a l’ouest du monastère de
vrai nom est Cassaba, dérivé du mot Myra. Sur l'indication dos moines du
arabe bien connu des Algériens Casbah, monastère, il remonta la plaine de Myra
château; ils écrivent Guendever au lieu
de Kandiva, Dembra au lieu Demeri ;
ir) Pline, XXXIt,8.
tout n’est pas facile à débrouiller pour (a) La correction de Curium en Suriuui,
les géographes. Pline Sillig., édit. i85i, n’est nnllemenl
mo-
Le 2 mai le commandant du brick tivée. Cf. Plutarcli, lie Ao/err. animal, c\i.

k Dupefit- Thnuars m’ayant fait pré- Él. Byr,., V. Sourn,


ASIE MINEURE 69i

juiqu’à une colline rocheuse, en passant cheveux par un mouvement cadencé;


devant un tombeau d’ordre corin- elle s’arrêtait à certains moments, et
thien (1); il entra ensuite dans la petite poussait des cris aigus ; après quoi elle
plaine de Sura, qui s’étend jusqu’à la recommençait une sorte oe danse sac-
mer; elle est séparée de la barre d’An- cadée, s’accompagnant d’un citant traî-
draki pardes collines basses ( 2 ) descen- nant et monotone. Nous fûmes installés
dant jusqu’à la mer. Une éminence de dans une des cellules. Les caloyers, au
quarante pieds environ au-dessus de nombre de trois ou quatre qui desser- ,

la plaine est couronnée par une pe- vent ce couvent sont de pauvres moines
tite forteresse au sud de laquelle se sales et ignorants ils n’avaient pas vu
;

trouve un beau sarcophage portant une d’Européens depuis plus d’un an. Ils
inscription lycienne. D’autres sarco- assurent que saint Nicolas était évêque
phages sont ornés de cartouches qui con- dans cette même église, et que son corps
tiennent le nom de Sura. On voit un est déposé dans un caveau. La cathé-
peu plus loin un piédestal avec une ins- drale est dans le même style que celle
cription dont les premières ligires sont que nous avons vue à Déré agazi , mais
relatives au culte d’Apollon ; le reste est le plan en est moins grand. Les cha-
illisible. Les ruines oe Sura ne parais- pelles latérales sont voûtées en penden-
sent pas dépendre d'une ville considé- tifs et décorées de mauvaises peintures ;
rable c'était sans doute un centre reli-
: l’une d’elles représente la Passion.
gieux qui vivait de ses oracles. Il est avéré
,
par les documents qui
Sura est marquée comme étant dis- suivent, que depuis plusieurs siècles le
tantede sept kilomètres d’Andraki, cette corps de saint Nicolas ne repose plus
position parait exacte. dans cette église; c'est une erreur des
caloyers, qui du reste paraît s'être mo-
HYRA. difiée depuis mon passage, car ils pré-^
tendent aujourd'hui que le corps de'
La chaloupe ayant franchi la barre, l’évêque a été récemment transporté en
nous fîmes encore un mille et demi en Russie (1).
remontant la rivière d’Andraki avec Saint Nicolas de Myra est regardé,
deux brasses d’eau. comme un des plus grands saints de la
Nos matelots s’installèrent dans une l^ende. Il est né à Patare de Lyeie,
ruine sur le rivage, et établirent leur dans le troisième siècle; il fut ordonné
tente avec des avirons. Un nègre que prêtre par l’évêque de Myra, du même
nous trouvâmes en débarquant nous nom que lui, et devint évêque à son
amena un chameau pour charger nos tour sous l’empereur Dioclétien.
bagages, et nous allâmes au monastère D’autres légendaires pensent que la
de Mvra, situé à trois quarts d'heure du naissance de Nicolas n’est pas antérieure
mouillage, dans une belle plaine bien au cinquième siècle, attendu qu'il n’est
cultivée. Ce couvent occupe les environs pas nommé dans le dénombrement des
de l’église de Saint-Nicolas, probable- évêques depuis l’an 420 jusqu'en 350.
ment la basilique construite par Théo- Il ne paraît pas dans le concile de
dose Il sous le nom d’église de Syon, Chalcédoine.
lorsque NWra fut déclarée capitale de I.e culte de saint Nicolas fut établi
la Lycie C’est un grand édifice carré,
publiquement en Orient dès le com-
sans fenêtres à l’extérieur, occupé par mencement du sixième siècle. L’empe-
plusieurs familles grecques. reur Justinien lui consacra une église à
La petite vérole ravageait la popula-
tion grecque ; le matinmême on avait
enterré un habitant
,

du monastère. Sa ( i) We were ioformed, by the priesi, thaï


veuve était sur la porte , chantant sa of the relies)
tins precioiis Ireasure (the shrine
nas taken to St-Petersbiirg by a russian firi-
chanson de mort, et s’arrachant les
gale, during lhe greek révolution. The em-
peror sent a gaudy pictore as a substilute,
i) Publié dans les planches de
( Myra, Atie and it is non an object of great adora-
Minturt, in-fol., t. III. tion... etc. Travel» in Lycia, by Spratt and
(») Travels in r.jrda, 1. 1", 636. Forbes, tom. I, p. 166.

44 .
692 LUNIVKRS.
Constantinople, dans le quartier des corps de saint Nicolas. 11 n'y avait , e:i
Blaclieruos. Ilhonoré eu France,
fut effet que trois religieux qui gardaient
,

au neuvième siècle, avant même que ses ce saint dépôt; tous étaient d’ailleurs
reliques fussent transportées en Italie. dans la désolation par suite des hosti-
La legende raconte de la manière lités des Musulmans.
suivante l’enlèvement clandestin des Les gens de Bari firent accroire à ces
reliques du saint par des marchands religieux qu’ils étaientenvoyés du pape
italiens; ce récit sert à ü-ver d’une ma- de l’ancienne Rome, pour pourvoir à
nière certaine la date de la construction la sûreté et à l’honneur de ces saintes
de diverses églises. reliques , en leur procurant un asile eu
Lu tombeau de Myra était le but de Italie ; ils achevèrent de les gagner en
nombreux pèlerinages, et les Osmanlis leur donnant cent écus d’or a chacun,
ne se faisaient pas faute de l’invoquer. par vaisseau.
Ur, la ville de Myra fut prise, la sixième Après diverses prières , ils rompireot
année du règne de l’empereur Mcé- le tombeau de marbre à grands coups
pliore, par Achmet, général du calife de marteau ; ils y trouvèrent une urne
Harouu. Il voulut détruire le tombeau de même matière , et crurent d’abord
de saint Nicolas; mais les chrétiens, que c’était un grand vase de parfums;
pour conserver leurs reliques , trom- ils remarquèrent qu’elle était à demi
pèrent l’Arabe par une fausse indication, pleine d’une liqueur admirable qui res-
etun tombeau voisin fut saccagé. semblait à une huile très-pure, qui,
Uepuis cet événement, le tombeau selon les religieux, sortait du corps
de saint Nicolas resta encore à Myra même du .saint et tran.spirait à travers
l’espace de deux cent quatre-vingts ans, le marbre. 11 parut à ces pèlerins qu'on
pendant lequel on Qt diverses tentatives avait déjà touché au corps du saint
pour l’enlever. pour en prendre quelque partie, car
Enfin, par une manoeuvre dont les les os étaient pêle-mêle hors de leur
légendaires ne paraissent pas avoir situation naturelle, et la tête était à
compris toute la déloyauté, les reliques part. Ayant tout rassemblé dans une
tombèrent entre les mains des Latins. caisse très propre , ils enlevèrent ces
Quarante bourgeois et marchands de reliques le 20 avril de l’an 1087.
Bari ,
en Bouille , se rendaient en Syrie Les navires revinrent à Bari en dix-
dans le dessein d'aller commercer à huit jours. L’arrivée de 'ces reliques
Antioche. Se trouvant dans les parages causa une grande sensation dans toute
de Myra , ils conçurent le projet d'en- la chrétienté. L’huile miraculeuse fut
lever les célèbres reliques; ils envoyè- distribuée à différents monastères. En
rent secrètement reconnaître les lieux, 1100, l’évêque d’Amiens se rendit à
pour prendre les mesures et sdret^ Bari pour en obtenir une fiole. En
nécessaires, et remirent à leur retour 1660, elle attirait un concours immeuse
l’exécution de leur projet. de pèlerins à Worms, en Palatiiiat.
Étant à Antioche, quelques-uns d’en- Uès l’année 1089 , des processions et
tre eux ne purent s'empêcher de s’en des fêtes avaient été instituées eu l’hon-
ouvrir à quelques Vénitiens de leur neur du nouveau saint , et les fideles
connaissance , (jiii déclarèrent avoir avaient jeté les fondements d’une église
conçu , de leur roté , un semblable des- (lui Les Normands
existe encore à Bari.
sein et y persister. s'étaient emparés de cetia ville en
n’en fallut pas davantage aux gens
Il 1073; concoururent, avec les habi-
ils
de Bari pour leur faire expédier promp- tants , à la construction de la niiiivelle
tement leurs affaires dans la crainte de cathédrale. Enfin, en 1103; c’est-à-dire,
se voir devancés. seize ans après l’arrivée des reliques,
.S’étant remis en mer, ils s’arrêtèrent l’églisede Bari fut inaugurée par le duc
à la rade de Lycie et surent de leurs d’Apulie, premier roi normand de Si-
espions que la ville de Myra était toute cile. L’église est sans transept, mais
déserte, et qu’on ne trouvait presque n’est pas complètement en lorme de
personne ni dans le monastère , ni dans basilique; elle tient plutôt du style la-
l'église de Syon, où était déposé le tin que du style byzantin.
, ,

ASIE MINEURE. 69S

Les Vénitiens , qui avaient été devan- double , et conduit à la seconde pré-
oés par les gens de Bari ue se tinrent , cinction. On avait accès à la première
pas pour battus, et ils trouvèrent iar le théâtre et par la galerie circu-
moyen de transporter, eux aussi , à faire de la seconde précinction. Toutes
Venise, les reliques de saint Nicolas. ces galeries sont d’une magnifique cons-
Les légendaires, pour accommoder tous truction , sans mortier. Il y a vingt-sept
ces hauts faits de dévots peu scrupu- rangs de gradins à la première pré-
leux, prétendent que le saint Nicolas cinction , et il devait y en avoir vingt à
de Venise est l’oncle du précédent , et la seconde. Nous abandonnâmes le cou-
(iu’il est honoré avec saint Théo- vent dans la soirée , pour venir nous
dore (I). loger dans un grand konac ou maison
Mais les reliques de ces bienheureux de campagne, appartenant à l’agha de
ne tardèrent pas à se multiplier dans le Cassaba. Le vieux Turc, qui est son
inonde chrétien On comptait à Paris beau-frère, fit quelque difficulté de
ilusieurs églises sous cette invocation : nous admettre , craignant que nous
fa collégiale de Saint-Nicolas du Lou- n’apportassions avec nous l’épidémie du
vre, l’église abbatiale de Saint-Nicolas couventg mais quand il sut combien
des Champs; enGn, Saint-Nicolas du nous étions liés avec l’agha de Cas.saba,
Palais ,
que saint Louis fit abattre pour il nous reçut à bras ouverts.

bâtir la Sainte-Chapelle. Le chef de Nous occupâmes sur-le-champ les


saint Nicolas fut déplacé, et on ne peut matelots de la chaloupe à faire des fouil-
dire avec certitude ce qu’il devint. les pour retrouver le podium de la pre-
Nous filmes rendre une première vi- mière précinction du théâtre; les habi-
site aux antiquités de Myra. tants vinrent nous aider à mettre le feu
Il parait que dans le moyen âge la aux broussailles qui encombraient la
ville de Myra s’étendait dans la plaine, salle des mimes.
car on rencontre d’abord une vaste en- Le gibier abonde dans la plaine de
ceinte carrée entourée de murailles de
, Myra; les geais bleus, les sirènes, les
marbre qui a sans doute appartenu à
,
tourterelles venaient jusque dans notre
la ville byzantine. Toutes ces murailles galerie. Un bœuf coûte 22 fr. 50 cent.,
sont faites de débris d’anciens monu- un mouton 4 fr.; tous les produits
,
ments. On apercevait là nécropole de sont en proportion , cor la plaine de
loin dans les rochers, et nous savions Myra n’est habitée que par une tribu
qu’il avait existé un théâtre un ca- : yuruque qui fait peu de commerce.
lover nous
y conduisit , et nous trou- I.es tombeaux de Myra méritent une
vâmes un des plus beaux monuments de attention particulière entre tous ceux
ce genre que j’aie encore vus. Toute la de la Lycie. Ils sont au nombre de
scène était décorée de colonnes de gra- trente, tous taillés dans le flanc de la
nit, d’ordre composite; il en reste une montagne ; les uns sont entièrement dé-
encore en place avec le pilastre voi- tachés du rocher et forment une sorte
sin les autres sont gisant devant la
; de portique imitant une construction
muraille du proscénium. de bois et portent des inscriptions ly-
Les portes sont d’un très-beau tra-, ciennes, l'un d’eux cependant contient
vail, etdans la salle des mimes on voit unecourte inscription grecque • Arsace :

accumulé un monceau de chapiteaux de Myndus ». Généralement l’épigra-


de masques tragiques et d’ornements de phie lycieune est très-brève.
toute espèce. Ce théâtre est bâti en La plus intéressante de ces inscriptions
ierre calcaire blanche, compacte, aussi est une idylle en trois mots, une déclara-
elle que le marbre la scène est tour- tion d’amour gravée sur la porte d’un
;
née vers le sud ; la galerie de l’est est tombeau par un jeune berger de Alyra :

« Moschus aime Philiota la fille de Dé-


Orderic Vital , publié par M. A. Le-
(<) « métrius. »Les caractères sont tracés
prévail, I. UI. —
Surins, f'ila: Sancl. avec une pointe peut-être avec le fer
a vol, in-fol. —
Angeli , f'ic ites Saints, de sa houlette.
,

en italien. —
Gally Knight, EccUsiastical Un certain nombre de bas-reliefs
archileclnre
ef llaly. d’un bon style sont exécutés à une
694 L’UNIVERS.
grande hauteur dans le rocher ; ils re- nument si multiplié dans les autres
présentent cette cérémonie funèbre villes de Lycie.
qu’on appelait Conclamation. A notre retour à Andraki, je fis faire
La montagne de Myra s’élève à l’an- une reconnaissance aux abords du grand
gle de deux vallées; la ville faisait face édifice décrit par le capitaine Beaufort,
au sud. La vallée de l’est, où coule la mais le marais qui l’entoure était im-
rivière de Myra, est celle dont nous praticable.
avons reconnu l’origine dans la vallée D’après l’inscription placée sur le
de Ca.ssaba. frontispcie, ce monument était un gre-
Sur le flanc oriental de la montagne nier bâti par ordre de l’empereur Ha-
se trouve une seconde nécropole foute drien il est d’une con.servation parfaite
;
taillée dans le roc, dont les tombeaux en sept chambres ayant cha-
et divisé
ont un aspect plus grandiose encore (1). cune une porte celle du milieu est sur-
:

Le rocherdes tombeaux s’élève à pic au- montée de deux bustes.


dessus de la plaine ; il est dominé par la
montagne de l’acropole citée par Stra- CHAPITRE XXII.
bon (2). Ceux (jui ont été à même de
comparer la nécropole de Petra avec CAP PHmBKA. — LIMYBA.
celle de Myra donnent la préférence à
cètte dernière pour la majesté des lignes. Le massif montagneux, dont la ville
Un des tombeaux est décoré- d’un d’Arnæa occupe le point culminant,
fronton de six mètres de base , dans vient s’amortir dans la mer au cap Phi-
le tympan duquel est sculpté le com- neka et sépare la vallée de Myra de
bat d’un lion et d’un taureau. Deux celle du fleuve Arycandus, qui prend sa
colonnes d'ordre ionique et deux pilas- souree dans le mont Solyma Une autre .

tres supportant des têtes de lion en rivière, dont le nom ancien est resté
baut-relief soutiennent le portique. Un inconnu , coule du nord au sud paral-
grand bas-relief de neui figures est lèlement au fleuve Arycandus.
placé au-dessus de la porte. Plusieurs villes appartenant à la con-
Un autre tombeau non moins impor- fédération lycienne possédaient les val-
tant est orné de bas-reliefs presque lées inférieures; on retrouve dans les
grands comme nature, représentant la ruines de nombreuses inscriptions dans
vie du mort ; on le voit d’abord enfant, la langue des Lyciens, et les monuments
il est nu et tient à la main un preferi- sont du même caractère que ceux des
culum, cuiller pour les sacrifices ;
on le villes de l’ouest.
voit ensuite adulte à côté de sa mère ; La population moderne de ces vallées
dans un troisième tableau il est pré- est généralement adonnée à la vie no-
senté par son père à une matrone qui made; les chefs ou agitas possèdent des
tient par la main une jeune fille c’est ; fermes autour desquelles se groupent
son mariage; enGn il est couché sur son les tentes de leurs administrés; les
lit funèbre, il tient à la main un rhyton rares villages qui peuplent ces monta-
vide, il a épuisé la coupe de la vie. gnes se composent de quelques maisons
La plupart de ces tombeaux sont d’un de terre ou de bois.
accès très-diflieile ; nous fûmes obligés La seule industrie des indigènes est
de faire venir un câble de la chaloupe l’exploitation des forêts de pins et de
pour eu atteindre ouelques uns. sapins qui couvrent les montagnes ; aussi
Dans la plaine au sud on voit plu- l’ancien mont Climax est-il désigné par
sieurs cénotaphes de l’époque romaine ; eux sous le nom de Taktalu dàgh, la
l’un deux est en forme de petit temple. montagne des planches. Les autres in-
H est une remarque à faire avant de dustries sontnulles, les habitants vivent
quitter les ruines de Myra, c’est qu’on du produit de leur sol et de leurs trou-
n’y rencontre pas un seul sarcophage peaux. Cette partie de la Lycie est infi-
avec le couvercle en ogive, genre de rao- niment plus pauvre que la région de
l’ouest, mais on retrouve chez les indi-
(i) Voyez planche 6o, Nécropole à Myra. gènes le même caractère pacifique et
(i) Sirabon, XIV, 665. hospitalier.

'

. ;
i. .oti'iL
,

ASIE MINEURE. 695

MM. Spralt et Fellows, qui ont ex- d’une large vallée beaucoup plus éten-
ploré la contrée et déterminé la situa- due.
tion des villes anciennes de ces régions Le grand sarcophage sur lequel se
alors inconnues ont trouvé partout
,
trouve la double inscription en langue
chez les habitants le meilleur accueil; grecque et lycienne , le premier monu-
ils se sont spontanément offerts pour ment de ce genre dont la copie fut ap-
servir de guide aux voyageurs étran- portée en Europe par M. Cockerell en
gers. 1814, s’élève encore intact près du
Pour ceux qui veulent visiter cette moulin à eau. Deux forteresses défen-
région , la plus grande difficulté est d’y daient la ville ; la première domine la
arriver. Le chemin par terre , de Myra colline de la nécropole. C'est un ouvrage
au village de Phineka , est des plus pé- grec encore bien conservé; quelques ves-
nibles pour franchir la montagne qui tiges de monuments sont épars dans
forme le cap. Toujours entre cette dou- l’intérieur. La seconde consiste en une
ble difficulté, en été le manque d'eau, enceinte carrée flanquée de tours et
et une chaleur intense au milieu des bâtie en moellons mêlés de briques, in-
rochers , en hiver des torrents débor- dice certain d’une époque de décadence.
dés et des journées trop courtes. Le Le théâtre est bâti au pied de ce châ-
mieux est de fqire ce trajet par mer et teau ; il est envahi jiar une forêt de
d’envoyer ses chevaux par la montagne, broussailles qui rendent impossible
car on ne saurait songer à s'en pro- toute étude du monument; on voit ce-
curer dans les villages ije l’est. pendant qu’il doit être compté au nom-
Le nom de Phineka, hieu que mo- bre des plus grands théâtres anciens.
derne, est peut-être, comme celui de De nombreuses sources sortant du
Phœnicus portus, un vague souvenir des pied de la montagne, se réunissent pour
étalilissements créés sur cette côte par former un cours d’eau qui n’est pas in-
les Phœniciens ; il est certain du moius férieur en volume au Phineka tcha'i
qu’ils y avaient un comptoir, car au c’est sans aucun doute le fleuve Limy-
milieu des tombeaux lyciens on lit en- rus cité par Pline comme un des af-
core une inscription phénicienne. La fluents de l’Arycandus.
ville d’Olympus, sur la côte est, s’op- La nécropole de Limyra comme celle
pelait aussi Phœnicus. On ne peut dire de toutes les autres villes de Lycie mé-
ue ces noms viennent de plantations rite une étude particulière ; elle n’a pas
e palmiers, car ces arbres n’ont ja- l’imposant aspect de la nécropole de
mais prospéré sur la côte d'Asie, ils ne Myra ; les tombeaux sont dispersés sur
s’y trouvent qu'accidcntellement. la surface du rocher, dont les couches
Le village de Phineka ressemble à sont obliques à l'horizon Plusieurs mo-
celui d’Antiphilo on y trouve trois
; numents portent des inscriptions lycien-
maisons , celle du douanier, celle du ca- nes, quelques autres en langue grecque.
fédji et celle du boulanger; c’est litté- On remarque des façades ornées de
ralement ce qu’on appelle ici une pilastres ioniques.
échelle. Les bateaux viennent charger Les bas-reliefs qui décorent ces mo-
du bois et des planches pour les lies ; numents représentent des combattants
ils apportent quelques marchandises, ou des scènes mythologiques, et les noms
qui sont transportées à Almalu, la plus des héros sont inscrits dans le champ
grande ville de la Lycie, à une distance du tableau; plusieurs de ces bas-reliefs
de douze heures de marche. portent encore des traces de couleurs.
Les ruines de Limyra sont à six ki- En un mot les tombeaux de cetteville des
lomètres environ à Test de Phineka, morts paraissent avoir été destinés a
séparées du village par un grand ma- une population riche et nombreuse ; ce-
rais et par la petite rivière de Phineka pendant Strabon ne place pas Limyra
tchaï, que l’on passe sur un pont de parmi les villes importantes de la Ly-
liois. cie. Deux petits hameaux sont les seuls
. La ville lycienne est construite sur lieux habités dans cette vallée le pre-
:

la pente d’une montagne qui longe la mier, Aladja keui, porte le noin de la
vallée d’Arycauda à l’est, et la sépare montagne voisine ; le second Dçinirdji
,

i>90 L’UNIVERS.
keui est habité par ciii | ou si.'t familles jusqu'au cap Chéiidouia. Les ruines d'L-
de Tchinghench ou Bohémiens qui exer- debessns s’étendent sur une terrasse
cent le tnétier de forgeron ; on retrouve naturelle détachée de in montagne Bcy
ces gens-là errants dans presque tous dagh ; elles consistent en un théâtre de
les villages de l’Asie. petite dimension, qui conserve encore
quelques rangs de sièges, et dont le pros-
CHAPITRE XXIII. cénium faisait face a un précipice. Une
église chrétienne s’élève a côté d'autres
ARYCANnA. — VALLÉE d’ALLAGHIR. ruines, et la nécropole offre encore de
nombreux monuments, des sarcophages
La ville d’Arvcanda était située dans et des tombeaux ornés de couronnes, de
la vallée supérieure du fleuve, dans le boucliers et de têtes de taureaux. Quel-
voisinage du village moderne de Arouf ques inscriptions portant le nom de
à cinquante-six kilomètres environ de Êdebessus mettent à même de constater
la mer. Les ruines Iveiennes consistent l’idenlité de cette ancienne ville.
en tombeaux de différents styles , un Acalissns est située à peu de distance
théâtre et d’autres édifices construits en au sud-ouest de Edebessus, près du vil-
pierres polygonales. lage Yourouk do Giaouristan ; les rui-
Quelques bâtiments qui peuvent avoir nes ne consistent qu’en deux ou trois
apjiartenu à une église ou a un monas- sarcophages qui contiennent le nom de
tère prouvent que l’ancienne Arvcan- la ville et en deux églises chrétiennes.
das fut habitée jusqu’aux derniers Les ruines do Rbodiapolis, aujour-
temps de l’empire byzantin. On ignore d’hui Eski hissar, sont entourées d’une
l'epoque de son abandon ; jamais les forêt presque impénétrable, où M. Spratt
musulmans ne l’ont occupée. espérait peu découvrir les vestiges d’une
La grande vallée de l’Allaghir tchaï, ville. Slais bientôt au milieu d’une éclair-
qui est restée sans nom chez les écri- cie de la forêt, il reconnaît des tours et
vains anciens, prend naissance dans le des murailles un théâtre antique, une
:

mont Solyma, et s'étend directement vieille église chrétienne et des sarcopha-


jusqu’à la côte, où se réunissent, dans ges sculptés, restes d’une ville impor-
une plaine basse et marécageuse toutes tante. Plusieurs piédestaux portant des
les rivières de ces parages , la rivière de insbriptions lui révélèrent le nom de
Limyra,rAllaghir tchaï, le Gœuk sou et Rhodiapolis.
la rivière de Hadji Vella. Les Lyciens Corydalla, autre ville presque ignorée,
avaient fondé plusieurs villes dans ces a laissé quelques vestiges au village de
régions d’une défense facile et qui en- Hadji Vella, les rochers manquent pour
core aujourd’hui sont ombragées par y creuser des tombeaux ; on y observe
des forêts séculaires ; les ruines de leurs cependant un sarcophage dont l'inscrip-
monuments attestent un état de civili- tion fait connaître le nom de la ville.
sation avancée, et les inscriptions qui Les ruines de Gagæ, au lieu dit Ak
subsistent encore mettent à même de tasch, la pierre blanche, sont à l'extré-
suppléer aux trop brèves indications mité orientale de la plaine de Liinyra,
que nous ont laissées les écrivains ro- près du village de Yenidjé, à un demi-
mains. mille du rivage de la mer. L’acropolis
Kdehessus est située dans la vallée s’élève sur un rocher; une roche blan-
supérieure du fleuve, au pied du mont che , Ai tasch s’élève entre l'acropole
Solyma, au lieu dit Kosa agatch, près et la mer. Les ruines dans la plaine
du Yaéia du village de Karditch. sont très-étendues; mais elles parais-
Il est impossible, ditM. Spratt (1), de sent être toutes de l'époque romaine.
choisir un site plus imposant. La ville On voit cependant à la pointe est quel-
s'élève sur le penchant d’un précipice ques constructions helléniques. En des-
infranchissable, et les montagnes d'a- cendant sur une esplanade inférieure
lentour sont couvertes de forêts dont on rejoint la seconde citadelle, défendue
les cimes forment une mer de verdure par un précipice et des murailles épais-
ses. L’étymologie du nom de Gaga;
(i) T''a''th in lycia, I. i68. vient de ce qu’on trouvait aux environs
,

ASIF, MroEURE. C97

une pierred’une nnture particulière tues et les trésors qu’il avait enlevés apres
appelée gagatès. Selon M. Spratt, les la prise de la ville. Aujourd’hui on re-
ro^es de Gagæ sont composées de ser- trouve encore le théâtre et les vestiges
pentines et de trapps, il n’est pas im- de plusieurs temples et de portiques.
possible qu'elles aient lourni des agathes Un piédestal sur lequel est inscrit le
et des cbalcédoines. nom d’Oiyinpus a servi à constater l’i-
dentité dé cette ville.
Ale.xandre dans sa campagne de
CHAPITRE XXIV. Lycie remonta cette côte du sud au

PHASELTS. — OLYMPUS. — MONT


nord, et son armée pour éviter les ro-
ches qui descendaient jusnue dans la
CHIMÆBA. mer fut souvent obligée ne marcher
dans l’eau. Toute la description que fait
Le cap Chelidonia est relié au conti- Arrien des obstacles que rencontra
nent par un isthme montagneux qui l’armée macédonienne est d'accord avec
offre cependant le seul passage prati- la nature du pays.
cable pour arriver sur la côte orien- A l’entrée d’iine gorge étroite, dans
tale; partout ailleurs la chaîne du mbnt laquelle coule une rivière, s’élève un
Sol)ina s’élève comme une barrière in- grand rocher formant un arc naturel, la
franchissable. Une valléequi prend seule communication entre l’ancienue
naissance dans supCrienre de
la partie ville et la côte, au nord de la rivière; il
l’isthme descend à l’est jusqu’à la baie est assez large pour que les piétons
d’Adratchan, qui est l’ancien Portus .Si- uissent y passer, mais les cavaliers ont
dérus; le mont Olympus ou Phaenix do- f habitude de faire le tour du rocher et
mine la baie du côté du nord et descend de passer dans la mer. Les indigènes
dans la mer en formant un cap allongé appellent cet endroit Delik tasch . la
ni abrite la baie d’Adratchan. Au nord pierre percée c’est aussi le nom qu’ils
;
e ce cap est un autre petit port que donnent aux ruinesd’OIympus, aujour-
les indigènes nomment Porto génovése : côte d’autre
d’hui désertes : il n’y a sur la
un château génois s'élève en effet sur le maison que celle de l’ofûcier des
revers de la montagne qui regarde la douanes.
mer. Les ruines d’OIympus s’étendent Dans la montagne, au-.dessus d’OIym-
autour d’un mamelon et dans la vallée, pus, on ol>serve encore un phénomène
qui s’ouvre sur la mer. qui a tenu une place importante dans
Olympus était comptée au nombre des les mythes dont le peuple Lycien était
si.T principales villes de la Lycie; cepen-
si prodigue.
dant, si l’on en juge par le caractère des I.e capitaine Beaufort est le premier
ruines qui subsistent encore, elle fut qui ait signalé dans le mont Tactalu
principalement habitée par une popula- l’ancien mont Chimæra, une éruption
tion grecque ; les monuments et surtout
perpétuelle d’une flamme sortant du
lestombeaux de style lycien ne se ren- flanc des rochers. Les indigènes con-
contrent nulle part sur cette côte ; les naissaient de tout temps ce phénomène,
villes de l’est ont en effet été occupées et lui donnaient le nom de lanar tasch,
depuis l’an 650 de Rome jusqu’à la lin de la pierre qui brûle; non-seulement ils ne
la guerre dos pirates par des chefs Pisi- le redoutent pas, mais il lui attribuent
diens, parmi lesquels le corsaire Zenicé- des vertus curatives et ramassent les
tus est le plus célèbre. Olympus fut prise
résidus qui entourent le jet de flammes
par Servilius Isauricus, etdepuis ce temps pour en faire des remèdes. T.’éruption
resta au pouvoir de Rome. Un motdeCi- se manifeste tantôt par un jet de
céron (1), nous donne une idée de la ri- flamme unique tantôt par de nombreux
chesse et delà beautédes monuments d’O-
jets sortant des fissures de la roche;
lynipus O ville ancienne et florissante «.
mais il ne parait pas que jamais ce feu
Servilius a fait transporter à Rome et se soit éteint. Les piiénomènes de ce
porter devant son char triomphal les sta- genre ne sont pas rares en Asie ; sans
parler du grand feu de Bakou, sur les
(i)In Vcrrem I, ar. Bords de la mer Caspienne, qui est
698 L’UNIVERS.
pour les Guèbres un feu sacré, nous au bâtiment ruiné près duquel sortent
avons observé dans la Mésopotamie et les flammes.
surtout à Kerkouk, non loin d’Arbèles, Le mont Solyma, au pied duquel passe
des éruptions semblables; mais celle la route qui conduit a Phaselis, offre
d’OIympus parait tout à fait privée de des sites d’une grande beauté; la partie
force explosive; c'est un feu qui brûle est, qui portait spécialement le nom de
lentement et uniformément. Les rochers Climax, échelle, est composée de plu-
d’alentour ne portent aucune trace d’é- sieurs plans de montagnes superposées
panchement de lave, ce sont des schistes dans lesquelles croissent de belles fo-
et des serpentines. rêts exploitées par les indigènes : aussi
Cette éruption paraît remonter à l’o- donnent ils à cette montagne le nom
rigine des temps : les plus anciennes tra- de Taktalu, la montagne des planches.
ditions la signalent ; elle était pour les Les roches qui descendent jusqu’ao
Lyciens un sujet d’effroi. Aussi leur bord de la mer rendent presque impra-
plus vaillant héros , Bellérophon fut-il ticable la route d’OIympus à Phaselis en
chargé d’aller combattre la Chimère, suivant les contours de la côte; il est
La flamme qui
qu’il parvint à vaincre (I). préférable de remonter la vallée d’Oulou
existait toujours fut consacrée à Vul- oouuar ichaï, qui, dans son parcours, of-
cain ; un temple de ce dieu fut construit fre des tableaux d’une admirable na-
dans le voisinage, et l’endroit fut appelé ture , des montagnes couvertes de pins
Hephestion. séculaires et de profonds précipices où
Les poètes et les historiens ont déerit la rivière d’Oulou bounar serpente en
laChimère les uns comme un monstre mugissant. Les habitants de cette luo^
indomptable , les autres comme un phé- tagne sont des Yourouk, dont l’industrie
nomène naturel. Ils le placent entre les consiste à débiter les arbres de ces fo-
villes d’OIympus et de Phaselis, ce qui rêts. On remonte la rivière d’Ouloa
est exact. La description de Sénèque (3) bounar jusqu’à sa source, et l’on des-
est la plus rationnelle. cend au vulage deTekrova, près des
« Dans la Lycie on voit l’Héphestion ruines de l’ancienne Phaselis, Ce voyage
ainsi appelé par les habitants, où le sol exige une journée de huit heures de
perfore en plusieurs endroits, laisse marche.
échapper une flamme sans aucun danger Phaselis, colonie dorienne, ne faisait
pour ceux qui l’approchent. » Scylax (3) pas partie de la confédération des villes
lait aussi mention de la Chimère « Au- : de Lycie. Située sur un isthme qui sé-
dessus du port Sidérus s’élève sur la parait deux ports elle dut à son heureuse
montagne un temple de Vulcain où l’on position de devenir le centre d’un com-
voit brûler un feu naturel qui ne s’é- merce considérable entre l’Asie, lE-
teint jamais. » gypte et la Phénicie. On lui donnait
Le monstre de la Chimère, représenté nom de Pityussa, c’est-à-dire
aussi le
comme vomissant des flammes est ombragée par des pins ces e^uces:

expliqué plus simplement par Servius (4) ; abondent encore dans le mont Taktalu.
C’est, dit-il, une montagne qui a du feu Les nombreuses criques de la cote est
au sommet, dont le milieu est fréquenté de Lycie étaient on ne peut mieux dis-
par les lions, et dont la base est infectée posées pour servir de retraites aux n^
ports
de serpents. Jusqu’à ce jour on n’a vu vires des pirates ; outre les petits
aucun lion dans cette partie de l’Asie. que nous avons cités, il faut mentionner
Corycus, abrité par les rochers de
iria
Pour se rendre de Delik tasch au
est-ce i-o-
Yanar, on traverse une petite plaine Nisia, qui sont les îles Cypriæ ;
d’environ trois kilomètres de large; rycas qui donna le nom aux corsaire
corycéens, ou vinrent-ils de la ville de
on entre dans une vallée boisée et
o*®*,
l’on arrive après une courte ascension rycus de Cilicie? Les auteurs ne le
pas, mais ils attestent que le -
n
(i) Homère, II., VI, i8o. Corycus se retrouve dans tous les
^
(a) Séoèq., Ep. 79. qui étaient infestés de pirates (1)-
(3) 5tcyl. Prripl. p. 3g.
ASIE MINEURE. 6»9

se gouverna d’abord par ses propres


selis du mont Climax descend jusqu’à
forts
Cicéron (1)| en fait une colonie non
lois. mer, et va former le cap Avova ou
la
de Ooriens, mais de Grecs ycens. Egdcr. Vient ensuite la plaine de Remer
Ce n’était pas dans l’origine un repaire arrosée par une petite rivière. Au delà,
de pirates ; mais telle est sa position sur, le chemin pour entrer en Pamphylie
un promontoire fort avancé dans la par la côte est impraticable. La rivière
mer, que les pirates de Cilicie, dans leurs de Kemer descend du Seghir dagh , la
courses, étaient obligés d’v relâcher. En montagne du bœuf, en formant un
conséquence, ils se rattachèrent d'abord torrent écumeux au milieu d’une vallée
par des affaires commerciales, ensuite qui s'élève rapidement ju^u’à six cents
par un traité. Après la prise d’OIympus, mètres au d vsus de la plaine. D’antiques
P. Servilius vint attaquer Piiaselis, qui forêts de pins couvren les pentes, et
était défendue par Zénicetus en per- sont l’objet d’exploitations données en
sonne. Lorsque le chef des corsaires vit concessions aux Yourouk.
l’armée romaine maltresse des abords Pendant que je naviguais dans le
de la ville, il fit mettre le feu aux prin- golfe d’Adalia en 1836, je fus témoin
cipaux édifices, et se précipita dans les d’un spectacle trop fréquent en Asie.
flammes avec tous ses compagnons. Un incendie allumé par les nomades
Phaselis se releva cependant de ces dé- dévorait les forêts du mont Climax ; le
sastres, et Strabon la cite comme une relèvement pris par un offleier du brick
des villes les plus florissantes (2) de celte donnait phis de huit kilomètres de
région. Les ediflces dont les ruines sub- longueur pour le terrain incendié.
sistent encore appartiennent tous à l’é- Ces vallées ont été franchies par
poque romaine la ville s’élevait sur un
,
l’armée d’Alexandre; c’est ce que
plateau entouré de rochers, le grand Plutarque appelle les Échelles. Der-
port était au sud-ouest et l’on aperçoit rière le Taktalu s’ouvre une grande
encore sous les eaux un môle qui a vallée qui descend jusqu’à l^Allag-
environ cinquante mètres de longueur. hir tchaï; une autre vallée passe au-
Le'théâtre avait vingt ranp de sièges, il dessous des ruines de Seraïdjik, que
ne se distingue en rien nés autres édi- l’on aperçoit du petit hameau de Ko-
fices du même genre. Pausanias cite saracy. Le nom de cette ancienne ville
comme un monument célèbre à Phaselis est resté indéterminé entre les explora-
le temple de Minerve, où l’on conservait teurs qui ont visité ces ruines. M. Spratt
la lance d’Achille (3). On reconnaît pense que c’est l’ancienne Apollonia ;
aussi un long portique de quatre cents M. Schœnbom y voit l'emplacement
pas d’étendue, tout pavé de marbre blanc, de Marmora, ville qui s’est opposée au
^ui conduisait au petit port. Des sièges passage d'Alexandre, et qui a étéruinée
étaient disposés de chaque côté pour par son ordre.
l’usage des promeneurs. Apollonia de Lycie était une colonie
Déjà du temps des Romains le petit de Tnraces restée fidèle à Alexandre et
port était oevenu un marais exhalant lui fournit des guides pour traverser
des miasmes délétères ; cet état de choses ces montagnes. Ces ruines sont intéres-
n’a fait qu’augmenter, et a été la prin- santes au point de vue géographique;
cipalecause de l’abandon de la ville. Les les monuments qui subsistent encore
ports de la côte de Lycie, bons pour les sont des tombeaux et quelques restes
petits navires des anciens, ne sont plus de murailles.
d'ailleurs d’aucune utilité pour la ma- En franchissant la crête de la mon-
rine moderne, ils ne pourraient recevoir tagne vers le nord, on arrive à la nais-
des bâtiments de trois ou quatre cents sance d’une vallée qui conduit dans la
tonneaux. plaine d’Adalia; c'est par cette route
Au nord de Phaselis, un des contre- qu’ Alexandre est entré en Pamphylie.

(i) In Terrem II, liv. lY, X.


(i) Strabon, XTV, 666.
(3) Laoon.rh. S.Lesiouveuindelaguerre
de Troie sont populaires dans toute la Lycie.
700 L’UNIVERS.
ai APURE XXV. comme les plus indomptables de la
contrée.
LA TéTBAPOLB DK CIBYBATIS. La Tétrapole est arrosée par le Ghe-
renis tchaï, et fait aujourd’hui partie du
Au nord de la L3 cie habitaient les paehalik de Mogla; elle s’étend au sud
Solymes et les Cabalès, deux peuples jusqu’au sources du Xatithus.
d’une orisine étrangère à l’Asie Mi- Cibyra était située sur la pente orien-
neure. Les premiers, qui oeeupaient les tale d’une montagne qui domine la grande
régions maritimes, furent repoussés vers vallée du fleuve Indus, le Gherenis
le nord par l’invasion erétoise les Ca-; tchai. Les ruines de cette ville ont été
balès s’unirent avec les I.ydiens, et for- reconnues par M. .Spratt près du vil-
mèrent cette race de Cabalès Lasoniens lage de llourzoum sur la roule qui
,

sujets de Crésus. Avant cette migration, conduit d’Adalia à Smyrne. Ces ruiues,
le plateau du Milyas était occupé par éparses au milieu d’une plaine, ne pré-
les I^élèges, qui se mêlèrent en partie sentent pas l’imposant aspect des an-
avec les Cariens. Le reste de la nation ciennes villes de Lycie, mais conser-
se retira vers l’est, et se fondit avec les vent encore plusieurs monuments re-
Pisidiens ; aussi toutes ces villes con- marquables.
servèrent-ellesun gouvernement analo- Il faut citer en première ligne le
gue elles étaient .soumises à l'autorité
: théâtre, quia quatre-vingt-dix' mètres
de princes ou de chefs électifs. environ de diamètre. La première pré-
Cibyra devint le cbef>lieu d’une con- cinction a quinze rangs de gradins, et
fédération de quatre villes; son gouver- la seconde vingt et un. Le rang supé-
nement était une monarchie absolue. rieur de la première précinction porte
11 est fait mention de Cibyra pour la des dossiers pour les spectateurs. Quel-
première fois dans la campagne de ques inscriptions d’un grand intérêt
Manlius. A cette époque , la province ‘
existent encore elles
;
mentionnent
était sous l’autorité d’un dynaste plusieurs fois le nom de la ville.
nommé Moagète,qui fut rançonné par Un autre édifice s’élève à cent mètres
Manlius. Cibyra paraît avoir été dans le au sud du théâtre. C’est un grand Inti-
principe une ville de peu d’importance; ment carré et sans ornement; la façade
mais elle s’agrandit par radjonction est percée de cinq portes ceintrées et ,

d’une colonie de Pisidiens, et acquit un dans l’intérieur on voit treize rangs de


développement tel que du temps de
,
sièges formant un segment de cercle;
Strahon, son périmètre avait jusqu’à le plan de cet édifice diffère, comme
cent stades. Elle était renommée par on voit, de tous les autres monuments
l'excellence de ses lois et par l’industrie connus. Le stade est à l’extremité de la
de ses habitants, qui avaient acquis une plaine; il n’a de gradins que d’un
grande renommée dans l’art de tra- côté.
vailler le fer. Cibyra pouvait mettre sur Les trois autres villes de la Cibyratis
pied trente mille fantassins et deux étaient des places de peu d’importance;
mille cavaliers; son pouvoir s’étendait les ruines de Bubo sont à deux milles au
au delà des limites de la province sur sud d’Ehadjik, village d'une douzaine
les villes de Pisidie, du Milyas et de la de maisons au sud d’Hourzoum. On y
Lycie. remarque un théâtre et des vestiges de
Lorsque le dernier prince du nom de temples ou d’autres monuments qui
Moagète fut soumis par Murena, la s’élevaient sur une terrasse.
tétrapole fut divisée; Cibyra fut an- Balbura est dans la vallée supérieure
nexée à la Phrygie et les trois autres du Xanthus près du petit village de
villes Bubo, Bâlbura et OEnoanda, fu- Katara. Les ruines indiquent une ville
rent incorporées à la Lycie. Cibyra pa- d’une certaine im|>ortancc; le -théâtre
a
raît avoir supporté impatiemment le est situé sur la pente de l’acropole; il
sui-
joug de Rome; elle devint cependant cela de particulier que les gradins
au
le chef-lieu d’un Conventus juridicus et vent les irrégularités du rccher, et
uu
celui d’un Thème, mais Constantin centre est une excavation comme
Porphyrogénète signale ses habitants grand siège ou un trône. Un second

- ogic
ASIE MINEURE. 701

un enfoncement
théâtre est placé dans dû attirer une nombreuse population.
de montagne au sud de la rivière.
la Les Solvmes, les Termiles, les Laso-
Un grand nombre d’autres monuments niens ,
les Milyeus qui étaient des
sont épars aux environs, quelques-uns Thraces, avaient déjà tormé une confé-
présentent le caractère d'une haute an- dération de tribus et de villes.
tiquité. Les hautes vallées du Taurus leur of-
OEnoauda était à une demi-journée fraient des terres assainies, d’une cul-
au sud de Balbura; on retrouve ses ture et surtout d’une défense facile. Si
ruines au village de Ouloudja, sur la jamais pays mérita le nom de Pam-
rive gauche du Xanthus. I.es monu- phylie, ce fut cette région dans laquelle
ments sont presque entièrement dé- on parlait quatre langues. Ils possé-
truits; ils avaient le même caractère que daient le pays depuis le Taurus jusqu’à
ceux des autres villes de la Tétrapole. la côte opposée a l’Ile de Rhodes , dit
Strabon(l). Quelques-unes de ces tribus
CHAPITRE XXVI. descendirent dans le pays plat, et choi-
sirent les éminences naturelles pour y
PAMPHYUE. établir des châteaux. La defen.se comme
la salubrité commandaient cette pré-
CONSTITUTION DU SIV-. ÉTABLISSE- — caution, et nous retrouvons, entre les
MENT DES COLONS GBECS. mains des Grecs ces memes bourgades
devenues des villes florissantes, em-
Les Grecs ont donné le nom de Pam- bellies de monuments groupés dans la

e ie
le
à cette province formée d’une
étroite de territoire, resserrée
entre la chaîne du Taurus et la mer,
laine au pied de la colline qui fut le
(Tceau de la ville. Perga, Syllæum,
Aspendus en sont des exemples.
et presque entièrement fortnée de ter- La dispersion des peuples grecs con-
rains d’alluvions. Si les documents his- fédérés contre le royaume de Priam fut
toriques nous font défaut pour con- aux yeux des historiens anciens la pre-
naître les populations qui ont occupé mière cause de l’expansion de la race
celte contrée avant l’arrivée des pre- hellénique sur toutes les côtes de l’Asie.
miers Grecs, nous pouvons être assurés, Les compagnons d’Agamemnon, égarés
d’après la nature du pays, que les ré- sur lu vaste mer dont l’étendue leur
gions montagneuses voisines de la paraissait infranchissable , s’en allè-
Pamphylie, la Cilieie, la Lycie et la rent côtoyant l’Asie et fondant des villes
Pisidie étaient déjà peuplées' quand le dans ces parages inconnus (2).
territoire de la Pamphylie composé de , Chalcas et Amphiluqué se dirigèrent
terrains marécageux qui recevaient les vers le sinl, et donnèrent au pays où ils
eaux des versants du Taurus, était en- abordèrent le nom de Pamphylie , pays
core impraticable. Plusieurs fleuves et de toutes les tribus, oui rappelait "la
de nombreux torrents la traversent dans manière dont il fut peuplé. (3).

toute sa largeur, et forment des allu- On disposé h accepter cette éty-


est
vions dont nous pouvons nous rendre mologie donnée par Hérodote, puis-
compte en comparant l’état actuel du u’elle présenteun sens précis; Étienne
pays et les récits des historiens anciens, e Byzance fait dériver ce nom de celui
on peut voir quels changements nota- de Pamphyle, fille de Rbacius et de
bles se sont opérés depuis l'âge romain : Manto.
lesembouchures des fleuves obstruées Au nombre des peuples qui se sont
par les sables et le grand lac Capria établis dans la contrée, Strahon cite les
presque comblé sont des témoignages Cilicieus de la Troade, qui fondèrent les
suffisants des transformations inces- villes de Thebé et de Lyrnessus pour ;

santes auxquelles est soumis le sol de la n’omettre aucun des noms des premiers
Pamphylie. colons de la Cilieie, il faut citer encore
Ces alluvions out comblé et assaini
les marais formés par les eaux sta- (i) Siraboii, XIII, G3i.
gnantes et crée un pays d’une incompa- (a) Strabon, XIY, 669.
parable fertilité, nui alors seulement a (3) llèrodute, VII, ga.
,

702 LTJNIVKRS.
Mopsiu le Devin, qui mourut à CIaro8( i ), ville d’Attalia aujourd’hui Adalia, la
la contrée aurait alors été appelée Mo- ville grande ou plutôt la seule ville de
tsuesUa (2). Il n’eat pas surprenant que la province moderne.
fa Pamphylie accessible de toutes parts, Les limites de la Pamnhylie varièrent
ait toujours suivi le sort des provinces comme celles de toutes les autres pro-
voisines; lorsque les rois de Lydie s’em- vinces; au nord, elle absorba la Pisidie,
parèrent de la Cilicie, la Pamphylie leur et s’adjoignit une partie de la Cilicie
nit bientôt soumise. Cette province Trachée. Cet état de choses dura jusqu’à
sous le gouvernement des Perses, faisait la nouvelle division sous Constantiu. La
partie de la première satrapie ; elle est Pamphylie avait été divisée en deux
citée en dernier les Ioniens, les Ma-
: provinces ; la Pamphylie première était
gnâtes d'Asie, les Æoliens, les Cariens, a l’est du fleuve Éurymedon, la Pam-
les Lyciens ,
les Milyens ,
les Pamphy- phylie seconde était comprise depuis
liens (3). n’y a pas lieu de s’étonner
Il cette limite jusqu'à la Lycie. Sous Cons-
si les historiens sont si sobres de détails tantin , la Pamphylie fut réunie en une
sur cette contrée : les événements qui seule province, administrée par un
s’y passent ont tous leur point de départ consulaire; Hiéroclès la résume en un
dans d’autres provinces. Le sort des seul chapitre. Dans la liste des Pères du
Pamphyliens était de servir d’auxiliaires concile de Nicéc , il n'y a qu’une seule
à tous les conquérants qui se présen- Pamphylie, dont la capitale est Perga.
taient. Dans la guerre de Xerxès contre Dans les actes du concile d’Éphese, on
les Grecs, leur contingent naval fut de nomme Berenianus évéque de Perga,
trente vaisseaux tandis que les Lyciens Aniphiloqiie de Sidé. Au concile de
en fournirent cinquante et les Ciliciens Chalcédoine, on nomme Amphiloque
ccnt (4). habitants de Phaseiis, quoi- de Sidé Épiphane de Perqa.
,

que d’origine grecque refusèrent de se Théodose le jeune opéra une nou-


joindre à l’armée ae Cimou, qui allait velle démarcation et divisa la Pamphylie
combattre les Perses, et ne cousentirent en deux provinces Perga conserva I*
;

qu’a près que le chef des Athéniens eut titre d’évéché, et Syllæum fut créée
commence à investir leur ville pour en métropole de la seconde. Elles furent
fedre le siège. (5) Les Per.<;es avaient, il ensuite en un temps inconnu réunies
est vrai, garanti leur liberté aux deux sous une môme juridiction ecclésias-
principales villes, Aspendus et Perga. tique ; Syllæum devient la seule métro-
La Lycie s’était soumise volontaire- pole et les évêques de Perga disparais-
ment à la domination d’Alexandre ; les sent.
villes de Pamphylie qui étaient demeu-
rées libres Grent plus de difGculté, mais CHAPITRE XXVII.
n’en furent pas moins incorporées dans
le nouvel empire. A la mort d’Alexandre, CICÉBON BN CILICIS.
cos villes passèrent sous le gouverne-
ment des rois de Syrie, et restèrent en Dans les dernières années de la ré-
leur pouvoir jusqu’à la mort d’Antio- publique romaine , les provinces du sud
chus (6). turent réunies en un seul gouverne-
Les rois de Pergame héritèrent des ment, et mises sous la juridiction du
possessions de ce prince en Asie Mi- proconsul de Cilicie, dont le siège était
neure, et les conservèrent jusqu’à ce a Laodicée. Cicéron occupa cette cliarge
que le royaume des Attales tut absorbé pendant une année ; il entra en fonc-
par les Romains. C'est durant cette pé- tions le 31 juillet de l’an de Rome 701,
dix-
riode qu’Attale Philadelphe fonda la il
y a aujourd’lmi 3t juillet 1862,
neuf cent quatorze ans. Le nouveau
(i) Pline, V, i6. roconsul fait de ms provinces un ta-
(a) P. Mela,JlIV., Slrabon, XIV, 668. leau peu flatteur ; on doit convenir que
(î) Hérodote, II, 90.
depuis vingt siècles le progrès dans ce
(4) Hérodote, VII, i3.
pays n’a pas suivi une marche ascendante.
(6) Plutarque, vU de Cimon, Cicéron arrive en Asie désespéré de
(6) Polyb, XIII, 17. l'honneur qui lui est fait, et maigre
ASIE MINEURE. 708

l’accueil empressé qu’il rewit des ci- la Cappadoce contre les Arméniens qui
toyens d’Épnèse , la première préoccu- tenaient pour les Partîtes, et pouvoir
pation du proconsul est de prendre en même temps s’opposer à un coup de
ses mesures pour ne pas rester en Asie main sur la ulicie , dans le cas où les
plus d’une année. Il ne demeure qu’un Partîtes attaqueraient cette province.
jour à Éphèse, part de cette ville le Cicéron resta quinze jours au camp de
22 juillet, met une journée pour aller Cibystra. Les avis qu’il recevait du sud
d’Éphèse à Tralles, et se plaintI>eaucoup lui faisait craindre une attaque de la
de la poussière et de la chaleur. part du roi des Parthes, il s’avança vers
Cicéron arrive à Tralles le 27 juillet le Taurus avec son armée : la Cilicie
et à r^odicée le 31. I.es démonstra- même ne paraissait pas très-soumise, et
tions de joie et d’afïection qui lui sont les alliés, écrasés par la dureté et les in-
prodiguées ne le touchent guère, et dès justices du gouvernement romain (I),
le premier jour de son entrée en charge étaient tout prêts à faire défection.
il écrit (!), « Vous ne sauriez croire
: Malgré ses tristes prévisions, Cicéron
combien je suis déjà las du métier que marche en avant, et déploie, avec ses
je fais ; le bel honneur pour moi de faibles contingents,
toutes les qualités
juger les affaires de I.aodicée et de d’un général consommé; il soumet les
commander dans mon exil une armée peuplades du mont Amauus,brûle leurs
de deux légions. Je ne suis point ici à châteaux, et reçoit sur les bords de
ma place ; faites en sorte que j’en sois l’issus le titre ‘d’Imperator, aux lieux
quitte au bout d’une année ». mêmes où Alexandre avait triomphé.
Cicéron est surtout frappé de l’état L’année de son commandement s’a-
déplorable des villes de son gouverne- vançait, mais les campagnes de Cicéron
ment ; les députés lui exposent qu’elles n’étaient pas encore closes; il restait
ne sont pas en mesure de payer les sur ses derrières une population aguer-
taxes qui leur sont imposées: plusieurs rie, dans les montagnes les plus inac-
des habitants étaient obligés de vendre cessibles de la Cilicie, ad in/estissi-
leurs fonds. Il ajoute « Ces pauvres
; mam Ciliciæ partem (2). Il est à noter
villes sont bien à plaindre. • I.aloi Julia que dans tout le cours de sa corres-
accordait au gouverneur et à sa suite le pondance, Cicéron ne prononce pas
droit de prélever sur les habitants les une seule fois le nom de la Pisidie ; il
vivres et les fourrages nécessaires; Ci- donne aux habitants de ces montagnes
céron ne profite pas de cette faculté il: le nom d’Eleuthérociliciens. Toute cette
payait jusqu’au bois ; il accepte quel- campagne de Cicéron en Pisidie est
quefois un gîte chez les habitants , mais décrite en peu de mots et a été, ce me
le plus souvent il couchait sous sa tente. semble, trop peu remarquée. Cicéron,
Il n’y a rien de changé aujourd’hui dans du reste ne parait pas trop savoir ni
la manière de voyager dans ce pays , le quelle ville il a prise, ni quel peuple
ferman de voyage est une émanation de il a combattu; il altère le nom de la
la loi Julia. ville et ignore le nom du peuple qu’il
Cicéron («sse trois Jours à Synnada ; a vaincu.
il préoccupé pour donner à son
est trop Après sa victoire contre les peuples de
ami Atticus aucun détail géographique ; l’Amanus, il ajoute » J'ai conduit mes
:

on voit même qu’il connaît très-peu le troupes chez les peuples les plus indo-
pays. De Synnada, il se rend a Ico- ciles de la Cilicie; lai’ai mis le siège
uium ,
passant par Philomelium
en devant Pindénissus, ville très-bien for-
(Ak cheher). Le 31 d’août (2), il part tiGée (3); depuis vingt cinq jours nous
d'Iconium pour se rendre de la Cilicie avons fait des terrassements, avancé
dans la Cappadoce, et va camper à Ci- des mantelets, élevé des tours avec tant
bystra, « ville de Cappadoce au pied du de fatigues et tant de génie , qu’il ne
Taurus ; c’est là que le proconsul éta- manque à ma gloire que le nom d’une
blit son quartier général pour protéger
(i) Ibid., Epùt. CCXXt.
(i) Ad Alt., ao;. (a) Ibid., CCXXVI.
(a) Ad Fam., CCXllI. (3) Ibid., tiCXXVI.
ro4 L’UNIVKRS.
ville plus célèbre; nous la prendrons encore en Asie jusqu’au milieu de
bientôt, je IVspère. » Il devait encore l’année suivante, il s’occupe unique-
s’écouler vinst-deux jours avant que les ment des affaires de son gouvernement.
Romains entrassent dans la place. Pour ceux qui s’intéressent à la ques-
Enlin le 21 décembre 702, Cicéron an- tion de savoir si l’on trouve des pan-
nonce sa victoire à son ami Attieus (1) : thères en Asie Mineure, les passages de
« La ville de Pindenissus s’est rendue à quelques lettres de Cicéron prouvent que
moi le jour des Saturnales, après qua- du tunps des Romains, on croyait que
rante-sept jours de siège. Qu’est-ce que In Pamphylie en nourrissait à profusion.
c’est que ce Pindenissus ? je ne savais M. Cœlius écrit, en effet, à Cicéron pour
pas quai y eut au monde une ville de le prier de lui en faire passer un certain
ce nom. » nombre. » Vous n’avez pas reçu une
Cette ville que Cicéron n’avait jamais seule lettre où je ne vous aie parlé des
entendu nommer, et dont il altère le panthères ; il serait bien honteux que
nom , ne manque cependant pas d’une Patiscus en eilt envoyé dix à Curion.
certaine célébrité c’est l’ancienne Ped-
: et que je n’en obtinsse pas un plus grand
nelissus, une des priucipales villes des nombre de vous, qui pouvez en tirer
Pisidiens, la rivale de Seigé, dans la d’une quantité d’enoroits. Pour vous, si
vallée supérieure de l'Eurymédon. Elle vous avez la bonté de vous souvenir de
est citée par Strabou ;2). d’après Arté- ma prière et de donner des ordres aux
inidore, qui la met au nombre des villes Cihyrates et en Pamphylie , où l’on dit
de Pisidie, par Étienne de Byzance et qu’d s’en prend beaucoup, vous m’en
par Ptolémée. Iliéroclès étend les fron- procurerez autant qu’il vous plaira (1) ».
tières de la Pisidie jusqu'au milieu du Cicéron ne paraît pas avoir fait
Taurus , et met.Pednelis.sus (3) dans la grande attention à la lettre de Cœlius ;
Pampbylie. Des" mines encore fort im- il ne lui répond pas, et se contente d’é-

portantes ont été découvertes dans une crire, le 13 févriersuivant, à sonami At-
des parties les plus inaccessibles du ticus (2) « Il n’y avait rien de nouveau
:

Taurus, près du village de Baoulo. Ci- pour moi dans cette lettre, hors ce qui
céron dans la même lettre rend compte regarde les panthères de Cibyre; vous
des événements qui ont suivi la prise avez fort bien fait de dire à Oetavius
de la ville. « J’attaquai ensuite Pindé- que vous ne croyiez pas que j’en en-
nissiis (Pednelissus), ville très-forte de voyasse à son collègue. «
la Cilicie indépendante, qui, de mémoire Cicéron aurait eu beaucoup de peine
d’homme, fut toujours en armes, gens à satisfaire son ami; il est probable qu’à
rudes et féroces prêts à se défendre par cette époque les panthères étaient en
tous les moyens. J’entourai la ville d’un Asie Mineure un animal aussi inconnu
fossé et d’un retranchement, et j’établis qu’aujourd’hui il devait se trouver en
:

un grand terrassement; je fis construire en effet d’autant moins répandu que le


des Finea ou berceaux, une tour très- pays était plus peuplé.
haute et une quantité de machines; je
lançai en outre une nuée d’archers. Nous CHAPITRE XXVni.
sommes arrivés à notre but après de
rudes fatigues et en employant de grands OLBIA. — ATTAUA.
moyens; un certain noiiibre des nôtres
ont été blessés, mais l’armée est sauve. Le territoire de la Pamphylie com-
Je lui ai abandonné le butin, excepté les mençait à Phasélis et se terminait à
chevaux. Je fais vendre les esclaves Ptole'maïs ; la longueur de la côte, était
aujourd’hui 21 décembre, le prix en estimée à six cent quarante stades, 118
monte déjà à douze millions de sesterces kilomètres (3). Elle est divisée eu trois
12,400,000 fr.). Voilà tout le. détail de parties par les fleuves qui descendent du
mes exploits militaires. Cicéron demeure 'faurus : le Catarrhactès, le Cestrus et

(i) Ad ait., CC.XXVIII. (1) Ad- fani. Ep. CCXI, 2 sept. 720.
(a) XIV, 667. (2) Ibid., CCL.

(
3) Voy. plus bas Pednelissus. ( 3) Strabou, XIV ,
667.
)

ASIE MINEURE. 702

l’Eurymédon. Le fleuve Mêlas forme la au point de vue du commerce et des


limite orientale de la province. relations d’outre-mer, était bien préfé-
Après Phasélis, dijt Strabon (l), vient rable. Un cap élevé formait le port, qui
Olbia ville forte, ensuitele Catarrhactès, était vaste, pour les flottes grecques. Il
|iuis la ville d'Attalia construite par est arrivé pour Attalia le même fait que
Attale Philadçlphe, le même prince nous avons tant de fois remarqué pour
qui fonda la coioniede Corycus. d’autres vi lies grecques, elle a été sauvée
Ce passage a beaucoup' embarrassé iar ses relations commerciales; toutes
les commentateurs jusqu’à ce jour où Îes autres villes de Pamphylie sont au-
les ruines d’OIbia ont été retrouvées. jourd’hui dépeuplées. Elles n’avaient
Aujourd’hui il reste bien encore la dif- d’autre port que l’embouchure des fleu-
liculté d’expliquer comment le Catar- ves ; celui d’Adalia pouvait en tout
rliaetès se trouve à l’est et non à l’ouest temps offrir un abri à une flotte. Paul
d’Attalia, mais avec les variations qu’a et Barnabé s’embarquèrent à Adalia
subies le cours de ce fleuve, il ft’est pas quand ils quittèrent la Pamphylie.
impossible qu’à une certaine époque il Dès que les Seldjoukides furent
se sort jeié dans la mer à l’ouest d’A- maîtres delà Caramanie, Adalia de-
dalia. vint leur principal arsenal maritime, et
Les anciens comptaient en Pam- la ville acquit un nouvel accroissement.
phylie six villes principales , Olbia et Les fortifications de la ville grecque
Attalia à l’ouest, Perga et Syllæum au furent reconstruites suivant le système
centre, et à l’est Aspendus et Sidé. Les de défense d’alors; on répara les an-
ruines d’OIbia ont été retrouvées dans la ciens môles et une grosse tour antique
vallée de Arab tchaï, à huit kilomètres voisine du port fut convertie en bas-
à l’est d’Adalia ; elles occupent un pla- tion.
teau isolé de trois côtés de manière à Les Seldjoukides se bornèrent à ces
former une sorte de promontoire; le travaux de défense; les monuments
quatrième côté est défendu par une mu- consacrés au culte n’ont pas la granr
raille de deux cents mètres de long et deur que les émirs avaient coutume
d’une épaisseur de trois mètres, cons- d’imprimer à leurs œuvres; deux ou
truite en grosses pierres réunies sans trois mosquées plus modernes , bâties
ciment. La petite rivière Arab tchaï sans doute par le sultan Mourad l'^ sont
coule au nord du plateau qui n’est pas d’assez belle apparence.
éloigné du rivage. Cette position peut On trouve a chaque pas, encastrés
très-bien avoir convenu à une forte- dans les murailles, des fragments de
resse qui défendait l’entrée de la Pam- monuments antiques, mais qui sont
phylie contre les incursions des Soly mes. tous de l'époque romaine. Les maisons
Dans les rochers qui forment les flancs sont bâties en pierres, blanchies à la
du plateau sont creusés quelques tom- chaux et très-propres; la plupart ont de
beaux sans ornements. Cette petite grandes cours intérieures plantées d’ar-
ville paraît avoir été habitée même dans bres. J’ai demeuré à Adalia pendant un
les temps chrétiens on y reconnaît quel-
; mois , chez une famille grecque à la-
ques vestiges d’édifices qui datent des quelle j’avais été adressé par le pacha,
%zantins. et j’en ai reçu tous les soins imagina-
bles jusqu’au jour où ma santé m’a per-
CHAPITRE XXIX. mis de m’embarquer pour Smyrne.
La ville est entourée de jardins, où
ATTALIA. — ADALIA.
les eaux du Douden entretiennent une
fraîcheur continuelle ; pendant l’été,
les habitants se construisent des gour-
construction d’Attalia par le bis ou cabanes de branchages et pas- ,

prince Attale, 158 ans avant notre ère, sent la saison chaude sans rentrer en
paraît avoir été la cause de la ruine ville. Tous les fruits réussiraient sur ce
d’Ülbia. La position de la nouvelle ville, sol fertile, si une bonne administration
facilitait la production au lieu de l’en-
(i) XIV, 65;. traver. La ville est on ne peut plus mal
45’’ Ucraisoii. (Asie Mi.neure. T. II. 45
,

706 L’UINIVERS,

approvisionnée ou ne mange que de la


: distance pour couler dans la plaine d’A-
viande de clièvre. dalia.
Adalia s’élève sur un coteau qui re- Les eaux du Douden ont une pro-
garde la mer ; presque toutes les maisons priété incrustante qui les distingue des
jouissent de la perspective du golfe. La autres rivières de l’Asie. Chargées d’une
population est estimée de quiuEe à dix- grande quantité de sels calcaires , elles
nuit mille habitants ; le commerce du forment en roulant sur le sol des dé-
cabotage est entre les mains des Grecs, pôts considérables qui recouvrent tous
qui sont presque tous à leur aise. Les pierres
les objets qu’elles touclient.
Lorsque le capit. Beaufort visita pour comme les plantes sont bientôt recou-
la première fois cette ville, il observa vertes d’une croûte calcaire et le ter-
plusieurs restes d’antiquités un arc de
; rain est lui-méme transformé en une
triomphe et des colonnes corinthien- roche tendre et poreuse dans laquelle
nes; une frise où était inscrit le nom sont enveloppés les détritus végétaux
d’Hadrien. J’ai remarqué dans les mu- qu'il coiUenait ; il prend l'aspect d’une
railles un certain nombre d’écussons agglomération de coraux. Comme cette
de chevaliers, probablement du temps propriété incrustante se développe par
que la ville était entre les mains des te contact de l’air, les dépôts deviennent
Francs. plus abondants à mesure que le fleuve
Le pachalik d’Adalia est un des plus approche de son embouchure. Les
étendus de la côte; bien qu’il ait peu moindres obstacles qu’il rencontre dans
de villes dans son ressort, il renferme sou parcours sont devenus des espèces
un grand nombre de' villages, et surtout de digues, qui arrêtent le courant;
une population de Yourouk ou noma- alors les eaux s’épanchent en tous sens,
des assez considérable. Il s’étend à et forment des marais sans que pour
l’ouest Jusqu'au pachalik de Mogla, au cela leur limpidité eu soit troublée.
nord de [celui de Ronieh. I| produit L’exhaussement du sol à l’embouchure
du bois, des céréales, du tabac et des a formé une cascade tombant directe-
peaux. La fameuse huile de rose qui se ment dans la mer ; c'est de celte circons-
fabriquait a Phasélis pour l’usage des tance que le fleuve a reçu le nom de
dames athéniennes , le storax de Seigé catarrhacte.
qui fournissait en même temps un par- Le Douden passe à huit kilomètres
fum et des hampes de lance; tous ces d’Adalia ; mais les nombreux jardins de
produits de l’ancienue industrie des la ville sont arrosés par des canaux dé-

Grecs sont aujourd’hui parfaitement rivés du fleuve qui servent en même


oubliés c’est Andrinople qui fabrique
:
temps à faire tourner des moulins et
aujourd’hui les essences de rose et de vont tomber dans la mer eu formant
jasmin. des cascades.
La plaine du Douden, à l’est de la
ville, est stérile et marécageuse ; le cours
CHAPITRE XXX. inférieur de la rivière n’étant pas en-
caissé couvre une grande étendue de ter-

LE CATABKHACTÉS. — nOUUBN. rain oùcrottune véritable foiét de joues


et deglayeuls, ce marais est traversé par
Les sources du Douden n’ont pas la route qui conduit à Perga. Une chaus-
encore été parfaitement reconnues ; une sée de pierre qui a toute l’apparence
branche supérieure du fleuve prend nais- d’un ouvrage antique traverse le marais ;

sance dans le plateau de Padam agatch on arrive ensuite, après une heure et
au sud d’istenas. Le cours de cette ri- demie de marche, au principal cours du
vière suit une vallée qui descend directe- fleuve,que l’on traverse sur un pont de
ment dans la plaine d’Adalia. Les mon- cinq arcties. L’eau est d’une l’impidite
tagnes de ces vallées sont composées de remarquable , tout est désert aux en-
roches tendres et poreuses dans lesquel- virons, aussi les familles d’oiseaux aqua;
Le Douden tiques vivent-elles là dans Aine sécurité
.

les existent des cavernes.


s'engouffre dans une de ces profondeurs profonde; le pélican, le cormoran, l'avo-
du sol, et vient ressortir à une certaine cette ne s’effrayent pas de la présence
ASIK MINEURK 707

de l'homme. Le bassin du Douden est tous les monuments sont bâtis en petits
séparé de celui du Cestrus (Ak sou) par moellons réunis par du mortier, un
une ondulation de terrain qui com- certain nombre de sarcophages portent
mence à douze kilomètres de la rive du des inscriptions antérieures au cnristia-
fleuve. Les collines sont presque eu- nisine. Plusieurs lignes d’aqueducs dé-
tièrement composées d’agioiirerats sa- rivés sans doute du Catarrhactès cir-
blonneux et de roches d’eau douce de la culent en tout sens; on remarque
nature du travertin, que l’on retrouve surtout un canal de deux ou trois cents
employées comme blocage dans les mètres de longueur construit en larges
constructions autiques de la contrée. dalles de pierre qui traverse la ville de
Après avoir franchi ces collines , dont art en part. Les rebords sont ornés de
la largeur est de (quatre kilomètres, ou gures grossières de poissons et d’au-
arrive dans la vallee du Cestrus, où est tres animaux : on avait placé des bancs
située la ville de Perga. de pierre de distance en distance. Aux
angles du canal s’élèvent encore des
CIIAPITUK XXXI. iâlestaux sur Tun desquels ou lit : I.e
euve des Lagoniens : inscription qui
LS.üOiN. — TERHESSUS. prouve que ces ruines sont celles de la
ville de Lagon.
La grande route des caravanes qui Les vestiges des bâtiments publics et
relie Adaliaavec les villes de l'intérieur des maisons particulières couvrent une
suit encore la direction de l'ancienne très-grande surface de terrain , mais
voie romaine tracée à travers le Tau- toutes ces ruines sont d’un constrnetiou
rus; on eu reconnaît les traces à partir très-peu soiguée.
d'Isbarta eu passant par Agiasouu, et
sur le flanc de la vallée de Sousouse, qui CHAPITRE XXXIl.
débouche dans la plaine ; elle est en-
core conservée dans une longueur de
plusieurs kilomètres avec son pavement
TEBMBSSUS.
en grandes pierres calcaires. Les étapes
sont à peu de choses près les mêmes, et Termessus , une des places les plus
les anciens sultans ont fait construire importantes de la Pisidie, commandait
des caravanseraî sur l’emplacentent des le passage entre la Cibyratis et le Mi-
villes anciennes qui étaient ruinées. Le Ivas, dans la Pamphylie. Alexandre,
grand caravanseraî d’Evdir, bâti dans dans sa marche sur Issus , et Manlius
la plaine d'Adalia par iesultau Sélim P', pendant sa campagne de Galatie , vin-
et celui de Goulik khan, remplacent les rent tour à tour attaquer Termessus.
villes de Lagon et de Termessus. Les historiens nous ont laissé des dé-
TiieLive rapporte que Manlius, dans tails circonstanciés sur ces expéditions.
sa marche à travers la Pisidie, arriva Depuis le commencement du premier
devant la ville de Lagon, qu’il trouva siècle avaut notre ère, Termessus rentre
déserte ; mais dans leur fuite précipitée dans une nuit de quinze siècles. Nous
les habitants avaient abandonné leurs savons seulement qu’elle fut le siège
biens et leurs provisions, qui furent mis d’un évêché, mais il n’est plus question
au pillage et servirent à ravitailler l’ar- de cette ville pendant toute la période
mée romaine; depuisce temps,aucunau- byzantine. On n’en parle pas davantage
teur ancien n’avait parlé de Lagon, dont à l’époque de l’invasion seidjoukide ni
les ruines ont été reconnues par M. Spratt au moment du passage des croisés dans
au voisinage du khan d’Kvdir, dans la les montagnes du Tuurus ; nous igno-
plaine d’Adalia, ù dix-huit kilomètres rons les causes de son accroissement,
environ vers les montagnes. de sa prospérité et de son abandon. Ti-
Lagon parait avoir conservé jusqu’à mour, qui a détruit tant de villes, n’en a
un temps assez moderne une popula- pas approché ; d’ailleurs elle était déjà
ton considérable, si l’on en juge par déserte de son temps. Son enceinte n’est
l’étendue qu’elle occupe ; on reconnaît pas même occupée par un village turc :
les rinnes de plusieurs églises; mais un simple caravanseraî suffît aux rarqs
Ai.

d by VjOOgIc
708 L’UNIVERS.
voyageurs qui s’aventurent dans la mon- vallée inférieure du Taurus, au pied de
tagne. Gulik dagh, à vingt-quatre kilomètres
Cependant les ruines de Termessus, environ a l’ouest d’Adalia et à neuf
retrouvées par M. Spratt et presque en kilomètres de l’entrée de la vallée, au
même temps par M. Schænuorn, lieu nommé Gulik khan le caravan-
,

couvrent une étendue considérable de séraï des roses; il se compose de


terrain ; les monuments qui subsistent trois bâtiments de pierre et d’un café.
encore surpassent en nombre et en La route de Termessus est indiquée
importance ceux de bien d’autres villes par M. Spratt de la manière suivante ;

d’Asie; ils annoncent une place forte 1“ d’Adalia au caravanseraï d’Evdir.


du premier ordre, qui dut subsister 2“ en face d’Evdir khan s’ouvrent deux
jusqu’aux derniers temps de l’âge ro- profondes vallées qui descendent de.s
main. Les monuments chrétiens y sont montagnes des Solymes dans la plaine
rares, on doit croire qu’elle fut aban- d’Adalia; elles sont séparées par un
donnée au commencement du moyen pic rocheux appelé Gulik Jagb, dont le
âge c’est-à-dire
, du neuvième au sommet est de seize cents mètres en-
dixième siècle. Tant de ténèbres sur viron au-dessus de la mer.
le passé d’une seule ville prouvent En entrant dans la vallée de Gulik,
combien de lacunes présente rhistoirc qui monte en se rétrécissant de plus en
de ces populations moitié romaines, plus , on remarque des ouvrages avnncé.s
moitié asiatiques. de construction grecque, fortifiés p.tr
Alexandre, assuré de la soumission des tours, c’est dans ce passage qii’A-
de la Lycie et de la Pamphylie, dirigea lexandre s’arrêta avant d’être en vue de
sa marche vers la Phrygie. 11 devait Termessus. Il faut faire encore deux
traverser les défilés de Termessus, ville kilomètres, toujours en montant, dans
des Pisidiens située sur une montagne un défilé commandé par deux pics ro-
élevée , qui défendait le passage. Les cheux, avant d'arriver aux ruines de la
Termessiens, comme tous les autres ville. Après avoir franchi un long
peuples de la Pisidie, s’étaient déclarés mur on arrive à une vaste esplanade
hostiles à Alexandre. Ils occupèrent, en entre deux rochers, entourée de préci-
dehors de la ville, les crêtes du défilé; pices inaccessibles; alors, se développe
Alexandre ordonna h ses troupes de aux regards un magnifique ensemble
dresser leur camp, sachant que les de monuments presque tous de l’époque
Pisidiens n’auraient pas la patience de romaine; une porte de ville monumen-
rester longtemps en observation. En tale, un temple et plusieurs édifices pu-
effet à la tombée de la nuit, la plus blics. Un grand mur d’une conservation
grande partie des troupes rentra en parfaite ferme la partie la plus étroite
ville; Alexandre envoya des hommes de la vallée, et dans cette enceinte s’é-
armés à la légère pour déposter ceux lèvent encore des édifices d’un beau
qui restaient mais une fois en face des
;
style et d’une conservation remarqua-
mrtifications de Termessus qui lui pa- ble, notamment un grand palais, avec
rurent formidables, il jugea prudent de nombreuses fenêtres , dont les murs
de ne pas tenter une attaque de vive intacts s’élèvent jusqu’au comble; il est
force, et après avoir reçu une députation bâti eu grands blocs de pierre unis sans
des Termessiens, il se mit en route pour ciment. Tous ces monuments indiquent
Selgé. seulement le faubourg; une troisième
La topographie moderne tout à
est muraille défendait l’accès de la ville
fait d’accord avec les faits rapportés même, qui est bâtie sur le sommet du \

par Arrien , et le système de défense plateau entouré de tous cêtés d’affreux


est encore assez complet pour qu’on précipices. Après une ascension pénible
puisse suivre pas a pas toutes les phases au milieu des buissons et des blocs
aes opérations d’Alexandre. éboulés , on se trouve au milieu d’un
La position de Termessus avait été amas confus de monuments divers qui
vaguement indiquée par M. de Corancez mériteraient tous un examen détaille-
et le généralKæbler sur la route qui Un grand portique, dont les piédestaux
conduit d’Adalia à Smyrne, dans la sont encore eu place traverse la ville;
ASIB MINEURi: 709

l'un d’eux porte en grandes lettres le iasse au-dessous des ruines de Saga-
nom de Termessus. Plus loin est le fassus :on l’appelle Agiasoun tchaî ; l’au-
quartier des habitations particulières; tre rivière, Isbarta tchaï, vient des envi-
l'Agora est au centre; sur la face nord rons d’isbarta, l’ancienne Baria ; elle tra-
est une ligne de salles souterraines qui verse la plaine de Pambouk ova si, qui
ont pu servir de citernes ou plutôt de appartient à la Pisidie, et coule droit au
silos, pour conserver les grains; on re- sud, à travers la grande plaine de Pam-
trouve la même disposition à Antiphel- phylie, sans rencontrer aucun obstacle.
liis et à Aspendus. Un rocher qui s’élève Dans son bassin inférieur le Cestrus re-
dans l'angle de l’Agora est couronné oit une autre petite rivière venant de
par un sarcophage ;
à l’angle opposé est ouest dont le nom ancien est inconnu,
un grand éaitice d’ordre dorique, et on l'appelle aujourd’hui Sari sou, l’eau
un peu plus loin s’élèvent deux pe- jaune ou rivière de Mourtana, c'est cette
titstemples. Un grand bâtiment qui a rivière qui arrose les murs de Perga et
pu appartenir à un monastère et une non pas le Cestrus qui en passe à plus
église attenante sont les seuls monu- de trois kilomètres ; le Cestrus n’a pas
ments chrétiens que l’on observe à Ter- d’affluent venant de l’est, les indigènes
messus. Le théâtre est construit à l’angle lui donnent le nom de Ak sou, l’eau blan-
de l’Agora, auuuel il était réuni par un che, parce que souvent ses eaux ont une
portique ; il a aix-huit rangs de sièges à couleur laiteuse à cause de l’argile
la première précinction et neuf a la se- qu’elles tiennent en dissolution.
conde. Leproscénium est en partie con- Le bassin de l’Ak sou est séparé de
servé; l’architecture en est simple et celui du Douden par une ligne Je colli-
sans sculptures ; il domine un profond nes basses qui ont environ quatre kilo-
ravin en communication avec le bas mètres de large et qui se prolongent
de la ville par un chemin tortueux. Tous jusqu’à la mer, au lieu dit Laara. On y
ces monuments sont de l’époque ro- voit les vestiges d’un port artificiel formé
maine, mais les forlilications sont gé- de deux jetées ; l'une est encore en assez
néralement des ouvrages grecs. Les bon état, l’autre est aujourd’hui sous
tours sont au nombre de dix; elles ont l’eau. D’après les mesures du Stadias-
environ six mètres de front ; dans l’inté- mus iM. M., ces ruines peuvent être celles
rieur on retrouve les escaliers de ser- de l’ancienne Magidus. A la hauteur de
vice, une des tours s’élève a la hauteur Perga le Cestrus n’est plus guéable ; on
de huit mètres. le passe dans un bac; il va se jeter à la
Ces deux longs murs qui coupent la mer à douze kilomètres au sud de ce
vallée paraissent avoir été faits dans le point. Tout le pays qu’il traverse est une
but de défendre la ville du côté du sud
,
plaine marécageuse en hiver.
contre les Pamphyliens et du côté de Quand on a franchi la ligne des col-
l'ouest contre les Cibyrates. On ne voit lines, la grande plaine de Pampliylie se
aucune construction faite avec les dé- développe aux regards jusqu’aux limites
bris antiques ,
ainsi qu’on le remarque de l’horizon. On voit à ses pieds une
dans les autres vestiges d'une
villes, grande villeavec ses mprailles, ses tours
population plus pauvre qui aurait occupé et ses jardins. Mais cette ville est dé-
les ruines de Termessus. L’obscurité la serte ; ce sont les ruines de l’antique
plus complète règne sur l’abandon de Perga. Le petit village de Mourtana, bâti
cette ville, qui n’a plusmême de nom sur la pentp de la colline, au nord de la
chez les indigènes d’aujourd'hui. ville, est le seul lieu habité. Les ruines
de Perga sont dominées, au nord, par
CHAPITRE XXXIII. un monticule de forme carrée dont le
sommet est uni comme une table; c’est
FERGA. — LE CESTBUS. l’ancienne acropole, et probablement le
berceau de la ville les habitants ne sont
;

Le Cestnis prend sa source dans les descendus dans la plaine que quand le
plateaux élevés du Taurus; son cours pays a été assaini et pacifie.
supérieur est formé par deux petites ri- Du haut de ce monticule on aperçoit
vières, l’une qui vient de l’ouest et qui à l'est une autre montagne presque
710 l.’UNlVliRS.

semblable ; c’est le site de Syllœum, que serait pas servi de cette expressimsi l i

l’on apercevait de Perga {!)• Aspeiiaiis figure de la déesse eût été un grossier
est également située sur une montagne simulacre.
aux limites de la plaine. Aujourd’hui le temple de Diane est
entièrement détruit, quelques restes de
PKRGA. chapiteaux de style grec semblent indi-
quer qu’il était bâti sur la montagne.
Les Grecs disent Pergé , nipyi) ; Pli- On ne peut pas oublier que saint Paul
ne (2) et Cicéron (3) disent Perga. Le est venu prêcher à Perga ; que cette ville
nom de Perga, iHpf»), vient, comme ceux a été une métropole ecclésiastique, où
de Pergame et du Pergama , de la ra- tous les temples du paganisme ont été
cine indo-germanique Perg, lieu élevé détruits. Cicéron ne manque pas de rap-
*l’où les Allemands ont fait Burg et Berg
peler que Perga et Aspenous étaient des
et les Grecs llûpfoî (4). villes alliées et amies du peuple romain;
Perga était une des plus célèbres villes cette condition, jointe à la qualité de
de Pamphylie; l’époque de sa fondation ville religieuse, a dû valoir a Perga une
est inconnue; elle était célèbre par son période assez longue de tranquillité. Ün
temple de Diane Pergéenne, qui attirait peut imaginer quelle aftiueuce d’étran-
tous les ans un grand concours de peu- gers y arrivait au moment des panégy-
ples à ses fêtes ou panégyries. I.e peu
ries. Les murailles existent encore; nous
de mots que dit Strabon à ce sujet donne avons relevé le plan de la ville et des
à croire que le service de ce temple était monuments, qui sont encore d’une con-
organisé comme ceux des autres temples servation parfaite; il ressort de cette
de Diane à Comana, où l’on faisait aussi comparaison que la ville occupait trente-
des processions en portant la statue de six hectares, dont il faut détalquer les
la déesse; son culte était assimile à celui
rues et les monuments publics. Le théâ-
de Diane Éphésieune, d'Anaïtis et d’A- tre contenait treize mille spectateurs, et
phrodite. Les médailles de Perga repré- le cirque attenant au théâtre dix mille
sentent le temple de Diane Pergéenue spectateurs.
ayant au centre, le symbole de la déesse Alexandre et Manlius, qui se sont sui-
sous la forme d’un cône ou d’une borne vis à cent quarante-trois ans dedistance,
avec deux sphinx ailés de chaque côté ont paru devant Perga pour la rançon-
et la légende MANA^PAS BPIINAS, Ma-
ner un peu ; mais les habitants ont su
napsa Pergéenne dans ledialectedupays. se faire des amis de l’un et de l’autre,
Il est a croire cependant que le temple
ils servirent de guide à Alexandre pour
renfermait une statue de la déesse avec le conduire à Aspendus (1). Garsyeris,
les attributs que lui donnaient les Grecs.
général d’Açhæus, vint aussi se ravitail-
En effet, dans son action contre Ver- ler à Perga après avoir soutenu Ped-
rès Cicéron s’écrie Dans Perga, Diane,
:
pelissus contre 5>elge. Saint Paul et Bar-
comme vous le savez, a un temple très- nabé débarquèrent à Perga en arrivant
ancien et très-rcspecté ; je dis , Verrès de Chypre (2) , ils n’y séjournèrent pas
qu’il a été entièrement pillé et dépouillé
et se rendirent à Antioche de Pisidie
par vous vous avez même détaché de
:
et de là à Iconium , répandant partout
Diane elle-même tout l’or qui la cou- la doctrine de l’Evangile; ce fut à leur
vrait (5). Il semble que Cicéron ne se
refour qu’ils s’arrêtèrent a Perga et com-
mencèrent leurs prédications. L’effet de
(i) .Strahon, XIV, (167-668.
la parole de saint Paul avait été tel dans
(») Pline, V, ig.
3 ) In Verrem,
toute la Cappadoce, que plusieurs églises
( II, liv. I, ao.
(i) iiulè Burg Schrevelius lex.
furent fondées, notamment à Lystraet
Du éditeur de Pline remarquait il y a cent à Derbé. Si nous ne connaissons pas
ans que Perga devait se trouver sur une n(Ou- l’effet direct des prédications de saint
tagne; sa conjecture s’est vérifiée. Puinsinet Paul à Perga, nous pouvons supposer
de Sevry, Pline, liv. V, ag, 177 r, iu- 4 ”. qu’elles n’eurent pas moins de retentis-
(5) Cic. v. id. ih.
Ex ips.i Diana, qund hahet ami, detraa- (i) Pnlyb. v. 75, XII, iS.
tiim alipie aldaliim. 'a) AcI. XII, l .i.
,

ASIE MINEURE. 711

semenl, car dès les premiers siècles du autre grand édifice carré composé de
cliristianisme, Perga fut élevée au rang plusieurs salles qui étaient voûtées en
(te métropole de la Pamphylie, et comme berceau. La destination de cet édifice
uous n'y retrouvons, au milieu de tant n’est pas bien précise.
de monuments, aucun vestige de temple, Un troisième édifice est situé dans la
nous devons admettre qu’ils furent dé- perpendiculaire de la rue des portiques;
molis pour être rem placés par des égl ises. il était décoré de sculptures et de revê-

L’obscurité règne sur l’abandon de tements de marbre. La nef se termine


Perga par sa population ; on ne recon- par un hémicycle; un ordre de colonnes
naît aucune cause immédiate de déser- corinthiennes décorait l’intérieur. Le
tion : les édidees antiques étaient dans lan de ce monument est celui d’une
leur intégrité lorsqu'ils ont été aban- asilique.
donnés, et leur destruction n’est due Nous passons sous silence de nom-
qu’à une causeaccidentelie, comme pour- breuses ruines qui jonchent le sol de la
rait l’étre un tremblement de terre : la ville, et dans lesquelles on découvre des
preuve en est que le stade, qui est peu frises de marbre, des colonnes de gra-
élevé au-dessus du sol, est encore intact, nit et des chapiteaux.
et que demain on pourrait y donner des Derrière la basilique est un grand
courses. édifice demi-circulaire flaniiué de deux
hautes tours rondes. Son plan ne res-
CHAPITRE XXXIV. semble à aucun monument connu ; il
était dans son intérieur décoré d’un
LA VILLE AHTIQUE. ordre de colonnes ; il est difficile de com-
prendrecomment il était couvert. Aucun
La montagne de Perga, où était l’a- indice ne peut faire connaître sa desti-
cropole, forme la défense de la ville du nation ; il est à trois cents mètres envi-
cdté du nord; les murs partent du ron de la basilique et dans le sud de la
pied de cette montagne , et forment un ville.
grand quadrilatère presque régulier ; Du côté de l’ouest est un faubourg
c’est l’enceinte de la ville. Ils sont flan- attenant à la voie des tombeaux ; là en-
qués de distance en distance de tours core on retrouve les traces d’un long
carrées ou circulaires; mais ces der- portique ou d’une rue dans l’a.xe de la-
nières sont évidemment d’une époque quelle est construit à fleur de terre un
plus récente. I.,es tours antiques, c^est-à- canal dont les margelles sont ornées de
dire de style grec sont bâties en grands têtes de lion qui épanchaient dans la rue
blocs de pierre calcaire; au premier le trop plein du bassin.
étage sont de hautes fenêtres étroites Les eaux étaient apportées à Perga
sortes de barbacanes pour le jeu des par un aqueduc dont la prise d’eau est
maebines ; les portes de la ville sont sans dans les collines de l’ouest ; elles étaient,
décoration ; il n’y a pas de fossé. comme celles du Douden, chargées de
De la porte voisine de l’acropole part sels calcaires qui ont formé des masses
une grande rue qui traverse toute la énormes de stalactites.
ville de l’est à l’ouest; à gauche s’élè- LETHéATBE, LE STAIla. — LesdcUX
vent de grands bâtiments à un étage édifices publies les plus importants et
ornés de pilastres corinthiens. les inieuK conservés sont le théâtre et le
A droite est un grand édifice composé stade.
de plusieurs salles, qui sont éclairées Le théâtre est bâti sur la pente de la
par de larges fenêtres. L’intérieur des colline de l’ouest ; il doit être cla.ssé, par
chambres porte des traces de stucs avec sa conservation et par le luxe de sa
des peintures. construction, parmi les monuments de
Du même côté de la ville, c’est-à-dire ce genre les plus remarquables.
à l’ouest , on voit les ruines d’un petit La fa(^ade du proscémum est ornée
édifice d’ordre dorique «ec avec un por- de cinq grandes niches de dix à onze
tique ; c’était peut-être la lesché ou salle mètres de hauteur ; à droite et à gauche
d’assemblée. Au milieu du portique il sont deux portes qui eonduisaiept dans
y
a un grand hémicycle plus loin est un
; l’orchestre.
712 I/UNIVERS.
La grande salle des mimes, sur laquelle verte de buissons; toute la construction
ouvraient les cinq portes de la scène, est parfaitement intacte.
est une longue galerie voûtée en ber- Les rangs de sièges reposent sur une
ceau et divisée en trois travées corres- longue série d’arcadrs dont les voûtes
pondant aux scènes tragique, satirique sont inclinées pour recevoir les gradins
et comique; des escaliers en pierre de ni sont au nombre de dix-sept, séparés
tailles placés à chaque extrémité con- e dix mètres en dix mètres par de pe-
duisent à l'étage supérieur. La scène tits escaliers. J’ai dit combien le théâtre
était ornée, au rez-de-chaussée, d’un et le stade pouvaient contenir de spec-
rang de pilastres carrés en marbre tateurs. La partie circulaire du stade est
blanc; chacun de ces pilastres est cou- intacte, mats l’entrée est écroulée; les
vert de sculptures représentant des di- arcades et les chapiteaux gisent sur le
vinités au milieu de rinceaux de feuil- sol. Nous n’avons pas trouvé de traces
lage- L’entablement, également en mar- de l’épine; peut-être ne servait-il que
bre, est orné d’une frise dans laquelle pour les courses à pied. Le petit vil-
se jouent des génies et de jeunes en- lage de Mourtana est tout voisin des
fants. Le second ordre était de style co- ruines; l’agha s’est fait bâtir une jolie
rinthien. maison dans laquelle les chapiteaux an-
Les combles de la scène correspon- tiques servent de bases à des colonnes
daient avec la galerie supérieure. de bois.
Le Thymélé était devant l’orchestre, On passe le Sari sou sur un pont ro-
on y arrivait de plain-pied. main d’une seule arche ; il ne sert plus
Entin la cavea ou salle n’est pas moins guère aujourd’hui que pour les bergers
richement construite; le Diazoma est et pour les chèvres qui vont paître dans
orné d’un petit ordre de pilastres; il y les ruines.
a deux rangs de gradins en haut et dix-
huit en bas. Des petits escaliers ou pa- CHAPITRE XXXV.
rodi sont ménagés pour qu’il n’y eût
pas encombrement; enfin deux grands SYLLÆDM. — HASSAH.
vomitoires latéraux conduisaient direc-
tement n la première précinction. Du haut de l’acropole de Perga on
La galerie supérieure est de plain pied aperçoit à l’est une montagne conique,
avec la colline ; elle était décorée d’un sur laquelle s’élèvent quelques construc-
portique d’ordre ionique. Surle troisième tions. La position de Syllaeum est si
gradin de la seconde précinction on lit bien déterminée parStrabon (t), « ville
i’inscripliou 'leptiaç 'ApT^jiiSo? ; c’était la élevée qui s’aperçoit de Perga » , que je
place de la grande prétresse de Diane. pus sans craindre de me tromper mar-
La décoration extérieure consiste en cher droit sur cette montagne et recon-
grands pilastres d’ordre dorique suppor- naître l’emplacement de Syllaeum (avril
tant un magnifique entablement. 1836) an bourg moderne de Hassar. De-
Une partie du proscénium est écrou- puis ce temps les ruines de cette ville ont
lée ; mais pas un morceau n’a été enlevé. été visitées par plusieurs explorateurs qui
La salledes mimes est entière. Il est inu- ont confirmé l’exactitude des indica-
tile d’ajouter un mot pour faire com- tions de Strabon.
prendre toute l’importance de cet édi- On passe le Cestrus en deux endroits,
fice, au point de vue del’intelligence des à trois kilomètres à l’est de Perga au :

représentations dramatiques chez les nord, sur un pont turc presque ruiné, et
anciens. Ce monument et le théâtre de un peu plus au sud dans un bac. Cette
la ville voisine Aspendus ne laissent rien dernière roule est la meilleure ; elle est
à désirer sous ce rapport. Quant à l’é- presque entièrement dégagée de buis-
poque où il fut construit, des indices cer- sons.
tains nous prouvent qu’il est postérieur De la rive du Cestrus les ruines tie

au règne de Titus , nous avons relevé Perga se présentent dans leur plus en-
et mesuré avec soin cet important édi- tier développement; les murailles de
fice.
L’arène du stade n’est pas même cou- (i) Siraboii.XIV, 667,
ASIK MFNF.URK. 713

l’estencore oonservt'es dans toute leur guidé par les habitants de Perga. Plus
étendue, les hautes tours carrées hàties tard iis fournirent un contingent de
en pierres blanches, donnent aces ruines troupes à Achxus pour aller faire le
l’aspect d’une ville vivante et populeuse. siège de Seigé, et lorsque Manlius parut
Les monts Solyma et le Taurus termi- sur les frontières de Pamphylic, ils lui
nent l’horizon et composent un tableau envoyèrent des députés en contribuant
d’une rare beauté quand il est éclairé par au ravitaillement de son armée, qui ne
le soleil du soir. vivait que du pillage des villes. Syllacum
Au delà du Cestrus on remonte vers parvint ainsi à conserver son autonomie
le nord-est, et l’on arrive en deux heures non-seulement sous legouvemement d’ A-
de route à Hassar keui, village d’une chæus, mais aussi sous le gouvernement
cinquantaine de maisons où réside un romain; toutes ces villes Jouissaient du
agha; c’est l’ancienne Syllæum. titre d’allié^ de Rome (I).
Ici ce ne sont plus, comme à Perga, Sous l’empire byzantin Syllæum fut
des colonnades ni de riches portiques : élevée au rang d’évéché, et semble avoir
Svllacum paraît être restée ce que ces été la dernière ville chrétienne de Pani-
villes étaient dans l’origine, une place phylie. Perga et Aspendus étaient déjà
de guerre sérieusement fortifiée ou re-
;
désertes quand l’évéque de Syllæum
marque peu de vestiges de monuments paraît encore dans les notices eccle-
dans la plaine. Un mur en appareil pé- siastiques.
lasgique forme la première enceinte. La Au nord de Svllæuin s’ouvre une
plupart des édifices sont aujourd’hui vallée d’un parcours difficile; c’est la
détruits ; mais ils ont laissé sur le roc vallée de Kirk ghetchid (des quarante
l’empreinte de leurs fondations. Partout guesl; elle conduit dans 1a plaine de
la montagne a été tranchée au vif pour Pambouk ova si ; de là on remonte par
former de grands emmarchements et une suite de plateaux et de vallées inex-
creuser de vastes citernes, le seul moyen tricables jusqu'au village de Baoulo où
d’approvisionner la ville en cas de siège. sont les ruines de Pednelissus; on peut
Une grande esplanade toute taillée dans y arriver aussi eu descendant les hautes
le roc paraît avoir été l’emplacement vallées du Cestrus par Isbarta.
de l'agora. Près de là est un ancien pa-
lais <lont il reste encore une porte en CHAPITRE XXXVI.
partie engagée dans une construction du
moyen âge. M. Daniell a reconnu sur le PEDNELISSUS. — KABA BAOULO.
pied-droit une inscription qu’il n’a pu
copier; elle est écrite dans une langue L’emplacement de Pednelissus était
barbare et inintelligible. vaguement indiqué par les géographes
Au nord-ouest de la ville s’élève une dans les pentes mérioionales du Taurus
haute tour bâtie en grands blocs de qui regardent la Pamphylie, c’est-à-
pierre unis sans mortier, et du côté dire dans le Taurus Pisidien; c’est cette
du sud la montagne forme une dé- région que Cicéron attribuait aux Éleu-
fense naturelle rendue encore plus thérociliciens, et qu’il alla soumettre
forte par des travaux exécutés dans avec ses deux légions. On savait aussi
le rocher. L’entrée de la ville paraît ue Pednelissus n’était pas éloignée de
avoir -été du côté du sud-est par une eigé, puisque les deux peuples étaient
route en lacet taillée dans le roc; toujours en guerre. M. Sohœnborn a dé-
l’acropole est un peu plus élevée que terminé remplacement de l’une et de
celle de Perga ; du côté du sud, la vue l’autre cité et a comblé la lacune qui
s’étend jusqu’à la mer a dix ou douze ki- existait dans la connaissance des villes
lomètres de distance. ce sont les soixante
: de Pisidie.
stades marqués par Strabon. Eu partant d’Egdir et en se dirigeant
Les habitants de Syllaeum se sentaient vers les sources du Cestrus paruue route
assez forts derrière leurs murailles pour qui tend au sud-ouest, on arrive aux
avoir la pensée de résister à l’armée sources de la rivière Kutchuk sou, petit
il’Alexandre , qui ne s’arrêta pas devant
la ville, et marcha droit sur Aspendus (i) rie., in f'er. supra.
:i 1 L’UNIVRRS.
t
'*

l'uisseaii t le pays est désert et d'un par- trois jambes d’homme partant d’un
coui s très-dillicile; des forêts de pins et centre commun et s’étendant comme des
(le péuevriers, où s’enlacent d’inextrica- rayons. Cette figure est aussi représentée
bles broussailles, entravent constamment sur beaucoup de médailles de Sicile;
In route; le second jour de marche, on plusieurs pieds-droits de portes sont
arrive à Baoulo, gros village avec une aussi ornés de moulures.
mosquée, entouré de jardins et caché au A
l’entrée du déûlé et non loin du
milieu de la forêt. Ce lieu est à mille mè- temple se trouve un escalier de dix-neuf
tres environ au-dessus du niveau de la marches et de dix mètres de large , qui
mer. conduit à un grand bâtiment de pier res
A quinze kilomètres au nord de de taille attenant à une tour de même
Baoulo sont des ruines antiques connues construction; à l’entoursont les restes de
dans le pays sous le nom de Kara Baoulo )lusieursautres édifices antiques. Devant
(le Baoulo noir). Ces ruines sont celles de fa seconde montagne-dans la plaine sont
l’ancienne Pednelissus. Elles s’étendent disséminés des édifices de differents sty-
sur la pente d’un plateau borné au sud les mais sans ornemenis ; en arrière s’é-
par une montagne rocheuse couronnée lève un second temple de la même dimen-
par une forêt. sion que celui de Jupiter et dont les mu-
Au nord court une ligne de collines railles sont entières; il paraît avoir fait
peu élevées, et à l’est une croupe en partie del’agora. Les ruines du nord sont
pente douce. Les ruines de la ville s’é- moins étendues que celles du sud, mais
tendent en grande partie dans la plaine; leur état de destruction empêche tout
le reste s’enfonce dans nn ravin ro- examen détaillé. On reconnaît seulement
cheux. A l’ouest on aperçoit un châ- un petit temple qui, d’après l’inscrip-
teau construit en grands blocs de pierre tion, était consacré à Jupiter Séiapis ;
de taille, Oanqué de tours reliées par des plusieurs colonnes gisent autour. On
murailles entièrement ruinées. Une se- remarque un très-petit nombre de sar-
conde citadelle aussi en ruine s’élève en cophages ; la nécropole se trouvait peut
face. La plaine qui les sépare est cou- être plus éloignée de la ville.
verte d'une masse de ruines où l’on voit Les Yourouk viennent prendre dans
des fûts de colonnes, des sarcophages et ces ruines les matériaux pour faire les
des blocs de pierre provenant de mu- enceintes destinées à leurs troupeaux;
railles démolies. on en porte aussi à Baoulo pour les ci-
A l’entrée d’un déBlé qui s’ouvre metières. Le lendemain du jour où
dans la plaine s’élèvent les ruines d’un M. Scheenborn visitait ces ruines, un
grand temple de Jupiter, qui peut avoir immense incendie éclata dans la forêt
trente pas de long et dix-sept de et coupa court à toute autre investiga-
large; il est bâti en grandes pierres tion.
de taille. Ce monument est à demi dé- marquée par Slrabon
Pednelle.ssns est
truit; le terrain d’alentour est couvert dans la vallée de l’Eurymédon, au-dessus
de fûts et de fragments de colonnes. d’Aspendus ; il la compte au nombre des
On n’aperçoit pas de chapiteaux ; mais villes de Pisidic mais lliérociès, qui
;

il re.ste de longues pièces de corniches et donne plus d’extension à la Pamphylie,


d’architraves qui ne mesurent pasnioins la met,avecSelgé, dans cette dernière pro-
de trois mètres de long, un mètre de vince (1). Il ne faut pas s’étonner si le
haut et cinquante centimètres de large. nom de cette ville aéte altéré par Cicéron,
L’entréedu templeestà l’est. Une grande qui la nomme Pendenissus ; ces erreurs
muraille de cinquante pas de long, en- sont fréquentes chez les anciens. Arrien
core debout, faisait partie de l’enceinte. donne constamment à Termessus le nom
Sur l’une des pierres est sculpté cet de Telmissus, ville de Lycie. Sous l’em-
ornement ou cet emblème si répandu pire byzantin, et surtout dans la notice
chez les Lvcienset les Pisidieus, généra- de Hiéroclès,les noms des villes de cette
lement connu sous le nom de ’i’rique- contrée sont presque méconnaissables.
trum et qui est reproduit sur un grand
nombre de médailles de ces villes. Le (i) Slrabon, XII, 5^o. El. Byi., Pedne-
Triquetrum de Pednelissus représente lisiUS.
,

ASIE MINEURE. ?1S

Selt;é devient Serpé et Pednelissus de- mais il


y a encore bien à faire pouf
vient Pastorelissus ;
aujourd’hui on l'ap- l’instruction des enfants chrétiens. Les
pelle Kara Baoulo. Grecs ont quatre églises très-misérables.
On conçoit combien il serait intéres- Isbarta est le siège de l’évêché de Pi-
sant d’avoir un plan topographique de sidie ;
mais tout cela est presque nominal,
cette ville pour se rendre compte des car l’évêque n’a aucun moyen d’étendre
opérations que Cicéron décrit brièvement son influence au dehors.
Celui qui voudra rendre ce service aux Paul Lucas a visité Isbarta en 1706 :
études historiques devra bien choisir le c’était à cette époque une ville populeuse
temps où les habitants de Baoulo ne et riche; elle avait un assez grand com-
sont pas encore au yaela, c’est-à-dire merce de drogueries et de matières
le commencement de mai, à moins qu’il premières, comme des laines, des peaux
n’emporte avec lui une installation pour et des gommes. Les habitants signalent
camper quelques jours dans ces lieux dans la contrée quelques ruines en-
déserts (t). core inexplorées ; ce sont sans doute de
ces châteaux forts qui étaient très-nom-
CHAPITRE XXXVII. breux du temps de la Pisidie indépen-
dante, et que les Romains ont détruits
BXSSIN SUPÉRIEUB DU CESTBUS. l’un après l’autre.
ISBA.RTA —
SAGALASSÜS.
SAGALASSUS. — CBEHNA.
Isbarta, chef-lieu du Pachalik de Ha-
mid,est située au pied de l’Aglasoun A une journée de trente-six kilo-
dagh, sur l’afllucnt oriental du Cestrus, mètres au sud d’isbarta, au village
c’est la plus grande et la plus agréable d’Aglasoun , se trouvent les ruines de
ville de ces provinces ; mais c’est uni- l’antique Sagalassus dont Paul Lucas
quement au point de vue de son acti- lit une si magnifique description. Dans

vité commerciale et de sa situation pit- son enthousiasme de voyageur, il man-


toresque, car elle ne renferme aucun que d’expressions pour peindre sa sur-
débris d’antiquité, aucun monument prise, et pour lui les ruines de la ville
moderne digne d’attention. A l’entrée qu’il vient de découvrir appartiennent
de la ville s’élève une grande mosquée plutôt « au pays des fées qu’à des villes
dont le dôioe fut jadis doré, et un mi- véritablement existantes. »

naret dans le style de ceux de Cons- La roule d’isbarta à Aglasoun tra-


tantinople. Les autres mosquées, moins verse d'abord une plaine peu étendue :

remarquables, sont construites dans dif- au bout d’une heure, on entre dans la
férents quartiers; on en compte plus montagne, et l’on se trouve à la nais-
de trente elles sont pour la plupart
: sance d’une vallée au fond de laquelle
entourées de beaux arbres. Les Jardins coule une petite rivière c’est la branche
:

et les plantations d’isbarta donnent à orientale du Cestrus, que les indigènes


la ville un aspect des plus agréables et nomment Aglasoun tchaï. Le village
plusieurs voyageurs l'ont comparée à d’Aglasoun, composé d’une trentaine
celle de Broussa. La population grecque de maisons, est bâti sur la pente d’un
d’Ubarta a tout à fait oublié sa propre côteau dominé par les sommets déchirés
langue et ne parle que la langue turque, d’une montagne rocheuse, les environs
il en est de même dans toutes les villes sont couverts de ruines et de sarco-
de la côte. Au moment de leur invasion, phages appartenant à l’ancienne ville.
les Turcs avaient détruit toutes les Le plateau de Sagalassus est composé
écoles, et le gouvernement mettait tous de roches volcaniques et surtout de
les obstacles possibles à l'éducation collines à base de ponce qui s’élèvent
chrétienne des enfants des Grecs; au- au milieu des trapps. Les montagnes
jourd’hui l’opposition à la création d’é- des environs sont calcaires; il semble
coles grecques n’est plus si manifeste u’il y a eu en eet endroit une fissure
e la roche qui a donné lieu à un épan-
(i) Schflcnliorn ap. Riller Errfkunde, t. IX, chement volcanique de peu d’étendue;
les trapps ont formé des collines ou des
716 L’UNIVEftS,

dômes semblables à ceux qui entourent et qui servaientpour les évolutions du


l’Ar;;ée, mais nulle part on ne trouve chœur. Ceci semblerait prouver que
de trace de cratère. Toute cette région les représentations scéniques à Saga-
a été le théâtre de mouvements géolo- lassus avaient lieu selon la mise en
giques encore inexpliqués. Les ruines scène des Grecs. La cavéa conserve
de Sagalassus méritent l’attention plutôt dans toute leur intégrité ses quarante
par leur immense étendue que par la rangs de gradins avec les escaliers ou
perfection des monuments qui sont tous parodi qui y donnaient accès. L’or-
postérieurs an second siècle de notre chestre est presque libre, sauf quelques
ere. buissons et une plantation d’arbres
Au
sud du village, Anindell a trouvé fruitiers qui occupent la place des dan-
quelques fragments sculptés. Les ruines seurs. Le portique supérieur n’a pas
de la ville s’étendent sur une longue laissé de traces; mais il est probable
terrasse dominant la vallée, la plupart qu’il existait; cette partie de la salle est
des monuments paraissent avoir souffert plus nécessaire encore dans les villes
des effets d’un tremblement de terre; du midi que dans celles du uord. L’a-
mais tous les fragments d’architecture cropolis est entourée d’une muraille en
sont restés sur remplacement qu’ils appareil polygonal ; on retrouve quel-
occupaient, et les prini ipales murailles ques débris d’un temple qui en occupait
sont encore debout. le centre. Il faut ajouter aux édifices
A l’extréinité de la terrasse s’élève de l’époque romaine plusieurs églises et
un grand bâtiment dont la longueur
-
d’autres monuments d’une destination
est d’environ quarante-deux mètres et toute chrétienne. Sagalassus a été long-
la largeur de vingt ; le mur de la ter- temps le premier siège épiscopal de la
rasse est bâti en grands blocs de pierre Pisidie.
et a plus de cent mètres de longueur. La situation de Sagalassus sur la
Au milieu de'toutes ces pierres écroulées pente d’une montagne, les monuments
on retrouve de nombreux fragments de élevés sur des terrasses superposées , ce
sculpture, quelques bas-reliefs d’un magnifiqueensemhledetemples, de palais,
style médiocre, d’innorhbrables pié- de portiques, de théâtres et de gymnases,
destaux et des fiits de colonnes; et un devait donner à cette ville un aspect
peu plus loin un portique de plus de grandiose; mais quelle différence entre
cent mètres de long. Sur l’un des pié- la rudesse presque barbare de ces mo-
destaux on lit le nom de v. Sagalassus, numents et le godt, la finesse et la per-
ville de Pisidie ». Les colonnes du por- fection des monuments de l’Ionie.
tique sont d’ordre corinthien il conduit
;
Sagalassus était la seconde ville de
à un vaste bâtiment qui paraît avoir Pisidie, Strabon la nomme Selgessus :
été le Gymnase. A peu de distance de elle était située, dit-il, du côté du Milyas
cet édifice le ferrain forme une pente et entourée de. hautes montagnes. l.es
abrupte sur le flanc de laquelle sont dis- médailles de cette ville portent le nom
persés des tombeaux et des sarcophages. du Cestrus.
Le théâtre s’élève à l’est; c’est le mo- Le pays, quoique montagneux, était
nument le mieux conservé la masse ; d’une grande fertilité, et les Sagalassiens
de sa construction a résisté à toutes passaient pour le peuple le plus aguerri
Ir-s secousses. La décoration du proscé- de toute fa Pisidie. Alexandre, après
nium consistait en un rang de colonnes avoir traversé les défilés de Terme.ssu.s,
supportant un entablement dont les marcha contre Sagalassus, les habitants
fragments sout répandus dans l’orr occupèrent, en avant de la ville, une
chestre. La salle des mimes est encore colline qui formait une défense natu-
debout avec la grande porte du milieu relle, et attendirent l’ennemi. Alexandre
et les deux portes latérales ; les deux parvint à les déposter de cette position,
portes extrêmes du proscénium sont- et prit la ville d’assaut: le reste de la Pi-
écroulées. Le pulpitum, quoiquecouvert sidie se soumit à ses armes.
de décombres, est encore en place ; on Manlius n’attaqua pas Sagalassus
retrouve les traces des escaliers qui du mais ravagea son territoire, et força les
pulpitum conduisaient dans l’orchestre, habitants à lui payer une coiitribiition
ASIE MINEURE. 717

de cinquante talents et vingt mille mé- remplies d’iuc,xlricables buissons d’a-


dimnes de blé. Selon Strabon Sagalassus gnus castus. Un peu au nord de la
qu’à une journée île marche d’A-
n'était route on rencontre le village de Pinalar,
pamée Cibotos. et six kilomètres plus à l’est, celui de
Cremna, autre place forte, était au Couchlar (des oiseaux), sur une colline.
nord de Sagalassus, à une. distance I,a route se prolonge à perte de vue sous
de trente stades, cinq kilomètres et un berceau de verdure; malgré la
demi, de cette ville; elle a longtemps beauté de cette forêt vierge, il est dan-
passé pour être imprenable, mais gereux d’y passer la nuit; c’e.st là que
Amyntas s’en empara dans sa campagne le voyageur anglais Daniell a contracté
contre les Pisidiens. Le village moderne la fièvre pernicieuse qui l’a enlevé.
de Gliirmé occupe aujourd’hui l’ein-^ Le mont Sardemisus est indiqué par
placement de l'ancienne Cremna. On y Pline entre Porga et Aspendus, Etienne
reconnaît encore l’Acropole entourée de de Byzance fait aussi mention d’une
fortes murailles en appareil irrégulier, ville "de Sardessus où le culte de .Iii-
les ruines d’un temple et de nombreux piter Sardessius était pratiqué. Nous
vestiges de monuments épigraphiques. n’avons rencontré que la montagne de
Le grand lac d'Kgdir occupe le llassar ou Syllæum et celle du village
centre du plateau supérieur de la Pi- de Couchlar qui pouvaient avoir servi
.sidie. Les eaux s'écoulent vers le sud, et d’assiette à une ville antique; c’est en
forment des courantsqui, au dire des in- ce dernier lieu qu’il convient de placer
digènes, passent sous le sol. Les turcs Sardemissus; P. Mêla nomme cette ville
appellent ces fleuves souterrains des" Sardemisus.
Douden, et les Grecs Katabatahra. Dans tout le parcours que nous avons
La petite ville d’Egdir ou Eguerdir est fait pour arriver au bord de l’Eurymé-
située sur la rive sud-ouest du lac, on dnn nous avons vainement demandé
,

n'y trouve aucun monument ancien : s’il existait aux environs quelque lac
Ritter la regarde comme l’ancienne (Gheul) ; les indigènes nous ont toujours
Seleucia Sidéra. Dans l’une des îles du répondu qu’ils n’en connaissaient pas.
lac il
y a un monastère et une église On peut bien regarder comme tel des
grecque où l’on remarque des peintures terres basses qui sont sans doute maré-
de très-ancien style. cageuses en hiver, mais au mois de juin
Antioche de Pisidie, célèbre par le sé- tous ces terrains sont parfaitement secs ;
prédicationsdesaintPaul,était
jour, et les c'est ce qui nous autorise à dire que
situéedans le bassin nord du lac au vil- le lac Capria est desséché. Strabon
lagede Yalobatch; elle avait le titre de n’aurait pas mentionné comme un lac
Colonia Cæsaræa ; elle a été fondée par une lagune marécageuse.
les Magnétes de Magnésie du Méandre. D’autres voyageurs ont bien fait men-
tion d’un Capri et du Capri sou, nom
CHAPITRE XXXVIIl. qui frappait l’oreille comme une ré-
miniscenee du lac Capria; c’est une
BAL KIZ SEBAÏ. — ASPEISDUS. erreur de mots faite par quelque inter-
prète. Le cours inférieur de l’Eury-
De Syllæum aux rives de l’Eurymé- médon s’appelle Keupri sou , et le petit
don, toute la grande plaine de Pam- bourg à l’embouchure, Keupri bazar;
phvlie parait avoir été uniquement oc- l’un signifie:la rivière du Pont à cause
,

cupée par des cultures. Peut-êtrele grand d’un ancien pont romain jeté sur le
lacCapria rendait-il le pays trop malsain fleuve, et l’autre : le marché du Pont,
pour qu’on pût y établir 'des habitations pareeque chaque semaine les villages
fixes. Mais aujourd’hui il ne reste ancun voisins se réunissent pour un marché ;

ancien vestige dans cette vaste plaine, c’est là tout le souvenir qui reste du
quelques pauvres villages sont habités lac Capria. Tout paysan à qui l’on de-
par des familles de bergers. mandera s'il existe aux environs quelque
Une heure après avoir quitté Syl- lieu nommé Keupri ou Capri, ne
læutn , on entre dans une forêt d’arbres manquera pas de répondre affirmative-
de haute fiitaie dont les éclaircies sont ment.
718 L'UNIVEllS.

ASPENÜUS. par un rang de consoles perforées qui


servaient à soutenir les mâts de la vêla.
La ville d’Aspendus était située à On voit qu’il a beaucoup de rapport avec
l’extrémité de la plaine de Perga , sur le théâtre d’Orange. De cliaijuc cote de
une montagne isolée et à soixante stades la grande façade, qui fait saillie sur l'en-
de la mer (1). Conduit par un Turco- semble, sont deux grandes portes qui
man de la plaine, nous avons retrouvé conduisaient dans l’orchestre.
ces ruines au village de Bal Kiz sera!. Une double inscription en grec et en
Chemin faisant, il nous racontait une latin est répétée sur chaque porte, elle
de ces histoires qui charment les orien- est ainsi conçue :
taux et dont le fond est toujours le « Aux dieux de la patrie et à la niaisou
même ; une princesse enlevée par un des augustes. »
amant qu’elle dédaigne, llamlaren pa- « Acurtius Crispinus Arruntiaiius et
dicha, le roi des serpents, aimait la Acurtius Auspicatus Titinnian.us ont
reine des abeilles, qui demeurait dans la fait élever cet édifice conformément au
forêt voisine; une demande en ma- testament d’Acurtius Crispinus. >>

riage ayant été repoussée, le roi des ser- Ces mots, Domui augustorum, indi-
pents résolut d’enlever la reine; mais quent suffisamment que ce théâtre fut
pour parvenir à son but il fallait tra- construit sous le règne d’Antoninet de
verser la vallée ; c’est alors qu’il fit Lucius Vérus.
construire un pont gigantesque dont Une autre inscription placée dans
vous voyez encore les ruines. Au bout l’intérieur nous dit te nom de l’auteur
de l’année la reine mourut en laissant de cet ouvrage.
une fille au’on nomma Bal Kiz, la « Le sénat et le peuple ont honoré
fille du miel ; et le roi des serpents lui Zénon l’architecte au théâtre et des
lit construire un vaste palais au sommet travaux de la ville ; l’ont honoré d’une
duquel il fit graver le portrait de Bal statue dans le théâtre, et lui ont fait
Kiz, et à l’appui de son récit, le vieux présent d’un jardin près de l’bippo-
Turcoman nous montrait un aqueduc drome. »
partant du pied du Taurus et aboutis- La grande salle des mimes s’étend
sant à la montagne. Le palais de Bal Kiz dans toute la largeur de la scène; au-
n’est autre chose qu’un immense théâtre dessus étaient deux autres galeries : celle
romain merveilleusement conservé et du premier étage et la salle de service
bien propre à inspirer aux sauvages des machines.'
habitants de ces montagnes des lé- Aux deux extrémités de la salle des
gendes féeriques. mimes sont deux escaliers qui desser-
Les ruines d’Aspendus sont éparses vent les trois étages , dans les ailes sont
sur la montagne; on v retrouve l’en- des chambres destinées sans doute aux
semble de tous les édifices qui ornaient chefs des jeux.
les villes grecques, mais' elles sont ef- On entre sur la scène par cinq portes :
facées par le splendide théâtre dont la celle du milieu, la porte royale, est la
conservation a lieu de surprendre. plus haute.
11 n’y manque en effet que les ou- La façade du proscénium était ornée
vrages qui étaient en bois les portes et
: de deux ordres de colonnes accouplées
la couverture, et encore retrouve-t-on et portées sur des piédestaux, deux entre
les amorces de toute la charpente dans chaque porte.
les trous de scellement qui restent sur L’ordre du rez-de-chaussée est ioni-
les murs. que, l’entablement est en marbre blanc
La façade du proscénium est bâtie en orné de têtes de victimes et de masques
grandes pierres de taille à bossage, ou tragiques.
entre dans l’intérieur par trois grandes L’ordre supérieur est corinthien,
portes. porte une frise ornée de rinceaux; la
Au premier étage est un rang de fe- corniche est orrtée de modillons, les
nêtres ceintrées et le mur est couronné caissons représentent des masques tra-
giques.
(i) SIr.iIjoiii'XIV, 667. Chaque couple de colonnes est sur-
,

ASIE MINEURE. 719

monté d’un fronton alternativement ar- aussi par Zénou, cet édifice est envahi
rondi et angulaire. par les lianes et dans un état de des-
I.e centre de colonnade est sur-
la truction avancée.
monté d’un grand fronton dans le Sur le sommet de la montagne ou
fvmpan duquel est sculptée une figure retrouve les ruines de l’agora dé la ba- ,

dé femme nue , les cheveux tombant ; silique et d'autres édifices que nous
elle sort du calice d’une fleur et tient n'avons pas déterminés.
dans ses deux mains des rinceaux de L’aqueduc traverse la plaine, supporté
feuillage , c’est cette figure que les par un double rang d’arcades en pierres
habitants regardent comme le portrait de taille ; en approchant de la montagne
de Bal Kiz. d’Aspendus, le canal se relève, c’est un
Les gradins de la salle sont tous en véritable siphon comme celui que
place; il y a vingt et un rangs à la pre- nous avons vu à Kalamaki ; il va se dé-
mière précinction et dix-huit à la se- verser dans un château d’eau au niveau
conde. Des escaliers desservent tous les de la montagne.
étages, et deux grands vomitoires con- Aspeiidus colonie d’Argos était une
duisent du dehors à la première pré- des plus anciennes villes de la Pain-
cinction. phyhe, il en est fait mention au cin-
Le portique supérieur est absolument quième siècle avant notre ère. En 391
intact,il est composé de cinquante Tlirasibule ayant été chargé de faire
trois arcades ; les colonnes engagées ont rentrer les villes grecques sous le pou-
dans la partie supérieure une console voir d’Athènes, débarqua près d’Aspen-
qui portait sans doute un buste. dus pour aller lever les contributions;
De chaque côté de l’orchestre est une ses soldats s’étalent dirigés vers la ville
loge pour les personnages consulaires. quelques habitants; les
et avaient pillé
Le pulpitum est massif, on ne peut en Aspeudiens une sortie nocturne
firent
reconnaître les dispositions intérieures ; et tuèrent Thrnsibuledans sa tente.
mais sur les ailes en retour et au-dessus Lorsque Alexandre se présenta devant
de la colonnade on reconnaît les amorces Aspendus les habitants avaient consenti
de la charpente qui couvrait la scène à lui payer cinquante talents et à lui
formait un appentis d’environ huit
elle livrer les chevaux qu’ils élevaient |)our
mètres de largeur, la partie supérieure le roi de Perse ; plus tard ils refusè-
communiquait avec la galerie des com- rent d’accomplir leurs engagements.
bles. Après avoir vu cet édifice il ne Alexandre fit entourer la ville et s’ap-

reste aucun doute sur la manière dont prêtait à en faire le siège, lorsqu’ils
la scène des anciens théâtres était dis- consentirent à se soumettre. Si l’un eu
posée, le jeu des machines. La hausse juge par l’état des ruines, Aspendus
et la baisse de cette grande toile qu’on ne fut jamais une place très-forte, toutes
appelait le Catablema se faisait par le les murailles sont écroulées, et nous
comble. Toutes les machines décrites n’avoiis pas reconnu l’emplacement de
par Pollux trouvent leur place dans cet l'acropole, mais nous savons que les
édifice. L’orchestre est vide aujourd’hui, arts étaient cultivés dans cette ville
nous ignorons s’il contenait des sièges grecque avec plus de succès que dans
selon la mode romaine ou s’il servait aucune autre , les nombreux objets
pour les évolutions du choeur selon la précieux qui la décoraient avaient tenté
mode grecque. Verrès, ce qui fit dire à Cicéron (1) :
11 est certain qu’on a donné des re- Aspendus est, comme vous le savez,
présentations dans ce théâtre jusqu’à une ancienne ville de Pampbylie ;
elle
une épo([ue assez avancée de la déca- était remplie de statues très-ëstimées,
dence, les peintures barbares et les je ne dirai pas telle ou telle statue fut
ligures incorrectes qui existent encore enlevée je dirai Verrès vous les avez
:

sur le proscéiiium eu font foi. enlevées toutes des temples et des lieux
Le mur de soutènement des gradins publics; elles furent entassées sur des
est parallèle à la scène, ce qui n’,i pas chariots et emportées hors de la ville.
lieu dans les théâtres grecs. A côté du
théâtre, au nord, est l’Iiippodromc, bâti (i) In Ym'ein ar. H, Ilb 1, XX.

Digilized by Google
720 l.'UMVF.RS.

Cicéron rappelle le .loueur ilc lutli d' As- méridional du Taurus. D’après de va-
pendus, statue célèbre que Verrès fit gues récits des indigènes, Arundell avait
mettre dans ses appartements. Pillées déjà marqué la place de cette ville au
de la sorte les villes grecques ii’avaicnt village de Sergbé au sud de Bullasan,
|)lus'sous les Byzantins que des édifices età une journée de marche au nord d’As-
vides. Après les statues ou pilla les pendus, en suivant la vallée de l'Eu-
tombeaux et peu à peu les populations rymédon. RL Schœnborn a déterminé
désertèrent. remplacement , de Selgé au pied de la
L’embouchure de l’Eurymédon pa- montagne de Bouz bouroun, a une hau-
raît avoir subi de uotab'les change- teur de 1250 mètres au-dessus de la
ments depuis l’antiquité ; les allu- mer, au village de Serghc ou Surk. Pin
vions ont fait reculer la mer; quand partant de Bullasan il descend dans la
nous voyons la puissance des atterris- vallée de l’Eurymédon et par une route
sements à l’embouchnre du Tibre nous très-difficile, il monte en serpentant
ne devons pas nous étonner que depuis jusqu'au plateau ou s’élèvent les ruines
le cinquième siècle avant notre cre, la de Selgé au milieu desquelles sont bâ-
physionomie de cette côte ait été aussi ties les maisons du village.
modifiée. Du temps de Pomponius Les Selgiens, dit Strabon, comptaient
Mcla (I), " du haut d’une colline tres- au nombre des peuples les plus puis-
clevée Aspendus, colonie des Argiens, sants de la Pisidie ; il nomme ensuite
jouissait de la vue de la mer »; aujour- les Pednilessiens, qui en étaient limitro-
d’hui le rivage est éloigné de quitize à phes; leur pays était soumis à différents
dix-huit kilomètres, ce qni est un peu tvrans comme les deux Cilicies. La vie
plus des soixante stades de Strabon. oes Pisidiens se passait dans la maraude
1,’embouchure de l’Eurymédon fut le et le pillage. D’après une ancienne tra-
théâtre d'une des plus importantes vic- dition, les Léiéges étaient venus se
toires remportées par les Athéniens sur joindre à eux, et s’étaient installés dans
les Perses en 469 avant notre ère. Les leurs, montagnes leurs mœurs de

S
:

vaisseaux des Perses étaient au nombre vagabonds s’accordaient en-


les
de trois oent cinquante , d’autres disent le Les Pisidiens entourés à
(1).
six cents, lorsque l’ Athénien Cimon ar- l’est nord par des peuples qui me-
et au
riva avec sa Hotte, les Perses tentèrent naient une vie régulière, s'étaient plus
vainement de prendre la fuite, ils perdi- rapprochés des Ciliciens qui étaient
rent tous leurs navires. Cimon ayant portés aux expéditions de piraterie.
débarqué avec ses troupes acheva sur Selon Strabon , Cbalcas fut le fonda-
terre la destruction de l’armée perse. Au- teur de Selgé ; cette ville était renommée
jourd’hui l’embouchure du fleuve est par la sagesse de son gouvernement et
obstruée par des barres de sable, à peine sut conserver jusqu’à la fin de l’empire
si les barques peuvent les franchir dans sa liberté et son autonomie, elle pou-
les hautes eaux. vait mettre sous les armes jusqu’à
Le pont sur l’Eurymédon est bâti sur vingt mille combattants. Les montagnes
des fondations antiques on le traverse
; produisaient toutes sortes de fruits;
pour se rendre à Sidé le port le plus
,
l’arbre du Styrax dont les branches
orientrd de la Pampbylie mais avant;
servaient à faire des hampes de lance
d’arriver à cette ville nous remonterons et le suc un parfum très-recherché, y
le fleuve jusque dans la montagne pour croissait abondamment.
visiter les ruines de .Selgé. Les routes, pournrriver à Selgé étaient
des plus difficiles; la ville, située entre
CHAPITRE XXXIX. le Cestrus et l’Eurymédon, était défen-

SELGÉ. — SERGHÉ. due par des précipices infranchissables.


Aussi lorsqu’Alexandre traversa la Pi-
Selgé, ville grecque, colonie de Lacé- sidie, il se contenta d’une ambassade
démone, était située dans la vallée supé- des Selgiens, qui vinrent l’assurer de
rieure de l’Eurymédon, sur le versant leur amitié

(i) Mêla, l, U. (i) .strabon, XII, S^o.

Digiüzâd by Cooglc
,

ASIK MINEURE. 721

Achætis, grauil-oocle, d'Anliochus conditions Scigé conserva sa liberté.


s’empara du pouvoir suprême dans !e Les ruines de l’ancienne Seigé sont
sud de l'Asie Mineure, il fut souverain tout à fait conformes au récit de Polybe;
.sans conleste comme Crésus, de la il faut franchir pour arriver à la ville
l.ydie et des pays limitrophes. Les .Sel- plusieurs délilés. La ville était construite
giens ayant déclaré la guerre à Pedni- sur la pente d’une colline dominée par
le.ssus, cette dernière ville envoya de- le haut sommet du Beuz bouroun. Sur
mander du secours à Achæus, qui envoya une esplanade de rochers s’élève un grand
sur-le-champ un corps de six mille temple dont la longueur est d’environ
hommes et cinq cents chevaux, sous le trente-deux mètres et la largeur de seize.
commandement de Garsyeris. L’Area est encore couverte d’un dallage ;
I.es Selgiens gardaient les défilés, et on reconnaît de grandes substnictioni
Garsyeris ne se trouvant pas en force
,
avec des passages voûtés, et quatre co-
pour les enlever, se rappela la ruse d’A- lonnes corinthiennes cannelées s’élèvent
lexandre devant Termessus; il feignit sur la façade; elles oiitun mètre de dia-
débattre en retraite, et les Selgiens ren- mètre. On reconnaît dans cet édiflee le
trèrent dans leur ville. Garsyeris ayant temple de Jupiter ou Cesbedium men-
iai.ssé un officier nommé Phayllus pour tionné par Polybe; non loin du temple,
garder les délilés, descendit rapidement sur l’acropole, on voit les ruines d’une
en Pamphylie et réclama des villes de église Seigé fut en effet un siège épis-
:

Perga, Aspendus et Sidé des renforts copal de la Pamphylie.


qu'on n’osa pas lui refuser de crainte La partie la mieux fortifiée de la ville
ne deplaireà Achæus. Pendant ce temps, est du côté de l’ouest c’est aussi celle
:

les Selgiens continuaient le siège de qui a le plus souffert; le théâtre est


Pednilessus. Ils avaient dirigé avec bâti eu blocs de poudingue
granils
succès une attaque contre le camp de comme d’Aspendus , près de là
celui-
Garsyeris; mais les Pednilessiens ayant sont les ruines du stade dont l’arène
fait une sortie opportune, l’armée est envahie par les cultures, les maisons
grecque reprit l’avantage et les Selgiens du village sont appuyées sur les co-
fiireiit repoussés dans leur ville, après lonnes d’un grand portique, et la né-
avoir éprouvé de grandes pertes. Us son- cropole que l'on retrouve à l’extrémité
gèrent alors à traiter, et chargèrent de renferme encore plusieurs sarcophages;
leurs propositions Logbasis, un de leurs au sud de la ville est une profonde
remiers citoyens. Il avait déjà brigué vallée au fond de laquelle coule l’Eury-
F autorité suprême, et conçut l’espérance médon.
d’.en être investi par Achæus. Log-
basis, trahissant ses concitoyens, se CHAPITRE XL.
proposait d’introduire Garsyeris dans
la place. Le général grec devait diriger SlDÉ. — BSKI ADALIA.
ses troupes vers le Cesbédium, ou
temple de Jupiter, qui était dans l’adéo- Le fleuve Mêlas formait la limite na-
pole, tandis qu’Achæus lui-même devait turelle de la Pamphylie, du côté de
iiiarchersur la ville. Les Selgiens, avertis mais Stralion l’étend jusqu’au cap
l'est;
à temps, par un berger, de la trahison Goracesium. Il ne compte sur la côte que
de Logbasis, entrèrent dans sa maison, deux villes, Ptolemaïs-et Sidé.
qui étaient pleine de conjurés, les mas- Sidé, port de mer et place forte re-
sacrèrent tons, et envoyèrent ensuite nommée, était unecolonie desCyméens
des renforts au Cesbediuni. Garsyeris, d’Æolide, population maritime qui ne
voyant ses plans découverts, u’osa pas tarda pas à se créer une puissance na-
tenter une attaque. Les Selgiens en- vale formidable; les nouveaux habitants
voyèrent néanmoins des députés à de Sidé paraissent avoir conservé peu
Achæus, Ht conclurent la paix aux con- de relations avec leur métropole; ils ou-
ditions suivantes : les prisonniers Ped- blièrent la langue grecque et adoptèrent
nilessiens seraient rendus, la ville paye- la langue barbare des indigènes qui n’é-
rait imiiiédiatemeiit quatre cents talents
vt trois cents un peu plus tard, à ces (i) Polvl), V, -Ï- 7 -.

4C* Livraison. (Asie Ml^El^lE.i T. n. 4<i


72S L'UNIVERS.
talent qu’un peuple de pirates de Ci- le second môle existe encore; le petit
licie, aest-à-dire une agglomération port est du côté du sud. Une grande rue
de tout ce que la marine des Phéniciens encore pavée aboutissait à là principale
et des Syriens pouvait compter d’avan- porte; au milieu s’élève un piédestal des-
turiers prêts à tout entrepreudre. Une tiné à supporter une statue colossale.
communauté d’intérêts lia bientôt les De chaque côté de la rue se voient en-
uns et les autres ; Sidé finit par devenir core les ruines de temples et d’édifices

le grand entrepôt des prises faites sur publics.


les villes maritimes du continent et des Près de la porte de la marine s’élève
lies, et ces prises consistaient principa- un grand théâtre qui a passé pour le
lement en esclaves. Sidé fut pendant de plus complet de la Pamphylie tant qu’on
longues années le principal marché aux n’a pas connu ceux de Perga et d’As-
esclaves dans le monde romain. On avait pendus. Son diamètre dépasse cent mè-
établi des bazars' où les prisonniers tres c’est la mesure des plus grands édi-
:

étaient vendus à l’enchère. Les habi- fices de ce genre ; on compte quarante-


tants de Sidé étaient ennemis déclarés neuf rangs de gradins, formant deux
des Aspendiens; les mœurs des deux précinclions; il contenait treize mille
peuples étaient trop disparates pour spectateurs.Le proscénium est complè-
qu’ils aient jamais pu s’entendre. Les tement écroulé; on retrouve ça et là
Aspendiens étaient portés au culte des plusieurs fûts de colonnes. Dans le
arts, et les Sidétains au commerce et à moyen âge, ce théâtre fut converti en
la guerre. Leur ville était sous la pro- forteresse.
tection de Minerve, dont le temple s’é- Ces ruines ne sont pas les seu.es qui
levait dans l’acropole. Après la destruc- couvrent le sol de l’ancienne ville; prés
tion de la piraterie, Sidé n’en continua de la porte de terre ou retrouve les
pas moins le même commerce (1), elle ruines d’un aqueduc et celles d’iin
devint le principal port de la Pamphylie, édifice qui était orné de nombreuses
et ses habitants acquirent de grandes ri- sculptures on peut conjecturer que cc
;

chesses. Dans le dixième siècle elle con- sont d’anciens nains. Les environs ne
servait sa mauvaise réputation, Cons- sont pas encore bien étudiés; Corançez
tantin Porpliyrogénète la nomme l’ofû- a vu autour de la ville des fortifica-
cine des pirates : Piratarum ofücina. tions qu’il n’a fait qu’indiquer, et de
Les ruines de Sidé, aujourd’hui com- nombreuses inscriptions qui n'ont pas
plètement désertes, sont connues dans été copiées. Le séiour à Sidé est très-
le pays sous le nom de l’ancienne Adalia diflicile à cause du manque total de
Eski Adalia. ressources.
La ville était située sur une presqu’île ; A l’exception des murailles qui pa-
les murailles du côté de la terre sont raissent être un ouvrage grec, les ruines
encore entièrement conservées, elles sont de Sidé sont toutes de l’époque romaine,
construites en pierres de grand appa- et l’on peut ajouter d’un sty-le assez mé-
reil et flanquées de tours. Du côté de diocre. Les restes de sculpture et les
la ville elles présentent une série d’ou- bas-reliefs que l’on rencontre çà et là
vrages voûtés espèces de casemates pour dans ces ruines sont du troisième ou
loger les machines. Les tours sont es- quatrième siècle; c’était en effet l’épo-
pacées de dix à douze mètres, c’est une que de la plus grande prospérité de cette
demi-portée de trait ; un chemin de ronde ville.
fortilié formait une double enceinte. Les causes de la dépopulation de
Quatre portes donnaient accès dans Sidé sont faciles à résumer; Adalia dans
la place deux à l’est, et les deux autres le moyen âge a absorbé tout le com-
au nord et à l’ouest; la dernière était merce de la contrée. Les communica-
la porte de la marine. Le grand port est tions faciles avec l’intérieur par la
situé entre la presqu’île et le continent; grande vallée de Sousouse en firent le
on distingue encore sous les eaux les grand entrepôt du commerce entre les
pierres du grand môle qui le fermait; fies, la Syrie et la Karamanie; Sidé, au
contraire, est cernée par les montagnes
(i) .SIrabon, XIV, 664. abruptes et presque infranchissables de
,

ASIE MINEURE. 728

la Pisidie ; de plus elle n'était approvi- la Cilicie n'est plus prontablc qu'au
sionnée d'eau que par le moyen d’un point de vue géographi(|ue ; l’état des
aqueduc; aucune rivière, aucune source villes du littoral se résume toujours par
ne coule dans son voisinage ; du mo- ces mots un château du moyen âge
:

ment que le gouvernement du piys a en ruine entouré de huttes de terre.


cessé (fentretenir les eaux ,
la popula- L’ancienne Cilicie était divisée en deux
tion s’est vue forcée d’abandonner la régions ; la Cicilie rocheuse ou la Tra-
ville, les Turcs ne s’y sont jamais éta- cheotis à l’ouest, et la Cilicie champêtre
blis, on ne voit aucun vestige d'ou- à l’est; c’est celle qui renferme les dis-
vrages musulmans. tricts de Tarsous et d’Adana ; le fleuve
Pyramus en détermine la limite orien-
CHAPITRE XLI. tale.
Les anciens étaient d’accord pour re-
CIUCIE. garder la population de la Cilicie commé
originaire de Phénicie , ils résumaient
A peine a-t-on franchi le fleuve Ma- ce fait en disant que la Cilicie fut peu-
navgbat, l’ancien Mêlas, qu’on se trouve plée par le héros Cilix fils d’Agénor,
dans une contrée aride et sans bois, dif- Phénicien (1), la langue parlée dans le
férente en tout point de la fertile Pam- pays était différente (lu grec, et les mé-
phylie. Les villes de la côte n’ont Ja- dailles les plus anciennes contiennent
mais été que des châteaux entourés de des légendes et des symboles qui se
quelques maisons , véritables repaires rattachent aux mvthes et aux divinités
de pirates , toujours exposés aux atta- des Phéniciens, (festaux relations cons-
ques des gouvernements réguliers qui se tantes avec ce dernier peuple que les
sont succédé dans ces parages , et l’on Ciliciens doivent cette aptitude aux ex-
peut ajouter que depuis trois mille ans, péditions maritimes qui finit pareil faire
fa Cilicie n’a pas changé d’aspect. Le une nation de redoutables corsaires. Le
gouvernement de la Porte n’a Jamais gouvernement de la Cilicie parait avoir
exercé sur ces montagnes qu’un pou- été monarchique dès le principe, il était
voir contesté; dans aucune autre partie conforme en ce point aux gouverne-
de ses domaines ou ne trouve autant ments de l’Assyrie et de Babvlone, avec
de beys indépendants. La race turco- lesquels les rois de Cilicie étaient en
V mane y a fondé des dynasties dont le rapports politiques très-étroits.
nom est à peine connu en Europe; les La Cilicie, conquise par Alexandre sur
tribus de Rnamadan ogiou, de Utch ok les Perses, suivit le sortdes autres pro-
y ont vécu pendant de longues années vinces de son vaste empire ; elle tomba
dans un état de liberté parfaite. La pre- sous le gouvernement des rois de Syrie,
mière possédait les districts d’Adana et sous celui d’Achæus ensuite, et fit par-
de Tarsous. De nos jours le bey Samour, tie du. royaume que les Romains con-
était maître d’une partie de l’Anti-Tau- sentirent à laisser, au delà du Taurus
rus, Méhémet Ali a possédé pendant au roi Aniiochus vaincu.
sept ans les districts de Tarsous, a’Adana La CilicieTrachée commençait au cap
et d’OrCa, et son fils les posséderait Coracésium montagne isolée, au som-
,

encore si l’Europe ne se fdt mélée de met de laquelle Diodote Tryphon avait


ses affaires. bâti une forteresse où il cachait le bu-
Les rapports les plus récents publiés tin ramassé dans ses expéditions mari-
sur la Cilicie, peignent cette provi nce sous times. Son exemple fut bientôt suivi
les couleurs les plus tristes ; les anciennes par les autres chefs de bande dont les
villes ne présentent plus que « l’image châteaux étaient dispersés sur le litto-
d’une complète destruction lentement ral, c’est a partir de ce moment que les
accomplie par le temps » ; le sol est en- Ciliciens devinrent un peuple de pira-
vahi par les hautes herbes, les ronces tes. Leur principal bénéfice consistait
et les broussailles, qui ont effacé Jus-
qu’aux traces des routes (1). L’étude de l'inslniction publiqiM, p. 54, 55; i854,
I in-8®.
(i)Vict, Langloù, Rapport au minislrr de (t) Hérodote, TI, 91.

46.

by c -;le
734 ' L’UNIVERS.
dans l'enlèvement des esclaves qui Sélinus, mentionnée par Pline comme
étaient entreposés à Sidé et de là con- une ville importante.
duits à Délos pour être vendus jusqu’en une nouvelle célébrité par
Elle acquit
Italie. Tryphon, après uue vie aventu- la mort de Trajan, qui vint expirer dans
reuse, fut pris et tué par Antioclius, fils ses murs au moment où il allait réduire
^

deDémétrius, 144, avant notre ère; mais '


une révolte des Juifs, en l’an 1 17 de no-
la piraterie prit d’autant plus d’exten- tre ère. La ville reçut alors le nom de
sion que les gouverneurs romains étaient Trajanopolis, qu’elle ne conserva pas;
soupçonnés d’y prendre part (I). ellereprit plus tard son ancien nom.
Le eap Corarésium, aujourd'hui cap Cette partie de la Cilicie était aussi con-
Alaya, est relié au continent par un is- nue sous le nom de Sélénitis.
thnie sablonneux ; il a été comparé à Les ruines de Sélfnus ont conservé
Gibraltar, et l’isthme représente le Neu- le nom de Sélenti ; elles consistent en
tiral ground, qui sépare de l’Espagne la quelques débris de monuments encore
plus formidable forteresse de l’Angle- indéterminés, un portique avee des fûts
terre dans la Méditerranée. de colonnes et d’autres édifices, tous
On trouve autour de la montagne de l’âge romain.
quelques vestiges de murs pélasgiques, Vient ensuite le cap Anemurium, le
restes du château de Tryphon, qui fut plus sud de cette côte. Il forme la divi-
démoli par Pompée. sion entre le golfe d’Adalia et celui de
Le port était sûr pour les bâtiments Tarsous.
grecs, et la principale exportation con- Les ruines d’ Anemurium consistent
sistait en bois de cèdre. Marc-Antoine en murailles flanquées de tours, un
fit présent de ce district à Cléopâtre, théâtre, des aqueducs et des tombeaux,
qui exploitait les forêts du Taurus pour tous édifices qui ne sont pas antérieurs
la construction de ses flottes. au second siècle.
La petite ville d’Alaya est bâtie au Célenderis passe pour avoir été fon-
iied de la montagne, à l’est du mouil- dée par les Pnéuicicus ; elle reçut en-
fage. On y compte environ deux mille suite une colonie de Samos. On n’y ob-
habitants ; les maisbns s’élèvent en am- serve aucun vestigearchaïque, les ruines
pliithéâtre et sont couvertes en terras- les plus antiques sont de l’âge romain,
ses. Cette ville est bien déchue depuis les plus nombreuses sout byzantines;
le moyen âge, quand la marine des cette ville paraît avoir été très-popu-
Seidjoukides était florissante. Strabon leuse dans le moyen âge, quand les
nomme ensuite flamaxia, la ville des Vénitiens et les Rhodiens tenaient cette
transports; c'est là qu’on embarquait côte.
les bois (2). Hamaxia était à cent sta-
des, 18 kilomètres, à l’est de Coracé- CHAPITRE XLIl.
siuni.
A l’est d’Alaya, la côte de Cilicie est • SBLGIIUIE.
dominée par les sommets déchirés du
mont Imbarus, qui s’élèvent à seize et La ville d’ilolmi a été abandonnée
dix huit cents mètres, et les pics les plus par les habitants lorsqu’ils eurent cons-
élevés atteignent jusqu’à trois mille truit Séleucie, mieux située sur le boni
mètres selon l’estimation du capitaine du Calycadnus, petit fleuve qui était
Beaufori (3). Ces régions font partie de navigable jusqu’à la nouvelle ville. On
i’Isatiric, et appartenaient au pays des reconnaît les ruines d’HoImi dans uue
Homonadiens. anse au sud de Sélefké ; elles consistent
Le petit fleuve Sélinus vient se jeter en débris accumulés do monuments
dans la mer près d’un promontoire élevé qui ne paraissent pas remonter à une
qui marque remplacement de l’ancienne haute antiquité. Les ruines d’HoImi
sont connues des indigènes sous le nom
(i) Siraboii.XIV, 668 Plutarrh., rit de
;
de Viran cheher, la ville détruite; il pa-
Uarc-j4nl. raît qu’il y eut dans cet endroit un eta-
(i) Strabon, XIV, 66y. blissement byzantin.
’î) Caram., p. 179. La petite baie d’HoImi s’appelle au-
AMK MJNKUUK. 7 »
jourd’hui Agha liman, le port de l'Agha ; ces lieux n’offrent plus que des ruine*
elle défendue par un château du
est informes (1).
moyen âge. Il y a autour quelques mai- A la pointe du promontoire s’élève
sons; c’est l’échelle de Sélefké. L’an- une tour de marbre avec quatre tribu-
cienne Séleucie , qui est située à rcnt nes ouvertes, ornées de pilastres co-
vingt stades, 22 kilom., au nord de la rinthiens; elle paraît avoir été cou-
baie, sur la rive du Gœuk sou ,
le Caly- verte par un toit pyramidal. Les autres
cadnus, que l’on traverse sur un pont ruines sont éparses à l’entour de la
de six arches. baie.
Séleucie, construite par Séleucus Nica- En se rendant de Karaman à la côte, le
nor vers 300 avant notre ère, se distin- colonel Leake retrouva dans un des pla-
guait des autres villes du même nom teaux élevés du Taurus, près delà petite
par l’épithète de Trachæa, la rocheuse. ville de Moût, composée de deux cents
Les ruines de l’ancienne ville sont si- maisous, les restes d’une ville antique
tuées au pied d’une montagne, dans la dont les vestiges couvrent une vaste
valléedu Calycadnus , et couvrent une étendue de terrain. Il y reconnut jus-
étendue de terrain considérable, mais qu’aux traccsdes rues et des |K>rtiques,
la plupart des monuments sont mécon- mais tous ces édifices étaient écroulés.
naissables, et ne consistent qu’en amas Un château couronne l’éminence voisine.
de décombres on peut reconnaître
: Il semble que sous les Seijoukides la

cependant qu’ils' appartiennent tous à villede Moût jouissait d’une certaine


l’époque romaine. l.e village moderne prospérité; on voit encore plusieurs
de Sélefké est bâti sur la pente de la mosquées, des bains et un kitan, tous
montagne de l’acropole ; il consiste en édifices bâtis avec d’anciens matériaux ;

une douzaine de pauvres cabanes ; celle on remarque, entre autres édifices , le


de l'agha ne se distingue pas des au- tombeau de Karaman Oslou, émir, qui a
tres. Le château qui couronne la mon- donné son nom à la Karamanie. Ces
tagne est encore assez bien conservé, il ruines ont été regardées comme celles
est défendu par jilusieurs tours ; mais de Claudiopolis, colonie de l'empereur
c’est un ouvrage byzantin qui n’est Claude, citée par Ammien Marcellin;
pas antérieur au onzième siècle l'in- ; vient ensuite Olba (21, ancienne colonie
térieur est rempli de maisons écrou- grecque fondée par Ajax fils de Teucer,
lées. remarquable par un temple de Jupiter.
Il est difficile de reconnaître l’enceinte Les grands prêtres jouissaient d’un pou-
de l’ancienne ville, les murailles étant voir tel qu’ils furent maîtres pendant un
détruites. Ou
remarque sur la pente de temps de toute la Cilicie Trachée sous la
la montagne un théâtre dont le pros- protection de Marc-Antoine. On pense
cénium était tourné vers le sud, les que cette Claudiopolis est la même ville
ruines de plusieurs portiques et une que l’ancienne Olba.
église byzantine bâtie avec d’anciens Corycus, aujourd’hui Korghos, s’an-
matériaux qui ont été enlevés de quel-' nonce' par un promontoire qui forme
que temple dont elle occupe l’empla- deux petites baies entourées de ruines
cement. L’ouvrage le plus remarquable de tous les âges, mais principalement
est une grande citerne taillée dans le de l’époque byzantine un château ré-
:

roc, et dans laquelle on descendait par paré par les rois arméniens s’élève sur
un escalier; l’aqueduc aujourd’hui dé- un rocher au bord de la mer. Les ruines
truit y déversait ses eaux. On peut de plusieurs églises byzantines sont les
citer encore la nécropole qui se com- seuls vestiges de l'ancienne ville des
pose d’un grand nombre de sarco- pirates.
phages et ae tombeaux taillés dans le A une petite distance de la côte s’é-
roc, mais le style de tous ces monu- lève un rocher isolé sur lequel on a bâti
ments ne présente -aucune originalité. un château c'est l’Ile d’Elæussa où le
;

Dans le parcours delà côte sud de l’A- roi Archélaüs avait construit un palais.
sie, nous avons mentionné la plupart
des lieux notables comme le Pœcile, les (i) Voy. cil. X, p. ai.
caps, et lesîles voisines de la côte tous : a) .Stnlion, XIV, 671.
72G L'UNIVERS.
L'antre Corycéen, dont Pomponius Mêla sables sont aujourd’hui agglomérés et
a laissé une description si pompeuse, forment une espèce de grès.
a été reconnu par M. V. Langlois à
uinze kilomètres au nord de Korghos, POETES DE CILICIE.
ans la vallée de CheitanI ik. Cette grotte, Le défilé nommé par les anciens.
par son étendue et les accidents na- Portes de Cilicie et par les Turcs Ku-
turels qu’elle présente, peut être com- lek boghaz,le défllé du moucheron, est
parée à la grotte de La Balme en Dau- le seul passage par lequel une armée
phiné, de vastes galeries se prolongent puisse franchir le Taurus, aussi de tout
fort loin dans le sein de la montagne, temps la possession de ces montagnes
et donnent issue à une petite rivière que a-t-elle été le prélude de la conquête de
les habitants nomment Dehli sou, l’eau l’Asie au delà comme en deçà du Tau-
folle.
rus : cela s'est trouvé vrai du temps
d’Alexandre comme du temps de Me-
CHAPITRE XLIII. hemet 'Ali, la guerrre portée au centre
de l’Asie Mineure par le pacha d’Égypte
a donné un intérêt momentané aux po-
CILICIE CHAMPÉTBE.
sitions topographiques qu’il occupait
successivement. Le résultat de son pou-
La Cilicie champêtre commençait au voir passager a été l’amélioration de
fleuve Lamus, près duquel était située cette route, qu’on peut maintenant par-
la villede Lamus dont il ne reste plus courir sa'ns danger et sans fatigue.
de vestiges. La route d’Eregii aux Portes de Ci-
L’ancienne Soli ayant été presque licie longe les montagnes qui bordent la
dépeuplée par une invasion de Tigrane, plaine de la Tyanitis ; il est impossible
roi d’Arménie , Pompée y établit une de franchir le Taurus en marchant droit
colonie formée des pirates qu’il avait vers le sud. Alexandre et Cyrus, par-
vaincus, et lui donna le nom de Pom- tantde Cibystra, marchèrentau nord-est.
peiopolis. On retrouve l’emplacement On fait la première halte au coravan-
de cette ville au village de Mezetlu à seraï de Oulou kouchla, la seconde à
dix-huit kilomètres à l’ouest de Mer- Tchifté khan, dans le Bulgar dagh, la
sine. Si l’on en juge par le caractère des troisième n Bozanti, l’ancienne Pudan-
nombreux monuments qui subsistent dus à l’entrée du défilé au nord du Ku-
encore, Pompeiopolis fut intièrcment lek boghaz dans les hautes vallées du
rebâtie dans une période de décadence. Sarus. Podandus fut de tout temps un
Le port forme un bassin oblong, dont lieu très-misérahie, et saint Basile le
l’entrée était défendue par deux moles compare au Charonium,qui exhalait des
demi-circulaires. Il est relié à la ville vapeurs pestilentielles. Le bourg de Ha-
par un long portique de deux cents iala devait se trouver dans le Bulgar
colonnes, dont il en reste environ cin- dagh. C’est là que mourut l’impératrice
quante en place. Elles sont d’ordre Faustine, qui, en l’an 174, accompagnait
corinthien, mais d’un style tellement Maro-Aurèle dans son voyage de Syrie;
barbare, qu’on doit les regarder comme l’empereur fit élever un temple à sa
des ouvrages du temps de Dioclétien et mémoire, et fonda la ville de Faustino-
non pas de la république romaine; on polis, que l’un place au village de Pas-
peut suivre encore tout le périmètre maktchi. De Bozanti à l’entrée du dé-
des murailles et reconnaître les princi- filé, il a trente kilomètres; on entre en-
pales portes ; le théâtre est un monceau
y
suite dans une fente étroite entre deux
de ruines : en un mot Pompeiopolis tout mqrs de rochers, passage qu’une poignée
en conservant de nombreux monuments d’hunimcs pourrait défkidre; aussi
n’offre aucun intérêt sous le rapport de Alexandre, en voyant ces défilés qu’on
l’art. pouvait rendre impraticables rien qu’en
Les eaux du port ont au plus haut roulant quelques blocs de rochers, n’eut
degré les propriétés incrustantes que qu’à se féliciter de sa bonne fortune (1) ;
nous- avons déjà observées plusieurs
fois dans les eaux de cette côte tous les
; (i) (,>. Curlius, 1. IV, li.
, y

ASIE MINEUKE. 72»

les Romains firent faire quelques tra- Tarse dans l’antiquité, ce furent les
vaux à cette route ; on reniar(|uait aussi éléments, qui parurent conjurés pour
plusieurs pans de murailles byzantines sa ruine.
qui ont été démolis quand les Égyptiens Le fleuve Cydnus, renommé par la
travaillèrent à cette route dont le par- froideur de scs eaux, était navigable
cours est de trente kilomètres; on fait depuis son embouchure jusqu’à la ville,
halte au khan de Mezarlik, du cime- qu’il traversait de part en part, eu pas-
tière, à quatorze milles des portes de sant près du gymnase des jeunes gens(I).
Cilicie et à douze milles, 1 8 kilomètres On vit un jour une galère dorée m^
et demi, de Tarsous. Ce lieu concorde nceuvrée avec des avirons argentés, dé-
avec la position de Mopsucrène, fon- ployer ses voiles de pourpre sur les eaux
taine deMopsus, où mourut l’empereur du Cydnus c’était la reine Cléopâtre,
;

Constance (1 |,an pied du mont Taurns : accompagnée de Marc- Antoine, qui ar-
sub Tauri radicibus posilam. Les Ro- rivait dans la ville de Tarse, reçue par
mains avaient fait de grands travaux pour les acclamations enthousiastes des po-
établir cette voie militaire, la seule qui pulations qui bordaient le rivage (2).
conduisait de Tarse dans la Cappadoce. Pendant le règne de Justinien le
Cydnus passait encore dans la ville;
CHAPITRE XLIV. Procope rapporte que de son temps une
inondation subite, causée par la fonte
TAaSE. — TABSOUS. des neiges du Taurus, produisit des effets
désastreux; les ponts furent enlevés et
Tarse est aujourd'hui la seule ville plusieurs quartiers furent détruits.
de Cilicie qui ait conservé une popu- A la nouvelle de cet événement, l’em-
lation active et commerçante , elle doit pereur donna l'ordre de creuser un
cet avantage à sa position maritime; nouveau lit au fleuve. On fit pour le
c'est par l’entremise de ses négociants Cydnus ce qu’on fit presqu’à la même
que se font toutes les transactions entre époque pour le .Scyrtus à Édes.se (3).
les populations de l’intérieur, la Syrie D'autres travaux furent é.\écutés dans
et les îles ; mais sa situation topogra- le lit du Cydnus, au dixième siècle
phique a éprouvé de tels changements quand les Sarrasins vinrent assiéger
qu’il est impossible de reconnaître dans Tarse; c’est depuis cette époque seule-
la Tarsous moderne cette cité célèbre ment que le fleuve prend son cours a
moins encore par les splendides monu- l'est de la ville.
ments oui la décoraient que par les Le Rhegma était à l’embouchure du
grands nommes quelle a produits. Il fleuve à l’est d’Anchiale, c’était une
faut citer en première ligne le nom de grande lagune autour de laquelle
saint Paul, qui, par la seule puissance étaient construits les arsenaux ; aujour-
de sa parole, devait renouveler la face d’hui les alluvions du fleuve ont com-
du monde antique. plètement changé la forme de ce ri-
Paul était né citoyen libre de Tarse; vage.
il exerçait la profession de fabricant de On comptait cinq stades, moins d’uu
ternes et de tapis; néanmoins l’esprit kilomètre, de Tarse au Rhegma; il
littéraire répandu dans cette
était si était à cent vingt stades , vingt-deux
colonie, que Paul, malgré sa profession kilomètres, de Zéphyrium, aujourd'hui
industrielle, suivait les écoles et pré- Mersiue; ce petit village est aujourd’hui
ludait ainsi à ses grandes destinées. le véritable port de Tarse quoiqu'on ne
Tarse, la seule ville lettrée de la Cilicie trouve en ce lieu qu'une rade foraine
(sa voisine Soli n'était distinguée que par exposée à tous les vents du sud et de
l’incorrection de son langage), conserva l’ouest. En fouillant autour de Mersine
toujours le premier rang; c’était la
métropole de la confédération cilicienne.
(i) Slrabon,XIV, 671.
César lui conserva le titre de ville libre. (a) Plutarrh vie de M, Antoine.
,
En un mot les plus grands ennemis de
(3)Yoy. Édeue et ses moDunienls, bull,
lie la I. I, 334, idSg;
Soc. d’ethnographie,
''
(r) Amien-Marcellin, XXI, i 5 . Procop., de Æd’f. 3ao, i3.
738 L’UNIVERS.
on trouve de nombreux débris d'anti- OÙ les antiquaires qui entreprennent des
quités. Il y a un demi-siècle les navires fouilles ont labonne fortune de découvrir
mouillaient à Kasanli, le village des des figurines d’un bon style et intactes.
chaudronniers ; mais le fond est devenu Les monuments modernes sont sans
mauvais. L’embouchure du fleuve, qui, intérêt; nous en exceptons toutefois la
dans l'antiquité, n’était qu’à un demi grande mosquée dont la fondation re-
,

kilomètre de la ville, était en 1810, monte au quinzième siècle elle a été :

d’après l’estimation du capitaine Beau- bâtie par Rhamadan Ogiou, chef Tur-
fort,àdouze milles anglais, soit dix-neuf coman,qui a exercé dans le pays un
kilomètres. uvoir indépendant. Ce monument est
Les historiens grecs et latins qui ont ti sur le plan des mosquées primi-
fait mention de la fondation de Tarse tives, c’est-à-dire que sa nef consiste
citent une inscription célèbre qui était, en trois portiques parallèles soutenus
croyaient-ils, placée sur le tombeau de par des colonnes. Dans l’intérieur on
Sardanapale : voit une chaire à prêcher, travail re-
« Seraanapale, fils d’Anaxyndarax, a marquable en marbre blanc; sur la porte
bâti 'farse et Anchiale en un jour ;
pas- de l’escalier on lit ;

sant, mange, bois, ris, le reste ne vaut « Ce minnber a été fait par Omar fils
rien. • de Daoud (fini dans) le mois de Rha-
11 semble que cette inscription indique mazan 987 (de l’hégire). »
suffisamment que Tarse et Anchiale
sont deux villes disctinctes; tous les LE MONUMENT DE TABSOUS.
écrivains anciens sont d’accord pour
dire que le tombeau de Sardanapale était Il existe à l’orient de la ville un mo-
près d’ Anchiale (I). Alexandre se rendit nument sur lequel l'histoire n’a laissé
en un jour de Tarse à Anchiale, qui était aucune indication et qui, par ses gran-
alors uue grande ville. des dimensions et la singularité de sa
I.«s Grecs, fidèles à leur coutume d’at- structure, est devenu le sujet des con-
trihuer à la race hellénique la fondation jectures les plus diverses de la part des
de toutes les villes qu’ils occupèrent plus nombreux oiuservateurs qui ont publie
tard , prétendent que Tarse fut fondée leurs opinions.
par quelques Argiens qui étaient débar- Ce monument présente l’aspect d’une
qués dans le pays à la recherche d’Io. rende enceinte rectangulaire, orientée
L’histoire de Tarse phénicienue res- e l’est à l’ouest, et formée par de hautes
sort de tous les passages des auteurs et d’épaisses murailles; dans l’intérieur
aussi bien que de ses médailles et du de l’enceinte s’élèvent deux masses cu-
culte de ses dieux ; mais aujourd'hui on biques de dimensions différentes.
ne saurait s’appuyer sur aucun monu- Uue muraille extérieure, et complè-
ment existant encore. tement détachée du reste , s’élève paral-
La Tarse des Grecs n’a pas laissé plus lèlement au petit côté de Test. Ce mo-
de vestiges que celle des Phéniciens; il nument forme aujourd’hui une masse
est vrai que peu de villes présentent le énorme de béton composé de brèche
spectacle d’un si grand bouleversement calcaire cassée en petits morceaux et
du sol nous avons vu des restes d’édi-
: d’un mortier très dur, il semblerait qu'il
fices enterrés jusqu’à l’imposte des voû- a été coulé dans un moule. Mais sur les
tes, et des colonnes ensevelies jusqu’à faces extérieures on voit les arrache-
l’astragale; ceci est-il l’eiTet d’un trem- ments d’un revêtement de pierre , et
blement de terre? c’est ce que disent l’empreinte des dalles de pierre ou de
les habitants. On reconnaît à peine au marbre qui les recouvraient. On n’a
sud-ouest les vestiges d’un théâtre et donc en réalité que le squelette ou l’os-
un monticule renfermant de nombreux sature d’un monument qui ne ressemble
débris de terre cuite ouvrée , sorte de par sa forme générale à aucun autre
Monte TestaccU) comme celui de Rome, édifice connu. 11 est bien difficile sur
cette base d’asseoir une opinion tant
(i) Stnbon, %IV, 6-i, Airieii, Erp, soit peu plausible; ce sont surtout les
AUx., ri, .i. dimensions de cet édifice qui ont frappe
ASIE MINEURE. 729

les observateurs. Le grand rectangle a nous combattons les opinions. Quelle


quatre-vingt-quatre mètres de long sur donc la destination de cet édifice ?
était
quarante-six de large hors-œuvre, les Carie Ritter seul l'a dit après avoœ :

murailles ont sept mètres de hauteur résumé les opinions de tous les écri-
et six mètres soixante d’épaisseur ; le re- vains qui en ont parlé Bleibl noch ein
,

vêtement de pierre augmentait cette Raethsel für die Ântiqudre-; il reste


épaisseur de quatre-vingts centimètres. encore une énigme pour les antiquai-
Les pierres du revêtement étaient en res (1).

assises réglées et posées alternativement


de front et en houtisses ; ces dernières
CHAPITRE XLV.
étaient noyées dans le béton.
LES POSTES SYBIENNES.
Du côté de l’est le rectangle n’est pas
fermé; il forme ainsi une vaste cour, Le comte de Lesse[)s fit en 1 826 un
mais on n’y remarque ni porte ni au- voyage direct d’Alep à Constantinople,
cune chambre ou réduit quelconque. en traversant toute l’Asie Mineure ; l’i-
Les deux massifs cubiques ont été sondés tinéraire qu’il a écrit, et qui est resté
par M. Gillet, consul de France; il a inédit, contient des détails peu connus
pénétré jusqu’au centre , et n’a trouvé sur les mœurs des tribus turcomanes
qu’une masse de béton compacte. et sur leur chef Kutchuk Ali, qui dans
Le grand cube a trente-deux mètres le même temps avait exercé un pouvoir
quatre-vingts centimètres de face sur sans limite dans les montagnes au delà
quinze mètres d’épaisseur, sa hauteur est du Pyramus. Il avait un gouvernement
la même que celle des murailles. L’autre à lui ',
et ne craignait pas d'attaquer les
cube a dix-sept mètres de front et douze villes de la plaine; il fît sauter le pont
d’épaisseur. de Missis, qui n’a pas été réparé depuis.
Les fouilles faites par le consul ont Le commerce lui payait tribut, et nulle
mis à découvert un doigt de marbre pro- caravane ne pouvait sans sa permission
venant d’une statue colossale trois fois traverser le mont Amanus. Pendant
grande comme nature, travail romain de plusieurs années les pachas voisins
bon style. Mais on n’a pas trouvé avec firent de vains efforts pour le soumettre ;
les nombreux morceaux de marbre ex- la Porte lançait contre lui des fermaus
traits des fouilles un seul fragment de sans effet. Il habitait un château situé
moulure ou d'ornement quelconque qui dans les montagnesdu Beylan,au milieu
eût pu faire connaître l’Age approxima- de défilés faciles à défendre. Le pacha
tif du monument. d’Adana réussit enfin à cerner le hey
Nous n’ajouterons qu’uneobservation :
rebelle, le château fut pris d’assaut,
tous ceux qui ont vu les monuments Kutchuk Ali et tous les siens furent
de la Chaldée, de l’Assyrie et de la massacrés, et l’on voit aujourd’hui à
Perse savent que les Assyriens bâtis- peu de distance de Beylan, au sommet
saient en pisé et non en béton. Rien d’une montagne couverte de forêts, le
n’autorise donc à dire que ce monu- château en ruine de l’ancien bey des
ment est un ouvrage assyrien. Turcomans.
On n’y découvre aucune enceinte, La petite ville de Beylan est bâtie sur
chambre ou réduit quelconque pour lapente de la montagne du même nom.
déposer les corps. Tous les tombeaux, Les maisons s’élèvent en amphithéâtre,
depuis les Pyramides, en passant par et sont couvertes en tuiles; elles sont
les tombeaux de Cyrus, de Tantale, de bâties par groupes séparés; des sources
Mausole, récemment découverts, offrent abondante.s circulent dans la ville ; l’air
un caveau funéraire pour y mettre le du pavs est aussi sain que celui de la
corps ou les corps des défunts rien
:
plaine'est impur ; c’est au Beylan ^ue
n’autorise donc à dire que ce monument se retin lit les nombreux malades d A-
est un tombeau; sa forme rectangulaire lexandrette.
porterait plutôt à regarder cette ruine On fait neuf heures de route jusqu’à
comme celle d’un grand temple. Mais Ayas, l’ancienne .Egée, bâtie au bord
en lui attribuant une destination reli-
ligieuse, nous ferions comme ceux dont (r) I. IX, page xo6«
?30 L'UNIVERS.
de la mer dans un enfoncement du Mégarse,où se trouvait le tombcnii
golfe d’Alexandrette, ce n’est plus au- d’Araphiloque. a laissé moins de vesti-
jourd’hui qu’un village avec un poste ges encore. Toute cette plaine est eu-
dédouanés; grands édifices ruinés
les vabie par des marécages.
oui s’élèvent à l’entour témoignent de Alexandre partant (le Soli pour in.ar-
l'ancienne importance de cette ville. On cher sur Issus suivit le long de la côte
met sept heures de marche pour arriver jusqu’à M(‘j^ar.se, où il flt un saeriQce à
aux montagnes qui bordent la plaine au Minerve Megarsis et des libations sur le
nord d’Ayas ; c’est un embranchement tombeau d’Amphiloque; de là il se di-
du mont Âmanus ; on entre bientôt dans rigea sur Mallus, à travers la plaine
un défilé célèbre dans l'antiquité sous aléienne. Mégarsis était comme Mallus
le nom de Portes Syriennes, Syriæ pylæ ; bâtie sur une colline.
deux montants de pierre solidement
construits indiquent encore l’emplace- CHAPITRE XLVI.
ment de cette porte connue aujourd’hui
sous le nom (le Karanlik kapousou,la MOPSUESTIà. — MISSIS. — ADANA.
porte noire.
Alyriandrus, ville phénicienne, était si- Alissis l'ancienne Alopsuestia est bâtie

tuée près de ce lieu son emplacement


;
sur une colline sur la rive droite du Py-
reste indéterminé (I). Les Portes Sy- ramus; un pont de pierre de taille jeté

riennes marquent l’entrée de la Cilicie, sur le fleuve a été rompu par Kutenuk

ce dénié conduit à la station de Eourd Ali et est maintenant réparé avec quel-
kala, distante de neuf heures de mar- ques poutres. Missis fut une ville im-
che d’Ayas. portante dans le moyen âge; on l’appe-
Kourd kala est un ancien caravan- lait Mamistra. Il ne reste aucun édilice

seraï fortifié, situé sur le penchant d’une antique; des débris épars et quelques
montagne qui domine tous les environs, inscriptions témoignent seulement que
il a été bôti par Khamadan ogiou, qui, l’ancienne Mopsuestia avait conservé les
au milieu du seizième siècle, posséda les privilèges d'une ville libre; le pont était
villes d’Adana Tarsous.
et de. un ouvrage romain. L’empereur Justi-
L’enceinte du caravanseraï renfer- nien le fit réparer. Les Arabes firent une
mait une caserne, une mosquée et de première invasion en Cilicie en 950 de
vastes écuries pour les caravanes, au- notre ère ; ils s’emparèrent de Missis, qui
jourd'hui il y a toujours un poste de resta quatorze ans entre leurs mains et
soldats pour garder ce passage; mais fut reprise par les Byzantins en 9G4.
l’ensemble de ces utiles édiQces ne sera En 1097, les croisés, sous la conduite de
bientôt plus (lu’un amas de décombres. Godefroid, s’emparèrent de Missis, et la
En descendant de Kourd kala, ou en- mirent en bon état de défense; elle tut
• tre dans une plaine ondulée et (léserte, annexée aux possessions des rois de la
bornée au sud par de grandes lagunes ; petite Arménie , et après la chute de
une suite de collines sépare cette plaine cette dynastie elle resta diifinitivement
de la vallée du Pyranius ou Gilioun, entre les mains des Musulmans. Depuis
encaissée entre deux pentes élevées et cette époque, cette ville n’a fait que dé-
boisées. choir, et sa population ne s’élève pas
Mallus, fondée par Mopsus et Am- aujourd’hui à mille habitants.
philoque après le siège de Troie, était à Missis est éloignée de sept heures de
l’embouchure du Pyramus, la ville était marche d’Adana; la route est toujours
bâtie sur une colline; sur laquelle on ne eu plaine. On aperçoit au loin plusieurs
trouve plus que des ruines eparses ; ce- monticules sur le$quel$ s'élèvent d’an-
pendant Mailus a été dans le moyen ciens châteaux ; les indigènes les nom-
fige une ville assez importante, déten- ment Chamirâm kalé si , le château de
due par une forteresse dont on voit en- Sémiramis, et Han kalé si, le châtoau
core les ruines sur le cap Kara tasch des serpents; ce sont des forteresses
bouroun, la pierre noire. du moyen âge qui ont été bâties par les
Croisés.
(i) Xéuuplion, Aiiab., I, 4. La route de Tarsous à Adaua tra-

;igitized CjOü^i
.

ASIE MINEURE. 731

vers« la même plaine, dans la direction Adana est une ville toute commer-
de l’ouest à l’est ; on compte neuf heures j^nte; on n’y retrouve aucun vestige de
de marche entre ces deux villes. La cha- rantiquité ; le seul monument remar-
leur est si intense pendant l'été, que les quable est la mosquée Oulou DJami,
caravanes ne s'aventurent jamais à bâtie par Rhamadan ogiou, un peu
marcher que la nuit; les nomades se re- après celle de Tarsous et dans le meme
tirent à la montagne, la plaine reste style, c’est-à-dire formée d’un double
livrée aux reptiles et aux insectes, qui portique sans coupole.
pullulent. La porte et le minaret sont bâtis en
Adana est bâtie sur la rive droite du assises de marbre alternativement blanc
Sarus ou Sihoun ;
l’histoire de sa fonda- et noir; le minaret octogone est imité
tion se confond avec la fable. Étienne des minarets de la Perse. L’aspect de
de Byzance dit que deux frères, Adanus la ville est plus triste encore que celui
etSarus, tils d’Uranus, Grent la guerre des autres villes turques ; les maisons
aux habitants de Tarse, et fondèrent n’ont aucun jour sur la rue ; on se pro-
une ville : l’un donna son nom au fleuve mène entre deux longs murs de brique.
Sarus et l’autre à la ville d’ Adana. Pen- On compte environ huit mille maisons,
dant toute la durée de l’empire romain dont mdle arméniennes. Pendant l'été
il est rarement fait mention de cette les habitants couchent sur leurs terras-
ville. Pompée y établit une colonie de ses. Du temps de Mchemet-Ali, Adana
pirates en même temps qu'à Soli était le quartier général de l'armée égyp-
L’empereur Justinien fit construire tienne, ce qui dounait un peu d’anima-
sur le Sarus un pont qui existe encore. tion; mais les chrétiens osaient à peine
Les ingénieurs employèrent la même sortir de leurs maisons. En 1835 Adana
méthode qu’au pont sur le Sangarius : était gouvernée par le Kaïmakan, lieu-
ils détournèrent le lit du fleuve et lui tenant du sultan , Karadjn, le vainqueur
rendirent son cours naturel quand le de Kutchuk Ali ; aujourd’hui Adana est
pont fut bâti. le chef-lieu du pachalik du même nom.
Une petite éminence sur laquelle s’é- Les régions eu amont des fleuves
lève l'ancien château byzantin domine Sarus et Pyramus appartiennent à ia
qui est bâtie toute en plaine; c’est
la ville, seconde Arménie, que nous avons déjà
le plus édiflee. On voyait encore
ancien parcourue.
en 1836 toute l'enceinte flanquée de Nous terminous ici la description de
tours. Méhémet Ali avait donné l’ordre l’Asie Mineure, sans nous faire illusion
de le démolir. sur les lacunes qui restent à combler.
Dans un des souterrains on avait dé- Nous avons relevé dans les auteurs an-
posé l’ancienne grille, ouvrage curieux ciens deux mille neuf cents noms de
de serrurerie du septième siècle : les villes et de lieux célèbres on voit com-
;

gonds et la serrure étaient ornés de figu- bien nous sommes loin d’avoir accom-
ras de lions et de léopards en relief et li notre tâche. Il reste encore bien des

curieusement ciselés; il est probable écouvertes à faire, bien des incerti-


que cet ouvrage n'existe plus. Le châ- tudes à éclaircir ; c'est un vaste champ
teau commandait le cours du fleuve à d'études toujours ouvert aux futurs ex-
l’ouest de la ville. plorateurs.

FIN.

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. .

TABLE DES PLANCHES

Le Relieur devra placer les planches dans le 'volume de la manière suivante. )


(

•nrh« En rrgNrd Mancbc En regaij


de la page lie la page
I Bas-rellef taillé daos le roc à Mym- 36 Médrécé à Broussa» école du sul-
phi . . 261 tan Mournd i*' I3ü
3 Bas-roliefs taillés dans le roc à Plé> 37 Tombeau de Houen k Cé^rée..,. 542
rium 613 38 Fortittcations de Nicée; porte du
3 Bas-relief Uillé dans le roc k Plé* Nord 104
rium 614 39 Forliücatioos de Nicée; porte de
4 Bas-reliefs taillés dans le roc à Pté- Ténicheher i04
rium 610 40 Fortilicatloos de Nicée; porte de
Lefké.. 102
Temple d’Analtis a Ptérium GU8 41 Pont couvert a Broussa......
Le hieron de utiiae 642 42 liraiide rue de Hlcomédlé “57
Portes Ptérium. —
Acrooole a Plé- 43 Kestes (lu palais de Jostlnlap a Pa-
rium 610 lalia , Ile ne Marmara 162
FortIUcaliona des Léléges 636 44 Tombeau de Seld el Rhazl 424
Maisons de la vallée de Xanthus.. 68i 45 Vue de Kara hlssar 42H
Tombeaux lyclens taillés dans le 46 Vue de Kutayah 394
roc 682 *7 Mosquée de Hadji Balram a An-
Tombeau de Midas A Nacoléia 416 gora 484
Tombeau de Tantale 2.10 48 Citadelle fl’Assos “son
Hécrouole de Telmissus 608 49 Vue de Smvrne „ . 308
Temple a Assos 202 50 Danse des £lnKarl a Boullada “W5
Bas-relieh du temple d'Assos “5SΓ 5t Kestes du palais d’Andromc a
Porte d'Asios ! 3ua Kvmpbt... 260
Temple d'Apollon Dldyme aux 52 Tralles. — Alain *uzel liissar 278
Brancmoes 3 '6 53 Mosqoee du sultan Selim aKDDése. 31»
Temple cic Vénus a Apnrodlsias. 644 54 Cesaree etle mont Areée 540
Temple de Teos H84 55 UrRUb 65Î
Temple a Aizant “ïëô“ . 56 costumes a m-KOKhl 564
Temple de Jupiter a Labrauda.. 64H 57 Lions et faucon dans le château
Odéum taille oans le roc a Aperis. 688 de Komeh 662
Théâtre A Patare . 678 58 Cacamo ou Karava 68H
Tombeau d'Amvntas a Telmissus. 668 59 Constructions dans l’ile de Kacava. 688
Tombeau de Claudia Réeéiia. — eo Nécropole de Mvra 694
Tonïbëâu de Ftoiémée a AnlP 61 warmârice asa
phellus. ....... 6^4 62 Huîtres fossilesdu mont Tauroa.. 31
27 Tombeau prés de Myiasa 6ÏF “53 Trêbizonde ËM
28 Temple d’Aueuste à Ancvre 482 64 Peintures bysaotinesàTrébiioDde. 596
29 Sarcophage ue marbre, des ruines
d’Aphrcraisias 646 Cartes o la fin du volume,
30 Buines d'une basilique A Pergame. 216
31 Eglise a Trebizonde. 558 Asie Mineure sous les Perses.
32 Palais des suttaos tétdjouMdes A 2 Asie Mineure au temps d’Alexandre la
Konieh lîær branü.
33 Chéieau de Boudroum 632 3 Asie Mineure sous la domination romaine,
34 Mosquée du sultan Mourad I*' A d'Auguste A Dioclétien.
Broussa 128 4 Asie Mineure au temps d'HéracHus.
35 La grande mosquée A Broussa... 126 6 Asie Mineure moderne..

7SS

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1

TABLE DES CHAPITRES

LIVRE PREMIER. Chapitres. éafe»


Ziélas. — Prusias 1'’. 53
cnapuret. Ps(es. Pmsias II. S4
1. Travaux des voyageurs Nicomède II-III. '

modernes. I La Bithynie réduite en


U. Hygiène. i province romaine. 55
III. Division de l’ouvrage. 6 Domination musulmane. 56
^
Le noip d’Asie. 7 III. Frontières de la Bithynie. *7
IT. Divisions de l'Asie A dif- Honoriade. —
Parages du
férentes époques. 8 Bosphore. 58
V. Juridictions romaines. lO Cap Posidium. 58
VI. Asie divisée en thèmes. 1 Golfe d'Astftciu. Port —
VII. Coup d'ueil sur la forme Herxus.
générale de la pres- Port Calpé. 5g
qu'île. i5 IV. Astacus. 6o
Allusions des fleuves. i6 Olbia. —
Nicomédie. 6i
VIII. Périple de l'Asie Mineure. Constitution du sol aux en-
Côte septentrionale. «9 virons de Nicomédie. 68
IX- *
Côte occidentale. ai V. Périple du golfe de Nico-
X. Côte méridionale. aa mMie. 6g
XI. Mont Taurus. aS Taouchandil. — Côtes du
Montagnes de la Lycie. golfe. 70
Cragus, Ak dagh. ’7 VI. Chalcédoine. 7»
Taurus de Pamphylie et La fontaine Zaréta. 75
de Cilicie. »9 vu. Chrysopolis. —
Scutari.
XII. Montagnes de la Pam- —Uscudar. 76
phylie ët de la Cilicie. 3o Les courriers en Orient. 76
Mont Amanue et mont Télégraphie chex les
Rhosus. 3a Byzantins. 7«
xni. Chaînes de l'intérieur. 33 Mosquée du sultan Soli-
Mont Phœni'x. 33 man. 79
Mont Latmus. 35 La tour de Léandre. 80
Mont Messogis. 35 VIII. Les Iles des Princes. 80
Mont Mycale. 36 Prolé. — Antigone. 81
Mont Prion. 36 Chalcitis. — Prinkipu. 8a
xrv. Mont Tmolus. 3? IX. Parages de lamer Noire.
XV. Mont Mimas. 38 -— Le mont Géant. 83
XVI. Mont Sipylus et ses em- Temple de Jupiter Drius. 83
hrancnements. 3g X. Honoriade. — Dusse pros
XVII. Mont Ida. 40 Olympum.
Chaînes du rentre. 44 Duslché. 1
85
XI. Itinéraire de Nicomédie
LIVRE H. au lac de Sabandja. 86
Le lac de Sophon. 87
Brrama. XII. Pont de Justinien sur le
Sangarius. 88
I. Premiers colons de la Bi- XIII. Itinéraire de Sabandj.'i à
thyiiie. —
Limites de Geïveh, 'l'oltflpiim, et à
'
la contrée. 47 Nicée.
n. Rois de Bithyoie. 5i - .<. Leucae. 90
ft'H*
Les Gaulois passent en XIV. Nicée. 9‘
Asie, 6a Église de Sainte-Sophie. 99
786 .

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3

786 TABLE DES CHAPITRES.


Chapttm.
XV. Les murs.
Psaes. LIVRE m.
lOO
XVI. Les portes. io 3
MTSII.
Porte de Constanlioople,
• —de Teni-cheher. loS Chapltrrs. Paies.
Intérieur de la ville. iq6 L Arrivée des M^sient en
Monuments musulmeos. iq6 Asie. —
Limites de la
Église grecque. 107 province.
Voie romaine. 108 II. Topographie ancienue. 1J4
XVII. La pyramide de Cassius Montagnes et fleuves. iH
Asclépiodolus 109 Le Granique, Démotico,
XVIII. Route de Nicée à Cius. Kodja tcba'i. lü
— Gliio. i_m III Itinéraire de Miletopolis
I..C lac Ascanius. I_LO à Cyzique. Muha* —
Pythopolis. I_LI litch. lifi
XIX. Cius. ~ Ghio. LL2 Lac Manyas. — Fleuve
Route de Ghio à Broussa. i_l1 Tarsius. *** Pæmani*
Roule de Moudania à nus. 1J2
Broussa. —
Apamea. ti 3 Les sources chaudes. ï 58
XX. Broussa*Pnisa ad Ûlytn* IV. L'ilede Procouiièse. iâlR

puni. 1 [5 V. Les carrières de marbre. lüi


Pythia. 116 VI. Itinéraire, de Muhalitrh à
Broussa byzantine. 117 Cvzique. ifii
XXI. Invasion musulmane. 117 VII. Artaee. —
Cyzique. i6i
XXII. Broussa, musulmane. S19 VIII. Ruines de Cyzique. i65
XXIII. État moderne. —
Indus* IX. État actuel de.s ruines. i6ÿ
trie. — Commerce.
• X. Ruines de Cyzique d*après
XXIV. Les eaux. igg d^andennes descrip*
XXV. l^s eaux chaudes. xa3 tions. 171
XXVI. Caractère de la mosquée XI. Côtes de THellespont. 173
turque. laS Lampsaque. — Abydos. 174
Oulou Djami. la*’ XII. Troade. — Kléments des
XXVII. Musquée du suUau Baya* populations primitives. 178
zid. XIII. Fliéniciens. i8u
Mosquée du sultan Mou* XIV. Cariens. — Léléges. —
rad à Tchékirgué. Lyciens. iS:i
Mosquée de Mourad Laü XV. Troade. —Topographie
XXVIII. ancienne et moderne. 187
Tombeau d’Osman. XVI. Plaine de Troie. 189
XXIX. L*Otympe de Mysie. 1 o XVII. Topopyipbie ancienne de
XXX. Les nomades de l'Olympe. la Troade. 19a
XXXI L’ile de Besbicus. i35 XVIII. Itinéraire de la plaine de
XXXII. La ville de Dascylium et Troie. jgi
le lac Dascylitis. i 36 XIX. Alexandria Troas. Eski —
XXXIII. La ville et le lac d'Apol- Stamboul. 94
lonias. — Le Rbynda- XX. Intérieur Je là ville. 195
eus. lis XXI. Le golfe d’Adramyttium. 198
Le Macestus. — Sou soug* XXII. As&os. aoo
berlé tchaL x4o XXIII. Les murs. aoi
Apollon ias. LAl XXIV. Les portes. 301
XXXIV. Loupadium. Acropolis. 10 3
XXV. Adramyttium. 104
Téni cheher. —
Suebtid. lÀÂ XXVI. Hécatonnèse. —
Hitane. 106
XXXV. Les Turcs s’établissent en Teuthranie, Calque. 107
Asie. x4.5 XXVII. Pergame. 108
XXXVI. Boli.— Claudiopolis Mo- XXVIII. Origine du royaume de
drenc. — Cratia. Ü7 Pergame. —
Philétére.
Syncedème de Hiéroclès. i 5o Eumène. 208
Attale I”. •09
Eumène 11 . ftIO

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TABLK DES CHAPITRES. 737

Cbipitrei. Viiaes. Chapitres.


Anale II. aj-i XXIX. Volcan de Kara Deviit. a73
XXIX. Intérieur de la ville, les XXX. Koula.
nnirs^ t’acro}>ole. XXXI Villes de Lydie au nord
La basilique. ^ i6 de l'Hermus.
XX.X. L'amphitnéâtre. TL2 YXXIT. Mieonia.
Le cratère de marbre. aiQ hlaundiis. ~ SaïUæ. »77
xxxm. Saïtta.
LIVRE IV. Fleuve Hyllus. 278
XXXIV.
ÆOLIDl. His.sar. îia
XXXV. Populations musulmanes,
I. Établissement des Æoliens usages, superstitions des
sur la côte d'Asie. 121 montagnards. g8i
II. Élée. —Villes de l'Æo- XXXVI. villes de Lydie au sud du
licle. Caystre. a85
III. Cymc. 1li XXXVII.
IV. Slpylus. — Tantalis. in Nvsa. x 8 l)
V. Topographie de Sipvlus. iiij
VI. Tombeau de Tantale. LIVRE V.
VII. Lydie. —
Maeonie.— Mi*.
crations des Lydiens en luMIK.
Asie, tribus inseonien*
nés. I- Preiiiières uiigratioiis io>
VIII. Dynasties lydiennes. liî nieniu»R. a 8g
IX. Frontières du royaume de II. Second âge des migra*
Lydie, montacnes, fieu* lions iniileniies.
VPA. g.^ m. Leurs raiiportsavec les lois
X. Monuments. i3li de Lydie.
XI. Chiite des rois béradides IV. Créations des dou/.e villes
de Lydie . ~ Avènement ioniennes.
des Mermpades. nM ï. (àonrédéiation ioiiietiiie.
XII. Invasion des Cimmériens. qi4^ VL L’Ionie sous les Perses. îûi
XIII. Rèeue de C.rèsus. aia VIL Kegues de Cambvse et de
XIV. Fin de Tempire de Lydie. 1^5 Darius. g(j5
XV. Route à travers leTmoliis. VIII. LToiiie sous Xerxès. îijfi
— llypæpa — Tai>oè. IX. Règne d’Artaxcr.xe.
— Sources du Pactole. X. Agésilas en luiiie.
?<iî
au 8
XVI. Hypæpa. aAit XL LTonie après la paix d’Aii-
XVII. Passage du mont Tmolus. gSn talcidas.
Î22
XVIII. Sardes. g5g XII. L’art ionien.
XIX. Le temple de Cybèlc. xin. LTonie sous les roisgrees. înl
XX. XIV. Sous les emiiereurs ro-
Sardes. a54 mains.
XXI. Tombeaux des rois de XV, Sinyme. îffli
Lydie. XVI Smyrne byzantine. ’inS.
XXII. Itinéraire de Smyrne à Sar* XVTI Snivrue musulmane. .Hat)

des. — Village de Nym- XVIII. Smyrne moderne. 3o7


plii. — Stèle de Sésos- XIX. Route de Smyrne à Aiasa-
tri.s. g 6o loiik. 3oq
XXIII. villes de Lydie au nord XX. Aiasalouk. 3x0
du Caystre. afi.I XXT Éphèse. 3ig
XXIV Plaine liyrcauienne. afîi XXII. Les mui-s de la ville. —
XXV. Route de Sardes à Pergame Monuments antiques. 3x4
par Thyatire et Nacrasa. afiS Éphèse romaine.
Tbyalire. afifi XXIll. I.c stade. — Le thèètre.
TXVl. Route de Tbyatire à Per- XXIV. Les lliernies, le gymnase. 3i6
game par Nacrasa. afig XXV. Le Temple. 3i7
XXVII. Philadelphie. a 6o XXVI. Saint Paul à Éphèse. 3xg
>.x VIII. La f’.alarèraiiiuéne. iri XXVIl Destruction du Temple. 3aa
4;*^ UiTaison. (Asie Mii^EUm; ) j
il

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T

738 TABLE DES CHAPITRES.


Ch«pHr(*s, l'WI. rhaolfr‘S. Page».
X.XV11I. Les Turcs à Épbese. 1.V- Érylhne. —
Rhitri. 36i
XXIX. Riûnes (le Preèle. 3r>,4 I.VI. Golfe de Smyrne. - Cia- —
XXX. Orlygie et quelques lieux xomêng. 3%
antéheiléniques de la I.VII. Phocée. 37»
côle d'Innie. I.VIII. Fondation de Marseille. 37»
XXXI. Chiteaude Tichakir-Ali. Liy. Siège de Phocée. 374
XXXll. Pamonium. —
I.,e8 bains T.

de sable. la- Neuve. 374


Ancienne ville des Léié- Leiicai. - 375
Res. — Site du Panio- .-s

nium. An LIVRE VI.


XXXIII. Tremblements de terre
gHRTGIE. — GALATIE.
cIm villes H’Tonie. 3*2
XXXIV. Principaux tremblements I. Migrations phrygiennes. 377
de terre en Asie. 33o II. Invasion de .Sésostris. —
XXXV. Fondation de Milet. 33i Culte. 378
Milet sons les rois de UL Influence orientale.
Lydie. Mythe de Midas. 38o
XXXVI. Rèpic de Darius. .333 CL Dynasties phrygiennes. âKa
XX XVII. Mlle! sous les Grecs. 334 V. Domination étrangère. 383
XXXVIII Milet .sous les Turcs. 33.5 ÏL Révolte de Prooope. 384
XXXIX. Temple des Braochydes. 332 VIL Divisions géograpniques. 386
XI.. Construction du temple. 338 VIL Monuments primitifs. 388
XLT Etat actuel dti temple. 34(> IX. Sangarius. — Sakkaria. 3qo
XLTT Priene. 34X X. Itinéraire de Broiissa à Kii-
XLIIl. Ruines de I^riène. 343 tayah. — Cotyæum. 32»
Le.s ruines de Priène d’a- XL Itinéraire de Rroiis.sa à
près Mannert. 345 Air.ani par Taouchanli 39 s
XLIV. Maenèsie du Méandre. XII. Cotyeum. — Kutayah. 394
— Temple de Diane xin. De Kutayah à Aizani. 3ÿ6
Leucophryne. Route — XIV. Aizani.
de Seala Nova à MaR- XV. Le temple. 399
nc.sie du Méandre. 346 XVI. Les ponts et la voie des
Tradiietion d’un fermai) tombeaux. 4o4
de route. 347 XVII. Le stade. 4o5
XLV. Magnésie du Mé^tndrc. 34a xvni Cadi. — Redis. — Itiné-
Villes d’Ionie au sud du raire d’Aiiani à Cadi. 406
Méandre. 213 XIX. Sinaus. — Ancyre. 407
Riiinesd’HéracIée du Lat- XX. du Thym-
Villes à l'ouest
mus. 354 brius.— Dorylœum.
XLVI. Le Latmiens sinus. Oufa Eski cheher. 408
Bafi. 355 XXI. Exploitation de l’écume de
XLVII. villes de la presqu’île mer. 4°9

—Erythrée. —
ColopWn. Route de Sevn hivsar à
^^Claros. —
Téos. 356 Eski cheher par Muha-
XI.VIII. Route de Sravrne à Cia- litch. 4“
ros par Meiropolis. 35» XXIt Nacoléia. — Midieiim. 4ii
XLIX. Riiine.s de Claros. 35q XXIIT. Mideeum. 41?
Grotte de Mopsus. XXIV. La Grande Phrygie. 4l3
L. Lèbédus. XXV. yallêe de lV»rnléia.
U. Téos. — Arrivée de la eo- Tombeaux des rois de
Ionie grecque. 36 1 Phrygie. 4x5
LU. Soulèvement des Téiens Tombeau de Midas. 416
contre Athènes. 36a Monuments phrvgicns. 4»8
un. Ruines de Téos. —
Se\Ti Gherdek kaia si. 4X9
hi.ssar. — Sigadjik. 363 XXVI Pismich kalé si. 4 ao
uv. l.a pre.squ’ile hrythrée. 366 XXVII. Tombeaux de Yapul dagh.
Erylhrs. 366 — Combett. in

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TABLE DES CHAPITRES. 7S9
ÇJiapUre*. Pane». ChapUrrs. Pagys.
XXVIII. Itinéraire dr.Kédiz à Xara L’Augustéom. 481
hUiUir. 4ia LVI. Le chiteau. 48g
XXIX. Seidel Ghar.i. — Prvmné- LVU. La ville moderne et les
lia. 4a4 habitants. 490
XXX. Ouschalt. — Acmonia. A»5 Lvm. Villes des Galates dans le
XXXI. Ilesler kala — Nécro-
si. bassin supérieur du San-
pôle. 4»7 garius. 49a
XXXII. Abat keui. — Trajanopo- LIX. btanos. — Les Oppida des
lu. Galates. — Les grottes
Aphioum Kara hissar. 4»9 habitables. 493
XXXIII. Svnnada. 43o LX. D'Ancyre au pays des
XXXIV. Les earrière.s de marbre. Trocmiens. 496
XXXV. Reiidos velus. —
Anabura. 434 LXI. Tavium. — Nefes keui. 49;
Philoméitiim. —
Ak che-
her. 435 LIVRE VII
XXXVI.’ F.iiménia. — lehekli. 435
XXXVII. Lacxlicée sur le Lvcus. — CAPPAAOCe.
Kski hissar. 436
DenizH. — Le Lyciis. 438 I. Origine du royaume de
XXXVIII. Hiérapolis. — Pambouk Cappadoce.
- kale si. 43<» II. Domination auyrieDue. .Soi

XXXIX. Les lliermes. 44a UL Population de la Cappa-


XI.. T.e lbé<^tie. 443 doce. 5o3
Éclisc. — Agora. 444 IV. Rois de Cappadoce. SoS
xu. 444 V. Influence de Rome. 5 f«>

XI.II. f.el.'enœ. — Apamcc Ci- Religion. S fo


botxw. — Diiraire. 445 VI. La Cappadoce sous l'em-
XLIII. pire romain. 5 ia
cheul. 448 VII. Régne de Constantin. 5-l6
XLIV. Quelques villes de la Phry- VIII. Schisme d’Arius. 5 17
^e parorée. 448 IX. Invasion desSeIdjoukides. 5r8
Apollonia de Phrygie. — Expédition des croisés. 5ig
Oiilnii bniirimi. 449 X. Sultans seidjoukidcs dTco>
XLV. Marche du jeune Cyrus de nium. .'îax

.Sardes à Tarae. aSo XI. La Cappadoce chrétienne. 5ii


Préri.sde la marche d*A- XII. Les anacborèles.
lexandre le Grand à Les demeures des anacho-
travers l’Asie Mineure. 45a rètes.
XIII. Voyage de sainte Hélène. 5a7
ttXT.ATlK. XIV. Les sépultures chrétien-
PfeS. iaS
XLVl. Arrivée des Gaulois. 453 XV. Cérémonies des fuiiérail-
XLVII. État de l'aericulture. àlz les. 5ag
XLVIII. Les chèsres d" Angora. XVI. Modes des sépultures. S3o
XLIX. Raresbovine et chevaline. 463 XVII.
Territoire. — Frontières. 464 Cèsaréc.
L. Marche de Manlius pen- XVIII. Vallée de l’Halvs. 533
dant la campagne de XIX. Monastère de Surp Gara-
Galatie. 465 bed. — Eglises taillées
LI. Yilles de la f^alatie sabu i
dans le roc. 534
taire. 460 XX. Église taillée dans le roc
LU. Tenna. — Germa. 470 prés de Surp Garabed. 515
Amoriiim. 4ii XXI. Chambres sépulcrales et
LUI. Pesniniintp. 4l3 Martyrium. 536
LIV. Sevri lii.ssar. 476 XXII. Les préfectures de la
Ruines de Bala hissar. — padoce. — Divisions
Pe.s.siniinle. 476 du pays dans ranti>
Le temple. 477 quite. 537
LV. Ancyra. 479 Le fleuve Halys. 588
17 .

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. .

740 TABLE DES CHAPITRES.


ChapKres. l‘JgfK. r.iMpiiret.
XXlll. Ccàai'ce. 5.18 XV. Turkal, Gazioura, Zéla. feoa
XXIV. Mouiunents religieux. 543 XVI. Amasie.
XXV. Mosquée et luuiboau de XVII. L’acropole et les tom-
lloueu. 543 beaux des rois. 60 5
XXVI. Le mont Argée. Érup- — XVIII. Villes du Pont, galatique.
lions volcaniques. 544 — Plénum , Bofihaz
XXVII. Ingé sou. Le Mêlas. 547 keui. — Ruyuk. 607
XXVIII. ürgub. 549 XIX. Le temple. fin»
XXIX. Lavallée d’Urgub. 551 XX. Acropoles. ^ Palais. <j»9
XXX. La vallée de Keurémé. 554 XXL Vasili kaîa. 61 I
XXXI. Village de Martcbianne. XXII. Euvuk. — mède.
Palais 6 ffi
XXXII. Dikili Lasch. — Monument YîHm des Galatcs. 617
sépulcral. 55? XXIII. Périple du Poot>Euxio. fiî 8
XXXIII. Nemnheher 558 XXIV. Paphlagonie. 63 X
XXIV. Le lac Tatta. — Touz gheul
XXXV. Prél'eclure de Garsaurili.s. LIVRE IX.
— Soalia. — Soandm. 5fii
CABia. LYCAOWIE. — ISAUMI
XXXVI. la-Eughi. —
Singuliercoa-
tiime des leminp-s. 564 I. Origine des Cariens. fiai
xxxvu. Viran cbeher. Ak aeraï. — 555 II. R. 01 S et dynastes de Carie. 637
SiS
XXXVIII. Préfecture de Tyanitis. 56t IIL Halicarnasse.
XXXIX. Nigdc. 5^ IV. Tombeau de Mausole. 63 q
XI.. Tyane. 5^0 V. lassus. 6.33

LXI. élat moderne. 5^3 VL Les murailles. — La ville.

XXII. Érégli. 574 VII. Nécropole. 635


XLIIJ. Table des préfectures de VIIL La grande nàuraille. 636
Cappadoce. 575 IX. Raryglia. — Gynüia. —
Myudus. 687
LIVRE VIII. X. r.nide. 63g
XI Aphrodisias 643
AKMÉttlK. rONT- PAPHLAaONIB. XII. La ville. —
Les murs. 643
XIII. Le temple. Çl4
I. Arménie. 577 XIV. Les édifices publics. 646
11 . Les Pauliciens. 579 XV. Villes de rintérieiir de la
III. Itinéraire de l’Arménie. rto Carie. 647
rv. Anazarba. 58n XVL I.'ilede Cos. 649
Sis. — Flaviopolis. 553 XVII. Lvcaonie. — Isaurie. —
V. Itinéraire de Sis à Ma- géographie ancienne. 6.5 f

raarh. XVIII. Région Periea. 654


Marasch. S 8 <> XIX. Royaume d'Amyntas. 656
VL Bassin de l'Euphrate. — XX. Villes des Isaurcs. 657
La Méliléne. 58fi XXI. Isaura. ~ Zengbibar. 660
Malatia. 587 XXll. Iconium. — Kouieb. 661
VIL Éguiue. —
La vallée de
i'Euphrate. 590 LIVRE X.
VIII. Royaume de Pont.
IX. Trcbizoude. Trapézus. — 594 LYCIB. — PAMPBILIB. — ClLICie.
X. Royaume de Trébizonde. 5^5
XI. Kiziar Monastiri. 592 1. Lycie. 664
XIL Les grands sanctuaires d'A- II. Populations lycienues. 664
uaitis dans le royaume III. Langue lycienne. 666
IV. Telmissus. — Macri. 667
5q8 V. Tombeaux. 6fiÂ
TTll. Le culte d'Anaïtis. sis VL Macri. 669
XIV. Villes de Pont polémonia- VII. Villes de la Lycie dans la
que. 6qq vallée du Xaiitlius. 670
VIII. — Arna. —
X anthus. Tlos.
rnmana. 6qo — Deiiwar. 670

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,

TABLE DES CHAPITRES. 741

ChiDltrr». Pigfa. ChiDttrf*. Pages.


IX. Pinnra. — Minara. 6t 3 « Atahliwemeni de, colon.
X- Sidyma. — Cragus. — grecs. 701
Caiiyanda. 6j 5 XXVII. Cicéron en CIlicie. 70a
XL Patare. — Phœnicus Por- XXVIII. OlhU. — Altalia.
tus.— Kalamaki. 676 XXIX. Attalia.— Adalia. 705
TCTT. Palaro. 678 XXX. Le Catarrhactès.~ non-
TTfT. Le théâtre.— Le temple. 678 den. 706
XfV. Petit temple. §22 XXXI. Lacon. — Termessus. 707
XY- Nécropole. 680 XXXII. Termessiis. 708
xvr. Port Sevedo. — Castello- XXXIII. Perea. — LeCestrus. 709
rizo. fiSr XXXIV. La ville antique. 7II
XYll. Antiphellus. fis J XXXV. Syllæum. — Hassar. 7ia
XVIIT. Phellus. 684 XXXVI. Pediielissus. — Kara
XIX. Candyba. — Cyaaeæ. — Ramilft. 7 i 3
A rna»a fi86 XXXVII. Bassin supérieur du Ces-
XX Aperlæ. — Cyaneœ. —
688
trus; Isbarta. — Saga-
Ile Dolichiste.
— —
lassiis.
ni
XX T. Aociriace. Siira. XXXVIII. Bal kiz serai. —Aspendus. 211
Myra. 690 XXXIX. Selgé. —Serghé. 750
XXlt. (lapPhyneca. —
Limyra. XL. Sidé. — Eski Adalia. 75 t
XXIII. Arycanda. —
Vallée d^Al- XI.I. Cilicie.
11}
laghir. figfi XMI. Séleucie. 704
XXIV. Pha.selis. — Olympus. — Xt.lll Cilicie champêtre. 75(5
Mont r.himœra, 697 XLIV. Tarse. — Tarsous. 7*7
XXV. La tétrapole de la Ciby- rrv Les Portes syricnDes.^
raiis. :oo XLVI. Mopsuestia. — —
Misais. 7»9
Piimphylie. Adana. j 3o
XXVI. Constitution du sol. —

rin D» ni. t*»li dss chamt»is.

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TABLE GÉNÉRALE DES MATIÈRES

(le 1“ chiffre indigue la page, le teeond (i, 2) la colonne.}

A Aïdiiidjîk, x63, 1,2.


Aiiieh gbaul, gi, i.
Aiiicb gbeul, 3gi, a.
Abassiis. 468, I. Aïvali, ao7, i.
Aboni Teiclioj, 73, 1. Aizani, 3 q 6, 2.
Al)Oui Teiclios. 6aa, a. Aizanitis, 388, i.

Aboullonia. i4i. i- Ak cheher, 435, i.

AbroXola. 470, i. Ak cheher, 44 q, i •

Abydos, 176, a. Ak dagh, 3ga, i.


Acalissus, 6q6, a. Akdja taach, 4g6, i.
Acaridos Comé, 468, 1. Ak gbeul, 574, a.
Acba boiinar, i63, i. Ak bissar, a(>7, a.
Acbaraca, 288, i. Ak kaia, 41 1, a.
Acliilleuni, ville, i88. a. Ak kilissia,
Achmetii, 262, 2. Ak kilissia, 43a, i.
Acilicène, SyS, i. Ak sou, fleuve, 3gi, a.
Acmonia, 382. 2. Ak sâ'aï, go, a.
Acmonia, 4aS, i. Ak séraï, 5og, a.
Acrilas, cap, 6i, a, 75, 1. Ak séraï, 56o, a.
Adala, 277, 2. Ak s^aï. 565, I,
Adalia, alluvioiu, côles, a3, a. Ak sou, 438, a.
Adalia, 70S. 1. Ak sou, 70g. 5,
Adaiia. 52o, i. Ak tchaï, 670, t.
Adana, 731, 1. Alabanda (juridiction ), lu, a.
Ad Aras, 58q, 1. Alabanda, 4b5 , a.
Adramyllium (juridiction), xo, 2. Alabanda, 64g, i.
Adramytlium, f^olFe, 198. i. Ala cheher. a7o, a.
Adramyttiuni, 2o4» 2. Alalia, 37a, a.
Adrastee, mont, 167. a. Alaya, 7a., i.
Adrastée, plaine, i55^ 2. Alectiane, 25i, 2.
Adratchan, 697, i. Alekiaii . 471, 1.
Ægg. I- Aléus . fleuve. 367. 2,
Ægec, 7ag, a. Alexandre (Route d’) 462, i.
Æolieimes (Villes), 222, 1. Alexandrelte , {;olfe, 17, x.
Æolide, 221, I. Alexandna Truas, ig4, 2.
Æsepus, riviere, i55. i. Alexandria Troas (Carrières d’), igS, 2,
Agamemnon (Bains d’), 370, a. Alexandria Troas (Port d’), 196, r.
Agdistis, 379, 2. Alexandria lYuas, 4S4. >,
Agiasoun, 467^ 2. Ali dagb, 543, 2.
Aglasoun^ 2. Ali dagh, 546, i.
Agli, G85, I. Alimna, 466, a.
Acron , 234, 2. Al Khatoun, 4g5, i.
Ahat keui. 428, 1. Allaghir, vallée, 606, i.
Aiasaloiik, 3io, a. '
Alluvions des fleuves 16, i.
Aïdin guzel bissar, a7ii, i. Aniauus, n)ont, 3a, 2.

743

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744 TABLE GÉNÉRALE
Amasbeen (Lac), 573, a. Arabkir, 589, a.
Amasie, 6o3, a. Arabvza, 474, i.
Amasserahf 6a3, t, Ârchelaïs, 56o, a.
Amaslriü , 6aa, a. Arétias, ile, 6x9, x.
Amazones, 3ia, a. Arganibonius, mont, iia, a.
Amazones, 5o3, r. Argce, mont, 539, a.
Amiens, 6ao, 1. Argée, mont, 544, a.
Amiiius, üeiive, SqS, i. Arginuses (Combat des), 298, x.
Amorium, 471, a. Ariarathia, $76, a.
Ampé, 334, I. Arisbé, 176, a.
Amyntas (Royaume t. Arménie (Rois d'), 5oa, x.
Anabænon, 336, a. Arménie (Seconde), 5x4, a.
Anabura, 434, a. Arménie, 577, i.
Anaîiis (Temple d’), 598, i. Arna,67o, i.
Anaya, lac, 448, i. Arnæa, 687, a.
Anazarba, 5i8, i. Artace, 164, i.
Auazarba, 58o, a. Ariaki, golfe, 164, a.
Aiicbiale, 728, a. Artaki, ville, 171, x.
Ancora, 9a, t. Artbynia, lac, 139, a.
Anæa, 349, 1. Arycanda, 696, i.
Ancyre de Phrygie, 407, a. Ascanius, rivière; Ascanius, lac, iio, t.
Ancyre, 479, a. Ascanius, x 10, a.
Ancyron, 69, i. Asie (Le nom d*), 7, a.
Anilabilis, 566, i. Asie Minenre, description, 6, 1.
Andaval, 568, a. Asie Minenre (Le nom d'), 8, a.
Andira, aoo, i. Asie Mineure, limites, 16, i.
Andriace, 690, i. Asie Mineure; côte septentrionale, 19,2.
Androclns, son (ombeaii, 3<4, r. — côte occidentale, ai, i.
Andromacpie ( Tombeau d'), ao8, t. — côte méridionale, aa, a.
Anémurhim, 724, a. Asie proconsulaire, 11, i.
Angora (Chèvres d' ), 458, a. Asie propre, 9, a.
Angora, 490, i, a. Asie (Provinces d'), 9, a.
AntalciJas (Paix d’), 299, i. Asie (Province d’), axa, a.
Antandros, 198, a. Asie, sous la domination ottomane, x5, i.
Anti-Cragiis, mont, a8, i. Asopus, 437, X,
Antigone, ile, 81 , a. Aspanéns, port, 199, 1.
Antigonia, 9a, i. Assar keui, 47a* i«
Antigonia Nioée, 9a, 1. Assarli keui, 495, i.
Antioche du Méandre, 465, a. Aspendus, 467, a.
Antioche de Ciiicie, 586, 1. • As|)endu$, 718, i.
Antioche de Piiidic, 717, i. Assos, mont, aoo, i.
Antiphclins, 68a, a. Assos ( Ville d'), aoo, 2.
AntUTaurus, 5ao, a. Assos (Murs d'), aoo, 2.
Antre Corcyréen, 726, i. Assos ( Polies d’), aoa, 2.
Apaméc, 44^, Assos ( Acropole d* ), ao3, a.
A[>amée Myriéa, ii3, a. Assyriens, 5oi, a.
Apamée Cibotos, 445, a. Assyriens, 59a, a.
Apaméenne (
Juridiciion }, 10, a. Asiacus (Golfe d'), 5g, 1.
Apcrlæ, 689, a. Astron, fleuve, 206, i.
Aphiotim kara hissar, 429, i. Astyra, ao5, a.
Aphiicens, 137, i. Astyra ( Mines d* ), 199, a
Aphrodisias, 64^, a. Astyra (Mines d*), a4), a.
Apollon Sniynthien, 191, a. Atarnée, 354, <•
Apollonia de Phrygie, 449, 2. Atcbiuva, 348, z.
Apollonia de Lycie, 699, a. Attale 1*^, 209, a.
Apollonias, ville; lac, i38, t. Altalia, 705, 1.
Apollonias, 141, x. Atys, a33, a.
Apolloiiis, a66, a. Atys, 4x4, 2.
Arab hissar, 465, a, Aulocténe, 336, i.
Arabissiis, 585, i. Aulocrèoe, 446, x.

Digitized C
,

DES MATIÈRES. 74S

Auxent, mont,
Avaneu , 555 ,
-]i, a.
a,
Boulgourlou, mont,
Bounar bachi, ia 3 , z.
^ r.

Ayas (Baie d’), aS, ii Bounar bachi, (80. (,


Ayas , 2 aSi ^ Bounar bachi , t() 3 . i
Ayaich, 4 o 3 , i. Bounar bachi , 568 , x
Bounar sou, 3 ro, l.
Bouagas, 436 , t.
B Bouyjourdi , a, x
Branchydes (Temple des), 33 y, i

Baba, cap,
Barkchich ,
^
^ i.
a. Broussa (Route de), (( 3 , x
Broussa, 11^ t.
x
Bala hissar, 476,
Baindir, ajy, i.
Bakir, ao?, a.
a.
Brygès, ^
Broussa (Eaux de) , ia 3 ,

Bubo , 700, a.
a.

Bakir, a68, a, Bullana , a68. 1,


Balbura , 700, a^ Biillasan, 7ao. a.
Bal kiz, 166,
Bal kiz, i6q, a.
Bal kiz serai , 197, l. c
Bal kiz aérai , 467, x.
Bal kiz serai, 717. i. Cabales , a 3 a, x
Banas tchai, 436 , i. Cabalie, a 33 , t.

Baoiilo, 7(4, 1. Cabira, 5 (a, x


Bargylia , 637 , a. Cabipa, 5 g 3 . x
Balhys, fleure, 409, >• Cabires, 379, a.
Bayat, 3 ;)t, i. Cacamo, 689, (.
Bayat, 4 < 6 , t. Cadi, 388 , l.
Bazar khan , 466, x. Cadi , 406, (.
Bazars , a37, a, Cadmé, 34a, t.
Bazirian keui, 68r. i. Cadmus, mont, 438 x ,

Bebrices, 42, i. Cadmus, fleure, 439, (,.


Beias sou, fleuve, 56 o, a^ Cadyanda, 676, 1.
Belouadoun, 4 ( 4 a. ,
Cœcorum urbs, 2 hx
Briouadoun , 448 . a. Calque, fleure ,
ao7, x
Beiidos relus, 434 a. . Calamines (lies), aSg, x
Beudos relus , 468, 1. Callatebus, a7i, x
Besbicos, Ile, i 35 , a. Callies, (67, x
Bey bazar, 49a, x. Caloë, a47, x
Bey chéri , 659 , a. Calpé, port , Sg, a.
Beylan , 7a 9, a, Campus melropoUlaniis, 4l4} (•
Heyrham keui , aor. x, Campus metropolilanus, 468, 1.

Biga, ( 56 . r. Candyba, 686, a.


Billis, fleure, (47, 2. Cappadoce (Royaume de), 5 oo. (.
Birgbé, a 5 o, i. Cappadocc (Population de la), 5o 3 , 1.
Biinynie, 42} (. Cappadoce (Grottes 4 e la), 5 o 4 1. .

— byzantine, 5 ^ (. Cappadoce (Rois de), 5 o 5 (. ,

— muzulmane . 56 , x. Cappadoce (Moulons de), 5o 6 , t.


Bilhynie (Frontières de la) , Sjj x Cappadoce (Préfectures de), 537, a.
Bithynie (Bois de), 5 (, 1. Cappadoce (Préfectures), 575.
Bilhynie (Dynastie des rois de), 5 ^ a. Cappadociens, barbares, 5 o4 , r.

Blaundus , a77, x Capria, lac, 7(7. x


Blaundiis, 408, (. Caprus, 43 q, t.
Bloucium , 6(7, a. Caragamoiis, 49a, x
Boghaz keui, 607, a. Carali tique, marais, 467. (,
Boiens , 454 , a. Caralilis, lac, 65 g, x
Boli, ( 47 , X Carambis, 6aa, a.
Bosci, Sa6, x Caravansérai, a 36 , i.
Bosphore , ao, 4li 42, 1 • Cariens, i8a, x
Bosphore (Parages du),
Boudroiim , Bag, a.
^ a, Cariens, a 38 , a,
Cariens, ags, r.

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. . .

746 TABI.i; GÉNÉRALE


Carieu, 6aS, i> Chrysa, aob^ l,
Carmalus, ao6, t. Cbiytaoris, 6 a 5 , t,
Caroura, a 34 , i. Ghrysopolis, 76, i.
(^assaba, a6a, a. Chrysorrhoas, a8y, a.
Casaba, 684, a. Cibyra, 466, 1.
Caatabala, 899, a. Cibyra, 700, i.
Caslamouni, 617, i. Cibyratique (Juridiction), 10, a.
Caitellorizo, île, 681, a. Cilbienne (Plaine), i 65 , a.
C^lacécaumène, a 36 , 1. Cilicie (Fleuves de), .16, i.
Catacécaumèae, a7a, i, Cilicie, 7a3, 1.
Cataonie, Sii, 1. Cilicie champêtre, 7x6, 1.
Cataüuie, 568 , i. Cilicie (Portes de), 5 ai, a.
Catarrhactès, fleuve, 446, i Cilicie (Préfecture de), 537, *•
(Jatarrhactès, 706, 1. Cilla,ao6, i.
Caucooea, 49, a- Cimiata 5 p 3 , i.
Caularèt, fleuve, 466, a. Cimmériens, a 4 o, 1
CauDus, 655 , i. Cimméris, 199, i.
CsDOcborioD, 6 t 8 ,
1. Cius, 53 , a.
Cavourla, 39a, a. Cius, lia, 1.
Cawass, 3 , a. Claiiudda, 376, 1.

Caysire, a47, i. Claros, 356 , a.


Caystre, 3 18, 1. Clisuræ, 11 3 , a.
Caystre (Pèche du), 3 i 3 ,a. Claudiopolis, i 47 , a.
Caysire (Embouchure du), 3 a 4 , i. Claudiopolis, ^aS, a.
Captropedium, 45 i, r. Clazoïnéne, 370, i.
Oébrène, aa 5 , i. Climax, mont, 4 &a, a.
Cébrcnie, 193, a. Guide (Processions à), 4 ao, a.
Cébrénie, 194, i. Cnide, 639, 1.
Celæiiæ, a37, a. Cogamus, fleuve, a7i, a.
Celænæ détruite, 383 , i. Coipusa, 7a, I.
Cclæiue, 445, a. Colonia, 579, i.
Celænœ, 45 o, a. Colons égyptiens, 38 o, 1.

Celenderis, 7a4, a. Colophon, 356 ,


i.
Cenchreæ, 193, i. Cqlossæ, 446, s.
Ceuchrius, fleuve, 3 a 6 a. , Colossæ, 438 , a.
Ceramorum Agora, 3 p 4 , i Comana, 5 ii, a.
Ceramorum Agora, 45 o, a. Comana (César à), 5 ia, i.
Cerasus, 618, a. Comana de Cappadoce, 5 ia, a.
Cerasus, 619, i. Comana de Pont, 5 i 3 i. ,

Cercaphus, fleuve, 358 , i. Comana, 591, a.


Cesaree, 538 , a. Comana de Pont, 5 g 8 , 1

Cestrua, fleuve, 709, 1. Comana, 600, a.


Cétius, fleuve, ao7. a. Combett, 4a 1, i.
Chaïram, 591, a. Coracésium, 733, a.
Cbaldæi, 578, i. Cormasa, 467, a.
Chalybes, 59a, i. Corissus, mont, 3 i 3 , a.
Chéleaux d'Europe, d’Asie, 175, r. Corycui, mont, 366 ,
i.
Cbalcédoine, 7a, i, Corycus, 698, a.
Chalcédon, fleuve, 7a, i. Corycus, 736, a.
Cbalcilis, ile, 83, i. Corydalla, 696, a.
Cherbicb dagli. Olympe, i 34 , Cos ( Tremblement de terre à) ,
33 o, i.

Chelœ, port, 84, a. Cos, ile et ville,649 a. ,

Chelidonia, cap, 697, 1. Cosinoudja, 393 , i.

Chersoiinèsc d’Asie, 8, a. Cotyœiim, 388 , 1.


Cbert kalé si, 5 ii, a. Cotyoeum, 394, i.
Chert kalé si, 584 , a. Cotyore, 619, a.
Chimiera, 697, a, Couch ada si, 3a 4 , a.
Cliréopbylacion, 5 a 8 i. ,
Couchlar, 717, a.
Clionæ, 448, a. Courclioum maden, 568 , a.
Chrysa, 19 1, a. Courriers aucieiis, 70, a

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. . .

Ï4Î
DES MATIÈRES.
^uuzou Ichai, 1. Devriglii, 5 qi, i.
Couzoutcbai, 45°. < Diane Coloënne, a56. u
Cozourdja, 3 q3, i . Dighoiir, 544. a
l'.ragus, mont, ^ Dikili tasch, 55a, i.

Cratères d’or, a38. i. Diliili tasch, 557, a


Cratia, 147, a. Binaire, 447. a
Cremna, 656, a. Üindymène, mont, 388, 1.

Cremna, 717 , l. Dindymum, mont, 475. a


Crésus passe l'Halys , a43, a. Diocèse d’Asie, ijj a.
Croissant des Turcs, Saa , a. Divley, 658, a
Cr^os , fleuve, a6o. 1 Djihoun, 58a, a
CuballuiD, 468. Djoulia, 509, a
Cucusiis, 570. I. Djumaha ova si, 358, a
Cucusus, 585, L. Doara, 576, a
Cuisinier, ^a. Docimia, 43o, a
Culte du feu, 5ou, a Doghanlou déré si, 4i4. s

Cyanées (Ile), |4i a Oolichiste, île, 688, a


Cyaneæ, 686, a Dombai, 446, a
Cyanec, 600, 1. Dorsa, 467. a
Cybèle (Suitue de ). a65. i. Uorylseum, 4o8, a
Cybistra, 568, i. Douden, 706, a
Cybistra, 573, a Doughan hissar, i63, i

Cydnus, fleuve, 7»7, a Dourdourkar, 6?5, a


Cymé, aüluvions, 18, a Draco, fleuve, 63, a
Cymé, aa4. a Drépanou, 63, i.
Cyrille (Carte de), 55a, i, Drys, faubourg, 7^ a
Cyrnos île, 87a, a Dusse pros Olympiim, 8^ a
Cyrus (Route de), 45a, i. Duslché, 8^ I.
Cyzique, 164. a Dynasties phrygiennes, 38a, a
Cyzique (Ruines de), 165, a
Cyzique assiégée, 386. a E

D Rolipse de soleil, a4i, i.


^ume de mer, 40Q, a
Dadastana, C47, a Edebessus, 6g6. a
Datamon, fleuve, 466, a Edonis, 199, a
Dalar, 584, a Édrénos, 14a, a
Dalian, 656, i.
Eflatoun, 65g, a

Dana, 568, a Egdir, TiTi i.

Uaniatrys, mont, 78, i. Ë^ine, 5go, a


Dana, 45t, a Elseussa, île, 5o6. a
Daouas, 466, a Eleussa, île, 5i3. a
Dapbnus, aa8, a >
Elæussa, île, 7a5, a
Dardanelles (Batailles des), 176, a Élailique (Golfe), ao6, i

Dascylium, ville et lac, i36, a Elaphoonésus, i5g, a


Dardanelles (Les côtes des), ao, a Ed Bostan, 5ii. a
Daridjé, 71, a Élée, aaa, .a
Debrenl, a6a, a Élcuthérociliciens, 7l3, a
Oelidjé irmak, 538, a Emblèmes chrétiens, 5a5, a
Delik tasch, 638, i.
Émir hammam, a76, i.
Demich, a47. a Emmiler, 534, U
Énaï, village, ig3,
Demirdji sou, 584, a
i

Démir kapou, i57, a Ënaï, 107. a


Démir kapou, 45 1, a Enguri sou, 3gi, a
Engiiri sou, 4o6. i.
Uénizli, 43?. i.
a Éphése (juridiction), 10, a
Derbé, 658,
a Éphése, alluvioDS, ai, a
néré Ichaï, 3na,
Itermcii liéré si, 3a5, a Éiilièsc prise par Crcstis, a4a, a
a Éplicse, 3ia, i.
Ueuwar, 67a,

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. i,

T4S TABLE GÉNÉRALE


Eplièse (Temple d‘), 3 i 7, t. Galles, 379, a.
El'dJIscli dagli, 546, t. Galliis, fleuve, gi, i.

Krégli, Su, a. Gallus, fleuve, 47a, a.


l'jégli, 574, a. Gangra, 617, i.
Er%li, 6 a 4 , t. Gargara, moût, 4 a, a.
Eribæa, Eriboton, 70, i. Gargara, mont, 63 , i.
Eriza, 466 , i. Gargara, mont, 199, a.
Ermeni keui, r 63 ,
a. Gaulois (Arrivée des^, 453 , i,
Eriiplions Tolcaniqiies, 54 S, i. Gaziotira, 60a, i.
Erylliræ, 366 , i Gazocleu, a 5 i, i.
Eski Adalia, 7ar, a. Géant, mont, 83 , a.
Eski cheher, 408, a. Geïveh, 89, a.
Eski bissar, 436 ,a. Gelon, fontaine, 446, a.
Eski kaisarieh, 54a, i. Gergilba, 176, i.
Eski kara bissar, 43 i, i. Germa, 470, i.
Eski Slamboul, 194, a. Germanicopolis, 5 a i, i.

Eiriiippa, 167, I. Geumek keui, 468, i.

Eumciiia, 407, a. Geumenek, 6ou, a.


Eiimenia, 435 , a. Ghédiz, 391, a.
Eupaloria, 618, i. Gheiben, 586 , i.
Euphrate (Bassin de ’), 586, 1 a, Gherdek kaïa si, 419, a.
Euromiis, 648, a. Gbermech kalé, 494, a.
Eiirjmédon, fleiive,7ao, i. Gheyra, 643, a.
Eusebia, 539, a. Ghio, lia, I.
Eiiyiik (Colosses d’), 481,1. Ghirmé, 717, i

Eiiyuk. 616, I, Glaucia, 356 , i.

Erdir, 467, i. Glauciis, fleuve,« 436 , a,


Evereck, 546, a. Gordiuni, 384 , i-
Gordium, 468, a.
Gozdouk sou, 589, a.
F Granique, fleuve, i 55 a. ,

Grotte de Mopsus, 36 o, i.
Fermai), a, a. Gryninm, aa^ i,
Fermai! (Traduction d’un), 3 , r. Guébizé, 71, i.
Fermaii, 347, i. Gulik khan, 467, a.
Fêtes dionysiaques, 36 i, a. Gullk dagli, 708, a.
Flaviopolis, 149, a. Gumuch, 34 g, a.
Flaviopolis, 583 , i. Gumuch hané, 5 ga, i.
Fons Cupidinis,n7i, a. Gimesch dagh, 478, i.
FonsTelephi, 678, i. Guzel hissar, aa7, i,
Forlouiia, a 46 a. , Gygéc, lac, a 58 , i.
Forum Synnadense, 480, a.

H
G
Haba, 5 o 4 ,
i.
Gagæ, 696, a. Hadji gheul, 448, i.
Garestiriis, port, 364 , < Hadjinn, 584 , i.
Gæssus, fleuve, 345, i. Hadriani, 14a, a.
Carsaurilis, préfecture, 56 r, a. Haïmanab, 4S9, a.
Geuverginlik, 638 , i. Haïmanah, 469, i.

Gbœuk bouiiar, 489, i. Halesus, fleuve, 35 a, a.


Gœiik dagh, 494, i. Halesiis, fleuve, 35 g, a,
Gœukstinn, 585 , a. Halicarnasse (Juridiction d'), 10, a.
Galatie, 453 i.,
Halicarnasse, 6a8, a,
Galalie (Chevaux de), 463 , a. Halvar dérc, 565 , 1.
Galatie (Frontières de la), 464, i. Halys, fleuve, 497 , r-
Galalie salutaire, 469, i, Halys, 538 , i.
Galalie (Combustible en), 471, i, Hammamii, 17a, a.
Galimi, 160, a. Harabeuren, 4 ) 3 , i.

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DES MATIERES. 74â

Harméne,_6ai, a. Ida, mont, i 54 , a.


Hai'^iagus, sou stratagème, a44i >• Ida, ment, ig 3 , a.
Harpaia, ifiS, a. Ida (Golfe de l), ig8, a.
Har|>asus ,
fleuve, 465, a. Ils serai, 4aS, i.
Hassaiiciji, 53a, i. Iles des Princes, 80, a.
Hassar keui, 71a, a. Ileslerkaïa si, 38 g, 1.
Hécalonnèsc, ao6, a. llesler kaîa si, 4a7, i.
Hcléuopolis, 6y, i. Ilgoiiu, 149, I.

Hélice en Achaïe, 33o, i Ilium recens, 190, a.


Ilellespunt, i5g, i. Iinbarus, mont, 3 i, 1.
Hellespont (Côtes de I’), 173, a, lu Æughi, 414, a.
Héraclèe du Latinus, 354, a. Indus, fleuve, 466, i

Héraclée, 5ao, i. Inek bazar, 346 ,. a.


Heraclée, 6a 3, i. lu Eughi, 4 10, a.
Héraclides de Lydie, a34, a. InEugbi, 564 ,
i.
Héræon, cap, 74. i ; 75, i. Ingé sou , 53 i, i.
ïleræus Portus, 5g, i. Ingé sou, 547, a.
Jlerculis vicus, 574, a. Injicler,078, a.
Héréké, 6g, 1. Ion bazardjik, 434, a.
Hergau kalé, 47>, i- Iiin œuni, 3 ga, i.
HerkiIeL 534, i. Invasion musulmane, 117, i.
Herniéiia, aa8, 1, Interprète, 3 , a.
Heruiouassa, 618, a. Ionie, aSg, 1.
Heroius, ses alluvions ,18, a. Ionie (Villes d’}, 3 oa, i.
Hermus, a57, a. lonieus , leurs migrations, a8g, i.
Hermus (Golfe de 1',) 3j8, i. Ionique (Coloiiue), 3 oo, i.
Hiekbass, 4g7, i. Ipbtyankas, 57 1, i.
Hiéracomé, 465, a. Iris, fleuve, 6ao, 1.
]liérapolis, 43g, i. Irnesi, 687, a.
Hiérocésarée, a 7g, i. Isaura , 654 , i.
Hiérou Jovis Urii, 83, a, Isaura, 66u, i.
Hiéronda, 34o, i. Isaures, 5a4, a.
Hoimi, 704, a. Isaurie, 653 , i.
Honoriade, 58, a. Isbarta, 715, i.
Hordeuz, 58g, i. isebakii, 448, a.
Horzoum, 466, a. Iskelib, 617, a.
Huds, 5i 7, a. Isnikmid. 67, i.
Uyda, aSa, i. Isoglou, 58 x, I.
Hygiène, 4, a. Istanos, 4 g3 , a.
Hylæ, 349, a.
Hylas, rivière, iia, a.
Hyllus, fleuve, a66, i. J
Hyllus, fleuve, a78, i.
Hypæpa, a46, i. Jardanus, a34, a.
Hypæpa, a48, a. Jassus , 63 a, a.
Hyparna, 45a, a. Juliupolis, 437, a.
Hypelæe, fontaine, 3i3, i. Juridictions romaines, 10, i.
Hypius, fleuve, 85, a.
Uypoplacie , ao6, i.
Hypsili hissar, 36o, a. K
Hyrcanieiiue ( Plaine), a65, a,
Kahe 41
, 1, a.
Kaialiacbi 56g, i.
,
I Kaïdjik, 53a, a.
Kaladjik, 4g6, a,
Icbékii , 437, 3. Kala keui , 60a, a.
Icbékii, 43 s, 3. Kalaniaki, 677, i.
Icouiiim, 45i, i. Kalé keui, 61 g, a.
Ironiuin, 661, i. Kapbdja, ia4, a.
IJj , mont , 40, a Kara Baoulo, 714, i.

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»50 TABI.E GÉNÉRALE


Kara bell, 260, a, Kosaqnes, a 40, a.
Kara boiiruou, 369, a. Koula, a 7 5, t.
Kara dagh, 5a4, a. Koum kalé, 176, a.
Kourchouniou tépé, 193, a.
Kara dagh, 658, a.
Kara deviit, a, a73. Kourd kala, 730, i.
Kara hissar, 56a, a. Kourou tchaï, 56 1, i.
Karakeui, i63, i. Kourou tchaï, 5yi, a.
Kara keui, 4a4, i. Kouzé dagh, 638, i
Karaman, 5a3, a. Kulek iKighaz, 3i, 1.
Karaman, 658, a. Kulek bogbaz, 45', a.
Kara moursal , 70, i. Kulek boghaz, 7a6, a.
Kara sou aa7, a. Kumydoiira, 358, a.
,

Kara sou, 547, a. Kutayah, 3ya, a.


Kara viran, 496, a. Kulaph, 394, I.
Kassa keui, 56a, i. Kutchiik sou, 713, a.
Katavalhrou, 5aa, i
Kalergii 4, i-
L
Kavakii déré, a6a, i.

Kaz dagh, 4a, a.


Kaz dagh Ichaï, 194, Laara, 709, a.
Labraiida, 64^, a.
Kediz, 406, I.
Keimaze, 470, i. Lac de Bafi, 355, t.
Kelibesch, 345, i. Lac des Quarante-Marlyrs, 435, a.
Kerasunt, 619, i. Ladé, ile, 333, a.
Kerbetchenek, 495> a. Ladik Vorgan, 449, '
Kereli kale, 618, a. Lagina, 649, 1.

Kermian (Plaine de) 45 1 ,


i Lagon, 467, I.
,

Kermian, 394, i- Lagon, 707, I.

Lampsaqiie, 174,».
Kestel gheiil, 467, a.
Keiighez, 655, a.
Lampter, 37a, i.
Laodicée sur le Lyciis, ',36, 2.
Keupri bazar, 717, a.
Laodicæa Combiisla, 449, '
Keurémc, S5t, i.
Laiissa, aa6, a.
Keurémé (Vallée de), 554, a.
Larissa, 347, i.
Keich hissai-, 671, i.
Latmiis, molli, 35 1 .
Keiirkiidli, ia5, t.
Kharpouz, 588, a. Latmus, mont, 355, 1.
Lalros, mont, 355, i.
Khonos, 438, a.
I«bediis, 358, i.
Khonos, 448, !
Khosrew Pacha Khan, 4*6, a. Lebedus 36o a.
Lefke, i’jS, a.
Kiangari, 617, i.
Léiégéis, 33a, i.
Kidonia, ao7, i.
Lélèges, i8a, a.
Kilisse keui, 408, i.
Lélèges, 198, r,
Kirk inn, 4r6, i.
Lél^es, agi, i.
Kli'k inu, 434, a.
Lélèges, 3ia, a.
Kirk gheul, 467. *•
Lélèges, leursvilles, 3a8, r.
Kirk agaich, a36, i.
Letbsus, fleuve, 348, i.
Kirk, agatch, a68, a.
Leucee, 90, a.
Kirk ghetchid, 69, a; 7i3, a.
Leucæ, 3 ‘jS, i.
Kirsiz, maghara si, 4
Leucopbrys, 35o, i
Kitché keui, aa3, a.
Leucosyri, 5ga, 1.
Kizil irmak, 538, i.
3io, i.,
Leucosyriens, 379, i.
Kiz kalé si,
i. Leuco Syriens, 5o i ,
i
Kiziar monastiri, 697,
a. Levissi, 670, i.
Klæon, fontaine, 446,
Libyssa, 71, i,
Koch hissar, 56o, a.
Limyra,-695, a.
Kondoura tchaï, aa3, a. ^
lâous de marbre,” 3g4, a.
Kondoiira tchaï, aa6, a.
Loiipadium, 14a, <•
Konieh, 661, i.
Ludi, a36, a.
Korghos, 7a5, a.
Lyoconie, juridiction, 10, a.
Kosak keui, 139, a.

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?.

DES MATIÈRES. 751

Lycaonie, 65 x, x. Marlchianne, 556 , i.


Lycie, 664 « L. Martyrium, 536 ^ ,

Lyciens, i8a, 2- ^
Massissa, 4 ^ 4 » 1a
Lyciens, 5 oa, a* M ausole (Tombeau de), 159,
Lyciis, fleuve, 438 , a. Mausole (Tombeau de), 63 o, 2^
Lydie, 23 a, x. Mazaca, Sog, 2«
Lydie, ses frontières, a 3 S, a_. Mazaca (César à), 5 xa. i

Lydie musulmane, a 45 , x. Mazaca, 53 g, c


Lydiens, aS?, i. Méandre, ses détours, 18,
Lyrnessus, ao6, l. Méandre, fleuve, 336 u ,

Lysimachie, 454 » i« Méandre (Sources du), 38 ?, L


Lysis, fleuve, 46^, l Méandre (Sources du), 446,
L ystra, 5 a 4 . a, Méandre, 465 , 2<
Mèdes, a4 x, 1.
Mèdes, 5 oa.
M Médice, abbaye au mont Olympe, i 33 , 2^
Mégabyze, 299. ».
Macédoniens caduéni, 407, a« Mégarse, 73o, 2.
Maceslus, fleuve, 140, a. Mêlas, fleuve, 547, 2,
Marri (Golfe de), a^ a. Mclehubi, 5 i 6 l. ,

MacrI, 669, i. Melebnbi, 559, 2-


Macrine (Sainle), 5 i 6 , i. Melebubi (Puits de), 56 i, 2.
M«eon, a 33 , a^ Mélite, 358 a^ ,

Mceonia, a?7, l» Mélitène, 5 oi« 2.


Moeonie, a 3 a, l Mélitène, 5 t 8 , l.
M œonie, a 33 , aj Mélitène, 586 , a^
Magaba, moni, 4^9, L Memnon (Oiseaux de), i 3 , 2
Maghara sou, S84 a. Memnonn (Toml>eau de), ? 3 , 2- t

Magidiis, 709, a^ Meudalia, 648, 2


Magnètes, a 63 . l. Mensil hane, 2I1 2-
Magnésie du Méandre, 297, i. Mersioe, 727, 2.
Magnésie dn Méandre, 346 , i_ Mesotmolus, 246, 2.
Magnésie du Méandre; temple
35 r, I,
de J)iaiie, Messogis, mont,
Métropolis, 35 q,
2, ^
Magnésie du Sipylc, a 63 , Métropolis, 468,
Mahaladji, 358 , a^ Mezarlik, 727, l
Maigné, 277, u M ezetlu, 726, l
Malatia, 5 ao, M idas, roi, 379, l.
Malatia, 58 ?, l Midas (Mythe de), 38 o, 2^
M allus, 356 , Mida.s F'*, 4 x 5 i. ,

Mallus, 73 o, u Midas (Toml)eau de), 4x6, 2^


M altépé, 21î t- Midas (Fontaine de), 448 , 2.
Manavghat, fleure, ?a 3 , l Midœum, 383 l ,

M andropolis, 467, r, M idœum, 412, 2-


Mautiiis (Marche de), 465 , i. Migrations phrygiennes, 377, i.
Manyas, iS;, 2^ Miiet, 33 r, 2^
Manyas, lac, r57, l. Milet assiégée par Alexandre, 335 , i.
Marabouts, a8a, 2^ Miletopolis, i 56 ,
Marascb, 586 , l * Mille et une Eglises, 5x7, l
Margium, 449, 2,
Marmara, île, iSqI l.
M imas, mont,
Mimi sou, 55 g» S.
2, ^
Marmara (Carrières de), i6r. a. Minarn, 673, 2,
Marmarice, 654 , 2. Missis, 73 o, 2,
Marmora. a66, 2* Mi.sthi, 568 , x.
Maryandioiens,4^ r. Mocissus, 576, 2i
Maslaura, a88. u Mohimonl, 3 g 3 ,
Marseille, 37a, 2. Momouasson, 55 g,
Marsyas, 387, r. Montagnes de Pampliilieei de Cilicie, So^ 2^
Marsyus, fleuve, 446, L. Mopsucrène, 727. i.

Maiichiane, 55 x, 2. Mop.siiestia, 4 5 r, 2.

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. ,

»52 TABLK GÉNIALE


Mopsueilia, 730, t. Nicomédie (Juridiction de), 10, a.
Mosco nisi, 307 , 1 . Nicomcdie, 60, i.
Musquée turque, laS, t. Kicumédie, tremblement de terre, 65,
Mostcoi, a66, i, Nicomédie (Commerce de), 67, a.
Moudania, ti3, 3. Nicomédie (Géologie de), 68, a.
Mourad dayb, mont, 45, a- Nicomédie (Periple du golfe de), 6g, t.
Mourad dagh, 388, i. Nicopolis, 578, i.
Muurad dagb, 3y8, 1. Nif dagb, a6o, 1.
Mourad dagb, 433, i Nigdé, 56g, i.
Moût, 735, 3. Niksar, 617, a.
Mubalilch, i56, i. Nil (La barre du), ig, i.
Mubalitch, 163, a. Niloufer, fleuve, 114, a.
Mubalilch, 410, i.' Nisæi, chevaux, 577, a.
Mubalilcb, 4ga, a. Nomadea, i5r, a.
Mudurlu, 148, I. Notium, 357, a.
Mycale, moiil, 36, i. Nozii, 386, a.
Mycale, aga, a. Nympbæum, a6o, 1.
Mycale (Bataille de), ag6, i. Nymphio, a6o, i.
Mycale (Châteaux du), 3ag, i. Nysa, 387, I.
Mygdon, 878, a. Nyssa, 5oa, a.
Mygdon (Tombeau de) , 4 1
3, i Nyssa, 558, a.
Mygdonie, 385, a.
Mygdonie, 43a, a.
Mylasa, 648, i. O
Myudiis, 638, i.
Myouuèse, cap, 358, i, Obrimas, fleuve, 447, i.
Myounesus, 36o, a, Obrimas, 468, i.
Myra, 6gi, i. Odrysses, fleuve, 114, a.
Myriandrus, 73o, i. CXniuœ, 686, a.
forêt,
Myrioa, 334, a. OEnoaiida, 701, 1.
Mysie abbaïtis, 407, a. Olba, 735, a.
Mysie abrettènc, i43, i. Olbia, 61, I.
Mysie, i5a, 1, Olbia, 705, I.
Mysie (Limites de la) , i5a, a. Olgassus, mont, 538, i.
Mysie (Topographie de la) , i53, i. Olou bounard derbend, 448, a.
Mysieiis, 5o, i. Olympe de Mysie, i3o, a.
Mysiens, i5a, 1. Olympus, 667, I.
Myus, 364, i- Opium, 4J0, 1.
Oppida galates, 4g3, a.
Orandjik, 3g3, i.
N Orcistus, 471, r.
Orgas, fleuve, 447, 1.
Nacoléia, 386, a. Oroanda, 468, a.
Nacoleia, 411, a. Ortygie, 3a5, i.
Nacrasa, 368, i. Osiana, 5ôa, a.
Nadjar, 586, a. Osman keui, 4a3, a.
Nally khan, 468, a. Oufa Bail, 355, a.
Nar, 558, a. Oulou agaich, 568, a.
Naziauce, 665, i. Oulou bouiiar Icbaï, 6g8, a
Néandria, ig3, i. Oulou buurlou, 44g, a.
Néapolis, 3a4, 1. Oulou koucbla, 736, a.
Nefes keui, 497, a. Ourlac, 370, a.
Nefes keui, 53a, i. Ouscbak, 38g, i.
Nemcheber, 558, i. Ouscbak, 4a5, a,
Ncocésarée, 617,3. Ouscbak ( Rivière d'), 4a3, a.
Méontychos, aa6, a. Ouscbak (Tapis d’), 4a5, a,
Kicée, gt, a. Ouzoumiou, 676, 1.
NicomMe I*', 5a, i.
Nicomède II;
Micomède III, 55, i.

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. . .

DES MATIÈRES. 7&S

P Phatisane, 619, a.
Pbsoix,mont, 33 , a.
Phoenix, fort, 855, i.
Pacha limtD, iSg, a. Phellus 684, I.
Paclole, a 4 <>, i. Phéniciens, 180, a.
Pactole, aSo, a. Philadelphie, 369, t.
Pactjis, mont, 349, a. Pbineka, 695, i.
Pagiis, mont, 358 , a. Phiniminis, 5 ao, a.
Painanious, i5j, a. Phocée, 39a, a.
Pæsiis, i 74 ,a. Phocce, 371, I.
Pesos, 176, i. Phocée la Neure,374, a.
Palatcba, 335 , a. Phokia, 371, 1.
Palcsccpsis, 194, 1. Phokia, 375, I.
Palatia, 161, a. Pbilomélium, 435 , i.
Pambouk kalési, 489, i. Philoméliiim, 449, i.
Pam|ulus, 504 , 1. Phrygie, 377, I.
Pampalus (Villa de), 568 , a. Phrygie Épiclète, 387, i.
Paiopliylie, 701, i. Phrygie hellespontique, 387, i.

Pandicbium, 71, a. Phrygie pacatiana, 387, i.


Panionium, 3a7, i. Phrygie parorée, 387, a.
Panormo, i 63 , a. Phrygie salutaire, 38 -, i.
Paphlagonie, 6a 1, x. Phrygie (Grande), 4 i 3 , a.
Paradis, 5 o 3 , a. Phrygiens, i 83 , a.
Parasange, 45 o, 1. Phyral, mont, 3 i, a.
Panum, 174, a. Pinara, 6 y 3 , a.
Parnasius, 57O, a. Pindénissus, 704, i.
Pasmakichi, 578, i. Pinia, 691, i.
Paiare, 678, i. Pismich kalé si, 41 a, i.
Patriarcat, 149, a. Pismich kalé si, 4 ao, i
Pauliciens, $79, i. Pithopolis, III, a.
Pedasus, 198, a. Pitysssa, 174 , >
Pedasus, C47, a. Pityiissa, 33 a, i.
Pednelissus, 704, i. Plarasa, 64a, a.
Pednelissus, 7x3, a. Platée, île, 83 ,
i.
Pélasges, 179, i. Podandus, 736, a.
Pélasges, a9i, 1. Polémon, 619, a.
Pelekanon, 7a, i. Polium, 190, a.
Peltie, 45 o, a. Polyhotum, 448, a.
Pelteni, 653 , a. Pompéiopolis, 736, i.
PelTcreb, 588 , a. Pont sur le Sangarius, 88, i.
Perea, 654 >• , Pont (Royaume de), 59a, 1.
Percote, 176,3. Pont cappadocieo galatiqiie, 894,
;
1

Perga, 5 a 4 , i. Pontico nisi, 36 i, 1.


Perga, 710, i. Portes de Cilicie, 736,3.
Pergame, juridiction , 10, a. Portes syriennes, 780, i.
Pergame, ao8, i. Portus Achivonim, aa 4 , a.
Pergame (Royaume de), ao8, a. Posidinni, cap, 58 , a.
Pergame (Ville de), ai 3 , a. Postes (Service des) , 4, i-
Pergame ( Basilique de ), a 16, i Poursak, fleuve, 89a, a.
Pei-game (Amphithéâtre de), 017, a. Poursac, fleuve, 409. a.
Pergame cratère de marbre, a 19, a. Priam (Royaume de), i 85 , 1.

Pcrisiérides (,Iles), 370, a. Priapus, 178, a.


Perré, 586 , a. Priène, 34 a, i.
Pessiniinte, 468, a. Priukipo, ile, 8a, a.
Pessinunte (Pierre de), 476, i. Prion, mont, 36 , a.
Peste, 5 , a. Prion, mont, 3 i 4 , a.

Pbaoariea, 593, a, Prion ( Carrières do), 3i6, a.'
Plianaræa, plaine, 617, a. Prymnesia, 4x4, a.
Pharnacie, 619, i. Prison de saint Paul, 3 i 4 , i.
Pbasélis, 698, a. Procerastis, 7a, 1,

livraison Minkobb.) t. 11. 48

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764 TABLE GÉNÉRALE


ProcoMurse (Ile de),i 53 , a. Sandjak, i 5 , 1.
ProconiièjeCVillede), i6o, i. Sandoukli tchai, 463 ,
1.

Saiigarius, fleuve, 890, i .


l’iunectus, i8a, i.
Sangia, bourg, 891, i.
Pruié, île, 8i, a.
Santabaris, 4 i 3 , 1.
Priisa ad Hypium, 85 , i.
Santabaris, 4 > 4 , >•
Prusa ad Olympum, iiS, i.
Priisiaa i'^, 53 a. Sapra, lac, ao 5 a. ,
,
Sarcophage, pierre, 199, a.
Pru&ias II, 54,
i.
Sardemisus, 717, a.
Plérie, région, a 44 , i.
Sardes, a 36 , a.
Plérie, Sga, a.
Sardes, sa chute, a 45 1.
Ptéiium, a 44 , >• ,

Ptériiun, 607, i,
Sardes, aSa, i.
Pygèle, 3 a 4 , i.
Sardique (Juridiction), 10, a.
Pyramide de Cassius, 109, i. Sarimsac, 547, a.
Pyramus, fleuve, a4 , a. Sari sou, 71a, a.
Pyramua, 58 a, a. Sarmoussac, fleuve, 534 , a.
Pyrées, a 55 , a. Sart, aS7, i.

Pyrées, 5 oo, a. Sasimes, 5 i 5 , 1.


Pyrées, Su, t. Sasimes, 559, a.
Pyrrha, cap, ao 5 , a. Satrapies, ag 3 , a.

Pyrrha, 354 , >• Scala nova, 3 a4 , a.


Scamandre (.Source du), 193, a;
Pylhia bains, 116, a.
Scamandre, 189, 1.
Scamandria, 197, a.
R Scholt, 56 o, 1.
Scopas, fleuve, 384 , a.
Races ( Divisions des ), 7, i. Scutari, 76, i.

Rhebas, fleuve, 84, a. Scyppium, 358 , 1.

Rhegnia, 7a7, a. Sinda, 466, ».


i 58 , i.
Rhiiri, 367, * Singherli, ville,
Rbodiapolis, 696, a. Sinope (Golfe de), 19, a.
Roba, 437, I. Sinope, 6aa, i.
Rhosiis, mont, 3 a, a. Sipylus, mont, 3 g, a.
Khyndacus, fleuve, i 38 ,'i. Sipylus, aa7, a.
Rhyndaciis, fleuve, 388 , i. Sipylus ( Topographie de) , aag, a
Sipylus, mont, a 64 , a.
I
Sis, 583 ,
1.
S Silebauli, 4 > 4 , >•
Sivas, 5 i 8 , a.
Sabandja, 86, a. Sivas, 590, a.
Saccacsena, 5 oa, a. Sivridji liman, 199, t.

Sacœna, 5 oa, i. Smyrne, a, a.


Saces, 38 a, a. Smyrne, juridiction ,
lu, a.
Saces, 5oa, a. Smyrne (Golfe de), ai, 1.

Sagalassus, 467, a. Smyrne, ag 3 ,


i.

Sagalassus, 716, a. Smyrne, 3 o 3 , i.

Sagaris, 3 g t, i. Smyrne (Monuments de), 3 o 4 , a.

Sahal, heure de marche, a, a. Smyrne ( Golfe de ), 36 g, a


Saïtiæ, a78, i. Soandus, 5o7, a.
Sakkaria, 476, i- Soandus, 56 a, a.
Sakkaria, fleuve, 49a, a. Soanli (Vallée de), 56 a, 1.

Salé, lac, a a 8, a. Soatra, 56 i, a.


Saloë, lac, aa8, a. Soli, 7a6, I.

Saloë, étang, a 3 r, i. .Solmissus, mont, 3 a 6 , i.


Salone, 149, <• Soloïs, fleuve, « 11, a.
Salzik, marais, 548, a. Solon (Tombeau de), 4aa, 1.

Songoiirloii, 497, i.
Samoiir Bey ( yaëla de ).
Samsoun kalé si, 343 , a. Sophon, lac, 87, i.

flamsoiin, (iao, i, Soteropolis, 117, i.

Saiidal a74, a. Sotima a68, a.

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. . . .

DKS MATIRRES. 755

Sou Sougherlv, i 4 o, a. Silioun Sarus, 584 , <•


Sou Soughcrlê, ville, <37, 1. Siki, 114, (•

Souri gheul, 467, i.. Silandiis, 376, a.


Sou ver mess, 56 a, i. Simaul, 408, (•
Sieunos ( Antre de), 3 SS, 1 ; 444, a. Simoïs ( Emiiouchure du ), (88, a.
Steunos, 397, a. Simoïs, fleuve, 197, a.
Stralonirée, 649. i. Sinason, 559, 2.
Stigliud, ( 44 ,
'• Synnada, 43 o, a.
Sultan Hissai', aS7, a. Syunada, 468, i
Sunon, lac, S7, a. Synnaôs, 407, a.
Sura, 690, a. Syniiadiqiie (Jiiridicliniij, 10, a.
Surp Gai'abrd (Cousent de), 534 ,
‘‘• Syriens, 5 oo, (.

Surutgi, 4, I. Syrus, 5 o 3 , 1.
Sjagéla, 648, I.

Syllsum, 456, a.
Syllsum, 71a, a. T
Syneodèmc, 1 5 u a. ,

Scyppium, 370, i. Tal>aU, ^77, a.


Scythes, i 5 a, i. Tabæ, i.

Scythes soumis par Sésostris, 878, a. Tantale (Port de ), aiS. i


Scythes, 5 oa, i. Taoiichandil, (Bains de), 70, 1
.Scythes, 5 p 3 , 1. TaoiichanU, 393, i.
Sebasta, 576, a. Tapoë, u46, t.
Sehaste, 578, a. Tarrodia, port, 164. a.
Sebaste, 436 , 1. Tarse, 45 i, a.
Sehaste, 3 ii, a. Tarse, 727, (.
Sebka, 56 o, i. Tarse (De) à Trébizonde, 58 u, a.
Sediikler, 436 ,
i. Tarsiiis, fleuve, 1S7, (.
Seîd el Ghazi, 388, a. Tartessus, 87 (, a.
Séïd el Ghazi, 424 , 2. Tasch odjaha, 4 i<> 2.
Séïd el Ghazi (Tombeau de), 4a5, 1. Tatta, lac, 260, r.
Séïd el Ar, 416, i. Tatta, lac, 38 g, a.
Séïd el Ar, 434 , (< Tatta palus, 464, a.
Sélefké. Taurus, mont, aS, (.
Seleiicia Sidéra, 717, i. Taurus de Pampbylie et de Cilicie, 39, a.
Séleucie, ya 4 , 2. Taurus (Chaîne du), 3 a, 1.
Seigé, yao, i. Taviuro, 456 a. ,

Séliniis, fleuve, a ( 5 1. ,
Tavium, 497, 2.
Sélinus (Tunnel du), ai 5 , a. Taxiarqiie, 637, a.
Séliniis,
704, (. Tchalder hissar, 397, (.

Sélinusiens(
Étangs), 3 ( 3 , a. Tcbakeu, 434, a.
Sémenlra, 568 a. , Tchanak kalé, rga, a,
.Sémiramis, 5 oi, a. Tcbanderli, golfe, 307, (.
Sémiramis (Chaussée de), 570, a. Tchangli, 3 a 8 , a.
Serghé, yao, i. Tchardak gheul, 448, s,
Sertchinii, 355 a. , Tcharchembeh, 6ao, t.
Sésostris en Asie,,378, a. Tchar sou, fleuve, 494, i-

Sésostris, 360, 2. Tchechmé, 367, a.


Sésostris (Expédition de), 5 ui, (. Tchékirgué, ville, (t6, a.
Seukié, 348 , t. Tchiblac, village, 193, 1.
Sévédo, port, 681, a. Tchinchin kalé, 585 , a.
Sévi'i hissar, 363 , a. Tchok gheuze (Pont de), 533 , a,
Sévri hissar, 41 1, i. Tchorek keui, 428, (
•Sévri hissar, 476 , t. Tchourouk sou, 438 , a.
Sidas kalé si, 378, a Tcboukourba, ( 85 , 1.
Sidé, 731, t. Tcboukourba, 685 , z.
Sidyma, 675, a. Xchoukourdji, Sga, i.
Sigadjik, 363 , a. Tchukur agha, 4 s 3 a,
Sigée, (88, (. Téféné, 444 , 2.
Signia, moni, 447, (, TékA, 55o, %.

IS.

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TSn TABLE GÉNÉRALE


Tékirdagh, 3 g 3 , i. rnuiuandji, nioiii, 44, <•

Télégraphie, 78, 1. l'oumamijidagh, 3 ga, I.


Telmistus, 667, 1. Toumaiidji sou, 3 g 3 , i.
Temni», 337, 1. Tourbali, 85 g, i.
Tengbir, 666, a. Tour de Léandie, 80, t.
Téos, agS, i. Touzesar, 558 , i.
Téos, 36 i, I. Toiiz gheiil, 56 o, i.
Téoi (Port de), 363 , i ; 365 , a. Touzia kazleu, aa 3 , i.
Tephrice, 679, a. l'uuzia Icliai, 197, a,
Termesaus, 46 ?> <• Traehéolis, 733, a.
Térias, fleuve, 473, i. Tracbia, porte, 170, a.

Termessui, 767, a. Tralles, 379, i.


Teakéré, 3, i. Tralles détruite, 33 o, a.
Teuasa, 686, a. Tragasées, salines, 197, a.

Teulhranie, 307, a. Trajanopolis, 4 a 8 , i.


Thabiision, 466, t. Tra|)ézus, 5 g 4 , a.
Tbébê, ao6, i. Tratsa, 358 , a.
Tbécbèa, niout, 5g4, a. Trébizonde, sa imsition, ig, a.
Thèmes d'Asie, ii, a. Trébizonde, 5 g 4 , i,
Thème analolique, 11, a. Trébizonde (Royaume de), 5 g 5 , a.
— arméniaqiie. Tremblement de terre, 375, a.
— des Thraciens, 13 , 1, Trianta, 3 og, a.
— obséquium, la, a. Tricomia, 470, 1.
— opiimatum. Tripulis, a 85 , a.
— des Bucellaires, i 3, Tripolis, 618, a.
— de l’aphlagouie. Triquetrum, 7 z 4 , ••
— Chaldia. Tristomo, 689, a.
— de Sébastc, i3, a. Troade, 178, i.
— de Lycaiidus, i4, >• Troade (Topographie delà), 187, i.
— de Seleucie. Troade, topographie ancieuue, iga, 1.
— de Cibjrra, 14, a. Troas, 194, a.
Tbémiscyre, 6ao, i. Troemiens, 4$', a.
Thémisouiiim, 444, 3. Trogilia, cap, 345 , 1.

Thermæ, 576, i. Trogilium, 356 i. ,

Thermodon, 6ao, i. Trogitis, lac, 65 g, a,


Tbieum, 634, t. Troie (Plaine de), 189, i.
Thorax, mont, 34 g, a. Troie (Ruines de), 189, a.
Thraces, iSa, i. Troie (Itinéraire de la plaine de), igz, a,

Thyatire, a66a. Troyens Phrygiens, 378, a,


Thymbrium, 461 , i. Tumulus, a 5 g, 1,
Tbymbrius, 3 gi, i. TurkaI, 60a, i,
Thyniens, 5 o, i. Tiirkali, 4 g 4 ,
>
Thyniens, 5 g, 1. Tyane, 45 1, i,

Thyrréniens, a 34 , i. Tyane, 570, a,


Tibre, fleuve, 474, a- Tyanitis, préfecture, 567, i

Tichakir Ali (Cbileau de), 3a 6 , a. Tyrliiusa, île, 355 , a.


Tireboli, 618, a. Tyriah, 35 g, i.
Tlos, 67a, a. Tyriaiiim, 44 g, <
Toioliis, mont, 37, 1.
Tmolua, moul, a 5 o, 1.
li
Tmolus, a 35 , i.
Tocat, 600, a.
Tokma son, 535 , 1 Udjek keiii, 190, 1.

Tokma sou, 58 g, a. Unieh, 619, a,


Tolistoboiens, 454 a. ,
Urgub (Caves d’), 4 îv’i *•

Tombeau d’Alyatie, a57, 1. Urgub, 549, a,


Tombeaux des rois de Pbrygie, 4 i 5 , a. Urgub (Ville de), 553 ,
i.

Tombeaux des sultans, lag, i. Uskubi, 86, I,


Tombeau de Tantale, a 3 o, a. Uskudar, 76 , 1,
Toiluuini, 8g, 1 .

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DES MATIERES. 7S7

V Yarvoii, 687, i.
Tasili kaïa, 41 C, a.
Yasili kaïa, 61 1, i.
VagDitU, i36, I. Yéni cheher, 144 , i,
Tal Saiute-Aane, 3 og, i. Yêni cheher, 465, a.
Varénus, fleuve, i 55 , i. Yénidjé, a86, i,
VeiIelte des Perses, a46, a. Yerma, 47 °. 5.
Veredarii, 76, i. Yourouks, i8a, t,
Vcnasi, 5 i i, i.
YouzgatI, 463, a.
Viraii chelier, 565 ,
i. Youzgatt, 63a, a.
Vourla, 36 g, a.

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Zalécus, 6a I, a,
Xaiithiis, (Sources du), aa 3 , a. Zagora, 6a i, a,
Xantlius, (Sources du), 670, i. Zarela, foulaiiie à Chaiccdoiiic, 76, a.
Xaiitlius, ville, 670, a.
Zeibek, a8i, a.
X iliiio Coulé, 467, a. Zéla, 6oa, a.
ZefTreh houroun, 61g, 1.
Zeughibar, 66o, i.
Y Zé|ibyriuni, 61g, i.
Zielas roi, 53 , 1.
Yalobatcb, 717, i.
Zillé, 35 g, a.
Yaloratcb (Baios d'), 6g, 1. Zileb, 60a, a.
Yanar tasrb, 6g7, a. Zi|KBtès, 5 i, 1.
Yapal keui, 436 i. ,
Zipœtiuni, 5 i, a.
Yapmil d.igli (Tombeaux d’), 4ai, i.

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