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Thèse de doctorat
Soutenue le 19/02/2015 par
Maxime Lefranc
Rupture de matériaux mous:
De l’élasticité linéaire
à l’endommagement aux échelles microscopiques.
Composition du jury :
Président du jury : M. Emmanuel Trizac Professeur (Paris Sud)
Rapporteurs : M. Jean-Louis Barrat Professeur (UJF Grenoble)
M. Serge Mora Professeur (Université Montpellier)
Examinateurs : M. Jay Fineberg Professeur (Hebrew University of Jerusalem)
M Francois Hild Professeur (LMT Cachan)
M Peter Schall Professeur (University of Amsterdam)
2
INTRODUCTION. 1
Introduction.
En mécanique de la rupture, la théorie linéaire élastique LEFM (Linear Elas-
tic Fracture Mechanics) est un formalisme usuel permettant de prédire la sta-
bilité de fissures existantes dans une structure mécanique. Griffith, en 1922,
a proposé un critère énergétique de stabilité d’une fissure. Une fissure se
propagera si le taux de restitution d’énergie G, c’est à dire l’énergie élastique
libérée lors de la propagation de la fissure, est supérieure à un taux de resti-
tution d’énergie critique Gc , correspondant à l’énergie de surface nécessaire
pour faire avancer la fissure. Alors que G est une grandeur ne dépendant que
de la géométrie concernée et des propriétés élastiques linéaires du matériau,
Gc dépend des mécanismes fortement non linéaires à l’oeuvre en pointe de
fissure dans ce qu’on appelle la zone de process. Que ce soit expérimentale-
ment, numériquement ou théoriquement, Gc est une grandeur caractéristique
du matériau qui demeure difficile à appréhender. Ces difficultés proviennent
principalement du fait qu’il est difficile d’envisager des mécanismes se pro-
duisant dans la zone de process, dont la taille typique est entre 10 à 100
tailles atomiques.
Pour faciliter l’étude expérimentale de la zone de process, nous avons
pris parti d’étudier les propriétés de rupture de matériaux dont l’échelle
microstructurale plus grande permettra à la zone de process d’atteindre des
tailles plus aisément accessibles expérimentalement. Les matériaux envisagés
sont de deux types: des matériaux polymériques et des matériaux colloïdaux.
Ces matériaux aux échelles élementaires ξ de 10nm voire 1µm ont une par-
ticularité: ils sont mous. En effet, ces matériaux ont une élasticité de nature
entropique et leur module de cisaillement G scale comme G = kB T /(ξ)3 .
En plus de l’étude des mécanismes d’endommagement, cette étude a aussi
pour objet de mieux caractériser l’effet des non linéarités élastiques sur la
pointe de fissure. En effet, avant d’être endommagé de manière irréversible,
tout matériau subit des déformation élastiques non linéaires réversibles. Il
est fondamental de comprendre l’effet de ces non linéarités. Livne & al [1, 2]
ainsi que Buehler [3]ont montré l’important effet des non linéarités sur la
façon dont l’énergie élastique est transmise des grandes échelles (celles où la
théorie LEFM s’applique) aux petites échelles (celles où l’endommagement
irréversible a lieu).
Pour ce faire, nous avons mis au point un nouveau dispositif expérimen-
tal permettant d’étudier la rupture de matériaux mous. Ce dispositif nous
permet de faire croître de manière contrôlée une fissure unique dans de tels
spécimens et d’observer la pointe de fissure à fort grossissement et ce en
cours de propagation. Lors de premières expériences sur des gels physiques
de polymères, nous avons analysé la morphologie de pointes de fissure ainsi
que les champs de déplacement associés en utilisant une technique de cor-
rélation d’image. Nous avons montré qu’il existait une séparation d’échelle
entre l’échelle à laquelle la théorie LEFM s’applique, celle où apparaissent
2
COOL COOL
HEAT HEAT
Pour des gels à 1.5%, le matériau peut être considéré comme un solide élas-
tique incompressible de module d’Young E = 60kP a. Aucune dissipation
visqueuse ne sera considérée. De plus, ce solide élastique a un comporte-
ment fortement non linéaire dès que la déformation dépasse quelques pour-
cents: il durcit de manière exponentielle avec un coefficient de durcissement
Jm = 0.05.
Figure 3: Une structure effilée située juste sous le trou jour le rôle d’entaille
et aide à nucléer une fissure latérale dans l’échantillon.
Pour nucléer une fissure unique, une structure effilée est intégrée au dis-
positif lors de la fabrication et est placée sous le trou perçé dans la lame de
verre supérieure (fig3). Après l’injection à chaud du matériau sous forme
liquide, l’éprouvette d’agar est moulée autour de cette structure et présente
donc une préentaille qui va favoriser le départ d’une fissure de manière con-
trôlée lors de l’essai de traction.
6
5mm
5mm
500 μm
4KI r 1/2
+ A3/2 r3/2 + A5/2 r5/2
uθ (r) = E 2π + ... (1)
ur (r) = TEr + A2 r2 + A3 r3 + ... (2)
ux KI r 1/2 0 4KI r 1/2
(θ = ±π) = ± =± ey (3)
uy 2E 2π 8 E 2π
Cette théorie linéaire élastique prédit donc une pointe de fissure parabolique
dont le rayon de courbure est proportionnel à (KI /E)2 .
Les modèles de zone cohésive du type Dugdale Barenblatt proposent une
façon de régulariser la divergence des contraintes en pointe de fissure. Ils
introduisent une zone en pointe de fissure dans laquelle des contraintes dites
cohésives empêchent localement la fissure de s’ouvrir. La forme de fissure
obtenue présente un "cusp": l’ouverture de fissure est alors en u(X) = X 3/2
où X est la distance à la pointe.
8
35
σyd=6000Pa
30
25 σyd=60000Pa
δ=450nm
20
15
10
0
0 20 40 60 80
Distance to crack tip d (μm)
Vτ
rVτ
Ces différents cas théoriques sont des modèles de référence auxquels nous
comparons nos résultats. L’analyse morphologique de la fissure passe par un
traitement numérique des images acquises grâce au microscope. Ce traite-
ment en plusieurs étapes permet de détecter les lèvres de fissure, d’identifier
la pointe de fissure, d’en déduire sa vitesse et enfin de tracer son profil
CRACK TIP DISPLACEMENT FIELDS. 9
d’ouverture.
500
450
400
Distance to the tip d (pixel)
350
300
250
200
150
100
50
0
−100 −50 0 50 100
Crack opening (pixels)
100
0
0 50 100 150 200 250
Di stance to tip d (μm)
200
150
100
1mm
50
0
0 50 100 150
Di stance to tip d (μm)
Figure 11: Fissure rapide (V =1cm.s−1 ). Ouverture de fissure en fonction
de la distance d à la pointe. Ligne et cercles rouges: résultats expérimentaux.
Ligne noire: fit avec l’expansion LEFM ??, qui ne fonctionne pas en pointe
de fissure; Ligne bleue pointillé: fit des données avec l’expansion de Williams
modifiée 4. Encart: Image d’une fissure rapide (en blanc) dans un gel d’agar
teinté de 1.5%wt. L’intérieur de la fissure est rempli d’eau. Les bords de
fissure sont soulignés en rouge.
Cette forme ne peut non plus être décrite par un modèle de Dugdale ou un
modèle viscoélastique. Nous écrivons donc un développement de Williams
modifié et introduisons une longueur caractéristique d
1/2
3/2
A d d
ũ(d) = d + + (4)
1 + ( dd )1/2 d˜1 d˜2
0.5
100
1
10
0 1 2 3
10 10 10 10
Distance to tip d (μm)
Uy measured Ux measured
2
1000 2 1000 1.5
1
1200 1200 1
y (pixel)
y (pixel)
0 0.5
1400 1400
−1
0
1600 1600
−2 −0.5
1800 1800
−3 −1
600 800 1000 1200 1400 1600 600 800 1000 1200 1400 1600
x (pixel) x (pixel)
Uy estimated Ux estimated
2
1000 2 1000 1.5
1200 1 1200 1
y (pixel)
y (pixel)
0
1400 1400 0.5
−1 0
1600 1600
−2
−0.5
1800 1800
−3 −1
600 800 1000 1200 1400 1600 600 800 1000 1200 1400 1600
x (pixel) x (pixel)
1000 3
2.5
1200
y (pixel)
2
1400
1.5
1600 1
1800 0.5
Quality map sans terme NL Quality map sans terme NL sur tte ROI
qualm9.73e−02−−−−qualp2.76e−01 1.5 16
200 200 qualm2.41e−01−−−−qualp4.33e−01
14
400 400
12
1
600
y (pixel)
600
y (pixel)
10
8
800 800
0.5 6
1000 1000 4
1200 1200 2
0
600 800 1000 1200 1400 600 800 1000 1200 1400
x (pixel) x (pixel)
Figure 16: Quality map: norm of the difference between the measured and
displacement fields (in pixels). Here, the projection was done using the
unmasked region of the ROI. The hidden zone close to the crack tip has a
300 pixel radius. Left: Quality map in the shell-like zone between maskmin
and maskmax . Right: Quality map on the whole ROI.
100 2.5
80 2
d
(μm)
60 1.5
A
X
40 1
20 0.5
0 1 2 3 4
0 0 1 2 3 4
10 10 10 10 10 10 10 10 10 10
V(μm/s) V (μm/s)
3.5 3.5
3
)
3
2
2.5
GG(J/m
2
2.5 1.5
GG(J/m2)
1
2 0.5
0
1.5 0 50 100
d
(μm)
X
1
0.5
0 0 1 2 3 4
10 10 10 10 10
Crack velocity v(μm/s)
Figure 18: Evolution de G avec V. Les cercles noirs sont les résultats
expérimentaux calculés au moyen de Eq. 6.
16
G = Gc + Gdiss (V ) (7)
où
Ed? (V = 0)
Ṽ = (9)
η
L’accord entre l’énergie de fissuration mesurée G(V ) et Eq. 8 est bon dans la
gamme de vitesse explorée (Fig. 18). La valeur de Gc obtenue à basse vitesse
est cohérente avec l’énergie de rupture des liaisons physiques traversant le
plan de fissure. Il n’y a donc pas d’autre mécanismes d’endommagement
à basse vitesse. ηef f par contre est bien plus grande que la dissipation
lié aux frottement polymère/solvant. Nous considérons que les valeurs de
dissipation mesurées 1 à 2 ordres de grandeurs supérieures correspondent
à de la dissipation visqueuse provenant des phénomènes de reptation des
chaînes extirpées d’une jonction sous l’effet des fortes contraintes de pointe
de fissure. Les niveaux de contrainte en zone proche pointe et la configuration
microscopique des chaînes peuvent être étudiés par l’analyse des phénomènes
non linéaires se produisant aux échelles inférieures à d? .
cohésive ou des modèles viscoélastiques. Une hypothèse envisagée est que les
grandes déformations en pointe de fissure induisent des écarts importants à
l’élasticité linéaire. Une simple approche en scaling indique que d? ∝ G/E
donne un ordre de grandeur des distances en dessous desquelles les effets non
linéaires apparaissent [11].
Il est impossible de calculer les déformations à partir de la forme de
fissure. Une méthode plus directe consiste à utiliser la corrélation d’images
pour mesurer le champ de déplacement puis la déformation en pointe de
fissure avec la distance à la pointe. On mesure ici des déformation supérieures
à 25%, valeur bien supérieure au seuil de nonlinéarité qui, dans le cas de
l’agar, vaut environ 5%. A d = d? , la déformation est de 8%.
On montre ici que les théories faiblement non linéaires sont d’intérêt
limité pour les matériaux durcissants. On fdoit considérer la théorie forte-
ment non linéaire [12, 13]. Sans entrer ici dans les détails, on récapitule
les principales caractéristiques du champ de déplacement asymptotique et la
morphologie de fissure. Dans le cas Jm = 0.05 correspondant à nos gels très
durcissants, le profil de fissure est très proche de la forme en coin obtenue
expérimentalement.
19
20 BIBLIOGRAPHY
[11] Costantino Creton, Jacob Hooker, and Kenneth R. Shull. Bulk and
interfacial contributions to the debonding mechanisms of soft adhesives
extension to large strains. Langmuir, 17(16):4948–4954, 2001.
[12] V. R Krishnan, C.-Y. Hui, and R. Long. Finite Strain Crack Tip Fields
in Soft Incompressible Elastic Solids. Langmuir, 24(11):14245–14253,
2008.
[13] R. Long, V. R Krishnan, and C.-Y. Hui. Finite strain analysis of crack
tip fields in incompressible hyperelastic solids loaded in plane stress.
Journal of the Mechanics and Physics of Solids, 59:672–695, 2011.