Escolar Documentos
Profissional Documentos
Cultura Documentos
De
plus
en
plus
de
locuteurs
haïtiens
s’intéressent
à
leur
langue
maternelle,
le
kreyòl1.
Certains
font
des
efforts
pour
écrire
leurs
textes
selon
l’orthographe
officielle
qui
existe,
rappelons-‐le,
depuis
1980.
Ces
locuteurs
savent
que,
même
si
le
kreyòl
est
leur
première
langue
(L1)
et
qu’ils
le
parlent
couramment,
il
leur
est
nécessaire
d’apprendre
à
l’écrire
;
d’autres
prennent
l’habitude
d’écrire
spontanément
en
kreyòl
dans
leurs
échanges
avec
des
amis,
se
donnant
ainsi
les
moyens
de
maitriser
rapidement
l’écriture
de
leur
langue
maternelle
;
d’autres
encore
se
mettent
à
la
pratique
de
la
lecture
créole
;
certains
se
constituent
en
créolistes
amateurs.
Il
y
a
parfois
de
bons
amateurs
:
le
livre
de
Jules
Faine,
Philologie
créole
:
études
historiques
et
étymologiques
sur
la
langue
créole
d’Haïti
(1937)
révèle
un
brillant
amateur
bien
qu’à
l’époque
les
linguistes
n’étaient
pas
aussi
impliqués
dans
les
recherches
sur
les
langues
créoles.
Cependant,
il
y
a
un
autre
groupe
de
locuteurs
haïtiens
qui
ne
font
absolument
aucun
effort
pour
apprendre
cette
orthographe
officielle.
Cela
fait
de
la
peine
de
les
voir
écrire
la
langue
créole
comme
l’écrivaient
les
colons
français
de
Saint-‐Domingue
au
milieu
du
18ème
siècle,
ou
comme
les
Haïtiens
du
milieu
du
19ème
siècle
ou
du
début
du
20ème,
c’est-‐à-‐dire
une
orthographe
hautement
irrégulière,
incohérente,
et
désordonnée.
Ils
multiplient
les
lettres
«
c
»,
«
q
»,
«
x
»,
qui
n’existent
pas
dans
l’orthographe
officielle,
ou
le
digraphe
«
in
»
pour
rendre
le
son
nasal
[ĕ]
;
par
exemple,
ils
écrivent
«
zin
»
ou
«
min
»
au
lieu
de
«
zen
»
et
1
Kreyòl
est
le
nom
donné
depuis
plus
de
trois
siècles
à
la
langue
parlée
par
les
colons
européens
de
la
colonie
française
de
Saint-‐Domingue
et
par
leurs
esclaves
africains.
Il
existe
une
abondante
littérature
sur
cette
dénomination
dans
la
créolistique.
Au
départ,
le
terme
a
servi
à
désigner
les
Européens
qui
ont
pris
naissance
dans
les
colonies
pour
les
distinguer
d’autres
Européens
qui
sont
nés,
eux,
dans
la
métropole.
Puis,
il
a
désigné
tout
ce
qui
était
local
:
fruits,
nourriture,
plantes,
animaux,
etc.
Dans
une
troisième
étape,
avec
l’intensification
de
la
traite
1
«
men
».
Ce
qui
est
dramatique,
c’est
quand
il
y
en
a
qui
en
font
une
affaire
personnelle,
-‐-‐mais
là,
c’est
un
cas
pathologique-‐-‐
se
glorifiant
d’écrire
la
langue
du
pays
comme
ils
le
veulent,
alors
qu’il
s’agit
de
l’exigence
normative
de
l’écriture
d’une
langue
nationale.
Heureusement
qu’il
n’existe
qu’un
tout
petit
groupe
de
ces
locuteurs
et
qu’ils
sont
condamnés
à
échouer
piteusement
dans
leur
tentative
de
revenir
à
l’orthographe
irrégulière,
incohérente,
et
désordonnée
d’avant
la
période
de
la
systématisation
de
l’orthographe
du
créole
haïtien
qui
a
commencé
à
partir
de
la
deuxième
moitié
du
vingtième
siècle,
mais
la
limitation
de
leur
nombre
ne
justifie
pas
qu’on
doive
tolérer
ces
contrevenants.
De
plus,
ce
ne
sont
pas
les
questions
d’orthographe
qui
apportent
la
preuve
que
la
langue
créole
haïtienne
a
franchi
un
pas
décisif
dans
son
évolution
vers
un
statut
social
plus
conforme
à
sa
situation
de
marqueur
identitaire
national
et
est
devenue
«
une
langue
».
L’orthographe,
on
le
sait,
n’est
pas
la
langue.
De
toute
façon,
il
est
nécessaire
que
mes
compatriotes
comprennent
ceci
:
Il
est
temps
que
certaines
personnes
cessent
de
dire
n’importe
quoi
quand
il
s’agit
de
réfléchir
sur
la
langue
créole.
Aucune
personne
sensée
n’adoptera
une
telle
position
s’il
s’agit
des
sciences
biologiques,
ou
physiques
ou
chimiques.
Pourquoi
le
fait-‐on
quand
il
est
question
des
langues
créoles
ou
de
la
langue
kreyòl
haïtienne
?
Nous
devons
bien
nous
mettre
en
tête
qu’il
existe
une
discipline
scientifique
appelée
linguistique
qui
est
enseignée
à
l’université
et
qui
est
définie
comme
la
science
du
langage
et
des
langues.
C’est
avec
les
méthodes
et
les
principes
de
cette
science
que
toutes
les
langues
modernes
et
contemporaines
sont
étudiées.
Il
faut
qu’il
en
soit
de
même
pour
le
kreyòl
puisque
le
kreyòl
est
une
langue
naturelle
(humaine)
comme
toutes
les
autres.
Pour
un
certain
nombre
de
mes
compatriotes,
tous
les
Haïtiens
peuvent
donner
leur
avis
ou
écrire
sur
le
kreyòl,
quel
que
soit
le
point
de
la
grammaire
sur
lequel
on
se
penche.
C’est
leur
langue
et
ils
ont
le
droit
de
donner
leur
opinion.
La
langue
n’appartient
à
personne
en
particulier.
C’est
une
propriété
collective.
Il
faut
reconnaitre
que
sur
ce
point
précis
ils
n’ont
pas
tout
à
fait
tort.
Déjà
au
début
du
siècle
dernier,
le
célèbre
linguiste
suisse
Ferdinand
de
Saussure
(1972
:
30)
[1916]
avait
déclaré
à
propos
de
la
langue:
«C’est
un
trésor
déposé
par
la
pratique
de
la
parole
dans
les
sujets
appartenant
à
une
même
communauté,
un
système
2
grammatical
existant
virtuellement
dans
chaque
cerveau,
ou
plus
exactement
dans
les
cerveaux
d’un
ensemble
d’individus,
car
la
langue
n’est
complète
dans
aucun,
elle
n’existe
parfaitement
que
dans
la
masse.
»
C’est
encore
Ferdinand
de
Saussure
(1972
:
21)
[1916]
qui
a
écrit
ceci
:
«
…dans
la
vie
des
individus
et
des
sociétés,
le
langage
est
un
facteur
plus
important
qu’aucun
autre.
Il
serait
inadmissible
que
son
étude
restât
l’affaire
de
quelques
spécialistes
;
en
fait,
tout
le
monde
s’en
occupe
peu
ou
prou
;
mais—conséquence
paradoxale
de
l’intérêt
qui
s’y
attache—il
n’y
a
pas
de
domaine
où
aient
germé
plus
d’idées
absurdes,
de
préjugés,
de
mirages,
de
fictions.
Au
point
de
vue
psychologique,
ces
erreurs
ne
sont
pas
négligeables
;
mais
la
tâche
du
linguiste
est
avant
tout
de
les
dénoncer,
et
de
les
dissiper
aussi
complètement
que
possible.
»
Cependant,
il
y
a
des
limites
à
cette
propriété
collective
dont
nous
parlions
plus
haut.
S’il
est
vrai
que
le
kreyòl
appartient
à
tout
locuteur
haïtien,
ce
ne
sont
pas
tous
les
locuteurs
haïtiens
qui
sont
qualifiés
pour
expliquer
tel
ou
tel
fait
de
langue,
ou
produire
une
cohérente
et
systématique
description
du
kreyòl,
ou
présenter
une
construction
théorique
de
la
langue.
Seul
un/une
linguiste
est
qualifié(e)
pour
donner
de
telles
explications.
La
réflexion
scientifique
sur
le
kreyòl
ou
sur
le
français
ou
l’anglais
est
strictement
l’apanage
du
linguiste
car
c’est
lui
qui
est
l’expert
sur
les
questions
de
langue.
Parler
une
langue
ne
fait
pas
d’un
locuteur
un
expert
de
cette
langue,
tout
comme
parler
le
kreyòl
ne
rend
pas
le
locuteur
haïtien
apte
à
réfléchir
scientifiquement
sur
cette
langue.
3
Évidemment,
la
réflexion
scientifique
sur
les
langues
et
sur
la
langue
kreyòl
passe
obligatoirement
par
la
linguistique.
La
science
constitue
un
processus
de
production
de
connaissance.
Ce
processus
s’appuie
d’abord
sur
des
observations
attentives
de
phénomènes
naturels,
puis
sur
la
construction
de
théories
qui
viendront
apporter
du
sens
à
ces
observations
le
plus
souvent
disparates.
Quelle
que
soit
la
discipline,
l’investigation
scientifique
suit
les
mêmes
principes
fondamentaux
basés
sur
ce
qui
est
connu
comme
la
méthode
scientifique,
c’est-‐à-‐dire
poser
une
ou
des
questions,
faire
des
recherches
de
terrain,
construire
une
hypothèse,
tester
cette
hypothèse
par
des
expériences,
analyser
les
données
recueillies
et
émettre
une
conclusion.
Cette
conclusion,
à
son
tour,
doit
être
vérifiée
avec
de
nouvelles
données
et,
si
besoin
est,
modifiée
pour
tenir
compte
de
ces
nouvelles
données.
Comme
la
physique
ou
les
sciences
biologiques,
la
linguistique
s’occupe
d’abord
d’observer
et
de
classifier
des
phénomènes
naturels.
Pour
le
linguiste,
ces
phénomènes
sont
constitués
par
les
sons
de
la
parole,
par
les
mots,
les
langues,
et
les
différentes
façons
par
lesquelles
les
locuteurs
utilisent
la
langue
en
société.
Puis,
comme
tous
les
scientifiques
le
font,
les
linguistes
bâtissent
des
hypothèses
concernant
la
structure
de
la
langue
ou
des
langues
et
soumettent
ces
hypothèses
à
des
tests,
des
expériences
propres
à
la
langue.
Ils
arrivent
ainsi
à
fournir
des
explications
aux
nombreux
phénomènes
linguistiques
observés.
Les
linguistes
utilisent
aussi
un
vocabulaire
spécialisé—
comme
tous
les
scientifiques
le
font
pour
leur
discipline-‐-‐-‐qui
n’est
pas
à
la
portée
des
non-‐
spécialistes.
Des
termes
tels
que
paire
minimale,
phonème,
morphème,
allomorphe,
allophone,
signifiant,
signifié,
phonologie,
grammaire
générative,
grammaire
universelle
(GU),
permutation,
récursivité,
théorie
X-‐barre,
structure
de
surface,
structure
profonde,
neutralisation,
analyse
en
constituants
immédiats,
rapports
paradigmatiques,
rapports
syntagmatiques,
syntagme,
liage,
spécificateur…
font
partie
d’un
immense
vocabulaire
technique
difficile
à
comprendre
si
on
n’a
pas
reçu
de
formation
en
linguistique.
D’autres
termes
d’usage
commun
peuvent
aussi
acquérir
une
signification
spécialisée
qui
n’a
pas
grand-‐
chose
à
voir
avec
leur
sens
courant.
C’est
le
cas
de
termes
tels
que
:
compétence,
performance,
signification,
système,
mouvement,
ambiguïté,
argument,
gouvernement…
4
Au
cours
des
dernières
décennies,
de
nouvelles
disciplines
(sciences
cognitives,
neurosciences…)
se
sont
approprié
certains
domaines
de
la
linguistique
et
ont
permis
une
connaissance
encore
plus
approfondie
du
langage
mais
cela
n’a
pas
empêché
la
linguistique
de
garder
une
place
fondamentale
dans
l’étude
des
langues
naturelles.
Il
n’existe
pas
UNE
langue
créole.
Il
existe
DES
langues
créoles.
Ces
langues
sont
parlées
principalement
dans
des
groupes
d’iles
situées
dans
la
Caraïbe
et
dans
l’Océan
Indien.
Cependant,
on
en
trouve
aussi
dans
certaines
régions
d’Afrique
et
même
d’Asie.
Mais,
c’est
surtout
en
référence
aux
langues
utilisées
dans
la
Caraïbe
et
dans
l’Océan
Indien
que
les
linguistes
parlent
de
«
créoles
».
En
effet,
ces
langues
sont
considérées
comme
les
créoles
classiques
car
ce
sont
elles
qui
ont
laissé
leurs
noms
à
tout
un
nouveau
groupe
de
variétés
linguistiques
Historiquement,
ces
langues
ont
émergé
durant
les
dix-‐septième
et
dix-‐huitième
siècles
à
la
suite
de
l’expansion
coloniale
européenne
et
de
la
traite
esclavagiste.
Les
linguistes
identifient
les
langues
créoles
classiques
en
se
référant
à
la
langue
lexificatrice
qui
est
toujours
une
langue
européenne
(français,
anglais,
hollandais,
espagnol/portugais).
Par
exemple,
les
linguistes
considèrent
la
langue
créole
en
usage
à
la
Jamaïque
comme
un
créole
à
base
anglaise2
tandis
qu’en
Haïti
le
créole
utilisé
(kreyòl)
est
un
créole
à
base
française.
Les
créoles
ne
sont
pas
mutuellement
intelligibles
même
dans
les
cas
où
ils
partagent
la
même
langue
européenne
comme
langue
lexificatrice.
Par
exemple,
le
créole
haïtien
et
le
créole
réunionnais
sont
tous
deux
des
créoles
à
base
française
mais
l’intercompréhension
entre
locuteurs
haïtiens
et
locuteurs
réunionnais
est
loin
d’être
évidente.
2
Soulignons
que
dans
l’ile
de
la
Jamaïque
le
nom
donné
par
la
population
locale
à
la
langue
commune
est
celui
de
«
patois
»
(patwa),
terme
français
péjoratif
désignant
une
variété
inférieure
parlée
au
sein
d’une
communauté.
5
orales,
en
dehors
de
toute
pression
normative.
»
Les
principales
langues
créoles
à
base
française
sont
dans
la
Caraïbe
:
le
créole
haïtien,
le
créole
martiniquais,
le
créole
guadeloupéen,
le
créole
st.
Lucien,
le
créole
dominiquais
(de
la
Dominique),
le
créole
guyanais…
;
dans
l’Océan
Indien,
le
créole
mauricien,
le
créole
réunionnais,
le
créole
seychellois…
La
créolistique
est
une
discipline
universitaire
qui
utilise
la
linguistique
pour
étudier
les
langues
créoles.
Parmi
les
questions
que
se
posent
les
linguistes
créolistes,
on
peut
souligner
les
suivantes
:
Qu’est-‐ce
qu’une
langue
créole
?
Quand
ces
langues
sont-‐elles
apparues
?
Dans
quelles
conditions
?
Où
sont-‐elles
apparues
?
Quelle
a
été
leur
genèse
?
Quelle
est
l’importance
des
études
créoles
et
quelles
relations
entretiennent-‐elles
avec
la
linguistique
?
3
Une
langue
créole
est
à
l’origine
une
langue
de
contact.
On
appelle
langue
de
contact
toute
langue
utilisée
systématiquement
dans
des
contacts
entre
locuteurs
dont
les
langues
premières
(L1)
sont
différentes
(Matthews
1997).
Il
convient
de
rappeler
ici
l’importance
des
recherches
de
deux
linguistes
spécialisés
en
créolistique,
Michel
DeGraff
du
MIT
et
Salikoko
Mufwene
de
l’Université
de
Chicago
qui
ont
montré
que
les
langues
créoles
ne
sont
pas
des
langues
à
part
et
sont
loin
d’être
des
langues
«
exceptionnelles
».
DeGraff
en
particulier,
dans
un
article
célèbre,
«
Linguists’
most
dangerous
myth
:
The
fallacy
of
Creole
Exceptionalism
»
paru
dans
la
revue
(Language
in
Society,
34,
533-‐591)
introduit
et
définit
l’Exceptionnalisme
créole
(Creole
Exceptionalism)
comme
«
a
set
of
beliefs,
widespread
among
both
linguists
and
nonlinguists,
that
Creole
languages
form
an
exceptional
class
on
phylogenetic
and/or
typological
grounds.
It
also
has
nonlinguists
(e.g.
sociological)
implications,
such
as
the
claim
that
Creole
languages
are
a
«
handicap
»
for
their
speakers,
which
has
undermined
the
role
that
Creoles
should
play
in
the
education
and
socioeconomic
development
of
monolingual
Creolophones.
»
Tout
au
long
de
l’histoire
humaine,
il
y
a
eu
des
situations
de
contact
qui
ont
généré
des
rapprochements
entre
locuteurs
de
langues
différentes.
De
plus,
les
langues
créoles
ont
dépassé
le
stade
de
langues
de
contact
pour
devenir
des
systèmes
linguistiques
autonomes
et
institutionnalisés.
Le
créole
haïtien
par
exemple
possède
des
sources
africaines
et
françaises
mais
il
fonctionne
comme
un
«
système,
c’est-‐à-‐dire
un
ensemble
homogène
d’éléments,
dont
chacun
est
déterminé,
3
Voir
mon
article
«
Créolistique
et
littératures
créoles
»
paru
dans
la
revue
Contemporary
French
and
Francophone
Studies,
Vol.14,
#3,
June
2010,
pp.
229-‐239.
Routledge.
6
négativement
ou
différentiellement,
par
l’ensemble
des
rapports
qu’il
entretient
avec
les
autres
éléments.
»
Le
domaine
propre
de
la
linguistique
comprend
généralement
les
cinq
disciplines
suivantes
:
la
phonologie,
la
morphologie,
la
syntaxe,
la
sémantique
et
la
pragmatique
qui
est
en
fait
une
discipline
récemment
fondée.
Elles
représentent
le
cœur
de
la
linguistique
et
fournissent
l’ensemble
du
savoir
que
les
locuteurs
ont
de
la
langue.
C’est
grâce
à
ce
savoir
que
les
sujets
parlants
sont
capables
d’énoncer
des
jugements
sur
la
grammaticalité
ou
l’agrammaticalité4
des
phrases
que
nous
entendons,
sur
leur
ambiguïté,
leur
interprétabilité,
etc.
A. Phonologie/ Phonétique
Il
est
important
de
tracer
une
distinction
claire
entre
la
phonologie
et
la
phonétique.
Alors
que
cette
dernière
s’occupe
des
sons
de
la
langue
parlée
et
étudie
leur
production,
leur
classification,
leur
combinaison,
leur
interaction
et
leur
perception,
la
phonologie
étudie
les
sons
de
la
parole
à
un
niveau
plus
abstrait.
Faire
de
la
phonologie,
c’est
étudier
le
système
et
les
structures
dans
lesquels
entrent
les
sons
de
la
parole.
Toute
langue
possède
son
propre
système
phonologique.
Le
système
phonologique
du
kreyòl
diffère
de
celui
du
français.
Décrire
un
système
phonologique,
c’est
mettre
en
lumière,
par
commutation,
les
oppositions
pertinentes
dans
cette
langue.
Ces
oppositions
sont
réalisées
par
des
unités
phonologiques
abstraites
appelées
phonèmes,
conventionnellement
notés
entre
deux
barres
obliques
:
//
alors
que
les
sons
sont
représentés
entre
crochets
:
[
].
Il
existe
des
variations
de
prononciation
dans
toutes
les
langues
humaines
connues
mais
elles
sont
le
plus
souvent
ignorées
des
locuteurs
lorsqu’elles
ne
gênent
pas
la
communication.
Par
exemple,
un
Français
ou
un
francophone
qui
entend
le
mot
billet
prononcé
avec
un
«
é
»
[bije]
4
En
linguistique,
on
dit
d’une
phrase
qu’elle
est
grammaticale
lorsqu’elle
est
conforme
aux
règles
définies
par
la
grammaire
de
la
langue
en
question.
En
revanche,
une
phrase
est
déclarée
agrammaticale
lorsqu’elle
n’est
pas
conforme
aux
règles
énoncées
par
la
grammaire
de
cette
langue.
Dans
ce
cas,
cette
phrase
est
précédée
par
un
astérisque.
La
phrase
créole
*Li
renmen
lan
mont
est
agrammaticale
parce
qu’elle
ne
suit
pas
la
règle
de
formation
du
syntagme
nominal
en
créole
haïtien
qui
veut
que
le
déterminant
défini
soit
postposé
au
nom.
7
et
qui
plus
tard
entendrait
le
même
mot
prononcé
cette
fois
avec
un
«
è
»
[bijɛ]
ne
devrait
pas
réagir
négativement
car
la
communication
ne
serait
pas
perturbée.
De
même,
pour
un
locuteur
haïtien
qui
entend
les
deux
phrases
suivantes
:
li
tonbe
sou
jenou
li
et
li
tonbe
sou
jinou
li,
il
ne
devrait
pas
y
avoir
de
risque
d’incompréhension
car
jinou
et
jenou
sont
des
variantes
d’un
même
mot.
Même
chose
pour
le
locuteur
haïtien
créolophone
qui
entend
les
deux
phrases
suivantes
:
yo
genyen
lajan
et
yo
ganyen
lajan
puisque
genyen
et
ganyen
sont
des
variantes
d’un
même
mot.
En
revanche,
pour
ce
même
locuteur
haïtien
qui
entend
d’abord
la
phrase
li
gen
bèt,
puis
cette
autre
phrase
li
gen
tèt,
la
différence
saute
aux
yeux.
Le
remplacement
de
la
consonne
/b/
par
la
consonne
/t/
produit
tout
de
suite
une
différence
de
sens.
C’est
grâce
à
des
analyses
de
ce
genre
que
le
linguiste
arrive
à
mettre
en
lumière
des
traits
qui
sont
dotés
d’une
fonction
distinctive
et
permettent
de
comprendre
le
sens
du
message.
Nous
sommes
alors
dans
le
domaine
de
la
phonologie
qui
est
«
l’étude
des
unités
linguistiques
abstraites
à
valeur
signifiante,
du
système
assurant
la
communication
linguistique
propre
à
un
groupe
d’individus.
»
Il
existe
une
différence
capitale
entre
son
et
lettre.
Le
son
est
un
phénomène
physique.
C’est
la
réalité
première
de
la
langue.
La
lettre
relève
de
l’écrit
qui
n’est
qu’une
représentation
conventionnelle
du
son.
En
fait,
un
grand
nombre
de
langues
aujourd’hui
ne
sont
pas
encore
écrites.
Mais,
cela
ne
les
empêche
pas
d’être
considérées
comme
des
langues
à
part
entière
par
les
linguistes.
Vers
la
fin
du
dix-‐neuvième
siècle,
afin
de
symboliser
les
sons
du
langage,
des
phonéticiens
ont
inventé
à
partir
de
l’alphabet
latin,
des
signes
graphiques
qui
représentent
l’alphabet
phonétique.
8
Il
est
donc
extrêmement
important
que
tout
étudiant
en
linguistique
se
familiarise
avec
les
symboles
de
l’API
et
soit
capable
de
les
lire
couramment.
Précisons
aussi
que
les
symboles
de
l’API
sont
différents
des
symboles
utilisés
dans
les
systèmes
orthographiques
traditionnels
de
la
plupart
des
langues.
Par
exemple,
le
système
orthographique
standard
et
officiel
du
créole
haïtien
en
vigueur
depuis
janvier
1980
comporte
des
différences
par
rapport
aux
symboles
de
l’API.
Ainsi,
le
symbole
/ɛ/
en
API
est
noté
«
è
»
dans
le
système
orthographique
standard
et
officiel,
comme
dans
les
mots
lanmè,
(«
mer
»),
pèsi
(«
persil
»),
lanvè5
(«
inverse,
revers
»),
boulvès
(«
problèmes
»),
ou
bèbè
(«
muet
»).
Ou
encore,
le
symbole
/ɔ/
en
API
est
noté
«
ò
»
dans
le
système
orthographique
standard
et
officiel,
comme
dans
les
mots
koridò
(«
corridor
»),
bòpè
(«
beau-‐père
»),
lò
(«
or
»),
jefò
(«
effort
»),
gòj
(«
gorge
»)…
C’est
à
cause
des
irrégularités
énormes
qui
se
trouvent
dans
certaines
transcriptions
graphiques
que
les
phonéticiens
ont
mis
en
place
ce
système.
En
effet,
dans
les
transcriptions
graphiques
de
nombreuses
langues,
il
arrive
souvent
que
le
même
son
soit
rendu
par
plusieurs
graphies
différentes.
Par
exemple,
en
français,
le
son
[o]
peut
être
rendu
par
les
graphies
ot
comme
dans
mot,
ou
eau,
ou
aud,
comme
dans
badaud,
ou
aux,
ou
tout
simplement
la
lettre
o
;
inversement,
toujours
en
français,
une
graphie
peut
comporter
différentes
réalisations
phonétiques
:
par
exemple,
les
graphies
anc,
dans
le
mot
«
blanc
»,
an,
dans
le
mot
«
mangue
»,
ans,
dans
le
mot
«
danse
»,
em,
dans
le
mot
«
embarras
»,
ang,
dans
le
mot
«
rang
»,
en,
dans
le
mot
«
enfin
»
servent
toutes
à
rendre
la
voyelle
nasale
du
son
[ã].
Pour
éviter
ces
irrégularités,
les
chercheurs
qui
ont
créé
l’orthographe
officielle
créole
se
sont
démarqués
systématiquement
de
l’orthographe
française.
A
la
différence
de
l’orthographe
française
plus
ou
moins
étymologique,
l’orthographe
officielle
créole
est
une
orthographe
phonologique
dans
laquelle
il
y
a
une
correspondance
terme
à
terme
(c’est-‐à-‐dire
biunivoque)6
entre
le
son
et
la
lettre.
5
Rappelons
que
«
lanmè
»
»
est
l’équivalent
de
«
mer
»
et
pas
de
«la
mer
».
On
ne
peut
donc
pas
le
traduire
par
«
la
mer
».
C’est
une
unité
lexicale
kreyòl
qui
est
formée
par
agglutination
de
l’article
défini
français
«
la
»
au
mot
«
mer
»
et
ne
peut
en
être
séparée.
Ces
mots
peuvent
être
suivis
par
des
déterminants
définis,
ce
qui
est
normal
en
kreyòl
:
«
lanmè
an
»,
(la
mer),
«
labank
lan
»,
(la
banque),
«
legliz
lan
»
(l’église),
«
lame
a
»
(l’armée)…
6
Les
linguistes
Arrivé,
Gadet,
et
Galmiche
(1986
:
94)
dans
leur
ouvrage
«
La
grammaire
d’aujourd’hui
»
définissent
la
biunivocité
comme
la
relation
qui
s’observe
entre
deux
ensembles
quand
à
chaque
élément
de
l’un
correspond
9
Par
exemple,
le
son
[k]
s’écrit
toujours
avec
la
lettre
«
k
».
Il
n’est
jamais
rendu
par
la
lettre
«
c
»
ou
la
lettre
«
q
»,
comme
c’est
le
cas
en
français.
Le
nom
de
la
langue
parlée
par
tous
les
Haïtiens
nés
et
élevés
en
Haïti
sera
donc
écrit
«
kreyòl
».
B. Morphologie
La
morphologie
est
cette
branche
de
la
linguistique
qui
s’occupe
de
la
structure
interne
du
mot
et
de
ses
parties
signifiantes.
Le
mot
n’est
pas
l’unité
linguistique
minimale
dotée
à
la
fois
d’une
forme
et
d’un
sens.
C’est
le
morphème
qui
joue
ce
rôle
dans
la
description
grammaticale
d’une
langue.
Il
est
défini
par
les
linguistes
comme
la
plus
petite
unité
linguistique
qui
possède
une
forme
et
un
sens.
On
ne
peut
pas
le
diviser
en
unités
plus
petites
dotées
des
mêmes
propriétés.
Prenons
le
mot
lexical
kreyòl
:
jouk
qui
signifie,
entre
autres,
«
poste
»
(français),
dans
l’expression
«
monte
(pran)
jouk
».
On
peut
y
ajouter
:
«
e
»
qui
le
transforme
en
«
jouke
»
(«
se
percher,
se
jucher
pour
dormir,
en
parlant
d’un
coq
»)
«
Kòk
la
jouke
sou
branch
bwa
ki
pi
wo
a
»
(Valdman
et
al.
2007)
(Le
coq
s’est
juché
sur
la
plus
haute
branche
de
l’arbre)
[ma
traduction].
On
peut
encore
faire
précéder
le
mot
«
jouk
»
de
:
«
de
».
Au
final,
on
parvient
à
obtenir
:
de-‐jouk-‐e,
signifiant
:
quitter
son
perchoir
(en
parlant
du
coq).
Kou
l
jou
poul
yo
dejouke
(Valdman
et
al.
2007
:
147).
(A
la
levée
du
jour,
les
poules
quittent
leur
perchoir)
[ma
traduction].
Nous
sommes
ici
en
présence
de
trois
morphèmes.
Chacun
des
segments
que
nous
venons
de
faire
ressortir
est
porteur
d’un
sens.
On
peut
donc
diviser
les
morphèmes
en
deux
classes
bien
distinctes
:
a)
les
morphèmes
lexicaux,
comme
jouk
:
ils
sont
très
répandus
dans
la
langue
et
forment
une
liste
ouverte
;
b)
les
morphèmes
grammaticaux,
comme
de,
e.
Ils
ne
sont
pas
très
répandus
dans
la
langue
et
forment
une
liste
fermée.
Dans
cet
exemple,
ils
constituent
des
morphèmes
liés
(préfixes
et
suffixes),
c’est-‐à-‐dire
qu’ils
ne
peuvent
apparaitre
qu’en
compagnie
d’un
morphème
autonome
lexical.
un
seul
élément
de
l’autre
et
réciproquement.
Il
y
a
biunivocité
entre
l’ensemble
des
phonèmes
du
français
et
l’ensemble
de
leurs
notations
par
les
symboles
de
l’A.P.I..
En
revanche,
il
n’y
a
pas
biunivocité
entre
l’ensemble
des
phonèmes
et
l’ensemble
de
leurs
notations
par
l’orthographe
traditionnelle.
10
A
l’écrit,
les
frontières
d’un
mot
sont
habituellement
délimitées
par
des
espaces
blancs.
A
l’oral,
c’est
beaucoup
plus
compliqué
mais
on
peut
faire
intervenir
une
légère
pause.
La
notion
de
morphème
est
moins
vague
et
beaucoup
plus
efficace
que
celle
du
mot
dans
l’analyse
linguistique.
Comme
en
français,
mais
aussi
comme
en
anglais,
la
structure
interne
du
mot
résulte
généralement
de
deux
procédés
de
formation
différents
:
l’affixation
(flexion
et
dérivation)
et
la
composition.
Le
procédé
de
formation
de
mots
connu
sous
le
nom
d’affixation
réunit
une
racine
ou
base,
c’est-‐à-‐dire
un
morphème
lexical,
et
des
affixes,
c’est-‐à-‐dire
des
préfixes
ou
suffixes.
Dans
le
verbe
créole
deklete,
(ouvrir
avec
une
clé),
la
racine
kle
est
précédée
du
préfixe
-‐de
et
suivie
du
suffixe
–e.
Il
y
a
composition
quand
deux
unités
qu’on
peut
retrouver
dans
d’autres
contextes
à
l’état
libre
sont
juxtaposées.
Les
affixes
sont
toujours
joints
à
une
racine.
Ce
sont
des
morphèmes
grammaticaux
qui
ne
sont
pas
autonomes.
Ils
peuvent
être
préposés
ou
postposés
à
une
racine
Les
affixes
qui
précèdent
la
racine
sont
appelés
préfixes,
ceux
qui
lui
sont
postposés
sont
appelés
suffixes.
Quant
à
la
composition,
c’est
un
procédé
de
création
de
mots
par
réunion
de
plusieurs
mots
autonomes.
Voici
quelques
exemples
de
mots
composés
en
kreyòl
:
Kòk graje : sorte de sucrerie courante en Haïti faite à partir de noix de coco râpée
11
C.
Syntaxe
Dans
la
grammaire
traditionnelle,
la
syntaxe
désigne
la
partie
de
la
grammaire
qui
s’intéresse
aux
combinaisons
des
mots
dans
la
phrase.
Elle
étudie
par
exemple
comment
les
mots
peuvent
être
organisés
en
phrases
et
comment
ces
phrases
peuvent
être
comprises.
Pour
la
majorité
des
scolarisés
haïtiens
qui
ont
étudié
la
grammaire
traditionnelle
soit
en
français,
soit
en
anglais
et
qui
de
ce
fait
ne
connaissent
que
la
syntaxe
traditionnelle,
la
syntaxe
se
réfère
le
plus
souvent
à
des
phénomènes
tels
que
certaines
constructions
où
tel
verbe
se
construit
avec
un
complément
direct,
tel
autre
avec
un
complément
indirect,
ou
encore
la
place
du
verbe
dans
la
phrase,
l’ordre
des
mots,
les
fonctions
des
mots,
la
structure
et
les
types
de
phrases
(interrogatives,
déclaratives),
de
propositions
(relatives),…
La
linguistique
moderne
et
contemporaine
a
abandonné
presque
complètement
une
telle
approche.
La
syntaxe
occupe
maintenant
une
place
fondamentale
dans
l’étude
de
la
langue.
C’est
le
«
cœur
»
de
la
langue.
Dans
le
cadre
de
la
grammaire
générative,
le
linguiste
américain
Noam
Chomsky
lui
donne
une
importance
de
premier
ordre
dans
l’approche
formelle
du
langage.
Pour
lui,
la
syntaxe
est
l’ensemble
des
principes
qui
déterminent
l’interprétation
des
phrases.
Dans
le
livre
qui
marque
le
véritable
tournant
de
la
linguistique,
Syntactic
Structures
(1966:
13),
Chomsky
écrit
ceci:
The
fundamental
aim
in
the
linguistic
analysis
of
a
language
L
is
to
separate
the
grammatical
sequences
which
are
the
sentences
of
L
from
the
ungrammatical
sequences
which
are
not
sentences
of
L
and
to
study
the
structure
of
the
grammatical
sequences.
The
grammar
of
L
will
thus
be
a
device
that
generates
all
of
the
grammatical
sequences
of
L
and
none
of
the
ungrammatical
ones.
(Le
but
fondamental
de
l’analyse
linguistique
d’une
langue
L
est
de
séparer
les
séquences
grammaticales
qui
sont
des
phrases
de
L
des
séquences
non
grammaticales
qui
ne
sont
pas
des
phrases
de
L
et
d’étudier
la
structure
des
séquences
grammaticales.
La
grammaire
de
L
sera
donc
un
dispositif
qui
engendre
toutes
les
phrases
grammaticales
de
L
et
aucune
des
phrases
non
grammaticales.)
[ma
traduction]
L’un
des
principes
fondamentaux
qui
régissent
la
syntaxe
est
celui
de
la
distinction
entre
phrases
grammaticales
et
phrases
agrammaticales.
Selon
Chomsky,
l’objectif
premier
de
la
théorie
linguistique
est
de
décrire
la
faculté
de
langage,
c’est-‐à-‐dire
la
capacité
des
sujets
12
parlants
à
distinguer
les
phrases
grammaticales
des
phrases
agrammaticales.
C’est
ce
qu’il
identifie
comme
la
«
compétence
grammaticale
»
des
sujets
parlants.
Les
linguistes
appellent
«
phrase
agrammaticale
»
une
phrase
qui
ne
se
conforme
pas
aux
règles
ou
aux
principes
de
la
grammaire
de
la
langue
qui
est
étudiée.
Quand
elle
est
citée,
on
la
fait
précéder
d’un
astérisque.
En
revanche,
une
«
phrase
grammaticale
»
désigne
une
phrase
qui
est
conforme
aux
règles
et
aux
principes
de
la
langue
en
question.
Rappelons
le
fameux
exemple
donné
par
Chomsky
(1966
:
15)
:
Colorless
green
ideas
sleep
furiously
est
une
phrase
tout
à
fait
grammaticale
car
elle
est
formée
selon
les
règles
et
les
principes
de
la
langue
anglaise.
En
revanche,
la
phrase
suivante
citée
par
Chomsky
(1966
:
15)
est
agrammaticale
:
*Furiously
sleep
ideas
green
colorless.
Cependant,
le
fait
que
la
première
phrase
est
grammaticale
ne
signifie
pas
qu’elle
soit
acceptable
car
pour
un
locuteur
anglophone,
elle
est
asémantique.
De
plus,
la
grammaticalité
d’une
phrase
n’a
rien
à
voir
avec
sa
«
correction
»
telle
qu’on
entend
ce
mot
dans
les
grammaires
scolaires.
La
phrase
créole
suivante
est
grammaticale
(tout
locuteur
haïtien
peut
reconnaitre
qu’elle
est
formée
selon
les
règles
de
la
syntaxe
créole)
mais
elle
est
asémantique
(elle
ne
véhicule
pas
de
sens)
:
Senserite
chen
an
vide
akasan
lan
rigòl
la.
Que
ce
soit
en
français,
en
anglais
ou
en
kreyòl,
la
phrase
est
la
plus
grande
unité
d’organisation
grammaticale.
Elle
a
sous
sa
dépendance
de
nombreux
constituants
formés
par
des
couches
successives
jouant
chacune
leur
rôle.
Les
constituants
immédiats
d’une
phrase
sont
composés
d’un
groupe
de
mots
qui
forment
une
unité
connue
sous
le
nom
de
syntagmes.
Ce
qui
caractérise
ce
groupe
de
mots,
c’est
qu’il
fonctionne
dans
la
phrase
comme
un
mot
individuel.
De
ce
fait,
il
peut
être
remplacé
par
un
mot
unique.
Il
existe
plusieurs
types
de
syntagmes.
13
• Le
syntagme
nominal
(SN).
C’est
un
syntagme
qui
comporte
un
nom
comme
tête.
En
créole
haïtien,
il
est
formé
d’un
nom
auquel
est
postposé
un
déterminant.
En
cela,
il
est
tout
à
fait
différent
du
français,
langue
dans
laquelle
le
déterminant
(défini
:
la,
a,
lan,
an)
est
toujours
préposé
au
nom.
(1) Chat la kache dèyè frijidè a (Le chat s’est caché derrière le frigo)
Elle
est
composée
du
syntagme
nominal
Chat
la
qui
lui-‐même
est
formé
du
nom
chat,
jouant
le
rôle
de
tête
suivi
par
le
déterminant
défini
la.
Donc,
le
syntagme
nominal
est
formé
de
deux
éléments.
Le
premier
élément
est
représenté
par
le
nom
chat
que
nous
notons
N.
Le
deuxième
élément
est
un
déterminant
que
nous
notons
Dét.
Ce
qui
nous
donne
:
SN
N Dét.
Il
arrive
souvent
qu’un
élément
additionnel
ou
des
éléments
additionnels
suivent
le
nom.
Cet
élément
additionnel
est
appelé
un
modificateur
(Mod.)
du
nom.
Voyons
ces
deux
exemples
:
SN SN
On
remarquera
que
dans
l’exemple
(b),
c’est-‐à-‐dire
yon
jandam
mechan,
on
est
en
présence
d’un
déterminant
indéfini
(yon),
pas
d’un
déterminant
défini.
C’est
ce
qui
explique
qu’il
est
antéposé
au
nom
jandam.
Un
syntagme
nominal
peut
avoir
plusieurs
formes
:
Monik
(Monique),
matant
mwen
(ma
tante),
machin
lan
(la
voiture),
li
(il/elle),
yon
tanpèt
nèj
(une
tempête
de
neige).
14
• Le
syntagme
verbal
(SV).
C’est
un
syntagme
qui
est
formé
d’un
verbe
(V)
suivi
par
ses
compléments.
Retournons
à
la
phrase
(1).
Le
syntagme
verbal
est
constitué
par
le
verbe
kache
et
un
syntagme
prépositionnel
:
dèyè
frijidè
a.
Voici
des
exemples
de
syntagmes
verbaux
créoles
:
manje
diri,
sòti,
jwe
tenis,
travay
labank,
pale
ak
etidyan
yo.
Dans
un
syntagme
verbal,
on
peut
trouver
un
verbe
:
Machin
lan
derape
(la
voiture
démarre)
SV
V
On
peut
trouver
aussi
ses
compléments.
Parfois,
ces
compléments
sont
constitués
par
des
compléments
d’objet
direct,
comme
c’est
le
cas
dans
cette
phrase
:
Monik
achte
yon
machin
SV
V
SN
Parfois,
ces
compléments
sont
constitués
par
des
compléments
d’objet
indirect,
comme
dans
cette
phrase
:
Yo
monte
sou
mòn
lan
SV
V
SP
Le
syntagme
prépositionnel
(SP).
C’est
un
syntagme
qui
comporte
une
préposition
et
son
complément
qui
est
lui-‐même
un
syntagme
nominal.
Dans
la
phrase
(1),
la
préposition
est
représentée
par
dèyè
qui
gouverne
le
syntagme
nominal
frijidè
a.
• L’élément
principal
dans
un
syntagme
adjectival
(SAdj)
est
l’adjectif.
En
créole
haïtien,
il
arrive
souvent
que
le
verbe
copule
ne
se
manifeste
pas
et
que
l’adjectif
soit
présent,
on
se
trouve
alors
devant
un
syntagme
adjectival,
comme
dans
cette
phrase
:
Madanm
li
jalou
(sa
femme
est
jalouse).
Etidyan
yo
entèlijan
(les
étudiants
sont
intelligents).
Il
peut
arriver
que
le
verbe
copule
se
manifeste,
comme
dans
cette
phrase
:
Politisyen
se
mantè
(Les
politiciens
sont
des
menteurs).
15
• Le
syntagme
adverbial
(SAdv).
Il
peut
être
placé
à
l’intérieur
d’un
syntagme
verbal,
comme
dans
cette
phrase
créole
:
Etidyan
an
byen
reponn
tout
kesyon
yo
(l’étudiant
a
bien
répondu
à
toutes
les
questions).
Retournons
à
la
phrase
(1)
:
Chat
la
kache
dèyè
frijidè
a.
Une
analyse
en
constituants
immédiats
permet
d’identifier
un
syntagme
nominal
(chat
la)
et
un
syntagme
verbal
(kache
dèyè
frijidè
a).
En
nous
référant
au
principe
de
distribution,7
nous
pouvons
reconnaitre
que
chat
la
fait
partie
d’une
classe
distributionnelle
qui
accepte
toutes
les
expressions
ou
les
catégories
de
mots
qui
peuvent
figurer
dans
son
environnement
et
qui
peuvent
occuper
la
même
position
syntaxique
(préverbale)
et
la
même
fonction
grammaticale
(sujet).
Les
deux
syntagmes
qui
composent
la
phrase
Chat
la
kache
dèyè
frijidè
a
ont
pour
constituants
immédiats
:
chat
(N)
et
la
((Dét.)
;
c’est
un
syntagme
nominal.
Les
constituants
immédiats
du
syntagme
verbal
sont
le
verbe
kache
et
le
syntagme
prépositionnel
dèyè
frijidè
a
dont
les
constituants
immédiats
sont
la
préposition
dèyè
et
le
syntagme
nominal
frijidè
a.
7
La
distribution
d’une
unité
linguistique
est
la
somme
de
ses
environnements,
à
savoir
l’ensemble
des
positions
dans
lesquelles
elle
peut
prendre
place.
Le
linguiste
établit
ainsi
des
classes
distributionnelles
(ou
paradigmes),
qui
contiennent
l’ensemble
des
éléments
pouvant
apparaitre
dans
cette
position.
(Moeschler
et
Auchlin
2000).
16
Selon
le
linguiste
Peter
W.
Culicover
(1997
:
3-‐4),
«
une
perspective
fondamentale
introduite
par
la
grammaire
générative
est
la
reconnaissance
que
la
forme
et
le
contenu
de
la
théorie
linguistique
sont
intimement
liés
au
phénomène
de
l’acquisition
du
langage.
Comment
acquerrons-‐nous
le
savoir
qui
nous
permet
de
lier
les
sons
de
la
parole
aux
sens
d’un
message,
c’est-‐à-‐dire
d’exprimer
les
pensées
et
d’interpréter
ce
qui
est
exprimé
par
les
autres
?
D’où
viennent
les
représentations
de
la
phonologie,
de
la
syntaxe,
et
de
la
sémantique
?
Comment
savons-‐nous
de
quelle
façon
les
différentes
représentations
sont
reliées
les
unes
aux
autres
?
Est-‐il
possible
que
la
connaissance
du
langage
soit
inscrite
en
nous
en
tant
qu’êtres
humains,
de
sorte
que
ces
représentations
soient
présentes
à
la
naissance
ou
se
développent
avec
le
temps
sans
une
expérience
particulière
?
Ou
alors
est-‐ce
que
nous
les
acquerrons
dans
leurs
détails
complexes
grâce
aux
mécanismes
généraux
d’apprentissage
?
»
Dans
le
cas
des
sujets
parlants
haïtiens,
il
est
permis
de
faire
l’hypothèse
que
la
connaissance
du
langage
(pas
de
la
langue)
sous
forme
abstraite
est
présente
chez
eux
dès
la
naissance,
comme
d’ailleurs
chez
tous
les
êtres
humains,
et
que
c’est
grâce
à
cette
connaissance
abstraite
qu’ils
ont
pu
acquérir
aussi
rapidement
la
langue
de
leur
environnement
social,
le
kreyòl.
Il
est
bien
connu
en
effet
que
tous
les
enfants
haïtiens
qui
sont
nés
et
ont
grandi
en
Haïti
parlent
couramment
kreyòl
dès
l’âge
de
3
ou
4
ans.
Ce
qui
est
certain,
c’est
que
toutes
les
langues
humaines
connues
ont
une
syntaxe.
Cela
veut
dire
qu’elles
ont
toutes
leur
façon
bien
à
elles
d’organiser
leurs
mots.
Par
exemple,
le
latin
possède
un
ordre
de
mots
marqué
par
la
flexibilité.
Nous
pouvons
dire
sans
changer
le
sens
de
la
phrase
:
17
Ces
quatre
phrases
auront
toujours
le
même
sens
:
«
La
femme
regarde
la
fille
»
(Madanm
lan
gade
ti
fi
a),
(The
woman
looks
at
the
girl).
En
revanche,
une
telle
opération
ne
peut
être
entreprise
sur
la
phrase
française
ou
sur
la
phrase
créole
ou
sur
la
phrase
anglaise
car
ces
trois
langues
possèdent
un
ordre
de
mots
qui
est
relativement
fixe,
leur
syntaxe
s’appuie
entre
autres
sur
la
position
des
mots
dans
la
phrase.
Dans
la
mesure
où
la
grammaire
générative
est
passée
depuis
la
fin
des
années
1950
à
nos
jours
par
une
série
d’évolutions
et
de
restructurations,
nous
ne
pouvons
pas,
dans
le
cadre
de
cette
très
brève
initiation
à
la
science
linguistique,
exposer
dans
les
détails
cette
grande
entreprise
scientifique.
Nous
nous
contenterons
d’indiquer
à
la
fin
de
cet
article,
dans
la
rubrique
intitulée
«
Pour
aller
plus
loin
»
quelques
éléments
bibliographiques
qui
aideront
à
comprendre
la
théorie
générative.
D. La sémantique
18
aurait
pu
l’appeler
par
n’importe
quel
autre
nom,
mais
les
locuteurs
haïtiens
créolophones
s’accordent
pour
le
dénommer
«
mango
».
Ce
sont
donc
des
symboles
arbitraires.
Il
est
entendu
que
les
symboles
arbitraires
sont
absolument
conventionnels.
Cela
veut
dire
qu’il
n’existe
pas
d’association
naturelle
entre
signifiant
et
signifié.
Les
langues
naturelles
relèvent
de
symboles
arbitraires,
bien
qu’on
trouve
à
l’intérieur
de
ces
langues
quelques
symboles
motivés,
comme
les
onomatopées,
définies
comme
des
mots
qui
imitent
des
bruits
et
qui
apparaissent
dans
pratiquement
toutes
les
langues
humaines
connues.
Quand
on
dit
que
le
signe
linguistique
est
arbitraire,
cela
veut
dire
que
tel
signe,
et
non
tel
autre,
désigne
tel
segment
particulier
de
la
réalité,
sans
pour
autant
qu’il
y
ait
une
relation
naturelle
entre
le
signifiant
et
le
signifié.
La
suite
de
sons
qui
constituent
un
mot
ne
comporte
pas
de
lien
naturel,
nécessaire,
logique
avec
la
chose
nommée
dans
le
monde
réel.
Signalons
toutefois
la
remarque
du
linguiste
français
Émile
Benveniste
qui
précise
que
s’il
est
vrai
que,
selon
Saussure,
le
signifiant
et
le
signifié
sont
inséparables
comme
les
deux
faces
d’une
feuille
de
papier,
le
lien
qui
les
lie
alors
ne
saurait
être
arbitraire.
Il
est
au
contraire
nécessaire,
inévitable.
L’arbitraire
du
signe
linguistique
est
l’une
des
caractéristiques
des
langues
humaines.
Dans
le
langage
ordinaire,
la
plupart
des
gens
ne
font
pas
de
différence
entre
sens
et
signification.
En
sémantique
linguistique
cependant,
sens
et
signification
recouvrent
deux
concepts
différents.
Si
le
sens
constitue
l’un
des
éléments
de
la
signification,
cette
dernière
a
la
particularité
d’associer
deux
images
mentales,
le
signifiant
et
le
signifié.
Le
sens
d’un
signe
constitue
son
signifié.
Il
consiste
en
un
groupe
de
traits
conceptuels
qui
forment
le
signifié
d’un
signe.
Par
exemple,
le
sens
du
mot
créole
marengwen
(moustique)
possède
les
traits
conceptuels
suivants
:
19
• li
kapab
transmèt
maladi
tankou
palidis
(elle
peut
transmettre
des
maladies
comme
le
paludisme).
La
sémantique
linguistique
est
l’étude
de
la
signification,
plus
précisément
la
signification
qui
est
exprimée
par
le
vocabulaire
et
la
grammaire
des
langues
naturelles.
Son
objet
est
d’étudier
le
contenu
des
signes
linguistiques,
c’est-‐à-‐dire
les
formes,
et
les
combinaisons
de
signes,
c’est-‐
à-‐dire
les
syntagmes,
les
propositions,
les
phrases
et
les
textes,
qui
peuvent
être
produits
ou
qui
apparaissent
effectivement
dans
les
langues
naturelles.
Selon
Wittgenstein,
«
le
sens
d’un
mot
est
son
usage
dans
la
langue
»
;
«
le
sens
d’un
mot
est
déterminé
par
les
règles
qui
régissent
son
fonctionnement
dans
la
langue
».
Le métalangage
Depuis
Jakobson,
nous
savons
que
le
langage
est
doté
d’une
«
fonction
métalinguistique
»,
c’est-‐à-‐dire
qu’il
est
aussi
utilisé
pour
parler,
en
plus
du
monde,
du
langage
lui-‐même.
C’est
la
fonction
réflexive
de
la
langue.
L’utilisation
de
la
langue
pour
parler
de
la
langue
s’appelle
l’emploi
métalinguistique.
Seul
le
langage
possède
cette
propriété
parmi
les
systèmes
signifiants.
Dans
les
langues
humaines
connues,
on
distingue
généralement
deux
types
de
mots
:
les
mots
lexicaux
et
les
mots
grammaticaux.
Les
mots
lexicaux
nous
donnent
une
image
du
monde.
Les
mots
grammaticaux
nous
permettent
de
parler
de
la
langue.
Le
mot
prepozisyon,
par
exemple,
est
utilisé
en
kreyòl
pour
parler
de
mots
comme
nan,
devan,
dèyè,
anba,
anlè,…
A
cause
de
leur
contenu,
ils
font
l’objet
de
la
grammaire.
Mais
un
mot
tel
que
tren
est
un
mot
lexical
qui
nous
donne
une
image
du
monde,
du
lexique.
Le
langage
parle
tantôt
du
monde
ou
des
choses,
tantôt
du
langage.
Rappelez-‐vous
le
titre
du
célèbre
essai
de
Michel
Foucault
Les
mots
et
les
choses.
L’univers
référentiel
se
rapporte
au
monde
et
aux
choses
(êtres,
états
des
choses,
événements,
phénomènes
de
la
nature,
etc.),
ensembles
différents
du
langage
mais
qui
en
réalité
coexistent
avec
le
langage
puisqu’il
n’existe
pas
de
monde
sans
langage,
comme
on
le
sait.
Le
linguiste
se
trouve
toujours
dans
une
situation
spéciale
:
parlant
du
langage,
il
est
obligé
de
se
servir
du
langage,
ce
qui
n’est
pas
le
20
cas
des
autres
spécialistes
des
autres
systèmes
signifiants.
Autrement
dit,
l’objet
signifié
sert
d’outil
signifiant.
Toutes
les
langues
ont
des
mots
et
ces
mots
possèdent
une
forme
et
un
sens.
Toutes
les
langues
ont
également
des
phrases
qui
elles
aussi
possèdent
une
forme
et
un
sens.
La
signification
d’une
phrase
découle
en
général
non
seulement
de
la
signification
des
mots
qui
la
constituent,
mais
aussi
de
la
structure
grammaticale
qui
en
forme
la
base.
Il
est
important
de
distinguer
deux
concepts
différents
en
parlant
d’un
mot
:
son
usage
métalinguistique
et
son
usage
linguistique.
Par
exemple,
kremas
est
un
nom
et
kremas
est
une
boisson
sucrée
et
parfois
alcoolisée
consommée
en
Haïti
par
les
habitants
haïtiens.
Les
mots
sont
sujets
au
phénomène
de
la
polysémie,
c’est-‐à-‐dire
qu’il
détient
plusieurs
sens.
Généralement,
dans
les
dictionnaires,
lorsqu’on
veut
indiquer
différents
sens
d’un
même
mot,
les
lexicographes
numérotent
chacun
des
sens.
Par
exemple,
dans
le
dictionnaire
bilingue
de
Valdman
et
al.
(2007
:
387)
le
mot
krabinay
est
doté
de
trois
sens
énumérés
ainsi
:
Krabinay
(krabinaj)
n.
1.
Scraps,
debris,
rubble
(petits
bouts,
débris,
décombres)
2.
Small
piece
[stone]
(petits
morceaux)
3.
Insignificant
person
(personne
insignifiante).
Les
traductions
françaises
sont
de
moi.
La
signification
d’un
mot
renvoie
à
sa
dénotation
et
à
sa
connotation.
La
dénotation
d’un
mot
se
rapporte
à
son
sens
littéral,
c’est
le
langage
à
l’état
brut,
banal,
sans
surcharge
spéciale.
Le
signe
linguistique
réunit
alors
clairement
le
signifié
au
signifiant.
La
connotation
renvoie
à
une
autre
signification
du
signe
linguistique
qui
dérive
des
valeurs
culturelles
et
des
jugements
que
la
tradition
et
la
société
ont
attachés
à
un
mot.
Considérons
par
exemple
le
mot
Nouyòk
(New
York).
Son
signifié
dénotatif
se
rapporte
à
une
grande
ville
de
la
côte
est
des
États-‐Unis,
mais
son
signifié
connotatif,
dans
l’imaginaire
de
nombreux
migrants,
véhicule
des
rêves
de
richesse
facile,
de
plaisir
permanent
et
de
liberté
totale.
21
L’étude
de
la
sémantique
du
mot
requiert
de
considérer
la
synonymie,
l’antonymie,
et
l’homonymie.
Deux
mots
sont
dits
synonymes
quand
leurs
signifiants
sont
différents
mais
qu’ils
ont
le
même
signifié.
Cependant,
il
est
rare
de
rencontrer
de
vrais
synonymes
dans
une
langue
parce
que
deux
mots
qui
ont
exactement
le
même
sens
restent
difficiles
à
trouver
dans
une
langue.
Il
y
aura
toujours
des
nuances
de
sens
dues
à
des
différences
de
connotation
et
à
long
terme,
l’un
des
deux
termes
aura
à
disparaitre.
Quand
ils
ont
des
signifiés
opposés,
deux
mots
sont
dits
antonymes.
C’est
le
cas
de
entrer
et
sortir.
Comme
Saussure
l’a
bien
fait
ressortir,
un
mot
existe
dans
le
système
de
la
langue
en
opposition
aux
autres
mots.
Deux
mots
sont
dits
homonymes
quand
ils
ont
le
même
signifiant,
c’est-‐à-‐dire
la
même
forme,
mais
des
signifiés
différents.
En
kreyòl,
la
ressemblance
de
forme
peut
être
graphique
(c’est
le
cas
de
poul
(femèl
kòk)
et
poul
(repons
yon
elèv
kopye
lan
egzamen)
ou
acoustique
(c’est
le
cas
de
pè
(moun
legliz
katolik,
ki
konn
fè
lamès,
chante
lantèman,
e
batize
timoun)
et
pè
(gwoup
2
bagay
ki
sanble
e
ki
toujou
ansanm).
C’est
exactement
l’opposé
des
synonymes.
E. La pragmatique
La
pragmatique
est
l’étude
de
l’usage
du
langage
en
interaction
de
communication,
c’est-‐à-‐dire
les
rapports
entre
les
phrases
et
les
contextes
ou
situations
dans
lesquels
ils
sont
employés.
Étudier
la
pragmatique
revient
à
analyser
comment
les
locuteurs
comprennent
et
utilisent
les
actes
de
discours
;
comment
l’interprétation
et
l’usage
de
certains
mots
dépendent
de
la
connaissance
qu’a
l’interlocuteur
du
monde
réel.
22
Pourquoi
B
n’a-‐t-‐il
pas
utilisé
le
classique
«
wi
»
ou
«
non
»
pour
répondre
à
cette
question
?
On
peut
penser
que
B
veut
donner
son
opinion
à
A
au
sujet
des
Américains,
et
cette
opinion
est
loin
d’être
favorable
aux
Américains.
Il
apparait
que,
depuis
ces
trente
dernières
années,
la
façon
de
définir
la
communication
verbale
a
été
renouvelée
et
modifiée
par
la
pragmatique.
La
communication
est
définie
comme
un
processus
qui
transmette,
d’une
source
à
une
destination,
un
message,
une
information
par
le
truchement
d’un
code.
Un
code
véhicule
un
ensemble
de
couples,
message-‐signal.
Dans
le
système
linguistique,
le
message
correspond
au
signifié,
alors
que
le
signal
correspond
au
signifiant.
C’est
grâce
au
code
que
le
destinataire
peut
avoir
accès
au
contenu
des
représentations
mentales
internes
des
locuteurs
(Moeschler
et
Auchlin
2000).
23
définis,
indéfinis,
démonstratifs,
pronoms
personnels,
etc.),
ainsi
que
la
force
illocutionnaire8
de
l’énoncé.
»
(Moeschler
et
Auchlin
2000
:
156).
La
recherche
pragmatique
en
Haïti
est
pratiquement
inexistante
et
je
n’en
connais
aucune.
Il
y
a
pourtant
des
recherches
sérieuses
à
développer
dans
ce
domaine
où
la
science
de
l’usage
du
langage
pourrait
contribuer
à
éclaircir
de
nombreuses
questions
culturelles,
ou
des
problèmes
d’interprétation
du
langage
dans
des
contextes
particuliers,…
Conclusion
Cette
étude
est
une
très
brève
initiation
à
la
linguistique
définie
comme
la
science
du
langage
et
des
langues.
Nous
avons
présenté
d’abord
quelques
généralités
concernant
la
nature
de
la
science
et
en
quoi
la
linguistique
constitue
une
discipline
scientifique.
De
la
linguistique,
nous
sommes
passés
ensuite
à
la
créolistique
définie
comme
l’application
des
méthodes
et
des
principes
de
la
linguistique
aux
langues
créoles
en
général,
et
au
créole
haïtien
en
particulier.
Nous
avons
vu
que
la
linguistique
comporte
cinq
disciplines
:
la
phonétique/
phonologie,
la
morphologie,
la
syntaxe,
la
sémantique
et
la
pragmatique.
Nous
avons
pris
des
exemples
au
kreyòl
pour
expliquer
chacune
de
ces
disciplines.
Le
kreyòl
peut
donc
être
étudié
systématiquement
comme
toutes
les
langues
naturelles
et
ce
texte
est
une
brève
analyse
linguistique
de
la
langue
créole.
La
langue
est
en
effet
un
système
de
signes
vocaux
arbitraires
fondamentalement
gouvernée
par
des
règles.
Le
langage
est
inné,
universel,
et
caractérise
les
êtres
humains.
Nous
sommes
nés
avec
une
capacité
pour
acquérir
le
langage
et
génétiquement
bâtis
pour
apprendre
une
langue
(pas
une
langue
spécifique
mais
une
langue
naturelle,
quelle
qu’elle
soit.).
C’est
à
cause
de
cette
«
prédisposition
génétique
»
que
les
enfants
nés
dans
une
société
spécifique
(la
société
haïtienne,
par
exemple)
arrivent
à
apprendre
leur
première
langue
facilement
et
rapidement,
en
dépit
du
fait
que
les
données
linguistiques
qu’ils
reçoivent
de
leur
8
On
parle
de
force
ou
de
valeur
illocutoire
(ou
illocutionnaire)
quand
on
se
réfère
à
l’acte
de
parole
accompli
au
moyen
d’un
énoncé.
Cette
valeur
est
portée
généralement
par
des
verbes
qui
ont
la
particularité
d’accomplir,
par
ère
le
fait
de
leur
énonciation
à
la
1
personne
du
singulier
du
présent,
l’acte
qu’ils
énoncent.
En
kreyòl,
si
je
dis
Mwen
mande
w
padon,
l’acte
est
accompli
par
le
fait
même
d’avoir
prononcé
cette
phrase
et
utilisé
ce
verbe
qui
est
désigné
sous
le
nom
de
«
verbe
performatif
».
24
environnement
sont
incomplètes
et
qu’on
ne
leur
apprend
que
rarement
à
dire
telle
chose
au
lieu
de
telle
autre.
Pour
finir,
je
voudrais
insister
sur
un
point
fondamental
:
l’étude
de
la
langue
telle
que
nous
venons
de
l’entreprendre
et
pour
brève
qu’elle
soit,
met
l’accent
sur
les
mécanismes
internes,
grammaticaux
du
système.
Elle
tend
à
évacuer
d’autres
aspects
tout
aussi
importants,
comme
les
aspects
culturels,
sociaux,
historiques,
qui
ont
joué
un
rôle
dans
la
formation
des
communautés
linguistiques
et
qui
continuent
à
orienter
leur
évolution.
D’une
manière
générale,
la
théorie
linguistique
ne
se
soucie
guère
ou
très
peu
de
la
façon
dont
la
langue
est
utilisée,
de
ceux
qui
la
parlent,
du
lieu
où
elle
est
utilisée…
Il
faut
bien
le
reconnaitre
:
la
langue
est
autant
interne
qu’externe.
Étudier
le
créole
haïtien,
par
exemple,
sans
examiner
des
catégories
telles
la
classe,
le
sexe,
les
activités
professionnelles,
ou
les
structures
politiques,
religieuses,
culturelles…revient
à
mettre
de
côté
des
facteurs
décisifs
dans
la
compréhension
de
cette
langue
et
de
ses
locuteurs.
Nous
entrons
ici
dans
le
domaine
de
la
sociolinguistique
définie
comme
«
the
study
of
language
in
its
social
contexts
and
the
study
of
social
life
through
linguistics
(Coupland
and
Jaworsky
1997
:
1)
»
(l’étude
de
la
langue
dans
ses
contextes
sociaux
et
l’étude
de
la
vie
sociale
par
la
linguistique)
[ma
traduction].
A
l’intérieur
de
la
sociolinguistique,
les
chercheurs
font
le
plus
souvent
une
distinction
entre
une
approche
qualitative
(analyse
de
discours,
ethnographie
de
la
communication,
etc.)
et
une
approche
quantitative
(variation
et
changement
linguistique).
Ces
deux
approches
restent
complémentaires
mais
la
perspective
variationniste
de
William
Labov
semble
dominer
la
sociolinguistique
contemporaine.
*Je
voudrais
adresser
mes
plus
vifs
remerciements
à
mon
collègue
linguiste
Michel
DeGraff
pour
ses
commentaires
et
suggestions.
Je
demeure
toutefois
le
seul
responsable
des
erreurs
qui
ont
pu
se
glisser
dans
le
cours
du
texte.
Références citées :
25
Arrivé
et
al.
(1986)
La
grammaire
d’aujourd’hui.
Guide
alphabétique
de
linguistique
française.
Paris
:
Flammarion.
Chomsky, Noam (1966) 6ème édition. Syntactic Structures. The Hague, Paris: Mouton & Co.
Coupland,
Nicolas
&
Jaworski
(eds.)
(1997)
Introduction.
In
Sociolinguistics:
a
reader.
New
York:
St.
Martin’s
Press.
1-‐3.
Culicover W. Peter (1997) Principles and Parameters. New York: Oxford University Press.
Faine,
Jules
(1937)
Philologie
créole:
études
historiques
et
étymologiques
sur
la
langue
créole
d’Haïti.
Port-‐au-‐Prince.
Hazaël-‐Massieux, Marie-‐Christine (2011) Les Créoles à base française. Paris: Éditions Ophrys.
Matthews,
Peter
(1997)
The
Concise
Oxford
Dictionary
of
Linguistics.
New
York:
Oxford
University
Press.
Rutherford,
F.
James
&
Ahlgren,
Andrew
(1990)
Science
for
all
Americans.
New
York:
Oxford
University
Press.
Saussure, Ferdinand (de) (1972) [1916] Cours de linguistique générale. Paris: Payot.
Valdman,
Albert
et
al.
(2007)
Haitian
Creole-‐English
Bilingual
Dictionary.
Indiana
University,
Creole
Institute.
Phonologie:
26
De
Carvalho,
Joaquim
Brandao,
Nguyen,
Noël,
Wauquier
(2010)
Comprendre
la
phonologie.
Paris:
Presses
Universitaires
de
France.
Morphologie:
Spencer,
Andrew
(2003)
Morphology
In
The
Handbook
of
Linguistics
edited
by
Mark
Aronoff
and
Janie
Rees-‐Miller,
pps.
213-‐238.
Blackwell
Publishers.
Syntaxe:
Baker,
Marc
C.
(2003)
Syntax
In
The
Handbook
of
Linguistics
edited
by
Mark
Aronoff
and
Janie
Rees-‐Miller.
Pps.
265-‐294.
Blackwell
Publishers.
Radford,
Andrew
(1997)
Syntax.
A
minimalist
introduction.
New
York:
Cambridge
University
Press.
Culicover,
Peter
W.
(1997)
Principles
and
Parameters.
An
Introduction
to
Syntactic
Theory.
New
York:
Oxford
University
Press.
Guéron,
Jacqueline
et
Pollock,
Jean-‐Yves
(dirigé
par)
(1991)
Grammaire
générative
et
syntaxe
comparée.
Paris
:
Éditions
du
CNRS.
Sémantique :
Pragmatique:
27
Kempson,
Ruth
(2003)
Pragmatics:
Language
and
Communication.
In
The
Handbook
of
Linguistics
edited
by
Mark
Aronoff
and
Janie
Rees-‐Miller.
Pps.
394-‐427.
Reboul,
Anne
et
Moeschler,
Jacques
(1998)
La
pragmatique
aujourd’hui.
Une
nouvelle
science
de
la
communication.
Paris
:
Seuil.
Créolistique:
DeGraff,
Michel
(ed.)
(1999)
Language
Creation
and
Language
Change.
Creolization,
Diachrony,
and
Development.
Cambridge,
Massachusetts:
The
MIT
Press.
Kouwenberg,
Sylvia
and
Singler,
John
Victor
(2008)
The
Handbook
of
Pidgin
and
Creole
Studies.
Blackwell
Publishing.
Spears,
Arthur
and
Joseph,
Carole
M.
Bérotte
(eds)
(2010)
The
Haitian
Creole
Language.
History,
Structure,
Use,
and
Education.
New
York:
Lexington
Books.
DeGraff,
Michel
(2007)
Kreyòl
Ayisyen,
or
Haitian
Creole
(‘Creole
French’).
In
Comparative
Creole
Syntax.
Parallel
Outlines
of
18
Creole
Grammars.
Edited
by
John
Holm
&
Peter
L.
Patrick.
United
Kingdom:
BattleBridge
Publications.
28